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Full text of "Comment on peint auhourd'hui"

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Presented  to  the 
LiBRARY  oj  the 

UNIVERSITY  OF  TORONTO 

by 


MRS.  MAURICE  DUPR^Î 


ITE  BIBLIOTHÈQUE  b'flRT  HObERNE 

CH.  MOREAU-VAUTHIER 


:0M1VIENT  ON  PEINT 
AUJOURD'HUI 


henrûRouïJ 
() 


PARIS 

H.   FLOURY,   Editeur 
2»  Rue  SainUSulpice  et  4,  Rue  de  Condé 


I     1923      1 


COMMENT    ON    PEINT 

AUJOURD'HUI 


CH.  MOREAU-VAUTHIER 

COMMENT    ON    PEINT 

AUJOURD'HUI 


henfùrLouiJ. 
(l 


PARIS 

H.  FLOURY,  ÉDITEUR 

RUE    SAINT-SULPICE,    ET    4,    RUE    DE    CONDÉ 
1923 


izéo 


COMMENT  ON  PEINT 
AUJOURD'HUI 


Toute  peinture  est  à  la  fois  œuvre  d'art  et  œuvre  ^ 
de  métier. 

Je  vais  examiner  la  peinture  contemporaine  comme 
œuvre  de  métier. 

Bien  que  la  facture^  travail  matériel,  concerne  le 
métier,  elle  est  encore  œuvre  d'art,  parce  qu'elle 
résulte  de  la  conception  du  peintre,  de  ses  intentions 
artistiques,  de  l'eifet  qu'il  veut  produire.  Je  ne  dirai 
donc  rien  non  plus  de  cette  partie  du  métier,  ou  bien 
je  n'en  parlerai  qu'incidemment,  lorsque  j'y  serai  forcé 
par  mon  sujet. 

Je  n'étudierai  dans  le  métier  que  la  manière  de 
construire  un  morceau  de  peinture  solide,  c'est-à-dire 
capable  de  représenter  ce  que  veut  l'artiste,  sans  que 


2  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

soient  à  redouter  des  altérations  ou  des  dégradations 
dues  aux  éléments  de  la  couleur  et  à  leur  groupement. 

Cette  partie  du  métier  de  peintre  prend  une  impor- 
tance capitale  dans  la  création  de  l'œuvre  et  dans  l'ave- 
nir qui  lui  est  réservé. 

Elle  lui  donne  la  santé. 

Je  voudrais  résumer  la  manière  dont  nos  contem- 
porams  assurent  à  leurs  tableaux  cette  santé  si  néces- 
saire. 
^     Je  ne  parlerai  donc  pas  d'esthétique,  mais  de  tech- 
nique. 

Je  n'étudierai  pas  les  talents,  mais  les  métiers. 

Je  ne  critiquerai  pas.  Je  noterai,  j'exposerai  l'hy- 
giène actuelle  de  la  peinture. 

Mon  travail,  simple  enquête  documentaire,  n'en 
sera  pas  moins  utile,  je  l'espère,  par  ses  conclu- 
sions. 

J'ai  recueilli  les  confidences  d'artistes  connus.  Je  les 
ai  consultés  au  hasard  des  occasions  et  des  rencontres. 
J'aurais  pu  en  voir  davantage.  Pour  ne  pas  m'encom- 
brer  de  redites,  je  me  suis  arrêté.  Je  crois  offrir  une 
série  qui  donne  exactement  le  caractère  général  que  je 
voudrais  montrer.  Certains  m'ont  écrit,  je  donnerai 
leur  lettre;  d'autres  m'ont  verbalement  expliqué  leur 
manière  de  peindre.  On  lira  mes  notes  au  cours  de 
mon  travail. 


COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI.  t> 

Mes  premières  notes  remontant  à  191 3,  il  est  pos- 
sible que  quelques-uns  ne  peignent  plus  de  même. 
Qu'importe?  Cela  ne  change  rien  à  leur  talent  et  ne 
fait  que  prouver  leur  hésitation  dans  la  bonne  manière 
de  peindre. 

«  Il  peut  y  avoir  plusieurs  manières  de  peindre  qui 
soient  bonnes  »,  m'ont  dit  RoU,  Dinet  et  beaucoup 
d'autres. 

Raphaël  Collin,  les  bras  écartés,  finissait  par 
s'écrier  : 

«  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise?  Je  me  laisse 
entraîner  par  mon  émotion!...  Je  peins  comme  je 
peux!...  C'est  un  mystère!  » 

Renoir,  m'a  répété  Desvallières,  soupirait  : 

«  La  peinture  !  Plus  on  en  fait,  moins  on  y  com- 
prend quelque  chose  !  » 

Lucien  Simon  conclut  avec  bonhomie  : 

«  Je  me  confesse  très  modestement.  Je  m'y  prends 
comme  je  peux.  Je  ne  garantis  pas  la  perfection  de  ma 
manière.  » 

Les  plus  ardents,  s'en  tenant  à  la  joie  de  peindre, 
déclarent  comme  Dagnan  : 

(»  J'ai  essayé  de  tout  et  je  ne  sais  encore  ce  que  j'aime 
le  mieux  !  » 

Tout  cela  indique  un  trouble  général. 

Je  voudrais  étudier  ce  trouble,  en  noter  les  contra- 


4  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

dictions,  constater  les  symptômes  caractéristiques  du 
mal  et  proposer  un  moyen  d'y  remédier. 

De  toute  façon,  même  si  le  remède  que  je  propose 
n'est  pas  approuvé  et  accepté,  cette  étude  sera,  j'en 
suis  persuadé,  de  quelque  utilité.  Elle  répandra  la 
connaissance  de  pratiques  et  de  méthodes  qui,  approu- 
vées par  la  majorité  des  peintres,  semblent  sûres,  et 
elle  donnera  aux  artistes  de  l'avenir  des  renseigne- 
ments qui  leur  permettront  de  se  dire,  en  face  de  pein- 
tures restées  solides  : 

«  Cette  manière  de  peindre  étant  prudente  et  bonne, 
profitons  de  l'expérience.  » 

Rien  que  pour  ce  service,  mon  travail  me  paraît 
valoir  la  peine  d'être  entrepris. 


L'ATELIER 


Je  ne  crois  pas  inutile  de  dresser  le  décor  habituel- 
lement réservé  à  mon  sujet.  Ce  décor  n'est  pas  étran- 
ger à  l'action  qui  s'y  déroule.  L'atelier  d'un  peintre 
résulte  de  préférences  qui  ont  également  décidé  de  sa 
technique.  Dans  nos  habitudes  de  travail,  rien  n'est 
indifférent.  L'artiste  soigneux  ne  vivra  pas  dans  un 
atelier  en  désordre  et  l'artiste  négligent  ne  se  préoccu- 
pera pas  de  questions  matérielles.  Il  ne  pensera  qu'à 
se  libérer  d'entraves  qui  lui  sembleront  sans  intérêt 
et  sans  valeur. 

Connaissez-vous,  au  Louvre,  le  tableau  de  Coche- 
reau  représentant  l'atelier  des  élèves  de  David? 

Si  vous  ne  le  connaissez  pas,  allez  le  voir.  Vous 
saurez  ce  qu'est  l'atelier  classique  :  une  salle  haute, 
nue,  en  longueur,  éclairée  à  l'un  de  ses  bouts  par  un 


0  COMMENT    ON    PEINT    AUJOL'RD  HUI. 

vitrage  droit  regardant  le  Nord.  La  lumière  est  ména- 
gée de  manière  à  venir  latéralement  et  d'assez  haut. 
Un  ton  gris  couvre  la  muraille.  Voilà  le  type  de  l'ate- 
lier ordinaire,  salle  de  travail  du  peintre. 

Ce  type  classique  subsiste.  Tel  est  fréquemment  le 
studio  du  jeune  débutant  ;  il  reste  parfois  celui  de  toute 
sa  carrière. 

Gandara  conserva,  rue  Monsieur-le-Prince,  jusqu'à 
sa  mort,  un  modeste  atelier  tout  à  fait  de  caractère 
classique.  Il  le  préférait  en  raison  de  son  éclairage 
franc,  sûr,  toujours  le  même,  et  appréciait  sa  profon- 
deur qui,  à  l'abri  du  jour,  donnait  de  fortes  ombres. 
A  peine  l'avait-il  égayé  de  quelques  études  au  mur, 
de  quelques  moulages  d'après  l'antique  et  d'une  haute 
psyché. 

Depuis  trente  ans,  à  Marlotte,  Armand  Point  tra- 
vaille dans  un  atelier  profond,  à  jour  droit,  suivant  la 
formule  classique. 

D'autres  peintres,  tout  en  usant  de  l'atelier  très 
simple,  l'encadrent  de  longs  vitrages,  le  veulent  tout 
en  lumière. 

Raphaël  Collin,  Merson  vécurent  dans  des  ateliers 
clairs  qui  restaient  dans  la  tradition  classique.  Chez 
Collin,  fanatique  collectionneur,  des  bibelots  s'entas- 
saient sous  la  poussière.  C'était  l'atelier-musée,  mais 
avec  une  absence  d'ordre,  un  sans  façon  de  bric-à-brac 
/ 


qui  n'avait  rien  de  la  parfaite  ordonnance  d'un  musée. 

Viennent  ensuite  l'atelier-salon  et  l'atelier-musée. 
Ceux-là  se  rencontrent  surtout  dans  les  parages  de 
l'avenue  de  Villiers. 

L'un  des  plus  beaux,  véritable  musée,  est  l'atelier 
de  Saint-Germier.  Celui  de  Bonnat  ouvre  sur  une 
galerie  pleine  d'œuvres  d'art  et  de  peintures  magni- 
fiques. Souvent,  les  meubles  et  les  bibelots  précieux 
qui  décorent  l'hôtel  ou  l'appartement  envahissent 
une  partie  de  l'atelier.  Ménard,  Bompard,  Domergue, 
Lauth,  Aublet,  Doigneau,  Georges  Scott  vivent  et 
peignent  au  milieu  de  merveilles.  C'était  également  le 
cas  de  Gérôme,  boulevard  de  Clichy,  et  de  son  gendre, 
Aimé  Morot,  rue  Wéber. 

Quoique  collectionneurs  et  amateurs  tout  aussi 
ardents  et  tout  aussi  heureux  dans  leurs  trouvailles, 
certains  comme  Albert  Besnard,  Lecomte  du  Nouy, 
Montenard,  Tenré,  Henri  Royer,  Gorguet,  etc.,  con- 
servent à  l'atelier  l'aspect  simple  d'une  salle  de  tra- 
vail. Les  objets  précieux  vont  ailleurs. 

En  général,  les  portraitistes  préfèrent  aussi  l'atelier 
sans  bibelots,  presque  nu  (Dagnan,  Chabas,  Déche- 
naud,  Flameng,  etc.). 

Si  Cottet,  Lucien  Simon,  Dauchez,  Prinet,  Girar- 
dot  (ateliers  très  clairs)  s'entourent  de  leurs  œuvres 
antérieures,  comme  d'un  motif  d'entraînement  et  de 


6  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

comparaison,  quelques-uns,  au  contraire,  suppriment 
toute  peinture  qui  pourrait  les  distraire  et  les  influen- 
cer. L'atelier  de  Jean-Paul  Laurens  se  meublait  d'un 
côté  d'une  tapisserie  ancienne,  de  l'autre  de  la  série 
de  ses  dessins  des  Tetnps  mérovingiens^  au  fond,  d'une 
bibliothèque  et  d'une  armoire  à  costumes.  On  n'y 
voyait  rien  de  plus  autour  de  ses  chevalets  garnis  des 
travaux  en  cours  d'exécution. 

On  emploie  fréquemment  l'éclairage  électrique, 
même  dans  la  journée;  on  apprécie  la  facilité  qu'il 
offre  de  varier  les  effets,  d'en  obtenir  de  pittoresques 
et  d'imprévus. 

Chabas  met  ainsi  la  plupart  de  ses  portraits  de 
femmes  dans  la  lumière  artificielle  où  vivent  les  mon- 
daines qui  s'adressent  à  lui.  Les  enfants  bien  élevés 
se  couchant  de  bonne  heure,  il  réserve  le  jour  à  ses 
portraits  d'enfants. 

Gaputo  recourt  à  l'électricité  pour  ses  intérieurs 
féminins  de  i83o. 

L'art  classique,  art  de  sélection,  entraînant  le  peintre 
à  s'isoler,  l'atelier  facilite  le  travail  d'idéalisation.  L'art 
moderne,  au  contraire,  le  rapproche  de  la  vie  et  tend 
à  l'éloigner  de  l'atelier. 

Raffaëlli,  rue  Chardin,  Desvallières,  rue  Saint- 
Marc,  Ernest  Laurent,  quai  Voltaire,  Matisse,  quai 
Saint-Michel,  Pierre,  quai  d'Anjou,  Helleu,  à  Passy, 

/ 


renoncent  à  l'atelier,  travaillent  dans  une  pièce  quel- 
conque de  leur  appartement. 

Cette  réaction  contre  l'atelier  se  poursuit  et  s'af- 
tirme  peu  à  peu  sous  l'intiuence  de  la  peinture  de  plein 
air  et  de  paysage.  On  voit  des  peintres  renoncer  tout 
à  fait  à  la  salle  de  travail  quelle  qu'elle  soit  et  s'ins- 
taller tantôt  ici,  tantôt  là,  dans  le  milieu  même  qu'ils 
reproduisent;  peintres  d'intérieurs,  de  figures  ou  de 
portraits,  ils  voyagent  à  la  façon  des  paysagistes  et 
transportent  avec  eux  leur  bagage.  L'atelier  ne  leur 
sert  plus  que  de  magasin  pour  le  matériel  ou  pour 
l'exposition  des  tableaux. 

Muenier  par  exemple,  et  il  est  loin  d'être  le  seul, 
éprouve  une  répugnance  absolue  pour  l'atelier,  son 
jour  froid,  égal,  sa  tendance  à  fixer  le  travail  dans  des 
habitudes  et  des  manies. 

En  somme,  à  Montparnasse,  à  Montmartre  ou  ave- 
nue de  Villiers,  l'atelier  d'aujourd'hui  est,  la  plupart 
du  temps,  un  hall  clair  dans  la  tradition  classique. 
Sans  être  luxueux,  il  est  propre,  gai,  recueilli  avec 
une  pointe  de  fantaisie  chez  les  uns,  de  solennité 
chez  les  autres.  Chacun  l'anime  d'un  accent  où  se 
trahit  sa  personnalité.  Ici,  se  révèle  le  goût  du  bibe- 
lot; ailleurs,  l'indifférence  pour  le  confort;  presque 
partout,  c'est  l'atelier  classique  avec  plus  de  lumière 
et  plus  de  gaieté. 


lO  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

Néanmoins,  des  ruptures  avec  la  tradition  classique 
apparaissent  chaque  jour.  Les  raisons  de  cette  évolu- 
tion étant  de  caractère  esthétique,  je  n'insiste  pas; 
mais  je  la  signale,  car  elle  peut,  un  jour,  influencer 
la  technique.  L'impressionnisme,  en  partie  cause  de 
cette  évolution,  l'a  bien,  comme  nous  allons  le  voir, 
influencée. 

En  fait,  il  est  très  rare  aujourd'hui  qu'un  peintre 
tienne  auprès  de  son  atelier  une  de  ces  «  salles  de  pra- 
tique »  comme  en  ont  les  sculpteurs,  où  leurs  travaux 
sont  préparés  puis  achevés  par  leurs  soins  ou  sous 
leur  direction  par  leurs  élèves.  La  plupart  aban- 
donnent complètement  aux  marchands  ce  qui  con- 
cerne la  partie  matérielle  de  leur  art,  la  préparation 
des  toiles,  le  broyage  des  couleurs,  la  composition  des 
huiles  et  des  vernis. 

Cette  négligence,  qui  s'aggrave  parfois  d'ignorance, 
peut-être  allons-nous  en  reconnaître  tout  à  l'heure  les 
traces  et  les  conséquences. 


LA  PALETTE 


Dans  ce  décor  règne  la  palette  avec  son  chatoyant  ^ 
collier  de  couleurs.  Elle  est  l'objet  le  plus  important. 

Examinons-la. 

Comme  l'atelier,  elle  tient  de  David  une  formule 
classique.  Elle  se  couvre  de  couleurs  préparées  à 
l'huile.  Malgré  des  recherches  et  des  essais  dont  je 
parlerai,  le  procédé  classique  de  la  peinture  à  l'huile 
reste  en  faveur.  Mais  au  cours  du  siècle,  le  choix  des 
couleurs  a  varié  suivant  les  peintres  et  les  écoles. 

La  palette  vraiment  d_ass.ique  ne  comprend  que  des 
couleurs  très  simples,  des  terres,  des  ocres,  et  rejette 
toutes  les  couleurs  dues  à  la  chimie  moderne,  par 
exemple,  les  jaunes  brillants  tels  que  les  chromes  et 
les  cadmiums.  A  peine  si  on  les  voit  paraître  sur  la 
palette  de  David  à   la  tin  de  sa  carrière.   Et   il   n'y 


12  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

recourt  que  très  prudemment,  dans  les  draperies  seu- 
lement. 

Zuloaga,  Gandara,  Point  usent  de  la  palette  clas- 
sique. 

«  Je  condamne  toutes  les  couleurs  nouvelles,  me 
disait  Gandara.  Les  maîtres  anciens  n'employaient 
que  des  terres.  Je  m'en  tiens  aux  terres.  » 

Il  n'ajoutait  le  cadmium  sur  sa  palette  que  pour  les 
étoffes  et  le  paysage. 

Sous  l'influence  de  l'impressionnisme,  la  palette 
-%  s'est  absolument  transformée.  Elle  perd  les  noirs  et 
les  terres  — ce  que  l'impressionnisme  appelle  les  cou- 
leurs terreuses  —  elle  se  simplifie  d'une  part  et  s'enri- 
chit de  l'autre.  Elle  adopte  sept  ou  huit  couleurs,  les 
plus  éclatantes ,  les  plus  proches  des  couleurs  du 
spectre  solaire,  celles-là  mêmes  que  les  classiques 
rejettent. 

Monet,  Pissaro,  Renoir,  vers  1875,  recourent  aux 
jaunes,  rouges,  violets,  bleus,  verts  intenses  comme 
les  cadmiums,  les  chromes,  les  vermillons,  les  laques, 
les  verts  Véronèse.  Cette  révolution,  de  caractère 
esthétique,  a  des  conséquences  techniques;  de  plus, 
dans  la  composition  de  la  matière,  elle  introduit  des 
couleurs  réputées  fragiles  et  elle  les  pose  d'une  ma- 
nière considérée  comme  dangereuse  pour  la  santé  du 
tableau. 


LA    PALETTE.  l3 

En  fait,  deux  palettes  sont  en  présence  :  la  palette 
classique  et  la  palette  impressionniste,  la  première 
condamnant  les  couleurs  vives  qu'elle  juge  fragiles; 
la  seconde  condamnant  les  couleurs  anciennes  qu'elle 
juge  ternes. 

La  plupart  des  peintres  adoptent  une  palette  inter- 
médiaire, qui  tâche  de  profiter  des  deux  méthodes,  en 
conservant  plus  ou  moins  les  tons  neutres,  et  en  em- 
ployant plus  ou  moins  les  tons  nouveaux. 

Blanc.  —  Destiné  à  éclaircir  les  tons  par  mélange, 
le  blanc  d'argent  est  la  couleur  la  plus  employée.  Il 
arrive  en  tête  avec  la  cote  2  5o,  sur  une  liste  que  je 
dois  à  l'obligeance  d'un  grand  marchand  de  couleurs  i 
qui  a  noté,  par  ordre  et  par  cotes  en  se  guidant  sur  la 
vente,  l'importance  relative  des  couleurs  employées 
par  les  artistes.  Cette  liste  donne  des  indications  d'au- 
tant plus  intéressantes  qu'elles  sont  souvent  contraires 
aux  opinions  répandues.  Cela  prouve  que  la  mauvaise 
réputation  n'empêche  pas  toujours  les  bonnes  rela- 
tions et  aussi  qu'on  a  parfois  des  amis  qu'on  n'ose  pas 
avouer.  Nous  verrons  cela  tout  à  l'heure. 

Bien  que  très  employé,  le  blanc  d'argent  n'est  pas 
considéré  comme  parfait.  On  l'accuse  de  noircir  dans 
les  mélanges  de  couleurs  à  base  de  soufre  ou  de  mer- 

I.  Voir  à  la  fin  du  volume. 


14  COMMENT    ON    PEINT    AUJOQRD  HUI. 

cure  et  d'absorber  les  laques.  Ce  qui  donne  de  l'au- 
torité à  la  palette  classique  c'est  que  le  blanc  d'argent 
se  mêle  généralement  bien  avec  la  plupart  de  ses  cou- 
leurs. Le  vermillon,  la  laque,  la  terre  de  Cassel  qui 
font  mauvais  ménage  avec  le  blanc  d'argent  figurent 
parmi  les  couleurs  de  David,  mais  les  vrais  partisans 
de  la  palette  classique  les  rejettent.  Gandara  par 
exemple,  qui  n'emplo3ait qu'un  rouge,  le  brun-rouge, 
les  condamnait.  Pourtant,  le  blanc  d'argent  se  voit 
avec  le  vermillon  sur  la  palette  de  Pissaro,  et  Bail 
affirmait  ne  s'être  jamais  mal  trouvé  de  l'emploi  du 
blanc  d'argent  avec  le  vermillon. 

Les  ennemis  du  blanc  d'argent  prétendent  trouver 
mieux  dans  le  blanc  de  zinc. 

Baudiy  l'appréciait  parce  qu'il  est  plus  long  à  sécher. 

Dès  que  l'impressionnisme  met  à  la  mode  des  cou- 
leurs nouvelles,  le  blanc  de  zinc  entre  en  faveur.  On 
constate  qu'il  n'est  pas  altéré  par  les  couleurs  à  base 
de  soufre  ou  de  mercure.  Il  n'est  même  pas  redou- 
table pour  le  peintre  comme  le  blanc  d'argent,  céruse 
purifiée,  véritable  poison.  De  nombreux  artistes 
l'adoptent  sans  abandonner  le  blanc  d'argent  et  lui 
confient  les  mélanges  avec  les  couleurs  qui  agiraient 
sur  le  blanc  d'argent  ou  que  le  blanc  d'argent  atta- 
querait. Mais  cette  pratique  est  incertaine,  hésitante 
chez  quelques-uns,  intermittente  chez  la  plupart. 


