Skip to main content

Full text of "Commentaire sur l'Évangile de Saint Jean"

See other formats


JfHW 


%M-:^%;t*- 


4.  ^''^. 


:r-'^ 


^' 


X 


■V-* 


*  *W^if^É«*  gSw  ^  .\>,, 


■< 


4^  lw->  - — ^ 


\    \      - 


f7' 


-Jh- 


<    V 


/' 


'■»  — ■»' 


BIBLIOTHEQUE   THEOLOGIQUE 


GOiMM  ENTA  IRE 


SUR 


lévanCtIle  de  saint  jea^ 


F.    GODET 


TOME    PREMIER 


-1— rOQIJQOOOnr-iT 


PARIS 

LIBRAIRIE    FRANÇAISE    ET    ÉTRANGÈRE<^ 

25,    RUE    ROYALE    SAINT-HONORÉ  B 


1864 


A 


MONSIEUR  CHARLES  PRINCE 

DOCTEUR    ES    PHILOSOPHIE 
PItOrii-îSEUR    DE    PniLOLOCin    AC    COLLÈGE    DE    KECCnATIîL 


Mon  cher  ami, 

Plusieurs  fois  nous  avons  lu  et  médité  ensemble 
les  pages  saintes  dont  j'offre  aujourd'hui  à  l'Église 
l'interprétation.  A  chacune  de  ces  lectures  nous 
nous  sommes  sentis  initiés  plus  intimement  à  la  con- 
naissance de  Celui  dont  l'historien  sacré  retrace  la 
vie  et  les  paroles.  L'œuvre  du  Saint-Esprit,  promise 
par  Jésus  :  «  C'est  Lui  qui  me  glorifiera,  »  s'est  ac- 
complie en  nous.  Christ  a  été  transfiguré  devant 
nos  yeux. 

Après  ce  travail  commun  dans  lequel  ta  pensée 
et  la  mienne  se  sont  si  souvent  fondues  en  une 
seule,  il  me  serait  impossible  à  moi-même  de  dis- 
tinguer dans  cet  ouvrage  le  mien  du  lie/i.  Et  si  je 
le  pouvais,  à  quoi  cela  servirait-il?  Sur  le  chemin 
d'Emrnaûs,  on  ne  parle  plus  que  du  sien,  et,  comme 


les  deux  pMerins,  on  s'écrie:  «  A'o//r  ('(l'ur  ne  hnï- 
hul-il  /)(is  (ii(  (h'diins  d  •  n()H<.  (/inuid  II  nous  parlait 
en  chemin,  cl  (jn  II  n^ms  ourrail  les  Hcrilurcs?  » 
Permets  du  uioiiis  que,  ne  pouvant  te  citer  à  chaque 
page,  j'associe  ton  nom  au  mien,  en  offrant  au 
public  ce  produit  de  ma  plume  qui  est  à  tant 
d'égards  le  fruit  de  tes  lèvres. 

Ce  n'est  pourtant  pas  que  je  prétende  te  rendre 
responsable  des  inlirniités  et  des  fautes  qui  se  ren- 
contrent certainement  dans  cet  ouvrage ,  et  t'en- 
traîner  avec  moi  devant  le  tribunal  de  la  critique. 
Ta  solidarité  ne  doit  s'étendre, qu'aux  bonnes  et 
saines  pensées  qui  peuvent  se  trouver  dans  ces 
lignes,  au  don  céleste  reçu  en  conunun,  que  l'un 
de  nous  transmet  à  l'Église. 

Fuisse  la  jeunesse  studieuse  des  églises  de  France 
et  de  Suisse,  en  vue  de  laquelle  j'ai  principalement 
travaillé,  reconnaître,  en  lisant  ce  conmientaire , 
ce  que  j'ai  si  souvent  éprouvé  en  étudiant  le  Nou- 
veau Testament  avec  toi  :  c'est  que  la  théologie 
n'a  pas  d'amie  plus  fidèle,  d'alliée  plus  sûre,  qu'une 
forte  et  sohde  philologie,  pour  qui  les  moindres 
nuances  de  l'expression  deviennent,  à  chaque  mot, 
la  révélation  du  fond  des  choses. 


Ton  ami, 

L'AUTEUR. 


.Neuchàtel,  14  nuvprnhie  186.'3. 


PREFACE 


Il  y  n,  riiins  riiistoiro  du  monde,  doux  prodiges  de- 
vant lesquels  s'eflacent  tous  les  autres:  l'incai-nation  de 
la  Parole,  Jésus-Christ;  et  celle  de  l'Esprit,  la  Bible. 

De  ces  deux  miracles,  le  premier  est  dévoilé  dans 
toute  sa  sublimité  par  l'œuvre  de  Jean;  le  second  s'y 
réalise  dans  toute  sa  puissance.  Aussi  dans  la  crise  que 
subit  à  cette  heure,  non  la  théologie  seulement,  mais 
le  christianisme ,  cet  évangile  est-il  devenu  le  point  de 
mire  de  l'attaque,  comme  le  foyer  de  la  défense. 

Il  est  lésulté  de  là  que,  depuis  un  quart  de  siècle, 
le  nombre  des  travaux  ,  études  ou  commentaires  pro- 
prement dits ,  sur  le  quatrième  évangile  s'est  tellement 
accru,  que  ces  ouvrages  forment  désormais  une  branche 
spéciale  et  considérable  de  la  littérature  théologique. 

L'auteur  de  ce  commentaire,  chargé  des  doubles 
fonctions  du  pastorat  et  de  l'enseignement  théologique, 
ne  jouit  point  de  loisirs  suffisants  puni'  jiouvoir  em- 
brasser de  ses  propres  yeux  nn  si  vaste  champ.  Par 
cette  raison,  et  aussi  par  suite  de  féloignement  on  il 
se  trouve  de  toute  grande  bibliothèque  théologique,  il 
lui  a  été  inqjossible  de  tout  lire,  et  il  doit  avouer  qu'un 
assez  grand  nombre  des  citations  renfermées  dans  cet 
ouvrage  ne  sont  que  de  seconde  nmiii. 


VIII  PREFACE. 

Mon  ambition,  d'ailleurs,  na  jioint  été  de  faire  une 
œuvre  d'érudition.  Pénétrer  dans  le  caractère  et  dans 
le  sentiment  du  Seigneur,  découvrir,  dans  chaque  si- 
tuation, rémolion  intime  que  trahit  sa  parole,  saisir 
dans  le  mouvement  de  ses  discours  le  battement  de 
son  cœur,  tel  a  été  mon  désir. 

Dans  la  poursuite  d'un  pareil  but,  la  nmltitude  des 
livres  peut  aisément  devenir,  selon  l'expression  deTEc- 
clésiaste,  une  vanité,  et  môme  une  entrave.  Je  n'ofl're 
donc  point  au  lecteur  un  répertoire  exégétique.  Je  n'ai 
cité  d'ordinaire  que  les  interprétations  qui  pouvaient 
peser  dans  la  balance,  ou  celles  dont  la  réfutation  pa- 
raissait avoir  de  l'importance  dans  la  crise  que  nous  tra- 
versons. Plutôt  que  de  composer  de  toutes  ces  plantes, 
qui  s'offraient  à  moi,  un  herbier,  je  me  suis  efforcé  d'en 
extraire  l'arôme.  —  Le  modèle  qui  s'est  constamment 
présenté  à  moi,  pour  la  forme  du  travail  exégétique,  a 
été  le  commentaire  de  Lùcke. 

A  côté  de  cet  ouvrage,  l'un  des  plus  beaux  monu- 
ments de  la  science  exégétique  de  notre  temps ,  les 
écrits  qui  m'ont  rendu  les  plus  grands  services,  sont, 
pour  les  questions  générales,  l'ouvrage  deLuthardt  sur 
l'évangile  de  Jean,  et,  pour  les  renseignements  exégé- 
tiqucs ,  le  commentaire  de  Meyer.  Pour  l'intuition  de 
la  personne  de  Jésus,  aucun  livre  ne  m'a  été  plus  utile 
que  la  Vie  de  Jésus  de  Lange.  Je  n'ai  pu  profiter  beau- 
coup des  Pères;  l'étude  de  leurs  ouvrages  exige  un 
temps  qui  ne  m'est  point  accordé.  Quant  aux  réforma- 
teurs, à  Calvin  en  particulier,  il  me  paraît  que  leur 
plus  grande  gloire  ,  en  fait  d'exégèse ,  est  d'avoir  im- 
primé à  la  science  l'impulsion  puissante  en  vertu  de 


rnFFAr.F.  n 

laquelle,  après  quelques  siècles,  ils  se  trouvent  si  com- 
plètement dépassés. 

On  trouvera  sans  doute  la  marche  de  l'exégèse  un 
peu  lente,  dans  ce  premier  volume.  .l'ai  dû  consacrer 
un  temps  considéral)le  aux  questions  critiques  et  même 
dogmatiques  soulevées  aujourd'hui  à  l'occasion  du  qua- 
trième évangile.  Après  avoir  payé  la  majeure  partie  de 
ma  dette  à  la  critique  dans  l'étude  dos  premiers  cha- 
pitres, j'espère  marcher  d'un  pas  plus  dégagé,  et,  met- 
tant de  côté  les  préoccupations  étrangères  à  l'étude 
directe  du  texte,  laisser  davantage  parler  Celui  que 
notre  évangile  appelle  la  Parole.  Le  second  volume,  qui 
comprendra  le  reste  de  l'évangile  et  les  conclusions 
critiques,  ne  dépassera  pas ,  nous  l'espérons,  le  pre- 
mier en  étendue. 

Je  n'ai  point  recherché  directement  l'édification;  j'ai 
tenu  à  conserver  à  cet  ouvrage  un  caractère  rigoureu- 
sement scientifique.  Comme  cependant  les  questions  ici 
discutées  se  posent  aujourd'hui  pour  tous  les  esprits 
cultivés  et  se  débattent  en  quelque  sorte  au  Forum  du 
journalisme,  j'ai  cru  devoir,  afin  de  rendre  la  lecture 
de  ce  commentaire  accessible  à  un  plus  grand  nombre 
de  personnes,  ajouter  ordinairement  aux  mots  grecs 
la  traduction  française. 

Au  moment  où  s'imprimaient  les  premières  feuilles 
de  cet  ouvrage  ont  paru  deux  travaux  d'une  importance 
inégale  :  la  Vif  de  Jésus  de  M.  Heuau,  et  deux  articles 
de  M.  Michel  Nicolas  dans  la  Heiap gerniavique ,  l»^'  avril 
et  ^'- juin  1863. 

L'ouvrage  de  M.  Renan  est  l'cHort  le  plus  vigoureux 


X  PRÈFACr. 

qui  .'lit  (Micoro  o\c  l'iiil  pdiir  r('(iiiiro  l.i  \\o  {\o  .li'sus  à 
dos  proportions  iiiuviiicnt  iiiitiiiollos.  A  chaque  sièclo 
llimn.iiiité  somblo.  oondaiiiiK'O  à  recommencer  celte 
t^clie;  l'apparition  inexplicable  de  Jésus  est  comme  son 
rocher  de  Sisyphe.  M.  lienan  a  apporté  à  cette  tentative 
des  ressources  de  talent  et  d'érudition  que  ne  possédait 
peut-être  au  même  degré  aucun.de  ses  devanciers,  et 
cependant,  lui  .inssi ,  il  a  échoué,  et  il  a  prouvé  par 
son  exemple  la  véritV'  de  ce  qu'il  avançait  lui-même,  il 
y  a  peu  d'années,  quand  il  disait:  «On  me  pioposerail 
une  analyse  défuiitive  de  Jésus  au  delà  de  laquelle  il 
n'y  aurait  plus  rien  à  chercher ,  que  je  la  récuserais  ; 
sa  clarté  même  serait  la  meilleure  preuve  de  son  insuf- 
fisance'. »  La  figure  mystérieuse  reste  debout,  indomp- 
tée; et  le  liyre  de  M.  licnau,  en  constatant  une  fois  de 
plus  l'insolubilité  <lu  problème  ainsi  posé,  est  devenu 
un  excellent  trait/'  d'apologétique.  La  position  est  et 
reste  celle  -  ci  :  Ou  bien  vous  écrirez  une  vie  de  Jésus 
sans  avoir  le  sens  de  la  sainteté  —  de  la  sainteté  qui  est 
l'essence  même  de  Jésus  —  et  vous  serez  comme  un 
homme  qui  n'a  pas  le  sens  du  beau,  devant  un  tableau 
de  Haphaël  :  votre  livre  n'aboutira  qu  à  une  parodie. 
Ou  bien  vous  posséderez  l'organe  qui  perçoit  la  sainteté, 
et  vous  serez  forcé  de  reconnaître  eu  Jésus  un  être 
qui  est  autre  chose  que  «chair  née  dp  chair,»  et  de 
rompre  le  (-enle  de  Ifi  du  u;ituralisme. 

L'étude  d(.'  .M.  Nicolas  tend  à  prouver  que  le  qua- 
trième évau.uile  est  l'œuvre  du  presbytre  Jean,  qui  doit 
avoir  vécu  à  Éphèse  eu  méiue  temps  que  l'apotre.  iNous 


\.  Etudes  d'Iiislnar  rr/igicuge,  \k  H)l). 


PRÉFACt.  XI 

examinerons  cette  hypothèse  dans  le  chapitre  de  con- 
clusions qui  tei-minera  notre  ouvrage.  Nous  dirons  seu- 
lement ici  que  M.  Nic^olas  aurait  bien  fait  de  commencer 
par  prouver  solidement  la  réalité  du  personnage  auquel 
il  attribue  une  œuvre  de  cette  importance  ;  car  son 
existence  est  contestée ,  encore  à  cette  heure,  par  beau- 
coup de  savants',  et  ne  repose  que  sur  l'interprétation 
tort  douteuse  qu'Eusèbe  a  donnée  de  quelques  paroles 
de  Papias.  M.  Nicolas  aurait  pu  se  rappeler  aussi  que 
les  diverses  objections  élevées  par  lui  contre  la  compo- 
sition de  notre  évangile  par  Tapôtre  Jean  retombent 
toutes  sur  son  hypothèse,  puisque,  si  le  presbytre  Jean 
a  jamais  existé,  il  devait  être,  d'après  les  paroles  d'où 
Ion  tire  cette  conclusion,  disciple  immédiat  de  Jésus, 
témoin  des  faits  racontés  et  originaire  de  Palestine , 
aussi  bien  que  l'apôtre  lui-même. 

Nous  croyons,  quanta  nous,  avec  le  savant  et  pieux 
L(ùcke ,  que  «  notre  évangile  est  un  rocher  sur  lequel 
s'usera  le  marteau  de  la  critique  avant  que  de  le  faire 
crouler  sous  ses  coups  \j>  Ce  rocher  est  du  plus  pur 
cristal;  sa  pureté  lait  sa  force.  Puisse  ce  commentaire 
ne  pas  la  ternir;  puisse-t-il  même  contribuera  en  faire 
mieux  resplendir  l'éclat! 

Neuchàtel,  14  novembre  1863. 

i.  Voir,  par  exemple,  Lebea  des  Henn  Jesu,  de  Rig^'enbacli , 
p.  56  el  suiv. 

'2.  Préface  du  ■2'-  vol.  3   éd.  p.  xii. 


INTRODUCTION. 


CHAPITRE  I. 
Considérations  préliminaires. 

Le  livre  que  j'entreprends  d'expliquer,  est  à  mes  yeux  le 
joyau  le  plus  précieux  que  possède  l'humanité.  C'est  le  por- 
trait d'un  être  unique,  tracé  par  un  peintre  unique.  En 
m'exprimant  de  la  sorte,  je  ne  crois  pas  faire  tort  aux  autres 
narrations  biblitiues  du  ministère  de  Jésus.  Chaque  évangile 
a  sa  mission  spéciale;  et  chaque  évangéhste  a  reçu  le  don 
approprié  au  but  de  son  œuvre.  Pourquoi  donc  la  supério- 
rité de  l'un  de  ces  écrits  exclurait-elle  la  perfection  relative 
des  trois  autres  ? 

Qu'il  me  soit  permis  de  résumer  ici  mon  sentiment  sur 
l'origine  et  le  but  particulier  de  chacun  de  nos  évangiles 
canoniques.  Je  ne  démontrerai  point;  je  me  bornerai  à  ex- 
poser. Peut-être  la  preuve  ressortira -t- elle  de  l'accord 
entre  le  résultat  auquel  me  paraît  conduire  l'étude  attentive 
de  ces  livres,  et  les  faits  les  mieux  constatés  du  siècle  apos- 
tohque. 

L'évangile  de  saint  Matthieu  nous  offre  le  sommaire  de  la 
prédication  des  Douze  durant  le  quart  de  siècle  qu'ils  j)assè- 
rent  à  Jérusalem  après  l'Ascension.  Jésus  y  est  représenté 
I.  i 


:2  I.NTRtMUCTION. 

t'umme  la  consommalidiidc  ramiiMnioalliaiKc; cl  la  Inrimile: 
ii/in  que  fût  nccoiupli,  tjiio  l'on  rcncorUrc  si  lr(''(|n<Miim»Mil  dans 
ce  livr(%  |Miiirrait  scrviid't'pijîi'aplir  à  roiiviai^c  ciilicr.  La  gé- 
n('alo^M('ijiii  |)it'rède  le  récit,constaU'  le  droit  deJésus  au  trône 
do  haviil  cl  au  titre  de  descendant  promis  d'Aliraliam,  par 
oonsécjneni  à  la  souverainelê  niessianitpie  :  ^  Gcuàtlogic  de 
Ji'i.Ks,  II'  Christ,  /Us  de  David,  fils  d'Abrnltnni'i)  {\,  I).  Dans 
ee  premier  verset  de  l'évangile  se  révèle  la  tendance  de 
lout  le  récit.  I/aulenr  va  montrer  en  Jésus  le  point  de  con- 
vergence de  toutes  les  lignes  tiacées  par  l'Ancien  Testa- 
ment, soit  dans  la  loi,  soit  dans  la  prophétie,  soit  dans 
l'histoire.  Les  (|uelques  grands  discours  ipii  roniicnl  le  liail 
>aillant  de  la  narration,  le  présentent  suecessivement  comme 
11-  sujirème  législateur,  proclamant  une  loi  supérieure  mémo 
à  celle  du  Sinaï  (cli.  V — VII);  connue  le  roi  en  qui  réside 
déjà  le  royaume  des  cieux,  et  de  (pij  11  va  désormais  éma- 
ner (cil.  XIU];  comme  le  juge  (|ui  cite  à  sa  barre  les  au- 
torités théocratiijues,  et  devant  le  tribunal  duquel  compa- 
raîtront bientôt  Israël ,  puis  l'Église  et  le  monde  entier 
(cli.  XXllI — XXV);  comme  le  souverain  enlin  (pii  va  régner 
sur  les  cieux  et  sur  la  terre,  et  commencer  par  ses  légats 
la  conquête  de  tous  les  peuples  (cli.  XXVIII,  18 — 20).  Ce 
derniei'  mot  de  l'évangile  est  le  pendant  du  premier  :  il  si- 
gnale le  faîte  de  l'œuvre  messianique  et  la  complète  réalisa- 
tion du  programme  tracé  à  l'ouverture  du  livre.  Cet  accord 
entre  le  commencement  et  la  fin  prouve  l'unité  réfléchie 
de  l'œuvre.  Quant  à  la  valeur  de  l'idée  »jui  remplit  ce  livre, 
les  interprètes  peuvent  discuter  sans  doute  l'exactitude  exé- 
géli(|ue  de  plusieurs  des  citations  de  l'Ancien  Testament  que 
l'on  y  rencontre;  la  vérité  générale  de  la  thèse  du  premier 
é'vangile  et  la  grandeur  imposante  de  la  démonstration  qui 
en  est  donnée ,  ne  peuvent  être  compromises  par  ces 
questions  de  détail  :  Jésus  est  le  terme  et  la  consommation 


nilAn.   I.   -       CO.NSIKKllAÏIO.NS  l'IlKl.lMl.NAIRES.  -'i 

(le  rancieiiML'  alliance.  Le  livre  dans  lequel  fui  tirvoilcL- 
pour  la  première  fois  celle  vérité,  ne  lut  i)as  seulemenl 
une  œuvre  lilléraire.  Sa  publication  fut  un  événemenl,  un 
fait  rentrant  dans  le  cours  même  de  l'histoire.  L'évangile 
selon  saint  .Matthieu  fut  la  sommation  suprême  et  comme 
rtdtimatum  de  l'Éternel  à  son  ancien  peuple;  ce  fut  l'a- 
vant-dernier  acte  de  cette  grande  histoire  théocratique  dont 
la  ruine  de  Jérusalem  devait,  peu  d'années  après,  être  le 
ilernier. 

Le  second  évangile  n'est  point  dû  à  une  situation  aussi 
tragique.  Il  renferme,  sous  la  forme  la  plus  simple,  les  sou- 
venirs d'un  témoin  oculaire  du  ministère  de  Jésus.  Il  fait 
l'eflet  d'une  galerie  de  tableaux,  dans  laquelle  se  trouve- 
raient représentées,  sans  idée  d'ensemble  ni  ordre  sys- 
tématique ,  les  scènes  les  plus  saisissantes  de  cette  mer- 
veilleuse histoire.  L'unité  de  l'oîuvre  ne  consiste  point  dans 
une  thèse  à  démontrer  :  elle  réside  plutôt  dans  le  vif  sen- 
timent d'admiration  (juavait  éprouvé  jadis  le  témoin  de  pa- 
reils faits,  et  au(|ucl  il  désire  associer  les  lecteurs.  Ce  senti- 
ment dominant  s'exprime  dans  une  série  de  passages;  par 
exemple,  I,  27;  3G-37;  45;  II,  1-2;  12;  VI,  31;  VII,  2-4;  IX, 
15,  etc.  Aussi  cet  évangile  se  distingue-t-il  par  la  fraîcheur 
et  la  vive  actualité  du  récit.  Le  premier  mot  du  livre  res- 
semble à  un  éclat  subit,  dans  lequel  s'exprime  naivement  le 
ravissement  de  l'écrivain  au  souvenir  de  cet  être  extraordi- 
naire, de  cet  homme  divin  dont  il  allait  retracer  l'histoire  : 
V.  Commencement  de  la  prédication  de  la  bonne  nouvelle  par 
Jésus-Christ,  Fils  de  D/eîf.  »  Le  genre  hltéraire  dont  se  rap- 
proche le  plus  l'évangile  de  Marc,  est  celui  des  Mémoires.  Ce 
sont  de  simples  récits,  tels  (ju'ils  durent  sortir  de  la  bouche 
des  familiers  de  Jésus ,  et  être  recueillis  à  l'époque  où  déjà 
s'éclaircissaient  les  rangs  des  dépositaires  primitifs  de  ce 
trésor. 


'  INTRODUCTION. 

Ix'  troisit'iiH' ••v;iii^mI<' (l()il  corlaiiit'iiHMil  son  oiif^inc,  nus.Ni 
liieii  quf  lo  premier,  à  une  siliuUiuii  liisl")n(|iie  déterniinée. 
Né  «laiis  le  voisinage  ilc  l'apôtre  des  Gentils,  il  est  en  rap- 
port <!irc(  I  av(>c  l'ieuvre  de  ee  grand  missionnaire.  Sans 
doute  l'iuluiliou  générale  du  ministère  de  Jésus  est  la  même 
<|ue  celle  «pii  lègnc  dans  les  deux  j)remiers  évangiles;  mais 
l'auteur  ne  s'est  pas  contenté  des  matéiiaux  que  lui  foui- 
nissait  la  tradition  apostolique;  il  a  puisé  à  des  sources  par- 
ticulières, il  a  rassemlilé  d'antiques  documents; il  s'est  livié 
:i  un  tnvail  çrili(pie.  C'est  ce  (ju'indique  son  préambule  I, 
1-4-,  «pii  rappelle  ceux  des  illustres  historiens  grecs,  et  con- 
state une  parenté  de  genre  entre  leurs  écrits  et  le  sien.  Lm 
est  le  seul  historien  proprement  dit  de  la  vie  du  Seigneur. 
Son  écrit  j)résente  un  tableau  suivi  et  grarlué  du  dévelop- 
pement humain  de  Jésus.  On  suit  du  regard  les  progrès 
de  sa  personne  d'abord,  puis  ceux  de  son  œuvre.  On  voit 
celle-ci  grandii-;  à  l'appel  des  premiers  disciples  succèdent 
le  choix  et  la  con.sécralion  des  Douze,  bientôt  leur  pre- 
mière mission,  enfin  la  mission  plus  ostensible  encore  des 
soixante-dix  disciples,  suivie  du  grand  et  dernier  voyage  à 
Jérusalem.  Le  développement  spirituel  de  l'œuvre  marche 
de  pair  avec  son  progrès  extérieur.  Lors<{u'on  s'est  identifié 
avec  l'esprit  vraiment  bistoriipie  de  l'œuvre  de  Luc,  on 
comprend  sans  peine  pour(|uoi  c'est  lui  qui,  entre  les 
quatre  évangélistes,  a  reçu  la  tâche  d'ajouter  au  tableau  du 
mini.stére  de  Jésus  celui  de  l'oîuvre  des  apôtres  et  de  la 
l'ondation  de  l'Eglise.  Le  livre  des  Actes  n'est  en  effet  c]uo 
la  contirmation  du  troisième  évangile.  Depuis  l'ajipaiilion 
de  l'ange  au  père  de  Jean-Baptiste  dans  le  temple  de  Jéru- 
salem (Luc  I)  jusqu'à  l'arrivée  de  saint  Paul  dans  la  capi- 
tale du  monde  (Act,  XXVIll),  il  y  a  un  développement  non 
interrompu,  un  progrès  constant.  L'histoire  marche  inces- 
.samment  dans  la  même  direction.  L'œuvre  de  la  mission  va 


CIIAP.  I.   —   CONSIDERATIO-NS    l'ItKMMI.NAIlŒS.  ;> 

s'élargissant  de  plus  en  plus.  Ilcnfermé  il\nli(ir(l  (bus  la  crè- 
che de  Bethléem,  le  salut  finit  par  embrasser  le  muiide  en- 
tier. L'historien  est  tellement  conscienl  de  l'idée  qui  dirij,^; 
sa  narration,  que  les  lornmlcs  par  les((uelles  il  signale  les 
phases  du  développement  île  la  personne  et  de  l'œuvre  de 
Jésus  dans  l'évangile  (I,  80);  II,  40;  52;  (III,  18);  IV,  15; 
37;  4i;  V,  15-10;  VIII,  I;  IX,  51;  XllI,  22;  XVII,  H,  etc.,  se 
continuent  dans  le  livre  des  Actes  par  des  formules  toutes 
semblables,  (|ui  indiquent  les  progrès  les  plus  manjuantsde 
l'œuvre  apostolique  et  du  développement  de  l'Eglise  :  1, 14; 
II,  41-42;  IV,  32  et  suiv.;  V,  12  et  suiv.;  42;  VI,  7;  IX,  31; 
XI,  18,  etc.  Par  cette  conformité  extérieure  dans  la  forme 
du  récit,  l'auteur  veut  faire  ressortir  la  continuité  morale, 
et  par  là  le  caractère  providentiel  et  divin  de  l'œuvre  dé- 
crite. De  cette  manière  l'édifice  construit  par  saint  Paul, 
au  lieu  de  planer  en  l'air,  reçoit  une  base  et  trouve  un 
fondement  solide  dans  le  ministère  même  du  Seigneur.  Tel 
est  sans  doute  le  sens  de  ces  paroles  du  prologue  de  Luc  : 
a  //  m'a  semblé  bon  de  l'écrire  ces  choses  par  ordre,  très- 
excellenl  Théophile,  afin  que  tu  puisses  consialer  l'inébran- 
lable stabilité  des  enseignements  que  tu  as  reçus  )^  (l>  4). 
Théophile  était  probablement  un  chrétien  païen,  un  Grec 
élevé  à  l'école  de  Paul.  La  justification  des  enseignements 
qu'il  avait  reçus,  ressortait  tout  naturellement  d'un  récit  du 
ministère  de  Jésus  tracé  du  point  de  vue  où  s'est  placé  Luc. 
Si  le  premier  évangile  démontrait  par  les  prophéties  le 
droit  de  Jésus  à  régner  sur  Israël  et  sur  le  monde,  le  troi- 
sième constatait,  par  la  connexion  intime  entre  l'œuvre  de 
Jésus  et  celle  des  apôtres,  de  saint  Paul  en  particulier,  le 
droit  des  païens  au  salut  par  Christ  et  à  la  fibre  entrée  dans 
son  royaume. 

Saint  Jean  a  écrit  à  une  époque  plus  avancée  du  siècle 
apostolique.  Jérusalem  n'était  plus.  L'Eglise  était  fondée  dans 


(i  l.NTHODLCTION. 

\o  iiumkIc  païen.  La  plupart  ilcs  collègues  do  l'apôtre  éfaieni 
(Icsrendn.sdaiis  la  tombe.  11  s'agissait  pour  lui,  non  de  fonder, 
mais  do  maintenir  et  d'affermir.  L'Kgliso  comprend-elle  bien 
la  gi-andenr  du  trésor  qui  lui  a  élécoulié  dans  ce  Christ,  objet 
du  ténii»iynage  ajtuslolicpK^'.'  Tient-elle  sa  couronne  d'une 
main  assez  ferme  pour  ne  point  se  la  laisser  enlever?  Kst-clle, 
soit  pour  la  connaissance,  soit  pour  la  vie,  à  la  haulcin  du 
don  qui  lui  a  été  fait  ?  Kesté  presque  seul  d'entre  les  apôtres, 
saint  Jean  se  recueille  en  face  de  ces  questions.  Il  recherche 
au  plus  profond  de  ses  souvenirs  les  faits  principaux  et  les 
discours  marquants  dans  lesquels  Jésus  lui  a  révélé,  ainsi 
qu'aux  autres  fondateurs  de  l'église,  sa  dignité  de  Messie 
et  sa  gloire  de  Fils  de  Dieu.  //  s'élance,  selon  la  magniliipie 
expression  de  Jérôme,  jusqu'au  Verbe;  et,  plaçant  l'église 
sur  ce  rocher,  il  la  met  en  état  de  lutter  contre  les  tem- 
pêtes de  la  persécution  et  de  braver  les  flots  tunndtueux 
et  plus  redoutables  encore  de  la  spéculation  humaine,  qui 
commençaient  à  l'assaillir  déjà  de  son  temps.  Il  ne  montre 
jias,  comme  saint  Luc,  le  lever  et  la  croissance  graduelle 
de  la  lumière.  Dès  le  premier  mot  il  la  fait  briller  de  tout 
son  éclat;  supposant  la  matière  liistori(fuc  déjà  connue,  il 
la  place  dans  son  vrai  jour  et  fait  tondiei'  sur  ellf  le  rayon 
céleste.  En  racontant  il  révèle;  il  montre  qu'un  vrai  apôtre 
est  toujours  prophète  en  même  temps  (jue  témoin.  Aussi 
son  second  tome,  à  lui,  si  jamais  il  en  écrit  un,  sera-t-il, 
non  point  un  complément  hislori(jue,  mais  une  œuvre  pro- 
phétique. Après  avoir  révélé  Christ  comme  l'Alpha  dans 
l'évangile,  il  le  célébrera  comme  l'Oméga.  L'Apocalypse  sera 
la  seconde  partie  de  son  ajuvre,  aussi  naturellement  que  les 
Actes  des  apôtres  furent  le  second  tome  de  celle  de  Luc' 


1.  Nous  savons  bien  qu'en  parlant  ainsi  nous  lieurtons  de  front  deu.\ 
des  axiomes  favoris  de  la  criliquo  moderne.  Nous  nous  rtservons  d'allé- 
guer plus  lard  les  raisons  qui  nous  empt^chent  d'admettre  que  l'Apoca- 


CHAI'.  I.  — CONSIDERATIONS    l'IîKLIMl.N AKtKS.  / 

S'il  est  tt;rl;iiii  (|in'  les  pliascs  |tiiiicipales  de  riiisluire 
aposloli<|ii('  nul  été  les  suivantes  :  la  prédical.ion  des  Douze 
dans  la  Teire-Sainle,  la  fondation  de  l'E^^lisc  chez  les  Gentils 
par  le  ministère  de  saint  Paul,  la  dispersion  des  apôtres  sui- 
vie, bientôt  après,  de  leui' dispai'ition  successive  de  la  scène 
du  momie,  enlin  l'explosion  dans  le  sein  de  l'Hlglise  d'une 
guerre  intestine,  due  à  la  tentative  de  la  sagesse  liuniaiiic 
de  faire  de  la  Rédemption  la  proie  de  la  spéculation,  —  il 
ressort  ilu  caiaclère  de  nos  évangiles,  tel  que  nous  venons 
de  le  constater,  que  chacun  de  ces  écrits  répond  à  l'une 
de  ces  phases  et  peut  en  être  envisagé  comme  le  monu- 
ment litléiaire.  Cette  corrélation  historique  me  paraît 
être  le  point  de  départ  des  preuves  paiticulières  que  l'on 
peut  donner  en  faveur  de  l'authenticité  de  ces  quatre  docu- 
ments. 

Le  quatrième  évangile  équivaut  à  peine  à  une  brochure 
d'une  centaine  de  pages;  il  est  permis  d'affirmer  néaimioins 
que,  si  ce  court  document  n'existait  pas,  le  cours  de  l'his- 
toire eût  été  profondément  modifié.  «  Le  moteur  de  l'his- 
toire, disait  Augustin  Thierry,  c'est  la  religion*.)^  Sans 
l'évangile  de  Jean  un  courant  tout  différent  eût  régné  dans 
les  régions  supérieures  de  l'histoire ,  celles  de  la  religion  et 
de  la  pensée,  et  par  suite  aussi  dans  les  sphères  inférieures 
de  l'existence  humaine.  Sans  doute  en  l'absence  de  saint 
Jean  nous  aurions  saint  F^aul,  dont  les  enseignements  sont 
dans  le  fond  identiques  à  ceux  que  renferment  les  dis- 
cours du  Seigneur  dans  le  quatrième  évangile.  Plus  on  étudie 
les  ouvrages  de  ces  deux  hommes,  plus  on  est  frappé  de 
rencontrer,  sous  des  formes  complètement  indépendantes 

lypse  ait  été  composée  avant  la  ruine  de  Jénisaiem  et  par  un  auteur  diffé- 
rent de  celui  du  quatrième  évangile. 

1.  l'arole  citée  par  le  I'.  Gratry,  dans  une  conférence. 


8  INTRODUCTION. 

et  orifjinalt's,  la  même  conception  de  l'Évan^nle,  (le  la  por- 
sunnc  de  Clnisl  en  parlicidior.  Les  épîlres  aux  F^phésiens , 
aux  Colossiens  et  aux  Pliilippiens  seront  tonjoins  le  meil- 
leur coinintMilnirr  de  l'rvaiijiile  de  Jean.  Mais  supposé  (pie  l'un 
de  et's  deux  lioinnies  nous  manquât,  (pic  l'aul,  par  exemple 
restât  seul  t(?moin  parfailement  exjtlicile  de  rélcrnelle  divi- 
iiilé  de  Jésus -Christ  —  c'est  bien  là  le  point  dont  il  s'agit 
—  avec  quelle  (jicilité  ne  récuserait-on  pas  son  enseii^^nc- 
inentî  L'apjiarition  du  Seigneur  par  la(|uelle  il  doit  avoir 
été  converti,  serait  liientôt  réduite  à  une  simple  vision,  celle- 
ci  à  une  hallucination;  et  la  docirine  d'iiii  tel  ap(jtre  ne  se- 
rait plus  (ju'un  produit  de  sa  propre  sjtéculalion.  Il  n'est  pas 
si  aisé  de  se  défaire  d'un  récit  suivi  et  détaillé,  tel  que  celui 
de  saint  Jean,  et  de  transformer  une  pareille  histoire  enlic- 
tiun.  La  conscience  religieuse  proteste  contre  la  substitution 
du  nom  de  roman,  fùt-C(;  même  de  roman  théologique,  à 
celui  d'évangile.  Il  y  a  dans  les  récits  de  Jean  un  quelque 
chose  — faut-il  l'appeler  candeur,  sainteté,  souille  divin? — 
qui  oblige  les  âmes  droites.  Aussi,  entre  tous  les  écrits  bi- 
blifjues  sur  l'origine  desquels  la  critique  moderne  a  jeté  le 
soup<;on  d'illégitimité,  celui-ci  est-il  le  seul  qui  ail  ai'raché 
des  rétractations  à  ses  adversaires.  Eckermann  et  Schmidt, 
qui  en  avaient  attaqué  raulhenlicitéà  la  fin  du  siècle  dernier, 
retirèrent  leurs  doutes  après  les  réfutations  de  Storr  et  de 
Siiskind'.  Bretschneider  également  rétracta  bient(H  les  con- 
clusions aux(pielles  l'avait  conduit  son  livre  des  Probabilia, 
et  déclaia  que  le  but  qu'il  s'était  proposé  en  le  pubhant, 
celui  de  provoquer  une  démonstration  plus  approfondie  de 
l'origine  apostolique  du  (juatrième  évangile,  était  maintenant 
atteint*.  Strauss  lui-même,  dans  la  préface  de  sa  troisième 

1.  Voir  Ebrard,  KriUk  iler  evoiujel.  Geschichte ,  1842,  p.  1048. 

2.  Ibiil.  p.  5049. 


CHAP.  1. —  CONSIDÉRATIONS  PRÉLIMINAIRES.  0 

•ulition,  ;'i  la  suite  des  nombreuses  réponses  qui  lui  avai<Mit 
été  faites,  déclara  douter  de  ses  doules\  Et  ce  iic  sont  pas 
tant,  j'en  suis  convaincu,  les  plaidoiries  des  avocats,  rpu' 
ont  amené,  à  diverses  reprises,  ces  résultats  remarquables, 
que  l'attitude  et  la  personne  même  du  client.  L'évangile 
de  saint  Jean  se  défend  par  lui-même  comme  l'innocence 
outragée.  Il  revient,  pour  ainsi  dire,  dans  la  conscience  de 
ceux  qui  croyaient  en  avoir  lîni  avec  lui.  Et  avec  le  diseijth' 
bien-aimé  se  rélève  aussitôt  l'apôtre  des  Gentils.  Saint  Paul 
a  bien  aussi  ses  garanties  propres,  tellement  qu'à  certains 
égards  il  peut  servir  d'appui  à  son  collègue.  Mais  quelle 
puissante  confirmation  ne  reçoivent  pas  ses  enseigne- 
ments de  sa  parenté  spirituelle  avec  saint  Jean!  Il  était  écrit 
dans  la  loi  :  «  Sur  la  parole  de  deux  témoins  toute  chose 
sera  constatée.  »  Par  leur  témoignage  à  la  fois  concordant 
et  original,  Jean  et  Paul  satisfont  au  vieil  adage  théocratique, 
et  fondent  inébranlablement  la  foi  de  l'Église  à  ia  divinité  de 
son  chef  Renier  la  parole  de  ces  deux  témoins,  à  latjuelle 
l'Eglise  doit  son  existence,  c'est  pour  elle  se  renier  elle- 
même.  Et  s'il  est  vrai  que  leur  œuvre  n'a  pas  été  la  leur, 
mais  celle  de  Dieu,  c'est  bien  le  cas  d'appliquer  ici  l'axiome 
de  Jean-Baptiste  :  «  Celui  qui  reçoit  le  témoignage,  scelle 
par  là  même  la  véracité  de  Dieu.  » 

L'importance  décisive  du  quatrième  évangile  ne  s'est  jamais 
fait  sentir  aussi  puissamment  que  dans  la  crise  religieuse  et 


1.  Dès  l'édition  suivante  il  a  a  aiguisé  de  nouveau  sa  bonne  lame»  et 
retiré  cette  demi-rétractation.  Mais  en  échange  Ritschl,  naguère  encore 
partisan  des  vues  de  l'école  deTubingue,  s'est  prononcé  nettement, 
dans  la  deuxième  édition  de  son  livre  Enlstehung  (1er  aKcath.  Kirche , 
1857,  en  faveur  de  lauthenticité  du  quatrième  évangile  «non-seulement 
parce  qu'il  y  a  de  beaucoup  plus  grandes  difficultés  à  la  nier  qu'à  l'ad- 
mettre, mais  encore  parce  que  l'exposition  de  renseignement  de  Jésus 
dans  les  autres  évangiles  réclame,  comme  son  complément,  les  discours 
de  Jésus  dans  celui  de  Jean  »  (p.  48). 


10  INTRODUCTION. 

lliéologii|nc  (It'iil  MOUS  soimncs  los  Icmoiiis.  Aussi  cet  éciil 
esl-il  devcmi  de  nos  jouis  r<>l)jcl  de  l'allcntion  la  plus  sé- 
rieuse et  des  iiiveslijialions  les  plus  pénélraulcs.  Défenseurs 
ri  adversaires  de  rauli(jiie  foi  évaii|4:éli(|ue,  tous  paraissent 
senlir  que  e'est  ici  le  palladium,  cl  (jue  le  clirislianisme,  lel 
i|ii«'  11'  niiindc  l'a  ((^miiu  jusqu'ici,  subsiste  ou  tombe  avec 
ic  livre. 

Deux  hommes,  l'un  en  Allemaj^ne,  l'autre  en  France, 
|»euvent  être  eonsiilérés  comme  les  représentants  prin- 
cipaux de  la  science  contemporaine  jdus  ou  moins  op- 
posée à  l'autorité  de  cet  écrit.  Baur,  dont  le  travail  décisif 
sur  l'évangile  de  Jean  parut  en  18ii',  en  nia  positivement 
lautlienlicité.  Dès  lors  l'école  de  Tubinguc  a  continué,  avec 
diverses  modilications,  à  soutenir  celte  thèse,  qui  détruit 
du  même  coup  la  crédibilité  historique  de  cet  écrit.  M.  Reuss 
au  «outraire  se  prononce,  non  sans  quebpies  expressions 
dubitatives;  eu  faveur  de  l'authenticité  de  l'écrit  attribué  à 
Jean';  mais  comme,  selon  ce  savant,  «ce  n'est  pas  de  l'his- 
toire que  l'auteur  a  voulu  nous  donner,  mais  de  la  théo- 
logie \  »  et  qu'il  a  voulu  simplement  «  communiquer  au 
momie  le  résullal  de  ses  réflexions  sur  la  personne  du  Sau- 
veur et  sur  ses  relations  avec  la  communauté  des  croyants*  »>, 
il  est  manifeste  que,  tout  en  soutenant  raiitlicnticitéde  l'écrit, 
M.  Reuss  renverse  la  crédibilité  générale  de  son  contenu,  au 
moins  dans  sa  partie  essentielle,  les  discours  de  Jésus.  Ces  dis- 
cours ne  sont  |)lus,  sauf(iuelques  éléments  iinléterniinables, 
que  des  compositions  libres  de  saint  Jean.  C'est  a  l'une  ou  à 
l'autre  de  ces  deux  formes  que  peuvent  se  ramener  toutes  les 
attaques  modernes  contre  l'autorité  du  quatrième  évangile. 


1.  TAeot.  Jahrbiicher  de  Baur  et  Zeiler,  1844,  t.  111.  1".  3*  et  4*  cahiers. 

2.  Die  Gpschichte  iler  he.ilig.  Schriften  des  N.  T.  3*  éd.  1800.  g  220. 

3.  Hixl.  de  In  t/icol.  chrétienne  au  siècle  apost.  t.  II,  p.  300. 

4.  Ihid.  p.  303. 


CHAI'.  I.  — CO.NSIDllIiATIUNS  l'HKIlMINAinE.S.  11 

Au  milieu  de  celle  lutte,  dans  laquelle  tout  observateur 
sérieux  voit  le  signal  de  la  crise  la  plus  profonde  qu'aient 
eu  à  subir  le  cliristianisme  et  l'Eglise  depuis  les  temps  apos- 
toliques, (juelle  j)eut  èlre  la  làclie  de  l'introduction  à  un 
comnientiiire  sur  l'évangile  de  saint  Jean?  Serait-ce  de  tran- 
cher les  questions  si  sérieusement  posées?  Non;  car  il  fau- 
drait pour  cela  anticij»er  sur  les  résultats  de  l'exégèse.  Quel- 
que avide  que  soit  l'esprit  français  de  résultats  positifs,  il 
importe  de  laisser  avant  tout  la  parole  aux  textes.  Si  le  livre 
ne  se  défendait  pas  lui-même,  il  serait  inutile  de  plaider 
pour  lui.  Le  but  de  notre  introduction  sera  donc  plutôt  de 
poser  les  questions  et  de  lixer  à  l'exégèse  des  i)oints  de 
mire.  Nous  pourrons  bien  arriver  à  la  solution  préalable 
des  questions  historicjues  relatives  aux  témoignages  tradi- 
tionnels; mais  nous  devons  renvoyer  à  un  chapitre  de  con- 
clusions, à  la  fin  de  l'ouvrage,  la  solution  de  toutes  les  au- 
tres. Ainsi  notre  introduction,  bien  loin  de  ressembler, 
comme  d'ordinaire,  à  un  piononcé  de  sentence,  ne  sera 
qu'une  simple  ouverture  d'enquête.  Elle  traitera  : 

1*'  De  ï authenticité ,  au  point  de  vue  des  témoignages 
ecclésiastiques; 

S*'  De  la  personne  de  \ auteur  indiqué  par  la  tradition; 

3°  De  y  écrit,  en  prenant  pour  point  de  départ  les  don- 
nées de  la  tradition  sur  les  circonstances  de  sa  composi- 
tion ; 

4°  Du  texte  ou  de  la  conservation  de  notre  évangile 
depuis  son  origine. 


12  INTROIUCTION. 

CIIAIMTKK  II. 
L'authenticité. 

Lt'<  lit'iis  (|iii  rallaclieiil  le  (jiiatrièmc  évangile  à  la  jicr- 
sonne  de  saint  Jean,  sont  de  deux  sortes.  Les  uns  résultent 
de  l'évangile  lui-même  ;  nous  devons  renoncer  à  nous  en 
occuper  ici.  Les  aiilivs  luoviennent  de  fails  étrangers  à 
récrit  et  appailenaiit  au  domaine  de  l'hisldire  ecclésiastique. 
Ce  sont  ces  deiiiiers  dont  nous  essaierons,  dans  cette  in- 
troduction, d'apprécier  la  valeur.  Cette  question  a  été  dis- 
cutée en  Allemagne,  dans  ces  derniers  temps,  de  la  manière 
la  plus  approfondie.  Nous  citerons  au  premier  rang,  entre 
les  travaux  modernes,  ceux  de  Zeller',  au  point  de  vue  de 
l'école  de  Tijbinguc,  et  ceux  de  Bleek*,  en  faveui-  de  Tau- 
llienlicilé.  .le  n'ai  lien  In  dans  notre  langue  qui  ne  fût  un 
écho  soit  des  travaux  allemands  antérieurs,  soit  de  ces  dci- 
niers  (pii  les  résument. 

Je  ne  possède  point  moi-même,  je  l'avoue,  une  érudition 
[>ropre,  suffisante  pour  apporter  des  faits  nouveaux  dans 
cette  discussion.  Mais  je  m'eflbrcerai  du  moins  de  grouper 
"lairement  ceux  qui  ont  été  mis  nu  joiu'jusfprici,  et  de  les 
discuter  imjtarlialement. 

La  première  question  à  examiner  est  celle-ci  :  Jusqu'à 
i|iirl  temps  remontent  les  traces  positives  de  l'existence  du 
quatrième  évangile,  et  les  indices  de  l'opinion  qui  l'attribue 
à  saint  Jean?  C'est  une  question  de  fait.  Nous  aurons  ensuite 
à  rechercher  l'explication  la  plus  naturelle  des  faits  consta- 
tés par  cette  étude. 


1.  T/ieol.  Jahrb.  I8i6,  t.  IV,  i''  cahier. 

2.  Beitrur/e zur  Evanfjelien-Knti/i.  1846.  —  Einleitung in  dus  N .  T.  1862. 


CIIAP.  11.  —  I.  AUTHENTICITÉ.  iS 

I. 

/.  —  Les  manuscrits. 

Le  lex(t'  (lu  i[iialiiènic  évangile  nous  a  élé  conservé  dans 
cinq  cents  manuscrils  environ,  dont  les  plus  anciens  re- 
montent jusqu'au  quatrième  siècle,  et  les  plus  modernes 
touchent  à  la  découverte  de  rim|)iimerie.  Leur  patrie  ne 
diiïère  pas  moins  que  leur  date.  Ils  proviennent  des  con- 
trées de  l'Eglise  les  plus  distantes.  Néanmoins  ils  s'accor- 
dent tous,  sans  la  moindre  exception,  à  attribuer  notre 
ipiatrième  évangile  à  l'apùtre  saint  Jean.  Cette  unanimité  est 
un  fait  capital  dont  nous  devrons  chercher  la  cause.  Aupa- 
ravant voyons  si  nous  ne  pouvons  pas  le  constater  à  une 
époque  antérieure  à  la  date  de  nos  plus  anciens  manus- 
crits. 

2.  —  Eusèhe  et  Or i gène. 

Deux  savants,  l'un  historien,  vivant  dans  la  première  par- 
lie  du  quatrième  siècle,  l'autre,  exégète  et  critique, écrivant 
dans  la  première  moitié  du  troisième,  ont  formulé  le  senti- 
ment de  l'Égdise,  soit  contemporaine,  soit  antérieure,  sur 
tous  les  écrits  du  Nouveau  Testament.  Ils  l'ont  fait  si  lovale- 
ment  et  si  exactement,  que  c'est  par  eux  surtout  que  nous 
connaissons  les  doutes  qui,  dans  l'opinion  de  plusieurs 
églises  et  de  leurs  docteurs,  s'attachaient  à  l'origine  de 
quelques-uns  de  nos  livres  canoniques.  Je  veux  pnrloi' 
d'Ei'sÈBE  et  d'OniGÈNE. 

Eusèbe  range  notre  évangile  au  nombre  des  livres  uni- 
versellement reconnus  et  admis  dans  l'Église  chrétienne.  Il 
dit  (Hist.  eccl.  111,  24)  :  «L'évangile  de  Jean,  qui  est  ré- 
|)andu  dans  toutes  les  églises  qui  sont  sous  le  ciel,  doit 
être  considéré  en  première  ligne  comme  universellement 
reçu  (Tcpôxov  àvcp.oXoYe''ffOo).  »  Eusèbe  est  tellement  exact 


Il-  INTRODUCTION. 

dans  ses  rnpporls  siii-  les  livres  bibliques,  ((ii'il  n'avait  pas 
iiKUKjné  d'observer  (|u"nn  livie  aussi  eonsidéral)le  que  l'é- 
[lîlrc  aux  Hébreux  n'avait  point  élé  n\r  par  biMiée  dans  son 
prineipal  ouvraj^e,  et  qu'il  ne  l'avait  employé  (jue  dans  un 
de  ses  jilus  petits  écrits  (///>/.  ceci.  V,  20).  Son  t.émoi^na|;c 
sur  le  qualrièinc  évan,i;ile  prouve  donc  qu'il  n'existait  pas 
à  sa  connaissance,  dans  tout»'  i'antiipiité  cbrêtienne,  le 
moindre  fait  ni  même  la  moindre  absence  de  témoignage 
propre  à  ôler  le  caractère  de  l'unanimité  au  consentement 
de  l'Lglise  primitive  loucbant  l'origine  jolianni(|ue  du  qua- 
trième évangile.  Or  il  importe  de  ne  pas  oublier  ici  qu'Eu- 
sèbe  possédait,  dans  la  bibliotbè(jue  de  son  prédécesseur 
Pampbile  à  Césarée,  la  totalité  de  cette  lit  tératiu'e  |)atF*isti(jue 
du  tleuxicme  siècle  dont  il  ne  nous  reste  plus  aujourd'iiui 
que  quebiues  débris.  ' 

Un  siècle  auparavant  Origène  avait  fait  une  déclaration 
analogue.  Dans  nn  passage  cité  par  Kusèbe  (Hist.  ceci.  Vi , 
25),  il  s'exprime  ainsi  :  «  Comme  je  l'ai  appris  de  la  tradi- 
tion luucbant  les  quatre  évangiles  qui  sont  aussi  les  seuls 
qui  soient  reçus  sans  contestation  dans  l'Église  de  Dieu  (pii 

est  sous  le  ciel (à  xa'^  p.ova  àvavr'^pirjTà  èax'.v  £v  ■vf]  utcô 

Tcv  c'jçavcv  £xxXT|C7''a  Toù  0£cî).  »  Oi'igènc  oppose  ici  nos 
•piatre  évangiles,  (jui  seuls  jouissaient  dans  l'Eglise  de  l'as- 
sentiment universel,  à  celte  foule  d'évangiles  apocryphes 
(pii  circulaient  de  son  temps  et  qui  n'étaient  reçus  chacun 
que  ilans  (piel(|ues  églises  particulières,  et  employés  que  par 
quelques  docteurs.  Ce  consentement  universel  de  l'Église 
est  mentionné  par  lui  comme  un  fait  connu  et  patent. 

Après  avoir  recueilli  le  témoignage  de  ces  deux  hommes, 
il  est  doublement  intéressant  de  pouvoir  remonter  nous- 


1.  Comp.  H.  W.  J.  Thiersch  ,   Versuch  znr  Hemtelhing  des  à/si.  Stand- 
puukls  fiir  die  Kritik  des  N.  T.  1845,  p.  314. 


ciiAi'.  11.  —  l'authenticité.  15 

mêmes  à  des  temps  plus  reculés  que  le  leur ,  et  de  eoiisla- 
ter  là  encore,  de  nos  propres  yeux,  l'unanimité  d'opini(ju 
attestée  par  eux. 

3.  —  Les  Pères  et  les  canons  ecclésiastiques  du  deuxième 

siècle. 

Trois  Pères  lonncnt  la  transition  du  deuxième  au  troisième 
siècle:  Clkment  d'Alexandrie,  représentant  de  l'église  d'E- 
ijypte,  Tkrtlllien  de  Cartliai^e,  représentant  de  l'AIrique 
proconsulaire,  et  IRÉ^'ÉE,  originaire  d'Asie-Mineure,  pres- 
liylre,  puis  évèque  de  l'église  de  Lyon  (né  vers  l'an  140 
environ,  mort  en  202).  Le  dernier  re|»résente  donc  tout  à  la 
fois  les  églises  de  l'Orient  et  de  l'Occident.  Son  témoignage 
est  d'une  importance  particulière  dans  la  question  qui  nous 
occupe.  Car,  dans  sa  jeunesse,  il  avait  vécu  en  Asie-Mineure 
avec  des  presbytres  qui  avaient  connu  personnellement 
l'apôtre  saint  Jean  ,  et  spécialement  avec  Polycarpe',  évèque 
lie  Smyrne  et  ami  de  l'apôtre. 

Il  serait  inutile  de  citer  les  nombreux  témoignages  ()ar 
lesquels  s'exprime  le  sentiment  de  ces  trois  Pères  sur  l'ori- 

1.  Nous  trouvons  dans  Eusèbe  V,  20  un  fragment  d'une  lettre  d'Irénéc 
à  son  ami  de  jeunesse ,  Floriaus ,  qui  s'était  livré  à  des  enseignements 
hétérodoxes.  Qu'il  nous  soit  permis  de  citer  ici  quelques  lignes  de  cette 
lettre  bien  connue  :  "  Ce  ne  sont  pas  là,  dit  Irénée  à  son  auii ,  les  doc- 
trines que  nous  ont  transmises  les  presbytres  qui  nous  ont  précédés  et 
([ui  ont  été  disciples  des  apôtres .  .  .  Car,  lorsque  j'étais  encore  enfant , 
je  t'ai  vu  en  Asie  Mineure  auprès  de  Polycarpe  .  .  .  Tout  cela  est  resté 
gravé  dans  ma  mémoire,  mieux  que  les  choses  plus  récentes  ;  car  ce 
que  nous  avons  appris  dans  notre  enfance  croit  et  s'identifie  avec  nous  ; 
tellement  que  je  pourrais  te  montrer  l'endroit  où  le  bienheureux  Poly- 
carpe était  assis,  parlant  au  peuple,  racontant  ses  entretiens  avec  Jean 
et  avec  d'autres  hommes  qui  avaient  vu  le  Seigneur ...  et  je  puis  t'assurer 
que,  s'il  eût  entendu  des  doctrines  telles  que  celles  que  tu  professes, 
il  se  serait  bouché  les  oreilles  et,  tournant  le  dos,  se  fût  écrié,  comme 
il  avait  l'habitude  de  faire:  «Bon  Dieu  !  pour  quel  temps  m'as-tu  conservé?  » 


Il»  I.NTIUlDUCTKtN. 

j^inc  j(iiiaiiiii(nii'  du  (jualrit'inc  ('vaii},Mle.  Iréiiéo,  n  lui  seul, 
rite  |iliis  (le  soixante  fuis  cel  ri  ril  (•omine  aiiUtrité  a|)OSto- 
li(jii(' ,  dans  sou  <;raiid  dUM'aj^i'  Advf)'s}is  Hœi'eses.  On 
a  clierelié  à  iiilirmer  la  valeur  du  lémoigiiaj^e  d'Irénéc, 
en  rap|i<^lanl  l'étranj^e  ar<,nHn('ul  par  lequel  il  prouve  (pi'il 
ne  peut  y  avoir  (]ue  (piatre  évangiles,  à  savoir  l'analogie 
des  quatre  vcnis  el  des  quatre  eliérubins.  Mais  assurément 
ee  n'est  pas  ce  rappinclicnicnl  (jui  a  conduit  ce  Père,  non 
()lus  (juc  l'Éfilise,  à  admet  lie  ([uatre  évan|,n'lcs!  C'est  au  con- 
traire la  conviction,  fermement  établie  dans  l'Eglise,  de 
["(uigine  apostolique  de  ces  (juatrc  évangiles,  qui  a  fait  naître 
l'idée  de  ce  i*approchcment  singulier.  Rien  n'est  donc  plus 
propre  (jue  cet  argument  même  à  constate]-  l'antiquité  et 
l'universalité  de  la  conviction  ecclésiastique  sur  ce  point. 
Kt  remarquons  ipie  l'opinion  de  ces  Pères  n'est  point  un 
sentiment  individuel.  C'est  l'expression  du  sentiment  des 
églises  à  la  tête  desquelles  ils  sont  placés,  de  sorte  que  nous 
pouvons  constater  nous-mêmes  le  consentement  unanime 
de  l'Église  chrétienne,  ilepuisla  Gaule  jusqu'en  Asie-Mineure, 
dans  le  dernier  tiers  du  deuxième  siècle. 

Nous  possédons  de  plus  deux  canons  ecclésiastiques  re- 
montant à  la  même  époque,  et  renfermant  la  liste  des  livres 
sacrés  admis  à  ce  moment-là  par  les  églises  d'Italie  et  de 
Syrie. 

Le  premier  est  le  document  appelé  vulgairement  Frag- 
ment de  Muralori.  Au  commencement  du  siècle  passé,  le 
.savant  Muratori,  conservateiu-  de  la  l)il)liothcque  de  Milan, 
fit  la  déiouverte  d'une  feuille  renfermant  un  registre  i\(i^ 
livres  religieux  qui  devaient  être  admis  à  la  lecture  publique 
dans  les  assemblées  chrétiennes,  puis  l'indication  de  ceux 
•  pii  ne  devaient  être  lus  que  privément,  et  de  ceux  enfin 
qui  devaient  être  exclus  de  tout  usage  public  ou  particuliei'. 
Cette  feuille  est  écrite  à  la  manière  des  moines  lombards 


ciiAi'.  11.  —  l'authenticité.  17 

du  huitième  ou  du  neuvième  siècle.  Mais  l'original  grec  ou 
latin,  dont  elle  est  la  traduction  ou  la  copie,  doit  remonter, 
d'après  son  contenu,  à  la  seconde  moitié  du  deuxième  siè- 
cle *.  Le  commencement  de  cet  anticjue  document  fait  dé- 
faut. L'énumération  commence  avec  l'évangile  de  Luc,  qui 
est  indiqué  comme  le  troisième;  puis  suivent  ces  mots 
étixmges:  Quarti  cvangeliorum  Johannis  ex  discipidis;  et 
quelques  renseignements  intéressants  sur  la  composition  du 
quatrième  évangile,  que  nous  communiquerons  plus  tard.  Ce 
livre  est  placé  sans  hésitation  au  nombre  de  ceux  cpii  doi- 
vent être  lus  dans  les  assemblées  de  l'Eglise. 

Le  second  document  dont  nous  voulons  parler,  est  la  tra- 
duction syriaque,  appelée  Peschito.  C'est  la  plus  ancienne 
version  connue  du  Nouveau  Testament.  Elle  doit  remonter 
à  la  seconde  moitié  du  deuxième  siècle.  Elle  nous  fait  con- 
naître le  recueil  canonique  des  éghses  de  Syrie  à  cette 
époque,  et  prouve  que  le  quatrième  évangile  y  était  reyu 
comme  ouvrage  de  Jean. 

Nous  pouvons  ainsi  constater  nous-mêmes  l'unanime  con- 
viction de  l'Eglise,  des  extrémités  de  l'Orient  jusqu'à  l'Occi- 
dent, dans  le  dernier  tiers  du  deuxième  siècle.  Deux  séries 
de  faits  parallèles  nous  permettent  de  remonter  plus  haut 
encore.  Nous  voulons  parler  d'abord  des  témoignages  ren- 
fermés dans  les  écrits  de  quelques  Pères;  puis  de  ceux  que 
fournissent  les  différentes  branches  de  l'hérésie  ,  durant  le 
cours  du  même  siècle. 

PoLYCRATE,  évêque  d'Ephèse  et  contemporain  d'Irénée,  a 

1.  L'auteur,  parlant  de  l'ouvrage  connu  sous  le  nom  de  Pasteur 
d'Hermas,  s'exprime  ainsi  :  Pastorem  vero  nuperrhne  tempor/ùtts  nostris 
in  urbe  Roma  Hermas  conscripsit,  sedente  cathedra  urbis  Romœ  eccle- 
siœ  Pio  episcopo  fratre  ejus.  Pius  fut  évêque  de  Rome  de  142  à  157  en- 
viron. D'après  le  passage  cité,  l'auteur  doit  avoir  écrit  assez  peu  de  temps 
après  sa  mort.  Voir  pour  plus  de  détails  Gredner ,  Theol.  Jahrb.  de  Baur 
et  Zeller,  1857,  t.  .\V1,  p.  299. 

I.  2 


18  INTROnrCTIUN. 

écrit,  vers  Tau  100,  au  sujet  des  disputes  sur  la  PfKjuc,  une 
lettre  célèbre,  adressée  à  Victor,  évè<jue  de  Rome,  de  la 
part  «le  tous  les  évoques  d'Asie-Mineure ,  et  qui  a  été  con- 
servée par  Eusèbe  {Hist.  ceci.  V,  2i).  Il  en  apj)ello,  pour 
défendre  l'observance  asiali(jue,  à  l'autorité  de  Jean,  qui 
avait  terminé  sa  vie  à  Ephèse,  et  qu'il  désigne  en  ces  ter- 
MU's  :  h  tKi  XQ  avTi^oç  tcû  KupCou  àvaTceffwv.  L'allusion  à  la 
manière  dont  Jean  est  ilésigné  dans  le  quatrième  évangile 
(XIII,  23-25;  XXI,  20)  semble  évidente.  Néanmoins  Baura 
pensé  que  Polycrate  avait  pu  emprunter  cette  expression  à 
une  tradition  généralement  répandue  en  Asie-Mineure.  Cette 
supposition  est  bien  précaire.  Car  enfin,  que  savons-nous 
de  rexislence  d'une  tradition  sur  ce  point  si  spécial  en  de- 
hors de  notre  évangile?  Absolument  rien.  Ililgenfeld  a  fini 
par  convenir  de  la  réalité  de  la  citation.* 

Apollinaire,  évéque  de  Iliérapolis,  prit  une  part  active  à 
la  seconde  dispute  sur  la  Pâcpie  vers  l'an  170.  Il  nous  a  été 
conservé  de  lui,  dans  le  Chronicon  paschale  (édit.  Dindorf,  I , 
13  et  suiv.),  deux  fragments  de  son  écrit  sur  la  Pâque.  Dans 
le  premier,  il  s'attache  à  réfuter  des  adversaires  qui  soute- 
naient que  Jésus  avait  mangé  la  Pâque  le  l-i  nisan,  ainsi 
que  tout  le  peuple  juif,  et  n'était  mort  que  le  15.  Apolli- 
naire oppose  à  ces  gens-là  deux  choses  :  la  première,  que 
cftte  manière  de  voir  est  en  disharmonie  avec  la  loi;  la 
seconde,  que  de  cette  manière  les  évangiles  semblent  se 
contredire  entre  eux  (àaufxçovcj  xè  vdfjio  t)  voTiaiç  aùxôvxal 
ffTafftàÇetv  ôcxel  xa-c'  aÙTcù^  -rà  eùaYyéX'.a).  La  contradiction 
avec  la  loi  consisterait,  selon  Apollinaire,  en  ce  que  Christ, 
le  vrai  agneau  pascal,  aurait  été  crucifié,  d'après  cette  opi- 
nion, non  le  jour  où  l'on  immolait  l'agneau  typique,  mais 
le  lendemain  seulement.  Oiiant  à  la  contradiction  des  évan- 


1.  Die  Evangelie?i,  1854,  p.  345.  Cité  d'après  Steitz,  Encyclopédie  de 
Herzog ,  art.  Polycrate. 


CHAT.  II.  —  l'autijknticité.  10 

gilcs  entre  eux,  elle  ne  peut  se  rapporter  qu'à  la  difierenec, 
apparente  seulement  aux  yeux  d'Apollinaire,  entre  l'évan- 
^/\\e  de  Jean  et  les  trois  Synoptiques  touchant  le  jour  de  la 
mort  de  Jésus.  En  tranchant  ouvertement  la  question  en 
faveur  de  ces  derniers,  les  adversaires  établissaient  une 
contradiction  insoluble  entre  le  récit  synoptique  et  celui  de 
Jean,  tandis  qu'ApolUnaire  paraît  penser,  avec  d'autres  doc- 
teurs de  rancicnne  Eglise,  qu'il  est  possible  de  trouver  une 
interprétation  ({ui  ramène  le  récit  des  Synoptiques  à  celui 
(le  Jean.  Non  seulement  cette  parole  suppose  nécessairement 
l'existence  du  quatrième  évangile,  qui  seul  fait,  en  appa- 
jence  ou  en  réalité,  scission  avec  les  autres  sur  ce  point-là; 
mais  elle  prouve  on  même  temps  combien  était  fermement 
étabhe  l'autorité  du  quatrième  évangile  à  cette  époque.  Car 
le  raisonnement  d'Apollinaire  suppose  que,  du  moment  où 
l'opinion  des  adversaires  est  démontrée  contraire  au  sens 
du  quatrième  évangile ,  elle  devient  insoutenable  par  ce  seul 
fait.  Ne  fallait-il  pas  qu'un  temps  considérable  se  fût  déjà 
écoulé  depuis  la  publication  de  ce  livre,  pour  qu'il  eût  acquis 
force  de  loi  dans  l'Église?  Et  surtout  la  conviction  de  son 
origine  apostolique  ne  devait-elle  pas  être  bien  ancienne 
et  bien  alïermie  pour  surmonter  le  scandale  de  la  contra- 
diction, apparente  ou  réelle,  entre  cet  écrit  et  les  Synopti- 
ques, sur  un  point  important  de  l'histoire  de  Christ?  Et 
pourtant,  selon  l'école  de  Tubingue,  le  quatrième  évangile 
n'aurait  été  composé  que  depuis  une  vingtaine  d'années! 
Schwegler  et  Baur  ont  parfaitement  senti  les  conséquences 
de  ce  passage;  aussi  ont-ils  employé  toute  leur  sagacité  à 
écarter  ce  fait.  Ils  ont  [irétendu  que  l'expression  axaffiaÇsiv 
se  rapportait,  non  au  conflit  des  évangiles  entre  eux,  mais  à 
leur  disharmonie  avec  la  loi*.  Deux  raisons  rendent  cette 

1.  Schwegler,  Montanismus.  p.  19i.  Baur,  Theol.  Jahrb.  t.  Ill,  p.  640  et 
(354  et  suiv. 


-20  INTRODUCTION. 

iiitorprélatioM  impossible:  l**  relie  secomle  plirnse  ne  dirait 
rien  de  plus  (pie  la  première,  ce  que  m;  |)ermcl  ni  la  pai- 
lieule  rè  xal,  ni  l'insupporlable  lautolo|^ie  qui  en  résulte,  ni 
enlin  le  x.ar'  aù-oCc,  qui  se  rapporte  le  plus  naturellement, 
aussi  bien  (ju'aÙTÔv,  aux  adversaires  d'Apollinaire  et  dis- 
tinjxut'  nettement  le  seeond  motif  du  premier;  4"  le  sens  de 
j-raff'-à^e'.v  ne  permet  pas  celle  inleiprélation.  Comme  ce 
mol  siguilie  se  diviseï^  en  partis,  il  ne  peut  s'appliquer  à  la 
relation  de  l'Évangile  et  de  la  loi.  Remarijuons  que  Zeller 
n'a  plus  osé  souNMiir  positivemeni  celte  exjdicalion  dans 
l'article  déjà  cité'.  Il  linit  par  accorder  la  possibilité  qu'Apol- 
linaire ait  connu  et  employé  le  quatrième  évangile.  Dans  le 
second  fragment,  ce  Père  dit  :  «Celui  dont  le  côté  sacré  a 
l'ié  percé  et  qui  a  versé  de  ce  côté  percé  les  deux  éléments 
()urifiants,  l'eau  et  le  sang,  la  Parole  et  l'Espril.»  Zeller* 
essaie  d'expliquer  ce  passage  par  la  combinaison,  qu'aurait 
faite  Apollinaire,  d'un  fait  traditionnellement  connu  avec  la 
propliétie  Zacli.  XII,  1(1.  Mais  cette  explication  est  forcée,  et 
l'allusion  à  Jean  XIX,  oA,  évidente. 

Un  autre docteur,contemporaindi>précédenl,  Théophile, 
évoque  d'Antioche,  de  176  à  186,  et  cpii  doit  avoir  écrit 
le  seul  ouvrage  qui  nous  reste  de  lui,  Trois  Livres  à  Au- 
tnlr/cKs,  en  181  ou  182,  est  le  premier  qui  cite  expressément 
le  quatrième  évangile,  comme  l'œuvre  de  l'apôtre  Jean.  Il 
dit  (II,  22)  :  «  Selon  que  nous  l'enseignent  les  saintes  Écri- 
tures et  tous  les  hommes  inspirés  par  l'Esprit,  entre  lesquels 
Jean  dit  :  ^  Au  coimaenccment  était  la  Parolr,  (oOsv  StSaffxo'jcj'. 
T,[j.â;  al  ay'-^'-  yjaça"'.  xal  xâvTS^  ol  TTve'jfjiaTOÇoçot ,  ê^  ov 
'loavvTj-  Xéye'.  ■  èv  àfXTJ  ''jv  o  Xoyo^ ,  etc).  »  L'évoque  d'An- 
tioche, écrivant  à  un  ami  païen  complètement  ignorant  des 
Écritures,  ne  se  borne  pas  à  citer  l'écrit,  mais  croit  devoir 

1.  Theol.Jahrh.  f.  !V,  p.  021. 

2.  lht<t.  p.  023. 


cHAp.  II.  —  l'autiienticitk.  21 

lui  nommer  rauleur.  Celte  citation  ne  permet  pas  d'admettre 
la  moindre  liésitation  dans  le  sentiment  de  l'Église  sui'  l'oii- 
gine  de  notre  évangile. 

Le  même  Théophile,  d'après  Jérôme  (Ad  Alf/as ,  q\k  121), 
doit  avoir  fait  un  travail  sur  nos  quatre  évangiles:  Quatuor 
evangelistarum  in  unum  opiis  dicta  compingens  ingenii  sui 
nobis  monumenta  reliquit,  etc.  C'était  donc  une  harmonie 
des  quatre  évangiles.  Or  il  est  évident  que  ces  quatre  évan- 
giles combinés  étaient  les  nôtres,  puisque  Jérôme  connaissait 
cet  ouvrage,  et  qu'il  aurait  bien  remarqué  la  différence. 

Dans  la  Lettre  qu'adressèrent  les  églises  de  Lyon  et  de 
Vienne,  à  l'occasion  de  la  terrible  persécution  (jui  les  frappa 
en  l'an  177,  aux  églises  d'Asie-Mineure,  lettre  rédigée  pro- 
bablement par  Irénée  et  qui  date  au  plus  tard  de  178,  nous 
trouvons  les  paroles  suivantes  :  «  Ainsi  s'accomplissait  ce 
qui  a  été  prononcé  par  notre  Seigneur  (sTcXitjpoÙTo  Se  tô  uto 
Tcû  Kypîoy  yjjxôv  siçïijiô'vov),  que  Ic  temps  viendra  où  qui- 
conque vous  tuera,  croira  offrir  un  sacrifice  à  Dieu.»  C'est 
la  citation  textuelle  de  Jean  XVI ,  2.  Cette  lettre  renferme 
encore  cette  allusion:»  Ayant  en  lui-même  le  Paraclet  (sx^v 
Ss  Tcv  TCafot'xXijTov  sv  eauxô).  »  Comp.  Jean  XIV,  2G. 

AthÉiNagore,  dans  son  apologie,  adressée  en  177  à  Marc- 
Aurèle  et  à  Commode,  puise  aussi  dans  le  quatrième  évan- 
gile, comme  le  reconnaît  Zeller'.  Il  dit  (chap.  10):  «Il  est 
le  Fils  de  Dieu,  la  Parole  du  Père...  C'est  de  lui  et  par  lui 
(jue  tout  est  procédé,  le  Père  et  le  Fils  n'étant  qu'un.  » 

Tatien  était  contemporain  des  précédents  et,  selon  Iré- 
née, il  avait  été,  à  Rome,  auditeur  de  Justin  Martyr.  Il  a  écrit 
vers  l'an  170,  pour  justifier  son  passage  au  christianisme,  un 
ouvrage  infitulé:  \6ycç  zpô^  "EXXifjva?,  dans  lequel  se  trou- 
vent ces  mots  (cha[).  13):  «Et c'est  ici  en  effet  ce  qui  est  dit 
(xatToÛTo  6<jTiv  àpa  xè  £ipTjp,évcv)  :  Les  ténèbres  ne  saisissent 

1.  Article  cité,  p.  626. 


^•ïî  INTRODUCTION. 

poiiilla  luniièro.  Or  c'est  la  Parolo  qui  osllalnniiôre  <Jo  Dieu.» 
Conip.  Jean  I,  5.  —  Ghap.  !!•  :  «Toutes  clioses  ont  été  Tailes 
par  lui,  et  pas  une  seule  chose  n'a  été  faite  sans  lui.»  Conip. 
Jean  I,  3.  La  réalité  de  ces  citations  est  reconnue  par  Zeller. 
Or  celte  manière  de  citer  un  écrit  par  la  formule  ce  qui 
est  dit  {'o  etf Tjfiévcv  ),  ne  suppose-t-elle  pas  que  cet  écrit  ne 
date  pas  d'une  vingtaine  d'aimées  seulement,  mais  qu'il  jouil 
d'une  autorité  antique  et  supérieure  à  toute  discussion?  Il  y 
a  plus.  D'après  Eusèbe  (Hist.  eccl.W ,  20),  Tatien  avait  écrit 
un  ouvrag^e  intitulé  :tc  bii  Tsao-apo'/,  qui,  d'après  ce  titre,  no 
pouvait  être  iju'une  harmonie  de  nos  ipiatre  évangiles.  Zel- 
ler* prétend  que  ni  la  nature,  ni  le  titre  primitif  de  cet 
ouviDge  ne  peuvent  être  suffisamment  constatés  pour  tirer 
de  là  des  conclusions.  Ccjtcndant  Eusèbe  en  décrit  assez 
clairement  la  nature,  quand  il  dit  que  c'était  une  «combi- 
naison et  une  coadaptation  des  évangiles  (ouvocçeia  -ziç  xœ. 
(rjvaYoyifi  tôv  £ÙaYY6X''(i)v  ).  »  Eusèbe  ne  paraît  pas  l'avoir 
connu  ;  mais  il  déclare  qu'il  était  encore  de  son  temps  entre 
les  mains  de  plusieurs.  El,  (juant  au  litre,  il  n'y  a  pas  de 
raisons  suffisantes  pour  révoquer  en  doute  celui  tpie  nous 
avons  indiqué,  puiscjue  Eusèbe  (Ut  expressément:  «Ayant 
composé  une  combinaison...  des  évangiles,  il  l'appela  le  bià. 
Tsaaapov'.i)  Si  l'on  rapproche  ce  qui  est  dit  de  cet  ouvrage 
de  Tatien  et  de  son  titre,  de  l'écrit  tout  semblable  attribué 
à  Théophile,  c'est  là  un  témoignage  éclatant  de  la  distinction 


1.  C'est-à-dire  :  résumé  ou  combinaison  des  quatre. 

2.  Article  cité,  p.  025. 

3.  Credner,  Gesch.  fies  neutest.  Canons,  p.  17  et  .suiv.,  soutient  que  c'é- 
tait un  ouvrage  complètement  original.  Mais  le  témoignage  d'Eusèbe  est 
trop  positif  et  confirmé  par  le  fait  que  Tbéodoret,  au  cinquième  siècle, 
ayant  trouvé  dans  son  diocèse  200  exemplaires  de  cet  ouvrage,  les  dé- 
truisit et  y  substitua  nos  quatre  évangiles  (Hffret.  /ab.  1 ,  20).  Il  appelle 
aussi  1  ouvrage  de  Tatien  :  TjvTO|i.ov  to  ,Î'.,ÎX{ov,  un  «abrégé",  uu  «som- 
maire. »  Ce  sens  u'est-il  pas  plus  exact  que  celui  que  parait  donner 
M.  lieuss:  «  un  livre  mutilé.»  Gesch.  fier  heil.  Sc/tr.  \.  T.  g  199? 


CHAP.  II.  —  i/autiienticité.  53 

toute  particulière  dont  jouissaient  alors  déjà,  dans  l'Église , 
nos  quatre  évangiles  ranonirjues.  Le  canon  de  Muratori, 
d'ailleurs,  qui  désigne  nommément  les  quatre  évangiles,  ne 
permet  pas  de  douter  de  l'identité  de  ces  quatre  évangiles 
de  Théophile  et  de  Tatien  avec  les  nôtres.  L'emploi  de  l'écrit 
de  Jean  lians  l'ouvrage  de  Tatien  est  enfin  garanti  par  le 
témoignage  de  l'écrivain  syriaque  Bar-Salibi  (au  douzième 
siècle),  qui  déclare  que  cette  harmonie  commençait  aitisi 
(Jean  I,  1):  «Au  commencement  était  la  Parole,»  aussi  bien 
que  pai'  les  autres  citations  joliannifjues  déjà  constatées  dans 
Tatien  lui-même. 

Zeller  n'a  rien  trouvé  à  objecter'  contre  cet  emploi  de 
l'évangile  de  Jea^i  dans  Irénée ,  Tatien ,  Théophile  etc.,  si  ce 
n'est  que,  tout  en  citant  l'évangile  et  en  le  citant  comme 
ouvrage  de  Jean,  ils  n'allèguent  point  comme  leurs  auto- 
rités, leurs  maîtres,  Polycarpe,  Papias,  Justin.  Mais  c'est 
précisément  la  manière  toute  simple  dont  ils  emploient  cet 
écrit,  sans  fournir  expressément  aucune  garantie,  qui  prouve 
combien  la  conviction  de  son  origine  apostolique  était  fer- 
mement étabhe  et  son  autorité  incontestée.  Un  fait  pareil 
s'expliquerait-il  à  l'égard  d'un  écrit  qui  n'aurait  eu  que  quinze 
à  vingt  ans  de  date? 

Justin  Martyr,  le  maître  de  Tatien,  était  né  à  Sichem 
(Naplouse)  vers  l'an  100.  Il  avait  été  converti,  comme  il  le  dit 
lui-même,  de  la  philosophie  au  christianisme,  par  les  écrits 
de  l'Ancien  Testament  et  par  les  «amis  de  Jésus».  Il  périt 
martyr,  entre  161  et  168.  Il  ne  nous  reste  de  ses  ouvrages 
que  deux  apologies,  l'une,  la  plus  grande,  adressée  à  An- 
tonin  le  Pieux,  peu  après  son  avènement,  en  138  ou  139; 
l'autre,  plus  courte,  adressée  au  Sénat  romain  après  l'an 
147,  et  le  Dialogue  avec  Tnjphon,  écrit  après  139*.  Il  se 


1.  Article  cité,  p.  044. 

2.  Voyez  Seinisch,  Encyclopédie  de  Herzog,  art.  Justin. 


24  INTRODUCTION. 

trouve,  dans  ces  trois  ouvrages,  des  passages  dont  l'analo- 
gie avec  l'évangile  de  Jeun  ost  si  frappante,  qu'il  semble  , 
au  premier  eouj)  d'œil,  iiKluliilaMcque.Insliii  ail  voulu  eit(M' 
cet  évangile.  C'est  ce  qu'a  nié  l'école  de  Tuhingue.  Elle  de- 
vait le  faire,  car  ce  seul  fait  renversait  tout  son  système.  Il 
n'a  [tas  été  difficile  à  Zeller  d'éliminer  un  grand  nombre  de 
ces  passages  dont  le  rapport  aux  paioles  de  Jean  est  trop 
vague  et  trop  éloigné  pour  qu'il  soit  possible  d'en  rien  con- 
clure de  certain.  Mais  les  passages  suivants  restent  :  Apot. 
Il,  c.  6:  «La  Pande(c  \6yoç)  qui  était  avec  lui(4uvov),  lors- 
(pie,  au  commencement,  il  eréa  toutes  clioses  par  elle  (oxe 
TTv  à.çx'h"^  S^'  aÙTOÛ  TravTtt  extiae).»  Apol.  1,  c.45:  «La  pre- 
mière puissance  après  Dieu,  le  père  et  le  jnaîlre  de  tous, 
est  le  Fils,  la  Parole  qui,  ayant  été  faite  cliair  d'une  cer- 
taine manière,  devint  homme  (8  Xo'yor  o?  xtva  xpoTcov  aap- 
xoTco'.TfjOslc  àyOpoTccç  yéycvev  ).  »  Dial.c.  Tri/pli.  c.  63  :  «  Vu 
que  son  sang  n'était  point  né  d'une  semence  humaine,  mais 
de  la  volonté  de  Dieu.»  Comp.  Jean  I,  1-3;  13-14.  Pour 
sentir  la  valeur  du  dernier  de  ces  passages,  il  faut  se  rap- 
peler (pie  les  Pères  de  l'église  latine,  Irénée,  Tcrlullien, 
lisaient  (Jean  I,  13),  non  oi  ÊY£vvi(]ôT,aav ,  mais  oç  syev- 
'/ij(nf),  rapportant  ces  mots,  exactement  comme  Justin  paraît 
le  faire  ici,  à  Christ,  et  non  point  aux  croyants.  Enfin,  pour 
compléter  ces  rapprochements  avec  le  prologue  de  Jean,  re- 
marquons que,  dans  leDial.  c.  Tnjph.  c.  105,  Justin  donne 
au  Logos  le  nom  de  Fils  unique  (fxovoyevTÎj  xw  Tcaxpl  xwv 
o\ov).  Comp.  Jean  I,  18.  Zeller'  croit  pouvoir  expliquer  ces 
analogies  par  l'emploi  de  Philon,  commun  à  Jean  et  à  Jus- 
tin, ainsi  que  par  les  spéculations  sur  le  Logos  répandues  dans 
ce  temps.  Mais,  comme  on  le  sait,  rien  n'est  plus  étranger  à 
Philon  que  l'idée  de  l'incarnation  du  Logos  et  de  sa  venue 

1.  Article  cité,  p.  607. 


r.iiAi'.  II.  —  l'authenticité.  25 

dans  la  personne  du  Messie.  Or  c'est  cette  idée  qui  est  pré- 
cisément la  notion  centrale  du  prologue  de  Jean.  Et  ce 
point  qui  distingue  si  profondément  Jean  de  Philon,  est  jus- 
tement celui  qui  l'unit  intimement  à  Justin.  Quant  aux  spé- 
culations qui  circulaient  alors  sur  le  Logos,  leur  application 
à  la  personne  de  Jésus  devait  avoir  pour  point  d'appui 
l'autorité  d'un  témoignage  apostolique,  tel  que  celui  qui 
est  renfermé  dans  notre  quatrième  évangile.  Comme  le  fait 
observer  Lùcke',  si  les  Pères  qui  ont  suivi  de  très-près 
Justin,  tels  que  Théophile,  Clément  d'Alexandrie,  hénée, 
Origène  —  nous  ajouterons  Tatien,  son  propre  disciple  — 
font  expressément  reposer  leur  doctrine  du  Logos  sur  le 
prologue  de  l'évangile  de  Jean,  comment  admettre  que  Justin 
lui-même,  chez  qui  celte  doctrine  est  essentiellement  la  même 
que  chez  eux,  l'ait  puisée  à  une  autre  source?  Cette  suppo- 
sition est  d'autant  plus  invraisemblable  que  la  manière  dont 
Justin  discute  les  différentes  manières  de  voir  sur  le  rapport 
du  Logos  au  Père  prouve  qu'il  trouvait  cette  doctrine  déjà 
établie  dans  l'Église.  D'ailleurs  le  rapport  entre  Justin  et  le 
quatrième  évangile  ne  se  montre  pas  seulement  dans  l'idée 
commune  du  Logos,  il  se  manifeste  dans  un  grand  nombre 
de  détails.  Ainsi  Justin  dit  des  Juifs  {Apol.  I,  c.63)  «qu'il  leur 
est  justement  reproché,  et  par  l'esprit  prophétique  et  par  le 
Christ  lui-même,  de  n'avoir  connu  ni  le  Père  ni  le  Fils.» 
N'est-ce  pas  une  allusion  à  Jean  VUI,  19,  oîi  Jésus  dit  aux 
Juifs  :  «  Voîis  ne  connaissez  ni  moi  ni  mon  Père;  si  vous 
me  connaissiez,  vous  connaîtriez  aussi  mon  Père  »?  Zeller* 
voit  ici  un  emprunt  à  l'évangile  des  Hébreux  et  en  même 
temps  à  la  parole  (.Matth.  XI,  27)  :  a  Personne  ne  connaît  le  Fils 
que  le  Père,))  parole  que  reproduisait  en  effet  cet  évangile 
non  canonique,  et  que  Justin  avait  citée  peu  auparavant.  Mais 

1.  Introd.  3*  éd.  p.  49. 

2.  .\rlicle  cité,  p.  612. 


''li)  I.NTIIOIIUC.TION. 

cette  explication  n'est  pas  admissible;  car  Justin  mentionne 
ici  un  reproche  adressé  aux  Juifs  par  Jé'sus,  tandis  ()ue  le 
passage  de  Matthieu, repioduil  dans  l'évangile  des  Ilélueux, 
est  adressé  aux  disciples  lidèles,  et  ne  contient  pas  l'ombre 
d'un  reproche.  —  Apol.  \,  c.  61.  «Car  le  Christ  a  dit  :  «  Si 
«vous  ne  naissez  de  nouveau  (âv  [xV]  àvayevv-iq^Ts),  vous 
«n'entrerez  pas  dans  le  royaume  des  cieux.»  Or  il  est  clair 
pour  chacun  qu'il  est  impossible  que  ceux  qui  sont  nés  inie 
fois,  rentrent  dans  le  sein  de  celles  qui  les  ont  enfantés.  » 
Les  écrivains  de  l'école  de  Tubingue  '  font  observer  que 
Justin  enijiloie  ici  le  verbe  àvayôvvàaôa!.,  tandis  que  Jean 
(III,  3)  se  sert  de  l'expression  àvo^ôv  yswàaOat,  et  qu'il 
dit  :  le  roymime  des  deux,  tandis  que  dans  Jean  il  y  a  :  ^e 
royaume  de  Dieu.  Mais  surtout  ils  s'appuient  sur  ce  que 
cette  même  parole  est  citée  dans  les  Homélies  clémentines, 
avec  les  mêmes  moditications  que  dans  Justin,  ce  qui  piou- 
verait,  selon  eux,  qu'elle  est  empruntée,  non  à  l'évangile 
de  Jean,  mais  à  l'évangile  des  Hébreux,  et  qu'elle  se  rattache 
à  Mattb.  XVIII,  3.  Le  rapport  parfaitement  marqué  entre 
la  rétlexion  que  Justin  rattache  à  la  parole  de  Christ  et  la 
réponse  de  Nicodème  à  Jésus  dans  le  quatrième  évangile , 
reste  toujours, dans  cette  explication,  un  problème  insoluble. 
La  force  de  ce  rapprochement  ne  peut  être  contre-balancée 
par  des  changements  aussi  insigniliants  que  ceux  qu'allègue 
l'école  de  Tubingue,  et  qui  s'explicpient  dans  ce  cas, comme 
tant  d'autres  chez  Justin,  par  son  habitude  de  citer  de  mé- 
moire. Quant  aux  Clémentines,  si  l'auteur  de  ce  livre  a  écrit 
vers  l'an  ICO,  comme  on  le  pense  généralement*,  et  comme 
l'admet  l'école  de  Tubingue',  il  peut  parfaitement  avoir  em- 
prunté cette  citation  à  Justin,  qui  avait  écrit  son  Apologie 

1.  Scbwegler,  Baur  et  Zeller. 

2.  Uhlhorn,  Encyclop.de  Herzog,  art.  ClemetUinoi. 

3.  VolLmar,  Tkeof.  Jahrb.  de  Baur  et  ZcUer,  1854,  t.  XIK ,  p.  455. 


CMAP.  II.  —  |/AUTI1ENTIC[TK.  27 

plusieurs  années  aupaiavaiil.  Cela  est  d'autant  plus  prol)al)le 
qu'il  existe  un  autre  cas  où  il  a  évidemment  copié  Justin; 
c'est  lorsqu'il  combine,  de  la  même  manière  que  ce  Père,  les 
deux  passages  sur  le  serment  (Matth.  V,  37  et  Jacq.  V,  12)'. 
Et  quant  à  l'emploi  de  Matth.  XVIII,  3,  cette  parole  est  es- 
sentiellement dilïérentc  de  celle  que  cite  Justin  et  qui  se 
trouve  presque  littéralement  dans  l'évangile  de  Jean.  Et 
comme  l'évangile  des  Hébreux  n'était  certainement  qu'un 
évangile  de  .Mallliieu  remanié*,  il  ne  peut  avoir  été  la  source 
à  laquelle  Justin  avait  puisé  ce  texte  si  évidemment  johan- 
nique.  La  vraie  liliation  est  donc  celle-ci  :  Justin  a  cité 
d'après  Jean,  et  l'auteur  des  Clémentines,  d'après  Justin,  si 
ce  n'est  d'après  Jean  lui-lnème^  —  Citons  encore  un  passage 
qui  n'a  aucune  importance  dogmatique.  On  se  rappelle  l'ar- 
gumentation par  laquelle  Jésus  (Jean  VII,  23)  justilie  une 
guérison  accomplie  par  lui  en  un  jour  de  sabbat  :  a  Vous 
circoncisez  bien  un  homme  le  jour  de  sabbat;  comment  vous 
irritez-vous  contre  moi  de  ce  que  j'ai  guéri  un  homme  tout 
entier  le  jour  du  sabbat?  »  Justin,  combinant  avec  cette  ar- 
gumentation de  Jésus  tirée  du  quatrième  évangile,  un  rai- 
sonnement semblable  tiré  du  premier  (Matth.  XII,  5),  dit  : 
«Répondez-moi:  Dieu  voulait-il  que  les  prêtres  péchassent, 
ou  que  ceux  qui  circoncisent  ou  qui  sont  circoncis  au  jour 
du  sabbat,  péchassent?» 

Dm  reste,  la  question  essentielle,  quant  à  Justin,  est 
de  savoir  quels  sont  les  ouvrages  dans  lesquels  ce  Père  a 
puisé  la  connaissance  des  paroles  de  Christ  et  de  son  his- 
toire. Il  cite  dix-huit  fois  des  écrits  auxtjuels  il  donne  le 
titre  de  Mémoires  (à7i:c(ji,v7)[jLov£U(xa-a),  et  qu'il  dit  avoir  été 
composés  par  les  apôtres  et  par  leurs  compagnons  d'œuvre. 

1.  Voir  Hleok  .  lît/d.  in  ilas  N.  T.  p.  2G2. 

2.  Voir  Uleek,  Beitr.  zta-  Evanijelien-Kritik ,  p.  279. 

3.  Voir  plus  bas  un  autre  exemple  de  citation  de  Jean  dans  IesC/ewe«</«e« 


28  INTRODICTION. 

Ces  écrits  sonl-ils  ou  uon  nos  évangiles  canoniques?  El 
comprcnaicnt-ils  l'cvangile  do  Jean?  Celte  (jucslion  a  été 
vivenicnl  drbatlue  dans  les  U'nij)S  modernes.  .Inslin  cite 
parfois  des  faits  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  nos  (juatre 
évangiles;  mais  il  pouvait  les  connaître  par  la  tradition  on 
}Kii'  d'autres  écrits,  tels  que  l'évangile  des  Hébreux.  Les  ci- 
tiitions  mêmes  de  nos  évangiles  ne  coïncident  pas  toujours 
littéralement  avec  notre  texte;  mais  souvent  sans  doute  il 
citait  de  mémoire.  Lorsqu'on  lit  dans  \c  Dialogue  avec  Try- 
plion  ces  mots  :  «  Dans  les  mémoires  (fue  je  dis  avoir  été 
composés  par  ses  apôtres  et  par  ceux  qui.  les  ont  accom- 
pagnés i>,  la  pensée  se  porte  naturellement  sur  les  évangiles 
de  Matthieu  et  de  Jean  d'une  pail,  sur  ceux  de  Marc  et 
de  Luc  de  l'autre.  Ce  rapprochement  prend  plus  de  vrai- 
semblance encore  en  face  de  ces  mots  de  la  seconde  Apo- 
logie :  «Les  apôtres,  dans  les  mémoires  écrits  par  eux,  qui 
sont  appelés  évangiles  {a.  xaXeîxai  eùayyÊXta). »  Et  enfin, 
est-il  réellement  possible  de  ne  pas  reconnaître  la  présence 
de  nos  évangiles  parmi  les  écrits  qu'emploie  Justin,  quand 
on  se  lappelle  le  passage  célèbre  de  la  seconde  Apologie 
dans  lequel  ce  Père,  décrivant  le  culte  des  premiers  chn';- 
tiens,  déclare  «  qu'on  lit,  aussi  longtemps  que  le  temps  le 
permet,  les  Mémoires  des  apôtres  et  les  écrits  des  pro- 
phètes »  ?  Le  canon  de  Muratori  et  les  autres  documents  de 
cette  époque  ne  connaissent  pas  d'autres  évangiles  admis 
à  la  lecture  publique  et  employés  dans  le  culte  chrétien  que 
nos  quatre  écrits  canoniques.  La  Peschilo  n'en  contient  pas 
d'aulres.Le  Diatessaroiidu  propre  discijde  de  Justin  et  ïHar- 
monie  de  Théophile  d'Antiorhe  étaient,  comme  nous  l'avons 
vu, des  combinaisons  de  nos  quatre  évangiles.  Une  étude  im- 
partiale des  faits  ne  peut  donc  conduiie  qu'à  ce  résultat  qui 
a  été  défendu  énergiquement  par  de  Wette  ',  c'est  que  les 

I.  Lehrb.  der  hist.-krit.  Einl.  1845.  g  67  a. 


CHAI».  11.  —  r/AUTlIKMIClTÉ.  29 

Mémoires  que  cite  .lustin,  sont  en  [)remière  ligne  nos  quatre 
évangiles  canoniijucs.  (Juant  à  ce  titre  de  Mémoires,  par  le- 
quel Justin  les  désigne,  il  n'a  rien  ((ui  doive  étonner;  Justin 
n'écrivait  point  pour  des  chrétiens;  ses  écrits  sont  des  apo- 
logies. 11  évite  par  cette  raison,  autant  que  possible,  les 
termes  re(;us  dans  l'Église,  et  emprunte  à  la  langue  pro- 
fane ceux  qui  se  rapj)rochent  le  plus  de  l'idée  qu'il  veut 
exprimer.  C'est  ainsi  qu'il  désigne  le  dimanche  du  nom  de 
jour  du  soleil,  et  qu'il  appelle,  avec  les  païens,  les  Juifs  des 
barbares;  et  c'est  ainsi  qu'il  cite  aussi  nos  évangiles  sous  le 
nom  de  Mémoires,  faisant  allusion  aux  écrits  analogues 
connus  de  ses  lecteurs,  tels  que  les  'ATcojjLVïjfjLovsyfxaTa  de 
Xénophon. 

Voici  comment  un  savant  très-indépendant,  Ewald*,  ap- 
précie le  rapport  de  Justin  et  de  notre  évangile: «Personne 
ne  peut  avoir  lu  Justin  et  connaître  le  caractère  incompa- 
rable et  créateur  du  quatrième  évangile,  sans  être  convaincu 
que  Justin  ne  pourrait  penser  et  écrire  comme  il  le  fait,  si 
cet  évangile  n'avait  été  depuis  longtemps  dans  le  monde.  » 

Justin  est  donc  bien  un  témoin  de  l'existence  et  de  l'au- 
torité du  quatrième  évangile  dans  la  première  moitié  du 
deuxième  siècle;  et,  lorsqu'il  dit  «que  c'est  par  les  Mémoires 
des  apôtres  qu'il  a  appris  que  Christ,  qui  était  Fils  unique 
(fjLovoYevTqV)  du  Père  de  toutes  choses,  est  devenu  homme  », 
nous  ne  saurions  douter  qu'il  n'emprunte  cette  expression 
et  cette  notion  à  l'évangile  de  Jean,  dans  lequel  seul  ce  titre 
est  donné  à  Christ,  et  qu'il  ne  range  cet  écrit  au  nombre 
de  ceux  qu'il  avait  reçus  de  l'Eglise  comme  composés  par 
les  apôtres.  C'est  ici  une  question  de  vie  ou  de  mort  pour 
le  système  de  Baur,  qui  prétend  qu'il  est  impossible  de  re- 
culer la  composition  de  notre  évangile  au  delà  de  l'an  150; 
et  il  n'y  a  pas  heu  d'être  surpris  que  ses  partisans  aient  di- 

1.  J a/irbucher  d'Ey/ild,  1852-1853,  p.  186. 


'W  INTRltDlICTlON. 

lige  sur  Cl'  point  toutes  leurs  ballerics.  Les  écrits  ([ue  nous 
possédons  de  Justin,  admîl-on  les  dates  les  plus  tardives 
(ju'il  soit  possible,  sont  nécessairement  antérieurs  :"»  l'an 
150,  et  comme  ce  Père  ('tait  né  vers  la  fin  du  premier  siècle 
•'t  qu'il  avait  voyai^é  dans  It's  diverses  contiées  de  l'Kglise, 
son  témoignage  actpiiert  par  là  un  caractère  de  haute  an- 
licjuité  et  d'universalité. 

Au  delà  de  Justin,  la  tmce  se  perd  presque  entièrement, 
du  moins  sur  la  ligne  patristiquc.  Nous  ne  rencontrons  au- 
cune citation  expresse  du  ipiatrièino  évangile  chez  Poly- 
larpe,  Papias,  Ignace.  Faut -il  voir  dans  ce  silence  une 
jireuve  de  la  non-existence  de  notre  évangile  dans  la  pre- 
mière moitié  du  deuxième  siècle? 

PoLYCAFtPE  avait  écrit  un  grand  nomltn;  d'épîti'es.  C'est 
ce  que  dit  Irénée  dans  sa  lettre  à  Florinus  déjà  citée.  Elles 
étaient  adressées  «soit  aux  églises  du  voisinage,  soit  à  quel- 
(pies-uns  des  frères.»  De  toutes  ces  lettres,  il  ne  nous  en 
leste  qu'une  seule,  celle  aux  Philippiens.  Et  de  ce  que  Poly- 
carpe,  dans  ses  exhortations  aux  Philippiens,  ne  cite  pas  le 
quatrième  évangile,  il  s'ensuivrait  qu'il  ne  l'a  pas  connu  du 
tout'?  Chaque  pasteur  serait-il  donc  tenu  de  citer  dans 
chacun  de  ses  discours  la  totalité  des  livres  du  canon  admis 
par  lui?  La  lettre  de  Polycarpe  n'a  que  la  longueur  d'un 
sermon.  Polycarpe  vint  à  Rome  en  l'an  162,  ainsi  une  dizaine 
d'années  après  que,  selon  l'école  de  Baur,  le  quatrième 
évangile  avait  été  mis  en  circulation ,  et  huit  à  dix  ans  au 
plus  avant  le  moment  où,  de  l'aveu  de  cette  école*,  il  était 


1.  Remarquons  que  l'école  de  Tubingue  couteste  J'aiithenlicité  de 
l'épltre  de  Polycarpe.  Voir  Zellcr,  article  cité,  p.  586  et  siiiv. 

2.  Ibirl.  p.  644  :  "Depuis  les  trente  dernières  années  du  deuxième 
siècle  isett  dem  driUtetzlC7i  Jahrzehend  des  ztv.Jahrh.) ,  cet  évangile  est 
là .  on  l'emploie ,  il  est  attribué  presque  sans  contradiction  à  l'apôtre 
dont  il  porte  le  nom.  « 


ciiAp.  II.  —  l'authenticité.  31 

toiinu  et  reçu  dans  l'Eglise  universelle,  où  Tatien  le  citait, 
conime autorité  irrécusable ,  à  Rome;  Athénagore,  en  Grèce; 
Théophile,  en  Syrie;  Apollinaire,  en  Asie-Mineure.  Il  devait 
donc  être  déjà  connu  à  Rome ,  dans  cette  église  dont  il 
avait  pris  pour  tâche  de  délendre  les  intérêts.  Et  Polycarpe, 
l'ami  de  saint  Jean,  en  présence  de  cet  écrit  prétendu  de  son 
maître,  dont  il  n'avait  jamais  entendu  parler,  n'éleva  pas  la 
voix!  Bien  plus,  pendant  son  séjour  à  Rome,  on  s'occupa  ex- 
pressément du  dillérend  entre  l'éghse  d'Asie  et  celle  de  Rome 
sur  la  célébration  de  la  Pàque.  Or,  dans  le  quatrième  évan- 
gile «avaient  été  prises,  selon  l'expression  de  Zeller',  les 
mesures  les  plus  énergiques  pour  rendre  impossible  le  rit 
asiatique  >>  que  défendait  Polycai'fie.  Et  Polycarpe  connive  à 
cette  publication  frauduleuse,  dont  le  but  était  précisément  de 
condamner  le  parti  qu'il  représente!  Et  qu'on  ne  dise  pas  que 
Polycarpe  peut  avoir  réclamé,  mais  que  sa  protestation  est 
tombée  dans  l'oubli.  Irénée,  son  disciple,  qui  prenait  une  part 
active  aux  disputes  sur  la  Pàque,  n'eût  pu  laisser  tomber  un 
fait  de  cette  importance.  Il  faudrait  donc  aussi  faire  de  ce  Père 
le  complice  de  l'imposture,  et  cela  malgré  l'intérêt  qu'il  té- 
moignait pour  la  cause  des  églises  d'Asie!  Eusèbe  enfin, 
dont  nous  avons  reconnu  la  loyauté  et  l'exactitude,  nous  a 
parlé  de  l'unanimité  du  sentiment  ecclésiastique  à  l'égard 
du  quatrième  évangile;  il  l'a  fait  de  manière  à  prouver  qu'il 
n'avait  trouvé  dans  aucun  ancien  écrit,  et  dans  les  ouvrages 
df  Polycarpe  (qu'il  possédait  plus  complètement  que  nous) 
pas  plus  qu'ailleurs,  le  moindre  indice  capable  de  provo- 
quer un  soupçon  sur  l'authenticité  de  cet  écrit  bibUque.  Le 
silence  d'Eusèbe  à  l'égard  de  celui  de  Polycarpe  doit  ache- 
ver de  rassurer  une  saine  critique  sur  celui  de  Polycarpe 
à  l'égard  du  quatrième  évangile.  Du  reste  Polycarpe  cite, 

t.  Ibid.  p.  G39. 


32  INTRODUCTION. 

dans  son  épîtiv  aux  Pliilippiens  (rli.  VII),  la  pi'emièiv  épîtn; 
lie  Jean:  «Oiiiconqiie  ne  conresse  pas  Jésus-Cluisl  venu 
en  rliair,  est  un  anlirhrisl.  »  Comp.  1  Jean  IV,  2.  3.  Ne 
peut -on  pas  ajouter  à  celte  parole  celle  du  chai)ilre  III  : 
«Celui  (jui  possède  la  charité  est  exempt  de  tout  péché»? 
Comp.  avec  I  Jean  II,  10  :  i'  Celui  «pii  aime  son  frère  demeure 
dans  la  lumière,  et  il  n'y  a  rien  en  lui  qui  le  fasse  l>roncher.» 
(juoi  qu'il  en  soit  de  ce  second  passage, l'école  deTubingue, 
ne  pouvant  nier  la  conformité  du  pri'mier  au  texte  de  Jean, 
pense  (|ue  les  deux  écrivains  pseudonymes,  l'auteur  de  la 
lettre  aux  Pliilippiens  et  celui  de  la  prétendue  épître  de 
saint  Jean,  ont  trouvé  cet  adage  comme  un  dicton  en  cir- 
culation dans  l'Église,  à  cotte  épocjue  do  lutte  contre  les 
gnosti(|ues;  qu'ainsi  l'un  ne  l'a  point  emprunté  à  l'autre*. 
Cette  réponse  sent  trop  le  subterfuge  pour  être  sérieuse- 
ment discutée.  Si  Polycarpe  a  réellement  cité  la  lettre  de 
Jean  comme  autorité  apostolique,  il  suit  de  là  qu'il  envisa- 
geait aussi  l'évangile  comme  apostolique,  puisqu'il  n'y  a 
jamais  eu  de  doute  dans  l'anticjuité,  et  qu'il  ne  peut  y  en 
avoir  de  fondé ,  sur  l'identité  de  l'auteur  de  ces  deux 
écrits.* 

Do  P.vpiAS,  nous  ne  possédons  plus  que  quelques  frag- 
ments cités  par  Kusèbe,  et  qui  se  rapportent  à  l'origine  des 
évangiles  de  Matthieu  et  de  Marc.  Ne  disait-il  rien  de  ceux 
de  Luc  et  de  Jean?  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons  savoir  et  ce 
qu'il  serait  téméraire  de  conclure  de  l'absence  de  citations 
dans  Eusèbe.  Car  il  pouvait  n'avoir  rien  dit  sur  ces  deux 


1.  Zeller,  article  cité,  p.  587. 

2.  Baur  et  Zeller  se  sont  aventurés  à  contester  cette  identité,  et  il  est 
tel  critique  français  qui  n'a  pas  cru  pouvoir  faire  mieux  que  de  les  suivre 
sur  cette  voie.  Mais  voyez  Keuss,  Gesch.  der  heil.  Schr.  N.  T.  g  228;  U/st. 
de  la  théol.  chrét.  t.  Il,  p.  289  et  suiv.;  de  Wette,  Lehrb.  der  hist.-krit. 
Ei7il.  l  177  a  ;  et  Heuan ,  Vie  de  Jésus,  p.  xxvi. 


CHAI'.  11.  —  LAL  rilE.NTICITK.  So 

écrits  qui  fût  [»articulièremeiit  digne  de  remarque'.  Ce  que 
nous  savons  seulement  par  Eusèbe  {Hist.  ceci  III,  39),  c'est 
qu'il  se  servait  «  de  témoignages  tires  de  la  première  épître 
de  saint  Jean.  »* 

Ignace  a  écrit  ses  lettres  si  peu  de  temps  après  la  fin  du 
premier  siècle,  époque  probable  de  la  publication  de  notre 
évangile  dans  la  supposition  de  son  authenticité,  qu'il  n'y 
aurait  rien  d'étonnant  à  ce  qu'il  ne  s'y  trouvât  aucun  pas- 
sage rappelant  cet  écrit.  Néanmoins,  comment  méconnaître 
une  réminiscence  du  discours  de  Jésus  (Jean  VI)  dans  cette 
parole  de  son  épître  aux  Romains,  l'une  des  trois  dont  Cu- 
reton  paraît  avoir  retrouvé  le  texte  le  plus  authentique  (en 
langue  syriaque):  «Je  veux  le  pain  de  Dieu,  qui  est  la  chair 
de  Christ;  et  je  veux  pour  boisson  son  sang,  qui  est  sa  cha- 
rité incorruptible  (àpTcv  06cû  S^eXo,  o^  eartv  aàç^  Xçiaxcû, 
xal  To  (xi\i.a.  aùrcy  Trojxa  S^éXo).»  (Comp.  Jean  VI,  33.  51.  53.) 

Enfin  nous  ne  devons  pas  négliger  de  mentionner  ici  un 
fait  remarquable.  Irénée  (Adv.  Hœr.  V,  36)  cite  l'explication 
que  donnaient  de  la  parole  de  Jésus  (Jean  XIV,  2)  :  <s.Jl  y  a 
plusieurs  demeures  dans  la  maison  de  mon  Père,y>  les  pres- 
bytres,  disciples  des  apôtres,  auxquels  il  en  appelle  souvent, 
et  au  nombre  desquels  se  trouvaient  certainement  en  pre- 
mière ligne  Polycarpe  et  Papias.  Ils  pensaient,  dit  Irénée, 
que  la  différence,  dont  a  parlé  Jésus,  entre  ces  demeures  su- 

1.  .Nous  pouvons  citer,  comme  cas  analogue,  le  passage  dans  lequel 
Eusèbe  {H/st.  eccl.  VI,  14)  rapporte  le  témoignage  de  Clément  d'Alexan- 
drie sur  nos  évangiles.  Quoique  Clément  les  connût  et  les  admit  certai- 
nement tous  quatre,  les  détails  qu'il  donnait  sur  leur  origine  et  que  nous 
a  transmis  Eusèbe,  ne  portent  que  sur  les  deux  évangiles  de  Marc  et  de 
Jean. 

2.  Voir  comment  Zeller,  article  cité,  p.  584,  cherche  à  se  défaire  de 
celte  déclaration  positive  d'Eusébe.  Ce  savant  va  jusqu'à  se  demander  si 
ce  n'était  pas  l'auteur  de  la  première  épitre  de  Jean  qui  avait  puisé  dans 
Papias  ! 

I.  3 


34  INTRODUCTION. 

périeures  currospondaità  celle  du  travail  lerreslre.eii  ce  sens 
que  les  fidèles  qui  avaient  rapporté  cent  ici-bas,  habiteraient 
le  ciel  :  ceux  qui  avaient  produit  soixante,  le  paradis;  et 
ceux  qui  avaient  rapporté  trente,  la  cite  céleste.  Quoique 
l'on  piusse  penser  de  cette  explication,  ce  fait  renferme  en 
tout  cas,  comme  l'a  fait  observer  Houlh',  un  témoignante 
positif  de  l'existence  et  de  l'autorité  de  l'évangile  de  Jean 
à  l'époque  des  contemporains  de  Polycarpe  et  de  Papias. 

Mais  un  fait  bien  plus  considérable  que  quelques  citations 
de  plus  ou  de  moins,  et  dont  Tliierscli  a  le  premier  fait  res- 
sortir toute  l'importance,  c'est  la  prépondérance,  dans  le 
sentiment  de  l'Église  et  des  docteurs  du  deuxième  siècle,  de 
hi  pensée  de  l'incarnation.  «La  Parole  a  été  faite  chair,  et 
nous  avons  communion  avec  elle,»  voilà,  dans  ce  siècle  de 
l'adoration  et  du  martyre, l'aliment  de  la  foi,  l'âme  du  culte, 
le  thème  des  méditations.  Toute  l'Église  puise  sa  vie  dans 
la  foi  à  son  union  consubstantielle  avec  le  Verbe,  et  les  théo- 
logiens, Ignace,  Justin,  Ta  tien,  Atbénagore,  Clément,  Irénée, 
en  font  la  pierre  angulaiie  du  système  chrétien.  Ce  fait 
grandiose  doit  avoir  une  cause.  Dire  que  notre  quatrième 
évangile  n'est  lui-même  qu'un  produit  de  cette  idée  dont  le 
deuxième  siècle  est  comme  saturé,  c'est  poser  un  phéno- 
mène sans  commencement,  admettre  un  fleuve  sans  source. 
Si  aucun  écrit  apostolique  n'eût  proclamé  avec  autorité  cette 
parole  absolument  nouvelle  :  le  Verbe  fait  c/iatr,  jamais  le 
second  siècle  n'eût  pu  en  faire  son  mot  d'ordre. 

4.  —  Les  hérétiques  du  deuxième  siècle. 

L'histoire  présente  peu  de  spectacles  aussi  imposants  que 
celui  de  l'Église  chrétienne  au  second  siècle.  Des  ennemis 
extérieurs  l'environnent,  épuisant  à  chaque  instant  leur  rage 


I.  Reliquiœ  sacrœ ,  roi.  I,  p.  11. 


CHAI'.  11.  —  l'authenticité.  35 

sur  cette  caravane  désarmée.  En  même  temps  il  se  forme 
des  factions  dans  son  sein.  Un  j)arli  s'élance  en  avant,  pré- 
tendant accélérer  la  marche  de  la  troupe;  un  autre  parti 
reste  en  arrière,  désireux  de  la  ralentir.  Ceux-ci  s'écartent 
sur  les  flancs,  l'un  à  droite,  l'autre  à  gauche,  s'efl'orçant  de 
faire  dévier  le  cortège  de  sa  voie.  Le  gros  de  la  caravane  per- 
siste néanmoins,  et,  fidèle  à  l'impulsion  divine  qui  l'a  mis 
en  mouvement,  demeure  ferme  dans  sa  marche.' 

Quatre  sectes  principales  se  détachèrent,  dans  le  deuxième 
siècle,  de  l'Église  orthodoxe  épiscopale.  L'hérésie  soufflait 
des  quatre  vents  de  l'horizon.  Ici,  c'était  la  secte  judaïsante, 
qui  ne  voyait  dans  le  christianisme  qu'une  continuation  du 
judaïsme,  se  livrait  à  une  animosité  croissante  contre  saint 
Paul,  et,  se  revêtant  de  quelques  oripeaux  d'universalisme 
et  de  théosophie,  produisait,  vers  l'an  160,  le  roman  histo- 
ricu-dogmatique  des  Homélies  clémentines.  Dans  le  même 
temps,  à  l'extrême  opposé,  surgit  Marcion,  qui  poussait 
à  l'extrême  l'antithèse  de  l'Evangile  et  de  la  loi,  et  qui,  al- 
liant le  gnosticisme  à  l'antinomisme,  allait  jusqu'à  attrihuer 
les  deux  révélations  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 
à  deux  Dieux  différents.  D'un  autre  côté,  c'était  le  gnosticisme 
proprement  dit,  qui  faisait  de  l'Evangile  le  texte  d'une  spé- 
culation effrénée,  importait  tout  à  la  fois  dans  la  doctrine  de 
l'Église  la  philosophie  et  la  mythologie  païennes,  et  qui  eut 
pour  représentants  les  plus  distingués,  Basilide  et  Valentin. 
Enfin,  à  l'extrême  opposé  de  ce  rationalisme  spéculatif. 


1.  Nous  pensons  pouvoir  présenter  sous  cet  aspect  l'histoire  de  l'Église 
au  deuxième  siècle,  eu  nous  bornant  à  renvoyer  à  l'ouvrage  de  Ritschl , 
Entstehung  der  altcatfiol.  Kirche.  T  éd.  1857.  Ce  savant  a  prouvé  :  1"  que 
tout  ce  qu'on  appelle  le  paulinisme  est  en  germe  dans  les  paroles  de 
Jésus  dans  l'évangile  selon  saint  Marc;  2"  qu'il  y  avait  identité  foncière 
de  principes  entre  la  doctrine  des  Douze  et  celle  de  Paul ,  la  dififérence 
réelle  entre  eux  ne  portant  que  sur  un  fait  d'observance. 


of)  INTRODUCTION. 

nous  rencontrons  l'exaltation  mystique  du  montanisme,  qui 
annonce  comme  imminente  la  lin  du  monde,  et  prêche  à 
rÉglise  l'ascétisme  et  le  martyre.  Pouvons-nous  constater 
chez  l'un  ou  l'autre  de  ces  partis  la  connaissance  ou  l'em- 
ploi (lu  (juatrième  évangile? 

I.  L'école  de  Baur  avait  longtemps  prétendu  qu'il  ne  se 
trouvait  aucune  citation  de  l'évangile  de  Jean  dans  les  Homk- 
LiES  CLKMKNTiNES,  ct  qu'il  uc  pouvait  s'cu  trouvcr,  puisque, 
si  même  l'auteur  de  cet  écrit  apocryphe  eût  connu  notre  évan- 
gile, il  n'eût  pu  accepter  un  livre  si  opposé  à  sa  tendance  et 
qu'il  ne  l'eût  employé  en  tout  cas  que  pour  le  combattre*.  On 
se  défaisait  donc  de  paroles  telles  que  celles-ci  :  «C'est  pour- 
quoi il  a  dit  lui-même,  étant  vrai  prophète  :Je  sïds  la  porte 
de  la  vie;  celui  qui  entre  par  moi,  entre  dans  la  vie...,  et 
encore:  Mes  brebis  entendent  ma  voix  (-cà  £{i.à  Tcpo^axa  àxou'et 
rïj-  è(jLTjc  çovfr)  »  (Hom.  III,  53.  Comp.  avec  Jean  X,  9;  3) 
—  par  dcs'expédients  semblables  à  ceux  par  lesquels  on 
se  débarrasse  des  citations  de  Justin.  Mais  voici  qu'un 
fait  nouveau  a  fait  faire  subitement  volte-face  à  l'école  de 
Tubingue  dans  sa  manière  de  traiter  les  citations  de  Jean 
dans  les  Clémentines.  Dressel,  ayant  découvert  dans  la  bi- 
bhothèque  du  Vatican  la  fin  de  cet  ouvrage,  qui  manquait 
jusqu'ici,  a  publié,  pour  la  première  fois,  en  1853,  les  Ho- 
mélies complètes'.  Et,  dans  la  dix-neuvième  (c.  22),  il  s'est 
trouvé  une  citation  irrécusable  du  quatrième  évangile  : 
«  C'est  pourquoi  aussi  notre  Seigneur  répondit  à  ceux  rjui 
l'interrogeaient,  et  qui  lui  demandaient  :  Est-ce  celui-ci  qui 
a  péché,  ou  ses  parents,  qu'il  soit  né  aveugle?  —  Ce  n'est 
point  celui-ci  (jui  a  péché,  ni  ses  parents,  mais  c'est  afin  que 
soit  manifestée  par  lui  la  puissance  de  Dieu  qui  guérit  les 

1.  Scliwegier,  Jtoyitanismus ,  p.  146.  Hilgenfeld ,  Kritische  Vntersu- 
chungen,  p.  388.  (Daprùs  Volkinar,  Theol.  Jahrb.  t.  XIII,  p.  459.) 

2.  démentis  Romani  qtiœ  Jeruntnr  homiliœ  viginti.  GOttirigen  ,  1853. 


CHAP.  11.  —  lA\UTIIENTICITÉ.  37 

finîtes  (riyuorance.  »  Conip.  Jean  IX,  2.  3.  La  légère  ino- 
(lilication  introduite  dans  les  dernières  paroles  de  Jésus  et 
(jui  paraît  destinée  à  les  faire  cadrer  avec  le  système  général 
de  l'auteur,  ne  peut  donner  prise  au  doute;  Volkmar  lui- 
même  a  reconnu  cette  fois  la  réalité  de  la  citation*.  Mais 
(jue  résulte-t-il  de  là,  selon  lui?  Absolument  rien.  Car  l'au- 
teur des  Clémentines,  écrivant  vers  160,  a  fort  bien  pu 
citer  le  quatrième  évangile,  écrit  et  publié  vers  150.  Voilà 
sans  doute  la  difficulté  chronologique  lestement  franchie! 
Mais  il  s'en  élève  une  plus  grave  :  comment  l'auteur  des 
Clémentines  peut-il  citer  et  s'approprier  comme  autorité  un 
écrit  dont  les  vues  a  sont  diamétralement  opposées  aux 
siennes'»  et  dont  l'emploi  par  lui  était  naguère  jugé  im- 
possible? Voici  la  réponse  textuelle  de  Volkmar  :  «Lorsque 
le  quatrième  évangile  parut,  il  plut  si  généralement, comme 
produit  du  temps,  même  dans  les  cercles  ébionites  en  vue 
de  la  défaite  radicale  desquels  il  était  composé,  que  malgré 
l'opposition  de  principes,  il  y  trouva  de  l'écho  et  qu'il  y  fut 
accueilli  et  employé,  non  toutefois  sans  contradiction'.»  On 
avouera  que  jamais  la  critique  n'a  rien  écrit  qui  touche  de 
plus  près  à  l'absurde.  L'évangile  de  Jean  plut  généralement 
comme  un  roman  qui  fait  fortune,  de  sorte  qu'il  fut  accueilli 
et  cité  dix  ans  après  son  apparition ,  même  par  ceux  dont 
il  était  destiné  à  extirper  les  principes!  Il  nous  paraît  en 
vérité  plus  simple  de  reconnaître  que  l'usage  fait  du  qua- 
trième évangile,  non  pas  une  fois,  mais  à  réitérées  fois 
(il  faut  bien  l'avouer  maintenant),  par  les  judaïsants  des 
Clémentines  ne  s'expUque  que  par  l'antique  autorité  dont 
jouissait  cet  écrit  de  l'un  des  apôtres  de  Jésus ,  dans 
toute  l'EgUse  et  à  leurs  yeux.  —  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette 

1.  Theol.  Jahrb.  1854,  t.  XIII,  p.  440  et  suiv. 

2.  Ibid.  p.  456  et  457. 

3.  Ibid.  p.  458. 


38  INTRODUCTION. 

ronclwsion,  rusajrc  fail  do  rvl  ôcv'xl  par  le  parli  judaisant  le 
plus  li'ancliô,  au  milieu  du  deuxième  sièelo,  est  cl  reste  un 
fail  bien  étxibli.  C'est  tout  ce  qu'il  nous  importe  de  constater 
en  ce  moment. 

2.  Marcion,  l'adversaire  déclaré  de  ce  parli,  ensciirnait  à 
Kome  vers  140.  Il  n'employait,  depuis  qu'il  était  chef  de 
secte,  que  l'évangile  de  Luc  amendé  par  lui.  Mais,  s'il  reje- 
tait les  trois  autres  évangiles,  ce  n'était  point  qu'il  doutât 
de  leur  authenticité.  C'était,  au  contraire,  parce  qu'il  l'ad- 
rueltail,  mais  que,  selon  lui,  leurs  auteurs,  imbus  des  vieilles 
idées  judai(jues,  n'avaient  point  compris  Jésus.  TertuUien 
oppose  en  effet  aux  disciples  de  Marcion  {De  carne  Chiisti, 
«•.  2;  Adv.  Marcionem,  IV,  4)  une  lettre  de  leur  maître  lui- 
même,  de  laquelle  il  résultait  qu'il  avait  admis  primitivement 
les  mêmes  évangiles  que  l'Eghsc,  jus(ju'au  moment  où  il  se 
convainquit  que  la  pure  doctrine  de  Christ  y  était  altérée 
par  des  éléments  légaux.  Et  ce  qui  prouve  que  parmi  ces 
évangiles  se  trouvait  celui  de  Jean,  c'est  que,  pour  ap- 
puyer le  rejet  de  ces  livres,  il  en  appelait  {Adv.  Marc.  W,  S) 
à  Gai.  H,  passage  où  saint  Paul  parle  de  Jacques,  Pierre  et 
Jean  et  que  Marcion  interprétait  en  ap{)liquant  ces  expres- 
sions de  l'apôtre  :  «A'c  marchant  pas  de  droit  pied  dans  la 
vérité  de  l'Evangile, î>  à  ces  personnages  apostoliques;  d'où 
il  concluait  naturellement  au  rejet  a  des  évangiles  qui  sont 
publiés  sous  le  nom  des  apôtres  ou  aussi  des  hommes  apos- 
toliques. »  Est-il  possible,  en  un  tel  contexte,  de  ne  pas 
trouver  dans  ces  paroles  une  preuve  positive  de  l'existence 
de  l'évangile  de  Jean'?  Mais  (juoi  qu'il  en  soit  du  chef  de  la 
secte,  ce  qu'il  nous  importe  surtout  de  constater  ici,  c'est 
que  l'école  de  Marcion  admettait  et  employait  le  quatrième 

I.  Comp.  d'un  côté  Zeller,  article  cité,  p.  629  et  suiv.,  et  de  l'autre, 
Bleek,  Beitr.  zur  Evangelien-Krilik,  p.  222  et  279.  Einl.  in  das  N.  T. 
p.  131  et  suiv. 


CHAI'.  )J.  —  LAL'TIIKNTICITK.  39 

évangile.  C'est  ce  (fue  Zeller  lui-même  ne  conteste  point, en 
face  des  déclarations  expresses  d'Origène  (Ileplàpx"^,  ÏI>'^> 
5.  In  Joli.  XIX,  1)  cfui  cite  des  explications  marcionites  de 
passages  île  l'évangile  selon  saint  Jean.' 

3.  Les  MOiNTAMSTEs  désignaient  du  nom  de  Paraclet 
l'esprit  de  prophétie  qui  devait  être  donné  à  l'Église  dans  les 
derniers  temps  pour  la  préparer  au  retour  de  Christ,  et 
dont  ils  pensaient  posséder  déjà  les  prémices  dans  les 
inspirations  de  leurs  prophètes  et  de  leurs  prophétesses. 
C'était  une  fausse  interprétation  de  la  promesse  de  Jésus, 
Jean  XIV-XVI.  D'après  l'école  de  Baur ,  ce  serait  l'inverse  : 
«  La  doctrine  de  l'Esprit,  comme  principe  de  nouvelle  révé- 
lation, introduite  d'ahord  sous  la  vieille  forme  judéo-chré- 
tienne par  le  montanisme  (vers  140 ),  fut  reproduite  plus 
tard  dans  la  doctrine  gnostico-johannique  du  Paraclet*.  » 
Mais  est-il  moralement  admissihle  que  le  fleuve  limpide  et 
calme  des  derniers  discours  de  Jésus  émane  d'une  pareille 
source?  N'est-il  pas  certain  que  le  montanisme  trouva  la 
doctrine  du  saint  Esprit  étahlic  dans  l'Église,  telle  que  l'ex- 
pose Jean ,  et  qu'il  se  borna  à  en  faire  une  fausse  et  mes- 
quine application?  Tertulhen,  après  son  passage  au  monta- 
nisme, fait  l'cposer  sa  doctrine  du  Paraclet  sur  le  quatrième 
évangile.  Encore  ici,  nous  constatons  en  tout  cas  le  fait  que 
les  éghses  montanistes,  à  la  (in  du  deuxième  siècle,  admet- 
taient aussi  cet  évangile  comme  apostohque. 

i.  Parmi  les  sectes  du  deuxième  siècle,  il  n'en  est  pas  une 
ipii  ait  fait  un  usage  plus  abondant  du  (pjatrièmc  évangile 
que  celle  des  Gnostiques  valentiniens  :  eo  quod  est  secun- 
difin  Johannem  plcnissime  utentes,  dit  Irénée,  en  parlant 
de  cette  école  (Adv.  Hœr.  111,  1 1).  Des  deux  principaux  dis- 
ciples de  Valentin,  l'un,  Ptolémée,  dans  sa  lettre  à  Flora, 

1.  Zeller,  article  cité,  p.  634. 
î.  Ibid.  p.  637  et  638. 


40  IMUUUICTION. 

conservée  par  Kpiphaue  {Hœr.  XXXIII,  3),  cite  ces  mois  de 
Jean  I,  3  :  ^  Toutes  choses  ont  été  faites  par  eUe,r>  etc., 
comme  une  parole  de  Yapôtre;  —  l'aulro,  lléracléon,  avait 
composé  un  commcnliiire  comj)lol  sur  le  ipiatrièmo  évan- 
|,Mle ,  dont  Oiigène  nous  a  conservé  des  IVaymenls  considé- 
rables. «La  composition  d'un  commentaire  sur  un  pareil 
écrit,  dit  avec  raison  IMeek,  n'est  pas  seulement  une  preuve 
de  l'importance  qu'y  attache  celui  qui  le  conmiente;  c'en  est 
une  aussi  de  la  considération  dont  jouit  ce  livre  dans  le 
cercle  de  ceux  j)our  lesquels  écrit  le  counnentateur'.»  Or 
ces  lecteurs  auxquels  s'adressait  Héracléon,  n'étaient  pas 
seulement  les  Vaientiniens  :  c'était  toute  l'Église,  à  laquelle 
il  [iiélendait  prouver  l'accord  de  son  système  avec  l'écrit  du 
disciple  de  Jésus.  Plolémée  et  lléracléon  vivaient  vers  150^ 
De  cet  emploi  si  considérable  de  notre  évangile  dans  l'école 
valentinienne,  on  pourrait  déjà  conclure  à  l'usage  qu'en  avait 
dû  faire  son  fondateur  et  son  chef.  Mais  nous  trouvons,  en 
outre,  dans  TertuUien,  la  déclaration  expresse  que  voici  : 
{De  prœscript.  Iiœret.  c.  38)  :  «Valentin  paraît  avoir  admis  le 
canon  tout  entier,  »  El  des  faits  récents  ont  prouvé  que  le 
videtur  de  TertuUien  était  une  réalité  (piant  à  l'évangile  de 
Jean.  Dans  l'ouvrage  récemment  retrouvé  au  couvent  ihi 
mont  Athos,  publié  par  Miller  sous  le  titre  :  Origenis  Philo- 
sophumena  (Oxford,  1851),  et  qui  doit  probablement  être 
attribué  à  Hippolyte  ou  à  Caïus,  se  trouve  le  passage  sui- 
vant :  <i  Tous  les  prophètes  et  la  loi  ont  parlé  d'après  le  Dé- 
miurge, Dieu  insensé,  comme  il  (Valentin)  le  dit...;  c'est 
pourquoi,  prétend-il,  le  Sauveur  dit  :  «Tous  ceux  qui  ont 
été  avant  moi  sont  des  voleurs  et  des  brigands ^  »  Comp. 


1.  Ei?tl.  m  fias  iV.  T.  p.  225. 

2.  Ifjid. 

3.  Ed.  Duncker  et  Schneidewin,  1850,  p.  284.—  Aii  toOto  (piQaî,  c'est- 
à-dire  OùoÀevTîvo;,  voy.  ligne  T""  du  paragraphe. 


CHAI'.   II.  —  l/.VUTlIKNTICITK.  A'\ 

Jean  X,  8.  Outre  cela,  le  diable  est  appelé  <Jeiix  foi.s  par 
lui  le  prince  de  ce  monde.  Valeiitin  prétendait  avoir  vU' 
instruit  pai'  Tlieudas,  IfMpicI  dt'\;iii  ;i\(»ir  ru  des  relation.^ 
avec  saint  Paul.  Gela  seul  prouverait  coiiiliien  il  était 
rapproché  des  temps  apostolicpies';  et,  s'il  a  réellement 
employé  l'évangile  de  Jean,  on  voit  jiisqu'ri  (juelle  date 
celte  circonstance  fait  l'cmonter  ce  document.  L'école  de 
Tubing-ue  ne  pouvait  à  aucun  prix  accepter  ces  faits.  Elle 
a  donc  prétendu,  contre  les  termes  positifs  de  la  citation, 
(pie  ce  n'est  jtoint  Valentin,  mais  ses  disciples  qui  ont  ainsi 
employé  l'évangile  de  Jean.  Une  telle  réponse  ne  trahit-elle 
pas  le  parti  pris?  «L'auteur  des  Philosophumena ,  dit 
Ewald,  sait  parfaitement,  là  où  il  importe,  distinguer  les 
disciples  du  maître;  ce  qu'il  rapporte  est  emprunté  à  l'édi- 
lice  bâti  |»ar  Valentin  lui-même'.»  Le  système  valentinien 
tout  entier  (et  il  devait  bien  remonter  à  celui  qui  passait 
pour  chef  de  l'école)  n'était  qu'un  vaste  édifice  théosoplii<]ue 
ipie  son  auteur  s'ellonjait  de  fonder  sur  les  Ecritures.  Ma- 
ter iam  ad  scripluras  excof/itavit,  dit  de  lui  Terlullien,  l'op- 
pos;int  sous  ce  rapport  à  Marcion  qui  avait  au  contraire 
falsilié  les  Écritures  au  profit  de  son  système  (ad  matet^iam 
scripturas  convertens).  Les  termes  par  lesquels  Valentin 
désignait  les  Éons  émanant  de  l'Abîme  éternel,  [jLOvoYsvirjç, 
ÇoTfj,  àXïjôeia,  xf/içi?,  TcXTJçojjia,  Xôyoj,  çw?,  se  retrouvent 
ilans  le  prdogue  de  Jean,  et  l'école  de  Tubingue  prétend 
(pie  c'est  dans  le  système  de  Valentin  (ju'ils  ont  été  puisés 
pai"  le  pseudo-Jean.  Bleek  n'a-t-il  pas  raison  de  dire  :  «  Il 
est  aussi  absurde  que  possible  d'envisager  la  manière  si 
simple  en  hi(|uelle  ces  expressions  sont  employées  dans  saint 
Jean,  cîommc  rcmjiniiil,  cl  l'usage  iiililiciel  qui  en  est  fait 


1.  Zeller,  article  cité,  p.  636,  place  son  activité  à  Rome  vers  140. 

2.  Jafirhi<c/ter,  1852-1853,  p.  201. 


15  INTnODUCTKt.N. 

dans  ce  système  j,niosli(|iie.  coinmc  l'orij^iniil ,  tandis  qu'an 
conti'aire  tont  condnil  à  admettre;  (jue  les  (in(»sli(|nes  ne  se 
vont  servis  de  ees  expressions,  qu'ils  renconli'aienl  dans  nn 
reril  considéré,  que  comme  de  points  d'appni  pour  les  doc- 
trines de  liMU'  système  spi'culatil'.  Il  snfïit.  de  voir  la  manière 
Ibrct'e  en  lai|ii('llr  Jli'ratN'on  inlt'i|iièt('  les  expressions  de 
Jean,  jmuii  (|iril  soit  presipie  impossihh^  de  conserver  un 
doute  sur  ce  point '.  0  II  est  aussi  impossible  de  déduire  le 
proloi^Mie  de  Jean  de  la  mythologie  valentim'enne,  (jiie  les 
simples  récits  de  nos  Synoptiijnes  des  lé{^cndes  l'unlastifiues 
dont  sont  remplis  les  évangiles  apocryphes. 

Comme  Valenlin  attribuait  ses  doctrines  à  un  élève  de 
l*aul,  Basilide  rapportait  les  siennes  à  rdaucins,  interprète 
de  saint  Pierre  (Clément  d'Alex.,  Stronè.  VU,  17).  Il  ensei- 
},Miait  à  Alexandrie  veis  l'an  120.  On  trouve  dans  les  Philo- 
xophuwcna^deux  citations  de  Jean  attribuées  à  ce  gnos- 
tique  :  «Et  c'est  là,  dit-il  (Hasilide),  ce  qui  est  dit  dans  les 
évanj^nles  (xal  tcûto,  9T)ffLv  [h  Baa',Xe''Ô7jçJ ,  iax\  xô  Xsy.  £v 
X.  eùay.)  :  Celait  la  lumière  vérilnhle  qui  éclaire  tout  homme 
venant  au  mondai)  (p.  360).  Comp.  Jean  I,  0.  ((Le  Sauveur, 
dit-il,  est  un  témoin  suffisant  de  cette  vérité,  que  cha(|ue 
chose  a  ses  temps,  lorsqu'il  dit  :  Mon  heure  7i' est  pas  en- 
core venue))  (p.  370).  Conij).  Jean  II,  4.  La  réponse  de 
l'école  de  Tubinf,nje  est  toujours  la  môme:  l'auteur  des  Phi- 
losophumena  a  imputé  au  maître  des  citations  qui  n'étaient 
ipie  le  fait  des  disciples.  Mais  cet  exjx'dient  est  encore  plus 
mal  applifjué  dans  ce  cas  que  loi'squ'il  s'agissait  de  Valentin. 
Car  l'on  sait  que  BasiHde  avait  écrit  lui-même  ving-t-quatre 
livres  d'explications  bibliques.  Comment  donc  supposer  que 
son  adver.saire,  lors(jn'il  écrit  expressément  :  «Basilide 
diL..»,  au  lieu  de  puiseï-  dans  le  grand  ouvrage  du  maître. 


I .   Et/,l.  in  fias  .V.  T.  p.  22C. 


CHAP.  II.  —  I.  ALTIIEMICITÉ.  45 

se  borne  n  cilci'  les  disciples?  Jamais  une  science  vraiment 
impJirtiale  n'aura  recours  à  de  telles  défaites.  Ajoutez  que, 
comme  le  dit  M.  de  Bunsen*,  le  système  de  Basilide  tout 
entier  n'était  (pi'une  tentative  de  combiner  ses  idées  cos- 
moponiques  avec  le  j>rologue  de  l'évangile  de  Jean  et  avec 
l'apparition  historiipie  de  Jésus-Christ, 

Nous  trouvons  encore  dans  les  Philosophumcna  plu- 
sieurs citations  de  saint  Jean  attribuées  à  différentes 
branches  de  l'antique  secte  des  Ophites*.  Ces  Gnostiques 
représentent  en  quelque  sorte  les  forces  titaniques  et  déré- 
glées de  la  pensée  humaine  cherchant  à  escalader  pour  la 
première  fois  le  ciel  nouveau  de  la  Rédemption.  Le  gnosti- 
cisme  valentinien  offre  déjà  un  ensemble  mieux  constitué. 
Les  NcMssénlens  citaient  Jean  III,  6,  en  ces  termes:  «C'est 
là  ce  qui  est  écrit  (tout'  iaxi  xè  YSYpa[ji[X£vcv)  :  Ce  qui  est 
né  de  la  chah'  est  chair;  et  ce  qui  est  né  de  l'esprit  est 
esprit  »  (p.  1 48).  Les  Peinâtes  exploitaient  au  profit  de  leur 
système  Jean  IIÏ,  17  :  «C'est  ici  ce  qui  est  dit  (-cùxô  iaxi  xc 
6tçT,|jLÊvcv)  :  Car  le  Fils  de  l'homme  n'est  pas  venu  dans  le 
monde  pour  détruire  le  monde,  mais  afin  que  le  monde  soit 
sauvé  par  luiù  (p.  178).  Baur  a  reconnu  lui-même  la  haute 
anticpiité  de  ces  sectes^.  Elles  doivent  remonter  au  premier 
quart  du  deuxième  siècle. 

Nous  retrouvons  ainsi,  dans  les  différents  camps  de  l'hé- 
lésie.  la  même  unanimité  de  conviction  que  nous  avons 
l'encontrée  dans  l'Église  elle-même.  Il  n'est  pas  une  secte 
chez  laquelle  nous  ne  puission.<  constater,  un  peu  plus  tôt  ou 
un  peu  plus  tard,  l'usage  du  quatrième  évangile.  Une  seule 


1.  Hippolytus  (éd.  allera.),  t.  1 ,  p.  66. 

'2.  Voir,  sur  ces  sectes,  E.  de  l'ressensé ,  Hisf.  des  (rois  premiers 
sU'cles  de  l'Église  chrét.  t.  II,  p.  44t. 

3.  bas  Christenthiim  und  die  christt.  Kirche  der  drei  ersten  Jahrh. 
p.  179. 


44  INTRODUCTION. 

{toiirrait  ôUo  ciivisag-i'c  coiniiK"  faisaiil  cxcciilion  à  (.-('i  ac- 
cord. C't'lail  un  parli  |m'ii  loiisKli'iahlc  qui  s'ôlail  formé  on 
Asie-Minfinc.  eu  opposiliou  au  raualismo  des  Moiilanistes , 
et  qui,  comme  celui-ci,  avait  sou  piiucipal  siège  à  Tliya- 
tire.  Iréuée  en  parle  {Adv.  Uœr.  III,  11)  sans  les  nounuer; 
mais  ce  sont  probablement  les  mêmes  (jui  sont  désignés 
ironiquement  chez  Ej)ipliane  {Hœr.  LI,  3)  comme  àXoYoi, 
iiKil  (|ui  sij^nilie  à  la  lois:  pi'ivés  du  Verbe  el  de  la  lai- 
son.  Ils  (henliaient  à  l'amener  l'Evanyile  à  des  pro|»ortioiis 
purenimt  laliomielles  et  niaient  la  divinité  de  Jésus-Cluisl. 
Ils  attribuaient,  dans  ce  but,  le  quatrième  évangile  et  l'A- 
pocalypse à  Cérintlie.  Zeller  a  reeomiu  (|U('  ce  parti  ne  peut 
être  envisagé  comme  un  témoin  contre  la  tradition  qui 
attribue  le  quatrième  évangile  à  saint  Jean:  «Car  les  motifs 
siu"  les(juels  s'appuyait  leui'  opjtosilion  à  ces  livres  étaient, 
autant  que  uous  pouvons  les  connaître,  tirés  du  domaine 
de  la  critique  interne'.»  Nous  voyons  en  efl'et  par  Epiphane, 
qui  nous  a  conservé  toute  leur  aigumentation,  qu'ils  met- 
laient  surtout  en  avant  les  contradictions  liisloii(]ues  du 
(|uatrième  évangile  avec  les  Jtrois  autres,  mais  nullement 
des  arguments  tirés  de  la  liadilion.  Mais  les  conclusions 
que  nous  tirons  de  ces  faits  doivent  dépasseï'  de  beaucoup 
celles  de  Zeller.  Et  d'abord,  s'ils  attribuaient  l'évangile  et 
l'Apocalypse  à  Cérinthe,  cela  prouve,  comme  l'a  fait  obsei- 
ver  Bleek*,  que  de  leur  temps  il  était  déjà  reçu  dans  l'Église 
d'attribuer  ces  deux  ouvrages  au  même  auteur,  ce  qui  n'est 
pas  sans  valeur  vis-à-vis  de  l'école  de  Tubingue,  qui  tient 
si  fortement  à  l'authenticité  de  l'Apocalypse.  Mais  surtout  ce 
même  fait  prouve  combien  était  profond  le  sentiment  (pi'a- 
vait  l'Eglise  entière  de  la  haute  antiquité  du  quatrième 
évangile  ;  car  Cérinthe  était  connu  connue  l'adversaire  per- 

1.  Article  cité,  p.  645  et  siiiv. 

2.  Beilr.  zur  Evaurjclioi-Krilik ,  p.  210. 


CHAI'.  11.  —  l'.\uthenticité.  45 

sonnel  de  saiiil  Jean;  r(,  si  cet  évcTiigilc  n'eût  été  jnililié  (jiie 
«lepuis  dix  à  vingt  ans,  comment  serait-il  venu  à  la  pensée 
de  ses  adversaires  de  l'attiibuer  à  un  contemporain  de 
l'apôtre,  au  lieu  de  le  rejeter  purement  et  simplement  en 
s'apjiuyant  sur  son  ajtparition  récente? 


II. 


Qu'avons -nous  lait  jusqu'ici?  Prétendons -nous  avoir 
prouvé  l'origine  johanniquc  du  quatrième  évangile?  En  au- 
cune façon.  Nous  espérons  simplement  avoir  constaté  un 
fait  :  c'est  que  l'Eglise  du  deuxième  siècle  tout  entière,  y 
compris  ces  partis  plus  ou  moins  hostiles  qu'on  appelle  les 
sectes,  a,  depuis  Basilide  jusqu'à  Irénée,  admis  sans  con- 
testation et  employé  sans  hésitation  le  quatrième  évangile, 
comme  un  écrit  jouissant  de  l'autorité  apostoUque,  par  con- 
séquent comme  anivre  de  saint  Jean.  Ce  fait  une  fois  con- 
staté ,  nous  demandons  comment  il  s'est  produit. 

El  d'îthord,  au  sein  de  l'Eglise  proprement  dite. 

Cette  conviction  unanime,  à  côté  de  laquelle  nous  n'en 
voyons  en  aucun  temps  et  en  aucun  lieu  surgir  une  autre, 
nous  oblige  à  ailmettre  un  second  fait:  c'est  que  le  quatrième 
évangile  doit  avoir  été  publié  comme  œuvre  de  saint  Jean. 
Autrement  des  contestations  se  seraient  élevées,  des  hypo- 
thèses diverses  se  seraient  produites;  et,  puisqu'il  s'agissait 
d'un  ouvrage  de  première  importance,  qui  sui^  bien  des 
points  pouvait  paraître  en  contradiction  avec  les  évangiles 
antérieurs,  il  eût  dû  rester  quelques  traces  de  ces  dissenti- 
ments primitifs. 

Mais  l'éditeur,  qui  a  fait  recevoir  cet  écrit  dans  l'Eglise 
comme  œuvre  de  l'apôtre,  n'a-t-il  point  connnis  une  erreur 
ou  même  une  fraude?  Prenant  les  choses  in  abstracto,  on 
doit  reconnaître  que  cela  est  possible.  Mais  que  l'on  se 


'♦(>  INT^ODl'CTIO^. 

lr;ins(>orU'  il;ui>  la  rt'alilc  coik  rrl«'  des  liiils.  «'I  l'im  snnlira 
(  iiiiiliicii  (t'iif  liypolliùso  est  dillicilt'  à  soutenir,  (jiiaiid  au- 
rait eu  lit'u  (cllr  publication  sous  le  liuix  nom  de  Jean? 
PcndanI  la  vie  de  i'apùfie?  La  prolcslalion  de  .lean  lui- 
nit'nit'  t'ùl  démasqué  l'imposlure  et  em|)éclié  son  succès. 
Dans  les  temps  qui  suiviicnl  sa  moil?  Tous  les  nombreux 
piesbylres  ipii  l'avaient  connu  |iersomiellement  en  Asie- 
Mineure  et  (jui  savaient  iiien  (pie  l'apOlre  n'avait  jamais  rien 
éciil  de  pareil,  auraient-ils  gardé  le  silence,  et  tout  veslij,^' 
de  leurs  réclamations  aurait-il  disparu?  Et  (jue  l'on  n'ait  pas 
recours  ici  à  l'explication  tirée  de  la  fraude  pieuse.  Nous 
1  (-viendrons,  en  terminant  ce  diapilie,  sur  cette  question. 
Mais,  (juoi  qu'il  en  soit,  la  fraude,  si  elle  eût  réellement  eu 
lieu,  n'eût  pu  être  le  fait  de  tous  ou  réussir  auprès  de  tous.  Il 
est  impossible  de  faire  de  tous  ces  Pères  du  deuxième  siècle, 
qui  ont  continué  l'œuvre  des  apôtres,  soutenu  l'assaut  violent 
du  îj^nosficisme  et  subi  le  martyre  pour  la  cause  de  Clirist, 
une  bande  de  fourbes  ou  un  tioupeau  de  dupes.  Su[)posons 
enlin  cet  évangile  pul)lié  plus  tard  encore,  à  l'époque  pro- 
posée par  l'école  de  Tubingue,  vers  le  milieu  du  deuxième 
siècle.  Le  succès  de  la  fraude  semble  devenir  plus  facile  : 
en  léalité,  il  serait  plus  incomj)réliensibIe  encore.  Il  ne  faut 
pas  nous  représenter  l'Eglise  comme  une  somme  d'individus 
isolés:  «Il  se  forme,  ainsi  (pie  le  lemarque  avec  justesse  le 
lliéolo'^nen  catholique  Mayer,  une  transmis.sion  des  généra- 
tions antéiieures  aux  générations  suivantes;  semblable  à  un 
vaste  cours  d'eau,  ce  fleuve  de  jeunes  gens,  d'hommes 
faits,  de  vieillards,  est  un  tout  non  interrompu,  au  sein  du- 
quel la  conscience  commune  des  faits  et  la  puissance  du 
souvenir  étalilissent  un  lien  spirituel  entre  toutes  les  par- 
ties qui  le  composent'.»  Il  est  bien  difficile  qu'un  élément 

1.  G.  K.  Mayer,  Die  Mchtheit  des  EvangellumsnachJoh.  Scbaffhausen, 
1854,  p.  1. 


CHAI'.  II.  —  i.'autiiknticitk.  47 

iiDiivciiii  lii.ssc  iiiii|ilinii  (linis  un  Irl  (»r^;iiiisnn'  .soii.<  v  pro- 
MKjiicr  (|ii<'|(|ii('  |(iirl  l'ojtposilion  cl  l;i  iV-Liclioii.  Ci.'dc  vérili' 
s';ippli((iM'  silirloul  ;'i  Triât  de  l'Kglise  \trs  U'  iiiilicn  du 
(IruxifMiic  sii'ch,'.  Klk-  ét;iit  alors  sur  ses  gardes.  Les  pnjduils 
lit'n''li(pi('s  ciiiiniicuraifiit  à  circule!'.  Les  leiilatives  des 
(liiosticpics  avaient  éveillé  la  vi^^nlance  des  églises  et  de 
Icuis  clicl's.  Le  Fra!.;!uent  de  iMuratori  eu  donne  une  j)reuve 
[>ar  la  netteté'  avec  laquelle  il  distini;ue  entre  les  livres  dé- 
cidément apostoliques,  seuls  admissibles  à  la  lecture  pu- 
lili(jue,  et  tous  les  autres,  soit  orthodoxes,  soit  hétérodoxes 
de  contenu,  mais  non  apostoliques,  qui  doivent  en  être  ex- 
clus. Le  principe  de  la  tradition  dominait  tellement  le  juge- 
ment individuel,  que  l'évèque  d'Antioche,  Sérapion,  ayant 
à  lutter  contie  une  secte  qui  en  appelait  à  «l'évangile  de 
Pierre»,  répondait  simplement  (Eusèbe,  Hist.  eccl.  VI,  12)  : 
«^^)ur  nous,  frères,  nous  recevons  Pierre  et  les  autres 
apnires,  comme  Chi'isl;  mais  (piant  aux  ouvrages  fausse- 
ment écrits  sous  leur  nom,  nous  les  rejetons  avec  connais- 
sance de  cause,  sachant  bien  que  de  tels  écrits  ne  nous  ont 
point  été  transmis.  >)  —  ISous  avons  reçu  (TcapsXa^cjxsv), 
voilà  le  canon  ecclésiastique  du  deuxième  siècle,  soit  pour 
ce  qui  tient  à  la  doctrine,  soit  en  ce  qui  concerne  les  hvres 
sacrés. 

Et  surtout  si,  comme  le  prétend  l'école  de  Baur,  le  qua- 
trième évangile  doit  avoir  eu  le  double  but  de  faire  péné- 
trei'  la  gnose  valentinienne  adoucie  dans  le  sein  de  l'P^glise, 
et  de  donner  raison,  dans  la  di.spute  de  la  Piupie,  à  l'obser- 
vance romaine  contre  le  rit  asiati(juc,  comment  arrive-t-il 
que,  dans  la  situation  où  se  trouvait  l'Eglise,  personne  ne 
se  soit  aj»ercu  de  l'introduction  de  cette  machine  de  guerre 
dans  la  forteresse  assiégée?  «Toutes  les  mesures  ont  été 
prises  par  l'auteur  du  (piatrième  évangile,  nous  dit  Zeller, 
pour  rendre  impossible  l'obsei'vance  des  églises  d'Asie-Mi- 


i^  INTROUrCTION. 

lu'ure'.i»  (In  ctiin["r»'ii(l  aisr'iiu'iil  ce  t\ur  veut  l'cculo  de  Tu- 
hingue  ou  parlant  ainsi.  Il  s'aj,Ml  pour  ollc  tl«^  prouver  que 
cet  évan^ilf  ne  pciil  Vfiiir  tir  Jean,  à  rcxciiiplc  (,'t  à  Taii- 
lorilé  (hupicl  en  appclaicnl  |tr(  risrmciit  les  (lélcnseuis  do 
d'Ile  obs<'rvaiHH'.  Mais  alors  ((irnuu'iit  se  fait-il  (jue  j)as  un 
de  ees  dérenscurs  du  rit  asiali(|ue  ne  pense  à  eonlestei"  l'au- 
tlirnlicili'  de  cet  t'cril ,  atlril>U(''  an  pcrsonnaije  sur  le(|nel 
ils  s'appuieni,  l'cril  jiaru  d'iiier  seulement,  et  qui  les  con- 
damne? Ouiii!  ee  sont  précisément  les  docteurs  d'Asie- 
Mineure,  Apidlinaire,  Iiénée,  Polyerale,  Ions  plus  ou  moins 
impliqués  dans  la  discussion  sur  la  IVi(|ue,  (jui  attestent  le 
plus  hautement  l'autorité  apostoli(|ue  et  joliaïuiique  du  (jua- 
trième  évan},nle  et  de  la  plume  descjueis  nous  recueillons 
les  témoipnaj^es  les  plus  éclatants  en  sa  faveur!  En  vérité, 
l'aveufrlement  des  Troyens  introduisant  de  leurs  projti'es 
mains  le  (cheval  de  bois  dans  leurs  murailles,  n'est  rien  en 
comparaison  de  celui  de  ces  bons  Pères.  Mais  connncnt  ar- 
rive-t-il  surtout  qu'un  livre  qui  s'appropjie  tous  les  termes 
du  gnosticisme  valentinien  abhorré  par  l'Eglise,  trouve 
accès  et  fasse  son  chemin  dans  cette  même  Eglise,  sans  y 
rencontrer  aucune  détianc*',  sans  y  soulever  la  moindre 
opposition?  Il  plut  généralement,  nous  dit  et  nous  répète 
plusieuis  fois  Volkmar.  Et  il  croit  avoir  résolu  le  pro- 
blème! Encore  s'il  y  eût  eu  dans  l'Eglise  à  cette  époque 
une  autorité  unique  et  centrale,  on  pourrait  supposer  que 
l'unanimité  qui  se  manifeste  provient  d'un  décret  souverain 
émané  de  (  e  jiouvoir  et  obtenu  par  rinij)OSteur.  Mais  nous 
voyons,  par  les  écrits  des  Pères  et  par  le  fragment  de  Mura- 
tori,  que  cha(jue  église  jouissait  d'une  parfaite  autonomie 
dans  la  tixation  <le  son  canon  paitieulier  et  dans  la  déter- 
mination (\ts  livres  dont  elle  se  servait  dans  son  culte.  Le 


I .  Article  riié .  p.  039. 


CHAI'.   II.   —  I.'.MTIlKNTir.lTK.  40 

surcès  (111110  jiiireillc  Irautlc;,  toujours  cloiiuant  lorsqu'il 
s'ajfjt  d'un  livre  de  celle  iniporlaiice,  devienl  en  de  telles 
circouslaiiccs  une  complète  impossibilité  lustoriquc. 

Ou  a  fait  nue  comparaison*  qui  nous  paraît  frappanle,  et 
ipir  nous  nous  approprierons  en  la  développant  un  peu. 
Sujtposez  (ju'un  deiiii-.siècle  après  la  mort  de  Luther  on  eût 
essayé  d'introdiiin'  dans  les  églises  luthériennes  une  nou- 
velle formule  de  la  Confession  d'Augsbourg,  différant  con- 
sidé-rablenienl  de  celle  qui  avait  été  admise  jusqu'alors, 
rciiiphe  d'('\j)ressions  inusitées  dans  l'enseignement  reU- 
gieux  de  ces  éghses  et  même  de  notions  empruntées  aux 
écrits  de  Scrvet  ou  de  Socin.  Cette  introduction  eût-elle  pu 
s'opérer  tacitement,  sans  secousse,  sans  qu'une  seule  voix 
s'élevât  pom"  demander  :  D'où  provient  ce  document,  dont 
ni  nous,  ni  nos  pères  n'avons  entendu  parler?  L'inlroduc- 
linii  frauduleuse  du  quatrième  évangile  eût  dû  soulever  de 
liieii  plus  grandes  réclamations  encore.  Comment  se  fût-elle 
npé-rée  dans  le  silence  le  plus  profond,  d'un  bout  à  l'autre 
de  lEghse!  C'est  l'impossibilité  même. 

Mais  le  consentement  des  hérétiques  est  un  fait  plus 
étonnant  encore,  s'il  est  possible,  que  celui  de  l'Église  elle- 
même;  et  ce  fait  nous  pousse  à  des  conclusions  plus  pré- 
cises sur  l'époque  de  la  publication  du  quatrième  évangile 
et  de  son  admission  dans  les  canons  des  éghses. 

Judaïsants  et  Antinomiens,  Gnosliques  et  Mystiques, 
toutes  ces  sectes  qui  sont,  deux  à  deux,  l'antipode  l'une  de 
l'autre,  s'unissent,  comme  pai"  un  contrat  tacite,  pour  em- 
ployei-  l'évangile  de  Jean  et  pour  lui  accorder  créance. 
Maicion,  il  est  vrai,  récuse  son  autorité,  mais  après  l'avoir 
admise  et  sans  nier  l'authenticité  de  l'écrit.  On  cite  les  pa- 
roles, même  les  plus  insignihantes  en    apparence,  de  ce 

1.  Lechler.  Sludien  laul  Kritiken,  1856,  p.  870. 

I.  4 


50  INTRODUCTION. 

liviT,  roiiiiiir  «lis  eipT,[X£va.  Ce  soiil  Aos  orac^lcs  dont  la  \ô- 
ril»'  nVst  j»as  disciilalilc.  IMnl('>l  (jur  (riyiiui't'i-  ou  do  coin- 
hallic  ccl  t'ciil .  nit'iiic  Idiscjn'il  est  dimnélraletnetil  opposé 
aux  idtM's  i|ii('  1(111  \t'iil  n''|iaiidi  r',  ow  fail  violence  aux 
textes  pour  essayer  d'y  rallaelier  les  eoneejitions  ({iii  jurciil 
le  plus  av(îc  les  siennes.  Ce  proct'dé  (]ue  nous  retrouvons  au 
second  siècle  chez  les  sectes  les  plus  diverses,  ne  prouve-l- 
il  pas,  mieux  eneoif  (pif  le  eoiisentemenf  de  l'Eglise,  l'aii- 
loiité  doiil  jouissait  d(''s  longleinps  notre  (''vangile,  et  com- 
bien il  était  déjà  universcîllemenl  accrédité  h  l'époque  où 
ces  sectes  se  sont  successivement  détachées  du  tronc  qui 
les  avait  portées?  Snpposez  (pic  cet  (Miii  (Vit  le  jtrodiiit  de 
l'une  d'entre  elles,  après  sa  séparation  d'avec  l'Eglise:  les 
autres  sectes  et  l'Eglise  elle-même  reussenl-elles  acceftt(' 
de  pareilles  mains?  Se  fussent-elles  donné  la  peine  de  l'in- 
terpirtei'  et  de  le  tordre  à  leur  (iK^on?  Nous  sommes  doue. 
forcés  d'admettre  non-seulement  (pie  ce  livre  existait,  mais 
«pi'il  était  reçu  comme  sacré  et  a])ostolique  au  moment  où 
les  sectes  ont  rompu  avec  l'Eglise,  qu'elles  l'ont  toutes  em- 
porté avec  elles  en  quittant  la  maison  paternelle,  qu'il  faisait 
[»ar  conS('quenl  [larlie  du  patiiiiioiiie  commun,  aiilf-ricure- 
ment  à  leur  sé[)ai'atiori. 

Cette  considé'ration  liisloiiipie  nous  fait  remonler  tiès- 
haut,  jusfpi'au  connnencemenl  i\u  deuxième  siècle.  Car  il 
fallait  liien  une  (Hi  deux  dizaines  d'années  pour  qu'un  livn; 
pareil  se  répandît  et  parvhil  à  établir  son  autorité.  Or  Basi- 
lide,  le  premier  gnosti(jue  dans  l'école  duquel  nous  consta- 
tons .';on  usage,  enseignait  vers  l'an  120  de  notre  ère.  Nous 
sommes  ain.si  conduits  jnsqu'aux  temps  de  la  moit  d(.'  Jean. 


I.  Voir  pins  haut  Volkraar,  sur  le  rapport  de  Jean  et  des  Ch'mentines. 


C.ÏWV.  11.  —  I  'ai'thknticité.  51 

m. 

Nature  de  lu  vrtde  preuve. 

Nous  croyons  avoir  atleint  le  Lut  auquel  peut  paivcuir  lu 
critique  au  moyen  des  témoignages  exiérieuj's.  Nous  avons 
dëmonlré  que  la  conviction  rie  l'origine  johanniqiie  du  qua- 
trième évangile  repose  sur  des  faits  au  moins  aussi  nom- 
breux et  aussi  certains  que  ceux  en  l'aison  desquels  nous 
admettons  rauthenlicité  de  la  filupart  des  ouvrages  de  l'an- 
tiquité classique.  Il  nous  paraît  que  la  critique  externe, 
comme  on  l'appelle,  ne  peut  faire  davantage.  Attendre  d'elle 
une  preuve  réellement  irréfragable  de  l'authenticité  d'un 
écrit  quelconque,  c'est  lui  demander  l'impossible.  Après 
l<tut,  l'intelligence  bumainc  jtient  toujours  en  réserve,  au 
service  de  la  volonté,  la  supposition  de  possibilités  inouïes, 
au  moyen  desquelles  on  [leut  échapper  aux  conséquences 
les  plus  légitimes  des  fails  les  mieux  constatés.  Et  l'on  sait 
assez  que  plus  le  domaine,  où  se  ment  une  discussion,  tient 
de  près  aux  intérêts  religieux  et  moraux,  plus  l'intelligence 
y  joue  le  rôle  de  simple  ouvrière  au  service  de  la  volonté, 
et  plus  les  sympathies  et  les  antipatliies  personnelles  exer- 
cent une  influence  décisive  sur  les  conclusions  auxquelles 
conduit  l'investigation  historique.  La  science  amasse  les 
faits  et  les  dépose  dans  les  deux  plateaux  de  la  balance. 
Mais  à  chaque  fois  survient  la  volonté  du  critique,  qui  en 
taxe  le  poids.  La  méthode  de  l'école  de  Tubingue ,  dans 
l'appréciation  des  faits  relatifs  à  l'emploi  et  à  l'autorité  du 
quatrième  évangile  dans  le  cours  du  deuxième  siècle,  en 
offre  un  exemple  bien  happant.  'El  comment  pouriait-il  en 
être  autrement?  Là  où  la  réjujgnance  pour  le  surnaturel  est 
devenue  une  conviction  aiiètée  que  le  surnaturel  n'existe 


ir2  iMnoincTid.N. 

pas.  qu'il  III'  pt'iil,  tjiril  ne  doii  |iw.s  (>\isl*'r,  on  est  bien 
olilijj)'  (le  (li'cliiror  l;i  ;,nii'iic  ;"i  riiisluin;  ('van^n'lique,  aux 
t'crils  (|iii  la  rcnrcriiiciil  el  aux  It'iiioigiiaj^i't;  <|iii  (toinrairiil 
pruiivcr  raiilliciilirili'!  de  ces  livres.  Ce  ii'esl  )ia.s  iiiir  iiik-ii- 
linii  (»r<''iii('!<lih''e .  l'csl  une  iiéeessih',  d'elle  pailial.  luul 
siiii|ileiiiciil  parrr  ipic  sur  le  pijiiil  eapilal  il  y  a  parli  pris. 
I.a  pn'leiilioii  l'i  riiiiparlialili*  seieiitiliipir.  en  di-  Irllcs  euii- 
dilioiis.  iir  Mil  rilt'  (pie  le  iiuiii  de  churlaUuiisnie. 

J'irai  iiiriiic  plu.--  K)in.  S'il  est  vrai  ipie,  euninir  le  dil  l'E- 
•  rilure,  nous  devions  rire  jiigf's  sui-  le  l'ail  de  noire  loi  ou 
de  noire  iiurédulilé,  il  lésulte  de  là  (jur  la  loi  ne  peut,  lie 
doil  pas  rire  le  résultai  d'une  dénionstiation  liistoriquc,  el 
ipii'  rélénient  iiKirul  doit  jouer  un  rôle,  et  niènie  un  rôle 
prépondérant,  dans  les  eonvietions  relijji^ieu.ses.  11  n'en  esl 
j)u>  ici  niinine  de  la  croyance  à  raiitlienticité  des  poënies 
d'Iluiin'-r»'  ou  d'un  tliald^^iic  (k- Plaloii.  Il  s'a;j;il  d'une  eonvic- 
linii  qui  entraîne  le  don  de  la  vie  entière.  Dans  la  formation 
de  cette  eonviclion  doit  intervenir  l'Iioinine  tout  entier.  Car 
elle  exercera  nécessaiiement  une  influence  tiès-jHofonde 
>ur  tout  son  d(''veloppcnieiil  et  sur  son  élat  final.  Les  critères 
liadilionnels  n'ont  ici  (jue  la  seconde  place.  Ils  lesseniblenl 
à  cru  certilicals  de  nurur.s  que  vous  piésente  un  ètianger 
qui  vous  diMiiande  votie  conliance.  (Jn  rej^ard  sur  sa  liyure, 
parl^int  de  vous-inènie  et  s'adiessant  à  liii-niènie,  vous  en 
dil  [dus  sur  sa  personne,  que  ce  papier.  Et,  si  ce  regard 
vous  donne  à  contempler  une  nohle  el  loyale  pliysionomie, 
vous  èles  plus  sûr  de  ce  que  vous  laites  en  vous  livrant 
personnellement  à  lui  que  vous  ne  l'eussiez  élé  par  toute 
aiilre  rnétliode.  C'est  une  impression  analogue  qui  l'onde  la 
loi  en  général,  et  particulièrement  la  loi  à  l'autlienlicité  el 
à  la  véracité  d'un  f'crit  tel  (pje  celui  de  Jean.  «  Viens  d  vois^i» 
disait  F^hilippe  à  Nathanaël.  Cette  courte  et  sublime  apolo- 
gétiipie,  inspirée  à  ce  disciple  pai-  la   vue  du  Maître,  esl 


(MAI'.   II.  —  I.'.MTIIKM  ICITl  .  5"^ 

aussi  la  sciilo  (|iii  alKiiilissc  cl  (jui  porlc  di-iidi-iiicrit  «uiip, 
quainl  il  s'a««if  Ao  l'œuvre  «Je  ses  apôlres. 

Deux  (|iicsli(tiis  se  posent  «loue  ici.  La  première  :L'auteiif 
«lu  qualiiènic  i''vaniiile  veut-il  se  donuer  [)our  le  «liseipliî 
hien-ainu''  dv  J«}sus?  La  secou«lc:En  étudiaiit  de  plus  piès 
son  livre,  plouj^-eons-nous  le  regard  dans  l'azur  d'une  inno- 
cence «'I  iriiiK'  sijici'rité  (•t'Iesles,  on  renconlroiis-iiuus  le 
froiti  brouillard  de  l'imposture  et  du  calcul?  L'esprit  du  livic 
est-il  saint  ou  impur?  Ton!  est  hi;  tout  doit  î'Ire  là.  Car,  puis- 
«pj'il  s'agit  d'une  «[uestion  dont  les  conséquences  pour  la  vie 
religieuse  et  morale  sont  incalculables,  la  décision  doil  (!<'- 
pendre  (riiii  crilère  moral  et  être  elle-même  mi  acte  moral. 

Baur  a  reconnu  que  l'évangélisfe  avait  combiné  son  récit 
de  mam'ère  à  conduire  ses  lecteurs  à  la  conviction  qu'il 
était  l«'  même  homme  que  l'auteur  de  TApocalj'pse,  c'esl-à- 
dii'e  que  l'apéiiie  Jean.  Il  a  résolu  par  là  la  première  ques- 
tion. Devant  nous  se  pose  la  seconde  :  Le  récit  du  qua- 
triènu'  «'vangile  porte-t-il  le  caractère  de  la  droiture  et  de 
la  sinqilicilé'  ou  eelui  d'un  raffinement  de  fraude?  Le  visage 
«pie  je  conlenqile  en  évoquant  au  dedans  de  moi  la  figure 
de  son  auteur,  est-il  celui  d'un  saint  ou  celui  d'un  fourbe? 
La  solution  de  cette  question  ne  sera  jamais  all'aire  de  lo- 
gique; elle  résultera  toujouis  de  l'impression  immédiate.  Et 
comme  la  foi  du  simple  chrétien  repose  au  fond  sur  un  cri- 
lère moral,  celle  du  théologien  ne  trouvera  jamais  dans  la 
s«-ience  de  fondement  plus  solide.  Tout  ce  que  la  science 
pourra  faire  de  plus  ici,  ce  sera  de  dissiper  les  nuages 
qu'elle  avait  elle-même  amassés. 

Celte  preuve  morale  joint  à  l'avantage  d'être  de  même 
nature  rpie  la  foi,  celui  d'être  inéj)uisable  comme  elle.  Elle 
n'est  point  formulée  une  foisjtour  toutes  par  un  syllogisme; 
elle  ne  s'épuise  dans  aucune  argimientation;  mais  elle  peut 
gagner  incessamment  jionr  le  croyant  eji  clarté',  en  vivacité. 


ji  inthodii(;ti()>. 

l'u  aboiidiiiii'o.  ComiiH'  rliiiquc  iiiainfostutioii  nouvelle  de  la 
|Miissani-(>  l'I  de  l'amour  du  Christ  /'lr\ait  à  uii  plus  haut 
degré  dr  elarté  et  d'inteiisih';  lu  loi  des  disciples,  aiusi 
rliaquc  lecture,  chaque  élude  nouvelle  d'un  livre  tel  que  le 
quatrième  évangile,  en  faisant  pénétrer  jdus  prdfoniit'inenl 
dans  le  cœur  la  sainteté  de  son  contenu,  aHennit  la  conviction 
de  son  authenticité,  et  rend  plus  éclatante  celle  démonstra- 
tion interne  et  inunédiate  de  la  pureté  de  son  origine. 

Nous  savons  ipie  l'un  a  essayé  d'allaihiir  lu  valeur  de 
celle  preuve  en  soutenant  que  la  fraude  pieuse  était  jugée 
moins  sévèrement  alors  qu'elle  ne  le  sérail  aujourd'hui', 
ell  existait  sans /loule  dans  l'antiquité,  <omme  le  fait  re- 
marcpier  Néander  avec  une  parfaite  justesse  %  un  point  de 
vue  exclusivement  spéculatif,  en  vertu  duquel  on  se  faisait 
des  idées  assez  lâches  du  devoir  de  la  véracité.  C'était  le 
principe  de  l'ésotérisme  philosophicpie  qui,  envisageant  le 
peuple  comme  inhahile  à  recevoir  la  véi-ité  religieuse  dans 
sa  pureté,  admet tail  le  mensonge  comme  moyen  de  la 
mettre  à  sa  (torlée.  Nous  trouvons  déjà  ce  principe  chez 
Platon;  il  avait  passé  de  là  chez  les  juifs  alexandrins,  puis 
chez  les  Gnusliipios  et  même  chez  quehpies  docteurs  chré- 
tiens d'Alexandrie.  .M;n>  c'est  précisément  cel  aristocralismf; 


! .  Voir  l'étonnante  désinvolture  avec  laquelle  cette  question  est  traitée 
par  M.  A.  Réville ,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  ,  \  "  mai  1 8G3 ,  p.  1 1 2  : 
•  l^n  écrivain  de  ce  temps-là,  désireux  ....  de  propager  ou  de  défendre 
ses  idées  favorites ,  inscrivait,  sans  le  moindre  scrupule) .  le  nom  d'un 
auteur  faisant  autorité  en  tète  de  sa  propre  composition  ...  Le  sentiment 

de  la  propriété  littéraire  était  à  peu  près  inconnu »  etc.  M.  Renan 

s'exprime  avec  plus  de  prudence  et  de  réserve  sur  le  même  sujet  : 
«Quoique  les  idées  du  temps  en  fait  de  bonne  foi  littéraire  dilTérassent 
essentiellement  des  nôtres,  on  n'a  pas  d'eiemple  dans  le  monde  aposto- 
lique d'un  faux  de  ce  genre.  »  Vte  de  Jésus,  p.  xxvii. 

2.  Geschichte  der  PJlanzung  der  christl.  Ktrche ,  3*  éd.  t.  Il,  p.  493, 
traduction  libre. 


cnM'.  11.  —  l'aiitiikntu:itk.  55 

iiilellrctucl  (Ir  rimliquité  qu'a  rciivciiié  If  clinstiuiii.sine;  ai 
un  sain  d  (nalique  esprit  chrétien  a  toujours  et  dès  le  eoui- 
iiieuceuKîut  repoussé  celte  luaiu'èic^  <le  voii-,  comme  nous  le 
viivons  par  les  exemjUes  d'uu  Justin  Martyi",  d'un  Irénée, 
d'iui  Terlullicn. .)  Pouvait-il  en  être  autrement  dans  l'Eylise 
(le  celui  (pii  avait  dit  ;  i(  Que  voire  oui  soit  oui,  et  votre  non, 
non!»  —  Tliierscli'  a  cité  un  lait,  japportc  par  Tertullien 
{Ih;  baptismo,  c.  15  —  trad.  de  M.  de  Genoude,  c.  17),  qui 
sullil  j)nur  iidiitci'  tout  ce  (juc  l'on  a  imprudemment  avancé 
>nr  le  sentiment  de  la  priujitive  Eglise  à  cet  égard.  Un 
presbytre  d'Asie-Mineure  s'était  permis,  dans  son  admira- 
tion pour  Paul,  d'écrire  et  de  faire  circuler  un  ouvrage 
sous  le  nom  de  cet  apôtre;  convaincu  d'imposture,  il  avoua 
sa  faute  et  dut  renoncer  à  sa  charge.  Ce  fait  prouve  sans 
doute  que  la  pseudépigrapliie  n'était  pas  sans  exemple, 
([u'elle  pouvait  être  l'affaire  de  certains  individus;  mais  il 
démontre  d'une  manière  non  moins  évidente  que  l'Eglise, 
dans  son  ensemble  et  dans  ses  chefs,  n'a  jamais  envisagé 
<  e  procédé  comme  innocent.  Les  bonnes  intentions  du 
prêtre  dont  il  s'agit  ne  le  mirent  point  à  l'abri  d'un  juge- 
ment et  d'une  destitution  ecclésiastiques.  Si  donc,  pour  nier 
l'authenlicité  du  quatrième  évangile  et  pour  expliquer  son 
introduction  frauduleuse  dans  le  canon  de  toutes  les  éghses 
(lu  deuxième  siècle,  il  faut,  comme  nous  l'avons  vu,  ad- 
mettre d'un  côté  une  imposture  réfléchie  et  calculée  de  la 
part  de  l'auteur;  de  l'autre,  une  complicité  active  ou  tacite 
de  la  part  d'une  grande  partie  des  chefs  de  l'Eglise  contem- 
jioraine,  —  nous  avons  le  droit  d'aflirmer  qu'une  pai'eille 
accusation  tombe  aussi  bien  devant  le  sens  moral  de  ceux  à 
qui  l'on  impute  ce  fait,  que  devant  la  sainteté  du  livre  dont 
on  flétrit  ainsi  l'orii^nne  et  la  tendance. 

1.  Versucà  zur  Herstellung  des  hist.  Standpitncts,  p.  338. 


50  INTRODlCTKt.N. 

niAPiTRE  m. 

L'apôtre  saint  Jean. 

Cotte  étude  sur  la  personne  de  saint  Jean  comprendra  : 
1"  luie  es«piiss(»  liioi^MMpliiijiie;  2''  mit'  appivM-iatioii  du  ea- 
rarlèrc  et  des  apliliidcs  parlicnlirres  de  ccl  afiôtrc;  8"  un 
exposé  de  son  rôle  dans  la  },M-ande  œuvre  apustoli(|iii'. 

I. 

Vir  de  sai)H  Jcrni. 

Dans  tonte  vie  d'li<jnnne  plus  ou  moins  eomplèle ,  on 
distingue  doux  p<''riodes  :  celle  où  il  est  sm'toul  appelé  à 
recevoii"  etx;elle  où  il  est  plutôt  employé  à  donnei'.  La  pre- 
mière dura  pour  saint  Jean  jusqu'à  la  Pentecôte;  ce  fut  pour 
lui  le  temps  de  la  croissance.  La  seconde  comprend  loul  le 
reste  de  sa  vie  terrestre;  ce  fut  la  saison  des  fruits. 

Nos  renseifjMiements  sur  la  première  se  puisent  dans  les 
évangiles;  nous  devons  ce  que  nous  connaissons  de  la  se- 
conde aux  Actes  des  apôtres,  à  l'épître  aux  Galates  et  à  la 
liadih'on  ecclésiasticpie,  sans  parlci'  des  érrils  de  Jean  lui- 
même.' 

I.  Selon  nos  «'varigilcs,  Jean  élail  Galih'en,  lils  du  pécheur 
Zébédée*.  fi  npparleri.iit  ;'i  cette  [iopiil;ilioii  dont  l'Iiistorien 


1.  Je  ne  renonce  pas  a  user,  dans  celle  <  Inde,  des  données  renfermées 
dans  les  écrits  qui  portent  le  nom  de  saint  Jean ,  bien  que  cet  emploi 
puisse  être  taxé  de  pétition  de  principes;  car  l'harmonie  de  ces  données 
avec  les  matériaux  fournis  par  les  autres  docunienls,  est  un  fait  quia 
aussi  sa  valeur,  et  qu'il  importe  de  constater. 

2.  Mallh.  IV.  21.  .Marc  I,  20.  Luc  V,  10. 


CHAI'.   111.  L.M'OTHK  SAI.NT  JKAN.  0/ 

J(t.<t'j»li('  (iiil  coiiiKiîfrc  le  raruclèiT  vif,  liihuiicux,  iii(l(''|prii- 
danl,  iM'Iliijiieux  même.  Lî>  distance  des  liVdx  diinimiitit 
coiisidéraLdeiiit'iil  l;i  litnr- dr  l;i  pression  i-xercéc  pai*  les  aii- 
toril«'s  rclij^ieiiscs  de  l:i  nation  sii-j^canl  à  Ji'i'nsalem.  Pins 
i},moranls  ([ne  les  habitants  de  la  Jndi'e,  les  Galiléens  étaient 
en  retonr  jdns  lihres  de  préjnf^és,  plus  ouverts  à  la  vérité 
vraie,  celle  (|ni  jaillit  diieftfint'nl  des  pi'ofondeurs  du  eœin' 
et  de  la  conscience,  et  qui  est  si  souvent  en  conflit  avec  la 
lettre.  C'était  donc  bien  là  que  Jésus  pouvait  trouver  la  ré- 
ceptivil)'  la  jtius  IVanclie  cl  la  plus  j^énéreuse.  Aussi  paraît-il 
que  tous  ses  apôtres,  à  l'exception  de  Judas  Iscariot,  furent 
(Jaliléens;  et  l'on  ne  s'étonne  point  que  ce  soit  cette  contrée 
i\i'  la  Teii"e-Sainte  (pi'il  ail  clioisie  pour  y  jeter  les  prenn'ers 
lundements  de  s(jn  œuvi'c. 

Jean  habitait  sur  les  bords  du  lac  de  Génézareth.  Mais 
demeurait-il  à  Capernaûm  ou  à  Bethsaïda?  La  réponse  n'est 
[)as  ceilaine.  Capernaûm  était  une  ijrande  ville,  .située  sur 
le  bord  occidental  du  lac,  vers  son  extri'mité  septentrionale, 
suivant  les  uns,  sur  l'emplacement  où  se  trouvent  actuelle- 
ment les  ruines  appelées  Tell -Hum,  à  peu  de  distance  de 
l'endioucbuie  ilu  Jourdain;  suivant  d'autres,  plus  au  sud, 
dans  la  plaine  riante  de  Gi'nézareth'.  Bethsaïda,  dont  le  nom 
siij^nitie  endroit  de  pèche,  ('tait  une  ville  (Jean  I,  4-5)  à  peu  de 
distance  de  Capernaûm*.  La  situation  de  cette  bourgade  est 
également  inconnue.  Dans  la  première  opinion,  il  faut  la 
(bercher  au  sud  de  Capei'uaum,  soit  au  nord,  suit  au  suil  du 
promonloiie  (jui  sépare  les  ruines  de  Tell-Ilum  de  la  plaine 
de  Génézareth \  Dans  la  seconde,  on  pourrait  supposer  que 
Uetlisaïda  était  située  aussi  dans  cette  plaine  et  formait  comme 

1.  C'est  l'opinion  à  laquelle  paraîtrait  incliner  M.  Renan ,  Vie  de  Jésus, 
p.  141  et  142. 

2.  Cooip.  Marc  IV,  43  avec  Jean  VI.  17.  24.  Voy.  aussi  .Matth.  .\1,  20-23. 

3.  Voir  F.  Bovet ,  Voyage  en  Terre-Sainte,  T""  éd.  p.  409  et  410. 


5S  l^TROI)lI(;ïlo^. 

Ir  |)(trt  (If  C;i|)('rii;niiii.  —  D'après  Jean  1,  45,  Bcllisaïda  était 
hi  ville  d'André d  dr  Picirr,  ('xpiossioii  qui  (h'siijne  pvideni- 
iiMMil,  ti(»M  If  lifii  (If  leur  ori};iiif ',  mais  celiii  i\i'  leur  domi- 
cilf.  Or,  coinnif  il  ressort  de  Luc  V,  ".),(pi'ils  étaieiil  associés 
avec  Jean  et  Jac(pies,  son  Irère,  pour  le  coniuierce  de  la 
pfclie,  ou  pourrait  iulërer  de  là  (pie  Jean  demeuiait  aussi  à 
Hellisaïda. 

Le  rt'cil  de  la  «iiuérison  de  la  belle-mère  de  saint  Pierre 
(Marc  1,  21.  29;  Luc  IV,  31.  38)  semble,  il  est  vrai,  ftno- 
riser  l'opinion  contraire.  Comme  c'est  en  sortant  de  la  syna- 
^•^ogue  de  Capernaûm  (jiif  Jf'sus  accompbt  ce  miracle,  il  y 
aui'oit  Lieu  de  penser  que  Pierre  demeurait  dans  cette  ville. 
Mais  tout  s'explicpie,  si  l'on  admet  que  le  bourg  de  Betli- 
saïda  n'avait  pas  de  synagogue  parliculière  et  (pie  ses  babi- 
tants  fréquentaient  celle  de  Capernaûm. 

L'industrie  de  la  pècbe  donnait  lieu,  à  cette  époque,  à  un 
commerce  assez  étendu  dans  celte  conirée*.  Comme  la  mer 
Morte,  dont  Jérusalem  est  voisine,  n'est  poissonneuse  que 
vers  l'emboucbure  du  Jourdain,  cette  capitale  s'approvision- 
nait sans  doute  en  Galilée.  Cette  circonstance  expliquerait 
d'une  manière  assez  naturelle  la  relation  qui,  (J'après  J(3an 
XVIIl,  20,  existait  entre  la  maison  du  souverain  sacrilicateur 
et  le  disciple  sous  l'anonyme  duquel  nous  soup(;onnons  Jean 
lui-même.  Bleek  penclie  à  trouver  dans  ce  passage  l'indi- 
cation d'une  relation  de  parenté  entre  les  deux  familles.  Le 
temie  dont  se  sert  l'évangélisto  (yvoffToV,  connu)  nr.  paraît 
pas  rcnfeiiner  cette  idée.' 

Ce  commerce  lucratif  doit  avoir  piocuit';  à  la  famille  de 
Jean  un  certain  bien-être.  D'après  Marc  I,  20,  son  père 
avait  des  journaliers  à  son  service.  Nous  apprenons  par 


1.  Comme  le  pense  M.  Heiian  ,  V/e  de  Jésus,  p.  149  et  150. 

2.  Voir  LUcke,  introd.  p.  9. 

3.  Jean  eût  plul()t  exprimé  celte  notion  par  cuyyvir^. 


CHAI'.   III.  —  l.'.\l'('»TI!K  S.M.NT  .JK.\N.  50 

Muttli.  XXVII,  .V)  (cuiHj).  avec  Luc  Mil,  3)  que  lu  uiùn.'  do 
.li'jui  éliiil  (lu  uoiiihre  des  l'iMiinics  qui  entretenaient  Jésus, 
cl  iivcc  lui  mhiiiifuiciii  les  Douze,  de  leurs  biens.  Enlin, 
upic's  (jiic  Jcsus  oui  coiilit'  sa  iiicrc  à  Jean,  «ce  discijile,  est- 
il  dit,  la  reçut  dans  sa  maison  (Jean  XIX,  27  :  dç  -à.  ihioi).  » 
Toutes  ces  circonstances  font  supposej-  que  celle  laniillc 
jduissail  d'une  cerlaiiie  aisance. 

En  comparant  deux  passades  où  sont  mentionnées  les 
femmes  qui  se  tenaient  au  pied  de  la  croix  (Matth.  XXVIl, 
50;  Marc  XV,  40),  on  voit  que  la  mère  de  Jean  et  de  Jac- 
ques se  nommait  Salomé.  L'élan  avec  lequel  cette  femme 
se  consacra  au  service  de  Jésus  et  le  suivit  dans  ses  péré- 
ijrinati(.ins  est  la  preuve  du  vif  sentinieul  religieux  qui  domi- 
nait son  ànie.  La  demande  hardie  qu'elle  adressa  un  jour  à 
Jésus  en  faveur  de  ses  deux  fils  (Matth.  XX,  20),  révèle 
une  imag^ination  ardente,  un  cœur  enthousiaste  et  imbu  des 
espéiances  messianiques  les  plus  brillantes.  Ce  trait  pi'ouve 
aussj  l'inlluence  (jue  cette  mère  exerçait  sur  ses  deux  fils. 
Zélée  Israélite,  elle  avait  sans  doute  travaillé  à  exalter  chez 
eux  le  patriotisme  théocratique.  Aussi,  dès  que  Jean -Bap- 
tiste parut,  accoururent-ils  auprès  de  lui  et  s'attachèrent-ils 
à  lui  c()mme  ses  disciples  (Jean  I). 

Existait-il  une  relation  de  parenté  entre  la  mère  de  Jean 
•  1  l;i  faiiiillc  de  Jésus?  D'après  les  uns,  Salomé  était  fille  de 
J(tsej)li,  d'iiii  premier  mariage'.  Selon  d'autres,  elle  aurait 
fiièinc  <''t<'  .sa  pi-emière  femme,  et  elle  aurait  eu  de  lui  deux 
tilles*.  D'autres  rapports  apocryphes  font  de  Salomé  la  nièce 
du  prêtre  Zacharie,  père  de  Jean-Baptiste.  Il  est  impossible 
d'attacher  la  moindre  valeui'  à  des  données  si  tardives.  Mais 
on  ne  peut  refuseï'  une  giamle  vraisemblance  à  la  combi- 


1.  Epipliaiie,  Uœr.  LXXVllI,  8. 

2.  Nicéphore,  WsL  ecc/.  II,  3. 


fiO  INTRODUCTION. 

riîjison  jkm  l;i(jii('llt'  Wifsclcr'  ;i  t'ssfiyi'  de  jtrouvoi'  (|u«'  Sjt- 
lonir  )'*l;jil  l;i  sd'iii'  de  Marie,  tiièrc  di^  .Ii'siis;  d'où  il  rnsul- 
loniil  ((iH'  .Icaii  aiirail  ('h'  le  ((Uisiii  •germain  du  Soif^neiir. 

Nous  exaiiiiricions  («Mlo  liypollirsc  en  ('liidiniit  le  passa{,'(; 
.Iran  XIX.  25,  sur'  lequel  elle  est  loud/'e.  Nous  dirons  ee- 
[MMidaiil.  dès  niaiiilenaul,  (|ue  riiilei-|)r('>lalinu  (|ui  a  eoiiduil 
Wieseler  à  ce  n-sullal  ne  i('|Mind  [tas  à  nnlri-  srniinieni  exi'- 
irélique. 

Jean  a[i|iai-|enail .  en  Ions  cas,  par  l'iMliiealion  (juil  avait 
reçue,  à  celle  (dile  de  la  nation  ipie  saint  Lue  appelle  v~ccvx 
qui  ntlcndaicnt  In  conaolniion  d' Israël.  y>  Il  demeura  avec 
d'antres  jeunes  i^cns  de  sa  proxinec  ;inprès  île  .lean-Bap- 
lisle,  jusipi'au  nionienl  où  J(''sns  parut  et  l'ut  désigné  comme 
le  Messie  jiar  son  (»r(''curseur.  Jean  passa  alors  do  l'école  de 
Jean-Baplisto  à  celle  de  Jésus,  avec  la  mémo  facilité  avec 
larpioile  il^avait  passé  des  bras  de  Salome  aux  pieds  de  Jean- 
IJapfiste  (Jean  I,  85.  37).  Nulle  commotion  intérieure,  nul 
cataclysme  moral  ne  sipfnala  cette  transition.  La  conversion 
de  Jean  s'accomplit  sous  la  forme  d'un  di'veldppement  calnn; 
et  gnidnel.  D(mix  facteurs  concoururenl  à  l'opérer.  L'un  fut 
cet  attrait  intérieur  (jue  saint  Jean  a  appelé  lui-même  ïat- 
Irnit  et  aussi  Vcnseiguemenl  du  Père.  Il  s'exerça  sur  son 
àme  pai"  les  trois  agents  successifs  que  nous  venons  de  men- 
tionner: sa  mère,  le  Précurseur  et  Jésus.  Ce  fut  là  le  fac- 
teur divin.  L'autre,  le  factein-  humain,  fut  la  docilité  con- 
stante de  ce  jemie  co'ur  à  la  vérité,  sous  la  forme  où  elle 
se  présentait  à  lui  dans  cliaque  cas,  l'ouverture  de  son  àme 
à  la  lumièie  qui  frappait  son  regard.  C'est  ici  cet  assenti- 
ment lilire  et  joyeux  à  tout  ce  qui  est  vrai  et  bon,  qu'il  a 

1.  Stud.  u.  Krit.  1840,  S"  cahier.  Wieseler  trouve  dans  l'énuraération 
U'in  XXI,  25  quatre  femrae.s  et  non  pas  trois  (selon  l'explication  ordi- 
naire); et,  rapprochant  ce  passage  ainsi  compris  de  Mattli.  XXVII,  ôC  et 
Marc  XV  ,  40,  il  arrive  au  résultat  indiqué. 


CIIAP.   III.  {.■.M'ÔTHK  SAINT  JKAN.  Cl 

(•ai;ii-t»''ris(''  liii-iiK-iiir  |i;ir  crUt'  lii-lli'  cxjin.'stiioii  :  faire  la  vé- 
rih-  (Jrsiii  111 ,  !2 1  ).  L;i  liimitMc  divine  l'avuil  lévcill*^  et  cliarmé, 
scriibliihlt'  ;'i  riiiilM-  iiiiiliiiiilf.  <l;iiis  le  it',L;anl  pieux  de  sy 
mère;  siii'  les  Itoids  ilu  Jourduiii,  elle  avait  liappé  ses  yeux 
coiiiiiic  luic  liiillaiile  aurore,  dans  la  personne  de  Jean- 
iSajiLisIe;  enlin  elle  se  leva  sur  lui  eonnne  le  soleil  radieux 
et  l'illumina  inléiieiiremeiit ,  lors  de  sa  première  rencontre 
avec  Jésus -CInisl.  A  tous  les  degrés  de  cette  révélation 
finissante.  Jean  l'ut  comme  l'oiseau  (pii  salue  de  son  chant 
joyeux  ciiaque  proyiès  du  soleil  levant.  Par  ce  caractère 
continu  et  progressif  de  sa  conversion,  Jean  est,  dans  le 
luiiiKJe  spirituel,  l'anlip^jde  de  Paul. 

Saint  Jean  n'est  mentionm''  que  dix  à  douze  fois  dans  nos 
évangiles  synoptiques  : 

1.  Dans  le  i-écit  de  sa  vocatiofi  et  de  celle  de  ses  trois 
compagnons  de  pèche  :  Malth.  IV;  Marc  I;  Luc  V. 

2.  Dans  les  catalogues  apostoliques  :  Matth.  X;  Marc  111; 
Luc  VI. 

S.  A  la  résurreelion  de  la  lille  de  Jauiis,  où  il  est  admis, 
avee  Pierre  et  Jacques  seulement,  dans  la  chambre  de  la 
malade:  Marc  V,  37;  Luc  VIII,  51. 

A.  A  la  Transfiguration,  où  il  est  de  nouveau  privilégié 
avec  les  deux  mêmes  :  Matth.  XVII,  1  ;  Marc  IX,  2;  Luc  IX,  28. 

5.  Dans  un  entrelien  où  il  raconte  lui-même  comment 
lui  et  ses  compagnons  ont  imposé  silence  à  un  homme  qui 
chassait  les  démons  au  nom  de  Jésus  :  Marc  IX,  38  ;  Luc  IX,  49. 

r».  Lorsque,  avec  Jacques,  son  frère,  il  prétend  faire  des- 
cendre le  feu  du  ciel  sur  une  hourgade  samaritaine  qui 
refusait  de  recevoir  Jésus  :  Luc  IX,  54. 

7.  A  l'occasion  du  surnom  de  Boanerges  donné  par  Jésus 
aux  deux  fils  de  Zéhédée  :  Marc  III,  17  (nom  dérivé  proha- 
hleiuent  de  ÏIJ^l  '^22,  littéralement  :  filii  strepitfis:  traduit 

exactement  par  Marc  :  u'.ol  ppovrîir,  fils  du  tonnerre). 


(i-J  iNTnomcTioN. 

8.  Lorsr|ii('  SalotiK'  dcTiKindr  [mmii  m  >  t\<'\\\  (ils  les  prc- 
niUMTs  piliers:  M;illli.  W.  -JO.  I);i(is  M;ur  (X,  :],"»),  crttc 
drriiaiidf  f'sl  alliiliiK'c  ;iii\  tlnix  lils  rii\-iii<''Mii's. 

!•.  Lors(|iit'  Jôsns  lui  ((mlic,  ;iiiisi  i\[\'i{  l'iciif,  l;i  mission 
snivif  (I»'  |>r(''pai('r  la  P.Hpic  :  l.iic  XXIi,  N. 

10.  Loi's  (le  la  ;^iaii(lo  it''V(''lali(»ii  ('srlia((»luj;i(pi('  aci'oidi'L' 
par  Jrsiis  pou  (\r  lemps  avant  sa  rnorl  à  ses  plus  intinjos 
disciples,  Pierre,  .laejpies.  Aiuire  cl  .Itsni  :  M;iie  XIII,  :^•, 
Mallli.  XXIVel  XXV. 

1  1.  A  Gellist'inaiie,  où  iion.s  le  l'elniintins  dans  l'inlitnih' 
(le  Jésus  avec  Pieiie  et  Jac«fnes  seids. 

Dans  le  (jnaliièine  évanf;"ile,  Jean  n'est  pas  nommé.  Mais 
il  est  appelé  en  quatre  of;«asions  (XÏII,  23;  XIX,  26;  XX,  2; 
XXI,  7.  20)  le  disciple  que  Jésutsmiinait.  Car  c'est  bien  cer- 
lainemeut  Jean  <pii  est  di'sij^Di'  par  ee  titre  uni(pie.  Le  sen- 
timent unfuiiiTK?  de  l'Hlf^Mise  (U'^  premiers  siècles  et  le  (jii;i- 
trièmc  évangile  lui-même,  conune  nous  le  verrons,  ne 
laissent  pas  lieu  à  une  autre  supposition*.  Ce  n'e.st  pas  le 
moment  de  elierelier  à  saisir  la  raison  et  la  valeui*  de  cette 
(lénouiiniilioii.  EWc  liiil  ressoilir,  en  tout  «as,  une  afïinilé' 
particulière  entre  l'àme  de  Jésus  et  celle  du  disciple  «lotit  il 
avait  fait  son  ami  personnel.  Ni'anmoins  le  rôle  actif  de 
Jean  n'est  pas  considéialde  dans  cet  éeiil.  11  n'y  piononce 
(pie  quel(]ues  paroles  très-brèves  :  a  Maître,  ov  demeures-tu?  » 
I,  38.  —  «  Seigneur,  qui  est-ce? y>  XÏII,  2."».  —  «  C'est  le  Sei- 
gneur. y>  XXI,  7.  —  Et  encore  de  ces  trois  parobîs,  la  pre- 
mière fut-elle  jtroliabicment  prononcée  par  André;  et  la 
seconde  ne  sortit  de  la  bouche  de  Jean  (pi'à  ^insti},^'ition  de 
saint  Pi(^rre.  Les  actes  de  Jean,  mentionru's  dans  cet  évan- 


1.  Luizelbcrger  a  prétendu  que  c'était  André,  Il  snfTirait,  pour  réfuter 
cette  hjrpothése,  de  rappeler  qu'André  est  nommé  à  réitérées  fois  dans 
notre  évangile  d,  lO.  44;  VI,  8;  XII ,  22).  D'ailleurs.  André  n'assistait 
pas  à  la  scène  du  ch.  XXI  (corap.  v.  2). 


CIIAf.   III.  —  l'aPÔTHK  SAIM  .IKA.N.  ti.i 

gile,  ne  son!  ^qièrc  j)liis  iioriiliriMix  que  ses  jtarolos.  Mais  ils 
ont  un  caroclôro  jtarliciilirr.  Jean  s'approche  de  J«'siis  le 
premirr  de  Ions  avec  Aii(li('  (cli.  I);  cl,  le  dcinicr,  il  l'ac- 
con>j»a}.;iie  après  son  airestation  (XVIII,  15),  «!l  jiisipi'à  la 
croix  (XIX,  26).  Le  premier,  de  nouveau,  il  le  retrouve  par 
la  loi  coiiinie  le  l{(\ssiisci(é  (XX,  8.  0);  il  reçoit  enlin  une 
promesse  qui  scinide  lui  couf(!rer  le  privilège  de  ne  point 
être  séparé  de  TÉglise  jusqu'au  retour  du  Seigneur  (XXI,  22). 

Celle  lisle  fait  lessortii'  d'une  manière  singulièrement 
consè(pienle,  d'im  coté,  la  retenue  de  Jean,  qui  se  tient 
lialtituellemeut  en  amère,  même  dans  les  occasions  où  les 
autres  disciples,  Pierre,  Andié ,  Philippe,  Thomas,  manifestent 
hautement  leurs  impressions;  de  l'autre,  le  rôle  de  Jean  dès 
qu'il  agit  :  il  ouvi'e  et  fei'me  la  marche;  il  initie  et  consomme. 
A  l'image  de  sou  Maître,  il  est  le  premier  et  le  dernier. 

De  tous  ces  traits  réunis  il  ressort  donc  que  Jean  fut  l'uii 
des  plus  anciens  disciples  de  Jésus;  qu'entre  les  apôtres  les 
phis  privilégiés,  il  fut  lui-même  le  plus  intime;  qu'il  était 
animé  du  zèle  le  plus  bouillant  pour  la  pcj'sonne  et  la  cause 
de  son  Maître,  et  qu'en  certaines  occasions  il  poussait  ce 
zèle  jus({u'à  l'intolérance  et  môme  jusqu'à  la  violence;  enfin, 
que  le  mobile  de  son  altaehenient  à  Jésus  n'était  pas  seule- 
ment le  divin  attrait  que  celui-ci  exerçait  sur  son  cœur, 
mais  qu'il  s'y  mêlait  aussi  une  exaltation  charnelle  qu'il  avait 
héritée,  ainsi  que  son  frère,  de  l'enthousiasme  messianique 
de  sa  mère. 

