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Full text of "Compléments de Buffon"

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De 


COMPLÉMENTS 


DE BUFFON. 


Tome Premier. 


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ARE DMPRIMERIE DE LACRAMPE, 


RUE DAMIETTE, 2, 
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, 1837, 


À Lime sn cha DRE ro 


CONPLÉNENTA 


E BUFFO! 


PAR 
René - Pa LESSON: 
MEMBRE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT. 


Douxiègse Cdolion # 


Revue, corrigée et augmentée par l'Auteur. 


FIRE, 


P. POURRAT FRERES, ÉDITEURS, 
RUE DES PETITS-AUGUSTINS, D 


Et chez les Libraires et aux Dépôts de Pittoresques de 1] 
et de l'étranger. 


a France 


1838 


a" 


AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR. 


En élevant un monument durable aux sciences naturelles par la publication de plusieurs édi- 
tions de Buffon, nous aurions cru notre tâche imparfaite si nous n’avions mis à la fin des œu- 
yres de notre immortel prosateur le tableau le plus complet des immenses découvertes faites 
depuis cinquante ans. Le succès qui a accueilli notre premicre édition du Complément, par 
R.-P. Lesson, nous a autorisé à en donner une seconde, semblable, par le format, à l'édition 
de Buffon que nous venons de publier. Ce complémentest le seul qui présenteaujourd'hui l'état 
réel de la science en Europe pour les mammifères et les oiseaux, et l’auteur a redoublé 
d'efforts pour ne rien omettre d'essentiel de ce que renferment les nombreuses publications 
qu’il a eu à consulter. Les deux volumes de cette présente édition, enrichis des découvertes les 
plus neuves, sont donc un vaste résumé des travaux publiés dans ces dernières anné:s par 
tous les savants de l'Europe, en même temps qu’ils renferment le résultat des propres 


voyages de M. Lesson. 


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HISTOIRE NATURELLE 


DE L'HOMME. 


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LIVRE PREMIER. 


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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES VARIÉTÉS DE L'ESPÈCE HUMAINE QUI HABITENT L'OCÉANIE, 
LA POLYNÉSIE ET L'AUSTRALIE, 


Nous n'avons pas l’intention d’écrire dans ce vo- | prend ce vaste espace de mer qui baigne les côtes 
lume l’histoire complète des races humaines éparses ! occidentales de l’Amérique , les côtes orientales de 


et disséminées sur le globe. Cette étude immense à 
souvent été tentée par des savants du premier or- 
dre, et Buffon lui-même s’en est occupé avec pré- 
dilection : seulement nous avons cru servir la 
science en réunissant tous les faits recueillis par 
nous dans le cours d’une longue campagne, et en 
présentant un tableau entièrement neuf des peu- 
plades au milieu desquelles nous avons vécu, non 
pas d’après les relations des voyageurs, mais d’après 

propres observations. Cette partie de notre tra- 
vail ne sera pas la moins intéressante, même pour 
les gens du monde; et, bien nos ayons déjà 
publié les généralités sur les îles océaniennes et sur 
les races humaines qui les habitent (!}, nous les re- 
produisons ici. afin qu’elles servent d'introduction 
aux détails plus complets que nous consacrons à 
chaque peuple en particulier. 

C’est dans le même but que nous présenterons 
d’abord un apercu s r les îles du Grand - Océan et 
sur l’ensemble de leurs. productions naturelles, 
alir de mieux faire apprécier les modifications que 
Je climat et les latitudes ont apportées dans les 
caractères physiques des races qui y ont été sou- 
mises. 

Le Grand-Océan, au milieu duquel sont semées 
les terres de l'Océanie (?) proprement dites, com- 


() Zoologie du Voyage autour du monde de la cor- 
vette la Coquille, t. 1, pag. 4 à 115. 

e) Adoptant la PART de voir de plusieurs géogra- 
modernes , nous appelons Océanie les îles innom- 
les qui sont éparses dans le Grand-Océan, et Poly- 
A ésie toutes Re fe qui forment ce qu'on appelle les 


la Nouvelle-Hollande, les îles nombreuses du sud- 
est de l’Asie, en communiquant avec les mers des 
Indes et de Chine par de nombreux canaux; re- 
montant au nord-est sur les îles du Niphon, jusqu’à 
la presqu’ile du Kamtschatka ; se limitant au nord 
aux iles Aléoutiennes et Kouriles, au milieu des 
nombreux archipels de la côte nord-ouest d’Améri- 
que, aux rivages de la Californie, en donnant nais- 
sance à la mer Vermeille; renfermant un intervalle 
de cent soixante degrés, et n'ayant pour bornes au 
sud que les mers de la zone glaciale australe. Cette 
vaste surface d’eau ne présente qu’une petite por- 
tion de terre habitée par l’homme; et encore celle- 
oi se trouve-t-elle morcelée en un nombre considé- 
rable d’iles isolées ou disposées par groupes, qui 
forment des archipels distants et épars dont la com- 
position minérale appartient à trois formations dif- 
férentes. 

Placées indifféremment dans l’un ou l’autre tro- 
pique, mais plus particulièrement sous le tropique 
du Capricorne, les îles vraiment océaniennes diffè- 
rent par leur disposition générale de la trainée d'îles 
qui part de la pointe sud-est de la Nouvelle-Gui- 
née , et qui s’avance dans le sud en formant une 
longue chaîne à l’est de l'Australie ou Nouvelle- 
Hollande : telles sont la Louisiade, la terre des Ar- 
sacides, les archipels de Santa-Crux, des Hébni 


archipels d'Asie, et qui renferment les Moluque 
Philippines, les îles de la Sonde, et la Nouvelle-Guinée. 
Quelques autres écrivains ont au contraire transposé 
ces noms; mais il suffit qu'on soit averti pour compren- 
dre ce que nous appelons Océanie et Polynésie. 


4 HISTOIRE NATURELLE 


de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Calédonie, 
les îles Norfolk, la Nouvelle-Zélande, et sans doute 
les îles Campbell et Macquarie ; et ces îles semblent 
être véritablement le prolongement des terres avan- 
cées de l'Asie : car on doit regarder les archipels de 
la Sonde, des Moluques, enfin de la Polynésie en- 
tière, comme les débris de ce continen crevassé de 
toutes parts sous l’équateur. À ce sujet une opinion 
assez générale admet que le globe a subi l’action 
d’une force puissante sous la zone équatoriale ; et 
on a remarqué des dispositions analogues dans le 
morcellement da continent américain sous le tropi- 
que du Cancer, et même en Europe, plus au nord, 
entre la Méditerranée et la mer Rouge. L’isthme 
de Suez en effet correspond à l’isthme de Panama ; 
et le cap York, dans le détroit de Torrès , est sans 
doute le prolongement d’un bras de terre qui unis- 
soit la Se à la Nouvelle-Hollande, et 
que les Vagues ont brisé. Enfin les trois extrémités 
des masses de terre dans l'hémisphère austral of- 

une grande similitude. Le cap de Diémen de- 
voit être-le promontoire sud de l'Asie, comme les 
caps de Bonne-Espérance et de Horn se trouvent 
terminer aujourd’hui l'Afrique et l'Amérique. Le 
détroit de Bass est l’analogue de celui de Magellan ; 
et le banc des Aiguilles, à l’extrémité du cap de 
Bonne-Espérance, annonce que des terres affaissées 
s’y élevoient, et ont pu en être isolées par un détroit, 
ou qu’elles ont disparu dans la catastrophe qui a 
morcelé les extrémités méridionales de l'Afrique et 
de l'Amérique. 

La Nouvelle-Hollande, qui dans cette hypothèse 
formeroit la partie méridionale des vastes contrées 
de l’Asie, en diffère complétement par ses produc- 
tions, de même que les pays des Cafres, des Hotten- 
tots, et les terres magellaniques, différent des con- 
tinents dont ils sont les prolongements. Cependant 
les animaux ou les végétaux de l'Australie (1) ont 
reçu une physionomie spéciale, un cachet qui leur 
est propre, et leurs formes insolites semblent éluder 
tous les principes de classification. Mais à mesure 
qu’on avance vers l'équateur les êtres se rattachent 
à ceux que produit l’Asie; etenfin sur la partie in- 
terlropicale on en trouve un grand nombre qui sont 
communs à la Nouvelle-Guinée comme aux terres 
d'Arnheim et de Carpentarie. L'opinion qui admet 
que la Nouvelle- Hollande est sortie plus récemment 
du sein des eaux est généralement reçue ; et quoi- 
que l’intérieur soit pour nous couvert d’un voile 
mystérieux, ce qu'on connoit du littoral Jui donne 


nom est adopté par beaucoup de géographes 
pour désigner la Nouvelle-Hollande : quelques uns écri- 
vent Austrelasie. Par Tasmanie on indique la terre de 
Diémen , découverte en 1642 par Abel Tasman, navi- 
gat hollandois. 


Sans rajeunir de vieilles idées ou sans se perdre 
en suppositions vagues et hypot'étiques, on ne 
peut, en jetant un large coup d’æil sur l’ensemble 
de ces terres, se dispenser de remarquer que toutes 
les îles qui forment le chainon depuis la Nouvelle- 
Guinée jusqu’au sud de la Nouvelle-Zélande sem- 
blent être les bords de l’ancien continent Australique 
déchiré; car aujourd’hui les nombreux canaux#qui 
isolent ces archipels sont encombrés de bancs à 
fleur d’eau, de plateaux de récifs ou de rochers 
épars , qui forment de cette partie de l’Océan une 
mer semée d’écueils. 

Si nous examinons la partie orientale de l’Aus- 
tralie, depuis les rivages du Port-Jackson jusqu’à 
cent cinquante milles dans l’intérieur du pays, en 
franchissant l’épaisseur des montagnes Bleues, nous 
parviendrons peut-être à saisir les chaïinons qui 
étayent cette idée. Toutes les côtes de la Nouvelle- 
Galles du Sud sont en effet entièrement composées 
d’un grès houiller à molécules peu adhérentes; et 
ce que nous appelons le premier plan des monta- 
gnes Bleues est également composé de ce grès, qui 
cesse entièrement au mont York. Là une vallée pro- 
fonde isole ce premier plan du second, qui est com- 
posé en entier de granite. La hauteur de ces deux 
chaines parallèles, qui courent du sud au nord, est 
la même. Le mont York, d'après les observations 
de M. Oxley (1), est élevé de trois mille deux cent 
quatre-vingt-douze pieds anglois , et se trouve éloi- 
gné de la côte par un intervalle de cent milles envi- 
ron. Quelques voyageurs pensent sans doute à tort 
que cette montagne conique, et brusquement ter- 
minée par une pente roide sur le Val de Clyde, est 
l’ossuaire d’un ancien volcan dont le périmètre a été 
enseveli sons le dépôt du grès marin qui revêt toute 
celte étendue de territoire, Onvest plus fondé à le 
considérer comme recouvert d’une formation ter- 
liaire ; ce que prouvent le gisement abondant d’un 
liguite stratiforme qui occupe toute là partie moyenne 
du mont York, à mille pieds au-dessus du niveau 
de la mer, et les empreintes nombreuses de phyto- 
lithes qui se rencontrent vers son sommet, et qui 
paroissent pour la plupart appartenir à des feuilles 
d’eucalyptus ou à des fougères. Au-delà du Val de 
Clyde se développe la deuxième chaîne, et celle-ci 
se trouve être complétement primitive; car les ro- 
ches qui la composent sont des granites des syénites 
quartzifères, et des pegmatites. C’est sur le rebord 
de ce plan des montagnes Bleues qu’on remarque 
aujourd’hui les traces nombreuses de bouches vol- 
caniques, et que des masses basaltiques, dont les 
plus remarquables forment ce qu’on appelle les 


() Journal of two expeditions into the interior of 
New-South- Wales, undertaken by order of the bristish 
A RE RD D Oxley;in-4o, 
London , 4820, r Les 


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DE L'HOMME. k 


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Chutes de Bathurst, s'offrent abondamment aux re- 
gards du voyageur. En dernière analyse un terrain 
tertiaire, reconnu sur le littoral de la Nouvelle- 
Galles comme sur divers points au sud de la Nou- 
velle-Hollande (1), seroit dore accolé sur le sol 
primitif qui compose le plateau central de cette vaste 
contrée. | 

Les échantillons nombreux que nous avons rap- 
portés de la terre a@Démen indiquent encore une 
étendue assez considérable de sol tertiaire adossé à 
un terrain de pegmatite et de serpentine, où l’on ob- 
serve des gisements assez puissants de fer fibreux 
natif au milieu de roches amianthoïdes. Il est à re- 
marquer que nous trouvâmes des empreintes de pr 0- 
ductus aux îles Malouines, et que les spirféres se 
montrent en abondance et dans un bel état de con- 
servation avec plusieurs autres testacés sur les l'ords 
de la rivière Tamar, non loin du port Dalrymple, à 
cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer. 

La Nouvelle-Zélande, séparée de la Nouvelle- 
Hollande par un simple canal, est héri-sée sur sa 
surface de volcans éteints ou même en activité, el 
de prismes basaltiques ; et cependant on y trouve 
également quelques roches primitives, et surtout 
un jade d’une grande beauté. Mais, malgré le rap- 
prochement de ces deux contrées, leur physiono- 
mie est toute différente ; et si on remarque quelques 
points d’analogie, on ne les trouve que dans le règne 
animal. 

La Nouvelle-Irlande, avons-nous dit, semble 
être plus particulièrement le prolongement des ter- 
res d'Asie; eten effet les hautes montagnes de cette 
grande ile située près de l'équateur doivent être pri- 
mitives, tandis que les collines de sa circonférence 
et les écueils du rivage sont entièrement de carbo- 
pate de chaux madréporique (?) , qui forme des sor- 
tes de murailles, ou plutôt un rivage récent moulé 
sur un autre plus ancien. Fn remontant au nord 
sous la ligne, les observations que nous avons pu 
suivre à la Nouvelle-Guinée nous démontrent que 
les montagnes d’Arfak sont composées de roches 
primitives ; car les rivières qui en descendent cou- 
lent sur des galets de granite, tandis que les terres 
assez élevées qui forment le littoral sur plus de douze 
milles de largeur, ainsi que les îles de Manasouary 
et Masmapy, qui sont à l'entrée du havre de Doréry, 
sont sans exception de calcaire madréporique élevé 


{") Péron ( Voyage aux terres australes, seconde édi- 
tion , 4 vol.in-8s, Paris, 1824) consacre plusieurs pa- 
ragraphes à l'explication des divers phénomèénes géolo- 
. giques que lui présentérent Ja terre de Diémen, les îles 
du détroit de Bass, et les terres d'Édels, de Wilt, et 
d'Endracht. {Tome IV, pag. 215 et suiv.) 

(2) Fait également mentionné par M. Labillardière 
{ Voyage à la recherche de La Pérouse, t. I, pag. 240, 
édition in-4° , Paris, an VIU), 


| de plus de cent cinquante pieds au-dessus du niveau 


actueldes eaux. D'un autre côté on sait d’une manière 
positive que les îles de la Sonde, les Moluques, 
Timor même, malgré l'opinion erronée de Péron, 
sont de formation primordiale; et que le calcaire 
saxigène ne s’offre jamais que comme une ceinture 
extérieure, ce dont les iles d'Amboine, d : Bourou, 
de Céram , offrent la preuve palpable. En franchis- 
sant par la pensée la largeur entière de l’océan Pa- 
cifique, et nous reportant sur la côte occidentale 
d'Amérique, on y retro ivera de vastes surfaces cou- 
vertes de testacés fossiles, en un mot un sol tertiaire 
élevé de cent cinquante à deux cents pieds au-dessus 
du niveau de la mer (à Payta, côte du Pérou); et 
ne doit-on pas naturellement conclure que par des 
causes quelconques, et que nous ne devons pas 
rechercher ici, le dernier niveau de l'Océan étoit 
à cette élévation , et baignoit alors la surface de la 
Nouvelle-Galles du Sud jusqu’au premier plan des 
montagnes Bleues ? 

En examinant ensuite l’ensemble des îles océa- 
nienpes proprement dites, puis chacune d’elles en 
particulier, nous ne trouvons sans nulle exception 
que deux sortes de formation : l’une basaltique, et 
l’autre de création animale. Toutes les iles hautes 
de la mer du Sud présentent en effet les conditions 
de ce qu’on appelle terrains volcaniques, ou sont 
le produit palpable de volcans. Ces îles montagneu- 
ses, couronnées quelquefois par des pies qui se per- 
dent dans les nuages , sont généralement , entre les 
tropiques seulement, entourées d’une bande de terre 
que supporte un calcaire à polypiers élevé de quel- 
ques toises au-dessus du niveau de la mer. Mais ce 
rivage accessoire n’est presque jamais unique : sou- 
vent à quelque distance il s’y joint une ceinture 
d’iles basses, plates, uniformes, dues aux mêmes 
zoophytes , et que nous nommerons parfois Motous 
d’après la désignation générale de la langue océa- 
nienne, usitée surtout à Taïti et chez les Pomo- 
tous (1). Les îles de notre seconde division compren- 
dront, sous le nom générique de Shopelonyse, ce 
que les divers peuples navigateurs appellent indif- 
féremment trrezife, Paracels, Attoles et Attolons, 
ou l'orulligères, dont l'existence est due au travail 
lent et successif d’animalcules délicats n’élevant 
jamais que jusqu’à la surface des vagues, en bâtis- 
sant sur de hants fonds leurs demeures pierreuses : 
bien éloignés en cela de donner lieu au phéno- 
mène décrit avec pompe par un savant d’ailleurs 
très célèbre, d’écueils qui naiss nt sous le sillage 
des navires. Mais les t{-s-récifs sont de trois sortes : 
simples, ce sont les motous des grandes terres ; dis- 
posées en cercle avec une mer intérieure, ce sont les 
motous à luyons de plusieurs navigateurs. Enfin ces 


()Insulaires des îles basses de l'archipel Dangereux, 


6 HISTOIRE NATURELLE 


îles présentent encore une modification plus singu- 
lière: west celle d'offrir de vastes plateaux à fleur 
d’eau recouverts de motous arrondis et verdoyants 
ayant un ou plusieurs lagons, et que les Anglois 
nomment £les-groupes (ISLANDS GROUPS). 

Les motous simples nese rencontrent guère qu’au- 
tour des terres hautes, auxquelles ils forment des 
ceintures , telles qu'à Maupiti, Borabora, et dans 
tout l'archipel de Ja Société, Les motous à lagons 
appartiennent à une sorte de système d’iles qu’on 
remarque plus particulièrement dans deux points 
de la mer du Sud, au milieu des archipels Gilbert 
et Mulgrave d’une part, et au milieu de la mer 
Mauvaise d’une autre part, et dont on peut aisé- 
ment se faire une idée en examinant un plan des 
îles de Clermont-Tonnerre, de La Harpe, etc. Mais 
les éles-groupes semblent être particulières à l’ar- 
chipel étendu des Carolines. Là le plateau de litho- 
phytes prend souvent un immense développement. 
Il n’est parfois surmonté que par des iles basses ou 
motous distants et isolés, comme on le remarque 
dans les archipels de Kotzebue, de Ralick et Radack ; 
et souvent il environne des terres volcanisées hau- 
tes, comme on en a la preuve par l’île d'Hogoulous, 
crue si long-temps fabuleuse, les Palaos, Ulia, ete. 

En dernière analyse les terres du sud-est de l’Asie, 
l'Australie, la Tasmanie, et même le chainon ter- 
minal de la Polynésie, de la Nouvelle-Guinée à la 
Nouvelle-Zélande , peut-être même l’ile Campbell, 
sont des terres primordiales ; et les îles de l'Océa- 
nie, de formation récente et postérieure dans l’his- 
toire du globe, sont volcaniques et madréporiques. 

Mais, pour que notre idée soit complète sous ce 
rapport, il nous reste à envisager les causes qui peu- 
vent démontrer l’origine ignée d’un aussi grand 
nombre de terres séparées par d'immenses espaces 
et par la plus vaste étendue de mer connue. L’an- 
cienne opinion qui veut qu’elles soient les débris 
qui surgissent d’un continent austral brisé n’est point 
admissible ; et la seule raison satisfaisante qu’on 
puisse donner de la naissance de tant d'îles éparpil- 
lées comme au hasard, mais cependant assez com- 
munément par grands groupes, a sans contredit été 
émise par Forster, etgénéralisée ensuite, tropexelu- 
sivement peut-être, par le savant géographe Buache. 
Forster (Observ.) considéroit toutes ces îles comme 
assises sur les points culminants des chaînes sous- 
marines, s’irradiant sous la mer comme elles le font 
sur la surface de la terre. Ainsi s'explique sans dif- 
ficulté la naissance des îles de corail, dont la base est 
construite par les polypiers saxigènes sur ces émi- 
nences placées à peu de profondeur; et c’est de la 
conformation des chaînes formant les bassins sous 
l’eau que naît celle qu’affectent dans leurs contours 
les îles basses. 

La surface du Grand-Océan, couverte de terrains 


voleanisés anciens (!),"présente encore une quantité 
prodigieuse de monts ignivomes en activité, égale- 
ment nombreux sur les terres ou sur les continents 
qui lui servent de limites. La Nouvelle-Zélande (2), 
Tanna, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calé- 
donie , les îles Schouten, les Mariannes, les Sand- 
wich (), la Californie, ont encore des volcans en 
activité, et sur les bords il ne faut que citer ceux des 
Andes en Amérique, des Gallapagos, etc., ‘etc. 
L’océan Atlantique, sous ce rapport, présente une 
grande analogie avec la mer du Sud; car les îles 
distantes et éloignées de la côte d'Afrique sont vol- 
caniques, telles que Sainte-Hélène, l’Ascension, 
Madère, les Acores, les Canaries, les îles du Cap- 
Vert, Tristan d’Acunha : le même phénomène se 
manifeste dans les Antilles, dans la mer des Indes, 
par les îles Maurice et de Bourbon. Mais on remar- 
que encore autour de ces iles la formation madré- 
porique, qu’on ne retrouve point d’une manière 
complète dans l’océan Atlantique. Des récifs de 
corail enveloppent en effet l’ile Maurice, les îles 
Rodrigues, les Mahées, les Seychelles , etc. Plus 
anciennement surgies du sein des eaux, les îles vol- 
caniques de la mer du Sud ont été peuplées les pre- 
mières ; et ce n’est que long-temps après et succes- 
sivement que l’espèce humaine a été s'établir sur les 
îles basses, où son existence est beaucoup plus pré- 
caire et entourée de privations plus nombreuses. 
Enfin, si la zone équatoriale offre seule le phéno- 
mène des formations de roches madréporiques en 
grand , les hautes latitudes boréales et australes en 
présentent encore des traces légères produites par 
un polypier nullipore qui encroûte les rochers bai- 
gnés par la mer, et qu’on retrouve également à 
Terre-Neuve comme aux îles Malouines.  # 

De ces considérations sommaires il résulte que 
les peuples qui doivent nous occuper habitent, 1° des 


(n Lesiles de la Société, au milieu des masses basal- 
tiques (basalle avec péridot) qui constituent la plupart 
des montagnes de leur portion centrale, ont leur os- 
suaire composé d’une belle dolérite. Le mont Oroena 
est élevé de trois mille trois cent vingt-trois mètres, 
d'aprés Cook; et des montagnes voisines présentent à 
leur sommet des lacs qui sont d'anciens cratéres. 1] 
en est de même à Noukahiva. (KRUSENST. ) 

(2) La partie nord de la Nouvelle-Zélande est entière- 
ment volcanique. La cascade de Kiddi-Kiddi est remar- 
quable par la grande nappe d'eau qui se précipite d’une 
colonnade basaltique très élevée. Le lac de Rotoudona, 
qui joue un si grand rôle dans la mythologie de ces peu- 
ples, est un cratère d’où jaillissent des sources d’eau 
chaude. Des biocs d'une belle obsidienne, des tuffa 
rouges, abondent sur plusieurs points. 

(3) Le pic d'Owahie ou Mono-Roa, haut de deux mille 
deux cent cinquante quatre toises suivant M. Horner 
(Voyage de Krusenst.), vomit une immense coulée 
de lave vers 1801 , suivant M. de Chamisso. (Kotsebue’s 
Voy. round the world, t. IL, pag. 353.) 


VE 


DE L'HOMME. 7 


terrains primitifs, 2° des terrains ignés , et 5° des 
îles madréporiques à peine élevées au-dessus du 
niveau des vagues. Suivons cette idée en examinant 
rapidement les caractères généraux de la botanique 
de la mer du Sud. 

La végétation des terres de l’Océanie se compose 
de plantes entièrement indiennes ou analogues à 
celles de l’Inde équatoriale, c’est-à-dire aux végé- 
taux qui revêtent les îles de la Sonde, les Molu- 
ques etla Nouvelle-Guinée. Leur distribution paroît 
évidemment avoir été faite de la Polynésie dans l’O- 
céanie jusqu'aux îles les plus voisines de l’Améri- 


que , à l'ile de Pâques par exemple, de l'occident 


vers lorient, contre le cours habituel et des vents 
réguliers et des courants. Le règne végétal, si pom- 
peux , si imposant dans lesiles de la Polynésie, di- 
minue successivement de sa richesse en avançant 
Mn" ; et cette vérité a été démontrée complé- 
te par les deux Forster et par M. de Chamisso; 
car on ne peut rien conclure de quelques plantes 
américaines ( qui datent même pour la plupart de 
l’arrivée des Européens ) perdues dans la masse de 
celles indo-polynésiennes, qui composent unique- 
ment la végétation de l’Océanie; pas plus que de ce 
qu’on rencontre dans la Nouvelle - Hollande des 
espèces européennes, ou qui n’en diffèrent point 
au premier examen (!). Il resteroit à examiner l'ile 
de Juan-Fernandez ; mais nous n’avons que pen de 
données sur sa végétation, et il n’y auroit rien de 
surprenant que cet ancien volcan ne partageât la 
flore du continent dont il est très rapproché. Il y 
a des plantes qui semblent faire le tour du globe 
sous les zones qui leur conviennent ; et on peut citer 
en ce genre le portucala , que nous rencontrâmes 
sur toutes les terres que nous avons visitées entre 
les deux tropiques, dans le Grand-Océan comme 
dans l’Atlantique (?). 

La végétation indo-polynésienne se montre dans 
toute sa splendeur sous la ligne équinoxiale : d’abord 
imposante sur les îles de la Sonde, elle s’étend pro- 
gressivement sur les nombreuses possessions ma- 

-laises et tidoriennes, et étale toute sa pompe et tout 
son luxe sur les Moluques orientales et sur la terre 
des Papous. C’est là que des palmiers nombreux, 
des cycas, des fougères, prennent la formegracieuse 
et svelte de colonnes légères : leurs forêts immenses 
se composent d'arbres de grande taille, tels que 
les gatip (inocarpus edulis ), les arbres à pain, les 
muscadiers , les spondias; c’est dans leurs profon- 
deurs qu’on retrouve la patrie des plantes nourri- 


() Le Val de Clyde, dans les montagnes Bleues , est 
revêtu de plantes des genres typha, lythrum, plan- 
tago , samolus , etc., qui nous parurent en tout res- 
sembler aux espèces des marécages d'Europe. 

(2) Consultez Humboldt , Géographie des plantes, 
in-8° , 4817. 


cières des Océaniens, de longues lianes arborescen- 
tes, des légumineuses, dont les formes sont innom- 
brables et variées. En suivant la masse de ces végé- 
taux, nous la voyons diminuer successivement à 
mesure qu’on avance vers le détroit de Torrès : 
quelques espèces le traversent seulement’, et sont 
d'autant plus remarquables qu’elles appartiennent 
à des genres qui n’en renferment point un grand 
nombre: telles sont l’arec à chou, l’érythrine 
indien, le sagoutier, deux muscadiers sauvages, la 
flagellaria indica, etc. (1). En continuant d’exami- 
ner les plantes suivant la latitude des îles qui for- 
ment la chaine avancée au sud de la Polynésie, tel- 
les que la Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Bretagne, 
nous y retrouverons le même luxe; et les aréquiers, 
les sagoutiers, les grandes fougères, les drymirrhi- 
zées, peuplent encore les forêts. C’est ainsi que nous 
observâmes à l’entour du port Praslin les vaquois, 
les barringtonia , les calophyllum , les filao (casua- 
rina indica ), propres à toute l'Océanie; mais, à 
mesure qu’on s'élève en latitude en allant vers le 
sud, aux Hébrides, à la Nouvelle-Calédonie, le 
nombre de ces mêmes végétaux décroît naturelle: 
ment. Plus au sud encore la zone tempérée australe 
change complétement la physionomie des végétaux ; 
et l’île de Norfolk a de commun avec la partie nord 
de la Nouvelle-Galles du sud l’araucaria, qu’on 
voit encore au havre de Balade, et avecla Nouvelle- 
Zélande le phormium tenax : mais il est à remar- 
quer que cette île, vaste et composée de deux terres 
séparées par un détroit, quoique rapprochée de la 
Nouvelle-Hollande et par la même latitude, en 
diffère si complétement qu’elles ne se ressemblent 
nullement dans leurs productions végétales. Toutefois 
la Nouvelle-Zélande, si riche en genres particuliers 
à son sol et peu connus, en a cependant d’indiens, 
tels que des piper, des olea, et une fougère réni - 
forme qui existe, à ce qu’on assure , à l’ile Maurice. 
À l’époque de notre séjour à la baie des îles de la 
Nouvelle-Zélande la végétation se ressentoitdes ap- 
proches de la saison hyémale. 


[= Pour peu qu’on ait voulu suivre les idées que nous 


» venons d'émettre, on sera convaincu que les terres 
hautes du sud-est de la Polynésie, entre les tropi- 
ques, partagent les mêmes végétaux alimentaires 
que les îles des Indes orientales. Ils se sont répan- 
dus diversement par suite sur les terres les plus 


() Observations de M. Cunningham faites dans le 
voyage autour de la Nouvelle-Hollande, exécuté par le 
capitaine King (manusce. ). Le journal de King, avec des 
recherches intéressantes d'histoire naturelle, vient 
d'être publié sous ce titre : Narrative of a Survey of 
the Intertropical and Western Coats of Australia ; 
performed between the years 1818 and 1822. By captain 
Philip P. King, with an Appendix containing various 
subjects relating to Hydrography and natural History. 
2 vol., Lond, , 1826. 


5 HISTOIRE NATURELLE 


lointaines, et ne se sont arrêtés que près des côtes | leurs rejets à l'embouchure des rivières, au milieu 


d'Amérique. Comment, par exemple, les végétaux 
si communs sur la Polynésie se retrouvent-ils sur 
les îles Sandwich et sur les îles des Marquises de 
Mendoce, qui en sont séparées par un intervalle 
immense? Il seroit fort diflicile de résoudre une 
telle questien, parce que des vents et des courants 
qui se dirigent dans un sens contraire ne permet- 
tent point de leur attribuer aucune influence pour 
l'établissement dela végétation sur des points comme 
égarés sur la surface du Grand-Océan. 

Toutes les îles océaniennes hautes, à peu d’ex- 
ceptions près, sont plantées de fruits à pain sans 
noyaux, de taro (arum esculeitum), de cannes à su- 
cre, de bananiers, qui y viennent presque sponta- 
nément pour contribuer à la vie paisible et heu- 
reuse de ces insulaires. On retrouve à Taïli l’hiviseus 
rosa sinensis, si abondant sur toutes les Moluques; 
les pandunus , le gard'nia florida, les cyuthées, le 
cratæva, des ficus, le bambou, ÿ reproduisent leurs 
tribus. Et «c’est dans celte ile, dit M. d’'Urville 
» (Distiib. des fougères, Ann. sc. nul., Sepl. 5825), 
» que commence à paroitre une foule de fougères 
» qui semblent habiter cette zone, à partir de cet 
» archipel, et même des Marquises, jusqu'aux Mo- 
» luques, et plusieurs jusqu'à lile de France; tels 
» sont les iycupouium phicgmaria, sehizea cris- 
» tuta, elc#netc. » Ainsi les iles équatoriales par- 
tasent les productions végétales de source indienne, 
avec des différences cependant daus leur répartition ; 
car, suivant M. de Chamisso (tome IE du Pryeg de 
Kotzebue ), le barringtonia et le filao, si communs 
à Taïti et à Borabora, ne se trouvent point aux 
Sandwich , tandis que ces dernières ont le bois de 
sandal , dont les îles de la Société paroissent pri- 
vées, et qui est si commun aux Marquises, aux 
Fidjis, etc., etc. 

Il est plus aisé de se rendre compte de la manière 
dont la végétation a envahi jes iles basses de corail. 
La fi e ces motous ne se compose point d’un 
grand nombre d'espèces , et nous avons eu souvent 


l'occasion de la suivre dans les diverses phases de” 


ses progrès. La manière dout s'opère cet intéressant 
phénomène répond assez exactement aux descrip- 
tions, un peu poéliques sans doute, mais vraies dans 
leur ensemble, des migrations vésrtales, esquissées 
avec celle pureté et ce chérme de style qui appar- 
tiennent et à Bernardin de Saint-Pierre ct à M de 
Chateaubriand. Sous le rapport de l'exactitude des 
faits, les détails fournis primitivemenut par Forster, 
puis par M. de Chamisso, laissent sans doute peu de 
chose à désirer. 

Quelques végétaux semblent avoir pour fonctions 
d'envahir les récifs de coraux à mesure qu'ils se 
dessèc:ent. Les bruguiera, par exemple, qui se plai- 
sent dans l’eau salée, étendent peu à peu le lacis de 


| des vases qu’ils accumulent sans cesse. Bientôt un 


humus suffit pour recevoir quelques autres plantes ; 
et les sables des rivages, même purs, sont bientôt 
occupés par le scœvola lobelia , le convoloulus pes 


| capre&, le pandanus odorant, l’hibiscus tiliaceus, etc. 


Si le banc de corail est isolé et distant de quelque 
île principale, les flots sans cesse agités x 
bientôt des coc:s, des fruits du bonnet carré de 
PFougainville (barringtonia), qu’on rencontre en 


mer presque journellement. Ces fruits, arrêtés par 
l’écueil, jetés sur le sable calcaire des madrépores, 
germent, s’y cramponnent, et sont ainsi & pre- 
miers colons de la nouvelle terre. Mais c’est prin- 
cipalement au précieux cocotier qu’il est réservé de 
conquérir sur la mer, pour l'habitation de l’homme, 
ces bandes }lates d’écueils jetés au milieu des va- 
gues, à quelques toises au-dessus de leur niveau. 
Autant ce palmier redoute les hauteurs, où an. 
guit, autant il s’élance avec vigueur sur les récifs. El 
y forme d’épaisses forêts, dont on ne peut se faire 
une idée par la description, et dont rien n’égale la 
grâce et la beauté. Le navigateur passeroit fréquem- 
ment dans le voisinage de ces iles sans en avoir la 
. moindre connoissance , si un bouquet de cocotier à 
l’horizon ne les lui déceloit. Ce roi des palmiers , 
comme le nomment quelques Orientaux, une fois 
établi eLen rapport, la race humaine ne tarde point 
à y paroitre, et peut compter sur ses produits pour 
assurcr son existence. On conçoit que les peuples 
qui émigrent des terres riches en fruits et en ra- 
cines de toute sorte sont exposés sur les îles basses 
à de nombreuses privations. L'eau douce leur man- 
que souvent; souvent aussi ils sont réduits à vivre 
de vaquois, de taro, ou de ce que la pêche leur 
fournit. On peut assurer que chez ces hommes la 
défiance est beaucoup plus grande, et que ieurs 
mœurs sont beaucoup plus farouches que celles 
des autres insulaires. Comme leur subsistance n’est 
point assurée, ils craignent toujours qu’on ne vienne 
leur en soustraire une partie. D'un autre côté, ce- 
» pendant, l’industrie ct le besain luttent contre les 
manque de ressources, et ont forcé ces peuples à 
s’adonner à la navigation et à devenir habiles dans 
cet art. L'objet le plus indispensable d’un insulaire 
est sans doute une pirogue; et cependant il arrive 
souvent qu'une île de cette sorte ne produit point 
de bois d'assez forte dimension pour la réparer ou 
en fournir la mâture. C’est ainsi que nous en eûmes 
des exemples en longeant le grand archipel des Ca- 
rolines et lesiles Mulgrave et Gilbert. Leurs frêles 
embarcations présentoient parfois des pièces mal 
ajustées, faites de plusieurs morceaux d’hbiscus 
tiliaceus , le seul bois dense qui puisse croitre sur 
ces terres. 
La Polynésie proprement dite s’arrête au nord- 


DE I'HOMME. 


est par une bande d’archipels composés des îles de 
Formose, Luçon et Mindanao, dans les Philippines. 
Mais on remarque que les chaînes d’iles placées dans 
le tropique du Cancer et dans l'hémisphère nord, jus- 
qu’au-delà du cent soixantième degré de longitude, 
telles que les Mariannes, les Palaos, Hougoulous et 
Oualan , ont reçu de ces contrées, probablement 

avec la race humaine , les orangers, les citron- 
niers et les bruguiera, qu’on ne retrouve point dans 
le reste des îles de l'Océanie du tropique du Capri- 
corne. La variété sans semences de l'arbre à pain est 
la seule qu’on observe aux Sandwich, aux Tonga, 
aux Marquises, comme aux iles.de Ja Société. Mais 
la variété à châtaignes, si commune dans les Molu- 
ques et à Célèbes, se retrouve, en nombre égal à la 
première espèce, aux Palaos et à Oualan par exem- 
ple, et est la seule qui assure l’existence des Carolins 
des îles basses. Ces naturels en effet paroissent être 
réduits fréquemment à se nourrir des fruits demi- 
ligneux du paudanus. 

Sur toutes les îles du Grand-Océan nous trou- 
Vâmes les mêmes productions végétales, et le plus 
souvent les mêmes noms pour les désigner. C’est 
ainsi que les vallons si pittoresques, mais à la lon- 
gue si monotones, des Sandwich, et de la reine de 
la mer du Sud, Taïti, si éloignés, produisent abon- 
damment le taro (arum esculentum), l'igname (dios- 
coreu), la pomme de Cythère (spondias dulcis), etc. 
Les Taïtiens mangeoient, dans les temps de disette, 
la moelle d’une fougère en arbre, comme les Nègres 
le pratiquent à Maurice et à Madagascar pour le 
cambare marron ; et tous les deux appartiennent au 
genre cyatheu. Le pya est la racine du tacea pin- 
nulifidu, qui croit dans toutes les Moluques, à la 
Terre des Papous, et à la Nouvelie-Irlande. La noix 
d’ahi (inocarpus edulis) se rencontre depuis les iles 
de la Sonde, où les Hollandois nomment Parbre 
gatip Looi, jusqu'aux iles les plus orientales de la 

du Sud. Il en est de même du terminalia, du 
morind citrifolia, du curcuma, et d’une foule d’au- 
tres Végétaux dont il seroit assez fastidieux de pré- 
enter ici la liste. 
 Placées hors du tropique, les vastes iles de la 
Nouvelle-Zélande, dont l’intérieur est encore à con- 
oitre, ’ont pu fournir à la race qui les habite les 
mêmes ressources , et la nécessité la contraignit de 
se plier à la pauvreté du sol sur lequel elle devoit 
vivre, et de tirer sa principale ressource alimentaire 
de la racine sèche et ligneuse de la fougère (acros- 
tichum furcatum, Forster), qui couvre le pays : 
mais ce qui rend cette fougère très digne d'atten- 
tion, c'est que les peuples noirs de la Nouvelle- 
Galles du Sud s’en nourrissent habituellement, et la 
mment dingoua. a + 
pile de Pâques , également hors. deftt mites du 
tropique du Capricorne , ne présenté qu'un nombre 
LE 


curieux et remarquables : 


? 


très restreint de végétaux ; ceux qu'on rencontre 
sur cette terre brûlée appartiennent encore cepen- 
dant aux plantes indiennes : tels sont entre autres 
l’hibiseus popuneus, des mimosu . Un soianum que 
Forster fils indique aussi à Taïti, ete., ete. 

La zoologie des îles Malaisiermes, aussi riche que 
variée par les nombreuses espèces qui leur sont 
propres, semble attester que cette portion centrale 
de Asie orientale a fait partie d’un continent, puis- 
que ces iles sont peuplées de grands quadrupèdes 
vivants qui sont communs à plusieurs d’entre elles. 
D'ailleurs les canaux qui les séparent sont peu pro- 
fonds , et ils sont encombrés de bancs qui sembient 
complétement légitimer cette idée. Mais toutefois 
chaque île de ces grandes terres équatoriales de 
l'archipel des Indes recèle quelques espèces qui y 
seroient aujourd’hui isolées, et plusieurs ont fourni 
la singularité de reproduire des individus de genres 
qu'on avoit jusqu’à ce jour regardés comme essen- 
tiellement propres au Nouveau Monde : tels sont, 
dans deux branches différentes, un tapir, des cou- 
roucous , et le rupicole vert. Tout ce que nous sa- 
vons de l’histoire naturelle de ces contrées fécondes 
est d’un haut intérêt ; et malgré les recherches in- 
fatigables de sir Stamford Raflles, d’'Horsfield, de 
Diard, de Duvaucel, de Leschenault, de Kuhl, de 
Van-Hasselt, et de Reinwardt, elles fourniront 
long-temps encore d’abondantes moissons en objets 
mais leur climat a déjà 
dévoré plusieurs naturalistes européens et la barba- 
rie profonde des habitants de l’intérieur opposera 
long-temps une barrière insurmontable aux tenta- 
tives de ceux qui voudroient essayer de nous en 
faire connoitre les merveilleuses productions. C’est 
dans les mers de ces archipels que se trouve aujour- 
d’hui le dugong (hulicore indicus, DESM. Mumm., 
151 esp.), qu’on a cru si long-temps fabuleux, fi- 
guré par Renard(t), mais complétement décrit par 
les naturalistes modernes, notamment par M. F.Cu- 
vier, et dont on trouve un bon dessin pour le temps 
(1708) e' une description assez complète dans le 
Voyrge de François Leguat, qui n’est cité que dans 
Sonnini (Buff.. t. XX XIV, p. 185) et d’une ma- 
nière très fautive. Sumatra et Bornéo paroissent 
renfermer quelques espèces de quadrupèdes identi- 
ques , tels que l'éléphant des Indes ( Ele, has indi- 
cus, Cuv.) et les orangs. Les rhinocéros découverts 
par MM. Diard et Duvaucel(Rhinoce:i os javanicus, 
G. Cuv.; et Rhinoceros sumatrensis, GUVY. ) appar- 
tiennent plus spécialement à cette belle ile de Su- 
matra qui nourrit un très grand nombre de singes, 
divers nammifères très intéressants, et notamment 
des semnopithèques, la viverra musanqua et le tu- 


(‘) Renard, pl. 34, fig. 180. (Poissons des Indes, 


14 vol. in-fol , Amsterd., 1754.) Ë 
2 


10 


paia tana de Raffles, enfin le tapir de l’Inde (Ta- 
pirus indicus , F. Cuv.) qu’on à découvert et dans 
cette île et sur la presqu’ile de Malak. La grande 
île de Bornéo, cet espace blanc sur la carte du 
monde , comme l’a dit judicieusement sir Rafiles, 
recèle sans doute beaucoup d'animaux inconnus ; 
mais ceux qu’on y indique plus particulièrement , 
tel que l’orang-outang et le pongo , existent aussi, 
à ce qu’on assure, et dans la Cochinchine et sur la 
presqu’ile de Malaca. Java , si particulièrement ex- 
plorée dans ces derniers temps, a fourni à nos 
species un assez notable accroissement. On y trouve 


HISTOIRE NATURELLE 


rattache à celle de l’homme, qu’ils ont suivi. On 
remarque que ces deux animaux utiles ont été ren- 
contrés dès la découverte des archipels des Sand- 
wich , des Marquises, des Amis, de la Société, des 
Fidjis, de Rotouma, et sans doute des îles des Na- 
vigateurs. La Nouvelle-Zélande n’avoit seulement 
que le chien , du moins d’après le dire du capitaine 
Cook , qui assure que le cochon n’y existoit pas, et 
qui y déposa des femelles pleines, tandis qu’aujour- 
d’hui il y est commun. Ces deux mammifères se 
rencontrent également dans les îles avancées de la 
Polynésie , jusqu’à la Nouvellé-Calédonie, où le 


surtout la panthère noire (1), les tupria javanica et ; chien est la même, espèce à oreilles droites qu’on 


ferruginea de Horsfeld, la mustelx nudipes de 
F. Cuvier, la mydaus meliceps de F. Cuvier, un 
nycticèbe , et autres espèces remarquables. Si Ma- 
dagasear n’a aucun individu de la famille des sin- 
ges, elle possède en revanche les makis; et les 
Moluques ont en propre les cuscus ou phalangers à 
queue prenante, et les galéopithèques , dont une 
espèce s’est propagée à l’est jusqu'aux Carolines oc- 
cidentales, c’est-à-dire aux Pelew ou Palaos. Ce 
n’est guère que sur l'ile de Bourou que vit de nos 
jours le cochon-cerf {sus babyrussa), animal rare 
qui manque à nos musées. Les phalangers à queue 
nue appartiennent presque exclusivement aux Mo- 
luques orientales, et surtout à la Terre des Papous, 
jusqu’à la Nouvelle-Irlande. En s’avançant vers le 
sud-est le nombre des mammifères diminue. Déjà à 
la Nouvelle-Guinée on ne trouve plus que le cochon 
nommé par nous sus papuensis , le pélandoc (?) , et 
le couscous tacheté. La roussette kéraudren, voi- 
sine du pteropus edulis, paroît s'étendre depuis les 
Philippines, sur les Mariannes, jusqu’à Oualan, où 
nous l’observâämes en abondance par cent soixante 


$ 
degrés de longitude orientale : mais cette espèceul 


trouve au Port-Praslin, à la Nouvelle-Bretagne, 
et qui suit les misérables tribus de la Nouvelle- 
Galles du Sud. Mais cet animal paroît avoir été in- 
connu des Carolins et des Mariannais jusqu’au temps 
de leurs relations suivies avec les navigateurs. Wil- 
son dit qu’il étoit ignoré des habitants des Pelew (1) ; 
et nous pouvons assurer que les naturels de l'ile 
d’Oualan , où très probablement jamais Européen 
n’avoit mis les pieds avant nous, n’avoient pas la 
moindre idée du cochon et du chien, qui leur in- 
spiroientune grande frayeur, et qui attiroient vive- 
ment leur attention. M. de Chamisso a observé le 
même fait à Radack, chaine d’iles bien plus recu- 
lée dans l’est. 

Les reptiles sont d’autant plus communs, et d’au- 
tant plus développés dans leurs proportions , qu’ils 
se rapprochent davantage des climats brülants et 
humides de la zone torride : on les voit peu à peu 
diminuer en nombre à mesure qu’on s'éloigne des 
tropiques, et qu’on s'avance dans la zone tempérée. 
Le crocodile, si abondant à Java, à Bornéo, à Timor, 
à Bourou, existe encore à la Nouvelle-Guinée (?) ; 


# % 


mais il n’est plus représenté à la Nouvelle-Irlande 


paroït ne point avoir pénétré au-delà; et aux | que par un grand tupinambis, dont la peau sert à 


Sandwich, par exemple, il n'existe qu’un petit ves- 
pertilion. Il est à remarquer qu’on ne connoît aucun 
quadrupède comme véritablement indigène de la 
Nouvelle-Zélande, excepté le rat, si abondam- 
ment répandu sur les îles de l'Océanie comme sur 
presque l’univers entier. La Nouvelle-Hollande 
seule a produit des genres qu’on ne retrouve que 
sur son sol ; mais le kangurus , un des plus singu- 
liers, avoit son type aux Moluques dans le lapin 
d’Aroé (Kangurus Brunii, DEsm. ). 

Quant au cochon ou au chien, leur histoire se 


(1) La panthère melas, figurée par M. F. Cuvier dans 
la quarante-neuvième livraison de son bel ouvrage sur 
les mammiféres, ne seroit, suivant M. Temminck, 
qu'une variété accidentelle du léopard : ce qui semble 
exiger de nouvelles observations. 

(:) Le pélandoc , et non pélandor, est commun à la 
Nouvelle-Guinée : les Papouas du havre de Doréry le 
nomment podin, et estiment sa chair. 


recouvrir les tamtam. D’après le récit de Mariner, 
on ne peut se dispenser d'admettre que des croco- 
diles, portés par des courants, n’aient été vus sur 
les îles Fidjis ; car les habitants en ont consacré le 
souvenir par une tradition orale qui paroît complé : 
tement assurer ce fait. Les lézards et les scinques 
sont d'autant moins nombreux qu’on s'avance Vers 
l'est. C’est ainsi que plusieurs espèces fort vintéres- 


(r) Le capitaine Wilson ( Relation des îles Pelew, 2 
vol. in-8°, Paris, 1793 ), qui séjourna sur les îles Pe- 
lew,ou mieux de Palaos, après son naufrage, y vitun 
chat et aussi un Malais, qui tous les deux y avoient été 
apportés sans doute par la perte de quelques pros des 
Philippines. ba 

(2) Les Papous de la Nouvelle-Guinée suspendent à 
leurs cabanes les têtes desséchées de ce gigantesque 
saurien, peut-être comme trophée de la mort d’un en- 
nemi dangereux : ou bien environnent-ils sa dépouille 
des hommages qu'arrache la peur chez des peuples 
superstitieux ? "ALT * 


DE L'HOMME. {1 


santes s'arrêtent à Oualan, tandis que toutes les iles 
de l'Océanie ont indistinctement le joli petit scinque 
à raies dorées et à queue azurée des Moluques. Il en 
est de même des geckos : le lacerta vittuta, par 
exemple, se trouve depuis Amboine jusqu’à la Nou- 
velle-Irlande ; et à Taïti comme à Borabora, on ne 
rencontre plus que l’hémidactyle. Enfin ces pytons 
de forme colossale des îles de la Sonde se trouvent 
remplacés, même à la Nouvelle-Guinée, par delon- 
gues couleuvres (1), dont la taille diminue à mesure 
qu’on s’en éloigne, et c’est ainsi que ces reptiles 
paroissent ne s'être pas introduits, jusqu’à ce jour, 
au-delà de l’île de Rotouma, par cent-soixante-quinze 
degrés de longitude ouest. Pour les batraciens, on 
n’en connoît aucun de propre aux îles du &rand- 
Océan, phénomène intéressant, et qui semble con- 
corder avec l'opinion ingénieuse d’un de nos savants 
distingués, le colonel Bory de Saint-Vincent ; savoir, 
que les batraciens n’ont, jusqu’à ce jour, été ren- 
contrés sur aucune île volcanique , à moins que les 
espèces n’y aient été portées par les Européens, 
comme on l’a fait à l’île Maurice. 

Les oiseaux de l'Océanie, comparés à ceux de la 
Polynésie, n’offrent point d’analogie dans les espè- 
ces. Chaque système de terre a ainsi des individus 
de genres qu’on rencontre dans un grand nombre 
de localités ; mais un fait qui n’est point inutile pour 
l’histoire de l’homme, c’est que sur toutes les terres 
hautes existe la poule domestique, bien que, dans 
certaines îles, elle ne serve point à la nourriture. 
Java, Sumatra. possèdent un grand nombre d’oi- 
seaux d’une rare beauté ; quoique rien n’égale, sous 
ce rapport, le groupe d’iles nommées Terre des 
Papous, la patrie des somptueux oiseaux de para- 
dis et des grands promérops. Il est à remarquer (2?) 
que déjà quelques espèces de ces oiseaux à plumage 
si splendide traversent le détroit de Torrès, et ha- 
bitent la portion chaude de la Nouvelle-Hollande ; 
tels sont l'epimachus regius et le sericulus regens, 
entre autres. Les Moluques sontessentiellement peu- 
plées par les calaos ; et le genre nouveau des méga- 

podes remplace, aux Philippines, aux Mariannes, 
à Guebé comme à la Terre des Papous, les tinamous 
d'Amérique, près desquels doit venir se placer le 
beau ménure de la Nouvelle-Galles. Mais c’est sur- 
tout la grande famille des psittacidées, qui compte 
sur les îles de la Polynésie de nombreuses tribus, 
communes sur presque toutes , et dont le plus grand 


(‘) Ce dernier fait ne se rapporte qu'à des observa- 
tions recueillies pendant notre court séjour dans cette 
contrée. 

(2) Le genre eurylaime est tout-à fait polynésien : 
plusieurs espèces de Sumatra ont été décrites récem- 


ment, et nous y ajouterons l'espéce de Blainville, de - 


la Nouvelle-Guinée. I1 en est de même du genre nou- 
veau de M. Horsfield , nommé pomatorhinus. 


nombre des espèces a recu le nom de loris, de ja 
teinte de leur plumage, La Nouvelle-Bretagne, là 
Nouvelle-frlande, de même sans doute que les iles 
Bouka et Bougainville, partagent une portion des 
espèces de ce riche groupe, qui surtout est très ré- 
pandu à la Nouvelle-Hollande. L’aualogie des espè- 
ces de perroquets est tellement grande entre la 
Polynésie et l'Australie que nous ne pouvons nous 
refuser à en citer quelques exemples. Ainsi l’ara à 
trompe (Psittacus Goliuth, KunL) est remplacé par 
les kakatoès noirs ( Psittacus Bunksitet funereus, 
SHAw ), tandis que le kakatoëès blanc à huppe jaune 
est aussi abondant aux Moluques que dans les envi- 
rons de Port-Jackson. Les perroquets et les perru- 
ches , qu’on sait ne point s’avancer à l’extrémité sud 
de l’Afrique, et qui n’ont qu'une ou deux espèces 
égarées dans les pampas de la Patagonie, sont bien 
autrement mullipliés sur les terres australes. Leurs 
espèces belles et nombreuses peuplent Ja Nou- 
velle-Galles et la terre de Diémen. Ce dernier point 
du globe à même offert un ordre qui lui est particu- 
lier, celui des perruches-ingambes. La Nouvelle- 
Zélande a ses perroquets propres, dont le nestor 
est sans contredit le plus remarquable. Mais il n’y 
a pas jusqu'aux îles Macquarie et Campbell, par 
cinquante-deux degrés de latitude sud , qui n’aient 
également leurs espèces ; et certainement on eût été 
bien éloigné, il y a peu d’années, d'admettre que 
ces oiseaux eussent leurs représentants dans de si 
hautes latitudes. Malgré l’étrangeté de forme que le 
sol sec de la Nouvelle-Hollande a imprimée à tous 
les êtres, et plus particulièrement aux oiseaux que 
les naturalistes européens eurent à étudier de 1788 
jusqu’à nos jours, on trouve cependant tous les types 
des espèces qui y sont les plus abondantes dans les 
archipels d'Asie. Tels sont surtout le cygne noir, 
lémiou( asuarius), qui diffère peu du casoar à cas- 
que des Moluques, le philédon moine, et la perru- 
che des montagnes Bleues, dont toutes les nuances 
semblent appartenir à la perruche ornée, etc., ete. 
D'un autre côté, il est vrai, rien ne nous rappelle 
ailleurs et le s-ytrops et le céréopsis. La plupart des 
oiseaux voisins des merles ont, sur ce continent, 
offert la singulière organisation de présenter l’ex- 
trémité de la langue hérissée de longues papilles roi- 
des , pénicillées, destinées à sucer les sucs miellés 
qui exsudent des fleurs d’un très grand nombre 
d'arbres aromatiques dont tous les fruitssontligneux. 
Presque tous sont remarquables par quelques autres 
singularités ; M. Cuvier lesa réunis pour eu former 
le genre philédon. Mais le beau merle à cravate 
frisée (1) habite seulement la Nouvelle-Zélande, et 
c’est à tort qu’on l’a indiqué comme propre à la Nou- 
velle-Hollande. Ces deux grandes îles; si opposées 
CN : 


". (1) Poé de Cook, philedon circinnatus des auteurs. 


Le 


12 


à l'Australie par l'aspect et la végétation, ont éga- 
lement le casoar, s’il faut en croire les naturels ; 
mars tous les autres oiseaux terrestres diffèrent 
absolument. 

Les iles de Norfolk et de la Nouvelle-Calédonie 
ont aussi des espèces particulières, et surtout des 
cassicans. Les iles Sandwici: offrent quelques per- 
ruches-du genre psittacule et des héorotaires ; ce 
dernier genre se retrouve au Tonga et à Taïli, et 
dans plusieurs autres îles de l'Océanie. L’archipel 
de la Sociétéa la st rna alba . de Sparrman, deux 
belles perruches , l'évini (psittacus t tlensis), et 
le phigy, ainsi que le coucou tailien de Sparrman. 
Enfin, les Carolines hautes, et notammeut l'ile 
d’Oualan, ont plusieurs oiseaux des Mariannes et 
des Philippines, qui paroissent ne point avoir été 
au-delà du cent soixantième méridien. Ce sont un 
soui-manga rouge et brun, le pigeon océanique, et 
le merle des colombiers, si commun à Manille et à 
Guam. L'ornithologie ne peut donc être, pour les 
îles vraiment océaniennes, que d’un faible secours 
dans nos recherches ; car il seroit assez inutile de 
s’occuper des oiseaux organisés pour vivre à une 
certaine distance des côtes, ou même des échassiers 
qui fréquentent les grèves. Tant de causes peuvent 
les transporter d’un lieu dans un autre qu’il suffit 
qu'ils y trouvent leur subsistance pour s’y multi- 
plier. Nous dirons toutefois que le pluvier doré, le 
chevalier, les hérons blanc et ardoisé, se repré- 
sentent à peu près suntous les rivages de ces îles. 

Il seroit très difficile de pouvoir grouper les 
faits généraux de l’histoire des poissons, parce que 
trop de chainons manquent. Cependant l’ensemble 
de l’ichtyologie du Grand-Océan, des mers d’Asieet 
des Indes, se compose presque entièrement d’es- 
pèces analogues. C’est ainsi que nous avons re- 
trouvé à l’île de Franceun grand nombre de poissons 
de Taïti, et que nous avons pu très souvent les 
suivre d’archipel en archipel. On doit donc conclure 
que les espèces sont identiques, depuis les Mar- 
quises jusqu'à Madagascar, dans les mers situées 
dans la zone équatoriale, et qu’il en est de même 
pour les parallèles placés hors du tropique du ca- 
pricorne. La plupart des poissons de la Nouvelle- 
Zélande, en eflet, sont les mêmes que ceux des 


- côtes de la terre de Diémen ou de la Nouvelle- 


Galles du Sud; et l’on sait, par exemple, que la 
Chimère antarclique se retrouve à l'extrémité des 
trois grands caps avancés du globe, ceux de Horn, 
de Diémen et de Bonne-Espérance , et semble être 
fixée dans les mers qui sont renfermées dans l’in- 
tervalle du soixantième au trente-cinquième degré 
de latitude sud. Entre les tropiques, les récifs de 
coraux, qui, par les riches couleurs des polypes 
qui les habitent, ou les innombrables zo0phytes 
qui y pullulent, forment comme des parters S sous 


…, F, 


HISTOIRE NATURELLE 


marins enchanteurs, sont habités par des poissons 
revêtus des plus brillantes parures, et dont l'éclat 
est vraiment fantastique : ce sont surtout des gi- 
relles nombreuses, des chelmons, des ballistes, des 
serrans, des pomacentres, etc. ; tandis que, sur ces 
mêmes récifs, que recouvre à marée basse très peu 
d’eau, negent en rampant les nombreuses tribus 
des murénophis et des ophisures. Mais plus on 
s’engage dans les canaux étroits et sans cesse ré- 
chauffés par le soleil équatorial, qui séparent en 
tout sens les iles innombrables de la Polynésie, 
plus le nombre des poissons augmente ; et là seule- 
ment on «serve certains genres ou certaines espè- 
ces qui n'existent sur aucun autre point. Le squale 
à ailerons noirs ne vit que dans les Moluques et sur 
les côtes de la Nouvelle-Guinée : il en est de même 
de quelques aleutères, du diacope macolor, de 
quelques acanthures, de la lophie histrion, etc., etc. 
Dans toutes nos relâches, depuis Oualan et le Port- 
Praslin jusqu’à Java, nous observämes le nason 
licorue!, des scombres, des priacanthes identi- 
ques, elc. 

La partie intertropicale de l'Océanie est très 
pauvre en testacés. Plus on se rapproche des iles 
de la Polynésie, plus le nombre des espèces s'ac- 
croit d’une manière rapide. On doit donc supposer 
que les plages de sables uniformes de cesiles de 
l’Asie orientale, et leurs eaux peu profondes, et par 
conséquent plus faciles à échaufler, renferment 
toutes les conditions favorables pour la multiplica- 
tion facile des belles espèces qu’on y trouve. À 
Taïñi, comme à Borabora, on n'’observe guère 
qu’une sorte d’arche, la vis-tigre, la cérithe blan- 
che, l’ovule, les porcelaines, la mitre-épiscopale, 
le cadran - escalier, etc.; et ces mollusques, ainsi 
que l’aronde aux perles, la tridacne-bénitier, le 
murex-chicorée, le ptérocère, la harpe, des rou- 
leaux, etc., etc., se retrouvent, sans exception, 
sur toutes les îles océaniennes et polynésiennes, 
jusqu’à l’île Maurice inclusivement, et sont égale- 
ment observés sur les iles africaines de la mer des 
Indes. Mais aux Moluques particulièrement, dont 
les baies sont paisibles et abritées, où la mer ne 
brise point avec fureur, où de longues plagès Sa- 
blonneuses déclives permettent à des testacés fragi- 
les de vivre sans compromettre leur existence, 
naissent et se développent de précieuses coquilles , 
telles que la carinaire vitrée, ces nautiles papyra- 
cés, ce scalata si recherché, etc., etc. Sur toutes les 
grèves nous trouvâämes en abondance et la volute 
éthiopienne et l’argonaute flambé rejeté par les 
vagues; ce qui autorise à penser que ce céphalo- 
pode, extrêmement commun, ne vit qu'à une cer- 
taine profondeur. Les nautiles, qu’on retrouve 


\l . » je 
dans plusieurs mers, et notamment dans la Médi- 
.(erranée, et qui s’y sont propagés sans doute à 


DE L'HOMME. 13 


l’époque où cette mer coinmuniquoit avec la mer 
Rouge et la mer des Indes, alors que n’existoit 
point l’isthme de Suez, ont une espèce qui les re- 
présente, même dans le sud de la Nouvelle - Hol- 
lande; car c’est dans le détroit de Bass qu’on ob- 
serve communément le beau nautile dit à grains de 
riz, dont la patrie a long-temps été ignorée. En dé- 
passant le tropique du capricorne, les mollusques 
ne sont plus les mêmes : leurs espèces sont pro- 
pres à tel ou tel point, d’où elles ne s’écartent 
guère ; et c’est ainsi que l'extrémité australe de 
PAmérique à des espèces très remarquables qu’on 
ne retrouve point ailleurs, telles que les moules, 
des monocéros, le concholépas entre autres, et que 
la Nouvelle-Zélande, comme la terre de Diémen et 
la Nouvelle Hollande, ont des genres qui leur sont 
propres et remarquables par leur rareté plus ou 
moins grande dans nos collections. C’est alors que 
seroit rigoureusement applicable cet aphorisme 
trop vague de Péron (1) : « Qu'il n’est pas une 
» seule espèce d'animaux marins bien connue qui, 
» véritable cosmopolite, soit indistinctement propre 
» à toutes les parties du globe ; et que les animaux 
» originaires des pays froids ne sauroient s’avancer 
» impunément jusqu’au milieu des zones brûlantes. » 
D’après l'indication sommaire que nous avons 
présentée de toutes ces îles , on a dû préjuger que 
les crustacés étoient, à peu d’exceptions près, iden- 
tiques. Ce n’est guère que sur les côtes de la Nou- 
velle-Guinéeet au milieu des Moluques que vivent 
ces singuliers phyllosomes au corps aplati et na- 
cré, et les smerdis et les aluna, qui rendent parfois 
la mer étincelante par les feux qu’ils émettent sans 
interruption. Il en est de même des insectes : ils 
sont très rares sur toutes les îles de la mer du Sud, 
et se bornent communément à quelques diptères , 
à quelques papillons qui sont indiens, et qu’on 
rencontre aux Moluques. C’est ce qui a fait dire 
au plus profond entomologiste de notre époque, à 
M. Latreille ( Géographie des Insectes, in-+, 
pag. 181 ) : « Plusieurs des îles de la Nouvelle-Zé- 
- » lande, de la Nouvelle-Calédonie et des mers cir- 
» convoisines , sont américaines par leur position 
» géographique, et peuvent être asiatiques quant 
» aux productions animales et végétales de leur 
» sol. » Nous ajouterons, comme fait particulier , 
que partout, sur les eaux du vaste océan Pacifique, 
en dedans comme en dehors des tropiques, nous 
avons observé le veliu oceanica, insecte de la tribu 
des plotères , mentionné par Eschscholtz près de 
Pile de Pâques, et qui couvre la mer, par les temps 
de calme, loin des terres, comme proche de Taiti, 


() Notice sur l'habitation des animaux marins , 
chap. xxxix, L. IV, pag. 273 du Voyage aux terres 
australes, seconde édition. 


de la Nouvelle-Irlande, ou de tout autre point. 

Nous avons esquissé à grands traits le sol des 
contrées dont nous devons maintenant essayer 
de peindre les habitants : ce sera l’objet de ce 
livre. 

L'homme et les variétés qui en composent les 
races diverses sont sans doute le sujet le plus vaste 
et le plus intéressant dont puissent traiter les 
sciences naturelles, la philosophie et la morale (1). 
Cette étude à de tout temps occupé quelquesesprits 
supérieurs , qui cherchèrent à mettre à la portée 
de leurs contemporains cette pensée sublime de 
Solon , inscrite sur le temple d'Ephèse : Nusce te 
ipsum. Mais, à cet égard, les modernes (?)ont bien 
surpassé les anciens, réduits à des relations exté- 
rieures bornées, et chez lesquels le peu de progrès 
des sciences naturelles ne permettoit d’envisager 
une telle question qu’obscurcie par de vains so- 
phismes. Nous nous abstiendrons ici de toute ex- 
cursion extérieure , et nous ne chercherons qu'à 
ajouter quelques faits susceptibles d’éclaireir l’ais- 
toire des peuples que nous avons visités ; car cha- 
que jour leur physionomie originelle disparoît par 
des relations journalières avec d’autres nations. Le 
croisement des races, de nouveaux usages, de nou- 
velles habitudes, ne peuvent manquer d’apporter 
dans un laps de temps peu considérable des chan- 
gements qui déjà effacent chaque jour ce qui suh- 
sistoit de leurs anciennes traditions. Au premier 
coup d’æil on pourroit croire qu’il n’est point dif- 
ficile de tracer le tableau physique et moral de ces 
peuples, puisque les voyageurs ont recueilli sur la 
plupart de nombreux documents publiés dans tou- 
tes les langues. Depuis Bougainville, Biron, Wal- 
lis Carteret et Cook, en effet, peu d'années se 
sont écoulées sans que des expéditions aient visité 
ces insulaires : desétablissements permanents d'Eu- 
ropéens ont été fondés au milieu d’eux ; et cepen- 


{) « La science la plus intéressante et la plus impor- 
» tante pour l'homme est celle de l'homme même.» 
(Marsden , Hist. of Sumatra.) 

&) Pour l'homme , considéré en général comme pre- 
mier être zoologique, consultez Linnæus ( Systema 
nature, ed. 13, eur. Gmelin); Blamenbach ( De Gçene- 
ris humani varietate nativa, Gættingen, 1795, troi- 
siéme édition, in 80): Bulfon ( Hist. de l'homme); 
G. Cuvier { Tabl. élém. d'hist. nat., et Règne animal) ; 
Lacépède ( Diction. des scienc. nat.): Virey (Dict. des 
sciences médic., et Histoire naturelle du genre hu- 
main, 3 vol.in 8,182% , seconde éditiou }; Desmou- 
lins (Journal de physiologie, 1825), et le coloncl 
Bory de Saint-Vincent Dict. class d'hist. nat ,L \HI). 
Parmi les travaux remarquables sur l'angle facial elles 
diverses modifications qu'éprouve, suivant les races, la 
capacité du crâne, voyez Wolterus Henriçus Cruil (Dis- 
sertatio anthropologico-medica inauguralis de cranio, 
ejusque ad faciem ratione, elc., thèse in-8°, 14 juin 
1810 , Groningæ }). 4 


14 HISTOIRE NATURELLE 


dant nous ne possédons encore que des esquisses 
fort imparfaites sur cette matière. Une telle ques- 
tion mérite bien aujourd’hui d’être éclaircie; et 
peut-être le gouvernement qui ordonneroit une 
expédition dans ce seul but serviroit-il plus eflica- 
cement les sciences qu’on ne le pense communé- 
ment (!). N’est-il pasétonnant d’ailleurs que la ques- 
tion (2) sur les Océaniens, mise au concours par la 
Société de géographie, soit restée plusieurs années 
de suite sans réponse , et qu’on n’ait point encore 
cherché à la résoudre ? Mais voilà , à notre avis, 
où git la difficulté. Comment faire concorder les 
observations de tous genres consignées dans des 
relations écrites par leurs auteurs avec un mérite 
très variable , des principes diflérents , et souvent 
sous l'influence de sensations opposées ? Le savant 
qui voudra coordonner dans son cabinet ce qu'ont 
dit les voyageurs sur les races des insulaires de 
l'océan Pacifique, sur leurs migrations ; qui es- 
saiera de suivre la filiation de leurs idées , de leurs 
arts, ou les types de leur organisation , ne doit-il 
pas reculer devant la divergence des opinions et 
rester indécis au milieu des erreurs ou des incer- 
titudes dont rien ne peut le dégager ? Aussi cet 
écueil est tel que la plupart des écrits relatifs à 
l'homme , et il en est où se montre la plus vaste 
érudition , sont pleins de rapprochements erronés 
qu’il étoit impossible d'éviter. Malgré les connois- 
sances dont nous sommes redevables à Forster, à 
de Chamisso, à sir Raflles, et au docteur Leyden ; 
malgré des descriptions complètes et détaillées de 
plusieurs iles où séjournèrent long-temps des Eu- 
ropéens , tant de chaîuons manquent et interrom- 
pent le récit des faits qui doivent lier par une con- 
tinuité de rapports les peuplades les unes aux au- 
tres, que nous ne pouvons généraliser encore que 
les traits les plus saillants de leur histoire. Ce 
n’est donc, dans l’état actuel des choses, qu’une 
esquisse très imparfaite qu’il nous est possible de 


(:) On sait que la pensée dominante de Péron, de 
celte âme de feu sitôt enlevée aux sciences, étoit d'é- 
crire une histoire de l'homme, pour laquelle il avoit 
déjà rassemblé des notes qui ont élé égarées après sa 
mort. 

{2) Elle est ainsi conçue : « Rechercher l’origine des 
divers peuples répandus dans l'Océanie ou les îles du 
Grand-Océan situées au sud-est du continent d'Asie , en 
examinant les différences et lesressemblances qui exis- 
tententre eux et avec les autres peuples sous le rapport 
de la configuration et de la constitution physique, des 
mœurs, des usages, des institutions civiles et religieu- 
ses, des traditions et des monuments; en comparant 
les éléments des langues relativement à l'analogie des 
mots et aux formes grammalicales, et en prenant en 
considération les moyens de communication d'après 
les positions géographiques, les vents régnants, les 
courants, et l’état de la navigation. » 


présenter : le seul mérite qu’elle pourra avoir sera 
d’être basée en grande partie sur des observations 
faites pendant notre campagne , ou parfois em- 
pruntées à quelques voyageurs dont le talent d’ob- 
servation est généralement reconnu. Rs. 

Les sources où l'on peut puiser pour étudier 
l’organisation et les mœurs des peuples de l’Océa- 
nie, de la Polynésie et de l’Australie, ne sont point 
nombreuses. Forster (!), le premier , traça d’une 
main habile le vaste cadre des productions des 
terres du Grand-Océan, et des insulaires qui y vi- 
vent. Combien l’on doit regretter que le cours de 
l'expédition ne l'ait pas mis à même de voir un 
plus grand nombre de points, et de suivre le fil 
des idées qu’il avoit émises avec tant de succès sur 
les lieux qu’il visita ! Forster ne distingue que deux 
variétés dans l'espèce humaine de l’océan Pacifique, 
l’une blanche et l’autre noire; mais il établit à cha- 
que ligne cette pensée fondamentale, que l’homme 
ne constitue qu’une espèce unique, dont les variétés 
se sont propagées à la longue, ou se sont transmises 
intactes , ou ont été modifiées par l'influence des 
croisements ou par une foule de causes locales: On 
ne devroit en effet adopter les distinctions de races 
ou d’espèces que comme des moyens artificiels des- 
tinés à préciser nos idées dans l'étude de l’homme, 
et à lä rendre plus facile. M. de Chamisso (?) plus 
récemment écrivit sur le même sujet, et, s’en- 
tourant de toutes les ressources d’une érudition ri- 
che et féconde , il emprunta aux langues parlées 
par les divers peuples ses principales lumières 
pour remonter à leur origine (#). Enfin, si la race 
malaise, circonscrite dans des bornes plus étroites, 
a été mieux connue, on le doit aux travaux de sir 
Raffles (*), de Marsden (°), de Crawfurd , et de 
Leyden (f), qui séjournèrent au milieu d'elle , et 
qui en firent l’objet de recherches approfondies. 
Le long séjour de M. Mariner (°) aux iles de Tonga 


() Cook, Deuxième Voyage, t. V et VI, édit. in-8» , 
Paris, 1778, ou !. V,in-4o, sous Île litre d’'Observa- 
tions faites pendant le Second Voyage de Cook dans 
l'hémisphère austral et autour du monde, elc. 


(2) À Voyage of discovery into the South-sea, and 
Beering's straits, elc. By Otto von Kotzebue, L.If, 
pag. 353. 

(3) M. Balbi, dans un ouvrage important intitulé Atlas 
ethnographique du globe, récemment publié, vient de 
classer les langues de tous les peuples de la terre, qu’il 
réunit ainsi par l’analogie des idiomes et des racines, 
des coutumes et des usages. 

(4 History of Java, 2 vol. in-40. 

(5) Voyage à l'île de Sumatra, traduit par Parraud, 
2 vol.in-8o, Paris, 1794. 

(6) Notice sur Bornéo (Transact. bataves, t. VIT), et 
dans divers Mémoires sur les peuples de l'Inde, insé- 
rés dans les recueils de la Société asiaslique de Calcutta. 

() Histoire des naturels des îles Tonga ou des 


DE L'HOMME, 


a d’un autre côté fait connoître ces naturels de ma- 
nière à ne rien laisser à désirer , et les documents 
que nous fournit une habitation plus ou moins lon- 

ue au milieu des Océaniens s’accroissent journel- 
Pa des travaux de quelques missionnaires an- 
glois plus instruits que leurs collègues; et, sous ce 
rapport, la grammaire zélandoise de M. Kendall (1) 
rend les plus grands services au philologue, en 
même temps qu’elle éclaircit plusieurs des habitu- 
des et des usages de ce peuple singulier. 

Sans donner une grande importance au tableau 
suivant, nous grouperons les divers Océaniens à 
aide de distinctions spéciliques dont les noms, 
communément adoptés , n'ont d’ailleurs à nos yeux 
aucune valeur absolue qui puisse répugner à l’in- 


> ligence, 


Hab. les archipels nom- 
breux des [ndes-orien- 
tales ou de la Polynésie. 


1er rameau.MALAIS, 
| Hab. les iles innombra- 


{errace, HIN- 
DOUÉCAU - 
CASIQUE, À 2e ram. OCÉANIEN , 


bles et éparses comme 
au hasard au milieu 
de lPimmense surface 
du Grand-Océan. 
Hab. la longue suite des 


‘Eu ram. . MONGOL- | archipelsdes Carolines, 
2erace, MON- PÉLAGIEN OU CA- depuis les Philippines 
GOLIQUE. ( ROLIN, jusqu'aux îles Mulgra- 
ves. 
/ re var,, papoue, 
Hab. le littoral de la 


Nouvelle-Guinée etdes 

iles des Papous. 

2e var., tasmanienne, 
Hab. la terre debiémen. 

Î1re yar., endamène, 
Habitant l’intérieur des 

grandes îles de la Po- 

lynésie et de la Nou- 

velle-Guinée. 

2e var., australienne, 
Hab. le continent entie: 

de la Nouv.-Hollande 


4e rameaut. CAFRO- 
MADÉCASSE, 


3er, NOIRE 


ÿe rameau. ALFOU- 
ROUS, 


I, DES MALAIS. 


La conformation physique et l’habitude générale 
de ces peuples a porté quelques auteurs à les distin- 
guer, parmi les variétés de l’espèce humaine, sous 
le nom de race malaise. Ils nous paroissent être un 
simple rameau détaché de la grande famille hin- 
doue caucasique, mélangé au sang mongol et fixé 
sur les îles polynésiennes depuis leur éloignement 
du continent d'Asie ; car l’opinion des orientalistes 
les plus éclairés leur donne pour patrie primitive 
la Tartarie ou le royaume d’A va. Disséminés en un 
grand nombre de petits Etats, les Malais (2?) qui 


Amis , rédigée par John Martin, traduct. franc. , 2 vol. 
in-8e, Paris, 1817. 

. () À Grammar and Vocabulary of the language of 
New-Zealand, published by the Church-Missionary 
Society, in-12 , London, 4820. 

(°) Consultez l'excellent tableau intitulé: Mœurs et 


à 


15 


peuplèrent les grandes îles conservèrent sur les 
unes les traditions de leurs ancêtres, ailleurs les 
modifièrent ou les dénaturèrent, se créèrent de 
nouvelles idées , et pratiquèrent des coutumes 
différentes. Tous cependant, quelle que soit la dis- 
persion de leurs tribus, conservent une forme ty- 
pique caractérisée et dans l’ensemble de leur orga- 
nisation et dans leurs mœurs. Mais ces peuples, 
qu’on a dit si faussement être répandus sur toutes 
les îles du Grand-Océan, ne dépassèrent jamais les 
îles Tidoriennes, les plus orientales des Moluques ; 
et quelques traces de leur fusion dans le Grand- 
Océan se font remarquer seulement à la Nouvelle- 
Guinée , où le commerce les a attirés dans ces der- 
niers temps, et aux Philippines, où ils ont fondé 
une petite colonie à Marigondo, sur les bords de la 
grande baie de Manille (Chamisso). Le rameau ma- 
lais est bien loin d’être à nos yeux, comme le veut 
l'opinion reçue. la souche des Taïtiens, des Sand- 
wichiens , des Mendocins, et des Nouveaux-Zélan- 
dois ; et on ne reconnoit dans ces peuples ni Ja 
même conformation physique, nulle analogie dans 
la langue, nulle ressemblance dans la tradition, 
les arts et les usages. Le seul point de rapproche- 
ment seroit une sorte d’identité de croyance reli- 
gieuse ; mais chez ces rameaux distincts et d’une 
même origine ce fait n’a rien de remarquable : il 
indique que tous les deux ont conservé les tradi- 
tions indiennes. 

Les Malais, dont l'existence politique est mo- 
derne dans l’histoire de l'Asie, et dont les légendes 
de Malacca et quelques écrits anciens nous mettent 
à même de suivre les traces obscures et quelques 
unes des migrations, ne sont bien connus que de- 
puis le douzième siècle, où queïques unes de leurs 
tribus émigrèrent de Menang-Kabou, la capitale 
des Etats malais à Sumatra, étendirent leurs con- 
quêtes, fondèrent Singhapora , leur premier éta- 
blissement sur la terre ferme, et placèrent le siége 
de leur principale autorité à Johor, sur la presqu’ile 
de Malacca. Ces peuples, avides de gain et de 
guerre, s’'adonnèrent particulièrement au commerce; 
et par leurs communications avec les Maures de la 
mer Rouge ils recurent avec lenteur et successive- 
ment quelques coutumes arabes, et surtout l’isla- 
misme (1). Chez eux la navigation se perfectionna, 
les richesses s’accumulèrent , et des envabissements 
successifs vinrent chasser les habitants de la plu- 


usayes des habitants de Timor, par Péron et de Frey- 
cinet,t. IV, pag. 4 du Voyage de découvertes aux 
terres australes, seconde édition. 

(‘) Marco-Polo (édit. in-#°, page 1492) dit de Ferlec 
et du petit Java : « Sous Magat cette ile fut habitée par 
» des marchands sarrasins qui jouissent des prérogati- 
» ves de citoyens, et qui les ont convertis à la foi mu- 
» sulmane, Ils vivent seulement dans la ville.» 


16 HISTOIRE NATURELLE 


part des iles orientales ; car telle est la manière 
dont les Malais s’emparèrent du littoral de la plu- 
part de ces terres, en reléguant dans l'intérieur les 
anciens propriétaires ou en les exterminant. Cet état 
de cioses est démontré d’une manière évidente par 
ce qu’on sait de l'élévation de plusieurs Etats malais 
de Bornéo, de Célèbes, et de Timor ; et les histo- 
riens des îles de l’est sont remplis de documents 
qui prouvent la continuelle fusion des Malais sur 
les îles de la Polynésie. Mais sur toutes celles dont 
les Européens n’ont pas fait la conquête, les mon- 
tagnes de l’intérieur sont peuplées par des tribus 
tantôt noires, tantôt jaunâtres, qui, confondues 
sous les noms d’Alfours. Alfo:ézes, Alfourous , ont 
été l’objet des opinions les plus contradictoires et 
les plus absurdes. C’est ainsi que dans les Moluques 
les Hollandois qui y sont établis n’en ont point une 
idée distincte, et qu'ils en font la peinture la plus 
hideuse en nommant sans distinction Papouas les 
habitants de l’est, Battas ceux de l’ouest, et iduans 
ceux de Bornéo, quoiqu’ils appartiennent d’ailleurs 
évidemment à des races différentes. Or ces peuples, 
ainsi refoulés, sans cesse expulsés par des hommes 
qui tenoient de l’Inde la coutume de faire des es- 
claves et de les vendre, sont restés stationnaires 
dans leurs idées. Ils ont fui les nouveau- venus, 
qui, les chassant de leur territoire, les opprimoient ; 
et, séparés d'eux par des remparts naturels et puis- 
sants, leur existence est restée inconnue des Euro- 
péens : ou ce qu’on en sait est si imparfait , tant de 
fables obscurcissent les rapports qu’on a obtenus 
de quelques Malais qui trafiquent avec eux, qu'on 
ne peut faire aucun rapprochement positif, soit 
d’après leurs habitudes ou leurs mœurs, soit d’après 
leur organisation. 

Le rameau malais, depuis long-temps mélangé au 
sang arabe, a toujours conservé un type caractéris- 
tique, quoiqu'il présente quelques variétés assez 
distinctes. Une des plus remarquables est sans con- 
tredit ceile des Jurans. Assemblés naguère en 
corps de nation, les habitants de Java formèrent des 
Etats populeux, et conser vèrent pendant long-temps 
les traditions de l’Inde : ce qui nous est prouvé par 
les ruines d’un grand nombre de monuments im- 
posants qui subsistent encore sur cette grande et 
belle île, par le faste des cours des sultans et des 
sousounangs, par les objets de leur culte et leurs 
divers emblèmes. Toutes les îles ervironnantes 
d’ailleurs, avant l’arrivée des Portugais dans l’Inde, 
qui date de 1497, malgré les habitudes locales, 
avoient les mêmes formes de gouvernement , sui- 
voient les mêmes coutumes, se servoient des 
mêmes litres : tels étoient surtout les Etats de Cé- 
lèbes, de Tidor, de Ternate, de Soulou, de Bor- 


(:) Les Malais de Banjer-Massin, royaume de Bornéo, 


néo (1), de Sumatra, etc. Java seule paroissoit en 
entier soumise à la même race humaine : aussi 
doit-on, à bien dire, la considérer comme colonisée 
par l'Inde bien avant les autres terres. Mais il n’en 
est pas de même des îles que nous venons de nom- 
mer ; et voilà ce qui explique comment le rameau 
malais se trouve réduit à n’y occuper que le littoral, 
tandis que l’intérieur est peuplé par les plus anciens 
propriétaires, avec lesquels ils ne se sont presque 
jamais mêlés. Cette explication de la manière dont 
les Malais se sont emparés du sol qui leur parois- 
soit avantageux est tellement satisfaisante qu’an ne 
voit jamais en effet qu’ils aient assis leurs campongs 
ou villes ailleurs que sur les bords des grandes baies, 
ou sur les rives des fleuves navigables. C’est princi- 
palement à Céram, à Bourou, qu’on peut observer Pi- 
solement dans lequel vivent réciproquement les Ma- 
lais et les naturels de l’intérieur ou les Alfourous. 
Ceux-ci conservent intacts et purs la langue et les 
usages qui leur furent transmis par leurs pères. 
Leur existence se borne au cercle étroit d’un petit 
nombre d’idées qui leur suffisent : etleurs mœurs se 
ressentent naturellement de cet isolement, et con- 
servent cette férocité de l’homme grossier primitif. 

Dans les iles soumises aux Européens on con- 
çcoit que les Malais ont subi des modifications, et 
qu'ils ont pris par leurs rapports continuels avec 
divers peuples, et surtout avec les émigrations chi- 
noises, des habitudes qui ne leur étoient point natu- 
relles. Elles sont en petit nombre toutefois, mais 
le type malais dans toute sa pureté se retrouve dans 
les iles où il a conservé son indépendance, telles 
que Guebé, Oby, Gilolo ou Halamahira, Flores, 
Lombok, Bali, etc. Cependant, quoique le Javanois 
soit la branche la plus distincte du Malais, on ne 
peut se dispenser de reconnoîitre quelques nuances 
entre l’Amboinois naturel, le Timorien, le Macas- 
sar et le Rudgis ; mais toujours est-il vrai de dire 
que ces caractères sont peu saillants, et ne déran- 
gent aucun trait de l’ensemble typique. 

Les Malais, dans tous leurs gouvernements, ont 
consacré la forme despotique des Indiens. La per- 
sonne de leurs sullans ou de leurs rajahs est 
sacrée, et la vénération la plus profonde ou une hu- 
milité servile leur prodigue des hommages qui tien- 
nent aux coutumes d'Orient. La perfidie la plus 
noire, la duplicité, une soif ardente de vengeance 
qui naît avec d’autant plus de violence sous des 
lois oppressives qu’elle est plus concentrée, carac- 


suivant sir Raffles, possédoient des attributs indiens, 
Lels que les figures d'Ishwara, des empreintes de lawa- 
che et de l'éléphant, qui attestent leur ligne primor- 
diale. Hs font descendre leurs ancêtres de Johor même, 
sur la presqu'île de Malacca, suivant le docte Leyden 
{ Trans. bat., t. VIL), qui ajoute que Ie javanois pur a 
les plus grands rapports avec le sanskrit, 


DE L'HOMME. 17 


térisent ces peuples : la mauvaise foi malaise est 
aussi célèbre que le fut jadis celle des Carthaginois, 
et nos relations sont remplies d’actes d’assassinats 
et de trahisons des Malais, qui ont toujours exercé 
la piraterie avec un goût décidé. Fanatisés par la 
religion mahométane, dont ils reçurent les dogmes 
tout en conservant un très grand nombre de céré- 
monies hindoues, ces peuples ont surtout adopté la 
polygamie et les préceptes. les plus vulgaires du 
Coran, sans être cependant très rigoristes sur leur 
exacte observance. En suivant les diverses familles 
éparses de ce rameau, les usages ne présentent en 
effet que très peu de différences ; et si nous exami- 
nons leur manière de s’habiller, nous verrons par- 
tout les chefs richement vêtus à l’orientale , tandis 
que les gens du peuple ne voilent une complète nu- 
dité que par quelque légère portion d’étoffe. Le 
turban, le sarong, ou un large pagne, composent 
en grande partie tout l’habillement d’un orang caya 
ou d’un homme de la classe fortunée. 

Les Malais sont adonnés à la sensualité, et leur 
jalousie est extrême. Ils ont le cœur avili et cor- 
rompu, et les débauches auxquelles ils se livrent 
sont inouïes, au dire de tous ceux qui ont été à 
même d’en dévoiler les turpitudes ; et, sous ce rap- 
port, les Chinois et les Japonois sont leurs seuls 
rivaux. C’est chez eux que les analeptiques de 
toutes les sortes jouissent d’une vogue générale, et 
que se consomment surtout l’opium, les trépangs , 
et les nids d’oiseaux. Un usage qui paroît leur être 
propre est celui de mâcher le bétel. Ce sialagogue 
bien connu, et qu’il seroit inutile de décrire, leur 
procure des sensations agréables ; et ce mélange est 
un besoin très vif pour les deux sexes, qui l’ont 
constamment à la bouche. On retrouve cependant 
l'habitude de se servir de cet excitant des membra- 
nes huccales chez les peuples de race noire de la 
Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-Irlande; mais 
nul doute qu’elle ne provienne de communications 
entre les peuplades les plus voisines et de proche 
en proche. En remontant à la source de cette cou- 
tume, on la voit naître dans l’Inde et se propager 
en Cochinchine. Le Camoëns , dans une note de la 
Lusiade, a décrit le cérémonial suivi à la cour du 
zamorin de Calicut lorsqu'il présenta du bétel à 
Gama; cérémonial qui s’observe encore présente- 
ment dans toutes les réceptions d’apparat des sul- 
tans et des rajahs. Le bétel étoit autrefois, comme 
de nos jours, l'interprète des sentiments d’amour ; 
et c’est par l'offre du siri qu’une femme malaise dé- 
cèle ses secrètes pensées à celui qui en est l’objet. 
L'usage du bétel au reste n’a pu naître que sous 
l'équateur et sur les îles d'Asie , là où croissent en 
abondance et le pinang (areca) et le poivre, qui, 
unis à la chaux et souvent au cachou, en fournis- 
sent les principaux ingrédients, 

1. 


En dernière analyse il est bien reconnu aujour- 
d’hui par tous ceux qui ont le plus étudié l’histoire 
des Malais que le rameau qu’ils forment tirent son 
origine de la race répandue dans l'Inde, et qu’il est 
limité entre les quatre-vingt-douzième et cent 
trente-deuxième méridiens; que le point le plus 
éloigné où ils se soient avancés à l’ouest sont les 
côtes de Madagascar, où ils se mélangèrent aux 
Maures qui y abordoient par le nord en refoulant 
au sud les Nègres Vinzimbers, maintenant dissémi- 
néset probablement les premiers habitants de cette 
île immense; qu'ainsi ils formèrent les populations 
riveraines de toutes les îles des archipels de la Poly- 
nésie, telles que celles de la Sonde et des Moluques ; 
qu’ils se propagèrent sur une ou plusieurs des Phi- 
lippines; et qu’enfin quelques essaims aventurés 
s’avancèrent jusque sur les iles des Papous et au 
nord de la Nouvelle-Guinée, où ils fondèrent quel- 
ques villages, et s’y arrogèrent l'autorité. On trouve 
en effet des Malais à Waigiou , aux îles d’Arou, et 
dans le détroit de Dampier ; mais ils ne dépassèrent 
point le cent trente-deuxième méridien, ou, sils 
le firent, ce ne fut qu’accidentellement et sans 
projets. ; 

La conformation physique du rameau malais est 
aussi caractérisée que l’ensemble de leurs coutumes, 
de leurs mœurs et de leurs institutions. En général, 
les hommes de cette race sont remarquables par la 
médiocrité de leur taille et par la couleur jaune 
cuivré, mélangé d’une partie d’orangé, de leur 
peau (*). Les femmes surtout ont des proportions 
peu développées ; et dans plusieurs de nos relàches, 
soit à Amboïine, Bourou , Java, Madura et autres 
lieux, nous ne vimes que peu d’exceptions à ce fait. 
La taille commune des hommes est au plus de cinq 
pieds quatre ou cinq pouces ; mais il n’est pas rare 
d'en rencontrer qui aient davantage, et dont les 
proportions soient robustes. Les Malais sont en gé- 
néral bien faits , et leur système musculaire est des- 
siné avec vigueur. Les femmes ont des formes arron- 
dies et courtes, des mamelles volumineuses , une 
chevelure rude et très noire, une bouche très ou- 
verte, des dents qui seroient très belles si elles 
n'étoient pas noircies et corrodées par le bétel. Le 
caractère des deux sexes est inflammable, irascible, 
porté à la vengeance et à l’artifice, bas et rampant 
sous le joug du plus fort, barbare et sans pitié pour 
leurs ennemis ou leurs esclaves. 

Nous ne nous occuperons pas de la langue ma- 
laise, et des divers rapprochements qu’il seroit pos- 
sible d’y trouver. L'ouvrage de M. Marsden ne 


() M. Bory de Saint-Vincent dit que les membranes 
muqueuses des Malais ont une couleur fortement vio- 
lette. Ce fait intéressant, que nous avons négligé de 
vérifier, mérite bien de fixer l'attention des voyageurs 
futurs, 

o 


18 


HISTOIRE NATURELLE 


laisse rien à désirer, et prouve que, malgré ses divers | conservé avec une religieuse fidélité la physionomie 


idiomes, elle est parlée partout avec de très légères 
modifications locales. Douce, harmonieuse, et 
simple dans ses règles, la langue malaise est pleine 
de tournures orientales, et emploie souvent le style 
figuré. En recevant la religion des Arabes et leurs 
sciences, les Malais adoptèrent les caractères de 
leur alphabet et l’usage d'écrire de droite à gauche ; 
tandis que les habitants de Sumatra , les Javanois , 
et plusieurs autres peuples indiens, écrivent, comme 
les Européens, de gauche à droite 


II. DES OCÉANIENS (1). 


La variété de l'espèce humaine que nous nommons 
océanienne est remarquable par sa beauté, relative- 
ment aux autres rameaux dont nous aurons à parler 
ensuite ; c’est elle qui peuple la plus grande partie 
desiles de l'Océanie proprement dite, etque M. Bory 
de Saint-Vincent a nommée, dans son ingénieux 
travail sur l'Homme, race océanique. Son histoire, 
dans l’état actuel des choses, est satisfaisante à tra- 
cer ; car le long séjour des Européens sur plusieurs 
des îles de la mer du Sud, les nombreux voyages 
entrepris dans le but de les explorer, les vocabulaires 
qu’on a dressés des mots usités dans la lingue de 
chacune d'elles, permettent assurément de s'en for- 
mer une idée plus nette et beaucoup plus précise. 
Quant à Ja migration de ces insulaires de la source 
originelle, c’est là le point le plus difficile à expli- 
quer ; mais les hypothèses doivent se taire devant 
les faits : et puisque tout nous prouve que le cachet 
hindou est imprimé sur les hommes du rameau océa- 
nien , il seroit absurde de chercher trop minutieu- 
sement à expliquer comment ils se sont répandus 
sur ces terres séparées par de grands espaces de mer, 
et surtout contre la direction habituelle des vents 
régnants. Ce qu’on pourroit dire pour ou contre sans 
preuves certaines rentreroit dans le cas de ces nom- 
breuses conceptions plus ou moins ingénieuses qu’on 
peut attaquer et défendre avec des armes à peu près 
égales. 

La race océanienne se trouve occuper des îles sé- 
parées les unes des autres par d'immenses distances, 
au milieu du Grand-Océan ; et son existence est dé- 
montrée sur la plus grande partie des îles placées au 
sud-est de la Polynésie et à l’est de l'Australie. Les 
hommes de ce rameau, disséminés sur les îles vol- 
caniques ou madréporiques du tropique du Capricorne 
ou de la zone tempérée australe, ne paroissent avoir 
envoyé dans l'hémisphère nord et sous le tropique 
du Cancer qu’une seule colonie, qui a peuplélesiles 
Sandwich. Les insulaires de cet archipelen effetont 


(:) Mémoire lu à la socièlé d'histoire naturelle de Pa- 
ris en novembre 1825, 


de leurs pères, tandis que des hommes d’une autre 
race occupent évidemment les Philippines, les 
Mariannes, et la totalité du vaste archipel des 
Carolines. 

Les Océaniens, ainsi isolés, se sont répandus, 
sans éprouver que de bien légères modifications, sur 
les îles des Amis, de la Société : plus tard on les 
voit s'établir sur les récifs des îles basses, et la tra- 
dition de cette migration récente se conserve encore 
à Raïatea et à Borabora. Un essaim égaré s’est avancé 
jusque sur l'ile de Pâques (Pascha) (1); mais déjà 
ils étoient fixéssur lesiles de Mendana, Washington, 
Mangia, Rorotunga , Lady-Penrhyn , Sauvage, Ton- 
ga, et sur les terres de la Nouvelle-Zélande. La moi- 
tié environ de la population des Fidjis et des ilesdes 
Navigateurs appartient à ce rameau, qui s’arrêle au 
nord , d’après nos propres observations, sur l’ile de 
Rotouma (2). Supposer les Océaniensautocthones sur 
le sol qu’ils habitent seroit une exagération ridicule 
que tous les faits physiques démentiroient ; car leur 
établissement sur les îles de la mer du Sud doit être 
d’une époque bien récente par rapport aux âges du 
monde, et dater au plus des temps primitifs de la 
civilisation hindoue. L'organisation physique, leurs 
habitudes et leurs lois, leurs idées religieuses et la 
poésie qu’ils ont conservées, attestent cette origine ; 
et, quelle que soit la difficulté d’expliquer la des- 
cendance de ces peuples, toujours est-il vrai qu’on 
ne peut soutenir une opinion contraire sans heurter 
une analogie fort remarquable. Sur les îles de la Po- 
lynésie, que dürent traverser les premières migra- 
tions indiennes lorsqu'elles s’irradièrent du golfe de 
Siam et du Camboge, devroient rester toutefois quel- 
ques indices de ce passage. C’est ici, il faut l'avouer, 
que cette théorie est en défaut, et que les faits nous 
abandonnent complétement. Peut-être cependant les 
Océaniens pourroient-ils être représentés dans quel- 
ques unes de cesiles par cette belle race d’un blane 
jaunêtre mentionnée par des auteurs estimables, et 
qu’un état permanent d’hostilité a refoulée dans l’in- 
térieur. Cette question est sans contredit bien épi- 
neuse ; et, quoique nous ne cherchions nullement 
à la résoudre, nous soumettons avec confiance le 
rapprochement qu’il est possible de faire de ce pas- 
sage du savant docteur Leyden concernant les 


(5) « Les traits, les coutumes, et la langue du peuple 
» de l’île de Pâques , ont la plus grande affinité avec ce 
» qu’on observe dans les autres îles de la mer du Sud.» 
(Forster, t. 11, page 202, in-4o, Second Voyage de 
Coo%.) 

(2) Le capitaine Méares ( Voyage à la côte nord-ouest, 
t. II, page 360 ) observe que, sur les îles Freewil de 
Carteret, les habitants, quoique si voisins de la Nou- 
velle - Guinée , « ressembloient aux Sandwichiens, 
» avoient des pirogues construites de la même ma- 
» niére, et parloient absolument le même langage. » 


DE L'HOMME. 


Dayaks, habitants de l’intérieur de Bornéo : « Les 
» Dayaks ont un extérieur agréable, et sont mieux 
» faits que les Malais; leur physionomie est plus 
» délicate, le nez et le front sont plus élevés. Leurs 
» cheveux sont longs, roides et droits. Leurs fem- 
» mes sont jolies et gracieuses. Ils ont le corps cou- 
» vert de dessins tatoués. Leurs maisons sont assez 
» grandes pour que PIHSIEURS familles puissent les 
» habiter à la fois jusqu’à cent personnes. Dans la 
» construction de leurs pirogues, comme pour fabri- 
» quer divers ustensiles, les Dayaks déploient une 
» grande adresse. Ils reconnoissent la suprématie de 
» l'Ouvrier du monde, adorent quelques espèces 
» d'oiseaux, font des sacrifices d'esclaves à la mort 
» d'un chef, conservent les têtes de leurs enne- 
» mis, ete., etc. » En un mot ce tableau, peint à 
grands traits, est entièrement applicable aux 
Océaniens. 

L'opinion la plus probable est donc cellé-ci. Des 
peuples indiens et navigateurs, partant du golfe de 
Siam, s’avancèrent successivement d’ile en ile. Ils 
s'emparèrent des unes , et furentrepoussés des autres 
qu’occupoient des hommes de race noire. C’est ainsi 
qu’on les voit déjà aux Hébrides et à la Nouvelle- 
Calédonie se mélanger avec eux, et que même à la 
Nouvelle-Zélande, où les navigateurs modernes n’in- 
diquent que de vrais Océaniens , ceux plus anciens 
y trouvèrent une espèce hybride (t). Enfin on suit 
ce rameau sur les îles des Amis, Vasquez, Kerma- 
dec, s'étendant naturellement à l’est par les Fidiis, 
les îles des Navigateurs, les Roggeween, Palmers- 
ton, Scilly, Hervey, jusqu'aux îles de la Société ; 
s'irradiant de celles-ci sur les iles basses iusqu’à 
l’ile de Pâques, et, poussé par les vents de sud-est, 
se trouvant transporté aux Marquises , à Christmas, 
ct aux Sandwich (?). Qu'on ne pense point que de 
telles navigations ne soient qu’une fiction. Le hasard 
et les vents, en chassant au large un grand nombre 
de pirogues, en ont jeté quelques unessur desterres où 
leurs tribus ont ensuiteété s'établir ; et ces faits nous 
sont clairement démontrés par les expéditions des 
Carolins et des Océaniens, qui font annuellement 


(«Marion (Voyage aux Indes, par Rochon, p. 364) 
» n’a pas élé peu surpris de trouver à la Nouvelle-Zé- 
» lande trois espéces d'hommes tout-à-fait distinctes, 
» des blancs, des noirs et des jaunes. On suppose que 
» les noirs tirent leur origine de la Nouvelle-Guinée. et 
» que ceux a peau jaune descendent des Chinois.» Ma- 
rion a bien pu se tromper : cependant il est de fait que 
nous y vimes deux ou trois naturels très bruns, à che- 
velure laineuse et crépue. 

(2) Turnbull (Foyage autour du monde, in 8°, 1807, 
pag. 160) dit en parlant des Sandwichiens : « Il est assez 
» probable néanmoins que la plupart des îles de la mer 
» du Sud ont été peuplées à diverses époques par des 
» émigrants chassés de leur pays. Cela expliqueroit les 
» rapports de mœurs et de langues entre des contrées 
» qui ne paroissent avoir eu aucune communication. » 


13 


des trajets de cent cinquante à deux cents lieues 
dans leurs grandes pirogues de mer. Ces embarca= 
tions d’ailleurs sont très propres pour des naviga- 
tions lointaines; et nous en avons vu qui servoient 
aux naturels des îles basses pour leurs can pagnes 
habituelles, et dont les emménagements étoient pro- 
pres à de longues traversées sur mer sans commu- 
niquer. Bligh d’ailleurs a bien pu faire douze cents 
lieues dans une chaloupe non pontée! 

Le rameau océanien est supérieur à ceux qui for- 
ment avec lui la population des îles de la mer du 
Sud, par la régularité des traits ct par l’ensemble 
des formes corporelles. Les naturels qui lui appar- 
tiennent ont en général une haute stature et des sail- 
lies musculaires nettement dessinées, une tête belle 
et caractérisée, une physionomie mâle sur laquelle 
s’'épanouit ordinairement une feinte douceur, ou qui 
souvent décèle une férocité guerrière. Les yeux sont 
gros, à fleur de tête, protégés par d’épais sourcils. 
La couleur de la peau est d’un jaune clair, plus foncé 
chez les naturels habitués à chercher sur les coraux 
leurs moyens de subsistance , et beaucoup plus af- 
foibli chez les femmes. Les Océaniens ontaussile nez 
épaté, les narines dilatées, la bouche grande, les 
lèvres grosses, lesdents très blanches et très belles, 
et les oreilles singulièrement petites. Les femmes, 
quoique en général trop vantées, sont dans l’âge de 
puberté remarquables par une certaine élégance 
dans les traits , tels que des yeux grands et ouverts, 
des dents du plus bel émail, une peau douce et lisse, 
une longue chevelure noire qu’ellesarrangentdiver- 
sement , et un sein régulièrement demi-sphérique, 
mais toutefois mal faites dans l’ensemble du corps, 
et ayant comme les hommes une grande bouche, un 
nez épaté, une taille grosse et ramassée. La teinte 
de leur peau est d’ailleurs presque blanche. Les 
Labitants des îles de Mendoce (1) et de Rotouma 
sont, à ce qu'on rapporte, les Océaniens les mieux 
faits : viennent ensuite les Taïtiens, les Sandwi- 
chiens, les Tongas; et déjà la dégradation de la 
beauté chez les femmes est très sensible à la Nou- 
velle-Zélande, tandis au contraire que les hommes 

sont ps robustes et doués de formes plus athléti- 
ques qu'aucun autre peuple de la même race: 

Si nous suivons chacun de ces peuples insulaires 
dans l’ensemble de leurs habitudes . journalières, 
nous y remarquerons l’analogie la pla grande; et 


(:) Krusenstern, en parlant des insulaires des Mendo- 
ces, s'exprime ainsi: « Les femmes ont la tête belle, 
» plutôt arrondie qu'ovale, de grands yeux brillants , le 
» teint fleuri, de très belles dents, les cheveux bouclés 
» niturellement , etla teinte de leur peau est claire. Les 
» Noukahiviens, ajoute-t-il, sont de haute taille, bien 
» faits, robustes, doués de belles formes, et ayant les 
» traits-du visage réguliers. » ( Voyage autour du 
monde , de 1803 à 1806 , sur la Nadicjeda et la Ncva, 
2 vol. in-8o et atlas.) : 


20 HISTOIRE NATURELLE 


chez la plupart d’entre eux les mêmes circonstances 
sercproduiront avec des nuances, légères toutefois, 
: Ah amenées l'isolement et les localités (1). Ainsi, 
placés dans la zone intertropicale, les habitants des 
îles Marquises et des Sandwich ne se servent que 
de vêtements légers et imparfaits, ou ne portent 
qu'un pagne étroit ou maro; mais ils savent, 
comme les Taïtiens et de même que les insulaires de 
Rotouma et des Tonga, fabriquer avec l'écorce 
de l’aouté (broussonetia papyrifera ) une étoffe très 
fine réservée le plus ordinairement aux femmes, et 
des toiles plus grossières qu’ils retirent du liber de 
l'arbre à pain (artocarpus incisa) (?).Comme les natu- 
rels des îles de la Société, ïls les teignent en rouge 
très brillant avec les fruits d’an figuier sauvage 
( licus tinctoria, Forsr.), ou avec l'écorce du mo- 
rinda citrifolia,eten jaune fugace avee le cureuma. 
C’est avee un maillet quadrilatère et strié sur ses 
quatre faces que tous ces peuples faconnent leurs 
étoffes en frappant sur les écorces ramollies et invis- 
quées avec un gluten. Dans toutes lesiles que nous 
avons mentionnées on retrouve les mêmes procédés 
de fabrication , ainsi que l’art de les enduire d’une 
sorte de caoutchouc pour les rendre imperméables à 
la pluie. Certes de tels rapprochements ne sont point 
le résultat du hasard; ils doivent dériver des arts 
que pratiquoit naguère la souche de ces peuples, que 
nous verrons d’ailleurs rattachés les uns aux autres 
par des liens de parenté encore bien plus forts. 
Les deux sexes du rameau océanien se drapent 
avec leurs légers vêtements dé la manière la plus 
gracieuse lorsque la température variable leur en 
impose l'obligation. Souvent les femmes jettent sur 
leurs épaules une large pièce d'étoffe, dont les plis 
ondulent sur le corps et retracent le costume anti- 
que. Les chefs seuls jouissent de la prérogative de 
porter le tipouta, vêtement qui présente l’analogie 


(Aujourd'hui cette manière de voir semble étre 
adoptée universellement parmi les étrangers. On lit 
dans le no 51 dela Revue de l'Amérique septentrio- 
nale, avril 4826, cette phrase positive : « In all those 
» particulars, which are considered as marking the 
» broadfeatures of the human constitution and charac- 
» ter, the inbabitants of Occania exhibit a striking re- 
» semblai ce-Ofno races or tribesof men,canit be in- 
» ferred \ th greater certainty, that they originated 
» from à co ommon stok. » (Journ. of a tour round 
Hawaii, the largest of the Sandwich islands ; By a de- 
putalion from (he mission of those islands, Boslon, 
1825 ,in-12.) 

(2) L'usage de fabriquer un papier vestimental avec 
des écorces d’arbres est indien; et Marco-Polo, dans 
son langage naïf, s'exprime ainsi en parlant des habi- 
tants de l’île de Cipinguet de la province de Caigui dans 
l'archipel des Indes : «Ils sunt jens blences, de beles 
» maineres, e biaus; ils sunt ydules, e se tiennent por 
» elz, vivent de mercandise € d’'ars, € si voz di quil 
» funt dras des scorses d'arbres, cle, » (Page 147.) 


la plus remarquable avec le poncho des Araucanos 
de l'Amérique du sud. Les Nouveaux-Zélandois, 
placés en dehors des tropiques, ont senti le besoin 
de vêtements plus appropriés aux rigueurs de leur 
climat ; ils onttrouvé dans les fibres soyeuses du 
phormium une substance propre à remplir avanta- 
geusement ce but, et leur industrie s’est tournée vers 
la confection: de nattes fines et serrées qu’ils fabri- 
quent avec des procédés très simples, mais avec une 
grande habilité. Les manteaux dontilss’enveloppent 
sont plus épais et plus chauds que les nattes, qu’ils 
roulent simplementautour du corps , et qui descen- 
dent jusqu’à moitié des jambes ; et parfois cet ajus: 
tement chez les chefs est formé de larges bandes dé 
peau de chien cousues ensemble, et dont le poil est 
en dehors. 


Tous les peuples de l'Océanie ont un goût à peu 
près égal pour la parure. Ainsi les Taïtiens, les 
Sandwichiens aiment à se couronner de fleurs ('); 
et ceux des îles Marquises et Washington(?), de 
même que les naturels de Rotouma et des Fidjis, 
attachent le plus grand prix aux dents des cacha- 
lots; et celte matière, que la superstition rend si 
précieuse à leurs yeux, est pour eux ce que sont les 
diamants pour un Européen. Les Zélandois et les 
habitants de l’ile de Pâques remplacent les fleurs 
par des touffes de plumes qu’ils placent dans leur 
chevelure, et passent des bâtonnets peints dans les 
lobes des oreilles. Les Rotoumaïens , comme les in- 
sulaires des archipels de la Société et des Pomotous, 
quoiqu’un immense espace de mer les sépare, ont 
conservé la même coutume de se garantir des rayons 
du soleil avec des visières de feuilles de cocotier (?), 
Aux Fidjis on suit cet usage; ct là aussi se fabri- 
quent ces nattes fines qui servent de maros aux Taï- 
tiens, et qu’on nomme gnatou aux îles des Amis. Les 
Océaniens ont tous le goût des frictions huileuses , 
dont ils s’oignent le corps et les cheveux : ceux des 
tropiques emploient l'huile de coco; ceux placés 
hors de cette limite se servent d’huile de phoque ou 
de poisson. Une remarque assez intéressante est re- 
lative à cette habitude des femmes des Sandwich et 


() Les fleurs plus particuliérement choisies par ces 
naturels jouissent de l'éclat le plus vif, ou laissent exha- 
ler les plus suaves odeurs: ce sont surtout les corolles 
de l’hibiscus rosa sinensis, ou celles du gardenia flo- 
rida , qu'ils choisissent pour tresser des guirlandes ou 
pour placer dans les lobes des oreilles et en recevoir 
plus aisément l'arome. 

(2) Le groupe des îles Washington fut découvert à la 
fois par le capitaine françois Marchand, sur le Solide, 
et en mai 1794 par le capitaine américain Ingraham, 
commandant le navire the ILope, de Boston. 

() Getle coiffure , nommée ischao à Rotouma, niao 
à Taïti, est façonnée à l'instant même où un naturel 
veut s’en servir. Elle a quelque chose de gracieux sur la 
têle des jeunes gens, & 


L DE’ L'HOMME. 24 


de Rotouma de se poudrer les cheveux avec de la 
chaux de corail ; et on ne trouve l’usage de se bario- 
ler le corps de poudre jaune de cureuma, ou de se 
couvrir la tête ou la figure de poussière d’ocre, qu'aux 
Fidjis, à Rotouma , et à la Nouvelle-Zélande. Dans 
cette dernière île nous avons vu pratiquer un em- 
bellissement dont on ne retrouve des traces que 
chez des peuplades éparses au nord de l'Asie et de 
l'Amérique, et qui consiste à s'appliquer sur le 
visage de larges mouches noires ou bleu de ciel. 
Comme l’usage de ces fards semble être un apanage 
exclusif du rameau nègre , il est intéressant d’en in- 
diquer l'habitude chezt elques peuples océaniens. 
” La coutume de porter la chevelure flottante où 
coupée ras est peu caractéristique, et a subi des mo- 
difications locales sans nombre. Les Taïtiens(f) ont 
leur chevelure rasée ; les Mendocins ne conservent 
que deux groSses touffes nouées sur les côtés ducrâne ; 
les Zélandois, les Rotoumaïens, ainsi que la plus 
grande partie des Océaniens, portent ectte parure 
naturelle tombant en boucles ondoyantes sur lecou. 
Un genre d'ornement généralement pratiqué par 
tous les insulaires de la mer du Sud, quel que soit 
leur rameau ou océanien ou mongol, est le tatouage. 
Ces dessins que l’art grave sur la peau d’une ma- 
nière indélébile, et qui la revêtent et voilent en 
quelque sorte sa nudité, paroïissent étrangers à la 
race nègre, qui ne les pratique que rarement, tou- 
jours d'une manière im par faite et grossière, et qui 
les remplace par les tubercules douloureux et de 
forme conique que des incisions y font élever. Cette 
opération, dont le nom varie toutefois chez les di- 
vers insulaires des grands archipels (2), ne peut ici 
nous occuper sous le rapport du sens qu’on y atta- 
che , soit pour la désignation des classes ou des 
rangs , Soit comme ornement de fantaisie ou hiéro- 
glyphique. Cependant le soin ct la fidélité que les 
divers insulaires apportent à reproduire ces dessins 
doivent nous porter à penser qué des motifs qui 
nous sont inconnus, ou des idées dont la tradition 
s’est effacée, y attachoient un sens. L’analogie du 
tatouage d’ailleurs mérite que nous l’examinions 
chez plusieursydes peuplades que sépare l’espace 
des mers. 


ï à 


im pournous est collectif, et com- 
prend les insulaires de Faha, Raïalca, Borabora, Ey- 
meo , Maupili,etc., ete. 

(2) Fatou, Taïti; Hoko, Nouvelle-Zélande; Chache, 
Rotouma. Krusenstern dit des insulaires déNoukahiva : 
« Les principaux chefs sont tatoués de la tête aux pieds, 
» et surtout les grands-prêtres. Ils se tatouentle visage 
» et les yeux. » Suivant King : « Celle coutume se re- 
trodeux Sandwich. Les femmes ne sont tatouées 
» qu'aux picds, aux mains, aux lèvres et aux lobes 
» des'orcilles, » 


Les insulaires des Pomotous se couvrent le ne F 


de figures tatouées ; et déjà leurs voisins les Taïtiens 
en ont beaucoup moins , et surtout n’en placent ja- 
mais sur le visage, et se bornent, avec ceux de 
Tonga, à y dessiner quelques traits légers, tels que 
des cercles ou des étoiles : mais plusieurs des natu- 
turels des Sandwich (1) et la masse des peuples zé- 
landois et mendocins (?) ont le visage entièrement 
recouvert de traits toujours disposés d’après des 
principes reçus et significatifs. On conçoit que leur 
aspect doit en acquérir un caractère de férocité re- 
marquable , et que cet usage, né du désir d’inspirer 
une plus grande terreur à Mhinemi ou de blasonner 
des titres de gloire, s’est conservé par la suite 
comme le témoignage de la patience du guerrier à 
endurer la douleur qui arcompagne toujours une 
pratique qui blesse les organes les plus sensibles de 
la périphérie du corps. 

Les femmes à la Nouvelle-Zélande , comme aux 
iles Marquises , se font piquer de dessins à l’angle 
interne des sourcils et aux commissures des lèvres, 
et souvent sur le menton. En général le tatouage 
des Ccéaniens se compose de cercles ou demi-cer- 
cles, opposés ou bordés de dentelures, qui se rap- 
portent au cercle sans fin du monde de la mythologie 
indienne. Cependant celui des naturels de Rotouma 
diffère assez essentiellement, puisque le haut du corps 
est recouvert de dessins délicats, de traits légers de 
poissons, ou autres objets, tandis que celui qui revêt 
l'abdomen , le dos et les cuisses, est disposé par 
masses confuses et épaisses. . 

Nous retrouvons dans le par ra, ornement singu- 
lier et emblématique des Taïtiens, destiné ancien- 
nement aux cérémonies funèbres, la représentation 
de ce que portent au cou, comme un hausse-col, les 
prêtres des îles Marquises. 

Si nous suivons les insulaires de Ja mer du Sud 
dans leur vie domestique, nous verrons pratiquer 
les mêmes coutumes chez tous ceux qui vivent en- 
tre les tropiques. Tous préparent et font cuire leurs 
aliments dans des fours souterrains, à l’aide de 
pierres chaudes ($) ; ils se servent de feuilles de vé- 
gétaux pour leurs besoins divers; ils convertissent 


() King, Troisième Voyage de Cook. 

(2) Krusenstern (t.1, pag. 164) observa à Noukahiva 
que les femmes n’avoient de tatouage que surles pieds 
et les mains , « comme les gants courts que nos dames 
» portojient autrefois ,» dit-il. A Taïli les femmes des 
classes supéricures suivent encore le même usage. 

(3) Toutes les îles hautes, peuplées seulement par le 
rameau océanien, possédoient, à l'exception de la 
Nouvelle-Zélande, s’il faut en croire Cook, le cochon 
de race dile de Siam. Cette circonstance en elle-même 
est assez caractéristique; et c’est bien gratuitement 
que quelques personnes pensent que cet animal a pu y 
être porté par les anciens navigateurs espagnols, qui 
connoissoient ces iles bien avant l’époque historique 


| de leur découverte. 


22 HISTOIRE NATURELLE 


le fruit à pain, la chair du coco, le taro , en bouil- 
lie : tous boivent le kava ou l’ava, suc d’un poi- 
vrier qui les enivre et les délecte. Avant l’arrivée 
des Européens dans leurs îles ces peuples éloignoient 
de leurs repas les femmes, qu'ils regardoient 
comme des êtres impurs susceptibles de souiller 
leurs aliments. Chacun connoit par les voyageurs 
l'état de gêne, le tabou, quelles Océaniens s’étoient 
imposé; et cette prohibition que M. de Chamisso a 
découverte dans les lois de Moïse ne doit-elle pas 
provenir de la même source? Des productions 
différentes , un climat Soümis à des rigueurs incon- 
nues dans les îles précédentes, ont imposé aux 
Nouveaux-Zélandois un nouvel ordre de besoins à 
satisfaire et d'industrie à employer. Ainsi on re- 
trouve encore la cuisson opérée le plus souvent avec 
des pierres chaudes. Seulement ils ont appris à faire 
des provisions d'hiver pour la saison rigoureuse, 
féconde en tempêtes ; et ils ont panifié la racine de 
fougère et desséché le poisson à la famée. 

Dans la construction de leurs demeures les Océa- 
niens ont en général apporté les modifications né- 
cessitées par les régions dans lesquelles ils vivent. 
Vastes, spacieuses, logeant plusieurs familles, sans 
parois eloses, telles sont les maisons des insulaires 
des iles de la Société, de Tonga, de Mangia , des 
Marquises , de Rotouma : toutes sont sur un mo- 
dèle à peu près identique. Mais, obligés de vivre 
sur des iles dont les hivers sont intenses et prolon- 
gés, que battent des.vents impétueux, les Nou- 
veaux-Zélandois, Sans cesse en guerre de tribu à 
tribu , se sont retirés sur des pitons, sur des crêtes 
aiguës, inabordables , ont palissadé leurs hippahs, 
et ont construit ras de terre leurs cabanes étroites , 
dans lesquelles ils n’entrent qu’en rampant, et où 
deux ou trois personnes au plus peuvent se retirer. 
Ces demeures n’ont guère plus d’un mètre au-dessus 
du sol; et les coups de vent qui règnent fréquem- 
ment dans ces parages respectent ces singuliers 
ajoupas, plutôt faits pour servir de retraite à des 
animaux que pour être l'habitation de l’homme. 
Chez tous ces peuples , soit de race hindoue , océa- 
nienne ou mongole , nous voyons des maisons com- 


munales destinées aux assemblées publiques ou aux : 
réceptions d’apparat. Partout on remarque l'usage” 


de traiter les affaires avec recucillement et dans la 
position assise, et les personnes les plus élevées en 
dignité se couchent seules sur des nattes. Dans la 
plupart de ces îles les réceptions amicales sont pra- 
tiquées à la suite d’un long discours et en présen- 
tant une feuille de bananier ou un rameau. 
Disséminés sur des îles qui fournissent une nour- 
riture abondante et facile, les Océaniens de la zone 
équatoriale se livrent peu à la pêche, tandis que 
les Zélandois lui empruntent leurs ressources pen- 
dant l’hiver : aussi ces derniers y sont-ils habiles, 


et ils ont su faire avec le phormium d’immenses fi- 
lets absolument semblables à ceux qu’on fabrique 
en Europe sous le nom de sennes. A Taïti, aux 
Sandwich et ailleurs, les cordes sont faites de 
faou , de fara (pandanus), ou de pouraou (hibi- 
eus tiliaceus); et nous retrouvons aux îles de la 
Société ce que le général Krusenstern avoit remar- 
qué à Noukahiva, l’usage de prendre le poisson en 
jetant sur la mer la semence soporifère du taonou 
(calophyllum inophyllum ). 

Les pirogues ont été jusqu’à ces derniers temps 
l’objet sur lequel les insulaires déployoient toutes 
les ressources de leur industrie. Chez cette race la 
forme universellement adoptée est caractéristique. 
Les piroguessimples, ereusées dansun ‘ronc d’arbre, 
peuvent se reproduire ailleurs ; mais il n’en est pas 
de même des pirogues doubles ou accolées deux à 
deux, qu’on ne rencontre nulle partf@hez des peu- 
ples d’une descendance étrangère aux Océaniens(!). 
Nous vimes à Taïti des pirogunes doubles qui arri- 
voient des îles Pomotou : c’étoient de vrais petits 
navires propres à faire de longues traversées et ca- 
pables de contenir des vivres en proportion détermi- 
née pour l’équipage, qui est logé dans une banne 
en bois solidement tissée et disposée sur le tillac. 
La coque üe chacune des deux pirogues est calfatée 
avec soin, enduite de mastic, et de forts madriers 
solidement liés les unissent. Leur gouvernail est 
remarquable par un mécanisme ingénieux que nous 
ne pouvons pas indiquer ici. 

Ces pirogues étoient anciennement chez les Taï- 
tiens décorées de sculptures,qu’on retrouve encore 
aujourd'hui sur les embarcations sveltes des Nou- 
veaux-Zélandois. Ces reliefs, débris des arts tradi- 
tionnels que ces peuples ont conservés, ct dont le 
fini étonne lorsqu'on examine l’imperfection des 
instruments qu’ils employoient, sont toujours iden- 
tiques par leurs représentations: Ils les négligent 
depuis que les Européens leur ont porté le fer : les 
idées nouvelles qu’ils ont reçues feront bientôt dis- 
paroître les traces de ces ingénieux travaux, qui 
s’effaceront avec le sens mythologique qu’on y atta- 
choit, et que remplace déjà chez plusieurs une 

itation plus ou moins grossière nos arts et de 


aux îles Marquises, et 
les avons pas vues à la Nour 
nature des baies nécessite des embarcations plus 
maniables. On nous assura cependant, et quelques 
navigateurs , Cook notamment (page 283, Premier 


() Sil'on s’en rapporte à Marco-Polo , les anciennes 
pirogues de l'Inde étoient doubles (page 1814) « Elles 
» sunt clauées en Lel mainere, car toutes sunt dobles; 


» elles ne sunt pas empecé depèce , por ce qe ils n’en 
» ont. » 


DE L'HOMME. 23 


Voyage), affirment que ces insulaires s’en sont 
parfois servis. Toutes les pirogues zélandoises ent 
leur avant surmonté d’une tête hideuse tirant Ja 
langue, ce qui est chez eux le signe de guerre et de 
gloire; et l’arrière est terminé par une pièce sculp- 
tée, haute de quatre pieds, présentant un dieu et 
des cercles sans fin, dont la siguilication est entiè- 
rement symbolique. 

Adonnés à la guerre comme toutes les tribus 
dont les droits se trouvent renfermés dans la force, 
Ja ruse , ou la trahison, ces peuples ont fabriqué di- 
verses armes, et n’ont jamais manqué de les em- 
bellir par des reliefs sculptés avec soin, Mais on 
remarque que l’are et la flèche n’étoient usités que 
chez très peu d’Océaniens (1). Les armes principales, 
et presque partout identiques dans les diverses iles, 
sont les longues javelines en bois dur, les casse- 
têtes sous diverses formes, les haches en basalte 
ou en serpentine, et les frondes. Les instruments 
d'utilité domestique sont également analogues, et 
consistent partout en petits tabourets , en vases de 
bois sculptés, en molettes de basalte pour broyer 
le kava , en nattes tressées en paille , ete , etc. 

Nous ne pouvons cependant nous dispenser de 
rappeler un objet fort remarquable, qu’on ne voit 
que chez les Sandwichiens. El s'agit ici des casques 
surmontés d’un cimier, ingénieusement fabriqués 
en paille , et dont la forme est exactement calquée 
sur les casques grecs ou romains. D'où ces insulai- 
res ont-ils eu la connoissance de ce genre d’orre- 
ment ? l’ont-ils apporté de l’Inde après qu’Alexan- 
dre leur eut montré cette coiffure guerriere? fl 
seroit difficile de répondre à cette question ; mais il 
est de fait que les autres Océaniens en ignorent 
l'usage. 

Si nous fouillons dans les débris des arts qui sub- 
sistent encore chez les divers peuples répandus 
dans la mer du Sud, nous y distinguerons sans 
doute quelques disparates, mais nous y retrouve- 
rons aussi bien des points d'analogie. En effet , si 
on examine altentivement leurs habitudes, leurs 
lois, leurs mœurs, leurs arts, leur musique, leur 
grammaire , leur poésie, et même jusqu’à l’ensem- 
ble de leurs idées religieuses, on sera frappé de l’a- 
nalogie qui existe entre ces familles d’un même ra- 
meau isolées sur des terres semées à de si grandes 
distances les unes des autres. L'identité des divers 


() Chez les Taïtiens, par exemple, qui se servoient de 
flèches et de lances, de casse-lêtes, et de frondes en 
corde de coco pour lancer les pierres. Aux Marquises 
une tête d'homme est sculptée sur le casse-tête. Il en 
est de même à la Nouvelle-Zélande. Seulement il paroît 
que les habitants des îles des Amis ayoient recu l'usage 
des flèches des îles Fidjis, qui elles-mêmes l’avoient 
emprunté aux peuples noirs qui y émigrérent. (Voyez 
La Billardiére , t, Il, pag. 108.) ne 


peuples de l'Océanie entre eux, si on en excepte les 
habitants des terres du prolongement d’Asie et de 
la bande des iles Carolines et Mulgraves, sera recon- 
nue jusqu’à l'évidence ; nous l’espérons du moins : 
mais il n'en sera peut-être pas tout-à-fait de même 
pour leur descendance directe du continentde l'Inde. 
Ici trop de ténèbres couvrent les usages primitifs 
de ces peuples dans les temps reculés pour trouver 
des rapports exacts avec les usages des peuplades 
actuelles, qui sont restées stationnaires dans leurs 
ideés , bornées dans leurs ressources, et dont l’in- 
dustrie n’a point été au-delà de quelques besoins et 
de quelques circonstances usuelles de la vie. Toute- 
fois de nouveaux points de contact se présentent 
encore ; et, soit à la Nouvelle-Zélande, soit aux 
Tonga, des vestiges remarquables et caractéristi- 
ques d'idées hindoues, qu’on ne peut récuser , sem- 
blent jeter quelque jour sur cette question obscure. 

Tous les Océaniens reconnoissent l’autorité de 
chefs dont les distinctions honorifiques et la puis- 
sance se ressemblent dans beaucoup d'’iles, ou sont 
plus restreintes dans quelques autres. L’hérédité du 
pouvoir dans quelques famiiles privilégiées, qui 
est encore observée religieusement par les classes 
inférieures, dénote cependant bien une source in- 
dienne, ou du moins prouve que ces peuples, en 
s’isolant de la souche commune, emportèrent et 
conservèrent avec eux les idées dominantes de leur 
patrie ; qu'habitués à vénérer la caste des brames 
leurs prêtres ou arikis (1) héritèrent de la considé- 
ration dont ont toujours joui chez ces peuples les 
ministres de la divinité; qu’enfin ils respectèrent 
plusieurs des traditions, en modifièrent quelques 
autres, mais dans toutes, et quoiqu’elles nous soient 
mal connues, leur conservèrent pour nous une phy- 
sionomie commune. Cook, Vancouver, Bougain- 
ville, Wallis, Turnbull, donnent la mesure du 
respcet dont on entoure les chefs aux iles de la So- 
ciété, des Amis, et des Sandwich. Ils possèdent 
les terres et les fruits, ont des vassaux qu'ils nour- 
rissent et qui composent leur cour; tandis que les 
toutous , derniers débris d’une caste de parias, sont 
regardés comme d’iguobles serviteurs, ainsi queles 
esclaves pris à la guerre. Les femmes, quoique con- 
sidérées comme des êtres d’un ordre inférieur, n’en 
jouissent pas moins de beaucoup de liberté ; et, bien 
qu’il leur soit défendu de manger en présence des 
liommes dans la plupart des îles, toujours est-il 
vrai qu’elles succèdent parfois à leurs maris, et que 
les enfants héritent d’une considération d’autant 
plus grande que le rang ou la noblesse du côté de 
la mère est plus pure ou plus ancienne. Felles sont 
les opinions des Taïtiens , des Tonga, aussi bien que 


(:) Soit qu'on les nomme er, Marquises; ariki, 
Taïli, Nouyelle-Ztlande , Rotouma ; egi, iles Tonga. 


24 


des Nouveaux -Zélandois. Une coutume indienne 
singulièrement remarquable nous prouve la force 
des traditions, et nous fournit un document du plus 
grand poids. Les exemples de veuves qui se brû- 
lent sur le bûcher de leurs époux pour ne point 
leur survivre se reproduisent aux îles des Amis et 
aux Fidjis; et ici nous ne pouvons nous dispenser, 
pour éclairer ceux qui douteroient d’un si grand 
rapprochement, de citer le texte même de l’auteur 
qui rapporte ce fait, et quiest d’autant plus croyable 
que long-temps il séjourna dans les îles Tonga. 
Ainsi s'exprime Mariner (t. II, pag. 278): « La 
» cérémonie des obsèques du toëtonga (1) se nomme 
» langi. Ses veuves viennent pleurer près de lui; 
» et, süivant l’ancienne coutume, celle qui tient le 
» principal rang parmi elles doit être étranglée. 
» Son corps est ensuite enterré avec celui de son 
» époux , etsouvent des enfants sont massacrés sur 
» sa tombe.» Ce dernierusage se retrouve aussi bien 
aux Tonga, aux Fidjis, qu’aux iles de Rotouma et 
de la Société; et à la Nouvelle-Zélande les mânes 
des chefs sont honorés par des holocaustes sanglants 
et par la mort de sept ou huit esclaves, ou même 
plus, immolés sur leurs tombeaux. L'histoire an- 
cienne nous représente souvent les funérailles de ses 
héros célébrées par le trépas des prisonniers de 
guerre; et ce n’est pas sans quelque étonnement 
que de telles coutumes nous sont offcrtes au- 
jourd’hui par des peuples dans un état de demi- 
civilisation, et qui les ont conservées, à travers un 
laps considérable de temps, par la simple tradition 
orale. 

Déjà l'identité des Ccéaniens avec les Indiens, 
leurs ancêtres , a été reconnue d’abord par Ferster, 
puis par un auteur francois peu connu, qui s’ex- 
prime ainsi : « Les naturels des iles de la Société et 
» des Amis, ctc., par le respect et les attentions 
» qu’ils conservent pour les corps des morts pendant 
» un assez long espace de temps, peuvent avoir reçu 
» dans l’origine cet usage qui se rapproche beaucoup 
» de ceux des Egyptiens; car ilest fort probable 
» qu'ils sont originaires de la partie méridionale de 
» l'Inde, où la doctrine de la métempsycose étoit 
» établie depuis un temps immémorial, bien avant 
» que Pythagore en eût puisé la doctrine dans les 
» conversations qu'il eut avec les anciens brachma- 
» nes. » { Histoire des peuples sauvages. ) Les divers 
rites religieux des Ccéaniens ont long-temps été un 
sujet de doutes et d’erreurs pour ceux qui cher- 
choient à les approfondir. Ce qu’on en savoit étoit si 


(1) « Le toïlonga est le grand-prétre des îles des 
» Amis. Aux iles Marquises les funérailles étoient éga- 
» lement célébrées par la mort de trois victimes.» 
(Krusenstern, Voyage , 180%.) « Le sacrifice des veu- 
» ves s'exécute surtout religieusement aux Fidjis. » 
{ Mariner, t. II, pag. 349.) 


HISTOIRE NATURELLE 


vague que jusqu’à ce jour il n’éloit pas possible d'en 
présenter une idée bien nette, et nous sommes cer- 
tainement loinencore de connoître la filiation de leur 
croyance ; il est même probable que les fréquentes 
communications qu’ils ont actuellement avec les 
Européens leur feront perdre bientôt la tradition de 
la plupart de leurs opinions et des sources d’où elles 
découlent. Aussi nous ne chercherons point à entrer 
dans de grands détails à ce sujet. 

Les Nouveaux-Zélandois sont les insulaires qui 
ont le mieux conservé les traces de l’antique religion 
du législateur indien Menou, qui consacra les trois 
principes de Brahma, de Chiven et de Wichenou. 
Les sculptures qui ornentles pirogues des chefs prin- 
cipaux ou les palissades de lPhippah représentent 
presque toujours ces trois principes entourés de cer- 
cles nombreux et sans fin, image sans doute du 
grand serpent Calingam, qui voulut dévorer le 
monde, et dont Wichenou délivra la terre. La figure 
du centre de ces ornements offre constamment le 
lingam , attribut qui se reproduit sur d’autres reliefs, 
et même sur des vases. Le fétiche de jade, qui se 
porte au cou, représente évidemment une figure 
indienne , et peut-être Chiven ou le génie du mal. 
Enfin des poésies anciennes, dont le sens métapho- 
rique n’est plus compris par les habitants d’aujour- 
d’hui, semblent renfermer quelques unes des pre- 
mières idées mystiques sabéennes et brachmanes 
de leurs ancêtres, que la tradition n’a pu sauver de 
l’oubli. Le Zélandois, comme tous les Océaniens, 
quelles que soient les variations qu’a éprouvées leur 
théogonie, reconnoissent une trinité. Ils nomment 
Atoua, Akoua, leurs dieux, et pensent que les âmes 
des justes sont les bons génies, Ealouas ; que les 
méchants ne deviennent point meilleurs dans un 
autre monde, et que sous l’attribut de Ti ils sont 
investis du pouvoir de pousser l’homme au mal. 
Malgré des nuances légères ne retrouvons-nous pas 
cet ensemble de faits dans ce que l’on sait du culte 
des autres peuplades ? Et soit que Faroa, brisant la 
coquille qui le tenoit emprisonné, s’en servit pour 
jeter les bases de la grande terre (fenoa nui), ou 
l'ile de Taïti, eten composer avec les parcelles.qui 
se détachèrent les autres îles qui l’entourent; soit 
que Tangaloa ( Mariner, t. IT, pag. 1468) tirât le 
monde (les îles de Tonga ) de la mer en pêchant à 
la ligne({), partout, chez les Océaniens, nous voyons 


(:) Les Dayaks adorent Deonata, l’ouvrier du mon- 
de , eties mânes de leurs ancêtres : ils vénérent aussi 
certains oiseaux, et pratiquent les augures; ce que 
font les Océaniens. ( Voyez Aémoire sur les idées re- 
ligieuses des Taïliens, par Lesson; Ann. marit. et 
colon. , seconde partie, pag. 209, 1825.) La religion 
des Zélandoïs de la partie nord est assez connue , ainsi 
que leurs diverses cérémonies. Il n’en est pas de même 
pourceux de la partie sud, qui n’ont jamais été visités 
que très passagérement et par des marins le plus sou- 


DE L'HOMME. 25 


établie une identité de croyance frappante : la divi- 
nisation des âmes, l’adoration de plusieurs sortes 
d'animaux et de certaines plantes, la puissance in- 
tellectuelle des prêtres, les augures, les sacrifices 
humains, les Maraïs, les idoles (?), et l’anthropo- 
phagie, qui naquit de leurs préjugés religieux , mais 
qui s’est effacée de plusieurs îles abondantes en sub- 
stances alimentaires, et qui s’est conservée intacte 
sur celles où la rigueur du climat ct la pauvreté du 
sol ont fait sentir le besoin d’une nourriture sub- 
stantielle (?). 


Les îles de la Société avoient leur paradis, où se 
rendoient les âmes heureuses des tavanas, que le 
dieu, esprit ailé, emportoit et purifioit : celles des 
mataboles des iles des Amis habitoient le délicieux 
séjour de Bolotou , d’où étoient bannies les âmes du 
vulgaire, qui mouroient en entier. Les Nouveaux- 
Zélandois ont la ferme croyance qu'après la mort les 
esprits de leurs pères planent sur l’hippah qui leur 
donna le jour, et se rendent à l’élysée, qu’ils nom- 
ment Ata-Mira, en plongeant dans la mer au lieu 


vent peu instruits. Voici quelques renseignements que 
nous nous procurâämes du capilaine Edwardson. On 
pourra juger comment les mémes idées sont plus ou 
moins traveslies par ceux qui les professent, ou plutôt 
par ceux qui les recucillent. 


« Les Nouveaux-Zélandois méridionaux croient qu'un 
» être suprême a créé toutes choses, excepté ce qui est 
» l'ouvrage de leur propre industrie. Cet étre est clé- 
» ment,et se nomme Maaouha. Is reconnoissent un 
» bon esprit, appelé Noui-Atou, auquel ils adressent 
» des prières la nuit et le jour pour qu’il les préserve de 
» tout accident. Rowkoula , l'esprit, aussi nommé 
» Eatoua , gouverne le monde pendant le jour seule- 
» ment, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil. 
» L'esprit nocturne est Rockiola, la cause de la mort, 
» des maladies et des accidents qui viennent fondre 
» sur les hommes pendant le temps de sa puissance. 
» Enfin ils ont encore l'histoire fabuleuse d’un homme 
» et d’une femme qui habitoient la lune. » Gr, la plu- 
part de ces idées, nous les retrouvons chez les habi- 
tants des îles de la Société. 


(») Les idoles se ressemblent toutes quant à la forme 
générale, depuis l’ile de Pâques jusqu'aux iles Sand- 
wich, Mendoce, et de la Société, etc. Consultez les 
Voyages de Lisianskoï, de Langsdorff,de Krusenstren, 
de La Pérouse, etc. 


() L’anthropophagie est d’origine indienne. Marco- 
Polo (pag. 186 ) décrit ainsi les coutumes de plusieurs 
des peuples qu’il visita: « Lorsqu'ils prennent un homme 
» quin'est point de leurs amis, et qui ne peut se ra- 
» cheter, ils le tuent et le font servir à tous leurs pa- 
» rents comme un régal; ef ceste chars d’ome, ont-ils 
» por la meilor viande qu'ils pensent avoir. » Or c’est 
ce que pratiquent encore les Nouveaux-Zélandois , et, 
à ce qu’assurent plusieurs navigateurs d’un grand mé- 
rite, l'amiral de Krusenstern entre autres, ce qu’on re- 
marque chez les habitants des îles Mendoce, des Fidjis, 
de Salomon, des Navigateurs, de la Nouvelle-Calédonie, 
et ce que pratiquoicnt naguére les Saudwichicns, 

JL, 


nommé Reinga, vers le cap Nord. Ces âmes au con- 
traire errent autour du Pouke-Tapou ou montagne 
sacrée , et sont éternellement malheureuses lorsque 
les corps qui les renfermoient ont été mangés sur le 
champ de carnage, que leurs têtes sont restées au 
pouvoir des ennemis, et que les cadavres sont ainsi 
privés de l’oudoupa ou sépulture de leurs pères. A 
ces principes d’une religion corrompue, mais dont 
l’ensemble ne nous est malheureusement que peu 
connu, à ces restes d’un fanatisme barbare, sont 
liées des idées de sabéisme ; et, dans leur croyance, 
ils placent au ciel quelques uns de leurs organes, 
qu'ils transforment en météores célestes. Arracher 
les yeux d’un ennemi (!), boire son sang, dévorer 
ses chairs palpitantes, c’est hériter de son courage, 
de sa valeur, commander à son dieu, et enfin ac- 
croître ainsi la puissance que chaque guerrier ambi- 
tionne. Tels sont les fondements du droit de la 
guerre chez les insulaires des Marquises ( Krusens- 
tern), des Fidjis ( & Navihi - Levou, Mariner, 
tome I, page 555) , et des Tonga ( Mariner, tome I, 
page 558 ). È 

Il seroit trop long de rechercher les rapports 
d’analogie qui existent sur les devoirs à rendre aux 
morts, comme type caractéristique des Océaniens. 
Leurs prêtres , leurs sacrifices, leurs cérémonies fu- 
nèbres , leurs tombeaux, leurs arbres de deuil, an- 
noncent une croyance commune. La poésie même 
de ces peuples, semblable à leur langue, qui ne 
varie que par l'introduction fréquente de mots nou- 
veaux ; leur poésie, unie à une musique dans l’en- 
fance, mais composée de mesures lentes, de sons 
graves, atteste une civilisation régulière et une 
méditation bien entendue du but primitifet religieux 
de ces deux arts. 


Leur langue, bien que simple en apparence, est 
riche en tournures orientales ; et les règles de leur 
grammaire, généralement analogues d’après celles 
que nous connoissons (?), diffèrent singulièrement 


() Turnbull rapporte ( pag. 341 )« qu'à Taïti, lorsque 
» Ie corps d’un homme choisi pour servir de victime 
» expiatoire est déposé sur le Moraï, on lui enléve les 
» yeux pour les présenter au roi sur une feuille d'arbre 
» à pain. Celui-ci ouvre la bouche comme pour avaler 
» ce qu’on lui offre, et ilest supposé en acquérir plus 
» de force et d'adresse, » M. Marsden, dans son voyage 
à la Nouvelle-Zélande, observa la même coutume, et 
c’est ainsi que le fameux chef Shongi avoit arraché et 
dévoré les yeux de plusieurs de ses ennemis dans la 
ferme persuasion qu’il se les approprioit, et que le nom 
bre des étoiles qui lui étoient consacrées au ciel s’'aug- 
mentoit ainsi de celles des chefs qu'il avoit vaincus ; 
car, suivant la croyance de ces peuples, chaque œil , 
aprés la mort, est une éloile qui brille au firmament. 

(2) À Grammar and Vocabulary of the language of. 
New-Zealand , 1 vol.in-12, 230 pages , 1820. 

Grammaire des iles Tonga, à la fin du LE dela 


26 


du malais pur, dont le génie est opposé (!). Tous 
ceux qui lisent attentivement les voyageurs, et qui 
mettent de côté les variantes que chacun d’eux, 
langue maternelle, apporte dans la ma- 
écrire les mots ou de rendre des sons par 
des lettres, reconnoissent qu’une identité palpable 
de langage règne cntre tous ces insulaires épars et 
semés sur le Grand-Océan dans les limites que 
nous assignons aux Océaniens. Ils savent qu’un Teï- 
tien peut être entendu aux îles Marquises, ceux-ci 
aux Sandwich, et un naturel de ces dernières îles 
à la Nouvelle-Zélande. Cependant on conçoit qu’une 
terre placée hors des tropiques, et par conséquent 
n'offrant pas les mêmes productions, a dû nécessi- 
ter de nouveaux termes pour les peindre ou pour les 
exprimer. 

Ne sait-on pas d’ailleurs qu’une sorte de dialecte 
conservé par la classe supérieure et consacré aux 
traditions anciennes permet aux œikis de se com- 
prendre entre eux, tandis que le vulgaire en ignore 
les règles, que les prêtres et les chefs transmettent 
intactes à leurs enfants? El seroit facile de donner 
de longues preuves de ceci pour compléter nos idées; 
mais nous les croyons superflues : d’ailleurs les 
relations journalières des Européens avec ces peu- 
ples en altèrent singulièrement la langue vulgaire ; 
et, déjà corrompue, celle-ci dans quelques années 
présentera sans doute un grand nombre de nos dé- 
nominations introduites dans les îles où l'influence 
des voyageurs d'Europe est permanente. Dans tou- 
tes ces contrées on retrouve les noms communs de 
taro, pain ; tané, homme ; wahiné ou fafiné, femme ; 
molou, Île; malaou, hamecon; maté, mort, tuer 
(mot d’origine hébraïque); et tant d’autres qu’il 
scroit aussi fastidieux qu’inutile de rappeler ici. 

Pourquoi cette identité de noms et de coutumes 
se retrouve-t-elle de la Nouvelle-Zélande aux îles 


Relation de Mariner, par Martin, édit. orig., 2 vol. 
in-8o. 

Tahetian Grammar, publiée à Taïli en 4823 par les 
missionnaires. 

() Nous avions écrit ceci bien avant d’avoir connu 
l'opinion des missionnaires américains qui sont fixés 
davs plusieurs des îles océaniennes, et qui disent : «It 
» has been a theory, in which geographers and philolo- 
» gists have universally concurred, that the Malayan 
» and Polynesian languages were from the same stock, 
» or ratherthat the latter was only a braneh of the for- 
» mer. The investigations of the missionaries have 
» show this Theory Lo have no foundation in fact, and 
» that few languages are more diverse in their radical 
» principles. » La langue océantienne (les auteurs an- 
glois la nomment polynésienne), composée d’un si 
grand nombre de voyelles qu'il est rare que chaque mot 
ne soit pas terminé par une d'elles, leur paroît étre 
neuve, Curicuse , el spéciale : ils adoptent l'existence 
de cinq dialectes, qui sont le hawaïen, le taïtien, le 
marquisin, le nouveau-zélandois, et le tongatabou. 
(The North American Review, avril 1826.) 


HISTOIRE NATURELLE 


Sandwich, des Marquises à Rotouma, tandis que les 
insulaires de cette Jongue bande de terres presque 
noyées, connues sous la dénomination vague d’iles 
Carolines, parlent un autre langage, ont des mœurs 
différentes, un type autre ? C’est que les Océaniens, 
émigrés à une époque plus ancienne des rivages de 
l'Inde, habitèrent les premières terres hautes de 
l'Océanie ; et que les Carolins, venus plus tard et 
rameau isolé de la grande famille mongole, n’ont 
pris possession, en partant des mers de Chine, que 
des îles plus récentes sur l'Océan, qui les confinoit 
au sud-est. 


HIT. DES CAROLINS (rameau mongol-pélagien ). 


Si les faits abondent pour caractériser le rameau 
océanien, il n’en est pas de même pour isoler et 
décrire celui que nous nommons mongol-pélagien, 
qui, jusqu’à ce jour, avait été confondu avec le pre- 
mier. Les Carolins cependant diffèrent des Océa- 
niens par l’ensemble de leur organisation et deleurs 
babitudes ; et des rapports généraux servent à réu- 
nir les divers groupes de cette famille, qui s’estavan- 
cée de l’est à l’ouest jusqu’au cent soixante-douzième 
degré de longitude orientale et jusqu’à l'équateur, 
sans dépasser ces deux limites dans le Grand-Océan. 
A en juger par les figures et par les descriptions 
des voyageurs, on doit penser que ce rameau peu- 
ploit primitivement les iles Philippines, Mindanao, 
les Mariannes; qu’il s’est répandu de quelques unes 
des terres hautes des Carolines sur les longues chat- 
nes d’iles basses qui les entourent, et qu’il s’arrêta 
aux archipels de Radack, de Mulgrave et de Gil- 
bert, ou iles du Scarborough. Déjà, dans un paral- 
lèle des insulaires d’Oualan (!) avec ceux des îles 
Pelew, si bien décrits par Wilson (?), nous avons 
indiqué l'analogie parfaite qui existe entre ces deux 
peuples séparés par une distance de plus de cinq 
cents lieues; et nous savons par les récits du savant 
de Chamisso (:), et surtout par ceux de son ami 
Kadu , que ces peuples , navigateurs par excellence, 
se trouvent souvent transportés par les moussons 
des archipels de Lamursek , par exemple, jusqu’à 
Radack. Comme nous avons suivi avec notre cor- 
vette ces nombreuses bandelettes de terres décou- 
pées et à fleur d’eau en communiauant journellement 
avec leurs habitants, il nous a été faciie de les com- 
parer avec les autres insulaires de l’Océanie propre- 
meut dite. Ne doit-on pas être étonné que ces natu- 


{) Notice sur Oualan, par R.-P. Lesson. (Journal 
des Voyages, cahiers de mai et juin 4825.) 

(2) An account of the Pelews islands , by Gcorge 
Keate, Lond., 1803. 

(3) Remarks and Opinion of the naturalist of the 
eæpedition (von Chamisso). Tomes Het HI(AÀ Foy. of 
discov., by von Kotzebue). 


DE L'HOMME, 97 


rels aient été confondus jusqu’à ce jour avec les 
Océaniens, dont les éloigne uné foule de caractères ? 
Aussi, en attribuant leur origine à la racemongole, 
nous obéissions à notreconviclion intime, lorsque des 
recherches subséquentes nous prouvèrent que cette 
idée n'étoit point neuve, et que déjà le père Char- 
les Le Gobien (1) l’avoit formellement exprimée dans 
le passage que nous citons textuellement (pag. 45 et 
suiv.): « On ne sait en quel temps ces îles (les 
» Mariannes ) ont été habitées, ni de quel pays ces 
» peuples tirent leur origine. Comme ils ont à peu 
> près les mêmes inclinations que les Japonois et les 
» mêmes idées de la noblesse, qui y est aussi fière et 
» aussi hautaine , quelques uns ont cru que ces in- 
» sulaires venoient du Japon, qui n’est éloigné de 
» ces îles que de six à sept journées. Les autres se 
» persuadent qu’ils sont sortis des Philippines etdes 
» Îles voisines, parceque la couleur de leur visage, 
» leur langue, leurs coutumes, et leur manière de 
» gouvernement, ont beaucoup de rapport avec cel- 
» les des Tagales , qui étoient les habitants des Phi- 
» lippines avant que les Espagnols s’en fussent ren- 
» dus les maitres. Il y a bien de l'apparence qu'ils 
» tirent leur origine et des uns et des autres, et que 
» ces iles se sont peuplées par quelque naufrage des 
» Japonois et des Tagales , qui y aurontété jetés par 
» la tempête. » Le même missionnaire, en parlant 
des Carolins qui abordèrent à Guam en 1626, ajoute 
( pag. 40%) qu'ils approchoient par la ressemblance 
des habitants des Philippines, mais que leur lan- 
gage étoit différent. 

Nous ne pouvons nous dissimuler cependant la 
difficulté qu’il y a de grouper les habitants des di- 
verses chaînes depuisles îles Pelew jusqu'aux Mul- 
graves, par le peu de renseignements qu’on a sur 
ces iles. Les seuls guides qu’on puisse consulter 
pour cet objet sont Wilson, pour les îles de Palaos; 
de Chamisso, pour les Carolines, et surtout pour 
la chaîne de Radack : nos propres observations sur 
Oualan , et celles des premiers missionnaires sur 
l'ensemble de ces archipels (?). Quoique l’histoire 
de ces peuplades ait été un peu éclaircie dans ces 
derniers temps, ce que nous savons de leurs idées 
religieuses, de leurs coutumes fondamentales et 
du génie de leur langue, est encore si vague qu’il 
scroit au moins prématuré d'essayer d’en tracer un 
tableau définitif. 

Il paroîtroit , suivant le récit du père Cantova, 


() Histoire des iles Mariannes, nouvellement con- 
verties à la religion chrétienne, elc.; par le père 
Charles Le Gobien, de la compagnie de Jésus : seconde 
édition, in-12, Paris, 14701 

(2) La relation historique du capitaine de Freycinet, 
dont les premières parties viennent d’être publiées, ren- 
fermera aussi de nombreux documents qui nousauroient 
été fort utiles, mais qui n’ont point encore vule jour. 


que des hommes de-diverses races, surtout des nè- 
gres , auroient de son temps existé parmi les Caro- 
lins. Aussi M. de Chamisso (Voyage de Kotzebue a 
t. ILE, pag. 120 ) pense que les Papous des contrées 
placées au sud ont abordé sur ces îles, s’y sont méz 
langés , et que des Européens , tels que Martin Lo- 
pez et ses compagnons , ont bien pu les fréquenter 
souvent dans le cours de leur navigation. Enfin ce 
savant ajoute : « La race de ces insulaires est la 
» même que celle qui peuple toutes les îles du 
» Grand-Océan; » manière de voir en opposition 
directe avec l’opinion que nous cherchons à faire 
prévaloir dans cet aperçu, mais qui nous démontre 
d'un autre côté qu’il ne voyoit parmi les habitants 
de toutes les Carolines aucune différence , et qu'il 
trouvoit dans la généralité de leurs habitudes phy- 
siques et morales la plus grande analogie. 

On peut reconnoître, dans la manière dont les 
iles Carolines ont été peuplées, deux migrations 
qui ont eu lieu à des temps divers et séparés. D'a- 
bord les terres hautes reçurent des colonies qui ne 
s'étendirent que successivement et plus tard sur les 
terres basses. Ces colonies sont certainement venues 
des côtes du Japon ou des archipels chinois ; car les 
vents y poussent fréquemment des navigateurs de 
ces mers : et dès 4648, pendant le séjour des pre- 
miers missionnaires espagnols à Guam, un Chinois 
nommé Choco s'ysfixa après y avoir été jeté par un 
naufrage. Les moussons régulières d’ailleurs, et les 
typhons des mers placées à l’occident, enlèvent 
souvent des insulaires des archipels de l’ouest, et 
les transportent sur les côtes des îles qui sont pla- 
cées à l'extrémité orientale du système entier de ces 
terres. De la nécessité de vivre sur des îles basses et 
comme noyées il résulte que les habitudes des Ca- 
rolins ont été entièrement dirigées vers la naviga- 
tion : aussi ces peuples y sont-ils habiles , et c’est 
avec le plus grand art qu’ils manœuvrent leurs 
pros élégants et légers; qu’ils se dirigent à l’aide 
des astres et de la boussole. Mais. quoique leurs 
connoissances pratiques soient tres etendues, beau- 
coup de ces insulaires, surpris par les ouragans qui 
règnent à certaine époque de l’année, périssent 
dans leurs voyages , ou voguent au hasard jusqu’à 
ce que leurs provisions soient épuisées, ou qu’ils 
trouvent un refuge sur quelque plateau de récifs 
que déjà la végétation a envahi, et dont ils devien- 
nent alors les premiers colons. 

En longeant les chaînes nombreuses des îles Ca- 
rolines jusqu'aux archipels de Marshall, nous n’a- 
perçûmes que de légères nuances dans la physio- 
nomie générale et les habitudes des insulaires de 
chaque groupe d'îles, qui, comparés les uns aux 
autres , présentoient tous les rapports les plus évi- 
dents. Lorsque dans notre traversée de la Nouvelle- 
Zélande à l’équateur nous eûmes laissé derrière 


28 


nous et par conséquent aussud l’île de Rotouma, 
où nous observâmes les derniers Océaniens, nous 
remontèmes au nord en suivant une ligne oblique 
sous les soixante-quatorzième et soixante-douzième 
méridiens. Après avoir atteint les îles du Grand- 
Cocal et Saint-Augustin, nous ne cessâämes plus en- 
suite d’avoir en vue les chaînes d’iles basses et à 
peine élevées au-dessus de la mer de Gilbert, de 
Marshall, de Mulgrave. Chaque jour nous commu- 
niquâmes avec les naturels qui les habitent, et 
dont la pauvreté nous attesta le peu de ressources 
de ces récifs, et combien l’industrie des habitants 
devoit suppléer aux privations diverses qui tour- 
mentent leur existence. 

Le 15 mai 4824 des pirogues que montoient des 
naturels de l'ile de Kingsmill, vue en 1799 par le 
Nautilus, vinrent communiquer avec la corvette la 
Coquille. Ces hommes étoient d’une taille assez éle- 
vée, quoique ayant des membres grêles ; la couleur 
de leur peau étoit d’un jaune cuivré assez foncé , et 
différoit par cette teinte du jaune-clair des Carolins 
de l’ouest. Leurs pirogues étoient faites sur le même 
modèle que les pros; mais le manque de bois de 
certaine dimension avoit nui à leur exécution. Ces 
insulaires portoient un poncho fabriqué avec des 
nattes, et nous avons retrouvé cet ajustement chez 
les Chiliens indigènes et chez les Araucanos d’A- 
mérique , comme chez tous les Garolins indistincte- 
ment ; sa forme caractéristique se reproduit dans le 
tipouta ou vêtement des chefs des Océaniens. 

Les jours suivants nous communiquâmes avec les 


“iles de Blaney, Dundas, Hopper, Woodle, Hall, 


Mulgrave, Bonham, etc. Leurs habitants nous 
présentèrent la plus grande ressemblance ; mais 
tous paroissoient plongés dans un état de misère 
que nous ne vimes point chez les Carolins orientaux. 
Leur corps, couvert de cicatrices, attestoit des hos- 
tilités fréquentes. Ils parloient avec une telle volu- 
bilité que nous ne pûmes saisir aucun mot de leur 
langue; mais, du reste, nous retrouvâmes dans la 
forme de leurs pirogues et dans leur tactique pour 
Jes évoluer, dans les instruments qu’ils nous mon- 
trèrent, les mêmes principes et la plus grande ana- 
logie. Plusieurs de ces insulaires étoient coiffés avec 
des chapeaux de forme chinoise faits avec des 
feuilles de vaquois, et tous portoient des ornements 
divers fabriqués le plus ordinairement avec des 
tests de coquilles. A mesure que nous nous avan- 
câmes à l’ouest, il nous sembla que la teinte foncée 
de la peau diminuoit d'intensité, et qu’elle affectoit 
une couleur jaune plus pure : ce qui pourroit tenir 
à ce que les uns sont sans cesse occupés sur les ré- 
cifs des lagons à la pêche qui les fait vivre, et que 
les autres habitent des îles basses sur lesquelles s’é- 
lèvent des forêts nourricières de cocotiers qui les 


ombragent. Nous continuâmes à longer l’ensemble 


HISTOIRE NATURELLE 


des îles que peuple le rameau mongol-pélagien ou 
les Carolins; et nous püûmes ainsi compléter nos 
idées sur les points de contact de tous ces insulaires, 
et puiser des documents dans nos communications 
journalières avec les naturels de Pénélap, de Taka, 
d’'Aouera; de Doublon ou Hogoulous, de Tama- 
tam, et de Sataouëlle. Voici le résultat de ce que 
nous avons vu, et ce que rapportent à ce sujet les 
voyageurs et les premiers Européens qui s’établi- 
rent aux Mariannes. 

Nous ne pourrions reconnoitre les anciens habi- 
tants des îles Mariannes dans ceux d’aujourd’hui, 
dont le sang est mêlé au sang espagnol. A plus forte 
raison il nous seroit fort difficile d'établir l’analogie 
qui peut exister entre eux et les Carolins, mainte- 
nant que des principes divers dus aux Européens et 
une nouvelle religion ont changé leur physionomie 
originelle. Nous sommes donc forcés de recourir 
aux auteurs qui les premiers les ont décrits lorsque 
leurs îles furent découvertes. Mais, il faut l'avouer, 
les lumières que nous en tirons sont un peu vagues ; 
et les religieux qui tracoient l’histoire de ces peu- 
ples préféroient s'étendre sur le nombre de leurs 
néophytes que sur leurs usages et leur physionomie. 
Cependant le père Le Gobien dit (pag. 46) ,en par- 
lant des Mariannois : « Ces insulaires sont basanés, 
» mais leur teint est d’un brun plus clair que 
» celui des habitants des Philippines. Ils sont 
» plus forts et plus robustes que les Européens. 
» Leur taille est haute, et leur corps est bien pro- 
» portionné. Quoiqu’ils se nourrissent de fruits et 
» de poissons, ils ont tant d’embonpoint qu'ils en 
» paroissent enflés : ce qui ne les empêche pas d’é- 
» tre souples et agiles. Ils vont nus. Les hommes se 
» rasent la chevelure, et ne conservent sur le haut 
» de la tête qu’une mèche, à la manière des Japo- 
» nois. Leur langue a les plus grands rapports avec 
» la tagale des Philippines. Ils ont des histoires et 
» une poésie qu’ils aiment beaucoup. Il y à trois 
» états parmi ce peuple : la noblesse, le peuple, et 
» une condition médiocre. La noblesse est d’une 
» fierté incroyable; elle tient le peuple dans un 
» abaissement extrême. Les chamorris, c’est ainsi 
» qu’on les nomme, ne veulent pas souffrir de més- 
» alliance d’un membre de leur ordre avec quel- 
» qu'un d’une autre classe. Les canots dont ils se 
» servent pour pêcher et pour aller d’une ile à l’au- 
» tre sont d’une légèreté surprenante, et la propreté 
» de ces petits vaisseaux ne déplairoit pas en Eu- 
» rope. Ils les calfatent avec une espèce de bitume 
» et de la chaux qu’ils détrempent dans de l'huile 
» de coco, etc. , etc. » 

Cette esquisse rapide est entièrement celle que 
nous pourrions tracer des naturels d’Oualan , placé 
au milieu des Carolines, où nous avons séjourné ; 
et la plupart des observations puisées dans cette 


DE L'HOMME. 29 


ile Cïncident d’une manière étonnante avec celles 
que nous possédons sur les Carolins occidentaux ou 
les habitants de Pelew, d’après Wilson. M. de Cha- 
misso, à ce sujet, s'exprime ainsi : « Le peuple des 
» Mariannes, suivant le frère Juan de la Concep- 
» tion, ressemble aux Bisayas aussi bien par la 
» physionomie que par le langage, et n’en diffère 
» que par des nuances diverses. » En parlant des 
peuples qui habitent ce que ce savant voyageur a 
désigné par sa première province, M. de Chamisso 
nous fournit une excellente peinture du groupe en- 
tier des Carolines ; et nous ne concevons pas com- 
ment il se fait qu’il ait pu, au milieu des traits de 
rapport et d’analogie qu’il reconnoit dans cette fa- 
mille, ne pas distinguer combien elle s'éloigne des 
insulaires de l'Océanie proprement dite. « Nous pen- 
» sons, disoit-il, que ses dialectes sont moins sim- 
» ples que ceux de la Polynésie orientale; et nous 
» trouvons dans leurs habitants un ensemble de 
» nations qui sont diversement liées par les mêmes 
» arts et par les mêmes manières, par une grande 
» habileté dans la navigation et dans le commerce. 
» Ils forment des populations paisibles et douces 
» n’adorant aucune idole, vivant sans posséder d’a- 
» nimaux domestiques des bienfaits de la terre, et 
» seulement offrant à d’invisibles dieux les prémices 
» des fruits dont ils se nourrissent. Ils construisent 
» les pirogues les plus ingénieuses, et font des 
» voyages lointains à l’aide de leurs grandes con- 
» noissances des moussons, des courants et des 
» étoiles. Mais, malgré les rapports frappants de 
» ces diverses tribus, elles parlent plusieurs lan- 
» gues. » Ce premier examen nous démontre donc 
une ressemblance incontestable de ces insulaires 
entre eux : il ne nous reste plus qu’à en résumer 
les caractères généraux. 

La physionomie des Carolins qui composent no- 
tre rameau mongol-pélagien est agréable ; la taille des 
individus est communément moyenne; leurs formes 
sont bien faites et arrondies, mais petites : quel- 
ques chefs seuls nous ont paru d’une stature élevée. 
Leur chevelure est très noire, la barbe ordinaire- 
ment grêle et rare, quoique cependant divers natu- 
rels nous l’aient montrée épaisse, rude et touffue. 
Le front est étroit, les yeux sont manifestement 
obliques, et les dents très belles. Ils ont une cer- 
taine gravité dans le caractère, au milieu même de 
la gaieté des jeunes gens. Leur peau jaune citron 
est plus brune lorsqu'ils vivent sur les récifs non 
boisés , et beaucoup plus claire chez les chefs. Les 
femmes sont assez blanches, ont des formes pote- 
lées , et généralement grasses ; le visage est élargi 
transversalement, le nez un peu épaté. Leur taille 
est courte, et les filles nubiles l’ont souvent très 
bien faite. 

De même que tous les insulaires qui vivent sur 


les terres placées entre les tropiques, les Mongols- 
Pélagiens ne portent pour tout vêtement qu’une 
étroite bande d’étoffe qui leur ceint le corps, ou 
parfois ils jettent sur les épaules deux morceaux de 
nattes tissées cousues aux deux bouts, mais non au 
milieu où ils passent la tête : ce qui constitue le 
véritable poncho des Araucanos ; et nous dirons en 
passant , d’ailleurs, que d’autres traits de ressem- 
blance ont même fait présumer à quelques auteurs 
que les peuples du Chili dont nous parlons déri- 
voient de la même source. On sait du reste que plu- 
sieurs savants s'accordent à dire que des Mongols 
ont également peuplé une grande portion de l’A- 
mérique (1). Quoi qu’il en soit, une autre partie de 
leur ajustement, dont on ne suspectera pas l’ori- 
gine, est le chapeau, de forme entièrement chi- 
noise , fait de feuilles de pandanus, dont ces insu- 
laires se servent pour se garantir de la pluie ou de 
l’action du soleil : nous le remarquâmes particuliè- 
rement chez les habitants de l’ile de Sataouëlle 
(Tucker de Wilson), d'Hogoulous ou Doublon, 
d'Aouerra, etc. ; et à Oualan un chapeau chinois 
fait de coquilles enfilées, artistement travaillé, sert 
à distinguer les pirogues des chefs. Cependant nous 
retrouvâmes aussi cette forme de chapeau chez les 
Papous de la Nouvelle-Guinée ; et ceux-ci ont dû la 
recevoir des marchands chinois, qui étoient dans 
l'habitude de trafiquer sur ces côtes il n’y a pas en- 
core un demi-siècle. 

Nous regardons comme une industrie essentielle- 
ment propre à ce rameau la confection des étoffes. 
Tous les Océaniens emploient pour leur fabrication 
des écorces battues et amincies sous forme de papier ; 
les Carolins au contraire se servent d’un petit mé- 
ticr, seul débris des arts de leurs pères, pour assem - 
bler les fils et composer une toile par un procédé et 
par des instruments parfaitement analogues à ceux 
dont se servent les Européens. On ne peut, en 
voyant ces tissus formés de fils soyeux de bananier 


() I faut avouer que parmi toutes les opinions émises 
sur les émigrations des Mongols en Amérique plusieurs 
sont appuyées par des observations sijudicieuses qu'on 
ne peut se refuser à admettre un tel rapprochement. 
Par exemple M. Auguste de Saint-Hilaire, dans l'aperçu 
qu'il a donné de son voyage dans l’intérieur du Brésil 
(Annales du Muséum, t. IX , 1823), fait cette remar- 
que : «Les Botocudos, souvent presque blancs, res- 
» semblent plus encore à la race mongole que les au- 
» tres Indiens. Quand le jeune homme de cette nation 
» qui m'a accompagné vit des Chinois à Rio-Janeiro, il 
» les appela ses oncles; et le chant de ce dernier peu- 
» ple n’estréellement que celui des Botocudos extrême- 
» menti radouci. » On trouve aussi une grande similitude 
dans les coutumes ; et c'est ainsi que les Botocudos, 
comme les Carolins, se percent les oreilles et la lèvre 
inférieure pour y placer des bâtonnets, dont ils aug- 
mentent chaque jour le diamètre de maniére à donner 
à ces parties une extrémedilatation, ete. , etc. 


30 


teints en jaune, en noir, ou en rouge, entrelacés 
sur un métier élégant, ornés de dessins qui annon- 
cent du goût , que faire remonter la source d’un art 
ainsi perfectionné à une race plus anciennement ci- 
vilisée et depuis long-temps établie en corps de 
nation. Pourquoi d'ailleurs les Carolins n’ont-ils 
jamais eu recours à l'écorce de l'arbre à pain si com- 
mune sur la plupart de leurs iles , et qu’ils n’avoient 
qu’à battre avec un maillet pour la convertir en 
étoffe ? Cela tient à ce qu’ils ont retenu par la tradi- 
tion les principes d’un arttrès perfectionné dans leur 
patrie primitive, et que leur industrie a su en con- 
server l’usage pour confectionner les seuls ajuste- 
ments réclamés par le climat qu’ils habitent. 

Le tatouage, diversement nommé suivant les 
îles, nous paroît aussi particulier à ces peuples; et, 
quoique nous n’y attachions pas une grande impor- 
tance, nous le trouvons cependant partout à peu 
près identique par sa distribution générale, c'est-à- 
dire qu'il est placé par larges masses sur le corps, 
et que chez divers insulaires il couvre le tronc en 
entier en formant ainsi une sorte de vêtement indé- 
lébile, mais arbitraire par les détails. 

Le genre de vie des Carolins, chez ceux dont les 
habitudes sont bien connues, diffère peu de celui des 
Océaniens. Ce sont les mêmes productions qui ser- 
vent aux mêmes usages ; et sur les iles les plus fer- 
tiles le fruit à pain , à châtaignes ( A. incisa , var. à 
semences), le cocotier, le taro et la pêche, en font 
tous les frais. Seulement ceux qui vivent sur lesil:s 
basses, où leurs moyens d'existence sont très res- 
treints, sont obligés de recourir parfois aux fruits 
demi-ligneux du pandanus. Partout existe la méthode 
de cuire les aliments dans des fours souterrains, de 
composer des bouillies avec les bananes, la pulpe du 
rima et le coco. Enfin nous retrouvämes à Oualan 
l'usage de boire de l’ava après le repas; inais cette 
boisson, nommée schiaku (1), au lieu d’être faite avec 
les racines du poivrier, comme chez les Ccéaniens, 
est obtenue des feuilles, qu’on broïe avec une mo- 
lette en pierre dans des vases en bois. 

Il paroït que les fibres qu'ils retirent d’un musa, 
analogue au musa textilis des Philippines, qui four- 
nit l’abaca, étoient obtenues des Mariannois, de la 
même espèce de bananier, sous le nom de balibago, 
et que tous faisoient des étoffes et s’en servoient. 
Les habitants de Peltw et les Mariannois étoient 
nus, d’après M. de Chamisso (?) et le père Le Gobien ; 


() Les Chiliens et les Péruviens ont conservé l'usage 
de composer des breuvages enivrants avec le schinus 
molle et le maïs, qu'ils appellent xava et schiaka : c’est 
ainsi que nous les avons toujours entendu nommer. Or 
quelle singulière analogie dans l'usage de ces liqueurs 
et dans leur nom ! 

(2) &A piece of banana stuff, worn almost like the 
» maro of Owhyce and Otahéite, is the usual dress, and 


HISTOIRE NATURELLE 


mais ils savoient également confectionner ces étofes, 
puisqu'on litdansson Histoire des Mariannes (p. ü8) 
cette, phrase remarquable : « Les femmes marian- 
» noises ajoutent à toutes ces parures de certains 
» tissus de racines d’arbres, dont elles s’habillent les 
» jours de fête; ce qui les défigure fort. » 

Les ornements que ces divers insulaires recher- 
chent , quoique variables de leur nature, sont assez 
caractéristiques pour ces peuples. Ainsi tous pré- 
sentent un goût décidé pour entrelacer des fleurs rou- 
ges d’ixora dans lescheveux, ou des feuilles odoran- 
tes, et des spadices d’arum dans les oreilles : ces 
parties ont toujours le lobe fendu d’une manière 
démesurée ; et depuis les îles de Palaos jusqu’à la 
chaîne de Radack on observe la coutume presque 
générale de placer dans cet organe, graduellement, 
des morceaux arrondis d’un bois léger peinten jauue 
avec le curcuma, et dont on augmente sans cesse le 
diamètre. Mais cette méthode, ainsi que celle de se 
couvrir d'habitude la lèvre inférieure avecune valve 
de coquille, se représente avec la plus grande simi- 
litude sur les îles du nord de l’océan Pacifique, et 
même sur la côte nord-ouest, là où le rameau mon- 
gol est reconnu par tous les voyageurs. Il en est de 
même des chapelets de petites coquilles dont ils se 
serrent le ventre, etdes ornements de testacés dont 
ils se font des colliers. Certains Carolins se servent 
de bracelets faits avec des portions de coquilles ou 
d’os polis et imitant l’ivoire. Ce dernier usage est 
essentiellement propre aux peuples de race noire 
qui habitent la terre des Papous, la Nouvelle-Ir- 
lande et les Hébrides ; et nous avons déjà dit que 
le père Contova indiquoit une fusion de quelques 
icsulaires nègres au milieu de plusieurs îles 
Carolines. 

La manière dont les Carolins construisent leurs 
maisons diffère notablement de celle des Océaniens. 
C'est un système d'architecture qui tient à d’autres 
idées ; et le soin qui préside à leur arrangement, les 
peintures diverses qui les ornent, leur forme sin- 
gulière, mais remarquablement appropriée au cli- 
mat, mériteroient des détails descriptifs complets, 
si cela ne nous étoit pas interdit dans le cadre étroit 
que nous avons dû nous tracer. Tous ces peuples 
ont de grandes maisons communales pour traiter 
des affaires en public ou pour préparer leurs repas. 

La construction des pirogues des Carolins est 
depuis long-temps célèbre; elle ne ressemble en 
rien à celle des Océaniens. Iei on ne peut sedispen- 
ser de reconnoître des insulaires essentiellement 
navigateurs, observateurs exacts du cours des astres, 
possédant une sorte de koussole, instrument que 
l’on sait exister depuis long-temps en Chine et au 
» only at Pelli the men are entirely naked, as was also 


» formerly the case in theMariana islands.»(Ckamisso’s 
Obs. , t. LIT, pag. 191 de l'édition angloise.) 


DE L'HOMME. 31 


Japon, quoique les habitants de ce pays soient loin 
d’être pate Je d’habiles marins. Si tous les Ca- 
rolins évoluent avec facilité leurs pros gracieux ; si 
leur construction montre un talent d’exécation bien 
supérieur à l’imperfection des instruments qu'ils 
+ + on est cependant étonné de voir quelques 
uns d'éntre eux , tels que les Oualanois, ignorer 
l’art de les manœuvrer, et ne pas connoitre l’usage 
des voiles et des mâts. Mais, à part cette exception 
remarquable , les pirogues, toujours à un seul ba- 
lancier, sont faites avec ce soin, ce fini , qui rendent 
leurs formes aussi gracieuses que leur coupe est 
svelte. Elles sont peintes en rouge, frottées avec 
quelques substances qui leur donnent l'aspect d’un 
ouvrage vernissé; et, par cela déjà , on peut remon- 
ter aisément à la source d’un art qui est encore poussé 
au plus haut degré de perfection chez les Mongols 
des mers de Chine. La marche des pros des Carolins 
est remarquable, quoiqu’elle soit loin de légitimer 
ce qu'en ont dit quelques navigateurs , et surtout 
Anson ; elle est de cinq à six nœuds au plus. Mais 
avec quelle adresse on fait changer indistinctement 
à ces pirogues l’avant en arrière, par un simple ren- 
versement de la voile! et ces fragiles embarcations 
conservent toutes un genre de construction qui ne 
varie dans aucune île, et que nous cûmes occasion 
de voir sur la plupart de ces longues chaînes d’ar- 
chipels. Cependant, à mesure qu’on avance dans 
l'est, la pénurie des matériaux se fait remarquer ; 
et déjà les pros sont moins soignés , el se ressentent 
du manque de bois dont ces iles à fleur d’eau sont 
privées. Toutefois Ie même esprit a présidé à leur 
forme générale ; et tels s’offrirent à nous ceux des 
archipels Gilbert et Mulgrave. Les pros des Marian- 
nois ne difléroient point de ceux que nous décrivons 
ici et ce n’est qu'après la sanglante conquête de 
leurs îles par les Espagnols qu'ils négligèrent leur 
architecture maritime (!). Mais tel est le goût du 
rameau mongol-pélagien pour la navigationque, si 
chez les Océaniens un chef est renommé par son 
courage ou par son habileté comme guerrier, chez 
les Carolins il n’a de réputation qu’autant qu’il est 
le plus habile pilote, et qu’il connoît le mieux le 
cours des astres, les phases des saisons, et les vents 
régnants. Enfin peu d’insulaires font de plus longs 
trajets dans de frêles pirogues que ceux qui nous 
occupent. Leurs voyages annuels à Waghal (Guam) 
pour y chercher du loulou (fer) n’en fourniroient 
encore qu’une preuve secondaire, si M. de Cha- 
misso, en traçant les aventures du Carolin Kadu, 
ne nous en donnoit un témoignage devenu histori- 


(r) On a long-temps adopté sans examen l'idée ridi- 
cule que les missionnaires avoient émise, que les Ma- 
riannois ne connoissoient point le feu, et qu'ils le 
prenoient pour un animal qui mordoit ceux qui l’ap- 
prochoien! de trop prés, 


que. En remontant à des considérations plus élevées, 
nous trouvons chez ce peuple, comme chez les Océa- 
niens , une noblesse héréditaire, des classes moyen- 
nes, et des serfs avilis. Fière de ses prérogatives, 
la classe privilégiée, soit qu’elle se nomme urosse, 
tamole, rupack, etc., tient dans une soumission 
servile le peuple qu’elle regarde comme façonné 
pour lui obéir : elle possède seule les terres et même 
les individus; et, quoique n’ayant aucune marque 
disticetive, elle jouit d’une autorité d'autant plus 
forte que la basse classe se croit seulement faite 
pour obéir à ses volontés. 

Leur croyance rekgieuse, peu connue, semble 
n'avoir de culte pour aucun objet extérieur (1). Point 
de cabane servant de temple, point d’idoles. Que de 
traits propres à isoler ces peuples! Mais, de même 
que les Ccéaniens, ils possèdent le dogme conso- 
lant d’une autre vie; et si les premiers placent les 
dépouilles de leurs proches sur les moraïs, les Ca- 
rolins, en général, leur élèvent des abris de chaume 
au milieu des bois ou des plantations de cannes à 
sucre. Ce n’est pas sans étonnement qu’on ne voit 
chez ces peuples nulle trace extérieure de l’idolâtrie 
qui règne chez tous les autres rameaux épars dans 
les mers du sud. ; 

Adonnés à la guerre, parce que l’homme y est 
naturellement porté, les Carolins ont aussi conservé 
ou su faire un grand nombre d'instruments de des- 
truction. Cependant nous ne les trouvons pas en 
possession de l’are et des flèches , réservés à la race 
nègre, ni du casse-tête, ni des longues javelines, 
plus particulièrement usités chez les Océaniens. Des 
frondes, des pierres, des bâtons pointus et garnis 
d’os et d’épines de poissons , des haches de coquil- 
les, voilà les armes les plus habituelles , et celles 
dont ils se servent plus généralement. 

Les Carolins ne suivent pas l’usage infâme des 
Océaniens de prostituer leurs filles , ou les esclaves 
enlevées à leurs familles. Jaloux de leurs épouses, 
ils paroissent scrupuleux de conserver intacte la 
fidélité conjugale, et redoutent le commerce de 
leurs femmes avec les étrangers. La polygamie 
semble exclusivement réservée aux chefs. Quant à 
leur caractère, il paroît enjoué et bienveillant. Leur 
abord est plein de douceur : mais cette race tient de 
ses pères l’art de dissimuler avec adresse ; et tel est 
le tableau que Le Gobien en traça en 1704 : « Ces 
» insulaires en usèrent d’abord avec droiture et 
» bonne foi; mais bientôt les Espagnols s’aperçu- 
» rent qu'ils avoient affaire à une nation fourbe et 
» artificieuse, contre laquelle il falloit toujours 
» être en garde pour ne pas être trompé. Ils con- 


() «Au reste les Mariannoiïs ne reconnoissent aucune 
» divinité, et avant qu'on leur eût préché l'Evangile ils 
» n’avoient pas la moindre idée de religion: ils étoient 
» sans temples , sans autels, etc. » (Le Gobien, p. 64.) 


32 HISTOIRE NATURELLE 


» servent profondément dans leur cœur le souve- 
» nir des injures qu’ils ont recues ; etils sont telle- 
» ment maîtres de leurs sentiments qu’ils attendent 
» plusieurs années l'instant de la vengeance. » Ici 
nous n’adopterons pas sans examen le caractère que 
leur donne un Père trompé par son zèle sans doute, 
et qui n’apprécie point assez ce que ce peuple in- 
fortuné avoit à endurer d’une nation européenne 
qui en opéroit la conversion au christianisme avec 
le fer et le feu. Les Carolins, avec lesquels nous 
eûmes de fréquentes communications, montrèrent 
constamment de la bonne foi dans leurs échanges , 
de la franchise dans leurs manières, de la gaieté, 
et un certain abandon qui indiqueroit de la droi- 
ture, à moins que cela ne fût produit par l’appareil 
d’une force imposante, qui les porta à n’avoir avec 
nous que des relations franclrement amicales. 

La musique des Mongols-Pélagiens, comme celle 
de tous les peuples dans l’enfance d’une demi-civi- 
lisation , est grave, peu mélodieuse, parfois mêlée 
de notes entrecoupées et lentes. Elle est destinée le 
plus souvent à servir d'accompagnement à leur 
danse, qui est caractéristique, et qui diflère beau- 
coup de celle des vrais Océaniens. L’'instrument 
dont ils se servent est le tam-tam, qu'on trouve gé- 
néralement répandu chez la plupart des peuples 
orientaux et africains, de races nègre et jaune. Celle 
poésie, qu’on retrouve chez tous les Carolins, dont 
les idées sont demeurées stationnaires, ne prouve- 
t-elle point que, découlant d’une source antique, 
et quoique brute et sauvage, elle peut encore ré- 
veiller dans leur âme des émotions agréables et des 
souvenirs historiques ? que chez ces hommes isolés 
dans un cercle étroit, elle suffit pour embellir les 
longues journées , qui s’écouleroient sans elle dans 
une complète inertie ? 