LA    PALETTE.  l5 

On  reproche  au  blanc  de  zinc  d'être  trop  long  à 
sécher,  d'être  vitreux,  cassant,  et  de  s'écailler  en  sé- 
chant. 

Chabas  reconnaît  que,  dans  l'entraînement  du  tra- 
vail, placer  une  touche  mêlée  de  blanc  d'argent  —  qui 
sèche  vite  —  par-dessus  une  touche  de  blanc  de  zinc  — 
qui  sèche  lentement  —  produit  des  craquelures.  Aussi, 
Cormon  se  déclare-t-il  l'ennemi  du  blanc  de  zinc. 

Raphaël  CoUin,  au  contraire,  préconisait  l'union 
cojnplète  des  deux  blancs  et  les  mêlait  l'un  à  l'autre, 
estimant  que  le  blanc  de  zinc,  plus  long  à  sécher, 
devient  plus  commode  à  étaler  quand  on  lui  adjoint 
le  blanc  d'argent.  C'est  aussi  l'opinion  de  Cave  qui 
mêle  deux  tiers  de  blanc  d'argent  avec  un  tiers  de 
blanc  de  zinc,  en  disant  que  non  seulement  la  matière 
est  plus  maniable  mais  aussi  que  les  défauts  de  chaque 
blanc  sont  atténués  par  les  qualités  de  l'autre. 

Un  grand  fabricant  de  couleurs  m'a  montré  un  nou- 
veau blanc  à  l'huile  qu'il  va  mettre  en  vente.  Ce  blanc, 
dont  j'ignore  la  base,  ne  serait  pas  influencé  par  les 
sulfures.        <ï^^iZ}^-^KJ-- kj-^^^    '.j^h*S.\k..    '[ 

Sur  la  liste  des  couleurs,  le  blanc  de  zinc  est  le 
seizième  avec  la  cote  84. 

Jaune  de  chrome.  —  La  première  couleur  sur  la 
liste,  après  le  blanc  d'argent,  est  le  jaune  de  chrome 
clair  avec  la  cote  200. 


l6  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Voilà  qui  est  singulier,  cette  couleur  étant  considé- 
rée comme  mauvaise.  Bail  lui-même,  qui  admettait  le 
chrome  et  le  préférait  au  cadmium,  convenait  que  le 
chrome  clair  est  fragile  et  lui  préférait  le  chrome  foncé. 
Or,  le  chrome  foncé  arrive  seulement  le  neuvième  sur 
la  liste  des  couleurs  avec  la  cote  i36. 

En  revanche,  je  l'ai  dit,  Pissarro  employait  le 
chrome  clair  et  comme  seul  jaune.  Bouguereau  le 
mettait  sur  sa  palette  et  Aman-Jean  y  recourt,  mais 
prudemment,  ainsi  que  Desvallières. 

La  plupart  des  artistes  que  j'ai  consultés  condam- 
nant le  chrome  clair,  peut-être  doit-il  son  succès  à 
l'influence  de  Pissarro  et  des  impressionnistes  auprès 
de  la  jeunesse,  ou  bien  aux  amateurs,  clientèle  très 
nombreuse  et  fort  indifférente  pour  la  qualité  des  cou- 
leurs. On  peut  aussi  remarquer  que  le  chrome  étant 
à  base  de  plomb  (chromate  de  plomb)  doit  s'accor- 
der avec  le  blanc  d'argent  (^blanc  de  plomb)  dans  les 
mélanges  lorsqu'il  est  foncé,  car  dans  le  ton  clair  il 
conserve  encore  trop  de  soufre  et  altère  le  blanc. 

Enfin,  le  chrome  coûte  moins  cher  que  le  cadmium. 

Certains  défenseurs  des  couleurs  fragiles,  tout  en 
avouant  leur  fragilité,  leur  attribue  une  résistance 
due  à  l'huile  qui  les  enveloppe  et  les  isole.  Cela  paraît 
exact.  Mais  on  sait  que  l'huile  a  tendance  à  voyager, 
à  se  porter  vers  la  surface  de  la  peinture.  Ces  voyages 


LA    PALETTE.  I7 

s'effectuent  suivant  des  lois  inconnues.  En  constatant 
la  résistance  des  couleurs  maniées  par  les  uns  et  leur 
faiblesse  maniées  par  d'autres,  on  peut  se  demander 
si  cette  résistance  ne  se  trouverait  pas  dans  la  fran- 
chise de  touche,  une  couleur  peu  tripotée  et  compo- 
sée de  peu  d'éléments  étant  généralement  plus  solide 
parce  que  les  parcelles  restent  plus  indépendantes, 
plus  libres,  moins  mêlées,  et  que  l'huile  continue  à  les 
envelopper. 

Cadmium.  —  On  voit  le  cadmium  clair  et  le  foncé 
sur  la  majorité  des  palettes. 

Souvent,  pas  toujours,  je  l'ai  dit,  on  les  emploie 
prudemment  avec  du  blanc  de  zinc  parce  que,  mélan- 
gés au  blanc  d'argent  comme  à  toutes  les  couleurs  à 
base  de  plomb,  ils  les  font  noircir.  Néanmoins,  sur 
la  liste  des  couleurs,  le  cadmium  clair,  qui  est  le  plus 
fragile,  est  numéroté  3i  et  coté  40;  le  foncé  est 
numéroté  36  et  coté  36,  et  le  citron  est  numéroté  37 
et  coté  36. 

Vermillon.  —  Le  vermillon,  produit  à  base  de  mer- 
cure, a  des  ennemis  nombreux. 

On  lui  reproche  de  noircir  quand  il  est  seul,  de 
décomposer  et  de  noircir  le  blanc  d'argent.  On  le 
rejette  et  on  s'en  passe,  ou  bien  on  le  mêle  au  blanc 
de  zinc;  la  plupart  du  temps,  on  le  remplace  par  le 


l8  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

cadmium  brûlé,  dit  vermillon  de  cadmium,  nouvelle 
couleur,  plus  solide,  mais  qui,  en  tant  que  cadmium, 
a  besoin  aussi  d'être  prudemment  employée  dans  les 
mélanges.  J'ai  dit  que,  malgré  cette  méfiance  géné- 
rale, il  y  a  des  artistes  qui  ne  se  plaignent  ni  des  ver- 
millons, ni  des  chromes,  ni  des  cadmiums. 

Vert  émeraude.  —  Le  vert  émeraude  habituelle- 
ment très  goûté  et  réputé  très  solide  (numéroté  3, 
coté  170)  est  accusé  par  Rixens  de  noircir.  Je  me  rap- 
pelle aussi  que  quelqu'un  m'a  dit  prudent  d'ajouter 
du  blanc  d'argent  ou  de  zinc  aux  mélanges  de  cad- 
mium et  de  vert  émeraude  pour  les  fixer;  sans  quoi, 
le  vert  s'affirmerait  outre  mesure. 

A  ce  propos,  je  trouve  dans  une  lettre  de  Girardot  : 

«  J'ai  eu  des  surprises  avec  le  vert  émeraude.  J'ai 
souvent  observé  des  altérations  dans  ses  mélanges 
avec  l'ocre  jaune,  le  jaune  de  Mars,  et  des  sulfura- 
tions  avec  les  cadmiums.  Tout  vert  ayant  l'aspect  sul- 
furé ou  huilé  change.  Il  ne  faudrait  jamais  voir  l'as- 
pect huileux  à  un  ton;  il  faut  que  l'huile  disparaisse 
derrière  ce  ton.  » 

En  général,  le  vert  émeraude  mêlé  au  cadmium  a 
la  réputation  de  noircir  et  on  préfère  obtenir  le  même 
ton  par  le  jaune  de  strontiane  à  la  place  du  cadmium. 

Terre  de  Sienne  brûlée.  —  Très  estimée  (n''  6, 


LA    PALETTE.  19 

cote  i5o)  et  réputée  solide,  la  terre  de  Sienne  brûlée 
est  pourtant  condamnée  par  Ulmann  qui  l'accuse  de 
s'étendre  mal  et  de  mal  sécher.  C'est  aussi  l'opinion 
de  Gavé.  Par  suite,  sans  doute,  on  la  dit  mauvaise 
dans  les  dessous,  pour  ébaucher. 

Terre  de  Sienne  naturelle.  —  La  terre  de  Sienne 
naturelle  .^n"  lo,  cote  i36)  a  des  ennemis  malgré  sa 
bonne  réputation.  On  lui  reproche  d'être  ardente  et 
de  brunir.  On  la  remplace  par  la  terre  d'Italie  ou  le 
jaune  de  Mars. 

Vert  Véronèse.  —  iMalgré  sa  mauvaise  réputation, 
le  vert  Véronèse  paraît  très  employé  in°  8,  cote  i36). 
Les  impressionnistes  lui  sont  fidèles.  Pissaro  le  garde 
à  l'exclusion  de  tout  autre  vert.  Gottet,  Simon  l'em- 
ploient et  Gormon  aussi. 

Laques.  —  La  fragilité  des  laques,  bien  que  recon- 
nue par  presque  tout  le  monde,  est  pourtant  discutée. 
En  tout  cas,  on  les  emploie,  on  les  verra  même  en 
grand  nombre  sur  la  liste  des  couleurs.  Séchant  len- 
tement, tendant  à  se  crevasser  quand  on  les  mêle  au 
siccatif,  à  s'évaporer,  on  les  emploie  souvent  avec  le 
blanc  de  zinc. 

Guillemet  usait  en  abondance  de  la  laque  de  gaude, 
qui  passe  pour  très  fragile,  et  affirmait  pourtant  s'en 
bien  trouver. 


20  COMMKNT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Les  laques  alizarines  ont  de  nombreux  partisans 
qui  les  disent  solides. 

Jaune  de  Naples.  —  Très  en  vogue  au  début  du 
xix*'  siècle  [on  le  voyait  sur  toutes  les  palettes),  le  jaune 
de  Naples  est  moins  apprécie  n^'  i5,  cote  84).  On  lui 
reproche  de  s'altérer  au  contact  du  couteau  à  palette 
et  dans  les  mélanges  avec  des  couleurs  à  base 
de  fer. 

Bleu  de  Prusse.  —  Le  bleu  de  Prusse  n°  17, 
cote  80,  et  n"  24,  cote  56\  malgré  sa  très  mauvaise 
réputation,  est  employé  par  Bonnat,  Desvallières, 
Simon.  On  le  retrouve  sur  nombre  de  palettes  du 
xix"  siècle  :  David,  Ingres,  Horace  Vernet,  Jules  Du- 
pré,  Gérôme  (celui-ci  seulement  pour  les  noirs  pro- 
fonds, avec  un  mélange  de  terre  de  Sienne  brûlée), 
Monticelli  dans  ses  ébauches. 

Bitume.  —  Le  bitume  in^  23,  cote  56  étant  très 
décrié,  je  ne  dirai  pas  ses  défauts,  ou  plutôt  ceux  que 
lui  reprochent  ses  ennemis  ;  ils  sont  trop  connus.  Mais 
je  présenterai  la  défense  de  ses  amis,  qui  est  moins 
connue  peut-être. 

On  le  prétend  solide  si  on  l'emploie  avec  des  sicca- 
tifs ou  des  couleurs  solides,  Maillart  en  use  en  pleine 
pâte.  Charles  Guérin  l'emploie  mêlé  de  blanc;  Bon- 
nat, en  glacis,  dans  les  dessus  seulement  et  par-dessus 


LA    PALETTE.  21 

des  pâtes  solides.  Bouguereau  recourait  au  bitume 
pour  reprendre,  lier  et  harmoniser;  il  glaçait  par  des 
frottis  de  bitume  à  l'essence  et  reprenait  le  morceau 
dans  le  glacis  avant  que  le  bitume  soit  sec.  Je  crois 
qu'à  examiner  sa  peinture  on  peut  attribuer  à  cette 
pratique  des  noircissements,  des  craquelures  et  le 
détachement  même  des  couleurs  '. 

Roybet  usait  abondamment  du  bitume,  avec  adresse 
et  brio. 

Sa  mauvaise  réputation  ne  parait  pas  lui  nuire,  plu- 
sieurs marchands  de  couleurs  m'ont  dit  en  vendre 
beaucoup. 

Terre  verte.  —  La  terre  verte,  accusée  de  noircir  et 
de  craquer,  est  généralement  condamnée. 

On  l'emploie  cependant  Aman-Jean,  Albert  André, 
Maillart,  Maufra,  Renoir,  André  Derain'i. 

Terre  d'ombre.  —  Assez  emplo3'ée  n°  22,  cote  56}, 
la  terre  d'ombre  est  pourtant  accusée  de  noircir,  de 
se  crevasser,  de  repousser  à  travers  les  couches  qui  la 
recouvrent,  ce  qui  en  ferait  un  détestable  élément  de 
préparation.  Ricard  l'ayant  prise  pour  ses  grisailles 
comme  dessous,  faut-il  lui  attribuer  les  dégâts  dont 
souftre  sa  peinture?  Il  est  vrai  qu'il  usait  du  bitume 

I.  Pour  convaincre  les  gens  de  la  solidité  du  bitume,  Bouguereau 
avait  l'habitude  de  répéter  :  «  On  en  fait  des  trottoirs.  » 


22  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURDHUI, 

et  repeignait  beaucoup  en  glacis  et  en  ciemi-pàtes. 

Jaune  de  strontiane.  —  On  paraît  pour  le  moment 
employer  beaucoup  le  jaune  de  strontiane  dans  les 
mélanges  avec  les  verts  fragiles  comme  le  vert  Véro- 
nèse.  Pourtant,  Girardot  m'écrit  :  «  Le  vert  Véronèse 
ne  change  guère  plus  avec  des  chromes  clairs  qu'avec 
le  jaune  de  strontiane.  » 

Si  l'on  examine  et  compare  les  palettes  suivantes, 
on  recueillera  encore  d'utiles  et  intéressantes  indica- 
tions. 

Un  détail  :  «  Avoir  la  palette  au  pouce  »  n'est  plus 
une  expression  qui  s'applique  à  tous  les  peintres.  Très 
souvent,  la  palette  reste  sur  la  boîte  à  peindre  ou  sur 
un  tabouret  auprès  du  tableau,  et  le  peintre  travaille 
en  ne  tenant  dans  la  main  gauche  que  sa  poignée  de 
pinceaux.  Ceux  qui  peignent  ainsi  prétendent  être 
plus  libres  de  leurs  mouvements. 


COMPOSITION  DES  PALETTES 


Aman-Jean. 

Blanc  d'argent  —  Ocre  jaune  —  Jaune  de  chrome 

—  Jaune  indien  —  Terre  de  Sienne  brûlée  —  Rouge 
de  Venise  —  Laque  de  garance  —  Outremer  —  Cobalt 

—  Vert  émeraude  —  Terre  verte  —  Noir  d'ivoire. 

André  (Albert). 

Blanc  d'argent  —  Laque  garance  foncée  —  Vermil- 
lon —  Ocre  rouge  —  Ocre  jaune  —  Cadmium  clair 

—  Vert  émeraude  —  Terre  verte  —  Bleu  de  cobalt 

—  Outremer  —  Noir  d'ivoire. 

Bail  (Joseph). 

Blanc  d'argent  —  Ocre  d'or  —  Ocre  jaune  —  Ocre 
rouge  —  Jaune  de  chrome  foncé  —  Vermillon  — 
Laque  garance  foncée  —  Vert  émeraude  —  Bleu 
minéral  —  Outremer  —  Noir  d'ivoire. 


24  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

BONNAT. 

Bleu  de  Prusse  —  Blanc  d'argent  —  Jaune  de 
Naples  —  Ocre  jaune  —  Brun  rouge  —  Vermillon  — 
Laque  de  garance  —  Sienne  brûlée  —  Noir  d'ivoire 

—  Bitume. 

BOUGUEREAU. 

Jaune  de  Naples —  Ocre  jaune  — Jaune  de  chrome 
foncé  —  Vert  émeraude  —  Bleu  de  cobalt  —  Blanc 
d'argent  —  Vermillon  clair  —  Vermillon  de  Chine  — 
Brun  rouge  —  Brun  Van  Dyck  —  Terre  de  Sienne 
brûlée  —  Noir  d'ivoire  —  Bitume  —  Laque  de  garance 
foncée. 

Carolus-Duran. 

Blanc  d'argent  —  Ocre  jaune  —  Cadmium  clair  — 
Cadmium  foncé  — Jaune  indien  — Terre  de  Séville 

—  Ocre  rouge  —  Vermillon  —  Garance  rose  —  Laque 
capucine  —  Laque  fixe  de  garance  — Terre  de  Sienne 
brûlée  —  Bleu  outremer  —  Bleu  de  cobalt  —  Vert 
émeraude  —  Brun  de  Bruxelles  —  Noir  d'ivoire. 

Chah  AS. 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Bleu  de  cobalt 

—  Outremer  —  Jaune  de  strontiane  —  Cadmium 
foncé  —  Ocre  jaune  —  Jaune  de  mars  —  Sienne  brû- 
lée —  Noir  d'ivoire  —  Laque  de  garance  rose  —  Laque 
de  garance  foncée. 


COMPOSITION    DES    PALETTES.  25 

GoLLiN  (Raphaël). 

Blanc  d'argent  i  pour  la  décoration  :  blanc  d'argent 
et  blanc  de  zinc  mêlés  par  parties  égales)  —  Ocre 
jaune —  Laque  Robert  claire  —  Laque  Robert  foncée 

—  Rouge  de  Pouzzoles  —  Bleu  de  cobalt  —  Laque 
garance  —  Violet  de  cobalt  —  Vert  de  cobalt  clair  — 
Vert  émeraude  —  Outremer  jaune  (ou  bien  jaune  de 
zinc)  —  Noir  de  pêche  —  Sienne  brûlée. 

CORMON. 

Blanc  d'argent  le  blanc  de  zinc  couvre  mal,  sèche 
mal,  amène  des  craquelures)  —  Ocre  jaune  —  Terre 
de  Sienne  naturelle  ou  ocre  d'or  —  Terre  de  Sienne 
brûlée  —  Brun  rouge  —  Laque  garance  foncée  (dans 
les  rouges  ou  violets)  —  Violet  de  cobalt  (fort  peu)  — 
Bleu  de  cobalt  ou  outremer  — Vert  émeraude  —  Vert 
Véronèse  ^avecdu  jaune  de  strontiane)  —  Noir  d'ivoire 

—  Rarement  :  bleu  céruléum  et  cadmium  moyen  — 
Vermillon  de  cadmium  pour  les  rouges  violents. 

COTTET. 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  pour  les  vermillons 
et  les  cadmiums  —  Vert  émeraude  —  Vert  cobalt  — 
Vert  Véronèse  —  Cadmium  clair  —  Cadmium  foncé 

—  Ocre  jaune  —  Ocre  de  ru  —  Ocre  d'or  —  Sienne 
naturelle  —  Sienne  brûlée  —  Rouge  de  Venise 


20  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Vermillon  de  cadmium  —  Bleu  de  cobalt  —  Outre- 
mer —  Noirs  de  pêche,  d'ivoire,  de  vigne,  d'os. 

David. 
Blanc  de  plomb  —  Jaune  de  Naples  —  Jaune  de 
chrome  i  à  la  tin  de  sa  vie)  —  Ocre  jaune  —  Laque  de 
gaude  —  Terre  d'Italie  naturelle  —  Ocre  de  ru  — 
Orangé  de  Mars  —  Vermillon  de  Chine  —  Cinabre 
—  Brun  rouge  —  Laque  de  garance  —  Sienne  brû- 
lée —  Terre  de  Cassel  —  Noir  d'ivoire  —  Noir  de 
pêche  —  Outremer  —  Bleu  de  Prusse  —  Bleu  minéral. 

Delacroix. 
Blanc  d'argent  —  Jaune   de  Naples  —  Jaune   de 
zinc  —  Ocre  jaune  —  Cobalt  —  Vert  émeraude  — 
Sienne  brûlée  —  Noir  d'ivoire  —  Bitume  —  Momie. 

Derain  (André). 
Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Ocre  jaune  — 
Brun  rouge  —  Terre  de  Sienne  naturelle  —  Terre  de 
Sienne  brûlée  —  Noir  d'ivoire  —  Terre  verte  (qu'il 
emploie  beaucoup)  —  Bleu  de  cobalt  —  Vert  éme- 
raude. (Rejette  toutes  les  couleurs  nouvelles.) 

Desvallières. 
Blanc  d'argent  —  Ocre  jaune  —  Sienne  brûlée  — 
Garance  foncée  —  Vermillon  —  Chrome  clair  —  Noir 
d'ivoire  —  Cobalt  —  Outremer  —  Bleu  de  Prusse  — 


COMPOSITION    DES    PALETTES.  27 

Vert  émeraude.  Peint  avec  des  couleurs  mates  pour 
la  décoration.) 

D'ESPAGNAT. 

Blanc  d'argent  —  Jaune  de  strontiane  —  Ocre  jaune 

—  Ocre  rouge  —  Vermillon  —  Laque  alizarine  — 
Cobalt  —  Outremer  —  Vert  émeraude  —  Noir  de 
pèche  —  Terre  d'ombre  naturelle. 

DoiGNEAU. 

Bleu  outremer  —  Bleu  de  cobalt  —  Violet  de  cobalt 

—  Vert  émeraude  —  Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc 

—  Jaune  de  cadmium  —  Jaune  de  strontiane  —  Ocre 
jaune  —  Jaune  de  Mars  —  Vermillon  de  cadmium  — 
Pourpre  de  cadmium  —  Laque  garance  foncée  — 
Rouge  de  Pouzzoles  —  Violet  de  Mars. 

DupRÉ  Jules). 
Blanc  d'argent  —  Jaune  de  Xaples  —  Jaune  indien 

—  Ocre  jaune  —  Laque  jaune  —  Laque  Robert  n''  6 

—  Terre  d'Italie  naturelle  —  Ocre  de  ru  —  Sienne 
naturelle  —  Sienne  brûlée  —  Momie  —  Bitume  — 
Noir  d'ivoire  —  Laque  fine  —  Vermillon  —  Brun 
rouge  —  Bleu  de  cobalt  —  Bleu  minéral  —  Bleu  de 
Prusse  —  Vert  Véronèse  —  Vert  émeraude. 