Le  but  de  Jésus,  dans  l'éducation  morale  de  cet  apôtic, 
dut  donc  être  de  jimili(!r  le  feu  qui  l'endtrasail.  Et  c'est  en 
effet  la  lâche  (pie  jinraîl  s'être  proposée  le  Seigneur  dans 
les  circonstances  que  nous  venons  de  rappeler.  Le  nom  de 
fils  du  tonnerre,  par  lequel  il  avait  distingué  ces  deux  IVèies 
de  leurs  collègues,  ne  pouvait  sans  doute  renfermer  un 
blâme;  un  surnçni  emprunté  à  un  défaut  n'eût  plus  été  (ju'un 


lii  lNTR(»ni'CT10N. 

>oltri(|'iH'l.  M;iis.  sous  \o  m;i;,Miili((iie  rlo^c  rcnrcniK'  dniis  ce 
nom.  .h'Mis  avait  (•crlaiiiciiicnl  \uiilii  ;^lissrr  nu  saliilairr 
avcriisM'incnl.  Ce  lui  au  [tiod  (!••  la  cidix  i|iir  s'(i|M''ia  sui- 
loul  la  puriliralioii  du  Hoaimrf^^t'.  Là.  m  lace  de  rA|riu>an 
(Ir  Dieu  lUt'ut'  à  la  luciic  sans  ouvrir  la  liouclic  cl  porlaul 
voloulairc'uionl  lo  jn'cli»'  du  nioude,  son  ardeui'  liil  [turili/'c 
de  lonlullia^re  charnel;  i>(  son. cœur  n!stn  là ,  niori  au  luoudr 
cl  à  liu-ni»'Uit',  atlcudant  la  force  sainte  (|ui  dc\;iil  le  l'aire 
rt'\ivie.  La  Pentecôte  acheva  l'u'uvre  ainsi  conunencée;  elle 
l'introduisit  dans  le  monde  nouveau  ert'-t'  jiar  la  résuireclion 
iU'  J«'sns.  Elle  uuu'qua  tout  à  la  lois  le  teime  de  l'éducation 
morale  de  Jean  et  le  conuiiencement  di'  son  activité  apos- 
tolique. Dès  ce  moment  une  llauuiie  jtur<'  éclata  dans  sa 
peisonne,  et  se  répandit  de  lui  dans  l'Éj^lise  par  son  exemple, 
sou  ministèie  et  ses  éciits. 

II.  Avec  la  Pentecôte  s'ouvre  la  seconde  partie  de  la  vie 
(]r  Jean.  Ou  s'attend  à  V(»ir  un  apôtre,  si  particulièrement 
di>lin{,'"U(''  par  sou  Maiirc.  prendre  inic  part  pr(''poudcianle 
au  travail  miiiNcau  (jiic  if  joui'  iMau^^iu'i'.  Il  n'en  est  rien. 
Son  rôle  semble  à  peu  près  nul  dans  la  fondation  de  l'K- 
j(lisc.  Sui' celte  scène  où  se  meuvent  et  aj,nssciit  saint  Pierie, 
saint  Paul  et  même  de  simples  diacres,  tels  (pi'Elienne,  Phi- 
lippe, nous  ne  rencontrons  que  deux  fois  saint  Jean  :  loisque 
l'inqiotent  est  j^Miéri  à  la  poilc  du  temple,  Act.  II;  et  lors- 
qu'une dé'putalion  est  envoyé'c  en  Samarie  [)ar  les  apôtres, 
Act.  MU.  Et  dans  ces  deux  circonstances,  Pieire  joue  telle- 
ment le  rôle  principal  (jue  Jean  semhie  être  plutôt  son  ombre 
que  son  auxiliaire.  Une  fois,  dans  ses  épîlres,  saint  Paul  fait 
mention  de  lui  :  Gai.  II,  9.  Il  lui  donne,  il  est  vrai,  dans  ce 
pa.ssajfe,  un  titre  g-lorieux  :  il  le  rang^e  parmi  ceva;  qui  pas- 
sent pour  être  les  colonnes  de  l'Eglise  (oi  ôokoùvcsc  a-niXot 
eiva-.).  Cela  n'empêche  pas  que  le  rôle  de  l'apôtre  bien-aimé 


CHAI',  m.  —  i/apùtiU'I  saim  .ikan.  65 

ne  reste  eiivelo()pé,  pt.'iitlaiil  luute  eelle  période  de  la  l'urKia- 
lioii  de  l'Eglise,  d'une  pi'ofonde  obscurité. 

Ce  fait  inattendu  olïie  une  difïiculté  à  l'Insloiicn  dr  l'K- 
1,'lise  priniilive.  Cependant,  à  y  legarder  de  plus  près,  celle 
inattivité  e.\téiieuie  n'esl-elle  pas  la  continuation  du  rôle 
haltilueilenient  conleniplatif  (jue  nous  avons  vu  cet  apolre 
jouer  pendant  le  niinistère  de  Jésus?  Pendant  que  Pierie 
manifestait  avec  vivacité  ses  impressions,  Jean  recueillait  les 
siennes.  L'un  professait  hautement;  l'autre  méditait  et  s'ap- 
propriait. L'un  agissait  à  l'extf'rieui';  l'autre  cioissait  au  de- 
dans. Jean,  l'œil  de  l'âme  ouvert,  discernait  de  loin  le  Sei- 
gneur, puis  demeurait  calme  dans  la  barque;  Pierre,  averti 
pai"  lui,  se  jetait  dans  les  flots  et  s'élanyait  à  ses  pieds. 

Cette  disposition  naturelle  à  la  concentration  dut  se  dé- 
velopper chez  Jean,  depuis  la  Pentecôte,  avec  une  force 
nouvelle.  Le  spectacle  unique,  dans  la  contemplalioii  du((U('l 
il  avait  vécu  pendant  trois  ans,  comme  dans  une  continuelle 
extase,  avait  disparu  de  devant  ses  yeux,  mais  il  s'était  re- 
produit au  dedans  ])lus  éclatant  et  plus  niagnilique  encoi'e. 
Jésus  n'avail-il  pas  dit:  «Jt'  reviendrai  à  vous....  Voiis  me 
reverrez....  L'Esprit  me  glorifiera  en  vousi>?  Cette  promesse 
était  accomplie.  Jésus  revivait  au  dedans;  son  Esprit  lafraî- 
chissait  le  souvenir  de  ses  paroles,  déroulait  le  contenu  de 
son  œuvre,  dévoilait  la  grandeur  sublime  de  sa  personne. 
Après  s'être  perdu  dans  la  contemplation  du  Maître  qui  avait 
demeuré  avec  lui,  Jean  se  ressaisissait  lui-même  dans  la 
possession  personnelle  de  Jésus  vivant  en  lui.  Il  s'était  donné  : 
il  se  retrouvait,  mais  pour  se  donner  mieux  encore. 

Pierre,  poussé  par  l'Esprit  conformément  à  la  nature  de 
son  caractère  entreprenant  et  actif,  prêchait  victorieusement 
dans  Jérusalem;  Jacques,  lils  de  Zébédée,  jtérissaif  dans  ces 
premières  luttes;  Jacques,  le  h'ère  du  Seigneur,  paissait  le 
troupeau  de  Jérusalem  et  les  églises  de  la  Judée;  Paul,  en- 
I.  5 


00  INTRODUCTION. 

Im.  l'aisaif  la  ooikiuôI»'  du  monde  dos  Gcnlils.  Où  ('lail.  Jean? 
Pendant  (jue  ses  Irùrcs  travaillaient  de  la  soi'le,  que  faisait- 
il?  Il  allendail,  comme  jadis  son  Maître,  que  son  heure  fut 
venue.  Mais  cette  inactivité  apparente  n'était  pas  ilc  l'oisiveté. 
Au  dedans  de  lui  s'opi-rait  une  .«;aintc  élaboration.  11  .s'appro- 
[•riait  toute  la  jtléiiilmie  de  grâce  qu'il  avait  ie«;ue;  et  les 
fruits  de  ce  travail  intime,  pour  être  plus  tardifs,  n'en  de- 
vaient être  que  plus  exquis. 

Cependant  une  tâche  (pielconqnc  ne  saurait  man(pier  dans 
la  vie  d'un  apùtrc;  un  devoir  positif  devait  remplacer  pour 
Jean  l'œuvre  de  la  mission.  Quel  était-il?  Nous  devons  nous 
rappeler  ici  le  service  que  lui  avait  demandé  son  Maître 
mourant.  Aux  autres  apôtres,  Jésus  avait  confié  son  Eglise, 
sa  céleste  Epouse;  à  Jean,  il  avait,  pour  un  temps,  légué  sa 
mère.  Cette  tache  était  bien  celle  qui,  dans  ces  premières 
années  après  le  départ  de  Jésus,  correspondait  aux  instincts 
les  plus  profonds  du  cœur  de  Jean.  En  la  lui  confiant,  l'ami 
avait  bien  connu  son  ami.  Combien  le  commerce  intime  de 
Marie  ne  devait-il  pas  contribuer  à  activer  l'œuvre  d'assimi- 
lation intérieure  qu'accompUssait  en  lui  l'Esprit  de  Jésus? 

Où  se  trouvait  la  demeure  dans  laquelle  Jean  avait  re- 
cueilli Marie  d'après  Jean  XIX ,  27?  Des  traditions  posté- 
rieures répondent  :  à  Jérusalem'.  Marie  aurait  vécu  là,  chez 
Jean,  jusque  vers  l'an  48  de  notre  ère.  Cependant  le  pas- 
sage Gai.  I,  18.  19,  d'après  lequel  Paul,  après  sa  conver- 
sion, passa  quinze  jours  dans  la  maison  de  Pierre  à  Jéru- 
salem, sans  y  voir  aucun  autre  personnage  apostolique  que 
Jacques,  frère  du  Seigneur,  ne  permet  guère  de  croire  au 
séjour  habituel  de  Jean  dans  celte  capitale. 

D'ailleurs,  si  Jean  possédait  une  maison,  comme  cela  est 
dit  positivement,  cette  propriété  ne  devait-elle  pas  se  trou- 

I.  ?îicéphore,  Hist.  eccl.  11,  42. 


CHAP.  m.  —  I.'aPÔTRE  saint  JEAN.  67 

ver  (Inns  In  Gniiléc,  ;;a  [nitiic,  pliilnl  qu'en  Judée?  Enfin,  le 
séjour  (le  la  Galilée  devait  èli'e  j»lus  en  harmonie  avec  les 
sentiments  de  la  mère  de  Jésus,  que  celui  de  la  capitale.  Sans 
doute,  quand  Jean  était  à  Jéiusalem  et  assistait  aux  assem- 
blées de  l'Eglise,  il  y  passait  pour  Wme  des  colonnes,  selon 
l'expression  de  Paul.  Mais  il  ne  résulte  pas  de  là  qu'il  y  vé- 
cût habituellement.  Et  son  éloij^^nement  ordinaire  de  la  ca- 
pitale peut  servir  aussi  à  expliquer  le  peu  de  part  qu'il  piil 
à  l'œuvre  de  la  mission  dont  celte  ville  était  alors  le  siège 
principal. 

Une  question  plus  considérable  et  qui  lire  des  discussions 
soulevées  par  l'école  de  Tubingue  une  importance  particu- 
lière, est  celle  de  savoir  si  saint  Jean  partageait  à  cette 
époque  les  vues  de  ces  étroits  judéo-chrétiens  qui  pi  éten- 
daient imposer  le  joug  mosaïque  aux  païens  convertis.  Le 
contraire  ressort  non-seulement  du  récit  Acl.  XV  (dont  l'é- 
cole de  Tubingue  nie  natui-ellement  et  nécessairement  l'au- 
thenlicitô),  mais  encore  du  passage  Gai.  II,  sur  lequel  s'ap- 
puie cette  école  pour  faire  de  Jean,  aussi  bien  que  de  ses 
collègues,  Jacques  et  Pierre  et  tous  les  autres  apôtres,  les 
défenseurs  du  particularisme  combattu  par  Paul.  D'après  les 
écrivains  de  cette  école,  nous  devrions  reconnaître  dans  les 
adversaires  de  Paul,  Gai.  II,  les  apôtres  eux-mêmes.  Mais, 
demande  simplement  RilschP,  «qui  peut  admettre  que  Paul 
eût  désigné  du  nom  de  faux  frères  intrus  (TcapeLffaxTrct.  ^z\j- 
SaSsXçct)  les  apôtres  primitifs  » ,  ceux  qui  avaient  fondé  l'É- 
glise et  qui  en  avaient  ouvert  les  portes  à  tous  les  autres  ! 
C'était  précisément  pour  s'entendre  avec  eux  et  faire  ces- 
ser les  poursuites  de  ses  adversaires,  qui  se  réclamaient  de 
leur  autorité,  que  Paul  se  rendait  auprès  d'eux.  Et  ils  se 
quittèrent  en  se  donnant  la  main  d'association  (Se^iàr 


1.  Gesch.  der  Entstehung  der  altkath.  Kirche,  2*  éd.  p.  128. 


11»^  INTRODUCTION. 

xcivovCa;).  Hniir  ivdiiil,  il  csl  viiii,  l;i  \;il(iir  de  ce  synibolr 
;"i  |nMi  (If  rlioso  :  Rosir  diins  Ion  (Idrniiiiic;  nous  dans  le 
nùlrc;  «'I  n'ayons  pins  lion  à  faire  cnscinblc!  C'osI  ainsi 
que,  après  avoir  ronslrinl  l'histoire  a  priori,  on  force  !es 
textes  à  renircr  dans  le  cadre  vonlu.  Mais  les  textes  demeu- 
rent et  proleslenl.  Il  ressort  des  épîlres  de  l'aid,  aussi  bien 
(pie  du  récit  ilo»  Actes,  (pie  Jean  et  les  Douze  persévc'rèreni 
sans  doute  dans  l'observation  de  la  loi,  jusqu'à  ce  que  cebii 
(pii  l'avait  (Ioii(m''('  j'cmI  iiliroj^i'-c  liii-niênie  par  le  liiil,  par'  l;i 
desliiiction  i\u  Temple.  Vivant  au  milieu  d'Israël,  ils  main- 
tenaient ainsi  l'unilé  nationale  avec  ce  peuple  (ju'ils  évan- 
•^M'iisaient  encore.  Mais  ils  ne  faisaient  nullement  de  cette 
observance  une  condition  de  salut  et  ne  l'imposaient  ni  aux 
païens  convertis,  ni  même  à  ceux  d'(Miti('  les  judéo-chré- 
liens  (pii,  eoinriie  Paul,  se  croyaient  appcb'-s  à  secouer  ce 
jouj,'  avaiif  nK'iiie  (jue  Dieu  l'eût  ext(''rieurement  brisé.  C'était 
une  affaire  de  pratique  et  non  de  principe.  Et  ce  qui  le  prouve 
bien,  c'est  que  Paul  se  réservait  la  liberté,  quand  il  le  trou- 
vait convenable  pour  son  ministère,  d'a^nr  comme  les  Douze 
et  de  se  mettre  «  sous  la  loi  avec  cctix  qui  étaient  soi(s  la  loi.  d 
Il  le  déclare  dans  une  épître  admise  par  l'école  de  Tiibin- 
g^ue,  1  Co!-.  IX,  20  (comp.  Acf.  XXI  le  vœu  de  Naziréat). 
Irénée  a,  on  ne  peut  mieux,  caractérisé  la  position  des 
Douze  dans  ces  paroles  {Adv.  Hœr.  III,  12)  :  Jpsi  persevera- 

hant  in  pristinis  obscrralionihus religiosè  agebant  circa 

dispositionem  legis Mais  (|uant  aux  païens  :  Gentibvs  li- 
béré agere  permittebant,  nos  concedentes  Spiritui  Sanclo. 

Supposé  que  l'Afiocalvpse  datât  de  relte  ('po(pie  de  la  vie 
de  Jeaij,  elle  ne  conduirait  point  à  admettre  cIkîz  cet  ap(*)lre 
une  conviction  contraire  à  celle  des  Douze,  telle  que  nous 
venons  de  l'exposer,  non  plus  qu'à  celle  de  Paul.  Ce  livre  tout 
entier  ne  connaît  d'autre  moyen  de  salut  (jue  le  sang  de  l'A- 
gneau, d'autre  condition  pour  y  avoir  part  (jue  la  foi.  Il  laut 


CIIAl'.   III.  —  l/AF'ÔTFiK  SAIiNT  JEAN.  60 

lire  l'Apocalypse  avec  les  yeux  avec  lescpiels  vsl  liir,  diins 
ri'cole  «le  Baiir,  IV'pîlre  aux  Galales,  pour  y  trouver  les  ca- 
laclères  du  jiai'licuiarisnie  judéo-chrétieii.' 

C'est  veis  Tau  00  ciiviroii  (jiic  les  ajxîlres  pai'aisseiil  avoir 
(|uitté  la  Teire-Saiiite  et  abandonné  Israël  à  son  inipénitenco. 
Dès  l'an  59,  Jacques  fonctionne  seul  comme  cliel"  du  trou- 
peau de  Jt'riisaleiii  (Acl.  XXI).  J<'an  dcmeuia  sans  duule  en 
(ialilée  jusqu'au  moment  où  l'explosion  de  la  guerre  romaine, 
en  l'an  OU,  donna  le  signal  de  l'émigration  recommandée  à 
l'Kglise  pai"  Jésus-Christ.  Le  départ  eut  lieu  jirohaljlement 
en  l'an  07*.  Peut-être  Jean  fut-il  celui  qui  conduisit  l'Eglise 
dans  la  retraite  que  le  Seigneur  lui  avait  destinée  sur  les 
montagnes,  de  l'autre  côté  du  Jomdain.  Et  ce  fut  de  là 
(pi'en  esprit  il  contempla  ce  jugement  aimoncé  quarante 
ans  auparavant  par  Jésus-Christ  et  signalé  par  lui  comme  le 
piemier  acte  du  jugement  universel. 

Ce  ne  sont  là,  il  est  vrai,  que  des  hypothèses.  Le  seul 
fait  certain  est|négatif:  Aucune  église  connue  ne  réclame 
saint  Jean  comme  son  fondateur.  C'est  aux  derniers  temps 
du  siècle  apos(oli(jue  seulement  que  se  dissipe  l'obscurité 
<lont  la  personne  de  cet  apôtre  est  enveloppée  depuis  la 
Pentecôte.  Alors  la  ligure  de  Jean  apparaît  tout  à  coup  ra- 
dieuse, comme  loi'sque  le  soleil,  au  moment  de  son  coucher, 
se  dégageant  des  images  qui  l'avaient  voilé  à  son  midi,  ré- 
pand suj-  toute  la  nature  une  subite  et  mystérieuse  illumi- 
iiaiion. 

Toutes  les  traditions  s'accordent  à  indiquer  l'Asie-Mineure 
comme  le  théâtre  de  l'activité  apostolique  de  saint  Jean  dans 

1.  RitschI,  Gesch.  der  Entstehxmg  (1er  altkath.  Klrche,  p.  120  :  «  Cet 

icril  n'est  pas  judéo-chrétien Les  arguments  en  faveur  du  point  de 

vue  judéo-chrétien  de  l'auteur  ne  sont  pas  solides.  »  Voir  la  démon- 
.«^iration  de  cette  thèse,  p.  120-122. 

2.  Ewald,  Geschichle  des  Volks  Israél,  t.  VI ,  p.  C42. 


70  INTRODUCTION. 

les  diM iiitMs  temps  do  sa  vie.  Là  se  trouvaient  de  nombreuses 
et  florissantes  éjrlises  que  Paul  avait  fondées  dans  son  troi- 
sirnii'  voyaj:t>  de  mission  (de  55  à  58).  et  dont  Éplièse  »'lail  la 
méti*o|iole.  Senddables  àiiM  cercle  de  chandeliers  d'oi'(A[)oc.I), 
elles  étaient  le  point  lunn'nenx  vois  lequel  se  portaient  les 
reg^ards  de  toute  la  einétienté.  Comme  le  dit  Tliieisch, 
«le  centre  de  gravité  de  l'Eglise  n'était  [)lus  Jérusalem,  n'é- 
tait pas  encore  Rome;  c'était  Eplièse.»  « L'Asic-Mineure , 
dit  Liicke',  l'ut,  depuis  la  ruine  de  Jérusalem  jusque  dans 
les  temps  du  deuxième  siècle,  la  portion  la  plus  vivante  de 
rp.glise.  »  Cette  vie  n'était  pas  simplement  celle  de  la  foi  ; 
c'était  aussi  celle  de  la  lutte.  La  proiiliélie  de  Paul  aux  pas- 
teurs d'Eplièse  et  de  Milel,  Act.  XX,  29:  «Après  mon  d<'- 
[•art,  il  jK'iiétrera  chez  vous  des  loups  dévorants....  et  du 
milieu  de  vous-mêmes  sortiront  des  hommes  prêchant  des 
chos«'s  pernicieuses,»  .^'étaif  réali.sée.  Il  fallait  à  la  foi,  dans 
ces  contrées,  un  puissant  soutien.  Jean  se  sentit  appelé  à 
iixer  là  sa  résidence.  Néander  admet  comme  vraisemblable 
qu'il  fut  invité'  à  cette  démarche  importante  par  les  chrétiens 
d'Asie*.  De  cette  position  centrale,  il  pouvait  dominer  cette 
immense  armée  chrétienne  montant  à  la  conquête  de  l'em- 
pire, et  dont  les  deux  ailes  s'étendaient  déjà  à  l'Orient  jus- 
qu'à l'Euphrate,  à  l'Occident  jusqu'à  Rome. 

Le  fait  du  séjour  de  Jean  en  Asie-Mineure  est  certaine- 
ment, indépendamment  même  de  l'Apocalypse,  le  fait  le 
nneux  constaté  de  tous  ceux  que  nous  a  transmis  ranti({uité 
chrétienne;  rextravagance  seule  a  pu  le  contester  un  instant  '. 
Irénée,  évêque  de  l'église  de  Lyon  à  la  fin  du  deuxième  siècle 


1.  Infrod.  p.  35. 

2.  Geschichte  dcr  PJlanznnrj  der  chnstl.  Kirche ,  3*  éd.  t.  II,  p.  530. 

3.  Liilzelberger ,  Die  kirchliche  Tradition  liber  den  Apostel  Johannes, 
1840. 


CHAI',  m.  —  l'apôtre  saint  JEAN.  71 

ot  originaire  d'Asie-Mineure,  parle  «des  presbytres  qui  ont 
connu  Jean  et  qui  ont  vécu  avec  lui  dans  l'Asie  proconstt- 
/aire,  jusqu'aux  temps  de  Trajan»  (Adv.  Hœr.  II,  22,  51). 
Ce  même  Père,  |»oui'  faire  ressortir  la  valeur  du  témoignage 
de  l'église  d'Éplièse,  dans  la  lutte  que  les  églises  d'Asie  eu- 
rent à  soutenir  à  plusieurs  reprises  avec  celle  de  Rome  sur 
le  rit  pascal,  rappelle  «qu'elle  a  été  fondée  par  Paul  et  que 
(  Vst  dans  son  sein  qu'est  demeuré  Jean  jusqu'aux  temps  de 
Trajan. -ù  II  en  conclut  «qu'elle  est  un  véridique  témoin  de 
la  tradition  apostolique»  {Adv.  Hœr.  III,  3,  4). 

Eusèbe  {Hist.  eccl.  V,  24)  nous  a  conservé  la  lettre  d'Iré- 
née  à  Victor,  évêque  de  Rome,  où  il  lui  rappelle  la  visite 
fju'avait  faite  une  vingtaine  d'années  auparavant,  Polycarpe, 
évêque  de  Smyrne,  à  son  prédécesseur,  Anicet,  ainsi  que 
les  preuves  de  déférence  et  de  respect  que  celui-ci  avait 
données  en  cette  occasion  à  cet  hôte  vénéré  «qui  avait  vécu 
familièrement  avec  Jean,  disciple  du  Seigneur,  et  avec  d'au- 
tres apôtres.  »  Le  séjour  de  Jean  en  Asie  était  donc  un  fait 
de  notoriété  publique. 

Enfin,  Irénée  {Adv.  Hœr.  III,  3, 4)  mentionne  la  rencontre  de 
Jean  avec  l'hérétique  Cérinthe ,  dans  un  bain  public  à  Éphèse  : 
«Il  existe  encore,  dit-il,  des  gens  qui  ont  entendu  raconter 
à  Polycarpe  lui-même  que  Jean,  étant  entré  dans  une  mai- 
son de  bain  à  Éphése  et  ayant  aperçu  Cérinthe  dans  l'inté- 
rieur de  la  maison,  s'éloigna  brusquement  sans  s'être  bai- 
gné, en  disant:  ('Sortons,  de  peur  que  le  bain  ne  s'écroule, 
«puisqu'il  y  a  là  Cérinthe,  l'ennemi  de  la  vérité.» 

Polycrate,  qui  était  évêque  d'Éphèse  à  la  fin  du  deuxième 
siècle  et  dont  la  famille  avait  fourni  sept  évêques  à  l'éghsc 
de  cette  ville,  s'appuie,  dans  la  lettre  officielle  qu'il  adresse 
à  Victor  au  sujet  de  la  dispute  pascale  (Eus.  Hist.  eccl.  III, 
31),  sur  l'autorité  de  Jean,  «qui  a  été  l'un  des  grands  astres 
dont  la  course  s'est  terminée  en  Asie....  qui  a  été  couché 


7-2  INTRODUCTION. 

sur  lo  sein  du  Srif^iieur...  Il  esl  enlenv  i"i  Kphèse  (outoç  sv 
'Eçéffo  xexci.'fX7)Tai).' 9 

Nous  n'Irouvons  I;i  inriiif  tradition  rlicz  Clément d'Alexaii- 
(Iric.  C'est  re  Père  (]ui,  (l;ins  son  Irtiili''  xiç  o  aovO[xevoc  tcXou- 
aïo;,  e.  42  (Eus.  //i5/.  fa/.  III,  24),  nous  a  conservé  cette 
ilélirieuse  anecdote  du  jeune  homme  confié  'h  un  évêque 
d'Asie-Mineiiif  i»;ir  saint  Jean,  puis  devenu  r\u'\'  de  voleurs 
t't  ranji'ué  par  le  vieil  apntre.' 

Oi'i},'^ène,  Eusèbe  et  Jérôme  jiailenL  dans  le  même  sens. 
D'après  Apollonius,  écrivain  anti-montaniste,  cité  par  Eu- 
sèbe (V,  18),  Jean  doit  avoir  ressuscité  un  mort  à  Éphèse. 

J.  On  traduit  diversement  l'expression  iJLcyaXa  orotxeîa. 
2.  «licoule  ce  que  l'on  raconte  (et  ce  n'est  pas  un  conte,  mais  une  his- 
toire vraie)  de  l'apôtre  Jean  :  Lorsqu'il  fut  de  retour  de  l'atmos  à 
Éphèse ,  après  la  mort  du  tyran,  il  visitait  les  contrées  environnantes 
pour  établir  dçs  évoques  et  constituer  les  églises.  Un  jour,  dans  une  ville 
voisine  d'Éphèse.  après  avoir  exhorté  les  frères  et  réglé  les  affaires,  il 
aperçut  un  vif  et  beau  jeune  homme,  et  se  sentant  aussitôt  attiré  vers 
lui ,  il  dit  à  l'évoque  :  «  Je  le  place  sur  ton  cœur  et  sur  celui  de  l'Église.  « 
L'évoque  promit  à  l'apôtre  de  prendre  soin  de  lui.  Il  le  recueillit  dans  sa 
maison  .  l'instruisit  et  le  surveilla  jusqu'à  ce  qu'il  pût  l'admettre  au  bap- 
tême. Mais  après  qu'il  eut  reçu  le  sceau  du  Seigneur,  l'évéque  se  relâcha 
dans  sa  surveillance.  Le  jeune  homme,  affranchi  tro|)  tôt,  fréquenta  une 
mauvaise  société,  se  livra  à  toutes  sortes  d'excès,  et  finit  par  arrêter  et 
piller  les  passants  sur  le  grand  chemin.  Comme  un  cheval  fougueux,  quand 
une  fois  il  a  quitté  la  voie,  s'élance  aveuglément  dans  le  précipice, 
ainsi,  entraîné  par  sa  nature,  il  se  plongeait  dans  l'abime  de  la  perdition. 
Désespérant  désormais  de  la  grâce,  il  voulait  au  moins  faire  encore  dans 
cette  vie  criminelle  quelque  chose  de  grand.  11  réunit  ses  compagnons  de 
débauche,  et  en  forme  une  bande  de  brigands,  dont  il  devient  le  chef, 
et  bientôt  les  surpa.ssc  tous  en  soif  de  sang  et  de  violences. 

"  Après  un  certain  laps  de  temps,  Jean  revient  dans  cette  même  ville, 
et  ayant  terminé  tout  ce  qu'il  avait  à  y  faire ,  il  demande  à  l'évéque  :  «Eh 
<■  bien ,  restitue  maintenant  le  gage  que  moi  et  le  Seigneur  t'avons  confié 
■  devant  l'Église.  •  Celui-ci  effrayé  croit  qu'il  s'agit  d'une  somme  d'ar- 
gent qui  lui  aurait  été  confiée  :  t  Non  point ,  répond  Jean  ;  mais  le  jeune 
"homme,  l'àme  de  ton  frère!  »  Le  vieillard  pousse  un  soupir  et  répond 


CHAP.  111. —  l'apùtkk  sai.nt  jkan.  73 

Celle  Inidilioii  isolée  ne  peut  avoir  de  valeur  que  comme 
l»''nioig:riaye  du  séjour  do  i'ajxjlre  daus  ces  contrées.  C'est  à 
Jt'îrônie  que  nous  devons  le  récit  bien  connu  des  dernières 
('xhortalions  de  Jean  (in  ep.  ad  Gai.  VI,  10)  :  «Lorsque  l'a- 
polie  eut  atteint  l'âge  le  plus  avancé,  étant  trop  faible  pour 
se  transporter  lui-même  dans  les  assemblées  de  l'Eglise,  il 
s'y  faisait  porter  par  des  jeunes  gens.  Il  ne  pouvait  plus 
parler  longtemps;  mais  il  répétait  ces  j)aroles  :  «Mes  petits 
«enfants,  aimez-vous  les  uns  les  autres.  »  Et  comme  on  lui 
demandait  pourquoi  il  répétait  toujours  la  même  chose,  il 
répondit:  «Parce  que  c'est  là  le  commandement  du  Sei- 
«gnenj-,  et  (pie  si  cela  se  fait,  assez  se  fait.» 

e»  fondant  en  larmes  :  «  Il  est  mort  !  —  Mort?  répond  le  disciple  du  Sei- 
••  gneur;  et  de  quelgenre  de  mort?  —Mort  à  Dieu!  Il  est  devenu  un 
"  impie,  puis  un  brigand!  Il  occupe  avec  ses  compagnons  le  haut  de  cette 
«  montagne  !  •>  A.  l'ouïe  de  ces  paroles ,  l'apôtre  déchire  ses  vêtements,  se 
frappe  la  tête  et  s'écrie  :  «  Oh!  à  quel  gardien  ai-je  conflé  l'âme  de  mon 
■<  frère  !  »  Il  prend  un  cheval  et  un  guide ,  et  va  droit  au  lieu  où  sont  les 
voleurs.  Il  est  saisi  par  les  sentinelles  et,  bien  loin  de  chercher  à  s'é- 
chapper, il  dit  :  "  C'est  pour  cela  môme  que  je  suis  venu  ;  conduisez-moi 
«  à  votre  chef.  »  Celui-ci  tout  armé  attend  son  arrivée.  Mais  dès  qu'il  re- 
connaît dans  l'arrivant  l'apôtre  Jean,  il  s'enfuit.  Jean,  oubliant  son  âge, 
court  après  lui  en  criant  :  «  Pourquoi  me  fuis-tu  ,  ô  mon  lils ,  moi ,  ton 
«  père?  toi  armé ,  moi  vieillard  désarmé?  Aie  pitié  de  moi ,  mon  fils,  ne 
«crains  pas!  Il  y  a  encore  pour  toi  espérance  de  vie!  Je  veux  moi-même 
"  me  charger  de  tout  auprès  de  Christ.  S'il  le  faut,  je  mourrai  pour  toi , 
comme  Christ  est  mort  pour  nous.  Arrête-toi  I  Crois  !  C'est  Christ  qui 
•■m'envoie!  »  Le  jeune  homme,  en  entendant  ces  paroles,  s'arrête,  les 
yeux  baissés.  Puis  il  jette  ses  armes  et  commence  à  trembler  et  à  pleurer 
amèrement.  Et  quand  le  vieillard  arrive,  il  embrasse  ses  genoux  et  lui  de- 
mande pardon  avec  de  profonds  gémissements;  ses  larmes  sont  pour  lui 
comme  un  second  baptême,  seulement  il  refuse  et  cache  encore  sa  main 
droite.  L'apôtre,  se  portant  caution  pour  lui  devant  le  Sauveur,  lui  promet 
avec  serment  son  pardon,  se  jette  à  genoux,  prie  et,  le  prenant  enfin 
par  cette  main  qu'il  retire,  le  ramène  dans  l'église,  et  là  prie  si  ardem- 
ment et  combat  si  puissamment  par  le  jeûne  et  par  ses  discours,  qu'il  peut 
enlin  le  rendre  au  troupeau  comme  un  exemple  de  vraie  régénération.  » 


74  hNTnoniiCTiDN. 

Que  penser  du  récit  de  l'exil  de  Jean  à  Patnios?  Faut -il 
ne  l'envisager  que  comme  une  conclusion  exégétique,  tirée 
par  les  Pères  d'Apor.  1,0:  ^(Moi ,  Jean,  je  ine  trouvais  dans 
f'f/e  nppeiée  Ptitmoa,  pour  la  parole  de  Dieu  et  le  téinoi- 
ijnnije  de  Jésus "ù"?  Ou  bien  cett*;  tradition  est-elle  le  nionn- 
inent  d'un  vrai  souvenir  historique?  Clément  d'Alexandrie 
indique  le  fait  avec  des  détails  qui  ne  sont  pas  tirés  de  l'A- 
poralypse  :  «  Lorsque  Jean  fut  de  retour  de  Patnios  à  E|)lièse, 
après  la  mort  du  tyran,  il  visitait  les  eonfrées  environnantes.  » 
Ce  Père  ajoute  donc  à  la  mention  du  l'ait  une  date  préeisf 
et  il  s'en  sert  pour  fixer  celle  d'un  autre  fait.  Sont-ce  là  de 
pures  fictions?  Origène  (in  Matth.  v.  XVI)  dit  expressé- 
ment :  «L'empereur  des  Romains,  comme  la  tradition  nous 
l'apprend,  bannit  Jean  à  Patmus.  »  El  ensuite  seulement,  il 
rapproche  le  fait  ainsi  attesté  du  passage  de  l'Apocaljpse. 

Tertullien,  après  avoir  parlé  (De  prœscr.  hœr.  c.  30)  du 
martyre  de  Jean  à  Rome  par  le  supplice  de  l'huile  bouil- 
lante, auquel  il  échapi)a  sain  et  sauf,  dit  qu'il  fut  après  cela 
exilé  à  Patmos.  Irénée  désigne  positivement  Domitien  comme 
l'empereur  qui  l'exila  (Eus.  Hist.  eccl.  III,  18).  Eusèbe 
lui-même  (Und.)  confirme  cette  tradition  par  le  lécit  que 
faisaient  (\cs  historiens  païens  (probablement  Bruttius  ou 
Brellius,  d'après  le  Clironicon,  du  même  auleui',  ad  anmim 
98)  de  nombreux  exils  ordonnés  par  Domitien  pour  cause 
de  religion.  Il  cite  en  particulier  celui  de  Flavia  Domitilla , 
nièce  du  consul  Flavius  Clemens,  qui  avait  été  reléguée  dans 
l'île  Pontia',  avec  plusieurs  autres  personnages,  la  quinzième 
année  du  règne  de  Domitien  (95  à  96  de  J.-C),  en  punition 


1.  C'est  ainsi  que  l'on  traduit  généralement.  Strabon,  Diodore,  Suétone 
(Tiber.  54)  et  d'autres  parlent  en  effet  dune  Ile  de  ce  nom ,  située  près  du 
Latium.  Cependant,  vu  le  manque  d'article,  le  sens  dans  Eusèbe  ne 
serait-il  point:  ><  Une  lie  éloignée  des  C()tes,  située  bien  avant  dans 
l'Océan  »?  Voir  Pasgow,  au  mot  IIôvtio;. 


CIIAP.  III.  —  l/M'ÔTTiE  SAINT  JEAN.  1~> 

(lu  leur  profession  cliréliciiin.'.  Eusèbe  cite  ces  iioiiihiviix 
exils,  mentionnés  par  des  Fiistoriens  étrangers  à  la  foi, 
comme  une  preuve  des  immenses  progrès  de  l'Évangile  à 
cette  époque.  Ce  Aii( ,  lu  par  Eusèhe  chez  des  historiens  jtro- 
fanes,  ne  peut  assurément  être  une  broderie  sur  le  canevas 
de  l'Apocalypse.  Il  concorde  d'une  manière  frappante  avec 
celui  de  l'exil  de  Jean  à  Patmos. 

C'est  à  Éphèse  que  Jean  a  terminé  sa  carrière.  Polycrate 
le  dit  expressément  :  «Il  est  enterré  à  Éphèse  (outoc  ev 
'Eçéao  xexoi-'jXTjTa!.).»  Eusèbe  (Hist.  eccl.  Vil,  25)  rapporte  que 
l'on  montrait  à  Éphèse  deux  tombes  dont  chacune  devait 
être  celle  de  Jean;  et  il  tire  de  ce  fait  une  conséquence  fa- 
vorable à  son  hypothèse  de  l'existence  d'un  presbytre  Jean. 
Jérôme  (De  vir.  illuslr.  c.  9)  rapporte  aussi  la  circonstance 
de  ces  deux  lombes. 

Quant  à  l'époque  de  la  mort  de  l'apôtre,  Jean,  nous  dit  à 
réitérées  fois  Irénée  (II,  30;  IIÏ,  3),  vécut  jusqu'à  la  fin  du 
premier  siècle  de  l'Éghse  :  ^vfj^i  "cûv  Tpatavcû  x?°vwv  TCapé- 
pis'.vs.  Il  fait  reposer  cette  donnée  sur  le  témoignage  des 
presbytres  d'Asie-Mineure  qui  avaient  personnellement  connu 
l'apôtre.  Trajan  ayant  régné  de  98  à  117  après  Jésus-Christ , 
cette  date  d'Irénée  coïncide  avec  celle  de  Jérôme,  qui  dit 
(ibid.)  (|ue  «Jean  est  mort  accablé  de  vieillesse,  68  ans  après 
la  mort  de  Jésus  {sexagesimo  octavo  anno  post  passionem 
Doinini).  »  Ces  témoignages  sur  l'âge  avancé  auquel  est  par- 
venu l'apôtre  ne  sont  pas  sans  intérêt  pour  les  questions 
relatives  à  ses  écrits.  Ils  s'accordent  avec  la  supposition  na- 
turelle que  Jean,  l'ami  personnel  du  Seigneur,  devait  être 
à  peu  près  du  même  âge  que  lui.  S'il  est  né  vers  le  com- 
mencement de  notre  ère,  il  peut  n'avoir  quitté  la  vie  qu'à 
la  lin  du  piemier  siècle,  presque  centenaire. 


70  INTROIU  (.TIO.N. 

IL 

ùirudèrc  d  aplitudcs  du  stiiiit  Jean. 

P.'U"  celle  liiof^rapliie  ;iltr(''},'(''e,  lions  r(uiiiaissoiis  d'assez 
près  l'apôlre  saint  Jean  (miih  nous  reiulre  (tuinple  de  son 
caractère  et  de  ses  ajililiidcs  inirlicnlièics. 

Denx  traits  en  apparence  conliadicloires  doivent  avoir 
distingua;  ce  disciple  :  la  profondeur  et  la  vivacité  des  im- 
pressions, d'une  part,  et  la  rareté  des  nianifeslations,  de 
l'anlre.  Il  y  avait  un  l'en  an  dedans  de  lui;  mais  la  flamme 
ne  jaillissait  »jue  raiemenl  el  par  brusques  explosions.  Jésus, 
en  comparant  cet  apôtre  au  nuage  éleclri(pie  qui  recèle  la 
tondre  dans  son  sein,  mais  ne  lui  doiin*;  (îssor  que  j)ar  inter- 
valles, avait  admirablement  caiaclérisé  le  disciple  qu'il  aimait. 

Ce  contraste  entre  la  véhémence  du  senlimenl  el  la  réserve 
haliitnelle  de  l'expression  *  révèle  le  trait  Ir;  plus  profond 
du  caraitère  de  saint  Jean  :  la  jtassioii  de  riilf'al.  Les  cœurs 
épris  de  cette  divine  apparition  sentent  un  abîme  toujours 
plus  profoml  se  creuseï"  entre  eux  et  le  monde  plongé  dans 
la  vulgarité.  Celle  opposition  de  sentiiiKMit  les  pousse  à  la 
concentration  et  au  recueillement,  lis  trouvent  dans  les  vo- 
luptés de  la  conlenijtlation  intérieuic  un  ;nrij»le  dédomma- 
gement des  soufl'rances  de  ris(denient.  .Mais  (pie  le  jour  ar- 
rive où  de  telles  âmes  rencontrent  eiitin  l'objet  qui  répond 
à  leurs  intimes  aspirations  et  réalise  plus  ou  moins  parfai- 
tement leurs  sublimes  pressentiments,  aussitôt  (piel  idtandon 
complet,  absolu!  quels  intarissables  cpanchements!  quelle 

1.  iNtjandor  exprime  une  vue  analogue  quand  il  dit  :  "  Ce  qui  caracté- 
risait Jean  ,  c'était  la  réunion  de  qualités  opposées ,  telle  que  nous  la  re- 
marquons souvent  chez  les  grands  instruments  du  règne  de  Dieu  :  une 
àme  disposée  au  recueillement  et  a  la  profomlc  méditation  et  un  zèle 
ardent ,  quoique  non  dirigé  vers  l'activité  extérieure.  »  Gfschichte  der 
PJlanzung  der  christl.  Kirchf,  t.  II.  p.  526. 


CHAI'.  III.  —  I   .\I'(»TIU;  SAINT  JEAN.  // 

;ilis(nl»;iiil<'  ((iiisiTialioii!  Kl  si,  tliun^  Iciii'  rliui,  elles  \it'ii- 
iiciil  à  rcncoiitirr  quelquo  obstacle  sur  leui-  clieniin,  ijut'll»' 
roiidroyaule  véhémence!  ffuels  éclats  subits!  L'amour  comme 
h  liiiiiir,  ratlmiralioii  comme  le  mépiis,  sont  marqués  chez 
ces  ualures-là  (\u  sceau  de  l'absolu.  Tout  povr  tout,  telle 
est  leur  devise.  La  loi  la  plus  (nofonde  du  monde  moral,  se 
jierdre  pour  se  trouver,  est  pralicpiée  par  ces  cœurs  comme 
d'instincl.  Tel  fut  Jean.  Sa  |)remière  rencontre  avec  Jésus 
(Jean  I)  et  la  relation  qui  suivit,  sur  laquelle  nous  ne  possé- 
dons que  si  [leu  de  détails,  sur  lacpjelle  nous  n'avons  en 
(|uelque  sorte  (jue  ce  mol  :  aie  disciple  que  Jéstis  aimait)), 
fut  sans  doute  la  plus  sublime  réalisation  qu'offre  l'histoire 
du  rapport  que  nous  venons  de  dépeindre.  C'est  qu'aussi  ja- 
mais passion  plus  vive  et  plus  pure  de  l'idéal  ne  rencontra 
un  objet  plus  digne  et  plus  capable  de  la  satisfiiire.  0"i  donna 
comme  Jésus?  Oui  recul  jamais  comme  Jean? 

Ces  dévouements  absolus  ne  sont  pas  disposés  à  croire 
aux  moyens  termes.  Dans  la  simple  indillérence  envers  l'ètie 
(pu"  les  a  ravis,  ils  discernent  avec  un  lad  prophétique  le 
principe  eaclié  de  l'anlipalhie  et  de  la  haine.  Tel  paraît  aussi 
avoir  été  Jean.  Dès  le  premier  conflit  entre  Jésus  et  les  Juifs, 
il  reconnut  le  principe  de  meurtre  caché  dans  le  cœur  des 
chefs  (Jean  V,  14),  et  le  résultat  final  fui  décidé  à  ses  yeux. 
Il  n'eut  plus  qu'à  constater  douloureusement  les  progrès  de 
la  catastrophe  pi'évue.  Les  chapitres  V-XII  de  l'évangile  n'ont 
pas  d'autre  plan.  «Dès  le  commencement  jusqu'à  la  fin  de 
son  apostolat,  il  n'y  eut  aux  yeux  de  Jean,  selon  l'ex- 
pression d'Ebrard,  que  deux  [)ositions  possibles  à  l'égaid  de 
Jésus  :  pour  ou  contre.  »  ' 

L'aptitude  spéciale  de  Jean,  comme  apôtre,  résulte  direc- 
tement de  la  tendance  fondamentale  de  sa  nature.  Tandis 


1.  Voir  l'article  de  ce  thi-oiogien   sur  sai/it  Jean.  Encyclopérlie  de 
Herzog.  Nous  avons  emprunte-  plusieurs  idées  à  ce  beau  travail. 


7S  INTRODUCTION. 

que  l'on  SI'  itlnii-^c  (hiiis;  In  C(inlrin|»l;ilj(tii  de  Tidral  pivs- 
senti  ou  réalisé ,  Ton  liiv/xl  pas.  Uassasit-  (riiituiliuii,  on  ne 
se  senl  pas  poussé  au  travail  cxléricin\  On  y  lépufjMie  même. 
On  observe;  puis  l'on  méilile.  On  s'absorbe,  (il  l'on  se  tait. 
Le  zèle  «le  saint  Jean  ponira  n'élre  pas  moins  brûlant  (jue 
lelui  lie  saint  Pierre.  Jamais,  cejtendanl,  le  premiei-  de  ees 
deux  apôties  n'aura  l'initiative  belli(jueuse  et  l'énergie  con- 
(juéranle  de  son  condiseiple.  Jean  ne  brillera  pas,  par  con- 
séquent, daus  le  cbamp  de  la  mission.  Il  ne  faudra  j)as  non 
plus  attendre  de  lui  la  j)alience  d'analyse  et  la  fjoide  ligueur 
d'argumejil.ilion  (jui  font  l'babile  dialecticien  et  le  victorieux 
conlroversiste.  Jamais  une  Épître  aux  Romains  ou  aux  Ca- 
lâtes ne  sortira  de  sa  plume.  On  peut  a})j)liquei'  au  plus  haut 
degré  à  cet  apôtre  ce  (jue  M.  Renan  dit  du  Sémite  en  gé- 
néral, «qu'il  procède  par  intuition,  non  par  déduction.»  Si 
saint  Jean  doit  jamais  lutter  contre  l'erreur,  au  lieu  d'en 
miner  les  bases  par  une  discussion  pénétrante,  il  pronon- 
cera sur  elle  un  anatbème  et,  au  lieu  de  léfuler,  il  fou- 
droiera. En  ce  sens  encore,  il  sera  le  lils  du  tonnerre.  Lors- 
qu'il voudra  établir  une  vérité,  il  ne  la  démontrera  pas;  du 
droit  de  l'homme  qui  voit  et  qui  sait,  il  la  posera.  «Jean  ne 
discute  pas,  dit  M.  de  Pressensé,  il  afïirme.»  Jean  et  Salo- 
mon,  ces  deux  Sémites  par  excellence,  quelque  difïérentes 
(jue  soient  leurs  issues,  ont  ceci  de  commun  :  leur  génie 
célèbre  un  perpétuel  triomphe. 

Saint  Paul  était  aussi  sans  doute  d'origine  sémite  ;  mais 
il  était  né  et  avait  grandi  en  pays  hellène.  Il  y  avait  con- 
tracté les  formes  plus  souples,  plus  déhées  et  moins  affir- 
matives de  l'esprit  occidental.  Aussi,  tandis  qu'il  descend  à 
notre  niveau,  tient  compte  de  nos  faiblesses,  et  gravit  labo- 
rieusement avec  nous  les  pentes  ardues  de  la  montagne 
sainte,  Jean  qui  .s'est  élevé  à  ce  sommet  brillant,  comme 
sur  des  ailes  et  à  son  insu ,  trône  en  pleine  jouissance  et 


r.nAP.  m.  —  l'apôthi-:  saint  jean.  79 

sr  coniciilc  (!«'  nous  faire  si^"-!!»'  de  le  rejoindre,  comme  s'il 
n'y  avait  rien  au  monde  de  jdus  aisé.  «  Celui  qui  pèche  est 
du  diable;  celui  qui  est  né  de  Dieu  ne  pèche  point.  »  Ainsi 
le  proclame  Tinluilion.  A  la  réalité  de  s'y  accommoder;  les 
liulies  délais  de  l'expérience  n'ont  pas  le  droit  de  s'opposer 
à  l'évidence  de  la  foi.  Synthèse  intacte  de  toute  analyse,  telle 
est  la  forme  de  la  pensée  de  Jean. 

Jean  fut  donc  une  nature  profondément  réceptive  plutôt 
ifiie  pralicpiement  active.  iMais  cette  réceptivité  n'était  ni  celle 
de  l'eau  où  s'cflhce  bientôt  le  sillage  du  navire,  ni  celle  du 
miroir  qui  ne  conserve  l'image  de  l'objet  qu'aussi  longtemps 
(|iie  dure  sa  présence.  C'était  celle  de  l'acier  dans  lequel 
l'empreinte  se  grave  à  l'eau  forte,  ou,  mieux  encore,  celle 
de  la  plaque  convenablement  préparée ,  qui  s'empare  de 
l'image,  de  manière  à  la  reproduire  et  à  la  multipliei*. 

III. 

Rôle  de  saint  Jean. 

De  ces  prédispositions  naturelles  sanctifiées  par  l'Esprit 
de  Christ  résulte  le  rôle  spécial  qui  fut  assigné  à  Jean  dans 
l'œuvre  apostohque.  Doués  comme  ils  l'étaient  l'un  et  l'autre 
au  plus  haut  degré  du  don  d'initiative,  Pierre  et  Paul  furent 
les  deux  grands  missionnaires  et  reçurent  la  tâche  de  fonder 
l'Église,  l'un  chez  les  Juifs,  l'autre  chez  les  Gentils.  Paul 
joignait  en  outre  au  don  de  l'activité  pratique  une  merveil- 
leuse habileté  dialectique.  Il  reçut  en  conséquence  une  se- 
conde tâche  bien  plus  difficile  encore,  celle  d'affranchir 
l'Kvangile  des  langes  judaïques  qui  l'avaient  enveloppé  dès 
son  berceau,  et  de  l'émanciper  des  entraves  qui  résultaient 
de  son  origine  historique.  Paul  eut  pour  mission,  tout  en 
évitant  de  rompre  le  Hen  organique  qui  unissait  la  nouvelle 
alliance  à  l'ancienne,  de  la  présenter  au  monde  dans  sa  pure 
spiritualité.  La  tâche  de  Jean  fut  de  couronner  l'édifice  que 


80  INTRODUCTION. 

SOS  (lovanciiT.s  ;iv;ii('iil  fcindr  o\  coiisli'uil  ;  «'I  celle  (àelie,  il 
l'a  accuiiiplie  an  triple  point  de  vue  de  |;i  vie,  de  l:i  eoiiiiais- 
sance  el  de  rorjranisatidii. 

Dans  sa  lettre  à  réviMjue  romain  Victor,  Polycrate  d'KpIièse 
dit  de  saint  Jean,  c  qu'il  lut  saei'ilieatenr,  (tortant  la  plaque 
d'or.»  On  a  interprété  diveisenient  celte  exj)ressi()n  étian}|e. 
Il  nie  paraît  qu'en  eonipararit  saint  Jean  au  ^Mand -prêtre 
porteur  de  la  lame  d'or,  sur  laquelle  é'iail  inscrit  :  Sainteté 
à  l'Éleniel,  Polycrate  veut  caractériser  j»ar  le  symbole  le 
plus  élevé  la  majesté  sainte  cpii  rayonnait  au  front  de  Jean 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie.  Le  souvenir  de  cette 
figrure  sacerdotale  était  resté  profondément  {^-ravé  dans  la 
mémoire  des  chrétiens  d'Asie-Mineure.  C'est  ainsi  que  nous 
dirions  aujourd'hui  de  certains  serviteurs  de  Dieu,  d'un 
Adoljdie  Munod  par  exemple,  que  sur  leur  front  était  écril  : 
Sainteté  à  l'Éternel.  Saint  Jean  n'était  pas  le  cep  sans  doute, 
mais  il  fut  le  sarment  parfaitement  mûri  sur  le  cep.  Crsl 
suitoii!  dans  sa  piemière  épître  (ju'il  a  tracé  le  tableau  de 
la  peifeclion  chrétienne,  en  reproduisant  les  tiaits  de  .sa 
propre  image  spirituelle,  à  savoir  la  parfaite  charité  et  la 
sainteté  accomplie.  Par  cet  écrit  dont  sa  personne  était  le 
vivant  connnentaiie,  il  a  laissé  au  sein  de  rEj,Mise  une  intui- 
tion de  la  vie  chrétienne  ((ui  brave  et  juge  toutes  les  dégé- 
néralions  de  l'expérience  et  de  l'histoire,  et  qui  ne  cesse  de 
stimuler  l'Église  et  de  produire  dans  chaque  croyant  mw 
intense  a.spiration  à  l'état  parfait.  C'est  ainsi  que  saint  Jean 
a  travaillé  par  sa  première  épître  à  consommer  l'Eglise  au 
point  de  vue  de  la  vie. 

Mais,  selon  Jean,  vivre  c'est  connaître.  aLavie,  dit-il  dans 
le  prologue  de  son  évangile,  était  la  lumière  des  hommes.  » 
Il  le  prouva  par  sa  propre  expérience.  La  splendeur  de  la 
connaissance  émana  chez  lui  de  la  plénitude  de  la  vie. 
Continuant  l'image  de  Polycrate,  nous  pouvons  dire  qu'à  la 


I 


CII.M'.  III.  —  l.'Ai'fVrilK  SAINT  JEAN.  81 

jilii(|iu'  tl'ui'  il  juiyiiil,  cctiiiiiic  le  j^iiiiid  siifiilicjiti'ui',  Yvrim  et 
\e  thummitHy  les  lumières  parfaites.  C'est  diins  son  évanj^ile 
(|u'il  a  (J»'j»osé  cet  aulie  livsor.  De  ce  livre  émanent  inces- 
siminu'iit  les  rayons  (|ui  illnniinenl  le  cœnr  des  savants  aussi 
liicii  (|ue  celui  i\v^  .^ini|il<'s.  l*ar  celle  œuvre,  Jean  a  élevé  les 
crotanls  à  rinliiiliou  [iiuiiu'le  du  CliiisI  et  consommé  l'Ég-iise 
au  |i(tinl  de  Mie  de  |:i  eouiiaissancc. 

L'amour  vrai  a  loujours  Itesoin  de  se  satisfaire  lui-même 
par  une  activité  positive.  L'absence  d'énergique  initiative 
chez  saint  Jean  ne  le  rendait  pas  propre  à  créer  sans  doute; 
mais  une  autre  tâche  s'accordait  avec  son  caractère  :  c'était 
celle  de  maintenir  et  d'organiser  ce  que  les  autres  avaient 
fondé'.  Telle  paraît  avoir  été  l'œuvre  apostolique  de  Jean  en 
Asie-Mineure.  La  tradition  ecclésiastique  nous  l'a  montré 
visitant  les  éghses,  installant  des  évoques,  réglant  les  points 
en  litige.  Quand  on  met  en  regard  ces  récits,  d'une  part,  et, 
de  l'autre ,  la  conslilution  puissante  et  universelle  avec  la- 
quelle l'Eglise  se  présente  au  monde  à  la  hn  du  siècle  apos- 
Inlique,  semblable  à  l'État  le  plus  fortement  organisé,  il  est 
difficile  de  ne  pas  se  ranger  au  sentiment  de  Rothe  et  de 
TliifTSch  (jiii  allribuenl  celle  magm'fique  apparition  de  l'É- 
glise du  deuxième  siècle  au  travail  ecclésiastique  de  saint 
Jean'.  Les  lettres  aux  sept  églises  (fAsie  par  lesquelles  s'ou- 
vre l'Apocalypse,  peuvent  être  envisagées  comme  le  monu- 
ment de  cette  troisième  face  de  l'activité  de  saint  Jean.  Et 
c'est  ainsi  qu'il  a  contribué  à  consommer  l'Église  au  j)oint 
de  vue  de  l'organisation. 


1.  «  La  constitution  des  églises  d'Asie-Mincnre  ,  telle  qu'elle  nous  appa- 
raît à  l'époque  de  Polycarpe,  est  tout  autre  que  celle  qu'elles  possédaient 
au  temps  de  Paul.  Nous  sommes  donc  forcés  de  supposer  une  influence 
intervenue  entre  ces  deux  périodes,  et  à  laquelle  est  dû  ce  changement.  >■ 
C'est  ainsi  que  s'exprime  Néander,  Geschichte  der  Pflanzioig  <l"r  rhnstl. 
Kirche  .  t.  II .  p.  530. 

I.  (■) 


Siî  INTRODrCTION. 

Trois  nèclies  acérées  jivaiciit  (■'l(''  remises  par  le  Père  entre 
les  mains  du  Fils.  La  première  partit  :  les  remparts  de  Jé- 
rusalem eroulèrenl,  et  rEvan;,M'lc  fui  installé  dans  celle  cita- 
delle, sons  les  murs  de  hujuelle  avait  été  enseveli  le  Sei- 
}:neur.  Le  second  trait  vola  :  le  colosse  païen  s'aflhissa  sur 
lui-même,  et  sur  ses  débris  s'éleva  triomphante  la  figure  du 
Christ.  Une  troisième  fois  l'invisible  vainqueur  banda  son 
arc.  L'ennemi  battu  an  dehors  s'était  ^dissé  au  sein  de  l'E- 
jjlise;  la  fausse  sagesse  y  exerçait  déjà  ses  ravages.  La  flèche 
partit  :  l'hérésie  ébionite  et  le  gnosticisme  naissant  furent 
mortellement  fraji|iés;  en  même  temps,  un  jugement  per- 
manent et  sans  appel  fui  prononcé  sur  tout  écart  subséquent, 
soit  ilans  la  doctrine,  soit  dans  la  vie. 

C'est  ainsi  que  Jean  a  fermé  majestueusement  la  marche 
hardiment  ouverte  jiai'  Pierre,  laborieusement  poursuivie 
jtar  Paul.  Au  sein  d'une  chrétienté  qui  commençait  à  se  res- 
sentir des  glaces  de  l'âge,  il  a  ranimé  le  feu  du  premier- 
amour;  il  a  aidé  l'Église  à  surmonter  ce  danger  de  l'af- 
Aiisscmenl  spirituel  qui,  au  boni  d'un  cerlain  t.emj)s,  me- 
nace toute  vie  chrétienne,  collective  ou  individuelle,  et  il 
l'a  ainsi  mise  en  état  de  .sortir  saine  et  sauve,  elle  aussi,  de 
l'huile  Itouillante  de  la  persécution,  aussi  bien  que  de  l'é- 
preuve, plus  redoutable  encore,  de  l'hérésie. 

Par  l'ardeur  bouillante  de  son  zèle,  au  terme  du  siècle 
.qiosloliqne ,  ce  discifde  bien -aimé  personnifie  l'éternelle 
jeunesse  et  l'inaltéraljle  virginité  de  l'Epouse  de  Jésus-Christ. 

On  a  souvent  présenté  les  phases  de  l'histoire  du  premier 
siècle  comme  le  type  de  tout  le  développement  subséquent 
de  l'Église  chrétienne.  C'est  grâces  à  Jean  surtout  que  cette 
comparaison  est  une  vérité.  Car  c'est  lui  qui,  en  consom- 
mant à  tous  égards  l'église  primitive,  a  anticipé  la  perfection 
finale  de  l'Église  universelle. 


Cll.vr.  IV. —  lŒ  LA  (.(iMI'dSITKi.N  |il    iv'^  KVANT.ILE.         8cJ 

CHAPITRE  IV. 
De  la  composition  du  quatrième  évangile. 

Après  avoir  recherché,  sur  la  voie  de  la  tradition,  le.>= 
iien.^  qui  rattachent  notre  évangile  à  la  personne  de  saint 
Jean,  et  avoir  étudié  l'histoire,  le  caractère  et  le  rôle  de  cet 
apùtre,  nous  allons  nous  occuper  de  l'écrit  lui-même,  au- 
tant que  cela  se  peut  faire  sans  anticiper  sur  l'exégèse.  La 
tradition  sera  encore  ici  notre  point  de  départ,  et  nous  rat- 
tacherons ^à  l'exposé  des  opinions  émises  par  des  Pères  ce- 
lui des  principales  questions  soulevées  par  la  science  mo- 
derne. 

Les  questions  qui  nous  occuperont  dans  ce  chapitre  sont 
les  suivantes  :  Où  et  quand,  dans  quel  but,  et  d'après  quel 
plan  a  été  rédigée  cette  narration  du  ministère  de  Jésus - 
Christ?  Ces  questions  sont  plus  ou  moins] solidaires;  mais  il 
convient,  jioii)-  In  clnrlé.  de  les  ('■Indier  séparément. 

Lieu  et  temps  de  la  composition.] 

1.  Les  Pères  pensent  unanimement  que  Jean  a  écrit  pen- 
dant son  séjour  en  Asie-Mineure  et  non  point  pendant  qu'il 
demeurait  encore  en  Palestine.  La  seule  différence  que  l'on 
remarque  dans  leurs  rapports  sur  ce  point,  c'est  que  les  uns 
indiquent  comme  lieu  de  la  composition  Eplièse,  les  autres 
T'atmos.  Cette  différence  est  de  peu  d'importance. 

Irénée  (Adv.  Hœr.  III,  i)  dit:  «Ensuite  (après  les  trois 
autres  évangélistes)  Jean,  le  disciple  du  Seigneur,  qui  avait 


84  I.N  PRODUCTION. 

«''I(''  coucIm'  sur  ^o^  ï^ciii.  |iul)li.'i.  lui  iiiijssi,  rLvniijjilc,  prn- 
liaut  qu'il  demeurait  à  Épitcse  en  i4.<;»V^»  Aik  un  des  Pères 
lu'  pouvail  rlic  mieux  n'iiscigiu'  sur  ce  point  (|u'Irén»''e. 
CiiUYsosTOMEsc  VMv^v  \\  ('('lit'  ()|)inion.  Jkîkoik  j)ar;iîl  la  pai- 
lagcr  aussi.  Il  dil  (De  vir.  ill.  c.  9)  :  «Jean  !rap('»lic  r(''(lig(\i 
rÉvanj^ilc.  If  dernier  de  h)n>.  n  la  demande  des  évéqves 
d'Asie  {rognlus  ab  Asia'  episcopis);))  tandis  que  plus  bas, 
rarontanl  l'exil  à  Palmos,  il  dit  :  (dn  Patmon  insiuhnn  rele- 
galns  scripsit  Apocalypsin.  »• 

Dans  nn  ouvrage,  fiiussenient  attril)U('  à  nipp(jlYle,  sur 
les  Douze  apôtres,  j)uis aussi  chez  Nickphore,  Tiiéopiiylacte 
et  d'autres,  ainsi  (pie  dans  plusieurs  nianuseiils  byzantins, 
et  particuli(''renient  ceux  (pii  sont  eonservf'S  à  Moscou,  Pal- 
mos est  indi(pi('  comme  lieu  de  la  composition.  Tliéophylacle 
(Introd.  au  comment,  sur  Jean)  dil:  <t  L'évangile 'qu'il  com- 
posa dans  l'île  de  Palmos,  pendant  (pi'il  y  vivait  exib!'.»* 

Dans  fa  Synopsis  Scripturœ  mcrœ,  j)lac(''e  à  torl  parmi 
les  œuvres  d'Atlianase,  nous  lisons  le  rapport  'suivant  qui 
tend  à  concilier  les  deux  opinions  :  ((  L'tjvangile  de  saint  Jean 
fut  dicté  pai-  lui....  pendant  (ju'il  ('lait  exilcî  dans  l'île  de  Pat- 
mos,  et  ùil  publié  à  EplKJse  pai-  le  hien-aimi'î  Gains,  l'hôte 
des  aptjtres.  )>  Hug"  et  Ehrard*  ont  admis  cette  combi- 
naison. 

Une  opinion  compl(^tement  divergente  a  fîlé  émise  dans 
\(}s  derniers  temps  par  Lange*.  Le  pas.sage  Jean  V,  2  :  ail 
y  a  (£5x1)  à  Jérusalem  un  étang,))  lui  paraît  démontrer  que 
Jean  a  écrit  avant  la  ruine  de  cette  ville,  et  par  conséquent 
avant  son  départ  pour  l'Asie-Mineure.  Comme,  (J'autre  part , 


I 


2.  "O  xal  ojv£Ypa'4<ev  èv  ritzTfjUi)  rfj  vrjau  iJ^ôpiaxo^  dtaTeXùv. 

3.  Einleitu7ig.  t.  II,  p.  254. 

4.  Wissefisc/ia/Cliche  Kritik ,  etc.,  p.  1042. 

5.  Das  aposlol.  ZeilaUer ,  t.  II,  p.  420  et  421. 


I 


,;l,^p.  (V.  —  1>K  I.A  CO.MPOSITIUN  IH'  IV'   i;\  A.Ndll.E.  8") 

la  laijyiK.'  et  Ir  i^tyle  du  (inalriènn'  ('vani^ilc  ne  jx-niM'Ilrnl 
|tas  (le  penser  que  cet  éci-il  ail  élé  eoni]i(»s(''  ailli'iirs  (jireii 
[•ays  grec,  Lange  est  conduit  à  admettre  ijin'  Jean  a  com- 
posé son  évangile  {)en(lant son  séjour  de  l'autre  côté  du  Joui- 
dain,  après  que  les  chrétiens  tie  Palestine  se  furent  retirés 
on  Df'capolis.  Cette  contrée  était  en  eflel  plus  grecque  que 
juive,  de  langue  et  de  culture.  L'exégèse  dira  si  ce  passage 
est  suflisant  pour  justifier  une  semblable  conclusion. 

r.AUR  conclut  de  la  connaissance  qu'a  l'auteur  de  la  gnose 
vaienlim'enne ,  (pi'il  a  probablement  écrit  à  Alexandrie  '. 
HiL(iE.NKELL)  [>ense  quc  le  berceau  de  notre  évangile^a  plutôt 
élé  l'Asie-Mineure. 

La  question  vraiment  importante  sur  ce  point,  puisqu'elle 
se  lie  étroitement  à  celle  de  l'authenticité  de  l'écrit,  est  celle 
de  savoir  si  la  nature  du  style  et  la  forme  de  la  pensée 
conduisent  à  admettre  un_ auteur  d'origine  grecque  ou  pa- 
lestinienne. L'exéîièse  devra  fournir  les  matériaux  néces- 
saires  à  la  solution  de  cette  (piestion. 

11.  Les  Pères  ne  sont  pas  moins  d'accord  sur  l'époque  de 
la  composition.  Irénée  {Adv.  Hœr.  III,  1),  Clément  d'A- 
lexandrie (Eus.  VI  li),  OniGÈNE  (Eus.  VI,  25),  Jérôme 
(De  vir.  ill.  c.  9) ,  admettent  que  notre  évangile  a  été  com- 
posé le  dernier  de  tous.  Il  résulte  de  là  sans  doute,  aussi 
bien  que  de  l'assertion  qu'il  a  été  composé  en  Asie,  qu'ils 
lui  assignent  une  date  assez  tardive  dans  le  cours  du  pre- 
mier siècle,  le  séjour  de  Jean  dans  ces  contrées  ayant  ter- 
miné la  carrière  de  cet  apôtre. 

Lange  ,  comme  nous  l'avons  vu ,  le  rapproche  beaucoup 
plus  de  la  mine  de  Jénisalem ,  et  croit  même  sa  composi- 
tion antérieure  à  cette  catastrophe. 

1 .  Theol.  Jahrb.  t.  IV,  p.  687. 


80  INTRODUCTIOiN. 

L'Ecole  de  Tliuncue,  au  coiitraiic,  lail  do  cet  écril  un 
produit  du  milieu  du  second  siècle'.  La  preuve  de  cette 
date  avancée  se  liouve,  selon  Baur,  dans  le  caractère  même 
du  (juatrième  évangile,  «(jui  réunit  en  lui,  purifiés  et  spiri- 
tualisés,  tous  les  éléments  de  la  vie  et  du  mouvement  reli- 
gieux de  celte  époque,  gnose,  doctrine  du  Logos,  monla- 
nisme,  dispute  sur  la  IVicpic  Toul  cela  esl  elïleuré  dans  cet 
écrit ,  sans  pourtant  le  dominer.  Il  esl  la  conscience  même 
de  cettej''po(|ue,  crprnnéc.i)  Les  deux  formes  opposées  de 
la  conscience  chrétienne  qui  avaient  coexisté  jusqu'alors  et 
qui  portaient  le  nom  de  Pierre  et  de  Paul,  y  sont  élevées  à 
une  unité  supérieure  plus  noble,  plus  libre,  plus  universelle. 
L'apparition  de  ce  livre  est  le  signal  de  la  fondai  ion  <le  l'imib'' 
catlioliipie,  qui  a  eu  lieu  vers  la  lin  du  second  ^siècle.  C'est 
ainsi  que  le  qualiième  évangile  porte  écrit  sur  son  front 
son  acte  de  naissance.  En  outre  le  pseudo-Jean  se  trahit 
fréquemment  par  des  erreurs  liistoriques  ou  topograpbiques, 
qui  décèlent  un  auteur  vivant  à  une  distance  considérable 
i\i^s  temps  et  des  lieux  où  il  place  son  récit. 

L'exégèse  devra  rechercher  si  ces  rapprochements  pré- 
tendus entre  la  situation  de  l'Église,  vers  le  milieu  du  second 
siècle,  et  les  tendances  du  quatrième  évangile  sont  des  réa- 
lités ou  doivent  n'être  envisagés  que  comme  les  fiction.s 
d'une  critique  égarée  par  un  point  de  vue  préconçu.  Elle 
devra  porter  également  un  jugement  sur  les  erreurs  de  fait 
attribuées  à  l'auteur  de  ce  récit  évangélicpie.  Enfin  .sa  fâclie 
essentielle  sera  de  rassembler  tous  les  indices  qui  peuvent 
servir  à  fixer  positivement  l'époque  à  laquelle  a  pu  surgir 
un  pareil  écrit. 


1.  Voir  le  çrand  travail  de  Baur  :  Theol.  Jahrb.  1844  ;  trois  articles  re- 
produits dans  i'ntersuch.  uber  die  kanon.  Evang.  Tub.  1847  ;  et  Das 
Chnstenlhum  und  die  chriatl.  Kirche  der  drei  erslen  Jahrh.  p.  2.3. 


CIIAF'.  IV.  —  I)K  LA  COMPOSITION  DU  IV*^  KVAMIILK.  X7 

II. 

But  et  caractère  du  quatrième  évangile. 

Les  Pùies  expriinoni  des  opinions  très-divergentes  sur  le 
iiiolirijui  j)oussa  l'iipôlie  à  composer  son  évangile  et  sur  le 
liiit  (ju'ii  se  proposa  dans  ce  travail. 

La  tradition  la  plus  originale,  quant  au  contenu,  et  pro- 
liablenienl  aussi  la  plus  antique,  est  celle  que  nous  trouvons 
consignée  dans  le  Fragment  de  Muuatori.  «Le  quatrième 
évangile  est  celui  de  Jean,  le  disciple  (discipuli);  comme 
ses  condisciples  (condiscipulî)  et  ses  évèques  le  pressaient 
d'écrire,  il  leur  dit  :  «Jeûnez  avec  moi  trois  jours,  et  nous 
«  nous  coininuni(|ueroiis  mutuellement  ce  qui  aura  été  révélé 
«  à  chacun.  »  Dans  cette  même  nuit  il  fut  révélé  à  André,  l'un 
d'entre  les  apôtres,  que  Jean  devait  tout  rédiger  en  son  propre 
nom,  et  tous  les  autres  contrôler  l'exactitude  de  son  récit 
[ut,  recognoscentibus  cunctis ,  Johannes  suo  nomine  cuncta 
describei'et).)>  Cette  liadition  n'attribue  à  la  composition  de 
notre  évangile  aucun  but  spécial.  Ce  qui  a  porté  Jean  à  écrire, 
c'est  tout  simplement  le  besoin ,  éprouvé  par  les  églises  et 
manifesté  jjar  leurs  évèques  ,  d'être  édifiées  par  ses  récits  , 
besoin  (jui  auiait  été  confirmé  par  une  révélation  divine 
accordée  à  l'apôti'e  André.  Mais  qui  sont  donc  ces  person- 
nages dont  parle  le  récit ,  qui  devaient  constater  l'exactitude 
du  récit  de  Jean?  On  a  pensé  que  ce  ne  pouvaient  être  des 
apôtres  proprement  dits,  vu  le  titre  de  condiscipuli.  Mais  le 
lerme  de  discipulus  est  appliqué  à  Jean  lui-même  dans  la 
ligne  précédente.  C'est  une  expression  générale  qui  désigne 
t<jus  les  disciples  immédiats  du  Seigneur  et  renferme  avec 
les  apôtres  d'autres  persoimages,  vénérés  comme  anciens 
disciples  d«'  Jésus.  En  les  jilaçant  dans  son  récit  avant  les 
évèques,  l'auteur  du  fragment  leur  attribue  la  position  la 


S.V  INTRODUCTION. 

plus  ('K'Vi'o  «laiis  rÉgliso.  André  oct'iijniil  li'  lucmiiT  rang 
(uinni  eux,  fl  rautcur  le  fail  seiilir  en  l'apprlaiil  plus  l»as 
apostolus.  Tels  ('(aieiil  ces  ]M'i-soiiiia;;i's,  (|iii,  jmr  leur  Ir- 
iiioiy^nage  coiicMudanl,  dcvaiciil  aUcslor  {recoynoscentibus 
ainctis)  la  coiifonnilt'  du  rccil,  de  Jean  avec,  les  faits  dont 
ils  avaient  eux-mêmes  éfé  les  lémoins. 

Mais  Jean,  après  sou  dépari  de  l';ilesline,  se  seiail-il  ren- 
contré quelque  part  avec  André  et  quelques  autres  apôtres 
(»u  anciens  disciples  du  Seigneur?  La  (radilioneccl('siasli(jue 
allrihue  à  André  la  prédication  du  clirislianisme  dans  les 
contrées  de  la  mer  Noire  et  spécialement  la  fondation  de 
l'église  russe,  dont  cet  ajxjlre  est  resté  le  patron.  Rien  ne 
s'oppose  par  C(jnséquent  de  ce  (;ùtc'-là  à  rid(''e  qu'Andr»''  ait 
passé  et  séjourné  à  Eplièsc  pendant  le  temj»s  (jue  Jean  habitait 
celte  ville.  Si  l'on  peut  accorder  quelque  créance  à  la  légende 
d'après  laqiiellc  André  aurait  péri  en  .\cliaïe,  son  passage  à 
Éphèse  acupierrait  encore  jiar  là  plus  de  vraisemblance.  C'est 
ainsi  (jue  les  deux  hommes  (jui  avaient  les  premiers  salué  le 
Seigneur  comme  le  Messie,  se  seraient  retrouvés  un  jour 
sur  la  terre  étrangère.  Serait-il  étoiiiiinil  ipir  les  chrétiens 
d'Asie-Mineure  eussent  voulu  profiter  de  cette  rencontre  re- 
marquable pour  obtenir  de  Jean  une  oeuvre  (pi'ils  désiraient 
jii'ul-élre  dejdiis  longtemps,  un  l'é-cil  du  iiiinistère  de  Ji'-sus, 
conforme  à  ses  enseignements  oraux  et  (pn",  s'il  didéiait  en 
«pielques  points  de  la  forme  généralement  reçue,  trouverait 
ilans  le  témoignage  d'André,  sou  plus  ancien  condisciple, 
la  garantie  de  son  exactitude  et  de  sa  supériorité  ? 

Pouvons-nous  .supposer  encore  la  présence  de  (juelrpje 
autre  apôtre  parmi  ces  condiscipuli ,  dont  nous  parle  le  frag- 
ment? Une  tradition  positive,  remontant  à  Clément  d'Alexan- 
drie, d'un  côté,  au  presbytre  Caïus,  dr;  l'antre,  fait  séjourner 
un  personnage  apostolique  nommé  Philippe,  qui  ne  peut 
être  que  l'apôtre  ou  l'évangéliste  de  ce  nom,  à  IliérapoHs,  en 


CIIAP.  IV.  —  DE  LA  COMPOSITION  DU  IV*'  ÉVANGILE.         8!) 

F'lirvf,Me,  il  iiiK'  (lislnnrp  pou  ooiisidôinlilc  «rKphc.'îp.  L'uikî  de 
ses  tilles,  un  (lire  d'Eusèhe,  élail  mûrie  e(  eii.sevi'lie  i'i  Kplièse 
même.  Si  celte  tradition  se  rapporte  à  l'apôtie  Philippe ,  dont 
la  voeatioii  avait  siii\i  (Tnii  jour  seulciiirnl  relie  de  Jean  et 
d'André  (Jean  I),  ce  personnage  prendrait  liès-natinelle- 
menl  sa  [tiaee  à  côté  d'André ,  conmie  second  condiscipulus. 
Si  c'est  le  diacie ,  (jui  avait  joué  un  rôle  vraiment  aposto- 
lique dans  les  premiers  jours  de  l'Église ,  cela  revient  à  peu 
prés  au  même.  Il  était  bien  capaLie ,  lui  aussi,  de  certifier, 
de  concert  avec  André,  l'exaetitude  du  récit  de  Jean.  La 
«inestion  sera  de  savoir  si  quelque  donnée,  tirée  de  l'évan- 
g^ile  lui-même ,  confirme  cette  coopération  morale  d'hommes 
apostoliques ,  témoins  personnels  de  la  vie  de  Jésus ,  et  cor- 
roi  «ore  ainsi  l'antique  et  remarquable  tradition  conservée 
dans  ce  fragment. 

Jérôme  reproduit  à  peu  près  le  même  récit ,  mais  sous 
une  forme  déjà  passablement  amplifiée  et  compliquée.  Dans 
son  Conihientoire  sur  Mfdthieit,  t.  IV,  p.  2  et  suiv.,  il  dit  : 
n  Comme  Jean  était  en  Asie,  et  (pie  df'jà  pullulait  la  semence 
des  hérétiques,  tels  ffue  Cérinfhe,  Ébion  et  d'autres,  qui 
ment  Christ  venu  en  chair,  il  fut  conti;ainl ,  tant  par  la 
presque  totalité  des  évèques  d'Asie  que  par  les  députations 
de  nombreuses  églises,  d'écrire  quelque  chose  de  plus  pro- 
fond sur  la  divinité  du  Sauveur,  et  de  s'élancer  jusqu'au 
Verbe  de  Dieu.  L'histoire  ecclésiastique  raconte  que,  comme 
il  était  ainsi  sollicité  par  les  frères,  il  répondit  qu'il  écrirait, 
si  tous  en  coininini  jeûnaient  et  priaient  Dieu  avec  lui;  ce 
(fui  eut  lieu.  Après  quoi,  la  révélation  dont  il  fut  saturé  fit 
xplosion  dans  ce  prologue  :  a  Au  commencement  était  la 
■'  Parole.  y>  On  distingue  parfaitement  dans  ce  récit  deux 
parties  :  la  seconde  est  la  n.'produetion  de  celui  du  PVag- 
nient  de  Muratori;  la  première  attribue  à  l'évangile  de  Jean 
une  destination  beaucoup  plus  particulière,  celle  de  com- 


90  l.NTROUUCTIO.N. 

luUtre  riH'ivsio  (|iii  surgissait  dans  les  ('ylist's  d'Asie  sous 
(livei'scs  formes.  C'est  ce  même  hut  que  mentioMn<'  Jérôme 
{Dr  vit:  iUust.  <•.  !))  :  «  Ayant  étr  sollicité  {»ar  les  évèques 
d'Asie,  il  écrivit  son  évangile  contre  Cérinllie  et  d'antres 
hérétiques,  spécialement  eoiitic  le  do},nne  des  Éliionites, 
qui  surgissait  alors.»  Innuédialenient  ajtiùs,  Jéiùni»'  indi(|ue 
encore  un  autre  liut  ipie  nous  trouverons  plus  lard  exposé 
dans  une  tradition  conservée  par  Eusèbe. 

Jérôme  n'est  pas  le  seul  qui  attiihue  à  l'évangile  de  Jean 
une  intention  jtolémique.  Parmi  les  anciens,  liiÉNÉE  allirme 
que  l'évangile ,  ou  du  moins  le  prologue ,  était  écrit  conlie 
Cérinthe  et  les  Nicolaïtes.  cJean,  le  disciple  du  Seigneur, 
voulant  extirper  par  la  jtrédicalion  de  l'Evangile  l'errem' 
semée  j)ar  Cérinllie,  et  bien  auparavant  déjà  par  ceux  ijui 
sont  appelés  Nicolaïtes ,  a  savoir  que  autre  est  le  Créateur 
du  monde  .et  autre  le  Père  de  notre  Seigneur;  autre  le  Fils 
du  Créateur,  Jésus,  et  autre  le  Christ  d'En-IIaut  qui  est  des- 
cendu pour  s'unir  à  Jésus  et  qui  n'a  point  soulTert,...;  vou- 
lant donc  (Jéliuire  de  telles  erreurs  et  ét«'i])lir  dans  l'Eglise 
la  règle  de  la  vérité ,  Jeaii  commença  par  cet  enseignement  : 
i'Au  commencement  était  la  Parole,  etc.»  (Adv.  Hœi'.  III,  11.) 

D'autres  Pères  attribuent  à  la  comjMJsition  du  quatriènn' 
évangile  mi  but  tout  dillérent ,  mais  non  moins  spécial, 
c'est  celui  fie  compléter  les  évangiles  précédents,  et  cela, 
soit  au  point  de  vue  des  enseignements ,  soit  à  celui  des 
faits.  On  vcjit  «jue  cette  explication  en  comprend  en  réalité 
deux  loul-à-lail  ditlérentes. 

La  première  attribue  à  notre  évangile  une  tendance  es- 
sentiellement didactique;  c'est  sous  cette  forme  que  nous  la 
trouvons  chez  Clk.mknt  d'Alkxandrie.  Le  récit  consei^vé  par 
ce  Pèie  et  qu'il  dit  devoii'  à  une  tradition  non  interrompue, 
remontant  de  prcsbytre  en  piesbytre  jusqu'au  commence- 
ment (TcapaSoa'.^  tûv  àvéxaOev  zpe^PuTepov) ,  est  aussi  simple. 


CHAI'.  IV.  —  DE  LA  COMPOSITION  DU  IV*^  ÉVA.MilLE.         '.M 

jM)ur  le  roiileiui  cl  j)OUi' la  lid-mc,  <juc  n-lui  du  Finj^niiciil 
(If  Murutori ,  et  purlc  en  lui-même  la  jneuve  île  sa  liaule 
aiiliijuité  :  «Jean,  le  dernier  des  quatre,  voyant  que  les 
choses  corporelles  [les  faits  île  la  vie  du  Seijj'ueur]  avaient 
été  i-acontées  dans  les  évauj^iles, déterminé  |»ar  les  notables 
de  l'Église,  et  cédant  à  la  divine  impulsion  de  l'Esprit,  com- 
jiosa  un  évangile  spirituel  [reproduisant  d'une  manière  plus 
parfoite  l'esprit  de  l'enseignement  de  Jésus]  S)  (Eusèbe, 
Hist.  ceci.  VI,  14).  Ce  but  ilidactique  se  rapproche,  plus  qu'il 
ne  paraît  au  j)remier  coup  d'œil ,  du  but  polémique  dont 
nous  a  parlé  hx'née. 

La  seconde  forme  de  la  tradition,  i|ui  attribue  à  Jean 
l'intention  de  compléter  les  autres  évangiles ,  interprète  ce 
but  dans  un  sens  inu'cment  historique.  Voici  le  témoignage 
d'EusÈDE,  qui  s'est  lait  l'organe  de  cette  manière  de  voir: 
«Après  donc  que  Marc  et  Luc  (il  a  déjà  parlé  de  Matthieu) 
euient  jtublié  leurs  évangiles,  on  raconte  (9aal)  que  Jean, 
qui  jusipi'alors  n'avait  prêché  (jue  de  vive  voix,  se  mit  eniin 
à  écrii'e  par  la  raison  suivante  :  les  trois  évangiles  déjà  pu- 
bliés étant  parvenus  entre  ses  mains ,  comme  entre  celles 
de  tous  les  autres,  il  en  conlirma,  dit-on,  la  vérité  par  son 
lémoignag-c  ;  il  n'y  releva  que  l'omission  des  choses  que 
Christ  avait  faites  au  commencement  de  son  ministère  (Eu- 
sèbe démontre  ici  cette  lacune ,  dans  le  récit  des  Synopti- 
ques, entre  le  baptême  de  Jésus  et  l'emprisonnement  de 
.lean-Baptiste).  L'apôtre,  pressé,  dit-on,  par  ses  amis,  pour 
cette  raison-là,  écrivit  les  choses  que  les  trois  premiers 
évangéhstes  avaient  omises  (suit  le  développement  de  celte 
pensée,  appuyé  surtout  sur  la  remarque  Jean  III,  24),  par 
où   l'on  voit  l'accord  des  évangiles  entre  eux.  «    «  Mais , 

1.  Tôv  |j.£vToi  'I(i)àvvT)v  iaxaro"*  auvtôcvta  ôti  xà  awfiartxà  èvroî?  eûay- 
ÔÉvra,  TîveujjLaTtxbv  TioiT^aai  eùayYéXiov.... 


!♦:>  INTFUtDLCTION. 

;iioiit('  riiisini  un,  liiiidis  qui'  MiUlliii'U  cl  Luc  luni^  ont  con- 
serve hi  f;cuc;ilo,vic  (le  (ihrisi  selon  l:i  cli;iii-  (yeveaXcYia) , 
.Iciiti  |>art  «le  sa  divinilé  (S'ecXcYi'a);  nw  c'est  là  la  pari  (|ue 
lui  avait  n'-seivi'c  rEs|iriI  divin,  connne  au  plus  excellent  de 

IdUS.  i 

Nous  jxuivons  n'-sunier  cet  e\pos«3  de  la  tradition  sur  le 
hut  de  révan{,nle,  en  l'angcant  sous  (juatre  chefs  les  asser- 
lions  des  Pères  : 

t.  Le  \\ul  pratùjtie  i\e  rcdilîcation  de  l'Église  (Fragment 
de  Muralori); 

2.  La  tendance  polémique  (Irénée,  Jérôme); 

3.  L'intenlidii  didactique  (Clément  d'Alexandrie); 
i.  Le  liul  pun-menl  historique  (Eusèbe). 

L'une  de^  tâches  les  phis  iuiport^intes  de  l'exégèse  sera 
de  faire  j)arler  la  narration  elle-même  et  de  lui  arracher  le 
secret  du  ImiI  ijue  s'est  pioposé  l'auteur.  Nous  n'avons  à  ad- 
mettre ni  à  rejeter  de  prime  ahord  aucune  ties  opinions 
conservées  jiar  |la  tiadilion  jialrisiiipie.  Il  est  de  mode  au- 
jourd'hui ,  je  le  sais  ,  de  h'aiter  avec  dédain  les  témoignages 
des  Pères  sur  ces  sujets-là.  Un  ne  les  envisage  qu(;  comme 
de  simples  'suppositions ,  [et  dans  ces  suppositions  l'on  ne 
voit  fjUf;  des  conjectures  de  niais.  L'expérience  nous  a  con- 
duit à  H(i  autre  résultat.  Nous  croyons  avoir  reconnu  que, 
en  géué-ral ,  plus  une  tradition  est  antique,  plus  elle  est  sim- 
ple ,  et  que  plus  elle  est  simple ,  nu'eux  aussi  elle  s'adapte 
aux  données  ré.sultant  du  livre  lui-même.  C'est  plutôt  chez 
les  écrivains  postérieurs  (Origène ,  Jérôme ,  Épiphane)  que 
nous  trouvons  la  tradition  sous  une  forme  amplifiée,  altérée 
et  conjecturale.  Repassons  hrièvement  les  différents  buts 
indi«jués,  erj  joignant  à  cet  examen  piéalahle  l'exposé  des 
opinions  émises  par  les  écrivains  modernes. 


CHAI'.  IV.  —  i)i;  i..\  coMi'u.sn  ION  nr  iv''  i'ivancilk.       O;! 

1.  Oii;iiil  ;i  I  iiilriilinii  (|H(i  .se  scmil  j)roj)osée  Jean  de 
conijtli'l"'!'  Iii.s|nii(|iiciiit'iii  Ic.N  jdt'niicrs  «'vaiigiles  (Eusèbo) , 
M.  Hcuss  liaiicln'  iit'^alivcmi'iil  la  (jucslioii  ol  va  ius(ju'à  diif: 
a  II  n'y  a  plus  ilrsoniiais  (juc  les  esclaves  de  la  plus  vulgaire 
(ladilioii  |)aliis(i(|iie  ,  i{iii  souliendroiil  une  si  pauvre  llièse'.  >•> 
Nous  renverrons  i(  i  à  M.  Kcuss  ses  propres  paroles  :  c  Ce 
n'est  pas  par  un  anallième  que  l'on  réduira  au  silenee  une 
critique  (pii  arriverait  à  des  résultats  opposés*.»  M.  Reuss 
ne  range  cerlainenienl  pas  Ewald  dans  le  vil  troupeau  i\L'S 
esclaves  de  la  tradition ,  et  vuiii  néanmoins  ce  |que  dit  ce 
savant  sur  le  luit  du  (|iialii(''iii<'  évangéliste  :  «  Jean,  le  plus 
capable  de  tous  de  compléter  ce  qui  manquait  au  récit  des 
premiers  évangales ,  se  décida  à  le  faire.  »  Et  encore  :  a  Con- 
naissant plus  exactement  l'histoire  de  la  vie  de  Jésus  qu'au- 
cun autre  écrivain,  il  a  pa ifai tement  rec<//fe  bien  des  choses 
racontées  moins  exactement  par  ses  devanciers,  et  complété 
leur  récit  de  la  manière  la  plus  heureuse  et  la  plus  utile'.» 
Dans  son  Introduction  au  Nouveau  Testament*,  M.  Reuss  re- 
jette comme  très-grossière  et  très-dangereuse  la  supposition 
que  Jean  ait  voulu  compléter  les  autres  évangiles.  Mais 
nous  demandons  ce  qu'ont  à  faire  ici  de  pareilles  épithètesV 
La  vérité  n'est-elle  pas  souvent  très-grossière?  Et  la  seule 
altitude  vraiment  scientifique  n'est-elle  pas  celle  de  l'étude 
des  faits,  sans  aucun  égard  à  leurs  conséquences  utiles  ou 
nuisibles?  Qu'importe  donc  que  cette  opinion  soit  dange- 
reuse ,  si  elle  est  vraie  ?  Nous  conserver  le  protocole  ouvert, 
y  enregistrer  les  faits ,  constater  les  passages  dans  lesquels 
pourrait  se  trouver  quelque  allusion  aux  évangiles  antérieurs, 
voilà  ce  que  nous  réclamons  le  droit  de  faire,  sans  nous 


1.  Hist.  (le  la  t/ieol.  chrétieime .  t.  II .  p.  312. 

2.  Iùtd.p.277. 

3.  Jahrbuc/ier,  t.  X,  p.  90. 

1.  Gescfi.  lier  heil.  Scfir.  A'.  T.  g  222. 


Ht  INTridlUCTldN. 

laisser  anvloi'  jt;ir  iiucun  rcto  prôvi'iilil  de  l:i  science  «^tii- 
lemporainc. 

Du  rcslc.  plusieurs  snvnnls  modernes  se  sont  prononces 
lortenienl  en  faveur  de  Inilenlioii  qu'aurai!  eue  Jean  de  cuni- 
plêfer  les  autres  évanjriles,  sans  y  voir  néanmoins  le  l)u( 
uniipie  de  son  récit.  Nous  avons  déjà  cilé  Kwidd  qui  isl  le 
plus  positif  de  tous  sur  ce  point.  Ilur,,  Schulze,  Khraiu», 
parta},n'nt  c^'lte  opinion.  Lessinj:  lui -même,  en  déclarant  : 
«qu'il  t'st  indémoniralde  autant  (pnncroyahle  que  Jean  n'ait 
pas  comni  les  trois  autres  évani^nles',»  pose  la  base  de  cette 
manière  de  voir  an  riKinn-nl  même  où  il  virnl  de  l'écarter. 

2.  L'intention  jiolémiijue  est  ég^alement  rejelée  par  M.  Heuss. 
Il  allèp-ue  le  ftn'l  (pie  les  Gnostiques,  contre  les<|ucls  devrait 
avoir  «'lé  dii'i^a'  cet  écrit,  eu  util  l'iiil  le  plus  ;,'rand  usage. 
Cet  argument  est-il  décisif?  D'abord,  le  résultat  peut-il  rien 
prouver  contre  l'intention?  Puis,  les  Gnosti(jues  ne  sont  pas 
les  seuls  hérétiques  en  vue  desquels  Irénéc  et  Jéi'ôme  pré- 
tendent que  le  quatrième  évangile  a  été  composé.  Ils  parlent 
aussi  des  Ehionites  et  des  Nieolaïtes.  Il  y  a  ici  une  double 
«piestion  :  Existait-il  iléjà  au  temps  de  saint  Jean  des  héré- 
sies dignes  d'appelei"  l'atlenlion  de  cet  apôtre?  Et  peut-on 
constater  une  relation  antithétique  entre  les  fausses  doctrines 
et  le  contenu  de  notre  évangile?  La  première  partie  de  celte 
question  est  du  domaine  de  l'histoire.  Elle  ne  peut  être  ré- 
solue qu'afïîrmativemenl.  La  première  épître  de  saint  Jean 
(dont  .M.  Reuss  admet  l'authenticité)  signale  et  combat,  de 
l'aveu  de  tout  le  monde,  certaines  tendances  hérétiques. 
«  Tout  esprit  qui  ne  confesse  pas  Jésus-Christ  venu  en  chair 
(comp.  V.  2),  n'est  pas  de  Dieu  »  (IV,  2).  «.Il  y  a  déjà  mainte- 


1.  .\ei(e  ttypothesc  Uber  die  Evangelisten ,  g  53.  Œuvres  compL,  éd. 
Lactira.  t.  XI. 


(Jll.\r.  IV.  —  l»K  LA  CO.MI'dSI  l'Kl.N  Hf  IV*^  LVANCILK.         !)5 

liant  plusieurs  (mticlirists;  ils  sont  sortis  d'entre  nous;  mais 
ils  n'étaient  pas  des  nôtres;  s'ils  eussent  été  des  nôtres,  ils 
seraient  restés  avec  noHSî>  (II,  18.  10).  «  Qui  est  le  menteur, 
sinon  celui  qui  nie  que  Jésus  est  le  Christ;  celui-là  est  l'an- 
tichrist,  niant  le  Père  ci  le  Filso  (II,  îl'2).  Conip.  au.ssi  dans 
la  seconde  rpître,  v.  0  et  10:  «  Celui  qui  ne  detneure  pas  dans 
ht  doctrine  du  Christ  n'a  pas  Dieu.  Si  quelqu'un  vient  à 
vous  et  ne  vous  apporte  pas  cette  doctrine,  ne  le  recevez  pas 
dans  votre  maison.  »  Il  est  évident  que  dans  plusieurs  de  ces 
passages,  Jean  avait  en  vue  les  Docétes  qui  niaient  la  réalité 
de  l'incarnation,  réduisant  la  venue  de  Christ  à  une  simple 
tliéophanie,  et  son  corps  à  une  apparence.  Les  témoignages 
('(xlésiasli(pies  ne  permettent  pas  non  plus  de  douter,  si 
Ton  n'est  pas  atteint  d'une  manie  ultra-sceptique ,  de  l'exis- 
lence  et  de  l'activité  de  Cétinthe,  à  Ephèse,  pendant  le  sé- 
jour de  saint  Jean  dans  cette  ville*?  Cet  hérétique  qui  a  été 
:ippel»',  non  sans  raison,  le  Père  du  gnosticisme ,  enseignait 
(jue  Jésus,  lils  de  Joseph  et  de  Marie,  n'avait  été,  jusqu'à 
son  baptême,  rien  de  plus  qu'un  juif  pieux;  qu'à  ce  moment 
de  sa  vie,  le  vrai  Christ,  un  être  céleste,  était  descendu  sur 
hii  el  lui  avait  révélé  le  Père  et  communiqué  le  don  de  faire 
^Qs  niiracles;  mais  qu'il  l'avait  quitté  avant  sa  passion  pour 
remonter  au  ciel,  et  que,  en  conséquence,  le  vrai  Christ 
était  resté  impassible.  A  ce  point  de  vue,  l'on  comprendrait 
ais('ment  comment  saint  Jean,  dans  sa  première  épître,  at- 
Iribue  à  des  hommes,  faisant  profession  de  christianisme, 
lasserliijn  étrange  que  Jésus  n'est  pas  le  Christ  (li,  23). 

Irénée  parle  encore  des  Nicolaïtes  qu'il  envisage  comme 
beaucoup  plus  anciens  que  Cérinthe'.  Il  les  caractérise 
comme  niant  l'identité  du  créateur  du  monde  et  du  Père 

1.  Voir  Schneider.  Compenrlium  der  tilteste7i  Kircheng.  1859,  g  41. 

2.  A  Ccrintho et  multo  prias  ab  /lis  qui  tUcuntur  Nicolaitœ.  Adv. 

iUrr.  m.  11. 


%  l^TRuD^CTlo^. 

<lo  Jésiis-Clirisl  ;  c'esl-à-diro  qu'ils  «'«lahlissaionl  une  opposi- 
tion rnirt'  Ii-  DiiMi  de  la  nalure  cl  celui  de  la  }iràce,  parcon- 
M"(]uenl,  rnlre  la  matière  et  l'esprit.  Cette  manière  de  voii 
se  rattaeliait  à  la  fois  au  point  de  vue  aiili<|ut',  d'après  lequel 
la  matièie  est  le  jjrincipr  «lu  j)éeliè,  et  à  la  réaction  exap'- 
rée  de  l'élément  chrétien  contn'  la  vie  nalincllc.  Les  Niro- 
laïlcs,  dont  il  est  déjà  parlé  Apoc.  11,0.  15,  paraissent,  d'a- 
près les  rapports  des  Pères,  avuir  développé  leur  manière 
de  voir  dans  deux  diicclions  dilli'rentcs;  les  uns  ru  tirèrent 
des  conséquences  ascétiques  austères;  les  auties  s'imaginè- 
rent que  ce  (|ue  l'homme  avait  de  mieux  à  faire,  |»nur  di'- 
Iruire  le  j)lns  jintniplcment  jiossihh'  la  jiuissance  de  la  chair, 
c'est  de  la  livrer  sans  IVein  à  ses  propres  excès. 

A  ces  hérétiques  mentionnés  par  Irénéc,  Jérôme  ajout».' 
enfin  les  Ébionites.  Ce  n'est  pas  de  nos  jours  que  personne 
niera  l'existence  de  cette  tendance  dans  le  siècle  apostolique. 
Les  Khionites  envisageaient  Jésus  connue  un  simple  lionnne 
(^l^iXôç  àv^ipwzo;:),  tjui  avait  été  rempli  à  son  baptême  d'une 
force  divine.  Ils  maintenaient  l'observation  de  la  loi  céré- 
monielle,  conformément  à  l'exemple  du  fondateur  de  l'E- 
glise, et  attendaient  son  retour  ici -bas  connue  l'époque  à 
laquelle  il  devait  établii'  son  règne. 

L'existence  de  ces  diverses  erreurs  au  temps  de  saint  Jean 
peut  donc  être  historiquement  constatée.  La  seconde  partie 
de  la  quc.«;tion  est  maintenant  celle-ci  :  Le  quatrième  évan- 
gile les  condamne-l-il?  S'il  en  est  ainsi,  il  seia  bien  difficile 
de  croire  que  Jean  n'ait  fait  là  qu'un  heureux  coup  de  ha- 
sard! Il  pourra  bien,  sans  doute,  s'être  contenté  d'affirmer 
et  <le  poser  la  vérité  contre  laquelle  ces  hérésies  sur  la  per- 
sonne de  Christ  viennent  se  briser,  sans  l'appliquer  expres- 
sément à  aucune  d'entre  elles.  Mais  il  ne  l'aura  certainement 
pas  fait  sans  avoir  la  conscience  de  ce  qu'il  faisait.  Sur 
ce  point  donc,  comme  sur  le  précédent,  nous  nous  réser- 


CIIAP.IV.  —  I)K  I.A  COMPOSITION  DU  IV'"  KV.\N(iII,K.         97 

VOUS  (\c  {(iiislatcr  h's  fiiils,  sans  ajipork-r  à  cri  cxaiiicn  aii- 
(iiiic  Oj)iniuii  [tiôconriic 

I/i(k'('  irmie  iiilcnlioii  j)ol('rniqni'  a  rlr  adiiiisi'  pai'  un 
assez  }^raii(l  iininliic  de  llH'olo{,nons  (le{)uis  la  IltHoniiatioii. 
Lkssinc;  ,  dans  l'oiiviii^i^c  cil»'  (§  r)'i-()4),  alli'ihnc  an  (fna- 
tiiènie  évangile  rinlcnlion  de  eunil)a(tie  les  Kljionilcs  n'piv- 
sentés  par  Cérinthe  (§  59) ,  par  Carpocrale  (§  60)  el  nièrnc 
comme  nous  le  veirons  bientôt,  jiar  de  plus  grands  qn'enx. 
Dk  Wkttk  ajonte  anx  P^hionites  les  Cinostifpics. 

Grutius  croit  notre  évangile  diiigé,  non-senlenieni  contre 
ces  deux  hérésies,  mais  encore  contre  les  disciples  de  Jean- 
Baptiste.  IIuG  admet  aussi  cette  dernière  intention.  Ce  sont  sur- 
tout les  passages I,  8.  20,  qui  ont  donné  lieu  à  cette  dernière 
hypothèse.  Il  n'est  pas  douteux,  en  eflet,  d'après  le  livre  des 
Actes  (ch.  XVIII  et  XIX),  qu'il  existait  aux  temps  apostoli- 
ques, cl  surtout  en  Asie-Mineure,  des  hommes  qui,  saisis 
par  la  giandcui'  tU'  l'apparition  de  Jean-Baptiste,  attachaient 
à  ce  [)crs<tnnagc  inie  très-haute  inijiortaricc  religieuse.  Mais 
peut-on  démontrer  à  cette  éj)oque  l'existence  d'un  parti  (pii 
lait  envisagé  positivement  comme  le  Messie,  et  qui  ait  re- 
jeté Jésus  par  ce  motif?  Les  Récognitions  clémentines  (I,  54. 
60)  constatent  l'existence  de  cette  opinion  au  deuxième 
siècle;  el  la  découverte  de  la  communauté  religieuse  des 
Zabiens  ou  Mendaïles,  dans  le  Chusistan,  au  nord  du  golfe 
Persi(pie,  dans  le  courant  du  dix-septième  siècle,  atteste  la 
ténacité  de  cette  idée.  Selon  eux,  le  vrai  Messie,  VÉon  cé- 
leste, est  apparu  en  Jean-Baptiste;  Jésus  est  sa  contrefaçon, 
le  vrai  anIi-.VIcssie.  L'exégèse  devra  rechercher  si  les  partdes 
de  Jean  renferment  une  allusion  à  quelque  opinion  de  ce 
genre. 

Schneckenburger'  admet  enlin  une  intention  polémique, 

1 .  Beitragc  zur  Einleitung  ins  .W  T.  f.  VI.  Das  Evangel.  Joh.  nnd  die 
Gnost.  p.  UO. 

I.  7 


98  I.NTIiClIUCTION. 

à  l'égnrd  tJos  (iiKt>li(|ui's,  mais  ilaiis  iiii  sens  ii('';;alir.  Il  en 
(lécouviv.  «Ml  l'fll'l,  les  traces  dans  l'omission  de  certains 
faits.  Suivaiil  lui,  Jean  vnnlait  ((imliallir  les  Docèles,  et  voilà 
ce  (|ui  l'a  porlt'  à  omelln'  Ions  les  lails,  tels  (jne  la  Trans- 
(i;:nralion,  l'anpfoisse  de  ricllisémané,  le  cri  sni*  la  croix  : 
Mon  Dieu!  mon  Dieu!  (\m  enssent  pn  lonrnir  nne  arme  à 
celte  opinion.  Mais  si  tell<,'  enl  (''l('  son  intention,  n'cnt-il  pas 
t\n  plutôt  mentionner  expressément  ces  faits  et  parer  anx 
fausses  inter[)rétalions  qu'en  donnait  l'hérésie?  L'exép-èse 
aiu'a,  en  tout  cas,  la  làclie  d'expliquer  d'une  manière  (juel- 
conque  la  raison  de  ces  omissions  surprenantes. 

;}.  Le  liul  didaê(i(pie,  allriliu*''  à  notre  cvani^ile  j)ar  Gl<''- 
ment  d'Alexandrie  et  par  Jérôme,  est  celui  qui,  au  premier 
coup  d'œil,  répond  le  mieux  à  la  nature  de  cet  écril,  (pu 
contient  plutôt  iU'î^  discours  que  des  faits.  C'est  aussi  cette 
opinion  «pii  a  obtenu,  en  général,  l'assentiment  de  la  science 
moderne. 

Selon  Lessinc,  nos  trois  premiers  évangiles  étaient  hs 
variations  d'un  même  document  hébreu  nazaréen.  Mais, 
comme  ils  ne  contenaient  rien  qm'  ne  pût  être  vrai  d'un  simple 
homme  revêtu  d'une  force  cé-lesle  et  doué  du  pouvoir  de 
faire  des  miiacles,  Jean  se  vit  forcé  par  là  d'en  écrire  un 
nouveau.  Aussi  longtemps,  en  elTet,  (praneun  autre  docu- 
ment évangélique  n'existait,  orthodoxes  et  sectaires  ne  pou- 
vaient avoir  aucune  idée,  ou  qu'une  idée  fausse,  de  la  pei- 
sonne  divine  i\u  Christ.  Si  donc  le  chiistianisme  ne  devait 
pas  s'évanouir  et  disparaître  bientôt  comme  une  secte  juive, 
s'il  devait  s'étendre  chez  les  païens  et  demeurer  comme 
relijrion  indépendante  et  orij^inale,  il  fallait  que  Jean  inter- 
vhit  et  écrivît  son  évangile.  C'est  cet  ouvrage  qui  a  donné' 
à  la  religion  chrétienne  sa  consistance  et  qui  lui  a  assun* 
sa  durée,  pour  aussi  longtemps  qu'il  y  aura  des  hommes 


CHAI'.  IV. —  ItK  I..\  COMPOSITION  DU  IV*'  ÉVANCILE.         09 

i|iii  croifoiil  iiVdir  licsoiii  (riiii  iiK'di.ilciir  cdlic  eux  cl  la  di- 
viiiilr,  c'csl-à-din:  |irol»iilil('iii('iil  A  (on joins.  Il  y  :i  donc  dcnx 
('■van^n'lcs  [nincijianx  :  cclni  de  la  cliair,  icj»roduclioii  In  pins 
lidclc  (In  docnnicnl  JK-Incn  priniilif  (.Miillliicn),  et  celui  de, 
rt'S|U'it  (Jean);  et  dcnx  inlerrnédiaires,  doni  l'un  se  i-allaclie 
à  la  personne  de  Pierre,  l'antre  à  celle  de  Panl  (Marc  et  Luc). 
J'ai  eit('  [iresque  texluellenient.  Car  dans  ce  couit  et  reniar- 
(|nalde  travail  Lossing  a  jeté,  comme  au  vol,  toutes  les  se- 
mences d'où  est  provenue  la  riche  moisson  de  la  critique 
moderne  tU'S  évan,i;iles.  Sans  doute,  en  s'expliquant  ainsi, 
Lessing  soulevait  plus  de  (jueslions  ([u'il  n'en  résolvait.  Mais 
c'est  précisément  ce  cpii  a  fait  la  force  de  son  travail  et  ce 
(|ni  a  donné  îI  ses  idées  la  puissance  d'expansion  qu'elles 
ont  déployée  après  lui.  D'où  Jean  avait-il  tiré  Ini-méme  cette 
conception  supérieure  de  la  personne  de  Christ  par  laquelle 
il  sauvait  le  christianisme?  Si  c'était  du  témoignage  de  Jé- 
sus, comment  les  premiers  évangiles  n'en  avaient-ils  j)as 
conservé  des  traces  plus  distinctes?  Si  c'était  de  son  j)ropre 
fonds,  quelle  valeur  historique  pouvait  avoir  son  écrit?  Ce 
n'était  plus  Jésus,  c'était  Jean  qin'  était  le  vrai  fondateur  du 
christianisme.  Et  dans  cette  supposition-là,  l'auteur  du  qua- 
trième évangile  pouvait-il  hien  être  encore  le  disciple  de 
Jésus,  celui  que  le  Maître  avait  aimé? 

Nous  devons  hien  penser  que  Lessing  se  rendait  compte 
de  ces  difficultés  et  en  calculait  les  conséquences,  telles 
<in'elles  se  sont  déroulées  dans  les  travaux  de  ses  succes- 
seui's.  Mais  le  temps  n'était  pas  venu  encore  d'exprimer  hhre- 
nient  tout  ce  que  renfermaient  ces  [)j-émisses. 

Assurément  Uicke  n'avait  rien  moins  que  la  pensée  d'ac- 
célérer ce  mouvement.  Il  y  a  fortement  concouru  cependant 
en  attrihuant  à  l'évangile  de  Jean,  dans  l'introduction  de  .son 
commentaire,  un  cnraclère  essentiellement  didactiipie.  L'a- 
pôtre, liouvanl  dans  fKghsc  la  loi  menacée,  d'un  côté,  par 


100  INTHODUCTIOW. 

rtMtioiiisiiK'  non  oncoro  (•(»in|»lt''l(Mn(Mil  siinnoitlt'.  dr  rniilio, 
pnr  lo  ji:iio.^li('isiiu'  iiaissani,  mmiIuI  la  icmlrc  iiivnlih'rablc 
ni  l'olcvaiil  à  IV'Ial  dr  roimaissanco.  Los  i\ou\  prcmifM's  évan- 
j,M»lisl«'s  avaitMit  r/'difii'-  lu  Inidilinii  idlc  (|ircll('  avait  cours 
dans  les  t'},dis««s;  Lnr  l'avait  S()nniis<>  à  un»'  rlahoialion  <ri- 
ti(juo  t'I  Ini  avait  iin|niin<''  dans  son  «'vanffilc  le  raractùn; 
d'exactitnile  cin-onolof^nfiut.'  cl  de  continnit/'  historique  qui 
Ini  niarKjnail  dans  les  ouvrages  de  ses  devancieis.  Le  ino- 
nienl  était  venu  de  s'élevef  à  une  troisième  forme,  supé- 
rieure aux  deux  précédentes  :  relie  dans  laquelle  le  fait  et  la 
doctrine  se  [)énètrenl  irciprcxpiemcnl.  .Ican  édeva  la  zia-z'.ç, 
la  simple  foi,  à  l'étal  de  yvôj'.ç,  de  connaissance  intellec- 
tuelle, en  dévoilant  l'importance  do^y^niatique  de  la  personne 
de  Jésus  et  en  remoiilanl  iMS(prau\  londements  philosophi- 
(jues  de  la  foi  (j).  ^20\,  '20-1  et  -IIH).  lUeii  de  j)lus  innocent 
en  apparence  que  cette  indication  du  but  de  notre  évangile; 
rien  de  pins  f/'cond  ccpciidanl  en  graves  résultats. 

Olshauskn  ne  s'explique  pas  différemment:  «Ce  livre, 
dit-il  dans  l'introduction  à  son  commentaire  {§  3),  s'adresse 
surtout  aux  âmes  gnostico-mystiques....  Il  était  destiné  à  ces 
esprits  élevés,  parmi  les  juifs  et  les  païens  croyants,  qui  se 
livraient  à  des  spéculations  sur  les  choses  divines....  C'était 
une  invitation  à  la  vraie  gnose.  y> 

De  ces  prémisses  naïvement  posées,  il  n'y  avait  plus  qu'à 
tirer  les  conséquences.  C'est  ce  dont  s'est  chargée  la  sévère 
logique  de  M.  Reuss  :  Le  quatrième  évangile  a  une  tendance 
didactique  tellement  jirononcée  que  le  caractère  historique 
fuit  jiresfjue  complètement  dèfaul  à  cet  ouvrage.  On  s'en 
aperçoit  bien  en  l'ouvrant.  «Le  prologue  n'est  pas  la  préface 
d'un  historien,  mais  le  programme  d'un  pensou'  et  d'un 
théologien.»  «Ce  rju'il  y  a  de  [dus  essentiel  dans  ce  livre, 
ce  ne  sont  (>as  les  faits  que  la  mémoire  pouvait  conserver 
et  reproduire ,  mais  les  idées ,  engendrées  par  la  spécula- 


I 


CHAI'.  IV. —  ItK  lA  CO.MI'dSITlO.N  I»l'  IV®  KVANIÎII.K.        Ul  1 

lum ,  t(»ii<;u«'s  j»ai' lo  ««'iiliiiiciil  cl  ik'cs  ((iiiimc  oitjcl  de  \n 
loi.  »  ' 

(Jue  (Icvit'iil  riiisloire  à  eu  point  de  vue?  Nous  pieiidroiis 
deux  cxeiiiples  :  reiitretieii  uvee  NicodèMie  (Jean  III)  et  la 
l»iièie  .sacenkdaic  (Jean  XVII). 

OiianI  au  jtifiiiicr  de  ces  l'ails,  le  j)ei'Sonnage  de  Nicodème 
n'csI  là  (|iic  pour  (' rintroduclioii  de  l'enseignement  théo- 
liipie.  I)  «(Jue  Jésus,  un  jour,  ait  eu  une  convej'sation  noc- 
turne avec  mi  certain  Nicodèjne  et  que  le  sujet  de  cette 
conversation  ait  été  tel  ou  tel  autre,  ce  n'est  pas  là  ce  qui 
préoccupe  Jean....  tout  ce  (pii  lui  importe,  c'est  que  nous  sa- 
chions que  Jésus  a  demandé  la  régénération  et  qu'il  a  pro- 
clamé la  nécessité  de  sa  mort  pour  le  salut  du  monde'.»  La 
visite  du  vieux  plituisien  et  l'entretien  de  Jésus  avec  lui  ne 
sont  ilonc  que  le  cadre  dans  lequel  Jean  a  jugé  bon  de  nous 
transmettre  ces  vérités  qui  avaient  fait,  en  général,  l'objet 
de  l'enseijïnement  de  son  Maître. 

La  prière  saceidolale?  Jean  se  rappelait  sans  doute  que 
li'sus  avait  prié  en  ce  moment-là.  Mais  il  n'avait  certes  pas 
en  un  Ici  instant  le  crayon  à  la  main;  et  lanl  de  choses 
avaient  sépai'é  cette  heure  solennelle  de  celle  où  le  calme 
était  rentié  dans  son  àme ,  Gethsémané ,  le  tribunal ,  la 
croix....  que  ce  serait  lui  «  dénier  toute  trace  de  sentiment 
humain  y  que  d'attendre  de  lui,  après  de  pareilles  émotions, 
une  leproduclion  littéralement  exacte  de  la  prière  de  Jésus*. 
Kn  conséquence,  quand  nous  lisons  la  f trière  sacerdotale, 
c«'  n'est  [>as  Jésus  (jue  nous  entendons  parler  à  son  Père; 
I  est  Jean  que  nous  écoulons  disserter  sur  la  personne  île 
-on  Maître. 

Pour  dt'monti'er  le  caractère  didactique,  par  conséquent 

I.  Ihst.  de  la  théol.  chrét.  t.  II ,  p.  300. 
2    ma.  p.  317-318. 
3.  Ibid.  p.  319-320 


10-2  INTRODUCTK». 

non  liisloriijm',  du  (|n;iliirmr  (''\;ni;4il<',  M  Rciiss  n'iillaclir 
pas  une  ;:raii(li'  iiii|t(»rlaiirf  aux  ar;;iiiiit'iil.s  vulgaires  :  la  loii- 
«fuj'iir  «les  (lisrouis,  la  resseiiihlaiicc  du  .slylc  avec  celui  de 
Jean  lni-nirnie  dans  sa  [)r(>rnière  épîlic,  la  dillérenee  do  ces 
ciiseij^iit'iiD'iils  pridoiids  de  Jésus  avec  ses  discours  si  sim- 
ples dans  les  Synopli(iues.  Voici  les  raisons  esscnlielles  sur 
lt'S(juelles  se  foiuic  .M.  Heuss  :  1'*  H  est  souveiil  impossible 
de  ilis(  criKM'  le  moment  où,  selon  j'auleiu',  Jt'sus  cesse  de 
parler  et  où  il  connnence  lui-iiième  à  exj)rimerses  l'éllexions. 
pour  son  fl  l)ul  d'i'crivain  fliéoiof^ique  » ,  eu  eflel,  cela  ne 
faisait  nidie  dilTéreiire'.  ;2^  Les  maicnlendns  que  Jean  attri- 
jjue  aux  interloculeui's  sont  parfois  si  élian<,'-es,  et  les  olijec- 
lious  (pi'il  leur  prête,  tellemenl  absurdes,  que  tous  les  ef- 
forts des  exéj,'ètes  pour  en  démontrer  la  possibilité  bistoriipie 
ont  échoué.  8"  Les  interlocuteurs  sont  si  bi<'n  l;'i  poni'  l;i 
forme  seulement,  qu'ils  se  substituent  les  uns  aux  autres 
sans  qu'on  sache  connnent,  et  que  parfois  même  des  j)ai'oles 
jU'ononcfM'S  anié'rieurement  sont  rappelées,  lors  menu.!  que 
l'auditoire  a  changé.* 

C'est  dune  la  théolo{;ie  de  l'apùtre  Jean  et  non  l'enseigne- 
ment de  Jé'sus,  ou  du  moins  c'est  l'un  et  l'autre  confondus 
dans  lies  propoitions  indélerininal)les  que  nous  trouvons  dans 
le  (juatrième  évangile.  Qu'est-ce  rpii  l'a  poussé  à  rédiger  cet 
écrit?  Le  dé-sir  de  procini-i'  aux  cioyants  la  même  satisfac- 
tion (jue  son  âme  spi-cnlative  et  mystitjue  avait  trouvée  dans 
(ctle  conception  dogmatique  (ju'il  s'était  formée  de  la  |)er- 
sonne  de  son  Maître.  C'est  là  le  sens  que  donne  M.  Reuss  à 
la  déclaration  de  Jean  XX,  M  :  a  Ces  choses  sont  écrites, 
afin  que  vous  croyiez  que  Jésus  est  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu, 
et  que^  croyant  j  vous  ayez  la  vie  en  son  nom.  »  11  y  a  là  une 


».  Ibid.^  307. 

2.  Ibid.  p.  310-327. 


CIIAP.  IV.  —  DI-:  LA  CUMPOSITIUN  I)L   IV''  liVAiNf.ll.K.       10."J 

lln''se  spérulative,  celle  ilc  In  divinité  de  Jésus,  et  une  thèse 
Miystiijnc,  celle  de  l;i  \ie  (jiii  se  lioine  cil  lui'.  Ces  deux 
thèses  engendrées  par  la  spéculation  et  conrjies  dans  le  sen- 
timent de  .)e;in  lui-uiènie,  il  li's  on're,  dans  notre  éviuiifile, 
ciinnnc  objet  et  connue  idiuienl,  à  la  foi  de  l'Ejjilise. 

Mais,  demanderons-nous  encore,  (ju'cst-ce  (jui  a  poussé 
Jean  à  pubher  les  résultais  de  sa  s\)ècu\'dùon  sous  cette  fotine? 
Poincjuoi  ne  pas  les  exposer  tout  simplement  dans  un  écrit 
du  genre  de  sa  première  épître?  Pounjuoi  placer  ces  thèses 
dans  la  bouche  de  son  Maître  et  l'aire  de  l'être  (pul  adorait 
comme  le  Verbe,  l'organe  de  sa  propre  théologie?  M.  Reuss 
n'a  pas,  à  ma  connaissance,  rendu  compte  de  ce  procédé 
lilléi'aire  de  l'apôtre  du  Seitrneur. 

Le  point  de  vue  de  M.  Keuss  méfitait  d'être  exposé  d'une 
manière  détaillée,  en  raison  de  son  importance  capitale  dans 
la  crise  actuelle  de  la  théologie  en  France.  Il  est  évident  que, 
i\i's  le  premier  au  deinier  mot  de  l'évangile,  l'exégèse  aura 
;'i  compter  avec  celte  manièie  de  voii'. 

De  M.  Reuss  à  Baur,  il  n'y  a  qu'un  pas.  Chez  le  premier, 
riiistoire  est  au  service  de  l'idée;  chez  le  second ,  elle  n'en  est 
(il us  que  le  produit.  Le  fait  est  uniquement  le  reflet  de  l'in- 
tuition ihéologique.  Sans  doute,  il  y  a,  selon  Baur  lui-même, 
qtielfjues  él(''ments  historiques  dans  le  quatrième  évangile. 
L";iulem'  ('•lail  bien  obligé  de  donner  un  cadje  ipielconcfue 
aux  discours  dans  lesquels  il  exposait  sa  spéculation,  et  par- 
lois  il  a  emprunté',  dans  ce  but,  cpielques  matériaux  à  la 
narration  synopti(jue.  Son  livie  n'en  est  pas  moins  un  récit 
complètement  fictif  dans  lequel  s'est  incarnée  avec  succès 
la  thf'orie  alexandrine  du  L(jgos.  Ainsi,  l'évangéliste  sent-il 
le  besoin  de  domier  un  eoips  à  l'idé'e  de  la  transIVtrniation 
(lu  baptême  d'eau,  tel  que  l'administrait  Jean-Baptiste,  eji 

t.  Ihifi.  p.  335-33ti. 


104  INTRODUCTION. 

liapliMiK'  trt's(»ril?  Il  civr  le  iiiiiiiclc  dr  (l;iii;i.  Vciil-il  (li'criio 
!«'  Lo^,^o:i;  roriiiiH'  hi  vie  cl  la  limiirrr  du  riioïKle?  Il  iiiv('iil(> 
h's  j^'iKTisoiis  do  riinpolcnl  vl  de  ravoii^Mp-nc.  Ursirc-I -il 
caraclériscr  les  succès  de  la  pr/'djcalion  de  rKvaiij^ilc  chez 
les  [laïcns?  Il  imajiiiic  le  ircil  de  la  rciiimr  samarilaint'. 
NirodèiiK!  est  L'ii  rolour  le  type  do  riiicrédulili'  juive  caelK-e 
justjiie  sous  la  foi  aux  miracles.  Eu  a<i:issauf  ainsi,  tantôt 
rôvaiigéli-sle  crée  librement,  tantôt  il  exploite;,  en  1rs  uuidi- 
liaiil  profoiid/'inont ,  les  él<''iurnls  di'jà  mis  en  cours  par  la 
tradition.  Nous  trouvons  ce  dernier  procédé  dans  les  récits 
de'  l'expidsion  des  vendeurs  (Jean  11)  et  de  la  nniltiplicatioii 
(les  pains  (Jean  VI).  (Ict  <'van;,Mle  rsl  donc  iiicn.  connue  l'a 
(lit  spirituellement  Hase,  «h;  loman  du  Lo^'^os  liahilement 
construit  avec  des  malc'riaux  syno[iti«pies '.  »  C'est  là  la  der- 
nière c(jnst''(juence  de  l'opinion  (pii  allriliueà  notre  ('vanj^iie 
un  liul  eshentiellenieni  didacliipK-. 

(juelipie  étonnant  (pie  soit  ce  résidlat  de  la  critique  la  plus 
moderne  <pii  lail  des  ré'cits  de  noire  (pialrième  ('van^ile  non 
[dus  seulement  la  rédaction  de  mythes  spontanés  et  iriédli'- 
cliis,  comme  chez  Stnmss,  mais  l'invention  libre  et  habile- 
ment (uilculée  d'un  idéaliste  du  second  siècle,  nous  devons 
avituer,  nt'anmoins,  ipie  le  [Kjint  de  vue  de  Haui'  nous  [larall 
su|)érieuj',  à  certains  éj^ards,  à  celui  de  M.  lleuss.  D'abord,  il 
est  plus  consé«|uent  :  on  conçoit  mieux  conunent  un  écrivain 
du  deuxième  siècle  ;i  |mi  traiter  avec  ini  si  inconcevable  sans- 
ra(;on  la  [»ersonne  du  Seigneur  et  en  faire  en  (juehpjc!  sorte 
an  marionnette, que  Ton  ne  s'expli(|ue  un  tel piocédé  de  la  part 
du  disci(»lebien-aimé  de  Jésus.  Ensuite,  Baur  a  fort  bien  com- 
pris (pi  un  (iiivraf^e  aussi  capital  poui*  les  destinées  de  l'Eglise 
ne  pouvait  avoir  été  composé  sans  rapport  à  une  situation 
eccfésiastique  déterminée.  Chez  M.  Reuss  l'idée  spéculative 


1.  Dos  Lebe/i  Jesu ,  4'  éd.  p.  36. 


CIIAfMV. —  UK  LA  COMPOSITION  UV  IV®  ÉVANdILK.      105 

di'liloyô»'  iliiiis  ijolrc  ôvuiii^il»'  (iliiiic,  conmie  l'a  ftiit  ohscivcr 
Lulltanil,  (laiKs  im  isolt'iiiiMil  '•oiiijjlel,  sans  iiucmie  irlatioii 
avec  les  ciiToiislaiicrs  ilu  Irmps  où  vivait  l'aulfurV  lîaiir  a 
senti  If  Itrsuin  ilc  Ii-oiimt  dans  l'Iiisloirc  les  laits  (jni  ont 
concouru  à  rap[)aiilion  de  celle  œuvre  sublime.  Il  les  a  dé- 
couverts eu  re<oiistituant  re  moment  décisif  où  l'Ei^lise, 
apièsavoiiété  loniiteiiips  j)ai'la{:;ée  eiilic  la  notion  d'un  Messie 
|iuremeni  humain,  Id  ipir  celui  qu'avaienl  connu  les  Douze, 
et  la  notion  paulini(|ue  df  l'Homme  céleste,  première  créa- 
ture de  Dieu,  descendu  en  la  peisonne  de  Jt'sus,  où  l'Eg-iise, 
disons-nous,  s'enhardit  enfui  à  l'aii-e  le  sallo  mortale  et  à 
chercher  son  point  d'ap|)ui  dans  la  divinité  elle-même,  en 
faisant  île  son  fondateur  l'incarnation  du  Logos*.  .Malheu- 
reusement jX)ur  l'unité  et  la  grandeur  de  la  conception  de 
Baur,  il  a  ajouté  à  ce  but  spéculatif  certaines  intentions  se- 
condaires, telles  que  le  rapport  à  la  dispute  de  la  Pàque, 
qui  nr  l'oiil  (|Mf'  la  compli(pier  et  riiiuoinilrir. 

Nous  aurons  à  examinei"  sur  ce  point  si  les  éléments  his- 
toriipies  du  quatrième  évaiiLîile  ne  sont  en  effet  que  de 
libres  lictions  ou,  tout  au  plus,  que  des  enqjrunts  faits  par 
son  auteur  à  la  tradition  synoptique  ;  s'il  n'a  pas  lui-même 
une  t-omiaissance  de  la  vie  de  Jésus  Irès-approfomlie  et  in- 
il(''pendanl(!  de  la  tradition  ;  si  son  récit  n'est  pas  même  ,  au 
simple  point  de  vue  histoi'ique,  supérieur  eu  bien  des  points 
essentiels  à  celui  de  ses  devanciers.  Nous  aurons  à  recher- 
<lier  .si ,  malg-ré  la  merveilleuse  énergie  et  l'inconcevable 
souplesse  d'esprit  avec  lescpielles  Baur  a  poursuivi  et  déve- 
io[>pé  sa  thèse',  il  est  réellement  parvenu  à  expHqner,  à  ce 
point  de  vue  idéale  la  totalité  du  contenu  de  notre  évang^ib'. 


I.  Das  joh.  Evangelium ,  p.  231. 

'2.  Das  Christ,  it.  die  christl.  Kirchr  dcr  drei  ersteti  Ja/irfi.  2*^  «.'d. 
p.  308-310. 
3.  Voir  surtoiU  le  premier  article.  Tàcol.  Jalirb.  t.  II! ,  p.  I-  l'Jl. 


10()  INTRODUCTION. 

«'Il  trauln»s  lorm«'s,  >;i  le  l>iil  siircnhilir  l'sl  bien  n''(>||(.'iii(»iil 
relui  an  inoyeii  ilmjuel  on  jioul  rciidie  ('()iii|>lo  de  reiisemblo 
el  (les  (li'lails  de  ee  livii'  myslérieiix. 

4.  S('i;»il-il  convenable,  dans  eel  examen  luéalable  des 
biils  indiquas  par  la  liadilion,  de  néjrlij^er  rrini  (|ue  nous 
avons  Intnvr  (Mionei*  dans  !<•  (locMnicnl  le;  pins  viMK'iablc 
pcnl-rlic  ri  le  plus  anli((nr  ,  d;ins  le  Fia^menl  de  Mura- 
lori?  Ce  bnl  élail  (oui  sini|)len)en(  rédiliealioii  th'  IKglise, 
raiïerniissrnKMit  de  la  foi.  N'esl-ce  pas  là  le  bnl  !•■  plus  simple 
cl  le  phi>  nahnt'l  dr  la  part  d'un  ajtùlrr,  eclni  par  ((jnsf'- 
ipiriii  iiiKpirj  nous  devons  accorder  a  priori  la  jdiis  jurande 
vraisemblanee .  dans  la  supposition  de  rautbeiiticité  de  noire 
t''\an;,n"lr  ?  Il  y  a  plus  :  e'es(  celui  (pj'indiipn;  en  termes  fort 
riairs  Tanteur  Ini-mènje  en  terminant  son  récit  (XX,  30. 
31)  :  aJéstts  a  Jonc  fait  encorde  aux  yeux  de  ses  disciples  de 
nombreux  cl  aulres  signes  qui  ne  sonl  pas  écrits  dans  ce 
livre-ci  ;  mais  ceux-ci  sont  écrits  afin  que  vous  croyiez  que 
Jésus  est  le  Christ ^  le  Fils  de  Dieu,  et  que,  croyant,  vous 
ayez  la  vie  en  son  nom  \  »  L'auleur  dérlaie  dans  ces  mots 
«pu-  >oii  mlenlioii  n'a  nullernenlélc  d'écriif  mm  livre  rompicl 
au  j)(»inl  de  vue  bistorique;  en  omettant  une  l'oub?  de  niija- 
rles  bien  connus,  il  n'a  donc  pas  song»'*  à  en  nier  la  réalitt*. 
Il  lend  bonnnaj.,^.'  à  la  licbesse  de  ce  ministf'we  dont  lui  cl 
ses  collègues  ont  été  tiMuoiMs  <'i  doiil  il  \\\\  raconh'  (pi'un 
très-petit  nombre  de  faits.  Mais,  ajoute-(-il,  il  «,'sl  convaincu 
([Uf  ce  ri''cit ,  t(jut  abréfré  et  frajjmcntaii-e  «jn'il  soit ,  sutïira 
néanmoins  poui'  atteindre  le  but  qu'il  s'est  proposé,  cjni  est 
de  fortifier  ses  lecteurs  dans  la  loi  à  la  cbarge  messianique 
de  Jésus  (XpiffTo'c)  <'l  à  la  nature  divine  de  sa  personne  (utôç 


1.  Sur  l'opinion  d'Olshansen  et  LUcke  qui  rapportent  ici  le  terme  de 
signes  aux  apparitions  de  Jésus  ressuscité,  voy.  l'explicatiou  de  ce  pas- 
sage. 


CHAI'.  IV.  —  m:  i.\  cu.mimi.^ition  m  iv''  i':va.m;ii,i;.     107 

Toù  Beoù);  ri  il  n'en  deiiiando  pas  davuulaj^c,  j)ai(('  ([ii'il  s;\\l 
((lie  (laii.<  (('lit.'  .simple  loi  r/'.sidr  Ir  .•saint ,  la  vit.'. 

Il  résMJh'  d(.'  tcltc  di'claralioii ,  (\\[  riioiii.s  .si  elle  o.sl  siii- 
cùl'c  ,  ipic  daii.s  la  j>('iiS(''r  de  railleur,  le  coiilt'llll  de  .son 
li\r<'  est  aussi  réellciiirnl  hisluriijiie  ([ue  (Mdiii  d(^  Ions  les 
aiili'cs  rérils  t''vaii}^(''li(pi('.s  drj;"i  coMniis  cl  que,  l)i(Mi  luiii 
dV'criiL;  poiii'  .salislaiic  Tappélil  spéculalil' de  ses  lecteurs  et 
polir  transformer  leur  loi  eu  connaissance,  comme  le  pré- 
IcikIciiI  Ol.sliausen  cl  Liickc  ,  il  ne  \ise  auprès  d'eux  à  rien 
de  plus  élevé  que  la  loi  elle-même,  parce  (ju'il  n'y  a  rien 
de  .sn|)éricur  à  la  vie  et  que  la  vie  est  dans  la  foi.  Mais  ne 
se  serait -il  poiiil  [ii-o()Osé  j)eul-ètre  d'alTermir  la  foi  en  lui 
doniiaiil  jioiir  objet  mi  doiinie  :  celui  de  la  divinité  de  Jésus  ; 
une  théoi'ie  :  celle  du  Loi^os?  Cette  idée  ne  s'accorderait 
pas  non  plus  avec  cette  déclaiation  de  l'auteur;  car  il  afïirme 
que  ce  sont  les  siîiiies,  les  faits  racontés  par  lui,  faits  aussi 
ii'els  que  la  iiiiilliliide  de  ceux  (pi'il  a  cru  j)oiivoij'  omettre, 
<|iii  doi\enl  iioiiirir  la  loi  de  ses  lecteurs.  D'ailleurs,  dans 
(  clic  siipposilion  il  ne  de\iail  jiarlej'  ici  que  de  la  foi  à  la 
divinih'  de  .li'sii.^ ,  et  non  de  la  foi  à  .sa  cliarj;e  de  Messie, 
comme  il  le  l'ait  pouilant  quand  il  dit:  <.iAfin  que  vous  croyiez 
(pie  Jésus  est  h  Christ.  »  CoMo  thèse  de  la  dignité  messia- 
iii(pie  de  Jésus,  à  laipielle  se  rapporte  toute  la  première  partie 
du  récit  de  l'évangile,  ne  renlerme  aucun  élément  spécu- 
latif ou  mystique.  Mais  surtout,  ne  serait-il  pas  incompatible 
avec  le  rôlf!  i\'\u\  apôtre  de  j)rc'sentei'  à  l'Eglise,  comme 
objet  de  .sa  foi,  ses  propies  sj)éculations?  Le  témoignage 
d'un  a|)otre  ne  se  rapporte  pas  à  des  vérités  [)hilosopliiques, 
niai.s  à  tU'^  faits  divins  dont  il  d(''claie  a\()ii"  ('tt'  témoin.  «Ce 
(jtii'  nous  oroiis  cuirudu ,  dit  saiiil  Jean  lui-même,  dans  sa 
première  épitre  (1,  1  -o),  ce  que  nous  avons  vu  de  nos  yeua,, 
ce  que  nous  avons  con(emp/é  (£6£aaa[j.£0a ,  même  terme  que 
Jean  1,  1-4)  et  que  nos  mains  ont  palpé  de  la  parole  de  vie, 


108  INTRODUCTION. 

nous  vovs  nnntonçans,  afin  que  vom  (njcz  communion  avec 
nous.  »  «  V(nis  me  rendre:  t('moif/nuf/e,y>  dil  .li'siis,  fli'termi- 
iiaiil  dans  ro  rnèrnc  snis  le  rùK'  Avi^  apôtres,  ^ipnrce  que  vous 
êtes  dès  le  commencement  aeec  moi  »  (Jean  \V,  "21).  L"<»lijrl 
(le  la  foi ,  te  n'est  (Unie  |ms  la  sp/'ciiialiuii ,  c  esl  le  lémoi- 
j:naj;e.  Il  n'y  a  pas.  dans  (ont  !<•  Nuiivcaii  TcsIanienJ ,  d'oii- 
M'ajre  dans  Irtpicl  la  correlalion  intime  enti'e  ces  deux 
notions  de  loi  et  de  tr'nioi^ria<re  soit  anssi  eoiislannotMil 
proclamée  que  nuire  évaiifrile.  1.7:  ^<Jc(in  vbd  comme 
tthnoin ,  afin  de  mndrr  U'moiifnaije  à  la  lumière,  afin  que 
lotis  crussent  par  lui.  •>  III,  II.  14  :  «  Mous  rendons  témoi- 
!/na</e  de  ce  que  nous  avons  vu  ;  mais  vous  ne  recevez  pus 

notre  témoif/itaf/e vous  ne  croi/ez  pas.r»  Comp.  III,  32, 

33;  V,  31-47,  etc.  Quand  les  faits  alleslés  uni  lait  naîti'c  la 
foi ,  la  spécnlalion  penl  en  être  le  produit  ;  mais  l'aibie  ne 
vil  pas  di''ses  propres  fruits.  Il  résulte  de  là  que,  si  l'auteur 
a  exprimé  sincèrement  sa  pensé'e  dans  la  déclarati(jn  «pii 
termine  révan},'ile ,  ce  sont  liien  des  faits  qu'il  a  voulu  la- 
«onter,  aussi  vrai  (pie  c'est  la  loi  (pi'il  a  voulu  produire  et 
alfermir  par  son  lécit.  Si  l'auteur  est  Jean  ,  sa  sinccTité  ne 
pdiiviinl  ei;r  duuteuse ,  le  caractère  vi-aimenl  historique  de 
son  évan;,nle  en  résulle  n(icessairemenl.  Et  c'est  par  consé- 
quent de  cette  supposition  préalalde  que  nous  devons  partir 
connue  s'a<(ordanl  le  niieux  avec  sa  propre  d(''elaialion  et 
avec  le  tinl  qui!  s'est  proposé.' 

Mais  comment  l'auteur  s'y  prendra-i-il  pour  atteindre, 
aussi  diiectement  et  sùiement  rpie  ftossilde,  ce  hut  pratique? 
El  puisipi'il  n'a  pas  l'intentitni  de  raconter  tout  ce  (]u'il  sait, 
qu'esl-ce  (pii  déterminera  le  choix  des  matériaux  (ju'il  em- 
ploiera? Nous  .sommes  conduits  ici  à  une  suppo.sition,  que 


1.  Ce  point  de  vue  a  (^'t(!' défen(tii,  dans  les  temps  modernes  surtout , 
par  Thiers«;h  (£»/«r  apost.  Kirche)  et  I..UTHABiiT  iUas  joh.  Evanyetium). 


r.ll.VF'.  IV.  —  l)K  I.A  C.UMF'OSITKO  hl    iv''  KVANdlI.K.       10!) 

r»'X«'gL'S('  (IcMii  jiisliliiT  (III  I c/ivriscr  ;  c'csl  (|iir  r;iiili'ij|-, 
s<'  ri>|)|H'l.'iill  les  (l'iiMCs  t'I  les  (li.s((Kll's  de  son  MaîllO  (jiii 
;i\ai('n(  Ir  plus  cniilriliiu'  à  jinxliiirc  cl  i'i  tl('veloj)|)f'r  on  lui 
hl  loi .  liMM  ;mssi  de  ces  f;n'ls-li»  los  jH'incipaux  ninfôriaiix  de 
sa  nari'alinii.  (loiiinit'iil  ,  ce  (|ii('  les  jinls  oui  proiluil  chez  les 
Irnioiiis  ,  II'  ivcil  toul  simple  des  l'ails  m'  le  pi'odtiii  ait-il  pas 
chez  les  lerleuis?  L'autour  ne  soni;orail  donc  nulloineni  ,  si 
celte  sup[t()sili(»n  esl  londée,  à  intronisée  un  nouveau  doi^ine 
dans  rKi;lise;  il  ne  jin-lendiail  ,  en  aiiciino  manière,  ajouler 
nn  nouvel  aimeau  à  la  eiiaîne  des  spéculations  en  cours  sur 
la  personne  de  son  Maîti'e.  En  racontant  simplement  cqh 
merveilleuses  nianiteslations,  actes  et  discom^s,  par  lesquelles 
Jésus  avait  révélé  sa  fonction  de  Messie  et  son  essence  cachée 
de  Fils  de  Dieu ,  et  en  montrant  comment  s'était  opéré , 
sous  l'influenee  de  ces  manifestations,  le  développement  de 
la  foi  chez  lui  et  chez  les  autres  personnas^es  qui  avaient 
concouru  à  fonder  rKj^lise,  il  se  sent  assuré  de  reflet  ana- 
loLiiie  (pie  piitdiiira  ce  récit  sui'  le  cû'iir  de  ses  lecteurs. 
N'esl-ce  pas  là  le  sens  naturel  et  |)arfaitement  simple  de  la 
déclaration  Jean  XX,  30,  31  ?  «  En  vous  racontant,  non  une 
histoire  comjilète  de  Jésus,  mais  les  princij)aux  signes  sous 
riiiipire  desquels  s'est  formée  chez  moi  el  chez  les  princi- 
paux prédicatems  de  l'Évangile  la  foi  à  la  charge  messia- 
nique de  Jésus  et  à  la  divinité  de  sa  personne  ,  j'espère  vous 
amener  à  croire  connue  nous  et  à  trouver  avec  nous  la  vie 
dans  cette  foi.  »  Que  l'on  compare  avec  cette  parole  ainsi 
comprise  le  passag^e  1  Jean  I,  1-4,  et  l'on  reconnaîtra  com- 
hion  h;  contenu  de  ces  versets  (pn'  commencent  l'épîlro  esl 
identique  au  sens  de  la  déclaration  qui  clôt  l'évangile. 

Si  telle  a  été  l'intention  de  l'évangéliste ,  nous  devons 
iKMis  attendi»'  à  trouver  dans  son  ouvrag-e,  non  point  un 
narré  aussi  complet  que  possible,  d'après  les  connaissances 
([u'il  possédait,  du  ministère  de  Jésus,  mais  mn'qnemenl  le 


11(1  iNTnonrr.TKiN. 

ii'cil  (lo  iiuuiniilv  (|iii  ;i\iii<'iil  |r  |»|iis  iii;ir(|iii''  (l.iiis  le  dôw- 
lopp(Miit'iit  (le  \<\  loi  ii|M)>loli(|iii> ,  <!<>  |;i  sienne  en  pinlienlier. 
Ce  sn;i  le  l;tlile;ni  ties  pins  lirilhnits  sonnnels  de  lliisldiie 
(le  la  loi,  en  ini'ine  temps  (jne  celui  iU's  |ilns  profonds 
iiMines  tin  (lévelop|M'inenl  de  rineri''dnlil('.  l^es  «^oi^ics  les 
plus  décliirées  cl  les  plus  sauviiycs  se  trouvent  ordiiiiiire- 
nu'iil  au  pied  des  eimes  les  plus  élevées  el  ne  composent 
avec,  elle  ipinn  seid  et  même  sile.  Ainsi  le  laldean  du  d(''ve- 
loppenient  do  rincrf'dulité  juive  sera  inst-paraMe  de  celui  de 
l'histoire  de  la  foi  apostoiiipie. 

Mais  à  supposer"  (]ue  ce  soil  là  le  Iml  princi|ial  de  noire 
évanj^ile.  il  n'excinl  nnllemenl  daulivs  hufs  secondaii'cs, 
pourvu  seulement  «pi'ils  soient  en  rapport  avec  le  j)remier; 
par  exemple,  celui  (r(''car!er.  en  lormulnnl  iKîttcment  la  vé- 
rité sur  la  persorme  de  (llnisl,  les  all/'ralions  (pii  se  faisaient 
<enlir  >nr  ce  iioinl  \il;d  au  .-ein  de  {'Kfilise,  on  hien  celui  de 
compléter  el  même  de  reclilier  des  récits  antéri(!nrs,  doni 
les  lacunes  ou  les  inexacliludes  pouvaient  ti'oulder  la  [iin-e 
intuition  de  la  vie  de  Christ  et  sonhîver  des  doiiles  chez 
quelques  lecteurs.  Il  n'est  pus  hesoin  de  procéder  ici,  connue 
le  fait  Lutliardl ,  jiar  voie  d'exclusion.  Ces  Imls  secondaires, 
s'ils  viemii'ni  à  être  conslal('s  |»ar  re\(''<^èse,  se  rallaclieront 
sans  dillicullé  au  but  principal  :  Amknkr  le  croyant  a  la 

PLEINE  jouissance   DE   SA   FOI  EN   LUI   EN   FAISANT  TOUCHER 

AU  DoiiiT  i.A  l'AiiKAiTK  cKiiTiniii;.  Le  seui  liiil  posilivemcnl 
exclu  [»ar  celui  que  ikjus  venons  de  dé^a^'^er  de  la  dé'r^laralion 
de  l'auteur,  c'est  le  hut  spi'culalif  ou  didactique,  l'intention 
de  satisfaire  l'intellifrence  en  ajoutant  au  dog^me  chrétien  un 
dévejoppemeul  nouveau.  Ce  Iml  admis.  Ions  les  aniitis  tom- 
henl  et  la  nature  de  l'ouvraj^e  est  changée.  Le  ftersonnagc 
de  Jésus  n'est  [ilus,  à  ce  [loiut  de  vue,  (pie  l'occa.sion  et  le 
moyeu  d'une  thèse  mi'laphysifpie  sur  les  rapports  de  l'infini 
et  du  lini.  Seulement,  eomme  il  est  diflicile  de  [tenser  (pi'nn 


CHAI'.  IV.  —  llK  l.\  CO.MI'OSITKt.N  lll    iv''  KV.VNdll.K.        I  I  I 

jipôtre  ;ii(  pu  rxploilcr  ;iiiisi  l;i  personne  de  .^oii  M.illre,  r;iii- 
llionlieilt"  (le  noire  <'van|^ile  devient  à  pen  |)iès  iiKidinis.sildc. 
La  posi(i(tn  inlenn»!'(li;tii'e  essayée  par  M.  ilenss  ne  jiarail 
doue  [las  fenalde;  et.  si  roii  nie  le  eai'actèi'e  liistoriqne  de 
notre  évani^ilf,  il  ne  reste  pins  (pi'à  deseendi'e  jnsrprà 
lianr. 

Ce  sera  donc  entre  la  tendance  spéculative  et  le  Itut  pra- 
li(pie  (|n'il  s'aLiira  d'opter.  L'interprétation  dn  pi'olojine  nous 
louniii'a,  dès  le  début,  roceasion  de  faire  Tépi-euve  décisive 
de  ces  deux  points  de  vue. 


Plan  et  inté;/rilc  du  quatrième  évangile. 

La  Iraclalion  ^U'<  (pieslions  (pic  soulève  ce  titre  peut  pa- 
raître une  anticipation.  Mais  (jui  n'a  lu  et  relu  notre  évan- 
gile et  ne  connaît  assez  .son  contenu  pour  se  lendre  compte 
de  l'exposé  qui  va  suivre?  Ce  compte  rendu  des  opinions 
de  nos  devanciers  aui'a  ravantajie  de  rattacher  notiv  travail 
au  développement  antérieur  de  la  science  exégétique ,  sans 
lui  ôter  rien  de  son  indépendance. 

I.  Plan. 

11  y  a  un  contraste  entre  l'exégèse  des  Pères  et  les  travaux 
modernes  sur  révanjïile  de  Jean.  Chez  les  jiremiers,  la 
pensée  d'un  plan ,  d'une  ordomiancc  systématique,  .semhie 
[iresque  n'exister  pas,  tant  le  caractère  histoii(pie  de  l'écrit 
-t  plis  au  sérieux.  Selon  l'interprétation  moderne,  au  con- 
iraire,  dont  le  travail  de  Daiir  forme  l'apogée,  l'/rfcV?  occupe 
tellement  la  première  place  dans  cette  composition  évaiig(''- 
lique ,  que  non-seulement  elle  en  détermine  l'ordonnance 
•  l  le  plan,  mais  (prelle  en  crée  même  la  snhsfance .  de 


Il-J  l>Tlt()ItlC,TI(t>. 

>niic  (jiu-  le  \\\i\ ,  comiiir  Ici.  »'sl  aiiiiiliilt' ,  cl  (jik!  l'cxplica- 
liuii  :ill<''^M)i-ii|iic.  iloiit  le  nom  rappelait  jusqu'à  ro  nioinciit 
U'S  plii>  mauvais  jours  de  l'exéjrèsc,  rodevicul  la  uK'lhodc 
li'iulcilirclalioij  nonualc.  Aux  yeux  des  anciens,  notre  évaii- 
;,Mle  n'i'tait  ipi'un  asseinidajic  de  faits  et  de  discours  aecid(;n- 
tcllenienl  raltaclit's  les  mis  aux  autres.  Aujourd'hui  au  con- 
traire c'est  une  oMivre  rij^dm-euseujeul  systémati(pio  ,  la 
synthèse  la  plus  pme  de  rid«'*o  clirélienno,  mais  une  œuvre 
au.<;.si  indé|ieudanle  de  l'histoire  que  l'Klhifpie  de  Spinoza 
peut  l'être  de  la  r<''alil(''  seiisihic. 

Ce  renversement  c<im|i]el  de  inauière  de  voir  ne  s'est 
opért'  que  par  degrés.  Les  iraNaux  de  Lampk,  de  de  VVettk, 
de  SciiWEiZKH  et  de  BAin ,  me  paiaisseul  InniK'r  les  points 
les  plus  marcpianls  de  cette  l'IahoratiiMi  scientifique.' 

Lampe*  j)ix»posa  le  j)reinier,  au  dire  de  Liicke ,  u/ic  divi- 
sion générale  de  l'i'vaiiLrilc  Elle  (-lait  eiicoie  très-infoi"nie. 
C'était  :  1.  Le  prcdogue  I,  1-18.  2.  La  narration  I,  19 -XX. 
-29.  :1.  L'éjiilogiie  XX,  .SO-XXI,  25.  Puis,  ce  (jui  avait  une 
plus  grande  valeur,  il  subdivisa  la  nanation  en  deux  parties  : 
A.  Le  ministère  public  «lu  Seigneur,  I,  19 -XII,  50.  B.  Les 
deiniers  faits  de  sa  vie.  Xlli,  1  -XX,  29.  Lampe  avait  ainsi 
uns  le  doigt  sur  l'une  des  ailiculations  principales  de  l'évan- 
gile. Tous  ceux  (pii  après  lui  ont  ellacé  la  ligne  de  démaj- 
cation  enti<'  <  h.  XII  ci  \|||.  oui  ('videmment  reculé  dans 
l'intelligence  de  l'o'uvre  de  Jean. 

Kicumor.n'  no  clianijea  rien  a  colle  division.  Soulcinonl  il  iiililula 
difrérciuiueol  les  deux  parties  de  la  narration  proprement  dite  : 


1.  Nous  indiqueroas  les  intermédiaires  eu  petits  caractères  pour  ceuî 
de  nos  lecteurs  qui  seraient  curieux  de  suivre  pas  à  pas  le  travail  de  la 
s("ience  sur  cette  question  dolicate.  Nou.s  devons  beaucoup  pour  cet  ex- 
posé à  l'ouvrafre  de  Lnthardt,  Dus  joh.  F.oatirj.  p.  255-259. 

2.  Commentfirtus  cxegetico-analyticus  (lat.  1723,  allcm.  I729j. 
3    Einleitun^  in  dax  N.  T.  1804-1814. 


CHAI'.  IV. !)!•:  I..\  CO.MIMI.sn  ION  l»l    IV*^  KV.V.NCII.i;.       11.) 

1.  la  [iii'iiiirir ,  I,  l'.l-  \ll  .  (loi!  scivii',  schtii  lui,  a  (h'iiioiilicr  (|iic 
Jcsii.s  ('si  le  J/c.s.N/t' |troiiiis;  -1.  La  seconde,  .\lll-\\,  coiilicnl  le  récit 
des  (lernii'rs  jours  de  sa  \i('.  <',c  n'clail  |»as  la  une  aindioraliuii.  Lo 
coiiloiiii  (le  la  |>i'(Miii(>i'e  paitie  est  mal  loiriiiile  (l'ijclilioin  appliqiK^ 
aux  (loti/.e  |tivinieis  clia|tili('s  co  (|ui  ne  s'a|)i>li(|ue  i('elleinciil  (pi'aiix 
(|iialr(^  [Mcmieis);  ol  ri(l('(>  (l(^  la  soc(jiule  partie  ne  se  coordomio  pas 
l(>!;i(|iiomoiit  avoc  coilo  do  la  piomicro. 

Antorieurcmonl  à  Kichlioin,  Henoel'  avait  essayé  de  fonder  la 
division  de  r(''van;;ile  sm-  un  autre  jirincipe.  \près  avoir  iiif^cnieii- 
senienl  lait  correspondre,  coniine  |>eiulanls ,  les  deux  semaines  ini- 
liale  et  linale  dn  minisU'ie  du  SaiiVfMir  I,  19-  II,  Il  et  MI,  1-.\X, 
d  divisa  l'histoire  intermédiaire  d'apr(^s  les  fêles ,  en  se  rallachant 
principalement  aux  trois  voyaijcs  de  J(}sus  à  Jérusalem  mentionnés 
M,  13  (Pâques);  V,  1  (Pentecôte,  selon  Ben»;el) ;  Vli,  1  (Taberna- 
cles). Celle  disposition  reposait  évidemment  sur  un  principe  trop 
extérieur.  Elle  avait  le  rfrand  inconvénient  d'effacer  le  Irait  desépa- 
I  al  ion,  fortement  mar(iué  par  l'évan^jéliste  lui-même  et  signalé  par 
l.ampe,  entre  cli.  MI  et  Mil. 

Bengel  fui  néanmoins  suivi  par  Oi.snAr.sEN',  qui  admit,  d'après 
ce  principe  de  division,  les  quatre  parties  suivantes:  1.  I-VI; 
■2.  VII-XI;  3.  XII-XVII;  4.  XVIII-XXI.  LiicKE'  lui-même,  dans  ses 
deux  premières  éditions,  avait  désespéré  d'arriver  à  un  plan  plus 
profond,  et  s'était  contenté  de  travailler  à  améliorer  la  division 
lt»ndée  sur  les  voyages  de  fête. 

De  Wette*,  le  premier,  discerna  et  fit  ressortir  dans  notre 
•'•vang-ile  le  déploieniciil  d'niK'  id(''e  unique.  La  gloire  de 
Christ,  telle  fut  la  pens(''e  autour  de  laquelle;  lui  parut  s'or- 
l^aniser  l'œuvre  tout  entière.  1.  Le  cliap.  F'  (ixpose  l'idée 
d'une  niani("'i('  sommaire;  2.  La  première  partie  de  la  nar- 
ration (II-XH)  l:i   iiidiilic   en  action   daii.s   le  minisière  de 

I.  Gnomon.  N.  T.  1742. 

1.  Comment,  iiber  dns  i\.  T.  1830  et  anii.  siiiv. 

3.  Comment.  ùOcr  die  jo/i-  Sc/ir.  1820. 

4.  Kurze  Erk!.  des  Ev.  uud  dcr  Rr.  des  Juh.  dans  le  Kurzgr/asstes 
exefjet.  Ihindbucli.  1837. 

I.  8 


114  INTIIUUICTION. 

J('»sus  ,  et  rt'la  :  A.  par  <lt\s  t'xcm|)l('s  paiiiculiers  (II-VI); 
B.  par  la  préparation  de  la  catastiophe  tiaiis  les  derniers 
séjours  de  Jésus  en  Judée  (VIl-XIl);  3.  La  ^^loin?  du  Seigneur 
se  manifeste  dans  loul  son  éclat  dans  la  secomlc  partie  de 
la  narration  (XIIi-XX),et  cela:  A.  d'une  manière  intérieure 
et  morale ,  dans  ses  souiïrances  el  sa  mort  (XllI-XIX)  ;  et 
H.  (1  inir  mîuiière  extérieure  et  sensible ,  par  le  lait  triom- 
|iliaiil  de  la  Hésuncetion  (XX). 

Colle  giaiule  cl  hello  coiucplioii,  par  la(|uelle  de  VVcUe  a  corlai- 
noinenl  fait  époque  dans  rinlellii;ence  de  noire  évangile,  domina 
pendant  un  certain  temps  l'cxé^jèso.  Lùcke  en  subit  décidément  l'in- 
fluence dans  sa  troisième  édition  '  ;  mais  il  inlroduisil  en  même  temps 
une  sulxlivision  (|u"il  faudia  se  i;ar(ler  de  perdre  de  vue.  C'est  la 
séparation  entre  oh.  IV  el  V.  Jus(|u"au  cli.  IV,  en  effet,  l'opposition 
h  Jésus  ne  se  fail  pas  encore  dislinolemenl  remar(|uer.  F)epuis  le 
cil.  V,  elle  domine  le  récit  el  va  croissant  jusqu'au  cli,  XII. 

Bad.M(.auten-Crl'sius',  profilant  de  la  conception  de  de  Wetle  et 
<ie  la  subdivision  heureusement  introduite  par  Lùckc,  so  trouva  con- 
duit h  admettre  la  disposition  suivanic  :  1.  les  œuvies  du  Clirisl , 
I-IV;  i.  ses  luttes,  V-\II;  3.  sa  victoire  morale,  XIII-MX;  4.  sa 
gloire  flnale,  XX.  C'était  l'idée  de  de  Wetle,  encore  mieux  formulée 
j>eul-èlre  que  par  de  Welle  lui-même.  C'était  la  première  division 
complélemcnl  ralionucllc  de  tout  le  contenu  de  notre  évangile. 
Presque  toutes  les  articulations  principales  du  récit  se  trouvaient 
constatées  el  signalées  (ch.  V,  XIII,  XX). 

Cependant  la  division  de  de  Welle  et  de  ceux  qui  l'ont  suivi 
ne  tient  compte  que  de  l'un  des  facteurs  du  récit,  l'élément 
objectif,  .si  l'on  peut  ainsi  dii'e ,  Cbrisl  el  sa  manifeslalion. 
Mais  il  y  a  un  autre  facteur  dans  la  narration  de  Jean ,  l'élé- 
ment subjectif,  la  conduite  des  liommes  envers  le  Seij^nenr 
à  l'occasion  d«3  .sa  révélation ,  la  foi  fies  uns  et  l'incrédulité 
des  autres. 

t.  De  1840. 

2.  Einl.  urid  Ausleg.  des  Ec.  Jolt.  18i3. 


CIIAP.  IV. —  DL  I.A  COMPOSITION  DU  IV®  ÉVANGILK.       ll.J 

Alkxandrk  Schweizer'  reveii(li(jua  mic  place  pour  cet 
tWémciil  liiiniiiiii  (hms  ronloniuuice  généralo  do  notre  évaii- 
</\\i'.  Il  lui  accortla  niènie  le  rôle  déeisif,  et  cela  en  apjmyaiit 
surtout  sur  le  côté  de  l'iiicrédulité.  Il  admit  le  plan  suivant, 
qui  lait  ressortir  précisément  les  mêmes  articulations  prin- 
cipales (pie  nous  venons  de  signaler  :  1.  La  lutte  s'annonce 
dans  le  lointain,  I-IV;  2.  Elle  éclate  dans  toute  sa  violence, 
V-XII;  3.  Le  di'nouement,  XIII-XX.  Ainsi  compris,  l'évan- 
l^nle  devient  un  di'ame  et  prend  un  intérêt  tragique.  Mais 
dans  la  coiiduile  des  hommes  envers  le  Seigneur,  l'incré- 
dulité n'est  qu'un  côté.  L'élément  de  la  foi  ne  reste-l-il  pas 
tro|)  à  l'aiiière-jilan  dans  cette  conception  de  Schweizer? 
Le  l'acteur  ainsi  négligé  ne  pouvait  manquer  d'obtenir  bientôt 
sa  revanche. 

Avant  (l'arriver  à  ce  terme  facile  à  prévoir,  nous  devons  men- 
tionner quel(nies  travaux  remar(nial)les  qui  nous  paraissent  se  ralta- 
clier,  sinon  liislori(iuemenl,  du  moins  en  principe,  aux  points  de 
vue  déjà  indiqués.  Comme  de  Welte  et  Baumgarten-Crusius ,  c'est 
sur  la  révélation  de  Christ  que  M.  Reuss  fait  reposer  l'ordonnance 
{générale  de  l'évangile*.  II  admet  trois  parties  :  1.  Jésus  se  révèle  au 
monde,  I-XII;  enrôlant,  I-IV,  puis  triant,  V-XII.  2.  Il  se  révèle  aux 
siens,  XIII-XVII,  cherchant  à  faire  pénétrer  dans  leur  cœur  et  à  trans- 
former chez  eux  en  vie  intime  les  idées  spéculatives  exprimées  dans 
la  première  partie  sous  forme  dogmatique  ou  polémique.  Jusqu'ici 
l'ordonnance  est  parfaitement  logique,  et  dans  ce  peu  de  mots  sont 
renfermées  bien  des  idées  propres  à  éclairer  la  marche  de  l'œuvre 
(le  Ciirisl  dans  notre  quatrième  évangile.  Mais  ici  se  présente  une 
difficulté  (|ui  résulte  du  point  de  vue  général  auquel  s'est  placé 
M.  Reuss  à  l'égard  de  l'œuvre  de  Jean  :  la  division  rationnelle  est 
épuisée.  Il  n'y  a  pas  un  troisième  terme  à  placer  lôgi(iuem('nt  à  C(»lé 
du  monde  cl  des  croyants.  Et  cependant  l'évangile  n'est  pas  ter- 


1.  Das  Ev.  Joh.  kritisch  tintersitcht,  1841. 

2.  Uht.  lie  la  thvol.  chrét.  1852,  t.  il,  p.  303-305.  Die  Gesc/i.  der  heil. 
Schr.  A'.  T.  3'  éd.  18G0.  g  221. 


116  INTFJdnUCTION. 

mine,  ci  il  faul  hiiMi  assijjnor  une  place  aux  Irois  cliapitrcs  (|ui  irs- 
Icnl  oiu-oro.  'A.  M.  Roiiss  on  fait  une  Iroisiùmc  partie  qu'il  iiilitulc  : 
«  Le  donoucnionl  des  deux  iap|H)rts  préeédemnieiU  établis»,  XVIII-.\X. 
Mais  toninienl  le  récit  de  la  inoit  et  de  la  n'surreclion  de  Christ 
denoue-t-il  le  Ud'iid  ftirnié  par  la  doulile  relation  do  .losus  avec  le 
monde  et  les  cnnaiil^.'  Kii  rc  (|uo,  répond  \l.  Heuss,  «  .l('sus  reste 
mort  poiii  les  incrédules,  taudis  cpi'il  ressuscilo  victorieux  pour  les 
cro\auts  ».  Si  un  mot  d'osjirit  suffisait  en  pareille  matière,  on  pour- 
rail  se  déclarer  satisfait.  Mais  M.  Rouss  peut-il  l'être  lui-même?  Ne 
doit-il  pas  sentir  (ju'un  (h'nouement  purement  liistori(|ue  ne  cadre 
pas  avec  un  évan{i[ile  spéculatif,  une  o'uvre  iddcllr ,  telle  (|u'est  son 
évan;;ile  de  Jean'.'  On  n'additionne  pas  par  1,  2,  :{,  dos  Ijiéorèmes 
spéculatifs  et  des  faits  historiques,  a  moins  de  se  résoudre  «i  ne  voir 
dans  ces  derniers  aussi  que  des  idées,  une  roliiiion  ou  une  morale 
en  action.  Lt  n'est-ce  pas  c»>  ((ue  semhie  faire  en  ellel  M.  Heuss, 
quand  il  termine  son  analyse  de  notre  évaujîilc  en  disant  :  «  C'est 
ainsi  que  Khisloire,  juscpi'au  ImjuI  ,  est  le  miroir  des  vérités  reli- 
{{ieuses.  «  Quoi  !  des  événements  tels  que  ceux  de  la  mort  et  de  la 
résurrection  du  Sauvem*,  transformés  on  simples  reflets  de  la  vérité 
religieuse,  ce  qui  \eijl  dire  s.ins  dunle  de  la  |>ensée  chrétienne!,  do 
la  m('lapli\sique  de  Jean!  Mais  il  n  y  a  pas  d'autre  mo)on  pour 
M.  heuss  de  faire  de  l'évanijile  un  tout  homoîjène  et  de  coordonner 
Iogi(|uemenl  la  troisième  partie  avec  les  deux  aulics.  On  \oil  a  quel 
prix  il  faut  acheter  cette  conce|ttion  su|»éri(;uro,  (jui  fait  des  lé- 
IlexiuiDi  lie  J(ian  nur  la  personne  de  Christ  le  fon<l  du  quatrième 
évangile  î 

Ebraru'  est  tellement  rentre  dans  le  positif  de  l'histoire,  qu'il 
en  est  icvonu  au  plan  de  Bengel  et  a  de  nouveau  rattaché  l'ordon- 
nance de  notre  ovanjîile  aux  voyages  do  loto.  Mais  il  a  su  trouver 
un  sens  plus  profond  a  ce  princifte  de  division  en  apparence  tout 
extérieur.  Il  a  fait  remaïquor  avec  justesse  (|ue  les  vo>aî;es  de  Jésus 
en  Judée  sont  les  véritables  nœuds  de  lliisloiro,  puistpio,  Jérusalem 
étant  le  centre  de  la  résistance,  chaque  séjour  de  Jésus  dans  cotte 
capitale,  au  lieu  doire  un  pas  vers  son  avènement,  en  devenait  un 

1.    Wissaisch.  Kritih  drr  rv.  Grscli.  I8i2.  —  bas  Ev.  Joli.  1845. 


I 


CHAI'.  IV.  —  i)K  i,.\  (;().Mi'o.smu.N  du  i\    kvam.ii.i;.      1 1  / 

vers  la  cjjtasiidplK*.  Ncamnoins  nous  avons  déjà  vu  cl  nous  vcinnis 
encore  l'insuflisance  de  ccllt'  divisinn. 

De  Wl'IIc  iiv;iil  Idiil  liiil  reposer  sur  rélémenl  ohjedil",  lu 
inanif('sl;iti(»M  de  la  yluiie  ilc  Jésus.  Sclivveizer  iivuil  surluut 
mis  t'ij  iclit'fle  faeleur  subjectif  de  l'incrédulité.  Bauh  s'est 
t'iii|(aré  de  l'autre  facteui'  subjectif,  la  foi,  et  il  a  (;lierclié  à 
MioiilitT  dans  iKtlrc  ('vaugile  l'histoire  (idt'ale)  du  dt''V»'lu|i- 
jjeuit'ul  de  la  foi.  Il  a  consacré  à  celte  tâche  les  ressources 
de  l'cspiit  Ir  plus  saiioce  et  le  plus  résolu  à  ne  reculer  de- 
vant amuiif  dillicullt'-;  et  il  a  peut-être  contiibué  plus  (ju'au- 
(  un  aulre  à  avancer  l'intelligence  complète  de  cet  écrit  in- 
comparable et  l'accomplissement  d'une  lâche  que  le  Seigneur 
paraît  avoir  départie  à  notre  siècle.  Il  divisa  l'é-vangile  en 
neuf  sections,  mais  qui,  le  prologue  écarté,  peuvent  se  ré- 
duire à  cinq,  1®  Les  premières  manifestations  du  Verbe  et 
les  jii-eniiers  symptômes  de  foi  et  d'incrédulité  qui  en  ré- 
.sullent;  I-VI.  2°  La  victoire  (dialectique)  de  la  foi  sur  son 
contraire,  rincré'dulilé;  VII-XII.  o°  Le  développement  positif 
de  la  lui;  \1II-XV1I.  Airivé  à  ce  point,  même  embarras  pour 
Baur  (pie  pour  M.  Keuss.  Comment  passer  de  l'idée  à  l'his- 
tdiie,  (lu  développement  dialectique  de  la  foi  aux  faits  posi- 
tifs de  la  mort  et  de  la  résurrection  du  Sauveur?  L'idée 
n'exige  jdus  rien.  Voici  comment  continue  Baur:  4°  et 
.')"  Comme  la  mort  de  Jésus  est  l'œuvre  de  l'incrédulité,  ainsi 
sa  résurrection  est  la  consommation  de  la  foi.  Voilà  le  sens 
de  XVIII-XX.  Mais  malgré  ce  tour  d'adresse,  cette  dernière 
jtarlie  n'en  est  pas  moins  une  superfétation,  comme  chez 
M.  lieuss.  La  Passion  et  la  Résurrection  sont  des  faits  trop 
graves  poui'  qu'il  soit  possible  de  leur  assigner  sérieuse- 
ment une  place  dans  le  récit  du  développement  dialectique 
lie  la  foi  et  d'en  faire  de  sim()les  jalons  sur  la  route  qui 
conduit  du  pi'enner  doute  de  Nathanaël  au  dernier  cri  de  foi 
de  Thomas!  Il  faut  ou  idéaliser  le  quatrième  évangile  jusqu'au 


118  INTROnrCTION. 

1mmi(  on.  \y,\v  une  coiicliisiiui  l'i'tro.-jcfivc,  ji;iil;»nl  du  carar- 
lèr«'  vraiiiii'iit  liist(tii(jin'  df  la  (h'niir'ic  parlic,  reconnaître 
aussi  ci'liii  (1rs  |iarli('s  |H('C('Ml('nlrs.' 

I  I  rinuKT  a  arroplr  à  peu  pirs  en  plrin  los  rc^siiKats  du  havail 
(le  \\Mii  sur  h'  point  s|)<'<'ial  (|ui  ikmis  dcciipo.  Sciilcmcnl  il  a  posé, 
coiiiiiK' base  du  (icM'IoppciiKMil  (le  la  foi,  la  n'vclalioii  liisloriquo 
do  Chrisl,  si  liicii  arconUioo  par  <ii'  Wrilc.  le  l'ils  déploie  sa  {{loiro; 
la  foi  nail,  mais  en  même  temps  riiuicdulité  s'évoiile;  cl  biciilcM 
Jésus  ne  peut  plus  manifester  le  principe  divin  qui  csl  en  lui,  <|u'en 
lutte  avec  les  éléments  hostiles  cpii  renlourenl.  Néanmoins,  au  mi- 
lieu de  ce  conilil,  la  fi»i  se  renforce  chez  les  disciples,  cl  le  moment 
arrive  où  Jc-sus,  après  avoir  rompu  avec  le  |>euple  el  ses  chefs,  se 
donne  tout  entier  à  la  foi  des  siens  el  lui  imprime  le  sceau  de  la 
consommation.  Lulhardl  admet  dès  lois  les  Irois  parties  suivantes  : 
1 .  Jésus  commence  à  se  révéler  comme  Fils  de  Dieu,  I-IV;  '2.  Jésus 
continue  a  se  rendre  témoi[îna{;c  à  lui-même,  en  luttant  avec  l'in- 
crédulité juive,  V-XII;  3,  Jésus  se  donne  complètement  à  la  foi  des 
siens,  XIII-XX. 

I.uthardt,  sur  les  traces  de  Haur,  me  parait  avoir  pénétré  mieux 
que  personne  dans  l'esprit  du  livre  et  dans  la  pensée  ititime  (|ui  a 
présidé  à  la  marche  de  la  narration.  VA  néanmoins  le  point  défec- 
tueux du  plan  qu'il  projiose,  saule  aux  yeux  ;  il  se  trouve  dans  la 
dernièi  e  pai  tie.  Comment  faire  rentrer  le  récit  de  la  l'assion  dans  la 
troisième  section,  intitulée:  Jésus  et  les  siens!  Lulhardl  se  trompe 
certainement  quand  il  confond  en  une  seule  masse  des  éléments  aussi 
hélérofjènes  rjue  ceux  qui  sont  renfermés  dans  les  ch.  XllI-XX. 

La  divisifin  de  Mevek  '  me  semhle  [iliilrtl  un  [tas  rélro(;rade  qu'un 
projjrès.  D'un  c6té,  elle  élève  des  parties  secondaires  au  rangdepar- 


1.  L'on  voit  se  produire  ici  sur  un  point  particulier  la  difliculté  qui 
atteint  dans  son  ensemble  le  système  philosophique  sur  lequel  repose 
la  tliéologie  de  Baur.  En  vertu  de  quelle  nécessité  logique  l'idée  sort-elle 
de  sou  cxislcncc  pure  pour  se  traduire  en  fait?  L'idée  pure  ne  conduit 
qu'a  l'idée  pure!  Le  fait  est  là...,  voilà  la  seule  raison.  Hegel  n'en  a 
jamais  pu  donner  d'autre.  » 

2.  Kridsch-exerjet.  Hundh.  2te  Ablh.  3'  éd.  1856. 


I 


CHAI'.  IV. —  DE  L.V  CUMI'O.SITION  Dl'  I\"  KVANf.ILi;.       1  10 

tios  |)rincip;«l('.s;  par  oxeinple,  dans  les  onzft  premiers  chapilrcs,  (|ue 
Moyer  divise  en  (jualre  parties:  1.  Premières  révélations  de  la  gloire 
du  Kils,  I,  1  -  Il ,  1 1  ;  2.  Conliiuiation  de  celte  lévéialioii  en  face  de 
la  foi  et  de  rincrédulilé  naissantes,  II,  12-  IV;  3.  Nouvelles  lé- 
vélalions  et  pro;]rès  de  rincrédulilé ,  V-VI  ;  4.  L'incrédulité  parvenue 
à  son  faite,  V!I-\I.  D'autre  part,  Meyer  réunit  des  parties  bien  dis- 
tinctes on  une  seule,  quand  il  confond  ch.  XII -XX  en  une  seule 
masse,  inliliilée:  la  suprême  manifestation  de  la  gloire  de  Jcsu^ , 
avant,  dans  et  après  la  Passion. 

M.  Arnaud',  dans  l'ouvrage  qu'il  publie  actuellement,  est  revenu 
a  la  division  de  Bengel ,  OIsliausen,  Ebrard,  d'après  les  voyages  de 
fêle.  Ainsi,  entre  le  prologue  et  la  Résurrection,  il  signale  cinq  par- 
lies,  d'après  les  cinq  voyages  indiqués  par  l'évangéliste  :  1.  II,  13 
(Pâques);  2.  V,  1  (fête  non  indiquée);  3.  VII,  1  (Tabernacles); 
•i.  X,  22  (Dédicace);  5.  XII,  1  (Pâques).  Outre  l'inconvénient,  déjà 
signalé  ,  d'effacer  la  ligne  de  démarcation  distinctement  tracée  par 
révangéliste  lui-même  enlie  cli.  XII  et  XllI,  celle  division  a  celui  de 
faire  un  hors-d'œuvre  de  toute  la  partie  du  récit,  si  importante 
pointant,  qui  est  antérieure  au  premier  voyage  de  fête,  1,  19- 
11,  12. 

La  revue  qui  piécètle  a  mis  en  évidence  trois  facteurs 
principaux  dans  la  narration  de  notre  évangile  :  Jésus,  la 
foi,  l'incrédulité;  ou,  pour  préciser  davantage,  la  manifes- 
tation de  Jésus  comme  Messie  et  comme  Fils  de  Dieu ,  la 
naissance,  la  croissance  et  la  consommation  de  la  foi  chez 
les  disciples,  et  le  développement  parallèle  de  l'incrédulité 
nationale.  De  Wette,  Schweizer  et  Baur  nous  ont  montré 
dans  Icuis  filaiis  les  échantillons  les  plus  remarquahles  de 
trois  divisions  fondées  uniquement  ou  principalement  sur 
l'un  de  ces  facteurs.  Mais  ces  tentatives  ont  toutes  échoué. 
Nous  avons  vu  ces  cadres  se  briser  successivement  contre 
l'une  ou  l'autre  des  parties  du  récit  qu'il  n'était  pas  possible 


1.  Commentaire  sur  le  A".  T.  t.  II.  1863. 


150  INTnoDrCTION. 

.l'v  riiir»'  iiMilitT  irmn'  m;uii{''n'  iialiircllc.  Ce  liiif  s'('X|>li(|Ui* 
ais/'mcnl,  si  iiolic  rvanj^ilt'  csl  n-rllciiiriil  im  ()inra<>o  do 
iintiHT  hisloi*i(|iir.  In  cinlrr  ralininitl  aji|)li(|ii)'>  à  l'histoire 
tloil  loujoiirs  coiiscivcr  i|iit'l(|tit'  chose  d'arliiiciel  et  trahir 
Son  iiisiinisanci'  par  (iiiclijiic  coté;  (|iioi  que  l'on  puisse  dirfî 
en  philosopliie  de  la  transcendance  de  l'idée,  en  jéalilé 
c'est  toujours  le  fait  qui  d(U)or(le  l'idée,  parce  qu'il  renferme 
l'élément  inralrulahjc  de  la  liln'itt'.  Si  donc,  renon(;anl  à 
ces  divisions  syiithéliques  qui  se  lient  plus  ou  moins  à  \'()\n- 
nion  qui  lait  du  (jualiième  évan^nle  une  o'uvre  didactique, 
nous  demandons  au  livre  lui-même  le  secret  de  son  or- 
donnance interne,  nuus  voyons  la  iiai ration  se  découper 
naturellement  en  cinq  masses,  que  les  dispositions  indi- 
(jué'cs  plus  haut  ont  de  plus  en  |ilus  nettement  dislinf,niées  : 

1.1,19-  IV  :  La  uianireslalion  du  Seig^neur  comme  Messie; 
la  naissance  et  les  |)remiers  accroissemenls  de  la  foi;  les 
premiers  symptômes,  à  peine  sensibles,  d'incrédulité. 

2.  V-XII  :  Le  développement  jniissant  et  rapide  de  l'incré- 
dulité'nationale  ;  la  ri'vé'lation  éclatante  de  .h'sus  connue 
Fils  de  Dieu,  au  travers  de  ce  milieu  hostile;  la  foi  des 
disciples  s'alTermissanl  et  s'enracinanl  à  I; avers  ces  luttes. 

.^>.  XIII-XVII  :  Le  déveloj)p(.'ment  é'ner},M(jue  et  (h'cisif  de 
la  foi  chez  les  disciples  pendant  les  dernières  heures  (lu'ils 
passent  avec  leur  Maître;  les  suprêmes  révélations  de  Jésus, 
par  le  moyen  desquelles  s'opère  ce  développement;  et  l'ex- 
pulsion du  disciple  en  la  personne  duquel  l'incrédulité  avait 
trouvé'  accès  dans  ce  cercle  choisi. 

A.  XVIII-XIX  :  La  con.sommation  de  l'œuvi-e  de  l'incré- 
dulité nationale  par  le  meurtre  du  Messie;  le  calme  rayon- 
nement de  la  gloire  de  Jésus  au  travers  de  cette  sombi'e 
nuit;  l'accroissement  silencieux  de  la  foi  chez  les  quelques 
di.scij)les  dont  l'o'il  était  encore  capaljle  de  recueillir  ces 
douces  clartés. 


I 


CHAP.  IV.  —  I)K  I.A  COMPOSITION  I)['  IV*^  HVANIJII.i;.       1^1 

5.  XX  (XXI):  Les  apparitions  tlu  Ressuscité  consoniiiiciil 
la  révélation  de  Jésus  et  lii  victoire  de  la  foi  sur  les  dernieis 
restes  de  doute  dans  le  cercle  apostolique. 

L'exégèse  montrera  si  ce  résumé  du  récit  est  conforme 
aux  textes  et  à  l'esprit  de  l'écrit.  S'il  en  est  ainsi,  les  trois 
éléments  principaux  que  nous  avons  indiqués,  se  déploie- 
raient simultanémeMi  el  de  front  dans  toutes  les  parties  de 
la  narration,  avec  cette  diflérence  que,  tandis  que  le  pre- 
mier, la  rév('latio(i  de  Jésus,  forme  le  fond  peinianent  du 
n'cit,  les  deux  autres  se  détachent  alternativement,  Tun 
avec  un  éclat  toujours  plus  pur,  l'autre  en  teintes  (le  plus 
en  plus  sombres,  sur  ce  fond  commun.  La  foi  naît,  I-IV; 
riiMi'i'dulité  donn"ne,  V-XII;  la  foi  atteint  sa  perfection  rela- 
tive, XllI-XVII;  rincif'dulité  se  consomme,  XVIII-XIX;  la  foi 
triomphe,  XX  (XXI). 

Il  n'y  a  dans  cette  ordonnance  rien  de  systématique,  rien 
de  factice.  C'est  la  photographie  de  l'histoire.  Si  l'exégèse 
pi'ouve  la  réahté  de  ce  plan ,  à  la  fois  si  naturel  et  si  profond, 
nous  trouverons  en  cela  une  conlirmation  imj)ortante  du 
caractère  historique  et  du  but  pratique  de  notre  évangile. 
Admettons  en  effet  que  le  but  de  cet  ouvrage  soit,  comme 
nous  l'avons  supposé-  d'après  la  déclaration  de  l'auteur  lui- 
même,  d'amener  les  croyants  à  la  j)leine  jouissance  de  leur 
foi  en  leur  donnant  la  parfaite  certitude  de  son  objet';  quoi 
>\>'  plus  propre  à  atteindre  ce  but  (jue  le  tableau  de  l'action 
combinée  de  ces  trois  facteurs  dans  le  cours  du  ministèi'e 
de  Jésus?  Il  est  aisé  de  saisir  la  relation  de  chacun  d'eux  à 
la  foi  chrétienne  : 

1.  Quant  à  la  if'vélalion  <le  Jésus,  les  signes  par  lesquels 
Ji'sus  a  manifesté  sa  gloire  au  cœur  des  premiers  croyants, 
sont  encore  à  cette  heure  le  moyen  efficace  qui  crée  la  foi  au 

t.  Voir  p.  IIU. 


i'i-'l  iNTnunrcTKtN. 

sriii  de  l'KjjHisc.  L(j  U'iiidi^Miityc  tie  Jcsiis  sur  lui-niônic,  en 
parliciilicr,  est  et  restera  loiijoiirs  la  suprême  j^araiilio  de 
la  loi  iliii'lii'iiiii'.  LKIijcl  |treiiiiei"  et  essentiel  d'un  ('vanj^ile 
iit»nt  le  bul  esl  fonuulé  en  ces  termes:  Afin  que  vous  croyiez 
(X\,  SI),  (levait  donc  être  de  raconter  la  révélation  {gra- 
duelle de  Jt'sus,  comme  Messie,  puis  connue  Fils  de  Dieu, 
d'alKtrd  jtar  .lean-BaplisIe,  ensuite  par  Jésus  lui-même,  enfin 
par  l'aclion  direclc  du  Père  dans  sa  résurrection. 

-J.  Le  taldeau  du  d(''velo|»pement  de  la  foi  sous  ce  rayon- 
nement croissant  de  la  gloire  de  Jésus  devait  concourir  non 
moins  effic^icement  au  même  but.  Montrer  l'eflet  profond 
jtrdduil  ciiez  nue  partie  notable  du  peuple  juif  par  la  révé- 
lation de  Jt'sus,  dévoiler  surtout  la  genèse  intime  de  la  foi 
chez  les  apôtres,  raconter  conunenl  cette  profession  pre- 
mière et  tout -à -fait  élf'mentaire  :  a^ons  avons  trouvé  le 
Messie»  (1,  44),  s'était  j^iailiielieMienl  transformée  en  ce 
cri  d'adoration  sorti  de  la  bouclitî  du  plus  sceptique  d'cnlie 
eux  :  «.Mon  Seigneur  et  mon.  Dieu»  (XX,  28),  n'était-ce  pas 
le  moyen  le  plus  efficace  d'entraîner  tous  les  croyants,  sans 
excepter  les  plus  attardés  d'entre  eux  —  fût-ce  même  un 
ébionite  ou  un  disciple  de  Jean  —  dans  le  môme  mouve- 
ment ascensionnel,  et  de  rejiioduire  flans  l'Eglise  entière 
i'bistoire  glorieuse  de  la  foi  apostolique?  Cbez  combien  de 
lecteurs  de  l'évangile  cet  eflet  ne  se  produit-il  pas  encore  à 
cette  heure!  Ils  gravissent  en  compagnie  de  saint  Jean  lui- 
même  les  degrés  de  l'écbelle  de  la  foi. 

.'J.  Le  tableau  de  l'incrédulité  juive,  enfin,  devait  accom- 
pagner les  deux  précédents.  Non -seulement,  en  effet,  la 
révélation  de  Jésus  ne  s'est  accomplie  qu'en  lutte  avec  cet 
(''lé'inenl  hostile,  et  les  manifestations  j)ar  lesquelles  il  confon- 
dait les  objections  élevées  par  les  Juifs  contre  ses  préten- 
tions messianiques,  signalaient  autant  de  triomphes  de  la 
foi  sur  le  doute  dans  le  cœur  des  apôtres  eux-mêmes;  mais 


ril.\r.  IV. —  I)K  I.A  COMF'OSITION  Dr  IV"  KVANCII.i:.      12."> 

surloiil  rifii  Ui'^l  jtius  |iiitj)r('  à  an'erinir  la  lui  que  le  iv<il 
siiiijik'  et  (If'taillô  des  incoiiséqiiciices,  fies  contradictions, 
des  ruses  et  des  mensonges  auxquels  durent  se  livrer  les 
adversaires  de  Jésus,  pour  réussir  à  consommer  le  crime 
monstrueux  auquel  tendait  dès  le  commencement  l'incrédu- 
lité nationale.  Iletracer  ce  développement  de  l'incrédulilé, 
c'était  consommer  la  démonstration  de  la  foi,  en  la  justifiant 
par  son  contraire  même. 

Connue  en  un  jour  de  printemps  le  soleil  se  lève  dans 
un  ciel  serein....  le  sol,  détrempé  par  les  neiges,  absorbe 
ses  cliauds  rayons;  tout  ce  qui  est  susceptible  de  vie,  s'éveille 
et  vit;  la  nature  est  en  travail.  Cependant,  après  quelques 
heures,  des  vapeurs  s'élèvent  de  la  terre  humide;  elles  se 
réunissent,  elles  se  forment  en  dais  obscur,  le  soleil  se 
voile;  l'orage  menace;  les  plantes,  sous  l'impulsion  qu'elles 
ont  reyue,  n'en  accomplissent  pas  moins  leur  silencieux  pro- 
grès. Enfin,  lorsque  le  soleil  est  parvenu  à  son  midi,  l'orage 
éclate  et  sévit;  la  nature  est  Hvrée  à  des  puissances  destruc- 
tives; elle  perd  pour  un  temps  l'astre  qui  la  vivifiait.  Mais 
sur  le  soir  les  nuées  se  dissipent;  le  calme  renaît,  et  le  so- 
leil, reparaissant  avec  un  éclat  j»liis  magnifique  que  celui 
qui  entoura  son  lever,  jette  à  toutes  ces  plantes,  filles  de 
ses  rayons,  un  dernier  sourire  et  un  doux  adieu.  —  Ainsi 
se  déroule,  à  ce  qu'il  nous  paraît,  l'œuvre  de  saint  Jean. 
Ce  plan,  s'il  est  réel,  n'est  pas  l'œuvre  de  la  réflexion  théo- 
logique ;  c'est  le  produit  naturel  de  l'intuition.  Conçu  dans 
le  calme  de  la  jouissance  et  dans  la  sécurité  de  la  posses- 
sion, il  n'a  rien  de  commun  avec  les  combinaisons  du  tra- 
vail métaphysique  ou  les  calculs  raffinés  de  la  politique  ecclé- 
siastique. 

C'est  avec  cette  clef  que  nous  nous  approcherons  (hi 
sanctuaire  qui  s'élève  devant  nous  et  que  nous  essaierons 
«l'en  ouvrir  les  portes.  Si  cette  tentative  réussit,  nous  croi- 


Hi  INTRODUCTION. 

ivtMS  jxiiivoir  coiMliiif  (|IH'  l:i  |tt'ii.s(''t'  dr  r;iiil('iir  csl  devciiuo 
la  nôli»'. 

I.c  |>l;in  (|iii  se  rappiorhc  pciit-rlic  lo  plii-s  de  ci'liii  (juc  nous  vo- 
uons (rcs(]uissor ,  osl  celui  (lu'a  liarc  M.  de  |{(»ujj('nionr  cl  dont 
voici  \o  rcsumô  :  1.  Jésus  alliic  a  lui  les  ànios  (jui  fonl  la  vérité, 
I-IV;  a.  Il  se  révèle  au  niondo  (|ui  le  lejelle,  V-\II  ;  3.  Il  se  nia- 
nifcslo  en  plein  a  sos  disciples ,  Xlll-Wli;  4.  Il  ineiirl  après  avoir 
luul  accuiupli ,  XVIII-.\IX  ;  5.  Il  ressuscile  el  devient,  par  le  don 
du  Sainl-Espril,  la  source  do  la  vie  pour  les  croyants,  X\  (XXI). 
Les  parties  sont  les  mêmes;  le  contenu  en  est  formulé  im  peu  diffé- 
remment. 

II.  Intégrité. 

Possédoii.s-iiou.s  iiHivraj^c  (jii(!  ikjiis  ulloii.s  l'iudicr,  lui 
qu'il  est  sorti  des  niaiii.s  de  .son  auleiirV 

Il  y  :t  une  iiiaiiirir  t\c  iiii-r  riiih-j^rih'  du  (|ualrième  évan- 
gile (jui  é(jiiivaijt  |»res(|ue  à  une  négation  d'antlicidicité  :  j)ar 
•'xenijtie,  li»is(jne  P.vuLUs'  émit  roj)inion  que  (juelijues  IVag- 
nient.s  écrit.s  de  la  main  de  Jean,  et  d(''p(j.sés  (Jans  les  ar- 
chives de  l'égli.sc  d'KpIièse,  rinrnl  cnijdoyi's  jiar  un  d(^  ses 
disciples,  adonné  au  gnosticisme,  pour  composer  cet  évan- 
gile dans  lequel  la  foi  au  Messie  «'tait  combinée  avec  la 
doctrine  du  Logo.s,  de  PJiilon;  ou  bien,  lor.scpie  Wki.sse* 
supposa  que  Jean  iui-inéuie,  pour  lixei-  dans  son  esprit 
l'image  de  son  Maître,  dont  les  traits  commençaient  à  s'ef- 
facei',  se  mit  à  écrire  des  iHudes  sur  sa  doetrine,  tout  en  se 
livrant  à  sa  propre  .spéculation,  et  (ju'après  sa  mort  un  de 
ses  disciples  compléta  ce  travail,  qui  ne  contenait  que  des 
discours,  en  y  adaptant  un  cadic  liisloriipjc 


i.  Traduction  du  Commentaire  d'Olshausen  sur  l'év.  selon  saint  Jean, 
.Nenchàlel,  18U,  p.  23-41. 
0.  Heidelh.  Jahrb.  1821. 
3.  Evangel.  Gesch.  1838. 


CMAI'.  I\  .  —  liK  l.A  CltMl'OSliKt.N  hl    iv'"  K\  AMIII.i;.        125 

Nous  JiiiriMis  ;'i  rxiiiiiiiici'  si  de  Idlfs  sii|i|i(tsili(Mis  sdiil 
comjiiilililt's,  «rim  iùU' ,  avec  l;i  iimIiii»'  du  plan,  de  Tanlre, 
avec  les  caiactères  du  style  de  notre  ('crit. 

L'iiitt'^ritô  en  j^rand  a  encore  été  atfaqni'c  pai'  Ai.kxandp.i: 
S(;ii\vi:i/KitV  Ce  (•rili(jn<'  ('•met  le  sonpron  d"inl('i|)olalion  à 
l't'-j^aid  de  Ions  les  rt'cils  doiil  la  scène  se  li-oiivc  en  (lalilée. 
Selon  lui.  noire  ('vanj^ile  conlrnail  |iiinnli\('nicnt  \i\ii'  liis- 
toirc  (In  niinislèic  de  .lésns  en  Judée  el  à  Jéiiisaleni  uni- 
ijuenicnl.  Un  auteni'  inconnu,  désirant  mettre  cet  écrit 
d'accoi'd  avec  nos  évangiles  synoptiques,  qui  renferment  la 
liadilion  galiléenne,  intercala  les  récits  suivants:  Noces  de 
Cana,  cli.  11;  guérison  du  fds  d'un  seigneur  de  la  cour, 
(h.  IV;  ninltiplicalion  des  pains  et  aj)aisement  de  la  tem- 
pélf,  i\\.  IV;  péclie  niiiaculeuse,  cli.  XXI.  De  plus,  ces  récits 
paraissent  suspects  à  ScliWf.'izer  p;n-  la  nature  du  style, 
qu'il  (rouNc  dilH'Tenl  de  celui  du  reste  de'  l'écrit,  et  par  le 
caractère  des  miracles  racontés  dans  ces  jiai'ties-là,  qui  lui 
paraît  grossier  et  magique. 

Ces  hypothèses  de  Paidus,  de  Weisse  et  de  Schweizer, 
n'ont  eu  aucun  succès  en  Allemagne.  Feraient-elles  fortune 
en  France,  si  l'on  tentait  de  les  y  importer*?  Quoi  qu'il  en 
soit,  nous  n'oublierons  pas  l'opinion  d'A.  Schweizer  en  fai- 
sant l'exé'gèse  des  morceaux  attaqués  par  lui,  et  nous 
examinerons  si  le  contexte  perdrait  ou  gagnerait  au  retran- 
chement des  i»aities  qu'il  prétend  être  interpolées.  Ce  que 
nous  devons  dire  dès  l'abord,  c'est  que  ces  morceaux  ne 
manquent  dans  aucun  manuscrit  et  dans  aucune  version. 

L'intégrité- générale  de  notre  évangile  ressort,  du  moins 
comme  sujiposition  pn-alable,  de  l'accord  de  tous  nos  do- 
cuments ciiti(|ues.  Cet  accoi'd  est  loin  cependant  de  s'étendre 
à  tous  les  détails  de  l'écrit.  Il  est  deux  passages  surtout,  dont 

1.  Das  Evang.  Joh.  1841. 

2.  Renan,  Vie  de  Jésus,  p.  x.xxii  et  xxxvi. 


15«i  INTRODUCTION. 

l'un  osl  assez  toiisi(l(''raljle,  à  l'ég^anl  dosquels  les  maiiusmls 
et  les  versions  sont  dans  un  ik'saeconi  si  complet  que 
l'exégèse  ne  pourra  se  (lisj)ensei'  de  les  soiimcllii'  à  l'épreuve 
la  j)his  sévère.  C'est  le  récit  de  la  l'eniiuc  adultère,  Vil, 
iVUVIll.  11,  et  celui  de  l'ange  descendanl  daiis  la  piscine  de 
Héllii'sda,  V,  -4-5. 

Oiiaiil  ail  cil.  \\I.  le  soupçon  (riiMiillifiilicité  ne  se  fonde 
que  sur  des  raisons  internes.  II  ne  manque  dans  aucun  do- 
cument. Le  v.  "25  seul  est  omis  dans  un  codex  minuscule  et 
jiaraît  avuii'  mancpié  dans  le  Codex  si iKfiticiis  (sou^  >>n  forme 
primitive). 

Oulie  ces  dilTéi-ences  graves  qui  portent  sur  deux  ou  trois 
pa.Nsa^^es,  il  existe  une  foule  de  leçons  diverses  entre  les- 
cpiclles  l'exégèse  sera  appelée  à  se  prononcer.  Sur  quelles 
bases  et  d'après  quelles  règles?  C'est  le  point  qu'il  nous 
reste  à  traiter  dans  cette  introdiicliitii.  Si  nous  le  l'aisons 
avec  plus  de  détails  (pic  ne  parait  le  comj)orler  une  intro- 
duction spéciale,  c'est  que  nous  désirons  mettre  chaque 
lecteur  en  état  de  voir  de  ses  yeux  et  de  juger  de  son 
chef,  dans  le  travail  que  nous  allons  faire  en  comnimi. 


(JllAP.  V.  —  1)K   LA  CONSKKVATIU.N   1)L   TL\Ti:.  127 

CHAPITRE  V. 
De  la  conservation  du  texte. 

Le  texte  «le  notix'  évangile  se  trouve  déposé,  en  totalité 
ou  par  fiagnienls,  dans  Ij'ois  sortes  de  documents  :  les  ma- 
nuscrits, les  anciennes  versions  et  les  citations  des  Pères. 

I. 

Les  manuscrits. 

Les  manuscrits  (Mss.)  se  répartissent  en  deux  grandes 
classes  :  ceux  qui  sont  écrits  en  lettres  onciales,  que  nous 
appellerons  brièvement  Majuscules  (Mjj.),  et  ceux  chez  les- 
(juels  nous  rencontrons  l'écriture  arrondie  et  cursive  en 
usage  depuis  le  dixième  siècle  de  notre  ère,  les  Minuscules 
(Mnn.).* 

L  Les  majuscules  ayant  acquis  dans  la  science  critique 
une  valeur  en  quehjue  sorte  individuelle  et  s'étant  élevés  au 
rang  de  véritables  personnages ,  il  importe  de  faire  connais- 
sance particulière  avec  chacun  d'eux.  Pour  faciliter  ce  tra- 
vail au  lecteur,  nous  les  répartirons  en  trois  groupes  : 
1.  Les  veluslissimi ;  ce  sont  ceux  qui  datent  des  quatrième 
et  cinquième  siècles,  les  patriarches.  2.  Les  velustiores ,  re- 
nioiilanl  iiux  sixième  et  septième  siècles.  3.  Les  velusli,  ou 
simples  vétérans,  qui  proviennent  des  huitième,  neuvième 
et  dixième  siècles. 

1.  Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  Evafigelistaria  et  Lectionnaria ,  ren- 
fermant la  collection  des  morceaux  des  évangiles  et  des  épttres  destinés 
à  être  lus  rùyuliôremcnt  dans  le  culte  public. 


158  IMItdKI'C.TION. 

On  Ifs  (lt''si;:ii('  ;iit  iiKiycn  des  Icllics  majuscules  de  lal- 
plialii'l  lalin.  '^vcr  ou  uiruic  licltriuijuc' 

Le  prt'uiicr  ^r(tU|M'  (-oui|ii'rMil  aclucllcnicul  't  Mss.  |iliis 
uu  moins  (-om|il*'ls  cl  i  documcnls  tout  à  l'ail  Ira^incnlaircs. 

1.  Cad.  Sinailicu^  (i*');  à  PéU^rsbouri; ;  (h'couveil  par  Tiscliondorf 
le  i  fovrior  ISôU  dans  lo  oouvonl  do  Sainlo-Oalhcrino ,  au  inoiil  do 
Sinaï;  dalaiil,  selon  ce  savani ,  do  la  promièrc  parlic  dn  qiialrièrac 
siècle;  énil  |>rolialtlonionl  a  Alcxaiidiie;  relouohé  par  pliisionis 
correcleufs.  Il  coinpicnd  iiolic  cvamiilo  sans  lacune.  I.oipz.  IS();{. 

2.  Cod.  Vaticanm  (H);  dalanl ,  selon  riscliondoiT,  du  milieu  du 
qualiiènie  siècle;  |trolial»lenienl  éciil  eu  l';jj\plc;  conicnani  noire 
èvanjîile  sans  lacune;  pul»li('  par  le  Père  Vorcellonc,  d'après  l'édilion 
préparée  par  le  cardinal  Maï;  l{omc,  1857. 