La langue de ces peuples semble varier à l'infini 
et presque dans chaque île. Cependant , malgré la 
différence de l’orthographe usitée par les collecteurs 
divers des mots employés par ces insulaires, on 
reconnoit le même génie, et, comme le dit fort 
bien M. de Chamisso, des sortes de régles pius 
compliquées que chez les vrais Océaniens. A notre 
avis les langues, lorsqu'elles se rapprochent évi- 
demment, peuvent offrir de bons caractères, lors- 
qu’ils s’adaptent surtout à l’ensemble de ceux qu’on 
peut tirer des habitudes et de la conformation ; mais 
on ne peut jamais y attacher une valeur absolue. Où 
en scroit-on, en effet, s’il falloit grouper divers peu- 
ples de la France, en écrivant des noms tels qu’on 
les entendroit prononcer ? et à quelle race rapporte- 
roit-on alors les habitants de telle ou telle province? 
Cependant quelques rapprochements existent dans 
la langue des Carolins. Çà et là on retrouve les ja- 
Jlons de communications. Ainsi la numération dé- 
cimale est seule usitée, et, quoique les noms de 


nombre varient, le système arithmétique est le 
même. À Oualan comme à l’ile d'Hogoulous les 
dénominations numériques sont très'arbitraires, et 
doivent tenir ou à des migrationsdiverses, ou à des 
dialectes corrompus, que nous ignorons Ainsi le 
mot un, chez ces peuples, se dit sha à Oualan 
(Nob.), duon à Radack ( Chamisso) , eoth éa , 
rep à Eap, hatjijai en chamorien, sa à Pénélap 
(Nob.), yote à Doublon ou Hogoulous (Nob.), tong 
aux Pelew ( Wilson), usa (Bisaya), isa (Pampan- 
go, Chamisso), ysa (Tagale), ete. Le mot cinq offre 
beaucoup plus d’analogie, et il présente la plus 
grande ressemblance dans presque toutes les lan- 
gues de la mer du Sud , quels que soient les peuples 
qui l’emploient; il se dit, comme en malais, lima, 
lime. D'un autre côté, le mot iamole, pour désigner 
un ehef, est généralement usité dans les Carolines. 
Il en est de même du mot ik, poisson , qui semble 
dériver du malais ikan, etc. 

Nous terminerons ce tableau par une seule ré- 
flexion. Les peuples du rameau mongol-pélagien 
n’avoient point le cochon ni le chien sur leurs îles 
avant l’arrivée des Européens; et MM. Quoy et 
Gaimard nous apprennent que ce dernier est lui- 
même étranger aux îles Mariannes , comme l’indi- 
que son nom de galagou, qui veut dire animal venu 
par la mer. 


IV. DES PAPOUAS OU PAPOUS (1). 


Sous le nom de Papous, on connoît, en France, 
des peuples dont la couleur noire varie en intensité, 
et dont la chevelure n’est point lisse de sa nature, 
mais n’est pas laineuse non plus. Ces hommes, 
qu’on sait habiter le littoral des îles de Waigoui (?), 
de Sallawaty, de Gammen et de Battenta, et toute 
la partie nord de la Nouvelle-Guinée, depuis la 


() Mémoire lu à la Société d'histoire naturelle de 
Paris , dans la séance du 23 juin 1826. 

«Les peuples dont la peau est noirâtre et la cheve- 
lure tantôt lisse, tantôt laineuse, et qui vivent sur les 
grandes terres montagneuses siluées entre l'Asie el la 
Nouvelle-Hollande, ont été jusqu'à ce jour fort peu étu- 
diés. Il est même difficile de se former une idée exacte 
des dénominations qui leur ont été appliquées. Aussi, 
dans cel essai, nous présenterons seulement un résumé 
très succinct des observalions que nous avons pu re- 
cucillir pendant le séjour de la corvette la Coquille au 
milieu de ces archipels. On doit d’ailleurs espérer que 
l'expédition de L'Astrolabe, qui explore actuellement 
ce système d'îles ,jettera la plus vive lumiére sur ce 
sujet en rassemblant les faits nécessaires pour fixer ir- 
révocablement l'opinion des savants sur une matière 
qui intéresse si particulièrement l'histoire de l'homme.» 

(2,Le nom de Waigiou est écrit différemment par les 
François et par les Anglois. Nous avons toujours en- 
tendu les naturels appeler Ouaighiou la partie nord de 
l'ile, et Ouarido la partie sud, 


DE L'HOMME. 39 


pointe Sabelo jusqu’au cap de Dory, ont été parfai- 
ment décrits par MM. Quoy et Gaimard (1), qui les 
premiers ont démontré qu’ils constituoient une es- 
pèce hybride, provenant, sans aucun doute, des 
Papouas et des Malais qui se sont établis sur ces 
terres et qui y forment à peu près la masse de la 
population. Ces Négro- Malais ont emprunté à ces 
deux races les habitudes qui les distinguent ; et 
c’est ainsi que plusieurs ont embrassé le mahomé- 
tisme , et que d’autres ont conservé des Papouas le 
fétichisme et la manière de vivre. Un grand nom- 
bre des mots de la langue de cette variété humaine 
sont tirés du malais, et notamment celui de rajah, 
qui sert à désigner les chefs. Ces insulaires forment 
donc une sorte de peuple métis (?), placé naturelle- 
ment sur les frontières des îles Malaises et des ter- 
res des Papouas, et sur le littoral d'un petit nombre 
d’iles agglomérées sous l'équateur , et au milieu 
desquelles s’introduisent sans interruption des Ma- 
lais de Tidor et de Ternate, et des Papouas de la 
Nouvelle-Guinée, et même quelques Alfourous 
des montagnes de l’intérieur. Presque toujours l’au- 
torité, peu influente d’ailleurs, se trouve reposer 
dans les mains des Malais, qui exploitent encore le 
commerce par (changes, et surtout la vente des es-- 
claves pris à la guerre. La masse de ces Papous hy- 
brides présente des hommes d’une constitution 
grêle et peu vigoureuse. La teinte de leur peau est 
très claire; mais le plus souvent elle est recouverte 
de cette lèpre furfuracée si abondamment répandue 
sur les peuples de race noire de la mer du Sud 
Leurs traits ont une certaine délicatesse ; leur taille 
est le plus ordinairement petite; l'abdomen est très 
proéminent, et leur caractère est timide. Tout en 
eux indique la funeste influence de leur genre de vie 
et de leur habitation. 


Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces 
peuplades que visitèrent d'Entrecasteaux , de Ros- 
sel, La Billardière, de Freycinet, Quoy et Gaimard, 


(‘) Observations sur la constitution physique des Pa- 
pous. {Zoologie du Voyage de l'Uranie, pag. { à 11.) 

(2) La relalion de Jacob Le Maire (Miroir Oost et 
West Indical, Amst., 4621, in-4o oblong , pag. 164) 
prouve que déjà ces Papous hybrides n’avoient point 
échappé aux observations des premiers navigateurs. 
Il y est dit : « Vindrent aussi quelques negrez qui nous 
» amenerent vivres. Ils avoyent aussi une monstre 
» de porcelaine chinese; c’estoient une autre sorte de 
» gens que les precedens { ceux de la Nouvelle-Guinée), 
» de couleur plus jaulne ; quelques uns portoyent des 
» cheveux longs, d’autres courts, et usoyent aussi 
» d’arcxs etflesches , etc. » 

En 1699 Dampier ( Voyage aux terres australes ct 
à la Nouvelle-Hollande, t. IV, pag. 67, 1714) décri- 
vit également ces Papous hybrides , et les détails qu'il 
en donne portent le cachet de son exactilude ordi- 
paire. 

LL 


et qu’il nous suffisoit de distinguer des peuples à 
cheveux crépus (crispd toitilique coma des Latins), 
auxquels nous conservons le nom indigène de Pa- 
poua (1), usité à la Nouvelle-Guinée, où ils sont ré- 
pandus sur les côtes, de même que sur les grandes 
îles faisant partie de ce qu’on nomme terre des P«- 
pous, Enfin nous retrouverons les Papouas peuplant 
les îles jusqu’à ce jour peu connues de la Louisiade, 
de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Irlande , 
de Bouka, de Santa-Crux (?), et de Salomon (3), etc. 

Les Papouas qui doivent nous occuper ont la plus 
grande ressemblarce avec les nègres Cafro-Madé- 
casses (4) ; et cette analogie se retrouve encore dans 
plusieurs de leurs habitudes et de leurs traditions, 
de même que dans leur constitution physique, Ils 
paroissent provenir d'une migration postérieure à 
celle des Ccéaniens, migration qui s’est arrêtée sur 
le contour des chaînes de la Polynésie, n’a envahi 
que le littoral de la Nouvelle-Guinée, et s’est ré- 
pandue sur les îles de la Nouvelle-Bretagne, de la 
Nouvelle-Irlande, de Bouka, de Bougainville, de 
l’Amirauté, de Salomon, de Santa-Crux , de la 
Tierra australe del Espiritu-Santo, et de la Nou- 
velle-Calédonie ($#). Les habitants de la Nouvelle- 
Guinée se désignent par le nom de Papouas, en 
réservant la dénomination d’Endaménes aux nègres 
à cheveux droits et rudes de l’intérieur : ils n’ont 
point passé le détroit de Torrès ; tandis que les En- 
damênes ou Alfourous (nègres australiens) parois- 
sent s'être répartis très anciennement en peuplades 
misérables, éparses et peu nombreuses, sur le sol 
maigre et stérile de la Nouvelle- Hollande. On ne 
peut, par suite, concevoir la manière dont la terre 
de Diémen a été peuplée qu’en adoptant l’idée que 
les nègres à chevelure laineuse s’y sont introduits 
par le groupe des Hébrides et de la Nouvelle-Calé- 
donie. 

Ainsi donc la portion centrale de ia Nouvelle- 
Guinée est habitée par des nègres Alfourous qui 


(r) « Du mot indigène pua-pua, qui veut dire brun 
» foncé. » (Marchal, Histoire de Java, pag. 4.) 

(2) «Les naturels de l’île de Santa-Crux sont noirs 
» comme les nègres d'Afrique. Tous ont les cheveux 
» laineux, et les teignent de différentes couleurs, etc.» 
(Second Voyage de Nengdana; Fleurieu, Décou- 
vertes des François, pag. 26.) 

(3) « Les peuples qui habitent ces terres sont en gé- 
» néral de l’espéce des nègres ; ils ont les cheveux lai- 
» neux et noirs, le nez épaléet de grosses lèvres, elc. » 
(Surville , Découvertes des François, pag 95.) 

(4) Ce rapprochement avoit déjà été fait il y a un sié- 
cle; ila élé combattu par M. Crawfurd, dont les rai- 
sonnements en cette circonstance ne sont appuyés sur 
aucun renseignement positif. 

(5) « Les naturels des îles Tatée paroissent être de la 
» même race que les Papous.lIls ont la tête laineuse, la 
» peau d’un noir de jais,et tous les traits des nègres 
» d'Afrique, » (Méares, Voyages, t. 1, pag. 357.) 

B] 


34 


en sont les aborigènes, et que les Papouas du havre 
de Doréry nomment Enduménes. Ces peuplades 
sont toujours en guerre les unes avec les autres, et 
n’ont point d'autres communications que celles 
qu’amène un état perpétuel d’hostilités. Les nègres, 
au contraire, qui sont établis sur les côtes, se distin- 
guent entre eux par la dénomination d’Arfañis ou 
de montagnards ,; et de Papouas ou Ge riverains. 
Ces derniers vivent par tribus éparses et isolées 
dans un état continuel de défiance ct d'inquiétude. 
Leurs villages, placés sur l’eau et sur des pieux, se 
composent d'un petit nombre de cabanes gouver- 
nées par l'autorité de chefs âgés. Leur taille est 
assez communément médiocre, quoiqu’on observe 
parmi eux de forts beaux hommes. Leurs membres 
sont ordinairement proportionnés avec régularité, 
et souvent leurs formes sont robustes et athlétiques. 
La couleur de leur peau est d’un noir mêlé d’un 
huitième de jaune; ce qui lui donne une teinte 
assez claire dont l'intensité varie. Leur chevelure 
est noire, très épaisse , médiocrement laineuse : 
ils ont l'habitude de la porter ébouriffée d’une 
manière fort remarquable , ou de la laisser retom- 
ber sur le cou en mèches longues et très flexueu- 
ses. Le visage est assez régulier dans l’ensemble 
des traits, quoique le nez soit un peu épaté, et que 
les narines soient élargies transversalement. Le 
menton est petit ct bien fait; les pommettes sont 
assez saillantes, le front est élevé, les sourcils sont 
épais et longs. La barbe est rare; mais quelques 
naturels la conservent au-dessus de la lèvre supé- 
rieure et au-dessus du menton, à l'imitation de 
plusieurs peuples africains. La physionomie des Pa- 
pouas réfléchit aisément les sensations qui les ani- 
ment et qui naissent de la défiance , du soupçon et 
de toutes les passions les plus lhaineuses : et l’on 
observe chez presque tous les peuples de race noi- 
râtre une prédominance marquée des facultés pure- 
ment inslinctives (1) sur celles de l'intelligence. Les 
femmes, qui partout l’emportent sur l’homme par 
Ja délicatesse de l’organisation , sont communément 
Jaides. Cependant nous vimes à la Nouvelle-Gui- 
née quelques filles nubiles très bien faites, et dont 
les traits réguliers et doux étoient remarquables. 


() Plus les hommes sont loin de l'état de civilisation, 
plus leur intelligence instinctive est développée : les 
sens Sont plus parfaits que chez l’'Européen. Aussi le 
Papoua a-t-il la vue perçante et l’ouïe trés fine. Mais 
comme son unique occupation est de satisfaire son 


appétit vorace , que cette fonction absorbe toutes les 


autres facultés, ou qu’elles ne sont développées que 
dans ce seul but, il a reçu des muscles masseter et 
temporaux d'une grande force. C’est ainsi que nous re- 
marçquâmes sur plusieurs crânes des crêtes nombreuses 
hérissant loute la partie antéricure de la fosse tempo- 
rale pour donner aux fibres du crotaphyte des points 
d'altache plus puissants. 


HISTOIRE NATURELLE 


Faconné pour la servitude et l’obéissance ce sexe, 
chez les Papouas, comme chez certains nègres d’A- 
frique, doit vaquer aux travaux Îles plus rudes que 
dédaigne de partager un maitre inflexible et des- 
pote. 

Ainsi les Papouas se sont propagés sur les îles de 
Pouka, de Bougainville, de la Nouvelle-Bretagne 
et de la Nouvelle-Irlande. Si l’on en juge par la 
description des voyageurs les plus exacts, ils se 
seroient également établis sur les îles de Santa-Crux 
et des Arsacides, des Hébrides (1) et de la Nouvelle- 
Calédonie ; ils auroient envoyé des colonies sur les 
iles des Navigateurs et des Fidjis (?), el y auroient 
donné naissance à la variété hybride ou négro- 
océanienne qu’on y connoit. 

Les naturels de Bouka , avec lesquels nous com- 
muniquâmes, avoient une taille moyenne. Ils pré- 
sentoient absolument tous les caractères et toutes 
les habitudes des Papouas, et portoient comme eux 
leur chevelure demi-laineuse , longue et ébouriffée. 
Les habitants de Port-Praslin à la Nouvelle-frlande, 
ceux de l'ile d’York dans je canal Saint-George, ne 
différoient point de ceux-ci : seulement il y avoit 
parmi eux un plus grand nombre d'hommes grands 
et robustes. Mais plusieurs individus, dans le 
nombre, étoient remarquables par la teinte peu 
foncée de leur peau; ce qui les rapprochoit de la 
couleur jaune foiblement bronzée des Océaniens. 

La figure des vieillards de ces diverses peuplades 
étoit généralement calme, sereine et impassible. 
Cependant nous observämnes des changements assez 
brusques dans le jeu de leur physionomie. A la 
fausseté, aux regards perfides des uns, étoient 
opposés la défiance et les soupçons desautres, la bon- 
homie ou la confiance d’un petit nombre. Ces peu- 
ples ne hérissent point leur chevelure comme cer- 
tains Papouas; car cette mode n’est suivie que par 
quelques tribus. 


(") Consultez les excellents détails fournis par Forster 
ser les naturels de l'île de Mallicolo, qui semblent con- 
slituer une varièlé. (Second Voyage de Cook, t, IH, 
pag. 59 ,el t, V, pag. 220.) 

() Suivant M. Mariner (t. 1, pag. 346), les habitants 
des Fidjis ont les cheveux crépus et de la nature dela 
laine. Ils les poudrent avec des cendres, et les frisent 
avec le plus grand soin, de manière qu'ils ressemblent 
à uneimmense perruque. Is portent des bracelets d'é- 
corce et de coquilles autour des bras, et sont presque 
nus. Plus loin il ajoute, après avoir séjourné au milieu 
d'eux(t. I, pag. 135) : « Les naturels de ces Îles pa- 
roissent être une race fort inférieure à celle de Tonga, 
et approcher davantage de la conformation des nègres. 
La langue est dure,et emploie plus souvent la consonner. 
C'est au point que, quoique les îles Fidjis soient trés 
voisines des îles de Tonga , le langage différe bien plus 
entre ces deux archipels que celui de Tonga , par 
exemple, avec les Sandwich, qui en sont séparées par 
une distance neuffois plus considérable, » æ 


DE L'HOMME. 


Si nous examinons enfin la conformation physi- 
que des habitants de la grande ile de Madagascar, 
connus sous les noms de Âadécasses proprement 
dits (‘), nous trouverons, au milieu des trois ou 
quatre variétés humaines qui habitent celte grande 
île , des nègres dont les membres sont proportion- 
nés avec régularité, et souvent dessinés avec vigueur. 
Ces Madécasses ont une taille bien prise, et parmi 
eux on observe un très grand nombre de beaux 
hommes. Leur chevelure, médiocrement laineuse, 
est nouée sur l’occiput par gros flocons ; la peau est 
de couleur brune, mêlée de jaune; le nez est légè- 
rement épaté, la bouche grande ; en un mot l’en- 
semble de leurs traits, qui est régulier, serviroit en 
grande partie à tracer le portrait d’un ‘apoua de 
Doréry, de Birare ( Nouvelle- Hretayne de Dampier), 
de la Nouvelle-Irlande ou de Bouka (?). Il nous reste 
à généraliser les habitudes de cette grande famille. 

Les Papouas vont nus. Jamais nous ne vimes les 
habitants des iles Bouka , de la Nouvelle-Bretagne 
et de Port-Praslin, cacher par le moindre voile les 
organes sexuels. Les naturels de Doréry, ainsi que 
les Papous hybrides, sont les seuls qui fassent 
exception à cette coutume ; et bien qu’ils ne sachent 
point faire des tissus , ni convertir les écorces d’ar- 
bres en étoffes, ils emploient comme ceinture des 
sortes de toiles naturelles et grossières qu’ils reti- 
rent des enveloppes florales du cocotier ou des gaines 
membraneuses des feuilles du bananier. Les tribus 
qui vivent sur les côtes de la partie nord de la 
Nouvelle-Guinée, ayant chaque jour des communi- 
cations avec les Malais, et surtout avec les Guébéens, 
en reçoivent en échange d'oiseaux de paradis, 
d'écaille de tortue, ou par la vente des esclaves, 
des toiles de coton teintes en bleu ou en rouge, et 
qui sont destinées aux femmes. Ils ont aussi adopté 
l’usage de chapeaux larges et pointus, faits à la 
chinoise avec des feuilles de pandanus , cousues et 
disposées très ingénieusement. Mais un goût com- 
mun à tous les peuples de race noire est celui de se 
couvrir les épaules et la poitrine d’incisions éle- 
vées et mamelonnées , disposées en lignes courbes 
ou droites, mais toujours régulières ; et cette mode, 
qui sert à distinguer les diverses tribus nègres de 
l'intérieur de l’Afrique , est pratiquée par presque 
tous les habitants de Madagascar, et par tous les 
naturels de couleur noire répandus dans l’ouest de 


{) Consultez Flacourt, Histoire de Madagascar , 1 
vol. in-4°,et Rochon, Voyage à Madagascar , 1 vol. 
in-8o, pag. 15. 

(2) « Parmi les habitants de la Louisiade qui vinrent 
» en pirogue le long de nos navires, et dont la cheve- 
» lure étoit laineuse et la peau olivâtre, j'en remarquai 
»un aussi noir que les nègres de Mozambique , avec 
» lesquels je lui trouvai beaucoup de rapport. » ( La Bil- 
lardière , Foyage, t. 11, pag. 276, in-4o.) 


39 


la mer du Sud, et aus:i bien sur la terre de Dié- 
men que dans l'Australie. 

La chevelure de ces peuples est en général très 
frisée , très fine, résistante, et en même temps très 
épaisse. Quelques familles de la Nouvelle-Guinée, 
de Waigiou , de Bouka , lui donnent la forme ébou- 
rifée et singulière qu'on a même regardée comme 
un caractère des Papous; mais d’autres tribus, 
telles que celles de Rony à la Nouvelle-Guinée, 
de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Frlande, 
la laissent tomber sur les épaules en mèches cor- 
données longues et flottantes. Les papouas aiment 
à se couvrir la tête de poussière d’ocre unie à de la 
graisse, etrougir ainsi leur chevelure et leur visage, 
et se faire sur la poitrine ou sur la face des bandes 
diverses avec de la chaux de corail. C’est plus par- 
ticulièrement au Port-Praslin, à la Louisiade, qu’on 
retrouve celte singulière mode, qui règne sans 
partage chez les habitants de la Nouvelle-Galles 
du sud. Ces peuples emploient peu le tatouage, 
qu'ils nomment panaya à la Nouvelle-Guinée ; et, 
opposés en cela aux Océaniens, ils se bornent à 
tracer quelques lignes éparses sur les bras ou à 
l’angle des lèvres de leurs femmes, comme une 
marque particulière. Ils aiment tous les ornements 
de quelque nature qu’ils soient. Nulle part nous ne 
rencontrâmes en plus grande abondance des colifi- 
chets de plumes, d’écailles ou de nacre, destinés à 
être placés sur la tête, à la ceinture ou sur les 
armes. Mais partout nous observâmes l'usage, 
exclusif à cette race, de porter des bracelets d’une 
blancheur éblouissante, faits avec beaucoup d’art, 
très polis , et qu’ils faconnent probablement avec la 
grosse extrémité des énormes cônes qui vivent dans 
les mers environnantes : tous les navigateurs en 
ont parlé. Bougainville dit, en mentionnant cet 
objet chez les naturels des grandes Cyclades : « Ils 
» se percent les narines pour y pendre quelques 
» ornements {!), Ils portent aussi aux bras, en 
» forme de bracelets, une dent de babiroussa, ou un 
» grand anneau d’une matière que je crois de li- 
» voire (2). » Un tel usage est par lui-même carac- 


() « Les naturels de Navihi-Levou, l’une des Fidjis, 
» ont adopté cette coutume ; et pour se donner un air 
» plus formidable ils percent le cartilage du nez, el ils 
» y passent des plumes qui retombent sur les lèvres 
» comme d'épaisses moustaches. » (Mariner, {. [, pag. 
335.) Or nous avons vu une habitude identique chez 
les nègres de Port-Praslin. 


(2) Surville, sur Le Saint-Jean-Baptiste, mentionne 
ces bracelets de cette maniére (Port-Praslin, : « La plu- 
» part portent un bracelet au bras, au-dessus du coude, 
» qui peut avoirun demi-pouce d'épaisseur sur un pouce 
» de largeur. Il est fait, autant qu'on peut en juger , 
» d'un coquillage dur, opaque, lourd , qui est supérieur 
» en blancheur à l'ivoire du Sénégal et au marbre de 
» Carrare » (Découvertes des François dans le sud- 


30 : HISTOIRE NATURELLE 


téristique ; mais ce qu’il offre de plus remarquable 
encore est l’analogie qu’il présente avec les coutu- 
mes des Ég gyptiens. Les recherches modernes nous 
ont en effet indiqué la présence d’un ornement de 
forme exactement semblable sur un grand nombre 
de momies. 

L'usage de mâcher le bétel avec l’arec etla chaux, 
propre au rameau malais, a été porté chez les Pa- 
pouas par ce peuple sans doute; mais on doit sup- 
poser que des communications antérieures en ont 
fait naître le besoin chez les habitants de Port-Pras- 
lin, où nous le trouvâmes très répandu; à Bouka, 
où nous en vimes des traces; à l'ile de Choiseul et 
à la Louisiade , où Bougainville et La Billardière 
l’observèrent. 

Ces derniers peuples ct les Papouas de la Nou- 
velle-Guinée surtout portent des amulettes façon- 
nées en idoles (1), fixées sur la nuque par un collier 
fait de dents d’animaux, etc. Mais nous trouvàmes 
dans leurs cabanes quelques coiffures parfaitement 
analogues à celles qui servent aux enfants dans nos 
fêtes religieuses, et que surmontoit une feuille de 
pandanus, contournée très adroitement en fleur de 
lis. Cette forme antique et singulière, conservée fi- 
dèlement, et même avec le plus grand goût chez les 
peuples encore dans les ténèbres d’une longué en- 
fance, doit provenir de l’Abyssiuie. Mais ce qui 
met hors de doute leurs rapprochements avec les ha- 
bitants de l'Afrique ce sont les oreillers en bois sur 
lesquels ils appuient la tête pour dormir. A Wai- 
giou , à Doréry, nous trouvämes chez tous ce meu- 
ble travaillé avec adresse, représentant le plus 
constamment et avec plus ou moins de perfection 
deux têtes de sphinx, attribut égyptien; et plusieurs 
de ces objets, comparés en France, ne diffèrent en 
rien de ceux trouvés sous la tête des momies d'É- 
gypte, dans leurs tombeaux, et conservés par les 
voyageurs modernes qui les ont découverts. 

Les Papous de Doréry et de Waigiou ont un goût 
particulier pour façonner lesidoles qu’ils placent sur 
leurs tombeaux et dans un endroit particulier de 
leurs cabanes. Ces sculptures se reproduisent sur le 
devant deleurs pirogues. Mais comme leur culteest 
un fétichisme pur, et que quelque teinte de l’isla- 
misme n’a pénétré qu'avec les Malais au nord seu- 
lement, nous voyons chez tous cette habitude de 
consacrer dans une cabane qui sert de temple une 


est de la Nouvelle-Guinée, par PR: 1790 , page 
128 ,in-4o, ) 

(:) « Les nègres de Sicrra-Leone semblent vénérer 
» de petites statues faites à peu prés à la ressemblance 
» de l'homme. Il n’en coûte que huit ou onze pouces de 
» bois pour la façon de ces images qu’on peint en noir, 
» et qui sont les pénates de Ja hutte, Ils leur font des 
» offrandes qui consistent en chiffons, vases ébré- 
» chés,etc.» (Matthews, Voyage à Sierra-Leone.) 


suite d'idoles vêtues de guenilles diverses, repré- 
sentant les divinités rangées par ordre de puissance, 
Nous trouvâmes cet état de choses au Port-Praslin, 
grôce à la course hasardeuse du jeune et brave de 
Blosseville ; et ces naturels, sans exception, au 
milieu de leurs grotesques divinités, consacrentàdes 
animaux des représentations assez fidèles. C’est ainsi 
que le crocodile est un objet de culte à Waigiou, le 
requin et le pélandoc au Port-Praslin, le chien à 
Doréry, etc. Les Papous toutefois vénèrent les morts, 
suspendent les têtes de leurs ennemis comme tro- 
phées aux parois de leurs demeures , pour les pri- 
ver sans doute d’une existence heureuse dans l’au- 
tre vie; car ils ont la croyance d’un être suprême 
infiniment bon , et d’un génie adonné au mal. 

L'industrie des peupies de race noire n’est point 
à citer, bien que les femmes des Papouas de Doréry 
fabriquent de la poterie (!); et, comme ceux de 
Waigiou , ils savent assembler les belles feuilles sa- 
tinées du pandanus longifolius pour en faire des 
nattes qu’ils festonnent diversement, et qu’ils tei- 
gnent avec les couleurs les plus éclatantes .et les 
plus solides. Ces nattes, avec lesquelles ils s’abri- 
tent de la pluie, sont représentées , au Port-Praslin, 
par des capuchons qui en ont la forme et parfois 
l'ampleur : elles sont en effet le plus souvent pliées 
au milieu, et cousues à une extrémité, 

Les habitants de la Nouvelle-Bretagne, dela Nou- 
velle-frlande, avoient divers ornements passés dans 
les narines, ou des bâtonnets traversant la cloison 
du nez, à l'instar des naturels de la Nouvelle-Galles 
du sud. Cctte mode se reproduisit à nos yeux chez 
les Papouas du havre de Rony, et tous nous assu- 
rèrent que les bâätonnets qu’ils portoient éloient bien 
petits en comparaison de ceux que les farouches 
Endamênes, leurs ennemis, et les propriétaires des 
districts plus au sud, se placoient ainsi, et comme 
une vergue civadière , ainsi que l’a dit le premier 
un marin judicieux et instruit. 

Le genre de vie des Papouas ne nous fournit point 
de caractères bien précis. Cependant ils ne savent 
point, comme les Océaniens, pratiquer des fours 
souterrains pour cuire leurs aliments : ils se conten- 
tent de les griller sur les charbons ardents, ou bien 
de faire des treillages élevés, et de les préparer ainsi 
par l’action médiate de la chaleur. Vivant, du reste, 
des fruits équatoriaux , de racines nutritives que le 
sol produit en abondance, les Papouas de la Nou- 
velle-Guinée savent encore cultiver quelques légu- 
mes ; et l’espèce de haricot qu’ils nomment aberou 
forme principalement la base deleur nourriture, avec 


(:) « Dans le pays des Kaartans, dans l'Afrique occi- 
» dentale, le village d’Asamanga Tary est renommé par 
» ses manufactures de poterie de terre, travaillée par 
» les femmes, » ( Voyage dans l'Afrique occidentale, 
par Gray et Dochard.) 


DE L'HOMME. 37 


les produits de la pêche, ou les coquilles qu'ils vont 
chercher sur les récifs, et même les reptiles qu'ils 
attrapent dans les forêts. 

Leur gouvernement est peu connu. On a cepen- 
dant remarqué qu’ils sembloient obéir à des vieil- 
Jards dont l’autorité paroissoit nettement établie ; et 
ce n’est guère que chez ceux qui ont communiqué 
avec les Malais qu’on retrouve le titre de rajah, par 
exemple; et encore n’en ont-ils point d’idée bien 
claire et bien distincte. Nous avons vu que leur culte 
étoit un fétichisme pur ; fétichisme sous l'influence 
duquel toutes les races noires de l'Afrique , excepté 
l’abyssinienne, sont plus ou moins soumises. Mais 
les Papouas entourent d’un profond respect les tom- 
beaux de leurs pères : ils élèvent des cabanes pour 
les abriter. Ilsdressent souvent des estrades en bois, 
destinées à supporter leurs os desséchés , et ne man- 
quent point de placer sur leur sépulture des vases 

destinés à recevoir des offrandes , telles que du bétel, 
tabac, ou du poisson , et de recouvrir des attri- 
uts du défunt le lieu où reposent ses cendres. 
La construction des cabanes présente, chez les 
divers peuples de la race papoue, des différences 
assez tranchées. Ainsi les huttes des naturels de la 
Nouvelle-Irlande sont de forme africaine , arrondie, 
couvertes de paille , ayant une porte étroite et basse. 
Chez les habitants de Waigiou et de la Nouvelle- 
Guinée (!), aucontraire , elles nous montrent quelle 
peut être l’influence des hostilités continuelles aux- 
quelles ils se livrent Ces peuples en effet établissent 
leurs villages au fond des baies, sur le bord des ri- 
vages. Mais par une prévoyance sans cesse défiante, 
ils ont placé leurs maisons sur l’eau même des grè- 
ves, de manière qu’elles sont supportées par des 
pieux , et qu’on ne peut y parvenir que par des ponts 
informes qu’en cas d’alerte du côté de terre on peut 
faire disparoïtre en un elin d'œil ; tandis que la fuite 
est facile par mer, parce qu’ils ont le soin d’avoir 
leurs pirogues sous le plancher à jour de ces ajou- 
pas. Il se sauvent aisément dans les bois lorsque 
lPattaque a lieu avec des embarcations armées. Enfin 
ceux même qui habitent l’intérieur du paysont placé 
leur gîte sur quelque morne élevé, dont l’approche 
est défendue par des palissades ; et non satisfaits de 
la sécurité qu’ils peuvent retirer des obstacles qui se 
rencontrent sur le chemin, ils ont encore perché 
*Jeurs demeures sur des troncs d’arbres rendus lis- 
ses, et hauts de douze à quinze pieds, et se servent 
d’un énorme bambou entaillé pour y parvenir. Cha- 
que soir cette échelle est retirée dans la cabane, et 
Ja famille dort en paix, sur des tas de flèches pré- 


(*) « Les cabanes des naturels de la Louisiade sont, 
» comme celles des Papous , élevées avec des pieux de 
» deux ou trois mètres au-dessus du terrain. » (La Bil- 
» lardière, Voyage à la recherche de La Pérouse, t. U, 
page 277.) j L 


parées pour repousser {oute attaque, dans l’aire 
qu’elle a construite à la manière des oiseaux. Cesont 
ces cabanes aériennes, que nous avons examinées 
avec détail, qui ont donné lieu de croire à quelques 
écrivains amis du merveilleux, que les Papouas 
logeaient dans des arbres. Nous ne savons pas si les 
voyageurs mentionnent ailleurs une telle construc- 
tion ; et on n’en trouve point de traces en Afrique, 
à ce que nous croyons. Seulement le capitaine russe 
Krusenstern (Voyage, t. IT, pag. 255) dit que les 
Tartares qui habitent Sakhalien élèvent leurs cabanes 
sur des pieux , au-dessus du sol. 

Ces peuples possèdent encore un genre de construc- 
tion nautique , opposé à celui des rameaux océanien 
et mongol-pélagien. Navigateurs comme le sont 
naturellement tous les peuplesriverains,onretrouve, 
chez tous les nègres épars depuis le nord de la Nou- 
velle-Guinée, sur ces chaînes de grandes îles, une 
forme assez générale de pirogues. Ceux de Port- 
Praslin, de la Nouvelle-Bretagne, de l’ile d’York, 
de Bouka enlin , ont desembarcations sveltes , légè- 
res, formées de bordages assemblés et cousus de 
manière que les joints sont bouchés par un mastic 
tenace , dont les deux extrémités se relèvent, et sont 
le plus souvent surmontées dequelque attribut. Mais 
toutes ces pirogues n’ont point de balancier, tandis 
que celles qu’on retrouve sur le pourtour boréal des 
iles dites des Papous, et qui sont destinées aux 
besoins ordinaires, sont, sans exception, à deux 
balanciers; celles de guerre toutefois ressemblent 
aux précédentes. 

Les armes princip les des habitants de Waigiou 
et de Doréry sont l'arc, les flèches et les longues 
javelines, terminées par une lame de bambou, acé- 
rée et faconnée en fer de hallebarde. A Bouka nous 
retrouvons des flèches et des arcs parfaitement fabri- 
qués en beau bois rouge, de même qu’à la Nou- 
velle-Frlande et à la Nouvelle-Bretagne. Mais ces 
tribus inquiètes et guerrières emploient principale- 
ment le casse-tête de bois dur, les longues javelines 
garnies parfois d’os humains, ce qui annonceroit 
peut-être une habitude d’anthropophagie ; les fron- 
des pour lancer les pierres, et surtout l’usage con- 
stant du bouclier (1). Cette arme défensive, faite sur 
le modèle de certains boucliers romains, garnie de 
coquilles enchâssées avec symétrie, seroit-elle due 
au hasard (?) ? 


Tous les peuples ont une musique, en rapport 


(‘) De Bougainville (Voyage autour du monde) vit 
les naturels de la Louisiade se servir également de bou- 
cliers : la description qu'il en donne est applicable à 
ceux que nous avons vus au Port-Praslin. 

() « Les Antaximes de la partie sud de Madagascar, à 
» teinte trés noire et à cheveux crépus, se servent du 
» bouclier pour combattre. » ( Malte-Brun, Géogra- 
phie,t.IV, pag. 193.) 


38 HISTOIRE NATURELLE 


avec leur civilisation sans doute ; maïs les Océaniens, 
les Mongols-Pélagiens, et les peuples noirâtres et à 
cheveux frisés des iles dela mer du Sud , ont chacun 
un type particulier, suivant leurs habitudes ; et quoi- 
que ect art soit resté stationnaire par l'isolement de 
ces peuplades, il n’en est pas moins caractéristique, 
et ne peut provenir que d’un ensemble d’idées per- 
fectionnées. Nous ne savons rien de la musique des 
Papouas de Doréry et de Waigiou : celle des habi- 
tants de Port-Praslin et de l'ile d’York et leurs in- 
struments nous sont mieux connus. Sur loutes ces 
grandes terres nous retrouvons le tam-tam , dont le 
nom peut varier, mais jamais la forme, quiest l’imi- 
tation parfaite du tam-tam de la côte de Guinée. Ce 
tambour, creux, fermé à sa grande extrémité par une 
peau de lézard , est encore usité dans plusieurs ré- 
gions de l'Afrique. Mais ce qui dut nous fournir 
matière à réflexion au Port-Praslin sont et l’épinette 
el la flûte à pan que nous y trouvâmes. L’épinette 
est faite avec une lame de bambou, divisée en trois 
lames effilées, qui se placent dans la bouche comme 
la nôtre. Quant à la flûte à pan, nous devons nous 
y arrêter un instant, et indiquer la conclusion d’une 
note que nous a remise sur cet instrument un de nos 
amis, excellent musicien. « Lesanciens connoissoient 
» deux sortes de flûtes : la simple, et le syrinx ou 
» flûte à pan; et ces flûtes n’avoient qu’une étendue 
» de sons très bornée, parce que les Grecs ignoroient 
» l’harmonie proprement dite, et que leur mode ce 
» Musique étoit mineur, tant l’homme ualturel 
» éprouve plus de facilité à attaquer la tierce mi- 
» peure que celle majeure. Le syrinx de la Nouvelle- 
» Irlande présente ce caractère mineur ; et après un 
» examen sérieux, je conclus que cet instrument, 
» composé de huit notes, dont cinq appartiennent à 
» la gamme , et trois sont répétées à l’ectave en des- 
» sous, est des temps les plus reculés. » 

Lorsque M.de Blosseville visita le village de Leu- 
kiliki, à une lieue de Port-Praslin dans l’intérieur, 
il ne fut reçu qu'après que des naturels eurent exé- 
cuté une darse nommée louk-louk. Les danseurs 
étoiententièrement cachés sous un vêtement bizarre, 
fabriqué avec des ianières de feuilles de pandanus, 
imitant une ruche ambulante, et qu’ils suspendent 
à des poteaux sur la grève. Toutes les circonstances 
de celte sorte de solennité seront rapportées dans le 
chapitre relatif à ce peuple ; mais nous devons citer 
comme rapprochement un usage semblable, observé 
dans le royaume de Woulli, en Afrique, par le major 
Gray. « En approchant de Barra-Cunda, nous vimes 
» accroché à un poteau, hors des murs de la ville, 
» un vêtement fait d’écorce d’arbres, coupé par fila- 
» ments, et arrangé de manière à couvrir un homme, 
» espèce de loup-garou, nommé Mumbo-Jumbo. » 

Des ténèbres trop épaisses couvrent les traditions 
poétiques de ces peuples pour que nous puissions 


en tirer quelques conséquences : nous en ignorons 
même les faits les plus essentiels. Mais ce qu’on ne 
peut se dispenser de remarquer c’est la divergence 
complète du langage qui existe non pas d'ileàile, | 
mais même de tribu à tribu et de village à village. 
Quelle peut en être la cause? rien autre chose sans 
doute que ces haines héréditaires, ces guerres per- | 
pétuelles , dans lesquelles vivent et meurent les gé- 
nérations successives. Le caractère moral de ces peu- 
ples en a acquis cette barbarie profonde, cette défiance 
sombre et continuelle , qui les rendent traîtres, per- 
files et assassins. « Nous avons observé, dans le 
» cours de notre voyage, dit Bougainville, qu’en 
» général les hommes nègres sont beaucoup plus 
» méchants que ceux dont la couleur approche de 
» Ja blanche. » 

Quant au rapport que peuvent avoir entre eux 
les idiomes de chaque peuplède, il nous seroit im- 
possible de le saisir. Ce langage barbare et guttural 
se refuse à tout examen; et on en pourra juger par bi 
le tableau suivant, dans lequel nous avons placé les 
noms de nombre, écrits comme les naturels les 
prononcent. 


NOUVELLE-GUINÉE. NOUVEL.-| NOUV.- | MADA- 
GUINEE, |lxzazn.| GASC. 


È: MALAIS. 


ALFOUROUS] PORT- | TAMA- 
HAB, DE [PRASLIN| TAvr. 
L'INTÉR: 


CANTON 
DE HONY. 


HAVRE DE 
DORÉRY. 


a 
a 


l Iliossaire, Saha. Toure, 1EE Rec. Satou. 

2 Nouiou. Doui. Kire. Irou. Roui. Doua, 

3 Nokore. Kiore, Noure, Toul, Telou. Tiga. 

 Fake. Fake. Ouat. At. Effak: Ampat. 

ÿ Rime, Rime. Mai. Lime, | Dimi, Lima. 

6 Ouonème. Ouonême.|Imbitoure, |Ouone. | Enine. Anam. 

7 |Ounamanourou.|  Fike. Inebiki, Hiss Fitou. | Touyou. 

$ |Ounamonocore.{ Quart. Imbinonr. | Ouale. | Valou. | Delapan. 
9 Fike. Sihiou. Imbeboit. | Siou. Sevi. [Sambilan, 
1G Sanfour. Sanfour. |Ouanguire | Saouli. ; Foulou. |Sapoulou. | 


V. DES TASMANIENS. ; 


Nous plaçons à la suite des Papouas, et comme 
deuxième variété du rameau cafro-madécasse , les 
habitants de la terre de Diémen. Nous ne les indi- 
querons ici que pour mémoire, parce que la corvette 
la Coquille n’a point visité cette partie du globe, et 
que les naturels ne nous sont connus que par les ré 
cits des voyageurs. On s'accorde généralement à 
peindre les Tasmaniens comme une race d'hommes 
d’un noir peu foncé, dont le crâne est déprimé, et 
qui a des cheveux courts, laineux, très recoquillés. 
Le nez est écrasé, et l’angle facial médiocrement 
aigu. On peut toutefois s’en faire une idée assez juste 
par les planches 7 et 8 de l’atlas de La Billardière, 
et par les figures 4 à 8, dessinées par Petit dans 
l’atlas de Péron. Ce qui semble autoriser à placer les 
Tasmaniens à la suite des Papouas, ce sont quelques 
ressemblances d'organisation et une certaine simi- 
litude dans plusieurs usages qui paroissent dériver 


DE L'HOMME. 39 


d’uné source commune. Ainsi ils ont l'habitude de 
se couvrir les cheveux d'argile ferrugineuse très 
rouge ; de se faire naître des mamelons ou des cica- 
trices en relief sur la peau ; de cuire leurs aliments 
sur des charbons incandescents , de coucher sur la 
terre près de grands feux ; de fabriquer des paniers 
élégants avec des tiges d’arbustes ; de façonner des 
ornements divers, el surtout de se servir d’un petit 
oreiller en bois, nommé roéré (La Billardière,*oyage, 
t. II, pag. 45); de placer des huttes coniques sur 
les tombeaux de leurs parents décédés (Péron, t. IV, 
pag. 99); et enfin d’être polygames. Seulement on 
ne retrouve point chez eux l’art de construire des 
cabanes, dont la pauvreté d sol et l’inclémence du 
ciel auroient dû leur imposer la-nécessité ; car ils se 
bornent à élever des abris temporaires, des abut- 
vents en écorces, insuîMisants pour les garantir des 
rigueurs du climat austral. Leur langage diffère tel- 
Jement des idiomes barbares et sans nombre des peu- 
ples de la Nouvelle-Hollande, que déjà, dès avant 
qu'on sût que la terre de Diémen en étoit séparée 
par le détroit de Bass, M. de La Billardière avoit dit 
(t. IL, pag. 60): « Il prouve que ces peuples n’ont 
» pas la même origine. » Des détails utiles à con- 
sulter sur les Tasmaniens sont consignés dans Île 
tome IV, pag. 77 et suiv. de l’Historique du voyage 
aux Terres-Australes, rédigé par Péron et le capi- 
taine de Freycinet. 


VI. DES ALFOUROUS-ENDAMÈNES. 


La population primitive des archipels des Indes 
orientales étoit une race noire, qui paroît avoir été 
décimée par d’autres peuples conquérants, sur cer- 
taines îles et à diverses époques, ou avoir été chas- 
sée des côtes, et reléguée au milieu des montagnes, 
ainsi que nous l’apprennent les anciennes histoires 
et les annales de Malacca en particulier. Ces peuples 
à peau noire et à cheveux rudes, mais lisses, vi- 
vent encoreMdans les lieux inaccessibles de toutes les 
terres polynésiennes (1); et c’est ainsi que le plateau 


(‘) En nous servant du nom de Polynésie, exclusive- 
ment restreint aux {erres si vaguement nommécs archi- 
pels d'Asie, nous cncourrons probablement le blàme 
de quelques gécgraphes fidèles à une nomenclature in- 
certaine et encore plongée dans le chaos. La dénomina- 
lion d'Océanie est si harmonieuse, et peint si bien la 
dispersion des petites îles volcaniques et madréporiques 
éparses sur la surface immense du Grand-Océan , qu'elle 
survivra indubitabl: ment à toute autre : celle de Péla- 
gie lraduiroit avec exactitude le surnom de monde 
maritime, qui lui fut imposé, d'une maniére trop gé- 
nérale cependant, par M. C.-4. Walckenaer. Ainsi le 
nom de Polynésie, que jusqu'à ce jour on avoit étendu 
à plusieurs systèmes de terres aussi distantes que sépa- 
récs par la uature, ne pouvant plus étre appliqué aux 
Îles de la mer du Sud, demeure donc aux les de l'Asie, 


central de la plupart des îles Moluques est occupé 
de nos jours par les Haraforas ou Alfourous (t); que 
les Philippines sont peuplées par los Indivs des 
Espagnols (2), que l’on mentionne los Negros del 
monte à Mindanao (3), les Finzimbers à Madagascar, 
dont ils seroient les liabitants naturels; et que nous 
apprimes l'existence des Endaménes à la Nouvelle- 
Guinée. 


Les Alfourous-Endamênes vivent de la maniere 
la plus sauvage et la plus misérable. Toujours en 
guerre avec leurs voisins, ils ne sont occupés que 
des moyens de se préserver de leurs embüches et 
d'échapper aux piéges qu’on leur tend sans cesse. 
L’habitude au’ont les Papouas des côtes de les mettre 
à mort et d’ériger en trophées leurs dépouilles rend 
compte de la difficulté qu’on éprouve à les observer, 
même à la Nouvelle-Guinée; et deux ou trois de 
ces hommes, réduits en esclavage, que nous vimes 
à Doréry, sont tout ce que nous en connoissons. Les 
Papouas nous les peignirent comme d’un caractère 
féroce, crucl et sombre, n'ayant aucun art, et dont 
toute la vie s'écoule à chercher leurs subsistances 
dans les forêts. Mais ce tableau hideux, que chaque 
tribu ne manque point de faire de la tribu voisine, 
ne peut être regardé comme authentique. Les En- 
damênes que nous vimes avoient une physionomie 
repoussante, un nez aplati, des pommettes sail- 
lantes, de gros yeux, des dents proclives, des ex- 
trémités longues et grèles, une chevelure très noire, 
très fournie, rude et comme lisse, sans être longue. 
La barbe étoit très dure et très épaisse. Une profonde 
stupidité étoit empreinte sur leurs traits : peut-être 
étoit-elle due à l'esclavage. Ces nègres, dont la peau 
est d’un noir brun sale assez foncé, vont nus. Ils se 
font des incisions sur les bras et sur la poitrine, et 
portent dans la cloison du nez un bâtonnet long de 


que la formation primitive, les productions, les races 
qui les habitent, permettent de grouper par des carac- 
tères trés tranchés : peut-être seroil-il préférable de le 
remplacer par un nom neuf dont le sens fût sans équi- 
voque, tel que pourroil être le mot de Malaisie. 

{) « Les Alphouréens ou Alfoures sont vraisembla- 
» biemeut les premiers et les plus anciens habitants 
» des Moluques :avjourd'hui méme ils nese confondent 
» pas avec les autres habilauts; mais ils se liennent 
» renfermés dans les montagnes de Bouro et de Céram.» 
(Stavorinus, Foyage aux Indes, 1.1, pag. 259.) 

(2) C’est peut-être à tort qu'on indique comme appar- 
lenant à ces races mal connues les Zaos etles Miaotsé 
de l'intérieur de la Cochinchine, qu'on nomme aussi 
hommes à queue dans le pays. Barrow les regarde comme 
des Cochinchinois encore plongés dans une grossière 
barbarie. (Voyage à la Cochinchine, t. HW, pag. 226.) 

3) Ainsi nommés, dit Méares, à cause de leur res- 
semblance avec les noirs d'Afrique, tant au physique 
qu’au moral. (Voyage à la côte nord-ouest d'Amérique, 
t.1, pag. 287 ) Il est probable que ces Negros sont des 
Papouas. 


40 


près de six pouces. Leur caractère est silencieux , 
et leur physionomie farouche ; leurs mouvements 
sont irrésolus et s’exécutent avec lenteur. Les ha- 
bitants des côtes nous donnèrent quelques détails 
sur ces Endamènes ; mais comme ils nous parurent 
dictés par la haine, et que les versions ne s’accor- 
doient point entre elles, soit que le sens de ce qu’ils 
nous exprimoient fût mal compris, soit qu’eux- 
mêmes nous racontassent, dans l'intention de nous 
inspirer de la frayeur, des habitudes auxquelles ils 
ne croyoient point, nous pensons qu’il est inutile 
de faire connoître, par des renseignements faux ou 
inexacts, une espèce d'hommes dont l’histoire est 
encore entourée d’épaisses ténèbres (1). 

Nous nous bornerons à tracer la description des 
crânes d’Alfourous-Endamênes que nous trouvämes 
à Doréry, où ils servoient de trophées, et à les com- 
parer avec ceux des Papous décrits par MM. Quoy 
et Gaimard, et aussi avec les crânes de Nègres- 
Mozambiques, de Nouveaux-Zélandois et d'Euro- 
péens. La figure que nous en avons donnée est le 
résultat de la comparaison de plusieurs têtes; mais 
elle a été plus particulièrement faite sur un crâne 
conservé avec soin dans une cabane, et enchâssé 
dans une idole grossièrement sculptée en bois, que 
nous ne pûmes jamais obtenir des naturels, même 
en offrant des présents susceptibles de les tenter, et 
que nous nous décidämes à aller enlever pendant la 
nuit, la veille du départ de la corvette. Cette idole 
assez remarquable, et qui est déposée maintenant au 
Muséum d'histoire naturelle de Paris, représente 
un homme assis, dont le cou supporte un plateau sur 
lequel reposoit le crâne d’un Alfourous, solidement 
enchâssé. Les orbites étoient remplies par des ron- 
delles de nacre, simulant des yeux, et fixées par un 
mastic noir; tandis que les arcades dentaires étoient 
recouvertes de deux lèvres en bois très proémi- 
nentes. D’autres crânes d’Alfourous étoient disposés 
par rangées et attachés aux parois de la cabane qui 
servoit de temple à ces débris que les Papouas con- 
servoient avec d'autant plus de satisfaction qu'ils se 
complaisoient dans l’idée de faire subir un pareil sort 
à tout ennemi qui tomberoit dans leurs mains, 


VII. DES AUSTRALIENS. 


Toutes les peuplades de race noirâtre qui habitent 
l'Australie présentent entre elles les rapports les 
plus évidents, d’après les descriptions des voya- 
geurs Phillip, Collins, White, d'Entrecasteaux, 


() Les Endamënes , retirés dans l’intérieur de la Nou- 
velle-Guinée, doivent être possesseurs paisibles des 
côtes méridionales; et ce sont eux, frês probablement, 
qui habitent exclusivement les bords du détroit de Tor- 
rés. Les expéditions futures peuvent seules ou détruire 
ou confirmer nos doutes. 


HISTOIRE NATURELLE 


Péron (1), Flinders, Grant, King, etc. Ces nègres 
austraux ont toujours montré une profonde igno- 
rance, une grande misère, et une sorte d’abrutis- 
sement moral. Ils sont réunis par tribus peu nom- 
breuses qui n’ont point de communications entre 
elles, d’où résulte l’état de barbarie profond dans 
lequel elles croupissent, et dont rien ne semble de- 
voir les retirer. 

Les habitants de la Nouvelle-Galles du sud, qui 
ont particulièrement fixé notre attention, sont dis- 
séminés, dans cette partie du monde, par familles 
éparses sur le bord des rivières, ou dans les baies 
peu nombreuses qui morcellent les côtes orientales 
de la Nouvelle-Hollande. Leur intelligence a dû na- 
turellement se ressentir de l'infertilité du sol et 
des misères auxquelles ils sont soumis : aussi une 
sorte d’instinct très développé pour conquérir une 
nourriture toujours difficile à obtenir, semble avoir 
remplacé chez eux plusieurs des facultés morales de 
l’homme. 

La peuplade qui vit au milieu des buissons et des 
rochers des alentours de Sydney-Cove, et qui a pour 
chef Boongaree, est plongée dans un tel état d’a- 
brutissement qu’en vain on a essayé d'améliorer sa 
position, en bâtissant pour elle des maisons et des 
sortes de villages, ou en lui fournissant des moyens 
de subsistances plus agréables. Elle s’est refusée à 
l'adoption de ces premières idées de civilisation; et 
de toutes les habitudes sociales que lui montrent 
chaque jour les Européens, au milieu des villes po- 
puleuses et imposantes de la Nouvelle Galles du 
sud , elle n’en a pris que des vices dégoütants et un 
goût désordonné pour les liqueurs fortes. Ces peu- 
ples n’ont senti la nécessité de recevoir des vête- 
ments de laine que pour se garantir la poitrine. 
Aucune idée de pudeur ne les a jamais portés à voi- 
ler les parties naturelles ; et l’immodestie native de 
cette race fait un contraste d’autant plus grand que 
chaque jour elle brave, au sein même d’une colonie 

() Les distinctions qui existent entre les Tasmaniens 
et les Australiens ont été nettement exprimées par Pé- 
ron, qui dit (t. IV, pag. 212): «De toutesles observations 
» qu’on peut faire en passant de la terre de Diémen à la 
» Nouvelle-Hollande, la plus facile, la plus importante, 
» et peut-être aussi la plus inexplicable, c’est la diffé- 
» rence absolue desraces qui peuplent chacune de ces 
» deux terres. Ces deux peuples n’ont presque rien de 
» commun ni dans leurs mœurs, leurs usages, leurs 
» arts grossiers, ni dans leurs instruments de chasse ou 
» de pêche, leurs habitations, leurs pirogues, leurs 
» armes, ni dans leur langue, ni dans l’ensemble de 
» leur constitution physique , la forme du crâne, les 
» proportions de la face, etc. Cette dissemblance abso- 
» lue se trouve dans la couleur; les indigènes de la terre 
» de Diémen sont beaucoup plus bruns que ceux de la 
» Nouvelle-Hollande : les premiers ont des cheveux 


» courts, laincux et crépus; les derniers les ont droits, 
» longs et lisses. » 


DE L'HOMME. 41 


européenne qui a fait d'immenses progrès, les lois 
de l'honnêteté publique. La liberté semble pour ces 
noirs (!) un besoin de première nécessité : aussi 
sont-ils soigneux de conserver leur indépendance, 
au milieu des cantons rocailleux où ils habitent en 
plein air, autour de grands feux, et protégés de la 
pluie par quelques branches négligemment jetées 
du côté où le vent souffle; ou bien, tous les efforts 
de leur génie se bornent, pour les garartir des in- 
tempéries du climat, à détacher une large écorce 
d’eucalyptus, qui fournit le toit naturel qui les 
abrite. 

La taille des Australiens est médiocre, et souvent 
au-dessous de la moyenne. Plusieurs tribus ont les 
membres grêles, peu fournis, et en apparence de 
longueur démesurée ; tandis que certains individus 
au contraire ont ces mêmes parties fortes et très 
bien proportionnées, et surtout les muscles jumeaux 
et soléaire très prononcés. Leur chevelure n’est 
point laineuse ; elle est dure, très noire et abondam- 
ment fournie. Els la portent flottante et sans ordre, 
le plus souvent courte, en mèches très frisées. La 
barbe participe de la nature des cheveux ; elle est 
le plus ordinairement rude et touffue sur les côtés 
du visage. Leur face est aplatie; le nez, très élargi, 
a des narines presque transversales. Des lèvres 
épaisses, une bouche démesurément fendue, des 
dents un peu proclives, mais du plus bel émail, des 
oreilles à conque très développée (?), des yeux à 
demi-voilés par la laxité des paupières supérieires, 
donnent à leur physionomie sauvage un aspect re- 
poussant. La couleur peu décidée de leur peau, qui 
affecte communément une teinte noire fuligineuse, 
varie en intensité, mais n’est jamais très foncée. 
Pius laides encore que les hommes, les femmes 
australiennes ont des formes flétries et dégoûtantes ; 
et la distance qui les sépare du beau idéal de la 
Vénus de Médicis paroît immense aux yeux d’un 
Européen. 

Les mariages chez les Australiens se font par 
rapt, ct l’usage a consacré l'habitude d’arracher 


(") Le mot noir ou nègre n’a ici qu'une valeur rela- 
tive. Nous n’employons ce nom en effet que pour éviter 
des périphrases. Mais, pour qu'il n’y ait point de doutes 
à ce sujet, nous devons dire qu'il n’y a point d’analogie 
à établir entre un nègre africain et un Alfourous austra- 
lien , et que, si nous les nommons parfois noirs ou né- 
gres, c’est parce que la teinte de leur peau affecte une 
couleur noirâtre , fuligineuse, qui approche plus de la 
teinte des véritables nêgres que de toute autre. 

{4 Grant (Voyage à la Nouvelle-Galles méridio- 
nale ) peint de cette maniére les hahitants de la baie 
Jervis, peu éloignée du détroit de Bass : « Ces sauvages 
» éloient jeunes, grands et vigoureux. Ils avoient des 
» cheveux plus longs que ceux des autres naturels que 
» j'avois vus jusquelà; ils les avoient bouclés, mais point 
» laineux comme ceux des nêgres d'Afrique, » 

I, 


une dent incisive aux hommes à certaine époque de 
la vie, et de couper une phalange aux femmes. Ils 
aiment à se couvrir la tête et la poitrine de matières 
colorantes rouges, et cet ornement est de première 
nécessité dans leurs coroboris ou grandes cérémo- 
nies. Ils ont tous l'habitude de se peindre le nez et 
les joues avec les mêmes fards grossiers, en y joi- 
gnant des raies blanches qui sillonnent le front et 
les tempes. Sur les bras et les côtés du thorax ils 
font élever ces tubercules de forme conique, qui 
semblent être l’apanage du rameau nègre. Enfin 
celte race, qui semble ignorer l’usage de tout vête- 
ment sous le rapport de la pudeur, se borne à se 
couvrir parfois les épaules avec une peau de kangu- 
oo ou de pétaurus, et à s’entourer le front avec des 
filaments tissés en réseaux. Un grand nombre de 
familles se placent dans la cloison du nez des bà- 
tonnets arrondis et longs de quatre à six pouces, 
qui donnent à leur physionomie un aspect farouche ; 
et cet usage nous le retrouvons chez tous les Pa- 
pouas. 

Supersliticuses à l’excès, ces peuplades ont ce- 
pendant conservé l’usage de punir les sortiléges et 
d’avoir des jongleurs. Leurs différents se décident 
par des sortes de duels à nombre égal ou à armes 
égales , et des juges de camp établissent les règles 
du combat. La forme des armes dent ils se servent 
varie. À la Nouvelle-Galles ils emploient la sagaie, 
sorte de javeline eflilée qu’ils lancent , par le moyen 
d’un bâton façonné pour cet usage, avec une grande 
vigueur et beaucoup de justesse. Ils s’attaquent le 
plus souvent avec une sorte de sabre de bois re- 
courbé, que Lesueur a nommé sabre à ricochets 
(pl. 50, n°6, Atlas de Péron ), et que les naturels 
de Sydney désignent sous le nom de boumerang ou 
tatanamang. Cette arme caractéristique est égaie- 
ment usilée au port Bowen et à l’ile Goulburn , et 
la manière de s’en servir est fort remarquable; car 
c’est en lui imprimant des mouvements de rotation 
en l'air qu'ils frappent souvent le but à plus de 
quarante pas de distance. Leur dernier instrument 
de gucrre, et en même temps d’utilité domestique, 
est le casse-tête ou woudah . avec lequel, dans leurs 
duels, chaque naturel assène alternativement sur 
la tête de son ennemi un coup que la dureté inouïe 
du cräne rend moins dangereux qu’on ne devroit 
le supposer. Nous retrouvons chez tous ces peuples 
l’usage du bouclier. Celui qui leur sert à parer les 
coups de sagaie avec une grande adresse est de 
forme ovalaire, oblongue, ou quelquefois disposé en 
croissant; et nous avons vu un de ces naturels, 
condamné à servir de but aux coups d’une tribu 
qu’il avoit offensée, parer avec une habileté peu 
commune plus de cinquante traits lancés avec vi- 
gueur, lorsqu’enfin une sagaie de ranthoræa, tra- 


versant son bouclier, vint lui percer la poitrine, 
6 


42 


Quant à l'emploi de l'arc et des flèches (1), il est com- 
plétement inconnu sur le continent entier de la Nou- 
velle-Hollande. 

De toutes les peuplades de l'Australie, celles du 
port du Roi-Georges ont plus particulièrement senti 
la nécessité de se vêtir, à cause du froid intense de 
l’hiver, et elles ont assemblé sous forme de petits 
manteaux des peaux de kanguroos : celles des alen- 
tours de Sydney et de Bathurst préparent les peaux 
de pétauristes, tandis qu'entre les tropiques les 
Australiens vivent dans un état de nudité parfaite. 
Les objets d'ornement se ressentent du rétrécisse- 
ment des idées de ces peuples. Ils se décorer t cepen- 
dant de colliers faits avec des chaumes de gramen ; 
mais combien leur forme sauvage contraste avec 
l'élégance des mêmes objets chez les naturels de l’ile 
de Diémen ! 

Les cabanes des Australiens se composent, autour 
du port Jackson, d’abris en rameaux ou en écorces 
d'arbres. Ailleurs ce sont des sortes de nids formés 
de branches entrelacées, ou parfois disposées en 
huttes grossières , recouvertes d’écorces. 

Les soins qu’ils prennent de leurs tombeaux an- 
noncent qu’ils ont l’idée d'une autre vie. On a génc- 
ralement observé qu’ils brüloient leurs morts, et 
qu'ils en enterroient les cendres avec une religieuse 
sollicitude. M. Oxley a même vu de ces tombeaux 
dont les arbres des alentours portoient des sortes 
d’attributs funéraires. Des observations positives 
semblent encore prouver qu'ils lèvent la peau des 
cadavres, afin que la combustion puisse s’opérer avec 
plus de rapidité. 

L'ensemble des habitudes des peuplades de la 
Nouvelle-Hollande, ainsi que leur genre de vie, ne 
présente point d’analogie bien démontrée. Leur in- 
dustrie se réduit à la fabrication des filets pour la 
chasse et pour la pêche, dont on mange le produit 
sur le lieu même en le faisant rôtir sur des char- 
bons. Ces naturels portent toujours du feu avec eux, 
dédaignant leurs femmes, auxquelles les travaux 
les plus rudes sont dévolus, tels que ceux de prépa- 
rer leur nourriture, dont elles et leur famille ne 


(:) « Le capitaine King, qui a grouné quelques unes 
des légères observaliors qu'il nous a données sur les 
peuples du pourtour entier de la Nouvelle-Hollande, 
remarque que la sagaic semble être d'un usage général 
parmi les habitants de Australie. Le bâton qui sert à 
Ja lancer n'existe pas à la Tasmanie ni à la baie More- 
ten, sion doit s’en rapporler à un court séjour sur ce 
point. 11 n’a reconnu que quelques différences peu sen- 
sibles dans cetle arme, soit au port Jackson, soit à la 
côte sud-est, à la rivière Endeavour; au nord-est, aux 
baies de Hanovre et de Vansitlart; au nord-ouest, à la 
baie du Roi-Gcorges. Sur les côtes mérid'onales cette 
sagaie cest faite avec lestiges du æanthoræa hastilis ; 
ailleurs, avec des branches de manglier durcies aufeu,» 
{ Bulletin géographique, t. V, pag, 251 ) 


HISTOIRE NATURELLE 


recoivent que les débris rejetés par leurs époux, ou 
de porter les ustensiles du ménage et leurs enfants 
sur le dos, tandis que l’homme chemine n’ayant 
qu’une légère javeline à la main. Ce sont elles qui 
récoltent et préparent la racine de fougère, nom- 
mée dingoua, qui leur sert d’aliment journalier, et 
dont les hommes ne mangent que dans les moments 
de disette ou lorsque la chasse vient à manquer. 

La manière de construire les pirogues varie pres- 
que autant que les tribus. Elles sont faites au port 
Jackson avec une longue écorce d’eucalyptus, soli- 
dement liée aux extrémités, telles qu’on en voit un 
bon dessin, pl. 54 de l’Atlrs de Lesueur et Petit. 
Dans la région intertropicale, un tronc d'arbre 
creusé en tient lieu. Plus à l’ouest, dit King, à la 
baie de Hanovre, c’est un radeau formé de tiges 
vicilles et légères de manglier. Ailleurs, dans l’ar- 
chipel de Dampicr . par exemple, leur intelligence 
n’a pu s'élever, pour passer les rivières, au-dessus 
du simple tronc d'arbre flottant. | 

Chez ces peuplades on a retrouvé des idées de 
dessin, qui, toutes grossières qu’elles paroissent être, 
indiquent cependant une certaine réflexion; et l’on 
reconnoit encore dans ces linéaments graphiques 
les êtres qu’ils sont destinés à représenter, tels que 
le casoar, le squale de Phillip, divers poissons, ete. 
Quant à leur chant ce n’est qu’une moditication in- 
forme de leur langage, et leur danse se borne aux 
mouvements lourds et ridicules qui imilent lessaut 
du kanguroo. Les beaux-arts, enfants du repos et 
des doux loisirs, pourroient-ils germer chez des 
hommes toujours en quête de leur subsistance ? 

Le langage des Australiens diffère de tribu à 
tribu. Nulle part on ne peut y reconnoitre la moin- 
dre analogie ; mais il est vrai de dire aussi qu’il n’y 
a pas de langue moins connue. Cependant il paroît 
que les naturels d’un endroit, transportés dans un 
autre, comme les Anglois l'ont fait très souvent, ne 
peuvent se comprendre. Les seuls mots qui nous 
ont présenté quelques rapports sont les suivants, 
usités d’une part chez les naturels de Sydney, et de 
l’autre par ceux de Bathurst, au-delà des montagnes 
Bleues. L’orthographe des premiers est écrite d’a- 
près le génie de notre langue, et nous avons con- 
servé pour les seconds ceile de M. Oxley. Ainsi nez 
se dit à Sydney nougouro, et morro à la rivière La- 
chlan ; les dents, nandarra dans le premier lieu, et 
erra dans le second; cou, ouro et oro ; poitrine, be- 
ren et benning; cuisse, darra et dhana, etc. 

Jci se terminent les détails généraux sur les varié- 
tés humaines qui peuplent les terres de la mer du 
Sud. De plus longs développements sont nécessaires 
pour rendre ciair et sensible l’enchaînement des 
idées émises dans ce travail; mais nous ne pouvions 
ni les présenter ni les discuter sans outrepasser les 
bornes de cet apercu, et d’ailleurs les renseigne- 


DE L'HOMME. 43 


ments précis qu’on puisera dans les paragraphes sui- 
vants viendront y suppléer. 


DÉTAILS ANATOMIQUES RELATIFS AUX CRANES DE QUEL- 
QUES UNS DES PEUPLES DONT IL EST QUESTION DANS 
LE CHAPITRE PRÉCÉDENT. 


Nous avons donné dans la planche {re de l’atlas de La 
Coquille le crâne, vu sous trois faces, d’une espêce 
d'hommes que les Papouas nomment Alfourous-En- 
daméne. Nous nous en procurâmeés plusieurs léles à la 
Nouvelle-Guinée : les renseignements que nous avons 
obtenus indiquent qu’elles appartenoiïent aux tribus 
sauvages de l'intérieur , bien différentes de celles qui 
vivent sur les côtes et dans les iles méridionales de ce 
système de terres ; ce que prouve leur conformation 
anatomique. Les grânes d’Alfourous ont été examinés 
et comparés avec les têtes recueillies par nous à Wai- 
giou, et avec celles rapportées du même lieu par 
MM. Quoy et Gaimard,et qui ont servi de types à leurs 
Papous ( Négro-Malais Hybrides). Nous avons aussi 
présenté les caractères qui les distinguent des boîtes 
osseuses crâniennes des Nouveaux-Zélandois du rameau 
océasien, du nègre mozambique d'Afrique et du Fran- 
çois. 

Le crâne des Papous ‘:)est remarquable par un apla- 
lissement considérable à sa partie poslérieure : cet 
aplatiss:ment est Lel qu'il forme une surface carrée 
dont les angles scroient arrondis. Cette disposition ne 
rend pas pour cela le diamètre occipito-frontal beau- 
coup plus petit comparativement aux têtes d’Européens, 
d’Alfourous et de Mozambiques : mais il n’en est pas de 
méme du diamètre bi-partétal, qui est beaucoup plus 
grand, ce qui est dû au développement plus considéra- 
ble des bosses pariétales, Le coronal, quoique un peu 
plus large que celui d’un Européen, ne présente point 
de différences assez tranchées pour qu'on puisse les in- 
diquer. La face a également plus de largeur; ce qui 
provient de la plus grande étendue du diamètre trans- 
versal de la cavité orbitaire, et d’un léger aplatissement 
de la voûte nasale. L'ouverture des fosses nasales est en 
tout semblable à celle d'un Européen; mais la distance 
d’une apophyse mastoïde d'un côté à celle du côté op- 
posé est plus grande. Le diamètre vertical est assez 
identique avec celui qui est propre aux têtes d'Alfourous 
ou d'Européens. ( Voyez les planches 1 et 2 de l'Atlas 
zoologique de MM. Quoy et Gaimard.) 

Le crâne des Alfourous se rapproche davantage de 
celui des nègres d'Afrique, c'est-à-dire des Mozambi- 
ques. Les différences que nous remarquâmes sont, {oun 
aplatissement des paroislatérales dela voûte crânienne, 
disposition qui fait faire une saillie en dos d'âne au som- 

{) Ces crânes ont été recueillis sur les tombeaux des 


naturels de Waigiou, el sont analogues à ceux décrils 
dans la partie zoologique du voyage de l’'Uranie. 


met de la voûte; 20 le diamètre occipito-frontal est un 
peu plus allongé dans le premier ; 3 la coupe de la face 
offre un peu moins d'obliquité que celle du Mozambi« 
que , de sorte que l’angie facial est plus ouvert dans leg 
têtes d’Alfourous , d’où il résulte que la voûte nasale est 
plus verticale. Les fosses nasales sont un peu moins lar- 
ges. Si nous examinons les pommettes, nous trouvons 
qu'elles sont moins saillantes chez l’Alfourous que chez 
le Mozambique; mais celle saillie des pommettes est- 
plus considérable que chez le Papou et que sur la tête 
d'un Européen, et cela est dû à la profondeur des fosses 
sous-orbilaires. Les mächoires de l’Alfourous, quoique 
moins proéminentes que celles du Mozambique, le sont 
encore beaucoup comparalivement à celles du Papou 
et de l’'Européen. 

Les têtes d’Alfourous liennent le milieu, pour la 
forme générale, entre les crânes des Nouveaux-Zélan- 
dois et ceux des nègres mozambiques. Comme chez ces 
derniers, les deux mâchoires formentun prolongement 
assez avancé pour qu'on puisse les comparer à la face 
d’un orang. La mâchoire inférieure de l'Alfourous a le 
même développement que celle du Mozambique; mais 
elle est plus rétrécie que celle du Papou. Comparées 
toutes les trois à la mâchoire inférieure de l'Européen, 
elles en différent par la forme de l'os, par la base ou 
bord inférieur, etenfin par la symphyec. 

La parlie antérieure du corps de l'os, au lieu d’être 
inclinée en arrière, comme dans l'Européen et le Nou- 
veau-Zélandois, est coupée perpendiculairement; ce 
qui contribue à faire saillir davantage Ics arcades den- 
taires. La base de la mâchoire cest plus arrondie et se 
relève un peu en avant chez l'Alfourous , le Mozambi- 
que, le Papou, et même le Nouveau-Zélandois. La cour- 
bure est toutefois moins sensible chez les Papous. Posés 
sur un plan horizontal, les bords inférieurs de ces m4- 
choires ne s’y anpliquent point dans tous les sens, 
comme le fait celle de l’'Européen : les angles latéraux 
de la sympbyse sont par conséquent plus arrondis que 
dans ce dernier. 

L'os coronal d'un Nouveau-Zélandois est moins 
bombé que celui d’un Européen; les angles orbitaires 
externes sont beaucoup plus épais, et la ligne courbe 
qui en part est aussi plus saillante. Le sommet de la 
tête se prolonge un peu en pain de sucre, comme dans 
celle de l'Alfourous. La voûte nasale n'offre rien de par- 
ticulier. La partie antérieure du corps de la mâchoire 
inférieure est à peu prês disposée comme dans l'Euro- 
péer, et elle n’en diffère que légèrement par la rondeur 
des angles et par la foible courbure de la base. Les ar- 
cades alvéolaires ont un peu plus de développement. 
L'angle facial ne s'éloigne guère de celui del'Européen, 
et seulement la protubérance occipitale exterge se pro- 
nonce avec plus de force. Enfin les os du crâne des 
Nouveaux-Ztlandois sont remarquables par une grande 
épaisseur. 


44 HISTOIRE NATURELLE 


TABLEAU COMPARATIF DES PROPORTIONS QUE PRÉSENTENT 
LES DIVERSES PARTIES DES CRANES DE 


: NOUVELLE 
WAIGIOU. à 
NÈGRE "S GUINÉE. NOUVEAU- 


FRANÇOIS. RARES _— ZELANBOIS. 
M 1B, 
EE Q PAPOU, ALFOUROUS. 


métres. mètres. métres. metres, mètres. 
Diamètre antéro-postérieur ou occipito-frontal .| 0,185 0,171 ) 0,183 
——— transverse ou bi-pariétal. . . .......... ...| 0,131 0,124 0,126 
——— perpendiculaire ou sphéno-bregmatique. . . . . . ..| 0,135 0,122 ? 0,135 
Distance de la protubérance occipitale à la symphyse du menton| 0,185 0,201 0,217 
——— du sommet de la tête à la symphyse. . . . .. .. .| 0,221 0,221 0,217 
——— d’une arcade zygomitique à celle opposée. . . . 0,131 0,122 0,138 


——— d’un angle de la mâchoire à celui du côté opposé. ; | 0,104 0,090 0,095 


——— de l’angle de la mâchoire à l’aphophyse condyloïde. .| 0,063 0,0€1 0,068 
——— dune apophyse mastoïde à celle du côté opposé 0,104 0,099 0, 
——— deVangle orbitaire externe à celui du côté opposé. . . .| 0,104 0,099 0,11 
Biamètre transverse de l'orbite . .. ... ..... . .....| 0038 0,041 0,050 
M peccndicuiaire. 20. 0,0... . . .. .| 0,036 0,036 36 0,041 
Létundbsses nasales. .. : . . . : .. . . . . .. . . .| 00% 0,029 25 0,027 
Diamètre antéro-postérieur du trou occipital. . . . . ... . .| 0,034 0,036 36 0,034 
——— d’une tubérosité molaire de l'os maxillaire supérieur 

PALIER NE EE EME Cl Meet 0,045 0,054 

Angle formé par une ligne partant de la symphyse du menton 

à la protubérance occipitale, et par une autre ligne partant 


de la symphyse à la bosse frontale... . 58 degrés. 67 degrés. | 67 degrés. 


(x) Lestêtes qui ont été comparées entre elles n’étant pas parfaitement en- 
ticres, nousavons été forcé de négliger quelques unes de leurs dimensions. 


E— 


TABLEAU DE LA TAILLE DE QUELQUES UNS DES NATURELS MENTIONNÉS 
DANS LE MÉMOIRE PRÉCÉDENT. 


OCÉANIENS. PAPOUS DES HAUTEURS, PAPOUAS. AUSTRA LIENS. 


OU NÉGRO-MALAIS RYDRIDES. 


Te LS, 
TAÏÎTIET BORABORA etes NUE de DE ANGLE 
l : e la ANGLE mie U 
lEAchipét dela Société). TAILLE. Woo TAILLE. | ANGLE NOUV.-RLAND. eue. SANTA AE AS TAILLE. | EACIAL. 
| FACIAL. | (Port-Praslin). (Sydney). | 
[ 
Totoë (Taïti), Dès Rss Er a de Eee NE Due de, Hess se 
Mme. à ou de | à |) & 2 Re Nu 
Upapärou 12827 4 1,556 64 4 ; 178 2 4 | 1,705 63 | prises pendantl: 
Faita 1354 5 1.658 66 5 Note # 5 | re 66 campagne:nous nous 
; à RE de »0u 5] 1? lispensons d’y ajou- 
» (Borabora). | 1,865 6 | 1,678] 65 6 1,597| 64 6 1732] 63 [ter celles donnée: 
» 1,831 7 1,611] 68 7 1,674| 63 7 1:7051 62 f|parlesautres voya- 
ee 1,732 8 1,611| 69 8 1,647| 63 8 1542 63 |geurs. + 
Plusieurs, [15705 9 |1502| 66 9 |162%| 66 ge LE) M 
Le roi Tefaora. 1,841 11 Do Fa a 1,692 és qui résulte de deux 
— 5949 ; 2 lign a les 
Norte) : 1,468 65 12 : a 63 enr Rtresspe 
Teimo. 1,678 13 1,502! 65 ? rieures, et se ren- 
Matihé. 1,678 14 1,489 65 dant, l’une à Ja raci- 
Ouaira. 1,678 15 1,509| 66 ne du nez, et l’autre 
Teimamo. 1,692 16 1,583| 63 sur le trou auditif. 
? ns LR (2) Dimensions & 
17 1,678 66 la tête, du front à 
15 1,502 l'occiput, n° 1,0,189; 


D. 2,0,176. 


DE L'HOMME. 


45 


LIVRE IT. 


MÉMOIRES DIVERS SUR PLUSIEURS VARIÉTÉS DES RACES HUMAINES. 


$ I DES ARAUCANOS, 
OU ARAUCANS (1). 


A l'extrémité méridionale du nouveau continent 
vivent éparses de nombreuses tribus, pour la plu- 
part ignorées, ou sur lesquelles l’Europe ne possède 
que des notions vagues et incertaines. Les faits que 
nous allons présenter ne fourniront point de gran- 
des lumières; mais ils seroient encore intéressants 
lors même qu’on n’en obtiendroit que quelques aper- 
cus neufs et utiles pour établir des rapprochements. 

La tribu des Araucanos habite cette partie de l’A- 
mérique méridionale qui est placée au sud du vieux 
Chili, entre les Andes et la mer. Les Espagnols 
ont de tout temps redouté l’humeur belliqueuse des 
Araucanos, qu’ils n’ont jamais pu dompter, et avec 
lesquels ils ont été jusqu’à ces dernières années 
dans un état presque permanent d’hostilité. 
troupes du Chili ont fréquemment foibli devant 
peuples; etsi les dominateurs de l'Amérique 
temps des Pizarre et des Cortez eussent trot 
dans les Péruviens et les Mexicains énervés une 
foible partie de l'énergie des Araucanos, jamais 
l'humanité n’auroit eu à gémir sur les excès de leur 
sanglante conquête, et la soif sanguinaire et avide 
des Almagros et de leurs compagnons eût payé fort 
cher les premiers actes d’injustice dont ils se se- 
roient rendus coupables. 

Les Araucanos forment donc une peuplade belli- 
queuse divisée en tribus nomades ou sédentaires, 
occupant des villages que régit l'autorité d’un caci- 
que, et réunies entre elles par une sorte de fédéra- 
tion présidée par le plus expérimenté et le plus an- 
cien des chefs, Les tribus plus voisines du Chili ne 


sont séparées de la province de la Conception que. 


par le cours du Biobio, et se sont propagées jusque 
sous les murs de la ville de Valdivia, dont le terri- 
toire est ainsi très resserré. 

Les mœurs de ces peuplades, bien que sous l’in- 
fluence d’un commencement de civilisation, sont 
portées à la cruauté. Des habitudes gucrrières diri- 


.{) Consultez » Pour plus de détails sur ces tribus , le 
Voyage à la mer du Sud de Frézier; Paris, 1732, in-4°, 


gées vers les moyens de fondre sur un ennemi et de 
le dépouiller de tout ce qu’il possède, absolument à 
la manière des Bédouins, ne laissent point éclore 
cetle pitié et ces idées de philanthropie qui sont le 
fruit des institutions perfectionnées. Tout en eux est 
sacrifié à l'égoïisme personnel et de famille; et ce 
sentiment, qui semble être le grand mobile de tou- 
tes les actions humaines, n’est point chez eux mas- 
qué par quelques qualités heureuses. Le droit du 
plus fort est leur suprême loi; ils n’en connoissent 
point d’autre. 

Les caractères physiques des Araucanos sont loin 
d’être attrayants. Les hommes de cette tribu sont 
robustes, vigoureux , et remarquables par un 
système musculaire éminemment développé; leur 
taille médiocre et mal prise, leur visage cuivréaplati 
et large qu'empreint de férocité un regard sombre 
et défiant, des lèvres grosses, un menton arrondi 
et volumineux, une chevelure longue, épaisse et très 
noire, un ventre communément saillant, des gestes 
hardis, donnent à l’ensemble deleurs traits un carac- 
tère de sauvagerie repoussant. Bien que la plupart 
des auteurs regardent ces peuplades comme issues 
d’une source commune avec les Péruviens, les rap- 
prochements qu’ils ont établis ne reposent que sur 
des suppositions auxquelles on ne peut s'arrêter un 
instant lorsqu'on a vu des individus de ces deux 
rameaux. Les Péruviens diffèrent des Araucanos 
autant par le physique que par toutes les habitudes 
de leur vie. 

Un officier chilien, aide-de-camp du général 
Freyre, président de la république , que les hasards 
de la guerre conduisirent prisonnier au sein de ces 
hordes, nous fournit pendant notre séjour à la Con- 
ception du Chili quelques renseignements sur leurs 
habitudes, et nous rapporta certaines particularités 
que le général Freyre sanctionna lui-même de son 
témoignage. 

La province de la Conception, boulevart du Chili 
du côté du territoire des Araucanos, a presque con- 
stamment été le théâtre de leurs invasions. Leur 
nom seul inspire la plas vive terreur, et les villes 
de la Conception et de Talcaguana, qu’ils ont sac- 
cagées il ya quelques années, portent des traces 


46 HISTOIRE NATURELLE 


durables de leur irruption. Les inquiétudes sans cesse 
renaissantes que les gouverneurs espagnols éprou- 
voient lorsque le Chili dépendoit encore de la cou- 
ronne d’Espagne les portèrent, vers 1810, à entre- 
prendre une gucrre active ct soutenue contre ces 
peuplades. Après diverses vicissitudes les chances 
couronnèrent leurs efforts; et les Araucans, repous- 
sés dans leurs limites, furent heureux de faire une 
paix pour laquelle ils donnèrent des otages, mais 
qu'ils rompirent vers 18:35 à l’instigation des roya- 
listes, et notamment du fameux Bena-Vidès. Les 
républicains, étant parvenus à chasser les Européens 
du Chili, réunirent toutes leurs forces contre les 
Araucanos ,qu’iis mirent pour long-temps dans l’im- 
possibilité de devenir agresseurs. Ils bâtirent aussi 
une forteresse sur le Biobio, et darts un défilé qui 
commande l'entrée du territoire de ces peuplades. 
Depuis ils gagnèrent, soit par des présents, soit par 
la douceur, les caciques de plusieurs tribus, et for- 
mèrent un corps de cavalerie composé d’Araucanos, 
dont la manière de combattre et la tenue sont abso- 
lument celles des Cosaques. 

Un Araucan ne se livre jamais à aucun travail 
manuel ; il croiroit déroger aux prérogatives de son 
sexe et s’avilir. Sa principale et presque unique 
occupation: est de dompter un cheval. On sait que 
ce précieux animal, abandonné à lui-même dans les 
vastes pampas du sud de l'Amérique, s’y est mul- 
tiplié d’une manière prodigieuse , et que, vivaut en 
liberté par troupes considérables, il a conservé cette 
vigueur et celte énergie que n’a jamais usées la do- 
mesticité. Les Araucanos ne se donnent point la peine 
de l’élever : comme les Péous du Paraguay, ils 
s’exercent dès l'enfance à jeter le lacet en courant 
au grand galop, et de changer ou renouveler leur 
monture sans peine comme sans soins. Peu d'hommes 
pourroient être cités pour meilleurs cavaliers : aussi 
dans leurs combats ont-ils souvent employé un stra- 
tagème qui consiste à se placer sur un des flancs en 
s’y accrochant par une jambe, ctils se redressent 
avec vigueur lorsqu'ils avancent sur un ennemi sur- 
pris, ou même près duquel leur pige est resté sans 
succès. Le pied des chevaux qu’ils montent est telle- 
ment sûr, ou leur adresse pour les diriger est siper- 
fectionnée, qu’on les à vus descendre avec rapidité 
sur les pentes roides et escarpées de hautes collines. 

Habitués à boire dans leurs villages une liqueur 
fermentée, nommée cici, qu’ils tiroient de plusieurs 
plantes, et surtout du maqui ( wristoteliu maqui), 
les Araucanos , dans leurs relations avec la province 
de la Conception, en ont pris un goût désordonné 
pour les boissons alcooliques, et l'ivresse est pour 
eux l’image parfaite de la félicité. 

Chez tous les peuples dans l’enfance de la civili- 
sation le sort des femmes est un dur e:clavage ; mais 
c’est principalement chez les tribus adonnées à la 


guerre que leur condition est pénible. Les femmes 
des Araucans ne sont guère, aux yeux de leurs 
maris, que des bêtes de somme chargées de tous les 
fardeaux de la vie, sans en avoir les plus légères 
douceurs. Ainsi leur sont dévolus en outredes soins 
que nécessite l’intérieur de la cabane, ceux plus 
pénibles d’en bâtir les murailles, et de labourer les 
terres qui fournissent la base de leur nourriture. Les 
femmes sont encore dans l'obligation de suivre leurs 
maris dans leurs expéditions de guerre, de soigner 
leur cheval, de le seller, de le brider au moment 
de l’action, et de rester sur les derrières pour ras- 
sembler et prendre soin du butin conquis par leurs 
époux. 

Les enfants dès l’âge le plus tendre sont exercés 
à galoper sur un cheval fougueux et à demi sauvage, 
et les petits Iudios, car c’est ainsi que les Chiliens 
les nomment, deviennent de très bonne heure d’ex- 
cellents cavaliers. On en rencontre un assez grand 
nombre dans la ville de la Conception que des pa- 
ren!s pauvres ont cédés à des habitants qui les em- 
ploient comme domestiques. 

Les Araucanos se nourrissent presque unique- 
ment de chairs, et leurs provisions dans les voyages 
consistent en starké, qui est une viande desséchée 
au soleil et durcie sous forme de lanières minces et 
eflilées. Ils consomment également un peu de fro- 
ment grossièrement concassé et rôti. Mais, soit la 
malpropreté qui couvre le corps, soit l’influence 
d’une nourriture presque uniquement animale, leur 
transpiration cutanée en contracte une odeur détes- 
table. connue dans le pays sous le nom de «oreno. 

Ces peuples, dans les premiers temps de leurs 
démélés avec les E spagnols , ne faisoient point de 
prisonniers. Ceux qui leur tombent entre les mains 
aujourd’hui sont occupés dans l’intérieur du pays 
à garder les troupeaux. 

La férocité naturelle des Araucanos peut se cal- 
mer passagèrement , mais jamais d’une manière com- 
plète, et c’est avec ardeur qu’on les voit saisir toutes 
les occasions de donner cours à leurs habitudes pil- 
lardes. Nous arrivâmes au Chili vers les premiers 
jours de janvier 1825, et quelques mois avant les 
tribus maritimes avoient assez bien aveueilli quatre 
navires baleinicrs, mouillés sous l’ile Sainte-Marie, 
dont les équipages furent assez peu défiants pour 
abandonner les précautions les plus salutaires. Cette 
aveugle sécurité les perdit ; attaqués à l’improviste, 
ils furent massacrés sans qu'ils’en échappât un seul, 
et les navires furent mis en pièces. Cet événement, 
que plusicurs habitants nous rapportèrent, nous a 
aussi été confirmé par le capitaine Choice, comman- 
dant le navire baleinier anglois la Surah-Ann, 
mouillé alors sur la côte du Chili. 

Les armes dont se servent les Araucans se rédui- 
sent à la lance qu’ils manient avec une dextérité 


DE L'HOMME. 47 


peu commune. Îls n'aiment point les armes à feu, 
bien qu’ils s’en soient nroeuré dans leurs échanges 
avec les habitants de Valdivia et de la Conception. 
Les lances que nous avons vues dans leurs mains ont 
un fer large de quatre pouces, et long de près de 
deux pieds, que supporte un long bambou, droit et 
plein, qui croît abondamment sur cette partie de 
l'Amérique. Bien que cette arme soit longuement 
emmanchée, ils la manient avec la même aisance 
qu’un cavalier européen le fait de son sabre, et tous 
les officiers indépendants nous en parlèrent en des 
termes admiratifs qui nous parurent outrés. Les 
Araucans combattent à la maniére des Cosaques, 
sans ordre, mais avec une grande bravoure ; tant il 
est vrai que l’analogie dans le sol influe sur les ana- 
logies morales : les premiers en effet, vivant au 
milieu des forêts et des pampas placés au pied des 
Andes, ont dû se plier à des usages que les steppes 
rendoient obligatcires pour les tribus tartares. Une 
autre manière de combattre consiste à se servir du 
lacetavec lequel ils saisissent, pour ainsi direcomme 
au vol, leur ennemi, ou bien à lancer des boules 
fixées à l'extrémité d’une très longue courroie qui 
s’entortille autour des jambes des chevaux, et qui, 
tenue avec vigueur, sert à démonter les cavaliers. 

Pour conserver le souvenir de leurs actions ils 
emploient des quipos. 

Le principal ajustement d’un Araucan est le pon- 
cho, pièce d’étoffe quadrilatère, percée au centre pour 
y passer latête, et destinée à couvrir le haut du corps. 
Ce poncho, dont tous les Chiliens ont adopté l’u- 
sage , est fait de laine de Guanaco, et tissé par les 
femmes. 

Leur goût pour la danse tient de la fureur. Cette 
danse ne consiste d’abord qu’en pas lents et graves, 
mesurés et sans grâce, el finit par graduellement 
s'animer, et se composer de mouvements brusques, 
désordonnés, tenant du délire. Le chant qui lui sert 
d'accompagnement est triste, monotone, et toujours 
sur une note basse et gutturale. La danse la plus en 
vogue parmi ces tribusest la sapatera; comme chez 
tous les peuples encore près de l’état de liberté, elle 
n'est qu’un épisode dramatique de la vie, c’est-à-dire 
qu’elle est destinée à reproduire des scènes d'amour. 
Cette sapatera, dans laquelle ne paroissent qu’un 
homme et une femme, peint assez bien et assez vive- 
ment toute l’histoire de ce qu’on nomme amour : 
d’abord les complaisances, les soins, puis l'intelli- 
gence, les légères faveurs, les bouderies qui leur succè- 
dent, les raccommodements, et enfin le dénouement 
connu. Il en résulte que cette danse, d’abord calme, 
cérémonieuse, s’anime et se termine par les mou- 
vements les plus désordonnés de la licence. Au plai- 
sir qui brille dans les yeux des danseurs, on peut 
apprécier combien ces peuples s’identifient avec leur 
rôle, ct les demoiselles espagnoles du Chili n’ont 


point dédaigné d'introduire parmi leurs plaisirs cette 
sapatera, qui n’est que le diminutif de leur fandango 
national. 

Puisque nous venons de parler du penchant ex 
cessif que les Araucans ont pour l'amour, ce qui 
ne leur est du reste pas plus particulier qu’à tous 
les peuples non civilisés, nous rapporterons, sans 
en garantir l'authenticité, une bistoriette qu'on nous 
raconta souvent avec complaisance dans les salons 
de la Conception. On dit que le fils d’un cacique eut 
occasion, dans ses relations avec les autorités chi- 
liennes , de voir une demoiselle de cette ville dont 
il devint éperdument amoureux, et qu’il demanda 
en mariage. Peu jalouse de régner sur des tribus 
grossières, où le sort des femmes est un rude es- 
clavage, celle-ci rejcta avec dégoût une proposition 
peu faite pour la flatter ; mais le chef sauvage , peu 
habitué à des refus, signifia à ses parents qu'ils 
eussent à se décider sous tant de jours, ou qu’il 
viendroit à la tête de ses tribus incendier leurs pro- 
priétés , saccager la ville, etqu’il les égorgeroitsans 
pitié. La foiblesse des autorités qui craignoient une 
nouvelle guerre avec ces peuplades intervint dans 
cette affaire , et décida la famille à acquiescer à cette 
dure demande, 

À ces renseignements mulilés se bornent ce que 
nous nous sommes procuré sur les Araucanos dans 
leur propre pays; nous ajouterons sur eux quelques 
détails puisés dans le savant ouvrage de M. Balbi, 
intitulé Atlas ethnographique du globe. 

Les Molouches, que les Espagnols nomment Arau- 
cans, parlent plusieurs dialectes, les langues chili 
duga, chilien propre ou araucan. Cette nation très 
nombreuse, qui forme la masse principale de la po- 
pulation des Chili ancien et nouveau, et dont une 
grande partie conserve encore son indépendance, 
se divise, selon Falkner, de la manière suivante: 
les Picunches ou les gens du nord, qui habitent dans 
les montagnes de Coquimbo jusqu’au-dessus de San- 
ago, et s'étendent du côté de l’est presque jusqu’à 
Mendoza dans le €uyo ou Chili oriental. Les ha- 
bitants de cette dernière contrée s'appellent aussi 
Puelches, c’est à-dire orientaux. Les Pehuenches, 
qui habitent la partie du Chili comprise entre le 
trente-cinquième et le quarantième parallèle, sont 
quelquefois nommés Huilliches, c'est-à-dire gens 
du midi. par les Picunches, à cause de leur posi- 
tion méridionale à leur égard. Ceux qui demeurent 
entre les rivières de Biobio et de Valdivia sont les 
Auca, Molouches propres ou Araucans, si célèbres 
par l’Araucana d’Alfonso d’Ercilla, et quatre autres 
poëmes dont ils sont le sujet. Cette nation forme 
une puissante république, qui, après avoir fait une 
longue guerre aux Espagnols, grâce à la sage con- 
duite de den Higgins de Vallenar, président du 
Chili, reconnut la protection de l'Espagne vers la 


48 HISTOIRE NATURELLE 


fin du dernier siècle. Une partie de cette nation vient 
de jouer un rôle aussi terrible qu’important dans la 
guerre qui a agité le Chili. Les Araucans passent 
justement pour être la nation indigène, encore in- 
dépendante, la plus policée de l'Amérique méridio- 
nale, et paroissent être le premier peuple du Nou- 
veau Monde, qui, en se procurant de nombreuses 
et bonnes races de chevaux, s’accoutuma de bonne 
heure au manége, et forma des corps de cavaliers ; 
selon le Viagero universal, vers l’année 1568, il 
eut déjà plusieurs escadrons de cavalerie dans son 
armée. Comme plusieurs autres nations du Nouveau 
Monde, il conserve le souvenir d’un grand déluge 
auquel il n’échappa que peu d'hommes. Les Arau- 
cans savent déterminer par le moyen des ombres 
les solstices, et leur année (sipautu) offre encore 
plus d’analogie avec l’année égyptienne que celle 
des Aztèques. Les trois cent soixante-cinq jours sont 
répartis en douze mois (ayen) d’égale durée, aux- 
quels on ajoute à li fin de l’année, au solstice d’hiver 
(huamathipantu), cinq jours épagomènes. Ils divi- 
sent le jour naturel qu’ils commencent à compter 
depuis minuit en douze parties, six de jour et six 
autres de nuit, comme font les Chinois, les Japo- 
nois, les Taïtiens et quelques autres nations. Ils 
divisent les étoiles en plusieurs constellations qui 
prennent leurs noms du nombre des étoiles princi- 
pales qui les composent, comme les pléïades, la croix 
antarctique, etc. Ils appellent rupuepeca ou chemin 
de la table la voie lactée. Ils distinguent les planètes 
des étoiles, et les croient autant de terres habitées 
comme la nôtre. Ils pensent, comme Aristote, que 
les comètes viennent des exhalaisons célestes, qui 
s’enflamment dans la région supérieure de Pair, et 
les regardent comme les avant-coureurs des événe- 
ments fâcheux. Malgré l’état imparfait de leurs con- 
noissances géométriques, ils ont dans leur langue 
des mots pour désigner les différentes espèces de 
quantité, comme le point, la ligne, l'angle, le trian- 
gle, le cône, la sphère, le cube. Ils cultivent avec 
succès la poésie et la médecine, autant qu’on peut 
y réussir sans livres et sans écriture. La première 
n’est qu’un assemblage d'images fortes et vives, de 
figures hardies, de fréquentes allusions et d’excla- 
mations pathétiques. Leurs chansons roulent pour 
l'ordinaire sur les hauts faits de leurs héros. Leurs 
médecins se nomment amfibes, et les chirurgiens 
gutarves. 


A | 
$ IL. DES PATAGONS(). 


Les Patagons ont été regardés par un grand nom- 
bre de voyageurs comme formant une race remar- 
quable par sa haute stature, et à laquelle le nom 
de géant convenoit parfaitement bien. D’autres, au 
contraire, ont traité de chimériques les récits de 
ceux qui mentionnent cette grande taille, et aflir- 
ment n'avoir vu sur les bords du détroit de Magellan 
que des peuples n’ayant point de proportions autres 
que celles de la plupart des Européens. Dans une 
telle divergence d’opinions, il seroit peut-être dif- 
ficile de présenter un résultat positif, si les faits ne 
se trouvoient point aujourd’hui nettement et clai- 
rement exprimés par des hommes estimables et ju- 
dicieux. | 

L'intelligence répugne toujours à admettre l’exis- 
tence d’une race privilégiée, qui seroit ainsi en op- 
position avec l’organisation humaine. Le vulgaire, 
ami du merveilleux, a dans tous les temps aimé à 
se faire illusion, et créer dans son imagination des 
géants d’une force prodigieuse, dont la poésie et puis 
la mythologie se sont emparées. C’est ainsi que la 
fable nous a conservé le souvenir des Lestrigons, des 
Cyclopes, de ce Polyphème qui peignoit sa cheve- 
lure avec un râteau, des Titans qui voulurent esca- 
lader le ciel, etc. On conçoit que, lorsque des aven- 
turiers hardis, qui les premiers s’élancèrent dans 
les parages nouveaux des terres Magellaniques ou 
de la mer du Sud, publièrent leurs récits, on dut 
éprouver une vive surprise des nouveautés qu'ils ra- 
contoient non sans les entremêler de mensonges. 
Leur peinture des Patagons, vivant sur les bords du 
détroit fameux ouvert à l’extrémité du sud de l’A- 
mérique, dut paroître surtout extraordinaire ; et 
lorsque de nouveaux voyageurs vinrent après les 
précédents démentir les faits qu’ils avoient avancés, 
nier la grande taille de ces mêmes hommes, l’opi- 
nion flotta incertaine entre les diverses narrations, 
et adopta suivant l’ordinaire, et sans faire de con- 
cessions, telle ou telle manière de voir. Combien 
d'auteurs ont traité de mensonges avérés ce que 
d’autres regardoient comme une vérité palpable et 
reconnue! On ne peut cependant se dispenser d’ad- 
mettre comme un fait positif que des peuplades re- 
marquables par leur grande taille habitent tempo- 
rairement les bords du détroit de Magellan, et que 
parfois des tribus plus misérables et de stature 
moyenne s’y présentent à leur tour, et viennent ainsi 


() Ge mémoire a été inséré dans l'Atlas ethnogra- 
phique du globe, ou Classification des peuples anciens 
et modernes d'après leur langue, par M. Adrien Balbi; 
Paris, 1826 , in-folio, tableau XX VI. 


DE L'HOMME. 49 


donner aux Européens, qui s’y rencontrent dans ces 
circonstances, une idée opposée à la croyance com- 
mune sur les Patagons. On ne doit pas se dissimuler 
toutefois que beaucoup d’écrits présentent de l’exa- 
gération dans la stature de ces peuples qu’on a portée 
jusqu’à huit et dix pieds anglois ; aussi est-il plus con- 
venable de se fier aux rapports des voyageurs moder- 
nes, plus amis de la vérité, qui la réduisent à des 
proportions plus voisines des nôtres, et qui nous 
montrent la tribu des Patagons comme une race con- 
servée pure, douce d’un physique imposant, pleine 
de force et de vigueur. Dans l’état actuel de ce que 
nous savons sur ces peuples, il est sans doute plus sim- 
ple de classer les diverses opinions émises sur eux. 
Magellan, dont le nom est attaché au fameux dé- 
troit qu’il découvrit, est le premier navigateur qui 
mentionne la haute taille des Patagons. La mesure 
approximative qu’il indique est à peu près de six 
pieds et demi. La Barbinais a emprunté une tradi- 
tion des Péruviens, consignée dans l'Histoire du 


Pérou de l’Indien Garcilasso , et dans les œuvres de | 


Torquemada, qui rapporte « que les Péruviens, en 
» descendant des montagnes après un déluge, trou- 
» vèrent les plaines occupées par unc race de géants 
» dont les mœurs étoient féroces. » Turner enfin 
(1610) dit avoir vu une race de géants sur les bords 
de la rivière de la Plata, et décrivit même les os qu’il 
pensoit leur avoir appartenu. En 1592, Cavendish 
porta à quatorze palmes de longueur deux Patagons 
qu’il mesura. Le menteur Sarmiento (1579), qui 
voyoit partout des châteaux et des colonnades, ne 
balance pas à dire que le Patagon qu’ils prirent étoit 
géant entre les autres géants. Hawkins dit de ces 
peuples que leur haute taille les fait appeler géants 
par plusieurs voyageurs. Pigafetta (1519) donne à 
ceux du port Saint-Julien huit palmes ou sept pieds. 
Knivet (1592) donne quinze ou seize palmes aux 
géants du port Désiré ; et, renchérissant encore sur 
ses prédécesseurs, Sebald de Wert (1598) accorde 
jusqu’à dix ou onze pieds de haut à ceux qu’il vit 
dans la baie Verte. Olivier de Nort (1598) trouva au 
port Désiré des hommes de grande stature, ayant 
le regard terrible, nommés Tireménen , et hauts de 
onze à douze pieds. Jacques Le Maire et Guillaume 
Schouten (i615) parlent des ossements de Pata- 
gons qu'ils déterrèrent, dont les dimensions leur 
prouvèrent que ces hommes avoient dix ou onze 
pieds de haut. 

Byron (1764), qui communiqua avec les Pata- 
gons, dont le nombre étoit de plus de cinq cents, 
les peint comme des hommes dont les plus petits 
n’avoient pas moins de huit pieds anglois, et parmi 
lesquels il y en avoit de beaucoup plus grands. 
Wallis (1767), dans la baie d'Élisabeth, vit deux 
troupes de naturels couverts de peaux de veaux 
marins, et exhalant une horrible puanteur. Ils 

L. 


étoient d’une taille beaucoup plus petite que ceux 
déjà précédemment vus, et le plus grand d’entre 
eux n’avoit pas plus de cinq pieds cinq à six pouces. 

Cook, dans son premier voyage (1769), décrit 
ainsi les naturels qu’il trouva à la baie de Bon-Suc- 
cès : « Ils sont gros et mal faits ; leur stature est de 
» cinq pieds huit à dix pouces; les femmes sont 
» plus petites, et ne passent guère cinq pieds. » 
M. de Bougainville n’en a pas vu qui eussent moins 
de cinq pieds cinq ou six pouces, mesure de France, 
et aucun qui eût plus de cinq pieds neuf ou dix 
pouces. M. de La Giraudais, commandant la flûte 
l'Etoile (1766), dit que le moindre de ceux qu'il 
aperçut avoit cinq pieds sept pouces ; et M. Duclos- 
Guyot, capitaine de la frégate l'Aigle, en rencon- 
tra de beaucoup plus grands. Forster, en parlant 
des Patagons, s'exprime ainsi, page 251 : « C’est 
un étrange phénomène de voir toute une nation 
conserver une s{ature si remarquable, tandis qu’au 
sud du détroit de Magellan , sur la Terre-de-Feu, 
on rencontre une race abâtardie et dégénérée, qui 
paroitroit descendre de la tribu des Huilliches, dé- 
crite par M. Falkner ( Description of Patagonia).» 

L'expédition de Malaspina , au détroit de Magel- 
lan, a donné des détails positifs sur ce sujet : ils 
nous paroissent concluants. Ils trouvèrent que la 
taille moyenne des Patagons est de six pieds et 
demi, et que les plus grands avoient sept pieds un 
pouce. De telles observations au dix-neuvième siè- 
cle sont décisives, et d’ailleurs elles sont confir- 
mées par celles de M. Gauthier, capitaine d’un 
navire baleinier françois, qui les visita dernière- 
ment. 

Cependant, si on rencontre dans Pernetty, Fré- 
zier, le père Feuillée, et dans les auteurs que nous 
avons cités, des témoignages aussi unanimes, on 
trouve également des contradicteurs , tels que 
Wood, Narborough { 1670). Les Patagons du Ha- 
vre-Saint-Julien sont d’une taille médiocre, mais 
bien faits, dit ce navigateur. De Gennes (41696) 
s'exprime ainsi : Ce sont ces Patagons (Port-Fa- 
mine ) que quelques auteurs nous disent avoir huit 
ou dix pieds de haut : le plus élevé d’entre eux 
n’avoit pas six pieds. De nos jours (1825), le 
marin anglois Weddell tourne en ridicule les 
rapports des précédents voyageurs, qui représen- 
tent ce pays comme tant habité par une race de 
géants. 11 dit que, d’après les renseignements qu’il 
se procura, leur taille ne diffère point de celle des 
habitants de la Tierra del Fuego, qui est de-cinq 
pieds cinq à six pouces au plus. 

Tels sont les renseignements les plus authenti- 
ques qu’on ait aujourd’hui pour aborder une ques- 
tion intéressante en elle-même, et qui pendant 
long-temps a été l’objet de l’avide curiosité des gens 
instruits. On ne peut nier que véritablement des 


90 HISTOIRE NATURELLE 


peuples de grande taille ne vivent à certaines épo- 
ques dans les vastes pampas du détroit de Magel- 
lan. On ne peut se dispenser d'admettre, d’un au- 
tre côté, que des peuplades de taille moyenne y 
habitent également, et que, tour à tour prises l’une 
pour l’autre, elles ont été la source des discordances 
qu’on trouve dans les récits dont nous avons rap- 
porté la substance. 

On sait en effet que la Terre-de-Feu, la terre 
des Etats, sont peuplées par des hordes misérables 
et déjà rabougries par l’inclémence du climat. Tous 
les navigateurs peignent les Pescherais comme de 
dégoûtantes créatures. D'une autre part, les Espa- 
gnols ont écrit que les tribus nombreuses qui sont 
éparses dans les portions australes de l'Amérique 
varioient à l’infini, et que parmi des races de forte 
taille on trouvoit parfois des tribus de stature mé- 
diocre et ordinaire; et les naufragés du Wagger, de 
Fescadre d’Anson , qui traversèrent toute cette 
étendue de terrains , s'accordent sur ce point. Mais 
ces tribus errantes à la manière des Tartares, chan- 
geant de place et de lieu avec leurs familles suivant 
que les pâturages s’épuisent dans les endroits 
qu’elles fréquentent, se sont souvent transportées 
à de grandes distances ; et on ne peut douter que 
les Patagons eux-mêmes ne soient dans ce cas, et 
qu'ils ne parcourent ces immenses déserts suivant 
les époques et les saisons. Plusieurs auteurs disent 
que les Huilliche:, qui habitent depuis l'archipel 
de Chonos jusqu’au golfe de ?ennas, étendent leurs 
courses vers entrée du détroit. Il en est de même 
des Puel-hes où montagnards dont quelques uns 
ont jusqu’à sept pieds de haut, et que Falkner croit 
être ceux que plusieurs des voyageurs mentionnent 
dans le Havre-Saint-Julien ou au Port-Famine. Les 
Fehuels, tribu des précédents, qui habitent entre 
Ja Comarea déserte et les Andes, hauts de six pieds 
communément, et souvent de sept, habitués au 
cheval qu’ils manient avec adresse, seroient égale- 
ment les Patagons montés sur des chevaux des na- 
vigateurs modernes. Au dire du même missionnaire 
ces peuples ne seroient donc pas coufinés à ce qu’on 
appelle habituellement Patagonie, laqueile com- 
prend le sud de l'Amérique à partir du quarante- 
sixième degré de latitude. 

Sans adopter aveuglément la haute stature accor- 
dée aux Patagons par les vieux écrivains, on ne 
peut aujourd’hui, à moins d’un scepticisme exclu- 
sif, ne pas croire à l’existence d’une race d'hommes 
robustes, de grande stature, qui sans être géants 
sont très supérieurs aux Européens par la taille. 
Ces tribus, placées sous un ciel tempéré ou même 
froid, ne sont point, comme les habitants du pôle 
Nord, rabougrices par un climat rigoureux; on a 
même remorqué que du quarantième au cinquan- 
tième parallèle le climat étoit le plus propice pour 


conserver aux hommes le développement de leur 
stature que compriment et rapetissent les latitudes 
plus élevées. Tel fut le nord de l’Europe appelé 
officina gentium, et qui pendant long-temps inonda 
les États voisins de ces grands corps à cheveux 
blonds, connus sous le nom de Normands, etc. Les 
naturels de la Tasmanie sont plus grands et plus 
développés que ceux de l’Australie ; et on a même 
remarqué au port Jackson, où c’est une opinion 
vulgaire, que les enfants des colons grandissent 
considérablement, et bien au-delà de la taille de 
leurs pères et mères. 

Cependant il ne faudroit point conclure que la 
taille des hommes diminue d’autant plus qu’on se 
rapproche et de l’équateur et des pôles, parce que 
de nombreux exemples témoigneroient du contraire. 
Ainsi les Océaniens sont des hommes superbes, soit 
qu'ils vivent entre les tropiques ou à la Nouvelle- 
Zélande; et on retrouve ces avantages chez les na- 
turels de plusieurs points de la Nouvelle-Bretagne, 
et chez ceux de plusieurs parties de l'Afrique, sous 
la ligne, au Congo par exemple. Il en est de même, 
si l’on cherche quelques unes de ces lois dans le 
règne végétal. Ainsi l’eucalyplus, le gigantesque 
araucaria, couvrent de leurs forêts l'hémisphère 
austral ( l’équateur a le baobab, et le nord, ses pins 
séculaires. Ce n’est que près des pôles, au Groen- 
land comme à la Nouvelle-Shetland , que les arbres 
deviennent des herbes, et qu'une nature expirante 
pose son cachet sur les productions animées, et 
même sur l’homme. 

Les Patagons conserveroient par des relations 
pures et sans mélange la haute taille qui les distin- 
gue. C’est ainsi que divers peuples de l’Europe of- 
frentencore des différences généralement reconnues, 
Les Saxons, les Danois, les Norwégiens et les Sué- 
dois, sont plus grands que les François ; ceux-ci, 
que les Portugais; les habitants des plaines, que 
ceux des montagnes, etc. Les rapports des peuples 
les uns avec les autres, et les croisements qui en 
résultent, détruisent à la longue ces différences. 
Mais chez ces peuplades isolées, qui n’ont point de 
relations avec d’autres peuples, on conçoit qu’un 
tel résultat doit long-temps se faire attendre. Les 
peuples cités encore aujourd’hui pour une haute sta- 
ture sont, outre ceux que nous venons de nommer, 
en Europe, les montagnards de l’Ecosse, de la 
Styrie, du Tyrol, les habitants de la Frise, de l’An- 
germanie, de l'Héricodalic , du nord de l’Angle- 
terre, etc. ; et anciennement les Gaulois et les Ger- 
mains ; en Asie, les montagnards du Coïmbetore, 
du Boutan, les Katti, les nègres de Formose men- 
tionnés par Valentyn, etc. ; en Afrique, jadis les 
Guanches, et maintenant plusieurs peuplades de la 
Cafrerie, et les Hollandois du cap de Bonne-Espé- 
rance ; dans l'Océanie, les indigènes des iles Bali, 


DE L'HOMME. 51 


Santa-Christina , des Navigateurs, des Mariannes, 
les Passummah de Sumatra, les Cagayanes de Lu- 
çon, etc. ; en Amérique, les Mocoby, les Abipons, 
les Guaycurus, les Paiagua, les Carybes, les Emé- 
rillons, les Arkansas, et en général les nations à 
l’est des montagnes Rocheuses. 

De même qu’il y a de nombreuses exceptions 
parmi les peuples, de même il y a aussi des excep- 
tions individuelles parmi les hommes, et ceux-ci 
alors recurent le nom de géants. La Bible nous 
peint Goliath haut de dix pieds et demi : nous y 
trouvons encore les géants enfants du démon et des 
filles de la terre, Og, roi de Basan, les géants d’'E- 
noc, auprès desquels les autres hommes n'étoient 
que des insectes. 

Nos vieilles légendes se sont plu à nous retracer 
Ja grande taille de quelques uns des chevaliers er- 
rants du vieux temps : on à vu leurs squelettes , et 
des os fossiles d’animaux que l’ignorance ou l'erreur 
attribuèrent au paladin Renaud, à Roland, ou à 
quelques autres preux tout aussi célèbres , ont long- 
temps chez le vulgaire témoigné de la véracité de 
nos vieux chroniqueurs. 

Sans remonter si haut nous savons que la nature, 
qui rapetisse certains êtres, semble, par une loi 
compensatrice de la matière, la distribuer sur cer- 
lains autres pour donner tous les jours sous nos 
yeux naissance à des individus de grande taille; 
mais, prudente et sage même dans ses écarts, on 
ne la voit jamais outre-passer certaines limites, et 
le maximum de sa puissance, pour créer ce que 
nous appelons un géant, paroît s'arrêter entre six 
et sept pieds. 

Telle est du moins la taille que nous connoissons 
appartenir à ces hommes offerts le plus souvent à 
la curiosité publique , ct c’est alors qu’un juste re- 
tour sur nous-mêmes nous fait regarder comme dé- 
mesurées des proportions qui ne se trouvent plus en 
rapport avec les nôtres. C’est ainsi que devinrent 
célèbres les soldats de la garde de Frédéric, roi de 
Prusse, remarquables par une haute stature. 

Sous l’empereur Claude, Pline cite le géant Gab- 
bare, qui avoit neuf pieds neuf pouces de haut. Mar- 
tin Delrio vit à Rouen en 4579 un Piémontois ayant 
plus de neuf pieds. Jules Scaliger vit à Milan un 
homme d’une taille démesurée. La Gazette de France 
du 21 septembre 1719 annonça qu’on avoit trouvé 
près de Salisbury un squelette humain de neuf pieds 
quatre pouces. Gaspard Bauhin cite un Suisse haut 
de huit pieds; et Vanderlinden, un Frison de la 
même taille. Stoller rapporte qu’un soldat de la 
garde de Guillaume Ie" avait huit pieds et demi. 
D'après les exemples que nous empruntons à 
M. Virey, et dont nous pourrions assez inutilement 
grossir celte liste, le célèbre anatomiste Diemes- 
broëk eite un homme de huit pieds sept pouces ; 


et Uffenback a vu le squelette d’une fille de cette 
grandeur. 

Enfin chacun a pu voir à Paris, dans le mois de 
février 4826, Louis Baguelin, surnommé le Goliath 
moderne, âgé de vingt-deux ans, haut de sept pieds, 
et parfaitement proportionné dans toutes ses par- 
ties. Un tel homme peut nous donner l’idée la plus 
nette des Patagons ; et il ne répugne nullement de 
croire que ces tribus ne puissent présenter assez 
communément ce que la nature ne produit en France 
que comme un phénomène rare et curieux. 


$ III. DES ESQUIMAUX (). 


Si nousavons vu une race privilégiée et de grande 
taille habiter l'extrémité méridionale de l'Amérique, 
nous trouverons par opposition, dans la partie bo- 
réale, un rameau distinct divisé en plusieurs bran- 
ches secondaires, qui présentent toutes la même 
physionomie et les mêmes habitudes. 

Les peuples que nous nommons Esquimaux, vi- 
vant dans les hautes latitudes du nord, sont soumis, 
au plus haut degré, à l'influence que peut exercer 
le climat sur l’homme comme sur les autres êtres 
animés. Leur physionomie, leurs habitudes, tout 
prouve que leur descendance provient de la race 
mongole ; et cependant, rapetissés dans leur taille, 
rabougris par les froids extrêmes des régions glacées 
du pôle nord, sur les limites duquel ils sont épar- 
pillés, ils ont subi toutes les modifications que pou- 
voit faire éclore l’action prolongée d’une tempéra- 
ture rigoureuse, sans cependant offrir d’une manière 
invariable la petite stature long-temps attribuée aux 
seuls habitants des côtes du Labrador et des terres 
placées près du cercle arctique, auxquels le nom 
d'Esquimaux proprement dits a été réservé sans 
partage par quelques anthropographes. 

La race mongole, même dans les pays tempérés 
où elle a pris naissance, est remarquable par sa 
taille médiocre. Aussi ses rameaux , disséminés sur 
le Groenland comme sur la Laponie et au nord du 
Nouveau Monde, en s’endurcissant au froid, ont pu 
se rapetisser, quant aux développement du corps, 
suivant les localités, tandis au contraire que d’autres 
tribus de la même famille, vivant sur un sol plus 
fertile et moins âpre, sont restées de taille ordinaire, 
tout en conservant les traces physiques de leur 
filiation. 


Une similitude dans les usages et dans les arts lie 
d'une manière assez nette les Esquimaux aux Sa- 


() Cette notice a été primitivement rédigée pour le 
trente-sixième tableau de l'Atlas cthnographique du 
globe , par M. Adrien Balbi. 


52 


moïèdes et aux Ostiaques, et même aux habitants 
de la presqu’ile de Kamtschatka et des îles Aléou- 
tiennes. Mais on remarque au milieu de ces peu- 
plades boréales une tribu qui paroît évidemment 
étrangère, dont la taille est bien plus développée, 
et qui s’est répandue sur les bords du détroit de 
Behring. 

Toutes les nations qu'on peut appeler polaires, 
séparées depuis long-temps, sans communication 
entre elles, ne peuvent être isolées sous le rapport 
physique et moral. Elles composent une grande fa- 
mille que plusieurs naturalistes ont nommée race 
hyperboréenne, et qu'ils ont caractérisée par les par- 
ticularités suivantes. Les hommes de cette race ont 
une taille qui ne dépasse guère quatre pieds six ou 
huit pouces. Leur corps est trapu, sons être gras; 
leurs jambes sont raccourcies, mais assez droites et 
très fortes ; leur tête est arrondie et d’un volume as- 
sez prononcé pour paroitre peu en rapport avec l’en- 
semble du corps. Le visage a cela de remarquable 
d’être large, court, et plat vers le front. Le nez est 
écrasé, sans être trop large; les pommettes sont fort 
élevées. La bouche est grande; les cheveux sont 
plats et noirs, naturellement gras et durs. La barbe 
est rare. Fabricius, dans sa Fuune du Groenland, 
avoit déjà dit : « On a remarqué que les hommes 
» du Nord avoient un teint plus blanc , une cheve- 
» lure plus blonde, à mesure qu’on s’avance vers 
» les climats plus froids; mais, par exception, les 
» habitants des environs du cercle polaire, tels que 
» les Lapons, les Samoïèdes, sont de petits hommes 
» très bruns de peau, à cheveux et barbe très noirs. 
» La nature placa près d'eux, et par un singulier 

contraste, les grands et lymphatiques Finois; et 
» près des Groenlandois les blonds Islardois, plus 
» méridionaux. » La couleur des Esquimaux est en 
effet d’un jaune rougeâtre sale. 

Les habitudes des Hyperboréens sont à peu près 
identiques partout où on les a soigneusement obser- 
vées. Vivant sur des points du globe où la nature 
semble expirante, ensevelie sous les glaces éternelles 
du pôle, leur industrie, toute instinctive, s’est tour- 
née vers la chasse et la pèche, leurs seules ressour- 
ces pour se nourrir : aussi y ont-ils acquis une 
grande Labileté. La rigueur du climat pendant de 
longs hivers les a forcés à se creuser des abris sou- 
terrains, et à y entasser des vivres pour l’époque où 
la pêche et la chasse sont impraticables. Dans les 
longues nuits polaires qu’éclairent à peine les au- 
rores boréales, ensevelis sous la glace et la neige 
dans des yourtes profondément creusées sous terre, 
les Esquimaux vivent de poisson sec, de chair de 
cétacés , et boivent avec plaisir l’huile de baleine 
qu’ils conservent dans des vessies. Ils cousent avec 
des nerfs leurs vêtements d’hiver, qui sont faits de 
peaux de phoques dont les poils servent de fourrure: | 


HISTOIRE NATURELLE 


ceux d'été sont taillés dans les intestins de grands 
cétacés , et ressemblent à des étoffes vernissées. 

Les huites estivales, de forme circulaire, sont 
couvertes de peaux de daim. Toutes ces tribus con- 
struisent sur un même modèle leurs élégantes piro- 
gues, longues de douze pieds et très étroites, avec 
des peaux d’amphibies que supporte une mince 
charpente en bois. La construction de ces pirogues ou 
baïdars est caractéristique pour ces peuples ; car 
ces embarcations sveltes et légères, sans balanciers, 
n’ont qu'une ouverture à leur milieu, dans laquelle 
se place l’'Esquimau. Celui-ci semble être identifié 
avec cette nacelle, et sait se relever avec dextérité 
lors même qu’elle chavire; ce qui arrive fréquem- 
ment. 

L'industrie de toutes ces peuplades se manifeste 
dans le travail d’une pierre grise et poreuse dont 
elles font des vases et des chaudières, qu'elles em- 
bellissent par des dessins variés, et aussi dans l’art 
de tailler le jade, dit pierre de Labrador, et d’en faire 
des bijoux à leur usage. Le goût des cosmétiques 
est aussi très vif chez elles. 

L’Esquimau est adroit à la chasse des renards et 
des zibelines, dont les fourrures lui servent de vé- 
tement ou d’objet d'échange avec quelques trafi- 
quants du Nord. Il sait harponner avec audace les 
cétacés, et les dards dont il se sert, faits d’os ou de 
pierres aiguës, sont surmontés de vessies gonflées 
dont la résistance sur l’eau use les forces de la ba- 
leine, qui vient plus souvent respirer à la surface 
de la mer, et qui éprouve une plus grande difficulté 
à s’enfoncer. De nouveaux javelots l’accablent en- 
core jusqu’à ce qu’elle ait succombé. Alors elle est 
dépecée; et ses lambeaux, partagés entre plusieurs 
familles, assurent pour long-temps leur existence. 

Superstilieuse à l'excès, la race polaire, à cela 
près de quelques nuances, a présenté dans toutes 
les tribus des idées religieuses identiques. Mais une 
morale très relâchée a fait adopter aux hommes la 
polygamie, prostituer sans pudeur leurs femmes 
et leurs filles, qu’ils ne considèrent que comme des 
créatures d’un ordre inférieur dont ils peuvent faire 
ce que bon leur semble. Les Esquimaux qui ont eu 
des communications avec les Européens en ont 
reçu un goût désordonné pour les liqueurs spiri- 
tueuses ; et ceux du Labrador et du Groenland, bien 
qu’ils aient eu au milieu d’eux pendant long-temps 
des missionnaires moraves, n’ont fait aucun progrès 
dans la religion chrétienne. Quelques uns des Es- 
quimaux , moins septentrionaux , sont pasteurs ; ils 
élèvent des troupeaux de rennes qui leur assurent 
une fortune, se servent de chiens pour tirer des 
traineaux sur la neige, et emploient pour marcher 
de larges patins faits en forme de raquettes. Ceux-ci 
sont, comme on doit le penser , très mélangés. 

La petite taille des Esquimaux est remarquable. 


DE L'HOMME. 53 


Certes la nature rapetisse chaque jour certains 
hommes, et semble prendre plaisir à créer des 
ébauches imparfaites ou des êtres en miniature; tel 
étoit surtout le célèbre Bébé, le mieux fait des 
nains que cite l’histoire, car la plupart d’entre eux 
ne sont que le résultat du rachitisme : mais il est 
difficile de croire qu’elle ait voulu donner le jour à 
des peuples de pygmées, à ces Quimos que réprou- 
vent les lois de l’organisation humaine. Quant à 
cette médiocre stature qui paroit être dévolue aux 
Esquimaux, n'est-il pas naturel de penser que l’ac- 
tion d’un froid vif et permanent suffit à la longue 
pour s’opposer au développement de l’organisme, 
et que cette action constante doit concentrer le plus 
possible le développement des organes? Cette opi- 
nion ne répugne nullement à l'intelligence ; car la 
faculté créatrice semble s’anéantir vers les pôles, et 
le nombre des êtres destinés à y vivre a reçu une 
organisation appropriée, et diminue d’une manière 
rapide. Le règne végétal n'offre-t-il pas l'exemple 
le plus remarquable de cette influence? Les plantes 
de la zone glaciale, rabougries dans leurs formes, 
engourdies pour ainsi dire pendant les neuf dixièmes 
de l’année, n’atteignent jamais qu’à des dimen- 
sions très petites; et c’est ainsi, pour en citer une 
preuve palpable, que le bouleau du Nord finit par 
prendre les formes humiles d’une herbe près des 
limites du pôle! 


$ IV. DES PÉRU VIENS. 


Pendant un court séjour à Payta, petite ville si- 
tuée sur la côte du Pérou par cinq degrés de lati- 
tude, nous eûmes occasion de visiter fréquemment 
les descendants des Péruviens qui peuplent un petit 
village de l’intérieur nommé Colan. Bien que facon- 
nés par la domination espagnole à des habitudes 
tout opposées à celles de leurs ancêtres, ils ont en- 
core conservé quelques unes de leurs traditions ; et 
leur physionomie d’ailleurs, quoique influencée par 
les superstitions que leur ont inculquées leurs mai- 
tres, est empreinte d’un caractère de nouveauté 
suffisant ponr mériter un instant notre attention. 

Le village de Colan est situé au milieu d’une plaine 
sablonneuse, nue et déserte, mais à une foible dis- 
tance de la rivière de Chira, non ioin de Lambayec. 
Ces deux villages sont entièrement peuplés d’abori- 
gènes auxquels les Espagnols ont laissé la préroga - 
tive d’avoir des caciques de leur choix pour les 
régir. Ces peuplades, ne fournissant jamais d’hom- 
mes pour les milices ou pour leservice des créoles, 
se sont multipliées en paix, et mettent le plus grand 
soin à ne pas avoir de relations ayec les descendants 


des Européens qui les méprisent et les molestent. 
Nous eùmes des relations amicales fréquentes avec 
le respectable Mutcharé , cacique en 1822. Ce Pé- 
ruvien nous reçut dans sa cabane avec cette antique 
hospitalité, cette extrême bienveillance , cette dou- 
ceur inaltérable que les vieux auteurs accordent aux 
anciens habitants du Pérou et du Mexique ; aussi 
nous empressämes-nous de le combler de présents 
qui le pénétrèrent de reconnoissance , et bien qu'é- 
tranger aux grands débats de l’Europe, ignorant 
jusqu’au nom de France, nous ne doutons pas qu’il 
ne conserve de notre passage et de notre nation un 
doux souvenir. 

La physionomie de tous les Péruviens que nous 
avons vus paroissoit calquée sur un type unique. 
Cette ressemblance générale est frappante. La ma- 
jeure partie d’entre eux nous parut avoir une taille 
médiocre, et ne dépassant jamais cinq pieds et deux 
ou trois pouces. Les membres sont grêles, arrondis 
et peu musclés. La coloration de la peau tire sur la 
teinte de cuivre rouge un peu clair, La face est ova- 
laire. Le nez est saillant, assez ordinairement épa- 
té, et les narines ouvertes et dilatées. Les lèvres 
sont grosses , et la bouche est très fendue. Les traits 
pris dans leur ensemble sont assez réguliers, et res- 
pirent la douceur. 

Les Péruviens ont une chevelure très noire, abon- 
damment fournie, qu’ils portent tressée en longues 
mèches flottantes sur le dos. Leurs femmes sont 
généralement laides ; car leur petite taille, leur vi- 
sage évasé transversalement , leurs traits prononcés 
et mâles, ne contribuent point à leur prêter de char- 
mes. À peine sur un grand nombre nous en distin- 
guâmes deux ou trois qu’on pourroit citer comme 
passables d'après nos idées conventionnelles de la 
beauté, et encore c’étoient des jeuues filles dans 
l’âge de puberté, au moment de la floraison de la vie. 

Les habitants de Colan, placés non loin d’un pe- 
tit port de mer, se procurent par l'échange des pro- 
ductions de leur sol les vêtements européens qu'ils 
portent dans les jours de fête; et quoique placés 
sous l’influence d’une vive chaleur, le gros drap est 
ceiui que les plus riches Péruviens affectionnent 
pour se vêtir. [ls se couvrent la tête avec un large 
chapeau de paille, et vont nu-pieds. Les femmes ont 
une mise plus simple, et n’ont point perdu l’usage 
de leur ancien costume qui ne se compose que d’une 
grande camisole noire, munie de larges manches, 
dans laquelle le corps est en pleine liberté. L'é- 
toffe qui sert à la confection de ce vêtement se fait 
dans le pays avec une espèce de coton, etest teinte en 
noir très solide avec les gousses d’un mimosa qu’on 
nomme chitran , qui croit dans les montagnes voi- 
sines. Cette tunique enveloppe la peau, car le linge 
est inconnu. La chevelure des femmes n’est point 
recouverte autrement que par un léger morceau 


54 HISTOIRE NATURELLE 


d'étoffe chez celles qui imitent les usages des créoles, 
mais elle est en général disposée par longues tresses 
retombant sur le dos. Leurs jambes ne sont garan- 
ties par aucune chaussure, ni par toute autre en- 
veloppe. Si les personnes d’un certain âge n’em- 
ploient pas plus de frais pour leur toilette, certes 
les enfants doivent encore être plus simples dans 
leurs ajustements : aussi vont-ils nus jusqu’à un 
âge même assez avancé ; et nous avons vu des pe- 
tites filles de douze ans , époque de la vie où elles 
commencent à être nubiles dans les pays chauds, 
complétement privées de vêtements devant les ca- 
banes de leur père, et, dans l’innocence des mœurs 
primitives, n’attacher aucune idée d’indécence à 
leur état de nudité. 

Les Péruviens de Colan savent communément 
lire et écrire l’espagnol. Les bienfaits de cette in- 
Struetion leur sont communiqués par des prêtres 
qui tiennent pour les enfants des écoles très suivies. 
Mais c’est à peu près tout ce qu’ils en reçoivent ; 
car ils ne pourroient guère puiser des leçons de mo- 
rale dans leur conduite. 

Les habitants forment deux classes distinctes, les 
agriculteurs et les pêcheurs. Les premiers cultivent 
leurs propriétés sur les rives du Rio del Chisue, et 
les autres tirent de la mer leur subsistance et celle 
de leur famille. Ceux-ci emploient pour naviguer 
des balsias, faites de peaux ou de troncs d'arbres 
réunis et attachés entre eux de manière à former 
une sorte de radeau. 

Les Péruviens de Colan ont pour toute industrie 
de filer le coton, et d’en tisser l’étoffe qui habille 
les femmes. Leurs besoins sont peu nombreux ; et 
par conséquent les meubles grossiers de leurs ca- 
banes bâties en terre et en bambous se réduisent à 
des vases faits avec des calebasses, à de petits ha- 
macs de toile pour servir de berceaux aux nouveaux- 
nés, tandis qu’une simple natte étendue sur le sol 
est le lit des père et mère. 

Le pain n’est point servi dans les repas. Son usage 
est inconnu. Il est remplacé par des grains de maïs 
rôtis et grossièrement concassés, ou par le manioc 
et des patates douces (convolvulus batatus). Hs se 
régalent en outre avec de la viande de porc salée ou 
séchée au soleil, et n’emploient guère de moyen de 
cuisson autre que l’ébullition ou le grillage sur des 
charbons incandescents. La boisson la plus ordi- 
naire est l’eau pure; mais on lui adjoint à la fin du 
repas de la chicha, obtenue par une fermentation 
de la graine de maïs, et qui donne une liqueur eni- 
vrante que leurs ancêtres buvoient avec délices. 
Cette chicha a une saveur forte , mais aigrelette, et 
sa consistance et sa couleur ne peuvent mieux être 
rendues que par celles du café au lait. Ces peuples 
font un grand usage de condiments énergiques, et 
surtout d’ur* espèce de piment à épiderme rosé, 
âcre et brülant. 


Les mœurs de la peuplade de Colan sont d’une 
grande douceur ; mais elles se ressentent de l’incul- 
ture des faculté morales, et présentent trop fré- 
quemment chez les femmes celte facilité et cet 
abandon que nos mœurs réprouvent. Il est vrai que 
les voyageurs emploient d'ordinaire sans scrupule 
des moyens de tentation puissants, et que leurs 
présents, trop souvent appréciés au-delà de leur 
valeur, sont pour ces peuples simples les objets 
d’une convoitise qu’ils ne peuvent surmonter. Aussi 
les Péruviens de Colan nous parurent-ils deman- 
deurs insatiables, et tout leur faisoit envie ; mais il 
est juste de dire qu’ils n’insistoient point, ni qu’ils 
ne témoignoient aucune humeur lorsqu'ils étoient 
refusés. 

La superstition la plus grande règne parmi ces 
habitants, et c’est ainsi qu’ils comprennent le culte 
catholique. Hommes et femmes portent suspendues 
au cou des amulettes de toutes sortes, bien que le 
plus ordinairement ce soient des billets contenant 
quelques prières, renfermés dans un petit sac en 
cuir suspendu sur le cœur. Ces billeis jouissent à 
leurs yeux des propriétés les plus surnaturelles, et 
ils leur attribuent la guérison de toutes leurs mala- 
dies. 

Une vertu fortementenracinéeest le respect filial. 
Nous avons entendu le vieux Matcharé au milieu de 
sa famille, considéré par elle comme le patriarche 
que leurs respects devoient honorer, nous dire : 
« J'ai élevé leur jeunesse, ils doivent soigner ma 
» vicillesse à leur tour. » Tout dans la cabane en 
effet ne se faisoit qu'avec son assentiment. On le 
consultoit avec les attentions les plus délicates ; et 
jamais un fils, fût-il âgé et père de famille, n’oseroit 
s'asseoir à table avec son père, en compagnie d’é- 
trangers du moins, sans son consentement. Quant 
aux femmes elles sont considérées comme des créa- 
tures secondaires, et leurs principales attributions 
consistent à préparer les aliments et à les servir; 
elles n’ont la permission d’y toucher que lorsque 
les hommes ont terminé leur repas. La conversa- 
tion du vieux cacique Matcharé étoit grave, lente : 
jamais le sourire n’eflleuroit ses lèvres. Son visage 
étoit austère et sérieux, et ce caractère de physio- 
nomie est généralement celui que nous vimes chez 
tous les Péruviens de Colan. Ils vénèrent la vieil- 
lesse, parce qu'ils la regardent comme riche d’ex- 
périence et dégagée de l'influence des passions vio- 
lentes : aussi est-ce par ses conseils qu’ils sedirigent 
le plus ordinairement. 


DE L'HOMME. 95 


$ V. DES POMOTOUS. 


Les Pomotous appartiennent à la race océanienne, 
et vivent sur ces iles basses et plates connues des 
géographes et des navigateurs européens par le nom 
d'archipel Dangereux de la mer Mauvaise, et qui 
sont appelées dans la langue de ces peuplades Po- 
Motous (1). Ces îles sont élevées sur le sommet des 
montagnes sous-marines, et entièrement formées 
d’un calcaire qu’y déposent les polypiers saxigènes ; 
leur surface n’est élevée que de quelques toises au- 
dessus du niveau de la mer. Bordées par des récifs, 
recouvertes par un très petit nombre de végétaux 
nourricicrs, privées d’eau douce, sans cesse me- 
nacées d’être englouties par des vagues lors des 
grandes perturbations de l'atmosphère, ces îles 
n'offrent à l'espèce humaine qui les habite que des 
secours bornés et une existence précaire. Ces ter- 
res, résultats du détritus des coraux , seroient com- 
plétement nhabitables si des forêts de cocotiers, 
dont les noix ont été transportées par les courants 
et ont pris possession du sol à mesure qu'il s’ex- 
haussoit sur la surface de l'Océan, n’étoient venues 
fournir aux hemmes , que des naufrages ou un excès 
de population forcèrent à y émigrer, leur principale 
ressource pour y vivre. Toutes les iles basses de Ja 
mer du Sud en effet, quelle que soit leur petite 
étendue, commencent à être habitées dès que les 
cocotiers peuvent produire. Dans cette portion du 
globe l'existence de l’homme est donc intimement 
unie à celle de ce palmier. On conçoit que des be- 
soins sans cesse renaissants, une industrie constam- 
ment tournée vers les moyens d’accroitre les res- 
sources alimentaires, un manque de communication 
avec les navires européens qui sillonnent ces mers, 
ont dû avoir une grande influence sur le caractère 
moralde ces peuplades : aussi remarque-t-on qu’elles 
sont ombrageuses, défiantes, et qu’elles présentent 
une grande sauvagerie de mœurs. 

Lorsque nous traversâmes l'archipel des Pomo- 
tous, un grand nombre de naturels vinrent à une 
certaine distance de notre navire sans vouloir en ap- 
procher, bien que nous employassions les moyens 
les plus propres pour éloigner leur défiance. Les 
habitants de l'ile de Clermont-Tonnerre, que nous 
découvrimes le 22 mai 4823, se servoient de piro- 
gues à balanciers. Ils nous adressèrent de longs dis- 
cours d’une voix forte et aigre, qui nous parurent 
être un roulement continuel de voyelles pressées. 
En vain leur criämes-nous tayo, mot qui dans la 
langue ccéanienne veut dire ami, ainsi qu’enomot, 


() Po, collectif, les ou groupes des, et motous, îles 
basses formées par des récifs, 


qui signifie venez ici: ils se bornèrent à les répéter 
et à rire en gesticulant. Les étoffes rouges qu’on 
leur montra les tentèrent beaucoup; mais la peur 
fut la plus forte, ils n’osèrent approcher. Ces insu- 
laires étoient nus, si on en excepte un maro ou petit 
morceau d'étoffe qui voile à demi les parties natu- 
relles. Leur couleur étoit d'un jaune bistre assez 
clair, et paroissoit brillante par la couche d'huile de 
coco dont ils étoient frottés : leurs formes corporelles 
ne diffèrent point de celles des O-Taïtiens ; leur ma- 
nière de nager, leurs pirogues, et l’art de construire 
celles-ci sont également identiques. 

Le 24% du même mois nous longeàmes une autre 
ile basse découpée en bandelettes étroites, ayant un 
lagon au centre, à laquelle le chef de l’expédition 
donna Je nom d'éle d'Augier : cette île étoit couverte 
de cocotiers; aussi sa population étoit-elle nom- 
breuse, et les groupes de naturels qui s’agitoient 
sur le rivage éloient armés de longues javelines. 1ls 
mirent aussi plusieurs pirogues à la mer : elles vin- 
rent toutes très proche de notre vaisseau; mais au- 
cune n'’osa toutefois l’accoster. La taille de ces 
hommes étoit généralement élevée : des colliers de 
coquilles entouroient leur cou ; ua morceau d’étoffe 
blanche, fabriquée sans doute avec le mürier à pa- 
pier, ceignoit leur tête. Ceux qui étoient dans les 
pirogues <e levèrent tous à Ja fois lorsqu'ils nous 
approchèrent, et se tinrent debout en poussant de 
grands cris el en gesticulant outre mesure. Nous en 
remarquämes un, enire autres, qui se plaça sur l’a- 
vant d’une pirogue en ne discontinuant pas d'agiter 
les bras et de les placer sur la tête d’une certaine 
manière : éloit-ce un signe d'amitié? étoit-ce une 
déclaration de guerre? Aa reste la grande défiance 
qu’ils nous témoignèrent doit faire préjuger défavo- 
rablement de leur caractère. 

Mais, si nous n'avons pu obtenir des renseigne- 
ments positifs sur les Pomotous dans leur pays na- 
tal, eeux que nous rencontrèmes à Taïti nous ont 
permis de réunir sur eux quelques notes plus inté- 
ressantes. Ces nalurels sont constitués comme les 
Taïtiens, auxquels ils ressemblent en tout point ; 
mais, s'ils ont leurs formes corporelles unics à plus 
de vigueur, ils n’en ont point le caractère bienveil- 
lant ni les manières affectneuses ; leur aspect est 
rude, le jeu de leur physionomie sauvage; l’ensem- 
ble de leurs traits est empreint d’une sorte de féro- 
cité; et ce qui ne contribue pas moins à leur donner 
des dehors repoussants est le tatouage, qui couvre 
non seulement le corps, mais même la figure. Les 
dessins de ce tatouage se composent de losanges gra- 
vés dans ‘la peau du front, et de cercles nombreux 
placés sur les joues, Leur nudité disparoit en quel- 
que sorte sous la masse «es dessins qui recouvrent 
le corps; et sous ce rapport nous reconnoissons une 
grande analogie entre eux, les Nouveaux-Zélandois, 


510 HISTOIRE NATURELLE | 


et les habitants des Marquises, tandis que les Taï- 
tiens leurs voisins, avec lesquels ils ont des com- 
mubications fréquentes, ne se tatouent plus depuis 
long-temps que de dessins légers et peu nombreux. 

Les Pomotous, qui habitent des iles pauvres en 
productions nutritives, et dont l’existence est par 
conséquent très précaire, regardent comme ennemi 
tout étranger qui cherche à y aborder ; et leur pre- 
mier mouvement est de repousser par la force tous 
les navigateurs qui essaient de communiquer avec 
eux. Par opposition, les Taïtiens, dont la vie molie 
et indolente s'écoule sans craindre les privations, 
n’ont jamais été renommés dans l'archipel de la So- 
ciété par leur humeur belliqueuse, tandis que les 
Pomotous, mûs pas un instinct destructeur, sont 
éminemment guerriers. Obligés ensuite de tirer de 
la mer leur nourriture journalière, ils sont marins 
audacieux et pêcheurs habiles : les poissons, en 
effet, composent une de leurs premières ressources. 
Sur les îles basses de ces archipels, qui sont décou- 
pées en bandelettes étroites de coraux, il ne croît 
point d'arbres à pain ni de spondias, mais seule: 
ment quelque peu de taro (arum esculentum) et du 
fara ou vaquois. 

Les pirogues de mer des Pomotous sont grandes 
et solidement construites pour les navigations loin- 
taines ; et nous en vimes à Papaoa plusieurs qui, 
malgré la distance des iles basses à O-Taïli, venoient 
de s’y rendre après plusieurs jours de traversée. Ces 
pirogues, de la dimension des chaloupes de nos pé- 
cheurs, sont pointues à leurs deux extrémités, et 
fortement liées entre elles à deux pieds de distance 
par des madriers qui supportent une plate-forme 
solide : leur coque est pontée, surmontée d’un plat- 
bord ; et les bordages sont très solidement chevillés. 
Sur la pirogue de gauche est établie dans toute sa 
longueur une banne en branches pliantes tissées à 
la manière de nos ouvrages de vannerie, et dont la 
surface est convexe en dehors et verticale en de- 
dans, où se trouve l’ouverture; car c’est en ce lieu 
que couche l'équipage, et que sont placés les vivres 
de campagne. Le gouvernail de ces doubles piro- 
gues est fort remarquable par la simplicité de son 
mécanisme : c'est un long morceau de bois s’évasant 
à l'extrémité en queue de poisson, et tournant aisé- 
ment sur une cheville. Le mât, en bambou, est fixé 
par des cordages tissés avec des écorces d’hibiseus : 
une grande natte quadrilatère sert de voile; et ce 
qu’il y a de singulier c’est que l’amure ne diffère 
point de celles de nos embarcations : l'écoute est 
fixée sur l’un ou sur l’autre bord à une petite che- 
ville en bois. 

Les Pomotous façonnent leurs armes avec un 
bois très dur qui est rare sur leurs îles : ce sont des 
javelines quelquefois longues de quinze pieds, s’é- 
largissant au sommet comme le fer d’une halle- 


barde ; elles sont ornées de sculptures travaillées 
avec beaucoup de goût. Il en est de même de leurs 
pagaies, qui sont ornées de dessins très gracieux ; 
de leurs haches en coraux, et de quelques autres 
ustensiles. Les femmes portent au cou des morceaux 
de nacre taillés en rond et dentelés sur leurs bords, 
qui forment un collier imbriqué d’un effet aussi 
agréable que brillant. Le goût de ces naturels pour 
Peva-avu, boisson âcre et piquante qu’ils composent 
avec une plante propre à toutes les iles de la mer 
du Sud, est très prononcé : aussi, contre l’usage de 
la plupart des Océaniens, recherchent-ils avec fureur 
nos liqueurs spiritueuses. C’est ainsi que pendant 
notre séjour à O-Taïli nous recümes la visite des 
équipages de deux pirogues pomotoues arrivées le 
soir même : quelques verres d’une eau-de-vie très 
forte du Chili accueillirent ces hôtes, et chassèrent 
de dessus leur visage les nuages sombres qui y ré- 
gnoient. Ces naturels nous demandèrent la permis- 
sion de danser, et voici à peu près le récit de ce qui 
se passa dans cette scène. Huit Pomotous se placè- 
rent sur une seule ligne, en s’asseyant sur le tillac: 
tous, d’un commun accord, frappoient sur les par-. 
ties charnues des cuisses et des jambes avec la main 
disposée en creux; ce qui produisoit une sorte de 
bruit harmonique dont la mesure lente devint bien- 
tôt plus pressée et plus rapide. Pendant ce temps 
les insulaires chantoient des couplets sur un air mo- 
notone et lent, et modifioient la voix naturelle de 
manière à lui donner une inflexion rauque et sto- 
macale. À mesure que le rhythme devenoit plus vif, 
un des huit Pomotous assis se levoit avec prestesse, 
et dansoit seul : toute sa pantomime se composoit 
de mouvements extrêmement rapides des jambes et 
des bras. Lorsque ce premier danseur se trouvoit 
fatigué, un second, puis un troisième, se levoient; 
et c’est alors que cette pythique devenoit très indé- 
cente. Ces danses sont toujours caractéristiques ; et 
celles qui peignent les combats retracent toutes les 
habitudes de ces peuples dans leur manière de faire 
la guerre, et sont en quelque sorte un mimodrame 
destiné à représenter sous les yeux de la tribu les 
hauts faits de ses guerriers : les Pomotous aiment 
si passionnément cet exercice, ils y mettent tant de 
chaleur et d’action, leur âme est tellement identifiée 
avec ce genre de plaisir, qu’on les voit bientôt ha- 
letants de fatigue et leurs corps ruisselants de sueur. 
De même que tous les habitants des îles de la So- 
ciété, leur langue, remplie de voyelles, leur permet 
d’improviser sur tous les sujets qui: re 
moindrement leur imagination mobile. Leurs vers 
semblent être soumis à une sorte de rhythme; tou- 
jours est-il qu’ils sont cadencés, et qu’ils paroissent 
composés d’un nombre uniforme de mètres. Lors- 
qu'ils sont au milieu des étrangers, leurs vers ren- 
ferment ordinairement quelques compliments ayant 


| DE L'HOMME. 57 


pour but de solliciter des présents : c’est ainsi que 
plusieurs de leurs chansons, qu’ils improvisèrent 
le soir où ils vinrent à bord, rouloient sur ce qu’ils 
avoient la gorge sèche, et qu’ils espéroient que dans 
la pirogue françoise on leur donneroit de l’ava-ava 
(eau-de-vie) pour l’humecter. D’autres fois ils se mo- 
quoient des Taïtiens, soumis à la domination des 
missionnaires anglicans. 

Du reste les Pomotous doivent être une jeune co- 
lonie de l'archipel de la Société ; tous en eux rappelle 
la souche d’où ils sont sortis. 


$ VE DES O-TAITIENS. 


Les naturels del’ile d'O-Taïti, si célèbres en France 
par les récits pleins de charme et de naïveté que 
Bougainville a publiés sur leurs mœurs et sur leurs 
habitudes , seront ici l’objet de notre étude. Notre 
opinion ne coïncidera pas toujours avec celle qui est 
assez généralement répandue ; mais on voudra bien 
se rappeler que cette notice historique a été tracée 
sur les lieux, et que par conséquent il ne nous est 
plus permis de rien changer à notre premier sen- 
timent. 

Les O-Taïtiens sent le type de notre rameau océa- 
nien, bien qu’on ait pensé que le peuple et les chefs 
n’appartenoient point à la même race : mais cette 
distinction des titous ou tiraras (les chefs) avec les 
toutous (bas peuple) ne repose que sur des indica- 
tions vagues et superficielles; car si la plupart des 
tiaous diffèrent des autres insulaires par une taille 
plus avantageuse, par une teinte de peau plus claire, 
cela tient à ce qu’ils sont mieux nourris et moins 
exposés à l'influence du soleil : d’ailleurs on observe 
dans la caste privilégiée quelques hommes contre- 
faits et très basanés. Tous les Taïtiens, sans presque 
aucune exception, sont de très beaux hommes : 
leurs membres ont des proportions gracieuses, mais 
en même temps robustes en apparence ; et partout 
les saillies musculaires sont enveloppées par un 
tissu cellulaire épais qui arrondit ce que les formes 
ont de trop saillant. Nous mesurâmes deux des plus 
beaux hommes du distriet de Matavai nommés Faeta 
et Upaparu : leur taille étoit de cinq pieds huit 
pouces et quelques lignes, et il n’est pas rare de 
rencontrer des insulaires qui aient cette stature : ce- 
pendant les dimensions les plus ordinaires du reste 
des habitants sont, terme moyen, de cinq pieds trois 
à cinq pouces. 

La physionomie des O-Taïtiens est généralement 
empreinte d’une grande douceur et d’une apparence 
de bonhomie. Leur tête seroit européenne sans l’é- 
patement des narines et la grosseur trop forte des 
lèvres. Leurs cheveux sont noirs et rudes, La teinte 


je 


de la peau est d’un jaune rouge très peu foncé, ou 
celle que l’on connoît vulgairement sous le nom de 
couleur de cuivre clair. Cette coloration varie tou- 
tefois d’intensité, et c’est ainsi que beaucoup de na- 
turels des deux sexes n’ont que ce brun qui distingue 
les peuples du midi de l’Europe. La surface de la 
peau est très lisse et douce au toucher; mais il s’en 
exhale une odeur très forte et très tenace qui est due 
en grande partie aux frictions d’huile de coco dont 
elle est sans cesse lubréfiée, et cette odeur persiste 
malgré les bains journaliers dont ils font usage. 
Hommes et femmes portent les cheveux coupés as- 
sez ras; ni les uns ni les autres ne s’épilent; mais 
les premiers s’arrachent la barbe, et ne laissent 
croître que les moustaches qu'ils taillent de manière 
à former un léger rebord sur la lèvre supérieure. 
Les membres sont nettement dessinés, et les jambes, 
d’après nos idées sur la beauté, sont remarquables 
par leurs belles proportions. Tout le système muscu. 
laire est largement développé; mais comme il n’a 
jamais été façonné pour un exercice de force, il en 
résulte la mollesse et l’inertie qui sont propres aux 
Taïtiens. Leur démarche en effet est chancelante et 
comme mal assurée, et s’ils agissent c’est d’abord 
avec vigueur, mais bientôt leurs efforts sont épuisés. 
Comment en seroit-il autrement sur un sol où les 
produits alimentaires furent jetés en abondance, et 
où, pour les obtenir, il ne faut employer aucun tra- 
vail ni aucun effort ? De cette heureuse position, de 
cette fécondité de la nature, il en est résulté pour 
les O-Taïtiens ces mœurs molles et cfféminées, cette 
enfance dans les idées, qui les distinguent. C’est à 
cause de cela que les habitants de Borabora , moins 
favorisés, s’adonnèrent à la piraterie, et leur firent 
souvent la guerre avec succès. C’est par la même 
raison qu’ils ont adopté sans obstacle les nouvelles 
maximes qui leur furent portées par les mission- 
naires anglois, maximes qu'ont repoussées tous les 
autres peuples de la même race dont l’âme est plus 
fortement trempée. 

On à longuement discuté anciennement sur ce 
que les Américains ne présentèrent point aux pre- 
miers observateurs un système pileux aussi épais 
que celui de beaucoup d’autres peuples : la question 
est aujourd’hui bien résolue; mais, pour ne parler 
que des O-Taïtiens, cette partie accessoire de l’orga- 
nisme est très abondamment fournie. Légers à la 
course, ces naturels sont habitués dès l’enfance à 
gravir à la cime des plus hauts cocotiers, et les arêtes 
des rochers les plus escarpés. Ils savent lancer les 
pierres avec la plus grande adresse, et leur coup 
d'œil est si juste qu'ils frappent le plus souvent le but 
qu’ils se proposent d’atteindre. Dressés dès la plus 
tendre jeunesse à la natation, les O-Taïtiens dans 
l’adolescence se plaisent à évoluer au milieu des ré- 
cifs ; ils exécutent de très longs trajels sans éprouver 

8 


58 HISTOIRE NATURELLE 


de fatigue. Leurs sens , habitués à äes observations 
toutes instinctives, leur font avoir la conscience d'un 
oiseau caché dans le feuillage d’un arbre éloigné, ou 
d’un petit lézard qui bruisse au loin sous une pierre, 
lorsqu'un Européen essaie en vain de voir ou d’en- 
tendre ces animaux. Mais cette faculté du reste ne 
eur est point exclusive, on sait qu’elle appartient à 
tous les peuples isolés ou disséminés sur la surface 
de la terre, qui en font un usage journalier. 

Dès leur bas âge les petits Taïtiens sont familia- 
risés avec les intempéries des saisons. Nous en avons 
vu qui restoient hors des cabanes et dans un état de 
nudité parfait, bien que la pluie tombât par torrents. 
D'ailleurs ces enfants de la nature peuvent se déve- 
lopper en paix; lutter contre les vagues au milieu 
.des brisants, grimper sur les arbres et parcourir 
sans cesse les bois, forme leur première éducation, 
et, d'après cela, il n’est pas étonnant que les mem- 
bres acquièrent cette aisance dans les mouvements 
qui est si opposée à la roideur et à l’immobilité d’un 
Européen. 

Les femmes d'O-Taïti, ces prêtresses de Vénus, 
dont les attraits séducteurs sont peints avec tant de 
charmes dans Bougainville, Wallis et Cook, sont 
généralement très laides de figure. Ce n’est pas, 
nous le savons, l’epinion reçue en Europe; et les 
tableaux gracieux et fantastiques qu’on à faits de 
leurs traits se trouvent en quelque sorte présents à 
la mémoire pour infirmer notre jugement. Mais 
nous avons vu la plus grande partie du beau sexe 
taïlien, el nous pouvons affirmer sans crainte que 
dans tonte l’iie à peine trouveroit-on une trentaine 
de figures passables d’après nos idées sur la beauté, 
ou en citer une dizaine qui aient une physionomie 
attrayante, et encore faudroit-il les chercher parmi 
celles qui sont à l'aurore de la vie; car la miternité 
et les travaux du ménage les flétrissent de bonne 
heure. Toutes les femmes âgées sont dégoûlantes 
par une flaccidité générale, qui est d’autant plus 
grande qu’elle succède ordinairement à un embon- 
point considérable. Les presniers navigateurs, en 
abordant dans cette île si belle par la pompe de sa 
végétation et la douceur de sa température, ont-ils 
été séduits par les plaisirs sensuels dont on les eni- 
vra après de longues privations, ou bien la beauté 
du sang s’est-elle altérée à la suite des maladies vé- 
nériennes, ainsi que le pensent les missionnaires ? 
Tout porte à croire que la première idée est la plus 
probable; la vie des gens de mer s'écoule au milieu 
de rudes vicissitudes, de privations de toutes sortes, 
et, dans les courts moments où ils peuvent satisfaire 
leurs goûts, ils s’y livrent avec un entier abandon. 
On conçoil facilement alors comment leur imagina- 
tion dote de tous les avantages réunis le sol qui leur 
offre de faciles plaisirs, et l'éducation même ne ga- 
rantit pas de ces presliges, puisque nous voyons des 


hommes graves partager le même sentiment. Le 
Camoëns entre autres n’a-t-il pas consacré un chant 
à peindre les voluplés que Gama et ses compagnons 
goûtèrent dans une ile fortunée? Bougainville, 
Wallis, Cook, Bligh, ont rivalisé, dans leurs rela- 
tions, en peintures un peu vives et à la manière de 
J'Albane lorsqu'ils tracent les contours gracieux, 
la tournure agaçante, les yeux langoureux des 
O-Taïtiennes, qui, au dire de ces navigateurs, au- 
roient pu soutenir la comparaison avec les Françoises 
dont le front n’est bruni que de cette demi-teinte 
qui ne messied point au visage des Andalousiennes. 
Si ce tableau ne concernoit qu’un petit nombre de 
jeunes filles, nous serions les premiers à en recon- 
noître la vérité ; mais le sexe féminin, quoique doté 
assez universellement de certains traits dont s’enor- 
gueilliroient les Européennes, est tellement défa- 
vorisé sous d’autres rapports, qu'un observateur 
judicieux ne peut se dispenser de détruire les pré- 
ventions fautives généralement répandues. Les C- 
Taïtiennes, avant le mariage, présentent cet em- 
bonpoint raisonnable qui prête de la grâce au corps, 
en arrondit les contours, et est le signe le plus 
infaillible d’une santé robuste; elles ont la jambe 
forte et bien proportionnée, les mains très petites ; 
l'élargissement singulier des traits de la face tient 
peut-être à l'usage qu'ont les mères de comprimer 
dès l’âge le plus tendre la tête de leurs enfants, de 
manière qu’il en résulte l'agrandissement de la 
bouc’ e, l’aplatissement des ailes du nez et la saillie 
des pommeltes ; de sorte que le nez, qui est assez 
généralement volumineux, et les lèvres fort grosses, 
ne concourent point, comme on peut le penser, à 
l’embellissement du jeu de la physionomie; mais 
les avantages dont la nature libérale les a dotées ne 
sont point à dédaigner. Elles ont, ainsi que les 
hommes, les dents du plus bel émail et parfaite- 
ment rangées ; leur œil est plein de vivacité et de 
feu , il est bien fendu, placé à fleur de tête, recou- 
vert par de longs cils effilés et abrité par un large 
sourcil noir; leur clevelure est de cette dernière 
couleur, et le luisant qu’elle affecte est dû à l’usage 
de l’huile de coco, on mouvë, dont elle est généra- 
lement enduite ; leur sein offre avec assez de régu- 
larité une demi-sphère dont la fermeté soulève la 
toile qui le recouvre si imparfaitement; mais le 
bouton de rose que la libérale nature plaça sur 
l'orbe d’albätre de la femme issue de race caucasi- 
que n’a plus cet incarnat et cette fraicheur ; c'est 
une sorte de mûre noire, longue, grosse comme Je 
bout du doigt, entourée d’une auréole couverte de 
papilles saillantes, et colorée en brun foncé : tels 
sont les avantages physiques de l’O-Taïtienne la 
plus favorisée. La coloration de la peau des femmes 
est, ainsi que celle des hommes, d’un cuivre clair. 
Quelques unes cependant sont remarquables par 


DE L'HOMME. 


une très grande blancheur, et les épouses des ciefs 
surtout, qui ne sont point soumises à des travaux 
rudes, ni à l’action du soleil, ont une teinte heau- 
coup moins foncée que celle des Provencales. Mais 
les jouissances précoces, le mariage et l'allaitement, 
ont bientôt détruit les avantages que nous venons 
de signaler. Vers dix ans les filles sont nubiles et 
de très bonne heure elles sont mères et très fécon- 
des. Le plus grand service que les missionnaires 
européens aient rendu à ces peuples est de les avoir 
portés à abolir l’affreuse coutume de sacrifier leurs 
enfants; le grand nombre de ceux-ci promet à Ja 
population d'O-Taïti un accroissement d’autant 
plus nécessaire qu’elle avoit été diminuée par des 
guerres, des maladies, et des sacrifices hum:ins. 
Les mères regardent comme le plus sacré de leurs 
devoirs de nourrir leur progéniture, elles ne s’en 
dispensent que dans des cas très rares; et les 
épouses des chefs, qui jouissent là comme ailleurs 
d’une prérogative que ne partage point le vulgaire, 
peuvent seules se dispenser de ce pienx devoir. Les 
femmes s’entr'aident dans les douleurs de l’enfan- 
tement; la plus proche voisine sert d’accoucheuse 
et coupe le cordon ombilical avec la valve tran- 
chanté d’une huïtre. Aussitôt que le nouveau-né a 
vu le jour, on le plonge dans un l'ain d’eau fraiche ; 
la mère l’allaite pendant long-temps, et nous avons 
vu des enfants âgés de trois ou quatre ans courir 
après le sein maternel. Une observation dont nous 
nous sommes diflicilement rendu compte est le pe- 
tit nombre de vieillards qu'on remarque parmi les 
O-Taïtiens. On ne rencontre en cffet que très peu 
d'individus auxquels on puisse par diverses suppu- 
tations donner soixante-dix ans au plus. Aujour- 
d’hui les missionnaires angloistiennent des registres 
exacts des mutations civiles, et celte question sera 
un jour complétement résolue. 

Plus les hommes sont restreints dans la sphère de 
Jeurs idées, plus ils sont près de ce qu’on appelle 
état de nature, plus leurs liens de famille ont de 
force; les O-Taïtiens en effet ont la plus vive ten- 
dresse pour leurs enfants ; ils leur parlent avec dou- 
ceur, ne les frappent jamais, et ne goülent rien 
d’agréable sans leur en offrir. Ces bons sentiments 
n’ont pu être détruits que par la force tyrannique 
des superstitions religieuses; et tel père qui ché- 
rissoit tendrement son fils le voyoit sacrifier sans 
regret à la demande et sur les autels du redou- 
table dieu Oro. 

D'où peut provenir ce grand nombre de bossus 
qu’on rencontre de toutes parts à Borabora, à Taïli, 
et dans toutes les îles de la Société? comme ceux 
d'Europe, ils sont spirituels, gais, et portés à la 
satire. Les missionnaires attribuent cette dégénéres- 
cence aux funestes effets des maladies syphilitiques ; 
mais nous ne partageons pas une opinion qu'ils ont 


59 


sans doute adoptée comme un thème de déclamation 
contre les navigateurs. 

Ces bossus sont alertes, et plus d’une fois nous 
avons été étonnés de les voir gravir avec aisance 
jusqu’au sommet des plus hauts cocotiers. 

Les travaux qui appartiennent à l’un ou l’autre 
sexe sont ainsi répartis : les femmes fabriquent les 
étolles , tissent les nattes et les chapeaux de paille; 
elles sont là comme ailleurs les gardiennes des mai- 
sons. Les hommes élèvent les cabanes, creusent les 
pirogues , plantent les arbres, en cueillent les fruits, 
et cuisent Jes provisions dans les fours souterrains. 
Seuls ils vont à la pêche, ou parcourent les récifs 
pour y recucillir les mollusques dont ils se 
nourrissent. 

Paresseux par essence, les Taïtiens trouvent dans 
le sommeil ou le repos le souverain bonheur; ils se 
couchent généralement dès le crépuseule Depuis 
l’arrivée des Européens, cependant, quelques fa- 
milles ont pris l'habitude des courtes veillées; et 
là le père ou le grand-père, éclairé par la flamme 
vacillante que jette une mèche imbibée d'huile de 
coco et renfermée dans la coque de la noix, raconte 
à ses enfants des aventures de pêche , ou les instruit 
de l'histoire d’O-Taïti ou des mystères de leur reli- 
gion. Le narrateur, dans ses récits, accommode 
ses gestes, les inflexions de sa voix, au sujet dont 
ils’oceupe. Tous les membres de la famille couchent 
le plus ordinairement péle-mêle dans une même 
pièce, sur des nattes jctées sur le sol. Nous avons 
fréquemment vu de jeunes époux couchés sur Ja 
même natte que leurs pères et mères, frères et 
sœurs. Les chefs seuls couchent sur des nattes ten- 
dues sur des châssis, et des étoffes d’écorce d’arbre 
à pain sont suspendues alentour en forme de dra- 
perie. Ils ont aussi l'usage de la sieste, et tous les 
insulaires dorment habituellement depuis midi jus- 
qu’à trois heures. 

Les O-Taïtiens font trois repas principaux : nous 
disons principaux, car ils mangent presque à toutes 
les heures du jour. Cependant les repas de famille 
se font le matin de très bonne heure , vers midi à 
peu près, et le soir au coucher du soleil ; maïs il 
est bien rare de rencontrer un naturel sans qu'il aît 
dans la main un morceau de fruit à pain cuit sous 
la cendre, ou une noix fraiche de coco, dont ils 
aiment passionnément le lait émulsif. 

Leur cuisine est simple, et la nature à pourvu 
d’une manière libérale aux substances alimentaires 
et aux fécules, que nulle part on ne rencontre en si 
grande abondance. Pendant sept à huit mois les 
arbres à pain ou maïore donnent leurs fruits; pen- 
dant le reste de l’année ils ont ou des cocos ou des 
taros, des ignames ou des racines de téré ( tacca pin- 
natifide, Lixxæts). Ils ont aussi le soin de faire 
des préparations destinées à varier leur nourriture 


60 


ou à servir dans des tempsde disette : ainsiils reti- 
rent des fécules très pures et très belles des racines 
d'arrow-root et de taro ; ils font du saïpaï, sorte de 
pouding composé de chair de fruit à pain et de coco, 
qu'ils nomment poe-taro lorsqu'on y ajoute des 
feuilles d’arum , et poe-pya lorsque c’est du jus de 
coco et dela racine de pya râpée. Mais de toutes ces 
préparations la meilleure sans contredit est la con- 
fiture qu’ils appellent popoe-fayi, et qui est un 
mélange de fruits à pain cuits avec des bananes de 
montagnes. 

D’après les idées nouvelles que leur ont trans- 
mises les missionnaires , les Taïtiens sont dans l’u- 
sage de n’allumer leurs fours souterrains que les 
samedis ou la veille des grandes fêtes ; et les ali- 
ments qu’ils y font cuire servent pour toute la 
semaine : lorsque les provisions viennent à man- 
quer, ils se bornent à rassembler devant leur porte 
quelques charbons sur lesquels ils grillent des fruits 
à pain ou des racines. Quoiqu'on ait décrit bien au 
long les fours dont se servent surtout les insulaires 
de l’archipel de la Société, cette méthode est si avan- 
tageuse pour donner un goût exquis aux mets qui 
y sont soumis, elle est si simple, mais en même 
temps si remarquable, que nous ne pouvons nous 
dispenser d’en parler, au moins brièvement. A quel- 
ques pas de leurs cabanes les habitants creusent un 
trou circulaire assez vaste, mais peu profond, dont 
ils garnissent le fond avec des pierres (des morceaux 
de trachytes );, puis ils allument un grand feu, sur 
lequel i!s placent une couche de terre pour empé- 
cher que la chaleur ne s’évapore. Lorsque le degré 
de caloricité est assez élevé, ils découvrent le four, 
etils mettent au fond , sur un lit de pierres échauf- 
fées , recouvertes de feuilles de bananiers, un cochon, 
dontle ventrecstremplide pierres chaudes : on faitun 
lit de cesdernières par-dessus, eton renouvelle lefeu 
par le moyen d'enveloppes filamenteuses ou brou de 
cocos très sec. En dessus ils forment des soupiraux, 
par où s'écoule la fumée en colonnes épaisses. Sou- 
vent ils placent en deuxième plan divers rangs de 
fruits à pain ou maivre. L'ensemble du four est 
ensuite recouvert, et le feu entretenu environ une 
demi-journée. Lorsque la cuisson approche de son 
terme, on enveloppe le four entier d’une couche 
épaisse de terre, et la chaleur se concentre et donne 
le dernier degré de cuisson. Les pierres du pays, 
très poreuses d’après leur origine volcanique, sont 
très propres à propager la chaleur. C’est au moment 
de servir, dans les repas d’étiquette donnés par les 
rois, qu'on découvre le four ; et les fruits à pain 
qu'on en retire, et les viandes rôties, conservent 
un parfum délicieux et une succulence qu’on cher- 
cheroit en vain dans celles préparées par les procé- 
dés européens. 

Les aliments usuels consistent donc en viandes , 


e 


HISTOIRE NATURELLE 


en fruits et en racines. La chair qu’ils estiment le 
plus est celle du cochon, qu'ils appellent poua ; 
mais tous les habitanis ne peuvent en goûter que 
rarement. Îls aimoient autrefois les chiens (ouri ); 
ils élèvent des poules (moena), ramassent les œufs 
dans les brouissailles, et n’en font aucun usage. Ils 
aiment passionnément le poisson, qu’ils mangent 
presque constamment cru, et consomment beaucoup 
de coquillages, d’holothuries, d’aplysies, que la 
mer jette à la côte , ainsi que de gros crustacés. 

Mais la base réelle de leur existence est le fruit 
qu'ils appellent maïore, que utile arbre à pain 
produit. Avec le coco la Providence divine a assuré 
à ces peuples une vie exempte de besoins, ou pour 
laquelle ils ne sont pas forcés de conquérir avec peine 
les premiers aliments. 

Le rima ou fruit à pain se mange cuit : il produit 
pendant une partie de l’année des fruits verts qu’on 
recueille au fur et à mesure qu’on en a besoin ; mais 
eu janvier, février, novembre et décembre, il cesse 
de produire. On à alors eu le soin de convertir sa 
pâte en uve sorte de conserve aigrelette qui dure cct 
espace de temps, et qu’on mange conjointement 
avec les bananes séchées au soleil et pressées par de 
fortes ligatures appelées péri, et qui ressemblent 
entièrement à des carottes de tabac. Les Anglois es- 
timent beaucoup cette dernière préparation, dont 
les marins font usage comme un excellent antiscor- 
butique. Avec le rima frais ils fabriquent une frian- 
dise en triturant sa pâte unie à celle des bananes 
cuites ; ils étendent aussi sa fécule, qu’ils font fer- 
menter un instant, pour faire une boisson instanta- 
née qui a une saveur aigrelette, une consistance 
épaisse, et une couleur blanchâtre qu’on nomme 
popoe. 

Le cocotier paroît avoir été créé pour être utile 
dans toutes ses parties : aussi les Taïtiens véné- 
roient-ils ce brillant palmier. Ses noix encore frai- 
ches servent, de préférence, pour leur nourriture 
et leur boisson. Ils appellent le palmier ari, et toto- 
moude le fruit : dans cet état ils aiment avec délices 
le lait butyreux contenu dans son intérieur; ils 
mangent la chair molle qui tapisse les parois de la 
noix en la räclant avec les doigts ou quelquefois avec 
un fragment de la coque, et la dévorent en un clin 
d'œil. Les jeunes cocos, non développés ou encore 
en bourgeons dans la spathe, sont une friandise re- 
cherchée qu’ils appellent couto. 

Les cocos parvenus à parfaite maturité sont 
conservés pour la fabrication de l’huile. Mais les 
naturels vont dans les bois recueillir ceux qui sont 
germés, et ils mangent l’intérieur, qui est spon- 
gieux, avec une grande sensualité, tandis qu’ils 
rejettent la chair qui reste encore autour de la noix 
comme trop dure et seulement propre à fournir de 
l'huile, 


DE L'HOMME. 61 


Enfin avec l’amande ou la chair de l’ari ils for- 
ment, en la broyant et la soumettant au lavage, de 
grosses boules qu’ils dessèchent afin de les conser- 
ver, et qui servent à fabriquer d’autres mets. 

Les bananes sont également un article important 
de consommation ; elles sont mangées crues à l’état 
frais, ou bien cuites et mélangées avec du maïore 
ou fruit à pain. On en fait des conserves nommées 
pire, en les pressant fortement les unes contre les 
autres et les séchant au soleil après les avoir cou- 
pées par lanières. Dans cet état elles prennent une 
saveur sucrée, et sont excellentes. Nous en avons 
souvent mangé avec le plus grand plaisir. Elles 
peuvent, ainsi ficelées et préparées, se conserver 
long-temps. 

Le taro rôti fait partie intégrante des matières 
alimentaires. On en retire une très belle fécule par 
le lavage ; mais la plus estimée s'obtient des racines 
d’une espèce de maranta appelée tii (!), qui donne 
ce que les Anglois appellent arrow-roct, et sur la- 
quelle les missionnaires ont imposé un tribut. Cette 
matière est très blanche, très gommeuse, el est très 
employée pour les maladies consomptives et les dys- 
senteries chroniques. Par eile-même, d’ailleurs, 
elle ne jouit d'aucune propriété spéciale autre que 
celle dévolue aux fécules de pommes de terre, de 
blé, etc. Ils emploient encore, dans le même but, 
les tubercules radiculaires que produit le tacca pin- 
natifida, qu’ils appellent tévé, tandis qu’ils don- 
nent à la racine le nom de pya. Les ignames four- 
nissent leurs racines douces et sucrées par tronçons 
volumineux longs de plus d’un pied, et recouverts 
d’un épiderme rougeâtre qu’ils nomment eoui. Ils 
utilisent encore diverses plantes sauvages éminem- 
ment nutritives, et ils ont en quantité une sorte de 
courge. Ils ne font que sucer la canne à sucre, dont 
ils rejettent la portion ligneuse. Ils ont d’ailleurs 
pour fruits l’orange, le citron, la papaye, qu’on leur 
a portés ; mais au premier rang on doit mettre le vy, 
fruit du spondias dulcis, dont la saveur déplait d’a- 
bord à cause d’un goût résineux qui domine dans 
l’épiderme, mais qui disparoit lorsqu'on enlève la 
peau pour faire place au goût exquis et sans mé- 
lange de la chair, dont il se fait une grande con- 
sommation. Ce fruit est aqueux, et fond sur les lè- 
yres lorsqu’il est mür; mais à ce point il ne peut se 

erver. On le cueille lorsqu'il est encore vert, 
k à le transporter à bord des navires et le faire 
müûrir en mer. 

La boisson ordinaire des O-Taïtiens est l’eau 
pure. Ils buvoient, avant l’arrivée des mission- 
naires, une liqueur spiritueuse très enivrante, 
appelée ava, obtenue de la macération dans l’eau, 


(1) On retiroit du tüi, par la fermentation de la racine 
râpée dans l’eau, une sorte de rhum très fort, 


pendant deux ou trois jours, de la racine du piper 
methysticum. Cette liqueur occasionne un sommeil 
profond , puis des transpirations abondantes, et par 
suite des ivresses furieuses. Ils s’en servent encore 
aujourd’hui, mais principalement comme remède. 
C’est par analogie avec l’ava, quant aux effets, qu'ils 
ont nommé avu-avu cette plante nauséabonde, dont 
ils ne font pas usage ou du moins fort peu, connue 
dans l'univers sous le nom de tabac. 

Le goût des O-Taïtiens pour les vêtements d'Eu- 
rope est cffréné. IL semble que sous l’habit d’un 
homme éminemment civilisé ils doivent acquérir 
le mérite qui le distingue, et s’attirer la considéra- 
tion qu'on lui porte. Telles sont du moins leurs 
idées à ce sujet. Aussi les voit-on chercher par tous 
les moyens imaginables à obtenir des habits, des 
chapeaux, des cravates de soie, et particulièrement 
des chemises. Ils n’en sont pas encore au point de 
porter des culoites et des souliers. Le petit nombre 
des navires qui y relächent, proportionnellement à 
la masse de la population, ne peut assez fournir de 
nos tissus pour vêtir la plupart des naturels : ils 
ont donc été forcés de conserver leurs anciennes 
étoffes faites avec l'écorce des arbres, de s’habiller 
en mêlant fréquemment les vêtements européens et 
taïliens. 

Le costume journalier est assez simple pour le 
commun du peuple : il se compose chez les hommes 
d’un morceau d’étoffe servant de pagne, et s'ajoute 
sur le maro. Quelquefois ils jettent sur les épaules 
une pièce légère, trouée au milieu pour le passage 
de la tête. Le pagne sert à recevoir divers petits ob- 
jets. Les jeunes garcons jusqu’à l’âge de quatorze à 
quinze ans sont complétement nus, hormis l’étroit 
maro qui recouvre les parties génitales. C’est habi- 
tuellement une bride étroite qui ceint les reins, et 
dont un pli enveloppe les testicules et retombe sur 
le pubis; un autres bout passe sur le périnée et 
l’assujettit. Les chefs ont des maro faits avec des 
écorces très molles et tissées à la manière des nattes 
fines : ils sont longs de plusieurs aunes, et larges de 
trois pouces. Les jeunes gens portent souvent un 
réseau de vieux filets sur la tête, et ont les oreilles 
percées pour recevoir des fleurs. 

Dans les jours de cérémonie les chefs portent une 
longue pièce d’étoffe ouverte au centre, appelée 
tipouta , retenue. sur les épaules par la tête, sem- 
blable au poncho des Araucans, et retombant jus- 
qu'aux chevilles, à la manière des chasubles de nos 
prêtres. Sa couleur est blanche , mais les bords et 
surtout les angles sont ornés de feuillages imprimés, 
et vivement colorés en rouge par le suc rutilant du 
maki. Une autre pièce d’étoffe ceint le corps, sa 
finesse est plus grande que celle de la précédente : 
elle forme plusieurs tours sur les reins, et ses cou- 
leurs varient du brun au jaune serin. Les naturels 


62 HISTOIRE NATURELLE 


savent tresser la paille, ct ils s’en font des sortes de 
chapeaux. Ils remplacent quelquefois cette coiffure 
par un turban de toile. 

Les chefs aiment à se vêtir à l’européenne, et dans 
leur plus grand négligé ils portent aujourd’hui un 
chapeau de paille, une chemise et une natte très 
fine, très moelleuse, d’une couleur vive, qui enve- 
loppe régligemment le corps. 

Le costume des femmes est le même pour tous les 
âges, lorsqu'il consiste en habits du pays; mais il dif- 
fère là comme ailleurs suivant le rang ou la fortune 
de celle qui est empaquetée dans des robes verues 
des manufactures d'Angleterre. Ce n’est que par des 
échanges, de cochons entre autres , qu’elles obtien- 
nent les indiennes ei les rubans qui les déligurent 
aujourd’hui. Ce qui est commun à toutes ce sont les 
petits chapeaux de paille dont elles couvrent leurs 
têtes, et qu’elles font elles-mêmes avec les jeunes 
écorces macérées du yourco, ou les chaumes d’une 
graminée nommée moou. Ceux ci, beaucoup plus 
rares, sont satinés, brillants, et ont tout l’éclat des 
chapeaux de paille de riz ou d'Italie. Deux grandes 
pièces d’étoffc drapées avec art composent tout leur 
habillement : la première, d’une blancheur éblouis- 
sante, ceint les reins, etenveloppe tout le haut du 
corps: les deux extréinités sont jointes l’une avec 
l’autre, et engagées sous un pli qui les retient pour 
retomber avec grâce. Un long manteau couvre les 
épaules ; sa couleur est également blanche. Les deux 
bouts s’attachent au-dessus des épaules, retombent 
sur les bras, qu’ils laissent libres, tandis que le reste 
de l’étolfe fait plusieurs circonvolutions autour des 
reins, et remonte voiler à demi le sein, plutôt 
pour la forme que par principe de pudeur. Cette 
espèce de tunique extérieure ne se porte que les 
jours de cérémonie ; dans leur intérieur elles sont 
à demi-nues. Pour la pluie cette longue robe antique 
est faite avec une étoffe plus épaisse, brune ou 
marron en dehors, et enduite d’une gomme qui la 
rend imperméable à l’eau. Les jeunes filles, et les 
plus coquettes surtout, ont sur les épaules, et sans 
autre voile, une sorte de petit fichu étroit, très 
blanc et travaillé en losanges à jour. Toutes les 
femmes indistinctement vont nu-pieds. La portion 
la plus brillante de leurs atours est sans contredit 
le goût qu’elles ont pour les guirlandes de fleurs : 
celles-ci sont de plusieurs espèces, mais générale- 
ment elles préfèrent à l’éclat des corolles les tiges 
fanées mais odorantes du basilic par exemple. Cette 
plante qu'on a introduite à Taïti croit partout main- 
tenant, et les femmes portent de gros paquets de 
ses tiges fances sur la tête. C’est ordinairement la 
fleur de r’'ithiscus rose d'e Chine, qu’elles entrela- 
cent pour former sur leur front un large faisceau, 
d'autant plus remarquable que cette fleur possède 
l'éclat Je plus vif du vermillon uni au carmin : quel- 


ques jeunes gens s’en fontaussi des couronnes. Une 
autre fleur chérie des femmes est le gardenia, dont 
l'odeur est très suave et très pénétrante; elles tra- 
versent les lobes de leurs oreilles des longs tubes de 
ses corolles virginales qui se fanent bientôt. Quel- 
ques unes portent des perles fines enfilées, cn place 
de pendants d'oreilles, mais seulement d’un seul 
côté. Cette coutume de se placer des fleurs dans les 
oreilles est d'autant plus remarquable qu’on la re- 
trouve aujourd’hui chez presque tous les peuples 
malais des îles de la Sonde ou des Moluques. Aussi 
à Taïti les femmes se font souvent des fleurs factices 
qu’elles placent au même lieu. Ce sont des. feuilles 
odorantes, des fleurs auxquelles elles accordent un 
sens ou quelques propriétés, qu’elles attachent sur 
un petit bâton, et qu’elles conservent long-temps 
ensuite, Peut-être cet usage est-il propre aux filles; 
peut-être que ce sont des dons d'amour, ce que nous 
ignorons. Elles parfument leurs vêtements avec les 
noix de toumanou ‘calopliyllum tiophryllim). 