Denis    Maurice). 
Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Cadmium  clair 


28  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

—  Cadmium  foncé  —  Vermillon  —  Laque  garance 
Andrinople  ^  recommandée  par  Renoir)  —  Sienne  natu- 
relle —  Sienne  brûlée  —  Terre  d'ombre  naturelle  — 
Vert[émeraude  —  Cobalt  —  Outremer  —  Noir  d'ivoire. 

DOMERGUE. 

Blanc  d'argent  —  Jaune  de  strontiane  —  Jaune  de 
cadmium  orange  —  Ocre  jaune  —  Les  trois  vermillons 
de  cadmium  de  Morin  —  Laque  de  garance  rose  — 
Laque  de  garance  loncée  —  Terre  de  Sienne  brûlée 

—  Vert  émeraude  —  Cobalt  —  Outremer  —  Noir 
d'ivoire. 

Gandara. 

Blanc  d'argent  —  Ocre  jaune  —  Sienne  naturelle 

—  Brun  rouge  —  Sienne  brûlée  —  Bleu  de  cobalt  — 
Bleu  outremer  foncé  —  Cadmium  —  Noir  d'os  — 
Noir  d'ivoire. 

GiRARDOT. 

Blanc  d'argent  —  Cadmium  clair  —  Cadmium 
foncé  —  Ocre  jaune  —  Jaune  de  Mars  —  Vermillon 
de  cadmium  —  Rouge  de  Pouzzoles  —  Laque  aliza- 
rine  ioncée  —  Terre  de  Sienne  brûlée  —  Vert  éme- 
raude —  Bleu  de  cobalt  foncé  —  Noir  de  pèche  — 
Terre  d'ombre  naturelle  —  Violet  de  cobalt. 

Gérôme. 
Blanc  d'argent  — Jaune  de  cadmium  — Ocre  jaune 


COMPOSITION    DES    PALETTES.  29 

—  Jaune  de  Mars  —  Vermillon  —  Brun  rouge  — 
Sienne  brûlée  —  Laque  rose  —  Laque  pourpre  — 
Vert  émeraude  —  Bleu  minéral  —  Bleu  de  cobalt 
céleste  -—  Noir  d'ivoire. 

Harpignies. 

Cobalt  —  Vert  émeraude  —  Vert  Véronèse  —  Blanc 
d'argent  —  Jaune  de  Naples  —  Cadmium  n°  2  — 
Ocre  jaune  —  Ocre  rouge  —  Sienne  naturelle  — 
Sienne  brûlée  —  Noir  de  pêche. 

Ingres. 
Blanc  d'argent  —  Jaune  de  Naples  —  Ocre  jaune 

—  Sienne  naturelle  —  Terre  d'Italie  naturelle  — Ocre 
de  ru  —  Vermillon  de  Chine  —  Cinabre  —  Brun 
rouge  —  Laque  de  garance  —  Sienne  brûlée  —  Brun 
Van  Dyck  —  Noir  d'ivoire  —  Cobalt  —  Bleu  de  Prusse 

—  Bleu  minéral. 

Lévy-Dhurmer. 

Blanc  de  zinc  —  Vermillon  français  —  Jaune  de 
strontiane  —  Bleu  de  cobalt  —  Vert  émeraude  —  Bleu 
céruléum  —  Violet  de  cobalt. 

Mau.lart. 

Blanc  d'argent  —  Jaune  de  Naples  —  Ocre  jaune 

—  Cadmium  moyen  —  Laque  jaune  de  gaude  — ■ 

3 


3o  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Jaune  de  strontiane  —  Vermillon  —  Laque  de  garance 
rose  —  Rouge  de  Venise  —  Bleu  de  cobalt  —  Outre- 
mer —  Vert  émeraude  —  Terre  verte  —  Laque  garance 
foncée  —  Bitume  —  Sienne  brûlée  —  Stil  de  grain 
brun. 

Matisse. 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Cadmium  — 
Ocre  jaune  —  Rouge  de  Venise  —  Vermillon  — 
Laque  alizarine  —  Vert  émeraude  —  Vert  composé 
(Blox)  —  Bleu  de  cobalt  —  Bleu  outremer  —  Noir 
d'ivoire. 

Maufra. 

Outremer  —  Cobalt  —  Blanc  d'argent  —  Jaune 
citron  (jaune  de  zinc)  —  Jaune  de  Naples  —  Jaune 
indien  —  Laque  alizarine  —  Laque  rose  dorée  — 
Vermillon  —  Terre  verte  —  Vert  émeraude  —  Vert 
Véronèse  (il  mêle  sans  accidents  le  vert  Véronèse  avec 
le  jaune  citron). 

Ménard. 

Blanc  d'argent  —  Cadmium  clair  —  Cadmium 
foncé  —  Ocre  jaune  —  Terre  d'Italie  —  Sienne  brû- 
lée —  Vert  émeraude  —  Bleu  de  cobalt  —  Bleu  céru- 
léum  —  Brun  transparent  (de  Blox)  —  Laque  de 
garance  foncée  —  Violet  de  cobalt  —  Vert  de  cobalt 
—  Rouge  de  Pouzzoles  —  Rouge  de  cadmium. 


composition  des  palettes.  51 

Millet  (François). 
Blanc  d'argent  —  Jaune  de  Naples  —  Jaune  indien 

—  Ocre  jaune  —  Laque  jaune  —  Ocre  de  ru  —  Sienne 
naturelle  —  Sienne  brûlée  —  Brun  de  Mars  —  Terre 
d'ombre  —  Momie  —  Laque  Robert  n°  8  —  Noir 
d'ivoire  —  Laque  fine  —  Garance  rose  dorée  —  Ver- 
millon —  Brun  rouge  —  Rouge  de  Mars  —  Bleu  de 
cobalt  —  Outremer  —  Bleu  minéral  —  Vert  Véro- 
nèse  —  Vert  émeraude. 

MOROT    i^AlMÉ). 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Ocre  jaune  — 
Ocre  rouge  —  Cadmium  —  Cadmium  rouge  — 
Sienne  naturelle  —  Sienne  brûlée  —  Bleu  de  cobalt 

—  Vert  émeraude  —  Laque  rose  —  Laque  carminée 
fine  —  Noir  d'ivoire. 

Picard  (Georges). 

Blanc  d'argent  —   Cadmium  clair  —  Cadmium 

foncé  —  Ocre  jaune  —  Rouge  de  cadmium  —  Brun 

rouge  —  Vert  émeraude  —  Cobalt  —  Outremer  — 

Violet  de  cadmium  —  Garance  rose  —  Noir  d'ivoire. 

Pissarro. 
Blanc  d'argent  —  Jaune  de  chrome  clair  —  Vermil- 
lon —  Laque  de  garance  foncée  —  Bleu  d'outremer 

—  Bleu  de  cobalt  —  Violet  de  cobalt  (quelquefois). 


32  comment  on  peint  aujourd'hui. 

Point  (Armand). 

Ocre  jaune  —  Terre  de  Sienne 
Laque  de  garance 
foncée  —  Vert  émeraude  —  Outremer  —  Noir  d'ivoire 

—  Par  exception,  dans  des  cas  rares  :  Jaune  de  Stron- 
tiane  —  Rouge  de  Cadmium. 

Ricard. 
Blanc  — Jaune  de  Naples  —  Ocre  jaune  — Terre 
de  Sienne  —  Laque  jaune  —  Vermillon  —  Brun 
rouge  —  Terre  de  Sienne  brûlée  —  Rouge  indien  — 
Laque  garance  —  Bleu  minéral  —  Bitume  —  Noir 
d'ivoire  —  Terre  d'ombre  naturelle. 

Renoip. 
(Renseignements  donnés  par  Albert  André). 
Blanc  d'argent  —  Laque  de  garance  —  Ocre  rouge 

—  Cobalt  —  Vert  émeraude  —  Vert  de  cobalt  —  Terre 
verte  —  Jaune  de  Naples  —  Ocre  jaune  —  Sienne 
naturelle  —  Noir  d'ivoire. 

RiXENS. 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Cadmium  clair 

—  Cadmium  foncé  —  Ocre  jaune  —  Ocre  d'or  — 
Laque  —  Rouge  de  Venise  —  Terre  d'ombre  —  Vert 
de  cadmium  —  Bleu  minéral  —  Bleu  de  cobalt  — 
Outremer  —  Noir  d'ivoire. 


COMPOSITION    DES    PALETTES.  33 

ROLL. 

Blanc  d'argent  —  Blanc  de  zinc  —  Ocre  jaune  — 
Bleu  de  cobalt  —  Outremer  —  Vert  émeraude  — 
Rouge  de  Venise  —  Laque  rose  dorée  —  Terre  d'Ita- 
lie naturelle  —  Sienne  brûlée  —  Cadmium  foncé  — 
Cadmium  clair. 

Rousseau  (Th.). 

Blanc  d'argent  —  Jaune  de  Naples  —  Jaune  indien 

—  Ocre  jaune  —  Laque  jaune  —  Laque  Robert  n»  6 

—  Sienne  brûlée  —  Momie  —  Laque  Robert  n°^  7  et  8 

—  Noir  d'ivoire  —  Laque  de  garance  —  Brun  rouge 

—  Bleu  de  cobalt  —  Vert  Véronèse  —  Vert  émeraude. 

Saint-Germier. 

Blanc  d'argent  —  Cadmium  clair  —  Cadmium  foncé 

—  Ocre  jaune  —  Jaune  de  Mars  —  Sienne  brûlée  — 
Rouge  de  Venise  —  Laque  garance  rose  —  Garance 
foncée  —  Bleu  de  cobalt  —  Outremer  —  Vert  éme- 
raude —  Noir  d'ivoire. 

Simon    Lucien). 

Blanc  d'argent  —  Ocre  jaune  —  Cadmium  clair  — 
Cadmium  moyen  —  Cadmium  rouge  —  Rouge  de 
Venise  —  Garance  foncée  —  Sienne  brûlée  —  Noir 
d'ivoire  —  Bleu  de  cobalt  —  Bleu  d'outremer  —  Bleu 
de  Prusse  —  Vert  émeraude  —  Vert  Véronèse. 


34  comment  on  peint  aujourd'hui. 

Ulmann. 

Blanc  d'argent  —  Cadmium  foncé  —  Laque  de 
garance  foncée  —  Cadmium  clair  —  Brun  transpa- 
rent —  Ocre  jaune  —  Sienne  naturelle  —  Vert  éme- 
raude  —  Bleu  de  cobalt  —  Noir  d'ivoire. 

Valloton. 
Blanc  d'argent  —  Jaune  de  zinc  —  Cadmium  foncé 
—  Cadmium  orange  —  Cadmium  rouge  —  Ocre 
jaune  —  Jaune  de  mars  —  Rouge  de  mars  —  Garance 
foncée  —  Vert  émeraude  —  Bleu  de  cobalt  —  Outre- 
mer —  Noir  d'ivoire. 

Whistler. 
Blanc  —  Ocre  jaune  —  Terre  de  Sienne  naturelle  — 
Terre  d'ombre  naturelle  —  Bleu  de  cobalt  —  Bleu 
minéral  —  Vermillon  —  Rouge  de  Venise  —  Rouge 
indien  —  Noir  —  Terre  de  Sienne  brûlée. 

ZULOAGA. 

Blanc  d'argent  —  Cadmium  foncé  —  Vermillon 
français  —  Laque  carminée  fixe  —  Bleu  outremer  — 
Vert  émeraude  —  Ocre  jaune  —  Terre  de  Séville  — 
Noir  de  vigne  —  Noir  d'ivoire. 


LES  VEHICULES 


Les  artistes  ne  s'accordent  pas  non  plus  sur  la  ques- 
tion des  véhicules. 

J'en  sais  qui  les  rejettent  tous.  Roll,  GoUin  i^ Ra- 
phaël), Pissarro,  Doigneau,  etc.  n'employaient  ou 
n'emploient  aucun  véhicule  en  peignant.  Quelques- 
uns,  Maurice  Denis,  Cormon,  etc.  ne  recourent  qu'ex- 
ceptionnellement à  un  véhicule. 

La  plupart  du  temps,  les  autres  se  servent  d'un 
mélange  où  entrent,  à  des  doses  variées,  l'huile,  l'es- 
sence de  térébenthine,  le  pétrole,  les  siccatifs,  etc. 

Malheureusement,  si  chacun  de  ces  véhicules  a  des 
amis,  chacun  aussi  a  des  ennemis.  Les  amis,  on  les 
verra  dans  la  liste  que  je  vais  donner;  quant  aux 
ennemis,  voici  ce  qu'ils  en  disent  : 

Huiles.  —  L'abus  de  l'huile,  qui  résulte  de  son 
emploi  surajouté  à  l'huile  de  la  couleur,  donne  une 
peinture  sans  solidité  et  portée  à  jaunir. 


36  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Essence  de  térébenthine.  —  Les  uns  la  veulent  très 
rectifiée,  c'est-à-dire  purifiée  de  ses  résines.  On  leur 
répond  :  les  résines  se  reforment  très  vite  et,  de  toute 
façon,  l'essence  donne  une  peinture  maigre,  pâle, 
sans  éclat,  et  qui  devient  pulvérulente.  D'autres,  au 
contraire,  la  veulent  non  purifiée,  prétendant  que  les 
résines  qui  y  demeurent  sont  un  bon  agent  de  solidité, 
en  font  une  sorte  de  vernis.  Non,  leur  répond-on;  aux 
inconvénients  précédents,  vous  ajoutez  celui  d'avoir 
des  couleurs  qui  graissent  et  ne  sèchent  plus. 

Pétrole.  —  Depuis  une  quarantaine  d'années,  le 
pétrole  est  très  à  la  mode;  mais  purifié,  c'est-à-dire  à 
l'état  d'essence,  il  est  accusé  de  s'évaporer  complète- 
ment et  de  ne  plus  retenir  la  couleur;  et  non  purifié, 
comme  le  préfèrent  certains,  il  deviendrait  visqueux 
et  ne  sécherait  plus.  Certains  prétendent  qu'il  décom- 
pose les  huiles  et  les  résines. 

Siccatifs.  —  Quant  aux  siccatifs,  on  leur  reproche 
de  faire  craquer  la  couleur,  d'enlever  à  la  matière  sa 
souplesse  et  son  unité  en  précipitant  un  travail  qui 
doit  se  faire  tout  seul  et  lentement,  le  rétrécissement 
dû  aux  siccatifs,  fatalement  inégal,  entraînant  des  cre- 
vasses. 


EMPLOI  DES  VEHICULES 


Aman-Jean.  —  Essence  de  térébenthine  dans  l'é- 
bauche seulement. 

André  (Albert).  —  Essence  de  térébenthine  très  rec- 
tifiée. 

Bail  (Joseph).  — Vernis  Vibert  à  retoucher  employé 
sur  la  palette,  mêlé  aux  couleurs,  en  peignant,  comme 
un  vernis  à  peindre. 

BoNNAT.  —  Siccatif  de  Courtrai  et  essence  de  téré- 
benthine, par  parties  égales,  dans  les  ombres  seule- 
ment. 

BouGUEREAU.  —  Peignait  dans  le  siccatif,  avec  un 
premier  siccatif,  sorte  de  Courtrai,  employé  par  les 
peintres  en  bâtiment  sous  le  nom  de  siccatif  soleil^  et 
poursuivait  avec  un  second  siccatif  mystérieux  dont  il 
cachait  la   recette.   Un   de  ses  élèves   croit  pourtant 


38  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

l'avoir  pu  composer  par  un  mélange  de  siccatif  de 
Harlem  et  d'essence,  avec  un  peu  d'oliesse  l'été  pour 
empêcher  de  sécher  trop  vite.  Comme  presque  tous 
les  peintres,  Bouguereau  changea  plusieurs  fois  de 
méthode.  On  m'écrit  : 

«  Bouguereau,  au  moment  où  je  suis  entré  à  son 
atelier,  se  servait  uniquement,  comme  liquide,  de 
Gourtrai  mêlé  d'huile  de  noix  et  d'essence  de  téré- 
benthine dans  des  proportions  variées  suivant  les 
couleurs  employées  :  ainsi,  pour  les  ombres,  sans  ou 
avec  à  peine  de  blanc,  essence  et  Gourtrai,  et  pour 
les  autres  couleurs,  huile,  essence  et  un  peu  de  Gour- 
trai. Enfin,  pour  reprendre  sur  ébauche  sèche,  huile 
et  essence  pures  ou  presque  pures.  Il  frottait  le  mor- 
ceau à  repeindre  pour  le  désemboire  avec  ce  dernier 
liquide  ou  avec  le  précédent,  suivant  l'effet  à  obtenir. 
Il  a  peint  aussi  avec  du  vernis  à  tableaux  incorporé  à 
ces  liquides,  mais  c'était  avant  mon  entrée  chez  lui.  » 

Garolus-Duran.  —  Ébauchait  avec  un  mélange 
d'huile  et  de  siccatif  dans  les  foncés;  peignait  les 
clairs  avec  du  copal;  reprenait  avec  les  mêmes  véhi- 
cules dans  les  mêmes  parties,  en  dosant  plus  faible  le 
siccatif  dans  les  reprises  pour  éviter  de  mettre,  dans 
les  dessus,  des  pâtes  qui  sèchent  plus  vite  que  les 
dessous. 

Ghabas.  —   Huile   et   essence   mêlées  suivant   les 


EMPLOI    DES    VEHICULES.  .19 

besoins.  Essence  très  rectifiée,  pour  avoir  un  véhi- 
cule plus  abondant  mais  moins  huileux;  il  essaie  son 
essence  en  mettant  une  goutte  sur  du  verre  et  en  véri- 
fiant qu'il  ne  reste  pas  de  résine  poisseuse  après  éva- 
poration  mais  un  résidu  à  peine  visible  et  résistant, 
parfois  rien  du  tout.  Préfère  l'huile  d'œillette  pour 
exécuter  les  morceaux  clairs  et  l'huile  de  lin  pour  les 
foncés;  quoique  désagréable  à  manier,  l'huile  d'œil- 
lette évite  le  jaunissement,  plus  sensible  dans  les  clairs. 

CoLLiN  (Raphaël).  —  Pas  de  véhicule. 

CoRMON.  —  «  Aucun  véhicule  autre  que  l'huile 
blanche  ou  l'huile  d'œillette.  Pour  ébaucher  des 
grandes  toiles,  je  me  sers  d'essence  pour  auto.  L'es- 
sence de  térébenthine  ne  vaut  rien,  amène  des  embus 
formidables,  noircit,  de  plus  amène  aussi  des  craque- 
lures... Dans  ma  jeunesse,  je  me  suis  servi  souvent 
de  siccatifs  pour  des  études  très  enlevées;  celles-ci 
ont  peu  souffert;  néanmoins,  elles  ont  foncé  un  peu, 
se  sont  enfumées.  Mais  pour  des  toiles  travaillées,  les 
résultats  ont  été  déplorables.  Je  n'ai  jamais  peint  avec 
des  vernis.  Je  ne  crois  pas  cela  fameux,  à  moins  que 
l'on  ne  travaille  à  coup  sur,  une  seule  fois,  comme 
Bouguereau.  Benjamin  Constant  s'en  est  souvent 
servi,  mais  très  mal,  je  crois,  car  beaucoup  de  beaux 
morceaux  de  lui  se  perdent,  sauf  les  tableaux  très 
clairs.  » 


40  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

CoTTET.  —  Siccatif  de  Harlem  étendu  d'essence 
rectifiée. 

Desvallières.  —  Essence  de  térébenthine. 

D'EsPAGNAT.  —  Essence  ordinaire  non  rectifiée. 

DoiGNEAU.  —  Aucun  véhicule. 

Denis  (Maurice).  —  Rarement,  en  cas  de  besoin, 
huile  de  lin  et  essence;  deux  tiers  essence,  un  tiers 
huile. 

DoMERGUE.  —  Essence  de  térébenthine  rectifiée. 
Copal  à  l'huile  mélangé  d'essence  pour  reprendre. 

Gandara.  —  N'admettait  que  l'huile  comme  véhi- 
cule et  condamnait  tous  les  siccatifs  et  les  copals. 

GiRARDOT.  —  Pétrole  et  siccatif  de  Courtrai. 

«  Dans  tout  liquide  où  l'on  fait  entrer  le  Courtrai, 
il  faut  qu'il  y  entre  très  peu  de  celui-ci,  sa  force  étant 
très  grande  et,  même  si  l'on  en  met  beaucoup,  il  devient 
peut-être  moins  siccatif.  Voici  comme  je  compose  le 
mien.  Trouvant  qu'il  y  a  bien  assez  d'huile  dans  la 
couleur  et  celle-ci  poussant  toujours  au  jaune,  j'ai 
garde  de  me  servir  d'elle  —  puisque  même  mes  tons 
faits  sur  ma  palette,  je  les  mets  dans  l'eau  sur  une 
feuille  de  verre  pour  dégraisser  un  peu  la  couleur.  — 
Je  mets  dans  une  fiole  126  grammes  de  pétrole  recti- 
fié et  j'ajoute  dedans,  petit  à  petit,  en  agitant,  deux 


EMPLOI    DES    VEHICULES.  4I 

cuillerées  à  café  de  Courtrai.  Quand  je  veux  ébau- 
cher en  lavis,  je  ne  mets  qu'une  cuillerée  de  Courtrai. 
L'avantage  du  pétrole  sur  l'huile  c'est  qu'il  entre  par- 
tout. Et,  dans  des  repeints,  une  touche  ne  rencontre 
pas,  comme  dans  l'huile  siccative,  la  fermeture  de 
tous  les  petits  canaux.  Lorsque  les  premières  touches 
sont  bien  sèches,  mon  pétrole-siccatif,  à  la  première 
comme  à  la  dizième  touche  siccative,  pénétrera  tou- 
jours, séchera  moins  vite  que  l'huile  siccative  et  fait 
mieux  l'affaire... 