.'1  Cod.  Ep/irormi  (C),  n"l>  do  la  hihiiollièque  impériale  do  Paris, 
rescriplus;  selon  Tischendorf,  de  la  première  partie  du  cinquième 
siècle;  écrit  probaldement  en  l"};\ple;  retouché  au  sixième  siècle 
pai-  un  coneclcur  palestinien  (C**);  au  neuvième  par  un  coriecleur 
Itv/anlin  (C***).  Au  douzième  siècle  le  texte  du  .Nouveau  Icslamenl 
fut  effacé  pour  faire  place  a  celui  des  œuvres  d'I'Jplireni ,  Père  de 
réglise  de  Syrio.  (m  a  fait  reparaître,  [)ai  des  moyens  chimiques, 
récriture  ancienne  ,  mais  ce  manuscrit  présente  encore  des  lacunes 
considérables;  ainsi,  de  notre  évanjiile,  il  ne  contient  que  les  huit 
passages  suivants  :  a.  I,  1-41;  b.  III,  33-  V,  16;  c.  VI,  38-  VII,  3; 
d.  VIII,  31-  l\.  11;  c.  M,  8-4();  /'.  XIII,  S-  XIV,  7;  fj.  XVI,  21- 
XVIII,  30;  //.  XX,  20-  fin  de  révanL;ilo. 

i.  Cod.  Alexandrinus  (A);  à  Londres;  de  la  seconde  moitié  du 
cinquième  siècle;  écrit  probablement  à  Alexandrie.  Une  seule  lacune 
dans  notre  évan;;ilo  :  VI,  ôO-  VIII,  52. 

ô.  Fraf;menls  lapporlés  d'im  couvent  égyptien  (N*");  à  Londres; 
datant  du  quatrième  ou  cinquième  siècle,  selon  Tischendoi  f;  ren- 
fermant do  Jean  quoKjues  versets  de  deux  passages:  a.  XIII,  16-17, 
19-20,  23-24,  20-27;  b.  XVI,  7-8,  12-13,  15-16,  18-19. 

1.  .Nous  admettons  les  signes  adoptés  par  Tischciidorr  dans  la  grande 
édition  de  1859,  complétée,  pour  ce  qui  concerne  le  Sinaiticus,  par  la 
publication  récente  de  ce  Codex. 


I 


CHAF'.  V.  —  DE  LA  GONSERVATlUN  DU  TKXÏK.    129 

0.  Cod.  Gue/fcrbylanus  /(Q);  un  fiagmenl  du  cinquièjnc  siècle 
(  riscliciidorf),  liouvé  dans  l;i  bibliollièciuc  de  WolfcMibûllcl  ;  lenfei- 
luatif  pour  notre  évajigile  les  deux  passages  suivanls  :  a.  XII,  3-20; 

b.  XIV,  3--22. 

7.  Cod.  /{orgianus  (T)  ;  à  Home  ;  un  fragmeol  du  cinquième  siècle 
(Tischendor  f)  lenfornianl,  avec  la  liaduclion  ègyplienno,  dite  Sa- 
liidi(|uc,  on  iT;jard,  los  deux  passages:  a.  VI,  28-G7;  b.  VU,  G- 
VIII,  ai. 

8.  Fragments  divers  (I);  trouvés  en  Egypte  par  Tischendorf,  en 
ISâS;  à  Pélorshourg;  dalant  du  cin(|uièmc  (l'un  peut-être  du  sixième) 
siècle,  et  renfermant  de  Jean:  a.  IV,  52- V,  8;  ft.  XI,  50-  XII,  9; 

c.  XV,  12-  XVI,  2;  d.  \IX,  11-24;  e.  XX,  17-20. 

Le  second  groupe  est  plus  pauvre.  Il  ne  comprend  cjue 
!  Ms.  et  3  fragments. 

9.  Cod.  Cantabr/fjiensis  (D);  à  Cambridge;  du  milieu  du  sixième 
siècle  (Tischendorf);  quoique  rempli  de  formes  alexandiines,  il  a 
sans  doute  été  écrit  en  Occident  et  probablement  dans  la  Gaule  mé- 
ridionale'. En  regard  du  texte  grec  se  trouve  une  traduction  latine, 
antérieure  à  celle  de  Jérôme.  Deux  grandes  lacunes  dans  notre  évan- 
gile :  a.  I,  16-111,26;  ft.  XVIII,  13- XX,  13. 

10.  Cod.  Guelfcrbylanus  II  (P);  fragment  du  sixième  siècle  (Ti- 
schendorf) ;  contenant  de  notre  évangile  trois  passages:  a.  1 ,  29-41  ; 
b.  Il,  13-25;  c.  \\I,  1-11. 

11.  Fragments  dun  manuscrit  splendide  (N),  dont  les  feuilles  se 
trouvaient  dispersées  à  Londres ,  Vienne  et  Rome  ;  de  la  fin  du  sixième 
siècle  (Tischendorf);  renfermant  de  Jean:  a.  XIV,  2-10;  b.  XV, 
15-22. 

12.  Annotations  marginales  (F»)  dans  le  Cod.  Coislinianns  des 
épitres  de  Paid  (Il  —  202  de  la  bibl.  imp.  de  Taris);  renfermant 
quelques  parallèles  tirés  des  autres  écrits  du  Nouveau  Testament  et 
qui  datent  du  septième  siècle;  de  Jean  :  «.  V,  35;  b.  VI,  53.  55. 

Le  troisième  groupe  est  le  plus  considérable;  il  comprend 
9  Mss.  plus  ou  moins  complets  et  des  fragments  de  G  autres. 

1.  DIeek,  En,f.  p.  707. 

I.  9 


1:^0  INTRODUCTION. 

13.  Cod.  nasilrrnsis  (K)\  i\  Ràlr;  du  liiiitiômo  siôrlo  (Tisrlion- 
•lorf);  il  parait  avoir  sorvi  au  cullc  puMic  dans  l'une  dos  ôglisps  de 
Conslantinopic;  il  rontionl  rpvanfîile  de  Jean  roinpiel. 

11.  \.o  hoau  Cod.  do  Paris  (L);  02  do  la  l)il)li(>lii(M|uo  impôrialo; 
du  huilicmo  siècle  (TischondorO  ;  complet,  excoplé  XXI,  ir)-fiu. 

15.  Un  Cod.  rapporté  d'Orient  par  Tischendorf  (aV,  à  Oxford; 
du  huitième  siècle  (Tischendorf)  ;  complet. 

10.  Fragments  d'un  Cod.  do  la  l)ii)liolhôque  Barhorini  (Y);  du 
huilièmo  siècle  (Tischoiulorf);  contenant,  de  notre évan{;ile:  XVI,  3- 
\i\,  11. 

n.  Cod.  San/jnl/cnsis  (A);  écrit  au  nouvicmo  siècle  par  les 
moines  écossais  ou  irlandais  du  couvent  do  Saint-(Jall',  complet  sauf 
MX,  17-35.  Ce  Cod.  renferme  une  traduction  latine  interlincairc , 
(jui  n'est  ni  celle  de  Jérôme,  ni  la  version  antérieure  à  ce  Père. 

18.  Cod.  Boreeli  (F);  à  Ulrecht;  du  neuvième  siècle  (Tischen- 
dorf); contenant  de  notre  évangile  la  partie  I,  1  -  XIII,  34;  mais 
avec  les  lacunes  suivantes  :  a.  III ,  5-14  ;  b.  IV ,  23-38  ;  c.  V,  18-38  ; 
d.  VI,  39-03;  e.  VII,  -28-  VIII,  10;  f.  X,  3-2-  XI,  3;  g.  XI,  40- 
Xll,  3;  h.  XII,  14-25. 

19.  Cod.  Scidelii  (G);  rapporté  d'Orient  par  Seidel  ;  à  Hara- 
hourf;;  du  neuvième  ou  dixième  siècle;  deux  lacunes  dans  notre 
ovangile:  a.  XVIII,  5-19;  b.  XIX,  4-27. 

20.  Fragments  d'un  Cod.  oriental  (r)  rapporté  récemment  par 
Tischendorf;  à  Oxford;  du  neuvième  siècle  (Tischendorf);  contenant  : 
a.  VI,  14-  VIII,  3;  b.  XV,  24-  XIX,  G. 

21.  Cod.  Kyprius  (K);  03  de  la  bibliothèque  impériale  de  Paris; 
du  milif'u  du  neuvième  siècle  (Tischendorf);  parvenu  de  l'Ile  de 
Ciiypro  dans  la  l)ii)liotlièr|uo  do  Colhorl.  Complot. 

22.  Cod.  48  de  la  biblioliièque  impériale  de  Paris  (M);  de  la  se- 
conde moitié  du  neuvième  siècle  (Ti.schendorf  );  présent  offert  à 
Louis  XIV  en  1700  par  l'abbé  des  Camps.  Complet. 

23.  Fragments  d'un  Cod.  du  mont  Alhos  (0);  à  Moscou;  du  neu- 
vième siècle;  contenant:  a.  l ,  1-4;  6.  XV,  17-  XX ,  24;  c.  XX, 
10-13. 

24.  Un  fragment  de  la  bibliothèque  de  Moscou  (V);  du  neuvième 
siècle  ;  contenant  1 ,  1  -  VII ,  39. 


CHAP.  V.  —  DE  LA  CONSERVATION  DU  TEXTE.    131 

:25.  Frafymcnts  déposés  dans  la  bil)liotlièquc  de  l'Univcrsilé  de 
Muiiich  (X);  contenant  :  o.  1 ,  1  -  II,  ^l'I.,  b.  VU,  1  -  XIII,  5;  c.  XIII, 
iO-XV,  25;  d.  XVI,  23- On. 

26.  Un  Cod.  dn  Vatican  (S);  de  l'an  OiO.  Complet. 

27.  Un  Cod.  de  Venise  (U);  du  dixième  siècle.  Complet. 

Nous  possédons  ainsi  notre  évangile  dans  8  Mjj.  com- 
plets {i^,  B,  E,  A,  K,  M,  S,  U),  dans  5  presque  complets 
(A,  D,  L,  G,  A),  et  dans  U  fragmentaires  (C,  IV,  0,  I,  T, 
P,N,F%Y,F,r,0,V,X). 

On  sait  que  les  plus  anciens  de  ces  Mss.  ne  portent  à  peu 
près  aucune  trace  d'accentuation,  de  ponctuation,  de  sé- 
paration de  mots  et  de  périodes.  Ces  divers  éléments  n'ont 
été  introduits  que  graduellement  dans  le  texte;  et  c'est  là 
l'un  des  moyens  dont  on  se  sert  pour  apprécier  l'âge  des 
manuscrits.  Il  ne  faut  donc  accorder  à  ces  éléments  du  texte 
aucune  espèce  d'autorité. 

II.  On  compte  plus  de  500  minuscules  déposés  dans  les 
diverses  bibliothèques  de  l'Europe.  Tous  n'ont  point  encore 
été  coUationnés.  Quoiqu'ils  soient  tous  d'une  origine  plus 
récente  que  les  Mjj.,  plusieurs  d'entre  eux  peuvent  néan- 
moins avoir  été  copiés  sur  des  documents  renfermant  un 
texte  antérieur  à  celui  que  reproduisent  ces  derniers.  Quel- 
ques-uns offrent  parfois  des  leçons  assez  remarquables,  té- 
moin le  Cod.  63  (Tisch.),  qui  présentait  seul  l'omission  de 
Jean  XXI,  25  appuyée  aujourd'hui  par  le  Cod.  Sinaiticus. 

II. 

Les  anciennes  versions. 

Les  traductions  (Vss.)  ont  l'inconvénient  de  ne  pas  offrir 
ilirectement  le  texte  du  Nouveau  Testament,  mais  de  le 
laisser  plutôt  deviner.  Cependant  elles  peuvent  rendre  d'im- 


432  iNTnoDir.TiuN. 

porlants  scrvircs  à  lu  cntique  du  Icxlc,  surtout  lorsqn'rl 
s'aj,nt  de  rornissiori  nu  de  riufcrpolatiori  d(!  mots  et  de  pas- 
sages, et  rela  d'aiil;!!!!  |»hiî>  ipic  plusieins  dViifre.  elles  sont 
de  beau(oii|i  iiiili'rifiMcs  ;'i  ikis  |iIiis  iiiiciciis  iiiiiiiuscrils. 

Il  ru  est  deux  (|iii,  (Miiir  l'iinpoi  lance  crilicpie,  l'enipoi'- 
leiil  sui-  Ittules  les  aulirs  :  raiicirritic  liaduelion  syria(pie, 
iiomrnéi'  Pcschito,  et  raiieieniie  liadnelioii  latine  à  lacpielle 
un  passage  de  saint  Aiij^ustin  a  l'ail  ilonncr  le  nom  iMlala. 

I.  Pesc-liilo  (Syr.). 

Collo  Iraduclion  (dont  le  nom  parait  sijTiiificr  la  simple,  la  fidèle^) 
remonle  corlaincnionl  an  (lonxi(''nio  siôclo  de  noire  ère,  ol  parait 
avoir  en  dès  l'abord  une  destination  ccclésiasiiquc.  Elle  est  en  (^encrai 
ce  qu'indique  son  nom,  fidèle  sans  servilité.  Lorsqu'il  le  faut,  elle 
sacrifie  le  caractère  de  la  laiiirnc  syriaque  plutôt  que  de  s'écarter 
beaucoup  du  texte  ori;pnal.  L'édition  principale,  d'après  laquelle  elle 
est  «iléc  par  Tisciiendorf,  est  celle  do  l,eusden  cl  Scliaaf,  1701)  et 
i717  (Syr"^).  Cureton  a  |)ublié  dernièrement,  d'après  un  manuscrit 
syria{|iio  du  quatrième  siècle,  (ronvé  dans  un  couvant  éîjyplien,  des 
fragments  dune  tradutlion  des  évangiles,  qui  contiennent,  de  Jean, 
les  passages  suivants  :  a.\,  1-12;  b.  lit.  G-  Vil,  37  ;  c.  XIV,  11-28 
(Syr"'). 

Il  existe  une  antre  version  syria(|iie,  faite  au  cominenceinenl  du 
sixième  siècle:  elle  se  nomme  Iraduclion  Plùloxdniennc.  Elle  fut 
révisée  et  annotée  d'après  d'anciens  manuscrits  grecs,  à  Alexandrie, 
par  Thomas  de  Charkcl ,  en  G1G  (Svi''*'). 

IL  Ilala  (IL). 

Bien  anlèrieurenunt  à  saint  Jérôme  et  probablement  dès  le  mi- 
lieu du  deuxième  siècle,  il  existait  une  traduction  latine  du  Nou- 
veau lestainenl.  Elle  était  plus  nécessaire  encore  dans  L  A  fii(|ue  pro- 
consulaire (|u'en  Italie ,  où  la  langue  grec(|ue  était  [dus  connue.  Ce 
fut  donc  [)robablement  dans  cette  province  qu'elle  fut  composée  et  de 

1.  Tisciiciidorf  ()fnsc  aiitremoiit.  —  Voir  Blceli,  Einl.  p.  720.  et  J.  Ji. 
Glaire,  Intr.  hist.  et  crit.  18C2,  I.  I,  p.  !87. 


CIIAP.  V.  —    DK  LA  CONSERVATION  DU  TKXTK.  1  ."13 

là  (]u'i'llo  se  répandu.  Kllf  parail  avoir  dô  siMvilc  à  roxct's  ft  d'une 
exliênie  rudesse.  Il  esl  dinicile  de  savoirs!,  quand  les  Pères  parlent 
des  différences  qui  existaient  entre  les  exemplaires  latins  du  Nou- 
veau Testament,  ils  veulent  désigner  par  là  des  traductions  diffé- 
rentes ou  de  simples  variétés  de  cette  traduction  primitive.  Saint 
Augustin  (De  iloct.  christ.  Il,  15)  donne  la  [)référence  a  celle  d'entre 
ces  fonnes  diverses  (ju'il  appelle  Itala  et  qui  portail  ce  nom  sans 
doute  parce  que  c'était  celle  qui  avait  prévalu  en  Italie.  Ce  terme 
esl  demeuré  comme  dénomination  collective  des  anciennes  versions 
latines  antérieures  à  celles  de  Jérôme.  Nous  possédons  plusieurs 
exemplaires  de  ces  antiques  versions  latines ,  d'abord  dans  les  ma- 
nuscrits bilingues;  pour  l'évangile  de  Jean,  le  seul  qui  la  renferme 
est  le  Cod.  D,  dont  la  traduction  latine  est  désignée  par  d;  puis  dans 
des  manuscrits  particuliers,  tels  que  le  Vercelleîisis,  du  quatrième 
siècle  (a);  le  Veronensis,  du  quatrième  ou  du  cinquième  siècle  (b); 
le  Colhcrtinus.,  du  onzième  siècle  (c),  etc. 

Vers  la  fin  du  quatrième  siècle  saint  Jérôme  fit,  par  rapport  à 
celte  ancienne  traduction,  un  travail  de  révision  analogue  à  celui 
qui ,  un  peu  plus  lard ,  produisit  dans  l'église  syriaque  la  traduction 
philoxénienne.  Il  corrigea  la  version  usitée  d'après  d'anciens  manus- 
crits grecs ,  choisissant  de  préférence  ceux  qui  s'en  éloignaient  le 
moins,  comme  il  le  dit  lui-même  (Prœf.  in  evang.*).  Celle  traduc- 
tion, la  Vulgale  (Vg.),  est  conservée  dans  plusieurs  documents  d'une 
haute  antiquité ,  mais  qui  sont  loin  d'être  toujours  d'accord  entre 
eux,  ainsi  qu'avec  la  forme  actuellement  autorisée  de  cette  version 
devenue  si  importante;  par  exemple,  le  Cod.  Amiatinus  (am.), 
et  le  Fuhlensis  (fuld.),  tous  deux  du  sixième  siècle. 

D'entre  toutes  les  autres  traductions  anciennes,  les  plus  intéres- 
santes pour  l'usage  critique  sont  les  trois  versions  égyptiennes  :  la 
linduclum  Sahidique  (Sâh.) ,  dans  le  dialecte  de  la  Haule-Égyple  ;  la 
traduction  Cop/ite  (Cop.),  dans  celui  de  la  Basse-Égyple,  et  la  tra- 
duction Baschmurique  (Bas.) ,  dans  un  troisième  dialecte,  que  Chara- 
|»ollion  le  jeune  suppose  être  celui  du  Fayoum'.  Ce  qui  donne  à  ces 


1.  Tischendorf,  éd.  1859,  p.  coxlvh. 

2.  Bleek,  Einl.  p.  732. 


184  INTIUMM'C.TIO.N. 

versions  un  iiilorét  spécial,  cost  d'alMud  leur  dalc  (inilioii  un  lin  du 
ln»isiômo  siôrlo),  el  onsuilo  loiir  ôiroilo  rolalion  avec  le  Icxlc  de 
nos  plus  anciens  manuscrils  groc5. 

ill. 

Les  Pères. 

On  a  îipjx'lé  les  citations  du  Nouveau  Testament  dans  les 
écrits  des  Pères  «des  fraffincnls  (raiicions  manuscrits». 
Celle  (lélinilion  n'csl  exarfe  que  l(»rs(|ii('  rauteur  a  l'intention 
do  citer  textuellement.  Très -fréquemment  les  Pères  citent 
de  mémoire  uni(|uement  ou  pour  le  sens.  Les  auteurs  les 
plus  intéressants  pour  la  critique  du  texte  sont  Irénée  (Ir.), 
Clément  d'Alexandrie  (Clém.),TEUTULLiEN  (Tert.),  Origène 
(Or.),  Chrvsostome  (Chrys.);  l'avant-dernir'r  surlout.  Nous 
aurons  souvent  à  coliationner  les  leçons  d'Orif^ène  avec 
celles  des' plus  anciens  Mss.  grecs;  et  de  la  relation  qui  existe 
entre  elles,  nous  aurons  à  tirer  peut-être,  en  terminant, 
quelques  conclusions  qui  ne  sont  pas  sans  importance  pour 
la  reconstitution  normale  du  lexfe  [trimilif.  Les  leçons  des 
hérétiques,  en  particulier,  pour  ce  qui  concerne  notre  évan- 
gile, d'HÉRACLÉON,  ont  aussi  une  certaine  valeur. 

IV. 

Ces  indications,  aussi  abrégées  que  possible,  suffiront 
pour  mettre  les  lecteurs  qui  ne  se  sont  pas  encore  occupés 
de  la  critique  du  texte,  en  état  de  comprendre  la  partie  de 
notre  commentaire  qui  se  rapporte  à  cette  branche  essen- 
tielle de  l'exégèse,  et  pour  leur  rendre  accessible  la  grande 
et  belle  édition  de  Ti.schendorf  de  1850,  dans  les  notes  de 
laquelle  est  concentré  le  résultat  de  travaux  qui  dépassent 
ce  que  l'imagination  peut  concevoir. 

Depuis  Bengel ,  on  a  constaté  la  tendance  de  certains  do- 


CIIAF'.  V.    -  DE  LA  CONSERVATION  DIJ  ÏKXTE.  135 

cumciils  (ri(i(jiiL'S  à  se  j^roujicr  (l'iiiic  iiianiùro  assez  roii- 
slault'.  Ainsi,  dans  les  épîtrcs  de  Paul,  il  suffit  de  parcourir 
(jU('l(|(M'S  paj^c's  (ruiic  lislc  de  vaiiaiiles,  avec  riiidicalidii  des 
autorités  sur  lescjucllcs  s'a[ipuieiit  les  leçons  diverses,  pour 
reinai»|uer  liieu  vile  trois  },n-oupes  de  documents,  qui  tantôt 
suivent  cluicun  Iciu'  [•r(t[)re  voie,  lant(H  se  n'unissml  deux 
contre  un.  Dans  les  évangiles,  ces  camps  opposés  plus  ou 
moins  fixes  se  réduisent  à  deux.  Miiis  ici  la  lutte  est  per- 
manente; elle  se  repi'oduit  en  (jnelque  sorte  à  chaque  ver- 
set. Ce  sont,  d'ini  cnli',  parmi  les  Mj_j. ,  B  G  L  X',  parmi  les 
Vss.,  la  traduction  coplite,  et  parmi  les  Pères,  surtout  Ori- 
gène;  de  l'autre,  parmi  les  Mss.,  les  Mjj.  E  FG  H  S  U  V, 
et  la  presque  totalité  des  Mnn.,  et,  parmi  les  Pères,  assez 
ordinairement  Clirysostome.  Les  autres  autorités  oscillent 
entie  ces  deux  partis ,  les  unes  penchant  plus  hahituelle- 
ment  du  côté  du  premier  (A  D  M  It.),  les  autres  du  côté 
du  second  (A  K  Syr.). 

Gomme  le  texte  que  présentent  les  autorités  comprises 
dans  le  second  des  deux  gi'oupes  opposés  paraît  être  celui 
qiu  avait  prévalu  dans  les  églises  de  l'Empire  grec,  on  l'ap- 
pelle bi/zantin,  tandis  que  le  texte  opposé,  reproduit  dans 
les  plus  anciiMis  Mss.  grecs,  évidemment  originaires  d'A- 
lexandrie, a  leçu  le  nom  (ïalexandrin. 

La  (juestion  qui  se  présentera  donc  à  chaque  instant  dans 
le  cours  de  notre  commentaire,  sera  celle  de  la  préférence 
à  accorder  soit  à  l'un,  soit  à  l'autre  de  ces  deux  textes.  Il 
est  vrai  que  pour  beaucoup  d'exégètes  et  de  critiques  cette 
question  aujouid'hui  n'en  est  plus  une;  et  il  sendile,  ;'i  les 
entendi-e,  que  l'ignorance  ou  le  préjugé  puissent  seuls  dé- 

t.  Commeul  M.  Riliiet  range-t-il  (dans  sa  Irad.  du  .\.  T.  sur  le  lexte  du 
Cad.  Vaticnnus  [Paris  et  Genève,  1858],  p.  xxxiv;  le  Ms.  X  dans  l'antre 
ciasscV  Est-ce  nne  tante  d'impression  ou  serait-ce  le  résultat  d'une  appré- 
ciatidn  différente?  X  marche  presque  couslaninient  avec  NBCL. 


I.ifi  INTHODrr.TlON. 

fcndif'  (Micon'  |{>  l(>\l('  l)yznii(iii.  \.os  tMlilions  do  !.!i(lmi;iim  cl 
1(*  Inniiil  lie  M.  I^illirl  (iiiliodiii  lion  l't  liiidiiclion^  (îirncU'- 
risonl  rnpo};:ôe  He  cette  ten(lnn<'e.  Ccpeiidant  MaUliiii,  Scliolz , 
I^iiK  k,  Rfitli<'  ont  pi-js,  soil  en  j^i'ni'ial,  soil  dans  mic  lonle 
de  ras  paiticuliers,  la  défense  ilu  texte  byzantin.  Ou  sait  (jue 
cp  texte  est  à  peu  près  le  même  que  relui  qu'on  est  convenu 
d'appeler  le  leale  reçii  (T.  H.)'.  C.;\i  les  d(K ninciils  byzantins 
s'étjint  trouvés  les  premiers  sons  la  main  de  ceux  qui  ('di- 
tèreut  le  Nouveau  Testament  après  la  dècouveilc  d<'  l'im- 
primerie, c'est  ce  texte  qui  a  pivvalu  aerideniclicment  dans 
l'usag-e  ordinaire,  jusqu'à  ic  ipic.  les  vastes  travaux  de  Mil), 
Beii^-^cl.  Welslein,  Grieshacli ,  etc.  ayant  mis  au  jour  les 
le(;ons  ilu  texte  opposé  renfermées  <ians  les  plus  anciens 
Mss.  jjrees,  une  réaction  se  produisit  contre  le  texte  reçu 
et  (]ui'  la  halanec  jxMiclia  déridiMncnl  cm  fa\cnr  du  texte 
alexandrin. 

La  question  de  supériorité  est-elle  définitivement  résolue? 
Peut-tdie  même  l'élre  d'une  manièie  ^.jéné'rale  et  absolue? 
Je  ne  saurais  m'empêcher  d'en  douter.  Nous  sommes  en  ce 
muMieiii  sous  l'empii'e  d'une  i ('■action;  et  c'est  le  sort  com- 
mun des  réactions  de  « Ir'avcrser  la  vérité».  Quand  on  voit, 
Mevcr,  mal{,'ré  son  pn''ju{,a''  évident  en  faveui"  du  texte 
alexandrin ,  être  forcé  par  le  bon  sens  exégétique  (Je  donner, 
pour  ainsi  dire,  dans  cliaque  cbapiire  et  à  ré'itérées  fois  la 
préfé'rencc  à  la  leçon  bvzanline,  rpiand  on  a  entendu  Tiscben- 
dorf  déclarer,  en  annonçant  son  édition  de  1S50,  que  dans 
un  très-grand  nombre  de  cas  il  s'était  vu  obligé  de  réinté- 
grer dans  le  texte  la  leçon  bvzanline  qu'il  ;i\ ait  écartée  dans 

1.  Le  signe  c;  employé  par  Ti-schendorf  (le  s(  grec)  vient  de  ce  que  le 
texte  reçu  est  en  général  celui  de  la  grande  édition  de  Rob.  Etienne, 
Stf'phnni  lertm ,  de  1550.  Dan.s  les  145-150  pas.sages  où  la  leçon  d'Klienne 
diffère  du  texte  des  rditioii.s  KIzévir  de  1624  et  1G33,  qui  est  devenu  le 
texte  reçu  proprement  dit,  ce  dernier  est  désigné  par  cf. 


CHAI».  V.    —  DE  LA  CONSERVATION  DM  TEXTE.  1:57 

SCS  ('flitions  niitf'nCiircs  nii  profil  de  l;i  \;iiiiiiiti'  ;ilr\;iii(liiii(;, 
(|ii;m(l  on  a  soi-iiirmc  |)ra(i(jué  pendant  un  ccrtaiM  IciiijjS 
l'exégèse,  et  qu'à  tout  instant  on  a  dû  reconnaître  dans  le 
texte  des  Mss.BCL  les  traces  de  corrections  arbitraires,  ré- 
sultant du  purisme  graninialical  des  litti'ratcuis  alexandrins*, 
on  comprend  ffu'il  faut  s'abstenir  de  tout  principe  a  priori 
dans  une  question  aussi  délicate  et  se  garder  de  tomber 
d'iuie  prévention  dans  une  autre.  Ce  ne  sont  pas  les  préju- 
gés, pas  plus  ceux  d'opposition  que  ceux  de  conservation, 
qui  font  réellement  avancer  la  science. 

El  n'est-ce  pas  un  préjugé,  en  effet,  que  de  croire,  comme 
la  docte  ignorance  de  plusieurs  se  le  représente  aujourd'hui, 
surtout  depuis  la  trouvaille  récente  de  Tischendorf,  que  le 
texte  le  plus  anciennement  copié  est  par  là  même  aussi  le 
jdus  ancien  et  le  plus  pur?  Comme  si  l'ancienneté  réelle 
d'un  texte  était  en  rapport  direct  et  nécessaire  avec  la  date 
de  sa  transcription!  Un  Ms.  du  dixième  siècle  copié  sur  un 
document  du  deuxième  représente  assurément  un  texte  plus 
antique  qu'un  Ms.  du  quatrième  siècle  transcrit  d'un  docu- 
ment (In  troisième.  D'ailleurs,  la  date  du  Ms.  original  n'est 
point  dans  cette  question  le  fait  capital.  Il  en  est  un  bien 
plus  grave  :  c'est  le  degré  de  confiance  accordé  par  le  co- 
piste au  document  qu'il  transcrit.  S'il  le  copie  docilement, 
sans  prétendre  au  rôle  de  correcteur  et  de  censeur,  les 
chances  d'altération  sont  infiniment  réduites.  Mais  si  la  con- 
naissance préalable  qu'il  croit  avoir  des  altérations  qu'a  su- 
bies le  texte  qu'il  reproduit,  le  remplit  de  défiance  à  l'égard 
du  dorumcnt  qu'il  a  sous  les  yeux,  alors  il  n'y  a  plus  de 
limites  aux  bévues  que  commet  sa  témérité;  les  chances 
d'altération  augmentent  m  progression  géométrique,  et  un 


1.  La  bonne  foi  de  Griesbach  Ini  avait  déjà  arraclié  cet  aveu  :  «Gram- 
iiifiticum  cijU  Mexandrinus  censor.»  (Préface  de  sa  2*  éd.) 


138  INTnoDUCTION. 

travail  fjiil  :ni  (|iiatrièmc  siôcio  dans  de  telles  citiulilions  |)CmI 
se  trouver  de  lieaucoiiji  iMlerietir  à  uin'  cojjie  exécutée  au 
dixième  dans  un  esprit  de  eonliaule  simplicité. 

J'ai  lieu  de  croire,  quant  à  moi,  (jue  ces  suppositions  ne 
sont  pas  toul-à-rait  aussi  gratuites  (pi'il  le  parait  au  premier 
coup  d'œil.  Ce  n'est  ni  du  quatrième,  ni  du  cinquième  siècle 
que  datent  les  altérations  du  texte  du  Nouveau  Testament. 
Oriirène  s'en  plaig^nait  déjà  amèrement  au  eommencemenl 
du  troisième  siècle',  il  s'en  plaignait  à  Alexandrie  même, 
où  le  mal  n'était  par  conséquent  pas  moindre,  où  il  était 
probablement  plus  considérable  encore  que  partout  ailleurs. 
Et  ce  sont  des  Mss.  copii's  j)r('risémenl  dans  celle  ville  et 
postérieurs  à  Ori{,fène  d'au  moins  un  siècle,  que  l'on  prétend 
nous  donner  comme  des  documents  dont  la  supériorité  est 
au-dessus  de  toute  discussion,  comme  la  reproduction  in- 
contestablement la  plus  pure  du  texte  primitif! 

Mais,  dira-t-on,  le  Cod.  Sinaiticus  n'est-il  pas  venu  con- 
firmer d'une  manière  éclatante  la  supériorité  du  texte  alexan- 
drin? Pour  que  ce  document  put  avoir  l'énorme  importance 
qu'on  lui  a  attribuée  et  mériter  l'éclat  dont  a  été  entourée 
son  appariti(»n,  il  faudrait  (pi'il  fût  antérieur  à  l'époque  où 
les  altf'rations  se  sont  introduites  dans  le  texte.  Autrement, 
que  possédons-nous  dans  ce  Codex?  Un  témoin  de  plus  du 
texte  alexandrin  déjà  connu;  voilà  tout.  Et  ne  peut- on  pas 
afi[»li(pi('r  ici  la  judicieuse  observation  de  Griesbach  :  «Faites 
reparaîli'c  vin»,^!  l'ois  sur  la  scène  le  même  acteur  avec  au- 
tant de  costumes  et  de  noms  différents,  ce  sera  pourtant 
toujours  le  môme  personnage.»  (Jue  l'on  retrouve  encore 

1.  In  Mntih.  t.  XV.  «11  est  évident  qu'il  s'est  introduit  une  grande 
diversité  dans  les  manuscrits,  soit  par  la  négligence  de  certains  copistes, 
soit  par  l'audace  répréhcnsible  qufj  quelques-uns  ont  eue  de  corrijrer  les 
textes,  ooit  aussi  par  la  faute  de  ceux  qui  se  sont  permis  d'ajouter  ou  de 
retrancher  ce  qui  leur  a  semblé  bon.» 


CIIAP.  V.  —  m:  I.A  CONSERVATION  IiU  TKXTE.  139 

cinq  ou  six  docimicnls  du  même  gcmc,  j)liis  anciens  que  le 
Vaticanus  cl  même  que  h\  Siiiuilicus,  la  question  n'aura  pas 
avancé  d'un  pas.  Ce  (pii  serait  décisif,  ce  serait  la  trouvaille 
d'un  document  du  texte  grec  antérieur  à  l'époque  où  l'on 
peut  constater  le  commencement  de  son  altération. 

En  résumé,  il  n'y  a  que  trois  suppositions  possibles  :  ou 
le  texte  alexandrin  est  en  général  la  reproduction  simple  et 
naturelle  du  texte  primitif,  tandis  que  le  byzantin  est  le  ré- 
sultat d'une  acconnuodaiiou  L;iaduelle  aux  goûts  littéraires 
qui  avaient  prévalu  à  Constantinople  et  <lans  les  églises  dé- 
pendantes de  cette  métropole;  —  ou  le  texte  byzantin  est 
en  général  la  transcription  docile  et  naïve  du  texte  aposto- 
lique, tandis  que  nous  avons  dans  le  texte  alexandrin,  avec 
ses  continuelles  abréviations,  le  résultat  d'un  travail  de  cor- 
rection auquel  ont  cru  pouvoir  se  livrer  les  exégètes  et  les 
grammairiens  de  cette  capitale  <lu  monde  scientifique,  à  l'é- 
gard d'un  texte  dont  ils  se  méfiaient  déjà;  —  ou  bien,  enfin, 
ces  deux  suppositions  sont  vraies  simultanément  et  se  réa- 
lisent l'une  dans  un  cas,  l'autre  dans  un  autre Je  ne  me 

prononce  point.  Je  ne  demande  au  lecteur  qu'une  étude 
impartiale  et  attentive  du  sens  et  du  contexte  dans  chaque 
cas  particulier.  Tout  ce  que  j'ai  voulu  par  ces  réflexions, 
c'est  de  rouvrir  le  protocole  que  l'on  semble  vouloir  fermer 
et  de  rendre  à  la  discussion  de  détail  toute  sa  liberté. 


Et  maintenant  que  les  avenues  sont  frayées,  approchons 
du  sanctuaire  ;  et  que  le  Seigneur  lui-même  daigne  nous  y 
introduire! 


LE  TITRE  l)K  i;i:VA>GILK 


Co  litre  se  préscnfo  dans  les  Mss.  sous  (liflérciiles  formes. 
La  plus  simple  est  telle  que  nous  li'ouvons  dans  X  H  F)  : 
xa-rà  'loavvrjv  (selon  Jean).  La  |)Inparl  des  M[j.  el  S  (à  la  lin 
du  livre)  :  eOayyéXicv  xarà  'loavv.  T.  K.  avec  un  Ir'ès-^n'and 
nombre  de  Mnn.  :  -o  xa-c.  'I.  eOayy.  La  .S®  éd.  d'Kt.  ajoute  : 
ayicv  devant  euayy- ,  avec  plusieurs  Mnn.  (juelques  Mnn.  lisent  : 
£x  Tcû  X.  'L  eùayy.  Les  Vss.  varient  aussi  :  cvang.  Johannis 
(Syr.);  ci',  pcr  Joli.  (Gotli.);  cv.  accundum  Joli.  (Gup.);  cv. 
sandum  predicationis  Joh.  prœconis  (d'après  cert.  éd.  de 
Syr.).       ^ 

Toutes  ces  variantes  prouvent  suffisamment  que  ee  titre 
ne  provient  point  de  la  main  de  l'auteur  ou  de  l'éditeur  de 
révanf,nle.  S'il  eût  appartenu  oiiginaiiement  au  corps  de 
l'iiiivi-ai^e,  il  serait  le  même,  ou  à  peu  piès,  dans  tous  les 
documents.  Il  fut  .sans  doute  ajouté  lorsque  se  fonua  dans 
les  églises  la  eolleefion  des  évangiles.  Cette  formation  ne 
fut  soumise  à  aucune  loi  extéiieure ;  elle  s'opéra  spontané- 
ment dans  rliaque  localité ,  d'une  iriamère  a.ssez  indépen- 
dante, conune  le  montre  lujdic  liini'rent  de  nos  quatre 
évangilt's  dans  les  canons  des  é'glises.  Les  diversit(;s  du  titi"e 
s'expli(juent  pai'  la  même  cause. 

Mais  quel  e.st  le  sens  exact  de  cett*;  foi  mule  :  «  Selon  Jean  »? 
Dejjuis  le  Mam'cliéen  Faustus  (Augustin,  contra  Fauslum, 
XXXII,  2)  jusqu'à  nos  jours,  il  s'est  trouvé  des  savants  qui 
ont  donné  à  xai:à,  selon,  un  sens  très-large  :  évangile  rédjgé 
selon  le  type  de  prédication  de  Matthieu,  Jean,  etc.  C'est 
ainsi  que  paraissent  l'^mtendre  M.M.  Meu-ss  (Gesch.  der  heil. 


à 


i.K  TITIU-:  i)K  l'kvancii.k.  141 

Schr.  N.  T.  $  177)  d  liciiiiii  {Vie  de  Jésus,  p.  xvi)'.  Il 
résulterait  île  là  que  ces  (juiiire  (ormules,  an  lirii  d'attester 
raullicDlieih'  coiiiplèle  et  immédiate  de  nos  évangiles,  l'exclu- 
raient expressément.  Mais  les  auteurs  de  ces  titres  se  seraient 
ainsi  contredits  eux-mêmes:  car  jamais  personne,  dans  la 
primitive  Eglise,  n'a  assigné  à  ces  quatn;  écrils  (raiilres  au- 
teurs que  ceux  qu'indiquent  ces  titres;  ce  fait  subsiste  indé- 
pendamment de  certaines  traditions  particulières  qui,  comme 
celle  de  Papias  pour  l'évangile  de  saint  Mallliieu,  semblent 
le  conliedire.  Puis,  ce  sens  de  selon  ne  s'appliquerait  nulle- 
ment au  second  et  au  troisième  évangiles;  car  Marc  et  Luc 
n'ont  jamais  été  envisagés  comme  les  auteurs  d'une  tradi- 
tion propre  et  indépendante,  mais  uniquement  comme  les 
rédacteurs  de  celles  qui  remontaient  à  Pierre  et  à  Paul.  Le 
litre  de  ces  deux  écrits  eût  donc  dû  être  :  Evangiles  selon 
Pierre  et  selo7i  Paul,  si  réellement  le  mot  selon  avait  eu, 
dans  la  pensée  des  auteurs  des  titres,  le  sens  que  lui  don- 
nent les  savants  que  nous  combattons ^  Leur  erreur  pro- 
vient de  ce  qu'ils  donnent  au  terme  évangile  un  sens  qu'il 
n'avait  point  encore  dans  la  langue  chrétienne  primitive  et 
qu'il  n'a  reyu  que  dans  le  cours  du  second  siècle.  Dans  la 

1.  «Ces  formules  signifient  seulement  que  c'étaient  là  les  traditions 
provenant  de  chacnn  de  ces  apôtres  et  se  couvrant  de  leur  autorité.» 

2.  Nous  savons  bien  que,  quant  à  l'évangile  de  Marc,  on  fail  interve- 
nir entre  notre  évaugile  actuel  et  la  tradition  immédiate  de  l'ierre,  un 
écrit  aujourd'hui  [jerdn  qui  serait  le  vrai  ouvrage  de  Marc  et  .aurait  formé 
le  fonds  de  notre  second  évangile  :  et  c'est  ainsi  que  l'on  pourrait  sauver 
le  sens  de  «selon  Marc  appliqué  à  ce  dernier.  Mais,  si  Dieu  nous  en 
donne  le  temps  et  les  forces,  nous  espérons  faire  voir  un  jour  que  cette 
liypotliè.se,  soi-disant  fondée  sur  le  témoignage  de  l'apias,  n'a  pas  la 
moindre  réalité.  En  attendant,  nous  renvoyons  aux  quelques  remarques 
de  Biiumlein.  Sliid.  u.  Krit.  18G3,  I""  cahier,  p.  l  II ,  qui,  dans  quelques 
lignes  d'une  parfaite  évidence,  du  moins  pour  ce  {[ui  concerne  le  fameux 
:u  .uévTsi  Tâ;ei,  font  crouler  tout  l'échafaudage  critique  bâti  depuis 
Schleiermacher  sur  ces  tiuelques  mois  de  Papias. 


1  i2  LK  TITRE  DE  l'ÉVANGILE. 

laii^Mie  enroro  touk'  vivante  et  spiriliicllc  du  Nouveau  Tes- 
lumenl,  ce  mol  ne  désijgnic  iiulleuieut  un  livre,  un  écrit 
racontant  la  venue  du  Sauveur,  mais  le  bienheureux  mes- 
sage de  Dit'u  à  riiunianilL'  renfermé  dans  cette  venue  elle- 
même  ;  comp.  {>ar  ext'nijde  Marc  I,  1;  Rom.  I,  1.  Le  sens 
des  titres  n'est  donc  point  :  «  Ecrit  rédigé  selon  la  tradition 
de....,  »  mais  :  «  La  bienheureuse  venue  de  Jésus  racontée  par 
le  ministère  ou  par  la  main  de....  »  Il  n'eût  pas  été  possible 
de  dire  dans  ce  sens,  comme  nous  le  faisons  aujourd'hui 
dans  notre  langage  vulgaire,  ff évangile  de  Jean»;  et  l'on 
comprend  pourquoi  on  a  dû  recourir  à  la  paraplirase  :  eOayy. 
xaxà  'luotvvTfjv  (selon  Jean).  L'Evangile,  ainsi  compris,  n'était 
pas  celui  de  Jean,  de  Mattliieu,  etc.,  mais  celui  de  Dieu  n- 
conlè  par....  Nous  trouvons  la  préposition  xarà  employée 
pour  désigner  l'auteur  elicz  Diodore  de  Sicile ,  lorsqu'il 
appelle  l'ouvrage  d'Hérodote  :  «L'histoire  selon  Hérodote 
(•^  xaô'  *Hp.  taTopi'a),»  ou  chez  Épiphane  {Hœr.  VIII,  A)  : 
«  L»,'  Pentateuque  selon  Moïse  (-^  xar.  Mouaéa  xevxare'jxoc)-  » 
—  .M.  Reuss  oltjecte  le  titre  de  l'évangile  apocryphe  eùayy. 
xarà  IIsTpcv.  Mais  il  est  bien  évident  que  celui  qui  avait 
voulu  faire  passer  cet  évangile  sous  le  nom  de  Pierre,  pré- 
tendait aussi  donner  à  xaxà  dans  cette  formule  le  même  sens 
que  nous.  Quant  aux  formules  connues  eùayy-  xaxà  xoùç 
S(J5.  à~offToXcu^,  xa^"EPpa''c'jj,  xax'  At^uTCxcouç  (des  douze 
apôtres,  des  Hébreux,  des  Egj-ptiens),  il  est  clair  que  xarà 
désigne  ici,  dans  un  sens  plus  large,  le  cercle  général  d'où 
ces  écrits  étaient  censés  provenir  ou  celui  où  ils  avaient 
cours. 


LE  PROLOGUE 

I,    1-18 


Chaque  ôvangéliste  entre  en  matière  de  la  manière  la 
mieux  appropriée  à  l'esprit  de  sa  narration.  Matthieu  veut 
démontrer  le  droit  de  Jésus  au  trône  théocratique  :  il  com- 
mence par  une  généalogie.  Marc  rédige  des  souvenirs  :  il  se 
jette  sans  exorde  in  mcdiam  rem.  Luc  prétend  écrire  une 
histoire  proprement  dite  :  il  rend  compte  dans  son  préam- 
hule  de  ses  sources  et  de  sa  méthode.  11  ne  peut  manquer 
d'y  avoir  aussi  un  rapport  intime  entre  le  prologue  de  Jean 
et  le  point  de  vue  général  de  son  récit.  Mais  la  détermina- 
tion de  ce  rapport  suppose  l'étude  approfondie  de  ce  mor- 
ceau remarquable  qui,  plus  que  tout  autre  passage  de  nos 
saints  Livres  peut-être ,  a  exercé  une  influence  décisive  sur 
la  conception  du  christianisme  dans  l'Eglise  jusqu'à  nos 
jours. 

Jusqu'où  s'étend  le  prologue?  Jusqu'au  v.  5  seulement, 
r('pond  M.  Reuss.  A  ce  point  de  vue,  la  narration  commen- 
cerait au  v.  6  :  «//  ?/  etd  un  homme  appelé  Jean,))  par  la 
naissance  de  Jean-Ba])liste,  continuerait  par  celle  de  Jésus- 
Christ  (v.  14),  puis  par  le  ministère  de  Jean-Baptiste  (v.  19), 
et  arriverait  ainsi  au  ministère  de  Jésus-Christ  (v.  35). 

Cependant,  il  sufiil  d'un  coup  d'œil  jeté  sur  les  v.  15  et 
16-18  pour  prouver  combien  peu  cet  arrangement  répond 
à  la  vraie  pensée  de  l'évangéliste.  Le  témoignage  de  Jean- 
Baptisle  mentionné  au  v.  15  vient  dans  cette  supposition, 
ou  trop  tard  (voy.  v.  6-8),  ou  trop  tôt  (v.  19  et  suiv.)  et  forme 


lit  i.K  i'it(ti,(»(;i'K. 

uiio  taiilolui^if  iiLsii|ij)i»rlal)l('  avec  la  ddiihlt'  i(''j)i''lilion  ûo 
cette  parole  dans  les  v.  27  et  :\0.  Cette  déelaratioii  du  Pré- 
curseur est  replaeée  daus  son  milieu  liislorique  daus  ces 
deux  deruiers  passages;  et  c'est  là  qu'elle  est  piopremeiil 
racuntcc.  Daus  le  preuiier  elle  est  siniplerueut  citée,  et  cela 
évideuuueut  à  uu  tout  autre  |)oiut  de  vue  que  celui  de 
riii>l(iii-e.  Les  r(''llt'\i(»iis  (l()i;iiiali(|iics  nu  rdij^ieuses,  renfer- 
mées V.  10-18,  seraient  également  déplacées,  si  la  narration 
avait  di'jà  commenci'i.  Enfin  le  v.  18  :  «/.c  Fils  unique  qui 
est  dans  /<•  sein  du  Pt're...,y>  forme  évidemment  le  pendant 
du  v.  1  et  clùl  le  cycle  ouvert  par  rehii-ei.  La  nairation  ne 
commence  donc  qu'au  v.  19,  et  les  v.  1-18  forment  un  toul 
d'une  nature  particidière. 

Y  a-t-il  un  plan  dans  ce  prologue,  ou  ne  renferme-t-il 
qu'une  élucubration  métaphysique  ou  un  épanchcment  pieux 
sans  ordre  strict  et  sans  progrès  rationnel? 

Lùcke  et  plusieurs  modeines  admettent  deux  parties  : 
1.  V.  1-5  :  L'existence  primordiale  du  Logos.  IL  v.  G -18  :  Son 
apparition  historique.  —  La  venue  de  Jésus  en  chair  serait 
sans  doute  de  cette  manière  indiquée  deux  fois,  au  v.  11  et 
au  V.  14;  mais  comme  elle  serait  saisie  la  s^|^nde  fois  plus 
profondément  que  la  première,  il  n'y  aurait  pas  répétition. 
Cette  réponse,  il  faut  l'avouer,  est  un  peu  suhtile. 

Olshausen,  Lange,  admettent  trois  sections  :  ï.  v.  1-5: 
L'activité  primordiale  du  Logos.  IL  v.  6-13:  Son  activité 
dans  l'ancienne  alliance.  III.  v.  14-18:  Son  incarnation  et 
son  activité  dans  l'Église.  —  L'ordre  liistorifjue  serait  ainsi 
rigoureusement  gardé  par  l'évangéhste.  Mais  la  question  est 
de  savoir  si  ce  plan  est  compatible  avec  les  expressions  qu'il 
enij)loie  et,  en  parlieuliei',  si  les  v.  11-13  peuvent  réelle- 
ment se  rapporter  aux  temps  de  l'ancienne  alliance. 

Luthardt  et  Hengstenberg  admettent,  non  plus  des  sec- 
tions chronologiques,  mais  des  cycles  concentriques  dont 


LE  PROLOCillK.  145 

chacun  est  reproduit  en  substance  par  le  suivant,  avec  quel- 
ques nouveaux  rléveloppenients  :  I.  v.  1-5  :  Le  résumé  com- 
plet lie  raclivité  de  Christ,  y  compris  sa  venue  en  chair  et 
l'insuccès  {,^énéral  de  son  ministère.  II.  v.  6-18:  La  même 
histoire,  avec  la  menlioif  spéciale  du  Précurseur  et  le  tableau 
de  l'incrédulité  juive.  III.  v.  14-18  ;  Encore  une  fois  le  même 
fait,  mais  plus  spécialement  au  point  de  vue  des  bénédictions 
qu'en  retirent  les  croyants.  —  Pour  juger  ce  plan,  la  ques- 
tion essentielle  sera  de  savoir  si  le  v.  5  peut  se  rapporter 
déjà  à  la  venue  de  Christ  en  chair. 

Hœlemann,  dans  un  petit  écrit  rempH  d'érudition,  De  evangelii 
joh.  introitu,  etc.,  Leipzig,  1855,  a  essayé  de  retrouver  le  plan  du 
prolofîuc  en  poursuivant,  d'une  manière  plus  conséquente  qu'on  ne 
le  fait  d'ordinaire,  le  parallélisme  de  ce  morceau  et  du  premier 
oliapitie  de  la  Genèse.  Mais,  quand  il  en  vient  à  rapprocher  les 
mots  :  nLa  lumière  luit  dans  les  ténèbres-»  (v.  5),  de  la  séparation 
de  la  lumière  et  des  ténèbres  (Gen.  I,  4),  ceux-ci  :  nJl  y  eut  un 
hommes  (v.  6),  de  la  création  de  l'homme  (Geo.  I,  26),  et  à  cher- 
cher l'explication  de  celle  parole  :  «  C'était  la  lumière  véritable  » 
(v.  9),  dans  une  allusion  à  l'apparition  du  soleil  le  quatrième  jour 
(Gen.  1,  16),  —  il  est  impossil)lede  le  suivre  dans  de  pareilles  sub- 
tilités, et  cette  exagération  fait  admirer  davantage  la  sagesse  de 
l'évangélisle  qui,  après  avoir  marché  un  moment  parallèlement  à  la 
Genèse,  a  su  s'arrêter  à  temps. 

Dans  toutes  les  divisions  proposées,  les  cinq  premiers 
versets  se  détachent  comme  première  section.  Le  thème 
général  de  ce  passage  est  évidemment  le  Logos,  son  existence, 
son  activité,  antérieurement  à  l'incarnation.  Mais  les  derniers 
mots  du  V.  5:  «Le.ç  ténèbres  ne  l'ont  point  saisie,»  forment 
distinctement  la  transition  à  une  idée  nouvelle,  le  rejet  de 
la  Parole,  sous  ses  différentes  formes  de  manifestation,  dans 
l'humanité.  Cette  seconde  idée  atteint  son  faîte  et  son  terme 
dans  le  v.  11  :  nElle  est  venue  parmi  les  siens,  et  les  siens 
ne  l'ont  point  reçue.  »  Ici  commence  une  opposition  nette - 
I.  10 


1  iO  I,K  PROLOr.UE. 

ment  iiian]in''p  j)ar  Se,  rimiqiK^  parliciile  advcrsalivc  tlu  pro- 
lofruc,  vi  |>ar  coiistMjut'iil  aussi  une  lr()isi(''iii('  idi'c  ,  celle  de 
la  loi.  indiqué»' dès  l'abord  j)ai' ces  premiers  mois  du  v.  12: 
^Mnis,  à  tous  ceux  qui  l'ont  reçue.  y>  Le  développement  de 
cette  troisième  idée  s'é'tend  jusqu'à  la  fin  du  prolofjne.  Ainsi 
donc:  la  Parole,  l'im  r{'dnlil('',  la  foi;  Ici  nous  paraîl  èlre  le 
jtlan  de  ce  morceau.  L'iiiterpn'-ialiun  des  détails  montrera  si 
cette  vue  d'ensemble  répond  à  la  pensée  de  révangélistc. 

Nous  renverrons  à  la  lin  du  piolo^ue  l'élude  des  questions 
•générales  qui  s'y  rapj)orlenl. 


PREMIERE  SECTION. 

V.  1-5. 

Le  Logos. 

L'allusion  au  commencement  de  la  Genèse,  dans  ces  pre- 
miers versets  de  nofi'C  évangile,  saute  aux  yeux.  Mais  Jean 
prétend  porter  la  lumière  derrière  ce  commencement,  qui 
avait  servi  de  point  de  départ  à  Moïse.  C'est  que  son  point 
de  mire  est  supérieur  à  celui  de  son  devancifîr.  L'historien 
juif  n'avait  en  vue,  directement  du  moins,  que  l'ojuvre  de 
la  création  et  son  développement  théocratique  ;  le  but  de 
l'évangéliste  est  la  seconde  création,  la  Rédemption.  A.spi- 
rant  à  s'élever  plus  haut,  il  est  obligé  de  redescendre  plus 
piofond.  C'est  jusque  dans  l'éternité  qu'il  doit  plonger  pour 
y  chercher  le  sujet  et  l'auteur  de  l'œuvre  qu'il  se  propose 
de  raconter;  partant  d(jnc  du  même  point  que  Moïse,  Voiçyri, 
le  commencement  du  monde  et  du  temps,  il  recule  au  lieu 
d'avancer.  Et  après  avoir  trouvé  en  Dieu  lui-même  le  sujet 
de  son  histoire,  la  Parole  (v.  1),  il  se  replace  avec  elle  au 
commencement  des  choses  (v.  2),  et  redescend  le  fleuve  du 


■   ) 

I 


ciiAi'.  1,1.  147 

temps.  Il  fait  pas.ser  sons  nus  yeux  la  création  (v.  3),  l'état 
normal  et  primitif  de  l'iiiimanité  (v.  4),  sa  chute  et  sa  cor- 
ruption (v.  5)  ;  mais  tout  en  conservant  toujours  le  Logos 
comme  sujet  piincipal  de  son  récit. 

V.  1.  «Au  commencement  était  la  Parole,  et  la  Parole 
était  avec  Dieu,  et  la  Parole  était  Dieu'.»  —  S'il  est 
incontestable  que  les  mots  :  «.4?/  commencement,  )~>  renfer- 
ment une  allusion  réflécliie  au  rT'I!JX*lZl  de  la  Genèse,  il 

suit  de  là  que  le  terme  de  commencement  doit  se  rapporter 
au  moment  de  la  création.  Plusieurs  interprèles  modernes 
(Olsliausen,  de  Welte,  Meyer),  entendent  ici  par  àçx'T  l'éter- 
nité, en  tant  que  principe  du  temps.  Meyer  allègue  Prov. 
VIII,  23  :  £v  àçx7i>  ^?o  "^^  "^"^  T^|V  TcciTjaat.,  a.  dans  le  prin- 
cipe, avant  défaire  la  terre. y)  On  peut  citer  avec  plus  de 
vraisemblance  encore  \  Jean  1,  1  :  o  yiv  ctTu'  àçxhç,  et  Apoc. 
III,  14,  où  Jésus  est  appelé  :  (xçxr\  rî)î  xTtVewj  tcô  ©sot. 
Néanmoins,  le  sens  de  commencement  peut  être  maintenu 
dans  les  deux  premiers  passages;  et,  de  ce  que  le  sens  de 
principe  est  seul  applicable  dans  le  troisième,  il  ne  résulte 
pas  qu'il  doive  être  appliqué  ici,  où  le  mot  àçy.i'î  est  sans 
complément  et  n'a  d'autre  détermination  que  le  parallélisme 
avec  la  Genèse.  Le  v.  2,  où  saint  Jean,  après  s'être  plongé 
dans  l'ordre  éternel,  se  replace  à  XoLçxr\,  pour  passer  à 
l'acte  de  la  création  (v.  3),  montre  que  le  sens  que  nous 
préférons,  est  bien  celui  qui  répond  à  sa  pensée.  —  Quant 
aux  sens  de  «  Père  éternel  »  ou  de  «  sagesse  divine  »  don- 
nés par  quelques  Pères  (Origène,  Cyrille  d'Alexandrie),  ou 
de  «commencement  de  la  prédication  évangélique,  »  tenté 
par  les  Sociniens,  ils  ne  sont  plus  aujourd'hui  soutenus  par 
personne.  —  Mais  si  la  notion  d'éternité  n'est  point  ren- 
fermée dans  le  terme  àpx"»),  elle  ressort  clairement  du  rap- 

1.  L  et  Grcg.  de  Nysse  Usent  o  devant  0eo;. 


118  l.F  mOFOGHE. 

jxtrl  (l«!  co  mol  à  riinjinrl'ail  r,v.  «Au  coinriicnccmenl  la  Pa- 
role ctaily»  iyignitw  qiu;,  lorstjiie  loiit  coniinnnçail,  cllo,  cl 
elle  seule,  ne  comniunyail  pas  :  déjà  elle  était  là,  autéricu- 
renieiil  à  toutes  les  choses  créées  et  nu  Icinps  lui-même, 
qiii  n'est  que  le  lieu  du  développement  des  choses  créées. 
Or  ce  qui  est  antérieur  au  temps  appartient  à  l'ordre  de 
l'éternité.  Ainsi  tomhe  de  soi-même  le  raisonnement  par 
lequel  M.  Kenss  (Hist.  de  la  Ihéol.  clirct.  t.  II,  p.  350)  cher- 
che à  prouvei-  que  rélernité  absolue  du  Verbe  n'est  point 
renfermée  dans  ces  mots  de  Jean.  «Si,  dit-il,  le  sv  àçxfl 
du  quatrième  évangile  établit  l'élernilé  absolue  du  Verbe, 
le  ri'''J12   de  la  Genèse   établira    l'éternité    absolue    du 

monde.»  Nullement;  car  le  rapport  de  sv  àçxfj  à  l'imparftdt 
Tjv  est  tout  autre  que  celui  de  bereschilh  à  l'aor.  X13.  Dans 

le  premier  cas,  le  commencement  se  détache  comme  un  mo- 
ment particulier  sur  le  fond  permanent  du  vjv;  dans  le  se- 
cond il  coïncide  comjilètement  avec  l'acte  histantané  :  «Il 
créa.»  —  Quant  au  terme  de  Xo'ycç,  il  doit  nécessairement, 
dans  ce  contexte,  renfermer  aussi  une  allusion  au  récit  gé- 
ncsiaque.  Huit  fois,  dans  le  récit  de  la  création,  reviennent, 
comme  le  refrain  d'un  cantique,  ces  mots  :  a  Et  Dieu  dit.  » 
Jean  ra.ssemble  tous  ces  Xo-j'ct  en  une  Parole  unique,  vi- 
vante, douée  d'activité  et  d'intelligence,  d'où  elles  émanent; 
il  trouve  dans  les  paroles  parlées  la  Parole  parlante.  Les  pre- 
mières retentissent  dans  le  temps;  celle-ci  est  au-dessus  du 
temps.  Il  suffirait  de  ce  parallélisme  avec  la  Genèse,  pour 
écarter  le  sens  de  raison  que,  dans  les  temps  modernes, 
quelques  théologiens  ont  voulu  donner  au  mot  Aoyoç,  comme 
si  ce  terme  désignait  la  conscience  que  Dieu  a  de  lui-mêmfi. 
Ce  n'est  là  qu'un  lambeau  de  logique  hégéhenne  dont  on 
voudrait  affubler  l'évangéliste.  Aoyoç  n'a  le  sens  de  raison 
que  dans  la  langue  philosophique;  dans  le  Nouveau  Testa- 


cuAP.  1,1.  140 

ment,  il  ne  signifie  jamais  (jue  parole,  la  raison  en  voie  de 
s'cxprimi  r  par  le  discours.  Théodore  de  Bèze  avait  pensé 
que  Xcyc?  pouvait  être  mis  ici  pour  6  Xôyo'fjLsvoç:  :  le  person- 
nage annoncé,  promis  par  les  prophètes.  Ce  sens  monstrueux 
a  été  présenté  sous  une  foime  un  peu  moins  intulérable, 
dans  les  dernieis  tcmjis,  par  Ilofiuaun  et  Luliiardt  :  l'Évan- 
gile prêché  à  l'humanité ,  dont  Christ  est  le  contenu  essen- 
tiel; la  parole  évangélique,  personnifiée  en  Jésus.  Mais,  que 
l'on  essaie  d'appliijuer  ce  sens  au  v.  14  :  «La  parole  évan- 
gélique faite  chair,»  ou  au  v.  18  :  «L'Evangile  qui  est  dans 
le  sein  du  Père  »  !  Tous  les  efibrts  de  Luthardt  n'ont  pas 
réussi  à  ôter  à  ce  sens  ce  qu'il  a  de  forcé. 

On  a  encore  cherché  à  donner  à  Xo'yc;  un  sens  actif; 
Schleussner  l'explique  comme  c  Xô'yuv,  (luctor  tcO  Xoyou,  le 
prédicateur  de  l'Evangile.  Mais  alors  il  n'y  aurait  plus  (pi'une 
froide  tautologie,  au  heu  d'un  saisissant  contraste,  dans  ce 
mot  :  «  La  Parole  a  été  faite  chair  » .'  La  seule  forme  sous 
laquelle  cette  explication  puisse  être  sérieusement  discutée, 
est  celle  sous  laquelle  l'a  présentée  Néander  (Gesch.  der 
Pflanzung,  etc.  8^  éd.  t.  II,  p.  689)  :  le  révélateur  éternel 
de  l'être  divin.  Il  y  a  dans  l'essence  divine  un  double  prin- 
cipe :  de  révélation,  le  Logos,  et  de  communication,  l'Esprit. 
Le  premier  est  à  l'œuvre  dans  le  parler  divin,  Gen.  I,  ainsi 
que  dans  toutes  les  théophanies  et  dans  les  révélations  pro- 
phétiques de  l'Ancien  Testament.  C'est  celui  qui  est  le  sujet 
de  l'histoire  évangéhque.  Nous  veiTons  jusqu'à  quel  point 
cette  idée  est  suffisante  pour  rendre  compte  des  difîërentes 
thèses  de  Jean  sur  le  Loq-os. 

Les  trois  propositions  de  ce  verset  sont  brèves,  d'une  em- 
preinte profondément  marquée,  semblables  à  des  oracles. 
La  première  indique  l'éternité  du  Logos;  la  seconde  exprime 
avec  profondeur  l'idée  de  sa  personnalité.  C'est  en  efl'et  là 
le  sens  des  mots  ttçoç  tgv  Oôo'v,  qui  ne  sont  bien  rendus  ni 


ir>0  1.I-:  iMi(ii.(t(;uK. 

ji;ti  rime,  ni  (tar  raiilre  îles  (raductioiis  ivi'.onimcnl  propo- 
soi's  :  vers  Dieu  (N.')  ou  duprca  de  Dieu  (Bonnet,  Arnaud, 
Rillit'l).  La  jurinière  n'ost  jtas;  française,  la  seconde  n'est  pas 
exacte.  Celle -ci  répondrait  à  l'expression  toute  dillérenle 
Traça  tô  0eô  (comp.  Traça  ffot,  XVH,  5).  Ilçéç  exprime  bien 
la  proximité,  la  j>i"ésonee,  mais  en  ajoutant  à  cette  notion 
celle  du  rapjtiocliement  nuituel,  de  la  relation  active,  de  la 
communion  persomielle.  La  vraie  traduction  serait  donc  : 
«La  Parole  était  en  relation  avec  Dieu» ,  et  \c  mieux  sera, 
par  conséquent,  de  conserver  l'ancienne  forme  :  «La  Parole 
était  avec  Dieu.»  La  plus  simple  exjiliralion  de  cette  parole 
de  Jean  ressort  de  Gen.  L  «  Faisons  l'iiomme  à  notre  image,» 
se  dit  l'Eternel  à  lui-même,  Gen.I,  26,  «et  selon  notre  res- 
semblance.» C'est  à  ce  conseil  intime,  qui  se  passe  dans  les 
profondem's  de  l'être  divin,  que  fait  sans  doute  allusion  cette 
seconde  Ibcse  de  l'apôtre.  On  peut  s'étonner  de  trouver  une 
préposition  indiquant  le  mouvement  {tzçôç  avec  l'accusatif), 
en  relation  avec  le  veibe  de  repos  -riv.  Le  même  cas  se  re- 
présente au  V.  18  :  8  (Sv  ùç  tôv  xcXttcv.  On  peut  en  citer  d'au- 
tres exemples  dans  nos  évangiles.  b;i  le  verbe  i\^  rappelle 
la  permanence,  l'éternité  de  la  relation;  ttço'ç  en  indique  le 
mouvement,  l'activité,  la  vie.  On  voit  par  conséquent  com- 
bien est  inadmissible  l'interprétation  sociniennc  soutenue 
encore  par  (pielques  tliéologiens  modei'nes  :  «La  Parole  était 
dans  l'entendement  ou  dans  le  plan  divin.  »  L'expression 
■^v  Tcpoç  ne  peut  désigner  une  simple  conception  de  Dieu. 
Tout  au  plus  T:açcx  avec  le  dalif  piuinait-il  être  lamené  à 
ce  sens.  —  L'objet  du  mouvemiMit  t'iriiic]  du  Logos  est  h 
©eo'ç.  Ce  terme  o  0ecç  prouve  que  Dieu  est  Dieu  d'une  ma- 
nière complète  indépendamment  du  Logos ,  et  qu'ainsi  ce- 


1.  Explication  de  l'éoangile  scion  saint  Jean ,  par  un  clirclieii,  1"' li- 
▼raison,  I8C3.  Nous  désignerons  cet  écrit  par  la  lellre  .V. 


f 


CHAI'.  I,  1.  151 

lui-ci  ne  saurait  désignci-  la  conscience  que  Dieu  a  de  lui- 
même  uu  la  raison  divine.  L'accus.  xèv  Oeov  nous  montre 
Dieu  s'ouvranl,  en  quelque  sorte,  à  l'aspiration  du  Logos, 
et  y  ciurespondant  aetivenienl.  L'expression  (ju'cuiploie  l'a- 
pôtre renrerme,  d'un  côté,  la  subordination  du  pieniier,  de 
l'autre ,  la  pleine  communion  de  la  part  du  second. 

Nous  pouvons  déjà  constater  ici  l'insufTisance  de  l'expli- 
cation du  Logos  proposée  par  Néander.  Si  cette  expression  : 
Ld  Parole,  ne  renfermait  que  l'idée  de  révélation  au  dehors, 
Jean  devrait  atliibuer  au  Logos  un  mouvement  vers  le  monde. 
Évidemment,  dans  la  pensée  de  l'évangéliste,  la  tendance 
du  Logos  ad  extra,  telle  qu'elle  se  manifeste  dans  les  œu- 
vi'es  de  la  création  et  de  l'illumination  du  monde  (v.  3-5), 
en  suppose  une;  autre  antérieure,  essentielle,  ad  intra.  Pour 
révéler  Dieu,  il  faut  le  connaître;  pour  le  projeter  au  dehors, 
il  faut  s'être  plongé  dans  son  sein.  La  qualité  de  révélateur 
est  donc  subordonnée,  dans  le  Logos  lui-même,  à  une  re- 
lation personnelle  avec  Dieu,  dans  laquelle  il  reçoit  la  révé- 
lation parfaite,  primordiale,  à  laquelle  toutes  les  autres  se- 
ront ])uisées.  Il  ne  fait  rayonner  au  dehors  l'éclat  divin,  que 
parce  qu'il  en  est  rempli  au  dedans.  Il  contemple,  avant  de 
refléter;  il  reçoit,  avant  de  donner. 

La  distinction  de  personnes,  si  fortement  accentuée  par 
les  notions  de  subordination  et  de  communion  morale  que 
renferme  la  seconde  proposition,  se  résout  dans  la  troisième 
par  l'idée  suprême  de  la  communauté  d'essence  :  «  Et  la 
Parole  était  Dieu.y»  —  Quoique  placé  en  tête,  0sdç  est  cei*- 
tainenuînt  l'attribut.  Le  sujet  de  la  proposition  ne  peut  êti-e 
que  Xo'yoç:;  car  la  question  n'est  pas,  dans  ce  prologue,  (jui 
est  Dieu,  mais  qui  est  le  Logos.  Si  Btôç  est  placé  au  com- 
mencement, c'est  parce  que  c'est  dans  ce  mot-là  que  s'cx- 
jirime  la  gradation  sur  les  pi'opositions  précédentes.  — Jean 
111'  dit  pas  h  060?  (comme  lisent  deux  autorités);  car  il  ferait 


lOll  II.  IMiUl.or.UK. 

par  là  it'iilriT  dans  le  Lo^-^os  la  lolalilt'  «Ir  l'cxitilcDcc  diviiKi, 
CCI  qui  idcnliricrail  le  Logos  cl  Dieu,  •!  coiiliedirail  la  propo- 
sition pit''C(''driili'.  Il  nr  (lil  j)as  nnii  plus  "tielo;  :  «Le  Logos 
«îlail  divin, i  expression  tjin  ellaei-iail  la  liinid.'  enti'e  Dieu 
cl  ce  qui  n'est  pas  Dieu,  el  cunlrediiail  le  iiKjiiolliéisnie.  Le 
mol  OeoV,  employé  comme  alliiliul,  exprime  simplemenl  la 
nolion  de  j^cnre.  C'est  un  adjectil"  qui ,  tout  en  maintenant  la 
distinction  persoimelle  entre  Dieu  et  le  Logos,  attiibue  à 
celui-ci  tous  les  caiaclères  de  l'essence  divine,  en  opposition 
à  toute  autie  essence  (ju'on  auiail  j)U  lui  jjrèter,  S(jit  ang('- 
lique,  soit  liumaiiic  La  coujcclurc  du  soeinien  Crell  :  Oeoù 
Tjv  h  X070Î,  «  la  Parole  appartenait  à  Dieu,»  n'a  aucun  fon- 
dement critique  et  n'olTre  j)as  un  sens  l'aisonnable. 

V.  2.  La  troisième  proposition  du  v.  1  est  le  l(.'rme  de  la 
gradation,  et  ce  ternie  est  si  élevé  qu'il  ne  peut  être  dé- 
passé. Le  fil  se  brise  donc,  et  aucune  jiarticule  logique  ne 
l'attache  le  v.  2  au  v.  1.  Avec  cet  être  mystérieux  et  divin 
que  Jean  vient  de  trouver  (Jans  rétcrnité,  il  se  replace  au 
seuil  du  temps,  au  commencement,  pour  passer  de  là  à  la 
création,  comme  transition  à  la  liédemption.  «Cette  Pa- 
role-là était  au  commencement  avec  Dieu.»  Le  v.  2  coni- 
liiiic  les  t'I/'Uients  des  trois  j)r(jposiLi(jns  du  v.  i  en  une  seule. 
Outcî:,  «cet  èti'e  tel  que  je  viens  de  le  dé'finir,  celte  Parole- 
Dieu,»  rejjiddiiil  la  troisième;  èv  oiçxjl,  la  première;  et 
TCpôç  xôv  9eov,  la  seconde.  Cette  proposition  complexe,  en 
plaçant  au  principe  de  l'histoire  (èv  àçxf/)  l'être  que  saint 
Jean  a  révélé  dans  l'éternité,  nous  le  montre  revêtu  de  toute 
la  richesse  des  attributs  en  vertu  desquels  il  pourra  accom- 
plir les  opérations  divines  qui  vont  lui  être  attribuées.  Outoç 
ne  renferme  donc  nullement  l'antithèse  supposée  par  Meyer: 
Celui-ci,  et  aucun  autre  être  (opposé  à  Tcavra,  v.  3),  explica- 
tion à  laquelle  est  due  sans  doute  la  traduction  malheureuse 
de  M.  Rilliet  :  «C'est  elle  qui  était  au  commencement,  etc.» 


riiAP.  I,  -2.  3.  153 

L'iie  k'ilc  o])pusilion  n'est  niutivé»)  par  rien.  Oûtc?  laj)- 
j)elle  purement  et  siniplenieiil  la  nature  divine  du  Log^os , 
ipii  vient  d'être  allinnée,  en  vue  des  œuvn.'s  dont  il  sera  l'a- 
j^ent.  'Ev  (xçxfi  "^^  ^^  pose  comme  antérieur  au  fait  de  la  créa- 
tion qu'il  va  opérer,  et  izço;  xov  0£ov  rappelle  la  divine  dé- 
libération et  le  déciet  suprême  qu'il  va  exécuter.  C'est  ainsi 
<jue  le  v.  i>,  en  résumant  le  v.  1 ,  pose  la  base  du  v.  3. 

V.  ."3.  «Toutes  choses  ont  pris  naissance  par  elle,  et 
pas  une  seule  des  choses  qui  existent',  n'a  pris  nais- 
sance sans  elle,  o  —  Il  y  u  dans  l'idée  de  Parole  la  double 
notion  d"intellii,'-ence  et  de  volonté,  de  raison  et  de  force. 
C'est  en  vertu  de  ces  attributs ,  élevés  ici  à  toute  la  hauteur 
de  la  majesté  divine,  que  la  Parole  peut  être  revêtue  de  la 
fonction  créatrice.  Tout,  l'existence  des  choses  et  l'ordre  qui 
les  régit,  procède  d'elle.  C'est  là  ce  qui  la  lie  si  étroitement 
aux  êtres  créés,  à  l'humanité  en  particulier,  son  œuvre  pri- 
vilégiée (v.  4),  et  ce  qui  prépare  son  incarnation  et  sa  fonc- 
tion rédemptrice  (v.  14).  —  Ilavra  diffère  de  xà  Tcavxa  en  ce 
que  le  second  pourrait  n'indiquer  qu'une  totalité  spéciale  et 
déterminée  (2  Cor.  V,  18),  tandis  que  le  premier  est  néces- 
sairement indéterminé  et  illimité.  —  Le  terme  ylvea^on  in- 
dique le  passage  du  néant  à  l'être  et  forme  distinctement 
opposition  au  r\v  des  v.  1  et  2.  Comp.  l'antithèse  toute  sem- 
blaljle  VIII,  58  :  <f  Avant  qu'Abraham  devînt,  Je  suis.  »  C'est 
l'opposition  des  deux  ordres,  temporel  et  éternel.  —  Le  rôle 
du  Logos  est  désigné  par  hd.  Cette  préposition  ne  rabaisse 
point  la  Parole  au  rang  de  simple  insti'ument;  elle  est  sou- 
vent a]»pli(|uée  à  Dieu  lui-même  (Koni.  XI,  36;  Gai.  1,1; 
llébr.  II,  10).  Mais  elle  limite  ce  rôle  de  manière  à  laisser 


1.  D  et  quelques  Pères  et  Gnostiques  lisent  ouôev  au  lieu  de  ou5e  ev.  — 
Les  Gnostiques,  Héracléon,  Plolémée  et  d'autres,  les  Pères  alexandrins, 
Clém.,  Or.,  ponctuent  après  ev  et  rapportent  o  ytyovzv  comme  sujet  à  la 
plirase  suivante;  la  Vg.  fait  de  môme. 


151  LE  PROLOr.UK. 

|)l;i(('  ."i  iiiic  ivl;ili(iii  de  Dieu  avec  le  niotiilc,  (lin'i'renle  de 
celle  du  Luj^us.  Celte  relation  n'est  pas  indiquée  ici;  mais 
elle  est  exprimée  par  saint  Paul  1  Cor.  VIII,  6,  par  les  pré- 
positions de  (sx)  et  pour  (eiç)  :  cNous  n'avons  qu'un  Dieu, 
le  Père,  de  qui  sont  toutes  choses,  et  nous  sommes  pour  lui.^ 
Saint  Paul  ajoute  en  conforniil(''  parfaite  avec  notic  passage  : 
«.Et  qu'un  seul  Seit/ucur,  Jésus-Christ,  par  qîii  (bC  ou)  sont 
toutes  choses,  et  nous  sommes  par  lui  {bi  aùxoû).  »  Tout 
être,  pour  arriver  à  l'existence,  doit  passer  par  les  mains, 
par  la  pensée  et  par  la  volonté  de  la  Parole.  Mais  la  Parole 
puise  lout  dans  le  Père  et  rapporte  tout  au  Père.  Cette  limi- 
tation du  rôle  de  la  Parole  était  déjà  implicitement  renfer- 
mée dans  les  mots  :  «.Avec  Dieu  d  (v.  1  et  2).  Dès  qu'il  y  a 
communauté  d'action,  il  y  a  diflërence  de  rôle. 

La  seconde  proposition  du  verset,  en  répétant  la  même 
chose  sous  forme  négative,  a  pour  but  d'exclure  toute 
exception.  Les  mots  :  <i.Sans  elle,  »  rappellent  avec  force  la 
communauté'  entière,  exprimée  plus  haut,  entre  Dieu  et  le 
Logos,  le  <i Faisons^  de  la  Genèse.  —  FMusicurs  modernes 
(Lùcke,  Olshausen,  de  Wette)  pensent  que,  par  les  mots  : 
9.  Pas  une  seule  chose,  ^  Jean  veut  écarter  l'idée  platoni- 
cienne de  la  matière  éternelle  (uXt)).  Mais  1°  la  matière  ne 
serait  point  un  &v  :  c'est  Ition  plutôt  la  condition  indéterminée 
de  toute  existence  particulière;  et  "2"  la  matière,  dans  le  sens 
antique,  n'est  point  un  yeYovoj,  et  la  parole  de  Jean  tombe- 
rait à  faux.  L'apôtre  ne  philosophe  point;  son  but  umque  est 
de  faire  ressoitir  la  grandeur  magnifique  de  l'être  <jui  ac- 
complira bientôt  l'oeuvre  de  notre  rédemption;  celui  (pii  va 
devenir  notre  Sauveur  a  été  le  divin  associé  de  l'opération 
créatrice.  Tout  être,  môme  le  plus  petit  insecte  et  le  moin- 
dre brin  d'herbe  ont  pris  naissance  par  son  intermédiaire 
et  portent  la  marque  de  sa  sagesse  et  de  sa  puissance.  — 
Nous  avons  rapporté,  dans  la  traduction,  sans  hésiter,  les 


i 


(-.MAP.  I,  3.  4.  155 

(Icniiris  iikiIs  o  Yeycvev  ;ui  v.  :^,  comme  cela  est  devenu  l'in- 
teiprélatioii  régnante  depuis  Chrysostonie,  et  non  point  au 
V.  4.  L'exégèse  de  ce  verset  justifiera  notre  explication.  Ne 
serait-ce  point  la  tautologie  apparente  des  mots  iyiv&xo  et 
0  yéycvev,  qui  avait  d'ahord  poussé  les  Pères  à  raj»j)oi'ter  ces 
derniers  mots  à  ce  qui  suit?  Plusieurs  interprètes  modernes 
ne  voient  en  effet  dans  ces  mots  qu'une  redondance  parti- 
culière au  style  de  Jean.  Ces  fausses  notions  tombent  dès 
que  l'on  comprend  bien  le  rapport  du  parf  ysycvev  à  l'aor. 
lyevsTo.  Le  premier  est,  dans  le  fait,  un  présent.  Jean  veut 
dire  :  «Il  n'y  a  pas,  dans  toute  cette  création  qui  existe  là 
devant  vous  (o  ysycvev),  un  seul  être  qui  n'ait  clé  formé 
(eyéveiro)  par  la  Parole.  »  Il  n'y  a  pas  là  trace  de  redondance 
et  de  tautologie. 

V.  4.  La  I^arole  n'est  pas  seulement  le  pi'incipe  qui  fait 
passer  les  êtres  du  néant  à  l'existence ,  elle  est  aussi  pour 
eux  tous  continuellement  la  source  de  la  vie.  «  En  elle  il  y 
avait'  vie ,  et  la  vie  était  la  lumière  des  hommes^  »  — 
Les  autorités  (pii  lient  o  ysycvsv  au  v.  4-,  entendent,  soit  : 
«  Ce  qui  a  été  créé  était  vie  en  elle,  »  soit  :  «  Ce  qui  a 
été  créé  en  elle,  était  vie.»  Ces  deux  sens  sont  également 
inadmissibles,  i''  par  une  raison  grammaticale  :  le  parf.  ys- 
yovev  indiquant  une  existence  encore  présente,  ne  s'accorde 
pas  bien  avec  fimparf  ïjv;  c'est  sans  doute  le  sentiment  de 
cette  discordance,  qui  a  amené  la  leçon  ècrxi  que  nous  trou- 
vons dans  le  Sinaît.  et  le  Cantabr.,  leçon  qui  n'est  évidem- 
ment qu'une  correction;  2°  par  la  raison  plus  décisive  que 
Çoifj  e^vat  est  une  expression  trop  forte  pour  pouvoir  être 
rappoitée  aux  créatures.  La  vraie  locution  dans  ce  sens 
eût  ('té  ÇuVjv  èxe'.v.   —   Le   sujet   de  TjV   est  donc  Çoiq.    Et 


1.  N  D  lipi'-"'!'»  Syi'^""' lisent  ecmv  au  lieu  de  r^v. 

2.  B  omet  dans  le  te.\te  tuv  avQpwTîuv  (suppléé  en  marge) 


1  ;"))'•  i.K  pRoi.or.ni:. 

•  •oiiinic  co  mot  n'a  j);is  «rarliclc  ol  doil  j);ir  conséquent  être 
pris  (liins  \v  sens  lo  plus  iiKh-tcrniiné,  il  convient  de  tra- 
duire, non  comme  on  le  fait  {généralement:  «En  elle  était 
In  vie,)'  niais  comme  nous  l'avons  fait  :  «En  elle  il  y  avait 
vie.  »  Vie,  non  pour  la  Parole  elle-même  —  car  la  descrip- 
tion de  la  Parole  dans  son  essence  est  terminée,  et  cette 
idée  nous  ferait  reculer  avant  le  v.  3  —  mais  vie  pour  l'u- 
nivers cré(''  jiai  rile.  —  Il  y  a  g^radation  évidente  (\upnr  elle 
(V.  3)  au  en  elle  (v.  4).  Ct.'lle  dernière  expression  indique 
que  le  monde,  après  avoir  jjassé-  du  né-ant  à  l'être  par  la 
puissance  de  la  I^arole,  puisait  encore  en  elle  les  forces  vi- 
vitiantes  nécessaires  à  sa  conservation  et  à  ses  progrès.  Après 
avoir  été  la  racine  de  l'arbre,  le  Logos  en  était  encore  la 
sève.  —  Zoif)  a  éli-  rap|)orté  par  Calvin  et  d'autres  interj)rèles 
à  la  conservation  physique  des  choses,  dans  le  sens  où  saint 
Paul  dit  Act.  XVII ,  28  :  «  C'est  en  lui  que  nous  avons  la  vie, 
le  mouvement  et  l'être.  »  D'autres,  comme  Lampe,  Ilcngsten- 
herg,  etc.,  appliquent  au  contraire  ce  terme  à  la  vie  spiri- 
tuelle, éternelle.  Cette  distinction  ne  nous  paraît  pas  aj)pli- 
«•able  à  ce  passage.  Zwtq  désigne  l'existence  dans  son  état 
parfait  de  prospérité  et  dans  son  épanouissement  normal , 
la  santé  vitale  dans  sa  vigueur  la  plus  intacte.  Or,  pour  cer- 
tains êtres,  ce  développement  noinial  de  l'tîxistence  se  borne 
à  la  vie  physique;  pour  d'autres,  il  s'élève  à  la  vie  intcUec- 
lin'lle  et  morale;  ces  derniers  peuvent  même  devenir  capa- 
bles de  recevoir  la  vie  surnaturelle  ou  éternelle.  «  Dans  l'u- 
nion à  la  Parole  créatrice,  il  y  avait,  veut  dire  Jean,  vie, 
pleine  vie,  développement  parfait  de  l'existence  pour  chaque 
être  selon  sa  mesure  et  pour  tout  l'ensemble.  :>  Cette  idée  de 
vie  forme  avec  celle  de  création  (v.  :})  une  gradation  cor- 
respondante à  celle  que  nous  avons  observée  f;ntre  eii  elle 
(V.  4)  vA'par  elle  (v.  3). 

.Mais  l'imparf.  Tf)v  se  rapporte-t-il  à  une  période  léelle  de 


nuAP.  I,  i.  157 

l'Iiistuire,  e(.  à  laquelle?  Bnickiier,  Ileiig-sicnbcrg,  n'y  voient 
(|iie  l'expression  d'une  j)0ssiltililc  idéale.  Le  premier  :  Si 
riionime  eût  persisté  dans  l'union  à  la  Parole,  la  Parole  eût 
été  sa  vie.  Le  second  :  La  Parole  seule  pouvait  donner  la 
vie,  de  soile  que,  jusqu'à  la  venue  de  Christ,  la  créature 
ne  pouvait  posséder  la  vie  spirituelle.  Sans  doute,  cette  in- 
lerprélalion  n'est  pas  enlièrenient  dénuée  de  vérité  ;  c'est 
bien  la  rtdation  idéale  entre  la  Parole  et  l'humanité,  (|ui  est 
décrite  dans  ce  verset.  Mais ,  si  cette  relation  n'eût  pas  eu 
au  moins  un  conunencement  de  réalisation,  Jean  ne  pour- 
rait s'exprimer  comme  il  le  fait  ici.  Un  sens  purement  hypo- 
thétique ne  s'accorderait  point  avec  la  signification  de  l'im- 
parfait, qui  désigne  un  moment  réel  d'une  durée  indéfinie, 
non  plus  qu'avec  le  caractère  historique  et  positif  de  tous 
les  verbes  précédents.  Il  est  donc  clair  que  ces  mots  se  rap- 
portent, dans  la  pensée  de  Jean,  à  une  période  historique 
qui,  vu  la  liaison  du  v.  4  au  v.  3,  ne  peut  être  que  celle  qui 
succéda  immédiatement  à  l'acte  de  la  création.  Ge  fut  ce 
premi(M'  moment  d'épanouissement  durant  lequel  la  Parole, 
ne  rencontrant  encore  aucun  obstacle  dans  l'univers,  pou- 
vait le  féconder  en  lui  communiquant,  selon  la  capacité  de 
chacun  des  êtres  qui  le  composaient,  la  richesse  de  sa  propre 
vie.  Magnifique  commencement  d'un  développement  promp- 
tement  interrompu,  mais  qui  n'en  révèle  pas  moins  l'état  de 
droit,  la  relation  d'essence. 

Cet  état  normal  trouvait  sa  plus  haute  expression  dans 
l'être  qui  était  le  chef-d'œuvre  de  la  création,  l'homme.  Dans 
cette  créature  privilégiée,  faite  à  l'image  de  la  Parole  elle- 
même,  la  vie  s'épanouissait  en  lumière.  —  Le  mot  lumière 
désigne,  selon  Calvin  et  d'autres,  V intelligence,  qui  distin- 
gue l'homme  des  animaux;  selon  Ilengstenbcrg,  au  con- 
traire, c'est  le  salut;  d'après  Lulhaidt,  ce  serait  la  sainteté. 
Le  premier  sens  ne  répond  pas  à  la  richesse  du  langage  de 


158  LK  PROLOGUE. 

.Ican;  (|iinn(l  il  Hit  :  aDicii  est  lu)iiicrey>  (1  Jean  I,  5),  il  no 
veut  ctrlaiiiciiiriil  j)as  (lir<'  :  a^  Dieu  est  raison. y>  Le  salut  a 
sans  doute  bien  souvent  (hiii^  ri-j-riturr  lii  luiiiiric  jtour  cni- 
blénie;  mais  ce  sens  ne  convient  pas  non  j)lus  :  car  il  con- 
duirait à  uni'  tauldloi^it'  eoniplèle  avec  Çoiq.  Le  sens  de  sain- 
teté l'st  également  défectueux ,  parce  qu'il  est  impossible 
d'éloigner  de  90-  l'élément  de  la  connaissance.  Ce  terme 
profond  nous  jiarail  désigner,  dans  la  langue  de  Jean,  l'in- 
telligence parfaite  du  bien  moral,  le  bien  moral  conscient 
de  lui-même.  Le  mot  de  vérité,  dans  saint  Jean,  exprime  la 
même  cbose,  sans  figiu-e.  La  lumière,  ainsi  comprise,  n'est 
accessible  sur  la  teri'c  (|u"à  IboninK!,  le  seul  étr*;  doué  du 
sens  interne  pour  la  saisir.  Ce  sens,  c'est  l'organe,  primiti- 
vement unique,  actuellement  divisé,  que  nous  appelons 
conscience  et  raison. 

Jean  ne  fait  pas  émaner  directement  la  lumière  de  la  Pa- 
role :  elle  provient,  selon  lui,  de  la  vie,  de  cette  vie  que 
l'homme  puise  dans  la  Parole.  C'est  que,  comme;  la  vue  cor- 
porelle n'est  qu'une  des  fonctions  de  la  vie  pbysique,  ainsi, 
dans  l'état  normal,  la  lumière  spirituelle  émanerait  de  la  vie 
morale.  Le  Logos  est  bien  sans  doute  la  lumière;  mais  il  ne 
l'est,  dans  l'état  normal,  que  par  l'intermédiaire  de  la  vie. 
C'est  précisément  cette  relation  que  rétablit  l'Évangile  :  nous 
retrouvons,  dans  la  nouvelle  création  en  Jésus-Christ,  une 
lumière  interne,  qui  jaillit  de  la  vi(!,  et  qui  croît  en  clarté 
à  mesure  que  la  vie  morale  gagne  en  intensité.  Cette  idée 
est  énergiquement  exprimée  par  l'article  y)  que  Jean  intro- 
duit dans  le  second  membre  devant  Çwi].  «Dans  la  commu- 
nion avec  la  Parole  le  monde  vivait,  et  de  cette  vie,  que 
l'homme  recevait  de  la  Parole,  jaillissait  pour  lui,  l'être  lu- 
mineux par  vocation,  la  lumière.»  Le  Seigneur  n'a  pas  dit 
autre  chose  quand  il  a  désigné  le  cœur  pur  comme  l'organe 
qui  perçoit  Dieu  (Matth.  V,  8). 


I 


CIIAP.  1,4.   5.  150 

Pourrait  -  on  méconnaître  dans  ces  deux  mots  :  vie  et  lu- 
iiiière^  cl  (huis  l;i  irlalion  que  Jean  établit  entre  eux,  une 
réminiscence  de  l'arbre  de  vie  et  de  celui  de  la  connais- 
sance? Après  avoir  nianyé  du  premier,  l'homme  aurait  pu 
sans  doute  manger  sans  danger  du  second.  Jean  nous  initie 
à  la  véritable  essence  de  ces  faits  primordiaux  et  mystérieux, 
et  dujiiic  eu  (juelque  sorte,  dans  ce  verset,  la  philosophie 
du  paiîidis.  —  Quelques  interprètes  ont  appliqué  le  v.  4  à 
l'action  du  Logos  dans  le  peuple  théocratique.  Mais  les  mots 
TÛv  àvOpwTcwv  réclament  une  application  universelle,  huma- 
nitaire. 

V.  5.  (Et  la  lumière  éclaire  dans  les  ténèbres,  et  les 
ténèbres  ne  l'ont  point  saisie*.»  —  L'imparfait  r^v,  en 
reléguant  dans  le  temps  passé  et,  en  quelque  manière, 
dans  la' sphère  idéale,  la  communication  vitale  et  lumineuse 
du  Logos,  faisait  déjà  pressentir  combien  la  réahté  présente 
diffère  de  cet  état  normal.  Que  s'est-il  passé?  Jean  suppose 
chez  ses  lecteurs  la  connaissance  de  Gen.  III,  aussi  bien 
qu'il  a  supposé  au  v.  4  celle  de  Gen.  D,  et  dans  les  v.  1-3, 
celle  de  Gen.  L  Le  hen  organique  entre  le  Logos  et  l'hu- 
manité a  été  rompu;  la  condition  exprimée  par  «en  elley> 
n'existe  plus;  la  source  de  la  vie,  et,  par  conséquent,  de  la 
lumière  normale,  a  tari  pour  l'humanité,  comme  tarit  pour  le 
sarment  la  source  de  la  sève,  dès  qu'il  est  séparé  d'avec  le 
cep.  C'est  ainsi  qu'apparaissent  au  v.  5  les  ténèbres,  dont  la 
mention  était  i»n''parée  par  le  rçj  du  v.  4.  — SxoTiot,  ténèbres, 
désigne,  non  point  un  règne  ténébreux  coéternel  à  celui  de 
la  lumière,  dans  le  sens  duahste  dont  on  accuse  Jean,  mais 
l'humanité  elle-même,  en  tant  que  privée  de  la  lumière  qui 
émanait  de  la  vie,  et  de  la  vie  qui  procédait  du  Logos.  Jean 
ost  si   peu  dnajistc  que,   selon  lui,  tout  ce  qui  s'appelle 

1.  B  et  cinq  Mnn.  lisent  auTov  au  lieu  d'auto. 


100  1 1;  i'iu)i,o(;uK. 

Iioiniiu',  sans  c'xct.'plicm,  est  appoli'  an  saliil  cl  à  la  vie:  vA/i)i 
que  tous  crussent  par  lin, r>  v.  7.  L'Iiimianilt'  ne  possôilani 
pas  laliiniiùre  par  natniv  cl  n'ayani  ipio  la  capacilé  de  la  porcc- 
vuir,  il  osl  l'vidoiiL cpie  si,  pai-  une  cansc  inlcrno,  elle  s'isole 
(lu  loyer liiniiiuiux,  elle  ne  seia  j)his  cpie  ténèbres.  Mais  ce  mol 
ne  (lésij^ne  pas  seulement  la  jtrivation  de  la  Imuière;  il  ren- 
ferme aussi  ri(i(''e  de  rdjipdsilioii  à  la  lumière,  ear  un  d<''- 
veloppemenl  faussé  est  plus  (pi'un  développement  inachevé. 
Aussi  cerlainement  la  vie  morale  ])ro(luit  la  lumière  interne, 
aussi  eertainemeni  la  eorrupliou  du  cœur  a  pour  consé- 
quence l'obscurcissement  du  sens  intime.  Au  lie«i  de  l'iiilel- 
ligence  croissante  du  bien  et  de  Dieu  sur{,nsscnt  les  vains 
fantômes  qu'engendrent  les  passions  et  qu'accueille  avec 
eni[iressement  une  imagination  privée  de  son  aliment  nor- 
mal. Conip.  Hom.  1,  21.  S'a.  —  La  Imnière,  au  v.  5,  se  pré- 
sente sous  un  aspect  un  jirn  tlillé'i'fnl  de  celui  sous  lequel 
nous  l'avons  contemplée  au  v.  A.  Ce  n'est  plus  la  lumière 
qui  émane  de  la  vie;  c'est  le  Logos  lui-mcme,  qui,  faisant 
un  premier  acte  de  miséricorde  envers  l'humanité  déchue 
et  obscurcie,  persiste  à  l'éclairer  encore,  lors  même  que 
la  lumière  ne  peut  plus  se  dégager  de  la  vie  morale, 
mais  doit  lui  être  conunnnifpiée  sous  une  autre  forme.  Il 
maintient  dans  le  cœui'  des  homuKîS  l'intuition  du  bon,  du 
juste  et  du  saint;  mais  ce  n'est  plus  urj  goût,  un  désir,  une 
force;  c'est  une  loi.  C'est  la  conscience,  «  la  loi  gravée  dans 
le  cœur,»  comme  ditsaint Paul  (Rom.ll,  14.  15).  Révélation 
intérieure,  sans  doute,  puisqu'elle  s'opère  au  dedans,  mais 
extérieure  pourtant,  puisqu'elle  est  étrangère  et  même 
opposée  à  la  volonté  corromj)ne  de  l'homme.  Cette  intelli- 
gence du  bien  n'est  donc  plus  l'exfire.ssion  et  le  rayonne- 
ment de  la  vie  intime;  c'est  le  Logos  lui-même  qui,  opé- 
rant comme  lumière,  s'impose  à  l'homme,  lui  révélant  le 
bien  et  condamnant  en  lui  le  mal.  —  Tous  les  interprètes 


tes  I 


CIIAP.  I,  5.  161 

«jiii  voient  dans  ces  cinq  premiers  versets  le  résumé  de  l'iiis- 
luire  évangélique,  appli(jueiit  le  présent  çaîvst  à  la  prédica- 
tion (le  l'Evangile.  Il  y  a,  dans  la  première  épître  de  Jean, 
un  passage  qui  peut  seivir  d'appui  à  cette  interprétation, 
1  Jean  II,  8  :  «  Les  ténèbres  passent,  et  la  lumière  véritable 
luit  dèjèi.  »  Mais  comment  comprendre  le  présent  9a(,'vei  si  on 
pren<l  ici  ce  mot  dans  ce  sens?  S'applique-t-il  à  la  prédica- 
tion chrétienne,  en  y  comprenant  le  ministère  apostolique? 
Les  mots  suivants  :  «Leç  ténèbres  ne  l'ont  point  saisie, y> 
sont  dans  ce  cas  une  anticipation  —  car  l'expérience  était 
loin  d'être  achevée  —  et  une  exagération  —  car  une  bonne 
partie  du  monde  païen  et  même  des  Juifs  avaient  pourtant 
reconnu  et  reçu  la  lumière  évangéhque.  S'applique-t-il  uni- 
quement au  ministère  de  Jésus-Christ  au  sein  du  peuple 
juif?  La  seconde  partie  du  verset  s'explique  mieux  sans 
doute,  quoique  renfermant  encore  une  certaine  exagération 
(v.  12  :  «  Tous  ceux  qui  l'ont  reçue  r>);  mais  le  présent  çawst 
est  dans  ce  cas  tout  à  fait  incorrect;  car  le  ministère  de  Jésus 
était  une  chose  passée  au  mouient  où  Jean  écrivait,  et  il  eût 
dû  employer  l'aor.,  comme  dans  la  seconde  proposition 
(xaxsXaPev),  et  comme  dans  les  v.  11  (-^Xôs)  et  14  (aàp^ 
syévsxo),  ou  comme  le  fait  Paul  dans  l'épître  à  Tite  (II, 
11),  lorsqu'il  dit:  ^La  grâce  de  Dieu,  salutaire  à  tous  les 
hommes,  est  apparue  (sTcsçavY)).»  D'ailleurs,  le  saut  entre 
le  v.  4  et  le  v.  5  ne  serait-il  pas  trop  considérable?  Com- 
ment l'évangéliste  pourrait -il  passer  sans  transition  du 
paradis  à  la  prédication  évangélique?  Le  présent  çai'vst  s'ex- 
plique au  contraire  parfaitement  dans  notre  interprétation  : 
il  exprime  la  relation  essentielle  et  permanente  que 
maintient  le  Logos  entre  lui  et  chacun  de  ces  individus 
humains  qui  apparaissent  sur  la  scène  du  monde,  depuis 
la  chute  de  la  race  entière.  Ce  présent  a  presque  la 
valeur  d'une  loi  :  c'est  l'état  de  droit  que  maintient  le  Logos, 
I.  11 


\Cti,  \F.  rROi.or.nE. 

luis  iiK'ino  qu'il  o^\  survenu  nu  cliangcmouf  qui  jun'nil  pu  y 
TUiMIrc  lin;  rcftr  luiuièn'  nim;il('  est  lo  fond  divin  qui,  par 
sa  pràre,  cont.iinio  n  sci'vir  de  Itasr  à  l'Iiisloiiv  de  riiuniarii((' 
ilrchuc.  Il  \)\u\  r(Mnar(pi(M-  riicorc  que  .Iran  enqiloio  l'actif 
oaivei,  cl  jiuiK  ('(iniin(>  les  Grors  le  font  d'ordinaire,  Jors- 
(pi'il  s'agit  d'une  lumière  qui  luit,  le  moyen  çaivexai.  C'est 
qu'il  ne  veut  pas  dire  qu'elle  luit,  iionr  se  faire  reconnaître 
elle-même,  mais  fju'fllc  éclaire,  comme  pour  tempérer 
l'horreur  «les  (énèlnt's  (jui  sont  surv<Miues;  c'est  pourquoi 
nous  traduisons  éclaire,  i)lutôt  que  luit.  Ouant  à  la  traduc- 
tion de  M.  Arnaud:  a  brillé,  elle  est  de  tous  points  fautive. 
Meyer  croit  pouvoir  ii-iuiir  les  deux  inlerprétations  de  ce 
passage  :  il  applique  çatvet  à  la  lumière  du  Logos  avant  et 
après  l'incarnation.  Cette  explication  est  impossible;  les  deux 
idées  ainsi  confondues  sont  à  la  fois  trop  considérables  et 
tr()|t  hétérogènes,  jmiir  èlre  réunies  dans  une  même  ex- 
pression; car  l'une  aj)paitient  au  domaine  intérieur  de  la 
conscience,  l'autre  à  celui  de  l'histoire. 

L'interprétation  de  la  seconde  proposition  n'offre  plus, 
dans  notre  sens,  aucune  difïiculté.  Saint  Jean  constate, 
exactement  comme  saint  Paul,  Hom.  I,  l'insuccès  général  de 
celte  révélation  inlérienre ,  accordée  par  le  Logos  à  l'hu- 
manité. —  Il  semble,  au  premier  coup  d'œil,  qu'au  lieu  de 
la  copule  et  il  devrait  y  avoir  mais  (Se).  Ce  n'est  qu'une 
apparence:  car  le  thème  de  Jean,  ce  sont  les  miséricordes 
du  Logos  qui  se  poui-snivent  à  travers  toutes  les  résistances 
que  leur  oppose  l'humam'té.  Il  n'y  a  donc  pas  ici  opposi- 
tion :  l'œuvre  do  la  Parole  continue;  de  là  le  xai.  L'aor. 
xa-céXapev  se  détache  comme  un  fait  particulier  et  indivi- 
duel sur  le  fond  général  et  divin  du  çaiveiv.  Parmi  ces  my- 
riades d'êtres  humains  qui  se  sont  succédé  depuis  la  chute, 
il  ne  s'en  est  pas  trouvé  un  qui  ait  perçu  la  lumière  rayon- 
nant du  Logos  et  trouvé  le  Dieu  vivant  par  le  moyen  de 


r,nAP.  I,  5.  163 

cette  rcvôlatioii.  Sans  doute  il  y  a  eu  des  degrés  divers  dans 
retle  al)sence  d'aperceplion  :  cet  aveuj^lement  ne  peut  être 
reprochf'  à  Socrate  ou  à  Platon  au  même  degré  qu'à  la 
masse  de  riiuiiianité  idolâtre.  Mais  nulle  part,  dans  le  monde 
déchu,  il  ne  s'est  trouvé  un  individu  complètement  docile 
l'i  rilliiminntion  de  la  Parole  :  les  uns  se  sont  peidus  dans  les 
lias- fonds  de  l'idolâtrie,  les  autres  se  sont  égarés  sur  les 
hauteurs  de  l'idée;  le  Dieu  vivant  n'a  été  connu  par  aucun, 
et  le  règne  du  paganisme,  dans  toute  l'humanité,  en  dehors 
(le  la  sphère  de  la  i-évélation  historique,  constate  la  vérité 
de  cette  déclaration  de  l'apôtre.  —  Le  terme  xaraXafx^aveiv 
s'applique  à  l'aperception  distincte  et  précise,  soit  d'un  fait 
(jui  tombe  sous  les  sens,  soit  d'une  idée  qui  saute  aux  yeux 
(par  ex.  Act.  X,  34;  Eph.  III,  18).  Origène,  Chrysostome, 
d'autres  Pères,  et  encore  récemment  Lange,  ont  entendu 
ici  ce  mol  senau malo :  empêcher  ou  élouffer:  «Les  ténèbres 
n'ont  point  réussi  à  comprimer,  à  étouffer  cette  lumière.  » 
Mais  dans  ce  sens  saint  Paul  eût  employé  le  mot  xa-£x,stv 
(Rom.  1, 18)  et  non  xaTaXa[jLpav£w ,  loucher  du  doigt  ;  et,  si 
Jean  avait  voulu  dire  ici  quelque  chose  de  favorable  à  l'hu- 
manité, ce  qui  suit  devrait  être  le  tableau  de  la  foi,  et  non 
celui  de  l'incrédulité.  —  D'autre  part,  il  faut  se  garder 
d'identifier,  comme  le  fait  M.  Reuss  (Hist.  de  la  Ihéol.  chrét. 
t.  II,  p.  422),  ce  terme  avec  le  TCaçaXafjL^avetv  du  v.  11  et 
le  XapiPctvÊtv  du  V.  12,  comme  si  tous  trois  désignaient  éga- 
lement le  fait  de  la  foi.  Nous  verrons  plus  bas  le  sens  précis 
de  ces  deux  dernières  expressions.  Pour  le  moment,  nous 
constatons  que  xaTaXafx^aveiv  convient  parfaitement  à  l'aper- 
ception de  la  lumière  interne,  dont  parle  ici  saint  Jean.  — 
Il  suffirait  de  cette  remarque  sur  le  sens  de  xaxaXap.pavet.v 
pour  écarter  la  leçon  du  Vatic,  le  masculin  aùxdv,  qui  d'ail- 
leurs a  contre  elle  tous  les  autres  documents.  —  De  Welte  et 
Luthardt  ont  appliqué  ce  V(!rset  aux  révélations  prophétiques 


16i  I,R  PROLOGUE. 

de  rAuricn  TostamtMit.  Ni  le  tcrFiic  géiirnil  -cûv  àvOpw'jcov 
(v.  4),  ni  If  pivsoiil  çatW,  ni  l'expivssion  si  aljsoliic  où 
xa-reXa^ev ,  no  j)onv(Mil  s'arconlor  avec  celle  explication. 
Saint  Ji'an  contt'nipk'  l'i'tat  de  riiunianili'  en  ^^rand,  (lej)nis 
la  elinle  jnsiju'an  saint. 

Ilenj^stenherji  a  oppos('  à  notre  interpr/'talion  que  celle 
idée  (l'une  révélation  interne  du  Logos  est  élranj^ère  à 
l'Ecrilure  sainte.  Nous  la  retrouverons  au  v.  0;  c'est  sur 
cette  notion  que  reposent  une  foule  d'expressions  que  nous 
rencontrerons  pin.*?  tard  dans  l(\s  disco!n\s  de  Jésus  :  faire 
la  vérité,  être  de  Dieu,  reconnaître  sa  voix,  être  de  la 
vérité,  etc.  C'est,  dirons-nous  même,  la  notion  fondamen- 
tale de  la  pensée  johannique.  Saint  Paul  en  est  également 
tout  rempli.  Hoin.  I,  18-21,  il  j)rouve  la  culpahilité  des 
païens  par  cette  illumination  intérieiu'C  à  laquelle  se  joint 
la  révélation  extérieure  par  les  œuvres  de  la  nature.  Rom. 
II,  14.  15,  il  Ole  toute  excuse  aux  Juifs,  qui  prétendaient 
être  justifiés  par  la  simple  audition  de  la  loi,  en  leur  prou- 
vant, par  les  actes  de  moralité  et  de  bienfaisance  qu'ac- 
complissent parfois  les  païens,  que  ces  derniers  aus.si  sont 
auditeurs  d'une  loi,  de  la  loi  gravée  dans  le  cœur.  1  Cor. 
I,  21 ,  il  justifie  le  caractère  paradoxal  dont  s'est  revêtue  la 
prédication  évangélique,  par  l'indocilité  de  la  sagesse  hu- 
maine envers  la  révélation  précédente  de  Dieu,  qui  se  pré- 
sentait avec  le  caractère  de  la  sagesse  et  qui  se  confond 
avec  l'illumination  du  Logos.  Act.  XIV,  1G.  17,  il  affirme 
que,  lors  môme  que  Dieu  a  laissé  marclier  les  nations  dans 
leurs  voies,  il  ne  s'est  jamais  laissé  sans  témoignage  auprès 
«l'elles.  Ce  témoignage  ne  peut  être  compris  d'une  manière 
purement  extérieure.  Enfin,  Act.  XVII,  27.  28,  il  rappelle 
que  la  destination  assignée  à  l'homme  sur  cette  terre  est  de 
trouver  Dieu  et,  en  quelque  sorte,  de  le  palper,  ce  qui  n'est 
pas  difficile,  ajoute-t-il,  puisqu'il  n'est  pas  loin  de  chacun 


I 


CIIAP.  I,  5.  165 

(le  nous.  Celle  idée  d'uiie  relation  iiiléi'iem'e  et  incessante 
entre  Dieu  et  riiiimanité  décime  est  fondamentale  dans  la 
lliéoloyie  elirélienne;  c'est  la  base  de  l'apologétique;  là  se 
trouve  l'explication  du  charme  irrésistible  qu'exerce  sur 
toute  âme  droite  la  contemplation  de  Jésus-Christ  :  le  rayon 
intériem-  aspire  au  soleil  d'où  il  est  émané  et  se  confond 
avec  lui  dès  qu'il  le  rencontre*.  —  Si  nous  avons  trouvé 
dans  le  V.  4  la  formule  du  paradis,  nous  pouvons  dire 
(jue  le  V.  5  nous  offre  celle  de  l'état  de  chute,  aussi  bien 
au  point  <le  vue  de  l'action  divine  en  faveur  de  l'homme 
(|n'à  celui  de  la  conduite  de  l'homme  envers  Dieu. 


DEUXIEIHE  SECTION. 

V.  6-11. 

L'incrédulité. 

La  Parole,  n'ayant  point  réussi  à  dissiper  les  ténèbres  du 
cœur  humain  par  son  illumination  intérieure,  a  eu  recours 
à  un  autre  mode  de  révélation.  Elle  est  venue  elle-même. 
Et,  de  peur  qu'il  ne  lui  arrivât,  dans  son  apparition  histo- 
l'iquc,  ce  qui  lui  était  arrivé  dans  sa  révélation  intérieure, 
elle  s'est  fiiit  précéder  d'un  envoyé  qui  avait  la  mission  de  la 
signaler  à  tous  les  regards  (v.  6-8).  Cette  précaution  extra- 
ordinaire et  qui  eût  dû  être  superflue,  puisque  celui  qui 
apparaissait  visiblement  n'était  autre  que  le  soleil  qui  éclaire 
intérieurement  chaque  homme,  n'a  pu  empêcher  un  second 
rejet  de  la  Parole,  plus  coupable  encore  que  le  premier 
(v.  9-11). 


1.  A  peine  est-il  besoin  de  rappeler  que  c'est  ici  le  fondement  de  la 

fameuse  théorie  du  Xdyo;  aTrep|j.aTixô;  de  Clément  d'Alexandrie  et  la  clef 
(le  son  apologétique,  si  admirablement  exposée  par  M.  E.  de  l'ressensé, 
dans  son  Hisi.  des  (rois  premiers  siècles  de  VÉylise,  2*  série,  t.  II. 


11)»!  i.E  ruoKor.iii:. 

V.  (î.  »  Un  homme  parut,  envoyé  de  la  part  de  Dieu; 
son  nom  était  Jean,  i»  —  Si  )'(''vnn{^(3lislc  eù(  ('ciil  pour  des 
Juifs,  on  no  s't'xplitjiirinii  jKtinl  le  suul  si  l>nis(jiit'  <Iu  v.  5 
au  V.  G.  Le  Inbli'au  des  it-vélalious  tli(';ociaLiques  l'ùt  dû 
funnor  la  IransiLiun  entre  la  révélation  universelle  du  Logos 
et  son  apparition  messianique.  Mais,  s'adressant  à  des  païens, 
l'apôtre  peut  à  bon  droit  résumer  toute  l'histoire  de  l'hu- 
manitr'  antérieure  au  ciirislianisme  dans  les  deux  j)roposi- 
lions  du  V.  5,  et  ne  faire  ressortii-,  de  toute  la  préj»aralion 
théocrati(pif^  (jin-  j'hoinmc  qui  la  ji'siiiih'.  Jcau-Baptiste, 
c'est  tout  l'Ancien  Testament  en  abrégé;  le  nommer,  c'était 
rappeler  toute  l'éronomie  juive.  D'autre  j)art,  son  apparition 
«'tait  si  étroitement  liée  à  celle  de  Jésus-Christ,  qu(!  seule 
elle  ne  pouvait  être  omise,  môme  dans  un  lécit  composé 
pour  des  païens. 

Aucune  particule  ne  lie  le  v.  fi  au  v.  5.  Connue  tuuj<ju!S, 
il  y  a  ici  une  certaine  émotion  dans  Xasyndéton:  «Il  y  a  eu 
quelque  chose  de  plus  grave!  La  Parole,  au  moment  de  pa- 
raître visiblement,  a  envoyé  devant  elle  un  héraut.  Et  pom- 
tant,  malgré  cette  précaution,  elle  n'a  pas  trouvé  accès  dans 
la  demeure  qu'elle  s'était  préparée  ici-bas  connue  son  gîte!» 
'P'yévexc  indique  un  fait  historique,  non,  conmie  plusieurs 
l'fjiit  cru,  en  opposition  au  eivai  éternel  du  Logos  (v.  1  et  2), 
mais  plutôt  en  opposition  à  son  çaîveiv  interne  (v.  5).  C'est 
l'apparition  extérieure  qui  commence,  l'histoire  qui  s'é- 
branle. (Juant  au  mol  aun  liomme,^  il  renferme  sans  doute 
une  antithèse  tacite  au  divin  Logos,  le  seul  sujet  mis  en  scène 
jusqu'ici.  —  La  forme  analytique  syavero  aTceffxaXpLsvoç  ne 
doit  point  être  envisagée  comme  une  .simple  périphrase  de 
aTTejTaAT,,  ainsi  que  l'a  pensé  Chrysostome.  C'est  à  dessein 
que  Jean  sépare,  comme  deux  notions  distinctes,  l'appari- 
tion (i-féve-zo)  et  la  mission  (àTC£ffxaXp,6voç).  Une  apparition 
aussi  sainte  que  celle  de  Jean  avait  sa  valeur  en  elle-même; 


CHAI».  I,  (t.  7.  107 

mais  ce  piix  lui  i<'liiiiiiis(''  par  rimportance  do  la  mission 
(loiil  cet  L'Ue  exlraunliiiaiie  lui  revêtu.  A  ceux  d'euti'e  les 
chrétiens  (jiii  connaissaient  l'Ancien  Testament ,  le  (emie 
ciii'oyc  ne  [)ouvait  manijuer  de  rappeler  cette  jjroj)li<Uie  de 
Mal.  111,  1  :  ^  Voici ,j' envoie  mon  messager,  et  il  prépare  le 
cheiniit  devant  nioi.y>  Comp.  Jean  III,  28:  i<.  Parce  que  Je  suis 
envoyé  {à.T:za'z(xk\x.i»0Q)  devant  lui.  »  Le  sens  est  donc  :  «  Il 
jiarut  sur  la  scène  un  homme,  et  cet  homme  avait  le  carac- 
tère d'envoyé  divin.»  — Le  nom  'luavviqj  (.lohanan:  Dieu 
[ail  grâce)  renfermait  une  jjrophétie.  Mais  ce  n'est  pas  pour 
C4ittc  raison  que  l'évangéliste  le  cite.  C'est  simplement 
(M)nnne  s'il  disait  :  (i  C'est  de  celui  que  vous  connaissez  sous 
le  nom  de  Jean,  que  je  veux  parler.» 

11  est  lemarquahle  que  notre  évangéliste  désigne  le  Pré- 
cm'seur  par  son  nom  tout  coml,  sans  y  ajouter  l'épitliète 
de  Dapliste,  par  laquelle  il  est  désigné  dans  les  Synoptiques. 
Meyer  (Introduction,  p.  2cî)  conclut  avec  raison  de  cette 
omission  que  l'auteur  du  quatrième  évangile  connaissait 
l'histoire  évangélique  directement  et  non  pas  seulement  par 
ti^adition,  puisque,  dans  ce  cas,  il  aurait  sans  doute  employé, 
pour  désigner  le  Précurseur,  la  dénomination  technique 
reçue  dans  l'Eglise.  Il  était  au  conlraiie  très-naturel,  de  la 
part  d'un  ancien  disciple  de  Jean-Baptiste,  de  le  désigner 
tout  simplement  par  le  nom  sous  le(juel  il  l'avait  lui-même 
connu  avant  que  ses  contempoiains  lui  eussent  donné  le 
titre  sous  lequel  il  a  pris  place  dans  l'histoire.  Ne  pouvons- 
nous  pas  ajouter,  en  nous  rattachant  à  une  line  observation 
de  Gredncr,  que  cette  manièie  de  désigner  le  Précurseur 
s'exphque  chez  l'apùtre  Jean  mieux  que  chez  tout  autre, 
puisque,  en  aj(jut;ijit  au  nom  de  Jean  le  titre  de  Baptiste, 
il  eût  U-icitement  attiré  l'attention  sur  lui-même,  connne  sur 
l'autre  personnage  de  même  nom  connu  dans  l'Eglise. 
V.  7.  Après  avoir  mis  en  scène  le  personnage,  Jean  ca- 


1{»8  l.K   PIKil.Or.l'E. 

raclôrist'  sn  mission.  «Cet  homme -là  vint  en  qualité  de 
témoin,  pour  rendre  témoignage  à  la  lumière,  afin  que 
tous  crussent  par  lui.  »  -  Le  jiiononi  cutoç  résume  If 
vcrscl  prt'if'dciil .  ((nimu'  celtii  du  v.  2  n'snniait  lo  v.  i.  — 
'  HXOev  (Udôrc  (k'  i'^évtxo  (v.  (i)  en  ce  quo  le  premier  de  ces 
termes  se  rapporlr  ;iu  minislrrc  public  de  Jean,  tandis  que 
l'autre  désignait  simplemcul  sou  apparition  personnelle.  — 
L'idée  de  f/'uioif^iiagi'  a,  dans  la  jiensée  de  révanj^éliste, 
une  si  haute  importance,  cpTil  la  présente  sous  deux  i'ormes: 
d'jihord  d'une  manière  absolue  et  sans  indiquer  de  régime, 
alin  de  la  melti'c  en  relief  jtoiir  elle-même  {&iç  (taprupiav); 
puis  en  la  complétant  par  un  régime:  «Afin  de  rendre  té- 
moignage touchant  la  lumière.  »  Ces  deux  expressions  dé- 
pendent l'une  et  l'autre,  parallèlement,  de  7)Xôe.  La  première 
l;ii(  ressortir  chez  Jean  la  qualité  de  témoin,  en  opposition 
à  l'autre  personnage,  supérieur  en  dignité,  qui  devait  suivre  ; 
la  seconde  complète  cette  indication  en  désignant  l'objet 
même  du  témoignage. 

L'idée  de  témoignage  est  une  des  notions  fondamentales 
de  l'évangile  de  saint  Jean.  Elle  est  absolument  corrélative 
de  celle  de  foi.  Le  témoignage  n'est  rendu  (pi'en  vue  de  la 
foi,  et  la  foi  n'est  possible  que  par  le  témoignage;  car  elle 
est  l'acceptation  du  témoignage.  Le  témoignage  est  la  co- 
lonne qui  se  dresse  avec  une  majesté  divine;  la  foi  est  la 
faible  tige  qui  l'embrasse  comme  son  appui.  Jean,  pas  plus 
que  Paul,  ne  donne  le  nom  de  foi  aux  aperceptions  inté- 
rieures du  sens  moral  (le  xaTaXa{j.{î'xvet.v  (\\i  v.  5).  Il  le  réserve 
pour  l'adhésion  aux  nianifestalioFis  divines  qui  ont  un  ca- 
ractère historique  et  positif.  Mais  la  lumière  a-t-elle  donc 
besoin  fl'ètre  attestée,  signalée?  Ne  se  démontre-t-elle  pas 
par  elle-même?  Assurément,  si  elle  devait  paraître  sous  sa 
forme  propre,  elle  éclaterait  à  tous  les  yeux  et  serait  immé- 
diatement reconnue  de  Ions;  mais  elb'  se  couvrira  d'une 


ciiAp.  1, 7. 8.  ir»o 

envt'luppc  (jiii  laissera  nu  spoclatcur  quelque  chose  à  devi- 
ner. Le  (liscernemenl  de  la  lumière,  sous  cette  enveloppe 
charnelle,  sera  la  foi;  cl  cetlf  foi  ne  sera  possible,  dans 
l'état  d'avcugleinent  où  est  plongé  l'homme,  qu'au  moyen 
du  témoignag-e. 

Quel  aurait  donc  dû  élre  le  résultat  du  ministère  de  Jean? 
Dans  riiilt'iih'un  de  Dieu  (pii  l'envoyait,  une  foi  universelle  : 
tAfin  que  Ums  crussent  par  lui.  »  L'œil  le  plus  obscurci  eût 
dû  reconnaître  un  soleil  pareillement  sig-nalé.  Saint  Jean  ne 
connaît  donc  pas  le  dualisme  qu'on  lui  prête,  quand  on 
l'accuse  de  statuer,  comme  les  Gnostiques,  deux  espèces 
d'hommes,  les  pneumatiques  et  les  psychiques,  d'origines 
et  de  destinations  opposées.  Quelques-uns  ont  rapporté  les 
mois  par  lui  à  la  lumière  ou  à  Christ  (Ewald),  et  entendu 
par  la  foi,  la  foi  en  Dieu  ou  la  foi  en  général  et  dans  le 
sens  absolu  du  mot.  Mais  la  foi,  comme  l'incrédulité,  ne 
peut  se  rapporter  dans  ce  morceau  qu'à  un  seul  objet. 
Christ.  Les  mots  par  lui  s'appliquent  donc  à  Jean-Baptiste, 
et  le  régime  sous-entendu  de  crwsse»/ est  la  lumière,  Christ 
discerné  comme  la  Parole. 

V.  8.  Comme,  au  v.  3,  Jean  avait  trouvé  bon  d'ajouter  à 
raffirmalion  une  proposition  négative,  destinée  à  exclure 
toute  exception,  ainsi,  au  v.  8,  après  avoir  indiqué  positi- 
vement, dans  ce  qui  précède,  le  caractère  de  la  mission  de 
Jean -Baptiste,  il  écarte  par  une  détermination  négative 
ridée  d'une  dignité'  snp<'rieure  que  l'on  eût  pu  attribuer  à 
ce  personnage.  «  Ce  n'était  pas  lui  qui  était  la  lumière  ; 
il  était  là  pour  rendre  témoignage  à  la  lumière.  »  Cette 
,  manière  de  s'exprimer  suppose  certainement  que,  dans  le 
milieu  où  écrivait  l'apôtre,  il  y  avait  des  gens  qui  s'exagé- 
raient la  valeur  du  Précurseur  et  qui  tendaient  à  faire  de  lui 
le  .Messie.  Je  sais  que  celt<'  explication  est  repoussée  par  la 
plupart  des  interprètes  modernes;  ils  pensent  que  Jean  veut 


170  11   l'iioi.oiaïK. 

uniqnt'iMciil  (Iniiin'i'  rssor  au  M'iiliiiiciil  Niftjii'il  (''prouviiildc 
lii  sujn-riorih'  alisoliir  (!<•  .I('siis  sur  .)t'aii-Bu])lisl(',  lui  (|ui 
les  avait  ronmis  tous  deux  (voy.  sniioul  Meyer  et  Ilfuyslni- 
bcrg).  Si  notre  passade  était  le  seul  de  ce  geure,  (ju  leur- 
rait, à  la  rigueur,  se  eouteiiter  de  cette  explication.  Mais 
quand  ou  compare  1,  20;  III,  2."»  cl  suiv.,  i;l  qu'on  se  raj)- 
pelle  les  faits  déjà  cités  dans  l'inlroduclion',  il  me  parajl 
presque  inijiossible  de  ne  pas  reconnaître  dans  notre  |)assage 
une  intcnliun  poiï-iniipie.  SeulenienI,  il  faut  se  yaider  de 
l'exagération  qui  consisterait  à  diic  (juc  notre  évangile  a 
été  écrit  dans  If  hul  de  coniballre  les  disciples  de  Jean.  — 
Le  pronom  èxelvoç  est  substitué  au  juouom  curo^  du  v.  7, 
non  sans  raison.  Celui-ci  était  sim])lement  afîirmatil';  le  pre- 
mier est  exclusif.  «Il  n'était  pas,  lui,  la  lumière;  c'était  uu 
autre  qui  l'était.  »  — "Iva  dépend  de -ïiv  sous-entendu,  dont 
il  faut  seulement  renforcer  un  peu  le  sens  :  «Il  n'était  pas, 
lui,  la   lumière;  mais  il  était  là  pour   lui   rendre   témoi- 
gnage. » 

V.  0-11.  Ce  tthnoignage  de  Jean  devait  donc  rendre  la 
foi  accessible  à  tous  et  l'incrédulité  impossible.  Mais  l'im- 
possible s'est  réalisé.  L'incroyable  s'est  renouvelé,  et  môme 
à  une  plus  liante  puissance. 

V.  9.  «C'était  ici  la  lumière  véritable,  qui  éclaire  tout 
homme  venant  au  monde.  »  —  Ce  v.  9  peut  s'entendre  de 
deux  manières  tout  à  fait  difféientes,  selon  qu'on  rattache 
les  mots:  «  Venant  au  mondes  à  a  était,  y>  dans  ce  sens  :  «La 
lumière  était  en  voie  de  venir  au  monde  »  (mais  en  aucun 
cas  comme  traduit  M.  Rilliel:  «  La  lumière  était  venue  dans  le 
monde,  »  traduction  grammaticalement  impossible)  —  ou 
qu'on  les  rapporte,  comme  nous  l'avons  fait,  à  a  tout  homme.  » 
Dans  la  première  inteipn'tation,  on  peut  encore  attacher 

I.  r.  97. 


r.llAP.  1,8.  9.  171 

diUci't'iils  sons  à  cetto  expression -yiv  6px°V^"''°^  •  ^^'^  lumière, 
Jésus,  se  présentait  précisément  siii'  la  scène  dn  juuiiilr,  ini 
luonicnl  où  Jean  -  Baptiste  ténioij^nait  d'elle»  (Lùcke,  de 
Wette,  Ilengslenberi^);  —  ou  bien  :  «Elle  était  sur  le  point 
de  venir»  ou  a  destinée  à  venir  »  (Tlioluck,  Luthardt);  —  ou 
bien  :  «Elle  était  en  marche  pour  venir»  (Ewald),  soit  que 
l'on  pense,  comme  Ewald,  à  son  rayonnement  intérieui'  (v.  5) 
qui  préparait  son  apparition  visible,  soit — ce  qui  me  paraîtrait 
bien  préférable  —  que  l'on  applique  cet  avènement  graduel 
aux  révélations  Ihéocratiques.  Mais,  comme  que  l'on  tourne 
cette  explication,  elle  conserve  toujours  quelque  chose  de 
dur.  Puis,  si  içi^li-^'^ov  ne  se  rapporte  pas  à  avôçoTcov  qui 
précède  immédiatement,  il  faut  avouer  que  Jean  a  écrit  de 
manière  à  rendre  son  expression  aussi  équivoque  que  pos- 
sible. La  raison  qui,  dans  les  temps  modernes,  a  fait  aban- 
donner assez  généralement  la  seconde  explication,  est  que 
les  mots:  «  Venant  au  inonde,»  rapportés  à  tout  homme, 
formeiaient  un  pléonasme  choquant.  C'est  là  une  erreur. 
Cet  appendice  est  la  reproduction  de  la  pensée  profonde 
exprimée  dans  la  première  proposition  du  v.  5  :  «  La  lumière 
éclaire  dans  les  ténèbres.  »  Si  ténébreuse  que  soit  devenue 
l'humanité,  depuis  qu'elle  a  rompu  avec  le  Logos,  il  ne 
naît  pas  un  individu  sur  la  terre,  veut  dire  Jean,  dont  le 
cœur  ne  soit,  à  son  entrée  dans  la  vie,  éclairé  par  la  lumière 
éternelle  et  universelle  de  la  Parole.  L'idéal  moral  est  la 
dot  dont  le  Logos  gratifie  chaque  homme,  à  mesure  qu'il 
paraît  sur  la  scène  du  monde  et  antérieurement  à  toute 
éducation.  C'est  pai-  là  que  l'homme  est  vraiment  homme. 
Le  Tcav-ra  àvOpoTccv  du  v.  9  est  en  rapport  avec  le  xôv  àvôpuTuwv 
du  V.  4.  On  voit  que  la  seconde  interprétation  est  commandée 
à  la  fois  par  la  grammaire  et  le  contexte,  —  Mais,  si  l'on 
détache  le  participe  èpxoV^vov  du  verbe  t]v,  comment  expli- 
quer ce  dernier?  On  pourrait  le  prendre,  avec  Meyer,  dans 


17:2  LK  IMUH.CHM'K. 

iiti  sons  absolu  cl  ()r('<4ii;inl  :  «  Elle  rtoll  la,  l:i  vraie  lii- 
miùro,  (l«''jà  présente,  quui(iiir  caclK'e,  au  nioiiiciil  dû  Jean 
lui  rtiKJail  li-nioignage.  »  Mais  à  quoi  lion  relever,  dans 
ee  jtidloj^tie  où  liuil  esl  gfave,  celle  cireonslance  liislori(jne 
insij^niiliante?  Et  ce  sens  de  tjv  esl-il  suflisannnent  motivé  ici? 
11  est  plus  simple  de  donner  pour  sujet  au  verbe  t)v  la  lumière, 
en  liianl  le  mol  çw;:  de  Trepl  xcû  9WT0V  qui  termine  le  v.  8  : 
«Celle  lumière  dont  je  veux  parler,  à  hupielle  il  s'agissait 
de  rendre  témoignage,  était  la  lumière  véritable.»  Le  style 
à  la  fois  naïf  et  [irofond  de  Jean  comporte  très-bien  cette 
tournure  un  peu  emplialique,  qui  est  inspirée  ici  à  l'apùtrc 
par  le  conlraste  entre  un  Jean-Baplisle  et  la  lumière  vé- 
ritable!—  'AXtjÔivo'^  est  une  t\es  expressions  favorites  de 
Jean.  Celle  épitbèle  ne  désigne  pas,  comme  ak-ri^riç,  la 
véracité,  l'accord  entre  la  parole  et  la  pensée,  ou  la  vérité, 
l'accord  entre  la  pensée  (subjective)  et  la  réalité  (objective)  ; 
elle  caractérise  l'essence  réalisi'c,  l'idée;  de  la  chose  passée 
de  la  virtualité  à  l'être.  Cette  épithète  n'oppose  donc  pas, 
comme  le  ferait  à\r^^r^ç,  une  vraie  à  une  fausse  lumière, 
mais  la  lumière  parfaite,  essentielle,  à  toute  lumière  d'or- 
dre inférieur  ou  dérivé,  que  ce  soit  la  lumière  physique,  ou 
celle  de  la  raison,  ou  celle  de  la  loi,  ou  Jean-Baptiste  lui- 
même.  C'est  cette  dernière  antithèse  qui  nous  paraît  le  plus 
conforme  au  contexte. 

V.  10.  Comme  la  seconde  partie  du  v.  9  reproduisait 
l'idi-e  du  V.  5,  les  deux  premières  propositions  flu  v.  10  re- 
produisent les  pensées  des  v.  A  et  3.  «  Elle  était  dans  le 
monde,  et  le  monde  avait  été  fait  par  elle,  et  le  monde 
ne  l'avait  pas  connue.  »)  —  La  première  de  ces  trois  pro- 
positions se  rattache  élioitement  au  v.  9,  tel  que  nous  venons 
de  l'expliquer.  Si  chaque  être  humain  apporte  dans  la  vie 
une  lumière  innée,  c'est  que  le  Logos  est  là,  présent  dans 
le  monde,  comme  le  foyer  d'où  cette  clarté  émane  inces- 


CIIAP.  i,  9.  10.  173 

samment.  Car,  quoique  l'iiomme  se  soit  séparé  du  Logos, 
celui-ci,  comme  nous  l'avons  vu,  n'en  continue  pas  moins 
à  éclairer  ce  monde  ténébreux.  Comment  est-il  possible  que 
des  interprètes  sérieux,  tels  que  de  Wette,  Meyer,  N.,  aient 
pu  rapporter  ces  mots  :  aElle  était  dans  le  monde,'!)  à  la 
présence  de  Jésus  en  Israël,  au  moment  où  Jean-Baptiste 
exerçait  son  ministère ,  et  la  dernière  proposition  :  «  Le 
monde  ne  l'a  point  connue,  »  à  l'ignorance  où  était  encore 
le  peuple  de  la  pi'éscnce  du  Messie,  à  ce  moment-là?  Comp. 
V.  26  :  ^11  y  en  a  un  au  milieu  de  vous,  que  vous  ne  con- 
naissez pas.  »  Quelle  relation  y  aurait-il  entre  les  première 
et  troisième  propositions  ainsi  comprises,  et  la  seconde, 
où  le  Logos  est  présenté  comme  le  créateur  du  monde? 
Cette  pensée  intermédiaire  imprime  à  tout  le  verset  un  ca- 
ractère de  grandeur  sublime  qui  ne  s'accorde  point  avec  le 
sens  étroit  et  mesquin  qui  résulterait  ici  de  cette  interpré- 
tation. Il  est  évident  que  ces  mots  :  «  Elle  était  dans  le 
monde,  y>  rappellent  l'action  illuminatricc  et  universelle  du 
Logos,  et  cela  dans  le  but  de  faire  ressortir  d'autant  mieux, 
dans  la  troisième  proposition,  l'aveuglement  du  monde  qui 
n'a  point  perçu  cette  lumière.  —  Et  non-seulement  la  Parole 
était  dans  le  inonde  comme  la  lumière,  mais  le  monde  avait 
une  sorte  d'homogénéité  avec  elle,  comme  l'œuvre  avec 
l'esprit  de  l'ouvrier  qui  l'a  conçue  et  exécutée  :  «Le  monde 
avait  été  fait  par  elle.  »  Non-seulement  rien  n'empêche  de 
donner  à  l'aor.  iyévszo  le  sens  de  plus-que-parfait;  mais  ce 
sens  est  positivement  réclamé  par  l'antériorité  du  fait  de  la 
création  relativement  à  celui  de  l'illuminafion  du  monde. 

«  Et  néanmoins,  quoique  sorti  des  mains  du  Logos  et 
éclairé  par  lui ,  le  monde  n'avait  point  su  le  discerner.  »  Kai 
sert  à  faire  heurter,  plus  fortement  que  ne  pourrait  le  faire 
même  une  particule  d'opposition,  la  troisième  proposition  avec 
les  deux  autres,  toutefois  sans  rompre  le  fil  de  l'histoire  du 


!7i  I  !•:  pRoi.or.iTE. 

Lo;jos.  Rnnunnions  ici  iiiic  p.'U'Hciihu'ilt'  du  sl\  le  dç  Jean  : 
cVsl  la  juxIaposilioM  parafacfiqiic  des  proposilidiKS  siibstitiuW^ 
à  r(MTil)oîlomon1  syiilaoli(pit',  iialiiitlà  la  lang-iiogrecquo.  An 
\mi  do  CCS  (rois  cf....  et....  d,  un  écrivain  d'orig:inc  grecque  au- 
rait ccriaincmcnl  dit:  <^'Ovolqu\'\\c  Int  dans  le  monde  et  qve 
le  monde  cnt  (■t(''  l'ail  paicllcje  monde  ne  l'avait  point  connue.» 
Quelque  pur  «pie  soit  en  général  le  style  de  l'évangéliste, 
il  porti'  n^aiiuiniiis  les  traces  profondes  de  la  conception  et 
de  la  (N)nsfructi()n  iK'braïqiies  naturelles  à  l'auteur.  Forme 
semMalde:  11,  !>;  VI,  2.{,  etc.  — ''E7V0  a  nécessairement  le 
sens  de  plus-que-parfait,  comme  iyév&xo,  dont  il  est  le 
peuilaut,  et  celle  proposition  a  exacteuieiil  le  même  sens 
(pie  les  derniers  mots  du  v.  5  :  «£ï  les  ténèbres  ne  l'ont  pas 
saisie.  »  Le  verbe  yivo'tyxo,  apprendre  à  connaître,  discerner, 
exprime,  sous  une  forme  un  peu  difTécente,  la  même  notion 
que  xa-raAàtfx^ave'.v.  On  voit  aisénieut  qu'il  n'y  a  aucun  rap- 
port entre  ce  eux  eyvG)  et  le  eux  ciôaxe  du  v.  20.  Celui-ci  se 
rapporte  à  un  fait  bistorique,  de  l'ignorance  duquel  Israël 
(!st  innocent,  aussi  bmgtejnps  que  Jean  n'a  pas  rendu  son 
témoignage.  Celui-là  au  contraire  exprime  cet  universel 
aveuglement  dont  le  monde  déchu  s'est  rendu  coupable,  en 
ne  discernant  pas  l'idée  du  bien  suprême,  du  Dieu  vivant, 
dont  cbercliait  incessamment  à  le  pénétrer  son  divin  créateur 
et  éducateur,  la  Parole.  —  Le  masc.  aùxdv  est  ici  authen- 
tique; il  est  amené  sans  doute  par  la  proximité  de  l'appari- 
tion personnelle  du  Logos  qui  fait  le  sujet  du  verset  suivant. 
Le  V.  10  résume  donc  toutes  les  pensées  des  v.  3-5.  Mais 
dans  quel  but  les  rappeler  ici?  L'intention  manifeste  de 
l'évangéliste  est  de  mettre,  d'une  part,  la  conduite  du  Logos 
envers  le  monde  (deux  1""^^  propos,  du  v.  10)  en  relation  avec 
sa  conduite  envers  Israël  fl''^  propos,  du  v.  11),  et,  de  l'autre, 
la  conduite  du  monde  envers  le  Logos  (ri®  propos,  du  v.  10) 
en   rapport  avec  celle   d'Israël   envers  ce   môme   Logos 


ciiAP.  I,  10.  11.  175 

(5®  piopos.  (Iii  V.  1 1).  Lu  Pai'ole,  ;iynrif  (";ii(  luire  an  vain  sa 
lumière  dans  l'Iuinianité  en  général,  l'a  fait  resplendir  dans  un 
domaine  parfieulier,  et  cela  en  y  paraissant  elle-même.  Voilà 
le  premier  côté  de  la  relation  entre  v.  10  et  M.  Mais  —  et 
c'est  ici  l'autre  face  —  le  traitement  que  la  Parole  avait 
éprouvé  de  la  part  de  l'humanité  en  général,  dans  sa  révé- 
lation interne,  elle  l'a  éprouvé  une  seconde  fois,  et  à  un 
|ilus  haut  degré,  dans  son  apparition  personnelle,  de  la 
part  de  cette  portion  privilégiée  de  l'humanité. 

V.  1 1.  «i^Elle  est  venue  dans  sa  propre  demeure,  et  les 
siens  ne  l'ont  point  accueillie.  »  —  Pas  de  particule  de 
liaison  entre  les  v.  10  et  il  :  il  y  a  ici,  comme  entre  v.  5  et  6, 
une  secousse  morale  qui  brise  extérieurement  le  fil  du  dis- 
cours :  «Ecoutez  quelque  chose  de  plus  monstrueux  encore!  » 
Toutes  les  expressions  ont  le  caractère  d'une  gradation  re- 
lativement au  verset  précédent.  Ainsi  ec?  xà  Tô'.a,  sa  propre 
maison,  son  propre  bien  (comp.  XIX,  27),  fait  opposition  au 
monde,  l'universalité  des  hommes,  dans  les  deux  premières 
phrases  du  v.  10;  voilà  pourquoi  ce  mot  est  en  tète.  'HX9s, 
elle  est  venue,  désignant  une  apparition  historique,  exté- 
rieure, personnelle,  aussi  bien  qu'au  v.  7,  est  l'antithèse  de 
■r;v,  elle  était  là  invisiblement,  spirituellement.  OK&'.c,  les 
siens,  les  gens  de  sa  maison,  ses  domestici  et  familinres, 
fait  opposition  à  «/e  monde)^  dans  la  troisième  phrase  du 
V.  10,  comme  cù  TcapsXaPcv,  n'ont  pas  accueilli,  est  une  gra- 
dïttion  sur  eux  eyvco,  n'avait  point  connu.  Ce  parallélisme  et 
cette  gi'adation  indiquent  clairement  qu'il  s'agit  ici  d'un  fait 
différent  de  celui  qu'avait  rappelé  le  v.  10  (le  rejet  de  la 
lumière  avant  son  incarnation);  nous  sommes  arrivés  au  fait 
suprême,  sur  la  voie  de  l'incrédulité  :  le  rejet  du  Messie  par 
Israël.  Jean  n'explique  pas  l'origine  de  la  relation  particu- 
Kére  entre  Dieu  et  le  peuple  juif,  exprimée  par  xà  ÏS'.a,  cl 
iSio'..  Il  la  suppose  connue  de  ses  lecteurs,  comme  il  l'a  fait 


170  LE  PROLOGUb;. 

pour  l'orii^iiie  «les  téiièbivs  (v.  5).  Il  sait  l)ion  qu'il  sera 
coiupiis  (lo  tous.  «  Vous  serez  ma  propriété  entre  tous  les 
peuples,  »  (lisait  Jéhovah  à  Israël  Ex.  XIX,  5.  Gomp.  Deul. 
Vil,  (!;  Ps.  CXXXV,  i.  C'i'st  (laus  ce  sens  que  saint  Paul  dit 
aux  jtaïens,  par  nature  étrangers,  gens  de  dehors  (^évot, 
7:açct.xct,),  qu'ils  sont  devenus,  à  l'éyal  des  Israélites,  ocxeîot, 
<itjens  de  la  maison  de  Dieu  »  (Epli.  II,  1 0).  Certes,  en  un  certain 
sens,  les  Juifs  n'avaient  jamais  mieux  mérité  ce  titre,  qu'au 
moment  où  Jésus  parut.  Leur  zèle  monothéiste  et  leur  mépris 
pour  l'idolâtrie  avaient  atteint  le  point  culminant.  Il  semblait 
que  ce  peuple  fût  une  conmiunaulé  messianique  toute  pré- 
parée, et  en  le  voyant  prosterné  au  pied  des  autels  de  Jé- 
hovah,  on  eût  pu  s'attendre  à  ce  qu'au  moment  où  Jéhovah 
lui-même  paraîtrait,  la  nation  tout  entière  le  recevrait 
les  bras  ouverts,  comme  des  domestiques  fidèles  accueillent 
leur  seigneur,  quand  il  rentre  dans  ses  foyers.  — 'HXOs, 
elle  est  venus,  est  le  mot  propre  pour  désigner  une  appari- 
tion personnelle;  c'est  l'arrivée  du  Messie,  depuis  si  long- 
temps annoncée  et  attendue.  «  Et  aussitôt,  disait  Malachie 
(III,  \),  le  Seigneur  que  vous  cherchez,  l'aïKje  de  l'alliance 
que  vous  désirez,  entrera  dans  son  tonple ;  voici,  il  vient.  »  — 
Ol  i6t,ct  diffère  de  xà  ibia.  comme  le  peuple  juif  diffère 
de  la  terre  de  Canaan  et  de  l'institution  ihéocratique  en  gé- 
néral. Ce  terme  rappelle  toutes  les  relations  personnelles  de 
Jéhovah  et  de  son  peuple,  tous  les  bienfaits,  tous  les  châti- 
ments, toutes  les  dispensalions,  toutes  les  expériences  qui 
ont  constitué  entre  lui  et  eux  une  vie  commune  et  une  es- 
pèce de  solidarité  morale.  —  IlafaXaix^aveiv  :  recevoir  dans 
sa  maison.  Ce  mot  s'applique  parfaitement  à  l'accueil 
solennel  et  national  qu'aurait  dû  recevoir  le  Dieu,  arrivant 
comme  hôte  et  demandant  à  entrer  dans  la  demeure  qu'il 
s'était  prépaivîe  lui-même  pour  lui  servir  de  gîte  à  son 
arrivée  dans  le  monde.  C'était  d'ici  qu'il  devait  partir  pour 


GJIAl".  1,  11.  177 

su  soumettre  tous  les  autres  peuples,  j)ai-  le  moyen  d'Israël 
lanyé  autour  de  lui  eomme  une  armée  de  prêtres  couqué- 
lauls.  a.  L'Éternel,  était -il  ilit  Ps.  CX,  2.  3,  fera  sortir  de 
Sion  le  sceptre  de  ta  force....  Ton  peuple  sera  tout  entier  de 
franclie  volonté  an  jour  (pie  tu  rassenibloas  ton  année  vêtue 
de  sainteté. 1)  Tel  eût  dû  être  l'aecueil  fait  au  Messie  par  tout 
son  peuple.  Les  mots  :  «iVd  l'ont  pas  accueillie,  r)  indiquent 
donc  un  acte  beaucoup  plus  réfléchi  et  volontaire  que  le 
terme  dont  Jean  s'est  servi  au  v.  10  :  aNe  l'avait  pas  connue.  » 
Israël,  lui,  a  connu,  au  moins  en  partie;  car  il  a  dit  :  a  Voici 
le  Fils,  l'héritier,))  et  il  en  a  conclu:  «Tuons -le.  »  Aga- 
menmon  rentrant  dans  ses  foyers  tombe  sous  le  poignard 
d'une  épouse  infidèle:  c'est  le  fait  trag-ique  par  excellence, 
dans  riiistuire  païenne.  Mais  qu'est-ce  que  ce  forfait  en  com- 
paraison de  la  tragédie  théocratique  ?  La  divinité  nationale 
paraît  dans  son  temple  et  y  est  crucifiée  par  ses  adorateurs. 
Il  y  a  comme  un  cumul  de  crimes  dans  cet  acte  étrange. 
Les  Juifs  étaient  hommes  avant  que  d'être  juifs.  Ils  tenaient 
donc  à  Christ  par  un  double  lien  :  le  lien  avec  le  Logos,  qui 
leur  était  commun  avec  toute  l'humanité,  et  le  lien  avec  le 
Messie,  qui  leur  appartenait  en  propre  comme  peuple  théo- 
cratique. Dans  le  rejet  de  Jésus  par  Israël,  la  perversité 
juive  se  combine  donc  avec  l'aveuglement  païen,  et  le  péché 
national  est  comme  enté  sur  le  péché  général  de  riiumanité. 
Bien  certainement,  si  le  peuple  eût  été  docile  à  la  révélation 
intérieure  et  universelle  de  la  Parole,  il  n'eût  pas  méconnu 
et  rejeté  cette  Parole  dans  son  apparition  visible.  C'est  là 
sans  doute  l'une  des  raisons  pour  lesquelles  l'évangéhste 
rappelle,  au  v.  10,  le  péché  de  l'humanité  avant  de  raconter 
celui  dont  il  préparait  tlepuis  le  v.  G  la  mention  douloureuse. 
L'autre  motif,  c'est  de  faire  ressortir  la  lidélité  du  Logos , 
qui,  malgré  l'aveuglement  du  monde  en  général,  a  consenti 
à  paraître  en  Israël  comme  Messie  national. 

I.  12 


178  i.i;  nuM.udi'K. 

[a'  V.  11,  iiiiisi  roiiipris.  c\o[  paifiiilcmciil  le  moi<N';m 
commoncô  par  le  v.  (1.  Les  mois  :  «  fl  parut  un  homme  ap- 
pelé Jrav  ,y>  o[  :  «  Lcft  .<?>V».v  ne  l'ont  point  accueillie, ^  se 
n'potKiciit  cf  ninnpiiMil  li'  (•oiniiiciiccinciil  <"(  la  fin  d'iint' 
iiK^nic  pliase. 

Doux  oxplicalions  opposées  à  relie  (pie  nous  venons  de 
développer  ont  été  présentées.  Quelques  interprèles,  Lange, 
par  exemple,  rapportent,  dans  ce  verset,  la  venue  de  la 
Parole  aux  apparitions  de  Jéhovali  et  aux  révélations  pro- 
pht''ti(jues  dans  l'Ancien  Testament.  D'autres,  par  exemple 
M.  Reuss,  appliquent,  comme  nous,  ces  mots  :  ^Elle  est  ve- 
nue,t»  à  l'apparition  historique  de  Jésus-Christ;  mais,  selon 
eux,  les  Ihizi  désij,nient ,  non  les  Juifs,  mais  «les  hommes 
en  général,  comme  créatures  du  Verhe  préexistant»  {Hist. 
de  la  théol.  chrét.  t.  11,  p.  384).  M.  Reuss  signale  même 
l'application  ^Qi  mots  xà  Ihnx,  z\  ihioi,  aux  Juifs,  comme 
«une  étrange  erreur  de  l'exégèse  ordinaire;»  il  ne  voit  par 
conséquent  dans  le  v.  11  qu'une  répétition  un  peu  plus  ac- 
centuée des  idées  du  v.  10.  Quant  à  la  première  opinion , 
elle  est  incompatible  avec  le  mot  ^Xôe,  elle  est  venue,  aussi 
bien  qu'avec  les  v.  12  et  13,  qui  ne  peuvent  se  rapporter 
qu'aux  effets  de  la  venue  de  Christ  en  chair.  Personne  n'eût 
imaginé  de  donner  un  autre  sens  au  v.  11  sans  la  tautologie 
apparente  qui  en  résulte  avec  le  v.  14.  C'est  une  difficulté 
que  nous  aurons  à  surmonter.  L'autre  interprétation,  celle 
de  M.  Reuss,  lui  paraît  commandée  d'abord  par  une  diffi- 
culté qu'il  trouve  dans  le  oc7C'.  du  v.  12,  si  par  aies  siens,)) 
au  v.  11,  on  entend  les  Juifs  —  nous  examinerons  cette 
objection  en  son  lieu  —  puis  par  ce  fait  général  que,  selon 
notre  évangile,  «entre  le  Verbe  et  les  Juifs,  connue  tels, 
il  n'y  a  pas  de  rapports  particuliers.  »  Nous  croyons  pou- 
voir constater,  au  contraire,  que  le  quatrième  évangile, 
non  moins  que  le  premier,  reconnaît  l'existence  d'une  rela- 


CHAP.  I,  11.    12.  170 

lion  o^},^^^i(Jue  entre  rinstitution  tliéocratiquc  et  la  venue  de 
(Ihn'st  en  chair.  Comp.  par  exemple  I,  17.  4C;  II,  19;  IV,  22; 
V,  39.  -46-47;  Vin,  35.  50;  X,  2-3;  XII,  41;  XIX,  36-37; 

ce  ((iii  suffît  pour  renverser  l'assertion  de  M.  Rcuss  et  justi- 
fier le  sens  que  nous  avons  donné  d'après  tout  le  contexte 
aux  expressions  xà  iSta  et  oi  ïhci. 


troisiemp:  section. 

V.  12-18. 

La  foi. 

Lors  niénne  que  la  Parole  n'est  pas  parvenue  à  dissiper 
IcîS  ténèbres  de  l'humanité  par  sa  révélation  intérieure , 
qu'elle  a  été  rejetée  positivement  par  Israël,  lors  de  sa  venue 
comme  Messie  promis  à  ce  peuple,  son  rôle  salutaire  n'est 
point  terminé,  et  ses  relations  avec  l'humanité  ne  sont  pas 
pour  cela  rompues. 

C'est  en  ce  moment,  au  contraire,  qu'apparaît  sur  la  terre 
une  humanité  nouvelle,  engendrée  directement  de  Dieu  en 
vertu  de  la  foi  à  cette  Parole  (v.  12  et  13). 

h' objet  sublime  de  cette  foi  par  laquelle  est  créée  une  hu- 
manité divine,  est  l'incarnation  de  la  Parole  (v.  14  a). 

Si  prodigieux  que  soit  ce  fait  de  l'incarnation,  il  est  cer- 
tain :  car  1"  il  a  été  vu,  contemplé  et  savouré  par  des  té- 
moins immédiats,  au  nombre  desquels  appartient  l'auteur 
(v.  \M));  —  2°  il  a  été  signale  et  proclamé  par  le  héraut 
divin  qui  avait  mission  d'en  rendre  témoignage  (v.  15);  — 
3°  il  a  été  éprouvé,  et  comme  vécu  par  l'Eglise  entière,  qui, 
par  ce  qu'elle  reçoit  de  cet  être  unique,  Jésus-Christ,  con- 
state chez  lui  la  présence  de  tous  les  caractères  de  l'éternel 
Logos  (v.  16-18). 


180  I,R  PROLOr.lJE. 

Cotio  «Icniièrc  \r,\rùo  du  prolof^iu'  rst  donc  I:)  diMiionstra- 
tion  lie  la  <  orlitiuic  <>t  le  l:ili|r;iii  de  ]:i  Ik'mIjIikIi'  de  l;i  foi. 
Le  V.  18  nous  r;iiii("'ii('  p;ir  rcxiM'i'icnci»  Aos  (  rovaiils  iiii  faîte 
d'où  nous  soniiiK's  dcscriidiis  jiai'  d('}^i'(''.s  d('j)iii.s  le  v.  1. 
Iv'KjjIisc  |iossèd«'  en  .It'sus  crdc  Parole  ('Icnicllr,  celle  Vi\- 
1  oie-Dieu,  «ju'a  it'vt'lt'e  le  eommeucenieiil  du  prologue. 

V.  12.  «  Mais',  tous  ceux  qui  l'ont  reçue,  elle  les  a  mis 
en  position  de  devenir  enfants  de  Dieu,  pour  avoir  cru 
en  son  nom.»  —  lé  exjjiinie  nou-seulenuMil  iiue  i^radalion, 
luais  mie  oj)]»osition.  C'est  ce  que  prouve  d'abord  l'autillièse 
de  eXa^cv,  oiU  reçue,  et  de  où  TtapéXa^ov,  n' ont  point  ac- 
cueillie (V.  Il),  et  ee  (}ui  ressort  (''pralcmcnl  du  contraste 
entre  ojci,  autant  il  en  est  qui,  et  ol  tStot,  les  siens  (v.  11). 
Ce  dernier  terme  dé.si{^nait  la  notion  en  corps;  le  pronom 
cjct  n'indique  plus  (jue  i\('<,  individus.  Par  le  lefus  du  ])euple 
d'Israël,  (fans  la  personne  de  ses  rejirésentants  et  de  ses 
chefs,  d'accueillir  colleclivenicnt  le  Messie,  la  foi  a  pris  le 
caractère  de  fait  purement  individuel  et,  pour  ainsi  dire, 
sporadique.  C'est  ce  sentiment  qu'ex])i'ime  le  pron.  ojot.  Mais 
il  y  a  plus.  A  mesure  que  la  foi  au  Messie  a  été  dégagée  de 
toute  solidaiilf'  avec  la  nationalité  juive  comme  telle,  l'accès 
en  a  été  ouvert  à  tout  être  humain  :  c'est  là  cet  aj>pauvris- 
sement  d'Israël  qui,  comme  le  dit  saint  Paul  (Hom.  XI),  a 
l'ait  la  richesse  des  Gentils.  Les  o<soi  ne  sont  donc  pas  seu- 
lement ceux  d'entre  les  Juifs,  (jiii  n'ont  jias  partagé  l'incré- 
dulité nationale,  mais  tous  les  individus  croyants  {xolç  irt- 
aTey'c-jj'.v,  v.  12  b),  comme  tels,  Juifs  ou  Grecs,  que  Jean 
contemple  réunis  et  formant  le  peujde  nouveau,  lorscju'il  dit 
au  V.  le»  :  -qj-zl:  vA-i-f;,  nous  tous.  Ainsi  se  résout  le  dilemme 
par  lequel  M.  Heuss  {Hisl.  de  la  théol.  chrét.  t.  II,  p.  384)  croit 
pouvoir  prouver  que  xà  Ihioi  et  o\  Ihioi  (v.  11)  désignent  les 

1.  Ae  omis  par  D  seul  et  quelques  Tères. 


r.iiAP.  I,  11  INI 

liorniiu's  en  ^('in'i;!!  et  ikhi  Ic-^  Juifs.  Si  c'étaient  les  Juifs,  dil- 
il,  les  offo',  (lu  V.  12,  qui  leur  sont  opposés,  seraient  on  des 
païens,  et  l'on  serait  conduit  à  l'assertion  que  des  païens  seuls 
ont  cru;  —  ou  les  Juifs  (pii  ont  cru  exeeptionnellemenf,  et  l'on 
devrait  en  conclure  qu'il  n'y  a  eu  que  des  Juifs  croyants. 
L'erreur  est  dans  cette  dernière  conclusion.  La  vraie  con- 
séquence à  tirer  du  oaoi  est  que,  une  fois  le  rejet  du  Messie 
par  Israël  accompli,  il  n'y  a  plus  désormais  dans  l'humanité 
(]\v'.  dvi>  individus  croyants.  —  Cette  substitution  de  la  foi 
individuelle  à  tui  accueil  collectif  et  national  est  précisément 
ce  qui  motive,  dans  ce  verset,  l'emploi  du  verbe  simple  êXa- 
pcv,  au  lieu  du  composé  TcapéXapov  (v.  11).  Le  composé  avait 
quelcjue  eliuse  de  plus  solennel,  qui  convenait  mieux  à  une 
réception  otricielle  par  le  moyen  des  autorités  représentant 
toute  la  nation  théocratique,  tandis  que  le  simple  Xa(jipàv£!.v, 
qui  signifie  prendi^e ,  saisir  au  passage  et  comme  acciden- 
tellement, est  plus  conforme  à  la  notion  de  la  foi  indivi- 
duelle, que  veut  désigner  ici  l'apôtre.  —  Dans  ce  verset, 
saint  Jean  substitue  donc,  de  la  même  manière  que  le  fait 
saint  Paul  dans  toutes  ses  épîtres,  la  grande  notion  de  l'in- 
dividualisme chrétien,  avec  son  caractère  nécessairement 
universaliste  et  humanitaire,  au  nationalisme  juif  et  aux 
étroites  limites  dans  lesquelles  ce  principe  restait  naturelle- 
ment enfermé. 

L'antithèse  des  v.  11  et  12  est  inspirée  par  le  sentiment 
d'un  grand  contraste.  Saint  Jean  n'a  pas  exprimé  les  consé- 
(piences  de  ce  mot  tragique  :  «  Les  siens  ne  l'ont  pas  ac- 
cueillie,^ la  mort  spirituelle  et  la  ruine  temporelle  d'Israël. 
Mais  il  se  plaît  d'autant  plus  à  faire  éclater  les  conséquences 
glorieuses  de  l'accueil  fait  à  la  Parole  par  les  individus 
croyants  de  toute  langue  et  de  tout  peuple.  Cet  hôte  divin  a 
conféré  à  ceux  (jui  l'ont  l'eeu  des  privilèges  dignes  de  lin'. 
L'apôtre  en  indicpie  (]ru\  :  une  position  nouvelle  ,  qui  est 


1S:2  i.K  l'Hui.oc.rK. 

plulôl  iilViuif  (le  (Irttil  [i^oMaîoi.),  cl  un  iiiude  (rcxislciico  nou- 
veau, (|iii  ne  prut  inau(|uer  d'en  résulter:  devenir  eiiAnils 
de  Dieu.  —  Le  mol  à^ouji'a  di'sij^^ue  une  coiupétencc;  il  est 
diflicile,  dans  ee  j»assajj;e,  d'eu  reproduire  exacteineut  en 
IVaneais  la  nuance.  Liicke  c\pli(pie  :  la  force,  l'éneigie  in- 
fei'ne  que  coniniuniipie  le  (llirisl;  et  c'est  ce  que  paraît  ex- 
priiinT  la  iradiicljnii  di'  M.  AiimikI  :  le  pouvoir  (voy.  aussi 
son  explication).  C'est  trop  dire;  il  devrait  y  avoir,  dans  ce 
sens,  8uvap.'.r,  et  l'Iionnue  Jie  i"e(;oit  pas  de  Christ  le  pouvoir 
de  se  IraiKsIomier  lui-mènie  «-n  un  enlaiil  de  Dieu.  La  plu- 
part des  interprètes  (Osterwnld,  .\l;iiiiii,  Hilliet,  N.)  tradui- 
sent le  droit.  C'est  trop  faillie  et  snrloiil  trop  abstrait.  II  y  a 
dans  eçouaia  un  fait  réel,  un  piivih'i^e  accpiis,  (jui  doit  S(ir- 
vir  de  degré  pour  en  obtenir  un  nouveau,  supérieur  encore. 
On  pourrait  être  tenté  de  traduire  :  prérogative.  Mais  ce 
1» niK'  ris(]uerait  de  fausser  entièrement  l'idée;  car  des  mots 
suivants  il  sendjlerait  résulter  que  cette  pn-roj^ative,  c'est  le 
fait  même  de  devenir  enfants  de  Dieu,  tandis  qu'e^ouaia  n'in- 
ditpie  que  la  condition  pour  le  devenir.  La  seule  tournure 
fnuKjaise  qui  rende  exactement  l'idée,  est  celle  par  laquelle 
nous  avons  traduit.  'E^ouaia  désigne  en  ellet  cette  position 
nouvelle  et  glorieuse  que  saint  Paul  appelle  l'adoption  (uloôe- 
a''a),  le  rétaljlisst.'ment  de  la  relation  filiale  détruite  par  la 
cliute,  la  réconciliation  personnelle  avec  Dieu  accordée  à  la 
foi.  Cet  état  de  réconciliation  n'est  point  encore  la  régéné- 
ration, l'infusion  de  la  vie  nouvelle;  mais  il  en  est  la  con- 
dition. Cai'  Dieu  ne  peut  connnuni(juer  sa  propre  vie  par 
le  xv6Û|j.a  qu'à  un  homme  avec  qui  il  est  réconcilié.  C'est 
sur  ce  piincijje  qu'est  fondée  toute  l'ordonnance  de  l'épître 
aux  Uomains  (ch.  I-V  hase  de  ch.  VI-VIII).  Mais,  une  fois 
que  l'adoption  a  (,'u  lieu,  la  régénération  doit  suivre;  car 
Dieu  ne  saurait  refuser  ce  qu'il  a  de  mieux,  sa  vie,  à  l'être 
qu'il  a  réintégré  dans  la  position  d'enfant,  et  c'est  là  le 


CllAl'.  1,  12.  18.3 

second  jirivilt'-yL',  rtjsullaiil  directemeiil  du  premier,  que 
saint  Jean  exprinje  dans  ces  mots  :  «  Deuenir  enfants  de 
Dieu.»  Il  t'Hiploie  ici,  non  le  lei'me  m16ç,  mais  celui  de 
T6XVCV.  Le  premier  ne  désignerait  que  l'adoption  (;l,  si 
j'ose  ainsi  dire,  l'état  civil;  et  son  sens  reviendrait  à  ce- 
lui (r6^ouji.'a.  Tsxvov  au  contraire,  de  trcx-cstv,  enyendrer, 
in(li(jue  la  eonmumicalion  réelle  île  la  vie,  la  consubstan- 
lialili'  du  père  et  de  reniant.  C'est  ici  la  puissance  créatrice 
du  Sainl-Espril,  ])ai'  lacpiclle  Dieu  opère,  dans  l'iionmie  de- 
venu (ils  par  rado])tion,  cette  naissance  nouvelle  cjui  lait  de 
lui  son  enfant  dans  le  sens  propi'e.  L'expression  de  saint 
Jean  :  «//  les  a  mis  en  position  de  devenir  enfants  de  Dieu,  » 
revient  donc  très-exactement  à  cette  pensée  de  saint  Paul  : 
a  Parce  que  vous  êtes  fds,  Dieu  a  envoyé  l'Esprit  de  son 
Fils  dans  uos  cœurs. ^  On  voit  combien  il  est  faux,  lors 
même  que  l'idée  d'adoption  ('Jtôç)  domine  chez  saint  Paul, 
et  celle  de  régénération  (xs'xvov),  chez  sahit  Jean,  de  les  op- 
poser l'un  à  l'autre.  L'un  des  plus  fréquents  et  des  plus  dan- 
gereux artilices  de  la  critique  moderne  est  de  transformer 
les  nuances  en  opposition  :  c'est  une  réaction ,  exagérée 
comme  toutes  les  réactions,  contre  l'ancienne  absence  de 
critique  qui  méconnaissait  même  les  réelles  nuances.  Le 
«  parce  que))  de  saint  Paul,  dans  les  Galates,  est  le  conuuen- 
taire  le  plus  exact  de  l'e^ouaLa  de  saint  Jean. 

La  notion  d'enfant  de  Dieu,  dans  le  sens  où  elle  est  ici 
posée  par  saint  Jean,  est  étrangère  à  la  pensée  et  à  la  lan- 
gue de  l'Ancien  Testament.  Les  termes  de  père  et  iïenfant 
n'y  expriment,  dans  les  cas  rares  où  ils  sont  employés  (Ps. 
GUI,  13;  Es.  LXill,  10;  Jér.  XXXI,  20;  Os.  XI,  2),  que 
des  sentiments  d'aflection,  de  tendresse,  de  compassion.  11 
suffirait  de  cette  observation  pour  faire  tomber  l'explication 
des  interprètes  qui,  tels  que  Lange,  toujours  en  prévision 
du  v.  14,  rapportent  ces  v.  12  et  13  aux  fidèles  de  l'an- 


18i  i.E  PRoi.or.iiE. 

rit'iuif  ;illi;iri<('.  Des  «'xprcssioiis  aussi  fiirlrs  (jiic  celles 
([ir<'in[)l()ie  ici  saint  Jean  coiiInMliraicnf  altsnliimoiit  la  pa- 
role (le  .{.'•sus  Matlli.  \l.  II.  1^.  o\  ne  stM-aiciil  pas  même 
romjialililos  avec  Jean  I,  17. 

Pour  (lésip^nor  rarnieil  fait  à  Jésus  par  les  individus 
rroyants.  l'apôlre  s'i'lail  servi  du  terme  lifrun'',  et  pai'  con- 
séque?il  peu  pn'cis.  de  recevoir.  Mais  une  iiolidii  aussi  capi- 
tale rérlamait  une  déterminaliou  exaele  :  car  ces  mots  ren- 
fennent  «me  invitation  à  tous  ceux  rpn'  ne  jouissent  |)as  de 
ces  glorieux  privilégies,  à  se  liàtcr  de  se  les  approprier,  et 
ils  doivent  apprendre  par  quel  moyen.  De  là  l'appendice  par 
lecpiel  l'apôtre  termine  le  verset  :  xotç  TrtffTsuouaiv....  etc., 
«à  tous  cenx  qui  croient  en  son  nom.))  Ces  mots  indiquent 
le  inode  de  l'accueil,  du  Xafx^aveiv.  Mais,  au  lieu  de  les  rat- 
tacher au  verbe  eXa^ov  qu'ils  doivent  expliquer,  l'auteur 
les  rattaclie  au  pronom  aù-coîç  :  «C'est  une  des  particularités 
(hi  style  de  Jean,  observe  Luthardt  avec  une  parfaite  jus- 
tesse, de  déterminer  la  condition  morale  au  moyen  de  la- 
quelle s'accomplit  un  acte,  par  un  appendice  explicatif 
ajouté  à  l'un  fies  mots  qui  dépendent  du  verbe  principal. 
Comme  style ,  c'est  lourd  peut-être;  mais,  comme  expression 
de  la  pensée,  c'est  énerg^ique.  Voir  la  même  construction  III, 
13;  V,  18;  VII,  50,  etc.»  Nous  avons  cherché  à  rendre  la 
force  de  cette  tournure  dans  la  traduction.  Mais  nous  n'avons 
pu  le  faire  sans  forcer  un  peu  le  ton.  — Ajoutons,  pour  dé- 
tenniner  plus  exactement  le  rapport  de  ces  deux  notions, 
recevoir  et  croire,  dans  le  sentime;it  de  l'écrivain ,  que  la 
.seconde  est  donnée  comme  suffisant  à  elle  seule  pour  la 
réalisation  rie  la  première.  La  foi,  voilà  tout  ce  qu'il  faut 
pour  que  la  Parole  soit  reçue  et  que  les  effets  de  cet  accueil 
se  déploient.  p]t  pourquoi,  quand  un  être  tel  que  la  Parole 
se  jirésente,  faut-il  l'acte  de  la  foi  poui-  l'accueillir?  Ses  ca- 
ractères divins  ne  doivent -ils  pas  tomber  sous  les  sens? 


CHAP.   I,   12.    13.  185 

Non;  car  ils  se  voileiil.  Une  enveloppe  complrtemenl  inadé- 
quate les  recouvre.  Et,  pour  les  discerner,  il  faut  un  acte 
d'aperception  morale  indépendant  de  la  vue  physique  et  ac- 
compag-né  d'une  volonté  sincère  d'abandon  et  de  consécra- 
tion h  l'être  saint  qui  en  est  l'objet.  Voilà  la  foi. 

Le  terme  pai-  lequel  Jean  exprime  ici  l'objet  de  la  foi  est 
ovcfjia,  le  nom.  Ce  mot,  très -usité  dans  nos  saints  Livres, 
peut  s'entendre  de  deux  manières.  Ou  bien  il  désigne  tout 
l'ensemble  des  faits  et  des  témoignages  extérieurs  dans  les- 
quels se  révèle  la  personne,  jusqu'à  l'essence  de  laquelle  les 
sens-  ne  parviennent  jamais.  C'est  ainsi  que  l'explique  Heng- 
stenberg.  Ou  bien,  au  contraire,  le  terme  de  nom  caractérise 
l'essence  intime  et  réelle  de  l'être,  en  opposition  à  ses  mani- 
festations extérieures.  C'est  le  sens  que  donne  Luthardt.  Dans 
ce  second  cas,  le  nom  n'est  pas  celui  que  les  hommes  don- 
nent, mais  celui  que  l'être  porte  aux  yeux  de  Dieu,  par  le- 
quel est  caractérisée  sa  véritable  essence,  son  nom  dans  le 
sens  absolu.  Ce  second  sens  nous  paraît  préférable,  surtout 
dans  une  locution  comme  celle  que  nous  rencontrons  ici, 
où  le  nom  est  posé  comme  objet  de  la  foi.  Si  le  nom  dé- 
signait les  manifestations  extérieures,  il  faudrait  restreindre 
l'idée  de  foi  à  celle  d'abandon.  Mais  s'il  exprime  l'essence 
cachée,  la  notion  de  foi  peut  s'y  apphquer  avec  plus  de  plé- 
nitude, et  telle  que  nous  l'avons  exposée  plus  haut.  —  Le 
nom  réel  n'est  pas  exprimé  ici  :  l'apôtre  le  laisse  deviner. 
Il  est  évident  que  c'est  celui  de  Logos,  comme  il  le  dira 
dans  un  instant. 

V.  13.  "Qui  sont  nés',  non  du  sang,  ni  de  la  volonté  de 

1.  Irénce  cite  trois  fois  ce  passagre  sous  la  forme  :  Qui  natus  est,  etc. , 
eu  l'appliquant  à  Christ,  et  Tertulliea  croit  si  fermement  à  l'autheuticilé 
de  cette  leçon ,  qu'il  attribue  la  leçon  contraire,  celle  de  notre  texte,  à 
une  falsificatioa  d'orig-ine  valeiitiiiieuMe  ;  cependant  la  leçon  reçue  se 
trouve  dans  tous  nos  documents  critiques  sans  exception. 


181)  l.K  l'IlUl.OGlL. 

la  chair,  ni  de  la  volonté  de  l'homme,  mais  de  Dieu.» 
Ces  paroles  sont  desliinics  ;'i  <'xpli(]iR'r  l'expression  «  enfants 
de  Dicui  (V.  14),  exacleiiieiit  comme  rappeiuliee  précé- 
deul  (k'vail  servir  à  cuiimienler  les  mois  :  c  Qui  l'ont  re- 
çue.i  Le  passé  qui  sont  nés  ou,  plus  lilléjaleuieiil,  qui  ont 
été  enycndrés,  pourrait  faire  croire  que  la  régénéraliou  est 
un  fait  antérieur  même  à  la  foi,  ce  (]ui  eunduirail  à  une 
idée  incompatible  avec  le  point  de  vue  bibiiijue  et  avec  celui 
de  Jean  lui-même  au  v.  12.  Meyer  résout  cette  dilliculté  en 
rapportant  le  relatif  et,  non  point  à  TciffTeuouatv,  mais  à  xéxva 
Oecû,  par  une  construction  ad  sensum.  Celte  solution  n'est 
qu'mi  expédient.  Pour  se  rendre  compte  de  ce  passé,  il 
suffît  de  paraphraser:  «Oui,  en  vertu  de  cette  position  nou- 
velle à  laquelle  les  a  ("levés  leur  foi...,  ont  été  engendrés  de 
Dii'U.»  Ce  fait  de  l'engendremenl  iliviji  e^t  bien  réellement 
passé  relativement  à  la  qualité  d'enfant  de  Dieu.  Car  on  ne 
devient  enfant  de  Dieu  (dans  le  sens  du  v.  12)  qui;  \)uv  la 
régénération  (v.  13). 

Mais  quelle  est  l'intention  de  rapùlre,  en  faisant,  dans  la 
première  partie  du  verset,  comme  une  analyse  de  la  nais- 
sance naturelle?  Veut-il,  par  des  expressions  qui  contrastent 
avec  la  sublimité  de  l'antithèse  ex  0eoù,  de  Dieu,  stigmatiser 
la  fausse  conliance  que  mettaient  les  Juifs  en  leur  liliation 
ihéocratique ,  en  leur  titie  d'enfants  d'Abraham,  dans  le 
même  sens  dans  lequel  Jean-Baptiste  disait:  a  De  ces  pierres 
méuie,  Dieu  peut  susciter  des  enfants  à  Abraham d'^.  L'an- 
tithèse des  V.  11  et  12  pourrait  assez  naturellement  con- 
duire à  cette  explication.  D'auti'e  part,  l'accumulation  de 
trois  expressions  différentes  pour  exprimer  cette  idée  de 
la  naissance  théocratique,  serait  un  peu  oiseuse;  et  le  pro- 
logue a  un  vol  trop  élevé,  une  portée  trop  universelle,  pour 
comporter  une  semblable  polémique.  Le  vrai  sens  résulte 
de  tout  l'ensemble  du  morceau.  C'est  dans  ce  verset  que 


CllAP.  1,  13.  187 

coininencc  à  ressortir  le  coiilraste  entre  la  pieiiiièie  et  la 
seconde  création  :  celle  que  la  Parole  a  accomplie  du  sein 
de  son  existence  divine  (v.  3),  et  celle  (l(jiil  son  incarnation 
est  devenue  le  principe.  Gonforinénient  à  la  nature  diflé- 
rente  de  ces  deux  créations,  opérées  toutes  deux  par  le 
même  Lojj^os,  il  y  a  deux  humanités:  l'une  créée  nu  com- 
mencement et  qui  se  propage  pai'  la  voie  de  la  procréation 
naturelle;  l'autre  dont  les  membres  doivent  chacun  indivi- 
duellement leur  vie  à  une  communication  immédiate  de 
Lfieu.  C'est  donc  la  naissance  humaine  en  général,  sous  ses 
formes  diverses  et  comme  base  de  l'existence  de  la  première 
humanité,  que  Jean  veut  décrire  dans  les  trois  premières 
expressions.  Il  y  a  gradation.  Le  premier  terme  :  non  dv 
sany,  caractérise  la  relation  conmie  purement  physique. 
Le  plur.  alfxa-cov,  qui  a  été  expliqué  soit  de  la  duahté  des 
sexes,  soit  de  la  multiphcité  des  ancêtres,  doit  plutôt  être 
interprété  comme  le  plur.  ^aXa^',  dans  ces  mots  de  Platon 
(Leg.  X,  p.  887  D)  :  Ixi  sv  yàXaçt.  xpeçofxevot.,  le  pluriel 
rappelant  la  multiplicité  des  éléments  matériels  (voy.  Meyer 
Les  deux  expressions  suivantes  ne  sont  point  subordonnées 
à  la  première,  comme  l'a  pensé  saint  Augustin ,  qui  rapporte 
celle-ci  aux  deux  sexes,  et  les  deux  suivantes,  l'une  à  la 
lemme,  l'autre  à  l'homme.  11  faudrait  dans  ce  cas  la  négation 
disjonctive  ni....  ni  (ouxs....  outre).  Oùôs  est  simplement  adjonc- 
tif  :  et  non  plus.  Ces  deux  derniers  termes  désignent  donc 
encore  la  naissance  naturelle,  mais  en  y  faisant  intervenii- 
chacun  un  élément  nouveau,  l'un,  celui  de  la  volonté  do- 
minée par  l'imagination  sensuelle,  l'autre,  celui  d'une  volonté 
plus  indépendante  de  la  nature,  d'une  résolution  virile  et 
conçue  dans  un  but  plus  relevé.  A  quelque  hauteur  que  puisse 
s'élever  cette  form(3  actuelle  de  la  transmission  de  la  vie, 
elle  ne  peut  jamais  franchir  le  cercle  dans  lequel  reste 
toujours  enfermée  la  première  création:  la  vie  naturelle, 


188  LE  pnoi,or,uE. 

pliysiijiio  cf  [isycliiqiio.  Ce  qui'esl  nr  de  In  clmir,  sons  quol- 
(]ii('  fdrmc  (jnc  ('<■  soil,  eM  et  ivsto  chair.  La  vie  siijK'riciirc 
;"i  I.Kjiii'lli'  ('luit  (Icsliiii'  riKniiiiic  tirs  le  coimiiencemeiit ,  csl 
sunialurclle  et  provieiil  (rmic  coniinmiiralion  étrangère  à 
l'ordre  |»i'imilif.  C'est  \c  don  immédiat  de  Dieu,  e(  d<'  Dieu 
(-(iiniiiiiiii(|ii:iiil  sa  |iroj)n^  nature,  c'est  un  cngendrement 
divin.  Les  mois  ix  Becû,  de  Dieu ,  renferment  à  eux  seuls 
l'antithèse  des  liois  expressions  précédentes.  Il  n'y  a  ici  ni 
é](''m(Mils  iual('riels,  ni  attrait  nalmcl,  ni  jilan  linmain  :  il  y  a 
le  conseil  éternel  de  Dieu,  se  réalisant,  par  la  communica- 
tion de  l'Esprit,  dans  tout  cœur  qui  croit. 

Mais  en  verlii  de  (|iioi  la  loi  a-l-elle  la  puissance  de 
rendic  l'iionuiie  apte  h  devenir  l'enfant  de  Dieu,  dans  ce  sens 
réel  et  sultstantiel?  Ce  n'est  pas  dans  la  foi  elle-même  que 
réside  cette  pm'ssance,  car  elle  est  purement  réceptive 
(Xafx^aveiv) ;  c'est  donc  dans  son  objet.  L'apôtre  l'avait  déjà 
fait  entendre  dans  les  mots:  «^Qui  croient  en  son  nom,»  et 
il  le  dit  mninfciinnt  expressément. 

V.  1  i.  «  Et  la  Parole  est  devenue  chair,  et  elle  a  habité 
au  milieu  de  nous  —  et  nous  avons  vu  sa  gloire,  une 
gloire  comme  celle  du  Fils  unique  venu  d'auprès  du 
Père  —  toute  pleine'  de  grâce  et  de  vérité.  »  —  La  venue 
de  Christ  en  chair  avait  (l(''jà  été  mentioiuiée  au  v.  11 ,  mais 
au  point  de  vue  de  ses  rapports  avec  Israël  et  comme  objet 
d(!  l'incrédulité  de  ce  peuple.  Saint  Jean  proclame  ici  le 
même  fait,  mais  au  point  de  vue  de  sa  relation  avec  toute 
l'humanité  et  comme  l'objet  de  la  foi.  De  là  la  différence 
entre  les  deux  verbes  :  elle  est  vemie  (v.  11),  qui  fait  allusion 
aux  prophéties  qui  l'annonçaient  et  à  l'attente  messianique,  et 
elle  est  devenue  (v.  14),  qui  se  rapporte  à  l'entrée  complète 


1.  D  et  qucl(jii(js  i'crcs  lisent:  uXT^pr^  (accordé  avec  5o|av),  et  Augustin 
pleni  (d'après  une  variante  TiÀr;pou;??;,  à  rapporter  à  nniyeidti. 


CIIAP.  1,  13.    14.  189 

Je  la  l'iiiolc  dans  la  viu  huiiiaine  par  le  fait  de  la  naissance. 
Du  point  de  vue  auquel  nous  avons  été  conduits  par  l'étude 
du  jiroloyue,  nous  ne  trouvons  donc  aucune  tautologie  dans 
cette  réj»étition  du  fait  de  la  venue  de  Christ.  Il  nous  semble 
voir,  au  contraire,  se  dérouler  devant  nous  l'histoire  nor- 
male du  développement  de  la  foi  dans  le  cœur  d'un  Juif  tel 
([uc  .lean  et  dans  celui  de  ses  collègues,  les  autres  apôtres. 
Ils  assistent  à  l'apparition  publique  et  au  ministère  messia- 
nique de  Jésus  (v.  11);  au  lieu  de  s'associer  au  rejet  dont 
le  peuple  se  rend  coupable,  ils  reçoivent  Jésus  et  trouvent 
dans  cette  foi  les  privilèges  de  l'adoption,  puis  de  la  régé- 
nération, auxquels  ils  voient  bientôt  associés  des  hommes 
de  toute  langue  et  de  tout  peuple  (v.  12.  13);  et  c'est  alors 
que,  se  rephant  sur  eux-mêmes  et  contemplant  l'objet  de 
leur  foi,  ils  en  discernent,  à  la  clarté  de  ses  effets,  la  gran- 
deur sublime  :  «  Nous  avons  été  élevés  à  l'adoption  et  à  la 
nature  divine,  et  cela  parce  que  le  Fils  a  consenti  à  s'unir  à 
notre  nature  humaine.  »  C'est  ainsi  que  l'idée  du  Messie  na- 
tional s'est  transformée  pour  les  croyants,  à  mesure  qu'ils 
ont  mieux  connu  l'objet  de  leur  foi,  en  celle  du  Sauveur  de 
l'humanité.  —  La  copule  xai  a  ici  une  certaine  emphase.  On 
pourrait  presque  traduire  :  «  C'est  que  la  Parole  est  devenue 
chair,»  ou  bien:  a.  Oui!  la  Parole....»  Les  mots  des  versets 
précédents  auxquels  se  rattache  plus  directement  cette  pre- 
mière partie  du  v.  14,  sont  ceux-ci  :  «  A  tous  ceux  qui  croient 
en  son  nom.  »  Nous  avons  vu  que  le  nom  désignait  l'essence 
réelle  de  l'être,  en  opposition  à  son  enveloppe  grossière 
et  inadéquate,  et  que  la  foi  était  le  discernement  de  cette 
essence.  C'est  ce  nom  que  Jean  proclame  maintenant;  c'est 
le  contenu  de  la  foi  qu'il  formule  dans  toute  sa  grandeur. 
Meyer  observe  avec  justesse  que  l'apôtre  eût  pu  dire 
simplement  :  «Et  elle  a  été  faite  chair,  »  mais  qu'il  ré- 
pète, avec  une  sorte  d'emphase,  le  sujet  o  Xo'ycc.  Ce  nom, 


190  I.K  PROLOGUE. 

«'xpriniani  ressoncc  cachôo  de  Vvlvo  reçu,  (N'inoiilro  la  j^ian- 
(Iciir  (!<'  rohjcl  (le  la  foi,  et  ou  cxjilique  à  lui  srul  les  effets. 
Ce  iiojii  fait  encore  ressortir  la  relation  et  les  analogies  pro- 
foiides  entre  la  première  et  la  seconde  création.  Celle-là 
avait  eu  lieu  par  rinterniédiairc  de  la  Parole  en  tant  que 
créatrice;  celle-ci  a  lieu  par  la  même  Parole,  mais  devenue 
elle-même  membre  de  cette  création  (ju'elle  veut  renouveler 
et  exalter  jusques  à  la  gloire  divine.  Nous  retrouvons  ici  le 
par  rlJe  du  v.  3,  sous  une  nouvelle  forme.  C'est  le  môme 
rapport  que  saint  Paul  exprime  dans  ces  mots,  i  Cor.  VIII, 
()  :  «^Jl  y  a  un  sevl  Seigneur,  Jésus-Christ,  par  lequel  sont 
toutes  choses  (création  première),  cl  nous  sommes  par  lui 
("ciéalion  sj)iritnelle),i)  et  qu'il  développe  Col.  I,  15-20.  — 
Si  le  mol  la  Parole  exprime  l'être  divin  apparu  en  Christ, 
le  mot  chair  désigne  cette  enveloppe  que  l'œil  de  la  foi  a 
dû  percer  pour  le  reconnaître,  la  nature  humaine  dont  il 
s'est  revêtu.  La  chair  n'est  pas  le  corps,  terme  qui  désigne- 
rait uniquement  l'être  matériel,  à  l'exclusion  de  l'àmc.  Le 
mol  chair  désigne  proprement  les  parties  molles  du  corps, 
que  recouvre  immédiatement  la  peau  et  qin',  par  les  nerfs 
et  les  vaisseaux  sanguins  dont  elles  sont  pénétrées,  sont  le 
siège  de  la  sensibilité  physique.  C'est  ainsi  que,  par  méto- 
nymie, ce  mot  en  est  venu  à  désigner  l'être  humain  tout 
entier  dans  son  état  naturel,  parce  que  la  loi  qui  le  domine 
est  celle  de  la  sensibilité  à  l'égard  du  plaisir  et  de  la  douleur. 
Il  ne  s'agissait  pro[)rement  dans  cet  emploi  du  mot  chair 
que  de  rimpre.ssionnahilitf'  pour  la  souffrance  ou  la  jouissance 
physifpics.  Mais  il  était  naturel  de  passer  de  la  sensihihtc 
physique  à  la  sensibilité  morale.  <ills  ne  sont  que  chair, ii 
est-il  dit  de  l'homme  Gen.  VI,  3.  Cette  dénomination  exprime 
la  prépondérance  absolue  qu'exercent  sur  la  volonté  de 
l'homme,  dans  l'état  de  nature,  l'attrait  de  la  jouissance  et 
la  erainte  de  la  douleur,  sous  quelque  forme  que  ce  soit. 


rnAi».  I,  ii.  191 

Ce  désir  et  ccfte  crainte  ne  sont  pas,  en  eiix-inènies,  un  mal, 
encore  moins  un  péché;  ce  sont  originairement  de  précieux 
moyens  de  conservation,  sans  lesquels  l'homme  succombe- 
rnif  bientôt  à  toute  espèce  de  dommages  et  d'altérations 
dont  il  n'aurait  point  conscience.  Plus  que  cela,  cette  sensi- 
bilité naturelle,  physique  ou  morale,  est  l'occasion  unique 
de  pratiquer  l'obéissance,  chaque  fois  qu'il  arrive  que 
l'homme  est  appelé,  par  la  conscience  ou  par  la  révélation 
d'un  but  supérieur  de  la  vie,  à  sacrifier  ces  mobiles  naturels 
et  légitimes  du  plaisir  ou  de  la  douleur.  Sans  ces  penchants 
de  la  nature,  l'homme  n'aurait  rien  à  offrir  à  Dieu;  ce  n'est 
donc  que  par  là  qu'il  peut  devenir  un  holocauste  vivant  et 
saint  (Fîom.  XII,  1)  et  atteindre  la  perfection  de  son  être. 
Mais  il  faut  reconnaître  aussi  que,  dans  l'existence  de  ces 
deux  penchants  naturels,  se  trouve  la  possibilité  de  la  ten- 
tation. La  tentation  a  lieu  en  effet  chaque  fois  que  l'homme 
se  voit  appelé  à  immoler  à  une  loi  supérieure  le  désir  de  jouir 
ou  la  terreur  de  souffrir.  Tel  est  l'état  dans  lequel  a  consenti 
à  descendre  l'éternelle  Parole.  Cette  expression  renferme  donc 
d'abord  l'idée  que  la  Parole  a  pris  un  corps,  et  que  cet  être  in- 
fini et  éternel  s'est  enfermé  dans  les  limites  du  temps  et  de 
l'espace.  Mais  l'idée  de  chair  n'est  point  épuisée  par  cette  no- 
tion de  la  vie  physique.  Elle  désigne  une  personnahté  humaine 
complète,  corps  et  âme,  en  tant  que  naturellement  assu- 
jettie, comme  la  nôtre,  à  toutes  les  formes  de  la  sensibilité 
physique  ou  morale,  individuelle  ou  sympathique.  On  ne 
peut  imaginer  un  plus  grand  contraste  que  celui  que  font 
ressortir  ces  deux  mots  :  Xoyoc  et  aa'p^.  Comme  le  mot 
ffôfxa  eût  tout  à  fait  mal  rendu  la  pensée  de  l'apôtre,  elle 
n'eût  été  aussi  que  bien  imparfaitement  exprimée  par  le  mot 
àvOpoTccç,  un  homme.  Car  ce  qu'il  voulait  caractériser,  c'était 
l'union  de  la  Parole  avec  la  nature  humaine  comme  telle, 
et  non  son  apparition  comme  une  personne  humaine  parti- 


\\H  I,K   IMUM.UCUK. 

culièif.  11  \uul;iii  (li'si^iirr  iri  cv  ijiio  Ji'.sus  ;i  de  commun 
avec  nous  lon.s  ri  non  son  imlividualilé  disliiicle  de  celle  de 
Ions  les  autres  hommes.  Le  mol  chair  élail  donc  bien  celui 
qui  convonnit.  Ce  terme  n'a  point  pour  l)ul,  j)ar  conséquent, 
de  caiactériser  la  bassesse,  la  faiblesse  de  l'apparition  hn- 
maine  de  Jésus,  connue  l'admettent  Olsliausen,  Tlioluck,  ni 
sinqilemenl  sa  visibilité  ou  sa  corpoiéité  (de  Wette,  Reuss, 
Baui).  L'idée  fondanienlale  est  ici  celle  de  l'identité  parfaite 
de  l'existence  humaine  de  Jésus  avec  celle  de  nous  tous. 
Saint  Paul  s'exprime  exactement  dans  le  même  sens  Kom.  VIII , 
3  :  ft  Ce  qui  était  impossible  à  la  loi,  en  ce  qu'elle  était  fai- 
ble par  l'clfct  de  la  chair,  Dieu  l'a  fait,  ayant  envoyé  son 
Fils  dans  une  ressemblance  de  chair  de  péché.y>  (Le  terme 
en  ajjjjarenee  ath'niianl  ressemblance  est  exigé  dans  ce  pas- 
sage par  l'idée  de  péché,  que  saint  Paul  ne  veut  pas  appli- 
quer à  la  chair  de  Jésus.)  —  Counnent  est-il  possible  qu'en 
face  d'une  déclaration  semblable,  l'école  de  Tubingu»;  puisse 
imputer  à  Jean  un  point  de  vue  plus  ou  moins  docète?  On 
pourrait  bien  plutôt  supposer  que  cette  parole  du  prologue 
est  dirigée  positivement  contre  les  Docètes. 

Le  sujet  de  la  ]jroj)Osition  est  l'être  divin,  le  Logos;  l'at- 
tribut, la  nature  humaine  dans  son  essence  identique  chez 
tous  les  individus  de  l'espèce.  Quelle  est  la  notion  précise 
renfermée  dans  le  t(.'rme  est  devenue,  èyév&xol  Le  sens  na- 
turel du  mot  devenir,  (juand  il  a  pour  attribut  un  substan- 
tif, est  certainement  celui  d'uiie  transformation,  sinon  dans 
l'essence,  au  moins  dans  le  mode  d'existence.  Comp.  II,  9  : 
«l'eau  devenue  vin  (xô  î>6wp  olvcv  yêtsvtjixsvcv).  »  Mais  on  re- 
pousse, non  pas  seulement  du  point  de  vue  de  l'orthodoxie, 
mais  aussi  du  côté  opposé  (Baur  et,  jusqu'à  un  certain 
point,  M.  lleuss),  ce  sens,  seul  naturel,  du  mot  devenir. 
Baur  afûrme  qu'au  point  de  vue  de  l'évangéliste,  la  Paiole 
demeure  dans  la  plénitude  de  ses  attributs  divins  et  devient, 


CHAI'.  I,  11.  193 

telle  quelle  et  sans  que  son  clat  ait  i(''L'llenieiit  clian^i,^'',  le 
sujet  (le  l'histoire  évarig(.'li(jue;  M.  Reuss  pense  également  que 
«l'incarnation  n'est  que  quelque  chose  d'accessoire»  (Hist. 
(le  In  tltrnl.  chrél.  t.  Il,  p.  305);  que  «le  Verbe  ne  s'est  point 
dépouillf'  (le  quoi  que  ce  soit,  relativement  à  sa  flivinit(:'....; 
([ue  rincanintion  du  Verbe  et  tout  ce  qui  se  rattache  à  son 
passage  sur  la  terre  n'est  point  un  abaissement»  (ibid.).  Ce 
savant  reconnaît  sans  doute  que  le  mot  s^evexo  renfermerait 
naturellement  l'idr^e  d'un  changement  dans  le  modus  essendi 
(le  la  Parole  (ibid.  p.  361);  mais  il  paraît  n'envisager  ce 
mot  que  comme  une  expression  isolée  et  sans  consé(jiience , 
et  comme  une  incorrection  au  point  de  vue  de  Jean  lui- 
même;  pris  rigoureusement,  ce  terme  serait,  selon  lui,  en 
contradiction  avec  l'ensemble  du  système  de  l'apôtre.  D'a- 
près cela,  le  V.  14  n'enseignerait  pas  une  incarnation  pro- 
prement fUte  ;  il  signifierait  seulement  que  la  Parole  est 
devenue  visible  aux  regards  humains.  L'orthodoxie  protes- 
tante, soit  luthérienne,  soit  réformée,  se  refuse  également 
à  prendre  le  terme  èyévôzo  dans  toute  son  énergie;  là,  on 
en  élude  le  sens  au  moyen  de  la  théorie  de  la  communicatio 
idiomatum,  en  vertu  de  laquelle  le  sujet  divin,  la  Parole, 
alternant  en  quelque  sorte  entre  les  deux  modes  d'existence 
ilivin  et  humain,  prête  à  volonté  à  chacune  de  ses  deux  na- 
tures les  attributs  de  l'autre;  ici,  au  contraire,  on  maintient 
strictement  la  distinction  des  deux  modes  d'être;  et,  en  les 
juxtaposant  simplement  dans  un  même  sujet,  l'on  croit  avoir 
satisfait  au  sens  du  mot  est  devenue.  Il  nous  paraît,  quant 
à  nous,  que  toutes  ces  explications  violentent  le  sens  naturel 
de  la  proposition  de  Jean,  au  lieu  de  le  développer.  Le  terme 
devenir  chair  renferme  certainement  plus  que  le  fait  de 
devenir  visible  ;  il  indique  l'entrée  dans  un  mode  d'être  et 
de  développement  complètement  humain.  Cette  expression 
exclut  non  moins  positivement,  selon  mon  sentiment,  la 
I.  13 


194  I.K  PROLOGUE. 

coexibleiict'  tic  deux  naluros  opposées,  alteniaiiles  ou  siiuul- 
tanées,  dans  le  inènie  sujet.  Le  sens  naturel  de  cette  pro- 
[)Osition  :  <iLa  Parole  est  devenue  chair,  y>  est  que  le  sujet 
divin  est  entré  dans  le  mode  d'être  humain,  après  avoir 
renoncé  à  son  moile  d'être  divin.  Le  sujet  personnel  est 
resté  le  même;  mais  il  a  (piill/'  l'^'lal  divin  pour  prendre  l'é- 
tat humain.  Et,  s'il  iccouvn'  plus  lard  son  premier  état,  ce 
ne  peut  êti'e  en  ahandomiant  le  second  —  il  y  est  trop  sérieu- 
sement entré  —  mais  en  l'exalfanl  à  la  hauteur  du  premier. 
Le  contenu  de  la  ])roposilion  de  Jean  n'est  donc  pas  :  deux 
natures  opposées  commen(;ant  à  coexister  dans  le  menu.' 
sujet,  mais  :  un  sujet  quittant  un  mode  d'être  pour  en  prendre 
un  autre,  qu'il  réussit  à  translornjer  et  (ju'il  rend  enfin  ca- 
pable de  s'approprier  tous  les  attributs  du  j^remier.  L'ensei- 
j^nement  de  Jean  ainsi  compris  est  en  harmonie  paifaite  avec 
celui  de  Paul.  Cet  apôtre  dit  (Pbil.  II,  G-8)  :  a  Lui  qui  était 
en  forme  de  Dieu,  il  ne  s'est  pas  attaché,  comme  à  une  proie, 
à  son  droit  d'être  égal  à  Dieu;  mais  il  s'est  anéanti  lui- 
même,  ayant  pris  une  forme  de  serviteur  et  étant  devenu 
semblable  aux  hommes.'»  Ce  passage  exprime,  sous  une 
forme  originale  et  indépendante,  la  même  conception  de 
rinrarnation  par  la  voie  du  d(''pouill(.'ment,  que  le  texte  de 
Jean.  Nuus  veiions  que  toute  liist(jire  évangéliquc,  et  en 
particulier  le  tableau  que  trace  le  quatrième  évangile  de  la 
personne  de  Jésus,  confirme  pleinement,  quoi  qu'en  dise 
M.  Picuss,  la  thèse  du  probjgue  ainsi  comprise. 

Si  l'on  demande  conunent  un  fait  aussi  prodigieux  que 
celui  du  passage  d'un  sujet  divin  dans  un  état  réellement 
humain,  a  été  possible,  nous  répondons  que  la  Parole,  ayaiil 
inqirimé  son  propre  type  à  l'humanité  en  la  créant  (v.  3  et  4; 
Gen.  I,  26),  il  y  avait,  dans  cette  homogénéité  primor- 
diale, la  condition  de  l'union  réelle  et  organique,  enseignée 
par  les  écrivains  .sacrés  et  supposée  par  toute  l'histoire  évaii- 


ciiAP.  I,  u.  195 

g-élique,  enlrc  elle  et  l'iioiiinie.  V(jir  les  considérations  géné- 
rales, à  la  lin  du  j)iologue  (§  II). 