Les femmes ont généralement, pour garantir 
leur figure de la trop vive action du soleil, une vi- 
sière faite avec les folioles du cocotier, et qu’elles 
appellent niao : cette coutume est aussi suivie par 
quelques hommes et surtout par des jeunes gens. 

La fabrication des étofles est l'occupation prin- 
cipale du sexe féminin, et, quoique fréquemment 
décrite, elle mérite de fixer l'attention. On auroit 
de la peine à croire en effet qu'avec des moyens si 
imparfaits et en même temps si simples ces peuples 
aient pu se façonner des vêtements aussi ingénieux 
et si commodes, en se servant d’écorces d’arbres. 
Les voyageurs jusqu’à ce jour n’ont mentionné que 
le müûuier à papier ou le broussonelii comme le 
végétal qui fournit son liber pour la fabrication des 
toiles très fines : mais cet arbre, qui sert aux mêmes 
usages en Chine et au Japon, est rare à O-Faïti, 
quoiqu'il y soit cultivé; on n’emploie guère aujour- 
d’hui que ses fibres, dont on tisse des chapeaux ou 
des sortes de fichus très légers. Plusieurs arbres ont 
des écorces que les O-Tañtiens utilisent, mais celui 
qui fouruit à lhabillentent de presque toute la po- 
pulation est l’arbre à pain. On choisit à cet effet les 
branches les plus jeunes ou les plus tendres, on les 
fend longitudinalement, et on les dépouille avec 
facilité, Leur liber est épais, composé de plusieurs 
couches, enduit d'un suc gommeux très tenace, 
très propre sous le battoir à lier les fibres entre elles, 
et à permettre qu’elles s'étendent largement, à me- 
sure qu’elles perdent de leur épaisseur. On fait ma- 
cérer pendant trois jours ces écorces, afin de les 
dépouiller de l’épiderme qui les recouvre, et on 
garde souvent le feuillet du liber le plus voisin 
des fibres qui est coloré en marron. Ajouté aux 
autres écorces, il sert à donner plus d'épaisseur à 
l'étoffe portée dans la saison des pluies, en même 


DE L'HOMME. 63 


temps que celle-ci prend la couleur brune qui le 
distingue. 

Outre le mûrier à papier principalement réservé 
aux tissus très fins, et l'arbre à pain, appelé ourou, 
qui est universellement employé, ces insulaires se 
servent encore au besoin des écorces de l’hibisrus 
tiliaceus, de celles d’un arbre à feuilles lancéolées, 
nommé ercetouu, de l'écorce du tiaïly ou plane 
de Cook (aleurites triloba), de celle du tamanou, et 
.de quelques autres dont les noms nous sont in- 
connus. 

Avant de commencer leur préparation, les fem- 
mes font macérer les écorces dans l’eau; elles en ap: 
portent ensuite la pâte dans un local où l’on fabrique 
les toiles et qu’on appelle wo : les morceaux de pâte 
n’ont alors que trois à quatre pouces de largeur sur 
une longacur déterminée, et les parcelles sont con- 
servées soigneusement pour fermer les trous, lors- 
que la toile déchire, ce qui arrive dans le premier 
-moment du battage. Ces écorces malaxées sont ap- 
pliquées sur un madrier en bois un peu épais, et 
l’opération est entamée à l’aide d’un battoir appelé 
eyeyé. Cet instrument, aujourd’hui très connu en 
Europe, est long de quinze pouces; il est régulière- 
ment quatrilatère, et a un pouce et demi sur chaque 
face, et quatre à cinq pouces de marche; il est fait 
d'un seul morceau de bois très dur. La première 
face, celle avec laquelle on commence à frapper les 
étoffes, est rayée longitudinalement par des lignes 
un peu fortes et en petit nombre; dans la seconde les 
rainures diminuent de profondeur et leur nombre 
augmente; ainsi de la troisième; la quatrième est 
couverte de rainures extrêmement fines : c’est aussi 
celle qui sert à terminer l’étoffe en lui donnant la 
dernière façon. 

Alors l’écorce constamment humectée avec de l’a- 
midon, et tenue fraiche dans des paquets de feuilles 
de mapé, est frappée dans le même sens par plu- 
sieurs eyeyé. On a en effet le soin de ne jamais bat- 
tre sur le même endroit : les coups vont de proche 
en proche. Cette opération dure long-temps, et se 
continue tantôt dans le sens de la longueur, et tan- 
tôt dans celui de la largeur, de sorte que les fibres, 
solidement agglutinées entre elles, forment une es 
pèce d’entre-croisement qui imite la trame de nos 
toiles. Lorsqu'on arrive sur les bords, on apporte 
quelque soin à n’étendre de l'écorce que ce qui est 
nécessaire pour conserver la régularité du carré. Il 
y a maintenant des cabanes consacrées à la fabrica- 
tion des étoffes destinées aux chefs ou aux mission- 
naires; on condamne les jeunes filles qui ont commis 
quelques fautes, ou qui ont eu quelques foiblesses, 
à en faire tant de pièces dans un temps donné, Sou- 
vent elles se réunissent une dizaine pour travailler ; 
mais dans ce cas une femme âgée et expérimentée 
préside toujours à l'opération : elle porte le premier 


coup, et ses jeunes compagnes continuent, en frap- 
pant en mesure, sur Pair d’une chanson du pays. 
C'est principalement à Borabora que souvent nous 
avous entendu cetté harmonie assez bruyante, qui 
dans le lointain, au milieu des bois, produit un sin- 
gulier effet. 

Ainsi sont fabriquées les éloffes communes. Le 
même procédé est usité pour les toiles très fines, 
seulement on y apporte plus de soin. Quelques étof- 
fes, ordinairement très blanches, et destinées à être 
jetées sur les épaules, présentent des dessins à jour. 
On les fait en se servant du battoir ordinaire; mais 
lorsque leur confection avance, on fait suecéder un 
instrument fait exprès, dont les faces sont couvertes 
de ronds, de losanges, qui s’impriment sur la toile, 
et qui, en éclaircissant l’épaisseur de l'écorce, y ap- 
plique les dessins qui sont sculptés sur ses faces. 

Non contents d’être parvenus par des moyens si 
simples à se vêtir, les O-TFaïtiens ont voulu em- 
bellir les produits de leurs manufactures. Leur sol 
leur a encore fourni des matières colorantes que ne 
dédaigneroient pas nos arts, et ils possèdent surtout 
un rouge qui jouiroit d’un magnifique éclat s’ils sa- 
voient les moyens de le fixer solidement. Ce rouge 
est exprimé simplement du fruit d'un figuier, qui 
croit partout dans les bois des montagnes, et qu’ils 
appellent muki. La figue du maki (!) est à peine de 
la grosseur d’une petite aveline ; elle est axillaire le 
long des rameaux, l’arbre qui la produit est très ra- 
meux et peu élevé. Son suc intérieur est verdâtre, 
ainsi que l'épicarpe;.ce n’est que dans l'eau que la 
matière colorante rouge se dissout, étant avivée par 
le suc astringent et acidule du fruit d’un scbestier. 
La couleur du maki tient du vermillon uni au car- 
min, et prend une teinte brillante. Nous avons vu 
les mains de queiques femmes occupées à y plonger 
des ctoffes aussi rouges que si elles eussent été 
trempées dans un bain de pourpre. Mais son éclat 
se perd sur les toiles, parce qu'il faudroit, pour le 
fixer, l'emploi de l'alun ou d’un autre sel aussi actif. 
Avec ce rouge ils peignent ordinairement le milieu 
et les angles des grandes pièces qu’on jette sur le 
corps. Les dessins du milieu sont informes, ceux 
des angles représentent un feuillage très découpé 
et très élégant, qu’ils impriment par le moyen des 
feuilles d’une jolie fougère des montagnes, nommée 
erimou. Ils trempent cette fougère dans la liqueur 
colorante toujours obtenue à froid, et ils lui font 
ainsi remplir l'office de planche, propre à trans- 
mettre ses découpures et ses formes. Ce rouge se 
nomme meaoutéouté. 


On teintencore ces toiles d'écorce d'arbre en jaune 


{:) Ficus tinctoria, Forster, Prod., no 403. Fol. 
oblique ovatis, obtusis, recept. turbinatis, basi ca- 
lyculatis, Ins. societatis. Persoon, t. IT, pag. 610, 


64 HISTOIRE NATURELLE 


serin très tendre, nommé mearéaréa. Cette jautre 
couleur est obtenue d’un arbre appelé nono (1). 

Les lavages répétés dans l’eau courante, et en se 
servant des feuilles d’un convolvulus non volubile, 
nommé pouai, en place de savon, donnent aux 
étoffes usuelles une blancheur aussi pure que celle 
de la neige. 

Ces naturels ont enfin trouvé le moyen de former 
des vêtements imperméabies à la pluie, en les endui- 
sant d’une gomme d’un brun rouge, dont l’origine 
et la préparation nous sont inconnues. 

Après les vêtements, il est indispensable de parler 
de cet accessoire durable, dont la peau conserve des 
traces indélébiles, et qui résulte du tatouage. Les 
habitants des îles de la Société aiment passionné- 
ment ce genre de décoration, et ils ont poussé aussi 
loin que possible l’art de se tatouer. Chez eux et 
surtout à Taïti cet ornement servoit à indiquer les 
rangs de la société ou les services rendus par quel- 
ques guerriers. La mode et les habitudes locales 
exerçoient aussi leur empire dans les distributions 
des dessins. Mais les missionnaires ont défendu sous 
des peines sévères les pratiques de ce tatouage, sous 
prétexte qu’il ne servoit qu'à produire de grands 
désordres, par les passions tumultueuses qu’il ex- 
citoit dans le cœur des femmes qui ne pouvoient 
résister à un charme aussi puissant et aussi séduc- 
teur. Les enfants nés depuis l'établissement du chris- 
tianisme sont, malgré cette interdiction, les seuls 
qui ne soient point latoués; tous les naturels, et sur- 
tout les jeunes gens, sont si envieux de faire ajou- 
ter à leurs dessins des accessoires nouveaux qu’ils 
préfèrent fuir dans les bois pour s’y barioler le corps 
à leur fantaisie. Ce qui inquiétoit les missionnaires 
pendant notre séjour étoit Le désir que manifestoient 
divers chefs pour sacrifier à cette ancienne coutume, 
et la conduite de ces ministres devenoit très em- 
barrassante ; car le refus de même que l’adhésion 
avoient à leurs yeux des inconvénients réels. 

L'opération par laquelle on incruste des dessins 
dans la peau est nommée par les Taïtiens tatou, d’où 
nous avons fait le mot de tatouage. Elle se pratique 
au moyen d’un très petit morceau d’écaille de la lar- 
geur d’un ongle, et garni sur son bord d'une suite 
de dents très fines et très aiguës. Un petit manche 
est fixé à la portion opposée aux dentelures. On 
trempe ces dents dans du noir de fumée, qu’on ob- 
tient en brülant l’écorce ligneuse de la noix de Ban- 
coul (aleurites), et on les applique sur le lieu qu’on 
veut tatouer ; alors on tient de la main gauche cet 
instrument qu’on dirige, tandis qu’on a dans la droite 
une petite baguette légère, avec laquelle on frappe 
sur le manche pour faire entrer les dents sous le 


-() Morinda citrifolia, L. Rumph, Amb,. 2, pag, 158. 
Persoon, t.1, pag. 201. 


derme. 11 faut beaucoup de temps et de patience pour 
graver les dessins nombreux qui couvrent le corps 
des naturels ; mais ces broderies sont renouvelées 
plusieurs fois dans le cours de la vie. Les déchirures 
qui résultent de Pintroduetion de l'instrument se 
boursouflent et s’enflamment, et donnent souvent 
lieu à une fièvre intense. 

Le tatouage forme ainsi une sorte de vêtement 
indélébile à des hommes le plus ordinairement nus. 
Aussi les mieux tatoués sont-ils fiers de cette pa- 
rure, qu’ils montrent avec orgueil : les représenta- 
tions hiéroglyphiques varient quant aux détails, 
mais elles se ressemblent toutes par la disposition 
générale. Les O-Faïtiens n’ont aucun dessin sur la 
figure, ils diffèrent en cela du plus grand nombre 
de leurs voisins du même archipel. Les princesses 
et les femmes des chefs ont toutes les mains et les 
jambes tatouées de la même façon, et de manière à 
imiter des gants ou des brodequins élégants. Les 
épouses des simples ratiras ont aussi le droit de por- 
ter des dessins gravés sur les fesses et sur les reins, 
attribut plus spécial du haut rang. Ce blason, placé 
dans un endroit qui paroit peu convenable, se com- 
pose de cercles nombreux et entrelacés, tantôt sim- 
ples, tantôt dentelés, et se terminant en suivant la 
courbure de l’os iliaque. Chacun d’eux se compose 
d’uneréunion de lignes tantôt droites, tantôt flexueu- 


ses, tantôt étroites, tantôt larges. En un mot, l’exé- 


cution est bien supérieure aux dessins mal tracés 
que portent sur le corps les matelots d'Europe. Les 
bras sont bordés, en dedans et en dehors, de lignes 
en losanges qui aboutissent aux doigts; et les cuisses 
et les jambes aux parties intérieures et extérieures 
offrent de larges bordures. La poitrine est souvent 
revêtue de soleils, d’idoles , et autres représentations 
plus ou moins bizarres. Un insulaire de Pomotou 
s’étoit fait recouvrir la moitié du corps d’un damier, 
dont l'effet étoit horrible : aussi passoit-il pour un 
guerrier fameux, mais féroce et sans pitié. Upa- 
paru, chef du district de Matavai, n’avoit qu’un 
petit cæré placé derrière l’oreille ; ce qui, conjoin- 
tement avec d’autres circonstances, nous porte à 
penser qu’on attache à cet usage des idées dont nous 
ne possédons pas la clef. Du reste c’est aussi l’opi- 
nion des missionnaires, mieux instruits que nous 
sur quelques unes des coutumes de ces peuples. 
Tout porte donc à croire qu’il étoit le symbole des 
fonctions de chaqué individu , et l'armoirie des fa- 
milles. Le tatouage se pratiquoit dès l’âge de treize 
ou quatorze ans, et l'opérateur recevoit pour récom- 
pense un cochon. 

Les femmes avoient anciennement l’usage de por- 
ter en signe de deuil la chevelure de leurs parents : 
parfois on la déposoit comme offrande sur les morais 
des dieux. Aujourd’hui ces cheveux, tressés avec 
une grande patience et nommés tomou, ne sont plus 


DE L'HOMME. 


d'aucun usage , et sont volontiers vendus aux Euro- 
péens qui abordent dans l’ile. 

La construction des cabanes appartient aux hom- 
mes ; elles sont toutes bâties sur le même modèle : 
celles des gens du peuple sont formées de bambous 
enfoncés en terre par une de leurs extrémités, ou en 
branches d’égale grosseur et serrées les unes contre 
les autres , mais de manière à laisser du jour entre 
elles. Quelques traverses maintiennent le tout. La 
toiture se compose de chevrons qui supportent les 
feuilles de fara ou vaquois (1); et ce mot de fara a 
été transporté aux cabanes même, qu'on nomme 
faré. Les feuilles du fara sont séchées et réunies 
par paquets : pour les metire en œuvre on les as- 
semble en un certain nombre sur des baguettes en 
bois pliant. L’extrémité Jancétolée de la feuille 
demeure libre. On applique ces baguettes, de la 
même dimension, sur les chevrons, en commen- 
cant par le faite : elles s'adaptent tellement entre 
elles que les toitures fabriquées de la sorte sont beau- 
coup meilleures pour l’usage que celles qu’on fait 
dans les pays civilisés avec les ardoises ou les tui- 
les. L’extérieur ressemble aux toits de chaume de 
nos villages, parce que les parties libres du fura 
sont réunies en couche épaisse , tandis que dans l’in- 
térieur de la maison la toiture est lisse et régulière. 

Les cabanes des Taïtiens sont généralement vas- 
tes. L'air y circule librement à travers les barreaux 
qui en forment les parois. Souvent même, chez les 
plus pauvres, il y pleut dans l’intérieur, par les 
côtés : les plus industrieux ajoutent des nattes pour 
enclore le pourtour et se garantir des vents régnants 
et de la pluie. L’élévation de ces demeures est peu 
considérable, et on ne peut guère y entrer que par 
une étroite ouverture. D’ordinaire on y trouve pêle- 
mêle plusieurs familles établies, qui y résident avec 
une nombreuse lignée. Les alentours des cabanes , 
sans exceplion, sont fermés par un entourage en 
piquets plantés très près les uns des autres et 
hauts de trois pieds. On ne peut les enjamber que 
par des pieux plantés à cet effet. Le principal avan- 

: tage de ces ceintures est sans doute de s’opposer à ce 
que les animaux, qu'on laisse en liberté, et notam- 
ment les pores, ne puissent s’y introduire, 

Les cases des chefs sont grandes et vastes, con- 
struites, quant à l'extérieur, comme les précéden- 
tes; mais elles ont de plus un grand nombre d’ap-. 
partements. Ceux-ci ne sont point isolés par des 
cloisons compactes , mais seulement par des treillis. 
La séparation des appartements ne s’élève pas jus- 
qu’au faîte, car elle s'arrête au milieu de la hauteur 
de Ja maison. Dans ces sortes de cabinets sont des 


() Que M. Brown a différencié du pandanus humilis, 
et qu'il appelle pandanus spiralis , par rapport à l’in- 
sertion des feuilles qui vont en spirale, 

k 


65 


naftes tendues sur quatre montants ou jetécs sur le 
sol, destinées aux divers membres de la famille. 

Les maisons du domaine public, sortes de cara- 
vansérails où tout habitant d’un district qui va pour 
affaire dans un autre peut aller tendre sa natte ct 
résider, sont bâties sur de plus grandes proportions. 
Elles n’ont qu’une toiture supportée par desrangées 
de piliers en bois d’arbre à pain. 

Quelques missionnaires ont voulu se loger entié- 
rement à la mode des sauvages, M. Nott entre 
autres. La plupart se sont fait édifier un vaste local 
dont les murailles, comme celles des temples du 
culte, sont formées par des lacis de branches flexi- 
bles entrelacées et recouvertes de chaux. L'intérieur, 
garni de planchers en beau bois rouge d'arbre à pain, 
est distribué à l’européenne; seulement on a con- 
servé judicieusement la méthode des naturels de ne 
point élever les cloisons jusqu’au toit, ce qui per- 
met à l’air de circuler librement. 

Par la disposition que nous venons d'indiquer, 
on à vu que les cabanes sont ouvertes de manière à 
tempérer les effets de la chaleur du climat. Mais cet 
avantage est plus que compensé par les pluies abon- 
dantes qui tombent fréquemment à Taïti, et qui 
entrent dans ces demeures et en rendent l’intérieur 
humide et malsain. Les insectes , d’ailleurs , n’ont 
aucune barrière ; mais il paroît que, redoutables aux 
Européens, leur action est moins sensible sur le 
derme endurci des naturels. Les tipules ct les mou- 
ches sont surtout insupportables. 

Les habitations des insulaires ne sont établies que 
sur les bords de l'ile d’O-Taïti, et ne sont jamais 
beaucoup agglomérées ; car les villages qu’elles con - 
courent à former ont souvent une très grande éten- 
due par suite de cette disposition. 

Le mobilier des O-Taïtiens se réduit à quelques 
meubles usuels : ces peuples d’ailleurs n’ont que 
des besoins bornés , et ils n’en sont pas encore venus 
à désirer des objets de pure commodité ou d’a- 
grément. 

Les chefs ont pour lit des nattes tendues sur qua- 
tre montants en bois, ressemblant à nos anciennes 
couchettes. Le plus souvent, au lieu de nattes, c’est 
un fort lacis fait en fibres de cocotier, qui est élas- 
tique, mais très solide. Ils se couchent en s’enve- 
loppant d’une autre natte très fine. Le commun du 
peuple dort dans les plis d’une natte de paitle sim- 
plement étendue sur le sol, jonché de quelque peu 
d'herbe sèche, et ne ressemblant pas mal à nos 
étables. 

Aux parois de la cabane sont pendus divers us- 
tensiles, tels que des sacs en filets fort bien faits, 
des bambous vides destinés à recevoir l'huile de 
coco, des petites coloquintes vidées et qui servent 
de boîtes de senteur, des cocos dont les noix sont 
travaillées en tasses, en vases, ou en bouteilles, 


9 


66 


Leurs principaux ustensiles de cuisine consistent 
d'abord en une sorte de molette nommée penou, 
faconnée et formée avec du basalte noir très dur, dont 
ils se servent pour broyer le fruit à pain et le con- 
vertir en bouillie avec d’autres substances ou le ma- 
laxer en pâte. On emploie comme espèce de mortier 
un petit vase épais et solide, ayant quatre forts pieds, 
et creux dans son centre, retiré d’un seul morceau 
de bois. Ces deux objets sont de première nécessité, 
et servent à divers autres usages. 

Les Taitiens ont recu des navigateurs tous les 
instruments de fer qui leur sont nécessaires pour 
la confection de leurs cabanes ou celle de leurs pi- 
rogues. Depuis long-temps aux haches de pierre ont 
succédé des outils de fabrique européenne. Pour sa- 
vonner leurs étoffes, ilsemployoient les feuilles d’un 
liseron nommé poué (convolvulus pes capre ). 

La manière de prendre les repas ne demande pas 
un grand apprêt. Le sol, voilà la table et les chai- 
ses ; quelquefois, chez les chefs, on se sert d’un petit 
siége en bois. Des noix de cocos font l'office de cou- 
pes et de plats; un coco plein de liquide est la bou- 
teille. On conçoit que le service n’est pas compli- 
qué, et que les doigts remplacent en ce cas et les 
fourcheties et les couteaux. 

Jlen est des nations comme des individus : on 
peut juger de leur degré de civilisation, de leurs 
besoins , de leurs idées, par les progrès de leur in- 
dustrie. Les objets d’art que confectionnent les 
O-Taïtiens méritent donc notre examen; au premier 
rang nous citerons les nattes qui leur sont iudispen- 
sablement nécessaires : ce sont les femmes qui les 
tissent, et leur ampleur et la nature de leur fabri- 
cation demandent, pour leur entier achèvement, 
un temps assez considérable ; aussi ces nattes , appe- 
Jées moua, sont-elles peu répandues dans le com- 
merce d'échange : elles sont faites avec des bande- 
lettes préparées et obtenues des feuilles du fara. On 

rmploie des procédés différents pour tisser les nattes 
élégantes qui servent de pagnes aux chefs : celles-ci, 
destinées à en velopper le corps depuis les reins jus- 
qu'aux genoux, sont garnies dans leurs bords de 
franges cflilées, et paro'ssent être faites par des 
moyens plus délicats, et avec des écorces fires et 
soyeuses. 

Un des arts que les Taïtiens modernes semblent 

égliger est celui de l’architecture nautique. La fer- 
tilité de leur sol leur a rendu moins nécessaires les 
navigations lointaines. Ces insulaires cependant ont 
une parfaite connoissance des îles quide toutes parts 
lesentourent , etqu'’ils visitoient plus fréquemment 
autrefois soit comme amis, soit comme ennemis. 
Nous voyons en cffet dans les gravures que nous 
ont laissées les premiers navigateurs qui abordèrent 
aux îles de la Société les pirogues ornées de sculp- 
tures emblématiques très soignées, dont on ne dé- 


HISTOIRE NATURELLE 


couvre nulle trace en ce moment. Depuis que les 
naturels ont pu faire succéder à leurs instruments 
informes des outils de fer bien plus avantageux pour 
l'exécution de leurs travaux, ils semblent avoir 
renoncé à polir et à orner aussi soigneusement qu’au- 
trefois tous leurs ouvrages. Les embarcations em- 
ployées aujourd’hui sont étroites, non pontées, très 
grandes, et alors réunies deux à deux pour former 
des pirogues doubles, ou simplement creusées dans 
un tronc d'arbre, et libres. 

Ces pirogues doubles sent des embarcations de 
guerre qui appartiennent aux divers chefs de d's- 
tricts : leurs équipages se composent d’un grand 
nombre de nageurs, et l’arrière est habituellement 
réservéaux personnes de distinction. Ces deux piro- 
gues fortement assujetties entre elles par des tra- 
verses en bois sont unies sur l’avant par une seule 
plate-forme, sur laquelle se placent les guerriers aux 
jours des combats. En temps de paix ces embarca- 
tions sont destinées à porter les présents de cochons 
et de fruits divers que les chefs offrent au roi sous 
forme de tribut. Les pirogues doubles sont construi- 
tes en bois blanc, et ontde trente à trente-cinq pieds 
de longueur sur deux pieds et quelques pouces de 
largeur ; la coque en est le plus ordinairement creu- 
sée dans un seul tronc d’arbre, et les bordages qui 
la surmontent sont fixés par des lanières de peaux 
de chiens. Leur arrière se trouve élevé de trois à 
quatre picds au-dessus de l’eau , et a la forme d’un 
écusson. En creusant la pirogue les charpentiers 
laissent dans son intérieur es saillies sur lesquelles 
on place une petite planctette qui sert de siége aux 
nageurs : ceux-ci manœuvrent leurs pagaies avec 
beaucoup d'ensemble, et souvent à la manière des 
Malais en s’accompagnant par des chansons. Ces 
embarcations, qu’on serre précieusement à (erre 
sous des hangars pour les abriter de la pluie, 
naviguent quelquefois à l’aide d’une natte quadri- 
latère qui sert de voile. Les pirogues simples par 
lcur étroitesse ont besoin d’un contre poids pour 
ne point chavirer; aussi ont-elles ce qu’on nomme 
un balancier qui les maintient avec solidité sur la 
surface de l’eau. 

Qu'on ne pense point que ce soit pour satisfaire 
une vaine curiosité que nous donnons tous ces dé- 
tails : les arts que pratique une race humaine restée 
stationnaire sont tout aussi caractéristiques que les 


attributs physiques, les mœurs, les idées religieuses 


et la langue; et les pirogues par exemple peuvent 
servir à distinguer chaque rameau qui vit sur les 
iles de la mer du Sud. Ainsi, comme nous l’avons 
déjà dit, les pirogues doubles ou simples à balancier 
sont propres aux Océaniens ; celles à double balan- 
cier, aux Papouans; et les pro:, aux Carolins ou 
Mongois-Pélagiens. 

Les anciens instruments de gucrre sont fort né- 


DE L'HOMME. 


gligés aujourd'hui, depuis que, par la fréquentation 
des Européens, ils ont reçu des armes à feu. Les 
longues lances à pointe eflilée ou en fer de halle- 
barde qu’employoient leurs pères ne sont plus pour 
les habitants d'aujourd'hui que des objets de com- 
merce. [len est de même des frondes faites avec le 
brou de la noix dé coco dont ils se servoient pour 
lancer des pierres, et des carquois de bambous rem- 
plis de flèches cn roseaux. Nous ne croyons pas, à 
dire vrai , que jamais cette arme ait été en usage chez 
eux, car l’habitude de Pare et des flèci'es paroït avoir 
été incennue à tous les Océaniens; et ces flèches, 
d’après celles que nous avons vues, ne devoient pas 
être très dangereuses. La patience et le temps con- 
tribuoient jadis à la fabrication desrames de pirogues 
ou pagaics qui éloient finies avec une délicatesse de 
travail que n’auroiént pas désavouée nos plus habiles 
ouvriers. Leurs haches de basalte étoient également 
taillées avec soin, et pour polir le bois ils se servoient 
de limes empruntées à la peau raboteuse d’uneraie. 
Encore quelques années, et ces objets, que nul peu- 
ple civilisé n’a daigné recueillir dans un musée con- 
sicré à l’histoire des races répandues sur notre pla- 
ntte, ne figureront plus que dans les livres. 

Le paroi étoit le plus singulier de tous les objets 
de parure : c’étoit l’orrement du grand-prêtre dans 
les cérémonies de deuil. Les Taïtiens avoient encore 
dans quelques unes de leurs solennités religieuses 
des coiffures faites avec les plumes du paañton, des 
diadèmes de plumes rouges de perruches, ornés de 
nacre, elc. Les prêtres dans leurs fonctions sacer- 
dotales chassoient les mouches , que les chairs dé- 
posées sur le moruï attiroicnt, avec une sorte de 
martinet dont les brins filamenteux ctoient hebile- 
ment entortillés, et le manche terminé par une 
petite idole sculptée du dieu 0:0. 

Les C-Taïtiens aiment la danse passionnément ; 
ils se servoient, pour marquer la mesure, d’un tam- 
bour long de près de cinq pieds, dont le eylindre 
étoil un tronc d'arbre creusé et à parois très délica- 
tement amincies, et les peaux de chiens des extré- 
mités étoient tendues par des rubans d’écorce. Leur 
danse la plus solennelle étoit la pomara à laquelle 
se livroit un grand nombre de naturels au milieu de 
Ja nuit; celle du jour étoit nommée heive. 

La flûte usitée dans les îles de la Société est fort 
remarquable non par la douceur des sons au’on en 
relire, mais parce que les habitants ne savent pas 
cn joucr autrement qu’en soufflant avec le nez, et 
cependant les sons qui en sortent, quoique mono- 
tones et graves, ont quelque chose de gracieux ; un 
morécau de roseau, d'environ un pied, ayant trois 
trous à son extrémité cuverte et un seul à celle qui 
est munie d’un diaphragme, compose tout l’instru- 
ment, La diététique d’un peuple insulaire tire d’or- 
dinaire une partie de ses ressources des productions 


67 


marines ; aussi les O-Taïtiens, dont le sol est cou- 
vert de substances alimentaires farineuses, ont un 
goût extrêmement vif pour les mollusques et les 
poissons ; mais ce qui est fort remarquable est l’ha- 
bitude qu’ils ont de manger le plus ordinairement 
ces derniers crus. Hls vont chercher les premiers sur 
les récifs, ou plongent à une certaine profondeur 
pour aller les détacher du lieu où ils se tiennent. 
Souvent ils jettent sur la surface de l’eau l’amande 
d’un arbre qu’ils nomment eoulou (baringlonia), 
semblable au fruit du ménisperme, et qui jouit de 
la propriété de stupéfier les poissons qu’on prend 
alors avec la main. Ils emploient encore une sorte 
de foëne , formée d’un long bambou que terminent 
des pointes en bois, qu’ils dardent avec le coup 
d'œil le plus juste. Hs fabriquoient autrefois leurs 
hamecons ou.matao avec des morceaux de nacre 
zointus et fixés sur un corps en bois ; ceux destinés 
pour les grands poissons, tels que les squales, res- 
sembloient à des crochets , et étoient faits d’un bois 
très dur. De tous leurs moyens de pêche le plus 
ingénieux est celui connu dans leur langue sous le 
nom de poreo , destiné à aller chercher au fond de 
l’eau les poulpes et les autres céphalopodes. Ce po’ eo 
se compose d’une petite baguette en bois, garnie à 
l’une des extrémités d’un grand nombre de frag- 
ments de la coquille d’une porcelaine, assujettis 
entre eux et formant un corps ovaläire qui descend 
dans l’eau par son propre poids, et qui, lorsqu'on 
l’agite, produit un petit bruit destiné à attirer les 
poulpes dont les bras ne tardent point à cnlacer ce 
singulier appareil. Les femmes s'occupent encore à 
pêcher dans les rivières à l’aide de filets. 

Nous avons plusieurs fois mentionné la fécondité 
du sol d’O-Taïti; l’agriculture se réduit donc à en 
creuser légèrement certains endroits pour y placer 
quelques végétaux. C’estainsi que parfois les O-Taï- 
tiens multiplient leurs arbres à pain par des rejets 
radiculaires ; qu’ils transplantent des pousses de ba- 
paniers ou des germes de coco qu’ils défendent de 
l'atteinte des animaux par un entourage, et qu’ils 
cultivent les recines de taro dans les lieux submer- 
gés oùelles se plaisent. Chaque insulaire enveloppe 
sa cabane d’un petit verger; les massifs de bana- 
niers , de cannes à sucre, les papayers qui le com- 
posent, contribuent à embellir cesagrestes demeures. 

Les mœurs d’un peuple sont le résultat de ses 
institutions, mais sont aussi soumises à l'influence 
du élimat qu’il habite. Ces mœurs sont Liès difficiles 
à preciser, et ce n’est point en ne demeurant que 
quelques jours dans un pays qu'en voyageur peur 
arrêter ses idées sur un aussi grave sujet; tien n'es 
plus ordinaire cependant; el ne Voyons-nous pas à 
dix-neuvième siècle des nations jugées dans l'en 
semble de leurs habitudes sur la physionomie parti 
culière de quelques individus? Les détails que nou 


68 HISTOIRE NATURELLE 


donnerons sur le moral des O-Taïtiens ne doivent 
donc être considérés ici que comme des aperçus su- 
_perficiels. L'influence du climat, avons-nous dit, 
se fait sentir sur les qualités et les défauts de toute 
une population, et là où tous les moyens d’existence 
sont nombreux , les besoins restreints, les mœurs 
auront un grand fond de douceur et de bienveil- 
lance. Ainsi les O-Taïtiens, vivant dans une ile 
fertile et sous une température égale, sont géné- 
ralement affectueux et indolents; tandis que les 
Nouveaux-Zélandois, qui leur ressemblent en tous 
points, jetés hors des tropiques , sous une ciimature 
âpre et rigoureuse, sont féroces et ne respirent que 
pour la guerre. Toutefois les actes de perfidie que 
l’on reproche aux peuplades océaniennes, et äont 
tant de navigateurs ont déjà été victimes, ne sont que 
la sombre défiance d'hommes qui ne voient dans les 
étrangers que des ennemis déguisés dont ils doivent 
suspecter les intentions. 

Les O-Taïtiens ne passent jamais les uns à côté 
des autres, ou près d’un étranger, sans se saluer 
d’un iouraia bienveillant, ayant pour signification, 
que la paix soit entre nous ; ou des mots {ayo eou, 
qui veulent dire ami. Ils sont hospitaliers. Jamais 
nous n'avons rencontré un insulaire sur le seuil de 
sa cabane sans qu’il ne nous engageût à y entrer, 
et sans offrir avec un vif empressement un fruit à 
pain pour apaiser la faim, un coco pour étancher la 
soif, et la plus belle natte pour servir de sicge. Ils 
sont d’une complaisance extrême pour guider les 
voyageurs au milieu des bois dans leurs montagnes, 
et leur rendre tous les petits services qui dépendent 
d’eux ; mais il est vrai de dire que, depuis leur fré- 
quentation prolongée avec les Européens, ils sem- 
blent avoir perdu l'habitude du désintéressement, 
et attendre quelque présent en retour de leurs bons 
offices. La curiosité est un sentiment naturel aux 
hommes comme aux femmes, et sous ce rapport ils 
ressemblent aux anciens Gaulois. Lorsqu'ils nous 
rencontroient dans nos courses journalières, ils ai- 
moient à s’enquérir d’où nous venions, où nous 
allions; hommes, femmes, enfants, rangés en cercle 
et assis sur les talons, nous entouroient parfois, 
-nous parloient avec volubilité, examinoient avec la 
plus scrupuleuse attention nos moindres gestes. 


La religion chrétienne, que les ministres pro-- 


testants leur ont portée, n’a pointencore éclairé leur 
esprit, mais a modifié quelques unes de leurs habi- 
tudes ; histoire de cette religion, que la majorité 
des naturels a long-temps repoussée avec force, les 
vicissitudes qu’elle a éprouvtes, seroient fort inté- 
ressantes, mais ne se lient point à notre sujet; il 
nous suffira de dire qu’ils sont tremblants au nom 
de Dieu, mais du reste très peu religieux. Ils vont 
assidûment aux temples élevés dans plusieurs dis- 
ricts, parce que leurs chefs, gagnés par les nom- 


breux présents des missionnaires, les y contraignent 
par des punitions corporelles. On leur a défendu le 
dimanche les jeux, les danses, les divertissements 
de toutes sortes, ct ils ont pour tout dédommage- 
ment de se réunir et de chanter en chœur quelques 
hymnes médiocres, traduites en mauvais tailien; 
et comme leur voix est généralement douce et flexi- 
ble ; que leur langue, riche en voyelles, est mélo- 
dieuse, ces hymnes, auxquelles ils ont pris goût, 
remplacent leurs anciens chants et leur servent de 
récréations. Mais les missionnaires curopéens, en- 
voyés dans la mer du Sud sous le prétexte de pro- 
pager l'Évangile, sont d’anciens artisans à vues 
étroites et souvent sans éducation, dont toutes les 
idées consistent en pratiques minuticuses et ridi- 
cules, mais nullement en doctrines pures et vrai- 
ment religieuses. Les O-Taïtiens, déjà un peu 
corrompus par la fréquentation des Convicts qui 
s'échappent du port Jackson et qui infestent toutes 
les îles de la mer du Sud, s’étudient à la dissimu- 
lation, et nous ont donné mille preuves des perni- 
cieuses pensées que les idées européennes faisoient 
germer dans leurs cœurs. 

Un des grands défauts de ces peuples étoit le vol; 
mais celle action n’a jamais été considérée chez eux 
comme chez nous, et regardée comme déshonnête, 
Entre eux la propriété étoit sacrée; mais envers des 
étrangers qui débarquoicent tumultueusement sur 
leur rivage en tentant leur convoilise par mille ob- 
jets différents, le vol ne pouvoit être qu’un tour 
d'adresse, et le voleur, comme chez les Spartiates, 
devoit recevoir les applaudissements des siens lors- 
qu’il avoit montré de la dextérité. En dernier résul- 
tat les Taïtiens sont habiles encore aujourd’hui à 
s'approprier le bien d'autrui, et cela de Pair le plus 
innocent du monde. Leur conversation roule géné- 
ralement sur des sujets licencieux. {ls ne tarissent 
jamais sur celte matière, et paroissent éprouver un 
grand plaisir dans l'embarras le plus souvent simulé 
qu’éprouvent les femmes ou les filles qui sont l’objet 
de leurs vives plaisanteries. Il n’en est pas de même 
pour satisfaire à leurs besoins naturels; car ils se 
cachent avec les plus minutieuses précautions. Mais 
une de leurs habitudes les plus dégoûtantes est celle 
de border les sentiers les plus étroits et le pourtour 
des cabanes de leurs excréments ; celte malpropreté 
n’est pas la seule, et, quoi qu’on en ait dit, ils ne se 
génent nullement pour laisser sortir avec bruit et 
par l’une et l’autre extrémité les gaz internes : pour 
toute politesse ils disent avec sang-froid péro piro, 


mauvais. Un de leurs défauts habituels est l’astuce 


qu'ils mettent dans leurs échanges : l’Esraélite le plus 
délié seroit leur dupe, tant ils sont experts et rusés 
pour profiter de toutes les circonstances qui peuvent 
leur rendre le marché avantageux. 

Un des objets qui doivent fixer maintenant notre 


DE L'HOMME, 69 


examen est l’ancienne tradition religieuse des habi- 
tants des îles de la Société ; cette matière est d'autant 
plus importante qu’elle sert de base fondamentale à 
la filiation qu’on peut établir entre eux et les autres 
insulaires du Grard-Océan. 

Quelque bizarres et souvent ridicules que soient 
les idées religieuses des peuples dans l’enfance de la 
civilisation, elles nous intéressent toujours en nous 
offrant des détails pleins de nouveauté, qui servent 
à notre instruction en nous démontrant jusqu'où 
peut s'étendre la singularité de l'esprit humain. Dieu 
créa les hommes à son image, et ceux-ci le peignent 
avec leurs vices et leurs défauts, en lui prêtant leurs 
pensées et leurs actions. 

La cosmogonie des Taïtiens se composoit (t), autant 
qu’on a pu l’apprendre, de dieux d’un ordre supé- 
rieur, de dieux puissants, qui au milieu du chaos 
durent la naissance aux ténèbres, et que pour cela 
on nomma Feiouhaniou po (né de la nuit); et des 
dieux du second ordre qui sont nombreux quoique 
parfois on n’en compte que neuf. Dans cet ordre 
chaque Taïtien rangeoit son ange gardien, son Ti, et 
l’âme de ses pères, eatoua, qui voltige sans cesse au- 
tour des sépulcres. 

Les trois puissants dieux qui durent l'existence à 
la nuit se nommoient : 

TAXE, Te Médoua , le père, l’homme; 

Oro, Mattiou , dieu le fils, le dieu sanguinaire et 
cruel (Tooa tei ‘e myde); 

TarOA, Manou te hoca, l'oiseau, Pesprit, le dieu 
créateur. 

Ces dieux dont la puissance étoit infinie ne rece- 
voient des prières et des offrandes que dans les cir- 
constances importantes; mais le culte d’O:0 exigeoit 
toujours des sacrifices humains. Le grand temple 
de l'eiouhaniou occupoit un vaste espace au milieu 
des forêts dans le district de Pari, résidence de l’er«- 
hi rat, ou roi de l'ile. 


Taroa ou Faroa, lorsqu'il lui plat defaire leglobe, 
sortit de la coquille qui le tenoit emprisonné, la- 
quelle avoit la forme d’un œuf, et avec laquelle il 
tournoit dans un espace immense au milieu du 
vide. Ayant brisé cette coquille, il en fit la base de 
la grande terre (ferñoa noui), Tuëti, et les parcelles 
donnèrent lieu aux îles environnantes ; et à mesure 
qu’il devint vieux il ajouta pendant son mariage les 
rochers qui en forment l’ossuaire, les arbres et les 
plantes qui la recouvrent, et les animaux qui y 
vivent. 

Tane s’associa au dieu (?) l'esprit ou l'oiseau, et 


(:) À missionary Voyage to the southern Pacific 
Ocean ; performed in the years 1796 to 1798 ; in the 
ship Duff, comm. by cap. James Wilson ; with Appen- 
dix, 1 vol: in-4o, London, 14799. 

() Observations des premiers missionnaires, 


épousi Taroa. Leur hymen fut tellement fécond 
qu’ilseurent six enfants qui vinrent presque ensem- 
ble. Ce furent : 

Aryi, cau fraiche ; 

Tunidi, la mer; 

Aoua, les rivières ; 

Matai, le vent; 

Aryi, le ciel; 

Po, la nuit. 

Taroa ne tarda pas à enfanter Mahanna, le soleil, 
qui grandit rapidement, et se revêtit des formes d’un 
beau jeune homme qu’on nomma Oeroa Taboua. 

Lorsque Mahanna eut reçu le jour, ses frères et 
ses sœurs furent renvoyés du ciel, et vinrent s’éta- 
blir sur la terre; Aryi fut seulement excepté, et 
Matui eut la permission de se fixer dans l’espace in- 
termédiaire où il occasionne les tempêtes lorsqu'il 
éprouve des contrariétés. 

Tarca eut enfin une fille, Toounou, qu’il garda 
dans le firmament, et qu’il fit épouser à Oerca Ta- 
boua. Cet hymen fut fécond, car elle devint mère de 
treize enfants qui eurent pour fonctions de présider 
à chacun des mois de l’année lunaire taïtienne. Ce 
sont : ap&apa (janvier), firia (février), teeri (mars), 
te tai (avril), ovarehou, faaahou, pipiri, aounounou, 
paroromoua, paroromouit, mouriraha, hiaia et 
tem (1). 

Des mésintelligences s’élevèrent entre Toounou 
et son époux. Celle-ei quitta le ciel, et vint sur la 
terre où Oeroa Taboua la suivit : de ses embrasse- 
ments avec un rocher naquit Popoha:'a Hareha, 
qui conçut Tetoubou «mata hatou. Le rocher qui 
avoit cu la beauté d’une jeune femme reprit sa 
forme naturelle, et Toounou elle - même vint à 
mourir. 

Le fils d’Oeroa Taboua se maria aux sables de la 
mer : il en eut un fils nommé Ti, etunc fille nom- 
mée Opira. qui restèrent sur la terre, et furent seuls 
après la mort de leurs parents. Ils se marièrent en- 
semble, et eurent trois filles, Ohira. Rini, Mounoa. 
Alors mourut Opira : avant d’expirer elle supplia 
son époux de la guérir de ses maux ; mais il refusa, 
et s’empressa d’épouser une de ses filles aussitôt 
après la mort de sa compagne. Tii eut de sa propre 
fille trois garçons ct trois filles. Les premiers se 
nomment O:a, Ouanou, Titory. Les filles sont Hen- 
natonu-Marourou, Henaroa et Nououya. Les gar- 
cons épousèrent leurs sœurs, se répandirent sur la 
terre et la peuplèrent. 

Telles sont les idées que les Taïtiens se sont for- 
mées de la création du monde, et telle est la fable 
qu'on à pu obtenir des connoissances qu'ils se 
transmettent par la tradition orale, non sans l’al- 


() Les Taïtiens les plaçoient bien différemment. [ci 
ils suivent l’ordre de nos mois, 


70 HISTOIRE NATURELLE 


térer sans doute. On doit même croire qu'ils n’ont 
pu expliquer clairement des idées aussi obscures 
que celles que nous venons de rapporter, et que 
celles-ci doivent être erronées en bien des points. 

Les dieux du second ordre étoient au nombre de 
neuf. Ti seul étoit redoutable par sa méchanceté. 
C'est le démon qui porte l’homme au mal, et qui 
fait pleuvoir sur lui les infirmités et les maladies ; 
aussi les Taïtiens cherchoient-ils à l’apaiser en lui 
offrant des aliments, et ils se reposoient sur leur 
ange tutélaire du soin de les préserver de sa cruauté. 
Son pouvoir étoit plus étendu dans l’autre monde 
que dans celui-ci. 

Les habitants de Taïli professoient le dogme de 
limmortalité de l'âme, et aussitôt que leurs pa- 
rents venoient à mourir, ils ne doutoient point que 
leurs âmes ne fussent à leur sortie du corps saisies 
par l'aroa ou le dieu esprit ailé, qui les avaloit dans 
l'intention d’en purilier la substance , et de la pé- 
nétrer de la flamme céleste et éthérée que la di- 
vinité peut seule donner. Alors ces esprits purs, 

_débarrassés de leur enveloppe terrestre , erroient 
autour des tombeaux, et avoient des prêtres con- 
sacrés à leur adresser des offrandes, et à les apai- 
ser par des sacrifices. Ces âmes heureuses se nom- 
moient e.{oua , et tout homme qui profanoit par 
sa présence l'enceinte des moraïs ou les cérémo- 
nies mystérieuses des funérailles devoit subir la 
mort. L'âme seule des justes étoit admise à partager 
la divinité, et à devenir ectoua; l'ame des méchants 
éloit au contreire précipitée dans l’enfer, qui aveit 
son ouverture sur la haute montagne Papcida, où 
se trouve un gra:.d lac. 

A Raïatea, autre île de la Socitié, près du grand 
réceptacle qui est aussi un lac (cratère éteint sur 
le sommet d’une haute montagne) ils pensoient 
que le dieu Ti résidoit sur les arbres voisins, et 
détachoit la chair des os des malheureux à l’aide 
d’une coquille qui étoit déifiée. El étoit défendu de 
manger le mollusque de celte coquille, sous peine 
de mort. 

Les étoiles étoient dans l’opinion des Taïtiens 
les enfants du soleil et de la lune : elles pouvoient 
contracter des unious entre elles; et les étoiles 
fixes étoient les àmes ou ealouus de ces enfants 
célestes. 


Tout homme qui avoit offensé caloua devoit 
s'attendre à mourir, à moins d’oblenir son par- 
don par des offrandes et par des sacrifices. La 
puissance attribuée à ces âmes divinisées étoit im- 
mense ; pendant la nuit elles se plaisoient à ren- 
verser les montagnes, entasser les rochers, combler 
les rivières, et donner ainsi des preuves non équi- 
voques de leur pouvoir. Leurs demeures habituelles 
étoient les environs des tombeaux, la profondeur 
des forêts, la solitude des gorges des montagnes. 


On les entendoit murmurer dans les ondes, 
bruire dans le feuillage , ou voltiger comme des 
fantômes blancs aux reflets argentés de la lune. 

C’est l’Eatoua protecteur qui inspiroit les songes 
auxquels le Taïtien ajoutoit la plus ferme croyance. 
Il pensoit que sen génie tutélaire “prenoit son 
âme dans le sommeil, l’enlevoit du corps, et la 
guidoit dans la région des esprits. De celui qui ren 
doit le dernier soupir en disoit, «ri po, il va dans 
la nuit. 

Mais ce peuple n'avoit point borné aux dieux ct 
aux esprits divinisés ses h_mmages et son culte. Il 
adressoit encore des prières à divers oiseaux , à des 
coquilles et à beaucoup de plantes. Les hérons 
étoient sacrés, de même qu’un martin - pêcheur 
appelé otataié. Parmi les plantes, plusieurs jouis- 
soient d’une rare estime, particulièrement une es- 
pèce de fougère qui poitoil même le nom de leur 
graud dieu Oro. 

Ce culte des productions de la terre découle de 
la pensée qu’ils ont que la lune a des pays riches 
et fertiles, plantés de beaux arbres couverts de 
fruits excellents. Es croient qu'un oiseau de Taïti 
vola une seule fois jusqu’à ce lieu, mangca d’un 
fruit, et qu’à son retour il en laissa tomber quel- 
ques semences. IT en naquit un grand arbre que cet 
oiseau recherche encore , tandis qu'aucun autre ne 
l’imite. 

Müis outre ces divinités communes à tous les 
insulaires, chaque famille avoit aussi ses dieux 
pénates , qui occupoient une partie de la calane, 
faconnés en idoles, dont les formes étoient aussi 
bizarres que leurs ornements étoient absurdes et 
ridicules. Le plus souvent c'étoit l’image d’un 
homme assis dont la physionomie étoit difforme. 
D'autres fois c'étoit une tête humaine termirée 
par un corps en bois, arrondi, et couverte de 
plumes d'oiseaux des tropiques. Lorsque le roi 
Pomaré eut embrassé le christianisme il donna aux 
missionnaires les dieux de la famille royale, qui 
figurent maintenant au muséum britannique : ils 
ont été gravés dans le Missiounary register. 

Les idoles, chez tous les païens, comme chez 
les peuples où les arts ont acquis un haut degré de 
perfection, destinées à reproduire les attributs de la 
divinité, ont toujours chez les premiers partagé 
une partie de la vénération qu’on portoit à l'être 
dont elles étoicnt la représentation matérielle. 

D'après les rensciguemerts que les missionnaires 
ont pu obtenir sur les idoles , il paroît que la pre- 
mière, nommée Teriapotououra, éloit destinée à 
figurer un fils du grand Oro, qui étoit protecteur 
de Taïtiet de quelques autres iles de la Société , 
telles que Borabora, Raïatea, Taha et Maurua. Oro 
eut un autre fils nommé Tetvimata, dont on ne 
connoit point les fonctions. 


DE L'HOMME. 71 


Temeharo étoit dieu prineipal de la famille royale 
de Pomaré ; il étendoit sa protection puissante sur 
l'ile entière de Taiti. Cette divinité avoit pour frère 
Tia, qui reçut pour domaine la petite île de Muilea 
qu'il protégeoit. 

Tupa étoit roi des vents; sa puissance, comme 
celle d'Eole, avoit pour but de calmer ou de bou- 
leverser les flots suivant ses caprices ou d’après les 
ordres des dieux supérieurs. 

D’autres idoles nommées Oro-Muatouas, ou Eu- 
tora3, étoient destinées à rappeler la mémoire des 
parents décédés, aux âmes desquels on adressoit des 
prières pour les bonnes actions, ou pour obtenir la 
guérison des malades. 

Enfin venoient les idoles des Tii ou desméchants 
génies, plus souvent invoquées que les Eatou«s, et 
toujours inspirant les mauvais desseins et les favo- 
risant ; tels étoient les deux ordres de lares ou de 
dieux domestiques. 

Le grand prêtre se servoitdu tahirianaoun«eh«o, 
ou tahiri sacré pour chasser les insectes qui vont se 
reposer sur les chairs offertes dans les sacrifices, et 
s’en repaître. Le fouet est en fibres végétales très 
sèches , et le manche en est très soigneusement tra- 
vaillé. Nous en possédons un qui servoit également 
aux usages funèbres des moraï’. 

Ces idoles étoient ordinairement faites en bois 
dur, travaillées avec soin, malgré l’inperfection 
des instruments que les Taiïliens avoient alors. 
Elles éteient enveleppées de cordes, et parfois de 
morceaux d’étoffes blanches, ornées de plumes de 
hérons et de longs brins du phaéton. Le goût le 
plus bizarre présidoit à leur confection. Plus elles 
étcient antiques, plus on leur portoit de vénéra- 
tion, et elles occupoient toujours une partie secrète 
de la cobanc. 

Le sacerdoce étoit exercé par des hommes in- 
fluents qui prenoient le titre de tahouras, et dont les 
fonctions mystérieuses avoient une puissance Cx- 
traordinaire sur l'esprit des insulaires. Le roi lui- 
même étoit considéré comme le premier pontife, 
et après lui les digaités les plus élevées étoient 
distribuées aux diverses classes de la société, suivant 
l'importance des attributions. 

Les prêtres se divisoient en deux ordres, dont 
l’un, affecté aux cérémonies des moraëis et aux 
grands sacrifices , conféroit à ceux qui en faisoient 
partie le titre de Tahouras morai; et dont Pautre, 
“plus secondaire dans ses attributions, donnoit le 
nom de Tahouras des Extouas à ceux qui présidoient 
aux mystères domestiques et aux petits intérêts des 
membres de la société. 

Les prêtres jouissoient dans l'opinion des Taitiens 
de la science la plus surnaturelle ; lire dans l’ave- 
nir, annoncer les volontés des dieux, interpréter 
les songes , guérir les maladies les plus invétérées, 


demander des offrandes , étoient leurs attributions 
les plus ordinaires et leurs occupations journalières. 
Honorés, respectés , leur personne étoit générale- 
ment sacrée dans les comba's ; car ces Calchas, à 
l'exemple des anciens prêtres de Mars, unissoient 
l’encensoir au glaive, et après s’être battus sur un 
champ de carnage , ils adressoicnt aux dieux les 
prières de la tribu victorieuse. 

Jongleurs astucieux, ils prêtoient aux dieux des 
volontés atroces el sanguinaires. Long-temps pro- 
sternés sur la pierre funèbre du moraï, ils recevoient 
les offrandes des fidèles, consistant en fruits de la 
terre, ou bien en poules, en poissons, en chiens, 
en cochons même, et les déposoient sur l’autel d’Oro, 
attendant qu’il voulût bien ou rejcter ces dons ou 
en accepter les prémices. Mais dans toutes les cir- 
constances un peu sérieuses, soit qu’il fallüt attaquer 
ou repousser un ennemi, soit qu'il fallût conjurer 
des maladies, des diseltes ou d’autres calamités pu- 
bliques, alors le Thaoura, morne et silencieux, 
repoussoit avec cffroi les dons que le roi déposoit 
sur l’autel du dieu de ses pères, et, rompant enfin 
le silence qu’il observoit, il menaçoit au nom de la 
divinité l’ile entière des désastres les plus grands si 
on ne faisoit pas fumer aussitôt sur le pavé du mo- 
rai ie sang des victimes humaines. « Dieu est fàché 
contre Taïti, disoit-il au roi et aux chefs; il faut au 
plus vite détourner sa colère et obtenir son pardon. » 

Le roi, très souvent, désignoit l'homme qui de- 
voit servir de victime expiatoire ; mais lorsqu'il ne 
vouloit participer à la mort de ses sujets que d’une 
manière indirecte, il envoyoit aux ratiras et aux 
tavanas, chefs des districts, une petite pierre qui 
indiquoit à ceux-ci ce qu’on exigeoit d’eux , et qu’ils 
eussent à fournir pour le sacrifice un homme de leur 
choix. Dans les grandes cérémonics le roi manquoit 
rarement d’expédier en divers endroïts plusieurs 
pierres, et le nombre des malheureuses victimes ac> 
croissoit la solennité de la fête impie qu’on adressoit 
aux dieux. 

Ces offrandes humaines éloient presque toujours 
prises dans la classe du peuple : ce n’étoit que dans 
des circonstances rares qu’on sacrilioit des femmes 
cuccintes ; et l’on dit même que les chefs ou le roi 
avoient le soin de choisir des individus qui, sans 
amis ou sans parents, n’excitoient les regrets de 
personne, et dont la mort ne pouvoit occasionncr 
de troubles. Souvent aussi on réservoit cette sorte 
de vengeance publique pour ceux qui s’éloient fait 
remarquer par leur turbulence ou par des actes cri- 
minels. 


C’est au milieu des ombres de la nuit qu’on en- 
touroit Ja maison de la victime : on l’appeloit, et à 
peine mettoit-elle le pied sur le seuil de la cabane 
qu’elle étoit mise à mort. D'autres fois des hommes 
vigoureux s’élançoient sur elle ; et alors le patient, 


72 HISTOIRE NATURELLE 


résigné à son sort et encore religieux adorateur du 
dieu qui ordonnoit son trépas, faisoit ce que les Taï- 
tiens appeloient tipapu, c’est-à-dire qu’il se couchoit 
- et attendoit avec calme le coup de casse-tête qui de- 
voit lui briser le crâne. Mais les odieuses divinités 
qui inspirèrent aux Taïtiens, doux par caractère, 
des superstitions aussi barbares, ne se bornoiïent 
point à voir arroser les marches des moraës avec le 
sang humain ; elles leur inspirèrent la pensée, tant 
leur aveuglement sacrilége les asservissoit au culte 
affreux d’Oro, que le plus pur encens, que les offran- 
des les plus chères aux dieux, étoient les angoisses 
de la douleur, les tortures d’un être souffrant, et la 
longue agonie d’un malheureux se débattant contre 
des tourments sans cesse renaissants jusqu'à ce 
qu’un trépas vivement attendu vint l’y soustraire. 
Ainsi les victimes attachées aux arbres des moruis 
étoient frappées avec des bâtons pointus, couvertes 
de blessures mortelles, et expiroient dans une lente 
agonie en adressant aux cieux des cris de douleur 
et de rage. 

Les enfants étoient souvent oMerts en holocauste, 
et la barbarie avec laquelle les ‘Faïtiens traitoient 
ces innocentes créatures ne peut se concevoir. Que 
le levier de la superstition est puissant pour trans- 
former en choses sacrées des actions que la simple 
morale réprouve comme des atrocités!.. Les en- 
fants, exposés sur les moraïs, éloient écrasés sur la 
p'erre qui en formoit les marches. Leurs débris épars 
étoient supposés servir de nourriture aux âmes ren- 
fermées sous ce tombeau. Parfois encore on leur at- 
tachoit au cou ou aux oreilles une grosse pierre, et 
on les lançoit à la mer, ou même dans les rivières 
des environs ; et les parents se réjouissoient de leur 
mort, comme si le bonheur de leurs enfants étoit à 
jamais assuré dans une vie future pour avoir servi 
d’offrande à la colère d’Oro. Telles étoient les san- 
glantes cérémonies que les Taïtiens (!) pratiquoient 
souvent avec un empressement barbare, et on dit 
même que chaque mois voyoit dresser les prépara- 
tifs d’une fête de cette sorte. Les victimes, après les 
sacrifices, étoient enveloppées de feuilles de coco- 
tier. On les accrochoit aux parois des moraës, on on 
les suspendoit aux branches des arbres d’alentour. 
Les enfants étoient ornés de colliers et autres objets, 
qu’on regardoit ensuite comme sacrés. Les cadavres 
restoient ainsi en plein air jusqu’à ce que les lam- 
beaux pourris tombassent sur le sol, où ils servoient 
de nourriture aux animaux immondes que leur odeur 
attiroit; ct leur sépulture dernière se trouvoit être 
l'estomac d’un cochon ou d’un chien, ou celui d’un 
oiseau de rapine. 


&) On dit qu'il n’y avoit que quatre-vingts ans qu'ils 
avoicnt reçu cette coutume sanguinaire de l'ile de 
Raïatea, 


Les morais qu'ont décrits Cook, Wilson et au- 
tres, étoient formés de pierres de corail d’un vo- 
lume parfois énorme, entassées avec régularité en 
formant des gradins. Ces moraës avoient de grandes 
proportions, et servoient de sépulture aux rois ou 
aux grands personnages, et étoient consacrés aux 
divers ordres des dieux. Les Taïtiens ont prouvé 
qu'ils sentoient parfaitement toute l’impression que 
pouvoient faire dans l’âme du vulgaire des endroits 
ainsi consacrés, en les entourant de fables, de spec- 
tres qui terrifioient ceux qui les approchoient ; et 
même aujourd’hui. quoiqu’ils soient convertis, ils 
redoutent encore le voisinage de ces lieux qu’ils ne 
visitent qu’avec crainte, et sur lesquels ils débitent 
les histoires les plus absurdes. C’est du moins ce dont 
nous avons eu l'expérience en visitant avec deux 
guides les ruines du grand morai royal de Pari. 

Les autels homicides des moraïs étoient toujours 
placés dans des lieux retirés, au milieu des bois, 
sous des massifs de verdure formés par le gigantes- 
que ey!0, l'arbre des regrets et des morts (cusuarina 
à feuilles de prêle), sous le feuillage sombre du ta- 
manon (calophyllum), des haoutou (baringtonia), et 
des arbres à pain ; de larges liserons festonnoient de 
guirlandes ces temples rustiques, analogues à ceux 
que nos pères arrosoient de leur sang, sous le cou- 
teau des druides. 

Les cérémonies n’avoient jamais lieu que le soir, 
au moment où le crépuscule venoit apparoître et je- 
tr une clarté vacillante et éteinte sur la scène, qu’un 
peuple immense entouroit lorsque la nature de la 
fête le permettoit, mais qui n’étoit occupée que par 
les initiés lorsqu'on devoit y pratiquer des offrandes 
mystérieuses. Alors malheur à quiconque y portoit 
par hasard ses pas! il payoit de sa vie la faute qu’il 
avoit commise involontairement. 

Les grandes cérémonies commencoient par une 
danse nocturne nommée pomara. Le son aigu des 
tritons (1) résonnoit au loin dans les gorges des val- 
Iées et la profondeur des forêts, et servoit à indiquer 
aux insulaires que le grand erchi alloit commencer 
les mystères. Les roulements rauques d’un long 
tambour, ou tam-tam, ne cessoient point de se faire 
entendre dans l’enceinte. Alors on déposoit sur le 
moy ai les plus beaux régimes de bananes, les cocos 
les plus butireux , enfin des offrandes nombreuses et 
variées. C’est alors que le pontife dictoit ses oracles, 
annonçoit la protection de son dieu, ou menacçoit de 
sa colère, exigeoit des victimes, ordonnoit la guerre, 
et proinctioit la victoire, ou enfin décidoit de la paix 
et des traités que les chefs devoient effectuer pour 
le bien-être de tous. 

Dans les cérémonies funèbres, tous les habitants 


() Trés grosse coquille qui leur servoit de trompette; 
ils la pergoient d’un trou à sa petite extrémilé, 


DE L'HOMME. 73 


non initiés devoient se {enir cachés dans leurs mai- 
sons, ou .du moins se tenir éloignés du lieu où les 
prêtres faisoient leurs prières. On sait que le princi- 
pal personnage du deuil étoit revêtu du paraï, vêle- 
ment mortuaire, que Pomaré Nehoraï nous montra 
à Matavai. À la vue du parai tous les insulaires pre- 
noient la fuite. Ce costume singulier étoit un mélange 
d’ornements de nacre, de plumes de phaéton, sur 
un large croissant en bois, et cachoit sous un bonnet 
de poils la tête de celui qui en étoit revêlu comme 
sous un masque. 

- Les corps étoient exposés sur des plates-formes 
élevées sur des pieux, et parfois embaumés comme 
les momies d'Egypte, avec des résines de vy, et des 
bandelettes d’étoffes de mürier ou de jaquier. On les 
laissoit se sécher lentement, au milieu des saaves 
parfums du gardenia, ou sous les corolles éclatantes 
de l’Aibiscus rose de Chine. 

Telle étoit la masse fondamentale des opinions 
religieuses des insulaires de Taïti, lorsque les mis- 
sionnaires anglois de l'Église réformée vinrent, en 
mars 1797, leur inculquer de nouveaux dogmes. Ce 
ne fut qu'après un intervalle de plus de seize années, 
à la suite de guerres désastreuses, que la religion 
chrétienne sapa leurs superstitions traditionnelles, 
vint régner triomphante sur les idoles renversées, 
et détruire à jamais les divinités mensongères de 
celte grossière mythologie (!). 


{‘) Nous croyons devoir citer comme piéce à l'appui 
une lettre adressée au commandant de la corvelle Læ 
Coquille par un des missionnaires anglois établis aux 
Îles de la Société, bien qu'elle ne nous paroisse pas de- 
voir mériler une croyance complète en tous ses points. 


Borabora, 43 mai 1823. 
MONSIEUR, 


Quoique je vous sois complètement étranger, je vous 
prie de vouloir bien accepter les deux livres renfermés 
dans ce paquet comme un témoignage de mon respect, 
L'un est les rites des apôtres; l'autre, un recucil 
d'hymnes dont nous faisons usage dans nos adoralions 
publiques. Vous ne z pas biessé que je prenne un 
peu de votre tem pe M 

Quelque déplacée que soit l’idée qu’on vous aura don- 
néc de la déclaration d'indépendance de ces peuples, 
ils ne jouissent cependant par le fait que d’une force 
nominale, et d’une simple possession des iles. Ce sont 
les seuls avantages dont ils puissent se glorifier. Les 
rois ne sont rois que de nom. Leur pouvoir réside en 
entier dans les tiaaus et les ratiras; les rois sont les 
premiers par leur rang, lestiaaus marchent ensuite, et 
les ratiras viennent aprés. 

Les tiaaus (prononcez tiaous) sont par le fait des 
petits rois de districts, Les désirs du roi ne peuvent 
être remplis que par la volonté et l'influence des tiaaus 
et des chefs; ils peuvenr détrôner le roi quand il leur 
plaît. Le monarque n’a jamais eu de revenus: mais il 
reçoit de temps en temps des tiaaus et des chefs les 

ï. 


Le langage desO-Taïtiens est le dialecte le plus pur 
de la langue océanienne; il ne s'éloigne pas beau- 
coup de celui parlé aux Tonga, à la Nouvelle-Zé- 
lande, aux Marquises et aux Sandwich. Cette insu 


objets et les vivres que les îles produisent.Les tiaaus 
et les chefs forment en effet l'ordre le plus formidable, 

Les îles sont Taïti, Morea, Maïaoïli, Huahéune, Raïa- 
tea, Tahaa , Borabora et Maurua, 

Les rois de chacune sont Pomaré TITI, roi de Taïti, 
Malhiné, de Morea et de Maïaoiti; Flahiné et Hautia, 
d'Huahène; Tamatoa, de Raïatea; Fenuapeho, de 
Tahaa; Maïet Tafaora, de Borabora (qui a peut-être 
le plus beau port, et qui, sous tous les rapports, est la 
plus belle ile de tout l'archipel) ; et Faïro, de Maurua. 

Le gouvernement de chaque ile est exclusif et entié- 
rement indépendant (*). Chacune a ses prêtres, ses 
prophéles, son enfer, ses contes et ses tradilions , qui 
composent un ensemble curieux, discordant et ab- 
surde. L'enfer à Raïatea étoit le grand réceptacle. Ce 
n’est qu'un lac au sommet de la plus haute montagne; 
le dieu résidoit sur les arbres voisins, et avec une es- 
péce de coquille ( dentje renferme un échantillon dans 
celte lettre) il étoit censé enlever la chair des pauvres 
malheureux qui venoient là pour lui servir de nourri- 
ture. La coquille étoit déifiée, et celui qui en mangeoïit 
l'animal devoit mourir. Les poissons, les oiseaux , les 


(‘) Nous ajouterons à ces détails quelques renseigne- 
ments historiques sur les rois @'O-Taïli. Le gouverne- 
ment est monarchique et héréditaire dans une famille; 
la marque distinctive de la royauté est le maro royal, 
et le titre erahi rahi : les distinctions sociales se com- 
posent de quatre classes, qui sont celles des raliras ou 
nobles, des mahaounis ou cultivateurs, des touhas ou 
peuple dans la rigueur du mot, et des foutous ou ser- 
vileurs. : 

Lorsque le commodore Wallis aborda à O-Taïli, cette 
île étoit gouvernée par la reine Oberea, celèbre par le 
récit de ce navigateur, et surtout par la narration de 
Bougainville. Elle étoit mariée à Cammo, qu’elle força à 
vivre en simple particulier à Papara aprés s'en être sé- 
paréc. Oberea descendoit de Zemari par une longue 
suite d’aïeux:; et eette branche, depuis long-temps en 
possession du pouvoir, en fut dépossédée par la branche 
d'Otou, qui chassa la reine Oberea, seul et dernier re- 
jeton des Temari. 


Cet Otou est le chef de la famille des Pomaré. Il eut 
pour fils Pomaré Ler, qui prit en naissant ie nom d'O- 
tou , tandis que son père changea de nom, et prit celui 
d'Otehi. Ce nom d'Otou, par les lois taïliennes, passoit 
toujours au premier-nê, et le père devoit ainsi cesser 
de porter un titre qui appartenoitde droit à son héritier. 
Otou (Pomaré Ler ) vécut long-temps, fit la guerre avec 
succès, et mourut vers 4798. C'est de lui dont parle st 
fréquemment Cook et avec éloge: car il en fut accueilli 
avec une grande bienveillance. 11 eut un fils qui, pre- 
nantle nom d’Otou, le força à se faire appeler Teina. 
Cet autre Otou (Pomaré H) avoit un frére nommé Ori- 
pia, qui mourut fort jeune, etse maria à deux femmes, 
Tetoua et Whyridi. Cette dernière fut épousée vers 
1796.Pomaré 11 avoit environ dix-sept anslorsque le ca- 
pitaineWilson, commandant le Duff, toucha à 0-Taïili en 
4797. Il régunoit alors; il accueillit avec empressement 
les missionnaires; et, adoptant leur religion, il fit bri- 
ser les idoles. Mais, chassé du gouvernement par son 
peuple, il parvint à ressaisir le pouvoir, régna sans 
obstacle, quoique obligé de calmer des soulévements , 
jusqu'à l’époque de sa mort, qui arriva en décembre 
4821. Son fils Otou (Pomaré Lil), enfant de trois ans, 
lui succéda en janvier 14823 , eLO-Taïli étoit nominale- 
ment gouvernée par la veuve de Pomaré ou Pomarë 
Wahiné , régente. Ce n’est point ici le lieu de présenter 
un tableau du régne de Pomaré I, bien qu'il soit re- 
marquable par les événements qui en forment le cours. 

10 


74 


océanienne qui est répandue dans la plus grande 
partie des îles de la mer du Sud est généralement, 
ar le grand nombre de voyelles qui en composent 
mots, d’une grande douceur. Elle se corrompt, 
elle s’altère par le mélange des langues papoues, 
aux Fidjis, aux îles des Navigateurs, à la Nouvelle- 
Calédonie, etc. 

Ce dialecte a été long-temps sans être fixé; cela 
tenoit au singulier usage que le roi et les chefs 
avoient, en prenant un nom quelconque, de le faire 
bannir du langage usuel. Ainsi, pour en donner un 
exemple plus facile à saisir, supposons qu'il ait plu 
à un chef de prendre pour surnom le mot manou, qui 
veut dire oiseau, le peuple ne pouvoit plus se ser- 
vir de ce mot pour désigner ces êtres, et on en créoit 
unautre, qui Lôt ou tard finissoit par être remplacé. 
La langue est pleine de cette surabondance de noms 
qui n’expriment plus les mêmes objets, et c’est pour 
cela que les dictionnaires que nous ont transmis les 
navigateurs renferment tant de mots inusités aujour- 
d’hui. De tous les Européens, les Espagnols et les 
François sont ceux qui peuvent le plus aisément 
parler et écrire l’o-taïtien ; il n’en est pas de même 
des Anglois qui éprouvent des difficultés telles que 
beaucoup de leurs missionnaires ont été forcés de 
relourner dans leur patrie, n’ayant pu en saisir la 
prononciation ; et même, parmi ceux qui ont le 
mieux compris le génie de cette langue, a-t-il fallu 
près de trois années pour leur en inculquer les prin- 
cipes. Que penser alors de Cook, quand on lit dans 
son deuxième Voyage (p. 535) :.… « Nous direà plu- 
» sieurs que M. de Bougainville étoit de France, 
» nom qu'ils ne vinrent jamais à bout de prononcer : 
» ils ne prononcçoient guère mieux celui de Paris, 
» et il est probable qu’ils auront bientôt oublié l’un 


insectes et Îles reptiles, ont tous été déifiés : il y avoit 
dix ou douze cérémonies accompagnées de sacrifices 
humains. Le premier el leur plus puissant dieu étoit 
appelé Faroa : dans une coquille de la forme d’un œuf 
il tourna dans le vasle espace jusqu’au jour où il en 
brisa les enveloppes; alors il l'oceupa, et commença à 
former la base de la terre, à laquelle, lorsqu'il devint 
vieux, il ajouta les corps qui l'accompagnent, jusqu’à 
ce que la terre eût acquis sa grandeur actuelle. 

Une profonde ignorance, pire que les ténèbres de 
l'Egypte, couvroit ces îles. Mais, monsieur , l'étoile du 
jour de la vérité etla liberté ont brillé, Maintenant > AU 
lieu des absurdes murmures de l'ignorance, des inven- 
tions artificieuses de prêtres rusés, des rites Sanguinai- 
res de déités méprisables, des lois de sing du démon ; 
et du déluge de guerres qui ravageoient ces côtes, nous 
voyons la plus grande partie de ce peuple suivre les 
instructions de la paroles pure du Dieu vivant. 

Je vous demande pardon, monsieur, de fixer si long- 
temps votre attention. Je ne puis que vous exprimer 
mes souhaits pour votre conservalion, 


Je m'intlitule votre très humble et très, ete. 
Signé J, M. ORSMOND. 


HISTOIRE NATURELLE 


» et l’autre : au contraire tous les enfants pronon- 
» coient celui de Pretany (Grande-Bretagne), et il 
» est presque impossible qu’ils l’oublient jamais ? » 
Que de fausseté dans ces lignes ! et comment se fait- 
il qu'un homme de génie soit si pelit dans ses pré- 
ventions nationales? Ainsi les naturels, privés du 
son cuphonique de plusieurs de nos consonnes, tra- 
duisoient le nom de Bougainville en le rendant par 
le mot de Poutareri, comme celui de Cook par 
Touts ; quant à celui de Paris, c’est entièrement la 
même prononciation que Pari, district dans lequel 
est Papaoa, la résidence des rois, et que le navi- 
gateur anglais écrit Opare ; ce mot de Pari leur étoit 
donc familier; quant au nom de France, ils le 
prononcoient sans doute alors comme aujourd'hui, 
et aussi bien que celui de Grande-Bretagne, l’un 
pèr frany, et l’autre par Pre'any. Sous le rapport 
du souvenir que Bougainville y a laissé, il est vrai 
que la mémoire des naturels ne l’a pas conservé; 
mais il n’avoit jamais fait couper un grand nombre 
d'oreilles à ces insulaires, titre durable (t) pour ne 
pas en être oublié. 

Les règles grammaticales des langues sont trop 
avantageuses à l'étude des races humaines pour que 
nous ne cherchions pas à conserver l’ébauche informe 
de celles relatives au langage o-taïtien, que nous 
avons recucillies sur les lieux et souvent dans la con- 
versation de M. Nott. 

D'après l'E bukia haa pii r«aneia ei Parau tahiti 
ou abécédaire taïtien , l'alphabet ne se compose que 
de seize lettres, qui sont : 


A, B, DE, F, H, 1, M, N,0,P, R,T, U, V, W. 


Ïj lui manque donc dix lettres de notre gram- 
maire qui sont: C, G, J, K,L, Q,S,X, Y 
et Z. La privation de ces lettres, que ne peuvent 
prononcer les Taitiens , est le seul obstacle qui force 
ces peuples à travestir nos noms. La prononciation 
de chacune d’elles peut se rendre par les sons fran- 
çois suivants : 


A,a; B, bi; D, di; E,e;F, fa, H, esse; 1, i; M, mo; 
N,nou;,0,0;,P,m;R, r05T, 4; U,ou; V, vi. 


L'assemblage des syllabes se fait comme pour les 
nôtres, ct nous n’en donnerons qu’un exemple, ba, 
be, bi, bo, bu, etc. 

Depuis la fixation de la langue, qui date de l’in- 
troduction du christianisme , il n’y a plus que les 
noms propres qui changent. 


() Nous avons long-temps médité la vie de Cook; nous 
en connoissons une foule de particularilés qu'ont ré- 
pandues ses compagnons et qu'ont passées sous silence 
ses biographes. Les circonstances que nous rapportons 
sont assez légères, etnous croyons devoir omettre celles 
qui n'ont point de rapport avec notre sujet, 


DE L'HOMME. 


Lcs conjugaisons, moins compliquées que les 
nôtres, ne peuvent être mieux comparées qu’à celles 
de la langue hébraïque. Ils n’ont point de verbes 
auxiliaires, comme étre, faire; ils ont donné à pres- 
que tous les verbes la Gouble acception d'ordre : tel 
est ce verbe remarquable par le grand nombre de 
voyelles, fuaaa, faire; et suivant le génie de cette 
Jangue, qui est riche en figures belles et nombreu- 
ses, on dit faaa tea te aaaoao, qui signifie faire 

* augmenter l’espace entre les côtes, ou, en d’autres 
termes, ce qui veut dire qu'un homme engraisse 
beauroup. 

Voici un exemple des déclinaisons : 


SINGULIER, 


Le navire, te pahii. 
Du navire, o te pahi. 
Au navire, à le pahüi. 
Le navire, te pahii. 
O navire, e te pahii. 
Du navire, e te pahii. 
PLURIEL. 


te mau pahii. 
o Le mau pahi. 
i Le mau pahit. 
te mau pahii. 
e le mnau pahii. 
e te mau pahii. 


Les navires, 
Des navires, 
Aux navires, 
Les navires, 
O navires, 

Des navires, 


DUEL. 


Les deux navires, te na pahii. 
Des deux navires, o te na pahi. 
Aux deux navires, à {e na pahii. 
Les deux navires, 1e na pahii. 
O deux navires, e te na pahü, 
Des deux navires, e te na pahii. 


La négation diffère par des temps distincts, et 
plusieurs mots servent à l’exprimer. Ainsi aeta 
(non), ainea, aina , aipa, aore , expriment le pas- 
sif; eita, eima, eina , eipa, eore,ehene, ehere, in- 
diquent le futur et le présent, Une autre locution 
est eioha , qui veut dire que cela ne soit pus. 

Pour l'affirmative ils onte, oui; et ouetia, qui 
veut dire d'accord. 

Les comparatifs et les superlatifs sont les mêmes 
que dans le francois ; seulement quelques uns ont 
des modifications. Ainsi maitai, bon; maitai ae, 
meilleur ; maitairoa, le meilleur que ; maitai tei à 
tena, ceci est meilleur que cela. 

Beaucoup de mots expriment souvent une même 
chose, et une même chose est exprimée par un 
grand nombre de tournures différentes. Les plus 
petits changements dans la prononciation des mots 
modifient leur valeur. 

ExEurre. Le mot au signifie, pris isolément, 


75 


fumée, fiel, un, courant, natation, être d'accord, 
préperer, un pronom, une aiguille , coudre, conve- 
nable , un arbre, un oiseau. 

Le mot 0e veut également dire une épée, une 
cloche, une erreur, un pronom, une famine. 

On remarquera que dans aucun cas deux conson- 
nes ne se suivent. 

Les missionnaires ont donné le nom de palatiale 
à cette langue; et lorsqu'ils se sont réunis pour se 
communiquer leurs divers travaux relativement au 
dictionnaire projeté, ils se sont trouvés d’accord 
pour l’orthographe et les étymologies : mais ils ont 
beaucoup différé pour la prononciation , qui, sui- 
vant eux , est la principale difficulté ; car le mot que 
nous avons vu exprimer diverses choses se prononce 
avec autant d’accentuations ou inflexions différentes. 
Cela n’empêche pas que le vulgaire du peuple la 
parle avec délicatesse : mais les chefs seuls connois- 
sent les tournures expressives , les mots significa- 
tifs ; ils sentent les fautes les plus légères de la pro- 
nonciation , et la basse classe se sert de certains 
idiotismes qui lui sont propres, de même qu’on en 
à introduit un bon nombre qui sont anglois et défi- 
gurés ou travestis. Les noms européens sont tra. 
duits pour la plupart, mais d’une manière à ne pas 
les reconnoître : tels sont, par exemple, M. Ors- 
mond, Otamoni; France, Frani; la Coquille, To- 
tire; gouverneur, tavant ; le Dauphin, Ofaa; le 
Duff, Tarapu, ete. ya 


EXEMPLES DE PHRASES. 


Te pahi paniola a Quiro te tipae raa à Vaiuru 
paha, 4606. (Le navire espagnol de Quiros aborda 
sur la côte du district de Vaiourou, 1606. ) 


Le nom de Quiros n’est point écrit suivant l’ortho- 
graphe des naturels. 


D. Naite anei outou ta Olamoni parau? (Com- 
prenez-vous M. Orsmond parlant? ) 

Naite anei (Williams) te outou parau? (Lesieur 
Williams comprend-il votre langue? ) 

R. E naîte, il entend. 


EXEMPLES DE NOMS. 


— La flèche, emoia. 
Brisant, vae. 
Ciseaux, paoti. 
Fourchette, patimara, 
Habit, proue. 
Pagaies, eoe. 
Javelot, omore. 
Chasse-mouche, tairi, 
Mouchoir, taamou. 
Encre, «pou. 
Souliers, tima. 


Homme, {ane. 
Femme, vaine. 
Fille, aëne. 

Fils, meotua. 
Crayon, peni. 
Livre, pouta. 
Couteau, tipi. 
Chapeau, tapou. 
Are, phana. 

— La corde, roa. 
— Le carquois, oke. 


76 


ASseZ, aëma. 
Ami, èou. 
Papier, parao. 
_ Bague, tapeu. 
Chemise, tapa. 
Biscuit, amou. 


Eau-de-vie, 

Vin, ava. 
Eau, 

Cordage, aourou. 
Sabre, 0e. 


— Fourreau, vi. 
Ceinturon, tatia. 

Clef, tariri. 

Mût d’un navire, céira. 
Poule, moua. 

Cochon, pou. 

Chien, ouri. 

Montre, mana. 

Pagne, aati. 


HISTOIRE NATURELLE 


Culotte, {atoe. 
Bouteille, moona. 
Aiguille, nira. 
Nacre, etou. 

Fil, taoura. 
Huile de coco, mori ou monoë. 
Pendants d'oreilles, poe. 
Sifller avec les doigts, ekio. 
Tabac, avaava. 

Vrilles, ehou. 

Clou, nero. 

Collier, ai. 

Ficelle, eaho. 

Petite hache, 10e. 

Nom (désign.), 104. 
Pavillon, ereva, 

Soleil, mana. 

Venez ici, arimai. 

— promptement, eare. 
Hamecons, malao, etc., etc. 


On pourra consulter le Pocabulaire taïtien donné 
par Bougainville; et, quoique quelques mots soient 
inusités, il rendra encore de grands services. En 
général cependant il faudra supprimer le et l’o qui 
précèdent le plus grand nombre des mots: ce sont 
deux articles qui signifient le ou la. 


Notre manière de mesurer le temps a été intro- 
duite par les missionnaires de la manière suivante : 


CO amo r«a mala à ta minute. (Soixante secondes font 


une minute.) 


60 minute i ia hora. (Soixante minutes font une heure.) 
24 hora ia mahana. (Ningt-quatre heures font un jour.) 
7 mahana i ia hebedoma. (Sept jours fontune semaine.) 
4 hebedoma i iaavae. (Quatre semaines font un mois.) 
13 avae 1 mahana 6 hora à ia matahiti. (Treize mois un 

jour six heures font une année laïtienne ou 


lunaire.) 


52 hebedoma à ia matahili. (Cinquante-deux semaines 


font un an.) 


265 mahana à ëu matahiti. (Trois cent soixante-cinq jours 


font une année.) 


Les noms des jours de Ja semaine sont traduits 


ainsi : 


S'abati, 
TMonedi, 
T'uesedi, 
Henesedi, 
T'uresedi, 
Feraïidi, 


Saturedi, 


dimanche. 
lundi. 
mardi. 
mercredi. 
jeudi. 
vendredi. 
samedi. 


Les mois sont également empruntés des Anglois, 


et ils n’en diffèrent pour les noms que par l’arran- 
gement des voyelles qui séparent les consonnes. Les 
mois taitiens étoient appelés apaapa, firia, te eri, 
te tai, ovarelu, faa ahu, pipiri, œununu , paroro- 


mua, paroromuri, muriraha, hiaia et tema. Les 
douze premiers sont rangés dans l’ordre de notre 
calendrier, et répondent à nos mois; mais les insu- 
laires les plaçoient bien différemment : leur année 
étoit lunaire. 

L'ancienne manière de compter usitée à Taïti, 


‘comme dans les iles voisines, est celle-ci :, 


atahi. 

arua, et le plus souvent apiti. 

aloru 

ahea où amaha. 

arima OU apae. 

afene ou aono. 

ahitu. 

avaru OU aVaous 

aiva. 

aahuru ; prononcez aahourou. 

ahuru matahi ou hoe ahuru mahoe. 

12, ahuru marua où hoe ahuru mapiti. 

alhuru matoru ou hkoe ahuru matoru. 

alu maaeha où hoe ahuru mamaha. 

alu marima où hoe ahuru mapae. 

ahuru mafene où hoe ahuru maono. 

ahuru mahitu Où hoe ahuru mahitite 

ahuru mavaru où hoe ahuru maraou. 

ahuru maiva où hoe ahuru maiva. 

erua ahuru ; on dit aussi epit ahuru. De 20 à 29, on 
commence par erua ahuru,auxquels mots on ajoute 
matahi, marua, elC., comme pour les premières 
dizaines. 

eloru ahuru. 

eha ahuru. 

erima ahuru, 

efene ahuru. 

ehitu ahuru. 

80, evaru ahuru. 

90, 

100, 


5” % + 


- 


- + + 


SOMME OR CE NI 


- 


10, 


civa ahuru. 
atahi rai. 


Les signes des neuf premières unités s’ajoutent 
devant ru, pour exprimer le rombre de centaines. 
Ainsi : 


200, 
300, 
400, 

1000, 


arua ra 

aloru Tau. 

aeha rau, e& ainsi des autres. 

se dit atahi mano ; 2000, arua mano, comme pour 
les centaines. 


Par ce simple aperçu il sera possible de comparer 
le dialecte o-taïtien avec celui de la Nouvelle-Zélande 
ou de plusieurs autres systèmes d’iles océaniennes, 
et nous le terminerons par un petit vocabulaire de 
noms donnés aux diverses parties du corps humain. 
Ces noms doivent être ceux qui subissent le moins 
de changements et qui traversent intacts le laps le 
plus considérable de temps, et parmi lesquels on 
doit trouver des caractères moins variables pour les 
analogies, 


—— sn = D 


Tête, aai. 

Cheveux, o-où-rou, 
OEïil, tone-ma-ta. 
Nez, e-hi-ou. 

Sourcils, tou-a-ma-tlx. 
Bouche, ou-tou. 
Joues, papari-a. 


Le globe de l'œil, opomata. 


Cils, outi-outi. 
Narines, popooyou. 
Dents, tariniou. 
Menton, t(oa, 
Oreille, taria. 
Barbe, ourounour'ou. 
Favoris, ounaoun«a. 
Poitrine, kouma. 
Mamelles, ohnou. 
Sein, nami, 
Nuque, ereë. 

Côté du thorax, «oo. 


DE L'HOMME. 


Nombril, péto. 

Anus, ououre. 

Vagin, pipitiloe. 

Verge, {apa. 

Fesses, toai, 

Épaule, lapauno. 

Aisselle, ai-aë. 

Bras, rma. 

Avant-bras, valia. 

Coude, pororima. 

Main, erima. 

Paume de la main, {eabou- 
rm 

Les doigts, rma-rima. 

Ongles, ma-i-ou-ou. 

Cuisse, ouaa. 

Jambe, avai. 

Tibia, eoufara. 

Cheville, momoa. 

Pied, tapouai. 


Ventre, obou. 


influence du climat des îles de la Société sur la 
race humaine qui les habite est beaucoup plus fà- 
cheuse que ne l'ont cru les navigateurs dont nous 
possédons les relations. Ces îles, et notamment O- 
Taïti, bien loin d’être exemptes de maladies, sont 
au contraire la proie d’endémies qui moissonnent les 
insulaires aussi bien que les étrangers. Comment en 
seroit-il autrement d’ailleurs sous une température 
humide et chaude, sur un sol frais et constamment 
humecté, dans des cabanes sans parois closes? La vie 
peut très bien s’accommoder du régime frugivore, 
mais la grande consommation de poissons, que les 
naturels mangent crus de préférence et par goût, 
n’est pas sans de graves inconvénients. Ce qui le 
prouve d’ailleurs sans réplique est le petit nombre 
de vieillards qu’on remarque parmi les C-TEtaïtiens ; 
car malgré nos recherches nous n'avons pu nous 
procurer aucun exemple de longévité. 

Ces peuples, avant larrivée des Européens, con- 
noissoient une sorte de médecine qu’ils appeloient 
erapo-maë, qui guérit. Leurs médecins ou e-«o rem- 
plissoient souvent les fonctions de prêtres inférieurs, 
ou étoient revêtus d'emplois guerriers. Quelques uns 
de ces Machaons, faisant marcher de front l’art de 
faire des blessures et l’art de lés guérir, étoient in- 
vestis d’une haute estime. Mais le plus ordinairement 
les pères de famille exerçoient eux-mêmes ce pieux 
ministère, et ne confioient point à des étrangers la 
santé de leurs femmes ou de leurs enfants, et tous 
counoissoient un grand nombre de plantes qu’ils al- 
loient recueillir dans les montagnes, et auxquelles 
ils attribuoient diverses propriétés ; toutefois les sucs 
qu’ils en exprimoient avoient moins d'efficacité dans 
leur opinion que des pratiques superstitieuses et des 
intercessions aux idoles des Horaïs. 


77 


ils se réduisoient à abandonner aux soins de la na- 
ture la cicatrisation des plaies, dont ils rappro- 
choient les bords, et qu’ils préservoient du contact 
de l'air en les recouvrant avec leur papier vestimen- 
tal; mais ce qui nous parut plus étonnant fut de sa- 
voir que les raturels pratiquoient parfois une sorte 
d'opération analogue à celle du trépan, et nous vimes 
un habitant de Borabora qui s’étoit acquis sous ce 
rapport une grande réputation. Ils ont trouvé dans 
la racine de l’ava-uva un remède contre la syphilis, et 
ils ont l’usage de se ficeler les jambes comme moyen 
prophylactique pour s’opposer à l’éléphantiasis, 


$ VII. DES NOUVEAUX-ZÉLANDOIS. 


Peu de peuples sont aussi intéressants à ctudier 
que les Nouveaux-Zélandois : leur âme, fortement 
trempée, présente ce mélange de douceur et de 
cruauté qui forme de l’histoire d’un peuple un ta- 
bleau pittoresque. Les Nouveaux-Zélandois, en effet, 
ne semblent avoir que peu des mœurs hospitalières 
qui caractérisent quelques tribus de la même race 
établies sur les iles de la mer du Sud. A la première 
vue leur caractère est sombre et féroce ; on diroit 
que la haine et la vengeance sont les scules passions 
qui les animent : tout étranger qui aborde leur rivage 
est pour eux un ennemi. Leur physionomie morale 
attriste donc l’observateur lorsqu'il pénètre la bar- 
barie de leurs coutumes, leur anthropophagie, leur 
instinct destructeur, l’aveuglement de leurs super- 
stitions, et leur mépris pour les choses utiles à 
l'agrément de la vie ; et cependant, au milieu d’habi- 
tudes si éloignées d’une civilisation même naissante, 
on retrouve quelques unes de ces vertus développées 
avec une vigueur que cette même civilisation n’a 
point encore permis de cacher sous le vernis trom- 
peur et mensonger de la politesse. Chaque Zélandois 
porte le plus grand attachement aux divers membres 
de sa famille et à tous ceux de sa tribu : au dedans 
il concentre son affection, au dehors il ne voit que 
des ennemis ct rarement des alliés; et si les tribus 
voisines se réunissent entre elles, cette union n’est 
jamais cimentée que par la nécessité de vivre en 
paix, et, comme on le dit vuigairement, dans un 
état de paix plätrée. 

Nous retrouvons donc dans les Nouveaux-Zélan- 
dois la même physionomie, les habitudes, les idées 
religieuses, la langue des habitants de Taïti, des 
Marquises et de Sandwich ; mais, jetés sur une terre 
plus défavorisée sous le rapport des ressources, ils 
ont conservé beaucoup plus intactes les traditions 
de leurs ancêtres. Les Nouveaux-Zélandois sont 
généralement plus grands et plus robustes que les 


Les préceptes chirurgicaux étoient très simples : ! O-Taïtiens, L’habitude de la guerre et les marches à 


78 


travers les montagnes endurcissent leurs membres, 
dont les formes sont athlétiques ; leur taille est com- 
munément de cinq pieds sept à huit pouces, et ra- 
rement elle est au-dessous; la couleur de la peau ne 
diffère point de celle des hommes du midi de l'Eu- 
rope. Leur physionomie est remarquable par son ex- 
pression; elle est rarement franche et ouverte, mais 
d'ordinaire les traits respirent une sombre férocité. 
Ce qui la distingue chez ces peupies est un visage 
ovalaire, un front rétréci ; un œil gros, noir et plein 
de feu ; un nez parfois aquilin et plus souvent épaté, 
et une bouche grande dont les lèvres sont grosses. 
Les dents sout du plus bel émail, petites, et rangées 
avec beaucoup de régularité. Les Zélandois portent 
leur chevelure longue et par mèches éparses retom- 
bant sur la figure, et les chefs seuls ont le soin de 
la relever sur la tête en une seule touffe. La nature 
de leurs cheveux est d’être rudes ; leur couleur est 
noire, parfois rougeâtre, et ceite dernière doit être 
attribuée sans aucun doute à l’usage que pratiquent 
certains individus de se saupoudrer la tête avec de la 
poussière d’ocre. Foui, chef de l'hippah de Kaouera, 
qui nous rendoit de fréquentes visites, avoit ses 
cheveux flottants par longucs mèches, qu’il arran- 
- gcoit de manière, dans les expéditions militaires, à 
ce qu’elles imprimassent à sa physionomie un air 
plus redoutable. L'usage qu'ont un grand nombre 
de naturels de conserver la barbe longue ei flottante 
sur la poitrine rappelle quelques unes de ces têtes 
antiques reproduites par le pinceau de nos grands 
peintres. Les jeunes gens sont long-temps imberbes : 
tous leurs mouvements sont agiles et dispos; et, 
bien que les jambes soient parfaitement faites, lPu- 
sage qu'ont ces peuples de s’accroupir sur les talons 
fait naître de bonne heure des engorgements aux 
jarrets. 
Toutes les femmes mariées qui vinrent à bord de 
Ja corvette La Coquille avoient les formes bien plus 
développées que les filles esclaves qui vivoient dans 
le navire, et que leurs maitres y envoyoient dans 
l'intention d'en obtenir divers objets en échange de 
leurs faveurs. La taille de ces femmes étoit forte et 
robuste, et rarement au-dessous de cinq pieds deux 
à trois pouces ; celle des esclaves au contraire étoit, 
terme moyen, de quatre pieds trois à six pouces. 
Une telle disproportion est sans doute due à la 
prostitution à laquelle ces infortunées sont condam- 
nées dès qu’elles sont nubiles. L'ensemble des traits 
qui chez la plupart des peuples distinguent les 
femmes par leur délicatesse est, à la Nouvelle-Zé- 
lande, diamétralement opposé aux idées que nous 
nous sommes formées sur Ja beauté. Les filles, dans 
leur premier printemps, ont un large visage, des 
traits masculins, de grosses lèvres souvent teintes 
en noir par le tatouage ; une grande bouche, un nez 
épaté, une chevelure mal pcignée et flottant en 


HISTOIRE NATURELLE 


désordre, une malpropreté générale, et enfin le 

corps imprégné d’une odeur de poisson ou de pho- 

que qui soulève le cœur. Mais ce tableau si repous- 

sant est en partie détruit par quelques précieux 

avantages dont la nature les a dotées; et en effet des 

dents d’une blancheur éblouissante et des yeux noirs 

pleins de feu et d'expression sont des charmes tout- 

puissants, quelque part qu’on les trouve : d’ailleurs 

leur effet s’accroit encore d’un avantage qu’il est 

si diflicile de rencontrer chez les femmes civilisées. 

Les jeunes Zélandoises, dont l’heureuse ignorance 

ne connoit point l’usage des corsets, ont les orbes 

de la poitrine qui le disputent au marbre par la du- 
reté, et qui malgré leur volume conservent long- 
temps et leur élasticité et leur rectitude. Ces organes 
n’ont aucune influence sur les sens des hommes; ils 
ne sont à leurs yeux que les réservoirs où leurs en- 
fants puisent la vie. Les travaux de ménage, les 
enfantements, les jouissances nombreuses ct pré- 
coces, font bientôt disparoître lembonpoint et la 
fraicheur des jeuncs années, et toutes les femmes 
âgées que nous avons eu occasion de voir étoient 
dégoûtantes par la flaccidité générale des chairs. 

Les femmes et les hommes n’ont point l’habitude 
de s'épiler, et ces derniers sont loin de pratiquer la 
circoncision. 

Les vieillards ne sont pas nombreux. Les habitu- 
des guerrières de ces tribus et les combats fréquents 
qu’elles se livrent sont des obstacles en effet pour 
que les individus puissent atteindre Ie terme de leur 
carrière. 

La froidure du climat ne permet point aux Nou- 
veaux-Zélandois de faire usage des bains : aussi 
sont-ils dégoûtants de malpropreté. Les femmes, 
et surtout les files esclaves, chargées de léviscé- 
ration des poissons pour les faire sécher, ont le 
corps recouvert d’une épaisse crasse qui exhale au 
loin une odeur d'autant plus repoussante que sou- 
vent s’y mêle celle de l'huile de phoque ou de mar- 
souin, dont elles s’oignent le corps, et qu’elles re- 
couvrent de poussière d’ocre : ce dernier usage est 
remarquable en cela qu’on ne le trouve employé que 
chez les peuples de race nègre. La plupart des Zé- 
landois d’ailleurs dédaignent de se couvrir la che- 
velure de poussière rouge, et tous ceux qui nous 
présentèrent cet embellissement appartenoient à des 
villages éloignés de la baie Marion, et venoient de 
l'intérieur de l’ile. 

Cette habitude de malpropreté est d'autant plus 
cnracinée chez ces peuples, qu'avec très peu de 
soins il pourroient se débarrasser de la vermine 
qui les dévore, et de la crasse qui les recouvre. 
Hommes et femmes sont d'excellents nageurs : mais 
ce n’est que par nécessité et rarement par plaisir 
qu'ils se jettent à l’eau, et ces dernières conservent, 
sars en changer, les pagnes de phormium qui leur 


DE L'HOMME. 79 


ceignent les reins jusqu’à ce qu'iis soient usés; 
elles ne les quittent point pour le sommeil, ni 
même lorsqu'elles sont accroupies au fond des pi- 
rogues dans l’eau, au milieu des têtes et des intestins 
de poissons. 

Le costume des Zélandois varie très peu dans les 
deux sexes. Mais comme ces iles n’offrent point les 
arbres précieux à écorces textiles dont se servent 
les O-Taïtiens pour confectionner leur papier ves- 
timental gracieux et léger, ces peuples ont eu 
recours à d’autres matières, et les nattes qu’ils ont 
su tisser avec les fibres du phormium texax sont 
d’une rare beauté et par la substance dont elles sont 
composées et par le travail. Une de ces nattes flotte 
négligemment sur les épaules et sar le corps ; on la 
nomme tatutu : une deuxième est roulée autour du 
tronc, et descend jusqu'aux genoux. Dans les hi- 
vers, dont la rigueur est extrême sur ces iles antarc- 
tiques, ils ajoutent sur la natte supérieure un tissu 
grossier et pesant formé de masses nombreuses de 
filaments d’une sorte de jonc qui imitent les flocons 
de laine réunis sur les colliers des chevaux des voi- 
turiers d'Europe. Ce vêtement est nommé toÿ; il 
est remplacé chez les chefs par un manteau de peaux 
de chiens cousues ensemble, et c’est le Æahou 
ouairo, Le tissu des nattes varie par le travail; et 
c’est ainsi que, souvent lisse et sans dessin, il est 
parfois remarquable par la délicatesse des ornements 
qui le composent. Des brins de phormium non bat- 
us et.très longs sont implantés dans les pagnes des 
jeunes files esclaves plus particulièrement, et ne 
contribuent pas peu à donner à celte partie du corps 
une ampleur démesurée. 

Le rang et la valeur des guerriers zélandois sont 
indiqués par un grand nombre de petits fragments 
polis et travaillés d'os ou de jade, attachés sur la 
poitrine au bord de la natte, et dont le véritable et 
primitif usage étoit de servir à gratter dans la che- 
velure et détruire les insectes qui y vivent. Du reste 
ils ont, comme tous les autres peuples, le goût de la 
parure, et celle qu’ils préfèrent consiste à se pla- 
cer des plumes dans les cheveux, et surtout une 
touffe de plumes blanches et soyeuses dans le trou 
des oreilles, qu’ils remplacent le plus souvent par 
des morceaux de {oile. La tête n’est jamais recou- 
verte par aucune espèce de coiffure, et les cheveux 
flottent en désordre sans que l’art vienne leur prêter 
son secours : cependant quelques jeunes filles, plus 
coquettes sans doute que leurs compagnes, vinrent 
nous visiter ayant la tête couronnée d’une guirlande 
de mousse très verte et très gracieuse, 

Les objets de parure pour les femmes consistent 
en colliers de coquillages nommés piré, auxquels 
sont parfois suspendus de petits hippocampes dessé- 
chés. Leur goût pour les grains de verre bleu de 
fabrique européenne est très prononcé; aussi les 


recherchent-elles avec empressement. Mais le bijou 
le plus précieux, que portent seulement les hommes, 
et à la possession duquel sont attachées des idées 
religieuses , est le fétiche de jade vert représentant 
une figure hideuse, qui pend sur la poitrine sus- 
pendu à quelque portion d'os humain. C’est encore 
par esprit de superstition qu’ils attachent à une de 
leurs oreilles une dent acérée du goulu de mer ou 
squale, qui sert aux femmes à se déchirer la figure 
et la poitrine pour témoigner leur vive douleur à la 
perte des chefs ou de leurs parents. Les insulaires 
attachent le plus grand prix à la conservation de ces 
objets lorsque, transmis par leur ancêtres, ils sont 
devenus tabouës ou sacrés. Ils pensent qu’à leur 
possession est lié le bonheur de leur vie, et ils les 
échangent au contraire avec indifférence et pour des 
bagatelles lorsqu'ils proviennent de leurs ennemis, 
et qu’ils les en ont dépouillés en les massacrant. 

Nous avons déjà eu occasion d'indiquer que les 
Nouveaux-Zélandois de quelques endroits de lin- 
térieur se recouvroient la figure et les yeux de fard 
grossier composé de poussière d’ocre, mélangée à 
de l’huile de cétacés; cependant cet usage est peu 
général : mais il n’en est pas de même de celui de 
se placer de larges mouches noires sur le nez, le 
menton , et sur les joues, ainsi que le font les jeu- 
nes garçons, et de larges mouches d’un bleu d'azur, 
ainsi que le pratiquent les jeunes filles ; ce dernier 
embellissement se nomme para-eka- ouni-noua. 
Qu'on veuille bien ne pas croire que ces détails 
soient futiles : ceux-ci, ajoutés à d’autres faits, sont 
quelquefois très nécessaires pour caractériser les 
habitudes des peuples; et d’ailleurs aurions-nous 
bonne grâce de critiquer au milieu des tribus restées 
stationnaires dans leur civilisation ce que le caprice 
des modes rend bien plus ridicule chez les nations 
curopéennes ? 

Ce besoin qu’ont tous les hommes de modifier les 
avantages qu’ils ont reçus de la nature se fait aussi 
vivement sentir chez les Nouveaux-Zélandois. Le 
tatouage ou moko les occupe pendant toute leur 
vie, el chaque année ils se soumettent à l'opération 
douloureuse qu’il nécessite. Ce tatouage est d’au- 
tant plus remarquable qu’il couvre ordinairement 
fa figure; et, comme il est renouvelé très fréquem- 
ment, ilen résulte de profonds sillons disposés par 
cercles réguliers, qui donnent à la physionomie 
l'expression la plus étrange. Les habitants des iles 
Müarquises et les Nouveaux-Zélandois sont donc les 
seuls peuples qui se tatouent profondément le visage, 
tandis que les O-Taïtiens en ont perdu la coutume, 
et prodiguent au contraire cetornementsur le corps, 
et que les Nouveaux-Zélandois ne le placent que sur 
les fesses en le disposant en cercles enroulés les uns 
dans les autres. Les femmes se font couvrir les reins 
de ‘losanges formant une large bande; mais elles 


80 


ajoutent encore à leurs traits durs ct repoussants 
des dessins qui ne contribuent point à les embellir, 
et c’est ainsi qu’elles ont les lèvres sillonnées de 
raies d’un noir profond, et des sortes de fers de lance 
profondément imprimés aux angles de la bouche et 
au milieu du menton. Il n’y a que-les esclaves pris 
jeunes ou les hommes de la dernière classe qui ne 
soient point latoués : tous les autres naturels ne sau- 
roient se soustraire à cette coutume sans honte; et 
plus un guerrier est fameux, plus il a subi le renou- 
vellement de cette opération, et plus il est fier 
d’un blason qu’il n'obtient jamais sans de vives 
douleurs. 

L'architecture domestique, et par ce nom nous 
désignons l’art de bâtir les cabanes, a été assez in- 
génieusement appliquée par les Zélandois au climat 
qu'ils habitent, et aux habitudes belliqueuses qui 
les animent. Leurs demeures, au lieu d’être vastes 
et aérées, forme qui seroit désavantageuse dans un 
pays que battent les tempêtes de l'hémisphère 
austral, sont petites et basses, et leurs villages ou 
hippahs ne sont d’ailleurs jamais placés en plaine, 
parce qu’ils pourroient être saccagés par surprise; 
mais au contraire ils couronnent toujours des collines 
abruptes, des lieux escarpés et d’un difficile accès. 
Ces cabanes sont des gites où l’on ne peut pénétrer 
qu’en se trainant sur les genoux et sur les mains, 
et les familles qu’elles abritent dorment pêle-mêle 
sur de la paille, et dans un espace très resserré, où 
la respiration de plusieurs individus entretient aisé- 
ment la chaleur nécessaire pour que le froid du de- 
hors ne puisse y pénétrer. Leur intérieur. ne pré- 
sente aucun meuble, si l’on en excepte quelques 
coffrets élégamment sculptés, quelques vases en 
bois rouge, chargés de dessins tels qu’on peut s’en 
faire une idée par les figures qu’en a données Cook 
dans sa relation. 

L'industrie la plus perfectionnée et la plus remar- 
quable du peuple qui nous occupe est celle de la 
fabrication des étoffes. On retrouve dans les variétés 
de ces ressources chez les divers Océaniens la sage 
prévoyance de la nature, puisque sur les îles inter- 
tropicales, dont la température est constamment 
chaude, elle à fourni des écorces textiles , suscepli- 
bles de se métamorphoser en étoffes légères et moel- 
leuses, comme à O-Taïti, aux Tonga, aux Marquises, 
aux Sandwich ; et qu’à la Nouvelle-Zélande, où les 
froids des hivers sont intenses, elle a produit le 
phormium ; car c’est avec les fibres de ce dernier vé- 
gétal, bien supérieur à notre plus beau lin, que les 
femmes, et surtout les jeunes filles enlevées à leurs 
familles par suite des malheurs de la guerre, tissent 
soigneusement leurs mali ou nattes élégantes, nom- 
mées kahou, lorsqu'elles servent de vêtements, et 
appelées koura, kupenga, ete., suivant les parties 
du corps qu’elles doivent recouvrir, Ces nattes, par 


IISTOIRE NATURELLE 


l'aspect satiné des fibres du phormium, soigneuse- 
ment débarrassées de la maliére gommeuse qui les 
invisque, sont ornées de dessins, et forment en se 
drapant un habillement qui n'est point sans analogie 
avec l’ancien costume civil des Romains. 

Permi les objets d'utilité qu'ils fabriquent pour 
leurs besoins journaliers, on doit mentionner les 
paillassons grossiers dont ils se couvrent les épaules 
dans les temps de pluie, et les sacs en jonc dans les- 
quels sont renfermées leurs provisions diverses. La 
manière dont sont préparées les fibres du phormium 
est aussi fort remarquable par sa simplicité, tandis 
que, dans les essais tentés par des savants dans le 
but louable d'utiliser une plante aussi précieuse en 
Europe, on n’est point parvenu à obtenir ces mêmes 
fibres avec toutes les qualités qui distinguent celles 
qui résultent du procédé des Nouveaux-Zélandois. 
Ces derniers, après avoir coupé les longues feuilles 
de la plante à lin (c’est ainsi que Cook nomme le 
phormium dans la relation de ses voyages), les met- 
tent maceérer quelques jours dans l’eau, et les reti- 
rent pour les briser avec un maillet en bois très dur 
sur un billot ovalaire du même bois. Cette opération 
préliminaire est leur haronga, et par son moyen la 
chlorophylle ou matière verte résireuse est enlevée 
de dessus les fibres, incomplétement il est vrai; mais 
le soin qu’on a ensuite de les racler avec force à l’aide 
d’une valve de coquille rendue coupante sur son bord 
achève de les débarrasser des parcelles de cette ma- 
tière qui s’opposent à leur souplesse. Ainsi netloyées 
de l’enduit qui les enveloppoit, les fibres du phor- 
mium ont la couleur dorée du plus beau lin, unie 
au moelleux et presque à la force de la soie. 

Les deux iles habitées par les Nouveaux-Zélan- 
dois, sans être placées sous de hautes latitudes, su- 
bissent cependant linfluence d’une température 
rigoureuse par les vents furieux qui soufflent une 
grande partie de l’année, et par les neiges qui re- 
couvrent les lieux élevés. Les naturels qui les hati- 
tent ont senti de bonne heure le besoin de se former 
des provisions d'hiver; et, comme dans les beaux 
jours ils prennent une grande quantité de poissons 
dans les baies qui morcellent leur rivage, ils en sè- 
chent et en fament la majeure partie por se nourrir 
lorsqu'il est impossible de mettre des pirogues en 
mer, et pour se préserver de la famine lorsque leurs 
hippahs sont assiégés par des tribus ennemies. 

Le sol ne fournit plus spontanément comme dans 
les îles équatoriales une grande variété de substances 
alimentaires; et la base de l'existence des Zélandois 
se trouve être la racine ligneuse d’une fougère qui 
couvre toutes les plaines , et qui ressemble parfaite- 
ment à notre pleris. Plusieurs plantes potagères que 
leur ont communiquées les Européens sont aujour- 
d’hui utiles aux naturels, et croissent presque sans 
soins, {ant le sol meuble leur est convenable : tels 


DE L'HOMME. 81 


sont les patates douces, les pommes de terre et les 
radis. Les mets accessoires dans leurs repas consis- 
tent en coquillages, en langoustes, et parfois en 
cochons, et le plus souvent en chiens. Les chairs 
de leurs ennemis tués sur un champ de bataille, 
qu’ils dévorent avec tant de plaisir, ne sont point 
considérées comme objet de nourriture, mais bien 
comme devant servir à des actes mystérieux de re- 
ligion. 

Leur cuisine est simple comme la nature de leurs 
aliments. Elle ne diffère point de celle des autres 
Océaniens, et consiste à faire torréfier les substances 
sur des charbons, ou bien dans des oumous ou fours 
creusés sous terre à l’aide de pierres échauffées. Ils 
nomment {aro l’espèce de pain qu'ils font avec la ra- 
cine de la fougère eroi qui est l’acrostichum furca- 
tum de Forster. Ces racines sont recueillies par des 
esclaves qui les font sécher au soleil en les exposant 
sur des claies; pour être converties en pain, elles 
sont concassées dans un mortier en bois, et triturées 
de manière à ce qu’elles ne forment plus qu’une pâte 
brune jaunâtre, visqueuse comme de la glu, et rem- 
plie de parcelles ligneuses ou d’écorces. Cette pâte 
est malaxée en cylindres analogues aux bâtons d’ex- 
trait de réglisse, et ne contient que très peu de prin- 
uipe nutritif: sous ce rapport elle doit ressembler 
au pain que les Islandois font avec l'écorce des sa- 
pins. Nous avons vu les Nouveaux-Zélandois manger 
avec sensualité des poissons demi-pourris, exhalant 
une odeur infecte; mais ce qui est plus remarquable 
est l'habitude qu’ils ont de presser, de ficeler dans 
des feuilles, une grande quantité de petits poissons 
de la même manière que les O-Taïtiens préparent 
leurs confitures de bananes. 

L'eau pure est l’unique boisson de ces peuples ; 
ils haïssent les liqueurs fortes; et si quelques uns 
d’entre eux, ou même des jeunes filles, boivent de 
l’eau-de-vie, cette pernicieuse habitude leur est venue 
pendant leur séjour à bord des navires européens. Ils 
font communément trois repas, et nomment fainga 
dua le diner, et kaiahki-ahi le souper ; leurs aliments 
sont placés par terre, et chacun les dépèce avec les 
doigts. Parfois les guerriers se servent d'instruments 
faits avec des os humains, provenant d’un ennemi 
tué sur le champ de bataille ; et c’est ainsi que nous 
achetâmes à l’un d’eux une fourchette à quatre dents 
faite avec l'os radius du bras droit, sculptée avec 
soin, et ornée de divers reliefs en nacre. 

Les filets dont se servent ces peuples sont absolu- 
ment analogues aux nôtres, et sont de trois sortes : 
leurs sennes, faites de feuilles de phormium, ont 
une immense étendue, et demeurent le plus souvent 
la propriété de tous les habitants d’un village; leurs 
hamecçons, composés d’une tige en bois dur, et ar- 
més d'os pointus et barbelés, se trouvent être façon - 
nés parfois avec des morceaux de nacre. Les lignes 


À 


ee] 


qui les supportent sont très bien cordées et d’une 
force considérable. 

Leurs pirogues ou waka sont remarquable par les 
sculptures qui les décorent. Les habitants du nord , 
qui dans leurs communications fréquentes avec les 
Européens ont reçu un grand nombre d'instruments 
de fer, négligent aujourd’hui leur construction. £a 
plupart de ces légères embarcations sont creusces 
dans un seul tronc d’arbre, et ont communément 
jusqu’à quarante pieds de longueur. Nous en me- 
surâmes une près Kaouera, qui, formée d’un seul 
morceau, avoit soixante pieds de longueur et trois 
de profondeur sur quatre de large. Elles sont peintes 
en rouge et ornées de plumes d’oiseaux disposées 
sur les bords en festons ; l'arrière s'élève jusqu’à 
près de quatre pieds, et se compose de sculptures 
allégoriques qui surmontent la représentation d’un 
homme tenant de la main droite le lingum ; avant 
est occupé par une tête hideuse à yeux de nacre, et 
dont la langue sort démesurément de la bouche, ce 
qui signifie chez ces peuples le courage provocateur 
à la guerre et le mépris des ennemis. Ces pirogues 
peuvent contenir par leur longueur quarante guer- 
riers ; elles sont presque toujours simples ou non 
accouplées, et les rames dont on se sert pour les 
faire marcher sur l’eau, ou les oé, sont terminées 
en pointes très acérées, de manière à ce que l’équi- 
page, pris à l’improviste, puisse s’en servir comme 
d’une arme avantageuse pour se défendre des atta- 
ques. Leur marche est rapide lorsqu’elles sont pous- 
sées per les vents ou par les coups pressés des rames. 
Les voiles dont se servent les Nouveaux-Zélandois 
ne consistent qu’en nattes de jonc grossièrement 
tissées et de forme triangulaire qu’on nomme cé-hia 
ou pagaies du vent, et qui ne peuvent point servir 
pour voguer au plus près. 

Bien que les Nouveaux-Zélandois soient éminem- 
ment portés à la guerre, que ce soit pour eux l’oc- 
cupation de toute la vie, on ne trouve point chez 
eux une grande variété de moyens de destruction. 
Leur bravoure consiste à attaquer un ennemi corps 
à corps, à triompher par Ja puissance de la force, 
et ils ont dédaigné ces armes légères, ces flèches à 
pointes barbelées, qui se lancent de derrière les 
buissons , et qui décèlent toujours la perfidie unie à 
la foiblesse. Ainsi avec leurs patou-patous ,faits en 
jade vert, ils scalpent ou brisent le crâne d’un 
ennemi, ou le percent de leurs longues javelines. Ce 
patox-patou, fixé au poignet par une lanière de peau, 
est l'arme par excellence du guerrier zélandois. Les 
arikis ou prêtres ont, pour marque de leurs fonc- 
tions sacerdotales, un grand assommoir en os de 
baleine, couvert de reliefs. Leurs tokis sont des 
haches, aussi de jade, dont les manches sont tra- 
vaillés avec le plus grand soin, et ornés de touffes 
de poils de chien d’un blanc pur. Un grand nombre 

11 


82 HISTOIRE NATURELLE 


de leurs casse-têtes sont en bois rouge , poli ct très 
dur, et quelques chefs les remplacent par des mas- 
sues travaillées de la même manière. Les naturels 
chargés de la défense des hijpahs palissadés (et l’on 
sait que ces villages sônt toujours placés sur la crête 
abrupte et roide de quelque endroit escarpé ) font 
pleuvoir sur les assaillants des grêles de grosses pier- 
res ; mais ils repoussent surtout leurs efforts à l’aide 
de très longues javelines acérées, qui ont commu- 
nément de quinze à vingt pieds et quelquefois plus. 

La baie des Iles. placée dans la portion nord de 
la Nouveile-Zélande, est une relâche avantageuse 
pour les navires qui sillonnent le Grand-Océan ; 
aussiest-elle très fréquentée par les baleiniers anglois 
ou américains. Les nombreuses tribus qui vivent 
sur ses bords, et qui sont unies par des liens de 
famille, ont senti l'immense avantage qu’elles 
auroient de posséder de la poudre etdes fusils: c’est 
là le prix qu’elles ont mis aux vivres frais qu’elles 
fournissent aux vaisseaux européens qui les visi- 
tent, et le nombre des mousquets qu’elles se sont 
déja procurés leur a permis de faire la guerre avec 
succès aux tribus voisines, et de saccager les hip- 
pahs environnants jusqu’à une assez grande distance, 
De toutes les inventions européennes celle des armes 
à feu leur a paru la conception la plus sublime et la 
plus merveilleuse ; c’est la seule qui ait mérité leur 
approbation. 

Nous n’avons jamais compris le mot sauvage , tel 
qu’il est usité en Europe, pour désigner des peu- 
plesstationnaires dans leur civilisation. Tous ces sau- 
vages ont un culte, quelque grossier qu’il soit, re- 
connoissent des autorités supérieures, ont des idées 
sociales depuis long-temps arrêtées, cultivent les 
beaux-arts, nomment loutes les productions de leur 
sol, eten savent les propriétés. Or comparons ces 
prétendus sauvages avec les gens de nos campagnes ! 
Les Nouveaux-Zélandois ont donc aussi leurs beaux- 
arts : non ceux qui consistent à élever des pyrami- 
des, bâtir des palais , et faire revivre sur la toile les 
plus beaux traits de l’histoire, mais ceux qu’il leur 
est possible de cultiver par tradition au milieu du 
petit nombre des ressources qu’ils possèdent. Ces 
fruits des loisirs, cette culture de Pesprit, ce perfec- 
tionnement moral de la civilisation, sembleroient 
ne pas être compatibles avec les mœurs guerrières 
et l’instinet destructeur de ces peuples; et cepen- 
dant ils sont plus avancés dans le chant, la sculp- 
ture et la pcésie, que dans les arts les plus immé- 
diatement utiles aux premiers besoins de la vie. 

Le chant des Zélandois est grave, monotone, et 
se compose de notes gutturales lentes et entrecou- 
pées; il est toujours accompagné de mouvements 
d’yeux et de gestes mesurés très significatifs. Mais, 
si leur chant n'eut point l'avantage de nous plaire, 
le nôtre n'obtint point leur suffrage : c’est par la 


plus froide indifférence qu'ils aceucillirent nos ro- 
mances les plus en vogue, et les fibres épaisses de 
leurs âmes ne furent point ébranlées par quelques 
uns de ces airs martiaux qui enlèvent et électrisent 
un Européen; cependant si devant ces hommes si 
impassibles leur chant de guerre eût été entonné, 
la rage et la frénésie se fussent emparées d’eux, 
tant il est vrai que dans l'effet produit par la mu- 
sique se mêlent des souvenirs et des idées locales, 
La plupart de leurs chants roulent sur des sujets 
très licencieux, et, soit diten passant, ce goût, qui 
est très prononcé chez tous les hommes, n’a été 
masqué parmi les peuples civilisés que par le fard 
des allusions et des équivoques. Les Zélandois, 
comme les autres Océaniens, n’attachent aucune 
idée de malhonnêteté à nommer les choses par leur 
nom ; et jamais elles ne font naître, comme chez 
nous, ces mouvements tumultueux et désordonnés 
que le frein de la bienséance comprime, sans pour 
cela les détruire, 

Leur danse ou heiva est une pantomime dans 
laquelle les acteurs changent rarement de place, et 
qui se compose de gestes ou de mouvements des 
memtres exécutés avec la plus grande précision. 
Plus ordinairement, en effet, les jeunes guerriers 
se rangent les uns à côté des autres : l’un d'eux 
chante des paroles auxquelles l’ensemble des dan- 
seurs répond per des cris diversement accentués; 
tous exécutent des mouvements rapides de la tête, 
des yeux, desbras, des jambes et particulièrement 
des doigts, que la cadence diige avec une grande 
justesse et que la mesure fait varier. Chaque danse 
a un sens allégorique, et ne s'emploie que dans les 
circonstances qui lui conviennent, pour une décla- 
ration de guerre, un sacrifice humain, des funé- 
railles, etc. Les femmes, appelées par la nature de 
leur sexe à des habitudes plus douces, ont trans- 
porté dans leurs jeux les fonctions qu’elles sont des- 
tinées à remplir dans ce monde. Leur danse consiste 
donc en mouvements désordonnés qu’on ne peut 
décrire, et nous nous bornerons à en signaler une 
consacrée à Ouré ou Phallus. 

Le seul instrument de musique que nous ayons 
vu entre les mains des Zélandois est une flûte ordi- 
nairement en bois, et travaillée avec goût : parfois 
on emploie à sa confection des portions d’os de la 
cuisse, en commémoration de quelque victoire rem- 
portée sur des hommes d’une tribu étrangère. Enfin 
nous observämes que les enfants jouoient avec des 
toupies analogues aux nôtres, en se servant d’un 
fouet pour les faire tourner ; et sans doute que cette 
légère remarque, unie à une plus grande masse de 
faits, ne sera pas un jour sans utilité. 

La langue douce et sonore des Océaniens, très 
musicale, a subi quelques altérations à la Nouvelle- 
Zélande, Les sons , remplis de mollesse et de douceur 


DÉ L'HOMME. 83 


à O-Taïti, ont acquis ici une prononciation plus 
dure ; ce qui est dû à l'introduction de consonnes, 
et surtout des lettres K, H, N, Get W. Les habi- 
tants se sont transmis par la tradition orale un grand 
nombre de poésies d’une haute antiquité, dont ils 
ignorent et l’origine et même le sens allégorique. 
La plus célèbre d’entre elles est la fameuse ode 
funèbre ou piaë, qui commence par ce vers : Papa 
ra te vuati tidi, etc. Comme les Taïtiens, ils peu- 
vent improviser sur toutes sortes de sujets, et leurs 
annales sont des chants dans lesquels ils conservent 
le souvenir desévénements remarquables , les appa- 
ritions des navigateurs sur leurs bords, et les cir- 


constances diverses de leur histoire, ou les faits de - 


leurs guerriers. Leurs femmes , naturellement por- 
tées à l’enjouement, critiquent avecironie dans leurs 
couplets la prononciation peu correcte ou ridicule 
des étrangers, et transforment en épigrammes les 
habitudes qui heurtent leurs préjugés. C’est ainsique 
les jeunes filies qui vivoient avec les matelots de la 
corvette ‘a Coquille, et qui ne retiroient pour salaire 
de leur complaisance qu'une portion des vivres de 
leurs amants, les accabloient de leurs sarcasmes en 
leur chantant des couplets commencant par ces 
mots: Taye ti taro, etc. 

Nous croyons utile, pour donner une idée de la 
tournure d’esprit de ces peuples, de rapporter une 
petite pièce de vers qui a été traduite en anglois par 
M. Kendall, missionnaire, qui a long-temps résidé 
à la Nouvelle-Zélande, et plus capable qu'aucun de 
ses collègues de nous fournir sur la croyance des 
naturels des détails positifs et intéressants. 


W AI AT A (L'ATTACHEMENT ). 
CHANSON, 


Æ taka te e aou ki te tiou marangai, 

Z ouioua mai ai e koinga dou anga, 

T'ai raoua nei ki te puke ki ere atou. 

Æ tata te ouiunga te tai ki a Taoua 

Ki a koe, E-Taoua, ka ouioua ki te tonga 
IVaou à o mai e kahou e turiri 

ÆE tahooué eo mo tokou nei rangi 

Ka tai ki reira akou rangi auraki. 


« J'ai gravi les sommets estarpés des montagnes pour 
êlre témoin de ton départ, à T'aoua! et les vents impé- 
tueux qui soufflent du septentrion, fécond en tempêtes, 
firent une impression profonde sur mon âme inquiète 
de ton sort. La vague mugissante se déroule chaque jour 
sur le rivage, et semble venir du pays éloigné de Slivers, 
tandis que lu vogues au gré des vents, et qu’exilé de La 
patrie tu cours vers les régions où le soleil se lève. Sur 
mes épaules floite comme un doux souvenir le vêtement 
que tu portois, et que tu me laissas comme le gage de 
ton amour. Quel que soit le lieu de la terre où tu diriges 
tes pas, mon attachement l'y suivra à jamais. » 


La sculpture semble être le premier pas versli « 
civilisation, lorsqu'elle n’en est pas le résultat ; et 
comme elle est la représentation matérielle des 
êtres, on la retrouve plus où moins informe chez 
tous les peuples rapprochés de la condition humaine 
primitive. Cet art chez les Zélandois annonce du 
goût et des principes fixes ; car ils reproduisent fré- 
quemment les mêmes dessins, les mêmes formes, 
dans les mêmes proportions. Combien de temps 
devoient exiger les ornements sculptés de leurs pi- 
rogues! Les procédés par lesquels ils sont parvenus 
à polir un jade très dur et le transformer en idole, 
hideuse il est vrai, dénotent d’ailleurs une grande 
habileté, et nous sont inconnus, bien qu’on ne puisse 
pas douter qu’ils ne soient le fruit de la patience et 
du temps. 

La croyance que professent les Zélandois sur la 
Divinité ne nous est point complétement dévoilée : 
autant qu’il est possible d’en juger cependant par 
la variété de leurs dogmes, on doit supposer que 
leur religion est très ancienne, et se compose d’une 
nombreuse suite d'idées très perfectionnées , et qui 
ne se sont corrompues que par l'isolement depuis 
leur séparation de la race dont ils descendent. Les 
Zélandois ont une vieille tradition par laquelle ils 
ont appris que leurs pères partirent d’une très 
grande île pour venir habiter la Nouvelle-Zélande; 
mais le voile qui couvre d’une profonde obseurité 
leur origine et celle des habitudes qu’ils professent 
ne pourroit être déchiré que par les recherches ar- 
dues d’un homme instruit établi dans ces îles, et 
peut-être que le missionnaire Kendall auroit pu 
rendre de grands services sous ce rapport, s’il 
n’avoit pas été absorbé par une pensée dominante, 
et s’il ne rapportoit pas exclusivement la croyance 
des Nouveaux-Zélandois au système trinitaire de 
Pythagore, et les regardant comme une colonie 
d'Egyptiens. 

Nous avons déjà , dans nos généralités sur la race 
océanienne, émis l'opinion que les divers rameaux 
qui lui appartiennent sont nés sur les rivages de 
l'Inde, dans les premiers temps de leur civilisation; 
ce qui corrobore notre manière de voir est la figure 
de jade qu’ils portent suspendue au cou; les cercles 
conservés dans leurs sculptures et qui rappellent 
le serpent Calingam; le lingam qui paroît jouer un 
grand rôle dans leur mythologie; enfin une grande 
partie de leurs idées appartient au sabéisme, et dé- 
coule des anciennes traditions mystiques des Brach- 
manes. 

Les dieux principaux de la Nouvelle-Zélande 
sont : Dieu le père, Dieu le fils, et Dieu l'oiseau où 
l'esprit. Dieu le père est le plus puissant, et se 
nomme Nui Alua, le maitre du monde. Tous Îles 
autres lui sont subordonnés; mais chaque naturel a 
son Atua, espèce de divinité secondaire qui répond 


84 HISTOIRE NATURELLE 


assez exactement à l’ange gardien des croyances 
chrétiennes. Les prêtres se nomment arikis et par- 
fois on les désigne par les noms de tané tohonga, 
ou hommes savants ; et leurs femmes, qui remplis- 
sent les fonctions de prêtresses, sont les wahiné 
ariki ou wahiné taïonga, ou savantes femmes. 
Chaque hippah possède une cabane, plus grande 
que celle des habitants, qui se nomme waré Aiuu, 
ou maison de Dieu, destinée à recevoir la nourri- 
ture sacrée, a o kai tou, et dans laquelle on fait des 
prières, karakia. 

Les cérémonies religieuses sont ordinairement 
accomplies par les arikis, dont la voix implore hau- 
tement et en public la protection d’Atua. Hs ont la 
plus ferme croyance aux songes, qu’ils pensent leur 
être envoyés par la Divinité; et toutes les affaires 
se décident par les prêtres, seuls chargés d’inter- 
préter les volontés célestes. Les diverses tribus, 
dans leurs guerres continuelles, n’en viennent ja- 
mais à des hostilités sans avoir interrogé oui-doua, 
ou l’esprit saint, par une solennité nommée karakia- 
tanga. Is semblent consacrer par des cérémonies 
religieuses les époques les plus marquantes de la 
vie : c’est ainsi qu’à la naissance des enfants les pa- 
rents se réunissent pour faire de cette circonstance 
une fête de famille, dans laquelle ils prononcent 
des sentences et tächent de pronostiquer un heu- 
reux horoscope. M. Kendail croit trouver dans 
cette cérémonie, nommée toinga, le baptême des 
chrétiens, et il va même jusqu’à dire qu’on asperge 
les enfants avec une eau sacrée ouaï tapu. ou ouai 
tot, ou eau baptismale. Leur mariage recoit aussi 
une sorte de sanction religieuse, et leur mort est 
entourée de prières funèbres. Il n’y a pas jusqu’à 
leurs festins sacrés de chair humaine que Kendall 
pe pense être l’imitation, bien corrompue il est vrai, 
de la communion sous les deux espèces. Mais nous 
bornerons là nos citations, de peur de nous égarer 
dans l'indication de faits qui nous sont trop im- 
parfaitement connus. 

Les Zélandois ont les plus grands traits de res- 
semblance avec les Spartiates : ils sont indifférents 
pour la vie, et bravent la mort avec courage, et on 
doit dire avec grandeur. Toutes leurs pensées sont 
tournées vers les combats; c’est le plaisir de toute 
leur vie : aussi dès le jeune âge ne manque-t-on 
point d’enflammer l'imagination des enfants par le 
récit des exploits de leurs parents ou de leurs 
amis, et de faire naître dans leur cœur cette soif 
inextinguible de hasards et de périls. De bonne 
heure un petit garcon sait apprécier sa propre di- 
gnité ; il sait qu'aucune femme n’a le droit de porter 
la main sur lui: qu'il peut frapper sa mère sans 
que celle-ci ose s’en plaindre; qu’il peut préluder, 
en maltraitant ses esclaves, à l’épouvante qu’il doit 
porter au jour du combat au milieu des tribus voi- 


sines. Une chose bizarre cependant e’est qu’un en- 
fant est d'autant plus illustre que le rang de sa mère 
est plus élevé, car c’est d’elle qu’il tire toute sa 
noblesse. Ce sont toujours des vieillards estimés par 
leur savoir, ou des arikis, ou des prêtres, qui pré- 
sident à l'éducation des fils des chefs ; ce sont eux 
qui les initient dans les secrets de leur théologie. 
Semblables aux anciens scaldes du Nord, leurs 
leçons, renfermées dans des sortes de stances ca- 
dencées, roulent sur les exploits des guerriers, sur 
le nombre de leurs victimes, sur le bonheur dont 
elles jouissent dans l’ata-mira ou paradis céleste. 
Vers douze ans ces jeunes adeptes assistent aux as- 
semblées des chefs et écoutent leurs délibérations ; 
leur caractère en prend des habitudes méditatives 
et réfléchies ; ils sont avides de s’illustrer par quel- 
ques exploits. Nous avons été fort souvent étonné 
de voir de jeunes garçons monter à bord, parcourir 
le navire en tous sens au milieu des matelots, sans 
montrer ni timidité ni surprise; leur démarche avoit 
déjà de l’assurance. A l’âge de dix-huit ou vingt ans 
ils font partie de la tribu des guerriers; ils bâtissent 
alors une cabane à côté de celle de leur père; ils se 
marient, et l'autorité paternelle cesse. 

Les mariages se font par achat ; le futur doit faire 
des présents à la famille de la fiancée. La plupart 
des naturels, surtout ceux du commun, n’ont qu’une 
femme ; mais il paroît que la polygamie est permise 
aux rangatira, car le fameux Songhi a plusieurs 
épouses. Toui, chef de l’hippah près duquel la cor- 
vette la Coquille étoit mouillée, avoit acheté la 
sienne, quoiqu’elle appartint à une famille distin- 
guée, deux mousquets et un esclave mâle; en retour 
on lui donna son épouse et un certain nombre de 
nattes faites en lin de la Nouvelle-Zélande, et aussi 
troisesclaves femelles destinées d’après le haut rang 
de la femme à la servir dans tous ses besoins. Les 
habitants de la classe commune font des présents de 
moindre valeur; aussi n’ont-ils communément 
qu'une seule épouse. L’adultère est sévèrement 
puni lorsqu'il n’est point le résultat du consente- 
ment du mari; il est vrai qu’on peut acheter celui- 
ci par des présents. Quant aux filles, elles sont 
maîtresses de leurs personnes , et libres de faire au- 
tant d’heureux qu’il leur plait. Les jeunes filles es- 
claves, au contraire, sont vouées par leurs proprié- 
taires à la prostitution; et les chefs eux-mêmes ne 
dédaignent point de les envoyer à bord des navires 
européens, à pleines pirogues, et de tendre la main 
pour réclamer un salaire d’un genre de commerce 
que nos babitudes sont loin de nous faire trouver 
honorable. L’ariki consacre les mariages par une 
sorte de cérémonie religieuse. Les missionnaires 
protestants qui sont à la Nouvelle-Zélande nous 
dirent même qu’au moment de la naissance d’un 


| enfant on pratique une sorte de baptême. Quoique 


DE L'HOMME. 85 


la femme ne soit aux yeux de ces belliqueux insu- 
laires qu’une créature d’une ordre secondaire et 
destinée à la conservation de l’espèce , ils la con- 
sultent cependant dans toutes les circonstances 
graves; et l'épouse d’un ariki, semblable à une 
druidesse de l’ancien temps, partage le pouvoir sa- 
cerdotal de son époux. 

Nous ne parlerons point de la légèreté avec la- 
quelle ces peuples traitent ce que nous nommons 
pudeur ; cette vertu est seulement le résultat de la 
civilisation, et le tableau que nous pourrions tracer 
des mœurs encore brutes de l’homme dans sa pri- 
mitive nature seroit souvent fort plaisant sans doute, 
mais il effaroucheroit aussi les esprits les moins 
difficiles. Les Zélandois et tous les insulaires de la 
mer du Sud, ainsi que les documents historiques 
des peuples anciens et modernes, nous ont confirmé 
dans cette pensée, que l’homme, animal par son 
organisation, est soumis à l'empire des besoins phy- 
siques que l'intelligence ne peut pas toujours régler 
ni modérer. Sous ce rapport les Zélandois sont d’une 
salacité qui étonne. 

L'amitié que se portent les naturels d’une même 
tribu entre eux est très vive, et nous fûmes souvent 
spectateurs de la manière dont ils se la témoignent. 
C’est ainsi, par exemple, que lorsque l’un d’eux 
venoit à bord et qu’il y rencontroit un ami qu'il 
n'avoit pas vu depuis quelque temps, il s’approchoit 
de lui dans un morne silence, appliquoit le bout 
de son nez sur le sien, et restoit ainsi pendant une 
demi-heure en marmottant d’un ton lugubre entre 
ses dents des paroles confuses ; ils se séparoïent en- 
suite, et agissoient le reste du temps comme deux 
hommes complétement étrangers l’un à l’autre. Les 
femmes observoient le même cérémonial entre elles; 
et l’on avoucra que eette salutation nasale, qui se 
nomme ongi, est une singulière politesse; mais ce 
qui nous étonnoit encore plus c’est l'indifférence que 
les naturels témoignent pour ceux qui, au milieu 
d’eux, se donnent ainsi des marques d'amitié. Il est 
assez remarquable de voir les peuples asiatiques 
conserver dans toutes les circonstances de leur vie, 
et porter jusqu’au sein de leurs plaisirs, cet air 
calme et solennel qui convient si bien à la dignité 
de l'homme. 

Siles Zélandois montrent par leurs émotions qu’ils 
sont sensibles aux passions douces, l’histoire de leur 
vie entière prouve , d’un autre côté, que nul peuple 
ne conserve el ne nourrit plus long-temps le désir 
de punir une insulte. Un Zélandois semble avoir 
pour seule maxime que le temps ne peut effacer 
aucune offense, mais bien la vengeance seule. De 
ce principe vicieux , dont chaque naturel est imbu, 
et qui fait la règle de conduite politique des familles, 
résultent ces haines éternelles et les guerres perpé- 
tuelles qui désolent ces îles. La perte des parents ou 


des chefs distingués est vivement sentie par toute 
une tribu : les habitants en deuil se livrent à une 
cérémonie lugubre qui dure plusieurs jours; et lors- 
que le rang du défunt est élevé, on sacrifie toujours 
des captifs destinés à le servir dans l’autre monde. 
Les femmes, les filles, et les esclaves femelles, se 
déchirent le sein, les bras et la figure, en se sillon- 
nant la peau avec une dent tranchante de chien de 
mer, et celle-ci est toujours sacrée et pendue à 
l'oreille ; plus le sang ruisselle de leurs corps, plus 
cette ofrande doit être agréable au défunt ; de temps 
à autre et à époque fixe, elles renouvellent ces 
marques de douleur. Lorsque nous demandions 
l'explication de cet usage aux jeunes filles, elles se 
bornoient à répondre: « Atoua veut que nous 
pleurions. » Ces peuples professent pour les morts 
le respect le plus religieux , ils les embaument avec 
un art qui n’est imité nulle part, et qui est bien su- 
périeur à celui qu’on employoit pour conserver les 
momies. Ils les enterrent d’ordinaire dans les tom- 
beaux que chaque famille se réserve, ou quelque- 
fois, pour les gens du commun, ils font ce qui s’ap- 
pelle t'{ere et iwata-atu,, et placent le cadavre dans 
une pirogue qu’ils lancent en pleine mer. 

Chaque tribu de Zélandois forme uue sorte de ré- 
publique, et chaque individu est indépendant de 
tout autre homme. Les districts sontrégis par un chef 
direct, dont le titre n’est reconnu qu’à la guerre. 
Dans son village il n’a aucun pouvoir particulier, ni 
aucun ordre à donner à l’insulaire le plus vulgaire ; 
seulement il ne fait rien, et il a le droit de recevoir 
en nature une dime sur les provisions des autres fa- 
milles; mais il n’a au reste que les esclaves qu'il 
fait lui-même à la guerre; et n’a d'autre prérogative 
que le tatouage qui dénote son rang, et que per- 
sonne ne peut porter, On re lui témoigne aucun 
égard, aucune marque particulière de respect, lors< 
qu'il arrive au milicu des guerriers. Les enfants 
d’un chef ne lui succèdent pas à sa mort; ce sont ses 
frères dans l’ordre de leur naissance. Crdinairement 
on nomme chef celui qui possède la réputation la 
plus étendue de bravoure, d’intrépidité et de pru- 
dence. A l’armée, ses avis prévalent sur la manière 
d'attaquer. El n’a pour faire la guerre et pour assem- 
bler ses guerriers d'autre moyen que la honte qui 
s'attache à ceux qui refusent de le suivre au combat; 
rarement, lorsqu'il projette une invasion, arrive-t-il 
que l'avis qu’il donne de son expédition et des mo- 
üifs qui l'y déterminent ne soit pas suflisant pour 
réunir lès combattants. Lorsque Atoua (Dieu) de- 
mande la guerre, il n’y a jamais de partage dans 
les opinions. Les chefs de chaque tribu forment un 
conseil auquel sontadmis les prêtres et même les 
simples combattants qui jouissent d’une réputation 
acquise dans les combats Ce sont les corps des chefs 
tués, dont on conserve la tête comme un étendard , 


86 


qui servent d’holocauste dans les sacrifices. Leurs 
femmes sont remises à l'ennemi pour subir le même 
sort, ou se dévouent elles:mèmes. A leur mort na- 
turelle on égorge sur leurs tombeaux des victimes 
humaincs. 

La coutume la plus atroce que nous ayons à si- 
gualer est l’anthropophagie, que nul peuple n’exerce 
ni si ouvertement ni d’une manière si révoltante que 
les Nouveaux-Zélandois. Avides de vengeance et de 
carnage, ces hommes féroces savourent avec une 
vive satisfaction la chair palpitante des ennemis tom- 
bés sous leurs coups. Par suite de ces abominables 
coutumes ils ont pris goût à la chair humaine, et 
ils regardent comme des jours heureux et des fêtes 
solennelles les circonstances dans lesquelles ils peu- 
vent s'en rassasier. Un chef de lhippah de Kaouri, 
sur l'ile Ou-ïlotou-4rohia, nous exprimoit même 
toute la satisfaction qu’il éprouvoit à manger un ca- 
davre ; il nous indiquoit le cerveau comme le morceau 
le plus délicat, et la fesse comme le plus substantiel : 
mais nous voyant faire des signes d'horreur, il se re- 
prit pour affirmer que jamais ils ne mangcoient des 
Européens ( Patek 1), mais bien les méchants hom- 
me; de la rivière Tamise et de la Baie-Mercure. Il 
nous disoit d’un air presque caressant que les Euro- 
péens étoient leurs pères, puisqu'ils leur fournis- 
soient de la poudre pour tuer leurs ennemis. Les 
cadavres des naturels morts sur le champ de bataille 
sont toujours dévorés; mais on n’est pas certain s'ils 
ne mangent pas la chair des esclaves qu'ils sacrifient 
en diverses circonstances. 

Il semble que ces habitudes d’une férocité sans 
exemple règnent de toute ancienneté parmi ces peu- 
ples qui ne respirent que la guerre, et qu’elles for- 
ment une sorte de code qu’on ne peut transgresser 
sans violer les lois de l'honneur. La guerre occupe 
presque tous les instants de leur vie : le plus léger 
prétexte suîit pour la faire déclarer; mais le plus 
léger revers ou une simple satisfaction peut engager 
les ennemis à se retirer. Les querclles durent pen- 
dant une longue suite d’années, et la génération pré- 
sente fait souvent une invasion pour venger la défaite 
de ses pères. On les a vus se battre, dans quelques 
districts, pour des affaires qui s’éloient passées depuis 
plus de soixante ans. Leur rancune est concentrée : 
chaque jour, loin de leur inspirer l'oubli de l’injure, 
ne fait que nourrir la soif de la vengeance, qui ne 
peut être satisfaite que par le sang de l’agresseur. 

Leurs guerres sont le résultat de l’animosité, et 
ont pour but le pillage et le désir de se procurer une 
nourriture dont leur estomac est avide. Ils fondent 
alors sur leurs ennemis en plus grand nombre pos- 
sible, et âchent de les surprendre et de les tailler 
en pièces. Parfois ils s’envoient un défi qui doit se 
vider dans un lieu spécifié. Le combat n’est jamais 
entamé avant que les «rikis aient fait des prières et 


HISTOIRE NATURELLE 


. des offrandes à leurs dieux, et aient obtenu leur ap- 


probation. Pour les rendre favorables ils sacrifient 
alors quelques esclaves : lorsque ces formalités sont 
remplies, les combattants entonnent le chant de 
guerre, tirent la langue en signe de défi et de mé- 
pris, poussent de grands cris, el se chargent avec 
fureur. Il est rare que la mêlée soit longue; et à la 
première fusillade, lorsqu'un bon nombre d’hommes 
est tué, les vaincus se retirent; ou si le combat se 
pousse avec plus de vigueur et d’acharnement, les 
combattants s’attaquent corps à corps, et le nombre 
des tués est plus considérable. 

Le parti victorieux chante son triomphe sur le 
champ de bataille, et l’on prépare alors les sacrifices 
épouvantables que l’on doit offrir à de dégoûtantes 
divinités. Les corps des chefs sont préparés ; et lors- 
que les «ri à et les dieux ont pris leur part, la tête 
reste au vainqueur, qui la conserve comme un tro- 
phée de sa victoire. Les chairs sont mangées, et les 
os distribués pour en faire des instruments. Si les 
ennemis ont tellement disputé le terrain qu'ils aient 
pu enlever les cadavres de leurs morts en se retirant 
et celui de leur chef, ils sont tenus de les restituer, 
ou ils sont attaqués immédiatement. Si leur défaite 
les a intimidés, elle les porte à les rendre, ainsi que 
la femme ct les enfants du chef; la première est tuée 
et mangée, et les enfants massacrés ou réduits en 
esclavage. Presque toutes les femmes des chefs, lors- 
que leurs époux ont succombé, croient devoir à leurs 
mânes le sacrifice de leur vie, et se rendent elles- 
mêmes aux ennemis, sûres de n'avoir aucune grâce : 
exemple de fanatisme qui se rapproche des coutumes 
indiennes. 

Pendant ce temps les guerriers vulgaires gisant 
sur Je sol sont scalpés avec le patou-patou, coupés 
en morceaux rôtis, et dévorés. Leurs têtes, lors- 
qu’ils ont quelque réputation, sont préparées et ven- 
dues aux Européens pour de la poudre. Les tribus 
séjournent sur le champ de carnage tant qu’elles ont 
de la chair humaine. Cette nourriture, que les na- 
turels regardent comme propre à leur transmettre 
le courage de celui qui a été tué, répare physique- 
ment leurs forces épuisées par la fatigue et les pri- 
vations. Tant que durent ces horribles festins, les 
ouerriers se livrent à la joie la plus épouvantable; 
et pour n'être pas les seuls à se réjouir de la victoire, 
ils envoient à leurs familles des pièces du banquet : 
mais lorsque l'éloignement ne permet pas qu’elles 
parviennent sans être corrompues, ils les touchent 
avee un bâton sacré qu'ils envoient à leurs amis pour 
qu’ils touchent aussi avec ce bâton des racines ou du 
poisson; ils pensent, par ce moyen, leur transmettre 
la propriété et la saveur de la chair humaine. 

Parfois ces peuples font des prisonniers qu’ils con- 
servent pour les réduire à la plus dure servitude. Ce 
sont eux qui vont à la pêche, cultivent les patates, 


DE L'HOMME. . 


arrachent les racines de fougère. Leur vie n’est ja- 
mais assurée; ils sont massacrés à la première vo- 
lonté de leurs maîtres, et ils servent le plus ordi- 
nairement de victimes lorsque leurs possesseurs 
viennent à mourir. Trois furent tués à la mort de 
Korokoro, et sept le seront à celle de Songhi. La 
fille de ce dernier chef, dont le mari fut tué dans 
une affaire, s’en vengea en s’aidant de son frère pour 
massacrer vingt-trois prisonniers pendant leur som- 
meil. Lors de notre séjour un guerrier sanguinaire 
nous montroit plusieurs prisonniers qu’il avoit faits 
de sa propre main, et nous engageoit avec force à 
accepter un jeune homme fort et robuste pour le- 
quel il ne demandoit qu’un mousquet. Les navires 
anglois qui ont besoin de matelots obtiennent sou- 
vent un certain nombre d'esclaves pour de la poudre 
et des fusils. 

La tête d’un chef sert en quelque sorte d’étendard 
à sa tribu. Autant le parti vainqueur s’enorgueillit 
de la posséder, autant les vaincus, et surtout sa fa- 
mille, s’en attristent. Elle est préparée, puis conser- 
vée avec soin; et lorsque la tribu victorieuse désire 
la paix, elle envoie la tête du chef devant la tribu à 
laqueile il commandoit. Si à sa vue celle ci pousse 
de grands cris, elle témoigne par là qu’elle désire 
entrer en accommodement et accepter les condi- 
tions ; si au contraire elle la regarde d’un œil morne 
et dans un profond silence, c’est qu’elle cherche à 
venger sa mort, que tout accommodement lui dé- 
plaît, qu’elle veut enfin continuer les hostilités : alors 
le combat recommence. C’est toutefois une grande 
consolation pour les vaincus de savoir que les vain- 
queurs conservent les têtes des guerriers tués; ils 
espèrent les posséder un jour. Lorsqu’elles leur sont 
rendues, ils les conservent religieusement et les 
vénérent; mais depuis qu’elles sont d’un bon débit 
pour les Européens, il en est peu qui ne soient pas 
vendues. 

Toui nous montroit la tête d’un chef de la rivière 
Tamise, qu’il conservoit afin de la remettre à son fils. 

Ces peuples professent la plus profonde indiffé- 
rence pour Ja mort; ils la bravent avec un sang-froid 
étonnant ; et jamais aucun d'eux n’a peut-être réflé- 
chi qu'un jour on le traiteroit comme il traite son 
semblable : une fois échauffés par les idées de car- 
nage , ils sont plus féroces que les tigres des déserts 
de l’Afrique; ils n’ont qu’un but, qu’une pensée, 
celle de punir leur ennemi, et leur unique regret 
est de ne pouvoir le dévorer en jouissant de ses tour- 
ments et de ses cris. 

La coutume de conserver les têtes n’est pas uni- 
quement propre aux Zélandois ; on la trouve à Céram 
et à Bornéo ; seulement ils emploient un moyen de 
conservation dont les procédés extrémement simples 
ne paroissent être exécutés nulle part ailleurs. Els 
nomment moko-mofai cet embaumement, et don- 


nent même divers noms à Ja fumée qui sort par les 
narines , les yeux et les oreilles dans la préparation. 
Pour conserver une tête, ils la coupent à la partie 
supérieure du cou; ils brisent alors la partie occi- 
pitale correspondante en formant un Jarge cercle. 
Ils enlèvent également les portions osseuses inter- 
nes, telles que celles qui composent la voûte orbi- 
taire , les voûtes nasale et palatiale ; enfin ils ne con- 
servent des os queles parties extérieures qui doivent 
soutenir les téguments de la face ; ils arrachent toutes 
les chairs et les membranes intérieures, surtout le 
cerveau et ses annexes. Lorsque l’intérieur est par- 
faitement nettoyé, ils cousent les paupières ou les 
ferment avec une espèce de gomme; ils placent du 
chanvre dans les nerines, et entourent l'ouverture 
inférieure d’un rebord en étoffe ou en bois. Ils sou- 
mettent alors cette tête, dans un endroit bien abrité, 
a l’action constante de la fumée et d’une chaleur lente 
qui en dessèche successivement et peu à peu les té- 
guments. Lorsqu'elle est parvenue au point de des- 
siccalion voulue , ils l’oignent d’huile, et la serrent 
dans les lieux les plus secs de leur cabane, en ayant 
soin de lexposer de temps à autre, de peur qu’elle 
ne contrécte de l'humidité. Les têtes ainsi préparées 
sont d'autant plus recherchées que leurs chevelures 
sont plus longues, le tatouage plus pcrfectionné, et 
qu’elles appartiennentà desguerriers de plus grande 
reputation. Els les conserventavec moins de religion 
depuis que les Européens les achètent ; et il arrive 
souvent que des esclaves sont sacriliés dans l’inten- 
tion de vendre leurs têtes. 

La pitié, comme le dit judicieusement un auteur 
françois, semble être un sentiment qui n’a jamais 
d’accès dans le cœur des Zélandois : tout étranger que 
la tempête jette sur leur côtes, ou que lacuriosité y 
attire, est dévoué à une mort cruelle. Ceux de la 
partie nord sont les seuls qui souffrent volontiers 
parmi eux le séjour des Européens, dout ils ant 
besoin ; mais les habitants de la partie sud se sont 
montrés intraitables. Tous les voyageurs qui navi- 
guèrent sur ces côtes furent l’objet des dispositions 
hostiles de ces sauvages insulaires, traitres, perli- 
des, qui semblent n'avoir pour droit que la force et 
la violence. 

Fasman, en 1642, perdit quatre lommes, et 
nomma buie des Assa:sins l'endroit où il mouilla. 
Surville, en 1762, fut attaqué et obligé de recou- 
rir à la supériorité de ses mojens de défense. Le 
capitaine Furneaux, avec L'Aventure, perdit neuf 
hommes dans le détroit de Cook. Cook lui-même fut 
constamment en butte aux insultes et aux menaces 
d’extermination que lui firent les naturels ; et par 
une modération opposée à la violence de son carac- 
tère , il se borna à leur faire sentir la supériorité de 
ses forces, et ne fit point couper les oreilles des pri- 
sonniers, comme il le fit pour les naturels des iles 


88 


de la Société. Cook visita ces îles en 1769 et 1770. 
Le capitaine Marion séjourna à la baie des Iles, que 
les François appellent baie Marion, vers 4772; on 
sait qu'il y fut égorgé avec vingt-neuf hommes de 
son équipage. Depuis cette époque un grand nom- 
bre de navires baleiniers furent enlevés, et leurs 
équipages massacrés ; la liste des Européens dévo- 
rés par ces cannibales formeroit un long martyrologe. 
Parmi les événements les plus remarquables de ce 
genre, nous ne mentionnerons que l’enlèvement, 
en 18:16, du Boyd, commandé par le capitaine 
Tompson, et celui des bâtiments du capitaine 
Howel, que nous vimes à Port-Jackson, et qui nous 
en rapporta lui-même les détails. Ce marin, qüi 
commandoit le brick Le Trial et la goëlette l4 
Féticité, mouilla, le 50 novembre 1815, dans la 
rivière Famise : les naturels profitèrent de quelque 
négligence des matelots chargés de surveiller leurs 
mouvements; ils firent main-basse sur les hommes 
qui étoient sur le pont, coupérent les câbles, et 
jetèrent les navires à la côle; mais ce qui sauva 
l'équipage retiré dans le faux pont, ce fat la précau- 
tion qu’on avoit eue de placer les fusils dans cette 
partie du navire. Par les panneaux les matelots pou- 
voient ajuster paisiblement tous les naturels qui s’y 
présentoient , et les fusilloient sans crainte de man- 
quer leurs coups; ils balayèrent ainsi les gaillards 
du brick, et repoussèrent les naturels sur lavant, 
où un feu bien nourri força ceux qui échappèrent à 
cette décharge de se précipiter à la mer. 

Des philanthropes plus ou moins éclairés ont lon- 
guement disserté sur les moyens de détruire lan- 
thropophagie ; la plupart ont nié cette abominable 
coutume , et regardant cette aberration comme une 
fiction inventée par les voyageurs , ils ont cru qu’on 
avoit calomnié l’espèce humaine ; nous ne cherche- 
rons point à réfuter ces idées spéculatives , résultat 
des rêves d'hommes paisibles et heureux au sein de 
leurs foyers qu’ils n’ont jamais perdus de vue. On 
rapporte qu’un gentilhomme écossois, que le désir 
de civiliser les Nouveaux-Zélandois enflammoit, 
s’embarqua, en 1782, avec soixante paysans et tous 
les objets indispensables pour cultiver la terre; son 
projet étoit de s'établir sur les bords de la rivière 
Tamise, ou dans la Baie-Mercure, et d’y apprendre 
aux naturels à défricher leur sol; mais on n’en a 
jamais eu de nouvelles depuis. 

Les idées que les Nouveaux-Zélandois professent 
relativement à la médecine ne nous ont pas paru 
étendues; cependant leurs habitudes belligérantes 
auroient dû leur faire sentir la nécessité d'appliquer 
des remèdes aux larges blessures qui résultent des 
coups de leurs patou-palous. Sans doute qu’il faut 
attribuer à leur coutume d’achever les blessés et de 
manger les vaincus le peu de cicatrices que présen- 
tent les guerriers. Dans les maladies internes qui 


HISTOIRE NATURELLE 


les assaillent dans leurs hippahs, ils ont recours à 
une diète sévère et boivent des sucs de plantes qu’ils 
appellent rongoa ou confortantes ; dans les cas déses- 
pérés, ils placent leur unique espoir dans les’prières 
des arikis, quoiqu'ils aient quelques uns de leurs 
compatriotes chargés de préparer des remèdes et 


- qu’ils décorent du nom de tängata-rongoa. Leurs 


maladies ou mate les plus ordinaires sont l’éléphan- 
tiasis, le phthisie pulmonaire, et les catarrhes sous 
toutes les formes. Lorsque les membres sont frac- 
turés, ils en maintiennent les extrémités en rapport 
par le moyen d’attelles faites d’écorces d’arbre, et 
deux fois par jour ils font parvenir sur le membre 
des vapeurs aqueuses chargées de principes herbacés 
en jetant sur des charbons allumés des feuilles im- 
bibées d’eau. Les enfants présentent souvent des 
hernies de l’ombilic, et les vieillards sont fréquem- 
ment atteints d’ophthalmie, de crampes ou héhé, et 
de la gravelle ou kiddi-hiddi. Les plaies se nomment 
ope ngu rara, la grossesse apou, tandis que la santé 
ou cet heureux état du juste équilibre de toutes les 
fonctions de la vie est ce qu’ils appellent ora. Le 
tatouage occasionne à ceux qui se font piquer dans 
la peau les larges dessins dont ils sont si jaloux des 
accès de fièvre qui durent plusieurs jours, et aux- 
quels succèdent une abondante suppuration et des 
croûtes épaisses et longues à se détacher. Ce n’est 


jamais sans danger et sans des douleurs atroces que 


le tatouage sillonne les parties nerveuses et délicates, 
telles que l’angle de l'œil, les paupières, les tissus 
subjacents aux glandes pzrotides. Ce n’est donc que 
par parties et plusieurs fois dans l’année que les 
guerriers zélandois supportent l’opération du ta- 
touage; aussi la regardent-ils comme une preuve de 
courage et de fermeté, tandis qu’ils méprisent comme 
des efféminés ceux qui n’osent s’y soumettre. 
Pendant la relâche de la corvette la Coquiile à la 
baie des Eles, il se présenta un cas analogue à celui 
que la plupart des ouvrages de médecine rapportent, 
relatif à une fille qu’un grand nombre d’étudiants 
ne purent déflorer. Une ieune Zélandoise soutint à 
bord pendant trois jours les efforts successifs de tous 
les gens de l'équipage sans qu'aucun d’eux pût en- 
lever le trésor que tous se piquoient de conquérir. 
Une épaisse membrane de nature cartilagineuse 
percée d’un trou presque imperceptible fermoit so- 
lidement le canal utéro-vaginal. 4 
Une maladie dont les ravages n’ont point encore 
trouvé de digue est la syphilis que Cook y introduisit 
en 1769 et en 1770. Les naturels pour se garantir de 
ses atteintes s'opposent énergiquement à ce que leurs 
femmes aient des communications trop faciles avec 
les navires européens, tandis qu'ils forcent les filles 
enlevées aux tribus voisines par les malheurs de la 
guerre à se prostiluer sans s'inquiéter des souvenirs 
cuisants que leur obéissance fait naître. Par principes 


DÉ L'HOMME. 89 


religieux comme par fierté, ils ne cohabitent jamais 
avec ces esclaves. Cette maladie est sans cesse re- 
nouvelée maintenant par les communications avec le 
Port-Jackson d’où elle est importée en droite ligne. 


$ VIIT. DES ROTOUMAIENS. 


La petite île de Rotouma est située par douze de- 
grés de latitude sud, et cent soixante-quatorze de 
longitude orientale ; elle s'élève comme un cône so- 
litaire, an milieu d’un espace de mer libre, à une 
assez grande distance des archipels des Amis et des 
Fidjis d’une part, et des Nouvelles-Hébrides et de 
la terre de Salomon de l’autre. 

Les habitants de Rotouma appartiennent à la race 
océanienne ; mais on voit déjà, par leurs communi- 
cations avec les habitants des Fidjis, qu’il s’est glissé 
dans leurs usages des coutumes que leur ont trans- 
mises les races nègres. Ces hommes sont bien faits 
et d’une taille avantageuse. Leur physionomie est 
douce, prévenante, remplie de gaieté ; leurs traits 
sont dessinés avec régularité, et la teinte de leur 
peau est claire. Ils porient leur chevelure, qui est 
très longue, relevée en touffe sur le sommet de la 
tête; et lorsqu'ils la laissent tomber flottante sur 
leurs épaules, c’est chez eux l’expression du respect 
et d’une profonde soumission. Ils ont la plus grande 
ressemblance avec les O-Taïtiens, malgré l'immense 
intervalle de mer qui les en sépare. Leurs yeux sont 
grands, noirs et pleins de feu; leur nez est légère- 
ment épaté; deux rangées de dents très blanches 
embellissent la bouche. Ils se coupent la barbe avec 
des coquilles, en ne conservant sur le rebord de la 
lèvre supérieure qu’une ligne de poils destinée à 
former une sorte de moustache comme chez les 
O-Taïtiens ; ils placent dans les trous des oreilles 
des feuilles ou des fleurs odorantes. Leurs membres 
sont gracieusement proportionnés, et plus d’un des 
jeunes gens que nous vimes auroit pu servir de mo- 
dèle à un statuaire. Placés sous une température 
chaude, ils se baignent fréquemment ; aussi ont-ils 
la peau douce, nette et lisse. La plupart des habi- 
tants sont entièreme us, si l’on en excepte une 
étroite bandeleite destinée à soutenir plutôt qu’à ca- 
cher les parties génitales, quoique cependant les 
chefs s’entourent les reins d’en pagne qui tombe jus- 
qu'à moitié des cuisses. Quelques uns $e coiffent 
ayec des morceaux de filets, ou maintiennent leurs 
cheveux dans un réseau fait avec des folioles de co- 
cotier nommé ischao, absolument de la même ma- 
nière qu’à O-Taïti. Dans les grandes cérémonies, ou 
pour paroître devant des étrangers avec tous leurs 
avantages , ils sont dans l'habitude de se peindre la 
surface entière du corps de jaune orangé très vif, 

1, 


en se servant pour cela d’une poudre obtenue de la 


racine de curcuma , délayée dans de l’huile de coco. 


Or, comme ils sont très démonstratifs, leur voisi- 
nage devient fort incommode lorsqu’ils sont ainsi 
parés. Nous ne vimes point leurs femmes, qu’on 
nous dit fort jolies, parce qu’on n’envoya pas d’em- 
barcation dans leur île, quoique nous restämes de- 
vant à une foible distance un jour entier. Comme 
tous les Océaniens, ces naturels sont fort peu jaloux. 
Ils nous pressoient d’aller coucher à leur village, à 
Rotouma-Lili ou la Bonne. ainsi qu'ils désignent 
leur patrie, en prononçant lentement ces deux mots 
d’une voix douce et même féminine. La froideur ap- 
parente des gens de l’équipage les étonna ; mais les 
propositions de ces bons insulaires étoient faites avec 
une naïveté si étrange que le visage le plus austère 
n’auroit pu retenir un sourire aux explications mi- 
miques que leur ingénuité nous donnoit. 

Les deux sexes s’épilent avec le plus grand soin, 
et ne conservent même point les poils des aisselles. 
Le grand nombre de naturels qui couvroient le pont 
de la corvette la Coquille montroient le dégoût le 
plus prononcé à l’aspect des poitrines velues de nos 
matelots. Deux de ces insulaires que nous exami- 
nèmes étoient circoncis. 

Une valve d’huître à perles, nommée tifa, est l’or- 
nement le plus ordinaire que les hommes portent 
suspendu au cou; quelques uns le remplacent par des 
chapelets de coquilles, ou par des colliers faits avec 
des natices : parfois des écailles d’huître à perles, ou 
des ovules de léda, qu’ils nomment pouré, recou- 
vrent leurs fronts. Mais leur goût affectionne sin- 
gulièrement l’ivoire des dents de cachalot; et cette 
matière, dont ils composent leurs bijoux les plus pré- 
cieux, jouit dans leur esprit d’une haute réputation. 

Leurs vêtements consistent en étoffes très fines ; 
ils les fabriquent, ainsi que les Sandwichiens et les 
O-Taïtiens, avec les écorces internes des müriers à 
papier et des arbres à pain, qu’ils teignent parfois 
en rouge marron très solide. Les pagnes des femmes 
sont remarquables par une plus grande finesse, et 
se composent de filaments soyeux. Certains hommes 
se serrent le ventre avec des cordes teintes en noir, 
et faites avec le aire de la noix de coco. [ls appor- 
tent les plus grands soins dans la fabrication de leurs 
pattes , et toutes celles que nous vimes entre leurs 
mains étoient bien supérieures à ces mêmes objets 
tressés par les O-Taïtiens. Ces nattes sont faites avec 
le chaume d’une graminée souple et tenace; leurs 
dimensions sont considérables. 

Parmi le grand nombre de naturels qui vinrent 
nous visiter à bord de la corvette la Coquille nous 
en remarquâmes deux, plus blanes que le reste des 
insulaires, ayant leur chevelure rasée, excepté sur 
le sommet de la tête, d’où partoit une longue touffe 


tressée à la manière des Chinois. Nous ne dautons 
12 


J0 


nullement que ces hommes n’appartiennent à notre 
rameau carolin ou mongol-pélagien; car l’ile de Ro- 
touma est placée sur la limite de l’espace de mer qui 
borde les archipels des Carolines au sud. 

Ces insulaires n’ont point appris à estimer le fernon 
travaillé ; les seuls instruments dont ils ont apprécié 
les avantages sont les haches, les clous et les ha- 
mecons : mais les objets frivoles l’emportent à leurs 
yeux, etil n’est rien qu’ils ne fassent pour se pro- 
curer des mouchoirs rouges et de grosses verroteries. 

L'ile de Rotouma, quoique peu étendue et mon- 
tueuse, est, comme toutes les autres îles océaniennes 
intertropicales, prodigue en substances alimentaires. 
On y trouve en abondance les pommes de Cythère, 
que les habitants nomment, comme les O-Tuïtiens, 
e-vi ; le mapé (inocarpus edulis), qui est leur if; 
les bananes, les ignames, les racines de taro, les 
cannes à sucre, les fruits à pain, ete. Les poules y 
sont multipliées, et la variété de cochon dite de Siam 
y existe. Malgré ces ressources il paroît cependant 
que l’ile est parfois la proie de disettes qui ont lieu à 
Ja suite de violents ouragans qui règnent en certai- 
nes saisons, qui, fort heureusement pour les habi- 
tants, n’amènent que de loin en loin de tels fléaux. 

Le chant de ces naturels se rapproche du ton psal- 
modique des autres insulaires ; cependant nous re- 
marquâmes, comme une légère exception, que la 
mesure en étoit parfois plus pressée et plus vive. 
Voici les paroles de l’une d’elles : 


Chi a leva, chi a leva, 
Olé tou lala, 

Olélé onachedi 
Onaneñea papaopiti 
Chi a leva 


Chi a leva, ché e chitta. (bis.) 


Leur danse diffère peu de celle des autres Océa- 
niens ; mais elle n’a point l’ensemble gracieux de 
celle des Taïtiens, ni la précision sévère dans les 
mouvements de la pantomime des Nouveaux- 
Zélandois. 

La seule arme que nous ayons eu occasion de voir 
est un long bâton en bois rouge très dur, terminé par 
un casse-têle aplati, tranchant, et couvert de cise- 
lures. Leur tatouage, qu’ils nomment c/ache, est 
caractéristique, car il se compose de larges plaques 
séparées par des dentelures qui s’engrènent les unes 
dans les autres, simulant, à s’y méprendre, sur les 
cuisses et sur les reins, les cuissarts en acier de nos 
anciens preux. Celui du haut du corps, au contraire, 
né se compose que de dessins légers et gracieux re- 
présentant des petits Icsanges, des fleurs, ou des 
poissons volants. 

Un grand nombre de ces insulaires portoit aux 
jambes de longues cicatrices, et des ulcères atoni- 


HISTOIRE NATURELLE 


ques en corrodoient plusieurs. Nous ne vimes aucune . 
trace d’éléphantiasis ni de lèpre. 

Un Européen qui avoit long-temps séjourné à 
Rotouma nous pria de le prendre à bord de notre 
vaisseau pour le ramener dans sa patrie. Cet homme, 
dont les manières ctoiert douces et honnêtes , l’in- 
struction bien supérieure à celle d’un simple mate- 
lot, nous fournit sur cette peuplade , dont les habi- 
tudes n’ont été mentionnées dans aucune relation, 
les détails piquants qu'on va lire, et dont nous ne 
saurions toutefois garantir l’authenticité. 

L'ile de Rotouma est divisée en vingt-quatre dis- 
tricts, gouvernés par autant de chefs qui portent le 
titre de hinhangatcha. Chacun d’eux parvient à 
l'autorité suprême à titre de plus âgé, et exerce le 
pouvoir pendant vingt lunes sous le nom de schaou. 
Celui-ci préside le conseil, et règle les affaires con- 
jointement avec les chefs qui y sont présents. Sa 
nomination ne demande point de grandes formalités, 
et le nouveau schaou est reconnu lorsque le plus 
ancien des chefs lui a versé de l’huile de coco sur la 
tête. Seize hinhangateha possèdent toutes les terres 
à la manière des anciens fiefs féodaux, contraignent 
les insulaires à les cultiver, etsont maîtres de marier 
les jeunes filles à qui bon leur semble. Ce sont eux 
qui guident les hommes de leur district au combat, 
qui remplissent les fonctions sacerdotales dans les 
baptêmes, les mariages et les enterrements ; enfin 
ce sont les dispensateurs de la justice. Mais chez un 
peuple dont les mœurs sont douces, l'autorité des 
chefs n’est ni oppressive ni cruelle, et ressemble plu- 
tôt au pouvoir paternel; partout on se dérange pour 
eux, et devant le schaou chaque insulaire est obligé 
de s'asseoir, de délier sa chevelure en la laissant 
flotter sur ses épaules. Ces respectueux hommages 
envers les chefs, un grand fond de vénération pour 
les vieillards, la bienveillance des habitants entre 
eux, l’obéissance des enfants envers leur père, prou- 
vent que les idées morales de ce peuple n’ont souf- 
fert aucune atteinte. Parfois cependant des démêlés 
ont lieu de district à district, parfois aussi on en 
vient aux mains; mais ce n’est guère que pour re- 
pousser les agressions étrangères qu’ils ont recours 
aux armes. Les chefs alors se revêtent de leurs nat- 
tes de combat, ceignent leurs têtes de coquilles de 
nacre comme marque distinctive de l'autorité mili- 
taire, et marchent en tête des guerriers pour joindre 
l'ennemi. La mêlée ne devient générale que quand 
les deux chefs ont entamé l’action en s’attaquant 
corps à corps. Leurs armes sont des javelines longues 
de dix à quinze pieds, des casse-têtes , et de grosses 
pierres qu’ils lancent avec la main. Les morts sont, 
après le combat, enterrés sur le champ de bataille, et 
leur tombe est recouverte de fragments de rochers. 

Les villages sont bâtis sur les bords de la mer, et 
entourent le cimetière ou E-thamoura. Chaque fa- 


DE L'HOMME. 91 


mille occupe sa cabane ; mais les demeures deschefs 
sont beaucoup plus vastes et plus spacieuses que cel- 
les des autres insulaires. Les premières ont jusqu’à 
quarante pieds de longueur, tandis que les dernières 
n’en ont qu’une quinzaine. Ces cabanes sont analo- 
gues à celles d’O-Taïti, car des poteaux supportent 
une toiture en feuilles de cocotier de forme conique, 
et sont fermées à leur base par des nattes. Les objets 
d'ameublement qu’on y remarque, entretenus d’ail- 
leurs avec la plus grande propreté, consistent en 
nattes, en billots de bois destinés à servir d’oreil- 
lers, en petites tables basses et longues, etc. Une 
feuille de bananier fraîchement recueillie sert de 
linge pour lesrepas, et les mets qu’on y dépose sont 
des fruits à pain, des racines d’arum, des poud- 
dings d’ignames, et des poissons cuits dans des fours 
souterrains. Les naturels ont la précaution de pren- 
dre leurs aliments non avec leurs doigts seuls, mais 
avec une feuille repliée. Les hinhangatcha ont seuls 
la prérogalive de se nourrir de viande de pore, et 
le peuple ne peut en consommer que dans les fes- 
tins de noces. 

L'emploi du temps est réglé chez eux avec une 
grande régularité. Ils se lèvent avec le soleil, et 
profitent de la fraîcheur du matin pour soigner leurs 
plantations, cultiver les propriétés des chefs, creuser 
les pirogues, ou se livrer à la pêche. Ils sont ren- 
trés dans leurs cabanes avant la plus forte chaleur 
du jour, et c’est alors qu’ils euisent les aliments du 
deuxième repas, après lequel ils font ce qu’ils ap- 
pellent tak ou la sieste. Le soir ils achèvent quelques 
travaux du matin, ou ils se réunissent de préférence 
dans le fhumoura pour se livrer aux danses. Quant 
aax chefs ils ne travaillent jamais ; et lorsqu’ils s’ab- 
sentent de leurs districts, ils y sont remplacés par 
un substitut. 

Les parents ne sont pas libres de marier leurs 
filles à leur gré ; les chefs seuls ont ce pouvoir. La 
cérémonie du mariage consiste à faire coucler les 
futurs sur la même natte deux ou trois jours avant 
la célébration définitive, et sans que pour cela le 
mariage se consomme. Le jour où les fiancés doivent 
s’appartenir se passe en danses et en joyeux festins 
jusqu'au soir, où les nouveaux époux sont conduits 
sur le bord de l’eau pour s’y plonger l’un et Pautre 
pendant quelques secondes, et en sortir unis par un 
lien indissoluble. On dit que lorsque le marié ne 
trouve point l'être si fugitif et si recherché des Eu- 
ropéens, il est libre de renvoyer son épouse et d’en 


choisir une autre. Il est alors permis à la femme ré- 


pudiée de faire entrer ses charmes daris le domaine 
publie. Ces hommes traitent leurs moiliés avec beau- 
coup de douceur ; mais on dit que, délicats sur l’hon- 
neur conjugal, ils peuvent, lorsque leur infidélité 
est avérée, leur faire donner la mort par les hin- 
hangatcha. LH paroït que les maris se sont réservé le 


droit d’être volages en leurs amours sans que leurs 
compagnes puissent les en blâmer. Les jeunes filles, 
avant de prendre le titre de femmes par une union 
reconnue, sont libres de faire autant d’heureux qu’il 
leur plait: mais, comme sans la virginité elles ne 
peuvent prétendre au mariage, il en résulte que bien 
peu laissent conquérir ce trésor, aussi en sont-elles 
fières ; et lorsqu'elles se vantent de le posséder en- 
core, elles ont pour habitude de se saupoudrer le 
dessus de la tête avec de la chaux de corail, de se 
peindre les côtés et le bas de la figure en rouge, et 
la nuque jusqu'au milieu du dos en noir. En général 
le beau sexe porte ses cheveux plus courts que ceux 
des hommes, et a pour unique vêtement un pagne 
étroit destiné à voiler à demi leurs charmes. 

A la naissance d’un enfant on pratique une cé- 
rémonie retraçant d’une manière grossière celle du 
baptême. Le chef frotte la figure du nouveau-né 
d'huile de coco, et prononce à haute voix le nom 
que les parents lui donnent et que les assistants ré- 
pêtent à grands cris et par trois fois : la naissance 
des fils des hinhangatcha est toujours accompagnée 
de jeux , de danses et de festins. 

A la mort d’un insulaire son cadavre est exposé 
dans sa cabane le corps enveloppé d’une natte, un 
oreiller en bois sous la tête, et toutes les parties 
supérieures peintes en rouge. Lorsqu'il est resté 
dans cet état un jour et une nuit, il est définitive- 
ment enseveli dans six nattes très fines, et porté au 
thamoura, où il est enterré dans une fosse garnie 
de pierres. Pendant cette cérémonie on chante un 
hymne funèbre; puis les assistants se rendent à la 
maison du défant, où les attend un repas destiné à 
clore la cérémonie. Les veuves témoignent leur 
douleur en coupant leurs cheveux et en se couvrant 
la poitrine de brûlures faites avec un bâton en- 
flammé. Les hommes au contraire, à la perte de 
leurs épouses, se sillonnent le front et les épaules 
par des coupures tracées avec des pierres aiguës. On 
dit aussi qu’à la mort des chefs deux enfants doi- 
vent être sacrifiés sur leur tombe, et que les familles 
de ceux choisis par la voie -du sort se réjouissent 
de l’honneur qui en rejaillit sur elles. Les schaous 
ne sont point inhumés dans les thamoura du dis- 
trict; mais leurs tombeaux sont placés sur le som- 
met de la montagne centrale de Rotouma, entou- 
rés d'arbres plantés avec soin , et revêtus de larges 
pierres. 

Leurs idées en médecine sont fort bornées : par- 
fois cependant les fonctions en sont exercées par des 
chefs. Leurs principaux remèdes consistent en fric- 
tions huileuses ou en sucs d'herbes, et leurs maladies 
les plus fréquentes se trouvent être les affections de 
poitrine, les ulcérations , etc. 

Ils craignent beaucoup la mort, qu'ils nomment 
atoua, ainsi que leur dieu le plus puissant. Leur 


92 BISTOIRE NATURELLE 


douceur et leur bienveillance s'étendent jusqu'aux 
animaux nuisibles qu'ils ne détruisent jamais. 

Les hommes mangent seuls sur des tables sépa- 
rées ; les femmes et les enfants ne commencent leur 
rep’s qu'après eux. Ils s’éclairent dans leurs cabanes 
avec des torches empruntées aux feuilles de cocotiers 
bien sèches, et qui jettent une grande clarté pendant 
environ dix minutes. 

Le cercle de leur vie indolente et molle, mais 
heureuse, roule done dans les mêmes actes jour- 
paliers : ainsi, se lever avec le soleil qui n’a point 
d’aurore entre les tropiques, se réunir devant les 
cabanes pour jouir des courts instants de fraicheur, 
voilà l'emploi des premiers moments de la matinée. 
Vers huit heures a lieu le déjeuner, ou seulement 
un léger repas ne consistant qu’en fruits d’i/i ou de 
vi. Après quelques travaux peu fatigants, ils ren- 
trent vers onze heures dans les villages, abattent 
des noix de coco, et préparent leurs aliments dans 
une cabane placée à distance de leur logement. Ce 
deuxième repas est le plus copieux de ceux qu’ils 
font, aussi se compose-t-il de mets variés, tels que 
les productions végétales peuvent les offrir, aux- 
quels on ajoute des poissons et des mollusques. 
Comme les O-Taïtiens ils aiment varier leurs jouis- 
sances ; aussi leur cuisine s’est-elle enrichie d’une 
friandise très recherchée, et qui consiste à fendre 
un fruit à pain, à en enlever la partie centrale pour 
y placer du lait de coco de quatre âges différents, 
et à faire cuir le tout dans une feuille de bananier. 
Ils se baignent fréquemment dans la soirée avant 
de souper ; et leur mets favori en cette circonstance 
est le papouta, mélange de feuilles de taro cuites avec 
de jeunes pousses de bananiers et du lait émulsif de 
coco. 

L'ile de Rotouma n’a point de sources. L’eau qui 
sert aux usages des naturels est pluviale et se con- 
serve dans des mares, mais leur boisson ordinaire 
consiste en lait de coco. 

Les connoissances géographiques de ces naturels 
sont peu étendues : elles se bornent à l'indication 
de quelques îles placées sur leur route avec les ar- 
chipels de Tonga et des Fidjis, et avec lesquelles ils 
ont de temps à autre des communications. 

Tel est le tableau des habitudes et des idées so- 
ciales des Rotoumaïens, ou du moins telle est la 
légère et unique esquisse que nous en possédons. 
A cela nous ajouterons quelques détails de mœurs, 
pris dans leurs relations avec les gens du vaisseau 
que nous montions. Ainsi, doux et timides par 
caractère, ces naturels sont joyeux, gais, et d’une 
curiosité enfantine qui étonne. Leur attention n’est 
point long-temps fixée sur le même objet ; elle va- 
rie, elle change, elle est aussi mobile que la surface 
de l'onde. Des animaux vivants qui couroient en 
paix sur Je pont, tels qu'un cacatoès, un Kanguroo, 


un chat, les étonnèrent au dernier degré; et ces 
formes si étrangères et si nouvelles pour leurs yeux 
firent une impression momentanément profonde 
sur leurs sens. Bruyants, solliciteurs, ces hommes 
rioient, gesticuloient, parloient tous ensemble, et 
nous retracèrent complétement toutes les sensations 
que durent éprouver les premiers navigateurs qui 
découvrirent et O-Taïti et les Sandwich. Mais ce 
qui rend le parallèle encore plus ressemblant est 
l'habitude des habitants de Rotouma pour le vol. 
Tout ce qu’ils voyoient sur le pont étoit de bonne 
prise, et jamais maraudeurs ne furent plus âpres à 
vouloir retenir leur butin injustement acquis. Des 
châtiments infligés aux coupables pris en flagrant 
délit ne servirent point à retenir ceux qui voyoient 
ainsi pratiquer les règles de la justice distributive, 
et ceux-là même cherchoient à profiter du désordre 
amené par ces circonstances, afin de soustraire avec 
plus de liberté ce qui avoit frappé leur vue; mais 
ce penchant désordonné pour le vol étoit le résultat 
d’une tentation si forte, et en même temps si irré- 
fiéchie, que des naturels cherchoient à soulever les 
caronades pour les jeter à la mer, et que d’autres 
plongeoïent après avoir décroché des paquets de 
mitraille dont le poids s’opposoit à ce qu’ils pussent 
vager et qu’ils laissoient précipiter au fond de l’eau. 
Rien enfin ne fut à l'abri de ces effrontés filous, que 
notre indifférence encourageoit d’ailleurs, et qui 
emportèrent tout ce qu’ils purent attraper; heureu- 
sement qu’ils ne quittèrent point le pont du navire 
et qu’on s’opposa à ce qu’ils en visitassent l’intérieur, 
car certes ils eussent soustrait jusqu'aux matelas des 
coucheltes. 