«  Je  me  suis  servi  souvent  de  vernis  dédoublé  pour 
peindre  —  vernis  au  mastic  qui  est  léger  et  sèche  len- 
tement préparé  à  l'essence  de  térébenthine  —  une 
partie  de  vernis  et  deux  parties  d'essence  rectifiée.  Il 
faut  qu'il  entre  dans  chaque  touche  un  peu  de  vernis. 
La  peinture  en  est  très  belle  de  matière.  Les  noirs  et 
les  terres  doivent  en  recevoir  plus.  Lorsque  tout  est 
terminé  et  bien  sec,  passer  sur  le  tout  pour  unifier  la 
matière,  car,  vu  les  différentes  épaisseurs,  l'ensemble 
a  toujours  des  places  où  le  vernis  dans  la  pâte  n'a  pas 
eu  la  même  action.  Je  n'ai  jamais  eu  aucun  change- 
ment dans  les  toiles  peintes  de  cette  façon,  mais  il 
faut  une  certaine  habitude  pour  ce  travail.  » 

Maillart.  — Trois  quarts  d'essence  de  térébenthine 
rectifiée,  un  quart  d'huile  de  lin,  et  siccatif  de  Harlem 
par  moitié. 


42  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Matisse.  —  Huile  et  essence  par  moitié. 

Maufra.  —  Deux  tiers  d'iiuile  et  un  tiers  d'essence 
rectifiée.  Jamais  de  siccatif. 

Ménard.  —  Copal  en  pâte  avec  ou  sans  essence, 
peint  dans  le  copal. 

MoROT  (Aimé).  —  Huile  et  un  peu  d'essence,  par- 
fois copal  à  l'huile,  comme  Gérôme. 

Picard  ^^ Georges).  —  Essence  de  pétrole  ou  bien 
huile  de  pétrole,  suivant  les  cas. 

Pissarro.  —  Aucun  véhicule. 

Point  (Armand).  —  «  Du  vernis  à  l'ambre  que  je 
fonds  moi-même,  de  l'huile  de  lin  rendue  siccative 
par  exposition  au  soleil,  l'été,  et  de  l'essence  de  téré- 
benthine. » 

Renoir.  —  Essence  très  rectifiée  et  huile  de  lin. 

RixENS.  —  Mélange  d'huile  d'œillette  et  d'essence. 
Siccatif  de  Courtrai  ou  de  Harlem  dans  les  ombres. 

RoLL.  —  Aucun  véhicule. 

Saint-Germier.  —  Harlem  ou  siccatif  de  Courtrai. 
Grand  ennemi  du  pétrole,  lui  reproche  de  désagréger 
la  peinture,  de  donner  des  choses  lavées,  visqueuses, 
pas  picturales. 

Simon  (Lucien).  —  Deux  tiers  d'essence,  un  tiers 
d'huile;  quelques  gouttes  de  siccatif. 


EMPLOI    DES    VÉHICULES.  48 

Ulmann.  —  Siccatif  de  Harlem.  Estime  que  le  Har- 
lem n'est  pas  un  siccatif,  qu'il  facilite  le  travail  et  sur- 
tout la  reprise,  en  ralentissant  la  dessication  des  sur- 
faces qui,  de  la  sorte,  sont  mieux  d'accord  avec  les 
dessous. 

Valloton.  —  Huile,  essence,  eau  (plus  d'essence 
que  d'huile,  quelques  gouttes  d'eau). 

ZuLOAGA.  —  Huile  de  lin.  Jamais  de  siccatif.  A 
entendu  Degas  vanter  l'essence  non  rectifiée;  la  plus 
ordinaire  serait  la  meilleure. 


LES  SUPPORTS 


La  toile  blanche  préparée  à  l'huile  est  le  support  le 
plus  employé,  le  support  classique,  et  généralement 
l'artiste  prend  de  confiance  et  sans  examen  ce  que  le 
marchand  lui  offre  en  ce  genre. 

Pourtant  les  impressionnistes  ont  mis  à  la  mode  la 
toile  absorbante,  et  on  commence  à  se  préoccuper  de 
cette  grave  question  du  support  et  de  la  question  de 
la  préparation.  On  demande  des  préparations  spé- 
ciales, ou  bien  on  achète  de  la  toile  au  mètre  dans  les 
magasins  et  on  la  prépare  soi-même.  Quelques-uns 
se  contentent  de  l'encoller  et  peignent  directement 
sur  la  couche  de  colle;  viennent  ensuite  les  prépara- 
tions absorbantes,  demi-absorbantes  ou  non  absor- 
bantes. 

La  préparation  colorée  en  rouge  n'est  plus  que  rare- 
ment pratiquée.  On  adopte  plus  souvent  la  prépara- 


I 


I 


LES    SUPPORTS.  45 

tion  en  gris  qui  passe  pour  solide  bien  qu'elle  soit 
aussi  accusée  de  repousser. 

Le  carton  est  très  apprécié,  en  raison  de  la  facilité 
qu'il  donne  pour  aller  vite.  Cottet  le  considère  comme 
excellent. 

Le  papier  plaît  assez.  On  lui  reproche  de  devenir 
cassant  dès  que  l'huile  se  dessèche.  Peut-être  souffre- 
t-on  moins  de  ce  défaut  en  le  collant  sur  toile,  sur  car- 
ton ou  sur  panneau. 

Le  panneau  continue  à  être  goûté  comme  support 
avec  et  même  sans  préparation.  On  verra  que  Maxence 
peint  directement  sur  acajou. 

J'apprends  qu'en  raison  du  prix  élevé  de  la  toile, 
depuis  la  guerre,  des  jeunes  gens  achètent  de  la  toile 
à  cataplasme  amidonnée.  Est-il  nécessaire  de  dire  que 
rien  ne  peut  être  plus  mauvais,  cette  toile  n'ayant 
aucune  résistance  et  l'amidon  étant  un  agent  de  dégâts  ? 

Par  économie,  les  jeunes  peintres  recourent  à  un 
autre  procédé  qui  n'est  pas  meilleur.  Ils  achètent  de 
vieilles  peintures,  ils  les  lavent  pour  retrouver  la 
toile,  peut-être  aussi  peignent-ils  simplement  sur 
l'ancienne  peinture.  Tout  cela  est  mauvais;  même 
pour  de  modestes  études  d'atelier  il  est  nécessaire  de 
travailler  avec  soin  et  avec  méthode.  Par  une  étude 
mal  conduite,  on  n'apprend  rien  et  on  contracte  des 
habitudes  de  négligence. 


46  COMMENT    ON    PKINT    AUJOURD'HUI. 

Aman-Jean.  — Toile  absorbante.  Carton.  Panneaux. 

André  (Albert).  —  Toile  absorbante. 

Bail.  —  Toile  à  l'huile. 

BoNNAT.  —  Toile  blanche  préparée  à  l'huile. 

BouGUEREAU.  —  Un  de  ses  élèves  m'écrit  :  «  Il  pei- 
gnait sur  une  toile  demi-absorbante  préparée  comme 
d'habitude  1,  c'est-à-dire  d'une  couche  préalable  de 
blanc  plus  ou  moins  teintée  en  gris  ou  en  gris  rouge 
à  un  certain  moment  (il  n'a  pas  continué  cette  der- 
nière teinte  légère  de  brun  rouge  avec  blanc  et  noir) 
puis,  avec  le  même  gris,  deux  ou  trois  couches,  plus 
souvent  deux,  de  même  teinte  de  couleur  absorbante 
à  la  colle  de  farine  mêlée  à  la  couleur  de  préparation 
première  dont  j'ai  précédemment  fait  mention.  Seul, 
le  marchand  de  couleur  savait  préparer  cette  toile 
qu'auparavant  ses  élèves  préparaient  eux-mêmes  d'a- 
près la  recette  du  maître.  La  tradition  des  propor- 
tions, qui  varient  du  reste  suivant  les  besoins  de  l'ar- 
tiste et  dont  la  formule  était  établie,  sinon  tout  au 
long  du  moins  succinctement,  dans  le  traité  de  pein- 
ture de  Cennino  Cennini,  ne  m'a  pas  été  donnée  à 
mon  entrée  à  l'atelier.  Évidemment,  la  farine  ne 
devait  pas  dommer,  mais  à  mon  avis,  c'est  une  mtro- 
duction  qui,  si  elle  donne  la  qualité  légèrement  ab- 

I.  Avec  une  première  couche  de  colle  isolante. 


LES    SUPPORTS.  47 

sorbante,  retire  celle  de  solidité,  étant  éminemment 
putrescible...  J'ajouterai  que  cette  toile  est,  plus  qu'au- 
cune autre,  sujette  à  se  fendiller.  Quand  elle  est  vieille, 
qu'elle  reçoit  le  moindre  coup,  elle  se  casse  du  côté 
de  la  préparation  ou  de  la  peinture  si  elle  est  recou- 
verte, et  ses  cassures  sont  toujours  longues  de  plu- 
sieurs centimètres.  De  plus,  comme  tu  le  dis  pour  les 
autres  colles,  celle  de  farine  incorporée  dans  la  cou- 
leur des  dernières  couches  de  préparation,  en  faible 
quantité  il  est  vrai,  suffit  pour  rendre  le  subjectile 
poncé  tellement  savonneux  et  glissant  que  les  cou- 
leurs n'adhèrent  pas  suffisamment  dessus,  ce  qui  per- 
met de  soulever  la  première  couche  (et  les  autres  par 
conséquent  avec)  comme  on  le  ferait  d'une  couche  de 
caoutchouc...  Je  n'exagère  pas.  Il  faut  donc  que  la 
préparation  soit  à  la  céruse  pour  bien  faire  et  aussi 
que  le  grain  de  la  toile  subsiste  autant  que  possible 
pour  que  la  couleur,  par  son  huile,  s'incruste  dans 
tous  les  pores  de  la  toile  et  y  prenne  pour  ainsi  dire 
racine  ». 

Carolus-Duran.  — Toile  à  l'huile,  non  absorbante, 
d'un  ton  gris. 

Chabas.  —  Toile  à   l'huile,   quelquefois  panneau 
sans  préparation. 

CoLLiN.  —  Toile  à  l'huile  quelquefois  demi-absor- 
bante. 


48  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

CoRMON.  —  c(  Jamais  de  panneaux,  toujours  la  toile, 
bien  sèche  autant  que  possible.  Je  n'aime  pas  la  toile 
absorbante,  c'est  une  toile  hypocrite,  ni  chair,  ni 
poisson.  » 

CoTTET.  —  A  peint  sur  toile  absorbante;  peint  plu- 
tôt sur  toile  non  absorbante,  à  présent,  et  beaucoup 
sur  carton  qu'il  considère  comme  excellent. 

Desvallières.  —  Toile  et  papier. 

D'EsPAGNAT.  —  Toile  à  l'huile  non  absorbante. 

DoiGNEAU.  —  «  Le  choix  du  support  est  en  effet  très 
important  et  la  plupart  des  toiles  ou  des  panneaux 
que  nous  vend  le  commerce  ont  un  enduit  brillant  et 
lisse,  sur  lequel  la  peinture  glisse  et  ne  prend  pas. 
Les  toiles  absorbantes  que  l'on  vend  sont  trop  absor- 
bantes ou  bien  ne  sont  pas  assez  couvertes.  L'idéal 
serait  une  toile  présentant  la  matière  et  le  degré  d'ab- 
sorption du  carton  (^légèrement  recouvert  d'une  couche 
de  colle  de  peau);  mais  cela  est  difficile  à  obtenir.  J'en 
prépare  moi-même  en  recouvrant  la  toile  d'une  couche 
de  colle  de  peau  mélangée  à  du  blanc  de  Meudon,  puis 
sur  cette  préparation  je  passe  une  couche  légère  de 
blanc  de  céruse.  C'est  d'ailleurs  l'ancien  procédé  des 
Primitifs.  Le  dessous  blanc  donne  de  la  fraîcheur  à  la 
peinture  à  l'huile  qui  a  toujours  une  tendance  à  deve- 
nir «  pisseuse  et  noirâtre  »,  comme  dit  Delacroix.  » 


LES    SUPPORTS.  49 

Denis  (Maurice).  —  Encollage  très  faible  avec  blanc 
de  Meudon  et  céruse  presque  sans  huile  par-dessus. 
Demi-absorbant.  Apprécie  beaucoup  le  carton,  mais 
ne  s'y  fie  pas  à  cause  de  sa  fabrication  suspecte. 

Gandara.  —  Toile  seulement  couverte  par  un  encol- 
lage. En  cas  de  travail  pressé,  toile  préparée  à  l'huile, 
non  absorbante,  et  colorée  en  rouge. 

GiRARDOT.  —  Toile  blanche,  estime  le  dessous  blanc 
le  meilleur.  Peint  aussi  à  l'huile  sur  papier  d'Arches 
blanc.  Estimerait  le  carton,  s'il  était  possible  de  l'avoir 
bon,  mais  il  est  impossible  de  l'avoir  en  pur  chiffon; 
il  est  fabriqué  avec  des  produits  inférieurs,  nuisibles 
et  qui  se  désagrègent  avec  le  temps. 

«  Trouvant  que  la  peinture  n'est  jamais  assez  nour- 
rie —  je  ne  veux  pas  dire  faire  de  la  maçonnerie  ou 
de  l'imitation  de  crépi  —  mais  que  la  matière  ait  du 
corps,  de  l'épaisseur.  L'on  ne  saurait  trop  avoir  des 
supports  déjà  solides,  de  la  toile  solidement  préparée. 
Et  même  sur  cette  préparation  première,  une  fois  la 
toile  bien  tendue,  l'enduire  de  même  blanc  que  celui 
dont  on  se  sert  mais  plus  épais,  avec  un  peu  de  sicca- 
tif pas  trop  desséchant,  composé  d'essence  de  téré- 
benthine et  de  Courtrai,  ou  de  pétrole  et  de  Cour- 
trai'...  Que  ce  blanc,  qui  peut  être  de  la  céruse,  ne 

I.  Voir  le  dosage  p.  40. 


50  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

soit  pas  liquide  mais  épais;  enduire  la  toile  avec  un 
couteau  à  palette,  pas  d'une  façon  régulière,  en  lais- 
sant des  intervalles,  puis  relier  tout  cela  avec  une 
brosse;  que  ce  travail  de  touches  soit  un  peu  en  tous 
sens,  pas  à  fond  de  la  pâte,  ait  de  l'importance  comme 
touche  selon  la  grandeur  de  la  surface  préparée  ;  que 
cela  ne  soit  pas  lisse  et  huileux,  mais  comme  un  peu 
plâtreux  et  légèrement  rugueux.  Laisser  sécher  cela  à 
l'air  un  bon  mois,  même  plus.  Préparer  les  toiles 
longtemps  à  l'avance  puis,  avant  de  peindre,  les  pon- 
cer en  conservant  l'aspect  de  matière  que  Ton  désire 
avoir.  Une  peinture  faite  là-dessus,  même  en  demi- 
pâte,  sera  toujours  d'un  aspect  solide  et  très  nourri 
une  fois  le  tableau  peint.  Le  bois  comme  support  est 
excellent,  même  sans  préparation,  mais  ne  jamais  le 
prendre  foncé  pour  ce  travail,  ou  alors  le  préparer 
comme  une  toile  et  poncer  aussi;  sans  cela,  sa  tona- 
lité, une  fois  le  travail  d'absorption  fait,  peut  agir  sur 
les  tons.  Sans  préparation,  presque  tous  les  bois  ont 
un  grain  qui  se  lève  sous  la  peinture.  Le  platane,  je 
crois,  est  un  des  seuls  bois  à  grain  très  fin,  très  ténu 
et  d'un  beau  ton  blond,  sur  lequel  on  peut  peindre  à 
nu,  sans  inconvénient.  J'aime  à  peindre  sur  du  très 
bon  papier,  pur  chiffon,  que  je  fais  contrecoUer  soit 
sur  toile,  soit  sur  bois.  C'est  un  très  bon  support  sans 
apprêt,  et  la  peinture,  même  légère,  paraît  solide. 


LES    SUPPORTS.  5l 

Comme  cette  matière  absorbe  l'huile,  même  avec  de 
la  peimure  à  l'huile  et  du  pétrole,  on  arrive,  en  diluant 
plus  ou  moins  la  matière,  à  faire  des  imitations  d'aqua- 
relles vraiment  à  s'y  méprendre  et  avec  l'avantage  en 
plus  que  l'agglutinant  donne  à  la  couleur  une  résis- 
tance au  temps  et  à  la  lumière  que  n'aura  jamais 
l'aquarelle.  » 

Derain  (André  .  —  Prépare  lui-même  ses  toiles 
qu'il  achète  à  la  Cour  Batave.  D'abord  colle  de  Flandre 
additionnée  de  colle  de  Lyon,  très  légèrement  prépa- 
rée avec  beaucoup  de  soin,  étend  de  la  céruse  par-des- 
sus avec  huile  de  lin  et  essence  de  térébenthine.  Ensuite 
passe  au  papier  de  verre. 

Maillart.  —  Toile  absorbante,  au  plâtre. 

Matisse.  —  Toile  à  l'huile,  demi-fine,  blanche. 

Maxence.  —  Panneau  acajou  sans  préparation. 

Maufra.  —  Toile  fine  préparée  au  blanc  de  Meu- 
don  avec  encollage  et  un  peu  de  céruse  par-dessus. 

Ménard.  —  Toile  préparée  à  la  céruse  non  absor- 
bante. Peint  souvent  sur  papier  Whatman  collé  sur 
carton. 

MoROT  (Aimé;.  —  Toile  à  l'huile  très  sèche. 

Picard  (Georges).  —  Toile  demi-absorbante,  colle 
et  blanc  de  céruse. 


32  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUl. 

Pissarro.  —  Son  tils  m'écrit  :  «  Il  peignait  généra- 
lement sur  de  la  toile  fine  préparée  à  l'huile,  non 
absorbante.  Cependant,  il  a  fait  un  certain  nombre 
de  tableaux  sur  toile  absorbante  mais  peu  par  rap- 
port à  l'ensemble.  Il  a  fait  pas  mal  de  pochades  sur 
panneau  de  bois.  Rien  sur  carton,  si  ce  n'est  des 
détrempes,  des  gouaches,  etc..  » 

Point  (Armand).  —  Toile  ou  panneau  préparés  à 
la  colle  et  au  blanc  de  Meudon. 

Renoir.  —  Toile  préparée  à  l'huile. 

RixENS.  —  Toile  blanche,  à  l'huile. 

RoLL.  —  Toile  absorbante  au  plâtre  ;  pour  des 
esquisses  le  carton  quelquefois.  Estime  que  dans  les 
toiles  à  l'huile,  l'huile  brûle  bientôt  la  toile. 

A  propos  de  cette  opinion,  voici  ce  que  m'écrit  un 
ami  très  soigneux  dans  son  travail  et  très  au  courant  des 
questions  de  technique,  qui  ne  veut  pas  être  nommé  : 

«  J'ai  retrouvé  dans  un  coin  de  l'atelier  une  toile 
de  chez  X...  préparée  colle  et  céruse  à  l'huile  ensuite, 
il  y  a  trente-huit  ans  environ.  Cette  toile  était  telle- 
ment brûlée  que  je  ne  pouvais  la  tendre  sur  châssis 
sans  qu'au  bord  de  celui-ci  elle  se  déchire  près  de  la 
tenaille  qui  me  servait...  C'est  probant!  « 

Saint-Germier.  —  Toile  à  l'huile  généralement,  par- 
lois  carton,  panneaux. 


LES    SUPPORTS.  53 

Simon  (Lucien).  —  Toile  à  l'huile  très  peu  couverte 
et  à  petit  grain. 

Thaulow.  —  Toile  très  absorbante. 

Ulmann.  —  Toile  non  absorbante.  Panneaux.  Es- 
time le  carton  excellent  même  fabriqué  avec  des  pro- 
duits inférieurs  pourvu  qu'on  le  mette  à  l'abri  de  l'ex- 
térieur par  deux  couches  de  couleur  au  revers  et  sur 
la  tranche. 

Valloton.  —  Toile  absorbante  qu'il  prépare  lui- 
même. 

Zakarian.  —  Toile  préparée  au  rouge. 

ZuLOAGA.  —  Toile  non  absorbante  préparée  au 
brun-rouge  ou  au  gris  foncé.  Je  l'ai  vu  pourtant 
peindre,  un  jour,  par  essai,  sur  toile  claire. 


LEXECUTION 


Nous  allons  encore  rencontrer  des  opinions  et  des 
procédés  non  seulement  différents,  mais  souvent  très 
contraires. 

Nous  verrons  les  uns  partir  sur  un  dessin  précis, 
les  autres  sans  dessin  préalable.  Ceux-ci  accusent  le 
fixatif  d'être  un  isolant,  ceux-là  le  prétendent  sans 
danger.  A  ceux  qui  ébauchent  dans  des  jus  on  dira  : 
«  Vous  bâtissez  sur  du  sable.  »  A  ceux  qui  chargent 
lourdement  la  toile  on  annoncera  des  accidents  graves, 
par  suite  de  la  lenteur  des  empâtements  à  se  durcir, 
tandis  que  les  dessus  sécheront  plus  vite  ;  on  les  mena- 
cera aussi  d'encrassements  dans  les  sinuosités  des 
empâtements.  Si  vous  ébauchez  sur  des  gris  ou  des 
rouges,  vos  dessus  fonceront;  si  vous  peignez  du  coup 
sur  la  toile  blanche,  votre  peinture  manquera  de  corps 


L  EXECUTION, 


55 


et  de  solidité.  Préférez-vous  la  préparation  à  la 
détrempe,  gare  à  la  colle  que  vous  introduisez  dans 
les  dessous. 

Tâchons,  au  milieu  de  ces  contradictions,  de  démê- 
ler quelques  détails  sur  lesquels  on  s'accorde.  Il  me 
semble  qu'il  y  en  a. 

Voici  d'abord  une  lettre  très  intéressante  que  je  dois 
à  l'amabilité  de  Prinet.  En  raison  de  son  caractère 
général  et  rétrospectif,  je  crois  bon  de  commencer 
par  elle. 

Prinet.  —  «  Une  étude  consciencieuse  du  procédé 
des  maîtres  et  quarante  années  de  recherches  m'ont 
convaincu  que  tous  les  peintres  dont  nous  admirons 
le  beau  métier  ont  préparé  les  dessous  de  leurs 
tableaux  d'une  certaine  façon  avant  de  juxtaposer 
leurs  tons  sur  la  toile.  Les  méthodes  diverses  qu'ils 
ont  employées,  selon  le  milieu  ou  l'époque  où  ils 
vivaient,  furent  rigoureuses.  Elles  tendaient  toutes  à 
combattre  les  inconvénients  de  la  peinture  à  l'huile, 
c'est-à-dire  le  craquelage  et  le  noircissement.  Elles 
permettaient  à  l'artiste  d'exécuter  rapidement  et  défi- 
nitivement en  lui  évitant  autant  que  possible  les 
tâtonnements  et  les  repentirs  au  cours  du  travail.  Il 
pouvait  ainsi  accomplir  presque  à  coup  sur  la  tâche 
qu'il  s'était  imposée  dans  sa  journée... 