La  première  proposition  exprime  l'entrée  de  la  Parole 
dans  sa  vie  Immaine;  la  suivante  dépeint  (Fini  seul  Irait  cette 
vie  elle-même  dans  tout  son  développement.  —  Le  mot  eaxT]- 
voaev  n'est  pas  exactement  rendu  par  a  habité;  le  sens 
propre  de  ce  mot  serait  :  a  dressé  sa  tente.  Plusieurs  inter- 
j)i-ètes  (Meyer,  Reuss,  etc.)  voient  ici  une  allusion  à  un  terme 
technique  dans  la  philosophie  religieuse  des  Juifs,  au  mol 
n2''3'(L?  (de  ]DÎJ?  habiter),  (jui  désigjiait  ttiules  les  formes 

visihles  par  les(pi(dles  Jéhovah  manifestait  sa  présence  dans 
le  monde  lini;  et  l'idée  qu'il  faudrait  rattacher  à  ax7]vcùv, 
pris  dans  ce  sens,  c'est  que  «  la  vie  terrestre  du  Verbe  a  été 
une  révélation  incessante  de  la  divinité  »  {lleuss,  ibid.  p.  362). 
Cette  idée  est  belle  et  riche.  Mais  le  terme  ffx-rivcîiv ,  loger 
sous  une  tente,  surtout  avec  le  régime  sv  "îj.aw,  au  milieu  de 
nous,  ne  renferme-t-il  pas  plutôt  une  allusion  à  ce  Taher- 
nacle  dans  lequel  Jéhovah  habitait  au  désert,  comme  dans 
sa  tente,  au  milieu  de  son  peuple  pèlerin,  et  tel  qu'un  Dieu 
pèlerin  lui-même?  Ce  rapprochement  entre  le  mode  d'habi- 
tation de  Jéhovah  et  celui  de  son  peuple  convient  bien  à  l'idée 
de  la  communauté  de  nature  existant  en  vertu  de  l'incar- 
nation, entre  la  Parole  et  les  autres  hommes.  Cette  chair  dans 
laquelle  il  a  vécu  a  été  la  tente,  toute  semblable  à  la  nôtre, 
sous  laquelle  il  a  campé  au  miheu  de  nous.  Le  mot  ffxvivoûv 
désigne,  dans  ce  sens,  toutes  les  relations  humaines  qu'il 
a  contractées  avec  ses  semblables,  relations  variées  et  fa- 
milières, comme  celles  qu'un  pèlerin  soutient  avec  les  autres 
membres  de  la  caravane.  Cette  expression  a  le  même  sens 
(jue  si  Jean  eût  dit  :  «  Nous  avons  mangé  et  bu  à  la  même 
table,  couché  sous  le  même  toit,  marché  et  voyagé  en- 
semble; nous  l'avons  vu  fils,  frère,  ami,  hôte,  citoyen.»  Le 
Logos  est  ainsi  resté  fidèle  jusqu'au  bout  à  la  voie  dans  la- 


VM\  I.K  PROLOGUE. 

quelle  il  étxiil  entré  en  tleveiianl  chair.  A  ce  terme  éffXTjvo- 
aev  se  ratlaclie  encore  l'idée  d'un  séjour  passager,  tel  que 
relui  (jiie  l'on  fait  sous  une  tente  :  venu  dans  le  monde,  il 
ne  faisait  (ju'y  passer.  Kniin  nous  tiouvons  dans  ce  mot, 
comme  M.  Reuss,  mais  sur  une  voie  différente,  la  notion 
de  la  majesté  divine.  Comme  Jéhovali  faisait  éclater,  depuis 
le  Tabernacle,  sa  souveraineté  {,^lorieusc  en  présence  de  son 
peuple,  ainsi  la  Parole  a  fait  rayonner,  du  sein  de  sa  de- 
meure terrestre,  un  éclat  divin  aux  yeux  de  ses  compagnons 
de  route.  Cette  dernière  idée  renferme  la  transition  à  la 
proposition  suivante.  —  Le  régime  êv  r\\i.h,  au  milieu  de 
noiis,  pourrait  se  rapporter  aux  hommes  en  général;  néan- 
moins ce  pronom  paraît  avoir  un  sens  plus  restreint.  Son 
rappoit  à  ffXTQvoûv,  qui  rappelle  les  relations  familières  de 
la  vie,  ainsi  que  le  verbe  suivant:  nous  avons  contemplé, 
qui  a  évidemment  pour  sujet  les  apôtres,  nous  portent  à 
rapporter  T|[iîv  particulièrement  à  ceux  (|ui  ont  été  les  té- 
moins immédiats  de  la  vie  terrestre  de  Jésus. 

A  mesure  que  ce  souvenir  se  ravive  dans  le  cœur  de 
l'évangéUste  et  prend,  par  ces  mots:  au  milieu  de  nous, 
un  caractère  plus  personnel,  il  se  transforme  en  une  suave 
contemplation  ;  et  c'est  sans  doute  le  charme  de  ce  spec- 
tacle déroulé  à  ses  yeux ,  qui  entraîne  l'écrivain  hors  de  la  , 
construction  commencée.  La  phrase  se  brise;  de  sujet  la 
Pai'ole  devient  objet,  tandis  que  la  personne  de  l'auteur  et 
celles  de  ses  compagnons  prennent  le  rôle  de  sujet  :  «  El 
nous  avons  contemplé  sa  gloire.  t>  Il  suffirait  de  cette  cir- 
constance pour  révéler  le  témoin  oculaiie.  Nous  observons 
un  changement  analogue,  mais  en  sens  inverse,  dans  les 
premiers  versets  de  la  première  épître  de  Jean  :  «  Ce  que 
nous  avons  entendu,  ce  que  nous  avons  contemplé  de  la 
Parole  de  vie  —  car  la  vie  a  été  manifestée  —  ce  que  nous 
avons  entendu,  ce  que  nous  avons  contemplé,  c'est  ce  que 


ciiAP.  I.  it.  197 
nous  voiif!  (i)uu)nri)ns.r)  Dans  r(''|»î(i'r,  où  .Iran  jiarlo  en  son 
propre  nom,  il  part  de  l'inipressiuii  personnelle,  s'inter- 
rompt ponr  aflîrmer  la  ivalité  de  l'objet,  puis  revient  à 
l'impicssion.  Dans  j'rvangile,  au  contraire,  où  il  ('crit  en  his- 
torien, il  pari  ilii  fait  :  «La  Parole  est  devenue  chair,))  s'in- 
terr(»rnj)t  jiour  di'jx'indic  rinelTable  jouissance  de  ceux  qui 
l'ont  eonlemj)l(''e,  et,  connue  nous  le  verrons,  revient  an  fait, 
dans  les  derniers  mots  du  verset.  \a\  mot  îà^eâaOat,  contem- 
pler, est  plus  riche,  plus  plein,  que  opâv  {voir,  discerner). 
L'un  a  en  vue  la  jiHiissance,  l'autre  la  connaissance.  Baur 
s'est  j)ermis  d'entendre  ihz(xaoL\xt(ia.  uniquement  dans  le 
sens  d'une  contemplation  intérieure.  C'est  contre  tout  le 
contexte.  Sans  doute  l'œil  du  corps  ne  suffit  pas  pour  con- 
tenii)ler  un  spectacle  de  ce  genre;  pour  une  telle  apercep- 
tion  l'organe  corporel  doit  n'être  que  l'instrument  du  sens 
interne.  Mais  il  est  manifeste  que  restreindre  le  sens  de  ces 
mots  à  la  vue  spirituelle,  c'est  aller  directement  contre  l'in- 
tention de  l'écrivain.  —  L'objet  de  la  contemplation  a  été  la 
gloire  de  la  Parole.  La  gloire  de  Dieu,  c'est  le  rayonnement 
de  ses  perfections  aux  regards  des  créatures.  Saint  Jean  d(î- 
peint  la  gloire  dont  il  veut  parler,  en  disant  que  c'était  une 
gloire  telle  que  celle  du  Fils  unique.  La  conjonction  o-  ex- 
jinme  ici  une  comparaison,  non  entre  deux  choses  sem- 
blables, mais  entre  le  fait  et  l'idée  :  «Une  gloire  comme  on 
ne  pouvait  l'attendre  que  de »  ou  «telle  qu'elle  ne  pou- 
vait appartenii'  qu'à »  —  Le  terme  {xovoyevïj- ,  Fils  unique, 

renferme  nécessairement  l'idée  de  filiation  et  non  pas  seu- 
lement celle  d'excellence  ou  de  préférence.  Cela  ressort  du 
ra|)p(jrt  de  ysvkJ;  à  7rax-7]ç.  M.  Ueuss  {il)id.\).  310)  reconnaît 
ijne  ce  terme  renferme  une  idée  métaphysique  et  non  j)as 
seulement  morale.  La  première  partie  du  mot  (fxovo,  unique) 
oppose  ce  Fils  aux  cnfanls  doni  il  avait  été  paili^  au  v.  12. 
Ceux-ci  deviennent  lils  jiar  voie  d'adoption  et  en  vci'tu  de 


108  I  K  l'uoLor.ut:. 

la  solidarité  (jur  li-  Kils  imi(|ii('  rlalilil  mire  lui  cl  eux  par 
rincariialioii.  (Juaiit  à  lui,  il  fst  V'ih,  dans  le  sens  dans  Ic- 
(jnrl  in'  l'est  aucun  autre  cire.  Ce  teiine  <le  Fils,  aj)j)lir|ut'  à 
un  tel  raj)|)oit,  est  une  iniaj,^.*  empruntée  à  la  terre.  .Mais 
n'est-il  pas  plus  vrai  encore  de  dire  que  la  relation  dii  la 
paternité  terrestre  est  une  image  visible  et  comme  une  im- 
[larfaife  copie  de  la  paternité  divine?  D'après  Kpli.  III,  15, 
toute  relation  de  lils  à  père,  dans  les  cieux  et  sur  la  terre, 
tire  son  nom  du  caractère  de  père  que  Dieu  possède  en  lui- 
même;  si  ce  caractère  appartient  à  son  essence,  il  doit  donc 
être  antérieur  à  la  création ,  et  se  réaliser  dans  une  relation 
intra-divine.  Comp.  Jean  XVII,  24-:  nTu  m'as  aimé  avant  la 
création  du  monde.  » — Le  régime  Tcapà  TiaTpoV  est  rapj)orté 
[)ar  plusieurs  interprètes  et  par  nos  modernes  traducteurs 
(Ililliet:  Fils  unique  qui  est  né  du  Père;  Arnaud,  N.  :  Fils 
unique  du  Père,  comme  .Martin)  à  la  génération  du  Fils. 
Encore  ici,  ils  n'ont  certainement  pas  amélioi'é  Osterwald, 
(jui  traduit  très-exactement  :  Du  Fils  unique  venu  du  Père. 
Il  eût  été  encore  plus  correct  de  dire  :  Venu  ou  même 
venant  d'auprès  du  Père.  La  prépos.  zaça  ne  sauiait  avoir 
un  autre  sens.  Si  Jean  eût  voulu  désigner  l'engendrement 
du  Fils  et  non  sa  venue,  il  eût  employé  la  prépos.  ^x  ou  le 
gén.  îraTfo;  sans  préposition.  Ce  sens  grammatical  est  aussi 
le  seul  qui  convienne  parfaitement  au  contexte.  Il  s'agit  d'ex- 
pliquer ce  qu'a  été  la  gloire  de  la  Parole  sur  la  terre,  a  C'était 
une  gloire  unique,  flit  Jean,  telle  qu'on  ne  pouvait  l'attendre 
que  du  Fils,  du  P'ils  descendu  d'auprès  du  Père,  et  répan- 
dant autour  de  lui  un  reflet  de  la  splendeur  à  laquelle  il 
participait  dans  le  sein  paternel.  Vax  rapjHocliant,  on  aper- 
cevait bien  d'auprès  de  quel  père  cet  lionnne  venait  comme 
fils.f 

Mais  comment  cette  pensée  peut-elle  s'accorder  avec  ce 
que   nous   venons   de   dire   du    dépouillement   du  Logos? 


ClIAf.   I,   \A.  100 

LV'coh'  (lo  Tiiliiiij^nc  iki-I-cIIc  pns  r.'iison  (racnisor  l'ôvaii- 
^"•ôlisto  (le  se  coiiti'edirc,  lui  (|iii,  :iii  cli.  XVII,  litit  pioiion- 
cer  à  Jésus  une  prière  dans  la(juelle  il  redemande  la  «gloire 
de  Fils,  tandis  qu'il  ressort  de  notre  passajie  qu'il  la  possé- 
dait eneore  sur  la  terre?  Et  ne  trouvons-nous  pas  ici  une 
preuve  en  faveur  de  la  llièse  de  M.  Rcuss,  que,  d'après  Jean, 
l'incarnation  n'est  nullement  pour  le  Logos  un  dépouille- 
ment et  un  abaissement,  mais  un  moyen  nouveau  de  faire 
éclater  sa  gloire?  —  11  va  sans  dire  que  nous  ne  saurions 
admettre  l'opinion  de  ceux  qui  entendent  ici  par  la  gloire 
(le  Jésus ,  uniquement  ses  miracles  ou  même  le  fait  isolé  de 
la  Transfiguration!  Il  s'agit  de  quelque  chose  de  permanent 
dans  la  vie  du  Seigneur.  Mais,  de  ce  fjue  le  Seigneur  a  eu 
sur  la  terre  une  gloire,  et  même  une  gloire  telle  qu'on  ne 
pouvait  l'attendre  (jue  du  Fils  unique,  faut-il  conclure  que 
cette  gloire  était  celle  de  son  état  divin  avant  l'incarnation? 
Lors  même  (]ue  Jésus  avait  dépouillé,  comme  le  montre 
toute  son  histoire,  la  toute-science,  la  toute-puissance,  la 
foute-présence,  ne  possédait-il  pas  pendant  tout  le  cours  de 
son  ministère  public  (c'est  de  cette  époque  seulement  que 
parle  ici  saint  Jean)  un  caractère  unique  qui  le  distinguait 
de  tout  autre  homme  et  révélait  chez  lui  le  Fils?  Ce  carac- 
tère, c'était  sa  conscience  fihale,  la  certitude  intime  de  sa 
relation  unique  avec  le  Père,  l'éclat  que  répandaient  sur  tout 
son  être  la  certitude  d'un  tel  lien  et  la  puissance  irrésistible 
qu'il  y  puisait  à  chaque  instant?  Cette  gloire  de  Fils  ne  ren- 
fermait pas  pour  le  moment  la  possession  de  la  toute-puis- 
sance, car  il  priait;  mais  bien  Yxtsogc  de  la  toute-puissance, 
car  il  l'exerçait  à  chaque  occasion  comme  un  fils  qui  puise 
librement  dans  le  trésor  de  son  père.  Tl  en  était  de  même 
de  toutes  les  autres  perfections  divines.  Il  ne  les  possédait 
pas  personnellement,  car  il  ignorait,  il  luttait,  il  obéissait, 
il  croyait;  mais  il  les  exerçait  néanmoins  comme  s'il  les  eût 


200  I.K  PROLOGUE. 

posscdôcs,  jiitrcc  \\u'î\  cliiMiiii'  0(<';isioii  son  Prie  lui  eu  ac- 
cordait I'usag(î,  selon  (juc  rcxi^ciiil  la  làclic  i\u  nioniont. 
Celle  relation  toute  liliaie  avec  le  Père,  manifestée  tantôt 
dans  ses  j)aioies,  ténioi},Mia},'e  de  sa  conscience  inlime, 
tantôt  dans  ses  actes  de  jiuissance,  témoignage  du  Père  et 
conlre-épreuve  de  la  vérité  des  paroles,  telle  fut  sa  gloire 
ici-bas.  Mais,  si  gloi'ieuse  que  fût  cette  position  morale  de 
Ji'sus,  ce  n'était  pourtant  pas  l'état  divin  auquel  il  avait  re- 
noncé. La  conscience  de  Fils  n'est  pas  Yclal  de  Fils.  Connue 
le  croyant  est  déjà  ici-has  enfant  de  Dieu,  et  porte  en  lui  la 
conscience  inlinu;  de  cette  lelalion,  dont  la  sainte  beauté 
répand  sur  tout  son  être  un  éclat  (('leste,  sans  (pie  ixjiu'tant 
il  soit  déjà  investi  de  la  gloire  proprement  dite  et  de  sa  po- 
sition réelle  d'Iiéritier,  ainsi,  et  dans  un  sens  plus  élevé. 
Christ,  t(jul  (Il  p(jssé(Jant,  à  l'égard  du  Père,  le  sentiment 
d'aimer  et  d'être  aimé  en  Fils,  j)ouvait  n('anmoins  réclamer 
encore,  au  terme  de  sa  carrière,  Yétal  de  Fils,  dont  il  avait 
joui  de  toute  éteiiiité. 

Nous  avons,  dans  la  traduction,  rapporté  l'appendice 
<i pleine  de  grâce  et  de  vérités  à  la  Parole,  sujet  principal 
de  la  phrase;  non  rpie  la  proposition  intermédiaire  soit  une 
parenthèse  inli(>dui[e  avec  intention  et  réflexion;  cette  in- 
terruption est  bien  plutôt,  connue  nous  l'avons  vu,  le  pro- 
duit immédiat  de  la  vivacité  et  du  charme  du  souvenir.  Après 
av(jir  dunné  cours  aux  imj»ressions  réveillées  en  lui  par  ce 
souvenir,  l'évangéhste  reprend,  pour  l'achever,  le  tableau 
ébauché  au  commencement  du  verset.  Pour  ceux  qui  avaient 
VM,  comme  lui,  les  mots  :  cEllc  a  habile, y>  sulïisaient  pour  que 
le  spectacle  se  reproduisit  tout  entier  à  leurs  i(;gards.  Mais 
pour  ceux  qui  n'avaient  pas  vu,  il  fallait  quelque  chose  de 
plus;  et  cette  apposition  finale  :  «  Pleine  de  grâce  et  de  vérité, i» 
est  comme  un  derniei-  coup  de  pinceau,  jeté  par  l'apôtre 
pour  compléter  la   desciiption  commencée.  Il  n'est  donc 


CUAP.  1,   li.    15.  501 

poiiil  riécessain;  ni  convenable  de  rapporlcr,  j)ar  iiik;  iné- 
gnkirité  j^raninialicale,  TcXifjpT];  à  ôô^av  (explication  d'où  est 
provenue  sans  doute  la  leçon  TrXirjpTi)  ou  à  aÙToû,  coninie  le 
fait  M('V(îr(d'où  la  leron  d'Augustin,  pleni).  Ces  derniers  mots, 
plus  encore  que  tout  le  reste  du  vei'set,  ont  quelque  chose 
de  suave:  le  souvenir  est  devenu  chez  l'écrivain  une  con- 
templation présente.  Il  a  devant  les  yeux  cet  être  qui,  pen- 
dant tout  le  temps  de  son  campement  terrestre,  a  été  comme 
un  vase  débordant  de  grâce  et  de  vérité.  —  La  grâce,  c'est 
l'amour  divin  revêtant  le  caractère  de  la  condescendance, 
de  l'alTabilité  envers  des  amis,  de  la  compassion  envers  des 
malheureux,  du  pardon  envers  des  coupables:  c'est  Dieu 
consentant  à  se  donner.  La  grâce  a  la  vertu  de  vivifier,  et 
c'est  par  la  possession  de  cet  attribut  que  la  Parole  était  la 
vie  des  créatures,  avant  de  s'incarner  (v.  4).  La  vérité,  c'est 
le  fond  des  choses  complètement  mis  au  jour  et  tlistincte- 
ment  peryu.  Et,  connue  le  fond,  l'essence  des  choses,  c'est 
leur  bonté  morale,  et  que  celle-ci  réside  dans  l'excellence 
de  la  volonté  divine  qui  les  a  créées,  la  vérité,  c'est  le  ca- 
ractère saint  et  bon  de  Dieu,  compb'tement  dévoilé  et  dis- 
cerné :  c'est  Dieu  révélé.  C'est  par  cet  attribut  que  la  Parole 
était  la  kimicre  des  hommes,  avant  son  incarnation  (v.  4.  5). 
Ces  deux  attributs  essentiels  de  la  Parole  éternelle  rayon- 
naient donc  au  Iront  de  la  Parole  faite  chair,  et  dans  son 
humanité  même  l'ont  signalée  comme  le  Fils  unique  ve- 
nant d'auprès  du  Père.  C'i'tail  Dieu  donné.  Dieu  révélé  dans 
une  rxisti'uce  vi'aiment  humaine.  —  On  doit  se  rappeler  ici 
que  la  grâce  et  la  vérité  sont,  dans  l'Ancien  Testament,  les 
deux  traits  fondamentaux  du  caractère  divin.  L'Éternel, 
|iassant  devant  Moïse,  décrit  son  essence  (ui  disant  :  n Abon- 
dant en  (jrâce  et  en  vérité))  (Ex,  XXXIV,  6). 

V.  15.  Comme  un  homme,  après  avoir  fait  une  découverte 
importante,  se  rappelle  avec  satisfaction  les  indices  qui 


20'2  LE  PRdLOr.L'E. 

avaioiil  tlomu'  lo  prcinior  ovoil  à  son  iiiIcllii^iMuc  cl  l'aynionl 
miso  sur  la  voi<\  ainsi  l'apùlre  se  reporfo  dn  moment  de  la 
pleine  possession  à  (M'ImI  (m'i  il  ;»  (miIcikIm  nne  jiai'olc,  (jn'il 
n'avait  point  romprise  d'ahonl,  mais  qin'  s'est  pIcincMncnl 
éclainie  pour  lui  dès  l'instant  où  le  fait  décrit  an  v.  14  lui 
a  été  révi'lé;  r'est  une  parole  du  Précurseur:  «Jean  rend 
témoignage  de  lui  et  s'est  écrié,  disant  :  C'était  de  lui  que 
je  parlais  quand  j'ai  dit:  Celui  qui  vient  après  moi,  m'a 
précédé,  vu  qu'il  était  avant  moi.»  Le  prf's.  vtrnioif/nt;'» 
exprime  Tidc'c  (jur  le  cai-aclérr  divin  de  Jésus,  formidé  au  v.1  A, 
est  et  reste  établi  «î  toujours  par  ce  témoignage  de  Jean.  Le 
verbe  xéxpaYe.  a  cric,  est  ajoul»'  [loiu"  dire  rfue  ce  témoi- 
gnage a  été'  rendu  en  termes  exprès  et  éclatants;  et  l'emploi 
du  parf.  rajtpelle  que,  lors  même  que  le  héraut  a  passé,  la 
proclamation  demeure.  —  La  parole  de  Jean  est  citée  ici  uni- 
quement par  rap[)()rt  à  son  contenu.  Au  v.  .'30,  elle  est  replacée 
dans  son  milieu  historique.  Elle  fut  prononcée  par  Jean,  dans 
le  cercle  de  ses  disciples,  la  première  fois  qu'il  revit  Jésus 
après  l'avoir  baptisé.  Mais  l'évangéliste  fait  remarquer  que 
le  Précurseur  ne  faisait,  déj.i  alors,  que  se  citer  lui-même, 
comme  l'indiquent  les  premiers  mots  du  v.  30  (répétés 
ici,  V.  15):  a  C'est  ici  celui  touchant  lequel  f  ai  dit.y»  En 
etret,  en  parlant  ainsi,  il  faisait  allusion  à  la  déclaration  so- 
lennelle qu'il  avait  faite  le  jour  précédent  en  présence 
d'une  députation  des  autorités  théocraliques;  comp.  v.  26  et 
27.  Cette  première  déclaration  ne  renfermait  que  le  milieu 
de  notre  verset,  les  mots  :  «  Celui  qui  vient  après  moi,  m'a 
précédé. ■%  Le  v.  15  reproduit  donc  cette  déclaration,  non 
sous  la  forme  simple  où  elle  fut  prononcée  le  premier  jour 
(v.  27),  mais  sous  la  forme  plus  développée  en  laquelle  elle 
fut  répétée  cl  appliquée  le  jour  suivant  (v.  :iO),  comme  le 
prouvent  du  reste  clairement  les  deux  propositions  iden- 
tiques qui  commencent  et  finissent  les  v.  15  et  30.  Par  ces 


CHAI».  I,  15.  203 

(Jeux  sujijdt'iiierils,  Juîiii  ii|tj)liquait  d'al)ur(l  à  J('su.s,  devant 
ses  disciples,  le  témoig^nagc  qu'il  avait  prononcé  la  veille: 
t C'est  ici  celui  dont  j  ni  dit;))  jiuis  il  duiitiait  uiw  solu- 
tion (rès-brève  de  l'espèce  irihiignnî  reideriiiée  dans  ce  té- 
moignage, par  les  mots  :  «  Vti  qu'il  était  avant  moi.y>  La  seule 
dilïérence  est  que  v.  15  l'apôtre  substitue  était  à  est  du 
V.  30.  La  raison  de  ce  petit  changement  est  simple  :  le  pré- 
sent est  était  inspiré  au  Précurseur,  dans  la  situation  du 
V.  30,  par  la  présence  de  Jésus;  au  v.  15,  l'imparfait  était 
exprime  un  rapport  purement  logique  :  «  Au  moment  où  je 
parlais  ainsi ,  c'était  lui  que  j'avais  en  vue.»  —  Le  témoignage 
solennel  que  reproduit  ici  l'apôtre,  était  une  espèce  de  jeu 
de  mots  conforme  au  caractère  général  de  l'apparition  de 
Jean-Bapliste  et  à  la  tournure  paradoxale  de  ses  discours.  Il 
y  a  dans  la  forme  de  la  phrase  une  contradiction  intention- 
nelle entre  le  sujet  :  aCelui  qui  vient  après  moi,))  et  le  pré- 
dicat :  ^(^^a  précédé.»  On  pourrait  faire  ressortir  le  jeu  de 
mots  en  traduisant  :  «  Mon  après-venant  se  trouve  avoir  été 
mon  devancier.»  Cette  contradiction  apparente  devait  exci- 
ter l'attention  et  stimuler  l'activité  d'esprit  de  ceux  à  qui 
cette  parole  était  adressée.  Enfin,  elle  avait  l'avantage  de 
graver  inelTayablement  cette  déclaration  importante  dans  la 
mémoire  des  auditeurs.  La  forme  énigmatique  est  le  carac- 
tère des  sentences  antiques,  et  elle  s'est  conservée  dans  plu- 
sieurs de  nos  proverbes  bibliques;  elle  est  encore  celle  de 
la  plupart  des  proverbes  populaires.  Et  c'est  par  allusion  à 
cette  tournure  picjuante  et  propre  à  aider  la  mémoire,  que 
l'Ecclésiaste  appelle  les  paroles  des  sages  des  cloics  bien 
fichés.  Cette  observation  suffît  pour  écarter  l'explication  des 
nombreux  interprètes  qui  rapportent  le  prédicat  à  la  supé- 
riorité du  rang  (Chrvsostome,  Tholuck,  Olshausen,  de 
Wette,  Arnaud,  Lùcke)  :  «Celui  qui  vient  après  moi  est  «w- 
dessus  de  moi.i  On  fait  dire  par  là  à  Jean-Baptiste  une  tri- 


-lO'i  I.K  IMIOI.OCL'K. 

vialili';  on  rmoussi'  la  poiiilc  du  clou.  Le  j)i(iuaul  de  ictlf 
parole  résulte  précisémonl  de  ce  que  les  «-xpressions  après 
moi  vi  avant  moi  se  raj)port('ii(  loulcs  deux  au  temps 
el  semblent  se  contredire.  Et  c'est  au.>^si  le  seul  sens  qui 
convienne  au  conlexle  et  dans  letpiel  l'apôtre  pût  tiouver 
un  motif  de  citer  ici  cette  parole;  car  c'est  uni(juement  de 
l'idée  de  la  préexistence  de  Christ  (avant  moi),  (jue  résulte 
la  preuve  de  sa  dignitt'  de  Logos.  Il  est  bien  clair  que  le 
Messie  devait  être  aii-dcssus  de  son  prt'curseur;  cette  supé- 
riorité ne  prouverait  rien  quant  à  la  nature  de  sa  j)ersonne. 
Tholuck  a  objecté  contre  ce  sens  le  pari",  yéyovev,  (|ui  ne 
peut  désigner  l'existence  éternelle.  Mais  ce  parfait  désigne 
simplement  le  fait ,  non  l'essence  ;  celle-ci  est  renfermée 
dans  la  jiroposition  suivante  (irjv).  La  vraie  traduction  serait  : 
«  Celui  qui  vient  après  moi ,  de  fait  m'a  piéc(''d(!'.  »  L'appen- 
dice :  «  Car  il  était  avant  moi  »  est  destiné  à  résoudre  la 
conliadiction  ainsi  |)Osée  pn-alahlemenl  dans  le  domaine  du 
fait.  Mais,  même  au  point  de  vue  du  fait,  ce  n'est  point  ici 
un  vain  jeu  de  mots.  Une  réalité  sérieuse  répond  à  ce  par- 
fait yéyovev.  Le  Christ  n'a-(-il  j)as  réellement,  par  sa  pré- 
sence et  son  activité  dans  toute  l'aiiciemie  alliance ,  précédé 
son  précurseur?  Nous  verrons  XII,  Il  que  Christ  est  l'ap- 
parition de  Jéhûvah  lui-même.  C'est  ce  (jui  ressort  égale- 
mciii  (hi  passage  de  Malachic  ,  d'où  .lean-Ijaptiste  a  tiré 
presque  textuellement  son  témoignage.  Ainsi  s'explif|uc  très- 
naturellement  le  parf.  y^Yovev  :  «  Jéhovah ,  qui  parait  après 
moi,  de  fait  se  trouvait  là  sur  la  scène  avant  moi.»  Comp. 
VI ,  25  un  emploi  analogue  <Ju  mot  yéycvx.  —  Les  dejniers 
mots  :  a  Car  il  était  avant  moi,}>  littéralement  :  «Il  était 
ynon  premier t>,  fuient  ajoutés  par  Jean  le  lendemain, 
comme  nous  l'avons  dit,  afin  d'expliquer  l'énigme.  Ils  doi- 
vent donc  se  rapporter,  aussi  bien  que  les  mots  après  et 
avant,  au  temps.  D'ailleurs,  si  rçôroç  exprimait,  comme  le 


(-.MAP.  I,  15.  205 

pt'iiijcMt  Clirys(jsluiiu' ,  Dèzc ,  Calvin,  Iluriiiiiiiii,  la  siijjfjrio- 
rilé  de  rang-,  il  devrait  y  avoir  est,  et  non  pas  était.  Mais  on 
objecte  la  tautologie  entre  les  deux  dciiiières  propositions. 
Jean  semble  expliquer  idem  per  idem.  On  oublie  d'abord 
que  le  ini  que,  dans  la  dernière  proposition,  ne  se  rapporte 
point  aux  mois  (jui  pr/'cùdent  immédiatement,  puisque  ceux- 
ci  avaient  proprement  été  prononcés  le  jour  précédent, 
mais  porte  sur  les  premiers  mots  du  verset  :  «  C'était  celui 
dvfjuelje  disais.})  «  Je  le  disais;  et  non  sans  raison,  i'«  que...  » 
Il  faut  d'ailleurs  tenir  compte  de  l'opposition  des  verbes 
ysYovev  et  -riv.  Celui-là  n'exprimait  que  le  fait;  celui-ci  se 
rapporte  à  l'essence:  «Dr  fait  il  m'a  précédé;  et  cela,  je 
puis  le  dire  sans  absurdité,  vu  que  d'essence  il  est  mon  anté- 
cédent.» Enfin,  l'expression  -pô-cô^  (jLoy  est  bien  plus  que 
l'équivalent  d'sfXTrpcaôsv  (icj.  Beaucoup  d'interprètes  disent, 
il  est  vrai,  que  xçwtc?,  premier,  est  ici  pour  Kçéxeçc^ ,  an- 
térieur. Mais  qu'aurait  dit  Jean  en  employant  ce  comparatif 
TcpoTEço-  ?  Que  Jésus  était  plus  rapproché  du  commencement 
que  lui.  Ce  n'était  point  là  ce  qu'il  voulait  dire;  car  il  envi- 
sageait le  Messie  comme  étant  au-dessus  du  commencement 
même.  Et  c'est  pourquoi  il  emploie  l'expression  singulière 
Trpwro^  [j-cj ,  aimant  encore  mieux  commettre  un  solécisme 
de  langage  qu'un  solécisme  de  pensée.  Comme  si  un  homme 
appelait  Dieu  «son  premier»  pour  le  désigner  non-seule- 
ment connue  antérieur  à  lui ,  mais  encore  comme  le  fonde- 
ment ,  le  princij)e  de  son  existence.  Ce  génitif  (;.c'j  est  donc 
tout  ensemble  un  génitif  de  comparaison  et  de  dépendance  : 
«  antérieur  à  moi  »  et  «  mon  principe ,  ma  raison  d'être.  » 

Ce  ne  fut  qu'à  la  liiiiiière  des  paroles  et  des  œuvres  de 
Jésus-Christ,  que  Jean,  l'auditeur  de  Jean-Baptiste ,  réflé- 
chissant plus  tard  sur  cette  parole  ,  en  comprit  tout  le  sens 
et  y  découvrit  la  révélati(jn  du  fait  de  rincanialioii.  On  l'a 
naturellement  accusé  ,  soit  d'avoir  prêté  au  Baptiste  un  mot 


20()  I.K  l'IUlLOf.UK. 

qu'il  n'a  jaiiulis  |)ronon(('  (Slrauss,  Weisse,  de  Welle,  ete.), 
soit  (Tavoir  domu'  à  (]iicl(]irtme  de  ses  paroles,  en  la  niodi- 
liaiit,  un  st'iis  i|u'('llt'  ir;iv;iil  |Muiit  :  ciir,  dil-dii,  il  est  iilî- 
j)ossil»le  de  supposer  (|iif  ridi'c  de  la  j)réexislence  du  Messie 
fùl  un  des  éléiueiits  Ar  la  lli('<(|(ini(.  do  Jeaii-Papliste.  — 
Ueiuarquoiis  d'abord  <|ue  la  loiinmic  éiiij^inalicjiie  cl  bizarre 
de  cette  parole  devrait  suffire  poui-  la  uieltrc  à  l'abri  d'un 
pareil  soupçon.  Elle  porle,  dans  son  orij^inalilé  môme,  le 
sceau  de  son  aullienlieilé.  na|ipeloiis-nous  ensuite  que  l'é- 
vanjj'élisle  la  cite  deux  l'ois,  dans  le  récil  suivant ,  en  racon- 
tant exactement  les  deux  circonstances  historiques  dans 
lesquelles  Jean  doit  l'avoir  prononcée  :  ne  serait-ce  pas  lui 
supposer  un  degré  rare  de  suj)ereherie  et  d'eff'ronterie ,  que 
d'iniapner  qu'il  ait  pu  non-seulement  mentir  volontairement 
une  fois,  mais  cliereber  à  couvrir  ce  premier  menson},'^e  par 
l'invention  de  deux  scènes  historiques  complètement  fictives? 
D'ailleurs,  qu'est-ce,  en  réaUté  ,  que  cette  parole?  La  simple 
reproduction ,  sous  la  forme  fùquante  et  humoristique  propre 
à  Jean-Baptiste,  <le  l'oracle  qui ,  dans  le  jirophète  Malaeliie, 
le  concernait  personnellement  et  contenait  le  programme 
de  son  ministère  (Mal.  III,  1).  aVoici,  disait  Jéhovah,  s'i- 
dcnlifianl  avec  le  Messie, /tva'o/c  won  me.ssager ,  et  il  pré- 
parc  le  chemin  devant  moi. m  II  est  manifeste  que,  quand 
l'envoi  comprend  ,  comme  dans  ce  cas,  la  naissance  de  l'en- 
voyé ,  l'envoyant  doit  avoir  préexisté  v^  celui-ci ,  et  cela  non- 
seulement  comme  son  rçoxeçoç  (né  arnnl  lui),  mais  comme 
son  rçÙToç  {principe  de  son  existence).  Jean-Baptiste  ne 
faisait  donc  que  rendre  en  son  propre  langage  le  sens  de 
ce  texte  de  Malachie.  Cf  qui  îicbévc  (!(;  démontrer  que  c'est 
bien  ce  texte  pro[)hétique  (jui  lui  avait  fourni  la  clef  du 
mystère  ,  ce  sont  les  mots  :  «  //  prépare  le  chemin  devant 
moi,f>  qu'il  commente  en  disant:  «  Celui  qui  vient  après 
moi.  i)  La  parole  du  Baptiste  n'est  que  celle  de  Jéhovah  ren- 


ClIAl'.  I,  15.  207 

vrr.st't.'.  Jt'liovali  avait  dit:  a  J'envoie  devant  moi  celui  après 
lequel  je  ne  tarderai  pas  à  venir  moi-même.  »  Jean-Baptiste 
dit  :  «1  Celui  (jui  doit  venir  après  moi  était  là  avant  moi , 
puis(]ue  e't'tait  lui-même  (pu  m'envoyait  ;  »  ce  (jui  impliquait 
l'identité  du  Messie  et  de  Jéiiovali. 

L  école  de  Tubingue  et  récemment  M.  Nicolas  {Revue  ger- 
manique, mai  1863)  pensent  trouver  une  preuve  de  l'in- 
lluence  du  gnosticisme  sur  l'auteur  du  quatrième  évangile, 
dans  le  tait  que,  pour  la  première  fois,  cet  ouvrage  réunit 
deux  notions  jusqu'aloi's,  disent-ils  ,  complètement  distinctes 
chez  les  Juifs  :  celle  du  L(jgos  et  celle  du  Messie.  On  voit 
iju'il  faut  remonter  plus  haut  pour  retrouver  les  premières 
traces  de  la  combinaison  de  ces  deux  idées.  Ce  n'est  pas 
seulement  Jean-Baptiste ,  l'enfant  du  désert ,  qui  voit  dans 
le  Messie  un  être  préexistant  et  divin  :  c'est  son  prédéces- 
seur de  quatre  siècles,  Malacliie.  Faudrait-il  faire  remonter 
jusqu'à  ce  dernier  des  prophètes  l'influence  du  gnoslicisme? 
Ne  vaut-il  pas  mieux  reconnaître  tout  franchement  dans 
l'identihcatiun  de  Jéhovah  et  du  Messie  un  élément  de  la 
théologie  prophétique?  —  Mais,  pour  achever  de  nous  ren- 
dre compte  de  cette  parole  du  Précurseur,  rappelons-nous 
encore  deux  faits.  Jean  dit  au  v.  33  :  «  Celui  qui  m'a 
envoyé  baptiser  d'eau,  celui-là  m'a  diLy>  Si  le  Précurseur 
n'est  pas  un  imposteur ,  son  ministère  pubhc  doit  donc  avoir 
été  précédé  d'une  révélation  positive,  dans  laquelle  sa  marche 
lui  a  été  tracée  et  son  mandat,  expressément  fornmlé.  Les 
mots:  a.  Celui-là  m'a  dit  ,^  indiquent  même  plus  qu'une 
simple  vision  :  ils  supposent  une  théophanie.  Ce  fait,  une 
fois  admis,  expli(jue  la  limiière  supérieure  allribuée  ici  au 
Pi'écnrseur  et  lintelligence  ()rofun(le  qu'il  possédait  de  l'oracle 
de  Malacbie.  F^uis,  si  la  déclaration  de  Jean,  en  présence 
des  déput(''s  du  sanliédrin-,  a  été  postérieure  au  baptême  de 
Ji'sns  —  cl  lions  verntiis  ipi'il  en  est  ainsi  —  les  circi^n- 


208  LE  PROLOGUE. 

slancos  (\c  collo  scène,  et  livs-jiarlienlièreiiienl  celle  parole 
«lu  l'ère:  c  C'est  ici  ntoti  Fih  hirii-ninn' ,r)  ont  dû  nelicver 
tr(tii\rir  les  ynix  de  .Itan-f^aptisle  sur  le  caractère  (li\iii  de 
celui  que  le  Père  saluail  «le  la  sorte. 

9.  Le  Grec  cherche  la  safjcssci»  dit  saint  Paul,  (juani  au 
Juif,  il  n'arrive  pas  à  rintelli^eu«'e  par  la  même  voie.  Il  re- 
çoit le  lémoig^nage;  car  il  vit  dans  la  sphère  lU'  la  révélation. 
Rien  de  plus  légitime,  par  consé(]iiriil .  (|iic  Tintercalation 
de  co.  tt'inoij^nage  «le  .lean-Rapliste ,  le  témoin  officiel  du 
.Messie,  dans  ce  prologue  qui  résume  la  foi  de  l'Eglise  et  en 
démontre  la  certitude. 

Ce  que  les  apôtres  ont  vu,  ce  que  le  héraut  messianique 
avait  fait  pressentir,  l'Eglise  tout  entière  en  a  fait  et  en  fait, 
chaque  jour,  l'expérience. 

V.  1C:  «Et'  de  sa  plénitude  nous  avons  tous  reçu,  et 
grâce  poiir  grâce.  5>  —  C'est  à  roccasion  df  la  particule  qui 
lie  ce  verset  au  précédent,  que  nous  voyons  pour  la  pre- 
mière fois  se  séparer  nettement  les  deux  principales  familles 
de  documents  critiques  :  les  hyzantins  lisent  xaî  (et) ,  les 
alexandrins  oTt  (parce  que).  Griesbach,  Lachmann,  Tischen- 
dorf,  Meyer,  et  les  exégètcs  modernes  en  général,  prévenus, 
comme  ils  le  sont,  en  faveur  du  texte  alexandrin,  admet- 
tent o-i.  Il  faut,  si  l'on  re«;oit  cette  seconde  le(;on,  chercher 
dans  le  v.  16  une  preuve  directe  de  la  pensée  du  v.  15  et 
expliquer  ainsi  avec  Lùcke  la  relation  de  ces  deux  versets  : 
«  C'est  à  juste  titre  que  le  Baptiste  a  proclamé  la  dignité  su- 
prême de  Jésus;  car  nous  avons  tous  puisé  de  sa  plénitude.  » 
On  sent  aisément  combien  cette  liaison  est  peu  naturelle. 
Ce  qui  prouve  d'ailleurs  que  ce  n'est  pas  la  pensée  de  l'é- 
vangéliste ,  c'est  que  les  mots  :  «  Sa  plénitude ,  »  qui  com- 


t .  Au  lieu  de  /.ai  que  présente  T.  R. ,  avec  AEFGHKMS-UVAA,  loiites 
les  trad.  syriaques,  It*'*''  et  la  plupart  des  Mnn.,  on  lit  on  dans  NBCDLX, 
II*"'  Cop.  et  quelques  Mnn.  et  plusieurs  Pères,  en  particulier  Or.  (3  fois). 


cil  AI'.  1,  15.   16.  209 

iiiciict'ut  ce  veiset ,  rappellent  expi'esséiiiciit  la  (Jt.'iiiicre 
parole  ilu  v.  14:  a  Pleine  de  grâce  et  de  vérité.  »  D'où  il  ne 
résulte  pas,  sans  doute,  (jue  le  v.  15  suit  une  parenthèse, 
mais  bien  (jue  la  relation  entre  le  v.  16  et  le  v.  15  n'est 
nullement  eelle  d'une  dépendance  directe,  comme  l'expri- 
merait OT!,.  Il  y  a  bien  plutôt  juxtaposition  de  l'expérience  de 
rEj,dise  (v.  10) ,  de  la  déclaration  de  Jean  (v.  15)  et  du  té- 
moignage apostolique  (v.  14);  et  c'est  ce  qu'exprime  la  parti- 
cule xai  :  et  de  plus.  "Ozl  est  donc  bien  certainement  une 
faute  ,  provenant  suit  d'une  coiilusion  avec  les  deux  on  qui 
commencent  les  deux  propositions  précédente  et  suivante, 
soit ,  ce  qui  me  paraît  plus  probable  encore  ,  d'une  cor- 
rection n'ilécliie,  mais  fautive,  dont  il  n'est  pas  impossible 
de  ilécouvrir  l'autcui".  Le  gnostique  Iléracléon ,  au  rapport 
d'Origène ,  envisageait  les  v.  16  et  17  comme  appartenant 
encore  à  la  déclaration  du  Baptiste.  Origène,  loin  de  con- 
tester cette  explication,  l'étend  même  au  v.  18.  D'autres 
Pères  grecs  paraissent  avoir  partagé  cette  manière  de  voir 
(juant  au  v.  16;  et  c'est  vraisemblablement  sous  l'influence 
de  cette  interprétation  d'Origène  ,  interprétation  certai- 
nement erronée  (comp.  r[t.zlç  Tcàvxsç,  qui  suppose  déjà 
l'existence  de  l'Eglise;  les  passés  iyévz-vo  et  s^TfjyirjaaTro ,  qui 
posent  le  ministère  de  Jésus-Christ  comme  accompli) ,  que 
oTTt  a  remplacé  xat  dans  le  texte  alexandrin.  —  La  plcnitude 
dont  parle  Jean  avec  une  sorte  d'enthousiasme,  au  commen- 
cement de  ce  verset,  est  donc  celle  qu'il  a  mentionnée  au 
V.  14,  l'intarissable  richesse  de  grâce  et  de  vérité,  qui  dé- 
bordait de  la  Parole  faite  chair.  Aussi  les  versets  suivants  ne 
fonl-ils  autre  chose  que  développer  ces  deux  idées:  grâce 
et  vérité;  Dieu  donné,  Dieu  révélé.  I\\r^çiù\x.ot.  :  ce  dont  une 
chose  est  remplie.  Le  sens  de  ce  mot,  dans  ce  contexte, 
surtout  avec  le  pronom  aÙTOû,  est  si  simple  et  si  bien  dé- 
terminé que  l'un  ne  comprend  pas  comment  les  adversaires 
I.  14 


210  I.E  PROLOGUE. 

(1<^  l'anflientirilr  âv  noire  ('vaiijîile  ont  pu  tonfor  rl'expliqnrr 
ici  l'cjMploi  (le  ce  mol  par  le  rôle  (ju'il  jouai!  dans  le  sys- 
tème théop^onique  dos  Valentiniens.  —  Le  mot  <Lnoustonsy> 
réunit  en  une  totalité  unique,  l'Église,  tous  les  individus 
rroyants  que  l'apôtre  avait  mentionnés  au  v.  1*^.  — Le  verbe 
«.nous  avons  rcrns)  dans  le  texte  n'a  pas  d'objet;  c'est  qu'il 
ne  s'agit  pas  particulièrement  de  tel  ou  tel  bien  reçu,  mais 
en  général  de  l'acte  même  de  recevoir.  Le  terme  absolu 
noua  avons  reçu  est  en  relation  avec  celui  de  plcnilude  et 
rexpli(|ue  :  «  A  cette  source  intarissable,  que  rien  n'appau- 
vrit, que  rien  n'enricbit,  nous  avons  tous  puisé.»  —  L'appen- 
dice :  «  El  grâce  pour  grâce,  n  est  plutôt  destiné  à  caracté- 
riser le  mode  que  l'objet  du  recevoir.  Par  le  xai,  cl  même, 
l'apôtre  fait  ressortir  jusqu'à  quel  point  le  xX-ïjpofxa  mérite 
son  nom.  —  Les  mots  ydçv)  àvxl  yjxçixoç,  que  nous  tradui- 
sons par  grâce  pour  ou  sur  grâce,  renferment  un  jeu  de 
mots  intraduisible,  et  (pji  lient  à  ce  (pie  la  prépos.  àvri, 
en  échange  de,  qui  caractf-rise  proprement  le  régime  légal, 
est  appliquée  ici  avec  intention  au  régime  opposé ,  celui  de 
la  grâce.  On  entend,  en  général,  cette  prépos.  àvri,  dans 
cette  locution  ,  dans  le  sens  de  à  la  place  de  :  «  Une  grâce 
supérieure ,  reçue  à  la  place  d'une  autre  moins  excellente,  t» 
C'est  ainsi  que  Chrysostome  et  Bèze  entendent  :  la  nouvelle 
alliance  au  lieu  de  l'ancienne;  d'autres  :  la  sanctification  à  la 
place  de  la  justification  et  la  gloire  à  la  place  de  la  sainteté. 
Mais  ce  sens  de  dvxî  supposerait  que  la  grâce  précédente 
est  retirée  chaque  fois  qu'une  grâce  nouvelle  est  donnée. 
Cette  idée  de  remplacement  conviendrait  sans  doute  à  l'ex- 
plication de  Chrysostome  et  de  Bèze.  Néanmoins  le  sens 
qu'ils  proposent  n'est  pas  soutenable  dans  le  contexte.  Car, 
au  v.  17,  l'ancienne  alliance  est  opposée  à  la  nouvelle,  qui 
seule  reçoit  le  titre  de  grâce.  Dans  l'autre  application,  la 
prépos.  (ivTt  serait  décidément  fautive  ;  car  elle  n'exprime 


CHAP.  I,  16.   17.  211 

point,  comme  l'exij^^erail  ce  sens,  l'idée  d'ujie  grâce  ojoutée 
il  une  auliv  },nàce.  L'apùlre  aurait  dû  écrire  x*?^^  ^m  x°^?^'f'- 
Conip.  Pliil.  II,  27.  11  faut  donc  s'en  tenir  au  sens  natuiel  de 
en  échange  de.  Et  en  efl'el ,  jiar  une  liardiesse  qui  indique 
comme  le  paroxysme  de  l'exaltation,  Jean  applique  ici  à  l'é- 
conomie de  la  grâce  la  formule  même  du  régime  contraire. 
Sous  celui-ci  chaque  faveur  était  domiée  en  échange  d'une 
œuvre ,  chaque  grâce  était  la  récompense  d'un  mérite  ac- 
quis. Mais  dans  la  relation  avec  la  plénitude  de  grâce  que 
nous  ouvre  la  Parole,  l'unique  titre  aux  faveurs  nouvelles, 
ce  sont  les  faveurs  déjà  reçues,  a  A  celui  qui  a,  par  cela 
seul  qu'il  a ,  il  lui  est  dominé  davantage,  b  Impossible  de  ca- 
ractériser plus  magnifiquement,  d'un  côté,  l'initiative  pure, 
la  gratuité  absolue  de  celui  qui  donne;  de  l'autre,  la  com- 
jilète  réceptivité  chez  celui  qui  reçoit.  La  formule  de  la  loi, 
ainsi  paradoxalement  transformée  en  celle  de  l'Evangile, 
est  bien  la  parole  la  plus  précieuse  et  la  plus  consolante 
t\m  soit  descendue  du  ciel  sur  la  terre,  du  7rXTrjç;(op.a  divin 
dans  notre  indigence  humaine.  Cette  parole  invite  le  lecteur 
à  se  faire  des  grâces  reçues  un  motif  et  comme  un  mérite 
auprès  du  Seigneur  pour  obtem'r  de  lui  des  faveurs  toujours 
nouvelles ,  sans  crainte  d'épuiser  jamais  la  plénitude  di- 
vine de  vie  et  de  vérité  mise  à  sa  portée  en  la  personne  de 
Jésus-Christ. 

V.  17.  Il  y  avait,  dans  cette  formule  :  nGrâcepour  grâce, î 
si  nous  l'avons  bien  comprise,  une  antithèse  cachée,  celle 
qui  rempht  les  écrits  de  saint  Paul ,  qui  forme  aussi  le  fond 
de  la  pensée  de  Jean ,  l'opposition  de  la  loi  et  de  l'Evangile. 
Cette  antithèse  vient  au  grand  jour  dans  le  v.  17  :  «  Car  la 
loi  a  été  donnée  par  Moïse  ;  la  grâce  et  la  vérité  sont 
venues  par  Jésus -Christ.  »  —  Cette  pensée  est  bien  la 
démonstration  de  la  j)arule  précédente.  «  Car  si  nous  avons 
pu  puiser ,  avec  cette  complète  gratuité  et  cette  abondance 


Î12  i.K  PRoi.or.nE. 

rroissantP.  à  la  «liviiir  plôiiitiido ,  cola  est  du  à  co  qu'au  ré- 
gime légal,  jadis  inaugun'"  jiar  Moïse,  vieul  ilo  succéder, 
par  la  venue  de  Jésus-Christ ,  une  éeonouu'e  d'un  caractère 
opposé,  une  économie  de  grâce  et  de  v/iili'.  »  —  Nous  re- 
trouvons ici  la  forme  paralaclique  propre  au  génie  hébraïque. 
l'n  écrivain  d'origine  grecque  eùl  cerfaincmcnl  marqué  le 
contraste  «ntre  les  deux  prop<isi(ions  de  ce  verset  j»ar  les 
particules  (Aév  d  ?>i.  —  Dans  le  leniic  n  clé  donnée,  aussi 
bien  que  dans  son  régimr  par  Moue,  s'exprime  non-seu- 
lement l'idée  de  l'excellence  relative  de  la  loi  ,  mais  aussi 
celle  de  son  origine  divine.  'EôdOir)  rappelle  la  promulgation 
solennelle  «le  la  loi  et  le  caractère  positif  du  régime  mo- 
saïque. —  I.a  loi  est  opposée  ici  à  l'économie  évangélique 
sous  deux  raj)jtorts.  La  première  antithèse  est  celle  qui  se 
rattache  au  verset  précédent,  celle  de  la  loi  et  de  l'Evan- 
gile en  tant  que  r/râce;  la  loi  demande,  la  grâce  donne. 
La  seconde  antithèse  est  celle  de  la  loi  et  de  l'Evangile 
comme  vérité;  elle  résulte  de  la  première;  car  c'est  préci- 
sément parce  que  la  loi  demande,  qu'elle  ne  manifeste  point 
la  réalité  de  l'èlre  divin.  L'essence  de  Dieu  ne  saïu'ait  con- 
sister à  demander.  La  loi  ne  peut  donc  être  qu'une  j)hase 
passagère,  pédagogique,  dans  la  révélation  croissante  de 
Dieu.  Telle  nous  paraît  ici  être  la  relation  des  deux  attributs, 
grâce  et  vérité,  j»ar  lesquels  l'apôtre  caractérise  l'Evangile 
en  opposition  à  l:i  loi.  I/explication  très-fine  de  Bengel  : 
Lex  iram  parans  (en  opposition  à  la  grâce)  et  nmhram  ha- 
hens  (en  opposition  à  la  vérité),  serait  [ilus  conforme  au 
contexte  de  Col.  Il,  10.  17,  qu'à  celui  du  prologue  de  Jean. 
—  Le  régime  légal  était  divin  par  son  origine  ;  le  régime 
nouveau  l'est  par  son  origine  et  par  son  essence.  Cette  su- 
périorité [intrinsèque  de  l'évangile  explique  bien  l'antithèse 
de  ÊÔcô-T)  et  èyévexo.  En  effet,  si  l'expression  a  été  donnée 
rappelai!  l'institution  extérieure  et  positive  de  la  loi ,  le 


ClIAP.  I,  17.    18.  21.» 

termi'  sont  vcnuc/i  drs'i^nti  avec  force  l'enusiuii  i(''cllc  el 
spontaiR'c  (le  la  source  iliviiir  •■lle-nièiiie,  jaillissant  à  Ilots 
sur  la  teire.  La  i;ràce  et  la  vérit('',  la  vie  el  la  lumière,  se 
sont  réiiaiidues,  clans  leur  pleine  et  parlaite  léalité  ,  par 
l'apparition  et  dans  la  vie  de  celui  qui  est  par  essence  la 
source  de  ces  biens  (v.  4).  Moïse  peut  disparaître  ,  la  loi  de- 
meure; elle  n'est  que  donnée  par  lui.  Mais  ôtez  Jésus-Clirist: 
la  grâce  et  la  vérité  disparaissent;  car  ces  dons  sont  venus 
par  lui.  «Jean,  dit  Benji^el,  choisit  ses  expressions  avec  la 
rigueur  (riiii  philosophe.»  Ne  faudrait-il  pas  dire  plutôt: 
avec  cette  vigoureuse  précision  qui  est  le  caractère  constant 
de  l'inspiration  ? 

C'est  à  ce  moment  du  prologue  que  l'apôtre  prononce 
pour  la  première  fois  le  grand  nom  attendu  depuis  si  long- 
temps ,  Jésus-Christ.  A  mesure  que  la  divine  histoire  des 
miséricordes  de  la  Parole  envers  l'humanité  se  déroule  à 
ses  regards,  ce  spectacle  lui  inspire  des  termes  toujours 
plus  concrets,  plus  humains.  Le  Logos  du  v.  1  a  paru  comme 
lumière  au  v.  9,  comme  Fils  au  v.  14  ;  au  v.  17,  il  se  nomme 
enfin  Jésus-CInist ;  —  tout  comme  le  Dieu  du  v.  1  reyoit 
le  nom  de  Père,  par  rapport  au  Fils  unique,  au  v.  14,  et 
devient  le  Père  absohnuent  parlant,  celui  du  Fils  et  le  nôtre, 
au  v.  18.  Par  l'incarnation  et  la  vie  humaine  de  Jésus,  tout 
ce  monde  céleste  se  rapproche  de  nous  et  prend  pour  nous 
vie  et  réalité. 

V.  18.  «Dieu,  personne  ne  l'a  jamais  vu;  le  Fils 
unique',  qui  est*  dans  le  sein  du  Père,  c'est  lui  qui  nous 

1.  Tandis  que  T.  R.  lit  o  jiovoYevT;;  uio;,  avec  13  Mjj.  Syr"'  [tp'^ni»' 
Or.  (1  fois)  et  presque  tous  les  Mnn.,  nous  trouvons  la  leçon  o  [xovoyeviQç 
eeo;  dans  NB CL  Syr-»"  Cop.  CIcm.  Or.  (2  fois)  et  d'autres  Pères.  D'au- 
tres fois.  Origène  lit  uioc  0eou.  uto;  tou  Geou,  leçons  qui  ne  se  trouvent 
dans  aucun  document. 

2.  K  omet  0  uv. 


51-4  LK   PROI.OiniK. 

l'a  fait  connaître.»  —  Drs  driix  linils  (]iii  coiislituenl  le 
rarartère  divin  d.'  In  ^loiiv  de  .Ic'siis-Clirist  et  auxquels  l'L- 
gliso  nM'oiinnîf  •  ii  lui  l'i'lmicllr  l^iiolc,  la  {rràce  cl  la  vérité, 
l'npnliT  a  (It'vrloppé  le  j)r(Miiit|-  d;ms  le  v.  1G.  Au  v.  17,  il 
a  opposé  lu  loi  à  la  j,M"àce,  (oui  eu  complétant  lo  contraste 
par  un  socond  terme  :  la  vérité.  Il  développe  maintenant  ce 
seconil  liait  ri  achève  ainsi  le  tableau  du  7tXr[ço(jLa ,  v.  10. 
—  La  vérité,  aux  yeux  de  saint  Jean,  c'est,  connue  nous 
l'avons  vu  ,  la  révédation  et  la  connaissance  parfaites  de  Dieu. 
L'absence  de  toute  particule  de  liaison  entre  le  v.  17  et  le 
v.  18,  (]ui  suj)pose  inie  relation  loj^nque  très-intime  entre 
ces  versets,  provient  précisément  de  ridentitication  tacite 
de  la  vérité  et  de  la  connaissance  fie  Dieu.  Jésus  est  la  vé- 
rité' personnellement  venu(\  apj)arue,  parce  qu'il  possède  et 
qu'il  apporte  eu  lui-même  la  connaissance  et  la  nhélation 
adéquates- de  l'être  divin.  La  connaissance  de  Dieu  ne  sau- 
rait être  le  ré'sullal  d'une  invesli.q^ation  j)bil(jsoj)bi(pie.  Notre 
intelligence  ne  saisit  (pie  les  rayons  isolés  de  la  révélation 
divine,  répandus  dans  la  nature  et  dans  la  conscience,  et  ne 
parvient  jamais  à  les  réunir  en  un  tout ,  encore  moins  à  re- 
monter jusqu'au  foyer  vivant  d'où  ils  émanent.  Les  révé- 
lations naturelles  ou  tlié'ocratiques,  les  visions  même  ac- 
cordées aux  saints  de  l'ancienne  alliance ,  ne  renfermaient 
qu'une  manifestation  approximative  de  l'être  divin,  comme 
l'exprime  admirablement  cette  parole  de  l'Eternel  à  Moïse  , 
au  moment  où  il  lui  promet  de  lui  faire  voir  sa  {,doirc  :  a  Tu 
me  verrai  par  derrière;  inaifi  ma  face  ne  se  verra  points 
(Ex.  XXXIII,  23).  Cai-  aniilhomme ,  dans  son  état  de  souil- 
lure, ne  peut  voir  Dieu,  et  vivre  y>  (XXXIII,  20).  Personne 
donc,  ni  en  dedans,  ni  en  dehors  de  la  théocratie,  n'a  ob- 
tenu le  privilège  d'avoir  de  Dieu  cette  connaissance  intime 
et  parfaite  dont  la  vue  est  l'emblème.  —  Le  mot  Dieu,  quoi- 
que étant  l'objet ,  est  en  tête.  C'est  l'idée  principale.  —  Le 


CIIAl*.   I,   18.  41Ô 

parf.  éo'paxe  (lésij,Mit'  plutôt  le  i('sultat  que  l'acte  même  de 
la  vision  :  «.  Il  n'y  a  pt.'is()nn(3  ici-bas  qui  puisse  parler  île 
Dieu  pour  l'avoir  vu ,  de  visu.  »  La  vériti'^  n'existe  (Jonc  pus 
sur  la  terre,  en  dehors  de  Jésus-Christ.  Elle  est  littérale- 
ment venue  avec  lui ,  coninic  il  a  été  dit  au  v.  17  et  connue 
le  développe  la  seconde  parlir  du  v.  18.  —  La  leeon  ojjlovo- 
•yevTÎc  uloç,  le  Fils  unique,  est  certainement  la  vraie;  celle 
des  Alexandrins  :  le  Dieu  fils  unique,  qui,  malii^ré  l'autorité 
du  Valic,  n'avait  été  admise  à  peu  près  par  aucun  des 
interprètes  et  des  éditeurs  modernes,  a  un  caractère  trop 
évidemment  dogmatique  pour  (jue  ra])pui  du  Sivait.  lui 
procure  à  l'avenir  un  meilleur  accueil.  Le  fait  qu'elle  est 
employée  par  Clément  d'Alexandrie  et  Origène  (deux  l'ois), 
est  un  indice  de  son  lieu  d'origine.  —  La  quahté  de  révéla- 
teur de  l'être  divin,  attribuée  à  Jésus,  est  expliquée  par  sa 
relation  intime  et  personnelle  avec  Dieu  lui-même  :  a  Qui 
est  dans  le  sein  du  Père.  »  Il  serait  peut-être  plus  exact  de 
traduire  :  «  Oui  a  accès  au  sein  du  Père.  »  —  On  peut  exph- 
quer  de  deux  manières  l'image  dont  se  sert  ici  saint  Jean. 
Ou  bien  elle  est  tirée  de  la  position  des  deux  convives  voi- 
sins dans  un  repas  (XIII,  23);  ou  bien,  ce  qui  paraît  plus 
convenable  dans  le  contexte,  elle  est  empruntée  à  l'attitude 
d'un  fils  assis  sur  les  genoux  de  son  père  et  appuyé  sur  son 
:>ein.  Elle  exprime  en  tout  cas  l'épanchement  réciproque  le 
plus  complet.  Celui  qui  occupe  cette  place  unique  entend  les 
plus  secrètes  pensées  du  Père  et  lui  communique  les  siennes. 
On  voit,  par  ce  tei'me  de  xo'Xtco^,  56'/h,  que  le  mystère  du  Fils 
est  affaire  non  de  métaphysique, mais  d'amour.  —  L'omission 
de  0  (ov  dans  le  Sinail.,  qu'elle  soit  réfléchie  ou  involon- 
taire ,  est  en  tous  cas  une  faute.  Les  autres  docuuH'nls  sont 
unanimes  jjour  la  condanmei'.  —  Ilofmann  et  .Meyer  iaj)j)or- 
lent  ce  participe  présent  à  l'état  actuti  df  Jésus-Christ,  de- 
puis son  retour  dans  la  gloire  par  l'Ascension;  et  la  prépos. 


:îl(i  i.E  rnoi.ociK. 

6?ç  s'('Xjilif|iirii»it ,  selon  Moyor,  par  ï'nW'r  du  rdaur  dans 
cet  état.  Mais  il  est  clair  (juc  ,  par  ces  mots  :  «  Qui  est  dans 
le  sein  du  Pèrc.y>  l'rvanj^a'listc  veut  explirjiRT  comment  il 
se  peut  faire  (pie  .Ii'siis-Clirisl  ait  cli'  le  révi'lalenr  de  l'être 
divin;  h  ov...  est  là  pour  justifier  i^■rlyr^za.xc.  Or  il  n'y  a  au- 
cune relation  directe  entre  l'état  de  gloire  actuel  de  Jésus 
et  son  ministère  d'enseignement  jinidaiil  (pi'il  ctait  ici-has. 
Ce  partie,  prés,  se  rapporte  donc  certainement  à  un  élat  qui 
a  précédé  ou  accompagné  le  ministère  terrestre  de  Jésus  et 
qui  en  était  la  hase.  Il  s'applique  donc  en  première  ligne, 
comme  l'expression  analogue  du  v.  i  :  -riv  Trpdç,  à  l'état  anté- 
liislorique  du  Logos.  Lorsque  l'être  (pii  était  dans  une  re- 
lation si  intime  avec  Dieu  a  paru  sur  la  terre  et  a  parlé  de 
Dieu ,  il  est  évident  qu'il  a  dû  en  parler  connue  personne 
n'en  a  parlé.  Un  homme  qui  ne  compte  pas  parmi  les  exé- 
gètes ,  s'est  exprimé  ainsi  :  «  Le  christianisme  dit  avec  sim- 
plicité :  Nul  homme  n'a  vu  Dieu,  si  ce  n'est  Dieu....;  cela 
est  d'un  grand  bon  sens.  »  Dans  cette  parole ,  Napoléon  a 
indiqué  la  relation  entre  notre  h  ov  et  le  verbe  i^t]y(\afxxo , 
mieux  que  bien  des  théologiens  n'ont  su  la  comprendre. 
Mais  ce  participe  doit  également  s'appliquer  à  l'état  de  Jésus 
pendant  son  séjour  sur  la  terre.  D'après  III,  13,  Jésus,  après 
être  descendu ,  était  pourtant  encore  dans  le  ciel.  Sa  rela- 
tion éternelle  de  Fils  avec  le  Père  n'a  môme  pu  influer  sur 
son  enseignement  religieux ,  que  par  l'intermédiaire  de  cette 
vie  en  Dieu  qu'il  a  réahsée,  comme  homme,  sur  la  terre. 
Car  s'il  eût  parlé  de  Dieu,  comme  Dieu,  son  langage  eût  été 
imcompréhensible.  Ne  doit-on  pas  dire  même  que  la  con- 
naissance de  Dieu,  telle  que  la  possédait  le  Logos  avant 
son  incarnation ,  eût  été  inexprimable  en  langage  humain 
(2  Cor.  XII,  4)?  Tout  ce  rpie  le  Fils  a  révélé  de  Dieu  à  la  terre, 
a  donc  passé  par  sa  conscience  d'homme.  Mais  cette  con- 
science d'homme  était  celle  d'un  fils,  et  possédait  ainsi. 


II 


CIIAP.  I,  18.  -217 

commf  aucune  autre  ,  le  sens  nécessaire  à  rapcrcepli(jn  (!(; 
nieu  comme  Père.  Si  après  cela  on  considère  que  l'envoi 
(lu  Saint-Esprit  est  venu  compléter  après  l'Ascension  la  ré- 
vélation que  Jésus  avait  donnée  de  Dieu  pendant  son  minis- 
tère, ou  retrouvera  sur  cette  voie  l'exjjlication  de  Mcyer  et 
(le  Hofmann ,  et  l'on  arrivera  ainsi  à  la  complète  interpréta- 
lion,  celle  de  Lûcke ,  qui  applique  le  partie.  S  ov  au  rapport 
permanent  el  indestruclilde  entre  le  Fils  et  le  Père.  Ce  rap- 
port a  pu  passer  par  des  phases  très-tliverses  ;  mais  jamais 
il  n'a  pu  cesser  complètement.  —  La  préposition  de  mou- 
vement ziç ,  avec  le  verbe  de  repos  ov ,  vient  de  ce  que  le 
régime  «  le  sein  du  Père  »  ne  désigne  pas  réellement  un 
lieu,  mais  une  vie.  Le  Fils  n'y  eftt  qu'en  s'y  plongeant  par 
une  activité  incessante  ;  il  en  est  ainsi  de  tout  état  qui  ren- 
ferme une  relation  morale.  C'était  déjà  le  sens  de  la  locu- 
tion -riv  Tzçôç  (v.  4).  La  substitution  de  dç  à  -kçôç  ,  dans  notre 
verset ,  vient  de  la  diflérence  entre  un  régime  proprement 
local  (x.oXttoç)  et  un  régime  personnel  (0eo^j.  —  Le  pron. 
èxÊtvcç  est  ici,  comme  ordinairement  dans  Jean,  exclusif: 
«Celui-ci,  et  lui  seul.  »  —  Pour  expliquer  l'emploi  du  mot 
i^r^^tlchoi'. ,  il  n'est  pas  nécessaire  de  recourir  à  l'usage  tech- 
nique de  ce  mot  chez  les  Grecs ,  qui  désignaient  par  là  l'ex- 
plication officielle  des  choses  divines  par  les  hommes  chargés 
de  cette  fonction.  La  simplicité  du  style  de  Jean  exclut  ce 
rapprochement,  qui,  du  reste,  n'est  point  nécessaire  pour 
expliquer  l'idée.  L'objet  sous-entendu  d'sêiqyirjaaxo  est  sans 
doute  le  premier  mut,  le  mot  essentiel  du  verset,  0e6v, 
dont  rinlluence  se  fait  sentir  jusqu'à  la  fin.  Mais  Jean  ne  l'a 
pas  exprimé,  afin  d'appeler,  comme  au  v.  16,  l'attention 
sur  la  notion  verbale  plut('»t  que  sur  l'objet  de  l'action:  <i.U 
a  expliqué,  lui!  vraiment  exphqué  !  Son  enseignement  sur 
Dieu  a  seul  mérité  le  nom  d'interprétation.  » 

On  voit  par  le  mot  Tiarpoç,  du  Père,  que  la  vérité  apportée 


218  I.E  PROLOGUK. 

ail  iiKmdt'  j)ar  Ir  Fils  ne  coiisislc  pas  dans  un  t'iisi'iiiMc  do 
nouvelles  idées  iiiélaj)liysi((iii's  sur  Dieu,  mais  bien  jdiilùl 
dans  la  révélaliun  du  caractère  de  Dieu  comme  Père.  Il  a 
suffi  à  Christ,  pour  opérer  cette  révélation,  de  se  révéler  lui- 
même  c(»miiie  Kils;  car,  se  déelaier  et  se  démontrer  Fils, 
c'était  apprendre  au  monde  ce  qui!  n'aurait  jamais  diMou- 
verl  ni  s()up(,onné ,  c'est  que  Dieu  est  vraiment  Père.  El, 
s'il  est  r*ère  dans  l'inl imité  de  son  essence  et  j)ar  une  rela- 
tion éternelle,  comment  ses  rapports  avec  les  créatures 
n'auraient-ils  pas  aussi  un  caractère  paternel?  Voilà  la  nou- 
velle révélation  (jue  le  Fils  a  donnée  de  l'être  divin  et  que 
Im'  seul,  en  tant  qu(!  P'ils,  pouvait  en  efl'el  donnei-.  Elle  ren- 
ferme implicitement  cette  proposition  siihlinie  de  la  V^  épîtrc 
de  Jean  :  Dieu  est  amour.  C'est  l'inilialion  de  la  terre  au 
plus  profond  secret  du  ciel.  En  deliois  de  cette  divine  exé- 
gèse, renfermée  dans  la  vie  et  dans  les  paroles  de  Jésus, 
toute  idée  que  l'homme  se  fait  de  Dieu  n'est  qu'imparfaite 
ou  ima{,Mnaiie,  une  idole,  selon  l'expression  de  saint  Jean 
(1  Jean  V,  21).  Le  Dieu  vrai  n'étant  ainsi  coiiiiw  (pie  du  Fils 
et  révélé  que  par  lui,  celui-ci  est  bien  pour  l'homme  «  le  seul 
vrai  Dieu  cl  la  vie  Hernelle^  (\  Jean  V,  20). 

Tout  ce  que  l'honmie  eût  trouvé,  sur  la  voie  de  la  fidé- 
lité, dans  le  divin  Logos,  son  Créateur  (v.  4),  et  tout  ce 
(pi'il  a  perdu  en  romj)aiil  :ivec  lui  et  en  afïirmant  sa  vie 
propre  (v.  5),  il  le  retrouve  donc,  sui*  le  chemin  de  la  foi, 
en  recevant  Jésus-Christ.  La  Parole  répandait  la  vie  :  Jésus 
nous  l'a  iapj)ortée,  s(ms  la  forme  de  la  grâce;  il'nous  élève 
à  la  vie  véritable,  à  la  vie  surnaturelle.  De  la  vie  jaillissait 
la  lumière  :  Jésus  nous  a  rendu  la  lumière,  sous  le  nom  de 
vérité.  Dieu  parfaitement  donné,  Dieu  complètement  révélé: 
voilà  les  grâces  (pji  démonli-ent  la  présence  réelle  en  Jésus- 
Christ  de  l'être  signalé  dans  les  premiers  versets  du  piolo- 
gue.  L'Eglise,  en  recevant  de  lui  ces  dons  divins,  peut  con- 


ClIAP.  I,   18.  "âlO 

slater  elle-même,  à  l'égal  des  premiers  témoins,  l'identité 
de  la  personne  du  Logos  et  de  celle  de  Jésus-Christ,  et,  joi- 
gnant son  témoignage  au  chœur  des  apôtres  et  à  celui  des 
prophètes,  représentés  l'un  par  l'évangéliste,  l'autre  par  le 
Précurseur  (v.  14.  15),  attester,  sur  le  fondement  de  sa 
propre  expérience,  le  fait  sans  lequel  il  n'y  a  plus,  pour 
l'homme,  ni  vérité,  ni  grâce,  ni  vie,  ni  lumière  :  l'incarna- 
tion de  la  Parole,  l'union  consommée  en  Christ  de  Dieu  et 
de  l'homme. 


»r»<o 


2â0  CUNSIDÉRATIONS  GÉNÉRALES 

CONSIDÉRATIONS  GÉNÉRALES 

SUR  LE  PROLOGUE. 


I. 

L'intention  du  prologue. 

L'élude  (lélailléc  que  nous  veuuns  de  faire  nous  fournit 
les  matériaux  nécessaires  pour  résoudre  une  question  dont 
la  solution  est  d'une  importance  décisive  dans  l'appréciation 
du  caractère  général  de  notre  évangile  :  Quelle  a  été  la  pen- 
sée de  l'évangéliste,  en  plaçant  cette  introduction  en  tête 
de  son  récit?  Son  inlcntion  était- elle  spéculative  ou  pra- 
tique? 

Trois  pensées  résument  le  prologue  et  en  déterminent  le 
plan;  nous  pouvons  les  formuler  en  trois  mots  :  le  Logos; 
le  Logos  méconnu;  le  Logos  reconnu  et  recouvré.  Nous 
pouvons  donc  dire  :  la  Parole,  l'incrédulité,  la  foi.  Ces  trois 
idées  fondamentales  correspondent,  comme  on  le  voit,  aux 
trois  faces  principales  de  l'histoire,  telle  qu'elle  est  racontée 
dans  cet  évangile  :  la  révélation  du  Logos,  l'incrédulité  du 
peuple  juif,  la  foi  des  disciples.  L'ordonnance  de  ce  morceau, 
ainsi  compris,  est  claire  :  Entre  la  première  partie  (v.  1-5) 
et  la  seconde  (v.  0-11),  le  v.  5  forme  la  transition,  comme 
les  V.  12  et  13  sont  le  passage  de  la  seconde  à  la  troisième 
(v.  12-18),  laquelle,  à  son  tour,  est  en  rapport  intime  avec 
la  première.  La  relation  de  la  dernière  partie  avec  la  pre- 
mière, signalée  extérieurement  par  l'analogie  de  pensée  et 
d'expression  que  nous  avons  remarquée  entre  le  v.  18  elle 


SUR  I.K  PROLOliUE.  221 

V.  1 ,  peut  se  fornuiler  ainsi  :  Le  personnage  qn'onl  con- 
templé les  apôtres,  qn'a  proclamé  Jean-Baptiste,  et  auquel 
a  cru  l'Ég-lise  (v.  12-18),  n'est  pas  autre  que  celui  dont 
l'existence  et  la  grandeur  suj)r6me  ont  été  signalées  par  le 
titre  de  Logos.  L'Église  possède  donc,  dans  son  Rédemp- 
teur, le  créateur  de  toutes  choses,  la  lumière  essentielle, 
If  principe  de  la  vie.  Dieu  même.  Le  lien  primitif  entre 
riiomme  et  Dieu,  qu'avait  entamé  le  péché  (v.  5),  qu'achève 
de  rompre  l'incrédulité  (v.  11) ,  est  rétabli  dans  son  intégrité 
j)Our  le  croyant;  et,  par  le  moyen  de  la  foi,  la  formule  dw 
paradis  (v.  4)  redevient  celle  de  l'histoire  de  l'humanité 
(v.  1G-18).  —  Ainsi  le  prologue  forme  un  tout  organique, 
fermé,  dont  la  pensée  génératrice  est  celle-ci  :  Par  l'incar- 
nation, les  croyants  sont  replacés  dans  la  communion  du 
Verbe  et  dans  la  relation  vivante  avec  Dieu,  dont  le  péché 
avait  privé  l'homme. 

Une  telle  introduction  vise-t-ellc  à  la  spéculation  ou  à  la 
pratique,  à  la  connaissance  ou  à  la  foi? 

Nous  rencontrons  ici  trois  opinions  :  la  première  attribue 
à  l'auteur  un  but  purement  spéculatif;  la  seconde  admet  un 
but  proprement  pratique  ,  mais  compliqué  de  préoccupations 
métaphysiques;  d'après  la  troisième  enfin,  l'auteur,  en  re- 
montant aux  plus  hauts  principes  de  la  connaissance  chré- 
tienne, ne  se  propose  pas  d'autre  but  que  celui  qu'il  affirme 
lui-même  s'être  proposé  en  écrivant  son  évangile:  «.4^7? 
que  vous  croyiezy>  (XX,  31). 

1.  L'école  de  Tubingue  est  l'organe  le  plus  conséquent  et 
le  plus  habile  de  la  première  manière  de  voir.  A  ses  yeux, 
l'auteur  expose  dans  le  prologue  l'idée  qui  est  la  base  mé- 
(rtpJn/sique  du  récit  suivant,  qui  en  est  même  en  grande 
partie  la  source.  Les  principes  gnosliques  d'un  internK'diaire 
entre  le  Dieu  infini  et  le  monde  fini  et  d'une  o[)position  pri- 


222  CONSIDKRATIONS  CKNKHAI.KS 

monlialr  dans  l'univers  ciilif  la  limiiric  cl  les  léiièliios 
soiil  plar«'\>;  par  le  prolof^iic  à  la  liasc  de  lliisluiro  «'vang^é- 
liqiie;  ol  Ir  Iml  df  <  l'ilc-ci  ne  sera  poinl  de  lacdrilfi"  des 
faits  réels,  mais  imi(jiicm('iil  (rilliislicr  cc^  '\^\vcs.  Le  prok»- 
piie  n'esl  pas  au  service  de  la  nanaliun;  mais  e'<.'st  la  nar- 
ration qui  csl  au  service  de  l'idcc  spécidalivc  dont  le  pro- 
l(i},MM'  csl  la  phi.-  Iiiiiilf  c\[ii'cssi()M. 

Si  les  résultais  auxcjuels  nous  a  conduits  l'exégèse  sont 
fondés ,  cette  manière  d'envisager  le  piologue  n'est  pas  sou- 
tenable.  Nous  voyons  en  «'llcl  ((ue  la  notion  du  Logos  ne 
préoccupe  jtdiiil  laiilciif  jMiur  clle-nième,  mais  uniquement 
en  vue  de  l'ajtparition  historique  de  Jésus,  dont  elle  sert  à 
faire  ressortir  toute  la  grandeur.  La  thèse  :  a  La  Parole 
est  devenue  chair,  y)  n'est  pas  là  pour  celle-ci  :  a.  Au  com- 
mencement était  la  Parole ;i>  celle-ci,  au  contraire,  tend  à 
celle-là.  Jean  ne  songe  nullement  à  tirer  de  ce  qu'a  été 
Jésus-Christ  un  aigumcnt  en  faveur  de  l'existence  d'un  être 
appelé'  Logos;  il  ne  fait  au  contraire  mention  du  Logos  que 
pour  dévoiler  ce  qu'a  été,  ce  qu'est  pour  nous  Jésus.  Il  ne 
vient  donc  pas  inviter  ses  lecteurs  à  une  promenade  méta- 
physique dans  les  profondeurs  de  l'essence  divine,  mais 
simplement  les  engager  à  mettre  dans  le  Christ  historique 
toute  leur  confiance  ,  de  manière  à  avoir  par  lui  accès  à  la 
richesse  de  Dieu  même.  —  Ouanl  au  système  duahste,  l'au- 
teur s'en  préoccupe  si  peu  que  cette  doctrine  ne  fait  pas 
même  partie  de  son  enseignement  (voir  l'exégèse). 

Rien  n'est  peut-être  j)lus  ]»jojiie  à  faire  toucher  au  doig't 
l'opposition  complète  entre  l'intention  que  Baur  prête  au 
prolog^ie  et  le  but  réel  de  l'évangéliste ,  que  l'explication 
forcée  que  ce  savant  a  donnée  du  v.  iA.  Celte  proposition  : 
tLa  Parole  est  devenue  chair,})  dans  laquelle  le  sentiment 
de  l'Eglise  a  toujours  reconnu  le  mot  central  du  prologue, 
y  occupe,  selon  Baur,  une  place  tout  à  fait  subordonnée; 


SUR  I,K   PROLOr.lIK.  22S 

bien  loin  de  drsignrr  un  fait  ra|»ilal,  ruiiimc  le  serai!  celui 
de  rinraniation,  celle  parole  n'exprime  qne  le  phénomène, 
historiqnemenl  insignifiant  cl  jiFCsque  snperfln,  de  la  visi- 
bilité du  Verbe;  le  salut  ne  dépendrait  donc  nullement  de 
ce  fait;  il  ne  s'agissait  qiie  de  nous  en  faire  mieux  sentir  la 
douceur.  Celte  explication  ou  jilutôl  cette  élimination  de  la 
parole  décisive  du  jirologue  convient  sans  doute  parfaite- 
ment à  un  système  qui  ne  fait  de  toute  l'histoire  évangélique 
qu'un  transparent  propre  à  glorifier  l'/Vet'.  Mais  elle  démontre, 
mieux  que  toutes  les  preuves ,  l'insoluble  contradiction  qui 
existe  entre  l'idéalisme  spéculatif  du  théologien  de  Tubingue 
et  le  sérieux  et  sain  réalisme  de  l'évangélisle. 

2.  M,  Reuss  s'est  bien  gardé  de  tomber  dans  une  telle 
exagération.  Il  reconnaît  que  la  tendance  essentielle  du  pro- 
logue est  pratique  et  que  Jean  veut  convier  ses  lecteurs  à 
la  foi  avant  tout.  Mais,  chassée  parla  porte,  l'intention  spé- 
culative revient  par  la  fenêtre.  Jean,  tout  en  expo.sant,  en 
vue  de  la  foi,  l'objet  de  la  foi,  y  joint  une  thèse  spéculative. 
«Convaincu,  comme  les  autres  apôtres,  de  la  nature  surhu- 
maine de  Jésus,  Jean,  dit  M.  Reuss,  em{)runte  à  l'école  la 
théorie  métaphysique  qui  s'y  prèle  le  mieux  et  lui  rend 
compte  de  ses  croyances*.»  La  simple  foi  religieuse  ne  lui 
suffit  donc  pas,  ni  pour  lui-mènie,  ni  jKinr  l'Eglise.  Il  veut 
s'expliquer  {)hilosophi(juement  le  contenu  de  sa  croyance, 
et  la  notion  du  Logos  est  le  moyen  que  lui  fournit  la  philo- 
sophie contemporaine  pour  atteindre  ce  but.  L'invitation  à 
la  foi  se  transforme  ainsi  sous  la  plume  de  l'évangéhste  en 
une  initiation  de  ses  lecteurs  à  la  gnose  chrétienne.  C'est  à 
ce  résidtat  qu'aboutit  également  l'élude  très-consciencieuse 
de  Lùcke. 

Cette  manière  de  voir,  tout  en  sauvegardant  d'un  côté  le 

1.  Hist.  de  la  théol.  chrét.  l.  II,  p.  346. 


224  C.O.NSIDKHATIU.NS  (.KM^HAI-KS 

caraclèro  a(it»sloli(ju<'  cl  |»rali(jiio  du  |ii(iIi)<,aio,  (jii'clTaco  en-' 
li«''r(.'ni»'iil  ro|)ini(iii  de  lîaiir.  it'ussil  iraiilrc  pari  à  rendre 
roinpic  de  reiiipliii  d'un  Irrnir  a|i|iai'li'iianl  à  la  ian^aie  spé- 
culalive,  celui  de  Lofros.  !.<'  iintldrinc  |iaiail  ainsi  résolu. 
Nous  rerlicrciicrons  dans  le  cliapilic  .siijvaiil  la  vt-ritahlc 
source  à  hicjucile  Jean  a  puisé  sa  conception  du  Logos  et  la 
raison  pour  laquelle  il  a  employé  ici  ce  terme  qui  semble 
étranji:er  à  la  lan^iK-  relij^icuse.  Km  alIrndaMl.  nous  jii'é'sen- 
terons,  sur  lOpinion  de  M.Hi'uss,  les  oliseivalions  suivantes: 

Celte  exj)licalion  notis  païaîl  dillicilenient  conipalible  avec 
le  ton  i\e?'  premières  jtrupositions  du  prologue.  Jean  ne 
parle  point  en  niélapliysicirii  (pii  cln  relie  la  vérité,  mais  en 
homme  (jui  la  possède  et  la  révèle.  Si  ce  ton  d'oracle  était 
employé  uniquement  au  service  d'im  lieu  commun  de  méta- 
physique (•onlenq)oraine,  la  sublime  simjilicilé  de  ces  pre- 
mières propositions,  (pii  a  lavi  les  siècles,  serait-elle  autre 
chose  que  du  charlatanisme,  un  pathos  de  la  pire  espèce? 

Il  résulterait  ensuite  de  la  niain'ère  de  voir  de  M.  Reuss 
que  Jean  aurait  fondu  en  un  tout  unique  les  éléments  pui- 
sés dans  l'enseignement  de  Jésus  et  ceux  qu'il  empruntait  à 
la  métaphysique  de  Pbilon.  Est-il  réellement  concevable 
qu'un  a[»ôtre  se  soit  pernns  un  tel  amalgame  et  ait  ci'u  pou- 
voir ollrii-  à  la  foi  de  l'Kglise  ce  pain  mêlé  de  son  et  de 
farine?  Si  Jean  tenait  à  fixer  par  l'écriture  la  théorie  du 
Logos,  qui  lui  avait  rendu  à  lui-même  les  éminents  services 
que  l'on  prétend,  en  lui  inlerpri-tanl  sa  foi,  ne  pouvait-il 
pas  du  moins  le  faire  sous  la  forme  éf»istolaire  qu'il  connais- 
sait fort  bien  et  qu'il  employait?  Lui  était-il  pernu's  d'ex- 
ploiter dans  ce  but  la  composition  d'un  évangile?  Ou  saint 
Jean  aurait-il  considéré,  avec  M.  Renan,  Pbilon  comme  «le 
frère  aîné  de  Jésus  '  »  ? 


1.   Vie  de  Jésus,  p   ix. 


à 


SL'U  I.i:  l'HOLOGUE.  255 

M.  Ilciiss  jKiiaîl,  il  est  vrai,  envisager  ce  procédé  do 
l'apùlre  coniinu  inconscient  et  innocent.  Inconscient?  Cela 
est  psychologiquement  impossible.  Nous  avons  d'ailleurs 
une  preuve  sans  réplii|U('  du  contraire.  On  a  lait  remarquer 
dès  longtemps  que  Jean  ne  nu't  jamais  le  terme  de  Logos 
dans  la  houclie  de  son  iMaîIre.  Il  avait  donc  pleinement 
conscience  de  la  difTércnce  entre  ce  qu'il  tenait  directement 
de  son  enseignement  et  ce  qui  provenait  d'une  autre 
soiu'ce.  Innocent?  Sur  co  j)oint  l'histoire  a  jugé,  et  sa  sen- 
tence est  sévère.  L'histoire  dit,  en  effet,  qu'entre  tous  les 
écrits  du  Nouveau  Testament,  c'est  surtout  l'évangile  de 
Jean,  et,  entre  toutes  les  parties  de  cet  évangile,  surtout  le 
prologue,  qui  a  frayé  le  chemin  à  la  Jésnlatrie,  et  par  là 
maintenu,  depuis  dix-huit  siècles,  le  christianisme  à  l'état 
de  paganisme  mitigé.  Julien  l'Apostat  a  bien  su  le  dire  : 
«C'est  Jean  ([ui  a  déclaré  (pie  le  Verbe  s'était  fait  chair.... 
et  il  doit  être  envisagé  comme  la  source  de  tout  le  mal.  «  * 
Voilà  le  résultat  très-grave  des  innocentes  velléités  spécu- 
latives de  Jean!  Cet  apôtre  a,  de  sa  propre  main,  jeté  dans 
la  pâte  de  l'Évangile  le  levain  de  l'idolâtrie,  et  ce  levain  a 
réellement  fait  lever  toute  la  pâte,  faussé  la  doctrine,  vicié 
l'adoration  en  esprit  et  en  vérité,  altéré  dans  ses  sources  la 
vie  chrétienne.  Ce  n'est  qu'aujourd'hui  que  le  monde  se 
réveille  de  ce  vertige  et  met  la  main  sur  le  coupable,  si- 
gnalé jadis  par  Julien.  —  De  l'apostat  ou  du  disciple  bien- 
aimé,  c'est  donc  le  premier  qui  a  raison!  Mais  alors,  que 
penser  de  celui-ci?  Que  penser  du  Maître  qui  l'avait  choisi, 
privilégié;  du  Maître  qui  avait  mis  en  général  l'enseigne- 
ment de  ses  apôtres  sous  cette  divine  garantie  :  *  Cehii  qui 
vous  écoute,  m'écoute!)) 


l.  Cyrille,  Cotit.  Julian.  Cilé  d'après  A.  .Nicolas,  Éludes  philos,  sur  le 
chrislianisme,  t.  IV,  p.  117. 

I.  15 


SfîT)  CuNSlliKItATlUNS  (IKNKUALLS 

Li'  prtxrdc'  (juc  M.  Uciiss  allrihuo  à  rapôlrc  devit'ut  coni- 
jïlètoinent  inadmissible,  si  l'on  en  éludie  la  portée  d'après 
le  texte  même  dn  prologue.  A  entendre  ce  savant,  il  sem- 
Moi'ail  (jni'  la  (liroric  du  Lofj-'os  ne  soil  qu'une  superfélalion 
accidenlclle,  portant  uniquement  sur  la  forme  ralionni.'lle, 
sans  racines  dans  la  foi  religieuse  de  Jean.  Il  est  aisé  de  se 
convaincre  du  contraije.  Ce  tliéoième  prétendu  n'est  point 
un  simple  accessoire  dans  le  prologue,  il  en  constitue  le  fond 
et  représente,  non  pas  la  ])hilosophie  de  Jean,  mais  sa  foi, 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  essentiel  et  de  plus  vital.  Jksu.s 
EST  roL'R  Jk.vn  le  Logos,  ou  il  n'est  rien.  Si  l'incrédu- 
lité des  Juifs  est  quelque  chose  de  si  monstrueux  à  ses 
yeux,  c'est  qu'en  rejetant  Jésus  ils  ont  rejeté  le  Logos.  Si  la 
foi  nous  régénère  et  nous  sauve,  c'est  qu'elle  nous  remet 
en  communion,  par  Jésus,  avec  le  Logos.  C'est  ici  le  cas  de 
dire  que  la  forme,  si  forme  il  y  a,  emporte  le  fond.  La  for- 
mule métajihysi<[ue  absorberait  donc  tellement  dans  le 
cœur  de  Jean  l'objet  vivant  de  la  foi,  le  Jésus  qu'il  avait 
connu,  que  celui-ci  ne  serait  plus  rien  à  ses  yeux  sans 
celle-là!  Liu',  le  témoin  de  cette  vie,  le  conimensal,  l'iu- 
timc  de  ce  Maître,  il  en  serait  venu,  dans  son  délire  spécu- 
latif, à  faire  résider  la  force  vivifiante  de  l'Evangile,  non 
[dus  dans  sa  persoime,  mais  dans  la  concejjlion  philoso- 
phique qu'il  s'était  faite  de  lui!  Il  n'y  a  qu'une  chose  à  dire 
à  cela  :  C'est  moralement  impossible. 

Heureusement  le  texte  du  piologue,  bien  compris,  ne 
justifie  point,  exclut  même  comi)lètement  le  point  de  vue 
d'oîi  résultent  logiquement  ces  conséquences  désastreuses. 
L'emploi  du  terme  de  Logos,  quoique  se  rapportant  sans 
doute  à  certaines  spéculations  contemporaines,  n'était  point 
in-^piré  à  Jean  par  une  intention  spéculative;  peut-être 
même  trouverons-nous  qu'il  lui  était  dicté  par  une  intention 
directement  contraire  à  la  spéculation.  Ce  qui  en  tout  cas 


SL'H  I.i:  l'HUl.UGLE.  227 

ii'ssurl  claircmciil  du  Icxk',  c'est  que,  en  pailanl  du  Ldgo.s, 
Jean  ne  songe  pas  à  dunner  lui-même  une  révélation  sur 
ressemé  divine;  il  veiil  conduire  le  lecleui'  à  recevoir  avec 
mie  loi  jtiu  l'aile  la  révélation  de  Dieu,  (|ue  Jésus-ChrisI  nous 
a  donnée  et  que  cet  évangile  va  reproduire;  c'est  dans  ce 
but  (pi'il  désigne  Jésus  comme  le  Logos,  c'est-à-dire  comme 
le  parfait,  l'absolu  révélateur.  La  vraie  application  de  ce 
lilre  de  Logos  n'est  donc  pas  :  «Elevez-vous  avec  moi  à 
la  conception  de  la  seconde  persomie  de  la  Trinité!»  mais: 
«  C4roycz  en  celui  qui  nous  a  donné  dans  sa  parole  et  dans 
sa  vie  la  parfaite  manifestation  de  l'être  divin  !  » 

3.  L'exégèse  ne  constate  donc  aucune  trace  d'intention 
spéculative,  ni  dominante,  ni  accessoire,  dans  le  prologue. 
La  tendance  pratique  absorbe  tout.  Il  ne  s'agit  aux  yeux  de 
Jean  (jue  de  foi.  Si  Jésus  est  appelé  le  Logos,  ce  n'est  pas 
pour  que  l'on  spécule  sur  le  Logos,  mais  pour  que  l'on 
croie  en  Jésus,  en  le  recevant  comme  le  médiateur  parfait 
entre  Dieu  et  l'homme,  le  principe  de  la  vie,  le  révélateur 
inconiparatjle.  Tous  ces  attributs  sont  compris  dans  le  nom 
de  Logos,  et  ce  titre,  par  sa  richesse  intrinsèque  et  par  son 
étrangeté  même,  devient  l'appât  de  la  foi.  Reste  à  savoir 
plus  précisément  quelle  a  été  la  pensée  de  Jean,  en  plaçant 
cette  magnifique  inscription  au  honton  de  l'édifice  élevé 
par  ses  mains. 

La  relation  que  nous  avons  fait  observer  entre  les  idées 
fondamentales  du  prologue  et  les  éléments  essentiels  de  la 
narration  qui  doit  suivre,  ne  nous  laisse  pas  dans  le  doute 
sur  celte  question.  Le  prologue  est  destiné  à  être  la  clef  de 
l'évangile.  Il  initie  le  lecteur  à  la  véritable  essence  du  fait 
raconté;  il  lui  en  révèle  le  caraclèi'e  auguste,  la  grandeur 
unique,  l'importance  vitale.  Le  prologue  est  semblable  à  ce 
terme  technique,  placé  en  tète  d'un  morceau  musical,  qui 


:iî-28  CONSIDt'RATIONS  r.KNF.RAI.KS 

iii(Ii(]in'à  (N'Iiii  (]iii  doit  rex«'cnl(M\  l'îicccnl  (M  lo  inonvomriil 
(|iril  faiil  y  inoltiT.  Klovor  l'espiil  <lii  Iccloiir  à  la  liaulnir 
ri'cllc  (lu  (liamc  (]iii  va  s(^  (Irionler  sous  S('s  yc^ux;  lui  lairt' 
sentir  que  ce  n'est  |tas  ici  uu»-  liisldiic  qu'il  tluif  confondre 
avec  IduIcs  les  autres  rt  uicltrc  dr  i('i|('.  ;iprès  l'avoir  lue, 
pour  jiasser  à  une  autie;  <|ue  c'est,  ici  le  secret  de  la  vie  de 
riiumanilé,  de  la  sieinie  piopre;  que  les  paroles  qu'il  va 
lire,  ne  sont  rien  moins  (pic  le  rayonnement  de  la  Parolt- 
absolue;  (praccej)técs,  elles  seront  son  salul;  rcjetées,  sa 
mort;  (jue  l'incrédulité,  c'est  Dieu  rejtoussé;  la  foi,  Dieu 
accepté,  possédé  :  voilà  l'intention,  la  vraie,  l'unique  pensée 
du  jirolofjue.  Ce  morceau  n'est  que  le  commentaire  du  titre 
d'évangile,  de  message  suprême  de  Dieu  à  la  terre,  donné 
à  l'histoire  évangélique  et  aux  livres  qui  la  renferment.  Dès 
la  {tremière  lig^ne  du  i/'cit  qui  va  suivre,  le  lecteur  se  trouve 
ainsi  transp(jrté  dans  la  sphère  rlivine  à  laipielle  appartient 
cette  histoire  et  d'où,  en  un  certain  sens,  elle  ne  sort  ja- 
mais, et  la  li.'cture  de  ce  livre  devient  pour  lui  un  contact 
immédiat  avec  l'être  divin  qui  s'y  manifeste  encore  à  cette 
heure,  aussi  bien  qu'il  se  manifestait  dans  l'histoire  réelle. 
Tel  est  le  résultat  auquel  conduit  une  exégèse  scrupu- 
leuse et  impartiale  du  j»rologue.  On  voit  que  Jean,  en 
l'écrivant,  n'est  pas  sorti  un  instant  de  son  rôle  d'apôtre. 
Son  livre  est  bien,  du  premier  mot  jusqu'au  dernier,  un 
évangile,  rien  de  plus,  rien  de  moins,  un  appel  à  la  foi.  Il 
ne  nous  reste  plus,  pour  éloigner  le  dernier  motif  de  doute 
à  cet  égard,  qu'à  rendre  compte  de  la  notion  et  du  terme 
de  Logos,  et  (ju'à  prouver  que  les  emprmils  à  la  métaphy- 
sique contemjtoraine  qu'on  im|)ute  à  l'apôtre,  ne  sont  en 
réalité  que  des  prêts  qu'on  lui  fait. 


SLK  LE  rUOLUCUE.  2î20 

II. 

Le  Loijos. 

Los  li'ois  (|ii('sliniis  (|ii('  iKMis  l'ivoMS  ;'i  rv'soinlrc ,  soiil 
ccllcs-ri  :  Où  révangélisle  ;i-l-il  piiisi-  s;i  iidlioii  du  Logos? 
(Jiu'llc  csl  roi'iîïiiu'  (le  rc  Iciiiit'  itiiisih'?  Ijiicl  iiioliTr.'i  |)()rté 
à  remjtloyfr  iri? 

Avant  tout,  il  imporlo  de  conslalcr  iiii  lail  :  c'est  que  le 
|H"ol()j4iii'  Mf  cniiiiciil  pMs  une  iM'iisiM' (|iii  (li'passe  le  contenu 
(lu  téuiuii^uai^e  de  (lliiist  dans  le  (jualrièuie  «'vangile  et  l'en- 
seignenieut  de  l'Ancieu  Testament  expliqué  à  cette  lumière. 
H.  Weiss'  mentionne  deux  points  principaux  dans  lesquels  le 
témoignage  de  Christ  lui  paraît  être  dépassé  par  le  prologue  : 
l"la  notion  de  la  Parole,  par  laqmdle  Jean  formule  l'existence 
anté-historique  de  Christ;  2"  la  l'onction  créatrice,  qu'il  attri- 
hue  à  cet  être.  WeizsJicker*  ajoute  à  ces  deux  {)oints  celui  de 
la  jiréexistence  de  Christ.  Ce  théologien  ne  peut  naturelle- 
ment s'exprimer  ainsi  qu'en  distinguant  dans  les  discours  de 
Jésus  ce  que  le  Maîti-e  a  réellement  dit  et  ce  qu'il  faut  mettre 
sur  le  compte  île  l'évangéliste.  Il  est  en  ell'et  positif  que  les 
discours  de  Jésus  dans  le  quatrième  évangile  renferment 
l'idée  de  sa  préexistence.  nQue  sera-ce,  quand  vous  verrez 
le  Fils  de  l'homme  remonter  là  oii  il  était  auparavant"^ d 
M,  6!2.  —  «  En  vérité ,  en  vérité,  je  vous  dis  :  Avant  qu'A- 
hraham  naquît ,  je  suis.  »  VIII,  58.  —  a  Et  maintenant,  glo- 
rifie-moi, toi ,  Père,  auprès  de  toi-même,  de  la  yhire  que 
j'ai  eue,  avant  la  création  du  monde,  auprès  de  toi.  »  XVII,  5. 
—  «  Parce  que  tu  m'as  aimé  avant  la  création  du  monde.  » 
XVII,  ^4.  —  Personne  ne  songe  j)lus,  à  cette  heure,  à  con- 
tester le  sens  natuiid  de  semhlahles  pai'oles.  En  rejetant 

t.  Johanncischer  Lehrbeyrijf ,  1862. 

1.  JalirbucUer J'iir  dtutschc  Theoloyie ,  t.  Vil,  4''  cahier. 


'li:\0  CONSIDI^RATIONS  f.KNÉRAI.KS 

iit'llcinriil  l'aulorilô  de  rKrritnrt',  Ir  ruiionalismc  acluel  s'est 
allVaiirlii  ni  hiimiic  temps  de  la  triste  néressité  d'atténuer  le 
st'iis  de  ses  dt-ilaiatioiis.  C'est  l'iiii  des  avantages  de  la  si- 
tiialioii  jdt'-st'iilc. 

Coiiipanins  d'abord  alteutiveineiil  leeoiilenii  du  projogiir 
avec  celui  des  discours  de  Christ  dans  le  (|ualiièni<'  évangile  : 

Les  deux  j)reniières  propctsitions  du  v.  I  lésultent  direc- 
lenienl  des  paroles  de  Christ  (jne  nous  venons  de  citer.  Car 
où  aurait  été  la  Parole  aiilt-riiiuenienl  à  la  cjf'alion,  et 
lorsi|ue  rien  n'existait  encore,  sinon  avec  Dieu?  Jésus  dit 
lui-même  :  «  Auprès  de  toi ,  avant  qve  le  monde  fiU.  »  La  troi- 
sième proj)Osilion  :  a  Ltr  Parole  êluil  Dieu,  »  n'est  qu'un  co- 
rollaii'e  des  propo^ilinns  jnécédentes  et  du  iimt  :  «Je  suis,  » 
opposé  à  celui-ci:  •^ Avant  qu'Abraham  naquit,»  littérale- 
ment ii devînt.))  Jésus  s'attribue  là  expiessément  l'essence, 
le  mode  d'elle  de  celui  (jui  a  dit  :  <s  Je  suis  celui  qui  suis.  » 
Quant  à  la  fonction  créatrice  attribuée  au  Logos,  v.  3,  ne 
su(îisait-il  pas  de  rappiocher  la  j)ensée  de  l'existence  éter- 
nelle et  divini."  du  Logos  de  cette  jiarole  :  «  Tu  m'as  aimé 
avant  la  crculion,rt  pour  comprendie  que  celui  qui  parlait 
ainsi  ne  pouvait  avoir  été  étranger  à  l'œuvre  qui  avait  tiré 
le  monde  du  néant,  et  pour  discerner  dans  ce  pluriel  de  la 
Genèse:  Faisons  (Gen.  1,  20),  ce  que  Jean  afïiime  de  la 
participation  de  la  Parole  à  l'acte  créateur?  Le  témoignage 
de  Jésus  sui-  lui-même  dans  le  quatrième  évangile  ne  permet 
pas  de  chercher  sa  présence,  dajis  le  piemier  chapitre  de 
la  Genèse,  ailleurs  que  dans  le  sein  même  d'Klohim. 

Les  autres  paroles  du  prologue  se  déduisent  non  moins 
sûrement  des  discouis  et  des  actes  de  Jésus  dans  l'évangile: 
v.  4  :  «En  elle  il  y  avait  vie....  »  Comp.  V,  20  :  «  Comme  le 
Père  a  la  vie  en  lui-même,  il  a  aussi  donné  au  Fils  d'a- 
voir la  vie  en  lui-même.  »  —  v.  9  :  «  C'était  la  lumière  vé- 
ritable...)) Comp.  VllI,  12  et  IX,  5  :  «Je  suis  la  lumière  du 


Sl'R  LE  PROLOGUE.  1>M 

monde...  Celui  rpti  )nc  suit  aunt  la  lumière  de  la  vie.))  — 
\.  7  :  <i.Jean  vint  pour  rendre  témoignage.  »  Comp.  I,  34  : 
'  Et  j'ai  vu ,  et  j'ai  rendu  témoignage  que  celui-ci  est  le  Fils 
de  Dieu.  )>  V,  :\:\  :  «  Vous  avez  envoyé  vers  Jean,  et  il  a  rendu 
témoignage  à  la  vérité.  »  —  Le  prologue  exprime  l'idée  im- 
|)Oi-tanfr  do  l'aclivilô  du  Log-os  dans  la  théocratie  et  même 
dans  rimiiianité  tout  eiitièie,  antéiieuremeiit  cà  son  incariia- 
ticii  :  V.  5  et  11.  Cette  idée  résulte  directement  de  ce  que  dit 
Jt''.siis,  au  (h.  X,  de  la  manière  en  laquelle  la  voix  du  Beig-er 
est  reconnue  par  ses  brebis,  et  cela  non -seulement  par 
celles  qui  sont  renfermées  dans  la  bergerie  de  l'ancienne 
alliance  (v.  r3),  mais  même  par  celles  qui  ne  sont  pas  de  cette 
bergerie  (v.  10),  par  ces  enfants  de  Dieu  non  appartenant  à 
la  nation  et  dispersés  dans  tout  le  monde  (XI,  52).  —  Quant 
à  l'opposition  entre  la  naissance  charnelle  et  l'engendrement 
divin,  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  le  prologue  (v.  1.3),  elle 
est  tirée  de  celte  sentence  de  Jésus  :  «  Ce  qui  est  né  de  la 
chair,  est  chair;  ce  qui  est  né  de  l'Esprit,  est  esprity»  (III,  6). 
—  La  réalité  de  riiumanité  de  Christ  est  affirmée  dans  le 
prologue  non  moins  énergiquement  que  sa  divinité  :  v.  44. 
Or,  dans  aucun  évangile  peut-être,  autant  que  dans  le  qua- 
trième, ne  ressort  le  côté  parfaitement  humain  de  la  per- 
sonne et  des  affections  du  Sauveur.  Il  est  exténué  de  fatigue 
(IV,  6);  il  a  soif  (IV,  7);  il  pleure  sur  son  ami  (XI,  35); 
il  est  ému,  tnniblé  même  (XI,  33;  XII,  27).  En  même 
temps  sa  gloire  terrestre  de  Fils  unique,  si  admirablement 
formulée  dans  le  prologue,  se  déploie  dans  l'évangile,  dans 
le  caractère  parfaitement  filial  de  toutes  les  manifestations 
de  Jésus,  en  actes  et  en  paroles  :  sa  dépendance  complète 
(Vf,  38  et  s.);  sa  docilité  absolue  (V,  30,  etc.);  son  intimité 
sans  boines  avec  le  Père  (V,  20);  la  grandeur  des  œuvres 
qu'il  reyoil  le  pouvoir  de  faire  :  vivifier,  juger  (V,  21.  22); 
l'assurance  parfaite  de  l'exaucement,  quoi  qu'il  demande 


-1:\'-1  CONSIDKRATIONS  (.KNKRAl.KS 

^.\1,  il.  'rlj:  r;i(l(»r;ili(iii  (|ii'il  iirccjilt^  (\X,  "IS),  (ju'il  rr- 
clamr  mriiic,  ;i  rt''^;il  du  l'ère  (V,  '1:\).  — Le  léinoigiiiij^c  do 
J«'an-B;i}»listo  cid''  iiii  v.  15  est  im  <iii|ii  uni  Icxlucl  h  l:i  nar- 
ration siibséqucnlc  (I,  "27.  :]0).  —  l/idi'-c  du  ddii  de  la  loi, 
coiniiie  pivj)arali(m  de  rKvaii;.;il('  (v.  17),  ressort  de  V,  i(l. 
i-7.  —  Le  v.  18,  (jiii  elôt  le  prologue,  ie])roduil  presque 
texluellenuiil  la  parole  VI,  iO  :  «iVon  que  qudqv'ttn  ait  vu 
le  Porc,  si  ce  n'est  celui  qui  est  du  Père  ;  celui-là  a  vu  le 
Pcrc.^  —  Les  tenues  de  Fils  et  de  Fils  unique,  euliu,  sont 
enipruulés  à  VI,  iO  :  a^  C'est  ici  la  volante  du  Père,  que  ce- 
lui qui  contemple  le  Fils...y>  cl  à  111,  Ui  (cjue  Jean  met  cer- 
tainenitril  dans  la  IkuicIic  de  J(''sus)  :  ((Dieu  a  tant  ninié  le 
monde,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique, y>  et  111,  18  :  ((Parce 
qu'il  n'ti  pas  cru  au  nom  du  Fils  unique  de  Dieu.i) 

Si  quehjue  eliose  est  dénionlré,  c'est  donc  ce  fait:  que 
les  paroles  attribuées  à  Jésus  dans  la  narration  renferment 
toutes  les  idées  exprimées  dans  Iti  probtgue,  on  du  moins 
leurs  [(remisses  innnédiates.  Nous  ne  pouvons  en  excepter 
avec  Weiss  l'idée  de  la  création  par  la  Parole.  Il  ne  reste 
que  le  terme  de  Logos  choisi  par  Jean  pour  caractériser  le 
Fils.  C'est  ceitainement  l'emploi  de  ce  terme  usité  dans  la 
langue  jiliilosojiliique,  qui  a  fait  qu'au  lieu  de  voir  tout  sim- 
plement dans  l'auteui'  du  j)ioloj,''ue  le  disciple  de  son  Maîtie, 
(»n  l'a  transformé  en  disciple  des  Gnostiques  ou  de  Pliilon. 

.Mais  l'exégèse  que  nous  venons  de  faire  de  tout  1(î  pro- 
logue, doit  avoir  montié  quelle  distance  il  y  a  entre  notre 
évangile  i-l  les  Gn(js(i(jues.  Toutes  les  expressions  dont  se 
sert  lévangéliste  ont  un  sens  simj)lement  leligieux,  naturel, 
aj)proprié  au  contexte,  tandis  que,  dans  le  gnosticisme,  elles 
>ont  i-nqdoyf'es  dans  un  sens  guindé,  artificiel,  mytholo- 
gique.' 

1.  Hiipciifeld  trouve  dans  s^rj  (v.  4)  Ja  personne  niylliologiqiie  qui, 
chez  les  Onosliques,  faisait  la  syzygie  du  Logos;  dans  oxorca  (v.  5),  le 


II 


SLR  LE  PROLOGUE.  '33.'3 

(Jii.'iiil  ."i  l'ccolc  iil(,'X!iii(lriii«'  cl  il  Philon,  personne  ne  nié- 
ronn;iil  |iliis  aujourJ'Imi  les  dillérences  jn-ufondcs,  essen- 
tielles, (jiii  les  séparent  de  Jean.  M.  Reuss'  <li(  liii-inèine  : 
«Les  auteurs  modernes  (jiii  unt  été  d'avis  que  le  Lo^^^^os  de 
Jean  n'est  pas  le  iiiènie  (|iie  eelui  de  Pliilon,  unt  eu  raison 
sans  doute....»  Mais  il  trouve  néanmoins,  «dans  la  ressem- 
blance parfaite  qui  existe  entre  les  formules  de  l'apôtre  et 
celles  du  j)liilosoplie,  j>  la  |ireuve  d'un  «rajiport  de  dépen- 
dance entre  les  deux  systèmes,  au  moins  quant  à  leur  forme 
et  à  leur  succession  chronologitjue.  » 

Voici  les  dillérences  capitales  qui  nous  paraissent  exister 
entre  Jean  et  Pliilon,  quant  au  sujet  qui  nous  occupe,  et  qui, 
malgré  renq)loi  connnun  du  mot  Xo'ycç,  accusent  deux  en- 
seignements divers  et  même  opposés.* 

i.  Us  emploient  tous  deux  le  mot  Xcyc?,  mais  dans  un 
sens  tout  diftérent.  Ciiez  Jean,  il  sig^nifie,  comme  en  général 
dans  le  langage  biblique,  parole.  Chez  Philon,  il  a  le  sens 
pliilosojibicpie  de  liaison.  C'est,  connne  dit  Crossmann',  vis 
diuina  in  rutione  posita  cl  universœ  nalurœ  animo  atque 
mente,  divinœ  mentis  fusio  universel.  Lorsque  Philon  veut 
donner  au  mot  Xo'yc-  le  sens  de  parole,  il  ajoute  expressé- 
ment fT|(ia.  «Dieu  fait  l'une  et  l'autre  chose,  dit-il,  par  son 

principe  étcTncileraent  opposé  à  la  lumière  dans  le  système  dualiste; 
dans  l'e.'ç pression  venir  au  monde  (v.  9),  une  allusion  au  temps  pendant 
lequel,  d'après  les  Valentiniens,  Jésus  se  préparait  à  recevoir  en  lui  le 
divin  Logos;  dans  les  v.  12  et  13,  le  principe  guostiqne  que  le  croyant 
ne  devient  que  ce  qu'il  est  déjà  par  nature;  dans  la  grâce  et  la  vérité 
(  V.  14) ,  une  syzygie  valentinienne,  etc.  etc.  On  rira  un  jour  de  ces  décou- 
vertes prétendues ,  comme  on  plaisante  aujourd'hui  des  allégorisations 
des  l'ères. 

1.  Bist.  de  ta  théol.  chrèt.  t.  Il,  p.  354. 

2.  Philon  survécut  à  Jésus  au  moins  d'une  dizaine  d'années  (Renan, 
Vie  de  Jésus,  p.  ix).  Ses  écrits  sont  donc  certainement  antérieurs  à  l'é- 
vangile de  saint  Jean. 

3.  Quœstiones  Phi'oneœ .  Il,  35. 


5:Vfr  CONSIDKRATIONS  f.ÉNÉRALES 

Acvo  ^TJaar.V  «  11  iUliilmi'  l:i  (•i(''ali()n  au  Iriiit  f>tth*.  L'om- 
j)loi  (lu  mot  Xoyc?  <lans  saint  Jean  est  Jour  coiilorme  au  sons 
de  cette  expression  flans  les  LXX  et  dans  tonte  rKrritiire, 
mais  nullement  à  son  sms  cIm'/,  Philon. 

4.  La  nature  do  Irtre  air)si  (l(''si}^iié  est  ('},^^IeIn('nl  conçue 
d'une  manière  toute  dilIV'iente  chez  les  deux  é<nvains.  Le 
Lo},Mis  de  Jean  est  une  personne.  «C'est,  dit  Baur,  un  Aire 
divin,  existant  |i<>ur  liii-iiK^'Oïc  ,  (pii  se  nicul.  en  (pielque 
sorte,  vers  le  cœur  de  Dieu,  rlicrcliant  à  résoudre  dans  l'u- 
nité ce  qui  le  sépare  et  le  ilislinj^aie  de  lui....  Cela  suppose 
chez  lui  la  conscience  «le  sa  distinction  jtersonnelh''.»  Le 
Log:os  de  Philon  ne  possède  point  une  personnalité  sérieuse. 
Grossmann  dit*:  «De  même  ipie  lu  iliéolunie  de  Philon  est 
comp()S(''e  d't''l(''ini'nls  divers,  ainsi  la  notion  du  Loi^os  divin 
que  nous  trouvons  chez  lui,  prend  des  couleurs  «iilli'renlcs 
selon  la  différence  des  auteurs  auxquels  il  se  rattache.  » 
Ecrit-il  sous  l'influence  des  documents  juifs,  il  appelle  le 
Logos,  Xarchnuge.  Ouand  il  s'explique  en  philosophe  pla- 
tonicien, il  1(3  désigne  comme  Xidce  des  idéra  (côsa  tSsûv). 
D'autres  fois,  se  rattachant  à  la  doctrine  stoïcienne  de  l'âme 
flu  monde,  il  le  décrit  connue  la  riiimm  itnperxoJinelle  dif- 
fuse dans  tous  les  êtres  (o  xo'.vô;  \6yc^  6  S'.à  Tcavrov  içyJuxz- 
vc;).  Aussi  Niedner  résume-t-il  son  étude  de  cette  question 
en  disant  :  «Il  n'y  a  pas  de  pa.ssage  qui  réclame,  tandis  qu'il 
y  en  a  plusieurs  qui  excluent  la  distinction  hypostatique  de 
Dieu  et  du  Logos'.»  Il  n'y  a  donc  aucun  rapport  entre  cette 
notion  confuse,  indécise,  conqdexe,  résultat  d'un  syncré- 

1.  Cité  d'ap.  Hœlemanii,  De  evangelii  hih.  introitu,  p.  i8. 
î.  Ibid.  p.  V.). 

3.  Das  Christ,  mid  die  christl.  K.  dcr  drei  ersten  Ja/irh.  p.  323. 

4.  Quœst.  Phil.  W  ,  69. 

5.  De  subsistcntia  tw  Otîo)  /cyw  apnd  Philonam  trihuta ,  QuorU.  l'Iiil. 
II ,  p.  3. 


SUR  i.i:  r'iiOLor.uE.  2.S5 

lisiiH'  t'vidcnt,  ri  rcinjtrfiiili'  si  iiiîltc  ot  si  <irigiiinlo  de  l'id/'e 
(lo  la  Parole  chez  Jean. 

3.  Le  mie  du  Logos,  chez  Pliilon,  se  borne  à  la  création 
et  à  la  conservation  de  l'univers.  Jamais  il  n'est  venu  à  la 
pensée  de  ce  philosophe  de  rapprocher  cet  être  de  la  per- 
sonne du  Messie,  encore  moins  de  les  identifier.  Chez  Jean, 
au  contraire,  l'idée  du  Logos  n'est  mentionnée  qu'en  vue  de 
son  apparition  comme  Messie  et  de  son  incarnation. 

A.  Enfin,  l'origine  des  deux  notions  est  absolument  dif- 
férente. Chez  Philon,  cette  origine  est  métaphysique.  Dieu 
étant  conyu  comme  l'être  absolument  indéterminé  et  imper- 
sonnel, l'existence  pure,  il  était  impossible  de  passer  d'un 
tel  être  à  la  création  finie  et  infiniment  variée;  et,  comme 
celle-ci  est  un  fait,  qu'il  s'agissait  d'expliquer  et  de  mettre 
d'accord  avec  la  conception  rationnelle  de  Dieu,  il  fallut  bien 
faire  intervenir  un  agent  inférieur,  tin  second  Dieu,  le  Lo- 
gos. Chez  Jean,  les  prémisses  sont  complètement  opposées. 
Dieu,  bien  loin  d'être  un  principe  impersonnel  et  abstrait, 
est  un  Père  (I,  18),  dont  l'essence  est  l'amour  (III,  16).  Il 
est  en  relation  directe  avec  le  monde,  puisqu'il  l'aime  et  veut 
le  sauver.  Le  Logos  de  Jean  n'est  donc  pas  un  médiateur 
métaphysiquement  nécessaire  entre  Dieu  et  le  monde.  Son 
existence  est  affaire  d'amour  (I,  18;  XVII,  24),  non  de  né- 
cessité logique. 

Est-il  possible  de  concevoir  une  opposition  plus  complète 
(jue  celle  du  Dieu  de  Philon  et  du  Dieu  de  Jean,  et  par  con- 
séquent que  celle  de  la  notion  du  Logos  chez  l'un  et  l'autre? 
Il  n'y  a  de  commun  entre  les  deux  écrivains  que  le  terme; 
et  encore  ce  terme  est-il  pris  dans  des  sens  différents.  Que 
l'on  cesse  donc  de  dire  et  de  répéter  que  Jean  a  été  à  l'école 
de  Philon  ou  de  ses  disciples.  Evidemment  son  intuition , 
son  vocabulaiic  même,  sont  puisés  à  une  autre  source. 

Nous  avons  déjà  vu  que  la  notion  et  l'expression  de  \6yt; 


2.U»  CONSIDKUATIONS  r.KNKRALKS 

Mtiil  les  st'uk'i»  (lo  luiil  \v  j)iol(iyiic'  (]ui  ne  soienl  pus  tirées 
(liivclcineiit  (li'S  (iiscoiirs  (jnc  siiiiil  Jean  iix'l  diiiis  la  bouche 
(k'  Cliiisl.  S'il  ne  les  a  cnijniiiilcrs  ni  à  ((llo  source  sacrée 
ni  à  la  jiliilosopliie  de  son  lenips,  où  les  a-l-il  donc  puisées? 
hans  1rs  (iilieliens  intimes  qu'il  avait  eus  avec  son  Maître 
ou  dans  (juelque  ri'-vélalioii  jtarliculière?  Coiunieiit  le  nier, 
mais  aussi,  couuiient  le  prouver?  Ce  qui  est  certain,  c'est 
tju»'  fcllf  doeli'ine  du  Logos  créalciii',  dcNciiii  nolic  Sau- 
veur en  .Ic'sus-Cluist,  avait,  à  ses  yeux,  la  inèine  autorité 
que  les  ensei^j^ueiueuts  (ju'il  place  dans  la  bouche  de  Jésus 
lui-niènie.  Autiement,  il  ne  l'aurait  pas  fondue,  comme  il 
le  l'ail  dans  le  jnologue,  avec  la  substance  de  ces  enseigne- 
ments. Ce  (|ui  est  probable,  d'autre  part,  c'est  que  jamais  il 
n'avait  entendu  celte  expression  de  Logos  sortir  de  la  bou- 
che de  son  Maille.  Pourquoi  l'eùl-il  supprimée  dans  le  récit 
des  discoiu's  de  Jésus,  si  elle  cùl  ('ii''  de  lui?  Nous  sommes 
conduits,  par  cette  double  considéiation,  à  ce  résultat  :  que 
la  notion  du  Logos,  quoique  n'ayant  point  fait  directement 
partie  de  renseignement  de  Jésus,  avait  néanmoins  pour  la 
conscience  religieuse  de  Jean  exactement  la  môme  autorité 
que  It'.-  jiarojes  de  Jésus  lui-même.  Conunent  s'expliquer  ce 
fait? 

D'une  seule  manière.  Aux  yeux  de  Jean,  il  existait  une 
autorité  égale  à  celle  de  son  Maître  parce  qu'elle  avait  été 
sanctionnée  pai  lui  :  cV-lail  l'Aueien  Testament;  et  c'est  à 
cette  .souice  que  Jean,  mis  sur  la  voie  par  les  discours  de 
Jé'sus,  a  puisé  la  notion  précise  du  Logos  et  cette  dénomi- 
nation (lle-méme.  Trois  lignes,  en  eflct,  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, convergent  à  la  jiolion  et  au  terme  dont  nous 
cherchons  l'explication. 

1.  Les  apparitions  de  l'ange  de  l'Eternel.  Nous  trouvons 
dans  l'Ancien  Teslamcnl  un  envoyé  divin  (Maléach),  tantôt 
distinct  de  Jéhovab,  tantôt  identifié  avec  lui.  Comp.Gen.XVI, 


SUR  LE  PROLOGUE.  5.i7 

7 :  «'  L'ange  de l' Eternel  la  trouva,»  avec  XVI,  13 :  <s.L' Eternel 
qui  lui  parliiit.)}  Dieu  dit  do  col  otro  niyslôrioux  Ex.  XXIII, 
21  :  »Mon  how  (r'ost-;'i-diro  la  connaissance  et  la  posses- 
sion do  niOn  essence  intime  et  cachée)  est  en  lui.  »  Os.  XII, 
4.  5  cet  (Mro  avoc  lequel  lutta  Jacob,  (]ui  Gcn.  XXXII,  58. 
rlO  est  appelé  Dieu  {Eh,  reçoit  les  nom^  iVEloliim  et  do  Ma- 
léach.  Zach.  XII,  8  il  est  dit  que  la  maison  de  David  sera 
comme  Eloliim,  puis  sous  forme  dégradation,  com>??e  l'ange 
t/e /'^/t'/Ht'/.  Enfin ,  Mal.  III,  1  il  est  positivement  déclaré 
que  le  Messie  ne  sera  autre  que  ce  personnage  cà  la  fois  di- 
vin et  distinct  de  Dieu,  qui  est  dès  longtemps  adoré  dans  le 
temple  de  Jérusalem  :  aAtissitât  Adonaï  qae  vous  cherchez, 
l'ange  (Maléaclt)  de  l'alliance  que  vous  désirez,  entrera 
dans  son  temple  :  voici ,  il  vient.  »  Zach.  XII,  10  ce  Messie, 
qui  sera  percé  par  son  peuple,  est  Jéhovah  lui-même  :  ails 
regarderont  à  moi,  dit  Jéhovah,  qu'ils  ont  percé.  i>  Ainsi 
donc,  d'après  l'Ancien  Testament,  cet  être  divin,  après 
avoir  été  dès  le  commencement  l'agent  de  toutes  les  fhéo- 
plianies,  devait  consommer  son  office  de  médiateur  en 
remplissant  lui-même  la  fonction  de  Messie. 

2.  On  [)eut  ne  voir  (ju'une  personnification  poétique  de 
rintolllgence  divine  dans  la  description  de  la  sagesse, 
Prov.  VIII.  Cependant,  combinée  avec  la  notion  de  l'ange 
de  l'Eternel,  celle  de  la  sagesse  prend  un  caractère  de  per- 
sonnalité plus  réelle.  «  L'Éternel  m'a  possédée  au  commence- 
ment de  sa  voie,  avant  ses  œuvres,  déjà  alors  >y  (v.  22). 
<i  Quand  il  formait  le  ciel,  j'étais  W  »  (v.  27).  «.J'étais  au- 
près de  lui  comme  ouvrière;  j'étais  tous  les  jours  dans  la 
joie,  et  je  me  7'éjouissais  continuellement  devant  lui;  je  m'é- 
gayais sur  la  terre,  et  je  faisais  mes  délices  des  enfants  des 
hommes  »  (v.  .'ÎO  et  31).  L'analogie  de  ces  expressions  avec 
celles  des  quatre  premiers  versets  du  prologue  saute  aux 
yeux.  Ce  qui  caractérise  ce  passage,  c'est  la  })artieipatit)n 


!2:i8  CUNSIDKUATIONS  GKNKRALES 

lie  la  sajjH'SM'  à  ['u'uvic  de  la  (  rcalioii.  Ce  cùlé  ne  ressor- 
tait puiiil  dans  la  doclriiic  du  .Malcarli. 

:\.  Un  Iroisiùniu  inlciini'diaiie  entre  Dieu  cl  le  monde, 
anijuel  l'Ancien  Testament  attribue  une  importance  jtlus 
grande  et  plus  constante  (Micore,  c'est  la  parole  de  V Eternel. 
Son  rôle  commence  avec  la  ciéation.  Plus  lard  ,  elle  devient 
l'agent  ordinaire  des  révélatimis  [ir()|ili(''ti(iMes.  11  est  (jiiel- 
ques  passages  (jui  lenden!  à  la  jiersunnilier.  C'est  un  mé- 
decin envoyé  du  ciel  pour  guérir  Israël,  Ps.  CVII,  20; 
un  messager  divin,  (|ui  j»arcourl  rapidement  le  monde, 
Ps.  CXLVll,  l.j;  lui  agent  (jui  exécute  infaillibleuM'ut  les 
missions  qui  lui  sont  conliées,  Es.  LV,  I  1.  Depuis  la  capti- 
vité de  Ilabylone,  les  docteurs  juifs  rapprochèrent  cette 
vivante  Parole  de  Dieu  du  peisomiage  mystérieux  appelé 
l'ange  de  l'Elernei,  et  réunissant  dans  une  intuition  inii<jue 
les  tliéojjlianies  et  les  lévélations  piophétiques  et  en  géné- 
ral toutes  les  manifestations  de  Jéliovali,  ils  les  atti-ibuèrent 
à  un  seul  et  même  organe  (pi'ils  désignèrent  du  nom  de 
Parole  de  l'Élernel  (mIm''  ""l  ISI^''^).  Ils  la  voient  agis- 
sante, cette 3/emra,  dans  toute  l'économie  ancienne,  là  même 
où  Dieu  seul  est  nommé.  C'est  elle  qui  est  avec  Joseph  dans 
la  prison.  C'est  à  la  Memra  que  Dieu  dit,  Ps.  CX,  1  :  aSieds-toi 
à  ma  droite.  »  C'est  elle  (jui  est  l'ange  exterminateur,  elle 
(|ui  habite  dans  la  nuée  au  désert.  Voir  Lùcke,  t.  I,  p.  285. 

De  ces  trois  organes  de  laclion  et  de  la  révélation  di- 
vines, le  Maléach,  la  Sagesse  et  la  Parole,  ce  dernier  était 
certainement  le  plus  projtre  à  renfermer  et  à  désigner  les 
(hm\  autres.  Par  son  contenu  intelligible,  la  parole  divine 
est  une  sagesse.  Envisagée  comme  acte,  c'est  une  puis- 
sance, un  agent  personnel  tel  que  le  Maléach.  Entre  le 
terme  emjiloyé  [lar  les  paraphrases  chaldaïfjues  et  celui 
dont  se  sert  sahit  Jean  il  y  a  cependant  une  dillérence  : 
c'est  que  les  premiers  disent  toujours  Memra  de  Jchovah, 


|;iii(lis  <|ii('  .IfMii  (lil  t\'m\f  iiiiiiiièi'c  iiltsoliu;  ;  h/  Parole.  De 
plus,  il  ifcsl  jt;is  jxjssiblr  de  savoir  si,  dans  la  pensée  de 
ces  savaiils  juifs,  il  y  avait  une  relation  quelconque  entre  ce 
(|n'ils  ai>peUil('nt  la  Parole  de  TEteinel  et  la  pei.sonne  du 
Messie. 

Nous  possédons  maintenant  tous  les  éléments  nécessaires 
jiour  nous  rendre  compte  et  de  l'idée  et  du  terme  de  Lo- 
gos, dajis  le  prologue  de  Jean,  et  cela  sans  sortir  de  la 
s{)hère  des  révélations  théocratiques  et  déserter  le  sol  sacré 
dans  lequel  plongeaient  les  racines  de  la  vie  et  de  la  pensée 
religieuses  de  l'apùlre. 

1.  (Jnant  à  l'idée  de  cet  être  éternel,  intermédiaire 
des  œuvres  et  des  révélations  divines,  Jean  avait  entendu 
—  c'est  du  moins  ce  qui  ressort  de  son  évangile  —  Jésus 
affirmer  son  éternité,  par  conséquent  sa  divinité.  Il  savait 
de  sa  bouche,  qu'il  était  avant  Abraham  et  rju'Abi'aham 
s'était  réjoui  de  contempler  son  apparition  sur  la  terre 
comme  Messie.  Il  s'était  rendu  compte,  au  moyen  de 
ces  déclarations  de  Jésus,  de  cette  jiarole  énigmatique 
de  Jean-Baptiste  :  «  Celtù  (jui  vient  après  moi,  a  été  là 
avant  moi.»  De  ce  point  où  il  se  trouve  ainsi  élevé,  il 
regarde  en  arrièie;  il  contemple  l'Ancien  Testament;  il  y 
découvre  les  trois  formes  de  la  manifestation  divine,  que 
nous  avons  signalées  :  le  parler  par  lequel  Dieu  agit  dès  le 
commencement,  la  sagesse  qui  fut  son  associée  dans  l'œuvre 
de  la  création,  le  Maléacli,  égal  à  Jéhovah  lui-même,  qui 
devait,  comme  Messie,  venir  résider  personnellement  dans 
son  temple....  Gomment  donc,  une  fois  Jésus  reconnu  pour 
le  Messie,  ne  pas  discernei-  en  lui  le  révélateur  suprême  et 
lirimordial,  et  dans  son  appaiition,  la  théophanie  parfaite  an- 
noncée conmie  terme  de  toutes  les  médiations  antéiieures? 
Le  témoignage  de  Jésus  et  celui  de  Jean-lJaptiste  illumi- 
naient l'Ancien  Testament  comme  celui-ci  les  conliiniail. 


5i0  C.ONSIDKHATIONS  T.KNKIlAI.KS 

'2.  Oiiiiiil  ;iu  Icrmc  di'  Lojios,  ciiiployc'  par  Joiiii  pour  d»'- 
si{jnor  l'ôlro  divin  n|)pnni  en  Clirisl,  si  les  savants  juifs 
avaionl  t'ii'  conduits  pur  l'Arn  icii  Testanicnt  et  sans  la 
moindre  connexion  aver  la  spéculation  alexandrine,  à  ap- 
pliquer au  nK'dialour  suihuniain  entre  Dieu  et  son  peuple 
le  nom  de  Parole  de  l'Kternel.  IN-van^odiste  ne  pouvail-il 
pas  soit  s'approprier  cette  expression  —  puisqu'elle  ('lail 
scripturaire  —  soil  aiiiver  spontanénieni  à  nue  dénomina- 
tion analo^^^ue?  Indt'-jKMidaninient  de  Tiirnoranee  où  l'on  est 
encore  sur  l'âge  exact  des  paraphrases  chaldaïques,  la  se- 
conde alternative  doit  paraître  la  plus  probable,  si  nous 
tenons  compte  des  faits  rapj)elés  jihi>  liaiil.  (jui  ne  sentirait 
la  dinérence  essentielle  qu'il  y  a  entre  les  deux  sens  du  mot 
Parole  dans  ces  deux  locutions  :  la  Parole  de  Jéhovah  et  la 
Parole,  absolument  ]tarlant?  La  première  expression  est 
empruntée  à  la  relation  de  Jéhovah  et  de  son  peuple  et  ne 
désigne  qu'un  simple  rapport;  la  seconde  caractérise  l'es- 
sence même  de  l'être  ainsi  désigné.  Celle-ci  renferme  tout 
ce  que  contient  la  première  et  beaucoup  plus  encore.  La 
dénomination  employée  jiar  les  rabbins  classific  sous  un 
nom  générique  toute  la  série  des  manifestations  théocrati- 
qucs;  celle  de  Jean  réunit  tous  ces  phénomènes  divins  qui 
se  sont  succédé  dans  le  temps,  les  ramène  à  leur  principe 
permanent  et  fait  comprendre  que,  si  l'être  dont  il  s'agit  a 
été  l'agent  de  la  manifestation  divine  dans  telle  ou  telle  cir- 
constance particulière,  c'est  qu'il  est  la  révélation  en  soi.  Il 
ne  révèle  pas  seulement;  il  est,  absolument  j)arlant,  révéla- 
tion, Parole.  Chez  lui,  révéler  n'est  pas  un  acte  ou  un  attri- 
but; c'est  son  essence  même.  Jean  ne  fait  donc  que  donner 
une  forme  absolue  au  terme  usité  dans  l'Ancien  Testament 
pour  exprimer  la  série  des  révélations  divines;  et  il  en 
élève  ainsi  le  sens  à  la  plus  haute  puis.sance.  Et  le  but  qu'il 
se  propose  en  agissant  de  la  sorte,  c'est  tout  simplement  de 


i 


SUR  u:  i'iiui.ot;[JK.  211 

dire:  «  I*;is  do  révélateur  après  ou  ;i  cùlé  Je  cciui-ci!  Cai- 
(•et  L'iro,  c'est  la  lévélalioii  (lle-iiièiiic,  la  révélation  incar- 
née. One  chacun  des  Xdyct.  (pic  je  vais  lajiporter,  soi!  reçu 
(•(tunnc  une  énianalion  de  l'absolu  Loyos!»  Ace  point  de 
vue  la  relation  entie  le  v.  I<S  et  le  v.  1  du  prologue  saute 
aux  yeux.  Le  èxsîvc-  s^TfjyTfjaa-iro  du  v.  18  n'est  que  le  coni- 
liienlaire  du  mot  Logos  par  l'auteur  lui-même.  Qu'on  relise 
également  les  paroles  XII,  44-50,  et  l'on  sentira  que  nous 
sonnnes  parvenus  à  la  vraie  pensée  de  l'auteur. 

:].  Il  ne  faut  pas  idenlilier,  comme  on  le  lait  d'ordinaire, 
la  (jucslit)!!  de  l'origine  de  ce  terme  avec  celle  de  son  em- 
ploi par  l'évangéliste.  L'origine  est  purement  hiltlique, 
connue  nous  venons  de  le  voir;  mais  il  serait  étonnant  as- 
suiément  que  Jean,  après  un  long  séjour  dans  ces  contrées 
d'Asie-Mineure,  où  l'usage  qui  se  faisait  à  Alexandrie  et 
ailleurs  du  mot  Logos  ne  pouvait  être  ignoré,  eût  inscrit 
ce  ternie,  avec  tant  d'éclat,  en  tète  de  son  évangile  sans 
luie  intention  particulière.  Si  l'emploi  de  ce  mot  de  la  part 
de  Jean  n'f'lait  pas  un  emprunt,  il  renfermait  certainement 
une  allusion.  A  ces  Hellènes  et  à  ces  Juifs  hellénisés,  d'une 
ji;ut,  (jui  philosophaient  dans  le  vide  sur  les  rapports  du 
lini  et  d(,'  l'inlini,  à  ces  scrutateurs  de  la  lettre  des  Ecri- 
tures, de  l'aulie,  qui  spéculaient  sur  les  révélations  théo- 
craticiues,  Jean  disait  par  ce  nom  de  Logos  donné  à  Jésus: 
«L'intermédiaire  inconnu  entre  Dieu  et  le  monde  à  l'intel- 
ligence dnijucl  vous  vous  efforcez  de  parvenir,  nous  l'avons 
vu,  entendu,  touché;  vos  spéculations  philosophiques  ou 
vos  subtilités  scrijituraires  ne  vous  élèveront  point  à  lui; 
croyez  en  Jésus,  conune  nous,  et  en  lui  vous  posséderez  ce 
révélateur  divin  dont  la  pensée  vous  occupe.»* 

Toute  l'explication  que  nous  venons  de  présenter  suppose 


I.  Voir  Néatider,  Gesc/i.  der  PJlaiiz.  der  christl.  K.  t.  Il,  p.  549. 
I.  i6 


942  CONSIDÉRATIONS  GÉNÉRALKS 

rpio  les  disronrs  (jin'  saint  Jean  met  dans  la  honclie  de 
Jésus,  ont  élé  réellement  iinmoneés  pailni;  mais  c'est  préci- 
st^monl  celle  prémisse  cpie  l'on  eonirsic.  On  demande  com- 
ment il  an  ivi'  (pic,  si  \<'  pioloj^^ue  est  un  résumé  historique 
des  diseonrs  du  SeijjMicur,  les  Synoptiques  n'aient  conservé 
aucune  trace  de  ces  enscij^rnemenls  de  Jésus  sur  sa  per- 
sonne.' 

Nous  ne  pouvons  traiter  ici  ([uc  sous  ce  point  de  vue 
spécial,  et  encore  dans  des  limites  restreintes,  le  rapport 
des  Synopti(|ues  au  quatrième  évangile.  Mais  nous  espérons 
prouver  que,  comme  l'a  dit  Uitscld,  dans  une  paiole  déjà 
citée',  l'enseignement  de  Jésus  dans  les  Synoptiques,  non- 
seulement  comporte,  mais  réclame  le  témoignage  de  Jésus 
sur  sa  personne  tel  qu'il  est  rapporté  dans  l'évangile  selon 
saint  Jean.  On  alîecte  d'opj)oser  le  Jésus  des  Synopticpies, 
comme  simple  prédicateur  de  morale,  à  relui  de  Jean,  que 
l'on  représente  comme  préoccupé  sans  cesse  de  spécula- 
tions métajihysifpies  sur  sa  projtre  personne.  Il  semblerait 
que  la  doctrine  du  premier  se  réduise  à  aimer  Dieu  et  le 
prochain,  abstraction  faite  de  celui  qui  prêche  ce  devoir, 
tandis  qu'aux  yeux  du  second  toute  la  religion  se  résume 
dans  la  croyance  à  sa  relation  mystérieuse  avec  son  Pèie. 
C'est  encore  ici  l'une  de  ces  nuances  dont  on  fait  habile- 
ment une  oppo.^ition.  N'est-ce  |)as  le  Jésus  des  Synoptiques 
(pii  dit  :  V  Celui  qui  aime  son  père,  ou  sa  mère,  ou  sa 
femme,  plus  que  moi,  n'est  pas  digne  de  moiy>1  N'est-ce 
pas  lui  qui  dit  :  «  Venez  à  moi,  vous  qui  êtes  travaillés 
et  charges,  et  je  vous  soulagerai»'}  Est-il  possible  de 
lire  les  Synoptiques  sans  recevoir  l'impression  que  c'est 
en  Jésus,  et  en   Jésus  seul,   que  Dieu  se  donne  et  (jue 


1.  Banr,  Theof.  Jahrh.  f.  \\\.  p.  8. 

2.  P.  9. 


SUR  LE  PROLOr.UE.  24."^ 

s";ill;icli('r  à  lui  est  lo  sii|iiviiic  devoir  d'où  l'accomplissc- 
niciil  de  tous  les  autres  découle?  La  position  de  Messie  juil, 
dans  le  sens  ordinaire  du  mot,  explique-t-elle  cet  abandon 
complet,  cet  amour  personnel  et  illimité,  que  Jésus  ré- 
clame? Oiiaiid  il  dit  :  'i  Personne  ne  connaU  le  Fils  que  le 
Père,  cl  le  Père  (jue  le  Fils  cl  celui  à  qui  le  Fils  aura  voulu 
le  faire  connaUrey>  (Matth.  XI,  27;  Luc  X,  22),  posant 
ainsi  Tessence  du  Fils  comme  un  mystère  connu  de  Dieu 
seul,  et  celle  du  Père,  comme  un  mystère  révélé  au  Fils 
seul  et  par  le  Fils  seul,  n'aflirme-l-il  pas  exactement  ce 
rapport  uniipie  entre  Dieu  et  lui,  qu'enseigne  le  prologue, 
relation  d'égalité  par  l'amoui'  que  le  Père  témoigne  au  Fils, 
en  même  temps  (pie  de  subordination  j)ar  le  dévouement 
du  Fils  au  Père?  Se  trouve-t-il  dans  tout  l'évangile  de  Jean 
une  parole  qui  pût  servii-,  plus  complètement  que  celle-ci, 
de  texte  au  v.  18  du  prologue?  Lorsque,  dans  saint  Marc, 
Jésus  dit,  en  |»arlant  iUi  joiu"  de  son  retour  (XHI,  32): 
<(  Quant  et  ce  jour  el  à  celle  heure,  personne  ne  le  sait,  non 
pas  même  les  anges  qui  sont  au  ciel,  ni  même  le  Fils,  mais 
mon  Père  seul,  »  ne  s'attribue-t-il  pas  une  position  supé- 
lieure  à  celle  des  créatures  les  plus  élevées?  Bien  plus, 
lorsque,  dans  l'institution  du  baptême  (Matth.  XXVIIl,  19), 
il  se  place,  comme  Fils,  entre  le  Père  et  le  Saint-Esprit, 
penserait-on  encore  i)ouvoir  expliquer  cette  idée  de  Fils  par 
celle  de  Messie?  Le  Messie,  comme  le  désigne  son  nom, 
n'esi-ij  jins  l'oint  du  Saint-Esprit,  par  conséquent  l'inférieur 
par  rapport  à  lui?  Et,  si  le  Saint-Esprit  est  un  principe  divin, 
le  souille  de  la  bouche  de  Dieu,  Ps.  XXXIII,  6,  comme  le 
suppose  toute  l'Écriture,  quel  est  donc  celui  qui,  sous  le 
titre  de  Fils,  vient  s'interposer  entre  le  Père  et  l'Esprit? 
Enfin,  que  répondraient  nos  modernes  critiques  à  Jésus, 
s'il  leur  adressait  la  même  question  (pi'il  adresse  à  ses 
adversaires  dans  les  trois  Synoptiques  (Matth.  XXll,  45; 


"2^^  ^.o^•sln^^RATIONs  (.knkrai.ks 

MaiT  XII,  :M;  l\w  \X,  H)  :  «S/  David  appelle  le  Christ 
sn;j  Sci(/)iei(i\  comment  est-il  son/il<<:'f*  Lu  r(''|>oiis('  (luaviiil 
ni  vin'  II'  ScigiKMii'  iir  itniiviiil  r-lic  (|iii-  (■(•Ile-ci  :  l*iir  son 
esscncr  «livinr,  il  est  son  St'ij^iiciir;  [t:ir  sa  nalurc  liuniaiiic, 
il  (Icsit'iid  (le  lui.  Il  s'aj^il  Iticii  l'yidcniiiinil  ici.  dans  la 
pensL'o  tlii  Sci;^n('iir,  d'iiiit;  rclalioii  de  iialiirc,  oA.  non  pas 
s(îulenienl  di;  volonté  et  d'amour  :  aulionicnt,  cette  ques- 
liiiii  ircùt  (''l(''  de  sa  |tail  (Iuimic  itisc  de  fuil  mauvais  aloi. 
Ce  Irait  se  Intiivanl  simidlan<''m('nt  dans  les  trois  Synop- 
li(|ues,  son  aulhenlicilé  est  d'autant  mieux  {garantie,  et  au- 
cune lendance  parlieulière  ne  peut  en  avoir  occasionné 
l'invention.  Iiicn  loin  donc  de  dire,  avec  Baur,  que  «nous 
n'avons  pas,  dans  les  vSynopliques,  le  moindre  motif  de 
dépasser  l'idée  d'un  Messie  purement  humain*,»  reconnais- 
sons, par  celle  courte  énumt'ralion,  (pie  saint  Jean  ne  fait 
rien  dirt'Vi  Jf'siis  (juil  nail  pu  dire  léellemrut,  s'il  a  viai- 
menl  dil  tout  ce  que  lui  font  dire  les  Synoptiques.  Il  y  a 
plus.  La  jiosilion  «pi'il  prend  dans  (•('<■  dciniers  étant  telle 
qu'il  n'est  pas  un  des  attributs  divins  et  pas  une  des  fonc- 
tions divines  qui  ne  se  lie  nécessairement  à  cette  position, 
il  faudrait  en  tous  cas  admetli'e,  même  si  nous  ne  jtossé- 
dions  pas  l'évangile  de  Jean,  (|ue  Jésus  a  dû  s'ex|)li<|uer,  au 
moins  aujH'ès  de  ses  disciples,  beaucoup  plus  nettement 
sur  sa  personne,  de  manière  à  enlever  le  scandale  qu'aurait 
dû  leiu  causeiv,  aussi  bien  ((u'aux  Juifs,  une  demi-révélation 
sur  un  point  aussi  capital.  Comment  ces  témoignag^es  plus 
complets  se  trouvent-ils  omis  dans  les  Synoptiques?  C(!  n'est 
pas  encore  le  moment  de  traitej-  cette  queslion,  dont  la 
solution  ne  peut  n'-sidler  que  de  IV-iude  conqilète  des  rap- 
ports du  «juatriéme  évangile  aux  trois  autres.  Mais,  ce  que 
nous  pouvons  dire,  fondé  sur  les  faits  que  nous  venons  de 


1.  Uoi  Christ,  u.  dic  christl.  K.  Ole.  p.  308. 


SUR  LK  PHUI.OGUE.  245 

i:»|i[t(.'ler,  c'est  (jiie,  iioii-seiilemonl  il  n'y  a  pas,  ainsi  (jue 
le  j)rélen(J  lîaiir,  une  contradiction  insohiido  entre  le  qua- 
trième et  les  Irdis  aulics.  sur  ce  jioiiil,  mais  que,  connue 
le  déclare  iiitscld,  renseignement  des  Synoptiques  r^'c/amc, 
comme  son  eonqdénient  liistoritpiement  nécessaire,  celui 
de  Jean. 

Nous  pouvons  (lu  reste,  vis-à-vis  de  Baur,  nous  appuyer 
sur  un  document  tjni  a  liien  la  valeur  d'un  évangile  :  c'est 
lApocalvjtse.  Ce  livre  est  attribué'  jtai-  lui  à  l'apôtre  Jean, 
vrai  jutléo-clirétien,  représentant  par  conséquent  de  ce 
christianisme  primitif,  que  l'apôtre  Paul  doit  avoir  Irans- 
l'ornié  et  faussé.  Baur  dit  lui-même  que  l'apôtre  Jean  ne 
vint  s'établir  à  É])hèse  et  ne  lit  de  cette  ville  le  centre  de 
son  activité  que  «  dans  le  but  de  maintenir  les  principes  du 
christianisme  de  Jérusalem  contre  les  usur]»ations  du  chris- 
tianisme paulinique'.»  Son  Apocalypse  doit  donc  représen- 
ter le  premier  d'une  manière  normale.  Or,  que  dit- elle 
sur  la  personne  de  Jésus?  Baur  recoimaît  expressément  que 
dans  l'Apocalypse,  (^  le  Messie  est  ajipelé  Jéliovah,  Dieu,  dans 
le  sens  le  plus  élevé,»  mais,  ajoute-t-il,  «sans  qu'on  doive 
en  conclure  qu'une  vraie  nature  divine  lui  soit  attribuée^.  » 
Il  avoue  que  Christ  est  appelé  àpxT|XT,çxTL(T£or  et  (pie  «cette 
expression  semble  renfeiiner  d'une  manière  sufïisamment 
claire  l'idée  de  la  préexistence.»  Mais,  ajoute-t-il,  «comme 
nulle  part  ailleurs  cette  idée  n'est  clairement  exprimée  dans 
cet  écrit,  le  sens  de  cette  expression  doit  être  que  le  Messie 
est  la  créature  la  plus  élevée \»  Comme  si,  lorsque  le  Messie 
est  ajtpelé  l'Aljdia,  le  j)remier,  celui  qui  est,  qui  était  et  qui 
vient,  et  revêtu  du  rôle  et  de  tous  les  attributs  de  Jéhovali 
dans  l'Ancien  Testament,  cela  n'emportait  pas,  surtout  au 

1.  Das  Christ,  u.  die  christl.  K.  etc.  p.  82. 

2.  Ibirl.i).  315. 

3.  Ibid.  p.  316. 


'lAQ  (.ONSIDEllATlONS  CiÉNÉHALES 

point  (lo  vue  ilii  monolliL'isnie  juif  (|ui  srparc  si  rigoureu- 
>emi'iil  Dieu  de  la  ciôiiliiii;,  la  diviiiilé  cl  rôteniité  de  cet 
être.  Maiir  reconnaît  «'iiliii  »|iie  ntuiis  k's  (uédicals  les  plus 
élevés  sont  attribués  à  Christ  dans  l'Apocalypse;»  mais,  dit- 
il,  «ces  titres  ne  lui  sont  (lu'extérienrenient  appli([iiés  et  ne 
se  lient  point  à  sa  peisonne  par  un  ra[iport  essentiel.*  »  A 
bon  entendeur,  ces  aveux  et  ces  réponses  doivent  suffire. 
Plus  on  pose  l'Apocalypse  comme  un  document  du  judéo- 
chrisliaiiisnie  priniilir,  plus  ce  livre  démontre  donc  ipie  la 
divinité  de  Jésus  a  lait  partie  de  la  loi  des  j)remiers  disciples 
et,  par  conséquent,  de  l'enseignement  du  Maître  lui-même. 
Remarquons  eiiiiii  (jiic  le  nom  de  Parole  de  Dieu  est  ap- 
pliqué à  Jésus  dans  l'Apocalypse,  XIX,  13  :  aSon  nom  est 
la  Parole  de  Dieu,  »  et  que,  si  ce  nom  était  un  emprunt  à 
la  philosophie  de  Philon  ou  au  gnostici.sme,  on  ne  s'expli- 
(fuerait  pas  aisément  comment  il  aurait  pu  pénétrer  dans 
un  écrit  d'un  horizon  aussi  borné  que  celui  que  l'on  attri- 
bue à  l'auteur  de  l'Apocalypse,  et  à  l'époque  reculée  où, 
selon  toute  cette  critique,  l'apùtre  doit  avoir  composé  ce 
livre  (avant  la  ruine  de  Jérusalem). 

Sous  (luelijue  face  que  nous  envisagions  la  question  po- 
sée, nous  arrivons  à  cette  conclusion  :  qu'il  suffit  pleine- 
ment de  l'enseignement  du  Maître  renfermé  dans  notre 
évangile  et  dont  l'authenticité  générale  est,  non  pas  renver- 
sée, mais  confirmée  par  les  Synoptiques  et  l'Apocalypse, 
pour  expliquer  le  contenu  du  prcdoguc  de  Jean. 

Nous  avons  ainsi  obtenu  les  résiillals  suivants  : 

1.  L'idée  de  la  divinité  éternelle  du  Messie  a  fait  partie  de 
l'enseignement  de  Jésus  lui-même. 

2.  Le  nom  de  Logos  est  un  emprunt  de  Jean  à  la  langue 
de  l'Ancien  Testament,    destiné  à  caractériser  le  Messie 

1.  Dos  Christ,  u.  dte  chrisll.  K.  utc.  p.  317. 


I 


SLll  LL  rUOLUGLL.  247 

comme  le  consommateur  des  révélations  précédentes,  comme 
la  révélation  absolue,  essciilii'llc 

3.  L'emploi  (pie  saint  Jran  a  fait  de  ce  terme,  lui  a  été 
inspiré  par  le  désir  d'ujiposer  le  sain  et  vivifiant  rcaiisme 
chrétien  au  creux  idéalisme^  qu'il  rencontrait  dans  son  en- 
tourage. 

VVeizsacker*,  dans  l'article  cité  plus  haut,  a  objecté  que, 
>i  Christ  s'était  réellement  déclaré  Dieu  comme  cela  a  heu 
dans  l'évangile  de  saint  Jean,  ses  disciples  n'auraient  pu 
soutenir  avec  lui  des  relations  aussi  famihères  que  celles 
dans  lesquelles  ils  vécurent  pendant  trois  ans  avec  lui.  Mais 
n'est-il  pas  tout  aussi  difficile  de  comprendre  comment,  si 
Jésus  ne  s'est  pas  déclaré  Dieu,  ils  ont  pu  en  venir  à  envi- 
sager comme  tel  un  être  avec  lequel  ils  avaient  soutenu  des 
relations  aussi  famihères  pendant  trois  ans?  Problème  pour 
problème ,  le  premier  paraît  encore  plus  aisé  à  résoudre 
que  le  second. 

III. 

La  vérité  et  r importance  de  la  conception  de  la  personne 
de  Jésus  dans  le  prologue. 

Le  prologue  de  Jean  n'enseigne  donc  rien  de  nouveau  sur 
la  personne  de  Jésus.  Il  ne  fait  que  résumer  le  témoignag-e 
que  Jésus  s'est  rendu  à  lui-même  et  que  le  formuler  par 
une  expression  frappante  qui  l'a  gravé  profondément  dans 
la  conscience  de  l'Église.  Rien  de  plus  erroné,  par  consé- 
quent, que  de  prés(Mitcr  le  rapport  du  Christ  des  Synop- 
tiques à  celui  de  Paul,  puis  à  celui  de  Jean,  comme  une 
S'érie  de  créations  superposées  qui  ont  apparu  successive- 
ment dans  l'Eglise.  La  conception  la  plus  élevée,  la  plus 

1.  Expressions  de  Néander. 

2.  Jahrb.Jur  deulsc/ic  Theol.  t.  VII,  4^  cahier. 


9i8  r.ONSIDKRATIONS  GÉNKRALES 

pleine  el  ]:i  plus  l'iehe  n  ('(('•  ;iussi  la  première;  c'est  la  con- 
science (jue  Christ  a  eue  de  liii-iiième.  Celle  conscience  a 
laiss»'  son  empreinte  ijieflacaMe  dans  une  l'unie  de  lémoi- 
g^naji^es  sortis  de  sa  JMinrlie  ;  et  ct^i^  [cwuù'^ua^os  ont  été  re- 
cueillis et  conservf's  d'une  manière  jdus  ou  moins  parfaite 
dans  les  documents  divers  tpie  l'on  opjjose  ,  mais  qui,  au 
contraire,  se  complètent.  Le  fiiit  est  que  rK},dise  n'a  jamais 
éprouvi'  le  moindre  end)arras  à  fondre  en  une  seule  et  môme 
intuition  le  Christ  des  Synoptiques,  celui  de  Paul  et  celui  de 
Jean,  nialj,né  les  nuances  qui  les  distinr;-uent.  Il  va  contraste 
sans  doute,  connue  partout  où  il  y  a  lichesse;  mais  les  oji- 
positions  qu'on  élahlit  ne  sont  qu'une  aiïairc  de  savants , 
plus  préoccupés  de  faire  luiller  leur  perspicacité  aux  dépens 
de  l'objet  qu'ils  étudient,  que  de  le  mettre  dans  son  jdein 
jour ,  en  s'elïacant  eux-mêmes.  Semhlahles  aux  difli'ienlf's 
images  que  reproduit  d'un  même  individu  la  pliolOf,Taphie, 
mais  dans  lesquelles,  malgré  hîur  diversité,  l'œil  d'un  ami 
recomiaît  toujours  son  ami,  les  ligmes  diverses  du  Christ 
évangélique  reproduisent  aux  yeux  de  la  foi  simple  le  même 
tvj)e  fondamental,  et  ce  type  ne  peut  apparemment  être  autre 
que  celui  que  Jésus  portait  au  dedans  de  lui  et  qu'il  a  gravé 
d'ime  main  ferme  et  hardie  dans  le  cœur  de  ses  disciples. 
Nous  disons  hardie,  parce  que  c'est  ce  témoignage  rendu  à 
sa  divinité  qui  lui  a  coûté  la  vie  :  il  est  mort  —  les  Synoj)- 
tiques  le  déclarent  aussi  bien  que  saint  Jean  —  comme  blas- 
phémateur, et  parce  qu'il  s'était  fait,  non  pas  seulement 
Messie  —  il  n'y  aurait  pas  eu  là  de  blasphème  —  mais  Fils 
de  Dieu,  dans  le  sens  le  plus  élevé  du  mot;  et  l'unique 
question  ,  au  sujet  de  Jésus-Christ,  sera  désormais  celle  qui 
ressort  île  toutes  les  pages  du  livre  de  M.  Ilenan  :  En  se 
proclamant  Dieu ,  a-t-il  affirmé  une  vérité ,  ou  n'a-t-il  été 
que  la  première  dupe  de  son  exaltation  et  de  son  orgueil  ? 
Est-il  la  r\nrole  faite  chair,  comme  le  supposent  tous  ses 


SVn  I.K  PFIOLOGUE.  2i0 

(lisroms,  depuis  le  Sciiiion  smhi  iiinnl;ii^rH'  ((0111(1.  .M.illli.  VII. 
'iîl-:^^)  jiiMiuïi  la  prière  sacerdotale,  ou  bien  n'esl-il  (ju'uii 
fou  pieux ,  qui  ne  se  distinj^'-ufi  de  la  foule  de  ses  semblables 
(pie  par  II-  relenlissenieni  (pi'a  eu  sa  folie  V 

liidéjx'udauuneiil  de  l:i  (jueslion  g^éuérale  du  surnalure] 
el  du  iniraele  ,  (jue  nous  ne  pouvons  Iraiter  ici,  on  0])j)0se 
liois  objeclions  piincipales  à  la  conception  si  nettement  for- 
niuli'e  diiiis  le  prolojjMic  el  pailiculièreuieiit  à  la  notion  de 
la  préexistence  et  de  l'élernilé  du  Logos. 

1.  On  ai-pumente  des  inconséquences  du  point  de  vue  de 
Jean.  C'est  ainsi  que  M.  Heuss*  voit  une  contradiction  entre 
le  juoloirue  qui  enseigne,  selon  lui,  la  parfaite  égalité  du 
Père  et  du  Fils ,  telle  que  la  professe  l'orthodoxie  ecclésias- 
ti(jue,  et  les  nonibieuses  paroles  de  Jésus,  dans  l'évangile 
de  saint  Jean  lui-même,  qui  renferment  l'idée  de  la  subor- 
dination du  Fils  au  Père.  Dans  la  thèse  de  l'égalité  et  dans 
les  paroles  qui  la  renferment ,  il  trouve  l'emprunt  fait  à 
l'école  et  à  Philon;  dans  les  paroles  qui  enseignent  la  subor- 
dination ,  il  leconnaît  des  témoignages  réellement  émanés 
de  la  bouche  de  Christ.  Jean  ne  se  serait  pas  aperçu  de  la 
contradiction  entre  ces  éléments  de  sens  opposé  et  d'origine 
diflérente. 

2.  Baur'  appuie  forlement  sur  l'impossibilité  de  concilier 
la  notion  de  l'incarnation  du  Veibe  avec  celle  de  la  nais- 
sance surnaturelle  de  Jésus,  (jue  l'on  trouve  dans  les  Synop- 
tiques. Au  jtuini  de  vue  de  ces  derniers  ,  en  effet,  c'est  par 
cette  naissance  que  le  sujet  de  l'histoire  évangéli(pie  com- 
mence à  exister;  au  point  de  vue  de  l'incarnation,  au  con- 
traire ,  ce  sujet  préexiste  à  son  apparition  même  et  ne  peut 
rien  devenir  qu'il  ne  fût  déjà.  «  Il  est  absolument  impossible. 


1.  H/s(.  fie  la  Ihvol.  chrét.  t.  II,  p.  .350  et  suiv. 

2.  ThcQl.  Jahrb.  1814.  t.  III,  p.  24  el  suiv. 


250  CONSIDÉRATUI.NS  C.KNÉRALKS 

(Miiichil-il,  lie  pinoor  la  n.iissiiiicc  doiil,  pailoiit  les  Synop- 
tiques dans  la  série  ilrs  iikhiuiiIs  iiuliijiK's  par  le  prologue.» 
3.  On  oppose  au  liiil  ilr  lincaruatiou  rinipossibilité  de  le 
concilier  avec  riiunianilt''  n'cllc  du  Sjinvfur.  C'est  le  point 
de  vue  de  Liieke  ' ,  (pii  ,  l(»ut  eu  reeoiniaissaMt  ce  (ju'il  y  a 
de  périlleux  dans  la  m'i^alion  de  la  préexistence ,  ne  peut 
cepentlanl  se  résoudre  à  admettre  un  lait  qui  statuerait  une 
diflérence  d'essence  entre  le  Sauveur  et  ses  frères  et  qui 
ne  perniellrait  plus  de  concevoir  ni  sa  (jualité  de  Fils  de 
riionnne ,  ni  sa  l'onction  rédemptrice.  C'est  du  même  point 
de  vue  que  partent  les  scrupules  de  \Veiy,.sackei' *  :  Sans 
doute,  la  communion  du  Fils  avec  le  Père  n'est  pas  seule- 
ment morale;  il  ne  conquiert  pas  sa  position  de  Fils  par  sa 
fidé'lilé;  elh;  est  la  présnpj)Osilion  de  tout  ce  qu'il  fait  et  dit; 
sa  lidélilé  ne  fait  que  maintenir  ce  rapport  originaire,  elle 
ne  le  procluit  pas;  c'est  la  condition  non  ac([uise  d(î  la  con- 
science qu'il  a  de  Iwi-nirme.  .Mais,  d'autre  part,  il  faut  re- 
connaître, (piaiit  à  la  connaissance  supérieure  que  possédait 
Christ ,  qu'elle  ne  peut  être  la  contiimation  d'une  connais- 
sance antérieure ,  apportée  d'en  haut  :  autrement  elle  n'au- 
rait plus  ce  caractère  progressif  et  limite  à  la  tâche  de 
chacjue  moment  que  nous  y  reconnaissons  et  qui  en  fait  une 
connaissance  vraiment  humaine.  Et,  quanta  la  tiiclic  morale 
de  Jésus,  elle  n'aurait  plus  rien  d'humain,  dans  cette  con- 
dition-là :  car  où  serait  le  comhat  inuiid  léel  chez  le  Fils, 
s'il  possédait  encore  la  connaissance  complète  du  plan  divin 
qu'il  avait  éternellement  auprès  du  Père  '  ?  —  Après  s'être 
donné  heaucoup  de  peine  pour  éliminer  des  paioles  de  Jésus 
citées  plus  haut  l'idée  de  la  préexistence ,  Weizsiicker  con- 
clut cependant  qu'il  y  a  dans  le  quatrième  évangile  deux 


1.  T.  I,  p.  378. 

1.  Jahrb.Jiir  deutsche  Theol.  t.  VII,  4"  cahier,  p.  655-6C4. 

3.  Ibtd.  p.  639. 


J 


SUR  LE  PROLOCLE.  251 

(.Il^l^l> juxtaposés:  l'un  vniiment humain ,  rrlui  qu'ensfi-^'iient 
Jésus  lui-incrne  et  les  Synoptiques;  l'autre  préexistant,  celui 
de  Jean.  Nous  sommes  ainsi  ramenés  aux  inconséquences 
prétendues,  qu'attriliue  M.  Reuss  à  la  christologie  du  qua- 
trième évan|,^ile. 

He[)renons  ces  objections. 

I.  Nous  croyons  que  la  contradiction  intrinsèque,  repro- 
chée à  l'évangile  de  Jean  par  M.  Reuss,  n'est  qu'une  appa- 
rence ,  provenant  de  ce  que  ce  savant  prête  à  l'apôtre  la 
dogmati(]iie  formulée  dans  le  symbole  de  Nicée  et  dite  or- 
thodoxe ,  au  lieu  de  le  laisser  parier  lui-même.  En  eft'et ,  le 
prologue  enseigne  la  subordination  du  Fils  au  Père  aussi 
positivement  que  le  reste  de  l'évangile.  Nous  l'avons  prouvé 
par  l'exégèse.  L'expression  était  avec  Dieu ,  le  nom  de  Dieu 
comme  substantif  (6  0ec-)  résené  au  Père,  l'idée  d'engen- 
drement  renfermée  dans  le  mot  jjLcvcys'/ijr  (rapproché  comme 
il  l'est  au  v.  14  de  celui  de  Tra-nip),  les  termes  mêmes  de 
Père  et  de  Fils,  celui  de  Parole,  l'image  :  dans  le  sein  du 
Père,  le  Père  posé  comme  objet  suprême  de  la  connais- 
sance ,  tandis  que  le  Fils  n'en  est  que  l'organe  :  voilà  au- 
tant d'indices  qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  le  sentiment 
de  l'auteur  du  prologue  touchant  la  subordination,  et  qui 
établissent  l'accord  le  plus  parfait  entre  ce  morceau  et  le 
reste  de  l'évangile. 

n.  L'objection  de  Baur,  tirée  du  désaccord  entre  la  notion 
de  l'incarnation  et  celle  de  la  naissance  miraculeuse,  pro- 
vient, comme  l'objection  précédente  de  M.  Reuss,  de  ce  que 
ce  savant  n'a  pas  serré  d'assez  près  les  expressions  du  pro- 
logue. Partant  de  l'idée  préconçue  que  le  sujet  de  l'histoire 
évangélique,  d'après  le  quatrième  évangile,  est  la  Parole, 
purement  et  simplement ,  et  que  ces  mots  :  t  La  Parole  est 
devenue  chair, t  signifient  uniquement  que  d'invisible  la 
Parole  est  devenue  visible,  il  est  bien  évident  que  Baur  ne 


255  CONSlUKRATKtNS  (JK.NKHALKS 

(loil  plus  trouver  dr  pince  dans  le  prolofiiie  pour  l'idée  d'uiu' 
naissaiicr  iiiii'iKideiisc;  il  linil  iiK-ine  aidiilcr  :  |)()iir  rid(''e 
d'iiiit'  iiaissaiicc  ipiol(-()ii(]ii('.  iiiiiacMlcnsi'  ou  nalurcllc.  Mais 
pour  peu  que  l'on  prciiiic  au  si'iinix  l'expression  de  Jean 
ffàçS;  èyéveTC,  on  lidUNeia  (pi'elle  ne  saurait  di-sif^nei"  une 
simple  apparition  el  (pie  l'idée  d'une  naissance,  et  plus  spé- 
cialement d'une  naissance  miraculeuse,  y  est  impliquée.  Com- 
iih'mI.  en  (-nrl,  avoir  accès  à  la  nahue  liiiinaiMe  dans  loule 
sa  n'-alilé,  autrement  que  pai'  le  développement  orj^anique 
et  graduel  dont  la  naissance  est  le  jioinl  de  (h'pail?  Et  com- 
ment, d'autre  part,  Jésus  sei'ait-il  homme  de  manière  à  re- 
|in'^ciilcr  riiiinianile  I<miI  mlière,  si  son  existence  liiimaine 
avait  exactement  la  même  orij^ine  que  la  nôtre?  C'est  à  l'ac- 
tion paternelle  qu'appartient,  dans  la  naissance,  l'élément 
|(rol"oïid(''ment  indixidiialisaleur.  Le  (;oncom\s  d'un  père  ei'it 
l'ail  dr  jr'sii>  iiii  iiiili\idii  jnxta[)os(''  à  tons  les  autres,  un 
homme.  l*ai  l'alisence  de  ce  facteui',  et  par  le  fait  qu'il  ne 
doit  son  (.'xistenee  humaine  qu'an  l'acteur  maternel,  qui  re- 
présente la  nature  lunnaine  en  .soi,  il  a  pu  être  non -seule- 
ment un  homme,  mais  le  Fils  de  l'homme  et  devenir  le  re- 
présentant et  l'orj.'^ane  de  la  race  entière,  l'iionnue  central, 
le  second  Adam.  Cette  j)Osilion  unirpie  a  été  celle  de  Jésus 
aux  yeux  de  Jean,  aussi  hien  qu'à  ceux  des  Synoptiques; 
c'est  pai'  mi  ellet  de  cette  position  que  les  actes  du  Seigneur 
n'(»nl  jias  seulement  une  valeur  individuelle,  mais  possèdent 
tous  une  portée  humanitaire.  Ce  qu'il  fait,  c'est  l'humanité 
qui  Ut  fait  en  lui.  Or,  ce  caractère  de  la  vie  de  Jésus,  si  éner- 
gi(|uemenl  exjtrimé  par  la  formule  aàp^  —  non  àvôpw7co<; 
(un  homme)  —  ifévz-c,  implique  et  supj)0se  la  conception 
miraculeuse,  racontée  par  les  Synoptiques,  comme  sa  con- 
dition nécessaire. 

111.  lin  essayant  enlin  de  répondre  à  ceux  (jui  envisagent 
la  préexistence  comme  inconciliable  avec  la  réelle  humanité 


nitél 


sri!  i.i;  i'U()LO(;i;i;.  553 

(lu  SiiuvL'iir,  nous  iic  nous  (iissirnuloiis  puiiil  (jUe  nous  ;ibor- 
ilons  le  proltlème  le  plus  arrlu  de  la  théologie.  Nous  avons 
déjà  indi<pié  en  peu  de  mots  (v.  14)  rinsuffisanee  dtis  deux 
points  de  vue  auxfpiels  se  sont  placées  les  deux  formes  de 
la  tlii'ologie  protestante,  réformée  et  luthérienne,  pour  ré- 
soudre le  problème  (pie  leur  avait  b'-gui'  l'antique  oithodoxie, 
[ilutôt  encore  que  IKcriture.  Car  mous  avouons  que,  sur  ce 
jtoint,  l'Église  nous  paraît  n'avoii-  pas  saisi  complètement  la 
pensée  scripturaire;  et  ce  que  nous  rechercherons,  dans 
les  lignes  (jui  vont  suivre,  ce  ne  sera  point  la  conciliation 
d(;  la  docliine  orthodoxe  des  deux  natures,  coexistant  en 
Jésus-Christ,  aver  lEcriture,  mais  plutôt  l'accord  de  l'Écri- 
ture avec  elle-même. 

L'Kcriture,  en  enseignant  l'existence  éternelle  du  Verbe, 
enseigne-t-elle  en  même  temps  la  présence  de  la  nature  di- 
vine, c'est-à-dire  de  l'état  et  des  attributs  divins,  en  Jésus- 
Christ,  pendant  le  cours  de  sa  vie  terrestre?  Je  ne  pense 
pas  (pic  la  formule  Jean  I,  I  i  soit  compatible  avec  cette  idée. 
L'expression  :  «La  Parole  a  été  faite  chair,  »  j)ar  le  bien  d'un 
sujet  divin  réduit  à  un  état  humain,  mais  non  de  deux  états, 
divin  et  humain,  coexistants.  Cette  notion  est  aussi  contraire 
à  l'exégèse  qu'à  la  logique.  Saint  Paul  s'exprime  exactement 
dans  le  même  sens  que  saint  Jean.  D'après  Phil.  II,  G.  7, 
Christ,  qui  était  en  forme  de  Dieu,  s'est  anéanti  (sxsvoo-ev) 
lui-même,  eu  prenant  la  forme  de  serviteur,  et  en  se  fai- 
sant homme;  ce  qui  ne  peut  signifier  qu'une  chose  :  c'est 
qu'il  a  déposé  son  état  divin  pour  prendre  l'état  humain;  il 
ne  les  a  donc  pas  combinés  en  s'incarnant,  mais  il  a  échangé 
celui-là  pour  celui-ci.  Dans  un  autre  passage  (2  Cor.  IX,  9) 
saint  Paid  déclare  qu'étant  riche,  Chri.st  s'est  appauvri,  alin 
de  nous  enrichir  j)ar  sa  j»auvrelé.  Cet  appauvrissement  ne 
peut  être  que  son  renoncement  à  l'état  divin,  dépouilleuient 
par  lequel  il  s'est  identifié  avec  nous,  et  dont  le  but  a  été 


251  CONSinKRATIONS  GKNKnALKS 

i\c  nous  irlt'vor  ensuilc  avec  lui  à  loule  la  liaiileiir  de  son 
t'UU  premier,  de  sa  {,Moire  divine.  Les  faits  de  riiistoirc  évan- 
géli{|iie  sont  d'accord  avec  ces  déclarations  aj)ostoli(]ues. 
Jésus  ne  possède  pins  sur  la  terre  les  atlrihuts  (pii  consli- 
luent  l'étal  divin.  La  toulc-scicncc,  il  ne  l'a  j)as;  car  il  inter- 
rojfc,  et  il  l'aul  admctlie  (jn'il  le  l'ail  sincèrenient ,  à  moins  de 
changer  sa  vie  en  ini  simple  jeu  :  «Où  l'avez-vons  mis?  Qui 
m'a  touche?  »  Il  dit  :  «  Personne  ne  le  sait,  non  pas  même  le 
Fils.  »  La  toute-scicnie  ne  se  |»arla|;i('  pas  comme  la  science: 
on  l'a  ou  on  ne  la  jias.  Or  Jésus  allirnie  positivement  dans 
le  dernier  de  ces  passages  qu'il  ne  l'a  |tas  au  moment,  où  il 
paile.  Lors  donc  «pTil  l'ail  jireuvc  d'un  savoir  surnaturel, 
connue  dans  la  rencontie  de  Nallianaël,  ou  dans  celle  delà 
Samaritaine,  c'est  un  savoir  supérieur  sans  doute,  mais  ce 
n'est  pas,  ce  ne  peut  pas  être  l'omni-science.  —  Il  ne  possède 
pas  davaiHage  la  toute-puissance.  Ce  n'est  pas  lui  qui  fait 
ses  miiacles;  c'est  son  Père  qui  les  fait  pour  lui  à  sa  de- 
mande :  ^iMon  Père,  je  sais  que  tu  m'exauces  toujours.  ï>  Et 
c'est  pour  cette  raison  (pi'il  j)eut  les  ipialilier  de  témoignages 
(juf  lui  rend  I»;  Père.  Jean  V,  î36  :  a  Les  œuvres  que  mon 
Père  me  donne  d'accomplir,  rendent  témoignage  de  moi.  »  — 
11  est  privé  de  la  toule-présrnce.  Car  il  se  transporte  avec 
ses  disciples  d'un  lieu  à  un  autre,  et  l'action  à  dislance  qu'il 
exerce  quelquefois  n'est  point  encore  la  toute-présence.  Les 
vies  des  prophètes  présentent  bien  des  traits  de  ce  genre. 
—  Son  amour  même,  si  parfait  «pj'il  soit,  n'est  j)0Uitant  pas 
l'amoui'  divin.  Celui-ci  est  innnuable  et  ne  peut  croître  ni 
en  exten.sion  ni  en  force.  Mais  qui  prétendra  que  Jésus  au 
berceau  aimât  comme  à  l'âge  de  douze  ans,  et  à  l'âge  de 
douze  ans,  comme  sur  la  croix?  Parfait,  relativement  à 
chaque  moment  donné ,  son  amour  a  crû  de  jour  en  jour, 
soit  pour  l'énergie  de  la  consécration  volontaire,  soit  poui' 
l'étendue  du  cercle  qu'il  embrassait.  C'était  donc  un  amour 


vriiimciil  Imiiuiiii.  c  La  grâce  d'un  scxû/iomnie,  .lésus-ClirisI,» 
(lit  saint  Paul,  Hom.  V,  15.  —  <iJe  me  sanctifie  moi  -même 
pour  eux,  dit  Jésus,  Jean  XVII,  10,  afin  qu'eux  aussi  soient 
sanctifiés  en  vérité.  y>  Quand  la  nature  jjurcniont  humaine  de 
cette  sanctilicalion  ne  résulterait  pas  de  cette  tournure  :  «Je 
me  sanctifie  moi-même,)^  elle  i-essortirait  du  j)arallélisme 
de  ces  deux  termes  :  je  me  sanctifie,  et  :  qu'eux  aussi  soient 
sanctifiés.  Si  la  sainteté  n'était  pas  de  nature  identique  dans 
les  deux  cas,  cette  parole  n'aurait  pas  de  sens.  «  ^"^  celui 
qui  sanctifie  et  ceux  qui  sont  sanctifiés,  sont  tous  iTun,  dit 
l'épîlre  aux  Hébreux  (II,  11);  c'est  pourquoi  il  n'a  pas  honte 
de  les  appeler  ses  frères.  »  Et  Hébr.  V ,  8  :  «  Quoique  Fils , 
//  a  appris  l'obéissance  par  les  choses  qu'il  a  souffertes;  et 
étant  devenu  accompli...  »  etc.  La  sainteté  de  Jésus  est  tel- 
lement une  sainteté  humaine,  qu'elle  se  consomme  au  prix 
de  la  lutte,  i)ai'  le  renoncement  à  la  jouissance  légitime  et 
par  la  victoire  sur  la  crainte  naturelle  de  la  douleur.  S'il  en 
eût  été  autrement,  la  tentation  n'eût  pas  été  sérieuse  dans 
cette  vie-là.  —  Nous  concluons  de  tous  ces  faits  que  Jésus 
ne  possédait  point,  sur  la  terre,  les  attributs  qui  constituent 
l'état  divin;  et  nous  n'avons  dès  lors  aucune  peine  à  com- 
piendre  la  prière  par  laquelle  il  tei-mine  sa  carrière  terrestre 
et  dans  laijuelle  il  redemande  la  gloire  qu'il  avait  avant  son 
incarnation  (Jean  XVII,  5).  Cette  gloire,  c'est  l'état  divin 
avec  tous  ses  attributs,  sîi  forme  de  Dieu,  selon  l'expression 
de  saint  Paul,  dont  il  s'était  dépouillé  en  se  faisant  homme. 
Mais  ne  méconnaissons  pas  l'autre  côté  de  la  vérité.  N'al- 
lons pas  jusiju'à  dire,  avec  Keim',  que  tous  les  biens  ren- 
fermés dans  la  conscience  intime  de  Christ  sont  le  résultat 
des  combats  moraux  de  sa  vie.  Il  y  a,  comme  le  remarque 
parfaitement  Weizsâcker,  dans  la  conscience  de  Christ  quel- 


1.  Die  inenschlkhe  Enlwickelunej  Jesu,  18G1. 


'J'Hi  l.ONSlDKKATKi.NS  (ilMIlAI.KS 

(juo  chose  (|iii  n'est  pas  le  r'esiilhil  du  (le\('loji|ieiii('iil,  cl  (jui 
est  exprimé  p;ir  le  nom  de  Fils.  (Jii;iiid  .Ic'sns  dit  Jean  V,  20  : 
«/>€  Père  aintc  le  Fils  et  lui  monlrc  (oui  ce.  (pi'i/  fail,))  \o. 
sens  (le  ces  mots  n'est  pas  que  Jé'sns  se  sent  Kils  parce  qne 
son  Père  hii  montre  tout,  mais  (jue  le  Père  lui  montre  tout 
parce  qu'il  est  Fils'.  Nous  avo!is  trouv('  dans  les  Synopti- 
ques, aussi  liieu  que  dans  saint  .leati,  la  preuve  que  le  Tond 
lie  l;i  vie  de  Jésus  est  la  conscience  d'un  rapport  à  Dieu 
uni(jue,  exclusil',  antérieur  à  son  existence  terrestre,  et  tai- 
sant partie  de  l'essence  divine  elle-même.  Ce  sont  là  les  in- 
dices psyciiologiques  de  la  folie  ou  di'  la  présence  réelle  en 
Christ  d'mi  sujet  divin.  Mais  comment  concilier  ces  données 
conlr;idirtoiros?  Comment  concevoir  un  sujet  divin  naissant 
et  se  dé'velopj)anl  dans  un  état  vraiment  humain? 

Il  faut  d'abord  qu'il  st;  dépouille  de  tous  les  attributs  qui 
constitueiit  son  t'!;!!  divin;  et  nous  venons  de  voir  que  les 
textes  bibliques  ensei|^iient  indirectement  et  directement  ce 
déponilleuKMit.  H  faut  ensuite  que  le  sujet  divin  consente  à 
perdre  pour  un  temps  la  conscience  de  lui-même,  comme  tel. 
La  conscience  d'une  relation  si  particuhère  avec  Dieu  et  le 
souvenir  d'une  vie  antérieure  à  cette  existence  terrestre  se- 
raient inconq>alibles  avec  l'état  d'un  véritable  enfant  et  avec 
mi  développement  réellement  humain.  Or,  les  textes  évaji- 
géliques  n'atlribueul  nullement  à  Jésus  jusqu'à  son  baptême 
la  conscience  de  lui-même  connue  Logos.  Le  mot  qu'il  pro- 
non(;a  à  l'âge  de  douze  ans  renferme  le  sentiment  d'une  re- 
lation intime  avec  Dieu  et  d'une  vijcalion  particulière  à  tra- 
vailler à  son  service.  Mais,  avec  une  ficJélité  morale  comme 
la  sienne  et  dans  le  sentiment  d'une  iuli/iuté  avec  Dieu  que 
rien  n'allé-rail  jamais,  r<'nfanl  pouvait  ajtjieler  Dieu  son  Père, 
dans  un  sens  purement  religieux  et  sans  qu'il  en  résulte 

I.  Jnhrh.fnr  dent.  Theol.  t.  VII ,  p.  656. 


suF<  m:  i'itoLO(iiJK.  257 

(jii'il  d'il  j»ii  (Irs  ce  iiioiiiciil-là  s'iippnler  son  Fils,  ojicorc 
[iioiiis  le  Fils.  Nous  igiioioiis  <r;iill('iii's  si  sa  mère  ne  lui 
avait  rien  révi'li'  des  circoiislaiicrs  iiiiiaciilcuses  de  sa  iiais- 
saïKU'.  Oui  p<Mil  mt'siii(!i"  lo  (Jcgrô  de  cuiiliaiicc  qu'un  toi  cil- 
lant devait  insjiirer  à  une  mère?  Dans  cette  supposition, 
l"i'\jircs.si()ii  mon  Pêrc  serait  encore  jjIus  aisée  à  expliquer 
sans  qu'il  fût  nécessaire  de  faire  intervenir  chez  l'enfant  la 
conscience  de  liii-niènie  comme  Logos.  Quant  au  sentiment 
de  sa  mission,  il  dut  se  développer  dès  cet  àge-là  du  con- 
tiaste  continuellement  senti  entre  sa  sainteté  et  le  péché 
dont  il  voyait  atteint  tou!  le  monde  (|ui  l'entourait,  jusfjue 
dans  ses  meilleurs  rej)résentants,  Marie  et  Joseph.  Le  seul 
hien-portant  au  milieu  de  cette  caravane  de  malades  avec 
laijuelle  il  voyageait,  il  dut  de  honne  heure  apprendre  de 
son  cœur  plein  de  charité  sa  vocation  de  médecin.  L'histoire 
évangélique  ne  mentionne  du  reste  pas  une  parole,  pas  un 
fait  (jui  attribue  à  l'enfant  Jésus  la  conscience  de  sa  nature 
divine  et  de  son  e>dstence  antérieure.  C'est  dans  les  évan- 
giles apocryphes  qu'il  faut  aller  chercher  ce  Jésus  contre- 
nature  et  antiliuiiKiiii.  D'après  les  textes,  le  Logos  s'est  donc 
bien  déj)Ouillt''  et  de  son  état  et  de  sa  conscience  d'être  di- 
vin. C'étaient  là  les  conditions  négatives  de  l'incai'nation.  En 
voici  les  conditions  positives;  il  suffît  de  rapprocher  les  faits 
connus  de  l'histoire  évangéhque  pour  juger  si  elles  ont  été 
sérieusement  remplies  : 

1.  Le  Log-os  devant  descendre,  non  au-dessous  de  riiommc 
et  justju'à  la  brute,  mais  au  niveau  de  l'homme,  et  l'homme 
étant  un  être  conscient  de  lui-même  et  moralement  respon- 
sable, le  Logos  a  dû  se  réduire  à  l'état  d'un  moi  libre  et  intel- 
lii^ent ,  comme  nous  le  sommes  tous.  Ce  moi  n'était  point  dé- 
terminé, dans  la  conscience  (|u'il  avait  de  lui-même,  comme 
celui  du  Logos,  mais  comme  celui  de  l'être  vraiment  humain 
qui  se  développait  là  aux  veux  de  tous  sous  le  nom  de  Jésus. 


25^!  CONSIDÉRATIONS  l.ÉNÉHAl.KS 

4.  L'homme  élanl  civé  à  riniagc  do  Difii  cl  le  liait  fon- 
damental de  celle  image  élanl  l'aspiralion  à  Dieu,  la  réccpli- 
vilé  pour  le  divin,  ce  trait  dut  dominer  dans  le  développe- 
ment humain  (hi  Lo^os.  L"as[)irati(jn  à  Dieu,  la  récej)livilé 
rt'ligicnse  à  son  plus  haut  degré  d'énergie,  (hil  consliluer 
le  caractère  propre  de  son  èlre. 

3.  Par  suite  de  la  prépondérance  (lu'a  elie/,  nous  tous  le 
caractère  de  l'individu  sur  celui  de  la  race,  notre  mesure 
de  réceptivité  ]»our  le  divin  est  limitée.  Mais  s'il  arrive  que 
dans  le  Logos  fait  chair  se  réalise  une  seconde  fois,  et  à  une 
puissance  plus  élevée  encore  que  chez  le  premier  Adam, 
l'idée  de  la  race  connue  telle,  la  capacité  rehgieuse  de  tous 
se  trouvera  par  là  même  concentrée  en  lui  seul.  Il  pourra 
ainsi  recevoii'  d'En-Ilaut,  non-seulement  ce  que  l'homme  le 
mieux  doué,  mais  ce  que  I  liiiiii;iiiil(''  luul  entière  peut  re- 
cevoir de  Dieu.  Ce  trait  (|ui  l'orme  l'essence  de  la  nature 
humaine,  la  réceptivité  religieuse,  il  le  possédera  ahsolu- 
ment  et  sans  mesure. 

■i.  Gomme  l'hiunanilé  paraît  avoir  été  destinée  dès  le  dé- 
but à  être  élevée  à  l'étal  divin  <l  (jue  le  viai  homme  dans 
l'idée  divine,  c'est  le  thcanthropc  —  Satan  le  sait  bien  et 
c'est  de  cell(t  prédestination  divine  qu'il  a  tiré  et  qu'il  tire 
jusqu'à  la  fin  ses  pièges  les  plus  dangereux  —  la  tendance 
dominante  dans  la  vie  du  Logos  fait  chair  sera  de  réaliser, 
en  lui-même  d'abord,  cette  assomption  de  l'humanité  dans 
l'état  divin ,  puis  de  nous  y  associer  en  reproduisant  son  èlre 
en  nous.  Accomplir  celte  tâche,  ce  sera,  ipiant  à  lui,  dès 
qu'il  se  sera  reconnu  hii-nième  comme  Logos,  recouvrer  sa 
gloire,  et,  quant  à  nous,  réaliser  le  don  éternel  que  le  Père 
lui  a  fait  de  nous. 

5.  Serait-ce  enfin  dépas.ser  les  limites  assignées  à  l'intel- 
ligence humaine  (jue  de  demander  si  celte  réceptivité  col- 
leetive  de  l'humanité  pour  le  divin,  dont  le  Logos,  devenu 


à 


SUR  LK  I'[{OLOr.UE.  251) 

linmnic,  est  l'oigario  parfait,  n'est  pas  au  fond  identique 
avec  la  réroptivité  du  Logos  lui-même  vis-à-vis  de  Dieu  :  tjv 
izçàç  Tov  ©so'v,  V.  1.  Nous  sommes  l'œuvre  du  Logos  et  por- 
tons son  type.  Ce  que  le  Logos  est  vis-à-vis  de  Dieu  sous 
foi-me  divine,  riioinnie  ne  l'est-il  point  dans  le  temps  sous 
l'urine  Unie  —  l'organe  lilne  de  Dieu'? 

Dans  de  telles  conditions,  l'entrée  et  le  développement 
d'iiii  sujet  divin  dans  l'état  humain  ne  présentent  plus  rien  de 
coiilradietoire.  Il  ne  reste  plus  qu'à  eai'actériser  les  phases 
de  son  existence,  ainsi  que  le  mode  et  les  degrés  de  sa  réin- 
tégiation  dans  l'étal  divin  : 

Par  une  telle  naissance  l'humanité  se  trouve  replacée  à 
son  point  de  départ;  elle  est  en  état  de  recommencer  son 
développement  normal,  interrompu  par  le  péché.  Jusqu'à 
l'âge  de  trente  ans  Jésus  accomplit  la  tache  religieuse  et 
morale  de  l'humanité  primitive,  celle  de  l'obéissance  com- 
plète et  du  sacrifice  du  moi  dans  l'amour  croissant  de  Dieu 
et  des  hommes.  H  ne  se  connaît  point  encore;  ])eut-ètre,  à 
la  clarté  dv^  Ecritures,  conmience-l-il  à  se  pressentir  lui- 
même.  Mais  la  conscience  distincte  de  sa  (b'gnité  suprême, 
de  sa  qualité  de  Logos,  serait  incompatible  avec  la  réalité 
de  son  développement  huinain  et  raccomjdissement  de  la 
tâche  assignée  à  cette  première  j)ériode  de  sa  vie.  Cette 
tâche  remplie,  les  conditions  changent.  Un  nouveau  déve- 
loppement s'ouvre  pour  lui.  cl  la  conscience  de  sa  dignité 
de  Logos,  bien  loin  d'être  incompatible  avec  cette  nouvelle 
phase,  celle  de  son  ministère,  en  devient  la  base  indispcn- 

1.  Nous  ne  voudrions  pas  rendre  M.  Gess  solidaire  de  toiiles  les  idées 
(|iie  nous  venons  démettre.  Nous  savons  que  sur  plusieurs  points  nous 
ne  sommes  pas  entièromeni  d'accord  avec  lui.  Mais  le  point  de  vue  que 
nous  venons  de  présenter  n'en  est  pas  moins,  en  général,  celui  qu'il  a 
développé  dans  son  bel  ouvrage  :  Lehrevon  der  Perso it  Christi,  1856, 
dont  j'ai  ou  l'iiouneiir  de  rendre  compte  à  l'époque  de  son  apparition, 
Revue  chrétioiiie ,  18ô7  et  1858. 


2fi0  CONSIDÉRATIONS  GÉNÉRAl-ES 

sîible.  Poiii"  trinoijjiKM"  de  liii-inêni<',  il  doit  se  coniiiiitri'. 
Pour  n'vV'lor  le  Pèr»'.  il  doil  coiinaîtic  Dion  rommc  Pire  il 
se  sentir  Fils.  Pour  d('|iloycr  su  gloiro.  il  faiil  qu'il  en  ail 
le  secret.  Le  haphMur  csl  révéneinonl  décisif  qui  sépare  cette 
phase  nouvelle  de  la  pn'iédciilcV  Venanl  au  devant  des  as- 
pirations et  des  jtressentiinents  du  cieur  de  Jésus,  le  Père 
lui  dit  :  «  Tu  es  mon  Fils, y»  vl  rendit  ainsi  témoignage  à  son 
esprit  (1rs  liens  uniqtu'S,  éternels,  i|iii  l'unissaient  à  lui; 
Jésus  se  connut  dès  ce  moment  connue  l'objcît  absolu  de  la 
dilection  divine.  Il  put  diro  ce  qu'il  n'eut  pu  rlire  auparavant: 
€  Avant  (ju'Ahrahrnn  fi't,  je  suis.  i>  Il  j)osséda  cette  conscience 
de  Fils ,  arrière-plan  de  toutes  ses  manifestations  subsé- 
quentes, récompense  de  sa  fidélité  antérieure,  révélation 
de  son  essence  éleniclle.  En  même  temps  /r  ciel  lui  f^it  ou- 
vert, c'est-à-dire  (pie  sou  œil  jilongea  dans  l'abîme  des  plans 
divins  et  qu'il  en  connut  ce  qui  était  nécessaire  à  l'accom- 
plissement de  sa  tàclie  de  Messie.  Dès  ce  moment  il  put  dire  : 
€  yous  rendons  témoignage  de  ce  qve  7iovs  avons  vu.  »  Fnfin 
l'humanité  fut  élevée  eu  lui  à  la  vie  surnaturelle  ou  spiri- 
tuelle pour  l'avènement  de  laquelle  il  ne  s'était  pas  encore 
trouvé  .sui  la  terre  un  organe  digne  et  capable;  le  Saint- 
Esprit  descendit.  VA,  au  service  de  la  pr(jpagalion  de  cette 
vi(!  supi'rictuc.  il  se  sentit  maître  de  toutes  choses. 

Cependant  le  baptême  ,  en  rendant  à  Jésus  sa  conscience 
de  Fils,  ne  lui  avait  pas  rendu  son  état  divin ,  sa  forme  de 
Dieu.  Il  disposait  en  Fils  chéri  de  tous  les  trésors  de  sagesse 
et  de  puissance  qui  sont  en  Dieu  et  auxquels  l'assurance  de 
sa  digFiiti'  filiale  lui  doiuiait  accès.  .Mais  il  ne  possédait  rien 

1.  Depuis  que  les  Gnostiqiics  avaient  faussé  le  sens  du  baptême  eu  eu 
Taisant  Tépoquc  (ie  la  descente  de  l'Eou  divin  dans  l'homme  Jésus,  M.  de 
Hougcmont  est  le  premier  qui  ait  ose  rendre  à  ce  fait  toute  sa  valeur 
dans  le  développement  personnel  du  Seigneur  :  voir  Christ  et  ses  té- 
moins. T,  8'  et  O'  lettres,  t.  I,  p.  '229-2%;  [larticnlièrement  p.  250-255. 


SUR  LE  PROLOGUE.  261 

en  propre.  Il  poiivîiif  donc  dire  encore:  iPère,  rciids-moi 
)nn  yloirc.  » 

C'est  par  rAsceiision  qm'  son  assoniplioii  dans  Yéial  divin 
s'est  accomplie ,  et  cpie  sa  position  a  été  relevée  au  niveau 
de  la  conscience  qu'il  avait  de  hii-inèmc  dès  son  baptême. 
Drs  ce  nionicnl  il  est  mis  en  j)osscssion,  et  cela  cunmie 
Fils  de  riiomnie,  de  tons  les  attributs  divins,  de  l'état  de 
Fils  de  Dicn,  kl  (pTil  le  possédait  avant  son  incarnation: 
a  Toute  la  plcniliide  de  la  divinité  habite  corpouellement 
en  luii>  (Col.  II,  D).  Et  dix  jours  après  sa  propre  assomption 
dans  la  gloire  divine,  il  commence,  par  la  Pentecôte,  celle 
de  l'Église ,  qu'il  consommera  par  sa  Parousie. 

Ainsi  se  présente  le  plan  de  Dieu  ,  concentré  en  la  per- 
sonne de  Jésus.  Le  premier  mot  de  l'histoire  :  «  Vous  sei^ez 
comme  des  Dieux ,  »  en  sera  aussi  le  dernier.  Créés  sur  le 
type  du  Logos,  le  lernic  de  notre  développement,  c'est  la 
possession  de  sa  gloire.  Nous  n'avons  qu'à  nous  placer  dé- 
soiniais  vis-à-vis  de  lui  dans  le  même  état  de  réceptivité 
dans  lequel  il  s'est  constamment  tenu  vis-à-vis  du  Père 
(VI,  57),  et  sa  volonté  s'accomplira  :  a.  Là  oit  il  est,  nous  y 
serons  aussi  avec  lui  »  (XVII,  24). 

Il  nous  est  impossible  de  voir  en  quoi  cette  conception 
de  l'incarnation  porte  atteinte  à  la  vraie  humanité  du  Sei- 
gneur. L'honnne  est  un  vase  destiné  à  recevoir  Dieu ,  mais 
dans  le  temps  et  par  un  libre  progrès.  C'est  un  vase  qui  s'a- 
grandit à  mesure  ({u'il  se  remplit  et  qui  doit  se  remplir  à 
mesure  qu'il  s'agrandit.  Le  Logos  est  aussi  le  vase  de  la  di- 
vinité, mais  éternellement  égal  à  lui-même  et  parfaitement 
rempli.  Conformément  à  cette  affinité  et  à  cette  différence 
••nlre  le  Logos  et  l'homme,  voici  quelle  nous  paraît  être  la 
formule  de  l'incarnation,  telle  qu'elle  ressort  de  tout  l'évan- 
gile de  Jean  :  Le  Logos  a  réallsé  en  Jésus,  sous  l.v  forme 

DE  l'existence    HUMAINE   SOUMISE  A  LA  LOI   DU  DÉVELOPPE- 


262  CONSIDKRATIONS  r.KNKRAl.FS 

MENT  KT  1)1  PHOC.FIÈS,  CETTK  RKLATION  DE  DÉPENDANCE  ET 
DE  COMMINION  FILIALE  Ql'll-  RÉALISAIT  DANS  LE  CIEL  SOUS 
LA    KORMl.    IMMIAItLK    DK    I.A    VIE    DIVINE. 

Nous  avons  traité  la  (|ueslion  des  rapports  du  Logos  à 
riiumaniti'.  Il  nous  reste  à  jetei-  un  re<i;ard  sur  la  relation 
du  Lof^us  à  Dieu  iui-inènie. 