Leurs pirogues nous parurent grossièrement con- 
struites; elles ne diffèrent de celles d’O-Taïti que 
par la fermeture de leurs deux extrémités qui sont 
pointues. [ls les nomment vaku, les nagent avec 
des pagaies ovalaires, et les évoluent à la voile 
avec une natte. Elles sont à balancier, parfois 
accouplées comme celles des Pomotous. Ces der- 
nières, nommées aoë, servent aux navigations 
lointaines. 

La langue parlée à Rotouma dérive de l’océanien. 
Cependant des altérations nombreuses s’y sont 
glissées par les communications avec les Fidjis, les 
Carolines, et peut-être avec les archipels peuplés 
par les races nègres. La prononciation des naturels 
est douce, très lente, et fait paroitre les syllabes 
démesurément longues. Ma et outou semblent être 
des particules on des prénoms, et outou , placé de- 
vant un mot, signifie le plus ordinairement C’EST. 
La numération a la plus grande analogie avec celle 
usitée à Madagascar. 


DE L'HOMME. 93 


NOMS DE NOMBRE, 


1, tala. 6, ono. 

2, taua. 7, ethou. 

3, tholo. 8, vaalou. 
4, hate. 9, chivou. 
5, lima. 10, ekanfour. 


Les noms que nous citons ont été recueillis par 
M. Bérard, lieutenant de vaisseau. Ceux obtenus 
par M. Poret de Bilosseville en diffèrent d’une ma- 
nière trop sensible pour que nous les passions sous 
silence. Ces derniers s'accordent avec ceux que 
nous avons obtenus; les voici : 


1, tala. 1, ito. 

2, roua 8, volia. 

3, tolo 9, ehiva. 

4, als 10, shançoula. 
9, Lima 100, tharo. 

6, honc 1000, fa. 


$ IX. DES CAROLINS, 


OU MONGOLS-PÉLAGIENS. 


Nous aurons les premiers fixé l'attention sur 
l'origine des peuples qui habitent les îles Carolines. 
Cette longue suite d’archipels distincts s’étendant 
depuis le cent trente-deuxième degré de longitude 
jusqu’au cent soixante-treizième est située dans la 
zone tropicale de l'hémisphère nord. Ces îles, ainsi 
nommées en l’honneur du roi d'Espagne Charles IE, 
ont été jusqu’à ce jour l’objet des spéculations les 
plus hypothétiques, et sont encore très mal connues 
des géographes. On les trouve mentionnées pour 
la première fois d’une manière un peu étendue 
däns les Lettres édifiartes des missionnaires, et le 
nom du père Cantova se rattache surtout à leur 
existence. On lui doit une carte qui faite d’après le 
récit des insulaires a été mille fois très diversement 
interprétée, et quoique vraie en un sens, la ma- 
nière arbitraire dont les îles qui la composent ont 
été groupées a long-temps fait croire que la plupart 
n’existoient point, ou a porté à créer des doubles 
emplois nombreux. On suppose que ce fut Eap que 
le pilote don Francisco Lascano découvrit en 4686, 
après que les Espagnols eurent pris possession des 
îles Mariannes. Ces Européens s’occupèrent beau- 
coup de cet archipel dans l'intervalle de 1696 à 1772, 
C’est même en 1696 que don Juan Rodriguez en 
aperçut un groupe, et s’échoua sur le banc de Santa- 
Rosa, à environ quarante-cinq lieues de Guam. 
En 1770 quelques Espagnols furent envoyés pour 
s'établir sur la petite île de Saint-André, et y furent 
tous égorgés. Mais à ces détails géographiques doi- 


vent ze Dorner les courtes généralités qu’il importe 
de donner ici pour mieux distinguer les peuples que 
nous devons faire connoître (1). 

Ainsi done les cartes du père Cantova et de don 
Luis de Torrès ont donné à cet archipel des rapports 
qui ne peuvent avoir lieu, et leur tort le plus grand 
est d’avoir isolé et mis à de grandes distances des 
ilots qui se trouvent faire partie d'un système d’iles 
que nous avons nommé d’après les Anglois Irs- 
Groupes, et qu’il serait peut-être plus convenable 
de nommer Polinyse. L'immense archipel des Ca- 
rolines forme ainsi une bande très étroite entre les 
six à huit et pent-être les dix degrés de latitude 
nord, qui ne se compose que d’une dizaine de grou- 
pes, résultat eux-mêmes de quinze, vingt, trente 
ilots, ou beaucoup plus, disposés en un immense 
cercle, avec ou sans noyau de terre centrale. Ces 
Polinyses seroient bien tranchées par leur forma- 
tion si quelques rochers épars et solitaires ne sem- 
bloient être des chainons interrompus, semés cà et 
là pour rétablir les rapports. Dans un travail com- 
plet sur les îles basses formées par les polypiers, 
nous développerons cette idée, mais il nous suffisoit 
de l'indiquer ici pour légitimer notre opinion sur les 
hommes qui les peuplent. 

Ainsi les iles Pelew sont le premier anneau de 
la longue chaine des Carolines, dont les groupes 
de Ralick et Radack semblent être la terminaison 
orientale, tandis que les îles basses et découpées en 
étroites bandelettes des Mulgraves et des îles de 
Gilbert et de Marshall en sont la déviation vers 
l’équateur, et le lien de communication avec les 
autres groupes de l'Océanie : cependant la race des 
Mongols-Pélagiens s'arrête et ne dépasse point l'ile 
Saint- Augustin de Maurelle, située par cinq degrés 
trente -huit minutes de latitude sud, et cent 
soixante-lreize degrés cinq minutes de longitude 
est. Semés sur des îles basses à peine élevées au- 
dessus des vagues, peuplant indifféremment des 
terres montucuses et volcaniques, ces Carolins 
n'ont rien ni dans les habitudes ni dansles mœurs 
qui puisse les rapprocher des Océaniens; habiles na- 
vigateurs, possédant une connoissance étendue du 
cours des astres, construisant leurs pirogues avec 
un talent d'exécution ignoré de tous les autres in- 
sulaires de la mer du Sud, ces peuples encore si 
mal connus, si dignes d’être étudiés, forment une 
grande famille qui a dû s'émigrer des îles du Japon, 


() Consultez Lettre du père Paul Clain, Lettres 
édifiantes, t. 1, p.112; Relation en forme de journal, 
ibid., t. VE, pag. 75; Lettres du père Cazier, ivbid., 
t. XVI; Lettres du père Cantova, ibid , t. X VIIL, p. 188; 
Journal de Wilson et son Naufrage aux iles Pelew , 
par Keate , traduction françoise, 2 vol. in-8o; de Cha- 
misso, Voyage autour du monde du capitaine de 
Kotzebue, t. LI, en anglois, etc. 


94 HISTOIRE NATURELLE 


et dont la multiplication a fondé de proche en proche 
et sans interruption de nouvelles colonies à mesure 
que les îles sortoient pour ainsi dire du sein de l’eau. 
Malgré l’imperfection de nos conanoissances sur ces 
insulaires, nousavens remarqué la plus grande ana- 
logie entre eux , et comme nous décrirons avec le 
soin le plus scrupuleux les Oualwnois, il sera facile 
de leur rattacher ce que nous dirons des autres 
peuplades. Mais la vérité que nous cherchons avec 
ardeur sera notre guide le plus fidèle, et bien loin 
de forcer les analogies pour donner comme réelle 
une opinion qui pourroit ne pas être fondée, nous 
transcrirons avec une parfaite impartialité les faits 
consignés dans notre jourual qui sembleroient en 
opposition avec la manière de voir que nous éta- 
blissons en ce moment. Il sera bon de se rappeler 
aussi que depuis long-temps les Carolins sont fami- 
liarisés avec les longs voyages ; que souvent leurs 
escadrilles profitent des moussons pour communi- 
quer avec les autres systèmes d’iles, et que le plus 
souvent les iles Mariannes sont le but de leurs cam- 
pagnes ; qu'ils redoutent la mousson d'ouest, féconde 
en tempêtes, mais qu'ils se mettent volontiers en 
mer en avril, et que par conséquent il résulte de ces 
communications nombreuses une certaine uniformité 
dans les habitudes de ceux de la partie occidentale, 
tandis que les naturels plus à l’est et isolés ont con- 
servé pure leur teinte de localité. C’est ce dont il 
sera facile de s’apercevoir lorsque nous parlerons 
des habitants des Kingsmill, d'Oualan, par lesquels 
d’ailleurs nous allons commencer, 


J, NATURELS DE L’ARCHIPEL GILBERT. 


Ces îles sont placées par un degré vingt minutes 
de latitude sud, et cent soixante-douze degrés qua- 
rante minutes de longitude est, et s'étendent jus- 
qu’au dixième degré de latitude nord. Elles furent 
découvertes en juin 4788 par les capitaines Gilbert 
et Marshall, 

Le 45 mai 1824 nous naviguâmes très près des 
îles basses de Drummont et de Sydenham, ou les 
Kingsmill des cartes d’Arrowismith, qui ne forment 
sur la surface de la mer qu’un long et étroit ruban 
de terre‘hordée de récifs el couverte de cocotiers. Ure 
seule pirogue, montée par trois hommes, osa s’aven- 
turer le long de la corvette ; et ce n’est qu'après bien 
des irrésolutions que ceux-ci se hasardèrent à mon- 
ter sur le navire. 

Ces naturels n’apportèrent avec eux aucun objet 
d'échange; ils n’avoient dans le fond de leur piro- 
gue que des mollusques du bénitier tridacne qu’ils 
venoient de prendre sur les récifs, et qui sont sans 
aucun doute une des principales ressources de leur 
vie. Nous leur donnämes des couteaux, qu'ils pa- 
rurent nommer {bi et des hameçons, qu’ils appe- 


lèrent matao. On voyoit qu’ils savoient apprécier 
le fer; mais leur langage, inintelligible pour nous, 
n’avoit aucune analogie avec les autres dialectes 
parlés dans l'Océanie. La teinte de leur peau étoit 
assez foncée, et leurs membres étoient grêles et 
maigres, deux circonstances qu’il faut sans doute 
attribuer à leur habitation sur des récifs découverts 
et peu productifs. Leurs traits sont élargis et gros- 
siers, et leur teinte est un cuivre bronzé foncé en 
noirâtre. Leur intelligence parut bornée, et leur 
extérieur peignoit la misère et le peu de ressources 
du sol qu'ils habitoient. Le plus jeune des trois 
individus étoit recouvert d’une lèpre furfuracée 
qui est si commune ch°z tous les nègres océaniens, 
et qui paroit être propre à tous les peuples riverains 
qui se nourrissent presque exclusivement de pois- 
sons. Ces trois hommes avoient le ventre serré par 
des tours d’une corde faite avec le brou de coco; 
ils ne s’épilent point, ni ne pratiquent la circonci- 
sion. Aucun voile ne couvre les organes généra- 
teurs. Ces insulaires portent les cheveux coupés 
courts, et n’ont point de barbe ni de moustaches, 
qu'ils taillent avec des coquilles. Nous ne leur vimes 
dans les mains aucune espèce d'arme. Leurs seuls 
vêtements consistoient en un petit bonnet rond 
tissé avec des folioles sèches de cocotier, pour abri- 
ter la tête; et en une natle très grossièrement faite 
et percée au milieu comme le poncho des Arauca- 
nos, pour garantir les épaules et la poitrine. 

Ils sont familiarisés avec la navigation, et s’a- 
vancent assez loin de leurs iles en emportant une 
provision d’eau douce dans des noix de coco. Leurs 
pirogues n’offrent plus rien de semblable avec celles 
des Océaniens ; et, bien que construites sans gran- 
des précautions, elles retracent la forme des pros 
si élégants des Carolins occidentaux : on doit penser 
que la disette du bois et le peu de facilité qu’ils ont 
de trouver des matériaux convenables sont les 
seules causes de la négligence qui paroît avoir pré- 
sidé à leur construction. Mais ces embarcations 
s'évoluent de la même manière, en changeant seu- 
lement la voile pour que lavant devienne l’arrière, 
el vice versa. Ces pro: sont simples et longs d’en- 
viron vingt pieds sur deux de largeur. Un madrier 
servant de balancier est tenu fortement à une cer- 
taine distance du bord par plusieurs perches, et 
supporte une sorte de plate-forme. Le corps de la 
pirogue est formé de bordages minces, concentri- 
ques, très solidement cousus ensemble, et soutenus 
par des membrures gracieuses : ses deux extrémités 
se terminent en pointe. De petits bancs servent de 
siéges aux pagayeurs. Le mât est penché sur l'avant, 
et implanté sur le côté droit; des haubans le sou- 
tiennent , ainsi qu’une perche recourbée qui appuie 
sur la plate-forme du balancier. La voile a la coupe 
d’un deltoïde dont la partie la plus large est Ja plus 


DE L'HOMME. 


supérieure; elle est formée de lèses de nattes très 
grossières et réunies entre elles. Une longue pagaie 
sert de gouvernail (!). 

Par ces données on reconnoît déjà un peuple émi- 
nemment navigateur, ayant des idées très avancées 
pour la construction des embarcations avec lesquelles 
il va d’ile en île et sur les récifs pêcher sa subsis- 
tance ; car les cocos de ces terres noyées ne sont point 
suflisants pour alimenter la population entière, et 
les végétaux nourriciers des Océaniens, tels que les 
arbres à pain, les ignames, manquent le plus ordi- 
nairement sur ces ilots. Mais plus nous avancerons 
vers l’ouest, plus nous verrons ces pros, conser- 
vant toutefois leurs mêmes formes, nous offrir le 
beau idéal d’une pirogue par leurs ornements et 
le fini de leur architecture, par leur marche supé- 
rieure, et la précision et l’art avec lesquels ils sont 
évolués. 


I. NATURELS DE L'ILE SYDENHAM. 


L'île Sydenham, primitivement découverte par le 
capitaine Bishop, et vue en 1809 par le brick l'Eli- 
sabeih, dont le commandant la nomma île Blaney, 
git par zéro degré trente-deux minutes zéro se- 
conde de latitude sud, et cent soixante-douze degrés 
quatorze minutes de longitude est. C’est une ile basse 
dont la forme est celle d’un grand are un peu irré- 
gulier, et n'ayant que vingt milles de longueur. Sa 
surface, peu élevée au-dessus du niveau de la mer, 
est très boisée, surtout dans la partie méridionale, 
où l’on remarquoit un grand nombre de cabanes en- 
tourées de bosquets. Lorsque les habitants aperçu- 
rent la corvette {4 Coquille longeant à Ja voile leur 
rivage, ils s'élancèrent dans leurs pirogues, et en 
un clin d'œil nous en vimes une vingtaine manœu- 
vrant par escadrilles pour nous joindre : mais une 
seule y parvint ; elle étoit montée par dix naturels 
grands, forts et nerveu. La couleur de leur peau 
tiroit sur le noir fuligineux intense; leurs cheveux, 
très noirs, étoient courts, et la barbe peu fournie : 
Jun d’eux s’étoit fait un bonnet avec la peau d’un 
gros diodon, et étoit revêtu d'une casaque grossiè- 
remen£ fabriquée avec des fibres de cocotier. Les 
autres naturels étoient complétement nus, et tous 
avoient les cuisses tatouées par lignes peu foncées et 
circulaires. Leur cou éloit entouré de colliers formés 
avec les valves rouges d’un peigne, et leur ventre 
étoit serré par plusieurs brasses d’un cordonnet très 
fin et teint en noir, où avec des cordes enfilées par 


() Le manque d'arbres est tellement la cause unique 
de la négligesce apparente avec laquelle les pirogues 
des îles basses sont contruites, que leurs mâls, leurs 
balanciers, étaient faits de plasieurs pièces Lortueuses 
d'un mauvais bois, tel que l'Aibiscus tiliaceus , et mal- 
gré cela ajustées avec beaucoup de soin. 


95 


une innombrable quantité de petites rouelles d’un 
bois très dur et noir. Leurs haches sont faites avec 
des fragments de la coquille triue e, dont le bord 
estaiguisé, el que supporte un manche en bois. Leurs 
nattes sont tissées avec des lanières étroites de pan- 
dunus; ils en échangèrent quelques unes, ainsi que 
trois cocos frais, les seuls qu’ils eussent dans leurs 
pirogues, pour des clous, des hamecons, et des cou- 
teaux qu’ils nommoient tibi: les miroirs leur cau- 
sèrent la plus grande surprise. Ces insulaires étoient 
de mauvaise foi dans leurs échanges; rarement ils 
donnoient l’objet dont ils avoient recu la valeur. 
La construction de leurs pirogues étoit parfaitement 
semblable à celle des habitants de l’ile Drummont. 
La physionomie de ces dix hommes étoit peu pré- 
venante : de larges cicatrices annonçoient qu’ils font 
fréquemment la guerre ; ce qui, joint à leur peu de 
ressources dans leur ile, doit leur donner des mœurs 
inhospitalières. Ils parloient avec volubilité : c’est 
avec bien de la peine que nous pûmes ohtenir le 
nom dont ils se servent pour désigner leur ile, qui 
est Hotou ia pour la partie sud, et Moïou tera pour 
la partie nord. Les seuls mots que nous puissions 
joindre à ces deux-ci sont cari, sourcils, tepahi, nez, 
et tetaniga, oreille. 


III. NATURELS DE L'ILE HENDERVILLE, 


Le 17 mai 1824 nous eûmes connoissance des iles 
Hendervilie et Woodle, séparées l’une de l’autre par 
un canal qui a cinq milles de largeur. Par leur dis- 
position elles ont la forme d’un fer à cheval, et sont 
bordées par une épaisse ceinture de récifs dont le 
centre est occupé par un vaste lagon. Cà et là pa- 
roissoient quelques cabanes, ou plutôt des huttes 
grossières, dont les toits descendoicnt jusqu’à terre. 
Un grand nombre de naturels, parcourant la grève, 
se détachoient vivement sur la blancheur éblouis- 
sante des sables de coraux : tous formoient une scène 
animée et mouvante. Les femmes et les enfants, 
attachés au rivage par la curiosité, restoient specta- 
teurs, tandis que les hommes, portant des piro- 
gues ct les jetant à la mer, s’efforcoient d’atteindre 
la corvelle. 

Ces naturels ressembloient aux précédents, ils 
éloient entièrement nus; mais nous remarquâmes 
qu'ils s’épiloient soigneusement. L'un d’eux avoit 
sur la tête un bonnei pointu fait avec une feuille de 
bananier roulée; leur coloration, ainsi qu’on doit le 
penser pour des hommes immédiatement placés sous 
la ligne, étoit très foncée. Un naturel âgé, qui pa- 
roissoit jouir d’une certaine autorité, se tint long- 
temps debout au milieu d’une pirogue, en parlant 
avec feu; sans doute qu’il nous adressoit quelque 
discours dont les mots frappèrent vainement nos 
oreilles. Il étoit distingué par deux ovules (œufs de 


96 


léda ) suspendues au cou, et par des bracelets très 
blancs formés de coquillages enfilés. 


s 


VI. NATURELS DE L'ILE DE WOODLE, 


Cette île, découverte en 4809 par le navire l'Eli- 
sabeth, nous présenta une nombreuse population : 
nous comptâmes plus de trois cents naturels courant 
sur le rivage; quelques uns étoient armés de longues 
lances ; les femmes avoient le corps entouré d’un 
pagne, tandis que les hommes étoient complétement 
nus. À leurs gestes, à leurs cris, il étoit facile de 
juger qu’ils avoient rarement occasion de voir dans 
leurs parages des navires européens. Un grand nom- 
bre de pirogues se dirigea aussitôt vers la Coquille, 
et, comme une brise favorable nous poussoit, deux 
d’entre elles plus persévérantes parvinrent à nous 
joindre lorsque nous étions à trois lieues de la terre : 
les naturels qui les montoient n’avoient aucun objet 
d'échange ; mais ils témoignèrent vivement leur es- 
time pour les couteaux, les clous, les hameçons, et 
le fer, sous quelque forme qu’il fût : ils avoient 
pour ornement des ceintures en coquilles taillées en 
rouelles, placées autour du corps, du cou, des poi- 
gnets et des jambes. Ces deux pirogues étoient plus 
petites que les précédentes, mais construites d’ail- 
leurs comme elles, en bordages cousus et avec des 
balanciers ; leur équipage ne se composoit que de 
quatre hommes, n'ayant pas même une feuiile de 
figuier pour les vêtir, et complétement épilés, à l’ex- 
ception d’un seul. Leur peau fortement bronzée étoit 
cependant déjà ‘plus claire que celle des premiers 
Carolins que nous avions vus, et tous portoient trois 
cicatrices d’entailles profondes sur les téguments de 
l'épaule droite. L'ensemble de leurs traits étoit assez 
régulier, quoique l'aspect en fût farouche et sauvage ; 
leur taille étoit médiocre. L'un d’eux, qui paroissoit 
jouir de quelque autorité sur ses compagnons, étoit 
tatoué sur les cuisses et sur le dos par lignes légères, 
disposées avec délicatesse autour de ces parties. Au 
reste ils montèrent à bord sans hésitation et sans té- 
moigner de crainte ; ils n’avoient point d'armes, et 
mirent dans leurs échanges la plus grande bonne 
foi. Comme à leurs voisins, leurs ornements con- 
sistoient en ovules. Leur habitude d'observation est 
tellement perfectionnée qu’ils s’aperçurent bientôt 
que des nuages, s’amoncelant à l'horizon, annon- 
coient du mauvais temps; aussi se hâtèrent-ils de 
gagner leur île, et à peine en toucièrent-ils les bords 
que des grains subits et violents sc firent sentir. 

Les jours suivants nous longceâmes les iles Hall, 
Gilbert, Knoy, Charlotte, Mathews, ainsi que l’ar- 
chipel de Marshall, et les îles Mulgrave et Bonham. 
Elles nous présentèrent dans leurs formes, comme 
dans la race humaine qui les habite, des particula- 
rités identiques avec celles que nous venons de rap- 


HISTOIRE NATURELLE 


porter. Toutes ces îles sont donc entièrement basses, 
formées par des bancs massifs de coraux aui sont 
eux-mêmes le résultat d’un travail lent et successif 
d'animaux presque imperceptibles. Ces polypes mous 
et gélatineux peuvent done décomposer les eaux de 
la mer, en retirer le carbonate de chaux, pour éle- 
ver jusqu’au niveau des vagues des plateaux qui 
finissent par recevoir d’abord des colonies végétales, 
puis des animaux, et ensuite des migrations d’hom- 
mes. Mais ces saxigènes placent-ils indifféremment 
leurs murailles dans les abimes de la mer ou seule- 
ment à des profondeurs déterminées? Des expé- 
riences positives prouvent aujourd’hui que ce n’est 
jamais que sur les sommets des hauts-fonds ou 
chaines sous-marines, sillennant et formant des bas- 
sins au fond des océans, qu’ils asseyent la base de 
leurs édifices ; aussi remarque-t-on que les rochers 
de corail affectent les formes les plus bizarres dans 
leurs dispositions sur la surface de la mer ; qu’ainsi 
on les voit former des remparts autour des hauts 
pitons volcanisés des grands archipels ; qu'ailleurs, 
là où le volcan sous-marin n’élève point son cône 
au-dessus de la surface des vagues, sont des plateaux 
bas qui se découpent souvent sur le pourtour du cra- 
tère, de manière que l’intérieur reste vide à cause 
d’une grande épaisseur de la masse des eaux; et 
c’est ainsi l’origine des iles à lagons intérieurs. Et 
ne voyons-nous pas au milieu des Carolines des îles 
volcaniques élevées, telles qu'Oualan et Hogolous, 
avoir des barrières de polypiers sur leurs pour- 
tours, d’où s'élèvent des motous ou ilots couverts 
de végétaux, tandis que l’intérieur ne présente qu’un 
ou plusieurs des pitons du mont ignivome complé- 
tement isolés ? 


V. NATURELS DE L'ILE D'OUALAN. 


L'ile d’Oualan (1) est placée par cinq degrés vingt- 
une minutes vingt-cinq secondes de latitude nord, et 
cent soixante degrés trente-sept minutes quarante- 
sept secondes de longitude est, au centre à peu près 
de la série des terres peuplées par la race mongole- 
pélagienne. Bien que nous r’ayons séjourné que peu 
de temps à Qualan, les détails que nous noussom- 
mes procurés sur les habitants auront quelque at- 
trait, et prouveront qu’il n’y a entre eux et les vrais 
Océaniens aucune analogie de conformation physique 
et d’habitudes morales. 

Les habitants d'Oualan nous ont paru avoir des 
mœurs douces, bienveillantes, ignorer la guerre et 
ses désastres, et vivre en paix des productions vé- 
gétales dont leur ile abonde. Tout en eux retrace ces 


() Consuitez, pour plus de détails, la Notice sur l’île 
d'Oualan, par R. P, Lesson, Journal des Voyages, 
t. XXVI, pag. 129 ct 273, mai et juin 1825. 


s 


DE L'HOMME. 


habitudes d’une nature simple ct primitive dont le 
tableau nous séduit encore lorsque nous lisons les 
relations des voyageurs du seizième siècle. Fls sem- 
blent en effet ne point avoir de coutumes sangui- 
paires, et dans leurs instruments rien n’annonce 
qu’ils aient songé à s’en faire des armes. Placés dans 
une position isolée, sur une île haute qui suflit gran- 
dement à leurs besoins, ignorant quels sont leurs 
plus proches voisins, ils coulent dans l’indolence 
une vie qui ne connoît point de position plus heu- 
reuse ni un sort plus doux. À la stupéfaction ex- 
traordinaire que notre vuc et nos moindres gestes 
leur inspiroient lorsque nous les abordämes pour 
la première fois, il est évident qu’ils n’avoient ja- 
mais vu d'Européens dans leur ile, ct que nous 
sommes les premiers qui ayons séjourné parmi eux. 
L'étonnement que le navire leur inspira lorsqu'ils 
le considérèrent de près, la surprise que nos vête- 
ments, nos costumes, notre peau blanche, portoient 
dans leur âme, nuisirent beaucoup les premiers 
jours à nos recherches, et nos observations ne pu- 
rent être que superficielles; mais le peu que nous 
en savons est digne d'intérêt. Lorsque nous arri- 
vions dans une cabane, le premier mouvement des 
propriétaires étoit de fuir, ct ce n’est que sur quel- 
ques paroles de nos guides que la tranquillité re- 
naissoit. Chacun alors faisoit cercle autour de nous, 
nous touchoit, porloit la main sur chaque partie du 
corps, nous accabloit d’un déluge de questions sui- 
vies d’un bou-xi éternel; de sorte qu'au lien de 
pouvoir observer à notre aise, à peine pouvions- 


nous nous-mêmes suflire à tout ce qu’on exigeoit de 


nous. Le mouillage de la corvette {a Coquille étoit 
d’ailleurs trop éloigné du village principal, où de- 
meurent le roi et les chefs ; on ne pouvoit s’y rendre 
qu'après une course fatigante, tandis que près du 
vaisseau il n’y avoit que deux ou trois cabanes, 
dont les femmes avoient fui et étoient cachées dans 
l'intérieur. 

Les habitants d'Oualan diffèrent entre eux par la 
taille comme par la bonne mine. His semblent former 
deux classes distinctes : celle des chefs ou urosses, 
qui est remarquable par sa belle conservation, et 
celle du peuple, qui est beaucoup plus défavorisée, 
Les habitants sont en général de petite taille et de 
cinq pieds au plus : un bon nombre n’avoit que 
quatre pieds sept à huit pouces, tandis que les plus 
avantagés par la stature n’alloient pas au-delà de 
cinq pieds deux à trois pouces. Les femmes aussi 
sont généralement petites, mais très grasses et très 
bien formées. Le type physionomique des hommes 
est d’avoir le front découvert et étroit, les sourcils 
épais, et les yeux petits et obliques, le nez épaté, 
la bouche grande, les dents très blanches et bien 
conservées, des gencives vermeilles. Ils portent la 
chevelure, qui est très noire ct non frisée, longue 

L. 


97 


et nouée sur locciput; leur barbe, très fournie et 
noire, est rude chez quelques uns (1). Is ne la cou- 
pent point. Quelques uns cependant s’'empressèrent 
de se faire raser à bord, preuve qu'ils n’y attachent 
aucune idée superstitieuse. ls ne s’épilent point, ct 
ne pratiquent point la circoncision. Leurs membres 
sont arrondis et bien faits, surtout la jambe. Leur 
peau est très dure; et la plante de leurs pieds, par 
l'habitude de marcher sur le corail, contracte l’é- 
paisseur et la dureté d’une forte semelle de soulicr: 
La teinte de leur peau est comme celle des Océa- 
niens, de couleur peu foncée de cuivre ou bronze 
clair. [ls ne mâchent aucune substance. Ces peuples, 
non habitués au travail, sont mous ct efféminés ; la 
fatigue les atteint de suite, et sans doute est pour 
eux le souverain mal. 

Les femmes et les jeunes filles ont une physio- 
nomie agréable. Elles possèdent deux grands at- 
traits, de beaux yeux noirs pleins de feu, et ne 
bouche meublée de dents superbes d'une grande 
blancheur et rangées avec beaucoup de régularité. 
Mais le charme le plus puissant leur manque com- 
munément, ci sous ce rapport clies sont loin d’être 
aussi favorisées que les Zélandoises. Leur gorge, 
très grosse, est habituellement, même chez les plus 
jeunes filles, flasque, et terminée par un gros ma- 
melon noir. Il en est peu qui échappent à cette 
règle. La couleur de leur peau, moins exposée à 
Pardeur du soleil, est aussi beaucoup plus blanche 
que celle des hommes. Leur taille ramassée est mal 
prise, surtout par la grosseur démesurée de leurs 
hanches, ce qui seroit du goût de plusieurs peuples. 
Leurs mamelles pendantes ct accolées doivent cette 
forme à ce qu’elles se rapprochent sans cesse les 
bras près du corps, tardis que leur démarche gê- 
née ctembarrassée est due à leur habitude de rester 
assises, et de serrer les cuisses pour voiler ce qu’un 
étroit maro, mal assujetti ct trop peu ample, ne 
cache que très imparfaitement. Les femmes, à notre 
vue, montroient une vive curiosité; elles parois- 
soient même très satisfaites de quelques demi-liber- 
tés qu’on prenoit avec elles; le front sévère de leurs 
époux les forcoit alors à prendre un ton plus ré- 
servé : quelques unes étoient remarquables par leur 
douceur et l'expression gracicase de leurs traits. 

Les femmes, de même que les hommes, n’ont au- 
cune sorte d’étoffe sur le corps, si ce n’est celle qui 
recouvre les parties naturelles. Les deux sexes ont 
l’habitude de se faire un large trou dans l’orcille 
droite seulement pour y placer tout ce qu’on leur 
donne, ct parfois des objets peu faits pour y être 
accrochés, tels que des bouteilles. Ordinairement 


() Le plus grand nombre n’a presque point de barbe : 
celle-ci est peu fournie, grêle, et forme une petite 


. mêche très maigre sous Ie menton. 


15 


98 


les filles y mettent des paquets de fleurs de pancra- 
tium qu’elles paroissent affectionner. Souvent avec 
ect air de coquetterie que la femme civilisée, comme 
dans l'enfance de cette même civilisation, possède 
si éminemment, des jeunes femmes détachoient de 
leur tête ces fleurs odorantes, et cherchoient à 
nous les placer dans les oreilles en accompagnant 
ce présent d’un sourire gracieux. Les hommes se 
couvrent aussi la chevelure avec lesfleurs rutilantes 
du kalcé, ou les spadices de l’arum. 

Ces naturels ne se servent d’aucune espèce de vê- 
tement pour se garantir des pluies fréquentes de 
leur climat. Lorsque le soleil les incommode, ils 
s’abritent seulement les épaules avec une large 
feuille d’arum. Les chefs paroissent tenir, par mor- 
gue, à ne point s’exposer autant aux influences de 
Ja chaleur. Ils sont un peu plus blancs que le reste 
des iusulaires. Ils sont aussi plus beaux hommes, et 
beaucoup mieux faits. Ils n’ont aucune marque dis- 
tinctive autre que les dessins de leur tatouage ; ce- 
pendant ils placent des plumes dans le nœud qui 
retient leur chevelure ; et lorsqu'on leur donne des 
clous, c’est toujours dans cette partie qu'ils les en- 
foncent en les rangcant régulièrement en forme de 
diadème. 

Les femmes, comme les hommes, vont habituel- 
lement tête nue. Leurs cheveux sont d’orüinaire 
épars sur leurs épaules, tandis que ces derniers les 
portent noués sur l’occiput. Celles-ci ont de plus une 
grosse cravate passée autour du cou, formée par 
un grand nombre de cordonnets, dont les bouts se 
dirigent du même côté et sont réunis en grosse 
touffe. Leur maro n’est point placé comme chez les 
hommes : c’est un morceau d’étoffe dont ces derniers 
se servent pour ceindre le corps en formant une 
poche pour recevoir les organes de la génération, 
tandis que le beau sexe emploie un maro large de 
dix pouces environ, étendu cireulairement autour 
du corps, et assez mal fixé pour qu'il soit le plus or- 
dinairement besoin de le retenir avec les mains, ou, 
au moindre mouvement, de le soutenir. 

L'ensemble des traits des femmes est en général 
assez bien. Elles se marient de bonne heure, car 
quelques unes étoient mères et paroissoient très 
jeunes: celles ont grand soin de leurs enfants, qu’elles 
portent sur le dos. Leurs travaux se bornent à l’in- 
térieur de la cabane, et jamais nous ne les rencun- 
trâmes occupées au-dehors ou à préparer les ali- 
ments. On ne sait si ces insulaires sont monogames; 
mais nous croyons avoir saisi dans le langage d’un 
paturel intelligent que chaque homme des classes 
supérieures pouvoit avoir deux femmes. Les wosses 
en auroient alors trois ou quatre. Les femmes sont 
considérées comme des créatures d’un ordre infé- 
rieur, quoiqu’on les traitât cependant devant nous 
avec une bonté ct une considération remarquables, 


HISTOIRE NATURELLE 


Elles sont très chastes, et on doit croire que cette 
vertu est enracinée dans leurs cœurs, et ne prend 
pas sa source dans l’excessive jalousie des hommes, 
qui, dès le premier instant de notre relâche, se 
montrèrent singulièrement éloignés de permettre 
le moindre commerce entre leurs épouses ct les gens 
de notre équipage. Les naturels parurent en effet 
très bien saisir le sens de quelques demandes que 
leur firent les matelots, ils en rioient beaucoup en 
répétant leurs gestes expressifs :mais dès cet instant 
tous ceux qui habitoieñnt les côtes occidentales de 
l'ile, vis-à-vis notre mouillage, firent conduire 
leurs familles dans l’intérieur; et malgré les bons 
traitements qu’on eut pour eux, les présents qu’on 
leur fit, et les soins qu’on prit de ne point donner 
ombrage à leur humeur jalouse, ceux qui se di- 
soient nos amis ne voulurent jamais les rappeler. 
Ce n’est que dans l’intérieur, et surtout dans le vil- 
lage de Lélé, que nous pûmes observer les femmes; 
et lorsqu'on. paroissoit trop s’en occuper, par un 
seul coup d'œil on les faisoit retirer; et souvent il 
arriva que des jeunes gens qui nous servoient de 
guides couroient devant nous les faire cacher dans 
les cabanes dans lesquelles nous devions nous 
arrêter. 

Cette habitude de soustraire leurs femmes à la 
vue des étrangers, ou la grainte de les voir profaner 
par des inconnus, est d’autant plus remarquable 
qu’elle est grandement opposée aux mœurs géné- 
rales des insulaires de la mer du Sud, qui sur cet 
article témoignent une grande indifférencé. Ce n’est 
pas cependant que les naturels des Sandwich, des 
iles de la Société et des Amis, des Marquises et de 
la Nouvelle-Zélande, prodiguent leurs épouses ; on 
sait qu'ils n’offrent communément que les filles 
esclaves ou de Ja classe inférieure du peuple, dont 
ils emploient les charmes pour trafiquer. Mais les 
habitants d’Oualan ne paroissent posséder qu’un 
nombre restreint de personnes du sexe féminin, et 
ne point avoir de concubines avouées, ni par consé- 
quent une classe de femmes livrée au publie. Dé- 
licats sur l’article de la chasteté conjugale, ils diffè- 
rent' beaucoup sous ce rapport des peuples que nous 
venons de nommer; aussi on peut assurer que les 
galants les plus déterminés du bord ne retirèrent 


‘ 


absolument aucun fruit de leurs avances. On est au-. 


torisé à penser cependant que les chefs, dont l’au- 
torité est sans autres bornes que leur volonté, au- 
roient été disposés, pour des présents, à accorder les 
femmes de la classe inférieure de leur district; car 
c'est ainsi que nous avons dû interpréter l'offre 
d’un urosse, qui, dans l’étonnement que notre 
vue lui inspira, nous pria en grâce, M. de Blosse- 
ville et moi, de coucher au village, d'y rester, en 


nous promettant une femme, une cabane et des 


aliments, 


DE L'HOMME. 


Nous ne connoissons absolument rien des rites 
religieux de ces insulaires ; nous ne vimes point de 
cabanes en apparence destinées à un culte quel- 
conque, et on ne peut penser qu'ils aient quelques 
notions de mahométisme. Cependant la hiérarchie 
et la prééminence des castes nettement établie, 
l'autorité toute-puissante des chefs, les hommages 
qu’on leur adresse en les entourant d’un respect 
religieux , surtout la conformation physique de ce 
peuple, quelques mots très usités , tels que celui de 
Japan pour désigner l'O. et souvent le N. O., nous 
autorisent à penser que les insulaires d'Oualan, sem- 
blables en cela à une partie mélangée des Chamo- 
riens des Mariannes, et des Tagales des Philippines, 
descendent de quelques provinces, non de l'Inde 
propre, mais de l’empire japonois. A leur vue, en 
effet, on ne peut se dispenser de leur donner cette 
filiation qui nous paroit avérée. 

La population d’Oualan est douce, timide et 
craintive ; les chefs seuls ont l’arrogance que leur 
dosne l'habitude du pouvoir. Habitués dès leur en- 
fance à une soumission passive, les gens du peuple 
respectent chaque classe supérieure à celle à la- 
quelle ils appartiennent; ils ne possèdent rien en 
propre; ils dépendent, eux, leurs familles, et les 
objets de leur industrie, de l’urosse dans le district 
duquel ils sont nés. Les classes moyennes sont les 
seules qui jouissent d’un peu de liberté. On conçoit 
que des lois ou des coutumes si féodales tendent à 
ne donner nulle énergie à leur caractère. Serviles 
par habitude, sans besoins nombreux, sans relations 
extérieures , ils vivent en remplissant quelques de- 
voirs qui ne sont ni pénibles, ni rigoureux dans un 
pays où les chefs n’habitent que sous les mêmes ca- 
banes, ne se nourrissent que des mêmes substan- 
ces, et n’ont de plus aucun vêtement. Aussi le 
peuple est-il le plus pacifique et le plus doux qu’on 
puisse citer, et sans doute qu’il faudroit de bien 
graves motifs pour qu'il cherchât à se venger ou à 
attaquer les Européens qui visitent son ile. D’ail- 
leurs ces hommes n’ont pour armes que des bâtons, 
et, ce qui est bien rare sur le globe, ils paroissent 
ignorer la guerre. Leur petite population, dominée 
par des chefs qui reconnoissent une autorité su- 
prême, n’a point de dissensions, et l'ile peut 
fournir à tous ses besoins, lors même qu’elle s’ac- 
croitroit. 

Oualan est régie par un seul chef, qui porte le 
titre d’urosre toll ou tône. Un grand nombre d’autres 
-chefs, également nommés urosses, commandent 
dans les districts de l’ile ou entourent le roi, dans 
le. village très peuplé de Lélé, établi sur la petite 
île de ce nom, dans la partie est d'Oualan. L’urosse 
tône paroît être choisi par les plus anciens uroises, 
et celui qui éloit en fonction lors de notre séjour 
étoit un vicillard que les ans menoient au tombeau 


99 


d’un pas insensible. Nous remarquâmes que le plus 
grand nombre des chefs étoit âgé, et à peine en 
vimes-nous quatre ou cinq pleins de vigueur, et 
encore dans la jeunesse. Le respect dont le peuple 
entoure le monarque est prodigieux, et la vénéra- 
tion et l'humilité qui se manifestent sur leur visage 
en prononçant son nom, qui pour eux paroit être 
sacré, le soin qu’ils ont de se trainer sur les genoux 
lorsqu'ils rencontrent Îes mrosses, attestent que leur 
pouvoir repose sans aucun doute sur des idées re- 
ligieuses. Tant de bassesse et de servilité dénotent 
bien une source asiatique. L'Inde, cet antique ber- 
ceau d’une civilisation depuis long-temps étouffée 
sous l'empire presque indestructible des opinions su- 
perstitieuses, est depuis des siècles divisée en castes 
qui se haïssent mutuellement, ou se déversent le 
mépris. La caste de Brama se croiroit flétrie par 
l’attouchement d’un membre de la vile caste desPa- 
rias… Eh bien ! à Oualan on retrouve parfaitement 
le tableau de cet ordre social, si peu en harmonie 
avec la raison. Là aussi une foible population est 
divisée en plusieurs castes, et celle des urosses, ou 
la noblesse, regarde comme indigne de ses regards 
la populace ou sinqué , faite seulement pour la ser- 
vir. D’après les indices que nos observations trop 
restreintes, et dès lors incomplètes, nous ont mis 
à même d'acquérir, il paroît que les chefs ont un 
droit absolu sur les propriétés et peut-être sur les 
personnes des hommes d’une origine commune 
qui naissent dans leurs districts respectifs. Nous 
vimes une femme, qui venoit de recevoir un présent 
de l’un de nous, être forcée de le remettre à lurosse 
à un seul geste qu’il lui fit. D’autres étoient dé- 
pouillés, sans se plaindre, du fer ou des autres ar- 
ticles qu’ils avoient reçus en échange de leurs maros 
ou des fruits qu’ils avoient cueillis. Mais cette obéis- 
sance passive est également imposée aux chefs à 
l'égard du roi, et tous les présents qu’ils recevoient 
lui étoient aussitôt remis. 

Les urosses diffèrent en général. du peuple par 
une taille bien prise, un air plus imposant, plus 
grave, un tatouage plus soigné et qui dénote leur 
rang. Leur chevelure est soigneusement peignée 
et frottéc d'huile; leur barbe, très blanche chez les 
vicillards, leur donne une physionomie vénéra- 
ble. il paroitroit que plusieurs tribus différentes 
existeroient dans l'ile, et seroient désignées par des 
noms particuliers. D’après les renseignements que 
nous avons obtenus des naturels, il en résulteroit, 
pour désigner ces clusses, les sept dénominations 
suivantes. 


io Urosse paroît signifier noble, chef. Ce nom se- 
roit applicable aux gouverneurs de districts, à ceux 
enfin devant lesquels le peuple doit s’humilier. Le 
mot tôue paroit être, pris isolément, un terme qui 
signifie haut, puissant, premier, et même chef de 


100 


famille. Aussi le titre du chef principal ou roi est-il 
urosse tône, quoique les naturels disent souvent et 
simplement urosse eu le désignant. 

La deuxième classe est celle des pennemés. Nos 
amis du village de Tahignié appartenoient à cette 
caste, qui correspondroit aux professions libérales 
du barreau et du haut commerce dans nos états 
civilisés. Ils étoient constructeurs de pirogues, et 
pul doute que cet art, le premier chez eux, ne soit 
distingué, comme exigeant du savoir et de l’habi- 
lcté. D’autres vieillards, habitant l’intérieur, étoient 
aussi tônes , et sans doute que c’éloit par naissance 
qu’ils conservoient ce titre dont ils étoient fiers. 
Nous remarquâmes combien l'esprit de corporation 
a d'influence sur tous les hommes, et la préférence 
que l’on accorde à ceux qui exercent la même pro- 
fession que nous. Nous dimes à un vieillard jovial, 
de la classe des pennemés, que nous étions pennemés 
de la grande pirogue; aussitôt il nous sauta au Cou, 
e1 appliquant son nez sur notre poitrine ct la flai- 
rant ; ce qui sembleroit être une politesse, car nous 
l'avons vu répéter plusieurs fois ensuite, et nous 
eûmes beaucoup de peine à nous débarrasser de ses 
bras lépreux. El nous offrit chaque jour des fruits à 
pain et des cocos, tandis qu’il parloil à peine à ceux 
qui prenoient le titre d’urosses. 

La troisième classe ou celle des lisignés corres- 
pond à la bourgeoisie. Cette ciasse est estimée et 
paroit être formée des propriétaires de terres. Le 
bas peuple enfin nommé siné ou sinqué est occupé 
aux plus rudes travaux , c’est-à-dire fournit les do- 
mestiques, les travailleurs. Cette caste est répartie 
chez les chefs, fait la cuisine et va chercher ou ré- 
eolter les fruits. Elle nage les pirogues, va couper 
des lattes pour les maisons ; en un mot, elle est ré- 
servée pour la servitude. Trois divisions paroissent 
encore exister, celle des lius ou néas, celle des 
metkao, et celle des memata. Mais ces deux der- 
nières nous paroissent douteuses, et nous serions 
tentés de croire que ce sont des noms de profession 


ou d’origine, peu usités d’ailleurs par les naturels 


eux-mêmes. 

On voit par l’ordre qui isole chaque rang que 
cette considération dont héritent les enfants nés dans 
telle ou telle caste ne peut provenir que d’un peuple 
anciennement civilisé. La filiation des idées de ceux 
que des circonstances imprévues auront portés dans 
ces îles se sera perdue ou se sera réduite à la plus 
simple tradition orale. à 

Un fait très remarquable est la différence d’in- 
struclion qui caractérise chaque caste, et même le 
langage que chacune d'elles parle. On conçoit que, 
pour former un vocabulaire, ce n’est pas une petite 
difficulté que de prendre des mots des premiers 
venus. Souvent un penremé nous donnoit le nom 


HISTOIRE NATURELLE 


siné, qui étoit à côté, en donnoit un autre, quel- 
quefois tout différent, au même objet qu’on mon- 
troit en le touchant. En général les chefs ont beau- 
coup plus d'instruction ; leur intelligence saisissoit 
aisément ce qu’on leur demandoit, et pour qu’il n’y 
eût pas d'erreur, souvent ils répétoient en nimes 
ce qui servoit à caractériser l’objet dont on vouloit 
avoir la connoissance. Leur prononciation est nette, 
leurs mots bien articulés, tandis que le peuple a 
une prononciation vicieuse, et qui varie à chaque 
instant. Nous eùmes occasion de juger des connois- 
sances d'un pennemé, en lui traçant sur le papier 
le cours du soleil. El sut fort bien nous exprimer 
l'idée qu’il avoit de sa marche, en nous indiquant 
qu’il tournoit autour de la terre, et que le matin, 
houat alaïe, le soleil se levoit; qu’à miii il étoit 
sur sa tête, koune ineléne, et qu’au soir il se cachoït 
dans la mer, foune cofo, en éclairant une autre 
terre. Le jour s'appelle lexélique, et la nuit fongao- 
nou. El nomma les mois une lune , alouaite, et il 
nous dépeignit aussi comment il pensoit que cet 
astre tournoit autour de la terre, en sens contraire 
du soleil. On ne put obtenir aucun résultat satis- 
faisant des questions qu’on lui adressa , pour savoir 
s'ils ont quelques terres dans leur voisinage : il 
sembla nommer deux îles Huat et Nécat, et surtout 
une dans l’ouest quart-sud-ouest d’Oualan, qu’il ap- 
peloit nun Monsol (1). 

L'ile d'Oualan, divisée en districts, régie par des 
urosses, a un nombre restreint d'habitants; on ne 
peut apprécier les causes qui tiennent la population 
dans ces bornes étroites, et nous ignorons si ce sont 
quelques institutions vicieuses qui ordonnent des 
sacrifices d'enfants à la mort des chefs, ou si enfin 
cela est dû à l’insalubrité du climat. Le village de 
Lélé, le point le plus peuplé de toute l'ile, doit 
avoir une population de cinq à six cents âmes. Le 
reste d’Oualan ne renferme plus que des réunions 
de trois ou quatre cabanes, ou même des maisons 
solitaires, principalement sur le bord des grèves sa- 
blonneuses ou dans les vallées intérieures. De sorte 
qu’on ne peut être loin de la vérité, en estimant à 
deux mille habitants la population totale de l'ile. 

On se demande quel est le levier qui maintient l’or- 
dre établi parmi ce petit peuple isolé; quels peuvent 
être les châtiments infligés à ceux qui manquent à 
cette obéissance aveugle qu’exigent les chefs; com- 
ment il se fait que des hommes toujours portés à 
franchir les bornes de leurs devoirs soient si soumis 
devant quelques individus qui se transmettent une 
autorité si despotique. Les idées religieuses y ont- 
elles quelque part, et les chefs sont-ils en même 


+ (1) C’est très probablement un mot qui signifie autre 
chose que le nom d’une île ; car monsol, ou plutôt mol- 


d'un objet ou d’une partie du corps, tandis que le * soul, signifie la mer, prise dans son étendue. 


DE L'HOMME. 


temps les ministres du culte? Cette dernière opinion 
auroit une grande probabilité, d'autant plus que les 
naturels professent un saint respect pour les tom- 
beaux, et surtout pour ceux des urosses, qu’ils bâ- 
tissent avec efforts en leur consacrant des hommages 
publics. Il n’est pas jusqu’à ceux de leurs proches 
qu’ils ne placent dans des positions choisies, en les 
entourant de tout ce qui commande un recueille- 
ment religieux. 

Le village de Lélé, principal point où sont réu- 
nies les demeures des naturels, a été bâti sur un 
îlot qui ne tient à Oualan que par un récif, sur le- 
quel on peut marcher ayant de l’eau jusqu’à la moitié 
du corps. Ce village est dans une position défavo- 
rable ; au milieu d’un limon infect couvert de man- 
gliers, tandis qu’une eau croupie et puante stagne 
même dans les sortes de rues qui conduisent aux 
diverses agglomérations de cabanes. Ces maisons 
occupent généralement des tertres, et celles du roi 
et des chefs sont situées au pied d’une haute colline. 
La forme de ces demeures est fort agréable, et leur 
construction est très ingénieuse : elles sont répan- 
dues sur le pourtour de la baie, ou au milieu des 
arbres le long des rivages ; et leur coupe étrangère, 
s’élevant au milieu de végétaux imposants, ombra- 
gée par les cocotiers, leur donne un caractère neuf 
qui n’avoit point encore frappé nos regards. Ces mai- 
sons sont très vastes, ayant jusqu’à quarante pieds 
d’élévation , sur une longueur proportionnée. Leur 
couverture est démesurément grande ; elle retombe 
presque sur le sol, en s’arrêtant sur une cloison en 
bois haute de trois pieds. Le sommet de chaque ca- 
bane forme un arc ouvert vers le ciel ; la toiture est 
faite avec des feuilles de vaquois et s’unit par simple 
juxta-position des deux côtés au sommet, et ne porte 
point sur une pièce de bois transverse. Les parois 
latérales sont faites avec des lattes d’un bois léger 
et blanc d’kibiscus, attachées sur des montants à 
distance d’un demi-pouce les unes des autres; de 
petites portes sont pratiquées sur les côtés. Ces lattes 
sont soigneusement travaillées et peintes de diverses 
couleurs. Le devant et le derrière de la maison ont 
cela de très remarquable que le haut rentre beau- 
coup sous la toiture, et semble former un abat-jour. 
Cet endroit est orné avec soin, et on a laissé çà et là 
entre les lattes des séparations qui permettent à l’air 
d'entrer par la partie supérieure et de circuler libre- 
ment dans les appartements. La portion inférieure 
de la facade à une petite toiture avancée , se termi- 
nant aussi à trois pieds du sol, ou a un lattis en bois, 
ou enfin est en partie à jour. Le sol de la bâtisse se 
compose de petits bambous ou roseaux dont les 
tiges, d’égale longueur, liées les unes aux autres, 
forment un plancher d’une grande propreté et très 
frais Les insulaires ont beaucoup de soin de ces bà- 
timents, surtout Les chefs, dont Iles demeures, quoi- 


10{ 


que faites sur un même modèle, sont plus spacieu- 
ses, mieux travaillées, et ne présentent point un 
morceau de bois sans qu’il soit peint en rouge, en 
noir, en jaune, ou en blanc, et très poli. Quelques 
compartiments sont établis sur un côté ; ils servent 
de chambres à coucher, et le lit des naturels ne con- 
siste qu’en une petite natte étalée sur le plancher 
en roseaux. Toutes les maisons que nous vimes n'of- 
froient de différence sensible que dans le plus ou 
moins de soins apportés à leur construction , ou dans 
leur grandeur et dans la manière dont elles étoient 
tenues. Les portes sont ordinairement très basses, et 
il faut ramper pour entrer dans les diverses pièces. 
Dans celles des chefs il y a de grandes portes à bat- 
{ants, qu’on ouvre aux visites de cérémonie. 

Les autres travaux dés naturels consistent en fortes 
murailles qu’ils appellent pot, lesquelles sont éle- 
vées avec beaucoup d'efforts sans doute, à en juger 
par la masse des pierres et par l’imperfection des 
moyens dont ces naturels se servent. C’est ainsi que 
le village de Lélé, sur l’ile de même nom, se trouve 
partagé en rues et en quartiers, en même temps 
que le pourtour de l'ile offre en entier une enve- 
loppe composée de ces masses de madrépores. Dans 
l’intérieur de l’île, des murailles hautes et formées 
d'énormes massifs attirèrent notre attention. Nous 
sûmes par la suite que c’étoit le lieu de la sépulture 
des urossss, et les naturels montrèrent le plus vif 
empressement à repousser de celte partie ceux qui 
cherchèrent à y jeter un coup d'œil. Ce cimetière se 
trouve très élevé, puisque la terre paroit presque 
au niveau du mur, qui a quinze pieds de hauteur, 
et quelques cocotiers et des bananiers y ont été 
plantés. Approfondir les idées morales de ce peuple, 
connoitre ses opiaions sur sa religion et sur une 
existence future, seroit d’un grand intérêt, surtout 
si l’on pouvoit assister à quelques unes de ses cou- 
tumes et de ses grandes cérémonies, telles que les 
funérailles d’un urosse. On trouve sur divers points 
de l’ile des petits ilots que les naturels ont envelop- 
pés de murs quadrilatères; nous ne pûmes savoir 
dans quel but. 

Il nous reste à parler maintenant d’un autre genre 
de maisons qui semblent être du domaine public, et 
où les naturels s’assemblent et préparent même 
leurs aliments en commun : ils nomment celles-ci 
lomme ounou, et quelquefois paé. Elles sont beau- 
coup plus vastes et moins propres. Il n’y a pas de 
réunions de trois ou quatre cabanes sans qu’il y ait 
une de ces maisons. On y dépose les haches de pierre 
pour le travail, et les longues lances pointues pour 
la pêche. Les régimes de bananes qui servent aux 
consommations journalières sont pendus à la toi- 
ture, Dans celles-ci, comme dans les autres, il n'y 
a que peu d’ustensiles de ménage, dont les princi- 
paux sont des auges de bois, dans lesquelles ils pré- 


102 


cipitent la fécule de la racine vénéneuse de l’arum 
macrorrhizon. Des écuelles de coco, une molette 
. pour broyer le fruit à pain ou le poivre, quelques 
nattes grossières, le métier avec lequel les femmes 


fabriquent les maros, voilà à peu près tout le mo- 


bilier des insulaires d'Oualan. 

La grande maison communale, où les chefs nous 
reçurent à Lélé, ressemble en tout à celles éparses 
dans les divers districts de l'ile. Le pourtour de ces 
grandes cabanes cest entouré d’un plancher en bam- 
bous, au milieu duquel on a laissé un grand espace 
quadrilatère sur le sol même, pour établir les foyers 
qui servent à la cuisine. Ceux-ci sont peu profonds, 
formés avec des galets arrondis de trachyte s’échauf- 
fant aisément, et qu’on dispose de manière à ce qu’ils 
entourent les fruits à pain, qu’on y cuit et qu’on 
place dans le trou, enveloppés de feuilles de bana- 
nier, en les recouvrant d'un petit dôme de pierres 
préalablement échauffées. Pendant que les domes- 
tiques de la classe des singu‘s préparent les aliments, 
les vicillards sont assis sur leurs nattes, ainsi que 
les hommes faits, et les mangent à mesure qu'ils 
sont cuits. Nous avons eu occasion de nous trouver 
plusieurs fois au milieu des naturels lorsqu'ils pre- 
noient leurs repas, et toujours nous avons vu un 
grand nombre d'hommes vivant en commun, servis 
par des jeunes gens qui se nourrissoient des débris 
laissés par leurs maîtres. À chaque convive on ap- 
porte un faisceau de morceaux de canne à sucre 
écorcés et netloyés, un petit panier de fruits à pain 
coupés par le milieu, deux ou trois bananes : voilà 
l'essentiel du repas. Pendant ce temps on fait griller 
légèrement quelques poissons, ou le plus ordinai- 
rement on les offre crus. Un domestique fait circuler 
alors une bouillie nommée ouaouw, faite avec la fé- 
cule d’arum unie à du fruit à pain écrasé, arrosée 
de lait de coco et de jus de canne à sucre, et ren- 
fermée dans une feuille de bananier. On prend cette 
bouillie, assez agréable, avec deux doigts, et, après 
en avoir mangé un peu, elle est passée au voisin. 
Un autre domestique est, pendant ce temps, occupé 
à broyer des tiges fraiches de poivre sur des pierres 
de basalte enfoncées dans le sol, ayant trois ou quatre 
trous avec des rainures, et qui existent dans chaque 
maison communale. Ces tiges sont humectées avec 
de l’eau, et triturées avec une molette nommée to : 
le liquide verdätre qu’on en retire se nomme sehia- 
ka; il est reçu dans des vases de coco, et on le passe 
dans un morceau d’étoffe avant d’être donné à cha- 
que naturel, qui avale d'un trait ce breuvage d’abord 


sucré, puis aromatique et stimulant. L'eau pure- 


sert de boisson ordinaire ; on l’apporte dans de petits 
vases faits avec des feuilles de bananier, végétal qui 
fournit à tous les besoins de propreté. Les cocos ne 
servent point ordinairement; le petit nombre qu’en 
possèdent les indigènes paroît être réservé pour l’é- 


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} 


HISTOIRE NATURELIE 


poque où les autres provisions viennent à manquer. 
Il en est de même des racines du chou caraïbe ou 
taro. Les insulaires d’Oualan se délectent avec la 
canne à sucre, qui est pour eux un objet de grande 
utilité, tandis qu'ailleurs elle est négligée. Ils man- 
gent volontiers le fruit à pain sauvage, dont la sa- 
veur douceâtre leur plaît; ils le font torréfier très 
légèrement, et rejettent les châtaignes, qui ailleurs 
sont estimées par leur bon goût. Les poissons et les 
aplysies sont rarement grillés; ils trouvent meil- 
leures ces substances lorsqu'elles sont crues. 

Nous ignorons l'heure de la matinée à laquelle ils 
déjeunent. Is dinent vers onze heures et demie. Ils 
soupent le soir, au coucher du soleil. Après le repas 
du milieu du jour les hommes se renversent sur leur 
pelite natte, et dorment à la place qu’ils occupent. 
Il paroit que les femmes et les enfants mangent à 
part etensemble ; du moins elles paraissent toujours 
réunies entre elles pour le travail, de même que les 
hommes s’assemblent entre eux. Les femmes peu- 
vent manger devant leurs époux, et l’on sait que les - 
vrais Océaniens interdisoient cette prérogative à leur 
famille : les occupations du sexe féminin paroissent 
bornées aux soins de la maternité et à la fabrique 
des étoffes pour maros. Les hommes se livrent à la 
bâtisse des maisons, cultivent les fruits, sarclent et 
plantent la canne à sucre, construisent des pirogues, 
ou vont à la pêche. Les vicillards ne font rien que 
boire, manger ct dormir, ou donner des conseils, 

L’hospitalité est un caractère distinctif des hahi- 
tants d’Oualan : dans quelque cabane qu’on aille, 
on s’empresse de vous faire asseoir et d'aller querir 
des fruits. Ils nous apportoient beaucoup de cocos, 
tandis qu’ils en sont très avares pour eux-mêmes. Il 
est probable qu’ils pratiquent pour leurs égaux ou 
pour une classe supérieure les mêmes devoirs qu’ils 
nous rendoient. Ils ne sont point exigeants, ils ne 
demandent rien en échange, et les petits présents 
qu’on leur faisoit les combloient de joie. Des dispo- 
sitions aussi bienveillantes et aussi aimabies ne se 
retrouvent point chez les chefs; et soit par vanité, 
soit parce qu'ils pénsent que tout leur est dû , ils se 
montrèrent avides, insatiables, et ne daignoient 
jamais , quelque présent qu’on leur fit, donner un 
coco en échange. 

Le vol est presque inconnu à Oualan, et les actes 
répréhensibles furent commis par des urosses, qui 
cherchoient à prendre effrontément ou ordonnoient 
à ieurs pagayeurs d'enlever les objets à leur bien- 
séance. C’est ainsi que devant tout l'équipage de la 
Coquille un urossr vouloit faire détacher le gouver- 
nail d’une de nos embarcations. Ce sont encore les 
chefs qui se montrèrent turbulents et disposés à faire 
dépouiller un officier qui se rendit seul à Lélé : mais, 
pusillanimes et mous, le moindre geste les inti- 
mida. Nous pensons que des altercations se 


DE L'HOMME. 


seroient élevées entre les urosses et nos gens, si 
ceux-ci eussent continué d’aller isolément dans 
leur village, où ces chefs se trouvoient en force. 
Quant au peüple , sa bonté et sa soumission ne se 
sont jamais démentics. Toujours prévenants et com- 
plaisants dans quelque cabane que nous soyons 
entrés, les naturels ont devancé nos désirs ; ils n’ont 
jamais cherché à enlever le moindre de nos eflets; 
ils nous servoient de guides, et cela tout nata- 
rellement. 

L'industrie de ces insulaires n’est remarquable 
que par les étoffes et les pirogues. Pour les premiè- 
res tout leur savoir consiste à tisser leur maro, le 
climat ne leur ayant pas fait sentir la nécessité de 
se couvrir d’autres voiles. Mais on ne peut troplouer 
Ja vivacité des couleurs dont ils teignent les lils, et 
l’art avec lequel ils les assemblent. Ces étofles, tou- 
jours identiques, varient pourle dessin, et sont 
encore celles qui approchent le plus des tissus eu- 
ropéens. Ils ne savent point faire le papier vestimen- 
tal avec l'écorce d’arbre à pain. 

Il paroît qu’on retire les fils des feuilles ou des 
tiges d’un bananier sauvage (musa textilis), et 
qu’ils les débarrassent par le rouissage de la gomme 
qui les invisque. Cependant ils pourroient aussi se 
servir pour cet usage des écorces d’ortie blanche et 
d’hibiscus tiliaceus, plantes qu’on y rencontre en 
abondance, et qui sont utilisées en d’autres îles. Ces 
fils, débarrassés de leur enveloppe, sont séchés par 
paquets. 

Ils se servent pour teindre en rouge d’une grosse 
racine rougeâtre nommée mahori, qu’ils font infu- 
ser dans l’eau au soleil, et qu’ils retirent du mo- 
rinda, Hs y font tremper les fils pendant quelques 
jours, avant de les sécher. Ge rouge est d’abord 
terne el analogue à celui de l’ocre. Hs paroit qu'ils 
ne possèdent point dans leurs montagnes le figuier, 
ou qu’ils ignorent l’usage de son fruit, utilisé dans 
les archipels de la Société et des Sandwich. 

Nous ne savons avec quel végétal ils composent 
le noir brillant et le jaune doré qui forment les des- 
sins des maros. Comme le morinda citrifilia est 
très connu pour donner une belle couleur jaune avec 
sa deuxième écorce, et qu'il est usité à Taïti et dans 
les Moluques, il est probable que cctarbreleur four- 
nit encore cette couleur. El reste à savoir comment 
ils font pour les aviver d’une manière si parfaite. El 
peut se faire aussi qu’ils tirent quelque parti de la 
terre mérite ou cureuma, qui croit spontanément 
dans l’ile. 

Les femmes sont en possession de manufaciurer 
les maros en se servant d’un petit métier à laide 
duquel elles tracent les dessins, tandis qu’elles n’ont 
besoin que de deux montants carrés pour composer 
le corps uni de l'étoffe. Ces »aar0s, nommés toll, 
n’ont que huit pouces de largeur sur plus de cinq 


103 


pieds de longueur, bien que le tissu des femmes aît 
plus de développement. Ceux des hommes du peu- 
ple sont d’un tissu plus grossier, et Icurs dessins se 
réduisent à des raies rouges légères tractes sur les 
bords et au milieu, La couleur en est généralement 
noire et sans ornement. Les pennené; et autres cas- 
tes plus relevées en portent dont le fond est noir 
aussi, mais dont les extrémités sont enjolivées de 
carreaux mélangés des quatre couleurs précitées. Des 
franges en ornent les extrémités. Les plus beaux 
maros appartiennent aux premiers chefs; et leur 
fond, rouge et surtout blanc, est couvert en lon- 
gueur de raies légères et noires. 

La construction des pirogues se faitavec des haches 
en pierre ou en coquilles : et, quoique défavorisés 
par limperfection de leurs instruments, ces insu- 
laires donnent un fini précieux à leurs travaux. Les 
pirogues ont une forme caractéristique, et se distin- 
gueat par des extrémités verticales. La coque en est 
faite d’un seul arbre, quelquefois trèsgros, sur lequel 
on adapte des fargues. Les trous sont recouverts avec 
un mastic blanc nommé pouasse, que nous croyons 
être fourni par le suc laiteux de l'arbre à pain, uni 
à la pulpe non mûre du fruit. Les embarcations sont 
creusées dans le seul tronc d’un «rtocurpus. Ces 
pirogues, quoique grandes, sont très légères; elles 
paroissent très étroites par la rentrée des plats- 
bords ; elles sont peintes en rouge, et le bois est si 
soigneusement poli avec du trachyte ou avecde gros- 
ses râpes faites avec une peau de diable de mer, que 
nos ouvriers ne sauroient rien faire demieux. Il n’est 
pas jusqu’au balancier qui ne soit travaillé avec soin, 
et dont les extrémités ne soient relevées avec goût. 
Ces pirogues marchent sans voiles et sans mâts ; ce 
n’est qu’à l’aide des pagaies qu'on les fait naviguer : 
celles-ci, de forme lancéolée, sont terminées par 
une pointe très aiguë ; elles servent d’armes défen- 
sives plutôt qu'à la manœuvre, car les naturels ne 
se montrent point habiles à évoluer leurs embarca- 
tions. Ces peuplades, entièrement sédentaires, vivant 
sur une ile fertile, ne sont pointadonnées à la pêche, 
et les poissons ne sont pour elles qu'un accessoire 
de leur nourriture et non pas leur principale res- 
source : de là le peu d’habitude de la mer qu'on 
remarque en elles, tandis que les autres Carolins 
sont d'excellents marins. Les pirogues des urosses 
sont désignées par des sortes de chapeaux chinois 
appelés palpa , faits en coquilles blanches et brunes 
eufilées, et supportées par quatre morceaux de bois 
qu’ils placent sur le balancier. 

Les instruments usités dans le pays sont peu nom- 
breux. La hache, tala, tient le premier rang par: 
son utilité comme par la manière ingénieuse qui a 
présidé à sa confection. Les haches sont faites sur 
un type unique : seulement elles varient par la gran- 
deur, car il en est de très grosses ; et d’autres , des- 


104 


linées à de petits ouvrages, sont gracieuses et faites 
avec une vis-ligre ou une mitre-épiscopale, dont la 
grosse extrémité est usée pour former un bord cou- 
pant. Les naturels emploient aussi des valves de 
grandes tridacnes au même usage; mais ils ont 
recours le plus habituellement à une sorte de madré- 
pore spathisé, d’un grain très fin, imitant l’ivoire, 
qu’ils façconnent par un frottement prolongé avec de 
la poussière de basalte. Ils disposent en biseau le 
coupant de cet instrument, dont la forme générale 
ne peut mieux être comparée qu’à une dent iucisive. 
Ces coupants sont entés sur un corps en bois, et so- 
lidement attachés à une tige arrondie qui peut tour- 
ner sur une surface concave du manche en permet- 
tant à la hache de prendre une direction verticale ou 
horizontale au besoin. Le manche est en bois léger 
d’hibiscus , et décrit une courbe. Le tout est peint 
en rouge et en noir. On se sert des haches les plus 
volumineuses en frappant à grands coups pour creu- 
ser une pirogue, et en donnant un singulier tour de 
bras à l'instrument qui décrit un cercle au bout du 
levier qui le fait agir. Le bois travaillé est ensuite 
poli avec beaucoup de soin par le moyen de mor- 
ceaux unis de trachyte ou par une râpe faite avec la 
peau rude de grandes raies. 

Les haches sont seulement employées à couper 
des arbres, à construire les pirogues, faconner la 
charpente des maisons, et creuser des auges en bois 
qui servent à teindre ou à renfermer de l’eau. 

Nous eûmes occasion de voir dans les cabanes de 
Jongues javelines eflilées, soigneusement travaillées, 
que nous primes pour des armes, ainsi qu’un bâton 
pointu à une extrémité, entaillé à l'autre, et aussi 
peint en rouge. La javeline se nomme ouessa, et le 
bâton sague. Les naturels s’en servent pour se pro- 
curer du poisson. Leurs pêcheries sont établies sur 
le bord des récifs, où la haute mer vient briser. Ils 
établissent des espaces quadrangulaires avec des 
murailles hautes de trois pieds, et construites assez 
solidement pour que la mer ne puisse les renverser 
en s’élevant par-dessus. Les pierres sont disposées 
de manière à ce qu’il n’y ait point d’interstices entre 
elles, et une seule ouverture est pratiquée pour que 
les eaux puissent s’écouler jusqu’à un certain niveau 
lorsque la mer baisse. Le poisson qui à été apporté 
dans ce vivier y demeure, et les naturels s’y ren- 
dent lorsque la marée à abandonné le rivage : fer- 
mant alors le trou pratiqué au réservoir, où il reste 
peu d’eau, ils frappent et percent le poisson avec ces 
longues javelines dont nous avons parlé. Au reste 
ces pêcheries ne sont ni nombreuses ni bien entre- 
tenues. Ils se servent aussi d’hamecons en nacre, 
dont nous ne vimes entre leurs mains qu'un bien 
petit nombre. Ils ne faisoient aucun cas des nôtres, 
ou , s'ils les acceptoient, c’étoit pour les placer dans 
les trous de leurs oreilles, Les filets qu’ils emploient 


HISTOIRE NATURELLE 


ne sont point ingénieusement fabriqués. C’est un 
long ovale de branches pliantes et souples qui se réu- 
nissent à une extrémité, et supportent une sorte de 
poche dont les mailles sont assez serrées et faites 
avec le caire du coco. Ce genre de filet sert à pour- 
suivre le poisson. Pour cela une douzaine d'hommes 
se placent de manière à former un grand cercle dans 
l’eau des récifs : ils finissent par se rapprocher en 
poussant les poissons devant eux. Il arrive alors 
qu'ils se joignent, et les poissons sont contraints de 
se jeter dans leurs filets tendus. Le bâton pointu pa- 
roît destiné à assommer certaines espèces, ou bien 
à saisir, dans la fourche pratiquée à son sommet, les 
grosses murènes et les murénophis, si communes 
sur la côte. Cependant nous ne leur en vimes jamais 
prendre, et en général leur prodigieuse multiplica- 
tion annonce qu’ils les négligent. 

Les cordes qui servent aux pirogues sont assez 
bien tissées : il en est qui imitent à la vue celles 
d'Europe. Ils emploient à cet usage le brou filamen- 
teux du coco. 

Les insulaires d'Oualan possèdent peu d’objets de 
décoration, et ils ne se servent point de cosmétiques 
ni de substances masticatoires quelconques. Les 
chefs paroissent être les seuls qui empioient l’huile 
pour s’oindre les cheveux. Ils portent quelques 
fleurs, parfois des colliers faits avec une ovule enfilée 
qu'ils nomment Aoulé, ou des bracelets en petites 
rouelles noires et blanches. Le plus grand nombre 
a sur la nuque un morceau d’écaille de tortue, sus- 
pendu à un cordonnet qui fait le tour du cou. Il pa- 
roit qu'ils attachent quelques idées superstiticuses 
à cet ornement; car ils ne voulurent point nous en 
céder, bien que le prix qu’on leur en offrit les tentât 
singulièrement. 

Le tatouage paroît à Oualan désigner les rangs: on 
nomme sisé, schisché, cette opération. Les hommes 
portent deux longues raies en dedans et en dehors 
des membres inférieurs. Ces deux bandes sont larges 
de huit lignes, remplies de losanges à jour dans les 
classes inférieures, noires et pleines au contraire 
chez les urosses. Ceux-ci ont en outre des dente- 
lures, et, comme les peunemés, des lignes légères 
dans leur intervalle, terminées par des crochets. Les 
bras sont chargés de petits dessins; mais ce qui rend 
remarquable et caractéristique le tatouage de ces 
insulaires est un large chevron noir qui couvre le 
pli du bras chez les deux sexes. Les hommes n’en 
placent point ailleurs que sur les membres, tandis 
que les femmes ont les reins couverts de tatouage 
qui se termine sous le rebord même de leur maro, 

Le chant des habitants n’a rien d’agréable; ce 
sont des sortes de phrases prosaïques cadencées sur 
un {on lent et monotone, qui accompagnent le plus 
souvent la danse. Il faut avouer que celle-ci décèle 


un caractère bien sérieux et bien flegmatique. Les 


DE L'HOMME. 


paturels, en effet, paroïissent en général calmes et 
peu adonnés à la gaieté. Les chefs surtout sont gra- 
ves. Quelques hommes du peuple dérogent seuls à 
ce caractère, qui semble exclusif à la masse de la 
population. Quoi qu’il en soit, un wrosse voulut 
bien exécuter plusieurs fois de suite, devant rious, 
la danse usitée dans le pays. Celle-ci ne se compose 
que de mouvements lents, cadencés, des membres 
et du corps, de sortes de changements de position 
des bras et des jambes, qui imitent parfois les poses 
d'un maïître d'escrime. Ces balancements, accom- 
pagués de la voix, se bornent à des demi-tours que 
le danseur fait sur lui-même. Ordinairement, lors- 
qu’ils tiennent dans les mains des bâtons, ils se réu- 
nissent pour former une longue file. Le grand mérite 
consiste alors à faire les mouvements et les mêmes 
gestes avec une telle précision que tous les membres 
semblent être animés du même principe moteur. Il 
paroît que le peuple ne sait point exécuter cette cho- 
régraphie ; car quelques hommes du commun l’es- 
sayèrent en vain, et plusieurs montroient un grand 
plaisir à la voir danser par trois on quatre naturels 
qui y excelloient, à en juger par les applaudisse- 
ments qu’ils reçurent (!). 

Iodubitablement ces insulaires professent le dogme 
de la résurrection des âmes, et les soins qu’ils ap- 
portent à leurs tombeaux semblent altester qu’ils 
ont cette pensée consolatrice. Les urosses, ces demi- 
dieux d’Oualan, sont enterrés dans un lieu consacré, 
où toute la force des insulaires se manifeste avec le 
summum de leur puissance dans la confection des 
murailles qui les enclosent. Celles du peuple, moins 
recherchées, ont quelque chose de touchant dans 
leur simplicité sauvage. 

Les plantations de cannes à sucre sont principale- 
ment destinées aux sépultures ; et comme elles exis- 
tent dans la plaine comme sur le revers des mon- 
tagnes, et parfois aux deux tiers de leur hauteur, 
il en résulte un choix qui annonce un jugement mé- 
ditatif sur l’effet des tombeaux. Souvent, en effet, la 
sépulture d’un naturel se trouve abritée par l'arbre 
à pain qui l’a nourri, au milieu des tiges murmu- 
rantes de la canne à sucre, près d’un ruisseau dont 
les ondes fugitives coulent, du sommet des monta- 
gnes, au milieu de bosquets touflus d’orangers, 
d’ixora, que recouvrent des liserons volubiles aux 
larges corolles purpurines. Chaque sépulcre est pro- 
prement recouvert d’une petite cabane, dont les pa- 
rois latérales sont à jour. Très souvent on rencontre 
des villages aujourd’hui habités par les morts; car 
les naturels d’un endroit se plaisent à réunir leurs 
proches dans le même espace de terre, Des treillages 

LS s 


(‘) Hs s’accompagrent avec un tambour ou tam-tam, 
et cet instrument paroît être connu de tous ies peuples 
non civilisés, 

1 


105 


recouvrent le sol de la cabane mortuaire ; une natte 
y est placée, sans doute pour que le fils puisse venir 
consulter les cendres de ses pères : on retrouve 
encore sous quelques uns de ces toits simples, mais 
élevés avec soin, les instruments dont se servoit le 
possesseur sur la terre, une hache pour l’homme et 
le métier à étoffes pour la mère de famille. Chez les 
peuples les plus bruts, ceux de la Nouvelle-Hol- 
lande par exemple, les tombeaux sont respectés : il 
n’y a que l’homme civilisé qui en ait méconnu la 
religieuse influence! 

Il nous reste à dire un mot sur la langue des ha- 
bitants d’Oualan : elle nous paroît évidemment com- 
posée de plusieurs dialectes que parlent les diverses 
castes ; elle diffère de toutes celles que nous avions 
entendues jusqu'alors, et surtout de l’océanienne, 
La prononciation des mots nous parut très difficile 
à saisir, et nous remarquâmes que la plus grande 
difficulté étoit de rendre, par nos signes ou lettres, 
les sons qui parvenoient à nos oreilles. Une autre 
cause qui s’opposoit à ce travail est l'espèce de soin 
qu'ont les naturels à ne jamais contrarier. Si par 
inattention on croit avoir entendu un mot, et qu’on 
vienne à le répéter, tous persisteront à dire comme 
la personne, le nom n'ayant aucun rapport même 
avec ce qu’on leur demande. Cette excessive com- 
plaisance est plus nuisible qu’utile, et ces hommes 
sont d’une telle légèreté, ou tout ee qu’on fait autour 
d’eux les occupe tant, qu'ils ne répondent d’ailleurs 
qu'avec indifférence. 

Pour former des vocabulaires, le plus difficultueux 
n’est point d'obtenir les noms des choses matérielles 
qu'on a sous les yeux. En recueillant les mots qui 
les concernent, on est à peu près sûr de leur exacti- 
tude; mais il n’en est pas de même pour leur-faire 
comprendre des idées métaphysiques attachées aux 
mots, tels que hier, demain, père, frère, parents, 
et une foule d’autres qui tiennent à des rapports 
plus complexes. Leur prononciation est souvent gut- 
turale, terminée par des consonnances nasales ou 
palatiales difficiles à saisir avec rigueur, et qui in- 
fluent beaucoup sur la valeur des mots; car il en 
est qui désignent plusieurs objets en changeant de 
son seulement, son qui est peu sensible pour nos 
oreilles. Les seuls mots dont on rencontre des ana- 
logues dans le langage de quelques peuples de la 
mer du Sud sont peu nombreux et peu caractéris- 
tiques. On en trouveroit sans doute beaucoup plus 
dans les langues japonoise ou chinoise. Ainsi le mot 
ik, poisson, employé à Oualan, est dérivé d’ikan, 
Malais, d’ika, Nouveile-Zélande; tandis qu’eia, 
usité à Taïti, et ie à Rotouma, en sont corrompus 
Wouake, pirogue, consacré à Oualan, est analogue 
à waka, Nouvelle-Zélande ; à vaka, Rotouma, à vaa, 
Taïiti. Cocotier, nou, se nomme niou aux Sandwich 
et à Rotouma, et pourroit dériver du mot malais 

14 


106 HISTOIRE NATURELLE 


nior, moins usité que kalipa. Pagaie, oa, est appe- 
lée eoé à Taïti. Banane, oune, porte absolument le 
même nom, oune, au Port-Praslin et à la Nouvelle- 
Yrlande. Canne à sucre se dit tu à Oualan, to à la 
Nouvelle-Frlande, toa à Taïti, toou aux Sandwich 
et à Rotouma. Le coït se dit fouine à la Nouvelle- 
Irlande, et foë.e à Oualan. Mata, œil, également 
nommé nata dans la langue malaise, ete., ete. 

La numération est basée sur des principes régu- 
liers et fixes qui n’ont pu provenir que d’une nation 
civilisée depuis long-temps. Elle diffère beaucoup 
de celle des Malais, et la dénomination de plusieurs 
noinbres se rapproche de mots employés à la Nou- 
velle-Frlande. Quant à la manière de compter des 
Sandwichiens et des Taïtiens, elle en diffère com- 
plétement par rapport aux noms, et s’en rapproche 
quant au mécanisme. 


. EXEMPLES. 


FUNAY 01: 30, toll go ule. 
2, lo. 40, eaa goule. 
3, toll. 59, lomme goule. 
4, eaa. 690, holl goule. 
5, lomme. 70, hut goule. 
6, holl. 80, ouall goule. 
7, hut. 90, héo goule. 
8, ouall. 100, scha sihiogo. 
9, héo. 200, lo sikiogo. 


10, singoule. 

41, singoule scha. 
42, singoule lo. 
13, singoule toll. 
14, singoule caa. 


15, singoule lomme. 


16, singoule holl. 
17, singoule Lut. 
438, singoule ouall,. 
19, singoule héo. 
20, logoule. 

24, logoule scha. 
22, logoule lo. 
23, logoule toll. 
24, logoule caa. 
25, logoule lomine. 
26, logoule holl. 
27, logoute hut. 
28, logoule ouall. 
29, logoule héo. 


300, toll siriogo. 
400, eaa sihiogo. 


500, lomme sihiogo. 


GG9 , hollsiriogo. 
709, hut sihiogo. 
809 , ouall sihiogo. 
900, keo sihiogo. 
16090, scha sihia. 
2009, Lo sihia. 
3009, toll sihia. 
4000, eaa sihia. 
5000, lomme sihia. 
6060, holl sihia. 
7000, hut sikia. 
8000, ouall sinia. 
9009, heo sihia. 


10000, sasihié. 
1416090 , scha sasihié. 
20000, louho. 


NI. NATURELS DES ÎLÉS MAC-ASKILL. 


Le 17 juin 4824 nous reconnümes les îles Pelelap, 
Tougoulou et Takai, que le capitaine Mac-Askill 
découvrit en 4809. Ce sont de petites îles basses re- 
posant sur le même plateau de récifs, qui gisent 
par six degrés trente-six minutes de latitude nord, 
et céht cinquante-huit degrés vingt-sept minutes de 
Jongitude ‘est. De nombreux végétaux les recou- 
vrent, et eù et là dans les éclaircies des bois parois- 


. 


sent les cabanes dont la forme est analogue à celles 
d’Oualan; toutefois leur construction nous parut 
beaucoup plus négligée. Les naturels se hâtèrent de 
jeter leurs pirogues à l’eau, et comme nous avions 
mis en panne, en un clin d’œil ils nous atteignirent; 
la plupart des embarcations étoient manœuvrées 
par sept ou huit indigènes : ils montèrent à bord 
sans témoigner ni hésitation ni crainte, et, par une 
exception d'autant plus digne d’être citée qu’elle est 
plus rare, ils nous offrirent avec un désintéresse- 
ment qui nous charma toutes les provisions dont ils 
s’éloient munis, et qui consistoient en cocos secs et 
germés, en fruits à pain sauvages, et en gros tron- 
cons de taro (arum macrorrhizon ). C’étoit la pre- 
mière fois que nous recevions des peuples de la mer 
du Sud un présent de haute importance pour des 
hommes dont les iles sont peu productives, sans 
qu’ils nous témoignassent le moindre désir d’en ob- 
tenir une récompense. Leur action ne fit point d’in- 
grats. Les cocos, qu’ils nomment cagué, ne sont, 
à ce qu’il paroît, mangés que dans l’état sec, et 
lorsque l’amende a acquis son entier développe- 
ment. Ce fruit, sur les iles basses, est sans doute 
trop précieux à une population nombreuse pour être 
cueilli lorsque la noix est remplie de lait émulsif, 
et propre à désaltérer seulement : la prévoyance 
leur à donc fait une loi de ne point gaspiller leurs 
vivres, ou comme on le dit, de manger leur bien 
cu herbe. Les objets qui leur firent le plus de plaisir 
furent des clous et des haches; et le fer d’ailleurs, 
qu’ils nomment loulou. est recherché par eux sous 
quelque forme qu’il soit. Parmi les fruits qu’ils nous 
offrirent étoient quelques régimes d’une espèce de 
banane sucrée et fondante que nous n'avions point 
encore rencontrée, et dont la saveur étoit délicieuse. 
Nous y remarquâmes aussi quelques cônes de pan- 
danus que les naturels sucent avec plaisir, quoique 
les semences en soient ligneuses et coriaces ; cepen- 
dant une matière sucrée assez abondante est ré- 
pandue à l'endroit où ces fruits s’insèrent sur le 
pédoncule. 

Ces insulaires avoient la plus grande analogie 
et dans les caractères physiques et dans les arts in- 
dustriels avec les habitants de l'ile d’Oualan. C’est 
en vain toutefois que nous essayâmes de nous faire 
entendre d’eux en nous servant des mots oualanois 
que nous avions recueillis, et qu’ils parurent ne pas 
comprendre; après quelque persévérance nous ob- 
tinmes de plusieurs les noms qu’ils donnent aux 
unités ; et, comme il sera facile de s’en convaincre, 
ces mots ne présentent que des différences bien lé- 
gères avec ceux employés à Oualan. 

L 
4, sa. 4, hea. 7, ut. 
DTOX 5, Lim. 8, houal. 
3, toll, 6, huone, 9, héo, 


DE L'HOMME, 


La taille des habitants des îles Mac-Askill est 
moyenne et bien prise; la plupart d’entre eux 
avoient un embonpoint raisonnable, tandis que 
nous en remarquâmes quelques uns ensevelis sous 
d’épaisses couches de graisse, dont tous les mouve- 
ments étoient gênés par cet état d’obésité. La teinte 
de la peau est d’un olivâtre peu foncé, et l’ensem- 
ble de leur physionomie agréable est empreinte 
d’une grande douceur. Un seul petit maro de toile, 
placé en plusieurs doubles, est leur unique vête- 
ment ; et lorsque, cédant aux'demandes des amateurs, 
ils changeoient ce morceau d'étoffe contre du fer, 
ils manifestoient la plus grande pudeur pour qu’on 
n’entrevit point ce que le maro offlicieux cachoit 
d’ailleurs assez mal. Leurs longs cheveux noirs, ct 
un peu frisés, sont retenus sur le sommet de la 
tête par un nœud : ils ne se rasent jamais la barbe 
ni les moustaches; mais cet accessoire n’acquiert 
son complet développement que chez quelques 
vieillards, car le plus grand nombre des indigènes 
ne nous présenta qu’une touffe peu épaisse d’une 
barbe rare et grêle formant une pointe sous le men- 
ton comme celle que portoit Charles IX. Leurs 
dents sont éblouissantes de blancheur; et leurs 
yeux naturellement obliques, lorsqu’on y joint l’é- 
troitesse du front, l’étranglement des branches du 
maxillaire inférieur, rappellent évidemment le type 
coréen ou japonois. 

Ces insulaires ont un goût décidé pour les fleurs. 
Des jeunes gens s’étoient orné la tête de couronnes 
d’irora, dont les corolles sont d’un rouge ponceau 
très vif; quelques uns passent dans les trous des 
lobes des oreilles des feuilles florales qui nous sont 
inconnues, et qui ex halent une odeur suave de vio- 
lette ou d'iris de Florence; d’autres enfin avoient 
leur chevelure entremêlée de fleurs blanches, et 
ces parures si simples prêtoient à leurs physiono- 
mies un charme qu’il est plus facile de sentir que 
de peindre. Sans cesse en mouvement et se livrant 
aux éclats les plus bruyants d’une gaieté folle, le 
caractère de ecs hommes ne se montra que sous des 
dehors favorables dans notre courte entrevue. Ils 
nous parurent moins posés et moins mélancoliques 
que les habitants d’Oualan. 

Ainsi que nous avons déjà eu occasion de l’indi- 
quer, davs le groupe des iles les plus orientales ils 
se ceignent les reins de chapelets faits avec des 
rouelles noires et blanches : leur maros sont d’une 
étoffe beaucoup plus épaisse que ceux usités à 
Oualan, mais l’art de les tisser, la variété des des- 
sins, la vive coloration des fils, ne leur sont point 
inféricurs. Leur tatouage est plus élégant et plus 
perfectionné que chez aucun autre peuple ; les 
dessins qui recouvrent le corps sont disposés par 
larges masses qui lui donnent un aspect bleuâtre:; 
mais dans ces masses sont répélés symétriquement 


107 


des raies, des cercles, incrustés dans la peau avee 


goût. Les jeunes gens seuls ne présentoient point 
ce genre de décoration, Quelques vieillards étoient 
entièrement chauves. 

Lesinstruments que nous vimes dans leurs mains 
consistoient en haches fabriquées, comme celles 
d’Oualan , avec des fragments de corail ou avec des 
coquilles, telles que la tridaene , la vis, et la mitre- 
épiscopale. On les appelle talé ; et ce nom a, comme 
on voit, la plus grande analogie avec le mot tala 
usité à Oualan, et qui signifie la même chose. Leurs 
cordes, faites avec le caire du coco, étoient solides 
et bien tissées. Leurs pirogues diffèrent beaucoup 
de celles d'Oualan,; leur construction se ressent na- 
turellement de ce que les îles basses ne possèdent 
point de grands arbres ni de bois dont les fibres 
soient denses et compactes. Cependant la forme de 
leurs pirogues rappelle celle des pros élégants dont 
nous aurons bientôt occasion de parler. Aucune de 
celles qui vinrent le long du bord n’avoit de mâts 
ni de voiles; on les manœuvroit simplement à Paide 
de pagaies pointues. 


VII. NATURELS DES ÎLES DUPERREY. 


Le 18 juin nous découvrimes trois îles inconnues 
aux géographes, formant un trépied sur un plateau 
de récifs; les naturels qui vinrent à bord nous les 
nommèrent Hougai, Aouerra et Mongoule. Ces 
iles, auxquelles le commandant de la corvette /a Co 
quille crut devoir donner son nom, gisent par six 


degrés trente-neuf minutes de latitude nord, et cent. 


cinquante-sept degrés vingt-neuf minutes de longi- 
tude est. Le, premier pros qui nous accosta étoit 
monté par dix hommes : l’un d’eux nous montra 
une herminette en fer faite avec un morceau de 
cercle de barrique, ce qui prouve qu'ils ont dû 
communiquer avec des Européens, ou recevoir ce 
métal dans quelque ile voisine et par voie d'échange. 
Comme tous les Carolins, ils appellent le fer loulou, 
leurs chefs tamols, et connoïssent exactement la po- 
sition des îles qui les environnent. 

Les insulaires qui communiquèrent avec nous 
sont de très beaux hommes; ils joignent à une 
taille avantageuse et bien prise des membres forte- 
ment dessinés. Leur peau, souple et lisse, n’est 
point foncée en couleur; leurs traits, bien que 
larges et épatés, ont un jeu de physionomie ouvert 
et bienveillant; leurs cheveux noirs, un peu frisés, 
flottent librement sur leurs épaules, et ne recoivent 
aucun objet de parure. La gaieté qui les anime, et 
le sourire qui règne sur leurs lèvres , laissent 
entrevoir des dents du plus bel émail. La barbe con- 
tourne la lèvre supérieure, taillée en un léger re- 
bord, tandis qu’elle forme uñe touffe mince et poin- 
tue sous le menton, Comme les autres Carolins, ils 


à! 


Er 


# 


108 


n’ont pour fout costume qu’un étroit maro dont 
J'étoffe est colorée en jaune orangé fort vif. Un 
tatouage très compliqué recouvre toute la surface 
du corps; mais cet ornement, chez la plupart des 
naturels qui nous visitèrent, disparoissoit sous les 
zones nombreuses de la lèpre océanienne (!) qui les 
dévoroit. Nous remarquâmes que ces insulaires sont 
plus navigateurs que ceux que nous avions jusqu’à 
ce jour visités ; toutefois ils sont encore assez longs 
à évoluer leurs pirogues, surtout dans le mouve- 
ment d'orienter la voile et de changer d’extrémité : 
ils sont d’une grande maladresse pour accoster un 
vaisseau, et la marche de leurs pros n’est point à 
citer. Ces embarcations, quoique construites sur le 
type adopté par les Carolins, sont grossières et sans 
ôrnements ; mais le balancier, l’inclinaison du mât, 
la forme de la natte qui sert de voile, les deux 
vergues qui la soutiennent, sont comme dans les 
aulres pros. 


[2 de wrII. NATURELS DES ÎLES HOGOLOUS, 


Ces îles, dont le nom est écrit Hogoleu sur nos 
cartes , et dont l'existence a long-temps étéregardée 
comme fabuleuse , ont été revues en 4814 par le ca- 
pitaine espagnol Dublon. Elles ont trente-sept lieues 
de tour, et forment un archipel composé de plusieurs 

hautes volcaniques, et d’un grand nombre de 
motous verdoyants qu’entoure un immense dévelop- 
“pement de récifs à l'extérieur, tandis que des lagons 
profonds occupent l'intérieur. Pendant quatre jours 
nous contournâmes ce système de terre, dont les 
habitants vinrent fréquemment nous visiter. Aux 
morceaux de fer travaillés qu'ils avoïenty dans les 
mains et qui provenoient sans doute desiles Marian- 
nes, à l'assurance avec laquelle ils montoïent à bord, 
on doit juger qu’ils connoissoient les Européens. 
Leurs traits ressemblent parfaitement à ceux des 
autres Carolins ; cependant nous remarquâmes chez 
eux quelques usages quenous n'avions point encore 
trouvés : le premier est de se servir d’un chapeau 
chinois très bien fait avec des feuilles de pandanus, 
et le second de porter un véritable poncho en toile 
noire tombant jusqu'aux reins. Or, comme nous 
l'avons déjà dit, le poneho est une pièce de toile per- 
cée au centre, et dont l'usage n’est propre qu'aux 
Araucanos du Chili et aux Mongols-Pélagiens ; car, 
bien que ce vêtement soit usité aux îles de la Société, 
il diffère beaucoup, par son ampleur et par le peu 
d'usage qu’on en fait, du poncho des habitants &d'Ho- 
golous. Nous n’eûmes point à nous louer dela bonne 
foi de ces naturels; ils s’'approprioient sans scrupule 


() La plupart des insulaires de la mer du Sud, quelle 
que soit la race humaine à laquelle ils appartiennent, 
sont rongés par cette lèpre, due sans aucun doute à 
l'ichthyophagie. 


HISTOIRE NATURELLE 


ce qui tentoit leur convoitise. Très peu d’entre eux 
étoient tatoués ; et celte opération, qu’ils nomment 
male, ne secompose chez eux que de quelques lignes 
verticales placées sur la poitrine et sur les jambes. 
Les lobes des oreilles étoient fendus et tiraillésoutre 
mesure per l’habitude d’y placer des cylindres en 
bois léger d’hibiseus , d’un grand diamètre, et peints 
en rouge orangé , ainsi que le capitaine Kotzebue l’a 
observé à Radack. Nous ne pûmes saisir aucun mot 
de la langue de ces hommes; quelques uns cepen- 
dant nous parurent d’origine malaise. La pêche est 
une de leurs grandes ressources , et ils y sont très 
habiles. Nous remarquions que chaque jour leurs 
pirogues étoient remplies de plusieurs espèces de 
poissons, de mollusques, de gros bénitiers et d’étoi- 
les de mer, qu’ils paroissent également ne pas dédai- 
gner. Leurs pirogues sont fort remarquables tant par 
leur légèreté que par les soins qu’on a apportés à les 
décorer ou à les peindre. Leur marche, par une 
brise modérée, est d'environ six nœuds, et ce nom- 
bre est bien loin d’égaler celui qu’Anson leur ac- 
cordoit. Nous observâämes que dans plusieurs de ces 
embarcations fines et légères ils avoient des frondes 
fabriquées avec du brou de coco , destinées à lancer 
des pierres et des javelines longues et effilées. 


ÎX. NATURÉLS DÈS ÎLES TAMATAM. 


Le 59 juin 4824 nouscümes eonnoissance detrois 
petites îles basses nommées Tamalam, l'alalike, 
et Pollap, découvertes en 484 par don Juan Ibar- 
goilia. Une trentaine de pirogues partirent immé- 
diatement pour nous joindre : mais, comme la cor- 
vette étoit favorisée dans sa marche par une brise 
assez fraiche, toutes ces embarcations arrivèrent à 
la fois tumultueusement, de sorte que plusieurs des 
pros furent brisés le long du bord, et leurs débris 
rompirent les balanciers de plusieurs autres qui 
chavirèrent à leur tour; et, comme les naturels 
parloient et gesticuloient tous à la fois, se culbu- 
toient et se jetoient à l’eau, nous eûmes le specta- 
cle en petit d’une flotte naufragée. Le mot loulou 
étoit dans toutes les bouches, car le fer est pour ces 
peuples la matière la plus précieuse; les haches, 
les couteaux, nommés sar, les clous, les gros ha- 
meçons, sont pour eux des objets d’une grande 
valeur : en échange ils donnent des cocos qu’ils 
appellent nou, des mailles (1) ou fruits à pain sau- 
vages , et des coquilles qu’ils pêchent sur le rivage, 
telles que les casques (méale) et les belles porce- 
laines aurores. Les habitants de Tamatam ne diffè- 
rent point de ceux d’Hogolous. Leurs muros et 
leurs ponclos sont de même étoffe; leur chapeaux, 
faits à la chinoise , sont identiques par la forme, et 


(") Ri' gmail aux iles de Pelew, suivant Wilson, 


DE L'HOMME. 


leurs oreilles sont traversées par de gros rouleaux 
en bois peint : cependant le maro, que certains Ca- 
rolins n’abandonnent point sans montrer quelque 
pudeur, n’a pas toujours pour but ici de voiler les 
parties génitales, mais souvent il est placé sur le 
ventre comme une ceinture. Au reste le tatouage, 
les colliers en grains noirs et blancs, leurs tissus, 
nous rappelèrent les mêmes objets vus à Hogolous. 
Quelques hommes étoient armés de bâtons blancs 
longs de cinq pieds, très polis, et renflés aux extré- 
mités ; les naturels s’en servent comme de balan- 
ciers lorsqu'ils dansent. Bien que de bonne foi dans 
lcs marchés, ils cherchent cependant le plus pos- 
sible à s'emparer de ce qui leur plaît, et souvent les 
objets les plus futiles sont ceux qui captivent le plus 
leur attention. 

Les noms de nombre que nous pümes obtenir sont 
les suivants : 


À, yote. 260, roué. 

2, rouke. 30, héhélié. 

3, héole, 40, faté. 

4, fane. 59, limé. 

5, lime. 69, huoné. 

6, auone, 70, firé. 

7, fusse. 80, houalliké. 

8, houalle. 90, tiroué. 

9, tike. 160, yote apoutouke. 
10, seke. 260, routapoutouxe. 


11, sele yote 
12, sexe rouze. 
13, seke héole. 
14, seke fane. 
15, sexe lime. 
16, scke ouone. 
17, sexe fusse. 


300, héapoutouxe. 
400, fatapoutouke. 
500, limapoutouke. 
609, ouonapou toure. 
709, fikapoutoure. 
860, houalapoutouke. 
909, tikapoutouke. 


18, sexe houalle. 
19, seke tike. 


1000, sangarasse. 
10009, seke anga rasse. 


X. NATURELS DE L'ILE SATAHOUAL, 


Le 5 juillet la corvette {a Coquille étoit en vue 
de l’île Sa/ahoual, que le capitaine Wilson appela 
Tucler, du nom d’un matelot suédois qu’il y laissa, 
Cette île, la dernière du groupe des iles Carolines 
avec laquelle nous communiquâmes , est située par 
sept degrés vingt-une minutes nord, et cent qua- 
rante-quatre degrés quarante-six minutes de longi- 
tude est. Safahoual, que les indigènes prononcent 
Saloër et quelquefois Sataouëlle, n'a guère qu'un 
mille de diamètre; ses habitants sont d'excellents 
marins , et font des voyages fréquents à Guam pour 
s’y procurer des instruments de fer. En vain leur 
parlämes-nous de Tucker, ils parurent n’en avoir 
pas conservé le moindre souvenir. Au reste ils 
témoignèrent le plus grand désir d'obtenir du fer, 
qu’ils nomment loulou; et en échange ils nous 
offrirent quelques cocos sces, des poissons, des 
étoffes, des coquillages, des cordes tissées avec le 


109 


brou. de coco, des colliers faits avec leurs cheveux ; 
et quelques javelines en bois rouge très dur. La 
plupart de ces naturels étoient complétement nus, 
et trois ou quatre d’entre eux seulement étoient 
coiflés d’un chapeau chinois. Ils ne diffèrent en 
rien des autres Carolins, ni par le tatouage ni par 
les formes corporelles. La fabrication de leurs étof- 
fes, de leurs filets, la construction de leurs pros, 
et l’art de les évoluer, sont identiques. Quelques 
jeunes gens avoient la chevelure couverte de fleurs 
d'ixora ; les tempes de quelques autres étoient en- 
tourées d’un bandeau tiré d’une écorce blanchâtre. 
La lèpre enfin avoit étendu ses ravages sur leur po- 
pulation. 

Jcise terminent nos observations sur les Mongols- 
Pélagiens ; elles prouveront sans doute que la race 
humaine, jetée sur cette longue suite d’iles qui 
s'étend des îles Pelew ou de Palaos jusqu'aux 
archipels du Scarborough ou du Nautilus dans un 
intervalle de plus de six cents lieues, forme une 
seule et même famille diamétralement opposée 
par les caractères de son organisation comme par 
ses traditions sociales aux vrais Océaniens. Nous 
allons étudier les tribus diverses à peau noirâtre 
qui se sont également introduites sur plusieurs 
points de l'Océanie, et qui peuplent sans partage 
l'Australie et les îles orientales non colonisées de la 
Polynésie. 


RACES NOIRES 


RÉPANDUES SUR LES ILES DE LA POLYNÉSIE ET DE 
L'AUSTRALIE, 


es 


1. HABITANTS DE L'ILE DE WAÏCIOU. 


L'homme est constamment influencé par le sol 
qui l’a vu naître, et se trouve modifié dans ses ha- 
bitudes par les besoins qu’il y éprouve, ou par les 
ressources qu’il s’y procure : mais aucune race hu- 
maine ne présente d’une manière plus frappante 
peut-être que la nègre ces modifications profondes 
dues à l’action prolongée du climat et des besoins 
physiques. Les peuples à peau noire qui ont été ré- 
pandus sur la plupart des îles de la Polynésie, ct 
qui vivent encore sur un très grand nombre d’entre 
elles, sont, on peut le dire, presque inconnus. Les 
notions publiées sur leur conformation, sur leurs 
habitudes, se réduisent à quelques renseignements 
vagues, presque toujours incomplets et remplis 
d'erreurs. Nous entrerons donc, à l'égard de ceux 
que nous avons étudiés, dans des détails circon- 
stanciés, et nous ne commencerons jamais leur bis- 


[10 


toire sans peindre le pays qu’ils habitent et jeter un 
coup d'œil sur l’ensemble physique de la création 
qui les entoure. 

L'ile de Waigiou, placée au nord de la Nouvelle- 
Guinée, fait partie de l’ensemble des iles connues 
sous le nom de Tvorr:s des PapGu. Ses habitants 
sont un mélange de Malais purs el de métis prove- 
nant du croisement des Malais et des Alfourous. Les 
vrais indigènes sont, dit-on, relégués dans les mon- 
tagnes, où ils vivent isolés et sans communication 
avec les riverains qui les nomment Alfourous. Le 
nom de Waigiou a été orthographié de bien des ma- 
nières, et presque toujours on n’a tent aucun comple 
de la prononciation des naturels : ce nom, d’ailleurs, 
n’est jamais donné à l'ile entière, mais seulement 
à sa partie boréale; car la portion méridionale est 
appelée Ouarido, et, pour rendre en françois le son 
que les indigènes articulent, il faudroit écrire Ouai- 
ghiou. Cette île avoit déjà été visitée par plusieurs 
navigateurs européens. Forrest s’y présenta le pre- 
mier en 4775 : plus tard elle recut les navires en- 
voyés à la recherche de l’infortuné La Pérouse sous 
le commandement du général d’Entrecasteaux ; puis 
la corvette l'Uranie, montée par M. de Freycinet, 
et enfin notre vaisseau. La latitude de la baie d’Of- 
fack, presque directement placée sous l'équateur, 
se trouve être par une minute 46 secondes $., et 
par 128 degrés 22 minutes 59 secondes de longitude 
orientale. 

Montueuse au centre, couverte de vastes maré- 
cages sur ses bords, l’ile de Waigiou, placée direc- 
tement sous l'équateur, éprouve des chaleurs énor- 
mes qui ne sont tempérées dans leurs effets que par 
des pluies abondantes condensées par les sommets 
des montagnes, sans cesse enveloppés de nuages. 
Ces averses se renouvellent plusieurs fois dans le 
jour avec une force dont il est difiicile de se former 
une idée dans les régions tempérées, et cessent avec 
la même rapidité qu’elles sont venues. F1 paroït que 
la plus grande partie de la population réside non 
loin de l'ile Rawack : mais à peine existe-t-il trois ou 
quatre cabanes sur les bords de la baie d’Offack, baie 
qui se divise en plusieurs bras de mer considérables 
présentant eux-mêmes un grand nombre de petits 
havres. Les vents qui règnent pendant le mois de 
septembre soufllent le plus ordinairement de l’ouest, 
et plus spécialement du $. 0., du $, 8. O. et de 
l'O. S. ©. Le milieu de la journée est ordinairement 
marqué par des calmes parfaits : une seule fois nous 
ressentimes une forte brise du nord, qui ne dura 
que quelques instants; la surface de la baie fut tou- 
jours unie. Le baromètre se maintint ordinairement 
à 28 pouces 0,4, et morta une seule fois à 28 pouces 
4,2; le thermomètre centigrade donna pour maxi- 
mum 5! degrés, et ne descendit jamais plus bas que 
97 à midi et à l'ombre. La (empérature de l’eau ne 


HISTOIRE NATURELLE 


varioit dans la nuît de celle du jour à midi que d’un 
degré en moins, et étoit de 25 à 25 degrés; l’hygro- 
mètre à cheveux varia de 404 à 106, et ne donna 96 
qu’une fois. Nous n’eûmes que quelques jours 
exempts de pluie : le plus ordinairement les grains, 
en passant sur quelques parties de l'ile, tomboient 
avec violence l’espace de deux ou trois heures; puis 
le ciel paroissoit de l’azur le plus pur. Toutefois le 
sommet de la montagne nommée la Corne ce Buffle 
étoit presque toujours enveloppé de masses épaisses 
de nuagts, et les vapeurs qui s’élevoient des gorges 
de ce mont tourbillonnoient au-dessus des arbres 
comme de la fumée. 

. Les rivages du port d’Offack recoivent un grand 
nombre de petites rivières qui sont alimentées par 
d’abondantes sources : quelques unes de celles-ci 
descendent des cimes des montagnes ou des ravines 
en formant quelques cascades très hautes. La mer 
remonte assez loin dans quelques unes de ces riviè- 
res, dont les bords sont très limoneux. Les Papous 
bâtissent leurs cabanes sur leur cours, sans redouter 
les crocodiies qui les habitent; ils se servent de leurs 
canots divers pour communiquer entre eux à l’aide 
de leurs pirogues. Fout le littoral de Waigiou, mal- 
gré l’épaisse végétation qui le recouvre, n’est qu’un 
merécage fangeux où croissent de hauts palétuviers : 
la profonde humidité et les miasmes délétères qui 
règnent dans ces lieux y font éclore de nombreuses 
maladies qui ne manquent point de sévir sur les 
Européens, et qui portent aussi leurs ravages sur 
les naturels. 

La formation rocheuse de l’ile de Waigiou est fort 
remarquable; elle s'éloigne tout-à-fait du caractère 
de la Nouvelle-Irlande, au moins sur ces rivages : 
car le terrain flanqué sur le pourtour du Port-Pras- 
lin est d’un calcaire madréporique dur avec des co- 
quilles et parfois des grains spathiques, tandis qu’on 
n’en observe aucune trace à Waigiou, où du moins 
sur la côte nord ct dans la baie d'Offack. Cette île, 
par sa position comme par les bou:eversements nom- 
breux dont elle offre des traces à chaque pas, a dù 
appartenir aux grandes masses de terres situées sous 
l'équateur, et qui composoient avec les Moluques 
et la Nouvelle-Guinée un tout continu jusqu’à la 
Nouvelle-Hollande. Cette idée, du reste, n’est qu’une 
supposition : mais les faits les plus positifs prouvent 
que la surface entière de Waigiou a été torturée par 
des éruptions volcaniques dont les débris, bien que 
voilés aujourd’hui par une végétation pompeuse, se 
montrent en abondance. D'ailleurs on ne sauroit 
méconnoitre cette formation en observant les ai- 
guilles basaltiques de Poulo-een et des nombreux 
ilots qui saillent çà et là du sein de la mer comme 
des colonnes prismaliques, et sur le sommet des- 
quels croissent en abondance des bouquets ver- 
doyants et touffus. Les roches à nu ne se montrent 


DE L'HOMME. 


parfaitement bien que dans la passe haute et étroite 
qui sert d'entrée au port d'Offack. Là ces roches, 
déchiquetées par le temps, affectent des couleurs 
noirâtres mélangées de veines rouges; mais elles 
sont surtout à découvert dans une pelite ile placée 
au milieu de la baie, et que nous nommämes l'Ile 
aux Tombeaux. Partout la nature de ces roches est 
identique, et contient une grande quantité de ser- 
peutiue. Sur ses rivages battus des vagues on trouve 
des amas de puddings formés par lémiettement et 
la brisure de ces roches, et réunies par un ciment 
calcaire assez tenace : ces puddings n’ont guère 
qu’une trentaine de picds d'élévation au-dessus du 


niveau de Ja mer. Sur les grèves enlin on ramasse 


en abondance les ponces que les flots ÿ ont déposées. 
Le sol sous les vastes forêts de l’ile (car la végéta- 
tion sur toutes ces terres ne cesse point d’envahir 
même les rochers les moins convenables pour qu’elle 
puisse s’y développer), le sol est Le plus ordinaire- 
ment composé d’une argile très rouge. Les pitons 
des montagnes présentent parfois des emplacements 
décharnés que leur couleur noire porteroit à penser 
de nature basaltique. La Corne de Bufle est la mon- 
tagne la plus remarquable de Waïigiou; elle tient à 
une chaîne qui se dirige de l'E. S. E. à l’O.S,. O., 
et sa hauteur seroit de 485 toises d’après les caleuls 
des officiers de l’expédition. 

Vue de la haute mer, Waigiou ne paroît être qu’un 
pâté de verdure; et cependant on remarque peu de 
variété dans ces arbres gigantesques qui se pressent 
et s'élèvent les uns sur les autres. Leur masse de 
feuillage interceptant Le passage de l’air et des rayons 
lumineux, la surface de la terre ne présente point 
de ces herbes humiles si nombreuses dans les zones 
tempérées ou dans les forêts de certaines contrées 
du Brésil. La riche tribu des palmiers se compose 
d’un grand nombre d’espèces : parmi Les plus com- 
munes se font remarquer les lataniers, que leurs 
feuilles flabelliformes dessinent si bizarrement dans 
les paysages torridiens; les figuiers, les poivriers, 
les filaos indiens, les calophyllum, les mimeuses, les 


vaquois, les ce: bera, les scwvola, les ignames, les | 


ananas, les arum, les bananiers, les cucurbitacées, 
les cycas, les mangliers, les sagouïers, ete. Les me- 
nues herbes consistoient en liserons pied-de-chèvre, 
en graminées ou cypéracées, en acanthe à feuilles 
de houx, en amarantes, en casse à corymbes, en 
nepenthes, en amomum, en epèdendruin recouvrant 
les trones mousseux des gros arbres, et singuliers 
par la variété infinie de leurs formes et de leurs 
fleurs. En général la botanique de Waigiou diffère 
peu de celle de la Nouvelle-frlande ; et a un grand 
nombre de traits de ressemblance avec celle d’O- 


Taïti et de Borabora. Parmi les végétaux usuels et 


alimentaires le palmier sagou tient le premier rang. 
La moelle interne répandue dans le stipe fournit ces 


111 


grains féculents avec lesquels les naturels compo- 
sent des galettes plates et quadrilatères qui leur 
servent de pain, et qu’ils cuisent dans des sortes de 
petits fours en briques divisés en compartiments, 
Les noix des muscadicrs sauvages seroient peut-être 
susceptibles de prendre par la culture quelque dé- 
veloppement, et pourroient sans doute s'améliorer : 
les arts trouveroient aussi dans cette ile des bois 
propres à l’ébénisterie, et le teck ({ectona jrandis) 
fourniroit d'immenses ressources aux constructions 
navales. 

Pour obtenir des habitants les productions du 
pays, il sufliroit d’y porter des toiles peintes, des 
étoffes à fleurs ou culorces en rouge : on en obtien- 
droit en échange des peaux d’oiseaux de paradis, de 


: la nacre, des perles, de l’écaille de tortue, des tré- 


pangs, de la muscade et de la résine ki, Cette der- 
nière matière sert aux Papous à façonner des torches 
avec lesquelles ils vont à la pêche pendant la nuit, 
et s’oblient du dammara resinifera de Lambert, ou 
du canarium suivant Lamarck. 

Le règne animal de Waigiou doit être riche en 
espèces : malheureusement nos courtes relàches et 
notre connoissance imparfaite des localités ne nous 
permettent d'en juger que par analogie. Parmi les 
mammifères nous croyons qu’on doit citer le babi- 
russa : tout-fois ce n’est encore qu’un doute assez 
fondé, que les voyageurs futurs éclairciront. Nous 
ne rencontrâämes qu’une fois, en nous rendant vers 
l’isthme étroit qui s‘pare le havre d'Offack de la 
baie Crouzol, un petit quadrupède à pelage gris, 
nommé kalulow par les Papous, que la mère venoit 
d'égarer sans aucun doute, à en juger par son jeune 
âge, et qui à la taille d’un rat joignoit le museau 
pointu et la poele marsupiale des sarigues. Depuis, 
en étudiant Panimal nommé vriverra gymnura par 
sir Raffles, et en proposant d’en créer un genre dis- 
tinet (1) sous le nom de gymaura, et d'imposer à 


(") Sir Raffles (Catafogue d’une collection faite dans 
l'île de Sumatra, inséré dans les Transac. soc. Linn., 
Lond.,l XI, p.72 ,enadd.) dil : « J'ai reçu un ani- 
» mal nouveau trés singulier qui se rapporte aux viverres 
» par le nombre des incisives, mais qui en diffère par 
» la proportion et la disposition, et qui a la queue 
» nue comme un rat. S'il doit être considéré comme une 
» espêce du genre viverra, on doit lui approprier le 
» nom spécifique de gymnura.» Or suit la description 
de ce sivguli:r mammifére, d’ailleurs très bien décrit, 
et que sir Raffles croit être identique avec le tikus- 
ambaäng-bulan de l'intérieur de Malacca, découvert par 
le major Farqghüar, Dans notre Manuel de Mammalo- 
gie, publié le 10 mai 4827, nous avons regardé comme 
type d’un nouveau genre celte viverra gymaura de sir 
Raffles, en lui donnant le nom de gymnura Rafflesii. 
Daus le Zoological Journal (ne 40, avril à septembre 
1827) nous retrouvons, page 246, l'adoption du genre 
gymnura et la dénomination de Rafflesii, sans aucune 
citalion de la part de MM. Vigors et Horsfield de notre 


112 


l’espèce de Sumatra Je nom spécifique Rufflesii, 
nous avons reconnu que notre kalubou étoit une 
seconde espèce du même genre, et devoit être nom- 
mée gymnura kalubou, et prendre place dans les 
tableaux méthodiques de Mammalogie à côté des 
sarigues, dont ce genre seroit le vrai représentant 
dans l’ancien monde. 

Les phalangers à queue prenante ou couscous ne 
sont pas rares dansles bois. Déjà nos collègues dans la 
précédente expédition s’en étoient procuré quelques 
individus, et les naturels nous apportèrent plusieurs 
fois à bord le couscous tacheté, qu’ils nomment 
schamscham , et dont nous donnerons la descrip- 
tion dans la suite de cet ouvrage. 

L’ornithologie est une des branches de l’histoire 
naturelle qu’une longue relâche dans l'ile de Wai- 
giou enrichiroit le plus : elle se compose de ces es- 
pèces rares et précieuses communes sur le système 
des terres des Papouas, telles que les oiseaux de 
paradis, qui ne s’y présentent d'ailleurs que dans 
certaines saisons. Le paradiswa apoda ou l'éme- 
raude, le manucode, le magnifique, le paradisier 
rouge y sont les plus communs. Nous tuâines la fe- 
melle de cette dernière espèce, qui étoit inconnue 
naguère. 

La famille des psittacidées nous offrit les loris 
papou, vert, tricolore ou à tête noire, la perruche 
d’Amboine ou à face bleue, le microglosse-goliath, 
le grand cacatoës à huppe jaune, et une espèce de 
lori noir inédite que nous avons nommée Lori de 
Stavorinus (psittacus Stavorini) parce que ce navi- 
gateur nous paroit l’avoir mentionnée dans la rela- 
tion de son voyage aux Indes orientales (‘). Le lori 
de Stavorinus est de la taille du tricolore, auquel 
il ressemble aussi par les formes corporelles. Son 
plumage est en entier d’un noir lustré uniforme, 
excepté sur l’abdomen, où règne un rouge vif qui 
s'étend jusqu’à la poitrine. Le seul individu que 
nous achetâmes à un Papou a été perdu dans le 
naufrage de M. Garnot au Cap. Parmi les pigeons 
nous citerons les belles colombes muscadivores, 
dont plusieurs étoient privées de la caroncule noire 
et arrondie que présentoit le plus grand nombre 
des espèces. Cet organe entièrement graisseux ne 
doit s'élever sur la base de la mandibule supérieure 
qu'à l’époque des amours, et peut-être chez les fe- 
melles seulement; et la peau qui se distend pour 
recevoir ce fluide, résultat d’une vie en excès, doit, 
après la fécondation, se dissiper, se racornir, et ne 
plus paroître au-dessus des narines que comme une 
légère fronçure cutanée. A Waigiou nous rencon- 


nom, bien que ces messieurs n'aient point ignoré l’exis- 
tence du Manuel, dontils ont inséré une critique dans 
le numéro suivant du même journal, 

(:) Forrest indique aussi unlori noir dans son Voyage 
à la Nouvelle-Guinée. 


HISTOIRE NATURELLE 


trâmes aussi des individus de la columba puella de 
la Nouvelle-Irlande, le ptitinopus kurukuru, et le 
goura ou pigeon couronné des Moluques (1) ( Co- 
lumba corona'a. L.), oiseau stupide, mais dont la 
chair est exquise. 

Le mégapode Freycinet (?) est singulièrement mul- 
tiplié à Waigiou. Les Papous nous en apportoient 
journellement à bord , qu’ils échangeoïent pour des 
bagatelles; mais leur chair est loin d’être déli- 
cate, car elle est sèche et coriace. Les accipitres ne 
nous donuèrent qu’une espèce, le ma'apour (falco 
pontice ranus) à tête blanche, à corps et ailes d’un 
marron foncé; les échassiers, l'édicnème à gros 
bec (OEdirnemus magnirostris, GEOFr.), figuré par 
M. Temminck, pl. 587, et qui se trouve sur tous 
les rivages des Moluques et des iles de la Sonde : 
dans les palmipèdes une seule sterne, nommée sa- 
penne. Les passereaux nous présentèrent le philé- 
don corbi-calao, une corneille dont le cri ne res- 
semble point à l’aboiement d’un chien comme celui 
du même oiseau à la Nouvelle-Frlande, mais imite 
au contraire un ricanement moqueur, le guêpier à 
gorge jaune, le calao à casque sillonné, plusieurs 
gobe-mouches et soui-mangas, et le beau martin- 
chasseur Gaudichaud. 

Les reptiles Les plus communs sont les tortues 
franche et caret. La chair de la première est recher- 
chée des naturels, qui préparent de longs saucis- 
sons desséchés avec ses œufs, et les conservent pour 
les échanges ou font des hameçons avec les écailles 
de la seconde. Un tupinambis de la grosseur de 
l'iguane d'Amérique, noir ponctué de jaune, est 
multiplié dans les bois de manière à ce qu’on en 
rencontre presque à chaque pas sur les branclies, 
où il attrape les petits oiseaux : il vit encore de pois- 
sons, qu’il guette sous les racines de mangliers, sur 
le bord de la mer, ou dans les lieux fangeux. On y 
trouve aussi le scinque à queue bleue, qui paroit 
répandu dans toute l'Océanie. Un de nos matelots 
nous assura avoir vu des serpent: dont nous ne ren- 
contrâmes aucun individu. Nous ne vimes parmi les 
batraciens qu’une grande espèce de raine. 

L'ichtyhologie de la grande et vaste baie d'Offack 
doit être très riche, à en juger par les espèces que 
nos filets, jetés au hasard, nous rapportoient cha- 
que jour. Comme l’estimable docteur Quoy nous 
avoit communiqué ses descriptions alors inédites, 
et qui 6nt paru depuis dans la partie zoologique du 
voyage de l’Uranie, nous retrouvâmes plusieurs des 
espèces figurées par ce naturaliste et par son coopé- 


(") Cet oiseau est figuré dans Temminck, pl. re. La 
figure de Buffon , enlumin., no 418, est très mauvaise. 
Le dessin de Sonnerat , déposé au Muséum dans les ma- 
nuscrits de Commerson, n’est pas meilleur. 

(2) Megapodius Freycinetii(Quoy et Gaymard, Zoo- 


| logie de l'Uranie, pl, 32; et Temminck, pl, 220). 


DE L'HOMME. 


rateur M. Gaimard. Trois squales régnoient en 
nombreuses tribus dans ces mers. L'un, le squale 
aux ailerons noirs, avoit été confondu avec le requin 
ordinaire par l’illustre Commerson, dont il diffère 
cependant par une taille plus petite (les plus grands 
que nous ayons vus n’avoient pas trois pieds), par 
la couleur du corps qui est d’un gris légèrement 
rougeâtre , et par le noir intense qui recouvre l’ex- 
trémilé des nageoires pectorales. Les femelles nous 
présentèrent constamment deux fœtus dans chaque 
côté de la matrice; et ces jeunes squales, tirés du 
sein de leur mère, s’agitoient avec tant de vigueur 
qu’ils forçoient l’ouverture ombilicale, placée sous 
forme de trou arrondi entre les deux pectorales et 
en dessous du corps, à s'ouvrir, et le sang qui s’en 
écouloit ne tardoit point à les faire périr. Un ro- 
chier et un troisième chien de mer à barbillon se 
prenoient fréquemment dans nos trois-mailles. Les 
poissons les plus vulgaires, et qu’il nous suflira de 


citer pour le moment, se trouvoient donc être la 


pastenague blonde à points d'azur, la baliste Bou- 
rignon du docteur Quoy, qui est identique avec la 
baliste Praslin de Commerson; la baudroie géo- 
graphique (acanthurus lineatus), le nason licornet, 
décrit primitivement par Forrest; le dô:e ou pté- 
roïs à antennes, un trigle volant, le Aalolo ou 
blernie sauteur , l’échenéis à raies blanches, un pi- 
mélode, des chæœtodons, des labres, des serrans, des 
aiguilles , etc., etc. 

Les coquilles marines sont assez généralement des 
nauliles (nautilis pompilus), des spirules (nautilus 
spirula), des volutes couronnes d’Ethiopie (cym- 
bium æthiopicum, Moxrr.), dont les habitants se 
servent en guise d’escope pour vider l’eau qui s’in- 
troduit dans l’intérieur des pirogues ; les bénitiers, 
qui atteignent une taille bien plus considérable que 


l'individu qui sert de bénitiers à Saint-Sulpice, et. 


que Forrest a décrit sous le nom de kima; l’huitre 
selle polonoise, l’huître marteau, l’huître des man- 
gliers, l’éperon molette, l’hypocrène, la coronule 
des tortues, des polliciges, des nérites, des patelles, 
des strombes, des grimaces, ete. 

Les coquilles terrestres nous présentèrent cette 
grande et belle variété de l’helix citrina, figurée 
pl. 67, fig.2 et 5 de la Zoologie de l'Uraäie; plu- 
sieurs autres petites espèces, et le scarabe auricule. 
Parmi les coquilles fluviatiles on doit citer les né- 
rilines, qui y sont tellement communes que les Pa- 
pous nous en apportoient des tubes de bambou 
remplis; la melania setota ou spirella spinosa 
d’'Humphrey, indiquée aux îles de l’Amirauté par 
M. Gray. 

La langouste ornée, quelques portunes, le crabe 
honteux, sont tous les crustacés des environs d’Of 
fack. Les échinodermes étoient composés du cyda- 
rite à baguettes, de plusieurs spatangues, de diverses 


s 5 


113 


scutelles ; et parmi les êtres du dernier embranche= 
ment du règne animal nous mentionnerons plu- 
sieurs belles espèces d’holothuries, figurées dans 
nos dessins et remarquables par la singularité de 
leurs formes. Plusieurs méduses nouvelles enrichi- 
ront également notre atlas. Les habitants recher- 
chent avec un extrême empressement les holothu- 
ries ; ils les préparent à la manière des Malais, pour 
les donner en échange des toiles que leur apportent 
quelques jonques chinoises, ou ils s’en nourrissent, 
Dans toutes les cabanes nous rencontrâmes une 
quantité de cette substance desséchée, coriace, très 
peu agréable au goût, et que ces peuples n’estiment 
que parce qu'ils la regardent comme la matière la 
plus convenable pour soutenir leurs forces épuisées 
et faire renaître chez eux les désirs éteints par le re- 
nouvellement abusif des plaisirs des sens. 

Deux variétés de l'espèce humaine habitent évi- 
demment l’ile de Waigiou. La première. malaise, 
s’est établie sur la côte par droit de conquête ; 
l'autre, aborigène, conserve la plupart des traits 
du rameau dont elle est descendue, celui des Alfou 
rous. De ce mélange sont nés des hommes hybrides 
nommés Papouas, sans vigueur, sans énergie mo- 
rale, et docilement soumis à l’autorité des radjai,s 
malais qui les gouvernent, ct le plus souvent ré- 
duits en esclavage par les insulaires des terres voi- 
sines, entre autres les Guébéens, dont la piraterie 
est la première branche d'industrie. Sur le pour- 
tour de la baie d'OGffack nous ne vimes que quel- 
ques familles de véritables Papouas ou Négro-Ma- 
lais h) brides, ainsi que nous les avons décrits dins 
le tableau général de nos races humaines, tandis 
que les Malais sont particulièrement réunis dans 
de petits villages épars sur plusieurs points de 
VWaigiou, et surtout aux environs de Rawack, de 
Boni, et dans la partie méridionale de l'ile. Les 
Papouas d'Offack au contraire, timides et crain- 
üfs, cachent leurs retraites dans les endroits les 
plus isolés des forêts, bâtissent leurs cabanes sur 
des rivières, afin de fuir avec plus de facilité à la 
moindre alerte; et comme la pêche est leur princi- 
pale ressource, ils se transportent sur les récifs ou 
sur les îlots isolés, afin d’y prendre du poisson et 
des tortues, et n’en partent que lorsque les vivres 
sont épuisés. 

Les Malais des villages de Boni et d’'Emberbaken 
nous parurent généralement d’une taille médiocre, 
dépassant très rarement cinq pieds deux pouces ; 
leur peau est d’un olivâtre foncé, et leurs mem- 
bres, généralement bien proportionnés, sont quel- 
quefois grêles et peu musclés. Ils portent leurs 
cheveux courts et recouverts d’un morceau de toile 
en forme de turban. Leur regard est mobile et per- 
çant, ce qui tient à des yeux noirs pleins de feu ; 
la bouche est médiocre, mais le grand usage qu'ils 

15 


114 


font du bétel corrode les gencives et les dents, et 
teint les lèvres en rouge noir. La physionomie de 
quelques jeunes gens étoit douce et agréable ; celle 
du plus grand nombre des hommes du peuple est 
stupide , ou plutôt est empreinte d’une certaine sau- 
vagerie. Tous portent une petite touffe de barbe 
sous le menton, et deux courtes moustaches sur le 
rebord de la lèvre supérieure; leur caractère est 
flegmatique, taciturne, et cache sous une apparente 
froideur une violence de caractère qui fait explosion 
Jorsque les circonstances leur paroissent favorables. 
Le radjah qui les gouverne vint nous faire visite; il 
étoit le seul de sa nation qui fût complétement vêtu : 
sur la tête il portoit une calotte à jour tissée avec 
des fibres d’un beau noir, et qu’il remplaca un jour 
par un bonnet à la chinoise, formé de plusieurs car- 
tels d’étoffes de la même couleur ; un large sarong 
d'indienne verte à fleurs rouges enveloppoit négli- 
gemment le corps sans le serrer ; un demi-pantalon 
d’étoffe rayée complétoit cet ajustement, car ce 
chef avoit la poitrine et les jambes nues. Une étroite 
bandelette d’étoffle, nommée maré, étoit le seul 
voile jeté négligemment par les autres habitants sur 
les organes sexuels. Nous remarquâmes que quel- 
ques jeunes gens, par des idées de coquetterie assez 
mal entendues, s’étoient fait limer les dents de ma- 
nière à former sur la rangée dentaire une gouttière 
profonde en avant. Le tatouage leur est inconnu; 
seulement ils ont adopté des peuples nègres l'usage 
de se faire élever des tbercules dans la peau, sur 
la poitrine et sur le deltoïde, au nombre de douze. 
La plupart de ces Malais, aussi bien que les Papouas, 
avoient le corps rongé par la lèpre squameuse qui 
a indifféremment étendu ses ravages sur les Nègres 
polynésiens comme sur les Mongols pélagiens et les 
Océaniens. 

Leurs objets d'ornement consistent principale- 
ment en bracelets polis et blancs dont l’usage leur 
est venu des Papouas. Ces objets, qu’ils nomment 
sanfar, sont travaillés avec le plus grand soin, et 
formés d’une seule pièce enlevée à la base des grands 
cônes, de manière à-offrir le diamètre du bras. Ils 
portent aussi quelques uns de ces anneaux plus 
petits aux doigts ; et lorsque la matière calcaire leur 
manque, ils la remplacent par des morceaux d’é- 
caille de tortue, appelés ouahomisse, ou par des 
kapraës, sorte de cordonnets tissés en jonc peint de 
diverses couleurs. Plusieurs des habitants de Boni 
portoient aux bras des bracelets d’étain, de cuivre, 
et même d'argent, qu'ils fabriquent eux-mêmes, 
ou qu'ils reçoivent des Chinois. Par une bizarrerie 
de goût, assez ordinaire aux hommes, ces bracelets 
sont fixés à demeure autour du membre qu’ils com- 
priment ; car ils ont le soin de les passer sur le bras 
dans le jeune âge, de sorte que les muscles, en se 
développant, se trouvent étranglés dans le lieu que 


IISTOIRE NATURELLE 


cet ornement doit conserver pendant la vie entière 
de celui qui le porte. 

Quelques autres objets de parure, d’un goût 
moins universel, consistent en colliers dont les 
grains sont faits avec des pailles vivement colorées, 
ou en idoles sculptées que l’on porte suspendues 
sur la nuque. Les Papouas attribuent de grands 
pouvoirs à ces amulettes, qui sont leurs divinités 
protectrices. Souvent elles ne se composent que 
d’un morceau de bois entouré de quelques sales 
guenilles ; quelquefois ce sont des figures ingé- 
nieusement travaillées avec des morceaux d'os ou 
d'ivoire. 

Tels nous parurent les Malais, d’ailleurs très mé- 
langés, de l’ile de Waigiou; mais les Papouas des 
environs de la baie d'Offack, véritables métis des 
Alfourous et des Malais, ont retenu des traits assez 
nombreux de la physionomie des Papous , et méri- 
tent d'autant plus d'attention, qu’ils ont été jusqu’à 
ce jour pris comme le vrai type papou, ainsi qu’il 
est facile de s’en assurer en consultant les figures 
données dans un grand nombre de voyages. 

Les Papous métis d’Offack sont tous de petite 
taille, et, sur plus de vingt individus que nous me- 
surâmes à bord, la hauteur des deux plus grands 
alloit à peine à cinq pieds deux pouces, et chez le 
plus grand nombre des autres elle n’étoit que de 
quatre pieds six à sept pouces. À cette petite taille 
il faut ajouter des membres décharnés et peu déve- 
loppés, un ventre très gros, la face aplatie, dont 
les yeux sont noirs et la bouche très fendue, et qui 
disparoît sous la vaste chevelure ébouriffée qui 
donne à la tête, vue de loin, des proportions énor- 
mes et disparates avec le reste du corps. Leur phy- 
sionomie est empreinte de cette douceur dans les 
traits qui ressemble à de l'irrésolution, à de la 
craiite, ou peut-être à des souffrances physiques. 
La teinte de leur peau est d’un olivâtre basané assez 
clair, et leur chevelure est d’un noir foncé. Ces 
hommes paroissent indolents; leurs mouvements 
sont d’une lenteur qui étonne, et la frayeur seule a 
le pouvoir de les faire se hâter. Leur corps, assez 
habituellement recouvert de lèpre, est nu; caron 
ne peut guère donner Île nom de vêtement à l’étroite 
bandelette d’étoffe qui ceint les reins. Tous les Pe- 
pous portent au milieu de leur chevelure un très 
long peigne de bambou, dont le haut est allongé et 
habituellement garni d’ornements de nacre ou de 
pendeloques de toutes sortes. Ces Papous métis ont 
communiqué aux Malais qui vivent parmi eux 
beaucoup de leurs coutumes, et en échange ils en 
ont adopté quelques uns de ceux-ci. C’est ainsi 
qu'ils portent quelquefois des moustaches et un 
bouquet de barbe sous le menton, et qu’ils ne met- 
tent jamais sur leurs cheveux ces poussières d’ocre 
ou de craie dont sont prodigues les Papous de la 


DE L'HOMME. 


Nouvelle-Irlande, de la Louisiade, ete. Nous n’a- 
bordàmes jamais ces hommes sans que la frayeur la 
plus vive se manifestät sur leur visage, et ce ne fut 
qu’à la longue que nos bons procédés détruisirent 
les impressions pénibles qui les tourmentoient. Une 
fois rassurés, ils nous parurent gais et pleins de 
bonté ; car il leur arriva fréquemment de nous offrir, 
sans exiger de récompense, des cocos et des racines 
nutrilivés. - 

Les vieillards sont graves et sérieux, ils semblent 
impassibles sur tout ce qui les entoure. Tous portent 
de nombreuses amulettes autour du cou, et ne sor- 
tent poiut sans être armés de la machette, sorte de 
gros couteau qu’ils obtiennent des trafiquants malais 
pour de lécaille de tortue. 

Les demeures des habitants de l’ile de Waigiou 
sont constamment établies au milieu des marais ou 
à l'embouchure des petites rivières ; et bien qu’elles 
soient élevées sur des pieux, elles sont exposées 
aux influences des miasmes les plus délétères qui 
s’exhalent des eaux croupies et du limon. Les fièvres 
de mauvais caractère doivent donc régner en ce lieu. 
Tous les vieillards qui s’offrirent à notre vue étoient 
frêles et débiles, et parmi les autres naturels plu- 
sieurs portoient d'énormes cicatrices de brûlures ; 
quelques uns offroient des traces de petite vérole, 
tandis que d’autres étoient oppressés par des ca- 
tarrhes, etc. Leur habitude de coucher sur le sable 
des grèves, entourés de grands feux et pendant des 
nuits où il pleut souvent à verse, ne doit pas peu 
contribuer à rendre dangereuse cette dernière af- 
fection. L'industrie de ces Papous se décèle par le 
travail ingénieux qui préside à tous leurs ouvrages 
en paille, et on ne sauroit trop admirer la vivacité 
des coulcurs avec lesquelles ils teignent les feuilles 
de pandanus qu’ils mettent en œuvre; leurs grandes 
nattes, suitout, sont remarquables par leur soli- 
dité et leur durée, aussi bien que par des dessins 
qui fréquemment les décorent. L’oreiller en bois 
sur lequel ils appuient la tête pour dormir est 
sculpté et poli avec une habileté d'exécution qu’on 
ne seroit pas tenté de leur supposer, et l’on sait que 
ce meuble n’est point chez eux le résultat du ha- 
sard, puisqu'on le trouve fréquemment, dans les 
tombeaux égyptiens, placé sous la tête des momies. 
Ils ne savent point tisser d’étoffes, et celles dont ils 
s’habillent , lorsqu'elles ne sont pas de fabrique in- 
dienne ou chinoise, se bornent à des toiles de pal- 
micr ou à des écorces à peine dégrossies. Les armes 
dont ils se servent sont l’are et la flèche, et leur 
adresse à frapper le but ne mérite pas d’être citée. 
Le radjah et quelques autres chefs possèdent des 
fusils et de la poudre, qu’ils ont obtenus des Euro- 
péens en échange d’oiseaux de paradis. Tous les 
naturels que nous visitâmes, soit dans leurs ca- 
banes, soit dans leurs pirogues, posséCoient d’é- 


115 


normes paquets de flèches qu’ils échangeoient vo- 
lontiers. Ces flèches sont en roseau et armées à 
une extrémité d’une pointe en bois très dur, unie 
ou barbelée, et souvent d’un os aiguisé ou d’une 
épine de pastenague. L’arc est le plus ordinaire- 
ment en bambou, et parfois en bois rouge solide et 
pliant; il est tendu par une corde de rotang. Par 
leurs communications fréquentes avec les commer- 
çcants des Moluques, ils se procurent le fer dont ils 
arment leurs lances de combat et leurs Larpons pour 
la pêche. 

La plupart de nos cadeaux furent reçus avec la 
plus parfaite indifférence : un seul combla tous leurs 
désirs ; et, faut-il l'avouer ? ce ne furent nides haches 
ni des instruments utiles, mais des objets d’un usage 
frivole, en un mot de ces petits miroirs enveloppés 
de papier doré ! Un Papou obtenoit-il ce meuble pré- 
cieux , on le voyoit rester en extase devant sa phy- 
sionomie, se complaire à en admirer tous les traits, 
pousser des cris d’étonnement; et rien n’étoit plai- 
sant sans <Joute comme de suivre les brusques chan- 
gements survenus sur ces figures , quelques minutes 
auparavant impassibles. Ainsi done la beauté la plus 
séduisante, qui se repaît dans un miroir de la blan- 
cheur de son teint ,de l’incarnat qui la colore , n’est 
pas la seule sur la terre qui goûte le délicieux plai- 
sir d'admirer son image : elle est, sous ce rapport, 
en rivalité avec le noir et sale Papou. 

Les habitants de Waigiou, bien qu'adonnés pres- 
que exclusivement à la pêche, sont cependant d’une 
grande adresse pour prendre le gibier. ls chassent 
les oiseaux de paradis avec de petites flèches for- 
mées du rachis des folioles de latanier, ou prennent 
en vie, pour les élever en domesticité, des loris 
papous, des loris tricolores, des cacatoës à huppe 
jaune. Comme les Malais , ils choisissent de préfé- 
rence la nuit pour se livrer à la pêche, et se servent 
principalement de torches résineuses enflammées 
dans le but d’attirer le poisson par ces vives clartés. 
Ces pêches durent plusieurs jours, et ont lieu sur les 
bas-fonds ou sur les côtes renommées par labon- 
dance des tortues, des coquillages, ou des poissons, 
et les naturels y séjournent tant que les vivres y sont 
abondants. A cet effet ils établissent un ajoupa tem- 
poraire sous lequel ils placent leur foyer, afin de le 
garantir des averses pluviales. Leur cuisine estéle- 
vée sur un treillage en bois de manière queleschairs 
qu’ils y entassent cuisent lentement par Paction de 
la chaleur ; et les quantités qu’ils en consomment, 
ainsi que les préparations qu’ils leur font subir, an- 
noucent qu’ils joignent la friandise à des besoins 
copieux. Ils prennent la précaution de cuire les 
poissons dans des feuilles d'arbres, de fumer et 
sécher les viandes de tortue franche, et de former 
avec les œufs des sortes de saucissons de haut goût, 

La nourriture première des Papous, empruntée 


116 


au règne végé(al, consiste en farine de sagou, reti- 
rée par le lavage dans l’eau froide du centre médul- 
laire des cycas et des sagouiers. Ils en fabriquent 
des pains de forme quadrilatère, cuits dans des sor- 
tes de fours en brique, ou ils mangent simplement 

la farine renfermée dan; des tubes de bambous. Les 
heures de leurs repas sont réglées avec une grande 
exactitude, et lorsqu'ils naviguent avec leurs piro- 
gues, ils ont toujours la précaution de conserver du 
feu, qu’ils placent sur une pierre au milieu de leur 
nacelle ; par son moyen ils atlument instantanément 
un brasier sur lequel ils grillent les aplysies , les ho- 
lothuries qui leur tombent sous la main au moment 
où leur appétitse réveille. Ils y joignent aussi la pré- 
caution d’avoir toujours en réserve des tubes de bam- 
bous remplis d’eau douce. Lorsqu'ils ont mangé, ils 
sont dans l’usage de fumer une petite cigarette faite 
avec une pincée de tabac haché et roulé dans une 
foliole sèche, à la manière des Espagnols. 

La construction des piroguesest, chez ces peuples 
maritimes, rendue facile par les instruments de fer 
qu’ils possèdent. Toutes les embarcations que nous 
avons vues étoient cependant peu soignées sous le 
rapport de l’exécution. Elles peuvent toutefois con- 
tenir de sept à huit hommes, et leurs extrémités 
sontrelevées. Elles ont deux balanciers, c’est-à-dire 
que de chaque côté partent des tiges terminées par 
un madrier oblique destiné à servir de flotteur. Sur 
ces balanciers sont enfoncéesdes fourches quiservent 
à recevoir les mâts, les voiles de l’embarcation. Au 
centre s'élève un toit renversé, sous lequel les gens 
de l'équipage mettent à couvert leurs plus précieux 
effets, leurs boîtes, leurs nattes en paille, ainsi que 
leurs vivres, 

Les Papous de la baie d'Offack ont, à ce qu'il 
paroit , adopté les habitudes de polygamie des Ma- 
lais : mais, ce qui est plus positif, ils en ont etl’hu- 
meur jalouse et le soin de dérober leurs femmes à 
tous les yeux. Bien que nous soyons entrés dans 
lcurs cabanes, nous n'avons jamais pu découvrir 
aucune personne de sexe féminin, et nous ne pou- 
vons pas douter qu'ils ne les aient cachées soigneu- 
sement au milieu des bois. M. de Blosseville est le 
seul officier de l'expédition francoise de la corvette 
la Coquille qui parvint à entrevoir les épouses du 
radjah de la baie Crouzol, ct il nous a dit qu'elles 
éloient jeunes, mais sérieuses et tristes, et qu'elles 
avoient pour tout vêtement un sarong de toile bleue 
des Indes. Plusieurs épouses des naturels s’enfuirent 
précipitamment dans les forêts, emportant leurs 
enfants dans leurs bras, un jour que nous nous ren- 
dions en silence et inopinément vers leurs cabanes 
dans la rivière d'Offack. 

Ces tribus sont adonnées au fétichisme pur, et 
ont élevé un temple à leurs dieux, qui paroissent 
être nombreux. Ce temple est une cabane beaucoup 


HISTOIRE NATURELLE 


plas grande que celles qu’habitent les naturels, et 
dont l’intérieur est décoré avec soin de nattes pein- 
tes appendues aux murailles. Ces idoles sont revé- 
tues de morceaux d’étoffes, et plusieurs ont devant 
elles des assiettes de porcelaine de Chine. Mais au 
milieu de ces figures humaines grossières nous re- 
marquâmes avec quelque surprise la représentation 
assez exacte d’un crocodile. Là aussi la crainte de ce 
vorace et dangereux saurien a donc inspiré des hom- 
mages que les hommes adressent toujours avec d’au- 
tant plus de ferveur qu’ils redoutent davantage la 
puissance malfaisante du génie ou du démon qu’ils 
encensent! A ces rites d’un culte dans l’enfance se 
joignent des idées inculquées par les Malais et des 
traces de mahométisme; car la polygamie, le soin 
qu’ils prennent de cacher leurs femmes, le respect 
qu’ils professent pour les tombeaux, dérivent évi- 
demmentdes relations intimes qu’ils ont contractées 
avec les émigrants des îles Moluques. Les tombeaux 
des Papous sont généralement recouverts d’une 
sorte de mausolée fait avec des morceaux de bois 
plus ou moins sculptés : parfois on suspend au-des- 
sus des guirlandes de hachettes en bois pour mar- 
quer l'usage que le possesseur a su en faire pendant 
sa vie. 

Il n’y a pas jusqu’à la manière de bâtir leurs caba- 
nes qui ne soit caractéristique pour tous les Papous 
qui ont eu des communications avec les Malais ; ce 
n’est jamais que sur le bord de la mer, à l’embou- 
chure des rivières, au fond des baies, qu’elles sont 
établies sur des pieux. Rien n’est peut-être plus 
pittoresque que ces demeures en bambous et à 
claires-voies, où logent péle-mêle des familles en- 
tières , sous lesquelles flottent les embarcations, et 
que dérobent à la vue les arbres vigoureux qui crois- 
sent aux alentours. Nul meuble n’embellit leur in- 
térieur, si on en excepte quelques nattes en feuilles 
de vaquois, une claie destinée à servir de lit à cha- 
que membre de la famille, un âtre pour renfermer 
le feu, et quelques paniers destinés à recevoir les 
trépangs desséchés dont il se fait une grande con- 
sommalion. 

La langue de ces Papous est un mélange demalais 
etd’alfourous, ainsi qu'il sera facile de s’en convaincre 
par la petite série de mots que nous citons ; cepen- 
dant les noms des parties du corps sont presque en- 
tièrement alfourous. 


Front, kaprani; oreilles, .atontouté; cheveux, 
Dia; nez, souné; lèvres, ganganini; dents, vuaéainé; 
menton, ganpapé ; barbe, gangalouriné; cou, ka- 
Koné; poitrine, liomanpené; mamelon, sou; ven- 
tre, iaéné; nombril, asselené ; pénis, siné; épau- 
les, poponé; reins, mihalé; fesses, saéué; anus, 
talané; bras, papéané; avant-bras, kapéané; main, 
kakonigré; doigts, katoulilé; ongles, Kabeai; 


DE L'HOMME. 


cuisse, kakoloné ; genoux, kabulapouké ; jambes, 
katouaaiié; pied, katuupapé; doigt de pied, 
katoutiti. 


Noms divers d'animaux et de plantes. 


Arec (noix d’), pirane. 

— ( poivre cubèbe), sir (bétel). 

— chaux, kapou. 

Ananas, nana:si (nom d’origine portugaise ). 
Banane, imbieffe (nom alfourous). 
Coco, kasout. 

Goura ou pigeon couronné, mambrouke. 
Muscadier, nancosse. 

Perles, moustika. 

Sagou, sagou papou. 

Oiseau, mani, etc., etc. 


A ces observations succinctes et rapides sur des 
tribus ignorées naguère nous ajouterons celles fort 
remarquables que MM. Quoy et Gaimard ont pu- 
bliées dans la partie zoologique du voyage de l’Ura- 
nie, et qu’ils ont lues le 5 mai 1825 à l’Académie 
royale des Sciences. Les conclusions admises par ces 
auteurs ne coincident point avec les nôtres, mais 
elles sont trop importantes, et présentées par des 
observateurs dont l'exactitude est trop connue, pour 
que nous ne les regardions pas comme le complé- 
ment le plus utile de ce que nous venons de rap- 
porter des Papous. Ainsi s'expriment MM. Quoy et 
Gaimard (!) : « On auroit tort de croire qu’il est tou- 
jours facile au voyageur de se procurer des osse- 
ments humains chez les peuples sauvages qu’il vi- 
site. Malgré la rudesse de leurs mœurs, tous 
s’accordent à rendre les derniers devoirs à ceux qui 
parmi eux ont cessé de vivre, soit qu’ils les con- 
fient à la terre , qu'ils les déposent dans des caver- 
nes, ou les suspendent dans des moyraïs. Cette cou- 
tume seule prouve que leur pensée , franchissant les 
limites de l'existence temporaire, a reçu la révéla- 
tion imparfaite d’une existence future ; elle suppose 
des combinaisons d’idées qui éloignent l’homme de 
ce prétendu état de nature dans lequel on a voulu 
faire croire qu’on l’avoit rencontré. Sicet état a vrai- 
ment pu exister entre des hommes réunis, ce que 
pous ne croyons pas, parce que le propre de l’espèce 
humaine est de tendre vers un perfectionnement 
quelconque, on ne peut disconvenir que depuis des 
siècles il n'existe plus, et que les voyageurs n’ont 
pu en fournir des exemples. Nous avons vu sur la 
côte ouest de la Nouvelle-Hollande , à la terre d’'En- 
dracht, une des peuplades les plus misérables du 
monde , au développement et au perfectionnement 


(1) Observations sur la constitution physique des Pa- 
pous ( Zoologie de l'Uranie, p. 1 à 11), 


117 


de laquelle un sol affreux semble s'opposer; mais 
qu'il y avoit encore loin de l’état des hommes de 
cette peuplade à celui des brutes, qui, nous le ré- 
pétons , ne sauroit, rigoureusement parlant, exister 
pour des êtres que l'usage de la parole rend suscep- 
tibles de se communiquer leurs pensées ! 

» Quelques peuples même, tels que les Papous, 
supposent aux morts les mêmes désirs, les mêmes 
passions qui ont agité leur vie. Ici des aliments et 
du bétel sont déposés sur le tombeau , comme si les 
besoins physiques pouvoient survivre à ia dissolution 
de la matière; là des instruments de guerre ou de 
pêche rappellent les occupations chéries de celui qui 
n'existe plus. Cette espèce de communication que 
le sauvage cherche à établir avec les objets de ses 
regrets, et ce culte funèbre qui consacre leurs dé- 
pouilles mortelles, indiquent qu’il n’est point étran- 
ger aux idées d’une autre vie. , 

» La vengeance seroit-elle aussi un dogme reli- 
gieux chez ces peuples, qui paroissent en perpétuer 
l’observance barbare en décorant quelquefois l’asile 
du repos avec les crânes des ennemis vaincus ? Ce 
furent de semblables trophées funéraires que nous 
crûmes pouvoir recueillir sans profanation. 

» Sur le seuil du tombeau d’un chef, dans la pe- 
tite île de Rawak, nous trouvâmes six têtes symétri- 
quement rangées sur une même ligne : elles étoient 
privées de la mâchoire inférieure, le temps en avoit 
détruit les chairs et blanchi les os. A leur gauche on 
voyoit un grand buccin, percé d’une ouverture cir- 
culaire, dont ces peuples se servent pour se faire 
entendre de loin. 

» Nous n’essaierons pas de déterminer, d’après les 
caractères de la physionomie, l’origine d’un peuple 
que nous n'avons fait qu’entrevoir ; nous ne recher- 
cherons point ici s’il est indigène de ces contrées, 
ou si les migrations l'y ont conduit; nous ne citerons 
que le petit nombre des faits que nous avons re- 
cueillis, et notre but sera rempli s’ils peuvent aider 
les recherches des savants occupés depuis si long- 
temps de ces grandes questions. 

» Le groupe d’iles connu sous la dénomination 
d’iles des Papous n’a été encore qu’imparfaitement 
exploré par les navigateurs. Quelques géographes 
donnent aussi le nom de terre des Papous à la Nou- 
velle-Guinée, dont les habitants, au rapport de tous 
les voyageurs, diffèrent tellement de ceux des iles 
environnantes qu'ils furent pris pour de véritables 
Nègres. Il existe en effet dans cette partie du globe 
une race à peu de chose près semblable à celle de 
l'Afrique australe : elle est comme égarée au milieu 
de la race malaise qui peuple les archipels de la 
Sonde, de Bornéo et des Moluques. Tout nous porte 
à croire que la souche de cette race, dont nous n’a- 
vons vu que des individus isolés, se trouve dans la 
grande ile de la Nouvelle-Guinée. Mais il faut pren- 


118 


dre garde de la confondre avec celle qui habite Wai- 
giou et les autres îles voisines; car, bien que ces in- 
sulaires soient presque semblables aux Nègres par 
Ja couleur de leur peau, ils offrent des différences 
que nous ferons connoître, et qui les distinguent 
de ceux- ci. En général ils se désignent eux-mêmes 
sous le nom de Pupoua, que toutes les nations, à 
l'exception de la nôtre, ont adopté : en françois on 
les nomme Papous ; et il paroît que ceux qui habitent 
les montagnes de Waigiou prennent spécialement le 
nom d’Alifourous, que quelques voyageurs écrivent 
aussi Alforeses et Hara/oras. 

» Cependant, il faut le dire, la proximité de toutes 
ces îles, qui commencent au continent de l’Inde et 
s'étendent presque jusqu’à la Nouvelle-Hollande, 
a dû favoriser tellement le mélange des individus 
qui les peuplent, qu’à présent il existe une foule de 
nuances qui rendent difficile la détermination exacte 
de quelques unes de ces races. Les Papous sont pré- 
cisément dans ce cas : ils n’ont pas les traits et la che- 
velure des Malais, ils ne sont pas Nègres non plus; 
ils nous ont paru tenir le milieu entre ces peuples 
et les Nègres sous le rapport du caractère de la phy- 
sionomie et de la nature des cheveux, tandis que le 
crâne proprement dit a une forme qui le rapproche 
beaucoup de celui des Malais. Si l’on vouloit, parmi 
tant de notions obscures, avoir recours aux détails 
du langage pour faire remonter à une même origine 
les habitants de l’archipel d'Asie, on trouveroit bien 
quelques mots communs à plusieurs iles; mais les 
causes que nous venons d'indiquer ne peuvent qu’af- 
foiblir importance de semblables remarques. D’ail- 
leurs on ne connoit pas encore la langue des habi- 
tants de la Nouvelle-Guinée, ou à peine en a-t-on 
retenu quelques mots qui ne s'accordent nullement 
avec ceux des Papous, comme nous l'avons vérilié 
en comparant nos vocabulaires au fragment cité dans 
l'ouvrage du président de Brosses. 

» Voilà des diflicultés pour ainsi dire insurmonta- 

ies qui n'existent pas pour les archipels beaucoup 
moins rapprochés, mais dont les habitants ont une 
physionomie et un langage moins variables que des 
croisements fortuits n’ont point dénaturés, et qu’on 
peut leur attribuer en propre. Il est aisé de décrire 
les naturels des iles Sandwich, de Taïti, des Ca- 
rolines, des iles des Amis, etc. ; mais il est bien plus 
difficile d’assigner les caractères distinetifs des Ti- 
moriens, des Ombaïens, et surtout des Papous, qui 
nous occupent spécialement. 

» Pendant une relâche de vingt jours sur les iles 
Rawak et Waigiou, nous püûmes nous mettre en 
rapport avec plusieurs centaines de naturels qui ve- 
noient traliquer avec nous. Ces communications di- 
rectes nous ont amenés à remarquer que les Papous 
ont en général une taille moyenne, assez bien prise 
chez quelques uns : cependant la plupart ont une 


HISTOIRE NATURELLE 


constitution un peu foible et les extrémités inférieu 
res grêles. Leur peau est brun foncé; leurs cheveux 
sont noirs, tant soit peu lanugineux, très touffus ; 
ils frisent naturellement, ce qui donne à la tête un 
volume énorme, surtout lorsque, négligeant de les 
relever et de les fixer en arrière, ils les laissent 
tomber sur le devant. {ls n’ont que peu de barbe, 
même les vieillards ; elle est de couleur noire, ainsi 
que les sourcils, la moustache et les yeux. Quoi- 
qu’ils aient le nez un peu épaté, les lèvres épaisses, 
et les pommettes larges, leur physionomie n’est 
point désagréable, et leur rire n’est pas grossier. 
Quelques uns ont le nez moins écrasé que d’autres. 
Nous en avons vu qui, avec des traits peu différents, 
portoient des cheveux plats, lisses, et tombant plus 
bas que les épaules. 

» Peut-être devons-nous considérer comme le pro- 
duit d’un Chinois ou d’un Européen avec les Papous 
deux individus dont la peau étoit presque blanche. 
Cette couleur, jointe à de longs cheveux lisses flot- 
tant sur les épaules, à plus de délicatesse dans les 
traits de la figure, à un nez plus eflilé, les faisoit 
manifestement contraster avec ceux qui les entou- 
roient. La supposition que nous avançcons pourroit 
être fondée sur ce que les Européens visitent quel- 
quefois ces parages, et que les Chinois les fréquen- 
tent aussi pour y acheter des oiseaux de paradis. 

» Cependant nous ferons observer que, dès 1528, 
Alvaro de Saavedra vit dans ces contrées , à environ 
sept degrés de l’équateur, quelques îles dont Les ha- 
bitants étoient blancs; ce qui le surprit beaucoup. 
Sans accorder une trop facile contiance à un tel fait, 
dont on n’a plus parlé depuis, nous nous bornerons 
à le citer. Si toutefois il nous étoit permis d’ajouter 
une réflexion, nous dirions que souvent les voya- 
geurs portugais et espagnols ont appelé hommes 
blancs des Indiens d’une teinte peu foncée et dis- 
tincte de la couleur des Nègres. D’après cela on 
pourroit croire avec assez de probabilité que ces 
hommes prétendus blancs appartenoient à quelques 
unes des iles Carolines. 

» Une autre variété d'hommes qui s’est offerte à 
nous est celle qu’on peut appeler nègre; car elle en 
a la couleur, la forme du crâne, les cheveux courts, 
très laineux, recoquillés ; le nez écrasé, très épaté ; 
les lèvres grosses, et surtout l’obliquité de l’angle 
facial, tandis que les Papous ont, sous ce rapport, 
la tête conformée, à peu de chose près, comme les 
Européens. 

» Ces Nègres, ainsi que la variété blanche, fai- 
soient librement partie de la tribu qui nous visitoit 
chaque jour. Les anciens voyageurs parlent de ces 
migrations partielles des habitants de la Nouvelle- 
Guinée. Le père Cantova, par exemple, raconte que 
de son temps les Carolins avoient dans leurs iles des 
Nègres qui leur servoient d'esclaves. Il ne dit pas 


DE L'HOMME. 


comment ils y étoient venus; et à cette époque il 
pouvoit encore moins dire d’où ils provenoient. Dam- 
pier en a rent vu à Pulo-Sabuti (1), qui parmi 
les Malais subissoient le même sort. La Nouvelle- 
Guinée, encore si peu connue, où les navigateurs 
n’ont fait qu’aborder, et de laquelle Cook fut re- 
poussé, présente donc le singulier phénomène d’a- 
voir des habitants semblables, du moins à peu près, 
aux Nègres d'Afrique. 

» N'ayant point eu à notre disposition des têtes de 
ces individus, nous ne pouvons indiquer les difié- 
rences anatomiques qui doivent exister entre elles et 
celles des Papous, dont nous allons faire connoitre 
la conformation. 

» Ayant soumis ces crânes à l'examen du doc- 
teur Gall, nous avons eu la satisfaction d'offrir avec 
plus de confiance celles de nos observations qui 
pourront venir à l’appui de la doctrine de ce célèbre 
physiologiste. 

» À leur première inspection M. Gall remarqua 
dans tous une inégalité qu’il nomma déformation 
rachitique, et d’après laquelle il supposa que les 
hommes à qui ils appartenoient habitoient des licux 
bas et humides, Ce fut avec quelque surprise, nous 
devons le dire, que nous reconnûmes la précision 
d’un apercu aussi délicat. En effet la plupart des ha- 
bitants de cet archipel, faisant leur principale naur- 
riture de poissons et de coquillages, n’abandonnent 
presque jamais les bords de la mer, qui dans cette 
partie sont tellement marécageux qu’on peut navi- 
guer en quelque sorte dans les forêts. Forcés par une 
impérieuse nécessité de demeurer dans des endroits 
aussi malsains, ils tächent de se soustraire à leur 
funeste influence en élevant Ieurs maisons sur des 
pieux. Ils ont probablement appris par expérience 
que des lieux constamment submergés sont moins 
dangereux que ceux qui ne le sont que par inter- 
valles ; d’où l’usage qu’ils suivent de bâtir au-dessus 
des eaux de la mer. 

» Les têtes des Papous présentent un aplatisse- 
ment des parties antérieure et postérieure, en même 
temps qu'un élargissement de Ja face. 

» Le sommet de la tête est élevé; les bosses parié- 
tales sont proéminentes, les temporaux très con- 
vexes; et le coronal, au-dessous de la ligne demi- 
circulaire des tempes, offre une saillie remarquable. 

» Les os du nez, presque verticaux, aplatis d’a- 
vant en arrière, ont peu de saillie ; ils sont rétrécis 
à leur partie moyenne, et élargis en haut et en bas. 
La forme du nez, comme nous l'avons vu, corres- 
pond à cette disposition, qu’augmente encore la lar- 
geur des apophyses montantes des os maxillaires su- 


(n) C’est sans doute l'île de Savu, qu'on proncnce et 


qu’on écrit quelquefois Sabu. Pulo signifie île en langue 
malaise. 


119 


périeurs, dirigées en avant. Ces os eux-mêmes sont 
beaucoup plus larges que dans la race européenne ; 
ce qui, dépendant surtout du développement de 
lapophyse molaire, donne à la face de ces insulaires 
sa largeur remarquable. 

» L'ouverture antérieure des fosses nasales est très 
évasée à sa partie inférieure; cet évasement est plus 
considérable même que chez les Nègres. 

» Les os molaires sont dirigés plus en avant, et 
les apophyses zygomatiques plus larges et plus sail- 
lantes. 

» On doit remarquer la largeur et la profondeur 
plus grandes des sinus maxillaires et frontaux mis 
à découvert par la fracture des os. Le dessinateur, 
M. Chazal, a copié avec fidélité cet accident, de 
même qu’un coup d’instrument tranchant qui a al- 
téré le pariétal gauche. 

» L’arcade alvéolaire est d’une épaisseur très re- 
marquable à la partie qui correspond aux dents 
molaires : l’une des têtes a cette arcade un peu di- 
rigée en avant et en haut dans la portion correspon- 
dante aux incisives etaux canines ; la voûte palatine, 
plus développée dans le diamètre transversal, a 
moins d’étendue d’avant en arrière. 

» La grandeur du trou palatin antérieur indi- 
queroit-elle un développement plus considérable 
du ganglion naso-palatin et un organe du goût plus 
parfait ? 

» L'une de ces têtes, très irrégulière, offre dans 
les deux moitiés de la boîte crânienne une diffé- 
rence considérable. Ici l’aplatissement, au lieu 
d’être dans le sens du diamètre antéro-postérieur , 
est oblique de droite à gauche et d’arritre en 
avant. Le pariétal gauche est également fort aplati, 
ce qui diminue beaucoup la capacité du crâne de ce 
côté; d’où il devoit résulter une grande inégalité 
dans les hémisphères cérébraux. Cette tête ressem- 
ble en cela à celle de Bichat, avec cette différence 
que la dépression postérieure se trouve du côté 
opposé. 

» Une autre tête présente deux saillics osseuses 
dans le conduit auditif. 

» Enfin une dernière, plus petite, semble avoir 
été celle d’une femme: la partie antérieure est moins 
large et moins relevée, l’occipital plus bombé à sa 
partie supérieure, et la portion écailleuse du tem- 
poral plus aplatie. C’étoit très probablement une 
jeune femme, puisque les saillies osseuses sont peu 
prononcées, et qu'aucune suture n’est ossifiée. 

» Après avoir fait connoître la constitution phy- 
sique des Papous, nous allons esquisser rapidement 
les facultés morales et intellectuelles de ces peuples. 
Ils sont remarquables par leur circonspection, por- 
tée souvent jusqu’à la défiance ; ce qui est, d’après 
l'observation. une sorte d’instinct dans les hommes 
à demi-sauvages, comme chez la plupart des ani- 


120 


maux. I] faut ajouter que dans les Papous la défiance 
doit être souvent mise en jeu par les guerres que 
leur font les pirates de quelques îles environnantes, 
qui fondent sur eux à l’improviste et les emmènent 
en esclavage. 


t » Sans entrer ici dans de plus grands détails sur 
leurs coutumes, détails qui appartiennent plus spé- 
cialement à la partie historique du voyage, nous 
dirons seulement que lorsque dans un simple canot 
l’un de nous visita le village de Boni, tous les ha- 
bitants s’enfuirent dans les bois avant même qu'il 
eût été possible de les apercevoir. C’est sans doute 
cet état d'alarme, presque habituel chez ces insu- 
laires, qui leur a fait placer leurs maisons vis-à-vis 
de récifs dangereux dont seuls ils connoissent les 
passages, afin d’avoir le temps de se soustraire à 
leurs oppresseurs. 

» Les Papous paroissent avoir des dispositions au 
vol. Cette inclination vicieuse est pour ainsi dire 
innée chez tous ces peuples, qui s’y livrent avec 
plus ou moins de ruse et de dextérité. 


» Mais le caractère le plus marqué que présentent 
les Papous c’est l'instinct carnassier, assez prononcé 
pour qu’il en résulte le penchant au meurtre : af- 
freux penchant auquel ces insulaires s’abandonnent 
avec fureur, et dont les ossements qui nous occupent 
sont probablement des témoignages. Le chef ou 
kimalaha de Guébé nous a assuré qu’il existoit des 
tribus anthropophages dans l’intérieur des îles des 
Papous. Cette assertion rappela à l’un de nous qu’en 
abordant l'ile d'Ombai il avoit vu suspendue, dans 
la cabane d’un naturel, au village de Bitoka, une 
rangée d'os maxillaires. Dans cette île, où, étant 
en très petit nombre, nous courûmes les plus 
grands dangers, quelques Anglois avoient été tués 
ct dévorés six mois auparavant par les féroces 
Ombaïens. 

» La tendance à la superstition, comme chez 
d’autres peuples plus civilisés, n’est réellement 
qu'une exaltation des idées religieuses ; et à ce sujet 
nous devons ici dire un mot du soin que ces peuples 
apportent à la construction de leurs tombeaux. Ce 
sont de petites cabanes où plusieurs personnes 
pourroient tenir dans une attitude inclinée. Le 
corps y repose dans une caisse qui le plus souvent 
renferme de petites idoles grossièrement sculptées, 
des bracelets, un peigne ct des cheveux ; quelque- 
fois on n’y trouve rien ; et peut-être alors ce sont de 
simples sarcophages élevés à la mémoire de ceux 
qui, ayant péri dans les combats, restèrent entre 
les mains des vainqueurs. D’autres fois une statue 
placée sous un petit hangar, indique le lieu de 
l'inhumation; ou bien les dépouilles reposent sur 
des pieux, et sont recouvertes d'une pirogue ren- 
versée : monument symbolique qui, ainsi que le dit 


HISTOIRE NATURELLE 


un éloquent écrivain, semble indiquer le naufrage 
de la vie. 

» Les observations que nous avons faites sur les 
Papous sont favorables à la doctrine du docteur Gall; 
leur justesse, nous ayant paru confirmée jusqu’à 
un certain point par l’étude des mœurs des indivi- 
dus qui en font le sujet, semble contredire les 
paradoxes qui, s’indignant des vices de l’homme en 
société, ont inventé l’homme de la nature tel qu’il 
n'existe pas, et ont fait un être idéal et séduisant 
pour lui prêter des attributs de puissance et des 
moyens de bonheur que la civilisation et les lumiè- 
res pourroient seules donner. 

» Nous devons ajouter que les Papous seroient 
susceptibles d'éducation, que leurs facultés intel- 
lectuelles ne demanderoient qu’à être exercées et 
développées pour leur faire tenir un rang dis- 
tingué parmi les nombreuses variétés de l’espèce 
humaine. » 


N IT, HABITANTS DU PORT-PRASLIN DE LA NOUVELLE-= 
IRLANDE. 


Jetons un coup d’œil sur l’ensemble du sol avant 
d'étudier la race qui l’habite. 

Le Port-Praslin est situé à l'extrémité méridio- 
nale de la Nouvelle-Irlande, à l’ouest du cap Saint- 
Georges, par 4° 49! 48!! de latitude S., et 150 28! 
29" de longitude E. Ce nom lui fut donné par Bou- 
gainville en l’honneur d’un ministre de la marine 
qui ordonna le premier voyage autour du monde 
qu’aient exécuté les François. Vers la même épo- 
que Carteret, navigateur anglois, relâcha dans le 
havre placé plus à l’ouest et appartenant à la même 
baie, qu’il nomma ause aux Anglois. Bougainville, 
en séjournant dans ce port, crut qu’il étoit situé au 
fond d’un golfe, et qu’il dépendoit de la Nouvelie- 
Brelagne, découverte par Dampier; tandis que 
Carteret, au contraire, ne craignit point de s’en- 
foncer au fond de ce prétendu golfe, qu’il trouva 
ouvert par un détroit assez long , et qu’il nomma 
canal de Saint-Georges en imposant le nom de Nou- 
velle-Ir'ande à la terre où le Port-Praslin offre une 
rade sûre et abritée. Pour atteindre ce mouillage 
deux passes servent aux vaisseaux, qui laissent à 
droite ou à gauche l’éle Verte de Bougainville, nom- 
mée Latao par les naturels. Il est protégé au S. O. 
par un petit cap appelé Tavuaolai; et la baie, qui 
s'enfonce dans l’est au milieu des terres, se termine 
au pied de la montagne de Cambatore en prenant 
le nom d’Abataros. Au nord s’avance la pointe 
d'Embrambia; de sorte que le Port-Praslin se 
trouve parfaitement abrité de toutes parts et protégé 
par une ceinture de montagnes nommées Lanut. 
Il se continue dans sa portion nord, par un bras 
de mer étroit, avec l’anse aux Anglois ou Siourou; 


… 


DE L'HOMME. 


car ces deux havres ne formeroient qu’une vaste 
baie si l’êle aux Marteaux ou Lambonne n'’étoit 
interposée entre eux. Cette dernière île peut avoir 
environ deux milles de longueur dans une direction 
de l'O. N. O. au N. O., en présentant la forme 
d’un grand fer à cheval, due à ce que sa partie mé- 
ridionale est découpée par une vaste baie. Son ex- 
trémité occidentale, nommée £Lamassa par les 
habitants, a dû jadis être couverte de cocotiers, à 
en juger par son nom. 

Le canal qui sépare le Port-Praslin de l’anse 
aux Anglois a six milles marins : ce dernier estabrité 
par deux montagnes dont l'élévation paroît considé- 
rable, et qui par leurs pitons attirent sans cesse des 
nuages noirs et épais, de manière que, quand il fait 
un temps superbe au Port-Praslin, la pluie tombe 
sur leurs sommets par torrents. Les arbres qui cou- 
vrent ce point de la côte sont constamment , même 
par les plus beaux jours, entourés d’abondantes et 


épaisses vapeurs. Les Nègres papous qui habitent 


cette partie du monde paroissent nommer la Nou- 
velle-Frlande Erlourou; mais ils appellent sans nul 
doute la Nouvelle-Bretagne Birare, et sont dans un 
état perpétuel d’hostilité avec ses habitants. 

L’ancrage du Port-Praslin est sûr et commode : 
Ja mer, pendant la durée de notre séjour, y a été 
constamment unie comme une glace, et le vent du 
large ne s’y faisoit jamais sentir. Des grains violents 
nous amenèrent cependant une fois une légère ra- 
fale dont les efforts, brisés contre le sommet des 
montagnes, descendoient sans force au fond de la 
baie. Quelle que puisse être d’ailleurs leur intensité, 
elles ne seroient jamais redoutables, parce que la 
chaine qui protége ies rivages est régulière à son 
sommet, et n’est point déchirée par les ravins. Les 
vents régnant(s pendant notre relâche furent de lé- 
gères fraicheurs de l’E., de l'E. S.E,, ct du S. E.; 
mais plus souvent on éprouvoit un calme tel que la 
feuille la plus légère sembloit immobile : en général 
la brise ne se faisoit sentir que dans l'après-midi. 
La mer, dans ce port, est partout également pro- 
fonde; et, quoique mouillés très près de terre, 
nous n'avions pas moins de trente-trois brasses sur 
un fond de gros sables madréporiques mélangés à 
beaucoup de débris de coquilles. 

La chaleur n’a pas été aussi considérable que nous 
devions le croire par notre position presque immé- 
diate sous l'équateur. Les vastes forêts dont la Nou- 
velle-Erlande est couverte en totalité, sans cesse 
arrosées par des pluies abondantes qui permettent 
une vaporisation conlinuelle, résultat d’une chaleur 
intense , rafraichissent l'atmosphère. Ces forêts 
ombreuses, en effet, retiennent dans leur intérieur 
une humidité défendue des rayons du soleil par des 
dômes épais de verdure : il en résulte une chaleur 
humide dont les effets sont moins sensibles sur le 

k 


121 


corps que ceux de la chaleur âcre et sèche que l’on 
ressent dans les déserts d'Afrique, par exemple. 
Le médium du thermomètre à midi étoit de 26° 6!, 
et dans la nuit il ne descendoit jamais plus bas que 
25° 6". La température de l’eau prise au milieu de 
la baie ne différoit de celle de l’air que d'un degré, 
L’aygromètre varia de 463 à 108°, et le baromètre 
se maintint à Z8 pouces. Les orages se reproduisent 
avec une fréquence qui étonne; ils se forment en 
un clin d'œil, et se dissipent de même : les nuages 
les plus inférieurs sont les seuls qui donnent de la 
pluie sur le Port-Praslin ; tous les autres sont attirés 
par les hautes montagnes des rivages ou de l’inté- 
rieur de l’ile. 

Les bords du havre qui nous occupe sont garnis 
de bancs madréporiques nombreux ; ils sont inter- 
rompus devant les courants d’eau douce qui des- 
cendent du sommet des montagnes en formant des 
sortes de petites rivières. Pour que les embarcations 
puissent s’approcher de la terre, il faut les diriger 
dans ces canaux. En décrivant une de nos excur- 
sions sur le pourtour de la baie, nous donnerons à 
nos lecteurs une idée exacte et pittoresque des vé- 
gélaux qui se pressent de toutes parts sur ce sol fé- 
cond , et des animaux qui y vivent. Les alentours 
du Port-Praslin sont donc bordés de coralligènes 
que la marée laisse presque à sec en se retirant, 
tandis que, à la haute mer, les eaux s’avancent sur 
les sables jusqu’au pied des arbres qui en forment 
la lisière. Dès qu’on débarque sur la grève, on ob- 
serve une végétation tellement active et vigoureuse 
qu’on la voit envahir le littoral, et ne cesser que là 
où la mer lui dispute la possession du sol : d’énor- 
mes troncs d’arbres renversés encombrent les riva- 
ges ; et leur vétusté, comme un terreau fertile, nour- 
rit encore des colonies de plantes charnues qui s’en 
disputent les moindres parcelles. Cette végétation 
ne présente point d’éclaircie, elle couvre toute cette 
portion de l'ile d’une seule forêt. Les arbres magni- 
fiques qui la composent, les arecs qui les dominent, 
ct une foule d’autres, se pressent et croissent avec 
vigueur. Des lianes de toutes sortes s’entortillent 
autour des troncs, grimpent jusqu'aux sommités 
des branches, et semblent avoir pour but de tendre 
des filets impénétrables. Parmi ces lianes il en est 
une dont les fleurs légumineuses d’un beau jaune 
flattent la vue, et dont les tiges volubiles se trouvent 
armées de crochets épineux qui déchirent impi- 
toyablement le voyageur qui s'engage sans précau- 
tion sous leurs lacis. D'éclatants papillons se croisent 
en tous sens sous ces dômes de verdure; des co- 
quilles terrestres variées en habitent le feuillage, 
et sur les branches se rencontre fréquemment le 
tupinambis noir ponctué de jaune. Des Paringlonia 
qui prennent un développement énorme, des hi- 
biscus à feuilles de tilleul, des keneo (guettarda spe- 

16 


122 


ciosa), et surtout des scævola lobelia de Vahl, crois- 
sent le pied dans l’eau, et paroissent avoir besoin, 
pour l'entretien de leur vie, d’une exposition toute 
maritime : il en est de même d’un très beau pancra- 
lium qu’on ne trouve que sur le rivage ; ce végétal 
(pancratium amboinense?), remarquable par une 
hampe florale élevée que couronnent des corolles 
blanches à étamines purpurines, a de larges feuilles 
roides, charnues, dans les aisselles desquelles nous 
trouvâmes en abondance la coquille terrestre, type 
du genre scarabe, que M. de Blainville a décrite 
comme nouvelle en la nommant SCARABE DE LESSON, 
scarabus Lessonü(Dict Sc.nal.,t. XL VIE, p.52). 
Une cicindèle bleue à tête dorée voloit sur les bran- 
ches, et annonçoit son passage par une odeur de 
rose fragrante qu’elle laissoit derrière elle. Çà et là 
s’élevoient les tiges droites des rotangs, si estimés 
en Europe pour faire des cannes, et sur la plupart 
des troncs d’arbres s’enlaçoient les tiges grimpantes 
des poivres cubèbes ; le faux sagou (cycascircinalis), 
par ses stipes droits et son port de palmier, étoit 
alors chargé de fruits. Les Papous de la Nourvelle- 
Irlande les recherchent, et font avec sa moelle in- 
térieure des pains analogues à ceux qu'ils retirent 
des vrais sagoutiers. Les plantes nourricières de ces 
profondes forèts se trouvent être le laka, si commun 
sur toutes lesiles de la mer du Sud {inocarpus edulis); 
le sohest, qui est le paya des O-Toïtiens ({acca pinna- 
tifida); le chou caraïbe (arum esculentum). Les arecs 
(arecx olerarea ), dont nous abattimes un grand 
nombre pour en obtenir le bourgeon terminal ou 
le chou, formoient des groupes épais dans certains 
emplacements en s’unissant aux tiges épineuses des 
caryota urens, des lataniers et des pandanus. On doit 
remarquer que les forêts équatoriales des Moluques, 
de la Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-frlande, 
caractérisées par les gigantesques proportions des 
arbres de toutes sortes qui les composent, ont très 
peu d’arbustes et de plantes herbacées. La chaleur 
solaire pénètre à peine sous l’épaisse el haute ver- 
dure qui couvre le sol, sans cesse humide, toujours 
ombragé, et où règne une fraicheur qui fait place, 
aussitôt qu’on a franchi quelques espaces dénudés, 
à l’action d’une chaleur insupportäble. La vapeur 
qui s’exhale du sol, iorsque le soleil monte, se con- 
dense en nuages au-dessus des arbres, et n’imite pas 
mai la fumée qui s’élèveroit de dessus un village. 
Toute l'épaisseur de ces vastes forêts vierges est jon- 
chée de troncs énormes déracinés par leur mort na- 
turelle, et couchés sur la terre qu’ils embarrassent, 
et à laquelle leur décomposition lente rend les prin- 
cipes qu’ils en reçurent en sc réduisant en humus. 
Sous leurs écorces crevassées se logent de froids 
reptiles : mais cependant la nature , qui aime à pré- 
senter Ie contraste de la vie et de la mort, voile encore 
ces traces de destruction en les couvrant de fougè- 


HISTOIRE NATURELLE 


res au feuillage découpé et grêle, d'epidendrum 
parasites à corolles bizarres et vivement peintes, de 
lichens, et de bolets de formes et de couleurs di- 
verses. De tous les végétaux arborescents l’inocarpe 
est sans contredit un de ceux qui attirèrent le plus 
notre attention, Sa taille à Taïti wavoit rien d’ex- 
traordinaire, tandis qu'à la Nouvelle-Iriande il 
acquiert des proportions considérables, élève sa 
cime à de grandes hauteurs, et envoie au loin ses 
racines, qui rampent à la surface du sol en présen- 
tant des parois minces et en même temps élevées 
de plusieurs pieds, de manière à former des sortes 
de cabanes naturelles séparées par de légères cloi- 
sons et capables de contenir sept ou huit personnes. 
Tel est l’ensemble bien imparfait du paysage aux 
alentours du Port-Praslin. Par cette esquisse gros- 
sière on doit penser quel effet imposant il imprime 
dans l’âme du voyageur européen. Le silence de ces 
lieux profonds et inhabités, où les Nègres indigènes 
ne se présentent qu’accidentellement, n’est inter- 
rompu que par le bruissement des jeunes tiges des 
arbres sous les pas de l’explorateur, par les cris 
rauques et discordants du lori vert, ou par le bruis- 
sement des élytres des grosses cigales. Tout porte 
l’âme, même du naturaliste le plus exclusivement 
dirigé vers les collections, à un sentiment indéfini, 
à des émotions profondes, à un plaisir mêlé de 
quelque chose de vague et de triste que rien ne peut 
rendre, et qu'aujourd'hui même nous ne nous rap 
pellerions point si nous n’en trouvions l'expression 
dans notre journal écrit sous l'inspiration des sensa- 
tions du moment. 