«  Les  Écoles  vénitiennes  et  flamandes  d'une  part. 


56  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

les  Français,  les  Espagnols  et  les  Anglais  d'autre  part 
ont  usé  de  procédés  très  différents,  car  si  le  Titien  et 
Rubens  se  sont  servis  de  la  grisaille  pour  établir 
d'abord  leurs  neutres,  c'est-à-dire  leurs  gris  et  leurs 
bruns,  avant  de  faire  résonner  «  la  fanfare  »  de  leurs 
tons  colorés,  Vélasquez,  Poussin  et  Reynolds  ont,  par 
contre,  adopté  le  système  de  la  toile  préparée  unifor- 
mément en  orangé  ou  en  rouge.  Cette  préparation 
colorée  avait  l'avantage  de  forcer  le  peintre  à  donner 
à  ses  tons  leur  maximum  de  coloris  dès  l'ébauche  et  à 
chercher  leurs  gris  dans  la  pâte  encore  fraîche.  Il  est 
à  remarquer,  en  effet,  qu'à  mesure  que  le  travail  de 
l'exécution  avance  et  que  les  couches  de  peinture  se 
superposent,  le  peintre  a  une  tendance  à  affaiblir  ses 
tons  en  les  salissant. 

«  Ces  deux  méthodes  différentes  avaient  du  moins 
ceci  de  commun,  c'est  qu'aucun  des  artistes  qui  en 
faisaient  respectivement  usage  ne  peignait  directe- 
ment sur  la  toile  blanche,  comme  on  l'a  fait  pendant 
presque  tout  le  xix*"  siècle.  Un  ton  posé  sur  du  blanc 
paraît  toujours  plus  coloré  qu'il  ne  l'est  en  réalité,  et, 
quand  la  toile  est  enfin  couverte,  le  peintre  s'aperçoit 
trop  tard  que  son  ébauche  est  pâle  et  qu'il  devra  tra- 
vailler longtemps  avant  de  pouvoir  la  guérir  de  l'ané- 
mie dont  elle  est  atteinte. 

«    Personnellement,    j'use   de  ces   deux   méthodes 


l'exécution.  57 

selon  le  tableau  que  j'ai  à  peindre.  En  tout  cas,  je 
n'entreprends  jamais  une  toile  sur  du  blanc.  Je  la 
choisis  demi-absorbante,  c'est-à-dire  préparée  au  blanc 
d'Espagne  avec  un  peu  de  colle.  Puis  je  passe  à  l'aqua- 
relle sur  cette  surface  un  ton  coloré  rougeàtre  ou  bleu 
ardoise,  selon  l'harmonie  dorée  ou  argentée  qui  doit 
dominer.  Cette  méthode  a,  au  surplus,  l'avantage  de 
me  donner  une  valeur  de  demi-teinte  qui  me  permet 
de  poser  avec  beaucoup  plus  de  sûreté  mes  clairs  et 
mes  foncés. 

«  Le  procédé  de  la  grisaille  m'est  à  vrai  dire  moins 
familier,  bien  qu'il  offre  l'avantage  appréciable  de 
constituer  à  peu  de  frais  un  dessous  très  solide  et 
qu'il  permette  de  peindre  ensuite  très  légèrement  au 
moyen  de  glacis  et  de  demi-pâtes.  Lorsqu'il  m'est 
arrivé  d'en  faire  usage,  —  notamment  à  l'occasion  de 
l'exécution  de  quatre  panneaux  décoratifs  pour  un 
salon,  —  j'ai  peint  mon  camaïeu  à  la  détrempe  avec 
un  mélange  de  blanc,  de  noir  et  de  bleu.  Si  je  m'étais 
servi  de  peinture  à  l'huile,  comme  le  fait  généralement 
mon  confrère  Besnard  et  comme  Gustave  Moreau  l'en- 
seignait à  ses  élèves,  il  m'aurait  fallu  attendre  beau- 
coup trop  longtemps  pour  que  cette  grisaille  soit  assez 
sèche  au  moment  de  l'exécution  définitive.  J'ai  enfin 
observé  que  les  couleurs  à  l'huile  s'adaptent  infini- 
ment mieux  à  un  corps  sec  qu'à  un  corps  gras  et  cette 


58  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

remarque  n'est  pas  une  des  moindres  raisons  qui 
m'ont  fait  adopter  comme  dessous  le  procédé  de  la 
détrempe.  » 

Avant  de  donner  la  méthode  préférée  des  uns  et  des 
autres,  je  mets  ici  deux  lettres  d'artistes  qui,  n'ayant 
pas  arrêté  leur  choix,  usent  de  manières  très  diffé- 
rentes. 

Dagnan.  —  «  Je  n'exécute  jamais  du  coup.  J'ai,  tou- 
jours après  dessin  très  arrêté,  ébauché  mon  tableau 
presque  toujours  légèrement  et  plus  blond  que  ce  que 
je  désire  obtenir.  Mon  tableau  est  généralement  arrêté 
dans  ma  tête  avant  de  commencer;  aussi  l'ébauche  ne 
diffère-t-elle  pas  de  l'état  définitif.  J'ai  essayé,  pour 
mes  portraits,  d'ébaucher  en  camaïeu  ;  ce  procédé  m'a 
réussi  chaque  fois.  Si  vous  me  demandez  pourquoi  je 
ne  l'emploie  pas  exclusivement,  c'est  pour  la  même 
raison  que  je  n'ai  pas  de  méthode  fixe.  En  art,  j'aime 
obéir  au  caprice,  à  la  disposition  du  moment. 

«  Aussi  parfois  ai-je  peint  avec  beaucoup  de  pâte 
d'abord,  pour  achever  ensuite  plus  légèrement,  et  il 
m'arrive  de  commencer  avec  délicatesse  pour  ensuite 
me  livrer  aux  empâtements. 

«  J'use  souvent  des  poncis,  car  je  fais  des  dessins 
grandeur  d'exécution  et  cela  me  permet,  lorsqu'un 
morceau  me  semble  raté,  de  le  reprendre  avec  plus  de 
sécurité  et  de  franchise  après  l'avoir  de  nouveau  poncé. 


L  EXECUTION, 


59 


«  C'est  toujours  l'ensemble  que  je  vise.  Aussi  n'est-ce 
que  vers  la  fin  que  j'achève  les  détails,  que  je  m'arrête 
aux  précisions  comme  fermeté  de  dessin  et  expression. 
Tout  l'effort  doit  porter  sur  la  recherche  des  masses, 
des  volumes  clairs  et  sombres,  de  leur  harmonie  et 
proportion  afin  d'obtenir  la  beauté.  Le  fini  est  du 
luxe,  comme  le  disait,  affirme-t-on,  Michel-Ange.  Il 
faut  apprendre  à  bien  commencer  avant  de  songer 
à  finir. 

«  Ma  palette  :  blanc  d'argent,  violet  de  cobalt,  bleu 
de  cobalt,  outremer,  vert  émeraude,  les  cadmiums, 
jaune  de  Mars,  rouge  de  Venise,  laques  garance  rose 
pâle,  rose  et  rose  foncé,  terre  de  Sienne  brûlée,  violet 
de  Mars,  noir  d'ivoire. 

«  Bien  entendu,  à  l'occasion,  si  j'ai  à  peindre  des 
choses  spéciales  telles  que  fleurs,  fruits,  étoffes,  j'em- 
ploie du  vermillon,  des  jaunes  particuliers,  tels  que 
jaune  brillant,  jaune  transparent,  auréolin,  etc.. 

«  J'avoue  ne  pas  savoir  glacer.  J'ai  parfois,  avant  de 
reprendre  un  morceau  qui  ne  me  semblait  ni  dans  la 
valeur  ni  dans  la  couleur  souhaitées,  frotté  un  ton 
général  pour  me  guider  vers  celui  que  je  désirais  obte- 
nir. Et  c'est  tout. 

«  J'ai  la  même  inconstance  pour  les  liquides  que 
pour  les  toiles.  Tour  à  tour  j'ai  peint  sans  huile  et 
avec  de  l'huile,  avec  du  siccatif  de  Courtrai  étendu 


6o 


COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 


d'huile  et  aussi  avec  du  siccatif  de  Harlem.  En  tout 
cas,  je  m'efforce  de  terminer  toujours  un  tableau  avec 
les  mêmes  véhicules,  pour«  obtenir  plus  d'homogé- 
néité et  en  usant  des  siccatifs  dans  les  dessous  et  peu 
ou  pas  dans  les  couches  supérieures.  En  général,  pas 
d'essence.  Je  dégraisse  souvent  ma  peinture  à  la 
pomme  de  terre. 

c(  Les  renseignements  que  je  peux  vous  donner  sur 
les  toiles  que  j'emploie?  J'ai  essayé  de  tout  et  je  ne 
sais  encore  ce  que  j'aime  le  mieux.  Toujours  la  fan- 
taisie pour  règle  ou  plutôt  le  caprice.  Les  difficultés 
rencontrées  avec  une  matière  nouvelle  ont  pour  moi 
un  intérêt  comparable  à  celui  qu'éprouve  un  cavalier 
avec  une  monture  nouvelle.  La  surprise  et  puis  la 
lutte.  » 

Dannat.  —  «  J'emploie  au  moins  une  demi-dou- 
zaine de  différents  procédés,  selon  le  sujet  que  j'en- 
treprends. 

«  Je  n'emploie,  pour  ce  qui  concerne  les  dessous, 
que  du  blanc,  rouge  et  noir.  Pour  les  divers  tripotages 
ensuite,  j'emploie  des  couleurs  transparentes,  laque 
et  garance,  jaune  indien  et  aussi  du  vert  émeraude. 
J'emploie  quelquefois  de  la  détrempe,  mais  rarement, 
et,  quoique  je  glace  souvent,  je  ne  laisse  jamais  un 
glacis,  repeignant  dessus  avec  des  demi-pâtes  ou  des 


l'exécution.  6i 

frottis,  car  le  glacis  est  éphémère  et  fragile  et  souvent 
disparait  après  quelque  temps  par  parties.  Je  peins 
quelquefois  dans  le  bitunte  avec  le  vernis  damar,  en 
peignant  avec  des  tons  froids  et  clairs  calculés  pour  se 
foncer  et  se  chauffer  dans  le  bitume,  et  toujours  du 
premier  coup  et  sur  une  surface  absolument  sèche. 
Cela  fait  la  meilleure  peinture  et  celle  qui  change  le 
moins.  Mon  «  Aragonais  »  du  Luxembourg  est  peint 
comme  ça  et  n'a  pas  changé  le  plus  petit  peu  en  trente 
ans.  La  raison  en  est  que  le  vernis  fixe  le  bitume  et 
les  autres  couleurs  et  Tempéche  de  travailler.  Je  me 
sers  quelquefois  d'un  mélange  de  siccatif,  huile  et 
essence  minérale,  quelquefois  de  copal  en  pâte.  Cela 
dépend.  Quelquefois  je  peins  à  la  façon  vénitienne 
avec  des  dessous  presque  blancs,  quelquefois  à  la 
manière  hollandaise,  c'est-à-dire  sur  un  dessin  en  brun 
avec  à  peu  près  le  ton  que  je  désire  reproduire,  en 
tenant  compte  de  la  couleur  brune  du  dessous.  Je 
peins  de  préférence  sur  une  toile  à  l'huile,  non  absor- 
bante. Je  vernis  toujours  un  tableau  quand  je  le  con- 
sidère comme  étant  fini  et  même  quelquefois  avant. 

«  J'ai  bien  peur  que  cela  ne  vous  paraisse  un  peu 
incohérent,  mais  le  vrai  plaisir  de  la  peinture  consiste 
à  varier  son  métier  et  ne  pas  s'éterniser  dans  les 
mêmes  procédés.  » 

Généralement  un  artiste  choisit  une  seule  manière 

5 


02  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

de  peindre  et  s'y  tient.  C'est  le  cas  de  la  plupart 
d'entre  eux.  Je  vais  recopier  mes  notes  dans  leur 
sécheresse  et  leur  brièveté  ou  des  passages  des  lettres 
que  j'ai  reçues. 

Aman-Jean.  —  Ébauche,  sans  s'emprisonner  dans 
un  dessin,  par  masses  de  valeurs  établies  en  grisaille 
faite  de  terre  verte,  noir  et  blanc,  dans  un  jus  d'es- 
sence. N'accuse  que  les  masses  et  va  progressivement 
au  dessin  du  contour.  N'affirme  ce  contour  que  par 
endroits  et  à  la  fin.  Il  donne  avant  tout  les  surfaces  et 
peint  comme  construirait  un  sculpteur,  par  plans  de 
lumières  et  de  non-lumières.  Reprend  avec  de  la  pâte, 
toujours  par  masses  et  par  valeurs,  en  affirmant  la 
forme  et  finalement  précisant  le  dessin.  En  cas  de 
nouvelle  reprise  nécessaire,  use  de  siccatif  de  Harlem 
ou  de  vernis  Vibert  pour  accorder  les  dessus  avec  les 
dessous. 

André  (Albert).  —  Dessine  plus  ou  moins,  suivant 
l'occasion  et  le  sujet.  Part  en  échantillonnant,  par 
touches  de  valeurs  colorées,  c'est-à-dire  dans  le  ton 
d'abord,  dans  la  valeur  par  conséquent,  en  mosaïque, 
et  poursuit  progressivement  en  fondant  peu  à  peu  et 
en  modelant.  Comme  la  toile  absorbante  sèche  vite, 
il  revient  facilement.  En  cas  d'embu  qui  le  gêne,  frotte 
mélange  d'huile  et  d'essence. 

Bail.  —  Cherche  sur  la  toile  avec  le  pinceau  sans 


l'exécution.  63 

dessin  préalable,  suivant  les  cas,  en  grisaille  mono- 
chrome ou  dans  le  ton,  en  massant  les  foncés  et  les 
clairs.  Parfois  fait  un  frottis  noir  dans  les  ombres  en 
ménageant  la  toile  pour  les  clairs.  Peint  là-dessus  en 
pleine  pâte  et  du  coup,  si  possible.  En  cas  de  reprise 
nécessaire,  pour  gratter  des  empâtements  excessifs, 
use  du  limpiador,  qui  enlève  par  couches  mieux  que 
la  benzine.  Se  méfie  des  tons  neutres,  très  bitumeux, 
terres,  Sienne  brûlée,  tons  faciles  et  envahissants. 

BoNNAT.  —  Ebauche  sur  la  toile  blanche  sans  dessin 
préalable  en  délayant  sa  couleur  dans  un  mélange  de 
siccatif  de  Courtrai  et  d'essence  par  parties  égales 
dans  les  ombres  seulement.  Reprend  à  sec  et  partout 
à  la  fois.  En  cas  d'embu,  frotte  avec  son  mélange  de 
siccatif  et  d'essence.  Peint  ses  portraits  en  commen- 
çant la  tête  sur  la  toile  blanche,  sans  dessin  préalable, 
mais  il  sait  déjà  le  mouvement  qu'il  donnera.  Peint 
ensuite  les  mains.  Termine  par  les  vêtements  et  le 
fond  qu'il  exécute  généralement  ensemble. 

BouGUEREAU.  —  Se  servait  du  siccatif  Soleil  (voir 
chapitre  des  Véhicules)  pour  frotter  son  ébauche  sans 
empâter.  Tantôt  laissait  sécher  avant  de  reprendre, 
tantôt  reprenait  tout  de  suite  pour  peindre  du  coup, 
en  usant  d'un  second  siccatif  moins  violent.  Frottait 
de  ce  même  siccatif  pour  reprendre  quand  il  peignait 
sur  une  ébauche  sèche.  Il  a  peint  aussi  avec  du  vernis 


64  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI, 

à  tableau.  En  somme,  il  peignait  dans  une  matière 
séchant  sous  le  pinceau. 

Carolus-Duran.  —  Ebauchait  avec  mélange  d'huile 
et  de  siccatif  dans  les  foncés  et  du  copal  dans  les 
clairs.  Reprenait  avec  les  mêmes  véhicules  dans  les 
mêmes  parties,  en  dosant  plus  faible  le  siccatif  dans 
les  reprises,  pour  ne  pas  mettre  des  pâtes  qui  sèchent 
plus  vite  que  les  dessous. 

Chabas.  —  Dessin  très  arrêté  de  place,  mais  non  de 
détails;  le  reprend  au  pinceau;  une  fois  ce  dessin  en 
couleur  bien  sec,  ébauche  coloré  en  tons  et  valeurs 
justes,  mais  plus  clairs.  Avant  de  reprendre  l'ébauche 
bien  sèche,  dégraisse  à  la  pomme  de  terre  et  passe 
quelquefois  un  peu  d'huile  qu'il  essuie  avant  de 
peindre.  A  la  reprise,  peint  du  coup  autant  que  pos- 
sible chaque  grand  morceau. 

CoLLiN  (Raphaël).  —  Mise  en  place  dessinée  au 
fusain,  sans  le  fixer,  redessiné  avec  un  jus  neutre. 
Menait  son  exécution  progressivement,  se  laissant 
entraîner  par  l'émotion  du  moment.  En  cas  d'embu  : 
siccatif  flamand  très  délayé  d'essence. 

CoRMON.  —  «  Pour  une  grande  toile,  une  esquisse 
très  poussée,  définitive.  Des  croquis,  des  dessins,  un 
carton  au  quart,  enfin  une  ébauche  très  claire  et  neutre 
de  ton.  Les  forces  et  les  richesses  viendront  après. 


l'exécution.  65 

Pour  les  petites  toiles,  j'attaque  directement  sur  la 
toile,  avec  le  pinceau,  toujours  du  clair  au  fort. 

«  Pour  reprendre,  si  la  toile  est  petite  ou  moyenne, 
je  laisse  sécher  quelques  jours,  je  frotte  légèrement 
avec  des  rondelles  de  pommes  de  terre  crue,  je  laisse 
mariner  douze  ou  vingt-quatre  heures  et  je  lave  à 
grande  eau;  d'habitude,  je  fais  cela  deux  fois.  L'épi- 
derme  d'huile  est  alors  retirée,  l'embu  s'égalise  et  la 
peinture  mord  bien.  On  peut,  si  l'embu  est  prononcé, 
passer  d'abord  un  peu  d'huile  et  travailler  dedans.  Il 
n'}'  a  aucun  inconvénient  si,  le  tableau  terminé,  on  le 
passe  une  ou  deux  fois  à  la  pomme  de  terre  avant 
de  le  vernir.  L'huile  est  en  partie  retirée.  Il  ne  faut 
pas  abuser  de  la  pomme  de  terre  qui  dépouillerait 
trop. 

«  Pour  les  grands  travaux,  la  pomme  de  terre  et  les 
lavages  ne  sont  guère  possibles.  Alors  je  laisse  sécher 
avant  de  reprendre,  je  frotte  légèrement  avec  un  peu 
d'esprit  de  vin;  j'essuie  et  je  reprends  après;  la  toile 
alors  mord  bien.  » 

GoTTET.  —  Peint  tantôt  léger  comme  une  aqua- 
relle à  l'essence,  tantôt  lourd,  très  souvent  du  premier 
coup.  Reprend  en  frottant  avec  le  véhicule  qui  lui  a 
servi  à  peindre,  de  façon  à  obtenir  plus  de  cohésion, 
plus  d'unité.  Évite  les  mélanges  de  couleurs;  peint  le 
plus  possible  avec  des  couleurs  peu  mêlées  et  prendra 


66  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

par  exemple  un  violet  de  cobalt  plutôt  que  de  cher- 
cher un  violet  par  mélange, 

Déchenaud.  —  «  Je  m'efforce  de  peindre  le  plus  pos- 
sible du  coup,  avec  des  couleurs  simples  et  solides  en 
revenant  le  moins  possible.  Et,  pour  cette  raison,  je 
ne  me  sers  presque  pas  de  vernis  à  peindre,  seulement 
d'un  peu  d'huile.  » 

Desvallières.  —  Met  en  place  au  pinceau  dans  un 
ton  de  camaïeu  bleu  et  blanc  (parce  que  les  tons 
vibrent  mieux  que  sur  un  noir),  librement  et  empâté, 
avec  la  préoccupation  de  la  suite  et  en  traitant  les 
morceaux  en  raison  des  dessus  qui  s'y  superposeront. 
Repeint  dès  le  lendemain,  la  matière  séchant  sur-le- 
champ,  par  des  demi-pâtes  étalées  parfois  au  couteau 
et  des  pleines  pâtes,  en  faisant  parfois  valoir  les  des- 
sous et  même  aussi  en  les  réservant. 

D'EsPAGNAT.  —  Sur  dessin  au  fusain  ébauche  très 
légère  en  grisaille  dans  l'essence.  Reprise  dans  le  ton 
en  opposant  les  chauds  et  les  froids.  Peint  dans  l'embu 
sans  le  faire  disparaître.  Laisse  sécher  longtemps. 

DoMERGUE.  —  Après  un  travail  précurseur  d'es- 
quisses et  d'études,  ne  commence  le  tableau  que  lors- 
qu'il est  sur  de  ce  qu'il  veut.  Alors,  sur  un  dessin  très 
arrêté,  il  le  conduit  entièrement  du  coup. 

DoiGNEAU.  —  «  Avant  de  faire  un  tableau,  je  lais 


l'exécution.  67 

toujours  sur  nature  une  ou  plusieurs  petites  études 
rapidement  enlevées  dans  la  séance  en  m'occupant 
uniquement  de  l'effet  et  des  valeurs.  Ensuite,  je  fais 
un  grand  dessin  sur  papier  teinté,  aussi  serré  que 
possible,  dans  le  caractère.  Souvent,  je  le  rehausse 
d'aquarelle  gouachée,  pour  noter  les  particularités  de 
certaines  colorations. 