Quelle  ('lait  la  forme  d'existence  du  Logos  avant  son  in- 
carnation, et  conunent  se  représenter  la  nature  d'un  tel  être? 
Saint  Paul  l'appelle  Yimu(/t'  du  Dieu  invisible,  et  saint  Jean 
le  ilésiyne  du  nom  de  Parole.  Ces  deux  expressions  renfer- 
ment avant  tout  l'idée  d'une  révélation  interne,  s'opérant 
dans  les  profondeuis  de  l'essence  divine.  Dieu  affirme,  d'une 
affirmation  éternelle,  tout  ce  qu'il  pense  ,  tout  ce  qu'il  veut, 
tout  ce  qu'il  aime;  cela  est  possible,  parce  qu'il  est  éternel- 
lement conscient  de  lui-même.  Cette  aflirmalion  est  à  la  fois 
sa  parole' absolue  et  son  image  parfaite.  Et  cette  parole  n'est 
pas  un  verbum  volans :  c'est  un  être  vivant,  personnel,  qui 
—  si  nous  pouvions  appliquer  à  Dieu  une  expression  qui  ne 
convient  qu'à  riiommc  —  devrait  s'appeler  :  son  idéal  réa- 
lisé. Représentons-nous  ce  que  serait  pour  un  artiste  le 
chef-d'œuvre  dans  lequel  il  aurait  incarné  la  plénitude  de 
son  génie,  si  ce  chef-d'œuvre  devenait  vivant,  eonscifint  de 
lui-même ,  et  pouvait  entrer  en  relation  personnelle  avec 
son  auteur  ;  telle  est  en  Dieu  et  pour  Dieu  la  Parole.  Cette 
Parole  ne  peut  être  que  divine  ;  car  la  plus  haute  affirmation 
de  Dieu  ne  peut  être  que  Dieu  même ,  Dieu  ne  pouvant 
pen.ser,  vouloir,  aimer  rien  de  plus  élevé  que  Dieu.  Tel 
est,  nous  le  pensons,  le  vrai  sens  du  mot  Parole.  Avant  de 
signifier:  Dieu  révélé,  ce  mot  signifie:  Dieu  affirmé.  La  Pa- 
role est  en  Dieu  la  parole  parlée  avant  d'être  la  parole  par- 
lante. Voilà  pourquoi  le  prologue  nous  la  dépeint  d'abord 
tournée  vers  Dieu ,  et  ensuite  seulement  en  rapport  avec  le 
monde.  La  première  direction  constitue  son  essence;  la  .se- 


SUR  i.K  PRoi.ofiUF.  56r3 

conde  est  choz  elle  un  acte  de  grâce.  Le  terme  de  Fils  se 
rapporte  uniquement  au  domaine  de  sa  relation  avec  Dieu  ; 
et  ce  titre  ne  nous  importe,  à  nous,  que  parce  que  le  don 
du  Fils  démontre  le  caractère  infini  de  l'amour  divin  envers 
l'humanité  ;  tandis  que  le  terme  de  Parole  est  plus  général. 
Il  embrasse  aussi  bien  la  relation  éternelle  de  cet  être  avec 
Dieu  que  sa  relation  dans  le  temps  avec  le  monde.  Et  voilà 
sans  contredit  la  raison  pour  laquelle  Jean  a  employé  dès 
l'abord  dans  le  prologue  le  nom  de  Parole  et  n'a  fait  inter- 
venir le  titre  de  Fils  que  subsidiairement  et  en  son  lieu. 

Ce  Dieu  aflirmé  est  unique,  aussi  bien  que  le  Dieu  affir- 
mant. C'est  le  Fils  nniqne.  La  Parole  est  \ énoncé  absolu  de 
Dieu ,  son  seul  dire  ,  son  édit  primordial ,  unique ,  dans  le- 
quel sont  renfermés  tous  ses  édits  particuliers.  Toute  parole 
subséquente  qui  'se  réalisera  dans  le  temps  est  renfermée 
dans  cette  unique  Parole  et  ne  subsistera  jamais  qu'en  elle: 
èv  aÙTÔ  ffyvsffTTjxe  xà  Tcavra,  dit  saint  Paul  Col.  I,  17.  En 
prononçant  éternellement  ce  mot,  c'est-à-dire  en  engen- 
drant cet  être ,  Dieu  dit  tout  son  être ,  et  c'est  cette  Parole 
([ui  à  son  tour  dira  tous  les  autres  êtres.  Ils  seront  tous  sa 
libre  affirmation ,  comme  elle  est  elle-même  celle  de  Dieu. 
La  Parole  déploie  dans  le  temps ,  par  le  moyen  de  la  créa- 
tion ,  toute  la  richesse  du  contenu  divin  que  Dieu  a  renfermé 
en  elle  dans  l'ordre  éternel.  La  création  est  le  poëme  de  la 
Parole  à  la  gloire  du  Père.  Cette  notion  de  la  Parole  comme 
principe  créateur  a,  ainsi  que  l'a  admirablement  développé 
Lange',  la  plus  grande  importance  pour  la  conception  de 
l'univers.  La  matière  aveugle  et  éternelle ,  la  nécessité  fatale, 
ne  trouvent  plus  de  place  dans  une  intuition  à  la  base  de 
laquelle  est  placée  la  Parole.  La  Parole  créatrice  est  le  gage 
lie  l'essence  idéale  et  lumineuse  du  monde  visible  dans  sa 


I.  Lebeyi  Jesu ,  t.  IV,  p.  553-556. 


5fil  CONSIDÉRATIONS  f.KNfiRAI.ES 

siihsianro  intime  c\  «laiis  foiitos  los  rrlations  des  êtres  qui 
le  coinjioscnt.' 

De  Ja  dignité  suprême  de  Christ  résulte  riniportance  ca- 
pitale de  son  apparition  sur  la  scène  du  monde.  S'il  est  la 
Parole  (iiile  chair,  il  est  aussi  rajtjiariliou  cl  la  cunuimnica- 
tion  absolue  de  Dieu,  réternité  descendue  dans  le  temps, 
les  biens  suprêmes  pour  l'homme,  la  grâce  et  la  vérité  divines, 
mis  à  la  portée  de  la  foi.  Apiès  un  tel  don  du  Père,  il  n'y  a 
rien  de  plus  excelleul  à  atleiidie.  1!  n'y  a  plus  pour  l'huma- 
nité qu'une  alternative  :  prendre  et  vivre ,  ou  rejeter  et 
périr. 

Si,  au  contraire  ,  cette  dignité  suprême  de  Jésus  est  niée, 
son  apparition  n'a  plus  qu'une  valeur  relative ,  et  le  chris- 
tianisme n'est  plus  (ju'«uue  des  journées  de  l'humanité*.)' 
Quelque  îïdmirable  que  soit  l'auteur  de  celte  religion,  Thu- 
manité  peut  et  doit  toujours  «en  attendre  un  autre. i>  Car  la 
voie  du  progrès  est  indélinie.  La  porte  est  ouverte  au  pre- 
mier venu  ;  et  la  prophétie  de  Jésus  n'a  plus  qu'à  s'accom- 
plir :  a  Je  suis  venu  au  nom  de  mon  Père,  et  vous  ne  me 

1.  Nous  ne  pensons  pas  avoir  à  nous  préoccuper  ici  des  questions  que 
soulèTe,  quant  aux  relations  internes  des  personnes  divines,  le  point 
de  vue  que  nous  venons  d'exposer  touchant  le  dogme  de  l'incarnation. 
Précisément  parce  qu'à  nos  yeux  l'existence  divine  du  Fils  est  une  affaire 
d'atiiour  (le  sein  du  Père]  et  non  point  de  nécessité  métaphysique, 
comme  chez  Pliilon,  nous  pensons  que,  lorsque  la  Parole  descend  dans 
le  monde  et  devient  elle-même  un  des  êtres  de  cet  univers,  le  Père  peut 
entrer  directement  en  rapport  avec  le  monde,  et  y  exercer  lui-même 
les  fonctions  de  créateur  et  de  conservateur  qu'il  exerce  ordinairement 
par  l'intermédiaire  de  la  Parole.  Ilappclons-nous  que,  si  la  Parole  a  la 
vie  en  elle-même  et  la  communique  au  monde ,  c  est  que  le  l'ère  lui  a 
donné  de  l'avoir,  et  qu'ainsi  tout  procède  toujours  du  Père  (Jean  V,  26). 
—  Nous  nous  sommes  tenu,  dans  cette  exposition,  en  dedans  des  limites 
de  la  révélation  positive,  et  nous  avons  seulement  cherché  à  faire  voir 
l'admirable  harmonie  des  faits  qu'elle  renferme. 

2.  Lerminier. 


SUR  i,K  iM;(jLor.iiE.  2C5 

recevez  pas;  si  un  Kutri'  vient  oi  son  propre  nom,  )'ovs  le 
recevrez  »  (Jean  V  ,  i."]). 

La  question  est  donc  vitale  pour  l'Église.  Jean  le  savait 
bien,  lui  qui  vivait  au  uiilicu  des  premières  luîtes,  prélude 
des  dernières.  Il  a  donc  eu  ses  raisons  pour  placer  ce  pro- 
lo|T-ue  en  tète  de  son  évangile.  Pour  que  la  foi  soit  la  foi ,  il 
faut  qu'elle  soit  absolue  ,  sans  arrière-pensée,  sans  admettre 
même  la  possibilité  de  son  contraire;  et,  pour  cela,  il  faut 
que  son  objet  soit  absolu,  qu'il  soit,  au  point  de  vue  de  la 
connaissance  comme  à  relui  de  la  vie,  ce  qui  ne  peut  être 
dépassé.  Telle  est  la  porti'e  pratique  du  prologue  de  Jean  ; 
telle  en  est  la  relation  intime  avec  la  narration  qui  va  suivre. 


Avant  de  quitter  le  piologue,  nous  résumerons  nos  observations 
sur  quelques  variantes  que  nous  avons  étudiées.  Nous  constatons 
dabord  qu'aucune  d'entre  elles  n'est  de  nature  à  influencer  le 
do{;rae,  quoique  l'une  d'elles,  celle  du  v.  i8,  ne  puisse  renier  son 
origine  dogmatique.  Mais,  ce  qui  nous  parait  digne  de  remarque, 
(  'est  que  le  T.  R.  n'a  pas  été  surpris  une  seule  fois  en  faute  dans  ce 
morceau ,  et  que  toutes  les  leçons  manifestement  fautives  sont  à  la 
charge  du  texte  alexandrin  et  précisément  dos  documents  de  ce  lexto 
les  plus  anciens  et  les  plus  vantés.  Ainsi ,  trois  fautes  bien  caracté- 
risées se  trouvent  dans  le  Siiiail.  :  eaxt.  v.  4,  on  v.  16,  et  0scr 
V.  18.  Ces  deux  dernières  fautes  se  retrouvent  dans  le  Vaiic,  a  quoi 
il  faut  ajouter  l'omission  de  tov  avôpwTCwv  au  v.  4.  DL  et  X  par- 
tagent en  partie  ces  fautes  et  en  ont  en  outre  de  particulières. 


rUKMlKKK  PARTIE 

I,   19-IV,  54 


Premières  manifestations  de  la  Parole.  -  Naissance  et  premiers 
développements  de  la  foi.  —  Premiers  symptômes  d'inGrédulité. 


Compaire  aux  deux  parties  suivantes,  dont  l'une  retrace 
spécialement  le  (léveloppcnient  de  l'incrédulité  (V-XIl), 
l'autre,  l'aU'erniissement  de  la  fui  (XlII-XVIl),  cette  première 
pallie  a  un  caractère  général.  Elle  est  le  point  de  départ  et 
la  base  des  deux  autres.  Jésus  est  déclaré  Messie  par  Jean- 
Baptiste;  un  premier  groupe  de  disciples  se  forme  autour 
de  lui.  Les  premières  manifestations  miraculeuses  font  écla- 
ter à  leurs  yeux  sa  gloire  dans  le  cercle  de  la  vie  privée.  11 
ouvre  son  ministère  public  dans  le  temple,  à  Jérusalem. 
Cette  démarcbe  décisive  échoue.  Il  se  borne  alors  à  ensei- 
gner, à  faire  des  miracles  et  à  réunir  autour  de  lui  de  nou- 
veaux adhérents  par  le  moyen  du  baptême.  Enfin,  remar- 
(juant  que,  même  sous  cette  forme  plus  modeste,  son 
activité  commence  à  donnei-  de  l'ombrage  au  parti  domi- 
nant à  Jérusalem,  il  se  retire  en  Gahlée,  après  avoir  semé 
en  passant  les  germes  de  la  foi  dans  la  Samarie.  —  Il  suffît 
de  ce  résumé  pour  justifier  le  titre  que  nous  avons  donné  à 
cette  première  partie  et  pour  montrer  son  caractère  mixte 
et  général,  comparativement  aux  suivantes. 

L'évangéliste  lui-même  paraît  avoir  voulu  la  diviser  en 
deux  cycles  par  la  corrélation,  nettement  marquée,  entre 


à 


PREMIER  CYCLE.  207 

les  passajrcs  II,  1 1  cl  IV,  51.  Co  sont  doux  rt'floxions  iiifor- 
caI(H's  pai'  lui  dans  la  narralion;  la  première,  après  le  récit 
des  noces  de  Cana,  en  ces  mots  :  «  Ce  fut  là  le  commence- 
ment des  miracles  de  Jésus,  qui  eut  lieu  à  Cana  en  Galilée; 
d  il  manifesta  sa  gloire,  et  ses  disciples  crurent  en  lui;y> 
la  seconde,  en  terminant  le  récit  de  la  guérison  du  fds  de 
l'employé  royal,  à  la  fm  de  cette  partie  :  aJésiis  fit  de  nou- 
veau ce  second  miracle  à  son  arrivée  de  Judée  en  Galilée.  » 
Par  la  correspondance  évidente  de  ces  deux  paroles,  l'évan- 
géliste  fait  observer  qu'il  y  eut,  dans  ces  commencements 
(lu  ministère  de  Jésus,  deux  séjours  en  Judée,  aboutissant 
cbacun  à  un  retour  en  Galilée,  et  que  ces  deux  retours 
furent  signalés  l'un  et  l'autre  par  un  miracle  accompli  à  Cana. 
Nous  conformant  à  cet  indice  de  la  pensée  de  l'iiistorien , 
nous  divisons  cette  première  partie  en  deux  cycles  :  l'un, 
comprenant  les  faits  racontés  I,  19-11,  11;  l'autre,  les 
récits  II,  Irî-IV,  54.  Dans  le  premier,  nous  voyons  Jésus 
introduit  pai'  Jean-Baptiste  et  faisant  son  entrée  dans  son 
ministère  sans  sortir  encore  d'un  cercle  intime  et  presque 
de  la  vie  de  famille.  Le  second  raconte  ses  premiers  pas 
dans  la  carrière  publique. 


PREMIER  CYCLE. 

I,  19-11,  11. 

Ce  cycle  comprend  trois  récits  :  1"  les  témoignages  ren- 
dus à  Jésus  par  son  précurseur  :  I,  19-37;  2"  les  premières 
manifestations  personnelles  de  Jésus  et  la  naissance  de  la 
foi  :  I,  38-52;  3°  la  confirmation  de  la  foi  par  un  premier 
signe  miraculeux  :II,  1-11.  Ces  trois  faits  remplissent  une 
semaine  que  l'on  peut  envisager,  ainsi  que  l'a  remarqué 


268  PREMIKRK  PARTIE. 

Mciip'l,  rommo  le  pondaiil  do  la  dernière  scmiiiiic  do  la  vie 
de  Christ.  L'une  poiiirail  être  appelée  la  semaine  des 
lian(,ailles  niessianiqnes;  l'aulre  est  l'époque  de  séparation 
qu'avait  dès  le  eoninieneenient  amioiict'e  ir^ns:  a^Qttand 
l'épottx  sera  ôté,  alors  les  amis  de  l'époux  jeâncront.it 


PREMIERE  SECTION. 

I,   19-37. 

Les  témoignages  de  Joan-Baptiste. 

Ces  témoignages  sont  au  nombre  de  trois  et  ont  été  ren- 
dus dans  trois  jours  successifs  (voir  v.  20  et  35  :  *ile  lende- 
main r)).  Ces  trois  jours,  éternellement  mémorables  pour 
l'Église,  avaient  laissé  dans  le  cœur  de  l'évangéliste  une 
empreinte  ineffayable.  Dans  le  premier,  il  avait  entendu  le 
Précurseur  proclamer  solennellement,  devant  une  députa- 
tion  du  sanhédrin ,  la  présence  actuelle  du  Messie  :  «  //  est 
là  (iii  milieu  de  vous  »  (v.  26)  ;  et  ce  mot  l'avait  sans  doute 
fait  tressaillir  aussi  bien  que  toute  la  foule  qui  l'entendait.  Et 
qui  était-il  donc,  ce  grand  inconnu?  Jean  ne  l'avait  point 
dit  ce  jour-là.  Mais  le  lendemain,  il  désigne  personnellement 
Jésus  comme  le  Messie;  et  la  foi,  préparée  par  la  déclara- 
tion du  jour  précédent,  éclaire  d'un  premier  rayon  le  cœur 
de  Jean  et  des  autres  auditeurs  du  P»apliste.  Le  troisième 
jour  enfin,  à  la  suite  d'une  nouvelle  déelaialion  du  Pré- 
curseur, Jean  quitte  son  premiei'  maître  pour  s'attacher  au 
maître  nouveau  (pi'il  lui  désigne. 

Poui-quoi  l'auteur  a-t-il  commencé  la  nanation  à  ce  mo- 
ment-là? S'il  est  vrai  que,  comme  nous  l'avons  conclu  de  saj 
propre  déclaration,  XX,  '6^.  'M,  .son  but  était  de  décrire  la] 
manifestation  de  Jésus  comme  Christ  et  Fils  de  Dieu  et  de 


PREMIKR  CYCLE.  —   CIIAP.  I,  l'J.  269 

lacoiilcr  le  (l(''velo[)j»eincnl  de  la  liti  dès  son  uiigine,  c'était 
bien  ici  le  point  de  départ  iionnal  <ie  son  récit.  En  le  com- 
ineneaiil  avec  ces  trois  jours,  il  prenait  son  sujet  ah  ovo. 
L'évangéliste  devait  se  sentir  d'autant  plus  disposé  à  partir 
de  ce  point-là,  fpie,  comme  nous  le  verrons,  l'histoire  de 
la  foi  se  conl'ondait  ici  avec  celle  de  sa  propre  foi. 

Le  Messie  annoncé,  signalé,  suivi  :  tel  est  donc  le  mou- 
vement du  lécit  dans  ce  morceau. 

1. 

Premier  témoignage  :  v.  19-28. 

En  di'ployant  le  contenu  de  la  foi  dans  le  prologue,  l'a- 
pôtre avait  allégué  un  témoignage  de  Jean-Baptiste  qui  ren- 
fermait, comme  le  dit  bien  Baur,  «l'idée  de  la  préexistence 
absolue  du  Messie»  et  par  conséquent  toute  la  pensée  du 
prologue;  et  c'est  ce  témoignage,  qu'il  n'avait  fait  que  citer, 
qu'il  va  maintenant  raconter,  en  en  indiquant  le  lieu  et  le 
jour;  nous  devrions  dire  plutôt:  et  les  jours.  Car  le  témoi- 
gnage cité  au  v.  15  n'est  pas  seulement  celui  du  premier 
jour  (v.  26  et  27),  mais  aussi,  et  surtout,  celui  du  jour  sui- 
vant (v.  .'iO),  dans  lequel,  répétant  sa  déclaration  précé- 
dente, Jean  la  complète  et  la  prononce  exactement  telle 
qu'elle  est  citée  par  l'évangéliste  au  v.  15. 

V.  19.  «Et  voici  quel  est  le  témoignage  que  Jean  ren- 
dit, quand'  les  Juifs  envoyèrent^  de  Jérusalem  des 
prêtres  et  des  Lévites  pour  lui  demander  :  Qui  es-tu?» 
—  Il  est  étrange  de  voir  une  narration  commencer  par  la 
copule  el.  Mais  cela  s'explique  par  la  liaison  que  nous  ve- 
nons de  signaler  entre  le  récit  suivant  et  le  témoignage  de 

1.  Origène  lit  une  fois  tot£,  d'autres  fois  ore. 

2.  B  G  If''i  Syr.  cl  autres  Vss.  ajoutent  à  a-eareùav  les  mots  zpo;  au- 
Tov.  A  X  quelques  Miiii.  Il*''''  placent  ces  mOuies  mots  après  Xeuitï;. 


270  PRKMIÈRE  PARTIK. 

Joaii,  lito  au  v.  IT).  Par  col  te  ivlatioii,  la  nanalion  plon{,'^e, 
{MMii-  aint«i  ilirc.  ses  raciiR's  dans  \c  prologue.  C/esl  en  elVel 
la  loi  exposée  dans  la  jirofession  solennelle  du  prologue, 
dont  la  narration  va  retracer  l'origine  et  le  développement. 
—  Kal  aùrr]  peut  se  |>arajihraM'r  ainsi  :  «Kt  voici  la  teneur 
du  lénioignage...  »  —  Ce  (jui  donne  à  la  déclaration  de  Jean- 
Baptiste  en  cette  circonslaiice  une  importance  particulière, 
c'est  qu'elle  cul  un  caractère  ofliciel.  Elle  fut  prononcée  de- 
vant une  dépulalion  du  sanlié-diin  cl  {)our  lépondre  à  une 
(juestion  jiosilive  adressée  au  Piécurseur  par  ce  corps,  chef 
religieux  de  la  nalion  juive.  Le  sanhédrin,  de  l'existence 
dii(|iirl  iKnis  lie  Mouvons  les  premières  traces  que  dans  les 
lemp>  d'Aiitipaleret  tYllôiodc {^osè\)\\Q,  A7itiquités,X\\ ,d,A), 
élail  ^;Ml^doule  uneconlinuationou  un  renouvellement  d'ime 
inslilulioii  plus  ancienne.  On  se  rajjjielle  le  tribunal  de  soixante 
cl  dix  anciens  établi  par  Moïse  (Nomb.  XI,  16).  Sous  Josaphat 
(i2  Chron.  XIX,  8),  il  est  aussi  fait  mention  d'un  tribunal  su- 
prême siégeant  à  Jéru.salem  et  composé  d'un  cerlain  nombre 
de  Lévites,  de  sacrificateurs  et  de  pères  d'Israël.  Comp. 
peut-être  aussi  Ez.  VIII,  11  et  suiv.  :  a  Soixante  et  dix 
hommes  d'entre  les  anciens  d'Israël.  »  Dans  b^s  Maccabées 
(:2  Macc.  1,  10;  IV,  44),  le  corps  appcb'-  yepcuff''a  joue  un 
rôle  analogue  à  celui  de  ces  anciens  tribunaux.  Au  temps 
de  Jésus,  ce  sénat  nommé  sanhédrin  était  composé  de 
soixante-onze  membres,  le  président  compris;  d'autres  en 
admettent  soixante-douze.  Ces  mend)res  étaient  de  trois 
soites  :  1"  des  prêtres  (àpx^6çec?),  (trobablement  b^s  chefs 
des  vingt-quatre  classes  de  sacrificateurs;  2°  des  anciens 
du  peuple  (TrfôapCTepc-,  àpxcvreç:  tcû  Xaoû),  laïques;  3"  des 
scribes  (Ypaixixa-reî^ ,  experts  dans  la  loi.  Le  graud-piètre 
ne  présidait  jtas  d'office,  mais  il  pouvait  èlrc  nommé  prési- 
dent.—  Le  sanhédrin  avait  sans  doute  f'crnjé  les  yeux,  dans 
le   commencement,  sur  l'activité  dv.  Jean-Daptiste.   Mais, 


J 


PKKMIKU  CYCLE.  —  CHAP.  I,  t'.».  271 

voyant  (jiic  les  choses  prenaient  de  juui'  en  jour  un  carac- 
lère  plus  grave,  el  que  même  le  peuple  commençait  à  se 
demander  si  Jean  n'était  poiiil  le  Christ  (comp.  Luc  III,  15), 
ils  crurent  enfin  devoir  user  de  leur  compétence  et  lui 
poser  expressément  la  question  de  sa  mission^^an  V,  oo 
Jésus  fait  allusion  à  ce  fait,  qui  servit  plus  tard  de  motif 
à  son  lefus  de  répondre  à  une  députation  semhlahle 
(Matth.  XXI,  43  el  suiv.).  —  La  dénomination  aies  Juifs)) 
joue  un  rôle  important  dans  le  quatrième  évangile.  Ce  nom, 
d'a])rès  son  étymologie,  ne  devait  j»roprement  désig^ner 
(|uc  les  memhres  de  la  trihu  de  Juda;  mais  il  avait  été  ap- 
pliqué, depuis  le  retour  de  la  captivité,  au  peuple  entier, 
jiarce  que  la  plupart  des  Israélites  rentrés  dans  leur  patrie 
appartenaient  à  cette  tribu.  C'est  dans  ce  sens  général  que 
nous  le  trouvons  II ,  6  :  «  Selon  la  purification  des  Juifs  »  ; 
11.13:  «  La  Pâque  des  Juifs  »  ;  III ,  1  :  «  L'tm  des  principaux 
des  Juifs.  »  Dans  ce  sens  [jolitique ,  ce  terme  peut  même 
s'étendre  aux  Galiléens  :  VI,  5:2.  Mais  comme  la  nation  ainsi 
désignée,  au  lieu  de  se  transformer  tout  entière  en  la 
communauté  messianique  ou  chrétienne,  comme  c'était  sa 
destination,  avait  fait  divorce  avec  elle  par  son  incréduUté, 
ce  nom  prend  dans  notre  évangile  une  couleur  religieuse; 
et  il  s'y  ialtaclie  en  général  la  notion  d'une  antipathie  plus 
ou  moins  prononcée  pour  Jésus  et  pour  sa  cause.  Ce  nom 
prit  d'autant  plus  aisément  cette  nuance ,  que  le  siège  de  la 
résistance  à  Jésus  se  trouvait  à  Jérusalem  et  dans  la  Judée 
proprement  dite.  On  a  conclu  du  fait  que  l'auteur  attachait 
un  sens  odieux  au  nom  de  Juif,  qu'il  ne  pouvait  appaitenir 
lui-même  à  cette  n;itiun'.  Mais  l'évangéliste  prend  les 
cliDSes  telles  qu'elles  s'étaient  historiquement  dévelojjpées 
par  le  fait  du  rejet  du  Messie.  Il  appartenait  di-sormais  par 


1.  Fischer,  TUbinyer  Zeilschri/t,  1840,  el  de  même  Hilgcnfeld. 


•27:2  PRKMIKRI.   l'AKTIi;. 

sa  foi  il  une  t'oiiiinuiiaiitc  iioiivclK',  <|iii  si'Uiit  (^onsliluée  en 
opposilioii  au  jiouple  israrlile.  Celui-ci,  comme  corps  poli- 
ti(ju<'.  a\ail  cessé  d'exister;  .li'au  pouvail  doue  maiiileuant 
eu  |tarler  comuie  d'uue  ((HiMnaliou  ipii  lui  élail  devenue 
♦^Iraiijj'ère,  et  cela  d'aulaul  plus  que,  eu  raison  de  son  ori- 
}?ine  galiléenne,  il  n'avait  jamais  appartenu  complètement  à 
la  population  ipii  jioilait  spécialenirnl  le  nom  de  'IcjSaîoi, 
les  liabilanls  de  la  Judée.  L'apôtre  est  bien  plus  sévère 
encore  dans  l'Apocalypse  envers  les  Juifs  qu'il  appelle  <i/rt 
synagogue  de  SiUan  »  (III,  9).  —  Les  mots  de  Jcruscdem,  dé- 
pendent du  verbe  envoyèrent.  L'intention  de  ce  régime  est 
de  faire  ressortir  la  solennité  de  la  démarclie;  elle  partait 
du  centre  même  de  la  théocratie.  —  Des  Lévites  étaient 
adjoints  aux  sacrilicateurs.  Un  a  souvent  pensé  qu'ils  ne 
jouaient  que  le  rôle  d'huissieis.  Mais,  dans  plusieurs  pas- 
sages de  l'Ancien  Testament  (i2  C-hron.  XVII,  7-0;  XXXV,  3; 
Néh.  VIII,  7),  l'on  voit  que  c'étaient  les  Lévites  qui  étaient 
chargés  d'instruire  le  peuple  dans  la  loi,  d'où  Ilengsten- 
berg  a  conclu,  non  saiis  raison,  que  les  scribes,  si  souvent 
mentionnés  dans  le  Nouveau  Testament,  appartenaient  en 
général  à  cet  ordie,  et  que  c'est  en  cette  quahté  et  par  con- 
séquent comme  mendjres  du  sanhédrin,  que  quelques-uns 
d'entre  eux  figuiaient  dans  la  députalion.  —  La  question 
qu'ils  adressent  à  Jean-Daptiste  se  rapporte  à  l'attente,  ré- 
gnant à  cette  époque  en  Israël,  du  Messie  et  des  envoyés 
extraordinaires  qui  devaient  précéder  sa  venue.  «  Qui  es- 
lufy>  signifie  donc  dans  le  contexte  :  (juel  peisoimage 
attendu  es-tu?  Nous  verrons  au  v,  25  ce  qui  motivait  cette 
question  et  quel  embarras  elle  préparait  à  Jean ,  .s'il  refusait 
de  déclarer  son  litre. 

Origène,  qui  plaçait,  comme  uou.s  lavons  vu,  les  trois 
derniers  versets  du  prologue  dans  la  bouche  de  Jean-Bap- 
tiste, crut,  en  conséquence,  que  le  témoignage  suivant  en 


PRKMIKR  CYCLE.  —  CHAP.   1,   l'J.   20.  iî7:\ 

t'tnit  Mil  .^ocoikI,  j)ost»Mi(Mir  au  |»r('C<'(l('iit  (v.  15-18).  11 
(M)iictiia  (luno  après  le  mol  Jean,  iapi)orlant  sans  doute  ces 
promiers  mots  :  <iEt  c'est  là  le  témoignage  que  rendit  Jean ,» 
au  ténjoignago  déjà  y\\r.  .\j)rùs  quoi  il  commença  une  nou- 
velle pioposilion,  tanlôl  en  changeant  ote,  quand,  en  to'ts, 
alorfi,  lanlôt  en  mainti-nant  oxz,  mais  en  plaçant  la  propo- 
sition princijiale,  comme  l'ont  essayé  quelques  modernes, 
au  V.  :20,  dans  le  verbe  «//  déclara)^.  Cette  construction  est 
impossible.  Jamais  la  copule  xai  n'est,  chez  Jean,  le  signe 
de  l'apodose.  Et  quant  au  changement  de  exe  en  tc'ts,  il  est 
fulièrement  arbitraire  ;  on  verra  plus  tard  les  conséquences 
graves  de  toutes  ces  erreurs  exégétiques  d'Origène.  Les 
mots  Tcpô-  aÙTov,  ajoutés  par  une  partie  des  alexandrins, 
sont  condamnés  avec  raison  comme  glose  })ar  Tischendorf, 
Meyer,  etc.  Le  Sinait.  se  trouve  ici  du  côté  du  T.  IL 

V.  20.  «Et  il  déclara,  et  ne  nia  point,  et  déclara'  :  Je 
ne  suis  point  le  Christ-.»  —  Avant  d'indiquer  le  contenu 
de  la  réponse  de  Jean-Baptiste,  l'évangéliste  fait  ressortir 
les  caractères  qui  la  signalèrent:  elle  ne  se  fit  point  attendre 
et  elle  fut  franche  et  catégorique.  Le  premier  ail  déclara  y> 
indique  la  spontanéité,  l'empressement  avec  lequel  fut  faite 
cette  profession.  Suit,  comme  nous  l'avons  observé  deux 
fois  dans  le  prologue,  la  même  pensée  sous  forme  néga- 
tive :  «//  ne  nia  pas,)")  c'est-à-dire  qu'il  ne  céda  pas  un  seul 
instant  à  la  tentation  qu'il  aurait  pu  avoir  de  nier.  Le  se- 
cond ail  déclara))  est  ajouté  au  premier,  qui  avait  un  sens 
absolu,  afin  d'y  rattacher,  comme  régime,  la  déclaration  qui 
suit.  Cette  forme  très-saillante ,  et  particulièrement  la  pro- 
position négative  intercalée  entre  les  deux  ail  déclara»,  ne 

1.  L  omet  y.oLi.  et  N  Syr'"'  le  second  xat  u[ioXoYr,a£v. 

2.  N  ABCLXA  Hpi"!'!"'  Cop.  Or.  (3  fois)  lisent  eyo)  oux  eijjii,  tandis  cine 
tous  les  autres  et  le  T.  R.  placent  eyo)  après  ei|jLi;  Tiscbendorf  (éd.  1859) 
également. 

I.  18 


1'/  'f  PRKMIi:i!K  PAUTIK. 

>'('\|tli(|ii('  jj:ii("'|i'  (jui'  |»ar  une  ;illiisi(iii  ;"i  des  j^i'iis  (jiii,  ilniis 
k'  inilit'ii  où  vivait  ri)|iùlrr,  incliiiaicnt  à  doniior  au  pcrsun- 
na};i'  ilc  .Icau-Iiaplistr  iiuf  valeur  suitôricure  à  sa  dij^iiilé 
réelle.  —  Mans  la  leçon  Av>i  alexandrins  el  (rOiiyèiie,  il 
fandrail  traduire:  «Ce  n'est  |)as  moi  (|ui  suis  le  Christ. '^ 
Celle  réponse  conviendrait  sans  dont(\  si  la  question  eût 
été:  «Est-ce  toi  qui  es  le  Chri.^t  ?  »  Mais  la  qu((stion  était 
sini|ilenienl  :  "  (Jui  es-tu?»  el  la  vraie  réponse  est  par  eon- 
séquent  celle  qui  se  trouve  dans  le  T.  H.  :  «Je  ne  suis  pas 
le  Christ,»  c'est-à-dire  :  uJe  suis  hieii  qut.'hpie  chose,  niais 
non  pas  le  Christ.  »  Tischendorl"  l'a  hien  senti,  et  dans  sa 
dernière  édition,  il  a  n'-lalili  la  leçon  lecue. 

V.  ^2\.  «Et  ils  lui  demandèrent  :  Qu'est-ce  donc'  ?  Es-tu 
Elle  *  ■'  Et  il  dit  :  Je  ne  le  suis  pas.  —  Es-tu  le  prophète? 
Et  il  répondit:  Non."  ^  l'hisieuis  inlerprèles  cnleiident 
la  (jueslion  ti  cOv;  dans  le  même  sens,  ou  à  j)cu  près  ,  (pie 
la  précédente:  ^Qu'es-tu  doiic?r>  Mais  il  est  peu  nalurel  de 
prendre  le  neutre  xi  dans  ce  sens.  De  Wetle  ne  voit  dans 
ces  mots  qu'une  locution  adverbiale:  a  Quoi  donc!  J)  (Ar- 
naud). Ce  sens  est  fade.  Il  faut  plutôt  sous-enlendre  avec 
Meyer  iavl:  «Qu'y  a-l-il?  Que  se  passe-l-il  donc?»  Cette 
forme  d'interrogation  respire  une  certaine  inq»atience.  — 
Malachie  avait  amioncé  (IV,  5)  la  venue  d'Elie  comme  pré- 
l»arateur  du  grand  jour  messianique,  et  nous  savons  par  le 
Dialogue  de  Justin  avec  le  juif  Tryphon  que,  d'après  une 
opinion  populaire,  le  Messie  devait  rester  caché  ,  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  été  signalé  et  sacré  par  ce  prophète.  Plusieurs  pas- 
sages des  évangiles  (.Matlli.  XVi,  14;  Marc  VI,  15)  nous 
apprennent  en  outre  que  l'on  s'attendait  à  voir  reparaître 
encore  queUpie  autre  prophète  des  temps  anciens,  Jérémie, 


1.  U  lit  Oj  oj-i  Ti. 

2.  K  et  B  retrauclioiit  zj  après  v.. 


l'FlE.MIKR  CYCLE.  —  CMAP.  I.  50-53.  '2/0 

par  cxcniplr.  Il  en  ôtaif  un  smloul  que  pliisi^'iirs  (Jisfin- 
j^^uuiciil  (lu  Messie  (Jean  Vil,  40.  41),  mais  que  d'autres  |ta- 
raissent  avoir  confomlu  avec  lui  (VI,  14).  Il  était  appelé  te 
Proplh'te  et  oeeuj)ait  dans  l'attente  populaire  une  place  toute 
particulière.  Il  est  pndialtlc  ijiie  cette  opinion  était  fondée 
sur  la  parole  Deut.  XVIU,  18,  où  Dieu  promet  de  susciter 
dei'f'chel"  en  Israël  un  projihète  tel  que  Moïse.  L'opinion  j)0- 
pulaire  prenait  naturellement  ces  promesses  dans  le  sens  le 
plus  littfTal.  On  ne  se  fig-nrait  point  un  second  Elie  ou  un 
imiiveau  Moïse  spirituellement  parlant,  dans  le  sens  où  l'ange 
dit  de  Jcau-Baptistc  (Luc  1,17):  « //  marchera  dans  l'es- 
prit et  dans  la  force  d'Élie.  »  C'était  le  personnage  lui-même 
qui  devait  reparaître  en  cluiir  et  en  os.  Jean -Baptiste  ne 
pouvait  affirmer ,  dans  ce  sens ,  son  identité  avec  l'un  r)u  avec 
l'autre  de  ces  personnages,  et  il  n'était  ni  dans  son  carac- 
tère ni  dans  son  rôle  de  justifier  cette  dénégation  ,  en  se 
jetant  dans  le  domaine  \\^''>  distinctions  théologiques.  Ce  qui 
lui  importait,  c'était  de  faire  clairement  comprendre  au 
sanlM'drin  et  à  tout  le  peuple  la  portée  de  sa  mission  et  la 
relation  de  son  ministère  avec  celui  du  Messie.  Et,  sur  cette 
question  pratique,  on  va  voir  qu'il  ne  les  laisse  point  dans 
l'obscurité. 

V.  52  tl  2.').  'Ils  lui  dirent  donc:  Qui  es-tu  .'  afin  que 
nous  rendions  réponse  à  ceux  qui  nous  ont  envoyés.  Que 
dis-tu  sur  toi-même?  2311  dit:  Moi,  je  suis  une  voix  criant 
dans  le  désert  :  Dressez  le  chemin  du  Seigneur  ,  comme 
l'a  dit  le  prophète  Ésaïe.  »  —  Les  députés  ont  épuisé  les 
^UJ)jM).^i(iuns  i'uurni(.-s  par  lu  programme  messianique  admis 
dans  leurs  écoles  et  par  l'opinion  populaire.  Ils  posent  main- 
tenant une  (juestion  générale  qui  doit  forcer  Jean  à  sortir 
de  l'allilude  négative  qu'il  a  gardée  jusqu'ici  :  «  Qui  e.<i-lir/î> 
c'est-à-dire:  «Quel  personnage  extraordinaire  es-tu?  î>  Les 
allures  étranges  de  Jean  en  Israël  motivaient  sulTisaumient 


27(»  PREMIKHK  PARTIK. 

(l'Ile  (jiit'slion.  —  Jean  n'-poiid  |)ar  une  parole  d'Esaïe  qui 
leiilenne  iiun-seiilement  rexjtliealinn  ,  mais  encore  la  <^n- 
rantie  de  sa  mission.  Le  sens  du  passage  d'Ksaïe  est  celui- 
ci  :  Jéliovali  va  paraître,  et  sa  gloire  se  nianifesler  à  huis  les 
yeux.  Au  nionient  de  son  arrivée  et  sans  (ju'aueun  person- 
nage se  montre  sur  la  scène,  on  entend  une  voix,  connue 
celle  d'un  liéiaut,  invitant  Israël  à  dresser  la  voie  par  la- 
«|uelle  son  Seigneur  est  sur  le  point  d'arriver.  Il  ne  s'agit 
jiuint  dans  ce  tableau  proplu'lique ,  du  moins  rien  ne  l'in- 
ilique,  du  retour  de  la  cajilivité  :  c'est  sini[)lenient  l'intuilion 
de  la  venue  du  Messie  comme  apparition  de  Ji'-liovali.  Comme 
en  Orient ,  à  l'arrivée  du  souverain  ,  on  préparait  les  che- 
mins en  les  redressant  et  en  les  aplanissant,  ainsi  Israël  doit 
préparer  l'accès  de  son  cœur  à  son  roi  divin  ;  et  la  fonction 
de  cette  voix  myst<''rieuse  est  de  linviler  à  cette  œuvre  in- 
dispensable pour  (pje  la  grâce  ne  tuiiiiic  (las  en  jugement. 
Les  interprètes  qui  raj)j»ortent  avec  nous  la  j)romesse  de 
raj»|iarilion  de.b'liovah  à  la  venue  deJf'sus,  ne  feront  auciuie 
dilliculté  d'ajijiliquer  à  son  précurseur  la  proj)hélie  par  la- 
quelle Jean  légitime  ici  sa  mission.  Jean  s'applique  d'autant 
jdus  volontiers  cette  parole  d'Esaïe ,  qu'elle  convient  |)arfai- 
tement  à  son  désir  d'effacer  sa  personne  et  de  ne  laisser 
paraître  que  son  message  :  nune  voix.  »  —  Les  mots  «  au 
désert  »  peuvent  se  rapporter ,  en  hébreu  comme  en  grec  , 
soit  au  verbe  qui  précède  :  crier,  soit  à  celui  qui  suit  :  dres- 
ser. Pour  le  sens ,  cela  revient  au  même  ;  car  l'ordre  retentit 
dans  le  lieu  où  il  doit  s'exécutei-.  Cependant  le  rapport  au 
verbe  précédent  est  plus  naturel,  surtout  en  grec.  —  Le 
désert  désigne  en  Orient  les  terres  non  labourées,  les  vastes 
étendues  de  terrain  qui  servent  de  pâturages,  et  qui  ne  sont 
traversées  qii«'  j)ar  des  sentiers  sinueux.  Ce  ne  sr-rait  point 
là  une  voie  digne  d'un  souverain  qui  fait  son  entrée  dans  sa 
capitale.  Tel  est  l'emblème  de  l'état  moral  du  peuple;  l'en- 


PREMIKR  CYCLK.  —  CMAP.  I,  22-21.         277 

iK'c  (Je  .It'lioviili  n'csl  point  cncort'  préparée  dans  son  tœui. 
Il  fanl  y  fiayer  la  laryr  cl  diuile  voie  de  la  ropentance  et 
de  la  foi.  En  choisissant  sa  demeure  au  désert,  le  Précur- 
seui-  avait  sans  doute  voulu  signaler  clairement,  par  la  eon- 
foiniité  littérale  de  ce  sé'jour  à  remblème  dont  s'était  seivi 
Esaïe,  raccomjilissenient  moral  de  la  pi(jpliétie.  —  La  for- 
nmle  de  citation  :  c  Comme  a  dit...  »  appartient-elle  au  récit  de 
l'évangéliste  ou  iiirn  encore  à  la  réponse  de  Jean-Baptiste? 
La  seconde  alternative  paraît  la  vraie.  Car  le  Précurseur 
avait  plus  besoin  en  ce  moment  de  se  légitimer  lui-même , 
que  Tévangé'liste  de  légitimer  le  Précurseur  si  longtemps 
après.  Rapjieler  cette  prophétie,  c'était,  de  la  part  de  Jean, 
présenter  son  mandat  et  dire  son  mot  d'ordre.  En  l'enten- 
dant parler  ainsi,  les  députés,  experts  dans  la  science  de  la 
loi  et  des  proj)hètes ,  et  le  peujde  lui-même  devaient  com- 
prendre que  le  grand  jour  ajjprochait  et  que,  si  Jean  n'était 
personnellement  aucun  des  prophètes  attendus,  sa  mission 
n'en  était  pas  moins  en  rajtport  direct  avec  l'apparition  du 
Messie. 

V.  24,  L'interrogatoii f  \.  10-23  portail  sur  le  rôle  de 
.lean-Bapliste.  La  députalion  lui  en  fait  subir  un  second  qui 
se  rapporte  au  rit  du  baptême  introduit  par  lui  en  Israël. 
L'évangé'liste  fait  précéder  celte  seconde  partie  de  l'enlre- 
iii'u  (Tune  remarque  sur  le  caractère  religieux  de  ceux  à 
(jiii  iivait  été  confiée  cette  mission  auprès  du  nouveau  pro- 
phète :  «  Et  ceux  qui  avaient  été  envoyés  '  étaient  d'entre 
les  pharisiens.  »  —  Traduisant  d'après  le  T.  fî.,  qui  s  :i|ipuie 
sur  la  majoijlé  des  Mjj.,  sur  tous  les  Mmi.  et  sur  la  itluj»arl  des 
Vss. ,  nous  prenons  le  paiticipe  aTcscjTaXfjisvot  comme  sub- 
stantif, déterminé  par  l'art,  ol;  quel  est  dans  ce  sens  le  but 
de  cette  lemarque?  L'historien  l'infeicale  eu  vue  de  j;i  qlle.>^- 


1.  N  A B CL  cl  Or.  retrancbenl  ot  devant  aTteffraX.uevoi. 


!J78  PREMIKRK  PARTli:. 

lion  qui  \;i  >iiivir.  CosI  i;;i  iiiaiiièrc  luiliiliicllc  de  iMCdnlci'. 
11  lie  coiiiiiieiict'  pas  pai'  inésciilci'  le  tableau  coin|ilel  des 
cii'coiisUinces  extérieures  dans  lesquelles  se  passe  la  sc(^ne 
quil  di'crit;  mais,  à  mesure  cpie  le  hesoin  lexi^c,  il  sup- 
(dée  les  petites  eirronslauces  propres  à  éelairer  sou  n'eit. 
Comp.  I,  /fl.  -45;  IV,  3U;  IX,  14;  XI,  5.  18;  Xlll,  43;  etc. 
—  Les  pharisiens  «'tant  les  ultra-conservateurs  en  Israël , 
nul  ne  drvail  èln  plus  elioqiié  qu'eux  de  linnovalion  si 
^^rave  que  se  jieijuellait  Jeau-Baplisle  par  lintroduclion  du 
liaptème.  Il  existait  sans  d(jule  des  lustral  ions  léyales  dans 
le  culte  juif.  Ouelques-uiis  prétendent  même  que  l'usage 
duu  liain  complet  était  déjà  instiliKÎ  [kiui-  les  jjrosélytes 
païens  lors(|u'ils  passaient  au  judaïsme.  Mais  l'application  de 
ce  symbole  de  souillure  absolue  aux  niend)res  du  peuple 
llié-oeratique  était  uue  iimovalion  si  étiange  qu'elle  avait 
dû  éveiller  au  jilus  haut  degré  la  susceptibilité  des  autorités 
gaidiennes  des  rils  et  très-particulièrement  celle  du  |)arti 
le  |»lus  attaché'  à  la  liadition.  Aussi  l'élément  phaiisien  avait- 
il  jirévalu  loiS([ue  avait  <!'lé  uoimnée,  dans  le  sehi  du  sanhé- 
diin ,  la  députation  chargée  de  faiie  rendre  compte  à  Jean- 
Daptiste  du  lôle  «ju'il  s'arrogeait  et  de  la  cérémonie  qu'il 
pialiqiiail.  Le  plan  de  l'interrogatoire  était  habile  :  d'abord 
la  mission,  puis  le  rit.  llien  de  j»lus  clair  et  de  j)lus  naturel 
que  le  cours  du  lécit ,  expliqué  à  ce  point  de  vue.  Mais  Oii- 
gène,  égare*  peut-être  par  la  fausse  interprétation  qu'il  avait 
donnée  de  la  fin  du  prologue  et  du  commencement  du  récit 
(V.  10),  s'imagina  (pi'au  v.  24  il  s'agis.sail  d'une  autre  dépu- 
tation que  celle  du  v.  19,  di'jnitatiou  qui  aurait  été  envoyée 
spécialement  par  les  phai'isiens,  et  <jui  uiuait  provoqué  un 
tout  nouveau  témoignage  de  Jean-Baptiste;  et  il  traduisit 
e'ii  eonsi'quence  :  '(Et  il  y  avait  aussi  là  une  d(''putalion 
d'entre  les  jibaiisiens.  »  L'ait,  cl,  étant  incompatible  avec 
cette  traduction ,  fut  retranché.  C'est  ainsi  que  ce  mot  dis- 


I 


PnKMIKR  CYCLK.  CIIAP.  1,  -'i.   ^I"..  '21*^ 

jinnil  (liiiis  l(\s  Mss.  alcxaiidiiiit;.  Gello  oxjili<:j)li(jii  d'Uri;^ôiie 
est  iiiiKliiiissililc.  Rlli'  .siipjM (Serait  que  ces  députés,  mcn- 
lioiHK'S  V.  24,  ('laient  restés  là  comme  persoiinag-es  muets 
|tendaiit  tout  rentietien  précédent,  et  qu'il  ne  se  trouvait 
pas  de  membres  du  parli  pliarisitiu  |)armi  les  prêtres  et  les 
Lévites  envoyés  |)a)'  le  saulié'driu  ;  deux  supp(»si(ious  égale- 
ment invraisenddaldes.  Puis,  même  en  retranchant  et,  la 
traduction  d'Oiigèue  n'en  reste  pas  moins  très-forcée. 

V.  25.  "  Et  ils  l'interrogèrent  '  et  lui  dirent  :  Pourquoi 
donc  baptises-tu,  si  tu  n'es  pas  le  Christ,  ni  Élie,  ni 
le  prophète-.'"  —  Les  plus  stricts  gardiens  des  rits  en 
Israël  concédaient  au  Messie  ou  à  l'un  de  ses  précurseurs 
attendus  le  droit  d'innover,  en  fait  d'observance;  et,  si 
Jean  s'était  déclaré  l'un  de  ces  personnages,  ils  hii  auraient 
sans  doute  demandé  de  jtioduire  ses  tities,  mais  ils  auraient 
passé  sous  silence  son  baptême ,  qui  eût  été  légitimé  par  le 
lait  même  de  sa  mission.  Kz.  XXXVI ,  25.  26  ;  Zacli.  XIII,  1 
avaient  parlé  d'eaux  pures  (pu-  rÉternel  répandrait  sur  son 
|M'U])le  au  temps  du  Messie,  d'une  source  qui  serait  alors 
ouverte  à  la  maison  de  David  pour  nettoyer  sa  souillure. 
Mais  Jean-Baptiste  ayant  expressément  décliné  l'honneur 
I l'être  l'un  des  personnages  de  la  part  desquels  on  eût  ac- 
•  t'ftté  cette  institution  ,  la  députation  devait  e.spérer  de  le 
jeter  dans  un  g-iaud  embarras,  en  lui  posant  maintenant  la 
question:  v  Pourquoi  baptises-tu  donc?»  Ueniarfpiez  le 
"  donc»  qui  expiime  la  relation  que  nous  venons  d'établir. 
—  D'après  la  leçon  du  T. R.,  ni ,  ni,  la  |)ensée  des  inteiro- 
l^ateurs  est  celle-ci  :  a  Mettant  donc  de  côté  la  supposition 
que  lu  sois  le  Christ,  il  n'en  reste  plus  qu'une  :  c'est  que 


1.  N  retranche  rjpcorrjcav  auTov  xai  (le  copiste  a  probablement  con- 
fondu les  deux  xai). 

2.  Au  lien  de  cjte,  ojte,  que  lit  le  T.  R.  d'après  la  plupart  des  Mjj.  et 
Miin..  ABGL  quelques  Mnii.  et  Or.  (6  fois)  lisent  ouôe,  ouôe. 


llHO  i'iii.Mii:i;i;  l'AiiTii.. 

lu  >ui.s  ou  luu  nu  liiulic  ili'  st'^s  lieux  préciu'sours;  or  lu 
n'es  ni  luu  /»»'  lautif;  |Miurquoi  donr ....  otc?»  Le  sens  de 
la  ui'',L;iili(tu  disjoutlivr  ijui  ilivi.sc  le  Miiuistèic  de  Préeur- 
seiu  on  SCS  deux  altcruatives  connues,  uVtail  j)as  aisé  à 
saisii-;  et  il  esl  pioliahlc  (jue  c'est  celte  dillicidlé  qui  a  j)ro- 
duil  la  leçon  plus  faciles  des  alexandiins  :  oùSé,  oOôs,  ni  non 
plus,  (jui  ne  l'ail  (pTajoulcr  siiuplenienl  m'-j'aliou  à  uc^a- 
tion. 

V.  2(1  el  27.  (Jean  leur  répondit  disant:  Oui,  je  baptise 
d'eau';  mais  au  milieu  de  vous'  se  tient  quelqu'un  que 
vous  ne  connaissez  pas ,  vous  ;  27  c'est  lui  qui  est  celui  ^  qui 
vient  après  moi  —  qui  a  été  là  avant  moi* —  de  la  sandale 
duquel  je  ne  suis  pas  digne  de  délier  la  courroie.  »  —  La 
pu^iliun  de  Jcau-i3apli^le  élait  dillicile.  11  s'ayi.ssail  pour  lui 
de  justifier  son  droit  d'instiluer  le  liaptènie,  après  avoir  re- 
poussé tous  les  lili'cs  (pii  iimaiciil  pu  lui  confércc  luie  telle 
compétence.  Aussi  sa  réponse  a-t-elle  été  trouvée  peu  claire 
et  endjarrassée;  et  de  Welle  leuiarque  ici  (jue  c'est  une 
des  jiajticularités  de  la  narration  jolianni(jue,  de  ne  pas 
faire  toujours  correspondre  exactement  les  questions  et  les 
réponses.  Nous  verrons  ce  que  vaut  celle  observation.  L'ex- 
plication généralement  admise  est  celle-ci  :  a  Mon  baptême 
n'a  pas  une  grande  iniportauce;  car  je  ne  baptise  (jue  d'eau; 
le  vrai  baptême,  digne  d'être  l'objet  de  vos  préoccupations, 
c'est  celui  d'Esprit,  qu'accomplira  bientôt  celui  qui  me  suit.  » 
Jean  demanderait  en  quelque  sorte  grâce  pour  son  baptême 


t.  K  seul  :  ev  T(i)  j^rt-'.  au  lieu  de  ev  jfir/.Ti. 

2.  N  BCL  et  Or.  ftO  fois»  retranchent  le  5e. 

3.  T.  K.  commence  ce  verset  par  auxo;  £3tiv,  avec  H  Mjj.  presque 
tous  les  Mnn.  ||p'"i'i»'  Vfr.  Syr"''  Or.  (I  fois);  tandis  que  ces  mois  sont 
retranchés  par  N  B  C  L  a  Syr'"  et  Or.  (C  fois). 

4.  Apres  ep/_ojievo;  T.  II.  ajoute  o;  e|i7rpocOev  jaoj  yeyovev,  avec  les 
mêmes  autorités  à  peu  près;  ces  mots  sont  relranché.s  par  les  mômes 
autorités  qui  retranchent  auro;  etti. 


I'Iu:mii:[{  cyclk.  —  ciiap.  i,  .•:.-::.  281 

(IVaii,  t'ii  l'opjjusaiil  au  vrai  liaplènic  iiR'.ssiai)i(|iiL'  .sur  le- 
(jiiel  il  irciiijjièlc  en  aucune  façon  par  le  sien.  Mais,  si  r'é- 
(ail  là  le  sens  de  sa  réponse,  les  mots  sv  uSaTt,  d'eau,  de- 
vraienl  être  placés  en  lèle;  car  là  sérail  l'accent  :  «Ce  n'est 
(jiœ  d'eau  que  je  baptise.  »  Et  le  bajttènie  d'Kspril  devrait 
être  expressément  mentionné  dans  la  proposition  suivante, 
connue  antithèse.  Puis  la  réponse  ne  serait  pas  logique; 
car,  à  ce  coniple-là,  chaque  juif  aurait  pu  se  mettre  à  bap- 
tiser d'eau,  en  disant  aussi  qu'il  n'emjiiétait  pas  sur  le  bap- 
tême messianique.  Enlin,  la  réponse,  ainsi  comprise,  oppQ- 
serait  bien  Jean  au  Messie  et  s'adapterait  tant  bien  que  mal 
à  la  première  partie  de  la  question  :  «Pourquoi  baptises-tu, 
si  tu  n'es  pas  le  Christ?»  Mais  l'opposition  aux  deux  pré- 
curseurs se  trouverait  passée  sous  silence,  et  la  seconde 
jjarlie  de  la  question  resterait  sans  réponse.  Les  objections 
de  de  Wette  se  trouveraient  ainsi  justifiées.  Mais,  lorsqu'on 
se  pénètre  de  l'esprit  de  cette  réponse,  on  sent  bien  que  le 
Précurseiu"  n'a  nullement  l'intention  d'abaisser  sa  personne, 
d'atténuer  son  rôle  et  de  demander  tolérance  j»our  son  bap- 
tême comme  pour  une  nouveauté  inoflénsive.  Tout  est  au 
contraiie  digne,  solennel,  menaçant  même,  dans  ces  pa- 
roles. Il  fait  ressortir  la  gravité  redoutable  de  la  situation 
jtrésenle,  au  mystère  de  laquelle  il  est  seul  initié  et  dans, 
laquelle,  par  consé(jucnt,  il  a  un  rôle  tout  spécial  à  jouer. 
C'est  la  conthiuatiun  de  son  aj)pel  à  la  repentance,  v.  ;23  : 
«  Dressez  le  chemin  du  Seigneur,  »  en  même  temps  que  la 
réponse  à  la  question  des  pharisiens.  Leur  question  se  trouve 
en  eflét  résolue  pai-  le  fait  niêiiie  qu'il  annonce  la  présence 
du  Messie  :  «Si  Jean  est  dans  le  secret  de  Dieu,  et  s'il  y  est 
seul,  il  est  donc  prophète;  et  si  le  Chiist  lui  est  déjà  connu 
et  va  le  s\iivre,  il  est  donc  son  précurseur,  quelque  nom 
qu'on  veuille  lui  donner,  et  sa  fonction  de  Baptiste  est  jus- 
tiliée.  »  —  Ce  sentiment  de  la  grandeur  de  sa  position  s' ex- 


482  nîi:.Mii:i!i';  i'.\nTii:. 

primo  avec  riicrj^ic  diiiis  If  jiour  moi,  iy6,  \A;u'c  ni  (rlo; 
t  mo/,  (jiii  sais  à  quoi  en  soiil  les  choses,  «  en  oj)(iosilion 
;"i  Ojxel;  :  «  mus,  (|iii  r-ies  riiroïc  (l;ms  rij^iioraiiee.  »  C'esl  par 
la  nièino  raison  (|iie  le  verbe  «je  b(fptisry>  est  ici  placé  avant 
le  l'i'frime  «  d'eouy».  Les  mois  èv  uSaxt ,  d'cmi,  réservoni  sans 
(loiile  la  place  de  Taiilre  l»a|ilèine;  mais,  comme  nous  ve- 
nons (le  le  Voir,  l'idi'e  de  celte  aniillièse  ne  domine  point 
dans  ce  passag-e.  Le  sens  est:  «(^ui,  certes,  je  liaplise  d'eau; 
je  le  fais,  non  sans  savoii"  |ioui(pioi  j'a^^is  ainsi.»  —  Si  tel 
est  le  sens,  on  pourrait  retranelier  le  hi  avec  les  alexandrins. 
Celle  particule  adversative  |iut  facilement  s'introduire  en 
ellet  dans  le  lexle  sons  l'emiiiie  de  la  fausse  interprétation 
<pie  nous  venons  de  réfulei-  et  parce  (ju'on  était  habitué  |»ar 
les  discours  de  Jean  dans  les  Synopti(jues  à  ojtpo.ser  le  bap- 
tême d'eau  au  baptême  d'Ksprit.  Cejiendant  le  8s  |»cut  aussi 
se  soulriiir  :  «.le  liaplise  d'eau,  et  c'est  g-rave!  Mnis\o  xwAa 
fais  pas  à  la  légère;  car  il  est  déjà  là,  celui  qui  doit  venir.» 
—  Les  mots  au  inilien  de  vous,  accompognés,  comme  ils  le 
hu'enlsausdoute,  d'un  re^^^ard  SCI  iilaleiu'jiai'  letpiel  lePrécm'- 
sem- semblail  chercher  ilans  la  foule  celui  dont  il  parlait, 
durent  |ir(jduire  un  ellêl  profond.  Le  terme  sffTTjxev,  il  se 
lient  là,  est  jtius  dramali(jiM'  cpie  notre  :  il  est  là.  —  Les 
mots  importants  sont  ceux-ci  :  «  Que  vous  ne  connaissez 
pas.i>  L'accent  est  sur  le  mot  vous,  en  opposition  à  moi 
Voilà  la  légitimation  de  la  mission  et  en  même  temps  du 
baptême  d(.'  Jean.  Celte  parole  suj»pose  nécessairement  que 
le  bajitême  de  Jésus  était  déjà  un  fait  accomjili;  car  c'était 
alors  qu'avait  eu  lien  la  révélation  spéciale  accordée  à  Jean, 
par  laquelle  il  avait  l'-lé  inilii'  à  la  connaissance  de  la  dignité 
messianique  de  Jésus  et  élevé,  sur  ce  point,  au-dessus  du 
niveau  de  la  connai.ssance  commune.  11  dit  lui-même  v.  31 
et  SS  que,  jusqu'à  ce  moment,  il  ne  connaissait  pas  le  per- 
sonnage auquel  il  ('■lail  appelé  à  rendre  témoignage.  Il  ne 


PriEMlEB  CYCLE.  —  ClIAP.  I,  "JC.  -21.  :283 

laul  Jonc  |uiiiil  ideiililicr  oe  lénioigiiiigo  de  Jcaii-B;iiili.s(e 
avec  ses  prédicalions  iKipiilaires  rapportées  dans  les  Syiiop- 
li(jnes  el  anlt'i'ieures  an  liajiirnie  de  .lésns.  Là,  il  dirait  va- 
guement :  «  Il  en  vient  un  après  moi.  »  Ici,  la  proi)hétie  prend 
un  raraelère  |icrsonnel;  elle  n'a  plus  rapport  seulement  au 
personuaij-e  ahstrail  cl  idéal  du  Messie;  elle  s'appli(jue  à 
riiidividu  r('cl  (pii  duii  jouer  ce  l'ole.  C'est  le  premier  lémoi- 
gnag-e  qui  se  rapporte  directement  à  Jésus,  et  pai-  consé- 
<|uenl  la  première  révélation  de  sa  jiersonne  et  le  vrai  point 
de  départ  de  la  foi  en  lui.  —  L'omission  des  mots  aùxo^ 
èffxt  et  oç  6[jLxçcff6»év  (xco  ysy.  chez  les  alexandrins  me  paraît 
provenir  précisément  de  la  confusion  de  ce  témoignage  de 
Jean  avec  ses  prédications  antérieures  rajiportées  par  les 
Synoptiques.  Et  ce  qui  a  occasionné  cette  assimilation,  c'est 
que  Jean  avait  employé  alors  quelques-unes  des  exjiressions 
dont  il  se  sert  ici  :  <i. Celui  qui  vient  après  moi,)-)  et  :  «/)e 
/a  sandale  duquel  je  ne  suis  pas  digne  de  délier  la  courroie.» 
Origène,  qui  se  défiait  déjà  du  texte,  tel  qu'il  le  trouvait 
icproduit  de  son  temps  (voir  j».  138),  n'aura  pas  manqué 
d'envisager  tous  les  mots  de  ce  verset  qui  dépassent  le 
texte  des  Synoptiques,  ceux-ci  en  particulier:  a  Qui  a  été 
là  avant  moi,  »  comme  une  intei'jtolation  importée  ici  du 
v.  15.  Mais  l'étude  attentive  du  contexte,  et  surtout  celle  de 
la  relation  entre  le  v.  30  et  le  v.  27,  ne  permet  pas  de  douter 
que  ces  mots  ne  soient  authentiques  au  v.  27.  Car  le  v.  30 
est  la  reproduction  textuelle  du  v.  27,  comme  le  prouve  la 
fornnde  de  citation  :  «  C'est  là  celui  duquel  f  ai  dit.  »  On  de- 
mandera peut-être  conunent,  malgré  ce  rapport  évident, 
Oi'igène  et  les  alexandrins  ont  pu  retrancher  du  v.  27  les 
mots  0^  epiTcç.  {ji.  ys'y. .'  C'est  encore  là  une  conséquence  de 
la  fausse  intciprélation  des  v.  16-18,  qui  a  fait  commettre 
à  (Diigène  tant  d'eireurs  exégétiques  et  critiques  dans  ce 
morceau.   Envisageant  les  derniers   versets  du   prologue 


28i  niKMiiur.  i'ahtii;. 

roiiinit'  le  )rcit  iluii  jucinicr  li'mniyiuiyc  de  .I(»an-Baj)lislP, 
il  a  pensé  que  dans  le  v.  30  Jean  se  référail  ;iii  li''iii(ii}^ii;i<^(' 
(lu  \.  !.'(.  lundis  <]iic  crst  jiisiriiiciil  riiivcisc;  cl  (|u:iiil  an 
V.  :27,  il  n'y  a  vu  que  la  iT|iiodiK'linu  du  Içiiioiy^nayc  du 
Précurseur  dans  les  Syuopli(}ues.  —  Les  niuts  aÙTo;  £axt.v. 
c'est  lui,  du  T.  H.,  ne  siujl  pas  indisp<'nsables,  el  l'on  pour- 
rail  consculir  à  les  i<'lraucli<'r  avec  les  alexandrins.  Gepen- 
danl  ils  conviennent  jiaiiailenienl  au  conlexle;  ils  servent 
à  raj)peler  les  lénioignages  antéiieurs  au  baplènie  de  Jésus 
el  conslalenl  l'idenlilé  du  grand  inconnu  signalé  ici  avec  le 
personnage  précédemnienl  annoncé  par  Jean.  Voici  donc  le 
mouvemenl  de  la  phrase:  «Il  se  Irouve  là,  au  milieu  de 
vous,  celui  (pie  vous  ne  connaissez  pas  encore,  l'homme 
que  je  vous  ai  si  souvent  ainioncé  naguère,  sans  le  con- 
naîlie  nioi-nième,  comme  celui  (jiii  vient  après  moi.»  Ici 
Jean  s'intejTomj)l,  pour  rectifier,  comme  sous  l'empire  d'une 
pensée  soudaine ,  celte  expression  celui  qui  vient  après  moi: 
«En  réalité,  quoique  venant  après  moi,  il  a  été  là  avant 
moi.»  Puis,  achevant  de  rappeler  ses  paroles  d'autrefois, 
il  ajoute  :  ((Cfilui  dont  je  ne  suis  pas  digne»,  etc.  —  L'ex- 
pression V délier  la  courroie  des  sandales,))  aussi  bien  que 
celle  (ju'enqtloie  Matthieu  (III,  W),  aporter  les  sandales,)) 
désignent  un  oflice  d'esclave. 

V.  28.  '  Ces  choses  se  passèrent  à  Béthanie',  au  delà 
du  Jourdain  ",  où  Jean  baptisait.  »  —  La  notice  v.  ^8  n'est 
cerlaineinent  pas  dictée  à  Jr-an  jiar  un  intérêt  géographique  : 
elle  est  inspirée  par  la  solennité  de  la  scène  préf^édente  el 
par  la  gravité  extraordinaire  de  ce  témoignage  officiel, 
adressé  aux  représentants  du  sanhédrin  et  de  la  nation  tout 


1.  La  leçon  Br^Oxvta  se  trouve  dans  presque  tous  les  Mjj.  la  plupart 
des  Mnn.  IL  Vg.  Cop.  Syr'^  etc.  Les  seuls  Mjj.  K  U  A  quelques  Mnn.  Syr"' 
liseut  BT;îict^apa,  avec  le  T.  R. 

2.  S  ajoute  TzoTonioj  après  lopdavoj. 


F'HEMIKH  CVni.E.  —  ClIAI».  I,  27.  28.  28.') 

fiilièrc.  C't'-lail  bien  à  celle  déelaialiou  du  Précurseur  (|ue 
s"a|ijtli((uail ,  jilus  encoi-e  «ju'à  toutes  les  aiities,  celle  pa- 
role :  <.<Afin  que  tous  crussent  par  lui.  »  Si  le  peuple  eût  été 
apli'  à  la  foi,  crltc  parole  de  Jean  eùl  <'t('  ri'tiiicelle  <pii  eût 
lait  jaillir  iiiniK'diatement  en  Israël  ce  feu  divin.  —  Ouant  à 
la  dill'érence  des  deux  leçons  Béthanie  et  Béthabara,  Ori- 
gène  rapporte  lui-même  que  presque  tous  les  anciens  Mss. 
lisaient  Béthanie,  mais  qu'ayant  cherché  mi  endroit  de  ce 
nom  sur  les  bords  du  Jourdain,  il  ne  l'avait  point  trouvé , 
tandis  que  l'on  montrait  un  endroit  appelé  Béthabara,  où 
la  tra<lili()n  pn-tendait  que  Jean  avait  bajttisé.  Il  est  donc 
piubablf  (pie  c'est  à  la  suite  de  ce  rapport  d'Origène  que 
la  leyon  Béthabara  aura  remplacé  la  leçon  primitive  Bé- 
thanie dans  (pH'l(]uos  documents.  Le  désir  d'éviter  la  con- 
fusion avec  l'autre  Béthanie  plus  connue  aura  pu  contribuer 
aussi  à  rintroduction  de  cette  leçon.  —  L'endroit  désigné 
ici  par  l'évangéliste  sous  le  nom  de  Béthanie  était  situé  au 
bord  du  Jourdain  et  n'existait  plus  au  temps  d'Origène.  La 
guerre  romaine  avait  fait  disparaître  une  foule  d'anciennes 
localités  et  en  avait  effacé  jusqu'au  nom.  11  est  bien  évident 
d'ailleurs  que  Jean  ne  confond  pas,  comme  on  l'en  a  accusé, 
cette  Béthanie  avec  celle  qui  était  voisine  de  Jérusalem, 
puisque,  d'une  part,  il  indique  lui-même  XI,  18  le  petit 
iionibi'e  de  stades  qui  séparent  celle-ci  de  la  capitale,  et  que, 
d'aiilrc  ])ail ,  tout  le  récit  de  la  résurrection  de  Lazare  prouve 
qu'il  connaissait  exactement  la  distance  d'une  journi'-c  en- 
lièi'e  (jui  sépai'C  Jérusalem  du  Jourdain.  11  y  avait  donc  deux 
Bélhanies,  comme  il  y  avait  deux  Bethléems,  deux  Belhsaï- 
das,  deux  Antioches.  L'étymologie  de  ce  nom  n'est  pas  cer- 
taine. Il  peut  signifier  :  endroit  de  pauvreté  ou  endroit  des 
figues,  ou  même,  en  le  dérivant  de  rT'OS  (navis),  endroit 

du  bac.  Ce  deinier  sens  coïnciderait  à  peu  près  avec  celui  de 
Béthabara,  endroit  du  fjué.  B('llialiara  est  nommée  Jug.  VII, 


58(t  IMiKMII-.IlK  l'AIlTir.. 

Hï.  Il  fsl  |Ktssil>li'  (|in'  (T  iiMiii  j)it»viiil  du  paiis;»;^»'  liu  jM'ii|»lt' 
il'l.si ;it'l  on  cet  ciKlioil,  à  suii  «'lUivr  (bus  l;i  Icric  de  Caii;Kiii. 

U. 

Second  témoignage  :  v.  *20-,'U. 

Cdiiiiiit'iil  rsl-il  jKissildc  (|iit'  les  dôjuili's  du  saiiliodriii 
ai(.'iil  «[iiilk'  Jean  sans  lui  doinaiulor  quel  élail  le  personnage 
dont  il  voidail  parlei?  On  hicn  ils  ne  s<i  souriaient  pas  de  le 
>avoir,  ou  hirn  ils  niéjuisaieul  <elui  ijui  leur  parlait  de  la 
S()rle.  Dans  les  deux  cas,  c'est  d  i(  i  ipn'  date  riiistoirc  de 
Iriir  itirr<'dulilé.  Après  itiu-  di'-part,  le  Précurseur  resta  avec 
ses  disciples  et  une  |ioilion  dr  la  Coule  «pii  avait  assisté  à 
celle  scène.  Et,  dis  le  lendemain,  son  t('nioiyiiage  piit  un 
caractère  plus  catégoricpir;  il  ne  dit  plus  seulement:  «Le 
Messie  est  là;»  mais,  voyant  approcliei'  J('sus,  il  dit:  «Le 
Voilà!»  U  le  caractérise  d'abord  quant  à  son  œuvre  (v.  29), 
puis  (piant  à  sa  [jcrsonne  (v.  ."iO);  il  raconte  ensuite  com- 
ment il  est  arrivé  à  le  connaître  et  sur  (picl  fondement  re- 
pose le  témoignai^e  (jiiil  lui  icnd  (v.  31 -rW);  il  fait  eiilin 
ressortir  l'importance  qu'a  pour  ses  auditeurs  l'acte  qu'il 
vient  d'accomjtlir  en  se  décliarpfeant  devant  eux  d'un  tel 
messap:c  (v.  ;Vo. 

V.  29.  «  Le  lendemain  il  '  voit  Jésus  qui  vient  à  lui,  et 
il  dit:  Voilà  l'agneau  de  Dieu,  qui  ôte  le  péché  du 
monde."  —  niiehjucs  iulej  prèles  (OIsliausen,  par  exem- 
ple) ont  admis  que  le  baptême  de  Jésus  avait  eu  lieu  b'  soir 
du  jour  précédent,  après  le  départ  des  représentants  du 
sanhédrin, et  (pie  c'est  cctévénemeni  ijnj  riKtiiva  le  lendemain 


1.  Les  mots  o  luavyr;;  du  T.  R.  .sont  omis  dans  nn  grand  nombre  deMjj. 
et  de  Mnu.,  aussi  bien  alexandrins  que  byzantins,  et  dans  plusieurs  Vss. 
C'est  une  de  ces  adjonctions.  teUes  qu'il  s'en  trouve  souvent  dans  le  texte 
by^autin.  qui  ont  été  iinicnèes  par  la  lecluro  publique  dans  le  culte. 


l'KKMIEIl  CYCLK.  —  CHAI».  I,  "28.   i'.K  587 

la  (léclai'Mlioii  plus  posiiivc  :  Le  voilà!  Celle  opinion  csl  (jxclin- 
par  les  mois  :  v.  Celui  que  vous  ne  coiuiaissez  pan ,  vons  !  » 
(v.  20),  dans  Icsipicls  .lciin-l'>ii|>lislt'  >'op|iusc  (''vidcnniicnl  ;"i 
ses  audileuis  eomnie  le  coiiiiaissanl  ,  lui.  Il  laiidrait  donc 
admelire  ipie,  si  le  Itaplèiiie  a  en  lien  le  joia'  inécédenl, 
c'élail  avant  rarri\ée  de  la  dt'pnlalion.  Mais  alors,  ponr<|noi 
ne  pas  pidiilrr  de  celle  occasion  soleinidle  cl  comme  pm- 
\idenliellemenl  oITeile  ,  pour  dt''>i,^nci'  Ji'sns  comme  le 
Messie  devani  les  reprt'senlanis  olHciels  de  la  nalion?  Poni- 
(|noi  se  boiiior  à  dire  :  «U  y  en  a  un  »  ?  Celte  tournure  suj»- 
|M)sc  l'absence  de  Jésus  en  ce  monienl-là.  Jean  le  connaîl 
déjà  connne  le  Messie  ;  il  le  cherche  dans  la  foule;  mais  il 
ne  peut  l'y  iléeouvrir  ni  le  désigner.  Le  baptême  devait  donc 
avoir  eu  lieu  un  certain  lemj)S  auj)aravant  ;  après  quoi, 
Jésus  s'élail  éloigné  de  Jean  et  de  la  foule,  comme  cela 
élait  naturel  ajirès  une  si  grande  commotion  inlérieure  ;  et 
ce  fut  précisément  le  lendemain  du  jour  où  Jean  avait  ré- 
pondu à  la  déjtulation  du  saidiéMJrin,  (pie  Jésus,  revenant 
auprès  de  son  précurseur,  fui  recomm  par  lui  et  déclaré  le 
Messie.  Ce  sens  ressort  précisément  des  mots  venant  à  lui , 
i|iii  ont  embarrassé  les  interprètes  et  dans  lesquels  Baur  a 
vu  une  preuve  du  caractère  piu'emenl  idéal  de  la  narration. 
Ils  prennent  un  sens  parfaitement  confoime  à  la  gravité  de 
la  situation,  dès  qu'on  les  rapporte,  non  pas  à  une  simple 
venue  accidentelle  et ,  pour  ainsi  diic,  à  une  promenade  de 
Jésus,  mais  à  sa  première  rencontre  avec  Jean  à  la  suite  du 
temps  |)lus  ou  moins  considérable  (jui  s'était  écoulé  depuis 
la  scène  du  baptême.  Jésus,  après  avoii'  quille  Jean  et  s'êtie 
retire-  daii.N  la  solitude  \n\\{v  se  replonger,  connue  Fils,  dans 
le  sein  du  l*èie  qin  veniiil  de  se  Kuniir  ]iour  lui,  et  jiour 
conlempler  lOllice  de  ré'dempleiir  du  monde  qu'il  venait 
d'accepter,  reparaît  maintenant  pour  commencer  son  œuvre. 
C'est  auprès  de  Jean  qu'il  revient  ;  n'était-ce  pas  là  qu'il  pou- 


5^8  PHEMIKUE  PAFnii:. 

vail  ('>j)('r('r  de  Irouvcr  les  insiniiiiciils  (|U(3  >ni\  l'ère  lui  nviiil 
[•n^parés  el  (]iii  lui  élaieiil  indispensables  pour  rarc(»mj)lis- 
semenl  de  sa  l;i(lir'.'  .jt'siis  liii-inèmc  (X,  3)  ne  dislinj^iie-l-il 
pas  le  larron,  celui  (jiii  se  fait  Messie  de  son  propre  cliel", 
du  berger,  le  Messie  v«''iitable ,  en  ce  que  celui-ci,  au  lieu 
d'escaladt'i-  le  nnn*  de  la  bergerie,  trouve  à  rentrée  le 
portier  ipii  lui  dunne  accès  dans  le  bercail?  .b'-sus  savait 
bien  que  ce  portier ,  ordonné  de  Dieu  ,  était  Jean  ;  el  voilà 
p<»ur(|uoi,  au  moment  d'entrer  dans  la  bcrj^i.'rie  jiour  for- 
mer son  troupeau ,  c'est  vers  Jeau  qu'//  vient.  Eùl-il  été 
plus  naturel  qu'il  se  fût  rendu  à  Jérusalem  ou  en  Galilée, 
pour  s'y  proclamer  lui-même!  Qu'on  ne  dise  donc  pas  que 
cette  venue  de  Cbrist  vers  Jean  est  sans  but,  et  qu'elle  a 
été  inventée  uniquement  pour  les  besoins  du  récit.  Ce  détail 
demeure  ou  tombe  avec  l'iiistoire  tout  entière. 

En  ajifMcevant  Jésus  qui  s'approche ,  Jean  le  déclare  le 
Messie.  La  dénomination  dont  il  se  sert  pour  cela,  devait 
certainement  être  intelligible  pour  ceux  qui  l'entouraient, 
et  ne  pouvait  manquer  en  même  temps  d'être  en  rapport 
avec  riniprrssiuii  (|iril  ;iv;iil  Ini-niêmc  reçue  de  Jésus.  Pour 
que  la  première  de  ces  conditions  fût  rem|»lie,  il  fallait 
que  l'expression  «l'ag^teau  de  Dieui>  renfermât  une  allu- 
sion à  rjuelquc  jiaiole  (lu  à  quebiue  fait  de  l'Ancien  Tes- 
tament généralement  raj)porté  au  Messie.  L'interprétation  de 
ce  terme,  qui  satisfait  le  mieux  à  cette  condition,  est  cer- 
tainement celle  d'apiès  laquelle  Jcari-Bajitiste  lajtpelle  ici  à 
ses  auditeins  le  serviteur  de  l'Eternel  déciit  Es.  LUI.  Jusqu'à 
ce  que  la  polémique  contre  les  chrétiens  eût  poussé  les  in- 
terprètes juifs  à  une  autre  explication,  ils  rapportaient  sans 
hésiter  le  passage  P^s.  Llf,  13 -LUI,  12  au  Messie.  C'est  ce 
qu'avouent  unanimement  Kiniclii,  Jarchi,  Aben-Esra  et  Abar- 
banel.  Ce  deinier  dit:  "J(jnallian,  fils  d'Usiel,  a  rapporté 
cette  prophétie  au  Messie  (|iii  ddil  venir,  et  c'est  aussi  l'opi- 


l'iiKMiEii  cvcm:.  —  r.iiAP.  I,  -2',».  :2N!I 

iiimi  (le  iKis  Sages  (riirnifiisc  nHMiinirc.  »  (Voir  p]is(iiiiii'ii- 
^^er,  Entdcckt.  Jiulcth.  Il  Tli.  p.  758;  Liick.-,  I.  1^  p.  40G.) 
Nous  n'avons  pas  à  diMiionlicr  ici  In  véiité  (le  celte  explica- 
tion et  les  (liniculli's  iiisoliililcs  dans  l(?sqnelles  s'enibariasse 
tdiiU.'  inL<'i-j»r('tati(»ii  contiaiie.  Il  nous  suffit  <lu  fait  (jut-ile 
•'•tait  régnante  chez  les  anciens  .liiil^.  1!  i-ésulle  de  là  (jue 
ralliisinn  (le  Jean-Iîaptisic  pouvait  aisément  être  comprise. 
Lé  serviteur  de  l'Éteiiiel  est  représenté  dans  ce  cliaj>ifre 
connnc  ^portant  sur  lui  seul  l'iniquité  de  nous  tous,^)  et 
tl(''p('iiit  ;iii  verset  7  en  ces  mots  :  «.Il  est  mené  à  la  tuerie 
comme  un  agneau,  comme  %ine  brebis  muette  devant  celui 
qui  la  tond.  >  De  ces  deux  paroles  réunies  d'Ésaïe  ressort 
directement  la  dénomination  employée  en  cette  occasion 
solennelle  par  Jean-Baptiste.  Oiielques  interprètes  ont  pré- 
tendu que  l'expression  d'agneau  ne  désignait  ici,  comme 
dans  la  parole  d'Ésaïe,  que  la  douceur  parfaite  de  Jésus, 
>a  [lalience  dans  ses  souffrances.  Ainsi  GaLler  :  «C'est  ici 
riionnne  plein  de  douceur,  qui  supportera  patiemment  les 
maux  que  lui  causera  la  perversité  humaine,»  et  Kuinoel  : 
Voilà  l'être  innocent  et  jtieux,  tjui  ôtera  la  méchanceté  de 
la  terre;»  —  Ewald,  à  peu  près  de  même.  —  Mais  toutes 
ces  exjdications  ne  rendent  pas  suffisannnent  compte  de 
l'art,  ô  (Tagneau  connu,  attendu),  et  ne  font  point  ressortir 
le  rapport  étroit  qu'étahlit  la  construction  de  la  phrase  entre 
l'idée  d'agneau  et  l'acte  d'ôler  le  péché  du  monde.  —  Quel- 
(]ues  iuter]»rètes  ont  suj»posé  que  l'image  enqiloyée  par  Jean 
t'tait  empruntée  non  à  Es.  LUI ,  mais  en  général  aux  sacri- 
lices  dans  lesquels  l'agneau  était  employé  comme  victime. 
Mais  ces  sacrifices  n'avaient  j»as  un  i;ipport  assez  spécial 
III  Messie  pour  (jue  Jean  put  tirer  de  là  une  d(''nomination 
iillisamineni  cliiire.  Il  n'est  qu'un  saciilice  (}ui  eût  pu  reui- 
plii  en  quel(|ue  manière  cette  couilition  :  c'est  celui  de 
lagneau  pascal.  Un  nie,  il  e>t  vi;ii,  niais  à  tort,  selon  nous, 
'  I.  r.i 


59()  l'Itl.MILIU.  l'AHTIi:. 

"le  lanK'trro  ('xj)ialuir('  tlu  sacrifice  paMal.  v.Jc  verrai ,  dil 
rÉleiiiel  Ex.  XII,  \'3,  le  sany  sur  les  portes  de  vos  mai- 
sous  ,  cl  Je  passerai  par-dessus  ,  et  il  ii'i/  a  ma  point  de  plaie 
parmi  vous  pour  détruire.  »  Cuimiiojil ,  dapiôs  ccUc  paiole, 
if  suig  (le  col  a{4iicau  ii  aiiiail-il  pas  eu  une  valour  cxpia- 
loirc?  «Le  saciilicr  pascal,  ilil  avec  laisoji  Ileiiysleiibeig  , 
élail  la  base  (!<•  loiil  le  ^-yslciiie  des  sacrifices,  la  base  de 
raiicieiiiie  alliance  elle-iuènie....  Voilri  j)oui<pioi  il  |i()ss('dail 
ccilaiiis  caraclèrcs  ipie  n'avaient  pas  les  aiiln's  ^aciiliccs 
expialuires ,  tels  (pie  le  ciuactèie  sacramenlal  de  la  com- 
niuniun  avec  .IcIiovjIi.  C  c.n|  là  cç  qui  ;i  ('yarc  sur  ce  poiul 
les  inleiprrlcs.  »  Mais  il  iiCsi  poiul  ;il(>(iluui(ul  u(''c('ssair(! 
d'ofthM'  ('ulr<'  l'allusiun  à  Es.  LUI  el  le  rappori  à  l'af^uciau 
pascal.  Esaïe  lui-nièiiie  n'a-l-il  pas  eiupiunlé  au  .sacrifice 
de  l'ayru-au  pa.^cal  l(;s  principaux  (rails  de  son  lableau  du 
serviteur' de  rÉIeruel  suullraiil  pdur  accomplir  rexjtialion 
des  pécliés  du  peuple?  Ces  deux  explicaliojis  ne  sont  dune 
point  cojilradicloires;  il  ne  l'audiait  pas  même  rejeter  en- 
tièrement lexplicalion  de  Gabier,  Ewald ,  etc.  Car  il  est 
iiidubitable  que,  parmi  le.->  ;iuimau\  jmus  et  servant  de  vic- 
times, lagneau  élait  celui  qui,  par  son  caractère  d'inno- 
cence et  de  douceur,  olliail  l'emblème  le  j)lus  conforme  au 
rôle  du  Messie  tel  ipu'  le  de-cril  i<i  Jeuu-Hapliste.  Ni-amuoins, 
tout  en  accepliiul  la  juirliou  de  M'cile  cpie  leidermeni  les 
deux  autres  explications,  nou.s  devou.s  leconnaître  (jue  c'est 
sur  l'allusion  à  E>.  LUI  que  (oui  repose.  —  LecompN'menl  toù 
Oecô,  de  Dieu,  est  celui  de  la  {possession  :  dans  ce  saciifice- 
ci ,  ce  n'est  pas  l'iiomme  qui  oftre  el  (jui  immole  ;  c'est 
Dieu  qui  flonue ,  et  qui  domie  du  sirii.  Com)).  1  Pier.  I,  19. 
20  ;  Hom.  VIII ,  o'2.  —  Cette;  expre.s.sion  du  Précurseur  s'ex- 
plique donc  conqilètement  au  moyen  de  toutes  ces  données. 
Mais  ,  après  tout  cela  ,  on  éprouve  encore  le  besoin  de  pou- 
voir la  rallacbei'  en  qurlqin  m;jiiièie  à  ses  impressions  per- 


PREMIER  CYCLE.  —  CHAP.  I,  29.  î>9i 

^ulllK'lle^.  Pour  cola  il  faut  se  rappeler  ce  qui  s'élait  passé 
dans  la  rencojilre  unique  et  solennellf  qui  avait  eu  lieu 
entre  Jésus  et  son  précurseiu-.  Chaque  Israélite ,  nous  est-il 
ilil ,  avant  de  recevoir  le  bajjtôme ,  confessait  ses  péchés  à 
.loan-Baptiste  {comp.  Mattli.  III,  G).  Jésus  s'était  présenté 
roiume  tout  autre  Juif,  et  n'avait  pu  se  dispenser  d'un  acte 
quelconque  ajialogue  à  celui-là.  Ne  pouvant  confesser  son 
péché  personnel,  il  avnil  .sans  doute  déroulé  îuix  yeux  de 
Jean  celui  d'Israël,  jieut-ètie  même  celui  du  monde.  Il  l'a- 
vait fait  avec  anioui',  compassion,  douceur,  de  manière  à 
.saisir  profojidémenl  le  cœur  de  Jean-Bapti.ste,  dont  la  pa- 
role incisive  était  une  [Médication  de  jugement  plutôt  que 
(If  salut.  N'est-ce  point  ce  contraste  vivement  senti  qui  fait 
choisii  à  Jean-Baptiste,  entre  toutes  les  dénominations  mes- 
siajiiques  que  lui  (dfiait  l'.^ncien  Testament,  celle-ci:  cL'ct- 
yneau  de  Dieu  qui  prend  .mr  lui  le  péché  du  monde.  »  Il  est 
remarquable  (jue  ce  nom  d'agneau,  sous  lequel  l'apôtre 
saint  Jean  a  ajipris  à  connaître  pour  la  première  fois  Jésus, 
soit  celui  par  lequel  i\  le  désigne  encore  de  préférence  dans 
rAjjocalypse.  La  corde  qui  avait  vibré ,  à  cette  heure  déci- 
sive ,  au  plus  profond  de  son  être ,  a  retenti  jusqu'à  son 
dernier  soupir. 

Les  exégètes  ne  sont  pas  d'accord  sur  le  sens  du  mot 
a.Lçv.^i{lei'er,soulever)  dans  notre  [)assage.  Les  uns  prétendent, 
d'apiès  le  sens  général  d'És.  LUI,  qu'il  exprime  ici  spéciale- 
nienl  In  notion  de  l'expiation.  Il  faut  traduire  dans  ce  cas:  «Qui 
purtt'  le  j)éché  du  monde.  •>  C(jm}).  Es.  LUI,  -4:  «Il  porte  nos 
langiieuis.  »  v.  6  :  «  L'Éternel  a  mis  sur  lui  l'iniquité  de  nous 
tous.»  V.  1 1  :  «  Lui-même  portera  leurs  inifpiités,  »  etc.  D'au- 
tres concluent  de  1  Jean  111 ,  5  :  «  Vous  savez  que  Jésfis- 
Christ  a  paru  pour  ôter  nos  pécliés  (wa  àpf]) ,  »  que  nous 
devons  plutôt  tiouver  ici  l'idée  de  la  .sanctification.  La  vérité 
est  sans  doute  que  Jean-Bajttisle  ne  pense  exclusivement  ni 


"205  PnKMIKHK  IWnTIK. 

;"i  l'iiiic  ni  ;'i  Faulrc  do  ces  doux  iKilioiis.  L'iU'Ic  désij^iir  par 
aiçetv  t'Iniil  coiiii  (jiii  roiisislo  à  lovor  uu  fard«\in  poiii'  qu'il 
n'écrase  pas  celui  sur  (|ui  il  j)Ase,  Jean  remploie  ici  comme 
remldèmc  de  l;i  d/'IlMaiicc  du  p/'clii'  en  •^('iK'r.d  .  Impirlle 
comprend  il  r('X|iialion  cl  la  sanclilicalioii.  —  Le  parlic, 
prés,  aiçwv  csl  le  i»r<''seiil  de  l'idée,  de  la  compi-lciice.  Il  est 
en  rappoil  diiccl  avec  tcû  Becû.  C'esl  «  l'ayncan  que  Dieu 
donne  comme  ayaul  mission  d'ùhM'...» 

Le  fardeau  à  enlever  esl  d('si,i;n('  |iar  .lean-Ra|ilisle  d'une 
manièi'e  grande  el  suMime  :  le  prclir  iln  monde.  Ce  sub- 
stantif au  sinjjMdier,  le  péché,  jiréseufe  l'égarement  de  l'hu- 
manité dans  son  unité  profonde  et  réelle.  C'est,  s'il  est 
peinii>  de  s'exjuinier  ainsi,  le  |i(''clié  en  bloc,  renfermant 
tous  les  péclii'S  de  tous  les  p(''clieurs  de  la  terre  ;  ne  soi'fenl- 
ils  pas  tous  d'une  même  ra<iiie  ?  Il  faut  se  garder  d'entendre 
avec  de  Wettc ,  par  àfji.apT''a ,  la  peine  du  péché.  Ce  mot 
embrasse  à  la  fois  la  jiejne  ,  la  coulpe  et  le  pèche  lui-même. 
—  Il  n-sulte  des  mots  adumonde)^  que  Jeau-Baj»tist<î  étend 
l'influence  de  l'œuvre  messianicjue  à  toute  rhuinanité.  On  a 
trouvé  cette  idée  trop  universalisie  dans  une  pareille  bouche, 
et  on  l'a  mise  sm^  le  compte  de  rc'vangélisle.  Il  esl  étonnant 
de  rencontrer  un  pareil  scrupule  chez  (-(^nx  (|ui  apjdiquent 
le  ch.  LUI  d'Esaïe  au  peuple  juif  soufTi'ant  pour  les  péchés 
des  païens!  Ksaïe  aurait  donc  été,  selon  eux,  plus  avancé 
que  ne  jiouvait  l'être,  sept  siècles  après  lui,  Jean-Baptiste 
N'avail-il  pas  él('  dit  à  Alnaliam  :  «  Toutes  les  familles  de  la\ 
terre  seront  hi-nies  en  ta  j)f»slérit('' »?  Et  la  promesse  faite  à! 
Aflam  :  «  La  postérité  de  la  femme  écrasera  la  tête  du  .<f^r-| 
pent,  »  ne  renfermait-elle  pas  l'universalisme  le  plus  ab- 
solu? Tous  les  |ii()pliètes  n'oni  *'li'' ([iie  les  représentants  de 
cet  univf.'isalisme  primitif  au  sein  du  particularisme  théo- 
cratique,  un  cojitre-poids  mis  par  Dieu  lui-même  à  l'exclu- 
sisme  israélite.  Jean -Baptiste  avait  annoncé  du  reste  en 


l'IlKMIEU  CYCLE.  —  CHAI'.  I,  i'J.   30.  20o 

leniies  assez  clairs  la  vucaliuii  piucliaiut'  des  païens  en 
ilisanl  :  «Z)e  ces  pierres  même,  Dieu  suscitera  des  enfants  à 
Abraham.  » 

On  a  ubjeclé ,  cunlie  lexplicalion  (jue  nous  venons  de 
donne!"  de  ce  vei'sel ,  que  l'idée  du  Messie  souflVant  n'était 
pas  populaire  en  Israël,  comme  le  prouve,  par  exemple,  le 
passage  Jean  XII,  31,  où  le  peuple  dit  (juc  «  le  Christ  doit 
demeurer  éleniellement.  »  Mais  il  ne  faut  pas  chercher  une 
théologie  messianique  conséquente  dans  les  opinions  po- 
pulaiies  des  Juifs  à  celle  époque,  pas  plus  qu'il  ne  faudrait 
essayei-  de  former  une  eschatologie  suivie  au  moyen  des 
notions  léguant  chez  les  chrétiens  de  nos  jours  sur  les  der- 
niers temps.  L'explication  messianique  d'Es.  LUI,  qui  existait 
seule  alois,  ne  permet  pas  de  supposer  que  l'idée  du  Messie 
soufl'rant  fût  étrangère  à  la  conviction  générale,  et  cependant 
l'attenle  du  Messie  glorieux  était  de  beaucoup  la  pensée 
dominante  dans  l'esinit  du  peuple.  Les  éléments  contradic- 
toires existaient  juxtaposés.  Il  en  fut  longtemps  de  même 
chez  les  disciples.  La  prophétie  était  remphe  de  contrastes 
dont  elle  ne  donnait  point  la  solution.  Et  jious  verrons  plus 
tard  par  quels  tours  de  force  exégétiques  (la  distinction  des 
deux  Messies,  le  fds  de  Joseph  et  le  lils  de  David)  les  théo- 
logiens juifs  cherchaient  à  se  tirer  d'embarras  el  à  conciher 
l'idée  du  Messie  souffrant  avec  celle  du  Messie  glorieux. 

V.  30.  Le  Précurseur,  après  avoir  désigné  le  Messie  par 
le  côté  de  son  œuvre  dont  son  àme  est  en  ce  moment  rem- 
phe à  la  vue  de  Jésus,  pour  éviter  toute  équivoque,  le  si- 
gnale expressément  comme  le  personnage  auquel  s'appli- 
quait sa  déclaration  du  jour  précédent  :  «  C'est  lui  touchant 
lequel'  j'ai  dit:  kII  vient  après  moi  un  homme  qui  m'a 

1.  An  lieu  de  nzzpi  itouchaut) .  N  B  C  et  Or.  (2  fois)  lisent  uTztp  [en  fa- 
veur de).  L'autorité  des  documents  (15  Mjj..  tous  les  Mnn.  et  Vss.i  et  le 
sens  appuient  la  leçon  reçue. 


^20  f  PRKMIKIU:   l'AHTIi:. 

précédé ,  •  parce  qu'il  était  avant  moi.  >  —  C(i  vorsct 
.ij)|»li(|in'  ;i  .If'Mis  |ii't''s<'iil  le  li'moi^^iKiyc  proncuirr  sur  lui, 
abst'iil  ,  V.  ÎÏC).  27,  cl  (le  plus  suri  à  ri-soiidic  r(''iii<^m(» 
que  renfc'imail  ce  l(''inoi}îua«i:«\  Ccllo  explication  .  (|iic  le 
Pn'ciirsciir  n'aviiit  point  doniM^c  (levant  les  rncmlires  an 
sanhcdrin,  il  l'ajoute  eu  laveur  du  cercle  [)lus  intime  et 
mieux  disposé  i|ui  l'entoure  en  ce  moment.  Elle  est  renfer- 
mée dans  les  derniers  mots  :  «Parce  qu'il  était  avant  moi.^ 
C'est  en  eiïet  la  piéexistenee  éternelle  du  Messie  qui  peut 
seule  expliquer  sa  présence  cl  S(ju  activité  dans  la  théocratie, 
anlérieuiement  à  la  venue  de  Jean-na|itiste  (voir  v.  15). 
Nous  n'avons  plus  à  iN'Hiarcpier  ici  (]ue  le  terme  àvr]p  ,  que 
.Fean-Baptiste  ajoute  dans  ce  moment,  et  (pii  lui  est,  insj)iré 
|iar  la  vue  de  l'individualiti''  déterminée  (pi'il  a  maintenant 
sous  les  yeux.  L'aj»pendice  ct».  TrfwTor  (j.cu  tjv  j>roiive(fue  c'est 
liien  ce  témoignage  du  v.  30  (jue  r(',vangélisle  a  cili';  dans 
je  prologue  (v.  15).  Quant  à  roj»inion  de  Lûcke  et  de  Meyer, 
qui  croien!  que  ,  dans  Ir;  v.  30,  le  f'ié'ciuseur  se  l'éfère,  non 
point  au  témoignage  des  v.  :26  et  i27 ,  mais  à  quclcpie  autre 
parole  antérieure,  ffui  n'est  citée  ni  dans  noire  évangile  ni 
dans  les  Synoj»ti(pies,  elle  résulte  unicpiemenl  de  ce  que, 
dominés  j»ar  l'aulorité  des  Mss.  alexandrins,  ils  ont  retran- 
ché, au  V.  27,  0^  ÊfjLTcp.  jjLou  YÊycvev,  de  sorte  que  la  cita- 
tion (v.  30)  ne  cadre  plus  avec  la  parole  primitive  (v.  27). 
Mais  comme  nous  l'avons  vu  v.  i>7,  il  est  impossible  que 
l'évangélisle,  citant  deux  témoignages,  dont  le  second  com- 
mence par  ces  mots  :  «C'est  ici  celui  duquel  j'ai  dit...,D  n'ait 
pas  eu  l'intention  de  donner,  dans  le  second,  la  reproduc- 
liou  du  jiremier.  L'eneui'  de  ces  deux  interprètes  est  donc 
évidente;  elle  résulte  de  la  leçon  fautive  des  alexandrins  au 
V.  27,  lacpielle  jtrovient  à  son  to»n-  des  fausses  iulei'{)réta- 
tions  d'Oiigène  rlans  tout  ce  morceau. 

Le  v.  29  a  caractérisé  le  Messie  sous  le  rajjjtori  de  sou 


PREMIER  CYCLE.  —  CHAP.  I,  30.  31.  30.") 

œiivn?  i-(''ilpin|ilii(f';  le  v.  30,  sous  relui  de  sii  divinilt'  pcr- 
<(inuellp.  Ce  coiiil  l<''niiti<T|in<,'-o  du  Précurseur  est  donc  cnm- 
(tlet.  Huns  les  v.  .'M-^rî,  .lean-Bjiptiste  raconte  les  cireon- 
slances  (|iii  en  yaranlisscnl  la  vi-rih-  : 

V  .il.  Et  moi-même  je  ne  le  connaissais  pas;  mais 
c'est  afin  qu'il  fût  manifesté  à  Israël,  que  je  suis  venu 
baptisant  d'eau'.  "  —  l/inlention  de  cette  jjarole  est,  comme 
l'îi  liien  vu  (lalvin,  de  c  |iiévenic  le  soupçon  qu'on  aurait  \m 
avoir,  (|ue  le  lémoi^Miage  précédent  était  rendu  par  amitié 
ou  faveur.»  C'est  à  la  nhélation  divine,  purement  et  sim- 
jileinent,  que  Jean  doit  la  comiaissance  de  la  dignité  mes- 
sianique de  Jésus.  Si  le  mot  xotYw ,  et  moi  aussi,  n'avait  pas 
l'accent,  et  s'il  n'était  pas  répété  au  v.  33,  on  pourrait  ne 
pas  y  attacher  une  intention  particulière.  Mais ,  tel  qu'il  est 
placé  et  répété  ,  il  forme  nécessairement  antithèse  au  v.  26. 
Là  ,  Jean  statuait  une  exception  à  l'ignorance  générale  :  c'é- 
tait lui-même.  Ici ,  il  edace  cette  exception.  Cette  relation 
ressort  moins  du  xai,  qui  sert  surtout  à  continuer  le  téïuoi- 
.L:riage,  que  du  èyo ,  qui  est  en  relation  avec  h[}.sXç  (v.  2G). 
—  Le  mot  tjSsw  est  le  même  que  celui  dont  s'est  servi  Jean- 
Baptiste  au  V.  26.  Il  désigne  donc,  comme  dans  le  premier 
passagfî,  la  connaissance  de  Jésus  comme  Messie.  Jean  veut 
(lire  que  lorsqu'il  rendait  ses  premiers  témoignages  sur  le 
Messie  qui  devait  le  suivre,  il  ne  savait  pas  plus  que  le  peujde 
quel  était  l'homme  appelé  à  cette  dignité.  Ici  se  présente  une 
double  difTiculté  :  Jean-Bapliste,  fils  de  Zacharie  et  d'Elisa- 
lietli,  pouvait-il  ignorer  les  circonstances  miraculeuses  qui 
avaient  signalé  sa  naissance  et  celle  de  Jésus?  Et,  s'il  les 
ignorait,  comment  se  fait-il  que ,  dans  le  récit  de  Matthieu  , 
en  voyant  venir  Jésus  qui  demande  à  être  baptisé ,  il  lui 
réponde  :  «  C'est  moi  qui  ai  besoin  d'être  baptisé  par  toi ,  et  tu 


I.  BCGLP.'^  quelques  Mnii.  Or.  rctraiicliciit  tu  devant  u^art. 


500  F'REMIKRE  l'AIlTIK. 

viens  à  moi  »  (III,  \U.  (Jncl  anirc  (|ii<'  le  .Messie  .le;ui-Ba|>liste 
puuvail-il  ('Mvisij,-^»'!' t'uiiime  plus  sainl  (|iie  liii-mème?  On  ré- 
pond en  ^'•énéral  à  la  pirinièrc  (jurslimi  en  disant  que  les 
récils  que  Jean-naplislc  avait  |iii  entendre  de  la  lionciie  de  ses 
parents  ,  n'i'laienl  pas  suflisants  ponr  fonder  «lu»/,  Ini  la  cei- 
lilnde  divine  sur  la(|nell(.'  devait  reposer  son  ténioigiia;i<\  Il 
est  vrai  ;  mais  une  diflicnité  reste  :  si  Jean  veut  ici  éloigner 
de  Ini  le  soupt;on  de  partialit(''  en  laveur  de  Jésus ,  ce  but 
n'est  point  atteint  aussi  longteni|)S  (pi'iuie  relation,  une  con- 
naissance personnelle  quelconijue,  est  suppost-e  entre  Jésus 
et  lui.  11  l'aut  doue  admettre  que  l'expression  eux  r^heiv,je  ne 
le  connaissais  pas,  comme  Messie,  renferme  implicitement 
cette  autre  idée  :  je  ne  le  connaissais  pas  même  personnel- 
lement (cTJx  syvoxa  aOrov).  Jean-I»aj>liste  n'avait  recollement 
jamais  vu  Jr'sus  :  il  avait  vécu  dans  les  déserts  jnsiju'au  mo- 
ment de  sa  manifestation  à  Israël  (Luc  I,  80);  et,  lors  même 
que  ses  parents  lui  avaient  sans  doute  fait  part  des  circon- 
stances particulières  de  sa  naissance  et  de  celle  de  Jésus  , 
comme  il  ne  comiaissait  pas  celui-ci  de  visage ,  ces  récits  ne 
pouvaient  influer  sur  la  révélation  qui  le  lui  signala  comme 
le  Messie.  Jésus,  venant  au  baptême,  se  présenta  à  lui  comme 
tout  autre  Israélite ,  et  Jean  n'avait  aucune  raison  de  penser 
que  celui  qui  s'approeliait  était  ce  Jésus  ,  son  parent,  dont 
il  avait  entendu  parler  au  sein  de  sa  famille.  Mais,  dans  ce 
cas,  s'élève  avec  d'autant  plus  de  force  l'autre)  difficulté , 
eelle  (pii  ressort  du  pa.ssage  de  saint  Mallliieu,  Lùcke  croit 
ne  pouvoir  la  résoudre  qu'en  admettant ,  dans  le  récit  du 
premier  évangéliste  ,  une  tiansposition.  L'évangile  des  Hé- 
breux plaçait  la  demande  de  Jean-Baptiste  à  Jésus  de  le 
baptiser  après  la  scène  du  baptême.  Ne  serait-ce  point  là  le 
cours  réel  des  faits?  Je  ne  puis  le  croire.  La  parole  de 
Jean  et  la  réjtonse  de  Jésus,  ainsi  placées,  perdent  toute 
valeur.  La  forme  de  la  narration  dans  l'évangile  des  Hébreux 


PREMFKn  CYCLE.  —  CIIAP.  I,  IH.  1>91 

n'est  (ju'iim'  (.■onet.licdi,  |iruV('ii;iiit  |H'iil-rlr(,'  fin  d(''sii'  de 
iiiftlre  le  récit  d'accurd  avec  le  (|iialriè/nt'  évangile.  On  a 
pensé,  et  ii(»n  sans  raisuti ,  (jii  au  nidiiiciil  où  Jésus  se  pré- 
senta à  Jean,  la  vue  île  ce!  èti'e  (jiie  le  péché  n'avait  jamais 
enieiné ,  saisit  lànie  du  Préciirseui'  et  lui  anaclia  ce  ci'i , 
i|ui  semblait  en  contradiction  avec  sa  mission.  On  peut  d'au- 
tant mieux  admettre  cette  supj)osition ,  qu'elle  n'est  nulle- 
ment contraire  aux  teiines  du  mandat  donné  au  Précurseur, 
(iar  il  ne  lui  avait  point  été  dit  (voir  v.  33  et  34)  que  le 
.Messie  serait  efl'ectivenient  baptisé  par  lui,  mais  unique- 
ment qu'il  lui  serait  sij,n)alé  à  l'occasion  du  baptême  qu'il 
avait  charg-e  d'administrer  en  Israël.  Mais  surtout  rappelons- 
nous  ce  que  nous  avons  dit  sur  cet  entretien  intime  entre 
Jésus  et  Jean  qui  dut  précéder  le  baptême,  et  dont  nous 
avons  entendu  comme  un  écho  dans  l'exclamation  de  Jean 
au  V.  29.  N'est-ce  point  à  la  suite  de  cet  acte  non  expressé- 
ment mentionné  dans  le  récit  de  Matthieu ,  mais  qui  s'en- 
tendait de  soi-même  après  qu'il  avait  dit  :  «  Ils  étaient  bap- 
tisés par  lui,  confessant  leurs  péchés,  »  —  que  le  Précurseur 
s'écria  :  Tu  es  plus  saint  que  moi  !  c'est  à  toi  de  me  baptiser! 
Une  confession  comme  celle  qu'il  entendit  sortir  en  ce  mo- 
ment de  la  bouche  de  Jésus  put  aisément  lui  arracher  cette 
exclamation.  Il  dut  comprendre  qu'il  était  en  face  d'un  être 
(|ui  sentait  le  péché  connne  il  ne  l'avait  jamais  senti  lui- 
même.  Cette  parole  de  Jean  ne  suppose  donc  aucune  rela- 
tion antérieure  entre  Jésus  et  lui  ;  i/t  il  n'y  a  aucune  con- 
tiadiction  entre  le  récit  de  Matthieu  et  la  déclaration  du 
Précurseur  ({u'il  ne  connaissait  Jésus ,  avant  son  baptême  , 
ni  comme  Messie,  ni  même  comme  individu. 

La  seconde  proposition  semble,  au  premier  coup  d'œil , 
n'être  pas  en  rapport  logique  avec  la  première.  Mais  la  con- 
nexion s'établit,  dès  que  l'on  entend  bien  ces  mots  :  ^iElre 
manifesté  à  Israël.  »  Ils  expiiment  brièvement  cette  pensée  : 


'29S  PFIEMIKRE  PARTIK. 

t'trc  maiiift'sft'  à  moi  (Tiilxtrd,  puis,  pur  moi,  à  Isnii'l.  11 
jivail  )''l(''  rt'vrh'  ;'i  .Icnri  (juc  ce  sorail  en  arconiplissaul  la 
l'onction  (le  Baplislr,  (piil  se  tmiivciail  im  jour  (M)  faco  du 
personnage  auipitl  II  dcvail  scivir  de  léiuoin  auprès  du 
pruple,  cl  (pie  ee  jx'rsoinia;,'^!'  lui  sciail  iniraculeustMiienl, 
>i;,Mialé.  On  a  trouvé  une  contradiction  entre  ces  mots  : 
'i  C'est  pour  cela  que  je  suis  venu  baptisant  d'eau,  y>  et  le 
hut  tout  difliéicut  (jue  les  Synoptiques  assijincnl  au  nunis- 
tère  de  Jean-naj)list('  :  pn'parer  le  peuple  au  royaume  de 
Dieu  par  la  repentance.  Mais  le  (juatrième  évangile  admet 
aussi  ce  but  général.  Voir  v.  23:  a  Dresser  le  chemin  du 
Seigneur.^  Seulement  au  point  culminaiil  du  niinistère  de 
.I<'an,  au  moment  de  la  manifestation  du  Messie,  son  office 
général  de  Baptiste  s'absorbe,  pour  liu",  dans  sa  fonction 
plus  spéciale  de  Précurseui-;  celle-ci  ('fait  en  cU'et  le  but 
dernier  de  son  minist('!re.  Pour  (pic  le  Messie  pùi  ('(re  iiiniii- 
festé  à  Israfil ,  il  fallait  (]ue  le  cliemin  fût  dressé.  C'est  jiour- 
(|uoi  Jean  dut  coriunencer  son  œuvre  un  certain  lcm|is  avant 
(|ue  Jésus  entrât  dans  la  sienne.  —  L'article  ttm  devant  uSari, 
relrancbé  par  les  Alexandrins ,  mais  maintenu  par  Tischen- 
dorf ,  renferme  l'idée  :  «J(;  ne  suis  venu  baptiser  avec  cette 
luiu-là  fpi'en  vue  de  manifester  celin'  i\\\'\  doit  baptiser  avec 
un  élément  d'une  autre  nature.  » 

V.  32.  11  y  avait  toute  une  scène  sous -entendue  entre 
les  deux  propcsitions  du  v.  31 ,  celle  de  la  révélation  du 
Messie  à  Jean  lui-même.  Celte  lacune  est  comblée  par  les 
v.  ?)^  cl  .']3.  «  Et  Jean  rendit  témoignage  disant  :  J'ai  vu 
lEsprit  descendant  du  ciel  comme  une  colombe,  et  il 
est  demeuré  sur  lui.'  »  —  Cette  déclaration  est  introduite 
avec  mie  sob.'nnité  particulière,  lors  même  qu'elle  n'est  que 
la  continuation  du  même  témoignage.  C'est  qu'en  effet,  ces 

1.  X  lil  [KVto'i  au  lien  (l"£|j.£iv£v. 


PREMIER  CYCLE.  —  CIIAP.  I,  31.  32.  "200 

iiKils  :  «Jr//  vu,»  forment,  rommo  If  dit  Ilon.irstciilirrn .  le 
pmidinn  salieufi  de  tout  le  ministère  de  .lenn-Baptistc.  M'est 
iei  son  témoig-n.ige  messianique  proprement  dit,  comme  le 
ni(»ntre  le  v.  :M.  De  l;'i  cette  reprise:  nEt  Jean  rendit  té- 
mnifjnage  disant....  »  —  Par  quel  sens  Jean  a-t-il  vn  ?  Par 
l'œil  du  corps,  ou  pai-  l'organe  interne?  C'est  demander  si 
le  fait  mentionné  ici  s'est  passé  uniquement  dans  le  monde 
.spirituel  ou  aussi  dans  le  monde  extérieur.  Les  Synoptiques 
ne  donnent  pas  de  lumière  sur  cette  question.  Luc  raconte 
la  chose  d'une  manière  complètement  objective  :  «  //  arriva 

<]ue *  saFis  s'expliquer  sur  le  domaine  dans  lequel  il  faut 

placei-  la  scène  (Tîl,  21.  22);  seulement,  il  fait  remarquer 
(jM'elle  eut  lieu  à  la  prière  de  Jésus.  Dans  le  récit  de  Marc 
(1 ,  10.  11)  c'est  Jésus  (jui,  au  moment  où  il  sort  de  l'eau , 
voit  le  ciel  s'ouvrir  et  l'Esprit  descendre  sur  lui.  Dans  .Mat- 
lliieu  (III,  16.  17),  il  en  est  de  même,  quoi  qu'en  disent  la 
]diq)art  des  interprètes;  c'est  certainement  Jésus  qui  est 
indiqué  comme  le  sujet  de  la  vision ,  interne  ou  externe. 
Néanmoins  Jean  n'est  point  exclu  dans  les  Synoptiques  de  la 
participation  à  la  vision.  Le  récit  de  Matthieu  l'y  associe  in- 
directement par  la  forme  sous  laquelle  est  rapportée  la  dé- 
claration divine  :  «  C'est  ici  mon  Fils.  »  Dans  Marc  et  dans 
Luc ,  cette  [larole  est  donnée  sous  la  forme  d'nnc  allocution 
à  Jésus  liii-nième:  «  Tu  es  mon  Fils;»  ce  qui  n'a  rien  que 
de  naturel;  car  c'est  bien  à  Jésus  qu'elle  dut  être  directe- 
ment adressée.  Du  reste  aucun  des  quatre  récits  n'associe 
d'autres  témoins  à  cette  scène.  Si  donc  le  fait  s'est  passé 
aussi  dans  le  monde  des  sens,  il  faut  admettre  que  Jésus 
et  Jean  étaient  seuls  à  ce  moment -là,  ce  qui  n'est  point 
improbable,  puisqu'ils  se  trouvaient  au  désert.  Il  est  lait 
mention  au  ch.  XII  d'une  voix  divine,  qui  retentit  d'une 
manière  sensible ,  mais  rpii  ne  fut  intelligible  qu'à  des  de- 
grés din'érents  pour  ceux  qui  l'entendiient.  Cet  exemple  j)eut 


:\0{)  PIIEMIKHK  l'AItTIK. 

nous  «'clairt'r  stir  le  fail  duiil  il  suj^-^it  ici.  .Irsiis,  aussi  bien 
«me  Jean,  t'iail  esprit  cl  toi|is.  Kl,  conimt'  le  sou|tii'  (|iii  s'ô- 
lova  lie  son  sein  on  ce  indinciil  sujdèine  où  il  s'aj^issail  Je 
1  établir  les  comimiiiicalioiis  eiilie  le  «ici  ri  la  Icrie,  r'Iail 
celui  (le  sou  èlre  loul  eulier,  la  ré()ouse  dul  a|i|iarleiiir  à  la 
fois  aux  deux  domaines  |)liysi(jue  el  spiiiluel.  LU  jibi-noniène 
sensible  tjui,  supposé  (pi'il  se  trouvai  là  d'autres  |)i'rsonnes, 
dul  nexeiler  eliez  elles  (pi  un  \a,yue  élonnenirnl ,  lui  connue 
renvelo|)pe  el  le  véhicule  de  la  connniniiealion  inléiieuie. 
Oiianl  à  celle-ci,  elle  fui  adressée  siniultant^nienl  à  Jésus  et 
à  Jean-Baptiste,  et  la  n'alit/-  objective  de  la  coniniiuiicalion 
est  précisément  garantie  par  la  circonstance  qu'elle  l'ut 
perçue  à  la  fois  par  ces  deux  témoins,  comme  cela  ressort 
<lu  rapjiiocliement  des  ijuatre  récils;  el  voici  connnent  nous 
jiouvons  nous  repré-senter  le  rapport  entre  la  perception  de 
Jésus  et  celle  de  Jean  :  Le  fait  réel,  c'est-à-dire  la  comnm- 
nication  divine  proprement  dite ,  l'allocution  du  Père  et  la 
descente  du  Saint-Esprit,  se  passa  entre  Dieu  et  Jésus  ;  et 
celui-ci  reçut  connaissance  du  fait  non-seulement  par  la 
sensation  intime  qu'il  en  éprouva,  mais  encore  par  une  vi- 
sion à  la  fois  interne  et  externe.  Jean  fui  associé  à  cette 
révélation  symbolique,  donnée  au  Sauveur,  de  ce  qui  se 
passait  en  ce  moment.  C'est  pounjuoi  il  peut  dire  :  J'ai  vu, 
j'ai  oiteiidii ,  mais  non  connue  eût  pu  diri.'  Jésus  :  J'ai  reçu 
el  Ml.  La  même  voix  qui  retentissait  dans  la  conscience  et  à 
l'oreille  de  Jésus  sous  la  forme  :  «  Tu  es  mon  Fils,))  arriva  à 
l'àme  et  à  l'oreille  de  Jean  sous  celle-ci  :  «  C'est  ici  mon 
Fils.  »  —  Néander  n'admet  pas  (jiiune  contemplation  syndjo- 
li(jue  ail  pu  trouver  place  dans  la  vie  de  Jésus.  Aucune  rai- 
son solide  ne  nous  autorise  à  appliquer  cette  règle  à  la  per- 
sonne de  Jésus ,  du  moins  jus(ju "au  fait  du  baptême. 

La  réalité  de  la  communication  faite  à  Jésus  ressort  de 
cette  expression  :  «  L'Esprit  descendant  et  demeurant  sur 


Ï'HEMIER  CYCI.K.  —  CIIAF'.   I,  ?,-!.  f\0\ 

lui,  »)  ol  la  roiTiu'  syiiil»olif|ii('  sous  IjkjiicIIc  nMc  lévrliiliuii 
so  pn'sonla  à  l'esprit  et  niix  roganls  de  Jésus  et  de  Jean, 
de  rt'llt'-ci  :  a  Du  ciel,  comme  une  colombe.  »  —  Coiiiiiit'ii- 
(Ons  par  les  symboles.  Le  ciel,  celui  que  nous  contemplons 
de  l'œil  du  corps,  est,  dans  l'Kcrifurc ,  remblcme  de  l'état 
parlait  eu  sainteté' ,  en  connaissance,  (mi  puissance  et  en  fé- 
licité. C'est  donc  sous  ce  nom  syml)olique  qu'est  désigné  le 
lieu  t>ù  Dieu  manifeste  ses  perfections  dans  tout  leur  éclat, 
où  ré'side  sa  gloire,  et  d'où  descendent  toutes  les  forces 
sju'naturelles,  toutes  les  communications  divines.  Jean  vit 
l'azin-  des  cieux  se  fendre,  et  une  forme  d'un  contour  dé- 
terminé, semblable  à  la  figure  d'une  colombe,  en  descendre 
sur  Jésus.  Ce  symbole  du  Saint-Esprit  ne  peut  s'expliquer 
par  aucune  analogie  directe  empruntée  à  l'Ancien  Testa- 
ment. Dans  les  cultes  syriens,  la  colombe  était  l'image  de 
la  force  de  la  natuie ,  qui  couve  en  quelque  sorte  tous  les 
êtres.  Mais  cette  analogie  est  trop  éloignée  pour  expliquer 
notre  passage.  Mattb.  X,  16,  où  Jésus  dit:  a  Soyez  simples 
comme  dcf^  colombes,))  n'a  pas  non  plus  un  rapport  direct 
au  Saint-Esprit.  Nous  trouvons  plusieurs  passages,  cbez  les 
docteurs  juifs ,  où  l'Esprit  de  Dieu  qui  planait  sur  les  eaux 
(Gen.  1 ,  3)  est  rapprocbé'  de  l'Esprit  du  Messie  et  comparé 
à  une  colombe ,  qui  plane  sur  ses  petits  sans  les  loucher 
(voir  Lùcke ,  p.  420).  Si  cette  comparaison  était  familière  à 
l'esprit  jiiir,  comme  ces  passages  semblent  l'indiquer,  la 
révélation  divine  a  fort  bien  pu  s'approprier  cet  emblème , 
(jui  convenait  admirablement  à  ce  moment  décisif  dans  le 
dévelnjipenient  de  l'humanité.  Il  ne  s'agissait,  en  effet,  de 
rien  moins  <pie  de  la  consommation  de  la  création  première; 
le  moment  t'tait  venu  d'élever  l'humanité  au-dessus  du  do- 
maine de  la  vie  natuielle  et  de  la  faire  participer  à  la  vie  spi- 
rituelle en  vue  de  laquelle  elle  avait  été  créée  dès  l'abord.  Le 
même  Esprit  créateur,  c[ui  avait  couvé  de  sa  vivifiante  puis- 


.■{(i"J  I'1u:.mii.i;e  I'aiîtik. 

silice  le  (•llau^,  |»our  on  liirr  un  iiiuikIc  plein  (rordic  el 
(riiannoiiie,  allait,  comme  par  une  seconde  incubation,  ti'an.s- 
foiiiier  ce  jn'emier  monde  el  celle  linnianilé  naturelle  el 
ps\(  lii(|iie  en  royaume  des  eieiix.  —  Mais  ce  qu'il  faut  sur- 
tunl  reinaïquei-  ici,  c'est  la  forme  organique  tjiie  revèl  l'ap- 
pai  ilioii  lumineuse.  Un  organisme  est  une  lolalité  indivisible. 
A  la  Pentecôle,  l'Espiil  descendit  sous  la  j'oniie  de  a  langues 
divisir^  (ô'.ajAep'.yicfj.eva!.  yXwffaat)  »  (|ui  se  iéj)ailirenl  entie 
le>  lidèlcs.  Ilélail  le  symbole  de  la  manière  dont  le  Sainl- 
Ksinil  liabile  dans  lEj^lise.  1  Cor.  XII ,  11  :  «  Distribuant  u 
chacun  ses  dons  selon  (ju'i/  lui  plaît.  »  Mais  an  baplème 
de  Jésus,  le  fait  léclamait  un  tîniblème  tout  din'érenl  :  l'Es- 
prit descendait  sur  lui  dans  sa  plénitude;  III,  34:  (k  Dieu  ne 
lui  donne  pas  l'Esprit  par  tnesuro)  Comp.  Es.  XI,  1.  2,  où 
les  sept  formes  de  l'Espril  sont  énumérées  évidemment 
pour  indiquer  sa  totalité ,  et  où  elles  viennent  se  leposeï 
sur  le  Messie.  —  Il  faut  ieniai(|nrr  cnlin  le  terme  detnewer, 
qui  fait  précisément  allu.-^ion  au  mol  H-U  dans  ce  passaj^e 

d'Ésaïe  (XI,  2).  Ce  terme  sert  à  disting^uer  le  Messie  de  tous 
les  prophètes  et  de  Jean -Baptiste  lui-même.  Ceux-ci  ne 
recevaient  «luc  ih":>  inspirations  passagères  :  la  main  de  l'E- 
ternel était  sur  eux;  l'Esprit  les  .saisissait ,  puis,  se  retirant, 
les  laissait  à  eux-mêmes.  Jésus  ne  reçoit  pas  de  simples  vi- 
sites de  l'Esprit;  il  est  son  domicile  dans  riiumanité,  et  la 
source  unique  d'où  il  émanera  désormais.  Cette  idée  de  de- 
nieurer  est  donc  en  rapport  intime  avec  celle  de  baptiser 
du  Saint-Esprit  (y.  33).  —  La  l('|on  fjLSvov  du  Sinait.  est 
évidcninifrii  fausse.  C'est  une  correction  provenant  du  xara- 
fiaîvcv  (jui  précède.  La  proposition  est  brisée  à  dessein  et 
pour  mettre  dans  tout  son  relief  l'idée  importante  de  de- 
irieurei'.  —  Le  régime  à  l'accus.  lit'  a'jxov,  avec  le  verbe 
de  repos  sfiewev ,  est  inspiré  par  le  caractère  moral  et  vi- 
vant de  la  relation,  comme  aux  v.  1  et  18. 


PIIEMILII  CVCI.i;.  —  CliAP.  I,  -M.   3:5.  oO'ô 

V.  S'3.  Le  signe  était  j);iil;ml.  Cepentlanl  son  iiilcrpréta- 
lion  élail  d'une  telle  iniporlancc,  que  Jean-Baptiste  sent  le 
besuin  de  l;i  iiifllre  sous  une  garantie  plus  sûre  que  celle 
de  sa  |iiopre  perspicacilé.  C'est  là  le  but  du  v.  3;J  :  "  Et 
moi-même,  je  ne  le  connaissais  point;  mais  celui  qui 
m'a  envoyé  baptiser  d'eau,  celui-là  même  m'avait  dit: 
L'homme  sur  lequel  tu  verras  l'Esprit  descendre  et 
demeurer,  est  celui  qui  baptise  du  Saint-Esprit.»  — 
11  s";igil  (le  nouveau  j>our  Jean  d'éloigner  ie  souj)(.on  de  fa- 
veur, il  l'avait  lait  une  première  lois  :  «  Un  signe  ,  propre  à 
me  révéler  le  iMessie,  m'avait  été  annoncé  (v.  31),  et  j'ai  vu 
un  signe»  (v.  32).  Mais  cela  ne  suffisait  pas  encore;  il  con- 
state maintenant  l'identité  du  signe  reçu  avec  le  signe  an- 
noncé. C'est  ainsi  que  l'interprétation  qu'il  donne  du  signe 
est  complètement  mise  à  l'abri  de  l'arbitraire  liumain.  La 
répétition  des  mots:  «£"/  moi-même  je  ne  le  connaissais 
pas,y>  s'explique  ainsi  tout  naturellement.  C'est  aussi  cette 
intention  qui  motive  la  reprise  du  sujet  o  rsfjivpaç,  celui  qui 
7)1  a  envoyé,  par  le  pronom  très-énergique  iy.tl-Kç,  que  nous 
avons  traduit,  avec  M.  Killiet,  par  celui-là  même.  Ce  pro- 
nom est  destiné  à  exclure  cette  supposition  :  «Tu  as  jicut- 
ètre  donné  à  une  apparition  accidentelle  une  valeur  qu'elle 
n'avait  pas.»  —  «Non,  répond  Jean;  car  elle  était  prédite, 
telle  (ju'elle  a  eu  lieu ,  par  celui-là  même  qui  m'a  envoyé 
baptiser.  »  —  Qui  désigne  Jean  par  ces  mots  :  <i  Celui  qui 
m'a  enooyé»^  Est-ce  Dieu  lui-même,  parlant  à  Jean  au  dé- 
sert du  sein  de  la  nuée,  de  la  môme  manière  (jue  dans  la 
scène  de  la  Transfiguration?  Ou  bien  est-ce  un  agent  tel  (jue 
celui  (|iii  lui  envoyé  à  Zacbari»'  dans  le  temple  de  Jérusalem? 
Jean  ne  ledit  pas;  mais  ce  qu'il  afïirme  positivement  par  cette 
expression,  c'est  l'aiijiariliou  d'un  être  céleste,  duquel  il 
reyul  un  mandai  bien  déterminé,  compienant  :  1"  l'ordre  de 
baptiser;  2^  la  promesse  de  la  révélation  du  Messie  à  cette 


SOt  IMlKMlKltK   l'AlîIlK. 

occasion;  -V'  l'indiiiilioii  du  si-^iic  iiii(|ii(I  il  !••  iccoiniaîlrail. 
—  L«'s  mois  69  cvdtv  iii(li({ii('iil  l'cvciilualili'  la  plus  illiiiiilri.'  : 
•  L'individu,  tjuel  «jn'il  soil ,  sur  1<'(|U(1.  »  —  Dans  les  der- 
niers mois,  Tacle  de  baptiser  du  Saint -Esprit  est  indiqué 
«onuue  le  caractère  essentiid  du  Mcssif.  CCsl  lui  qui  peut 
faire  ce  que  .lean-Ba|ttiste  ne  pouv;iil  (pu-  jii'»''j);in'r  :  l'un, 
par  le  baptême  d'eau ,  éveille  la  repcntance  et  le  désir  de 
la  sainteté;  l'autre,  par  le  don  du  Saint-Esprit,  satisfait  ce 
désir,  le  plus  élevé  de  l'àme  humaine. 

Les  V.  32  et  33  nous  posent  impérieusement  \ni>-  ques- 
tion: .Ii'sus  a-t-il  réellement  rceu  (|ii(|qii('  chose  à  son  lnqi- 
tème?  —  Meyer  le  nie  absolument  ,  j)r(''tendanl  (pje  celle 
idée  n'a  aucun  poinl  d'a|»pui  ilaus  notre  évanfrile  et  que,  si 
les  Synojdiques  disent  plus,  c'est  qu'ils  renferment  une  tra- 
dition déjà  altérée  :  «Le  fait  réel  est  uiii(jiit'iiirnt  la  vision 
de  .leaiv- Baptiste ,  et  c'est  celte  vision  que  la  tradition  a 
ti'ansformée  en  un  événement  objectif  tel  que  nous  le  trou- 
vons raconté  pai"  les  Syiiojiticjiies.  »>  Meyei'  envisage  toute 
(onmiunication  du  Tcveûjia  comme  incompatible  avec  la  per- 
sonne divine-humaine  de  Jésus.  Liicke  ,  Néander,  Tholuck, 
de  Write,  jiensent  que,  le  développement  de  Jésus  ayant 
l'u  Heu  sous  l'inlluencc  constante  du  Saint -Espiil,  c'est  uni- 
quement le  fait  de  cette  relation  permanente  qui  s'est  pré- 
senté aux  ri'gai'ds  de  Jean  sous  la  forme  d'un  fait  momen- 
tané' dans  la  vision  du  baptême.  D'après  ces  interjirètes  Jésus 
n'auiail  donc  également  rien  reçu  à  ce  moment-là.  Le  fait 
de  sa  relation  intime  avec  le  principe  divin  aurait  été  amené 
à  la  connaissance  de  Jean  jiour  iju'il  en  rendît  témoignage. 
D'autres  enfin,  Kabnis,  Lulhardt,  Gess,  B.  Crusius,  admet- 
tent une  communication  réelle,  mais  uniquement  en  vue 
de  la  tâche  rjue  Jésus  avait  dès  maintenant  à  remplir;  il  au- 
rait reçu  l'Esprit ,  non  poiu  lui-même,  mais  uniquement 
pour  l'accompli-ssement  de  son  ministère  et  pour  communi- 


PREMIER  CYCLE.  —  Cil  A!'.  I,  33.  305 

qnor  aux  liomnics  co  don  ci'leslc.  —  L'opinion  de  Mcyer 
est  contraire,  non-seulcrncnt  au  récit  des  Synoptiques,  qui 
est  sacrifié  ,  purement  et  siin|)lement ,  à  un  préjugé  dogma- 
ti(pi(',  mais  encore  à  celui  de  Jean.  Car  la  vision  de  Jean- 
Uaptistc  doit  correspondre  à  quelque  chose.  Or  Jean  n'a  pas 
vu  seulement  l'Esprit  demeurant ,  mais  descendant,  et  l'un 
de  ces  deux  traits  doit  avoir  autant  de  réalité  que  l'autre. 
La  seconde  opinion  est  également  insuffisante.  Dans  une  vie 
comme  celle  de  Jésus,  où  rien  n'est  extérieur,  rituel,  com- 
mandé du  dehors,  mais  où  le  dehors  est  toujours  la  mani- 
festation du  dedans ,  le  commencement  d'une  activité  toute 
nouvelle  suppose  un  changement  décisif  dans  la  vie  intime  ; 
et  en  vertu  du  genre  de  vie  très-diflérent  qui  date  pour 
Jésus  du  fait  de  son  baptême,  nous  devons  affirmer  hardi- 
ment avec  les  Synoptiques  et  avec  Jean  lui-même  (l'Esprit 
descendant)  que  Jésus  a  réellement  reçu  au  baptême  quel- 
que chose,  le  Saint-Esprit.  Nous  devons  faire  une  objection 
toute  semblable  à  la  troisième  manière  de  voir.  Si  Jésus 
a,  depuis  le  baptême  seulement,  la  capacité  de  communi- 
quer le  Saint-Esprit,  c'est  qu'il  le  possède  lui-même  dès  ce 
moment  autrement  qu'il  ne  le  possédait  auparavant.  Aussi 
bien  sa  relation  nouvelle  avec  l'univers  depuis  l'Ascension 
se  lie  à  un  changement  opéré  en  sa  propre  |iersonne  par 
ce  fait  mystérieux ,  aussi  bien  son  entrée  dans  l'activité  mes- 
sianique, depuis  le  baptême,  implique  une  phase  nouvelle 
dans  sa  propre  vie  intérieure. 

Il  suffît  de  saisir  l'idée  de  l'incaination  avec  l'énergie  avec 
laquelle  nous  la  trouvons  comprise  et  présentée  par  saint 
Paul  et  par  saint  Jean  (voy.  v.  14  et  appendice  au  prologue), 
pour  voir  tomber  ces  difficultés,  résultant  d'une  orthodoxie 
plus  rationnelle  que  biblique.  Si  le  Logos  s'est  réellement 
dépouillé  de  l'état  divin,  et  s'il  a  consenti  à  devenir  le  sujet 
d'un  développement  réellement  humain,  du  développement 
I.  20 


806  PREMIÈRE  PARTIE. 

normal  priinilivomonl  dcsliii»'  ;'i  riKiiiiiiic,  \o,  monionl  de- 
vait anivt'r  [xnir  lui  où,  ajurs  avoir  accomj>li  la  làclw;  du 
prciiiicr  Adam  ,  sur  la  voie  de  la  liltic  obéissance  et  du  libre 
amour,  il  verrait  s'ouvrir  d('v;iiil  lui  I:i  splirrc  su|j«*rieure  de 
lu  vie  spiriluollf  ou  surualuii'llc ,  ri  où,  le  premier  d'entre 
ces  vi(denls  qui  ravissciil  le  royaume  des  cieux ,  il  en  for- 
cci*ail  l'enlrée  |)our  lui-même  et  |)our  nous  tous.  Sans  doule, 
son  existence  (oui  entière,  iU's  sa  naissance  juscjuà  son 
baptême,  avait  été  sous  rinlluence  constante  du  Saint-Es- 
prit. A  cliaque  instant ,  il  avait  librement  répondu  à  l'appel 
de  ce  divin  {j^uide  ,  et  cette  docilité  de  clia(pie  luiure  avait  été 
innuédiatenient  récompensée  jtar  une  nouvelle  impulsion 
divine.  Ainsi  le  vase  s'était  rempli  à  mesure  qu'il  grandissait 
et  avait  ^'•randi  à  mesure  qu'il  se  renq)lissait.  Mais  le  temps 
était  venu  où  ce  développeinenl  iioniial  devait  se  liansfor- 
mer  en  un  état  supérieur  et  définitif,  et  où,  au  spirituel 
comme  au  pbysicpie,  devait  succéder  à  la  croissance  la  sta- 
ture parfaite  (Kjib.  IV,  13).  a  D'abord,  ce  qui  est  psychique, 
dit  saint  Paul  1  Cor.  XV,  40,  et  ensuite  ce  qui  est  spirituel.^» 
Celte  formule ,  que  Paul  pose  comme  un  axiome  de  la  lo- 
gique divine  et  une  loi  du  règne  de  Dieu,  ne  devait-elle 
pas  s'apjiliquer  au  déveloj>j)enient  de  Jésus  comme  à  celui 
de  tout  autre  bonime ,  si  rincarnation  est  une  vérité?  Et, 
comme  Jésus  lui-même  distingue,  Jean  XIV,  17,    entre 
l'état  où  le  Saint-Esprit  «lemeure  avec  nous  et  celui  où  il 
est  en  nous,  n'est-il  pas  permis  de  distinguer,  dans  la  vie 
du  Seigneur  lui-même,  le  temps  où  lEspiil  était  sur  lui  {liz 
aÙTÔ  \~b  7:a'.Si'cvJ  Luc.  II,  4-0)  et  où  il  croissait  cbatpie  jour, 
sous  cette  divine  influence,  en  sagesse  et  en  grâce  —  de 
celui  où  lE.sprit  est  devenu  le  principe  virtuel  et  définitif  de 
toute  son  existence  psychique  et  physique.  C'est  dès  lors 
qu'il  peut  être  dé.signé  du  nom  de  Seigneur-Esprit  (2  Cor.  III, 
17.  \X)  et  lïEspril  vivifiant  (1  Cor.  XV,  45).  Ce  temps  nou- 


PREMIER  CYCLE.  —  CIIAP.  I,  33.  .'JO? 

vpau  a  comiiiencr,  si  nous  ne  nous  trompons  ot  si  nous 
eompri'iions  Lien  rKcrilure,  avec  le  Baptême,  qui  constitue 
dans  sa  vie  intime  une  crise  aussi  profonde  que  l'Ascension 
dans  son  état  cxtéricui'.  Le  ciel  ouvert  représente  l'initiation 
complète  à  la  connaissance  de  Dieu  et  de  ses  plans.  La  voix: 
Tu  en  mon  Fils,  lui  a  dévoilé  le  mystère  de  sa  relation  éter- 
nelle avec  Dieu,  de  sa  dignité  personnelle  de  Fils  d ,  par 
là  même ,  de  l'immensité  de  l'amour  divin  envers  lui  et  en- 
vers l'humanité,  à  laquelle  un  tel  don  est  accordé.  Il  a  com- 
pris, comme  homme,  le  nom  de  Père  et  pu  parler,  dès  ce 
moment ,  en  témoin  oculaire  ,  de  Dieu  et  des  choses  du  ciel. 
Et  le  don  du  Saint-Esprit,  enfin,  l'a  pleinement  identifié  avec 
cette  vie  surnaturelle  qu'il  s'assimilait  sans  doute  dès  le 
commencement,  mais  dont  il  ne  pouvait  devenir  le  prin- 
cipe et  la  source ,  qu'à  la  condition  de  l'avoir  complètement 
absorbée  en  lui.  Toutefois  cet  état  n'est  pas  encore  celui  de 
la  glorification;  car  la  vie  naturelle,  psychi(jue  et  physique, 
subsiste  encore  jusqu'à  l'Ascension,  après  laquelle  seule- 
ment l'Ame  et  le  corps  lui-même  sont  entièrement  spiritua- 
lisés  (jô|j.a  :rv£v{xaT'.xov ,  1  Cor.  XV,  44). 

Mais  on  peut  demander  encore  comment  ce  don  du  Saint- 
Esprit  à  Jésus  se  concilie  avec  le  fait  de  sa  naissance  mira- 
culeuse? Dans  ce  dernier  fait,  le  Saint-Esprit  n'agit  que 
comme  force  vivitiante,  en  heu  et  place  du  principe  pater- 
nel. Il  prépare  au  Logos  une  demeure  humaine,  en  fécon- 
dant dans  le  sein  de  Marie  et  en  appelant  au  développement 
de  la  vie  le  germe  dans  lequel  le  Logos ,  dépouillé  de  l'état 
divin,  devra  habiter,  exactement  comme  dans  le  corps  hu- 
main ,  formé  de  la  poudre ,  le  Dieu  créateur  avait  préparé  à 
l'âme  humaine  une  vivante  demeure  (Gen.  FI,  7). 

Bien  des  théologiens,  à  l'imitation  de  quelques  Pères, 
croient  ne  pouvoir  établir  d'après  Jean  une  distinction  pré- 
cise entre  le  Logos  et  rEs])rit.  Mais  chacun  sent  combien 


308  PHK.MlKltK   PAHTli;. 

Liickc  (lit  vrai  ijuand  il  l'ail  roiiiaiijm'r  qu'il  scrail  impossible 
(le  (lire,  (riiiic  |iar(  :  ><  L'Kspril  a  t'It'  l'ail  clKiir,  »  de  l'antre;  : 
«'.Iiii  Ml  II'  Ld^ds  (IcsccikIic  ri  (iciiH'iircr  sur  .Jésus.»  La 
(lislincliou  tivs-iu'lti'uicul  tracée. et  sciupulcus^îmenl  rcs- 
poctéi'  j>ar  Jean,  niéuic  dans  les  cli.  XIV-XVI  où  M.  Uouss 
croil  la  voir  pail'ois  s'ellaccr  tout  à  l'ait  {IJisl.  de  la  th.  chrét. 
t.  IL  p.  i-il),  «'st  cell(j-ci  :  Le  Lcj^^os  est  le  principe  de  la 
révélation  (iltii-clivc  cl .  par  le  l'iiil  de  rin(  ai  iialiou  .  la  révé- 
lation elloniènit' ;  taudis  que  l'Ksprit  i.'sl  le  principe  de  l'in- 
spiiation  subjective,  par  laquelle  nous  nous  assimilons  la 
rév(''lation  externe.  De  là  vient  que  le  Logos  fait  cbair  a  eu 
lui-même  besoin  du  secours  de  l'Esprit  pour  comprendre 
les  révélations  divines  extérieures  qui  l'entouraient,  celles 
de  la  nature  et  de  rEcrilure ,  et  pour  se  les  apjiro[)rier  par- 
faitement jusqu'au  moment  où  il  a  pu  devenii'  lui-même  la 
révélalion'pour  nous  ;  de  là  vicnl  ipi'à  noire  loiii'  nous  avons 
besoin  de  l'Esprit  poui'  nous  approprier  la  révélation  qui 
nous  est  donnée  dans  la  parole  et  dans  la  personne  de  Jésus; 
de  là  vient  enlin  que,  (juaiid  rEsjnil  a  lait  son  œuvre  en 
nous,  c'est  Jésus  qui  jtar  lui  vil  au  dedans  de  nous.  Gomme, 
par  l'Esprit,  Jésus  sui-  la  terre  vivait  du  Père,  ainsi,  par  l'Es- 
prit, le  croyant  sur  la  lerie  vit  de  Jésus  (VI,  57).  La  distinc- 
tion des  rôles  est  aussi  nette  que  fermement  maintenue  dans 
tout  notre  évangile. 

V.  34-.  Le  V.  34  exprime  avec  solennité  l'impression  d'une 
grande  tàclie  remplie  :  "Et  moi-même  j'ai  vu  et  rendu 
témoignage  que  celui-ci  est  le  Fils  de  Dieu'.;)  —  Les 
deux  jtiiri'iiits /''//  vticifdi  témoif/né  hulniucid  un  fait  ac- 
compli et  (jiii  di'soriiiais  demeure.  Le  béraul  divin  a  fViit  sa 
tàcbe;  au  jicuplc  (l(.'  faire  la  sienne,  de  croire.  —  Le  o-ct, 


1.  An  lien  de  o  j'.o;  to-j  Qiou,  N  lit  o  exXexTo;  toi»  0eou.  C'est  le  seul 
document  qui  prcieiile  cette  leçon,  naturellement  insoutenable. 


PREMIKH  CYCLE.  —  CIIAP.  I,  33.  34.  309 

que,  (l<''poii(l  (les  deux  vcrbrs  i"t  la  l'ois.  Jean  on  cfTct  a  roii- 
teiiij)I('' ,  dans  la  scôiic  du  ltaj)lèiii(' ,  la  diviiiitô  de  Ji'sus, 
qu'il  vient  de  certifier  maintenant.  —  L'expression  Fils  de 
Dieu  caractérise  toujours  un  iHre  comme  représenlani  de  la 
divinité  dans  une  lonclidu  particulière.  Ainsi,  elle  est  apjtli- 
(pu'c  ,  dans  rAncien  Testament,  aux  anges,  aux  juges,  aux 
ntis  ,  an  Messie  enfin  :  «  Tu  es  mon  Fils  ;  je  t'ai  engendré 
aujourd'hui....  Baisez  le  Fils,  de  peur  qu'il  ne  s'irrite)'» 
(Ps.  II,  7.  12).  Le  V.  30  prouve  que  Jean-Daptiste  prend  ce 
titre  dans  le  sens  le  plus  élevé  et  qu'il  y  attache  la  notion 
(Tune  essence  éternelle,  divine.  Quant  aux  auditeurs,  cette 
expression  drvait  produire  chez  eux  l'impression  confuse 
d'une  grandeur  mystérieuse  et  d'une  majesté  divine.  —  Les 
mots  :  <-Œt  moi-même,  »  exjirinienl  avec  énergie  la  gravité 
d'un  témoignage  rendu  par  l'homme  que  Dieu  a  appelé  ex- 
prés à  cette  mission. 

(3n  a  trouvé  inconcevable  qu'après  une  pareille  déclara- 
tion,  Jean-lJaptiste  ait  pu  adresser  à  Jésus,  du  fond  de  sa 
jirison,  celte  question:  «.Es-tu  celui  qui  devait  venir ,  ou 
devons-nous  en  attendre  tm  atUre  ))  (Matth.  XI,  3)?  Et 
Strauss  a  tiré  de  cette  contradiction  apparente  un  motif  pour 
révoquer  en  doute  la  scène  du  baptême.  Il  est  naturelle- 
ment impossible  d'admettre  l'opinion  de  quelques  Pères,  qui 
pensent  (pie  le  Précurseur  ne  voulait  que  fortifier  la  foi  de 
ses  disciples  en  provoquant  de  la  part  de  Jésus  une  déclara- 
tion positive  de  son  caractère  messianique.  Les  termes  du 
récit  ne  comporleiil  pas  ce  sens.  On  peut  tenir  compte  sans 
doute  ,  comme  le  fait  Meyer,  de  l'abattement  dans  lequel  les 
soufl'rances  de  la  prison  devaient  plonger  le  Précurseur. 
Néanmoins,  cela  n'explique  pas  non  plus  le  doute  exprimé 
dans  cette  question.  L'ex[ilication  de  Liicke  est  plus  j)lau- 
sible  :  Jean ,  selon  lui,  n'aurait  j)as  compris  la  marche  lente 
et  humble  que  Jésus  imprimait  à  l'œuvre  divine.  Mais,  pour 


310  pim:mikhk  partik. 

comurondrc  complcîlomcnt  la  d('!iuarc.h(i  de  .)can-I]iij)listc , 
nous  devons  faire  un  pas  de  plus.  El  d'abord ,  la  (pieslion 
«dle-inr'tuc  prouve  qu'il  ne  doute  pas  le  moins  du  inoudi'  de 
la  mission  divine  de  Jésus.  Car  le  fait  iju'il  la  lui  adresse  est 
un  hommaj^M^  rendu  à  son  caraclère,  à  sa  position  et  à  sa 
ili^Miilt'  sujM'rieure.  Puis,  les  termes  de  la  (jucsiion  sont  si- 
gnilicalils.  Dans  saint  Mallliifu  du  moins,  il  n(!  dit  pas  wn 
antre,  aXXov,  mais  un  second^  srepov,  ee  qui  dans  le  con- 
texte ne  peut  désij^ner  qu'un  second  Me.ssie.  Il  reconnaît 
donc  ,  [)\xv  la  forme  de  la  question ,  le  caractère  messianique 
de  Jésus  :  il  ne  doute  pas  un  instant  que  ce  ne  soit  lui  dont 
il  lui  a  él('  dit  (|u"il  liajilisera  du  Saint-Esprit.  Mais,  comme 
il  lui  voit  faire  une  œuvre  toute  spirituelle  et  éviter  en  toute 
occasion  de  prendre  la  position  souveraine  qu'il  avait  an- 
noncée devoir  être  celle  du  Messie,  il  se  demande  si  Jésus, 
quelle  qu6  soit  sa  dignité  personnelle,  ne  sera  point  suivi 
d'un  autre  personna^^e  qui  remplira  les  fonctions  de  juge  et 
de  roi  tliéociatique  et  (jui  sera  celui  dont  il  avait  dit  :  «//a 
son  van  dans  sa  main,  et  il  nettoiera  parfaitement  son  aire.* 
Quand  on  se  rappelle  comment  le  peuple  et  ses  chefs  atten- 
daient plusieurs  personnages  célestes  envoyés  pour  pré- 
parer et  mémo  pour  accomplir  l'œuvre  messianique,  com- 
ment ils  allaient  jusqu'à  idenlilier  l'un  de  ces  précurseurs, 
le  Prophète,  avec  le  Messie  (Jean  VI,  14. 15) ,  peut-on  trou- 
ver étonnant  que,  pour  résoudre  la  difficulté  que  faisait  naître 
dans  son  esprit  la  conduite  de  Jésus,  Jean  ait  recouru  à  la 
supposition  d'un  double  Messie?  A  l'un  le  salut;  à  l'autre 
le  jugement.  Jésus  ne  di.sait-il  pas  lui-même  :  aJe  ne  suis  pas 
venu  pour  juger  le  monde,  mais  afin  que  le  monde  soit  sauvé 
par  moi  j>  (III,  17)?  Jean  aurait  donc  bien  continué  à  attri- 
buer à  Jésus,  comme  il  le  fait  aux  v.  29  et  33,  l'expiation 
des  péchés  et  le  baptême  d'Esprit.  Mais  quant  au  reste  de 
l'œuvre  messianique,  il  se  serait  demandé  si  ce  ne  serait 


i 


PREMIER  CYCLE.  —  CHAP.  I,  2i.  311 

pas  iiii  autre  personnage  à  (pii  cette  (j"i(  lie  d'une  tout  autre 
nature  serait  flévolue.  Kt  refle  solution  n'«''tait  pas  si  fausse: 
n'a-t-elle  pas  une  v(''iifé  dans  le  double  avènement  du  Sei- 
gneur? 11  est  reinaicpialde  que  les  savants  juifs  aient  été 
pousses  par  les  [)roph<''(i('s  à  une  supposition  analogue.  Bux- 
torf  {Lcxic.  Chahlaic.  p.  1278)  et  Eiseiunenger  {Entdeckt. 
.fini  p.  7-4i  et  siiiv.)  citent  une  foule  de  passages  rahbi- 
ui(pi('s  tpii  distinguent  deux  Messies,  l'un  qu'ils  appellent 
le  ///.ç  de  Joseph,  ou  d'Kphraïm,  «aucpiel  ils  attribuent  les 
liuuiilialions  annoncées  toucliant  le  Messie»;  l'autre,  qu'ils 
nomment  \e  fils  de  David,  «auquel  ils  rapportent  les  pro- 
phéties glorieuses.  »  Le  premier  fera  des  guerres  et  périra; 
le  second  ressuscitera  le  premier,  et  vivra  éternellement. 
«Ceux  qui  échapperont  au  glaive  du  premier,  tomberont 
sous  celui  du  second.  »  «L'un  ne  portera  pas  envie  à  l'autre 
juxta  fidcm  nostram,  »  dit  enfin  Jarchi  {Ad  Jes.  XI,  13).  Ces 
derniers  mots  attestent  la  haute  antiquité  de  cette  idée.  Si 
elle  existait  au  temps  de  Jésus,  la  forme  de  la  question  de 
Jean  dans  Matthieu  :  «un  second  J)  s'explique  bien  naturel- 
lement. 

Baur  a  encore  prétendu  que  l'évangéliste ,  sans  vouloir 
niei-  exjtressément  le  baptême  de  Jésus ,  avait  disposé  son 
récit  de  manière  à  exclure  ce  fait,  aussi  bien  que  celui  de 
la  tentation,  et  cela  dans  un  but  dogmatique  :  il  ne  conve- 
nait pas  à  la  dignité  du  Logos ,  tel  que  le  représente  notre 
évangile ,  de  recevoir  le  Saint-Esprit  et  d'être  soumis  à  l'é- 
preuve messianique.  Mais  dans  ce  cas  l'évangéliste  se  con- 
tredirait lui-même  en  pailant  de  la  descente  de  l'Esprit.  Puis 
il  est  bien  manifeste  que  le  témoignage  du  Précurseur  fait, 
d'un  bout  à  l'autre,  allusion  au  fait  du  baptême,  rapporté 
par  les  Syno{»tiques.  Si  donc  notre  évangile  ne  raconte  pas 
cette  scène ,  c'est  qu'il  la  suppose  connue  de  tous  les  lec- 
teurs. Baur  lui-même  reconnaît  que  l'auteur  du  quatrième 


S\'i  l'Ki  Mil  m;  l'AitTiK. 

<>\aii^ik!  élail  au  l'ail  de  la  Iradiliun  sMiii|ilii|ii(' ,  cl  que,  s'il 
a  (Hiiis  le  mil  du  l)a|il«>mc,  ce  n'est  pas  par  ij^'^noninre  ou 
par  accidi'iil  ,  iiiai>  avn-  vnldiilt-  pnMiii'dilcc  ,  cl  il  dcniandc 
ce  qu'on  devrail   jM-nst  r  d  un  liisloricii  (|iii  laisserait  s'ac- 
et>iii|ilir  derrière  la  scène  i\i'  son  n'-cil  des  (''V(''ncnicnls  aussi 
|j:i'aves  (juc  ceux  du  lia|)lèine  el  dr  la  Iciilalion  ,  s'il  voiilail 
les  ullil'iuci'.  Celte  olijcclioM   peut   ('li'c  en   place   coiilic  un 
grand   nombre  d'interprètes,   Meyei',    pai'   excnij)lc,   tpii, 
V.  10,  ((jniincnce  l'explication  de  tout  ce  morceau,  en  disant  : 
ttLa  nairalion  projuement  dite  connnence,  et  cela  comme 
en  (jénérai  dans  la  pratique  êvnngcUque  primitive  (Marc  I) , 
par  le  témoignage  de  .Ic;ni-i{a|ilisle.  »  Oui  certes,  si  notre 
évangile  é'Iail   deslint',  dans  rinleiilion  de  son  auteur,  à 
racunlei'  toute  1  histoire  évangélique,  Ifslle  «jue  saint  Jean 
la  connaissait  lui-même ,  et  en  commençant  là  où  tous  les 
autres  avaient  connnence',  r(jl)jeclioii  de  l'aiir  serait  sans 
if'plique  et  l'omission  du  baptême  écpiivaudiait  à  um;  néga- 
tion tacite.  Mais  il  est  faux  (pie  la  nanation  du  (piatrième 
évangile  |)renne  jmur  jtoint  de  déj)art  le  commencement  du 
mini.sière  de  Jean-Baptiste;  elle  omet,  comme  nous  l'avons 
reconiiii  ,  Imile  la  prédication  jio|)iiJaire  des  premiers  temj)s; 
elle  commence  avec  les  ti'ois  jours  <jui  formèrent  le  point 
culminant  (Ju  ministère  de  Jean.  Et  pour(juoi  cela?   Nous 
l'avons  vu  :  c'est  dans  le  premier  de  ces  trois  joins  «pie  le 
Précurseur  signala ,  non  jdus  seulement  le  Messie  idéal , 
mais  le  Mes.sie  réel ,  Jésus ,  encore  caché  au  sein  du  jtenple; 
ce  joui'  hit,  à  proprement  parler,   la  clôture  de  l'Ancien 
Testament.  Dans  le  second,  il  proclama  Jésus  présent  comme 
le  Messie:  ce  lui  la  jiremière  révélation  de  sa  gloire;  en  ce 
joiir  natpiit  la  foi.  Dans  le  troisième,  comme  nous  allons  le 
voir,  Jé.sus  reçut  de  Jean-Baptiste  ses  premiers  disciples; 
ce  fut  la  fondation  de  l'Église.  Ces  trois  jours,  dont  rien 
n'égale  limporlance ,  n'étaient-ils  pas  le  commencement 


PREMIF.R  CYCLE.  —  CIIAP.  I,  ni-3C.  313 

normal  d'im  i''\iiii,Lril('  (|iii  se  proposait  jioiir  but  rio  raconter 
la  gloire  de  .li'sus  .  IliistoiiT  de  l'incrédulité  el  celle  de  la 
loi?  —  iNoiis  avons  vu  (|ii('  le  v.  20  suppose  nécessaire- 
nx-nt  If  liajiîémc,  cl  jiar  consf'cpicnl  aussi  la  tentation, 
(jui  a  suivi  inniu-diaternenl  le  hajitènie.  iUen  n'empêche 
de  placer  ces  deux  événements  avant  le  moment  où  s'ouvre 
notre  récit.  C'était  du  désert  que  Jésus  revenait  lorsque 
Jean-Baptiste  lui  lendit  ce  triple  témoignage.  Tous  ceux  qui 
placent  le  baptême,  soit,  comme Olsbaiisen,  entre  les  v.  28 
et  29 ,  soit,  comme  Ewald ,  entre  les  v.  31  et  32,  vont 
contre  l'intention  évidente  du  récit  et  sont  forcés  d'éliminer 
la  tentation  du  nombre  des  faits  historiques,  vu  l'enchaîne- 
ment des  jours  suivants  qui  n'offre  nulle  part  une  place  pour 
un  intervalle  de  quarante  jours.  Henijstenberg  s'est  aventuré 
sans  doute  à  placer  la  tentation  beaucoup  plus  tard ,  à  l'é- 
poque du  séjour  de  Jésus  en  Judée  (III,  22  et  suiv.).  On  ne 
saurait  froisser  plus  hardiment,  au  service  d'une  idée  pré- 
conçue ,  la  lettre  et  l'esprit  du  récit  de  la  tentation  dans  les 
trois  Synoptiques  (Matth.  IV ,  1  ;  Marc  I,  12;  Luc  IV,  1). 
Les  trois  écrivains  sont  d'accord  pour  établir  la  relation 
chronologique  et  morale  la  plus  étroite  entre  le  baptême  et 
la  tentation. 

III. 

Troisième  témoignage  :  v.  35-37. 

V.  35  cl  30.  «Le  lendemain,  Jean  se  tenait  de  nou- 
veau là,  et  deux  de  ses  disciples  étaient  avec  lui;  30  et 
ayant  fixé  ses  regards  sur  Jésus  qui  passait,  il  dit: 
Voilà  l'agneau  de  Dieu.  »  —  De  saintes  impressions,  de 
grandes  pensées,  une  indicible  attente  renq)lirent  sans  doute 
jus(pi'au  jour  suivant  le  cœur  de  ceux  qui  avaient  entendu 
les  paroles  du  Précurseur.  Le  lendemain  Jean  se  trouvait  à 


814  PREMIKRK  PARTIK. 

son  posto,  pr«M  ;'i  (•(mliiiiicf  son  niinislt"'!*'  do  Baplislo.  Bien 
u';iul(»ris('  la  supposilidii  dr  Af  VVcllcipic  1rs  deux  disciples 
<|iii  se  Iroiivîiient  avec  lui  n'avaient  pas  assisté  à  la  scène 
(In  jour  précédent,  Meyer  observe  avec  raison  que,  bien 
loin  «le  lavoriseï'  eelle  idée,  la  brièveté  du  nonvean  téinoi- 
(rnaj^e  d(!  Jean  lui  donne  au  contraire  le  caractère  dune 
allusion  et  comme  d'un  renvoi  à  ce  qu'il  avait  dit  la  veille, 

—  L'expression  èx  tôv  (j.aOT,TÔv,  d'entre  ses  disciples,  fait 
penser  (pi'il  en  avait  un  nond)re  assez  considfMable.  -^—  Il  y 
a  une  dillérence  nianinée  entre  aujourd'hui  et  la  veille, 
dans  la  relation  de  Jésus  à  Jean.  Hier,  il  venait  à  Jean, 
comme  cliercliant  quelque  chose  auprès  de  lui  ;  il  avait 
besoin  de  son  témoignage ,  condition  normale  de  la  foi. 
Aujourd'hui,  le  témoignage  est  rendu;  il  n'a  plus  rien  à 
recevoir  de  Jean.  Mais  il  sait  que  c'est  dans  le  cercle  qui 
l'entoure  Ique  doivent  se  trouver  les  âmes  que  son  Père  lui 
a  préparées;  et,  semblable  à  l'aimant  que  l'on  promène 
dans  le  sable  pour  attirer  les  paillettes  métallifpies ,  il  se 
rap|)roche  du  groupe  qui  entoure  le  Baptiste ,  pour  décider 
la  venue  à  lui  de  quelques-uns  de  ceux  qui  le  composent. 
Il  n'y  a  donc  aucune  indétermination  dans  le  récit  :  la  con- 
duite de  Jésus  est  parfaitement  intelligible  et  réglée  sur  le 
plan  de  Dieu.  L'Eglise  n'est  pas  arrachée,  elle  est  cueilhe 
sur  l'arbre  de  la  théocratie. 

Comme  Jésus  entre  dans  le  plan  de  Dieu,  Jean-Baptiste 
entre  dans  la  pensée  de  Jésus.  Un  scruiMile  tendre  et  respec- 
tueux pouvait  retenir  les  deux  disciples  auprès  de  leur  an- 
cien maître.  Jean-Baptiste  lui-même  les  affranchit  de  ce  lien 
et  commence  à  réaliser  cette  parole  qui,  dès  ce  moment, 
devient  sa  devise  .  «  //  faut  qu'il  croisse  et  que  je  diminue.y» 

—  Le  terme  èfxpXé'jjac  indique  un  regard  pénétrant,  qui 
sonde  jusqu'au  fond  son  objet  (voir  v.  42).  Le  sens  pratique 
de  la  nouvelle  déclaration  de  Jean  est  celui-ci  :  «Allez  à  lui.» 


I 


PRKMIER  CYCLK.  —  CHAP.  I,  3r)-:}7.  315 

V.87.  «Et  les  deux  disciples  l'entendirent  parler'  ainsi 
et  suivirent  Jésus.  »  —  La  |)arule  de  Jean  avait  la  l'orme 
(l'une  exclamation,  plutôt  que  celle  d'une  allocution  directe 
aux  disciples.  Mais  ils  la  comprirent.  Il  est  bien  évident  que, 
dans  la  pensée  de  l'évangéliste,  ces  mots  :  «  Et  ils  suivirent 
Jésus,  <^  cachent,  sous  le  sens  littéral,  un  sens  profondé- 
ment symbolique.  Ce  premier  pas  à  la  suite  de  Jésus  déci- 
dait de  leur  vie  entière;  le  lien,  en  apparence  accidentel, 
qui  se  formait  à  cette  heure,  était,  en  réalité,  un  lien 
éternel. 

La  relation  des  deux  envoyés  divins ,  telle  qu'elle  est  re- 
tracée ici  jiar  l'historien  sacré ,  est  marquée,  jusque  dans  les 
traits  en  apparence  les  plus  insignifiants ,  au  coin  des  con- 
venances les  plus  élevées  et  de  la  candeur  la  plus  sublime. 
Il  y  a  loin  de  là  au  tableau  que  trace  M.  Renan  '  de  ces  «  deux 
jeunes  enthousiastes ,  pleins  des  mêmes  espérances  et  des 
mêmes  haines  ,  (jui  ont  pu  faire  cause  commune  et  s'appuyer 
réciproquement.»  Malgré  tous  ses  efforts,  M.  Renan  n'est 
pas  parvenu  à  expliquer  comment  Jean-Baptiste,  que  l'exal- 
tation avait  poussé  à  s'envisager  comme  un  personnage 
extraordinaire,  a  jiu  accorder  sans  hésiter  à  Jésus  la  place 
de  Messie  et  s'effacer  avec  em[)ressement  devant  lui.  Aussi 
son  tableau  de  la  relation  entre  ces  deux  êtres  uniques  n'est- 
il  (pi'une  caricature,  après  laquelle  on  revient  avec  plus  de 
bonheur  se  [»lacer  en  face  de  celui  que  nous  devons  à  la 
narration  toute  simple  de  l'évangéliste. 

t.  î<  et  B  placenl  ajTO'j  devant  XaXouvxo;. 
2.   Vie  de  Jésus,  p.  100-108. 


.SIC)  PRKMIKIli:   l'AHTir. 

DEUXIÈME  SECTION. 

Commencements  de  l'œuvre  de  Jésus.  —  Nais- 
sance de  la  foi. 

Le  témoignage  du  lu'iaul  divin  étuil  la  jticniiùie  condition 
de  la  foi.  Car,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le  prologue,  la  foi 
est  primitivement  l'atlachemenl  au  (('inoignage.  11  y  avait 
donc  déjà  le  germe  de  la  foi  dans  la  démarche  des  deux  dis- 
ciples, lorsque,  (fuiltant  Jcan-Bapliste,  ils  suivirent  Jésus. 
Néanmoins,  le  témoignage  n'est  qu'un  lien  provisoii'e  entre 
le  croyant  et  l'objet  de  la  foi.  La  foi  vivante  ne  pouvait  naître 
dans  le  cœur  des  deux  disciples  que  j»;i)-  la  lelation  avec 
Jésus  lui-jnème.  Pour  cela,  il  fallait  (ju*;  Jt'sus  se  révélât,  se 
donnât.  En  s'attacliant  à  ses  manifestations  personnelles,  les 
deux  disciples  vont  donc  devenir  vraiment  croyants,  possé- 
dant l'objet  de  la  foi,  et  capables  d'étendre  le  cercle  des 
croyants;  car  la  foi  vivante  est  aussitôt  féconde.  Tel  est  le 
sens  intime  des  récits  suivants.  Ils  se  répartissent  en  deux 
groupes  :  le  premier,  comprenant  ce  qui  se  rapporte  aux 
trois  plus  anciens  disciples,  André,  Jean  et  Pierre  (v.  38-43); 
le  second,  ce  qui  concerne  Philippe  etNathanaël  (v.  44-52). 

I. 

Premier  groupe  :  v.  38-43. 

Nous  avons  nommé  Jean.  Il  nous  paraît  indubitable  en 
effet  que  le  compagnon  anonyme  d'André  n'est  autre  que 
l'auteur  lui-même.  Tous  les  autres  disciples  sont  nommés; 
pourquoi  celui-ci  ne  le  serait-il  pas,  si  ce  n'était  par  la  rai- 
son qu'il  répugne  à  l'auteur  de  se  nommer  lui-même?  Les 
adversaires  de  l'authenticité  reconnaissent  eux-mêmes  que, 


F'ItKMIKH  CVCLK.  CHAI'.  I,  :w.  Hit.  tII  7 

en  riu'oiitaiil  de  la  sorte,  l'auteur  veut  se  doiiiier  l'air  (fètrc 
l'apôtre  Jean.  D'ailleurs,  plusieurs  traits  du  récit  traliissent 
l'honinie  (|ui  jiourrail  diic  :  Quorum  pars  magna  fui.  Cer- 
tains dt'lails  seraient  insi^niilianls  de  la  part  de  tout  autre 
que  dun  témoin  oculaire;  c'est  uniquement  au  souvenir  per- 
sonnel qu'ils  empruntent  leur  intérêt.  Nous  trouverons  même, 
au  V.  i-J,  une  expression  (pii  n'a  de  sens  qu'à  celte  condi- 
tion. Dans  la  supposition  de  l'autlienticité,  il  faut  donc  ad- 
mettre que  le  C()mpa;.,nion  d'.\ndi'(''  est  Jean  lui-même. 

V.  38  et  3!(.  «Alors'  Jésus,  s'étant  retourné  et  les  ayant 
vus  qui  le  suivaient,  leur*  dit  :  Que  cherchez- vous? 
3U  Eux  lui  dirent  :  Rabbi  (ce  qui  veut  dire  :  maitre),  où 
demeures-tu?  o  — Jésus,  entendant  marcher  derrière  lui,  se 
leluurne.  il  voit  ces  deux  jeunes  gens  qui  le  suivent  avec 
l'intention  évidente  de  l'aborder,  mais  qui  n'osent  lui  adres- 
ser les  premiers  la  parole.  Il  les  prévient  et  leur  dit  :  «  Çne 
cherchez-vous?  y>  Il  en  est  de  cette  question  comme  de  toutes 
les  autres  paroles  si  concises  et  si  profondes  de  Jésus  dans 
ce  morceau.  Dans  le  sens  historique  est  renfermée  une  si- 
gnification symbolique.  Celui  qui  interroge  ainsi  n'est-il  pas 
l'objet  de  la  recherche  et  du  soupir  de  l'humanité,  particu- 
lièrement d'Israël?  Gomp.  l'exclamation  :  «  Nous  avons 
trouvé,  )•>  V.  4:2.  —  Les  disciples,  en  répondant:  a  Maître , 
où  demeures-tu?  -!>  expriment  modestement  le  désir  de  lui 
j)arler  en  particuher.  —  Le  titre  de  çoc^^î  est  sans  doute  bien 
inféiieur  à  ce  (]ue  le  témoignage  de  Jean  leur  a  révélé  sur 
son  compte.  Mais  ils  n'oseraient  pour  le  moment  en  em- 
ployer un  autre.  Ce  titre  exprime  d'ailleurs,  d'une  manière 
déhcate,  l'intention  de  s'olVrir  comme  disciples.  —  La  tra- 
duction du  mot  Bahbi  ajoutée  par  l'évangéliste  prouve  (jue 
l'auteur  écrit  pour  des  lecteurs  grecs. 

1.  G  Mjj.  et  30  Mnn.  retranchent  Sz. 

2.  N  retraiidie  auToi;. 


;}18  PRKMIKRE  PARTIK. 

V.  40.  «  Il  leur  dit  :  Venez  et  voyez'.  Ils  vinrent,  et  ils 
virent  où  il  demeurait;  et  ils  restèrent  auprès  de  lui 
ce  jour-là  ;  c'était  environ  la  dixième  heure.  «  —  Les  dis- 
ciples lui  demandaient  sa  demeure  pour  pouvoir  l'y  visiter; 
Jésus  les  invite  à  l'y  suivre  à  l'instant  même  (epx^aOe,  impér. 
prés.)  :  «Venez,  de  ce  pas.-»  —  Où  Jésus  demeuruit-il?  Dans 
(juelque  grotte  au  bord  du  Jourdain,  ou  dans  un  caravansé- 
rail, ou  dans  une  maison  amie?  Nous  l'ignorons.  Nous  ne 
savons  pas  davantage  quel  fut  le  sujet  de  leur  entretien. 
Mais  nous  en  connaissons  le  résultat.  L'exclamation  d'André 
au  v.  A^2  est  l'expression  enthousiaste  de  l'elTet  produit  sur 
les  deux  disciples.  Quand  on  se  rappelle  ce  qu'était  le  Messie 
dans  la  pensée  (l'iiri  Juif,  on  comprend  combien  dut  être 
profonde  l'impression  reeue  par  ces  jeunes  gens,  pour  qu'ils 
n'hésitassent  pas  à  déclarer  le  Messie  cet  homme  pauvre  et 
sans  apparence.  —  La  remarque  :  (.Œt  ils  restèrent  auprès 
de  lui  ce  jour-là,  y>  est  inspirée  par  la  douceur  d'un  souve- 
nir encore  vivant  dans  le  cœur  de  l'évangéliste  au  moment 
où  il  écrivait.  —  L'heure  indiquée  peut  s'entendre  de  deux 
manières.  On  comptait,  en  général,  les  heures,  chez  les  an- 
ciens, en  partant  de  six  heures  du  matin.  Nous  verrons  que, 
d'après  l'interprétation  la  plus  naturelle  des  passages  IV,  6. 
52  et  même  XIX,  1i,  cette  manière  de  compter  est  celle 
dont  se  sert  probablement  l'évangéliste.  Mais  la  pratique  du 
Forum  romain  ,  qui  a  passé  chez  les  peuples  modernes,  était 
de  compter  les  heures  à  partir  de  minuit;  et  Rettig  et  Ebrard 
ont  essayé  de  l'appUipier  à  l'évangile  de  Jean.  L'heure  à  la- 
quelle les  disciples  auraient  abord*'-  le  Seigneur  serait  ainsi 
dix  heures  du  matin,  et  non,  comme  dans  la  première  ma- 
nière de  compter,  quatre  heures  du  soir.  Il  faut  avouer  que 


1.  T.  R.  lit  idete,  avec  H  K  et  13  autres  Mjj.  presque  tons  les  Mnn.  H. 
Vg.  Cop.,  tandis  que  BG  L  quelques  Miin.  Syr.  et  Or.  lisent  o^ta^e. 


l'ItK.MIKIt  r.YCI.K.  -      ClIAI'.  I,    Id-ii».  .il  9 

celte  t'xplitation  n'est  point  invraisL'inbhiljlc  dans  notre  pas- 
sag-e,  el  (jirelle  rend  mieux  compte  des  mots  :  <(  Ce  jour-là.'» 
Mais,  danlic  part,  cette  manière  de  compter  n'avait  cpj'nnc 
valem"  jmidiiiue.  Et  pour  concilier  la  premièi'e  exf)licalion 
avec  le  contexte,  il  suflit  de  se  rappeler  (pie  l'intention  pri- 
mitive des  disciples  était  de  faire  à  Jésus  une  simple  visite. 
l/aulciii-  l'ait  observer  que  cette  visite  se  prolongea  bien  au 
delà  du  temps  qu'ils  avaient  compté  rester,  jusqu'à  la  cliule 
du  jour.  L'expression  de  Jean  pourrait  même  signifier  qu'ils 
partagèrent  cette  nuit -là  la  demeure  de  Jésus.  Quelques 
interprètes  ont  appliqué  la  date  indiquée  v.  AO,  non  au  mo- 
ment de  l'arrivée  des  disciples,  mais  à  celui  de  leur  départ, 
en  rattachant  étroitement  cette  indication  au  fait  raconté 
v.  42.  Mais,  dans  ce  cas,  Jean  eût  sans  doute  ajouté  :  cts 
aTT-îiXôov,  a  lorsqu'ils  parlii^ent.))  D'ailleurs,  n'est-il  pas  na- 
turel de  penser  que  l'auteur  a  surtout  tenu  à  indiquer  l'heure 
bienheureuse  où  il  trouva,  plutôt  que  celle  où  il  quitta? 

La  foi  se  propage  par  le  moyen  qui  l'a  fait  naître,  le  té- 
moignage : 

V.  41  et  42.  «André,  le  frère  de  Simon  Pierre,  était 
l'un  des  deux  qui  avaient  entendu  les  paroles  de  Jean  et 
qui  avaient  suivi  Jésus.  12  Le  premier',  il  trouve  son 
propre  frère,  Simon,  et  lui  dit:  Nous  avons  trouvé  le 
Messie  (ce  qui  signifie  :  le  Christ).  >»  —  L'auteur  désigne 
à  ce  moment  du  récit  son  compagnon.  Il  le  fait  évidemment 
en  vue  de  la  vocation  de  Pierre  qui  va  être  racontée  (comp. 
l'intercalation  toute  semblable  de  la  remarque  historique 
v.  2i).  Il  est  remarquable  qu'il  se  serve,  pour  caractériser 
André,  de  sa  relation  de  parenté  avec  Simon  Pierre,  qui  n'a 
point  encore  figuré  dans  le  récit.  Il  traite  ainsi  dès  l'abord 


1.  Au  lieu  de  la  leçon  reçue  TtpuTo;,  ABMX  et  quelques  Mim.  lisent 
rtpuTov  (cette  leçon  provient  probablement  d'une  confusion  avec  le  tov 
qui  suit;  N  marche  ici  avec  le  T.  H.). 


i\-20  IMILMIKHI-,  PAHTli;. 

Pierre  comme  le  personnage  le  plus  iiiij)orUinl  el  le  |tliis 
connu.  Ce  Irait  ne  s'accorde  guère  avec  l'intention  odieuse 
de  rabaisser  Pierre,  que  recule  de  Tubingue  iiiipulc  au 
(jualrièm».'  évangile.  Ileinanpious  encore  «pu^  celle  manière 
de  di'siguer  André  suj)j»osi'  ni'cessairemenl  la  connaissance 
préalable  de  lliistoire^  évangédique  chez  les  lecteurs.  — 
La  visite  de  Pierre  à  Jésus  eiil-cllc  lieu  encore  le  même 
soir?  L'alïîrmalive  ressort  avec  une  sorte  de  nécessité  de 
lénuméralion  exacte  des  jours  dans  ce  morceau.  Voy.les  sTcau- 
picv  des  V.  :20.  .'J5.  4i  et,  de  plus,  11,  I.  Les  deux  disciples 
(piiltèrentsans  doute  Jésus  pum  quelques  instants,  et  Pierre, 
amené  par  André,  put  venir  le  trouver  encore  avant  la  nuit. 
Gomment  expli(pier  les  expressions  aie  premiers  et  «son 
propre  Irère  »  ?  De  luul  tenqis  ces  mots  ont  ollért  une  dlfli- 
cidlé  aux  interprèles.  Ils  renferment  en  efl'et  un  petit  mys- 
tère, coiTHiie  en  es!  rempli  le  récit  de  Jean  à  la  (ois  si  naïf 
et  si  fin.  On  suppose  d'oidinaire  cpie,  tandis  (pi'André  cher- 
chait Simon,  son  compagnon  le  cherchait  aussi  de  son  côté, 
et  qu'André  réussit  le  premier  à  le  trouver.  L'adj.  xèv  tStov 
(son  propre)  ne  .serait,  dans  ce  cas,  ([u'inni  périphrase  for- 
tement accentuée  du  pron.  posses.sif  son  (Lùcke,  de  Wette); 
et  l'on  pourrait  y  voir  l'explication  de  la  raison  pour  laquelle 
André  trouva  le  j)remiei'  :  il  connaissait  mieux  que  son  con- 
disciple les  habitudes  de  son  fière.  Cette  explication  est  in- 
génieuse, mais  peu  naturelle.  Le  rapport  des  deux  épithètes 
s'explique  plus  simplement,  et  la  finesse  de  l'expression  res- 
sort mieux  encore,  si  l'on  admet  que  les  deux  disciples  se 
mirent  chacun  à  la  recherche  de  son  propre  frère,  l'un  de 
Pierre,  I  autre  de  Jacques.  De  ces  deux  hommes,  qui  cher- 
chaient leur  fièie,  André  fut  le  premier  qui  réussit  à  trou- 
ver le  sien.  11  résulterait  de  ce  sens  que  Jacques  était  venu 
avec  Jean,  tout  comme  Pierre  avec  André,  au  baptême  du 
Précurseur.  Et  si  Jacques  n'est  pas  nommé  dans  ce  récit, 


PREMIER  CYCLE.  —  CHAP.  1,  11-13.         321 

c'est  par  la  iiiômc  raison  par  laquelle  laiileiir  tail  son  jno- 
pie  nom,  et.  ronnnf'  nous  le  venons,  taira  ('-galenienl  eelui 
(le  sa  mère  MX,  iT».  (!(!  Iiail  de  la  narralion,  si  iég-èrement 
inanjui',  (|ui  révèle  la  lenlalive  du  compagnon  d'André  de 
li'ouver  aussi  soll  son  piopie  frère,  soit  du  moins  celui 
d'André,  est  un  indice  inimitable  de  son  identité  avec  l'au- 
teur de  l'évangile.  —  Le  terme  de  Messie  (de  nt2??3 ,  oindre) 

était  très-populaire;  nous  verrons  qu'il  était  usité  jusqucs  en 
Samarie  (IV,  25).  —  La  traduction  Xç'.:jx6;  suppose  de  nou- 
veau des  lecteurs  grecs.  Jean  avait  employé  deux  fois  direc- 
tement le  terme  grec  Xçlgxôç  (y.  20  et  25);  mais  ici,  il  re- 
proiluit  le  titre  hébraïque,  comme  il  l'avait  fait  au  v.  30, 
comme  il  le  fera  de  nouveau  IV,  25,  afin  de  conserver  au 
récit  son  caractère  dramatique. 

V.  13.  ><Et'  il  l'amena  à  Jésus.  Jésus,  l'ayant  regardé 
fixement,  dit  :  Tu  es  Simon,  fils  de  Jona',  tu  seras  ap- 
pelé Céphas  (ce  qui  signifie:  Pierre).»  —  Les  prés.  // 
trouve  et  il  dit  (v.  42)  étaient  descriptifs;  tandis  que  l'aor. 
//  amena  est  destiné  à  faire  ressortir  la  rapidité  avec  laquelle 
l'acte  exprimé  pai'  ce  verbe  suivit  la  trouvaille.  —  'Efx^Xs- 
^OLÇ  indique  de  nouveau  ce  regard  pénétrant  qui  remonte 
jusqu'à  la  source  même  de  l'individualité;  c'est  ce  terme 
qui  motive  l'apostrophe  suivante.  De  son  regard  investiga- 
teur, Jésus  sonde  le  caractère  naturel  de  Simon,  et  il  y  dé- 
couvre les  éléments  du  futur  Uiiçz:.  11  n'est  point  nécessaire 
d'admettre  que  Jésus  ait  connu  miraculeusement  les  noms 
Simon  et  Jona.  Andii',  en  présentant  son  frère,  doit  l'avoir 
nonuné  à  Jésus.  Le  changement  de  nom  caractérise  en  né- 
néral  un  changement  de  vie  ou  de  position.  Gen.  XVII,  5  : 

1.  X  B  L  retranchent  xai  devant  T^yayev.  Ils  ont  contre  eux  tous  les 
autres  Mss.  et  presque  toutes  les  Vss. 

2.  N  BL  ll''''i-  Cop.  lisent  Iwotvvou  an  lieu  de  Iwva  qui  se  Irouvc  dans 
tous  les  autres  .Mjj.  et  dans  presque  toutes  les  Vss. 

I.  21 


:\^1'1  PIIKMIKIIK  PAIITIK. 

*  Tun  nom  ne  sera  plus  Ahnnn  {pcre  clcvc),  mais  Abraham 
(père  (hmc  mu/tiludr).  »  (Ifii.  XXXII,  :28  :  «  Toti  nom  ne  sera 
plus  Jncob  [supplaiileur),  mais  Israël  {vaimjiu'ur  ilc  Dieu, 
ou  loyal  r()mbal).  «  Le  nuit  aiaiiK'fii  Kcpha,  SS5"'3  (ht'bi'oii  : 

5^P>,  sIjïihTk'  rocher.  Par  ce  iioni,  .l/'siis  cajacN'risc  Siiimn 

cniiiiiif  un  rire  a>sr/  inltuslc  |tniii'  |HU  IrT  lin  f'difico  Ici  (|ii(' 
If  iiiitiidc  nouveau  (|iril  va  cn'ci-.  Il  di-vail  y  avoii',  dans  la 
jdiysKtiKiiiiic  de  rc  jfMiiif  jircJKMir,  liaMliK'  à  J)i"avor  les  dan- 
gers de  sa  profession ,  r('N|ii'r>>i(iii  diinc  iiiàlc  •'■ncr^'^Me,  d'une 
puissant)'  inilialiNc  Kn  jr  niar(|ii;iiil  d'un  iioni  nouveau, 
Jésus  pp'ud  jiosscssion  de  lui  et  consaere  ses  qualités  natu- 
relles à  rœuvi'o  plus  relevf'e  (|u'il  lui  eonfiera. 

Baui'  a  sup|)osé  que  ce  liai!  n'/lail  qu'une  fiction  de  l'i'- 
vangélisle  tirc'-e  du  ri'cil  Mattli.  XVI,  IS  cl  jilacée  ici  alln  de 
faire  ressortir  (\ô<'  le  début  la  toute-science  du  Logos.  Celte 
intention  prétendue  n'est  pas  en  rapport  avec  le  mot  i\i.^\é- 
vpa^;  et,  quant  à  Mattli.  XVI,  cette  parole  :  «  Tic  es  Pierre, y> 
en  suppose  précisément  une  anlie  nnh'iieure,  par  larpielle 
Jésus  lui  avait  conféré  ce  surnom.  C'est  celte  parole  plus 
ancienne  qui  est  iei  rai>poi-tt'e  pai'Jean.  — Pi'enant  acte  de  ce 
que  Pierre  est  inenlioiuK'  ici  le  tivtisicnic,  Ilil;^cnrc|d  dresse 
son  réquisitoire  et  dit  :  Voilà  doiK  Picirc  pi-ivi'  du  premier 
rang!  VA  il  trouve  là  une  iinnvcllc  preuve  du  mauvais  vou- 
loir fie  l'évani^éliste  envers  cet  apôtre.  Comme  si  cliaqiie 
détail  dans  ce  récit  :  l'empressement  d'André  à  chercber 
Simon,  le  magnifique  surnom  qui  lui  est  donné,  la  désignation 
même  d'Audr*'  (voir  v.  Il  i,  n'i-lait  pas  à  l'iionneur  de  Pierre!] 
N'esl-il  donc  pas  beaucoup  idiis  bonorablc  d'être  place  lei 
premier,  après  avoir  été  trouvé  le  troisième,  que  d'avoir  été 
trouvé  accidentellement  le  premier?  f^'évangéliste  ne  s'était] 
presque  pas  arrêté  à  la  personne  des  deux  premiers  dis-j 
ci[»les;  mais  le  personnage  de  Pierre  devient ,  dès  le  moment  j 


PRKMIKR  r.YC.I.K.  —  CIIAP.   I,   i3.  32.^ 

OÙ  il  f)aiaîl,  l'oljjct  d'iui  iiitrrèt  spécial,  et  il  somblo  que  .sa 
vocation  soit  le  hut  ainpicl  doive  aboutir  tout  ce  (jui  pié- 
cèile.  Tout  ce  cimmI  icspiic  <\i)iu-  hieii  |iliiiri(  une  gi'andc 
Imrnilih'  i\i'  la  |)ail  df  Jean,  et  un  viraiiiouc  ponr  Pierre.  Il 
est  triste  de  voir  (\r>^  aji|)réciali(>ns  telles  (pie  celles  dont 
nons  venons  de  citer  nn  exemple,  reproduites  en  France 
sous  le  beau  nom  de  critique,  malgré  leur  partialité  et  leui' 
fiiusseté  évidentes. 

On  a  aussi  trouvé  une  contradiction  entre  ce  récit  et  ce- 
lui de  la  vocation  de  ces  mêmes  apôtres  en  Galilée,  à  la 
suite  de  la  pèche  miraculeuse  (Mattli.  IV,  18-22;  Marc  I, 
10-20;  Luc  V,  1-11).  De  Wette,  lînickncr,  Mcyei-  lui- 
même,  regardent  toute  conciliation  comme  impossible;  ils 
optent  pour  le  récit  du  quatiiènic  évangile.  Baur  ne  voit 
iialiuellement  dans  notre  n'-cit  qu'une  composition  libre 
|ii)nr  I.Kinelle  l'auteur  s'est  servi  de  quelques  matériaux 
synoptiques.  Lùcke  pense,  au  contraire,  que  les  deux  récits 
peuvent  s'accorder,  celui  de  Jean  se  rapportant  à  l'ajjpel  des 
disciples  à  la  foi,  celui  des  Synoptiques,  à  leur  vocation  de 
prédicateurs  de  l'Évangile,  conformément  à  ce  mot:  «Je 
voîis  ferai  pécheurs  d'hommes. y>  Dans  la  |)remiére  opinion, 
il  faudrait  admettre  que  les  deux  récits  sont  la  narration  du 
même  (ait,  défiguré  dans  la  tradition  synoptique.  .Mais  com- 
ment, dans  ce  cas,  tout  dilTère-t-il  dans  les  deux  scènes? 
Le  lieu  :  ici,  la  Jndt'e;  là,  la  Galilée.  Le  temps  :  ici,  les  pre- 
miers jours  du  ministère  de  Jésus;  là,  une  époque  bien  plus 
avancée.  Les  peisonnages  :  dans  les  Synoptiques,  il  n'est  pas 
question  de  Pbihpjie,  de  Nallianaël;  en  échange,  Jacques, 
qui  n'est  pi  tint  iiummé  ici,  y  est  expressément  mentionné. 
La  situation  :  ici,  une  rencontre  toute  simple;  là  ,  une  |iè(he 
nu'raculeuse.  Le  mode  enfin:  ici,  un  allachemeut  libre  et 
s[)ontané;  là,  un  appel  positif  et  inqjéiatif.  Si  ces  deux  récils 
ne  se  rapportent  pas  à  deux  faits  réellement  diflcrcnts,  il 


32-4  l'iiKMii'iîr:  i'artik. 

est  beaucon|)  plus  iialunl  (riidiiiellro,  avec  Ilaiir,  i|ii('  liiu 
des  deux,  relui  de  .Iciin,  isl  coniiilèlenicMl  liclif.  Mais  la 
difliculli'  est  alors  d'exjilitiuer  coninicnt  l'auteur  du  i|ua- 
trièiue  évaiij^ile  a  osé,  en  lace  de  la  tradition  synoplicjue, 
re(;ue  dans  toute  l'Iîljilise,  essayer  de  créer  de  toutes  pièces 
une  histoire  nouvelle  de  la  vocation  des  jireiniei's  et  des 
principaux  apidics.  El  celle  difliculté  est  iusurnuinlable. 
L'opinion  de  Liicke  est  donc  la  seule  admissible;  et  elle  est 
en  sdi  parfaileuieut  vraisemblable.  Pour(pioi  Jésus,  après 
avoir  ramené  ces  jeunes  <^cn<>  en  Galilée  (voir  v.  4i),  avant 
de  les  associer  à  son  propre  ministèie,  ne  les  aurait-il  pas 
laissés  retourner  au  sein  de  leurs  fanulles  el  jouir  encore 
quebjue  temps  des  douceurs  du  foyer  domestique?  Pour- 
quoi ne  les  aurait-il  pas  raj)j)elés  plus  tard  définitivement, 
lorsqu'il  les  a  vus  préparés  à  tout  quitter  pour  partager  son 
œuvre?  Lï»  facilité  avec  la(|uelle  ces  jeunes  pécheurs  suivent 
son  appel  dans  les  Synoptiipies.  quittant,  au  pi'emier  mot 
de  sa  bouche,  leur  famille  el  leur  travail  pour  s'attacher  à 
lui,  suppose  certainement  des  relations  antérieures  entre 
Jésus  et  eux,  de  sorte  qu'à  y  regardei'  de  près,  le  récit  des 
Synoptiipies  inqdique  celui  de  Jean,  bien  loin  de  l'exclure. 
Mais,  flemande  Baur,  pourquoi  le  quatrième  évanj^ile  ne 
raconte-t-il  pas  plus  tard  la  vocation  de  ces  disciples  à  l'a- 
postolat?  El,  ajoulerons-nons,  poun|uoi  les  Synoptiques  ne 
racontent-ils  pas  la  première  renconlie  de  ces  disciples 
avec  Jésus?  —  Les  évangiles  synopti(|ues  avaient  pour  objet 
le  ministère  public  de  Jésus;  ils  ne  pouvaient  donc  omettre 
uji  fait  aussi  important,  dans  le  tableau  de  l'activité  messia- 
nique du  Seigneur,  que  la  vocation  de  ses  plus  anciens  dis- 
ciples au  ministère  de  prédicatein\s.  Le  quatrième  (hangile 
avait  surtout  en  vue  de  présenter,  sur  le  fond  de  la  révéla- 
tion de  Jésus,  le  développement  de  la  foi  a[)ostolique;  le 
fait  que  nous  venons  d'étudier,  ayant  été  le  jioinl  de  départ 


PRKMiF.n  CYf.i.r:.  —  ciiap.  i,  13-10.  325 

lie  ce  (l)''V('loj)|)('meiil ,  ne  jMtiiviÉit  iii;iii(jiit'r  dans  un  tel  récit. 
Lu  suliilidii  tie  )iri's(|iie  loiiles  les  (jiieslions  qui  se  r;iji])oi"- 
teiii  ;'i  rii;iriiiouie  (les  iv'cils  évang-éli(jues,  dépend  fie  la 
délei'uiinalion  exacle  du  but  spécial  en  vue  (hupiel  a  été 
(•iinip(»S('  iljaeun  des  (|uati'0  écrits  (|tii  1rs  i-enlérnienl. 

II. 

Seco7id  groupe  :  v.  -i4-52. 

Le  lécit  suivant  semble  l'ail  pour  dé'sespérer  par  sa  con- 
cision celui  qui  tente  de  se  rendre  compte  des  faits  au 
|toinl  de  vue  extérieur.  Le  v.  44  n'exprinie-l-il  (jue  Viuten- 
tion  de  ]tarlir  pour  la  Gahlée?  Ou  bien  indique-t-il  un  dé- 
|)art  réel?  A  cette  question  s'en  rattache  une  autre  :  Où  et 
comment  Jésus  trouva-t-il  Philippe,  Nalhanaël?  Etaient-ils 
aussi  en  Judée  parmi  les  disciples  de  Jean-Baptiste?  Ou 
bien  les  rencontra-t-il  dans  le  voyage  ou  même  à  son  arri- 
vée en  Galilée?  —  Evidemment,  un  pareil  récit  ne  peut 
provenir  que  d'un  homme  préoccupé  surtout  de  l'histoire 
spiiituelle  et  (pii  ne  fait  en  conséquence  qu'esquisser  aussi 
légèrement  que  possible  le  côté  exlérieui-  des  faits.  Nous 
retrouvons  ce  caractère  dans  toute  la  narration  du  (jiia- 
Irième  évangile. 

V.  44  et  45.  «  Le  lendemain ,  Jésus  résolut  de  partir 
pour  la  Galilée;  il  trouve  Philippe  et  lui  dit  :  Suis-moi. 
4")  Or  Philippe  était  de  Bethsaïda,  la  ville  d'André  et  de 
Pierre.  >  —  Le  sens  naturel  de  l'aor.  TjOéXTfjCJsv  est  de  mar- 
ipier  une  volonté  réalisée;  et  les  mots  :  «  Voulut  portir 
et  trouve ,  »  paraissent  indiquer  qu'au  moment  où  Jésus 
exécutait  sa  résolution  de  partir,  il  trouva  Philij)j)e.  Cette 
forme  de  langage  est  à  peu  juès  inconciliable  avec  lidf'e 
que  Jt'sus  aurait  rencontré  Philippe  en  voyage  ou  à  Beth- 
saïda. Pbilipjie  se  trouvait  dune  daiis  les  mêmes  parages 


:^2(»  imu:mii;iik  pahtii:. 

ijuAiicIrc.  .Icaii  cl  Picno.  cl  sans  ditiilc  par  les  imOiucs  lai- 
soiis.  —  La  milice  du  v.  k"),  inleicalce  "ni,  a  ccrlaiiicnieiil 
[luiir  lui!  lie  l'aire  ciilcmlic  (|iic  ce  lui  par  riiiicriiii'diaii'e 
des  deux  Irères,  Aiiilit'  cl  Pierre,  (juc  l'Iiilippe  lui  anicut'!  à 
Jésus.  Uun  autre  eùlc,  le  tenue  //  trouve  l'erail  |ilulùl 
peiiseï'  à  luie  renci»ulrc  l'oiluilc,  saus  iulerveulinu  étiaii- 
gère.  Tout  s'cxplii|iic  aiséiucut,  si  uous  adnictious  que  Plii- 
lijtpe  lie  lut  jias  précisément  aiueiié  à  Jésus  j>ai  Aiidrc'  et 
Pierre,  mais  (pi'au  moment  ilu  départ,,  Jésus  le  trouva  s'cn- 
Irelenunl  avec  ses  deux  amis;  sur  (juoi  il  lui  adiessa  l'iiivi- 
lalion  de  se  joindre  à  eux.  S'il  en  est  ainsi,  les  mots: 
€  Suis-moi ,  »  a\aieiit,  au  iiKJiiienl  où  ils  rureiit  adressés  à 
Piiilippe,  un  sens  tout  simple.  Jésus  appela  Philippe  sous  la 
lorme  d'une  invitation  à  s'associer  à  lui  pour  la  loute.  Et  il 
devait  en  être  ainsi  puis(jue  Pliilipjie  n'était  pas  venu  s'ol- 
Irir  à  lui  comme  disciple.  C'est  jiar  la  c((niiaissance  plus  in- 
time, laite  pendant  le  voyage,  que  l'appel  :  «  Suis-moi,  y> 
piit  graduellement  un  sens  j)lus  élevé.  —  Le  verbe  r^Ulti- 
ffev  désigne  toujours  une  V(^lonté  réllécliie.  On  se  demande 
quel  lut  l(.'  mutil  île  la  résolution  de  Jésus  de  repartir  pour 
la  Galilée.  Ilengstenberg  pense  <in"il  voulait  s'accommoder 
aux  jiiojilK'lies  qui  iiidi(juaient  la  dalilée  comme  le  théâtre 
du  ministère  niessiaiiiipie.  Le  contexte  ne  donne  aucun  ap- 
pui à  cette  explication.  Selon  d'autres,  il  voulait  séparer 
nettement  son  cercle  dactivitf';  de  celui  de  Jean-Baptiste, 
ou  bien  aussi  s'éloigner  du  siège  de  la  liié'rarcliie  qui  s'était 
montrée  peu  favorablement  disposée  envers  le  Précurseur. 
Le  récit  subséquent  II,  12-22  conduit  à  une  autre  solution. 
Jésus  devait  commencer  son  ministèie  à  Jérusalem.  Mais  le 
moment  n'était  pas  encore  venu  pour  cela;  il  fallait  attendre 
l'époque  solennelle  de  la  fétc  de  Pâques.  Avant  donc  d'ac- 
complir la  démarche  décisive  de  l'entrée  dans  son  ministère 
public,  Jésus  résolut  d'aller  prendre  congé  de  sa  famille  et 


l'IlKMlEH  CYCI.K.  —  CIIAP.  I,   l  I  -  in.  327 

(If  cidre  (111111'  iii;iiii(''n'  coiiveiiiilili'    l;i    |i(''rio(lc  cii'  .s;i    vie 
|iriv('('. 

V.  U\.  '  Philippe  trouve  Nathanaël  et  lui  dit  :  Nous 
avons  trouvé  celui  dont  Moïse  a  écrit  dans  la  loi,  ainsi 
que  les  prophètes,  Jésus,  le  fils  de  Joseph,  de  Naza- 
reth. »  —  Jjt'  it'tli'  lit'  l'liili(t|M'  (liiiis  la  icliilidii  ciilrc  .l(''sus 
l't  Nathanaël  ressemble  à  celui  (rAmin''  dans  la  v(jcali(jn  de 
Pierre.  Un  llanibeau  une  fois  allumé  sert  à  en  allumer  un 
antre;  ainsi  se  j)ropajie  la  foi.  Lnlhardt  fait  ressortir  avec 
linesse  la  forme  eunij)li(jut''e  et  jiassaljlement  lourde  de  la 
jtrofession  de  Philippe,  sinlout  dans  le  texte  original  où  ces 
lonirs  considérants,  ce  ceililical  messianique  en  toutes 
formes,  précèdent  le  mot  principal  :  a  Nous  avons  trouvé.)) 
Ouel  contraste  avec  le  tour  vif  et  décidé  de  la  profession 
d'André  (v.  42)!  Les  mêmes  traits  de  caractère  se  relrou- 
venl  VI,  1-13  et  peut-être  encore  XII,  21.  22.  —  Pliiliftpe 
désiLjiie  Jésus  comme  le  lils  de  Joseph  et  comme  oiiginaire 
de  Nazareth.  Strauss,  de  Wette,  ont  conclu  de  ces  paroles 
de  Pliilijtpe  que  le  quatrième  évangéliste  ignorait  ou  n'ad- 
mettait pas  la  conception  miraculeuse  de  Jésus  et  sa  nais- 
sance à  Dethl(;em  :  connne  si  ce  n'était  |)as  Philippe  qui 
parlait  ici,  et  comme  si,  après  quelques  instants  seule- 
ment de  relation  avec  Jésus,  il  eût  pu  être  au  fait  des 
circonstances  intimes  de  sa  naissance  et  de  son  enfance. 
El  de  (|iii  donc  les  eùl-il  a|tprises'.'  Aiidrci  et  Pierre  n'en  sa- 
vaient i)as  j)lus  que  lui;  serait-ce  Jésus  qui  eût  pu  les  leur 
raconter?  —  Le  lieu  de  la  scène  décrite  dans  ces  versets  est 
impossible  à  déleinhnei';  mais  la  sujtposition  la  plus  pro- 
bable est  certainement  que  Jésus  et  ses  disciples  rencon- 
trèrent Nathanaël  pendant  le  voyage.  Pbilipjje,  qui  était  son 
compatriote  —  Nathanaid  était  (jalili'cn,  de  Cana  (XXI,  2) 
—  le  reconnut  et  devint  b-  Irait  d'union  entre  Jésus  et  lui. 
Peut-être  Nathanaël  l'etouiiiail-il  au^.>^i  daupiès  de  Jean- 


3:28  i'i!i;.\iii  lii;  l'Airni:. 