Les rivages du Port-Praslin sont parcourus par 
un grand nombre de sources qui descendent des 
montagnes placées autour du havre qu’elles abritent. 
La plus remarquable, comme la plus abondante de 
ces sources, est celle que Bougainville a décrite dans 
sa relation, et que nous avons nommée cascaile de 
Bougainville. Le marin françois, qui la vit dans la 
saison de l’hivernage, époque où le volume d’eau 
qui en descendoit étoit considérable , en parla en ces 
termes (1): « Nous avons tous été voir une cascade 
» merveilleuse qui fournissoit les eaux du ruisseau 
» du navire l'Etoile. L'art s’efforceroit en vain de 
» produire dans le palais des rois ce que la nature a 
» jeté dans un coin inhabité, Nous en admirâmes 
» les groupes saillants, dont les gradations presque 
» régulières précipitent et diversifient la chute des 
» eaux ; nous suivions avec surprise tous ces massifs 
» variés pour la figure, et qui forment cent bassins 
» inégaux, où sont reçues les nappes de cristal co- 
» lorées par des arbres immenses, dont quelques uns 
» ont le pied dans les bassins mêmes : cette cascade 


L 


S 


() Voyage autour du monde, de 1766 à 1769, 
page 282 de l'édition in-# ; Paris, 17741. 


DE L'HOMME. 


» mériteroit le plus grand peintre. » Or, pendant la 
durée de notre relâche, la source ne fournissoit que 
peu d’eau; car nous étions à la fin de l’été de cette 
partie du monde, et au moment où la saison des 
pluies alloit recommencer. Les chutes de la cascade 
de Bougainville sont à peu de distance du rivage, à 
l’est du Port-Praslin; elles sont formées par cinq 
gradins s’élevant rapidement les uns au-dessus des 
autres dans une élévation d'environ trente à qua- 
rante pieds. L'eau s’est creusé une ouverture à la 
moitié de la montagne, et jaillit en nappes écuman- 
tes, limpides et fraîches, dont le murmure se mêle 
au bruissement des feuilles, à la chute des vieux ar- 
bres qui tombent de temps à autre et encombrent 
son lit, oa jettent en travers des ponts chancelants. 
Ces eaux, très chargées de sels, ont comme ciselé 
la surface des roches qu’elles baignent, et les strates 
d’où elles tombent en nappes sont bordées de stalac- 
tites calcaires groupées d’une manière agréable. Le 
lit et les strates sont formés de chaux carbonatée, 
due sans aucun doute à des masses madréporiques 
qui ont moulé sur le noyau primitif un terrain ré- 
cent. Les pores de ces coraux, depuis long-temps 
éteints, sont remplis par des cristaux plus blancs du 
sel que l’eau tient en suspension, et que plusieurs 
autres principes salins rendent purgatif, Comme site 
romantique, cette cascade mérite de fixer l’attention ; 
mais nous l’avons trouvée bien inférieure à celle de 
Kiddi-Kiddi à la Nouvelle-Zélande, et à la grande 
cascade de l’ile de France. Son plus grand charme 
dépend des masses de végétaux qui se pressent de 
chaque côté, y forment d’épais fourrés où se ma- 
rient les feuillages les plus opposés, les teintes les 
plus diverses, les formes ligneuses les plus variables ; 
un dôme de verdure, dû à d’immenses figuiers, à 
de gracieux arecs, enlacés de tiges volubiles, re 
couvrent ces caux fraiches et limpides peuplées 
de coquilles fluviatiles (!), de crevettes, et embellies 
par les papillons ornés qui éclosent sur leurs bords, 
ou par les riches oiseaux qui viennent s’y désaltérer. 
De grosses fourmis, dont la morsure est doulou- 
reuse, sont très communes en ce lieu; et le calme 
de la forêt est de temps à autre interrompu par le 
cri d’un corbeau analogue à notre corneille, et qui 
imite à faire illusion l’aboiement d’un chien, Bou- 
gainville avoit déjà indiqué cette particularité en 
disant dans sa relation : « Nous y remarquâmes une 
» espèce d'oiseau dont le cri ressemble si fort à l’a- 
» boiement d’un chien qu’il n’y a personne qui n’y 
» soit trompé la première fois qu’on l'entend, ». 
L'ile Lambonne, que Bougainville a nommée é/e 
aux Marteaux parce que les gens de son équipage 
y trouvèrent un grand nombre de ces coquilles bi- 
valves alors rares dans les collections, est prodigue 


(") La nérite et le chiton. 


123 


de productions naturelles remarquables. Nous y 
cherchâmes, toutefois infructueusement, ces testa- 
cés, dont nous ne vimes aucun débris. Une anse con- 
sidérable entame la partie boréale de cette île, et se 
termine sur le rivage par des grèves sablonneuses 
déclives et par des bancs de coralligènes, Jamais 
nous n'avions vu de points aussi riches en zoophytes ; 
ils pulluloient dans cet espace resserré, abrité des 
vagues du large qui déchirent et mettent à nu les 
rochers de la côte méridionale, où s'arrêtent leurs 
efforts. Ces plateaux de coraux sont au contraire re- 
couverts d’une petite masse d’eau dont la surface est 
toujours paisible, et réchauffée par l'influence di- 
recte du soleil. La lumière, pénétrant avec force sous 
cette couche, y fait développer un luxe de vie que 
nous n'avions encore observé nulle part : aussi nous 
arriva-t-il fréquemment de passer des heures en- 
tières en ces licux, ayant de l’eau jusqu'à moitié des 
cuisses, pour y dessiner des zoophites et saisir 
leur éclat fugace, leur forme, qui sans cette pré- 
caution eussent échappé à notre étude. Dans la 
suite de cet ouvrage nous aurons occasion de dé- 
crire les rares et curieuses espèces que nous recueil- 
limes en ce lieu, et il nous suflira de dire ici que nos 
collections et nos dessins s’accrurent considérable - 
ment en éponges, en aclinies, en zoanthes, en asci- 
dies, ete. Des serpules ou tuyaux de mer, dont les 
animaux à tenlacules étoient d’un azur doré, bril- 
loient de teintes vraiment fantastiques, étoient en- 
trelacés au milieu des coraux, et le zoophyte sortoit 
de son tube pour s'épanouir comme une belle fleur, 
et s’y cachoit avec vivacité au contraire lorsque l’eau, 
agitée par quelque mouvement lointain, lui donnoit, 
par ses ondulations même légères, la conscience 
d’un danger quelconque. Des holothuries, des étoiles 


de mer à six rayons droits et linéaires, l’asterias 


diseoïdea, le fongie avec ses larges polypes en ven- 
touses, une aclinie verte à tentacules rouges, une 
aclinie du pourpre le plus vif, des aplidium, cou- 
vroient cette partie de la baie, Sur le rivage, attachées 
aux troncs couchés des arbres abattus par vétusté, 
adhéroient de larges huitres minces très délicates. 
De nombreux fragments de nautiles (#autilus pom- 
pilius) jonchoient les sables des grèves, et attes- 
toient que ce céphalopode doit être très abondant à 
certaine profondeur. À ces objets se joignirent des 
cônes, des porcelaines, des trochus, etc. 

La végétation de l’île Lambonne s'étend dans la 
plus grande partie de la côte jusqu’à la mer; partout 
elle est d’une rare beauté. Les cycas s’y montroient 
en plus grande abondance que partout ailleurs. Son 
pourtour entier étoit festonné par des guirlandes de 
lianes suspendues de branche en branche, d’entre 
lesquelles sortoient des arbres à pain sauvages. Des 
frégates noires voloient à de grandes hauteurs, et 
sur le bord de la mer se présentoit fréquemment un 


124 


albicilla). Sur la côte occidentale, assez élevée, mais 
coupée par une ravine au fond de laquelle coule une 
petite rivière d’eau douce, nous trouvâmes des dé- 
bis des repas que les naturels y avoient faits; et un 
ajoupa temporaire, consistant en quelques feuilles 
de cocotier jetées négligemment sur des branches 
fichées dans le sol, avoit servi à abriter la cuisine de 
ces Nègres, qui visitent, à ce qu’il paroît, de temps 
à autre, leurs districts maritimes, afin d'y recueillir 
des vivres. Des tas de gros coquillages épars auprès 
du foyer, nommé pal dans la langue du pays, témoi- 
gnoient de leur appétit. Près de là nous remar- 
quâmes un calophiyllum inophyllum dont le tronc 
avoit pris un développement monstrueux. Cet arbre 
en effet étoit couché sur le sol, et donnoit naissance, 
par la partie supérieure du tronc, à une douzaine 
de branches toutes plus grosses que nos plus forts 
chênes de France et ayant plusieurs brasses de cir- 
conférence : qu’on juge par suite des dimensions du 
tronc principal! Des orchidées magnifiques, de 
grandes et fraiches fougères, couvroient l’écorce, 
et se mêloient au vert gai et lustré qu’on sait être 
propre à ce beau végétal et contrastoient avec ses 
fleurs blanches disposées en grappes. Les vaquois, 
les inocarpes, les Baringlonia, divers palmiers 
étoient d’ailleurs les arbres les plus communs sur ce 
point de la Nouvelle-frlande. La partie méridionale 
de l’ile Lambonne ne ressemble guère à sa partie 
boréale. Baignée par la haute mer dont les vagues 
viennent se briser sur les rochers qui la bordent, 
celte côte, haute et accore, est déchiréc et crevassée. 
Souvent la mer s’engouffre dans des cavernes qu’elle 
s’est formées par le choc impétueux de ses boule- 
versements ; et comme ces crevasses profondes sont 
parfois ouvertes à leur sommet par des sortes de 
soupiraux étroits, il en résulte que la vague heurtée 
par une puissance immense contre la barrière qui 
reçoit le choc, s'élève en gerbe par l'issue supé- 
rieure, et se disperse dans l’air en pluie que les vents 
emportent. Sur ces rocs sans cesse minés, s’avan- 
cent, pour en voiler les injures, des plantes ram- 
pantes, des faisceaux de feuillage, et souvent s’en 
élèvent les branches tombantes et comme filamen- 
teuses du filao ou casuarina indien. Une ceinture de 
coraux protége toutefois ces rocs, et semble former 
un ouvrage avancé destiné à protéger le corps de la 
place. Nulle coupure n’y existe pour donner passage 
aux embarcations. Revenons au Port-Praslin. La 
côte orientale, bordée aussi par un large plateau de 
récifs, desséchée à marée basse, mérite toute l’atten- 
tion d’un naturaliste. On y trouve un bon nombre 
de poissons, de ceux qu’on doit appeler saxatiles , et 
qui, tous gracieux à l’œil, appartiennent aux genres 
chétodon, alutères, balistes, etc. L’astérie à six 
rayons bleus oucicinbone des naturels, les gros cas- 


HISTOIRE NATURELLE 


assez gros martin-pêcheur à tête blanche ( alcedo - 


ques ou sazanmak, le bénitier tridacne ou sabour- 
kess et marenoa, des lépas, des haliotides, étoient 
les productions marines les plus abondantes. Des 
murénophis et des scorpènes se tenoient cachés sous 
les pierres; et deux de nos matelots, blessés par les 
aiguillons de ces dernières, éprouvèrent des dou- 
leurs qui furent assez long-temps à se dissiper. Ce 
point de la côte est le seul où nous reconnümes des 
muscadiers sauvages (myristica mas de Rumphius). 
Les Tournefortia à feuilles satinées, des eugenia 
entourés de pothos, des ketmies à feuilles de tilleul, 
des tecks (tectona granis), des caryota brûlants, 
des ixora, des orangers, formoient les masses prin- 
cipales des fourrés. Partout on rencontroit les toiles 
assez solides de deux araignées (aranex aculeata et 
spino<a) déjà mentionnées par M. de Labillardière, 
et toutes deux remarquables par la magnilicence de 
leur coloration variée de pourpre, d’azur et de blanc. 
Aux troncs des arbres pendoient d'énormes nids 
spongieux et celluleux, bâtis sans nul doute par une 
espèce de termite ou fourmi blanche. Lorsque la 
nuit commençoit à couvrir de ses voiles la nature 
entière, dans les soirées calmes et sereines, des 
milliers de vers luisants, que les naturels nomment 
laltote, sortoient de l’épaisseur des bois, lançoient 
de petits faisceaux de lumière qui se croisoient dans 
tous les sens, et dont les lueurs expiroient pour se 
rallumer de nouveau et de nouveau s’éteindre. Mais 
à ces détails doivent se borner nos tableaux de ces 
sites lointains et sans analogie avec les nôtres; et, 
quel que soit encore le nombre des observations qu’il 
nous faut passer sous silence, nous ne devons pas 
nous arrêter à des peintures pleines de charmes pour 
nos souvenirs, mais qui doivent faire place à un 
compte rendu plus austère de nos recherches. 

Une île vaste comme la Nouvelle-Irlande doit 
nourrir sans doute plusieurs espèces de grands ani- 
maux, et quelques uns de ceux qu’on trouve dans 
les Moluqueset à la Nouvelle-Guinée. Maisles courtes 
relâches des voyages de mer ne permettent guère 
que d’effleurer quelques points du littoral, et par 
suite des endroits toujours pauvres en créatures ani- 
mées. Nous n’y vimes point le babi-russa, bien que 
nous ne puissions douter qu’il y existe, car les natu- 
rels nous l’aflirmèrent; et ce qui est plus positif, ils 
nous en apportèreut les dents canines, si reconnois- 
sables par leur forme caractéristique. Les cochons 
que les Papous élèvent en domesticité sous le nom 
de bouré appartiennent à la race de Siam; et dans 
tous les cas ils ne nous parurent pas y être nom- 
breux. L'animal indigène le plus commun est le cous- 
cou blanc ou kapoune, que les naturels ‘estiment à 
cause de la délicatesse de sa chair. Un vespertilion 
est le seul chéiroptère qui s’offrit à nos regards; car 
jamais nous n’y rencontrâmes de roussettes, bien 
que ces animaux aient des espèces répandues dans 


DE L'HOMME, 


toutes les terres environnantes. Nous avons déjà eu 
occasion de dire que les chiens nommés pou l lien- 
nent beaucoup de lespèce répandue chez les habi- 
tants de la Nouvelle-Hollande. 

Les Papous du Port-Praslin appellent les oiseaux 
mani, et ce nom a la plus grande ressemblance avec 
celui de manou de la langue océanienne. Les espèces 
se ressentent du voisinage de l’équateur, mais en 
même temps des rapports de création de la Nouvelle- 
Irlande avec les systèmes d’iles papoues et molu- 
ques : elles y sont en effet nombreuses et variées, 
mais elles appartiennent en même temps à quelques 
unes de ces familles précieuses si recherchées dans 
nos musées. La poule domestique, commensale de 
. l’homme, ne diffère point de la race de nos basses- 
cours : mais, par une singularité qui seroit fort re- 
marquable si l’on ne pensoit que le nom de cet utile 
oiseau doit son origine à un son euphonique dans la 
plupart des langues, les Nègres du Port-Praslin lui 
donnent le nom de og, mot qu'ils articulent nette- 
ment. D'un autre côté l’auroient-i's recu de quel- 
ques navires européens ? Les loris(!), ces perroquets 
à vestiture écarlate; les gros loris papous (?), dont la 
voix est rauque; le perroquet vert à plumes lustrées 
des Moluques (*); la perruche de Latham, étoient 
tués en grand nombre dans nos chasses habituelles. 

Plusieurs espèces du riche genre des columba 
habitent les alentours du Port-Praslin ; et parmi 
elles nous citerons le pigeon de Nicobar (columba 
nicobarica, L.), la colombe Pinon (columba Pi- 
non, Quoy et Gaim., Zro!., pl. 28), la colombe de- 
moiselle (colu : ba puella, N.). La colombe Pinon, 
observée par nous dans son pays natal, diffère un 
peu de la belle figure donnée par MM. Quoy et 
Gaimard ; car nous trouvons dans notre Journal 
cette description : La tête et le cou sont d’un gris 
glacé mélangé à une teinte rose et légère; le ventre 
est d’un rouge vif; le dessus des ailes et du dos est 
d’un vert doré brillant de quelques reflets de cuivre 
de rosette; les rémigesetles rectrices sont d’un vert 
noir; les tarses sont d’un rouge vif, ainsi qu'une 
caronrule arrondie qui surmonte le demi-hec supé- 
rieur. La chair de cette espèce est savoureuse, et elle 
a l’habitude de se percher sur les sommités des ra- 
meaux les plus élevés. Un corbeau à duvet blane, 
nommé coco par les naturels, dont le plumage est 


(1) Psittacus Lori, 
et 124. 

(2) Perroquet grand-lori(Levaill,, pl. 126, 127 et 128; 
Psittacus grandi;, L). Celte espèce est trés rarement 
apportée en Europe, car elle vit difficilement en capli- 
vité. Cependant en ce moment (octobre 1828 ) M.Ke- 
raudren, inspecteur général du service de santé de la 
marine, en possède à Paris depuis assez long temps un 
bel individu vivant, 


(5) Psittacus sinensis, L., enl., 514% 


L,, enl., 168; Levaill., pl. 122 


: Levaill,, p. 132, 


125 


entièrement noir, ne paroit pas différer de l’ espèce 
de la Nouvelle-Galles du Sud que MM. Vigors et 
Horslield ont nommée, par rapport à son analogie 
avec la corneille d'Europe, corvus corozoides(!) Sur 
ces rivages étoit assez commun l’aigle océanique 
(falco oceanica, Temx. , pl. col. 49). Deux espèces 
du genre ciTANUE habitoient les bois : l’une à plumage 
d’un vert uniforme, et l’autre inédite, que nous 
avons figurée sous le nom de coucal airalbin (cen- 
L'opus ateralbus). 

Parmi les oiseaux les plus communs nous cite- 
rons les suivants : Trois espèces de martins pêcheurs, 
l’alcedo albicilla à plumage sur le corps couleur 
d’aigue marine, à tête et cou entièrement blancs; 
l’'al-cdo ispida, var. moluccana; V'alcyon cinna- 
mominus de M. Swanson, nommé #évu-kiou par les 
insulaires : cette dernière espèce a environ six pouces 
de longueur. La tête et le dos sont d’un vert brun, 
et les ailes et la queue seules ont une teinte d’aigue 
marine. Un collier fauve entoure le cou, et le ventre 
et la gorge sont de celte dernière couleur, devenue 
plus vive et légèrement pointillée de brun. L’extré- 
mité des rémiges et des rectrices est brune; la moitié 
de la mandibule inférieure est blanche, l'iris noi- 
râtre, et les pieds sont rouges. Des drongos, des 
stournes (lamprotorn's metallicus, TEu., pl. 266) 
qui vivent en troupes, et dont l'iris a l’éclat du ru- 
bis ; des hirondelles, un souïi-manga à gorge bronzée, 
nommé sic-sic (?), des gobe-mouches nouveaux (#), 
un échenilleur (), quelques chevaliers gris, des fré- 
gates, etc. 

Nous décrirons toutefois trois espèces d’après 
nos notes manuscrites, dont les individus ont été 
perdus lorsque notre collègue M. Garnot fit nau- 
frage au cap de Bonne-Epérance en revenant en 
France après nous avoir quittés au Port-Jackson. 
Ce sont les gobe-mouches suivants : Le tenourikine, 
long de six pouces, à plumage complétement noir 
lustré avec des reflets verts métalliques, le bec 
plombé, les tarses noirs, et l'iris d’un jaune pâle, 
le rouquine, ayant de longueur totale sept pouces, 
le dessus du corps, les ailes ct la gorge noirs, le 
ventre blanc, un sourcil de cette dernière couleur 
sur l’œil, enfin à bec et tarses bruns. La troisième 
espèce, dont il nous reste à parler, appartient au 
genre drongo (edolius, Cuv.; cicrurus, VIEILLOT). 


) Trans. soc. Lin.; Lond., t. XV, p. 261. 

(2) Ce souï-manga est olivâtre , excepté la gorge, qui 
est d’un noir d'acier bruni, etle ventre, jusqu'aux cou- 
vertures inférieures de la queue, qui est d’un jaune pur, 

6) Muscicapa chrysomela, N.; pipimaloumé des na- 
turels. 

(* Figuré dans notre atlas, pl. 12, sous le nom de 
PIE GRIÈCHE KAROU (lanius Æaru); mais que nous 
avons reconnu étre un ceblepyris auquel nous conser- 
verons le nom trivial et indigène de karu, 


126 


Cet oiseau a la queue fourchue comme ceile du for- 
ficatus, et de longueur totale environ dix pouces. Le 
dessus du corps est en entier d’un gris cendré plus 
foncé sur les ailes, tandis que cette teinte est beau- 
coup plus claire et d’une nuance plus douce sur le 
ventre; le becetles pieds sont noirs, et l’irisest noi- 
râtre. Nous l’appellerons edolius comice, du nom 
qu’il porte dans son pays natal, à moius qu'il ne 
soit, ce dont nous doutons, qu’une variété de l’edo- 
lius cinéraceus ou c'enta de Java, décrit par le doc- 
teur Horsfield. 

Les reptiles trouvent au Port-Praslin toutes Îles 
circonstances les plus favorables pour leur multi- 
plication paisible : chaleur et abondance d’eau sont 
les deux premières grandes conditions de leur exis- 
tence. Aussi, bien que nous n’en aÿons point vu, 
les navigateurs qui nous précédèrent sur cette partie 
du monde y indiquent des caïmans : or, comme le 
crocodile bicaréné n’est pas rare à la Nouvelle- 
Guinée, on ne doit pas un seul instant douter que 
ce ne soit la même espèce. En revanche nous nous 
y procurâmes plusieurs sortes de lacertain:, ct no- 
tamment le lézard de pandang des Amboinois, ou 
gecko à bandes ( lacerta villa'a, Gu.), très bien 
figuré par M. Brongniart dans le Bulietin des Scie:- 
ces (1), quelques ophidiens, ct des tortues. Les habi- 
tants nomment ces dernières poules, recherchent 
leur chair, et font des hamecçons pour la pêche avec 
leur écaille. 

Les poissons comptent une grande variété d’es- 
pèces dans cette baie, et toutes rivalisent en éclat. 
Ce seroit nous entraîner trop loin que de les citer ; 
mais il est probable que plus tard nous aurons cc- 
casion de revenir sur ce sujet. Nous ne passerons 
pas sous silence toutefois le requin à ailerons noirs 
(squalus mrlanopterus, Quoy et Gatmarp) qui est 
multiplié d’une manière étonnante, ni le blennie 
sauteur de Commerson, sorte de poissen amphibie 
qui s'élève sur les vagues, gravit les rochers, s’y 
promène pour attraper les petits insectes dont il se 
nourrit, et, courant avec assez de rapidité sur le 
sable des grèves, imite à faire illusion les allures 
d’un scinque. Enfin ce eu’il y a de plus singulier 
dans les mœurs de ce poisson c’est de le voir nager 
indifféremment dans l’eau des petites rivières qui 
se perdent dans le Port-Praslin, se plonger dans la 
mer ou en sortir pour gravir sur les branches de 
quelques arbrisseaux maritimes. Ses yeux placés 
verticalement sur le sommet de la tête, ses nageoires 
jugulaires soudées et à rayons solides, sa couleur 
gris de lin linéolé, font de ce périophthalme un être 
fort curieux. 

Les crustacés se composoient de langoustes, de 
cancers variés, de grapses peints, de palémons, de 


(9) Et dans les Mis. de Schaw, t. I, fol. 89, 


HISTOIRE NATURELLE 


crevettes, d’un pagure et d’un ocypode qui se creuse 
des terriers dans les bois. Les insectes y sont très di- 
versifiés et nombreux, et les papillons les plus riches 
et les plus éclatants s’y trouvent en grand nombre. 
Parmi les coléoptères nous citerons la c'cindèle à 
odeur de rose, type d’un nouveau genre, qui se 
tient sur les feuilles; le gncma, qui ne quitte point 
les écorces ; un bupreste doré, et un très gros sca- 
rabée bicorne, On y rencontre plusieurs phasmes, 
l'un filiforme et vert, et l’autre très grand, noir, à 
corselet très dur et hérissé de piquants. C’est de cet 
insecte dont parle Bougainville lorsqu'il dit, p. 279 : 
« Il est long comme le doigt, cuirassé sur le corps; 
» il a six pattes, des pointes saillantes sur les côtés, 
» et une queue fort longue. » Quant à la mante- 
feuille mentionnée par ce navigateur, et si commune 
à Amboine ct aux Séchelles, nous n’en eûmes point 
connoissance. Les scorpions et les scolopendres, 
ainsi que plusieurs fourmis très grosses et des ter- 
mites ne doivent pas être oubliés, 

Les coquilles les plus répandues sont de gros 
cônes, des casques, de très grands trochus, tels que 
la veuve et la peau de serpent, des tridacnes, l’hyp- 
pope, des porcelaines, des ovules œufs, des fuseaux, 
des haliotides, des murex, des huîtres, l’une à 
bords sinueux, l’autre aplatie et mince, des patel- 
les, etc. Le scarabe ne quitte point l’atmosphère 
marine, et se tient sous la mousse ou dans les ais- 
selles humides d’un pancratium; un petit bulime 
et une hélice noire inédite habitent les feuilles des 
arbres : une onchidie est très commune sur les ro- 
chers de la pointe Tavua lai; elle est ovalaire, de 
couleur jaunâtre, avec des taches brunes. Dans les 
eaux douces se trouvent une espèce du genre faune, 
la melania setosa de M. Gray (Zoo!. Journ 1, t. I, 
p. 235, pl. vu, fig. 6, 7 et 8), une nérite épineuse, 
et la nérite fluviatile à lèvres rouges. Relativement 
à cette dernière espèce, nous ne pouvons passer 
sous silence un fait très singulier de son organisa- 
tion. Les individus les plus développés, au lieu de 
vivre dans les eaux douces, où les fixent les lois de 
leur économie, se trouvoient répandus, au moins 
pendant la durée complète de notre séjour à la 
Nouvelle-Irlande, à de grandes distances dans l’in- 
térieur des forêts, à plus d’une demi-lieue de tout 
ruisseau. Celte particularité de rencontrer à chaque 
pas cette coquille fluviatile attachée aux feuilles des 
arbres, et surtout à celles des pandanus, nous parut 
renverser les idées reçues ; et nous ne concevons pas 
encore comment elle peut gravir sur les troncs pour 
atteindre les plus légers rameaux, à cause de son 
opercule calcaire très solide. Quant à sa respiration, 
elle se continue par la précaution qu’a ce mollusque 
de réserver dans sa coquille et sous son opercule 
qui ferme hermétiquement une provision d’eau, 
qu’il renouvelle peut-être chaque malin dans les 


DE L'HOMME. 


aisselles des feuilles des vaquois ou de quelques au- 
tres plantes dont le feuillage enroulé recoit les va- 
peurs qui sont condensées pendant la nuit. 

Peu de reläches nous ont été aussi favorables 
pour enrichir nos collections d’une quantité innom- 
brable de zoophytes. Les holothuries, les zoanthes, 
les actinies , les salpa, les méduses , nous offrirent 
de.nombreuses espèces. C’est au milieu de la rade 


que nous primes par un temps calme un acalèphe 
agrégé, de forme pyramidale, long de deux pou- 


ces, composé de pièces articulées à facettes taillées 
comme du cristal, se désarticulant avec une extrême 
facilité, ayant son centre traversé par des cordons 
digestifs d’un beau rouge et disposés en ganglions 


renflés de distance en distance. Cet animal, qui a 


de grands rapports avec celui nommé polylome par 
MM. Quoy et Gaimard, sera pour nous le type du 
genre plethosoma. Par la même raison nous passe- 
rons sous silence les nombreuses espèces de madré- 
pores, d’éponges, d’alcyonium, de vers à luyaux, le 
tubipore musique, et les disques des fongies, dont 
les interstices des lamelles sont occupés par le po- 
lype dilaté en larges et innombrables ventouses de 
couleur marron clair, ete., etc. 

Les peuples qui vivent sur la vaste île connue 
sous le nom de \ouvelle-Irlande par les Européens, 
semblables à plusieurs races répandues sur les terres 
environnantes, appartiennent à la grande famille des 
Papouas. Ces tribus noirâtres n’avaient point encore 
été décrites par les navigateurs, et tous les faits dont 
se composera leur histoire dans ce chapitre seront 
entièrement neufs pour la science. 

Les nouveaux Erlandois ont la peau noire; mais 
cette teinte est loin d’être décidée, et par le mélange 
de jaune uni au brun elle affecte la couleur fuligi- 
neuse. Leur taille n'a rien de remarquable; elle varie 
suivant les individus : ses proportions les plus ordi- 
naires Sont à peu près de cinq pieds un à deux 
pouces. Leurs membres, sans avoir cette maigreur 
ou ces proportions grêles que l’on sait être propres 
à la race nègre, sont loin toutefois de présenter ces 
formes régulières et gracieuses qui caractérisent les 
Océaniens. Une épaisse chevelure laineuse recouvre 
la tête, et retombe sur les épaules par mèches très 
frisées et disposées comme en tire-bouchons. Les 
vieillards conservent leur barbe dans toute sa lon- 
gueur, et paroissent en prendre le plus grand soin ; 
à ces traits les plus saillants de leur physionomie 
extérieure il faut ajouter un front rétréci, un nez 


épaté , et une large bouche laissant entrevoir deux 


rangées de dents corrodées par le bétel. Leur angle 
facial , que nous mesurâmes plusieurs fois avec un 
instrument confectionné à bord du vaisseau, ne 
nous à jamais paru dépasser le terme de soixante- 
sept à soixante-dix degrés. Les frictions huileuses 
contribuent sans doute à donner à la peau d’un 


127 


grand nombre de jeunes gens la douceur et le ve- 
louté qui la caractérisent; mais la majeure partie 
de la population se trouve affectée de cette lèpre qui 
ronge un si grand nombre de peuples dans la mer 
du Sud, et qui fait tomber l’épiderme par écailles 
furfuracées. 

Tous les hommes de race noire, dans quelque 
partie du monde qu’on les observe, semblent mé- 
connoiître les habitudes d’une modeste pudeur : 
une complète nudité est pour eux l’état de nature; 
ils n’ont jamais cherché à voiler à tous les yeux des 
organes peu faits pour être montrés au grand jour. 
Les Nouveaux-Irlandois ne s'épilent point; et quel- 
ques vieillards étoient remarquables par l’épaisse 
villosité répandue sur leurs membres; ils ignorent 
le procédé de la circoncision. 

La dignité la plus froide respire sur le visage des 
hommes âgés; leurs traits calmes et sereins sont 
empreints d’une impassibilité qui est l'apanage des 
sens engourdis par les ans, tandis que la jeunesse 
est chez ces peuples, comme partout ailleurs, carac- 
térisée par une turbulence d’action et par une vive 
mobilité d'esprit. En étudiant toutefois les physiono- 
mies des Nouveaux-Irlandois, on pénètre aisément 
les passions qui viennent s’y réfléchir; et à côté de 
la fausseté des regards perfides de quelques uns con- 
trastoient la défiance et le soupçon de certains, la 
bonhomie et la confiance de quelques autres. Chez 
ces hommes la gaieté et l’enjouement ne paroissent 
être le partage que d’un bien petit nombre; leur 
vie s'écoule à tendre des embüches à leurs ennemis 
ou à se préserver de leurs piéges, et un état d’hos- 
tilité perpétuclle en marque le cours. 

Les Nouveaux-Irlandois, soit par mode, soit pour 
désigner les castes, conservent leurs cheveux et leur 
barbe, ou se rasent avec des coquilles. Cependant 
nous remarquâmes que tous les vieillards, dont la 
barbe onduleuse descendoit sur la poitrine, parois- 
soient jouir parmi leurs compatriotes de l’influence 
dévolue au pouvoir. Tous indistinctement se cou- 
vrent la tête d'huile, et la saupoudrent avec des 
poussières de chaux ou d’ocre : et ce grossier cosmé- 
tique n’imite pas mal une peinture rouge dont se- 
roi imprégnée chaque mèche de cheveux. Cet or- 
nement malpropre ct bizarre contribue à donner à 
ces Nègres un aspect extraordinaire et sauvage, et 
c’est bien pis encore lorsqu'ils ont consacré quel- 
ques instants à leur toilette et couvert leur visage 
des fards qui sont pour eux l’idéal de la beauté. A 
ce sujet nous entrerons dans quelques détails : car 
l’homme le moins civilisé est, aussi bien que celui 
qui prétend exclusivement à ce litre, livré à l’empire 
des goûts les plus extravagants et les plus ridicules ; 
et pourrions-nous sourire à la vue d’un Nouvel- 
Irlandois barbouillé d'huile et de poussière rouge 


‘quand on rencontre, au centre de la civilisation et 


128 


à chaque pas, des chevelures ébouriffées et cou- 
vertes de poussière de farine? Ain.i la chevelure 
des hommes qui nous occupent, tombant en toit 
sur les épaules, est poudrée avec de la chaux ou de 
l’ocre. La barbe ne recoit point cette parure, et 
seulement on la taille brin par brin sur les côtés de 
la figure avec des valves tranchantes de coquilles, 
de manière à ne laisser en place qu’une très grosse 
touffe sous le menton : mais il paroït que l’opération 
d’abattre ces poils est longue et douloureuse; car 
la plupart des naturels qui vinrent visiter notre 
vaisseau se soumirent sans répugnance à l’épreuve 
douloureuse que leur firent endurer nos matelots, 
qui se faisoient un malin plaisir de les raser avec de 
vieux couteaux. À ces soins généraux ne se borne 
point la toilette des Nouveaux-Irlandois; il en est 
encore d’autres qui occupent leurs loisirs, et aux- 
quels ils consacrent avec satisfaction de longs mo- 
ments : au premier rang on doit citer leur coutume 
de peindre les joues, le front, le bout du nez, le 
menton, et même les épaules, la poitrine ou le 
ventre, avec de l’ocre délayéedans de l’huile de coco. 
Sur ce fard d’un rouge sanguin ils ajoutent, dans 
certaines circonstances, des raies blanches de chaux 
de corail. Le tatouage leur est inconnu, où du 
moins nous n’en avons vu que des linéaments lé- 
gers et peu distincts chez quelques individus ; mais 
ils se percent la cloison et même les ailes du nez, 
pour y accrocher des ornements singuliers de formes 
très variables, qui impriment à leur physionomie, 
naturellement repoussante et laide, un caractère 
hideux et féroce. Un bâtonnet en os ou en bois tra- 
verse les parois des narines : celles-ci recoivent des 
dents d'animaux ou des touffes de plumes, et jus- 
qu’à des chapelets de dents de phalanger. Ils ima- 
ginèrent de loger en cet endroit les aiguilles, les 
épingles et les hamecons qu’on leur donna à bord 
de notre corvette ; et ces instruments piquants res- 
sembloient à des chevaux de frise destinés à protéger 
leur face noire. Les lobes des oreilles sont aussi 
troués de manière qu’on puisse y passer des rouleaux 
de cuir; et c’est aussi en ce lieu qu’ils placent, ainsi 
que le font les Carolins, les couteaux, les ciseaux , 
et les autres instruments de fer qu’ils obtiennent 
des navigateurs. ' 

Uniquement soumis à l'empire des besoins phy- 
siques, les Nouveaux-frlandois ont recu, dans la 
plénitude de leurs fonctions des sens, un perfection- 
nement d’idées instinctives qu’on retrouve chez tous 
les hommes dont les besoins sont restreints aux pre- 
mières nécessités de la vie. Leurs sensations intel- 
lectuelles sont chaque jour, à chaque instant, ten- 
dues vers les moyens de calmer la faim du moment, 
de se garantir des atteintes des bêtes féroces, ou de 
s’abriter des intempéries du climat. De là sont nées 


les perfections de la vision, de l'odorat, de l'audition; 


HISTOIRE NATURELLE 


de là découlent cette justesse de coup d’œil pour at- 
teindre avec un harpon le poisson qui nage, cette 
habitude de découvrir l'oiseau le plus petit caché au 
milieu d’un épais feuillage, cette prestesse pour gra- 
vir un morne escarpé. Sous ce rapport les Nègres du 
Port-Praslin ne le cèdent à aucune autre peuplade 
pour construire et manœuvrer une pirogue, lancer 
une longue zagaie en bois dur, ou jeter des pierres 
avec des frondes. * 
Parmi les hommes qui vinrent temporairement se 
fixer sar les rivages du Port-Praslin pendant notre 
séjour, nous remarquàmes un grand nombre de vieil- 
lards ; et tout autorise à penser que la vie, exempte 
de ces vastes désirs qui en usent la trame, s’écoule- 
roit sous ce ciel pendant une longue suite d’années si 
la guerre et ses ravages ne venoient en troubler de 
temps à autre la monotonie. L'homme est si naturel- 
lement porté à la destruction, et la guerre estsi profon- 
dément de l’essence de son organisation, qu’on remar- 
que que les haines ne sont jamais plus vives, plus 
acharnées, que lorsqu’elless’élèvententre deux tribus 
d'une même origine.Ainsi les Nouveaux-Irlandoisne 
diffèrent point des habitants de laNouvelle-Bretagne, 
qui sont des tribus issues de la même famille ; et ce- 
pendant la haine qui les divise est telle que le nom 
de Birare (nom indigène de la Nouvelle-Bretagne 
de Dampier), prononcé devantun naturel du Port- 
Praslin, suflit pour faire naitre la colère la plus vio- 
lente et lui faire vomir dans sa langue des impréca- 
tions qui, à en juger par là violence des mouvements 
qu’elles provoquent, doivent être d’une virulente 
énergie. Nous serions assez tenté de penser que les 
Nouveaux-Irlandois sont cannibales : nous n’avons 
cependant sur cette grave inculpation que des pré- 
somptions ; mais cet affreux penchant, résultat d’un 
désir immodéré de vengeance, converti en dogme 
religieux par les superstitions les plus barbares, est 
ailleurs plus répandu qu’on ne le pense chez plu- 
sieurs peuples de l’Océanie ou de la Polynésie. Les 
armes des naturels du Port-Praslin sont le plus or- 
dinairement ornées d’os humains entiers, et surtout 
d’humérus. Des trophées si hideux nous donnèrent 
à penser que ces peuples, trop bruts pour protéger 
leurs prisonniers, les massacroient au contraire, et 
se parlageoient leurs débris pour perpétuer après 
leur mort la vengeance qu’ils en avoient tirée. Nous 
employämes les précautions les plus délicates pour 
lever nos doutes sur cette afiligeante circonstance ; 
et plusieurs naturels confirmèrent nos soupçons en 
nous prouvant par des gestes expressifs le plaisir que 
leur procuroient des muscles palpitants à dévorer, 
tandis que d’autres , au contraire . inquiets et trou- 
blés à cette question , n’y répondirent point , témoi- 
gnèrent de l’inquiétude , et se hâtèrent de quitter le 
vaisseau. Nous ne leur ferons point l’honneur de 
supposer que ce soit à des idées de remords qu’ils 


DE L'HOMME. 


aient sacrifié en cet instant : ce sentiment leur est 
parfaitement inconnu. Il est plus probable que la 
frayeur leur fitentrevoir que nos habitudes devoient 
être analogues aux leurs; que peut-être nous leur 
préparions par trahison le sort qu'ils font subir à 
leurs prisonniers, et que nos ouvertures en étoient 
les prémices. 

Dans le nombre des naturels que nous visitions 
fréquemment, etavec lesquels nous vivions en bonne 
intelligence, nous n’en vimes point de contrefaits. 
Leurs formes , sans être arrêtéesavecgrâce, w’avoient 
point cette maigreur que présentent plusieurs autres 
races nègres , et leurs membres étoient agiles et dis- 
pos. Un seul, c’étoit un vieillard , avoit eu les jam- 
bes brisées par un coup de casse-tête; mais la sou- 
dure desos s’étoit parfaitement consolidée, quoiqu’en 
les déformant. Nous n’avons point à signaler parmi 
eux de traces d’éléphantiasis, ni de ces hydro-sar- 
cocèles énormes si communs à O-Taïti : mais en re- 
vanche la lèpre et les cicatrices sur la peau en détrui- 
sent l’uniformité , et ces dernières attestent combien 
sont fréquentes leurs hostilités avec d’autres tribus. 
Il eût été intéressant d'approfondir leurs idées sur 
l’art chirurgical ou sur les pratiques de leur méde- 
cine, quelque grossières qu’elles soient ; mais leur 
intelligence ne s’éleva jamais à vouloir comprendre 
nos questions à ce sujet, quelque peine que nous 
nous soyons donnée pour leur faire apprécier le sens 
de nos demandes : ils se bornèrent à nous nommer 
les plaies alot, et la lèpre limnimole, sans que nous 
puissions supposer s’ils cherchent à se garantir de 
celle-ci par quelques moyens prophylactiques ous’en 
guérir par des remèdes. La lèpre atteint à la Nou- 
velle-Irlande tous les âges, cause une desquama- 
tion dégoûtante de l’épiderme, et occasionne chez 
ceux qu’elle dévore un prurit qui paroit les tourmen- 
ter de la manière la plus cruelle. 

Les hommes, quels qu’ils soient , ne peuvent bien 
être appréciés que vus dans leur intérieur. Leurs 
rapports habituels avec leur famille et l’ensemble 
de leurs habitudes domestiques les peignent sous 
leur vrai jour, et permettent de les juger par com- 
paraison. Malheureusement nous ignorons complé- 
tement quels sont les liens de famille qui unissent 
les Nouveaux-Irlandois à leurs épouses et à leurs 
enfants ; et ce que nous en savons se réduit à des 
observations superficielles faites par M. de Blosse- 
ville dans une course hasardeuse au village de Leu- 
kiliki, résidence des habitants qui pendant notre 
séjour dans le Port-Praslin étoient venus camper 
sur le rivage : mais, quelque incomplets que soient 
ces détails, ils ont un intérêt d’autant plus piquant 
que nul navigateur n’avoit même esquissé l’histoire 
de ces tribus. Voici le résumé du voyage de M. de 
Blosseville dans les mêmes termes qu’il nous l’a 

. communiqué : 
J 


129 


« Une première tentative m’avoit conduit de l’aux 
tre côté des montagnes qui entourent le Port-Pras- 
lin , en suivant un sentier d’un difficile accès, tracé 
par les sauvages. J’étois descendu sur une plage, de 
laquelleon pouvoitreconnoître la position du village 
à la fumée qui s’élevoit au-dessus d’un terrain bas 
et boisé qui séparoit deux vastes baies. Un large bras 
de mer empêchoit d'y parvenir sans le secours d’une 
pirogue , et le chemin par terre étoit impraticable, 
Le 19 je quittai la corvette, accompagné de Wil- 
liams Taylor : la conduite des naturels lors de leur 
première visite régla la nôtre. et nous n’emportä- 
mes aucune arme ; les cadeaux dont nous nous char- 
geâmes étoient soigneusement cachés. Après avoir 
rapidement franchi la montagne nous arrivâmes sur 
la grève, où la vue de deux pirogues et de quelques 
naturels me donna l'espoir de réussir. Cependant, 
lorsque les plus âgés connurent notre projet, ils 
refusèrent de le seconder : une hache que je leur 
donnai les fit changer de résolution ; ils délibérèrent 
entre eux , et nous firent promettre que nous ne vou- 
drions ni voir leurs femmes ni passer la nuit dans le 
village. Enfin quelques petits présents et l'assurance 
d’en recevoir de plus grands lorsqu'ils viendroient 
à bord dissipèrent tous les scrupules. Une pirogue 
fut lancée, et nous partimes avec quatre sau- 
vages. 

» La baie que nous traversämes a quatre milles 
de large; elle est ouverte à tous les vents de la par- 
tie de l’est. L'ile Ciroa et le rocher Lountasse se 
voient à l’entrée ; mais ils ne peuvent fournir aucun 
abri. D’étroites plages de sable sont interrompues 
par des collines escarpées qui tombent perpendicu- 
lairement à la mer, et qui interdisent toute commu- 
nication par terre entre les divers points de la baie, 
dont le fond est divisé en deux parties par le morne 
Tacana , à la gauche duquel on voit plusieurs cases 
habitées à certaines époques de l’année. En arrivant 
près de l’isthme nous découvrimes que la plage sa- 
blonneuse qui le borde étoit défendue dans l’est par 
un récif de corail. Ce fut vers cet endroit que la pi- 
rogue fut dirigée ; elle se tintau large pendant qu'un 
naturel, qui s’étoit jeté à la mer, alloit, comme 
ambassadeur, demander si on vouloit nous recevoir. 
Ce messager revint bientôt ; il fit un signe favorable, 
et en un instant nous fûmes sur le rivage. La piro- 
gue étoit à peine échouée que plusieurs naturels se 
réunirent autour de nous. Ceux qui ne nous avoient 
pas encore vus satisfaisoient leur curiosité en exa- 
minant nos habits, tandis que nos anciennes con- 
noissances nous donnoient des marques d'amitié. 
Mon attention étoit principalement captivée par un 
grotesque personnage (le danseur ou la danse se 
nomme loukloulk) qui au moment de notre arrivée 
s’étoit élancé sur la grève, qu’il parcouroit en dan- 
sant. Son habillement ridicule consistoit en une 

47 


150 


énorme ceinture de feuilles de vacoua (1) de neuf 
pieds de circonférence, qui prenoit à la poitrine et 
tomboit au milieu des cuisses ; par-dessus s’élevoit 
une pyramide quadrangulaire ; par-derrièreelle étoit 
couverte de feuilles , et par-devant elle étoit fermée 
par un réseau noir orné de figures blanches. La tête 
du sauvage étoit cachée sous cet affublement ; un de 
ses bras sortoit du milieu des feuilles , et étoit armé 
d’une zagaie. Un second danseur se joignit au pre- 
mier ; ils s’approchèrent de moi, et je pus les exa- 
miner et les dessiner à loisir. 

» Cependant on ne nous permettoit pas encore 
d'avancer, et ce ne fut qu'après dix minutes d’at- 
tente que nous ne rencontrâmes plus d'opposition ; 
mais on nous fit encore arrêter à quelque distance 
dans un lieu dégarni d'arbres, qui avoit l’air d'une 
place; on y remarquoit un hangar de pêche, une pe- 
tite plantation de taro bien entretenue et entourée 
d’une haie, enfin plusieurs habillements pareils à 
ceux de nos danseurs, placés sur des piquets. Une 
trentaine de naturels réunis en cet endroit nous firent 
asseoir auprès d'eux. On nous apporta des racines 
de taro et de l’eau dans un bambou : cette eau, que 
j'avois demandée, étoit légèrement saumäâtre; je 
cherchai inutilement à savoir si on pouvoit en avoir 
de meilleure. Deux hommes d’un âge mür ne tar- 
dèrent pas à nous joindre : à l'autorité dont ils 
jouissoient, à la protection qu'ils parurent nous ac- 
corder en se tenant toujours près de nous, je jugeai 
qu'ils étoient chefs du village; mais rien d’ailleurs 
ne servoit à les faire distinguer, et je ne pus pas sa- 
voir quel titre ils portoient. Williams ayant réussi 
à faire comprendre que j'étois officier, ils témoignè- 
rent une grande joie, et tous les sauvages firent des 
cris d’acclamation. Au bout d’un quart d’heure il 
nous fut encore permis d'avancer ; nous arrivâmes 
par un chemin détourné sur une plage de sable qui 
appartient à une vaste baie. De là nous apercûmes 
le village de Leukiliki, s’élevant sar une colline qui 
forme le côté oriental de la rade; les habitations 
étoient à moitié cachées par les arbres qui les en- 
touroient. 

» Les chefs nous conduisirent d’abord à la maison 
des idoles, bâtie à environ cent pieds au-dessus de 
la mer; c’est un bâtiment de trente-six pieds de lon- 
gueur, de dix-huit de hauteur, et de onze de largeur. 


() Cet usage est entièrement semblable à celui usité 
dans le royaume de Woolli. 
«En approchant de Cunda-Barra nous vîimes accro- 
» ché à un poteau hors des murs de la ville, un vête- 
© 5 ment fait d'écorces d'arbres coupées par filaments et 
» arrangées de manière à couvrir un homme, espèce 
» de loup-garou appelé numbo-jumbo.» (Journal des 
Voyages, cah. 82, p. 216; Analyse du Voyage dans 
l'Afrique occidentale, du major Gray et du médecin 
Dochard, 1825, 1 vol. in-8e,) 


HISTOIRE NATURELLE 


Cette espèce de pagode, ouverte à une de ses extré- 
mités, est divisée en deux parties par un plancher 
établi à l'endroit où la couverture vient aboutir à 
une muraille de trois pieds de haut, construite avec 
des planches peintes qui ferment le bas de l’édifice. 
Sur ce plancher sont posées les idoles : la principale, 
placée à l’entrée, est une statue d'homme, de trois 
pieds de hauteur, grossièrement sculptée, peinte 
en blanc, en noir et en rouge, et ayant un phallus 
énorme; à sa droite on voit un grand poisson, et à 
sa gauche une figure informe qu’on peut prendre 
pour celle d’un chien. De chaque côté sont placés 
cinq autres dieux qui représentent des têtes humaines 
d’un pied de hauteur, dont on a peine à distinguer 
les traits. Au fond on voit une quatorzième figure 
d’une plus grande dimension; elle est peinte en 
rouge ; ses yeux sont formés par des morceaux de 
nacre; à côté est attaché un ornement en bois artis- 
tement découpé; les naturels le nomment prapra- 
ghan , et lui témoignent beaucoup de respect. Ce 
n’est cependant qu’une décoration qu’ils placent sur 
l’avant de leurs pirogues ; cette pièce précieuse est 
voilée. On descend dans la partie inférieure par deux 
grandes ouvertures ; j'y suivis un des chefs, mais 
rien de remarquable ne s’offrit à ma vue ; deux fam- 
tam sont suspendus dans l’intérieur de la maison 
ainsi que quelques fruits. Ces dieux de bois reçoivent 
des offrandes, et un couteau me fut demandé au 
nom de la grande idole. Je n’avois garde de refuser, 
et j'ajoutai à mon présent une médaille que je fis 
attacher au cou du grand-dieu. J'espère qu’ainsi cen- 
sacrée, on pourra l’y voir dans beaucoup d’années. 
Ce fut en vain que je cherchai à obtenir des rensei- 
gnements sur la religion de ces insulaires ; il reste à 
savoir quel est leur degré de superstition, et s'ils 
font des sacrifices humains. Je ne vis aucun os qui 
pût le faire présumer; toutes les idoles portent in- 
distinctement le nom de bakont. 

» Entourés d'hommes et d’enfants qui fuyoient à 
notre approche, nous n’avions pas encore vu de fem- 
mes, pas même de petites filles. Je commencçois à 
deviner pourquoi on nous avoit fait attendre lorsque 
nous débarquâmes sur l’isthme, et pour m’en assu- 
rer je me dirigeai vers les cases; on ne nous arrêta 
pas, les chefs nous suivirent partout; mais inutile- 
ment essayämes-nous de regarder à travers les plan- 
ches qui servent de portes, elles étoient trop bien 
jointes, et pas le moindre jour ne pénétroit dans l’in- 
térieur. Il ne me fut permis d’entrer que dans une 
seule maison; je n’y vis qu’un feu allumé, et des 
planches larges et épaisses qui servoient de lit. Notre 
visite avoit valu aux femmes une réclusion momen- 
tanée ; j'ose dire que la jalousie des hommes leur 
paroissoit bien cruelle, et que leur curiosité surpas- 
soit de beaucoup la nôtre. Les vieillards étoient peut- 
être chargés de réprimer cette curiosité, car nous 


DE L'HOMME. 


n’en vimes qu’un seul dans la foule. Les précautions 
soupeonneuses des habitants de la Nouvelle-Irlande, 
dont nous nous gardàmes prudemment de heurter 
les préjugés, paroîtront moins ridicules et seront 
plus naturellement expliquées si on les attribue plu- 
tôt à des préceptes de religion qu’à des principes de 
morale et de jalousie. Parmi les jeunes femmes, je 
ne serois pas étonné que quelques unes eussent de 
jolis traits; car j’ai vu beaucoup de jeunes enfants 
qui avoient des figures vraiment européennes, et 
dont la peau avoit une teinte assez claire. 

» Le village étant bâti sur une colline, partout où 
on a voulu construire une case, on a élevé le terrain 
pour qu’il formât une plate-forme unie qu’on a sou- 
tenue par un mur de pierre : c’est ainsi que chaque 
habitation est placée sur un plateau isolé, entouré 
d'arbres et de plantes utiles par leurs fruits, ou 
agréables par leurs fleurs brillantes. La propreté 
remarquable qui règne à l'extérieur feroit honte aux 
O-Taïtiens, si négligents sur cet article. Le toit, de 
feuilles de vaquois, arrondi aux extrémités et tom- 
bant jusqu’à terre, compose la hutte entière, qui a 
ordinairement vingt-trois pieds de longueur, onze 
de hauteur, et neuf de largeur. L'ouverture, qui sert 
de porte, a trois pieds de haut ; elle est pratiquée à 
un des bouts ou à l’extrémité d’un des longs côtés. 
Les hangars à pirogue ne diffèrent des maisons qu’en 
ce qu'ils sont ouverts aux deux bouts, ayant une 
portion de toit avancée. Le village de Leukiliki se 
compose d'environ vingt-cinq hultes : si le nombre 
des hommes n’est pas inférieur à celui des femmes, 
la population doit être de deux cents âmes, et dans 
cette estimation le nombre des enfants doit entrer 
pour moitié. Cette petite peupiade se nourrit princi- 
palement de poissons et de racines de taro. Je n’ai 
vu auprès des habitations que peu de bananiers, et 
encore moins de cocotiers; cependant on nous ap- 
porta plusieurs noix fraiches pour nous désaltérer. 
La baie dans laquelle s2 trouve le village offre un 
excellent abri pour les bâtiments; étant près de la 
côte on est environué de terre de toutes parts; la 
pointe la plus nord et celle du village sont nord- 
ouest et sud-ouest. La partie ouest est bornée par 
des terres basses et boisées, et je suis porté à croire 
qu’elles sont séparées des hautes montagnes de l’in- 
térieur par un lac ou par des marais. Au-dessus de 
la partie nord j'ai vu s'élever de la fumée; les natu- 
rels m'ont fait entendre qu'il s’y trouvoit un village, 
et ils prononçoient en même temps le mot fane. 
Cette relâche est privée d’un grand avantage, si elle 
ne fournit pas de bonne eau; mais on s’y procure fa- 
cilement des rafraîchissements. 

» Nous nous étions engagés à partir lorsque le so- 
leil commenceroit à baisser ; fidèles à notre parole, 
nous suivimes les chefs qui nous entrainoient in- 
sensiblement hors du village, et nous allâmes nous 


151 


embarquer dans la même pirogue qui nous avoit 
conduits. Les danseurs ne manquèrent pas à notre 
départ de remplir leur ridicule office, et les naturels 
se retirèrent pour délivrer leurs femmes, tandis 
qu’un des chefs nous accompagnoit dans l'espérance 
de recevoir le prix de son bienveillant accueil. Nous 
gravimes la montagne avec les naturels qui nous 
avoient suivis; mais au moment d'arriver ils nous 
quittèrent, et retournèrent chez eux avec une troupe 
de leurs compagnons qui avoient passé la journée au 
Port-Praslin. Nous avions employé six heures dans 
cette excursion, quoique nous n’en eussions pu pas- 
ser qu’une au milieu des habitations des Nouveaux- 
Irlandois. La manière généreuse dont nous ont trai- 
tés ces naturels lorsque abandonnés à leur merci ils 
pouvoient impunément nous dépouiller, leur ma- 
nière de vivre, leur propreté recherchée dans leurs 
demeures, serviront à prouver, je l'espère, que ces 
insulaires sont beaucoup moins éloignés des premiers 
degrés de la civilisation qu’on ne l’avoit cru jusqu’à 
présent; mais ce qui retardera leurs progrès c’est 
qu'ils fuiront toujours toute société intime avec les 
Européens. » 

Ce récit est tout ce que nous savons des coutumes 
fondamentales des Nouveaux-frlandois : le lecteur 
suppléera aux conjectures que nous pourrions en 
tirer par les siennes; car notre rôle doit se borner 
à la simple mention des faits et à leur citation en 
historien jaloux de ne point les grossir par des com- 
mentaires. Seulement nous joindrons à ce tableau 
un aperçu des habitudes domestiques que le séjour 
de ces Papouas sur les rivages du Port-Praslin nous 
a permis de recueillir dans nos relations habituelles 
au milieu d’eux. 

Le premier art que l’on doive examiner chez tous 
les peuples, quelle que soit leur civilisation, est 
celui de la cuisine. Manger gloutonnement est sans 
doute le premier besoin de la vie; mais soumettre 
ses aliments à des préparations diverses annonce un 
raffinement qui ne peut naître que sous l'influence 
de l’aisance et d’une position au milieu d’un sol pro- 
ductif : sous ce rapport les Nouveaux-frlandois nous 
parurent n’avoir pas fait de grands progrès, et le feu 
est chez eux l'agent universel dont ils réclament le 
secours, soit pour torréfier sur des charbons leurs 
aliments, soit pour réchauffer les sables des rivages 
sur lesquels ils dorment pendant la nuit, ou enfin 
pour chasser les insectes et se garantir de leurs mor- 


| sures. Ils se servent, pour allumer leurs brasiers, 


de deux morceaux de bois qw’ils frottent vivement, 
et dont s’échappent des étincelles qu’ils recueillent 
sur de la paille desséchée. Par ce procédé simple ils 
peuvent, quelque part qu’ils se trouvent, préparer 
leurs repas, allumer instantanément ces grands feux 
qui sèchent leurs membres des averses pluviales 
auxquelles ils sont exposés. Ces naturels redoutent 


132 


la profonde humidité qui règne dans les forêts ; et 
lorsqu'ils viennent camper sur un point quelconque 
du rivage, ils en choisissent constamment la partie 
nue et sablonneuse , se placent en rond de manière 
à entourer le feu qu’ils ont soigneusement entretenu 
au milieu du cercle, et font en sorte de placer à côté 
de chaque individu des masses de charbons ardents 
destinées à les réchauffer pendant le sommeil et à 
les protéger contre la fraîcheur des nuits. Ces Nè- 
grès, ainsi couchés pêle-mêle sur le sable échauffé, 
paroissoient éprouver la plus vive jouissance à s’éten- 
dre dans tous les sens pour ne rien perdre de la 
chaleur que leur envoient les divers foyers qu’ils ont 
préparés. Il nous arriva fréquemment de les visiter 
au milieu de la nuit sans que jamais nous ayons sur- 
pris la tribu entière plongée dans le sommeil. Hl 
paroît que, pour éviter les surprises , ils ont la pré- 
caution de placer à l’entour de leurs campements 
des vedettes qui à la moindre apparence de danger 
donnent l'alarme, et qui ont aussi pour fonction d’en- 
tretenir les feux allumés. 

Les Nouveaux-Irlandois mangent à chaque instant 
du jour; et quel que soit l'animal qui leur tombe 
sous la main, il est aussitôt jeté sur des charbons 
ardents, rôti et dévoré ; jamais ils ne se donnent la 
peine de dépouiller un quadrupède ou de plumer un 
oiseau , et ils en savourent jusqu'aux intestins. Les 
insectes les plus dégoûtants et les reptiles les plus 
hideux ne leur causent aucun dégoût, et nous les 
avons vus souvent manger de gros lézards qui étoient 
à peine grillés. Lorsque les habitants quittent leurs 
villages ils n’emportent point de provisions avec 
eux ; ils se reposent pour trouver des vivres dans 
leurs voyages sur les récifs qui se découvrent à ma- 
rée basse. Là, en effet, ils pêchent aisément tout le 
poisson qu’ils peuvent désirer. et à cette ressource 
principale s’adjoignent une infinité de gros coquil- 
liges, surtout des poulpes et des bénitiers, enfin des 
tortues marines, des crabes, nommés koukiavass, 
et de très grosses langoustes. Mais pendant que des 
naturels explorent ainsi les vastes bancs de récifs 
qui bordent toutes ces côtes, quelques autres s’avan- 
cent dans l’intérieur des forêts, et y recueillent les 
productions végétales nombreuses qu’une nature ri- 
che et libérale y jeta à profusion. Au premier rang 
des fruits que leur maturité faisoit rechercher à l’é- 
poque de notre séjour, nous mentionnerons la chà- 
taigne d’inocarpe, dont le goût et la saveur ont la 
plus grande analogie avec les marrons d'Europe; ce 
fruit nommé la'a est tellement abondant qu’il jonche 
parfois le sol ; les Papouas le mangent rôti ainsi que 
la pomme du faux palmier nommé cycas. L'abon- 
dance des vivres et la quantité que ces insulaires en 
consomment nous ont souvent étonnés. Nous n’a- 
vons jamais, en effet, assisté à un de leurs repas 
sans que nous n’ayons vu disparoître des masses 


HISTOIRE NATURELLE 


énormes de viande, de mollusques, ou de poissons; 
leur grand régal est de manger ces derniers crus. 
Parfois, pour cuire leurs aliments, ils creusent un 
trou très profond dans le sable; ils le tapissent avec 
des feuilles fraîchement cueillies, et y déposent les 
chairs au milieu de pierres échauffées. Les animaux 
dont ils se régalent ne sont pas nombreux; ils n’é- 
lèvent que très peu de cochons, et parmi les quadru- 
pèdes sauvages les couscous sont les seuls qui nous 
parurent servir à leurs festins. La cuisson ne dé- 
pouille point ces derniers d’une odeur fragrante et 
expansible qui pendant leur vie donne la conscience 
de leur voisinage bien long-temps avant qu’on puisse 
les entrevoir : cette chair est cependant bien capable 
d’exciter la convoitise par sa blancheur et par ses 
qualités apparentes ; mais c’est en vain que nous es- 
sayâmes à différentes fois d’en goûter : l’odeur qu’elle 
ne perd jamais soulève l'estomac le plus robuste et 
le plus affamé. Quelques naturels nous firent en- 
tendre qu’ils ne dédaignoient point de manger les 
chiens ; ce goût n’a rien d’extraordinaire chez ces 
peuples, car il est assez universellement répandu 
sur toutes les terres de l'Océanie. Le chou caraïbe, 
plante de la famille des aroïdes, si précieuse par ses 
qualités nutritives, croît dans tous les marécages, 
et est vivement apprécié dans la Nouvelle-Irlande, 
aussi bien que dans les îles de la Société. Mais ce 
qui nous frappa sur cette grande ile, située à une 
foible distance de l’équateur, est la rareté des coco- 
liers qui croissent sur les rivages ; au petit nombre 
de noix de cocos que ces tribus nous apportèrent, 
comme objet d'échange, et à la valeur qu’elles en 
exigeoient en retour, nous dûmes penser que cet ex- 
cellent fruit étoit restreint dans son usage, et qu’il 
étoit considéré comme une substance nutritive d’au- 
tant plus précieuse qu’elle étoit moins abondante. 
Pas un seul cocotier n’existe aux alentours du Port- 
Praslin ; et toutes les noix que les habitants nous 
apportèrent étoient sèches : ils nomment le coco pris 
en entier lamass , la coque ligneuse larime , et le lait 
émulsif .aourou. Mais, si les cocos sont rares, ils 
possèdent en retour des ounes (‘bananes), des nios 
(ignames), des fus (cannes à sucre), et des béréos 
ou fruits à pain sauvages : l’eau pure semble être 
leur unique boisson. 

Le repos, c’est-à-dire ce far niente qui consiste à 
reposer sur le sol ses membres engourdis, paroit 
être pour les Nouveaux-Irlandois la réalité du bon- 
heur. Nous les visitâmes à toutes les heures du jour 
et de la nuit, nous passämes des journées couchés 
au milieu d’eux, dans le but d'étudier leurs habi- 
tudes les plus apparentes, et presque toujours nous 
les vimes savourer avec une sorte de volupté ce 
repos si voisin de celui d’une brute. Cent fois nous 
trouvâmes les vieillards nonchalamment étendus 
près d’un foyer à demi éteint, restant des heures 


DE L'HOMME. 


entières les jambes l’une sur l’autre et les mains 
croisées sur la poitrine dans l’immobilité la plus par- 
faite, mais suivant de la prunelle avec une vive 
curiosité tous nos mouvements et toutes nos actions. 

Ces peuples aiment pa:sionnément le bétel ce sia- 
lagogue énergique noircit profondément l’émail des 
dents qu’il corrode, et donne une couleur rouge 
sanguinolente aux membranes qui tapissent l’inté- 
rieur de la bouche. Cet usage, complétement in- 
connu à tous les autres Océaniens , n’a pu leur être 
transmis que par les Malais à l’époque où leur na- 
vigation s'étendoit dans toutes les mers qui baignent 
cette partie des îles polynésiennes et océaniennes. 
Les raisons données par Péron sur l’utilité de cette 
drogue sont loin d’être exactes, et nul doute qu’il 
pe faille simplement attribuer l'introduction de son 
usage parmi tant de peuples à la fantaisie et à la 
mode. Les Nouveaux-Irlandois d’un certain âge sont 
les seuls qui mâchent le hétel ; car les jeunes gens 
nous parurent ne pas jouir de la prérogative d’en 
user, puisque aucun n’en avoit encore mis dans sa 
bouche. Sous ie nom de bétel on désigne un mélange 
de substances d'une grande âcreté dont les principes 
se corrigent pour donner naissance à un produit 
mixte d’une saveur légèrement enivrante, que nous 
avouerons avoir trouvée fort agréable. La base de ces 
matières est la chaux appelée emban, obtenue par la 
calcination des madrépores, et que les naturels ren- 
ferment dans un fruit à épiderme rouge nommé 
kamban, dont Ja surface est souvent enjolivée par 
de nombreux dessins. Ce fruit, de la grosseur d’une 
coloquinte, est produit par une plante grimpante 
nommée melodinus scandens par M. de La Billar- 
dière. Dans un autre petit vase ils conservent des 
fruits d’arec et des feuilles de poivrier, qu’ils sau- 
poudrent de chaux avant de s’en servir. La noix d’arec 
est ce qu’ils nomment boual, et le fruit vert ou la 
feuille du poivrier est ce qu’ils connoissent sous le 
nom de poque. 

L'industrie des tribus qui nous occupent n’est 
point variée. Des hommes qui vont nus, et qui pa- 
roissent ne pas sentir la nécessité du moindre voile 
pour se vêtir, n’ont pas dû s'occuper des moyens de 
tisser des étoffes ; et tous leurs besoins étant de pure 
animalité il en est aussi résulté cette absence d’arts 
. consacrés aux commodités de la vie et aux jouissan- 
ces intellectuelles : car, sous ce rapport, toutes les 
races nègres se trouvent être plus ou moins en ar- 
rière du reste de l’espèce humaine. Mais en revan- 
che leur instinct les à portées à se créer de nom- 
breux moyens d’attaque et de défense, et leur goût 
s’est dirigé vers les colifichets les plus bizarres pour 
se rendre plus redoutables un jour de combat ou 
pour s’embellir, Dansnos relations journalières avec 
les Nouveaux-Frlandois ils sollicitèrent quelques 


étoffes vivement colorées , des verroteries : ce n’étoit ! 


133 


jamais pour s’en servir à l’ordinaire, mais proba- 
blement dans le but d’en orner leurs idoles. Les seuls 
üssus qu’ils savent fabriquer consistent en feuilles 
de pandanus cousues de manière à former des sortes 
de capuchons destinés à protéger la tête et le dos 
des grandes averses. Ces moyens protecteurs sont la 
première ébauche des mêmes étoffes que nous re- 
trouverons chez les habitants de la Nouvelle-Gui- 
née. Les seuls perfectionnements dignes d’être cités 
comme produits par une imagination créatrice se 
trouvent être les idoles grossièrement sculptées dé- 
posées dans leurs temples , et les ornements divers 
faits pour la plus grande partie avec des plumes de 
couleurs vives, et destinées à parer leur chevelure 
ou leur ceinture un jour de combat. Leurs embar- 
cations , quoique bien inférieures à celles des Mon- 
gols-Pélagiens, annoncent toutefois des idées assez 
avancées sur l’architecture nautique, bien qu’ils pa- 
roissent complétement ignorer l’art de les manœu- 
vrer avec des voiles, 

Pendant notre séjour dans la belle baie nommée 
Port-Praslin,nous vimes jusqu’à cinquante guerriers 
à la fois, paroissant obéir à des vieillards, portant 
comme marque distinctive leurs cheveux longs, 
ainsi que la barbe. Il nous cachèrent soigneusement 
leurs femmes, ce qui semble attester qu’à leursidées 
païennes se mêlent quelques traditions musulmanes 
qu'ils auront puisées dans leurs relations avec les 
Malais. Ils nous firent entendre d’ailleurs qu’ils 
jouissoient de la prérogative d’avoir plusieurs épou- 
ses ; mais leur conversation nous prouva aussi qu’ils 
poussoient aussi loin que possible les inquiétudes 
d’une humeur jalouse. 

La guerre, ou plutôt cet instinct vague de des- 
truction , apanage de la barbarie profonde comme 
de la civilisation raffinée, semble être chez les Nou- 
veaux-frlandois un état habituel entre eux et les 
ipsulaires voisins. Aussi, à en juger par la nature 
de leurs armes et le nombre qu’ils en possèdent, il 
est facile de se convaincre qu'ils donnent tous leurs 
soins à les rendre dangereuses et multipliées. Mais 
aux armes offensives et défensives ils joignent des 
plaques de nacre destinées à signaler la valeur des 
guerriers , des colliers, des plumes, etc., signes évi- 
dents d’une sorte de chevalerie : tant les hommes, 
quels qu’ils soient, ont de tendance à s’enorgueillir 
des bagatelles qui flattent leur vanité! Au premier 
rang nous signalerons avec quelques détails leurs 
instruments de destruction. Le plus meurtrier d’en- 
tre eux est le casse-têteou sélla : c'est une longue 
massue en bois très dur, rouge, ornée de dents en- 
filées à sa poignée, et précieusement ciselée à son 
extrémité vulnérante. Après cet assommoir vient la 
zagaie, sorte de longue pique eflilée et pointue éga- 
lement faite avec un bois rouge très dur, que les na- 
turels lancent avecune grande vigueur, après l'avoir 


154 


brandie l’espace de quelques secondes. Pour paroître 
plus formidables en jetant cette javeline, ils se met- 
tent dans la bouche des touffes de fibres entortillées 
qui imitent grossièrement des moustaches épaisses 
et volumineuses. Ils paroissent ignorer l'usage de 
Parc et des flèches, car jamais nous n’en vimes dans 
leurs mains. Il n’en est pas de même des frondes en 
fibres de palmier, avec lesquelles ils lancent les pier- 
res dont leurs embarcations sont toujours munies, 
et qui semblent être un de leurs puissants moyens 


d'agression. Comme arme défensive ils emploient. 


le bouclier , auquel ils donnent une forme oblon- 
gue , convexe, rétrécie au centre, et dont la sur- 
face est enjolivée de coquillages enchässés dans le 
bois. 

Les ornements en usage chez les Nègres du Port- 
Praslin sont nombreux et variés, bien qu’ils nes’en 
décorent qu’en certaines circonstances. Ainsi des 
panaches de toutes couleurs, des aigrettes de soies 
de sanglier, des plaques de nacre, des hausse-cols, 
des colliers de dents, des chapelets de coquilles, sont 
leurs bijoux les plus ordinaires. Souvent ils enfon- 
cent dans les ailes du nez, percées à cet effet, jusqu’à 
des pinces de langouste. Ils passent à l’entour du 
bras des bracelets en paille tressée et de couleur, ou 
en matière calcaire d’une extrême blancheur. On sait 
qu'ils forment ces derniers ornements avec la base 
des grosses coquilles du genre cône, et qu’ils les 
travaillent en les usant par le frottementavec le plus 
grand soin. Ils se percent aussi les lobes des oreilles 
Pour y passer des morceaux de bois, des écailles de 
tortue roulées, ou des dents de poisson. 

Le chant est sans contredit le premier son que 
vibra le gosier d’un être animé, et même l’homme 
avant qu’il eût pu l’accentuer de manière à en créer 
la voix parlée. Or de la musique vocale à la musique 
instrumentale il n’y a qu’un pas : aussi voyons-nous 
toutes les races nègres, adonnées avec passion à la 
danse et à la musique, être on ne peut plus sensi- 
bles, lorsqu’elles sont dans l'esclavage, aux airs qui 
leur rappellent leur patrie. Les peuples civilisés 
séquestrés dans les contrées montagneuses conser- 
vent intact ce goût pour les traditions de leurs pères 
et pour les chants qui dès l'enfance, en résonnant 
à leurs oreilles, se sont à jamais identifiés avec tou- 
tes les lois de leur organisation de position. Les 
Papouas du Port-Praslin sont beaucoup plus avan- 
cés sous ce rapport que les peuples mongols-péla- 
giens et océaniens. Au premier rang des instruments 
nous citerons le tamtam, qu’ils placent dans leurs 
temples dans le but sans doute de réunir par ses 
sons bruyants les tribus aux cérémonies de leur fé- 
tichisme grossier, ou bien de leur servir d'appel lors 
des alertes brusques dans lesquelles leur vie agitée 
s'écoule. Ces tamtam ont deux pieds environ de lon- 
gueur totale ; ils se composent d’un tube creux étran- 


HISTOIRE NATURELLE 


glé au milieu, disposé de manière à simuler deux 
cônes réunis par leurs sommets. Ce cylindre perforé 
est tiré d’un morceau de bois léger peint en noir 
lustré, et garni de divers ornements en écaille in- 
crustés dans son épaisseur. Une seule extrémité est 
recouverte par une peau de lézard solidement ten- 
due et fixée sur le pourtour. Mais une des particu- 
larités les plus intéressantes peut-être est d’avoir 
trouvé chez les naturels l’asage du syrinx ou flûte 
de Pan : cet instrument ne diffère absolument du 
nôtre qu’en ce qu’il présente parfois six ou huit 
tuyaux au lieu de sept; il est fabriqué avec des mor- 
ceaux de roseau soigneusement accolés et passés au 
feu sur les bords. Un de nos amis, très bon musie 
cien, le baron Feisthamel, a bien voulu nous don- 
ner une note fort intéressante sur la portée de cette 
flûte de Pan que nous lui avions remise (1). Enfin il 


(*) Les anciens avoient deux sortes de flûtes, la flûte 
simple et la syrinx , ou flûte de Pan. : 

Platon en parle dans son Voyage en Egypte ; Ho- 
mêre en fait mention dans l’Iliade. 

Ces instruments furent bannis dans le principe des 
temples d'Apollon par les prêtres, à cause de la lutte 
de ce dieu avec Marsyas; ils furent ensuite portés au 
plus haut degré de faveur. Leur étude entroit dans l'édu- 
cation des hommes illustres du temps. Périclés fit venir 
de Thébes le célèbre Antégénidés pour enseigner la 
flûte à son neveu Alcibiade, 

Les Thébains surpassérent sur cet instrument les au- 
tres peuples de la Gréce. Dion Chrysostôme dit avoir 
vu une statue de Mercure sur la vieille place de Thèbes 
sur laquelle on lisoit cette inscription : La Grèce a dé- 
claré que Thèbes a remporté le prix sur la flûte. 

Comme tout concourt à prouver que les instruments 
accompagnoient les voix à l'unisson, et que consé- 
quemment l'harmonie proprement dite n'étoit point 
connue des Grecs, les cordes des lyres et harpes étoient 
tendues de manière à produire autant de sons différents 
qu'il en entroit dans leur système de chant; et consé- 
quemment les flûtes n’avoient également qu’une éten- 
due de sons très bornée. Au fur et à mesure que le sys- 
(ème des sons s’étendit, les instruments suivirent cet 
accroissement; et la flûte, qui n’avoit d’abord que 
quatre ou cinq notes, en eût bientôt jusqu à seize. Mais 
il est à remarquer que l'assemblage des notes, ainsi que 
le mode de musique, étoient toujours mineurs, el tous 
les auteurs anciens sont d'accord sur ce point. Il est 
même bien curieux d'observer qu'aujourd'hui encore 
pas un seul des cris des différents marchands qui par- 
courent les rues de la capitale ou d’autres villes n'est 
un mode majeur, mais bien un mineur. La raison qu’on 
peut en donner, c’est que l’homme naturel éprouve 
beaucoup plus de facilité à attaquer la tierce mineure 
que celle majeure. 

La syrinx de la Nouvelle-frlande présente un assem- 
blage de notes ayant ce caractère mineur, le voici : 


DE L'HOMME. 


n’y a pas jusqu’à la guimbarde que nous observâmes 
parmi les naturels de ces contrées ; elle est faite avec 
un morceau de bambou, terminée en trois pointes 
effilées et fendues de manière à n’être séparées que 
par un léger intervalle: placée dans la bouche 
comme notre guimbarde, la lame du milieu vibre 
sous le doigt qui la presse. 

Si des ressources industrieuses pour consoler des 
peines de cette vie, et roidir les organes contre les 
sensations tristes qui à chaque instant viennent 
l’assiéger dans quelque position sociale où l'homme 
puisse se trouver, nous passons à l’industrie de 
pourvoir à la subsistance du jour, nous verrons que 
le Nouvel-Irlandois, à part l’abondance des pro- 
ductions qui couvrent le sol de sa patrie, a recu en 
partage un merveilleux talent pour la pêche. Nulle 
race ne possède avec plus de perfection le sens de 
la vue que les Papouas, et ceux du Port-Praslin 
nous étonnèrent souvent par l’adresse inouïe avec 
laquelle ils lancent sur le poisson qui nage à une 
certaine profondeur de la mer un harpon en roseau 
grêle mais ferme que terminent cinq ou six pointes 
acérées en bois dur, et qui, décrivant une ligne 
parabolique , retombe, frappe la proie, qui essaie 
en vain de se débattre sous la tige qui la maintient 
sur l’eau. À ce moyen, qui demande une vive pres- 
tesse et une justesse de coup d'œil que tous les na- 
turels ne possèdent pas également, ils ajoutent di- 
verses sortes de filets faits avec des écorces d’arbre 
cordonnées. 

La construction des pirogues est très soignée 
chez ces hommes, et la régularité et la netteté qui 
ont présidé à la coupe du bois portent à penser que 
depuis long-temps ils ont tiré un grand parti des 
instruments de fer qu'ils se sont procurés par le 
passage de quelques navires ou par des communi- 
cations avec les Malais. Ilest de fait que ce métal 
étoit ce qu'ils préféroient à toute autre matière 
dans leurs échanges, Les petites pirogues se res- 
semblent par leurs formes et par leurs dimensions : 
elles sont étroites, mais sveltes et légères, et peuvent 
recevoir de sept à huit hommes; elles ne sont point 
creusées dans un seul tronc d'arbre, mais leurs 
bordages sont ajustés et calfatés à la manière des 
canots dits à clains suivant la méthode européenne, 
et les coutures ou joints sont très soigneusement 
remplis par un mastic retiré d’une gomme résine 


On voitaisément qu'ayant les notes de l'accord parfait 
en sol, on pourrait à la rigueur exécuter des airs en 
mode majeur, ayant surtout la tonique pour note de 
basse ; mais jamais je n’ai oui dire que ce mode leur fût 
connu: ce qui prouve qw’il tient à une nature perfec- 
tionnée. On peut donc conclure que cet instrument, 
composé de huit notes, dont cinq appartiennent à la 
gamme et trois sont répétées à l’octave en dessous , est 
des temps les plus reculés. 


135 
qui fait l'office de brai ; elles sont aussi constamment 
redressées sur l’avant et sur l'arrière, de manière 
que ces parties, peintes avec de Ja chaux et de l’ocre, 
et sculptées à leur sommet en forme de crête de 
coq, peuvent avoir deux pieds et demi de hauteur. 
Le balancier est fixé sur le flanc de l’embarcation 
par sept ou huit traverses. Nous ne leur vimes ni 
mâture ni gréement. Une grande pirogue, conte- 
nant environ quarante combattants, vint un jour 
dans le havre où nous étions mouillés. Tout nous 
autorise à penser que cette vaste embarcation ne 
sert chez eux que pour la navigation lointaine et la 
guerre, et appartient à la tribu entière. Elle n’avoit 
point de balancier, et ses dimensions n’étoient pas 
moindres de trente-cinq pieds en longueur sur 
quatre pieds dans sa plus grande largeur. Ses bor- 
dages étoient juxta-posés avec une grande régula- 
rité ; et la partie relevée de l’arrière , au lieu d’être 
taillée en crête de coq , simuloit une large girouette 
sculptée à jour, et dont on retrouva une copie dans 
le temple des idoles. Est-ce un emblème protecteur? 
Cette grande pirogue étoit nagée par vingt hommes, 
tandis que vingt autres tenoient fort à l’aise sur les 
bancs. Elle n’avoit point de mât, point de voiles, et 


. la pagaie étoit l’unique force motrice qui la faisoit 


glisser sur le sein de la mer. La forme de ces rames 
est celle d’un fer de lance, et sur le plat nous remar- 
quâmes parfois des esquisses de requins ou autres 
animaux, sculptées avec assez de soin. Cette dispo- 
sition des pagaies n’est point propre à opérer une 
grande pression sur la colonne d’eau et imprimer 
par conséquent un vif mouvement à la marche de 
l'embarcation, mais en revanche elle sert aux na- 
geurs d'arme offensive; et dans un cas de surprise ou 
d’attaque corps à corps de deux pirogues ennemies, 
la pagaie, par son extrémité acérée et vulnérante, 
est un instrument dangereux. 

Les relations que nous avons eues avec les Nou- 
veaux-frlandois du Port-Praslin pendant notre court 
séjour dans cette partie de l'ile ont toujours été 
franchement amicales. Cependant il nous a fallu 
endurer de nombreux larcins; car ces Nègres, bien 
qu'ils ne pratiquent pas le vol à force ouverte, ne 
négligent aucun moyen de s'approprier ce qui 
tombe sous leur main agile. Il étoit aisé de voir que 
nos armes à feu leur imposoient une circonspection 
qui ne leur étoit pas habituelle ; car ils redoutent 
singulièrement la puissance d’armes dont ils n’en- 
tendoient jamais l'explosion, même au milieu des 
bois, sans tressaillir. C’étoit avec une vive recon- 
noissance qu’ils recevoient les outils de fer, les 
morceaux de cercles de barrique, avec lesquels ils 
fabriquoient des ciseaux. Ce métal étoit plus pré- 
cieux à leurs yeux que l'or, sous quelque forme 
qu’il fût : car ce dernier ne doit parmi nous sa 


haute valeur que comme étant le signe représentatif 


1356 


des échanges ; et le fer, qui détruit avec une rare 
énergie la civilisation des nations européennes, sera 
au contraire le levier de la civilisation de peuples 
encore plongés dans la barbarie des coutumes pri- 
mitives. Toutefois il est juste de dire que nous 
n’eûmes jamais le moindre sujet de regretter notre 
confiance envers les Nouveaux-Irlandois. Ils se 
conduisirent avec bonhomie dans les forêts, où 
bien des fois nous nous confiâmes sans armes à 
leur merci, lorsque, servant de guides dans nos 
courses d'histoire naturelle, ils pouvoient si aisé- 
ment nous dépouiller. Nous participions sans céré- 
monie à leurs foyers. Souvent nous choisissions des 
fruits de mapé ou des mollusques pour calmer 
notre faim, sans qu’ils en témoignassent le plus 
Jéger déplaisir : peut-être le soin que nous avions de 
les récompenser scrupuleusement nous servit-il de 
recommandation puissante en celte circonstance. 
Cependant nous n’en infèrerons pas qu’il soit pru- 
dent de s’abandonner sans réserve à leur bonne 
foi; car dans plus d’une occasion nous crûmes nous 
apercevoir que la force d’un navire de guerre étoit 
ce qui leur en imposoit davantage, et le moyen le 
plus puissant pour réduire au silence leurs passions 
violentes. 

La langue des naturels de la Nouvelle-Irlande 
est sonore, quoique bien différente de celle des îles 
de la Société, dont les mots ne sont composés que 
de voyelles, tandis qu’elle renferme beaucoup de 
consonnes, et surtout de lettres dures, telles que 
le K, qui se reproduit très souvent. La lettre E, ou 
même l'E, sont, dans bien des cas, de simples pro- 
ïoms, tels que Le, la, et une sorte de rapport ou de 
corrélation de mots dans ceux qui servent à désigner 
des parties du corps dont d’autres sont dépendantes : 
tels, par exemple, limane pour bras, siselimane 
pour avant-bras, balanimane pour la main, ou- 
limane pour les doigts, pitralimane pour les on- 
gles , etc. 

Le système de numération n’est pas étendu, et 
ne dépasse point le nombre 40. Ils recommencent à 
la seconde dizaine en employant un mot qui change 
la valeur des noms désignant les unités. Ces naturels 
comptent habituellement sur leurs doitgs; leurs 
noms de nombre sont évidemment d’origine malaise, 
et se prononcent ainsi qu’il suit : 


4, ti, ou quelquefois {iema. T7, hiss. 

2, irou. 8, oualle. 

3, toul. 9, siou. 

4, at. 10, saouli. 

5, lime. 41, tic saouli. 

6, ouone. 12, irou saouli, etc. 


HISTOIRE NATURELLE 


Naturels de l'ile d'York. 


Le 22 août 1825, à l'instant de sortir du canal 
Saint-Georges qui sépare la Nouvelle-Bretagne de 
la Nouvelle-Irlande, nous côtoyâmes la petite île 
d'York, d’où nous vimes appareiller, des havres qui 
en morcellent les côtes, plusieurs pirogues montées 
par un grand nombre de naturels qui ramoient avec 
vigueur. En un clin d’œil une huitaine de ces em- 
barcations accostèrent la corvette La Coquille. Cha- 
cune d’elles étoit montée par six ou sept insulaires 
entièrement nus et offrant la ressemblance Ja plus 
complète avec les habitants de la Nouvelle-Irlande ; 
seulement nous remarquâmes que la plupart des na- 
turels que nous avions sous les yeux étoient d’ane 
taille mieux prise et plus robuste que les habitants 
du Port-Praslin, dont ils ne différoient aucunement 
par la teinte noire de la peau ni par leur chevelure 
laineuse recouverte de chaux et de poussière d’ocre. 
Ces Nègres nous accostèrent sans manifester la moin- 
dre hésitation, et aussitôt ils nous proposèrent de 
faire des échanges qui consistoient principalement 
en cocos secs et en bananes. Nous ne leur yimes 
point d'armes, excepté des frondes et de grands amas 
de pierres arrondies au fond de leurs pirogues. Tout 
nous porte à croire qu’ils sont familiarisés avec les 
navires européens qui de temps à autre apparoissent 
sur leurs rivages ; tous sollicitoient à la fois des ha- 
ches et du fer, sous quelque forme qu’il fût. Nous 
cédâmes d’autant plus volontiers à leurs désirs qu'ils 
nous donnèrent en échange de beaux nautiles flam- 
bés, de grandes volutes-couronnes d’Ethiopie, et 
des ovules-œufs de Léda. Ils nous échangèrent un 
instrument fort ingénieux fait en forme de cloche, 
et dont ils se servent pour prendre au fond de l’eau 
les sèches et les poulpes : quant aux frondes, aux 
colliers en dents de poissons, qu’ils nous offrirent 
aussi, nous n’avons rien à en dire de particulier ; 
car ces objets sont absolument les mêmes que ceux 
usités au Port-Praslin. Les pirogues dont ils se ser- 
vent sont taillées sur un modèle semblable. Il en est 
de même relativement aux ornements, soit qu’ils se 
traversent la cloison du nez avec un bâtonnet en os 
très blanc, soït qu’ils se barbouillent en rouge. De 
nombreuses cicatrices, un air farouche, une har- 
diesse prononcée dans l’ensemble de leur démarche, 
prêtoient à leur physionomie un caractère plus 
guerrier et plus redoutable que celui que nous avions 
vu chez les naturels du Port-Praslin. 


Naturels de l'ile de Bouca. 


C'est le 9 août 4825 qu'une navigation paisibie 
nous mit en vue de la terre des Arsacides, découverte 
par Surville, et qui occupe l’extrémité nord-ouest 
de l'archipel de Salomon. L'opinion de Bougainville 


DE L'HOMME. 


étoit que ces terres appartenoient au groupe d'îles 
qu’il nomma Louisiade. L'ile de Bougainville, ainsi 
nommée en l’honneur du navigateur françois, dont 
nous prolongeâmes la côte nord-est, est haute, mon- 
tueuse, et présente de larges ravines sur ses bords; 
son extrémité boréale s’abaisse insensiblemernt en 
une pointe de terre basse et resserrée qui semble 
jointe à l'ile de Bouca, mais qui pourroit bien en 
être séparée par un étroit canal. La surface entière de 
l'ile de Bouca est uniforme, et paroît à l’œil comme 
un vaste plateau assez élevé. Son aspect est agréa- 
ble, et une verdure active et pressée s’est étendue 
partout ; il n’y a pas jusqu’aux rochers des bords de 
la mer qui ne soient revêtus de guirlandes de feuil- 
lage ; des arbres d’un port majestueux et une cein- 
ture de beaux cocotiers couronnent le tout. La mer 
déferloit avec violence sur quelques petites plages 
de sable apparoissant de loin en loin comme des 
taches au pied des murailles taillées à pie qui suppor- 
tent le plateau de l’île. Cette muraille étoit coupée 
de manière à nous faire supposer que les prismes de 
basalte la constituoient en grande partie. Nous dé- 
couvrimes un grand nombre d’habitants attirés sur 
le bord de la mer par la vue de notre navire; ils 
étoient complétement nus; quelques individus seu- 
lement sembloient avoir les reins entourés d’une 
étoffe blanche. De toutes les pirogues qui furent 
lancées à la mer deux seules parvinrent à aborder 
notre vaisseau ; elles étoient montées par six hommes 
de divers âges qui ne témoignèrent aucune inquié- 
tude à la vue d’un équipage nombreux; ils échan- 
gerent leurs provisions d'armes qui toutes étoient 
travaillées avec le plus grand soin. Hs possédoient 
des faisceaux de flèches en roseaux et à pointes en 
bois très dur, garnies à leur extrémité vulnérante de 
piquants d’os ou de bois. Leurs ares et leurs casse- 
têtes éloient en bois rouge, soigneusement sculptés 
et peints de diverses manières. Le fer étoit aussi pour 
eux la marchandise la plus précieuse, et ils ne re- 
cevoient jamais une hache, qu’ils parurent nommier 
niko, sans pousser de grands cris pour témoigner 
leur satisfaction. 

Les naturels de l’ile de Bouca sont des Papouas de 
moyenne taille ayant au plus cinq pieds trois à quatre 
pouces, et dont les membres sont grêles et peu mus- 
clés. La peau est colorée en un brun foncé uni à une 
teinte jaunâtre ; leur chevelure, longue, frisée, étoit 
ébouriffée suivant la mode des habitants de Waigiou ; 
les traits du visage avoient une certaine douceur, et 
le nez n’avoit rien d’épaté. Une corde entouroit le 
ventre vis-à-vis le nombril ; à cela se réduisoit leur 
vêtement. Nous remarquâmes que le système pileux 
étoit très abondamment fourni, et que le prépuce 
étoit démesurément alongé. 

Sur l'avant d’une de ces embarcations étoit monté 
un jeune homme barbouillé d’une poussière rou- 


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geâtre épaisse, et portant sur le front une large 
tache blanche arrondie. Ce petit-maître paroissoit 
enorgueilli de sa parure , que relevoient deux touffes 
de plumes rouges passées dans les lobes des oreilles 
et des fleurs de même couleur fixées dans les che- 
veux. Un deuxième avoit toute la tête recouverte 
d’ocre délayée dans de l’huile. Tous portoient des 
cicatrices en relief rangées symétriquement sur l’é- 
paule eu forme d’éminences mamelonnées ; le poi-- 
gnet gauche étoit entouré d’un cercle d’écorce. Un 
seul avoit appliqué sur la lèvre inférieure une valve 
de coquille qui recouvroit le menton, ainsi que le 
pratiquent les habitants de la côte nord-ouest d’A- 
mérique. Leurs peignes faits sur le même modèle 
que ceux des habitants de Waigiou étoient également 
enjolivés par des morceaux de nacre; enfin tous 
étoient approvisionnés de bétel dont l’usage leur a 
corrodé les dents et teint en rouge de sang les gen- 
cives, la langue et les lèvres. 


\ III. HABITANTS DE LA NOUVELLE-GUINÉE. 


Dampier, Schouten et Forrest sont les seuls navi- 
gateurs qui aient donné quelques détails sur la Nou- 
velle-Guinée ; mais ces détails sont si incomplets, et 
si éloignés des connoissances actuelles qu’on nous 
saura quelque gré de présenter un tableau de cette 
vaste contrée dont nous n'avons exploré qu’un seul 
point. Le 26 juillet 1824 nous atteignimes le havre 
de Doréry, où nous séjournâmes jusqu’au 9 du mois 
suivant. Le nom de ce havre est écrit Dorry dans 
Forrest; mais les naturels le prononcent Doréy, 
et parfois et plus imparfaitement Doréry. Ce mouil- 
lage tiroit sa dénomination d’un village de Papous 
jadis peuplé, mais aujourd'hui complétement aban - 
donné : il occupe l’extrémité nord-ouest d’un petit 
golfe dont l'entrée est protégée par deux îlots ap- 
pelés Maunaspari ou Manasouart, et Mousmapi ou 
Masmna, à. Ce havre, dont l’ancrage est sûr et com- 
mode, git par 60» 51! 49! de latitude S., et 1510 » 
44 59! de longitude orientale sur la c'te E. de la 
grande terre des Papous et au nord du golfe du Geel- 
wing, golfe qui par sa profondeur concourt avec une 
baie opposée à transformer la Nouvelle-Guinée en 
deux presqu’iles que réunit un isthme étroit. 

Les bords du havre de Doréry sont en partie re- 
couverts d’un limon épais où croissent d'énormes 
mangliers, et où coulent plusieurs rivières limpides 
dans lesquelles les eaux de la mer remontent assez 
loin ; à l’est s’offre une légère plage de sable où quel- 
ques habitants avoient autrefois bâti deux ou trois 
cabanes auxquelles ils donnoient le nom d’inekamo- 
rei. Les naturels appellent mamorysuary ce que les 
Européens connoissent sous le nom de krvre de 
Doréry, et Fanédike la crique sur le bord de la- 
quelle étoit l’ancien village de Doréry. La côte, dans 

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cette partie de la Nouvelle-Guinée, est formée en 
entier de masses de coraux que recouvre une couche 
épaisse de terre végétale, et qui supportent une vé- 
gétation magnifique; l'épaisseur de cette lisière du 
sol varie, en étendue et en hauteur, par les morcel- 
lements nombreux qu’elle a éprouvés, et qui l'ont 
déchirée de manière à l’étendre dans la mer sous 
forme de promontoires, ou à la découper en dedans 
par mille canaux étroits formant des criques ou des 
havres variables en étendue. Non loin du port de 
Doréry le terrain de la Nouvelle-Guinée commence 
à s'élever, et bientôt se dessine à l’ouest la chaîne 
* considérable des montagnes d’Arfack. Cette chaine 
court du nord au sud, s’abaisse insensiblement vers 
le golfe du Geelwing, et se termine au nord au cap 
de Bonne-Espérance. Le point culminant des mon- 
tagnes d’Arfack paroit être à quelques lieues dans 
le sud-ouest du havre de Doréry, et le piton le plus 
élevé n’a guère que deux mille neuf cent un mètres 
d’après une triangulation calculée par M. Bérard. 

À la forme arrondie et doucement ondulée des 
montagnes d’Arfack, bien que quelques revers 
abruptes interrompent l’uniformité de la chaine, on 
doit supposer que l’ossuaire appartient au terrain 
primitif, et est formé de granit. On ne peut guère en 
douter en effet à l'abondance des cailloux de nature 
granitique qui encombrent les lits des torrents, et 
qui sont sans aucun doute charriés par les pluies qui 
descendent de la chaine de ces montagnes. Sur le 
terrain primordial est flanqué un sol tertiaire ré- 
cemment sorti du sein des eaux , et consistant prin- 
cipalement en débris madréporiques solidifiés par 
un ciment calcaire : de sorte que cette partie de la 
Nouvelle-Guinée, analogue sous ce rapport aux ri- 
vages de la Nouvelle-Irlande et des Moluques, prouve 
ce que nous avons dit dans les considérations géné- 
rales sur les îles de l'Océanie. 

Au fond du havre de Doréry se dessinent les em- 
bouchures de plusieurs petites rivières, dont les lits 
semblent le plus souvent creusés par des torrents. 
La mer y remonte assez avant; mais pendant notre 
séjour ils étoient presque à sec, et l’eau douce ne 
couloit plus que comme un mince filet qui s'épanche 
dans le sable du rivage et se perd inaperçu. Mais, 
lorsque dans l'hivernage ces ravines sont alimentées 
par les pluies, les eaux s’écoulent à pleins bords et 
avec impétuosité, à en juger par les troncs énor- 
mes des arbres déracinés qui sont tombés dans leur 
cours, aux pierres renversées et amoncelées, enfin 
à des obstacles ou des accidents de sol qu'elles ont 
surmontés. 

L'ile de Manasouari occupe l'entrée de la baie, à 
trois milles au sud-est. Sa surface assez uniforme est 
revêtue de grands arbres et de plantations. Un vil- 
lage peuplé occupe sa partie boréale vis-à-vis Mas- 
mapi, où quelques Papous pêcheurs ont aussi établi 


HISTOIRE NATURELLE 


leurs cabanes. Les récifs qui entourent ces ilots sont 
par masses désorganisées ; de sorte que leurs pointes 
submergées sont les seules qui présentent les poly- 
piersen vie, mais encore dans un tel état de langueur 
qu'on doit naturellement penser que le mélange 
perpétuel des eaux douces avec les eaux marines 
nuit singulièrement à leur existence et les fait périr, 
par exemple dans certaines années où les pluies sont 
plus abondantes que de coutume. 

La végétation la plus active couvre ce point du 
globe ; elle est ce qu’on doit en attendre sous l’équa- 
teur et à la Nouvelle-Guinée, c’est-à-dire grande, 
majestueuse et imposante. La surface du sol ne 
présente qu’une forêt sans fin où la plupart des 
végétaux des Moluques se retrouvent, et dont les 
arbres, immenses par la circonférence de leurs 
troncs et la hauteur de leurs tiges, ont jusqu’à cent 
cinquante pieds d’élévation. Dans ces profondes 
forêts ne croissent point d'herbes humiles : les 
plantes y revêtent de préférence des formes ro- 
bustes et ligneuses; les lianes serpentent et s’entre- 
lacent jusqu'aux sommets des rameaux, et retom- 
bent en unissant leur verdure à celle des grands 
arbres qui les supportent. La fécondité d’une terre 
sans cesse humectée par d’abondantes vapeurs et 
par des pluies de six mois, vivifiée par des chaleurs 
d'autant plus fortes que le soleil ne s’en éloigne 
jamais, est prodigieuse ; aussi le voyageur éprouve 
un étonnement qui n’a rien d’analogue avec celui 
qu'imprime dans l’âme la vue des magnifiques 
monuments des hommes, et ne peut se lasser d’ad- 
mirer ces forêts vierges mélangées des teintes vertes 
les plus diverses, où tranchent les fleurs les plus 
larges et les plus bizarres, les fruits les plus singu- 
liers, et ce mélange d’arbres ou de palmiers soute- 
nant des parures étrangères au point que leur feuil- 
lage disparoît sous les festons qui les voilent de la 
manière la plus agreste. A des mimeuses gigantes- 
ques se joignent des aroïdes à large feuillage, des 
orchidées, et surtout des épidendres parasites. Des 
arecs à choux, des bambous, des fougères en arbre, 
des lataniers, des tecks, des muscadiers, des spon- 
dias, etc., etc., sont les espèces les plus communes 
dans ces forêts. 

Chaque jour nous éprouvions le plus grand plaisir 
à nous égarer aux environs du havre de Doréry; de 
petits sentiers tracés par les quadrupèdes nous per- 
meltoient d'avancer assez loin dans l’intérieur. A 
chaque pas nous étions sûrs d’y rencontrer une va- 
riété infinie d'animaux qui y vivent en paix, Car 
l’indolent Papou ne leur fait point une guerre opi- 
niâtre. Dans ces profondeurs, d’où l’on peut à 
peine apercevoir même le ciel, il est indispensable, 
pour y pénétrer en sécurité, de se munir d’une 
boussole portative, sans laquelle on courroit les 
plus grands risques de ne point revenir au rivage 


DE L'HOMME, 


d’où l’on est parti, et d’errer à l'aventure dans les 
forêts. Une plante légumineuse, hérissée d’épines, 
gêne singulièrement la marche de l’explorateur ; 
ce qui y contribue encore sont les troncs énormes 
renversés sur la terre par le temps, et qui, rendant 
avec lenteur au sol les principes de vie qu’ils en 
ont reçus, sont déjà ensevelis par les rejets nom- 
breux qui poussent de toutes parts, et qui doivent 
ainsi leur succéder. 

Pendant notre séjour à la Nouvelle-Guinée les 
chaleurs étoient accablantes, et se faisoient ressen- 
tir d'autant plus cruellement que l’air n’y apportoit 
aucun rafraîchissement. Les légères brises de l’est 
ne souffloient que le matin et le soir ; mais dans le 
milieu du jour un calme si parfait régnoit dans 
l'atmosphère que la feuille la plus mobile ne se 
balançoit même pas sur sa tige. Une seule fois, et 
comme par exception, nous ressentimes quelques 
vents frais de l’ouest par courts intervalles ; ils 
poussoient devant eux des nuages, et firent tomber 
quelques grains de pluie. Nous remarquâmes que 
chaque jour, au matin, les sommets des montagnes 
d’Arfack étoient parfaitement visibles et décou- 
verts : passé ce moment les nuages s’amonceloient 
à leur tiers supérieur, et y formoient jusqu’au soir 
un épais bandeau vaporeux. Le thermomètre à 
l’ombre et à midi s’éleva jusqu’à 52° » centigrades, 
et la température de l’eau à la même heure ne fut 
jamais au-dessous de 29 à 50° », 


Les productions utiles pour l’homme que le | 


règne végétal peut fournir spontanément à la Nou- 
velle-Guinée sont nombreuses et variées, mais ce- 
pendant complétement négligées par les naturels. 
Toutefois, dans des temps reculés dont nous n’a- 
vons que de vagues notions, à celte époque où les 
peuples orientaux n’avoient point vu restreindre 
leur puissance dans ces mers par celle des Euro- 
péens, il paroît que les Chinois et les Malais avoient 
établi des relations de commerce avec les Papous. 
Au premier rang des substances utiles on ne peut 
se dispenser de citer le sagoutier. Ce palmier, qu’on 
trouve abondamment aux Moluques, est le don le 
plus précieux que la nature ait fait aux habitants 
de la Polynésie. Son tronc contient une abondante 
fécule qu’ils convertissent en pains aplatis et qua- 
drilatères d’une saveur agréable et d’une qualité 
très nutritive. Les cocotiers sont très rares sur les 
bords du havre de Doréry; mais on y trouve en 
abondance en échange le chou caraïbe, la canne à 
sucre, les ignames, les patates douces, la courge, 
le maïs, le riz rouge, l'arbre à pain à fruits à chà- 
taignes, l’aubergine, et trois sortes de bananiers. 
Nulle part nous n’avions rencontré auparavant deux 
variétés de ce dernier végétal : l’une dont la banane 
a la peau colorée en beau rouge, et l’autre dont le 
fruit est très petit, jaune, et d’une saveur fondante 


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exquise. Une des grandes cultures du pays est le 
tabac, et les naturels en préparent des provisions 
pour échanger avec les trafiquants malais ou avec 
les équipages des navires européens. Ils soignent 
encore deux autres plantes farineuses, qui sont un 
petit haricot nommé aberou, d’une délicatesse et 
d’une bonté qui nous le firent estimer comme un 
excellent aliment, et un pois nommé abrefure, 
qu’ils conservent comme objet d’approvisionne- 
ment. À ces ressources premières on doit ajouter 
les produits qu’ils retirent de plantes qui croissent 
spontanément dans les forêts, et qui sont les citron- 
niers, les orangers, les cotonniers, les spondias 
dulcis, le gingembre, les piments, etc. Le teck, 
divers bois de fer et d’ébène, seroient précieux 
pour les constructions navales et pour les arts; 
mais les objets qui paroissent être la base du com- 
merce par échange des Papous avec les Chinois et 
les Malais de Tidor consistent en légumes, poissons 
desséchés, écailles de tortue, trépangs, oiseaux de 
paradis, résine de dammar, cire des abeilles sauva- 
ges, ambre, et surtout écorce de massohy. Ce der 
nier aromate, recherché par les Chinois, est produit 
par un arbre dont les feuilles ont la plus grande 
analogie avec celles du cannellier. Deux espèces de 
muscadiers sont aussi fort communes, et étoient 
chargées de noix à l’époque de notre séjour. Le 
fruit de l’espèce sauvage est très petit, sans odeur 
aromatique, et de forme allongée et pointue ; l’autre 
au contraire est la vraie muscade ronde non modi- 
fiée par la culture, mais complétement susceptible 
d'acquérir le volume et le parfum de la muscade 
cultivée dans les possessions hollandoises des Mo- 
luques. Avec les feuilles d’un grand vaquois les 
habitants font les toitures de leurs cabanes, et les 
chapeaux à la chinoise dont ils se couvrent la tête. 
Les fibres de ces feuilles sont douces, moelleuses 
et tenaces ; de sorte qu’il seroit très facile d’en fa- 
briquer de bonnes cordes. Ce vaquois nous paroît 
nouveau ; et ses tiges arborescentes, parfaitement 
droites et inermes, se couronnent par un immense 
faisceau de feuilles qui, examinées isolément, ont 
chacune trois pouces de largeur sur dix, quinze, et 
même vingt pieds de longueur. 

Les navigateurs ne trouveroient point à Doréry 
une relâche avantageuse, puisqu'ils ne s’y procu- 
reroient que quelques cochons et une petite quan- 
tité de poissons, de chair de tortue, et de coquil- 
lages ; mais il paroît que les corocores malais et des 
jonques chinoises viennent fréquemment les visiter 
dans le but d’en retirer des peaux d’oiseaux de pa= 
radis, des trépangs, des loris vivants, de l’écaille dé 
tortue, et surtout des esclaves. Le prix d’un jeune 
homme fort et robuste est de dix piastres , et celui 
d’une femme est d’environ cinquante brasses de 
toile de Guinée, Pour un coutcau ou pour un mor- 


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ceau de fer-blanc les Papous donnoient aux gens 
de notre équipage une grosse carotte ficelée d’un 
tabac doux et presque complétement privé de 
l'odeur nauséeuse qui caractérise celui d'Europe. 
Quelques habitants nous dirent que leur pays pro- 
duisoit en quantité de la poudre d’or et des perles, 
dont ils ne nous présentèrent jamais d’ailleurs au- 
cun fragment. 

Dans une relâche d’aussi courte durée que le fut 
celle que novs exécutâmes sur les côtes de la Nou- 
velle-Guinée, nous n’eûmes point le loisir d’étudier 
l'influence du climat sur la santé de l’homme : ce- 
pendant, si l’on peut juger par analogie des affec- 
tions qui vinrent fondre sur les gens de notre équi- 
page, nous sommes autorisé à le croire malsain. 
Le havre de Doréry d'ailleurs, par le peu d’air qui 
y cireule, par les vases fétides couvertes de man- 
gliers qui l’enceignent, doit être ravagé par les 
dyssenteries et le choléra-morbus. C’est en effet là 
que nous puisâmes les germes de ces maladies qui 
menacoient de devenir inquiétantes. Les habitants 
offroient presque tous de nombreuses plaies ou de 
vieux ulcères, résultats de leur nudité, de leurs 
combats fréquemment renouvelés, et des longues 
macérations qu'ils éprouvent en séjournant long- 
temps dans l’eau pour ramasser leur nourriture 
sur les récifs à demi submergés. Presque tous les 
naturels présentèrent des coups de flèche parfaite- 
ment bien guéris; l’un d’eux avoit même eu la 
jambe coupée, et il étoit encore fort agile, bien 
qu’il ne se servit de rien de ce qui auroit pu res- 
sembler à une jambe de bois. Cette lèpre dégoû- 
tante, dont nous avons déjà plusieurs fois signalé 
les ravages, couvre le corps de la plupart des Pa- 
pous: on la nomme babara à Doréry, et hanné à 
Rony. 

Si le règne végétal de la Nouvelle-Guinée est 
imposant par le luxe et la pompe qui le distinguent, 
le règne animal est encore plus étonnant peut-être 
par l'éclat dont la nature a voulu décorer la plus 
grande partie des êtres qui le composent. Un voile 
mystérieux avoit jusqu’à ce jour dérobé cette ma- 
gique contrée aux regards des naturalistes ; aussi 
les plus célèbres d’entre eux avoient-ils témoigné 
le plus vif regret de ce que des expéditions scienti- 


fiques n’avoient jamais été dirigées de ce côté. Nous. 


n’aurons fait disparoître qu’une bien foible partie 
de l’obseurité qui cachoit la Nouvelle-Guinée ; et, 
plus heureuse que nous sans doute, quelques mois 
« de séjour permettront à l’expédition de l'Astrolabe, 
… commandée par M. d'Urville, de nous donner sur 
* cette riche contrée des aperçus neufs et importants. 
Les relations des anciens voyageurs (ï) se bornent à 
l’envisager sous le rapport hydrographique; et, 


(") La premiére découverte de la Nouvelle-Guinée, ou 


# 


HISTOIRE NATURELLE 


bien que le voyage de Sonnerat paroisse avoir eu 
la Nouvelle-Guinée pour but, on sait aujourd'hui 
qu’il ne s’agit dans sa description que des Moluques 
orientales. Forrest séjourna au havre de Dory (1) en 
janvier 4775, et ne s’écarta point des détails d’un 
simple itinéraire. Dampier seul, en 4642, publia 
quelques descriptions d'animaux qui portent le 
cachet de son exactitude ordinaire. Quant à Piga- 
fetta, compagnon de Magellan en 1525, il ne parle 
qu’en passant des oiseaux de paradis qui en pro- 
viennent , et décrit les pieds dont plus tard, afin de 
re:dre leur histoire plus merveilleuse, on voulut 
qu'ils fussent privés. Valentyn, en compilant ce qui 
est relatif à Amboine et aux iles environnantes, ne 
manqua point de recueillir toutes les notions qu’il 
put se procurer sur la Nouvelle-Guinée, et son his- 
toire des oiseaux de paradis annonce qu’il eut à sa 
disposition de nombreux documents. 

Nous ne nous occuperons point ici des mammi- 
fères, parce que nous aurons occasion de revenir sur 
ce sujet lorsque nous parlerons de tous ceux qui ha- 
bitent les îles de Océanie et de la Polynésie. Il n’en 
sera pas de même des oiseaux : la variété infinie de 
leurs formes et de leurs couleurs, la rareté de quel- 
ques espèces, la haute estime dont jouissent plu- 
sieurs d’entre elles, exigent que nous développions 
le résultat de nos aperçus. Les seuls oiseaux de proie 
que nous tuâmes éloient un autour d’une espèce nou- 
velle que nous nommäâmes falco longicauda, et 
l'aigle de Pondichéry à corps marron et à tête blan- 
che. Les passereaux, là comme partout ailleurs, 
s’offroient en innombrables légions ; et parmi eux 
nous eùmes occasion de faire plus d’une découverte 
intéressante, soit dans les espèces, soit dans les 
genres. Ainsi il nous suflira de citer les cassicans, 
les choucaris, l’astrapie éclatante, les moucherolles, 
les brèves, le corbi-calao, les engoulevents, les souis- 
mangas, les guëpiers, cinq ou six martins-pêcheurs, 
plusieurs corbeaux et calaos. Le calao à plumage 


terre des Papous, est attribuée à Antoine Ambreu et 
François Serrano en 1511. 

Nicolas Struick donne une description de la côte sep- 
tentrionaie, en 4753, en se servant de noms portugais. 

La seconde découverte et celle d’Alvaro de Saavedra 
en 4527, qui lui donna le nom de Nouvelle-Guinée. 

Antonio Urdanelta vit celte terre en 1528. 

Orthez de Rotha, envoyé par Rui-Lopez de Lohos, de 
Tidor, en 14543, s’en attribua la découverte. 

Schoutten et Lemaire y arrivérent en 14616. 

Abel Tasman vit la Nouvelle-Guinée en 1642. 

Dambpier visitoit la côte ouest en 1642; 

Guillaume Funnel en 1705. 

Roggewin parcourut ces mers en 1722. 

Carteret en 1766; 

Bougainville en 1766; 

Cook (détroit de Torrès) en 4770. 

{:) C’est ainsi que Forrest orthographie le nom du 
havre que nous écrivons Doréry. 


DE L'HOMME. 


noir et à queue blanche, dont le cou est fauve chez 
les mâles, est l’ouando des Papous; il se nourrit de 
muscades et de graines aromatiques, de manière que 
sa chair en contracte une saveur délicieuse : son vol 
est tellement lourd et pesant que, placé à une foible 
distance dans les bois, on croit entendre le souflle 
précurseur d’un ouragan. Ce bruit paroît être occa- 
sionné par l'air qui s’engouffre dans l’action du vol 
au fond de deux cavités placées à la base du demi- 
bec inférieur. Les oiseaux de paradis nous étoient 
apportés par les Papous en assez grand nombre pour 
nous faire penser que ces êtres, brillant des plus ri- 
ches parures, y étoient singulièrement maultipliés. 
Le manucode se présenta deux fois dans nos chasses, 
et les deux fois nous observämes le mâle et la fe- 
melle accouplés : le plumage du mâle est d’une rare 
magnificence ; celui de la femelle, au contraire, est 
sans éclat. Les Papous lui donnent le nom de saya; 
et il se tient de préférence sur les arbres de teck, 
dont il recherche les fruits pour sa nourriture. 

Les oiseaux de paradis petits émeraudes volent 
avec grâce et par ondulations ; les plumes des flancs 
retombent négligemment pour former un panache 
gracieux et aérien qui brille dans l’air comme une 
étoile filante. On ne peut guère avoir une idée exacte 
de ces volatiles par les peaux desséchées que pré- 
parent les Papouas, car l’émeraude en vie est de la 
taille d’un geai de France. Les naturels sont dans 
l'habitude de les chasser pour en obtenir les parures 
depuis long-temps portées en aigrette par les rajahs 
mahométans des iles de l’est et par les Chinois. Cet 
oiseau est le mambéfore des naturels : ses habitudes 
semblent tenir de celles des gallinacés, car les fe- 
melles nous parurent en bien plus grand nombre 
que les mâles. IL vit des fruits du teck et d’une sorte 
de figuier. et son cri ne peut être bien rendu que par 
les syllabes woike woike woike woiko fortement ar- 
ticulées. Près des oiseaux de paradis vient encore se 
placer le beau cassican Kéraudren que nous avons 
pris pour type de notre genre phoryyçama ; et nous 
observämes aussi plusieurs espèces de martins-pé- 
cheurs nouvelles, entre autres le genre syméet le 
martin-chasseur Gaudichaud. L'ordre des srimpeurs 
se compose de coucals, de cacatoës , d’aras micro- 
glosses, de perroquets Loris, et de perruches de tou- 
tes tailles et de toutes couleurs. C’est dans ces forêts 
que vivent les mégapodes, plusieurs belles espèces 
de pigeons, entre autres le goura, que les naturels 
nomment manbrouke, le pigeon de Nicombar, 
les tourterelles pampusan et bleu-verdin, etc. 
Souvent nous rencontrèämes le casoar ou émeu des 
Moluques, dont les Papous emploient les plumes 
pour orner leurs lances. Les rivages étoient fréquen- 
tés par plusieurs échassiers, tels que des hérons, des 
crabiers, des pluviers dorés, et par un seul palmi- 
pède du genre Sterne. 


141 


Le havre de Doréry est très poissonneux : on y 
trouve la plupart des individus des mers des Molu- 
ques, et notamment les requins aux ailerons noirs, 
le diacope macolore , et autres. Les crocodiles bica- 
rénés, les serpents, des tupinambis, pullulent dans 
les bois. Les papillons les plus ornés, les coléoptè- 
res les plus rares, apparoissent à chaque pas. On y 
trouve les coquilles terrestres et fluvitales les plus 
estimées, etentre autres les auricules de Midas, des 
scarabes , des mélanies. Ces mers échauffées nour- 
rissent aussi la plupart des testacés qui font les dé- 
lices des amateurs de collections ; et il nous suffira 
de citer au hasard les casques , les cônes, les harpes, 
les huîtres marteaux, etc. 

Par cet aperçu rapide on doit concevoir de quel 
intérêt pour les sciences naturelles seroit une explo- 
ration rigoureuse de la Nouvelle-Guinée. Cette con- 
trée, ainsi que Bornéo , est destinée à enrichir nos 
species des formes qui font encore lacune dans la 
série des êtres, telle que nous la connoissons. Nous 
ne doutons point que ce ne soit la Nouvelle-Guinée 


dont ait voulu parler Quiros dans son fameux mé- 


moire au roid'Espagne, lorsqu'il lui peignit comme 
un nouvel Eldorado lariche et vaste île qu’il nomma 
la Tierra australia del Spiritu Santo, féconde en 
beaux arbres , en animaux de toutes sortes, et très 
productive en or. 

Les Papouas des environs du havre de Doréry 
reconnoissent plusieurs races distinctes parmi les 
hommes établis dans la Nouvelle-Guinée. Ainsi ils 
appellent Endamènes les habitants de l’intérieur, 
connus en Europe sous le nom d’Al/ourous, et se 
distinguenteux-mêmes en 4rfackis ou montagnards, 
eten Paporas ou riverains. Ces derniers conservent 
la mode de porter leur chevelure longue et ébou- 
riflée , tandis que les Arfackis l’ont disposée en mè- 
ches flexueuses comme les habitants du Port Pras- 
lin, qu’ils imitent encore en portant un morceau 
d’os ou de bois passé dans la cloison du nez. Enfin 
quelques Malais se sont aussi glissés dans les villa- 
ges des côtes, et se reconnoissent aisément parce 
qu’ils se coupent les cheveux et qu’ils professent 
grossièrement les rites de la religion musulmane. 
Chaque tribu au reste vit dans un grand état d’isole- 
ment avec les familles voisines, et leurs relations 
sont presque toujours hostiles. Un ordre de choses 
si contraire au développement des facultés morales 
a dû naître par les craintes perpétuelles que les pi- 
rateries des Malais ont inspirées le long de toutes ces 
côtes ; car on sait que les Guébéens sont depuis long- … 
temps dans l’habitude de fréquenter le système des 
iles de l’est qui avoisinent la Nouvelle-Guinée, pour 
enlever des esclaves ou acheter les prisonniers que 
les tribus se font entre elles. Nulle différence dans 
les formes extérieures de l’organisation, dans les 
habitudes ou même le langage, ne distingue les 


142 


Papouas des côtes; et cependant l’inimitié la plus 
violente les divise et leur a inspiré une antipathie 
telle que, lorsque deux de ces tribus se montroient 
à bord ensemble, l’une d'elles s’empressoit de par- 
tir aussitôt. Nous en eûmes de nombreuses preuves 
lorsque les pirogues de Rony vinrent nous visiter. 
Ce village n’estdistant de Doréry que de quatre jour- 
nées de navigation des embarcations du pays, et se 
trouve situé au fond du golfe du Geelwink ; et déjà 
les naturels ont des proportions plus robustes, un 
air plus féroce que les Papous de Doréry. Comme 
les Alfourous, qu’ils désignent sous le nom d’'Enda- 
mènes, ils ont adopté l'usage d’un long bâtonnet 
qui traverse la cloison du nez, et qui imprime à leur 
physionomie le caractère le plus étrange et le plus 
repoussant. 

Le langage ne peut guère servir à caractériser les 
peuples issus du rameaunègre pol ynésien ou papoua. 
Une barbarie profonde les a isolés, et chacun d’eux 
a adopté de nouveaux moyens de s’entendre et de 
s'exprimer. Peut-être aussi les différences que nous 
remarquons dans la manière avec laquelle ils ortho- 
graphient les mots tiennent-elles à l’imperfection 
avec laquelle nous saisissons, pour les traduiredans 
notre fdiome , les sons gutturaux qui les composent. 
Les Malais sont donc les premiers qui aient travaillé 
à civiliser les Papouas en se mélangeant avec eux : 
mais les notions qu’ils leur ont portées n’ont point 
été de nature à obtenir un grand résultat, et quelques 
idées sur les moyens de travailler le fer, et de vagues 
pratiques de mahométisme, sont les seuls fruits de 
leurs communications. Comme les habitants de Wai- 
giou, les Papous de Doréry sont donc en grande par- 
tie un mélange de Malais et de Papouas, vrais mé- 
tis analogues à ceux qu'ont parfaitement décrits 
MM. Quoy et Gaimard, qui reconnoissent l’autorité 
des radjahs, et se livrent au trafic, surtout à celui 
des esclaves. Leur taille est généralement petite, 
grêle même, bien qu’on puisse citer quelques beaux 
hommes robustes en apparence, et dont {es formes 
sont largement développées. L’intensité de la cou- 
leur noire de la peau varie beaucoup, et disparoît 
souvent par la lèpre qui lui donne une apparence de 
blancheur. La chevelure est très noire, laineuse, 
très fournie , et est d'ordinaire à Doréry disposée en 


orbe ébouriffé qui prête un énorme volume à latête, | 


ou bien, comme à Rony, tombe par mèches en ti- 
re-bouchons rouges à leur extrémité ; cc qui estsans 
doute dû à l'ocre dont ils les couvrent. Quelques 
Papous nouent leurs clieveux sur le sommet de la 

ête en une grosse touffe, tandis que d’autres les 
… partagent en deux flocons sur les parties latérales 


des joues. Le nez est épaté, mais beaucoup moins ! 


cependant que chez les Nègres africains : quant aux 
parines, elles sont longues et dirigées dans le sens 


transversal. La bouche est largement ouverte et | 


HISTOIRE NATURELLE 


proéminente par l’avancement des deux arcades den- 
taires ; mais le menton est petit et arrondi. Les pom- 
mettes se trouvent être saillantes, le front haut et 
développé, et les arcades sourcilières garnies de 
poils épais et serrés. La barbe est peu forte en re- 
vanche, et on la coupe habituellement , quoique cer- 
tains individus la conservent sur le rebord de la 
lèvre supérieure, à l'exemple de quelques Malais 
orientaux. Ceux qui ne font point usage du bétel ont 
des dents blanches et saines, tandis qu’elles sont 
gâtées de bonne heure et corrodées par cetingrédient 
quemächent la plupart des naturels. Lorsque la lèpre 
n’a point fait ses ravages sur l’épiderme des jeunes 
individus , leur peau est lisse , huileuse, et par con- 
séquent douce au toucher. Les vieillards sont com- 
munément débiles, flétris, et couvertsde cicatrices : 
leur démarchecirconspecte, leurs mouvements lents 
et automatiques, leur regard impassible et calme, 
offrent un caractère de gravité qui détruit ce que de 
prime abord leur extérieur a de repoussant. 

Les femmes chez les Papous sont disgraciées de 
la nature, et beaucoup plus laides que leurs époux. 
Leur système musculaire flétri, leurs mamelles 
pendantes , leurs traits hommasses, ne contribuent 
point à les rendre agréables à la vue. Les jeunes 
filles, même celles qui atteignoient à peine l’âge 
nubile, n’avoient rien de cette douceur, de cette 
suavité de candeur qui partout est le cachet de cette 
époque virginale ; mais eiles nous en montrèrent du 
moins la modestie, en se dérobant avec empresse- 
ment à nos regards; car ieurs époux, leurs pères, 
professent la jalousie musulmane à un haut degré. 
Comment se fait-il que le Créateur ait donné aux 
animaux de ces climats d’aussi riches parures, et 
qu’il n’ait accordé à l’homme, son image vivante, 
qu’une enveloppe aussi repoussante ? 

Toutes les relations écrites sur les Papous les ont 
peints comme des hommes féroces , inhospitaliers, 
perfidement astucieux, et auxquels il est dangereux 
de s’abandonner. Des voyageurs modernes s’expri- 
ment dans ce sens, et citent des actes d’une sauva- 
gerie hideuse, exercés par les habitants des côtes 
occidentales et méridionales. Les habitants du ha- 
vre de Doréry et des environs , et en général ceux 
de la partie nord jusqu’au cap de Bonne-Espé- 
rance , nous parurent être d’une grande douceur et 
peu dangereux , plus disposés à fuir les Européens 
qu’à chercher à leur nuire (1) : nous pouvons aflir- 
mer d’ailleurs qu’ils ne nous ont jamais donné le 
moindre sujet de plainte, bien que dans nos excur- 


{‘) Cependant des lettres de l'expédition de la cor- 
vetle l’Astrolabe , sous le commandement de M. Du- 
mont d’Urville, nous ont appris, en 1828, que les 
Papous de Doréry décochèrent des flèches sur les gens 
de l'équipage, et blessérent dangereusement un sous- 
officier, 


DE L'HOMME. 


sions d'histoire naturelle nous nous trouvassions 
isolés dans leurs villages au milieu des bois et com- 
plétement à leur merci. Si tous les Papouas ressem- 
bloient aux individus mélangés au milieu desquels 
nous avons vécu, l’opinion qu’on s’est généralement 
formée d’eux seroit bien chimérique ; mais il est 
vrai de dire que, plus aguerris et plus confiants dans 
leur bravoure naturelle, ceux du sud de la Nouvelle- 
Guinée , que nul mélange n’a altérés, ont conservé 
leur indépendance et leurs mœurs agrestes et in- 
cultes. L'état d’hostilité perpétuel dans lequel ils 
vivent rend leur caractère défiant et soupconneux. 
Jamais nous ne visitions un village avec une em- 
barcation montée par un certain nombre d'hommes, 
sans que femmes , enfants , vieillards et guerriers, 
ne prissent la fuite dans leurs grandes pirogues, 
emportant avec eux leurs meubles et leurs effets les 
plus précieux. Dix fois le jour, à la moindre alerte, 
ils nous donnoient l’exemple de ces déménagements 
impromptu, auxquels d’ailleurs ils paroissent très 
habitués. Nos bons traitements, nos présents, par- 
vinrent à les séduire et à calmer leurs inquiétudes ; 
nous devinmes de vrais amis ; on nous montroit 
avec complaisance l’intérieur des maisons , tout ce 
qui pouvoit nous faire plaisir en un mot, excepté le 
logement des femmes. Mais la persévérance, unie à 
un peu d’adresse et escortée de l’à-propos des pré- 
sents, nous fit souvent triompher, en dépit de Ma- 
homet et de ses lois, de linterdit dans lequel gé- 
missoient les recluses : par leur portrait on doit 
préjuger quelle triste opinion les Papous avoient de 
notre goût. 

Les familles établies sur le pourtour du havre de 
Doréry ne tarissoient point sur les éloges qu’elles 
se distribuoient avec complaisance (orangs di Doréi 
bangousse). Les hommes de Doréry sont excellents; 
mais, en revanche et par compensation, ils nous di- 
soient tout le mal possible des Arfackis, et nous 
peignoient les Alfouruus-Endamènes comme des 
hommes très méchants, se cachant dans les brous- 
sailles pour lancer des flèches empoisonnées, et 
coupant la tête à leurs ennemis. Ce récit ne doit 
pas être pris au pied de la lettre, quoiïqu’il renferme 
cependant quelque vérité. Une embarcation bien 
armée, qu’on expédia de la corvette pour lever le 
plan de la côte, trouva partout les Arfackis timides, 
irrésolus, et fayant en grande hâte à son approche, 
sans que les signes d’amitié que les marins leur 
adressoient fussent parvenus à les disposer à avoir 
des communications amicales. Mais cette grande 
frayeur vient sans aucun doute des descentes fré- 
quentes que font les corocores malais sur ces côtes 
pour y enlever des prisonniers, qui sont vendus 
dans les Moluques. Les Endamènes, dispersés par 
familles nombreuses dans des villages palissadés et 
bâtis sur des pieux élevés, sont redoutables aux 


143 


Papouus du nord, qui n’ont point osé s’avancer 
dans le sud , et contre lesquels ils font des expédi- 
tions fréquentes. Ces Endamènes se peignent le 
corps avec des poussières rouges ct blanches, et 
traversent la cloison du nez par un bâtonnet. 

La population dela côte orientale de la Nouvelle- 
Guinée doit être peu considérable. Celle du havre 
de Doréry n’excède pas deux cents à deux cent 
cinquante individus, répartis en trois villages, for- 
més de soixante cabanes au plus. Cette petite po- 
pulation dépend du sultan d’Emberbakène, et est 
régie par un‘capitan qui vint nous rendre visite. 
C’étoit un petit homme grêle, sans influence sur les 
autres habitants , et qui pourroit bien avoir joué le 
rôle de capitan afin de mendier des présents pour 
son véritable chef, qui, suivant l'extrême prudence 
de ces peuples, auroit bien pu ne pas se montrer de 
peur qu’on ne cherchât à l'enlever , ainsi que Pont 
fait fréquemment les Hollandois. La protection que 
les habitants retirent du sultan qui les régit s'obtient 
par les tributs qu’on lui paie eu oiseaux de paradis 
et en productions du pays : ils doivent le soutenir 
dans les guerres qu’il entreprend, et réclamer son 
secours lorsqu'ils sont attaqués. Le chef qui gou- 
vernoit en 4824 se nommoit Fraisinoukou, et pre- 
noit le titre de korano. Son pouvoir est délégué à 
des officiers subalternes divisés en plusieurs classes. 

Plus on s’avance dans le sud de la Nouvelle-Gui- 
née, plus les villages se multiplient ; car on en 
compte seize seulement à partir de Rony : on les 
nomme Sihamisse, Ouai, Kajol, Mounarbouke, 
Mana, Angar, Losouari, Ouamessaire , Ouara- 
pène, Ouaréayi, Kaboo, Ramike, Lasiéi, Ouas- 
siore, Kaïbi,et Dotiré. 

Les demeures des Papous riverains et maritimes 
sont bâties sur l’eau, dans les rivières, ou sur les pla- 
ges abritées des vagues de la haute mer. Est-ce afin 
de se défendre avec plus de succès que les Papous 
ont choisi ce genre de construction si universelle- 
ment répandu chez toutes les tribus qui appartien- 
nent à ce rameau? sont-ils plus à proximité de fuir 
dans leurs nacclles lorsque l'attaque a lieu du côtéde 
la terre, ou peuvent-ils se défendre plus efficacement 
lorsque l'expédition ennemie leur est annoncée de 
loin et vient fondre sur eux par eau? enfin l'influence 
délétère du climat, et les grandes pluies hiémales 
qui les inondent seroient-elles pour quelque chose 
dans cette détermination ? Tout porte à croire que les 
premiers motifs sont les seuls qui leur aient fait adop- 
ter ce genre de construction. 

Toutes les cabanes rangées sur le bord de la mer, 
à plus de quarante pas du rivage, ont quelque chose 
de pittoresque ; mais leur construction est négligée 
et leur apparence misérable. Obligés de décamper 
très souvent, les Papous ne portent presque aucun 
soin à ces demeures que l’ennemi pifle ou détruit, et” 


144 


qu’ils rebâtissent sans beaucoup d'efforts. Elles ont 
toutes la même distribution intérieure, et sont des- 
tinées à loger une nombreuse famille : chacune d’el- 
les se compose de deux files d'appartements que tra- 
verse un large corridor, aboutissant du côté de la 
mer à une plate-forme, et du côté du rivage à une 
sorte de pont en bois. Plus d’une centaine de bran- 
ches d’arbre, fichées dans le sable et hautes de quinze 
à vingt pieds, supportent la maison et les madriers 
transverses sur lesquels est jeté négligemment ce 
qui tient lieu de plancher; mais quel plancher! 
qu’on se figure des branches arrondies prises au 
hasard, posées sur d’autres branches horizontales , 
et si peu solides que nous ne pouvions aller dans ces 
chétives demeures sans trébucher vingt fois, au ris- 
que de nous rompre le cou ou de tomber dans l’eau. 
Telle est la manière dont sont faconnés la plate-forme 
et le carrelage des appartements. Le pont estencore 
plus mal établi, puisqu'il se compose de deux ou 
trois bûcues couchées sur chaque traverse, et qu’on 
enlève la nuit, de manière que les propriétaires 
puissent être entièrement isolés et dormir en paix. 
Leur habitude de marcher sur ces bûchettes trem- 
blantes sous nos pas contrastoit singulièrement avec 
notre maladresse. Quelques Papous ont toutefois 
pris la peine de placer des planchettes ou des mor- 
ceaux de bois fendus dans le corridor central. Les 
appartements qui le bordentsont divisés en une foule 
de petites cellules d’une insigne malpropreté, con- 
sacrées aux divers services de Ja famille. La plus 
grande sert de cuisine , et n’est remarquable que par 
un plateau qui supporte un foyer au milieu; la fumée 
s’échappe par les cloisons comme elle peut : quelques 
poteriesgrossières ornent cette boucanière. Les autres 
appartements sont destinés aux femmes. Celui du 
chef de famille est généralement le plus orné. Une 
natte en vaquois étendue sur le plancher sert de lit 
pour le sommeil, et de sofa pour le- jour. Quatre 
autres nattes de même tissu , grossièrement cousues, 
mais vivement peintes en rouge et en noir, servent 
de tenture, et recouvrent les côtés de ce grotesque 
boudoir. Derrière cette chambre de luxe est le gite 
des dieux de la famille, consistant en idoles sculp- 
tées recouvertes de guenilles sales et puantes. 

Les cloisons des maisons sont faites en lattes de 
bambous, et leur toiture en feuilles de pandanus. 
Chaque village a dans son voisinage plusieurs trous 
dans lesquels les habitants vont puiser de l’eau 
douce, qu’ils conservent dans de gros tubes de bam- 
… bou. Ces maisons , exposées sur l’eau, sont fraîches 
dans leur intérieur, et doivent être saines. Il est 
fâcheux que par l’insouciance de leurs propriétaires 
elles soient si malpropres et construites avec si peu 
de soin. 

Le village de Doréry n’avoit point d'habitants pen- 
dant notre séjour ; peut-être notre voisinage les en 


HISTOIRE NATURELLE 


avoit-ilchassés. Quelques naturels nous dirent qu’il 
n’étoit destiné qu’à recevoir les Papous étrangers du 
nord lorsqu'ils viennent commercer avec les navires 
chinois, malais, ou européens, qui mouillent de 
temps à autre sur cette partie de la côte. Nous vimes 
effectivement tous les naturels qui venoient de loin 
s’y installer pour y faire leur commerce avec nous, 
puis retourner paisiblement dans leurs districts. Ce 
village seroit alors une hôtellerie destinée au premier 
occupant. 

Masinamy a une population assez nombreuse et 
une trentaine de cabanes également sur la mer. Le 
rivage de l’ile Mamasouary est garni de cocotiers, 
tandis que son plateau offre des plantations et est 
recouvert d'arbres magnifiques. On y observe à pro- 
fusion l’amaranthine (gomphræ:a globoxa) et la 
belle poinciade. Plusieurs espèces de piment y vien- 
nent spontanément. Le petit village de Masmapy 
est plus particulièrement occupé par des pêcheurs. 
En traversant cette île on trouve diverses planta- 
tions de taro { arum esculentum). Les cotonniers 
et les ricins y sont communs, et on y voit quelques 
uns des tombeaux élevés par les naturels. 

Tels sont les principaux villages établis à Doréry. 
Quelques autres demeures éparses ont été abandon- 
nées à la suite de guerres toutes récentes. Les Ar= 
fackis ou montagnards ont une manière de se loger 
encore plus extraordinaire peut-être que celle adop- 
tée par la population riveraine. Dans une excursion 
que nous fimes dans l’intérieur, nous nous reposâämes 
dans deux maisons d’Arfackis, situées dans la mon- 
tagne à deux milles de Doréry. En débarquant sous 
les bouquets de cocotiers de ce village on trouve, 
vis-à-vis la dernière cabane, un joli sentier bien 
tracé qui conduit, à travers mille détours, au milieu 
de beaux arbres, au pied d’une haute colline madré- 
porique recouverte d’une couche épaisse d’un humus 
éminemment végétatif. Divers grands arbres, dont 
les troncs gisent sur le sol, servent de ponts naturels 
pour franchir des crevasses du terrain. Au pied de 
la petite chaîne sont de nombreuses plantations de 
bananiers, de patates douces et d’ignames. Les her- 
bes les envahissent, car les naturels se donnent peu 
de soin pour les détruire. Le chemin s'élève assez 
brusquement; les plantations se multiplient : on 
traverse alors un carré palissadé, et sur l’arête de la 
montagne est placée la demeure du Papou monta- 
guard. Cette cabane n’est abordable que par un 
point, et quoique la nature l’ait fortifiée, l'instinct 
ou la défiance des habitants a fait recourir à la res- 
source de la placer sur un grand nombre de pieux 
hauts de vingtà vingt-cinq pieds. Ces cabanes aérien- 
nes sont donc inabordables, à moins d'employer 
pour y monter une tige de bambou entaillé qu’on 
retire en haut chaque soir. De cette manière les ha- 
bitants dorment en paix, et peuvent se défendre avec 


DE L'HOMME. 


avantage s’ils sont attaqués, sans redouter d’être sur- 
pris à l’improviste. Ces maisons aériennes sont beau- 
coup plus petites que celles bâties sur l’eau, mais 
leur distribution est la même. On y entre par une 
très petite porte ; le plancher n’en est pas plus so- 
lide ni mieux fait. Une sorte de balcon a été pratiqué 
du côté opposé à l’entrée, et il donne sur le versant 
roide de la montagne, qui a dans cet endroit plus 
de cent cinquante pieds de profondeur à pic. Comme 
la bâtisse trembloit sous nos pieds, nous avouerons 
que ce n’étoit pas sans crainte de passer à travers le 
plancher que nous marchions dans les divers appar- 
tements de cette aire humaine. Lorsque nous arri- 
vâmes à la maison, les habitants en sortirent pré- 
cipitamment, s’armèrent de leurs flèches, et firent 
mine de vouloir défendre le passage en menaçant 
de tirer. Quelques présents et le mot bati leur in- 
spirèrent des démonstrations plus amicales. Ils nous 
reçurent alors avec une sorte d’empressement, et 
nous offrirent des patates rôties sous la cendre. L’un 
d’eux nous accompagna dans la montagne, près d’une 
source d’une eau très fraiche qui coule abondamment 
dans une ravine. Notre guide poussa un grand cri, 
auquel répondirent d’autres Papous. C’étoit sans 
doute une sorte de mot d’ordre, car nous nous vimes 
bientôt entourés de naturels. À quelques pas sur 
une hauteur étoit aussi leur cabane perchée comme 
la première sur de nombreux poteaux. À un signal 
que fit le propriétaire, nous vimes les femmes se 
cacher avec empressement , mais en mettre davan- 
tage encore à nous considérer à travers les fentes 
des cloisons. Le bas des piliers qui supportoient la 
cabane étoit fermé comme un pare jusqu’à hauteur 
d'homme, et servoit à retenir quelques cochons 
élevés en domesticité, et dont l’espèce sauvage existe 
dans les bois. 

Ces naturels mettent le feu aux arbres lorsqu'ils 
veulent déblayer quelques portions de terrain. Ils 
entretiennent la combustion qui doit consumer les 
troncs qui sont tombés sur le sol ; ils y plantent en- 
suite des patates, des haricots, du maïs, et surtout 
une espèce de millet qu’ils aiment beaucoup, et y 
placent des bananiers, des papayers, des courges, 
et quelques arbres à pain. Nous suivimes quelque 
temps le sentier qui serpente sur le plateau de cette 
haute colline, malgré les instances que les habitants 
faisoient pour s’y opposer. Nous avons su depuis que 
ce sentier conduisoit à un village établi sur la côte 
en face de Doréry. Nous rétrogradämes à la grande 
satisfaction de nos guides, qui se montroient d’une 
singulière adresse pour découvrir des insectes ou 
trouver au plus épais des broussailles le gibier que 
nous abattions. 

Les Papous mélangés et hybrides, dont l'aspect 
est si misérable et prévient si peu en leur faveur, se 
composent d'hommes libres et d'esclaves. Ceux-ci, 

L 


145 


enlevés par trahison ou par surprise aux tribus voi- 
sines, servent dans les maisons, sont occupés à pré- 
parer la nourriture de leurs maîtres, se livrent à la 
pêche et à tous les travaux les plus rudes. A chaque 
instant ils peuvent changer de propriétaire, et cet 
état leur semble tout naturel : mais ils sont géné- 
ralement traités avec douceur, c’est-à-dire que leur 
esclavage n’est point rendu plus pénible par de mau- 
vais traitements. Peu de temps avant notre arrivée 
les habitants de la côte nord-est avoient dirigé une 
expédition contre la population d’une petite île si- 
tuée dans le détroit de Dampier, en avoient massacré 
les guerriers, et réduit en esclavage quelques indi- 
vidus des deux sexes. Un de ces insulaires, que nous 
avons eu occasion de voir, portoit sur sa physiono- 
mie les traces les plus apparentes d’un chagrin vio- 
lent et concentré. 

Les habitants de Masinamy ont souvent de vives 
alertes. Lors de notre séjour quelques pirogues éloi- 
gnées, mais amies, vinrent de la grande terre, en 
doublant la pointe sud, pour commercer avec nous. 
Les Papous de Doréry les prirent pour des pirogues 
d’Alfourous ou d'Endamène:, parce qu’elles avoient 
des voiles blanches : ils poussèrent de grands cris, 
s’assemblèrent en tumulte, en s’armant d’arcs et de 
flèches; et pendant ce temps les femmes et les en- 
fants s’'embarquoient dans Les pirogues avec les vi- 
vres et leurs effets les plus précieux. Au bout de 
quelque temps leurs craintes se dissipèrent. Cette 
scène remarquable se renouvela plusieurs fois ; car 
ceux qui se trouvoient à bord de notre navire s’en- 
fuyoient au plus vite en exprimant par leurs signes 
qu’il ne s’agissoit rien moins que d’être mis à mort 
s’ils étoient pris par les Alfourous. Du reste les Pa- 
pous de Doréry nous montroient avec orgueil, et 
comme un trophée, une douzaine de crânes des hom- 
mes de l’intérieur qu’ils avoient tués dans une atta- 
que de ce genre. Ces crânes, bien conservés, étoient 
suspendus à la partie extérieure des maisons. L’oc- 
casion étoit trop belle pour être négligée : aussi 
la veille de notre départ nous enlevâämes pendant la 
nuit ces crânes, dont nous avons donné précédem- 
ment la description anatomique. 

La plupart des Papous portent les traces indélé- 
biles des attaques, des embüûches, qu’ils se tendent 
réciproquement de tribu à tribu. Il en est peu qui 
n'aient des cicatrices de blessures par les traits qu’ils 
lancent avec une merveilleuse adresse. Quelques 
uns en ont le corps couvert. Aussi un Papou est tel- 
lement habitué à se défendre à chaque instant de sa 
vie, qu’il ne fait pas un pas sans avoir avec lui une 
provision considérable de flèches renfermées dans 
un carquois de bambou, et au moins deux arcs ten- 
dus. Le pêcheur, qui seul dans sa frêle pirogue darde 
le poisson, n'oublie jamais ce moyen de protection. 
Toutes les embarcations qui venoient commercer le 

19 


146 


long de la corvelte en avoient des provisions consi- 
dérables, dont elles ne vendoient que le supertlu. 
Il est étonnant que quelques Papous n’aient pas cher- 
ché à se procurer des armes à feu et des munitions, 
bien plus efficaces que le genre d’armes dont ils se 
servent: mais on voit au contraire qu’elles leur font 
peur, et il en est peu qui osent tirer un fusil. El n’est 
pas probable au reste que cette habitude de se faire 
suivre par un attirail de guerre ne soit qu'un inutile 
simulacre; il faut nécessairement que la crainte et le 
besoin de s’en servir leur en fassent une loi. 

Les Papous sont entièrement nus; ils couvrent seu- 
lement les parties naturelles par une étroite feuille 
de bananier. Le maro des femmes est un peu plus 
large, et se compose d’un morceau de toile bleue 
de Surate, sur laquelle elles ajoutent une ceinture 
rouge de même étoffe. Quelques mahométans entou- 
rent leur tête avec des mouchoirs qu’ils obtiennent 
en échange de leurs marchandises, et qu’ils dispo- 
sent en forme de turban. Ceux qui portent des che- 
mises et des calecons sont des trafiquants habitués 
à naviguer dans les Moluques ou sur les côtes, et 
qui s’intitulent du nom de capitans. Les Papous ne 
se servent guère, pour s’abriter de la pluie, que de 
nattes de vaquois et de chapeaux faits à la chinoise 
avec ces mêmes feuilles. Quelques uns de ces cha- 
peaux sont artistement travaillés et ornés de cou- 
leurs très vives formant des dessins réguliers em- 
bellis par des morceaux de talc. Les Papous du 
reste font peu de cas des étoffes, à moins qu’elles 
ne soient légères et surchargées de peintures dans 
le goût chinois. Ils préfèrent à tout des piastres, et 
même une seule à plusieurs brasses de toile. Les 
Malais leur ont sans doute donné ce désir effréné 
qu'ils manifestent pour lPargent, car ils estiment 
presque à son égal le fer-blanc, qui lui ressemble. 
Ces deux métaux servent à leur parure; ils en font 
des anneaux, dont ils s’entourent les bras et les 
avant-bras. Certains naturels portent au poignet des 
bracelets d'argent massif, dont la valeur est de plu- 
sieurs piastres : ils sont arrondis, cannelés, chargés 
de quelques dessins, et ne forment que les deux 
tiers d’un cercle, afin de pouvoir être placés et ôtés 
à volonté. Les Papous recherchent en général les 
objets qui peuvent servir de décoration ; ils portent, 
comme les naturels de la Nouvelle-frlande , des bra- 
celets en ivoire (1), qu’ils nomment sanfar : comme 
eux encore ceux des districts plus sud se percent la 
cloison du nez, et y placent un petit bâtonnet, Le 
meuble d’une indispensable nécessité pour tous est 
un long peigne en bambou ou en bois qui s’enfonce 
dans la chevelure, et qu’on enjolive avec des des- 


(") Ces bracelets sont absolument identiques, par la 
forme, à ceux qu'on trouve passés dans les bras des 
momies égyptiennes, 


HISTOIRE NATURELLE 


sins, des morceaux de nacre, ou de longues plumes 
qui flottent sur la tête. Quelques habitants avoient 
l'extrémité de ce peigne terminée par une tête de 
Papou très bien exécutée en petit, et recouverte 
aussi d’une chevelure hérissée. [ls portent commu- 
nément suspendus au cou des morceaux de bois en« 
veloppés de guenilles, qu’ils regardent comme sa- 
crés : ils les nomment aa, et croient fermement, 
lorsqu'ils ont marmotté quelques paroles et fait un 
simulacre qui approche du signe de la croix des ac- 
tholiques, que ces idoles (car ils leur donnent parfois 
la physionomie humaine) jouissent de la propriété 
de les garantir des blessures de leurs ennemis ou de 
les guérir promptement. Ces amulettes paroissent 
être l’objet d’une sorte de vœu lorsqu'ils se trouvent 
dans quelque position périlleuse , et ils ne les aban= 
donnent jamais par la suite. 

Les Papous emploient aussi le tatouage, qu’ils 
nomment panaya; il ne se compose que de traits 
légers, peu apparents sur leur peau noire. Ce sont 
généralement quelques lignes sur le front et sur la 
poitrine. Les femmes sont beaucoup plus tatouées 
que les hommes, et se couvrent le visage, les seins 
et les épaules de marques légères et délicates. L’u- 
sage de mâcher le bétel est peu répandu, et n’est 
familier qu'aux descendants des Malais. Mais ce qui 
est généralement suivi par tous les Papous indistinc- 
tement, et ce qui est propre à la race nègre océa- 
nique, c’est la mode de faire naître des cicatrices en 
relief sur la poitrine et sur les bras. Les petits gar- 
cons et les filles qui n’ont pas atteint l’âge de puberté 
vont dans un parfait état de nudité. 

Ces naturels ne savent préparer aucune étoffe : 
celles qu'ils ont leur viennent des trafiquants in- 
diens. Ils achètent leurs maros aux Arfackis, et 
leurs toiles aux Malais et aux Chinois. Leur seule 
manufacture ne consiste qu’en nattes de feuilles de 
pandanus, qu’ils découpent quelquefois avec beau- 
coup d'adresse (1). D'ailleurs, indolents et paresseux, 
sans industrie perfectionnée, les Papous vivent dans 
une profonde apathie, et n’ont conservé que les pro- 
cédés nécessaires et dévolus aux femmes pour fabri- 
quer de la poterie. Ces pots de terre sont aussi bien 
faits que ceux des potiers d'Europe, et on emploie 
à leur confection une argile grise très ductile qui 
est pétrie avec soin et débarrassée de toute impureté. 
A l’aide d’un caillou arrondi l’intérieur est façonné, 
puis l’extérieur, qu’on recouvre de quelques petits 
dessins. Ces vases sont ensuite exposés au soleil, où 
ils durcissent suffisamment, et leur cuisson est quel- 
quefois obtenue à l’aide d’un feu clair de büchettes 
taillées exprès. Cette poterie se nomme ourène. 


(") Ce qui est remarquable est la vivacité des couleurs 
qu’ils emploient pour les teindre, Le rouge et le jaune 
ont de l'éclat ; le noir est fourni par un pelit fruit ar- 
rondi et aggloméré de leurs forêts, 


DE L'HOMME. 


Les Papous ont un goût particulier pour tailler le 
bois, le façonner en idoles, qu’ils placent sur leurs 
tombeaux ou dans leurs maisons. Le devant de leurs 
pirogues est même ordinairement chargé de sculp- 
tures d’un goût singulier et grotesque. Leurs oreil- 
lers (!), comme ceux des Papous de l’ile d'Ouarido, 
sont en bois dur travaillé avec soin. 

Les meubles d’un usage journalier sont peu nom- 
breux, et attirent l’attention plutôt par l’enfance de 
l’art qui a présidé à leur confection que par leur 
élégance. Ils consistent en poteries en terre pour 
cuire les aliments, en vases de bois pour les servir, 
en bambous dont les cloisons noueuses sont perfo- 
rées pour contenir une grande quantité d’eau, en 
pautiles qui servent de verres pour boire, en pa- 
niers ou en sacs en paille coloriés et tressés pour 
contenir les vivres secs, surtout les légumes. Des 
parures bizarres et grossières occupent les endroits 
apparents de la cabane, et servent sans doute à des 
époques intéressantes, soit pour quelques cérémo- 
nies religieuses, soit pour des danses et pour des 
jeux. L’ornement qui nous a le plus frappé est une 
calotte surchargée de rosaces et de fleurs artificielles 
de diverses couleurs imitant des fleurs de lis, et 
analogues aux couronnes des cérémonies religieuses 
de la fête de Dieu chez les catholiques romains. La 
même forme, la même disposition, le même goût, 
ont présidé à leur confection ; et si l’on joint à cela 
un véritable signe de croix que les naturels prati- 
quent avec les amulettes qu’ils suspendent au cou, 
la connoissance d’un Dieu bon et celle d’un mauvais 
esprit, un grand respect pour les morts et pour leurs 
tombeaux, on sera tenté de reconnoitre dans ces 
coutumes quelques unes des pratiques des Abyssins 
qui professent le christianisme. Quant aux vrais Pa- 
pous, ils paroissent être idolâtres dans toute l’aecep- 
tion du mot, quoique pendant notre séjour nous 
n’ayons pu pénétrer aucune de leurs pensées sur la 
religion ou sur quelques unes de leurs coutumes aux 
époques marquantes de la vie. 


Le seul instrument de musique que nous ayons 
vu est le tamtam, sorte de tambour très répandu 
parmi les peuples de race nègre. Sa forme est ana- 
logue au tamtam des habitants de la Nouvelle- 
Irlande. C’est un cylindre creux d’une seule pièce, 
s’amincissant à une extrémité et chargé de quelques 
petits enjolivements. Une peau de lézard est tendue 
sur la plus large ouverture, tandis que celle opposée 
en est privée, Ils frappent sur cette peau vibrante 
avec la main, et s’accompagnent de la voix. Mais, 
comme le caractère de ce peuple est mélancolique, 


(») Ces oreillers, sur lesquels sont souvent sculptées 
des têtes grossières de sphynx, sont trouvés tous les 
jours sous les têtes des momies d'Égypte. Cette analo- 
gie est des plus remarquables. 


147 


sérieux , livré à la défiance, un seul naturel voulut 
bien nous donner un léger échantillon de son talent, 
qui n’avoit rien de bien séducteur. Rarement les 
Pepous ont le sourire sur les lèvres, ou se livrent à 
la joie : leur physionomie conserve toujours quelque 
chose de la crainte et de la barbarie qui resserrent 
leur âme et la flétrissent. 

Les femmes sont chargées des plus rudes travaux, 
Plusieurs fois, lorsque nous visitâmes le village, nous 
les avons vues occupées à fabriquer des vases, porter 
des fardeaux, aller chercher de l’eau, faire la cui- 
sine, Elles accompagnent leurs maris à la pêche ; 
elles nagent dans les pirogues. Quelques unes vin- 
rent le long de la corvette ; mais leurs époux, lors- 
qu’ils y étoient montés, les renvayoient, et forcoient 
ces malheureuses à pagayer pendant une demi-jour- 
née à deux encäblures du navire, afin d'éviter tout 
contact avec nos matelots. 

Les femmes ne sont considérées que comme des 
créatures d’un ordre inférieur ; et lorsqu'elles meu- 
rent, elles sont enterrées simplement aux pieds de 
leurs époux, n'ayant sur leur sépulture qu’une pe- 
tite idole et quelques poteries ébréchées, tandis que 
le tombeau des hommes est fait avec beaucoup plus 
de soin, et se compose d’une charpente recouverte 
d’un toit de vaquois, bordée de rampes en bois tra- 
vaillées à jour. Plusieurs idoles recouvrent le sol, 
qui est gratté avec soin; et divers morceaux d’étoffe, 
flottant au bout d’un bâton, servent d’étendards. 
Nous ne vimes toutefois cette dernière décoration que 
sur un seul sépulere de la petite île de Masmapy. 

La polygamie est autorisée dans les mœurs des 
Papous, et quelques uns ont puisé avec les Malais 
des idées très grossières de mahométisme. Leur re- 
ligion paroîtroit un mélange de fétichisme et d’idold- 
trie, accompagné de rites superslitieux et aveugles 
unis à des idées assez nettes sur la résurrection des 
âmes, sur une vie éternelle et heureuse, Le grand 
respect qu'ils portent aux mânes de leurs parents et 
de leurs amis, le soin qu’ils ont de leur sépulture, 
ne peuvent découler que de la consolante pensée 
d’une vie future. Les idoles qu’ils conservent avec 
soin et dans leurs maisons, sont l’objet de leurs in- 
vocations et de leurs prières, et peut-être en ont-ils 
qui représentent le génie du mal et le Dieu éminem- 
ment bon et bienfaisant. IL nous seroit difficile de 
pouvoir pénétrer dans quel but ils ont élevé l’idole 
que nous avons apportée, et qu’on voit aujourd’hui 
au Muséum : cette idole étoit conservée avec soin 
dans une petite loge secrète d’une grande cabane , 
et représente un homme assis haut de deux pieds. 
La tête est un plateau de bois sur lequel on a posé 
un crâne humain entier et bien conservé, ayant pour 
remplacer les yeux des morceaux de nacre taillés 
en rond et des couches de mastic pour simuler les 
chairs de la face, Cette pièce singulière doit rappeler 


1458 


quelques idées mystiques dont rien ne peut nous dé- 
celer le sens. Cette sculpture étoit entourée d’idoles 
plus petites, et toutes étoient revêtues de morceaux 
de linge enfumés. Il reste à savoir si c’est le crâne 
d’un aïeul ou d’un père que la famille vénéroit, et 
dont elle chérit la mémoire, ou si c’est un holocauste 
offert à Moloch dans la possession du crâne d’un 
ennemi mis à mort. Les Papous, en effet, croient- 
ils priver leurs adversaires d’une vie heureuse lors- 
qu’ils exposent leurs têtes sur les percles de leurs 
maisons ? ou n’en font-ils qu'un trophée qui doit me- 
nacer d’un sort pareil quiconque tenteroit de les 
attaquer? Quelques unes de ces hideuses coutumes 
se retrouvent dans les grandes îles de la Sonde et 
des Moluques. 

L’abondance des vivres rend la vie des Papous de 
Doréry aisée et facile. Leur aliment principal est le 
sagou, qu’ils cuisent sous forme de pains aplatis et 
carrés, ou bien encore dars des feuilles. C’est aussi 
de cette dernière manière qu'ils préparent le poisson, 
dont la chair acquiert par ce procédé une grande 
délicatesse, Ils sont encore dans l’usage de boucaner 
et sécher les chairs des animaux, celles des squales 
et des holothuries. Ils ont la même méthode que les 
habitants de Waigiou, de ne cuire les aliments prin- 
cipaux que par la chaleur qui se dégage d’un foyer 
au-dessus duquel ils les placent. Ils soumettent à 
l’ébullition les pois, les haricots, qu’ils cultivent 
pour leurs provisions de réserve, ainsi que le maïs 
et le millet. Ils font rôtir sous les cendres d’excel- 
lentes patates, les ignames et les taros. Les Papous 
allument du feu avec beaucoup de prestesse par le 
frottement d’un morceau de bois sur un bambou. Ils 
ont de longues torches de résine de dammar pour 
s’éclairer ; et lorsqu'ils naviguent dans leurs piro- 
gues, ils ont toujours un tison bien épris destiné à 
allumer leurs cigarettes roulées dans une feuille 
de vaquois, dont ils font une grande consommation, 
car ils fument presque constamment. Ces peuples 
font trois repas; ils dorment après celui du milieu 
du jour. Chaque repas est très long, et se termine 
par des sortes d’ablutions, ces naturels aïant soin de 
se laver la bouche et les mains. Ils ne boivent que 
de l’eau pure. Plusieurs de ceux qui ont eu des rela- 
tions avec les Européens demandoient des liqueurs 
alcooliques, dont ils avaloient de grands verres 
d’un seul trait; mais la plus grande partie ne vouloit 
point en goûter, et redoutoit surtout l'ivresse qui en 
est la suite. 

C’est le seul peuple auquel nous vimes manger, 
non pas la chair des cocos, mais bien le brou qui 
enveloppe la noix. Lorsque les cocos sont jeunes, ce 
brou a en effet le goût de la tige d’un chou d'Europe. 

De cette vie active et naturelle les Papous, comme 
tous les hommes stationnaires dans leur civilisation, 


HISTOIRE NATURELLE 


perfectionnés, un instinct animal très étendu, tan- 
dis que la civilisation a fait perdre ces avantages à 
l’homme social en lui faisant acquérir un plus grand 
développement de l’entendement et du génie. Leur 
vue est perçante; et leur main, suivant le mouve- 
ment de l’œil, lance des javelines à trois pointes, 
qui, décrivant une légère parabole, frappent le pois- 
son à une certaine distance. Des Papous nous firent 
très souvent juger de leur adresse autour du navire 
en se livrant à ce genre de pêche. Ils se servent 
aussi de diverses sortes de filets et de nasses : mais 
ils emploient pour les poulpes le même genre d’in- 
strument en cloche et avec des branches épineuses 
que nous avons vu très commun dans les mains des 
naturels de la Nouvelle-Bretagne. Ils nagent bien 
et long-temps, et plongent pour chercher des co- 
quilles. Ils ont l'habitude de rester ainsi sous l’eau, 
et y demeurent plus que ne le pourroit faire un na- 
geur européen. Nous avons vu un Papou s’enfoncer 
à plus de soixante pieds et détacher les filets de nos 
pêcheurs pris dans les coraux. 

Leurs armes sont les flèches et des javelines en 
bois très dur, dont l’extrémité est armée d’un bam- 
bou aiguisé et taillé en fer de lance, au-dessous du- 
quel pend un gros flocon de plumes de casoar. Mais 
l'arme sur laquelle les Papous comptent le plus est 
la flèche, qu’ils portent toujours avec eux par pa- 
quets qui en contiennent des milliers. Les unes, ce 
sont les ordinaires, n’ont qu’une pointe de bois ai- 
guë ; les autres ont aussi des morceaux de bois dur 
qui sont très soigneusement barbelés et aiguisés, 
dont la blessure est dangereuse. Les plus grandes 
sont garnies de lames en os ou de pointes d’os diver- 
sement taillées et aiguisées. Leurs tiges sont ornées 
de divers dessins exécutés par le moyen du feu. Ils 
enveloppent les extrémités pointues avec une résine 
rouge. Quoiqu'il faille beaucoup de temps pour fabri- 
quer ces flèches, ils les vendent pour peu de chose, 
et paroissent avoir des hommes occupés à ce seul 
travail. Leurs arcs sont en bambou, et la corde en 
rotang. Quelques arcs plus soignés sont en bois dur 
et souple, et cerclés de distance en distance. Les 
Papous ont un coup d’æil juste, et leurs flèches frap- 
pent le but à une grande distance, ou, lorsqu'il est 
petit, elles en passent très près. Quelques ares plus 
minces et des flèches faites avec des rachis de folioles 
de latanier sont employés à la chasse des oiseaux pré- 
cieux. Es vontalors les attendre la nuit sur les arbres 
qu'ils fréquentent, et ils les tirent de très près. 

Les Papous des bords de la mer aiment la navi- 
gation ; ils s’y livrent d'autant plus volontiers qu’ils 
peuvent se procurer par elle un accroissement en 
vivres, et qu'elle assure en même temps leur indé- 
pendance contre les attaques des habitants de l’in- 
térieur. Leurs pirogues longent les côtes que baigne 


ont acquis une très grande adresse, des sens très ! une mer ordinairement calme et paisible, et ils vont 


DE L'HOMME. 1 


de point en point trafiquer avec les tribus amies. 
La grandeur de leurs pirogues varie. Il en est de 
très petites, destinées à un seul homme. Celles qui 
servent aux voyages lointains peuvent recevoir dix 
pagayeurs avec un approvisionnement considérable 
en vivres, en eau et en objets de commerce. Ces pi- 
rogues à légère plate-forme au centre ont deux ba- 
lanciers, sur lesquels sont des traverses où reposent 
les mâts avec leurs voiles et leurs agrès. Un seul 
tronc d’arbre creusé sert à leur construction, et ils 
en font de très grandes avec les arbres gigantesques 
qui peuplent les forêts. Une de celles qui vinrent le 
long du hord avoit plus de soixante pieds de lon- 
gueur, et nous admirämes la taille du géant végétal 
dont elle étoit extraite. Chaque village possède quel- 
ques corccores plus grands, recouverts d’un toit de 
feuilles et formés par des bordages assemblés et en- 
duits de résine. Les voiles sont Le résultat de lisières 
de vaquois grossièrement assemblées. Les pagaies 
pe diffèrent point de celles de Waigiou. Les Papous 
renferment, lorsqu'ils sont en voyage, leur provi- 
sion d’eau douce dans des bambous, et relächent au 
premier endroit venu de la côte pour faire leur repas 
et l’y préparer. 

Le goût des Papous de Doréry les porte vivement 
au commerce; ils savent adroitement lirer parti du 
désir qu’on manifeste de l’objet qu’ils possèdent. 
Leur patience est à toute épreuve; leur tenacité pour 
obtenir un prix qu’ils convoitent ne cède devant au- 
cune considération. Leur indécision est rebutante, 
et souvent ils n’ont aucune idée de la valeur de ce 
qu’ils possèdent ; pour un oiseau de paradis comme 
pour un panier de pois ils demanderont indifférem- 
ment une piastre. 

Ils aiment l'argent avec une sorte de fureur, et 
donnent le second rang au fer-blanc coupé par la- 
nières , ou aux rasoirs. Les grands couteaux dont ils 
se servent, qu'ils estiment beaucoup, viennent des 
Moluques, surtont de Ternate, et sont des sortes 
de hachettes qu’ils emploient utilement dans leurs 
constructions et même comme moyen de défense. 
Ils reçoivent avec plaisir du linge et des toiles de 
coton rouges ou bleues à larges carreaux, de petits 
miroirs, des vases en verre, des mouchoirs rouges ; 
mais ils ne font aucun cas de nos haches, des ou- 
tils de fer, des scies, etc., dont ils ne savent point 
se servir. 


La langue des Papous riverains, dont il ect ques- 
tion dans cet article, est depuis long-témps corrom- 
pue par l’introduction de mots malais ; car plusieurs 
naturels parlent très bien cette langue qui s’est ré- 
pandue dans toute la Polynésie, et qui est indispen- 
sable pour naviguer et voyager au milieu des îles de 
cette partie du monde, 


ES 
Lee 


TABLEAU PHYSIQUE 
PE LA NOUVELLE-HOLLANDE. 


La plupart des géographes romment Nouvelle- 
Hollande cette île immense ou plutôt ce continent 
qui s'étend dans l’hémisphère austral, entre 411° 
et 151059! delongitude est, et entre t1cet59° 15'de 
latitude sud , et semble former le lien de pondération 
de cette portion du globe, en s’avançant dans le sud, 
comme le font les extrémités méridionales de lA- 
frique et de l’Amérique. Ce continent, sorti le plus 
récemment des eaux , et qu’on pourroit à bien dire 
appeler nouveau continent, a recu de plusieurs géo- 
graphes les noms de Notasie et d’Australarie; mais 
ce dernier impliquant avec lui une fausse idée a été 
changé par les Anglois en celui d'Australie, beau- 
coup plus euphonique et plus convenable. 

La Nouvelle-Hollande, ainsi nommée du pays des 
premiers navigateurs qui la découvrirent, ou PAus- 
tralie, a long-temps été regardée comme un vaste 
continent s'étendant jusque vers le pôle, destiné à 
remplacer les masses de terre qui constituent la 
plus grande partie de l'hémisphère sud, et à former 
un poids que d’anciens auteurs des théories de la 
terre croyoient indispensable à l’équilibre du globe 
dans ses révolutions avec le soleil : ils la nommoient 
les terres australes inconnues. 

£a Nouvelle-Hollande comprend dans sa plus 
grande étendue, de l’est à l’ouest, à peu près mille 
lieues, et du nord au sud, du cap York au promon- 
toire Wilson, six cent vingt-cinq lieues ; elle a plus 
de trois mille deux cent cinquante lieues de péri- 
mètre. Sa forme est celle d’un ovale saillant à sa 
partie supérieure, et profondément concave infé- 
rieurement. Sa surface est évaluée à trois cent qua- 
tre-vingt-cinq mille lieues. 

Baignée sur la côte occidentale par l’océan Indien, 
à l’est par le Grand-Océan , l'Australie a pour limi- 
tes au sud la terre de Diémen ou Tasmanie, et 
le Grand-Océan austral ; au nord elle est séparée de 
la Nouvelle-Guinée et des nombreux groupes des 
iles Moluques, d’une part, par le détroit de Tor- 
rès, de l’autre par les mers peu étendues de Timor 
et des Petites-Moluques. Ses bords sont morcelés 
en ports et en havres spacieux ; mais c’est principa- 
lement lerivegeseptentrional qui en présente le plus. 

Le pourtour decette grande ile offre un coup d'œil 
très varié, ayant en quelques lieux , à la distance de 
plusieurs milles, des chaines d’îles petites et stéri- 
les ; en d’autres endroits le rivage est escarpé et 
inaccessible, tandis qu’au nord surtout, et dans le 


150 


golfe de Carpentarie , il est très plat et d'apparence 
sablonneuse et nue. Il y a sur la côte orientale une 
singulière chaine d’écueils de corail, qui, selon le 
capitaine Flinders, suivent la côte dans une direc- 
tion du sud-ouest au nord-ouest, du vingt-troisième 
degré de latitude sud jusqu’au détroit de Torrès, 
sous les noms de récifs de la Barrière, du Labyrin- 
the , ou de la Grande-Barrière. Cette chaine immense 
de rochers et d’iles est à des distances diverses de 
la terre : au sud, elle est à vingt-cinq ou trente 
lieues du rivage, dont elle s'approche en avançant 
au nord, et fiit par le joindre. On a trouvé dans ces 
écueils des goulets praticables : le capitaine Flin- 
ders y pénétra , sous 18° 52! de latitude, par un pas- 
sage qu’il croit n’avoir pas plus de cinq lieues. Un 
autre natigateur parvint à gagner l'Océan par un 
canal long et embarrassé, sous le vingt-deuxième 
degré de latitude. La largeur de ces écueils, que 
Flinders nomme Barrierrefs, paroit être de quinze 
lieues; elle se réduit parfois à douze et même à 
huit. Il y a des îles nombreuses entre ces rochers et 
le rivage, mais il n’y a d’écueils que ceux qui en- 
tourent ces îles; de sorte que cet espace enclos, 
protégé contre les fureurs de l'Océan, donne de 
grandes facilités pour un commerce côtier. Hors de 
cette barrière la mer paroit avoir une grande pro- 
fondeur, et brise avec furie sur les coraux ; mais sur 
les rochers et dans leurs environs la sonde atteint 
le fond, bien que celui-ci soit inégal, et varie, à 
mesure qu’on avance au nord, de soixante à qua- 
rante-huit, trente-cinq, trente, et même vingt 
brasses. 

Nous ne citerons point ici tous les caps, toutes les 
baies qui bordent, dans son immense contour, le 
continent qui nous occupe. Les principaux promon- 
toires, ceux qui semblent marquer les limites des 
diverses régions de la Nouvelle-Hollande, sont, à 
l’ouest, les caps Vlaming et Leeuwin, et la pointe 
Escarpée, la plus occidentale de ce continent; les 
caps Howe, Melville, Sandy et Byron, à l’est; 
York, au nord; et Wilson et d'Entrecasteaux, au 
midi. Mais ces terres reculées dans le sud, non 
encore vivifiées par le génie de l’homme, sont riches 
en souvenirs glorieux pour la France, et rien ne 
pourra jamais dépouiller leurs bords des noms célè- 
bres qui attestent les recherches aventureuses de nos 
compatriotes, bien que les Anglois suppriment sur 
leurs cartes le plus qu’ils peuvent de ces noms, qui 
font la gloire de notre patrie. Certes notre justice et 
notre impartialité nous portent à avouer que Flin- 
ders a beaucoup fait sur les côtes de la Nouvelle- 
Hollande; mais est-il juste d’appauvrir, ainsi que le 
font ses compatriotes, les découvertes de Baudin 
pour enrichir les siennes ? 

Peu de contrées offrent un plus grand nombre de 
havres spacieux, de ports commodes et sûrs, que 


HISTOIRE NATURELLE 


la Nouvelle-Hollande ; ses côtes, basses et déclives, 
sont ordées d'innombrables ilots dans tout son con- 
tour nord, et morcelées par de vastes et larges baies 
dans sa partie méridionale qui estélevée et abrupte, 
Nous aurons à citer, sur la côte occidentale, l’im- 
mense baie des Chiens-Marins, sur laquelle on a 
déjà tant écrit, et qui ne peut offrir un bon port, 
parce qu’elle est encombrée de banes à fleur d’eau; 
la presqu’ile Péron, qui la divise, est sablonneuse 
et nue, et l’on n’y trouve aucune source d’eau douce ; 
ce n’est pas que cette côte en soit privée : plusieurs 
ruisseaux , et ua entre autres qui coule près du cap 
Leschenault, ont de l’eau limpide ; mais , serpentant 
au milieu de terres noyées, basses, sablonneuses, 
elle devient le plus souvent saumâtre. La mer re- 
monte assez avant d’ailleurs dans la plupart des ri- 
vières de cette partie, et notamment dans celle des 
Cygnes. A la partie sud de la côte occidentale est la 
baie du Géograpbe , et au nord lesilots innombrables 
de l'archipel de Dampier, qui forment une continua- 
tion non interrompue de bancs, de récifs, d’iles, 
sur toute la côté septentrionale, jusqn’au détroit de 
Torrès. Ses rivages ont d’excellents ports : en com» 
mençant par l’ouest, en trouve la baie du Roi-Gcor- 
ges, où coule la rivière des François; cette baie 
offriroit un mouillage sûr aux flottes de toute l’Eu- 
rope. Certes, si la France songe à former un éta- 
blissement de forçats déportés dans ces climats, il 
est bien à désirer qu’elle jette les yeux sur ce havre, 
dont l'expédition d’Entrecosteaux a levé tous les 
plans, et qui lui offriroit d'immenses avantages. Le 
manque d’eau douce dans le port ne seroit point un 
obstacle, et la ville principale de la colonisation 
pourroit fort bien être portée sur la rivière, à douze 
ou quinze lieues dans l’intérieur, tandis que sur la 
baie on se borneroit à établir un poste de débarque- 
ment. Après la baie du Roi-Georges, sur laquelle 
nous croyons inütile de reproduire d’autres détails, 
nous mentionnerons, en avançant successivement 
dans l’est, les archipels de la Recherche et de 
Nuyts, le groupe de l’Investigator, le grand golfe 
de Spencer et celui de Saint-Vincent, l'ile des Kan- 
gourons, et les beaux ports Phillip et Western, Ce 
dernier, visité récemment par M, Howel, dans un 
voyage par terre, depuis Sydney, a reçu, en 1826, 
une colonisation réglée du port Jackson. Placé vis< 
à-vis du port Dalrymple et de Georges-Town, de 
la Terre de Diémen, et au milieu du détroit de Bass, 
ce port est destiné à devenir le point de communi- 
cation, par terre, de la Nouvelle-Galles du sud avec 
la Tasmanie; la navigation de ces deux points se 
réduit à une très courte traversée, tandis qu’aupa- 
ravant lembarquement au port Jackson, pour 
Hobart-Town , n’étoit pas toujours à l’abri de bien 
des contrariétés et même de dangers. La côte nord, 
bordée de terres basses et d’ilots sans nombre, a 


DE L'HOMME. 


recu, en 1826, une coloñie angloise; cette partie 
est encore peu connue sous le rapport de ses ressour- 
ces statistiques. Quant à la côte orientale, elle offre 
les plus grands avantages pour les établissements 
européens : découpée en baies sans nombre, etparmi 
lesquelles nous citerons la baie Jervis, Botany-Bay, 
le port Jackson, la baie Broken , le port Macquarie, 
labaie Moreton, etc., etc.; parcourue par de belles 
rivières , garnie de terres productives, elle jouit de 
tous les avantages qui sont refusés à la plupart des 
autres points de la Nouvelle-Hollande ; c’est aussi la 
seule dans l’intérieur de laquelle on aittenté quelques 
voyages destinés à la faire connoître ,et MM. Oxley 
et Evans, ingénieurs de la colonie des convicts dé- 
portés, se sont avancés à cent soixante lieues envi- 
ron au-delà de la côte, et ont été forcés de rétro- 
grader de ce point par les marécages profonds qui 
arrétèrent leurs pas. Cette partie est sillonnée pres- 
que parallèlement par une chaine de montagnes, 
nommées vers le nord montagnes Bleues, et vers le 
sud Morumbidge. C’est dans cette chaine que les 
principaux cours d’eau connus de la Nouvelle-Hol- 
lande ont leurs sources : l'Hawkesbury et le Pater- 
son, qui se rendent directement à l'Océan, le La- 
chlan et le Macquarie dont le cours supérieur est 
seul connu et se dirige vers l’intérieur. 
Les premiers Européens philosophes et natura- 
listes qui explorèrent les rivages de la Nouvelle- 
Hollande furent frappés des singularités sans nom- 
bre que les productions naturelles leur offroient à 
chaque pas : tout leur parut bizarre et paradoxal, 
sol, aspect, aussi bien que végétaux et animaux. Ce 
caractère d’étrangeté qu'affectoit la nature sur les 
terres australes parut éminemment curieux ; on vou- 
lut s’en rendre compte, et bientôt on tomba dans 
des extrêmes qui vicièrent l’opinion. Il est de fait que 
bien peu d’auteurs ont sur la Nouvelle-Hollande des 
idées fixes et arrêtées, et ceux qui les possèdent ne 
les doivent qu'aux relations des dernières expédi- 
tions, et surtout aux écrits des Anglois établis à la 
Nouvelle-Galles. On ne connoissoit que la lisière la 
plus étroite du pays, on voulut juger de l’intérieur. 
Des marins n’ont visité que les dunes littorales , où 
ils ne trouvèrent point d’eau douce : aussitôt les géo- 
graphes sédentaires en prirent acte, et bientôt on 
accrédita l’opinion que la Nouvelle-Hollande n’avoit 
point de rivières, suivant les uns; que son intérieur 
étoit nu, pelé et stérile; que les habitants buvoient 
de l’eau salée. D’autres prétendirent que tout l’inté- 
rieur étoit occupé par de vastes marécages ; quelques 
uns supposèrent que ce sont des déserts sablonneux, 
et qu’on devroit en tenter l'exploration en y trans- 
portant des tentes , des chameaux : un grave auteur 
a proposé d’en faire la découverte avec des ballons. 
Enfin on trouva des arbres pétrifiés sur une partie 
peu étendue; vite on en conclut « qu’il sembloit 


151 
» qu’on eût porté sur ces lointains rivages la tête de 
» Méduse pour en pétrifier les êtres qui y vivent. » 
De ces versions laquelle croire? car elles sont toutes 
aussi fondées les unes que les autres, et l’on peut 
admettre au centre de la Nouvelle-Hollande, sans 
compromettre sa conscience ; aussi bien des volcans 
que des marais ou des fleuves majestueux et navi- 
gables. Il est de fait qu’on ne connoît rien de l’inté- 
rieur, et que les Européens n’en ont jusqu’à ce jour 
visité que les bords ou plutôt les dunes littorales. 

Les vents par lesquels la Nouvelle-Hollande est 
influencée varient suivant les parallèles sous les- 
quels sont situées les diverses régions de ce vaste 
continent. Ainsi les moussons se font sentir dans la 
partie nord, où règne le plus ordinairement la mous- 
son d’est, et s'étendent jusqu’au vingt-cinquième 
degré à peu près sur les deux côtes occidentale et 
orientale. La portion extra-tropicale, au contraire, 
est soumise à des vents presque constamment de la 
partie de l’ouest, qui semblent régner depuis 500 
sud jusqu’à 45°. Les saisons sont opposées à celles 
d'Europe, et l’hiver commence à la Nouvelle-Hol- 
lande lorsque l’été vient réchauffer nos latitudes. 
L'hiver n’est jamais rigoureux ; seulement il est rez 
marquable par les vents tempétueux et fréquents 
qui élèvent la mer et rendent les côtes si dange- 
reuses ; mais les froids n’y sont jamais de longue 
durée. Nous résumerons pour les saisons de Ja partie 
tempérée de la Nouvelle-Hollande quelques faits 
que nous tenons d'observateurs exacts établis à la 
Nouvelle-Galles du sud. 

La température est assez égale, bien qu’elle 
éprouve des changements brusques et des anomalies 
singulières ; on a même remarqué que la tempéra- 
ture étoit beaucoup plus froide dans l’intérieur, et 
que les hivers y étoient plus rigoureux. Les quatre 
saisons s’y observent, mais dans un ordre inverse 
des nôtres . ie printemps a liea en septembre, oc- 
tobre et novembre; l'été en décembre, janvier et 
février ; l'automne en mars, avril et mai; et l'hiver 
en juin, juillet et août. La première est plus parti- 
culièrement marquée par des brouillards, des nuits 
froides et des jours tempérés ; la deuxième a une 
chaleur excessive vers le milieu du jour, des mati- 
nées et des soirées délicieuses, des calmes ou de 
fortes brises souîMant par rafales, et qui durent deux 
ou trois jours ; l’automne est caractérisé par l’incon- 
stance du temps, par des pluies abondantes: l'hiver 
a des nuits froides, des gelées blanches, et-surtout 
de violentes tempêtes : à cette époque il n’est pas 
prudent de fréquenter les côtes de la Nouvelle Hol- 
lande. Dans l’été le baromètre a pour terme moyen 
28° 5! 8/’, et descend rarement au-dessous de 27v 44 
4"; le thermomètre a pour maximum 260 2! à midi, 
et 28° 2’ à minuit. La température de l’eau est géné- 
ralement de 24° à midi; mais ce qu'on a remarqué 


152 


de plus constant est une chaleur souvent excessive 
dans le jour, et le soir et le matin un froid presque 
glacial, qui convertit les vapeurs en gelées blanches 
sur les montagnes Bleues, et qui paroit pénible à 
supporter. 

La portion méridionale de la Nouvelle-Hollande 
est très salubre, à en juger du moins par le comté 
de Cumberland, de la Nouvelle-Galles, que les An- 
glois ont surnommé le Languedoc austral. Il n’en 
est pas de même de la partie nord : celle-ci est basse, 
marécageuse, soumise à l'influence d’une haute tem- 
pérature, et il en résulte que les dysenteries et les 
fièvres pernicieuses y font de grands ravages, comme 
on en a la preuve par le petit établissement d’An- 
glois nouvellement formé sur le bord du détroit de 
Torrès. La portion occidentale, nue, pelée, privée 
d’eau douce, sur la côte du moins, seroit probable- 
ment aussi le foyer de quelques maladies dont la 
source seroit dans la position même des lieux. Les 
Anglois ont remarqué que les enfants nés dans la 
Nouvelle-Galles du sud acquièrent une taille beau- 
coup plus considérable que leurs pères et mères, et 
que cette règle ne connoit pas encore d'exception. 
Toutefois, quoique salubres, les parties tempérées, 
soumises à ces brusques changements de tempéra- 
ture, occasionnent des inflammations de poumons, 
des catarrhes de toute sorte, dont sont atteints les 
naturels aussi bien que les colons. 

L'aspect général de la Nouvelle-Hollande a une 
physionomie propre : la nature, en créant cette con- 
trée, lui a imprimé un cachet spécial dont rien ne 
peut donner l’idée. La Nouvelle-Hollande ne res- 
semble qu’à elle : aspect géologique, règnes végétal 
et animal, rien ne rappelle ce que l’on voit ailleurs ; 
ses côtes, nues, pelées, teintes de toutes les couleurs, 
et recouvertes par un vaste et immense lambeau de 
sol tertiaire, adapté et flanqué sur le terrain pri- 
mitif de granit, ont quelque chose de repoussant et 
de sombre ; ses murailles de grès, ses pétrilications 
imparfaites, qui saillent çà et là, tout semble prouver 
que ses bords sont sortis récemment du sein des 
mers. Cette large écharpe de grès adossée aux mon- 
tagnes Bleues, et qui en forme le premier plan, 
tandis que la deuxième chaine est granitique, tout 
nous dit, en termes formels, que Australie a long- 
temps été ensevelie sous l’eau , et qu’elle est l’objet 
le plus jeune de la surface osseuse de notre planète. 
De nombreux volcans éteints attestent aussi lin- 
fluence qu’ils ont dû avoir dans la formation de ce 
sol tourmenté; des bancs d’un lignite stratiforme 
très combustible règnent dans plusieurs endroits. 
Le fer est commun à l’état d'oxyde, et nul doute 
qu’on en découvrira des mines susceptibles d’être 
exploitées ; le cuivre paroit assez abondant aussi dans 
quelques unes des petites chaines de intérieur ; mais 
nulle part on n'a rencontré le carbonate de chaux : 


HISTOIRE NATURELLE 


les Anglois ont été obligés de retirer des coquilles 
incinérées cette matière de première nécessité pour 
les bâtisses. Toutefois des cavernes ont été décou- 
vertes récemment, et leur intérieur étoit tapissé de 
staiactites d’un albâtre calcaire très blanc, et très 
propre à la confection des mortiers. 