«  Puis,  avec  ces  documents,  je  commence  le  tableau 
en  suivant  le  conseil  de  Delacroix  :  «  "^tudiez  et  des- 
«  sinez  longtemps  votre  sujet,  mais  quand  vous  com- 
((  mencez  à  peindre,  faites  des  fautes  s'il  y  a  lieu,  mais 
«  peignez  librement.  » 

«  C'est  aussi  ce  que  Gros  disait  à  ses  élèves  :  «  Com- 
«  mence  comme  un  vieux  et  finis  comme  un  jeune... 
«  si  tu  peux!  » 

Denis  (Maurice).  —  Travaille  souvent  sous  l'im- 
pression du  moment,  surtout  dans  des  œuvres  de  jet 
et  peu  importantes.  Dans  les  décorations  et  les  tableaux 
poussés,  par-dessus  un  dessin  arrêté,  frotte  un  ton 
local  étalé  en  «  aplats  ».  Si  cela  vient,  il  laisse  ainsi; 
s'il  est  nécessaire  de  revenir,  il  poursuit  en  touches 
divisées,  par  demi-pàtes  ou  par  hachures. 

Gandara.  —  Pour  un  portrait,  il  débutait  sans  des- 
sin ni  carton  préalable,  sur  la  toile,  et  peignait  du  pre- 
mier coup  autant  que  possible. 

Dans  les  vêtements,  surtout  les  satins,  il  préparait 


68  COiMMKNT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

un  dessous  modelé  en  grisaille  qu'il  glaçait  ensuite 
dans  le  ton  définitif  (je  l'ai  pourtant  vu,  un  jour, 
peindre  sur  toile  claire  préparée  à  l'huile).  En  cas  de 
reprise,  il  peignait  partout  à  la  fois. 

GiRARDOT.  —  Dessin  très  arrêté,  mais  pas  fixé  au 
fixatif  de  gomme  laque  ou  à  tout  autre  fixatif  isolant 
qui  empêchent  l'adhérence  des  couleurs.  Dessiné  à  la 
mine  de  plomb,  mise  en  valeurs  par  un  frottis  dans  la 
note  dominante  qu'aura  le  tableau,  délayé  dans  le 
pétrole  et  le  siccatif  mêlés  voir  plus  haut  les  Véhi- 
cules). Ebauché  par  touches  rompues  dans  l'effet 
juste,  sans  se  soucier  de  couvrir  entièrement  la  toile. 
Reprises  successives  en  rebouchant  et  resserrant  les 
touches,  par  morceaux,  sans  finir  du  coup,  mais  suc- 
cessivement, en  couvrant  les  ombres  aussi  solidement 
que  les  lumières,  sans  les  empâter  autant  cependant. 

«  Ma  manière  de  peindre  et  de  conduire  un  tableau 
dépend  beaucoup  de  ce  que  j'ai  à  peindre,  soit  par 
touches  très  rompues  avec  vide  entre  les  touches  pour 
l'ébauche,  que  je  relie  par  d'autres  touches  pour  l'achè- 
vement, mais  toujours  selon  ce  que  j'ai  à  faire,  soit 
que  je  cherche  une  vibration  de  lumière  ou  d'air,  ou 
des  effets  lunaires  ou  d'intérieur,  le  côté  fluidique,  je 
le  cherche  en  dçmi-pàte,  pour  ne  pas  dire  glacis,  avec 
mon  siccatif  au  pétrole,  mais  toujours  sur  un  premier 
travail  à  touches  plus  ou  moins  rompues...  Si  je  peins 


l'exécution,  69 

par  touches  rompues,  c'est  pour  é\dter  de  faire  de  la 
peinture  trop  tendue,  car  involontairement,  comme 
l'on  est  rarement  satisfait,  Ton  repeint  à  nouveau 
là-dessus  et  presque  toujours  avec  le  même  esprit, 
soit  dans  le  frais,  soit  à  moitié  sec  moment  le  plus 
néfaste  pour  le  travail  de  la  pâte  qui  se  trouve  tirée;, 
en  séchant  cela  noircit,  fonce,  se  retend  encore  plus, 
et  en  avant  les  craquelures!  Surtout  pour  certaines 
couleurs,  certaines  tonalités  qui  sont  plus  siccatives 
les  unes  que  les  autres.  Aussi  le  travail  rompu  n'a  pas 
ces  inconvénients  lorsque  les  reprises  se  font  toujours 
en  resserrant  les  touches  rompues  et  bien  peintes,  en 
tenant  compte  du  dessous  et  de  l'épaisseur  de  la  nou- 
velle matière  que  l'on  remet  et  de  la  coloration  de 
cette  matière...  Comment,  diable!  voulez-vous  qu'un 
ton  noir,  par  exemple,  venant  chevaucher  sur  deux 
clairs,  s'il  n'est  pas  plus  nourri,  plus  solide,  plus  plein 
que  ces  deux  tons  clairs,  puisse  résister?  Cela  se  fen- 
dillera certainement  avec  le  temps.  Plus  mince  que  les 
tons  d'en  dessous  qui  sont  clairs,  il  travaillera  dou- 
blement plus...  » 

Derain  André '. —  Peint  suivant  les  sujets,  se  livre 
à  l'impression  du  moment.  En  général  travaille  dans 
une  pâte  très  fluide,  laissée  du  coup  ou  poursuivie, 
suivant  les  cas. 

Maillart.  —  Dessin  très  arrêté.  Ébauche  empâtée 


70  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

des  valeurs  dans  un  ton  neutre  plus  clair  que  l'eftet  de 
la  nature,  en  approchant  suivant  les  cas,  procédant  du 
clair  des  dessous  à  l'obscur  et  des  neutres  à  l'éclat. 
Reprise  en  demi-pàte  dans  un  jus  de  glacis  et  aussi 
par  des  glacis  définitifs  laissés  intacts  (pas  de  glacis  à 
l'huile  pure,  mais  avec  le  véhicule.  Voir  ci-dessus  les 
Véhicules). 

Matisse.  —  Devant  son  sujet  commence,  sur  un 
dessin  sommaire,  par  établir  la  chose  vue,  dans  un 
dessous  très  liquide,  dans  sa  vision  «  terre  à  terre  ». 
Reprend  en  exaltant  la  coloration  suivant  l'émotion 
du  moment;  «  je  veux  exprimer  mon  émotion  »,  dit 
l'artiste.  Il  dit  encore  :  a  Je  crois  copier,  mais  je  ne 
copie  pas  littéralement.  J'invente  une  construction  de 
lignes  et  de  couleurs  qui  donne  plus  de  stabilité  archi- 
tecturale à  mon  tableau...  Je  cherche  à  faire  de  la  géo- 
métrie expressive,  c'est-à-dire  une  construction  qui 
soit  d'aplomb  aussi  bien  dans  la  forme  que  dans  la 
couleur.  »  Prétend  créer  des  rapports  sans  se  sou- 
mettre à  ce  qu'il  appelle  les  rapports  conventionnels. 
C'est  ainsi  que,  lui  parlant  des  «  valeurs  »  dans  le  sens 
admis,  je  m'aperçois  qu'il  ne  croit  pas  à  cette  néces- 
sité qui  est  aujourd'hui  considérée  comme  l'assiette 
d'un  tableau.  Remarquant  que  la  stabilité  architectu- 
rale comme  nous  l'entendons  n'est  pas  celle  de  M.  Ma- 
tisse, puisqu'il  montre  des  maisons  qui  tombent,  il 


L  EXECUTION.  7I 

me  répond  :  «  S'il  s'agit  seulement  de  faire  des  lignes 
verticales  et  des  lignes  horizontales  pour  obtenir  la 
stabilité,  ce  sera  trop  facile.  »  L'artiste  dit  encore  : 
«  Il  faut  avoir  des  réactions  personnelles.  »  Il  veut 
dire  ne  pas  admettre  la  tradition  terre  à  terre  et  ne 
pas  s'y  soumettre.  «  Ce  que  nous  acceptons,  remarque- 
t-il,  a  été  une  série  de  nouveautés  avant  d'être  accepté, 
et  croyez  que  pour  accepté  que  ce  soit  ce  n'est  pas 
toujours  compris...  Que  de  gens  croient  comprendre 
Delacroix  et  ne  le  comprennent  pas  du  tout...  Rem- 
brandt est  rempli  de  détails  qu'on  ne  voit  pas  dans  la 
nature,  et  cette  trace  de  la  personnalité  de  Rembrandt 
était  un  accent  nouveau  qui  certes  ne  fut  pas  compris 
d'abord,  puisqu'il  n'est  pas  dans  la  nature,  mais  qui 
ne  nous  choque  plus,  parce  que  le  temps  l'a  fait 
admettre  et  qu'on  y  est  habitué.  »  Et  M.  Matisse  pro- 
nonce cette  parole  :  «  On  commence  toujours  par 
avoir  raison  tout  seul.  » 

Cette  intéressante  conversation  abordant  l'esthé- 
tique plus  que  la  technique,  je  la  résume  très  briève- 
ment. 

Maxence.  —  Après  avoir  exécuté  un  carton  et  l'avoir 
calqué  sur  un  panneau  dépourvu  de  préparation, 
ébauche  à  même  le  panneau  en  empâtant.  Reprend 
cette  ébauche  après  l'avoir  poncée  avec  de  l'essence, 
c'est-à-dire  après  avoir,  sur  la  pâte,  répandu  de  l'es- 


72  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

sence  et  frotté  à  la  pierre  ponce.  Chaque  fois  qu'il 
reprend  ainsi,  redessine  son  sujet  sur  un  calque  en 
précisant  la  forme  et  reporte  ce  calque  sur  sa  pâte  de 
couleur  rendue  lisse  parle  passage  de  la  pierre  ponce, 
car  il  tient  à  peindre  sur  une  matière  polie  comme  du 
marbre.  Ce  procédé  a  l'avantage  de  commencer  par 
rendre  flou  le  travail  de  la  veille  et  permet  de  repartir 
à  nouveau  chaque  fois  avec  des  pâtes  plus  légères. 
Reprend  un  grand  nombre  de  fois,  tant  qu'il  n'est  pas 
satisfait.  Les  dernières  fois,  au  lieu  de  poncer  avec  de 
l'essence,  ponce  avec  un  mélange  de  cire  et  d'huile. 
Avant  de  repeindre,  racle  la  couleur  délayée  par  le 
travail  de  la  pierre  ponce  et  le  mélange  de  cire  et 
d'huile.  Estime  que  la  couleur  prend  ainsi  plus  de 
cohésion. 

A  propos  de  cette  méthode,  de  cet  emploi  de  la  cire, 
je  crois  bon  de  recopier  ici  le  passage  suivant  d'une 
lettre  de  Girardot  : 

«  C'est  une  erreur  de  croire  que  l'on  ne  peut  pas 
intercaler  de  la  cire  dans  la  peinture  à  l'huile  :  les 
touches  et  retouches  pour  recouvrir  tiendront  très 
bien,  je  puis  en  montrer  les  preuves.  Le  tout  est  de 
savoir  s'en  servir,  savoir  procéder.  C'est  bien  simple, 
mais  pour  arriver  à  un  bon  résultat  final,  il  faut  y  être 
habitué,  comme  pour  peindre  dans  le  ton  de  l'embu, 
et  encore  plus.  Faire  son  lait  de  cire  plus  ou  moins 
liquide,  en  faisant  dissoudre  de  la  cire  vierge  dans  du 


L  EXECUTION. 


pétrole  pas  trop  volatil,  pour  que  cela  sèche  moins 
vite.  En  peignant,  introduire,  dans  chaque  touche,  de 
ce  liquide  et  si  des  repeints  sont  nécessaires,  —  car 
Ton  peut  peindre  du  coup,  le  mélange  de  la  cire  don- 
nant beaucoup  de  corps  à  la  matière,  —  mais  si  l'on 
a  à  repeindre  sur  son  premier  travail,  ce  travail  étant 
même  sec,  pour  donner  une  nouvelle  adhérence  encore 
plus  grande  à  la  matière  et  surtout  bien  revoir  le  ton, 
—  vu  la  matité,  —  passer  sur  ce  que  l'on  a  à  repeindre 
un  peu  de  ce  lait  de  cire,  et  l'on  aura  tout  le  temps 
nécessaire  de  faire  les  repeints  en  ayant  bien  soin, 
comme  avant,  d'ajouter  dans  chaque  touche  un  peu  de 
ce  liquide.  Le  pétrole,  s'imprégnant  à  nouveau  dans 
les  couches  profondes,  entraînera  huile  et  cire,  et  le 
tout  prendra  corps  et  ne  sera  jamais  désuni.  » 

Maufra.  —  Ébauche  frottée  d'ensemble  à  l'effet  en 
conduisant  tout  à  la  fois,  autant  que  possible  dans  la 
valeur  définitive,  la  valeur  juste.  L'effet  est  déjà  com- 
plet. Frotte  ainsi  devant  la  nature  des  études  où  la 
toile,  non  couverte  entièrement,  donne  l'effet  d'en- 
semble. Laisse  sécher  longtemps  et  reprend  à  l'atelier 
de  souvenir  les  tableaux  ainsi  préparés.  Reprend 
chaque  fois  en  travaillant  à  tout  l'ensemble,  jamais 
par  morceaux. 

Ménard.  —  Dessin  très  précis  avec  carton  préalable 
(exécute  souvent  son  tableau,  antérieurement,  au  pas- 


74  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

tel).  Peint  du  coup  autant  que  possible.  Reprend  en 
frottant  avec  le  véhicule  employé  (copal). 

Merson.  —  Commençait  par  établir  une  esquisse 
très  libre,  sans  la  nature.  Prenait  ensuite  la  nature  et 
faisait  son  dessin  en  s'écartant  le  moins  possible  de  sa 
première  pensée.  Après  avoir  dessiné  ses  personnages 
nus,  les  dessinait  habillés  d'après  nature  s'ils  avaient 
des  costumes.  Quant  aux  draperies,  les  exécutait 
d'après  des  maquettes,  c'est-à-dire  d'après  de  petites 
esquisses  modelées  par  lui  en  plastiline,  sur  lesquelles 
il  ajustait  des  draperies,  soit  linges  mouillés,  soit 
papiers.  Installait  un  carton  d'ensemble  d'après  ces 
documents  de  nature  et  de  maquettes,  en  prenant 
modèle  si  le  besoin  s'en  faisait  sentir.  Son  carton  était 
reporté  en  poncis  sur  la  toile.  Mettait  ce  dessin  à  l'ef- 
fet dans  un  ton  de  terre  d'ombre  naturelle,  quelque- 
fois dans  un  ton  plus  près  du  ton  définitif.  Ebauchait 
légèrement  en  clair.  Reprenait  quand  c'était  sec,  sans 
aucune  manière  spéciale,  ni  recettes  d'huile  ou  de  sic- 
catif. 

MoROT  ^Aimé).  —  Dessin  au  pinceau  ou  au  fusain 
peu  indiqué.  Ébauchait  juste,  couvrant  le  tout.  Repre- 
nait aussitôt  sec  partout  à  la  fois,  pas  par  morceaux. 

Picard  (Georges).  —  Après  avoir  cherché  un  dessin, 
reporte  son  carton  sur  la  toile  en  le  ponçant  (dessin 


l'exécution.  jS 

établi,  non  précisé),  ébauche  en  grisaille  blonde  avec 
des  jus  dans  le  pétrole.  Reprend  en  montant  de  ton  et 
de  pâte. 

Pissarro.  —  Lettre  de  son  fils  :  «  Pour  les  tableaux 
peints  directement  sur  nature,  après  une  simple  mise 
en  place,  il  commençait  à  peindre  avec  assez  de  pâte 
en  divisant  1  et  en  mettant  le  ton  juste  immédiate- 
ment; le  tableau  était  repris  le  lendemain  et  les  jours 
suivants  si  le  temps  le  permettait,  la  toile  «  s'engrais- 
«  sant  »  peu  à  peu.  Il  avait  l'habitude,  vers  la  dernière 
séance,  de  retravailler  tout  l'ensemble  pour  rétablir 
l'effet. 

c(  Pour  les  toiles  faites  en  une  fois  ou  deux,  même 
procédé,  mais  plus  largement  exécuté  pour  que  le 
tableau  puisse  rester  ainsi  au  besoin.  Cependant 
quelques  tableaux  ont  été  repris  après  plusieurs  jours, 
même  plusieurs  mois,  toujours  sans  vernis  ou  autre 
préparation. 

«  Pour  les  compositions  faites  à  l'atelier  et  en  par- 
ticulier ses  marchés,  il  a  fait  de  nombreuses  études 
préalables  :  croquis  et  aquarelles  sur  nature,  mouve- 
ments et  dessins  des  figures,  au  fusain,  au  pastel, 
pochades  à  l'huile.  Après  une  mise  en  place  très  ser- 
rée, il  procédait  comme  ci-dessus...  » 

I.  C'est-à-dire  par  touches  divisées. 


76  COMMKNT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Point  ^^ Armand).  —  «  Après  une  mise  en  place  au 
fusain  fixé,  je  mets  ma  composition  à  l'effet  par  un 
lavis  en  brun  avec  un  mélange  d'ambre  et  d'essence. 
Ce  brun  est  obtenu  par  un  mélange  de  noir  et  de  terre 
de  Sienne  naturelle.  Cette  préparation  étant  bien 
sèche,  je  prépare  toute  ma  toile  en  grisaille  de  valeurs 
et  de  nuances  différentes  se  rapprochant  du  ton  local 
définitif.  Je  fais  ainsi  le  lit  de  la  couleur,  comme 
disait  Titien.  Je  puis  reprendre  indéfiniment  cette 
préparation  jusqu'à  ce  que  la  pâte,  le  modelé,  le  des- 
sin soient  arrivés  au  point  désiré.  Je  laisse  encore 
sécher  et  durcir  cette  dernière  préparation.  Pour  ter- 
miner, je  fais  intervenir  les  demi-pàtes  et  les  glacis, 
toujours  avec  mon  vernis  à  l'ambre.  Je  puis  revenir 
avec  ces  deux  moyens  jusqu'à  l'achèvement  de  mon 
tableau.  » 

Renoir.  —  Sur  un  dessin,  très  simple  mise  en  place, 
faisait  comme  une  aquarelle  à  l'essence  où  les  légère- 
tés se  chargeaient  progressivement,  à  mesure  qu'il 
jugeait  nécessaire  d'affirmer  et  qu'il  se  sentait  lui- 
même  plus  sûr.  Dans  le  même  tableau  terminé,  on 
verra  des  transparences  très  légères  où  la  toile  paraît, 
ce  sont  des  traces  du  début  laissées  intactes  et  d'autres 
très  chargées  et  néanmoins  dans  une  facture  enve- 
loppée et  comme  crémeuse,  ce  sont  les  morceaux  les 
plus  poussés.  Renoir  se  rappelait  qu'un  jour  Corot 


L  EXÉCUTION.  77 

lui  avait  dit  :  «  Il  faut  travailler  assez  légèrement  pour 
pouvoir,  au  cours  de  l'étude  sur  nature  (bien  entendu), 
transformer  son  motif  et  le  déplacer,  si  à  côté  ça  paraît 
plus  intéressant.  » 

RixENS.  —  Sur  un  dessin  arrêté  frotte  les  valeurs  et 
les  contours  légèrement  dans  un  ton  de  terre  de  Sienne. 
Ébauche  en  pleine  pâte  et  en  valeurs  juste.  Une  fois 
sec,  dégraisse  la  couleur  par  un  frottis  de  coton  imbibé 
d'alcool  pour  éviter  les  craquelures.  Reprend  en  pei- 
gnant partout.  Vers  la  tin,  glacis  à  l'huile.  Ennemi  du 
bitume  et  des  siccatifs. 

RoLL.  —  Massait  par  plans  de  lumières  et  d'ombres 
(comme  un  sculpteur,  disait-il),  dans  le  dessin  et  dans 
la  couleur,  par  grands  plans.  Ebauchait  généralement 
empâté  en  se  livrant  au  procédé  qui  lui  venait,  même 
avec  le  couteau  à  palette.  Ne  peignait  pas  du  coup. 
Reprenait  à  sec  après  avoir  un  peu  gratté  les  dessus. 
Estimait  que  la  toile  absorbante  avait  l'avantage  de 
pousser  à  peindre  clair,  parce  que  ça  paraît  toujours 
terne  et  que  l'on  charge  en  clair  pour  lutter  avec  ce 
terne.  A  mesure  qu'il  avançait,  précisait  la  forme  et  le 
contour.  Dans  de  grandes  décorations,  une  fois  une 
première  esquisse  générale  établie  en  petite  dimen- 
sion, peignait  et  conduisait  à  la  fois  une  grande 
esquisse  et  la  décoration,  en  étudiant  les  morceaux 

ô 


78  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

sur  l'esquisse  d'après  nature  et  en  les  peignant  ensuite 
sur  la  toile  définitive. 

Saint-Germier.  —  Sur  dessin  arrêté  ébauche  par 
masses  en  grisaille,  suivant  les  jours,  le  sujet,  l'en- 
traînement. Repeint  empâté,  en  frottant  du  Harlem 
allégé  d'essence. 

SiGNAC.  —  Reçu  lettre  brève  qui  dit  ceci  :  «  Une 
couleur  ne  conserve  sa  pureté  et  son  intensité  que  si 
on  la  pose  sur  un  subjectile  bien  blanc.  —  Le  vernis 
est  inutile,  stupide  et  dangereux.  » 

A  cette  lettre,  je  peux  ajouter  quelques  renseigne- 
ments. Malheureusement,  je  n'ai  pas  de  notes,  mais 
je  crois  mes  souvenirs  exacts. 

Devant  la  nature,  l'artiste  établit  une  étude  préa- 
lable, exécutée  à  l'aquarelle,  qui  traduit  son  impres- 
sion juste,  ce  que  certains  appellent  l'impression  terre 
à  terre.  Cette  aquarelle  ressemble  à  la  peinture  d'un 
artiste  qui  ne  serait  pas  néo-impressionniste,  mais 
classique.  A  l'atelier,  cette  étude,  recopiée  suivant  la 
méthode  néo-impressionniste,  sert  à  exécuter  le  tableau 
qui  devient  une  transposition,  une  exaltation  de  l'étude 
d'après  nature.  La  palette  de  Signac  est  composée  des 
couleurs  se  rapprochant  le  plus  du  spectre  solaire, 
couleurs  vives  nouvelles,  à  l'exclusion  des  terres  et  des 
tons  froids.  Il  pose  ses  couleurs  sur  la  toile  blanche 
par  touches  divisées,  pour  obtenir  un  maximum  de 


L  EXÉCUTION.  79 

luminosité,  de  coloration  et  d'harmonie,  par  contraste 
et  par  mélange  optique. 