Baptislo  l'ii  (îalilt'c;  pciil-rln'  —  cl  ci'\;\  |i;ii;iil  |tlii.s  jno- 
Icihlc  —  vciKiil-il  (le  (l;iii;i  iiii  .loin  ihiiii,  |Miiir  se  l'iiiic  Iiiip- 
ùscv  par  ,k-aii.  Il  est  pussiltk'  que  ce  IVil  le  milieu  du  jour 
el  (jue  Nallianaël  eùl  prolilé  il(?  l'ouihia^^e  d'un  li^iiier  |»our 
pieudre  quelques  iuslauls  de  repos,  uu  inuuieul  avant  sa 
rencontre  avec  Jésus  el  les  siens  (couq).  v.  48).  —  Le  récit 
très-circonstancié  de  la  voealiun  de  iNallianacl  f-.ùi  ualund- 
lenicnt  supposer  qu'il  fui  plus  lard  l'iui  des  apôtres;  c'est 
le  cas  de  tous  les  disciples  nieuliouués  dans  ce  récit.  Cela 
ressort  d'ailleurs  positiveineul  de  XXI,  2  où  les  apôtres  sont 
<listingués  des  simples  disciples,  et  où  Natlianaël  est  placé 
au  ranj,'  des  premiers.  Mais,  comme  son  nom  ne  paraît  dans 
aucun  des  calaloi^-^ucs  ajiosloliques  (Matlli.  X,  3;  Marc  111, 
18;  Lue  VI,  1i;  Ael.  I,  iS),  il  est  ^a-néialement  adnns  que 
Nalliauael  u'c^l  autre  <jiie  liarliiidcmy,  (jui  est  ii'uni  à  IMii- 
li|»pf  dan;*  presque  toutes  ces  listes,  d'aulanl  plus  (pie  Bar- 
lljt'lemy  n'est  qu'un  nom  jintronymiqne  (Dis  de  Tolmaï  ou 
Ptolémée). 

V.  -il.  -  Et  Nathanaël  lui  dit  :  Peut-il  venir  quelque 
chose  de  bon  de  Nazareth?  Philippe  lui  dit:  Viens  et 
vois.  ))  —  Selon  Meyer,  la  iéjiunse  de  Nallianaël  ferait  allu- 
sion à  la  réputation  d'iunnoralité  qu'aurait  eue  le  bourj^  de 
Nazaietli;  selon  Lùcke,  de  Wette,  à  la  petitesse  de  cet  en- 
droit. .Mais  lien  dans  l'histoire  ne  démontre  (jue  Nazareth 
fût  un  endroit  j>lus  mal  famé  ou  moins  estimé  que  tout  autre 
hourg  de  la  Galilée.  La  r(''ponse  de  Nathanaël  n'exige  nulle- 
ment de  telles  suppositions.  Il  faut  seulement  lier  cette  ré- 
ponse, d'un  ccJté,  à  la  paiolc  dr  Philippe,  de  l'autre,  à  la 
personne  de  Nathanaël,  Celui-ci  ne  se  souvient  d'aucune 
parole  proplu-lique  qui  donne  à  Nazareth  un  rôle  aussi  im- 
portant (pie  (•••lui  (ju'am-ait  ed  eudioit  s'il  fallait  attacher  foi 
à  la  parole  de  Philippe;  et  poinlaiil,  dan.s  sa  jteiisée,  tout  (;e 
qui  concerne  le  Messie  doit  être  prédit.  Puis  il  r.'st  lui-même 


l'iiK.MiKit  cvr.i.K.  —  CHAI'.  I,  Ki-iK.  :320 

de  Caiia,  ;"i  iiiic  liiMic  sciilfiiinit  de  Nazarclli  ;  et  l'on  sait  (ju'il 
existe  do  village  à  village  de  j)etites  jalousies  qui  favorisent 
une  espèce  de  df-dnin  lunlurj.  L'expression  :  «  Quelque  chose 
de  bon,  y)  est  donc  une  litote  et  signifie  :  quelque  chose  d'énii- 
nent,  comme  celui  dont  tu  m'annonces  la  présence.  —  Nous 
observons  ici  j»oui"  la  j)reniière  fois  une  particularité  de  la 
naiialion  joliaiiniqur  :  il  st'iiiMe  {jue  l'aiileur  du  ijimliièuie 
évangile  se  comjilaise  à  rappeler  certaines  objections  contre 
la  dignité  mes-sianique  de  Jésus ,  que  les  faits  avaient  dès 
l(jngteuips  confondues  et  dont  chaque  lecteur,  instruit  de 
l'histoire  évangélique,  faisait  justice  au  moment  même  où  il 
les  lisait.  Conij).  VII,  27.  35.  42,  etc.  Tout  le  monde  ne 
savail-il  pas,  au  moment  où  Jean  écrivait,  que  Jésus  n'i'tait 
pas  ivellement  de  Nazareth  ?  —  La  réponse  de  Philij)pe  : 
a  Viens  et  vois,'!>  est  à  la  fois  la  plus  simple  et  la  plus  pro- 
fonde apologétique.  Aux  yeux  de  tout  cœur  droit  Jésus  n'a 
qu'à  se  montrer  pour  se  prouver.  Cela  repose  sur  la  jiro- 
fonde  vérité  exprimée  nu  v.  0.  Conip.  aussi  111,  21. 

V.  48.  ('Jésus  vit^  Nathanaël  venant  à  lui  et  dit  de 
lui  :  Voilà  un  vrai  Israélite  ,  dans  lequel  il  n'y  a  point 
de  fraude.  »  —  Nathanaël  est  un  de  ces  hommes  (Jroils  qui 
n'ont  qu'à  voir  Jésus  pour  croire  en  lui  ;  Phili|)pe  le  sait 
bien.  Jésus  aussi,  en  le  voyant,  reconnaît  et  signale  en  lui 
cette  qualité.  Le  pénétrant  d'un  coup  d'œil ,  comme  il  a  pé- 
nétn''  Simon,  il  fait  tout  iiaut  sur  S(jn  compte  (r.eçi  aùxcù) 
cette  réflexion  :  «  Voici....  »  —  On  peut  faire  porter  l'adverbe 
àXTjOô;:,  vraiment,  soit  sur  iSs  :  ti Voici  réellement,})  soit 
sur  'Iapa7)X''xT|-  :  «  Un  homme  qui  est  vraiment  Israélite.  » 
Dans  le  premier  cas,  les  mots  :  a  Dans  lequel  il  nij  a  point 
de  fraude,  »  seraient  sans  relation  essentielle  avec  la  ipialilé 
d'Israélite ,  et  caractériseraient  uniquement  la  personne  de 

1.  N  seul  lit  tôcov Àsys^ 


3f^0  l'IlKMIKItK   l'AIlTIl  . 

N;«lli;»iin("'l.  I);iiis  le  second  cas,  ccl  Jijiperidicc  csl  iiii  cim- 
Ir.urc  le  (l("'vcl(tj)|)ciiiciil  de  I;i  iiolion  de  vr:ii  Israidite.  Ce 
second  sens  est  plus  naluicl,  i^raMiMiaticaleiiiciil  el  loyicjne- 
ineiil .  el  il  i(''|ioii(l  iniciix  à  riiii|i(irlaiiee  du  lilre  'laçaYiXtTï);: 
ainsi  qu'au  sens  juiniilif  de  ce  nom.  On  sail  que  le  nom 
lïisrnrt  (rtiinquciir  (/e  Dieu)  fui  subslilui'  à  celui  de  Jacob 
{supplanlciir)  (]ui  indique  la  niso  cl  la  fomlieiie,  iioiu'  ca- 
ractériser le  cliJMi.i^enieiil  ni(»r;d  (»|it'n''  (liez  le  |iali'iarclic , 
dès  le  momeni  de  sa  Intle  avec  le  Sei;^neui'.  Le  cumlial  loyal 
avec  Dieu  par  riiunn'lialion  el  par  la  prière  (Os.  XII,  A.  5) 
remplaça  chez  lui  renijiloi  des  moyens  d/'louinès.  L'absence 
de  fraude  devieni  dè>  ce  niunienl  le  caraclère  de  ses  vrais 
de.scendanis  sjiiriluels. 

V.  !!•.  (' Nathanaël  lui  dit:  D'où  me  connais-tu?  Jésus 
lui  répondit  et  lui  dit:  Avant  que  Philippe  t'appelât, 
quand  tu  étais  sous  le  figuier,  je  t'ai  vu.»  —  On  a  cri- 
tiqué comme  peu  modeste  celle  réponse  de  Nathanaël  : 
«D'où  me  connais-t\i?y>  .Mais  il  di'niande  simj)lemenl  sur 
quel  fondement  .h'-siis  croit  jiouvoir  le  juL;er,  soit  en  bien, 
soit  en  mai. —  Expliquée  au  |tuint  de  vu(^  de  l'effet  extraordi- 
naire qu'elle  |»r()duit  sur  Nalhanael  (v.  r)(l),  la  lé-ponse  de 
Jé'sus  renferme  nécessairemenl  une  jtreuve  de  comiaissance 
surnaturelle.  Lùcke,  supposant  que  le  figuier  était  visible 
du  lieu  où  se  trouvait  Jésus ,  rnp[iorte  celte  connaissance 
miraculeuse  uniquement  à  l'état  iiiir-iiem-  de  Nathanaël. 
Meyer  au  contraire  n'applitpio  la  vue  surnaturelle  de  Jésus 
qu'au  fait  extérieur,  et  nie  tout  rapport  de  ses  paroles  aux 
impressions  intimes  de  Nathanaël.  Mais  pour  bien  compren- 
dre |;i  ichiljoii  de  celle  d(''c|;ii;ili(»/l  de  Jesus,    d'un  côté,  au 

V.  48  :  1  Un  vrai  Israélile,  dans  lequel  il  n'y  a  point  de 
fraude, T>  de  l'autre,  à  l'exclamation  de  Nathanaël,  v.  50: 
«  Tu  es  le  Fils  de  Dieii,^  il  est  indi.sjjen.sable  de  réunir  ces 
deux  points  de  vue.  Nathanaël  reconnaît  premièrement  (ju'il 


i'i;i;.\iii;it  cvcu:.  —  ciiai».  i,  l8-r,o.  :]M 

il  (Hé  vu  jiiii'  Jéi>us  (kms  un  riuliuil  uù  le  rcj^iiid  liiiiiiaiii  de 
cet  éUanger  n'eût  pu  rutleindrc  ;  puis  il  sent  que  l'œil  de 
Jésus  a  pénétré  assez  prufundéiiirnl  dans  sun  intérieur  puni* 
ipie  le  litre  avec  lequel  il  vient  de  l'aborder  soit  pleinement 
jiistilié.  Oue  s'était-il  passé  au  dedans  de  lui  ?  Une  confes- 
sion de  péchés,  send)laljle  à  celle  qui  est  décrite  Ps.XXXlI, 
1 .  ^  :  «  0// .'  qu'heureux  est  l'homme  dont  la  transgression  est 
quittée...  d  lIkhs  l'esprit  duquel  il  n'y  a  point  de  fraude  »  ? 
Ou  bien  un  vœu  pour  la  réparation  de  quel((ue  tort  analogue 
à  la  conduite  de  Zacliée  :  <i  Si  j'ai  [ait  tort  à  quelqu'un ,  je 
lui  en  rends  quatre  fois  autant  »  (Luc  XIX,  8)?  Si  Natlianaël 
se  préparait  à  recevoir  le  baptême  de  Jean,  on  comprend 
que  des  pensées  de  ce  genre  occupassent  son  esprit.  Comme 
ce  ^fait  était  intérieur  et  de  nature  à  n'être  connu  que  de 
Dieu  seul,  Nathanaël  reconnaît,  dans  l'homme  qui  lui  en 
parle  comme  d'une  chose  connue,  un  élre  intimement  uni 
à  Dieu ,  à  qui  Dieu  fait  part  des  secrets  de  sa  toute-science. 
—  Les  mots  ovxa  {)~ô  tt,v  cjxtjv  peuvent  se  rapporter  gram- 
iiialicaloment  au  aé  qui  précède  ou  à  celui  qui  suit.  La  se- 
((inde  relation  est  plus  naturelle:  la  place  où  Jésus  a  vu 
Natlianaël  a  bien  plus  d'iniporliince  dans  le  contexte  que 
celle  où  Philippe  l'a  appelé.  —  L'accus.  xiqv  auxTjv  provient 
de  ce  que ,  outre  la  relation  locale ,  il  y  a  ici  la  notion  mo- 
rale d'cdjri.  —  E'Iôcv, /ai  vu,  désigne  une  vue  surnaturelle, 
telle  que  celle  d'Éhsée  (2  Kois  V).  En  Jésus,  peut-être  même 
aussi  chez  les  prophètes,  cette  vue  supéiieure  peut  bien 
être  une  participation,  sur  un  point  déterminé,  à  la  con- 
naissance de  Dieu  lui-même. 

V.  50.  Cette  réponse  de  Jésus  fait  sur  Natlianaël  l'eflet 
d  un  rayon  de  la  limiièic  djxini'  ;  >  Nathanaël  répondit  et 
lui  dit'  :  Maître,  tu  es  le  Fils  de  Dieu;  tu  es  le  roi  d'Is- 


I.  B  L  retranchent  xtzi  XEyei  auTu.  N  lit  xai  eiTccv, 


332  pni:Mii:nK  ta  ht  if.. 

raël.  y  —  Pnr  le  lili'i'  df  Fils  (A-  Diru ,  il  cNitriino  lo  snisis- 
sonxMil  (|U(>  lui  fait  (■iiroiivcr  l;i  rcliilinii  iiiliiiic  cuire  ,]rsus 
cl  Dion,  doni  il  \iciil  d'iiNuir  hi  iirciivc.  Liicko,  Moyci",  \n'ô- 
trmji'iii  (|iit'  le  liii'c  (le  l''ils  dr  Him  m?  signifie  pas  autre 
chose  ici  (pie  celui  de  .Mes.sie.  Ils  clierclieni  à  le  jn'onver 
par  le  second  litre  cpie  doinic  à  Jésus  Natlianaël,  celui  de 
roi  d'Ist^acl,  donl  ils  font  un  synonyme  du  premier.  Mais  si 
les  (leu.\  titres  avaient  le  inrmc  sens ,  le  second  devrait  être 
joint  au  prcMnier  sous  la  lurmi^  d'une  simple  apposition  ;  la 
réjiétition  des  mots:  a\>  eX,  tn  <'<?,  devant  le  second,  exclut 
absolument  cotte  explication,  (pii  d'ailN'urs  ne  conduii-ait 
qu'à  une  lourde  tautolo},rio.  Enlhi  ce  sens  de  Messie  (pie  l'on 
prétend  donner  au  terme  de  Fils  de  Dieu,  n'est  démontré 
par  aucun  exemple  valable.  Sans  doute,  la  foi  de  Natlianaël 
au  caractère  divin  de  Jésus,  ex|irim('e  par  le  mot  Fils  de 
Dieu ,  n'aVncore  rien  de  jn-i'cis;  mais ,  (|ii(|(|iic  \a,i;iie  (ju'elle 
puisse  être,  elle  n'en  est  jtas  iikiIiis  complète.  Comme  le 
fait  observer  Lutliaidt ,  elle  ne  jtossé-dera  jamais  plus  que  ce 
qu'elle  embrasse  à  cette  heure;  car  elle  saisit  la  j)ersonne  de 
Jésus ,  et  cette  prise  de  possession  renferme  dès  l'abord 
toute  la  doffmatique  subsécpienh-  la  inieiix  formulée.  Le  mi- 
neur mot  la  main  sur  un  lin.^di  ;  <piand  il  auia  battu  mon- 
naie, il  possédera  mieux  ijeut-èlre,  mais  non  pas  davanta},^. 
—  Dans  la  pensée  de  Natlianaël,  le  second  titre  est  la  con- 
séquence logique  du  premier.  Du  lapporl  intime  de  Jésus  à 
Dieu,  exprimé  par  ce  terme  de  Fils  de  Dieu,  résulte  sa  l'o- 
lation  avec  le  monde,  renfeimée  dans  celui  de  roi  d'Israël. 
Ce  terme  désijrno  le  Me.ssie  promis  aux  Juifs,  et  par  là 
même  lo  lîoi  du  monde.  C'est  la  réponse  de  Nathanaël  au 
titre  de  vrai  Israélite,  avec  lequel  Jésus  l'avait  abordé.  Le 
sujet  rend  hommage  à  son  roi. 

V.  51.  Jésus  sent  bien  qu'il  vient  de  faiie  le  |)remier  pas 
dans  une  glorieu.se  cairière,  celle  de  ses  signes  miraculeux 


ITIEMIKH  CYCLE.  —  CFIAP.   [,  b()-:,i.  :Vi:] 

{ar^[^.^loL) ;  et  i.a  i'('(m)iisc  est  inspii'ôc  piii'  \i;  SL-iilitiiciit  livs- 
éI('V('  (le  lu  i^riiiuleiir  de  ee  momeiil  :  "Jésus  répondit  et 
lui  dit  :  Parce  que  je  tai  dit  que'  je  t'ai  vu  sous  le 
figuier,  tu  crois;  tu  verras-  de  plus  grandes  choses  que 
celles-ci."  —  lli'[)iii>  (îhrysostonie,  ki  [iliipait  des  inler- 
prèles  (Liicke,  Meyei',  etc.),  des  éditeurs  (Tisclieiidorl)  et 
|iliisicurs  traducteurs  modernes  (Hilliet,  N.)  donnent  aux 
mots  :  «  7"/^  crois,  d  un  sens  interrogatif".  ils  mettent  (kms 
cette  question  soit  raccent  de  la  surprise  (.Meyei*)  au  sujet 
d'une  foi  si  promptement  formée,  soit  même  celui  du  re- 
proche (de  Welte),  comme  si  Nathanaël  avait  cru  avant 
d'avoir  pour  cela  des  raisons  sufïisantes.  La  réponse  de 
Jésus  a  hit-n  plus  de  dignité  quand  on  la  prend  comme  af- 
lirmatioM.  Jésus  reconnaît  et  approuve  la  foi  naissante  de 
Natliajiaël;  11  l'en  lélicile;  mais  il  lui  promet  un  accroisse- 
ment de  foi  résultant  des  manifestations  plus  saisissantes 
encore  de  la  relation  entre  le  ciel  et  lui,  thjid  il  va  élie  le 
témoin.  —  Cette  parole  prouve  que  Nathanaël  est  dès  ce 
moment  resté  avec  Jésus. 

V.  52.  Cette  réponse  s'adressait  à  Nathanaël  personnelle- 
ment :  c(  Tu  crois,...  tu  verras.  »  Le  Seigneur  continue,  en  se 
tournant  veis  toutes  les  pei'sonnes  jjrésentes:  «Et  il  lui  dit  : 
En  vérité,  en  vérité,  je  vous  dis  que  dés  ce  moment^ 
vous  verrez  le  ciel  ouvert  et  les  anges  de  Dieu  montant 
et  descendant  sur  le  Fils  de  1  homme.  »  —  Nous  rencon- 
tions  pour  la  première  fois  la  formule  à[j.T|V  àfxirjv,  qui  ne 
se  trouve  que  dans  saint  Jean  et  d'où  est  sans  doute  tiré 
le  litre  de  Jt'siis  :  :  à.u-v,  Ajioc.  111,  14.  Ce  mot  (de  "^X 

firinuin  juil)  rst  employé  comme  substantif  Es.  LXV,  10: 

1.  N  n  G  L  Syr.  etc.  lisent  oxi  devant  etôov. 

2.  Le  T.  W.  lit  o'\)t\..  Tons  les  MJj.,  à  l'exception  de  U,  lisent  o<\it,. 

3.  N  li  L  II*'"''  Gop.  Or.  onietlent  a-'  «pTi ,  mot  qui  se  trouve  dans  tous 
les  autres  .Mjj.  et  Vss.  et  tous  les  Mnii. 


3.i»  imu:mii:i!i;  i-ahtik. 

lÏÏS   Vi/XS,  pnr  fc  Dieu   dr  vrritr,  et   romniP  nclvorbo 

dans  un  jrrniul  nomhri'  df  [iiissaj^cs  de  rAiicicii  Tcslaiiu'iil, 
suit  dans  lo  sons  de  crrlninmirut,  soif  dans  celui  de  yévoiTO, 
Un  sit.  Il  l'sf  rcdoiiMi',  fomini'  diins  saint  Jean,  dans  les 
ilcnx  passages  snivanis  :  Ndinh.  \.  "lî!  :  «Alors  lo  femme 
(atMMisôe  d'adnltArc)  rcjxvidra  :  Anioi,  amen.))  Néli.VlIÏ,  0: 
«  Tout  le  peuple  répondit  :  Amen,  amen.  »  Ce  rcdouhicnient 
supposa  nn  donto  à  stn-nionler  dans  l'esprit  de  l'andilenr. 
Le  diiulr  jti'ovicnl  tantùl,  i'iMinm'  iri,  de  la  j^riindcur  de  la 
chose  promise,  tantùl  d'nn  pri-jugé  conlraiic  à  la  vérité 
aflîrniée  (par  exemple,  III,  3.  5). 

L'omission  de  ax'  àp-t.,  dés  maintenant,  quoique  appuyée 
par  les  anciens  Mss.  alexandrins,  est  condamnée  par  presque 
tous  les  modernes  (Tischendorf,  éd.  1859,  Meyer,  etc.),  et 
avec  raison;  car,  conuiie  le  dit  TischcMidorf,  cwr  omisanm 
sit,  facile  dictu  ;  cur  additum,  vix  dixeris.  On  rajipoi'lait, 
comme  nous  en  avons  un  exemple  dans  l'interprétation  do 
Chrysostome,  la  promesse  du  v.  52  aux  apparitions  d'anges 
mentionnées  dans  les  derniers  temj)s  de  la  vie  de  Jésus  (Geth- 
sémané  :  l'ange  descendant;  Résuri-cction  et  Ascension  :  les 
anges  montant!);  et,  dans  cette  explication,  aV  àpn  n'avait 
plus  de  sens.  'Atc'  açTt  est  décidément  aiitlieDtiqne,  vu  sa  dif- 
culté  ?nème.  —  Il  y  a  une  intime  liaison  entre  les  deux  idées 
du  ciel  ouvert  et  des  anges  qui  montent  et  descendent.  Par 
le  séjour  de  Jésus  ici -bas,  la  terre  redevient  le  vestibule 
du  ciel,  et  les  deux  parties  de  la  création,  jadis  séparées,  ne 
forment  plus  qu'un  seul  tout  (Éj)li.  I,  10;  Col.  I,  20).  La 
seconde  expression  prouve  évidemment  que  Jésus  pense  à 
la  vision  de  Jacob  (Gen.  XXVIII,  12.  \:^).  L'échelle  sur  la- 
quelle montent  et  descendent  les  anges  représente,  dans 
la  Genèse,  les  agents  de  la  Providence  divine  qui  accom- 
pagnent le  patriarche  et  l'entourent  de  leurs  soins.  Jésus] 
envisage  ce  qui  va  se  passer  sous  les  yeux  de  ses  disciples] 


pitKMiiiii  cvc.i.r..  —  ciiAP.  I,  r,i.  .■^.■^à 

rnmiiir  \,\  plus  liaiilc,  n'alisalioii  de  celle  vi.sioii.  Nous  venons 
ili'  viiii'  «|ii('  rexplicatioM  (jiii  rapporte  cette  parole  tie  Jt'sus 
aii\  a|i|iaiilioiis  d'anj^cs  dans  le  coiu's  de  son  niinislèn' ,  ik.- 
s'accorde  pas  avec  le  mot  a  dès  à  présent».  D'ailleurs,  la 
parole  du  Seigneur  annonce  une  série  de  phénomènes  non 
interrompue,  ce  qui  ne  s'aj)pliquc  point  aux  rares  appari- 
tions d'anyes  nientionnt'es  dans  son  histoire.  La  pliipail  des 
modernes,  se  jetant  dans  l'extrême  opposé  à  celui  des  an- 
ciens, ne  voient  ici  que  l'annonce  du  caractère  céleste  de 
l'aclivilé  de  Jésus,  dans  le  sens  puremeiit  moral.  Liicke  : 
«Les  ang-es  qui  montent  et  descendent  sont  le  symhole 
de  la  coniniiiiiiDH  la  jtliis  vivante  et  la  plus  inlinie  enlre 
Dieu  et  le  Messie,  en  qui  se  concentrent,  pendant  toute  sa 
vie,  les  forces  et  les  révélations  divines.»  Meyer  :  «Les 
anges  représentent  symboliquement  la  relation  mutuelle, 
permanente  et  vivante,  enlre  le  Messie  et  Dieu.»  M.  Heuss: 
«  Les  anges  { empruntés  comme  le  Logos  au  langage  de 
l'école  philosophi(pie)   sont  les   perfections  divines    com- 

nnmes  aux  deux  personnes  L'explication  littérale  serait 

ici  aussi  pauvre  qu'absurde»  (Hist.  de  la  théoL  clircl.  l.  II, 
p.  363).  «Les  anges  désignent  les  forces  divines  dont  l'ai- 
fluence  intarissable  assure  au  Verbe  sa  position  divine  j)en- 
dant  son  existence  terrestre»  (p.  358).  L'exphcalion  des 
Pères  était  trop  étroite;  celle  des  modernes  est  trop  laige. 
Il  n'existe  pas  un  seul  passage  où  l'activité  de  Jésus,  au 
|i()int  de  vue  sj)iriluel,  soit  rapportée,  même  symboli([ue- 
inent,  au  ministère  d'êtres  aussi  inférieurs  que  les  anges. 
Elle  esl  attribuée  à  un  appui  d'ordre  divin,  l'Esprit  (v.  32), 
et  plus  expressément  encore,  dans  le  cours  de  l'évangile, 
au  Père  demeurant  et  agissant  en  Jésus  (VI,  57).  Les  anges 
sont  les  instruments  de  la  force  divine  dans  le  domaine 
de  la  nalure  (voir  l'ange  des  eaux,  .Apoc.  XVI,  5;  du  jeu, 
Apoc.  VIII,  II).  Ce  (jue  Jésus  veut  désigner  dans  cette  pa- 


330  PIU;.MIi;i!K  PARTIE. 

rôle,  ce  sont  donc  des  |ili(''iiomènes  qui,  (ouf  en  se  pnssnnl 
dans  In  splirrode  l;inii(inc,s<»iil  dus  ;'i  ini('c;iiisalil('sn|t(''ii<'ure 
aux  lois  de  lu  naliirc  l'ciil-il  carachMisci-  plus  cxactcnienl 
ses  miracles'.'  Il  viciil  de  lidimcr  à  Nalliaiiarl  en  cet  iiislaiit 
nn'me  le  prcniicr  ccliaiilillon  de  celle  aciivilc  iniiaeiileiise, 
dans  un  pi'odige  ironmi-science,  el  il  lui  annonce  une  série 
non  inlerrompuc  de  faits  analogues,  mais  plus  éclalanls 
encore,  puisque  ce  seront  des  actes  de  puissance.  Ainsi 
s'explique  facilemcnl  le  citc'  àp-ri.  La  réalisation  de  celte  pro- 
messe a,  en  ellet,  conuiiencé  deux  jours  après  (II,  1).  —  Il 
est  difficile  d'expliquer  pourquoi  les  anges  qui  montent  sont 
placés  avant  ceux  (jui  destcendent.  Est-ce  uniquement  j»ar 
une  réminiscence  de  la  Genèse?  Là,  Dieu  voulait  sans  doute 
faire  sentir  à  Jacob  (pie  les  anges  étaient  déjà  tout  près  de 
lui  avant  le  moment  oùil  reçoit  celle  révélation  consolante  de 
la  protec'tion  divine.  Selon  .Meyer  et  Liicke,  Jésus  voudrait 
dire  aussi  (jue  la  relation  entre  lui  et  les  forces  divines  ne 
conmience  pas  à  cette  heure,  mais  qu'elle  est  déjà  en  pleine 
activité.  Peut-être  les  anges  sont-ils  envisagés  ici  comme 
une  armée  groupée  autour  de  son  chef,  le  Fils  de  l'homme, 
qui  dit  à  l'un  :  Va,  et  il  va,  à  Tautre  :  Fais  ceci,  et  il  le  fait 
(Luc  VII,  8).  Mais,  avant  d'exécuter  ses  ordres,  les  servi- 
teurs doivent  aller  chercher  la  puissance  nécessaire  auprès 
de  Dieu;  puis  ils  redescendent  pour  exécuter. 

Ces  deux  allusions,  l'une  au  songe  de  Jacob,  l'autre  au 
nom  d'Israël  (v.  48),  ne  seraient-elles  point  en  rapport  avec 
les  localités  que  Jésus  parcourait  en  ce  moment  même? 
Les  lieux  illustrés  par  les  j)rincipales  .scènes  de  la  vie  du 
patriarche  Jacob  se  trouvaient  dans  la  contrée  que  devait 
traverser  Jésus  en  se  rendant  en  Galilée,  soit  qu'il  remontât 
la  vallée  du  Jourdain  ou  qu'il  eût  choisi  le  chemin  de  l'un 
des  plateaux  oriental  ou  occidental.  A  l'ouest  se  trouvait 
Béthcl,  dont  le  nom  même  était  dû  au  songe  auquel  Jésus 


sus  ■ 


PREMIEIl  CYCLK.  —  <.IIAI'.   1,  L'i.  337 

vient  (If  Utile  ;illii.siuii;  à  Test,  Mahunaïin  (/<•  double  cmtip 
des  ani/cs)  cl  le  (juc  du  Jabok,  célèbres  pur  liinivée  de 
Jiicolt  en  Canaan  cl  pai'  la  Inlle  mystérieuse  à  laquelle  il 
(It'vail  le  nuin  dlsiaël  (Gen.  XXXII).  11  est  possible  qu'en 
Iraversanl  cette  contrée  en  que^iue  sorte  classique  pour 
tout  cœur  Israélite,  Jésus  s'entretînt  précisément  avec  ses 
disciples  des  glorieux  souvenirs  (ju'rllc  rappelait. 

La  dénomination  de  Fils  de  l'homme  paraît  ici  pour  la 
première  fois,  et  il  est  probable  que  cette  occasion  fut 
iéellement  la  première  dans  laquelle  Jésus  en  fit  usage. 
L'on  donm:  de  celte  expression  des  explications  très-di- 
verses. Ilemarquons  d'abord  que,  daiis  ce  contexte,  ce  nom 
de  Fils  de  l'iiommc,  que  prend  spontanément  Jésus,  paraît 
être  en  coriélation  avec  le  titre  de  Fils  de  Dieu  que  venait 
lie  lui  donner  Nathanaël.  Ce  même  contraste  se  retrouve  dans 
.Mattli.  XVI,  13.  10  (comp.  quelque  chose  d'analogue  dans 
Matth.  XXVI,  03.  04;  Luc  XXII,  09.  70).  Jésus  semble 
mettre  quelque  insistance  à  substituer  dans  le  dialogue  le 
lilre  de  Fils  de  l'homme  à  celui  de  Fils  de  Dieu  qu'em- 
ploient ses  interlocuteurs.  Plus  la  foi  relève  sa  dignité  sur- 
humaine, plus  son  amour  se  plaît  à  affirmer  sa  communauté 
cunqjlète  de  nature  avec  nous.  Cette  remarque  explique 
peut-être  pourquoi  ce  nom  de  Fils  de  l'honnne  que  se  don- 
nait Jésus,  n'est  point  employé  par  les  apôtres  dans  le 
Nouveau  Testament.  Le  passage  Act.  VII,  50  ne  forme  pas 
une  exception;  Etienne  désigne  Jésus  tel  qu'il  se  présente  à 
lui,  et  Jésus  lui  apparaît  sous  la  forme  qui  le  lapprochc  le 
plus  de  son  disciple  mourant. 

D'après  l'explication  la  plus  généralement  admise  au- 
jourd'hui, Jésus  par  cette  expression  aurait  simplement  voulu 
se  désigner  comnie  le  Messie.  Ce  serait  une  allusion  à  un 
passage  prophétique,  alors  déjà  ejivisagé  comme  messia- 
nique, Dan.  Vil,  13  ;  <iJe  fis  comme  un  fds  d'homme  ve- 
t.  22 


888  piiKMiKiii':  l'An  ri K. 

vaut  sur  l('s  mires  des  cli'U.r.))  Voici  |f  ((Uilcxlc  (l(>  ('(MIc 
parolr  :  Les  phasos  Ho  la  piiissancf  Imcsirc  sn  sont  |)ivsen- 
liM»?  ail  piMplit'It'  sons  l'iinaj^»'  <l<'  IhMcs  rcroecs;  (-'('si  l'iMii- 
l»Ii''mi'  «le  leur  caraclôif  viulcnl  cl  luiilal.  Aju'ès  cela  s'odro 
à  si's  rt'^'ards  \o  royaume  iiicssiaiiifjm*  sons  la  fi^iiiro  (riiii 
hoimno  (pii  reçoit  la  inoii;iirliic  universelle  cl  (l(''liiiilive  de 
la  main  ilc  lAiicicn  des  jonrs.  ("-cl  rinjijciiic  l;iil  ressortir  le 
cai'aclère  vraimenl  linmaiii  de  ce  jion\oir.  Celle  proplnMie 
était  deveiine  lrès-po[inlaire  en  Isi'aej,  Icllcmenl  (|ne  le  Messie 
avait  recn  le  nom  de  ''j]*''.  /'Iioinnii'  des  luices.  I.es  iiiter- 

prè|(>s  concliiml  de  là  (Jik,'  le  lidc  de  l-'ils  de  riiomiiie  doil 
elle  |inrcineiil  cl  simjdemcnt  l'équividcnl  du  mol  Messie*. 

II  esl  inconleslaldc  (pic,  d;iiis  un  iiioiiicnl  liès-solemicl 
(Mallli.  XXVI,  (ii),  .lésns  a  lait  allusion  à  la  propliétie  de 
Daniel  :  a  Dès  ce  uiowcnl  vous  verrez  le  Fl/s  de  l'homme  assis 
à  la  droite  de  In  puissance  et  venant  sîtr  les  nuées  du  ciel.  » 
Il  c>l  donc  ccriain  (]ut\  d;ins  la  pcnsi'c'  de  Jésus,  le  litre  de 
Fils  de  riionime  rcnreiinait  la  (jualité  de  Messie.  Mais  résulle- 
t-il  de  là  que  le  premier  de  ces  termes  doive  être  envisagé 
comme  synonyme  fie  l'autre?  Déjà  dans  la  prophétie  de 
Daniel,  le  nom  de  l'il>  de  iliumme  a,  comme  nous  l'avons 
vu,  un  sens  plus  .spécial,  résullanl  du  contraste  avec  les 
Ijêles  qui  ont  jiré-cé'dé.  Fneore  liieii  moins  cette  si^iiiification 
peut-elle  suffire .  ipiaiid  il  s'agit  d'exiiliquei'  renijiloi  de  ce 
nom  d.'iiis  la  luniclir  de  .Ii'sus  lui-même.  Dans  les  enij)ruuls 
que  Jésiis-dlirisl  fiiil  à  la  ledre  de  l'Aniien  Testament,  sa 
parole  conseive  toujoins  le  caractère  de  libre  création. 
Comment  le  nom  de  prédilection  dont  il  s'est  servi  liabiluel- 
lement  pour  se  désif^ner  lui-même  ne  serait-il  que  le  produit] 
d'une  servile  iniitation'.'  Si  (pnlqne  chose  a  dû  jaillir  spon- 
lanémenl  th;i^  f)rofoudeurs  de  la  conscience  de  Jésus,  c'est] 
assurément  le  nom  qui  résumait  ses  relations  avec  la  racej 
WonI  il  avait  consenti  à  devenii-  membre.  De  plus,  il  est  im-j 


rr.F.MIER  CYCLE.  —  CHAP.  I,  52.  339 

possililc  (le  prouver  historiquement,  Liickc  lui-même  l'avoue 
fiaiicliemt'iil  (j).  iCr2),  que  le  tei'uie  Fil.s  de  riiomme  fût  une 
(iénominiilion  usitée  cIk/,  les  Juifs  j)oui'  désigner  le  Messie, 
i.ucke  ne  peut  démontrer  cet  usage  prétendu  que  ji;u-  jVni- 
|)loi  que  Jésus  a  fait  de  ee  terme,  de  sorte  qut.'  rexplicatiou 
lie  ce  nom  fondée  sur  cet  usage  n'est  en  réalité  qu'une  pé- 
tition de  principe.  Le  passage  XII,  Si,  que  l'on  cite  quel- 
quefois pour  prouver  l'emploi  populaire  du  mol  Fils  de 
l'homme  dans  le  sens  de  Messie,  peut  aussi  hien  être  alié-gué 
en  faveur  de  l'opinion  opposée.  Le  peuple  comprend  hien 
que  le  nom  de  Fils  de  l'homme  est  dans  la  bouche  de  Jésus 
une  désignation  messianique,  ets'étonnant  de  l'entendre  af- 
firmer de  lui-même  comme  tel  des  choses  qui  ne  convien- 
nent pas  au  Christ,  ils  lui  demandent  tout  naturellement  si 
donc  celui  qu'il  u(jmme  le  Fils  de  l'homme  est  un  auti-e  per- 
sonnage que  le  Christ.  Cette  question  serait  à  peu  près  im- 
possible si  le  sens  de  l'expression  eût  été  fixe  et  technique. 
Il  est  d'ailleurs  des  passages  dont  il  est  absolument  impos- 
sible de  rendre  compte  en  substituant  l'idée  de  Messie  à 
celle  de  Fils  de  l'homme.  Ainsi  Matth.  XVI,  13. 15  où  Jésus 
demande  aux  disciples  :  «  Qui  disent  les  hommes  que  je  suis, 
moi ,  le  Fils  de  f homme?  ....El  vous,  qui  dites-vous  que  je 
snis?y>  La  réponse  attendue:  a  Le  Messie, y>  formerait  une 
pure  tautologie  avec  la  question,  si  le  terme  Fils  de 
l'homme,  employé  dans  la  question,  n'avait  d'autre  sens 
que  celui  de  Messie.  Ainsi  encore  Jean  V,  27  :  a  Le  Pire 
n  donne  au  Fils  d'exercer  le  jugement,  parce  qu'il  est  Fils 
de  l'homme.  »  L'article  ne  pourrait  en  aucun  cas  manqu(?r 
si  le  sens  était  :  «Parce  qu'il  est  le  Messie. y>  D'ailleurs  c'est 
aj)pauvrir  étrangement  la  pensée  de  Jésus  dans  ce  passage 
que  de  rinterpréler  ainsi  :  «Je  suis  le  juge,  parce  que  je 
suis  le  Messie.  "  11  fait  bien  plutôt  reposer  sa  (pjalilé  de 
juge  sur  sa  complète  participation  à  la  nature  humaine.  C'est 


840  PnEMIÈRK  l'AiniK. 

par  Mil  tlo  S('>  (i;tii>  (|iir   rimiiuinili'   doit  r\rv  ,jii;,''<''C  (voir 
rext'gèso). 

Co  dci'iiii'i'  |i;iss;ij^<'  nous  nid  sur  In  Vdic  |Miur  (h'coMvrii' 
le  si'Ms  n'i'l  (If  (('lie  (h'iinniiniiliiin ,  ikIujiIi'm'  |i;u' .^'sus.  Dans 
un  sens  j^i'Mi'ral  le  It'riiio  fils  d'Iiomuic  sif^nilic  :  un  reje- 
ton (\c  resjtèce  luiniaiiie.  Ps.  MU,  ;">  :  <iQt('cst-cc  que  de 
l'homme,  que  tu  te  souvictmes  de  lui,  et  du  fils  de  Hiomme, 
que  tu  /('  visites?'^  Ce  sens  orif^inain'  (Jdil ,  (dniinf  nous  l'a- 
vons ri'(H)iinu,  èiro  niainlcnu  nirnic  dans  le  jiassage  de  Da- 
niel; le  sens  de  Messie  n'en  est  (|u'une  a|)jili<ation  et  une 
conséquence.  Jésus  voulait  donc  avant  tout,  en  adoptant  cette 
dénonu'nation,  faire  ressortir  son  lutniojj'^énéité  complète  avec 
nous.  Mais,  en  ajoulani  l'ailicle  devant  moj,  il  est  manifeste 
qu'à  côté  de  l'éj^alilé  afTii-uM-c,  il  établissait  aussi  son  absolue 
sujit'iiorili''.  Jésus  s'allriliiiail  par  là  une  position  iniique  au 
sein  de  cette  race  doni  il  >"i''iail  lail  nirinlin'.  Il  se  déclarait 
non-seulement  un  liominr  ,  tiu  vrai  liomuie,  mais  le  rejeton 
par  excellence  de  la  race  bnmaine,  riioninie  attendu,  jirévu, 
nioi'aleinenl  nécessaire,  le  repri'scnlaiil  nornial  ilu  ty|»e.  Se 
désigner  ainsi,  c'était  aflii-mei'  iniplicilcnient  sa  (pialilé  de 
Messie;  c'était  le  faire  avec  nm-  adunialdc  prudence;  c'était 
snbslitner  l'idée  au  signe  dont  le  sens  étail  faussé,  et  tra- 
vailler à  restituer  à  celui-ci  .sa  valeur  réclh-.  Ji'-sus  Ircjuve 
ainsi  le  moyen  d'affirmer  de  lui-mèinc  tout  ce  (|u"il  y  a  de 
plus  grand,  tout  en  cmjdoyanl  la  l'onnc  la  jdus  fraternelle 
et  la  plus  humble.  Son  égalité  parfaite  avec  nous  s'expiime 
jus(pie  dans  le  terme  qui  révèle  sa  supériorité  absolue  sur 
nous.  Tout  ce  qui  s'appelle  homme,  à  l'ouïe  de  ce  titre  : 
le  Fils  de  Chommey  pcutdiif  :  \oilà  mon  fréic,  mon  rcpié- 
sentant;  me  voilà  moi-même,  tel  (|ue  je  devais,  tel  que  je 
devrais  être,  tel  que  je  j»uis  encore  en  lui  devenir!  Si  donc 
Jésus  s'est  rattaché,  en  adoj)lant  ce  nom,  à  la  dénomination 
prophétique  employée  par  Daniel,  il  ne   l'a   tàil  que  j»arce 


PRKMIER  CYCI.i:.  —  CHAP.  I,  ô'J.  341 

((lU'  ce  Icrmc  rorrespondnit  hirn  n'cllomonf  nux  pins  pro- 
Ibiuls  Ijcsuiiis  de  son  cœiii'  cl  de  sa  euiiscienee  d'Iiuiiiiiie. 

Ainsi  comprise,  celle  dénoniinatiuii  leinarquable  ptMjl- 
ellf  ne  jias  renleriiK'r  en  iiirine  temps  une  allusion  ;'i  la  jno- 
messe  juimilive,  (pii  aniKtinait  (jne  ce  serait  jtar  h\  poster  i  té 
de  la  femme  que  Dieu  remporlerail  la  victoire  complète  sur 
le  mortel  ennemi  de  noire  race?  On  sentira  mieux  la  vérité 
de  ce  rapprochement,  si  l'on  se  rappelle  que,  dans  la  for- 
nude  Fils  de  l'homme,  le  mot  o  àvOpoTtcç,  rhomme,  désigne 
non  l'individu,  mais  l'espèce. 

Bohnie  (Vcraucfi  das  Gelieimniss  des  MenschensoJins  zu 
euthullen,  1830)  a  développé  l'idée  que  le  but  de  Jésus, 
eu  choisissant  cette  dénomination,  avait  été  de  déjudaîser 
l'idi'e  de  Messie  et  de  rendre  à  celle  notion  son  sens  humain 
et  universel.  L'universalisme  chrétien  ressort  de  ce  term<', 
comme  conséquence;  mais  les  textes  ne  prouvent  point  que 
ce  soit  cette  idée  qui  en  ait  provoqué  l'emploi. 

Les  Pères  et  plusieurs  modernes  pensent  que  cette  déno- 
nu'nation  doit  s'explifjuer  par  le  sentiment  d'un  contraste 
renfermé  dans  la  conscience  de  Jésus  :  celui  de  son  huma- 
niti',  d"inie  part,  et  de  sa  véritable  essence,  sa  nature  divine, 
de  l'autie.  Et  en  eflet  le  sentiment  d'un  grand  contraste,  celui 
de  sa  nature  prise  et  de  sa  nature  réelle,  devait  former  le 
fond  et  comme  l'arrière-plan  de  la  conscience  de  Jésus;  et 
si  Jésus  ne  se  fût  senti  en  réahlé  autre  chose  ijuimi  homme, 
il  est  difficile  de  croire  qu'il  se  fût  complu  à  se  désigner  ex- 
j)ress(''menf  comme  le  Fils  de  l'homme.  Mais  résulte-t-il  de 
là  que  ce  contraste  ait  été  le  motif  direct  et  positif  de  cette 
dénomination?  Il  ne  nn-  paraît  pas  qu'on  ait  léussi  à  le 
prouver. 

De  Wette  et  Tholuck  enfin  expliquent  h'  nom  de  Fils  de 
l'homme  par  le  sentiment  qu'avait  Jé.^us  de  l'inlirmité  de  son 
apparition  terrestre  :  «  Cet  honmie  sans  apparence,  qui  dans 


M'i  PRKMlKnK  PARTIK. 

>a  li.'issrssc  util  rsl  [»;is  nioiiit;  le  |n'rs(ii)iia^M>  ^Horicnx  roii- 
loiiiplô  p;u-  naiiit'l»  (de  Wctlo).  —  Lv  |»assii;i('  Joaii  V,  "21 
ne  nie  paraît  pas  coinpalildc  avec  celte  explicalion.  Ce  (pi'elle 
renferme  de  vrai  est  aceidciilrl  et  provient  de  ce  (jiic  la 
iKtlimi  de  faildesse  esl  atlacliéc  à  eellc  d  liimianili!',  smloiiL 
dans  Itiat  dans  le(piel  Jésus  a  pris  nuire  nalure. 

Si  nous  appliquons  au  conlexle  r('X|)licalion  à  latjnclle 
nous  nous  soninies  arrèl»*,  nous  paraphraserons  ainsi  :  «Tu 
conlenipleras  un  sjieclacie  plus  j,d(»rieux  eneore  que  If  mi- 
racle qui  vient  de  larraeher  un  jireniier  cri  de  foi  ;  vuns 
verrez  dès  ce  moment  un  homme,  voire  semblable,  dispo- 
sant libremenl  de  1  arm/'e  dcscieux  cl  faisant  des  messagers 
célestes  ses  serviteurs  sur  la  terre.»  Le  miracle  de  Cana, 
qui  suil  immédialement,  doil  èlre  envisagé  comme  la  plus 
prochain*'  réalisation  de  celle  promesse  :  c'est  k-  preniiei' 
ange  qui  moule  et  descend. 

Il  ny  a  pas  de  plus  lavissanl  sj»eclaclc  (pie  celui  de  la 
facilité  avec  laquelle  se  produit  la  foi  dans  ces  âmes  simples 
t'I  diuiits  (pii  «nirent  pour  la  première  fois  en  conlact  avec 
Jésus.  Si  Jésus  esl  vraiment  ce  (praffirme  de  lui  le  j)rol<)giie, 
la  lumière  incréée  qui  se  communique  originairement  à  toute 
ànie  humaine,  et  si  ces  rencontres  variées  que  nous  venons 
d'étudier  sont  de  vrais  fails  historiques,  elles  ont  un  prix 
unique,  un  charme  indéfinissable;  elles  sont  le  plus  beau 
commentaire  de  cette  j)arole  :  «  Celui  qui  fait  la  vérilé  vient 
à  la  lumière,  afin  que  ses  œuvres  soient  manifestées  comme 
étant  faites  en  Dieu.  »  L'on  conipiend  alors  et  l'iinpoilance 
décisive  que  ces  petits  commencements  ont  acquise  dans 
l'histoiic  du  monde  et  le  .soin  avec  lequel  l'évangéliste  les  a 
raconlé>  à  l'Église.  Dans  toute  supposition  contiaire,  rien  de 
plus  insignifiant  que  ces  récils,  et  l'on  s'explique  à  peine  dans 
quel  but  ils  auraient  pu  être  inventés  ou  rapportés. 


I 


PREMIKR  CYCLE.  —  CIIAP.  1,  5:J;  II,    I.  .343 

Sur  "  piincipak's  vaiianlcs  (v.  ilO.  24.  25.  27.  28.  42.  52),  depuis 
le  V.  19,  les  Mss.  alex.  oui  0  fois  de  fausses  le(;ons.  Le  Sinail.  el  le 
Valic.  ont  t'ii  oulro  |ilusi('uis  fautes  (|iii  Iciu  sont  |iarliiulièros. 


TROISIEME  SECTION. 

II.  i-ii. 


Le  premier  miracle.  — Affermissemeiit  de  la  foi. 

Jésus,  après  avoir  été  signalé  à  ses  premiers  disciples 
iiinme  le  Messie,  avait  manifesté  par  mie  parole  de  science 
miraculeuse  la  relation  intime  qui  l'unissait  à  Dieu.  Il  dé- 
ploie maintenant  à  leurs  yeux  sa  gloire  dans  un  acte  de 
luule-jtuissance,  et  leur  foi,  s'attacliant  à  ce  fait  d'un  ordre 
tout  nouveau,  s'élève  de  plus  en  plus  à  la  hauteur  de  son 
objet.  Tel  est  le  sens  général  de  ce  morceau  (v.  11). 

Ce  premier  miracle  n'appartient  pas  encore  proprement 
au  ministère  de  Jésus,  car  il  a  lieu  dans  le  cercle  de  la  fa- 
mille. C'est  ici  le  point  de  jonction  entre  l'obscurité  de  la 
vie  privée,  dans  laquelle  Jésus  avait  vécu  renfermé  jusqu'à 
ce  moment,  et  l'activité  publique  qu'il  va  commencer.  Toutes 
les  qualités  douces  el  aimidjles  par  lesquelles  il  avait  em- 
belli le  foyer  domestique,  il  les  déploie  encore  une  fois,  et 
ivec  un  éclat  inconnu  jii>qii'alois ,  dans  ce  domaine  sacré 
de  la  famille,  y  laissant  ainsi ,  avant  de  le  quitter,  l'em- 
preinte divine  de  son  passage.  C'est  un  adieu  nival  à  ses 
lelaliuns  de  lils,  de  frère,  de  parent,  d'ami. 

V.  1.  (Et  le  troisième  jour,  il  y  eut  une  noce  à  Cana 
de  Galilée  ,  et  la  mère  de  Jésus  était  là.  ■<  —  Une  distance 
de  vingl  t-l  qm-lipics.  lit-ues.  en  ligne  directe,  sépare  l'en- 
ilroil  où  Jean  baptisait  de  Nazaietli ,  où  Jésus  se  rendait 
probablement.  Ce  voyage  exige  trois  jours  de  marche.  Le 


M't  PREMIÈRE  PARTIK. 

premier  fui  .  st'lou  rin(ri|tit''l;ili()ii  iiiiliirt'llt'  du  (oxic.  relui 
qui  est  in(li(|ué  1,  ii  cunime  jour  tlu  (l(''i>;iil.  I.e  second  es! 
sous-entendu  ;  ce  fut  peul-fMrc  celui  où  cul  li'ii  la  reneontre 
de  Nalhnnaël.  Le  Iroisièine,  les  voyageurs  luirciil  arriver 
d'assez  hoiuie  heure  dans  la  contrée  de  Cana  et  de  Naza- 
reth. Ainsi  s'expli(jue  très-simplement  la  date  :  «  Iji  troisième 
jour,  «>  V.  I.  —  On  connaît  aujourd'hui  en  Galilée  deux  en- 
droits du  nom  de  Cana.  I/un,  Knna  d-Djélil  (Cana  de  Gn- 
lilcc),  est  situé  à  deux  heures  et  demie  environ  au  noid 
de  Nazareth  ;  l'autre  porte  le  nom  de  Krfr-Kenna  (village 
Cana)  et  n'est  qu'à  une  lieue  de  Nazareth,  vers  l'est.  Depuis 
Robinson,  on  opte  ordinairement,  dans  notre  passage,  pour 
le  premier  (Hitler,  Meyer);  c'est  l'opinion  à  laquelle  incline 
M.  Renan  (Vie  de  Jésus,  jt.  71).  Le  surnom  cl-Djé/il  parle 
fortemeni  en  faveur  de  cette  opinion.  Ilengstenher^'-  opine 
néanmoins  pour  le  second,  et  avec  raison,  à  ce  qu'il  nous 
paraît.  Lt-  jireinicr  n'est  guère  qu'une  ruine  et  ne  possède 
pas  une  population  stable  et  capable  de  conserver  une  tra- 
dition certaine  sur  le  nom  de  l'endroit.  De  plus  ,  la  situation 
du  second  facilite  l'explication  de  notre  récit.  En  effet,  comme 
la  date  :  €  Le  troisième  jour,»  porte  sur  loul  le  morceau 
suivani ,  jusqu'au  v.  11 ,  c'est  le  jour  même  de  l'arrivée  que 
le  miracle  doit  avoir  eu  lieu.  Or,  même  en  n'arrivant  à  Na- 
zareth que  vers  le  soir  du  troisième  jour ,  Jésus  pouvait 
encore  se  rendre  facileinenl  avant  la  mnl  au  bourg  trés- 
rapproché  de  Kefr-Kenna;  ou  bien  ,  comme  cet  endroit  est 
situé  à  l'est  de  Nazaieth  ,  dans  la  direction  de  la  vallée  du 
Jourdain,  Jé.sus  pouvait  y  arriver  dircclcmenf ,  avant  qtie 
d'avoir  atteint  Nazarelh  ,  et  cela  d'aulanl  jilns  «pie  Nallia- 
naël  était  de  Cana  (XXI,  2)  ei  (pie  ,  si  ce  disciple  venait  de 
Galilée  au  moment  où  Philippe  le  rencontra,  Jésus  fui  sans 
doute  insiruil  par  lui  de  la  noce  «jui  devait  se  célébrer  à 
Cana  et  de  la  présence  de  sa  famille  en  cet  endroit  le  len- 


PREMIER  CYCLE.  —  CHAP.  Il,  1.  2.         345 

(Icniain.  —  Le  cornpli'iiifiil  île  GalUrr.  se  i-etroiiV('  IV  ,  46 
et  XXI,  2.  C'était  donc  11110  ()('nuiiiin:i(iuii  j)i'nnaneiito,  des- 
tinée n  distinguer  ce  Cana  d'un  autre  endroit  de  même  nom 
hors  de  Galilée,  sans  doute  eeliii  donl  il  est  parlé  Jos.  XIX, 
28,  et  qui  é'tait  situé  sur  les  confins  de  la  Phénicie.  D'après 
cela  ,  on  doit  douter  beaucouji  de  l'existence  de  deux  bourgs 
du  nom  de  Cana  ,  dans  la  Galilée  proprement  dite,  au  temps 
lie  Jésus. 

Le  nom  de  la  mère  de  .lésus  n'est  pas  indiqué ,  non  pas 
précisément  paire  (pie  Jean  suppose  ce  nom  connu  par  la 
tradition  —  rien  ne  l'aurait  empêché  de  l'ajouter,  même 
dans  ce  cas  —  mais  plutôt  parce  que  c'est  en  sa  qualité  de 
mère  de  Jésus  que,  comme  nous  le  verrons,  Marie  va  jouer 
dans  le  récit  suivant  le  rôle  principal.  —  Il  paraît  que  c'est 
à  l'occasion  de  la  noce  uniquement  (|uc  Marie  se  trouvait  là. 
C'est  ce  qu'indique  le  rapprochement  des  mots:  ail  y  eut 
une  noce,^^  et:  «^ Marie  était  W.  »  L'évangéliste  se  serait 
exprimé  tout  autrement ,  si  Marie  avait  déjà  précédemment 
demeuré  à  Cana ,  comme  l'a  supposé  Ewald  et  comme  le 
pense  aussi  M.  Renan  (p.  71  et  72).  Celui-ci  va  même  jus- 
qu'à diic  que  ce  fut  à  Cana  (|ue  «  se  passa  probablement 
une  partie  de  la  jeunesse  de  Jésus;  »  comme  si,  dans  ce 
cas,  Jésus  eut  pu  être  inconnu  à  Nathanaël,  qui  était  de 
Cana ,  et  lui  être  ])réscnté  par  Philippe  comme  venant  de 
Nazareth. 

V.  2.  '  Or  Jésus  fut  aussi  invité  à  la  noce ,  ainsi  que  ses 
disciples.  »  — Il  y  a  opposition  entre  l'imparf.  t'^a«7,  employé 
rn  [larlaul  de  Marie,  et  l'aor.  fut  invité,  appliqué  à  Jésus  et  à 
M'S  disciples.  Jésus  ne  fut  invité  qu'à  son  arrivée,  tandis  que 
Marie,  à  ce  moment  ,  t'Iiiit  dt'jà  là.  —  Il  ressort  de  tous  ces 
traits  que  la  famille  dont  il  s'agit  était  assez  étroitement  ap- 
parentée à  celle  du  Seigneur  ;  c'est  ce  que  prouve  aussi  la 
position  d'autorité  que  prend  Marie  dans  cette  maison,  dans 


346  l'iUMiiiii.  l'Anni:. 

la  soène  suivante  —  Le  siii;^.  fut  invité  viciil  tlo  ce  (jue  les 
disciples  ne  rnicnl  invités  (inrn  llioinirur  cl  coninic  en  la 
(icr.sdinic  (le  Ifur  Mailic.  M.  Killicl  cl  N.  traduisent  d'a[)rùs 
(juel(|iics  coMiiiniiiiilcurs  :  ncail  lic  iuritc.  Mais  (|iian(l  ? 
Avant  (le  se  rendre  au  baptême ,  uu  plus  taid,  par  un  nies- 
sii^^cr?  Deux  suppositions  (''{^alenicnt  iniprcdtaldcs.  l/ailleurs, 
rajt|»endicc  :  t  Aussi  hicii  que  ses  diseifiles ,»  est  inconipa- 
tilde  avec  ce  sens  de  |ihis-(|ur-p;irl';iil. 

V.  S.  y  Et  le  vin  ayant  manqué  ' ,  la  mère  de  Jésus  lui 
dit:  Ils  n'ont  pas  de  vin.  >  —  Les  noces  dinaicnl  (picl(|uc- 
l'uis  jilii>i<iii  s  jours  ,  nicnie  une  semaine  entière  (Gen.XXlX, 
27;  ,lii-.  .\1\  ,  15;  Toi».  IX,  12;  X,  1).  C'est  j)ar  celte  cir- 
constance ipie  Idn  explicpie  oïdinaiiemeiil  c(!  maii(|U(3  de 
vin.  Mais  il  parait  pliihti.  d'après  le  récit,  <jue  la  l'èle  ne 
dîna  qu'un  seul  jour,  comme  ce  devait  être  le  cas  dans  les 
familles  non  opulentes;  il  est  dune  plus  vraisemblable  que 
le  niaufjue  de  \iii  lui  occasionni'  jjar  le  surci'oîl  inallendu 
des  six  à  sept  nouveaux  inviti'S,  .lésus  el  ses  disciples.  — 
Que  veut  Marie  en  disant  à  J(''sus  :  >.<lh  n'ont  pas  de  vin))'! 
Denj^ad,  Paulus ,  ont  pensé  que  par  cette  parole  Maiie  vou- 
lait engagei"  Jésus  à  se  retirei'  el  à  donner  ainsi  à  lout(!  la 
société  le  si{,Mial  du  départ.  Et  la  réponse  de  Jésus  sij^nilie- 
rail  :  «  Qu'as-lu  à  me  prescrire?  L'heure  de  partir  n'est  pas 
encore  venue  pour  moi.  »  Lue  telle  ex|)li(atioii  ne  se  ii'l'ule 
pas.  L'expression  a  mon  heure»,  toujours  emj)loyée,  dans 
jiotre  évangile,  dans  un  sens  grave  el  solennet ,  suffirait 
pour  en  faire  sentir  l'impossibilité.  Il  en  est  de  même  de  celle 


I.  É<  ajoute  entre  oivoj  el  /.eyei  les  mots  ùxo^t^  o  otvo;  toj  y^|Jlou  tira. 
(Le  Ms.  lisait  priiailiveiiiciit  :  xai  oivov  ou/.  cix°v  °'^'-  cuvercXecOr]  o  oivo( 
Tcu  Yafioj  etra  /.tyei.  Le  correcteur  substitua  la  leço»  ordinaire  xai  uoie- 
pT,G(7vTo;  otvoK,  qiii  remplaça  le  texte  primitif  jusqu'au  t  de  ouveTeXeaôirj 
et  laissa  subsister  le  reste,  en  le  marquant  de  points  critiques.  VoirTisch. 

p.  LV.) 


pi!i:.Mii;ii  c.Yc.Li;.  —  chap.  h,  2.  3.  347 

(le  (l.'ilvin.  d'iiiurs  lii([ii('ll('  .M;iii<'  V(iul;iil  <■  adinoiiestcr  Jf-sus 
(le  (iiirc  (|iirl(|ii('  sjiiiilf  cxlicirlalioii ,  dr  peur  (\iw  l;i  cuiii|i;i- 
;j;iii('  lie  s't'iiiiiivi'il  ,  cl  iiiissi  |Kiiir  ciiiivi-ir  liniiiii'lnnciil  l;i 
lidiilc  (II'  ri'jioiix  »!  L;i  |i;ir()k'  :  « //.v  ii'o)i(  jxrs  de  L'i)i ,  "  a 
quelque  analoi^ie  avec  le  message  des  sœurs  du  Lazare  : 
il  Celui  (jiie  lu  aimes,  est  yii<(ladc.y>  C'est  une  prière  tacite. 
Mais  comment  vienl-il  à  la  pensée  de  Marie  de  recourir  à 
Jésus  j)Our  lui  dcmjiuder  assislance  dans  un  cas  de  ce  genre? 
Son^e-t-elle  à  un  miracle?  Meyer  pense  que  non;  car,  d'a- 
près le  V.  1 1  ,  Jésus  n'en  avait  pas  fait  encore.  En  consé- 
quence la  réponse  de  Jésus,  bien  loin  détendre  à  diminuer 
les  jiri'lentions  de  Marie,  aurait  élé  destinée  au  contraire  à 
élever  sa  foi  à  la  hauteur  de  l'œuvre  miraculeuse  que  Jésus 
se  prépai'ait  à  accomplir  contre  son  attente  :  ^  Laisse-moi 
seulement  faire!  Il  y  a  en  moi  des  ressources  que  tu  ne  con- 
nais pas,  mais  dont  tu  verras  bientôt  la  grandeur,  lorsque 
sera  venu  le  moment  marqué  jiar  mon  Père.  »  Après  cela , 
la  pai(»le  de  Marie  aux  serviteurs:  c(  Faites  tout  ce  qu'il  vous 
dira,  »  ne  présenterait  plus  aucune  diflicullé.  Mais  cette 
exjtlication  ,  (jui  suppose  que  Marie  demande  moins  que  ce 
((ue  Jésus  est  disposé  à  faire,  est  en  contradiction  avec  le 
sens  naturel  des  mots  :  «  Qu'y  a-t-il  entre  moi  et  toi?))  qui 
font  bien  plutôt  [iressentir  un  empiétement  de  la  part  de 
Marie  sur  le  domaine  exclusivement  l'éservé  à  Jésus,  une 
inlcrvciilidu  indiscrète  dans  son  rôle  de  Messie.  D'ailleurs 
jiar  (piel  moyen  autre  qu'un  miracle  Jésus  eùt-il  pu  tirer 
l'époux  d'eml)arras  ?  Meyer  ne  s'explifpie  pas  sur  ce  point. 
Marie  attend  donc  bien  évidemment  une  assistance  miracu- 
leuse. Mais  d'où  peut  lui  venir  une  telle  idée?  Hase,  Tlio- 
luck ,  ont  sujjposé  (jue  Jésus  avait  déjà  fait  des  miracles  au 
sein  de  sa  famille.  Le  v.  1 1  exclut  cette  hypothèse.  Liicke  la 
corrige,  en  disant  (juil  avait  du  moins  manifesté,  dans  les 
embarras  de  la  vie  domestique ,  des  dons  et  un  savoir-faire 


348  PnEMIKΌ  rARTlK. 

parliniliVrs  :  un  de  ces  coniinodes  jiisli's-iniliiMix ,  comme  on 
en  rencontre  souvent  cliez  ce  cominrnhilcnr.  ijui  lui  ont 
valu  (le  si  vertes  répi'iinnndes  de  l;i  jkhI  de  Baur,  et  (|ui 
disent  rn  cll'cl  trop  <»ii  tnip  peu.  llappelons-nous  daliurd 
que,  si  la  cause  du  Mian(pn'  de  vin  l'Iail  n'H'llcinenl  la  pré- 
sence inalfiMidue  du  Scij^neiu"  •'!  de  si's  disciples,  il  élail 
assez  naturel  (juc  Mai'ic  s'adiTssàt  à  Jésus  tout  d'ahord  dans 
IfiMliarias  nù  rnn  sr  tidUMiil.  Mais  rnsuilc  il  l'aul  se  rcpn''- 
senter  l'étal  d'exaltation  dans  lequel  devait  se  trouver  en  ce 
moment  toute  cette  société,  Marie  suilnul.  On  se  racontait 
ce  qui  venait  de  se  passer  en  Judée  ,  les  témoignages  rendus 
si  solennellement  à  Jésus  par  Jean-Baptiste,  la  scène  mira- 
culeuse, et  jusque-là  ignoive ,  de  son  Iiaplènie  ,  que  Jean 
venait  eniin  de  dt'voiler,  la  preuve  de  savoir  surnaturel  (|ue 
Jésus  avait  donnée  en  lencunirant  Nallianaël.  Les  esprits 
devaient  surtout  être  remplis  de  la  jiromesse  que  Jésus 
venait  de  faiie  I,  52.  Ce  ciel  ouvert,  ces  ang:es  montant  et 
descendant,  tout  avait  ('lé  probablement  pris  au  sens  pro- 
pre. L'attente  du  merveilleux,  le  a7],u.£Îa  aiTsîv  ,  que  saint 
Paul  sig'nale  1  Cor.  I,  22  comme  le  trait  caracléristi(jue  de 
la  piété  juive,  était  excitée  chez  tous  au  pins  haut  degré. 
Enfin  le  fait  que  Jésus  paraissait  pour  la  première  f(jis  en- 
touré de  disciples ,  eût  suffi  pour  signaler  avec  éclat  la  f)liase 
nouvelle  dans  laquelle  il  venait  d'entrer.  Comment  le  sou- 
venir, si  long-temps  comprimé,  des  circonstances  merveil- 
leuses qui  avaient  accompagnié  la  naissance  de  ce  fils,  ne  se 
.serait-il  pas  en  ce  moment  réveilb'  avec  foicc  dans  le  cœur  m 
de  Marie?  L'heure,  si  impatienmient  attendue,  de  sa  mani- 
festation, de  son  àvâhzib.ç  Trpôç  tôv  'Iffpa-rj'X  (Luc  I,  80),  est 
enfin  arrivée.  Il  semble  à  .Marie  rpTil  lui  aj)partient ,  comme 
à  celle  qui  a  n.'çu  les  premières  révélations  de  sa  future 
grandeur,  de  donner  le  sig-nal  de  ce  moment  drkisif.  Elle 
est  habituée  à  l'obéi-ssance  de  son  fils  ;  et  elle  saisit  la  prc- 


I 


I-KL.MIEII  CVCLK.  —  CHAI'.   II.  3.    t.  8i9 

luiùic  ciriKinslance  ([ui  s'ollic  ;'i  dlr  |Miiir  ivîiliser  son  ar- 
dent désir.  Si  r<»ii  n'|ila(<'  la  (taidlr  dr  Marit-  dans  celte 
situation  générali',  on  (•(»iii|iicM(lia  lii('iM|u<' ce  (iircllf  veut, 
n'est  pas  lanl  rassislaiice  de  Jésus  en  laveur  de  lépitux 
L'inliaii-assé ,  qu'un  aelc  d'éclat  inaugurant  sa  royauté  nies- 
sianiijue.  Elle  voil  déjà,  à  l'occasion  de  ce  manque  de  vin, 
le  ciel  s'oiiviir,  raiii^r  monter  et  descendre.  Dans  sa  dispo- 
sition d'esprit,  luule  autre  difficulté  de  la  vie  lui  eût  servi 
de  prétexte  pour  chercher  à  obtenir  le  même  résultat:  «Tu 
es  le  Messie;  il  faut  que  tu  le  montres!  »  On  voit  se  repro- 
diiiif  ici  la  troisième  forme  de  la  tentation  du  désert  (Luc  IV, 
0)  :  Jésus  est  invité  à  faire  de  son  pouvoir  miraculeux  un 
usage  qui  dépasse  la  limite  indiquée  par  l'appel  providentiel. 
V.  i.  A  ce  point  de  vue  ,  la  réponse  de  Jésus  n'oflVe  rien 
(jue  de  naturel.  (^  Jésus  lui  dit  :  Qu'y  a-t-il  entre  moi 
et  toi,  femme?  Mon  heure  n'est  pas  encore  venue.»  — 
Cette  réponse  renferme  deux  choses  :  elle  rappelle  d'abord 
à  Marie  son  incompétence  dans  le  domaine  où  elle  s'ingère; 
puis  elle  motive  le  refus  partiel  que  Jésus  est  obligé  d'op- 
poser à  sa  demande.  Dans  la  carrière  où  il  vient  d'entrer, 
Jésus  ne  dépend  plus  que  de  son  Père;  sa  devise  sera  désor- 
mais :  Mon  Père  et  moi.  Marie  doit  a[)prendre  à  le  connaître 
comme  le  serviteur  de  Jclioca/t  uni((uement,  et,  dès  qu'il 
s'agit  de  l'œuvi'e  messianique,  cesser  de  voir  en  lui  son  lils. 
La  Idciilion  :  "  Qii'i/  d-l-il  entre  moi  et  toi?  »  est  une  expres- 
sion fn''quriit(!  dans  l'Ancien  Testament,  et  que  l'on  ren- 
contre même  parfois  dans  le  grec  profane.  Gomp.  Jug.  XI, 
1-2;  -2  Sam.  XVI,  10;  l  Kois  XVII,  18;  2  Kois  III,  13.  On 
cite  la  r(''jionse  d'un  stoïcien  à  un  nio(jueur,  ipii  lui  deman- 
dait, au  moment  où  leur  navire  allait  périr,  si  le  naufrage 
était  un  mal  ou  non  :  «(Ju'y  a-t-il  entre  nous  et  toi,  ô 
homme?  Nous  périssons,  et  tu  te  permets  de  plaisanter!» 
Cette  formule  signilie  toujours,  comme  le  dit  ïlengsten- 


f\ÔO  PREMIKHE  PARTI K. 

brrg.  (|irnno  rolalion  Itii'iivcilliiiilr  on  lii)slilt\  que  l'un 
»l«^s  iiitoiImMilcnrs  ossnio  de  fciiiiici',  est  i-('|)(iiisséc  par  l'an- 
lic.  M;ni<'  ;i\;ul  cnmpii^  le  ;^i;iiiil  i  liimuriiicnl  ipii  s'()|i(''rail 
en  ce  moMM'iil  (l:ms  rcxisliiicc  de  son  \\\>:  mais,  conini*' 
il  arriva  si  soiivcnl  de  nos  coiniais.'sanccs  rcli^^icnses,  elle 
n'avait  j»as  tirt'  df  «c  fait  la  consiMpicncc  jjrali(|nf'  qui  la 
concemail  personncllcnirnl.  Jôsus  osl  oldij,'^!'  de  \,\  Ini  rap- 
|»cliM' :  «OiH'l  litn  Ao  déjtondance  y  a-l-il  dr  moi  à  loi  dans 
la  làrho  <pn'  je  rnn|tlis  niainlcnanl?»  Celle  |)arolo  est  pour 
Marie  la  n'-vélalion  inattendue  de  cette  situation  nouvelle. 
L'alloeulinn  Yy'va'.,  femme,  se  trouve  expliquée  par  là.  Dans 
la  lan;,Mie  dans  laijuelle  parlait  .lé.sus,  aussi  Iticii  que  dans  la 
langT'if'  grecque,  ce  terme  ne  renferme  rien  de  désol)li<,^eanl, 
ni  de  contraire  au  respect  le  plus  pnjfond.  Dans  Dion  Gas- 
siiis.  une  reine  est  abordi-e  par  Auguste  avec  cette  expres- 
sion. Jésus  1  l'nqiloif ,  d'ailleurs,  en  s'ndn-ssant  à  sa  mèi'e 
dans  un  moment  d'inexprimable  tendresse,  lor.<;que,  du  haut 
de  la  croix,  il  lui  parle  jtour  la  dernière  fois,  XIX,  26.  Dans 
le  cas  actuel,  ce  terme  doit  faire  sentir  à  Marie  que,  dans 
la  sphère  où  Jésus  vient  d'entrer,  elle  ne  peut  le  diriger  ou 
même  raccompagner  comme  mère;  (pTelle  n'est  plus  pour 
lui  qu'une  simple  femme.  «C'est  ici  jjoui'  Marie,  conmie  l'oh- 
serve  bien  Lutliardt,  le  commencement  dune  douloureuse 
éducation.»  Le  milieu  de  cette  éducation  sera  marqué  par 
la  question  de  Jésus  :  «  Qui  sont  mn  mère  et  qui  sont  mes 
frères? )f  (Luc  VIII,  10  et  suiv.);  le  terme,  par  c<;tte  seconde 
allocution  :  Femme  (XIX,  20),  qui  signalera  la  rupture  défi- 
nitive de  la  relation  terrestre  entre  la  mère  et  le  fils.  Marie 
sent  à  Cana,  jioui-  la  première  fois,  la  pointe  du  glaive 
qui,  au  pied  de  la  croix,  transpercera  .son  cœur.  —  Après 
lui  avoir  fait  sentir  son  incompétence,  Jésus  motive  son 
refus.  Les  mots  :  a  Mon  lièvre  ii'est  pas  encore  venue,* 
ont  été  compris  par  Meyer,  Ilengstenberg,  Lange,  liiggen- 


puKMiKR  cYci.r:.  —  cnAP.  11.  i.  351 

IkicIi    {I.i'hi'))   (les  Hcrrn   .fr.vî/,  p.  .'{7'î  ),  dniis  un  scds  (l'ùs- 

irslirilll  :   riiriiic    (TMidri     |i;ir    MM    IMillIclr.    I*()1M"   ('X|»liijM('|- 

les  piu'oh's  (!<•  Marif  (pii  sMivcul,  eus  interprètes  suj)j)Osenl 
(It'Mx  choses  :  1°  (|ue  .h'sns  a  reeu  de  son  Père,  imméfliate- 
MM'Mt  apivs,  un  signe  inléiieur  (pii  Ini  a  permis  d'obteiM- 
pi'iei'  aM  vœu  de  sa  mère;  2^*  (pTil  a  fait  connaître  à  celle-ci, 
par  MM  gf'sie  OM  par  mm  mioI  ,  celle  circonstance  nouvelle. 
C'est  lieaucoui)  ajouler  an  texte.  D'ailleurs,  si  Jésus  n'a  en- 
core reçu  aucun  signe  de  la  volonté  de  son  Père,  comment 
peut -il  dire  :  «pas  encore'»^  Comme  s'il  savait  d'avance  qne 
la  periMission  qu'il  n'a  point  encore  reçue,  va  Ini  être  ac- 
cordée! Enlîn,  ce  sens  donné  à  l'expression  amon  ]ienrey> 
ne  réjiond  pas  à  la  signification  grave  et  solennelle  attachée 
à  ce  ternu?  dans  tout  noire  évangile.  Que  si  l'on  voulait  ab- 
solument s'écarter  ici  de  ce  sens  en  quelque  sorte  tech- 
nique, il  vaMdrait  certainement  mieux  donner  à  la  j)roposi- 
tion,  connue  le  faisait  Grégoire  de  Naziance,  la  tournure 
interrogative  :  «L'heure  de  mon  émancipation,  de  mon  au- 
tonomie, n'est-elle  pas  venue?»  Mais  il  est  d'autant  plus 
impossible  de  donner  ici  à  l'expression  v.mon  hciirey>  un 
sens  si  affaibli,  qu'elle  se  trouve  liée  au  verbe  est  venue, 
comme  dans  tous  les  autres  passages  de  Jean  :  «So7i  heure 
n'élnit  pas  encore  venue))  (VIII,  20).  ((L'heure  est  venue y> 
I  Ml,  'i:^:  XVII,  i).  Comp.  Vil.  (>  :  ((Mon temps  n'est  pas  en- 
core là.  ^'>  Son  heure,  dans  ces  passages,  c'est  invariable- 
ment celle  de  sa  manifestation  messianique.  Cette  manifes- 
tation |iouvait  avoir  lieu,  soit  sous  une  forme  glorieuse  cl 
triomphante,  si  Israël  consentait  à  le  reconnaître  et  à  le 
proclamer  comme  son  roi,  soit,  si  son  peuple  le  rejetait, 
sous  la  forme  d'un  supplice  .suivi  d'une  gloire  purement  cé'- 
lesle.  Jésus  ne  précise  rien  sur  la  foi'me  en  laqndle  se  léa- 
lisera  son  heure;  il  fait  simplement  comprendre  à  Marie, 
impatiente  de  monter  avec   Ini    les  dcgn-s  du  Irône ,  que 


352  l'HEMlKllK   l'AliTIK. 

riic'urc  ik'  1  avt'iic'iUL'iil  ruyal  n';i  |ioiiil  ciiciirc  .soiiik'.  (l"(''lail 
dans  lu  capilalc,  cl  non  puiiil  au  sein  de  la  l'aMiill)',  ijhc 
devait  se  inanilesler  iiuvcilcim  ni  li-  .Messie  ;  le  Temjije  ('tail 
le  lliéàlie  divinement  |H(''|iaié  pour  eolte  sainte  et  glorieuse 
re\élaliun.  Ce  sens  du  mol  <^iiioii  heures)  devait  être  fanii- 
liei' à  l'esprit  de  Marie.  (Jiie  de  luis,  dans  ses  entretiens 
intimes  avee  Jésus,  ne  sétail-ejlc  pas  sans  doute  servie  elle- 
même  de  cette  expression  pour  désigner  le  iiionienl  vers 
le(juel  s'élan»;ait  son  désir  d'Israédite  et  de  nièi<.'  !  —  .l(''siis 
repousse  la  ilemande  de  Marie,  dans  ce  (ju'elle  a  d'andtitieux. 
11  agit  ici  comme  il  le  fait  si  souvent  dans  ses  entreliens  : 
il  rt-piiiul ,  ntiii  ;'i  hi  ipioiion  (jui  lui  est  adi(.'ssée,  mais  à 
l'esprit  dans  lecpjel  elle  lui  est  adiessée.  Comp.  II,  10  sa 
réponse  aux  Juil's;  III,  .{  son  apostrophe  à  Nicodème;  VI,  20 
le  reproche  adressé  aux  troupes  qui  le  cherchent  après  la 
multijdicalion  des  jiaiiis.  Par  ceUe  niélhode,  il  saisit  son 
inleiiocuteur  tout  entier,  justjue  dans  son  for  le  plus  inlime. 
Marie  désirait  un  miracle,  comme  inauguration  éclatante  de 
la  royauté  inessiani(jue  ;  Jésus  j)énèlre  son  sentiment  et 
repousse  sa  demande  à  ce  poinl  de  vue-là.  Il  profite  de 
cette  première  circonstance  puiu'  lui  tracer  les  limites 
qu'elle  ne  tentera  plus  de  franchir.  Mais  cela  ne  signifie 
point  qu'après  cela  il  ne  reste  pour  lui  quelque  chose  à 
fain,'  en  vue  de  la  difliculté  présente. 

V.  5.  «•  Sa  mère  dit  aux  serviteurs  :  Quoi  qu'il  vous 
dise',  faites-le.  w  —  .Maiie  comf)rend  par  ces  mots  :  aMon 
Itcurc,  '<  que  le  refus  de  Jésus  s'applique  à  ce  que  sa  de- 
mande avait  d'andjitieux  et  d'exiibéiant;  mais  elle  sent  bien 
qu'au-dessous  de  ce  refus,  il  reste  une  place  pour  l'accom- 
jtlissemenl  d'un  vœu  plus  modeste  et  strictement  conforme 
au  besoin  présent.  Elle  renonce  à  voir  le  ciel  s'ouvrir;  mais 

I.  Les  Mss.  se  partagent  entre  Aeyr,  et  keyei. 


F'IlKMIKIt  CYCI.i:.  —  CHAI'.   Il,    l-C.  'Aôo 

elle  s'iilhiclir  (riiiihiiil  |iliis  l'in'rgiqiiorm'rit  ;'i  l'idf'C  du  se- 
cours à  ncfoi-dcr  ;"i  son  |trotégé;  e( ,  |titii;mi  une  initiative 
(|uo  son  lilrc,  (rois  lois  i'épc'té  dans  le  récit,  de  mère  de 
Jt'su.'<  jx'ut  scid  ('\|ili(|ucr,  elle  met  les  domestiques  à  ses 
ordres  et  l'oblige  ainsi  à  agir  :  «Il  se  peut  que  ce  que  je 
te  demande  n'ait  pas  la  signification  que  j'eusse  voulu  y 
donuei';  mais  il  l'aiil  ([ue  tu  le  fasses.»  iMais,  tout  en  agis- 
sant ainsi,  par  les  mots:  «  Quoi  qu'il  vous  dise,»  elle  réserve, 
autant  (pi'il  est  possible,  la  liberté  d'action  de  son  fils, 
(^elte  manière  de  faire  est  assez  semblable  à  celle  de  la 
femme  cananéenne,  (jui,  après  un  refus  de  Jésus  motivé 
sur  le  plan  de  Dieu,  vient  se  placer  sui'  son  chemin,  s'age- 
nouille devant  lui  et  dit  en  quelque  sorte  :  Il  faut  (Matth.  XV, 
i25)!  Comment,  dans  le  sentiment  de  joie  céleste  qu'éprou- 
vait Jésus,  m\  ce  moment  où  il  recevait  lui-même  son 
Kpouse  des  mains  de  son  Père,  eùt-il  pu  être  sourd  à  un 
pareil  vœu?  Mais  surtout  comment  eùt-il  pu  repousser  la 
prière,  ainsi  restreinte,  de  celle  qui,  pendant  trente  an- 
nées, avait  pris  de  lui  le  soin  le  plus  tendre,  et  dont  il 
allait  se  séparer  pour  toujours?  Jésus  n'a  pas  besoin  d'autre 
signe  pour  comprendre  la  volonté  de  son  Père;  il  sent  l'im- 
possibilité de  protester,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi,  cette 
liaite  tirée  sur  sa  reconnaissance  filiale;  il  accorde  à  la  foi 
de  sa  mère  ce  qnil  n"a  jm  refuser  plus  tard  à  celle  d'une 
étrangère,  d'une  païenne. 

La  critique  a  trouvé  dans  les  obscurités  de  ce  dialogue 
entre  Jésus  et  Marie  une  preuve  contre  la  vérité  de  tout  ce 
récit.  C'est  gauchement  conclure.  Cette  concision  unique, 
jointe  à  tant  de  profondeur,  est,  au  contraire,  un  sceau  irré- 
cusable d'aulliciilicilé. 

V.  G.  «  Or  il  se  trouvait  là'  six  cruches  de  pierre,  pour 

1.  Kei|jLevat,  placé  par  T.  R.  après  e|  d'après  la  plupart  des  Mss.  et  Vss., 
se  trouve  dans  B  C  L  après  louôatuv  et  manque  tout  à  fait  dans  N. 
I.  23 


•iOl  IMIKMIKIIK  PAUTIK. 

les  purifications  usitées  chez  les  Juifs ,  contenant  cha- 
cune deux  à  trois  mesures.  '  —  'F.xeî,  là,  (Irsignc,  selon 
Meyer,  In  chambre  nitMne  du  n'i);is.  Nrsl-il  pns  j)Iiis  nalurcl 
«le  se  représenter  ces  urnes  placées  dans  la  cour  ou  dans 
le  vestibule  devant  l'entrée  de  la  salle?  Le  v.  0  semble 
prouver  «pie  tout  ceci  se  passait  hors  de  la  vue  de  l'époux. 
—  Ces  vases  étaient  employés  à  la  purificalion.  soil  des  per- 
sonnes, soit  des  choses,  telle  qu'elle  était  en  usage  chez  les 
.luirs  pieux,  surtout  avant  ou  après  le  repas  (Mallb.  XV,  2; 
Lue  XI,  ci8;  j»artieulièrenuMil  Marc  Vil,  \-A).  —  Karà,  non 
en  vue  de,  mais  selon  son  sens  naturel  :  en  confonnité  à.  Il 
est  en  rapport  avec  le  complément  ttwv  'louSatov  :  conformé- 
mcut  au  mode  de  purifiralioii  admis  par  les  Juifs.  —  \vd  a 
évidemment  ici,  vu  le  numbri;  0  cpii  ju'écède,  le  sens  dislri- 
butif(.s/;î5rj//{c)etnon  la  signification  approximative (c7ll'^roH). 
—  La  mesure  indiquée  était  très -considérable  :  sa  conte- 
nance était  de  27  litres  (Hilliel)  ou  même  de  30  (Arnaud). 
Le  rontemi  total  pouvait  donc  s'élever  environ  à  500  hlres. 
Cette  quantité  a  paru  trop  considérable  et  a  même  scanda- 
lisé certains  critiques  (Strauss,  Schweizer),  (pii  ont  trouvé 
là  un  nouvel  indice  de  la  fausseté  du  récit.  Lùcke  répond 
que  toute  l'eau  n'a  pas  nécessairement  été  changée  en  vin. 
Mais  cette  supposition  est  contraire  au  sens  naturel  du 
texte,  et  l'indication  de  la  contenance  des  vases  implique  le 
contraire.  Disons  plutôt  qu'une  fois  que  Jésus  se  livre  au 
désir  de  sa  mère,  il  s'y  livre  de  plein  cœur,  en  homme, 
avec  une  joie  intime.  Il  ne  craint  j)as  de  mettre  à  ce  service 
rendu  une  sorte  d'éclat;  son  premier  signe  miraculeux  doit 
témoigner  hautement  de  sa  richesse  et  de  sa  munificence, 
et  devenir  pour  fous  les  assistants  le  tyj)e  de  la  plénitude 
de  grâce  et  de  force  que  le  Fils  unique  apporte  à  la  terre. 
Iiien  d'ailleurs  dans  le  texte  ne  fait  supposer  que  tout  ce 
vin  dut  être  consommé  dans  cette  fête.  C'était   là  nu  i  iche 


PHEMIER  CYCLK.  —  CIIAl'.  Il,  «-8.  355 

l»ri''sriit  (le  noces  par  lt'(jiit'l  le  Seigneur  honorait  cette  mai- 
son où  il  venait  d'être  Iiospitalièrement  reçu  avec  tout  son 
cortège;  et  ces  six  vases,  r('pondant  précisément  au  nombre 
(les  ilisc'ij)!os  qui  rarconij)agnnient,  (lovonaiciil  l'f>x])ression 
lie  la  rrcoiuinissancc  de  ceux-ci  envers  leur  hôte  et  le  mo- 
uuMit'iil  durable  de  la  bénédiction  de  leur  maître  sur  le 
jcuik;  iiit'iiayc  Coiiiu'  sous  ses  auspices. 

V.  7  et  8.  Les  paroles  de  Jésus  dans  les  versets  suivants 
trahissent  le  sentiment  de  vif  plaisir  avec  lequel  il  entre 
dès  ce  momcnl  dans  la  pensée  de  sa  mère  :  «Jésus  leur 
dit  :  Remplissez  ces  cruches  deau.  Et  ils  les  rem- 
plirent jusqu'au  haut.  8  Et  il  leur  dit  ;  Puisez  mainte- 
nant et  portez-en  au  chef  du  banquet.  Et  ils  en  por- 
tèrent \  >'<  —  Il  ne  faut  pas  entendre  ytiLÎaoLzz,  remplissez, 
dans  le  sens  (ï achever  de  remplir,  ni  alléguer  pour  ce  sens 
les  mots  £o^  àvo,  jusqu'en  haut,  qui  suivent;  le  fait,  ainsi 
comj)ris,  a  quelque  chose  qui  répugne.  Ou  bien  les  urnes 
se  trouvaient  vides  par  suite  des  ablutions  qui  avaient  eu 
lieu  avant  le  repas,  ou  nien  ils  commencèrent  par  les  vider, 
pour  les  remplir  ensuite  à  nouveau.  "Etùç  àvo  sert  à  faire 
ressortir  l'entrain  avec  lequel  se  fit  ce  travail.  Ce  détail  est 
bien  conforme  à  l'esprit  du  commandement  de  Marie  :  «  Tottt 
ce  qu'il  vous  dira.  »  —  L'accomplissement  du  miracle  doit 
être  placé  entre  les  v.  7  et  8;  car  il  est  supposé  pai"  le  mot 
(.(maintenant i>  du  v.  8.  Ce  vùv,  aussi  bien  que  les  mots  : 
(iPorlcz-cn  nu  clicf  du  banquet,)')  respirent  une  joie  et  une 
gaîté  qui  débordent.  —  Le  {)ersonnage  appelé  ici  chef  du 
banquet  n'était  pas  l'un  des  hôtes;  c'était  le  chef  des  ser- 
vants; il  était  de  son  ofiice  de  goûter  les  mets  et  les  bois- 
sons avant  de  les  faire  j)lacer  sur  la  table. 


t.  Au  lieu  de  xat  TQveyxav,  N  B  K  L  quelques  Miin.  Cop.  lisent  oi  ôe 


35  ('  FMiKMiiiii:  p  Alt  ni;. 

V.  ".)  (  t  In.  ■  Lorsque  le  chef  du  banquet  eut  goûté 
l'eau  changée  en  vin  et  il  ne  savait  pas  d'où  ce  vin 
venait;  mais  les  serviteurs  le  savaient,  eux  qui  avaient 
puisé  leau  le  chef  du  banquet  appelle  l'époux,  10 
et  lui  dit  :  Chacun  sert  d  abord  le  bon  vin,  et  quand  on 
est  ivre',  alors  le  moindre;  toi*,  tu  as  gardé  le  bon  vin 
jusqu'à  présent.  •'  -  I..t'.^  nu  ils  'JSwj;  civcv  ye7£VT,[j.£vcv,  l'caïf 
devenue  r/»,  ne  coiii[mu1i'ii(  j);is  trjiulrc  scii.sijiio  rchii  d'iiiH' 
transformalioii  luiraculcusc.  Lv  |»rocédé  naturel  par  lequel 
la  sève  aqueuse  se  Iransfoime  chaque  année  dans  le  cep  de 
vigne  (Augusiin)  uu  cidni  par  lequel  se  forment  les  eaux 
minrrales  (Néander)  (idrcnt  bien  une  Idinlaine  analogie, 
mais  nnllcinenl   un  innycn   (rr\|ih(;ili(>n. — La  piucnliièse 

qui  conipiend  h.'s  mois  xa't.  eux uSwf  jirésenle  une  con- 

siruelion  jiarfailemrnt  analogue  à  celles  de  I,  10  et  VI,  21- 
23.  Celle  parenthèse  a  pour  but  de  faire  ressortir  la  réalité 
du  nu'racle,  en  rappeluiil,  d'une  p;irl.  (pic  les  domestiques 
ne  savaient  pas  que  c'était  du  vin  qu'ils  apiiorlaienl,  et, 
de  l'autre,  que  le  chef  du  banquet  n'avait  [toint  été  présent 
quand  le  fait  s'était  passé.  —  Il  appelle  l'époux;  celui-ci 
était  dans  la  chambre  du  ifji;is.  On  a  Mnihi  ;'i  Imile  force 
donner  un*.'  valeur  leligieuse  au  mol  plaisant  du  chef  du 
baiHjuet ,  en  y  attribuant  un  sens  symbolique:  d'un  côté, 
le  monde,  commençant  j»ar  otlrir  à  l'homme  ce  qu'il  a  de 
meilleur  pour  l'abandonner  ensuite  à  son  désespoii;  de 
l'autre,  Dieu,  se  surpassant  loujouis  lui-même  dans  ses  dons 
et,  après  la  loi  austère,  offrant  le  vin  délicieux  de  l'Kvan- 
gile.  Rien  de  pareil  n'était  en  tous  cas  dans  la  conscience 
de  celui  qui  parlait,  et  aucun  indice  ne  montre  que  l'évan- 
gélisle  ail  attaché  un  pareil  sens  à  celte  parole.  Ce  mol  est 
simplement  rapporté  pour  montrer  avec  quel  plein  abandon 

1.  N  R  L  quelques  Mnn.  omettent  tote. 

2.  H  G  \  quelques  Mnn.  cl  Vss.  lisent  Cj  ôe  au  lieu  de  cj. 


PRKMIKR  CYCLE.  —  ClIAl'.  Il,  '.t-ll.  Xjl 

J(''sus  sY'tail  Iivi(''  à  l;i  joif  commune,  rn  doiiiKiiil  ikui  jkis 
seulement  Jibondammcnl ,  iiiiiis  cxccllciiiniciil.  C't'Uiil  aussi 
là  un  des  rayons  de  sa  ôo'^a.  Du  resle,  il  n'est  nullement 
iiéeessaire  d'atténuer  le  sens  de  (xeOijaôôat,  s'enivrer,  pour 
éloi{^ner  tles  invités  à  la  noce  de  (^ana  tout  soupyon  d'in- 
tempérance. Car  cette  parole  a  un  sens  j)roverl)ial  et  ne  se 
raj)porte  point  à  la  société  actuelle. 

V.  11.  ((Ce  premier'  de  ses  miracles,  Jésus  le  fit  à 
Cana  de  Galilée^  et  il  manifesta  sa  gloire,  et  ses  disci- 
ples crurent  en  lui.  »  —  Jean  caractérise  sous  différents 
rapports,  importants  au  point  de  vue  de  son  évangile,  le 
miracle  qu'il  vient  de  rapporter  : 

Ce  fut  le  'premier ,  non  pas  seulement  des  miracles  que 
Jésus  fit  là  Cana,  mais  de  tous  ses  miracles.  Comme  ce  fut 
là  un  moment  décisif  dans  la  révélation  du  Seigneur  et  dans 
la  foi  des  disciples ,  Jean  fait  ressortir  ce  trait  avec  force. 
Les  alexandrins  ont  retranché  le  xTfjv  devant  àpx'''iv,  sans 
doute  connue  superflu  à  cause  de  Taunrjv.  Mais,  comme  il 
leur  arrive  ordinairement,  en  prétendant  corriger,  ils  gâtent. 
Sans  l'article,  l'attention  est  plutôt  attirée  sur  la  nature  du 
miracle:  «C'est  par  un  prodige  de  cette  espèce  que  Jésus 
conunença  à  faire  des  miracles.  »  Par  l'article,  la  notion  de 
commencement  est  énergiquemcnt  identifiée  avec  le  miracle 
lui-même  :  «Ce  fut  ce  fait-là,  accompli  à  Cana  de  Galilée, 
qui  fut  le  commencement  de  ses  miracles.  »  Autant  la  pre- 
mière idée  est  étrangère  au  contexte,  autant  la  seconde  en 
est  un  élément  essentiel ,  comme  on  va  le  voir.  —  Jean 
rappelle  encore  une  fois,  en  terminant  son  récit,  le  lien  où 
se  passa  ce  fait.  L'intérêt  de  cette  observation  est-il  simple- 
ment géograplii(pie?  Nullement;  nous  verrons  III,  24  et 

1.  Le  T.  R.  lit  avec  12  Mjj..  pnrmi  Icsf|iicls  N,  et  presque  fous  IcsMiin., 
tt;v  devant  apyr.v.  ALLA  et  Or.  relraiicheiit  cet  article. 
"2.  î<  ajoute  ■xpiùXT,'*  aprùs  FaXùaia;. 


'XiS  l'REMlKHK  PARTIE. 

IV,  r>i,  l'tmillicii  .l(';iii  Iciiiiil  ;'i  (lisliii-^iicr  les  deux  l'cloms  de 
Jésus  en  (lalilôo,  (|iii  avaient  i'U'  cimlondus  par  la  traditiun, 
et  c'est  corlaincnicnl  dans  ce  l)ul  qu'il  fait  remarquer  expres- 
sément que  cliacun  de  ces  retours  fui  signalé  par  un  miracle 
maripiant,  accompli  à  Cana  au  m(jnR'nl  même  de  l'arrivée 
de  Jésus.  Selon  Ilengslenlierg,  tt,- raX'.Xacaî:  ferait  allusion 
à  la  prophétie  Es.  VIII,  ^:Î-IX ,  I ,  d'après  laquelle  la  gloire 
du  Messie  devait  se  manifester  en  (jalilée.  Ce  but,  qui  serait 
admissible  dans  saint  Matthieu ,  est  étranger  à  l'esprit  du 
récit  de  Jean.  —  Jean  emploie  pour  la  première  fois  le  mot 
de  sif/ue  (aT,|j.eîcv).  ('elle  expression  est  en  rapport  avec  la 
proposition  suivante  :  «  //  manifesta  sa  gloire.  »  Les  miracles 
de  Jésus  ne  sont  pas  de  simples  prodiges  (Tépa-ca)'  destinés 
à  frapper  Timaginalion.  Il  existe  une  relation  étroite  entre 
ces  faits  merveilleux  et  la  personne  de  celui  qui  les  opère. 
Ce  sont  des  emblèmes  visibles  de  ce  qu'il  est  et  de  ce  qu'il 
vient  faire,  et,  comme  le  dit  si  bien  M.  Ileuss,  «des  images 
rayonnantes  du  miiacle  jiernianenl  de  la  manifestation  de 
Christ»  {Hist.de  la  thcol.  chrcl.  II,  p.  208).  La  gloire  de  Christ, 
c'est  sa  dignité  de  Fils  unique  ;  c'est  l'amour  que  son  Père  a 
pour  lui ,  dès  avant  la  créatiijn  du  monde  (XVII,  ^U).  Or  cette 
gloire  est,  par  sa  nature  même ,  cachée  aux  regards  des  ha- 
bitants de  la  terre;  mais  les  miracles  en  sont  les  signes  écla- 
tijuts.  Ils  manifestent  aux  esprits  les  plus  grossiers  la  liberté 
illimitée  avec  laquelle  le  Fils  dispose  de  toutes  choses ,  la 
souveraineté  absolue  dont  l'a  investi  l'amour  du  Père  :  «  Le 
Père  aime  le  Fils  et  a  remis  tontes  choses  entre  ses  mains  » 
(III ,  ."50).  Il  faut  remarquei'  ici  l'expression  <isa  gloire,  »  qui 
distingue  profondément  Jésus  de  tous  les  messagers  divins 
qui  avaient  fait  des  miracles  avant  lui.  On  voyait  dans  les 
prodiges  opéiés  par  ceux-ci  la  gloiie  de  Jéhovah  (Ex.  XVI, 
1),  jamais  la  leur  propre.  Ceux  de  Jésus  révèlent  sa  propre 
gloire,  en  témoignant  de  sa  dignité  fdiale. 


PREMIEIl  CYCl-E.  —  CHAI'.   Il,   M.  150 

Jean  fait  ciilin  ressoilir  le  résultat  de  ce  miiaclc.  La  prc- 
iiiiùre  cuiKlilioii  de  la  lui,  c'est  le  téinoiyiiage.  Après  avoir  été 
éveillée  pai'  ce  inuyeii  indirect,  la  foi  s'afl'einiit  par  le  contact 
personnel  avec  son  objet.  Enfin,  dans  celte  relation  person- 
nelle, il  lui  est  donné  de  faire  de  telles  expériences  de  la 
puissance  et  de  la  bonté  de  l'être  auquel  elle  s'est  altacliée, 
(pi'elle  se  trouve  par  là  inébranlablement  confirmée  cl  éta- 
blie. Alors  seulement  elle  mérite  vraiment  son  nom;  elle  est 
accomplie.  Sans  doute  elle  grandira  encore  à  mesure  cpie 
de  telles  expériences  se  multipUeront;  mais  dès  ce  moment 
elle  a  parcouru  les  trois  phases  essentielles  de  sa  formation. 
C'est  là  ce  que  Jean  exprime  par  ces  mots  :  a  Et  ses  disciples 
crurent  en  lul.i>  L'apologétique  moderne  a  la  tendance  de 
mettre  le  miracle  en  rap{)ort  avec  l'incrédulité,  le  sens  char- 
nel, plutôt  qu'avec  la  foi.  Cette  manière  de  voir  n'est  pas 
dénuée  de  vérité;  mais,  prise  absolument,  elle  est  certaine- 
ment fausse.  Ces  glorieuses  irradiations  de  la  personne  dtè 
Jésus,  qu'on  appelle  les  miracles,  sont  destinées,  non  pas 
seulement  à  frapper  les  regards  de  la  multitude  grossière 
et  à  stimuler  les  retardataires,  mais  aussi  à  révéler  dans  un 
monde  de  souflrance  la  richesse  du  Seigneur,  à  illuminer 
par  là  le  cœur  des  croyants  et  à  élever  leur  foi  à  la  hauteur 
de  son  glorieux  objeL  C'est  ce  qui  ressort  du  v.  11. 

Que  se  passa-t-il  chez  les  autres  témoins  de  cette  scène? 
Le  silence  de  Jean  fait  supposer  que  l'impression  produite 
ne  fut  ni  profonde  ni  durable.  C'est  que  le  miracle,  pour 
agir  efTicacement ,  doit  être  compris  comme  signe  (VI,  26), 
et  (pie  pour  cela  certaines  prédispositions  morales  sont  né- 
cessaires. L'impression  d'étonnement  qu'éprouvèrent  sans 
doute  les  convives,  ne  se  rattachant  à  aucun  besoin  spirituel, 
à  aucun  travail  de  conscience,  fut  bientôt  efl'acée  pai- les 
distractions  de  la  vie. 


rU)()  IMIKMIKIIK  PAHTIK. 

Ou  «'It'vc,  ('(inlrf  l.n  iciilili'  <hi  l'ail  doiil  nous  venons  d'i'- 
ludicr  le  rt'fil.  des  oiijiMlions  dr  iUyix  suilrs:  les  unes  |)()r- 
lenl  snr  les  niirarles  en  ^'énéral  ;  les  autres,  sur  celui-ci  en 
parlirulier. 

Nitu.s  ne  |)iiuvon>  iioii>  oecujjrr  ici  (jue  Uès-biièvenienl , 
on  le  comprend ,  de  la  r|ueslion  |,n''nérale.  Nous  nous  bor- 
nons à  faire  sur  <e  jtoinl  les  trois  observations  suivantes, 
(|ui  nous  senihjenl  devuir  èlre  mises  à  la  hase  de  loiile  (rae- 
tation  solide  de  la  (|ueslion  du  surnaturel. 

I"  Il  n'y  a  rien  de  plus  opposé  à  la  méthode  expérimen- 
tale sur  la«piellf  jireleiid  s'appuyer  la  IJH'orie  (pii  nie  le  sur- 
naturel, que  de  dt'clarer  en  prineij»-  im  oidre  de  laits  quel- 
conque impossible.  Dire  (|u'il  >ù/  a  pas  eu  de  miracle  juscpTà 
ce  moment,  c'est  faire  de  rexjtt'iieiice ,  vraie  (ju  fausse, 
bonne  ou  mauvaise.  Mais  dire  (jnil  ne  peut  y  en  avoir,  c'est 
faire  purement  et  simplement  de  la  métajihysique';  c'est  se 
jeter  dans  Va  priori'  «pie  l'on  rf'pudie. 

2°  11  y  a  peu  de  fond  à  faiie,  dans  celte  questi(jn,  sur 
le  ;crand  argument  (pi'aujourd  hui  il  ne  sr;  fait  pas  de  mi- 
racle,  que  par  conséquent  il  ne  s'en  est  jamais  fait.  Aujour- 
d'hui il  ne  <(•  jHoduil  pas  d  lionune  en  dehois  (Ju  cours  de 
la  j^'énéiation  urj^anique;  et  cependaiil  il  faut  bien  qu'une 
fois  il  .s'en  .soit  produit  d'une  autre  manière.  Même  .si  l'on 
soutient  que  le  (ju  les  jtremiers  couples  humains  ne  fuient 
que  des  animaux  transformés*,  il  faut  reconnaître  qu'un  fait 
étranj^'e  et  myslé;rieux.  qui  ne  se  [noduil  plus  à  celte  heure, 
a  pu  et  dû  s'opérer  un  jour. 


1.  Ce  (jue  .M.  .NcfTizer  i  Revue  (jcrmanhiue  du  1"  sept.  1863,  p.  182) 
reprorhe  a  M.  tteiian  de  uavoir  pas  assez  fait. 

2.  On  comprend  que  nous  faisons  allusion  à  la  fameuse  dissertation  de 
M.  Renan,  Vie  de  Jésus,  p.  l-lii,  ainsi  qu'à  son  petit  mot  significatif: 
•  L'homme,  dès  qu'il  se  distingua  de  l'a?iimat,  etc.  »  (p.  2). 


PlU;.MIb:ii  CYCLE    —  ClIAI'.  Il,   11.  .{Ol 

S'''  Si  ruiivro  (k'  la  nature  était  la  pensée  définitive  Jii 
Créateur,  il  est  certain  ijut'  le  iiiiradr  serait  souveraineimut 
improbable.  Car  un  fait  de  ce  genre  ressemblerait  à  une  re- 
touclie,  et  ce  procédé  serait  indij,nie  d'un  tel  artiste.  Mais  si 
la  nature  actuelle  est  une  ébauche,  d'où  doit  se  dégager, 
avec  le  concours  de  la  créature  libre,  une  œuvre  supérieure, 
dans  laquelle  la  matière  sei-a  purement  l'organe  et  la  splen- 
deur de  l'esprit,  le  miracle  est,  aux  yeux  du  penseur,  l'ap- 
parition anticipée  et  le  prélude  ravissant  de  ce  nouvel  onlre 
de  choses.  Ce  n'est  point  un  solde;  c'est  une  arrhe. 

Les  objections  qui  se  rapportent  spécialement  au  miracle 
de  Cana ,  sont  : 

l*^  Son  caiactère  matjique  (Schweizer).  —  Il  y  a  cei- 
tainement  une  distinction  à  faire  entre  magique  et  surna- 
turel. D'aLord  la  magie  est  au  service  du  caprice  humain; 
le  surnaturel  est  un  élément  de  l'iiistoire  du  règne  de  Dieu. 
Puis  la  magie  opère  dans  le  vide;  elle  se  passe  de  la  na- 
ture existante  ;  le  surnatmel ,  émanant  île  Dieu  qui  a  créé  la 
nature,  se  conduit  plus  respectueusement  envers  elle  ;  il  se 
rattache  toujours  à  une  matière  fournie  par  la  création  pre- 
mièie.  Il  est  aisé  d'après  cela  de  discerner  à  laquelle  des 
deux  catégories  appartient  le  miracle  de  Cana.  Dans  celte 
circonstance  même,  Jésus  refuse  expressément  tout  au  ca- 
price .  et  n'accorde  que  ce  qui  convient  au  besoin  présent 
du  règne  de  Dieu,  l'aflermissement  de  la  foi  qui  vient  d'é- 
clore.  Et  il  u'use  point  de  sa  puissance  pour  créer ,  comme 
se  le  figurait  Marie ,  mais  uniquement  pour  transformer  et 
glorilier  ce  qui  est. 

:2"  On  objecte  ïiiiutililé  du  miiade.  C'est  un  «  miracle  de 
luxe  »  selon  Strauss.  —  Tholuck  a  répondu  avec  raison  :  C'est 
un  miracle  il'amour.  Si  l'on  se  rappelle  que  l'embarras  qui 
troublait  la  fête,    résullait  probablement  de  la    présence 


fi03  r'MKMlKnK  PARTIK. 

iiiallcndiK'  du  Sci^Miciir  cl  de  son  r«iil(''^'r ,  on  roriipiviidia 
qu'il  y  avait  pour  lui  connue  une  obli^Mtion  ujoraic  de  dis- 
siper ce  nuage.  Mais  nous  irons  plus  loin  encore  ;  et  nous 
sommes  convaincu  que  le  vrai  lide  à  donner  au  miracle  de 
Cana  est  celui-ci  :  un  miracle  de  piété  filiale.  fiOumu-nl  le 
point  de  jonction  entre  la  vie  privée  et  la  vie  publique  de 
Jésus  eût-il  pu  être  plus  heureusement  signalé  que  par  un 
acte  éclatant  de  leconnaissance  envers  celle  qui  avait  si  fidè- 
lement présidé  à  la  première?  —  Les  interprétations  sym- 
boliques par  lesquelles  on  a  cberché  à  donner  un  but  à  ce 
miracle,  nous  paraissent  peu  naturelles:  opposer  la  joie 
évangélique  à  la  rigueur  ascétique  de  Jean-Baptiste  (01s- 
hausen);  représenter  la  liansformation  miraculeuse  de  la 
vie  légale  en  vie  spiriluelle  (Lulbai'dl)  ou  la  subslilulioii  du 
baptême  d'Esprit  au  baptême  d'eau  (Baur).  De  telles  inten- 
tions ne  devraient-elles  pas  se  trahir  quelque  part  dans  le 
texte? 

r]^  On  accuse  même  ce  miracle  d'intmoralitc.  Par  un  don 
aussi  considérable,  Jésus  aurait  favorisé  l'inlenq^érance  des 
convives.  —  «  On  pourrait  demander  au  môme  titre,  répond 
Hengstenberg,  que  Dieu  n'accordât  pas  de  bonnes  vendanges 
à  cîiuse  des  ivrognes.  »  Jésus  savait  sans  doute  à  qui  il  fai- 
sait ce  don  ;  sa  présence  même  et  plus  tard  le  souvenir  re- 
connaissant de  ses  hôtes  en  garant issaient  l'emploi. 

A°  L'omission  de  ce  récit  dans  les  Synoptiques  paraît  aux 
adversaires  du  fait  la  plus  forle  instance  contre  sa  réalité.  — 
Mais,  comme  nous  l'avons  vu,  ce  miracle  appartient  à  une 
époque  du  ministère  de  Jésus  qui  avait  à  peu  piés  entière- 
ment disparu  de  la  tradition,  par  la  confusion  de  ces  deux 
premiers  retours  en  Galilée  que  Jean  prend  tant  de  soin  de 
distinguer.  Il  était  donc  soili  du  souvenir  de  l'Kglise  avec 
tout  l'ensemble  de  la  situation  à  laquelle  il  appartenait.  Im- 
médiatement après  l'unique  retour  en  Galilée  mentionné  dans 


I 


PREMIKR  r.YCI.E.  —  CM  AI'.  Il,    11.  863 

les  Svii(>(iliqii('S  ((jiii  ((UilbiKlfiil  en  un  seul  (ail  1rs  V(jy;i}j;-c'S 
I,  AA  cl  IV,  3.  43-46  (le  iKilrc  (''vinigilc),  Jcsiis  se  Iroiivo 
jch-  cil  (ili'iii  (hiiis  Sun  ;i(li\i((''  |iiibliquc.  Le  (Irniicr  fait  de 
sa  vie  jirivcc  lui  lacilenicnt  uulilic.  Mais  Jean,  dont  tout 
r('Viiii<,M'lc  porlc  une  cni|)rciiUe  aiitobioprnphiqiic  profondé- 
iiicnl  iiiarqiicc  ,  ne  pouvait  laisser  dans  roiibli  un  événement 
(pii  avait  exercé  sur  le  développement  de  sa  foi  l'influence 
(lé'cisivc  (|u'il  signale  lui-même  v.  11.  Lui,  surtout,  qui  avait 
longtemps  possédé  la  mère  de  Jésus  sous  son  propre  toit, 
il  dut  se  scnlir  pressé  de  remettre  en  lumière  un  trait  dans 
lequel  elle  avait  joué  le  rôle  principal. 

Si  nous  rejetons  la  réalité  du  miracle ,  tel  qu'il  est  rap- 
porté simplement  par  révangéliste,que  nous  rcste-t-il?  Trois 
suppositions:  1.  L'explication  naturelle  de  Paulus  ou  de 
Gfrôrer  :  Jésus  s'accorda  avec  un  marchand  pour  faire  ap- 
porter secrètement,  pendant  le  repas,  du  vin  qu'il  fit  servir 
aux  convives  coupé  d'eau.  Par  la  réponse  ta  sa  mère,  v  4, 
il  l'invite  à  ne  pas  faire  manquer  par  son  indiscrétion  le  di- 
vertissement qu'il  a  préparé,  et  dont  l'heure  n'est  pas  encore 
venue;  la  gloire  de  Jésus,  v.  1 1 ,  c'est  son  exquise  humanité 
(Paulus).  Ou  bien  c'est  à  Marie  elle-même  que  revient 
riionncur  de  cette  aimable  attention.  Elle  a  fait  préparer  du 
vin,  pour  l'offrir  comme  présent  de  noce;  et  au  moment 
propice  elle  fait  signe  à  Jésus  de  le  faire  servir  (Gfrôrer). 
M.  Uenan  ne  paraît  pas  éloigné  d'admettre  l'une  ou  l'autre 
de  ces  explications.  Il  dit  en  termes  vagues  :  «Jésus  allait 
volontiers  aux  divertissements  des  mariages.  Un  de  ses  mi- 
racles fut  fait  pour  égayer  une  noce  de  petite  ville  »  (p.  188). 
On  ne  lit  jiliis  aujourd'hui  qu'avec  dégoût  ces  parodies  de 
l'histoire  évang(''lique  qui  font  de  Jésus  un  charlatan  de  vil- 
lage. —  2.  L'explication  mi/tliiquc  de  Strauss:  La  légende 
aurait  inventé  ce  miracle,  d'après  l'analogie  de  quelques 


:M\t  imu;miki»k  pAiiriK. 

trails  nippoili's  dans  rAïuicii  TcàUiiiiciil ,  jku"  ex.  Ex.  X\  , 
23  vl  suiv. ,  où  Moïse  purilic  «les  eaux  amères  au  moyen 
iriiii  «uTlaiii  bois;  2  Hois  II,  10.  dû  lllisi  r  liiii  «|ii(I(jue  chose 
de  pareil.  .Mais  il  y  a  si  peu  ii'analoj,'ie  entre  ces  faits  cl  celui 
(le  Cana  (jue  tians  ce  cas  celle  niélliude  d'explication  n'a  pas 
même  une  oinhre  de  viaistinhlanei-.  D'ailleurs  le  rôle  pré- 
pondéiant  île  Marie,  ce  |)ersonnagc  respectueusement  laissé 
dans  l'ombre  par  les  traditions  les  plus  nnliipjes,  la  sobriété 
admirable  (pu*  caraelt-rise  le  r/'cil  {\vs  parole.^  du  Sauveur, 
les  obscurités  mêmes  du  récit,  sont  incompatibles  avec  cette 
hypothèse.  Un  récit  fictif  et  dû  à  l'imaj^Mnation  populaire 
eût  présenté  de  tout  autres  caractères.  «  Toute  la  tenue  de 
la  narration,  dit  Baur  lui-même  (lajipelani  le  ju},a'menl 
de  de  Wetle),  n'auloiise  pointa  admellie  un  caractère  my- 
thiipie  du  récit»  (article  cité,  p.  52).  —  3.  L'explication 
idéale  de 'Baui'  liii-mêmc  :  Le  pseudo-.Icim ,  i-ciiipli  du 
sentiment  de  la  supériorité  du  Sauveur  sur  son  précur- 
seur, aurait  donné  un  coips  à  cette  idée  au  moyen  de  la 
scène  de  Cana ,  (jui  figui  <•  la  relation  des  deux  baptêmes 
d'eau  et  d'Esprit.  Mais  en  ipioi  «la  teiinc  de  la  nariation  » 
serait-elle  plus  com|iatible  avec  celte  inlerprétation  qu'avec 
la  piécédenle?  L'une  ne  fail-elle  pas  violence,  autant  que 
l'aut/e,  au  caractère  franclicmenl  histoiique  du  n'cil  ?  Puis 
le  pseudo-.ltaii  rùi-ij  yii-  je  l'ail  à  ses  lecteurs  sans  ajouter 
un  mot  propre  à  leur  en  n'-vider  le  sens  plus  profond?  Cet 
idé-alisme  raffiné  ressemble  à  s'y  mf'prendre  à  celui  d'un 
disciple  de  Hegel,  mais  fort  peu  à  la  tournoie  d'es)>ril  d'un 
conlempoiain  de  Papias  et  de  Polycarpe. 

Schweizer,  qui  admet  l'authenticité  de  notre  évangile, 
rnai.s  qui  ne  peul  accepter  la  lé-alité  de  ce  miracle  ,  a  cherché 
à  démonlrei-  «|ue  ce  morceau  est  une  interpolation.  1°  il 
allègue  son  caractère  particulièrement  magique.  —  Mais  en 
quoi  ce  miracle  est-il  plus  magique  que  celui  «le  la  nmllipli- 


i 


PHEMIKR  CYCI.K.  —  CHAI'.   II,    II.  ."{OS 

ciilioii  (les  [tains  cl  i\ci>  |i(iissuiis,  jiar  cxciiiiilc?  Scliwci/.ci" 
ôliiiiine,  sans  tloiito,  aussi  ccliii-ci  de  nuire  évangile  (eli.  VI). 
Mais  cunmieiil  éifuilic  un  judeédé  si  violent  au  lexlc  des 
Synojilicjues  (|ui  racuntenl  aussi  bien  ([ue  Jean  la  iiinllij)liea- 
tion  A{'>  |iaiiis?  2"  .Vnciin  diseonrs  n'accumpa|^Mie  ce  niiiacle. 
- —  Mais  .It'sus  ne  peut-il  pas  dans  certains  cas  se  contenter 
de  laisser  parler  les  faits?  Il  en  agit  de  même  ch.  XI,  dans 
un  morceau  (pic  n'iiltaijue  pas  Sclnveizer.  Le  style  est  j»ai- 
failemenl  johannique  (v.  Il),  et  la  relation  de  ce  morceau  à 
ce  cpii  jnécède  et  à  ce  qui  suit,  si  étroite  que  l'on  sentirait 
une  lacune  grave  dans  la  contcxtiire  du  récit,  s'il  y  man- 
(juait.  Nous  l'avons  l'ait  vuii-  à  l'occasion  du  v.  1 1  ;  nous 
nous  eu  convaincrons  encore  en  étudiant  le  v.  12. 


Avant  de  quitter  ce  premier  cycle  de  récits ,  nous  devons 
encore  mentionner  le  jugement  de  M.  Renan  sur  ce  com- 
mencement de  notre  évangile  :  «Il  faut  se  rappeler,  dit-il 
(p.  105,  note) ,  que  les  premières  pages  du  quatrième  évan- 
gile sont  des  notes  mises  bout  à  bout,  sans  ordre  clirono- 
logiquement  rig^oureux.  »  —  S'il  y  a  au  contraire,  dirons- 
nous,  un  morceau  dans  nos  évangiles  où  tout  s'enchaîne  et 
se  suive  rigoureusement,  pour  le  temps  et  pour  le  fond, 
c'est  précisément  celui-ci.  Les  jours  y  sont  exactement 
comptés;  les  heures  mêmes  y  sont  parfois  rappelées;  nous 
avons  sous  les  yeux  le  tableau  d'une  semaine  suivie,  com- 
plète, I  ('pondant  à  celle  de  clôture.  Quant  à  la  haison  intrin- 
sèque des  faits,  elle  est  si  serrée  que  Baur  a  pu  se  persuader 
à  lui-même  qu'il  avait  ailaire,  uon  à  des  faits,  mais  à  des 
idées  systématiquement  enchaînées  d'après  une  dogmatique 
préconçue.  A  mesure  qu'il  avance  dans  le  récit,  M.  Renan 
lui-même  se  voit  forci''  de  rendre  presque  à  chaque  page 
hommage  à  l'exactitude  chronologique  du  récit  de  Jean;  il 
tinit  par  le  prendre  à  peu  près  exclusivement  pour  guide  de 


.ififi  l'iiKMii.iti;  l'Ainii;. 

s;i  iiannlidii.  Kl  !•'  titiniiiciicoiiit'iil  li'iiu  ivch  tlnni  l;i  seconde 
|);u'lii'  moiilrc  mu'  Idlc  supériorilé ,  iio  siiniil  (jii'uii  asscm- 
hl;ij,''e  acciileiilcl  de  »  noies  mises  lioiil  ;'i  Itoiit.  »  On  |>('nl 
juj;or  par  rcl  l'cliaiililldii  de  la  valem-  dos  •■  on  sail  »  ut  dos 
«  on  se  rappelle  »  de  M.  Ucnaii. 


•i*;o 


DKLXIKME  CYCLE, 
11,  r.'-iv,  ô4. 


L'inauguration  du  ministère  public.  —  L'extension  de  la  foi.  —  L'attitude 
passive  de  la  nation,  premier  symptôme  d'incrédulité. 


Ce  second  cycle  se  découpe  gcograpliiquement  en  trois 
sections:  1°  Le  initn'slère  de  Jésus  en  .ludi'e  :  II,  12-III,  30; 
2"  le  retour  par  la  Sainarie  :  IV,  1-42;  ."3"  l'établissement  de 
Jésus  en  Galilée  :  IV,  43-54-.  Nous  verrons  qu'à  ces  trois 
domaines  géograpliiijues  correspondent  trois  situations  mo- 
rales dinërentes.  De  là,  en  Jésus,  diverses  manières  de  se 
révéler  et,  chez  ceux  avec  lesquels  il  est  en  contact,  des 
formes  d'accueil  très-variées. 


PREmERE  SECTION. 

Il,  12-111,  3G. 

Jésus  en  Judée. 

Ici  encore,  aussi  bien  que  dans  tout  le  récit  précédent, 
la  marche  de  la  narration  est  ferme,  et  le  développement 
historique,  parfaitement  gradué.  Jé.sus  paraît  d'abord  dans 
le  Temple  (II,  12-22);  puis  il  enseigne  dans  la  capitale  (II, 


I 


UKUXIÈME  CYCLK.  —  CIIAP.   11.    li.  ;]G7 

2^-111,  ::î  I  )  ;  riilin,  il  exerce  son  iiiiiiisIèrL' (kiiis  la  (îimpag-iie 
(le  Judée  (III,  22-30). 

1. 

Jésus  dans  le  Temple  :  v.  12-22. 

V.  12.  M  Après  cela,  il  descendit  à  Capernaum,  lui  et 
sa  mère  et  ses  frères'  et  ses  disciples,  et  ils  n'y  demeu- 
rèrent* pas  longtemps.»  —  Jésus  se  rendit  sans  doute  de 
Cana  à  Nazareth.  \Jn  déplacement  aussi  complet  que  relui 
qui  est  indicpié  au  v.  12,  ne  put  avoir  lieu  immédiatement 
depuis  Cana.  Ce  séjour  à  Nazareth,  supposé  par  le  v.  12,  ne 
jteut  être  celui  que  mentionne  Luc  IV,  16-30  qui  est  pos- 
térieur au  commencement  du  ministère  puhJic  de  Jésus. 
Rien  au  contraire  ne  s'oppose  à  ce  que  nous  envisagions 
ce  déplacement  comme  identique  avec  celui  que  mentionne 
Matth.  IV,  13:  (f  Ayant  quitté  Nazareth,  il  vint  s'établir  à 
Capernaian,))  en  admettant  toutefois  que  Matthieu,  confon- 
dant cet  étahlissement  avec  celui  qui  suivit  le  second  retour 
de  Jésus  en  Galilée,  lui  donne  par  le  terme  xaxoxYjaev  un 
caractère  définitif  qu'il  n'eut  pas  encore  cette  fois.  La  fa- 
mille de  Jésus  l'accompagna,  non  sans  doute  qu'elle  eût 
l'intention  de  quitter  définitivement  Nazareth,  mais  sous 
l'empire  de  l'impression  produite  sur  elle  par  le  miracle  de 
Cana.  Ses  frères,  en  particulier,  étaient  curieux  de  voir 
comment  se  déroulerait  le  drame  qui  venait  de  commencer 
d'une  manière  si  étonnante.  Quant  à  Jésus,  il  n'avait  l'in- 
tention de  faire  qu'un  séjour  momentané  dans  cette  ville, 
dans  le  voisinage  de  laquelle  demeuraient  ses  apôtres.  C'est 
plus  laid,  lorsqu'il  hit  ohligé  d'ahandonner  la  Judée,  que 
Capernaum  devint  son.  domicile  ordinaire,  sa  ville  (Mallh. 


1.  B  L  II*"!-  Or.  ometlent  aurou  après  aôcXçoi. 

2.  Au  lieu  de  £(j.£ivav.  A  F  G  A  Co|).  lisent  efjLeivev. 


:î08  iMUMiiiu:  l'.vitni:. 

I\.  I».  1,11c  U.  2.'Hi('  l'iMilriiiic-l-il  [Hiiiil  rimiicr  irim  s«'- 
jtiin'  à  CaptM'iiniitii  aiilt'riciir  ;iii  lufiiiicr  icloiir  de  Jésus  on 
Galilée  mt'iiliimm''  d.iiis  les  Syii(i|)li(|ii('s,  cl  ce  si'jour  ne 
ser;iil-il  |M)iiil  celui  iIomI  piiiie  nuire  vei'.se|  ? —  Cii|iei  ii;niin 
élail  une  ville  île  commerce  considéiaMe.  Elle  élail  tiiluée 
sur  le  clieniin  des  caravanes  qui  se  rendaient  de  l'intérieur 
et  de  Damas  à  la  Méditerranée.  1!  s'y  Irouvail  un  bureau 
de  péage  (Luc  V,  ^7  et  suiv.).  Capernaum  était,  en  quelque 
sorte,  la  capitale  juive  de  la  Galilée,  connue  Tiltériade  en 
était  la  eaititale  jiaienne  ou  romaine.  Jésus  devait  y  ren- 
conlrei'  moins  d'élroils  |ii(''JM,Lr('s  (|u';'i  Nazareth  et  beaucoup 
plus  d'occasions  de  projtayei'  l'Evangile.  Enfm,  ses  dis- 
ciples étaient  de  Caperuauju  ou  des  environs,  et  il  était 
juste  qu'il  lem-  accoidàl  la  snlisfaclion  qu'il  venait  de  goûter 
lui-niénie  eu  .se  relrouvanl  dans  le  cercle  de  sa  famille 
avant  de  commencer  son  ministère  public.  —  Le  terme 
y.0L^:i^r^,  descendit  (.Arnaud  :  monta!)  ,  vient  de  ce  que  Cana 
et  Nîizarelli  sont  situés  sur  le  plateau  et  Capernaiim  au  bord 
de  la  mer.  Sur  l'emplacement  de  cette  ville,  voy.  p.  57. 
—  Le  silence  gardé  sur  Joseph  fait  supposer  qu'il  était  mort 
avant  cette  époque. 

Quel  est  le  vrai  sens  de  celle  expression  :  les  frères  de 
Jéms?  Celte  question  est,  comme  l'on  sait,  l'une  des  plus 
compliquées  de  l'histoire  évangélique.  Faut-il  entendre  par 
là  des  frères  dans  le  sens  propre  du  mot,  issus  de  Joseph 
et  de  Marie  et  plus  jeunes  que  Jésus?  Ou  bien  des  fils  de 
Joseph ,  issus  d'un  mariage  antérieur  à  son  union  avec 
Marie?  Ou  bien  enfin  faul-il  admettre  qu'ils  ne  sont  les  fils 
ni  de  Joseph  ni  de  Marie,  et  que  le  mot  frère  doit  être  pris 
dans  un  sens  large,  qu'il  a  quelquefois,  celui  de  cousin? 

Les  rai.sons  qui  nous  engagent  à  adopter  la  première  de 
ces  trois  opinions,  sont:  1°  les  deux  passages  Matth.  1,  25  : 
'■  //  ne  lu  connut  pas,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  enfanté  son  fils 


DI.IXIKMK  CYCLE.  —  ClIAP.   Il,    \'l.  :\(\[) 

pronii'i-iir  '^  dii,  ï;(.'l(m  l:i  leçon  ;tk'\;iii(lnii(' ,  «son  fils;T> 
cl  I.iic  l(,  7  :  « /i/A'  mit  un  monde  non  fi/s  'premier -né :i> 
2"  In  cpnsidcratioii  quu  le  sens  propre  du  iikiI  frère  est  le 
plus  naturel  dans  celle  luculion  :  sa  mère  et  ses  frères.  Ces 
raisons  sont  développées  dans  l'appendice  dans  lequel  nous 
allons  donner  un  exposé  g-énéral  de  la  question. 

I.  Rapport  entre  les  frères  et  les  cousins  de  Jésus. 

Los  liadilions  les  plus  aiUi(|uos  sont  unanimes  à  atUibucr  à  Jésus 
lies  frères  dans  le  sens  propre ,  el  l'on  [)cut  suivre  pas  à  pas  dans 
riiistoin^  lo  tii'veloppement  dos  deux  opinions  opposées  à  celle-là  : 
ocllo  qui  fait  ilos  personnages  ainsi  (iosi;;nos  des  fils  de  Joseph  d'un 
premier  maria»;e  (évangiles  apocryphes,  Origèue),  et  celle  qui  ne 
voit  en  eux  que  des  cousins  de  Jésus  (Jérôme).  Comp.  Ph.  Scbaf, 
Dus  Ver/idlliiiss  des  Jacobus,  Uruders  des  Herrn,  zu  Jacohiis  Al- 
jj/idi ,  Berlin,  1843,  p.  80-80.  L'opinion  la  plus  antique,  qui  est 
celle  à  laquelle  nous  nous  rangeons,  ou  reposait  sur  une  tradition 
positive  ou  résullait  du  sens  naturel  des  passages  cités.  Certaine- 
mont ,  si  saint  Matthieu  avait  eu  l'idée  de  la  virginité  peipétuelle 
di'  Marie,  il  n'eût  pas  dû  ajouter  I,  25  les  mots:  ^ijusquàce 
f/KC.i)  etc.;  car,  par  la,  il  fait  nailre  dans  l'esprit  du  lecteur 
une  idée  opposée  à  celle  qu'il  eût  voulu  y  laisser.  L'expression  «  son 
ftls  prcmier-}ié,y)  qui,  Luc  II,  7,  n'est  sujette  à  aucun  soupçon 
critique  et  qui ,  dans  un  livre  historique ,  ne  peut  se  prendre  que 
dans  le  sens  le  plus  simple ,  suppose  également  des  frères  puînés  de 
Jésus. 

Mais  voici  la  diflioullé  que  soulève  celle  explication  :  Les  noms 
des  frères  de  Jésus  sont  indiqués  Mallli.  Mil,  55;  iMarc  VI,  3  de 
la  manière  suivante  :  Jacques,  José  (ou  plutôt,  d'après  deux  va- 
riantes dans  les  i)rincipau\  documents  de  Matthieu,  Joseph  on  Jean; 
plusiouis  documents  de  Maïc  lisent  aussi  Joseph),  Simon  et  Judc. 
Ur  l'on  peut  constatt-r  que  Jé>us  avait  un  certain  nombre  de  cou- 
sins (|ui  portaient  les  mêmes  noms:  1.  Jean  .MX  ,  25  il  est  parh' 
d'ime  Marie,  sœur  de  la  mère  de  Jésus  el  femme  de  Clopas,  qui, 
dans  les  passages  parallèles  Mallh.  WMI ,  50  ol  Mmv  \\\  40,  est 
I.  24 


.'■]70  PRKMIKHK  PAHTIK. 

«lo<ii;n«v  coniino  inh'f  dr  Jocqiirs  (d.nis  Marc  ,  Jnri/ut's  Ir  petit)  et 
de  José.  Il  <iiil  do  là  qiio  ro  Jaccjiics  ol  ce  ,l(i>;t'  (Icvaioiit  iMic  cou- 
sins [;prmaii)»i  <lc  Jcsiis.  "2.  Ilc;;t'si|t|i(' ,  ipii  cciivail  an  milieu  du 
second  siècle ,  ra|>|)orto  (Kusol)O,  Hisl.  eccl.  III,  ^2'2,  ;{:2;  IV,  :22) 
(juc  le  second  <Jvé(iuc  de  Jérusalem  fui  Simon,  (|ui  élail  fiU  de  Clo- 
pas  cl  comin  (àvevpioî:)  du  Seigneur,  el  qu'il  occupa  ce  poslc 
Jus(|u'à  l'âge  de  conl  vingl  ans,  où  il  suhil  le  niail>ie  sous  Tiajan. 
\'oila  donc  un  Iroisiènio  cousin  do  Jésus  ,  ol  du  nom  do  Simon. 
'.\.  Voici  comment  on  |i;uvienl  à  on  Irouver  un  f|ualrion)o,  appoli' 
Jinlr  :  Dans  les  calalo;;uos  a|)osloliques ,  il  est  parlé  d'un  Jai(/nes, 
fils  d' Atp/i  ce  ;  ihms  la  lisle  l.uc  VI,  I  I-IO  il  esi  pailé,  on  oulio,  d'un 
Judr  (fils  ou  frère)  de  Jacques.  Si  l'on  idonlilie,  comme  il  est  pos- 
sible de  le  faire,  le  nom  d'Alphée  el  celui  de  Clopas ,  nous  relrou- 
vorions  dans  l'apôtre  Jacques,  fils  d'Mphée,  le  fils  de  Clo|)as  el 
de  Marie  que  nous  avons  déjà  nommé  comme  premier  cousin  de 
Jésus  ;  et ,  si  nous  entendons  Jude  de  Jacques  dans  le  sens  de  frère 
de  Jacques  ;  nous  obtenons  ainsi  un  nouveau  cousin  de  Jésus ,  por- 
tant lo  nom  do  Jude.  Do  la  sorte  les  deux  listes  coïncident;  et  il 
devient  a  pou  près  impossible  de  maintenir  la  distinction  entre  ces 
(juatre  frères  et  ces  quatre  cousins  de  Jésus  complètement  homo- 
nymes. 

Ce  résultat  no  repose  pas  cependant  sui'  dos  bases  bien  solides. 

Quant  à  Judo  :  \"  l'ellipse  naturelle,  dans  le  passage  de  Luc,  n'esl 
pas  frère,  mais  ///.s  de  Jacques;  et  2"  rien  ne  prouve  ridonlilc  de 
ce  Jacques,  son  f>ore  ou  môme,  si  Ton  veut,  son  frère,  avec  Jacques, 
fils  d'AlpIiéo,  nommé  plus  haut.  Celle  dénomination  ajoutée  au  nom 
de  l'aprMro  Jude  est  plulrtl  destinée  à  le  distinguer  de  Jude  Iscaiiot, 
dont  le  nom  suit  immédiatement.  Le  rapport  d'Iléjjésippe  confirme 
cette  explication.  Tandis  que  ccl  liislorien  parle  expressément  d'un 
Jude,  «frère  de  Jésus  selon  la  chair  »  (Eusèbe,  III,  20),  dénomi- 
nation qui  implique  l'idée  de  la  fraternité  réelle ,  il  ne  fait  nulle 
part  mention  d'un  Jude,  fils  de  Clopas  ou  .Alpliéo.  Jésus  a  donc  bien 
ou  un  frère  nommé  Judo,  mais  non  un  cousin  de  ce  nom. 

Nous  devons  admettre,  en  échange,  sur  le  témoignage  d'Hégé- 
sippe,  l'existence  d'un  cx)usin  de  Jésus  du  nom  de  Simon.  Cet  histo- 
rien le  désii^ne  e\prossémcnl  comme  «  Rh  de  l'oncle  de  Jc'siis ,  de 


l)i:i  XIK.MK  CYCLE.  —  CHAI'.  II.    \i.  Tj?! 

ClojtUH.»  Sciilcinciil ,  s'il  en  csl  ainsi,  cl  le  rapiMni  (rilojjésippe  esl 
Irop  positif  ituiii  (|iril  soi!  |M)ssil)l(»  (rcii  doutor,  on  se  demande 
pouirpioi  Maiic,  feinnic  de  Clopas,  esl  df'sijnée  ctinune  inèic  de 
Jae(|ues  et  de  José,  ol  non  pas  aussi  de  Simon.  Il  est  possible  (|ue 
Simon  fnl  issu  do  Clopas  d'un  preiniei-  mariage.  Dans  ce  cas-la,  il 
auiail  été  cousin  de  Jésus  par  son  père ,  cl  nous  devrions  rcconnailre 
dans  Clopas  le  frdrc  de  Joaeph.  Celle  supposition  que  confiinienl  les 
expiessions  d'llé{;ési|)|)e ',  expliqueiail  dans  quoi  sens  iMarii; ,  femme 
de  Clopas,  esl  appelée  sœur  de  la  mère  de  Jésus.  On  s'est  étonné  sou- 
vent ,  et  avec-  raison ,  de  voir  deux  sœurs  porter  le  même  nom. 
M.  Renan  admet  ici  dans  le  récit  évanjjélique  (^quelcjne  inexactitude, 
venant  de  l'habitude  de  donner  presque  indislinctcmenl  aux  Gali- 
léennes  le  nom  de  Marie»  [Vie  de  Jésus ,  ^.1i).  Il  oublie  que, 
d'entre  les  femmes  galiléennos  nommées  dans  les  récils  sacrés,  l'une 
se  nomme  Jeaime ,  l'aulie  Suzanne  ,  une  troisième  Salomé;  la  no- 
menclature des  évangélistes  n'est  donc  pas  si  pauvre  qu'il  le  pré- 
tend. N'est -il  |)as  plus  naturel  d'admettre  que  celle  Marie  était 
devenue  la  sœur  de  la  mcie  de  Jésus,  en  épousant  Clopas ,  frère  de 
Joseph  ? 

Si ,  pour  le  second  frère  de  Jésus ,  nous  admettons  la  leçon  Jo- 
seph,  l'identité  de  ce  personnage  avec  José,  second  fils  de  Clopas 
et  de  Marie,  tombe  d'elle-même.  Et  certes,  si  Joseph  et  Marie  ont 
réellement  eu  des  lils ,  il  est  bien  naturel  de  penser  que  l'un  d'eux 
a  porté  le  nom  de  leur  père. 

Quant  au  nom  de  Jacques,  il  esl  indubitable  qu'il  se  trouve  dans 
les  doux  listes,  celle  des  <.(  frères  de  Jésus»  et  celle  des  fils  de  Clopas 
et  de  Marie. 

Le  résultat  auquel  nous  sommes  conduit,  est  donc  celui-ci: 
Parmi  les  personnages  qui  sont  désignés  comme  «  frères  de  Jésus  » 
et  ceux  qui  paraissent  avoir  été  ses  cousins ,  il  y  a  deux  noms  com- 
nmns  :  ceux  de  Jacques  et  de  Simon.  Cela  suffit-il  pour  prouver 
l'identité  de  ces  dcui  catégories  de  personnes?  Aujourd'hui  encore. 


1 .  Eusèbe ,  H.  E.  III ,  1 1  :  «  Car  Hëgésippe  rapporte  que  Clopas  était  le 
frère  de  Joseph.» 


l\'!-2  FMnMii:i;i;  partik. 

n"aniv('-t-il  |>a><,  ««iirtniil  dans  les  cainiKijîncs,  où  ooilaiiis  luiins 
sonl  Ir^s-iisitos,  do  Irnuvor  des  familles  (>ln>iltMiionl  a|i|taiTiil(M>s 
(Ml  .  <iii'  |'!ii>;i<'iir<;  onfaiil-:.  nii  oii  deux  ixirloni  le  iin'iiic  ikhii  ,  par- 
liiMilit'nMiii'Ml  la  on  ,  rommc  i-ii  (iiii'iil  ,  il  cs\  dii'<a;;('  do  joindic  au 
nom  du  (ils  relui  du  pôro? 

Voici  mainlonaiU  les  raisons  positives  qui  nous  s(Mnliloiii  con- 
traires à  riiv|)(»tlu'>p  do  ridonlilo  dos  frères  ol  dos  oousiiis  do  Josiis  : 
!"  Snp|i<)sanl  los  rirconslancos  los  plus  favorables  à  oolto  opinion  , 
nous  admollrions  que  Cltt|>as  olail  morl  (\o  bonne  heure  et  cpio  sa 
\euvo  ol  s(s  lils  avaient  élo  n'cuoillis  pai  .lt»s(>ph  el  Maiie  ol  élevés 
par  eux  avec  Jésus;  on  soxpli(piorail  ainsi  assez  naUnellomont  le 
titre  do  frères  de  Jr'sus.  Mais  rninnioiil,  en  face  de  la  mère  lU'  ces 
jeunes  {jcns  cncoio  \jvanle  (Matlh.  \\\l.  .'»('»  et  parallèles),  eùl-on 
pu  employer  l'expression  «  sa  mère  et  ses  frères  «  (Mattli.  \ll ,  ir»; 
MairlII,  81;  I.uc  VIfl ,  l'.M'.'  i"  fif'îîésippc  lui-même  admet  évi- 
demment la  différenoe  entre  los  frères  el  les  cousins  do  Jésus;  car, 
tandis  quihdésijîne  expressémeiil  un  Jaoques  el  un  Judo  comme 
frères  de  Jésus,  frères  de  Jésus  selon  la  chair,  il  no  nonnne 
jamais  Simon ,  le  successeur  do  Jacques  a  Jeiusaloni ,  que  fils  de 
CAopas  ol  cousin  du  Seifjneur.  3"  on  explicpie  ordinairement  la 
dénomination  Jacques  le  petit  (Man;  \V,  iO)  donnée  au  lils  de 
Clupas  el  de  Marie  en  disant  (paelle  élail  destinée  a  le  disliu;;uer  d'un 
autre  ap^tro,  Jacques,  fils  de  Zébédce  el  frère  de  sainl  Jean.  Celle 
ex|>licalion  suppose  d'abord  (|ue  Jactpies  le  petit  était  lui-même 
apôlie  et,  jiar  conséquent,  qu'il  esl  identi<pie  avec  Jac(|ues,  lils 
dAlpIieo.  mi-ntionné  dans  les  catalogues  a[K)stoli(pies,  ce  (|ui  esl 
possible,  mais  incorlain.  l'nis,  si  le  bu!  de  celle  é|)il|ièle  élail  réol- 
lomenl  celui  (|Uo  nous  venons  d'indiquer,  ce  serait  dans  liin  {\o  ces 
calalo(pies  que  l'on  s'atton<lrait  a  la  voir  li'iurci',  tandis  que  nous 
la  renconlrons  dans  un  passage  où  il  n'est  (|ueslion  que  de  ses  rela- 
tions de  famille:  «  Marie  y  la  mère  de  Jacques  le  petit  et  de  José.  » 
.N'csl-il  donc  pas  plus  probable  qu'on  voulail ,  par  cette  dénomi- 
nation,  le  di^tinl,MIel  d'un  autre  mendtte  de  sa  famille,  qui  portail 
é{;aleraonl  le  nom  de  Jacques,  el  que  celaulr(!  Jacques  élail  son  cr»n- 
sin  ,  le  frère  de  Jésus  ? 

.Nous  concluons  que  Jésus  avait  quatre  frères  proprement  dits  : 


I 


11 


iir.ixiK.Mi;  c.vci.i:.  —  c.iiai'.  ii,  i-J.  .i78 

JacqiK';»  ' ,  J(is('|)li,  Simon  t-l  Ju«lt';  le  premier  cl  lo  dcniiur,  lucn- 
lionnés  par  llôfîésippe  ;  —  cl  trois  cousins  :  Siiuon,  .lac([ue.s  le 
pelil  cl  Josc  ;   le  premier,  d'une  autre  mère  que  les  deux  aulres  et 

mentionné  |>ar'  I^Vésippc  conune  see()n<l  évèque  do  .Jérusalem. 

II.  Rapport  entre  les  frères  ou  les  cousins  de  Jésus  et  les  apôtres 
de  mêmes  noms. 

Jésus  a-l-il  donné  place  parmi  ses  apôtres  a  l'un  on  a  l'autre  de 
SCS  Irères  ou  dv  ses  cousins?  Tout  dépend  ,  dans  celte  question  ,  de 
savoir  si  Jacipies  le  pelil ,  lils  de  (;io|)as  ,  est  le  même  personnage 
que  l'apùlrc  Jac(iues,  fils  d'AlpIiée.  l'ai  tant  de  celle  idenlilé,  Lanjje 
cl  d'autres  sont  allés  jusqu'à  admettre  que  Jude,  surnomme  Lebbée, 
cl  Simon  le  Zelolc  étaient  les  frères  de  Jacques  (Luc  \I,  16),  et 
qu'ainsi  Jésus  avait  nommé  apôtres  trois  de  ses  cousins.  Aussi  Lange 
appfll(^-l-il  le  dernier  fjroupe  du  eolléjje  apostolique  les  Aiphéides. 
Quant  a  Jnde  et  encore  |)lus  quant  à  Simon,  celle  combinaison  est 
absolument  arbilraiie.  .Nous  coiniaissons  des  Sinions  en  foule  dans 
ILisloire  aposlolicjuc  :  Simon  Pierre,  Simon  le  lépreux,  Simon  le 
pharisien,  Simon  de  Cyrène,  Simon  le  corroyeur,  Simon  le  magi- 
cien,  etc.  ;  (|uel  droit  aurions-nous  d'idenlilier,  sur  le  seul  fonde- 
ment de  la  conununauté  de  nom,  Simon  le  Zélole  avec  le  frère  ou 
le  cousin  de  Jésus  /  Sur  Jude,  vo\ez  plus  baut.  —  Quant  à  Jacques, 
la  (pieslion  est  de  savoir  si  le  nom  araraéen  "'^f^'  (Alphée)  ré- 
pondait au  nom  grec  KXeczà?,  conliacté  KXwxàç  (  Cléopas  ou 
Clopas) ,  soil  que  le  second  fût  dérivé  du  premier ,  soit  plutôt  en 
raison  d'un  sjn)ple  rappioebemeni  de  sons;  car,  comme  le  dit 
ÎSl.  Renan,  Cléopas  parait  élrc  pi-opreni(Mit  «  une  forme  écourtée  de 
Cléo|»atr(»s  ,  »  nom  (|ui  est  d'oiijjine  purement  fjKM-que.  Les  objec- 
tions élevées  par  Seliaf  eonlie  la  corrélation  de  ces  deux  noms 
(vo\.  I  appendice  de  sa  brochure)  ne  sont  pas  tiès-solides.  Ces  deux 
noms  paraissent  réellement  correspondie  l'un  à  l'autre. 

Rien  n'empêcherait  <lonc  d'admettre  (|ue  l'apôtre  Jac(|ues  ,  lils 
d'Alphéc ,  fût  l'un  des  cousins  de  Jésus.  El  l'on  pourrait  ainsi  s'ex- 


1.  C'est  celui  qui  Gai.  I  est  appelé  «frère  du  Seigneur"  et  qui  dirigea 
le  premier  le  troupeau  de  Jcnisalora  (Act.  XV  et  XXI,  18  et  suiv.;  Gai.  11). 


^1 1  prkmikhk  partif. 

I>li(|in'i-  1.1  fii(<tn«ilim<'i'  assf/  l'ir.nvjo  <|ii(>  M.ur  \V,  17  la  mrmo 
Mario  qui,  au  v.  Il»,  ost  appcliM'  la  nirif  de  Jariiucs  le  pclil  ol  de 
Joso  ,  osl  dôsirjnco  toiil  couil  ((iinnit'  la  inr-rf  do  .losi'.  I  iio  fois  son 
lils  alriP.  Jacques  le  |i(Mil,  devenu  apAlre,  elle  ne  vivait  jilus  (|u  avce 
lo  cadet ,  J(tse. 

Mais  en  tout  cas,  si  l'on  admet  cotto  idcntil('  de  Jae(|ues  le  [letil 
ol  de  Jac<iues,  fils  d'M|diée,  l'apiMio,  il  faut  bien  se  garder,  comme 
nous  l'avons  dit,  d'cteudro  cplle  parenté  à  Judo  el  à  Simon,  en 
identifiant  ces  trois  ap<Mres  avec  les  frères  de  Jésus  mentiomié-s  dans 
révan(;ile;  n(»n-seulemenl  parce  (pie  cette  supposition  est  aihitraire, 
mais  encore  paice  (pi'elle  est  en  contradictiim  llai;ranle  avec  plu- 
sieurs faits  de  l'histoire  évan{j(>lique.  Ainsi,  Marc  III,  lorsque  les 
frères  de  Jésus  viennent  pour  le  saisir  el  le  ramener  dans  leur  de- 
meure, et  que  Jésus  oppose  ses  apôtres  h  ses  frères,  en  disanl  : 
«  Voici  ma  mère  ri  virs  frèm ^  »  etc.  Ainsi  surtoul,  Jean  VIF,  5: 
«  Car  aes  frères  non  plus  ne  croyaient  pas  en  lui.  >>  Toutes  les 
suMilités  de  F.anf;e  et  de  llenfystenherf;  pour  écliaii|»er  a  la  force  de 
ce  passafje  sont  inutiles.  Cette  |)aroIe  de  Jean  jirouve  sans  ré'pli(|ue 
que,  six  mois  avant  la  moit  de  Jésus  el  lon{;temps  après  que  le 
cercle  apostolique  était  formé  ,  les  frères  de  Jésus  parlafïeaienl  en- 
core l'incrédulité  juive.  Comment  trois  d'entre  eux  sur  quatre 
eussent-ils  clé  apôtres!  Comp.  encore,  pour  la  distinction  des  a|»ô- 
tres  et  des  frères  de  Jésus,  Acl.  1 ,  13.  i4  ;  I  Cor.  IX  ,  5. 

III.  Résultat. 

Nous  devons  donc  distirifjuer  connue  trois  catégories  différentes: 
1°  les  quatre  frères  de  Jésus  ;  2°  ses  trois  cousins,  dont  l'un  seule- 
ment,  Jacques,  a  f)eut-ètre  été  apôtre;  3"  les  Douze.  M.  lienan 
admet  une  confusion  dans  la  tradition  evanijélique:  les  frères  de 
Jésus  seraient ,  selon  lui,  icsies  tous  des  personnages  obscurs  ,  tan- 
dis (pie  ses  cousins  sciaient  devenus  (('lèhres  connue  a|)ôtres;  el  les 
é\aii!;élisles  auraient  attribué  par  erreur  aux  fiéies  de  J(isus  (Matth. 
Xlll  et  Marc  VI)  les  noms  de  ses  cousins  beaucoup  plus  connus, 
tandis  (piOn  aurait  plus  tard  donné  aux  cousins-apôtres  le  titre  lio- 
norin(pje  de  frères  de  Jésus  (1  Cor.  IX  ,  ô).  Cette  prétendue  confu- 
sion n'existe  que  dans  rima!;inalioii  des  critiques  qui  rimpiilent  aux 


ULLXltML  (VCI.K.   —  CIlAl'.   Il,    \t.  ^75 

évanijélislos  ;  elle  est  en  cunlradiclioii  avci-  le  (ail  »|u"uii  seul  des 
coiKsids  ilo  Jésus,  luul  au  plus,  a  élc  aiiùirc.  Tuus  les  Icxlcs  l»ibli- 
(jues  cl  |>atrislii|U('s  '  s"c\[i|i(|uoiil  daus  iiolic  iiiaiiiiMo  de  voir. 

Il  n'est  pas  inipossililc  de  placer  ici  certains  traits  racontés 
an  (•oiiinicnccmont  liii  séjour  en  fialilé'e  pai"  les  Syii(i|itiqnes, 
par  exemple  la  vocation  des  (lisci|»les  à  la  suite  de  la  pèche 
iTîiiacnleuse.  An  moment  de  partir  ponr  .lérnsalem,  Jésns 
les  a()pela  à  le  snivre  ponr  tonjonrs.  Car  il  allait  commencer 
solemiellemenl  son  œuvre;  et,  dès  ce  moment,  il  pouvait 
désirer  d'être  entouré  de  ceux  qu'il  avait  dessein  d'y  as- 
socier. 

Ce  V.  \'2  Inriiie  ddiic  la  tiaiisilion  de  la  vie  privée  de 
Jésus  à  son  ministère  public.  Il  est  encore  au  milieu  de  sa 
famille,  au  moment  même  où  il  franchit  le  seuil  de  sa  car- 
rière messianique. 

Du  reste,  la  narration  de  l'évangéliste  est  tellement  som- 
maiie  que ,  si  l'ensemble  de  la  vie  de  Jésus  n'était  supposé 
connu  des  lecteurs,  ce  récit  ressemblerait  <à  une  énigme. 

Nous  avons  à  considérer  dans  le  fait  suivant  ; 

r  L'acte  du  Seigneur  :  v.  i;J-IC; 

-J"  LeITet  produit  :  v.  I7--22. 

V.  l.'MO.  C'était  à  Jérusalem,  c'était  dans  le  Temple,  que 
devait  commencer  ofïiciellement  le  ministère  du  Messie ,  et 
l'acte  destiné  à  l'inaugurer  ne  devait  point  être,  comme  se 
le  figuraient  les  Juifs ,  un  signe  miraculeux ,  un  prodige  de 
puissance,  mais,  conformément  à  la  viaie  nature  du  règne 
de  Dieu,  iui  prodige  de  sainteté.  «  Voici ,  avait  dit  Malachie, 
il-  L'icnl  ;  cl  qui  pourra  soutenir  le  jour  de  sa  venue...  :^  Il 
sera  assis  comme  celui  qui  affine  et  qui  purifie  l'argent;  il 
nettoiera  les  fils  de  Lcvi  et  il  les  purifiera))  (III,  l-rJ). 


1.  Nous  ne  parlons  pas  du  passafre  controversé  d'Hègcsippc  (Eus.  U.  E. 
IV,  221. 


oTTi  i'iu;.Mii.iii;  l'Aiirii.. 

Le  si'^uM  tl»'  cftlt'  lu'iire  décisivt'  ('lail  Imil  ii;ilnri'llt'iju'ul 
(ionné  n  Jésus  |i;ir  la  fètr  de  IVtqm^s;  rar  rcMi'  fèU»  rassfin- 
lilait  plus  i|ir;iiiniii)'  :iiitri>  li>  pi'iiplr  <lr  Dim  lonl  culjci' 
dans  la  ville  sainte  et  dans  les  parvis  du  Temple.  C'élail 
donc  là  le  pivlnde  de  son  heure  (v.  4).  Si  le  peuple  fùl  en- 
tré,  à  ce  nioineul  déeisif,  dans  le  niouveinenl  tpi'il  tenla  de 
lui  imjtriiner,  cette  entrée  sulenneilf  du  Messie  dans  son 
Temple  n'eût  pas  lardé  à  se  transformer  en  son  avènement. 

Le  Temple  avait  Irois  parvis  proprement  dils:  celui  des 
prêtres,  dans  l'enceinle  du(piel  était  lédiliee  (vao?)  ;  puis, 
d'occident  en  orient,  celui  des  hommes  et  celui  des  fenunes; 
tout  à  l'entour  de  ces  parvis  avait  été  ménagé  mi  vaste  es- 
pace liltrc,  fermé  de  colonnades  des  tpialre  côtés,  et  qui 
s'ajijtelait  le  paivis  des  païens ,  paice  que  c'était  la  seule 
partie  du  lieu  sacré  (Upov)  dans  laqudle  il  fùl  })ermis  aux 
prosélytes' d'entrei".  Dans  ce  parvis,  le  plus  extérieur  el  le 
moins  respecté ,  s'étaient  établis  peu  à  peu ,  avec  l'approba- 
tion tacite  des  autoiités  du  Temple,  un  marché  et  une 
Bourse.  On  vendait  là  les  diverses  espèces  d'animaux  desti- 
nés aux  sacrifices;  on  y  échangeait  l'argent  grec  ou  romain, 
apporte''  de  la  terre  étiangère ,  contre  la  momiaie  saciée 
avec  la(juelle  se  payait  la  capitation  fixée  par  Ex.  XXX  ,  13 
pour  l'entretien  du  Temple,  l'hénnsicle  ou  doiible  diachme 
(1  fr.  50  c). 

Jusqu'à  ce  jour,  Jésus  ne  s'était  pas  élevé  contre  cet  abus. 
Il  n'était  entré  dans  le  Temple  que  comme  simple  Juif;  en 
cette  qualité,  il  n'avait  pas  à  juger  la  conduite  des  autoii- 
tés ,  encore  moins  à  se  substituer  à  elles.  Maintenant,  c'était 
comme  Fils  de  celui  à  qui  ce  Temple  était  consacré,  comme 
héritier  et  proprié-taire ,  (pi'il  entrait  dans  ce  lieu  saint.  Il  y 
apportait  avec  lui  non-seulement  de  nouveaux  droits,  mais 
de  nouveaux  devoirs.  Se  taire  et  ne  point  agir,  en  face  des 
profanations  dont  I;i  leligion  était  le  piétexte  et  dont  s'in- 


DKUXIKMK  C.YCI.i;.  —  CHAI'.  Il,   1;!.  ."177 

(lii^ii;iit'iil  sii  coiiscii'iicc  île  Jiiirct  suii  conir  de  Vïh,  cvùl  <'ié 
rniniirrr  ilès  lo  délnil  ;'i  sa  j)Osilion  de  Messie.  La  parole 
(If  Miiliicliir  iiue  nous  avons  ciléo,  lui  indiquait  la  marche 
à  suivre.  Jésus  niesuie  coniplètenieiil  la  portée  de  cet  acte; 
c'est  lin  appel  à  la  eonsrience  d'Israël,  une  mise  en  demeure 
pour  la  nation  et  pour  ses  chefs.  Si  cet  appel  est  <'iilendu , 
ce  jugement  symi)olique  se  transformeia  en  une  purification 
réelle.  Ajirès  les  profanations  du  ciillr  ,  disparaîtront  tous 
les  dé'sordres  dans  la  vie  ,  et  cette  rt'îforme  de  la  théocratie 
sera  rinaiigiiration  du  l'ègne  messianique.  Si,  au  contraire, 
le  peuple  reste  sourd  et  laisse  Jésus  agir  seul ,  Jésus  com- 
jtrend  les  conséquences  de  cette  conduite  :  la  théocratie  est 
perdue,  et  dans  sa  ruine  sont  imphijués  le  rejet  et  la  mort 
du  Messie  lui-même.  Les  v.  10-21  montrent  que  Jésus  se 
rendait  un  compte  parfaitement  distinct  de  la  gravité  de  ce 
moment. 

L'expulsion  des  marchands  avait  donc  un  but  plus  élevé 
(pic  la  (iiirilication  extérieure  du  sanctuaire.  Voilà  pourquoi 
Jésus  n'était  point  appelé  à  la  renouveler  dans  les  fêtes  sub- 
séquentes. Ouant  au  pouvoir  en  vertu  duquel  Jésus  a  agi  en 
cette  occasion,  on  en  a  souvent  appelé  au  droit  des  Zélotes, 
dont  l'acte  de  Phinée  (Nomb.  XXV;  Ps.  CVI,  30)  était  resté  le 
type.  Aux  yeux  et  dans  la  conscience  du  peuple,  l'acte  de  Jésus 
se  justiliait  en  eflél  à  ce  point  de  vue;  mais,  quant  à  Jésus 
lui-même,  ce  n'est  i)as  en  zéh'  théocrate,  c'est  en  Messie, 
c'est  en  Fils  (pi'il  agit  ici  (la  maison  de  mon  Père  v.  10). 

V.  1:}.  «Et'  la  Pàque  des  Juifs  était  proche,  et  Jésus 
monta  à  Jérusalem.  "  —  Le  conipli'iii.  tùv  'IcuSaiov,  des 
Juifs,  vient  de  c(;  (pic  Jean  l'cril  pour  des  lecteurs  païens, 
avec  lesquels  il  s'idcnlilic  Ini-niê'nic  dans  la  communion 
chrétienne. 

1.  X  seul  lit  Sz  au  lieu  do  xai. 


XJf^  PREMIKRi:  l'Ali  I  11. 

\ .  I  J.  "  Et  il  trouva  dans  le  Temple  ceux  qui  vendaient 
des  bœufs  et  des  brebis  et  des  pigeons'  et  les  changeurs 
qui  étaient  assis.  »  —  l/iiiliclc  (Irviinl  TioXcùvxa^  cl  xep- 
(jiaTiffTa;  (|iroiin'llt'iil  ;'i  Inil  Osli-rwiiM  ri  (l'iiiiln's  Iriidiic- 
trurs  ,  liiil  ressortir  •<■  iin''liti-l;'i  ((miiiic  mik.-  piurcssioii 
coniuie  :  ce  sont  les  vendeurs  et  clianyeiirs  liabilut's  et  en 
quelque  sorlo  patentés.  Les  trois  espèces  iraniinaiix  indi- 
quées étaient  les  |iliis  li;iltiliirll('Mirnl  eni|il(»yi''es  aux  sacri- 
fices. —  KepixaT'.araV .  clunif/curs ,  de  xéffxa  ,  pièce  de 
wotnitiic. 

V.  15.  «Et  ayant  fait'  un  petit  fouet  de  cordes,  il  les 
chassa  tous  du  Temple,  aussi  bien  que  les  brebis  et  les 
bœufs;  et  il  répandit  la  monnaie'  des  changeurs,  et  ren- 
versa* leurs  tables.»  —  Ce  luiiel  n'élail  pas  un  insliument, 
mais  iiii  eiMltlénie.  (l'é'lait  le  sij^ne  do  raiilurité'  et  du  jugc- 
nieiil.  S'il  s<'  fût  ai^i  iluiie  aeti(tii  à  exercer  pliysi(juenieiil, 
le  moyen  eût  été  disproportionné  an  l»iit ,  et  l'efTcl  le  serait 
eïicor'e  plus  à  la  cause.  L'eiiiphji  mal(''iiel  du  fouet  n'est 
point  nécessairement  renrernic  dans  le  terme  èçéi^aXsv,  // 
chnsm.  Le  simple  geste  suffit  sans  doute.  —  Ilàv-caç,  toits, 
est  rapporté  [»ar  pliisiems  à  Tcpo^ara,  brebis,  et  ^oa?,  liœufs 
(le  masc.  izi-noLZ  à  cause  de  pda;:)  ;  mais  il  est  évidemment 
plus  naturel  de  rapporter  ;càvTaç  à  tcù;:  TcoXoùvxaç,  les  ven- 
deurs ,  (jui  précède ,  et  de  faire  des  mots  suivants  une  simple 
apposition:  «Il  les  chassa  Ions,  avec  leurs  brebis  et  leurs 
bœufs.  »  L'intention  de  ce  xe  xai,  aussi  bien  que,  qui  gram- 
malicalemenl  n'est  pas  tout  à  fait  correct,  est  d'exprimer 

t.  K  sent  lit  tsj;  -wà  .  zat  tï  -po,2.  xott  ,joa;  /.a».  TrepiOTEpa;. 

2.  N  seul  lit  £-cir,5£v. 

3.  BLX  Or.  lisent  -ri.  y.cpfj.y-'j.,  an  lieu  de  to  y.tpy.'u.  qui  se  trouve  dans 
ton.s  tes  autres  Mss. 

4.  Au  lieu  d'avesTpe'l^ev  dans  le  T.  H.,  IlX  lisent  averpe'^^ev,  et  X  avec 
quelques  Mnu.  •AtTi.zzpvltVé. 


DKrXIKMK  CYCI.i:.  —  CHAI'.   Il,    li-lC.  :\1\) 

rosp«''(:«'  (le  Iriiciis  avec  l('(|ii<'l  liumnics  et  aniiiiitiix  diMalrit'iit 
à  son  oniro  et  au  ;,m'sIo  qui  l'acconipayna.  —  //  rcpmuUt , 
(le  sa  |ir(i|»r('  îiiaiu.  —  K:XA'j^taTT|-,  chaïKjeur ,  de  xoXXupc^, 
nuinnius  )niuuttfs. 

V.  Ifi.  «Et  il  dit  à  ceux  qui  vendaient  les  pigeons: 
Otez  tout  cela  d'ici;  ne  faites  pas  de  la  maison  de  mon 
Père  une  maison  de  marché.  >  —  Jésus  se  borne,  à  l'égard 
i\('<.  Vf  ndt-nis  de  pigeons,  à  la  parole.  11  ne  peut  pas  chasser 
les  pigeons,  connne  on  chasse  des  bœufs  ou  des  brebis;  et 
il  ne  veut  pas  renverser  les  cages,  comme  il  a  renversé  les 
tables  des  changeurs.  On  voit  qu'il  est  parfaitement  maître 
de  lui.  il  n'a  donc  point  frappé  les  marchands  de  bœufs  et 
de  brebis  ;  sinon ,  pourquoi  eùt-il  ménagé  les  vendeurs  de 
pigeons  ?  —  L'ordre  «  ôtez  »  s'adresse  à  ces  derniers  seuls  ; 
les  mots  suivants  <i.  ne  [ailes  pas....  !>  à  tous  les  trafiquants. 
—  Le  complém.  a  de  mon  Père  i»  renferme  l'exphcalion  de 
l'acte  de  Jésus.  C'est  un  lils  qui  venge  l'honneur  de  son  père 
et  de  la  maison  paternelle.  Quand  il  était  dans  le  Temple 
à  l'âge  de  douze  ans,  c'était  déjà  le  même  cœur;  mais  au- 
jourd'hui ,  il  est  soutenu  par  la  conscience  de  sa  dignité  de 
¥'\\s  et  de  son  devoii'  de  Messie.  Alors,  ce  n'était  qu'une 
étincelle;  aujourd'hui,  c'est  une  flamme. 

La  réussite  immi'diate  de  l'acte  discipUnaiic  opéré  par 
.b'sus  s'explique  pai'  la  majesté  imposante  de  son  apparition, 
par  l'ascendant  irrésistible  (juc  lui  donnait  la  conscience  de 
la  force  surnaturelle  qu'il  pouvait  déployer  au  besoin,  par 
le  sentiment  de  sa  souveraineté  en  ce  heu,  tel  qu'il  se 
trahit  dans  ce  mot  «  mon  Père,  "  enfin  par  la  mauvaise  con- 
science de  ceux  qui  étaient  l'objet  de  ce  jugement  et  |iai' 
l'adhésion  involontaire  que  la  conduite  de  Jésus  leur  ana- 
ebait. 

L'ellét  pioduil  est  décrit  dans  les  v.  17-:22.  Nous  reneuu- 
lious  ici  un  fait  qui  se  reproduira,  dans  le  quatrième  évan- 


380  premii:rk  I'ahtii:. 

jfilt' ,  à  cli.iniin^  tlt's  m;MiilVsl;ili(ui>  (\i'  l;i  ^^loirc  du  Sripneur: 
l'eflel  produit  «'sl  tluiil»li'  .  selon  l;i  pif-disposition  iiiorali* 
des  U'moiiis;  les  croyaiib  Iroiivi'ni  (huis  1  adr  de  .li-sns  iiii 
alimt'iil  jMHii'  leur  foi,  taudis  (jiir  cl*  iiièim'  ai'lt.'  devient  im 
sujet  de  scandale  poiu"  er\\\  (|iie  leur  tendance  nioiale  rem- 
plit d'antipathie  ponr  le  Seii^iKMU'. 

V.  17.  ft  Ses  disciples  se  rappelèrent'  qu'il  est  écrit  : 
Le  zèle  de  ta  maison  me  dévore*.  »  —  Cette  réminiscence 
eut  sans  doute  lieu  immédiatement  ;  cela  ressort  de  la  com- 
jiaraison  avec  le  v.  22,  où  le  conlraiie  est  expressément 
indi(pié.  —  Le  Ps.  LXIX,  dont  le  v.  10  se  représente  en  ce 
moment  au  souvenir  des  disciples  ,  n'est  qu'indirectement 
n)essiani(pie,  c'est-à-dire  que  le  sujet  immédiatement  con- 
tem[>lé  |iar  le  psalmiste  n'est  pas  la  jjersonne  du  Messie 
(comp.  V.  C  :  «  Tu  connais  ma  folie,  et  mes  fautes  ne  le  sont 
point  cachées^),  mais  l'idéal  du  juste  théocratique  ,  ^Un\\  la 
réalisation  la  plus  parfaite  se  trouve  dans  le  Messie.  —  L'u- 
naniinil»'  de.-;  Mjj.  df'cide  en  faveur  de  la  leçon  xaTaçàyeTat.. 
*l»à7C|j.a!, ,  uianyer,  est  un  futui"  hellénistique  employé  aussi 
dans  le  sens  de  présent.  Plusieurs  ont  rapporté  cette  expres- 
sion aux  souflrances  de  Jésus  dans  le  cours  de  son  minis- 
tère, ou  même  à  son  supplice  final.  Cette  pensée  est  entiè- 
rement étranj,''ère  aux  |)réoccupalions  actuelles  des  disciples. 
Ils  ne  pouvaient  penser  en  ce  moment-là  (ju'à  la  puissance 
consumante  du  zèle  de  Jésus,  à  cette  consécration  intérieure 
qui  faisait  de  lui  sous  leurs  yeux  un  vivant  holocauste.  C'est 
é{,'^alement  le  sens  dominant  de  ces  mots  dans  le  Psaume. 

Tandis  que  les  disciples  se  souvie-nnent,  et  que,  parce 
souvenir,  leur  foi  se  confirme,  les  Juifs  raisonnent  et  ob- 


1.  N  b  L  X  Cop.  Or.  omettent  après  eiJLvr.sOr.sav  le  ^i  que  présentent 
les  antres  autorités. 

2.  Le  T.  R.  lit  xareçaye  avec  plrisieiirs  Mnn.  it.  Vç. .  tandis  que  /.ara- 
'^l'ff.'xi  se  trouve  dans  Ions  les  Mjj.  et  anlres  Vss. 


I 


ItiaXIKMi;  CYCLK.  —  CHAI'.  Il,   17.   i«.  .•"181 

jrclcni.  Au  ln'ii  (le  se  livrer  ;'i  riiii|irt'ssi(iii  prodiiilc  djuis 
leur  coiisrieiice  par  la  inaiiil'e.^lahdii  saiiiîciiicnt  lit''ioiquc 
(Idiil  ils  vicimeiil  drlrc  les  l('-ii)(»iiis  ,  ils  i( Chniirnl  le  si^iiC 
(jui,  d'après  Icinslalut  tiadilioiiiicj,  dnil  la  JcLiiliiiirr;  cuiiime 
si  un  |iaiTil  adc  ne  iciirri  iii;iil  p;is  en  lui-iiitMiie  sa  pio|ne 
l»''i;iliMia(i(iii  ! 

V.  18.  «Les  Juifs  répondirent  donc  et  lui  dirent:  Quel 
signe  nous  montres-tu,  pour  agir  de  la  sorte?  >  —  La 
parlicule  cCv,  donc,  renoue  le  v.  18  au  v.  16  après  l'inter- 
ruption du  V.  17.  La  demande  des  Juifs  est  la  conséquence 
lie  la  conduite  de  Jésus.  —  L'expression  a  les  Juifs  »  désigne 
sans  doute  ici  les  autorités  chargées  de  la  police  du  Temple, 
mais  avec  la  nuance  d'hostilité  qui  s'attache  ordinairement 
à  ce  ternie  dans  notre  évangile  (voir!,  19).  Riggcnhach 
(Ixben  des  Herrn  ,Iesîi,  p.  88:2)  observe  que  «c'est  bien  la 
méthode  du  pharisaïsme  de  demander  un  aYifxeîov  extérieur 
pour  légitimer  un  acte  (pii  se  recommande  par  soi-même  à 
la  conscience,  parce  que,  une  fois  sur  cette  voie,  on  peut 
chicaner  sur  la  nature  et  la  valeur  du  signe,  progresser  in- 
cessamment d'exigence  en  exigence ,  et  demander  enfin , 
ajirès  une  niultiplicalion  des  pains:  a  Quel  signe  fais -tu 
donc  ?  » 

Xrcxç'.'veaOai  ne  signilie  pas  plus  ici  qu'ailleurs  prendre 
la  parole  (  Oslcnvald,  Milliet,  Arnaud;.  Ce  mot  renferme 
liiujuurs  l'idée  de  replitjue;  seulement,  la  réponse  s'adresse 
|tarfois  au  sentiment  ou  à  la  conduite  de  l'interlocuteur.  Ici, 
la  question  dos  Juifs  est  bien  une  réponse  à  l'acte  de  Jésus. 
.Ii'sus  venait  d'adresser  un  apjtel  au  sentiment  théocratiqiie 
et  national.  L'attitude  d'Israël,  en  face  de  cette  solennelle 
[•rovocation,  devait  décider  de  sa  déchéance  morale  ou  de 
sa  capacité  de  relèvement.  La  réponse  fut  significative.  Le 
V.  lî)  nous  montrera  que  Jésus  en  saisit  parfaitement  le 
sens.  —  "O-t  est  bien  exfiliqué'  par  Meyer  :  eic  àxôcvo  ct'.. 


rl85  PRKMIKRE  PARTIE. 

V.  !'.•  :  (  Jésus  répondit  et  leur  dit  :  Détruisez  ce  Tem- 
ple-ci .  et  en  trois  jours  je  le  relèverai,  r  —  Celle  rej)»)iisc 
lie  Jésus  osl  Sdiidiiiiie  eoinine  un  ('cliiir.  Klle  jaillit  d'une 
iiieiMiiMiensiU'nhle  proloïKleiir  ri  illiniiiiie  des  doinnincs  alors 
eoniplèlenienl  iiiexpldri's  pour  toute  autre  ronscieuco  que 
la  sienne.  Les  mots  :  «  Drlruisr:  ce  Temple ,  »  raractérisiint 
la  condin'te  des  Juil's  dans  sa  sijiniliealion  la  plus  intime ,  et 
la  parole  suivante  :  «  Dans  trois  jours  je  le  relèverai,  »  dé- 
voile l'œuvre  que  Jésus  pr(''|tare,  dans  toute  sa  grandeur. 

Voici  la  principale  difTieuIlé  que  présente  l'interprétation 
de  cette  jiarole  :  d'un  côli',  la  liaison  à  re  qui  précède  force 
de  rapporter  les  mots  «  ce  Temple  -  ci  »  au  Temple  propre- 
ment dit,  à  relui  que  Jésus  venait  de  purilier  ;  de  l'autre  , 
rinterprt'lation  de  révan^-^élisle  (v.  :21)  semble  exclure  ce 
ra|)port  et  lorcer  de  donner  à  ces  mois  un  sens  complète- 
ment étranjfer  au  contexte  en  les  appliquant  au  corj)S  de 
Jésus.  Plusieurs,  tels  (jue  Lùcke,  ne  savent  résoudre  ce 
problème  qu'en  reconnaissant  un  conflit  entre  l'explication 
de  l'apôtre  et  l'exégèse  scientifirpie  et  en  admettant  un  pro- 
grès de  la  seconde  sur  la  première.  M.  Heuss  exprime  la 
même  pensée  :  "  Tout  le  monde  s;iil  que  l'apôtre  donne  à 
ce  mol  fameux  une  inlerprétalion  allégorique  très-conforme 
sans  doute  aux  sentiments  des  disciples  après  la  résurrec- 
tion du  Seigneur,  mais  étrangèi'C  au  (ait  à  l'occasion  fluquel 
il  avait  clé  prononcé»  (Hist.  de  la  thèol.  chrét.  t.  II,  p.  321). 
Baur  donne  une  sévère  leçon  à  Lùcke  pour  son  irrévérence 
envers  l'exégèse  aj)osloIique  et  se  déclare  en  faveur  de  l'in- 
terprétation de  l'évangélisle.  Mais  par  quelle  raison  ?  Celle 
parole  étant  en  partie  inventée  par  l'historien  et  en  partie 
tirée  par  lui  de  l'accu.salion  des  faux  témoins ,  nul  mieux 
que  l'auteur  ne  pouvait  savoir  le  sens,  non  de  ce  que  Jésus 
avait  dit ,  mais  de  ce  qu'il  lui  avait  fait  dire. 

La  vérité  historique  de  celte  f»arole  de  Jésus  est  pleine- 


DELXIKME  CYCI.K.  —  CIIAP.   Il,    T.».  f\f<f\ 

iiH'iil  <,^'l^;lllli('  :  V  Pnr  son  nri^iiiiiliti-  iiiriiic.  :2"  I*;ir  lu  ilô- 
clarntioii  (\r<.  faux  léinoiiis  (.M;illli.  XXVl ,  (il  ;  Mure  XIV,  57. 
58).  Celte  (léelai-;iti(jii  esl  (ruiilmil  jjIus  ienKin|ii:il)li'  (]ue  l;i 
ti-;i(lilioii  synoptique  uvuit  |ier(lii  le  souvenir  de  la  cii'con- 
sfanee  dans  laiiiielle  eette  parole  avait  été  prononcée;  néan- 
moins le  mot  lui -même  était  resté  profondément  gi'avé, 
non-seulement  dans  le  souvenir  des  disciples,  mais  aussi 
dans  celui  des  .Juifs.  .Iran,  ipii  complète  à  tant  d'égards  le 
rr'cit  des  premiers  temps  du  ministère  de  Jésus ,  nous  rend 
réminent  service  de  replacer  cette  parole  dans  sa  situation 
historique,  rî"  Par  Act.  VI,  14,  où  les  accusateurs  d'Etienne 
disent  :  «  Nous  l'avons  entendu  dire  que  Jésus  de  Nazareth 
détruira  ce  lieu-ci  et  changera  les  coutumes  que  Moïse  nous 
a  données.  »  M.  Reuss  n'a  donc  pas  tort  d'appeler  cette  pa- 
role «  un  mot  fameux.  »  Il  Ta  été  dès  l'origine.  —  Ouel  en 
est  le  sens  précis  ? 

La  première  proposition,  relative  aux  Juifs,  ne  peut  ren- 
fermer une  invitation  à  détruire  le  Temple  directement, 
même  dans  un  sens  hypothétique  :  «  Si  vous  détruisiez  » 
(de  Wette).  Cette  supj)Osition  serait  absurde  ;  quel  Israélite 
aurait  porté  la  main  sur  l'édifice  sacré?  Le  sens  doit  donc 
être  celui-ci  :  «  Amenez  indirectement,  par  votre  conduite, 
la  destruction  de  la  théocratie  et,  par  là,  celle  du  Temple.» 
Comme  résidence  de  Jé'hovah  et  centre  de  la  vie  religieuse 
israélite ,  le  Temple  j)ouvait  à  bon  droit  être  identifié  avec 
la  théocratie.  Si  la  théocratie  venait  à  périr  par  la  faute  des 
Juifs,  c'est  dans  la  destruction  du  Temple  que  devait  se 
consommer  sa  ruine. 

Mais  par  quel  acte  Israël  pouvait-il  provoquer  un  tel  châ- 
timent ?  L'interprétation  moderne ,  «  l'exégèse  scientifique,» 
comme  dit  Liicke ,  ré'pon  1  :  Par  des  profanations  réitérées 
et  croissantes  telles  que  celle  contre  laijuclle  venait  de 
s'élever  Jésus.  Cette  réponse  est  insuffisante.  Des  péchés 


384-  l'UKMlKHE  l'VIlTIF. 

ans>i  v;i^Mi('iii('iil  (h'Iiiiis  ne  |Miii\;iiriil  rire  lii  caiiso  d'uno 
telle  caliisliu|»lii'.  Hnilleiirs,  rAiicieii  Tesliuiient  ussigiie  une 
cause  positive  à  la  luine  du  (tcuple  ci'Isra«il  et  do  son 
Tfiiipir  :  c'ol  le  rejt'l  el  le  iiictulie  du  Messie.  Zucliarie 
(eh.  \1>,  décrivaul  la  luiue  ualiouale  sous  liuiage  d'uu  in- 
cendie »pii  ilévore  Ions  les  arbres  de  la  Tene-Sainle,  depuis 
le  Lilian  jusiprà  reinboueliure  du  Jourdain  (v.  1  -S),  en  in- 
dicpu'  elainiiK  lit  la  canse  (v.  -i-ii)  :  rinsuccès  de  la  suprême 
lentalive  l'aile  par  IKlernel  pour  sauver,  par  l'envoi  du  Mes- 
sie, Israël,  ce  lioupeau  déjà  destiné  à  la  lioucherie.  Daniel 
(cil.  IX)  s'exprime  encore  plus  clairemenl  :  «  Le  Christ  sera 
retranché ,  cl  le  peuple  d'un  prince  qui  viendra,  dé- 
truira la  ville  et  le  sanctuaire.  ^  Mallli.  XXIV,  15-1G  ne 
perniel  pas  de  douter  de  l'application  (pie  faisait  Jésus  de 
celte  prophétie  aux  circonstances  de  sou  temps.  Détruire 
le  Temple'  et  tuer  le  Messie  n'était  donc  ,  aux  yeux  de  Jésus, 
(ju'un  seul  ri  même  acte.  El  cette  intuition  profonde  ne 
reposait  pas  seulemenl  sur  la  jiroplK'lie;  elle  résultait  de  la 
nalui'c  ck'^  choses.  L'apparition  du  .Messie  est  le  but  essenliel 
de  l'inslilulion  tliéocrali(pie;  Israël,  sa  loi,  son  culte,  n'existent 
qu'en  vue  de  lui  <  (,  jtar  conséquent,  ipi'en  lui.  Le  Messie 
relranché,  Israël  n'est  plus;  le  peuple,  le  saceidoce,  le 
Temple,  tout  cela  peut  bien  exister  encore  momentanément; 
mais  ce  n'est  plus  (jue  l'existence  du  cadavre  sur  lequel 
vont  s'assembler  les  aigles  du  jugement  divin  (Matlh.  XXIV, 
!28).  Cela  est  si  vrai  qu'au  moment  où  Jésus  expire,  le  voile 
du  Temple  se  déchire;  il  n'y  a  plus  de  Lieu  très-saint,  par- 
lant plus  de  Lieu  saint,  plus  de  paivis,  plus  de  sacrifices, 
[dus  de  sacerdoce;  le  Temple  n'existe  phis  comme  Temple. 
C'est  donc  bien  au  Temple  de  Jérusalem  que  Jésus  pen- 
sait en  disant  :  «Détruisez  ce  Temple-ci. y>  Mais  il  savait  que 
ce  serait  sur  sa  personne  que  tomberait  le  coup  fatal  jjar 
k'ffuel  les  Juifs  eux-mêmes  détruiraient  ce  sanctuaire.  — 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  IF,  l!l.  385 

L"imp<T.  Xu'aare  n'esl  Aonr  puiiil  ^iiiiplciiii'iit  coiiccssif: 
«  S  il  arrive  que  vous  iléliuisioz.  »  Il  est  du  iiièrne  genre  (jiie 
cet  autre  impératif  adressé  au  vrai  représentant  du  peuple 
juif:  t.  Fais  aussitôt  ce  qnc  tu  as  à  faire  ^  (^'11,  27).  Une 
lois  que  le  fruit  de  la  perversité,  collective  ou  individuelle, 
a  inùri ,  il  doit  loniber. 

Voici  donc  le  sens  de  la  première  proposition  :  «  Dé- 
truisez votre  Tenqile  ,  en  me  tuant,  moi,  le  Messie.  »  Que 
veut  dire  Jésus  dans  la  seconde  ?  Le  mode  de  relèvement 
doit  corresjtondre  au  mode  de  destiuclion.  Si  donc  c'est 
daiis  la  peisonne  du  Messie  que  le  Temple  doit  être  abattu, 
c'est  dans  sa  personne  aussi  qu'il  doit  être  relevé.  Le  choix 
du  terme  i-^içiù  (proprement  :  je  réveillerai) ,  suffirait  pour 
indi(|uer  la  pensée  du  Seigneur.  Les  mots  :  a  En  trois  jours,y> 
la  lévèlent  également.  Dans  un  passage  poétique,  comme 
celui  d'Os.  VI,  2,  on  peut  sans  doute  donner  à  cette  expres- 
sion un  sens  symbolique  :  «  En  peu  de  temps.  »  Mais  cette 
interprétation  est  impossible  dans  un  contexte  historique 
r(imme  celui-ci  :  Jésus  fait  allusion  à  sa  résurrection. 

Le  Temple  était  la  résidence  de  Jéliovali  en  Israël,  le 
rendez -vous  de  Dieu  et  du  peuple,  mais  d'une  manière 
typique,  Jésus  sait  qu'il  est  la  réalité  de  ce  que  le  Temple 
n'est  qu'en  figure,  que  son  corps  est  la  vivante  résidence 
de  Dieu  au  sein  de  l'humanité.  C'est  dans  ce  sens  qu'il  disait 
un  jour  (Malth.  XII,  6)  :  «~Il  y  a  ici  plus  que  le  Temple.  » 
Cette  idée  est  celle  que  Jean  a  exprimée  lui-même  I,  14 
par  le  mot  £axT|Vua£v.  C'est  celle  que  saint  Paul  formule 
quand  il  dit  de  Christ  glorifié  (Col.  II,  9)  :  «  Toute  la  pléni- 
tude de  la  divinité  habile  corporellement  en  lui.  )^  Jésus, 
contemplant  ressuscité  ce  corps  que  les  Juifs  vont  tuer, 
peut  donc  bien  le  désigner  comme  le  Temple  relevé,  puis- 
que ce  corps  glorifié  réalisera  ()arfaitement  l'idée  dont  le 
Temple  de  Jérusalem  n'était  que  la  représentation. 
I.  25 


380  PREMIK.nK  l'AllTIK. 

Lo  mol  (lo  .lôsus  j)Oul  donc  sf  juiraplirnsor  ainsi  :  c<  Dôtnii- 
soz  le  Toniplo  en  nie  tuant;  en  trois  jours  je  le  relèverai, 
dans  sa  V(''rilal)le  (»ssenee ,  eu  me  ressuscitant.  « 

rioinnicnt  celti'  jtainle,  ainsi  comprise,  ri'pond-cllc  ;iux 
e\i«,'^eiîces  de  la  situation  '.'  On  drmandi'  à  .li'sus  un  si^jne 
de  sa  conipétt'iice,  un  miracle  de  pure  d<''monslrati»in.  Nous 
savons  par  les  Synoj)tiques  que  cette  demande  lui  a  été 
adressée  plus  d'une  fois;  il  l'a  toujours  repousséc  par  des 
misons  <pn'  se  comprennent  facilement.  C'est  ce  qu'il  lait 
aussi  indirectement  par  celte  parole.  Cependant  il  désirait 
au  moins  accorder  ce  qu'il  pouvait  concéder  sans  empiétei' 
sur  la  souveraineté  de  Dieu.  Or  il  était  mi  miracle,  un  scid, 
i|ii'il  pouvait  prévoir  avec  certitude,  parce  qu'il  appartenait  au 
plan  de  Dieu  pour  le  salut  de  l'humanité,  et  promettre  sans 
se  condamner  au  rôle  de  tliaumatiufre  :  c'était  sa  résurrec- 
tion. C'est  à  ce  signe  qu'il  en  ajipelle  ici.  exactement  comme 
il  le  fait  dans  les  Synoptiques  (Maflli.  XII,  88-10;  XVI  ,  4). 
C'est  encore  là  un  exemjile  de  l'analogie  profonde  qui  se 
dévoile  toujours  plus,  à  mesure  que  l'on  étudie  davantage 
ces  livres,  entre  le  Jésus  de  Jean  et  celui  des  premiers  évan- 
giles ,  à  côté  de  la  différence  de  forme.  Jésus  annonce  qu'il 
prouvera  son  dmil  par  sa  puissance  bienfaisante  et  répa- 
ratrice. Il  se  montrera  toujours  et  toujours  le  j)lus  fort. 
A  mesure  que  leurs  profanations  iront  croissant  jusqu'à 
attenter  enfin  à  la  personne  même  du  Mes.sie,  sa  puissance 
se  manifestera  avec  plus  d'éclat ,  jusqu'à  relever  en  trois 
jours  ce  Temple,  le  seul  parfaitement  digne  de  ce  nom. 
Cette  interprétation,  qui  se  confond  avec  celle  de  l'apôtre 
V.  21.  répond  pleinement  aux  besoins  i\u  contexte. 

Voici  celle  à  laquelle  est  parvenue  l'exégèse  moderne,  en 
suivant,  comme  dit  Lûcke,  les  lois  de  l'art  philologique.  Elle 
est  exprimée  au  mieux  par  Ewald  (Gesch.  Christi,  p.  230): 
(I  Toute  votre  religion  ,  reposant  sur  ce  Temple,  est  gâtée 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  Il,  19.         387 

fit  perverlie  ;  mais  il  csl  déjà  lu ,  celui  qui ,  (juand  elle  aura 
péri,  comme  elle  le  méiile,  la  restaurera  facilement  suus 
une  forme  plus  glorieuse  et  oj)érera  ainsi ,  non  pas  un  de 
ces  miiacles  coiimuins  (jue  vous  demandez,  iiiai.>  le  plus 
j^Maiid  i\('>^  miracles.»  Dans  cette  explication,  le  temple 
abattu,  c'est  le  judaïsme;  le  temple  relevé,  c'est  l'Eglise; 
et  l'acte  de  relèvement  serait  la  Pentecôte ,  bien  plutôt  que 
la  Hésurreclion.  Nous  ne  dirons  pas  que  ce  sens  soit  abso- 
lument faux  ;  il  ne  l'est  qu'autant  qu'on  le  donne  pour 
l'expression  de  la  pensée  propre  de  Jésus.  Mais  1°  Il  est 
impossible  d'interpréter  naturellement  à  ce  point  de  vue 
les  mots  :  «  En  trois  joutas.  »  Ni  Os.  VI,  2  ni  Luc  XIU,  32 
ne  peuvent  justifier  le  sens  figuré  et  proverbial  que  l'on 
essaie  de  donner  à  cette  expression  dans  notre  passage. 
D'ailleurs ,  pris  dans  un  sens  aussi  vague ,  ces  mots  n'expri- 
meraient qu'une  idée  tout  à  fait  secondaire  ;  et  la  pensée 
essentielle  serait  celle  du  verbe  eyspû ,  tandis  que  l'ordre 
des  mots  dans  la  phrase  prouve  que  c'est  sur  cette  idée  : 
«  En  trois  jours,  »  que  repose  l'accent.  2°  La  transformation 
de  l'économie  juive  n'est  point  un  signe  messianique ,  un 
c7ï)[jLeîcv  ;  c'est  l'œuvre  même  du  Messie.  Il  faut  donc  certai- 
nement partir  de  l'interprétation  apostolique;  après  cela  il 
suffît  d'en  prolonger  les  lignes  pour  retrouver  celle  des 
modernes. 

On  objecte  que  les  Juifs  n'auraient  j)u  comprendre  une 
réponse  aussi  mystérieuse.  Assurément  ils  n'ont  vu ,  dans 
le  Temple  dont  parlait  Jésus,  que  l'édifice  matériel,  et  se 
sont  figuré  sans  doute  le  signe  promis  comme  l'apparition 
magique  d'un  Tenijile  nouveau  et  surnaturel.  Mais  nous 
verrons  continuellement  que,  vis-à-vis  des  gens  mal  inten- 
tionnés, la  méthode  de  Jésus  est  de  jeter  une  énigme  et  de 
ne  révéler  la  vérité  qu'en  la  voilant  sous  un  divin  paradoxe, 
qui  ne  peut  être  compris  qu'en  eliangeaiit  <le  eoMir.  C'est 


3S8  PRKMIKIU-;  P.MITIE. 

là  un  seriTf  de  la  plus  profoiidc  jM'diif^'-opic.  Mais,  si  cnignia- 
tiqiH'  que  ih^l  èlrc,  aux  yeux  (]*'■>  Juifs,  le  mol  do  Jt'sus,  doux 
conviclidus  dcvaiont  so  Hniuor  dans  Jour  ctour  :  ocllo  do  leur 
propro  iniiniliô  coiitro  lo  Touiplo  :  «.Abattez,^  —  et  celle 
do  la  loulo-puissanco  rôparatriro  de  Jésus  :  «.Je  relèverai.  » 
N'otait-oo  pas  assez  pour  une  pirun'éro  rouoonlio? 

Ou  (tbjorte  encore  que  Jésus  ne  pouvait  pas  connailro  si 
lonf,'lonips  à  l'avance  sa  mort  et  sa  résurrection.  Mais,  dans 
un  domaine  aussi  mystérieux  cpie  celui  de  la  ronnaissanco  do 
Jésus,  il  n'est  pas  prudent  de  dire  :  «11  n'a  pas  pu  prévoir; 
donc  il  n'a  pas  prédit.  »  Il  est  plus  sur  de  dire  :  «11  a  prédit; 
donc  il  a  prévu.»  Inuiiédiatement  après,  dans  l'entretien  avec 
Nicodènie,  nous  trouvons  la  itriiplK'lic  de  sa  mort  (111,  M), 
qui  renferme  implicitement  la  cortitude  de  sa  résurrection. 

On  objecte  enfin  que,  d'après  l'Kcriture,  ce  n'est  pas 
Jésus  qui  se  ressu.scito  lui  -  même.  Mais  la  réceptivité  de 
Jésus,  dans  l'acte  de  sa  résurrection  ,  n'est  pas  de  la  passi- 
vité. II  (iil  liu-méme  X,  17.  18  :  «  Je  donne  ma  vie  pour  la 
reprendre  ...  ;  fui  le  pouvoir  de  In  donner,  et  j'ai  le  'pou- 
voir de  In  reprendre.  » 

M.  Henan  n'a  vu  dans  cette  parole  si  originale  et  si  pro- 
fonde qu'une  boutade  :  «Un  ynw ,  dit  -  il ,  sa  mauvaise 
liumeur  contre  le  Temple  lui  arraolia  un  mot  imprudent.  » 
11  ajoute  :  «On  ne  sait  pas  bien  quel  sens  Jésus  attacbait  à 
ce  mot ,  oii  ses  disciples  elicrclièront  des  allégories  forcées  » 
{Vie  de  Jésus,  p.  354).  La  où  M.  Renan  voit  une  preuve  de 
la  mauvaise  bumeur  de  Jésus  contre  le  Temple,  les  témoins 
immédiats  en  trouvèrent  une  du  zèle  pour  la  maison  de  Dieu, 
qui  dév(jrait  leur  Maître.  Qui,  do  .M.  Henan  ou  des  disciples, 
doit  être  le  mieux  renseigné  sur  ce  point?  —  Quant  à  l'ex- 
plication donnée  par  saint  Jean  (v.  21) ,  nous  espérons  que 
tout  lecteur  sérieux  y  verra  autre  cliose  qu'une  «  allégorie 
forcée.  » 


DKUXIÈMK  CYCLE.  —  CHAI'.   11,    19.  20.  .JHO 

Ce  duiil  on  aurait  peut-être  le  droit  de  s'étonner,  plus  (jue 
de  toutes  les  diflicnltés  dont  nous  venons  de  nous  occuper, 
c'est  l'impoitance  décisive  que  Jésus  attribue  dans  sa  réponse 
à  la  demande,  en  appaience  assez  innocente,  des  Juifs 
réchmiant  un  signe  extérieur  de  la  compétence  de  Jésus. 
Gomment  Jésus  découvre-t-il  dans  cette  simple  question: 
a  Quel  siyne  nous  montres-tu? •»  le  prélude  de  la  catastrophe 
qui  mettra  lin  à  sa  vie?  Nous  avons  déjà  vu  II,  4  avec  quelle 
profondeur  Jésus  saisissait  les  paroles  qui  lui  étaient  adres- 
sées. Les  Synoptiques  nous  présentent  un  fait  parfaitement 
analogue  à  celui  qui  nous  occupe.  Luc  IV,  22  il  suffit  à 
Jésus  de  cette  réflexion  que  font  entre  eux  les  habitants  de 
Nazareth  :  ((Celui-ci  n'est -il  pas  le  fils  de  Joseph?  î>  après 
l'avoir  entendu  prêcher,  pour  leur  annoncer  son  rejet  non- 
.seulement  de  leur  part  (v.  23),  mais  de  la  part  du  peuple 
tout  entier  (v.  24-27).  Dans  une  impression  fugitive,  l'œil 
de  Jésus  discernait  le  principe  de  la  décision  finale.  De  la 
parole  humaine,  son  oreille  déhcate  saisissait  non-seulement 
le  son,  mais  le  timbre.  Encore  par  ce  trait  caractéristicpie, 
nous  constatons  dans  le  Jésus  des  Synoptiques  et  dans  celui 
de  Jean  un  seul  et  môme  Jésus. 

V.  20.  "  Les  Juifs  dirent  donc  :  On  a  mis  quarante -six 
ans  à  construire  ce  Temple,  et  toi,  en  trois  jours  tu  le 
relèveras?  »  — En  face  de  la  réponse  mystérieuse  de  Jé:^us, 
on  V(jil  rantipalhie  des  uns  luuiiicr  à  la  raillerie,  tandis  (jue 
la  sympiiliiie  des  autres  se  recueille  et  médite.  La  réponse 
des  Juifs  n'est  pas  exempte  d'ironie.  Ils  tordent  plus  ou 
moins  volontairement  la  parole  de  celui  que  déjà  ils  re- 
jfttriit  (lu  fond  du  cœur.  —  La  restauration  du  Temple  par 
Ilérode  avait  connnencé  la  18^  année  de  son  règne  d'après 
Josèphe  {Antifjuitcs,  XV,  11,  1).  Dans  la  Guerre  des  Juifs, 
le  même  liistorien  indique  par  erreur  la  15®.  La  l""*^  année 
du  règne  de  ce  prince  fut  celle  du  l*^""  nisan  717  au  i"  ni- 


:\9{\  PREMIÈRE  PAHTIK. 

san  718;  la  18"  fui  pai"  coiisi'ijuciil  1  aiiiit'c  comj^risc  ciiIit 
les  l""  nisan  l'M  cl  7.Ç)  :  td  ans  s'claiciit  écoulés  jusiiu'à 
révéncmciil  ici  rajtpurlé.  Il  avait  donc  lieu  en  l'an  781  {\v 
Konie,  28  lie  noire  ère.  La  conslruclioii  ne  ("ni  Icrniinée  (jue 
l)eaucou|t  plus  lard,  sous  Hérode-Agrippa  II,  en  l'an  ()4  après 
J.-C.  —  On  peut  tirer  de  ce  passag^e  une  donnée  importante 
(lour  déterminer  approximalivemenl  l'année  de  la  naissance 
de  Jésus.  Jésus  avait  environ  30  ans,  comme  le  dit  saint  Luc 
(III,  2.{),  lors  de  son  baptême;  il  if'sullerait  de  la  date  pré- 
cédente qu'il  est  né  environ  l'an  750  ou  751  de  Home, 
c'est-à-dire  .5  ans  avant  l'ère  vulgaire,  ce  (pii  concorde  par- 
faitement avec  plusieurs  autres  critères. 