Sur ce terrain , ou gréseux, ou granitique, chargé 
de dolérite, s’étend une légère couche de sol, tour- 
beux dans les marécages, arénacé et de bruyères 
sur les lieux élevés ; la végétation qui en recouvre la 
masse est donc plus ou moins épaisse, plus ou moins 
clair-semée, suivant l'abondance ou l'épaisseur de 
la couche meuble, En général la Nouvelle-Galles du 
sud est la partie la plus productive et la plus sus- 
ceptible d'agriculture, surtout dans les districts dé- 
couverts au-delà des montagnes Bleues, tandis que 
ce qu’on connoît de la Nouvelle-Hollande propre- 
ment dite atteste une stérilité décidée : des marécages 
profonds, des pâturages sur le bord des rivières, de 
vastes forêts filles du temps, des dunes sablonneuses 
et inanimées, composent donc toute la surface de ce 
continent. D’immenses forêts, formées d’eucalyptus, 
de casuarina, de banksia, et d’arbustes singuliers et 
bizarres, composent les paysages de la partie extra- 
tropicale, tandis que celle qui est renfermée entre 
le tropique du Capricorne et la ligne équinoxiale se 
rapproche, par la nature des arbres et le luxe de la 
végétation, des forêts équatoriales des Moluques. 
Au nord de la Nouvelle-Hollande en effet, là où des 
plages déclives et vaseuses se perdent insensible- 
ment vers la Nouvelle-Guinée, là où le détroit de 
Torrès et ses écueils innombrables établissent une 
séparation de peu de largeur avec le système de terres 
dit des Papous, croissent le bruguiera et les lianes 
des climats chauds; plus au sud, du dixième au 
vingt-cinquième degré, s'élèvent les gigantesques 
pins de Norfolk ou Columbia australis, et les cèdres 
de l'Australie ; plus au sud encore, depuis 50° jus- 
qu’aux côtes les plus méridionales, la végétation offre 
un caractère particulier : les premiers naturalistes 
qui abordèrent à la Nouvelle-Galles du sud, par 
exemple, furent tellement émerveillés à la vue des 
végétaux qui se pressoient sur un seul point, sans 
rappeler aucune des formes des plantes des autres 
climats, qu’ils donnèrent le nom de Botany-Bay au 
havre où ils mouillèrent. Mais ce luxe de plantes, 
alors d'autant plus digne d’être cité que chacune 
d’elles étoit moins connue, cesse à mesure qu’on 
chemine de l’est à l’ouest, et les terres d’Endracht 
et d'Edels sont beaucoup moins riches en espèces, 
bien que celles-ci ressemblent génériquement aux 
plantes de l’autre côte. Certes on doit pardonner 
l'enthousiasme que la végétation de la Nouvelle- 
Hollande inspira aux premiers naturalistes voya- 
geurs : comment en seroit-il autrement à la vue de 
ces végétaux qui décorent aujourd’hui nos serres, 


i 


DE L'HOMME. 


espèces qui ont centuplé les jouissances des florima 

nes, et augmenté la circulation de capitaux; de ces 
mélaleuques , de ces métrosydéros, des peronia, des 
protéa, des platylobium, des lambertia, des bank- 
sia, etc., et de tant d’autres plantes qui rivalisent 
d'éclat, de beauté, et qui rappellent les noms les 
plus recommandables de ces temps? Les prairies 
humides sont ornées par une charmante liliacée 
nommée blandfordia nobilis, et cà et là s’élèvent 
les tiges roides des singuliers æanthoræa et les cônes 
du zamia australis. Tous les végétaux de la Nou- 
velle-Hollande ont un caractère unique, c’est celui 
de posséder un feuillage sec, rude, grêle, aromati- 
que, à folioles presque toujours simples : par toute 
la terre en effet les mimosa ont des feuilles compo- 
sées, mais il étoit donné à la Nouvelle-Hollande d’en 
produire un grand nombre à pétiole devenu feuille 
simple. Cette coupe similaire donnée à la foliaison 
semble être accommodée à la sécheresse du sol, et 
destinée à multiplier les surfaces par où s’opère la 
nutrition du végétal. Un grand nombre de plantes 
d'Europe toutefois se trouvent dans la Nouvelle- 
Hollande : ce sont celles qu’on peut appeler cosmo- 
polites, et qui végètent dans les marais, telles que 
la samole, la salicaire, etc. En dernier résultat les 
forêts de l’Australie ont quelque chose de triste et 
de brumeux qui fatigue la vue; la teinte du feuil- 
lage est d’un vert glauque, monotone; les rameaux 
sont à demi dépouillés de leurs écorces fongueuscs, 
ou celles-ci se détachent par lanières qui flottent au 
gré des vents. 

Les productions utiles fournies spontanément par 
le sol ne sont pas nombreuses. La Nouvelle-Hol- 
lande ne donne aucun fruit édule : aussi quelle mi- 
sère, quel abrutissement présentent les races qui 
vivent sur sa surface, et qui sont forcées de tirer de 
la pêche et de la chasse leur subsistance journalière! 
Cette disette de fruits, de racines nutritives partout 
si abondantes et si communes, est bien remarqua- 
ble : pourquoi ces fruits secs, coriaces, ligneux, in- 
capables de servir aux hommes comme aux animaux? 
Car on ne peut compter comme susceptibles 
d’être vraiment utilisées les petites baies du lepto- 
meria billardieri, dont un seul homme mangeroit 
en un jour tous les fruits qui viennent sur les buis- 
sons d’une lieue carrée de pays ; ni les petites bulbes 
d’orchis et les racines de souchet, que les naturels 
de la côte recherchent avec tant d’avidité : les fucus 
même, rejetés sur les rivages, ne peuvent être de 
quelque secours aux tribus nomades que pendant 
un certain temps de l’année. La Nouvelle-Hollande 
a trop peu de substances utiles à l’homme pour que 
nous puissions les passer sous silence : ainsi nous 
devons mentionner la gomme rouge qui suinte de 
l'eucalyptus resirifera, et qui est analogue à la 
gomme kino, susceptible d’être employée en mé- 

LA 


153 


decine; le thé doux, racine du smilax glyciphilla, 
que les Anglois prennent en infusion comme le vrai 
thé; et la gomme du mimosa decurrens, analogue 
à la gomme arabique, et qui peut être utilisée dans 
la chapellerie. On dit que la gomme du æanthorœæa 
est susceptible de servir d’enduit solide; mais jus- 
qu’à ce jour on n’a rencontré aucun arbre capable 
de fournir du tannin. Quant au phormium tenax, 
que dans plusieurs voyages on a imprimé être pro- 
pre à la Nouvelle-Hollande , il n’y croît point, et 
tous les efforts que l’on a faits pour le naturaliser 
ont même été infructueux. Les ressources fournies 
par le règne végétal peuvent être nulles sous le 
rapport alimentaire, mais sous celui des arts elles 
sont d’une haute importance : on y trouve aussi et 
en abondance des bois de construction; les essais 
qu’on a faits du casuarina ont prouvé que les navires 
construits avec ce bois étoient solides et de longue 
durée. Plus de quinze espèces de bois rouge, blane, 
veinés de toutes couleurs, sont venues offrir d’im- 
menses avahtages à l’ébénisterie : parmi eux nous 
citerons le bois de cèdre (Calidras spiralis. BRowN), 
qui constitue des forêts épaisses aux environs du 
port Macquarie, et qui, mis en œuvre par les 
mains européennes, acquiert un poli et un éclat 
qui le font rivaliser avec le plus beau bois des 
Antilles. 

Ainsi done toute la moitié inter-tropicale de la 
Nouvelle. Hollande produit des plantes des climats 
chauds, et plusieurs espèces de muscadiers notam- 
ment : aussi les Anglois y ont-ils établi des cultures 
d'indigo, de café et de cannes à sucre ; tandis que 
la partie méridionale, au contraire, ayant sa flore 
spéciale, est la seule qui convienne aux arbres à fruit 
de l’Europe : on peut affirmer, par exemple, que 
le pêcher s’y est assez bien naturalisé pour croître 
même à l’état sauvage; la vigne toutefois a été plus 
rebelle, et semble ne point s’accommoder des va- 
riations subites de la température. 

Si la botanique est remarquable par elle-même, 
et si elle donne à la Nouvelle-Hollande une phy- 
sionomie aussi spéciale, le règne animal lui imprime 
encore un caractère plus étrange et plus étonnant 
peut-être. Tous les animaux du globe ne sont pas, 
on le sait, façonnés sur le même type; mais les es- 
pèces vulgaires ou celles plus petites, bien que dis- 
tinctes, appartiennent souvent à des genres plus 
ou moins analogues. À la Nouvelle-Hollande, au 
contraire, rien de cela n'existe: tous les animaux 
qui y vivent, qu’ils soient carnassiers, rongeurs, etc., 
qu’ils affectent les formes corporelles les plus op- 
posées, se ressemblent par un seul caractère, qui 
est une double poche ou la marsuytalilé : ce carac- 
tère semble même former pour la Nouvelle-Hol- 
lande une véritable loi zoologique, dont on ne doit 


| excepter que trois mammifères seulement; ce sont 


20 


154 


une rousselte de la partie inter-tropicale, les pho- 
ques, et le chien de la Nouvelle-Hollande, qui a suivi 
les misérables peuplades lors de leur émigration 
sur ce continent appauvyri. On ne connoissoit en ef- 
fet, parmi les animaux à bourses, que quelques es- 
pèces d'Amérique et des îles d'Asie. 

De tous les animaux qui vivent dans les diverses 
parties de l’Australie il nous suflira de citer les 
kangourous, dont quelques espèces sont les plus 
grauds quadrupèdes du continent austral; les po- 
tourous, les péramèles, les phalangers, les pétau- 
ristes, etc. Les dasyures sont des carnassiers qui 
remplacent dans cet hémisphère les fouines de nos 
climats. Le thylacine, de la taille et de la forme du 
Joup qu’il représente, est souvent mentionné dans 
les relations comme le loup austral. La viande des 
kangourous, quoique sèche, peut fournir une excel- 
lente venaison; mais rien ne surpasse la bonté des 
wombats, dont la chair grasse, succulente, et d’un 
excellent goût, a presque amené la destruction de 
cet animal précieux qu’il seroit si important de na- 
turaliser dans nos basses-cours. Les kangourous et 
les phalangers avoient leur type dans les animaux 
de l'archipel d'Asie; mais rien ailleurs ne peut don- 
ner l’idée des êtres singuliers qu’on a nommés para- 
doxaux , et qui sont l’ornithorhynque et l’échidné. 
Le premier, à corps couvert de poils, à bec de ca- 
pard, à pieds garnis d’ergots vénéneux, pondant des 
œufs, semble être une créature fantastique jetée sur 
le globe pour renverser par sa présence tous les sys- 
tèmes admis sur l’histoire naturelle, car on peut 
soutenir avec tout autant de raison qu’elle ap- 
partient aux quadrupèdes, aux oiseaux, ou aux 
reptiles. 

Les côtes méridionales de la Nouvelle-Hollande 
sont remplies de baies et de havres qui servent de 
retraite à plusieurs espèces de phoques, dont les in- 
dividus se comptent par milliers. La plus utile de 
ces espèces est l'éléphant de mer, dont il se fait des 
tueries considérables ; son huile produit au com- 
merce anglois d'immenses avantages. Les phoques 
à fourrures, communs naguère , commencent à de- 
venir rares ; les phoques à crins, bien que poursui- 
visavec activité, y sont encore nombreux : ilen est 
de même des cétacés , et c’est principalement dans 
le détroit de Bass que les baleiniers se livrent quel- 
quefois à leur pêche. 

Peu de contrées ont une ornithologie aussi riche, 
aussi variée, aussi neuve, que la Nouvelle-Hollande, 
Les mêmes phénomènes de singularité que nous 
avons vus caractériser les quadrupèdes se reprodui- 
sent pour les oiseaux. La plupart d’entre eux, ne 
pouvant tirer leur subsistance des fruits dont les 
forêts sont privées, n’ont que des £enres restreints 
de nourriture : ceux qui vivent d'insectes ont la 
langue organisée comme les oiseaux des autres cli- 


HISTOIRE NATURELLE 


mats; mais les perroquets, les merles, et beaucoup 

de passereaux, obligés de pomper les sucs miellés 
qui exsudent des corolles des fleurs , ont reçu à l’ex- 

trémité de la langue des faisceaux de papilles qui 

ressemblent à un pinceau , et qui leur permettent de 

ne rien perdre de celte matière toujours peu abon- 

dante. Les oiseaux de cette partie du monde varient 

sans doute dans les couleurs de leur plumage, mais 

la plupart sont remarquables par quelque singula- 

rité ou par des parures éclatantes : et, comme la 
Nouvelle-Hollande devoit différer en tout des autres 
régions , il en est résulté que le cygne d'Europe, par 
exemple, dont le plumage est d’un blanc sans 
tache, est remplacé dans l’Australie par un cygne à 
plumage d’un noir profond. Si les Moluques nous 
avoient présenté un cacaloès blanc qu’on retrouve 
aussi à la Nouvelle-Galles, la Nouvelle-Hollande, 
par opposition, a des cacatoës noirs. 

Ce seroit outrepasser les bornes de cetarticle que 
de s'étendre longuement sur les espèces rares et cu- 
rieuses qui peuplent cet étrange climat: nous ne 
pouvons nous dispenser toutefois de citer quelques 
oiseaux des plus remarquables parmi ceux qu’on y 
trouve. En première ligne sont : ce superbe ménure 
dont la queue est l’image fidèle, dans les solitudes 
australes, de la lyre harmonieuse des Grecs; ce 
loriot prince-régent dont la livrée est mi-partie de 
jaune d’or et de noir de velours ; ces oiseaux satin, 
ces cassicans variés, ces philédons nombreux, ce 
seytrops dont le bec imite celui du toucan ; ce céréop- 
sis cendré, ce casoar austral, ce faucon d’un blanc 
de neige, ces moineaux webomgs, ces traquets su- 
perbes, ces perruches de toute taille et de toute cou- 
leur, ces bruyants martins-chasseurs, ce moucherolle 
crépitant dont le cri imite à s’y méprendre le claque- 
ment d’un fouct, et tant d’autres espèces rares et 
précieuses pour l’ornithologiste, et qu’il seroit fas- 
tidieux de nommer. 

D'affreux reptiles pullulent aussi dans ces climats; 
il y en à un grand nombre d’innocents, et d’autres 
dont l’atroce venin occasionne la mort en quelques 
minutes. La partie inter-tropicale partage naturelle- 
ment les productions de la terre des Papous : aussi 
tronve-t-on abondamment le crocodile bicaréné des 
Moluaues. De nombreux lézards, diverses espèces 
de scinques et d’agames, pullulent dans la Nouvelle- 
Galles : les plus remarquables toutefois sont le gi- 
gantesque scinque noir et jaune, et le plus bizarre 
des lacertains, nous parlons ici de ceux dont la queue 
est faite en forme de feuille, les phyllures. Quant 
aux serpents, ils sont nombreux : on y trouve des 
couleuvres et des pythons de grande taille. Le ser- 
pent fil, à peine long de huit ou dix pouces, oc- 
casionne, dit-on, la mort en moins de quelques 
minutes; mais l’espèce la plus redoutable sans con- 
tredit, comme la plus commune, est le serpent noir, 


DE L'HOMME. 


que son affreux venin nous a fait nommer acantho- 
phis bourreau. 

Une tortue d’eau douce, l’émyde au long cou, vit 
dans les rivières du comté de Cumberland. Les tor- 
tues franches et de grande taille viennent annuelle- 
ment pondre dans les sables des îlots de toute la 
portion nord; et le caret enfin, dont l’écaille est si 
précieuse pour le commerce, se trouve en abondance 
dans les mêmes parages. 

Les côtes de la Nouvelle-Hollande, ses havres spa- 
cieux , et les rivières qui s’y perdent, sont très pois- 
sonneux. Les espèces de la partie nord sont celles 
des mers chaudes, et celles de la partie méridionale 
sont pour la plupart les grands poissons voyageurs 
qui tournent autour du globe dans l'hémisphère sud, 
et qu’on rencontre indifféremment à l’extrémité des 
trois grands caps : la Nouvelle-Hollande toutefois 
possède des espèces qui lui sont propres, et il nous 
suffira de citer parmi les plus remarquables le squale 
de Phillipp. C’est de la pêche que les naturels tirent 
leurs principales ressources alimentaires. 

Les coquillages varient sur chaque côte suivant le 
degré de chaleur des eaux et leur profondeur. Ceux 
du nord n’ont rien de remarquable; ce sont les 
mêmes espèces qu’on rencontre dans toutes les mers 
équatoriales : ceux des côtes de l’est et de l’ouest 
sont toutefois fort différents. Parmi les plus utiles 


ou les plus remarquables nous citerons ces huîtres 


petites, mais excellentes, qui tapissent les côtes de 
la Nouvelle-Galles; ces pirazes baudin, ces halio- 
tides australes, ces parmaphores du sud, etc. Dans le 
détroit de Bass naviguent les beaux nautiles à grains 
de riz, et les enfoncements de toute la côte méridio- 
nale sont jonchés des espèces les plus rares, les plus 
estimées dans les collections ; quelques unes d’elles 
servent à faire des bijoux pour les habitants. Les 
colons de la Nouvelle-Galles du sud n’emploient en 
outre que des coquilles pour faire la chaux dont ils 
ont indispensablement besoin dans leurs construc- 
tions civiles. 

Les insectes sont nombreux et curieux : les papil- 
lons sont peu variés, mais il n’en est pas de même 
des coléoptères; la cétoine orphée, si brillante et si 
belle, vit sur les jeunes eucalyptus le plus ordinai- 
rement par milliers d'individus ; des charançons de 
toutes couleurs, de longs phasmes et des cigales de 
taille énorme, sont les espèces qui frappent le plus 
communément les regards. On ne doit pas oublier 
que nulle contrée de la terre ne renferme un plus 
grand nombre d’espèces de fourmis ni de plus gros- 
ses ; l'étude de leurs caractères distinctifs et de leurs 
habitudes occuperoit la vie entière d’un naturaliste. 
Nous ne pensons pas qu’on ait jamais mentionné 
avant nous une espèce de sangsue qui vit dans les 
eaux de la rivière Macquarie, et qu’on pourroit 
utiliser en médecine, 


155 


Parmi les zoôphytes nous indiquerons surtout l’ho- 
lothurie trépang, qu’on trouve sur tous les récifs 
qui se découvrent à mer basse sur la côte boréale de 
la Nouvelle-Hollande : là gisent au milieu du dé- 
troit de Torrès, comme au milieu des petits espaces 
de mer qui la bordent de toutes parts, ces innom- 
brables écueils de madrépores qui s'élèvent des bancs 
sous-marins pour former ces murailles à fleur d’eau 
si funestes aux navigateurs, et signalées déjà par 
tant de célèbres naufrages. Ces récifs constituent 
aussi une ceinture à toute la partie orientale de la 
Nouveile-Hollande jusqu'aux tropiques ; et ces im- 
menses travaux d’un polype presque imperceptible, 
groupés de mille manières, pressés, agglomérés, ou 
en zigzag, dessinent sur cette côte un mur que les 
navigateurs ont nommé les récifs de la Grande- 
Barrière. D'étroits canaux serpentent dans ce laby- 
rinthe inextricable d’une mer semée d’écueils : le 
plus remarquable d’entre eux, qui semble être le 
résultat plutôt d’un instinct de découverte que le 
fruit d’un calcul scientifique, est le détroit de l’En- 
déavour. Sur ces écueils Flinders vit briser son na- 
vire, {a Pandore fut engloutie; et là peut-être, quoi 
qu’on en dise, La Pérouse et ses compagnons, cher- 
chant à fuir Mallicolo, ont trouvé la mort. 

Nous venons de considérer la Nouvelle-Hollande 
sous les rapports généraux : ce vaste continent, quoi- 
que défavorisé sous bien des points, devoit offrir 
cependant à l’avidité des nations européennes de 
grands avantages pour porter dans ses immenses 
solitudes le sureroïit et le rebut de leur population; 
les Anglois, toujours à l'affût des circonstances qui 
peuvent accroître leur influence commerciale ou leur 
puissance, ne tardèrent point à s’apercevoir de quel 
intérêt devenoit pour eux cette contrée au moment 
où l'Amérique brisoit les liens qui l’unissoient à 
leur gouvernement. L'Europe, alors agitée par des 
guerres désastreuses , et trop indifférente à des en- 
vahissements dont elle n’apprécioit pas les résultats, 
l’Europe ne comprit point toute l’étendue du domaine 
que l'Angleterre s’adjugeoit. On doit se rappeler, 
par les travaux récents des géographes, toute l’im- 
portance des établissements que empire britannique 
a fondés aux antipodes de l’Europe. Cette colonie, 
déjà florissante, bien qu’onéreuse, étend ses rami- 
fications sur toute la côte orientale et sur celles du 
nord et du sud : c’est ainsi qu’elle a formé en 1825 
un comptoir provisoire dans le détroit d’Apsley, 
entre les îles Bathurst et Melville ; elle a pensé, en 
l'établissant, s'emparer de la navigation du détroit 
de Torrès, inquiéter les possessions hollandoises et 
les îles à épiceries, et dicter aux Malais les condi- 
tions qui lui plairoient pour la pêche des trépangs 
et des perles. 

Pourquoi d’autres nations, dans l'intérêt de Ja 


| morale et de la civilisation européenne, ne cherche- 


156 


roient-elles point à jeter sur les côtes occidentales, 
qu'occupent si peu d'indigènes, ces hommes fléaax 
des sociétés par leurs vices et leurs flétrissures ? 
Cette portion occidentale est moins productive sans 
doute ; mais il est encore possible cependant d’y fon- 
der des colonies susceptibles de prendre de grands 
développements. 

La Nouvelle- Hollande n’a été découverte que 
successivement, et ses côtes occidentales furent les 
premières que les Hollandois, qui se dirigeoient à 
ouest afin de trouver les vents destinés à le, porter 
aux Moluques, reconnurent et nommèrent; mais 
ces points, toujours isolés et mal déterminés, res- 
tèrent sans position exacte sur nos cartes jusqu'aux 
expéditions de Baudin et de Flinders. C'est ainsi que 
des sortes de circonscriptions reçurent les noms : à 
l’ouest , de terres de Leeuwin, d’Edels, d'Endracht; 
au nord, de Witt, de Diémen, d’Arnheim, de Car- 
pentarie ; au sud, de Nuyts, auxquelles on doit join- 
dre les terres nommées par les hydrographies mo- 
dernes de Flinders, de Baudin ou Freycinet, et de 
Grant. Toute la côte orientale porte le nom de Nou- 
velle-Galles du sud. 

Lorsque les Anglois lancèrent l'acte de prise de 
possession d’une surface immense de la mer du Sud 
et des îles qui y sont éparses, la Nouvelle-Hollande 
et la terre de Diémen ou Tasmanie ne furent point 
oubliées. Ils s’arrogèrent le droit de s’adjuger la 
meilleure partie de la Nouvelle-Hollande, sous pré- 
texte que Cook avoit découvert toute la côte orien- 
tale ; et ils ne reconnurent dans l'Australie qu'une 
riche et productive partie qu’ils agrandirent outre 
mesure, et qui reçut le nom de Nouvelle-Galles du 
sud; et l’autre moitié, nue, stérile, privée d’eau 
douce, qu'ils abandonnèrent aux premiers décou- 
vreurs, et à laquelle ils laissèrent le nom de Nou- 
velle-Hollande. 

Du reste voici un précis rapide des découvertes 
successives qui ont fait connoître la Nouvelle-Hol- 
lande dans ses contours, découvertes aujourd’hui 
complétées par les nombreuses expéditions des An- 
glois et des François, les premiers dans le but de 
trouver des ports, des havres, propices pour des 
colonisations ; les seconds dans le but honorable, 
mais stérile, d'agrandir le domaine de la science 
géographique. 

Les Hollandois aperçurent les premiers en 4605 
les rivages de ce vaste pays, qu'ils prirent d’abord 
pour la Nouvelle-Guinée; ils suivirent la côte jus- 
qu’à 45° 5! 4!! de latitude sud, et décrivirent le pays 
comme presque désert, mais en quelques endroits 
habité par des Nègres féroces qui tuèrent des hom- 
mes de l'équipage. Ils ne purent, comme ils le dé- 
siroient, reconnoître la terre et les rivières, et le 
manque de provisions les força de laisser leur décou- 


verte imparfaile, Dans Jeurs cartes le point le plus 


HISTOIRE NATURELLE 


éloigné étoit nommé cap Keer-Weer ou du Retour. 
En 1616 le capitaine Direk-Hartighs, commandant 
un vaisseau hollandoïs pour les Indes, prolongea les 
côtes occidentales, et en 1801 on trouva une plaque 
d’étain avec une inscription qui mentionnoit la date 
de sa visite : cette plaque a été retrouvée et enlevée 
lorsque M. de Freycinet, commandant l'Uranie, 
mouilla à la baie des Chiens-Marins en 1819. En 1627 
Pieter Nuyts découvrit la côte sud dans une étendue 
de mille milles. En 1628 plusieurs vaisseaux hol- 
landois des Indes orientales visitèrent la côte occi- 
dentale, et l’année suivante un vaisseau de la même 
nation, capitaine Pellsart, se perdit sur la côte. En 
1642 la compagnie hollandoise des Indes orientales 
envoya Abel Tasman, qui aborda les côtes nord de 
la Nouvelle-Hollande, qu’il nomme terre d'Anthony 
Van-Diémen, pour la distinguer de celle de Van- 
Diémen au sud. En 1644 Tasman visita la côte occi- 
dentale; mais ses découvertes sur ce point sont peu 
connues. En 1688 le capitaine Dampier fut jeté sur 
ce continent, qu’il visita de nouveau en 1699. Cook 
reconnut la côte orientale en 4770, et ses opérations 
ont laissé peu de chose à faire; il ne put déterminer 
cependant si la Nouvelle-Galies du sud (la côte est 
de la Nouvelle-Hollande) touchoit à la terre de Dié- 
men ou non : un chirurgien de marine, Bass, avec 
une chaloupe résolut ce problème intéressant. Le 
capitaine Furneaux, sur l’Aventure, lors de sa sé- 
paration de la Résolution en 1775, reconnut la terre 
de Diémen, de la pointe sud, le long de la côte 
orientale, au-delà du terme du voyage de Tasman, 
jusqu’à 58° de latitude, où avoit commencé l’examen 
de Cook en 1770. En 1791 Vancouver parcourut la 
partie sud en se rendant à la côte nord-ouest de l’A- 
mérique, et l’examina, mais légèrement, de 5% 5! 
à 54° 52 de latitude sud, car il s’arrêta à la baie du 
Roi-Georges. Bruny d’'Entrecasteaux, qui avec les 
vaisseaux {a Recherche et l'Espérance naviguoit 
pour retrouver l’infortuné La Pérouse, relâcha sur 
les côtes sud et est; il vit plus soigneusement la côte 
déjà observée par le capitaine Vancouver, et leva 
les plans de plusieurs goulets et ports, et en particu- 
lier celui auquel on donna son nom. En 1788 l’éta- 
blissement d’une colonie angloise au port Jackson 
facilita les moyens de reconnoître cette terre, et les 
diverses expéditions entreprises de 4795 à 4799 par 
Bass et Flinders complétèrent la connoissance de la 
terre de Diémen et du détroit de Bass, qui sépare 
cette île de la Nouvelle-Hollande. En 4861 le gou- 
vernement anglois envoya deux vaisseaux pour 
l'examen de ce continent; il en donna le comman- 
dement au capitaine Flinders, qui reçut ordre de 
visiter la côte est de l’ile et la côte sud du détroit de 
Bass au port du Roi-Georges ; il devoit ensuite vi- 
siter la côte nord-ouest, puis celle du golfe de Car- 
pentarie. Ces voyages furent conduits avec une ardeur 


DES MAMMIFÉRES. 


et une persévérance infatigables jusqu’au moment 
où le vaisseau fut hors d’état de supporter une na- 
vigation aussi périlleuse. Le capitaine Flinders re- 
tourna au port Jackson, et avec un autre vaisseau 
reprit ses découvertes ; dans ce second voyage il fit 
naufrage, et parvint à gagner Sydney-Cove sur un 
bateau ouvert, laissant ses compagnons dans une île 
déserte où il alla bientôt les délivrer. El repartit pour 
un troisième voyage, et, touchant à l’île de France, 
il y fut retenu par le gouverneur comme prisonnier 
de guerre. À la même époque Baudin, avec deux 
corvettes françoises, passoit trois années à contour- 


157 


_ner les côtes orientale, occidentale et méridionale, 


et le public possède ses travaux. Ces diverses expé- 
ditions ont fait parfaitement connoître l’hydrogra- 
phie de la Nouvelle-Hollande et de la terre de Dié- 
men ; elles ont fixé le point de chaque lieu, et tous 
les goulets et les baies sont tracés jusqu’à leur terme. 
Mais de tous ces voyages le plus important sans 
contredit, celui qui a le plus éclairé l’état nautique 
de ces côtes de fer, ainsi qu’on les a nommées avec 
juste raison , est celui du capitaine King, qui a passé 
plusieurs années à les explorer, et qui vient de pu- 
blier à Londres le résultat de ses travaux. 


ESS" 75 


DES ANIMAUX MAMMIFÈRES. 


LIVRE KA 


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES MAMMIFÈRES OBSERVÉS DANS PLUSIEURS PARTIES DU MONDE, 
MAIS PLUS PARTICULIÈREMENT DANS L'OCÉANIE ET LA POLYNÉSIE. 


Le nombre des animaux mammifères diminue à 
mesure qu'on s'éloigne des continents et des grandes 
terres des archipels d'Asie, et se réduit à quelques 
petites espèces isolées sur les îles de la mer du Sud. 
Quoique nous ayons séjourné sur quatre points très 
éloignés de l'Amérique; que nous ayons visité la 
Nouvelle-Hollande, la Nouvelle-Zélande, les îles 
de Java, de Bourou, d’Amboine, et surtout la Nou- 
velle-Guinée, nous n’avons rapporté en Europe que 
quinze espèces. Ce petit nombre ne doit point éton- 
ner lorsqu'on se rappelle que les expéditions nauti- 
ques ne font que des apparitions temporaires et tou- 
jours très courtes sur les rivages des contrées qu’elles 
doivent explorer principalement sous le rapport 
géographique. 

Malgré nos courses nombreuses dans ies forêts 
vierges du Brésil nous ne rencontrâmes point les 
tatous, les agoutis, que les habitants nous indiquè- 
rent comme très abondants. Nous vimes seulement 
sur les montagnes que traverse la route de l’Ar- 
maçao un grand nombre de singes, qui paroissent 
être le sajou saï (Cebus capucinus. DEsm., Mamm., 
75° esp.). 

Les îles Malouines, placées dans les hautes lati- 
tudes australes, battues des vents, dépourvues de 
tout végétal ligneux, n’offrant aucun refuge aux 
mammifères terrestres, nous permirent cependant 
de faire quelques remarques intéressantes. Les ani- 
maux domestiques que les Européens y portèrent 
lorsqu'ils s’établirent à la Soledad, abandonnés à 
eux-mêmes sur ces terres dégarnies, et qui ne for- 
ment qu’une longue prairie rase tantôt uniformément 


plate et tantôt montueuse, s’y sont parfaitement na- 
turalisés. Aussi n'est-il pas rare de voir des troupes 
de chevaux vivant, par bandes de trente ou qua- 
rante, dans des cantons que chacune d’elles semble 
s'être réservés. Nous eûmes occasion d'observer plu- 
sieurs traits de l’intelligence instinctive perfection - 
née de ce noble animal, qui conserve encore, au 
milieu de ses mœurs redevenues sauvages par l'état 
de liberté, quelques unes des généreuses qualités 
qui en font le plus docile compagnon de l’homme. 
L'hiver doit détruire chaque année, aux îles Ma- 
louines, un grand nombre de jeunes individus avant 
qu'ils se soient endurecis à sa rigueur, et que la na- 
ture leur ait donné pour s’en garantir le poil long 
et épais qui les revêt, sans pour cela en enlaidir la 
race, ue s’est encore conservée très belle. Nous ne 
vimes qu’un petit nombre de bœufs, et leur espèce 
a dû souffrir des chasses fréquentes que les balei- 
niers en relâche ne manquent point de faire pour 
procurer des vivres frais à leurs équipages. Leur 
chair n’est point agréable à manger, parce que sa 
saveur n’a point été modifiée par la castration. On 
assure que les Espagnols déposèrent sur ces îles en 

1780 jusqu’à huit cents têtes de bétail; mais ce nom- 
bre nous paroît certainement exagéré. Les cochons 
se sont également propagés sur les îles Malouines, 
et notamment sur un ilot qui est à l’entrée de la baie 
Francoise. Leur nourriture n'est ni succulente ni 
même abondante : aussi leur chair maigre, quoique 
possédant un fumet agréable, n’a aucun rapport avec 
celle de ros cochons domestiques , et encore moins 
avec celle des sangliers. Leurs poils, d’une rudesse 


158 


extrême, sont ordinairement de couleur rouge de 
brique. Les lapins, que les chasseurs n’inquiètent 
que passagèrement, ont établi de nombreuses ga- 
rennes très peuplées. Elles sont généralement pla- 
cées près des ruisseaux, au fond des vallons resser- 
rés ; et les terriers sont creusés profondément sous 
les touffes du seui et frêle arbrisseau de ce coin du 
monde, l’'amellus diffusus de Wildenow (D’URvILLE, 
Flore des Malouines, n° 80), qu’on observe prin- 
cipalement à l’anse Chabot. Il se pourroit que ces 
animaux aient été portés par les premiers colons, 
quoique les anciens navigateurs, et Magellan entre 
autres, les aient vus sur l’extrémilé australe de l’A- 
mérique. Ce n’est toutefois qu’avec réserve que nous 
décrivons comme espèce le lepus magelianicus. 
Parmi les animaux qu’on peut véritablement regar- 
der comme indigènes des iles Malouines sont les 
phoques et le chien antarctique. Nous donnerons 
quelques détails sur les premiers dans la description 
de l’espèce nouvelle; que nous avons nommée o{4- 
ria molossina; et quant au chien antarctique, nous 
ne l'avons entrevu qu’une fois. El est décrit dans la 
Mammalogie de Desmarest (298°), d’après Shaw 
(Gen. zool., vol. E, part. I, p. 951), sous le nom de 
canis antarcticus , auquel on donne pour synonyme 
le culpeu de Molina (Hist. nat. du Chili, "p: 274). 

Sur les côtes de l'Amérique méridionale, que bai- 
gne le Grand-Océan, au Chili et au Pérou, où nous 
ne séjournâämes que quelques jours, nous ne nous 
procuràmes point de mammifères. Cependant les 
attérages de la Conception et l'immense baie de Fal- 
caguano étoient remplis de cétacés et de phoques qui 
nageoient au milieu des prairies flottantes du fucus 
pyriferus et du d'Urvillæa utilis, le porro des Chi- 
liens. C’étoit surtout près de la petite île de Quiri- 
quine que ces derniers animaux étoient réunis eu 
plus grand nombre, et qu'ils étoient groupés sur les 
rochers qui la bordent du côté de la mer. L’un d’eux, 
qui nageoit très près de la corvette, se saisit devant 
nous d’une sterne qui voloit au-dessus de l’eau en 
compagnie d'un très grand nombre de mouettes. Ces 
oiseaux maritimes rasoient la mer, et se précipitoient 
les uns sur les autres pour saisir les débris des pois- 
sons qui étoient dévorés par Je phoque, lorsque 
celui-ci, sortant vivement sa tête hors de l’eau, s’ef- 
forçoit à chaque fois de saisir un des oiseaux, et y 
parvint en notre présence. Le chien qui habite le 
Chili paroitroit former une espèce bien distincte : sa 
forte taille, son poil long et hérissé, ses oreilles 
droites et grandes, son museau allongé, lui donnent 
une physionomie hideuse et repoussante, et le pla- 
cent dans la section des chiens-loups. 

Molina, dans son Histoire naturelle du Chili, 
indique trente-six espèces de mammifères. 

Nous ne vimes guère que le coati roux, qu’on dit 
être commun aux alentours de Penco, quelques ta- 
tous, et une sorte de chat, peut-être le yaguarundi 


HISTOIRE NATURELLE 


de d’Azara, que nous ne pûmes nous procurer; mais 
il est vrai que nos excursions se bornèrent au cercle 
étroit de Ja presqu’ile de Talcaguano. Combien ce- 
pendant le Chili seroit intéressant à visiter sous le 
rapport des sciences naturelles ! C’est une des con- 
trées qui doivent un jour le plus enrichir la zoologie. 
Que d’espèces, peut-être aussi intéressantes que le 
chlamyphorus truncatus de Harlan, sont cachées 
dans les forêts épaisses de l’extrémité méridionale 
des Andes, du pays des Puelches ou des Araucanos! 

Au Pérou nous ne vimes près de Callao qu'un 
petit campagnol à pelage gris, qui est commun dans 
les champs; nous n’en renconträmes point à Colan 
et à Payta. Les sables frappés de stérilité qui cou- 
vrent cette étendue de pays, et qui s’avancent assez 
avant dans l’intérieur, ne paroissent propres à nour- 
rir aucun quadrupède de certaine taille. Des sque- 
lettes de phoques, épars çà et là sur les grèves, an- 
noncent que ces animaux vont jusque sous la ligne. 
Des gens du pays nous indiquèrent une espèce de 
gerboise qu’on trouve assez communément dans les 
dunes sablonneuses des environs de Piura, et sur 
l'existence de laquelle nous n’avons obtenu aucun 
renseignement positif. Nous observâmes que la plu- 
part des chiens de Payta appartenoient à la race des 
chiens sans poils (canis ægyplius), le chien ture 
de Buffon , qui est originaire d’Afrique suivant les 
auteurs. 

Les îles de la mer du Sud n’ont point de quadru- 
pèdes indigènes autres que le rat, qui s’est propagé 
partout où l’homme existe; un mulot (1), et le chien 
et le cochon, qui y sont élevés en domesticité. Ce- 
pendant ces deux animaux ne se trouvent point ré- 
pandus sur toutes ces terres indifféremment, Ainsi 
le chien nommé ouri, dont on mange la chair dans 
les jours de fête, n’existe point sur plusieurs des îles 
océaniennes ; et le cochon qui appartient à la race 
dite de Siam n’est observé que sur les îles habitées 
par les vrais Océaniens, et ne se trouve sur aucune 
de celles dont les peuplades de notre rameau mon- 
gol-pélagien sont en possession. 

Les cochons, nommés bouaa aux iles de la So- 
ciété, sont l’aliment des chefs : c’est le mets d’ap- 
parat de toutes les cérémonies ; et la manière de les 
faire cuire dans des fours souterrains et de les ser- 
vir entiers, comme le faisoient les héros d’Homère, 
est connue de tout le monde, tant les voyageurs se 
sont plu à en répéter les moindres détails! Cette es- 
pèce est de petite taille ; son pelage, souvent frisé et 
dur comme de la bourre, est mélangé de roux, ou 
parfois est entièrement noir. Elle vit fréquemment 
dans les bois, où les Taïtiens l’abandonnent à elle- 
même : c’est alors que les défenses se développent 


(‘) Nommé io6 à Taïli. Ce mulot, dont le pelage est 
d’un gris roux et la queue presque nue, vit en abon- 
dance , autour des habitations, des racines et des fruits 
qui jonchent le sol. 


DES MAMMIFÈRES. 


dans les mâles, et fournissent à ces naturels un genre 
d'ornement qu'ils recherchent. Enfin les mission- 
naires anglois ont essayé de naturaliser quelques 
animaux domestiques; car tous ceux qui ont été 
portés par les premiers navigateurs n’ont jamais pro- 
spéré : mais leurs efforts, mal dirigés, n’ont point 
eu de succès. Un gramen coupant, nommé piripird, 
a toujours fait périr les brebis que plusieurs fois on 
y a introduites, Seulement de nombreux troupeaux 
de cabris attestent que ces animaux, utiles et peu 
difiiciles dans le choix de leur nourriture, sont les 
seuls qu'avec peu de soins on puisse acclimater par- 
tout centre les tropiques. 

En remontant au nord et à l’ouest, notre séjour 
sur l'ile d'Oualan ne nous à permis d’y remarquer 
que deux espèces qui y soient vraiment indigènes. 
L'une est la roussette Kéraudren, que les natura- 
listes de l’Uranie trouvèrent aux Mariannes, et qui 
est propre aux archipels compris entre les Philip- 
pines ct Oualan : elle existe aux îles de Palaos sui- 
vant Wilson, qui la mentionne sous le nom d’oleek. 
Cette roussette, que les naturels nomment quoy, 
vole aussi bien le jour que la nuit : ses habitudes 
sont sociales, et nous en rencontrâmes souvent de 
réunies en grand nombre et accrochées, près les 
unes des autres, aux branches desséchées des arbres. 
Le surmulot commun (mus decumasus. DESM., 
Mamm., 475), nommé kousique, pullule principa- 
lement autour du grand village de Lélé, où il sem- 
ble prospérer en paix, protégé par l'indifférence des 
naturels. 

Les Papouas qui habitent la grande île nommée 
Nouvelle-irlande par Carteret nous apportèrent 
parfois des dents canines de cochon, recourbées sur 
elles-mêmes et très longues, ressemblant à ceiles 
du babi-russa. Les descriptions que nous firent ces 
naturels, toutes grossières qu’elles furent, semblent 
nous autoriser à dire que cet animal, rare dans quel- 
ques unes des Moluques orientales, se seroit ayancé 
sur ces terres que nous regardons comme le prolon- 
gement naturel de la Polynésie. Il trouveroit d’ail- 
leurs, dans les immenses forêts vierges de la Nou- 
velle-Bretagne et de la Nouvelle-Irlande, les mêmes 
éléments d'existence qu'aux Moluques. Toutefois le 
cochon, que les naturels du Port-Praslin nomment 
bouré, et qu’ils apportoient à bord de notre corvette, 
est de petite taille, et, par l’ensemble de ses formes 
conperenes se rapproche de l'espèce dite de Siam : 
il n’y est pas commun; car nous n’en vimes qu’un 
très petit nombre, cet les naturels paroissoient y at- 
tacher la plus grande valeur. a 

Le phalanger blanc ( phal. cavifrons, TEu. ), 
nommé fapoune par les Nègres de la Nouvelle- 
Irlande, est multiplié dans cette contrée. Ce joli 
animal, aux mouvements lents, à la démarche ir- 
résolue, paroît offrir plusieurs variétés : nous en 
donno ns une bonne figure et une description éten- 


159 


due. Les chiens, nommés poull, sont de petite taille; 
leur museau est pointu, et leurs oreilles sont dres- 
sées. Ils nous parurent en tout semblables à ceux de 
la Nouvelle-Hollande. Courageux et très carnassiers, 
ils vivent de tout ce qu’ils rencontrent, et notam- 
ment de poissons et de crabes, qu’ils vont pêcher 
sur les récifs. Les naturels se nourrissent de leur 
chair, qu’ils trouvent très délicate : ils pensoient que 
nous faisions le même usage de ceux que nous ache- 
tâmes vivants, et que nous fûmes obligés d’abane 
donner au Port-Jackson. Nous observâmes aussi au 
Port-Praslin une très petite espèce de vespertilion. 

L'ile de Waigiou, que nous visitâmes après la 
Nouvelle-Frlande, fait partie du groupe nommé terre 
des Papous. Là nous retrouvâmes les productions 
animales des Moluques et du Port-Praslin, et les 
naturels nous y indiquèrent encore l’existence du 
babi-russa, sur lequel nous ne pûmes nous procurer 
aucun renseignement positif. Nous croyons devoir 
y indiquer un petit quadrupède nommé Æalubu par 
les habitants, à pelage gris, à museau très eflilé, 
qui fut perdu dans le naufrage de M. Garnot au cap 
de Bonne-Espérance : c’est le gymnura kalubu de 
notre species. Le grand phalanger tacheté (cuscus 
maculatus major) est très commun dans cette ile, 
où les naturels le nomment scham-scham. Remar- 
quable par son épaisse fourrure laineuse, blanchä- 
tre, que recouvrent des taches arrondies d’un noir 
vif, par sa face rouge, ses yeux carminés, envelop- 
pés d’un rebord palpébral lâche, cet animal, qui n’a 
point une physionomie agréable, voit à peine pen- 
dant le jour, tandis, au contraire, que sa pupille, 
contractée et verticale sous l'influence de la lumière, 
se dilate au soir et pendant la nuit. Les phalangers 
de cette espèce conservés au Muséum n'étant point 
complétement adultes, et les couleurs de leur pelage 
n'étant pas aussi prononcées que celles de l'individu 
que nous avons rapporté, nous l'avons fait peindre, 
en ajoutant quelques détails à son histoire. 

Quelques jours après notre départ de Waigiou, 
nous atteignimes Bourou, une des Moluques. Cette 
ile, vaste et belle, sur laquelle les Européens n’ont 
encore formé qu’un établissement sans importance, 
est située non loin de Céram, et nourrit les ani- 
maux les plus intéressants pour le zoologiste qui 
pourroit y faire un séjour de quelque durée. Une 
grande espèce de cerf s’y est multipliée de manière 
à fournir des vivres frais en abondance aux soldats 
de la garnison de Cajéli; et la roussette des Molu- 
ques (pleropus edulis), dont la chair délicate est 
recherchée par les habitants de l'ile, se trouve com- 
munément dans les bois. 

” Le mammifère le plus remarquable de Bourou, 
et qui manque encore à nos musées, est le babi- 
russa ou cochon-cerf ; et nous eûmes le regret de 
partir de cette île après avoir infructueusement es- 
sayé de nous procurer ce précieux animal, quoique 


160 


le radjah malais de Cajéli nous eût bien promis de 
nous en vendre deux, qu’il devoit faire venir du 
centre de l'ile, et qui durent arriver quelques jours 
après notre départ. Les habitants nous dirent que le 
babi-russa est très multiplié, dans l’intérieur, sur le 
territoire des Alfourous, et qu’il se plaît au milieu 
des jones et des plantes aquatiques. En arrivant à 
Java vers la fin du voyage de {a  oquille, nouseümes 
occasion d'observer un babi-russr mâle adulte, un 
jeune et deux femelles, qui appartenoient au gou- 
verneur général des Indes, Van der Cappellen, et 
qui étoient destinés pour la Hollande : nous avons 
appris depuis qu’ils avoient péri dans le voyage, et 
que leurs dépouilles n’avoient même pas été conser- 
vées. Le babi-russa mâle avoit deux pieds et demi 
de hauteur environ. Ses formes, quoique robustes 
et massives, n’étoient pas sans élégance, et s’éloi- 
gnoient, par leur ensemble, de celles qui appartien- 
nent aux cochons en général. Les jambes étoient 
grosses et proportionnées, très droites et non grêles, 
comme on les décrit ordinairement. Le corps étoit 
plein et régulier dans ses contours, d’ailleurs bien 
dessinés et arrondis. La tête étoit allongée, à chan- 
frein bombé. La queue, assez grosse à son origine, 
se terminoit par une pointe déliée ; elle étoit presque 
complétement nue. La peau du corps, de couleur 
noire, sillonnée de rides et de plis, portant seule- 
ment quelques poils rares, imitoit un peu, par sa 
dureté et son aspect, celle du tapir. La portion qui 
entouroit la base des deux défenses fortement re- 
courbées de la mâchoire supérieure étoit déchirée et 
saignante ; ce qui étoit dù à la manière dont s’ac- 
croissent, en perforant la peau, ces mêmes dents. 
Les cils manquoient aux paupières. L’iris éloit jau- 
nâtre. Les deux orteils antérieurs des pieds étoient 
allongés, plus séparés que dans les autres espèces du 
même genre, et à sabots un peu convexes en dessous. 
Les dimensions des femelles, qui n’avoient point de 
défenses, étoient beaucoup plus petites. Cette espèce 
de cochon nous semble véritablement organisée 
pour vivre dans les marécages. Ceux que nous vimes 
en captivité se nourrissoient exclusivement de maïs, 
et manifestoient une humeur farouche et une in- 
quiétude qui ne leur permettoient point de rester 
quelques secondes en repos. La figure que Stavori- 
nus a donnée du babi-russa est très mauvaise : elle 
est copiée de Valentyn; et, par une erreur grossière, 
on a donné des ongles crochus, au lieu de sabots, 
aux doigts de cet animal pachyderme (1). 


A Amboine, que le séjour de Rumpbhius a rendue 
si célèbre , on ne trouve que peu de productions pro- 


pres à cette île. La plupart des animaux décrits, 


comme provenant de cette localité appartiennent en 


(") Stavorinus, Voyage aux Indes orientales, t. IL, 
p. 254; Muséum de Grew, plr,p, 27; Scba,t,I. 
pi. 00, 


HISTOIRE NATURELLE 


effet à d’autres îles Moluques, ct notamment à 
Céram et à Bourou ; tels sont le tarsier, le chevro- 
tain pygmée et le pélandoc. Ce dernier, nommé 
podin par les naturels de la Nouvelle-Guinée, n’est 
point rare dans les grandes forêts-équatoriales des 
Papouas, où un grand nombre d'animaux trouvent 
sans cesse toutes les conditions favorables pour une 
multiplication paisible. Notre commis aux revues 
acheta , des naturels de Doréry, un pélandoc en vie 
(didelyhis brunit); mais cet animal, que nous nous 
réservions de lui demander pour nos musées, se jeta 
à la mer dans le courant du voyage, et fut perdu, 
Nommé kangourou d’Aroé, parce qu’il fut trouvé 
sur l’ile de ce nom, voisine des Moluques, il est 
le premier animal qui, par son organisation et la 
brièveté des membres supérieurs, présenta tous les 
caractères extérieurs qu’on a retrouvés depuis dans 
les kangourous de la Nouvelle-Hollande. Cepen- 
dant il est plus ramassé dans ses formes; et peut- 
être, lorsqu'il sera mieux connu, et que son sys- 
tème dentaire et ses viscères auront été étudiés, for- 
mera-t-il un nouveau genre. Sa taille est celle du 
lapin , et le gris-brun est la couleur de son pelage. 
Il se nourrit de végétaux ; et cependant , malgré son 
organisation viscérale et dentaire , il aime de préfé- 
rence la viande. Ses mœurs sont douces et paisibles, 
et le rendent aisément familier. 

Nous ne quitterons point les forêts vierges et gi- 
gantesques de cette Nouvelle-Guinée si peu con- 
nue, et si féconde en animaux rares et précieux, 
sans indiquer que tout porte à croire à l’existence 
du babi-russa sur ces terres peu distantes des Mo- 
luques, et présentant comme elles l’ensemble des 
mêmes productions. Chacun de nous, en parcourant 
les alentours du havre de Doréry, eut fréquemment 
occasion de rencontrer l’espèce de cochon que nous 
décrirons sous le nom de sus papuensis. 

Les naturels de la Nouvelle-Guinée apportoient 
journellement à bord l’espèce de chien qui vit dans 
leurs huttes, et qu’ils nomment nafe. Elle ne diffé- 
roit point du chien de la Nouvelle-Irlande, et très 
peu de celui de la Nouvelle-Hollande (canis Aus- 
tralasiæ). Comme dans ce dernier, le pelage est 
ras, fauve ou noir, le museau effilé; les oreilles sont 
droites et courtes , les habitudes hardies, et l’aboie- 
ment nul. 

Une seule fois nous vimes une sorte de grand écu- 
reuil volant ou de galéopithèque gravir un muscadier 
sauvage, et disparoître au milieu de son feuillage 
verdoyant et de ses fruits aromatiques. Les rats, 
dont l’espèce semble avoir envahi les deux hémi- 
sphères, sont abondants autour des villages de Ma- 
nasouary et de Masmapy. 

Le mammifère sur lequel nous nous arrêtons un 
instant est laroussette édule(pteropus edulis), qu’on 
rencontre à peu près également sur toutes les îles 


= Moluques et Papoues. Cet animal, que les Malais 


DES MAMMIFÈRES. 


nomment bourung-tikous, s’apprivoise assez vo- 
lontiers. Les froids du sud de la terre de Diémen 
nous en firent périr un, que nous devions à l’obli- 
geance du docteur hollandois IZarloff, et qui étoit 
devenu très familier. Sa nourriture principale con- 
sistoit en fruits sucrés, et particulièrement en bana- 
nes. La position habituelle de cette roussette étoit la 
tête en bas et suspendue par les pieds. Elle conser- 
voit parfois sa nourriture dans des sortes d’abajoues, 
et, lorsqu'elle satisfaisoit à ses besoins, elle se dres- 
soit, et se tenoit accrochée par l’ongle recourbé du 
pouce des ailes (1). 

Nous ne quitterons point cet archipel sans men- 


(:) Cette cspêce, que nous étudiâmes à bord aussi 
bien qu’il est possible de le faire sur un pavire, 
nous présenta les détails suivants: 


HVOTAUT EN else 04 0000 0020 
Longueur du museau à anus, . 5 6 0,149 
JeNANOle tenter es 012: 06 2070;068 
UC DMENIS ER cl. D 6 0,095 
— desextrémilés postérieures. 5 D 0,149 
Circonférence du corps. .... 7 6 0,203 


La langue de cette roussette est épaisse, charnue et 
comme parquetée ou rugueuse à £a partie moyenne. Un 
sillon assez fortement creusé existe entre les narines. 
Les yeux sont distants de huit lignes l’un de l’autre; 
l'iris est de couleur brune. Le foie est volumineux, et 
occupe toute la région épigastrique : il est divisé en 
quatre lobes, dont deux plus petits. La vésicule hiliaire 
correspond à la face inférieure du second lobe, qui est 
échancré, La rate est petite, mince et allongée, Les 
reins ont la forme de fèves. Les ovaires sont très peu 
prononcés, arrondis, et logés dans l'espace que laissent 
entre eux les ligaments de la matrice, dont les cornes se 
prolongent et croisent la direction des uretères. En 
dedans des reins et sur la colonne vertébrale on ob- 
serve deux corps blanchäâtres, gros comme un pois, 
qui semblent communiquer avec les reins par un petit 
conduit. L'œsophage s’élargit pour s'unir à l'estomac : 
celui-ci est placé horizontalement au bas de la région 
hypogastrique, ct occupe tout l'hypochondre droit. Le 
duodénum a trois courbures. La longueur totale des 
intestins est de deux métres six cent dix-neuf millimé- 
tres. Diverses colonnes charnues, dans l'intérieur de 
l'organe gastrique, se portent vers les deux ouvertures 
pylorique et œsophagienne. Les troncs artlériels du 
foie se distribuent principalement dans les deux lobes 
les plus volumineux. Le diaphragme est mince. Les 
poumons sont petits, rougeâtres : le droit est divicéen 
trois lobes , Landis que le gauche n'en a que deux. Le 
cœur, assez volumineux, n’a rien de particulier. Le 
slernum est très étroit, et présente une saillie ou crête 
assez considérable sur sa surface externe. Trés fréquem- 
ment nous observâmes pendant plusieurs jours une 
exsudalion sanguine abondante sur le pourtour exté- 
rieur des organes de la génération de celte roussette ; 
exsudation qu'on ne peut se dispenser de regarder 
comme l’analogie du flux menstruel de certaines espéces 
de singes et de la femme. 
I. 


{61 


tionner Java. Ce n’est point que nous ayons à indi- 
quer des quadrupèdes de cette île : cette tâche a été 
trop bien remplie par un naturaliste anglois estima- 
ble, le docteur Horsfield : mais nous ne pouvons 
nous dispenser de dire un mot de la panthère noire 
(felis melas. PÉRON et LESUEUR , DEsu. 544 Mam- 
mif.), qui y est commune, et que nous vimes chez 
l’obligeant sous-résident, M. Smolders. Cet animal, 
de la taille de l'ocelot, et ressemblant par l'aspect 
de son corps à la panthère commune, a son pelage 
d’un noir uniforme et lustré; par certains reflets, 
des ondes ou sortes de taches plus apparentes se des- 
sinent, à la maniére des moirés, sur le fond de la 
teinte générale. Féroce et redoutable, ce chat habite 
principalement les solitades des profondes forêts du 
district de Banjou-wandgi; et jamais les Javanois 
ne l’attaquent sans qu’il ait commencé les hostilités 
en dévorant quelques uns de leurs animaux domesti- 
ques : ils lui tendent divers piéges dans lesquels ils 
placent des oiseaux vivants, qui ne manquent point 
de l’y attirer. La panthère noire servoit, à la cour 
des sultans de Java et de l’empereur de Solo, à exé- 
cuter une cérémonie dont le peuple étoit avide, et 
qu'on nommoit Rampok, de même qu'à punir de 
mort les esclaves coupables de certains crimes. 
Voici les renseignements que nous nous procurâmes 
sur cette grande fête, d’un témoin oculaire, employé 
supérieur de la colonie. 

Au milieu d’un amphithéâtre préparé sur un ter- 
rain uni pour le grand spectacle du Rampok (1), est 
placée ane cage dans liquelle est captif le tigre 
noir , ou l'arimaou; car c’est ainsi qu’on nomme 
cet animal à Java. Autour de lui, formant un cercle 
épais, sont placés en haie serrée deux rangs de Ja- 
vanois armés de piques. Deux ou trois hommes 
chargés d’aller ouvrir la porte de Ja prison à la 
panthère, se détachent alors du cercle, s’avancent 
en cadence, ct, après avoir rempli leur dangereuse 
mission, retournent à leur place en mesure et avec 
lenteur. Les Javanois sont dans la ferme persua- 
sion que, s'ils se reliroient brusquement après 
avoir ouvert la porte à l'animal , il s’élanceroit in- 
failliblement sur eux ct les mettroit en pièces. La 
panthère noire re se décide pas toujours à sortir 
immédiatement de sa prison. El faut souvent l’aga- 
cer, la barceler avec de longues lances, ou brûler 
de la paille autour d’elle pour Ja forcer à entrer dans 
l'arène. Irritée et furieuse alors, celle mesure de 
l'œil la distance qui la sépare de ses ennemis, et s’é- 
lance au plus épais des piques, y trouve la mort, 
mais non sans se venger sur un grand nombre de 
misérables, que le despotisme des sultans sacrifie 


() Des détails analogues se trouvent également con- 
signés dans l'Afistoire de Java, par sir Raffles, page 
29 de la traduction de A. Marchal. 

21 
L 1 


162 


ainsi à sa férocité. On nous assura en outre que le 
sousouhounan actuel de Yugyu-Kerta se plaisoit à 
faire combattre la panthère noire par des esclaves, 
n'ayant pour armes que des kris ou poignards malais 
à lames de plomb. Enfin une fête encore très aimée 
par les Javanois est le combat de cette panthère avec 
des buflles. 

Les mammifères à la Nouvelle-Zélande se bornent 
à trois où quatre espèces seulement : le cochon, que 
Cook n’y trouva point, et qui y auroit été introduit 
depuis par les Européens ; le chien austral et le rat. 
Les côtes méridionales de ces deux iles sont peu- 
plées de phoques, objets de chasses lucratives aux- 
quelles se livrent les Anglois. 

Les animaux de la Nouvelle-Galles du sud ont 
été le sujet de recherches nombreuses et suivies ; 
mais malgré cela une grande obscurité règne encore 
sur l’histoire de la plupart d'entre eux ; et des na- 
turalistes vivant sur les lieux pourront seuls un 
jour donner des renseignements sur leurs habitudes 
et sur leurs mœurs. Déjà les alentours de Sydney 
sont dépeuplés des espèces qu'y trouvèrent les 
premiers voyageurs : la civilisation et les défriche- 
ments les refoulent dans l’intérieur; et l’époque 
n’est pas éloignée où les kangourous (1), les ornitho- 
rhynques, seront excessivement rares. Ce n’est 
qu’en domesticité que nous vimes les grands kan- 
gourous (kang. labiatus. GEOrr.), paissant en liberté 
dans le vaste parc de Rose-hill, à Paramatta ; se re- 
levant sur leurs longues jambes postérieures, pour 
examiner ce qui se passoit autour d'eux , et fuyant 
par bonds en s’élançant sur leurs courtes jambes de 
devant lorsqu'ils sont inquiétés. Cet animal, dont la 
chair dure et coriace est peu estimée, s’apprivoise 
aisément ; et nous en vimes un à Sydney, qu’un mi- 
litaire avoit élevé et auquel il avoit appris à boxer, 
en même temps qu’il étoit soumis et docile à ses vo- 
lontés. Ce kangourou étoit courageux , ne redoutoit 
point les chiens, et cherchoit à frapper avec ses pieds 
ceux qu’il vouloit combattre, en s’élançant sur eux 
par un bond instantané , tandis qu’il jouoit noncha- 
Jamment avec le maître qui le nourrissoit. 

Les colons apportent en abondance dans les mar- 
chés un kangourou de taille moyenne (kang. Wala- 
batus. N. ), que les naturels nomment oualabat, et 
parfois le potourou de White (hypsiprimnus White. 
Quoy et Gan.), qui vit dans les lieux rocailleux et 
peu fréquentés. Notre maître canonnier Roland tua 
un individu de cette espèce, qui différoit un peu de 
celui qui est décrit dans la Zoologie de l'Uranie; 


(:) Les habitants de la rivière Endeavour nomment les 
kangourous mén-ü-âh, suivant M. Kunningham (WNarr. 
of a survey of the inter. et west. coasts of Australasia, 
by Parker King). La première figure du kangourou 
a été donnée par Cook, Premier Voyage, t. IV, p. 2#, 
in-4°. 


HISTOIRE NATURELLE 


mais il fut perdu dans le naufrage de M. Garnot. 
On nous indiqua sous le nom de bandicout des ani- 
maux qui paroissent être des péramèles, peut-être le 
per.nasutus de M. Geoffroy, et qui vivent aux en- 
virons de Liverpool. 

Nous ne vimes des dasyures qu’en captivité; ils 
appartenoient à l’espèce dite de Maugé (dasyurus 
Maugei. GEor.), fig. atl. de l’Uranie. Les naturels 
détruisent une grande quantité de phalangers vo- 
lants (petaurista taguunoides. Des.) dont ils font 
sécher les peaux pour en faire de petits manteaux, 
qui leur couvrent les épaules pendant l'hiver. Plu- 
sieurs de ces animaux avoient le pelage entièrement 
blanc. 

L'espèce de chien sauvage (canis Australasiæ. 
Desx.) que White a décrite dans son Histoire de la 
Nouvelle-Galles ressemble au chien de berger. Son 
poil est rude; ses oreilles sont droites, et il appar- 
tient à la même espèce que celui de la Nouvelle- 
Irlande, des îles Bouka ct de Bougainville. Ce chien 
est courageux, et vit le plus ordinairement de ce que 
la mer rejette sur son rivage. Il est bien figuré dans 
l’ouvrage sur les mammifères de MM. Frédéric Cu- 
vier et Geoffroy-Saint-Hilaire. 

Nous ne vimes au Port-Jackson qu’une seule peau 
de w:mbat ou phascolome (didelphis ursina. Suaw ; 
phascolomys wombat. PÉr. et LeEs.), et il paroît 
qu'on ne le trouve qu’à la terre de Diémen et dans 
les petites iles du détroit de Bass. M. Cunningham 
mentionne la rousselte à tête grise (pteropus polio- 
cephalus), qui paroît être commune dans la partie 
inter-tropicale de la Nouvelle-Hollande. 

Les ornithorhynques, que les colons nomment 
water-mole ou taupes d’eau, et les naturels mou- 
flengong, habitent assez communément encore les 
rives de Fish-river, tandis qu’on n’en voit que rare- 
ment aujourd’hui dans le Nepean. Le paradoxe (1), 
ainsi nomma-t-on ce singulier animal dont Shaw fit 
son genre platypus, et Blumenbach le genre orni- 
thorhynchus, est encore assez commun, dans la 
saison opportune, à New-Castle et dans les rivières 
Campbell et Macquarie. Le docteur Palmeter, lors- 
que M. Knox annonça sa belle découverte de la 
glande crurale et de son conduit aboutissant à l’er- 
got, après avoir nié ces organes, aflirma qu’on ne 
connoissoit dans la Nouvelle-Galles aucun exemple 
de blessure suivie d'accidents dus à la présence d’un 
venin quelconque. Il conclut, à la fin d’un petit mé- 
moire qu’il publia dans la Gazette de Sydney, que 


(‘) Consultez Péron, Voy. aux Terres australes ; 
Desmarest, Mamm.; Vanderhoeven, Nov. act. Acad. 
Cæs. Leop. Car., t. XI; Knox, Mém. de la Soc. Wer- 
nérienne; Everard-Home; de Blainville, etc., etc.; figuré 
dans les Misc. de Shaw, t. X, pl. 385, sous le nom de 
Ducx-billea or platypus; et par Leach, Hisc., t. IE, 
PL. IL, p. 136. 


DES MAMMIFÈRES. 


ces ergots, dont les femelles sont toujours privées, 
servoient aux mâles à tenir celles-ci immobiles pen- 
dant l’acte de la copulation. Les colons assurent que 
les ornithorhynques sont ovipares; et M. Murdock, 
surintendant de la ferme d’'Emiou-plains, nous af- 
firma positivement avoir vu des œufs de la grosseur 
de ceux d'une poule, et au nombre de deux. Mais 
les dissections de Meckel, qui trouva sur des fe- 
melles des glandes mammaires très développées, ne 
permettent point de douter que cet animal ne soit 
vivipare; et c’est aussi l’opinion du savant anato- 
miste de Blainville. Cependant l’organisation singu- 
lière des deux mâchoires aplaties en bec de canard 
de cet animal rend diflicile la succion, et l’on ne se 
fait pas une idée bien juste de la manière dont les 
jeunes peuvent saisir le mamelon de la mère. Le pe- 
lage de l’ornithorhynque adulte est ordinairement 
d’un brun noir; parfois des variétés l'ont de couleur 
fauve-rougeâtre. Ce fut en vain que nous attendimes 
pendant plusieurs heures si nous verrions paroitre 
quelques ornithorhynques sur les petits rochers à 
fleur d’eau de Fish-river, où ils vont se placer lors- 
qu’ils sortent de leurs trous. Nous apprimes depuis 
qu’à cette époque de l’année (janvier et février) ils 
restoient blottis dans leur gîte, et qu’ils ne sortoient 
qu’à l’époque des grandes pluies, qui, en faisant dé- 
border les rivières qu’ils habitent, les forçoient à se 
tenir sur la surface de l’eau et dans les jones qui en 
couvrent les bords. Les peaux qu’on peut se procu- 
rer dans le pays, non enduites de préservatifs, se 
détériorent aisément. 

L'échidné épineux (1) (echidna hystrix. Cuv.) ba- 
bite principalement le mont York : par l’ensemble 
de ses formes corporelles il ressemble au hérisson, 
et c’est à cause de cette similitude que les colons lui 
ont appliqué le nom de hedge-hog. I se creuse des 
terriers, et n’aime point à sortir dans les temps secs : 
aussi est-il difficile de se le procurer pendant plu- 
sieurs mois de l’année. Il vit d’insectes, principa- 
lement de fourmis, qu’il ramasse avec sa langue à la 
manière des fourmiliers : l’on dit aussi qu’il mange 
des légumes. Il fait entendre un petit grognement 
lorsqu'on l’inquiète, et ses habitudes à l'état de li- 
berté sont peu connues. Un échidné, que nous nous 
procurâmes en vie, a donné l’occasion à M. Garnot 
de publier (Bulletin de la Société philomatique) les 
observations suivantes : « Cet animal, nourri depuis 
deux mois avec des végétaux par un ancien convict 
de Sydney, fut enfermé dans une cage avec de la 
terre, d’après l’avis qui avoit été donné. En vain 
lui présentoit-on des légumes, des insectes, de la 


(") Figuré dans Shaw, sous le nom de porcupine ant- 
cater, t. UT des Misce., f, 109. Nous en avons apporté 
trois individus : l’un servit à faire un squelette au labo- 
ratoire du Muséum, et les deux autres nous furent re- 
mis par le général Brisbane pour M. Cuvier, 


163 


viande, des sucs substantiels, l’échidré les flairoit 
seulement sans y toucher; mais il buvoit avec avi- 
dité l’eau que chaque jour on avoit le soin de lui 
offrir, en tirant sa langue extensible et filiforme 
longue de deux à trois pouces, et en lapant. C’est 
ainsi qu’il véeut pendant trois mois, sans avoir pris 
autre chose. 

» Après une traversée assez tempêtueuse, le pre- 
mier soin en arrivant à l'ile de France fut celui de 
ramasser des fourmis et des vers, qu’on lui présenta 
sans qu’il parût s’en soucier. En revanche il buvoit 
du lait de coco avec un vif sentiment de plaisir, et 
tout sembloit alors promettre qu'après avoir résisté 
aux froides latitudes du sud de la Nouvelle-Hollande 
il seroit possible de l’apporter en Europe. Mais un 
matin l’échidné n’existoit plus, et la seule cause pré- 
sumable de sa mort doit être imputée à du savon 
arsenical laissé dans une gibecière où il se cacha pen- 
dant toute une nuit. 

» C’est avec une satisfaction toute particulière que 
j'aimois à suivre, dit M. Garnot, les habitudes jus- 
qu’alors inconnues de ce petit animal. J’en épiois 
les moindres particularités, bien persuadé qu’elles 
seroient intéressantes aux yeux des naturalistes. J'a- 
vois reconnu que la prison dans laquelle je le tenois 
enfermé ne lui convenoit point : aussi m’empressois- 
je de lui douner une liberté entière dans la chambre 
que j'occupois à bord du navire, et pendant mon 
séjour à Maurice, Chaque jour je l’observois dans 
ses promenades régulières, et rarement il employoit 
moins de quatre heures sur vingt-quatre à parcourir 
en tous sens l’espace que nous occupions ensemble ; 
et, s’il trouvoit un obstacle, il cherchoit à le sur- 
monter, et ne rebroussoit chemin que lorsqu'il avoit 
épuisé ses moyens pour y parvenir, C’éloit dans un 
coin obscur de ma chambre, entre une cloison et des 
caisses, qu’il se rendoit pour dormir. Sa démarche, 
lourde et gênée en apparence, lui permettoit cepen- 
dant de parcourir en une minute un espace d’envi- 
ron trente à trente-neuf pieds. Il se cachoit mysté- 
rieusement dans un angle de l’appartement pour 
faire ses ordures; et ses excréments, peu consistants 
et noirs, exhaloient une odeur infecte. 

» Un jour je retirai mon échidné dans un état d’en- 
gourdissement tel que je le crus rendu au terme de 
la vie. Je le ranimai en le portant au soleil, en le 
réchauffant par des frictions avec un linge chaud : 
peu à peu il reprit son activité habituelle ; mais sou- 
vent depuis il resta sans mouvement l’espace de 
quarante-huit, soixante-douze, soixante-dix-huit, et 
même quatre-vingts heures de suite. Il se promenoit 
fréquemment dans la nuit, et se rouloit en boule au 
moindre bruit, à la manière des hérissons. Du reste, 
timide et craintif, cet échidné se laissoit caresser 
volontiers. La conque de l'oreille s’apercevoit aisé- 
ment lorsqu'il écoutoit, et ressembloit à celle d’un 


164 


hibou. Les veux sont {rés petits, et Ie long nez im- 
mobile ctsolide me semble être ua organe où le sens 
du toücher réside à son extrémité qui est molle, et 
avec laquelle l’échidné tâte ce qui l’environne, sur- 
tout pendant la nuit. » 

Enfin, pour achever de présenter le tableau des 
maminifères que nous avons été à même d'observer 
dans notre voyage, il ne nous reste plus qu’à indi- 
quer notre dernière relâche à Pile de France. Les 
animaux qu'on y remarque y ont été importés : tels 
sont les cerfs, qui vivent dans Ics grands bois, les 
cochons marrons ou sauvazes, les lièvres, les rats, 
qui infestent aujourd'hui cette île, et les tenrecs. 
Ces derniers, venus de Madagascar, vivent dans les 
champs de cannes à sucre, tandis que le singe (Ha- 


HISTOIRE NATURELLE : 


cacus sinicus. DEsx.), originaire de Java, occupe 
les sommets escarpés de la montagne du Pouce, et 
descend marauder dans les vergers des alentours, 
où les dégâts qu’il occasionne le font redouter. Nous 
nous y procurâmes en vie deux makis de Madagas- 
car, le vari (Lemur macaco. F.), et le maki rouge 
(Leinur ruber. Pér.), qui moururent dans la tra- 
versée, à notre arrivée sur les altérages de France. 
Ce dernier est figuré tome I de l'Histoire des Mam- 
mifères de M. F. Cuvier. Les makis s’apprivoisent 
aisément ; ils deviennent bientôt familiers, et même 
caressants. Ils aiment à dormir dans le milieu du 


jour, en s’enveloppant la tête avec les pattes et la 


queue. Leur nourriture est entièrement frugivore, 
et tout autre aliment les fait bientôt dépérir. 


LIVRE EV. 


LES MAMMIFÈRES QUADRUMANES. 


LES SINGES. 


Les naturalistes modernes ont placé les animaux 
que nous connoissons sous le nom collectif de singes 
à la tête d’un ordre qu’ils ont distingué par l’épithète 
de quadrumanes, parce que les quatre extrémités 


des membres servent en quelque sorte de mains 


dans l'acte de préhension, tandis que l’homme est 
resté comme unique type de celui des bèmanes, 
ordre le plus élevé dans l'échelle des êtres. Cette 
disposition méthodique est principalement due à 
Blumenbach et à M. G. Cuvier. 

Notre histoire des singes aura pour base les des- 
criptions complètes des genres et des espèces, sans 
avoir égard aux individus décrits par Buffon; mais 
nous passerons légèrement toutefois sur les espèces 
qu’il aura parfaitement caractérisées, et qui ne figu- 
reront dans nos tableaux que pour signaler la place 
qu’elles doivent occuper dans l’ordre naturel (1). 


{) Nous avons l'intention, en terminant l'histoire 
des animaux découverts depuis 1788, de donner un 
synopsis complet de toutes les espèces connues de 
mammifères, ayec une synonymie suffisamment éten- 
due pour que les naturalistes et les amateurs paissent, 
à l’aide de caractères succincts et précis, faire concor- 


Les singes sont remarquables par une ressem- 
blance générale dans leurs formes avec la race hu- 
maine dont ils paroissent être la caricature. Ils se 
lient par les plus grands rapports, et cependant des 
dissemblances considérables existent entre chacun 
d'eux pris isolément, de manière qu’on ne peut se 
dispenser de reconnoitre que, bien que la tribu 
qu’ils composent soit éminemment naturelle, elle a 
des points d’embranchement nombreux avec les au- 
tres ordres de mammifères. Linnæus toutefois avoit 
eu quelque raison de les placer avec l’homme dans 
sa famille des primates ou anthropomorphes. Si de 
ces caractères généraux nous passons à ceux qu’on 
doit appeler zoologiques, nous verrons que les 
singes ont une boite cérébrale sphérique, une face 
plus ou moins nue et aplatie; des dents incisives, 
canines et molaires, comme chez l’homme; une ca- 
vité stomacale unique, aboutissant à des intestins 
de longueur médiocre, et le pouce de la main et des 
pieds opposable (1). A ces traits se joindront ceux 
d’avoir deux mamelles placées sur la poitrine, un 
flux menstruel chez les femelles; un pénis et des 


der d’un seul coup d'œil les animaux décrits par Buffon 
et ceux découverts par les naturalistes du commence- 
mentde ce siécle. 

() Mouvement par lequel le pouce jouit de la préro- 
galive d'agir indépendamment des autres doigts et en 
un sens opposé à la sphère d'action commune à tous, 


DES MAMMIFÉRES. 


testicules pendants à l'extérieur chez les mâles; les 
yeux dirigés en avant, et les fosses temporales ct 
orbitaires complétement séparées. 

Les singes sont donc caractérisés dès la première 
vue par leur tête qui affecte la forme globuleuse, 
leurs orcilles toujours munies d’un rebord, un nez 
légèrement écrasé, un corps mince, svelle, ayant 
parfois des membres en apparence disproportionnés, 
et par une queue plus ou moins longue qui manque 
chez certaines espèces. De ces traits organiques ré- 
sulte la facilité qu’ils possèdent de grimper avec ai- 
sance et de courir avec prestesse. 

Passons successivement en revue leurs divers 
organes, et dressons un tableau sommaire de leurs 
attributs généraux et distinctifs. 

La tête est ordinairement arrondie et d’un volume 
médiocre. La face qui la termine en devant est le 
plus communément aplatie, bien qu’elle s’avance 
parfois comme le museau d’un chien chez les singes 
cynocéphales. Elles à les plus grands rapports avec 
celle de l’homme, et conserve encore ces caractères 
chez les singes à museau saillant, ce qui de prime 
abord sembleroit déranger cette loi. L’angle fa- 
cial (!), introduit dans la science par Camper, fut 
appliqué par MM. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire 
à la détermination des genres. Il est résulté de leurs 
travaux que l’homme a un angle facial de 70° à 80°, 
etque celui des singes décroïit successivement de 65°, 
60°, 500, 40° ct 50°. Le crâne d’un jeune orang- 
outan a offert jusqu’à 64 degrés, tandis que celui 
des cynocéphalesadultes est restreint à 30 degrés (2); 
mais ces distinctions ne sont point d’un ordre rigou- 
reux dans l’application ; puisque les crânes soumis 
à de tels calculs varient suivant les périodes de leur 
croissance, ct qu’il est bien reconnu que l'angle fa- 
cial n’a rien de constant à tous les âges, même d’un 
seul et unique individu. C’est ainsi, dit M. Geoffroy 
Saint-Hilaire, que le simia maimon a été regardé 
comme une espèce particulière, bien qu’il ne soit 
que le jeune âge du singe mandrill. Dans l’adoles- 
cence sa face se termine par un museau aigu et 
triangulaire, et en vieillissant au contraire les mâ- 
choires se développent prodigieusement en largeur, 
et affectent une forme carrée. Mais cependant aux 
formes de la tête sont liés intimement, et les habi- 
tudes du corps, et les appétits, et les mœurs. Plus 
la boîte osseuse du crâne sera uniformément déve- 


(:) On mesure dans l’angle facial l'abaissement du 
front et la longueur du museau en partant du trou au- 
ditif et s'arrétant au rebord du maxillaire suyérieur. 
L'angle qui résulte du croisement des lignes verticale 
et horizontale sur la base du crâne donne l'angle facial 
positif. 

(2) M. Geoffroy Saint-Hilaire , cinquième leçon stèno- 
graphiée, 1828, 


165 


loppéc, plus l'intelligence sera complète, plus 
Pinstinet sera parfait. Cette partie étant rétrécie et 
arrondie, il en résultera plus de pétulance, plus 
d’inattention , ainsi qu’on le remarque chez les pe- 
tites espèces. Enfin plus le museau en s'allongeant 
annonce un rétrécissement de cette cavité, et par 
suite une diminution de l’organe encéphalique, plus 
l'instinct brut et grossier dominera, et les singes 
ainsi conformés se recouvriront des attributs massifs 
des animaux carnassiers, et n’apparoîtront plus avec 
cette intelligence, cette aimable brusquerie, qui ca- 
raclérisent les autres membres de la famille. 

Le cerveau des singes est à trois lobes: le pos- 
térieur recouvre le cervelet. Mais les recherches 
du savant Tiedemann sur celui de l’orang-outan de 
Bornéo semblent prouver la plus complète analogie 
avec cet organe chez l’homme, et des dissemblances 
assez fortes avec les cerveaux des autres singes. Sui- 
vant l’auteur allemand le cerveau d’un orang-outan 
diffère de celui du reste des singes, 1° par l’absence 
du faisceau médullaire nommé trapèze , et qui, dans 
les animaux où il se trouve, est situé derrière le 
ganglion cérébral, point où naissent les nerfs audi- 
tifs et faciaux ; 2° par l’existence d’une échancrure 
postérieure au cervelet; 5° par un plus grand nom- 
bre de sillons et de lames dans la même partie; 
4° par la présence de deux tubercules maxillaires 
distincts ; 5° par les circonvolutions et les anfrac- 
tuosités plus nombreuses et en même temps moins 
symétriques du cerveau ; 6° enfin par l’existence de 
fentes dirigées vers les'cornes d’Ammon. Or cette 
contexture anatomique est tout-à-fait celle de l’or- 
gane percepteur des sensations dans l’espèce hu- 
maine, et fournit un terme de comparaison puissant 
qui vient encore corroborer les analogies de formes 
extérieures. Aux modifications que présente l’or- 
gane de l’entendement, se joint la position du trou 
occipital au milieu ou plus en arrière de ce point à 
la base du crâne, et l’on conçoit naturellement que 
Ja station bipède est d'autant plus favorisée que cette 
ouverture centrale place plus en équilibre la tête 
sur la colonne vertébrale, à moins que des mus- 
cles nombreux, formant sur les apophyses des 
vertèbres cervicales un plan épais et robuste, ne 
viennent contre-balancer par leur puissance un or- 
dre de choses contraire, ainsi qu’on le remarque 
chez les orangs. 

La surface des os du crâne est lisse chez les 
jeunes sujets, et recouverte d’aspérités et de crêtes 
osseuses énormément développées chez la plupart 
des adultes. Il est facile de voir sous ce rapport les 
modifications profondes que l’âge fait naître sur 
la tête du vieil orang-outan; car on avoit formé 
deux espèces, l’une des jeunes et l’autre des vieux, 
et même il est à peu près reconnu que le genre 
pongo ne repose que sur l’état complétement adulte 


166 


du même singe (1). On remarque que les maxillaires 
supérieurs sont aplatis comme ceux de l’homme, 
excepté chez le mandrill, où ils sont considérable- 
ment tuméfiés de manière à élever de beaucoup 
celte partie de la face. Il en est de même pour la 
mâchoire inférieure, dont les branches sont hori- 
zontales , et qui n’offrent dans leur manière de s’ar- 
ticuler aucune différence notable, bien qu’il faille 
en excepter le seul genre alouate, qui loge dans 
l'écartement des branches montantes une cavité dé- 
pendante de los hyoïde, qui concourt à augmenter 
considérablement le timbre de la voix. Les arcades 
dentaires sont disposées en demi-cercle ou en el- 
lipse ; elles logent de trente-deux à trente six dents, 
qui sont quatre incisives, deux canines, et dix ou 
douze molaires à chaque mâchoire. Les dents inci- 
sives de la même rangée ne se ressemblent pas 
toujours. Les deux du milieu sont analogues à celles 
de l’homme, tandis que les plus externes en diffè- 
rent par les proportions et aussi par la forme; car 
souvent elles sont, sous ce rapport, semblables aux 
canines. Ces dernières ne sont fréquemment remar- 
quables que par la conicité qui les distingue, et leur 
longueur ne dépasse pas de beaucoup ni les incisives 
ni les molaires, tandis que chez certaines espèces 
elles prennent avec l’âge un développement consi- 
dérable, et se trouvent correspondre à des crêtes 
osseuses très développées. Les singes de l’ancien 
continent se trouvent donc n’avoir que cinq molaires 
de chaque côté, dont les couronnes sont hérissées 
de tubercules mousses. Ceux du Nouveau-Monde se 
trouvent avoir cinq ou six de ces molaires, toujours 
d’un seul côté et à une seule mâchoire; mais dans 
le premier cas, ainsi que nous le voyons chez les 
ouistitis, les molaires ont leurs couronnes hérissées 
de pointes aiguës et piquantes, tandis que dans le 
second exemple elles sont remplacées par des tu- 
bercules arrondis. De ce mode de conformation ré- 
sulte un genre de vie plus décidément dirigé vers 
un certain ordre de substances. Les singes à mo- 
laires mousses doivent être en effet plus portés à se 
nourrir de racines et de fruits, tandis que ceux à 
molaires revêtues de pointes aiguës recherchent 
plus exclusivement les insectes. Placés comme ceux 
de l’homme, les yeux jouissent d’une grande per- 


() Les différences, en apparence énormes, qui sépa- 
rent les crânes arrondis et lisses des jeunes orangs de 
ceux rétrécis, à museau proéminent, à aspérités énor- 
mément développées, et surtout à rétrécissement de la 
cavilé cränienne des vieux individus, n’ont rien qui 
étonne. Nous avons vu de telles modifications survenir 
sur des têtes de chiens, au point qu’on seroit tenté d’i- 
soler les crânes si diamétralement opposés, bien qu'ils 
appartiennent à une même espèce dans des âges diffé- 
rents. La belle collection du docteur Vimont en ren- 
ferme de nombreux exemples, 


HISTOIRE NATURELLE 


fection et d’une grande étendue dans la vue, et 
sont remarquables par une extrême mobilité et par 
une insigne vivacité. Chez la plupart des singes les 
oreilles ont leurs conques nues, bordées, et appli- 
quées contre la tête, absolument comme dans 
l'homme. Toutefois on remarque déjà, chez les 
espèces dont le museau est proéminent, que la par- 
tie supérieure de cette conque s’élargit sous forme 
de triangle, de manière à présenter ainsi les pre- 
mières traces du cornet acoustique qu’offrent la 
plupart des autres mammifères. Le nez des guenons 
et des sapajous s’élève sur le milieu de la face comme 
une légère éminence ; mais dans le kabau cet organe, 
développé outre mesure, couvre une grande partie 
de la physionomie, tandis que chez les cynocépha- 
les il se termine par une surface nue et tronquée 
comme le museau d’un chien. Les narines sont ou- 
vertes perpendiculairement et séparées par une très 
mince cloison. Ce caractère a servi à distinguer les 
singes de l'ancien monde, et M. Geoffroy Saint- 
Hilaire a le premier observé que Iles deux cuver- 
tures nasales des singes du nouveau continent 
étoient transversales et séparées par une épaisse 
cloison. 

La face des singes est aussi variable et aussi mo- 
bile que le jeu de leur physionomie. Sur leurs traits 
se réfléchissent avec vivacité les passions qui les 
animent. Leurs malicieuses grimaces sont depuis 
long-temps passées en proverbe. Rien n’est plus 
ridicule au premier aspcet que ces figures grippées 
qui sont calquées dans leur ensemble sur nos traits, 
et qui varient des teintes couleur de chair jusqu’au 
noir foncé. Le mandrill est remarquable par le 
vermillon uni au bleu d’azur qui peint ses joues, 
tandis que d’autres se font remarquer par des par- 
ticularités, telles que d’avoir le nez blanc sur une 
face noire, ou bien la lèvre supérieure d’un blanc 
pur, etc. Plusieurs genres de singes se trouvent 
pourvus de poches placées sous les joues qui com- 
muniquent avec la bouche, et qu’on nomme aba- 
joues. Ces poches, musculaires et dilatables, servent 
à renfermer les vivres dont ces animaux font pro- 
vision lorsqu'ils maraudent dans les cultures où 
dans les rizières. Ils reprennent ces aliments à loi- 
sir lorsqu'ils ont regagné leurs gites, et triturent 
en paix leurs provisions de prévoyance. La peau 
qui enveloppe l’ensemble des traits est donc le plus 
souvent nue. Parfois des poils épais et touffus lui 
servent de moustache ou de barbe, et chez certai- 
nes espèces américaines les poils du pourtour de la 
tête sont taillés et disposés de manière à imiter 
parfaitement une barbe d’Israélite. 11 n’est pas jus- 
qu’aux poils qui composent leur fourrure qui ne 
présentent de nombreuses dissemblances dans leur 
manière d’être implantés, et qui varient non seule- 
ment dans chaque genre, mais même dans chaque 


DES MAMMIFÈRES. 


espèce. Ainsi chez le macaque bonnet - chinois ces 
poils partent du sommet de la tête à la circonfé- 
rence, et imitent une sorte de calotte naturelle. 
Chez d’autres ils se dressent sur les tempes sous 
forme d’aigrette. Enfin ils retombent en épaisse 
crinière sur les épaules de l’'hamadryas et de l'ouan- 
derou. 

Les singes ont le cou court , autre analogie avec 
l'espèce humaine ; ils sont redevables de cette mo- 
dification de l'organisme à leur habitude de porter 
les aliments à la bouche à l’aide de leurs mains. Ne 
déchirant point une proie, ne paissant point l’herbe 
des prairies , ils n’ont pas eu besoin d'augmentation 
dans le nombre des vertèbres cervicales; et le cou 
n’a été chez eux, comme chez l’homme, qu’un 
moyen de séparation entre les organes des sens et 
ceux de la vie. Ils ont généralement le corps allongé, 
mince, et très peu chargé de graisse. On connoît à 
peine deux ou trois espèces qui aient l’abdomen 
proéminent. Des poils épais, plus ou moins touffus 
et soyeux, couvrent les parties externes des mem- 
bres ; les parties internes sont au contraire presque 
nues ou à peine revêtues d’un léger duvet. Les 
mamelles , placées sur la poitrine, sont cachées par 
le système pileux ; elles se gonflent, elles se déve- 
loppent , lorsque la lactation , amenée par la ma- 
ternité, doit s’opérer. À ce changement, produit 
par les fonctions de la reproduction, s’en joint un 
autre qui est le signe précurseur des désirs; et 
comme ils sont violents chez les singes, comme ils 
tiennent à des goûts de satyre en quelque sorte, la 
pature les a signalés de loin en faisant éclore sur 
les parties dénudées des fesses de certaines espèces 
des couleurs d’un éclat inusité, telles que des teintes 
d’un pourpre vif, d’un violâtre foncé, ou d’une 
couleur de chair livide. L’aiguillon de la volupté 
physique se fait sentir avec une force si irrésistible 
qu’à ces signes apparents ne se borne pas la mani- 
festation de l’orgasme vénérien, et il arrive que les 
organes sexuels et ces callosités se tuméfient outre 
mesure. Les désirs une fois assouvis, l’époque du 
rut une fois passée, ces parties reprennent leur 
volume habituel, et les couleurs chargées qui leur 
prêtoient un aspect si nouveau s’effacent pour re- 
naître sous l'influence des mêmes causes. Mais chez 
le plus grand nombre des espèces ces callosités 
persistent, sont constamment nues, et se font re- 
marquer sur tous les singes de l’ancien monde : 
ceux de l’Amérique sont les seuls qui en soient 
complétement privés. Ces callosités, qui occupent 
parfois toute l’étendue des fesses de certains singes, 
et de l’hamadryas entre autres, sont d’autant plus 
épaisses et plus calleuses que l'animal doit en faire 
un plus fréquent usage dans le repos. Elles sem- 
blent être pour lui un organe de tact, sur lequel il 
se repose pendant le sommeil pour se maintenir en 


167 
équilibre sur les branches d’un arbre. De-tous les 
singes de l’ancien monde le chimpanzé seul n’avoit 
point de callosités, au dire du plus grand nombre 
des naturalistes. Ce fait toutefois ne paroît reposer 
que sur l'examen superficiel de la peau de ce grand 
orang déposée aux galeries du Muséum ; car M. Isi- 
dore Geoffroy Saint-Hilaire est parvenu par des 
recherches scrupuleuses à s'assurer de l'existence 
des callosités sur cette même peau, et il a contribué 
par là à fournir les moyens les plus positifs pour re- 
jeter le genre troglodytes, qui ne résidoit en partie 
que sur ce caractère. 

Les organes de la génération ont une analogie de 
forme avec les nôtres qui étonne. La verge des 
mâles, pendante sur un large scrotum dans lequel 
sont logées les bourses, se termine par un gland 
très variable , suivant les espèces, qu’enveloppent 
les replis d’un prépuce très étofté, et qui est libre. 
Souvent les couleurs les plus vives enluminent cet 
appareil, et repoussent la vue par leur cynique 
beauté. Le clitoris de la vulve des femelles est sail- 
lant, et imite par son volume la verge des mâles : 
aussi certaines femelles en captivité ont-elles paru 
avoir contracté des habitudes lesbiennes. 

Les membres, proportionnés au corps, sont le plus 
souvent disparates avec lui par leur longueur et par 
leur maigreur. Les nocthores et les tamarins seuls 
ont des pattes de dimensions plus en rapport; mais 
il n’en est plus de même lorsqu'on examine des sais, 
des sajous, des semnopithèques, et surtout des gib- 
bons. « Ce qu’il y a de manifeste, dit M. Geoffroy 
» Saint-Hilaire (1), c’est l'extrême allongement des 
» membres des singes et la division profonde des 
» doigts. Considérons les bras des gibbons et des atè- 
» les, bras qui, lorsque ces animaux se tiennent 
» debout , touchent à terre , Où du moins atteignent 
» les malléoles ; ils nous offrent une conformation 
» intermédiaire entre celle des chéiroptères et celle 
» des vrais quadrupèdes. La longueur des extrémi- 
» tés est moindre que dans ceux-là, surtout en ce 
» qui concerne les doigts, mais plus grande que dans 
» ceux-Ci. Eh bien !'quant à la fonction, les quadru- 
» manes sont dans un état moyen ; ils ne sont ni en- 
» tièrement aériens ni entièrement terrestres. El leur 
» faut un sol de refuge, et ce sol ils le trouvent 
» entre la terre et les cieux. Ils se tiennent en effet 
» dans les forêts, sur les arbres, où alors toute leur 
» conformation les favorise. Préhenseurs par le fait 
» d’un pouce opposable aux autres doigts , ils saisis- 
» sent l'arbre et le parcourent de branche en branche ; 
» chaque acte de locomotion se marque par l’action 
» de pincer et de saisir : puis, sont-ils poursuivis 
» dans cet asile par un animal carnassier pouvant se 
» servir de ses griffes pour grimper le long des gros 


() Leçons sténographiées, Ve leçon, 1828, 


168 


» troncs d'arbres, ils se rassurent , ils usent de leurs 
» facultés pour le saut, des avantages de leur séjour 
» sur la cime des arbres, et mettent à profit cette 
» région moyenne et leur existence demi-aérienne ; 
» car ils sautent d’arbre en arbre. » Plus loin le 
savant professeur ajoute : « Les quadrumanes pré- 
» sentent donc non seulement leurs quatre pieds mé- 
» tamorphosés en mains, mais une modification 
» complète de chaque membre. Ainsi les bras sont 
» attachés à une épaule complète dans ce sens que 
» l'os scapulaire antérieur est une clavicule forte, 
» résistante, longue, et parfaite, comme dans 
» l’homme; ils occupent les parties externes d’un 
»tronc plutôt large que renflé de devant en 
» arrière. » 

On a longuement discuté pour savoir jusqu’à 
quel point les singes les plus rapprochés de l’espèce 
humaine se servoient de leurs membres, et si la 
station bipède leur étoit ordinaire. 11 est bien dé- 
montré aujourd'hui que ce n’est jamais qu’en em- 
ployant leurs quatre membres que Jeur course est 
agile, et que leur adresse fait usage de toutes les 
ressources de leur appareil locomoteur. Ce n’est 
qu’accidentellement qu’ils cheminent quelques in- 
stants sur les membres postérieurs seuls , et encore 
est-ce le plus souvent en se servant de branches 
pour appui ou en gravissant des lieux escarpés. Ce 
n’est qu’à la suite de leçons souvent répétées que 
les singes apprennent à marcher sur les deux pieds, 
le corps en équilibre; et la gêne de leurs mouve- 
ments, le peu de stabilité de leur démarche, leur 
habitude d’appuyer sur le bord externe du pied, 
prouvent que cette position est bien loin de leur être 
le moins du monde familière. 

Les deux os qui composent l’avant-bras, de 
même que le tibia et le péroné aux jambes, sont 
articulés de manière à être d’une mobilité égale aux 
extrémités supérieures aussi bien qu'aux inférieu- 
res. Les mouvements de pronatior et de supina- 
tion, que l’avant-bras chez l’homme exécute seul, 
sont donc chez les singes propres aux jambes; et, 
soit dit en passant, ils doivent prouver que la sta- 
tion bipède ne peut jamais être solide ni assurée, ct 
d'avance ils doivent offrir des armes pour combattre 
l'opinion qui l’admet comme le résultat d’une habi- 
tude ordinaire. Le carpe et le tarse, ou ces deux 
espaces qui dans les mains et les pieds servent de 
supports aux doigts, sont composés d’un grand nom- 
bre de petites pièces osseuses, qui allongent ces par- 
ties, et leur donnent une certaine élasticité ou une 
mobilité fort utile pour embrasser avec plus d’ai- 
sance les corps volumineux. Les doigts des mains et 
des pieds sont toujours lisses et nus en dessous, 
peu velus sur leur surface extérieure, efhilés, libres 
pour la plupart, et recouverts par les ongles apla- 
tis. Les ouistitis font seuls exception à cette règle ; 


… 


HISTOIRE NATURELLE 


car les ongles qui terminent leurs doigts sont cro- 
chus et comprimés , absolument comme des griffes, 
et servent à prouver, conjointement avec leurs mo- 
laires hérissées de pointes aiguës, que cette petite 
tribu s'éloigne déjà beaucoup des caractères de Ja 
famille, et qu’elle est placée sur la limite qui sé- 
pare les singes de certains animaux inseclivores de 
l'ordre des carnassiers. Il n’est pas toutefois aisé 
de se rendre compte des anomalies que présentent 
les doigts dans plusieurs genres. Ainsi le premier 
doigt et le second des pieds du gibbon syndactyle 
sont réunis dans une portion de leur longueur; le 
semnopithèque-croo a deux doigts du milieu de la 
main plus longs que les autres; les atèles enfin n’ont 
point de pouce, ou, s’il existe, il se trouve à l’état 
rudimentaire. 

La queue, qui dans la plupart des animaux n’a 
point de valeur comme caractère distinctif soit des 
geures, soit des espèces, offre chez les singes une 
permanence de forme suivant les groupes, qu'il est 
avantageux d'apprécier. Cette queue n’est point un 
vain luxe pour plusieurs singes américains, c'est 
un cinquième membre dont les a dotés la nature, 
et par son usage les espèces qui la possèdent se 
cramponnent aux branches des arbres des forêts, 
s’en font un support qui remplace les mains et les 
pieds, et ont ainsi un nouveau moyen de se dérober 
aux embûches de leurs ennemis. Les orangs n’ont 
point de queue; ils semblent même, par ce carac- 
tère, vouloir encore échapper à la classe des ani- 
maux pour se rapprocher de l’homme : le magot en 
a une très courte, et les cynocéphales en possèdent 
une médiocre. Tous les autres singes de l’ancien 
continent ont donc une queue grêle, terminée en 
pointe, parfois très longue, et diffèrent sous ce rap- 
port des singes d'Amérique, qui ont la queue lon- 
gue et enroulée, couverte de poils courts, comme 
les sapajous ; ou touffue, très fournie de poils longs 
et Tâches, comme les sakis on singes à queue de re- 
nard ; ou à poils courts, mais läches, comme les 
ouistilis; ou enfin nue à l’extrémité, ainsi que le 
présentent les atèles et les alouates. 

Ainsi donc les singes, organisés pour être le lien 
qui unit l’homme aux animaux les plus bruts, ont 
cependant une bien plus grande analogie d’organi- 
sation animale avec le premier, et s’ils s’en éloignent 
c’est sous le rapport de l'intelligence et du juge- 
ment; car ils sen rapprochent de la manière la 
plus complète par la texture des viscères et par l’a- 
nalogie de forme et de destination. Ainsi cerveau 
et annexes, perfection de la vue, de l’ouie et du 
toucher, longueur ct disposition de l'estomac et du 
tube intestinal, tout rappelle dans les singes ce qui 
existe dans le corps humain. L’orang -outan est 
toutefois le seul sur lequel on ait trouvé l’appendice 


vermiforme qu’on sait être adhérent à la base du 


DES MAMMIFÉÈRES. 


cœcum, et il est juste de dire que l’estomac du sem- 
nopithèque à eroupion blanc, disséqué par M. Otto, 
au lieu d’être simple, a été trouvé composé de plu- 
sieurs cavités spacieuses séparées par des étrangle- 
ments, de manière à faire penser que l’animal étoit 
plus essentiellement soumis à un régime dont les 
fruits ou les racines formoient la base. 

Les singes, par le développement de leur cer- 
veau, ont donc une intelligence très étendue. La 
mobilité de leur imagination est extrême, et leur 
mémoire est fugace, hormis sous un seul point : 
nul animal ne conserve une rancune plus longue et 
plus tenace des mauvais traitements qu’il a reçus. 
Indociles, entêtés, méchants, friands, rien ne peut 
les corriger de ces penchants vicieux, pas même la 
crainte des châtiments. Cependant la captivité 
usent l'énergie de quelques espèces plus disposées à 
la douceur les façconne à une sorte de domesticité, et 
les habituc à obéir au commandement de l’homme. 
Les orangs paroissent être graves, taciturnes, mais 
courageux, et se-défeudent avec vigueur lorsqu'ils 
sont attaqués. Ce sont les êtres qui de toute la fa- 
mille ont la plus forte dose de sagacité. Criards et 
sauvages, les gibbons vivent dans les profondeurs 
des forêts toujours inquiets du moindre bruit qui 
parvient à leurs oreilles. Lascifs et brutaux, les cy- 
nocéphales joignent à la laideur de leurs formes 
les habitudes d’une hideuse férocité; mais, parmi 
les espèces de petite taille, les macaques et les gue- 
nons semblent avoir été doués d’un talent d’imita- 
tion décidé, et façonnés au joug dès le jeune âge, 
leur mémoire retient les gestes qu’on leur a ensei- 
gnés. Ne voyons-nous pas chaque jour ces animaux, 
résignés en apparence à un genre de vie diamétra- 
lement opposé.à celui qu’ils avoient dans leur pa- 
trie, et déchus de leur liberté vagabonde , obéir au 
moindre geste de leur maitre, danser en cadence 
sur les places publiques, solliciter l’aumône des 
passants, se livrer en un mot avec une entière ab- 
négation au sort factice auquel on les a condamnés? 
C’est p'r de nombreux grincements et par de vifs 
mouvements des lèvres qu’ils témoignent leur dé- 
plaisir. Les espèces robustes cherchent à mordre et 
font de profondes blessures avec leurs canines; 
mais les petites espèces américaines, si remarquables 
par l'élégance de leur fourrure, ne sont point suscep- 
tibles d'éducation, et n’ont reçu que très peu d’in- 
telligence. Les singes sont d’une inconstance qui 
étonne : tout les émeut, tout attire leurs regards 
mobiles ; et comme s'ils se défioient du sens de la 
vue, le toucher semble être pour eux un moyen 
sûr de rectification. Ils prennent un objet, le quit- 
tent, le reprennent de nouveau pour l’abandonner 
encore cent fois de suite peut-être, et cela dans de 
courts intervalles. Ils ont un malin plaisir à briser 
et à mettre en pièces ce qui tombe sous leurs palies : 

L. 


169 


la destruction est une jouissance machinale de leur 
instinct. [ls goûtent (ous les aliments qu’on leur 
présente, et mangent avec gloutonnerie ceux qui 
leur plaisent. En captivité les mâles sont adonnés à 
la masturbation, et la vue d’un être humain d’un 
sexe opposé au leur allume leurs désirs qu’ils té- 
moignent par les actions jes plus libidineuses. On 
dit même que le chimpanzé a souvent enlevé des 
Négresses, et a vécu avec elles dans des cavernes 
isolées ; mais, bien que plusieurs voyageurs citent 
de telles histoires, nous croyons qu’elles auroient 
besoin d’être appuyées de témoignages plus véridi- 
ques. Les femelles ont la plus vive tendresse pour 
leurs petits, et l’on sait que le docteur Gall expli- 
que la vivacité de ce sentiment chez les animaux 
par Pextrême saillie en arrière des hémisphères cé- 
rébraux. Or c’est ce qu’on remarque d’une manière 
très particulière chez les singes. Nul animal n’aime 
peut-être avec une plus vive tendresse les êtres aux- 
quels il a donné le jour. Une mère ne perd jamais 
de vue son nouveau-né; elle Le tient dans ses bras, 
le regarde avec complaisance , l'entoure des soins 
les plus attentifs, et s'inquiète des moindres cir- 
constances qui peuvent lui être ficheuses. Pour 
donner un exemple du vif attachement que ces ani- 
maux portent à leur progéniture, nous rappellerons 
un passage du Foyaje du jeune Alfred Duvaucel 
{Journal asiatique, mars et avril 14824), qui au 
milieu d’un récit léger en apparence renferme tou- 
tefois des observations intéressantes et narrées d’une 
manière piquante. « Je suis entré à Gouptipara à 
» peu près comme Pythagore à Béaares, lui pour 
» chercher des hommes, moi pour trouver des bé- 
» tes, ce qui est généralement plus facile. J'ai vu 
» des arbres couverts de hout- mann (simia entel- 
» us) à longue queue, qui se sont mis à fuir en 
» poussant des cris affreux. Les Indous, en voyant 
» mon fusil, ont deviné aussi bien que les singes 
» le sujet de ma visite, et douze d’entre eux sont 
» venus au-devant de moi pour m’apprendre le 
» denger que je courois en tirant sur des animaux 
» qui métoient rien moins que des princes méta- 
» morphosés. J'avais bien envie de ne pas écouter 
» les avocats de ces maciques ; cependant à moitié 
» convaincu j’allois passer outre, lorsque je rencon- 
» trai sur ma route une princesse si séduisante que 
» je ne pus résister au désir de la considérer de plus 
» près ; je lui lâchai un coup de fusil, et je fus alors 
» témoin d’un trait vraiment touchant : la pauvre 
» bête, qui portoit un jeune singe sur son dos, fut 
» atteinte près du cœur; elle sentit qu'elle étoit 
» mortellement blessée, et réunissant toutes ses 
» forces elle saisit son petit, l’accrocha à une bran- 
che et tomba morte à mes pieds. Un trait si ma- 
» ternel m'a fait plus d'impression que tous les 
» discours des brames, et le plaisir Me un bel 
22 


ÿ 


170 


» animal n’a pu l'emporter cette fois sur le regret 
» d’avoir tué un être qui sembloit tenir à la vie par 
» ce qui rend le plus respectable. » 

L’œil jouit d'une grande perfection da sens de la 
vue, aussi les singes sont-ils des animaux essen- 
tiellement diurnes, qui se lèvent avec le jour et se 
couchent au crépuscule. Par une exception encore 
fort remarquable la nature a voulu qu’un genre de 
la famille ait une vision nocturne, et c’est ainsi 
que les nocthores ou nyclipithèques sont doués 
d’habitudes crépusculaires. Sous ce rapport le genre 
nocthore est donc un moyen d’union qui par cette 
organisation, et par les habitudes générales du 
corps, conduit des singes aux galagos ou à d’autres 
quadrumanes de la famille des makis. 

Les singes dans l'état de nature vivent le plus 
souvent en petites troupes qui paroissent conduites 
par des chefs âgés et expérimentés. On dit que les 
gibbons et les sapajous seuls sont monogames ; 
mais il est à peu près certain que les espèces des 
autres genres ne se piquent point de constance en 
amour, et que les femelles sont communes à tous 
les mâles. L'autorité des individus adultes sur les 
jeunes paroïit nettement établie, et l’on assure qu’ils 
emploient même le moyen de corrections pour se 
faire obéir. Ils ont pour se reconnoitre dans les bois 
un cri d'appel qui est prodigieusement bruyant dans 
le genre alouate, dont les individus ont été, à cause 
de cela, nommés singes hurleurs. 

Agiles et brusques dans leurs mouvements, les 
singes exigent certaines conditions pour leur exis- 
tence; leur circulation active, la rapidité du fluide 
nerveux qui anime leurs membres, nécessitent une 
vaste arène à leurs ébats, et sous ce rapport ils trou- 
vent dans les profondes forêts de l'Amérique et 
düns celles des îles de la Polynésie les lieux les plus 
appropriés à leur sauvage indépendance. Toutefois 
il paroît que les espèces dont les membres ont des 
dimensions peu en rapport avec les proportions du 
corps éprouvent une plus grande lenteur dans leurs 
mouvements, et ce sont surtout les gibbons que 
l'on cite comme étant d’un naturel indolent, ce 
qui paroïtroit Gû à moins d'activité dans le système 
nerveux et à moins d'énergie dans l'appareil cireu- 
latoire. 

Les femelles des singes ne mettent ordinairement 
au monde qu’un seul petit, parfois deux, absolu- 
ment comme la femme. La durée de la gestation 
varie sans doute pour les grandes espèces, car on 
ignore quel est son terme pour les orangs, ct l’on 
sait seulement d’après des observations précises de 
M. F. Cuvier que les macaques maimon et rhésus 
portent sept mois. Les jeunes singes en naissant 
sont dans un état de développement assez avancé 
pour que leur croissance soil beaucoup plus rapide, 
sous le rapport physique, que celle d’un enfant. 


HISTOIRE NATURELTIE 


Leurs formes sont arrondies et pleines de mollesse; 
leurs traits, empreints de douceur et d’une certaine 
grâce, n’ont rien de repoussant; leur caractère est 
badin, caressant : leur face est moins colorée, le 
pelage n’a point les nuances des pères et mères : ce 
n’est qu'à mesure qu’ils vieillissent qu’ils prennent 
les ceractères des auteurs de leurs jours. Leur ai- 
mable pétulance, leur gracieuse étourderie, leur 
sourire enfantin, font place à de laides grimaces, à 
des grincements de dents, à des passions colériques 
et méchantes. Le museau avance, les crêtes sour- 
cilières se projettent sur les yeux ; le crâne, de lisse 
et d’uni qu'il étoit, se couvre d’éminences osseuses 
puissantes, et destinées à servir d'attache à des 
muscles énergiques et robustes. Le singe adulte a 
donc perdu les grâces de la jeunesse, et ne se 
montre plus qu'avec toute la laideur héréditaire de 
ses pères. 

Les aliments dont se nourrissent ces animaux 
consistent en fruits butireux, en racines, en graines 
céréales, en insectes. Leur estomac simple, leurs 
dents de trois sortes, contribuent à les rendre poly- 
phages comme l’homme, bien que ce ne soit qu’en 
captivité qu'on les voit rechercher les viandes cui- 
tes, les mets succulents, et boire du vin et des li- 
queurs fortes. Leur friandise pour le sucre, pour le 
lait est extrême, et leur appétit s’accommode volon- 
tiers de tout ce qui leur tombe sous la dent. 

Les singes, par les lois de leur organisation, 
sont destinés à vivre dans la zone torride, entre les 
deux tropiques de l’Ancien comme du Nouveau 
Monde. Ils ne s’arrangent point des climats tem- 
pérés, à moins que la captivité ne les protége du 
froid des hivers; et l’on ne cite qu’une seule espèce, 
le magot, qui se soit avancée en Europe par les 
27 degrés de latitude nord, et qui ait pu s'acelima- 
ter sur le rocher méridional de Gibraltar, que tout 
concourt à maintenir dans une température bien 
voisine de celle de la Barbarie, patrie de ce singe 
d’ailleurs vivace. Ces animaux n’aiment que les 
contrées les plus chaudes de la terre, et les pays 
unis et plats couverts de forêts, mais nullement les 
contrées montagneuses et escarpées où la froidure 
se fait ressentir. A l'ile de France cependant l'espèce 
originaire de Java, qui s’y est naturalisée, habite la 
montagne du Pouce, et ne descend dans les vergers 
que pour marauder; mais là il Jui a fallu, pour 
maintenir son existence dans une ile très peuplée, 
recourir aux endroits les plus sauvages et les moins 
fréquentés. Toutefois il y a quelques exceptions, 
peu nombreuses il est vrai, à cette loi ;et c’est ainsi 
que quelques singes habitent le cap de Bonne-Es- 
pérance, et que quatre espèces se trouvent au Para- 
guay, l’un et l’autre point vers les 55 à 58 degrés 
de latitude sud. 

Les singes de l’ancien continent sont répartis 


DES MAMMIFÈRES. 


dans chaque contrée d’une ranière assez uniforme 
par genres. Ainsi le troglodyte est d'Afrique, et 
l’orang-outan de Sumatra et de Bornéo, dans l’ar- 
chipel des Indes orientales. Les gibbons sont d’Asie, 
c’est-à-dire des îles indiennes de la Sonde et de la 
presqu’ile de Malacca. Les guenons habitent exclu- 
sivement l'Afrique : on les trouve au cap de Bonne- 
Espérance, sur la côte de Guinée et du Loango, 
mais jamais dans l’Inde proprement dite. Les sem- 
nopithèques sont exclusivement des Indes orien- 
tales, ainsi que les macaques. Des deux magois 
connus l’un est d'Afrique et l’autre de l’Inde. Les 
cynocéphales se trouvent en Afrique, au cap de 
Bonne-Espérance et en Arabie; mais les maudrills 
sont de la côte de Guinée. Par cette indication som- 
maire on doit voir cependant que l’ancien monde est 
bien loin d’être occupé dans toute sa portion inter- 
tropicale par ces animaux. L'Afrique, il est vrai, en 
offre dans toute sa partie chaude ; mais l’île de Ma- 
dagascar, qui la borne à l’est, ne nourrit pas une 
seule espèce de singe, et les quadrumanes qu’on y 
trouve en revanche et comme remplaçants sont des 
makis et autres lémuriens. En Asie le littoral du 
continent de l’Inde et de la Cochinchine, les grandes 
îles de la Sonde, sont les seuls points où les singes 
apparoissent. On ne les retrouve plus dans les Mo- 
luques, à la Nouvelle-Guinée, et aucunement dans la 
Nouvelle-Hollande. Aucun d’eux ne s’est propagé 
dans la mer du Sud. 

L'Amérique possède un très grand nombre d’es- 
pèces qui diffèrent complétement de celles de l’an- 
cien continent. Elles vivent presque toutes dans les 
immenses forêts du Brésil et de la Guiane, sur les 
rives de l’Orénoque et des autres grands fleuves qui 
en arrosent la surface. La Nouvelle-Espagne n’en 
possède que quelques espèces, et le nord du Para- 
guay trois ou quatre; mais ni le Pérou, ni le Chili, 
ni le Mexique propre, n’ont de singes, et ces ani- 
maux ont été confinés sur la vaste surface que bor- 
nent à l’ouest la chaîne des Andes, au nord l’isthme 
de Panama, et au sud le Rio-de-la-Plata. 

En Europe les singes, retenus dans les ménage- 
ries ou élevés en domesticité, ne vivent pas long- 
temps. Privés de cette liberté qui est le plus grand 
bien de tous les êtres, ils ne tardent point à suc- 
comber à la phthisie qui use leur vigueur, résultat 
d’un excès de vie qui cherche à se répandre, et qui 
tourne contre l’individu même une force que le dé- 
faut d'exercice ne permet pas d’abattre. Tristes et 
moroses sous les fers qui les enchaïînent ou dans la 
prison qui les retient, on les voit encore ronger avec 
plaisir l’extrémité de leur queue, et hâter ainsi eux- 
mêmes le moment qui doit terminer leur captivité. 

Les anciens paroissent n’avoir connu que trois es- 
pèces de singes : le pithecos d’Aristote, qui est assez 
visiblement le magot; le simia porcaria, qui pour- 


171 


roit bien être le cynocéphale tartarin ou singe de 
Hoco, et non pas le papion ; et le kebos ou plutôt 
cephos, que Buffon à rapporté à la guenon-mone. 
On lit dans le Périple d’Hannon, amiral carthagi- 
nois, qui paroit avoir abordé aux îles du Cap-Vert 
trois cent trente-six ans avant l’ère chrétienne, qu'il 
vit dans une île de la côte occidentale d'Afrique un 
animal à physionomie humaine entièrement poilu 
sur le corps, et que les interprètes nommèrent go. 
rillès. Les mâles étoient beaucoup moins nombreux 
que les femelles ; et c’est avec de grandes difficultés 
qu'ils s'emparèrent de trois de celles-ci qui se défen 
dirent avec courage, et jetoient des pierres à leurs 
agresseurs. On les écorcha ; et leurs peaux, portées 
à Carthage, furent pendues aux murailles du tem- 
ple. Or tout autorise à penser que c’est encore le 
chimpanzé dont il s’agit dans cet article. 

Nous n’essayerons point de passerenrevue les opi- 
nions émises sur les singes par les anciens auteurs, 
nos lecteurs ÿ puiseroient trop peu de renseigne- 
mentsutiles. El en est de même des principes de classi- 
fication et des genres qu’on a proposés pour rendre 
leur étude plus facile. Buffon a en vain dit que les 
méthodes n’existoient point dans la nature, et qu'on 
devoit les bannir de la science; elles survivront à 
ses anathèmes, car sans elles l'esprit se perdroit 
dans un chaos dont rien ne pourroit le tirer. Tout 
en déclamant d’ailleurs contre les genres proposés 
par Linnæus et d’autres méthodistes, Buffon les 
adoptoit sans s’en apercevoir, et les traçoit à sa ma- 
nière. Nous avouerons ne pas concevoir l’histoire 
paturelle sans principes quelconques de classifica- 
tion. Avec eux clarté et intelligence ; sans eux vague 
et incertitude dans le jugement. On nous saura donc 
gré d'adopter une méthode commode, facile, et dé- 
guisée de manière qu’elle puisse s’insinuer dans l’es- 
prit sans nécessiter un pénible travail ni des efforts 
répétés. Avant de tracer toutefois le tableau des 
coupes que nous admettons dans la famille des singes, 
esquissons légèrement les traits les plus saillants des 
principes des meilleurs auteurs systématiques. 

Brisson proposa cinq types pour classer les ani- 
maux qui nous occupent ; il les nomma singe, singe 
à museau de chien, papion, cercopithèque et cer- 
copithèque à museau de chien, et décrivit trente- 
six à trente-sept espèces d’une manière assez impar- 
faite et assez obscure. Linnæus ne fit qu’un genre, 
nommé simia, et il y classa quarante-sept de ces ani- 
maux, parmi lesquels plusieurs sont évidemment 
en double emploi, ou même n'existent point dans la 
nature. Blumenbach proposa les genres singe, ba- 
bouin et cercopithèque, dans lesquels il établit des 
coupes qui déjà étoient une amélioration vers le 
vrai. M. G. Cuvier proposa des vues lumineuses dans 
son tableau élémentaire, et plus tard perfectionna 
singulièrement sa méthode dans son ouvrage intitulé 


ms tt tte 


172 


Saint-Hilaire d’abord, et Illiger un peu plus tard, 
introduisirent une foule de genres qui furent les 
premiers essais pour séparer par petits faisceaux des 
animaux devenus trop nombreux pour rester grou- 
pés sous une même et unique détermination. Le pre- 
mier créa les genres troglodytes, nasalis, ateles, 
lagothrixæ, jacchus et midas ; le second adopta dans 
son prodrome les simia, hylobates, lasiopyga, cer- 
copilhecus, cynocephalus, colobus, aïeles, myce- 
tes, pithecia, aotus, callithrix et hapale. Parmi 
ces genres le pithecia avoit été établi par M. Des- 
marest, l’aotus par M. de Humboldt, le callithrix 
par M. G. Cuvier, les cercopithecus et cynocephalus 
par Brisson, et le simia par Linnæus. Illiger n’a- 
voit tenu aucun compte des genres pongo, Mmacacus 
et saguinus, proposés par Lacépède, ni du genre 
cebus établi par Erxleben, ni par suite des sept dé- 
nominations conservées en 4806 par M. Duméril 
dans sa Zoologie analytique, telles que celles des 
orang (pilhecus), sapajou (callithrix), alouate (ce- 
bus), guenon (cercopithecus), magot (cynocephalus), 
pongo (pongo) et babouin (papio). Par ce court ex- 
posé on doit déjà apercevoir la divergence des prin- 
cipes admis par les naturalistes méthodistes, et 
l'obscurité fâcheuse qui doit résulter de ce fatras de 
synonymie. Îl est même facile d’entrevoir sur quels 
caractères fugaces reposoient les fondements de plu- 
sieurs de ces genres. 

Tel étoit l’état de la science jusqu’à ces dernières 
années où les travaux de M. F. Cuvier avancèrent 
singulièrement nos connoissances sur cette famille 
qui lui doit la création du genre semnopithèque, dans 
lequel rentrent le presbytis de M. Eschsholtz et la 
suppression de plusieurs autres. M. Geoffroy Saint- 
Hilaire, en précisant les caractères des singes de l’An- 
cien et du Nouveau Monde, en divisant ces derniers 
en trois tribus très nettement isolées, a fait faire un 
pas immense à leur classification, et à éclairei d’une 
manière on ne peut plus avantageuse les principes 
qui doivent faciliter leur étude. Enfin MM. Spix et 
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ont encore augmenté 
les genres des singes américains en créant, le pre- 
mier, les brachyures, et le second, les ériodes. 

Afin de simplifier les idées qu’on doit se former 
dans des coupes naturelles et zoologiques, nous 
adopterons le tableau suivant comme un excellent 
moyen mnémonique de classer les faits de la science 
avec clarté et précision. 


HISTOIRE NATURELLE 


Règne animal. Mais dans l'intervalle M. Geoffroy j 


SINGES (1) 


4° DE L'ANCIEN CONTINENT, ou CATARHIN- 
NINS. 


Narines ouvertes en dessous du nez ct séparées par 
une cloison mince; cinq dents molaires de chaque 
côté et à chaque mâchoire; vision horizontale. Des 
callositès chez tous, et dans le plus grand nombre 
des abajoues. 


. Les ORANGS et les GIBBONS ; 
. Les SEMNOPITHÈQUES ; 

. Les GUENONS; 

. Les MACAQUES; 

. Les CYNOCÉPHALES. 


OZ de CA RO = 


2° DU NOUVEAU CONTINENT, ou PLATY- 
RHINNINS. 


Narines latérales et séparées par une large cloison ; 
six dents molaires chez toutes les espéces à ongles 
aplatis; cinq chez celles qui out des ongles taillés 
en griffes ; vision oblique de haut en bas. Callosités 
et abajoues manquant complétement. 


Are rrivu. HÉLOPITHÈQUES (?), singes dont la 
queue est enroulée et prenante: les 
SAPAJOUS. 


2e rripu. GÉOPITHÈQUES (3), singes dont Ja 
queuc est velue et non prenante: les 
SAGOUINS. 


5e Tribu. ARCTOPITHÉÈQUES (4), singes dont 
les molaires sont hérissées de pointes 
aiguës, et qui ont des griffes au lieu 
d'ongles aplatis : les Ouisriris. 


LES ORANGS(). 


Ne pourroit-on pas, au risque même de se faire 
taxer d’enflure, dire, en parlant des orangs (f): 
« Homme enorgueilli de ton enveloppe extérieure, 
des traits que dans ta vanité tu as osé comparer à 


() Geoffroy-Saint-Hilaire, Leçons sténographiées. 

(2) Singes à queuc enroulante. 

() Singes terrestres, ou qui ne quittentpoint la terre. 

(4) Singes à ongles d’ours. 

(5) M. le docteur Roulin a publié en 1837, dans la re- 
vue des Deux-Mondes (no du 45 mars), un long article 
sur les ORANGS. 


(2) Nous avons long-temps hésité à imprimer ;ces 


DES MAMMIFÉRES. 


ceux de la Divinité; être fragile, égoïste, dont la vie 
s'écoule dans des actes vicieux déguisés avec plus 
ou moins d'art, méconnois, si tu le peux, ta parenté 
avec les orangs ; viens lire dans leur histoire la plu- 
part des actes que chaque jour ton orgucil humilié 
voudroit en vain repousser comme l'apanage des 
bêtes; et, si le sentiment du vrai a parfois des mo- 
ments d’accès dans ton âme, avoue au moins que 
sous les rapports matériels de l’organisation ces singes 
sont faits à ton image, et souvent l’emportent sur 
toi par leur attachement à ce qu’on doit appeler de- 
voirs de famille et par des qualités qu’en vain tu as 
cherché à t’attribuer exclusivement! » 

Tout dans l’organisation des orangs rappelle les 
détails anatomiques de l’espèce humaine ; et les gib- 
bons, qui s’éloignent déjà du type primitif par la 
longueur démesurée de leurs membres, conduisent 
par un passage insensible aux autres animaux de la 
famille des singes. Les orangs sont donc le chainon 
intermédiaire qui lie l’homme au reste de la création. 
L’épithète d'hommes des bois, que leur ont donnée 
tous les peuples placés près de l’état de nature, an- 
nonce évidemment un rapprochement que nos mé- 


lignes : elles nous feront juger très diversement sans 
doute par les personnes qu’une telle manière de voir 
effarouchera de prime abord; elles sont cependant le ré- 
sultat de notre conviction intime. Mais nous croyons 
devoir donner à notre pensée un éclaireissement néces- 
saire pour qu'il n’y ait point d'équivoque à son sujet. 
Les philosophes qui ont placé l'homme, considéré 
comme être créé, sur une sorte de trône qu'ils encen- 
sent ,en se réservant une bonne porlion de leurs louan- 
ges, nous blämeront avec amertume d’avoir trouvé les 
plus grands rapports entre ce favori du Créateur et les 
orangs, plus disgraciés, et rejetleront ayec dédain l'i- 
dée que ces mêmes orangs puissent être autre chose 
que de grands singes, animaux par essence, el n'ayant 
qu'un vague instinct. D'un autre côlé quelques natura- 
listes, qui veulent associer les hommes et les orangs 
dans deux genres d’une même famille, trouveront sans 
doute mauvais que nous n’adoptions pas exclusivement 
ce rapprochement. Loin de nous la croyance que ces 
deux êtres soient identiques! ils ont, il est vrai, de 
grands traits de conformité, mais cependant ils sont 
distincts. Ce sont les deux chaïînons les plus élevés du 
grand anneau que forment tous les êtres animés; ce 
sont les deux tribus zoologiques qui ont le plus de rap- 
port; car de l'Européen policé au Hottentot, ou à l'ha- 
bitant de la Nouvelle-Hollande, jusqu'au chimpanzé, on 
se trouve insensiblement conduit, el sans secousse, à 
cette série descendante, dont nous sommes loin de con- 
noître tous les points de contact. On aura beau dire, un 
orang est plus voisin de notre espèce qu’une chauve- 
souris ou un mulot, et de la conformité des organes 
doivent découler les plus grandes analogies dansles ré- 
sultats de l’entendement. Nous n’en dirons pas davan- 
tage, pour qu’un espritnon prévenu, dégagé des prin- 
cipes de la philosophie scolastique et routiniére, puisse 
réfléchir sur ce qui se passe dans les fonctions animales 
de l’homme, soit à l’état normal, soit à l’état patholo- 
gique, et les comparer à celles de ces prétendues brutes. 


173 


thodes essayeroient en vain de repousser. Certains 
Nègres d'Afrique croient fermemert que le chim- 
panzé est la souche primitive de leur race; et les 
Malais, en nommant la grande espèce de l'archipel 
des Indes orientales orang-outan, qui signifie aussi 
homme sauvage,ont consigné dans leurs légendes my- 
thologiques qu’ils pourroient bien être les pères des 
Alfourous et des Endamènes qui vivent dans un état 
d’abrutissement complet au centre de toutes ces îles. 

On ne connoïit que deux espèces d’orangs : l’une 
d'Afrique, que Buffon nomma d’abord jocko et plus 
tard pongo dans ses Suppléments, et qui est le chim- 
panzé ou orang noir; l’autre est l’orang-outan des 
iles de Bornéo et de Sumatra, le pongo de Buffon 
qui changea dans ses Suppléments ce nom en celui 
de jocko, et dont un individu complétement adulte 
a été décrit par Wurmb qui l’appela pongo, en lui 
trouvant de l’ana1logie avec le pongo de Buffon, c’est- 
à-dire le chimpanzé. Peu d'animaux ont une syno- 
nymie aussi embrouillée que ces deux grands singes : 
il n’en est aucun qui ait donné lieu à plus de ver- 
sions opposées, à plus de fluctuations dans les opi- 
nions des naturalistes, et il nous faudroit entrer dans 
une foule de détails de controverses pour en offrir 
le tableau. Nous nous bornerons donc au récit pur 
et simple de ce qu’on admet aujourd’hui de l’histoire 
de l’une ou de l’autre des espèces. 

« Aucun des orangs, dit M. Virey, n’habite le 
» Nouveau Monde. Ils appartiennent à l’Asie et à 
» J’Afrique ; leur visage n’est pas velu, mais il a une 
» sorte de barbe. Enfin, lorsqu'on a bien examiné 
» toutes les ressemblances des orangs-outans avec 
» l’homme, qu’on a bien étudié toutes leurs diffé- 
» rences, on demeure convaincu que ce sont des 
» créatures à forme humaine plus intelligentes que 
» les quadrupèdes, mais beaucoup moins que nous. 
» Cependant il y a des individus de l'espèce humaine 
» si brutaux, si peu policés et tellement imbéciles, 
» qu’on n’aperçoit pas une grande distance de ces 
» animaux à ces hommes, quoiqu’on ne puisse pas les 
» confondre. Tels sont les crétins et les idiots, à beau- 
» coup d’égards inférieurs à ces singes, puisqu'ils ne 
» sauroient seuls subvenir à leur subsistance. » 

Les orangs se développent lentement et à la ma- 
nière de l’homme. Leur jeune âge est remarquable 
par des formes arrondies qui s'unissent aux qualités 
morales de l'enfance, c’est-à-dire à la pétulance et 
à une aimable étourderie. Leur crâne n’offre point 
de crêtes développées; sa surface est lisse et sa ca- 
pacité considérable : aussi les facultés semblent-elles, 
dans les premières années, jouir de toute la pléni- 
tude de leurs fonctions. Mais, en vieillissant, ces 
mêmes facultés subissent les phases qu’elles subis- 
sent chez l’homme : les parois osseuses s’encroûtent 
de phosphate calcaire, d'énormes crêtes se déve- 


loppent, le cerveau s’affoiblit pour laisser dominer 


174 


l'instinct brutet grossier de l'animalité. Triste et mo- 
rose à cette époque de ïa vie, l’orang-outan alors 
n’est plus disposé à satisfaire que les appétits d’un 
animal : une sauvagerie de mœurs domine d’autant 
plus dans ses actions que l’individualité de l'espèce 
sent davantage que ses moyens de conservation di- 
minuent, et que son énergie vitale décroit. 

La plupart des naturalistes d'Europe n’ont eu à 
étudier que de jeunes orangs : aussi, lorsque Warmb 
fit connoitre dans le tome EI (p. 245) des Mémoires 
de la société de Batavia une grande espèce de singe 
des îles indiennes qu’il nomma pongo, en le confon- 
dant avec le pongo de Buffon, le chimpanzé d’Afri- 
que, s’empressa-t-on, par les différences nombreuses 
qu’affectoient les diverses parties du crâne, d’en 
constituer non seulement une espèce distincte, mais 
même un genre. Cette grande difliculté zoologique 
n’est pas toutefois complétement résolue. Cependant 
des détails précis ont été publiés depuis long-temps 
sur de jeunes orangs; des faits qu’on ne peut mettre 
en doute ont été imprimés par Wurmb dans son his- 
toire du pongo : de sorte que, possédant les deux 
extrêmes de la chaine, il ne s’agissoit plus que d’ob- 
tenir un ou plusieurs anneaux intermédiaires. Les 
renseignements qu’on a recueillis dans ces derniers 
temps paroissent toutefois décisifs; ils jettent un 
jour considérable sur la question, et permettent de 
la regarder comme à peu près résolue. M. le baron 
Cuvier a en effet reçu de M. Wallich (en 4818) un 
crâne d’orang qui a lous les caractères de l’âge moyen; 
et M. Clarke Abel, naturaliste anglois, a complété 
récemment, par de précieux documents relatifs à un 
de ces grands singes adultes, les conclusions qui dé- 
couloient naturellement de la discussion des pre- 
miers éléments. D'ailleurs ne sait-on pas que le crâne 
de l’homme finit souvent, par suite de la vieillesse, 
par acquérir une épaisseur considérable, ainsi qu’on 
peut en avoir une idée par la tête du docteur Gail ; 
que les Papous ont les crêtes sagittales et pariétales 
très développées, et qu’enlin il n’y a pas jusqu'aux 
chiens dont les sutures osseuses ne prennent en 
vieillissant et chez certains individus un énorme dé- 
veloppement qui rétrécit d'autant la capacité desti- 
née à loger le cerveau ? La collection de crânes du 
docteur Vimont en offre plus d’un exemple. 

Lorsque les orangs n’étoient pas encore très bien 
connus dans les détails de leur organisation, les na- 
turalistes les plaçcoient dans trois genres que nous 
eroyons devoir rappeler succinctement pour fournir 
à nos lecteurs des moyens de comparaison, qui sans 
cela leur manqueroient pour juger sur quels fonde- 
ments ces coupes artificielles étoient établies. 

Le premier genre a reçu de M. Geoffroy Saint- 
Hilaire le nom de TROGLODYTE, troglodytes (1), et 


() Le professeur françois conserve encore aujourd’hui 


HISTOIRE NATURELLE 


se trouve avoir pour caractères {rente-deux dents, 
c’est-à-dire huit incisives, quatre canines et vingt 
molaires : mais les canines ne diffèrent point de celles 
de l’homme, et se trouvent par conséquent conti- 
guës aux dents voisines qu’elles ne surpassent point 
en longueur. À ces particularités anatomiques se 
joignent une tête arrondie non terminée en museau 
saillant, des crêtes sourcilières dessinées avec vi- 
gueur au bas du front, un angle facial d’à peu près 
cinquante degrés, des bras assez bien proportionnés 
avec le corps, descendant jusqu’au tiers inférieur des 
cuisses, et dont les mains sont munies d’un pouce 
assez long et opposable. Enfin le genre troglodyte est 
privé de queue, d’abajoues, et de callosités sur les 
fesses, et ne comprend qu’une espèce, le chimpan:é. 
Le deuxième genre est appelé oRANG, pithecus, 
par MM. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, et hylo- 
bates par le naturaliste prussien Illiger. Ses carac- 
tères sont ainsi nettement établis : trente-deux dents, 
c’est-à-dire huit incisives, quatre canines et vingt 
molaires, comme chez les troglodytes ; mais les ca- 
nines, au lieu d’être égales aux autres dents, se 
trouvent chez les orangs un peu plus longues que 
celles qui les avoisinent, et s’entre-croisent par leurs 
pointes avec celles qui leur sont opposées. La tête 
est arrondie, sans crêtes sourcilières développées 
dans les jeunes individus, et l’angle facial est évalué 
à soixante-cinq degrés. Les bras, démesurément 
longs, dépassent les genoux cet atteignent les mal- 
léoles. Les pouces des mains et des pieds sont oppo- 
sables, mais assez courts. Les oreilles sont arrondies, 
bordées, et collées sur les côtés de la tête comme 
chez l’homme : du reste point de queue, point d’a- 
bajoues. Dans ce genre on place toutefois les gib- 
bons munis de callosités aux fesses, callosités que le 
véritable orang-outan des îles indiennes, type de 
orangs, n’a point. > 
Le troisième genre des auteurs, nommé PONGO 
par M. de Lacépède, a été adopté par MM. Geoffroy 
Saint-Hilaire et Cuvier, et placé par Illiger avec les 
cynocéphales. Ce genre a pour type le grand singe 
de Bornéo (1) décrit par Wurmb, et dont Audebert 
publia le squelette (pl. 44, fig. 5 et 6). Les caractères 
attribués aux pongos sont trente-deux dents ; mais 
les canines, au lieu d’être contiguës et de la même 
hauteur que les autres dents, sont très robustes et 
séparées des dents voisines par un espace destiné à 
recevoir en haut les extrémités des inférieures, et en 
bas celles des supérieures. La tête est aussi robuste, 
prolongée en un long museau déclive, et garnie de 
crêtes sourcilière, sagittale et occipitale, énormes 


le genre troglodyte (voyezsa VII leçon sténographiée). 

() Ce pongo est regardé encore avjourd’'hui par 
M. Geoffroy Saint-Hilaire comme une deuxième espêce 
du genre orang : il le nomme orang de Wurmb ( VIL 
leçon sténographiée). 


DES MAMMIFÈRES. 


(voyez notre planche 2, crâne du pongo) : un angle 
facial de trente degrés; des bras excessivement 
longs ; de longues apophyses épineuses aux vertè- 
bres cervicales ; des sacs thyroïdiens au larynx ; mais 
du reste, comme dans les deux genres précédents, 
point de queue, point d’abajoues , et nulles callosités 
aux fesses. 

Tout ce que nous savons en ce moment des orangs 
nous autorise à confondre ces trois genres et à les 
réunir en un seul, qui sera dans nos méthodes de 
zoologie le lien intermédiaire entre l’homme (1) etles 
autres animaux : mais nous séparerons, bien qu’au- 
cun caractère rigoureusement précis ne puisse les 
isoler, les gibbons qui déjà s’éloignent davantage du 
type humain, et qui sont plus singes, si nous pouvons 
nous servir de cette expression, que le chimpanzé 
et l’orang-outan. Ainsi les vrais orangs seront dis- 
tingués, dans le premier âge, par une tête large, 
haute, arrondie, et saillante sur le front, sans tra- 
ces d’'éminences osseuses proéminentes; dans l’âge 
moyen, par des crêtes occipitale et sagittale médio- 
crement développées, par un front moins bombé, 
et par moins de sphéricité de la boîte crânienne, qui 
a en outre moins d’élévation. Enfin dans l'état com- 
plétement adulte et voisin du viel âge la tête se 
trouve déprimée, obliquement située sur la colonne 
vertébrale, et couverte de crêtes sagittale et occipi- 
tale dessinées avec une rudesse hideuse. 

Les dents de l’orang-outan n’ont été étudiées et dé- 
crites par M. F. Cuvier que d’après de très jeunes 
individus qui avoient encore leur première dentition. 
Les deux molaires du fond de la bouche de chaque 
côté n’étoient point sorties de leurs alvéoles, et par 
conséquent on ne comptoit que vingt-huit dents au 
lieu de trente-deux que les orangs doivent avoir 
lorsqu'ils sont adultes. Les incisives de la mâchoire 
supérieure sont aplaties, très larges, et en forme de 
coin. Un petit intervalle sépare la seconde incisive 
de la canine. Cette dernière se termine en pointe, et 
est plus épaisse que les incisives qu’elle dépasse en 
longueur. Les trois molaires suivent immédiatement 
les canines : la première est la plus petite, et se 
trouve partagée au milieu par une légère rainure 
qui, usée sur les bords antérieur et postérieur, donne 
lieu à deux tubercules mousses ; la deuxième a quatre 
tubercules séparés par deux sillons transversaux ; 
la troisième est la plus grande, et a la même forme 
que la précédente, mais n’est point usée pas la mas- 
tication : elle a par suite, au 1ieu de tubercules et de 
sillons très lisses, des rides nombreuses. 

Les dents incisives de la mâchoire inférieure res- 
semblent à celles du maxillaire supérieur. La canine 


() M. Bory fait de ce genre et de celui de l'homme 


une famille de bimanes, qu'il classe dans l’ordre des 
anthropomorphes. 


175 


est terminée en pointe, el se trouve séparée des trois 
molaires qui la suivent par un petit intervalle, Ces 
molaires sont moins épaisses que larges. La première 
est comme partagée en deux parties, et se termine 
par un tubercule; la seconde en a quatre, ainsi que 
la troisième ou dernière. Les rapports de chacune de 
ces dents dans l’acte de la mastication sont absolu- 
ment analogues aux arcades dentaires de l’homme. 

Le système dentaire du pongo se compose de 
trente-deux dents (!). Les incisives ne diffèrent point 
de celles qui ont été précédemment décrites ; mais 
les canines sont très longues, très fortes et très épais- 
ses. La supérieure est creusée au-dessous d’un sillon 
occasionné par le frottement de celle qui lui est op- 
posée. Les molaires paroissent avoir leur couronne 
très aplatie, mais cet aplatissement semble dû à 
l'usure ; car on remarque des points arrondis, qui 
doivent être les traces des éminences des molaires 
des jeunes orangs usées par la mastication. Il n’y a 
pas jusqu'aux rides indiquées sur les dents précé- 
dentes qui ne se décèlent par des vestiges : la canine 
de la mâchoire inférieure est rendue triangulaire par 
une arête relevée qui occupe sa face interne, et qui 
paroît due à l’action long-temps continuée de la se- 
cende incisive supérieure sur elle; les molaires infé- 
rieures ont, comme celles d’en haut, leur couronne 
très aplatie. Au reste les dents des deux rangées ont 
les mêmes rapports que celles qui meublent les 
maxillaires de l'espèce humaine, et tout autorise 
jusque là à ne les regarder elles-mêmes comme n’é- 
tablissant point de caractères distincts, excepté ceux 
de l’âge, entre les jeunes orangs-outans et les vieux 
pongos. 

Nous ne présenterons point ici de généralités sur 
les orangs. Les détails qui conviennent à une espèce 
pourroient fort bien ne point se rapporter à l’autre. 
Nous réserverons ce que nous avons à en dire à la 
suite de la description soit du chimpanzé, soit de 
l’orang-outan proprement dit. Nous nous bornerons 
pour le moment à peindre les orangs comme des ani- 
maux sylvains dont l'existence est protégée par les 
vastes forêts de la zone torride , se servant de leurs 
longs bras et de leurs jambes déjetées, pour gravir 
avec aisance et sans effort sur les arbres , où ils trou- 
vent un abri protecteur et leur nourriture jour- 
nalière. 

Nousdirons toutefois que les orangs se distinguent 
comme êtres zooïogiques par les circonstances d'or- 
ganisation ou les particularités anatomiques suivan- 
tes : un angle facial toujours plus ouvert que chez 
les autres singes; une poche digestive ou estomac 
ample et simple, comme celui de l’homme, suivi 
d’un tube également composé de trois sortes d’intes- 


(‘) D’aprés une tête conservée au Muséum et étudiée 
par M. F. Cuvier. ( Des dents des Mammifères, p. 10.) 


176 


tins, etdont le cœcum est muni d’un appendice ver- 
miforme. L'os hyoïde, le foie, et ses deux lobes ; 
les vertèbres, une cloison des narines étroite, un 
axe de vision horizontal, des ongles aplatis à l’extré- 
mité des doigts, rappellent par leurs formes ce que 
nous retrouvons dans l'espèce humaine. Les fe- 
melles sont assujetties au flux menstruel, leur ges- 
tation est d’un ou deux petits que les mères affec- 
tionnent avec la plus vive tendresse. Les mâles ont 
une verge pendante, le scrotum situé à l'extérieur, 
et le prépuce non retenu par un filet. Les poils qui 
recouvrent abondamment le corps en dessus sont 
rares et peu fournis sur les parties internes. Ceux de 
l’avant-bras se dirigent d'avant en arrière depuis le 
poignet jusqu’au coude. Ces orangs ont encore de 
nombreux points de conformation qui les séparent 
de la plupart des singes ; c’est ainsi que leurs mollets, 
sans être prononcés, sont cependant assez dévelop- 
pés pour s'éloigner des formes habituelles aux autres 
animaux ; que leur rotule est faite de manière à s’op- 
poser à la marche exclusive sur les quatre extrémi- 
tés. Leur cerveau est profondément plisséetcomposé 
de trois lobes dont le postérieur recouvre le cervelet; 
les vaisseaux spermatiques traversent l'anneau in- 
guinal , comme chez l’homme, pour descendre dans 
le scrotum. Les organes générateurs sont disposés 
de manière à ce que l’acte de la copulation ne puisse 
point, comme chez les autres mammifères, s’exé- 
cuter par derrière , mais que la femelle ait l'avantage 
au contraire de serrer le mâle dans ses bras. Les 
mamelles, peu velues, et doucement arrondies , oc- 
cupent également, et comme chez toutes les femelles 
des singes d’ailleurs, la partie antérieure de la 
poitrine. 

Tous les auteurs s'accordent à dire que les vrais 
orangs n’ont point de callosités. Il est probable ce- 
pendant que l'endroit où Pischion appuie sur les 
branches des arbres où ils se tiennent doit être un 
peu calleux et dénudé. Cette présomption est forti- 
fiée par de légers emplacements nus que présentent 
les peaux séchées et empaillées du Muséum, et tout 
porte à croire qu’en examinant des dépouilles frai- 
ches ou ces animaux en vie on leur trouvera ces 
callosités , ne füt-ce qu’à l’état rudimenutaire (1). 

Dans l’état actuel de nos connoissances nous n’au- 
rons à décrire que deux orangs : celui d'Afrique, 
qui est le chimpanzé, el celui d'Asie, qui est 
l'orang-outan des îles de Sumatra et de Bornéo. 
Mais l’histoire de ces animaux estencore enveloppée 
de tant d’obscurités , de tant d’erreurs , qu’il est bien 


() Ce caractère, dans tous les cas, n'est pas d'une 
haute importance; car faudroil-il faire une espéce à 
part des hommes que leur état force à étre constam- 
ment à cheval, tels que les postillons, dont les fesses 
sont garnies de callosilés bien plus développées que 
celles des gibbons? 


HISTOIRE NATURELLE 


probable que sous un seul nom on confond plusieurs 
espèces mal indiquées, à peine entrevues, et sur les- 
queïles les naturalistes à venir pourront seuls four- 
nir des données satisfaisantes. 


L'ORANG CHIMPANZÉ (1. 
Troglodyles niger. Grorr. SainT-HU. 


L'histoire de l’orang chimpanzé (?) est encore in- 
complète, malgré le grand nombre de communica- 
tions que les nations européennes entretiennent 
avec les côtes d'Afrique où il vit. On n’en avoit même 


(') Satyrus, Gesn., Quadr., p. 974? satyrus indicus, 
Tulpius, Observ. médic., pl. 14; simia troglodytes , L. 
Gmel., sp. 34; jocko , Buffon, t. XIV, pl. 1 ct pl. col. 
236 ; Encyclop. méthod., pl. 5, fig. 2; pongo, Buffon, 
Supplémen., t. VIE, p. 2; le pongo, simia troglodytes, 
Audeb., fam. 1, sect. 1, pl. 1, figure copiée dans l’atlas 
du Dictionnaire des sciences naturelles; troglodytes 
niger, Geoffroy Saint-Hilaire, Ann mus., t. XIX, p. 87; 
Cuvier, Règn. anim , t. 1, p.104; Shaw, Gen. Zool., 
pl. 2; Desmarest, Mamm., sp. 2; F. Cuvier, Dict. des 
scienc. natur., t. XXXVI, p. 285; Bory Saint-Vincent, 
Dict. class. d'hist. natur., t. XI, p. 268; Griffit, Régn. 
anim., trad. angl., t. 1, p. 250, avec figure de l'animal; 
Geoffroy Saint-Hilaire, Leçons sténographiées, VIte le- 
çon, p.16 et suiv. 

(2) Le jeune chimpanzé dont Ics naturalistes dési- 
roient l'acquisition pour le jardin des Plantes, vient 
d'arriver à Paris, et dé,à il est installé dans le local na- 
guëre oczupé par l’orang-oulan; sa douceur, ses for- 
mes plus humaines que celles de l'orang-outan, ne 
tarderont certainement pas à lui obtenir une grande 
célébrité. C'est une femelle, sa santé paroît excellente, 
el son intelligence fort digne d'intérêt. Ce seul fait per- 
mettra d’en juger : une personne voyant avec quelle at- 
tentive curiosité le jeune singe considéroit l'œuvre d'un 
dessinateur occupé à esquisser ses traits, cut l'idée de 
lui meltre un crayom dans la main. Aussitôt l’animal se 
pose auprès de l'artiste, et se met à passer l’extrémité 
de son crayon sur le papier comme un enfant qui veut 
essayer d'écrire on de dessiner. 

En attendant que nous puissions donnet plus de dé- 
Lails sur les mœurs de celle curieuse cspêce, nos lec- 
teurs liront certainement avec un vif intérêt une note 
sur les traits principaux qui caractérisent le jeune ani- 
mal, note rédigée par M. de Blainville, et qu’il a bien 
voulu nous communiquer. 

« L'administration du Muséum d'histoire naturelle 
vient de faire tout nouvellement l'acquisition d'une es- 
pèce de singe qui n’avoit pas été vue à Paris depuis 
4740 , où on en montroit un individu mâle au publie, et 
dont Baffona parlé en 4766, dans le XIVe volume de 
son histoire naturelle, sous le nom de jocko, en confon- 
dant aussi dans cet arlicle ce qui a trait à l'orang-ou- 
tan. Ce singe est connu maintenant sous le nom de 
Chimpanzé, qui paroît être un nom de pays, et simia 
troglodytes par les auteurs systématiques. C'est, avec 
l'orang-outan, le plus élevé des singes, c’est-à-dire le 


DES MAMMIFÉRES. 


pas de bonne figure jusqu’à ces derniers temps, où 
M. Griffith à publié le calque d’un plâtre moulé sur 
un individu mort en Angleterre, figure que nous 


reproduisons. Quelques auteurs prétendent que les 
l 


plus voisin de l’homme, Sa patrie est la côte occidentale 
d'Afrique, au Congo et en Guinée; Bornéo et Sumatra 
sont au contraire l'habitation des orangs. 

» L’individu qui vient d'arriver vivant au Muséum a 
été élevé et amené en France par un capilaine au long 
cours, de Nantes, E. Boullemer, qui l'acheta en 1836, 
au mois de novembre, d’un jeune nègre qui l'avait ap- 
porté dans sa pirogue, bras et jambes liés, comme objet 
de commerce, sans dire comment ni où il l’avoit ob- 
tenu. Il étoit bien jeune puisqu'il n’avoit encore que 
quatre incisives en haut comme en bas, ce qui fait sup- 
poser qu'ii avoit cinq ou six mois, etlui donne avjour- 
d’hui environ un an et demi. Il n’a, en effet, queles 
canines et les deux premières molaires de lait, en sorte 
qu’il est certainement plus jeune que l'orang-outan 
qui existoit l'année dernière à la ménagerie. Il estnota- 
blement plus petit, n’ayant que deux pieds et demi au 
plus quand il est debout sur les membres postérieurs, 
et dix-huit à vingt pouces pour le tronc seulement. 

» Au premier aspect, on voit qu’ilest mieux propor- 
tionné, moins cul-de-jatte que l’orang-outan, sa tête 
étant relativement moins forte dans la partie crânienne, 
et les membres étant surtout dansune proportion beau- 
coup plus humaine. 

» Les bras, les avant-bras ct les mains sont en effet 
beaucoup mieux dessinés, beaucoup moins longs et 
gréles que dans l’'orang-outan; par contre, le train de 
l'arrière est évidemment moins pauvre, plus développé 
dans les deux premières parlies, tandis que les doigts 
sont beaucoup plus courts. Il s'ensuit qu'il y a un peu 
plus de renflementmusculaire aux fesses et aux mollets. 

» Comme dans l’orang-outan le corps est entiére- 
ment couvert de poils durs, assez rares, sans bourre, 
mais noir de jais et comme gauffrés, un peu comme 
chez le coaïta (S. paniseus, L.). Ces poils sont notable- 
ment plus nombreux en dessus du corps et en dehors 
des membres que sur la poitrine, le ventre et la partie 
interne des membres. Ils sont dirigés d'avant en arrière 
et de haut en bas, si ce-n'est aux avant-bras où ils 
offrent la particularité, qui se remarque aussi dans l’es- 
péce humaine et dans l’orang-outan, de remonter du 
poignet vers le coude; mais une différence avec ces 
derniers, c’est que les poils de la partie antérieure ou 
mieux de la tête sont, dans lc chimpanzé, comme dans 
les autres mammifères, dirigès comme ceux du reste du 
corps, tandis que dans l’orang-outan ils se portent 
d'arrière en avant en forme de chevelure comme dans 
l’homme; seulement la différence est que dans celui-ci 
l'épi est au sinciput, tandis que dans celui-là il est à 
Ja vertébre cervicale proéminente. 

» Dureste, les poils du devant des oreilles forment 
aussi des espèces de favoris, el il y a au menton une 
courte barbe blanche ct rare. 

» La peau de la face est de couleur de suie, clle s’est 
déjà éclaircie sur les lévres depuis l’arrivée de notre 
chimpanzé en Europe ; celle des quatre extrémités est 
en dessus comme en dedans d’une couleur de chair vio- 
lacée. 

» La face ct les organes des sens ont beaucoup de 


rapports avec €e qui existe dans l’orang-oulan; seulc- : 


I, 


177 
gorillès du Carthaginois Hannon, dont les Romains 
trouvèrent les dépouilles pendues aux parois d’un 
temple, lors du sac dela rivale de Tyr, n’étoient pas 
autres que le chimpanzé. Ce n’est toutefois qu’une 


ment le front est beaucoup moins développé et bombé, 
fuyant davantage en arrière surtout à cause de la saillie 
des crêtes sus-orbilaires bien plus prononcées que dans 
l’orang-oulan. 

» Les yeux sont peut-être plus petits, moins expres- 
sifs; les cils des paupières moins longs et d’ailleurs 
beaucoup moins découverts à cause de la saillie d’un 
bourrelet sourcilier épais et comme charnu. 

» Les oreilles sont au contraire beaucoup plus gran- 
des, plus larges, plus aplaties, moins bien bordées que 
dans l’orang-outan qui les a fort petites , bien faites, 
et presque semblables à celles de l’homme , sauf le 
lobule. 

» Le nez est moins enfoncé, moins aplati. Ses orifices 
sont cependant toujours fort rapprochés et sans lobes 
ou ailes distinctes. 

» Les lèvres sont, comme dans l'ourang-outan, lon- 
gues, mobiles et extensibles, un peu moins peut-être: 
du reste, la supérieure offre également des rugosités 
longitudinales, et la muqueuse ne se déverse pas plus 
en dehors que dans cet animal. 

» Le tronc est court, la poitrine large, déprimée, le 
ventre médiocrement renflé; il n’y a aucune trace de 
queuc, et la région ischialique et le tour de l'anus sont 
revétus par une peau nue, lisse, épidermée, formant 
un premier degré de callosité, 

» Les membres antérieurs ressemblent beaucoup 
plus à ceux de l’homme que dans l’orang-outan, où ce 
sont des espèces de longs crochets. En effet, le pouce, 
quoique réellement court, le paroît moins, parce que 
les autres doigts sont beaucoup moins longs, et ne sont 
pas arqués, les phalanges étant droites avec la derniére 
en crochet. 

» Les membres postérieurs sont au contraire plus dé- 
veloppés que dans l’orang-outan, les fesses plus char- 
nues, les cuisses plus épaisses , plus larges, les jambes 
également plus renflées au mollet; aussi le pied est-il plus 
semblable à celui de l’homme, Ic talon assez accusé, 
la plante large, les doigts remarquables par leur brié- 
velé, ct paroissant comme tronqués à l'extrémité, ce 
qui est trés différent dans l’orang-outan , en sorte 
que le chimpanzé peut appuyer toute la plante à terre. 
L'orteil est trés fort et presque aussi long que les autres 
doigts, quoique séparé ct apposable. 

» Les ongles des doigts antérieurs sont assez déve- 
loppés, celui du pouce au moins autant que celui des 
autres ; mais aux doigts postérieurs ils sont (rés courts 
et trés aplatis, et bien loin de dépasser l'extrémité. 

» L'aspect, la physionomie de cet animal est mélan- 
colique, sérieux, mêlé de quelque chose de doux et 
même d’aimant. Il montre en effet Ie même degré d'af- 
fection pour son maître et ceux qui le soignent, que le 
faisait l'orang-outan . Il est trés tranquille et trés 
obéissant aux moindres volontés de son maître, et 
même detoutle monde. L'élévation du ton de la voix 
suffit pour l'arrêter , le faire venir à soi ou s'en faire 
embrasser comme d’un enfant. 

» Sa démarche à terre est encore assez bien celle de 
l'orang-outan, c'est-à-dire qu'il marche le plus sou- 
veut à quatre paltes daus une position un peu oblique, 


97 
L 2 


781 


supposition que rien ne pourroit détruire à la ri- 
gueur, mais aussi que nul fait ne pourroit légitimer ; 
car ces gorillès auroient bien pu être ou des man- 
drills ou des magots. Le satyrus de Pline, le carupos 
d’'Elien, sont encore l’animal qui nous occupe, 
autant qu'il est possible d’en juger par les foibles in- 
dications!, résultat d’idées légères et confuses, qu'ils 
nous ont laissées. La première mention qui soit faite 
du chimpanzé date des navigations européennes sur 
les côtes de Guinée, et se trouve consignée dans les 
Voyages de Purchass (t. IL), où apparoissent pour 
la première fois les noms de pongo et d’enjoco, sans 
qu'il soit vraiment possible d’aflirmer avec certitude 
à quelle espèce de grand singe de tels noms convien- 
ñent exclusivement. Dapper, dans son histoire de 
Y'Afrique (1), publia une figure qui paroît parfaite- 
ment convenir à l’orang, dont nous traçons l’his- 
toire, et qu’il nomme quojas-morrou. Ce même 
nom se trouve reproduit par Barbot (?) qui écrit 
indifféremment quojas-morrou ou worrou, avec 
celui de barris que plusieurs voyageurs citent éga- 
lement. Edw. Tyson, naturaliste anglois, mit au 
jour en 4699 une monographie de cet animal (®), où 
pour la première fois paroissent les noms d’orang- 
outang exclusivement donnés depuis à l’espèce 
d’Asie, et celui de pygmée. Enfin en 1758 on lit 
dans un petit mémoire d’un Anglois nommé Scotin 
le nom de chimpan:é, que quelques auteurs écri- 
vent guimpésé (4), seule dénomination qui soit au- 
jourd’hui adoptée. Il paroît que les Nègres du Congo 
appellent indifféremment ce singe gongo et jiocko, 
et ces deux noms, introduits dans le langage uni- 


appuyé en avant sur le moignon formé par les articula- 
tions des première et seconde phalanges, et en ar- 
rière bien davantage sur la plante des pieds que l'o- 
rang-outan qui s'appuyoit sur le côté des mains, les 
doigts fléchis en dedans. 

» Du reste il aime à sauter, à se balancer et à jouer 
comme ce dernier. De même qu’un enfant, il ne peut 


rester seul, et crie continuellement si l’on n’est pas 


auprés de lui. 

» Ainsi en définitive c’est un animal trés voisin de 
l'orang-outan, se rapprochant plus que lui de l'espèce 
humaine par les membres et les pieds, en un mot, plus 
bipède , mais plus semblable aux quadrupédes par l'a- 
baissement du front, la saillie des crêtes sourcilières 
et la grandear des oreilles. » 

() Umstandlich und eigentliche Beschkreibung von 
Africa, durch O. Dapper; Amst.; 1670, in-fol., p. 393, 
582 et 583. 

(>) À Description of the Coasts of north and South- 
Guinea and of Ethiopia inferior, vulgarly Angola, 
by John Barbot, in Churchill's Collect., t. H,p.1, 
p.101. 

G) Orang-outang, sive homo sylvestris ; or the Ana- 
tomy of a pygmie, by Edw. Tyson; Lond. La figure de 
Tyson, très bonne pour le temps, se trouve reproduite 
par Shaw, Gen. Zool , pl. 2, et par Screber, tab. 1B. 

(: Lecot, Mouv. musc., pl. 1, fig. 1, 


HISTOIRE NATURELLE 


versel par Buffon, ontété une source intarissable 
d'erreurs ; car le Pline françois ayant d’abord con- 
fondu le chimpanzé avec l’orang-outan, désigna le 
premier par le nom de jocko qu’il changea dans ses 
Suppléments en celui de pongo qu’il avoit d’abord 
appliqué à l’orang-outan , auquel il restitua ensuite 
celui de jocko. Or une telle versatilité de nomencla- 
ture n’étoit guère propre à faciliter laconnoïissance des 
orangs, car elle exige une sorte de commentaire toutes 
les fois qu’on veut distinguer une espèce de l’autre. 

Les figures qu’on a du chimpanzé sont peu nom- 
breuses. Celle de Buffon est faite à plaisir, et le pein- 
tre a joint aux formes apparentes d’un singe la figure 
et la démarche de l’homme: toute fautive qu’elle est 
on en trouve une mauvaise copie dans l’Encyclopé- 
die. La planche d’Audebert, quoique se rapprochant 
assez de la vérité, donne une idée peu complète de 
cet animal, et a été reproduite dans l’Atlas du Dic- 
tionnaire des sciences naturelles. La figure laissée 
par Tyson étoit encore, et malgré tout, la plus vraie 
dans ses principaux caractères, lorsque celle de 
M. Griflith parut dans ces derniers temps(!}, et vint, 
par son exactitude, fixer l’opinion des zoologistes. 

Le premier chimpanzé qu’on ait soigneusement 
observé en Europe, après ceux de Tuipius et de 
Tyson, est celui que Buffon a décrit sous le nom de 
petit orang-outang. Cet animal avoit deux pieds et 
demi de hauteur, et n’avoit, au dire de M. Nonfoux, 
son propriétaire, que deux ans. On devoit supposer 
que sa taille auroit pu acquérir dans son complet 
développement jusqu’à cinq pieds. Les individus 
observés par Tulpius et Tyson étoient également dans 
les premières années de leur existence. Buffon assure 
que ce singe, qui ne séjourna à Paris que pendant 
un été, et quimourut l'hiver suivant en Angleterre, 
marchoit debout sur ses deux pieds, même en portant 
des fardeaux assez pesants. Son air étoit triste, ses 
mouvements mesurés et calmes, et tout en lui an- 
nonçoit la plus grande douceur. Son intelligence 
saisissoit aisément la valeur de certains signes et les 
comprenoit sans effort. Il imitoit une foule d’usages 
qu’il avoit vu pratiquer, et se comportoit à table 
comme un homme bien élevé. Cechimpanzé recher- 
choit les caresses, aimoitles sucreries avec passion, 
étoit devenu extrêmement friand. Nous n’ajouterons 
rien de plus sur cet animal, dont on trouve une des- 
cription complète dans les œuvres de Buffon, etqu'il 
nous suflisoit de citer ici. 

Les proportions de l’orang d'Afrique, considérées 
dans les rapports du tronc et des membres, offrent 
moins d’irrégularité ou de disproportion que dans 


(‘) Le chimpanzé apporté vivant en Anglelerre par 
M. Gross, étant venu à mourir, fut moulé en plâtre sur 
le cadavre de l'animal méme. La figure qu'on a tirée 
de la bosse a donc l'exactitude la plus parfaite dans les 
proportions des diverses parties entre elles. 


DES MAMMIFÈRES. 


les orangs d’Asie, et se rapprochent davantage de 
celles de l’homme (!). Les bras, par exemple, n’ont 
point cette excessive longueur de ceux de l’orang- 
outan, et ils atteignent seulement le jarret. Si les 
mains ont une dimension plus grande, les pieds en 
revanche se trouvent plus courts ; mais ce sont les 
pouces, surtout ceux des pieds de derrière, qui s’é- 
cartent singulièrement des autres doigts qu'ils sur- 
passent d’ailleurs en force et en volume. Les pouces 
des mains sont toutefois d’une brièveté telle qu’ils se 
terminent vis-à-vis la ligne d’où partent les phalan- 
ges des quatre autres doigts. A joutez à ces caractères 
généraux une face large et nue, des lèvres grosses, 
et vous aurez sous ce rapport un rapprochement plus 
complet. Les oreilles, quant à leur disposition géné- 
rale, sont analogues à celles de l’homme : le carti- 
lage qui en forme le pavillon est très développé, 
mince, garni d’un rebord, et collé contre les tempes. 
La tête est ronde; mais lorsque les téguments revê- 
tent la face, on ne seroïit point disposé à reconnoitre 
cette sphéricité à cause de la forte saillie qu’occa- 
sionne une lame qui part, ou plutôt qui constitue le 
bord orbitaire supérieur. L’angle facial mesuré sur 
ces crêtes donne soixante degrés, mais on ne peut 
véritablement l’évaluer, en déduisant la saillie os- 
seuse sourcilière, qu'à cinquante degrés. Le nez 
est épalé, ouvert, assez élevé, et situé à une dis- 
tance moyenne des yeux et des lèvres. La base de 
chaque fosse nasale est plus large quechez les orangs- 
outans, lorsque le crâne est dépouillé des téguments 
qui le recouvrent. On compte sept vertèbres cervi- 
cales, treize dorsales, quatre lombaires, quatre 
sacrées, et quatre coccigiennes dans la colonne ver- 
tébrale. La forme des vertèbres dorsales est parfai- 
tement analogue à celle de l’homme; toutefois on 
trouve deux surnuméraires qui donnent également 
attache à deux côtes en plus, qui portent à quatorze 
au lieu de douze le nombre de ces os protecteurs 
du thorax. Cette circonstance anatomique est tou- 
tefois d’une haute importance, car elle semble reje- 
ter parmi les animaux un être qui nous avoit habi- 
tués, par la disposition universelle de ses organes, 
à le considérer comme la première ébauche restée 
incomplète du type homme. 

La face du chimpanzé est nue, ou du moins cou- 
verte de quelques poils rares et peu apparents, plus 
épais sur le menton et sur les côtés du visage où ils 
forment des favoris. Les yeux sont petits, mais 
pleins de vivacité et d'expression; leur regard , en 
captivité, exprime l’inquiétude, mais rarement des 
passions haineuses, Les régions supérieures du 
corps sont recouvertes de poils noirâtres, d’une 
grande rudesse, qui sont partout d’une égale lon- 


() Geoffroy Saint-Hilaire , Leçons sténographiées, 
Vile leçon, p. 16. 


179 


gueur, excepté sr les épaules où ils ont jusqu'à 
deux pouces. Toutes les parties internes des mem- 
bres, la poitrine et le ventre, sont presque dépour- 
vus de cet organe accessoire, et la forme du ventre, 
par son ampleur et son aplatissement, rappelle 
complétement celui de l’homme. Si les mains sont 
poilues en dessus, leur intérieur est complétement 
dénudé. Un renflement des muscles jumeaux et s0- 
léaire donne à la jambe des mollets assez dessinés. 
Leurs membres, sans cesse exercés au sein des fo- 
rêts, acquièrent celte adresse et cette force qui ont 
rendu redoutables aux Nègres d'Afrique les indi- 
vidus adultes de cette grande espèce de singes. 

Par cette description , il est aisé de juger quelles 
considérations nous dirigent en faisant suivre immé- 
diatement l’histoire de l’homme de celle du chim- 
panzé. Plüusieurs zoologistes cependant lui refusent 
la place que nous lui accordons, et regardent l’o- 
rang-outan comme plus voisin de l’homme sous 
certains rapports. Il paroît aussi que l’une et l'autre 
espèce n’ont point d'os inter-maxillaire, et que le 
chimpanzé seul a un ligament suspenseur. 

La plupart des anciens voyageurs, tels que Bat- 
tel, d'Obsonville, Pyrard, Froger, Bosman, de La 
Borde, parlent dans leurs relations de grands singes 
qui vivent sur la côte d'Afrique, et dont la taille 
atteint les dimensions corporelles des Nègres. Bien 
que dans leurs récits on apercoive que la vérité 
n’est pas toujours respectée, et qu'à des détails 
réels sont jointes des circonstances que le merveil- 
leux à dictées, toujours est-il que leur smitten, 
leur enjocko, et surtout leur barris, ne sont pas 
autres que des chimpanzés parvenus à leur entier 
développement, et dont l’histoire se trouve entre- 
mêlée de faits qui n’appartiennent qu’au mandrill. 
Tous les individus qui furent amenés en Europe 
r’avoient encore accompli que leurs premières an- 
nées. Tels furent les orangs africains décrits par Tul- 
pius, Tyson et Buffon, et nous ignorons quelle étoit 
la taille de celui dont M. Griflith a publié la figure, 

Les mœurs de l'animal qui nous occupe sont 
presque entièrement inconnues, ou du moins ce que 
nous en sayons est entremêlé de tant d’erreurs et de 
fables qu'il est fort difficile de baser son opinion 
d’une manière satisfaisante. Depuis l'époque où 
Buffon écrivoit, il y a environ quarante années, 
nous n’avons pas recu le moindre renseignement 
sur les habitudes et sur la manière de vivre d’un 
animal qu’il seroit pour nous d’un haut intérêt de 
bien connoître. Le voyageur qui pourroit en effet 
publier sur le chimpanzé des observations con- 
sciencieuses et suivies rendroit sans doute plus de 
services à la zoologie générale, et même à la physiolo- 
gie humaine, qu’un naturaliste qui auroit à publier 
un certain nombre d’espèces ou de genres nouveaux. 

Le chimpanzé habite exclusivement cette partie 


180 


inter-tropicale de la côte occidentale d'Afrique 
qu’entame le golfe de Guinée, sans dépasser au nord 
l'empire du Bournou, et sans avancer au sud au- 
delà de la côte déserte : il paroïtroit qu’il est con- 
finé dans les forêts du Congo, du Loango, d’Angole 
et de la Guinée. 

Dans ses jeunes années ce singe est remarquable 
par sa douceur et par son caractère confiant et do- 
cile; la teinte de mélancolie qui règne sur ses traits 
inspire en sa faveur un touchant intérêt; il cherche 
à imiter les actes qu'il voit reproduire sous ses 
yeux; sa mémoire trace dans le cerveau certains 
faits, et en conserve le souvenir. Emu par la recon- 
noissance et sensible aux caresses, il n'oublie point 
les bienfaits qu’il a reçus : Iles mauvais traitements 
lui inspirent l’aversion la plus décidée pour ce- 
lui qui s’en est rendu coupable; et dans cet âge heu- 
reux où l’on imite plus volontiers les mauvais 
exemples que les bons, il s’abandonne aisément à 
l’intempérance jusqu’à se familiariser avec les breu- 
vages les moins faits pour son estomac. Il se plie à 
toutes les fortunes, à toutes les positions de la vie : 
compagnon du matelot, il couche dans son hamac, 
se balance dans les cordages, brave les grains subits 
des tropiques et ronge avec appétit le léger mor- 
ceau de biscuit que son maître et lui partagent ; 
transporté chez les heureux du jour, il s’est bientôt 
accommodé à cette nouvelle position : on le voit 
rechercher avec la même avidité des fruits ou des 
mets épicés, des sucreries et des liqueurs. Ses mem- 
bres agiles et dispos apprennent aisément à exécu- 
ter des tours qu’on lui enseigne ; il s’habitue à 
mieux tenir son corps en équilibre et à marcher de- 
bout avec plus d’aisance. L'amour des jeunes chim- 
panzés pour leur mère paroit excessif : aussi, lors- 
que les Nègres veulent se les procurer, ils tuent 
celle-ci ; car ils savent que, par un touchant exem- 
ple d'amour filial, ces jeunes singes restent attachés 
sur le cadavre de celle qui leur donna le jour. Les 
femelles portent, dit-on, leurs petits l’espace de 
sept à neuf mois, et leur grossesse n’est ordiuaire- 
ment que d’un seul individu; elles soignent pen- 
dant deux anrées complètes leur nourrisson, et 
veillent avec la plus tendre sollicitude à tous ses 
mouvements. On assure encore que ces femelles, 
bien loin de s’abandonner à l’effervescence de leurs 
passions comme celles de tous les autres singes, 
ont la retenue la plus exemplaire, et des sentiments 
de pudeur qui feroient honneur à l’espèce humaine. 
Toutefois la pudeur n’est point une vertu des peu- 
ples restés stationnaires dans leurs idées primi- 
tives; elle doit son origine à la délicatesse des 
sentiments, résultat d’un perfectionnement de ci- 
vilisation, et iln’y auroit rien d'étonnant que les 
chimpanzés violassent ces lois sans transgresser 
celles de la nature 


HISTOIRE NATURELLE 


A ces heureuses dispositions des premières an- 
nées , à celte circonspection, ou, si l’on aime mieux, 
à celle prudence qui caractérise alors leurs actions, 
succède cette sauvagerie de mœurs que tous les au- 
teurs s'accordent à donner aux individus adultes. 
Leur indépendance trouve dans la profondeur des 
forêts un abri contre les embüches des Nègres, 
leurs ennemis naturels. Là ils se réunissent en 
troupes, et se bâtissent des sortes de huttes avec 
des branches d'arbres, ou perchent sur les rameaux 
l’espèce de hamac dans lequel ils goûtent le som- 
meil. Habiles à se faire des armes avec des bran- 
ches, ils chassent au loin de leur asile les hommes 
ou les animaux qui tenteroient d’en troubler la sé- 
curité. On dit que leurs bras nerveux manient avec 
dextérité les massues qu’ils arrachent aux arbres ; 
on dit aussi qu’il savent lancer avec justesse des 
pierres volumineuses. Peu endurants lorsqu’on les 
dérange dans leurs habitudes, ils ont, parmi les Nè- 
gres qui les redoutent, la réputation d’être féroces 
et intraitables. Ce qu’ils en disent seroit peu proba- 
ble si l’on ne savoit, par l’exemple du grand orang- 
outan de Sumatra, qu’un chimpanzé haut de six 
pieds doit avoir en effet une force considérable. 
Nous croyons cependant qu’il ne faut pas ajouter 
une entière confiance à ce que rapportent plusieurs 
voyageurs d’enlèvements de jeunes Négresses ou de 
Négrillons que les chimpanzés auroient traités avec 
bienveillance au fond de leurs forêts, et nous som- 
mes même disposé à regarder comme un conte fait 
à plaisir l’histoire de cette Négresse qui auroit vécu 
trois ans avec un singe de cette espèce épris de ses 
charmes, et pour laquelle il auroit construit une 
hutte de feuillage. 

Si les habitudes de ces orangs sont aussi impar- 
faitement connues, on ne doit pas s'attendre à ce 
qu’on puisse supputer la durée de leur vie : on ne 
peut la fixer que par analogie avec celle de l’homme, 
en prenant pour point de départ l’accroissement d’un 
jeune chimpanzé comparé avec celui ‘d’un enfant 
du même âge; et de cet examen on pourra obtenir 
une évaluation assez proche de la vérité, et qui 
donneroit pour médium une durée de trente années. 

Dans les forêts où ils vivent, les chimpanzés 
s’accommodent de tout ce qui tombe sous leurs 
mains : les fruits, la gomme arabique, les œufs 
d'oiseaux qu’ils dénichent adroitement, les reptiles 
et les mollusques terrestres, forment la base de leur 
existence. Ils se livrent aussi parfois avec succès à 
la pêche ; et on cite d’eux des preuves d’une grande 
intelligence et de beaucoup d’adresse pour manger 
les mollusques des coquilles bivalves. 

Un chimpanzé mort à Liverpool en 1818, et qui 
avoit été acheté par un Anglois à l’île des Princes, 
fournit au docteur Traill l’occasion de publier des 
observations qui s'accordent en grande partie avec 


DES MAMMIFÉRES. 


celles de Buffon : elles en diffèrent toutefois en ce 
que l'individu étudié par M. Traill avoit la plus 
grande répugnance à se tenir debout. Lorsqu'il mar- 
choit, il n’appuyoit point sur le sol la face palmaire 
des mains ni la plante des pieds ; mais repliant for- 
tement les doigts, le corps se trouvoit porter en en- 
tier sur les poignets : ce qui prouve, à notre avis, 
que ce singe n’avoit pas encore eu le temps d’être 
façonné à la station bipède, station qui, soit dit en 
passant, n’est jamais complétement naturelle à au- 
eun individu de ce genre. M. Geoffroy Saint-Hilaire 
suppose que cette différence d'habitude pourroit 
tenir à une différence d’espèce, et à ce sujet il rap- 
porte que M. de Blainville se trouve posséder un 
crâne de chimpanzé distinct de celui qui existe au 
Muséum (1): Mais il est facile de préjuger que des 
différences énormes caractérisent les têtes de ces 
orangs africains, suivant les âges et même les 
sexes. 

On ne connoïit encore qu’une seule espèce de 
chimpanzé, bien qu’il soit possible qu’un jour on 
puisse en distinguer plusieurs. | 


— 


LE CHIMPANZÉ A COCCIX BLANC. 
Pithecus leucoprymna, Less. (?). 


Nous avons résumé dans l’article précédent tout 
ce que l’on savoit du chimpanzé d'Afrique. Dans 


() «M. de Blainville a acquis pour le Cabinet de la 
» Faculté des Science un crâne de troglodyÿte assez dif- 
» férent de celui de notre chimpanzé. Son volume est 
» plus considérable d’un peu plus du tiers; en ligne 
» droite, et d'avant en arriére, sa longueur n’excédoit 
» que d’un pouce et demi; mais d’ailleurs ee crâne est 
» parfaitement ossifié : il avoit produit toutes ses dents 
» molaires, qui étoient bien au nombre de cinq. Il 
» porte aussi tous les caractères d’un animal parvenu 
» à son entier développement. Le chimpasnzé de Buffon 
» seroit, sans aucun doute, arrivé à une taille plus con- 
» sidérable. J'ai comparé ces deux erânes de chimparzé. 
» Les différences tiennent à celles qu'introduisent les 
» développements d’un âge plus avancé.Dans le crâne 
» adulte, ou celui de la Faculté, la crête sourcilière 
» forme une lame avancée au-dessus des yeux qui pro- 
» duit un effet très singulier. Le trou occipital est beau- 
» coup plus reculé, laissant hors de lui postérieurement 
» la longueur de son diamètre pour quatre à cinq de 
» ces longueurs en devant. Les mâchoires, principale- 
» mert l'inférieure, étoient remarquables par l'excès de 
» leur largeur, et je n’ai point trouvé qu'on dût regarder 
» cet excès comme occasionné parle développement 
» des dents canines, quiexcèdent peu en grosseur et en 
» longueur les dents voisines. » (Geoffroy Saint-Hilaire, 
Cours de 4828, VIe leçon sténographiée, p. 20.) 

(2) Illust. de zoologie, pl. 32: T. pilis rudis, niger- 
rimis; natibus niveis ; facie nudä rufo-carned : hab. 
Guinea, Congo. 


181 


celui-ci il ne s’agira que de la description de l’espèce 
que nous avons fait figurer, d’après un individu pris 
sur la côte de Guinée, conduit au Brésil, où il a 
vécu long-temps, et que nous à communiqué M, De- 
lâtre, qui en possède la dépouille à Paris. 

Ce chimpanzé présentoit les dimensions sui- 
vantes : 


Pouces. Lignes, 


HAUTEUR RME MIN LI EG 
Diameétre aUThoraAx ee E 00) 
Longueur de la face, de la symphyse à la 
HAsSeduAIRonL M 6 
————— deSOrelllES Me ee 3 


Largeur des oreilles. . «+ : « . 

————— de la bouche. . . . . . 
Longueur du corps: + + =. + 1. 
————— des bras. . , . . . . . 


=> à 
LU + & D ND À 
a 


———-—— des MAINS Er. 0 8 
————— desjambes, , . . . . , 12 » 
————— AS NIEUS EC CC 4 » 


Les mâchoires sont renflées, saillantes, munies 
de dénts de même forme que celles de l’homme, et 
recouvertes par deux lèvres minces, très fendues, à 
commissure linéaire. Le nez est rentré, concave, 
perforé par deux narines très ouvertes , ovalaires, 
isolées par une mince cloison. Les yeux sont oblongs, 
séparés par un intervalle plane, garnis de cils, sur- 
montés d’arcades arrondies, à peine proéminentes. 
Le front est légèrement bombé, puis déclive. Le 
menton est convexe. Toute la face est nue, ayant 
quelques poils sur les pommettes, qui sont peu 
saillantes. Des favoris épais couvrent les côtés des 
joues et s'unissent sous le menton. La tête est arron- 
die, abritée de cheveux peu touffus, longs sur l’oc- 
ciput et courts sur le sommet de la tête. Les orcilles 
sont larges, hautes, médiocrement déjetées en ar- 
rière, à conque rebordée, à pavillon dessiné comme 
chez l’homme. Les bras sont allongés, à faisceaux 
musculaires assez robustes, couverts de poils dirigés 
de haut en bas sur les bras, et de bas en haut sur 
Pavant-bras. La main est longue, à doigts nus, à 
paume épaisse, à pouce très court, très étroit. Tous 
les ongles sont aplatis, blanchâtres. La verge est 
mince, pointue, surmontant un petit scrotum. Les 
fesses sont sans aucune callosité; les jambes sont 
courtes, épaisses. Les pieds ont un pouce opposable, 
un peu plus prononcé qu’aux mains; ils sont dénu- 
dés, calleux sur le bord externe. Les poils de ce 
chimpanzé sont entièrement rudes , flexueux, peu 
serrés, excepté sur le dos, les épaules et le dehors 
des membres ; ils sont beaucoup plus rares sur le 
thorax. Le ventre est en dedans des membres : les 
mamelles sont au nombre de deux, ayant chacune 
un petit mamelon arrondi, dénudé sur son pour- 
tour. 

Le pelage est noir, profond partout, excepté le 


182 


pourtour de l’anus, qui est largement bordé de poils 
blancs jaunâtres allongés, Nous n'avons pas vu de 
traces de callosités sur les fesses. 


L’ORANG-OUTAN(). 


Pithecus satyrus. DESM., sp. 5 (?). 
(Pl 4e12*) 


La plus ancienne indication que nous puissions 
citer de l’orang dont nous allons parler est celle de 
Jonston, sous le nom d’orang-outan Indorum. 