Simon.  —  Par  avance  frotte  sur  sa  toile  un  jus  colo- 
rant dans  un  ton  favorable  au  sujet  à  traiter.  Reporte 
au  carreau  ou  en  ponçant,  —  un  carton  ou  des  dessins 
grandis  du  sujet  très  arrêté,  —  après  avoir  peint  de 
nombreuses  études  préparatoires.  Peint  du  coup,  sans 
ébauche.  En  cas  de  reprise  nécessaire,  gratte  et  repart 
en  exécutant  toujours  du  premier  coup,  sans  reprise 
sur  morceau  déjà  peint. 

Thaulow.  —  Renseignements  donnés  par  M.  Gui- 
chardoz.  —  Toile  très  absorbante.  Dessin  très  arrêté. 
Sur  ce  dessin  empâtait  à  l'œuf  du  blanc  en  traitant  la 
toile  dans  une  facture  spéciale,  suivant  chaque  mor- 
ceau du  sujet.  Mouillait  par  derrière  avec  une  colle 
spéciale  qui  faisait  reparaître  le  dessin.  Puis,  la  pré- 
paration au  blanc  étant  bien  sèche,  parfois  au  bout 
d'un  an,  revenait  et  peignait  du  coup.  Obtenait  ainsi, 
avec  des  légèretés  très  grandes,  des  solidités  en  raison 
du  dessous. 

Ulmann.  —  Dessin  très  arrêté,  mis  au  carreau  fixé 
au  fixatif  qu'il  juge  inoffensif.  Graisse  la  toile  avec  du 
Harlem.  Dessine  au  pinceau  avec  un  jus  très  léger 
qu'il  efface  au  besoin  avec  le  chiffon  pour  ne  conserver 
que  le  dessin.  Ebauche  suivant  les  cas,  épais  ou  léger. 


80  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

plus  épais  sur  toile,  plus  léger  sur  panneau.  Reprend 
longtemps  après,  même  un  an,  quand  la  matière  est 
fixée,  si  le  dessous  est  épais,  avec  demi-pâte  et  cou- 
leur liquide,  après  avoir  frotté  de  Harlem  étendu  d'es- 
sence. Ne  peint  jamais  du  coup  un  tableau,  mais  ne 
le  reprend  jamais  que  partout  à  la  fois,  en  allant  du 
clair  au  sombre  et  en  mettant  toujours  des  plus  clairs, 
excepté  dans  les  cas  où  il  veut  obtenir  des  effets  par- 
ticuliers en  frottant  des  demi-pâtes  claires  sur  des  fon- 
cés destinés  à  transparaître.  En  cas  d'embu,  frotte  de 
Harlem. 

Valloton.  —  Sur  dessin  mis  en  place,  peint  du 
coup,  par  morceaux,  sur  toile  blanche,  sans  ébauche. 

ZuLOAGA.  —  Dessin  au  fusain  très  arrêté.  Ébauche 
légère  à  la  valeur,  aussi  juste  que  possible  et  parfois 
terminée  dans  les  fonds,  du  coup.  Aime  peindre  du 
coup.  En  cas  de  reprise  nécessaire,  gratte  et  reprend 
entièrement  et  du  coup.  Estime  qu'un  tableau  doit 
être  peint  du  coup. 


VERNISSAGE 


Je  ne  parlerai  pas  ici  des  vernis  mêlés  aux  couleurs. 
Nous  avons  vu  dans  les  chapitres  précédents  que  le 
copal,  le  vernis  Vibert  à  retoucher,  d'autres  vernis 
sont  employés.  Je  n'étudie  que  la  question  du  vernis- 
sage, c'est-à-dire  de  la  superposition  d'un  vernis  après 
l'achèvement  du  tableau,  vernis  destiné  à  défendre  les 
couleurs  contre  les  agents  extérieurs  et  à  faire  dispa- 
raître les  embus. 

De  nombreux  artistes  condamnent  l'emploi  du  ver- 
nis, et  les  Impressionnistes  ont  mis  à  la  mode  l'habi- 
tude de  ne  pas  vernir.  Néanmoins,  tout  en  reconnais- 
sant les  dangers  des  vernis,  surtout  mis  prématurément, 
comme  les  expositions  portent  à  le  faire,  la  plupart 
des  artistes  continuent  à  vernir  leurs  tableaux. 

Aman-Jean.  —  Vernit  au  bout  d'un  an. 


82  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

André  (Albert).  —  Vernit  longtemps  après  l'achève- 
ment du  tableau. 

Bail.  — Vernissait  provisoirement  au  vernis  Vibert 
à  retoucher;  définitivement  le  plus  tard  possible. 

BouGUEREAU.  —  Vemis  au  mastic  mêlé  de  quelques 
gouttes  d'huile  de  lin  pour  l'étaler  plus  facilement  et 
le  rendre  moins  siccatif  et  moins  cassant. 

Carolus-Duran.  —  Vernissait  au  bout  d'un  an. 

Chabas.  —  Vernit  seulement  au  vernis  Vibert  à 
retoucher.  Estime  que,  tout  en  disparaissant,  ce  ver- 
nis ne  laisse  pas  reparaître  les  embus. 

CoLLiN  (Raphaël).  —  Ne  vernissait  pas,  mais  était 
partisan  du  vernis. 

CoRMON.  —  Vernis  Durozier. 

CoTTET.  —  Vernit. 

Déchenaud.  —  «  Je  vernis  une  fois  le  tableau  ter- 
miné et  bien  sec,  avec  un  vernis  à  tableau  Vibert,  car 
je  crois  que  le  vernis  mis  sur  une  toile  sans  être 
mélangé  à  la  couleur  est  la  meilleure  manière  d'enle- 
ver les  embus  sans  faire  aucun  mal.  » 

Denis  (Maurice).  —  Sans  être  hostile  au  vernis,  ne 
vernit  pas  ou  bien  attend  deux  ou  trois  ans. 

D'EsPAGNAT.  —  Vernit  seulement  au  vernis  Vibert, 
très  légèrement. 


VERNISSAGE. 


83 


DoiGNEAU.  —  «  Il  faut  vernir  le  tableau,  mais  le 
plus  tard  possible  et  très  légèrement.  C'est  pourquoi 
je  préfère  souvent,  en  envo3'ant  le  tableau  à  une  expo- 
sition, lui  passer  seulement  un  peu  de  vernis  Vibert 
à  retoucher.  Il  recevra  toujours  plus  tard  bien  assez 
de  couches  de  vernis  qui  le  feront  jaunir.  » 

DoMERGUE.  —  Vernit  cinq  ans  après,  avec  vernis 
blanc. 

G.\NDARA.  —  Considérait  le  vernis  à  l'œuf  comme 
bon  à  titre  de  vernis  provisoire.  Estimait  qu'on  peut 
l'enlever  très  bien  avec  de  l'eau.  Vernis  mastic  comme 
vernis  définitif. 

GiRARDOT.  —  Condamne  absolument  le  vernis  à 
l'œuf. 

«  Je  vernis  fort  peu  et  presque  jamais,  mais  souvent 
aussi,  voulant  donner  de  l'importance  à  une  de  mes 
œuvres,  je  mate  ma  peinture  avec  un  léger  lait  de  cire 
vierge  dissoute  dans  du  pétrole,  l'essence  de  térében- 
thine étant  trop  grasse.  Puis,  des  mois  après,  je  vernis 
avec  du  vernis  mastic;  la  peinture  devient  très  belle 
d'aspect.  La  peinture  est  doublement  protégée.  De 
plus,  il  m'est  arrivé  de  dévernir  avec  grande  facilité, 
sans  attaquer  la  peinture,  la  cire  étant  restée.  Ceci 
fait  avec  une  éponge  trempée  à  même  dans  l'al- 
cool. Mais  le  travail  fait  avec  beaucoup  d'attention  en 


84  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

ayant  dans  la  main  une  autre  éponge  et  de  l'eau ^  » 
Derain  (André).  —  Ne  vernit  pas. 

Matisse.  —  Vernis  Vibert  à  retoucher  comme  ver- 
nis définitif. 

Maufra.  —  Vernis  peu  épais,  très  clair,  le  plus  tard 
possible,  au  bout  d'un  an. 

Maxence.  —  Vernis  à  la  cire. 

MoROT  (Aimé).  —  Attendait  longtemps  avant  de 
vernir  légèrement. 

Picard  (Georges).  —  N'est  pas  hostile  au  vernis. 
Vernit  quelquefois.  Ajoute  parfois  un  lait  de  cire  au 
vernis,  pour  mater. 

Point  (Armand).  —  Vernit  avec  le  vernis  à  l'ambre 
qui  lui  a  servi  à  peindre  et  qu'il  fait  lui-même. 

RixENS.  — Vernit  généralement,  tout  en  reconnais- 
sant les  désagréments  des  vernis  résineux. 

RoLL.  —  Ne  vernissait  pas. 

Saint-Germier.  —  Vernit  une  fois  sec. 

SiGNAC.  —  «  Le  vernis  est  inutile,  stupide  et  dan- 
gereux. » 

Simon.  —  Vernit  légèrement. 

I.  Si  Ton  voit  que  l'alcool  commence  a  attaquer  la  couleur,  on 
passe  vite  l'éponge  trempée  d'eau. 


VERNISSAGE.  85 

Ulmann.  —  Ennemi  du  vernis  en  surface  quel 
qu'il  soit. 

Valloton.  —  Ne  vernit  pas. 

ZuLOAGA.  —  Vernit  un  an  ou  deux  après.  Partisan 
du  vernis  à  l'œuf  comme  vernis  provisoire.  Le  prépare 
avec  du  sucre  et  en  frottant  la  casserole  avec  de  l'ail. 
On  bat  le  blanc,  on  laisse  la  mousse  une  nuit  et  on 
recueille  le  fond.  Prétend  l'enlever  très  bien. 


LAQUARELLE 


Les  procédés  les  plus  employés  après  l'huile  sont 
l'aquarelle  et  le  pastel. 

La  technique  en  étant  plus  simple,  j'ai  consulté  un 
moins  grand  nombre  d'artistes. 

L'aquarelle,  très  populaire  en  raison  de  son  maté- 
riel restreint,  de  sa  pratique  aisée,  est  devenue  un  art 
d'amateur.  Néanmoins,  maniée  par  des  artistes  de 
talent,  elle  nous  vaut  des  impressions  charmantes  de 
fraîcheur  et  d'éclat.  Voici,  brièvement,  la  manière  de 
procéder  de  trois  aquarellistes  très  estimés  :  Doi- 
gneau,  Filliard  et  Vignal. 

DoiGNEAU.  —  Palette  :  Bleu  de  cobalt  —  Outremer 
—  Bleu  minéral  —  Gris  de  Payne  —  Vermillon  — 
Carmin  —  Brun   rouge  —  Sienne   brûlée  —  Ocre 


l'aquarelle.  87 

jaune  et  jaune  de  cadmium  —  Violet  minéral  — 
Cendre  verte. 

Support  :  Whatmann  torchon. 

Quand  il  s'agit  d'un  travail  d'après  des  sujets  va- 
riables et  mobiles,  il  établit  d'avance  un  croquis  de 
renseignements  qu'il  calque  et  reporte  en  le  simpli- 
fiant, car  il  considère  qu'une  aquarelle  doit  être  une 
synthèse  et  ne  pas  serrer  les  détails.  En  d'autres  cas, 
il  dessine  directement.  C'est  toujours  d'ailleurs  sur 
un  dessin  arrêté  qu'il  part.  Il  peint  du  coup  dans  beau- 
coup d'eau.  Il  encadre  directement,  sans  papier  blanc. 

«  Il  faut,  dit-il,  se  méfier  dans  l'aquarelle  des  cou- 
leurs qui  pâlissent  et  disparaissent.  C'est  le  danger. 
Dans  l'huile,  il  faut  au  contraire  se  méfier  des  cou- 
leurs qui  poussent  au  sombre,  au  noir,  au  jaune. 
L'aquarelle  doit  être  robuste  et  colorée,  parce  que  le 
temps  la  décolorera  toujours.  Dans  l'huile,  c'est  le 
contraire;  il  faut  être  clair  autant  que  possible,  parce 
que  le  temps  poussera  toujours  au  sombre.  » 

FiLLiARD.  —  Palette  :  Auréoline  et  jaune  indien  — 
Carmin  et  laque  pourpre  —  Outremer  et  bleu  de 
Prusse,  c'est-à-dire  deux  jaunes,  deux  bleus,  deux 
rouges,  c'est  tout. 

Papier  Whatmann  torchon  et  en  général  tous  les 
papiers  les  plus  gros,  français  et  italiens. 


88  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Dessine  sur  son  papier  à  la  mine  de  plomb,  très 
arrêtée.  Quand  il  s'agit  d'un  paysage,  voulant  aller 
vite,  il  ne  dessine  pas  autrement.  Dans  une  nature 
morte,  à  l'atelier,  reprend  son  dessin  et  l'arrête  aux 
crayons  de  couleurs  et  quelquefois  en  choisissant  des 
tons  qui  sont  les  complémentaires  des  tons  qui  seront 
aquarelles.  Il  a  tendance  à  charger  la  valeur,  à  aller 
du  foncé  au  clair,  en  enlevant  au  pinceau  mouillé 
l'excès  de  valeur  vigoureuse.  Il  fera  un  clair  légère- 
ment teinté  en  posant  le  ton  le  plus  teinté  et  en  reve- 
nant pour  l'éclaircir.  Il  ne  se  sert  pas  de  l'éponge  pour 
cela,  mais  d'un  large  pinceau  plat,  genre  pinceau  à 
l'huile.  Il  part  ainsi  sur  le  papier  et  non  sur  la  palette, 
en  touches  très  liquides  de  tons  élémentaires  et  francs 
qu'il  compose,  —  sans  user  de  la  palette,  —  en  juxta- 
posant sur  le  papier  même  les  tons  élémentaires  dont 
le  mélange  donnera  le  ton  composé.  Il  mêle  ensuite 
dans  la  mesure  qui  lui  semble  répondre  à  la  vibration 
qu'il  veut  donner  dans  un  ton  simple  de  la  nature  et 
dans  une  valeur  colorée.  L'avantage  est  que  ses  gris 
eux-mêmes  vibrent  et  sont  colorés,  parce  que  les  par- 
ticules de  couleurs  ne  sont  pas  des  neutres  ni  des 
noirs,  mais  des  poudres  colorées.  Quand  il  veut  un 
gris,  il  mêle  les  trois  bases  colorées  de  sa  palette. 
C'est  le  procédé  des  Impressionnistes,  mais  sans  mé- 
langes optiques;  le  mélange  se  fait  sur  le  papier  en 


l'aquarelle.  89 

finesses  très  délicates  et  très  vibrantes  et  qui  donnent 
des  hasards  heureux  dans  le  lavis  et  le  travail  du  pin- 
ceau. 

Pour  les  tons  très  foncés,  il  revient  avec  un  médium. 

Longtemps  après  et  sans  le  modèle,  il  reprend  à  sec 
avec  des  crayons  durs  de  couleur,  avec  une  recherche 
d'effet  centralisé  et  de  synthèse.  Ce  ne  sont  pas  des 
frottis  apparents,  réguliers,  mais  des  filaments  de 
touches  légères  que  l'on  ne  discerne  que  de  près,  mais 
qui  donnent  à  l'aquarelle  de  la  chaleur  et  de  la  solidité. 

Encadre  dans  l'or  directement  sans  bordure  de 
passe-partout. 

ViGNAL.  —  Palette  :  Cobalt  —  Bleu  outremer  — 
Brun  rouge  —  Sienne  naturelle  —  Sienne  brûlée  — 
Ocre  jaune  —  Jaune  indien  —  Rouge  de  Saturne  — 
Vermillon  —  Carmin  —  «  Emerald  green  »  —  Sépia 
—  Bleu  de  Prusse. 

Support  :  Whatmann  gros  grain. 

Travaille  sur  armature  de  pliant  en  bois  incliné 
en  avant,  de  sorte  que  le  carton  forme  un  pupitre 
(branches  plus  courtes;;  il  peut  ainsi  redresser  aisé- 
ment son  carton  si  l'eau  coule. 

Dessin  mine  de  plomb  très  précisé  comme  s'il 
devait  rester  à  l'état  de  dessin.  Peint  d'abord  le  ciel  ; 
peint  ensuite  les  ombres  dans  leur  ton.  Achève  du 
premier  coup  en  lavant  dans  beaucoup  d'eau. 


go  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Encadre  sans  marge  ménagée  dans  une  bordure 
d'or,  comme  pour  une  peinture  à  l'huile. 

Dans  une  lettre  de  Girardot,  je  trouve  un  passage 
qui,  parlant  d'aquarelle,  me  semble  pouvoir  intéres- 
ser et  trouve  sa  place  ici  : 

Girardot.  —  «  J'aime  à  peindre  sur  du  très  bon 
papier  pur  chiffon  que  je  fais  contre-coller  soit  sur 
toile,  soit  sur  bois,  sans  apprêt.  La  peinture  (à  l'huile), 
même  légère,  paraît  solide.  Comme  cette  matière  ab- 
sorbe l'huile,  même  avec  de  la  peinture  à  l'huile  et  du 
pétrole,  on  arrive  en  diluant  plus  ou  moins  la  matière 
à  faire  des  imitations  d'aquarelle  vraiment  à  s'y  mé- 
prendre et  avec  l'avantage  en  plus  que  l'agglutinant 
donne  à  la  couleur  une  résistance  que  n'aura  jamais 
l'aquarelle...  Des  aquarelles?  j'en  ai  fait  fort  peu, 
sachant  par  expérience  qu'aucune  ne  résiste  à  la 
lumière.  J'y  ai  toujours  ajouté  du  blanc  de  Chine. 
C'est  l'agglutinant  qui  donne  de  la  résistance  à  l'aqua- 
relle. C'est  lourd,  dira-t-on.  Fixé  et  verni,  cela  reprend 
sa  transparence  et  sa  vivacité.  Si  l'on  sait  bien  se  ser- 
vir de  la  trouvaille  de  Vibert,  on  obtiendra  en  aqua- 
relle des  résultats  de  durée  certaine.  Que  restera-t-il 
des  aquarelles  faites  comme  lavis?  Mettez-les  en  lu- 
mière, et  dix  ou  vingt  ans  après  ce  n'est  que  du  gris. 

J'ai  obtenu  un  bon  résultat  avec  des  crayons  de 
couleur  en  bois,  de  Conté.  Peu  sont  fixes.  Après  des 


L AQUARELLE.  QI 

essais,  je  suis  arrivé  à  en  trouver  sept  ou  huit,  c'est 
d'ailleurs  suffisant.  Mais  je  déplore  de  n'avoir  ren- 
contré aucun  rose  ou  laque  résistant  à  la  lumière.  J'ai 
trouvé  moyen  de  fixer  ces  crayons  au  point  qu'on  peut 
les  laver  si  le  temps  les  salit.  Je  me  suis  souvenu  du 
fixatif  pour  aquarelle  de  Vibert.  J'ai  abîmé  pas  mal 
de  mes  crayons  en  voulant  les  fixer  au  pinceau.  Après 
plusieurs  essais,  j'ai  réussi  avec  un  vaporisateur,  à 
une  petite  distance,  à  bien  imprégner  tout  le  papier 
et  en  laissant  sécher  au  bout  de  deux  ou  trois  reprises, 
j'ai  été  satisfait...  » 


LE  PASTEL 


Depuis  quelques  années,  on  exécute  souvent  le  pas- 
tel en  commençant  par  lui  donner  comme  dessous 
une  aquarelle.  On  redoute  moins  la  chute  de  la  poudre 
qui,  en  ce  cas,  met  l'aquarelle  à  découvert  au  lieu  du 
support.  Il  paraît  aussi  que  certains  artistes  ébauchent 
au  pastel,  fixent  cette  ébauche  et  repeignent  à  l'huile 
par-dessus  en  laissant  souvent  intacte  une  partie  du 
pastel. 

Le  maniement  du  pastel  étant  fort  simple,  ce  qui 
préoccupe  surtout  étant  sa  fragilité,  je  suis  heureux 
de  pouvoir,  grâce  à  la  complaisance  de  Ménard,  indi- 
quer les  précautions  qu'il  prend  pour  assurer  ses  pas- 
tels contre  les  accidents. 

Ménard.  —  Palette  :  Recommande  de  se  méfier  des 


LE    PASTEL.  g3 

couleurs   d'aniline;   la   lumière   les    ronge.    Certains 
orangers  deviennent  gris. 

Support  :  Sciure  de  bois  fixée  sur  toile  à  la  colle  de 
caséine.  Préparation  délicate.  Vérifier  si  ça  tient.  Il 
ne  la  faut  ni  trop  réche  ni  trop  fragile.  —  Exécute 
du  coup.  Parfois  cherche  et  change;  la  sciure  de  bois 
permet  tous  les  changements.  Par -dessus  un  ton 
d'arbre,  il  peut  mettre  un  ciel.  Frotte  à  la  brosse  rude 
et  fait  entièrement  disparaître  son  premier  ton.  Exé- 
cute aussi  en  ton  genre  camaïeu  brun,  sur  toile  choi- 
sie, dans  un  ton  bistre  qu'il  laisse  transparaître  au 
besoin.  Cette  toile  est  imprimée  à  l'envers'. 

Mesures  de  précaution.  —  Enferme  le  châssis  sup- 
portant le  pastel  dans  un  cadre  de  bois  muni  d'un 
fond  en  carton,  formant  une  sorte  de  caisse,  qu'il  ajuste 
au  revers  de  son  pastel  et  qui  l'enferme  entièrement 
avec  la  glace  ou  vitre  qui  le  recouvre.  Colle  au  bord 
une  bande  de  papier  qui  recouvre  le  bord  de  la  glace. 
Le  pastel  est  enfermé  ainsi  dans  une  caisse  vitrée  her- 
métiquement close.  Mais  comme  l'humidité  pourrait 
encore  s'introduire  par  le  papier  ou  le  carton  et  atta- 
quer le  pastel,  la  caisse,  c'est-à-dire  le  fond  en  carton, 
le  cadre  en  bois  et  même  la  bande  de  papier  sont  cou- 

I.  C'est-à-dire  recouverte  d'une  impression  ou  couche  de  couleur 
qui  la  protège. 


94  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

verts  d'une  couche  de  gomme  laque.  Cela  fait,  on  fixe 
la  caisse  au  cadre  par  des  pattes  de  cuivre  munies  de 
vis  introduites  dans  le  cadre  en  bois  de  la  caisse  et 
dans  le  revers  de  l'encadrement  du  pastel.  Souvent, 
on  couvre  les  joints  de  papier  de  plomb. 