V.  21.  "  Mais  lui  parlait  du  temple  de  son  corps.»  — 
l'ar  èxelvc-,  illc  ccro,  Jean  oppose  lortenient  la  vraie  pen- 
sée de  son  Maître,  dont  lui  seul,  Jésus,  avait  alors  le  secret, 
à  l'interprétation  des  Juifs  et  à  l'inintelligence  des  apôtres  à 
ce  moment-là. 

V.  22.  <(Lors  donc  qu'il  fut  ressuscité  des  morts,  ses 
disciples  se  rappelèrent  qu'il  avait  dit  cela',  et  ils 
crurent  à  lÉcriture  et  à  la  parole  que  Jésus  avait  dite.» 
—  Chez  les  cœurs  dociles,  la  lumière  se  fit,  quoique  un 
peu  tard.  Le  fait  expliqua  la  parole,  comme  à  son  tour  la 
parole  contribua  à  dévoiler  le  sens  profond  du  fait.  —  On 
est  étonné  de  rencontrer  ici  le  coniplém.  x~^  Ypaçf),  à  l'Écri- 
ture: car  l'Ecriture  n'avait  point  été  citée  par  Jésus.  Mais 
l'évangéliste  veut  faire  entendre  (pir  le  premier  \xnul  sur 
lequel  tomba  la  lumière,  dan.s  le  ca;ui"  des  apôtres,  après 
la  Ué.surrection ,  ce  furent  les  prophéties  de  l'Ancien  Testa- 
ment qui  annonçaient  cet  événement  (Ps.  XVI;  Es.  LUI; 
Os.  VI;  le  prophète  Jonas),  et  que  ce  fui  par  cet  intermé- 
diaire qu'ils  (iirent  conduits  à  l'inlelligence  de  la  parole  de 

1.  T.  H.  ajoute  à  tort  a^Toi;  avec  K  ot  quelques  Miin. 


DElXIKMli  CYCLE.  —  CHAI'.   Il,  iî(t-2'2.  .iOI 

Jésus  (juil  vient  do  lacuiiler  cl  ijui  était  tirée  elle-rnèrne 
des  entrailles  de  l'Ancien  Testament.  Loiscjuc  ce  livre  divin 
se  présenta  acconiiili  ;mx  regards  des  disciples,  alors  (Mifin 
cette  parole  de  Jésus  leur  fut  aussi  dévoilée  dans  son  vrai 
sens.  Ce  petit  tiait  est  évideinnicnt  tiré  de  la  biogiapliie 
intime  de  raj)ôlrt'  lui-même.  Des  remarques,  telles  que 
celles-ci,  par  les(juelles  l'auteur  l'ail  rcs.sortir  la  diflerencc 
entre  le  moment  où  Jésus  prononça  une  parole  et  celui  où 
les  disciples  la  comj)rirent  (comp.  IV,  32-33;  VII,  39;  XI, 
12;  XU,  10.  oS;  XUI,  28,  etc.),  impriment  aux  discours 
de  Jésus  le  sceau  de  l'objectivité  et  de  la  réalité  historique. 
Mais  que  l'on  se  représente,  selon  l'hypothèse  de  Baur,  le 
pseudo-Jean  du  deuxième  siècle  imaginant  de  son  chef 
cette  inintelligence  des  apôtres  au  profit  du  tableau  idéal 
qu'il  avait  résolu  de  tracer!  On  arrive  ici  à  lune  de  ces  im- 
possibilités qui  heurtent  non -seulement  les  données  de  la 
conscience  morale,  mais  même  celles  du  bon  sens. 

Les  Synoptiques  racontent  un  acte  de  Jésus  tout  semblable 
à  celui-ci;  mais  ils  le  placent  à  la  lin  du  ministère  de  Jésus- 
Chiist  :  Matthieu  (XXI)  et  Luc  (XIX),  au  jour  des  Rameaux; 
Marc  (XI,  12-15),  plus  exactement,  au  lendemain  de  ce 
jour.  On  pourrait  penser  que  ces  trois  évangélistes,  ayant 
onùs  toute  la  prennère  année  du  nnnistère  de  Jésus,  ont 
été  obligés  par  là,  quoique  à  leur  insu,  de  déplacer  le  fait 
qui  vient  de  nous  occuper,  et  de  le  transporter  au  seul  sé- 
jour à  Jérusalem  dont  ils  aient  retiacé  le  lécit.  C'est  l'opi- 
nion de  Liicke,  de  Wettc,  Ewald,  etc.  Mais  ce  qui  donne 
au  lait  matériel  son  vrai  sens  et  son  caractère,  ne  sont -ce 
pas  les  paroles  dont  Jésus  l'accompagne?  Or  ces  paroles  qui 
constituent  l'âme  du  récit,  sont  absolument  diflérentes  chez 
les  Svnopti(jues  et  chez  Jean,  tellement  qu'il  serait  impos- 
sible de  les  n'unir  en  un  discours  suivi.  Dans  les  Syno])tiques, 
Jésus  revendifjue,  au  nom  d'És.  LVl,  7:  «il/a  maison  sera 


30-2  PRFMIKRE  PARTIE. 

nppclrr  unr  fiinisou  de  prière  pour  tous  h:s  pr}ipl('s,f>  le 
(iroil  sacrr  (Jcs  |)aï(Mis  à  la  jtlarc  (jiii,  Ars  rori^iiic,  leur 
avait  été  réservne  dans  le  Temple  (1  Mois  Vlli,41-4.i).  Chez 
.Ie;iii.  il  n'y  a  pas  trace  (\c  cette  inlenlion;  Jésus  n'a  en  vue 
ipie  les  Juifs  et  ses  rapports  avec  eux.  Cette  dilTéreiice  pro- 
fonde accuse  deux  évi'iieiiients  distincls.  —  Si  l'ahus  ré- 
|»rinié  par  Jésus  existait  réellenicnl ,  du  nioiiient  où  il  se 
présentait,  comme  Messie  et  connue  Fils  de  Dieu,  dans  le 
Temple,  il  ne  j)ouvail  le  tolérer;  et  c'est  ainsi  (jue  se  jnslilie 
de  soi-même  le  récit  de  Jean.  Mais,  connue  nous  le.  ver- 
rons, après  cette  tentative  infructueuse,  Jésus  renonça  à 
l'atlilurle  royale  et  messianique  et  se  borna,  toujours  davan- 
tage, à  la  simple  activité  d'un  prophète.  11  ne  reprit  son 
rôle  de  lloi- Messie  qu'au  jour  des  Hameaux.  Serait-il  éton- 
nant qu'à  ce  munieul  où  il  renouait  avec  son  début,  il  ait 
signalé  ce  second  avènement  par  un  acte  semblable  à  celui 
qui  avait  marqué  le  premier?  La  première  fois,  Jean  venait 
de  lui  rendre  témoignage  :  l'acte  de  Jésus  élnif  un  appel  ; 
la  seconde,  il  venait  de  pleurer  sur  Jérusalem  :  cet  acte 
avait  le  caractère  d'une  protestation.  Ainsi  se  justifie  non 
ruiiins  naturellement  le  récit  des  Synoj)liques.  Et  le  con- 
traste dans  la  situation  et  dans  la  signification  de  l'acte  exjdi- 
que  celui  que  nous  observons  dans  le  sentiment  et  dans  les 
paiolesde  Jésus.  Là,  voyant  son  appel  repoussé,  il  pense  à 
sa  mort;  ici,  conl(Mii|il;Mit  la  déchéance  d'Israël  consommée, 
il  proclame  le  droit  lhéocrali(pie  des  païens  (|ui  vont  être 
bientôt  substitués  aux  Juifs. 

IL 

Jésus  à  Jérusalem  :  II,  23-111,  21. 

Jésus,  n'ayant  |)as  été  accueilli  dans  le  Temple,  ne  force 
point  les  choses.  L'emploi  de  la  violence,  fût-ce  même  par 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  Il,  22.  23.  393 

les  moyens  divins,  ne  l'eùl  mené  (ju'à  la  cairiùre  d'un  Ma- 
hoiiM'I.  En  présence  de  la  froide  réserve  qu'il  rencontre, 
et  qui  se  Iransforineia  liientôl  en  incrédulité  positive,  il 
(ait  retraite;  et  ce  mouvement  rétrograde  va  caractériser 
pour  un  temps  la  marche  de  son  œuvre.  Le  palais  s'est 
fermé  pour  lui;  la  capitale  lui  reste  ouverte.  C'est  là  qu'il 
agit,  mais  non  plus  dans  la  plénitude  de  cette  souveraineté 
messianique  avec  laquelle  il  s'était  présenté  dans  le  Temple. 
II  se  borne  aux  moyens  d'action  d'un  simple  prophète ,  à 
l'enseignement  et  aux  miracles.  Telle  est  l'admirable  élas- 
ticité de  l'œuvre  divine  au  milieu  du  monde  :  elle  n'avance 
qu'autant  que  la  foi  le  lui  j>ermet  et  l'y  invite  ;  elle  cède  à 
la  résistance,  se  retire  jusque  dans  son  dernier  retranche- 
ment; puis,  arrivée  là,  elle  rej)rend  tout  à  coup  l'offensive, 
engage  la  lutte  et  succombe  extérieurement,  pour  vaincre 
.spirituellement. 

Les  V.  28-25  forment  une  espèce  d'introduction.  C'est  un 
tableau  général  de  l'activité  du  Seigneur  à  Jérusalem,  après 
sa  tentative  dans  le  Temple.  Le  morceau  qui  suit  III,  1-21 
est  destiné  à  donner  un  échantillon  de  l'enseignement  de 
Jésus  et  de  son  témoignage  messianique,  dans  ces  premiers 
temps,  auprès  de  ceux  qu'il  trouvait  disposés  à  la  foi. 

1.  II,  23-25. 

V.  23.  <i Comme  il  était  à  Jérusalem,  à  la  Pàque,  à  la 
fête  ',  un  grand  nombre  crurent  en  sou  nom,  voyant  les 
miracles  qu'il  faisait.  »  —  La  première  proposition  du 
verset  renferme  trois  déterminations  qui  se  rapportent  toutes 
au  but  (lue  nous  venons  d  indiquer.  La  piemière  est  celle 
du  lieu  :  à  Jéntsaleni,  en  opposition  au  Temple  (v.  11).  La 
seconde  est  celle  du  temps  :  à  la  PtU/ue;  pendant  la  semaine 


I.  6  seul  omet  le  troisième  ev. 


S9i  PRKMIKUK  l'AHTIK. 

do  FVi(]ii('s,  ni  tijiposilion  aux  jours  (|iii  lurci'daii'iil  la  fêle 
pro[)it'iii('iil  (lilo.  I.rs  pèlerins  iiioiilaioiil  à  .U'iiisalcm  avant 
la  fêle  pour  se  iiuiilicr  (XI,  55),  et  le  i:\  nisau,  veille  de  la 
fête,  on  complétait  celte  purilicalion  en  ôtant  le  levain  de 
toutes  les  maisons.  Ce  jour  où  eha(|ue  Israélite  j)unliait  sa 
demeure,  peut  bien  avoir  élé  eelui  où  Jésus  purifia  celle 
de  son  Père.  La  troisième  détermination  est  celle  du  mode: 
à  lu  fclr.  Par  là  Jean  veut  faire  ressortir  que  Jésus  donna 
à  sa  jiiemière  démonslration  messianique  en  Israël  la  jilus 
grande  publicité  possible.  Il  cboisit  pour  cela,  non  un  mo- 
ment où  Jéiusalem  était  réduite  à  ses  propres  babilants, 
mais  l'époque  où  celle  ville  était  le  théâtre  du  plus  grand 
rassemblement  du  peujde.  —  L'expression  ttoXXoî,  un  grand 
nombre,  se  rattache  ainsi  très-directement  à  celte  troisième 
détermination.  Ces  nombreux  croyants  étaient  sans  doute 
puni'  la  plîipart  des  non-Judéens,  particulièrement  des  Ga- 
liléens  (IV,  4-5).  Il  y  a  un  douloureux  constraste  entre  ce 
TccXXc',  qui  ne  désigne  que  des  individus,  et  la  nation  en 
masse  {les  Juifs,  v.  18),  qui  vient  par  le  fait  de  repousser 
l'ajjpel  de  son  roi.  Cette  opposition  raj»pellc  celle  dcsol  tôtot  et 
des  offO'-1, 11.  12.  Ce  cjui  t'Iait  j)lus  douloureux  encore  pour 
Jésus,  c'est  que  cette  fui  elle-même,  chez  plusiiîurs,  n'était 
pas  de  la  foi;  elle  n'avait  poui-  objet  que  son  litre  (en  son 
nom)  de'  Cliiist,  ou  bien  même  encore,  comme  le  croit 
Lulhardt,  celui  de  Fils  de  Dieu.  Mais  ces  deux  titres  qui 
expiiment  certainement  une  réalité  divine,  n'étaient,  pour 
ces  gens-là,  qu'une  éticiuettc,  uw  dénomination  extérieure. 
On  le  voit  bien  par  le  fondement  sur  lequel  reposait  leur 
foi  :  les  miracles.  —  Il  y  a  un  rapport  éti(jit  entre  les  mots 
€  crurent  t  et  a  voyant.  y>  La  relation  entre  cet  aoriste  et  ce 
paiticipe  présent  caractérise  la  foi  de  ces  gens  comme 
n'ayant  guère  plus  duré  que  la  vue  elle-même.  C'est  qu'elle 
n'avait  lien  d'intime,   de  moral  ;  elle  résultait  uniquement 


ni:ixii';MK  cyclk.  —  ciiap.  ii,  ^3-25  395 

(le  l'improssion  d'éloiiiicnu'iit  piudiiilc  siii"  (mjx  par  les  nii- 
l'ades.  Les  signes  peuvent  luilifier  e(  développer  la  vraie 
foi,  là  (d'i  elle  est  déjà  formée,  fii  lui  (liHoilaiil  d'une  ma- 
nière plus  complète  la  richesse  de  son  objet;  ils  peuvent 
même  occasionner  la  foi  ;  mais  ils  sont  impuissants  à  la 
pioduire.  La  foi,  dans  son  essence,  esl  un  acte  moral,  (jui 
s'adresse  à  l'être  moral  de  Jésus.  Celui  qui  n'a  pas  l'orf^^ane 
interne  pour  discerner  dans  les  miracles  la  révélation  de 
l'être  intime  du  Seig"neur,  ne  parviendra  jamais  à  une  foi 
digne  de  ce  nom.  —  Les  derniers  mots:  a  Qu'il  faisait, i 
dépei^ment  bien  la  nature  de  cette  foi  :  c'était  l'opéj-ation 
matérielle  qui  les  frappait.  —  Ces  miracles  furent  sans  doute 
nombreux.  Jean  n'en  raconte  pas  un  seul;  tant  son  but  dif- 
férait de  celui  des  Synoptiques.  Il  se  proposait,  on  le  voit 
bien,  non  de  raconter  tous  les  faits  qu'il  connaissait,  mais  de 
d<';crire  les  formes  principales  de  la  révélation  de  Jésus  et 
les  attitudes  diverses  qu'avait  provoquées  cette  révélation. 
V.  24  et  25.  <'  Mais  Jésus  lui-même  ne  se  confiait  point 
en  eux,  parce  qu'il  les  connaissait  tous,  25  et  parce 
qu'il  n'avait  pas  besoin  qu'on  lui  rendît  témoignage  de 
l'homme;  car  il  connaissait  de  lui-même  ce  qui  était  dans 
l'homme.  »  —  Jésus  n'est  pas  plus  ébloui  par  ce  succès  ap- 
jiarent  qu'il  n'avait  été  découra^'-é  par  le  revers  qu'il  venait 
d'essuyer  dans  le  Temple.  Le  fondement  sur  lequel  repose 
cette  foi  n'offre  à  son  regard  perçant  qu'une  garantie  insuf- 
lisanfe.  Il  y  a  une  espèce  de  jeu  de  mots  dans  l'emploi  du 
leiTiie  è-'.'s-rsuev,  il  se  confiait,  rapproché  du  mot  è7r''ffx£ujav, 
ils  crurent,  v.  2o.  Eux  ne  voyaient  que  l'extérieur,  les 
miracles;  lui,  en  échange  (aù-càc  8e),  ne  s'arrêtait  pas  aux 
aj)parences.  Pénétrant  dans  leur  intérieur,  il  y  découvrait, 
sous  la  croyance,  le  manque  de  foi;  il  n'avait  pas  foi  à  leur 
foi.  En  C(^nsé(iuence,  il  ne  les  traitait  pas  non  plus  connue 
croyants. 


896  l'UK.Mii  iti".  r.\i<riK. 

Kii  quoi  coiisislail  cillc  altiliulc  de  drliaiicc?  11  osl  ililli- 
cile  Ji'  le  préciser.  ProhaltlenuMil .  il  s'iiy^il  moins,  (huis  la 
pensée  de  Joaii,  d'arics  posilil'^5  ijnc  d'iiiif  ccrlaiuo  n''si'rvt' 
que  j,Mrdail  Jésus  dans  ses  connuunicalions  avec  eux.  11  fal- 
lait le  eou|)  d'd'il  d'un  fin  observateur,  tel  (jue  l'auleui-  du 
<lualrièMU'  évauyile,  pour  saisii'  ce  liait  délicat.  —  L'évaiig(''- 
liste  relève  assez  souvent  la  science  supérieure  de  J(''sus.  Il 
y  avait ,  dans  ce  regard  limpide  et  pénétrant  qui,  sans  effort, 
lisait  dans  le  fond  de  tous  les  cœurs  comme  dans  un  livre 
ouvert,  uu  sijjMie  de  grandeur  morah;  qui  n'avait  jjoint 
échappé  au  disciple  que  Jésus  aimait,  et  il  se  plaît  à  le 
faire  ressortir.  Mais  rien  dans  le  texte  n'oblige  à  identifier 
cette  connaissance  avec  la  toute-science  divine,  ce  qui  met- 
trait l'évangéliste  en  contradiction  avec  lui-même  et  avec 
les  Synoptiques  (comp.  l'explication  de  \,i^).  Ce  n'est  qu'au 
jour  (Ir  l'ascension  que  celli-  coiiuaissance  surnaturelle  s'est 
absorbée  dans  la  toute-science  divine. 

La  proposition:  i  Et  parce  que...,y>  etc.,  généralise  la 
donnée  du  v.  24.  Elle  signifie  que,  dans  aucun  cas,  Jésus 
n'avait  besoin  de  recourir  à  des  informations ,  pour  savoir 
ce  qu'il  avait  à  penser  de  tel  ou  tel  homme.  Cette  faculté  de 
discernement  était  inhérente  à  sa  personne  (aùxoc  yàp)  et 
par  conséquent  permanente  (iiii])arf.  Èy'.'vuaxe).  —  "Iva,  afin 
que ,  n'est  pas ,  comme  on  le  prétend  ,  une  simple  p/'iiplirasc 
de  l'infinitif;  il  ajoute  ici  à  la  noliou  de  l'acte  celle  de  but 
qui  est  en  relation  avec  Xf^'-^j  '•'  '"'soin  lendà&e  satisfaire. 
—  L'art.  Toû,  devant  otv^çQTCCJ ,  peut  s'expliquer  soit  dans  le 
sens  générique  :  l'homme  en  général,  soit,  ce  qui  est  peut- 
être  plus  juste,  dans  le  sens  tout  à  fait  individuel:  l'homme 
avec  Ie(piel  il  avait  affaire  dans  cha((ue  cas  particulier  (Meyer). 
Peut-être  le  sens  gt-nérique  pourrait-il  être  appliqué  à  l'ex- 
pression 6v  x«  àvOçQTrw  qui  termine  le  verset.  Ainsi  8'explique 
Irés-bien  la  particule  car  :  il  discernail  du  pieniicr  coup 


DEUXIKME  CYCLE.  —  CHAP.   Il,   21-111,    1.  ."JO? 

H'œil  cliaqiio  roprésciikml  du  type  ,  parce  fju'W  connaissait  à 
Ibiul  le  lypt'  lui-riiônic. 

2    III,  1-21. 

Sur  le  fond  de  cette  siluulion  générale  se  détache,  comme 
un  tableau  particulier,  la  scène  de  l'entretien  avec  Nico- 
(lème.  Ce  liait  est-il  cité  connue  un  exemple  de  la  disposi- 
tiiiii  (les  .liiiCs  II,  23  (comp.  v.  2),  ainsi  que  le  pense  Baur, 
ou  connue  une  exception  à  l'attitude  pleine  de  réserve  prise 
par  Jésus  V.  21.  25  (Ewald)?  Quand  Raur  leprésente  Nico- 
dème  comme  un  type  (ktif  de  cette  foi  des  Juifs  qui  n'est 
au  fond  qu'incrédulité  (II ,  23) ,  et  comme  le  pendant  de  la 
femme  samaritaine,  type  de  la  foi  des  païens,  il  heurte  di- 
rectement contre  ces  deux  faits  patents  :  l'un ,  que  Jésus  en 
agit  avec  Nicodème  tout  autrement  qu'avec  les  autres  Juifs 
croyants  (11,  24-.  25);  car  il  lui  découvre  les  plus  profonds 
secrets  du  royaume  et  travaille  à  transformer  sa  foi  nais- 
sante en  foi  parfaite  ;  l'autre,  que  Jésus  a  réussi  dans  ce  tra- 
vail, comme  le  montre  la  suite  de  l'histoire  (ch.  VII  et  XIX), 
de  sorte  que  l'exemple  aurait  été  fort  mal  choisi.  D'autre 
part ,  rien  dans  le  texte  n'indique  que  le  fait  suivant  soit  ra- 
conté comme  exception  à  la  règle  II,  24,  et  la  profession  de  foi 
de  Nicodème  (v.  2) ,  qui  rappelle  ce  que  Jean  a  dit  de  la  foi 
des  Kc\\o(,  n'est  pas  favorable  à  cette  opinion  d'Ewald.  Lûcke 
envisage  rentretien  avec  Nicodème  comme  un  exemple  du 
savoir  surnaturel  de  Jésus  affirmé  par  Jean  II,  24.  25.  Mais 
cette  relation  est  beaucoup  trop  spéciale  et  ne  répondrait 
point  à  la  grandeur  de  l'entretien  qui  va  suivre.  De  ces  es- 
sais infructueux  nous  concluons  qu'il  faut  diercher  la  liaison 
à  Cl'  qui  précède  dans  une  l'elation  phis  profonde;  il  finit 
remonter  jusqu'à  l'idée  fondamentale  de  l'évangile,  qui  do- 
mine siu'Iout  dans  cette  première  partie  :  celle  de  la  lévéla- 
tion  de  Jésus.  Saint  Jean  choisit  cet  entretien  et  le  raconte 


:^08  pnEMiKiiK  p.vnTiE. 

ruriinn'  IVxomplc  \o  pins  tiiéinoruhlc  des  révrhilions  <lii  Snu- 
vonr  sur  sa  pcrsoniio  o[  sur  son  œuvre  dans  ces  proniiors 
trnips  dp  son  niiin'slprp.  Lp  iôIp  dp  cpt  enlrPtipn  dans  le 
qualririnc  /'van^Mlp  est  coniparaMp  ;'i  cilui  du  Sermon  sur  la 
monla<,mp  dans  le  premier;  ces  deux  moreeaux  ont  un  ca- 
racl«^rp  inaug-uratif.  —  Quant  à  Nirodème  ,  il  pst  tout  enspm- 
1)1p  im  exemple  ri  une  exrcplion  :  un  exemple,  puiscpie  les 
miracles  ont  rir  l'ocrasion  de  sa  Inj  ;  e|  une  exception, 
puis(pie  Jésus  le  traite  de  manière  à  montrer  qu'il  discerne 
les  racines  plus  piofoudes  (pie  la  foi  avait  jetées  dans  sa 
conscience  morale.  —  Comment  saint  Jean  a-t-il  eu  con- 
naissance de  cet  entretien?  Jésus  ou  Nicodème  le  lui  ont-ils 
raconté?  La  première  alternative  ;i  (|iirl(pie  chose  d'impro- 
bable. Dans  la  seconde,  on  se  demande  si  Nicoflème  com- 
prenait assez  bien  pour  si  bien  retenir.  Jean  lui-même  n'au- 
rait-il point  assisté  à  l'entrevue?  Le  v.  11  contient,  comme 
nous  le  verrons ,  l'indice  de  la  présenc«!  de  quelque  autre 
personnage  appartenant  au  bord  de  Jésus.  Du  reste,  Nico- 
dème était  un  liomme  lettré.  Peut-être,  rentré  chez  lui, 
prit-il  note  des  paroles  les  plus  saillantes  qu'il  venait  d'en- 
tendre et  qu'il  ne  comprenait  point  encore;  et  plus  tard,  en 
s'entretcnanl  avec  Jean,  il  put  l'aider  à  reconstruire,  dans 
ses  parties  essentielles,  cet  entretien  qui  est  le  plus  complet 
de  tous  les  témoignages  que  Jésus  se  soit  rendus  à  lui- 
même. 

Mais  cette  question  est  subordonnée  à  une  autre  :  Peut- 
on  se  fier  au  récit  de  Jean ,  soit  pour  l'ensemble,  soit  pour 
les  détails  du  morceau?  Cet  entretien,  tel  que  nous  l'avons 
sous  les  yeux ,  n'est-il  point  une  libre  composition  dans  la- 
quelle saint  Jean  a  cru  [)ouvoii'  réunir  les  divers  éléments 
de  l'enseignement  ordinaire  de  son  Maître?  Ou,  sans  pousser 
les  choses  aussi  loin,  ne  peut-on  pas  supposer  que  la  sub- 
jectivité de  l'auteur  a  plus  ou  moins  influencé  le  compte 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI'.   III,    1.  309 

r^ndii  (le  rcnlretifn  ,  snrlotit  vers  lii  lin?  C'osl  ce  que  nous 
(IfMuiis  examiner.  El  voici  quelle  sera  notre  pierre  de 
iDUche  :  Si,  jusqu'au  l)Out,  se  inaintienl  l'application  directe 
des  paroles  do  Jésus  à  Nicodème  le  pharisien,  nous  recomiaî- 
frons  dans  cet  à  propos  la  preuve  de  leur  authenticité.  Si,  au 
contraire,  le  discours  se  perd,  en  avançant,  dans  de  vagues 
«généralités,  sans  rapport  suffisant  avec  la  situation  donnée, 
nous  aurons  en  cela  l'indice  des  infiltrations  plus  ou  moins 
considérables  de  la  subjectivité  de  l'auteur. 

V.  1.  "Il  y  avait  un  homme  d'entre  les  pharisiens, 
dont  le  nom  était  Nicodème,  l'un  des  chefs  des  Juifs.»  — 
Le  nom  de  Nicodème ,  quoique  d'origine  grecque ,  n'était 
pas  inusité  chez  les  Juifs  ('|l!3''lpD).  Le  Talmud  fait  men- 
tion à  plusieurs  reprises  d'un  personnage  de  ce  nom,  ap- 
pelé aussi  Bounaï  (Renan,  Vie  de  Jésus,  p.  219),  et  qui  est 
compté  au  nombre  des  disciples  de  Jésus  ;  il  doit  avoir  as- 
sisté à  la  ruine  de  Jérusalem.  Cette  circonstance,  rappro- 
chée du  grand  âge  de  Nicodème ,  rend  peu  probable  l'iden- 
tité de  ce  dernier  avec  ce  personnage.  —  Le  terme  àvôpwTcoç 
rappelle  certainement,  ainsi  que  l'a  observé  Stier ,  le  même 
mot  employé  deux  fois  II ,  25.  Autrement,  il  y  aurait  sim- 
j)lement  xiç.  Jean  veut  faire  entendre  que  Nicodème  était 
un  exemplaire  de  ce  type  humain  que  Jésus  connaissait  si 
bien.  —  L'esprit  du  particularisme  national  le  plus  étroit  et 
le  plus  exalté  avait  trouvé  son  organe  dans  le  parti  {)hari- 
sien.  Au  point  de  vue  représenté  par  cette  secte,  tout  Juif 
possédant  les  vertus  et  les  qualités  légales  était  apte  à  en- 
trer immédiatement  dans  le  royaume  messianique.  Le  Messie 
lui-même  n'était  qu'un  Juif  plus  parfait  et  plus  puissant  (jue 
tous  les  autres.  Elev('  par  ses  miracles  au  faîle  de  la  gloire, 
il  placernil  Israël  ;'i  lii  lêle  de  riiiiiii:iiiil(''.  Toutes  les  j)uis- 
sances  païennes  devaient  être  anéanties  par  In  verge  de  son 
jugement.  Tel  «''lait,  dans  ses  princijiaux  liail>,  Irprogiamme 


400  PUKMIKRK  PARTIK. 

inossiani(iW('  ((iTavail  oxirail  des  iiiuplii'lics  rimn},nnnlion  des 
(kitlniis  jiliaiisicns.  —  '^fX"^  (Ic'sij^iK'  iiaiis  doiilc  l'im  des 
membres  du  sanliédriii  (VII ,  50). 

V.  :2.  «Il  viut  vers  Jésus'  de  nuit  et  lui  dit:  Maître, 
nous  savons  que  tu  es  un  docteur  venu  de  Dieu  ;  car  per- 
sonne ne  peut  faire  ces  miracles  que  tu  fais,  si  Dieu  n'est 
avec  lui.  t>  —  Quel  est  Ir  Imt  de  celle  visile?  Il  est  cvidenl 
que  la  parole  de  Nicodème  n'est  ijn'iin  piéanibule  cl  (luil 
n'y  faut  j)oiiil  chercher  l'iiidicalion  du  l)iil  de  sa  déniarchr. 
On  a  stipposé  (Koppe)  (jue  Nicodème  venait  es[)iunner  le 
Seijj^ieur.  Mais  Jésus  le  traite  comme  une  àme  sincère  et 
honnête,  et  Nicodème  se  nKjnlre  tel  dans  le  cours  de  l'en- 
tretien. II  est  prohalile  qu'ayant  recoimu  en  Jésus  un  être  J 
extraordinaiie  et  entendu  le  rapport  qu'avaient  fait  au  san-  ' 
hédrin  les  membres  de  la  députation  envoyée  à  Jean-Bap- 
tiste, il  se  demandait  si  Jésus  ne  serait  pas  réellement  le  I 
Messie.  Ce  point  était  pour  lui  d'une  telle  importance  qu'il 
se  sentait  pressé  de  j'éclaircir.  Il  désirait  sans  doute  aussi, 
cette  première  question  une  fois  résolue ,  sonder  Jésus  sur 
la  marche  de  son  œuvre  et  sur  la  révolution  imminente 
qu'annonçait  sa  venue.  Le  plur.  oiSafiev,  nous  savons,  prouve 
qu'il  ne  faisait  pas  cette  démarciie  uniquement  pour  son 
propre  compte ,  mais  qu'il  avait  deirière  lui  un  certain  nom- 
bre de  membres  du  sanhédrin  qui  parta^^caient  les  mêmes 
préoccupations.  —  Il  vient  de  nuit.  Cette  circonstance ,  ré- 
pétée expressément  XIX,  39  et  peut-être  VII,  50,  doit  être 
attribuée  à  la  crainte  de  se  compromettre  vis-à-vis  de  ses 
collègues  non  croyants.  Mais  peut-être  se  joignait-il  à  ce 
sentiment  nu  motif  de  circonspection  :  Nicodème  et  ceux 
dont  il  était  l'organe  devaient  redouter  de  donner  à  Jésus- 
Christ,  par  une  démarche  faite  au  grand  jour,  plus  d'aulo- 

t.  Les  documents  se  partagent  entre  Tipo;  aurov  cl  Ttpo;  tov  iTjaouv. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  111,    I -:5.  iOl 

iilé  qu'il  n'en  possédait  déjà  dans  l'opinion  populaire.  — 
Nicodèfnc  lui  donne  le  litre  de  çol^^C;  c'est  lieaneonp  de  sa 
paît;  car  Jésus  navail  j»oint  jias.si'  jiar  les  divers  degi'és 
d'études  ral)l)iniques  qui  donnaient  droit  à  ce  titre.  VII,  15: 
«  I.cs  Juifs  s'ctonnaient,  disant  :  Comment  celui-ci  connait- 
II  les  Ecritures ,  n'étant  point  un  homme  qui  ait  étudié?» 
C'est  précisément  la  voie  exceptionnelle  par  laquelle  Jésus 
est  parvenu  à  la  dignité  de  docteur,  que  Nicodème  caracté- 
lise  en  disant  :  «  Que  tu  es  un  docteur  venu  de  Dieu.  »  — 
\iz6  0£cû,  de  Dieu,  est  placé  en  tète  comme  idée  principale 
et  en  opposition  au  doctorat  régulier.  Même  opposition  VII, 
10  dans  la  bouche  de  Jésus  lui-même.  Cette  détermination 
OLZo  0SOÛ  ne  dépend  ni  de  sXrjXuSa^  ni  de  S'.SocJxaXo^  isolé- 
ment, mais  de  la  locution  complexe  sXij'X.  S'.ôaVx.  —  Nico- 
dème déduit  dans  ce  qui  suit  la  preuve  de  la  conviction  qu'il 
vient  d'exprimer.  Sa  démonstration  est  conforme  aux  pré- 
cédents tliéocratiques  (Ex.  IV).  Les  miracles  prouvaient  l'as- 
sistance divine,  et  celle-ci,  la  mission.  Mais  cette  argumenta- 
tion en  Ibinie,  destinée  à  prouver  à  Jésus  une  vérité  dont 
certainement  il  ne  doute  point,  est  peut-être  im  peu  pé- 
dante et  ne  devait  pas  convenir  à  l'oreille  de  celui  à  qui 
elle  était  adressée. 

V.  o.  Aussi  Jésus  coupe-t-il  court  à  cette  démonstralion 
tliéologique.  «Jésus  répondit  et  lui  dit:  En  vérité,  en 
vérité,  je  te  dis  que,  si  quelqu'un  ne  naît  de  nouveau,  il 
ne  peut  voir  le  royaume  de  Dieu.  »  —  Le  rapport  de  cette 
réponse  de  Jésus  à  la  parole  de  Nicodème  a  été  très-diverse- 
ment saisi,  précisément  parce  que  celui-ci  n'a  pas  pu  achever 
l'expression  de  sa  pensée.  Meyer,  que  suit  N.,  suppose  que 
Nicodème  avait  l'intention  de  demander  à  Jésus,  conmie  le 
jeune  honune  riche ,  ce  qu'il  devait  faire  pour  entrer  dans 
le  royaume  du  Messie,  et  que  Jésus,  devhiant  sa  pensée , 
lui  a  répondu  :  «  Toute  œuvre  particulière  serait  insulîisante  ; 


402  PRKMiKUK  l'Ainii:. 

il  f;iut  iino  irrunlc  radiciih'  dt,'  loiil  Um  clic.»  Miiis  est -il 
proliahlo  (jue  les  coiivirlioiis  de  Mcodènu'  lussent  avancées 
au   |Miiiil   (le  jiroduiie  en  lui  relie  i>ii'M»ccu|ialiiiu  loulc  |iia- 
li(]ue  ?  Kn  tuut  cas  il  n'y  a  j)as  trace,  dans  le  v.  "2,  d'un 
coiuhat  de  conscience.  B.-Crusius  pense  (|ue  Jésus  veiil  ir- 
jtondre  à  ce  tilre  de  ilucteur  avec  le(|U('l  l'aboide  iSicudènie, 
cl  dit  :   t'  Je  ne  viens  pas  seulennul  enseigner,  mais  réj^'^é- 
nérer.  »  Uaiis  ce  cas,  le  débat  porterait  sur  le  rôle  person- 
nel de  Jésus.  Mais,  dans  ce  cpii  suit,  il  n'est  plus  qucîslion 
de  sa  personne.  Lùcke,  d'après  Liyhlfoot,  rattache  la  réponse 
de  Jésus  à  la  vue  des  miracles  (II,  23)  :  «Tu  crois  déjà  voir 
le  règne  de  Dieu  dans  ces  miracles  (jue  j'opère;  mais  je 
t'annonce  que  tu  ne  pourras  le  voir  réellement  (jue  i)ar  la 
régéné'ration.»  C'est  inyéjiieux,  mais  peu  naturel.  Augustin, 
de  Welle,  Brùckner,  Lulliaidt,  croient  que  le  but  de  Jésus 
est  d'élever  l'esprit  de  Nicodème  de  la  lui  aux  niiiacles, 
qui  laisse  l'homme  dans  son  étal  charnel,  à  la  vraie  foi, 
qui  produit  la  translormation  morale.  C'est  bien  là  le  but  de 
Jésus;  mais  si  c'était  le  sens  de  sa  réponse,  ne  devrait-il 
pas  y  avoir  dans  ce  qui  suit  un  mot  qui  caractérisât  la  régé- 
nération comme  le  plus  grand  des  miracles  ?  Clirysostome 
suppose  que  Jésus  ne  veut  que  lui  faire  sentir,  jiar  une 
parole  au  -  dessus  de  sa  portée ,  son  ignorance  spirituelle. 
L'insuffisance  de  cette  explication  est  évidente.  Nous  retrou- 
vons ici  Jésus  exactement  tel  que  nous  l'avons  vu  dans  ses 
ré'ponses  à  sa  mère  et  aux  Juifs  (II,  4.  10).  Les  premiers  mots 
de  Nicodème  ont  suffi  pour  lui  dévoiler  son  sentiment  et 
ses  préoccupations  intimes  ;  c'est  à  l'âme  de  son  interlocu- 
teur tout  entière  qu'il  répond ,  bien  plutôt  qu'à  son  allocu- 
tion. Aux  yeux  de  Nicodème  comme  à  ceux  de  ses  collègues, 
le  royaume  de  Dieu  n'était  que  le  couronnement  de  l'exis- 
tence actuelle,  la  vie  terrestre  glorifiée,  et  les  actes  qui 
devaient  fonder  ce  nouvel  état  de  choses  étaient  de  nature 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CII.M'.  III,  '.).  403 

purement  exlérieiirc  H  siillil  à  Jésus  d'avoir  cntciKlii  ces 
mots:  (.(.Les  œuvres  que  tu  fais,y>  pour  voir  se  dérouler 
(levant  lui  tout  le  tai)leau  de  la  notion  pliarisaïque  du  royaume 
(le  Dieu.  Ses  miracles  sont  le  pn'liidc  de  la  grande  révolu- 
tion polili(jue  (pTil  va  opérer;  on  voit  déjà  en  lui  celui  qui 
va  foudroyer  le  Capitole!  Au  fond  de  l'admiration  de  Nico- 
dcme  pour  ses  miracles,  Jésus  discerne  donc  une  idée  du 
royaume  messianique  directement  contraire  à  la  sienne;  et 
il  ne  ciaint  pas  de  les  opposer  de  front  l'une  à  l'autre,  non 
sous  la  forme  spéculative,  mais  sous  cette  forme  pratique 
(p)i  doit  parler  en  même  temps  à  la  conscience  de  son  inter- 
lociileur  :  «  Si  quelqu'un  ne  naît  de  nouveau ....  Ce  n'est 
pas  par  une  révolution  sociale  que  viendra  le  royaume  de 
Dieu  que  lu  attends  ;  il  ne  s'ouvrira  pour  toi  que  par  une 
transformation  intérieure,  personnelle.  »  —  Le  doute  que 
suppose  chez  ISicodème  la  formule  à[Aif|v  «[xifjv  (voy.  exj)lica- 
lion  de  I,  52),  est  celui  qui  provient  de  ses  préjugés  pliari- 
saïques,  bien  connus  de  Jésus.  «Le  Juif  pieux,  le  pharisien 
honoré,  l'archonte  puissant,  Nicodème  tout  entier  s'écroule, 
(lit  Ileiigsieiiherg-,  au  choc  de  ce:  En  vérité.))  —  L'ex- 
pression :  «  Je  te  dis,  »  fait  allusion  à  la  dignité  de  docteur 
divin  que  vient  de  lui  reconnaître  Nicodème.  —  Par  la  for- 
mule tout  à  fait  générale  :  c  Si  quelqu'un,  »  Jésus  évite  ce 
que  l'application  dh'ecle  à  Nicodème  aurait  eu  de  dur.  — 
"Avoôsv  signilie-t-il  ici,  comme  dans  les  autres  passages  où 
saint  Jean  l'emploie  (v.  31  ;  XIX,  11.  23),  d'en  haut,  c'est- 
à-dire  ici  :  du  ciel ,  de  Dieu?  Comp.  1,13:  'Ex  ©eoO  ysvvïj- 
OYjva!..  Ces  parallèles  ont  déterminé  la  plupart  des  inter- 
j»rèles  modernes  à  adopter  ce  sens.  Mais  conmient  s'exjili- 
quer  la  réponse  de  Nicodème,  et  en  particuher  l'expression 
«  naître  de  nouveau ,  »  par  laquelle  il  reproduit  le  sens  de 
ce  mot,  au  v.  4?  D'ailleurs,  si  avuOev  avait  ce  sens,  il  aurait 
pour  antithèse  sous-entendue  l'idée  de  la  naissance  terrestre, 


tOf  PnEMiftRK  PARTIE. 

el  dans  l'c  (\*is  il  dcvroil  rire  en  fêle  cl  |»i('('(''(l('i'  l<'  vcrix; 
YSvvTJ^.  Plaeé  après  le  verbe,  cel  advcrlir  ne  fail  que  leii- 
forcor  ridée  de  naissance,  ce  qui  coiivieni  niiciiv  à  l'autre 
sens  lie  àvoôev.  (^e  sens  se  dt'diiil  aisi'nienl  de  la  significa- 
tion «'tvmoli'fjifiue  de  ce  mot  d  peiil  se  lallaclier  sans 
didicnlli'  an  ternie  liéhreu  dont  s'est  probaldenienl  servi 
Jésus  (*^p'2ÏÏ).  D'en  h  nul  s'\frmi'w  en  eflet:  depuis  le  com- 
mencement du  fail  on  de  la  chose  ;  par  conséqjient  :  tout  à 
nouveau.  Comp.  I.iic  I ,  :»  ;  Aci.  WVI,  5,  et  smloiil  le  pas- 
sage bien  cunmi  (\i'  .loscplic  :  çtX'.'av  àvoOev  tzchIzoll  (An- 
liq.  1 ,  18,  .1)  :  <«  Il  se  lie  damilié  avec  lui,  non  pas  seule- 
ment poiu'  la  seconde  fois,  mais  à  nouveau,^  c'est-à-dire 
comme  s'ils  n'eussent  jamais  été  anus.  Gai.  IV^,  0  -aX'.v  et 
àvoOev  sont  joints  l'un  à  l'autre,  dans  ces  deux  sens  si 
voisins,  l'un  de  de  nouveau ,  l'autre  d(;  à  nouveau.  Jésus 
veut  donc  dire  non  pas  seulement  qu'à  la  premièi'e  vie  il 
faut  en  ajouter  une  seconde  de  môme  ordre  —  il  faudrait 
dans  ce  sens  -a'X'.v  ou  Sî'J-rôpcv  —  mais  qu'il  s'agit  de 
recommencer  à  vivre  toulâ  nouveau,  comme  si  l'on  n'avait 
jamais  vécu.  Mais  la  nuance  qui  distingue  àvoOev,  ainsi  com- 
pris ,  à  nouveau,  de  ra'X'.v  ou  Seurepov,  de  nouveau  y  est  si 
délicate  que  l'on  rotiipicnd  aisi'iiicnt  (pie  Nicodème  ait 
reproduit  l'idée  de  Jésus  en  subsliluanl,  sans  s'en  douter,  la 
seconde  notion  à  la  première.  — 'ISew,  voir,  est  sans  doute 
en  rapport  avec  renaître.  Une  nouvelle  vue  suppose  une 
nouvelle  vie.  «iN'c  pas  voir  le  royaume  de  Dieu»  :  ne  pas 
même  se  douter  qu'il  existe,  parce  que  le  sens  manrpje  pour 
l'apercevoir.  Le  passage  Luc  XVII,  20.  21  nous  présente  un 
nouvel  exemple  de  riiomogénéilé  complète  de  l'enseigne- 
ment de  Jésus  dans  Jean  et  dans  les  Synoptiques.  A  des 
pharisiens  qui  lui  demandent  «  quand  vient  le  roi/aume  de 
Dieu,^)  Jésus  répond  :  «  Ix  royaume  de  Dieu  ne  vient  point 
de  manière  à  être  observé  ....   Car  voici,  il  est  au  dedans 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI'.   III,  1].   -l.  405 

de  vous.))  Dans  son  cnsci^iu'iiicnl  sur  le  royaume  de  Dieu, 
Jésus  l'ail  ce  (jii'auriiil  l;iil  le  judaïsme,  sil  eùl  réjiuiKJu  à 
sa  missinn.  De  rcii\('lo|ij)e  tliéocralique,  il  dégage  l'idée  de 
la  saiiilelé  ,  de  la  léalisalimi  tie  la  volunlé  divine  dans  le 
cœur  de  riiomme;  et  parlant  de  eelle  sainteté  réalisée  dans 
l'individu,  il  y  rattache  un  développement  humanitaire,  un 
renouvellement  de  la  société  et  même  de  l'ordre  de  choses 
actuel  lout  entier,  y  comj)ris  la  nature.  Il  est  faux  d'exclure, 
comme  le  l'ait  M.  Reuss  {Hist.  de  la  thcol.  chrct.  t.  II,  p.  463), 
ces  conséquences  extérieures  et  finales  de  l'idée  du  royaume 
de  Dieu  dans  notre  évangile.  Les  notions  eschatologiques 
généralement  attachées  à  ce  terme  dans  l'Ancien  et  dans  le 
Nouveau  Testament  se  retrouvent  en  plein  V,  28.  29  ;  VI , 
39.  40.  44.  54. 

Meyer  observe  avec  justesse  que  le  terme  royaume  de 
Dieu  ne  reparaît  nulle  part  ailleurs  dans  cet  évangile.  Cette 
expression  montre  bien  le  caractère  historique  du  ré'cit. 
L'idée  du  règne  de  Dieu,  qui  est  le  résumé  de  la  loi  et  des 
prophètes ,  devait  être  le  centre  des  pensées  d'un  pharisien 
et  devenir  par  conséquent  le  point  de  départ  de  l'entretien 
du  Messie  avec  un  personnage  de  cette  secte. 

Si  Jésus  n'eût  été ,  comme  le  croit  M.  Renan,  qu'un  jeune 
enthousiaste ,  au  lieu  de  répondre  de  la  sorte  au  vieux  pha- 
risien, n'eût -il  pas  été  ébloui  d'un  pareil  hommage,  et  la 
perspective  de  pouvoir  ranger  parmi  ses  adhérents  un 
homme  aussi  considérable  et  un  certain  nombre  de  ses 
collègues  ne  l'eùt-elle  jias  entraùié  à  un  tout  autre  langage? 
La  conscience  assurée  de  la  divinité  de  sa  mission  et  la 
parfaite  sainteté  de  son  œuvre  pouvaient  seules ,  en  ce  mo- 
ment critique,  l'engager  à  dédaigner  un  tel  aj)pui  et  le 
préserver  d'un  faux  |ias. 

V.  4.  ('  Nicodérae  lui  dit  :  Comment  un  homme  peut-il 
naitre  quand  il  est  vieux  ?  II  ue  peut  pourtant  pas  rentrer 


iOO  PREMIKHK  PARTIE. 

dans  le  sein  de  sa  mère  et  naître  une  seconde  fois!  «  — 
Cl'IIc  rc'jtuiisc  (Jo  Mcodi'iiic  l'sI  l'iiii  dc^  <^\;Huh  scandales 
(jue  présente  le  qiialriènic  évangile  aux  inlcrprùtes  mo- 
dernes. M.  Ilriiss  déclare  que  «  tous  les  essais  qu'on  a  faits 
pour  sauver  le  bon  sens  de  Nicodènie,  ont  éelioué  roulre 
l'absurdilé  patente  de  son  objection.  »  Il  conclut  de  là  que 
ces  réponses,  telles  (ju'il  s'en  trouve  un  certain  nombre  dans 
noire  évangile,  n'appartiennent  jxdiil  à  l'Iiistoire,  mais 
nni(jut'nient  à  la  forme  de  la  rédaction  (///.s7.  de  la  tliéoL 
chret.  t.  II,  p.  3:2."»).  Strauss  trouve  également  ici  la  preuve 
du  caractère  liclif  du  récit.  Bien  des  explications  proposées 
sont  insuflîsantes;  ainsi  celle  de  Schleiermacber  :  Renaître 
moralement  est  impossible  à  mon  âge  ;  —  celle  de  Tholuck: 
Ce  ([lie  lu  me  demandes  est  aussi  impossible  que  de  ...  . 
D'im  autre  côté,  admettre  avec  Meyer  <[un  Nicodème  fût 
tellement  borné  (jue,  dans  sa  perplexité ,  il  ail  réellement 
liil  (jiicique  chose  d'absurde  sans  s'en  douter,  est  encore 
idus  diflirile.  Lange  voit  une  certaine  irrilalion  dans  cette 
réponse.  Nicodème,  blessé ,  aurait  Tintenlion  d'entamer  une 
discussion  rabbinique  et  de  montrer  à  Jésus  l'exagération 
de  ses  exigences.  La  manière  bienveillante  en  laquelle  Jésus 
lui  répond  est  inconq)alible  avec  cette  interprétation.  Liicke 

exjilique  :  «Tu  ne  veux  pourtant  pas  dire  que »  Cette 

exjtlication  est  pliilologiquement  exacte  ;  elle  doit  seulement 
être  complétée ,  et  pour  cela  il  ne  faut  pas  juger  la  réponse 
de  Nicodème  d'après  nos  idées,  mais  l'expliquer  d'après  les 
siennes.  Il  se  représente  le  lègne  de  Dieu  comme  une  exis- 
tence terrestre  endiellie,  glorifiée.  Aussi  longtemps  que  le 
royaume  de  Dieu  est  ainsi  compris,  s'il  faut  réellement  le 
miracle  d'une  seconde  naissance  pour  y  entrer ,  cette  nais- 
sance ne  peut  être  conçue  que  comme  étant  de  même 
nature  que  la  première  ;  ce  qui  conduit  à  l'absurde,  et  c'est 
celte  absurdité  que  Nicodème  fait  ressortir  par  une  figure 


DEUXIKME  CYCI.K.  —  CIIAP.   UI,  1.   T..  107 

qiii  est  absurde,  précisément  parce  qu'il  veut  qu'elle  le  soit. 
Cette  intention  rie  sa  [)art  ressort  d'un  côté  de  l'emploi  de 
la  particule  intci  rotative  |xif),  dont  nos  versions  ordinaires 
ni'  Innl  pas  assez  ressortir  le  sens,  et  sui'tout  des  mots  : 
«  Qumul  il  est  vieux,  i>  dont  le  vrai  sens  est  ici  :  «  Quand  il 
n'a  plus  sa  mère.  »  Car  pour  l'individu  lui  -  même,  ce  ne 
serait  pas  un  âge  moins  avancé  qui  rendrait  le  fait  moins 
impossible.  Il  y  a  donc  dans  cette  réponse,  non  de  l'ineptie, 
mais  une  bonhomie  un  peu  ironique.  —  Les  mots  :  «  Lors- 
'fu'il  est  vieux, y>  prouvent  que  Nicodème  s'est  bien  ap[)li- 
(pié  à  lui-même  le  «quelqu'un»  du  v,  3.  Ce  mot  avait  sans 
doute  été  accompagné  d'un  de  ces  regards  du  Seigneur  plus 
pénétrants  qu'une  épée  à  deux  tranchants. 

V.  5.  «  Jésus  répondit  :  En  vérité  ,  en  vérité,  je  te  dis 
que  si  quelqu'un  ne  naît  d'eau  et  d'Esprit,  il  ne  peut 
entrer  dans  le  royaume  de  Dieu'.»  —  Dans  sa  réponse 
Jésus  distingue  précisément  ces  deux  idées  de  à  nouveau  et 
de  nouveau  qui  se  confondaient  dans  l'esprit  de  Nicodème. 
Les  mots  :  a  d'eau  et  d'Esprit)^  sont  le  commentaire  de  àvo- 
hv),  tel  que  nous  l'avons  compris.  Le  spiritualisme  exagéré 
a  toujours  été  embarrassé  du  premier  terme,  Xeau,  et  a 
ilierché  à  s'en  défaire  en  l'identifiant  avec  le  second  par  un 
Sv  8ià  5'jcîv.  Calvin  lui-même  entend  métaphoriquement  par 
l'eau  le  Saint-Esprit,  en  tant  que  principe  jjurifiant  (aqnœ 
spiritales);  N.  :  «la  purification  dont  l'eau  est  le  symbole.» 
Cette  explication  est  grammaticalement  inadmissible.  Calvin 
s'appuie  sur  l'expression  «  baptême  d'Esprit  et  de  feu.  »  Mais 
cette  locution  ne  prétait  à  aucune  éijuivoque.  Il  en  est  tout 
autrement  de  l'expression  «.eau,»  dans  le  milieu  où  parlait 
Jésus  et  en  particulier  dans  le  contexte  de  notre  évangile. 

1.  N  lit  ideiv  Ti]v  |3aoùe'.av  tcov  oupavuv  (cette  leçon  d'un  si  ancien  Ms. 
peut  avoir  son  imporlancc  pour  l'apprècialion  de  la  citalion  de  ce  passage 
dans  Juslin;  coinp.  p.  1G). 


^f08  PREMlflRE  PAltTII'. 

Le  li;i|iltMin'  d'cim  ,  intiodiiil  jiiir  .Iciiii-niiplislo  ,  avait  pro- 
ihiil  une  sonsalioii  {^'^l'iirialo  cl  prorondo;  les  pliarisiens  en 
avaii'iil  vie  jjarlirnlièrriiiciil  clioipiés  (I,  2i).  Le  l»aj)lrni(' 
ôlail  Jonc  la  jdciniric  pciix'c  (|iii  drviiil  se  |)n'S('nl('i'  à 
IVspril  de  Nicodènie ,  siirloiil  j)nis(pie,  celle  cérémonie  se 
célf'branl  alors  sons  la  foinie  de  riiiiiiieision  lolale  ou  par- 
tielle,  rexjtression  o  )taiirr.  (Tcnin^  sap|ili(jiiait  li'ès-nalnrrl- 
lemenl  à  ce  rite.  Jésus  ,  an  inoniiMil  ttù  il  parlait,  sorlail  en 
qnel(]ue  sorle  lui  -  même  de  l'eau;  c'était  dans  l'eau  (pi'il 
avait  été  baptisé  d'Espril.  Tous  les  disciples  avair-nt  j)assé 
par  la  même  cérémonie.  Dans  notre  évangile  même ,  le 
bajilême  d'eau  vient  d'être  expressément  mentionné  et  op- 
posé à  celm"  d'Espiil  (I, ."]!.. ÎS).  Dans  de  telles  circonstances, 
il  est  i?Tipossible  de  ne  pas  prendre  le  mol  eau  dans  son  sens 
natinel  et  de  ne  pas  raj)pliquer  au  baptême.  Ainsi  s'explique 
aussi  la  foime  négative  et  presque  menaçante  :  «  Si  qvel- 
ipi'ini  ne...»  qui  p;irait  l'aire  allusion  au  relus  de  la  |ilu- 
parl  des  pharisiens  de  se  soumettre  au  baptême  de  Jean. 
Luc  Vil ,  ."30:  <(  Mais  les  pharisiens  et  les  docteurs  de  la  loi , 
ne  s'élant  pas  fait  baptiser  par  lui  (Jean),  ont  anéanti  le 
dessein  de  Dieu  à  leur  égard.  »  La  déclaration  de  J(''sus  à 
Nicodème  renfermait  donc  une  exhortation  à  se  séparer  sur 
ce  point  de  la  voie  adojttée  |)ar  son  jiarli  et  à  entrer  dans 
le  royaume  de  Dieu  par  la  porte  que  Dieu  lui-même  avait 
ouverte,  le  baptême  de  Jean  ou  celui  de  Jésus. 

Mais  quel  rapport  y  a-t-il  entre  le  fait  essentiellement  spi- 
rituel de  la  nouvelle  nai.s.sance  et  le  baptême  d'eau?  Lùcke 
a  fait  ressortir  avec  force  dans  le  baptême  la  notion  de  la 
repentîuice  (jjLexavcta)  et  a  pensé  que  l'eau  n'est  indiquée  ici 
que  comme  symbole  de  cette  disposition  intérieure,  comme 
si  Jésus  voulait  dire:  d'abord,  de  la  part  de  l'homme,  la 
repentance,  dont  le  baptême  d'eau  est  le  symbole;  puis,  de 
la  part  de  Dieu,  le  don  de  l'Esprit.  Mais,  l'Esprit  dé.signant 


DEUXIKME  CYCLi:.  —  CIIAP.  III,  .'.  409 

im  facteur  olijoctif,  il  doit  en  ètrr  do  iuùiik.'  de  l'eau;  car  ces 
deux  termes  soul  cxaclenieiit  jiaiidlèles  et  sont  unis  par  une 
s(Mil('  |»r<)|iusilion  en  un  même  r(''}^ime.  Ils  doivent  donc  ctic 
de  mrmr  naliirr.  La  valeur  (tlijcclive  de  Tcaii  rcssoil  d'un 
{{land  nomliie  de  [jassag^es  de  rKcrilure.  Cet  élément  est, 
comme  Ta  loit  hicn  montré'  llengslenheri^-,  le  signe  du  jiar- 
don.  C'était  d(''jà  cette  grâce  que  Zacliarie  rattachait  immé- 
diatement au  ministère  de  son  fils  Jean-Baptiste  (Luc  I,  77)  : 
«  Tu  marcheras  devant  la  face  du  Seigneur  pour  préparer 
sa  voie,  pour  donner  la  connaissance  du  salut  à  son  peuple 
par  le  pardon  de  leurs  péchés.  »  Saint  Pierre  dit  plus  expres- 
sément encore  le  jour  de  la  Pentecôte  Act.  II,  38  :  a  Que 
chacun  de  vous  soit  baptisé  au  nom  de  Jésus-Christ  pour 
le  pardon  des  péchés,  et  vous  recevrez  le  don  du  Saint-Es- 
prit. »  Le  pardon  est  ici  oiïert  aux  Juifs  comme  la  consé- 
(|uence  inmiédiate  du  baptême:  «Soyez  baptisés  pour....,}) 
])uis,  l'apôtre  annonce,  comme  conséquence  plus  éloignée 
et  résultant  de  la  première,  le  don  du  Saint-Esprit:  a. Et 
(une  fois  pardonnes)  votis  recevrez....  »  Remarquons  que  saint 
Pierre  dit  :  «Le  pardon  des  péchés  »  et  non  «  de  ses  péchés,  » 
tant  c'est  l'idée  du  baptême  en  soi,  et  non  pas  seulement 
son  efficacité  individuelle,  qu'il  veut  caractériser.  C'était  déjà 
l.à  le  sens  des  lustrations  syndjoliques  de  l'Ancien  Testament 
dont  la  cérémonie  du  baptême  n'est  qu'un  développement. 
Ps.  LI,  4.  9  :  ((Lave-moi  de  mon  iniquité....  Purific-moi  de 
mon  péché  avec  l'hysope;  lave-moi,  et  je  serai  plus  blanc 
ijue  la  neifje.y  Kz.  XXXVI,  25  :  a  Je  répandrai  sur  vous  des 
eaux  pures,  et  vous  serez  nettoyés.  ■»  Zach.  XIII,  1  :  a  En  ce 
temps  il  y  aura  une  source  ouverte  à  la  maison  de  David 
et  aux  habitants  de  Jérusalem,  pour  le  péché  et  pour  la  souil- 
lure.)) Cette  vertu,  l'eau  ne  pouvait  la  posséder  par  elle- 
même;  elle  ne  lui  appartenait  que  comme  symbole  du  sang 
expiatoire,  le  seul  moyen  efficace  de  pardon.  Aussi  saint  Jean, 


410  PREMFf:RE  PAUTIK. 

dans  un  passage  fiiniciix  (I  .Icaii  V,  fO,  niol-il  en  rapport 
l'oaii,  le  saii|T  ot  l'Ksprit,  roinmi^  roiicoiirant  cnscniMi'  à 
une  même  œuvn'  de  salut  :  le  sang  réconcilie;  IKsiiril  ri'- 
génère;  Feaii  est  le  signe  du  sang  et  le  gage  de  l'Esprit 
(voir  plus  haut  la  parole  de  saint  Pierre).  Celui  (|ui  acceplt; 
le  haplème  d'eau  avec  les  dispositions  voulues  devient  donc 
participant  du  sang  expiatoire  et  du  pardon  messianique.  Sa 
condanmation  étant  enlevée,  il  se  trouve  replacé  devant 
llieu  dans  la  position  d'un  lioimue  (pii  n'aurait  pas  péché; 
et  dès  ce  moment,  il  doit  s'attendre  à  recevoir  le  don  de 
TF^sprit,  auquel  son  état  de  condamnation  mettait  seul  ob- 
stacle. Le  baptême  de  Jean  n'est  point,  à  cet  égard,  autre 
que  le  baptême  chn-lieu.  Il  n'y  a  entie  ces  deux  rits  que 
cette  différence  :  le  premier  avait  lieu  en  vue  du  .sang  qui  al- 
lait être  versé;  le  second  repose  sur  le  sacrifice  accompli. 

Le  pardon,  l'enlèvement  de  la  coidpe  par  la  naissance 
d'eau  n'est  que  le  côté  négatif,  la  condition  sine  qua  non  de 
la  nouvelle  naissance.  Le  côté  positif  dans  cet  acte,  l'eflicacité 
créatrice,  appartient  à  l'Esprit  que  Dieu  accorde  toujours  à 
ime  âme  dès  qu'elle  est  lavée  de  son  péché.  Aussi  réelle- 
ment donc  le  salut  consiste  dans  ces  deux  faits  :  pardon  et 
régénération,  aussi  réellement  Jésus  a  résumé  dans  ces  deux 
mots:  eau  et  Esprit,  l'idée  du  salut  tout  entier  et  par  con- 
séquent celle  de  l'entrée  dans  le  royaume  de  Dieu. 

Dans  les  versets  suivants,  il  n'est  plus  fait  mention  de 
l'eau,  précisément  parce  que,  dans  le  fait  de  la  nouvelle 
naissance,  elle  n'a  que  la  vertu  négative  d'ôter  l'obstacle,  et 
fpie  la  vertu  créatrice  n'appartient  qu'à  l'Esprit.  — Meyer  fait 
remarquer  l'absence  de  rarticJe  devant  les  deux  substantifs. 
C'est  l'espèce  de  facteurs  agissants,  que  Jésus  veut  faire  res- 
sortir, et  non  l'opération  de  ces  deux  facteurs  dans  un  cas 
déterminé.  —  Jésus  substitue  ici  l'expression  dstX^zlv  (en- 
(rer)  au  tenue  ihth  (voir)  du  v.  3.  Cette  forme  nouvelle  est 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  III,  5.  T,.  il  1 

on  raj)p()rt  avec  riniag-c  :  ((Naître  d'eau  cl  d'Esprit.'»  (les 
deux  élt'nients  sont  coninio  le  double  milieu  où  l'ànie  doit 
être  ploni^^'c,  alin  d'en  ressortir  niend)re  du  royaume  des 
cieux.  Les  deux  prépos.  £4  et  dç  sont  ainsi  en  étroite  corré- 
lalidii. 

Les  paroles  de  Jésus  s'adressaient  à  Nicodème  comme  à 
un  individu  placé  dans  le  grand  courant  du  développement 
lliéocratique.  Dans  cette  situation,  le  mépris  du  signe  exté- 
rieur, olVert  à  chacun,  impli([ue  le  relus  de  la  chose  signi- 
liée.  Mais  il  est  évident  que  Jésus  ne  veut  point  limiter  la 
hherté  divine  et  asservir  Dieu  au  signe  matériel.  L'exemple 
du  brigand  sur  la  croix  prouve  que  le  pardon  peut  être  ac- 
cordé sans  le  baptême  d'eau.  Et,  quant  à  l'Esprit  régénéra- 
teur, il  souflle  où  il  veut;  seulement,  son  champ  d'action 
est  limité  par  le  pardon  :  (.<  il'can  cl  d'Esprit,  t) 

V.  0.  «Ce  qui  est  né  de  la  chair,  est  chair,  et  ce  qui 
est  né  de  l'Esprit,  est  esprit.  »  —  Jésus  a  opposé  à  l'exis- 
tence terrestre,  même  sous  sa  forme  glorifiée  dans  le 
royajune  messianique,  la  créatidii  d'un  être  nouveau,  appar- 
tenant à  un  ordre  surnaturel.  Il  justilie  maintenant  l'impos- 
sibiUté  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  sans  ce  change- 
ment radical  et  la  certitude  infailhble  de  ce  moyen.  —  Le 
raisonnement  de  Jésus  repose  sur  une  prémisse  sous-enten- 
due, c'est  que  le  royaume  de  Dieu  est  spirituel  comme  Dieu 
lui-même;  d'où  il  suit,  d'un  côté,  qu'il  ne  peut  être  perçu 
par  ini  être  charnel;  mais,  de  l'autre,  qu'il  le  sera  infailli- 
blement par  un  être  spirituel.  —  Sur  le  sens  du  mot  chair, 
voy.  p.  'lUO-102.  Pris  en  lui-même,  ce  mot  n'implique  pas 
encore  la  notion  de  péché;  il  désigne  simplement  la  person- 
nalité humaine,  au  point  de  vue  de  la  .sensibihté  pour  les 
impressions  du  plaisir  et  de  la  douleur.  Mais  comme,  dans 
Yr[<\l  présent,  celte  sensibilité  naturelle,  au  lieu  de  s'assu- 
jettir à  une  loi  supérieure,  domine  l'homme,  tellement  qu'il 


412  PREMIÈnK  PARTIK. 

ne  peut  même  se  soiinu'Ifre  à  la  loi  de  Dieu  (Rom.  VH;  VIII, 
7),  le  mot  chnir  désifriif  de  fait  riiiiniaiiité  déchue.  D'ajuès 
la  jtremière  jtioj>osili(tn  du  verset,  Iflal  rliariicj  sl'  traiisiin'l 
de  génération  en  généralidii,  de  leili;  sorte  (]u'il  n'est  pas 
possible  à  un  lioinnie  natuicl  de  franchir  par  ses  propres 
forces  ce  cercle  fatal  :  de  là  la  nécessit»'  d'une  régén('ration. 
11  ne  suÛit  pas  de  laver  la  chair  et  de  la  parer  de  quelques 
ornements;  il  faut  y  substituer  l'Esprit.  Ce  fait  était  déjà  con- 
staté dans  l'/Vncien  Testament.  Gen.  V,  :)  :  «  Adam  engendra 
un  fih  à  sa  ressemblance  et  selon  son  image.  »  Ps.  LI,  7, 12  : 
ij'ai  cic  forme  dans  l'iniquité....  0  Dieu,  crée  en  moi  un 
cœur  i\ct.y>  Comment  cette  transmission  de  l'état  charnel 
s'accorde-t-elle  avec  la  responsabilité  individuelle?  Les  der- 
niers mots  de  cet  entretien  jetteront  du  jour  sur  cette  ques- 
tion importante.  —  Le  subst.  cape,  romme  attribut,  est  plus 
énergique  (pie  ne  le  serait  l'adjeclif.  11  exprime  que  l'état  est 
devenu  essence;  d'où  il  résulte  qu'il  ne  peut  changer  par 
une  simple  amélioration  :  une  essence  doit  être  substituée 
à  une  autre  essence. 

On  pourrait  voir  dans  la  seconde  proposition,  comme  daiis 
la  première,  l'expression  de  la  nécessité  (\e  la  nouvelle  nais- 
sance :  «Il  n'y  a  que  ce  qui  est  né  de  l'Esprit  qui  soit  esprit 
et  qui  puisse  j)ar  conséquent  jouir  des  choses  de  l'Esprit, 
du  royaume  de  Dieu.  »  Mais  ne  vaut-il  pas  mieux  prendre 
celle  seconde  déclaration  de  front  et  y  voir  l'aflirmation 
triomphante  de  la  pleine  réalité  de  la  vie  spirituelle  chez 
l'homme  engendré  par  l'Esprit  et,  par  conséquent,  de  son 
aptitude  à  entrer  au  royaume  de  Dieu?  —  Le  mot  esprit  dé- 
signe évidemment,  comme  sujet,  l'Esprit  divin,  et,  comme 
attribut,  le  nouvel  homme.  Ici  encore,  comme  dans  le  pre- 
mier membre,  le  substantif  (e.ç/)n7)  est  employé  au  lieu  dej 
l'adjectif  (s/^/r/fj/c/),  afin  de  caractériser  l'essence.  —  Comme, 
dans  la  proposition  précédente,  le  mot  chair  renfermait  le 


DKUXIKMK  CYCLE.  —  CJIAI'.  III,  fi-S.  413 

corps  et  r;nne,  il  faut  romprondre  ici.  dfms  le  mot  esprit, 
iioii-seiilciiicnl  le  iiuiiveaii  jdiiicipe  spiiiluel,  mais  ràmc  et 
le  corps  sanctifiés  et  spiriliialisés.  —  Le  neutre  tô  YôYovvTf)- 
fjLô'vcv,  ce  qui  est  né,  est  substitué  dans  les  deux  memlires 
au  iiiasrulin,  celui  qui  est  ne',  afin  de  dési<,M]er  la  nature  du 
pruduit  en  l'aisaul  abstraction  de  l'indiviilu,  et  d'exprimer 
ainsi  plus  énergifjuement  la  généralité  de  la  loi. 

Ililyenfeld  a  encore  trouvé  ici  la  distinction  gnostique 
des  deux  espèces  dbommcs.  Mcyer  répond  bien  :  «  H  y  a 
distinction,  non  entre  deux  classes  d'iiommcs,  mais  entre 
deux  pliases  de  la  vie  bumaine.  » 

V.  7  et  8.  Jésus  s'aperçoit  que  l'étonnement  de  Nicodème, 
au  lieu  de  diminuer,  va  croissant;  et  il  en  comprend  bien  la 
cause  :  c'est  que  Nicodème  veut  absolument  se  représenter 
en  quelque  manière  le  fait  de  la  nouvelle  naissance,  comme 
si  c'était  un  fait  sensible.  Il  cherche  à  ôter  à  cette  âme,  qu'il 
a  reconnue  sincère,  cette  pierre  d'achoppement,  en  lui  ex- 
pli<juanl  que  ce  n'est  pas  ici  un  fait  qui  soit  perçu  par  les 
sens.  Quelque  réel  qu'il  soit,  on  ne  le  discerne  qu'après 
qu'il  est  accompli.  «  7  Ne  t'étoune  pas  de  ce  que  je  t'ai 
dit  :  Il  faut  que  vous  naissiez  de  nouveau.  8  Le  vent 
souffle  où  il  veut,  et  tu  en  entends  le  bruit;  mais  tu  ne 
sais  d'où  il  vient  ni  où'  il  va.  Il  eu  est  ainsi  de  tout 
homme  qui  est  né  de  l'Esprit'.  »  — Par  l'exjin.'ssion  :  «  Vous 
naissiez, y>  Jésus  s'exempte  lui-même  de  cette  nécessité  de 
la  nouvelle  naissance  affirmée  par  lui  pour  tous  les  autres. 
Jésus  a  bien  pu  grandir  spirituellement  (Luc  II,  iO.  52); 
mais  il  n'a  pas  eu  besoin  de  renaître.  Le  don  du  Saint-Es- 
prit à  son  baptême  n'a  pas  été  une  régénération ,  mais  le 
couronnement  de  son  développement  antérieur,  tout  entier 


1.  Tous  les  Mjj.  Mnn.  et  Yss.  lisent  xai  tcou,  à  l'exception  de  A  Up'"''«"' 
V;^.  fini  lisent  t^  xoi». 

2.  iS  seul  lit  ex  tou  uôaro;  xai  tou  :i:veD|xaTo;. 


41-4  PRKMiftiiK  PAnni:. 

tlomino  cl  K'j,'^!!^' par  le  Saiiil-Ks|)ril.  —  l'oiir  (lissi|)or  rélon- 
iiL'inent  de  iNicodôine,  Jt'sus  a  recours  à  une  comparaison, 
destinée  à  lui  montrer  daus  la  nature  même  l'exemple  d'un 
fait  dont  la  réalilé  est  conslaléc  j)ar  ses  effets  et  qui  échappe 
néanmoins  à  lobseiTation  sensibhî.  —  llv£Ù(xa  a,  aussi  bien 
que  nil,  le  double  sens  de  vent  et  d'cspi'it.  Connue  la  lin 

du  verset  {ainsi....)  montre  cpTil  y  a  une  comparaison,  il  n'est 
pas  douteux  que  ce  mot  ne  doive  être  pris  ici  dans  le  sens 
de  veut.  Tholuck  (premières  édilions)  a  supposé  (]ue,  dans 
ce  moment  même,  on  entendait  le  vent  soufïler  dans  les 
rues  de  .b'iusalem.  Cela  donnerait  une  grande  réalité  à  ces 
mois:  "El  tu  en  entends  le  bruit. y>  —  Jésus,  en  disant: 
«  Tu  ne  snis....y>  ne  prétend  |i(iiiil  «inc  l'explication  du  vent 
restera  toujours  un  mystère;  il  rappelle  seulement  le  fait 
(pi'il  n'e>Ul»as  j)ossil»le  de  déterminei'  cxaclcinenl  le  point 
où  commence  le  phénomène  et  celui  où  il  huit.  On  ne  voit 
pas  le  vent  se  former.  Le  développement  de  toute  vie  natu- 
relle se  rattache  à  un  germe  organique  qui  tombe  sous  les 
sens.  Mais  le  vent  parait  et  disparaît,  comme  une  irruption 
libre  de  l'infini  dans  le  fini.  Par  ce  caractère,  il  devient  l'em- 
blème le  plus  fiajipant  de  l'action  de  l'Esprit,  (^uehpie  réelle 
que  soit  l'opération  du  jtrincipe  régénérateur,  il  ne  témoigne 
de  sa  présence  que  par  les  effets  divins  qu'il  ftiit  éclater  dans 
l'àme  humaine.  —  La  forme  en  laquelle  cette  image  est  appli- 
quée dans  la  seconde  partie  du  ver.set,  n'est  pas  tout  à  fait 
correcte.  Il  eût  fallu  proprement:  «11  en  est  ainsi  de  l'Es- 
prit, chaque  fois  qu'il  produit  dans  un  homme  la  nouvelle 
naissance.  »  Mais  il  n'est  pas  dans  le  génie  de  la  langue  grec- 
que de  faire  correspondre  symétriquement  la  comparaison 
et  son  application;  et  le  Nouveau  Testament  lui-même  four- 
nit plusieurs  exemples  de  comparaisons  détournées  de  la 
forme  régulière  (Mattb.  XIII,  19,  etc.).  Le  terme  qui  sert  de 
sujet  dans  la  seconde  proposition  (l'homme  né  de  l'Esprit), 


DKUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  III,  7-10.        415 

correspond,  non  iiu  sujet  do  la  piTiiiièrc  (le  veiil),  mais  au 
réj(iiiR'  (II'  Itruit  du  vculh  —  Iît'iiiar(]U('Z  le  j)ailie.  iiarf.  70- 
YsvvT((jL£vc;  :  le  l'ail  est  consommé,  et  cela,  saii>  <in"i)(i  ail  \u 
ropéralion.  Cette  seconde  proposition  pourrait  donc  se  pa- 
raphraser ainsi  :  «El  sans  que  l'œil  ait  rien  discerné,  voilà 
un  homme  né  de  nouveau  et  une  entrée  dans  le  royaume 
(le  Dieu  opérée;  tout  est  l'ait,  et  rien  n'a  paru.»  (juel  con- 
traste avec  ce  royaimie  terrestre  dont  l'apparition  magni- 
licjue  et  prochaine  remiilissait  l'espiil  de  Nicodènie! 

V.  tl  et  10.  «  Nicodéme  répondit  et  lui  dit:  Comment 
ces  choses  peuvent-elles  se  faire?  10  Jésus  répondit  et 
lui  dit  :  Tu  es  le  docteur  d'Israël,  et  tu  ne  sais  pas  ces 
choses  !  ')  —  Cette  parole  paraît  être  un  aveu  d'inintelligence, 
plulùl  que  l'expression  du  sentiment  de  l'impuissance  à  oh- 
lenir  la  régénération  (Tholuck,  j)remières  éditions).  Nico- 
déme ne  nie  pas;  mais  il  se  reconnaît  lui-même  complète- 
ment étranger  à  la  connaissance  et  à  l'expérience  de  l'action 
de  rEsj)rit.  C'est  au  tour  de  Jésus  de  s'étonner.  Il  constate 
avec  siuprise  l'ignorance  spirituelle  de  celui  qui  représente 
en  ce  moment  devant  lui  l'enseignement  de  l'ancienne  al- 
liance. On  a  liouvé  de  l'amertume  dans  cette  réponse.  Elle 
n'exprime  qu'un  lf''gitime  étonnement.  Des  passages  tels  que 
Jér.  XXXI,  33;  Éz.  XXXVI,  24-28  eussent  dû  préparer  Nico- 
déme à  l'idée  de  la  régénération.  —  L'art,  o  devant  SiSaaxa- 
Acç  a  été  interprété  dans  ce  sens  :  «Le  docteur  comui  ou  en 
vogue  dans  ce  moment.»  Si  l'on  comprend  ainsi  l'article, 
il  faut  avouer  que  la  parole  de  Jésus  ne  serait  pas  exempte 
de  sarcasme;  mais  cette  explication  est  peu  naturelle.  L'ar- 
ticle désigne  hien  plutôt  Nicodéme  comme  le  représentant 
du  doctorat  israélite,  la  ôiSaaxaXc'a  officielle  personnifiée. 

Le  V.  10  fait  la  transition  à  la  seconde  partie  de  l'entre- 
tien. Ce  qui  la  caractérise  extérieurement,  c'est  le  silence 


-ilO  pRKMii:nK  PAitriK. 

coinplet  il»'  Nirc^drmc.  Ainsi  (jiic  roljscrvr  IIciii^sIciiIkm^î,  il 
semble  dii'e  coiiMiie  Joli  (IcvmiiI  .lt''liov;ili  :  <i. Je  suis  trop  petit  ; 
que  dois-jc  rèpouilre^  J'ai  parle  ini<'  fois;  )ti(tis  je  mets  nui 
main  sur  nia  hnuclir.^  De  son  ('("(h',  .If'-sns  le  traite  nvcc  nnc 
lionlt'  l'I  nne  eoiulfsccndanee  (oncliiinles;  il  l'a  (ronvé  plein 
«riiumilili'  et  de  doeilili',  <'i  il  s'onvre  inninlenanl  à  lui  loul 
entier.  Nicodème  élail  venu  jutui"  l'inlerrog^er  sur  sa  dignité 
de  Messie  l'I  snr  r/'lahlissenicnl  dr  son  règne,  mais  non  sur 
les  conditions  auxquelles  il  pourrait  lui-même  y  entrer.  Lui, 
bon  Juif,  pieux  pliarisien  et  saint  synédrisie,  il  n'élevait  pas 
même  un  doute  since  j)oinl.  Jésus,  en  éducateur  consommé, 
a  commencé  par  traiter  la  question  praticpiedonine  se  préoc- 
cupait point  Nicodème.  Puis,  ayant  reconnu,  par  l'inféièt 
(pie  c<dui-ci  a  apporté  aux  explications  précé'dentcs,  qu'il  a 
devant  lui  u?i  liomine  digne  de  recevoir  les  plus  hautes  ré- 
vélations niessianiques,  il  les  lui  piddiguc,  lui  accordant 
ainsi  précisément  ce  qu'il  ('lait  venu  chercher,  lors  même 
qu'il  s'en  faisait  nne  t(jut  anlie  idi'e.  JusipTici  Jé'sus  lui  a  dit 
ce  qu'il  ne  demandait  point;  (\èîi  mainleiiiuii  il  lui  révèle  tout 
ce  qu'il  désirait  connaître. 

La  première  partie  de  l'entretien  peut  donc  se  résumer 
ainsi  :  «Que  se  passera-t-il?  »  demandait  en  son  cœiu'Ni('o- 
dème.  «liien  du  tout,  dans  le  sens  où  tu  l'entends,»  répond 
Jésus.  Mais  Jésus  ne  peut  renvoyer  Nicodème  avec  ce  résultat 
purement  négatif.  Il  se  passera  pourtant  quelque  chose,  et 
même  quelque  chose  d'inouï.  Si  ce  n'est  pas  ce  que  l'homme 
avait  pensé,  ce  sera  mieux  encore;  ce  sera  ce  que  Dieu  a 
décrété.  L'exécution  sur  la  terre  des  plans  divins  [toin*  le  salut 
(jr  riinnianité,  voilà  donc  ce  que  déroule  aux  yeux  de  Ni- 
codème la  seconde  partie  de  l'entretien. 

Les  v.  11  et  1:2  forment  la  transition  de  la  (iremière  partie 
(v.  3-10)  à  renseign(;ment  positif,  qui  ne  commence  à  pro- 
prement parler  qu'avec  le  v.  Irj. 


DtUXlKML:  CYCLE.  —  CIIAI'.   III,   11.  417 

Les  coiiimunicaLicuis  siiivaiik's  de  Jtiiiii^;  puiliiil  siii'  liois 
jioinlii  : 

L'orij,MiK'  et  la  nature  de  celui  qui  vient  ici-bas  révéler  et 
fonder  le  royaume  de  Dieu  :  ce  ne  sera  point  seulement  nn 
homme  extraordinaire;  ce  sera  un  ètie  céleste,  v.  11-1^. 

Le  vrai  caractère  du  royaume  messianique  et  la  manière 
dont  il  sera  l'ondé  :  ce  ne  sera  jMiiul  un  triomphe,  mais  un 
salut  sortant  de  l'ignominie  la  plus  profonde,  v.  14-16. 

L'effet  produit  :  ce  sera  ,  non  point  un  jugement  extérieur 
foudroyant  les  païens,  exallant  les  Juifs,  mais  un  jugement 
de  nature  morale,  s'exerçant  par  le  libre  choix  des  individus 
et  substituant  à  la  séparation  provisoire  du  monde  en  juifs 
et  jiaïens  le  triage  définitif  de  Thumanité  en  croyants  et  en 
incrédules,  v.  17-21. 

Ce  sont  bien  là  les  points  sur  lesquels  Nicodème  pouvait 
désirer  d'être  éclairé  ;  mais  quelle  distance  entre  le  contenu 
de  ces  communications  et  les  choses  qu'il  espérait  d'enten- 
dre !  Jésus  le  domine  de  toute  la  hauteur  dont  les  plans  di- 
vins surpassent  les  pensées  humaines  (Es.  LV ,  8.  9). 

Ce  n'est  donc  que  depuis  le  v.  13  que  Jésus  entre  réelle- 
ment dans  le  cours  des  pensées  sous  l'empire  desquelles 
l'avait  abordé  Nicodème  et  résout  positivement  ses  ques- 
tions. Cette  relation  ressort  de  chaque  mot  du  passage 
v.  11-13  rapproché  du  v.  2.  Nicodème  avait  salué  Jésus 
comme  docteur;  c'est  de  son  enseignement  que  Jésus  lui 
jtarle  v.  11  a.  Nicodème  avait  fait  une  espèce  de  profession 
de  foi  ;  Jésus  se  plaint  du  manque  de  foi  réelle  chez  lui  et 
chez  ses  collèg-ues  v.  11  b.  Nicodème  avait  parlé  au  nom  de 
plusieurs  autres:  aNotis  savons...;  »  Jésus  s'adresse  aussi  à 
ces  interlocuteurs  absents  :  «  Voits  ne  recevez  pas...  (v.  11); 
si  je  voiis  ai  dit...  (v.  12).»  Nicodème  avait  appelé  Jésus 
un  docteur  avenu  de  Dieu;  )y  Jésus  lui  montre  qu'il  a  dit 
plus  vrai  qu'il  ne  pense  et  lui  déclare  que  le  docteur  qu'il 
I.  27 


il8  PRKMIKHK  PARTIK. 

.1  devant  IfS  ynix  .  rsl  ivclIrnuMit  drscondii  iln  ciol  et  que 
iiHMne  aclin'Ik'iiieiil  il  vil  dans  le  ciel  (v.  I.{). 

V.  t1-1.'].  C'est  ici  la  première  parlir  de  reiiseij,Miement 
posilif  de  .lésns.  En  opposition  au  ducloral  de  la  lettre,  dé- 
iui«'  de  toute  intellij^ciiec  spirituelle,  que  représentait  Nicu- 
dènie ,  Jésus  lui  annonce  l'avènement  d'un  nouvel  ensei{?ne- 
ment,  reposant  sur  l'intuition  immédiate  de  la  vérité  (v.  11). 
Mais,  pour  que  Nirodènie  puisse  jirofiter  des  révélations  de 
cet  enseignement  supérieur,  Jésus  l'invite  à  la  foi  (v.  12). 
11  justifie  cette  exhortation  par  le  fait  (jue  l'homme ,  ne  |)ou- 
vanl  s'élever  lui-même  à  l'intuition  des  choses  célestes ,  ne 
peut  y  avoir  accès  qu'en  acceptant  sur  parole  le  rapport  du 
témoin  oculaire  qui  les  lui  i(''vèle  (v.  13). 

V.  11.  «  En  vérité  ,  en  vérité ,  je  te  dis  que  nous  disons 
ce  que  nous  savons  et  que  nous  rendons  témoignage  de 
ce  que  nous  avons  vu  ;  et  vous  ne  recevez  pas  notre  té- 
moignage. »  La  formule  'Ap.iriv  àfJLirjv  aiuionce ,  connue  tou- 
jonr.s,  une  vérité  que  Jésus  est  allé  chercher  au  plus  pro- 
fond de  sa  conscience,  et  qui  doit  se  présenter  comme  une 
révélation  à  l'esprit  de  son  interlocuteur  et  renverser  l'édi- 
fice de  ses  préjugés  vulgaires.  —  L'enseignement  ralil)ini(pic 
partait  de  la  lettre  des  Ecritures,  mais  ne  se  mettait  point 
en  contact  avec  la  vérité  essentielle  dont  la  lettre  n'est  que 
le  vase  (V,  39).  Jésus  proclame  avec  une  intime  satisfaction 
l'avénemenl,  déjà  actuellement  accompli,  d'un  autre  ensei- 
gnement des  choses  saintes ,  et  il  en  signale  les  caractères 
tout  nouveaux  :  1°  la  certitude  :  ace  que  nous  savons ;d 
^  l'intuition  immédiate  :  <ice  que  nous  avons  vu.  »  Les  deux 
verbes  «  nous  disons-»  et  e  nous  Ubnoignons  »  sont  en  rapport 
avec  ces  deux  traits  fondamentaux  :  on  dit,  on  déclare  ce  que 
l'on  sait  ;  on  témoigne  de  ce  que  l'on  a  vu.  Il  y  a  en  même 
temps  une  gradation  sensible  entre  les  deux  propositions 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI».  III.  11.  110 

parallèles  de  ce  verset:  à  mesiiif  qur  dans  re  nouvel  en- 
seignement le  savoir  atteint  à  la  clarté  de  la  vue,  le  pailer 
s'y  élève  jusqu'à  la  solennité  du  témoignage.  —  Le  contraslc 
earaclérisé  par  Jésus  dans  ce  passage  entre  son  enseigne- 
ment et  celui  dont  Nicodème  était  l'organe,  était  celui  qui 
tVajtpait  aussi  le  peuple ,  lorsqu'il  entendait  parler  Jésus  et 
qu'il  comparait  sa  jtrédication  avec  celle  des  scribes  (Mat  tii.  VII, 
28.  29). 

Mais  de  qui  parle  donc  Jésus  en  disant  :  «  nous  »  ?  Quel  est 
ce  chœur  de  nouveaux  docteurs  qu'il  oppose  à  la  caste  des 
scribes  et  des  sages  de  ce  siècle  qui  s'en  vont  (i  Cor.  I, 
20)  ?  On  a  expliqué  de  bien  des  manières  ces  pluriels  : 
i  Nous  disons....  nous  témoignons,  i  Knapp,  Lutbaidt,  en- 
tendent par  nous  :  «Moi  et  Jean-Baptiste.»  Bèze,  Tholuck: 
«Moi  et  les  prophètes.  »  Bengel  :  «Moi  et  le  Saint-Esprit.  » 
Chrysostome  et  Euthymius  :  «  Moi  et  Dieu.  »  L'impossibilité 
de  toutes  ces  explications  est  manifeste.  Quelques-uns  font 
de  cette  première  du  pluriel  un  pluriel  de  majesté.  Cette 
forme  est  sans  exemple  dans  la  bouche  de  Jésus  et  ne  serait 
motivée  ici  par  rien.  Lûcke  dit  :  «  Pluriels  rhétoriques ,  au 
lieu  du  singulier.  >>  Qu'est-ce  que  cela  signifie?  Meyer  trouve 
ici  le  pluriel  de  catégorie  :  «Dqs  docteurs  tels  que  moi.  » 
C'est  de  toutes  ces  explications  la  moins  insoutenable.  Mais, 
comme  les  deux  précédentes,  elle  ne  rend  pas  compte  des 
singuliers  qui  précèdent  et  suivent  immédiatement.  :  a.  Je  te 
dis....  si^'e  vous  ai  dit....  si  je  vous  dis...  »  Puis,  le  vous  s'a- 
dressant  à  d'autres  personnes  que  Nicodème,  il  est  naturel 
d'appliquer  aussi  le  7ious  non-seulement  à  Jésus,  mais  à  une 
pluralité  d'individus  qu'il  oppose  à  celle  dont  Nicodème  est 
le  représentant.  Il  faut  donc  admettre  avec  Lange  et  Ileng- 
stenberg  que  Jésus  révèle  ici  à  Nicodème  l'existence  d'un 
certain  nombre  d'individus  initiés  au  nouvel  ordre  de  choses 
et  représentant  déjà  le  nouveau  mode  d'enseignement.  Ce 


.i2(l  PRKMIKHK  l'AiniK. 

sont  t'videnimonl  ses  discijilos,  iini.  (jnoiqin  liirn  pctils  en- 
core dans  le  royaume  dos  cieux  .  le  poss«"Mlt'nl  drjà  en  réalité 
et  sont  plus  ^Miuids  non-scidtinciil  quo  Ions  los  scribes  ,  mais 
que  Jcau-Haiitistc  liii-iiièm»'.  Kii  la  personne  de  Jésus,  le 
ciel  s'est  déjà  ouverl  e(  dduné  à  eux;  leur  regard  j)longe 
dans  l'essence  des  choses  :  «  Celui  qui  m'a  vu,  a  vu  le  Père.» 
Leur  âme  est  en  contact  iininédial  avec  la  réalité  divine. 
Aus^i,  quelle  vivacité,  quelle  liaiclieiu",  dans  la  déclaralion 
de  Jean  et  André  1,  -42  et  dans  celle  de  Philippe  I,  47, 
dans  l'exclamation  de  Nathanaël  1 ,  50  et  dans  la  profession 
de  Pierre  VI ,  08.  60  !  Ce  savoir-là  est  bien  une  vue  ,  et  ce 
parler,  un  témoignage.  En  s'adjoignant  ainsi  ses  humbles 
disciples,  Jésus  fait  comjtrendre  à  Nicodème  que  les  choses 
sont  bien  plus  avancées  qu'il  ne  pense  et  que  ce  phénomène 
de  l'appaiition  du  royaume  dont  il  vient  s'enquérir  comme 
de  quelque  chose  de  futur ,  es!  déjà  consommé  pour  quel- 
ques-ims.  Dès  maintenant,  Jésus  ne  se  sent  plus  seul  :  c'est 
là  la  source  de  ce  sentiment  de  joie  profonde  qui  respire 
dans  ces  pluriels.  L'élévation  du  sentiment  se  révèle  jusqpie 
dans  la  forme  de  l'expression.  Lulhanll  fait  observer  que 
nous  retrouvons  ici  le  parallélisme  des  propositions  qui  con- 
stitue le  rhylhme  poétique  de  la  langue  hébraïque.  Cette  forme 
trahit  toujours  une  certaine  émotion  et  ne  se  rencontre  que 
dans  les  moments  d'une  solennité  particulière  (V,  37;  VI, 
35.  55.  50;  XII,  M).  Le  langage  devient  par  là  une  espèce 
de  chant.  —  Ce  passage  rappelle  celui  des  Synoj)tiques  où 
Jésus  proclame  la  déchéance  des  sages  et  des  intelligents , 
des  scribes  et  des  rabbins  de  Jérusalem,  et  célèbre  l'initia- 
tion des  petits  et  des  enfants,  de  ses  humbles  et  ignorants 
disciples,  à  la  connaissance  des  mystères  célestes  (Malth.XI; 
Luc  X).  —  Si  tel  est  le  sens  de  cette  parole,  n'est-il  pas 
naturel  d'admettre  que  Jésus  en  effet  n'était  pas  seul  en  ce 
moment  et  qu'en  parlant  de  la  sorte  il  ne  faisait  pas  seule- 


m;rxii:MK  cYr.i.i;.  —  chap.  mi.  m.  12.  4:21 

iiu-iit  alltisioii  à  6(;s  uiuis  iibsciils,  iiiai>  iju  il  (Icsii^nwil  ù 
Nicoili'iiir  lin  (lU  plusieurs  de  ses  disciples  présents  à  cet 
entretien?  —  Meyer,  N.  et  d'anlies  rap(»ortent  l'expression 
«  nous  ni'ons  vu  s»  à  la  connaissance  de  Christ  dans  son  état 
de  préexistence.  Si  l'explicalion  que  nous  venons  de  donner 
du  nou.t  est  fondée,  cette  opinion  est  coupée  par  la  racine. 
D'ailleuis,  elle  ne  s'accorde  pas  avec  les  mots:  a  Qui  est 
dans  /c  de/  »  (v.  13),  non  plus  «pi'avec  le  parallélisme  des 
deux  prDjiosllions  du  jtassage  Vlll,  38. 

Avant  de  dévoiler  à  Nicodème  ce  qu'il  sait  et  voit  des 
•  lioses  d'En-IIaut,  Jésus  lait  un  douloureux  retour  sur  la 
manièie  dont  on  a  accueilli  jusqu'ici  ses  divines  communi- 
cations :  <iEt  vous  ne  recevez  pas  notre  témoignage.  y>  Kat  a 
ici  la  nuance  :  et  pourtant,  comme  I,  10.  La  copule  fait  res- 
soilir  mieux  encore  que  ne  le  ferait  la  particule  xat-ci  (dont 
Jean  ne  se  sert  jamais)  la  contradiction  entre  des  choses 
qni  déviaient  s'exclure  et  qui  cependant  marchent  ensem- 
ble. —  Ce  rejiroche  de  Jésus  n'était  que  trop  bien  justifié, 
déjà  alors,  par  l'altitude  du  peuple  en  général  et  par  celle 
de  ses  chefs  en  particulier  (II,  12  et  suiv.).  Nicodème  avait 
é;té  désigné'  au  cummencement  du  récit  comme  l'un  des 
chefs  des  Juifs.  C'est  en  cette  qualité  (pie  Jésus  lui  dit  : 
«  Vous  ne  recevez  pas.  » 

V.  12.  «Si  je  vous  ai  dit  les  choses  terrestres,  et  que 
vous  ne  croyiez  pas  ,  comment  croirez-vous  si  je  viens 
à  vous'  dire  les  choses  célestes?»  —  Lorsque  l'on  dit  à 
quelqu'un  :  <iSi  tu  ne  cDiiipiends  pas  mon  enseignement  sur 
ce  point ,  comment  le  conqiiendras-tu  sur  cet  autre?»  cela 
suppose  ipie  l'on  a  été  interrogé  sur  ce  second  point  par 
celui  à  qui  on  répond  de  la  sorte.  Il  >uivrait  donc  de  là  que 


1 .  Le  second  uîjliv  manque  dans  K  H  K  7  Mnn.  ll'"'i-  et  quelques  aulres  Vsa. 
(ce  pourrait  bien  ôtre  ta  vraie  leçon). 


422  PRKMIKUK  PARTIK. 

Ift.  choses  crlcstt's  claiciil  telles  sur  k'sijiiclk's  Jésus  savait 
(|iu'  Ni<u(ièine  désirail  «'trr  éclairé  el  (Nmt  il  se  proposait 
(le  rinstniiie  en  ce  moim'iil  niéiiie.  Ces  choses  célestes  sont 
donc  les  décrets  divins  concernant  la  personne  du  Messie, 
ses  rapports  avec  la  divinité,  son  œuvre,  la  fondation  et 
le  développement  de  son  rèjjMie  et  la  gloire  jironiise  (v.  i:\- 
16).  Jésus  appelle  ces  choses  cHeslcs ,  non  (ju'elles  le 
fussent  d'après  la  manière  dont  Nicodème  les  concevait , 
mais  parce  tpi'elles  l'étaient  en  réalité  et  telles  qu'il  va  les 
lui  exposer.  Il  ressort  du  contraste  entre  les  verbes  «  si  je 
vous  ai  dit  »  et  «  si  je  vous  dis  >  que  Jésus  n'avait  point 
encore  parlé  publiquement  de  ce  qu'il  appelle  les  choses 
célestes.  Il  jtouvait  en  avoir  pailé  en  j)articulier  à  ses  disci- 
ples ,  mais  non  à  ceux  qu'il  désigne  ici  par  le  pron.  vous. 
Cet  entretien  avec  Nicodème  est  donc  la  première  comnni- 
nication  dé  Jésus  sur  la  vraie  nature  du  royaume  messia- 
nique et  sur  le  mode  du  salut  de  l'humanité,  en  dehors  du 
cercle  le  plus  intime.  —  Sur  quels  sujets  avait  donc  porté 
jus(iu"alors  son  enseignement  j)ublic?  Sur  les  choses  qu'il 
appelle  tcireslrcs.  Les  choses  terrestres  ne  peuvent  désigner 
ici  des  choses  de  nature  terrestre  ;  Jésus  ne  s'occupe  pas 
de  ce  domaine.  Ce  sont  donc  des  choses  qui ,  toutes  spiri- 
tuelles qu'elles  sont ,  se  passent  sur  la  terre,  par  exemple, 
pour  ne  pas  sortir  du  contexte,  tout  ce  que  Jésus  vient  de 
déclarer  à  Nicodème  sin-  l'état  charnel  de  l'homme  naturel 
et  la  nécessité  d'une  transformation  radicale  par  l'œuvre  du 
Saint-Es[)rit.  Mais  il  est  impossible  d'en  rester  à  cette  ap- 
[dication.  Car  Jésus  ne  dit  pas  :  t  si  je  <'ai  dit,  »  mais  «  si  je 
vom  ai  dit.  »  Et  ce  mot  vous  prouvf  qur  Jésus  pense  non 
point  seulement  à  l'entretien  (ju'il  vient  d'avoir,  mais  en 
général  à  tous  les  enseignements  qu'il  avait  donnés  jusqu'a- 
lors. H  appelle  terrestres  les  choses  dont  il  a  pailé  jusqu'à 
ce  moment-là,  sans  doute  piiK  <•  que,  comme  celles  dont  il 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  III,   12.  423 

voiiail  (riiislniire  Nicodème,  elles  se  lapporlaient  à  des  faits 
moraux,  renliaiit  dans  ]r.  doiiiaine  de  la  (.onscifiicc  hu- 
maine ,  aux  besoins  relij^^ieux  naturels  de  riiunianilé  ,  aux 
expériences  intimes  d'un  cœur  pieux.  Pour  comprendre  ce 
(jue  Jésus  entend  \kiv  les  choses  terrestres,  il  suffît  de  se 
rappeler  ses  premieis  enseignements,  tels  qu'ils  nous  sont 
rapportés  i)ar  les  Synoptiques,  le  Sermon  sur  la  montagne, 
par  exemple,  et  de  comparer  ces  prédications  avec  les 
révélations  qui  vont  suivre  dans  l'entretien  avec  Nicodème 
et  dans  notre  évangile.  Le  résumé  de  ces  premiers  en- 
seignements est  celui  que  donne  Marc  lui-même  I,  15  : 
«.Hepentei-vous  et  croyez  à  l'évangile,  car  le  royaume  des 
deux  est  proche.  »  C'était  la  continuation  et  le  développe- 
ment des  prédications  du  Baptiste.  L'entretien  avec  Nico- 
dème fut  donc  le  premier  pas  dans  un  domaine  que  Jésus 
n'avait  point  encore  abordé  dans  son  enseignement  j>uhlic. 
C'est  lui-même  qui  le  déclare  dans  notre  verset. 

D'après  l'explication  de  Lûcke,  que  paraît  partager  M.  Reuss 
{Hisl.  de  la  Ihéol.  chrél.  t.  H,  p.  ^S?) ,  les  choses  terrestres 
seraient  les  choses  faciles  à  comprendre ,  aisément  accessi- 
bles à  la  foi,  et  les  célestes,  les  plus  ditriciles,  «les  idées 
plus  élevées  de  l'Evangile  et  moins  accessibles  à  une  intel- 
ligence non  encore  éclairée  par  lui.  »  Ce  sens  est  vrai  comme 
conséquence;  il  est  impossible  de  le  justifier  comme  expli- 
cation. Aucun  exemple  ne  prouve  que  céleste  puisse  signifier 
difficile  ,  et  terrestre,  facile. 

Jésus  oppose,  dans  cette  parole  remarquable,  les  faits 
qui  se  passent  sur  le  tln-àtic  de  la  conscience  humaine ,  et 
qui  se  constatent  ()ar  lohservalion  de  soi-même ,  aux  con- 
seils et  aux  plans  divins.  Les  premiers  sont  accessibles 
à  toute  âme  dioite;  les  seconds  ne  peuvent  être  conmis 
qu'au  moyen  d'une  révélation.  Voici  donc  le  raisomiement 
de  Jésus  dans  ce  verset  :  «Si,  lorsque  je  vous  ai  enseigtii" 


^24  POEMIKIiK  1>ARTIK. 

des  choses  dinil  vous  ixitivicz  conslalci"  imi  voiis-iiirnics  la 
réalité,  V(Mis  iTavoz  pas  cru.  (•(Hiiiik'mI  nnircz-voiis,  quand 
je  rév«'^Irrai  les  soorots  du  riel  (pTil  raiidia  cioiic  imi(|ne- 
mont  sur  ma  parole?»  Là  du  nioius,  le  tiMiioij^naj^e  du  sens 
inlenie  pouvail  servir  d'appui  à  la  fui  ;  mais  ici,  lout  n^pose 
sur  la  couriancc  au  h'moigiiage  du  r(''V(''lalrMr.  Sa  paiole 
mise  en  doute,  réclielle  sm-  la(|U('ll('  l'Iionuue  eût  pu  s'é- 
lever au  ciel,  se  lii'i«'.  et  l'accès  aux  sccids  divins  lui  est  à 
jamais  fermé. 

Cette  parole  de  Jésus  a  une  i^rande  valeur  |M)in'  lapolo- 
fi^étique  chrétienne.  Elle  doit  lui  apprendie  à  placer  le  point 
d'ajtpui  de  la  foi  dans  celles  des  déclarations  de  TKvangile 
qui  se  rallaclicnl  iuuiiédiafemeni  aux  laits  de  la  conscience 
humaine,  aux  besoins  moraux  de  lïmie.  La  vi'racilé  du  lé- 
moin  une  fois  constatée  dans  ce  domaine  où  elle  peut  être 
contrôlée  par  chacun,  elle  est  déjà  à  moitié  démontrée  rela- 
tivemeul  à  celles  i\o^  dt'-claralions  évanj^é'liijues  (pu'  se  l'ap- 
portent au  domaine  purement  divin.  Elle  le  sera  complète- 
ment, dès  qu'il  sera  reconnu  que  ces  deux  parties,  humaine 
et  flivine,  de  l'Evang-de  ,  se  réjiondenl  et  s'adaj)lent  l'une  à 
l'aulie  connue  les  deux  parties  d'un  tout,  et  que  les  hcsoin.s 
constatés  par  l'une  trouvent  leur  pleine  satisfaction  dans  les 
conseils  suprêmes  révéh'-s  par  I "autre.  Mais  celui  i|ui  déjà  se 
permet  de  faire  i\  du  «charmant  docteur»  des  premiers 
jours,  comment  se  tiouverait-il  disposé  à  accueillir  les  ora- 
cles du  pontife  céleste  dans  les  temps  qui  ont  suivi?  —  Re- 
marquons encoie  (jue  Jésus  distin;i;-ue  ici  et  s'attribue  lui- 
même  deux  modes  d'enseignement  complètement  ditïérents, 
dont  l'un  se  meut  dans  le  domaine  simplement  moral  et 
humain,  taudis  que  l'autre  s'élève  à  une  s|)hère  divine  et 
essenliellenieni  religieu.se.  Bien  loin  de  s'exclure,  daii.s  la 
pensée  de  Jé.sus,  ces  deux  enseignements  se  réclament 
mutuellement  et  se  confirment.  Qui  ne  reconnaîtrait   ici  h; 


DKUXIÈMK  CYCLE.  —  CIIAP.  III,  \i.   V.\.  i55 

fJoublo  caractère  tics  enseignements  connus  de  Jésus ,  de 
ceux  qui  nous  sont  liansmis  par  les  Synoj)li(jues  et  de  ceux 
qui  nous  ont  été  conservés  par  Jean  ?  Dans  celte  parole  re- 
marquable se  trouve  en  (|uel(]ue  sorte  formulée  par  Jésus 
lui-même  la  solution  du  contraste,  si  souvent  déclaré  in- 
conciliable, entre  le  Clirist  du  (]iialriènie  (''van.sile  et  celui 
des  trois  autres. 

V.  13.  «Et  personne  n'est  monté  au  ciel,  que  celui  qui 
est  descendu  du  ciel,  le  Fils  de  l'homme  qui  est  dans  le 
ciel*.»  —  L'idée  intermédiaire  entre  les  v.  12  et  13  est 
celle-ci:  «Et  pourtant,  sans  foi  à  mon  témoignage,  point 
d'accès  pour  vous  aux  cboses  célestes.  »  Le  v.  12  :  «  Coni- 
ment  crolrez-vons?  )•>  reposait  sur  le  sentiment  de  la  néces- 
sité de  la  foi.  Le  v.  13  sert  à  justifier  ce  sentiment.  Olsliau- 
sen,  de  Wette ,  Liicke ,  Luthardt,  Meyer,  trouvent  dans  le 
V.  13  la  preuve  de  la  nécessité  d'une  révélation.  Mais  cette 
thèse  serait  purement  théorétiqiie,  et  elle  ne  se  rattache- 
rail  (piindirectement  au  v.  12. 

Le  sens  général  de  cette  parole  profonde  est  celui-ci: 
«  Personne  ne  vit  sur  les  hauteurs  inaccessibles  du  ciel ,  de 
manière  à  pouvoir  vous  en  parler  de  visu ,  que  celui  qui  en 
est  descendu  pour  vivre  et  converser  avec  vous,  et  qui  en 
même  temps  y  demeure  toujours.  » 

La  première  proposition  pourrait  s'ex[»liquer  sans  rap- 
porter à  Jésus  pers(jnnellem('ut  l'idée  de  monter  au  ciel.  Il 
faudiail  entendie  :  «  Personne  n'est  monté  au  ciel  (et  n'y  est, 
de  manière  à  le  révéler),  sinon  le  Fils  de  l'hanwie. ...»  Il 
faudrait  raj)porler  l'exception  »,(  sinon  »  non  à  l'idée  spéciale 
de  monter,  mais  en  g('U(''ral  à  la  notion  d'être  dans  le  ciel 
et  de  Je  révéler.  Voy.  un  emploi  semblable  de  se  [xt)  Mattb. 
XII ,  4  ;  Lue  IV,  26.  27  .  etc.  C'est  le  sens  de  Meyer.  Néan- 


1 .  N  B  L  Or.  (1  fois)  omcffont  les  dorniers  mots  o  wv  ev  tu  oopavu. 


A'iV}  PRKMiftRK  PARTIK. 

moins,  le  sons  naliirel  osl  (rn|i|tliqiicr  ridée  de  monter  ii 
Jésus  lui  -  nuMiu'  ;  sculcincul ,  il  ne  Hiut  |>;is  [)cnsor  ici  à 
1  Ascc'usitin  ,  dans  le  sens  d  Augusiin  ,  Tli(''tij)liyla(te,  l]en{j;ei, 
etc.:  t  Personne  n'est  nionlc  au  ciel  (et  n'y  montera  jamais), 
si  ce  n'est ...»  Il  faudrait  ,  dans  ce  sens,  l'aoriste.  Il  n'est 
pas  non  plus  nf'cessaiic  d'admettre ,  avec  les  Sociuiens ,  un 
enlèvement  de  Jésus  dans  le  ciel,  jiar  lequel  il  aurait  été, 
durant  sa  vie ,  initié  aux  mystères  divins.  Il  suffit  de  se  rap- 
peler (juc  tout  Ir  développement  de  Jésus  s'était  opéré  dans 
la  communion  avec  Dieu,  que,  dès  sa  naissance,  sa  vie 
avait  été  une  initiation  croissante  aux  secrets  divins,  et  qu'à 
son  baptême ,  le  ciel  lui  avait  é'té  rouvert  et  sa  conscience 
de  fils  éternel  rendue.  Le  ciel  est  un  état  avant  d'être  un 
lieu  ;  c'est  essentiellement  la  comnninion  avec  Dieu ,  la 
vue  de  Dieu  et  de  toutes  choses  en  Dieu,  l'intuition  de  l'es- 
sence spirituelle  des  choses  et  la  possession  des  vertus 
suprêmes  qui  découlent  de  cette  connaissance.  Subsidiaire- 
ment  sans  doute,  le  mol  ciel  prend  aussi  un  sens  local; 
car  cet  étal  de  choses  spirituel  se  réalise  de  la  manière  la 
plus  parfaite  dans  une  sphère  (juelconque  de  l'univers  qui 
resplendit  de  toute  la  gloire  de  la  manifestation  de  Dieu.  Le 
sens  purement  moral  du  mot  ciel  règne  dans  la  première 
et  dans  la  troisième  proposition  ;  le  sens  local  doit  y  être 
ajouté  dans  la  seconde.  —  Il  ne  faut  pas  confondre  le  parf. 
àva^E^Tjxev  avec  l'aoriste  ;  le  sens  est  :  «  Peisonne  ne  se 
trouve  actuellement  dans  la  situation  d'un  homme  qui  est 
monté ,  que  le  Fils  de  l'homme.»  Lui  seul,  par  conséquent, 
jouit  de  la  connaissance  immédiate  des  choses  divines  et 
peut  les  rév(''ler  à  d'autres. 

Mais  en  vertu  de  quoi  Jésus  est-il  admis  à  un  tel. privi- 
lège ?  C'est  que  le  ciel  est  sa  patrie  primitive.  Seul  il  a  pu 
y  monter,  parce  que  seul  il  en  est  descendu.  Jésus  révèle 
ici  à  Nicodème  la  vraie  nature  et  la  vraie  origine  du  Messie. 


DEUXIÈME  CYCI.K.  —  CIIAF».   III,    IH.  427 

Descendre  du  ciel  ne  peut  ilrsij^iicr  imiijucment  la  mission; 
le  mol  descendre  est  Irop  foiL  jjuiii'  cela  :  il  a  évidemment 
Irait  à  riiicaiiialiuii.  Il  indique  le  renoncement  à  une  posi- 
tion supérieure  et  l'entrée  dans  un  élal  moindre,  et  impli- 
que par  conséquent  la  préexistence ,  et  la  préexistence  sous 
la  forme  la  plus  glorieuse.  —  Le  terme  Fils  de  l'homme 
fuit  ressortir  la  réalité  et  la  profondeur  de  cet  abaissement 
du  céleste  révélateur.  Afin  de  pouvoir  communiquer  avec 
les  liommes  el  les  instruire  des  choses  célestes ,  il  s'est  fait 
en  plein  leur  semblable. 

Les  derniers  mots  :  «  Qui  est  dans  le  ciel,  »  sont  main- 
tenus dans  le  texte  par  Meyer  et  Tischendorf ,  malgré  les 
alexandrins  ;  et  avec  raison.  Le  retranchement  peut  être 
lelfet  d'une  omission  accidentelle  ou  provenir  de  la  diffi- 
culté de  les  conciliei'  avec  la  proposition  précédente;  on  ne 
peut  d'aucune  manière  s'en  expliquer  l'adjonction.  L'idée 
qu'ils  expriment ,  celle  de  la  présence  actuelle  de  Christ 
dans  le  ciel,  était  déjà  impliquée  dans  le  parf.  àvapé^ifixev 
bien  compris;  mais  Jésus  la  fait  ressortir  plus  expressément, 
en  terminant.  Il  est  évident  que  cette  présence  est  pure- 
ment spirituelle  et  nullement  locale  ;  autrement ,  elle  serait 
inconciliable  avec  l'idée  précédente  :  aQui  est  descendu  du 
ciel.  »  C'est  ici  la  pensée  qui  justifie  en  plein  la  qualité  de 
révélateur  des  choses  célestes  que  vient  de  s'attribuer  Jésus  : 
il  peut  révéler  le  ciel  ;  car,  tout  en  étant  descendu  du  ciel, 
il  y  vit  incessamment. 

Le  Seigneur  menait  donc  parallèlement  deux  vies ,  non 
point,  à  parler  exactement,  une  vie  divine  et  une  vie  hu- 
maine ,  mais  une  vie  terrestie  et  une  vie  céleste.  Il  vivait 
de  son  Père,  comme  l'homme,  de  l'aliment  qui  le  soutient; 
c'était  là  sa  vie  céleste.  Et,  en  se  nourrissant  ainsi  du  Père, 
il  se  (loiinail  lui-même  aux  hommes  comme  le  pain  de  vie; 
c'était  là  sa  vie  terrestre.  Le  langage  propre  de  Jésus,  el 


4:2^  PHKMIKUK   l'AllTIK. 

livs  -  |);irli(iilii''r('iii(,'ul   l:i  luiiiif  di'  iii  paiiihole ,  .s'ox|ili(]iie 
|)ar  crilc  siinnlliiiicit)-. 

Ou('l(|iii's  interjtrètes  oui  l'iUcikIii  c  wv  (hins  le  sens  de 
qvi  ctttlt  (avant  l'incarnalion),  ou  môme  aussi  dans  celui  de 
qui  .srra  (depuis  l'Ascension).  Ces  deux  sens  sont  ^laninia- 
tiralt'int'iil  inadmissililes.  Onnnl  au  second,  cela  est  t'vident. 
Le  preinicr  est  exclu  |>ar  Tarticle  et  la  relation  avec  un  par- 
fait (àvapépifjxev).  Pour  exprimer  cette  idée ,  il  eût  fallu  ici 
ia  périphrase  Içiyj  (qui  était).  Liicke  voit  dons  o  wiv  un  pré- 
sent jterpétuel  comnu!  1 ,  18.  Cette  idée  est  vraie  en  soi  ; 
car,  malg-ré  son  incarnation,  Jésus  n'est  jamais  sorti  du 
royaume  céleste  ;  mais  ,  dans  la  relation  de  ce  participe  aux 
deux  actes  de  nionlrr  ei  de  descendre,  l'idée  du  moment 
présent  flans  toute  sa  simplicité  doit  dominer.  —  Encore 
ici ,  M(  ver  pense  que  Jésus  expli(|ue  la  connaissance  qu'il  a 
des  choses  divines  par  sa  préexi.stence.  Cette  idée  n'est  con- 
ciliable  avec  le  verbe  est  monté  qu  en  niant  toute  application 
de  cette  notion  à  Jésus  (voir  plus  haut),  ce  qui  est  peu  na- 
tur<'l.  La  connaissance  supérieure  de  Jésus  est  bien  plutôt 
présentée  ici  conjme  le  résultat  d'une  initiation  (est  monté), 
postérieure  à  l'incarnation  (qvi  est  descendu),  mais  en  rela- 
tion intime  avec  ce  fait. 

Jésus  est  donc  l'unique  révélateur  des  choses  célestes, 
parce  qu'en  confornuté  à  son  origine  céleste,  quoique 
marchant  sur  la  terre,  il  a  été  réintégré  dans  le  ciel,  et 
il  y  vit.  C'est  là  le  premier  des  secrets  divins  que  Jésus 
avait  à  communiquer  à  Nicodème  :  l'incarnation.  Le  second, 
c'est  la  fondation  du  royaume  par  la  mort  ignominieuse 
du  Messie,  le  [irodige  de  l'amour  divin  envers  le  monde: 
V.  14-10. 

V.  14  et  15.  <'■  Et  comme  Moise  éleva  le  serpent  dans  le 
désert,  c'est  ainsi  qu'il  faut  que  le  Fils  de  l'homme  soit 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAF'.   III,   i:{-l5.  iSO 

élevé,  ir>  afin  que  quiconque  croit  en  lui'  ne  périsse 
point,  mais*  qu'il  ait  la  vie  éternelle."  —  I.cs  inlcriirètcs 
(loiiiKMil  (le  x.a-'  (les  l'xplicalioiis  pins  ou  moins  forcées. 
Lncko  :  «v.  11-13  :  Je  puis  révéler;  v.  li-lfi  :  Et  je  le  dois.  » 
Olslitiuseii  :  «  .h'  ne  donne  pas  seulement  ma  pai'ole,  mais 
ma  peisonue.  »  De  Welle  :  «  Jésus  passe  du  théorélique  au 
prali(pie.  «  Meyer,  Liilliaidl  :  <(  Il  a  parlé  de  la  nécessité  de 
la  lui  ;  il  jiarle  maintenant  de  sa  donceur.»  Tout  cela  paraît 
assez  aitiliciel.  Dès  (jimI  est  admis  que  Nicodéme  voulait 
connaître  les  secrets  du  royaume,  et  que  Jésus  répond  ici 
à  son  désir,  la  liaison  est  toute  simple  :  Jésus  les  lui  expose 
successivement  dans  leur  ordre  naturel  et  chronologique. 
Ce  xat  ex[uime  donc,  d'une  manière  tout  à  fait  générale , 
la  liaison  entre  le  conseil  divin  de  l'incarnation  (v.  13)  et 
celui  de  la  Rédemplion  (v.  14  et  15). 

L'idée  centrale  de  ce  verset  est  celle  de  l'élévation  du 
Mes.sie.  On  a  donné  trois  explications  principales  dumotuvpo- 
OTjva'. ,  cire  élevé.  On  l'a  aj)pliqué  soit  à  la  gloire  spirituelle 
de  Jésus  dans  le  cœur  des  hommes,  obtenue  par  le  moyen 
de  ses  soufirances  (Paulus),  soit  à  son  élévation  réelle  dans 
la  gloire  divine  cà  travers  la  mort  (Bleek),  soit  à  sa  suspen- 
sion matérielle  siu-  la  croix  :  c'est  l'interprétation  générale- 
ment reçue.  Dans  le  premier  sens,  Jésus  eût  nécessairement 
dû  employer  le  terme  plus  spirituel  So^aaOTJvat,  être  glorifié. 
Dans  le  second,  ce  terme  eût  également  mieux  convenu. 
La  comparaison  avec  l'érection  du  serpent,  qui  n'avait  certes 
rien  de  glorieux,  le  sens  naturellement  matériel  du  motuvpo- 
ô^vat,  sa  relation  avec  le  terme  araméen  correspondant  P]pr, 

qui  est  applirpié  à  la  suspension  des  malfaiteurs,  décident 

1.  Ail  lieu  de  v.:,  auTov  que  lit  T.  R.  avec  12  Mjj.  (parmi  lesquels  N) 
presque  tous  les  Muu.  I(p'""i"«  Vg.  Chrys.,  ou  lit  daus  A  nz'  auTov,  daus 
L  e:i'  auTO),  dans  B  c  ara.  tv  aurto. 

2.  N  B  L  quelques  .Mnu   Syr""  If''»  omettcut  (it)  azoÀrjai  aXX'. 


WO  PREMlf:nE  PARTIK. 

en  faveur  du  Iroisièine  sens.  SouI«'mont ,  si  l'on  tirnt  compte 
(lu  rapport  do  co[\o  expression  aux  idées  de  l'interlorultHir, 
on  ne  iiourra  y  méeonnaîlre  une  cerlaine  ainpliihologie  el 
même  une  teinte  d'ironie  ;  et  nous  serons  ainsi  ramenés  au 
second  sens,  que  nous  venons  d'écarter  comme  sens  direct. 
Pour  sentir  cette  nuame  ,  il  faut  lire  ce  passaj,^'  en  faisant 
ressortir  fortement  le  mot  cjtu;,  ainsi ,  c'est  ainsi  que.  A  la 
jrloire  imaginaire  du  Messie ,  dont  se  repaissait  d'avance 
lorgueil  des  Juifs  ,  Jésus  oppose  la  réalité ,  l'élévation  en 
croix,  connue  la  forme,  (trdonnée  de  Dieu,  de  l'cxaltatitm  du 
Messie  :  «  Comme  Moïse  éleva  le  ser|)ent . . . ,  c'est  ainsi  — 
et  non  comme  un  nouveau  Salomon  —  que  doit  être  élevé 
le  Christ.  >  Et  pourtant,  cette  suspension  ig-nominieuse  doit 
conduire  .i  une  élévation  plus  glorieuse  encore  que  celle 
qtie  rêve  Nicodème.  Cette  croix  est  pour  le  Fils  de  l'iioiiime 
le  degré  non-seulement  du  trône  de  David,  mais  de  celui 
de  Dieu.  Tel  est  le  plein  sens  de  ce  mot  :  être  élevé.  Celui 
qui  se  refuse  à  suivre  la  pensée  de  Jésus  dans  cette  opéra- 
tion rapide  qui  rapj)rorhc  instantanément  les  plus  grands 
contrastes\  n'en  comprendia  jamais  la  profondeur  el  la 
richesse.  Nous  retrouvons  ici  le  même  caractère  énigma- 
tique  que  11 .10.  —  Le  fait  raconté  Nomh.  XXI,  9  est  l'un 
des  plus  étonnants  de  l'histoire  sainte.  Trois  traits  distin- 
guent ce  mode  de  délivrance  de  tous  les  autres  miracles 
analogues  :  1"  C'est  le  fléau  lui  -  même  qui ,  représenté 
comme  vaincu  et  impuissant  par  son  exposition  au  haut 
d'une  perche,  devient  le  moyen  de  sa  propre  défaite. 
2"  Celle  exposition  a  heu ,  non  dans  un  exemplaire  réel  — 
la  suspension  d'un  serpent  n'eût  proclamé  que  sa  défaite 
particnlière  —  mais  dans  un  symbole  qui  a  la  propriété  de 
/eprésenter  l'espèce  entière.  3"  Ce  moyen  n'agit  que  par 
l'intermédiaire  d'un  acte  moral,  le  regard  individuel  de 
rliaque  blessé.  .Ajoutons  que  le  fléau  se  présentait,  dans  ce 


DKI'XIKMK  CYCLE.  —  CHAP.  III,   14.  15.  131 

cas  niii(|ii(',  sons  lii  Ibriiu'  du  soi|i('iil  ,  rciiililrmc  |)(;niia- 
iKMil  du  mal  dès  loiij^iiR'.  Jésus  dt-claie  à  NicudèiiR'  (jiic  sa 
|iiocliaiiie  élévation  sera  df  même  nature.  Il  ariivera  donc 
(juc  le  mal  (|ui  cuiisume  riiiimauih' ,  le  péché,  sera  exposé 
pnl)li(juemeiit  cumiiu!  vaincu  el  réduit  à  limpuissance ;  (ju'il 
le  seia,  non  dans  un  pécheur  réel  —  ce  spectacle  ne  rej)ré- 
senterait  que  la  condanmalion  particulière  de  cet  individu 
—  mais  dans  un  vivant  sinudacre  représentant  le  péché  du 
monde,  le  Messie  lui-même;  et  enfin  que  le  regard  de  la 
foi  sur  ce  Fils  de  l'homme  fait  péché  (2  Cor.  V,  21)  pour 
tous,  sera  le  moyen  de  sauver  les  pécheurs.  C'est  ainsi  que 
se  fondera  le  royaume.  C'est  là  le  second  sTrcupàvicv.  — 
Quel  renversement  complet  du  programme  messianique  de 
Nicodème  !  Cette  manière  de  rectifier  ses  idées  au  moyen 
d'un  type  de  l'Ancien  Testament  était  hien  en  place;  comme 
docteur  de  la  loi,  Nicodème  était  préparé  à  recevoir  un  tel 
enseignement. 

ft  Jl  faut,  »  dit  Jésus  :  d'abord  ,  pour  l'accomplissement 
des  prophéties  ;  puis,  pour  celui  du  décret  divin  dont  les 
jtrophéties  n'étaient  qu'une  émanation  (Ilengstenberg)  ; 
ajoutons  enfin  :  et  pour  la  satisfaction  des  nécessités  morales, 
connues  de  Dieu  seul,  d'où  résulte  ce  décret  lui-même.  — 
La  dénomination  de  Fils  de  l'homme  est,  ici  comme  au 
v.  13,  choisie  avec  une  intention  marquée.  C'est  sur  l'ho- 
mogénéité complète  de  sa  nature  avec  la  nôtre,  que  repose 
la  possibilité  de  la  sidjstitulion  mystérieuse  annoncée  dans 
cette  parole. 

La  foi  est  présentée  dans  le  v.  15  comme  l'acte  qui  cor- 
respond au  regard  de  l'Israélite  mourant.  La  vie  éternelle 
répond  à  la  santé  rendue  au  blessé-.  On  voit  ici  (jue  la  foi 
au  révélateur  réclamée  v.  12-13  ne  sauve  qu'en  devenant 
la  foi  au  Rédempteur,  objet  suprême  de  la  révélation.  — 
llâc  0,  quiconque,  étend  lapplicalion  de  l'antilype  à  l'hu- 


434  J'flEMIKMK  l'ARTIK. 

niaiiilc  loiil  ciiliùrc  (^4?),  loul  en  iii(livi(lii;ili.saiil  «'iicrgiqiie- 
nu'iil  1  ack!  tic  la  foi  {h).  —  La  leçon  du  T.  U.  (st;  aùxov) 
esl  ct'llo  (jiii  convient  le  mieux  au  conlexte;  elle  se  rallache 
nalurellenienl  au  type  du  ser|t(iil  diiiriiiii  :  h»  foi  regarde  à 
son  objet.  C'est  égalenu'ut  la  leçon  (|u  on  doil  envisager 
connue  la  mieux  a|)|»uy«''e ,  si  l'on  considère  comment  les 
documents  alexandrins  se  conti'ediscMit  enire  eux.  Poui'  sai- 
sii'  lalléralion  graduelle  ,  il  sullil  dr  i aiigcr  les  Irois  leçons 
comme  nous  l'avons  fait  dans  la  noie.  —  Meyer  pense  que 
les  mots  eux  àTccX-rjtai,  àXX'  {ne  périsse  point,  mais),  qui 
nian((iienl  dans  les  alexandrins,  ont  été  importés  ici  du 
V.  10.  Il  me  paraît  plutôt  qu'ils  ont  été  omis  par  erreur 
dans  ces  Mss.  La  répétition  identique  des  mêmes  mots  à  la 
fin  des  V.  15  et  10  a  un  caractère  rhytlnui(|ue  qui  convient  à 
l'élévation  du  sentiment  et  de  la  pensée  dans  ces  paroles 
du  Seigneur.  —  Il  faut  remarquer  le  contraste  entre  le  prés. 
6X73  ^^  l'aor.  aTccX-ïj-cat.  Le  premiei'  annonce  un  don  immé- 
diat et  permanent;  le  second  signale  une  éventualité  redou- 
table. 

De  Wette  se  demande  si  une  communication  aussi  ob- 
scure sur  un  fait  encore  aussi  éloigné  que  la  mort  de  Christ 
a  pu  être  conforme  à  la  sagesse  pédagogique  de  Jésus.  Mais 
il  oublie  que  cette  sagesse  consistait  tout  aussi  souvent  à 
domier  des  é-nigmes  qu'à  en  lésoudre  (II,  19).  C'est  sans 
doute  par  l'efTet  de  cette  prophétie  que  l'heure  où  Nicodème 
vit  Jésus  suspendu  à  la  croix,  au  lieu  d'être  pour  lui,  comme 
pour  tant  d'autres,  l'heure  de  riiifidélilé  et  du  désespoir, 
fut  le  signal  qui  lit  éclater  au  dehors  sa  foi  longtemps  com- 
primée (XIX,  39). 

V.  16.  Jésus  s'élève  de  degré  en  degré  (outoç....  outoç, 
ainsi....  tellement)  îuaqyKt  dans  les  hauteurs  des  cieux.  «Car 
Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique, 
a&n  que  quiconque  croit  en  lui  ne  périsse  point,  mais 


lUCl'XIÈME  CYCLE.  —  CHAP.   IH,   1".    \t<.  iSo 

qu'il  ait  la  vie  éternelle.  »  —  C'est  ici  r&TCCjçav.cv  prir  cx- 
CL'Ilciici:;  Jésus  rciiiuiilc  jusqu'à  la  source  suitrèmc  d'où  est 
«îmané  le  décret  de  la  liédemption,  l'amour  divin.  Le  monde, 
cette  liuniaiiih'  ii;ilurelle  dont  Dieu,  dans  l'Ancien  Testa- 
ment, avait  laisst'  la  plus  grande  partie  en  dehors  de  son 
gouvernement  théoeratique ,  dont  les  pharisiens  vouaient  la 
presque  totalité  à  la  colère  et  au  jugement,  Jésus  le  présente 
aux  yeux  de  Nicodème  comme  l'objet  de  l'amour  divin  le 
plus  infini  :  a  Dieu  a  tellement  aimé  le  monde....  y>  L'effet  de 
cet  amour,  c'est  l'envoi  et  le  don  du  Sauveur.  Le  terme  em- 
ployé ici  n'est  plus  celui  de  Fils  de  l'homme,  comme  aux 
v.  13  et  1  i;  c'est  le  titre  de  Fils  unique.  Il  ne  s'agit  plus, 
en  effet,  de  signaler  l'homogénéité  de  ce  personnage  avec 
la  race  humaine,  mais  de  faire  éclater  l'immensité  de  l'a- 
mour divin  envers  le  monde.  Pour  cela,  il  faut  un  titre  qui 
caractérise  ce  que  le  Sauveur  du  monde  est  pour  le  cœur 
de  Dieu  lui-même.  Dans  l'Ancien  Testament,  il  était  arrivé 
une  fois  que  l'homme  avait  offert  à  Dieu  son  fils  unique; 
Dieu  n'est  point  resté  en  arrière  avec  sa  créature  :  il  a  voulu 
faire  un  don  de  même  nature.  —  Le  mot  donner  renferme 
certainement,  dans  ce  contexte  surtout,  plus  que  l'idée  d'en- 
voi :  il  exprime  l'abandon  complet,  le  don  poussé,  s'il  le 
faut,  jusqu'aux  dernières  hmiles,  jusqu'au  sacrifice.  —  Il  y 
a,  comme  nous  l'avons  déjii  fait  remarquer,  une  solennité 
particulière  dans  la  répétition  des  paroles  du  v.  15  à  la  fin 
(lu  V.  16.  Ces  mots  ressemblent  au  refrain  d'un  cantique. 
C'est  un  cri  de  triomphe  poussé  deux  fois  par  le  vainqueur. 
L'universahté  du  salut  {quiconque) ,  la  facilité  du  moyen 
{croit),  la  grandeur  du  mal  prévenu  {ne  périsse  point),  Vin- 
fini,  en  excellence  et  en  durée,  du  bien  accordé  {la  vie  éter- 
nelle) :  toutes  ces  notions  célestes,  complètement  nouvelles 
pour  Nicodème,  se  pressent  dans  cette  période,  qui  cou- 
ronne magniliquement  l'exposition  du  salut  messianique'.  — 
1.  -2H 


434  PREMIERE  PARTIE. 

On  voit  par  co  passa^jr  (]\u\  d'après  saint  Jean,  Jésus  atlri- 
l)uo  la  Hôdeinplion  à  TaintMir  divin  coinnie  à  sa  cause  j»re- 
niière.  C'est  également  l'enseignement  de  saint  Paul  :  a  Tout 
cela  viaU  de  Dieu,  qui  nous  a  reconciliés  avec  lui-mcnie 
pat'  Jt'sus-CliristJt  (!2  Cor.  V,  18).  Ces  deux  apôtres  ne  se 
contredisent  donc  pas  plus  sur  ce  point  que  sur  tout  autre. 
Le  pardon  n'est  iiulh-mcnt  arraché  au  Père  par  le  Fils,  ni 
d'après  l'un,  ni  d'après  l'autre,  ni  d'après  le  Maîtie  lui- 
même.  C'est  du  Père  que  part  if  salut.  Mais  cet  amour  de 
Dieu  poui"  le  monde  pécheur  n'est  j)uinl  en  coniradiclion 
avec  sa  colère  qui  le  menace  de  perdition.  Ce  n'est  point 
l'amour  de  communion  dont  Dieu  enveloppe  le  pécheur  par- 
donné et  redevenu  son  enfant;  c'est  un  amour  de  compas- 
sion, semhlahle  à  celui  (ju'on  éprouve  pour  des  malheureux 
ou  des  ennemis,  un  amour  dont  l'intensité  résulte  de  la 
grandeur  même  du  châtiment  susj)endu  sur  le  pécheur  per- 
sévérant. Ainsi  se  lient  élioitemenl  les  deux  idées  qui  for- 
ment le  commencement  et  la  fin  du  verset  :  l'amour  divin  et 
la  perdition  imminente. 

Plusicuis  théologiens,  à  partir  d'Érasme,  ont  supposé  que 
i'iiitretien  de  Jésus  et  de  Nicodème  finit  avec  le  v.  15  et  que, 
dés  le  V,  16,  c'est  l'évangéliste  qui  parle,  commentant  par 
ses  propres  réflexions  les  paroles  de  son  Maître.  Cette  opi- 
nion, adoptée  par  ïholuck  et  OIshausen,  s'appuie  principa- 
lement sur  les  passés  •tiya.Tzr^aa.v  et  •^v  v.  19,  qui  semhlent 
être  l'indice  d'un  temps  bien  plus  avancé  que  celui  où  Jésus 
s'entretenait  avec  Nicodème,  sur  l'expression  [xovoYevïjç,  que 
l'on  prétend  appartenir  au  langage  de  Jean,  non  à  celui  de 
Jésus,  enfin,  sur  ce  que,  dès  ce  monient,  la  forme  de  dia- 
logue cesse  complètement.  On  pourrait,  à  ce  point  de  vue, 
envisager  le  yap  «lu  v.  IG  comme  destiné  à  introduire  les 
explications  de  Jean  ;  et  la  répétition  dans  ce  même  verset 
des  paroles  du  v.  15  serait  comme  l'amen  du  disciple  à  la 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI'.  111,  16.  435 

(Ircinration  du  Maîlic.  Tj-lle  opinion  n'est  donc  pas  d^'niiée 
d(.'  toulc  viaiscnihlancc.  C(.'p<'iidant,  le  yàç  seiail-il  un  indice 
suflisaninient  acccnUié  du  passage  de  l'enseignement  de 
Jésus  au  commentaire  de  Jean?  L'auteur  n'eût -il  pas  dû 
maicpier  j)lus  distinctement  cette  transition  importante? 
D'ailleurs,  le  mouvement  qui  emporte  Jésus  depuis  le  v.  13 
n'est  point  épuisé  avec  le  v.  15.  L'exaltation  croissante  du 
sentiment,  avec  laquelle  il  présente  successivement  aux  re- 
gards de  Nicodème  les  plus  grands  prodiges  de  la  charité 
divine,  l'incarnation  (v.  iS) ,  la  Rédemption  (v.  14.  15),  ne 
peut  cesser  ainsi  tout  court;  elle  doit  le  pousser  à  remonter 
jiisiju'au  principe  suprême  d'où  découlent  ces  dons  inouïs, 
jusqu'à  la  charité  infinie  du  Père.  Rendre  gloire  à  Dieu,  c'est 
le  terme  auquel  tend  constamment  le  cœur  de  Jésus.  Enfin, 
est-il  probable  qu'il  eût  renvoyé  sèchement  Nicodème,  après 
les  paroles  du  v.  15,  sans  lui  faire  entrevoir  la  cause  et  les 
conséquences  de  l'incrédulité  qu'il  venait  de  reprocher  au 
corps  auquel  il  appartenait,  et  sans  lui  adresser  une  parole 
d'encouragement  personnel?  Serait-ce  bien  là  l'alTectueuse 
sympathie  d'un  cœur  véritablement  humain?  Jésus  ne  nous 
ft  rail -il  pas  plutôt  dans  ce  cas  l'efTet  d'un  froid  catéchiste? 
—  Les  difficultés  qui  ont  donné  lieu  à  l'opinion  que  nous 
combattons,  ne  sont  pas  si  difficiles  à  résoudre.  Les  passés 
du  V.  19  se  justifient  sufiisamment  par  l'altitude  froide  et 
même  hostile  déjà  prise  à  ce  moment-là  par  la  nation  repré- 
sentée dans  ses  chefs.  Comp.  II,  19  :  i Abattez  ce  Temple,)) 
ci  \c  \.  \]  :  <i  Et  vous  ne  recevez  pas  notre  témoignage.  >^  De 
ce  que  l'expression  (xcvcYevi)-  se  trouve  deux  fois  dans  le 
prologue  et  une  fois  dans  la  première  épître  de  Jean,  mais 
jamais  dans  les  autres  discours  de  Jésus-Christ,  il  serait  bien 
hasardé  de  conclure  qu'elle  n'appartient  pas  à  la  langue  de 
Jésus.  Nous  avons  vu  combien  ce  terme  est  profondément 
motivé  par  le  contexte.  Les  termes  de  nouvelle  naissance, 


430  PnEMIKHK  l'ARTIi:. 

(le  naissance  d'eau  el  d'Esprit,  ne  se  iviroiivi'iit  nulle  part 
ailleurs  «laus  les  discours  île  Jésus;  faul-il  douter  poiu"  rrla 
qu'ils  soient  de  lui?  Dans  une  parole  aussi  oiij,Mnale  cpic  la 
sieime,  le  fond  ne  créait-il  pas  à  cliacinc  fois  la  forme?  Ouajid 
on  se  ra|ipelle  ipie  les  àra^  Xeyc'ixeva  se  eoinplcut  par  centaines 
dans  les  épîlres  de  saint  Paul  (2.)0  dans  la  r^aiixCoiinlhiens, 
as  dans  les  l'jiîlres  aux  Colossiens  et  aux  Kplu-siens  réu- 
nies, 118  dans  l'épître  aux  llt-lucux),  coninienl  pouirait-on 
conclure  de  ce  qu'un  terme  ne  se  trouve  qu'une  fois  dans 
les  discours  de  .lésus,  qui  nous  sont  ra|t|)ortés,  qu'il  n'ap- 
partenait pas  réellement  à  son  langage!  Huant  à  K^cessation 
de  la  forme  «le  dialogue,  nous  l'avons  déjà  expliquée.  Elle 
résulte  simpleuictit  df  la  surjtrise  croissaiilc  et  de  la  doiilil)'' 
avide  avec  la(pielle  Nieodème  recueille  la  révélation  des 
choses  célestes.  Malgré  ce  silence,  le  dialogue  n'en  continue 
pas  moins,  au  fond.  Car,  comme  nous  allons  le  voir,  cliacpic 
mot  q«ie  prononce  .lé'sus  est  en  n'inlioii  directe  avec  les 
idées  et  les  besoins  de  son  interlocuteur,  et  cela  jusqu'au 
v.  21  où  nous  trouvons  enfin  la  j)arore  d'encouragement  qui 
clôt  naturellement  l'entretien  et  qui  forme  le  j)enflant  et  le 
correctif  indispensable  de  l'avertissement  redoutable  avec 
lequel  Jésus  avait  reçu  Nieodème.  —  11  est  une  autre  opi- 
nion, celle  de  de  Wette  et  Lurke,  d'après  laquelle  Jean, 
tout  en  prétendant  faire,  jusqu'à  la  fin,  parler  Jésus,  mêle 
cependant  de  plus  en  plus,  mais  sans  en  avoir  la  conscience, 
ses  propres  réflexions  aux  paroles  de  son  Maître.  Nous  ver- 
rons si  le  manque  d'à-propos  ou  quelque  solution  de  conti- 
nuité dans  la  contexture  du  discours  donne  réellement  prise 
à  ime  telle  supposition. 

V.  17-21.  Le  jug-emenl  résultant  du  salut  messianique. 
C'est  tellement  l'amour  qui  a  déterminé  l'envoi  du  Fils,  que 
le  but  de  sa  mission  est,  non  le  jugement,  mais  uniquement 
le  salut  du  monde  (v.  17).  Mais  de  ce  salut  résulte  néces.sai- 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.   III,    JT,.    I7.  i")? 

rcmeiil  un  jiig^emcnt,  piir  la  séparation  du  nioiidc  en  rnivants 
et  en  incrédules  (v.  18).  Et  le  triage  ainsi  opéré  est  le  vrai 
jugement  :  rar  la  loi  ou  l'inc  rédnliti'  à  IV'gard  de  la  Inniièrc 
apjjarue  ilans  le  monde  soni  la  iiianifestalion  de  l'état  moral 
vrai  de  chaque  élic  humain  (v.  10-21). 

V.  17.  u  Car  Dieu  n'a  point  envoyé  son  Fils'  dans  le 
monde  pour  juger  le  monde,  mais  afin  que  le  monde  soit 
sauvé  par  lui.  »  —  «  Car  :  »  la  preuve  que  l'envoi  du  Fils 
est  un  ellét  de  l'amour  divhi ,  c'est  ([ur  le  juiiciikmiI  du 
momie  coupahle  n'a  point  été  le  but  de  cet  envoi,  comme 
on  le  pensait  en  Israël.  Jésus  oppose  le  but  réel  au  but  at- 
tendu.—  Le  mot  le  uionile,  répété  trois  fois,  doit  apprendre 
à  Nicodème  ipie  la  bienveillance  de  Dieu  ne  s'applique  pas 
seulement  aux  Juifs,  mais  à  toute  l'humanité.  L'universa- 
lisnie  de  saint  Paul,  avec  toutes  ses  consé(]uences,  est  en 
germe  dans  ces  v.  10  et  17.  —  Calvin,  Oslerwald,  Marthi, 
Arnaud,  N.,  traduisent:  pour  condamner.  Le  mot  signilie 
simplement  _y//yt'>',  et  il  faut  bien  se  garder  de  substituer  à 
l'idée  de  jugement  celle  de  condamnation.  C'est  le  jugement 
lui-même,  dans  le  sens  où  l'entendaient  les  Juifs  et  surtout 
les  pliaiisiens,  que  Jésus  nie  ici  comme  le  but  de  sa  venue; 
non  qu'il  faille  conclure  de  là,  avec  M.  Heuss ,  que  «l'idée 
d'un  jugement  futur  et  universel  est  répudiée  »  dans  notre 
évangile.  Jean  ne  fait-il  pas  dire  expressément  à  Jésus  V,  27. 
28  :  «  Le  Père  a  donné  au  Fils  le  pouvoir  d'exercer  le  juyc- 
nienl,  parce  qu'il  ed  Fils  de  l'homme.  Ne  vous  étonnez  pas 
de  cela;  car  llieure  uient  dans  laquelle  tous  ceux  qui  so)U 
dans  les  sépulcres  entendront  sa  voix  et  en  sortiront,  ceux 
qui  auront  fait  le  bien,  en  résurrection  de  vie,  ceux  qui 
auront  fait  le  mal,  en  résurrection  de  jugement,  t)  XII,  48  : 
«^  La  parole  que  j'ai  enseignée,  c'est  clic  qui  juger"   au. 


1.  N  BL  et  quelques  .Mnn.  omettcnl  tjzo-j. 


•138  PREMIKItK  l'AHTIK. 

dernier  j(U(r.'^  Voih'i  celles  le  l'nil  du  ju^cmeiil  fulur  ot 
universel  bien  el  dùmenl  proclamé.  Mais  il  faut  dislingiiej' 
deux  jiipenieiifs  :  l'un,  [turcrnenl  iiioral,  que  l'IidUMiie  pro- 
nouee  s|t(iulam'in(Mil  sur  lui-uièine;  c'est  celui  dont  l'ich'e 
domine  dans  mitre  évangile,  parce  que  ce  livre  a  pour  objet 
la  première  venue  de  Jésus,  à  laciuelle  se  rattache  ce  juge- 
ment rnoi'al;  l'autre,  exh'i'ieui',  indicjué  dans  r('vangile,  el 
dévelojijié  largement  dans  l'Ajioealypse,  parce  (jue  ce  livre 
est  le  tableau  de  la  seconde  venue  du  S(Mgneur  dont  ce  ju- 
gement exh'iieur  l'ail  jiaiiie.  Sur  ce  pdinl,  C(jmme  sui'  tous 
les  autres,  ces  deux  livres  sont  le  complément  l'un  de  l'autre. 
—  Ce  (pie  Jésus  nie  dans  cette  parole,  c'est  donc  unique- 
ment l'idée,  reçue  en  Isiacl,  que  le  jugement  extérieur  du 
monde  soil  le  Iml  de  s;i  mission  aciiielle. 

V.  i8.  *  Celui  qui  croit  en  lui,  n'est  point  jugé;  mais' 
celui  qui  ne  croit  pas ,  est  déjà  jugé ,  parce  qu'il  n'a  pas 
cru  au  nom  du  Fils  unique  de  Dieu.  »  -  .b'sus  eonliiiiio 
et  renforce  la  pensi-e  du  v.  17  en  (l(''el;n;iiit  cpje  le  croyant 
est  même  complètement  afîranclii  du  jugement  à  venir.  — 
Les  traduetf'urs  ci-dr-ssus  noMiuK's  et  des  interprètes  tels 
que  Meyer,  Ib-ngstenberg,  entendent,  ici  encore,  le  motxpt- 
veiv  dans  le  sens  de  condamner.  Et  cependant,  le  sens  sim- 
ple du  mol  et  je  parallèle  V,  24  auraient  dû  les  préserver 
de  celte  erreui'.  Kçivetv  ijinjer),  c'est  constater  l'étal  moral 
par  un  examen  délaillé  des  actes.  Or  cette  encpiète,  qui  sera 
l'un  des  traits  essentiels  du  jugement  futiu'el  final  (Apoc.  XX), 
n'aura  point  lieu,  même  alors,  [)oui'  le  croyant.  <ill  ne  vient 
point  en  jur/cmcnl;^  il  n'y  sera  point  soumis  avec  le  reste 
de  l'humanité.  Il  comparaîtra  bien  (Rom.  XIV,  10;  2  Cor.  V, 
10),  mais  pour  être  df-claré  saint  el  apte  à  juger  le  monde 
(1  Cor.  VI,  2.  3).  Et  pourquoi  la  foi  nous  soustrait-elle  au 


t.  At  est  omis  par  N  L  et  quelques  l'éres. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  III,  17.  18.  ir39 

jugr^nicnt  à  venir?  Parce  qu'elle  nous  conduit  à  la  lutnière 
(v.  '21)  t'I  nous  inlrodiiit  ainsi  dans  une  sphère  à  laijiiclle  le 
jugement  ne  peut  plus  sajipliijuei';  cai-  dans  celle  liiniière 
elle-même  le  jujjrement  a  déjà  eu  lien;  le  croyant  l'a  anti- 
cipé (1  Cor.  XI,  31  ).  —  Le  prés,  où  x^(vs.-aL,  n'est  point  juge, 
est  celui  de  l'idée,  du  piincipc,  connue  le  ïç-^&xcci  V,  24. 
—  Cette  {)remiùie  proposition  du  v.  18  se  rattache  encore 
directement  au  mouvement  des  v.  16  et  17.  La  seconde  est 
une  aiililhèse  provoquée  j)ar  la  première:  «Si  le  croyant 
n'est  pas  jugé,  l'incrédule,  lui,  le  sera,  et  même,  en  un  cer- 
tain sens,  l'est  déjà  par  le  fait  de  son  incrédulité.  »  —  A  me- 
sure que  Jésus  se  livre  ainsi  au  sentiment  du  contraste,  la 
notion  du  jugement  se  transforme  dans  sa  pensée  et  prend 
un  sens  figuré  et  spirituel.  C'est  du  reste  ce  que  Jean  fait 
sentir  en  ajdiilani  le  mot  tjStj,  déjà ,  et  en  substituant  le  par- 
fait au  pi'ésent  (xéxp'.Ta'.,  au  lieu  de  xpiverat).  Le  n\oi  juger, 
dans  cette  application  un  peu  diflérente,  conserve  toujours 
son  sens  fondamental  :  constater  l'état  moral.  Mais  cette  ré- 
vélation a  lien,  pour  l'incrédule,  dès  maintenant.  Il  pro- 
nonce, par  son  in(;r(''dulité,  sur  sa  tendance  intérieure,  une 
sentence  suflisamment  claire,  que  le  juge  final  n'aura  plus 
qu'à  ratifier;  de  sorte  que  sa  place  dans  le  triage  futur  est 
déjà  fixée.  On  voit  (pic,  même  dans  le  second  membre,  où 
le  sens  moral  (\n  nio\  juger  domine,  l'idée  du  jugement  ex- 
térieur n'est  pourtant  pas  complètement  exclue.  —  Il  faut 
remarquer  la  négation  subjective  p.-»]  devant  Tcta-ceuov  :  nen 
7je  croyant  pas,»  ou  ipmxe  qu'il  ne  croit  pas.  »  Cette  notion 
de  causalité,  impliquée  dans  p."»],  est  positivement  dévelop- 
pée dans  la  dernière  paitie  du  verset  :  a  Parce  qu'il  n'a  pas 
cru....y>  Ces  mots  signifient:  parce  qu'il  n'est  pas  sous  la 
sauvegarde  de  la  foi.  —  Par  le  lilie  de  F'ils  unique,  Jésus 
fait  ressortir  l'excellence  de  cette  sauvegarde  et  la  culpabi- 
lité de  ceux  qui  la  lepoussent.  Plus  est  glorieux  l'être  qui 


4»0  rnKMIKHK  PARTIK. 

se  préseiilt.'.  plus  il  ost  ciiiiiiiicl  Ao  se  (IrldiiiiitT  de  lui.  — 
S«>n  nom  o>{  l'cxprossiuii  iionnalo  île  son  essence;  c'est  le 
tilie  lie  Fils.  —  Le  parf.  reTr-.'aTeuxev,  u'd  pas  cru,  se  rapporte 
moins  à  l'acle  cprà  sa  const'quence  :  «  Parce  qnil  ne  se  trouve 
pas  dans  la  position  privilégiée  qui  résullerail  jxiur  lui  du 
fait  d'avoir  eiu  en  un  tel  nom.» 

V.  \\y  «Et  voici  le  jugement  :  c'est  que  la  lumière  est 
venue  dans  le  monde,  et  que  les  hommes  ont  mieux  aimé 
les  ténèbres  que  la  lumière;  car  leurs  œuvres  étaient 
mauvaises.»  —  Le  v.  18  signalait  un  triage;  Jésus  présente 
ce  triage  comme  le  vrai  jugement.  En  devenant  incré- 
dule ou  croyant ,  chaipie  homme  constate  positivement  son 
état  moral,  mieux  encore  que  ne  le  ferait  l'enquête  la  plus 
rigoureuse.  Voilà  un  jugement  qui  diflère  autant  de  celui 
(jue  se  rejjiésenlaient  les  Juifs,  (|iie  la  fundation  du  royaume 
décrite  v.  i  î-  et  10  diflére  de  celle  qu'ils  se  liguraient.  — 
«  Voici  le  jugement.  »  Ces  mots  sont  comme  le  titre  des 
versets  suivants,  y  compris  le  v.  21.  Mais  l'ordre  qu'avait 
suivi  Jésus  dans  le  v.  18  est  renversé:  les  incrédules  sont 
placés  les  premiers  (v.  19.  i20)  ;  les  croyants  à  la  fin  (v.  21). 
Pourquoi  cela  ?  Sans  doute ,  parce  que  Jésus  tient  à  linir 
par  le  mot  encourageant  à  l'adresse  de  Nicodéme.  —  Kç,i- 
ffiç,  iouiour s  juf/ement ,  et  non  pas  condamnation  ,  comme 
continuent  à  traduire  les  interprètes  déjà  cités.  L'état  moral 
de  l'homme  est  constaté  ,  en  bien  comme  en  mal,  par  lal- 
tilude  qu'il  pn-nd  à  IVgard  de  Jésus.  Comment  expliquer 
cette  valeur  décisive  du  rapport  intime  à  Jésus-Christ?  C'est 
(|ue  Jésus  est  la  lumière.  Ce  mot  signifie  ici ,  comme  dans 
tout  l'évangile,  la  sainteté  clairement  révélée  à  la  conscience. 
11  résulte  de  là  que  la  relation  hbre  de  notre  cœur  avec  un 
tel  être  témoigne  infailliblement  de  notre  tendance  morale 
la  plus  intime.  —  Quant  au  résultat  général  de  ce  jugement, 
Jésus  déclare  que  l'épreuve  est  déjà  faite  pour  le  monde , 


DEUXIÈME  CYCI.K.  —  r.IlAI'.  III,   18-:2U.  iil 

de  iiianiùie  que  l'issue  en  peut  être  énoncée  avec  certi- 
tude :  a^  Les  hommes  ont  mieux  aime »  Jésus  dit:  les 

Itotnmes ,  ce  qui  se  ra[tj)Oite  direc.tfMnent  à  la  masse  du 
peuple  juif  (V.  II),  mais  en  nièiiit!  leinps  à  luute  riiuiiiaiiilé 
déchue,  dont  Jésus  sait  bien  que  le  peuple  juif  est,  à  cet 
(''l^ard,  le  repiéscnlaiit.  —  L'expression  ont mieîix  aimé  n'a 
iiulleinent  pour  but,  comme  le  pense  Liicke,  d'atténuer  la 
culpabilité  de  l'incrédule,  en  insinuant  que,  chez  lui  aussi, 
il  y  a  encore  un  attrait  pour  la  vérité.  Elle  aggrave ,  au 
conlraire,  sa  responsabilité,  en  faisant  ressortir  la  libre 
préférence  avec  laquelle ,  mis  en  face  de  la  lumière ,  il  a 
opté  pour  les  ténèbres.  —  Et  quel  a  pu  être  le  motif  de 
cette  coupable  préférence?  C'est  qu  ils  avaient  de  mauvaises 
œuvres  qu'ils  désiraient  cacher  et  conserver.  Or  la  lumière 
les  eût  dévoilées  et  condamnées ,  et  ils  eussent  dû ,  à  sa 
clarté ,  y  renoncer.  —  Il  faut  remarquer  le  contraste  entre 
l'aor.  iqYâTnrjo-av,  qui  indique  l'acte  positif  du  refus  de  croire, 
et  l'imparf  t,v,  (jui  se  rapporte  à  l'état  permanent  antérieu- 
rement à  l'apparition  de  la  lumière.  —  "Epya,  œuvres,  dé- 
signe toute  lactivité  morale ,  tendance  et  actes. 

V.  20.  Cette  relation  de  causahté  entre  l'immoraUté  fon- 
cière et  l'incrédulité  est  expliquée  à  Nicodème  par  une 
comparaison  tirée  de  la  vie  ordinaire:  «  En  effet ,  quiconque 
pratique  le  mal,  hait  la  lumière  et  ne  vient  point  à  la 
lumière',  afin  que  ses  œuvres  ne  soient  pas  condamnées.  » 
—  Jésus  fait  peut-être  allusion  à  la  nuit  qui  régnait  en  ce 
moment.  One  de  malfaiteurs  erraient  dans  les  ténèbres, 
poursuivant  leurs  buts  criminels  !  Ce  n'était  pas  accidentel- 
lement qu'ils  avaient  choisi  cette  heure.  Voilà  Timage  de  ce 
qui  se  passe  dans  le  monde  moral.  La  sainte  apparition  de 
Jésus  a  la  vertu  de  mettre  toutes  les  actions  humaines  dans 


1.  N  seul  omet  les  inuls  xai  ojy.  epyerat  ei;  to  çu;  (évidemment  par 
suite  (Je  la  coufusioii  dos  deux  910;  d^'  la  part  du  copiste). 


At"!  PREMIKRE  PARTIi;. 

leur  vôrilahlo  joui'.  Lors  Aotu-  (|ui'  (jnoI(|u'iiii  fait  le  mal , 
et  veut  1/ persévérer,  il  se  tient  à  dislaiice  de  Jésits  et  de  son 
éclat;  eetle  clarté  amènerait  au  giand  jour  de  sa  conscience 
la  perversité  inli-rieure  de  sa  condiiile  et  l'oblif^erait  à  y 
renoncer,  ce  (|iril  in-  veut  [>:is.  Il  nie  donc;  et  rincrédulité 
est  la  nuit  doiil  il  s'enveloi»i)e  pour  continuer  à  pécher. 
Telle  est  la  jjfcnèse  réelle  de  l'incrédulité.  —  Les  mots  çaûXa 
-çàjjov .  celui  qui  fait  le  mal,  désignent  non-seulement  la 
tendance  à  laquelle  on  s'est  livré,  mais  celle  dans  laquelle 
on  est  décidé  à  persévérer  (le  part.  prés.  Tcpàajwv,  non 
■Kça.^a.;).  Le  mot  çaùXa  est  substitué  à  7covT]pa  du  v.  10, 
non  sans  raison.  Celui-ci  exprimait  l'apjjrécialion  de  Jésus; 
c'était  une  sentence.  Le  premier  se  rapporte  à  la  nature 
inlrin.'^èque  des  actes  et  à  leur  dépravation  foncière.  Ce 
mot  sig^nifie  propF'cment:  dest  choses  de  rien;  c'est  l'op- 
posé de  àXijOeia,  la  vérité  à  laquelle  est  attachée  l'idée  de 
réalité.  —  H  y  a  une  dilléreuce  correspondante  entre  les 
deux  verbes  xçocttsiv  et  tccisîv  :  le  premier  indique  l'action 
qui  ne  s'exerce  que  dans  le  néant ,  des  œuvres  vides  de 
toute  substance  morale;  le  second  implique  une  réalisation 
eflective,  un  produit  sidisistant.  —  .Mais  il  faut  bien  se  gar- 
der de  croire  ([ue  le  Ifriiic  pratiquer  le  mal  se  rapporte 
uniquement  à  des  actes  criminels.  Jésus  pense  très-certai- 
nement aussi,  et  surtout  jieul-étre,  ù  la  vie  exlérieuiement 
honnête,  mais  vide  de  tout  réel  sérieux  moral,  de  la  plu- 
part des  chefs  en  Israël  et  particulièrement  des  pharisiens  : 
l'exaltation  du  moi  et  la  recherche  de  la  gloire  humaine 
.ipparlicnnent  aussi  au  9aûXa  izçdxx&iv ,  dans  le  sens  où 
lenlend  Jésus.  —  Muet,  il  hait ,  exprime  l'antipathie  in- 
stinctive ,  immédiate ,  qui  résulte  de  cette  tendance  mau- 
vaise ;  oyx  lçx^T(x>. ,  il  ne  vient  pas ,  la  résolution  réfléchie 
de  rejeter.  —  'EXsyxÊi-v  :  mettie  au  jour  la  nature  d'une 
chose  mauvaise. 


DKIXIKMK  CYCLE.  —  CHAI'.  111,  20.   21.  A^S 

Lv  principe  de  riiicii-dnlitt'  n'est  ddiic  pas  iiilellfcliicl , 
mais  iiioial.  La  preuve  (pu?  Jc'siis  donne,  an  v.  20 ,  de  ce 
fait  intérieur,  est  d'une  parfaite  lucidité.  Tout  ce  que  Pascal 
a  éciit  de  plus  profond  sur  la  relation  de  la  volonté  à  l'in- 
telligence,  du  eœni'  à  la  croyance,  est  par  avance  dit  dans 
ce  verset  et  dans  le  suivant.  ' 

V.  2 1 .  ^<  Mais  celui  qui  fait  la  vérité ,  vient  à  la  lumière , 
afin  que  ses  œuvres  soient  manifestées"  comme  étant 
faites  en  Dieu.»  —  La  loi,  aussi  bien  (pic  l'incrédulité, 
découle  de  la  tendance  de  la  volonté.  La  racine  de  la  foi 
est  un  amour  dominant  et  une  pratique  relative  du  bien 
moral.  Il  y  a  dans  riunnanité ,  même  avant  l'apparition  de 
Christ,  des  hommes  qui,  quoique  atteints,  comme  les  an- 
tres, du  mal  inné,  réagissent  contre  le  penchant  mauvais, 
et  poursuivent  avec  une  noble  sincérité  la  réalisation  de 
l'idéal  moi-al  qui  res[ilendit  à  leurs  yeux  (I,  5.  9).  Ce  sont 
ceux  que  saint  Paul ,  encore  d'accord  en  ce  point  avec  saint 

1.  Voici  les  réflexions  que  cet  admirable  passage  inspire  à  M.  Colani 
{Revue  de  thèol.  t.  Il,  p.  49)  :  «  L'évaug'fliste  ne  sent  pas  môme  la  contra- 
diction des  ternies...  il  ne  sort  pas  d'un  cercle.  La  lumière  est  venue 
flans  le  monde,  et  les  lioniraos  ont  mieux  aini6  les  ténèbres  que  la  lu- 
mière. Pourquoi?  Parce  que  leurs  œuvres  sont  mauvaises,  et  que,  faire 
le  mal,  c'est  haïr  la  lumière.  »  Puis  M.  Golani  conclut  gravement  de  cette 
prétendue  pétition  de  principe  et  de  l'erreur  dualiste  qu'il  trouve  aussi 
dans  ce  morceau,  que,  quand  l'apôtre  écrivait,  «  la  spéculation  religieuse 
était  encore  à  son  berceau.  »  M.  Colani  n'a  point  discerné  les  deux  rap- 
ports parfaitement  distincts,  exprimés  par  les  deux  particules  yop  v.  19 
et  20.  Le  premier  yctp  signale  (^omma  un  fait  la  relation  de  causalilé  entre 
rimmuralité  intérieure  et  l'incrédulité:  «ils  ont  été  incrédules,  car 
{parce  que)  ils  étaient  immoraux.»  Le  second  explique  et  justifie  la 
relation  ainsi  établie  :  «Car  {en  effet)  l'immoralité  produit  nécessairement 
la  haine  de  la  lumière,  par  conséquent  l'incrédulité.»  Le  galimatias  que 
trouve  ici  le  critique,  est  tout  à  sa  charge. 

2.  N  omet  la  presque  totalité  de  ce  verset,  jusqu'à  on  (sans  doute  par 
suite  de  la  confusioii  des  deux  xa  epya  aurou  v.  20  et  21 ,  une  partie  des 
autorités  plaçant  au  v.  21  aurcu  après  epya). 


/ffi  PnKMIKHK  PARTIE. 

.leaii ,  dépeint  comme  ceux  tjui ,  en  pciscvéraut  dans  les 
bonne!!  œuvres,  recherchent  In  (jloire,  l'honneur  et  l'incor- 
ruptibililr  (Hoin.  Il,  7).  Josus  les  (If'sijiiie  coiiiino  ceux  (lui 
font  In  l'èritr.  Ce  mol  caracit  rist^  un  iillacliemcnt  sérieux  à 
la  discipline  Ihéocraliqui',  d'où  résiillc  une  ninr.ijilé  (pii , 
inalp^i'é  SOS  iniperlVclidus ,  esl  puuilani  de  bon  aloi  ri  l'ail 
cunlrasle  avec  les  mouieries  de  la  juslice  pliansakpic.  Cunip. 
les  expressions  analogues,  être  de  Dieu,  être  de  la  vérité 
(VIII ,  i7;  XVIII,  37).  —  'AX-rjOeia,  la  vérité,  la  connaissance 
de  la  véiiUible  essence  des  choses,  le  bien  moral  j)eiru  par 
la  conscience.  —  Cette  recherche  sérieuse  de  la  saiulelé , 
qui  peut  se  trouver  aussi  bien  chez  un  péaj^er  pénitent  (|ue 
chez  un  irrrjiidcliabli'  Nicodème,  détermine  une  sympathie 
immédiate  du  cœur  pour  Christ,  au  moment  où  il  aj)paraîl. 
L'âme  reconnaît  en  lui  son  idi'al  rt'alisé  et  se  sent  allirée 
à  lui  comme  à  celui  jiar  (jiii  dlr  parviendra  à  le  réaliser 
elle-même.  —  Lexjjression  li^uiée  venir  à  la  lumière 
n'est- elle  poinl  inie  alliisinn  ;'i  la  démarche  de  Nicodème? 
Si  la  nui!  ipii  réirnail  au  dehors  élait  l'imaj^'-e  de  l'incrédulité, 
cette  lumière  auprès  de  laquelle  ils  étaient  assis,  tandis  (pie 
tout  le  monde,  autour  d'eux,  était  dans  la  nuit,  était  un 
emblème  de  celle  (piil  f'Iail  venu  cheicher  pour  son  àme. 
Jésus  apprécie  bien  tout  ce  qu'il  a  fallu  à  ce  vieillard 
d'amour  de  la  vérité  et  de  droiture  morale,  pour  s'aj)pro- 
eher  ainsi  de  lui  et  pour  entendre,  sans  se  roidir,  tout  ce 
quil  avait  dû  arrepler  jusqu'ici. 

Jésus  explique  cet  attrait  des  âmes  droites  pour  la  lu- 
mière ;  il  provient  d'un  besoin  profond  de  manifestation  et 
(rappr(d)alion  :  ^'Afin  que  ses  œuvres  soient  manifestées  comme 
étnnl  faites  en  Dieu.  «  On  traduit  ordinairement  :  «Afin  que 
ses  œuvres  soient  manifestées ,  parce  que....  »  La  traduction 
un  peu  différente  que  nous  avons  adoptée,  est  parfaitement 
jusliliée  par  le  j^énie  de  la  syntaxe  grec(jue  (conq).  IV,  35). 


DEUXIKMK  CYCLE.  —  CHAI'.   III,  -21.  410 

Le  sens  est  ainsi  plus  aisé  à  coiiipreiKlic.  —  Tout  Imnime 
droit,  tout  Natliaunrl.  so  iV'jouit  (renlrci-  eu  coiiliicl  inlime 
avec  Clu'isl ,  la  saiutcl»'  vivante,  afin  (|ue  riiiijmlsioii  inlime 
sous  laquelle  il  agit  cl  (|iii  liiit  ï'{\i\ïr  de  sa  \ie,  vienne  an 
{^n'and  jour.  Cette  impulsion,  en  ell'et,  est  divine;  il  iT;)  donc 
pas  d'intf'rèl  à  la  soustraire  à  l'éclat  de  la  Inmicre  qui  ma- 
nifeste tout  {\i\ih.  V,  13).  Au  contraire,  il  y  aura  dans  l'ap- 
probation jjleine  de  sympathie  dont  elle  sera  l'objet  de  la 
part  de  la  lumière  essentielle  ,  Clnisl,  un  affermissement  et 
un  stimulant ,  un  gage  et  un  moyen  puissant  de  victoire  sur 
le  principe  citntraire.  Ne  semble-t-il  pas  entendre  Jésus  dé- 
crire ce  qu'il  fait  en  ce  moment  et  par  cette  parole  même 
par  rapport  à  Nicodème?  —  Les  sçya,  œuvres,  dont  il  est 
ici  parlé,  sont  les  soupirs  d'un  péager  contrit  ou  d'un  bri- 
gand repentant,  comme  les  nobles  a.^pirations  d'un  Jean  ou 
d'un  Nallianaël.  —  Si  l'expression  (.(.faites  en  Dieu  »  paraît 
bien  forte  pour  caractériser  la  tendance  morale  de  l'homme 
sincère  avant  la  foi ,  n'oublions  pas  (ju'il  y  avait  déjà  une 
foi  en  Israël,  qu'il  y  en  a  une  même  chez  le  j)aïen  sincère, 
et  que,  soit  en  dedans,  soit  en  dehors  de  la  théocratie,  c'est 
toujours  l'impulsion  divine  qui  est  la  source  de  tout  bien 
dans  la  vie  liuniaine.  C'est  le  Père  qui  attire  les  âmes  au 
Fils  et  qui  les  lui  donne  (VI,  44.  37).  C'est  Dieu  qui  excite, 
dans  l'âme  sincère ,  le  besoin  de  la  lutte ,  même  impuis- 
sante, contre  le  mal  inné  (Rom.  VU).  Voilà  pourquoi  Jésus 
peut  dire  de  l'homme  en  qui  la  docilité  envers  cette  divine 
initiative  est  devenue  le  jtrincipe  dominant,  que  ((ses  œu- 
vres sont  faites  en  Dieu.  »  C'est  ici  que  s'ouvre  le  vaste  do- 
maine réservé  à  la  liberté  humaine,  placée,  comme  elle 
l'est,  entre  la  corruption  innée,  d'une  part,  et  l'impulsion 
divine,  de  l'antre.  Il  appartient  à  l'hounne  de  réagir  contre 
celle-là  sous  l'empire  de  celle-ci  (v.  21),  ou  bien  de  s'af- 
franchir de  l'une  en  s'abandonnant  à  l'autre  (v.  10.  20). 


.'»  '»(•  pni:Mii;iiE  pahtik. 

La  foi  ou  rinciV'dulilé  envers  Jésus-Clirisl  nianifeslent 
«loue  rcinjiloi  ijuc  riioiiiiiie  a  fait  de  sa  liberté  morale  en 
se  livrant  à  l'un  ou  l'autre  t\r^  deux  priiieijies  (|ui  le  solli- 
citent. «Dans  riiiuiiiuiili'  ;iul(''ricuic  ;'i  (Ihrist  ,  dit  I.iieke, 
sont  eonfondues  deux  espèces  d'iioinnics.  Avec  l'apparition 
de  Jt'sus  eoFiiuienee  le  triage;  »  aunr)  tj  xf.'ffi^.  Sous  les  ar- 
bres de  la  même  l'orèt ,  observe  l.an},n',  toutes  sortes  d'oi- 
seaux s'abritent  confondus,  durant  la  nuit.  Mais,  au  matin, 
dès  que  le  soleil  verse  ses  rayons,  les  uns  feriuenl  les  yeux 
et  eberebeni  la  retraite  la  plus  obscure,  tandis  que  les  au- 
tres battent  des  ailes  et  saluent  le  soleil  de  leurs  cbanis. 
Ainsi  rajiparition  de  Cbrist  séj)are  les  amis  du  jour  et  ceux 
de  la  nuit,  confondus  jusqu'alors  dans  la  masse  de  l'buma- 
nité. 

L'école  de  Tubingue  trouve  dans  ce  passap;-e  une  nouvelle 
preuve  de  ce  fait,  que  l'évangéliste  admet  dtMix  espèces 
d'Iiommes  dilTérentes  par  nature.  Et  M.  Colani  trouve  celle 
manière  de  voir  vraisemblable  (Bévue  de  tliéol.  t.  II,  p.  49). 
Toutes  les  exfu'essions  enqdoyées  par  Jean,  «ils  (^nf  mieux 
aime,  »  V.  pratiquer  les  eboses  mauvaises,  »  a  faire  la  vérité,» 
sont  au  contraire  empruntées  aux  notions  de  choix  et  de 
libre  activité. 

C'est  par  cette  parole  d'espérance  que  Jésus  prend  congé 
de  Nicodéme,  après  l'avoir  reçu  avec  l'avertissement  le  plus 
sévère.  Nicodéme  peut  n'être  pas  encore  né  de  nouveau.  Il 
n'en  est  pas  moins ,  aux  yeux  de  Jésus ,  du  nombre  de  ces 
âmes  droites  qui  croiront  un  jour  et  que  celte  foi  conduira 
au  baptême  d'eau  et,  par  là,  au  baptême  d'Es[)rit.  C'est 
donc  avec  une  calme  assurance  que  Jésus  va  désormais  l'at- 
tendre ,  après  lui  avoir  dévoilé  en  sa  personne  le  rendez- 
vous  de  tous  ceux  qui  marcbent  dans  la  vérité. 

M.  Heuss  trouve  étrange  le  silence  de  Jean  sur  le  départ 
de  Nicodéme.  «Nous  l'avons  bien  vu  venir;  mais  nous  ne  le 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  flIlAIV  III,  *\.  Hl 

voyons  plus  s'en  aller.  Nous  i^nioroiis  (■omplètruK.'ut  lu  ré- 
sultai (le  cet  entretien  »  {Ilist.  de  la  Uicol.  c/nrt.  l.  Il,  p.  318). 
Il  tire  de  là  une  preuve  contre  la  réalité  historique  du  récit. 
—  Cette  objection  ne  nous  p;ir;tit  pas  sérieuse.  L'évangéliste 
aurait-il  donc  dû  dire  expressément  que  Nicodènie,  après 
s'être  ainsi  entretenu  avec  Jésus,  s'en  retourna  dans  sa 
maison  ?  Et  quant  à  reflet  produit ,  non-seulement  il  est 
clairement  annoncé  au  v.  ^1  ,  niais  il  ressort  positivement 
de  l'histoire  ultérieure  (VII ,  50.  51  ;  XJX ,  39).  Jean  respecte 
le  mystère  du  travail  intérieur  qui  vient  de  commencer  et 
laisse  parler  les  faits.  C'est  de  la  révélation  de  Jésus  qu'il 
s'agit  dans  ce  récit,  et  non  de  la  biographie  de  son  interlo- 
cuteur. 

Nous  sommes  maintenant  en  état  de  porter  un  jugement 
sur  le  caractère  historique  de  cet  entretien. 

1.  La  réalité  du  personnage  de  Nicodème  a  été  niée  par 
la  raison  que  les  Synoptiques  ne  parlent  pas  de  lui  ;  comme 
si,  avec  un  aussi  riche  parterre  (jue  le  ministère  de  Jésus, 
chaque  fleur  non  cueiHie  par  les  premiers  passants  devait 
être  taxée  de  fleur  artificielle!  Le  rôle  de  Nicodème  dans  la 
séance  du  sanhédrin  (ch.  VII)  et  la  part  qu'il  prit  aux  dei- 
niers  honneurs  rendus  au  corps  de  J('Sus  (ch.  XIX),  sont 
des  circonstances  dont  aucun  motif  valable  ne  peut  faire 
suspecter  la  vérité.  Un  accord  psychologique  parfait  et  pour- 
tant nullement  cherché  règne  entre  ces  diflérents  traits  de 
la  conduite  de  Nicodème ,  et  donne  à  ce  personnage  le  ca- 
ractère d'un  être  concret  et  vivant.  La  réalité  historique  de 
l'interlocuteur  est  donc  suflisamment  garantie  par  ces  laits. 

2.  Quant  à  celle  de  l'entretien ,  ne  résulte-t-elle  pas  de 
la  parfaite  convenance  de  toutes  les  paroles  de  Jésus  dans 
cette  situation  donnée?  Que  devait-il  dire,  en  commençant, 
à  un  membre  du  sanhédiin,  du  parti  pharisien,  sinon  une 


-iiS  PRKMIKIIK  PAHTIK. 

parolt'  i''inii\;iltMil«' .  pimr  le  sens,  ;'i  rcllc-ci  :  ^(  S/  ralrr  jus- 
tici'  »<•  stirpdsfic  vcHc  dt's-  scrihrs  et  des  pharisiens ,  vous 
neutrrre:  point  nn  rot/aunie  de  Dieuy>'l  Après  avoir  ainsi 
produit  \o  vide,  iic  dcvail-il  pas  clicivlior  à  le  iTm|ilir,  mais 
toujOUI'S  CM  IriMill  coillplc  (lu  pniiil  dr  Mic  de  son  JllIiM'lo- 
(iih'iii-?  C'est  ce  (jiic  l'ail  .N'-sus  dans  la  jiartit'  jtosilive  do 
rcnlrclicn.  Il  instiiiil  Nicodènic  dos  plans  divins  ]»onr  la  l'on- 
dalion  du  royaume  de  Dieu,  mais  toujours  en  op|)osanl 
directement  programme  à  |irograninie.  Messie  à  Messie, 
l'oyaume  à  royaume,  jugement  à  jugement,  de  telle  sorte 
que  clia(|ue  mot  ressemble  à  un  coup  lire  à  bout  portant , 
cl  ipie  la  donnée  du  v.  1  :  «  Vn  liommc  d'entre  les  pJiari- 
siens ,  »  explique  virlucllcnienl  loul  l'enlretien.  Cette  appli- 
ratiou  si  dirccle,  ccl  à-|ii()jios  conslant,  cette  tenue  ferme 
de  rcnlre|ien,  en  garanlisseni  la  ?valilé.  Une  conqiosilion 
libre  neùt  pas  respecté  à  ce  point  les  données  de  la  situa- 
tion. Sans  doute ,  nous  ne  possédons  pas  le  compte  rendu 
romi)let  de  renlielicn.  La  visilc  de  Nicodème  a  certaine- 
ment duré  plus  que  les  quelques  minutes  nécessaires  pour 
eu  lire  le  récit.  Mais  Jean  nous  en  a  transmis  le  sommaire, 
dans  quelques  paroles  saillantes  ,  (pii  avaient  été  comme  le 
noyau  des  communications  de  Jésus.  C'est  ce  qu'indiquent 
les  transitions  assez  vagues  par  xa»'.  Nous  n'avons  pas  ici  la 
vue  de  la  cliaîne,  mais  celle  des  principales  sommités. 

III. 
Jésus  dans  la  campagne  de  Judée  :  v.  22-36. 

Les  té'moignages  de  Jean-Daptiste,  qui  avaient  commencé 
à  révéler  Jésus  au  monde,  avaient  un  caractère  purement 
déclaratif:  c'étaient  des  appels  à  la  fui.  Dans  le  morceau  qui 
va  suivre  est  rapporté  un  dernier  discours  du  Précurseur, 
dans  lequel  sont  proclamées  plus  énergiquernent  encore  que 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI».  III,  -11.  449 

précôdciiinu'iil  la  di^iiik'  niobsiuiiicjiie  cl  ruii^iiit'  crlcstc  de 
Jésus.  Mais  ce  (jui  disliiiguc  suiluul  ce  h'iiiuij^riage  des  pre- 
miers, c'est  le  ton  grave  et  iiieiiaçaiit  qu'y  preud  le  Précur- 
seur et  qui  en  l'ail  une  \(''rilald<'  piult.'.slalidii  cuiilie  l'alli- 
tude  morale  d  Israël  et  son  incrédulité  naissante.  C'était 
donc  bien  l'un  des  traits  saillants  de  lliistoire  de  la  révéla- 
tion de  Jésus,  ainsi  que  de  celle  de  l'incrédulité  juive. 

Le  Précurseur  prononça  ces  parules,  piuhablement  les 
dernières  de  son  ministère  public,  dans  la  campagne  de  Ju- 
dée, où  Jésus  exer(;ait  alors  le  sien  non  loin  de  lui.  Il  pa- 
raît par  là  que  le  Seigneur  n'était  point  retourné  en  Galilée 
après  son  séjour  à  Jérusalem ,  à  la  fête  de  Pâques.  Il  se  ren- 
dit de  la  capitale  dans  les  campagnes  méridionales  de  la 
Terre-Sainte,  où  il  se  mit  à  piêclier  et  à  baptiser,  à  peu 
près  comme  le  faisait  Jean-Baptiste. 

Comment  expliquer  cette  forme  d'activité  que  revêt  en  ce 
moment  son  ministère?  —  Après  que  le  Temple  s'était 
fermé  pour  lui,  il  avait  parcouru  la  ville  sainte,  n'y  rencon- 
trant qu'un  liomme  maripiant  disposé  à  préférer  réellement 
la  lumière  aux  ténèbies.  Alors  il  s'éloigne  encore  plus  du 
centre  et  se  lixe  dans  la  province;  et  à  cette  retraite  locale 
correspond  une  modilication  de  nature  plus  profonde  dans 
son  activité.  Il  s'était  présenté  dans  le  Temple  avec  autorité, 
comme  mi  souverain  (|ui  l'ait  son  entrée  dans  son  palais.  La 
sainteté  de  son  appel  n'ayant  pas  été  comprise,  Jésus  se 
borne  aux  fonctions  (lu'uu  peut  ajipeler  propbétiques,  la 
prédicalion  et  les  miracles;  il  ne  conserve  plus  du  ministère 
messianique  proprement  dit  qu'une  cliose,  le  baptême,  ce 
signe  destiné  à  marquer  extérieurement  la  limite  entre  ceux 
qui  forment  la  communauté  du  Cbrist  et  ceux  qui  y  restent 
étrangers.  Il  arrive  ainsi  que  Jésus,  en  rétrogradant,  se 
trouve,  en  ce  moment  de  son  ministère,  au  même  j)oint 
que  Jean -Baptiste  parvenu  au  faîte  du  sien  et  qu'il  devient 
I.  29 


iTlO  PRKMlF.nK  l'AUTIK. 

pour  un  temps  son  propre  j)récurseur.  De  là  la  simullan(^it6 
(les  deux  baplrnies  et  l'espèce  de  concurr('n('(î  qui  s'élaldil 
enlre  ces  deux  missions.  Nous  vimtoms  Jésus,  niirès  son  re- 
tojir  eu  Galili'i',  ifunucrr  uiriiic  :in  jiii|ilt''iii('.  Connue  unique 
élément  de  rorj,^inisation  messianique,  il  cniidoiera  l'apos- 
tolat; du  reste  il  travaillera  siuij)l('ui<iil  à  ('veiller  la  foi 
chez  les  individus  et  renverra  la  rondaliou  de  l'Eylise  et  le 
rit  du  baptême  qui  s'y  rattache  à  l'époque  plus  éloignée  où 
sa  mort  et  sa  résurrection  l'auront  afTranrhi  de  toute  soli- 
darité avec  Israël  incré(Jule. 

Ces  transformations  dans  le  mim'stère  de  Jésus  n'ont  point 
échappé  aux  rey:ards  des  rationalistes  ;  mais  ils  n'y  ont  vu 
que  le  résultat  d'un  mécompte  croissant.  Cependant,  Jésus 
avait  tout  annoncé  dès  le  premier  jour  :  «  Abattez  ce  Tem- 
ple; »  et  le  succès  final  de  son  œuvre  aurait  dû  leur  montrer 
qu'il  y  avait  mieux  ici  que  l'eflet  d'une  déceplion.  La  foi  ad- 
mire, au  contraire,  dans  cette  marche,  l'élasticité  du  plan 
diviu  dans  ses  rapports  avec  la  liberté  humaine  et  la  par- 
faite souplesse  avec  laquelle  le  Fils  sait  se  plier  aux  instruc- 
tions journalières  de  son  Père.  Par  là  l'absence  de  tout  plan 
devient  le  plus  sage  et  le  plus  merveilleux  des  plans;  et 
l'exécution  de  la  pensée  divine,  laissant  un  libre  jeu  à  la 
liberté  des  liommes,  peut  s'emparer  et  se  servir  de  leur 
opposition  même  à  ses  desseins  pour  les  réaliser  plus  sûre- 
ment. 

Ce  coup  d'oeil  donne  la  clef  des  principales  difficultés  du 
récit  suivant  et  fait  comprendre  la  simultanéité  momentanée 
de  ces  deux  ministères  dont  l'un  eût  dû  proprement  aboutir 
à  l'autre. 

Ce  morceau  renferme  :  l**  le  tableau  général  de  la  situa- 
lion  :  v.  22-26;  2°  le  discours  de  Jean-Baptiste  :  v.  27-36. 


DEUXIKME  CYCLE.  —  CHAI'.  III,  ii.  23.  Abi 

1.  V.  22-26. 

V.  22.  "  Après  cela,  Jésus  se  rendit  avec  ses  disciples 
dans  la  campagne  de  Judée;  et  il  séjournait  là  avec  eux 
et  baptisait.  >>  —  Aîexà  xaÛTa,  après  cela,  rallaclic,  (riiiir 
manière  générale,  ce  morceau  à  il,  23-25:  «^4  la  suite  de 
cette  activité  de  Jésus  à  Jérusalem.  »  —  'loySaia  •yr,  désigne 
la  campagne,  en  opposition  à  la  capitale.  —  Les  iniparf.  il 
séjournait  et  //  baptisait  indiquent  que  ce  séjoui'  (ht  d'une 
certaine  durée.  —  L'expression  il  baptisait  est  déterminée 
plus  exactement  IV,  2  :  «  Toutefois ,  ce  n'était  pas  Jésus  lui- 
même  qui  baptisait,  mais  ses  disciples.))  L'acte  moral  seul 
appartenait  à  Jésus;  l'opération  matérielle  se  faisait  par  les 
disciples.  Si  ces  deux  passages  se  trouvaient  dans  deux  évan- 
giles différents,  les  critiques  ne  manqueraient  pas  d'y  voir 
une  contradiction.  Ce  qui  importe  uniquement  à  saint  Jean, 
dans  ce  contexte-ci,  c'est  de  placer  ce  baptême  sous  la  res- 
ponsabilité de  Jésus  lui-même. 

V.  23.  «  Or  Jean  baptisait  aussi  à  Enon,  près  de  Salim, 
parce  qu'il  y  avait  là  abondance  d'eaux;  et  on  s'y  ren- 
dait et  on  y  était  baptisé.»  —  La  situation  (ÏEno)i  et  Sa- 
lim n'est  pas  certaine.  Eusèbe,  dans  son  Onomaslicon,  place 
Enon  à  8,000  pas  au  sud  de  Bethséan  ou  Scylhopolis,  située 
dans  la  vallée  du  Jourdain,  et  Salim  plus  à  l'occident.  Il  ré- 
sulterait de  là  que  ces  deux  localités  se  trouvaient  en  Sa- 
maric.  Mais  comment  Jean  se  fùt-il  établi  chez  les  Samari- 
tains? Comment  les  foules  l'eussent-elles  suivi  chez  ce  peuple 
hostile?  Jos.  XV,  32  nous  met  sur  une  voie  toute  diflerenle. 
II  y  est  parlé  de  trois  villes:  Silliim,  Haïn  et  Rimmon,  si- 
tuées vers  la  frontière  méridionale  de  la  tribu  de  Juda,  sur 
les  confms  d'Edom  (comp.  XV,  21).  Jos.  XIX,  7  et  1  Chr.  IV, 
32  Ilaïn  et  Rimmon  reparaissent  ensemble.  Enfin  Néb.  XI , 
29  les  deux  noms  sont  confondus  en  un  seul  :  Uen-Uimmon. 


452  l'UKMiKiti;  PAnriK. 

Enou  ne  scrail-il  pas  une  cniilriK  lion  plii.s  ((miplètc  encore 
des  deux  noms?  Celle  supposition  ingénicusi"  de  Ilengstcn- 
be!"^.  pitursnivant  les  indicnlions  de  Wiesoler  {ChronoL 
^linopsis  (Icr  ricr  Ecfnuj.  p.  2i7  et  S-IS),  fait  tomber  la 
dillicullé  du  baptême  m  Samarie  et  donne  un  sens  plus 
convenablr  au  niolif:  a  Parce  (ju'il  1/  arnil  là  abondance 
d'eau. 'i  Celte  raison  en  eiïel  a  plus  de  poids,  appliquée  à 
une  contrée  généralement  privée  d'eaux  et  presque  déserte, 
comme  l'était  l'extré-niité  méridionale  de  Juda,  que  s'il  s'a- 
gissait d'un  pays  loiil  entier  liclie  en  eaux,  comme  la  Sa- 
marie. —  Ilafii  signifie  source;  Salim  (CTI^U?,  de  flblZ?), 
conduit  d'eau. 

Jésus  aurait  ainsi  lraveis(''  du  nunl  an  sud,  sur  les  traces 
de  Jean-Baptiste,  tout  le  leriiloirede  la  tribu  de  Juda,  visi- 
tant une  fois  au  moins  en  sa  vie  Bethléem,  Ilébron  et  la 
contrée  qui  s'étend  jusqu'à  Reerséba.  Dans  les  Synoiitiques, 
nous  le  voyons  faisant  une  excursion  analogue  jusqu'aux 
contins  septentrionaux  de  la  Terre -Sainte  et  séjournant  5 
Césarée  de  Philippe,  dans  le  voisinage  de  l'ancienne  Dan, 
au  i»ied  du  Ilermon.  Dan  et  Beerséba  sont  les  deux  points 
extrêmes  de  Ibéritage  donné  à  Israël.  Toutes  les  contrées 
du  domaine  Ihéocralique  auraient  donc  été  visitées  par 
Jésus-Christ.  —  Ilengstenberg ,  profitant  de  ce  séjour'  de 
Jésus  dans  le  voisinage  du  désert,  jdace  ici  la  tentation. 
Nous  avons  déjà  exposé  les  raisons  qui  rendent  cette  opinion 
insoutenable  (voy.  p.  313). 

V.  2i.  «  Car  Jean  n'avait  pas  encore  été  mis  en  pri- 
son. »  —  Cette  remarque  n'est  motivée  par  rien  dans  les 
récits  qui  f»récèdent;  car  l'évangélistc  n'a  rien  dit  encore 
qui  pût  faire  supposer  que  Jean -Baptiste  fût  déjà  empri- 
sonné à  celte  époque.  C'est  donc  ailleurs  que  dans  notre 
évangile  qu'il  faut  chercher  l'occasion  du  malentendu  que 
Jean  rectifie  dans  ce  verset.  On  la  découvre  facilement  dans 


DKIXIKME  CYCI.K.  —  CHAI».   Ml,  i':!.  2i.  A5S 

nos  lieux  prciiiicrs  Syiioiiliiincs.  Mallli.  IV,  li  :  ^  Jésus , 
fiyant  appris  ijue  Jean  avait  été  livré,  se  relira  en  Galilée.  » 
Maïc  I,  1i  :  <i.  Après  que  Jean  eut  été  livré,  Jésus  vint  en 
Gafilce.y)  Ces  paioles  suiveiil  iininédialeniinl  le  n'cil  du 
haptème  et  de  la  leiilalioii;  d'où  l'on  pouvait  aisément  con- 
clure que  renipiisonnenient  de  Jean-Baplisle  avait  suivi  de 
très-près  le  liaplèine  de  Jésus  et  précédé  son  premier  retour 
en  Galilée.  Le  ré<  it  de  Luc  III,  19.  20  est  tout  didérent; 
car  il  ne  mentionne  remprisonnement  de  Jean-Baptiste  que 
par  anticipalion.  Il  faut  conclure  de  là  :  Ou,  avec  Ilengsten- 
berg-,  que  le  récil  des  deux  jjremiers  Synoptiques  omet  sim- 
plement le  premiei"  retour  de  Jésus  en  Galilée,  mentionné 
dans  notre  évangile  I,  44,  et  commence  avec  le  retour  in- 
diqué IV,  3,  lequel  serait  ainsi  identique  avec  celui  que  ra- 
conte Matth.  IV,  1 2.  Hengstenberg  s'appuie  sur  le  terme  àvsxw- 
pijffEv  dans  Mallbieu,  qui  indique,  selon  lui,  une  retraite 
motivée  par  quel(|ue  danger  dont  Jésus  se  sentait  menacé 
en  Judée  et,  par  conséquent,  une  activité  de  Jésus  anté- 
rieure à  ce  retour.  —  Ou  bien  il  faut  admettre  que  le  récit 
des  deux  premiers  Synojjtiques  confondait  d'une  manière 
inconsciente  ces  deux  premiers  retours  de  Jésus  de  Judée  en 
Galilée.  Cette  identification  avait  pour  conséquence  le  rc- 
trancbement  de  presque  toute  une  année  du  ministère  de 
Jésus,  précisément  de  celle  dans  laquelle  se  sont  passés  tous 
les  événements  racontés  par  Jean  I,  44-  IV,  54.  Pour  retrou- 
ver le  terrain  sur  lequel  se  passent  les  faits  actuellement 
racontés,  Jean  élait  donc  obligé  de  distinguer  expressément 
ce  que  la  tradition  rédigée  par  les  Synoptiques  avait  con- 
fondu; il  y  était  particulièrement  forcé  au  moment  où  il 
|3arlait  de  ces  deux  baptêmes  dont  la  simidtanéili;  eût  été 
historiquement  impossible  au  point  de  vue  des  deux  pre- 
miers Synojiliques.  Et  c'est  là  le  but  de  l'observation  qu'il 
a  intercalée  dans  son  récit  v.  24.  L'exjdicalion  de  lleng- 


ib't  PREMiÈni;  i'autie. 

sU'iihtuj'  ne  Irouvc  qu'un  faible  apiuii  dans  lo  terme  àvex"- 
pïjaev.  La  V(''ri(é  de  la  seconde,  an  cunlraire,  nous  jtaraîl 
constatée  par  l'intenlion  nianjuée  avec  laquelle  saint  Jean 
dislin^'ue  expressément  ces  deux  retours  en  Galilée,  en  rap- 
pelant les  deux  miracles,  opérés  à  Gana,  qui  les  avaient  si- 
^nialés  l'un  et  l'autre.  Comp.  les  deux  rcmar(jues  correspon- 
dantes H,  11  et  IV,  54.  Nous  n'avons  jias  à  rechercher  ici 
comment  s'était  produite  cette  conliision  dans  la  tradition. 
Nous  rappellerons  seulement  :  1"  One  si  même  saint  Mat- 
thieu est  le  rédacteur  de  la  nariation  cuntenue  dans  le  pre- 
mier évanj,^ile,  il  n'était  pas  encore  aj)ùtre  à  celte  époque. 
2"  Que  l'œuvre  de  Jésus,  telle  que  les  Synoptiques  se  sont 
proposé  de  la  racontci-,  n'av;iil  puint  encore  commencé;  ce 
n'est  que  depuis  son  second  retour  en  (ialilée  que  Jésus 
exereîL  son  ministère  sous  sa  forme  déruiitive  et  devint  le 
prophète  de  Galilée  que  nous  dépeignent  l(;s  trois  premiers 
évangiles.  Jusqu'alors  il  n'avait  accompli  qu'une  série  de 
tentatives  infructueuses  en  Judée.  L'histoire  de  ces  premiers 
temps  avait  une  grande  importance  dans  le  tableau  de  l'in- 
crt-diililé  juive  et  par  coMsé(iuenl  dans  {'('vangile  de  saint 
Jean;  mais  elle  n'avait  aucune  portée  dans  le  récit  de  la  fon- 
dation réelle  et  effective  du  règne  de  Diiii  j)ar  le  ministère 
de  Jésus-Christ. 

Nous  pouvons  lirei'  de  ce  v.  24  une  conséquence  impor- 
tante [)0ur  la  po.sition  de  l'auteur  de  notre  évangile  au  sein 
de  la  jtrimitive  Eglise.  Quel  auli c  i|u'un  apôtre,  et  un  apôtre 
de  premier  ordre,  eût  pu  prendre  cette  position  souveraine 
à  l'égard  de  la  tradition  reçue  dans  l'Eglise,  émanant  des 
Douze  et  consignée  dans  les  évangiles  antérieurs  au  sien? 
Poui-  y  apporter  d'ini  Irait  di-  jdiimc  une  modification  aussi 
profonde,  il  fallait  se  .sentir  en  possession  d'une  autorité 
parfaitement  incontestée. 

V.  25.   «  Il  survint  donc  une  dispute,  de  la  part  des 


DEUXIÈMK  CYCLE.  —  CII.U'.   III,  U-Hi.  455 

disciples  de  Jean,  avec  des  Juifs',  touchant  la  purifica- 
tion, ï  —  .\jirès  ;iV(iii-  iiidicjiM'  le  Iciiijis  vi  le  lieu  du  dis- 
cours suivant ,  .It'iiii  nous  en  fait  roiuiaitrc  roccasiuii.  C'est 
une  diseussiuu  (|uc  jnovuijiia  la  concurrence  des  deux 
baptêmes  voisins.  OOv,  donc,  indique  cette  relation.  — 
L'expression  ;  a  De  la  pari  des  disciples ,  »  monlic;  que  les 
disciples  de  .lean  lurent  les  provocateurs.  —  La  le(;on  de  la 
plupart  ^U'<.  Mjj.,  'lojôatou ,  un  Juif ,  au  lien  de  'louSaiov  , 
des  Juifs  ,  est  généralement  reçue  aujourd'hui.  .Mais  ne 
faudrait-il  pas  xivo'??  Puis,  un  témoignage  si  solennel  pour- 
rait -  il  avoii'  été  provoqué  par  une  circonstance  aussi  insi- 
gnilianle  (lu'une  altercation  avec  un  individu  quelconque? 
Le  témoignage  des  plus  anciennes  Vss.  en  faveur  de  'lou- 
Sai'ov  n'est  pas  sans  importance  ;  et  le  Sinait.  est  venu  con- 
firmer ranti(|uit(''  de  cette  leçon,  qui  est  en  elle-même  la 
plus  prubable.  Il  nous  paraît  que  la  terminaison  ou  est  une 
faute  très  -  ancienne  provenant  de  la  confusion  avec  les 
deux  terminaisons  semblables  'loa'vvou  et  xaOaptff|jLoù.  — 
Le  sujet  de  la  discussion  fut  le  mode  de  la  vraie  purifica- 
tion. En  présence  de  Juifs  venus  de  Jérusalem  pour  épier, 
de  la  part  du  sanliédrin  (IV,  i),  l'activité  de  Jean  et  de 
Jésus,  les  disciples  de  Jean  trahirent  sans  doute  le  mécon- 
tentement que  leur  causait  le  baptême  très-fréquenté  de 
Jésus,  sur  quoi  les  Juifs  leur  rappelèrent  que  leur  maître 
lui-même  avait  caractéi'isé  Jésus  comme  le  vrai  purificateur, 
d'uù  il  résultait  (pic  son  baptême  avait  plus  d'efficacité  que 
celui  de  Jean.  Cette  question  ('lail  embarrassante;  les  dis- 
ciples se  décidèrent  à  la  porter  devant  Jean-Daplislc 

V.  20.  «  Et  ils  vinrent  vers  Jean  et  lui  dirent:  Maitre, 
celui  qui  était  avec  toi  de  l'autre  côté  du  Jourdain,  au- 


1.  T.  H.  lit  louôaiwv  avec  K  G  plusieurs  Miiii.  11.  Vg.  Syr™' Cop.  Or.  Tous 
les  autres  .Mjj.  Mnii.  et  Vss.  lisent  Iou(îaiou. 


.4r»()  PRKMIKIU:  J»Aimi\ 

quel  tu  as  rendu  témoignage,  voici,  il  baptise,  et  tous 
viennent  à  lui.  «  —  Il  v  ;i  de  ramnliirnc  (hns  ces  imrnlcs. 
Lps  mois  :  «  Auqurl  /»/  us  rciniu  Irmoirpiinjc ,  »  raiipcllciil 
la  }:«'nôrosit«^  dont  .l»\iii  n  faif  prciivo  envf  rs  .l(^f?us  :  «  Voils^ 
ronimcnl  tn  .is  U'^'\ ,  loi  (au);  o\  voir!  coimiirnl  il  iii^il  ,  lui 
(oîiTOîr)!  »  —  "ISe,  voici ,  fait  ivssoiiir  \o  ciiiiulôrc  iiMlIcmlii 
do  CA)  prnrrd<^:  "  ïl  baptise  (non,  roninif  tiadnit  M.  lUilicI  : 
«  r/pst  lui  qui  hnpiisc.»);  non  ronliMif  de  s'afliiiiicr,  il  l'an- 
nul<\  r>  Le  baptême  était  un  ril  spi-cial  ,  iiiliodiiil  par.lcan, 
«'t  tjin"  disling^iiail  son  minisièrv  i\e.  tout  antre.  Kn  se  l'ap- 
propriant ,  .lésns  semblait  nsnrpfM'  un  rôle  ôtranp-pr  et  vou- 
loir anéantir  oïdiii  (pii  l'avait  reni|ili  jusqu'alors.  Kt  ce 
qm"  est  plus  poig^nant  encore ,  c'est  qu'il  réussit  :  "  Tous 
vieiiuevt  i)  lui.  -  Cette  exaj^'-éralion ,  tous,  est  relVel  du 
dépit.  Malllt  I\.  1  i  nous  montre  les  diseijiles  de  Jean  ani- 
més en  Galilée,  après  l'emprisonnement  de  leur  maître;,  de 
la  même  disposition  liostile  et  plus  ou  moins  coalisés  avec 
les  adversaires  de  Jésus. 