Nous en retrouvons ensuite une figure fort gros- 
sière dans l'Histoire naturelle et médicale des Indes 
orientales de Bontius, publiée à Amsterdam en 1658; 
et quelques auteurs pensent que c’est encore le 
même animal dont il s’agit dans Charlet (1677), sous 
le nom de satyrus indicus ou drill, et dans Du- 
halde (Description de l'empire de la Chine, 1756), 
sous le nom de sinsin, usité parmi les Chinois. A 
."ces vagues notions, à des renseignements superfi- 
ciels, fut bornée pendant long-temps l’histoire de 
l’orang-outan , que Brisson et Linnæus confondirent 
avec le chimpanzé : ce n’est que fort tard que Buf- 
fon lui-même s’aperçut que ces deux animaux 
étoient évidemment distincts l’un de l’autre, et il 
compléta les descriptions qu’il en avoit données par 


() Nom malais, que tous les auteurs ont écrit à tort 
orang-outang, et jusqu'à ce jour affecté à l’orang d’A- 
sie, que plusieurs zoologistes nomment aussi orang 
roux. ; 

(2) Simia satyrus, L. Gm. Erxleb. : joc4xo, Buffon, 
Suppl., t. VIH, f. 1 ; simia satyrus el simia agrias, 
Secreber, f. 2, et 2 B,2 C ; jocko, Audeb., fam. 1,$. 1, 
pl. 2; Cuvier (Georges), Régn. anim., t. 1, p. 102; 
Sbaw, Gen. Zool., t. 1, p. I, p. #, pl. 3 ei 4;F. Cuvier, 
ist. des Mamsnif. 42e liv., juin 1824; Ann. du Mu- 
séum, t. XVI, p. 46; Dictionn. des Scienc. natur., L. 
XXX VI, p.281; Pennant, Quadr., n° 64, p. 96 ; pongo, 
Bory Saint-Vincent, Diction. class. d’'hist. nat., t. XIT, 
p. 272, avec une (rés bonne figure; Griffith, Régn. 
anim. , trad. angl., avec planches; Donavan , Rép. du 
natur., no 49 à 24; the man of the wood, Edwards, 
Glan,.,t,1,pl. 23; Abel, Ambass. de lord Amerhst, 
fig. ; pongo , Encyclop. pl. 5, f. 1; Legat, Voyag., 
t. Il, p. 95; Bontius, Znd. or., p. 84, fig. ; simia orany- 
outang, Klein, Quadr., p. 86; Vosmaër, 1778, in-4, 
Amst.;Tilésius, Voyage de Krusenstern autour du 
monde ; pongo Würmbii, Desm., sp. 7; grand orang- 
outang, ou pongo, Wurmb, Trans. soc. bat., t. If, 
p. 245; Geoffroy Saint-Hilaire, Journ. de physique, 
4798 , 1. I, p. 542; et Leçons sténographiées, cours de 
1828, p. 31; singe de Wurmbii, Audebert, Singes, 
avec la figure du squelette, pl. 2, f. 5 et6; de Blainville, 
Note surl’orang-outang, Journ. de physique , 1818, t. 
I, p. 311; Bory Saint-Vincent, Dicl. class., t. XII, 
p.276; F. Cuvier, Dict. des Scienc. natur.,t. XXXVE, 
p. 285. 


7 


HISTOIRE NATURELLE 


des annotations qu’on trouve dans ses Suppléments. 
Cependant, dans l'intervalle de 1758 à 1764, Ed- 
wards avoit publié une excellente figure de ce qu’il 
appeloit homme des bois. Le naturaliste anglois 
Shaw a reproduit dans sa planche 4 cette figure 
d'Edwards, et y a joint celle de Vosmaër (pl. 5), et 
celle d’Allamand, gravée dans l'édition hollandoise 
de Buffon. Depuis ce temps l’histoire de l’orang-ou- 
tan a été enrichie d’un grand nombre d’observations 
nouvelles, dont les principales sont dues à MM. Ti- 
lésius, compagnon de l'amiral Krusenstern dans son 
voyage autour du monde, Donavan, Frédéric Cu- 
vier, Clarke-A bel et Griflith ; et des portraits d’une 
grande vérité, dessinés en diverses contrées, sont 
venus donner une idée complète de ses traits : 
parmi ces dessins exacts nous citerons ceux de Ma- 
réchal, conservés dans les vélins du Muséum, et 
dont M. Bory a donné une copie dans l’atlas du 
Dictionnaire classique d'Histoire naturelle; une 
figure dessinée par M. le baron Cuvier, et gravée 
dans l'Iconographie de M. Guérin; celles enfin de 
MM. Frédéric Cuvier et Griffith. La gravure pu- 
bliée par Audebert ne donne point une idée assez 
exacte de cet orang pour que nous puissions la citer 
avec les précédentes (1). 

L’orang-outan diffère du troglodyte noir ou chim- 
panzé par des particularités évidentes d’organisation 
physique. Ces deux grands singes ne se ressemblent 
ni par les proportions des membres ni par les traits 
de la physionomie et la couleur du pelage : cepen- 
dant il faut avouer qu’on ne connoît bien que le 
jeune âge de cet animal, et même le sexe féminin ; 
car ce n’est que par des rapprochements faits d’a- 
près des documents écrits que le grand orang tué 
dans l’île de Sumattra en est regardé comme l’âge 


(‘) Les journaux françois de 4835 contenoient, sur 
le jeune orang qui a vécu au jardin des Plantes, la note 
suivante : 


«Le jeune orang-outan vivant, annoncé par M, de 
Blainville à l'Académie, dit l'Echo, est arrivé dimanche 
45 mai au Muséum, Il a été aussitôt installé dans la ca- 
bane qu’on lui avoit préparée au-dessus de celles des 
autres singes, dans le double but d’en rendre la vue 
facile au public et de pouvoir lui prodiguer les soins 
qu’exige un animal aussi rare et aussi précieux. 

» M. le capitaine Vansghen, qui a lui-même amené 
son jeune orang au Muséum, a bien voulu nous dire son 
histoire ; elle intéressera certainement nos lecteurs. Il 
s’'adressa, pour avoir up orang, à quelques chasseurs de 
lile de Sumatra, dans laquelle cet animal est du reste 
trés rare.Les chasseurs s'étant mis aussitôt en recher- 
che, rencontrérent une femelle portant son petit encore 
fort jeune. 

» Cette femelle, poursuivie avec ardeur, se réfugia 
sur un arbre dont toutesles branches furent successi- 
vement abattues par les chasseurs. Une seule branche 
restoit encore, celle qui supportoit l'animal; celui-ci, 
se voyant cerné de toutes parts, alloit s'élancer sur un 


LOTS 
(AUD 
ALU TE 


Î 

) = = 
ER 

ANT SE 


4 1An7 -vulan, Pithecus Salvrus . 


DES MAMMIFÉRES. 


adulte, dans la plénitude de ses développements 
corporels. Quant au pongo de Wurmb, ce n’est 
qu'avec doute que des naturalistes ont émis l’opi- 
nion qu'il pourroit bien être l’orang- outan très 
avancé en âge; et plusieurs, encore aujourd’hui, 
ne balancent point à en faire une espèce distincte, 
dont nous donnerons plus tard les caractères. 

Si l’orang-outan a la tête plus grosse, plus arron- 
die, en un mot plus humaine que le chimpanzé ; si 
son cerveau est plus amplement développé; si son 
intelligence semble devoir marquer sa place après 
l’homme dans nos méthodes zoologiques, l’allonge- 
ment disproportionné de ses membres lui fait con- 
_tracter des liaisons plus intimes avec les gibbons, 
dont les formes sont déjà très dégradées. L’angle 
facial est plus aigu que celui du chimpanzé; mais 
cette obliquité n’est peut-être aussi apparente que 
parce que les crêtes sourcilières sont effacées, et ne 
forment point, comme chez le troglodyte, des arêtes 
larges et saillantes. Les bras de l’orang-outan sont 
beaucoup plus longs que ceux du chimpanzé, puis- 
que les mains, lorsque l’animal est debout, attei- 
gnent presque les chevilles des pieds. La main est 
très longue, et le pouce ne dépasse point la pre- 
mière phalange de l'index. Pour peu que Panimal 
se baisse, les membres antérieurs touchent à terre; 


arbre voisin, lorsqu'un homme de la troupe lui coupa 
d’un coup de hache une des mains de devant. La mére 
saisit alors son petit avec la main qui lui restoit ; mais 
comme il lui fut dès lors impossible de se soutenir au 
milieu des arbres, elle ne tarda pas à tomber au pouvoir 
de ses agresseurs. 

» Elle fut alors emmenée ainsi que son petit; mais 
les fatigues du voyage et la chaleur extrême augmenté- 
rent la gravité de sa blessure, et une dégénérescence 
gangréneuse la fit bientôt périr. Le petit survécut : son 
âge fut approximalivement évalué à six semaines; cel 
animal étoit entièrement nu, et ce ne fut que plus tard 
que Îles poils qui couvrent arjourd'hui son corps com- 
mencérent à se développer. Ceux du dos parurent d'a- 
bord, puis ceux du ventre et des parties inférieures. 
Néanmoins l'animal avoit déjà fait ses dents incisives 
et les canines; ses molaires, aujourd'hui au nombre de 
trois de chaque côté et à chaque mâchoire, se montré- 
rent plus tard,mais sans occasionner aucun malaise ap- 
préciable. 

» Le jeune orang fut nourrien partie avec de la houil- 
lie qu’on étoit obligé de lui donner comme on la donne 
à un enfant; il étoit alors très foible et peuintelligent ; 
maintenant il est très aclif, doux de caractére, et sensi- 
ble aux caresses. Il affectionne surtout M. Vansghen, 
maisilest familier avec tout lemonde; il prendla main, 
s'accroche aux jambes de ses visiteurs, et monte jus- 
que sur leurs épaules. C'est en lui donnant des soufflets 
ou même des coups de corde que le capitaine le corrige 
quand il est trop turbulent; il s'assied alors dans un 
coin, se cache la figure de ses bras, et pleure parfois; 
dans ce dernier cas, il porte ses mains sur ses yeux 
comme pour les essuyer. 

» 11 joue avec les enfants, et il prend avec eux 


133 


et comme ils sont beaucoup plus longs que les posté- 
rieurs , il en résulte une impossibilité physique de 
courir à quatre paltes, comme nous le développe- 
rons ailleurs. 


L'orang qui nous occupe a les oreilles petites, 
arrondies, de moitié moins grandes que celles du 
chimpanzé ; elles sont nues et colorées en noir, aussi 
bien que la face et le dedans des pieds et des mains. 
Les poils qui recouvrent le corps sont beaucoup plus 
épais et plus fournis sur les parties supérieures et 
externes des membres que sur le ventre et la poi- 
trine, où ils sont rares et où ils disparoissent com- 
plétement; ceux qui sont implantés sur la tête par- 
tent du vertex, et retombent en tous sens sur les 
côtés en imitant une chevelure qui seroit mal pei- 
gnée. De même que chez l’homme les poils des 
bras se dirigent de haut en bas depuis l'épaule jus- 
qu'au coude, tandis qu’ils affectent un sens inverse 
sur l’avant-bras en rebroussant du poignet vers le 
bras. Ces poils longs et mous, rarement crépus, 
sont dans le jeune âge d’un blond cendré, puis en 
vieillissant ils deviennent secs et rigides, et leur 
couleur est alors d’un roux ardent. La teinte de la 
peau est un formément d’un bleuûtre ardoisé, et sur 
toute sa surface elle est finement ridée, comme 
chagrinée, ce qui annonce un défaut d’adhérence 


beaucoup plus de ménagements qu'avec les grandes 
personnes. Il est aussi quelques animaux avec lesquels 
il sympathise, mais il ne peut souffrir!les chats; il n'aime 
pas non plus les autres singes; il affectionne les chiens 
d'une manière toute particulière, elle capitaine recom- 
mande de mettre dans sa loge un jeune animal de celte 
espêéce pour lui tenir compagnie.Il paroïît en effet aimer 
beaucoup la société, el il entre en colère dés qu’il se 
trouve seul, brise alors et déchire tout ce qui est à sa 
portée. On peut au contraire faire de lui ce que l'on 
veut en le mettant au milieu de quelques personnes: il 
joue avec elles, et aime surtout qu'on le bouscule, qu’on 
le roule de toutes les façons. 

» On n’avoit jusqu'ici possédé en France qu’un seul 
orang vivant, encore ce singe éloil-il trés malade et 
presque mourant lorsqu'il y est arrivé. Cet orang, dont 
la peau bourrée existe encore à la galerie zoologique, a 
vécu quelques semaines seulement à la ménagerie de la 
Malmaison, il y a environ trente années, Celui que l’on 
doit à M. Vansghen est en parfaite santé; on remarque 
tout d'abord le volume de son ventre , sa maniére lente 
de marcher et presque comme un cul-de-jatte, et au 
contraire sa légéreté à grimper ct son intelligence. 

» Nous l'avons vu à la fenêtre de sa loge tenant avec 
sa main de derrière (les singes ont des mains au lieu de 
pieds) un verre d’eau sucrée, elavec l’une de ses mains 
supérieures un biscuit qu'il trempoit dans la liqueur 
chaque fois qu’il vouloil en prendre une bouchée. 

» Nous apprenons que Île généreux capitaine Van- 
sghen a refusé de vendre son orang aux naturalistes de 
Londres au prix de 5,000 fr. qui lui étoient offerts, 
pendant qu’il attendoit la réponse des professeurs du 
Muséum de Paris, auxquels il l’avoit proposé pour la 
somme de 3,900 fr. » 


184 


de l’épiderme avec le tissu cellulaire, particularité 
anatomique encore plus remarquable sur la poitrine, 
où Ja peau, par la laxité de son tissu, forme souvent 
comme des fanons pendants. C’est principalement 
sur le nu du ventre, des aines et des aisselles, que 
cette teinte bleuâtre de la peau est plus foncée : elle 
prend même un aspect noir assez intense sur le vi- 
sage, où la couleur de chair dessine à peine le pour- 
tour des yeux et la muqueuse des lèvres. Les ongles 
qui terminent les doigts des mains et des pieds sont 
noirs. Camper avoit cru que l’un des caractères de 
l'orang-outan étoit de ne point avoir dongle au 
pouce du pied; ce célèbre anatomiste a été en cela 
suivi par Shaw et par plusieurs naturalistes, bien 
qu’on ne doive attribuer ce manque d’ongle, dans 
le sujet observé par Camper, qu’à une circonstance 
purement individuelle. I paroît aussi que cet ongle 
ne se développe jamais complétement, c’est-à-dire 
qu'il reste à l'état rudimentaire ou qu’il tombe de 
bonne heure. Edwards, plus correct sous ce rapport 
que ses successeurs, n’avoit point oublié de faire 
figurer cet organc dans le portrait qu’il à laissé de 
son chesnut coloured jocko, ou man of the wood. 
Toutefois, si le pouce de la main est opposable 
comme chez l’homme, et si par sa longueur et par 
ses facultés de préhension il jouit des mêmes mou- 
vements, il n’en est plus de même du pouce du pied 
qui se trouve très déjeté en arrière, et sur le côté 
où il forme un angle de quatre-visgt-dix degrés avec 
les autres doigts. 

Ainsi l'orang-outan est remarquable par sa fäce 
néire et son museau légèrement avancé. Son nez, 
tout-à-fait aplati à la base, ne s'élève que près des 
ouvertures nasales. Ses yeux, à iris brun, brillent 
au fond de l’orbite qui les protége rapprochés et de 
médiocre grandeur, leur forme est ovalaire , et leur 
plus grand diamètre placé dans le sens vertical. De 
la barbe, des favoris, couvrent le menton et les 
joues. La poitrine est large et bombée. Les bras, 
ainsi que nous l'avons dit, sont longs; mais les 
cuisses et les jambes sont proportionnellement 
beaucoup plus courtes. Le ventre, chez tous les in- 
dividus qu’on a observés dans les premières années 
de leur vie, ilest vrai, étoit démesurément gros, 
et cette particularité se trouve reproduite dans les 
deux figures de Vosmaër et dans celles de MM. Gcor- 
ges et Frédéric Cuvier. Deux sacs membraneux dé- 
couverts par Camper occupent les côtés du larynx, 
et paroissent avoir pour but de modifier le timbre 
de la voix. Enfin les muscles fessiers ont bien moins 
de développement que chez le chimpanzé, et les 
mollets sont aussi beaucoup moins saillants et beau- 
coup moins bien dessinés. 

Les très jeunes orangs sont caractérisés par le 
peu de poils qui les recouvre, et par la douceur 
de leur peau, également lisse sur toute se surface. 


HISTOIRE NATURELLE 


Leurs très petits yeux, leur nez aplati, la grande 
distance qui sépare la lèvre supérieure des narines, 
prêtent à leur physionomie enfantine un aspect 
bizarre sans doute, mais où se peignent toutefois la 
douceur du jeune âge et l’innocence des premières 
années. 

La grandeur à laquelle parvient l’orang-outan 
n’est point précisément connue. Les individus qu’on 
a vus vivants en Europe n’avoient point encore 
passé leur troisième année, et n’offroient par con- 
séquent que deux pieds six pouces à trois picds. La 
taille la plus ordinaire des individus adultes dont 
parlent les voyageurs est d'environ quatre pieds et 
quelques pouces; mais un orang tué récemment 
dans l’ile de Sumatra a offert jusqu’à sept pieds six 
pouces et demi de hauteur, mesure angloise qui ré- 
pond assez exactement à six pieds et demi de la me- 
sure de France. Le cours de la vie de ces animaux 
est trop peu connu pour que nous puissions nous 
rendre compte des modifications nombreuses qu’ils 
viennent à éprouver par la succession des années : 
tous les jeunes individus qui ont été étudiés en Eu- 
rope étoient remarquables par leur sagacité et leur 
intelligence, et à ces qualités naturelles se joi- 
guoient des habitudes posées, un air calme et réflé- 
chi, et des dispositions amicales et bienveillantes. 
Les orangs d’un âge plus avancé qui ont été pour- 
suivis dans les forêts qui leur serventde retraite ont 
paru avoir le sentiment de leur vigueur ; ils n’ont 
point craint de se mesurer avec leurs agresseurs, 
de repousser en un mot la force par la force, et de 
mériter, par ces simples actions du droit naturel et 
primitif, la réputation de férocité attachée à leur 
nom; l’âge, en usant toutefois l’énergie de leurs or- 
ganes des sens, en dégradant les pièces osseuses qui 
les protégent, semble les rapprocher encore plus de 
la condition des brutes; et tel seroit le pongo, s’il 
est évidemment un orang-outan, vers le déclin de 
sa carrière. De tels exemples dans la nature ne sont 
pas rares d’ailleurs, et on les retrouve aussi bien 
chez les singes que chez un grand nombre d’autres 
quadrupèdes. 

On ne sait point encore si l’on ne doit admettre 
qu’une seule espèce d’urang-outan. Celle que nous 
décrivons habite exclusivement les grandes îles si- 
tuées sous l’équateur , dans l'archipel de la Sonde, 
et ne paroît point avoir jamais été rencontrée ail- 
leurs qu’à Bornéo et à Sumatra. Les individus qu’on 
a observés sur la presqu’ite de Malacca y avoient 
été portés par les trafiquants malais, et ni Ja Co- 
chinchine, ni la Chine, ni Java, et encore moins 
les Moluques, n’en produisirent jamais. 

Les orangs-oulans ne vivent que de fruits et de 
racines au milieu des vastes forêts qui leur servent 
de refuge, dans ces profondeurs impénétrables où 
jamais l’homme ne porta ses pas. Ils en parcourent 


DES MAMMIFÈRES. 


les solitudes à l’aide des branches, car l’organisa- 
tion de leurs membres est disposée de manière à 
offrir les conditions les plus favorables pour gra- 
vir sans effort Les troncs des arbres les plus élevés ; 
mais leur démarche à terre paroït devoir être gênée 
par les articulations des membres, et la station bi- 
pède, entre autres, seroit impossible au-delà de 
quelques instants par l’excès du poids des parties 
antérieures qui ne seroient point tenues en équi- 
libre par des faisceaux de muscles assez puissants 
en arrière: il n’est pas jusqu’à la marche sur les 
quatre pieds qui ne soit gênée par le grand allonge- 
ment des bras, disposition qui fait que les orangs, 
dont le corps est presque toujours en repos sur les 
membres inférieurs, sont obligés, lorsqu'ils veulent 
se déplacer, de s'appuyer sur les doigts des mains 
et des pieds repliés de manière que leurs longs 
bras font l’oflice de béquilles qui supportent le 
poids du corps, et permettent de le lancer en 
avant absolument de la même manière que le font 
les culs-de-jatte qui implorent la pitié publique 
dans les rues. 

Pris jeunes, les orangs se façonnent à l’escla- 
vage. Ils apprennent aisément à répéter une foule 
d’actes qu’ils voient reproduire sous leurs yeux ; on 
en connoit plusieurs qui ont su remplir les offices 
d’un domestique bien dressé; mais en général, 
tristes et chagrins, ces singes, transportés loin du 
climat qui les a vus naître, finissent par périr des 
suites d’habitudes qui sont diamétralement oppo- 
sées à leur organisation. 

Par les détails que l’on vient de lire, on doit avoir 
une idée générale de l’orang-outan ; mais notre des- 
criplion seroit trop incomplète si nous ne lui ajou- 
tions pas, comme complément, des extraits étendus 
des travaux spéciaux qui le concernent, et dont la 
publication date de ces dernières années. Au pre- 
mier rang nous citerons le travail plus ancien et 
fort bien fait de M. Fr. Cuvier, sur une jeune fe- 
melle qui vivoit au château de la Malmaison. 

« Cet orang-outan n’avoit pas plus de vingt-six à 
trente pouces de hauteur étant debout. Les bras, 
depuis l’aisselle jusqu’au bout des mains, étoient 
longs de dix-huit pouces, tandis que les extrémités 
inférieures depuis le haut de la cuisse jusqu’au tarse 
n’avoient que huit ou neuf pouces. Les doigts des 
pieds avoient la même stature que ceux de la main ; 
chacun d'eux étoit muni d'un ongle, et tous jouis- 
soient d’une grande mobilité. On n'observoit pas 
les moindres vestiges de queue, et les fesses dépour- 
vues de toute callosité étoient nulles ainsi que les 
mollets. La tête ressembloit beaucoup plus que celle 
d'aucun autre animal à la tête de l’homme; le front 
en étoit élevé et saillant, et la capacité du crâne fort 
étendue; mais elle étoit portée sur un cou très court, 

L 


155 


La langue, semblable à celle des autres singes, 
étoit très douce à sa surface, et quoique les lèvres 
fussent extrêmement minces et peu apparentes, 
elles avoient la faculté de s'étendre considérable 
ment:on ne trouvoit dans la bouche aucune trace 
d’abajoue. 

» La vulve fort petite avoit ses lèvres à peine sen- 
sibles, et son clitoris étoit entièrement caché: mais 
de chaque côté de cet organe on voyoit une tache 
couleur de chair où la peau sembloit être d’une 
nature-plus molle et plus fine que celle des autres 
parties, ce qui sembleroit être une indication des 
lèvres. Deux mamelles se trouvoient placées sur la 
poitrine comme chez les femmes. Le ventre étoit 
naturellement fort gros. 

» Un poil roux, plus ou moins foncé, plus ou 
moins épais sur les différentes parties du corps, 
couvroit presque entièrement cet animal: la peau 
étoit généralement ardoisée; mais les oreilles, le 
tour des yeux, le museau, l’intérieur des mains ct 
des pieds, les mamelles et une bande longitudinale 
sur le côté droit du ventre, étoient couleur de chair 
cuivrée. Les poils de la tête, des avant-bras et des 
jambes, étoient d’un roux plus foncé que ceux des 
autres parties, et sur la tête, le dos et les parties su- 
périeures des bras, ils étoient plus épais que partout 
ailleurs; le ventre en étoit peu fourni, et la face en 
avoit moins encore: la lèvre supérieure, le nez, la 
paume des mains et la plante des pieds, étoient 
les seules parties qui fussent entièrement nues. 
Tous les poils étoient laineux et de même nature, et 
ceux de la tête, en général plus durs, se dirigeoient 
tous en avant. La peau, et principalement celle de 
Ja face, étoit grossière et chagrinée, et celle du des. 
sous du cou si flasque que l'animal sembloit avoir 
un goitre lorsqu'il étoit couché sur le côté. 

» Cet orang-outan étoit entièrement conformé, 
dit M. Frédéric Cuvier, pour grimper et faire des 
arbres sa principale habitation; mais s’il gravissoit 
avec aisance, en revanche il marchoit péniblement : 
du reste une grande lenteur earactérisoit tous ses 
mouvements ; mais la marche sur le sol étoit d’une 
extrême difficulté. Pour se reposer il s’asseyoit sur 
les fesses ayant les jambes reployées sous lui à la 
manière des Orientaux. 11 se couchoit indistincte- 
ment sur le dos ou sur les côtés, en retirant ses 
jembes à lui, et croisant ses bras sur sa poitrine ; 
alors il aimoit à être couvert, et pour cet effet il 
prenoit toutes les étoffes, tous les linges qui étoient 
placés à proximité. 

» Cet animal employoit ses mains comme nous 
employons généralement les nôtres, et l’on voyoit 
qu’il ne Jui manquoit que de lexpérience pour en 
faire l’usage que nous en retirons dans un très 


grand nombre de cas particuliers : il se servoit de 
9, 
24 


186 


-ses doigts pour porter à la bouche ses aliments, 
parfois il les saisissoit avec ses longues lèvres ; et sa 
manière de boire consistoit à humer l’eau, en se 
servant de l’élasticité de ses lèvres pour former un 
tube. Son odorat étoit soigneusement interrogé pour 
lui faire connoître les aliments avec lesquels il n’é- 
toit point familiarisé; ce sens, éminemment per- 
fectionné, ne le trompoit jamais. Il mangeoit indis- 
tinctement des fruits, des légumes, des œufs, du 
lait, de la viande; il aimoit beaucoup le pain, le 
café et Les oranges, et une fois il vida, sans en être 
incommodé, un encrier qui tomba sous sa main. Il 
ne mettoit aucun ordre dans ses repas, et pouvoit 
manger à toute heure du jour comme les enfants. 
Sa vue étoit fort bonne, ainsi que son ouïe, et la 
musique ne produisit pas la moindre sensation sur 
ses sens. Pour se défendre, cet orang-outan mordoit 
et frappoit de la main; mais ce n’étoit qu’envers les 
enfants qu’il montroit quelque méchanceté, plutôt 
par impatience que par colère: en général il étoit 
doux et affectueux, et il éprouvoit un besoin natu- 
rel de vivre en société. Il aimoit à être caressé, 
donnoit de véritables baisers, et paroissoit trouver 
un plaisir fort grand à téter les doigts des person- 
nes qui l’approchoient; mais il ne tétoit pas les 
siens. Son cri étoit guttural et aigu; il ne le faisoit 
entendre que lorsqu'il désiroit vivement quelque 
chose. Alors tous ses signes étoient très expressifs : 
il secouoit sa tête en avant pour montrer sa désap- 
probation, boudoit lorsqu'on ne lui obéissoit pas, 
et quand il étoit en colère il crioit très fort en se 
roulant par terre, et alors son cou se gonfloit sin- 
gulièrement. 


» Cet orang-outan arriva à Paris dans les com-. 


mencements du mois de mars 4868 ; il provenoit de 
Bornéo, où il avoit été pris à l’âge de trois mois. Con- 
duit à l’ile de France où il avoit séjourné le même 
espace de temps, puis de là en Espagne où il fut 
expédié par terre en France en mettant deux mois 
à faire ce trajet, son âge étoit done de dix à onze 

mois vers la fin de l'hiver de 1898 ; mais les fatigues 
de la traversée, le froid qu’il éprouva en franchis- 
sant les Pyrénées, détruisirent sa santé, et après 
cinq mois de séjour en France il mourut. » 

Cet animal, bien différent de ceux dont on a fait 
l’histoire, n’avoit été soumis à aucune éducation 
particulière , et m’avoit reçu d’autre influence que 
celle des circonstances au milieu desquelles il avoit 
vécu. Il ne devoit rien à l'habitude ; toutes ses actions 
étoient indépendantes, et les simples effets de sa 
volonté. Ces actions, soigneusement étudiés par 
M. Frédéric Cuvier, sont tellement intéressantes que 
nous croyons devoir les citer textuellement et sans 
abréviations. 

« Lanature a donné aux orangs-outans assez peu de 
moyens de défense. A près l’homme, c’est peut-être l’a- 


HISTOIRE NATURELLE 


nimal qui trouve dans son organisation les plus foibles 
ressources contre les dangers; mais il a de plus que 
nous une extrême facilité à grimper aux arbres, et à 
fuir ainsi les ennemis qu’il ne peut combattre. Ces 
seules considérations sufliroient pour faire présumer 
que la nature a doué l’orang-outan de beaucoup de 
circonspection. En effet la prudence de cet animal 
s’est montrée dans toutes ses actions, et principale- 
ment dans celles qui avoient pour but de le sous- 
traire à quelque danger. Cependant sa vie paisible et 
douce , tant qu’il a été sous mes yeux , ct l’impossi- 
bilité de le soumettre à des épreuves rigoureuses 
dans l’état de foiblesse où il étoit, m’ont empêché de 
multiplier en ce genre mes observations; mais aidé 
de celles qui ont été faites par M. Decaen pendant la 
traversée de l’ile de France en Europe, nous par- 
viendrons à prendre une idée assez exacte de ses fa- 
cultés naturelles. 

» Pendant les premiers jours de son embarque- 
ment cet orang montroit beaucoup de défiance en 
ses propres moyens, ou plutôt, ne pouvant appré- 
cier la cause du roulis, il s’en exagéroit les dangers. 
Il ne marchoit jamais sans tenir fortement en ses 
mains plusieurs cordes ou quelque autre chose atta- 
chée au vaisseau; il refusa constamment de monter 
aux mâts, quelque encouragement qu'il reçût des 
personnes de l'équipage, et il ne fut poussé à le 
faire que par la force du sentiment que la nature 
semble avoir porté dans cetle espèce à un très haut 
degré, celui de l'affection. Notre animal en ressen- 
toit constamment les effets; et il doit sûrement con- 
duire les orangs-outans à vivre en société et à se dé- 
fendre mutuellemeni quand quelques dangers les 
menacent, comme le font la plupart des autres ani- 
maux qui sont portés par leur nature à vivre réunis. 
Quoi qu’il en soit, notre orang-outan n’eut le cou- 
rage de monter aux môts que lorsqu'il eut vu 
M. Decaen, son maître, y monter lui-même; il le 
suivit, et dès ce moment il y monta seul chaque fois 
qu'il en éprouva Île désir : l’expérience heureuse 
qu’il avoit faite lui donna assez de confiance en ses 
propres forces pour qu’il osût la répéter. 

» Les moyens employés par les orangs-outans 
pour se défendre sont en général ceux qui sont com- 
muns à {ous les animaux timides, la ruse et la pru- 
dence ; mais {out annonce que les premiers ont une 
force de jugement que n'ont point la plupart des 
autres, et qu’ils l’emploient dans l’occasion pour 
éloigner des ennemis plus forts qu'eux. 

» Notre animal, vivant en liberté, avoit coutume 
dans les beaux jours de se transporter dans un jar- 
din, où il trouvoit un air pur et les moyens de se 
donner quelque mouvement : alors il grimpoit aux 
arbres, et se plaisoit à rester assis entre les bran- 
ches. Un jour qu’il étoit ainsi perché, on parut vou- 
loir monter après lui pour le prendre ; mais aussitôt 


DES MAMMIFÈRES. 


il saisit les branches auxquelles on s’accrochoit, et 
les secoua de toute sa force, comme si son intention 
eût été d’effrayer la personne qui faisoit semblant de 
monter. Dès qu’on se retiroit, il cessoit de secouer 
les branches ; mais il recommencoit dès qu’on pa- 
roissoit vouloir monter de nouveau, et il accompa- 
gnoit ce geste de tant d’autres signes d’impatience 
ou de crainte que son intention d’éloigner par le 
danger d’une chute ou par une chute même celui 
qui menacçoit de le prendre fut évidente pour toutes 
les personnes qui se trouvoient en ce moment-là près 
de lui. Cette expérience, qui a été tentée plusieurs 
fois, a toujours eu les mêmes résultats. Souvent il 
se trouva fatigué des nombreuses visites qu’il rece- 
voit : alors il se cachoit entièrement dans sa couver- 
ture, et n’en sortoit que lorsque les curieux s’étoient 
retirés ; jamais il n’agissoit ainsi quand il n’étoiten- 
touré que des personnes qu’il connoissoit. 
» C’est à ces seuls faits que se bornent nos ob- 
servations sur les moyens des orangs-outans pour 
se défendre; mais ils suffisent, je pense, pour con- 
vaincre que ces animaux peuvent suppléer par les 
ressources de leur intelligence à celles qu’une foible 
organisation physique leur refuse. Les besoins natu- 
rels de ces quadrumanes sont si faciles à satisfaire 
qu’ils doivent trouver dans leur organisation assez 
de moyens pour n’être pas obligés d’exercer forte- 
ment, sous ce rapport, leurs autres facultés. Les 
fruits sont les aliments principaux dont ils se nour- 
rissent ; et , comme nous l’avons vu, leurs membres 
sont essentiellement conformés pour grimper aux 
arbres. Ilest donc vraisemblable que, dans leur état 
de nature, ces animaux emploient beaucoup plus 
leur intelligence à écarter les dangers qu’à chercher 
les objets de leurs besoins. Mais tous leurs rapports 
doivent nécessairement changer dès qu’ils se trouvent 
dans la société et sous la protection des hommes : 
leurs dangers diminuent, et leurs besoins s’accrois- 
sent. C’est ce que nous montrent tous les animaux 
domestiques, et ce que devoit à plus forte raison 
nous montrer notre orang-outan. En effet son intel- 
ligence à eu beaucoup plus d’occasions de s’exercer 
pour satisfaire ses désirs que pour se soustraire aux 
dangers. Je dois placer dans cette première division 
un phénomène qui pourroit tenir à l'instinct, le seul 
à peu près de ce genre que cet animal m'’ait offert. 
Tant que la saison ne permit pas de le laisser sortir, 
il avoit une coutume singulière, ct dont il auroit 
été diflicile de deviner la cause: c’étoit de monter 
sur un vieux bureau pour y déposer ses excréments ; 
mais, dès que le printemps eutramené Ja chaleur, 
etqu'’il fut libre de sortir de l'appartement, on trouva 
la raison de cette action bizarre. El ne manqua jamais 
de monter à un arbre pour satisfaire aux nécessités 
de cette nature ; on a même souvent employé ce 
moyen avec succès contre sa constipation habituelle. 


| 


157 


» Nous avons déjà vu qu’un des principaux be- 
soins de notre orang-outan étoit de vivre en société, 
et de s'attacher aux personnes qui le traitoient avec 
bienveillance. Il avoit pour M. Decaen une affection 
presque exclusive, et il lui en donna plusieurs fois 
des témoignages remarquables. Un jour cet animal 
entra chez son maître pendant qu’il étoit encore au 
lit; et dans sa joieil se jeta sur lui, l’embrassa avec 
force, ct, lui appliquant ses lèvres sur la poitrine S 
il se mit à lui téter la peau comme il faisoit souvent 
le doigt des personnes qui lui plaisoient. Dans une 
autre occasion cet animal donna à M. Decaen une 
preuve plus forte encore de son attachement. Il avoit 
l'habitude de venir à l’heure des repas, qu’il con- 
noissoit fort bien, demander à son maître quelques 
friandises. Pour cet effet il grimpoit par-derrière à 
la chaise sur laquelle M. Decaen étoit assis, de sorte 
qu’il ne pouvoit le voir de manière à le reconnoitre 
qu'après être arrivé à la partie la plus élevée du 
dossier de cette chaise : là, perché, il recevoit ce 
qu’on vouloit bien lui donner. A son arrivée sur les 
côtes d'Espagne M. Decaen fut obligé d’aller àterre, 
et un autre officier du vaisseau le remplaça à table : 
l’orang-outan , comme à son ordinaire, entra dans 
la chambre, et vint se placer sur le dos de la chaise 
sur laquelle il eroyoit que son maître étoit assis; 
mais, aussitôt qu’il s’apercut de sa méprise et de 
labsence de M. Decaen, il refusa toute nourriture, 
se jeta à terre, et poussa des cris de douleur ense 
frappant la tête. Je l’ai vu très souvent témoigner ainsi 
son impatience dès qu’on lui refusoit quelque chose 
qu’il désiroit vivement, et qu’il avoit sollicité. Cet 
orang-outan auroit-il été conduit à agir ainsi par une 
sorte de calcul? On seroit tentéde le croire ; car dans 
sa colère il relevoit la tête de temps en temps, et 
suspendoit ses cris pour regarder les personnes qui 
éloient près de lui et voir s’il avoit produit quelque 
effet sur elles et si elles se disposoient à lui céder : 
lorsqu’il eroyoit ne rien apercevoir de favorable dans 
les regards ou dans les gestes, il recommencoit à 
crier. 

» Ce besoin d’affection portoit ordinairement notre 
orang-oùtan à rechercher les personnes qu’il con- 
noissoit et à fuir la solitude qui paroiïssoit beaucoup 
lui déplaire, et il le poussa un jour à employer en- 
core son intelligence d’une manière très remarqua- 
ble. On se tenoit dans une pièce voisine du salon où 
l’on se rassembloit habituellement ; plusieurs fois il 
avoit monté sur une chaise pour ouvrir la porte du 
salon ; la place ordinaire de la chaise étoit près de 
cette porte, et la serrure se fermoit avec un pêne. 
Une fois, pour l’empêcher d'entrer, on avoit ôté la 
chaise du voisinage de la porte; mais à peine celle- 
ci fut-elle fermée qu’on la vits’ouvrir, et l’orang- 
outan descendre de cette même chaise qu’il avoit ap- 
portée pour s'élever au niveau de la serrure. Il est 


188 


certain que jamais on n’avoit enseigné à cet animal 
à agir de la sorte, et il n’avoit même vu le faire à 
personne. Tout ce qu’il avoit pu apprendre par sa 
propre expérience c’est qu’en montant sur une chaise 
il pouvoit s'élever au niveau des choses qui étoient 
plus hautes que lui, et il avoit pu voir par les actions 
des autres queles chaises étoient transportables d’un 
lieu dans un autre, et que la porte dont il est ques- 
tion s’ouvroit en poussant le pêne : tout le reste de 
cette action venoit de lui. Les hommes, au reste, 
ne sont pas les seuls êtres différents des orangs-ou- 
tans, auxquels ceux-ci peuvent s'attacher : notre 
animal avoit pris pour deux petits chats une affec- 
tion qui ne lui étoit pas toujours agréable; il tenoit 
ordinairement l’un ou l’autre sous son bras, et d’au- 
tres fois il se plaisoit à les placer sur sa tête: mais, 
comme dans ces divers mouvements les chats éprou- 
voient souvent la crainte de tomber, ils s’accro- 
choient avec leurs griffes à la peau de l’orang-outan, 
qui souffroit avec beaucoup de patience les douleurs 
qu'il en ressentoit. Deux ou trois fois, à la vérité, il 
examina attentivement les pattes de ces petits ani- 
maux ; etaprèsavoir découvert leur: ongles, il cher- 
cha à les arracher, mais avec ses doigts seulement : 
n'ayant pu le faire, il se résigna à souffrir plutôt 
qu’à sacrifier le plaisir qu’il trouvoit à jouer avec 
eux. L'instinct sembloit encore entrer pour quelque 
chose dans le mouvement par lequel il portoit ces 
petits chats sur sa tête. Si quelques papiers légers 
lui tomboient sous la main , il les élevoit sur sa tête ; 
s’il arrivoit à une cheminée, il en prenoit les cen- 
dres à poignée , et s’en couvroit la tête : il en faisoit 
de même avec la terre, avec les os qu’ils avoit ron- 
gés, etc. 

» Nous avons dit que pour manger il prenoit ses 
aliments avec ses mains ou avec ses lèvres; il n’é- 
toit pas fort habile à manier nos instruments de 
table, et à cet égard il étoit dans le cas des sauva- 
ges que l’on a voulu faire manger avec nos four- 
chettes et avec nos couteaux : mais il suppléoit par 
son intelligence à sa maladresse; lorsque les ali- 
ments quiétoient sur son assielte ne se placoient pas 
aisément sur sa cuillère, il la donnoit à son voisin 
pour la faire remplir. 11 buvoit très bien dans un 
verre, en le tenant entre ses deux mains. Un jour 
qu'après avoir reposé son verre sur la table il vit 
qu’il n’étoit pas d'aplomb, et qu’il alloit tomber, il 
plaça sa main du côté où ce verre penchoit pour le 
soutenir. Le premier de ces faits, qui a souvent été 
répété ici, a été vu de plusieurs personnes, et le 
second m'a été rapporté par M. Decaen. 

» Presque tous les animaux ont besoin dese ga- 
rantir du froid , et il est bien vraisemblable que les 
orangs-outangs sont dans ce cas, surtout dans la 
saison des pluies. J’ignore quels sont les moyens 
que ces animaux emploient dans leur état de na- 


HISTOIRE NATURELLE 


ture pour se préserver de l’intempérie des saisons. 
Notre animal avoit été halitué à s’envelopper dans 
des couvertures, et il en avoit presque un besoin 
continuel. Dans le vaisseau il prenoit pour se cou- 
cher tout ce qui lui paroissoit convenable : aussi, 
lorsqu'un matelot avoit perdu quelques hardes, il 
étoit presque toujours sûr de les retrouver dans le 
lit de l’orang-outan. Le soin que cet animal pre- 
noit à se couvrir le mit dans le cas de nous donner 
encore une très belle preuve de son intelligence. 
On mettoit tous les jours sa couverture sur un 
gazon devant la salle à manger; et après ses repas, 
qu'il faisoit ordinairement à table, il alloit dro't à 
sa couverture, qu’il plaçoit sur ses épaules, et re- 
venoit dans les bras d’un petit domestique pour 
qu’il le portät dans son lit. Un jour qu’on avoit re- 
tiré la couverture de dessus le gazon, et qu’on l’a- 
voit suspendue sur le bord d’une croisée pour la 
faire sécher, notre orang-outan fut, comme à l’or- 
dinaire, pour la prendre; mais, de la porte ayant 
aperçu qu’elle n’étoit pas à sa place habituelle, il la 
chercha des yeux, et la découvrit sur la fenêtre : 
alors il s’achemina près d’elle, la prit, et revint 
comme à l'ordinaire pour se coucher. 

» Nous avons déjà fait remarquer que cet animal 
étoit beaucoup trop jeune pour avoir pu nous mon- 
trer quelques phénomènes de son intelligence rela- 
tifs à la génération et à ses besoins. C’est donc ici 
que je terminerai tout ce que j'ai à dire sur les fa- 
cultés intellectuelles de l’orang-outan qui a fait le 
sujet de mes observations. » 

Tels sont les détails neufs et originaux dont nous 
sommes redevable à M. Fr. Cuvier. Nous les com- 
pléterons par les observations que le docteur A bel, 
naturaliste de l'ambassade de lord Amherst, à pu- 
blices sur un orang-outan de Bornéo qui fut trans- 
porté, sur le César, de Batavia en Europe, où il 
arriva en août 4847, et où il a vécu jusqu'au 4er 
avril 4819. 

« Le pelage de cetorang-outan de couleur rouge 
brunâtre couvroit abondamment le dos, les bras, 
les cuisses, et les parties supérieures des mains et 
des pieds. Les poils , en certains endroits du corps, 
avoient jusqu’à six pouces de longueur et cinq pou- 
ces sur les bras : mais sur le dos de Ja main et des 
pieds ils étoient très courts et clair-semés. Leur di- 
rection étoit de haut en Pas sur les reins, les bras 
et les jambes, et rebroussoient au contraire de bas 
en haut sur les avant-bras. Le visage étoit complé- 
tement nu, excepté sur les côtés, où s’implantoient 
de légers favori', et au menton, que recouvroit une 
barbe grêle. Le dessus des épaules de même que 
les coudes et les genoux étoient revêtus d’une bien 
plus petite quantité de poils que le reste des bras 
ou des jambes, et les surfaces palmaires et plantai- 
res des mains ct des pieds étoient entièrement ta- 


DES MAMMIFÈRES. 


pissées d’un épiderme lisse. Partout la peau offroit 
une couleur grise bleuâtre. La tête, vue de face, 
étoit pyriforme, c’est-à-dire qu’à partir du menton 
elle s’élargissoit de manière à ce que le haut de la 
tête fût la partie la plus développée. Voisins l’un 
de l’autre, les yeux dont l'iris étoit brun foncé rou- 
loient dans des orbites ovalaires ; les paupières qui 
les recouvroient étoient sillonnées de vergetures , 
et la portion du palpébral inférieur étoit remarqua- 
ble par son épaisseur et par les rides épaisses qui 
en parcouroient le contour. Le nez, dans la plus 
grande partie de son diamètre, ne s’élevoit point 
au-dessus du niveau de la face; il nese dessinoit par 
une légère saillie que vers son extrémité où les na- 
rines s’ouvroient obliquement sous forme de fissures 
étroites. La bouche avancçoit de beaucoup, et par 
son ensemble imitoit un mamelon élevé : elle ac- 
quéroit en s’ouvrant une ampleur démesurée ; mais 
en se fermant elle n’offroit l'apparence que d’une 
simple ligne, car les lèvres étoient extrêmement 
minces. Le menton fuyoit sous la bouche, et au- 
dessous pendoit une membrane lâche, susceptible 
de se gonfler lorsque l’animal étoit animé par des 
sensations fortes, soit de plaisir, soit de colère. Dans 
le repos, ce tissu lâche n’imitoit pas mal ce repli du 
peaussier et du tissu cellulaire qui chez l’homme 
donne lieu à ce qu’on nomme double menton. On 
comptoit vingt-quatre dents aux deux mâchoires : à 
chacune d’elles existoient quatre incisives, dont les 
deux du milieu du maxillaire supérieur se trou- 
voient du double plus larges que leurs deux voisi- 
nes ; on observoit encore deux canines et six molai- 
res. Les oreilles étoient remarquables par leur 
petitesse, et ressembloient parfaitement, par leur 
forme, à celles de l’homme ; mais dans une situa- 
tion plus élevée, puisque leur bord inférieur se 
trouvoit au niveau de l’angle externe de l'œil. La 
poitrine étoit beaucoup plus large que le bassin, et 
le ventre surtout avoit acquis un développement 
considérable. Les bras, par leur longueur démesu- 
rée et peu en rapport avec le corps, étoient aussi, 
toutes proportions gardées, bien plus prolongés que 
les extrémités inférieures. 

» Les mains étoient longues , relativement à leur 
largeur et à celles de l’homme, et chacune d’elles 
étoit divisée en doigts minces et eflilés. Le pouce 
surtout en éloit tellement court qu'il se terminoit 
au niveau de la première articulation du doigt indi- 
cateur. L’extrémité de chaque doigt se trouvoit re- 
vêtue d’un ongle noirâtre, parfaitement conformé 
et ovalaire, Les pieds surtout étoient fort longs, et 
par leur fonction comme par leur organisation ils 
ressembloient aux mains ; leurs talons toutefois pré- 
sentoient avec ceux de l’homme la plus frappante 
analogie ; le gros orteil très court formoit un angle 


159 


droit sur le pied , en arrière des autres doigts, et 
n'avoit point d'ongle. 

» L’orang-outan de Bornéo ne sauroit marcher 
debout, ainsi que sa conformation le prouve ; il 
n’essaya jamais volontairement de l’allure bipède. 
Sa tête, qui tombe en avant et hors de la ligne de 
gravité, étoit un obstacle puissant pour s'opposer à 
ce genre de locomotion. Il éprouvoit la plus grande 
difficulté à se tenir droit l’espace de quelques se- 
condes, lorsque son propriétaire l’exigeoit ; aussi, 
pour conserver son équilibre, se trouvoit-il con- 
traint de lever les bras, et de les jeter en arrière 
pour s’en servir comme d'un ba'ancier. Il chemi- 
noit sur la surface unie ‘du sol en y appuyant ses 
poings fermés , et soulevant le corps il lui donnoit 
un mouvement de balancement qui le faisoit avan- 
cer. Cette manière de marcher ne peut être bien 
rendue qu’en se figurant un homme privé de l’usage 
des jambes et marchant à l’aide de béquilles. Dans 
son indépendance l’orang-outan sans doute va très 
rarement sur la surface de la terre; tout dans sa 
structure annonce qu’il est destiné à vivre dans les 
arbres , qu’il est habile à grimper sur leurs troncs, 
et à s’accrocher à leurs branches. La longueur et la 
flexibilité des doigts des mains et des pieds les ren- 
dent très propres à saisir avec solidité et prestesse 
les tiges arrondies. La puissance de ses muscles lui 
permettoit de rester indifféremment suspendu, et 
sans grande fatigue, par une des extrémités. Les 
forêts sont pour lui un champ non interrompu qu’il 
peut parcourir en passant de branche en branche. 
Dans le repos, et pour s’asseoir sur une surface unie, 
l’orang-outan plie ses jambes sous lui; mais lors- 
qu'il veut demeurer assis sur la branche de l’arbre 
ou sur une corde, il s'appuie en entier sur les ta- 
lons en déjetant le corps en avant des cuisses. Il 
sait se servir de ses mains comme tous les indivi- 
dus de sa tribu. 


» Lorsque cet orang-outan arriva à Batavia on 
le laissa libre de ses actions ; quelques jours après, 
il fut embarqué sur le vaisseau le César qui devoit 
le transporter en Angleterre; mais lorsqu'on le prit 
à Bornéo pour le conduire à Java, il resta paisible 
tant que le petit bâtiment fut en pleine mer, et ne 
se livra à la violence de son caractère que lorsqu'il 
se vit renfermer dans une cage de bambou destinée 
à le transporter à terre. Il essaya de mettre en piè- 
ces les barreaux de sa cage en les secouant violem- 
ment avec les mains; mais, voyant qu'il ne pouvoit 
en venir à bout en les prenant en masse, il essaya 
de les briser isolément. Il en reconnut un plus foi- 
ble que les autres auquel il S’'acharna tant qu'il tint 
bon : étant parvenu à le rompre, il s’échappa. 
Lorsqu'on l’eut conduit à bord du vaisseau le César, 
on essaya de le retenir à une chaine fixée dans la 


190 


muraille du navire par un crampôn de fer ; il eut 
bientôt brisé ce lien, et se sauva en trainant après 
lui cette chaîne dont la longueur, gênant ses mou- 
vements, lui inspira la réflexion d’en rouler l’extré- 
mité, et de la jeter sur ses épaules. Après avoir 
plusieurs fois répélé ce manége, et ennuyé de ce 
que cette chaîne ne restoit point sur son dos, il finit 
par Ja prendre dans sa bouche afin de fuir plus à 
son aise. 

» Après plusieurs essais tout aussi infructueux 
que le précédent, on renonça à tenir cet orang- 
outan à l’attache , et il Jui fut permis dès lors de 
parcourir le vaisseau au gré de ses caprices. Il ne 
tarda point à se familiariser avec les matelots qu'il 
surpassoit en agilité; c'est en vain qu’ils essayèrent 
fréquemment de l’atteindre en le poursuivant sur 
les agrès, ces jeux ne servirent qu’à montrer toute 
l'étendue de son adresse, et la sagacité avec la- 
quelle il savoit éviter les piéges. Lorsqu’il étoit sur- 
pris, il cherchoit à devancer ceux qui le poursui- 
voient; mais lorsqu'il se trouvoit trop vivement 
pressé il saisissoit la première corde venue en se 
balancant ho:s de leur portée. D’autres fois négli- 
gemment couché dans les haubans ou sur la tête du 
mât , il attendoit que les matelots, qui croyoient le 
surprendre, fussent arrivés à le toucher : alors, par 
un mouvement aussi brusque que la pensée, il se 
jetoit sur quelque manœuvre courante, et se laissoit 
glisser comme un trait sur le tillac, ou s'élançant 
sur le grand étai, il passoit d’un mât à l’autre en se 
balançant sur les mains de même qu’un habile fu- 
nambule. En vain secouoit-on avec force les corda- 
ges minces auquels il s’accrochoit, ces secousses ne 
l'agitoient aucunement, tant ses muscles avoient de 
force et de puissance, pour maintenir les extrémi- 
tés sur les corps qu’elles embrassoient. Parfois lors- 
qu’il étoit de bonue humeur et en disposition de 
jouer, il s’élançoit dans les bras du matelot courant 
à sa poursuite, et après l'avoir touché de la mainil 
fuyoit d’un bond hors de sa portée comme pour le 
défier de l’atteindre. 

» Pendant son séjour à Java cet orang-outan lo- 
geoit dans un grand tamarinier, près de la demeure 
de M. Abel. El y avoit formé un lit en entrelaçant 
les petites branches et en les couvrant de feuilles ; 
dans le jour, il s’y étendoit nonchalamment , en 
ayant soin de placer sa tête hors de cette espèce de 
nid, «fin de voir si les hommes qui passoient au- 
dessous ne portoient pas des fruits; car aussitôt 
qu’ilen apercevoit il ne manquoit pas de descendre 
afin d’en obtenir sa part (1). El avoit pour habitude 


de se coucher avec le soleil, ou plus tôt, lorsqu'il 


avoit fait un copieux repas. Il étoit réveillé au jour, 


() Gemelli Carreri, dans son Voyage autour du 


HISTOIRE NATURELLE 


et sa première action étoit de visiter ceux dont il 
recevoit habituellement s1 nourriture. 

» Il paroissoit faire très peu d’attention à plu- 
sieurs petits singes de Java, ses compagnons de 
voyage. Une fois cependant il essaya de jeter à la 
mer une cage qui renfermoit trois de ces animaux, 
et on suppose qu'il fut guidé dans cette action par 
le désir de les punir de ce qu’ils avoient reçu devant 
lui des aliments dont il n’avoit pas eu sa part, Mais, 
quoiqu'il ne s’en occupât guère pendant toute la 
traversée, M. Abel pense qu’il étoit moins indiffé- 
rent à leur société lorsqu'il n’étoit pas observé, et 


il fut un jour surpris sur l'avant du mât de misaine 


jouant avec un jeune singe mâle. Couché sur son 
dos et en partie couvert d’une voile, il contempla 
quelque temps avec une grande gravité les gam- 
babes du singe qui étoit au-dessus de lui; mais à la 
fin il l’attrapa par la queue, et essaya de le rouler 
dans sa couverture. L'action cependant ne parois- 
soit pas se passer entre égaux; car l’orang-outan 
ne daigna pas folâtrer avec le singe comme il faisoit 
avec les mousses. Pourtant les singes avoient évi- 
demment une grande prédilection pour sa société, 
car lorsqu'ils étoient détachés ils alloient le trou- 
ver, et furent souvent vus s’avançant clandestine- 
ment, et se cachant vers lui. Leur intimité ne 
s’accrut pas sensiblement, car ils parurent aussi fa- 
miliers avec lui dès la première entrevue qu’à la 
fin du voyage. 

» Mais, quoique très doux, l’orang-outan pou- 
voit être animé par une violente rage, qu’il expri- 
moit en ouvrant la bouche, en montrant ses dents, 
eten saisissant et mordant ceux qui étoient près de 
lui. Quelquefois il parut presque désespéré, et en 
deux ou trois occasions il se livra à des actes qui 
dans un être raisonnable auroient été regardés 
comme la menace d’un suicide. Si on lui refusoit 
obstinément une orange lorsqu'il essayoit de s’en 
saisir, il poussoit de grands eris, ets’élançoit en fu- 
reur sur les cordages; ensuite il revenoit, et essayoit 


monde, parle évidemment de l’orang-outan , lorsqu'il 
dit «avoir vu un singe qui se plaignoit comme un en- 
» fant: qui marchoit sur les deux pieds de derriére, 
» emportant sa natte sous son bras pour se coucher et 
» dormir. Ces singes, ajoule-t-il, paroissent avoir plus 
» d'esprit que les hommes à certains égards; car, quand 
» ils ne trouvent plus de fruits sur les montagnes, ils 
» vont au bord de la mer, où ils attrapent des crabes, 
» des huîtres et autres choses semblables. Il y a une es- 
» péce d'huître, qu'on appelle taclovo, qui pêse plu- 
» sieurs livres (tridacne bénitier), et qui est souvent 
» ouverle sur le rivage; or ce singe, craignant que quand 
» il veut la manger elle ne lui pince les doigts en refer- 
» mant ses valves, jette entre les deux coquilles une 
» pierre qui s'oppose à sa fermelure, et peut ensuite 
» manger sans crainte le mollusque. » 


DES MAMMIFERES. 


derechef de l'obtenir : s’il étoit encore joué, il se 
rouloit comme un enfant sur le pont, jetant les cris 
les plus percants; une fois, se levant soudain, il s’é- 
lança avec fureur sur le côté du vaisseau, et dispa- 
rut. Témoins de cette action, les gens du vaisseau 
crurent d’abord qu'il s’étoit élancé dans la mer; 
mais, après l'avoir cherché, on le trouva caché sous 
les chaines des haubans. 

» Cet animal ne fait pointles grimaces et les con- 
torsions des autres singes, et ne possède point leur 
penchant à la malice. Une gravité qui approche de 
la mélancolie et de la douceur étoit fortement ex- 
primée dans sa contenance, et sembloit être ses 
dispositions caractéristiques. Lorsqu’ii se trouvoit 
pour la première fois parmi des étrangers, il regar- 
doit pendant des heures entières autour de lui d’un 
air pensif, en appuyant sa Lête sur sa main; et lors- 
qu’il étoit ennuyé d’être un objet de curiosité, il se 
cachoit sous le premier meuble qui étoit à sa portée. 
Sa douceur étoit prouvée par la patience avec la 
quelle il supportoit les injures même graves, et ce 
n’étoit qu’à la dernièreextrémité qu’il cherchoit à se 
venger. Mais ilévitoit toujours ceux qui le lutinoient 
trop fréquemment. Il s’attacha promptement aux 
marins qui se conduisirent bien à son égard; il ai- 
moit beaucoup s'asseoir à leurs côtés, et, s’en ap- 
prochant autant que possible, il prenoit leurs mains 
entre ses lèvres, et réclamoit vivement leur pro- 
tection et leur appui. Le bosman de l’Alceste, aui 
partageoit ses repas avec lui et qui étoit son plus 
grand ami (quoiqu'il lui dérobât quelquefois son 
grog et son biscuit), lui apprit à manger avec une 
cuillère ; il s’asseyoit souvent à la porte de la cabane 
de ce maître pour prendre son café, sans être aucu- 
nement troublé par ceux qui l’observoient, et cela 
avec un air sobre et comique qui sembloit être une 
parodie de la nature humaine. 

» Après le bosman M. Abel étoit peut-être sa 
connoissance la plus intime. {1 le suivoit constam- 
ment à la tête du mât, où il se retiroit souvent pour 
fuir le bruit du vaisseau; et, s'étant assuré que ses 
poches ne contencient point de vivres, il se cou- 
choit alors à ses côtés, et se couvroit entièrement 
d’une voile qu'il écartoit parfois pour suivre de 
l'œil tous ses mouvements. 

» Son amusement favori à Java étoit de s’élancer 
d'arbre en arbre et sur le toit des maisons; et dans 
le navire, de se pendre par les mains aux cordes et 
de badiner avec les mousses. Il les excitoit à jouer 
en les tapant avec la main lorsqu'ils passoient, et en 
se sauvant ensuite ; ou bien il se laissoit attraper, et 
alors s’engagcoient des démêlés burlesques dans 
lesquels il avoit recours aux mains, à ses pieds et 
à sa bouche. Si on peut tirer quelque conjecture de 
ces jeux et de la manière dont il attaque son adver- 
saire, on doit penser que son premier but est de le 


191 


jeter à bas , puis de s’en saisir avec ses mains ct ses 
pieds, et alors de le blesser avec les dents. 

» À bord du vaisseau il dormoit ordinairement sur 
la tête du mât (le chouc), en s’enveloppant d’une 
voile (1). Il se donnoit beaucoup de mal pour faire 
son lit, et ne manquoit pas de le débarrasser des 
objets qui auroient pu rendre inégale la surface sur 
laquelle il vouloit reposer ; et, content de cet arran- 
gement, il tiroit sur lui la voile et s’étendoit sur le 
dos. Quelquefois M. Abel s’emparoit de son lit, et 
aiguillonnoit son humeur en refusant de le lui ren- 
dre : alors il s’efforçoit de tirer à lui la voile, et ne 
vouloit se retirer que lorsqu'il étoit resté maître du 
terrain. Si le lit étoit assez large pour deux, il se 
posoit tranquillement auprès de la personne qui 
étoit venue l’occuper ; ou, s’il arrivoit que toutes les 
voiles fussent déferlées, il cherchoit un autre objet, 


(r) Ces habitudes, observées par un naturaliste trés 
instruit, nous prouvent aussi que nous ne devons pas 
toujours rejeter sans examen le récit des anciens 
voyageurs. Leguat, que beaucoup de savants regardent 
avec quelque apparence de raison comme un conteur, 
rapporte, dans la narralion de son voyage et de ses 
aventures( Voyage et Aventures de François Legual aux 
deux îles désertes des Indes orientales, 2 vol. in-12; 
Londres, 14720), tome Il, page 95, quelques particu- 
larités sur l’orang-outang, qu’il est bon de conserver, 
« Je dirai quelque chose d'un singe extraordinaire, que 
» j'ai vu à Java, où il avoit une petite maisonnette sur 
» la pointe du bastion qu'on nomme le Saphir. C'étloit 
» une femelle. Elle étoit de grande taille, et marchoit 
» souvent fort droit sur ses pieds de derrière; alors elle 
» cachoit d'une de ses mains, quin'étoit velue ni dessus 
» ni dedans, l'endroit de son corps qui distingue son 
» sexe *: elle avoit le visage sans autre poil que celui 
» des sourcils, et elle ressembloit assez en général à 
» ces faces grolesques de femmes hottentoles que j'ai 
» vues au Cap. Elle faisoit tous les jours proprement 
» son lit, s’y couchoit la tête sur l'oreiller, et se cou- 
» vroit d'une couverture, de la même maniére que cela 
» se pratique communément parmi les hommes. Quand 
» elle avoit mal à la Lête, elle se serroit d'un mouchoir, 
» et c'étoit un plaisir de la voir ainsi coiffée dans son 
» lit, Je pourrois en raconter diverses autres peliles 
» choses qui paroissent extrémement singulières; mais 
» j'avoue que je ne pouvois pas admettre cela autant 
» que le faisoit la mullitude, ni en tirer les mêmes con- 
» séquences, parce que, comme je n'ignorois pas le 
» dessein qu’on avoit de porter cet animal en Europe 
» pour le faire voir, j'avois beaucoup de penchant à sup- 
» poser qu’on l’avoit dressé à-la plupart des singeries 
» que le peuple regardait comme lui étant naturelles : 
» à la vérité c'étoit une supposition El mourut à la hau- 
» teur du Cap de Bonne-Espéranec, dans un vaisseau de 
» la flotte sur laquelle j’étois. » 


+ Cette observation est, ainsi que plusieurs autres de 
Legual, entiérement fausse Les orangs ignorent le sen- 
timent de la pudeur, aussi bien queles hommes de race 
noire qui vivent à la Nouvelle-Hollande et sur les erres 
des Papous. Habitués dès leur enfance à une complète 
nudité, peuvent-ils avoir, Comme nous, des idées de 
bienséance ? 


192 


voloit soit une veste, soit une chemise de matelot 
mise au sec, ou tâchoit de découvrir la couverture 
de laine de quelque hamac. Lorsqu'on eut doublé 
le cap de Bonne-Espérance, il souffrit beaucoup 
d’une température refroidie, surtout dans les pre- 
mières heures de la matinée; aussi, lorsqu'il des- 
cendoit du mât transi de froid, il couroit vers un 
de ses amis, se jetoit dans ses bras, et le serroit 
fortement pour se réchauffer : il poussoit des 
cris violents au contraire, si l’on essayoit de l’éloi- 
gner. 

» Sa nourriture à Java consistoit principalement 
en fruits, et surtout en mangoustans qu’il aimoit 
passionnément. Il suçoit aussi les œufs avec vora- 
cité, ets’occupoit fréquemment d’en chercher. A bord 
sa nourriture n’éloit pas déterminée ; il mangeoit 
indifféremment toutes sortes de viandes, et surtout 
lorsqu'elles étoient crues ; il aimoit beaucoup le pain, 
mais il préféroit les fruits lorsqu'il pouvoit en obte- 
nir. Sa boisson à Java étoit dé l’eau ; à bordelle étoit 
aussi variée que les mets qui formoient sa nourri- 
ture. Il préféroit le café et le thé ; mais il acceptoit 
le vin, et prouva un goût fort vif pour les liqueurs 
fortes en dérobant une bouteille d’eau-de-vie au 
capitaine. À Londres il préféroit à toute autre sub- 
stance la bière et le lait, bien qu'il bût aussi fré- 
quemment du vin et des liqueurs. 

» Dans ses tentatives pour obtenir de la nourri- 
ture, il montra en plusieurs circonstances une grande 
sagacilé et une finesse de tact peu commune. Il 
étoil toujours très impatient de saisir ses aliments 
lorsqu'on les lui présentoit, se mettoit en colère 
lorsqu'on ne les lui livroit pas promptement , et 
poursuivoit la personne chargée de les lui donner 
par tout le vaisseau. M. Abel alloit rarement sur le 
pont sans avoir dans sa poche des confitures ou des 
fruits, et jamais il n’échappa à s5n œil vigilant. 
Quelquefois il essayoit de l’éviter en montant sur 
lemât; mais il étoit toujours prévenu ou interrompu 
dans sa fuite. Lorsqu'il arrivoit avec lui dans les 
haubans, il se soutenoit d’un pied dans les enfléc'iu- 
res, ct retenoit ses jambes avec l’autre pied et une 
main , tandis qu’il fouilloit dans ses poches. S'il 
trouvoit impossible de le surprendre , il grimpoit à 
une grande hauteur dans le gréement, et s’élançoit 
brusquement sur lui. Enfin, apercevant son inten- 
tion de descendre, il se glissoit par une corde, et 
étoit en bas en même temps que lui. Quelquefois 
M. Abel attachoit une orange au bout d’une corde, 
et la laissoit pendre da mât sur le pont; et aussitôt 
qu'il vouloit la saisir, il élevoit rapidement. Après 
avoir été plusieurs fois trompé dans son emploi des 
moyens naturels, il changeoïit son plan. Paroissant 
n'y plus faire attention, il s’en alloit à quelque dis- 
tance, et montoit tranquillement aux agrès pendant 
quelques minutes ; puis, par un saut imprévu, il 


HISTOIRE NATURELLE 


attrapoit la corde qui soutenoit l’orange. Si on re- 
tiroit précipitamment la corde, il paroissoit déses- 
péré, abandonnoit ses efforts, se jetoit dans les cor- 
dages , et crioit avec violence. Mais il revenoit 
toujours ; et, s’il étoit encore vaincu , il saisissoit le 
bras afin de lui enlever l'orange. 

» Deux fois seulement il manifesta une grande 
frayeur : c’étoit à la vue de huit grandes tortues ap- 
portées à bord tandis que le César étoit à l’Ascension. 
Alors il grimpa en toute hâte sur la partie du vais- 
seau la plus élevée; et de là, regardant au-dessous 
de lui, il allongea ses longues lèvres sous la forme 
d’un groin, et laissa échapper en même temps un 
son qui peut tenir le milieu entre le croassement 
d’une grenouille et le grognement d’un cochon. Au 
bout de quelque temps il s’aventura à descendre, 
mais avec beaucoup de précaution, regardant conti- 
nuellement les tortues; et on ne put jamais l’en faire 
approcher qu’à plusieurs toises de distance. 11 monta 
à la même hauteur et fit le même grognement en 
voyant plusieurs hommes qui se baignoient, et qui 
plongeoient dans la mer; et après son arrivée en 
Angleterre il témoigna presque le même degré de 
frayeur en voyant une autre tortue vivante. 

» Cet orang-cutan fut conservé en Angleterre à 
Exeter-Change, où ses aimables qualités et sa grande 
douceur lui attirèrent de nombreuses visites. Jamais 
on n’eut à le punir ou à le tenir captif. Il témoignoit 
la plus grande préférence à son gardien et aux per- 
sonnes qui le visitoient fréquemment. Pendant sa 
maladie et jusqu’à l'instant de sa mort son air sup- 
pliant sembloit réclamer le secours de ceux qui l’ap- 
prochoient, et tout en lui inspiroit des émotions 
d'autant plus tristes qu’il rappeloit parfaitement les 
souffrances de l’homme, dont il avoit jusqu'à la 
moindre douleur. La maladie qui la fait périr fut 
occasionnée par des dents qui sortoient de leur al- 
véole, et qui prouvent sa grande jeunesse. Pendant 
son séjour à Londres sa taille se développa en lon- 
gueur comme en grosseur ; ce qui porte M. Abel à 
croire que l’orang-outan adulte est identique avec 
le pongo. » 

A la suite des observations détaillées et piquantes 
de M. Abel nous croyons devoir citer celles que 
M. John Mac-Lcod, chirurgien de marine sur le vais- 
seau du capitaine Maxwell, a publiées sur le même 
animal (1). Le rapprochement de ces données four- 
nira des termes de comparaison dans la manière dont 
sont interprétées [es actions des animaux. 

« L’orang-outan de Bornéo n’est pas seulement re- 
marquable parce qu’il est très rare, mais encore par 
la forte ressemblance qu’il a sous plusieurs rapports 
avec. l’homme, Le crâne est absolument, à l’exté- 


() Voyage du capitaine Maæwell en Chine, traduc- 
tion françoisc; Paris, 4818 ,in-8°, p, 341, 


DES MAMMIFÈRES. 


rieur, comme le nôtre. La forme de la partie supé- 
rieure de la tête, le front, les yeux, qui sont noirs et 
animés, les cils, en un mot tout ce qui a rapport aux 
yeux et aux oreilles, ne diffèrent en rien de l’espèce 
humaine. Les poils de sa tête sont les mêmes que 
ceux qui couvrent le reste de son corps. Son nez est 
très plat, et la distance qui le sépare de la bouche 
est considérable. Son menton est très large, ainsi 
que toute la partie inférieure de la mâchoire. Ses 
dests sont fortes et au nombre de trente-six (1). Le 
bas de sa figure est comme une espèce de caricature 
de celle de l’homme. La position des omoplates, la 
forme générale des épaules et du sein, ainsi que celle 
des bras, la jointure du coude principalement, et 
les mains, offrent des signes non moins frappants de 
ressemblance. Le métacarpe, ou cette partie de la 
main qui est entre les doigts et le poignet, est un 
peu allongé; eten plaçant la jointure du pouce pres- 
que au niveau de celle des autres doigts, la nature 
semble avoir formé sa main pour le genre de vie qw’il 
mène dans les forêts, en lui donnant les moyens de 
grimper plus aisément aux branches des arbres. 

» Celui dont je parle avoit le ventre très gros et 
comme gonflé, et ressembloit assez à ces Silènes que 
l’on voit assis sur des tonneaux : mais étoit-il aussi 
replet quand il vivoit dans les bois? ou n’est-ce que 
depuis son introduction dans une nouvelle société et 
en faisant meilleure chère qu’il l’est devenu? C’est 
ce qu’il est difficile de décider. Ses cuisses et ses jam- 
bes sont courtes et tortues, la cheville et le talon 
‘comme ceux de l’homme; mais le devant du pied 
est composé d’orteils aussi longs et aussi flexibles que 
les doigts, avec un pouce placé un peu en avant de 
la malléole interne, conformation qui lui permet de 
tenir tout ce qu’il saisit aussi ferme avec ses pieds 
qu'avec ses mains. Quand il se dresse, il peut avoir 
environ trois pieds de hauteur : il sait marcher quand 
on le guide comme unenfant; mais sa marche natu- 
relle, lorsqu'il est sur un terrain uni, est de se sou- 
tenir à chaque pas en posant sur la terre les jointures 
des doigts des mains. Tous les doigts, tant des mains 
que des pieds, ont, à l'exception du pouce du pied, 
des ongles exactement semblables à ceux de la race 
humaine. 

» Les fruits et les noix de toute espèce paroissent 
être sa nourriture habituelle; mais il mange du bis- 
cuit ou toute autre sortie de pain, et quelquefois de 
la viande. Il boit fort bien du grog, même des li- 
queurs spiritueuses, quand on lui en donne, et nous 
l'avons vu plusieurs fois s’en servir lui-même. Il 
apprit facilement à prendre sa tasse de café ou de 
thé, et depuis son arrivée en Angleterre il à mon- 
tré beaucoup de goût pour le porter. Il n’est point, 


{‘) Ce nombre cst doublement fautif, et n’est indiqué 
par M.Mac-Leod que par erreu 
L Le 


193 


comme les autres singes, d’un naturel méchant et 
malicieux ; il ne vous étourdit pas en faisant claquer 
ses dents dans un mouvement de dépit et d’impa- 
tience : il est plutôt d’un caractère grave et posé, a 
l'humeur très sociable, et vit en bonne intelligence 
avec tout le monde. Il n’est pas enclin au vol; mais 
il ne se faisoit pourtant pas scrupule, lorsqu'il avoit 
froid ou qu’il vouloit dormir, de se couvrir de toutes 
les hardes qu’il pouvoit trouver, ou de dérober un 
oreiller dans l’un des hamacs, afin de se faire un lit 
plus doux et plus commode, 

» Quelquefois, lorsqu'on l’agaçoit en lui montrant 
quelque chose à manger, il portoit au plus haut de= 
gré toutes les passions humaines, vous poursuivant 
en poussant des cris horribles, se renversant sur le 
dos, se roulant par terre, comme s’il étoit dans la 
plus grande rage, et essayant même de mordre ceux 
qui étoient près de lui : ou bien, s’accrochant à quel- 
que cordage, il se laissoit glisser sur le bord du na- 
vire comme s’il vouloit se noyer; mais, quand il 
étoit tout près de l’eau, il s’arrêtoit, sembloit faire 
de nouvelles réfiexions, et rentroit dans le vaisseau. 
E fouilloit souvent dans les poches de ses amis pour 
y chercher des noix et des biscuits, qu’ils lui don- 
noient quelquefois. Il avoit beaucoup d’antipathie 
pour les autres espèces de singes plus petits que Jui : 
et il les auroit jetés à la mer s'il avoit pu. Il étoit 
pourtant en général d’un naturel doux et docile, et 
qui ne se démentoit jamais, à moins qu’on ne le pro- 
voquât. C’est sans contredit, de tous les animaux, 
celui qui a le plus de rapport avec l’homme. » 

À la suite de ces deux descriptions complètes et 
détaillées d’orangs-outans dans les premières années 
de leur vie, nous rappeilerons les renseignements 
nouveaux dont on est redevable à M. Clarke-Abel, 
sur un grand individu tué dans l’île de Sumatra en 
1825, et qui paroit être évidemment le vieil âge de 
lespèce ordinaire. Le mémoire (1) de M. Abel a été 
rédigé d'après les dépouilles mal préparées de cet 
animal, et se trouve accompagné du récit des circon- 
stances diverses qui ont précédé ou suivi sa capture, 
Il nous fournit sur l’orang-outan des particularités 
d’un haut intérêt. 

« L’équipage d’un canot sous le commandement 
de MM. Craygimann père ct fils, eMiciers du brick 
Marie-Anne Sophie, étant débarqué au lieu nommé 
Raïnboom, près Tourämand, dans le nord-est de 
l’île de Sumatra, sur un canton bien cultivé qu’om- 
bragent des arbres clair-semés, aperçut un animal 
gigantesque de la race des singes. A l’approche des 
hommes, cet animal descendit de l'arbre sur lequel 


() Il esl inséré dans ie tome XV, p.489 des Asiatiz 
researches ; on y a joint une planche lithographiée re- 
présentant la Lête , les dents, les mains et les pieds de 
l'animal, 


25 


19% 


il étoit perché; mais quand il vit qu’on s’apprêtoit 
à l’attaquer, il se réfugia sur un autre, et rappela 
dans sa fuite l’aspect d’un homme de la plus grande 
taille, couvert de cheveux luisants qui paroissoient 
noirâtres, mais dont la démarche eût été chancelante, 
et qui, pour ne pas broncher, appuyoit ses mains 
de temps à autre sur le sol où, en se servant d’un 
bâton, il cheminoit alors assez doucement. Bientôt 
on jugea de son agilité et de sa force dès qu’il fut 
parvenu sur une cime, d’où, s’élançant à l’aide des 
grosses branches, il passoit d’un arbre à l’autre aussi 
lestement que l’eût fait le plus petit et le plus vif des 
singes. Il eût été impossible de s’en rendre maitre 
dans un bois touffu et serré, car alors la rapidité 
d'un cheval au galop n’eût pas été plus considérable 
que son allure. Ses mouvements étoient si prompts 
qu’on avoit à peine le temps de l’ajuster, Ce n’est 
qu'après avoir abattu plusieurs arbres et en agissant 
de ruse qu’on parvint à l’isoler, et alors il fut frappé 
successivement de cinq balles, dont une parut avoir 
pénétré dans les entrailles. Ses forces s’épuisèrent 
avec rapidité, et semblèrent complétement éteintes 
à la suite d’un vomissement copieux de sang noir. 
Néanmoins il se tenoit toujours dans le feuillage. 
Quelle fut la surprise des chasseurs lorsque , après 
avoir forcé le dernier asile de cet orang-outan, on le 
vit se relever avec vigueur, et s’élancer sur d’autres 
arbres! Mais bientôt sa foiblesse le fit retomber pres- 
que mourant, et tout en lui annoncoit qu’il alloit 
exhaler le dernier soupir. Les marins se croyoient 
assurés de leur proie, lorsque ce malheureux animal 
recueillit ce qui lui restoit de force, et se mit en pos- 
ture de se défendre jusqu’à la dernière extrémité. 
Assailli à coups de pique, sa vigueur et l'énergie de 
ses membres robustes ne se démentirent point; il 
brisa comme un fragile roseau la tige d’une pique 
qu'il avoit saisie dans ses mains. Cet effort épuisa ce 
qui lui restoit de vigueur, et renoncant à une défense 
devenue inutile, il prit alors l'expression de la dou- 
leur suppliante. La manière piteuse avec laquelle il 
regardoit les larges blessures dont il étoit couvert 
toucha tellement les chasseurs, qu’ils commencèrent 
à se reprocher l’acte de barbarie qu’ils commettoient 
sur une créature qui leur sembloit presque humaine, 
non moins par la manière dont elle exprimoit ses 
douleurs que par ses formes corporelles. Lorsque 
cet orang eut terminé son existence, les naturels ac- 
courus autour des Européens contemplèrent sa figure 
avec un égal étonnement. Etendu sur le sol, il sem- 
bloit avoir sept pieds anglois de hauteur (six pieds 
cinq pouces de France); mais quand il étoit debout, 
dépassant de toute la tête l’homme le plus grand de 
l'équipage , on ne lui en avoit pas supposé moins de 
huit, Le corps étoit fort bien proportionné, la poi- 
trine large ct carrée, le bas de la taille mince; les 
yeux étoient assez grands, mais petits, proportions 


HISTOIRE NATURELLE 


gardées avec ceux d’un homme; le nez paroissoit 
plus saillant que chez aucune autre espèce de singe, 
et la bouche étoit notablement fendue. Une barbe 
frisée, couleur de noisette, longue de trois pouces, 
ornoit les lèvres et les joues plutôt qu’elle ne défi- 
guroit ces parties : les bras étoient bien plus longs 
que les membres postérieurs. Les organes sexuels 
retirés se laissoient entrevoir. Les dents, parfaite- 
ment complètes et d’une grande blancheur, annon- 
coient que cet individu n’étoit pas très âgé. On comp- 
toit quatre incisives à chaque maxillaire, de forme 
aplatie, et taillée en biseau, longues à la mâchoire 
d’en bas d’un pouce cinq lignes ; les canines avoient 
deux pouces sept lignes ; les molaires présentoient 
les mêmes particularités dans leur couronne que 
celles de l'homme, mais leurs proportions étoient 
beaucoup plus considérables. Le poil qui constituoit 
le pelage étoit partout doux et luisant. Ce qui sur- 
prenoit le plus les assistants étoit la ténacité de la 
vie qui avoit long-temps résisté à tant de blessures, 
La force musculaire devoit avoir été bien considéra- 
ble, car l’irritabilité de la fibre se manifesta encore 
d’une manière très frappante lorsque le cadavre 
ayant été transporté à bord et hissé pour y être écor- 
ché, le scalpel produisit un mouvement effroyable 


. de contraction dans les muscles, même long-temps 


après la mort. Cette irritabilité fut telle, lorsqu'on 
atteignit les plans musculaires des gouttières verté- 
brales, que le capitaine Cornfoot en eut horreur, et 
que dans la persuation où il fut que ces marques de 
sensibilité ne pouvoient avoir lieu sans de vives dou- 
leurs, il ordonna de ne pas continuer la dissection 
qu’on n’eût séparé la tête du tronc. 

» Cet orang-outan, comme dépaysé, devoit avoir 
voyagé pendant un certain temps avant d’être par- 
venu au lieu où il fut tué, car il avoit de la boue jus- 
qu'aux genoux, etles habitants de cette partie de Su- 
matra n’avoient aucune idée d’avoir jamais vu un 
animal semblable. Les Malais qui peuplent ces côtes 
ne s’enfoncent jamais dans les vastes et impénétra- 
bles forêts qui commencent à deux licues de Ram- 
boom, et ils ignoroient complétement qu'un tel ani- 
mal y existät. [ls lui attribuèrent les cris singuliers 
qu’on avoit entendus depuis quelques jours, et qui 
n’avoient aucune analogie avec ceux des animaux 
carnassiers qui viennent de temps à autre rôder Ja 
nuit autour de leurs demeures. La peau de cet 
orang , ridée et racornie, présente encore au mo- 
ment actuel cinq pieds dix pouces, à partir de l’a- 
cromion ju:qu’à la malléole. Le cou a trois pouces 
de longueur seulement; la face du haut du front 
jusqu’à la symphyse du menton en a neuf; le pied 
quatorze pouces : ce qui, au total, donne sept pieds 
anglois six pouces et demi de hauteur, et huit pieds 
deux pouces d’une main à l’autre, les bras étant 
étendus. » à 


DES MAMMIFÈRES. 


L'examen de la dépouille de cet orang-outan a 
permis à M. Clarke-Abel de résumer les caractères 
suivants. « Le visage est ridé et complétement nu, si 
ce n’est au menton et au bas des joues, où se dé- 
veloppe la barbe que les marins de la Marie-Anne- 
Sophie trouvèrent si bien placée et si belle. Quel- 
ques cheveux d’un noir plombé tombent sur les 
tempes et sur les côtés de la tête; des cils touffus 
garnissent les paupières. Les oreilles sont petites, 
collées le long de la tête, et hautes à peine de dix-huit 
lignes ; elles ressembleroient parfaitement à celles 
de l’homme si elles avoient un lobule. La bouche 
grande et projetée en avant a des lèvres minces 
et étroites : la supérieure est recouverte par des 
“espèces de moustaches. La paume des mains est 
très longue et de la couleur de la face. Les ongles 
qui terminent les doigts sont robustes, convexes, 
et très noirs : le pouce ne dépasse point la première 
articulation du doigt indicateur. Le pelage est gé- 
néralement d’un brun rouge, passant au brun foncé 
en quelques endroits, et au rouge vif en d’autres. 
Partout le poil est très long en dessus, et surtout sur 
le dos où il forme une ligne plus épaisse et plus four- 
nie, etc. » 

Par les détails que nous venons de rapporter très 


au long, il est facile de voir que l’orang-outan décrit - 


par M. Abel est un individu complétement adulte 
des deux jeunes que MM. Frédéric Cuvier et Abel 
lui-même nous ont précédemment fait connoitre. 
Par la taille, par la puissance musculaire, par l’en- 
semble de ce que nous en savons, ce grand singe 
est peut-être le pongo de Wurmb, non encore vieilli 
par l’âge; mais cependant ce n’est guère qu’une 
supposition qu’on peut émettre, puisque M. Abel 
n’a point eu en sa possession la seule pièce pro- 
bante, celle qu’il eût été si intéressant de discuter, 
le squelette enfin, et surtout la boite osseuse crà- 
nienne, qu’on auroit pu comparer avec les mêmes 
parties de la charpente osseuse du pongo de Wurmb 
conservées au Muséum. 

À la suite de l’histoire de l’orang de M. Abel nous 
joindrons des détails tirés du Journal philosophique 
de Boston (1), et du récit de M. John Jeffries, relatif 
à un orang-outan de Bornéo (?) conduit à Batavia, 
et dont la taille étoit de trois pieds quatre pouces, 
ce qui permet de supposer qu’il n’étoit âgé que de 


() Boston's Journal of Philosophy, no XI, août 
1825, p. 570; et Philosophical Magazine, mars 1826, 
p.182 (article analysé par J.-J, Virey, t. X, p. 140, du 
Bulletin des Sciences), 

(2) M. le professeur Geoffroy Saint-Hilaire regarde le 
pongo de Wurmb comme une deuxiéme espéce du genre 
orang, el admet que l'animal décrit par M. Jeffries est 
un jeune individu de l’orang ou pongo de W'urmb ; 
mais nous ignorons quels sont les motifs sur lesquels se 
fonde l'opinion du sayvanlacadémicien. 


195 


quatre où cinq ans. « Cet orang, dit M. Jeffries , 
avoit à la première vue quelque ressemblance avec 
un Nègre, par son museau prolongé et par la cou- 
leur noirâtre de sa peau. Cependant les lèvres, le 
tour des yeux, le dedans des mains et des pieds, et le 
reste des téguments, dans les endroits dépourvus de 
poil, ressembloïient en tout à ceux de l’homme : il 
maerchoit soit sur deux pieds, soit en s’aidant des 
membres antérieurs qui étoient plus longs que ses 
jambes. Ses yeux bruns étoient enfoncés dans leurs 
orbites. Le nez étoit court, les lèvres saillantes, les 
épaules assez larges et aplaties, les fesses à demi 
nues, mais distinctes : il y avoit un sacrum, un coccix 
sans prolongement caudal, un nombril profond, un 
scrotum très développé et rugueux; le tout parfai- 
tement semblable aux mêmes parties dans l’homme. 
M. Blanchard, capitaine du navire l’Octavie, étudia 
à loisir les mœurs de cet intéressant animal, et voici 
le résultat de ses observations. « Il vivoit familiè- 
rement avec les marins, qui l’appeloient Georges, et 
le considéroient comme un Nègre de l'équipage. Il 
servoit le café à table, comme il l’avoit toujours fait 
dans la maison de M. Forestier, son premier posses- 
seur ; il s’utilisoit à bord pour nettoyer le pont et 
apporter de l’eau; il arrangeoit les habits des offi- 
ciers (1), aussi bien que pourroit le faire un domesti« 
que soigneux. Il amusoit l'équipage, qu’il charmoit 
par sa docilité et son obéissance. Une fois M. Blan- 
chard le corrigea , et par son repentir apparent il 
ressembloit à un enfant qui pleure. Sa nourriture 
de prédilection étoit le riz ; mais il aimoit les fruits, 
bu voit du thé, du café et même du vin blane, surtout 
après diner. I] ne s’asseyoit jamais sur le plancher, 
et choisissoit un siége élevé. D’après l’avis de M. Fo. 
restier, on lui donnoit de l'huile de ricin lorsqu'il 
étoit incommodé : une once le faisoit vomir et le 
purgeoit. Lorsqu'il contracta la maladie dont il mou- 
rut, il se laissoit tâter le pouls, qui donnoit autant 
de pulsations par minute que celui d’un homme. Sa 
peau adhéroit solidement à un tissu cellulaire plus 
dense sur la face, aux picds et aux mains, comme 
chez nous. L'ouverture de l'abdomen montra les 
viscères dans les mêmes rapports que chez l’homme, 
Ainsi le péritoine, le mésentère et les ligaments sus- 
penseurs du foie étoient amples et robustes. Le cor- 
don des vaisseaux spermatiques descendoit le long 
des muscles abdominaux et du ligament de Poupart. 
L’estomac, le cœur, les poumons, n’étoient point dif- 
férents de ces organes chez l’homme. El en étoit de 
même de la glotte, de lépiglotte, de l’os hyoïde etdes 
cartilages du pharynx; seulement à lentrée du la- 
rynx étoit placée la poche de Camper, qui pouveit 
se gonfler et se remplir d'air à la volonté de lani- 


(") Peut-être ces détails sont-ils un peu fardés, 


196 


mal (1). Le cerveau (?) pesoit neuf onces trois quarts; 
il donnoit naissance aux mêmes branches nerveuses 
“que chez l’homme, et chacune d’elles sortoit par les 
ouvertures identiques, et se distribuoit de la même 
manière. Le diamètre des vaisseaux sanguins étoit 
généralement étroit, et les fibres musculaires étoient 
très robustes. » 

Tels sont les documents les plus modernes que 
nous possédons sur l'être intéressant qui nous oc- 
cupe. On ne peut se dissimuler qu’ils jettent un 
grand jour sur son histoire, et qu’ils forment la base 
la plus solide des connoissances que le temps ne 
peut manquer de compléter. Cependant il seroit in- 
juste de dédaigner la description détaillée qu’en a 


(r) Le capitaine Blanchard dit que son orang-outan 
gonfloit cette poche quand il nageoit, et qu’elle contri- 
buoit à soutenir la tête au-dessus de l'eau. On se rap- 

- pelle que M. de La Billardière a cité un de ces animaux 
qui, en tombant à l'eau, se laissoit couler sans essayer 
le moins du monde de faire agir ses membres pour se 
sauver. 


(2) Le cerveau de l’orang-outan différe de celui des 
autres singes, suivant le docteur Tiedemann (Cerveau 
de l'orang-outan comparé à celui de l'homme, avec 

"planche, Zeitschrift für Physiologie, t.H ): 

«4° Par l'absence du faisceau médullaire nommé tra- 
pèze de la moelle allongée; 

.. 2e Par l'existence d’une échancrure postérieure au 
cervelet ; 

3° Par un plus grand nombre de sillons et de lames à 
la même partie ; 

4° Par la présence de deux tubercules mamillaires 
distincts; 

9o Par les circonvolutions et les anfractuosités plus 
nombreuses et en même lemps moins symétriques du 
ccrveau ; 

6° Par l'existence d'incisures digitées sur les cornes 
d'Ammon. 


Par tous ces points le cerveau de l’orang-outan res- 
semble à celui de l'homme. Il s’en distingue nettement 
par les particularités suivantes : 


4° Le cerveau de l’orang-outan est en proportion 
plus petit, plus court et moins haut; les lobes posté- 
ricurs ne recouvrent point en entier le cervelet ; 

20 La masse des hémisphères cérébraux est plus pe- 
“tite, relativement à la moelle épinière, aux pyramides, 
‘au cervelet, aux tubercules quadrijumeaux, aux cou- 

ches optiques et aux corps striés. 

Chez l’orang-outan, le diamètre transversal de la 

moelle épinière, derrière les pyramides, est au plus 
. grand diamètre transversal du cerveau même comme 
14:9; chez l'homme, au contraire, ce rapport est 
comme 1 : 10; chez l’orang-outan, la largeur des pyra- 
mides est à celle du cerveau comme 1 : S'z; et chez 
‘ J'homme , comme 1 : 13. Le diamètre des corps olivai- 
res, comparé à celui du cerveau, est, chez l’orang- 
-outan , comme 1 : 9 ; et chez l'homme, comme 1 : 48. 

30 Le cerveau de lorang-outan est plus petit, rela- 

tivement aux nerfs, que chez l'homme. 

4° Les hémisphéres ont beaucoup moins d’anfractuo- 

sités ef de circonvolutions que chez l'homme, 


HISTOIRE NATURELLE 


laissée Vosmaër (!); mais, comme elle a été insé- 
rée dans cette édition des OEuvres de Buffon, 
tome III (pages 598 et suiv.), nous y renvoyons 
le lecteur. 

Il nous reste maintenant à parler du POXGO DE 
Worms, que des motifs assez plausibles ont porté 
à regarder comme l'individu très vieux de l’orang- 
outan, dont on n’avoit jusqu’à ce jour connu que le 
jeune âge. Plusieurs naturalistes toutefois doutent 
de cette identité, et admettent, à l'exemple de M. de 
Lacépède, un genre pongo qui seroit placé à plu- 
sieurs degrés au-dessous des orangs et après les 
mandrills, comme s’éloignant déjà du type pri- 
mordial des anthropomorphes, et présentant à un 
haut degré les formes des carnassiers. Mais repre- 
nons les faits à leur source, et établissons par une 
discussion aussi lumineuse que possible l’état de 
la question. 

Le baron de Wurmb(?) nomma pongo une grande 
espèce d’orang, dans laquelle il crut reconnoitre le 
pongo de Bufon, c’est-à-dire le chimpanzé, et en 
donna une dexcription assez étendue, mais qui 
cependant n’est point à l’abri de la critique. Toute- 
fois le squelette de cet animal, qu’on conserve +oi- 
gneusement dans les galeries du Muséum, et dont 
Audebert a publié une figure (Détails anatomiques, 
pl. 41,f. S), présente des différences telles qu'à 
moins de posséder la charpente osseuse de tous les 
âges des orangs, passant par la succession des an- 
nées au type de celui du pongo, il est vraiment im- 
possible d'admettre que ce soient des animaux de 
même espèce. 


Le squelette du roNGO pE Wurme est haut de 
quatre pieds. La forme de la mâchoire inférieure 
fait présumer un os hyoïde fort grand ; le museau y 
est aussi long que dans le mandrill, et même plus 
gros et plus obtus. Une crête osseuse très développée 
(voyez la pl.) surmonte le crâne; elle part de la par- 
tie moyenne de l’occipital. remonte sur la voûte du 
crâne, et se partage en deux branches qui se diri- 
gent sur les côtés des orbites. Deux autres crêtes 
latérales, partant également de l’occiput, se dirigent 
vers les fosses temporales, et acquièrent jusqu’à 
cinq lignes d’élévation. Les vertèbres cervicales 
sont surtout remarquables par la longueur extraor- 
dinaire de leurs apophyses épineuses, qui surpas- 
sent, proportions gardées, ce qu’on trouve dans 
tous les autres mammifères. Les côtes existent au 
nombre de douze, y compris cinq fausses. Les 
membres antérieurs sont très longs, et descendent 
jusqu'aux malléoles. La main égale presque en lon- 


(:) Description de l'espèce de singe, aussi singulier 
que très rare, nommé orang-oulang de l'ile de Bornéo. 
(Feuilles de Vosmaër, Amst., 1778.) : 

(2) Mémoires de la Société de Batavia, t, IF, p. 245. 


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sh: 20/6 JJelUItE! ;, 2: jeurre Ê LU / cutlt it , 


4 LA 
24 UM TINC., 


9 


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Je LA adulte, 4. crane du : tte de 


Zublie Par Jburrat Lreres a lurer . 


a tr Le 


DES MAMMIFÉRES. 


gueur la jambe, et l’avant-bras est à lui seul aussi 
prolongé que le bassin et le fémur pris ensemble. 
Les dents canines présentent une force considéra- 
ble; et par leur développement, leur longueur et 
Jeur pointe cunéiforme, elles rappellent celles des 
animaux les plus carnassiers. 

Ce pongo fut pris dans lé district de Saccadina, 
-dans l’ile de Bornéo, par le résident hollandois de 
Rambang. El se défendit avec la plus grande vigueur 
à l’aide de grosses branches qu’il brisoit du tronc 
des arbres; aussi ne put-on s’en rendre maitre 
qu'après l’avoir tué, Cet animal avoit Ja tête un peu 
pointue et prolongée en avant, le museau proémi- 
nent, mais non pas tronqué brusquement à son 
-extrémilé comme celui des cynocéphales. Son nez 
étoit très plat et ouvert par deux narines obliques. 
Le cou en dessous étoit garni d’une large membrane 
charnue, qui pouvoit se développer amplement sur 
les côtés. Les yeux étoient petits et saillants, les 
oreilles peu développées et collées contre la tête. 
La bouche étoit entourée de lèvres épaisses ; et la 
‘langue, qui en remplissoit l’intérieur, étoit très 
charnue et très large. Le corps du pongo, robuste 
dans ses proportions, offroit cependant un cou très 
court, une poitrine plus large que les hanches, ct 
une verge qui pouvoif se retirer presque en entier 
dans le serotum. Les jambes étoient courtes, mais 
grêles. Des ongles, très voisins de ceux de l’homme, 
recouvroient les extrémités des orteils : ceux des 
pouces étoient plus courts et beaucoup plus étroits 
que ceux des autres doigts. Le calcanéum étoit pro- 
noncé d’une manière remarquable. 

Le pelage de ce vieux pongo mâle étoit obscur : 
les poils qui le composoient, longs d’un doigt en 
‘plusieurs endroits, étoient généralement d’un brun 
noir intense, et affectoient cette couleur principale- 
ment sur le corps et les membres. La face, nue et 
d’un noir fauve, n’étoit recouverte que d’une barbe 
mince et peu fournie. Le ventre et la poitrine n’of- 
froient point non plus de poils, ainsi que le dedans 
des mains et le dessous des pieds, dont la peau toit 
colorée en noir fauve. F 

L’angle facial du pongo est de trente degrés : or, 
avec cette particularité et celle des erêtes sagittale, 
occipitale et sourcilières, si développées, la plupart 
des zoologistes ont été autorisés à ne faire de ce 
grand singe qu’une espèce de cynocéphale (Hiliger), 
ou un pongo placé assez loin des gibbons, entre les 
mandrills et les alouates ( Lacépède, Cuvier, Geof- 
froy Saint-Hilaire et Desmarest). Cependant les 
abajoues qu’on lui accorde paroïissent être le ré- 
sullat d’une indication incomplète et fautive de 
Wurmb.. Les sacs tyroïdiens qu’il mentionne sont 
la poche de Camper ; et de tous ses caractères dis- 
tinctifs et réels il ne reste comme genre que la con- 


formation si tranchée du crâne, et comme espèce 


197 


que l'allongement des bras ct la couleur noire du 
pelage. 

Le pongo, par ce que nous en savons, est donc 
un animal sauvage et très courageux, qui se tient 
debout sur les pieds, en s'appuyant de temps à 
autre sur Pextrémité des doigts des mains, et qui 
peut se défendre avec des bâtons des attaques des 
hommes. 

Felles sont nos connoissances sur ce singe dont 
l’existence nous est prouvée par son squelette, et 
qui a jusqu’à ce jour été pour les naturalistes un 
sujet non encore épuisé de discussions et de con- 
troverses. 

Si les détails de Wurmb n’étoient entachés d’au- 
cune erreur, nul doute qu’on ne pourroit confondre 
avec l’orang-outan un animal qui auroit des aba- 
joues, un poil noir et non rouge, des lèvres épaisses 
au lieu d’être minces, etce.; mais ces légères dissem- 
blances tiennent peut-être à des fautes de rédac- 
tion , car dans une description écrite un mot a sou- 
vent une plus grande valeur que l’auteur n’a voulu 
lui en donner. Il faut done en revenir aux pièces 
osseuses, seuls témoignages que nous ayons pour 
décider avec une apparence de raison une question 
qui a occupé les plus savants naturalistes sans être 
aujourd’hui complétement décidée : cette tâche est 
réservée aux Voyageurs à venir. 

M. le baron Cuvier a reçu de M. Wallch, en 
1818, une tête osseuse d’orang-outan de l'Inde, qui 
ressembloit, sous beaucoup de rapports, à celle de 
l'espèce ordinaire; mais son museau pius allongé et 
son crâne pourvu de crêtes sourcilières la rappro- 
choient de la tête da pongo. Cette tête étoit donc 
intermédiaire aux deux espèces que nous venons de 
citer : aussi M. Cuvier conjectura, d’après un bon 
nombre de preuves assez fondées, que l’orang-outan 
n'étoit qu’un jeune pongo, et que le crâne qu’il 
avoit recu de l'Inde étoit celui d’un individu non 
encore complétement adulte. M. de Blainville(!), en 
adoptant ce rapprochement, développa ainsi qu’il 
suit les rapports qu’il trouva communs à l’orang- 
oulan et au pongo (?). 

40 Fous les orangs roux venus en Europe avoient 
le crâne lisse et angle facial très ouvert, etétoient 
de jeunes individus de dix-huit mois à trois ans tout 
au plus: or on sait combien la forme de la tête va- 
rie dans l’homme et dans les singes suivant l’âge, 
et que les jeunes ont toujours l’angle facial plus ou- 
vert que les adultes. 

£0 Le pongo de Wurmb étoit adalte, ainsi que 
l’indiquent l’état de son squelette, de ses dents, et 
le grand développement de ses erêtes osseuses. Ces 


(x) Journal de Physique, 1818. 
(2) Consultez Desmarest, Hammif., p. 52, en note; 
Griffith, Régn. anim., L I, p. 249, traduction angloise. 


198 


caractères se retrouvent dans les vieux singes du 
genre cynocéphale, dont les jeunes, sans présenter 
des différences aussi considérables que celles qui 
existent entre le pongo et l’orang roux, en montrent 
néanmoins de fort marquées. 

50 L’exacte correspondance que l’on observe dans 
le nombre des vertèbres dorsales , lombaires et sa- 
crées, si variables d’ailleurs dans les difféientes es- 
pèces de singes d’un même genre, comme celui des 
gucnons par exemple. 

4 La disproportion des membres, la forme des 
mains et des pieds tout-à-fait semblables. 

5° L'ongle du pouce des pieds de derrière égale- 
ment plus court et plus étroit que les autres. 

69 La présence des sacs tyroïdiens dans le pongo 
et dans l’orang-outan aussi considérable et de même 
forme. 

70 Les dimensions relatives de l’orang, du singe 
intermédiaire que M. Cuvier a fait connoître, et du 
pongo, qui sont graduées en proportion du déve- 
loppement des caractères tirés du museau et des 
crêtes osseuses du crâne. 

80 La couleur du poil rousse dans l’orang et noire 
dans le pongo, comme cela se voit dans plusieurs 
espèces de singes, dont les jeunes présentent la 
première teinte, et les adultes la seconde. 

60 La patrie qui est la même, etc. 

Si l'identité de l’orang et du pongo est un jour 
bien constatée, ajoute le même auteur, il deviendra 
nécessaire de rapprocher le genre qui les contien- 
dra de celui des mandrills, bien que ces derniers 
singes forment une petite famille bien distincte et 
caractérisée par la forme du nez. 

M. Gcoffroy Saint-Hilaire ne partage nullement 
cette manière de voir. Ainsi s'exprime à ce sujet ec 
savant (1) (septième leçon sténographiée, p. 12): 
« La tête du pongo est arrivée, par le développe- 
ment extraordinaire de la face, l'allongement et la 
grosseur du museau, les crêtes épaisses qui sur- 
montent le crâne, à des formes tellement hideuses 
qu'on est tenté d'y méconnoitre les rapports qui 
unissent cet animal avec les singes. Dans un article 
publié en 4798 (Journal de Physique) j'ai proposé 
à son sujet un genre particulier, et j’émis dès lors 
l'opinion qu’il devoit occuper un des derniers rangs 
de la série des singes, à en juger par les formes du 
crâne; mais qu’il se rattachoit aux gibbons par le 
manque absolu de queue, la longueur démesurée 
des bras, et la marclie bipède. En 1818 la tête os- 
seuse envoyée de l’Inde par M. Wallich vint offrir 
de nouveaux termes de comparaison; elle étoit re- 
marquable par des crêtes sagittale et occipitale peu 


(") Nous rédigeons cette citation par extrait , n'en 
conservant que la substance, pour ne pas (rop allonger 
notre histoire de l’orang-oulan, 


HISTOIRE NATURELIE 


saillantes, mais qui rétracèrent, par leurs formes 
comme par la manière dont elles étoient placées, 
celles du pongo. Tout dans ce crâne indique un âge 
moyen, dont le premier développement seroit une 
tête lisse, large, élevée, arrondie, à front saillant, 
sans la moindre apparence de crêtes, tandis que 
dans l’âge complétement adulte cette tête seroit dé- 
primée, obliquement située sur la colonne verté- 
brale , et hérissée sur sa voûte de crêtes robustes et 
hideuses. 

» Mais, dit plus loin M. Geoffroy Saint-Hilaire 
(p. 27) après avoir établiainsi l'historique des faits, 
le PoxGO pe Wurug forme-t-il une espèce distinc- 
te, ou doit-on le regarder comme l’âge parfait ou 
adulte de l’orang-outan dont on n’a jusqu’à ce jour 
étudié que les jeunes individus? Tout porte à croire 
au contraire à la première opinion déjà émise par 
M. Bory de Saint-Vincent, et en voici les motifs. 

» Les squelettes des deux espèces, de l'orang- 
outan et du pongo, sont semblables en tout point, 
excepté les développements respectifs de chaque 
partie; ce dont la différence d’âge donne une expli- 
cation suflisinte. Le crâne de l’orang-outan doit 
même , avec le temps, prendre les mêmes crêtes sa- 
gittale et occipitale; car on sent déjà sur l’occiput 
des têtes des jeunes sujets un léger ressaut qui en 
est une indication suflisante. Mais à cela , suivant 
M. Geoffroy Saint-Hilaire, doivent s'arrêter toutes 
les prévisions ; car il reconnoît dans le pongo et l’o- 
rang-outan des différences qui ne peuvent prove- 
nir que de deux animaux distincts en espèces. C’est 
ainsi qu’il regarde comme étant le jeune âge du 
pongo de Wurmb le crâne envoyé à M. Cuvier par 
M. Wallich, et différent de celui de l’orang-outan 
par ses fosses orbitaires, qui sont exactement ar- 
rondies, tandis que chez ce dernier elles sont ova- 
laires et leur diamètre transversal plus petit. Le 
front diffère également ; il est saillant en devant 
chez le pongo, et bombé dans toute sa largeur chez 
l’orang, Le haut de la face forme un plan obli- 
que , qui est vertical chez ce dernier. Or le crâne 
dont on doit la connoissance à M. Wallich, à cela 
près des nuances dues à l’âge, ressemble parfaite- 
ment à celui du pongo; quatre crânes de jeunes 
orangs-outans ont présenté une parfaite similitude 
dans les formes spécifiques indiquées. Il en résulte 
donc que ces différences sont organiques, et doivent 
être par suite caractéristiques. M. Gcoffroy Saint- 
Hilaire étaie ensuite son opinion de la couleur du 
pelage et de quelques autres circonstances que nos 
lecteurs ont apprises par ce qui précède ; il nomme 
le pongo onANG DE Wu, et conserve à l'espèce 
plus connue son nom d’ORANG-OUTAN (1). » 


(‘) M. Harwood partage également l'opinion que l'o- 
rang-outan et le pongo forment deux espèces dislinc- 


DES MAMMIFÈRES. 


Au milieu de tous les doutes qui existent encore 
sur l’identité de ces deux animaux, il est difficile 
d'adopter une opinion exclusive qui ne soit pas dé- 
truite un jour par de nouvelles observations. Il est 
de fait qu’il ne répugne nullement d'admettre que 
deux espèces d’orangs puissent vivre dans les gran- 
des iles des Indes orientales, et que lorarg-outan 
par exemple soit de Sumatra et de Bornéo, et le 
pongo ou orang de Wurmb exclusivement de la 
grande île de Bornéo, encore complétement incon- 
nue des Européens sous Le rapport de l’histoire na- 
turelle. A ce sujet nous citerons les renseignements 
que sir Thomas Stamford Raflles a publiés dans le 
tome XIII des Transactions de la Société lin- 
néenne de Londres (p. 241) (1), et qui, bien que 
très incomplets, serviront au moins à légitimer le 
doute que nous émettons. « Le simia satyrus de 
Linnæus, dit M. Raflles, est l’orang-outan des 
Malais. Nous en avons eu un individu venant de 
Bornéo, et qui a vécu à la ménagerie de Calcuttaen 
4819. Les naturels de Pile de Sumatra assurèrent 
que cet animal se trouvoit dans leur ile (?), et ils 
lui donnent le nom d’orang pantach ou d'homme 
pygmée : la description qu’ils en font s’accorde par- 
faitement avec celle de l’orang de Bornéo. On le 
confond fréquemment dans le pays avec l’orang 
kubu ou orang gugu décrit par M. Marsden, qui 


tes. Les idées de ce naturaliste se troavent rapportées 
en extrait dans le douzième cahier du Zoological Jour- 
nal, qui a paru en juin 1828 (page 579); on y lit que 
M. Harwood « a déerit et donné les dimensions de deux 
» mains d'orang offertes par lui au Muséum de la Société 
» Zoologique, et qu'il en résulte que leur longueur, qui 
» n'estpas moins de quinze pouces, dépasse de beau- 
» coup les proportions indiquées par le docteur Abel 
» dans sa description de l’orang de Sumatra, tué par 
» les marins du navire {a Marie-Anne-Sophie. I dis- 
» cusle ensuite jusqu’à quel point il est possible d’ad- 
» mettre que le pongo soit le vieil âge de l'ourang-ou- 
» tan ordinaire; et, aprés avoir rapporté les diverses 
» opinions émises sur ce sujet, il en conclut que ces 
» deux animaux sont évidemment distincts et forment 
» deux espèces. Son principalargamentestque le pongo 
» possède cinq vertébres cervicales, et l'orang-outan 
» seulement quatre; que les formes des omoplates, chez 
» l'un et chez l’autre, ne se ressemblent point; qu'il en 
» est de même des clavicules. L'orbile lui offre aussi 
» des distinctions à établir : c'est ainsi qu'elle est ver- 
» licale à la base chez l’orang, et qu'elle forme un plan 
» incliné chez le pongo. L'intervalle qui sépare les 
» mêmes orbites est d'environ un sixième du diamétre 
» {ransversal chez le premier , etse trouve de moitié 
» dans le crâne du second, ete. » 

() The Trans. of the Linn. Socicty of London, 
in-4o, t. XILI, 4822. 

(2) Celte indication est pleinement confirmée par la 
description de l’orang-outan décrit par M. Abel, qui 


se trouve dans le tome XY des Recherches asialiques, 
année 1825, 


199 


est pour ces peuples le sujet perpétuel de fables et 
de récits exagérés , et qui paroît être une race 
d'hommes aussi couverte de poils et aussi sauvage 
que le véritable orang-outan. » Or, par ce pas- 
sage (et il a d'autant plus d'autorité que sir Raflles 
a long-temps résidé à Sumatra, où il gouvernoit la 
factorerie angloise de Bencoolen), on ne peut dou- 
ter que deux espèces d’orangs n’existent dans cette 
ile ; car très probablement l’orang kubu est celui 
que les marins du vaisseau la Marie-A nne-Sophie 
tuêrent en 1825, bien que le récit de M. Marsden 
soit à cet égard ent'emêlé d'indications obscures, 


En suivant les diverses phases de la vie animale, 
l’orang jouit donc, jusqu’à une certaine période, 
d’un développement de perfection toujours crois- 
sant. Ses organes neufs exécutent, dans toute la plé- 
nitude de leur puissance, les mouvements que la 
conservation et les besoins de l'individu exigent et 
commandent. Mais, quand il est parvenu à une au- 
tre époque de l’âge adulte, les forces deviennent 
stationnaires, et l’accroissement ne se fait plus. 
Après cette espèce d'oscillation dans les rouages 
des divers systèmes dont le but est la vie, les or- 
ganes de ces mêmes systèmes s’affoiblissent par suite 
d'usure : leur dégradation devient sensible avec 
plus ou moins de lenteur ou plus ou moins de rapi- 
dité. Les os s’encroûtent de phosphate calcaire, les 
crêtes se solidifient, les tendons se durcissent ou 
s’ossifient à demi, les fibres musculaires deviennent 
rigides , les contractions du cœur n’envoient plus 
avec la même énergie le sang aux extrémités des 
vaisseaux, le stimulus nerveux n’est plus électri- 
que, et n'a plus la même vigueur ; en un mot les 
fonctions de l'intelligence ou de l'instinct s’abru- 
tissent, tandis que celles de nutrition prédominent, 
ou règnent exclusivement. Il en résulte chez les 
orangs, comme chez l’homme, que le jeune âge, re- 
marquable par sa facilité pour apprendre, par son 
talent d'imitation, par l’insouciance de l'avenir qui 
le caractérise, est remplacé par l'instinct de la pos- 
session, instinct d'autant plus prononcé que la vi- 
gueur pour acquérir décroît ; et de là découlent chez 
les orangs cette sauvagerie de mœurs, celte grossiè- 
reié de penchants, qu’on a reprochées aux individus 
âgés. Les rapports physiques et moraux qui unis- 
sent ces animaux aux hommes sont d’une grande 
évidence. Les orangs, par leur conformativn exté- 
rieure, sont laillés sur le même type; mais ce type 
est déjà dégradé. Ils s’en rapprochent par la conti- 
nuité de leur système digestif, par leur appareil den 
taire, et par les dispositions des pièces locomotrices. 
Il n’est pas jusqu’au système cutané qui ne soit de 


même nature, bien que l’ensemble des téguments, 


200 


créé pour protéger ct pour abriter les viscères et les 
ressorts qui les mettent en jeu, soit la partie la plus 
variable de toutes par les formes et par la manière 
dont elle remplit ces fonctions. Les poils longs et 
touffus qui forment sur le corps d’un orang une 
couche plus ou moins épaisse ne sont certainement 
pas plus serrés que ceux qu’on voit exister sur le 
corps de certains hommes, où ils se développent 
avec une abondance et une rudesse étonnantes. 
L'homme est donc l’objet le plus complexe de la 
création, il en est le premier anneau; l’orang en 
sera le second. En vain essaiera-t-on de rapprocher 
par leur organisation, comme par leurs facultés mo- 
rales, les singes : ces êtres ne sont que des animaux 
faits à l’image grossière de l'espèce humaine, dont 
ils ne sont qu’une grotesque caricature, et leurs pen- 
chants et les lois qui les régissent ne les font point 
différer d’une foule de mammifères quadrupèdes : 
car ils les placent même bien au-dessous des chiens 
sous le rapport de l'éducation. Quant aux orangs, il 
est aisé de leur reconnoître plus que cet instinct vul- 
gaire qu'on dit être l'apanage des bêtes, et rempla- 
cer l'intelligence qui seroit exclusivement dévolue à 
l'homme seul : certes cette intelligence de l’homme 
est encore trop obtuse chez un grand nombre de peu- 
ples pour que nous ne trouvions point entre elle et 
l'instinct cet état intermédiaire que déjà les orangs 
nous ont présenté dans leur organisation. Afin de 
mieux établir cette sorte de distinction, ils est néces- 
saire sans doute de présenter un tableau succinct de 
ce que nous possédons de plus avéré sur les orangs. 
Leurs sens, par la conformité qu’ils ont avec les 
nôtres, sont éminemment développés; et tout prouve 
en effet que leur vision cest parfaite, et n’a rien de 
nocturne, ainsi qu'on l’a cru long-temps. Leur oreille 
apprécie avec une grande finesse les moindres bruits, 
et l’odorat est pour eux la sentinelle la plus vigilante 
du goût, car ils ne manquent jamais de consulter ce 
sens avant de toucher à un aliment avec lequel l’ex- 
périence ne les a point encore familiarisés. Du reste, 
omnivores comme l’homme, ils s’accommodent de 
toutes les substances, de toutes les boissons; et s’ils 
préfèrent les fruits, c’est sans doute, comme dan 
l'espèce humaire, pendant les premières années, 
car à l’âge mûr ils doivent rechercher avec plus d’ap- 
pétence les matières riches en principes nutritifs, 
telles que le sont les chairs. Le sens du toucher jouit 
également d’une grande perfection, puisque la pulpe 
des doigts, garantie comme chez l’homme par un 
ongle, et renflée pour recevoir l'épanouissement des 
nerfs, peut leur faire apprécier plus vivement la 
surface sur laquelle ils doivent se maintenir. Certes 
ä est bien nécessaire que le tact ait celte exquise 
sensibilité pour ne pas occasionner d'erreurs dans les 
mouvements d’un être qui vit sur les branches d’ar- 
bres, et qui trouve dans leur Jacis un abri protcc- 


HISTOIRE NATURELLE 


teur où il brave les atteintes des ennemis qui tente- 
roient de l’y poursuivre. La peau des mains et des 
pieds est lisse, couverte de stries, et seroit très ca- 
pable de rendre un compte très parfait de l’acte du 
toucher, si l'habitude de presser des corps très so- 
lides n’émoussoit sa sensibilité. Au reste la civilisa- 
tion à fait perdre à l’homme l’usage des doigts des 
pieds ; les peuples plus près de l’état de nature s’en 
servent au contraire comme des doigts des mains : 
mais c’est chez les orangs que ces extrémités ont ac- 
quis une perfection de préhension telle que seule elle 
seroit Ja preuve la plus positive que ces animaux ne 
sont point créés pour la station bipède sur le sol. A 
quel àge les femelies ont-elles leur écoulement 
menstruel? Quand arrive l’époque de leur gestation ? 
Combien dure-t-elle? Enfin l’union des sexes est- 
elle accompagnée de préludes? A toules ces ques- 
tions on est encore aujourd’hui dans l’impossibilité 
de répondre. 

De tous les animaux, l’homme est né sans moyens 
de défense qui lui soient propres. Les orangs vien- 
nent également au monde dans un grand état de foi- 
blesse, ayant pendant un temps plus ou moins long 
besoin de l’appui maternel, et n’acquérant qu’avec 
l’âge cette force matérielle brutale, la seule que les 
gens du peuple parmi les hommes civilisés puissent 
apprécier : et certes dans un orang ou un manœuvre 
il n’y a pas une grande différence sous ce point de 
vue, car l’un et l’autre ne semblent connoître pour 
droit que celui de la force physique. Sous le rapport 
de l'instinct dévolu aux formes de la matière, ou, 
pour mieux nous faire comprendre, des actions in- 
nées qui semblent être le complément vital de tels 
ou tels systèmes organiques mis en jeu, les orangs 
ont la plus parfaite analogie avec l’homme; mais 
privés de l’usage de la parole, ne pouvant point se 
communiquer par un langage parlé les sensations 
qui les animent, ils rentrent, par cela même, dans 
les conditions des sourds-muets de l’espèce humaine, 
qui, s'ils étoient abandonnés dans quelque lieu dé- 
sert, se trouveroient sans moyens de corrélation 
entre eux, et peut-être sans une industrie plus per- 
fectionnée que celle de chercher leur subsistance. 
Cependant ces orangs sont caractérisés par des fa- 
cultés qui sont plus complexes que les actions pri- 
mitives de l'instinct. Leur mémoire fidèle garde le 
souvenir des faits; maïs elle va même plus loin, elle 
conserve en dépôt une suite d’idées qui pour être re- 
produites par l'animal exigent un jugement, résultat 
de réflexions intuitives combinées. Leur affection 
pour les personnes qui leur témoignent de l’atta- 
chement annonce que la reconnoissance est une de 
leurs vertus, et le souvenir des offenses qu’ils cou- 
vent dans leur intérieur prouve que la rancune est 
chez eux comme chez l’homme un penchant naturel. 
Hs savent par une modération simulée cacher, sous 


DES MAMMIFÈRES. 


les apparences d’une feinte froideur, les sentiments 
très vifs de convoitise qui les poussent à s'approprier 
tel ou tel objet : il y a done chez eux réflexion sur 
le danger qu’il y auroit à témoigner trop brusque- 
ment leurs désirs, réflexion qui les porte à recourir 
à la ruse pour mieux accomplir leur projet. Lors- 
qu'ils demandent aux personnes qu’ils connoissent 
quelque friandise qui flatte leur sensualité, on les 
voit employer la prière, les caresses, les pressantes 
sollicitations. Si on les refuse, ils prennent le ton 
boudeur et maussade des enfants volontaires, se mu- 
tinent, se fâchent même ; et enfin, lorsqu'on ne cède 
pas assez vite à leurs capricieuses volontés, ils ont 
recours aux menaces, feignent de vouloir employer 
des moyens extrêmes, et finissent, lorsqu'ils voient 
qu’on est fermement résolu à ne point céder, par se 
coasoler de n’avoir point obtenu le prix de leurs im- 
portunilés. Or tous les jeunes orangs observés par 
des naturalistes ont présenté cette suite d’idées en- 
fantines, et sous ce rapport le lecteur fera sans peine 
l'application de ce qui se passe dans les premières 
années de l’homme. C’est l’âge adulte qu’il seroit si 
important de bien connoitre. Quelles lumières son 
étude ne fourniroit-elle pas à la physiologie des pas- 
sions, et même à la morale? Certes l’énstinct, ou ce 
sentiment primitif et conditionnel des organes que 
la vie anime, dépendant de telles ou telles formes 
typiques, est un. Ce premier principe est aussi in- 
hérent à la molécule organique que l'ombre est au 
corps qui la produit : l'instinct est donc le mobile le 
plus influent des actions d’un orang, de même qu’il 
produit chez l'homme une foule d'actes indépen- 
dants de la volonté, et que l’on nomme habitude. 
Mais si l'intelligence, ou cette faculté que possède si 
éminemment l’homme de combiner ses idées et d’ap- 
pliquer les forces de son entendement à connoître 
et à analyser ses sensations, à acquérir des notions 
justes des causes et des effets, à réfléchir en un mot, 
est le résultat d’un grand perfectionnement du sys- 
tème sensitif, on ne peut méconnoitre que la dispo- 
sition du sensorium commune, plus incomplète dans 
l’orang, apporte aussi moins de perfection dans l’in- 
telligence, et que chez lui cette perfectibilité n’est 
qu'à l'état le plus simple, et comme surajoutée à 
l'instinct. 

Bien que ce champ soit très vaste, nous ne cherche- 
rons point à discuter plus long-temps sur ce sujet : 
nous nous bornerons à résumer les particularités 
connues des mœurs et des habitudes des animaux 
qui nous occupent. 

Les orangs, vivant dans les contrées les plus 
chaudes du globe, n’ont point besoin d’abris perma- 
nents : le feuillage est leur cabane, et les ramifica- 
tions des branches leur logement. Ils ont cependant 
le soin de se faire des sortes de hamacs avec des ra- 
meaux pliant(s et entrelacés, dont ils tapissent le fond 

L. 


201 
avec des feuilles douces et mollettes. Ils quittent peu 
ces demeures aériennes, où ils trouvent la sécurité, 
le repos et la nourriture. On dit que parfois ils pro- 
fitent des grands feux allumés par les Nègres pour 
réchauffer leurs membres après les averses pluviales, 
mais qu’ils ignorent complétement les moyens de 
l’entretenir. Cependant M. Hamilton, pendant un 
séjour à Java, affirme avoir vu un de ces animaux 
qui savoit allamer du feu, et qu’il le souflloit avee 
sa bouche. Une telle habitude lui auroit donc été ap- 
prise par ceux avec qui il vivoit? On cite des exem= 
ples du vif attachement que les mâles ont pour leurs 
femelles, et l’on assure qu’un orang se laissa mourir 
de faim par la vive douleur qu’il ressentit de la perte 
de sa compagne, qui suceomba lorsqu'on les con- 
duisoit tous les deux à Bombay, où ils étoient desti- 
nés au gouverneur anglois. L’orang seroit-il mono- 
game? Des voyageurs prétendent que ces animaux 
se réunissent par troupes, bien que le fait soit peu 
probable, car les orangs ne paroissent pas très mul- 
tipliés. Ils s’accommodent de toute espèce de nourri- 
ture; fruits, œufs, racines, jeunes pousses d'arbres, 
grenouilles et insectes ne répugnent nullement à 
leur estomac. Terminons enfin par un morceau de 
M. Bory Saint-Vincent (!), qui nous paroît dicté par 
les vues d’une philosophie qui ne sera point applau- 
die par tous nos lecteurs. « L'invention des armes, 
qu’ils eussent fort bien pu essayer à manier, ne leur 
a point été nécessaire. Suflisamment vêtus pour les 
climats qu’ils habitent, ils n’ont pas eu besoin de 
bercher à se façonner d'autres habits : une chaus- 
sure qui n’eût pas manqué de devenir indispensable 
pour protéser leur plante charnue, s’ils eussent été 
voyageurs, leur devenoit inutile et même incom- 
mode pour se percher. Sédentaires dans les forêts, 
les orangs, créés pour l’indépendance, n’ont pas plus 
eu besoin de se chercher des moyens d’attaque que 
de se procurer des commodités personnelles : ce sont 
ces avantages corporels qu’ils ont sur l’homme (?), 
et qui, unis à moins de besoins, ont dû placer ces 
animaux au degré d’infériorité qu’ils occupent dans 
la nature par rapport à nous. Nul doute qu’à l’aide 
de tant de conformités physiques existant entre 
l’homme et le chimpanzé, qu’au moyen des facultés 
intellectuelles qui élèvent ce dernier au moins au 
niveau des Hottentots, on ne parvint à développer 
considérablement la raison de ce second bimane, 
comme on parvient à faire un peu plus qu’une ma- 
chine d’un paysan grossier, lorsque l’on s'occupe de 
l'éducation de celui-ci avant que, croupi dans une 
stupide superstition, il ne soit définitivement con- 


“) Dictionnaire classique d'histoire naturelle, 


t. XII, p. 280 et suiv. 

(2) Les Nègres australiens, les Océaniens même, ne 
différent point des orangs sous ce rapport. 
26 


Li 


202 


stitué en brute, et, qui pis est, en brute la plus mé- 
chante de toutes, parce que les fausses idées dont 
on l’imboit détruisent en lui jusqu'à cette rectitude 
d’instinct qui faisoit que l’orang-outan de Sumatra, 
dont on a raconté le meurtre, étoit probablement 
moins bête que la moitié des marins qui l’assommè- 
rent. C’est donc avec beaucoup de sens que Mau- 
pertuis auroit préféré une heure d’observation d'un 
orang-outang à la conversation du plus savant hem- 
me; et nous croyons, dût-on s’en égayer, qu’il seroit 
de la plus haute importance pour l'avantage des 
sciences morales qu’on se donnât la peine d'élever 
des orangs dès le berceau , et loin de leurs aînés, en 
employant pour les instruire les procédés par les- 
quels on parvient à élever nos muets de la triste 
condition d’infirmes à la dignité d'homme. En vain 
contre la possibilité de réaliser notre vœu l’on argue- 
roit de cette humeur indomptable et sauvage que la 
plupart des auteurs attribuent aux orangs, mais dont 
nous avons plus haut essayé d'expliquer les causes. 
« Ce seroit une grande simplicité, disoit Jean-Jac- 
ques, de s’en rapporter là dessus à des voyageurs 
grossiers, sur lesquels on seroit quelquefois tenté de 
faire la même question qu’ils se mêlent de résoudre 
sur d’autres animaux. Ces voyageurs, ajoute le phi- 
losophe génevois, font sans façon sous les noms de 
pongo, d'orang-outan, etc., des bêtes de ces mêmes 
êtres dont les anciens faisoient des divinités. Peut- 
être, après des recherches plus exactes, on trouvera 
que ce ne sont ni des bêtes ni des dieux, mais des 
hommes. » En ajoutant ou à peu près à sa phrase, 
Rousseau l’eût rendue parfaitement orthodoxe, c’est- 
à-dire conforme aux idées que les hommes raisonna- 
bles ont aujourd'hui de l’orang-outan et du pongo (1). 


(:) « Dans une des dernières séances de la Sociélé z00- 
logique de Londres, on a présenté une peau et deux 
crânes de l'orang-outang de Bornéo, ainsi que le crâne 
d’un jeune orang-oulang de Sumatra, lesquels ont été 
envoyés de Singapore en Angleterre, par le docteur 
W. Montgomerie.M.Owen communique en même temps 
les ohservations suivantes qu'il a failes sur chacun de 
ces animaux. D’après son examen, la peau du jeune 
orang-oulang de Sumatra s'accorde, sous le rapport de 
la couleur fauve, de la texture, de la disposition et de 
la direction de sa fourrure, avec celle de l’orang adulte 
femelie de Sumatra, qui fut offerte à la Société zcolo- 
gique par M. Stamford Raffles; comme celui de ce der- 
nier, il n'a pas d’ongle au pouce des extrémités infé- 
rieures. Les molaires de chaque côté de la mâchoire 
correspondent aux premiéres molaires permanentes de 
l'adulte; le reste des dents consiste en huit bicuspèdes 
delait, quatre pelites canines également de lait, et huit 
incisives de même nature. Cet état de dentition est 
semblable à celui de l'enfant humain à huit ans, mais 
il pe seroit pas prudent d'en conclure que le jeunc 
orang-outang avoit cet âge, parce qu'il est très présu- 
mable , par suite de la longue durée caractéristique de 
l'enfance de l'homme, que le renouvellement des dents 
chez lui a lieu à une époque plus tardive que cher les 


HISTOIRE NATURELLE 


LES GIBBONS. 


Hylobates. ILzic, 


Les gibbons ont été confondus avec les orangs 
par la plupart des auteurs systématiques, car ils 
n’en diffèrent en effet que par des caractères secon- 
daires de peu d'importance. Déjà cependant les 
gibbons s’éloignent du type des orangs par un 
allongement plus considérable des membres ct par 
une plus grande tendance vers l’animalité. Leur 
manque absolu de queue, leur système dentaire, la 
disposition de leurs viscères, quelques unes de 
leurs habitudes, semblent établir un rapproche- 
ment intime; et cependant aussitôt qu’on porte son 
attention sur leurs très longs bras, leurs muscles 
grêles, et surtout sur les callosités (!) dénudées qui 
recouvrent les fesses, on ne peut se dispenser de les 
descendre quelques degrés au-dessous des orangs, 
dontils sont le lien transitoire avec les autres singes. 
La dénomination de gibbon fut donnée à l'espèce 
anciennement connue de genre par Buffon, qui 
crut d’abord ce nom d’origine indienne, parce que 
Dupleix nommoit ainsi le singe vivant qui servit 
de type à sa description. Par la suite il fit venir ce 
nom du grec keipon, par lequel Strabon désignoit 


orangs-outangs. Les deux crânes de ceux de Bornéo 
différent matéricllement entre eux sous le rapport de 
leurs dimensions , et du développement des crêtes oc- 
cipitales. Le plus grand des deux ressemble beaucoup 
au crâne du pongo de Bornéo, ou orang adulle du col- : 
lége des chirurgiens, et diffère précisément par les 
mêmes détails du crâne du pongo (qu'on suppose de 
Sumatra), qui a été décrit dans le £er volume des Tran- 
sactions de la Société zoologique de Londres. Les par- 
ticularités sexuelles qu’on observe dans le pongo de 
Bornéo et de Sumatra sont bien prononcées el très re- 
marquables, d'abord par une différence dans la dimen- 
sion relative, celui de la femelle étant environ :/6 plus 
petit, ensuile par un développement beaucoup moins 
grand de la crête occipitale, enfin par la symphyse du 
merton qui est moins profonde, le crâne de la femelle 
se rapprochant sous ce rapport, d'aprés les lois ordi- 
paires du développement sexuel, du caractère de l'ani- 
mal qui n’a pas encore atteint l'âge adulte. Le plus petit 
des crânes des deux orangs de Bornéo est regardé par 
M. Owen comme indiquaat une expêce de simia égale- 
mentdistincie du grand pongo de Bornéo et de l’orang 
de Sumatra. En conséquence, il propose de désigner 
le pelit orang de Bornéo, simia morio, » (Revue bri- 
tannique, n° 20, août 1837, p. 367.) 

() Les callosités qui occupent les fesses de certains 
singes sont formées par l'adhérence de la peau sur les 
tubérosilés des os ischions : ces tubérosités présentent 
une facette plus où moins large que recouvre exacle- 
ment cette peau nue et durcie par l'usage, 


DES MAMMIFÈRES. 


le cephus, s’il faut en croire, dans une nomenclature 
de singes, une note de Daléchamp sur Pline. Tou- 
tefois il est évident que cette étymologie ne repose 
sur aucun fondement solide, et que le nom de gib- 
Pon est un mot corrompu de quelque idiome des 
iles indiennes de l’est. Quoi qu'’ilen soit, les gibbons 
ne furent jusqu’à ces dernières années composés 
que d’une seule espèce que Buffon avoit observée 
vivante, et qu’on placoit à la tête du genre singe, 
immédiatement après l’orang-outan. Le naturaliste 
prussien Illiger jugea le premier convenable de 
former un genre des gibbons qu’il nomma hyloba- 
tes, en exprimant par cette désignation leur habi- 
tude de vivre dans les forêts. Ce genre, dans ces 
dernières années, s’est enrichi de plusieurs espèces 
nouvelles très remarquables, qui formeroient une 
petite tribu assez naturelle si les siamangs ne s’en 
éloignoient pas par quelques particularités d’orga- 
nisalion. 

Illiger distinguoit ces hylobates de tous les autres 
singes par les détails anatomiques suivants : une 
face obluse, présentant un angle facial de soixante 
degrés ; le visage nu; les narines séparées par une 
étroite cloison ; aucune trace d’abajoues ; les oreilles 
munies d’un rebord ; deux mamelles terminées par 
un mamelon allongé sur la poitrine ; point de queue ; 
les pieds et les mains ayant des ongles à tous les 
doigts; les membres antérieurs touchant presque la 
terre lorsque l’animal est debout ; des ongles aplatis; 
les fesses recouvertes de callosités dénudtes; les 
mâchoires garnies de quatre incisives droites à peine 
dépassées par des canines de forme conique; les 
molaires à couronne aplatie; les deux antérieures 
de chaque côté bicuspidées, et les trois postérieures 
à quatre éminences. 

La glupart des zoologistes modernes n’ont fait 
des gibbons qu’une section du genre orang : cepen- 
dant MM. F. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire les 
en distinguent nettement. Ils se rapprochent du 
chimpanzé par la conformation de la tête, dont la 
voûte est abaissée presque au niveau des arcades 
sourcilières, et ils tiennent de l’orang-outan par 
Jeurs membres antérieurs , proportionneliement 
beaucoup plus longs. Les callosités des fesses ont 
aussi une grande influence sur la forme du bassin, 
dont les ischions sont élargis en un disque ovalai:e 
et plat qui les supporte. Les os iliaques sont étroits 
et allongés, et donnent naissance à un pubis qui 
forme une grande saillie en devant. Leur tête, qui 
est déjetée en arrière, se termine en avant par un 
museau à chanfrein concave. Le pelage qui revêt le 
corps est partout également fourni, également 
épais , et le poil qui recouvre l’avant-bras n’affecte 
point ce rebroussement qui caractérise celui des 
orangs. Une autre particularité anatomique encore 
fort intéressante est que l’humérus et Ie fémur sont 


203 


de même longueur, "et que la grande inégalité qu’on 
remarque entre les proportions relatives des mem- 
bres tient à ce que l’avant-bras et la main sont d’un 
tiers plus longs que la jambe et le pied : fréquem- 
ment les doigts indicateurs et médiants des pieds 
sont soudés et unis jusqu’à la phalange qui sup- 
porte l’ongle. Le profond anatomiste Daubenton a 
remarqué que, lorsque les gibbons veulent se tenir 
debout, ils fléchissent la cuisse sur la jambe, et 
que, lorsqu'ils veulent reposer leurs muscles fati- 
gués, il leur suffit d'étendre les mains vers le sol et 
de s'appuyer en le touchant avec les doigts. Lors- 
qu'ils courent seulement sur les deux extrémités 
postérieures, leurs longs bras servent à établir une 
sorte de contre-poids à leurs mouvements: mais 
leur allure s'exécute le plus souvent à l’aide de leurs 
quatre extrémités, 

Les gibbons vivent par troupes nombreuses dans 
les forêts des îles indiennes : ils ne quittent guère 
les arbres où leurs membres longs et grêles leur 
permettent de courir de branche en branche et de 
s’accrocher sans'effort. Leurs fesses non renflées , Jes 
muscles jumeaux et soléaire effacés, leurs longues 
extrémités antérieures, n’annoncent point qu'ils 
soient destinés à marcher sur le sol. 

Ce sont des animaux doués de mœurs douces et 
paisibles, et dont l’instinct est très borné. La stu- 
pidité de plusieurs espèces est si prononcée qu’elle 
établit entre elles et les orangs une ligne de démar- 
cation immense. Tout ce que l’on connoît de positif 
sur leurs mœurs et sur leurs habitudes, naguère en- 
core complétement ignorées, est entièrement dû 
aux recherches de M. Alfred Duvaucel. Ces détails. 
écrits sur les lieux, ont été soigneusement enregistrés 
dans l'Histoire des Mammifères de M. Fr. Cuvier, 
et nous cs reproduirons lorsqu'il sera question des 
espèces qu’ils concernent. 

« Les gibbons ont trente-deux dents comme 
l’homme et les orangs, c’est-à-dire seize à chaque 
mâchoire, ou quatre incisives, deux canines, et dix 
molaires ({). 

» À Ja mâchoire supérieure la première incisive 
est large, terminée par une ligne droite, usée obli- 
quement en dedans, et coupée transversalement par 
l'impression de lincisive inférieure : la seconde est 
plus petite que la première, et usée obliquement du 
côté de la canine; celle-ci, plus large qu'épaisse, est 
tranchante à son bord postérieur, et elle présente 
deux sillons longitudinaux à sa face interne, sépa- 
rés l’un de l’autre par une côte saillante : le sillon 
postérieur est plus large et plus profond que l’an- 
térieur. Les deux mâchelières'suivantes sont deux 
fausses molaires : la seconde est un peu plus grande 


() Frédéric Cuvier, Des dents des Mammifères, 
pag. 12, j 


204 


que la première ; mais toutes deux se composent de 
deux tubercules mousses, l’un au bord externe et 
l’autre au bord interne plus petit que le premier. 
Les trois molaires qui viennent après, et qui vont 
en grandissant de la première à la dernière, ont la 
même forme; elles se composent de quatre tuber- 
cules, deux d’égale grandeur au bord externe, et 
deux au bord interne, le postérieur beaucoup plus 
petit que celui qui le précède. Ces tubercules sont 
formés par des sillons qui partagent inégalement la 
dent. 

» À la mâchoire inférieure la première incisive 
est petite et terminée par une ligne droite; la se- 
conde est arrondie à sa face externe, terminée en 
pointe, et renforcée à sa face interne par une côte 
longitudinale qui l’épaissit dans sa partie moyenne. 
La canine est plus égale dans ses dimensions que 
celle de l’autre mâchoire, et elle est terminée pos- 
iérieurement par un talon; mais sa face interne 
présente aussi les deux sillons et la côte que nous 
avons vus à l’autre. La première fausse molaire, 
placée obliquement, n'a qu'une seule pointe; la 
seconde en a deux, l’une interne et l’autre externe, 
situées plus près de son bord antérieur que de son 
bord postérieur. Trois molaires suivent, qui vont 
en augmentant de grandeur, et qui se ressemblent : 
elles présentent cinq tubercules, deux à leur partie 
antérieure, et trois disposés en triangle à leur par- 
tie postérieure. C’est la première fois que de sem- 
blables molaires se présentent. 

» Dans leur position réciproque ces dents sont 
dans les mêmes rapports que celles que nous avons 
décrites précédemment. Ce type de dentition a été 
donné par le siamang, et il se retrouve chez le wou- 
wou et l’oundo, trois espèces dont on doit la connois- 
sance aux recherches de MM. Duvaucel et Diard à 
Sumatra. » 

Ainsi les gibbons seront reconnoissables par 
leurs membres minces et grêles, par l’épaisse toison 
poilue quiles recouvre, et par leurs fesses calleuses ; 
et à ces caractères extérieurs se joindront des na- 
rines presque verticales et étroites, un museau ré- 
tréci, de très longues mains et de très longs pieds, 
des doigts grêles terminés par des ongles légère- 
ment renflés et pointus : en un mot les gibbons ne 
seront plus, sous les rapports matériels et moraux, 
que des singes faits à l’image des orangs. Leur taille 
est également la nuance intermédiaire; et, bien 
que les siamangs deviennent très grands, les autres 
espèces n’acquièrent jamais que des proportions 
médiocres : aussi, moins forts et moins robustes, se 
confiant moins par conséquent à l'énergie de leurs 
muscies , il en résulte chez eux plus de défiance, 
plus de timidité dans les mœurs. Le peu de dé- 
veloppement qu’acquiert le cerveau est aussi la 
cause principale d’où dépend la foible dose d’intel- 


HISTOIRE NATURELLE 


ligence dont ils sont doués, et le peu d'éducation 
dont ils sont susceptibles. Les gibbons sont généra- 
lement sédentaires ; la faim seule les décide à quitter 
leurs retraites. Mais leurs longs bras, qui deviennent 
si embarrassants pour la marche sur un sol uni, sont 
au contraire très favorables pour leur vie semi-aé- 
rienne sur les arbres; et les gibbons, micux que 
nos plus habiles voltigeurs sur la corde, s’élancent 
d’une branche à l’autre, s’accrochent aux plus lé- 
gers rameaux avec une aisance dont rien n’appro- 
che. Combien est sage la nature, qui, plaçant les 
gibbons dans l'Asie et les destinant à habiter les 
bois, leur donna des membres agiles et capables 
d’assurer ce genre d’existence, et, variant ses {ypes, 
les remplaça dans les forêts de l'Amérique par des 
singes dont la queue est faconnée de manière à ser- 
vir de cinquième membre, à s’accrocher sur les 
rameaux en s’enroulant à l’entour! Les vrais gib- 
bons rappellent les atèles du Nouveau Monde, et les 
siamangs y remplacent les alouates. 

Fous les individus élevés en domesticité ont paru 
timides, craintifs, taciturnes ct embarrassés de leur 
maintien. Is n’ont jamais répété qu’avec une très 
grande gaucherie les actes d'imitation qu’on a cher- 
ché à leur enseigner. 

Les gibbons vivent de fruits, de racines, de tu- 
bercules végétaux; ils sont friands d’œufs, et l’on 
doit penser qu’ils ne dédaignent point les reptiles, 
les mollusques terrestres qu’ils peuvent se procu- 
rer sur les arbres. Ceux qu'on à nourris en capti- 
vité mangcoient indifféremment des fruits, de la 
viande , et en général de tout ce que mange 
l’homme. 

On connoît assez bien aujourd’hui cinq cspèces de 
gibbons, toutes des iles indiennes de Sumatra, de 
Bornéo et de Java. Ce sont des animaux qui, par 
les veriations que leur taille et les couleurs de leur 
pelage éprouvent suivant les âges et les sexes, sont 
d’une très grande difficulté à spécifier d’après les ou- 
vrages écrits : aussi apporterons-nous les plus grands 
scrupules à discuter quelques points de leur his- 
toire; mais ce travail toutefois sera rendu plus facile 
par l’existence des cinq espèces bien conservées dans 
les galeries du Muséum royal d'histoire naturelle, 
où elles ont été envoyées avec des descriptions ori- 
ginales par MM. Duvaucel et Diard. 


LE GIBBON SIAMANC. 
Hylobales syndactylus ('). 


Le gibbon siamang est une découverte récente que 
les Anglois attribuent à sir Stamford Rafles, et 


(r) Simia syndactyla, sir Raffles, Trans. soc. Linn., 


DES MAMMIFÈRES. 908 


que naturellement les Francois doivent réclamer 
pour MM. Duvaucel et Diard, momentanément en- 
gagés à seconder de leurs talents et de leurs con- 
noissances les recherches de ce gouverneur, d’ail- 
jeurs instruit et très zélé pour les collections de son 
pays. MM. Vigors et Horsfield nous ont aussi, au 
sujet de l'introduction de cette belle espèce dansles 
catalogues zoologiques , taxé d'ignorer les droits (1) 
que M. Raflles avoit à l'estime des naturalistes pour 
avoir fait connoître cette espèce. Ses droits ne peu- 
vent être contestés : cependant le mémoire où le 
siamang est décrit, bien que lu en décembre 1826, 
inséré dans le tome XHII des Transactions de 
la Société linnéenne de Londres, n’a été livré au 
publie qu’en 4822, et la description du siamang par 
M. Fr. Cuvier a été imprimée et porte la date de 
novembre 1821. 

L'histoire du siamang dans M. Raffles est fort peu 
étendue, bien que positive dans ses détails. Cet au- 
teur rapporte que ce gibbon est très commun dans 
les forêts qui avoisinent Bancoolen, et qu’il y vit 
par grandes troupes qui font retentir ces solitudes de 
leurs cris aigus et singuliers. Un individu qu’il con- 
servoit en vie lui parut très doux et très familier, et 
recherchoit avec empressement la compagnie des 
hommes. Siamang ou samang est le nom que Îles 
Malais donnent à ce singe, en dérision du peuple 


Lond.,t. XIII, p. 241 (1822) : siumang, F. Cuvier, 
34e livraison, HMamanif., novembre 1821; Dictionn. 
des Scienc. natur., t. XXXVI, p. 287: pithecus syn- 
dactylus, Desmarest, Mammif., pag. 531 (1822 ); 
Griffith , traduction angloise du Règne animal, fig. 
texte , p. 255; Bory, Dictionn. classiq., t. XI, p.283; 
Geoffroy Saint-Hilaire , Leçons sténograph., p. 34. 

(:) En attribuant à MM, Diard ct Duvaucel la décou- 
verte du plus grand nombre des animaux que sir Raffles 
a envoyés à Londres, nous n’avons fait qu’obéir à un 
sentiment de justice générale indépendant de tout cs- 
prit de nationalité ; nous eussions agi de même envers 
un Anglois. Mais nous ne pouvons laisser passer sans 
réponse l’axiome le plus illibéral pour des hommes 
consacrés aux sciences que viennent d'émettre, dans le 
13e cahier du Journal de Zoclogie, MM. Horsfeld et 
Vigors ( page 406, note*}.« Ces naturalistes (MM. Diard 
» et Duvaucel) furent Iles collecteurs à gages de sir 
» Stamford Raffles; ils agissoient directement sous ses 
» ordres, et furent amplemeat récompensés de leurs 
» services subordonnés par une solde large et géné- 
» reuse. De même qu’on devroit attribuer les décou- 
» vertes du capilaine Cock aux marins qui manœu- 
» vroient son vaisseau, de même on doit attribuer les 
» découvertes de sir Raffies à ses collaborateurs. » 
Nous ne ferons point de réflexion sur ce passage , aussi 
ridicule que faux dars son ensemble ; nous laissons à 
juger à nos lecteurs si une solde quelconque peut payer 
les productions de l'esprit, ct combien il faut que deux 
écrivains respectent peu leur propre dignité pour ayan- 
cer un principe qui ravaleroil les gens de lettres et les 
hommes de sciences au niveau des simples manœuvres 
à salaire journalier, 


qui le porte; car les siamangs que cite Marsden sont 
les indigènes de la presqu’ile de Malacea , dont les 
mœurs et les habitudes sont très peu connues. 

Le gibbon siamang , lorsqu'il se tient droit, a jus- 
qu’à trois pieds de hauteur. C’estun animal robuste, 
très vigoureusement musclé, ayant de longs bras, 
mais pas de queue. Il est couvert de poils épais et 
d’un noir de jais, excepté sur les fesses, où se des- 
sinent des callosités. Un caractère fort remarquable, 
qui porta sir Raffles à lui donner le nom de simia 
syndactyla ou singe à doigts soudés, cst la particu- 
larité qu’il présente d’avoir les doigts indicateur et 
médius du pied soudés jusqu’au milieu de la seconde 
phalange : depuis, cette disposition organique a été 
retrouvée chez les femelles de quelques autres espè- 
ces. Le siamang porte aussi sous la gorge un repli 
dilatable et extensible de la peau, qui est entière- 
ment nu, et qui peut se gonfler d’air et assourdir la 
voix, comme cela a lieu chez les orangs. Les poils, 
partout également épais, doux , et souvent très longs 
sur certaines parties, sont d’un noir intense, ex- 
cepté sur le menton, où l’on remarque quelques 
poils brunâtres qui semblent devoir grisonner avec 
l’âge. La face est complétement nue et d’un noir pro- 
fond , ainsi que les mamelles de la femelle. Les or- 
bites sont arrondies et saillantes , et les dents cani- 
nes sont remarquables par leur longueur. Sir Raffles 
termine cette description par mentionner une variété 
albine de cette espèce, qui se trouveroit dans le dis- 
trict de Barous; mais, comme il n’entre point à son 
sujet dansdes détails plus circonstanciés, ilse peut que 
ce soit un animal du même genre encore inconnu 
des naturalistes. 

Telles sont les lumières dont nous sommes rede- 
vables à sir Stamford Raflles sur un animal d'autant 
plus intéressant qu’il tient par plusieurs caractères 
aux orangs, ct par l’ensemble de son organisation 
aux gibbons. C’est encore le vrai anneau de transi- 
tion qui lie les orangs, ou le premier genre après 
l’homme, au second genre ou aux gibbons, avant de 
nous conduire tout-à-fait au milieu des singes tels 
que nous les concevons. Nous emprunterons ce que 
nous aurons à dire maintenant du siamang aux re 
cherches de M. Alfred Duvaucei et aux travaux de 
M. Fr. Cuvier, en ne perdant point de vue lesbeaux 
individus dont les dépouilles sont conservées dans 
les collections publiques de Paris. 

M. Duvaucel a fourni sur l’animal qui nous oc- 
cupe les détails les plus neufs et les plus complets; 
ils sont rapportés avec une élégance que nous crain- 
drions d’afoiblir en ne suivant pas avec une sCcru- 
puleuse exactitude le récit qu'en a publié M. Fré- 
dérie Cuvier (1) d’après les lettres de ce jeune voya- 
geur, mort victime de son zèle pour la science. 


() F. Cuvier, Histoire des Mammifères, t. IE, p. 1, 


206 


Ainsi s'exprime M. Duvaucel : « Cet animal est fort 
commun dans les forêts de Sumatra, et j'ai pu sou- 
vent l’observer en liberté comme en esclavage. On 
trouve ordinairement les siamangs rassemblés en 
troupes nombreuses, conduites , dit-on, par un chef 
que les Malais croient invulnérable, sans doute 
parce qu’il est plus fort, plus agile et plus difficile 
à atteindre que les autres. Ainsi réunis, ils saluent 
Je soleil, à son lever et à son coucher, par des cris 
épouvantables qu'on entend de plusieurs milles, et 
qui de près étourdissent lorsqu'ils ne causent pas 
d'effroi. C’est le réveil-matin des Malais monta- 
gnards, et pour les citadins qui vont à la campagne 
c'est une des plus insupportables contrariétés. 

» Par compensation ils gardent un profond si- 
Jlence pendant la journée, à moins qu’on n’intcr- 
rompe leur repos ou leur sommeil. Cesanimaux sont 
lents et pesants; ils manquent d’assurance quand ils 
grimpent’, et d'adresse quand ils sautent : de sorte 
qu'on les atteint toujours quand on peut lessurpren- 
dre. Mais la nature, en les privant des moyens de 
se soustraire promptementaux dangers, leur a donné 
une vigilance qu’on metrarement en défaut ; et s’ils 
eatendent à un mille de distance un bruit qui leur 
soit inconnu, l’effroi les saisit et ils fuient aussitôt. 
Lorsqu'on les surprend à terre, on s’en empare sans 
résistance, soit que la crainte les étourdisse, soit 
qu’ils sentent leur foiblesse et l'impossibilité de s'é- 
chapper. Cependant ils cherchent d'abord à fuir, et 
c’estalors qu'on reconnoit toute leur imperfection 
pour cet exercice. Leur corps, trop haut et trop 
pesant pour leurs cuisses courtes ctgrêles, s'incline 
en avant, et, leurs deux bras faisant l’oflice d’é- 
chasses, ils avancent par saccades, et ressemblent 
ainsi à un vieillard boiteux à qui la peur feroit faire 
un grand effort. 

» Quelque nombreuse que soit la troupe, celui 
qu’on blesse est abandonné par les autres, à moins 
que ce ne soit un jeune individu. Sa mère alors, 
qui le porte ou le suit de près, s'arrête, tombe avec 
lui, pousse des cris affreux en se précipitant sur 
l'ennemi la gueule ouverte et les bras étendus. Mais 
on voit bien que ces animaux ne sont pas faits pour 
combattre ; car alors mêmeilsnesavent éviteraucun 
coup, et n’en peuvent porter un seul. Au reste cet 
amour maternel ne se montre pas seulement dans 
le danger, et les soins que les femelles prennent de 
leurs petits sont si tendres, si recherchés, qu’on 
seroit tenté de les attribuer à un sentiment raisonné. 
C’est un spectacle curieux, dont, à foree de précau- 
tions, j'ai pu jouir quelquefois, que de voir des fe- 
melles porter leurs enfants à la rivière, les débar- 
bouiller malgréleurs plaintes, les essuyer, les sécher, 
et donner à leur propreté un temps et des soins que 
dans bien des cas nos propres enfants pourroient 
cuvier. 


HISTOIRE NATURELLE 


» Les Malais m'ont aflirmé un fait.dont je doutois 
alors, mais que je crois avoir constaté depuis : c’est 
que les petits siamangs, trop jeunes encore pour 
aller seuls, sont toujours portés par des individus 
du même sexe qu'eux; par leurs pères s'ils sont 
mâles, et par leurs mères s'ils sont femelles, Ils 
m'ont également assuré que cette espèce devenoit 
souvent la proie des tigres par le fait de cette sorte 
de charme qu’on a déjà dit que les serpents exercent 
sur les oiseaux, les écureuils, etc. Je ne peux rien 
vous apprendre sur leur mode d’accouplement, sur 
la durée de la gestation, ete. Ces faits mystérieux 
sont ignorés des Malais eux-mêmes, les siamangs 
n'ayant point encore produit en esclavage. Au reste 
la servitude, quelle que soitsa durée, ne paroit mo- 
difier en rien les défauts caractéristiques de ce 
singe, sa stupidité, sa lenteur, sa maladresse. A la 
vérité il devient en peu de jours aussi doux qu’il 
étoit sauvage, aussi privé qu’il éloit farouclie ; mais, 
toujours timide, on ne lui voit jamais la familiarité 
qu'acquièrent bientôt les autres espèces du même 
genre, et sa soumission paroit tenir plutôt à son 
extrême apathie qu'à un degré quelconque de cou- 
fiance ou d'affection. Il est à peu près insensible aux 
bons et aux mauvais traitements: la reconnoissance, 
la haine, paroissent être des sentiments inconnus à 
ces machines animées. Tous leurs sens sont gros- 
siers : s’ils fixent un objet, on voit que c’est sans in- 
tention ; s’ils y touchent, c’est sans le vouloir. Le 
siamang, en un mot, est l’absence de toute faculté; 
et si l’on classe jamais les animaux d’après leur in- 
telligence, celui-là occupera sûrement une des der- 
nières places. Le plus souvent accroupi, enveloppé 
dans ses longs bras, et la tête cachée entre les jam- 
bes, position qu’il a aussi en dormant, le siamang 
ne fait cesser son immobilité et ne rompt le silence 
qu’en poussant par intervalles un cri désagréable 
assez approchant de celui du dindon, mais qui ne 
paroit motivé par aucun sentiment, par aucun besoin, 
et qui en effet n’exprime rien; la faim elle-même ne 
peut le tirer de sa léthargic naturelle. En esclavage 
il prend ses aliments avec indifférence, les porte à 
sa bouche sans avidité, et seles voit enlever sans 
étonnement. Sa manière de boire est en hirmonie 
avec ses autres liabitudes : elle consiste à plonger ses 
doigts dans l’eau et à les sucer ensuite. » 

« Après cesintéressants détails, dit M. F. Cuvier, 
M. A. Dvaucel nous fait connoître les organes du 
siamang. Cet animal, semblable à tous les gibbons, 
et la plus grande espèce de ce genre, n’a ni aba- 
joues ni queue, et ses bras sont d’une longueur dé- 
mesurée, quoique un peu moindre que celle des bras 
du wou-Wou. S4 figure nue est extrêémement laide; 
ce qui est principalement dû à son front réduit aux 
arcades sourcilières , à ses yeux enfoncés dans leurs 
orbites, à son nez large, aplati, dont les narines, 


DES MAMMIFÈRES. 


placées sur les côtés, sont très grandes , à sa bouche 
ouverte jusqu’au fond des mâchoires, à ses joues 
enfoncées sous des pommettes saillantes, et à son 
menton en rudiment. Si l’on ajoute à ces traits la 
grande poche nue , onctueuse et flasque, en forme 
de goître, qu'il a sous la gorge, toutes les autres 
parties de son corps revêtues d’un poil brillant, 
long, doux, épais, et d’un noir foncé, excepté les 
sourcils et le menton, où il est roussâtre, ctses jam- 
bes arquées, tournées en dedans, et qui restent tou- 
jours en partie fléchies, on se fera du siamang une 
idée assez juste, et qui ne sera rien moins qu’agréa- 
ble. » La poche gutturale, dont nous venons de par- 
ler, a la faculté de s'étendre et de se gonfler, ce qui 
arrive lorsque l’animal crie; et il a cela de commun 
avec l’orang-outan. Le scrotum est recouveit de 
poils longs et droits, réunis en un pinceau qui des- 
cend quelquefois jusqu'aux genoux. Les mâles sont 
facilement reconnoissables à cette particularité, et 
les femelles à la nudité de leur poitrine et de leur 
ventre, el à leurs mameiles un peu saillantes, ter- 
minées par un gros mamelon. Un caractère commun 
aux deux sexes, qu’on ne trouve pas chez le wou- 
wou, et qu’on observe chez beaucoup d’autres sin- 
ges, est la disposition des poils de lavant-bras diri- 
gés en arrière, qui, rencontrant ceux quidescendent 
de l’humérus, forment sur ie coude une sorte de 
manchette. Mais la circonstance la plus remarqua- 
ble du siamang c’est la réunion de l’index au médius 
par une membrane très étroite, et qui s'étend jus- 
qu’à la base de la première phalange. La taille de 
cet animal peut s'élever jusqu’à un mètre quinze 
centimètres (trois pieds six pouces environ }), et le 
sexe ni l’âge ne paroissent rien changer à ses 
couleurs. 

Les dimensions des premiers siamangs dont les 
dépouilles furent apportées en Europe, bien que 
maintenant on en possède des individus dont la 
taille ait jusqu’à trois pieds six pouces, sont les sui- 
vantes : 

Pieds. Pouce, 

Hauteur de l'animal lorsaw’il est debout. 2 8 

Lonaheun THMDrAS. Es Deleted » 


UPS AIME 4. cle 0.1 (OU T0 
— de la partie nue de la main. , . . 9 


Les siamangs sont donc reconnoissables dès la 
première vue, et distingués des autres espèces de 
gibbons par leur pelage uniformément noir sans 
avoir de blanc autour de la face ; par le sac membra- 
neux et nu qui pend sous la gorge : ils sont aussi 
beaucoup plus grands que les autresespèces, et beau- 
coup plus robustes. L'examen des crânes de sia- 
mangs est venu confirmer les idées de phrénologie 
du docteur Gal], en prouvant que chez les femelles, 
qui possèdent à un haut degré les sentiments de 


\ 


207 


lPattachement maternel, l'organe de l'amour des 
mères pour leurs petits est considérablement plus 
développé que chez le mâle. Cette observation a été 
faite surtout par M. Geoffroy Saint-Hilaire, en exa- 
minant des crânes appartenant à des êtres des deux 
sexes, et il eut occasion de montrer dans une des 
lecons de son cours que les boites osseuses desmäâles 
p’avoient point la large et forte saillie de la région 
occipitale, saillie occupant une superficie de huit 
lignes d'avant en arrière, et dix-huit dans le sens 
transversal, et correspondant avec exactitude à la 
saillie postérieure des lobes du cerveau. Il paroît en 
effet que les femelles sont industrieuses pour proté- 
ger leurs enfants; qu’elles sont aussi plus intelli- 
gentes que les mâles, en général stupides, lourds, et 
indifférents pour leur progéniture. 


2 "me 


LE GIBBON 
AUX MAINS BLANCHES. 


Hylobates lar (1). 


Cette espèce est la plus anciennement connue du 
genre, et sa description fut tracée par Buffon (?) 
d’après un individu amené en France fort jeune et 
qui n’avoit point encore la couleur nette et tranchée 
des adultes, c’est-à-dire le pelage noir relevé par la 
blancheur de celui des mains et des pieds. La de- 
seription de Buffon est sous ce rapport tellement 
incomplète (bien que ce soit d’après elle que la 
phrase attribuée par Linnæus à son simia lar ait été 
faite) que sans la peinture, plus exacte que la de- 
scription, on ne pourroit balancer à regarder le 
grand gibhon de l’auteur françois comme étant 
identique avec l’ounko. Mais la précision de la 
gravure ne laisse rien à désirer, puisque plusieurs 
individus conservés dans les collections de Paris et 
de Londres sont venus dans ces derniers temps rap- 
peler tous les caractères qu’elle présente, et par 
conséquent arrêter, sans permettre de doute, le 
type du simia lar des auteurs méthodiques. 

Le gibbon, ainsi que Buffon appelle ce singe dans 


() Le gibbon, Buffon , t. XIV, p.108 : le grand gib- 
bon, Buffon, pl. enl. 5% : sünia lar, L. : le gibbon, 
Audebert, fam. I , sect. 2, pl. 1 : le grand gibbon, En- 
cyclopédie, pl. 5, fig. 3; Shaw, Gen. Zoo. t.1, part. 1, 
p. 42, pl. 5 (copiée de Buffon) : simia longimana, 
Screber, pl. 3 ; Müller (figure copiée de Buffon) : pithe- 
cus lar, Desmarest, p. 50; Geoffroy Saint-Hilaire, 
Leçons sténographiées, VIle leçon, p. 34; Latreille, 
Histoire des Singes, t. Y, p. 202 : simia albimana, 
Vigors et Horsfield , Zoo!. Journ., n° xur, p. 407. 

(2) Daubenton en a donné l'anatomie, et une descrip- 
tion plus exacte que celle de Buffon. 


208 


son texte, ou le grand gibbon, ainsi qu’il le nomme 
dans ses planches coloriées , a été spécifié de cette 
manière par ce célèbre naturaliste : « Il n’a point 
de queue; les fesses sont pelées, avec de légères 
callosités ; sa face est plate, brune, et environnée 
tout autour d’un cercle de poils gris; il a les dents 
canines plus grandes à proportion que celles de 
l'homme ; il a les oreilles nues, noires et arrondies, 
le poil brun ou gris suivant l’âge ou la race; les 
bras excessivement longs : il marche sur ses deux 
pieds de derrière ; il a deux pieds et demi à trois 
pieds de hauteur. La femelle est sujette, comme les 
femmes, à un écoulement périodique. » 

Dans i’histoire générale du gibbon, Buffon an- 
nonce avoir fait la description sur un individu vi- 
vant qui n’avoit pas trois pieds de hauteur, mais 
qui paroissoit être encore dans sa première jeunesse. 
IL avoit tout autour de la face un cercle de poils 
gris, qui l’encadroit exactement. Ses yeux étoient 
grands, mais enfoncés dans leur orbite ; et la face, 
aplatie et assez semblable à celle de l’homme, étoit 
de couleur tannée. Deux individus dont les dépouil- 
les préparées se trouvoient au cabinet du Jardin 
du Roi, différoient beaucoup l'un de l’autre par la 
taille : bien que le second fût adulte, il étoit beau- 
coup plus petit que le premier, et n’avoit que du 
brun dans tous les endroits où l’autre avoit du noir. 
Mais Buffon se trompe iciévidemment en regardant 
comme appartenant à son gibbon le singe qu'il à 
figuré dans ses planches coloriées sous le nom de 
petit gibbon, qui est évidemment une espèce bien 
distincte. 

Quant aux habitudes morales du gibbon observé 
par Buffon, elles sont ainsi présentées : « Ce singe 
Dous à paru d’un naturel tranquille et de mœurs 
assez douces. Ses mouvements n'éloient ni trop 
brusques ni trop précipités. Il prenoit doucement 
ce qu'on lui donnoit à manger; on le nourrissoit de 
pain, de fruits, d'amandes, etc. Il craignoit beau- 
coup ie froid et l'humidité, et il n’a pas vécu long- 
temps hors de son pays natal. Il est originaire des 
Jodes orientales, particulièrement des terres de 
Coromandel, de Malacca et des iles Moluques. » 

Certes une description aussi vague, aujourd’hui 
que nous connoissons plusieurs espèces du même 
genre, ne seroit pas très utile pour caractériser l’a- 
nimal qu’elle concerne, et le séparer de ses congé- 
nères. La phrase de Linnæus et de Gmelin dans le 
Systema Naturcæ (t.E, part. 4, p.27) est entière- 
ment calquée sur elle, sans citation de la planche 
enluminée. Il en est de même de celle d'Erxleben 
(Syst. Keg. an., p.10), dont la synonymie se trouve 
entackée de citations qui doivent appartenir au 
gibbon cendré ou moloch. Telles étoient les seules 
lumières qu’on eût sur le gibbon lar, car les au- 
teurs s’accordèrent à rejeter comme fautive la plan- 


HISTOIRE NATURELLE 


che 54 des figures coloriées des animaux quadru- 
pèdes de Buffon; planche (1) une des meilleures 
sans contredit de tout le recueil, et représentant 
parfaitement ce gibbon, d’ailleurs très biea décrit 
par Daubenton, avec son pelage entièrement noir, 
excepté le pourtour de la face d’un gris blanc 
encadrant par un cercle le tour du visage, et les 
doigts jusqu’aux ongles qui sont, ainsi que les pieds 
à partir de larticulation tibio-tarsienne, d’un gris 
blanc uniforme, tandis que l'extrémité des doigts 
des mains et des pieds est d’un noir profond. Au- 
debert, dans son histoire des singes (4797), publia 
une figure (?) d'après une peau préparée du Mu- 
séum , où sont conservées les deux transitions de 
couleurs, c’est-à-dire que le tour du visage et les 
extrémités sont d’un blanc pur tandis que le pelage 
est d’un noir uniforme. La seule description qui 
soit propre à Audebert se borne à la courte phrase 
suivante : « Le gibbon a deux pieds de haut; ses 
bras sont presque aussi longs que son corps et ses 
jambes; il cest couvert de poils longs, noirs et touf- 
fus ; la face cest brune, entourée de poils gris jaunà- 
tres ; les mains el les pieds sont aussi couverts de 
poils gris. » 

Le gibbon est donc remarquable par son corps 
allongé et assez grêle, sa tête arrondie, ses yeux 
grands et enfoncés. Les poils de la tête, du cou, du 
dos, des flancs et des membres, sont d’ur noir 
intense chez les sujets adultes ; la face est nue et de 
couleur brune. Un cercle de poils gris très clairs 
traverse le front, s’élargit sur les joues, et con- 
tourne la mächoire inférieure en dessous. Le des- 
sus des mains, depuis le poignet jusqu'aux ongles, 
le dessus du pied, depuis la cheville jusqu’à la der- 
nière phalange, sont également recouverts de poils 
gris blancs plus ras que ceux du corps. La peau 
nue du dedans de la main et de la plante des pieds 
est de couleur noire, ainsi que les ongles et l’extré- 
mité des phalanges. 

Le Muséum de Paris possède en ce moment un 
individu très bien conservé du GIBBON LAR, dont le 
pelage, en place du noir intense qui caractérise 
l’âge adulte, est d’un brun fuligineux ou noirâtre 
sale, ce qui peut tenir à quelque différence d’âge. 
Il paroît aussi que le gris blanc du tour du visage, 
des mains et des pieds, passe souvent à ja teinte 
blanche pure. Les collections de Londres offrent 
quelques individus de cette espèce, qui n’ont 
encore que des dimensions peu considérables, mais 
qui du reste s'accordent parfaitement avec les de- 
scriptions que les auteurs en ont tracées (). 


(r) L'individu figuré et décrit par Daubenton étoit 
une jeune femelle qui ne pesoit que neuf livres. 

(2) Famille ire, sect. 2, fig. 1. 

() On devra donc donc supprimer l'espèce nominale 


DES MAMMIFÈRES, 


Le gibbon aux extrémités blanches habite la pres- 
qu’ile de Malacca : c’est du moins le seul endroit 
d’où il provienne d’une manière certaine; car il pa- 
roît ne point se trouver à Sumatra, où l’ounko le 
remplace. Le nom de grand gibbon, qu’on lui a 
donné primitivement lorsqu'on ne connoissoit qu’une 
petite espèce , lui convient d’autant moins aujour- 
d’hui qu'il est bien inférieur, par la taille et par les 
proportions du corps, au siamang. 


LE GIBBON CENDRÉ, 
OÙ MOLOCH, 


Hylobates leuciscus (1). 


L'indication la plus positive que les anciens au- 
teurs aient eue du gibbon cendré doit remonter au 
père Lecomte (Mémoires sur la Chine), qui dit 
avoir vu aux Moluques une espèce de singe mar- 
chant naturellement sur ses deux pieds, se servant 
de ses bras comme un homme, le visage à peu près 
comme un Hottentot, mais le corps tout couvert 
d’une espècede laine grise ; étant exactement comme 
un enfant, et exprimant parfaitement ses passions 
et ses appélits. Il ajoute que ces singes sont d’un 
paturel très doux ; que pour montrer leur affection 
aux personnes qu’ils connoissent ils les embrassent 
et les baisent avec des transports singuliers; que 
l’un de ces singes qu’il a vu avoit au moins quatre 
pieds de hauteur ; qu’il étoit extrêmement adroit 
et encore plus agile. Cette description est certaine- 
ment très exacte pour le temps. De Visme a figuré 
dans les Transactions philosophiques (t. LIX., 
pag. 74, pl. 5), sous le nom de golock des habi- 
tants du Bengale, ou singulière espèce de singe 


créée par MM. Vigors et Horsfeld sous le nôm de simia 
albimana, ayant pour phrase : Simia nigra circulo 
marginante faciem ; manibus, pedibus albidis. 

(1) Simia golock de De Visme, Trans. philos., t. LIX, 
p. 72, pl. 3 : le wou-wou, simia hirsuta, Forster; 
Sonnerat, Voyage, t. IV, p. 81 et 82; Mus. Lever., 
no 2 :le wou-wou, Camper : simia moloch, Audebert, 
Singes, fam. lre, sect. 2, pl. 2 (figure originale) : long 
armed ape , white variety, Shaw, Gen. Zoolog., vol. 
TI, part. 1, p.12, pl. 6, fig. orig. (1800) : gibbon cen- 
dré, Cuvier, Régn. anim. : pithecus leuciscus, Geoffroy 
Saint-Hilaire , Além.mus., t. H, p. 89, no 4; Catalogue 
du Muséum, p. 4: simia cinereus, Leçons sténogra- 
phiées, p. 3%, VIleleçon: simia leucisca, Screber, 
pl. 3B; Desmarest , Mammifères, p. 51 ; Raflles, Cat. 
Trans. soc. Linn. Lond., t. XII, p. 242 : gibbon cen- 
dré, Atlas du Dictionn. des Scienc. natur.; F. Cuvier, 
Dictionn. des Science. natur., t. XXXVI, p. 289 ; Bory, 
Dictionn. class, d'hist. natur., t. XI{, p. 284 ; Griffith, 
ÆRégn, anim., en angl., p. 254. 


k 


209 
sans queue, l’animal qui noué occupe. Camper le 
décrivit sous le nom de æou-wou , nom que portent 
chez les Malais plusieurs espèces de gibbons , et 
dont le son euphonique rappelle sans doutele cri de 
ces singes. Pennant crut qu’il n'étoit qu’une variété 
du gibbon lar, et Shaw ne l'en distingua pas non 
plus. Cependant on trouve une excellente figure du 
moloch dans le Musée de Lever (pl. n° 2), faite 
d’après nature, et sur le même individu qui a servi 
de type à la planche n° 6 de Shaw, sous le nom de 
long armed ape, white variety. Screber distingua 
le premier cette espèce, qu’il nomma (pl. 5 B. j 
simia leucisca. Audebert, en 1797, en donna une 
très bonne figure (famille Fre, sect. 2, fig. 2), en lui 
consacrant l’épithète de moloch, qui paroit cor- 
rompu du nom de golock de De Visme. 

Au premier aspect ce gibbon se distingue des 
autres espèces par la couleur noire foncée de sa fi- 
gure, de ses mains et de ses pieds, qui contraste 
avec la teinte de son pelage partout également d’un 
gris cendré. Un cercle de poils gris plus clairs en- 
toure la face, et une teinte plus foncée en grisâtre 
paroît être répandue sur le sommet de la tête et sur 
quelques parties externes des membres. Les poils 
qui recouvrent Île corps sont partout également 
fournis ; ils sont généralement longs et laineux, et 
les mains et les doigts jusqu'aux ongles en sont re- 
couverts. De fortes callosités se dessinent sur les 
fesses. 

Le moloch décrit par Audebert n’avoit que ving 
pouces de hauteur. Un bel individu, conservé en ce 
moment dans les galeries du Muséum, a près de 
deux pieds et demi. On dit que la taille de ces gib- 
bons peut acquérir, dans l’âge adulte , jusqu’à trois 
pieds et plus. 

Le moloch est assez bien proportionné dans tou- 
tes ses parties sous le rapport de la force; car, quant 
à la longueur, les membres supérieurs égalent à 
la fois et le corps et les jambes. Camper rapporte 
qu'il marche souvent debout et qu’il grimpe sur les 
bambous, où ses grands bras lui servent de balan- 
cier pour le maintenir en équilibre. On le dit colé- 
rique et capricieux, inconstant comme un enfant. 
Ce singe, nommé wou-wou par les Javanois, n’a 
encore été rapporté que des forêts intérieures de la 
grande île de Java, bien que quelques auteurs le 
disent des Moluques. 

Les jeunes individus sont parfois d’un blond uni- 
forme , tandis que la robe des vieux se fonce quel- 
quefois en gris, ce qui tient à ce que chaque poil 
est blanchâtre à sa base et gris à son sommet. Les 
doigts de cette espèce, soit du mâle, soit de la fe- 
melle, sont complétement libres. Elle ne vit point 
non plus en troupe, mais bien par couples appareil- 
lés et solitaires. En captivité ce singe devient mé- 
lancolique et indolent, tandis qu'à l’état de liberté 
27 


210 


en le voit fréquemment se pendre aux rameaux les 
plus frêles et s’en servir comme d’une escarpolette 
pour s’élancer quelquefois à de grandes distances. 
On ne connoit rien d’ailleurs de la manière de vivre 
de ce gibbon. 


ER —— ——————___—  —__— _——_—_—_ _—_—_—_—_—_—_——————— 


LE GIBBON VARIÉ, 
Hylobates variegatus (1). 


Buffon a figuré ce singe sous le nom de petit gib- 
bon à la planche 257 de ses figures coloriées de 
quadrupèdes : il est vrai que ce portrait est trop 
mauvais pour qu’on ait pu à sa seule inspection dis- 
tinguer spécifiquement l'animal qu’il représente ; 
aussi Linnæus, Screber, Erxleben, et quelques au- 
teurs modernes se bornèrent à en faire une simple 
variété du gibbon lar. Cependant des planches co- 
loriées avec plus de soin que la majeure partie des 
exemplaires du commerce prouvent jusqu’à lévi- 
dence la plus complète que le petit gibbon de Buffon 
est le même singe que M. Fr. Cuvicr a décrit plus 
tard sous le nom de wou-wou agile, non pas parce 
que cet animal est très agile, mais parce qu'il l’est 
beaucoup plus que les autres espèces du genre; car 
tous les gibbons sont remarquables par la lenteur et 
par l’inertie de leurs mouvements, s’il faut en eroire 
les voyageurs. Cependant la prestesse du gibbon 
cendré, la vivacité de l'espèce qui nous occupe, té- 
moigueroient assez que les gibbons n’ont rien de 
celle torpeur, qui semble au contraire uniquement 
propre au siamang. 

Sir Raffles a indiqué le gibbon dont nous traçons 
l’histoire lorsqu'il parle, dans le catalogue des ob- 
jets recueillis sous son patronage dans l'ile de Su- 
matra, de l’ungka-puti, qu’il regardoit comme très 
voisin du moloch. « C’est, dit-il, un animal beau- 
coup plus petit que le siamang, dont la taille ne 
dépasse pas deux pieds, et qui a le corps grêle et 
plus fluet. Sa couleur est d’un blanc jaunâtre sale 
qui tire sur le brun sous Je corps et en dedans des 
membres, différant en cela du plus grand nombre 
des animaux qui sont plus foncés en couleurs sur le 


() Le wou-wou, hylobates agilis, F. Cuvier, 32e liv. : 
Dictionn. des Scienc. natur., t. XXXVI, p. 288 :le 
petit gibbon, Buffon, pl. enl. 237,t. XIV, pl. 3 : sûmia 
lar, varietas, L. sp. : le petit gibbon, Encyclopédie, 
pl. v, fig. 4 : pithecus variegatus, Desmarest, Mammif., 
p. 51 : simia longimana , varietas, Screber, p. 3 : pi- 
thecus variegatus, Geoffroy, Ann. du Mus.,t. XIX, 
sp. 3; Leçons sténographiées, pag. 34; Desmarest, 
Mammif., p. 532; Griff., Règn. anim., en angl., 
p. 258 : le petit gibbon, Dictionn. class., t. XII, 
p. 284 el 285 : le petit gibbon, Forster, Miller, pl. 7. 


HISTOIRE NATURELLE 


corps. La face et les mains sont noires ; ses poils 
sont plus doux et plus laineux que ceux du siamang, 
etson cri est aussi moins fort et moins rauque. » 

Buffon a passé sous silence, dans son texte, le 
petit gibbon ; mais Daubenton, exact et serupuleux, 
a réparé cet oubli par une minutieuse description, 
suivant sa louable coutume. L’individu étudié par 
ce profond anatomiste étoit une jeune femelle dont 
la dépouille n'existe plus au Muséum. Voici le ré- 
sumé de ce qu’on en sait. Semblable au gibbon lar 
par les traits généraux, celui-ci, d’un tiers moins 
grand , a de commun avec le lar la forme des oreil- 
les, les fesses pelées, la face entourée de poils gris 
formant un cercle qui passe sur le front, sur les 
joues, et sous la mâchoire inférieure. Ses quatre 
extrémités sont également grises. Mais le gibbon 
varié se trouve distingué du gibbon lar par la cou- 
leur brune et non pas noire de la tête, du cou, du 
haut du dos, et des parties externes des membres. 
Le dessous du cou, la face interne de l’avant-bras 
et des cuisses, la poitrine et le ventre, ainsi que les 
flancs et les jambes, sont couverts d'un pelage gri- 
sâtre mêlé de brunâtre. Toute la région lombaire est 
d'un gris clair. 

Ce petit gibbon provenoit de la presqu’ile de Ma- 
lacca, et ne fut admis comme espèce que par 
MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Desmarest. Plus 
tard M. Fr. Cuvier, en septembre 1821 et dans sa 
trente-deuxième livraison des Mammifères, vint 
fournir sur cet animal les détails qui manquoient 
pour compléter son histoire. I le décrit sous le nom 
de wou-wou, déjà employé par Camper et Forster 
pour le moloch de Java, et qui paroît être une dé- 
nomination que les Malais donnent indistinctement 
à tous les gibbons de petite taille. 

Les individus envoyés de Sumatra par M. Alfred 
Duvaucel permettent d’en tracer la description sui- 


vante. 
Pieds. Pouce, 


Hauteur de l'animal lorsqu'il est debout. , 2 8 
Longueur de la tête, mesurée du bout du 
musean à Focciput, 211.00. Nue n 
— du corps, de l'occiput aux callosités des 

FOSSES ee ON TS RTE TAMONT DRE 
su bras: 15 À . 
— de l’avant-bras. . , 
de: la euisse ten in SIREN. Tera 
— de la jambe. , + « 


. 
. 
b 
QD "I @ © D > 


Le gibbon varié a”’son pelage composé de poils 
d’une seule nature, épais et laineux en apparence ; 
les jambes très déjetées en dehors, les doigts des 
pieds courts, ceux des mains longs, excepté le 
pouce qui est court; ce qui est l'inverse des pieds, 
où le pouce est long. Les yeux sont enfoncés dans 
leur orbite, et ont une pupille ronde. Les couleurs 
du poil varient suivant les ges et les sexes : les mâles 


DES MAMMIFÈRES. 


adultes sont d’un brun très foncé sur la tête, le 
ventre, la partie externe des bras et des jambes 
jusqu'aux genoux, s’éclaircissant sur les épaules, le 
dos, et passant au blond présque blane sur les 
reins. Le pourtour de la région anale offre un mé- 
lange de brunâtre, de blanc et de roux, qui s’étend 
jusqu'aux jarrets. Le dessus des mains et des pieds 
est d’un brun très foncé , pareil à celui du ventre. 
Les poils sont longs sur le cou, crispés sur les épau- 
les, très courts ct très serrés sur les reins. Les fe- 
melles, plus petites qu'eux, ont les sourcils moins 
prononcés que les mâles, se fondant dans le brun 
de la tête; les favoris sont aussi moins longs et 
moins colorés. Les jeunes sont presque en entier 
d’un blanc jaunâtre peu intense. 


Le gibbon varié est d’un naturel très timide, 
bien éloigné de partager, même dans les propor- 
tions de la taille, ni la force ni la hardiesse du sia- 
mang. Sir Raffles rapporte que les naturels de Su- 
matra accordent à ce singe une exquise sensibilité ; 
ils pensent qu’un gibbon de cette espèce, leur un- 
gka-sulti, mourroit de chagrin s’il voyoit qu’un autre 
animal lui fût préféré; et, pour légitimer ce profond 
sentiment de jalousie, M. Raffies assure qu’un indi- 
vidu, qu’il conservoit vivant, tomba malade parce 
qu’on caressoit journellement devant lui un siamang 
également élevé en captivité, et qu’il ne se remit 
que lorsqu'on eut éloigné son rival. 

On ne sait si l’on doit regarder comme une va- 
riété de cette espèce le gibbon d’un brun peu intense, 
dont la face noire est entourée d’un cercle plus clair, 
qui vit aux environs de Bancoolen. 


Nous ne bornerons point aux détails précédents 
tout ce que nous avons à dire de l'animal qui nous 
occupe ; nous emprunterons à M. Alfred Duvaucel 
les observations locales qu’on trouve consignées 
dans l’histoire du wou-wou écrite par M. Frédéric 
Cuvier. 

« Le wou-wou, moins connu que le siamang, 
parce qu’il est plus rare et que son agilité le rend 
plus difficile à prendre, porte ici (à Sumatra) plu- 
sieurs noms, dont le meilleur est celui que nous lui 
donnons, parce qu’il est la plus juste expression 
de son cri. 

» Cet animal a la face nue, d’un bleu noirâtre, 
légèrement teinte en brun dans la femelle ; ses yeux 
sont rapprochés et d'autant plus enfoncés que son 
arcade orbitaire est fort saillante, et qu’il n’a point 
de front; son nez, moins aplati que celui du sia- 
-mang, a de larges narines ouvertes latéralement ; 
son menton est garni de quelques poils noirs qui ne 
changent pas; ses oreilles sont en partie cachées par 
de longs et épais favoris blanchâtres, qui s'unissent 
à un bandeau blanc large de six lignes, situé immé- 
diatement au-dessus des sourcils, 


211 


» La couleur incertaine de ce singe et le manque 
de termes précis pour l'expression des diverses 
teintes permettent difficilement d'en donner une 
idée fixe à ceux qui n’ont pas vu l'animal : d’ailleurs 
celte couleur varie avec l’âge, et change selon le 
sexe. Le pelage des wou-wous est lisse, brillant, et 
d’un brun très foncé sur la tête, le ventre, la partie 
interne des bras et des jambes jusqu'aux genoux ; 
ils’éclaircit insensiblement vers les épaules, s’allonge 
sur le cou, puis se crispe, devient tant soit peu lai- 
neux, et enfin très court, très serré, et d’un blond 
presque blane au bas des reins. La région latérale 
de l'anus est un mélange de brun, de blanc et de 
roux, qui s’étend jusqu'aux jarrets ; les mains et les 
pieds en -dessus sont d’un brun très foncé, pareil à 
celui du ventre. 