Un  pastel  est  plus  facile  à  réparer  qu'une  peinture 
à  l'huile.  Les  raccords  se  font  aisément  et  ne  forment 
pas  des  taches  comme  dans  la  peinture  à  l'huile.  En 
revanche,  une  toile  ou  un  papier  crevés  sont  très  déli- 
cats à  réparer.  On  peut  user  du  mastic  d'encadreur. 


J 


AUTRES  PROCEDES 

La  gouache,  la  détrempe,  la  peinture  à  l'œuf,  la 
peinture  à  l'huile  et  à  l'œuf,  appelée  dans  les  ateliers 
la  «  peinture  à  la  mayonnaise  »,  sont  employées.  La 
peinture  à  l'œuf,  —  qui,  maniée  par  les  Primitifs,  a 
donné  des  résultats  excellents  de  solidité,  —  est  appré- 
ciée, mais  les  diverses  formules  en  usage  n'ont  pas 
encore  eu  le  temps  de  prouver  leur  résistance. 

La  fresque  est  aussi  en  faveur.  Généralement,  on  se 
guide  sur  le  manuel  italien  de  Cennini  traduit  par 
Mottez.  Or,  Armand  Point  me  signale  une  erreur 
grave  dans  la  traduction  française.  Elle  dit  que  la 
fresque  doit  être  solidement  peinte,  empâtée,  tandis 
que  Cennini  recommande  au  contraire  de  peindre 
légèrement. 

M.  Bieler  m'a  confié  sa  manière  de  procéder  à  la  colle. 

BiÉLER.  —  Palette  :  blanc  d'argent,  ocre  jaune, 
sienne  naturelle,  jaune  de  strontiane,  jaune  de  chrome 
orange,  cadmiums  clairs  et  foncés,  rouge  de  cadmium, 
pourpre  de  cadmium,  rouge  de  Mars,  brun  Van  Dyck, 
sienne  brûlée  'pas  de  laques,  pas  de  vermillons),  bleu 


96  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

outremer,  indigo,  sépia  (ces  deux  derniers  sont  solides 
avec  la  colle),  noir  d'ivoire. 

Véhicule.  —  Colle  de  caséine  dans  l'eau,  soluble 
grâce  à  l'adjonction  d'un  peu  de  potasse.  Émultionne 
un  peu  d'huile  d'œillette,  en  y  ajoutant  de  l'acide 
salicylique  pour  empêcher  la  fermentation  qui  se  fait 
assez  vite  et  un  peu  de  miel.  En  peignant,  ajoute  un 
peu  d'eau  pour  délayer  quand  la  couleur  mêlée  à  la 
colle  est  trop  épaisse  pour  ce  qu'il  veut. 

Support.  — Toile  préparée  avec  le  mélange  de  colle 
de  caséine  et  d'huile,  en  y  ajoutant  de  la  colle  d'amidon 
et  du  blanc  d'argent  ou  de  zinc  pour  charger  la  toile. 

Cette  préparation  séchant  très  vite,  on  peut  peindre 
immédiatement.  Le  résultat  ressemble  à  la  fresque. 

Exécution.  —  Ressemble  à  la  fresque.  Dessin  très 
précis  sur  un  carton  et  poncé  sur  la  toile.  Si  l'on  ne 
peint  pas  du  coup,  —  ce  qui  est  possible  et  préfé- 
rable, —  on  peut  reprendre  sans  difficulté  en  surchar- 
geant ou  après  avoir  gratté. 

Emploie  comme  vernis  une  cire  à  mater. 
.     Tudor-Hart  emploie  la  peinture  à  l'huile  et  à  l'œuf, 
qu'il  dit  avoir  été  le  procédé  des  Van  Eyck  (on  pré- 
tend en  général,  cependant,  que  les  Van  Eyck  em- 
ployaient une  résine). 

Dit  aussi  avoir  retrouvé  la  formule  à  base  de  miel  et 
de  gomme  arabique  qui  aurait  été  celle  des  Vénitiens. 


CONCLUSION 


Avouons  qu'il  paraît  impossible  aujourd'hui  de  dire 
quelle  est  la  meilleure  manière  de  bien  et  solidement 
peindre  un  tableau. 

Nous  avons  vu  plusieurs  artistes,  —  et  un  maître 
aussi  brillant  que  Simon,  —  déclarer  modestement  : 
«  Je  m'y  prends  comme  je  peux,  sans  prétendre  avoir 
raison.  »  Si  certains  affirment  avec  assurance  leur  opi- 
nion, presque  toujours  les  affirmations  absolument 
contraires  de  leurs  collègues  enlèvent  toute  autorité 
à  leur  parole.  On  ne  s'accorde  que  sur  des  détails  de 
médiocre  importance. 

En  présence  de  ces  doutes,  les  jeunes  débutants, 
ne  trouvant  pas  une  technique  ferme  et  sûre  à  adop- 
ter, se  mettent  à  peindre  sans  méthode,  acceptent  au 
hasard  telle  manière,  ou  bien  s'engagent  dans  des 


9o  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

expériences  qu'ils  poursuivent  toute  leur  vie,  sans 
conclure. 

Une  bonne  technique  ne  donne  pas  le  talent;  mais 
que  devient  le  talent  qui  ne  possède  pas  une  bonne 
technique?  La  peinture  du  xix"  siècle  est  là  pour  le 
montrer. 

Sous  l'intiuence  de  David,  —  comme  je  l'ai  dit  dans 
mon  volume  La  Peinture^  —  une  réaction  contre  la 
technique  s'organisa  en  même  temps  qu'une  révolu- 
tion dans  l'esthétique.  David  s'écriait  :  «  A  l'Acadé- 
mie, on  fait  un  métier  de  la  peinture,  on  l'apprend 
comme  un  métier.  »  L'Académie  royale  de  peinture, 
installée  au  Louvre,  fut  supprimée  le  8  août  1793. 
Dès  lors,  on  négligea  l'étude  des  premiers  éléments 
de  l'art  de  peindre,  la  couleur  même  devint  une  néces- 
sité acceptée  à  regret.  Greuze,  survivant  de  l'ancienne 
école,  qui  savait  peindre  de  bons  morceaux,  disait  : 
«  Vous  verrez  ces  tableaux  dans  trente  ans  et  vous 
verrez  les  miens,  ces  gens-là  ne  tiendront  pas  sur  la 
toile.  » 

Il  s'est  trouvé  qu'il  avait  raison.  Et  cette  peinture 
fragile  a  transmis  sa  faiblesse  à  toute  la  peinture  qui 
lui  a  succédé.  Même  lorsque  les  chefs-d'œuvre  des 
musées  d'Europe  rassemblés  au  Louvre  par  les  guerres 
de  la  République  et  de  l'Empire  eurent  fait  naître  une 
école  plus  amie  de  la  couleur,  le  métier  n'en  profita 


CONCLUSION.  99 

point.  Les  Romantiques  peignirent  avec  enthousiasme 
et  emportement,  mais  ne  surent  pas  peindre.  Au  lieu 
de  mourir  d'anémie,  leur  peinture  meurt  de  delirium 
tremens. 

D'année  en  année,  à  travers  les  tendances  et  les 
écoles  nouvelles,  le  mal  a  persisté.  La  peinture  ne 
devant  pas  être  considérée  comme  un  métier,  on 
n'apprend  plus  le  métier  de  peindre.  Les  ateliers  où 
l'on  étudiait  à  fond  la  technique  sont  remplacés  par 
des  cours,  véritables  «  fours  »  à  faire  des  admis  au 
Salon,  semblables  aux  «  fours  »  à  faire  des  admis  au 
baccalauréat.  Les  Salons,  —  la  plus  malfaisante,  la 
plus  laide  et  la  moins  artistique  manière  de  présenter 
de  la  peinture,  —  poussent  à  la  production  hâtive  et 
entraînent  les  jeunes  à  débuter  trop  tôt,  sans  connaître 
les  éléments  de  l'art.  Le  désir  du  succès  et  la  manie 
de  l'originalité  poussent  à  l'individualisme  et  à  la  spé- 
cialisation. L'artiste  est  un  isolé  et  veut  rester  un 
isolé,  prétendant  voir  un  mérite  et  une  force  dans  son 
isolement.  Il  est  possible  qu'il  en  résulte  de  l'origina- 
lité. Mais  il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  cette  ques- 
tion de  l'originalité  qui,  en  somme,  n'est  intéressante 
que  lorsqu'elle  est  naturelle. 

On  juge  l'originalité  si  respectable  et  si  nécessaire 
qu'on  tremble  de  la  déflorer  dès  qu'on  croit  l'aperce- 
voir. Et  l'on  se  pâme  devant  des  expositions  d'oeuvres 


lOO  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD  HUI. 

d'enfants.  On  s'écrie  :  «  Pourvu  qu'on  ne  leur  enlève 
pas  celai  »  Cela!  Qu'est-ce,  sinon  de  vagues  traces  de 
dons  qui  n'annoncent  rien  de  certain.  Et,  par  crainte 
d'enlever  quelque  chose  à  un  élève  qui  ne  sait  rien, 
on  ne  lui  apprend  rien  que  la  vanité,  la  confiance 
excessive  en  soi-même.  Or,  la  modestie  est  la  pre- 
mière base  de  toute  étude,  de  toute  carrière.  «  Plus 
leur  vocation  est  sublime,  plus  ils  sont  humbles  dans 
leur  cœur  »,  a  dit  V Imitation. 

En  fait,  le  mot  de  David  est  allé  aussi  loin  qu'il 
pouvait  aller,  il  a  apporté  toutes  ses  conséquences. 
L'éducation  est  considérée  comme  dangereuse;  et, 
pressé  de  s'affirmer,  le  jeune  peintre  commence  par 
peindre  trop  tôt  et  continue  par  peindre  trop  vite. 


«  Êtes-vous  sûr,  me  disait  Gosselin,  êtes-vous  sur 
que  tel  artiste  de  talent  accusé  de  mal  peindre  et  d'em- 
ployer des  couleurs  mauvaises,  véritables  poisons, 
dites-vous,  pour  la  santé  de  sa  peinture,  êtes-vous 
sûr  que  ce  peintre  aurait  encore  le  talent  que  vous  lui 
reconnaissez  s'il  n'employait  plus  les  couleurs  que 
vous  lui  reprochez  et  ne  recourait  plus  aux  expédients 
que  vous  condamnez?  Ne  serait-ce  pas  à  sa  mauvaise 
technique  et  à  l'emploi  de  telle  ou  telle  couleur  qu'il 
doit  ses  bons  tableaux?  Si  c'est  à  cela,  n'ai-je  pas  le 


coNCLUSIO^f.  roi 

droit  d'applaudir,  d'approuver  ses  faiblesses  et  de 
m'en  féliciter?  » 

Je  répondrai  à  cette  ingénieuse  observation  que 
jamais  un  peintre  de  vrai  talent  ne  devra  son  talent  à 
une  pratique  de  métier.  Et  si  cet  artiste  de  talent  a 
de  mauvaises  habitudes  de  technique,  il  pourra  y 
renoncer  sans  perdre  son  dessin,  sa  couleur,  les  exi- 
gences de  son  œil  de  peintre.  Seul,  un  artiste  médiocre 
cherchera  et  trouvera  des  résultats  bons,  en  apparence, 
dans  des  artifices  suspects.  Le  vrai  talent  ne  tient  pas 
à  des  trucs  de  métier.  Et  je  ne  vois  pas  qu'on  puisse 
citer  un  artiste  de  valeur  qui  ait  dû  son  talent  à  de 
mauvaises  habitudes  de  peindre.  Il  aura  eu  du  talent 
malgré  cela  et  non  par  cela^. 


Il  peut  y  avoir,  comme  je  l'ai  dit  déjà,  plusieurs 
manières  de  peindre  qui  soient  bonnes  et  sûres,  mais 
il  faudrait  les  connaître. 

On  se  plaint  de  ne  plus  savoir  comment  peignaient 
les  maîtres  anciens.  Plus  ils  sont  grands,  plus  ils  sont 
mystérieux,  me  disait  Roll. 

Il  y  a  pourtant  des  artistes  de  tradition,  fervents 
dévots  des  maîtres,  qui  affirment  savoir  comment  ils 

I.  Et  puis  les  dégâts  qui  résultent  d'une  mauvaise  technique 
arrivent  souvent  plus  vite  qu'on  ne  croit. 


102  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURDHUI. 

peignaient.  On  devrait  les  consulter.  Ils  donneraient 
des  renseignements  utiles.  Mais  il  ne  faudrait  pas  s'en 
tenir  là. 

Nos  moyens  de  peindre  se  sont  renouvelés  par  de 
nouvelles  couleurs,  de  nouveaux  véhicules.  Notre 
vision  s'est  transformée;  nous  avons  des  exigences 
nouvelles,  des  théories  d'art  nouvelles,  sans  cesse 
renouvelées.  Notre  peinture  doit  braver  des  dangers 
nouveaux  par  suite  de  nos  installations  de  gaz,  de 
charbon,  d'électricité,  que  n'avaient  pas  les  intérieurs 
anciens.  Tout  s'accorde  pour  exiger  une  technique 
nouvelle  qui  réponde  à  ces  nouveautés. 

Cette  technique  nouvelle  peut  très  bien  nous  être 
commune  sans  nous  imposer  une  esthétique  com- 
mune. Talent  et  manière  de  peindre  ne  marchent  pas 
nécessairement  par  les  mêmes  voies. 

Il  semble  donc  naturel  que  l'on  peigne  autrement 
que  les  anciens  et  que  l'on  profite  des  moyens  nou- 
veaux fournis  par  la  science. 

Mais  il  faut  s'assurer  préalablement  de  la  valeur  et 
de  la  solidité  de  ces  nouveaux  procédés  et  de  ces  nou- 
veaux produits. 

Je  crois  que  l'examen  que  nous  venons  de  terminer 
prouve  la  nécessité  de  s'entendre. 

Dans  ce  but,  un  petit  Périodique  de  technique  don- 
nant les  renseignements  utiles  fournis  par  les  artistes 


CONCLUSION.  I03 

pourrait  être  un  premier  agent  d'entente  et  de  vulga- 
risation. 

A  l'École  des  beaux-arts,  où  l'élève  ne  commence- 
rait à  peindre  qu'après  avoir  reçu  de  solides  éléments 
de  technique,  un  laboratoire  de  chimie  surveillerait 
la  production  des  marchands.  Tout  fabricant  devrait 
demander  l'approbation  de  ses  produits  et  autoriser 
le  chimiste  à  en  vérifier  sans  cesse  la  fabrication.  Toute 
couleur  serait  approuvée  d'abord  et  surveillée  ensuite. 

Un  Conseil  de  technique^  composé  d'artistes,  de  chi- 
mistes, d'amateurs  d'art,  serait  chargé  de  surveiller  et 
d'étudier  toutes  les  questions  de  technique. 

Enfin,  un  Musée  de  technique  tiendrait  et  conserve- 
rait des  peintures  en  observation. 

Préparations,  ébauches,  morceaux  achevés,  ces 
œuvres  seraient  commandées  à  des  artistes  qui  don- 
neraient exactement  leur  manière  de  peindre.  On 
conserverait  et  leurs  indications  et  leurs  tableaux,  de 
manière  à  pouvoir  vérifier  la  solidité  de  leur  peinture. 

Ce  musée,  organisé  dans  des  conditions  très  pru- 
dentes au  point  de  vue  des  tableaux,  préparerait  des 
documents  capables  de  fournir,  un  jour,  des  rensei- 
gnements de  bonne  et  solide  technique. 

En  attendant,  le  Périodique  de  la  technique  recueil- 
lerait les  procédés  les  plus  sûrs,  ceux  dont  l'expérience 
aurait  prouvé  la  solidité. 


104  COMMENT    ON    PEINT    AUJOURD'HUI. 

Je  connais  des  artistes  qui  se  préoccupent  beaucoup 
de  ces  questions.  Chercheurs  consciencieux,  prudents 
et  appliqués,  ils  sont  tout  disposés  à  faire  profiter 
leurs  collègues  de  leur  expérience  et  ils  accepteront 
avec  reconnaissance  les  renseignements.  D'autre  part, 
des  jeunes,  inquiets  et  troublés,  demandent  des  con- 
seils. Il  y  a  donc  des  hommes  de  bonne  volonté  qui, 
désireux  de  bien  peindre,  voudraient  s'éclairer. 

Les  amis  des  arts  et  les  artistes  ont  le  devoir  d'user 
de  leur  autorité  et  de  leur  influence  pour  répondre  à 
ces  vœux. 

L'avenir  de  la  peinture  française  en  dépend. 


LISTE 
DES  COULEURS  LES  PLUS  EMPLOYEES 

CLASSÉES    SUIVANT    l'imPORTANCE    COMPARATIVE 
DE    LEUR    EMPLOI*. 


N"»  Cotes 

1.  Blanc  d'argent 25o 

2.  Jaune  de  chrome  clair •  .     .  200 

3.  Vert  émeraude 170 

4.  Ocre  jaune 170 

5.  Noir  d'ivoire 160 

6.  Terre  de  Sienne  brûlée i5o 

7.  Vermillon  français i5o 

8.  Vert  Véronèse i36 

9.  Jaune  de  chrome  foncé i36 

10.  Terre  de  Sienne  naturelle i36 

11.  Laque  carminée  ordinaire ii5 

12.  Outremer  n°  i 102 

i3.  Bleu  de  cobalt 96 

14.   Outremer  n»  2 88 

i5.  Jaune  de  Naples 84 

16.  Blanc  de  zinc 84 

17.  Bleu  de  Prusse  ordinaire 80 

18.  Laque  garance  rose 80 

I.  Je  dois  cette  liste  à  l'obligeance  de  M.  M.  Lefranc. 


I06  LISTE    DES    COULEURS    LES    PLUS    EMPLOYÉES. 

N-  Cotes 

19.  Laque  garance  foncée 64 

20.  Bleu  de  cobalt  foncé 64 

21.  Carmin 64 

22.  Terre  d'ombre  naturelle 56 

23.  Bitume 56 

24.  Bleu  de  Prusse  fin 56 

25.  Terre  d'ombre  brûlée 56 

26.  Jaune  indien 56 

27.  Laque  carminée  fine 52 

28.  Brun  Van  Dyck .  52 

29.  Blanc  d'argent  double  (E.  V.) 42 

30.  Bleu  minéral 40 

3i.  Jaune  cadmium  clair 40 

32.  Vermillon  de  Chine 40 

33.  Jaune  brillant 40 

34.  Vert  anglais  I 40 

35.  Ocre  rouge 38 

36.  Jaune  citron 36 

37.  Jaune  cadmium  foncé 36 

38.  Jaune  cadmium  citron    ........  36 

39.  Laque  garance  rose  dorée 32 

40.  Rouge  de  Venise 28 

41.  Laque  jaune 28 

42.  Violet  de  cobalt 28 

43.  Laque  géranium 28 

44.  Jaune  chrome  orange 28 

45.  Rouge  de  Saturne 24 

46.  Vert  anglais  III 24 

47.  Laque  garance  ordinaire 24 

48.  Vermillon  anglais 24 


LISTE    DES    COULEURS    LES    PLUS    EMPLOYÉES.  IO7 

N"  Cotes 

49.  Bleu  céruléum 24 

50.  Cinabre  vert  foncé 20 

5i.   Cinabre  vert  clair 20 

52.  Vert  anglais  II 16 

53.  Jaune  cadmium  orange 12 

54.  Ocre  d'or 12 

55.  Brun  de  Mars 5 

56.  Laque  de  gaude 5 


LISTE  DES  NOMS  CITES 


Aman-Jean. 
André  (Albert). 

AUBLET. 

Bail. 

Baudry. 

Besnard  (Albert). 

BOMPARD. 

Bonnat. 
bouguereau. 

Caputo. 

Carolus-Duran. 

Gavé. 

Chabas. 

Cochereau. 

CoLLiN  (Raphaël). 

CORMON. 

Cottet. 

Dagnan. 
Dannat. 
Dauchez. 
David, 


Déchenaud. 

Delacroix. 

Denis  (Maurice). 

Derain. 

D'Espagnat. 

Desvallières. 

Dinet. 

doigneau. 

domergue. 

DupRÉ  (Jules). 

FiLLIARD. 

Flameng. 

Gandara. 
Gérôme, 

GiRARDOT. 
GORGUET. 

Gosselin. 
Greuze. 

Guérin  (Charles). 
Guillemet. 


H 


arpignies. 


110                            liste  des 

noms  cites. 

Helleu. 

Prinet. 

Ingres. 

Raffaëlli. 

Renoir. 

Laurens  (Jean-Paul). 

Ricard. 

Laurent  (Ernest). 

Rixens. 

Lauth, 

ROLL. 

Lecomte  du  Nouy. 

Rousseau  (Théodore 

Levy-Dhurmer. 

ROYBET. 

RoYER  (Henri). 

Maillart  (Napoléon). 

Matisse. 

Maufra. 

Saint-Germier. 
Scott  (Georges). 

Maxence. 

SiGNAC. 

Ménard. 

Simon  (Lucien). 

Merson. 

Millet  (Françpis). 

MoNET  (Claude). 

MoNTENARD. 

Tenré. 

Thaulow. 

Tudor-Hart. 

Monticelli. 

Valloton. 

MoROT  (Aimé). 

Vernet  (Horace). 

MUENIER. 

ViGNAL. 

Picard  (Georges). 

Whistler. 

Pierre. 

Pissarro. 

Zakarian. 

Point  (Armand). 

Zuloaga. 

TABLE  DES  MATIERES 


Pages 

Comment  on  peint  aujourd'hui i 

L'atelier 5 

La  palette ■     .     .     .  1 1 

Composition  des  palettes 23 

Les  véhicules 35 

Emploi  des  véhicules 37 

Les  supports 44 

L'exécution 54 

Le  vernissage 81 

L'aquarelle 86 

Le  pastel 92 

Autres  procédés 95 

Conclusion 97 

Liste  des  couleurs  les  plus  employées io5 

Liste  des  noms  cités 109 


ACHEVE     D  IMPRIMER 

LE     l5     DÉCEMBRE      I922 

PAR 

P.    DAUPELEY-GOUVERNEUR 

A 

NOGENT-LE-ROTROU 


fli 


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ND      Moreau-Vauthier,  Charles 
1260      Comment  on  peint  aujourd'hi 

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