2.  V.  27-36. 

Jean  ne  résout  pas  directement,  dans  sa  réponse,  la  dif- 
tVnlIé  spéciale  qui  les  amène.  Il  cararltTise  d'une  manière 
cum|)lèle  la  relation  des  deux  personna^n^s  dont  on  prétend 
faire  des  rivaux  et  montre  que  toute  opposition,  toute  com- 
paraison même  entie  eux  est  déplacée.  La  solution  ressort 
indirectement  de  ce  rapport.  Le  discoursa  deux  parties  qui 
résultent  naturellement  de  la  situation  donnée  :  le  Précur- 
seur (V.  27-30)  et  le  Messie  (v,  31-30),  ou  ,  p<»ur  employer 
ses  propres  expressions,  l'ami  de  l'époux  et  l'époux.  Le  but 
de  Jean-Bajitiste  e.st  de  calmer  ses  disciples,  en  leur  mon- 
tiaut  (pie  ci;  qui  les  afflige,  est  précisément  ce  qui  met  le 
comble  à  sa  joie.  On  a  leFuarqué  de  tous  temps  une  sing-u- 
liére  analogie  entre  ce  discours  de  Jean-Baptiste  et  l'entre- 


DEUXIKMK  CYCI.K.  —  CIIAP.   ill.   JC. -27.  io? 

lien  (If  .Ii'sus  avec  Nico«lèmo,  o\  l'on  ;i  lirt'  de  In  dos  con- 
sf''<|ii('iic('s  peu  fnvoi'iililcs  à  riiiilliciiticik'  do  l'un  ot  de 
l'autro.  Puis,  bciuicouj)  (rexi)rossious  et  d'idées  senihlont 
appailoniF'  à  un  cliiistianisino  déjà  avancé.  «Une  pareille 
prédication,  dit  M.  Colani,  a  pu  suivie  l'œuvre  de  Jésus , 
non  la  précéder»  (Bcvue  de  théol.  t.  II,  p.  39).  L'idée  est 
donc  assez  ijénéralemenl  répandue  que,  depuis  le  v.  34 , 
c'est  l'évangéliste  tpii  so  laisse  aller  à  ajouter  ses  propres 
réflexions  à  celles  du  Précurseur ,  ou  niôrae  que  le  discours 
tout  entier  doit  être  mis  sur  le  compte  du  premier  :  «Nous 
nous  hornons,  j)0ur  sortir  do  tout  embarras,  dit  M.  Reuss, 
à  afllrmer  très-positivement  que  Jean  ne  veut  pas,  dans  ces 
passages,  raconter  une  histoire,  mais  exposer  une  idée  dog- 
matique »  {Hist.  de  la  théol.  chrél.  t.  II,  p.  317).  Cette  idée 
dogmatique,  il  la  mettrait  ici  dans  la  bouclie  de  Joan-Hap- 
tisle  ,  comme  auparavant  dans  celle  de  Jésus.  Avant  tout , 
reconnaissons  que  la  situation  historique  est  nette  et  bien 
déterminée.  La  question  sera  de  savoir  si ,  dans  ses  traits 
essentiels,  le  discours  y  correspond  fidèlement,  et  si  nous 
trouverons  le  moyen  de  nous  expliquer  l'analogie  remar- 
quable (pii  existe  entre  les  termes  dont  so  sert  le  Précur- 
seur et  ceux  qu'emploie  Jésus  dans  l'entretien  avec  Nico- 
dème. 

V.  27-30.  Le  Prrrvrsrvr. 

V.  27.  «'  Jean  répondit  et  dit  :  Un  homme  ne  peut 
prendre  que  ce  qui  lui  est  donné  du  cieL  »  —  L'idée 
dominante,  jusqu'au  v.  30,  est  celle  de  la  personne  et  de 
la  mission  do  Jean-Baptiste.  D'après  cola  ,  l'explication  la 
pbis  naturelle  do  la  sentence  générale  du  v.  27  est  de  l'a])- 
jdiquor  à  la  personne  do  Joan-Ba|)tiste.  On  l'excite  à  se  d(''- 
tendro  contre  Jésus  (jui  le  (lt''|iouillo.  «  Je  ne  [)uis  jirondre, 
répond  -  il ,  ce  que  Dieu  ne  m'a  pas  donné,»  en  d'autres 
termes  :  «  Je  no  puis  me  faire  l'époux ,  quand  je  ne  suis  que 


45N  PREMIKFU:  l'AIlTIi:. 

l'ami  cJt'  IVjtoux.  »  Le  rôle  de  .lt";m  -  liaplislc  le  condninnnit 
dès  l'abord  à  èlre  dépouillf'.  La  yraiidour  du  Précurseur  ne 
puuvail  ôlrc  que  Iransiloirc  ;  vouloir  se  niainleuir,  en  lace 
de  celui  auquel  il  était  appelé  à  frayer  la  voie ,  c'eiit  été 
prendre  ce  qui  ne  lui  avait  pas  été  donné.  Meyer  et  plu- 
sieurs autres  appliciuent  celte  maxime  à  Jésus-Christ  :  «  Il 
n'aurait  pas  un  tel  succès ,  si  Dieu  lui  -  même  ne  le  lui  ac- 
cordait, i)  Mais  le  terme  àvOpoiroç,  un  Jiommc ,  au  lieu  du 
simple  pronom  i:tç,  convient  mieux,  surtout  dans  ce  con- 
texte (comp.  v.  M  -3(i),  à  Jean  qu'à  Jésus.  Puis  cette  glori- 
fication du  succès  irait -elle  bien  dans  la  bouche  de  Jean- 
Baptiste  ?  Plusieurs  interprètes  applicpn.'nt  cette  maxime 
générale  simultanément  à  Jésus  et  à  Jean.  Mais  de  cette 
manière  elle  perd  en  netteté  ce  qu'elle  gagne  en  extension. 

V.  'IX.  "Vous-mêmes  m'êtes'  témoins  que  j'ai  dit:  Je 
ne  suis  point  le  Christ';  mais  je  suis  envoyé  devant 
lui.  »  —  Apiès  avuii'  posé  le  piincipe  généial ,  Jean  se 
l'apjilique  à  lui-même  et  trace,  d'une  main  ferme,  la  limite 
entre  ce  qui  lui  est  et  ce  qui  ne  lui  est  pas  départi.  Il  com- 
mence par  rappeler  à  ses  discij)les  qu'il  ne  leur  dit  rien 
qu'il  ne  leur  ait  dit  dès  le  com/nencement  :  «  Vous-mêmes 
m'êtes  témoins.  »  Par  ces  mots  il  se  décharge  de  toute  res- 
ponsabihté  au  sujet  de  la  disposition  jalouse  dont  il  les  voit 
animés.  Puis,  il  distingue  nettement  ce  qui  lui  est  refusé 
de  ce  qui  lui  est  donné. 

V.  29.  Celui  qui  a  l'épouse  est  l'époux;  mais  l'ami 
de  l'époux,  qui  se  tient  là  et  qui  l'entend  ',  est  ravi  de 
joie  à  cause  de  la  voix  de  l'époux;  cette  joie  donc,  qui 
est  la  mienne,  est  maintenant  parfaite.  »  —  Jean  rend 


1.  Les  Mjj.  N  E  F  H  ,M  V  cl  GO  Mtiri.  retranchent  |ioi. 

2.  Quelques  Mss.  latins  (ara.  Tiild.  etc.)  Gop.  paraissent  avoir  lu  eyci)  oux 
ci(ii  au  lieu  de  oux  eifii  cyco  que  lisent  tous  les  autres  documents. 

3.  AuTO'j  est  placé  par  N  après  ectt/.u;. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAI'.  III,  'il -29.  459 

sensible  par  une  iiiiiii,^'  lu  iialiiro  de  sa  jtosiliun  cl  rnoiilre 
que,  si  clic  est  iiirériciire  à  colle  de  Jésus,  elle  a  aussi  ses 
privilèges  qui  lui  sudisenl  parfaitement.  —  NujjLÇir),  Yépotise, 
est  la  coimuuuauté  messianique  que  Jean-Uaplistc  devait 
former  en  Israël  poui'  la  présenter  à  Jésus;  vufjLÇic^,  Yépoux, 
désigne  le  Messie,  et,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi ,  le 
futur  de  cette  fiancée  spirituelle.  Le  nom  de  Jéliovah  ne 
signilie  pas  aulre  chose  :  Celui  qui  doit  venir.  U'a{)rès  l'An- 
cien Testament,  en  efTet,  rÉlernel  ne  voulait  confier  à 
aucun  autre  qu'à  lui-même  ce  beau  rôle;  et  la  venue  du 
Messie  était  l'apparilion  personnelle  deJéhovah  (voy.p.  205- 
207).  —  L'intention  de  Jean  dans  la  première  proposition 
n'est  pas  de  prouver,  par  le  fait  que  Jésus  a  fépouse  {i(Tous 
vont  à  lui,î)  V.  26),  qu'il  est  l'époux,  mais  plutôt  d'opposer 
riionneur  et  les  privilèges  de  celui  qui  a  le  bonheur  d'être 
réj)oux  aux  siens  propres  :  «  L'avantage  de  posséder  l'épouse 
appuitientà  celui  qui  a  été  désigné  comme  fépoux;  ce  rôle 
n'est  pas  le  mien ,  sans  doute  ;  mais  au  -  dessous  de  cette 
position  privilégiée ,  il  y  en  a  une  autre  qui  est  encore  assez 
belle  pour  combler  de  joie  celui  qui  y  est  appelé  ;  et  c'est 
la  mienne.  »  —  Les  fonctions  de  l'ami  de  noces  étaient 
d'abord  de  demander  la  main  de  la  jeune  fille,  puis  de  ser- 
vir d'intermédiaire  entre  les  deux  fiancés,  enfin  de  présider 
à  la  fête  des  noces  ;  admirable  image  du  rôle  de  Jean-Bap- 
tiste. —  *0  sffrï)x«-  :  celui  qui  se  tient  là.  Ce  mot  exprime, 
coniiiic  le  dit  llengstenberg,  l'heureuse  passivité  de  celui 
qui  contemple,  écoute  et  jouit.  Pendant  qu'il  fait  l'office  de 
servant  auprès  des  époux ,  l'ami  de  noces  entend  les  nobles 
accents  de  son  ami ,  (jui  le  transportent  de  joie.  Jean  ne 
parle  que  d'entendre,  non  de  voir.  Pourquoi?  Serait-ce 
[)eut-être  parce  qu'il  est  lui  -  même  éloigné  de  Jésus  ?  Mais 
alors  comment  peut-il  même  parler  d'entendre?  Si  ces  mots 
ont  MU  sens,  appli(piés  à  Jean  -  luipiiste,  ils  siip[)osenl  que 


4(i0  PHKMIKUI';  l'AUTIi;. 

r«»rlnii)<'s  |i;iri>l<'s  dr'  .It'Mis,  iinuioïK'i'cs  |mlili(|ii('rii('iil  ou 
privrmriil  |i;ir  lui,  ijvaicnl  élr  i;i|i|)orl(''('s  ;'i  Jeun  cl  avîiiciil 
produit  sur  sou  rœur  une  profoudc  iniint'ssion  (!<;  joie  el 
dadniii;jli(in.  Kt  si  I'imi  y  n'IltM-liil  Iticii,  ponvail-il  ru  èlrt' 
aulronient  ?  Coniniciit  Audré  ,  Simon  Pierre  ,  Jcau  surloul , 
ces  anciens  disciples  de  .leau-HaplisIc,  une  fois  au  moins, 
no  seraienl-ils  pas  revenns  auprès  de  leur  premier  maître, 
pour  lui  rendre  comi»le  Act^  choses  (ju'ils  enleudaieut  sortir 
de  la  bou«he  de  Jésus?  Coiiiiiirnl  iie  l'eusseul-ils  jias  fait 
surtout  en  ce  moment  où  ils  se  trouvaient  dans  la  même 
contrée?  Celle  circonstauci' jette  toute  la  lumière  désirable 
sur  la  ressemblance  entre  les  paroles  de  Jean  -  Baj)liste  et 
celles  de  Jésus  dans  l'entretien  avec  Nicodème.  Cet  entre- 
tien avait  été  rapj)orté  à  Jean.  C'était  l;i  la  voix  de  l'époux 
ipii  faisait  Iressaillir  son  cœur;  et  si,  dans  la  suite  de  son 
discours,  il  reproduit  «pielques-unes  des  paroles  du  Seigneur, 
ce  sera  pour  confnnier  par  un  oui  cl  amen  solennel  la  vé- 
rilt'  (lu  lémoif,ma^('  (|ue  J('sus  s'est  rendu  à  lui-même.  — 
La  locution  X'^Ç?^  x*-?^'-'-'  lépond  à  la  construction  hébraïque 
par  lacjiielle  le  verbe  à  rinlinilif  se  place  avant  le  verbe  fhii, 
pour  faire  ressortir  plus  énergiquemenl  l'idée  verbale. 
Comp.  ^''U/S  u^u  <Ks.  I.XI,  10),  que  les  LXX  traduisent  par 

une  construction  analogue  à  celle  de  Jean  ;  Luc  XXII,  15. 
Cette  expression  désigne  la  joie  de  Jean  comme  une  joie 
parvenue  au  comble,  à  laquelle  ne  peut,  par  conséquent, 
se  rnèler  aucun  sentiment  opj)Osé  ou  seulement  étranger, 
tel  (juê  rrliu'  (pie  voudraient  éveillei"  dans  le  cœur  de  Jean 
ses  disciples. —  Les  mots  :  «Cette joie-là,  qui  est  la  mienne,  » 
caracté'riseut  la  joie  de  l'ami  de  noces  comme  une  joie  d'une 
nature  particulièi'e,  en  oj)position  à  celle  de  l'époux  ,  et  la 
revendiquent  pour  Jean  comme  sa  portion.  —  IIsTuX'/jpuTat., 
non  :  a  été  accomplie  (llilliet)  —  c'est  le  parfait,  non  l'ao- 
riste —  mais  :  «est ,  e;i  ce  moment  même,  élevée  au  plus 


DEUXIÈMK  CYCLE.  —  CHAI'.  III,  -lU.  ;!(».  401 

haut  degré.  »  Jean  veut  dire  :  «  Ce  iiui  provdfpiu  volic  (l<''|iil, 
est  prccisémenl  ce  qui  inel  le  comhle  ;"i  ma  y/w.  » 

V.  30.  «Il  faut  qu'il  croisse,  et  que  je  diminue.  >  — 
Le  V.  30  est  le  mut  central  du  discours,  la  liansition  de  la 
première  à  la  seconde  pailie.  —  Le  «  il  faiU  «  reproduit 
ridée  de  la  sentence  générale  v.  27.  <>  En  vertu  de  ce  qui 
lui  est  doinié,  il  doit  grandir;  en  vertu  de  ma  mission,  je 
dois  diminuer.  »  En  eflet ,  l'ami  de  l'époux  avait  le  princi- 
pal rôle  au  commencement  de  la  relation  et  paraissait  même 
seul.  Mais,  à  mesuie  que  la  relation  se  développait,  son  rôle 
diinimiail  ;  il  s'effaçait,  et  l'époux  linissait  par  demeurer  seul 
et  être  tout.  —  Celte  parole  admirable  est  la  devise  de  tout 
vrai  serviteur  de  Christ. 

C'est  ici  que  Bengel ,  Tholuck,  Olshausen  et  d'autres  font 
cesser  les  paroles  de  Jean  -  Baptiste  et  commencer  les  ré- 
flexions de  l'évangéliste.  Ils  s'appuient  principalement  sur 
le  caractère  joliannique  du  style  et  sur  les  nombreux  rap- 
ports avec  l'entretien  précédent  (voy.  surtout  v.  31  et  32). 
Mais  Jean  -  Baptiste  vient  lui-même  de  nous  expliquer  ces 
rapports;  et  quant  au  style,  il  faut  se  rappeler  que  Jésus  et 
Jean  -  Baptiste  parlaient  en  araméen ,  que  l'évangéliste  est 
ici  leur  traducteur  à  tous  deux,  et  qu'il  serait  difficile  de 
comprendre  comment  un  coloris  uniforme  ne  se  serait  pas 
ré[tandu  sur  les  discours  ainsi  reproduits  par  lui.  Si  l'auteur 
eût  pa.ssé  ici  du  discours  de  Jean  -  Baptiste  à  ses  propres 
réflexions,  il  eût  marqué  par  quelque  indice  cette  transi- 
tion. D'ailleurs,  les  présents  i/ f)rtr/e ,  il  témoigne,  md  ne 
reçoit  (v.  31.  32.  Si),  prouvent  qu'il  avait  l'intention  et  la 
prétention  de  faire  parler  le  Précurseur.  La  vraie  question 
est  donc,  comme  l'a  bien  vu  M.  Beuss,  de  savoir  si  cette 
prétention  est  fondée.  Nous  ne  pourrons  nous  prononcer 
qu'après  avoir  étudié  le  discours  jusqu'au  bout. 


.K)2  PHKMIKIIK  l'AimE. 

V.  :\\-:iCK  Le  Messie. 

Et  (l'aboril,  son  orij^iin' ct'lrslc  (v.  31  );  puis  lu  divine 
porfoction  ilo  son  ensoignonient  (v.  32-34);  oiiliii  s;i  (li{,niitc 
de  Fils  et  la  souveraineté  absolue  qui  en  résulte  (v.  35).  Le 
discours  se  tiTiniiie  p;u-  nue  npitlirnlion  pratique  (v.  30). 

V.  31.  «  Celui  qui  vient  d  En -Haut,  est  au-dessus  de 
tous  ;  celui  qui  est  de  la  terre',  est  de  la  terre  et  parle 
comme  étant  de  la  terre  ;  celui  qui  vient  du  ciel .  est 
au-dessus  de  tous'.  »  —  Jean  oj)pose  l'origine  e<''lesle  de 
Ji'sus  à  sa  jiropre  nature  terrestre.  —  ^AvoOev,  d'en  liant, 
s'applique  ici ,  non  à  la  mission  —  car  celle  de  Jean  est 
aussi  d'En -Haut  —  mais  à  l'origine  personnelle.  —  Les 
mots  <i  au -dessus  de  tnusy>  se  rapportent  à  tous  les  em- 
ployés divins  ;  car  leur  sort  commun  est  d'être  tous  égale- 
ment éclipses  par  le  Messie.  Jean  ,  se  confondant  avec  eux , 
fait  de  lui-même  et  d'(Mix  tous  I'omiIhc  siu-  laquelle  se  dé- 
tache avec  éclat  la  figure  de  Jésus.  —  Les  mots  trois  fois 
répétés  c^  de  la  terre  ))  marquent  énergiquement  la  sphère 
à  laquelle  appartient  Jean-Daplisle,  et  dont  il  ne  peut  sortir. 
La  première  fois,  ils  indiquent  l'origine  (wv  êx):  un  simple 
homme  ;  la  seconde ,  le  mode  d'existence  (iaxC)  :  il  est  et 
reste  de  la  terre,  dans  toute  sa  manière  d'être,  de  sentir 
et  de  penser  (comp.  le  contraire  v.  13);  la  lioisième  fois, 
ils  se  rapportent  à  l'enseignement  de  Jean  (XaXeï)  :  ne 
voyant  les  choses  du  ciel  que  d'en  bas ,  de  son  domicile 
l^Trestre,  dans  certains  moments  isolés  et  comme  par  des 
ouvertures  partielles,  même  dans  ses  ravissements  il  ne 
parle  du  ciel  que  comme  un  être  terrestre.  Cette  apprécia- 
tion de  Jean  par  lui  -  même  est  conforme  au  jugement  de 
Jésus  Mallh.  XI,  11  :   «Le  plus  petit  dans  le  royaume  des 

1.  N  sent  lit  e::i  au  lieu  de  t/.. 

2.  H])  quelques  Mnti.  a  b  Syr»'  omettcril  CTtavu  tcoivtuv  esn,  la  se- 
conde fois. 


DKIXIKMK  CYCLE.  —  CHAI'.  III,  ;il.  3!2.  403 

citnu:  rst  plus  grand  (pic  lui.  »  El  Jcjni  n'a  pas  lanJé  à  en 
[trouver  la  justesse,  |tar  le  fait  de  réhraiileineiil  de  sa  foi, 
(]iii  II  siii\i  de  si  |)n"'s  (Mallli.  \I ,  2-0).  —  Après  avoir-  mis 
à  leur  place,  en  sa  personne,  tous  les  employés  célestes, 
Jean  revient  au  sujet  principal ,  qui  paraît  niaiutenaut  dans 
toute  sa  supéiiorilé.  Suit-on  la  leçon  qui  retianclie  les  der- 
niers mots  de  ce  verset  (ainsi  que  le  et  du  verset  suivant), 
les  mots  :  «  Celui  qui  vient  du  ciel ,  »  deviennent  alors  le 
sujet  du  verset  suivant.  Mais  la  leçon  la  plus  pleine  et  la 
plus  riche  est  aussi  la  plus  conforme  à  l'esprit  du  texte. 

V.  32.  «Et*  ce  qu'il  a  vu  et  entendu,  il  en  rend  té- 
moignage ;  et  personne  ne  reçoit  son  témoignage.  »  — 
De  l'origine  et  de  l'existence  célestes  de  Jésus  résulte  la 
perfection  de  son  enseignement.  Quand  il  parle  des  choses 
divines,  il  en  parle,  lui,  en  témoin  iuunédiat.  Cette  parole 
est  l'écho  de  celle  de  Jésus  au  v.  11.  Le  Précurseur,  en  la 
reproduisant,  déclare  que  Jésus,  en  parlant  de  la  sorte, 
n'a  rien  afïîrmé  sur  lui-même  qui  ne  soit  l'exacte  vérité. 
Par  les  derniers  mots,  il  confirme  également  le  jugement 
sévère  que  Jésus  avait  porté  sur  la  conduite  du  peuple  et 
de  ses  chefs  (v.  11).  Cependant,  en  constatant,  comme 
l'avait  fait  Jésus,  l'incrédulité  générale  d'Israël,  Jean  ne  nie 
point  qu'il  n'y  ait  des  exceptions  individuelles  :  il  les  fait 
lessortir  au  v.  33.  Mais  ce  qu'il  veut  dire  ici  par  le  mot 
personne,  c'est  que  ces  exceptions,  qui  paraissent  le  tout 
aux  regards  de  ses  disciples  («  Inus,  »  v.  20),  ne  forment  à 
ses  yeux  qu'une  imperceptihle  minorité.  11  oppose ,  comme 
à  dessein ,  l'exagération  du  zèle  à  celle  de  l'envie  :  «  Là  où 
vous  dites:  Tous,  moi,  je  dis  :  Personne.  »  Il  ne  serait  satis- 
fait que  s'il  voyait  le  sanhédrin  en  corps  rendre  hommage 
au  docteur  céleste  ,  au  nom  de  tout  le  peuple  ;  et  alors  ,  il 
pourrait  enfin  lui-même  venir  aussi  s'asseoii"  à  ses  pieds. 

1.  Kai  est  omis  par  N  B  D  L  deux  Mnn.  Cop.  Il»"'-  Syi"'  Or. 


40i  l'HKMIKUK  l'ARTIK. 

V.  .'{,»o(.V'f.  ^' Celui  qui  reçoit  son  témoignage,  a  scellé 
que  Dieu  est  véridique;  .>t  car  celui  que  Dieu  a  envoyé, 
dit  les  paroles  de  Dieu;  car  Dieu'  ne  donne  pas  l'Esprit 
par  mesure.  »  —  Il  y  a  iiraiimoiiis  quelques  croyants,  et 
(|ii('llc  nt'sl  pas  la  grandeur  cl  la  beauté  de  leur  rôle  !  — 
ilof  ayC^siv  :  sceller,  légaliser  un  acte  en  y  apposant  un  sceau. 
C'est  là  ce  que  fait  le  croyant  par  rap[iui  t  au  témoignage 
divin;  en  se  rangeant  parmi  les  acceptants,  il  a  l'honneur 
d'avoir  associé  une  fois  pour  toutes  sa  responsaltililé  per- 
sonnelle à  celle  de  l'être  auguste  en  favein-  duquel  il  se 
déclare.  .Mais  pourquoi  ce  certificat  de  vérité,  décerné  pai- 
l'homme  croyant,  est -il  appliqué  à  Dieu  et  non  à  Jésus? 
Jean  «'xplique  lui-même  sa  pensée  au  v.  3i  (fd^).  Les  j)aroles 
de  Jésus  sont  tellement  celles  de  Dieu  que ,  certilier  la  vé- 
rité de  celles-là,  c'est  affirmer  la  véracité  de  Dieu  lui-même. 
—  Lwlliardt  et  d'autres  pensent  que  l'idée  de  la  véracité 
divine  se  rapporte  ici  à  l'accomplissement  des  prophéties, 
que  constate  la  foi.  C'est  une  idée  sans  rapport  avec  le  con- 
texte. D'autres  voient  dans  cette  parole  une  allusion  à  la 
déclaration  de  Dieu  au  baptême  de  Jésus  :  «  Tw  es  mon 
Fils ,  »  et  pensent  que  Jean  veut  dire  que  croire  en  Jésus , 
c'est  attester  la  vérité  de  cette  déclaration  divine.  Ce  sens 
serait  plus  naturel  ;  mais  il  ne  s'accorde  pas  avec  le  v.  34-. 
La  pensée  profonde  renfermée  dans  l'image  employée  par 
Jean  est  sans  doute  celle-ci  :  Celui  qui  reçoit  les  paroles 
de  Jésus  sur  la  foi  à  leur  caractère  divin ,  en  acceptant  cette 
garantie  déclare  que  ce  qui  est  divin  ne  peut  être  faux  et 
proclame  ainsi  la  véracité  incori-uptible  de  Dieu.  —  Il  faut 
remarquer  l'aor.  eaçfàytffev  :  c'est  un  acte  accomph.  Et  quel 
acte!  Son  seing  privé,  apposé  désormais  au  document  divin, 
l'a  rendu  à  toujours  solidaire  de  Dieu  lui-même.  Il  y  a  évi- 

I .  K  fi  G  L  el  ll'i'i-  ouetteut  les  mots  o  Beo;. 


DKUXIÈMK  CYCLE.  —  CJIAI'.   III,  :!3.   :)1.  ^05 

(IcmiiK'iit  (lo  roxîiltiilion  diuis  (^ellc  roiiiio  j)nratK)\;ilc  juir 
la(|ii(_'llc  Jean  exjiiiiiit'  la  ^namlcur  de  l'aclc  de  la  lui.  Celle 
j)arole  el  plus  encore  les  suivanles  caracléiiscnl  le  pa- 
roxysme du  lémoigna{i'e  de  Jean.  —  L'expression  :  «  Qu'il 
a  cnvoijcs)  (ipii  rappelle  le  v.  17),  doit  èlrc  prise  dans  le 
sens  le  plus  absolu.  Les  autres  envoyés  divins  ne  méritent 
qu"impru|)rcmenl  ce  nom  :  ils  ne  sont,  en  réalité,  que  sus- 
cités ;  pour  elle  envoyé,  il  faut  être  d'En-IIaut  (v.  31;.  — 
On  doit  donner  la  même  valeur  absolue  au  mot  :  «  Les  pa- 
roles de  Dicii.D  Lui  seul  possède  la  révélation  divine  com- 
plèle  ;  tous  les  autres,  Jean-Baptiste  lui-même,  n'en  ont 
que  des  fragmenls.  —  El  d'où  provient  ce  caractère  com- 
plet el  absolu  de  l'enseignement  de  Jésus?  De  la  parfaite 
communication  de  lEsprit  qui  lui  a  été  accordée.  Les  autres 
envoyés  n'avaient  que  des  fragments  de  la  parole  de  Dieu, 
parce  (pie  [Esprit  leur  était  non  donné,  mais  prêté.  Ce 
n'était  qu'une  visite  momentanée,  en  vue  d'un  cas  particu- 
lier. Jésus,  au  contraire,  possède  la  parole  de  Dieu  abso- 
lument, parce  que  la  communication  de  l'Esprit  qui  lui 
est  faite,  est  vraiment  un  don,  et  que  ce  don,  comme  tel, 
est  sans  mesure.  Pour  comprendre  cette  parole,  il  n'est 
donc  pas  nécessaire  de  suppléer ,  comme  le  font  la  plupart 
des  interprètes,  le  pron.  aÙTÔ,  lui;  il  faut  simplement 
acceiiluei'  fortement,  comme  nous  venons  de  le  faiie,  l'idée 
de  donner  et  la  mettre  en  relation  avec  celle  de  sans  me- 
sure: Une  fois  que  Dieu  donne  l'Esprit  (qu'il  le  donne  réel- 
lement, comme  il  l'a  fail  pour  la  première  fois  au  baptême 
de  Jésus),  il  le  donne  aussi  sans  mesure.  Cette  parole  ne 
peut  être  sortie  que  de  la  bouche  de  celui  qui  avait  vu 
l'Esprit  descendre  sur  Jésus  sous  la  forme  organique  de  la 
colombe  cl  demeurer  sur  lui.  Elle  est  comme  le  reflet  de 
celle  vision.  —  Meyer,  choqué  avec  raison  de  l'ellipse, 
généralement  admise,  du  pron.  aù-cô,  a  essayé  de  faire  de 
I.  '  30 


inO  PRF.MIKRK  PARTIR. 

(mUIo  pnrolt'  imo  mnxinic  i>l)s(iiiil(\  ihins  c(^  sons:  «Dieu 
n'est  pns  lonjours  obligé  di*  donner  rEsj>ril  par  mesure  ;  » 
d'où  la  eonséqnence  sons-enfendue  :  II  penf  donc,  s'il  lui 
plaîl .  If  donner  sans  inesMir  au  Fils.  Mais  ainsi  serait  sous- 
entendu  j)réeiséinent  re  (pii  devrait  Hve  exprimé ,  et  cx- 
prinii'' ,  re  qui  eût  foi!  bien  pu  rire  sous-enlendu.  II  nous 
parail  (jiie  notre  rxpliration  irsout  d'iuie  nianièic  plus  na- 
turelle la  didindh'  (pii  a  poussé  Meyri-  à  relie  interprétation 
forcée.  —  Dans  la  variante  des  alexandrins,  on  peut  sous- 
entendre  Dieu  eomme  sujet ,  d'après  la  pbrase  pi'éeédentc, 
ou  faire  de  tô  7:vîû|j.a  le  sujet  et  sous-enlendre  connue  ob- 
jet xà.  fTjfjtara  :  «  L'Kspi'it  lui  donne  les  paroles  divines  sans 
mesure.  »  Ni  lime  ni  l'autre  de  ces  constructions  ne  se 
présente  avec  vraisruiMniire. 

V.  35.  '>Le  Père  aime  le  Fils  et  a  mis  toutes  choses 
dans  sa  main.  »  —  Xànsyndélon  entre  ce  verset  et  le  pré- 
cédent pourrait  se  rendre  par  cette  forme  emphatique  : 
»  C'est  qu'aussi  le  Père  aime....  »  Le  don  absolu  de  l'Esprit  a 
pour  principe  rinefTable  amour  du  Père  pour  le  Fils.  C'est  ici 
le  point  culminant  de  l'hymne  messianique.  On  reconnaît 
aisément  dans  ces  mots  l'écho  de  cette  divine  allocution  qui 
avait  retenti  aux  oreilles  de  Jean-Paptiste  :  «  Tu  es  mon  Fils 
bien-ahnc.t)  —  AyaTrâ,  ni)ne,  est  absolu,  comme  àTcéaTeiXev 
r|  Ta  ç-r]'ij.aTa.  —  Jésus  s'(''lail  servi  du  leime  de  Fils  v.  10-18, 
•  1  le  Ps.  II  l'appliquait  déjà  au  Messie  (v.  7.  12;  comp.  v.  2 
et  8.  9).  II  n'est  pas  étonnant  qu'il  soit  employé  par  Jcan- 
Paj)liste.  —  De  cet  amour  du  Père  découle  encore  le  don 
(Ir  tontes  choses.  Quelques  interpiètes,  parlant  du  v.  34,  ont 
appliqué  cette  expression  uniquement  aux  dons  spirituels, 
aux  vertus  diverses  du  Saint-Esprit.  Mais  l'expression  ^dans 
sa  main  »  ne  convient  nullement  à  ce  sens.  Il  y  a  donc  plu- 
nM  g-radation  sur  le  v.  34-:  «Non-seulement  l'Esprit,  mais 
toutes  choses.  »  Par  l'Esprit,  le  Fils  ne  règne  que  sur  le  cœur 


DEUXIEME  CYCLE.  —  CHAP.  III,  34-30.  467 

(les  croyants;  ce  n'est  pas  assez;  le  Père  lui  a  donné  de  plus 
la  sonveraineté  universelle  pour  qu'il  puisse  faire  servir 
toutes  choses  an  bien  des  siens.  C'est  exactement  la  pensée 
(]ue  saint  Paul  exprime  Kjdi.  1.  22  jiar  «-ette  (ourninT  iiilr;i- 
duisible  :  aÙTÔv  eSwKev  xeçaXi^v  yrsp  Tcàvca  zji  sxxX-rjaia.  — 
La  main  est  le  symbole  de  la  libre  disposition.  —  Pai-  là, 
Jean  voulait  dire  :  <^Que  pourrais-je  donc  lui  refuser?  Vous 
et  moi,  nous  lui  appai-tenons  nous-mêmes  tout  entiers.  » 
Kt  de  là  ii'siilte  l'application  saisissante  qu'il  fait  au  monde 
entier,  dans  le  verset  suivant,  de  la  vérité  qu'il  vient  de 
proclamer. 

V.  36.  «  Celui  qui  croit  au  Fils ,  a  la  vie  éternelle  ;  mais 
celui  qui  désobéit  au  Fils,  ne  verra'  point  la  vie,  mais 
la  colère  de  Dieu  demeure  sur  lui.»  —  Voilà  la  consé- 
quence piali({ue  que  chacun  doit  tirer  de  la  grandeur  su- 
prême du  Fils.  Ces  derniers  mots  oflrent  une  analogie  re- 
marquable avec  la  lin  du  Ps.  Il  :  a  Rendez  hommage  au  Fils^ 
de  peur  qu'il  ne  s'irrite,  et  que  vous  ne  périssiez  sur  cette 
voie,  lorsque,  dans  peu  de  temps,  s'enflammera  sa  colère; 
mais  bienheureux  sont  ceux  qui  se  confient  en  lui.  »  Seule- 
ment, Jean  commence  par  les  croyants  et  finit  par  les  in- 
crédules, et  cela,  sans  doute,  en  vue  de  ses  propres  disci- 
ples et  de  la  nation  tout  entière;  c'est  un  suprême  avertis- 
sement par  lequel  il  leur  déclare  qu'en  dehors  du  Fils,  il 
n'y  a  pour  eux  que  colère.  —  Comme  Jésus  l'avait  dit  à 
Nicodème,  mais  en  (r;uities  termes.  Jean  déclare  ici  que 
tout  dépend  pour  chaque  homme  de  la  foi  et  de  l'incrédu- 
lité, et  que  la  valeur  absolue  de  ces  deux  faits  moraux  pro- 
vient de  la  dignité  suprême  de  celui  qui  en  est  l'objet  :  le 
Fils.  Ce  nom  explique  pourquoi  la  foi  en  lui  donne  l;i  vie , 
pourquoi  l'incrédulité  envers  lui  f;iil  jiérir.  —  Le  terme  h 

1.  K  lit  oox  e/ei  ati  lieu  de  oux  o'^itrai. 


468  PRKMIKUK  PAHTH:. 

àTCS'.ÔÙiv,  celui  qui  dëxolnul,  fail  lossortir  dans  rinriédulilé 
le  côlé  volontaire,  rélémciit  de  la  révolte.  Le  Fils  est  un 
maître  léy:ilimc;  l'inerédiilili',  |iai- conséfiiicnl,  un  refus  de 
soumission.  El  voilà  ce  qui  molivo  la  colère.  —  Les  mots  : 
a  La  colci  e  demeure,  »  ont  souvent  été  coinpi'is  dans  ce  sens  : 
La  condamnalion  naluiclle  denienrc,  {)arce  que  l'acte  qui 
seul  eût  jiu  rcnicvcr.  idiii  de  la  Ini.  n'a  pas  eu  lieu.  Mais 
ce  sens  est  laiblc  et  détourné;  il  ne  se  rattache  qu'imparfai- 
tement à  ce  qui  piv'cède.  Il  s'agit  bien  j)lutùt  ici  d'une  colère 
allumée  par  le  refus  d'obéissance  et  tombant  sur  l'incrédule, 
comme  Ici.  N'esl-il  jias  juste  que  Dieu  s'irrite?  Si  la  foi 
scelle  la  véracité  de  Dieu  (v.  33),  l'incrédulité,  en  échange, 
ne  le  déclarc-t-elle  pas  menteur  (1  Jean  V,  10)?  —  Le  fut. 
verra  est  opposé  au  prés,  a  :  Non-seulement  il  n'a  pas  ac- 
tuellement la  vie,  mais,  quand  elle  sera  déployée  exlérieu- 
remenl,  sous  la  forme  de  la  gloire,  il  ne  la  contemplera 
pas;  elle  sera  pour  lui  comme  n'étant  pas.  —  Le  verbe 
{xevE'.,  demeure,  malgré  sa  corrélation  avec  le  fut.  o'jieTat, 
verra ,  doit  être  envisagé  comme  un  présent  et  s'écrire  |jls- 
vE'..  Le  présent  répond  encore  mieux  que  le  futur  à  l'idée 
de  permanence.  Toute  autre  colère  est  révocable;  celle  qui 
tombe  sur  l'incrédulilé;  diu'e  à  toujours.  L'épilhclc  clernclle 
retentit  encore  du  premier  membre  dans  le  second. 

Certes,  si  les  v.  34  et  35  conviennent  admirablement  dans 
la  bouche  de  celui  qui  avait  été  le  témoin  de  la  scène  du 
baptême,  cette  dernière  parole  (v.  30)  ne  sied  pas  moins 
bien  au  second  Elie  qui  menaçait  le  peuple  de  la  colère  à 
venir  et  qui  lui  montrait  la  cognée  déjà  mise  à  la  racine  de 
l'arbre.  Et  n'y  avail-il  pas  une  sorte  de  nécessité  morale  à 
ce  qu'avant  de  quitter  la  scène,  le  Précurseur  s'expliquât 
encore  une  fois  sur  la  gravité  de  la  situation  faite  au  monde 
et  à  chaque  homme  par  l'apparition  du  Messie  et  par  sa  ma- 
nifestation, maintenant  accomplie,  à  Israël?  Comment  le 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.   III,  Sfi.  100 

[)r(Mlir;il(Mn'  do  la  ropiMilanco,  en  face  ilii  jiciij)!*'  (|iii  «  nliajt 
<!ans  la  voie  tie  TiiK  récliililé,  eùl-il  pu  finir  son  minislère 
sans  une  sommai  ion  décisive  et  un  appel  suprême  à  la  le- 
penlancc?  Une  diTlaralion  de  ce  genre  ('(ail  rendue  plus 
indispensable  encore  j)ar  la  nature  des  rappuiis  de  Jean  avec 
Jésus.  Leur  l'elalion  menaçait,  comme  nous  venons  de  le 
voir  par  l'exemple  des  pi'opres  disciples  de  Jean ,  de  deve- 
nir pour  ])lusiein's  une  piecre  de  scandale.  La  position  indé- 
pendante dans  laquelle  le  Précurseur  persistait  vis-à-vis  de 
Jésus,  par  les  raisons  que  nous  dirons  tout  à  l'heure,  pou- 
vait aisément  être  mal  inlerprélée.  Et  précisément  parce  qu'il 
ne  venait  pas  se  ranger  au  nombre  des  disciples  de  Jésus, 
il  était  (rautanl  plus  tenu  de  confirmer  les  premières  pa- 
roles qu'il  avait  jirononcées  à  son  sujet,  et  celles  dans  les- 
quelles Jésus  lui-même  se  rendait  témoignage. 

Ce  discours  est  donc  la  vraie  clôture  de  la  prédication  de 
Jean-Baptiste  et  par  là  celle  de  toute  l'ancienne  alliance. 
Après  cette  déclaration,  il  ne  reste  plus  que  l'exécution  de 
cette  menace  de  Malacliie,  dernier  mot  de  l'Ancien  Testa- 
ment :  «  De  pcni'  qveje  ve  vienne  et  qiœje  ne  frappe  la  terre 
à  la  faron  de  l'interdit.  »  Le  v.  36  est,  par  rapport  à  l'incré- 
dulité qui  se  foime,  ce  que  le  v.  21,  dans  l'entretien  de 
Jésus  avec  Nicodème,  était  par  rapport  à  la  foi  naissante. 

Mais  pourquoi  donc  Jean-Baptiste,  plutôt  que  de  parler 
ainsi,  ne  iléposa-t-il  pas  ses  fonctions  de  Précurseur  et  ne 
vint-il  pas  se  joindre  à  la  communauté  des  croyants?  Un  tel 
acte  eût  parlé  plus  éloquemment  que  tous  les  discours.  Cette 
question  souvent  agitée  me  paraît  se  résoudre,  d'abord,  par 
la  différence  qu'il  y  avait  entre  la  position  officielle  et  la 
conviction  pei'SMunelle  de  Jeaii-l)ajiti>te;  ensuite,  par  l'igno- 
rance où  Jean  était  encore,  à  bien  des  égards,  de  la  vraie 
nature  du  règne  de  Dieu. 

Connue,  en  fait  de  mission,  il  n'est  j)as  peiwnis  (\c  jnendre 


.4.70  i'iu.Mii;uK  i'autik. 

Cl'  (|iii  ne  vitus  est  juis  iloiiiié  (v.  47),  il  n'est  pas  permis  non 
pins  (le  qniller  du  son  chef  le  poste  qui  vous  a  été  assij,nié. 
Le  n'tle  assigné  à  .Iciui  ('liiil  celui  d'iuni  de  l'époux;  il  ne 
lui  était  pas  permis  de  léelian^aT  eonlie  celui  tle  l'épouse 
elle-niènie.  Tant  (jue  la  nation  n'avait  pas  cru  en  masse, 
Jean  devait  accomplir  envers  elle  sa  mission;  cl  il  pouvait 
ôlrc  plub  iilile  encore  à  .l(''sus-(llnisl,  en  li-moigiianl  i-ii  sa 
faveur,  qu'en  se  faisant  son  disciple.  Il  était  le  pont  entre 
l'ancien  et  le  nouveau  peuple;  aussi  lon*^ temps  que  le  der- 
nier membre  de  l'ancien  Israël  n'avait  |ias  passé',  le  pont 
devait  rester. 

Mais  souvenons-nous  en  outre  que,  dans  la  pensée  de  Jean- 
Baptiste,  le  royaume'  des  cieux  n'avait  j)oint  encore  com- 
mencé; le  ministère  de  prédication  (ju'exeryait  Jésus,  n'en 
était  à  ses  yeux  que  la  préparation,  comme  le  sien  propre. 
Il  attendait  la  grande  manifestation  ;  et  alors  seulement  il 
comptait,  avec  tous  les  autres,  entrer  dans  la  nouvelle  Jé- 
rusalem. L'idée  que  le  royaume  était  là,  dé'jà  réalisé,  et  cela 
sans  le  moindre  changement  extérieur  en  Israël,  ne  se  pré- 
sentait pas  uïème  à  son  esprit.  Out-'Ue  dislance  de  Jean  à 
Jésus,  de  Jean  au  moindre  des  disciples  de  Jésus! 

L'évangéliste  ne  parle  pas  de  rempiisonnement  de  Jean- 
Ba|ilisle;  mais  la  parole  de  Jf'sus  V,  ."i5  suppose  ce  fait  ac- 
compli. Il  eiil  donc  lieu  pi'ii  de  li'iii])S  après  le  discours  qui 
vient  d'élre  rapjtorlé  (voy.  à  IV,  1).  L'évangélisle  le  passe 
sous  silence,  comme  tant  d'aulres,  qu'il  sait  être  connus  de 
ses  lecteurs.  Quant  à  la  lutle  (jue  Jean  parail  avoir  éj)rouvée 
dans  sa  prison,  nous  pouvons,  après  ce  que  nous  venons  de 
dire,  nous  l'expliquer  plus  complètement  encore  que  pré- 
ré<lemmenl.  S'il  atlendait  réellement  qurUjuc  chose  d'autre, 
il  pouvait  facilement  en  venir  de  là  à  en  attendre  «tin  autre. r> 
Peut-être  aussi  le  doute  [)énihle  auquel  il  fut  exposé,  se 
rattacha-t-il  à  l'impression  que  ses  disciples  avaient  cherché 


l)i;i  XIKMK  CYCLK.  —  CHAI'.   III,  3(i;  IV,    1.  171 

à  t'Vt'ilk'r  dans  son  cœur  :  cette  leiitative  échoua  dans  le 
riioineiit  ruènie;  mais  ce  jjcniic  juil  vie,  lorsque  les  cir- 
constances en  favorisèrent  le  dévelo[ipeincnt. 


DEUXIEME  SECTION. 

IV,   1-42. 

Jésus  en  Samarie. 

Jésus ,  ne  voulant  pas  liàler  la  catastrophe  qui  devait 
mettre  lin  à  son  ministère  terrestre,  abandonne  à  ses  enne- 
mis la  Judée,  comme  il  leur  avait  abandonné  successive- 
ment le  Temple  et  Jérusalem.  L'inquiétude  qu'il  discerne 
chez  ses  adversaiies,  à  l'occasion  de  ses  succès,  est  pour 
lui  le  signal  de  la  retraite.  Il  revient  en  Galilée  et  fait  dès 
ce  moment  de  cette  province  reculée  le  théâtre  ordinaiie 
de  son  activité. 

Le  chemin  naturel  de  Judée  en  Galilée  passait  par  la  Sa- 
marit  C'était  aussi  celui  que  suivaient  ordinairement  les 
caravuies  galiléennes  qui  se  rendaient  à  Jéiusalem  (Josèjthe, 
Anliq.W,  6,  1);  et  Jésus  ne  craignait  pas  de  se  conformer 
à  cet  uage  (Luc  IX,  51  et  suiv.).  On  a  vu  dans  cette  ma- 
nièie  digii-  une  contradiction  avec  Mattli.  X,  5,  où  Jésus  dit 
aux  apures  en  les  envoyant  prêcher  :  «  Ne  vous  en  allez  pas 
vers  les  'ienlils  et  n'entrez  pas  dans  une  ville  des  Samari- 
tains; tnt's  tille:  plutôt  vers  les  brebis  perdues  de  la  maison 
d' Israël. i>\\n[<i,  entre  passer  par  la  Samarie  (ô'.éfx^ffOa',  v.  i) 
et  faire  duoeuple  samaritain  le  but  exprès  d'une  mission, 
il  y  a  une  ((Térence  facile  à  saisir.  On  peut  même  trouver, 
avec  ilengslnberg,  une  convenance  morale  à  ce  que  Jésus 
donnât  parRs,  pendant  sa  vie  terrestre,  l'exemple  d'une 
largeur  de  C0(r  (jui  devait,  dés  après  la  Pentecôte,  devenii' 
le  caractère  d>la  mission  chrétienne. 


M-1  rni.Mirni;  pahtii:. 

S'il  en  Psl  ainsi,  le  l'ail  qui  va  siiiviv^  ainail  iUmc  iiiic  va- 
leur lypiijuo.  C'osf  CP  qiio  .Irsiis  Ini-iiirmc  seul  vivcinonl  H 
fait  rcssorlir  au  v.  .iS.  d'Ile  leinnie  samaiilaine  et  ces  lia- 
bilanls  île  Syeliar.  jiar  la  iiroiiiplilinle  et  renijtress(Miienl  de 
leur  fui  et  par  le  eonlrasle  de  Itui'  condiiilc  avec  celle  du 
peu|)le  israélile,  se  juV'seiili'iil  à  lui  eoninie  les  prémices  de 
la  conversion  dn  niomlr  |iaï('n.  Il  y  a  là,  à  ses  yeux,  un  in- 
dice de  la  niarclie  Inlnir  dn  lè^^ne  île  Dieu  sur  la  terre. 
Fandrail-il  conchu'e  de  là,  avec  Hanr,  que  toni  ce  récit  n'est 
qu'iuie  idée  mise  en  aciion  par  l'anlein'  du  qnalrième  évan- 
gile? Non  certes!  Si  la  fennne  samaritaine  n'élail  (pi'nnc 
personnilicalion  du  monde  païen,  comment  l'auteur  lui  au- 
rail-il  mis  dans  la  l)onclie  (v.  20  cl  sniv.)  une  piofcssion 
slriclement  munollié-islc  el  (v.  25  :  conip.  aussi  v.  42)  l'es- 
pérance assurée  de  la  prochaine  venue  du  Messie?  L'histoire 
réelle  a  heureusement  son  cùlé  idéal.  Aul?'emenl,  que  se- 
rait-elle*? Un  amas  de  Taits  sans  significalion.  De  ce  qu'un 
fait  a  une  valeur  j)rophéli(pie,  il  ne  résulte  pas  qu'il  ne  soit 
qu'une  fiction.  S'il  est  un  trait  de  la  vie  du  Sauveur  qui  par 
la  vivacité  el  la  fraîclicm  df  rrn>('nd)le  el  des  détails,  )orte 
le  sceau  de  la  vérité  historique,  c'est  celui-ci.  M.  Renm  dit 
lui-même:  «La  plupail  des  (circonstances  dn  récit  cil  un 
cachet  frapj)ant  de  vérité»  (Vie  de  Jdma,  p.  2rU). 

Ce  morceau  se  rattache,  coirmii;  continuation,  à  dux  ta- 
bleaux précédents  :  celui  de  la  foi  des  apôtres  (1,  38*1  suiv.) 
et  cehn*  de  la  visite  de  Nicodème  (Ilf,  1-21).  Ce  sot  là  les 
parties  lumineuses  Aw  récit;  elles  alternent  avec  's  récits 
dans  lesquels  domine  le  fait  de  l'incrédulité  (1,  l'el  sniv.; 
Il,  12  el  suiv.;  III.  25  el  sniv.). 

Nous  distinguons  trois  morceaux  :  1"  Jésus  e'-'  Samari- 
taine :  V.  1-20;  2"  Jésus  et  les  disciples  :  v.  27i8;  3"  Jésus 
et  les  Samaritains  :  v.  ."»0-''f2.  / 


DKUXIKMK  CYCI.i:.  —  CHAI'.   IV,    1-3.  /<.73 

I. 

Jésifs  cl  la  Sn)nf(ri(r/in('  :  v.  1-50. 

Ce  premier  morceau  noii.s  montre  comment  Jésus  par- 
vient à  éveillei'  la  foi  dans  une  àme  encore  éliangère  à  la 
vie  d'Kn-Ilaul. 

La  silualion  liisloii(|ue  esl  (h'crile  dans  les  v.  1-6. 

V.  1-."J.  «Lors  donc  que  le  Seigneur'  eut  appris  que  les 
pharisiens  avaient  oui  dire  que  Jésus  faisait  et  baptisait 
plus  de  disciples  que*  Jean-Baptiste  —  2  toutefois  ce 
n'était  pas  Jésus  lui-même  qui  baptisait,  mais  ses  dis- 
ciples —  o  il  quitta  la  Judée  et  s'en  alla  de  nouveau^  en 
Galilée.  »  —  Le  v.  1  fait  connaître  le  molif  qui  engage 
Jésus  à  (juillei-  la  Judée  :  les  pharisiens  commencent  à  se 
préoccuper  sérieusement  de  lui.  Il  leur  est  arrivé  un  rap- 
port, sur  le  compte  de  Jésus,  d'après  lequel  ce  nouveau  per- 
sonnage doit  leur  paraître  j)lus  redoutable  encore  que  ce 
Jean  (pii  les  a  lanl  iiKjuiétés.  —  Oôv,  donc,  ratlache  ce  ré- 
cit à  III,  23-20  :  en  raison  de  ce  grand  concours  de  gens. 
—  Le  terme  de  Seigneur  n'est  appliqué  que  rarement  à 
Jésus  pendant  sa  vie  terrestre  (VI,  2,'î;  XI,  2).  Ce  titre  sup- 
pose l'habitude  de  se  représenter  Jésus  élevé  dans  la  gloire; 
c'est  pourquoi  il  est  si  fréquent  dans  les  épîtres.  S'il  est  au- 
thentique dans  ce  passage  (voir  la  variante),  il  est  occa- 
sionné soit  par  le  sentiment  de  la  grandeur  divine  de  Jésus, 
qui  régne  dans  le  morceau  précédent,  soit,  plus  simplement, 
par  le  désir  d'éviter  la  répétition  du  nom  de  Jésus,  qui  se 
retrouve  quelques  mots  plus  bas.  —  Le  nom  'Ir^acû-,  au 

1  X  0  A  quelques  Mnii.  lip>""r"  Vg.  Syr.  Cop.  lisent  o  I>;sojî  au  lieu 
de  0  Kupio;. 

2.  A  B  L  relranclient  r). 

3.  llaXiv  se  Iroiive  duns  N  ?>""«<•  C  D  LM  quelques  Miiu.  111-'".^".  Vg.  Cop. 
Syi""''.  Il  est  omis  par  Ions  les  aulics  docunienis. 


4-7 >  PRKMIKIIK  PAKTIK. 

Ii«Mi  (lu  proii.  aù-o;,  /'/' ,  «'I  l<'s  jurs.  izcii,  ^a.izi:(L,ei. ,  il  fait, 
il  Ixiptisc,  niunli'ciit  (jue  le  i'aj)|)oil  rsl  liaiiscril  en  quchiue 
sorlf  ipsissiinis  l'ohis.  —  Jcsiis  dcMiil  jiîiiiiilrc  plus  dan- 
gereux que  Jean,  d'aboid  à  cause  du  U'-nioiguaye  messia- 
nique que  Jean  lui  avait  rmdu,  et  ensuite,  à  cause  de  ses 
allures  Itieii  plus  in(lt'|irudaules  des  formes  légales  et  pha- 
risaï(jues. 

La  conséquence  prali(iuc  (jue  .h'sus  lire  de  ee  raj)porl 
donl  il  est  averli,  fait  assez  ualurellenieut  supposer  que 
remprisonnemeni  de  Jean  était  déjà  un  fait  consomme. 
Ilengslenberg  conclut  même  du  parti  que  prend  Jésus  de  se 
reiirti  devant  les  pharisiens,  que  celte  secte  avait  joué  le 
rôle  principal  dans  l'emprisoinienient  du  Précurseur;  et  il 
explique  dans  ce  sens  le  terme  TcafeScO-rj  Mattli.  IV,  12  :  Ce 
serait  par  les  mains  [lerfidcs  des  pharisiens  (jiie  Jean  aurait 
été  livré  à  son  eiincnii.  —  Mais  on  (h.mandera  pourquoi 
Jésus  se  relire  en  Galilée,  dans  le  domaine  d'IIérode;  n'é- 
tait-ce pas  s'exposer  au  même  danger  que  Jean -IJaplisle? 
Non;  car  la  haine  de  ce  prince  contre  Jean  (''tait  une  ailaire 
personnelle.  Jésus  pouvait  donc  se  sentir  plus  en  sùielé  sous 
le  sceptre  d'IIérode  (ju'entre  les  mains  du  paiti  dominant 
en  Judée. 

La  remanjue  du  v.  "1  a  pour  Lui  de  pi(''cisei-  l'expression 
indéterminée  employée  par  l'évangéliste  lui-même  III,  22; 
rien  n'est  indiiïérenl  dans  la  maïuère  d'agir  du  Seigneur, 
et  Jean  ne  veut  pas  laisser  se  former  une  idée  fausse  sur 
l'un  de  ses  actes.  —  Pourquoi  J(''sus  ne  haptisail-il  pas  lui- 
même?  Précisément  paice  qu'il  était  le  Seigneur  et  que, 
connue  tel,  il  se  réservait  le  ha]>tême  d'Esprit.  Puis,  en  aban- 
donnant le  baptême  d'eau  aux  apôtres  et  rendant  ainsi  ce  rit 
indépendant  de  sa  personne,  il  en  garantissait  le  maintien, 
dans  son  Kglise,  a[)rès  son  déjiart.  C'est  donc  à  tort  que  l'on 
a  rapproché  cette  manière  d'agir  de  Jésus  de  celle  de  saint 


DKIJXIÈMK  CYCI,K.  —  CHAI».  IV,   1-5.  4-75 

Paul  I  Cor.  I,  17  cl  de  s;iiiil  Pime  AcI.  X,  4(S.  L'aiiulo^fie 
n'csl  ({u'iipparenlo. 

Le  dépari  de  Judée  est  indiqué  couiine  un  acte  dislinct 
du  retour  en  Gnlih'e,  parce  que,  d'après  le  v.  1 ,  rintcnlion 
de  Jésus  esl  bien  moins  (Yallcr  que  de  partir.  Le  mot  Tzd- 
Xiv,  de  nouveau ,  caractéiise  ce  départ  pour  la  Galilée  comme 
un  second  retour  et  fait  évidemment  allusion  à  I,  44,  où  est 
raconté'  le  premier.  Ce  sont  ces  deux  premiers  retours  de 
Judée  en  Galilée  qu'avait  identifiés  la  tradition  synoptique 
et  que  Jean  tient  à  distinguer  par  les  raisons  que  nous  avons 
dites  III,  2i.  Ge  mot  paraît  donc  authentique,  malgré  les 
nombreux  Mss.  qui  l'omettent. 

V.  4  et  5.  «  Or  il  fallait  qu'il  passât  par  la  Sainarie  '.  5  II 
arriva  donc  à  une  ville  de  Samarie  nommée  Sychar*, 
voisine  du  champ  que  Jacob  avait  donné  à  Joseph  son 
fils.  «  — "ESsi,  il  fallait,  en  raison  de  la  situation  géogra- 
phique. Les  Juifs  Irès-sliicls  préféraient  seuls  passer  par  la 
Pérée.  Jésus  ne  pouvait  partager  cet  esprit  particulariste. 
—  Le  nom  de  Sijchar  étonne;  car  la  seule  ville  connue  dans 
cette  localité  se  nonuuait  Sichcm.  On  a  exphqué  ce  chang;e- 
raent  de  nom  j)ai'  une  erreur  de  l'évangéhste  et  conclu  de  là 
à  l'inauthenticilé  de  notre  évangile.  Mais  Liglilfoot  et  Wiese- 
1er  ont  déniontié  l'existence  de  la  forme  enqjloyée  pai'  Jeau 
(ID'Oj  dans  leTalmud.  Sychar  était  donc  une  dénomination 

que  Jean  empruntait  au  langage  populaire.  Etait-ce  une  alté- 
ration du  nom  primitif?  Gette  transformation  pourrait  s'expli- 
quer de  diverses  manières  :  Ou  bien  les  Juifs  auraient  par  là 
désigné  malicieusement  celte  ville,  soit  comme  la  ville  de 


1.  N  onift  Ions  les  mots  depuis  le  premier  ^ajjiapeia;  au  second  inclu- 
sivonietit  (cvidenimenl  par  erreur). 

2.  Tous  les  Mss.,  ù  re.\ccpliou  de  quelques  Mnu.,  et  toutes  iesaucieuncs 
Vss.  lisent  — "X^'P  ^''  "Ou  — tx^P- 


4-70  iMu:Mii;nK  pahtik. 

vicDsoufjc  npu),  (''t'sl-à-dirc  de  pnfjnniswe^funl  coiiimi^  la 

ville  (les  buccins  ("ID'J,  clxtçx,  ccrvoise);  cump.  Ks.  XXVIII, 

1  ,  où  k'S  Imliilaiils  tlo  relie  coiiliéc  sont  appelés  l('s  hiiccurs 
d'Éplirdfin  (^SnSS  "^"^ijU?).  On  l»ien  ce  nom  viendrail-il  de 

13*"D  ou  "ID'O,  cavcnn  sépulcral,  el  ferait -il  allusion  à  la 

tradition  qui  jilarail  (  n  e(  I  (  iidroil  le  loiulxau  de  Joseph? 
La  fornie  — Jx.otp  (au  lieu  de  '^vji'^ç)  parhMaiL  en  faveur  de 
celte  élymologie.  Ces  explications  sont  toutes  plus  ou  moins 
forcées.  Il  est  plus  naturel  d'admettre  un  changement  de 
voyelle  et  la  suhstitulion  d'une  liquide  à  une  autre,  comme 
il  y  en  a  tant  d'exemples,  surtout  dans  les  lei'minaisons; 
comp.  Ben  et  Hnr,  ftls,  en  ln'l)i(u  et  en  syiiaque.  —  Plu- 
sieurs (Hug,  Lange)  ont  suj)posé  que  Sychar  était  un  hameau 
distinct  de  Sichem.  Mais  Sychar  est  appelée  une  villa  et  non 
un  bourg,  dans  notre  texte;  et,  comme  le  fait  observer 
M.  Bovct,  <r  il  est  impossible  de  sup|)oser  une  ville  de  Sychar 
distincte  de  Sichem  el  située  à  (pielqucs  centaines  de  [)as  de 
celle-ci»  (Vof/arje  en  Terre- Sainte,  1*"°  édit.  p.  364).  — 
Cette  ville,  qui  fut  rebâtie  du  temps  de  Vespasien  et  reçut 
en  son  honneur  le  nom  fie  Fia  via  Ncnpolis  (Nai)louse),  est 
située  dans  une  belle  vallée  latérale  ({n'enferment  au  nord- 
est  et  au  sud-ouest  les  monts  Khal  el  Carizim.  «La  route 
de  Jérusalem  en  Galilée,  dit  M.  llenan,  passe  à  une  demi- 
heure  de  Sichem  devant  l'ouverture  de  la  vallée....  »  (  Vie  de 
Jésus,  p.  232).  Cependant,  M.  Hovel  ne  pense  pas  que  la 
morlerne  Naplousc  soit  bâtie  exactement  sur  l'emplacement 
de  l'ancienne  Sichem;  il  a  reconnu  les  restes  de  cette  der- 
nière au  milieu  de  plantations  d'oliviers  situées  beaucoup 
plus  près  de  l'entrée  de  la  vallée  ,  entre  Naplouse  et  le  puits 
de  Jacob  (p.  303).  Le  nom  même  de  xNaplouse  indi(jue  un 
nouvel  emplacement;  autrement  la  nouvelle  ville  eût  con- 
servé le  nom  de  Sichem.  Cette  circonstance  explique  peut- 


DEUXIKMI-:  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,    t.  5.  477 

être  comment  la  femme  saiiuuilaiiie  venait  cherclicr  de  l'eau 
au  piiils  de  Jacob.  —  C'est  à  Naj;luuse  qu'liabitenf  aiijour- 
d'Iiiii  les  restes  du  peuple  samarilain. 

Selon  de  Welle,  Meyer  et  d'autres,  le  don  piétcndu  de 
Jacob  à  Joseph  mculionné  dans  ce  v.  0  ne  serait  qu'une  fausse 
tradition,  reposant  sur  un  malentendu  des  LXX  dans  la  tra- 
duction de  Gen.  XLVIIl,  22  :  (kJc  le  donne  nnc  portion 
{Schchcin)  de  plus  qu'à  tes  frères,  qiœj'ai  conquise  sur  les 
Amorrliéens  avec  mon  cpce  et  mon  arc.y>  Dans  ce  passage, 
Jacob  adopte  comme  siens  les  deux  enfants  de  Joseph  et 
donne  ainsi  à  ce  fds  préféré  une  portion  de  plus  qu'à  tous 
ses  frères.  Le  mot  portion  est  exprimé  par  le  terme  DDUJ 

(proprement  :  épaule,  portion  de  la  victime,  d'où  portion  en 
général).  Les  LXX,  prétend-on,  auraient  pris  à  tort  ce  mot 
dans  un  sens  géographique  et  l'auraient  faussement  traduit 
par  2''x'.[j.a,  Sicheni;  et  de  cette  fausse  traduction  serait  pro- 
venuc  la  légende  populaire  reproduite  ici  par  saint  Jean. 
Mais  il  est  incontestable  que,  quand  Jacob  dit  :  «.La  portion 
que  j'ai  prise  sur  les  Amorrliéens  avec  mon  épée  et  mon 
arc,y>  il  fait  allusion  à  l'acte  violent  commis  par  ses  fds,  Si- 
méon  et  Lévi,  contre  la  ville  de  Sicliem  (Gen.  XXXIV): 
«  Ayant  pris  leur  épée,  ils  entrèrent  dans  la  ville  de  Sichem, 
en  tuèrent  tous  les  liahilants  et  la  pillèrent  entièrement}) 
(v.  25.  27).  C'est  là  le  seul  exploit  militaire  dont  il  soit  parlé 
dans  la  vie  du  patriarche.  Jacob  s'approprie  ici  le  côté  glo- 
rieux et  vaillant  de  cet  acte  et  envisage  ce  fait  comme  la 
confirmation  de  l'adial  (ju'ij  avait  lait  (Gen.  XXXIII,  19)  d'un 
domaine  dans  le  district  de  Sichem  et  comme  le  gage  de  la 
conquête  future  de  Canaan  par  ses  descendants.  Par  consé- 
quent, en  employant,  j)our  désigner  la  portion  qu'il  donne 
à  Joseph,  le  mot  Sclichcm,  il  fait  un  jeu  de  mots,  comme  il 
s'en  trouve  un  si  grand  nombre  dans  l'Ancien  TeslamenI  ;  il 
lui  donne  une  portion  (Sclichem)  qui  est  précisément  Sichem. 


♦7S  premif":!^!-.  partik. 

Iv4*s  fils  (le  Jnrob  com|)rironl  purfîMlement  sa  ponsée;  lors- 
que les  IsrîK'litos  reviniviif  ou  C;in;>nri,  leur  premier  soin  fut 
(le  déposer  les  os  de  .losejili  (l;uis  le  eliiimp  do  .lucob  près 
do  Sicliem;  puis  ils  assi^Mièrenl  ;'i  In  jiliis  ^Maiide  des  deux 
tribus  issues  de  Josopli,  relie  d'KpIiraïm,  la  portion  de  Ca- 
naan i»ù  se  froiivail  Sicheni.  Les  L\X,  ne  pinivanl  rendre  le 
jeu  de  mots  en  grec,  ont  traduit  le  mol  Scliclicin  dans  le 
sens  géograpbique,  qui  était  de  beaucoup  le  jilus  important. 
Il  n'y  a  done  ici  ni  lansst'  Iradiiclioii  de  la  j)art  des  LXX,  ni 
fausse  Iradilinn  à  la  eliarj,'e  de  ri'vani^VdisIr. 

V.  0.  «Là  se  trouvait  le  puits  de  Jacob;  Jésus  donc, 
fatigué  de  la  marche,  était  assis'  sur  le  bord  du  puits; 
c'était  environ  la  sixième  heure.  »  —  Ce  j)nils  existe  en- 
core; car  <i  c'était  probablement  celui-là  mémo  qui  s'appelle 
encore  maintenant  Dir-Jolioithî)  (llenan,  Vie  de  Jésus, 
p.  23.]).  Il  est  situé  à  35  minutes  de  Naplousc.  Il  est  creusé 
dans  le  roc  et  a  9  pieds  de  diamètre  et  105  de  profondeur. 
Aujourd'hui  il  est  en  partie  éboulé  et  n'a  plus  que  75  pieds. 
Maundrtll  y  avait  trouvé  15  pieds  d'eau.  Hobiiison  et  M.  Bo- 
vet  le  trouvèient  à  sec.  Schubert,  au  mois  d'avril,  j)ut  boire 
de  son  eau.  Dans  le  voisinaj,'c  se  trouvent  quelques  habita- 
tions. Un  jH'M  jthis  au  nord,  et  aussi  veis  l'entrée  de  la  val- 
lée, on  montre  le  tombeau  de  Joseph.  —  Hobinson  a  de- 
mandé pounjuoi,  dans  une  contrée  si  abondante  en  sources, 
ce  gif^antesque  travail?  H  n'y  a  pas  d'autre  réponse  à  faire 
que  celle  de  Hen'^'^stenberg  :  Cette  œuvre  est  celle  d'un  homme 
qui,  étranger  au  pays,  voulait  vivre  indépendant  des  habi- 
tants, aux(ju(ds  appartenaient  les  sources,  et  laisser  un  mo- 
nument de  son  droit  de  propriété  sur  ce  terrain  et  sur  celte 
contrée  tuul  entière.  C'est  ainsi  que*  la  nature  même  de  ce 
travail  confirme  l'origine  que  lui  altiibue  la  tradition. 

1.  OiiTw;  est  omis  par  quelques  Mriii.  Il*'"»-  el  Syr. 


DEUXIKMF-:  CYCI.K.  —  CIIAP.  IV,  r>-9.  479 

Le  chemin  passant  dans  la  plaine  à  l'est  de  la  vallée,  Jésus 
s'assit  anprès  du  pnils,  à  reniré'c  de  la  |:;or}^e,  en  attendant 
ses  dis(i[)les,  (pii  se  rendaient  à  Syeliar  et  flevaienl  venir  le 
rejoindre  là,  —  La  falii^iie  de  Jésus  fait  d'autant  mieux  res- 
sortir son  zèle  dans  l'œuvre  qu'il  va  accum|)lir.  L'é'eule  de 
Tubiniiue  attribue  à  saint  Jean  l'hérésie  des  Docètes  sur  le 
corps  de  Jésus.  Conmient  concilier  cette  assertion  avec  ce 
trait  du  récit?  —  O'jtw-  est  ici  intraduisible  (et  c'est  sans 
doute  la  raison  pour  laquelle  il  est  omis  dans  les  versions 
latines  et  syriaques,  aussi  bien  qu'il  l'est  dans  la  nôtre)  : 
temerè,  dans  l'attitude  d'un  homme  qui  n'a  rien  à  faire  et 
qui  se  repose.  Cette  expression  est  inspirée  par  le  contraste 
de  la  tâche  inattendue  qui  va  se  présenter.  —  La  sixième 
heure  doit  ici  désigner  midi,  selon  la  manière  de  compter 
généralement  reçue  en  Orient;  ainsi  s'explique  bien  le  xexo- 
TC'.axQ j ,  fatigué. 

La  première  phase  de  l'entretien  va  jusqu'au  v.  15  et  se 
rattache  directement  à  la  situation  donnée. 

V.  7-0.  «  Arrive  une  femme  de  laSamarie,  pour  puiser 
de  l'eau.  Jésus  lui  dit  :  Donne-moi  à  boire.  S  Car  ses  dis- 
ciples s'en  étaient  allés  à  la  ville  pour  acheter  des  vi- 
vres. 0  La  femme  samaritaine  lui  dit  donc  :  Comment 
toi,  qui  es  juif,  me  demandes-tu  à  boire,  à  moi  qui  suis 
une  femme  samaritaine?  (Car  les  Juifs  n'ont  pas  de  re- 
lations avec  les  Samaritains).'»  — Comment  celte  fenmie 
venait-elle  chercher  de  l'eau  si  loin  et  à  cette  heure?  Peut- 
être  avait-elle  travaillé  aux  cliamps  et  venait-elle  puiser  cette 
eau  en  retournant  à  la  maison  à  l'heure  du  repas.  D'ailleiu'S, 
comme  nous  l'avons  vu,  Sychar  n'était  pas  aussi  éloii,niée  du 
puits  que  l'est  aujourd'hui  Naplouse.  —  'Ex  tyjç  Sap-apetaç 
dépend  de  yuvrf,  non  de  ï^-/j,xoli  :  car,  dans  (;o  deinier  cas, 


1.  Celle  parciilliùsc  e^l  onaise  tout  ciitiôrc  par  N. 


4S0  imu:mikuk  i»ahtik. 

^■x\i.xçtCa  ilcvrail  (h'si^iifr  l;i  ville  de  te  nom,  (|iii  esta  trois 
lioues  jjliis  ;iii  nord.  —  La  (U'iuaiulc  de  Jésus  doit  èlre  prise 
dans  le  sens  le  plus  simple  et  envisagée  comme  sérieuse. 
Cela  résulte  ilii  m»)t  falifjuc,  ce  (jui  n'cmpétlK!  pas  qu'en 
enlamanl  mi  entrelien  av(;c  celte  i'emme  il  ne  répondit  à  ini 
autre  besoin  que  celui  du  corps,  celui  de  sauver.  Il  sait  que 
le  moyen  de  gagner  une  âme  est  souvent  de  lui  demander 
un  service;  on  lui  accorde  j)ar  là  une  supériorité  ipii  la 
flallc.  «L'elTet  de  ce  petit  mot  a  été  grand;  il  a  commencé 
à  renverser  la  muraille  sé'culaire  entre  les  deux  peuples  » 
(Lange).  Sans  doute,  si  les  disciples  eussent  été  j)résenls, 
ils  eussent  eu  un  vase,  un  àvTXT,}jia,  à  faire  descendre  dans 
le  puits  (voii'  v.  Il);  de  là  la  remarque  intercalée  v.  8  cl  le 
car  «pii  1  inlioduil.  En  tous  cas  celte  remarijue  montre  la 
réalité  du  bbsoin  qui  a  provoqué  la  demande  de  Jésus.  Ce 
n'est  pas  là  non  plus  du  docélisme.  —  Le  mot  «  les  disci- 
ples »  désigne-l-il  tous  les  disciples  sans  exception  ?  N'cst-il 
pas  invraisemblable  qu'ils  eussent  laissé  là  Jésus  absolument 
seul?  Jean  pourrait  fort  bien  cire  resté  et  ne  point  faire 
mention  de  lui-même;  c'est  ainsi  qu'il  agit  dans  tout  son  ré- 
cil.  —  La  tradition  rabbiniquc  postérieure  n'eût  pas  permis 
de  manger  des  aliments  samaritains.  Mais  l'ordonnance  pou- 
vait n'être  pas  alors  si  stricte,  surtout  pour  les  Galiléens.  Et 
d'ailleurs  il  suflisail  de  n'aclieler  (jue  des  mets  qui  ne  pou- 
vaient participer  à  la  souillure,  tels  que  œufs,  fruits,  etc. 

Comment  la  Samaritaine  reconnut-elle  Jésus  pour  im  Juif? 
Était-ce  au  costume?  ou  peut-être  à  l'accenl?  Slier  a  observé 
que,  dans  les  quelques  mots  que  Jésus  venait  de  prononcer, 
se  trouvait  précisément  la  lettre  2?  qui,  d'après  Jug.  XII,  6, 
distinguait  les  deux  prononciations  juive  (ID,  scli)  et  samari- 
taine (t?,  s)  :  rinlD"/  ■' jD  {leni  lischekolh;  samaritain  :  lisekolh). 

—  Les  derniers  mots  (cù  yà?  a'jyyçûvTag  sont  une  remarque 
de  l'évangélisle,  en  vue  de  ses  lecteurs  païens,  sur  l'origine 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.   IV,  7-tO.  481 

du  peuple  siunarilaiu  (voir  2  Rois  XVII,  24  et  suiv.).  C'était 
uu  niéluiiye  de  ciiu]  nations  transportées  de  l'Orient  par 
As^'UrlKiddon  poui'  repeupler  le  royaume  de  Samarie  dont 
Salinanazar  avait  déporté  les  habitants.  Au  culte  de  leurs 
dieux  nationaux,  ils  joignirent  celui  de  la  divinité  du  pays, 
Jéliovali.  Après  le  retour  de  la  captivité  de  Itabylone,  ils  of- 
fiirent  aux  Juifs  leurs  services  pour  la  reconstruction  du 
Teraple.  Piepousbés,  ils  usèrent  de  toute  leur  influence  au- 
près des  rois  de  Perse,  pour  entraver  le  rétablissement  du 
peuple  juif.  Ils  se  bâtirent  un  temple  sur  la  montagne  de 
Garizini.  Leur  premier  sacrificateur  fut  Manassé,  prêtre  juif 
renégat  qui  avait  épousé  une  Persane.  Ils  étaient  plus  dé- 
testés des  Juifs  que  les  païens  mêmes.  On  ne  recevait  pas 
de  prosélytes  samaritains.  —  Luthardt  pense  que  la  femme, 
par  espièglerie,  exagère  un  peu  les  conséquences  de  l'hos- 
tilité entre  les  deux  peuples  et  que,  en  faisant  subir  à  Jésus 
ce  petit  interrogatoire,  elle  veut  jouir  un  moment  de  la  su- 
périorité que  lui  donne  sa  position.  N.  paraît  être  du  même 
avis.  Cette  nuance  ne  ressort  pas  assez  du  texte.  La  Sama- 
ritaine exprime  naïvement  son  étonnement. 

V.  10.  «Jésus  répondit  et  lui  dit:  Si  tu  connaissais 
le  don  de  Dieu  et  qui  est  celui  qui  te  dit  :  Donne-moi  à 
boire,  tu  l'aurais  prié  toi-même,  et  il  t'aurait  donné  de 
l'eau  vive.  »  —  A  cette  observation  de  la  femme,  Jésus 
répond ,  non  en  renouvelant  sa  demande ,  mais  en  faisant 
une  offre  au  moyen  de  laquelle  il  reprend  la  position  de 
supériorité  que  sa  demande  semblait  lui  avoir  fait  perdre  ; 
et  il  élève  de  cette  manière  les  pensées  de  cette  femme  vers 
la  sphère  supérieure  où  il  n'y  a  plus  pour  lui  qu'à  donner, 
et  pour  elle,  qu'à  recevoir.  —  L'expression  :  «  Le  don  de 
Dieu ,  »  est  une  notion  abstraite  dont  la  réalité  concrète 
doit  être  indiquée  dans  les  mots  suivants,  soit  par  ceux-ci: 
«  Qui  est  celui  qui  te  dit,  »  soit  par  l'expression  :  a  L'eau 
I.  31 


/»8"2  PREMIÈRE  PARTIE. 

vive,  i>  à  In  fin  du  vrrsi'l.  II  me  jt;iniî(  r\\\o  la  parolo  de 
Jésus  III,  1(>  :  (i  Dieu  a  tant  aime  le  inonde  qn'il  a  donne 
son  Fils  unique,  »  décide  jwiir  la  première  nlternative ,  cf 
que  le  don  de  Dieu ,  dans  sa  pensée ,  c'est  bien  lui-même. 
D'ailleurs,  l'eau  vive  est  désignée  nininie  le  don  de  Jésus, 
et  non  comme  celui  de  Dieu.  Dieu  donne  Jésus  au  monde; 
et  c'esl  à  Jésus  qu'il  faut  demander  l'eau  vive.  —  Veau  vive 
désigne,  dans  le  sens  propre,  l'eau  de  source,  en  opposi- 
tion à  l'eau  de  citerne  ou  à  l'eau  stagnante  et  en  général  à 
toute  eau  qui  ne  se  renouvelle  pas.  Gen.  XXVI,  10  :  a  Les 
seri'iteurs  d'Isaac  creusèrent  dans  la  vallée  et  y  trouvèrent 
un  puits  d'eau  vive  ,i>  c'est-à-dire  une  source  souterraine 
dont  ils  firent  un  puits.  Comp.  Lév.  XIV,  5.  Dans  le  sens 
figiuv.  l'eau  vive  est  donc  un  l)ien  qui  a  la  jtropriété  de  se 
reproduire' incessamment  lui-même,  comme  une  source 
jaillissante,  comme  la  vie  elle-même,  et  qui  par  conséquent 
ne  s'épuise  jamais.  Qu'entend  -  il  par  là  ?  Selon  Justin  et 
Cyprien,  ce  serait  le  baptême;  selon  Liicke,  la  foi;  selon 
Olsbausen ,  Jésus  lui-même  ;  selon  Lulliardl,  le  Saint-Es- 
prit; selon  Grotius,  la  doctrine  évangélique;  selon  Meyer, 
la  vérité.  Selon  Jésus  lui-même  (v.  13  et  i4),  c'est  la  vie 
éternelle.  Mais  la  vie  éternelle ,  c'est  Jésus  vivant  dans  l'âme 
par  la  puissance  de  l'Esprit  (ch.  XIV  -  XVI).  Donner  l'eau 
vive,  c'est  donc  pour  lui  se  comnnmiquer  lui  -  même;  car 
la  vie  est  identifiée  avec  son  principe.  Cette  explication 
comprend,  jusqu'à  un  certain  point,  toutes  les  précédentes. 
V.  11  et  12.  <•  La  femme'  lui  dit  :  Seigneur,  tu  n'as 
pas  '  de  seau  ,  et  le  puits  est  profond  ;  d'où  aurais  -  tu 
donc  cette  eau  vive?  12  Es  -  tu  plus  grand'  que  notre 
père  Jacob .  qui  nous  a  donné  ce  puits  et  qui  en  a  bu 


t.  B  retranche  tj  yuvr].  N  lit  exeivr], 

2.  X  lit  X7.1  devant  oore. 

3.  t<  lit  (xa^ov  au  lieu  de  (ici^uv. 


DEUXIKME  CYCLE.  —  CIIAP.   IV,   10- U.  483 

lui-même  ,  ainsi  que  ses  fils  et  ses  troupeaux  ?  )  —  La 
femme  prend  l'expression  (ïcnu  vive  dans  le  sens  propre. 
Mais  elle  n'oppose  point,  comme  on  le  croit  souvent,  cette 
eau  de  source  à  celle  du  puits  de  Jacob  ;  autrement,  sa  ré- 
ponse n'aurait  i)as  de  sens.  Le  ])assage  cité  de  la  Genèse 
prouve  que  l'eau  du  puits  peut  bien  être  de  l'eau  vive  dans 
le  sens  propre.  Elle  veut  donc  dire  :  «  Tu  ne  peux  tirer  du 
puits  l'eau  vive  que  tu  m'ofi'res;  car  tu  n'as  pas  de  vase  à 
puiser ,  et  le  puits  est  trop  profond  pour  que  tu  puisses 
atteindre  la  source  qui  l'alimente ,  avec  la  main.  Or  il  n'y  a 
pas  d'autre  source  à  notre  portée;  en  connaîtrais-tu  une 
qui  ait  celiappé  aux  regards  de  Jacob  ,  ou  en  ferais  -  tu 
jaillir  une  miraculeusement  là  où  ce  patriarche  a  pris  la 
peine  de  creuser  un  pareil  puits  ?»  —  Elle  appelle  Jacob 
noire  père  parce  (jue  les  Samnrifains  prétendaient  descendre 
d'Epbi'aïm  et  de  iManassé  (Josèpbe,  Antiquités,  IX,  14,  3).  — 
0pé(j.,aaTa:  serviteurs  et  troupeaux,  tout  ce  qu'on  nourrit. 
V.  13  et  14.  «Jésus  répondit  et  lui  dit:  Quiconque  boit 
de  cette  eau- ci,  aura  soif  de  nouveau;  14  tandis  que 
celui  qui  boira'  de  l'eau  que  je  lui  donnerai,  n'aura  plus 
soif  à  jamais;  mais  l'eau  que  je  lui  donnerai  '  deviendra 
en  lui  une  source  d'eau  jaillissant  en  vie  éternelle.  »  — 
L'eau  de  ce  puits  a  beau  être  de  l'eau  de  source;  elle  n'est 
j»as  l'eau  vive ,  dans  le  sens  où  Jésus  l'entend  :  elle  n'a  pas 
la  faculté  de  se  reproduire  elle-même  chez  celui  qui  en 
boit;  aussi,  au  bout  d'un  certain  temps,  le  besoin  se  ré- 
veille et  le  tourment  de  la  soif  se  fait  sentir.  «  Belle  inscrij)- 
tion,  dit  Stier,  à  mettre  sur  une  fontaine.  »  Cette  eau  paraît 
être  en  môme  temps  aux  yeux  de  Jésus  l'emblème  de  toutes 
les  satisfactions  terrestres  à  la  suite  desquelles  le  vide  se 

1.  N  D  lisent  o  ôe  tcivwv  au  lieu  de  o;  ô'av  tiit). 

2.  N  D  M  quelques  Mnu.  el  U.  lisent  eyw  devant  ôtoso.  N  letraucbe 
a-jTO)  qui  suit  ce  uiCme  mol. 


4fN'f  PRKMIKRK  PARTIE. 

reproduit  liirnli*»!  diitis  rfiiiic  cl  (|ui  iiiiiinlirniicul  riKniiiiic 
dans  la  (lt''[n'iidaii(0  dos  dlijols  cxli'riL'iiis. 

Jésus  di'liiiil  lui-nièiiiL'  la  iialurc  de  l'oau  vive  ;  c'est  celle 
qui ,  se  reproduisant  par  sa  virtualité  jtropro ,  étanclie  la 
soif  à  mesure  (pi'elle  s'éveille,  de  sorle  (|ue  le  cœur  qui  la 
possède  ne  jteut  plus  jamais  ressenlir  le  tourment  du  besoin. 
L'homme  dans  le  cœur  duquel  jaillit  celte  source  intaris- 
sable, possède  par  conséquent  un  bonheur  indé'pendant  de 
tous  les  objets  extérieurs.  —  'Eyu  :  <«  Oui ,  moi ,  «  en  oppo- 
sition à  Jacob.  —  E''?  xôv  aCôva  ,  à  jamais,  est  temporel; 
il  n'en  est  pas  de  même  de  et?  Çwtjv  a-'uvicv,  en  vie  éternelle, 
qui  exprime  la  forme  sous  laquelle  l'eau  jaillit;  le  fleuve 
qui  émane  de  cette  source,  est  la  vie  éternelle.  Et  cette  vie, 
c'est  Jésus  glorifié  dans  le  cœur  par  le  Saujt-Esprit. 

V.  15.  <!  La  femme  lui  dit  :  Seigneur  .  donne-  moi  de 
celte  eau-  là,  afin  que  je  n'aie  plus  soif  et  que  je  ne 
vienne  '  plus  ici  pour  puiser.  »>  —  La  demande  de  cette 
femme  a  certainement  un  côté  sérieux.  L'allocution  respec- 
tueuse iSeigneury>  le  prouve.  Cela  ressort  également  du 
caractère  grave  des  paroles  suivantes  de  Jésus.  Elle  a  été 
saisie ,  lors  même  qu'elle  ne  comprend  pas.  Mais  l'expres- 
sion du  désir  qu'elle  éprouve  de  se  rendre  la  vie  plus  com- 
mode a  quelque  chose  de  trop  naïf  pour  ne  pas  présenter 
involontairement  un  côté  plaisant. 

Ici  commence  la  seconde  phase  de  l'entretien  :  v.  16- 
25.  Aucun  lien  rationnel  ne  la  rattache  à  la  première  ;  car 
on  ne  peut  envisager,  comme  l'ont  fait  quelcpies  interprètes, 
l'enseignement  sur  le  culte  spirituel  ou  la  révélation  de  sa 
dignité  de  .Messie  comme  l'eau  vive  promise  à  cette  femme. 
Le  caractère  purement  historique  du  récit  ressort  précisé- 
ment de  celte  absence  d'enchaînement  systématique. 

1.  Au  lieu  d'cpyo|iai  ou  ep/wfiai,  entre  lesquels  se  partagent  les  autres 
Mjj.,  N  B  lisent,  l'un  diep/wixai,  l'autre  ôiep/.o|i.ai. 


DKI'XlKMi:  CYCIE.  —  CIIAP.  IV,   11-lK.  i85 

V.  !(i-  IS.  "Jésus  lui  dit:  Va,  appelle  ton  mari,  et 
viens  ici.  17  La  femme  répondit  et  dit  :  Je  n'ai  pas  de 
mari.  Jésus  lui  dit:  Tu  as  bien  dit:  Je  n'ai'  pas  de  mari. 
18  Car  tu  as  eu  cinq'  maris,  et  celui  que  tu  as  main- 
tenant n'est  pas  ton  mari.  En  cela  tu  as  dit  vrai  '.  »  — 
Jésus  a  conduit  celle  femme  jusqu'au  jjoint  où  peut  com- 
mencer renseignemcnl  qu'il  a  à  lui  donner.  A  ce  moment , 
il  s'interrompt  et  l'invite  à  aller  chercher  son  mari.  Faut-il 
expliquer  celle  dr-mande  par  Yeffet  qu'elle  devait  produire, 
soit  en  donnant  à  Jésus  l'occasion  de  prouver  à  celte  femme 
son  savoir  prophétique  et  de  l'amener  à  la  foi  par  ce  mi- 
racle (Meyer  et  autres),  soit  en  réveillant  chez  elle  le  senti- 
ment de  ses  péchés,  condition  de  la  foi  (Tholuck,  Luthardt, 
Bonnet)?  Dans  les  deux  cas,  il  y  aurait  dans  la  conduite 
de  Jésus  un  calcul  qui  ne  paraîtrait  pas  conforme  à  la  par- 
faite candeur  de  son  caractère.  Nous  ne  nions  point  que 
Jésus  ne  put  avoir  l'intention  de  produire  de  tels  effets.  Mais, 
quoi  qu'il  en  soit ,  cette  invitation  à  amener  son  mari  doit 
pouvoir  se  légitimer  par  elle-même  et  abstraction  faite  de 
ses  effets  indirects. 

Chrysostome  et  Lùcke  font  déjà  remarquer  que  le  mari 
devait  être  rendu  participant  du  don  de  Dieu  avec  sa  femme. 
Nous  voyons  d'ailleurs  par  ce  qui  suit  que  Jésus  visait  à 
l'évangéhsation  de  toute  cette  peuplade.  L'arrivée  de  celte 
femme,  à  une  heure  peu  ordinaire,  avait  été  pour  lui  le 
signe  de  la  volonté  de  son  Père.  Peut-être,  en  faisanl  appeler 
le  mari ,  voulait -il  faire  de  cette  famille  le  point  de  départ 
du  règne  de  Dieu  dans  cette  contrée.  Comp.  la  direction 
qu'il  donne  à  ses  apôtres,  j)our  l'évangélisation  de  la  Gali- 
lée, de  se  choisir  une  maison  dans  chaque  endroit  et  d'y 

1.  N  D  IH''  Héracléon  lisent  ex^'î  a"  ''eu  ^'^X^- 

2.  Hérack'on  :  el  au  lieu  de  rcevre. 

3.  N  E  :  aÀr,Oco;  au  lieu  d'aXr,9e;. 


i8(i  PlîKMlK.ni-;  l'AUTlF. 

deineunT  juscju'à  lrui-  (lc|»;irl  (Luc  X,  7).  Il  n'ost  point  nt'- 
cessairc  il'adnu'tlre  qu'en  prononçant  cette  parole,  qui  s'ex- 
j)liqiie  ainsi  tout  nalurellcnient ,  Jésus  connût  déjà  tous  les 
aiitccédcnis  de  cette  femme.  La  vue  propli('ti(jue  a  fort  bien 
pu  ne  s'éveiller  cliez  lui  ([uïi  l'occasion  de  cette  réponse 
qui  l'a  frappé  :  t  Je  n'ai  pas  de  mari,  v 

L'état  de  cette  femme  n'étant  pas  régulier,  elle  n'ose  pas 
appeler  son  mari  l'homme  avec  lequel  elle  vil.  Gcda  dénote 
chez  elle  une  certaine  sincérité. 

La  réponse  de  Jésus  n'est  pas  exempte  d'ironie.  L'assen- 
timent partiel  qu'il  donne  à  la  réponse  de  la  femme ,  ren- 
ferme le  blàme  le  [dus  sévère  de  sa  conduite.  En  même 
temps  il  complète  le  tableau  de  sa  vie,  en  rappelant  les 
circonstanci's  qu'elle  a  omises.  Rien  n'oblige  à  ((((iri'  que 
les  cinq  premières  unions  n'eussent  pas  été  légitimement 
dissoutes ,  soit  par  le  divorce,  soit  par  la  mort ,  quoique  ce 
soit  peu  probable.  Mais ,  ce  qui  rend  cette  n'-ponse  mor- 
dante, c'est  le  contrast(î  que  Jésus  fait  ressortir,  entre  ce 
nombre  cinq  et  les  mots  :  «ije  n'ai  pas.  »  —  La  position  du 
pron.  C7CJ  devant  cfvirjp  pourrait  impliquer  une  antithèse  sous- 
entenflue  :  «  Non  pas  le  tien  ,  mais  celui  d'une  antre.  »  Elle 
aurait ,  d'après  cela  ,  vécu  en  adultère.  Cependant ,  il  n'est 
pas  nécessaire  de  presser  ainsi  le  sens  (\u  pronom. 

V.  10  et  20.  «La  femme  lui  dit:  Seigneur,  je  vois  que 
tu  es  prophète.  :2<l  Nos  pères  ont  adoré  sur  cette  mon- 
tagne: et  vous,  vous  dites  que  cest  à  Jérusalem  qu'est 
le  lieu'  où  il  faut  adorer.  »  —  Les  uns  ne  voient  dans  celle 
question  de  la  femme  qu'un  essai  de  faire  diversion  au  trou- 
ble de  sa  conscience,  cune  ruse  de  femme»  (de  Wette), 
dans  le  but  d'échapper  à  un  sujet  qui  lui  est  pénible.  «Elle 
détourne  l'allenlion  de  son  existence,  en  lui  propositnl  un 

1.  N  omet  0  TCTTo;. 


DtL.ViÈ.ME  CYCLE.  —  CllAl'.  IV,   ICi-iO.  487 

poiiil  lie  cuiitrovLTse  d  (N.).  Mais  Jésus  lépondrail-il  cuiiiruc 
il  le  fait  à  une  question  posée  dans  un  tel  esprit?  Besser, 
Lutliaidt,  tombent  dans  l'extrême  opposé  :  cette  question 
est  à  leurs  yeux  l'indice  d'une  conscience  bourrelée  qui, 
soupirant  après  le  pardon ,  veut  connaître  le  vrai  sanc- 
tuaire où  elle  peut  aller  faire  l'expiation  de  ses  fautes.  C'est 
plus  forcé  encore.  —  Cette  femme  vient  de  découvrii-  en 
Jésus  un  propliète;  elle  a  reconnu  en  lui  de  la  largeur  de 
cœur.  De  plus,  le  v.  25  prouve  que  les  préoccupations  reli- 
gieuses ne  lui  sont  pas  étrangères.  Elle  attend  le  Messie  et 
il  lui  larde  de  recevoir  de  lui  l'explication  des  questions  (jui 
l'embarrassent.  Est-il  étonnant  que ,  dans  sa  situation  ac- 
tuelle, ses  pensées  se  portent  sur  la  grande  question  qui  sé- 
pai'e  les  deux  peuples  et  qu'elle  en  réclame  la  solution? 
C'est  une  anticipation  de  l'enseignement  plus  complet  qu'elle 
attend  du  Messie.  —  Par  anos pères, y>  elle  entend  peut-être 
les  Israélites  du  temps  de  Josué,  qui,  suivant  la  leçon  du 
Pentateuque  samaritain  (Deut.  XXVIl,  4),  auraient  élevé 
leur  autel  sur  le  Garizim,  et  non  sm'  l'Ebal;  en  tous  cas, 
les  ancêtres  samaritains,  qui  adoraient  sur  Garizim  depuis 
qu'un  temjile  y  avait  été  bâti  au  temps  de  Néliémie.  Ce  tem- 
ple avait  été  détruit  1:29  ans  avant  J.-C,  par  Jean  Hyrcan. 
Mais  ce  beu  n'en  était  pas  moins  resté  un  endroit  sacré,  en 
raison  de  Tordre  de  Moïse  à  Israël  (Deut.  XI,  29)  :  «  Tu  pro- 
nonceras les  bénédictions  sur  la  montagne  de  Garizim.  » 
Jéi'usalem  n'étant  nulle  part  nommée  dans  la  loi,  la  jiréfé- 
rence  des  Samarituius  pour  Garizim  trouvait  certainement 
dans  l'bistoire  patriarcale  des  raisons  plausibles.  Le  cboix 
du  sanctuaire  juif  ne  pouvait  se  justilier  qu'au  point  de  vue 
du  dévelo|ij)euieul  propbélique.  Mais  on  sait  que  les  Sama- 
ritains n'admettaient  que  le  l*entateu(jue  et  les  institutions 
mosaïques.  —  En  disant  :  «  Sur  cette  montagne,  »  elle  la 
montrait  sans  doute  du  doigt.  Car  le  j)iiils  de  Jacob  est  situé 


.i88  FMIKMII-.IIK   PAIlTli;. 

au  pied  du  Gnri/iin;  <>(  l'on  voit  di*  l:'i  iiiijonrd'liiii  la  syna- 
gogue samaritaine,  constiiiitf  sur  r('inj)l;i(rin<'iil  du  Icniplf. 
Elle  se  borne  à  poser  l'antitlièse,  pensant  liicii  (juc  Jésus 
coni|wt'ndra  la  (|U(>stioii  (jui  fu  l't'sultp. 

\  .  •2\.  >'  Jésus  lui  dit  :  Femme .  crois-moi  '  ;  l'heure  vient 
où  ce  ne  sera  ni  sur  cette  montagne  ni  à  Jérusalem,  que 
vous  adorerez  le  Pére.^^  —  La  position  de  .l(''sns  est  déli- 
cate. Il  ne  peut  reniiir  la  vérité,  et  il  ne  doit  pas  froisser 
celte  femme.  Sa  réponse  est  admiiahlc.  Il  vient  d'être  ap- 
pelé prophète,  et  il  prophétise.  11  annonce  une  économie 
supérieure  dans  laquelle  le  contraste  sera  résolu,  sans  que 
les  Samaritains  soient  tenus  d'aller  adorer  à  Jérusalem,  ni 
les  Juifs  de  faire  le  pèlerinage  du  Garizim.  Les  hommes  ado- 
reront en  Dieu  un  Père,  et  ce  caractère  (ilial  du  nouveau 
culte  l'affrar^chira  de  toutes  les  limites  locales  et  temporelles 
dans  lesquelles  étaient  enfermés  tous  les  anciens  cultes  na- 
tionaux :  «  Tu  peux  être  tranquille.  Le  privilège  de  Garizim 
tombera  sans  doute;  mais  ce  ne  sera  point  pour  être  conféré 
à  Jérusalem.  Vous  n'amènerez  pas  ici  les  Juifs;  et  les  Juifs 
ne  vous  forceront  pas  d'aller  à  eux.  Vous  deviendrez  et  les 
uns  et  les  autres  la  grande  famille  des  adorateurs  du  Père.  » 
Quel  trésor  jeté  à  une  pareille  àme!  ()\w\  autre  désir  que 
celui  de  faire  la  volonté  de  son  Père  pouvait  inspirer  à  Jésus 
une  telle  condescendance?  L'aor.  mareuacv,  dans  le  texte 
reçu,  signifie  :  «Fais  acte  de  foi,  pour  saisir  ce  que  je  vais 
te  dire.»  Le  prés,  zîa-ceye,  chez  les  alexandrins,  signifie: 
«Crois  dès  ce  moment  et  désormais.»  Les  deux  leçons  peu- 
vent se  soutenir.  —  On  pouirait  conclure  de  l'antithèse 
vous  et  nous  (\.  22)  que  «vous  adorerez  t>  (v.  21)  ne  s'a- 
dresse (fu'aux  Samaritains:  «  Vous  n'adorerez  plus  sur  cette 


1.  T.  R.  lit  yj'^'-  TC'.cre-jîov  fisi,  avec  la  plupart  des  Mss.  el  des  Vss.  ; 
mai-s  N  B  C  L  3  Mnn.  b  Or.  lisent  r.i'szvjt  y-oi  fj^^ni. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,  21.  22.  489 

nionlnj^nc.  ot  vous  nr  sorcz  pns  dnvnnfnfre  forcés  fl'nllor 
adoror  à  Jérusalem.»  Cependant,  il  est  plus  naturel  d'ap[)li- 
quer  avons  adorerezy>  aux  hommes  en  général,  en  oppo- 
sition à  Jésus.  Les  pron.  ^]i.{iç  et  h\x.tlç,  au  v.  22,  dénotent 
assez  clairement  que  l'antithèse  change. 

V.  22.  i'  Vous  adorez  ce  que  vous  ne  connaissez  pas  ; 
pour  nous,  nous  adorons  ce  que  nous  connaissons,  parce 
que  le  salut  vient  des  Juifs.  «  —  Après  avoir,  par  cette  per- 
spective de  l'avenir,  mis  son  impartialité  hors  de  soupçon , 
Jésus  serre  de  plus  près  la  question  posée,  et  la  décide  en 
faveur  des  Juifs,  quant  au  passé  :  «  C'est  à  Jérusalem  que  le 
Dieu  vivant  se  fait  connaître;  car  c'est  par  le  moyen  des 
Juifs  qu'il  a  décidé  de  sauver  le  monde.  »  Dieu  n'est  connu 
qu'autant  qu'il  se  donne  à  connaître.  Le  siège  de  sa  révéla- 
tion est  aussi  celui  de  sa  connaissance  réelle.  En  se  séparant 
du  développement  théocratique,  les  Samaritains  avaient  donc 
brisé  le  fil  qui  eût  pu  les  rattacher  au  Dieu  vivant.  Ils  n'a- 
vaient conservé  de  Dieu  que  la  notion  ahstraite.  Au  lieu  d'une 
révélation  continue  et  historique,  ils  n'avaient  plus  qu'un 
monothéisme  rationnel,  tel  qu'est  aujouid'hui  celui  desMa- 
hométans  ou  des  déistes.  Or  l'idée  de  Dieu,  dès  qu'on  la 
prend  pour  Dieu  même,  n'est  plus  qu'une  chimère;  et,  quand 
ils  adoraient,  eux-mêmes  ne  connaissaient  pas  celui  qu'ils 
adoraient.  Les  Juifs,  au  contraire,  s'étaient  développés  sous 
l'aetion  constante  des  manifestations  divines;  ils  avaient  été 
élevés  à  l'école  de  Dieu,  et  ce  contact  vivant  était  la  condi- 
tion d'une  véritahle  connaissance.  Et  pourquoi  cette  relation 
si  particulière  de  Dieu  avec  ce  peuj)le?  Parce  que  son  his- 
toire devait  aboutir  au  salut  du  monde.  C'est  le  salut  qui  a 
produit  rétroactivement  toutes  les  révélations  théocratiques, 
comme  c'est  le  fruit  (jui,  quoique  apparaissant  le  dernier, 
est  le  principe  réel  de  toute  la  végétation.  La  cause  linalr 
est  la  vraie  cause.  De  là  le  oti,  parce  que.  —  M.  Kenan 


490  PHEMIKIIE  l'AKTlK. 

trouve  que  cette  dernière  parole  :  «Le  salut  vient  des  Julls,y> 
est  en  contradiction  avec  les  v.  21  et  23,  et  suppose  que  le 
V.  22,  du  moins  le  dernier  membre,  est  interpolé.  Il  n'est  pas 
|M.»ssibIe  d'exercer  plus  arbitrairement  la  critique.  C'est  li^ 
assurément  ce  qui  s'appelle  «  solliciter  doucement  les 
textes»....  de  faire  place.  —  Ce  v.  22  suflît  jjour  réfuter  tous 
ceux  qui  prétendent  faire  de  l'auteur  du  quatrième  évangile 
un  adversaire  systéuiîiti(juu  du  judaïsme.  L'école  de  Tubingue 
avait  donc  grand  intérêt  à  s'en  iléfaire.  En  présence  du  té- 
moignage unanime  des  documents,  elle  n'a  point  essayé 
d'un  procédé  aussi  violent.  —  Cette  parole  renferme  à  la 
fois  une  promesse  («vient  des  Juifs,»  non  pour  les  Juifs 
seulement)  et  la  préparation  de  la  révélation  que  Jésus  va 
faire  à  cette  fenune,  au  v.  26  :  «Moi,  ce  Juif  qui  parle  avec 
toi,  je  suis  le  Messie.» 

Après  avoir  ainsi  rendu  hommage  à  la  réalité  et  à  la  va- 
leur du  jirivilége  théocratique,  Jésus  revient  à  la  pensée  du 
v.  21  et  la  développe  dans  toute  sa  grandeur. 

V.  23  et  24.  *  Mais  l'heure  vient ,  et  elle  est  là  mainte- 
nant, où  les  adorateurs  véritables  adoreront  le  Père  en 
esprit  et  en  vérité  ;  car  aussi  le  Père  réclame  de  tels 
adorateurs,  -li  Dieu  est  esprit,  et  il  faut  que  ceux  qui 
l'adorent,  1  adorent  en  esprit  et  en  vérité'.))  —  Jésus 
exprime  d'une  manière  positive  la  pensée  indiquée  négati- 
vement au  v.  21.  —  Les  mots  :  a  El  elle  est  là  maintenant,  » 
qu'il  ajoute  ici,  servent  à  exciter  de  plus  en  plus  l'attente 
déjà  éveillée  chez  cette  femme.  C'est  comme  si  le  premier 
souffle  de  l'ère  nouvelle  venait  rafraîchir  cette  âme.  Peut-être 
voit-il  de  loin  ses  disciples,  qui  représentent  le  peuple  des 
nouveaux  adorateurs.  —  Jésus  fait  ressoitir  les  deux  carac- 


1.  N  omet  xjtov  avec  D  d  Héracléon,  lit  ev  :ri»£U|X7.Tt  aÀT;0£ta;  el  place 
arec  D  IH**  -poc/.jvtiv  devant  du. 


DKUXIKMK  CYCLK.  —  CIIAP.  IV,  22 -'2  t.  401 

tèrcs  do  eu  nouveau  culte  aïKjuel  doivent  être  élevés  niain- 
tenant  el  les  Sauiaiitains  et  les  Juifs  :  la  spiritualité  et  la 
vérité.  L'esprit  désigne  ici  cet  élément  le  plus  profond  de 
l'àine  humaine,  par  lecpiel  elle  est  capable  de  connnuni(iuer 
avec  le  monde  divin.  C'est  le  siège  du  recueillement,  le 
sanctuaire  où  se  célèbre  le  vrai  culte.  Rom.  I,  9  :  Xarçeua) 
év  Tw  7rv£U(jLaT''  [xc'j.  Kjdi.  VI,  18  :  Trpcasu'xetJ^oc',  £v  rve'jfxaTi. 
L'anthropologie  biblique  dislingue,  en  effet,  dans  la  na- 
ture humaine  comme  telle  el  avant  toute  nouvelle  commu- 
nication divine:  aù[j.a,  4'ux''i,  7^vôîi[xa,  le  corps,  l'àme  et 
l'esprit  (comp.  1  Thess.  V,  23;  Hébr.  IV,  12).  Mais  le  Tcvsûfjia 
avOpomvcv  (Tespiit  en  tant  que  purement  humain)  n'est 
qu'une  simple  virtualité.  Il  n'acquiert  une  énergie  victorieuse, 
à  l'égard  des  autres  éléments  de  la  vie  humaine,  qu'au  con- 
tact de  l'Esprit  divin  ;  et  ce  n'est  que  dans  cette  union  qu'il 
réalise  la  vraie  adoration,  «pii  lui  est  attribuée  dans  notre 
texte  et  dans  les  passages  cités.  Ce  premier  trait  caractérise 
l'intensité  du  culte  nouveau.  —  Le  second  trait,  la  vérité^ 
est  le  corollaire  du  premier.  Le  culte  rendu  dans  le  sanc- 
tuaire de  l'esprit  est  le  seul  vrai,  parce  que  seul  il  répond 
à  la  nature  de  son  objet  :  «  Dieu  est  esprit.  »  L'idée  de  sincé- 
rité ne  suffirait  pas  ici  à  rendre  compte  du  mot  vérité;  car 
une  prière  juive  ou  samaritaine  pouvait  évidemment  être 
sincère.  La  vérité  n'est  pas  opposée  aux  démonstrations  pu- 
rement extérieures,  mais  aux  ombres  du  culte  juif  et  aux 
erreurs  des  cultes  samaritain  et  païen.  —  Ces  paroles  ex- 
cluent tout  assujettissement  du  culte  chrétien  à  des  condi- 
tions locales  ou  temporelles;  car  Dieu,  comme  esprit,  étant 
au-dessus  de  l'espace  et  du  temps,  l'adoration  qui  répond  à 
sa  nature,  a  les  mêmes  caractères.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'en  vertu  de  sa  liberté  même,  le  culte  spiiiluel  peut 
spontanément  accepter  des  conditions  de  ce  genre.  Mais, 
comuif  le  (lil  si  bien  M"™'^  Guyon,  l'adoration  exh-iieuie  n'est 


alors  «qu'un  rcjaillissenienl  de  l'adoralion  de  l'osjuit»  (cilc 
par  N.).  —  'Ev  7cv6U[xaTt  et  sv  à\rfiz((x  ne  sont  que  des  dc- 
lenuinations  formelles.  Le  caractère  concret  du  nouveau 
culte  est  expriiiK'  par  :  <>  //•  Père.  »  C'«*st  quand  l'honinie  est 
arrivé  à  pouvoir  dire  :  «Aliba!  Père!»  et  que  son  culte  est 
devenu  filial ,  que  son  adoration  atteint  le  degré  d'intensité 
et  de  pureté  exprimé  par  les  deux  mots  précédents.  Il  réalise 
alors  l'adorateur  idt'al  (aXYjOivô;  TCpocrxuvTjr»]!;:)  :  c'est  un  (ils 
qui  s'enlrelieut  j)arluut  et  toujours  avec  son  Père.  En  ajou- 
tant que  le  Père  clierrlie  en  ce  moment  même  de  tels  ado- 
rateurs, Jésus  lait  cnliiidre  à  cette  feinnu."  (jiie  celui  qui  lui 
parle  est  l'envoyé  du  Père  pour  former  ce  nouveau  peuple, 
qu'il  est  en  Samarie  pour  cela,  ot  qu'il  l'invite  elle-même  à 
en  faire  partie. 

Le  V.  2i  justifie  par  l'essence  de  Dieu  lui-même  la  nature 
de  ce  culte  maintenant  demandé.  Jésus  ne  donne  point  la 
maxime:  9. Dieu  est  esprit,»  comme  une  vérité  nouvelle. 
C'est  au  contraire  un  axiome  dont  il  part  comme  d'une  pré- 
misse admise  entre  lui  et  son  interlocutrice.  L'Ancien  Tes- 
tament enseignait  la  spiritualité  de  Dieu  dans  toute  sa  su- 
blimité (1  Rois  VllI,  27),  et  les  Samaritains  l'admettaient 
certainement  comme  les  Juifs  (voir  Gesenius,  De  Siunarit. 
tkeol.  p.  12,  et  Lûcke).  Mais  ce  qui  est  absolument  nouveau 
dans  cette  parole,  c'est  la  conséquence  que  Jésus  tire  de  cet 
axiome  par  rapport  au  culte.  Il  voit  surgir  sur  ses  pas  un 
nouveau  peuple  d'adorateurs  qui,  par  l'esprit  filial  dont  ils 
seront  animés,  célébreront  un  culte  incessant.  C'est  ainsi 
qu'à  une  femme  coupable,  adultère  peut-être,  Jésus  révèle 
les  plus  hautes  vérités  de  la  nouvelle  économie,  des  vérités 
que  [)robablemenl  il  n'avait  jamais  dévoilées  à  ses  propres 
disciples.  —  La  le(;on  du  Sinait. ,  ev  Tr^eufxart.  (x\ri(tt(aç,  est 
tirée  de  XIV,  17;  XV,  26,  etc.,  et  provient  de  la  fausse  ap- 
plication du  mol  zvsôpLa  au  Saint-Esprit. 


DEUXIEME  CYCLE.  —  ClIAF'.   IV,  23-^25.  40.^ 

V.  25.  '  La  femme  lui  dit:  Je  sais'  que  le  Messie  vient 
(celui  qu'on  appelle  le  Christ);  quand  il  sera  venu,  lui, 
il  nous  fera  connaitre'  toutes  choses  \))  —  La  répuiisc 
de  la  femme  Irmoigiu'  (rime  grande  ducilité.  Son  esprit  est 
onvfil  d'iivance  à  toutes  les  lumières  qu'apportera  le  Messie 
et  dont  il  lui  seuiide  voir  briller  déjà  quelques  clartés  dans 
la  parole  de  ce  pi'oplicte.  D'après  des  rapports  modernes, 
les  Samaritains  attendent  en  effet  le  Messie.  Ils  lui  donnent 
le  nom  de  Assaëf  (de  2W,  revenir),  mot  qui  signifie,  se- 
lon Gesenius,  celui  qui  ramène,  qui  convertit;  selon  de  Sacy 
et  Hengstenherg,  celui  qui  revient,  en  ce  sens  que,  l'attente 
des  Samaritains  étant  fondée  sur  Deut.  XVIII,  18  :  «  Dieu 
vous  suscitera  un  autre  prophète  tel  que  moi  d'entre  vos 
frères,  )>  le  Messie  est  pour  eux  un  Moïse  qui  revient  (l'on 
sait  en  effet  que  les  Samaritains  n'admettent,  de  tout  l'An- 
cien Testament,  (|ue  le  Pentateuque).  Quel  contraste  entre 
la  notion  du  Messie  telle  que  l'exprime  cette  femme  et  les 
notions  charnelles  et  de  nature  toute  politique  que  Jésus 
rencontrait  sans  cesse  en  Israël  sur  ce  sujet!  Sans  doute , 
l'élément  royal  manque  à  la  notion  samaritaine  du  Messie. 
Mais  combien  l'absence  de  cet  élément  n'est-elle  pas  préfé- 
rable à  l'altération  profonde  qu'il  avait  subie  chez  les  Juifs  ! 
L'idée  est  incomplète,  mais  non  pas  fausse;  et  voilà  pour- 
quoi Jésus  peut  se  l'appliquer  et  se  dire  ici  le  Christ,  ce  qu'il 
n'a  fait  en  Israël  qu'au  dernier  moment  (XVII,  3;  Matth.  XXVI, 
6i).  —  La  traduction  o  \z'^6\i,z^oç  Xpia-coç  appartient  à  l'é- 
vangéliste.  Il  répète  cette  explication,  déjà  donnée  I,  42, 
sans  doute  à  cause  de  la  complète  étrangeté  de  ce  molMea- 
aîaç  pour  des  lecteurs  grecs.  On  a  supposé  que  le  terme  juif 
de  Messie  avait  été  prêté  par  Jean  à  la  Samaritaine.  Mais  ce 

1.  G  L  A  quelques  Mon.  quelques  Vss.  et  Pères  lisent  otôa|jLev. 

2.  N  D  (mais  non  d)  lisent  a.'ta.^-iîXkti  au  lieu  d'avaYye/.ei 

3.  K  B  C  Or.  (4  fois)  lisent  «Ttavra  au  lieu  de  TCavxa. 


ÎO»  PnEMIKRK  PARTIE. 

nom  populniro  :n;iil  pu  p;iss(>r  niisémcnt  des  Juifs  ;iux  S;(m;i- 
ritnins.  surtoul  (hiiis  la  conlii'c  de  Siclioin  (jui  était  hahilée 
par  des  transfusées  juifs  (Josèphe,  Autif].  XI,  8,  6).  Peut-être 
nii^me  l'absence  de  l'article  devant  !<•  mol  Meffff''a;  indique- 
t-ellc  qu'elle  emploie  ce  mot  comme  nom  jtropre,  ainsi 
qu'on  le  fait  des  mots  étrangers  (comp.  1,  42).  D'ailleurs,  la 
femme  peut  employer  cette  expression  parce  qu'elle  parle 
à  un  Juif  et  à  un  jirojjlièle  juif:  «J'accepte  tes  révélations, 
en  attendant  la  grande  lévélation  que  nous  apportera  celui 
que  vous  appelez  le  Messie.  »  —  Le  mot  ïçx^-oll  (vient)  est 
un  écho  des  deux  ï^xe-on  des  v.  21  et  2.">.  Elle  se  livre  à 
l'élan  que  Jésus  a  imprimé  à  son  âme  vers  la  nouvelle  ère. 
—  Le  prou,  exeîvoç,  lui ,  est,  comme  toujours,  exclusif:  il 
opjiose  aux  lévélateurs  imparfaits.  Iris  (jue  celui  qu'elle  a 
devant  elle/ le  révélateur  absolu  qu'elle  attend.  La  jjréposi- 
tion  danâ  le  verbe  àvayYÊ^^e^  exprime  la  nature  nouvelle,  et 
l'objet  xavTtt  ou  axavra,  le  caractère  complet  de  la  révé- 
lation du  Messie. 

V.  20.  «  Jésus  lui  dit  :  Je  le  suis ,  moi  qui  te  parle.  »  — 
Jésus,  n'ayant  pas  à  craindre,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  d'évoquer  chez  cette  femme  tout  ce  monde  de  dange- 
reuses illusions  qui  se  rattachait  chez  les  Juifs  au  nom  de 
Mes.sie,  se  révèle  pleinement  à  elle.  Cette  conduite  n'est 
donc  nullement,  comme  le  prétend  de  Wette,  en  contiadic- 
lion  avec  des  paroles  telles  que  celles-ci  :  Matth.  VIII,  4; 
XVI,  20,  etc.  La  différence  des  terrains  explique  celle  des 
semences  que  la  main  de  Jésus  y  dépose. 

Comment  dépeindre  Tétonnement  qu'une  pareille  décla- 
ration dut  produire  chez  cette  femme?  Il  s'exprime,  mieux 
que  par  des  paroles,  par  .son  silence  et  par  sa  conduite  au 
V.  28.  Elle  était  arrivée,  quelques  instants  auparavant,  in- 
souciante et  hvréc  à  ses  pensées  terrestres  ;  et  la  voilà 
amenée  à  la  foi ,  et  môme  transformée  en  une  missionnaire 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,  25.  20.  495 

de  Jésus.  Comment  le  Seij^Mieur  a-l-il  ainsi  élevé  cefte  âme? 
Avec  Nicodème ,  il  était  parti  rie  la  notion  fin  royaume  de 
Dieu,  qui  rem[»Iissail  le  cœur  du  pharisien  ;  il  en  avail  tiré 
les  conséquences  pratiques  les  plus  rigoureuses  ;  il  avail 
affaire  à  un  homme  hahitué  à  la  discipline  légale.  Puis ,  il 
lui  avait  dévoilé  ,  dans  un  enseignement  profond  ,  les  véri- 
tés les  plus  élevées  du  royaume  de  Dieu ,  en  les  rattachant 
à  un  type  frappant  de  l'Ancien  Testament  et  en  les  opposant 
d'une  manière  constante  aux  préjugés  pharisaïques.  Ici ,  au 
contraire,  avec  une  femme  dépourvue  de  toute  préparation 
scripturaire ,  il  prend  son  point  de  départ  dans  ce  qu'il  y  a 
de  plus  vulgaire,  l'eau  de  ce  puits.  Il  l'élève,  par  antithèse, 
à  l'idée  de  cette  vie  éternelle  qui  étanche  à  jamais  la  soif 
de  l'âme  humaine.  Ses  besoins  spirituels  ainsi  réveillés  sont 
la  prophétie  instinctive  à  laquelle  il  rattache  ses  promesses, 
et  il  arrive ,  par  cette  voie ,  à  un  enseignement  sur  le  vrai 
culte  qui  répond  aussi  directement  aux  préoccupations  par- 
ticulières de  cette  femme,  que  la  révélation  des  choses 
célestes  répondait  aux  pensées  intimes  de  Nicodème.  Au- 
près de  celui-ci  il  se  dévoile  comme  le  Fils  unique ,  mais 
en  évitant  le  mot  de  Christ.  Avec  la  Samaritaine ,  il  ne  craint 
pas  le  terme  de  Christ  ;  mais  il  se  garde  de  conduire  dans 
les  profondeurs  de  l'incarnation  et  de  la  Rédemption  une 
âme  qui  n'en  était  encore  qu'aux  premiers  éléments  de  la 
vie  et  de  la  connaissance  rehgieuses.  On  a  fait  observer 
certaines  analogies  dans  la  marche  extérieure  de  ces  deux 
entretiens ,  et  l'on  en  a  tiré  un  argument  contre  la  vérité 
des  deux  récits.  Mais,  dans  les  deux  cas,  mie  âme  terrestre 
rencontre  une  pensée  céleste,  qui  travaille  à  l'élever  à  son 
niveau.  Cette  ressemblance  de  situation  explique  suffisam- 
ment les  analogies  de  ces  deux  entretiens  dont  la  diversité 
est  d'ailleurs  plus  remarquable  encore. 


406  PHKMIKRE  PARTIE. 

H. 

Jcsus  et  les  (h'scipk's  :  v.  27-38. 

V.  fî7.  «Là -dessus'  ses  disciples  arrivèrent,  et  ils 
s  étoimérent'  de  ce  qu'il  parlait  avec  une  femme  ;  ce- 
pendant, aucun  d'entre  eux  ne  dit\  Que  demandes-tu? 
ou  :  De  quoi  parles-tu  avec  elle?  »  —  Il  cxislnit  un  pré- 
juj;*'  niL)lMiii(jiit'  d";i|irt"'s  IccjurI  la  fVniiiK!  n'est  pas  suscnp- 
tible  d'instruction  reli},nc'use  approfondie  :  «  Ne  prolonge 
pas  l'enlrelion  avec  une  femme;  (jiic  pcisoinic  ne.  s'entre- 
tienne dans  la  me  avec  une*  femme,  pas  même  avec  sa 
propre  épouse  ;  qu'on  lirùle  les  paroles  de  la  loi ,  plutôt  que 
de  les  enseigner  aux  femmes  »  (voy.  Lighlfoot ,  à  ce  verset). 
Sans  doute  ,  les  apôtres  n'avaient  pas  encore  vu  leur  Maître 
se  mettre  au-dessus  de  ce  préjugé.  —  Nous  avons  préféré, 
dans  la  traduction ,  l'aoriste  du  T.  R.  à  l'imparfait ,  à  cause 
des  mots  suivants  :  «  Cependant,  personne  ne  lui  dit,  »  qui 
donnent  plutôt  à  l'élonnement  le  caractère  d'un  acte  mo- 
mentané. —  MévToi  :  c;  Cependant  l'étonncment  n'alla  chez 
aucun  d'entre  eux  jusqu'à  le  porter  à  demander  une  expli- 
cation. »  —  ZifjTeïv  se  rapporte  à  un  service  demandé , 
comme  v.  10  :  «  Donne-moi  à  boire;))  XaXeÔv,  à  un  enseigne- 
ment donné. 

V.  2.S  et  2Î>.  "  La  femme  laissa  donc  là  sa  cruche  et 
s'en  alla  à  la  ville  et  dit  aux  gens  :  2'.*  Venez,  voyez  un 
homme  qui  ma  dit  toutes  les  choses  que*  j'ai  faites; 
ce  ne  serait  point  le  Christ?^»  —  Elle  laisse  sa  cruche  : 
Celte  circonstance,  en  apparence  insignifiante,  n'est  pas  sans 

1.  N  U  lisent  ev  toutw  au  lien  d'czt  tojtw. 

2.  T.  K.  lit  eOaj(ji7.S7.v  avec  K  S  U  V  A  A  la  plupart  des  Mnn.  Sali.  etc. 
Mais  K  A  B  CD  G  K  L  M  It.  Vg.  Cop.  Or.  lisent  eOau|xaCov. 

3.  S  D  ajoutent  œjtu)  aprùs  eiTiev. 

4.  Au  lieu  de  zavia  osa,  î<  Il  C  II''""  Cop.  lisent  -avxa  a. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  IV.  27-32.        497 

irnp(nl;iric(\  C'est  un  {.^nge  do  son  jirodiairi  retour  ,  la  picuvft 
qu'ell»'  s'en  va  chercliri'  du  monde.  Elle  se  constitue  par  là 
la  messagère  ,  la  missionnaire  de  Jésus.  Quel  contraste  entre 
la  vivacité  de  cette  fenmie  et  le  départ  silencieux  et  réfléchi 
de  Nicodème  !  Et  quelle  vérité  inimitable  dans  les  moindres 
détails  lie  ce  récit  !  —  Tôt?  dcvOjjuTuc.c ,  "''''  hommes  :  aux 
premiers  qu'elle  rencontre  dans  la  place  publique.  —  Il  y  a 
une  grande  naïveté  dans  l'expression  :  *i  Toutes  les  choses 
que  j'ai  faites.  »  Elle  ne  craignait  pas  de  réveiller  par  là 
des  souvenirs  peu  flatteurs  pour  elle.  —  Elle  formule  sa 
question  d'une  manièi'e  (jui  semble  préjuger  une  réponse 
négative  ((i.'ï)Tt).  Le  sens  propre  est  :  «  Ce  n'est  pourtant  pas 
le  Christ!  »  Elle  n'ose  pas  poser  comme  probable  une  si 
grande  nouvelle,  et  se  fait  plus  sceptique  qu'elle  n'est  réel- 
lement. Rien  de  plus  naturel  que  ce  petit  trait. 

V.  30.  «Ils  sortirent'  de  la  ville,  et  ils  venaient  vers 
lui.  »  —  Les  Samaritains  attroupés  par  elle  arrivent  en 
foule.  L'imparf.  ils  venaient,  opposé  à  l'aor.  ils  sortirent, 
est  destiné  à  faire  tableau  :  on  les  voit  accourant  à  travers 
les  champs  qui  séparent  Sychar  du  puits  de  Jacob.  Ce  dé- 
tail liistorique  donne  la  clef  des  paroles  de  Jésus  qui  vont 
suivre.  La  particule  cùv  (donc)  doit  être  rejetée  du  texte , 
précisément  parce  que  l'attention  de  l'écrivain  se  porte 
tout  entière  sur  le  r^çx^vxo  qui  suit. 

V.  31  et  35.  «  Dans  l'intervalle ,  les  disciples  le  priaient 
disant  :  Maître,  mange.  32  Mais  il  leur  dit  :  J'ai  à  man- 
ger dune  nourriture  que  vous  ne  connaissez  pas.  »  — 
Le  v.  31  se  rattache  au  v.  57.  —  Les  mots  èv  bï  xw  (xe- 
xa^u,  dans  l'intervalle,  désignent  le  temps  qui  s'écoula  en- 
tre le  départ  de  la  femme  et  l'arrivée  des  Samaritains.  — 


1.  T.  R.  lit  ouv  aprùs  E|ir;).6ov  avec  N  A  plusieurs  Mnn.  Il*"''  Sah.  Celte 
particule  est  retrauchee  par  tous  les  autres  Mjj.  Vss.  Or. 

I.  3-2 


408  PREMIÈRE  PARTIE. 

'EpoTçtv  si};nilio,  dans  le  ^voc  rlussiquo,  interroger;  il  jirend 
ici,  comme  souvent  dans  le  Nouveau  Testament,  le  sens  de 
prier,  sans  pourtant  perdre  entièicmeni  sou  sens  propre 
{demander  s'il  veut  manger). 

Depuis  le  commencement  de  son  ministère,  Jésus  n'avait 
peut-être  pas  eu  une  joie  pareille  à  celle  qu'il  venait  d'«î- 
prouver.  Cette  joie  l'avait  restauré ,  môme  physiquement. 
«  Vous  me  dites  :  Mange!  Je  suis  rassasié  ;  j'ai  eu  en  votre 
absence  un  festin  dont  vous  ne  vous  doutez  i)as.  »  —  *Ey6 
a  l'accent,  en  opposition  à  ujxetç  :  ils  ont  leur  repas;  lui, 
le  sien.  —  Bçùaiç,  proprement  l'acte  de  manger,  mais  en 
y  comprenant  l'aliment  qui  en  est  la  condition.  Ce  mot  abs- 
trait convient  mieux  au  sens  spirituel  de  cette  parole,  que 
le  concret  Pçôfxa. 

V.  33  et  34.  <<  Les  disciples  se  disaient  donc  les  uns 
aux  autres  :  Quelqu'un  lui  aurait  -il  apporté  à  manger? 
34  Jésus  leur  dit  :  Mon  aliment  est  de  faire  *  la  volonté 
de  mon  Père  et  d'achever  son  œuvre.  »  —  La  question  des 
disciples  est  pruprcim-nl  nt'g.'ilivt'  [[irixic)  :  «Quelqu'un  ne  lui 
a  pourtant  pas  apporté....?»  —  Jésus  explique  le  sens  profond 
de  sa  réponse.  Il  emploie  ici  Ppôp-a  en  rapport  avec  la  fausse 
interprétation  des  diseiples.  —  La  conjonction  Cva  n'est 
jtoint  une  simple  périphrase  de  l'infinitif.  Ce  qui  soutient  la 
force  de  Jésus,  c'est  de  se  proposer  continuellement  comme 
but  de  faire....  d'achever.  —  Le  prés,  tcoiô  (leçon  du  T.  R.) 
se  rapporte  à  l'accomplissement  de  la  volonté  divine  dans 
chaque  moment  ;  et  l'aor.  xeXeioao ,  à  la  consommation 
finale,  qui  sera,  à  un  instant  donné  ,  le  résultat  de  cette 
obéissance  incessante.  La  leçon  des  alexandrins  et  d'Origène 
gâte  ce  beau  rapport;  elle  est  rejetéc  par  Meyer,  Tischen- 


1.  Au  lieu  de  Ttotu  que  lit  T.  R.  avec  11  Mjj.  (y  compris  H)  Mnn. 
Vs3.,  on  lit  daus  B  D  K  L  7  Mnii.  Or.  (3  fois)  7tonf;cîw. 


DEUXIKME  CYCLE.  —  CHAP.  IV,  32-36.  4-99 

(lorf,  qui  comprcnnoiit  que  Tconjao  est  provoiui  fl'nnn  assi- 
milation à  TeXeioao.  —  Le  rapport  de  ôéXTf)[jLa ,  volonté,  et 
d'IpYov,  œuvre,  correspond  exactement  à  celui  des  deux 
verbes.  Pour  que  l'œuvre  de  Dieu  soit  achevée  au  dernier 
moment,  sans  qu'il  y  manque  rien  ,  il  faut  que  sa  volonté 
ait  été  conlinuellcFiient  exécutée.  Jésus  veut  faire  com- 
prendre aux  disciples  qu'en  leur  absence  il  a  travaillé  pour 
son  Père ,  et  que  ce  travail  l'a  restauré.  C'est  cette  idée 
qu'il  développe,  au  moyen  d'une  image  qui  lui  est  fournie 
par  la  situation  présente ,  dans  les  v.  35-38. 

V.  35  et  30.  a  Ne  dites-vous  pas ,  vous ,  qu'il  y  a  encore  * 
quatre  mois,  jusqu'à  ce  qu'on  fasse  la  moisson?  Voici, 
je  vous  dis  :  Levez  les  yeux  et  contemplez  les  campa- 
gnes :  elles  sont  blanches  pour  la  moisson.  36  Déjà  même' 
le  moissonneur  reçoit  le  prix  du  travail  et  recueille  le 
fruit  pour  la  vie  éternelle,  afin  que  et^  le  semeur  et  le 
moissonneur  se  réjouissent  ensemble.»  — Les  versets  sui- 
vants (35-38)  ont  offert  de  telles  difficultés  aux  interprètes, 
que  quelques-uns  ont  imaginé  de  les  transposer,  en  plaçant 
les  V.  37  et  38  avant  le  v.  30  (B.-Crusius).  Weisse  a  sup- 
posé que  le  v.  35  appartenait  originairement  à  un  autre  con- 
texte. Il  faut  avouer  que  les  interprétations  proposées  par 
Lûcke,  de  Wette,  Meyer,  Tholuck,  ne  sont  pas  propres  à 
lever  ces  difficultés.  Les  uns  aj)pliquent  l'idée  de  la  moisson 
à  la  conversion  du  peuple  samaritain  racontée  Act.  VIII.  Les 
autres  retendent  même  à  la  conversion  du  monde  païen. 
Mais,  dans  ce  cas,  les  paroles  des  v.  30  suiv.  n'ont  plus  de 
rapport  direct  avec  la  circonstance  qui  y  a  donné  lieu,  et 

1.  Eu  manque  dans  D  L  60Mnn.  Syr"  Or.  (souvent);  il  est  garanti  par 
tous  les  autres  documents,  y  compris  X  et  Or.  (4  fois). 

2.  Le  xai  placé  devant  o  ^ept^wv  par  T.  R.  a  pour  lui  le  témoignage  de 
tous  les  Mjj.  et  toutes  les  Vss. ,  à  rexception  de  N  B  G*  D  L  3  Mnii.  If'T  Or. 

3.  Le  xat  après  iva  est  également  retranché  par  B  G  L  U  Or.  (  i  fois). 


500  rREM!i^:nE  partie. 

l'on  osl  nlili<;(''  (le  Ididir  les  cxprcssidus  poni"  liMir  doiiruM* 
un  sens  lolôralilc.  Pnis.  il  psI  ('vidoiil  qiio  lo  v.  rlf»  f;iil  illu- 
sion h  l'nrrivf^o  dos  habiliinls  de  Syrliar;  cl  I»  s  iiilcrprètes 
qui,  roinrnc  Lûrk»',  Moycr,  iccdiiiinissciil  co  rapport,  sont 
trôs-t'Miliarrasst's  d'('\j)li(]ui'r  conHTient.lt'sns  passe  brusque- 
ment d'uiie  {)arok'  niaupK'e  an  coin  de  l'à-propos  le  plus 
spécial  à  des  considrrnlions  lont  à  fait  générales  sur  la  re- 
lation rnfrc  son  niinisléic  (les  semailles)  et  celui  des  apôtres 
(la  moisson).  Aussi  de  Welte,  plus  consécpienl,  a-l-il  réso- 
lument nié,  contre  l'évidence,  le  raj)[»ort  du  v.  35  h  l'ar- 
rivée des  habitants  de  Sychar.  Cet  cmbnrias  nous  paraît 
provenir  iMiiqiicinr?il  de  ce  que  l'on  n'a  pas  poussé  jusqu'au 
bout  (v.  .{R)  l'application  des  pensées  de  Jésus  au  cas  actuel. 
On  a  ainsi  ôté  à  ces  belles  jiaroles  le  cbnrine  d'une  conversa- 
tion familière,  pour  les  élever  à  la  banleui-  d'une  prédication 
sans  à-propos  et,  par  conséquent,  sans  sel  et  sans  grâce. 

Le  V.  35  renoue  avec  le  v.  30,  exactement  coFume  le  v.  31 
renouait  avec  le  v.  27.  Saint  Jean  veut  faire  ressortir  qu'il 
se  passait  en  ce  moment  simultanément  deux  scènes  dont 
Jésus  était  le  point  de  jonction  :  l'imc,  entre  Jésus  et  la  Sa- 
maritaine, qu'ignoraient  complètement  les  disciples  et  qui 
allait  aboutir  à  l'arrivée  des  Samaritains;  l'autre,  entre  Jésus 
et  les  disciples  (jui  ne  pensaient  qu'au  repas.  C'est  cette  com- 
binaison de  deux  faits,  intercalés  l'un  dans  l'autre,  et  dont 
le  premier  est  complètement  étranger  à  la  pensée  de  ceux 
qui  jouent  un  rôle  dans  le  second ,  qui  fait  le  piquant  du 
morceau  qui  va  stjivre.  —  D'après  Ligbtfoot,  Tholuck,  l.iicke, 
de  Welle,  etc.,  les  premiers  mots  du  v.  35  seraient  un 
proverbe  qui  ninait  ce  sens  :  Une  fois  qu'on  a  semé,  il  faut 
attendre  quatre  mois  jusqu';iu  moment  où  l'on  moissonne. 
Mais  en  Palestine  iin  espace  de  six  mois  sépaie  les  semailles 
(fin  octobre)  de  la  moisson  (mi-avril).  D'ailleurs,  l'adv.  èxi, 
encore,  est  trop  actuel  pour  un  proverbe.  Du  moins  fau- 


DKIIXIÈMK  CYCLK.  —  ClIAP.  IV,  35.  36.  501 

drail-il,  pdiir  r(.!Xj)li(jucr,  qnc  Jésus  (MjI  dit:  «Vous  diles, 
quand  uous  semez:  11  y  a  encore....»  Puis,  pounjiiui  mettre 
ce  proverbe  sj»»''cialeni('iil  dans  la  l)oii(lie  des  apôtres  (vous), 
pliiliU  (juc  dans  crllr  de  loiil  le  monde?  C'est  donc  ici  une 
R'flexion  (pie  Jésus  place  actuellement  dans  la  Louche  de 
ses  disciples  et  qu'il  sait  ou  suppose  leur  avoir  été  inspirée 
par  la  vue  de  la  verdure  naissante  sur  le  sol  fraîchement 
ensemencé  des  campagnes  de  Samarie.  D'après  les  récils 
des  voyageurs,  au  nord  du  puits  de  Jacob  s'étendent  préci- 
sément de  vastes  champs  de  blé.  Ils  avaient  dit,  en  contem- 
plant ce  spectacle  :  «  Encore  quatre  mois,  jusqu'à  ce  (]ue 
celte  moisson  soit  mûre!  »  Ce  détail  suppose  qu'on  était  alors 
vers  le  milieu  de  décembre  et  que  Jésus  était  par  conséquent 
resté  en  Judée  dejtnis  la  fête  de  Pâques  jusqu'à  la  fm  de 
l'année ,  c'est-à-dire  huit  mois  entiers.  —  Les  mots  :  «  Vous 
dites,  y)  opposent  la  sphère  de  la  nature,  à  laquelle  s'appli- 
que cette  réflexion  des  disciples,  à  celle  de  l'Esprit.  Dans 
cette  dernière,  à  laquelle  Jésus  cherche  à  les  élever,  la 
semence  n'est  point  soumise  à  un  aussi  lent  développement. 
—  'I6cû,  voici!  porte  leui'  attention  sur  un  spectacle  inat- 
tendu pour  eux,  mais  dont  Jésus  a  l'explication,  comme 
l'indiquent  les  mots:  <LJe  vous  dis.»  —  L'acte  de  lever  les 
yeux  et  de  contr-mpler  auquel  les  invite  Jésus,  selon  de 
Wette,  est  j)urement  spirituel  :  il  s'agirait  de  la  conversion 
future  des  Samaritains.  Mais,  comme  l'observe  Lùcke,  quel- 
que chose  de  présent,  qui  tombe  sous  les  sens  des  disciples, 
est  nécessaire  pour  exjiliquer  l'invitation  à  lever  les  yeux. 
Le  fait  auquel  se  rapportent  ces  mots,  est  évidemment  ce- 
lui que  Jean  avait  mentionné  au  v.  30,  l'arrivée  des  gens  de 
la  ville;  et  nous  comprenons  maintenant  l'imparf  ils  ve- 
naient, qui  laissait  l'acte  comme  suspendu  et  faisait  tableau. 
C'est  ce  spectacle  qu'il  les  invite  à  contempler.  Ces  âmes 
avides,  qui  accourent  disposées  à  croire,  Jésus  les  repré- 


505  PREMIKRK  PARTIE. 

st'iili'  SOUS  rima^'o  trmic  moisson  jaiiiiissaiilc  cl  pivHo  à  être 
recueillie.  El,  en  pensanl  au  peu  de  lenips  qu'il  lui  a  fallu 
pour  préparer  une  pareille  récolte  dans  ce  pays  jusqu'ici 
cUanger  au  règne  de  Dieu,  il  esl  lui-niènie  saisi  par  le  con- 
Iraste  entre  la  lenteur  de  la  végétation  dans  la  nature  et  la 
rapidité  du  développement  de  la  semence  spirituelle;  et  il 
fait  remarquer  cette  diflcrence  à  ses  disciples,  pour  leur  en- 
couragement. —  Le  -rjSirj,  déjà,  pourrait  être  envisagé  comme 
terminant  le  v.  35  et  faisant  le  pendant  de  è-ct,  encore.  Mais 
cette  jiosilion  est  contraire  à  l'usage  ordinaire  de  Jean,  qui 
ne  place  jamais  tjôtj  à  la  fin  de  la  phrase;  et  nous  verrons 
que  ce  mot  a  un  sens  beaucoup  plus  déterminé,  si,  comme 
nous  l'avons  fait  dans  la  traduction,  on  le  place  en  tète  de 
la  proposition  suivante. 

Il  y  a,  du  V.  35  au  v.  3G,  une  gradation  marquée,  qui 
indique  comme  une  exaltation  du  sentiment  de  la  joie  dans 
le  cœur  de  Jésus.  La  moisson  est  tellement  mûre  que  déjà 
même,  à  cette  heure,  le  moissonneur  n'a  qu'à  prendre  sa 
faucille  et  récolter,  afin  que  le  semeur,  qui  a  préparé  toute 
cette  œuvre  à  l'insu  du  moissonneur,  et  le  moissonneur, 
qui  en  recueille  les  fruits,  célèbrent  ensemble  mie  fête  de 
moisson.  —  Dans  le  contexte  ainsi  compris,  l'authenticité 
du  xai  et  la  liaison  d'-rjôif)  à  ce  qui  suit  sont  évidentes.  Origènc 
et  peut-être  déjà  d'autres  avant  lui  ont  rapporté  -fiSiq  à  ce  qui 
précède  et  retranché  le  xaC,  de  manière  à  donner  au  v.  36 
le  caractère  d'une  sentence  générale,  contrairement  à  la 
dernière  proposition  du  verset.  De  là  la  fausse  leçon  des 
alexandrins.  —  Le  moissonneur,  d'après  le  v.  38,  ce  sont 
les  apôtres.  —  MtaOôv  XajxPaveiv,  recevoir  le  prix  du  tra- 
vail, caractérise  la  joie  de  la  moisson  comme  une  récom- 
pense de  l'œuvre  pénible  du  labour  et  des  semailles.  Comp. 
Ps.  (jXXVI,  5.  g  :  a  Ceux  qui  sèment  avec  larmes,  moisson- 
neront avec  chants  de  triomphe.  Celui  qui  porte  la  semence 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  IV,  3r)-38.  503 

pour  Jn  jeter  en  terre,  ira  en  pleurant;  mais  il  reviendra 
avec  des  oins  de  joie,  quand  il  rapportera  ses  gerbes.  »  — 
SuvaYÊtvxapTCov,  recueillir  le  fruit ,  désigne  ractivité  pur  la- 
quelle les  disciples  vont  accueillir,  peut-être  par  le  bap- 
tême (v.  2),  ces  nouveaux  frères  dans  la  communauté  mes- 
sianique, et  introduire  ces  âmes  a  dans  la  vie  étemelle  * 
dont  ils  sont  eux-mêmes  participants. 

Et  pourquoi  les  moissonneurs  doivent-ils  se  hâter  d'ac- 
complir cette  douce  fonction?  C'est  afin  qu'en  ce  jour  et  le 
semeur  et  les  moissonneurs  goûtent  ensemble  la  joie  de  la 
moisson. 

Ceux  qui  appliquent  la  moisson  à  la  conversion  future  des 
Samaritains  ou  des  païens,  rapportent  la  joie  commune  du 
semeur  et  des  moissonneurs  au  triomphe  céleste  dans  le- 
quel Jésus  et  ses  apôtres  se  réjouiront  ensemble  du  fruit  de 
leurs  travaux.  Mais  c'est  précisément  cette  interprétation  qui 
rompt  le  lien  entre  le  v.  36  et  le  v.  37,  Dans  la  nôtre,  au 
contraire,  Jésus  envisage  ce  jour  comme  une  fête  improvi- 
sée que  le  Père  lui  a  préparée,  en  même  temps  qu'à  ses 
disciples,  par  l'arrivée  de  la  femme  au  puits  de  Jacob.  En 
Israël,  Jésus  sème,  mais  sans  avoir  la  joie  d'assister  jamais 
à  une  moisson.  Mais  aujourd'hui,  en  Samarie,  la  semence 
a  levé  et  mûri  si  promptement  que,  sous  les  yeux  mêmes  du 
semeur,  le  moissonneur  peut  déjà  recueillir  les  gerbes,  et 
le  semeur,  se  réjouir  avec  lui.  Cette  simultanéité  de  joie  est 
fortement  relevée  par  ojxoîi,  ensemble ,  et  par  les  deux  xat 
{et  le  semeur  et  le  moissonneur),  de  sorte  que,  encore  ici, 
la  leçon  d'Origène  et  des  alexandrins  doit  être  condamnée 
sans  hésitation. 

V.  37  et  38.  «Car  voici  le  cas  auquel  s'applique  réel- 
lement cette  parole'  :  Autre  est  le  semeur,  et  autre  le 

1.  L'art.  0  devant  oàtjOivo;  est  retranché  parBG  K  L  A  quelques  Mnn.  Or. 
Iléracléon. 


50  i  l'REMIKHK  PARTIE. 

moissonneur.  .5S  Je  vous  ai  envoyés  '  moissonner  ce  que 
vous  u  avez  pas  travaillé;  d  autres  ont  travaillé,  et  vous 
êtes  entrés  dans  leur  travail.»  —  D'après  Tholuck,  Christ 
serait  allliy:t'  à  la  |»t'nsi'e  (|u'il  n'assistera  pas  lui-même  à  la 
coiivt'r.sion  dt'.s  païens,  apr/'.s  Tavoii'  |>iép;in'M',  ri  c'est  à 
cela  (jue  se  rapporterait  ce  proverbe.  N.  (p.  9!))  j)araît  être 
Hu  même  avis.  Peut -on  réellement  attribuer  au  Seig^neur 
une  iinjjressioii  de  c(!  •^'-eiirc,  siirloiil  (l;iiis  ce  moninil  où 
son  cœui'  parait  s'éjianonir  à  la  j)lus  douce  joie?  Jé.sus  vient 
de  parler  de  la  joie  commune  du  semeur  et  du  moisson- 
neur dans  ce  jour.  C'était  dire  qu'il  y  avait  là  deux  fonc- 
tions bien  distinctes;  et  Jésus  confirme  expressément,  au 
Y.  ^7,  celle  diversité  de  minislères.  Il  emprunte,  pour  cela, 
à  la  vie  commune  un  |)roverb('  dont  il  recliiie  l'application 
vulgaire.  Quand  le  monde  dil  :  «L'un  sème,  l'autre  mois- 
sonne ,  »  c'est  pour  exprimer  une  douloureuse  expérience, 
à  savoir  que  l'homme  qui  travaille  est  rarement  celui  qui 
recueille  le  fruit  :  Sic  vos  non  vohis. .  . .  Ainsi  compris,  ce 
proverbe  renfeime  une  espèce  de  sarcasme  à  l'adresse  de 
la  Providence.  Cet  adage  peut  cependant  recevoir  un  sens 
vrai,  dans  son  ajipUcation  au  règ^ne  de  Dieu.  Car,  dans  ce 
domaine,  il  y  a  des  offices  séparés  pai-  Dieu  même.  Comp. 
1  Cor.  XII,  5.  Et  il  n'y  a  là  aucune  injustice.  Bien  loin  de 
se  plaindre  de  cette  répartition  des  rôles,  Jésus  ne  la  rap- 
pelle ici  que  pour  pousser  ses  apôtres  à  la  reconnaissance 
et  à  la  joie.  —  'Ev  tcûtw,  en  ceci,  porte,  comme  ordinai- 
rement chez  Jean  ,  sur  ce  qui  suit  (v.  38)  :  «  Dans  raj)plica- 
tion  que  je  vais  faire ,  en  opposition  à  celle  que  fait  le 
monde.  »  —  W-rihivo^ ,  non  dans  le  sens  d'àXTjOTfj?  (  de 
Welle),  mais  dans  le  sens  jobamiique  ordinaire  :  la  parole 
qui  répond  à  l'essence  de  la  chose ,  la  vraie  parole  à  pro- 

1.  N  D  lisent  iz.fz-ij.y.a  an  lieu  d'a-esTeùa. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  ClIAP.  IV,  37.  38.  505 

uonror.  Le  relranclirmrnt  de  l'art,  o  (alexandrins)  forrcrait 
à  donner  à  àX-ijOi-vo?  le,  sens  d  aXifiOiq-. 

Jésus  montre ,  v.  38 ,  par  son  propre  exemple ,  dans  sa 
relation  avec  ses  apôtres,  la  réalité  de  la  distinction  entre 
le  semeur  (;t  les  moissonneurs.  Cette  parole  a  une  applica- 
tion immédiate  au  cas  particulier,  qu'il  faut  déterminer 
avant  tout.  Quand  Jésus  dit:  a.  Je  vous  ai  envoyés, i>  il 
fait  allusion  à  la  tâche  qu'il  vient  de  leur  donner,  lui, 
comme  semeur,  à  eux,  moissonnem^s ,  en  ce  moment 
même,  en  les  invitant  à  prendre  la  faucille  (v.  36).  Il  leur 
montre  cette  troupe  de  Samaritains,  qui  arrivent,  sem- 
blables à  une  moisson  qui  n'a  plus  qu'à  être  recueillie  dans 
le  grenier  ;  et  il  leur  dit  :  Voilà  une  récolte  pour  la  pro- 
duction de  laquelle  vous  n'avez  certes  rien  fait  !  Toute 
l'opération  des  semailles  a  donc  eu  lieu  sans  vous  !  Moi , 
qui  ai  répandu  cette  semence  et  qui  l'ai  fait  lever  sans  que 
vous  sachiez  comment,  je  vous  ai  invités  à  la  moissonner, 
tant  est  fondée  la  différence  entre  le  semeur  et  le  moisson- 
neur. Le  moissonneur  ne  savait  pas  même  qu'il  y  eût  eu 
semailles  et  semeur!  Les  mots:  «  D'autres  ont  travaillé,  » 
sont  ajoutés  avec  une  finesse  qu'on  oserait  presque  appeler 
légèrement  mahcieuse  :  «  D'autres  ont  bien  travaillé  en 
votre  absence,  et  pendant  que  vous  vous  imaginiez  qu'ils  se 
reposaient.  »  Il  faut  se  rappeler  ici  que  les  apôtres  igno- 
raient complètement  ce  qui  s'était  passé  entre  Jésus  et  la 
Samaritaine ,  qu'ils  revenaient  eux-mêmes  de  la  ville ,  où 
ils  avaient  laissé  les  habitants  parfaitement  tranquilles;  et 
maintenant  voilà  toute  cette  population  sur  pied,  accourant 
vers  Jésus  !  Que  s'est  -  il  passé  ?  Il  y  a  là  pour  eux  une 
énigme.  Jésus  jouit  de  leur  surprise ,  exploite  gaîmcnt 
l'avantage  de  sa  position  et  leur  dit  avec  un  aimable  sou- 
rire :  «  D'autres  ont  travaillé!  »  Aux  disciples  de  chercher 
quels  peuvent  être  les  auteurs  de  ce  rapide  succès. 


606  PREMIKRF  PARTIE. 

n  est  prosquo  phiisanl  ilc  voir  les  coFTirnciilalPurs  dis- 
cuter sur  lu  question  de  savoir  si  àXXoi ,  d'autres,  se  rap- 
porte à  J»'sus  et  aux  prophètes,  ou  à  Jésus  et  Jean-Baptiste, 
ou  à  Jésus  et  aux  philosophes  païens,  ou  à  Jésus  seul  (Lùcke, 
Meycr,  de  Wette),  ou  à  tous  ces  personnages  moins  Jésus 
(Olshausen).  Jésus  ne  peut  désigner  par  ce  mot  que  lui- 
même  el  son  agile  messagère.  Il  aime ,  nous  l'avons  déjà  vu 
(III,  11),  à  tenir  compte  du  moindre  concours  qui  lui  est 
accordé  par  l'homme  et  à  dire  nous  ou  à  employer  le  plu- 
riel de  manière  à  se  confondre  avec  le  plus  faihle  agent  qui 
veut  hien  s'associer  à  lui.  —  Les  deux  exphcations  les  plus 
curieuses  sont  certainement  relies  de  Baur  et  de  Hilgenr 
feld.  Selon  le  premier,  àXXot  désignerait  l'évangéliste  Phi- 
lippe ,  et  les  moissonneurs  ,  les  apôtres  Pierre  et  Jean 
(Act.  VIII,  Î5).  Aux  yeux  du  second,  les  àXXoi  seraient 
saint  Paul,  et  les  moissonneurs,  les  Douze,  qui  s'appro- 
prient le  fruit  de  son  travail  chez  les  païens.  A  ces  condi- 
tions-là ,  il  n'y  a  rien  que  l'on  ne  puisse  trouver  dans  un 
texte  quelconque. 

Après  avoir  fait  ie.ssorlir  le  sens  immédiat  de  cette  der- 
nière parole ,  ajoutons  que  Jésus  ne  se  plaît  à  relever  ainsi 
les  différents  traits  de  la  situation  donnée ,  que  parce  qu'ils 
se  présentent  à  sa  pensée  avec  une  signification  symbo- 
lique. La  fonction  de  moissonneurs  à  laquelle  il  appelle  en 
ce  moment  ses  disciples  auprès  des  Samaritains,  n'est  qu'un 
échantillon  de  celle  qu'il  leur  confie  auprès  du  monde  en- 
tier ;  et  les  conditions  de  cette  future  et  vaste  récolte  ne 
seront  pas  autres,  il  le  sait  Lien ,  que  celles  de  cette  petite 
moisson  particulière.  Là  aussi ,  ils  ne  recueilleront  que  ce 
qu'il  aura  lui-même  semé  par  son  travail. 

La  joie  céleste  qui  remplit  le  cœur  de  Jésus  dans  tout  ce 
morceau,  n'a  son  analogue  que  dans  le  magnifique  passage 
Luc  X,  17-24.  Elle  s'élève  même  ici,  comme  nous  l'avons 


deuxièmp:  cycle.  —  CIIAP.  IV,  38 -42.  507 

vu,  jusqu'à  la  gaîlé.  Ce  passage  nous  révèle  en  Jésus  le  côté 
humoristique,  dont  nous  trouvons  un  autre  indice,  mais 
d'un  tout  autre  caractère,  XII,  7.  Est-ce  la  faute  de  Jean, 
si  M.  Renan  ne  trouve  dans  le  Jésus  du  quatrième  évangile 
qu'un  lourd  métaphysicien  ? 

m. 

Jésus  et  les  Samaritains  :  v.  39-42. 

V.  30-42.  «Or  un  grand  nombre  d'entre  les  Samari- 
tains de  cette  ville  -  là  crurent  en  lui  ',  à  cause  de  la 
parole  de  la  femme  qui  rendait  ce  témoignage  :  Il  m'a 
dit  tout  ce  que  j'ai  fait*.  40  Lors  donc  que  les  Samari- 
tains furent  venus  auprès  de  lui,  ils  le  priaient  de  de- 
meurer avec  eux;  et  il  demeura  là  deux  jours.  41  Et  un 
beaucoup  plus  grand  nombre  crurent  à  cause  de  sa  pa- 
role. 42  Et  ils  disaient  à  la  femme  :  Ce  n'est  plus  à  cause 
de  ton  récit'  que  nous  croyons;  car  nous  l'avons  en- 
tendu *  nous  -  mêmes  ,  et  nous  savons  que  c'est  lui  qui 
est  véritablement  le  Sauveur  du  monde  '.  »  —  Voici  la 
fête  de  la  moisson.  Le  semeur  en  jouit  avec  les  moisson- 
neurs. Ces  deux  jours  laissèrent  une  impression  ineffa- 
çable dans  le  cœur  des  apôtres.  La  douceur  de  ce  souvenir 
s'exprime  dans  la  répétition  de  «  deux  jours  »  dans  les 
V.  40  et  43.  —  As  reprend  le  cours  du  récit  après  la  di- 
gression des  V.  31-38.  —  Quelle  différence  entre  les  Sama- 
ritains et  les  Juifs  !  Il  suffit  ici  d'un  miracle  de  science  sans 

1.  N  II"'''»  Or.  oinetlôiit  ei;  aorov. 

2.  X  BCL  If""»  Cop.  lisent  a  au  lieu  de  oca. 

3.  N  D  It*"'-  lisent  fiaprupiav  an  lieu  de  XaÀiav. 

4.  N  ajoute  Tzap  œ'jtou. 

5.  14  Mjj.  la  plupart  desMnu.  ll»''i  Syr"^  ajoutent  avec  leT.R.  o  Xpiaro;. 
Ces  mots  sont  retranchés  par  X  B  G  quelques  Mnn.  Itp'"'''"'  Yg.  Cop.  Syr"' 
Or.  Ir.  Horacléon. 


508  pri:mikkk  pahtik. 

oclal  pour  (lis|)iK(^r  les  (Ulmh's  à  venir  à  lui ,  tandis  (ju'tîii 
Judc<'  huit  niiiis  de  travail  ne  lui  ont  |>as  inucuic-  une  lirure 
semblable. 

Le  V.  .")9  nous  a  montré  ii;  picmicr  degré  dr  la  loi  :  le  èpyea- 
Oai  "KÇQÇ  aùrov  {uenir  à  Jt'sus)  résultant  du  tiMUoij^nai^o.  Les 
V.  iO  et  il  nous  piésenlenl  le  second  :  le  déveio|)j)enienl 
de  la  foi  par  le  conlacl  personnel  avec  Jésus.  La  prière  des 
Samaritains  (,'st  un  premier  fruit  de  celle  loi  croissante. 

Le  V.  Ai  caractérise  un  double  prog^iès,  l'un  dans  le  nom- 
bre des  croyants,  Faulie  dans  la  nature  de  la  foi.  Ce  der- 
nier s'exprime  dans  les  mots  :  a  A  cause  de  sa  'parok,  y>  op- 
posés à  ceux-ci  :  ^  A  cause  du  récit  de  la  femme-»  (v.  .i9), 
et  se  fonnnie  avec  mie  netteté  réfléchie  dans  la  profession 
du  V.  42.  —  Los  Samaritains,  réservant  le  terme  de  Xdyoç 
poiir  la  parnbî  de  Jésus,  a|)pli(pienl  à  celle  de  la  femme  ce- 
lui de  XaX'.a,Mpii  n'a  rien  île  dédaigneux  (VIII,  4.i  où  Jésus 
l'appliffue  à  ses  propres  discours),  mais  qui  désigne  quelque 
chose  de  [dus  extérieur;  ici,  un  simj)le  rapport,  une  nou- 
velle. —  XxTf)xcap.£v,  nous  avons  entendu,  n'a  proprement 
aucun  objet;  toute  l'idée  verbale  se  concentre  sur  le  sujet 
aÙTci  :  €  Nous  sommes  nous-mêmes  devenus  auditeurs;» 
d'où  la  suite  :  «Et,  comme  tels,  nous  savons.  »  — La  leçon 
i\u  Sinait.  signifierait:  oNous  avons  entendu  de  sa  bouche 
et  nous  savon.s  que....»  ce  qui  donnerait  à  cette  profession 
le  caractère  d'urw  réjtétilion  extérieure  et  scrvile  opposée 
à  l'esprit  du  récit.  —  Le  contenu  de  leur  piofession  :  «  Le 
Sauveur  du  monde,  »  semble  indiquer  ime  transformation 
de  l'idée  <iu  Messie  chez  les  Samaritains.  J^a  notion  de  salut 
s'est  substituée  à  celle  d'enseignement  (v.  25).  La  dénomi- 
nation nouvelle  enijdoyée  ici  est  peut-être  en  rapport  avec 
le  mot  de  Jésus  à  la  femme  (v.  22)  (ju'il  avait  sans  doute 
développé  :  «  Le  salut  vient  des  Juifs.  »  Tlioluck,  Liicke,  ont 
suspecté  l'exactitude  historique  de  l'expression  Sauveur  dîf. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAr.  IV,  HO-l:].  509 

monde  placée  par  Jean  dans  la  lioucho  des  Samaritains.  De 
quel  droit?  Ces  g^ens  ne  venaient -ils  pas  de  passer  deux 
jours  avec  Jésus,  et  n'avaient-ils  pas  dû  sentir  le  contraste 
du  caractère  universalistc  de  son  œuvre  avec  la  morg-ue  théo- 
cratiquc  à  laquelle  ils  étaient  habitués  de  la  part  des  Juifs? 
N'avaient-ils  pas  d'ailleurs  la  promesse  faite  à  Abraham  : 
«  Tontes  les  familles  de  la  terre  seront  bénies  en  ta  postérité))  ? 
—  La  leçon  alexandrine,  qui  retranche  o  Xçiaxéç,  paraît  ici 
préférable.  On  comprend  plutôt  l'adjonction  que  le  retran- 
chement de  ce  mot.  Ou  bien  les  Samaritains  auraient -ils 
ajouté  par  courtoisie  le  terme  juif  à  celui  que  venait  de  leur 
dicter  leur  propre  conviction?  Ce  double  titre  réaliserait  ainsi 
l'union  annoncée  par  Jésus  (v.  23.  24)  entre  les  Samaritains 
(Sauveur  du  monde)  et  les  Juifs  (le  Christ). 

Le  joyeux  accueil  que  trouva  Jésus  chez  ces  Samaritains 
est  un  exemple  de  ce  qu'aurait  dû  être  l'arrivée  du  Christ 
parmi  les  siens.  La  foi  de  ces  étrangers  était  ainsi  la  con- 
damnation la  plus  éclatante  de  l'incrédulité  d'Israël;  et  ce 
fut  sans  doute  sous  une  impression  de  ce  genre,  que  Jésus, 
au  bout  de  ces  deux  jours  exceptionnels  dans  sa  vie,  reprit 
le  chemin  de  la  Galilée. 


TROISIEME  SECTION. 

IV,  43-54. 

Jésus  en  Galilée. 

En  Judée,  linerédulilé  avait  prévalu.  En  Samarie,  la  foi 
venait  d'éclater.  La  Galilée  prend  une  position  intermédiaire. 
Jésus  y  est  accueilli,  mais  à  la  condition  de  réi)ondre  im- 
médiatement à  cet  accueil  par  des  miracles.  Jean  nous  en 
donne  la  preuve  dans  le  récit  suivant  (comp.  v.  48).  Le 


510  PRKMIÈHK  PARTIi:. 

ch.  VI  niontn'ra  lo  tornio  aïKjiicI  altoulil  une  pareille  foi. 
Telle  est  la  portée  de  ce  récit  dans  rcnscnihlr  de  l'évanjjile. 
Les  V.  43-45  déerivcnl,  comme  II,  2:^-25,  la  situation 
générale.  Et  sur  ce  fond  se  détache  (comme  précédemment 
l'enlretien  avec  Nicodème)  le  trait  suivant  (\.  40-54). 

1.   V.  43-45. 

V.  4.*^-45.  «Après  ces  deux  jours,  il  partit  de  là  et  s'en 
alla*  en  Galilée.  44  Car  Jésus  lui-même  avait  déclaré 
qu'un  prophète  n'est  point  honoré  dans  sa  propre  patrie. 
45  Quand'  donc  il  fut  arrivé  en  Galilée,  les  Galiléens 
l'accueillirent,  parce  qu  ils  avaient  vu  toutes  les  choses' 
quir  avait  faites  à  Jérusalem,  à  la  fête;  car  ils  étaient 
aussi  venus'  à  la  fête.»  —  Ce  passage  a  été  de  tout  temps 
une  croix  pour  les  interprètes.  Comment  Jean  peut-il  moti- 
ver (car,  V.  44)  le  retour  de  Jésus  en  Galilée  par  cette  dé- 
claration du  Seigneur  que  «nul  prophète  n'est  honoré  dans 
sa  patrie»?  Et  comment  peul-il  rattacher  à  cet  adage, 
comme  conséquence  (donc,  v.  45),  le  fait  que  les  Gahléens 
lui  firent  un  accueil  empressé?  —  1.  Briickner  et  Lulhardt 
pensent  que  Jésus  cherchait  soit  la  lutte  (Briickner),  soit  la 
sohtude  (Lulhardt).  Cela  expliquerait  hien  le  car  du  v.  44.  Mais 
il  faudrait  admettre  que  la  prévision  de  Jésus  a  été  trompée 
en  bien  (v.  45),  ce  qui  est  absolument  contraire  à  la  parti- 
cule civ  (donc),  qui  lie  ce  verset  au  précédent.  Il  eût  fallu 
hé,  ou  même  àWoi  (inais).  2.  Selon  Lùcke,  de  Wetle,  Tho- 
luck,  Olshausen,  le  car  se  rapporterait,  non  à  ce  qui  pré- 
cède, mais  à  ce  qui  suit,  et  signifierait  que,  si  cette  fois  les 

1,  K  B  C  D  Iir'*"^~  Syr"  Cop.  Or.  ometlent  les  mots  xai  a:n)XOev  après 
txetôcv. 

2.  K  F)  lisent  u;  an  lien  de  ctc. 

1.3.  N  omet  edt^avTo. ...  kolvcol  et  place  ot  devant  eupaxore;. 

4.  N  A  B  G  L  Or.  (  't  fois)  lisent  osa  ponr  a. 

5.  N  lit  EÀrÀuÎEiaav  pour  r/.ôov. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,  13-45.  511 

Galil(MMis  lo  rprinriit,  malgré  la  V(''ritô  du  proverbe,  ce  fut 
uniqueiiH'iif  à  cause  des  miracles  qu'ils  lui  avaient  vu  faire 
à  Jérusalem.  Cette  interprétation  violente  le  texte  et  n'est 
guère  moins  forcée  (pie  celle  de  Kuinœl,  qui  donne  à 
car  le  sens  de  quoique,   comme  traduit  aussi  Osterwald. 

3.  Origènc,  Wiesclcr,  Ebrard,  Baur,  enleudenl  par  ib(a 
TzaxçCç  (sa  propre  patrie)  la  Judée  comme  lieu  de  naissance 
de  Jésus.  Par  là,  les  deux  difficultés  du  car  et  du  donc  tom- 
bent d'un  seul  coup.  Mais  le  bon  sens  dit  que,  dans  la  maxime 
citée  par  Jésus,  le  mot  patrie  doit  désigner  l'endroit  où  le 
prophète  a  vécu  et  où  il  est  connu  dès  son  enfance,  et  non 
celiù  où  il  n'a  fait  que  naître.  Il  est  donc  bien  évident 
que,  dans  la  pensée  de  Jean,  sa  propre  patrie  est  la  Galilée. 

4.  Calvin,  flengstenberg,  entendent,  par  sa  propre  patrie, 
Nazareth,  en  opposition  à  Capeinaùm;  Lange,  la  Galilée  in- 
férieure,  à  laquelle  aurait  appartenu  Nazareth,  en  opposi- 
tion à  la  Galilée  supérieure  où  Jésus  établirait  dès  ce  mo- 
ment son  domicile.  Matth.  XIII,  57  et  Luc  IV,  23  donnent 
quelque  vraisemblance  à  cette  interprétation,  surtout  sous 
sa  première  forme.  Mais  comment  Nazareth  se  trouverait-il 
ainsi,  sans  explication,  mis  en  dehors  de  la  Galilée  et  même 
opposé  à  cette  province?  On  pourrait  encore  le  comprendre 
si,  dans  le  récit  suivant,  Jésus  se  rendait  à  Capernaûm;  mais 
il  revient  à  Cana,  bourg  très-voisin  de  Nazareth.  5.  Meyer 
nous  semble  tout  près  de  la  vérité,  quand  il  explique  :  Jésus, 
sachant  bien  qu'un  prophète  n'est  pas  honoré  dans  sa  pa- 
trie, commença  par  se  faire  honorer  à  l'étranger,  à  Jérusa- 
lem (v.  45);  et  ce  fut  ainsi  cpi'il  rapporta  maintenant  en  Ga- 
lilée une  réputation  de  prophète. 

L'explication  complète  de  ce  passage  obscur  résulte, 
comme  en  tant  d'autres  occasions,  du  rapport  du  quatrième 
évangile  aux  Synoptiques.  Ceux-ci  faisaient  commencer  le 
ministère  galiléen  immédiatement  après  le  baptême.  Nulle- 


515  PREMIFIIF  PARTIE. 

ment,  dit  saint  Jean;  Jésus  était  Irop  pnidonf  pour  procéder 
dp  la  sorte  :  Jésus  n'avait-il  pas  déclaré  que  le  lieu  où  un 
prophète  se  fait  le  plus  dillicilemeut  reeoniiaîlie,  c'est  sa 
patrie?  Ce  ne  fut  donc  qu'après  avoir  agi  à  Jérusalem  et  en 
Judée  pendant  un  temps  assez  long  (presque  toute  une  an- 
née :  V.  35),  qu'il  revint  eonunencer  ce  ministère  galiléen, 
presque  unique  objet  de  la  narration  des  auties  évangiles.  Le 
car  du  v.  -44  se  rapporte  à  la  même  pensée  sous -entendue 
que  la  remarque  IIl,  24  :  «  Or  Jean  n'avait  pas  encore  été 
mis  en  prison.  i>  Saint  Jean  veut  constater  l'intervalle  con- 
sidérable qui  sépara  du  baptême  de  Jésus  son  retour  défi- 
nitif et  son  établissement  permanent  en  Galilée.  III,  24,  il 
indique  le  fait;  ici,  il  en  explique  le  motif  Pour  bien  saisir 
ce  sens,  il  faut  parajtbraser  le  à7rî;X&ev,  il  s'en  alla,  du  v.  43, 
comme  suit  :' «Ce  fut  alors,  et  seulement  alors,  qu'il  revint 
délinilivement  en  Galilée.»  Le  cor  indique  le  motif  de  cette 
manière  de  faire  et  le  donc  montre  la  sagesse  de  ce  plan 
par  les  premiers  succès  qu'obtint  Jésus  à  son  retour.  Les 
mots  xal  aTr^Xôev,  retranchés  par  la  leçon  alexandrine,  sont 
donc  indisjtcnsables.  C'est  sur  ce  verbe  que  porte  le  ydç 
du  V.  44  ;  et  nous  avons  ici  la  reprise  du  v.  3.  Le  récit  du 
retour  en  Galilée,  interrompu  par  le  séjour  en  Samarie, 
recommence. 

Aùtc;  :  lui,  le  même  qui  avait  prononcé  cette  parole  en 
apparence  contradictoire  avec  sa  manière  d'agir.  La  solution 
de  cette  contradiction  est  donnée  au  v.  45.  —  'Efjtap-nip-rjaev 
a,  comme  si  souvent  l'aoriste,  le  sens  du  plus-qiie-parfait. 
—  L'idée  du  proverbe  est  que  l'on  est  moins  disposé  à  re- 
connaître un  être  supérieur  dans  un  compatriote ,  que  tout 
rapproche  de  nous,  que  dans  un  étranger,  revêtu  à  nos 
yeux  du  voile  du  mystère.  Mais,  après  que  ce  même  homme 
s'est  fait  remarquer  au  dehors,  sur  un  plus  grand  théâtre, 
cette  gloire  acquise,  en  rejaillissant  sur  ses  compatriotes, 


dp:uxièmI':  r.YCi.i;.  —  r.iiAi'.  iv,  i:{-.i7.  513 

lui  ouvre  le  clK.'iiiiu  de  leurs  cœurs.  C'était  ce  moment 
que  Jésus  altendiiit  poui"  essayer  de  vaincre  les  préjugés 
des  Galiléens  dont  nous  avons  vu  un  exemple  dans  la  ré- 
ponse de  Natlianaël  1,  47.  —  Les  mots  Ttàvxa  éopaxoxe;, 
qui  avaient  vu...,  l'ont  allusion  au  passage  II,  23-25  et 
motivent  le  èôé^avxo,  ils  accueillirent.  Ce  mot  trouve  son 
parallèle  et  son  commentaire  dans  Luc  IV,  14-.  15:  a  Et 
Jéstis  revint  en  Galilée  avec  la  force  du  Saint-Esprit,  et  sa 
réputation  se  répandit  dans  toute  la  contrée  d'alentour;  et  il 
enseignait  dans  leurs  synagogues,  étant  glorifié  par  tous.i 

2.  V.  46-54. 

V.  46  et  47.  «Il  arriva'  donc  de  nouveau  à  Cana  de  Ga- 
lilée, où  il  avait  changé  l'eau  en  vin.  Et  il  y  avait  à  Ca- 
pernaùm  un  employé  royal ,  dont  le  fils  était  malade. 
47  Celui-ci,  ayant  appris  que  Jésus  était  arrivé  de  Judée 
en  Galilée,  s'en  alla  vers  lui,  et  lui  demanda  de  descen- 
dre et  de  guérir  son  fils;  car  il  était  sur  le  point  de  mou- 
rir.» —  Jésus  se  dirigea  vers  Cana,  sans  doute  parce  que 
c'était  là  qu'il  pouvait  espérer  de  trouver  le  terrain  le  mieux 
préparé  par  son  précédent  séjour.  C'est  peut-être  ce  que 
saint  Jean  veut  insinuer  par  cette  léflexion  :  «  Où  il  avait 
changé  l'eau  en  vin.D  Son  arrivée  fit  bruit,  et  la  nouvelle 
s'en  lépandit  promptement  jusqu'à  Capernaûm,  située  sept 
à  huit  lieues  à  l'orient  de  Cana.  —  Le  terme  PaatXixoç  dé- 
signe dans  Josèplie  un  fonctionnaire  public,  soit  civil  soit 
militaire,  parfois  aussi  un  employé  de  la  maison  royale.  Ce 
dernier  sens  est  ici  le  plus  naturel.  —  Ilérode  Antipas,  qui 
régnait  en  Galilée,  n'avait  officiellement  que  le  titre  de  té- 
trarque.  Mais  on  lui  donnait  aussi  dans  le  langage  populaire 
celui  de  roi  qu'avait  porté  son  père.  11  ne  serait  pas  impos- 


1.  N  lit  TjXOav,  eTtoiTQOav  :  *Ils  vinrent,  ils  avaient  changé»  ! 

I.  33 


514-  PRKMIKHK  PAUTIE. 

sibli'  f|n('  ro  si'i{rniMir  de  sii  maison  se  Iroiivàl  rire  soil  Cliuza, 
son  iiitcndiiiil  {[aw  Mil,  :\),  soil  Maiialicii,  son  coni|iayiiuu 
d'enfance  (Acl.  XIII,  I).  —  'Ev  Kajrepvacu'iJL  (i('j)end  de  -î^v. 
Par  sa  position  à  la  lin  Ao  la  phrase,  ce  régime  accentue 
fortement  la  cél»''lirili''  (in'avail  (léjà  aciiuisc  le  ictoiir  de 
Jésus. 

V.  -48.  «  Jésus  lui  dit  donc:  Si  vous  ue  voyez  des  signes 
et  des  prodiges,  vous  ue  croirez  poiut.  »  —  La  réponse  de 
Jésus  embarrasse,  parce  (pi'elle  semble  siipjtoser  que  cet 
homme  réclamait  le  miracle  dans  le  but  de  croire ,  ce  qui 
n'est  certainement  pas  le  cas.  Cette  difficulté  s'explique  par 
les  plur.  voyez  et  croirez.  Cette  parole  n'est  pas  la  réponse 
de  Jésus  à  la  demande  (jui  lui  est  faite.  C'est  une  réflexion 
à  l'occasion  de  cette  demande,  à  l'adresse  de  cet  homme 
sans  doute  (tcçôç  aùrov),  mais  en  vue  de  la  disi)osition  na- 
tionale dont  il  est  le  représentant.  Cette  disposition,  Jésus 
la  rencontre  des  le  moment  où  il  remet  le  pied  sur  le  soi 
israélitc,  et  il  en  est  d'autant  plus  péniblement  aflecté  qu'il 
venait  de  passer  deux  joiu's  en  Samarie,  en  contact  avec  un 
esprit  tout  opposé.  Là,  c'est  comme  Sauveur  des  âmes  qu'il 
a  été  reçu.  Ici,  c'est  la  guérison  du  corps  que  l'on  réclame, 
le  thaumaturge  que  l'on  recherche.  Et  Jésus  est  obligé  de 
:s'avouer  —  c'est  là  le  vrai  sens  de  sa  parole  —  (|ue,  s'il  ne 
consent  à  jouer  ce  rôle,  il  est  à  craindre  que  personne  ne 
croie,  ou  plutôt,  selon  la  tournure  légèrement  ironique 
dont  il  se  sert  (où  (;.■»]),  il  n'est  pas  à  craindre  que  personne 
croie.  —  Il  y  a  également  quelque  amertume  dans  l'accu- 
mulation  des  deux  termes  a7)[x£ta  et  xéçaza,  signes  et  pro" 
diges.  Le  second  fait  ressortir  |)articulièrement  le  caractôi'e 
extérieur  des  manifestations  qu'on  lui  demande.  2t)[j.£Îov  dé- 
signe le  miracle  lelativement  au  monde  invisible  qu'il  ma- 
nifeste; Te'paç,  le  miracle  relativement  aux  lois  de  la  nature 
qu'il  semble  braver.  Le  sens  est  donc  :  «  Il  vous  faut  des  si- 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,   17-53.  515 

{;nos,  et  oiicoio  f;iiil-il  que  ces  sij^^m's  ;ii('iit  le  cni'.'iclôrc  du 
jn'odigo.»  QuL'hjuc'S-uiis  ont  vu  dans  LS-rjxe,  vous  voyez,  uno 
allusion  à  la  demande  qui  lui  est  adressée  d'aller  personnel- 
lement auprès  du  malade,  ce  qui  prouverait  que  le  père  veut 
voir  de  ses  yeux  la  guéiison.  M.iis,  dans  ce  cas,  i5y]t:6  de- 
vrait être  en  tète ,  et  le  sens  est  forcf*. 

V.  4^0  et  50.  «  L'officier  lui  dit:  Seigneur,  descends, 
avant  que  mon  enfant'  meure.  50  Jésus  lui  dit:  Va, 
ton  fils  vit.  Et'  cet  homme  crut  à  la  parole  que^  Jésus  lui 
avait  dite,  et  s'en  alla.  «  —  Le  père  a  bien  compris  que  la 
parole  de  Jésus  n'est  pas  une  réponse;  il  renouvelle  sa  de- 
mande en  employant  le  terme  de  tendresse  xô  7ra!.8''cv  (xou, 
mon  petit,  qui  rend  sa  requête  plus  touchante.  Jésus  se  rend 
à  la  foi  qui  respire  dans  sa  prière,  mais  de  manière  à  éle- 
ver cette  foi  à  un  degré  supérieur.  Il  y  a  tout  à  la  fois  un 
exaucement  et  un  refus  qui  est  une  épreuve,  dans  cette  ré- 
ponse :  <iVa,  ton  fils  vit.  »  Jusqu'ici  ce  père  n'avait  cru  que 
sur  le  fondement  du  témoignag-e  que  d'autres  avaient  rendu 
à  Jésus.  Maintenant  il  doit  faire  acte  de  foi  appuyé  sur  les 
rapports  personnels  qu'il  vient  d'avoir  avec  le  Seigneur.  Au 
terme  de  TcaiSiov  Jésus  substitue  celui  de  ulo'ç,  fils;  c'est  le 
terme  de  dignité,  celui  qui  désigne  l'enfant  comme  repré- 
sentant de  la  famille.  Ce  mot  fait  sentir  la  valeur  du  don.  Le 
père  subit  heureusement  l'épreuve;  il  s'attache  avec  foi  à  la 
promesse  sortie  de  la  bouche  de  Jésus,  c'est-à-dire  à  Jésus 
lui-même  dans  sa  parole. 

V.  51-5.').  «Comme  déjà  il  descendait,  ses  serviteurs 
le  rencontrèrent  '  et  lui  apportèrent  cette  nouvelle  '  :  Ton 


t.  A  et  quelques  Miin.  lisent  utov  an  lieu  de  -au^tov;  N  :  zau^a. 

2.  Kai  manque  dau.s  K  B  D  ll''"i  Ver.  Syr"*". 

3.  A  B  G  L  lisent  ov  an  lieu  de  co.  N  :  tou  Itqooj  au  lieu  de  to Ir,oouç. 

4.  Au  lien  de  aTnQvrrjoav,  N  BGIJKL20  Mnn.  lisent  j-r.vtr.sav. 

5.  N  D  lisent  Tiyyeùav  pour  ociT.YveiÀav. 


51  r>  PRFMlftRF  PARTIF. 

fils  vit.'  '»'2  II  leur  demanda  donc  l'heure  à  laquelle  il 
s'était  trouvé  mieux.  Ils  lui  dirent  :  Hier,  à  la  septième 
heure,  la  fièvre  l'a  quitté.  T).!  Le  père  reconnut  donc  que 
c'était  à  cette  heure-là"-  que  Jésus  lui  avait  dit:  Ton  fils 
vit.  Et  il  crut,  lui  et  toute  sa  maison.»  —  Les  serviteurs 
iri'iii|iloi('iit  (liiiis  Iciii-  rn|)j)orl  ni  le  terme  de  tendresse, 
<{iii  seiail  trop  faniilirr .  ni  eelui  de  dignité,  qui  ne  le  serait 
pas  assez,  mais  eelui  de  l;i  vie  de  famille  :  koùç ,  (pir  j)ré- 
senle  avec  raison  le  T.  H.  —  Le  terme  ehoisi  xc(j.'|^oTepov 
va  bien  dans  la  bouche  d'un  homme  de  qualité.  C'est  l'ex- 
pression du  bien-être,  comme  on  dit  (pichpicfois:  jo//men/. 
—  Par  la  septième  heure  il  faut  très-probablement  entendre 
une  heure  après  midi ,  et  non  sept  heures  du  matin  (voy. 
à  1.  -iO».  Mais,  si  c'était  à  cette  heure-là  que  Jésus  avait 
ré|iondu  au  père  ,  comment  celui  -  ci  n'était  -  il  pas  rentré 
chez  lui  le  jour  même?  A  supposer  que  x^^?>  hier,  im- 
jdique  réellement  cette  conséquence ,  on  peut  expliquer  ce 
retard  soit  par  la  nécessité  de  laisser  reposer  sa  monture 
et  la  crainte  de  voyager  de  nuit,  soit  par  la  tranquillité  que 
lui  inspirait  sa  foi  et  le  désir  de  s'arrêter  encore  un  peu 
auprès  de  Jésus.  Mais  yj^iç  "C  suppose  pas  même  nécessai- 
rement une  nuit  entre  la  guérison  de  l'enfant  et  la  rencontre 
des  serviteurs.  Car  le  jour  finissait  chez  les  Hébreux  au 
coucher  du  soleil,  et,  (juchpies  heures  après,  les  domes- 
ticfues  pouvaient  dire  hier. 

La  foi  s'élève  ici  au  degré  supérieur,  celui  qu'elle  n'at- 
teint qu'au  moyen  de  l'expérience  personnelle.  De  là  la 
répf'lilion  du  mot  :  «  El  il  crut.  »  Comp.  II ,  11.  La  maison 
tout  entière  est  entraînée  dans  ce  mouvement  du  père. 

V.  54.  <' Jésus  fît  de  nouveau  ce  second  miracle,  en 
arrivant  de  Judée  en  Galilée.»  —  L'étrange  construction 

t .  I)  K  L  U  lisent  j'.s;  au  lieu  de  -7.'.;.  K  A  B  C  :  tjtou  au  lieu  de  aoo. 
2.  K  BC  reiranchciit  le  premier  ev. 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CHAP.  IV,  51-54.        517 

de  ce  verset,  et  parlienlièremenl  le  j)l(''ona.sin(î  apparent  de' 
Sey'-epcv,  second,  et  de  TtaXtv ,  de  nouveau,  ne  peuvent 
s'expliquer  que  par  une  de  ces  intentions  déguisées  dont 
nous  avons  vu  déjà  tant  d'exemples  dans  cet  évangile.  La 
combinaison  de  ces  deux  termes  exjjiime  cette  idée ,  qu'un 
second  miracle  (allusion  à  II,  11  :  olç^Ti  "côv  aT,(jieio)v)  signala 
ce  nouveau  retour,  comme  un  premier  miracle  avait  signalé 
le  précédent.  El  c'est  certainement  aussi  en  vue  de 
ce  rapprochement ,  que  l'évangéliste  avait  rappelé ,  dès  le 
V.  46 ,  le  premier  miracle  fait  à  Cana.  C'est  ainsi  que  ,  jus- 
qu'au bout ,  Jean  se  montre  préoccupé  de  distinguer  les 
deux  retours  que  la  tradition  avait  confondus  et  dont  ces 
deux  miracles  marquants  étaient  pour  lui  les  monuments. 

Irénée ,  Semler,  de  Wette,  Baur,  Ewald,  identifient  ce 
miracle  avec  la  guérison  du  serviteur  du  centenier  païen 
Matth.  VIII,  5;  Luc  VII,  3,  en  donnant  la  préférence,  pour 
les  détails,  les  uns  au  récit  des  Synoptiques,  les  autres  à 
celui  de  Jean.  Dans  les  deux  cas ,  la  guérison  est  opérée  h 
distance.  Voilà  tout  ce  que  ces  deux  faits  ont  de  commun. 
PoMiquoi  cette  forme  ne  se  serait-elle  pas  répétée  plusieurs 
fois?  Du  reste,  tout  est  différent,  opposé  même.  Ici  un 
père,  là  un  maître;  ici  un  Juif,  là  un  païen.  Ici,  c'est  à 
Cana;  là,  c'est  à  Capernaiim  ipie  le  fait  se  passe.  Et,  ce  qui 
est  plus  essentiel  encore  que  ces  détails  extérieurs ,  ici  le 
père  veut  que  Jésus  vienne  chez  lui  ;  là  ,  le  centenier  s'en 
défend  absolument.  Ici ,  Jt'sus  exprime  un  blâme  sur  la  ten- 
dance maladive  de  la  foi  galiléenne;  là  ,  il  célèbre  la  foi  du 
centenier  comme  un  adnn'rable  modèle  pour  le  j)euple  d'Is- 
raël. Comment  identifier  deux  récits  plus  opposés  encore 
pour  le  fond  (ju'ils  ne  diffèrent  dans  les  détails  ? 

C'est  ici  l'une  des  prétendues  interpolations  que  Schweizer 
a  découvertes  dans  le  qiintrièm<'  évangile.  Ses  preuves?  — 
1^*  2T,,u.eta  xal  Tepaxa  est  un  oltzolç,  Xeyd[j.£v:v  dans  saint  Jean. 


ÔI8  PREMIÈRR  TARTIE. 

Mais  nous  avons  vu  i\uo  TSfara  n'est  pas  ajoufé  arridon- 
trlIiMnenl  à  ar^[J,dot.  :  Jésus  ne  blàiue  pas  la  leelurclie  dus 
TTjfjieta,  comme  tels.  Il  la  réclame  au  contraire.  VI,  26: 
t  En  vérité ,  je  vous  dis  que  vous  me  cherchez ,  non  parce 
que  vous  avez  vu  des  siijues ,  mais  parce  que  vous  avez 
mangé  des  pains.  9  Téfa-ra  est  ilonc  nécessaire  pour  justi- 
fier le  blâme  exprimé  id.  Matlli.  XXIV,  24  et  Marc  XIII, 
22  l'expression  aT,fx£Ïa  xal  Tepaxa  se  trouve  aussi  comme 
a::.  \ty.  dans  ces  évangiles.  2"  On  ne  sait  ce  que  Jésus 
(Icvit-nl  après  cela  :  ce  n'est  pas  ainsi  que  Jean  a  coutume 
d(^  raconter.  .Mais  c'est  précisément  là  au  contraire  le  carac- 
tère constant  du  itM  it  dcJran,  dans  lequel ,  au  point  de 
vue  moral,  tout  est  profondément  lié,  au  point  de  vue  ex- 
térieur, tout  paraît  fragmentaire.  Voy.  la  fin  du  ch.  V,  par 
t'xemple.  Cela  tient  à  ce  que  Jean  puise  dans  une  histoire 
qu'il  sait  connue  de  ses  lecteurs  les  traits  qui  lui  paraissent 
les  plus  propres  à  faire  ressortir  l'histoire  morale  qui  est  le 
vrai  objet  de  son  livre.  Et  d'ailleurs ,  que  gagnerait  en  con- 
tinuité la  narration  à  passer  directement,  par  le  retianche- 
ment  de  ce  morceau ,  de  IV,  4-2  à  V ,  1  ? 


IVous  avons  trouvé  50  variantes  principales,  depuis  le  commence- 
ment du  ch.  H  jusqu'à  la  fin  du  ch.  IV,  sur  le  nombre  desquelles  le 
1.  H.  nous  parait  avoir  -i  faulfs  (II,  17.  22;  IV,  5.  30),  le  texte  alexan- 
Jiiti  11  fautes  (II,  Il  ;  III,  13.  15.  2.5.  3-i;  IV.  1.  34.  36.  37.  43). 
N  et  R  continuent  a  avoir  leurs  leçons  à  eux,  |)arfois  communes,  en 
fjénéral  fausses  (K  27  fautes),  n  a  aussi  plusieius  leçons  communes 
avec  D  (8).  Les  leçons  alexandrines  sont  presque  toujours  en  relation 
étroite  avec  le  texte  d'Origène. 


Jetons,  en  terminant,  un  regard  sur  le  chemin  parcouru  : 

La  première  partie  de  l'évangile  comprend  (kux  cycles, 

dont  lun  retrace  la  transition  de  la  vie  privée  au  ministère 


DEUXIÈME  CYCLE.  —  CIIAP.  IV,  U.  519 

de  Jésus;  le  second,  les  drlmls  de  son  œuvre  depuis  sa  pre- 
mière apparition  j)ublique. 

Le  premier  se  compose  de  trois  récits  :  1°  les  témoignages 
de  Jean-Baptiste;  2"  la  venue  à  Jésus  de  ses  premiers  disci- 
ples; 3"  les  noces  de  Cana.  La  marche  des  faits  est  directe- 
ment ascendante.  Quant  à  la  révélation  de  Jésus  :  le  témoi- 
gnage, la  nianiléslulion  personnelle,  la  manifestation 
miraculeuse.  Quant  à  la  foi,  voir  I,  37;  I,  51;  II,  H. 

Le  second  cycle  contient  cinq  récits  :  1"  la  purification 
du  Temple;  2°  l'entrevue  avec  Nicodème;  3°  le  dernier  té- 
moignage du  Précurseur;  4"  le  séjour  en  Samarie;  5°  la  gué- 
rison  du  fils  de  l'employé  royal;  —  précédés  chacun  d'un 
court  préambule  esquissant  la  situation  générale  (II,  12-13; 
II,  23-25;  m,  22-24;  IV,  1-3;  IV,  43-45). 

Ce  second  cycle  diffère  du  premier  surtout  en  ce  que  le 
développement  jusqu'alors  simple  et  progressif  se  complique 
dés  maintenant  du  fait  anormal  de  l'incrédulité  et  en  est 
profondément  altéré. 

La  révélation  de  Jésus  s'ouvre  par  sa  grande  démonstra- 
tion messianique  dans  le  Temple.  Kepoussée  par  l'inciédulilé 
nationale,  qui  se  manifeste  à  l'instant  même,  la  révélation 
continue,  mais  sous  une  nouvelle  forme.  Jésus  ne  parle  plus 
à  Nicodème  de  son  œuvre  de  Messie  juif;  il  lui  dévoile  sa 
dignité  de  Fils  de  Dieu  et  de  Sauveur  du  monde.  Israël ,  en 
effet,  peut  rejeter  Jésus  comme  son  Messie;  il  ne  peut  l'em- 
pêcher d'être  le  don  du  Père  au  monde  entier.  Le  discours 
de  Jean-Baptiste  confirme  cette  double  dignité  de  Messie  et 
de  Fils  que  s'est  attribuée  Jésus,  et  rend  une  dernière  fois 
Israël  attentif  au  danger  qui  le  menace,  s'il  refuse  pour  son 
Messie  l'envoyé  suprême,  le  Fils.  En  Samarie,  Jésus  se  révèle 
ouvertement  comme  le  Christ,  ainsi  qu'il  l'eût  fait,  avec  plus 
d'empressement  encore,  en  Israël,  s'il  y  eût  trouvé  l'accueil 
auquel  il  avait  droit.  Kt  déplus,  au[)rès  de  ce  peuple  sama- 


520  PHKMIÈRK  PARTIE. 

ritain.  (]ui  ii';ipj);ultMi;iit  point  à  In  llironalic,  il  inlfnrlio  im- 
mt'dinlt'int'iit  i\  sa  (jnaliti''  de  Clirisl  (v.  "Ib)  ct'llc  de  Sauveur 
du  monde  (v.  42).  Enfin,  en  rcmellant  le  pied  sur  le  sol 
israélite,  il  duvir.  |»iir  imi  sfcnud  iniiacle,  ce  ministère  ga- 
liléen,  j)lus  piojdiéliijue  (pir  ruyal,  j)ar  lequel  il  va  désor- 
mais préparer  sa  seconde  manifestation  messianicpie,  celle 
qui  s'est  réalisée  le  jour  des  Hameaux. —  Ce  sont  là  les  phases 
de  la  révélation  de  Jésus  dans  cette  premièie  partie.  Le 
Messie  national  se  présente;  |)uis  il  s'efl'ace,  soit  pour  laisser 
paraître,  aux  yeux  de  la  foi,  le  Sauveur  du  monde,  soit  pour 
se  revêtir  nïomentanément  de  la  forme  plus  humble  du  pro- 
phète de  Gahlée. 

Quant  à  l'altitude  des  hommes  en  face  de  cette  révéla- 
tion, à  côté  de  la  foi  qui  ré(,^nait  seule  dans  le  premier 
cycle,  se  montre  maintenant  l'incrédulité.  C'est  elle  qui  ré- 
pond à  Jésus  dans  le  Temple  (premier  récit);  c'est  à  elle  que 
s'adresse  l'avertissement  sévère  du  Précurseur  (dans  le 
troisième).  La  foi,  de  son  côté,  se  produit,  sous  deux  for- 
mes variées,  dans  la  conduite  de  Nicodème  (second  récit)  et 
dans  celle  des  Samaritains  (quatrième).  C'est  anisi  qu'alter- 
nent les  tableaux  sombres  et  lumineux.  Le  cinquième  récit, 
enfin,  nous  montre  chez  les  Gahléens  l'exemple  d'une  foi 
douteuse,  qui,  par  la  nature  de  son  j)rincipc,  les  miracles, 
peut  se  chan;;:er  soit  en  foi  vivante,  soit  en  incrédulité  dé- 
clarée. 

Cette  première  partie  de  l'évangile  nous  fait  donc  réelle- 
ment assister  à  l'éclosion  de  la  double  révélation  de  Jésus 
comme  .Me.ssie  el  comme  Fils  de  Dieu  (comj).  XX,  ."30.  31), 
en  même  temps  qu'à  la  naissance  de  la  foi  et  de  l'incrédu- 
lité, ces  deux  faits  (|ui  marchent  dr  pair  et  se  dévelopjjent 
en  corrélation  constante  avec  celui  de  la  révélation  de  Jésus. 


TABLE  DES  MATIERES 


DU  PilEMIKK  VOLIMK 


Pige» 

Préface yn-xn 

INTRODUCTION 4-439 

Chap.  \.  —  Considérations  préliminaires 4 

CiiAP.  II.  —  L'authenticité 4^ 

I.  Les  faits 4  3 

II.  Résultats 4o 

m.  Xature  de  la  vraie  preuve 54 

Chap.  III.  —  L'apôtre  saint  Jean 56 

I.  Vie  de  saint  .lean 56 

II.  Caractère  et  aptitudes  de  saint  .lean 76 

m.  Rôle  de  saint  Jean 79 

Chap.  IV.  —  De  la  coinpositiun  du  quatrième  évangile     .  83 

I.  Lieu  et  temps  de  la  composition 83 

II.  Rut  et  caractère  du  quatrième  évangile 87 

III.  Plan  et  intégrité  du  quatrième  évangile H  4 

I.  Plan 414 

i.  Intégrité 4i4 

Chap.  V.  —  Delà  conservation  du  texte 427 

1.  Les  manuscrits 427 

II.  Les  anciennes  versions 434 

III.  Les  Pères 4  34 

IV.  Considérations  e^énérales 4  34 

Le  titre  de  l'évanîîile 440-«4i 

LE  PROLOGUE  I,   1-18 143-219 

Première  section,  V.  4 -o 4  46 

Deuxième  section,  V.  6-4  4 46.!> 

Troisième  section  ,  V.  12-18 479 


522  TAfU  i:   ni  s   MATIÈRKS. 

r«g.. 
«'onsidt^rations  {îciicralcs  sur  lo  prolo{;ii«' îîO-'îri.'i 

I.  L'int«'nlion  du  proIoj,Mio 220 

II.  l.e  l,0{îos 229 

III.  La  vt^rilc  et  rimporlaiico  de  la  conceplion  de  la  por- 

sonn»' de  Jt'susdaiis  le  prolo^Mio 247 

riŒMIKIŒ  l'AUTIL  de  révan^'llc  I,  <9-l\,  o4.     .     .     .       266-520 

l'iiiMim  i:v<;lk  I,  l<»-IL  H 267-360 

l'iciniiTc  soclion  :  Les  U'iiioi^'iiaiîes  de  Jeaii-Haplisle,  I, 
19-37 268 

I.  Premier  témoifrna^e.  V.  1 '.1-28 269 

II.  Second  téiiioij,Miai,'e,  V.  29-34 286 

m.  Troisième  témoignage  ,  V.  35-37 313 

Deuxième  section  :  Commencements  de  l'œuvre  de  Jésus; 
naissance  de  la  foi,  1 ,  38-iJ2 316 

I.  Premier  groupe  de  disciples,  V.  38-43 3<6 

II.  Second  groupe  ,  v.  44-;J2 325 

Troisième  <5ection  :  1-e  premier  miracle;  affermissement  de 

la  foi,  II,  1-1 1 343 

|)ecxù;mkcy(:lk  II,  12-lV,  JJ4 366-518 

Première  section  :  Jésus  en  Judée,  M,  12-111,  36     .     .     .  366 

I.  Jésus  dans  le  Temple,  II,  12-22 367 

II.  Jésus  à  Jérusalem,  II,  23-III,  21 392 

III.  Jésus  dans  la  campagne  de  Judée,  III,  22-36  .     .     .  448 
Deuxième  section  :  Jésus  en  Samarie,  IV,  1-42  ....  471 

I.  Jésus  et  la  Samaritaine,  v.  1-26 473 

II.  Jésus  et  les  disciples,  V.  27-38 496 

III.  Jésus  et  les  .Samaritains.  V.  3(t-42 507 

Troisième  section  :  Jésus  en  (ialiléc,  IV,  43-54.     .     .     .  509 

Coup  d'ail  général  su?-  la  jurmière  partie     .     .     .       518-520 


ERRATA 


l'âge  60,  note,  au  lieu  de  Jean  XXI,  25  lisez:  Jean  XIX,  ^25. 

Page  94,  dernitM-e  ligne,  au  lieu  de  IV,  2  lisez  :  IV,  3. 

Page  101,  ligne  M,  au  lieu  de  tout  ce  (pii  lui  importe,  c'est  que...., 

lisez:  il  veut  que 

Page  102,  note  1,  au  lieu  de  p.  307  lisez:  p.  317. 

Page  US,  ligne  14,  et  p.  119,  ligne  14,  aulieudeyw^  1  lisez:  VII,  2. 

Page  123,  ligne  14,  au  lieu  de  ch.  IV  lisez:  eh.  VI. 

Page  223,  lignes  19  et  22,  supprinjez  les  guillemets. 

Page  253.  ligne  19,  «m  lieu  de  par  le  bien  lisez  :  parle  bien. 

Page  382,  ligne  21,  au  lieu  de  à  ce  mot  lisez:  de  ce  mot. 


0^*»:;oo 


•/^ 


^  .^v 


•4-4^^îhn 


T^i/. 


r^j^^ 


4'*^m 


ii<i 


Oniversity  oi  Toronto 
Library 


DO  NOT 

REMOVE 

THE 

CARD 

FROM 

THIS 

POCKET 


Acme  Library  Card  Pocket 
LOWE-MARTIN  CO.  Limited 


r^    <  ■^^^^^^Kjf^'"-:  J-.^ 


H 


'^1 

« 

#^ 

•■>'  tr.^^fr»'  .-•' 

■^. 

#  -          . 
1 

m 

iv