» Dans la femelle, peu velue en avant, les sour- 
cils moins prononcés se ‘fondent dans le brun de 
la tête. Ses favoris sont aussi moins colorés et moins 
longs que ceux du mâle, mais néanmoins encore 
assez grands pour rendre sa tête plus large que 
haute; ce qui donne à la physionomie des wôou-wous 
un caractère étrange et particulier fort différent du 
caraclère du siamang, quoique ces animaux aient 
d’ailleurs la plus grande ressemblance. Les jeunes 
sont d’un blanc jaunâtre uniforme. 

» Ces singes’, qui vivent plus souvent isolés par 
couple qu'en famille, sont les plus rares de ceux qui 
se trouvent ici, puisque sur cinq ou six wou-wous 
on voit toujours cent siamangs. Bien différent de 
ceux-ci par son agilité surprenante, le wou-wou 
échappe ainsi qu’un oiseau, ct, comme lui, ne peut 
guère être atteint qu'au vol : à peine a-t-il aperçu le 
danger qu’il en est déjà loin. Grimpant rapidement 
au sommet des arbres, il y saisit la branche la plus 
flexible, se balance deux ou trois fois pour prendre 
son élan, et franchit ainsi plusieurs fois de suite, 
sans effort comme sans fatigue, des espaces de qua- 
rante pieds. 

» En domesticité Je wou-wou n’annonce pas une 
faculté aussi extraordinaire, S'il est moins lourd 
que le siamang, si sa taille est plus élancée, ses 
mouvements plus faciles et plus prompts, il est 
aussi beaucoup moins vif que les autres singes ; et 
dans ses bras longs ct grêles, dans ses jambes 
courtes et déjetées, on est loin de soupçonner des 
muscles aussi vigoureux et une adresse aussi mer- 
veilleuse. 

» La nature ne l’a pas doué d'une grande intelii- 
gence; la sienne n’est guère moins bornée que 
celle du siamang. Tous deux sont dépourvus de 
front ; et c’est un des grands points de coïncidence 
entre ces deux espèces. Ce que j'ai vu me persuade 
néanmoins qu’il est susceptible de quelque éduca- 
tion : il n’a pas l’imperturbable apathie du siamang ; 
on l’effraie, et on le rassure ; il fuit le danger, ct 


212 


recherche les caresses; il est gourmand, curieux, 
familier, quelquefois gai. 

» Quoiaw’il diffère du siamang par l'absence d’un 
sac guttural, son cri est cependant à peu près le 
même. Ainsi ce sac ne joueroit pas dans la voix le 
rôle qu'on lui suppose, ou il seroit remplacé dans 
le wou-wou par quelque organe analogue. 

» Cette espèce de gibbon, outre ses couleurs, est 
surtout remarquable par l’exirême longueur de ses 
bras, qui, lorsqu'il est debout sur ses jambes de 
derrière, descendent jusqu’à ses talons, c’est-à- 
dire que le bout de ses doigts touche presque à 
terre. » 


em 


LE GIBBON OUNKO. 
Hylobites unko (1). 


Sir Rafles est le premier auteur qui ait mentionné 
ce gibbon, d’une manière très vague il est vrai, en 
le regardant comme identique avec le gibbon à ex- 
trémités blanches ou simia lar de Linnæus, Son in- 
dication, que nous citons textuellement pour éviter 
toute réclamation, est en effet réduite à la phrase 
suivante : « On trouve dans la presqu’ile de Malacca 
un gibbon plus petit que le siamang, qui est proba- 
blement le véritable simia lar. Sa taille ne dépasse 
pas deux pieds de hauteur; son pelage est entière- 
ment noir, excepté autour de la figure, où règne un 
cercle blanc. Les Malais le nomment ungla etam. » 

M. Fr. Cuvier, en décrivant l’ounko, crut égale- 
ment y reconnoître le grand gibbon de Buffon ou si- 
snia lar de Linnæus. Les modifications de couleurs 
que présente la femelle lui inspirèrent seules quel- 
ques doutes; mais, ainsi que nous espérons l'avoir 
prouvé en parlant du gibbon à extrémités blanches, 
l’ounko forme une espèce nette ct bien distincte que 
personne ne sera tenté de confondre avec le gibbon 
lar. Depuis M. Griflith a donné, dans son édition 
angloise du Règne animal, une excellente’figure de 
l’ounko sous le nom de SMALLER GIBBON ou simia 
lar, minor. Peut-être seroit-il nécessaire de suppri- 
mer Je nom d'ouno adopté par M. Fr. Cuvier, parce 
que ce mot malais, légèrement altéré, est un terme 
générique pour plusieurs espèces, et que rien n’em- 
brouille plus la synonymie, surtout pour les voya- 


(:) Simia lar, Raffles, Trans. Soc. Linn, , Lond., 
t. XII, p. 242 : l’'ounko, hylobates lar, Fr. Cuvier ; 
Mammif., juin 182%; Dictionn. des Scienc. nat., 
t XXXVI, p. 289: smaller gibbon, simäa lar, minor, 
Griffith, pl. crig., et p. 254 du Régn.anim., édit.angl.: 
hylobates Rafflei, Geoffrey , Leçons sténogr., YItele- 
çon, p. 3#: simia concolor, Harlan, Journ. of the 
Acad. nat. Sc. Phil., t. V, pl.9:l'ounto, Bory de 
Saint-Vincent, Dictionn. class, t, XII, p. 284. 


HISTOIRE NATURELIE 


geurs, que ces dénominations de pays devenues spé- 
cifiques. Tel est aussi le motif qui nous a fait rejeter 
le nom de wou-wou, que deux ou trois espèces se 
trouveroient porter aujourd’hui. | 

Les siamangs , soit mâles et femelles, ont l'index 
et le médius des pieds soudés : il paroît que ce carac- 
tère se retrouve également, mais chez les femelles 
seulement des gibbons varié et ounko. Ce dernier 
présente donc chez le mâle un pelage entièrement 
noir, excepté autour de la figure, où se dessine un 
cercle d’un blanc plus ou moins pur qui s’élargit 
sur les joues et sur les oreilles sous forme de touffes 
épaisses et développées. Les mains, les pieds, le vi- 
sage même, sont également d’un noir intense. La 
femelle, un peu plus petite que le mâle, en diffère 
ainsi par sa taille, ses doigts soudés, et surtout par 
l'absence complète de l’encadrementblanc du visage, 
qui est remplacé par deux traits blancs, légers, et 
peu apparents autour des yeux. 

Tels sont au reste les détails dont nous sommes 
redevable à M. Duvaucel. 

« Notre troisième gibbon, que j'appellerai ounto, 
comme les Malais de Padang, est encore plus rare 
que le précédent, puisque depuis quinze mois à Su- 
matra nous p’avions jamais soupçonné son existence. 
Au moment où je vous écris, j'en possède une fa- 
mille entière, le père, la mère et l'enfant, que j'ai 
tués presque ensemble. J’en ai vu plusieurs autres 
absolument semblables : ainsi vous pouvez compter 
sur l’existence certaine de cette espèce. 

» L’ounko est un peu moins grand que le wou- 
wou (gibbon varié), auquel il ressemble tellement 
sous presque tous les rapports qu’on ne remarque 
guère entre eux d’autre différence que dans leur 
couleur. Il est tout couvert d’un poil long et fourni 
moins noir et moins brillant que celui du siamang, 
se rapprochant de celui du wou-wou par sa longueur 
dans certains endroits, par un léger reflet brun qui 
varie selon l’incidence de la lumière, et par le bas 
des reins et le dessus des cuisses d’un brun foncé 
bien prononcé : il lui ressemble encore par un ban- 
deau blanc qui passe immédiatement au-dessus des 
sourcils, et vient se perdre sur les côtés dans d’épais 
favoris blanchâtres, unis eux-mêmes au menton 
également blanc. La gorge n’est pas nue et dilatable 
comme dans le siamang, mais seulement garnie de 
poils moins longs et moins fournis que ceux du ven- 
tre. Au milieu de la poitrine du mâle est une tache 
grise peu apparente et peut-être accidentelle. Comme 
dans les autres espèces, le scrotum est couvert de 
longs poils qui forment un pinceau légèrement rous- 
sàtre au bout. Ainsi l’ounko tient étroitement au 
siamang par la nature ct la couleur de son pelage; 
au Wou-wou par ses sourcils et ses favoris, sa phy- 
sionomie et ses proportions, par l’absence du sac 
guttural, et par l’union de l’index au médius dans la 


DES MAMMIFÈRES. 


femelle seulement. Entre autres caractères ostéolo- 
giques je citerai une quatorzième côte qui manque 
aux deux autres gibbons. 

» La femelle de l’ounko, sensiblement plus petite 
que le mâle, en diffère encore par l’absence des fa- 
voris blancs. Sa tête est toute noire, à l’exception de 
deux traits blancs autour des yeux. Sa poitrine et 
son ventre sont peu velus; mais les poils du dos, des 
épaules et de la nuque, sont fort longs, et lui for- 
ment une sorte de crinière. Ce caractère existe aussi 
chez les siamangs et les wou-wous; mais dans aucun 
cas il n’est à beaucoup près aussi prononcé. » 

Nous ne pouvons nous dispenser de regarder 
comme une femelle du gibbon ounko l’animal dé- 
crit et figuré par le docteur Harlan (Journal de l’A- 
cadémie des sciences naturelles de Philadelphie, 
t. V, pl. 9) sous le nom de singe unicolore ou simia 
concolor (‘). Cependant la description de cet auteur 
est si vague qu’on ne peut aflirmer cette identité 
d’une manière précise. Le gibbon du docteur Harlan 
fut conduit à New-York dans le mois de mai 4826, 
et provenoit de l’ile de Bornéo. Chaque maxillaire 
n’avoit que douze dents, et deux molaires latérales 
se trouvoient encore cachées dans leur alvéole lors- 
que cet animal, qu’on supposoit âgé à peine de deux 
ans, vint à mourir. Sa taille, mesurée de l’occiput 
jusqu’au talon, offroit deux pieds deux pouces. Le 
bras avoit six pouces cinq lignes, l’avant-bras neuf 
pouces, les mains et les doigts cinq pouces quatre 
lignes, les cuisses cinq pouces trois lignes, les jam- 
bes six pouces deux lignes, le pied quatre pouces 
cinq lignes, le tronc dix pouces quatre lignes, la tête 
et le cou onze pouces deux lignes, l’espace nu de la 
figure trois pouces, la circonférence de la poitrine 
onze pouces deux lignes, celle de la tête dix pouces. 

Les poils, partout abondamment serrés, étoient 
frisés et noirs, épais et laineux ; la teinte de la peau 
étoit noire, et les callosités des fesses seulement ru- 
dimentaires. Lorsque cet animal se tenoit debout, 
les doigts de la main touchoient presque le sol. Sur 
une surface unie la station bipède lui étoit familière ; 
mais il paroissoit bien plus habile pour grimper le 
long des cordages , s’y accrocher avec ses pieds, en 
employant ses membres supérieurs comme des ba- 
lanciers; mais il marchoit à quatre pattes lorsqu'il 
alloit dans l’endroit où il avoit l'habitude de dormir. 
Son goût pour les fruits étoit très vif, ct l’on a at- 
tribué la dysenterie qui l’a fait périr à l'excès de ce 
genre de nourriture. El avoit au reste, dit M. Har- 
Jan, la docilité et l'intelligence qui caractérisent les 


(‘) Corpore pilis nigris obtecto ; facie, palmis, et 
auriculis nudis; cute nigro; palmis pentunquibus ; 
brachiis longissimis ; cauda, et sacculis buccarum ct 
gutluris omnino carentibus ; natibus leviter callosis: 
naso prominentiore , et angulo faciali plus elevato 
quam in simia satyro Linnæi, (Harlan. ) 


213 


orangs; il avoit surtout le goût le plus vif pour les 
insectes, et paroissoit se délecter avec les mouches, 
auxquelles il faisoit une chasse active. 

En disséquant le cadavre de ce gibbon, on trouva 
dans l’abdomen des adhérences du péritoine, de lé- 
piploon et des intestins. Les glandes du mésentère 
étoient tuméfiées, et le péritoine étoit recouvert de 
tubercules ulcérés. Les muqueuses de l’estomac et du 
tube intestinal offroient les traces les plus évidentes 
de vives phlegmasies. Telles étoient les altérations 
pathologiques. Les particularités anatomiques d’or- 
ganisation qui méritent le plus d’être citées étoient 
les suivantes : le foic, par sa forme comme par le 
nombre de ses lobes, ressembloit à celui de l’hom- 
me. L’appendice vermiforme étoit développé d’une 
manière remarquable. Le sternum n’étoit composé 
que de deux pices. On comptoit vingt-cinq anneaux 
à la trachée-artère, quatorze côtes sur les parties la- 
térales de la poitrine, sept vertèbres cervicales, qua- 
torze dorsaies, cinq lombaires, cinq sacrées et cinq 
coccigiennes. Mais ce qui atira surtout l'attention 
de plusieurs médecins des Etats-Unis, et celle du 
docteur Harlan, fut un cas d’hermaphrodisme assez 
complet pour que cet auteur ait présenté une longue 
dissertation à ce sujet : nous la reproduirons pour 
que nos lecteurs puissent juger eux-mêmes de la 
réalité de ce phénomène anatomique. « L’herma- 
phrodisme, c’est-à-dire l'union sur un même indi- 
vidu des instruments de reproduction des deux sexes, 
ou la faculté de se féconder sans le secours d'aucun 
individu de sa propre espèce, paroit être en quelque 
sorte spécial aux végétaux : parmi les plantes, la 
dioécie de Linnæus est la seule qui ne soit par her- 
maphrodite. Plus l'animal se rapproche du règne vé- 
gétal, plus sont fréquents et complets les exemples 
d'hermaphrodisme. Il est de deux sortes : dans l’une 
il est absolu, l'animal possédant en lui-même le pou- 
voir de la reproduction, comme dans les coquilles 
bivalves, telles que l'huitre; dans les multivalves, 
comme le chiton, et dans les zoophytes, les holo- 
thuries, etc.; tandis que les coquilles univalves, 
au contraire, telles que l’hélice, la limnée, le pla - 
norbe, etc., bien qu’unissant les deux sexes, ont be- 
soin de l’union de deux individus pour se féconder 
réciproquement. Les animaux de cette sorte sont 
proprement nommés androgynes. La disposition à 
l’'hermaphrodisme est donc plus rare à mesure que 
nous avançons dans l’échelle de perfection ou plutôt 
vers une organisation plus compliquée. On dit que 
ces cas se rencontrent dans les-ordres supérieurs 
d'animaux, et l’on doit, à peu d’exceptions près, les 
attribuer à une conformation vicieuse des organes 
de la génération et à un mélange des deux sexes, 
qui, suivant les observations de M. E. Home (!) et 


«) Transactions philosophiques , 1799. 


214 


de M. John Hunter (!), sont plus souvent remarqués 
chez le taureau que chez les autres mammifères ; 
mais dans aucun cas ces auteurs n’ont trouvé l’en- 
semble des organes des deux sexes complet : quel- 
ques uns de ces organes manquoient ou n’existoient 
qu’à l’état rudimentaire. 

» Le fait qui approche le plus en perfection du su- 
jet de la description actuelle est celui que rapporte 
Mascagni dans le Bulletin de la Faculté de méte- 
cine, 1814, p, 476, où il décrit un taureau avec les 
organes mâles joints à des ovaires, un utérus et un 
vagin; mais en place d’une vulve le vagin avoit son 
orifice dans l’urètre. IL y a aussi un autre cas à peu 
-près semblable, décrit dans le Medical Repository, 
n° XLv, d’un homme de Lisbonne un'ssant les deux 
sexes avce l’apparence de la plus grande perfection. 
Le sujet avoit vingt-un ans, fut deux fois enceinte, 
“et avorta au troisième et au cinquième mois. Il est 
“rai que quoique le pénis et les testicules existas- 
sent, et même avec leurs conduits excréteurs, on 
ne s’en assura point par l’investigation anatomique. 
( Voyez Diclionnaire des sciences médicales, article 
Cas rares.) 

» Ces observations démontrent du moins la pos- 
sibilité de l’existence d’hermaphrodites complets, 
même dans les plus hautes classes des animaux. 
Celui qui est le sujet de cette description fournira 
peut-être une preuve nouvelle de l'existence de la 
réunion des deux sexes sur un même individu. 

» Le pénis avoit environ un pouce de long, et étoit 
susceptible d’érection : il se terminoit comme à l’or- 
dinaire par un gland, mais qui étoit imperforé ; une 
profonde rainure occupoit sa surface inférieure et 
tenoit lieu d’urètre, en s'étendant jusqu'aux deux 
tiers de la longueur du pénis, la portion qui restoit 
étant recouverte d’une membrane mince, diaphane, 
épidermoïque, fermant aussi l’orilice externe du va- 
gin, en s'étendant sur la vulve. Le vagin étoit assez 
large, et se trouvoit sillonné par des raies transver- 
sales, des débris de nymphes, et les lèvres étoient 
visibles à l'extérieur. Le méat urinaire s’ouvroit sous 
le pubis dans le vagin; l'urine devoit être dirigée le 
long du sillon du pénis par la membrane qui fer- 
moit l’orifice du vagin; le museau de tanche étoit 
environné par de petites glandes arrondies, l’orifice 
admettant une large sonde dans la cavité de l’utérus, 
organe qui parut parfait, avec tous ses appendices; 
les ligaments ronds et larges enveloppant des ovaires 
bien prononcés, et dans les rapports habituels (?). 


() Observations sur certaines parties de l'économie 
animale, Londres, 4792. 

(2) Les organes mâles et femelles de la génération 
dans cet animal étoient aussi parfaits qu'ils pouvoient 
l'être dans un si jeune individu, ctressembloient à ceux 
des autres orangs du même âge; de pelits œufs Ctoient 
visibles dans l'ovaire. 


HISTOIRE NATURELLE 


Le scrotum se trouvoit divisé en une poche de cha- 
que côté des grandes lèvres, à la base du pénis, et 
revêtu de poils. Les testicules étoient placés obli- 
quement sous la peau de l’aine à deux pouces de la 
symphyse du pubis, et paroissoient très compléte- 
ment formés et même munis de leur épididyme. 
Malgré un examen minutieux on ne put découvrir 
de vésicules séminales, mais on crut reconnoitre 
l’orifice des vaisseaux déférents dans une petite ou- 
verture béante dans le vagin, au-dessus du méat uri- 
naire. Malheureusement on sépara les testicules dans 
la dissection. » 

M. Harlan, dans la supposition où les deux sexes 
dont ce gibbon étoit porteur eussent été parfaitement 
conformés, se demande si cet animal n’eût pas pu 
se féconder lui-même après avoir brisé la membrane 
placée dans le vagin. Mais, bien qu’en Amérique cet 
individu ait passé pour mâle, tout porte à croire que 
ce n’étoit qu’une femelle dont le clitoris, ainsi que 
cela arrive fréquemment chez les singes, étoit lar- 
gement développé. On doit penser également que par 
une sorte de superfétation les organes mâles étoient 
parfaitement simulés, ainsi qu’on en a un exemple 
frappant par cette jeune fille que tout Paris a pu 
voir; mais, d’un autre côté, il est fort probable que 
les testicules n’avoient nullement l’organisation in- 
time que ces organes ont chez les mâles. Dans tous 
les cas cette observation neuve et intéressante sera 
un exemple de plus des aberrations ou des écarts 
auxquels la nature se livre souvent en créant non 
les espèces, mais bien seulement les individus. 


LE GIBBON HOOLOCH. 


Hylobates hooloch. Ricn. HaRLan(!). x 


Le docteur Harlan a décrit sous le nom de gib- 
Lon hoolo:h un grand singe observé dans le royaume 
d’Assam, et ce nom de hooloch paroît être celui par 
lequel le désignent les habitants de la région où il 
vit. Les détails fournis à son sujet par ce naturaliste 
sont les suivants : l'individu figuré appartenoit au 


(:) Description ofa species of Orang, from the north- 
eastern province of British cast India, lately kingdom 
of Assam : Trans am, phil, soc., vol. 1V, n° 3, p. 52, 
pl. 2. 

Simia : Colour of [he skin and haïr decp black; ca- 
nine teeih very long; a band ofwhilish grey hairs over 
each eye. Motal lengt, about wo fect six inches. Humce- 
rus cight inches ninctenths; radius nine inches; hand, 
from the beginning of the wrist to the end of fingers, 
sixinches ; inferior extremilies about thirfcen inches; 
{he foot six inches. Habitat, Garrow-Hills, Assam, and 
probably extending inlo China between latitudes 
twenty-five and {wenty-seven degrees north. (Harlan.) 


DES MAMMIFÈRES. 


sexe mâle, et avoit été conservé vivant par le doc- 
teur Burough; à ce qu'il paroîtroit, la femelle ne dif- 
féreroit point de ce dernier. Mais il n’en est pas de 
même des jeunes qui possèdent quelques caractères 
distinctifs. 

Cette espèce habite principalement les monts Gar- 
row, aux environs de Goalpara , par 26 degrés de 
latitude nord , et ses mœurs sont remarquables par 
la docilité, l'affection et une teinte de mélancolie qui 
les dominent : les naturels affirment que le hooloch 
ne se trouve point au midi du royaume d’Assam. 

Il paroîtroit, à en juger par quelques détails, que 
ce seroit de ce gibbon qu’auroit parlétrès brièvement 
M. Latreille dans son Histoire des singes (p.140), en 
l’indiquant, d’après M. Harwood, sous le nom de 
vouloch. L'individu dont il est question étoit une 
femelle, dont le flux menstruel] couloit avec régula- 
rité, et que rendoient intéressante les plus aimables 
qualités, son adresse à se servir de divers ustensiles 
destinés à l’usage de l’homme, et une grande dou- 
ceur dans ses habitudes. Ce vouloch se nourrissoit 
de lait et de matières végétales, poussoit un cri que 
l’on peut rendre par les syllabes yaa-hou, yaa-hou 
répétées, et trempoit ses doigts dans l’eau, et les 
suçoit quand il ressentoit de la soif, etc., ete. 

Le hooloch décrit par le docteur Harlan, malgré 
l’abaissement de température de la latitude où il vit, 
paroît être beaucoup moins susceptible que les autres 
espèces de gibbon de supporter sans accidents les 
variations de l'atmosphère. I1se distingue aussi par- 
faitement des singes lar, leucisca, agilis, syndacty- 
lus et concolor, soit par la taille, soit par la colo- 
ration du pelage, les proportions du corps et les 
taches des poils. Il se rapproche du siamang de sir 
Raflles par quelques unes de ses habitudes, et plus 
spécialement par sa manière de boire; mais il en dif- 
fère ensuite par beaucoup d’autres caractères. Il a 
la taille et les formes de la femelle de l’ounko ( X. 
agilis, F. Cuv.), ct s’en éloigne par sa coloration 
et la disposition des taches; mais ce sont surtout les 
jeunes de ces deux espèces qui présentent des diffé- 
rences tranchées. Leurs mœurs d’ailleurs ne sont pas 
identiques. 

Le hooloch ala peau d’un noir profond. Le pelage 
est en entier de cette couleur, si l’on en excepie une 
bande de poils grisâtres qui règne sur le front du 
sujet adulte. Les poils qui recouvrent le dessus des 
doigts sont très longs, et ceux de l’avant-bras sont 
rebroussés. Les jeunes ont à peu près la moitié de la 
taille des vieux, mais ils ont une particularité assez 
caractéristique, c’est d’avoir proportionnellement 
l’avant-bras beaucoup plus court que le bras, tandis 
que ces deux portions des membres supérieurs sont 
d’égale longueur chez les père et mère : le pelage 
de ces derniers est un brun noirâtre, avec des poils 
grisâtres sur le dessus de la main et du pied. Quel- 


215 


ques poils grisätres se montrent sur le dos, et des 
sinent une Jigne qui s’étend sur le corps jusqu’au 
milieu du front. Enfin, le bandeau gris des adultes 
est chez les jeunes interrompu au milieu par des 
poils noirs. Ce singe est surtout remarquable par des 
canines très développées. 

Il se pourroit que le hooloch fût identique avecle 
gibbon assez clairement mentionné par quelques 
vieux auteurs, Nieuhoff entres autres, sous le nom 
de févé , et vivant sur les frontières de la Chine dans 
le royaume de Gannore : singe qu’on dit (!) rare, 
ayant la forme humaine, les bras très longs, et le 
corps noir et velu. 

Ce gibbon vit plus exclusivement sur les chaînes 
inférieures des montagnes, sans être organisé pour 
supporter les froids intenses des rangées des gar- 
rois à plus de 400 à 590 pieds de hauteur. Sa nour- 
riture, dans l’état de liberté, consiste principalement 
en fruits abondants dans les Jungle; ou forêts maré- 
cageuses de cette contrée, en autres semences, et 
baies de l'arbre sacré des Indiens nommé papultrce, 
et aussi en jeunes pousses d'herbes, dont il suce le 
suc en rejetant le parenchyme indigeste. Ses mou- 
vements sont rapides; et c’est avec la plus grande 
prestesse qu’on le voit gravir le tronc des palmiers, 
sauter de branches en branches, et fuir à traversles 
arbres des forêts. En domesticité, on peut le priver 
aisément, ct alors il ne dédaigne pas ni les œufs, 
ni le eafé et le chocolat ; mais il a peu de goût pour 
les viandes cuites. Souvent M. Burough a vu l’in- 
dividu qu’il possédoit en vie prendre un vase rem- 
pli de liquide avec ses mains, et boire en le portant 
à ses lèvres. Les aliments qu’il préférait consistoient 
en riz bouilli, en pain trempé dans du lait sucré, en 
bananes et oranges, et il ne dédaignoit même pas 
les insectes, surtout les araignées qu'il saisissoit 
avec adresse dans les fentes des murailles. De même 
que les Indiens qui ont horreur de la viande, ce 
singe manifestoit la plus vive antipathie pour la 
chair de bœuf ou de pore, bien qu’il ait essayé de 
manger du poisson frit. Doux par caractère , il sai- 
sissoit toutes les occasions de manifester son affection 
pour son maitre. Dès le matin, il lui rendoit visite 
en poussant un son guttural whou-whou-whou de 
contentement pendant plus de dix minutes ; puis il 
enlacoit ses membres aux siens, et sembloit éprou- 
ver une vive satisfaction de ses caresses. Il le recon- 
noissoit à sa voix, et s’empressoit d’accourir à son 
appel. On ignore combien d'années peut vivre ce 
grand singe. 


(") Recueil des voyages, ele, Rouen, t. 3, p, 168. 


216 


EEE 
LES SEMNOPITHÈQUES. 


© Semnopithecus. Fr. Cuv. 


Les gibbons, que caractérisent principalement 
les proportions exagérées de leurs membres, tien- 
nent à la fois des orangs, par la disposition de plu- 
sieurs de leurs parties, et se lient aux guenons de 
V’'Asie par les semnopithèques, sorte de singes que 
rendent remarquables des membres longs et minces 
sans doute, mais surtout une queue plus allongée 
encore que celle des macaques, et qu’ils portent 
assez ordinairement relevée sur le dos. 

Ainsi par les traits de leur face, par les formes 
amaigries et grêles de leurs membres, par des cal- 
Josités développées recouvrant les tubérosités de 
V'ischion, les semnopithèques s’unissent aux gib- 
bons; mais leur longue queue Jes en distingue de 
prime abord , et annonce sous ce rapport un degré 
plus inférieur d’animalité, degré qu’attestent aussi 
quelques replis de la peau de la face, simulant des 
abajoues rudimentaires qu’on sait être propres à 
tant de singes plus grossiers. 

Toutefois, bien que chez certaines espèces de 
semnopithèques ces caractères extérieurs soient dis- 
tincts, ils ne suflroient cependant pas pour les iso- 
ler nettement dans un cadre zoologique, puisqu'il 
se présenteroit des circonstances où quelques espè- 
ces de ces singes, par des proportions plus norma- 
les de leurs membres, viendroient à se confondre 
avec les macaques d’Asie, et même avec les gue- 
nons d'Afrique. M. Frédéric Cuvier, l’auteur de ce 
genre, a donc dû se servir de caractères secondaires 
qu’il n’a pu puiser dans l’ensemble du système de 
Ja dentition , puisque les semnopithèques ont, 
comme les gibbons, trente-deux dents, mais qu’il 
a tirés des éminences qui hérissent la couronne des 
molaires ; ainsi la dernière mâchelière inférieure, 
au lieu d'avoir une couronne à peu près circulaire, 
présente au contraire cette partie allongée et termi- 
née par un talon (1). Les diverses espèces de dents 
sont ainsi réparties aux deux maxiilaires : le supé- 
rieur a quatre incisives, deux canines, quatre faus- 
ses molaires, et six vraies; ce nombre de seize dents 
se trouve reproduit exactement dans le même ordre 
à la mâchoire inférieure. Les canines dépassent les 
incisives d’une manière notable. 

Les semnopithèques ont leur face aplatie et nue, 
le nez très peu saillant, des sourcils épais et diri- 
gés en avant, ce qui est dù à un renflement assez 


() Fr. Cuvier, des Denis, ete., pl. 5; et Mammifères, 
édit. in-4v, pag. 27. 


HISTOIRE NATURELLE 


remarquable des crêtes sourcilières : leur pelage est 
généralement teint de vives couleurs, et les distin- 
gue éminemment sous ce rapport. 

Avec leurs membres allongés, souples et agiles, 
on peut d'avance affirmer que les semnopithèques 
vivent dans les forêts les plus profondes ; qu'ils 
trouvent dans les arbres un refuge sûr et commode, 
et que de branche en branche ils s’élancent dans ce 
milieu, pour lequel leur organisation est accommo- 
dée. Leurs longs bras en balancier atteignent aisé- 
ment les rameaux, que leurs pieds saisissent ; ils 
s’y accrochent ou s’en servent comme d’échelons, 
tandis que sur le sol leurs mouvements deviennent 
gênés et gauches. 


Les mœurs de ces singes ne nous sont point con- 
nues; ce qu’en disent les auteurs se borne à lcs 
peindre comme défiants, soucieux, très attachés à 
leur liberté, et peu susceptibles de se familiariser 
avec la captivité, à moins qu'ils ne soient très jeu- 
nes. Leur humeur est irascible, et leur caractère 
sauvage. Vieux, ils sont intraitables et d’une insi- 
gne méchanceté. 


Les naturalistes de la fin du dernier siècle con- 
noissoient quatre espèces de singes que les nomen- 
clateurs placent aujourd’hui parmi les semnopithè- 
ques ; c'éloient le douc, le kahau, l’entelle et le 
maure. Trois ou quatre autres espèces authenti- 
ques, les cimepaye, croo et kra, ont été décou- 
vertes dans ces dernières années, et sont venues 
enrichir ce nouveau genre, auquel il faut sans 
contredit réunir le pyrrhus de M. Horsfield. 

Les semnopithèques habitent exclusivement en 
Asie, et principalement dans les grandes îles de la 
Malaisie. Ils se réunissent en troupes nombreuses, 
que redoutent les habitants par le maraudage dé- 
vastateur qui les suit; et cependant l’entelle, par 
exemple, vénéré sur le continent de l’Inde par les 
sectateurs de Brama, y jouit du privilége insigne 
de ne jamais être troublé lorsqu'il cucille leurs 
fruits, pille leurs jardins : et mille fois heureux 
celui qu’une telle visite vient assurer de la protec- 
tion des dieux ! 


M. Otto a publié l’anatomie d’une espèce qu’il a 
nommée cercopithecus ? leucoprymnus, et qui est 
très certainement un semnopithèque. Son Mémoire 
permet d'apprécier les modifications que présentent 
les viseères de ce singe, qui est peut-être identique 
avec le Era de sir Raflles. 


DES MAMMIFÈRES. 


LE SEMNOPITHÈQUE DOUC. : 


Semnopithecus nemϾus (!). 


Le douce est une des espèces de quadrumanes le 
plus anciennement connues; ce n’est point toutefois 
le sisac de Flacourt, ainsi que l’a pensé Erxleben, 
car l’ile de Madagascar ne nourrit point de singes. 
L'individu que Buffon et Daubenton ont décrit étoit 
mulilé, et ne présentoit aucun vestige de callosités 
sur les fesses, parce que dans la préparition on 
avoit remplacé la peau endommagée de cette partie 
par celle qui Pavoisinoit. Or Illiger, dans son Pro- 
drome , s’est servi de ce caractère fugace pour éta- 
blir sous le nom de lasiopyga un genre destiné à 


recevoir le douc, le hocheur et le petit cynocéphale. 


Ce terme de lasiopyge fut forgé du grec Xéows, ve- 
lue, et de zvyr, région anale, pour indiquer l’ab- 
sence supposée de nudité sur les fesses. Mais dans 
ces dernières années les dépouilles nombreuses en- 
voyées de la Cochinchine ont prouvé la fausseté de 
ce caractère, et que les singes du genre lasiopyge 
possédoient des callosités très évidentes sur les is- 
chions. 

Le douc, quel que soit son âge, quel que soit 
son sexe, affecte dans la coloration de son pelage 
les teintes qui sont propres à l’individa adulte. Il 
est peu de mammifères qui aient été plus favorisés 
sous ce rapport. Sa face, d'un jaune mat, est! relevée 
par le blanc pur des côtés de la tête, la raie rouge 
qui traverse les tempes, le devant du cou, ct le 
bandeau noir qui couvre le front. L’occiput et le 
corps sont d’un gris verdâtre résultant de ce que 
chaque poil est annelé de gris verdâtre, de jaunà- 
tre et de blanc; les avant-bras sont blancs; les 
mains noires, ainsi que les pieds ; le croupion ct la 
queue d’un blanc pur; les fesses et les cuisses noi- 
res, et les jambes d’un rouge-brun fort vif. On con- 
coit que des couleurs aussi nettement tranchées, 
aussi vivement opposées, donnent à l’habit de ce 
singe une apparence extraordinaire et peu com- 
mune. 


La taille la plus habituelle du douc est de deux 


(:) Simia nemæa, Lionæus, Gmelin : le douce, Scre- 
ber, pl. 24; Buffon, pl. 41, édit. in-4o, et pl. col. 256 : 
the cochinchina monkey, Pennant, Quadrupêdes, 
no 85 : le grand singe de la Cochinchine, Brisson, 
Règne animal , esp. 18 : le douc, Audebert : Singes , 
fam. 4, sect. 1, fig. { ; Shaw, Gen. Zoolog.: pygathrix 
nemϾus , Geoffroy, Ann. du Mus.,t. XIX, p. 90 : cer- 
copithecus nemœus, Desmarest, Mammifères, sp. 11, 
p 54; Dictionn. des Scienc. natur., t. XX, p. 32; En- 
cyclopédie, pl. 45, fig. 1 : le douc , Fr. Cuvier, Mam- 
mifères , in-%, pl. 12, p. 38 ; G. Cuvier, Règne animal, 
seconde édition, t. 1, p. 93; Favorite, p. 3, Mammif. 

1, 


217 


pieds ct quelques pouces, et la queue est généralez 
ment comprise dans ces dimensions pour dix-neuf 
à vingt pouces. Ses formes sont massives, ou du 
moins les membres sont proportionnés dans des 
rapporis assez jusies avec les autres parties du 
corps. C’est ainsi que les jambes et les bras sont ro- 
bustes et moins grêles que chez les semnopithèques 
croo et cimepaye. Sa tête est arrondie et médiocre 
dans son volume; les orcilles sont nues et peu dé- 
veloppées, les bras descendent jusqu'aux fesses; les 
doigts des mains sont longs, mais en revanche le 
pouce est très court; la queue est arrondie, longue 
etgrêle. Les femelles ont un clitoris très saillant. 

Si nous nous livrons à un examen détaillé des 
particularités qui distinguent cette belle espèce de 
singe, nous verrons que le brun qui teint le dessus 
de la tête est arrêté en avant par un bandeau brun- 
roux. Les joues sont revêtues de poils très longs, 
déjetés en dehors, et d’un blanc légèrement teint 
de roussâtre; la gorge est d’un marron roux, les 
épaules sont noires, les avant-bras blanchâtres, les 
cuisses noires, les jambes d’un marron fort vif; les 
poils des avant-bras sont dirigés vers le poignet 
comme chez tous les singes qui vont suivre, et dif- 
fèrent en cela de ce qui à lieu chez les orangs ; la 
peau nue des surfaces palmaire et plantaire est de 
couleur noire, ainsi que le tour des yeux et la mu- 
queuse des lèvres. 

Le douc a son pelage assez serré sur les parties 
supérieures, et peu fourni sur l’abdomen, bien que 
les poils soient encore assez abondants sur cette 
partie. 

Ce singe est, dit-on, insociable; rien ne peut 
adoucir son humeur sombre et défiante, et les bons 
procédés n’ont point d’empire sur ses penchants. Il 
habite la Cochinchine , où il viten troupes, et aussi, 
à ce qu'il paroît, la presqu'ile de Malacca. Les col- 
lections publiques se sont enrichies, par les voyages 
modernes, de plusieurs de ses dépouilles. 


LE SEMNOPITHÈQUE ENTELLE. 


Semnopithecus entellus. Fr. Cuv. (1). 


M. Dufresne estle premier naturaliste qui ait dis- 
tingué l’entelle comme espèce, et les attributs cor- 


porels de ce singe n’ont même été bien établis que 
dans ces derniers temps. D'assez grandes différences 


(:) Simia entellus, Dufresne, Bull. de la Soc. philom.; 
Audebert, fam. 4, sect. 2, pl. 2 ; Screber, pl. 23 B : cer- 
copithecus entellus, Geoffroy, Ann. du Mus.,t. XIX, 
p. 95, esp. 10; Desmarest, Mammifères, p. 59, esp. 
22 ; Fr. Cuvier, Mammifères, in-4o, pl.8 et 9, p. 30 et 
suiv. ; G. Cuvier, Règne animal, t. 1, p. 9#, seconde 
édition. 

83 


218 


existent entre les jeunes individus et les vieux , et 
à son sujet M. Frédéric Cuvier s'exprime ainsi : 
« Pendant sa première jeunesse l’entelie a le mu- 
seau très peu saillant ; son front est assez large et 
presque sur la même ligne que les autres parties de 
sa face ; le crâne e:t élevé, arrondi, et renferme un 
cerveau qui a les mêmes dimensions que lui. À ces 
traits organiques se joignent des qualités intellec- 
tuelles très étendues, une étonnante pénétration 
pour concevoir ce qui peut lui être agréable ou nui- 
sible, d’où naît une grande facilité à s'apprivoiser 
par les bons traitements , et un penchant invincible 
à employer la ruse pour se procurer ce qu’il ne pour- 
roit obtenir par la force, ou pour échapper à des 
dangers qu’il ne parviendroit pas à surmonter au- 
trement, Au contraire l’entelle très adulte n’a plus 
de front; son museau a acquis une proéminence con- 
sidérable, et la convexité de son crâne ne nous pré- 
sente plus que l’are d’un grand cercle, tant la capa- 
cité cérébrale a diminué. Aussi ne trouve-t-on plus 
en lui les qualités si remarquables qu’il nous offroit 
auparavant ; l’apathie a remplacé la pénétration , le 
besoin de la solitude a succédé à la confiance, et la 
force supplée en grande partie à l'adresse. » 

L’entelle, lorsqu'il se dresse sur les membres 
postérieurs, a jusqu’à trois pieds d’élévation, di- 
mension que la queue dépasse aussi fréquemment. 
Sa tête est arrondie ; ses oreilles sont aplaties, min- 
ces, assez grandes, non rebordées; ses doigts sont 
très fendus, mais le pouce est court et comme tron- 
qué. Les entelles ont un pelage composé de poils 
soyeux peu lisses, peu épais sur les parties supé- 
rieures, et assez rares sur les inférieures, bien que 
d'une bonne longueur. La face est noire; et cette 
même couleur, à teinte légèrement violacée, se fait 
remarquer sur la peau nue des mains, des pieds, 
des callosités des fesses, et passe au bleuätre sur les 
parties revêtues de poils. L’entelle est en général 
d’un blanc grisâtre qui varie au blond clair, et porte 
sur le front un bouquet de poils noirs saillants, et 
sous la mâchoire inférieure une barbe qui s’avance 
en avant au lieu de prendre sur la gorge ; une sorte 
de ligne roussâtre commence sur le dos et s’élargit 
sur les lombes; les poils des bras, d’abord gris près 
des épaules, se foncent en roussâtre, puis en bru- 
nâtre à mesure qu’on avance vers la main. Il en est 
à peu près de même des extrémités postérieures ; 
quant à la queue, elle est entièrement d’un gris 
roussâtre, et terminée par un petit bouquet pointu 
de poils eflilés. 

‘Ce singe a l'iris brun-roux, et la pupille noire. 
Les vieux individus prennent à mesure qu’ils avan- 
cent en âge plus de vigueur dans le système mus- 
culaire, et leur pelage affecte ure teinte blonde- 
grisâtre à laquelle se joint sur le corps un mélange 
de noirâtre et de roux vif sur les côtés de la poi- 


HISTOIRE NATURELLE 


trine ; la queue enfin, de blanche qu’elle étoit, se 
couvre de poils noirâtres. 

L’'entelle est un des singes pour lequel les Indous 
ont le plus de vénération; ils croient fermement 
que dans son corps est renfermée, par suite de la 
métempsycose, l’âme de quelque prince chéri de 
son vivant. Le nom d’Houleman, qu’ils lui don- 
nent, est celui de l’Hercule indien qui vola la man- 
gue dans l’antique Taprobane, et qui pour punition 
de son larcin fut condamné au feu, et eut le visage 
brülé, C’est de l’entelle qu’il est question dans ce 
morceau plein de fraicheur que nous avons em- 
prunté à M. Alfred Duvaucel, et qui est inséré à 
la page 169 de ce Supplément. 

La patrie de ce semnopithèque est le Bengale, 


LE SEMNOPITHÉQUE CIMEPAYE 
OU SIMPAI. 


Semnopithecus melañophus (1). 


Sir Raffles est le premier voyageur qui ait décrit 
le semnopithèque que les Malais nomment simpa, 
nom que notre orthographe rend assez bien par le 
mot cimepaye. Ainsi s'exprime cet auteur : «Ce singe 
ressemble assez au ching-kau par son ensemble et 
ses formes corporelles; mais il est un peu plus grand 
et d’une couleur toute différente, car il est fauve- 
brillant, mélangé de noir sur la tête, le dos et les 
épaules. Tout le dessous du corps est blanc; la tête 
et la face sont petites, et les poils qui les couvrent 
divergent comme ceux du sèmia cristala, et forment 
sur la tête une huppe longue et remarquable com- 
posée de poils noirs qui s'étendent en touffes sur les 
joues en prenant une couleur fauve, puis blanchä- 
tre ; le front, au-dessous de la huppe, est fauve- 
brillant ; la barbe est peu fournie ; les orbites, le nez 
et les oreilles, diffèrent peu par la forme de ceux 
du ching-kau; la figure, nue et bleuâtre, est légè- 
rement ridée; la ligne faciale est droite et presque 
perpendiculaire ; les oreilles, la paume des mains et 
la plante des pieds, sont noires; le pouce des mains 
est fort court; les callosités sont larges et dévelop- 
pées ; la queue, longue et roulée, a plus de trente 
pouces de longueur ; les poils en général sont longs, 
doux et soyeux. » 

A ces traits généraux et incomplets nous ajoute- 
rons quelques détails plus minutieux. Le cimepaye 
est communément long de quatre pieds six pouces, 


() Desmarest, Mammifères, p: 533 : simia melano- 
phos, sir Raffles, Trans. Soc. Linn., t. XHIH, part.I, 
p. 245 : cimepaye, simia melarophos, Fr. Cuvier, 
Mammifères, in-4o, pl. 7, p.29; G. Cuvier, Règne 
animal, t. 1, p.94, seconde édilion. 


DES MAMMIFÈRES. 


mesuré du sommet de la tête à l’extrémité de Ja 
queue, et dans ces dimensions cette dernière partie 
entre pour deux pieds huit pouces. Les membres sont 
très allongés et grêles relativement aux proportions 
du corps; mais les avant-bras et les jambes sont sur- 
tout très longs, et terminés par des doigts bien fen- 
dus. Toutefois le pouce des mains est très court et 
‘ très remonté. Les oreilles sont larges, minces et non 
bordées; la face est très aplatie. Il a le nez garni de 
rides et peu proéminent, tandis que les pommettes 
sont renflées et que le front est notablement bombé. 
Les abajoues n'existent point; mais en revanche les 
callosités des fesses sont amples et très apparentes. 
Tout le pelage en dessus du corps est d’un rouge 
brun lustré et brillant, passant au blanc satiné en 
dessous et sur les parties internes des membres. Les 
parties dénudées des doigts sont d’un noir profond, 
ainsi que la face, à l'exception des lèvres et du men- 
ton, qui sont couleur de chair : ce dernier n’est garni 
en dessous que d’une très légère touffe de barbe; 
mais de longs poils en faisceaux divergents couvrent 
les joues et sont colorés en roux vif, tandis que les 
poils de la tête, longs et ébouriffés, forment une es- 
pèce de diadème brun terminé de gris. Les oreilles 
sont noirâtres, et les yeux bruns; le bas-ventre est 
presque dénudé, ou du moins n’est revêtu que de 
poils rares et mollets. 

Le cimepaye habite l’ile de Sumatra, où MM. Raf- 
fles, Diard et Duvaucel, le découvrirent. Il paroît 
être très commun dans les environs de la factorerie 
de Bancoolen ; quant à ses habitudes, elles nous sont 
complétement inconnues. 


LE SEMNOPITHÈQUE CROO OÙ LOTONG. 


Semnopilhecus comatus (!). 


Le docteur Eschschotz, médecin et naturaliste du 
brick russe le Rurick, exécuta un voyage autour du 
monde, sous les ordres du capitaine de Kotzebue, 
dans les années 1815 à 1818, et décrivit dans la re- 
lation du voyage le croo sous le nom de presbylis 
mitrata (?). Ce singe lui fut vendu vivant par les ha- 
bitants de Sumatra, lorsque le vaisseau russe cin- 


(‘) Desmarest, Mammiféres, sp. 816 : presbytis mi- 
trata, Eschschotz, Voyage autour du Monde de Kot- 
zebue , t. II, p. 353, avec une planche de cränes et la 
main: simia maura, Sir Raffles, Trans. Soc. Linn. , 
t. XIIL:lecroo , semnopilhecus comatus, Fr. Cuvier, 
Mammifères, in-4o, pl. 37, p. 11. 

() Genre presbytis (nommé ainsi à cause de la res- 
semblance du croo avec une vicille femme coiffée d'un 
bonnet ); angulus facialis 60° gradum ; sacculi buc- 
cales nulli; nates tyliis instructæ ; cauda clongata ; 
antipcdes genu atlingentes. Eschschotz, 


219 


gloit dans le détroit de la Sonde. L’individu décrit 
par ce voyageur avoit environ un pied et demi de lon- 
gueur ; des poils épais, frisés, longs de deux pouces, 
blanc-jaunâtre à leur racine, et gris-bleuâtre à leur 
pointe, couvroient les parties supérieures du corps ; 
des poils plus allongés et de même couleur se trou- 
voient implantés en arrière sur la tête, et sembloient 
la coiffer d’un bonnet fourré, suivant l'expression 
de M. Eschschotz, sur l’avant duquel tranchoit une 
large raie noire, formée de poils longs de huit lignes, 
et qui occupoit le front à partir du bord supérieur 
de l’oreille : un rebord jaunâtre isoloit ce bandeau 
noir des sourcils, qui étoient étroits, linéaires et 
noirs. L’oreille-étoit rougeâtre, sans rebord, garnie 
de poils jaunâtres, et se terminoit en un lobe peu 
sensible ; la peau de la face étoit noirâtre , seulement 
les paupières conservoient une teinte tannée, et quel- 
ques petits poils blanchâtres apparoissoient sur les 
lèvres. 

Les parties inférieures du ‘corps étoient peu ve- 
lues ; et les poils, longs de deux pouces, souples 
dans leur longueur, étoient blancs. La queue, dé- 
passant les dimensions du corps, éloit en dessus 
de couleur gris-bleuâtre comme le dos, jaune-gri- 
sâtre en dessous, et terminée par un pinceau de 
poils jaunes longs d’un pouce et demi. Les mem- 
bres antérieurs atteignoient presque les genoux, 
lorsque ce singe se dressoit sur ses jambes. Les bras 
étoient gris-blanchâtre, les avant-bras jaunâtres, 
et le dos de la main, jusqu’à la dernière articula- 
tion des phalanges, brun-rougeûtre. Les doigts de 
la main, longs et grêles, contrastoient avec l’extrême 
brièveté du pouce , et se trouvoient recouverts par 
des ongles allongés, demi-cylindriques, légèrement 
recourbés à leur terminaison, de manière à simuler 
en quelque sorte la forme d’une griffe, excepté celui 
du pouce, qui étoit court, élevé, déprimé et arrondi 
sur son bord. La paume de la main étoit nue et rou- 
geâtre. Une sorte de bourre lanugineuse, due à une 
plus grande rudesse de poils, se faisoit remarquer 
aux pieds de derrière. Les callosités des fesses étoient 
d’un jaune brunâtre. 

De même que les autres semnopithèques le croo 
décrit par M. Eschscho!z avoit les pommettes sail- 
lantes, le nez peu élevé, et l’angle facial très ouvert, 
puisqu'il mesuroit soixante degrés. Le crâne de cet 
individu étoit arrondi, sans traces de crêtes os- 
seuses sur les sutures, et les mâchoires ne présen- 
toient que vingt-huit dents. Les vertèbres existoient 
au rombre de sept cervicales, douze dorsales , trois 
pièces au sacrum, et vingt-huit coccygiennes. La 
poitrine avoit ses parois fermées par ses vraies côtes 
et par cinq fausses, les deux plus inférieures insé- 
rées au corps même des vertèbres correspondantes 
et non à leurs apophyses transverses. Le sternum 
se trouvoit formé de cinq pièces osseuses. 


220 
Æ Tels sont les détails fournis par M. Eschschotz 
sur un croo femelle et probablement très jeune. 
La figure encore inédite que ce naturaliste nous a 
montrée à Paris diffère toutefois, ainsi que la des 
cription, des renseignements donnés par sir Raf- 
fles, et du portrait qu’en a publié M. Fr. Cuvier 
d'après des individus conservés au Muséum. Aussi, 
pour mettre nos lecteurs à même de se fixer sur 
cette question, rappellerons-nous ce qu’en disent 
ces deux auteurs. 

Nous croyons qu’on doit retrouver le cro0 dans 
la description assez incomplète que donne sir Raf- 
fles de son simia maura ou lotong. Ainsi s'exprime 
à ce sujet l’écrivain anglois : « Le lotong qu’on trouve 
à Singapore et à Penang a ordinairement dix-huit 
ou vingt pouces de longueur, et douze ou treize de 
hauteur. La queue a de vingt à vingt-quatre pouces. 
Son pelage est noirâtre, excepté les bras, les jambes, 
et le sommet de la tête, qui sont teintés de grisâtre, 
parce que chaque poil noir est terminé de gris. 
Toutes les parties inférieures du corps et internes 
des membres sont garnies de poils moins abondants, 
mais blancs. Le devant du cou est blanchäâtre ; la 
poitrine et les aisselles sont d’un gris très clair; les 
mains, les pieds et la face sont d’un noir intense ; 
quelques poils soyeux revêtent les lèvres ; la barbe 
est peu fournie, et les poils de la tête se hérissent 
et forment une aïigrette saillante; la tête et la face 
ont peu de volume et d’étendue, et le nez, très aplati 
à son extrémité, s'ouvre en deux narines obliques. 
Ce singe s’apprivoise très difficilement. » 

Le croo, ainsi nommé sans doute par analogie 
avec son cri, et dont on trouve une bonne figure 
dans l'Histoire des Mammifères de M. Fr. Cuvier, 
et des individus bien conservés dans les galeries 
du Muséum, est de la taille de l’entelle. Son pelage, 
brun en dessus, se teint de noirâtre sur le front 
entre les oreilles et sur les épaules ; des poils roides 
et droits lui forment sur l’occiput une sorte d’ai- 
grette terminée en pointe ; les joues, le menton, les 
flancs, les parties inférieures du corps et internes 
des membres, sont d’un blanc assez pur; la face et 
les oreilles sont noirâtres ; la queue, brune en des- 
sus, blanche en dessous, est terminée par un petit 
bouquet de poils blancs. 

Le croo habite l’ile de Sumatra; on le trouve 
aussi dans l'ile de Java, suivant M. Temminck, et 
on J'y nomme siliri. | 


HISTOIRE NATURELLE 


LE SEMNOPITHÈQUE PYRRHUS. 


Semnopithecus pyrrhus (1). 


Par ses formesextérieuresle pyrrhus semble faire 
le passage des semnopithèques aux guenons ; c’est 
même parmi les singes de cette dernière tribu que 
M. Gcoffroy Saint-Hilaire l’avoit rangé, lorsque 
pour la première fois il fit connoitre cette espèce au 
monde savant. L’individu que décrivitle professeur 
françois est au Muséum, et provenoit, dit-on, des 
Moluques. En 4824 le docteur Horsfield en publia 
une figure dans ses Recherches zoologiques sur 
l'ile de Java, et le premier le classa parmi les sem- 
nopithèques. 

La description que M. Geoffroy Saint-Hilaire a 
donnée de l'individu qu’il nommoit guenon dorée 
cite pour ses dimensions à peu près deux pieds qua- 
tre pouces pour le corps, et deux pieds deux pouces 
pour la queue. Son corps est peu svelle, ses oreilles 
sont grandes, ses bras robustes, et sa queue longue, 
assez mince, et égale à quelque point que ce soit de 
son diamètre. Le pouce des mains étoit rudimen- 
taire, et des poils recouvroient les autres doigts 
jusqu’à la première phalange, tandis qu'aux pieds 
le pouce étoit très développé, et que les doigts étoient 
velus jusqu’à la racine des ongles. Ce qui rend cet 
animal remarquable est d’avoir le front et les joues 
recouverts de poils divergents très allongés, le ven- 
tre presque nu, et le pelage en entier d’un jaune 
doré, où quelques poils brunâtres apparoissent sur 
la queue, bien qu’une petite tache noire se dessine 
sur le devant des membres au niveau de la rotule. 
Tels sont les premiers documents qu’on ait possé- 
dés sur cette espèce : toutefois les proportions un 
peu fortes qui avoient porté à en faire une guenon 
ont bien pu tenir à la mauvaise préparation d’une 
peau desséchée; et M. Horsfield, qui s’est assuré 
des caractères du pyrrhaus, avoit en effet cru qu’on 
devoit le distinguer de la guenon dorée, dont il 
diffère en outre par l’absence des taches noires des 
genoux. 


M. Horsfeld a décrit le semnopithèque pyrrhus 
avec assez de soin pour que nous croyions devoir 
en extraire les détails principaux qui le concer- 
nent (?). Par les couleurs qui teignent le corps, ce 


(:) Horsfield , Zoolog. Research., sepliéme livraison: 
guenon dorée, cercopithecus auratus, Geoffroy, Ann. 
du Mus.,t.XIX, p. 93; Desmarest, Mammifères, 
p. 56, esp. 14. 

(°) Semnopithecus pyrrhus, Horsfield, Zoolog. Re- 
search. : rufus nitore splendidè fulvo, pectore, abdo- 
mine, artubus intrinsecus, caudaque basi subtus 
pallidè flavis. 


ST Énenhdhegee se fut | Semnopitheeus pverhus Mers. 
: / 


(d'apres Zlorsfield ) 


Publie pa Powrat Fa Farur , 


PP" = a, er 


CT 


; \ : \ 
t Cmnopulhcque Æ/ CTrt Ce 1e 


Semnopithecus l.cucoprymnus Cle. 
Le 


Publie par Pourrat F} à d'arur 


DES MAMMIFÈRES. 991 


singe a quelques rapports avéc le semnopithèque 
maure avant que son pelage soit entièrement de- 
venu noir. Toutcfois le dessus du dos et les parties 
externes des membres sont d’un fauve décidé et 
constant dans l'intensité de ses teintes ; son corps 
est allongé et assez grêle, et ses extrémités surtout 
sont remarquables par leur minceur : la nature des 
poils qui composent son pelage est d’être délicate, 
douce au toucher, et comme soyeuse; et sa couleur 
présente sur les parties supérieures une teinte brune- 
rousse, affectant des reflets blond-doré sur le som- 
met de la tête, le front, la queue et les extrémités, 
et passant au jaune pâle sur le ventre et en dedans 
des membres. 

Sur les flancs, depuis la tête jusqu'aux lombes, 
règne une bandelette longitudinale de poils c'air- 
semés, frisottés et d’une grande délicatesse, qui sé- 
pare ainsi les poils longs et allongés du dos. M. Hors- 
field n’a point vu de traces de tache noire sur les 
rotules ; mais cette particularité peut tenir à une 
différence d’âge. 

La taille du pyrrhus est celle du semnopithèque 
maure. Il habite l’ile de Java, où on le nomme lu- 
tung;-toutefois on ne possède aucun détail ni sur 
ses habitudes ni sur ses mœurs. 


LE SEMNOPITHÉQUE KRA. 
Semnopithecus kra(). 


Le semnopithèque que les Malais nomment ra, 
et que sir Raffles a très succinctement décrit dans 
le Catalogue des collections qu’il a faites dans l’ile 
de Sumatra, n’est pas sans analogie avec le croo; 
ce singe ne nous est connu que par ce qu’il en dit : 
aussi sa description fournira-t-elle tous les éléments 
de la nôtre. 

C'est dans les forêts de l'ile de Sumatra et sur 
plusieurs des îles Malaises que le kra vit en troupes 
considérables. Son corps, long de vingt pouces, 
est dépassé par la queue; du brun rougeûtre teint 
le dos et le dessus de la tête, tandis que la queue 
et les flancs sont d’un gris qui s’éclaircit en dedans 
des membres et sur la partie inférieure du corps; 
la face, que recouvrent quelques poils courts gris- 
clair, est brunâtre, et des poils blanchâtres s’élè- 
vent sur les joues pour former des toulfes beaucoup 
plus longues que la barbe; ses yeux sont bruns, 
abrités par des sourcils proéminents, et protégés 
par des paupières blanches ; le nez, assez saillant à 
sa racine, s’aplatit vers l’extrémité, où s'ouvrent les 
narines en scissures obliques; des abajoues sont 


(") Simia fascicularis, Raffles, Trans, Soc. Linn., 
t, XIII, 


ni 


assez visibles ; les oreilles, dont la forme est arron- 
die, présentent une pointe obtuse assez marquée à 
leur sommet; les canines ont peu de longueur, et 
le pouce des mains est comme tronqué ; de larges 
callosités se dessinent sur les fesses. 

Le nom de kra, que lui donnent les Malais, rend 
assez bien le cri de cette espèce de singe, que tout 
porte à croire nouvelle, à moins que ce ne soit, 
ainsi que nous sommes tenté de le supposer, la gue- 
non à croupion blanc de M. Otto. 

Sir Raffles rapporte que le kra s’apprivoise diffi- 
cilement, et que les naturels en distinguent une 
variété à pelage plus blane, et teint de rougeâtre 
sur le dos. Le même auteur ajoute encore qu’il en 
existe une race plus petite, nommée ra buku, qui 
n’a point de poils touffus sur les joues, et dont la 
taille atteint rarement douze pouces. 


LE 
SEMNOPITHÈQUE À CROUPION BLANC, 


Semnopithecus leucoprymnus (1). 


La description détaillée que M. Otto a donnée 
de cette espèce ne permet pas d’avoir le moindre 
doute sur le genre auquel elle appartient : c’est évi- 
demment un semnopithèque et nullement une gue- 
non proprement dite, ou cercopithèque, parmi les- 
quelles on l’avoit placée primitivement quoique avee 
doute. 

Ce semnopithèque du sexe féminin est remar- 
quable par des formes grêles et minces, une longue 
queue, les doigts effilés et très fendus, tandis que 
les pouces, soit des mains, soit des pieds, sont peu 
développés. A ces traits généraux se joignent un 
museau aplati dont l’angle facial est d’un peu plus 
de soixante degrés, un front bombé, des oreilles 
petites et nues, des yeux grands à iris brun-jaune. 
Les ongles qui terminent les doigts sont aplatis au 
pouce, et étroits et comprimés aux autres doigts. Sa 
taille étoit, en y comprenant la queue, de près de 
{rois pieds. 

Le pelage se compose de poils fins très longs cet 
d’un aspect satiné, courts sur la queue, manquant 
sur la face, la paume des mains et la plante des 
pieds, et formant sur le côté des joues et sur le men- 
ton des touffes épaisses, longues et abondamment 
fournies. 

Le semnopithèque à croupion blanc a la face 
noire, en en exceplantle Lour des yeux, quiestrosé ; 


{«) Desmarest, Dictionn. des Scienc. nalur. : cerco- 
pithecus ? leucoprymnus, Otto, Mém. de l'Acad. Cés. 
Léop. Car. des curieux de La nature, t. XI, 1825, 
pl. #6 bis et 47 ; Férussac, Bullet,, t. VII, p, 261. 


222 


de petites moustaches gris-blane surmontent la lèvre 
supérieure , et une étroite bandelette de poils noirs 
assez courts règne dans l’intervalle des yeux depuis 
le front jusqu’au nez; les sourcils se confondent pour 
former une ligne noire qui encadre le haut de la 
figure ; le dessus de la tête et même tout le dessus 
du corps sont d’un brun obscur ou fuligineux assez 
intense, tandis que les parties inférieures, telles 
que la gorge et le dessous du cou, sont d’un gris 
blanc, et que la poitrine et le ventre sont d’un noir 
brunâtre; mais les favoris largement étoffés des joues, 
les flocons de barbe qui les continuent, sont d’un 
blanc légèrement teint de roussâtre qui tranche sur 
le noir de la face. Toutefois le caractère le plus dis- 
tinctif de cette espèceest d’avoir toute la région lom- 
baire , la queue, les fesses, et les parties externes 
et supérieures des cuisses, colorées en gris très clair 
qui se teint de roussâtre à l'extrémité de la queue ; 
le pourtour des organes sexuels est teint de rougeà- 
tre. Ce singe, dont nous avons reproduit la figure 
qu’en a donnée M. Otto, a offert quelques particu- 
larités anatomiques curieuses à relater. Ainsi la 
colonne vertébrale se composoit de sept vertèbres 
cervicales , douze dorsales , sept lombaires longues, 
et trois .sacrées. Les caudales , extrêmement allon- 
gées, étoient au nombre de vingt-deux dans ce qui 
restoit de Ja queue , qui avoit été mutilée, et lui don- 
noient un pied huit pouces de longueur lorsque le 
corps ne présentoit que onze pouces huit lignes. Ce 
que l’autopsie fit apercevoir de plus remarquable 
dans la cavité abdominale fut l'estomac, extraordi- 
nairement volumineux, bien différent de celui des 
guenons, et présentant dans sa portion gauche une 
large cavité, tandis que la droite, rétrécie et enrou- 
lée sur elle même, simuloit une portion de tube in- 
testinal ; l'ampleur de ce viscère étoit telle, que sa 
grande courbure n’avoit pas moins de deux pieds 
un pouce ; de même que le colon deux rubans mus- 
culaires se trouvoient suivre et la grandeet la petite 
courbure, et le bridoient en ce sens, ou du moins 
leur étroitesse forçoit les parois de l’estomac à se 
froncer et à se boursoufler sur leur longueur. L’in- 
térieur de la bouche n'offritaucune trace d’abajoues. 

M. Otto pense que tous les semnopithèques doi- 
vent avoir la même organisation viscérale. On se 
rappelle en effet que le kahau (simia nasica), que 
l’on regarde comme une espèce de ce genre, a, sui- 
vant Wurmbs, un estomac extrêmement grand et 
de forme irrégulière. Cependant les détails fournis 
par M. Duvaucel ne donnent point à penser que les 
semnopithèques qu’il a disséqués aient présenté de 
telles modifications dans leur organisation interne. 
Les abajoues rudimentaires qu’il a trouvées chez 
plusieurs des.espèces qu’il a étudiées, et que sir 
Raflles mentionne également dans ses descriptions, 
détruisent l'opinion assez ingénieuse émise par 


HISTOIRE NATURELLE 


M.Ottosur les fonctions relatives de ces poches buc- 
cales et de l’estomac. On se rappelle en effet que le 
naturaliste allemand pensoit que tous les singes du 
genre semnopithèque n’avoient point d’abajoues, 
et devoientavoir par conséquent l’estomaclargement 
développé pour servir de magasin, recevoirJes pro- 
visions de réserve, et remplir ainsi en quelque 
sorte les fonctions dévolues aux cavités nommées 
abajoues. 

La patrie de ce singe est inconnue ; mais on peut, 
sans craindre de se tromper, dire qu’il provient ou 
du continent de l’Inde ou des îles de l’Est. Le 
Muséum en possède une peau, 


LE 
SEMNOPITHÈQUE MAURE OU TCHINCOU. 


Semnopithecus maurus. Fr. Cuv. (1). 


Comme tous les semnopithèques le tchincou est 
caractérisé par ses formes grêles et allongées, par 
ses longs membres, et par sa queue plus longue 
encore. Sa face plate , qu’entoure un cercle épais de 
poils divergents, ses oreilles et sa face nue colorées 
en bleuâtre ; ses mains noires peu velues, tous ses 
pouces courts, lui donnent la p'us grande analogie 
avec les espèces congénères ; mais ce qui l’en distin- 
gue de prime abord est la couleur brune-foncée de 
tout son pelage, dont les poils, d’un noir intense’, 
ne blanchissent qu’à leur extrémité. Ainsi que nous 
l'avons déjà observé chez les singes de ce genre, 
les poils sont plus épais et plus abondamment four- 
nis sur les parties supérieures, tandis qu’ils sont 
rares et clair-semésen-dessous du corps eten-dedans 
des membres. 

Les tchincous adultes, dont l'iris est d’un beau 
fauve orangé, ont environ deux picds de longueur, 
tandis que la queue a jusqu’à deux pieds six pouces. 
Les jeunes ont leur livrée d’un brun rougeâtre , qui 
noircit d'autant plus qu’ils avancenten âge. M. Des- 
marest a donné le nom de pruineuse à cette espèce, 
parce que la pointe des poils ressort et luit sur la 
couleur intense du pelage. Le sommet de la tête du 
tchincou présente aussi une sorte d’aigrette courte 
due aux poils droits et bérissés qui s’y implantent. 
Les petits, dans le premier âge de leur existence, 
sont d’une couleur fauve très claire sur le ventre, 


{) Simia maura, Geoffroy, Annal. du Mus.: simia 
cristata, sir Raffles, Trans. So. Linn., t. XIII : cerco- 
pithecus maurus, Desmarest, Mammifères, p. 55 ; et 
semnopitnéque tschincoo , semnopithecus pruinosus, 
p. 533 : tchincou, Fr. Cuvier, Mammifères, pl. 10, 
p. 36 ,in-4o; Horsfield, Research. in Java', quatrième 
livraison., 


DES MAMMIFÈRES. 


et qui brunit sur le milieu du dos. Parfois ce gris 
fauve est légèrement ondulé de brun, teinte qui ne 
tarde point à passer décidément au noirâtre. 

Sir Raflles donne à son simia cristaa, ou tchin- 
cou des François, le nom malais de ching-kau. I] 
le dit très commun dans les forêts de Sumatra etaux 
environs de Bancoolen. Les propoiïtions moyennes 
de sa taille sont à peu près de deux pieds de lon- 
gueur, sans y comprendre la queue, qui n'a pas 
moins de deux pieds et demi, et sa hauteur est de 
quatorze pouces. Ce semnopithèque est d’un gris 
foncé, ce qui est dû à ce que les poils sont noirs et 
terminés de blanc à leur pointe, tandis que le des- 
sous du corps est beaucoup plus clair ou plutôt 
teinté de gris de fer ; les poils du sommet de la tête 
sont longs et divergents aussi bien sur le crâne que 
sur les côtés de la face, et forment sur l’occiput une 
sorte de crête ou de huppe ; la barbe est peu fournie ; 
la face et les orcilles sont nues et noires ; les orbites 
larges ; le nez un peu élevé vers le haut, mais très 
aplati à l'endroit où les narines s’ouvrent oblique- 
ment non loin de la lèvre supérieure; les oreilles 
sont larges et arrondies; le cou est court, et lescal- 
Josités des fesses très développées ; la queue, revêtue 
de poils longs ct frisés, n’est point terminée parune 
touffe, et les canines sont fort longues. 

Les jeunes ching-kaus ont leur pelage fauve-rou- 
geâtre, qui contraste avec celui des adultes, dont 
les teintes sont plus foncées. Les habitants de Su- 
matra en connoissent une variété qu'ils nomment 
ching-kau-puti, ou blanc, parce que sa couleur gé- 
nérale est le gris clair ou le blanchâtre. 

Le docteur Horsfield a publié dans ses Recher- 
ches zoologiques sur l’île de Java une figure médio- 
cre d’une femelle de tchincou avec son petit. I l’ob- 
serva très communément à Java, où les na‘urels lui 
appliquent le nom de buding ou lulony M, Les- 
chenault de La Tour avoit lui-même recueilli dans 
cette grande ile plusieurs de ses dépouilles, qui 
ornent aujourd’hui les galeries du Muséum. Ce nom 
de buding, que lui donnent les Javanois, est pour 
le distinguer d’une autre espèce à laquelle les Ma- 
lais ont donné celui de lutony. Ainsi le semnopi- 
thèque maure est le lutung-ilam ou buding noir 
des Javanois, etlesemnopithèque pyrrhus le lutong- 
mera, ie budiny rouge. 

Les habitants de Java dédaignent le tchincou ; ce 
n'est que très rarement qu’ils s'appliquent à domp- 
ter son caractère indocile, et qu’ils essaient de le 
plier à la servitude. Privé de sa liberté ce semnopi- 
thèque en effet reste pendant un temps assez long 
triste et morose : il paroît exister dans l'ile de Su- 
matra ; mais ilestextraordinairementabondant dans 
les forêts de Java, où il établit son gite dans les 
arbres, et vit en nombreuses compagnies : il n’est 
pas rare d’en rencontrer même des troupes de cin- 


223 


quante individus et plus. Les habitantsen détruisent 
un grand nombre dans les battues qu’ils font, afin 
de les atteindre pour se procurer leurs peaux, qu’ils 
emploient dans leurs ajustements militaires età plu- 
sieurs usages domestiques. Lorsqu'il est jeune, ce 
singe recherche les feuilles tendres des srbres, et 
plus tard il se nourrit de toutes sortes de fruits. 


LE 


SEMNOPITHÈQUE KAHAU OU NASIQUE. 
Semnopithecus rasicus (1). 


Les naturalistes nomenclateurs ont ballotté le 
kahau dans plusieurs genres. Par ses formes géné- 
rales ce grand singe en effet s'éloigne des guenons 
et des semnopithèques. Peut-être devoit-on con- 
server la petite coupe généique que proposa 
M. Geoffroy Saint-Hilaire sous le nom de nasalis. 
Toutefois c’est encore des semnopithèques que ce 
singe se rapproche le plus, par l’ensemble de ses 
caractères du moins, et ce n’est que par quelques 
nuances de détail qu’il en diffère. 

Le kahau, ainsi nommé par analogie avec son 
cri, a jusqu’à trois pieds un pouce de hauteur lors- 
qu’il se tient debout : sa queue est longue de deux 
pieds un ou deux pouces; elle est grêle, d’uneégale 
épaisseur sur tous les points de son diamètre, et, 
sous ce rapport, analogue à celle des vrais semno- 
pithèques. Une plus complète analogie se manifeste 
dans la brièveté du pouce de la main, qui est très 
remonté ct que recouvre un ongle aplati, tandis que 
ceux des autres doigts sont convexes et un peu rou- 
lés sur eux-mêmes. Toutefois le pouce des pieds est 
remarquable par sa force et ses proportions, et 
pourroit servir de moyen de distinction. 

Les formes du kahau sont lourdes et trapues, et 
les membres sont proportionnés avec le corps; le 
ventre, au lieu d’être peu apparent et rentré comme 


(") Le nasique , Daubenton, Mém. de l'Inst.:cerco- 
pitheeus larvatus, Würmbe, Hém. de la Soc. de Bata- 
via : la quenon à long nez, Buffon, Supplément, pl.11 
et 12; copiée Encyclopédie, pl. 12, fig. #: simia na- 
sica, Screber, pl. 10 B ct C : kahau, Audebert, Singes, 
quatrième famille, seconde section, pl, 4 : simia nasa- 
lis, Shaw, Zool. génér., t. 1, pl. 22 : proboscis-monkey, 
Pennant, Quadrupèdes, pl. 40% et 105 : nasalis lar- 
vatus, Geoffroy Saint-Hilaire, Mém. du Mus., t. XIX, 
p. 90 : cercopithecus nasalis, Desmarest, Mammifères, 
p. 53, esp.12; Dictionn. des Scienc natur., L. XX: 
G. Cuvicr, Régn. anim., scconde édilion, 1, p. 93; et 
Griffith, €. [traduction angloise; Geoffroy Saint-Hilaire, 
Leçons sténogr., huitième leçon : nasalis larvatus et 
incurvus, Vigors el Horsfield , Zoolog. Journ., n° xuT, 
p. 110, 


224 


chez les autres semnopithèques, est très groset renflé, 
si l’on en juge du moins par l'individu conservé dans 
les galeries du Muséum. Le pelage en entier est, soit 
sur le corps, soit en dessous, également épaisetégale- 
ment serré; les poils qui le composent sont courts, 
rudes etne s’allongent que sur les joues, oùils forment 
de larges favoris qui se déjettenten arrière, cachent 
en partie les oreilles, et se terminent sousle menton 
en une barbe rebroussée en avant : les oreilles sont 
nues, ainsi que la face, qui est saillante et colorée 
en noir vif; les yeux sont médiocres, etla bouche assez 
fendue : mais ce qui concourt à donner au Æahau 
une physionomie extraordinaire est le prodigieux 
allongement de son nez; cet organe en effet saille 
obliquement en avant eten bas en s’aplatissant d’une 
manière sensible , et est sillonné sur sa face supé- 
rieure par une rainure longitudinale : les narines 
sont l:rgement ouvertes et situées tout-à-fait au- 
dessous de l'extrémité du nez, de manière à donner 
à ce singe une perfection d’odorat inconnue chez tout 
autremamnmifère. Une telle disposition dans l'organe 
de recueillement des effluves odorarts doit en effet 
faire supposer que ce sens est de première nécessité 
dans les habitudes de ce quadrumane. On n’aperçoit 
point de sourcils au-dessus des yeux de l'individu 
que nous décrivons. 

La couleur générale du pelage du kahau est un 
roux ferrugineux à teintes beaucoup plus vives sur 
le dos, la tête, le ventre, les épaules et les bras; la 
paume des mains et la plante des pieds sont, ainsi 
que la face, d’un noir profond ; les doigts des mains 
et des pieds, longs et très fendus, sont velus jusqu’à 
la racine des ongles; les poils de la queue sont 
courts, serrés, de couleur rousse et ne forment point 
de touffe à son sommet. 

Le front bombé de ce grand singe, la capacité 
cérébrale ample et développée, attestent que son 
intelligence doit être supérieure à celle des sem- 
nopithèques. Ce fait organique se trouve confirmé 
par l'opinion des Indiens, qui accordent au Eahau 
une haute intelligence, et qui même ont admis 
l'idée qu’il tiroit son origine d'hommes farouches 
réfugiés dans les bois pour ne point payer de con- 
tributions dans les villes. M. Geoffroy Saint-Hilaire 
rapporte que les ambassadeurs envoyés en France 
par Tippo-Saïb éprouvèrent la plus vive satisfaction 
à la vue d’un individu conservé dans les galeries 
du Muséum; et cette anecdote rappelle pour des 
hommes éloignés de leurs foyers le bonheur que 
ressentoit Poutavéri l’'O-Taïtien, amené à Paris par 
Bougainville, à presser un mürier à papier qui lui 
rappeloit les charmes de la patrie absente. 

Le kahau habite l'ile de Bornéo, où il seroit 
nommé batanjan, suivant Wurmbs, et où il paroît 
très rare; on le dit aussi de la Cochinchine, mais 
il est probable que cette indication est erronée. Ce 


HISTOIRE NATURELLE 


singe recherche la société de ses semblables ; il vit 
en troupes considérables qui se tiennent principa- 
lement sur les bords des rivières et dans les maré- 
cages. D’une humeur défiante et d’un caractère sau- 
vage, il est intraitable lorsqu’on l’attaque, et se dé- 
fend avec une extrême vigueur. 

MM. Vigors ct Horsfield ont donné la figure, 
dans le Zoological Journal, d’un kahau dont le 
nez était complétement retroussé, et l’angle facial 
un peu plus ouvert que dans l'espèce ordinaire, Ils 
ont proposé de lui appliquer le nom de nasalis re- 
curvus, en lui donnant pour caractères les particu- 
larités suivantes : la tête, le cou, les épaules, les 
cuisses en dessus, roux; le ventre à teintes beau- 
coup plus claires; le milieu de la région dorsale 
d’un rouge grisâtre; les parties internes des bras, 
des cuisses, du bas du dos et du dessus de la queue 
grises, la partie inférieure de celle-ci blanchôtre : 
de plus la peau dénudée de sa face étoit rouge au 
lieu d’être noire, et sa taille étoit d’un tiers moin- 
dre que celle du kahau ordinaire. Cet individu, 
qui provenoit de Bornéo, n’avoit que vingt pouces 
de longueur à partir du vertex jusqu’à la naissance 
de la queue. Tout porte à croire que c’étoit un in- 
dividu peu âgé; et cette opinion est d’autant plus 
probable qu’on sait que le pelage des jeunes singes 
diffère beaucoup de celui des adultes, et que leur 
angle facial, beaucoup plus ouvert, finit par éprou- 
ver un notable changement. Quant au nez relevé, 
on conçoit encore plus aisément les nombreuses 
variations de forme que peuvent éprouver les car- 
tilages mobiles qui en forment les parois. 


7 mr | 
LE SEMNOPITIHÉQUE AUX MAINS JAUNES, 


Semnopithecus flavimanus. Isin. GEOFF. 
SAINT-Hiz, (1). 


Par la disposition des poils de sa tête, cette espèce 
se rapproche beaucoup des semnopithecus melalo- 
phos et semnopithecus comatus, mais ses couleurs 
la caractérisent très bien. 

Le dessus du corps est couvert de poils d’un roux 
clair ct de poils noirs mêlés ensemble, d’où résulte 
une teinte générale d’un roux noirâtre, dont il est 
difficile, sans le secours d’une figure, de donner une 
idée exacte. Les poils noirs sont beaucoup moins 
abondants, et par conséquent la teinte rousse beau- 
coup plus pure que le dos, 

La face interne des bras cst de même couleur que 
le dessus du corps; elle présente aussi deux sortes de 
poils. 


(‘) Zn Cent. zool. de Lesson, pl. #40 ;et Voy. auxIndes 
orientales de Bélarger , p. 74. 
4 


DES MAMMIFÉÈRES. 


Ïl en est encore de même de la face supérieure de 
la queue, qui, au contraire, à sa face inférieure, est 
blanche dans son premier quart, puis rousse dans 
sa portion terminale. Son extrémité est d’un roux 
pur en dessus comme en dessous. 

La région externe des membres postérieurs et des 

avant-bras, et les mains, sont d’un beau fauve doré, 
très foncé, passant au roux sur les cuisses et les 
avant-bras , très éclairci sur les doigts. 
_ La région externe des membres, le dessous du 
corps et de la tête, et de très longs poils qui gar- 
nissent la face postérieure des joues sont blancs ; 
c’est surtout ce caractère qui distingue, au premier 
aspect, le semnopithecus flavimanus du semnopi- 
1hecus melalophos. 

Le front et les côtés de la tête jusqu'aux oreilles 
sont couverts de poils de longueur ordinaire, d’un 
beau fauve doré, tirant sur le roux. Les poils du 
milieu de la tête et de la nuque sont, au contraire, 
très longs, et forment une sorte de huppe compri- 
mée; disposition que l’on trouve chez les semnopi- 
thecus melalophos et comalus. 

Mais tandis que, dans ces deux espèces, la huppe 
est noire, elle est d’un blanc sale chez le semnopi- 
thecus flavimanus, à l'exception de sa partie la plus 
antérieure qui est noirâtre. 

La face, autant qu’il est possible d’en juger par 
des pelleteries préparées, est noirâtre; mais les pau- 
pières sont blanches. Les ongles sont brunûtres. 

La taille et les proportions de cette espèce sont, 
en général, celles du semnopithecus melalophos ; 
seulement la queue est un peu plus longue. 

Le semnopithèque à mains jaunes habite Sumatra, 
d'où il a été envoyé au Muséum par MM. Diard et 
Duvaucel. Il paroît aussi exister à Java, d’après le 
dire de M. Bélanger. 


ILE SEMNOPITHÈQUE À CAPUCHON. 


Semnopithecus cucullatus. Isin. G£orr. 
SAINT-HiL. (1), 


On a donné à cette espèce le nom de cucullatus 
pour rappeler une disposition de couleurs qui est 
caractéristique pour elle. Le dessus et les côtés de la 
tête, et la gorge, sont d’un brun fauve, qui, par sa 
teinte très claire, tranche d’une manière remarquable 
avec le reste du pelage, qui est brun sur les flancs, 
les lombes et les fesses; noirâtre sur la ligne mé- 
diane du dos et sur les cuisses, les jambes, les bras; 
enfin, d’un noir pur sur les avant-bras, les quatre 
mains et la queue. 


() Voyage de Bélanger aux fades orientales, partie 
zoologique, p.72, pl. I. 
LE 


‘ 


225 


Le dessous du corps et la face interne des bras et 
des cuisses sont couverts de poils noirâtres peu abon- 
dants ; la gorge l’est de poils d’un brun fauve, très 
clair-semés. 

Les ongles sont noirs. La face, en grande partie 
nue comme chez les autres semnopithèques, est en- 
tourée presque entièrement d’un cercle de soies 
noires, roides et assez longues. Ces soies sont, sur 
les côtés de la face, peu nombreuses et dirigées en 
dehors; elles sont, au contraire, sur le front, très 
abondantes et dirigées plus ou moins régulièrement 
en haut. Cette disposition se trouve également chez 
quelques autres semnopithèques, principalement 
chez l’entelle. 

Les oreilles sont revêtues de poils noirs, assez 
roides, qui tranchent par leur couleur au milieu des 
poils bruns-fauves du reste de la tête. 

Les poils du corps sont généralement moelleux 
et assez longs (ils ont de 2 à 4 pouces ); ceux des 
membres et de la face supérieure de la tête sont 
moins longs ( un pouce à un pouce et demi). Ce- 
pendant, près des oreilles, les poils de la tête elle- 
même égalent presque les plus longs poils du corps. 
Enfin, on remarque sous le menton un bouquet de 
poils dirigés en bas, et dont une partie sont assez 
longs. 

Ce singe présente d’ailleurs tous les caractères des 
semnopithèques. Ses pouces antérieurs sont très 
courts, ses formes grêles et élancées , et surtout sa 
queue très allongée, ainsi qu’on en jugera par les 
mesures suivantes : 


Pieds. Pouc. 
Longueur totale du bout du museau à 


l’origine de la queue. . . 4 10 
————— dela queue, «+ « « + + 1 8 


Le semnopithèque à capuchon habite les monta- 
gnes des Gates : c’est à M. Leschenault de la Tour 
que la découverte en est due. 

M. Bélanger a également rencontré cette espèce 
dans les Gates occidentales, et il a eu occasion d’en 
voir plusieurs individus à la côte du Malabar, chez 
des Anglois qui étoient facilement parvenus à les 
apprivoiser. 

M. Dussumier en a aussi rapporté plusieurs indi- 
vidus de Bombay. 


LE SEMNOPITHÈQUE A FOURRURE. 


Semnopithecus vellerosus. Isip. G£orr. 
SaNt-Hiz. (1). 


On ne connoît cette espèce que par une peau in- 
complète déposée au Muséum par M. Delalande, et 


_{") Voyage de Bélanger aux Indes, part. z001., p. 70, 
29 


226 


qu’il avoit achetée, en 4816, au Brésil, où elle avoit 
été vraisemblablement apportée du continent de 
l'Inde ou de l’un des archipels indiens. Mais elle est 
tellement caractérisée par ses couleurs et par la na- 
ture de son pelage, qu’il est impossible de conserver 
aucun doute à son égard. 

Le corps et le dessus de la tête sont d’un noir 
lustré. Les poils ont un aspect soyeux, brillant, 
qui rappelle le pelage du coïta. La gorge et le des- 
sous du cou sont couverts, au contraire, de poils d’un 
blanc sale, très moelleux et un peu frisés. Les bras 
sont noirs comme le corps. Les cuisses et le haut des 
jambes sont noirs comme les bras ; mais il existe de 
chaque côté, sur la partie postérieure et interne de 
la cuisse et sur les fesses, une grande tache d’un gris 
clair, qui passe au fauve autour de la callosité. 
Les poils qui composent cette tache sont, pour la 
plupart, d’un blané grisâtre; mais un assez grand 
nombre de noirs se trouvent mêlés parmi eux. La 
queue est tout entière blanche, L'état de la peau que 
j'ai examinée ne m’a pas permis de connoître la cou- 
leur des avant-bras, des mains, du bas des jambes, 
des pieds et de la face. 

Les poils des membres et de la queue sont assez 
courts ; ceux de la tête sont un peu plus longs; mais 
les plus longs de tous sont ceux de la partie supé- 
rieure du corps et des flancs, qui ont jusqu’à 5, 6 et 
7 pouces. Ceux des flancs sont un peu plus longs que 
ceux du milieu du dos. Fous ces longs poils sont 
lisses, couchés, dirigés en arrière ; ceux du dessous 
du corps sont, au contraire, un peu frisés et disposés 
très irrégulièrement. 

La taille du semnopithèque à fourrure est la même 
que celle du douce , avec lequel il a beaucoup de rap- 
ports. Néanmoins, il sera toujours facile de distin- 
guer le semnopithecus vellerosus, soit du douce, soit 
du semnopithecus leucoprymnus, dont il est éga- 
lement voisin par la taille, les formes et la colora- 
tion. Le meilleur caractère que l’on puisse citer 
pour établir cette distinction, est celui de la tache 
grise des fesses, qui est bornée à peu près au ni- 
veau des callosités, et ne se prolonge point au-des- 
sus de l’origine de la queue; origine qui est, au 
contraire, cachée sous les longs poils noirs du bas 
du dos. 


oo 


LES SEMNOPITHÈQUES 
NESTOR ET BICOLORE. 


Le nEsTOR (S. nestor) (1), dont la patrie est igno- 
rée, vit probablement dans l’Inde comme ses 


(1) S. saturè cinereus; capite, prymnä, femoribus 
postioô, caudäque pallidioribus ; {Ho fusco cincto, 


# 


HISTOIRE NATURELLE 


congénères. Le semnopitheeus bicolof (1), que 
l’on suppose de la côte d'Afrique, a la peau gé- 
néralement noire ; les tempes, les joues, le menton 
et la gorge couverts de poils blancs. Le front est 
ceint d’une bandelette blanche. Les poils des tem- 
pes, des joues, de la gorge, sont très longs, dirigés 
en arrière et cachent entièrement les oreilles. Ceux 
du menton sont dirigés partie en avant et partie en 
bas ; ceux du reste de la tête, du tronc et des mem- 
bres (les fesses exceptées) sont noirs. Ceux du dos, 
depuis le cou jusqu’à la naissance de la queue, sont 
remarquables par leur longueur ; ils sont épais, 
doux, soyeux et couchés. Sur la poitrine et sur le 
ventre ils sont beaucoup plus courts et plus clair- 
semés. Sous l’espace culleux, les fesses sont d’un 
blanc légèrement mélangé de noir, ce qui est dû à 
ce que chaque poil est noir, puis blanc, à sa pointe. 
La queue est entièrement d’un blanc sale. 


LES COLOBES. 


Colobus. ILuic. 


Sous le nom de full-bottom-monkey Pennant avoit 
figuré, dans son Histoire des Mammifères, tome I, 
planche 24, un grand singe que Screber a représenté 
planche 10 B, et que Buffon a décrit sous le nom 
de guenon & camail (Supplément, t. VII, pl. 47). 
Illiger le prit pour type du genre qu’il appela co- 
lobus, et dont on ne connoît qu’un seul individu 
conservé dans la collection de M. Temminck. Ces 
colobesressemblent aux semnopithèques par la forme 
de leur tête, et par le nombre et la disposition de 
leurs dents. Ce qui les en distingue est de manquer 
complétement de pouce aux mains (chez les semno- 
pithèques il est rudimentaire), et par conséquent de 
jouer près des singes de l’ancien continent le même 
rôle que celui des atèles parmi les espèces du Nou- 
veau Monde. Toutefois les colobes sont très mal 
déterminés, et la place qu’on leur assigne dans les 
tableaux méthodiques éprouvera sans doute des 
changements lorsqu’ils auront été étudiés avec soin. 
Illiger traça ainsi les caractères de ces grands sin- 
ges, dont le nom vient du grec xole6vs, mutilé : Leur 
face est obtuse, dénudée ; les narines ne sont sépa- 
rées que par une mince cloison, et des abajoues 
occupent les côtés de la face; leur queue est longue, 
couverte d’un poil lâche et disposé en flocon à l’ex- 


hac apicem mystacibus longioribus ; labiis mentoque 
albidis ; facie, auribus, mantibusque nigris, artubus 
nigrescentibus. Bennett, Proceed., t. III, p. 67. 

() Wesmaël, journ, l'Institut , no 116, p. 245, cabi- 
net de Bruxelles. 


DES MAMMIFÈRES. 


trémité ; les deux mamelles sont placées sur la poi- 
trine ; les mains sont réduites à quatre doigts par 
l’absence du pouce; les pieds ont cinq doigts termi- 
nés par des ongles aplatis ; les fesses sont dénudées ; 
le corps est mince, et les membres sont grêles. 

Les habitudes des colobes ne sont point connues. 
Ce sont des singes de l'Afrique occidentale très rares, 
puisque leurs dépouilles ne se trouvent point dans 
les grandes collections publiques, et dont on ne dis- 
tingue que deux espèces. 


—: 


pue LE COLOBE A CAMAIL. 


Colobus polycomos. GEOFr. (1). 


Ce colobe, que quelques voyageurs nomment le 
roi des singes, a été appelé par Buffon guenon à 
camail, parce que ses épaules, le haut du dos et 
le cou, sont revêtus d’une épaisse fourrure formée 
de poils très longs qui lui recouvrent cette partie 
comme le feroit un camail. Ce singe a, dit-on, trois 
pieds de hauteur lorsqu'il se tient debout, et sa queue 
est plus longue que le corps; les poils allongés qui 
recouvrent en forme de crinière aussi bien le som- 
met de la tête que le tour de la face, le cou, et les 
parties supérieures du tronc, sont flottants et colo- 
rés en jaune que tache du brunâtre ; tout le reste du 
pelage est très court, formé de poils noirs très lui- 
sants qui tranchent avec la blancheur de la queue, 
que termine un long flocon de même teinte. La cou- 
leur de la face du colobe à camail, et les parties 
dénudées des mains et des pieds, sont d’un noir très 
intense. 

Les Nègres d'Afrique recherchent la peau de ce 
singe pour se faire des ornements de guerre. Bien 
que sa patrie ne soit point éloignée de l’Europe, 
puisqu'il vit dans les forêts de Sierra-Leone et au 
Congo, nous ne savons rien de ses mœurs, de ses ha- 
bitudes ; et les descriptions de nos livres d’histoire 
naturelle ne reposent que sur des peaux mutilées 
qui ne nous peignent pas même avec exactitude ses 
formes matérielles. 


() Pennant, Qadrupèdes, 1. 1, p. 197, pl, 24 ; Scre- 
ber. pl, 10 D; Buffon, Supplément, t. VII, pl. 17 : 
simia comosa , Shaw : le roi des singes, Encyclopédie, 
pl. 15, fig. 3 ; Desmarest, Mammifères, p. 53. 


227 


(0 mm | 
LE COLOBE FERRUGINEUX. 
Colobus ferruginosus. ILLiG., GEOrr. (1). 


Quelques naturalistes supposent que le colobe fer- 
rugineux n’est qu'une variété de celui à camail, et 
cette opinion a principalement été émise par M. de 
Lacépède. Cependant des différences dans les cou- 
leurs du pelage autorisent à l’en distinguer comme 
espèce à laquelle on devra même réunir le colobe 
que feu Kuhl décrivit dans la collection de M. Tem- 
minck, et qui faisoit partie du riche cabinet de Bul- 
lok à Londres. 

Le colobe ferrugineux est un peu plus petit que 
celui à camail, auquel il ressemble par ses membres 
déliés et par la longueur et la minceur de sa queue. 
Son pelage est presque en entier de couleur ferru- 
gineuse foncée sur le dos, très claire sur les joues et 
en dedans des membres, tandis que les poils de la 
tête et de la queue sont d’un noir intense, couleur 
qui est propre également à la peau de Ja face, des 
mains et des pieds. Toutefois il ne paroït pas que ces 
teintes soient toujours bien constantes, puisque l’in- 
dividu décrit par Kuhl sous le nom de colobe de Tem- 
minck avoit les mains, la face et les poils de la queue 
d’un roux pourpré, les membres d’un roux plus 
clair, et le ventre d’un jaune roussâtre, tandis que 
la tête, le cou, le dos, les épaules et la région externe 
des cuisses, étoient noirs. Cet individu, mesuré de- 
puis le bout du nez jusqu’à l’origine de la queue, 
avoit un pied sept pouces six lignes de longueur, 
tandis que la queue, dont une partie avoit été coupée, 
présentoit dans ce qui restoit environ un pied, 

Tout porte à croire que le colobe ferrugineux est 
de la côte occidentale d'Afrique ; mais on ne possède 
aucun renseignement à ce sujet. 

Le COLORE GUEREZA (?) est une magnifique espèce 
qui viten Abyssinie par petites familles, et qu’a dé- 
couverte le voyageur allemand Ruppell. Ce singe est 
vif, agile, sans être bruyant, et d’un naturel inof- 
fensif. Il se nourrit de fruits sauvages, de graines et 
d'insectes. Les provinces où on le rencontre plus 
particulièrement sant celles de Godjam, Kouil et 
Damot. Le nom de guereza est abyssin. Deux seules 
couleurs teignent le pelage de ce beau singe, le noir 
profond et le blanc pur. Les poils des flancs s’allon- 


(‘) Bay monkey, Pennant, Quadrupèdes, t. I, p. 203: 
guenon , Buffon, Supplément, t. VI, p. 66 : simia fer- 
ruginea , Shaw : colobus ferrugineus, Geoffroy, Ann. 
du Mus., t.XIX, p. 92; Desmarest, Mammifères, 
p. 53, esp. 9 : colobus Temminckit, Kuhl; Desmarest, 
Mammifères, p. 53, esp. 10. 

(2) Colobus guereza, Rupp., pl. I; Neue Wirbelt, 1835; 


| mag. s00l., 1836, pl. 18. 


228 


gent sur les côtés en franges de housse d’un beau 
blanc, et la queue est terminée par un gros flocon 
de cette couleur. Un masque neigeux encadre le noir 
de la face. Ce singe a ses canines énormément dé- 
veloppées. 


RE ———————— 


“ 


LES GUENONS. 


Cercopithecus. ErxL. (1). 


4 


Les distinctions qui ont été établies entre les sem- 
nopithèques asiatiques, les guenons africaines, et 
les macaques aussi d'Asie, sont fugaces et légères, 
et ne permettent point d'isoler ces groupes par des 
caractères saisissables dès le premier aperçu. De là 
sont nées ces opinions si variées et si nombreuses 
dans le classement de ces divers singes ; de là découle 
cette incertitude de synonymie si embarrassante pour 
les naturalistes, et qui laisse tant d’arbitraire et tant 
de vague dans l’histoire de chacun de ces animaux. 
Nous ne rappellerons pas les idées émises à ce sujet 
par plusieurs écrivains, nous ne pourrions en tirer 
de lumières pour notre sujet. Les principes de no- 
menclature sont si variables de leur essence, et sont 
tellement influencés par les théories zoologiques, 
que le temps doit sans cesse amener des révolutions 
nouvelles dans ce qui est regardé comme vrai au jour 
où l’on écrit. Nous nous contenterons donc d’offrir 
l’état réel de la science au moment actuel, en résu- 
mant avec le plus de clarté possible ce que l’on sait 
de plus avéré sur ces diverses familles de singes. 

Les guenons suivent les semnopithèques dans tous 
les tableaux méthodiques. Ce n’est pas cependant 
que les macaques n’aient plus d’analogie avec ces 
singes à longue queue ; mais les guenons n’ont point 
de rapport avec les cynocéphales, et les macaques 
au contraire en ont beaucoup : il a donc paru con- 
venable d’intervertir l’ordre naturel. 


Les attributs généraux des guenons sont d’avoir 
une taille médiocre, et des membres dont les pro- 
portions correspondent avec le volume du corps. 
Par cela elles se distinguent des semnopithèques sans 
doute dès la première vue; mais leurs abajoues ne 
permettent plus de les confondre lorsqu'on vient à 
examiner cette poche buccale. Enfin un caractère 
anatomique plus obscur est celui que présentent les 
dernières dents molaires inférieures, de n’avoir que 
quatre tubercules sur leur couronne. 

Les guenons, envisagées dans l’ensemble de leurs 
formes, sont des singes dont la tête arrondie se 
projette en avant en un museau assez saillant dont 


() Simia, Linnæus : cercocebus, Geoffroy : cercopi- 
thecus , singe à queue, nom usité chez les Grecs. 


HISTOIRE NATURELLE 


l’angle facial est d’environ cinquante degrés. Leurs 
oreilles, médiocres et arrondies, ressemblent assez 
aux oreilles de l’homme; le nez toutefois est aplati, 
et des abajoues amples leur permettent d’entasser 
dans leurs replis les fruits que ces animaux vont 
piller dans les vergers; leurs dents, au nombre de 
trente-deux, sont semblables à celles des semnopi- 
thèques, dont elles ne diffèrent que par un tubercule 
de moins aux molaires inférieures ; leur estomac, 
arrondi et simple, n’est point divisé en deux poches 
ainsi que l’est celui du semnopithèque à croupion 
blanc et du kahau : il dénote un régime purement 
frugivore, tandis que le genre de nourriture des deux 
singes que nous venons de nommer semble être plus 
particulièrement approprié aux feuilles et aux bour- 
geons des arbres. 

Les guenons vivent dans les forêts ; les arbres sont 
leurs demeures les plus ordinaires et les plus sûres, 
et la prestesse de leurs mouvements leur permet 
d’en parcourir la profondeur avec rapidité et avec 
aisance ; sauter par bonds rapides, s’élancer de bran- 
che en branche, est chez elles l'allure la plus habi- 
tuelle et celle qui est le mieux accommodée à leurs 
mouvements. La locomotion sur les quatre extré- 
mités est au contraire embarrassée, difiicile, et ne 
peut même s’exécuter qu'avec gaucherie. Ce n’est 
point pour un genre de vie terrestre que ces animaux 
furent créés. 

Les guenons, dont le nom françois est sans doute 
corrompu du mot gnome, et qui dans le langage 
figuré est devenu le synonyme d’une face laide, gri- 
macière et grippée, ont des mœurs irascibles, colé- 
riques, des mouvements capricieux et brusques, 
une intempérance de désirs, une mobilité d’imagi- 
nation qui surpasse tout ce qu’on peut supposer de 
plus variable et de plus inconstant. Moins libidineux 
que gourmands, ces singes sont indociles, peu édu- 
cables ; ce n’est que par l'abus de la force qu’on par- 
vient à les dresser, à les plier à l’obéissance. Leur 
rancune pour les mauvais traitements qu’ils ont reçus 
subsiste dans toute sa vigueur pendant des années 
entières, Prises jeunes toutefois les guenons se fa- 
connent à une nouvelle existence, et se dressent aux 
grimaces et aux jeux que leur enseignent leurs mai- 
tres pour intéresser la commisération publique. 

Toutes les espèces connues des guenons sont d’A- 
frique. Les auteurs les divisent en deux tribus qui 
sont assez distinctes, bien qu’on ne puisse convena- 
blement les caractériser. La première comprend les 
vraies guenons, dont l’angle facial est de cinquante 
degrés, et dont les yeux ne sont pas surmontés de 
crêtes sourcilières ; leur nez est plat et ouvert à la 
hauteur des fosses nasales. Telles sont les guenons 
mone, moustac, hocheur et blanc-nez. La deuxième 
tribu, que M. Geoffroy Saint-Hilaire a appelée cer- 
cocèbe (cercocebus), a le muscau plus log, le front 


DES MAMMIFÈRES. 


fuyant en arrière, l’angle facial de quarante-cinq de- 
grés, le bord supérieur de l'orbite relevé et rehaussé 
en dedans, le nez plat et haut. Les cercocèhes éta- 
blissent ainsi le passage des guenons aux macaques ; 
mais ces distinctions peu nettes et peu distinctes n’ont 
point encore été universellement adoptées. Les cal- 
litriche, vervet, griset, malbrouk, patas et man- 
gabey, sont les types de cette seconde section. 


LA GUENON MONE. 
Cercopithecus mona (1). 


Le kèbe, dit Aristote, est un singe à lonque queue: 
et de cette phrase plus qu'incomplète Buffon a tiré 
Ja conclusion que le kebos des anciens Grecs devoit 
être la mone. Toutefois rien n’est moins prouvé. 

Ce singe est remarquable par ses formes gracieuses 
et élancées, par la rare élégance des couleurs de son 
pelage, et par les justes proportions de ses diverses 
parties. Les poils qui le recouvrent sont partout 
abondamment fournis, partout à peu prés de même 
longueur, excepté sur les joues, où ils forment deux 
grosses toufles épaisses qui retombent sur le cou en 
enveloppant le bas de la face. 

Le dos, les parties supérieures du corps, et les bras 
en dehors, sont d’un roux marron vif, tirant sur le 
brunâtre sur le dos, les reins et la nuque; des poils 
un peu redressés, variés de vert doré lustré, recou- 
vrent la tête, et sont séparés des épais favoris par 
un bandeau noir : ceux-ci sont d’un jaune clair uni 
qui tranche avec la couleur de chair de la face et des 
oreilles. Toutefois le haut du visage, ainsi que le 
tour des yeux, sont bleuâtres ; la région interne des 
cuisses, des jambes et des bras, est d’un gris bleu 
ardoise : c’est aussi la teinte qui est propre à la queue 
dans toute son étendue. Peux larges taches oblon- 
gues et blanchâtres se dessinent sur les fesses, et dis- 
tinguent nettement cette guenon; mais elles man- 
quent quelquefois, tel qu’on en à un exemple dans 
le mona de Buffon. Les côtés de l’abdomen et le 
dessous du corps, de même que le dedans des mem- 
bres, sont recouverts de poils d’un blanc pur, les 
surfaces nues des pieds et des mains sont d’un bru- 
nâtre clair, ou d’une couleur de chair livide. 

La queue de la mone est longue, brunâtre, et n’est 


(‘) La mone, Buffon, t. XIV, pl. 36 et pl. color. 
Do 252; et le mona, Supplément, pl. 19; Audebert, 
Singes, quatrième famille, pl. 7 : simia mona et mo- 
nacha, Screber, pl. 15 A et 15 B:varied monkey , 
Pennant, Quadrupèdes ; Encyclopédie, pl. 11, fig. 4: 
simia mona, Linnæus; Erxleben, sp. 10, p.32: la 
mone, Fr. Cuvier, Mammifères, pl. 13, in-4o, et p. 44; 
G. Cuvier, Règne animal , 1.1, p.92; Gcoffroy Saint- 
Bilaire , huitième leçon sténographiée, p. 49. 


229 


point terminée par un pinceau de poils ; ses ongles 
sont aplatis et noirâtres. Ses dimensions les plus or- 
dinaires sont les suivantes. Le corps, mesuré depuis 
le museau jusqu’à l’anus, a dix-sept pouces et quel- 
ques lignes, et la queue vingt-trois à vingt-quatre. 
Posée sur ses quatre pattes, sa hauteur est d’à peu 
près douze pouces aux épaules et dix-huit au bassin, 
Sa tête est petite, arrondie; son front est élevé, et 
son nez est peu saillant : les poils qui bordent les 
callosités des fesses sont roussâtres. 

L'individu qui a servi de type à la figure publiée 
par M. Frédéric Cuvier a été conservé vivant dans la 
ménagerie du Muséum. Venu très jeune en France, 
il a conservé dans la captivité l’extrème douceur et 
la profonde indolence qui le caractérisoient alors; 
en vieillissant, ses membres ont acquis de la vigueur 
et une agilité surprenante. Cet intéressant animal, 
observé avec soin par M. Frédéric Cuvier, lui a paru 
cireonspect dans ses actions et persévérant dans ses 
désirs, sans avoir jamais recours à la violence. 
« Lorsque après avoir bien sollicité on persiste à re- 
fuser quelque chose à la mone, dit ce savant, elle 
fait une gambade et semble occupée d’autre chose ; 
elle n’a acquis aucun sentiment de propriété : elle 
prend ce qui lui plait, les objets qui lui ont attiré 
des punitions comme les autres, et a une adresse ex- 
trême pour exécuter ses rapines sans bruit. Ce singe 
ouvre les armoires qui ont leur clef en tournant 
celle-ci; il défait les nœuds, ouvre les anneaux d’une 
chaine, et cherche dans les poches avec une délica- 
tesse telle que souvent on ne sent pas sa main, quoi- 
qu’on sache qu’elle vous dépouille. C’est l'examen 
des poches qui lui plaît le plus, parce que sans doute 
il y a souvent trouvé des friandises qu’on vouloit 
qu’il y trouvât, etil y foaille sans mystère ; ordinai- 
rement il débute par là dès qu'on s'approche de lui, 
et semble chercher dans les yeux des motifs d’espé- 
rance. Il n’est pas très affectueux : cependant lors- 
qu'il est tranquille, et que rien ne le préoccupe, il 
recoit avec plaisir les caresses, et il répond avec grâce 
lorsqu'on veut jouer avec lui; alors il prend toutes 
les attitudes possibles, mord légèrement, se presse 
contre vous, et il accompagne toutes ces gentillesses 
d’un petit cri assez doux, et qui semble être pour 
lui l’expression de la joie. Jamais il ne fait aucune 
grimace ; sa figure, bien différente de celle de la 
plupart des autres singes, est au contraire toujours 
calme, et paroîtroit même sérieuse; et quoiqu'il soit 
mâle, il n’a jamais manifesté la Jubricité qui rend 
la plupart des singes si dégoütants. » 

Par ses formes gracieuses la mone est une des es- 
pèces de singes les plus intéressantes ; la délicatesse 
de ses manières, la gentillesse de ses mouvements, 
la douceur de son caractère, l’heureuse harmonie 
des couleurs qui teignent son pelage, tout peut la 
rendre l’objet d’une vive bienveiilance. En liberté 


230 


ce singe paroît exclusivement se nourrir de fruits; 
mais en captivité on lui voit manger de la viande 
_ cuite, du pain et des insectes. On le trouve sur la 
côte occidentale d'Afrique, très probablement en 
Guinée ; et non en Barbarie, ainsi que quelques au- 
teurs le pensent. 


LA GUENON DIANE. 
Cercopithecus diana. GEOrr. (1). 


La guenon à laquelle les naturalistes ont donné 
le nom de diane, par rapport au croissant de poils 
blancs encadrés de noir qui lui surmonte le front, 
est svelte dans les diverses proportions du corps. 
Sa tête arrondie se termine en avant par un museau 
obtus et assez saillant, bien que son front soit no- 
tablement bombé; ses yeux, médiocres et enfoncés, 
sont entourés d’une peau nue bleuâtre, et le nez et 
les lèvres affectent une couleur de chair livide; ses 
oreilles sont petites, arrondies, et en partie cachées 
par les poils épais des côtés de la tête; des poils touf- 


fus et allongés revêtent en grande abondance les- 


joues et le dessous du menton : la queue, aussi lon- 
gue que le corps, égale dans toute son étendue, est 
recouverte de poils noirs uniformément serrés; elle 
est longue de dix-huit pouces, et un peu moins par 
conséquent que le corps, qui en a vingt-un à vingt- 
deux : un noir foncé teint les poils de la tête, qui 
sont courts et serrés; sur le front se dessine le ban- 
deau blanc dont nous avons déjà parlé; un brun gris 
teint les épais favoris des côtés des joues; la poi- 
trine, la région abdominale, le dedans des caisses 
et des bras, sont recouverts de poils blanchâtres ; 
les poils de tout le dessus da corps au contraire sont 
noirâtres et annelés de blanc jaunâtre, ce quileur 
donne une teinte généralement brune-verdâtre; les 
bras, les cuisses et les jambes sont noirâtres, et la 
peau dénudée des mains et des pieds est aussi de 
cette couleur; un cercle blanchâtre entoure les cal- 
losités des fesses, qui sont rouges. Quelques indi- 
vidus ont le pelage assez uniformément noirâtre en 
dessus ; des favoris noirs, tiquetés de brun et de 
jaune; du jaunâtre dans le blanc du croissant du 
front, et enfin une petite touffe blanche sous le men- 
ton. La face est colorée en violâtre passant au bleu 


(:) Simia faunus et roloway, Linnæus , Ac. ac. hol., 
t. VI, p. 213 : exquima, Marcg.: le roloway, Alla- 
mand; Buffon, t. XV, p. 77, pl. 13: la palatine et la 
diane , Encyclopédie, pl. 41, fig. 4, et pl.14, fig. 4 : la 
diane, Audebert, Singes, fam. 4, pl. 6; Fr. Cuvier, 
Mammifères, pl. 14, p. 47: simia diana et roloway, 
Screber, pl. 14 et 25 : eercopithecus diana:, Geoffroy, 
Ann. du Mus., t. XIX, p. 96; Desmarest, Mammi- 
fères, esp, 2#; G, Cuvier, Règne animal, 1,1, p, 92, 


HISTOIRE NATURELLE 


sur les pommetles et sur les joues, et au rougeâtre 
à l’entour du museau et sur les paupières. 

La diane, recouverte de poils très épais en des- 
sus, à le dessous du corps presque nu; la couleur de 
sa peau est violâtre. 

Une variété décrite par Linnæus sous le nom de 
roloway présentoit du blanc sur la poitrine, et en 
haut et en devant de la cuisse, dont la partie externe 
étoit de couleur ferrugineuse. La forme du croissant 
offroit aussi quelques différences ; peut-être cette mo- 
dification provenoit-elle de l’âge. 

Enfin l'individu figuré sous le nom de diane par 
Audebert ressemble assez au roloway de Linnæus, 
et diffère beaucoup de la planche de M. Cuvier. Dans 
le singe représenté par Audebert le croissant est à 
peine marqué, les favoris sont blancs, et une longue 
barbe blanche pointue tombe en flocon sur la poi- 
trine, également de couleur blanchâtre. Tous les 
poils du corps sont noirs, terminés de blanc, et un 
large delta marron-vif naît du dos et s’élargit sur les 
reins ; les cuisses, dans le haut, sont encore ferru- 
gineuses. Or cette description légitimeroit assez la 
distinction de la diane et du roloway, que presque 
tous les zoologistes réunissent. 

La diane habite la côte occidentale d'Afrique, et 
notamment la Guinée et le Congo, où les Nègres lui 
donnent le nom d’exquima, 


En 


LA GUENON HOCHEUR. 


Cercopithecus nictitans (1). 


De même forme et de même taille que la guenon 
mone, celle qu’on nomme le hocheur, à cause de son 
habitude de remuer la tête, a ses membres propor- 
tionnés; sa queue, très longue, égale dans toutes 
ses parties, et un pelage uniformément brun-gris 
tiqueté de vert, ce qui est dû à ce que les poils sont 
annelés de jaune, de brun, de gris et de verdätre, 
sur le corps principalement ; car ils tirent visible- 
ment au brun sur les parties externes des membres, 
et au noir sur les bras et les avant-bras, La queue 
est brune dans toute son étendue, et ne se termine 
point en un bouquet de poils; sa longueur est d’en- 
viron vingt-six pouces, tandis que le corps, y com- 
pris la tête, n’en a au plus que dix-neuf à vingt. Mais 
ce qui distingue au premier aspect ce singe est la 


() Desmarest, esp. 20 : autre singe à longue queue 
d'Angola , Marcg., Bras., p. 227 : simia nictitans, 
Linnæus; Erxleben, esp. 13 : quenon à nez blanc pro- 
éminent, Buffon, t. XII, pl, 18 ; Encyclopédie, pl.7, 
fig. 4: le hocheur, Audebert, Singes, fam. 4, pl.2; 
Fr. Cuvier, Mammif., pl. 15, p. 50 , édit, in-4°; G. Cu- 
vier, Régn. anim.,t. 1, p.93; Geoffroy Saint-Hilaire, 


, Leçons sténograph. , buitiéme leçon , p, 19. 


L Ge : 
* > 


peau noit-bleuâtre et dénudée de sa face, que domine 
en avant une large tache blanche qui se trouve oc- 
cuper l'extrémité du nez jusqu'aux narines, et qui 
est formée par des poils d’umblanc pur très courts, 
très serrés. La paupière supérieure est carnée et con- 
_ traste vivement avec le cercle noir-bleuâtre qui en- 
toure l’œil ; les mains, les pieds, aussi bien que les 
oreilles nt la forme est ample et arrondie, sont 
d’un brun mat très foncé. Des sortes de poils rudes 
et noirs sont implantés sur les lèvres; et Les poils qui 
recouvrent la tête et les joues, par leur abondance 
et par leur longueur, prêtent à ces parties une am- 
pleur plus considérable qu’elles n’en ont réellement : 
ces poils touffus sont d’un brun gris doré assez vif 
sur les arcades Sourcilières, qui sont très dévelop- 
pées, et sur les côtés de la face, où ils forment d’é- 
ais favoris. Egalement serré sur tout le dessus du 
corps; le pelage est seulement plus rare en dedans 
des membres, sur le ventre et la poitrine, où il prend 
une teinte brun-roussâtre tiqueté de blanc, et grise 
sous les aisselles. Chez cette espèce de singe le pouce 
de la main est plus allongé que dans la plupart des 
guenons, où ce doigt est souvent rudimentaire. 

Cette guenon, sur laquelle on ne possède point de 
renseignements particuliers, se trouve sur la côte 
occidentale d'Afrique, et vient le .plus ordinaire- 
ment de Guinée. 

La première mention qu’on ait du hocheur est 
celle des Voyages de Purchass (Pelgr., t. IE, p. 955), 
sous le nom de white nose monkey. La description 
de Marcgrave est assez précise pour faire reconnoître 
ce singe dans son angolensis alius. Pennant le dé- 

_ crivit d’après Linnæus, sous le nom de the winking 

monkey: et Audebert le figura d’après une mauvaise 

_ peau, et croyoit qu’il n’avoit point de callosités. Il 

- étoit réservé à M. Fr. Cuvier d’en donner un por- 

" trait très exact, dessiné d’après une jeune femelle 
vivante de la ménagerie du Muséum. 


Eh 
: 2e 
A ——— — 


La 


$ 
LA GUENON ASCAGNE OÙ BLANC-NEZ. 


4 Cercopithecus pelaurista. Erxz. (1), 


Allamand décrivit l’ascagne sous le nom de blanc- 
nez dans son édition de Buffon. fl en donna une fi- 


(‘) Simia petaurista, Linnæus , Gmelin; Erxleben, 
esp. 14, p. 35; Screber, pl. 19 B; Buffon, Supplém., 
LRU Encyclopédie, pl. 12, fig. 3 : l'ascagne et le 
blanc-nez, Audebert, Singes, fam. 4, pl. 14 et 15: 
le blanc-nez, simia aurista, G. Cuvier, Mén. du 

Mus.,p. 5, édit. in-fol. : cercopithecus ascanius, Fr. 
Cuvier, Mammif., pl. 16, p. 52, édit. in-4o ; G. Cuvier, 
Règne animal, 1. 1, p. 93; Geoffroy Saint-Hilaire $ 
Cours siénographié, huiliéme leçon, p. 19. 


à 
. … DES MAMMIFÈRES. 


231 


gure médiocre à la planche 39. Plus tard Audebert 
publia les descriptions de deux singes qu’il nomma 
ascagne et blanc-nez, qui tous deux appartiennent 
à la même espèce, et par conséquent à celle primi- 
tivement figurée par l’éditeur hollandois que nous 
venons de nommer. M. G. Cuvier redressa cette er- 
reur dans l’histoire qu’il traça de l’ascagne ou blanc- 
nez dans le grand ouvrage intitulé Ménagerie du 
Muséum, et en donna une figure supérieurement 
gravée par Miger, d’après le vélin de Maréchal. 

Enfin, dans ces derniers temps, M. Fr. Cuvier a 
fourni un portrait colorié exact et gracieux d’un in- 
dividu femelle de cette guenon dans la planche 46 
de ses Mammifères lithographiés. 

L’ascagne n’étoit distingué du blanc-nez que par la 
couleur bleue de la face , au lieu du noir qui teint la 
peau de la seconde espèce : mais souvent cette teinte 
noire de la peau change de nature chez les singes à 
l’époque du rut, et devient turgescente, pourprée, 
ou bleuâtre, sans que ce soit sous ce rapport un ca- 
ractère distinctif. 

L’ascagne est remarquable par l'élévation de son 
front, le grand aplatissement de la racine du nez, et 
la saillie que fait le museau. Ses oreilles sont larges, 
arrondies, brunâtres ; d’épais favoris touffus flottent 
sur les joues, et garnissent le dessous du menton. 
Les couleurs qui se partagent les diverses régions 
de la tête sont assez tranchées. Ainsi tout le dessus 
du crâne est d’un vert jaune, plus brun sur le fronts 
La face est d’un noir bleu dans l’état de vie, et 
une large tache blanct e occupe l’extrémité du nez et 
une partie de la lèvre supérieure; les poils des joues 
et du menton sont légers, fins, et d’un gris clair ti- 
rant sur le blanc pur. La face, excepté le tour des 
Yeux, n’est point dénudée, mais bien recouverte de 
poils noirs très petits et très serrés ; les lèvres sont 
rubanées, c’est-à-dire peu épaisses et très étroites. 

Le pelage du dos, du dessus de la queue, et des 
parties externes des membres, est doux, SOyeux , 
verdâtre, légèrement teint de fauve sur la ligne ver- 
tébrale et sur la queue, tirant au gris clair en s’a- 
vançant vers les jambes et les mains ; le dessous du 
corps et de la queue, le dedans des bras et des cuis- 
ses, sont d’un blanc à peine teinté de grisâtre ; les 
doigts des pieds et des mains sont carnés, mais assez 
bruns en dessous ou plutôt violâtres. 

L’ascagne a de longueur totale, sans y compren- 
dre la queue, quinze pouces, et cette dernière n'en 
a pas moins de dix-huit ; lorsqu'il marche à quatre 
pattes, son élévation la plus grande du sol est de 
dix pouces, 

Un individu conservé vivant dans la ménagerie du 
Muséum étoit remarquable par son extrême dou- 
ceur et par sa confiante familiarité, Sa nourriture 
consistoit en carottes, en pommes et autres aliments 
de même nature; ses mouvements étojent pleins de 

RAR 


232 
grâce et de gentillesse, et son caractère ne démen- 
t point les charmes de son extérieur. 


’ascagne habite, comme les espèces précédentes, 
côte occidentale d'Afrique, en Guinée et au 


LA GUENON MOUSTAC. 


Cercopithecus cephus. GEorr. (:). 


©” La guenon moustac se reconnoît à sa face bleu 
de ciel, sur laquelle tranche un croissant d’un 
blanc de neige dont les extrémités embrassent les 
ailes du nez, et qui occupe la lèvre supérieure en 
simulant deux moustaches, d’où lui vient le nom 
de moustac, que Buffon lui donna le premier. Cette 
guenon a le corps et la tête longs de quatorze pouces, 
tandis que la queue à vingt-un pouces ; son front 
est ample et spacieux, son nez aplati, son museau 
un peu avancé; ses oreilles sont larges, arrondies 
et carnées ; sa tête est couverte de poils verdàtres 
plus foncés sur l’occiput que sur le front : ceux qui 
revêtent le cou, les épaules, les flancs, la croupe et 
la base de la queue en dessus, sont d’un vert brun ; 
les poils des cuisses sont d’un gris verdâtre, et ceux 
des membres d’un gris légèrement teinté de jaune, 
nuances dues à ce que chaque poil est coloré de 
gris à sa partie intérieure, et annelé de noir et de 
jaune très clairs sur les teintes grises, brunâtres 
aux parties brunes, et purs aux parties vertes ; le 
dessous du corps et le dedans des membres sont 
d’un gris qui s'étend sur la base de la queue, et qui 
se change dans les deux tiers de ce membre en 
roux vif; des flocons de longs poils sont implantés 
sur les joues, et sont d’abord teints de jaune bril- 
Jant entre les yeux et les oreilles, puis en jaunâtre 
très clair sur le bas des joues, et enfin en blanc pur 
sous le menton, où ils dessinent une sorte de barbe 
courte et médiocre ; des poils noirs forment une es- 
pèce de bandeau étroit entre le jaune des favoris et 
le vert du front et de la tête ; les testicules, la plante 
des pieds et la paume des mains sont de couleur 
 carnée. 

La guenon dont nous venons d’esquisser sèche- 


ment les caractères descriptifs est très peu connue’ 


sous le rapport de ses habitudes et de ses mœurs. 
Ce qu’on en sait se réduit à la dire douce, très ca- 
ressante, et très affectueuse pour les personnes 


(*) Cercopithecus barbatus alius quincensis, Marcg. 
Brass., p.228 : le moustac , Buffon, t. XEV, pl. 39, et 
pl. col. no 254; Audebert , Singes, fam. 4, pl. 2; En- 
cyclop. , pl. 13, fig. 2 : simia cephus , Linnæus ? ; Scre- 
ber, pl. 19, et simia monay pl: 45; Fr. Cuvier, Ham- 
mif., pl. 17, p. 54; D rest, esp. 17; G. Guvier, 
Règne animal, 1, 1, | ] 7 


HISTOIRE NATUREL ES 


l'OL ARE 


qui en prennent soin. à les espèces précé- 


dentes le moustac habite la côte occidentale de 
l'Afrique. 


LA GUENON TALAPOIN OU MÉLARIIN 


Cercopithecus talapoin. Gror 7 


Le talapoin que Buffon et Daubenton ont décrit, 
et dont M. Fr. Cuvier a figuré une jeune femelle 
planche 48 de ses Mammifères, est remarquable 
par la distribution singulière des couleurs qui se 
partagent la face. Ainsi le front jusqu'aux paupières 
supérieures est d’un blanc pur, 1 joues sont de 
couleur de chair, le nez est d’un noir intense, 
dis que le pourtour des lèvres et le mento 
blancs ; d’épais favoris blancs, arrondis, teints de 
jaunâtre et picotés de noir, entourent la face et 


s'arrêtent aux oreilles, dont la couleur est noire; et 
la forme arrondie et large; son front est bombé, 


ample et élevé ; 
proéminent. 

Le talapoin mâle décrit par M. Fr. Cuvier d’après 
un individu vivant n’étoit point encore adulte. La 
longucur du corps étoit de onze pouces “et la queue 
étoit coupée. Toutes les parties supérieures du corps 
sont de couleur verte, et les parties inférieures 
blanches, y compris même le dessous de la queue ; 
les mains et les oreilles sont noires, les yeux bruns, 
le dessous des yeux couleur d’ocre, et les testicules 
couleur de chair. 

Buffon donna à cette guenon le nom de {al 
parce qu'il la croyoit originaire de l'Inde. Il es ”.. 
fait qu’on ignore encore quelle est sa patrie; 
fois on ne peut pas douter qu’elle ne soit dédie 
d'Afrique. 


son nez aplati, et son museau très 


mn 


LA GUENON CALLITRICHE.  $: 


Cercopithecus sabœus. DEsx. (2). 


Adanson, dans son Voyage au Sénégal, parle 
de la guenon callitriche sous le nom de singe vert ; 


() Simia talapoin, Linnæus; Screber, pl. 17 : tala- 
poin monkey, Pennant; Shaw, t.I, part. 4, p.46 :le 
talapoin, Buffon, t. XIX, pl. 40 ; Encyclopédie, pl. 13, 
fig. 4 ; planches coloriées de Buffon, no 253 : simia 
melarhina et cercopithecus t oin, Fr. Cuvier, 
Mammifères, pl.18, p. 56; G Sd ” Règne animal, 
t. I,p. 92. 

E) Simia sabæa, Linnæus ; Sereber , pl. 18 : singe 
vert, Brisson , Règne animal, esp. 17 : the San-Iago 
monkey, Edwards (jeune individu) : le callitriche, 
Buffon, t, XIV, pl, 37, et pl. col. no 257 ; Audebert, Sin- 


C2 


. 


\. 


Pie 


“* 


La 


et c est aussi SOUS cette dénomination que Brisson 
et Edwards l’ont mentionnée dans leurs écrits. Celui 


Ï 


de callithriæ, beau a été donné par Buffon 

pour désigner la teinte peu ordinaire chez les singes 

$ de son pelage. On en trouve une excellente figure, 

ravée par Miger d’après un vélin de Maréchal, dans 

l'ouvrage D". du Muséum, et le por- 

trait n divi âle dans les Lithographies de 
M. Fr. Cuvier. 

Le callitriche est élancé dans ses formes, gracieux 
et proportionné dans ses membres ; sa queue, lon- 
gue et recourbée, se renfle un peu vers l'extrémité ; 
son front, bombé et tant soit peu dressé, fuit toute- 
fois beaucoup plus en arrière que chez les autres 
guenons, et le museau se projelte assez en avant ; le 

z est aplati; ; les oreilles sont larges, délires et 
oblongues, de couleur carnée, et sa face est d’un 
noir intense. 

La guenon callitriche est longue de vingt-deux 
pouces , et la queue de vingt-six; son pelage est 
touflu , serré sur le corps, et de couleur vert-jaunà- 
tre, me | due à ce que les poils sont annelés 
de jaune et de noir ; les membres, sur leur face ex- 
térieure, sont gris, et la queue, jaune-verdâtre en 
dessus, se termine par un bouquet de poils jaunes ; 
toutes ce inférieures, aussi bien que le de- 
dans des membres et le us de la queue, sont 
d’un blanc légèrement lavé de jaunâtre ; quelques 
poils allongés ombragent les yeux, et sont d’un 
jaune doré , aussi bien que les poils des joues, qui 
se transforment en favoris déjetés en arrière, et 

< fpaant par leur disposition régulière une sorte 
ss e fraise ; le scrotum est verdûtre, et la peau nue 

cs ains et des pieds est noire ; une touffe de poils 

». _dor sc veloppe PADPATET de la génération. Les 
emelles sont assujetties à un écoulement périodi- 
que, sans gonflement ou tumescence du pourtour 


£ F 4 
te guenon est, comme les autres espèces, 
E L” de mœurs douces, et s’apprivoise aisément ; 

_ prise jeune, elle devient caressante , et témoigne sa 
satisfaction des soins qu’on lui prodigue. Les adultes 
au contraire conservent leurs mœurs primitives et 
sauvages, et souvent sont très méchantes. Cette 
guenon est la plus commune de sa famille ; elle est 
fréquemment amenée vivante en Europe, et habite 
par troupes considérables les îtes du Cap-Vert et 
toute la Sénégambie. C’est donc bien à tort que Lin- 

| næusluia appliqué lépithète de sabæa, qui lui don- 
. neroit pour patti@Aräbie, où on ne la trouve point. 


v. ges, fam. 4, fig. 4; Guvier et Maréchal, Mén. du Mus,, 
in-fol.; Encyclopédie, pl. 12, fig. 1; Erxleben, Ham- 
mifères, esp. 114, p. 33; Fr. Cuvier, pl. 19, p. 58; Des- 
marest, esp. 26 ; G. Cuvier, Règne animal, t.1, p. 91 ; 
Geoffroy Saint-Hilaire, Leçons sténographiées, leç. 8, 
p. 18. 

L 


CNE, 7 


Le. w: DES MAMMIFÈRES. 


233 


M. G. Cuvier, dans sa description, dit qu’un calli=. 
triche mâle gardé dans la ménagerie du Muséum 
témoignoit à la vue des femmes des désirs lubri= . 
ques, et qu’il préféroit pour sa nourriture les racines 
sucrées et les fruits. | 


LA GUENON GRIVET. 


Cercopithecus griseus (1). 


La guenon grivet a été décrite par M. Fr. Cuvier 
comme espèce véritablement distincte; et ce n’est 
qu’à la suite d'observations répétées, faites sur deg 
individus vivants, que ce savant a émis cette opi- 
nion. Le grivet en effet a l’analogie la plus frappante 
avec le malbrouck ; il n’en diffère même que par 
des particularités qu’on ne découvre qu’à la suite de 
comparaisons minutieuses ; et ses rapports intimes 
avec le malbrouck et même avec la guenon calli- 
triche sembleroient n’en faire qu’un être intermé- 
diaire, qu’une variété de l’une ou de l’autre de ces 
espèces. À ce sujet M. Fr. Cuvier exprime ainsi les 
motifs qui l’ont porté à distinguer le grivet des 
deux guenons avec lesquelles il seroit si facile de le 
confondre : « Cet animal, dit-il, ressemble beaucoup 
au malbrouck par les couleurs générales du pelage; 
mais il en diffère par les formes de la tête, moins 
arrondies ; par les testicules, qui sont d’un vert de 
cuivre au lieu d’être bleu-lapis, et par les poils qui 
environnent ces parties, constamment d’un bel 
orangé chez le premier, et blancs chez le second. IL 
se distingue du callitriche par sa couleur d’un vert 
beaucoup plus sombre, le bandeau neigeux de ses 
sourcils, ses favoris blancs, et sa queue grise jusqu’à 
son extrémité. Il lui ressemble au contraire par la 
forme pyramidale de Ja tête, par la couleur des tes- 
ticules, et par la coloration des poils qui environ- 
nent ces organes, jaune, il est vrai, chez le callitri- 
che, au lieu d’être orangée. » 

Le grivet a donc la face et les oreilles noir-bleuâ- 
tre, le tour des yeux carné, d’épais favoris et un 
bandeau blancs, le pelage d’un vert sale sur le corps 
et sur les flancs ; les cuisses et les membres anté- 
rieurs d’un gris clair, et toutes les parties inférieures 
et internes d’un blanc assez pur : les poils sont an- 
nelés de gris noirâtre et de jaune livide sur le dos, 
et de gris et de blanc sur les avant-bras et les jam- 
bes ; les mains et les pieds ont leur peau d’un noir 
vif, et des sortes de cils bruns allongés et roides sont 
implantés en den l’arcade sourcilière. Ses di- 


1 
(") Fr. Cuvier, Le 
thècus griseo-viridi 
27 ; G. Cuvier, Rèy 
Saint-Hilaire, huitiém 


iféres, pl. 20, p. 61 ; cercopt- 
ee Mammifères. esp. 


à 


234 


mensions sont absolument les mêmes que celles du 
malbrouck et du callitriche. 

Le grivet vit en Afrique, et M. Caillaud l’a ob- 
servé en Nubie. Quelques individus du sexe fémi- 
nin témoignoient par leur extrême douceur, par 
leur désir de recevoir des caresses, toute la confiance 
et tout l’abandon d’un bon naturel. Ce sentiment 
sembleroit être chez eux le résultat d’une coquette- 
rie calculée, et qui ne seroit pas sans analogie avec 
celle des femmes dans l'espèce humaine ; tandis que 
les mâles conservent toujours cette rudesse de ma- 
nières qui tient à un sentiment plus prononcé d’é- 
nergie et d’égoïsme. 

Les singes verts sont souvent représentés sur les 
anciens monuments égyptiens, et M. Caillaud croit 
même avoir reconnu le grivet sur ceux de l'antique 
Méroé. 


PI | 


LA GUENON VERVET. 


Cercopithecus pygerythrus. Fr. Cuv. (1). 


Le vervet appartient encore à la petite tribu des 
singes verts, et ne diffère que par des nuances de 
détail du callitriche, du grivet et du malbrouck : 
c'est à M. Fr. Cuvier qu’on en doit la distinction ; 
c'est dans son ouvrage sur les mammifères qu’on en 
trouve une figure exacte et une description complète. 
Le vervet ne diffère point du grivet ni du malbrouck 
par la couleur de son pelage, qui est verdâtre, ni par 
sa face, qui est noire, avec le tour des yeux blafard. 
La guenon callitriche a les favoris d’un jaune vif; 
les testicules blancs, légèrement teints de verdâtre, 
et encadrés de poils blancs quelquefois colorés en 
jaunâtre ; le malbrouck a ces mêmes organes d’une 
belle couleur lapis, et au milieu des poils neigeux 
qui en enveloppent la base; le griveta les testicules 
d’un vert frais et pur, et les poils qui les bordent 
orangés ; enfin Ice vervet qui nous occupe diffère de 
ces trois espèces parce que ses testicules, également 
verts comme ceux du grivet, sont entourés d’un cer- 
cle de poils d’un blanc pur. Ces caractères sont trop 
positifs pour qu’ils ne servent pas nettement à isoler 
ces quadrumanes : mais une autre particularité dis- 
tingue le vervet, c’est que le pourtour de l’anus est 
garni de poils d’un roux foncé, cachés pour l’ordi- 
naire, et qui n’apparoissent que lorsque cette gue- 
non redresse sur le dos sa longue queue. 


() Simia erythropyga, Fr. Cuvicr, Mammifères, pl. 
21, p. 63; G. Cuvier, Règne Arai t. I, p. 92: cerco- 
pilhecus pygerythrus, Desmarest, Mammif., esp. 818, 
p. 533; Geoffroy Saint-Hilaire, uitiéme leçon sténogr., 
p. 19: cercopithecus pusillus, Delalande, Desmoulins, 
Dictionn. class. d'Hist. natur., t. MIL, p. 568: calli- 
triche, var., Audebert, Singes, fam, 4, sect, 2, pl. 5, 


HISTOIRE NATURELLE * 


TURN ! à 


nn 7 


Le 


A ces détails nous ajouterons que le pelage, gris- 
verdâtre;sur les parties supérieures du corps, blane 
sur la poitrine, le eoÿe- ag dedans des mem 
bres, gris sur la queue, qui est terminée de noir, 
se change sur les avant-bras et les jambes en gris 
assez foncé. Un bandeau sur le front et PUR 4 
voris sur les joues sont d’un blanc qui s'étend jus- 
qu'aux oreilles : celles-ci sont noires co Ja face. 

Le vervet a les dimensians du grivet et du mal- 
brouck : il ne paroît point non plus différer de ces 
deux singes par le naturel. Le nom trivial de pyge- 
rythra, que lui a donné M. Fr. Cuvier, vient du 
grec #vyn, derrière, et épuüpès, Touge, pour ex- 
primer la particularité qu’il présente d’avoir la région 
anale bordée de poils de couleur rousse. 

Cette guenon paroît vivre exclusivement au ea: 
de Bonne-Espérance, où M. Delalande l’a décou- 
verte. Elle se tient dans les forêts, et principale- 
ment sur la lisière de celles du district de Keiskama, 
au-delà de Grote-River ; ct nous croyons bien que 
c’est elle qu'Audebert, dans son Histoire des Sin- 
ges, a figurée comme une variété du callitriche, 
fam. 4, sect. 2, pl. 5, et qu’il décrit en ces mots : 
« Tout le dessus du corps gris ; le front, les tempes, 
la poitrine, le ventre, et l’intérieur des quatre mem- 
bres, blancs, et les extrémités noires. | 


LA GUENON MALBROUCK. 


Cercopithecus cynosurus. Des. (1), 


Le malbrouck est la quatrième espèce de singe 
vert que les zoologistes modernes aient caractérisée, 
Ce qui le distingue de prime abord des callitriches 


+ 4 
griset et vervet, estson scrotum bleu d’azur entourés 


de poils neigeux. Cette guenon a communément de 
longueur totale dix-sept à dix-huit pouces sur un 
pied d’élévation, et se trouve être une des espèces 
les plus vigoureusement constituées et les plus for- 
tes. Sa tête volumineuse se termine en un museau 
arrondi et saillant, parfaitement noir, excepté sur 
le pourtour des yeux, qui est carné et livide; ses 
oreilles, arrondies, amples et brunâtres, sont abon- 
damment garnies en avant de poils touffus qui des- 
cendent sur les joues et sous le menton en favoris 
massifs et longs, d’un blanc pur; les mains et les 


(") Simia faunus, Linnæus ; Screber, pl. 12 : simia 
cynosuros, Screber, pl. 14B : le malbrouck, Buffon, 
t. XIX, pl. 29 (femelle), et pl. color: no 248; Encyclo- 
pédie, pl. 11, fig. 1 : simia cynosuros, Scopoli, Delic. 
Flore et Faune, pl. 19: le malbroucx, Geoffroy Saint- 
Hilaire, Ann. du Mus., t. XIX, p. 96; Desmarest, Mam- 
mif., p. 60; Fr. Cuvier, Mammif., pl. 22, p.65; 
G. Cuvier, Règne animal, t. I, p. 92 ; Geoffroy Saint- 
Hilaire, Leçons sténographiées, huitième leçon , p, 19. 


( 


DES MAMMIFÈRES. 


pieds sont noirs; les callosités et le pourtour de 
Panus , d’un rouge vif à l’époque du rut ; le scrotum 
est très développé, et coloré en bleu : les femelles 
ont leurs parties naturelles très peu ouvertes , mu- 
nies d’un petit M, et sont soumises au flux 
menstruel. 

Les poils qui composent le pelage du malbrouck 
sont annelés de jaune.et de noir, ce qui donne aux 
parties supérieures la teinte grise-verte qui les ca- 
ractérise ; tandis que les poils des régions inférieures 
et internes sont blancs : toutefois la queue affecte 
une nuance grise décidée dans toute sa longueur ; 
et ce gris affoibli se montre aussi sur les avant-bras 
et sur les jambes, jusqu'aux articulations des carpes 
et des tarses. 

Brusque et prodigieusement agile dans tous ses 
mouvements, le malbrouck peut faire de nombreuses 
cabrioles en l’air en ne se donnant qu’une vigou- 
reuse impulsion. Son cri, ou du moins ce que l’on à 
pu en entendre, se réduit à un sonaigre et foible ou 
bien à un grognement rauque. Jeune, sa docilité est 
assez grande; adulte, au contraire, il devient 
méchant, peu traitable, et d’une circonspection 
qu’il est difficile de mettre en défaut, circonspection 
qui le porte à dissimuler sa vengeance lorsqw’il croit 
le moment inopportun, et à se jeter sur ceux qui 
l’approchent, à l’improviste et par-derrière, lors- 
qu’on présente des chances d’impunité aux noirceurs 
qu'il projette. Irritable, ennemi de toute contrainte, 
le malbrouck ne tarde pas à succomber lorsque Ja 
captivité a mis un frein à son naturel volontaire, et 
la privation de la liberté équivaut pour lui à la 
mort. Les femelles seules, plus irrésolues, plus 
timides , se plient au joug ; et chez les singes comme 
dans l’espèce humaine ce sexe semble, par le senti- 
ment de sa propre foiblesse , avoir été créé pour souf- 
frir avec douceur l'autorité que la force, quelle 
qu’elle soit, s’est arrogée sur lui. 

On dit le malbrouck du Bengale, ce qui est loin 
d’être prouvé. Nous avons à peu près la certitude 


qu’il vit au Cap-Coast, sur la côte occidentale d’A- 
frique. 


LA GUENON PATAS. 


Cercopithecus ruber. GEorr. (1). 


Nommé singe rouge par les Francois établis à 
Saint-Louis, le patas est très multiplié dans la Sé- 


() Le patas à bandeau noir, Prosper Alpin, Rer. 
Ægypt., liv.1V, pl. 4; Buffon, t. XIV, pl. 25, 26 ,et pl. 
col. no 246, 247; Encyclopédie, pl. 12, fig. 2: simia 
rubra, Linnæus ; simia patas et rufa, Screber, pl. 16 
et 16 B: cercopithecus ruber, Geoffroy, Ann. du Mus., 
$. XIX, p. 96 ; Desmarest, Mammiféres, esp, 23 ; Fr. 


235 


négambie, et ne peut être confondu avec aucuns 
autre espèce par la couleur de son pelage; ses for- 
mes sont sveltes, régulièrement proportionnées ; 
sa tête est arrondie, mais ses yeux sont enfoncés, 
ses crêtes sourcilières avancées, son nez aplati, et 
son museau proéminent ; ses oreilles larges et min. 
ces sont de couleur carnée ainsi que la face, excepté 
la saillie du nez que recouvrent de très petits poils 
noirs ras et serrés, et deux sortes de prolongements 
obliques simulant des moustaches sur la lèvre su- 
périeure. 

La fourrure du patas se compose de poils doux, 
soyeux, assez longs, d’un fauve très vif sur toutes 
les parties supérieures du corps, et externes des 
membres; la queue elle-même affecte cette couleuren- 
dessus, et blanchit en-dessous ; la poitrine, le ventre, 
le dedans des membres, sont d’un blanc qui tranche 
plus nettement sur les joues , où d’épais favoris se 
prolongent jusque sous le menton; les poils de la 
tête, d’un roux très vif, se trouvent séparés par un 
bandeau noir qui traverse le front, et va s’arrêter 
sur les tempes : parfois ce bandeau est blanc; et 
c’est ce qui avoit porté Buffon à établir comme es- 
pèce son patas à bandeau blanc, en donnant le nom 
de patas à bandeau noir à la guenon que nous nom- 
mons patas sans y ajouter d’épithète. Toutefois ces 
variations sont peu importantes, et les sexes ne dif- 
fèrent en rien l’un de l’autre. 

Le patas mesuré du bout du museau à la racine 
de la queue peut avoir dix-huit pouces de longueur, 
etun peu plus pour la queue. Ses mains et ses pieds 
sont colorés en brunâtre violacé très peu foncé, et 
les ongles sont bruns. 

Ce singe est apporté assez souvent en vie du Sé- 
négal', sa patrie, dans nos ports militaires du midi 
de la France. Mais il ne tarde pas à succomber, soit 
par l'influence du climat, soit par les chagrins que 
lui inspire la captivité. Il s’apprivoise difficilement : 
il est colère, emporté, irascible, et cherche à mor- 
dre lorsqu'on l'approche. Bien que son front soit 
moins bombé que celui de quelques autres guenons, 
iln’en à pas moins d'intelligence, ni moins de fi- 
pesse; mais ces qualités sont chez lui destinées à 
l'état de liberté, et doivent principalement servir 
lorsqu’il maraude en troupes en dévastant leschamps 
de couscous et de millet des Nègres, pour lesquels 
il est un fléau. 


Cuvier, #bid., pl. 23 (femelle), p. 68; G. Cuvier, Règne 
animal, t, 1, p. 91, 


236 


ot 


LA GUENON MANGABEY A COLLIER. 
Cercopithecus œthiops (1). 


Hasselquist, dans son Voyage au Levant, a décrit 
d’une manière assez claire le mangabey à collier 
que Linnée introduisit d’après lui sous le nom de 
singe éthiopien (simia œthiops) dans son Système 
de la Nature. Buffon accompagna son histoire d’une 
figure assez exacte (tom. XIV, pl. 55) dont on a 
reproduit une copie dans ses planches coloriées 
(pl. 254 ), et dans l’atlas de l'Encyclopédie métho- 
dique (pl. 45, fig. 4). Dans ces derniers temps 
M. Frédéric Cuvier en a donné aussi un bon por- 
trait dans ses mammifères lithographiés. 

Le mangabey à collier a les plus grands rapports 
avec la guenon que l’on a nommée mangabey fuligi- 
neux. Leurs dimensions, les proportions des mem- 
bres, les couleurs mêmes du pelage, excepté celles 
de la tête, offrent la plus parfaite analogie. 

Le mangabey à collier a le front déclive et le mu- 
seau proéminent; ses oreilles larges et oblongues se 
terminent légèrement en pointe à leur sommet : elles 
sont d’un noir intense ainsi que la face ; les paupiè- 
res supérieures seules se trouvent être colorées en 
blanc mat, et donnent à cette guenon une physiono- 
mie singulière lorsqu'elles s’abaissent ; les poils du 
sommet de la tête, un peu plus longs que ceux des 
autres parties, sont peints en brun marron très vif; 
une écharpe blanche naît sur les joues, s'étend jus- 
qu'aux oreilles, et contourne la nuque et la partie 
postérieure du cou en redescendant un peu sur les 
épaules ; d’épais favoris d’un gris assez foncé tra- 
versent obliquement la face au bas de l'oreille , tan- 
dis que le dessous du cou et du menton est d’un 
gris clair ardoisé. Quant au corps et aux régions ex- 
ternes des membres, le pelage du mangabey est en 
entier d’un gris ardoisé dont la teinte uniforme règne 
sur le dos comme sur la queue, sur les membres 
antérieurs comme sur les postérieurs. Tout le dessous 
du corps et le dedans des membres se trouvent être 
blancs. La paume des mains et la plante des pieds 
sont noirâtres, et les plus grandes dimensions que 
ee singe atteigne sont d'environ dix-huit pouces. 

Le mangabey à collier exprime ses sensations en 
contractant les lèvres et en montrant les dents; ses 


4) Simia æthiops, Linnæus; Screber, pl. 21 : manga- 
bey à collier, Buffon, t. XIV, pl. 33, et pl. col. n°251; 
Encyclopédie, pl. 13, fig. 3; le mangabey, var. À, Au- 
debert, Singes, fam. 4, pl. 40 : cercocèbe mangabey , 
Geoffroy, Annal. du Mus., XIX, D. 97 : cercopithe- 
eus æthiopicus, ET. Cuvier, pl.24, p. 71 ; Desmarest, 
Mammifères, esp. 29 ; G. Guyier, 1 égne animal, t.I, 
p.91: Geoffroy Saint-uilaire, Mutiémo leçon sténo- 
graphiée,p. 20. ÿ wi 


HISTOIRE NATURELLE 


mœurs n’ont paru enrien différer de celles des 
autres guenons. À l’époque du rut le sang stagne 
sur le pourtour des organes générateurs, et fait ac- 
quérir à ces parties des dimensions exagérées. Les 
auteurs s'accordent à lui do pour patrie l’Abys- 
sinie; mais c’est avec bien plus de raison que 
M. Frédéric Cuvier suppose qu’il provient de la 
côte occidentale d'Afrique, au sud du cap Vert. 


LA GUENON MANGABEY. 


Cercopithecus fuliginosus (1). 

Buffon confondoit cette guenon avec la précé- 
dente, bien qu’il lui donnât le nom de mangabey 
sans collier. Audebert ne la mentionne que comme 
variété; et c’est M. Geoffroy Saint-Hilaire qui le 
premier s’apereut de la persistance de ses caractères 
extérieurs , et qui lui appliqua le nom de cercocèbe 
enfumé. En appelant ces deux espèces de singes 
mangabey, Buffon s’étaya d’un passage où Flacourt 
dit, dans la relation que cet ancien auteur a donnée 
de l’île de Madagascar : « Il ya une autre espèce de 
singes plus petits, quiont le museau fort court, qu’ils 
nomment à Mangabey d’un autre nom que vary, 
et qui n’est pas difficile à apprivoiser.» Or cette 
phrase est sans contredit applicable à un lemur ; et 
c’est donc à tort que Buffon a cru que ces quadru- 
manes provenoient du district de Mangabey dans 
l’île de Madagascar, qui ne nourrit aucune espèce 
de singe. 

Le mangabey fuligineux a le corps long de vingt 
à vingt-deux pouces et la queue de dix-huit. Ses for- 
mes sont minces et grêles, surtout vers le bassin , et 
le museau est renflé et de couleur noirâtre ainsi que 
les oreilles et les extrémités. I porte habituellement 
sa queue renversée sur le dos, et le pavillon de l’o- 
reille est anguleux à son sommet; les paupières su- 
périeures ressortent vivement par leur blancheur 
sur le masque ou livide ou noirâtre de la face. Tout 
son pelage en dessus et en dehors des membres est 
d’un gris brun fuligineux assez uniforme, et qui 
fait place en-dessous du corps et en-dedans des mem- 
bres, ainsi que sur les joues et sous le menton, au 
blanchâtre légèrement teinté de gris. Les femelles 
ont à l’époque du rut un gonflement des parties gé- 


() Desmarest, esp. 28: le mangabey sans collier, 
Buffon , t. X1x, pl. 32 : le mangabey à collier noir, 
Encyclopédie, pl. 13, fig. 4, et pl. color. de Buffon, 
no 250: simia œthiops, Linnæus; Audebert, Singes, 
quatrième famille, pl. 9 ; Screber, pl. 20 : simia fuli- 
ginosa, Geoffroy, Annal. du Mus., t. XIX, p. 97 ; G. Cu- 
vier, Règne animal, t. 1, p. 91 : le mangabeg, Fr. Cu- 
vier, Mammifères, pl. 25, p. 73; Geoffroy Saint- 
Bilaire, huitiéme leçon sténographiée, p. 20. 


DES MAMMIFÈRES. 237 


nitales fort large près de l'anus , qui entoure la vulve 
en formant un bourrelet circulaire en entonnoir. 
On a donné pour patrie au mangabey tantôt Ma- 
dagascar et tantôt l'Ethiopie. IL est de fait qu’on le 
trouve au Congo et à la Côte d'Or. Pendant que la 
corvette La Coquille étoit mouillée à Sainte-Hélène, 
un vaisseau anglois arrivant de l'établissement de 
Cap-Coast vint y relâcher; il avoit à bord plusieurs 
espèces de singes vivants , et entre autres des man- 
gabeys enfumés. M. Dumont d’Urville s’en procura 
un individu qu’il amena en France. Pendant plu- 
sieurs mois que cette guenon séjourna parmi nous, 
la douceur de ses habitudes et la gentillesse de ses 
manières captivèrent nos loisirs ; elle se balancoit 
dans les cordages avec une agilité surprenante etune 
merveilleuse adresse : mais c’est en vain que son 
maitre cherchoit à lui apprendre quelques exerci- 
ces, tels que marcher debout, ou se teniren fac- 
tion ; l’extrême mobilité de son caractère et l’insou- 
ciance qu’elle y apportoit rendirent infructueuses 
les sévères corrections qu’on lui infligeoit chaque 
jour. Très souvent violentée dans ses humeurs, tou- 
jours chagrinée dans ses penchants, souvent en butte 
à de mauvais traitements, jamais elle ne songea à 
se venger, tout en témoignant par ses gestes et son 
désir de fuir la vive aversion que lui inspiroient 
ceux dans la dépendance desquels elle se trouvoit, 


LE NISNAS. 


Cercopithècus pyrronotus. Eure. (1). 


” Ce singe, que les habitants du Darfour nomment 
nisnas, a beaucoup de rapports avec le patas(?), 
mais cependant il acquiert une taille plus robuste, 
un museau plus élargi et plus obtus, une queue plus 
longue: enfin sa face est d'un noir profond, tandis 
que le patas n’a de noir que 1e nez. Le pelage en 
entier sur le corps est teint d’un rouge-brique lui- 


sant, qui s'étend sur les bras, les cuisses et le des- . 


sus de la queue, en s’affoiblissant sur les parties in- 
férieures pour laisser dominer un blanc plus ou 
moins pur. Une sorte de chaperon , d’un rouge brun 
assez foncé, occupe la partie antérieure du front, 
tandis qu’une teinte jaune-paille colore l’occiput. 
Les joues sont d’un blanc assez pur qui tranche sur 


() Prosper Alpin, Hist. gat. Egypti, p.244, pl. 21; 
toto corpare rufo, rutilove spectabatur ; facies nigra, 
undique barbata, sed barba albi crat coloris ; caudam 
longam rutilamque habebat. 

Cercopithecus pyrronotus, sive nisnas, du Darfour, 
Ebremberg, Symboles physicæ, etc., {er déc., pl. X: 
Bull. de Férussac, t. XVII, p. 345. Nisnas, Valenc. in 
F,Cuv., Mammif. nov. 4830, G4cliv 

(2) Simia rubra, auct. 


le noir mat de la face. Les avant-bras , les jambes, 
les extrémités, sont blancs ; seulement les parties 
nues des pieds et des mains sont noires. Le scrotum 
est d’un beau vert de cuivre. 

Le CERCOPITHÈQUE à cou blane : M. Sykes (1) dé- 
crit le C. albogularis, auquel on donne pour patrie 
l'ile de Madagascar, bien qu’on n’ait jamais trouvé 
de vrais singes dans cette grande île. Cette localité 
est donc erronée. M. Bennett à fait connoitre le 
cercopithecus pogonias (2?) de Fernando-Po, long 
de 47 pouces, la queue ayant 24 pouces, et le cer- 
copithecus tephrops (3) voisin du malbrouk. 


PORN FOUR AR AR ARENA | F7 AE, 
LA GUENON ATYS. 


Cercoccbus alys. GEorr, (i). 


Audebert a appelé atys un singe à pelage blanc 
dont on ne connoit qu'un seul individu qui se 
trouve dans les galeries du Muséum d'histoire na- 
turelle, et que M. Gcoffroy Saint-Hilaire, dans son 
Catalogue imprimé, page 18, a rangé parmi les gue- 
nons sous le nom de cercopithecus atys. On lui 
donne pour synonyme l’animal que Séba mentionne 
dans Thesaurus, en le désignant par les mots de 
petit singe blanc de Ceylan, et qu’il figure, tome E, 
pl. 45, fig. 5. Séba, en parlant du grand singe blanc 
et des singes en général, s'exprime en ces termes : 
« Ils sont au reste d’un naturel malin, traître et 
perfide, capables même d’attaquer et de mordre 
leur propre maître, comme je l’ai vu faire à un 
grand singe, très rare par la blancheur uniforme 
de son poil, qu’on avoit apporté ici des Indes 
orientales. Ce singe, irrité quelquefois par les per- 
sonnes auxquelles il n’éioit pas accoutumé, ne put 
être apaisé par son maitre, à qui il avoit obéi jus- 


(1) C. supra flavo nigroque, infra albo nigroque 
irroratus ; qulà albâ; artubus nigris ; myttacibus 
latis aures pene obvelantibus ; superciliorum pilis 
rigtdis instantibus; Sykes, Proceed., t. 1, p. 106; 
Owen, Proceed. ,t. II, p. 18. 

(2) C. nigrescens, albo punctulatus; dorso medio, 
prymnä, caudà supernèé et ad apicem , faciäque tem= 
porali nigris ; fronte, salidibusque externé flavidis, 
nigro punctulatis ; mystacibus longissimis, albido 
flavestentibus ; corpore caudäque subtuüs, artubusque 
interné flavido rufis ; Bennelt, Proceed.,t. II, p. 67. 

(3) C. suprà fusco virescens , infra albidus ; artubus 
externè grisescentibus ; facie pallidè carneû ; naso, 
genis, labiorumque marginibus pilis brevibus fuli- 
ginosis compersis. 

(4) Simia atys, Audebert, Singes, fam. 4, sect. 2, 
pl. 8, p.13; Screber, pl. 44B : cercocébe atys, Geoffroy, 
Annal. du Hus., 1. XIX, p. 99; et Catalogue imprimé, 
p.18 ; grand singe blanc, Séba, Th.: cercopithecus 
atys, Desmarest, Mammiféres, esp. 30, 


238 


qu’alors; de sorte qu’un jour que le maître voulut 
le corriger, il lui sauta au visage, le mordit au nez, 
et ne s’en seroit peut-être pas tenu là s’il n’en eût 
été empêché par des domestiques qui survinrent à 
propos. » Reste à savoir si ce grand singe blanc 
n’est pas le gibbon molock, tandis que latys est 
bien le type de la planche 45. 

M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans le Catalogue 
descriptif qu’il a rédigé des mammifères du Mu- 
séum de Paris, s'exprime à peu près en ces termes : 
« L'individu de l’atys qui existe dans les galeries 
est long d’un pied cinq pouces neuf lignes. Son 
pelage est entièrement d’un blanc sale ; et sa face, 
les doigts des mains et des pieds, complétement 
nus , sont de couleur de chair. JL habite les Indes 
orientales, et provient de la collection du stathou- 
der; sans doute il est l'original de la description de 
Séba. Nous le croyons encore, dit M. Geoffroy, le 
produit d’une maladie albine ; mais dans ce cas, on 
ignore à quelle espèce on devroit le rapporter , et 
dans tous les cas elle n’est pas connue des natura- 
listes. L’atys nous paroit être en eflet une guenon 
atteinte d’albinisme; et nous avons de fortes rai- 
sons de croire qu’elle provenoit des établissements 
de la côte d'Afrique, et nullement des iles indien- 
nes ainsi qu’on l’a supposé sur la vague indication 
de Séba. » 

L’atys, par les traits généraux de sa conforma- 
tion, vient se placer près des mangabeys, Toute- 
fois son museau prolongé, ses oreilles à bords an- 
guleux, lui donnent une physionomie spéciale: et 
sa face carnée et son pelage blanchâtre ne permet- 
tront jamais de le confondre avec aucune autre es- 
pèce de singe à queue, si on vient à en découvrir 
de nouveaux individus, et à lui assigner une place 
exempte de doutes dans nos tableaux de zoologie. 

M. Temminck suppose cependant que l’atys est 
un albinos du macaque ordinaire (macarus cyno- 
mulgus); mais il ne donne aucun développement à 
son opinion. 


LES MACAQUES. 


Macacus. Lace. (1). 


Les Portugais, lorsqu'ils s’établirent sur la côte 
occidentale d'Afrique, importèrent en Europe le 
nom de macaco, que les Nègres du Congo don- 
noient à quelques espèces de guenons et probable- 
ment à des mangabeys. Ce terme introduit dans 
notre langue fut changé en celui de macaque par 


() Pithecus, Geoffroy Saint-Hilaire : simia, Linnœus, 
Gmelin : papio, cercocebus, et pithecus, Geoffroy: cer- 
copithecus, Brisson , Lacèpède, Illiger., 


HISTOIRE NATURELLE 


lequel on désigne chez le vulgaire toutes les petites 
espèces de singes indistinctement, mais que les na- 
turalistes modernes ont abusivement appliqué à des 
espèces indiennes : à moins toutefois que ce mot de 
macaco nait été plus particulièrement réservé au 
magot, dont cette dernière désignation pourroit 
bien être le dérivé. 

Les macaques sont donc des singes de l’ancien 
monde, qui, à l'exception d’une espèce d’Afrique, 
habitent exclusivement l'Inde et les îles qui en dé- 
pendent. Ils forment un lien intermédiaire entre 
les guenons et les cynocéphales ; leur système den- 
taire affecte la même disposition que chez les sem- 
nopithèques, et possède un cinquième tubercule 
sur la couronne des dernières molaires. Les dents 
sont au nombre de trente-deux; les canines supé- 
rieures sont arrondies sur leur face interne et très 
déprimées sur l’externe; leur bord postérieur est 
tranchant, disposition que l’on retrouve chez les 
cynocéphales. Le museau des macaques, gros et 
prolongé, se trouve, par ses dimensions, intermé- 
diaire entre celui des guenons et des babouins, et 
l'angle facial ne s'éloigne point de 40 à 45 degrés. 
Si la tête des macaques est ainsi notablement pro- 
longée, on pourra toutefois ne jamais la confondre 
avec celle des cynocéphales, parce que ces derniers 
ont leurs narines placées à l’extrémité du museau 
et ouvertes tout-à-fait à sa troncature. Des crêtes 
sourcilières très saillantes forment sur les orbites 
un rebord élevé et échancré. Ces crêtes leur don- 
nent, sous ce rapport, une nouvelle analogie avec 
les semnopithèques. Le front a peu d’ampleur et les 
yeux sont très rapprochés : les narines s'ouvrent 
obliquement, et on ne remarque point de renfle- 
ment des os maxillaires; les oreilles, nues, serrées 
contre la tête, sont larges et terminées en pointe à 
leur bord supérieur; de larges abajoues occupent le 
dedans de la bouche, que bordent des lèvres minces 
et très extensibles , et que remplit une langue 
épaisse et charnue ; leur corps est en général trapu, 


, massif, et en rapport avec les membres qui sont 


robustes et pentadactyles; de larges callosités re- 
couvrent les fesses; elles sont souvent peintes des 
plus vives couleurs, et leur queue varie en propor- 
tions ; tantôt cette partie se trouve presque égaler le 
corps par ses dimensions, souvent aussi elle est très 
courte; enfin elle manque parfois complétement, ou 
bien une sorte de petit tubercule la remplace. Ces 
singes ont les poils de leur pelage le plus ordinaire- 
ment de nature soyeuse, et les couleurs qu’ils pré- 
sentent ne varient guère que du noir au fauve et au 
gris verdâtre. Ils vivent dans l’Inde et dans les îles 
de la Malaisie, comme les guenons, par troupes 
nombreuses très redoutables pour les plantations 
qui avoisinent les forêts. Ce sont des animaux doués 
d’une grande intelligence dans leur jeunesse; mais 


DÉS MAMMIFÈRES. 


à mesure qu'ils vieillissent, ils deviennent méchants 
et intraitables. M. Frédéric Cuvier, qui a eu occa- 
sion d'étudier les mœurs d’un grand nombre de 
macaques, s'exprime ainsi sur leur compte : « Tant 
qu’ils sont jeunes, ils ont une douceur et une intel- 
ligence remarquables; mais dès qu’ils ont atteint 
l’âge adulte, ou qu’ils sont arrivés au-delà, il n’y à 
aucun animal plus méchant et plus intraitable. 11 
résulte de ces dispositions que les macaques jusqu’à 
leur sixième ou huitième année se prêtent très faci- 
lement à une certaine éducation, ce dont les bala- 
dins profitent pour les donner en spectacle; mais 
dès que ces animaux ont acquis toutes leurs forces, 
ils se révoltent contre la contrainte, et les plus 
obéissants peuvent devenir les plus farouches et 
les plus irascibles. Ce sont les macaques seuls, 
je crois, qui jusqu’à présent nous ont donné des 
exemples de propagation. Les petits, après une 
gestation de sept mois, naissent avec tous les sens 
ouverts; les quinze premiers jours, ils restent con- 
tinuellement la bouche attachée à la mamelle de 
leur mère en se tenant cramponnés à ses poils de 
leurs quatre mains. Bientôt ils regardent autour 
d’eux, et, dès les premiers essais qu’ils font pour se 
mouvoir, ils ont une adresse et une force qu’on 
n’auroit pu attendre que d’un long exercice et d’une 
expérience répétée. Ils semblent mesurer avec la 
plus exacte précision les distances qu’ils n’ont ja- 
mais pu apprécier, et, sous ce rapport, tout an- 
nonce que la nature les a pourvus d’un instinct qui 
a peut-être été refusé à l’homme, et que les autres 
singes possèdent sans doute comme eux. L’allaite- 
ment peut être plus ou moins long, mais le jeune 
est capable de se nourrir seul dès le deuxième mois; 
et il lui faut cinq ou six années pour atteindre l’âge 
adulte. » 

A ces détails nous ajouterons que les macaques 
mères soignent pendant long-temps et avec la plus 
vive sollicitude leurs petits, et qu’elles ont le plus 
grand soin de surveiller leur inexpérience afin 
qu’elle ne leur devienne pas fatale ; elles les portent 
même encore dans leurs bras lorsque leur taille 
égale la leur. Les mœurs enfantines et la naïveté qui 
accompagnent tous leurs mouvements forment un 
contraste bien prononcé avec la lubricité qu’ils 
témoignent lorsque leurs premiers désirs viennent 
à éclore. Les femelles entrent en rut chaque mois et 
peuvent recevoir les mâles sans interruption, même 
lorsqu'elles sont pleines. La plupart éprouvent à 
cette époque une turgescence énorme des organes 
de la génération et une tuméfaction de l'ouverture 
vaginale. ‘ 

Les nomenclateurs sont loin d’être d'accord sur 
les circonscriptions que doit recevoir le genre ma- 
caque. C’est ainsi que M. Geoffroy Saint-Hilaire a 
créé le genre cercocèbe aux dépens de plusieurs 


239 


de ces quadrumanes. Il en est de même de ceux 
des maimons et des magots proposés par d’autres 
auteurs. Les nuances qui les isolent sont trop lé- 
gères pour autoriser des distinctions génériques ; 
elles sont tout au plus suflisantes pour permettre 
la création de quatre petites tribus que nous nom- 
merons cercocèbes, ouanderous, rhésus ou mai- 
mons et magots, 


re 


1 TRIBU. 
LES MACAQUES CERCOCÈBES. 
Cercocebus. GEOFF, 


Les macaques cercocèbes s’éloignent beaucoup 
moins des guenons que les espèces des trois autres 
tribus. On peut de prime abord les reconnoître à 
leur queue presque aussi longue que le corps, mais 
qui diffère de celle des guenons, parce que épaisse 
à la base elle diminue successivement pour se ter- 
miner en pointe. Les callosités des fesses sont mé- 
diocres; les crêtes sourcilières sont développées, 
et les poils qui recouvrent la tête sont le plus or- 
dinairement divergents. 

Cette petite division comprend cinq espèces, tou- 
tes de l’Asie orientale, 


hHHUOUYV,,YJYJYVY,Y/>/>/>/”“V/[_”_>”V”[-_-_-_-_D_—_——— 


LE MACAQUE A FACE ROUGE. 


Macacus latibarbatus (1). 


Le Muséum de Paris possède un jeune individu 
de ce singe, que sa face d’un beau rouge rend re- 
marquable, et que la plupart des auteurs placent 
parmi les guenons ou cercopithèques. Le macaque 
à face rouge, que quelques naturalistes ont regardé 
comme une espèce distincte de la guenon barbique, 
n’en est, suivant le Catalogue de M. Temminek, 
que le jeune âge; et M. Geoffroy Saint-Hilaire a 
partagé cette opinion dans son tableau des singes 
inséré dans le tome XIX des Annales du Muséum. 

L'adulte a, dit-on, le pelage entièrement noir, 
mais celui du macaque conservé dans les Galeries 
est un peu rude, comme laineux , et d’un gris brun 
pâle assez uniforme sur le corps, aussi bien sur le 
dos et les membres qu’en dedans et sur la poitrine 
et l'abdomen. Toutefois cette,nuance brune s’affoi- 


() Guenon à face pourprée, Pennant, Quadrupé- 
des, t. I, pl. 24; Buffon, Supplém., pl. 21: simia den- 
tata, Shaw, Gen. Zool.,t. 1, p.1, pl. 143: guenon 
barbique, cercopithecus latibarbatus, Temminck , 
Catalogue ; Geoffroy Saint-Hilaire, Annal. du Mus., 
t, XIX, p. 94; Desmarest, Mamm., esp. 16, p. 97. 


240 


blit sur le sommet de la tête, et devient au con- 
traire plus foncée vers les extrémités; la queue, 
assez mince dans sa longueur , est d’un gris brun 
clair; les poils qui la recouvrent s’épaississent vers 
l'extrémité et semblent former une sorte de toufe. 

Ce macaque a le corps assez grêle, principale- 
ment vers l’ouverture du bassin; ses membres sont 
moins robustes que ceux des autres espèces de la 
famille, et lui donnent une grande analogie de for- 
mes avec les guenons. Peut-être même ce singe se- 
roit-il mieux placé parmi les semnopithèques, car 
il a comme eux le pouce des mains très court, et 
celui des pieds très développé. La face, assez peu 
saillante, est colorée en pourpre-violet éclatant ; 
sa surface, si on en excepte le tour des yeux, est 
couverte d’un duvet serré très peu apparent, et se 
trouve enveloppée de poils d’un blanc pur qui se 
prolongent sur les côtés des joues pour y former 
des favoris dressés et en éventail , entourant les 
oreilles, qui sont minces et nues. Sur le front ; des 
poils plus longs que ceux de l’occiput apparoissent 
sous forme de bandeau. . 

Le macaque à face rouge vit, à ce que l’on croit, 
dans l’Inde. 


a —————_———_—_——…——"— 


LE MACAQUE BONNET-CHINOIS. 


’ Li 116 
Macacus sinicus. Des. (!). 


Le bonnet-chinois'et le macaque toque se res- 
semblent complétement par la taille, les formes, 
les traits de la face, les proportions de la queue, la 
particularité d’avoir les poils capillacés du front 
divergents et irradiés, et ne diffèrent en apparence 
que par les couleurs du pelage. Aussi l’un et l’au- 
tre ne sont-ils pour quelques auteurs qu'une variété 
d'âge d’une même espèce. Cependant la permanence 
de certains caractères ne permet point de partager 
cette opinion; et le bonnet-chineis doit, jusqu’à de 
plus complètes observations, être nettement distin- 
gué du macaque toque. 

Le singe dont nous traçons l’histoire est long de 
quinze pouces sans y comprendre la queue, qui dé- 


6) Mammal., esp. 32, p.64; Encyclopédie, pl. 14, 
fig. 3, et pl.7, fig. 3 : simia sinica, Linnæus, Gmelin? ; 
Sereber, pl. 23? : le bonnet-chinois , Buffon, t. XIV, 
pl. 30, et pl. col. no 249 ; Audebert, Singes, quatriéme 
famille , fig. 11 : cercopithecus sinicus, Erxleben, esp. 
20, p. 41 : pithecus sinicus, Geoffroy, Catalogue, p.23; 
macacus sinicus, Fr. Guvier, Mammif., pl. 30 ; G. Cu- 
vier, Règne animal ,t.1, p. 95 : quenon couronnée, 
Buffon, pl. 10 (jeune); bonneted monkey, Pennant, 
Quadrupédes: cercopithecus pileatus, Desmarest, 
esp. 18 ; the chinese-bonneted monkey, Griff., Règne 
animal, fig. 3. 


HISTOIRE NATURELLE 


passe souvent dix-huit pouces. Sa tête est forte , et 
supportée par un cou large et très court, son mu- 
seau est peu proéminent; ses oreilles, assez étroites, 
sont longues et déformées à leur bord supérieur ; 
elles sont bordées et colorées en brun foncé , tandis 
que la face est couleur de chair, et que le tour des 
yeux est bleuâtre ; les joues ne sont revêtues que 
de poils courts, peu nombreux et grisâtres; la 
queue est assez roide, longue, très poilue, et uni- 
formément brun-roux dans toute son étendue. 

Ce qui distingue ce macaque est la sorte de coif- 
fure que lui forment les poils allongés, roides, dis- 
posés en mèches, du dessus de la tête, qui divergent 
d’un point central en s’irradiant sur sa circonférence 
qu'ils débordent. Ces poils sont d’un roux brun 
très foncé et doré, teinte qui est uniformément ré- 
pandue sur tout le dessus du corps et sur les parties 
extérieures des membres. Ils sont gris à leur base 
et annelés de fauve et de brun dans le reste de leur 
étendue; le dessous du corps et le dedans des mem- 
bres sont peu velus; la teinte bleuâtre de la peau 
est à peine masquée par les poils blancs, soyeux et 
rares qui la recouvrent; les mains et les pieds sont 
de couleur brun-tanné; le pelage, épais et touffa sur 
les parties supérieures, est assez rude et se prolonge 
surtout au bas des flancs et sur le bord des bras et 
des cuisses; les sourcils sont noirs, et une tache de 
cette couleur se dessine en liseré sur la lèvre infé- 
rieure. 

La guenon couronnée de Buffon, admise comme 
espèce par la plupart des zoologistes, ne paroît être 
évidemment qu’un bonnet-chinois encore jeune, et 
dont le museau ne s’avance point autant qu'il le 
fera plus tard chez les individus adultes. 

Le macaque bonnet-chinois habite le Bengale. 
Le dogme de la métempsycose, qu'ont adopté les 
Indous , leur fait vénérer les singes : ils pensent 
que dans leurs corps sont renfermées les âmes des 
malheureux rejetés du sein de Brama , et le bonnet- 
chinois se trouve ainsi avoir une grande part dans 
leurs respects religieux. 

Les mœurs de cet animal ne diffèrent point de 
celles des autres macaques; elles sont vives, pétu- 
lantes, capricieuses, et se composent d’une alterna- 
tive de brusquerie et de malice, de finesse et de 


méchanceté. 
| 


EEE" 
LE MACAQUE TOQUE. 
7 Macacus radiatus (1). 


Le macaque toque a long-temps été confondu 
avec le bonnet-chinois,; et même tous les doutes 


(") Desmarest, Mammal., esp. 33, p, 64; cercoce- 


DES MAMMIFÈRES. 


ne sont point encore dissipés à cet égard, bien que 
M.F. Cuvier ait publié une bonne figure du pre- 
mier, jeune il est vrai, mais sur le point d’atteindre 
l’âge adulte. Cette figure est assez précise pour ser- 
vir de type distinctif du {oque, comme espèce, quoi- 
que ce savant l’ait d’abord réuni au bonnet-chinois 
dont il ne l’a isolé que dans l’édition in-4° de ses 
Mammifères. 

Le toque, assez proportionné dans toutes ses 
parties, ne peut être confondu avec aucun autre 
macaque par la forme bizarre et hideuse de sa tête. 
Il a en effet le front très déclive, dénudé , et cou- 
vert de rides épaisses; les crêtes sourcilières très 
prononcées se projettent au-dessus des yeux, et se 
réunissent au bas du front pour former un rebord 
saillant dominant la racine du nez, qui est très en- 
foncée. Le museau est beaucoup plus obtus et plus 
conique que celui du bonnet-chinois, et il est aussi 
beaucoup plus mince et beaucoup plus étroit. Mais 
ce qui semble être un caractère distinelif de ce 
singe est la forme trilobée du gland dont ja portion 
moyenne est allongée, tandis que les latérales sont 
arrondies. Les oreilles du toque sont larges , un 
peu déformées à leur sommet ; elles sont de cou- 
leur de chair livide ainsi que le visage, la plante 
des pieds et la paume des mains. La face est nue, 
creuse sur les joues, garnie de quelques poils sur 
le rebord de la lèvre supérieure ; le front, sillonné 
de rides, les tempes etles côtés des joues sont pres- 
que nus, ou du moins garnis de poils courts, ras et 
peu nombreux; les poils du vertex forment des 
mèches rudes et divergentes beaucoup moins pro- 
noncées que chez le bonnet-chinois. Les callosités , 
de couleur rouge, sont peu larges; et le pelage, 
beaucoup plus fourni sur les parties supérieures 
que sous le corps et en dedans des membres, est 
aussi composé de poils plus longs sur la ligne des 
flancs et sur les bords postérieurs des membres. Sa 
couleur sur le corps est uniformément d’un gris 
verdâtre, ce qui tient à ce que chaque poil, d’abord 
gris, se trouve annelé de noir et de jaune sale ; le 
dessous du corps, comme la face interne des mem- 
bres, est blanchâtre; et celte disposition se fait 
remarquer aussi sur la queue, dont la moitié su- 
périeure est de la couleur du dos, c’est-à-dire grise- 
verdâtre, tandis que l’inférieure est blanchâtre. 

Le toque habite l'Inde, et plus particulièrement 
la côte du Malabar. Ses mœurs sont analogues à 
celles des autres macaques ; et ses dimensions les 
plus Grdinaires sont pour le corps dix-huit pouces, 
et quinze ou seize pour la queue, 

M. Desmarest (Dict. des Scien. nat., t. XXVII, 


bus radiatus, Geoffroy, Annal. du Mus., t. XIX, p. 98; 
macacus radiatus, Fr, Cuvier, pl. 29 ; G. Cuvier, Règne 
animal, t. I, p. 95, 

18 


} 
| 


241 


p. 467 ) a étudié le mâle et la femelle du toque; le 
premier étoit très ardent auprès de celle-ci, et s’en 
montroit jaloux, tandis que cette dernière, fidèle, 
maladive, étoit fort douce et peu vive, ce qui pou- 
voit tenir à son état de souffrance. 


————————— 7 
LE MACAQUE ORDINAIRE. 


Macacus cynomolqus (1). 


Sous les noms de macaque et d’aigrette, Buffon a 
décrit, d’après la nature vivante, le mâle et la fe 
melle du macaque ordinaire. La synonymie de ce 
singe est assez embrouillée, eton ne peut pas dou- 
ter que dans les descriptions des auteurs il n’y ait 
des caractères qui appartiennent au bonnet-chinois 
dans son jeune âge, ou au macaque à face noire. 
Nous ne présenterons dans celte description que les 
faits les plus avérés de son histoire, et ce sera prin- 
cipalement M. F. Cuvier qui nous en fournira les 
éléments. 

Le macaque adulte et du sexe mâle a des formes 
lourdes et trapues ; son corps , mesuré du museau à 
la racine de la queue, à vingt pouces, tandis que 
cette dernière partie en a dix-neuf : sa hauteur to- 
tale est d'environ seize pouces. Sa tête large, dont 
le sommet est déclive, est très grosse relativement 
au volume du corps ; les crêtes sourcilières forment 
surtout un soubresaut sous lequel s’avance le mu- 
seau, qui est court et conique et plus haut que lar- 
ge ; les oreilles, entièrement nues, sont terminées 
en pointe aiguë à leur sommet; les membres, forts 
et très musclés, ont cela de remarquable que les 
doigts des mains et des pieds sont moins allongés 
que ceux des autres espèces, et qu’ils sont réunis 
jusqu’à la dernière phalange par un repli membra- 
neux. Le pelage de ce singe est d’un brun verdâtre 
léger en dessus, et d’un gris blanchâtre en dessous 
et sur les parties internes des membres; les poils du 
dos se trouvent être ainsi mélangés de jaune doré et 
de noir sur un fond gris : la queue, qui se termine 
en pointe, est noirâtre, et cette teinte règne encore 
sur les oreilles, les mains et les pieds. Toute Ja 
partie antérieure de la face à peu près dénudée est 


(") Desmarest, Mammalogie , esp. 34, p. 65; Ency- 
clopédie, pl. 11, fig. 2, et pl. 14, fig. 1 (l’aigrette); le 
macaque el l'aigrette, Buffon, t. XIV, pl. 20 , 21, et 
pl. col., nos 24%, 245; simia cynomolgos et cynoce- 
phalus, Linnæus, Gmelin? ; Geoffroy, Ann. du Dus., 
t, XIX, p. 99; cercopithecus cynomolqus, Erxleben, 
esp. 7, p. 28 ; simia aygula, Audebert, Singes, qua- 
trième famille, pl. 3 ; Geoffroy, Catal., p. 24 : le maca- 
que, macacus cynomolqus, Fr. Cuvier, Mammifères , 
pl. 26 et 27 ; macacus irus, Fr. Cuvier, Mém,. du Mus., 
\, IV, 

5! 


242 


couleur de chair livide sur laquelle tranche du 
blanc entre les deux yeux. Des sortes de favoris ré- 
guliers et ras couvrent les pommettes et les joues: 
ils sont d’abord verdâtres, puis grisâtres . les poils 
qui recouvrent la tête, au lieu de diverger comme 
ceux des macaques bonnet-chinois et toque, sont 
régulièrement couchés d’avant en arrière; les poils 
du pelage , assez réguliers sur la surface du corps, 
s’allongent sur les flancs pour former une ligne de 
séparation entre la couleur du dos et celle du ven- 
tre, et sur le bord postérieur des cuisses ; les callo- 
sités sont rouges et moyennes : mais en revanche 


les organes de la génération sont très développés , 


et le serotum surtout est remarquable par son am- 
pleur; il est de couleur de chair, et le gland est pi- 
riforme. 

La femelle, sensiblement plus petite que le mâle, 
n’a guère que quatorze pouces de longueur ; ses for- 
mes sont plus ramassées et sa tête moins volumi- 
neuse. Les crêtes sourcilières, qui surmontent l'œil, 
se projettent aussi beaucoup moins en avant. À ces 
traits principaux, qui la distinguent du mâle, se joint 
celui d’avoir des dents canines petites et dépassant 
à peine les incisives, tandis que celles de son époux 
sont faconnées en crochets allongés et très robustes. 
Les poils qui entourent la face sont médiocres, 
droits, et colorés en gris; ceux du sommet de la 
tête, roides et implantés de dehors en dedans, se 
dirigent vers la ligne médiane de manière à se ren- 
contrer et à former une crête longitudinale que 
Buffon et les auteurs qui l’ont suivi ont donnée pour 
type du singe qu’ils ont nommé aigrette. Le maca- 
que ordinaire femelle, soumis à l’écoulement pé- 
riodique des menstrues, n’a point, à l’époque du 
rut, ses organes sexuels gonflés outre mesure 
comme chez certaines espèces , et ils ne sont que le 
siége d’une turgescence sanguine amenée par l’or- 
gasme vénérien. Les mamelles, au nombre de deux, 
sont placées sur la poitrine. 

Les macaques ont produit plusieurs fois en France, 
et M. F.Cuvier a observé avec soin les phénomè- 
nes amenés par les liaisons d’un mäle et d’une fe- 
melle élevés sous ses yeux. Ainsi s'exprime ce sa- 
vant à leur sujet : « Le mâle et la femelle étant 
adultes , habitués à Ja captivité, et bien portante, 
s’accouplèrent ; et dès lors j'eus l’espoir que la fe- 
melle concevroit, et qu’on pourroit suivre, sur les 
petits qu’elle mettroit au monde, le développement 
de son. espèce. En conséquence j’ordonnai qu'on la 
séparât de son mâle dès qu’elle sembleroit le fuir 
et qu’elle ne montreroit plus de menstruation. Ces 
animaux véeurent ensemble environ une année, 
s’accouplant chaque jour trois ou quatre fois à la 
manière à peu près de tous les quadrupèdes. Pour 
cet effet le mâle empoignoit la femelle aux talons , 
avec les mains de ses pieds de derrière, et aux 


HISTOIRE NATURELLE 


épaules avec ses mains antérieures, et l'accouple- 
ment ne duroit que trois ou quatre secondes. La 
menstruation n'ayant plus reparu vers le commen- 
cement d’août, cette femelle fut soignée séparément, 
et, pendant les quatre-vingts jours qui suivirent, au- 
cun accident n'eut lieu : les mamelles se gonflèrent 
et le ventre prit son accroissement, sans que la 
santé de l’animal en parüt altérée; enfin dans la 
nuit du 46 au 47 octobre 1817 elle mit bas une ma- 
caque femelle très développée et fort bien portante. 
Elle avoit les yeux ouverts, ses ongles étoient en- 
tièrement formés, et les mouvements étoient libres ; 
mais elle ne pouvoit point se soutenir, et restoit 
couchée : on ne lui a pas entendu jeter de cris. Ce- 
pendant sa mère ne l’adopta point, eile ne fut pour 
celle-ci qu'un animal étranger; rien ne Ja porta à 
lui donner des soins; elle ne manifesta d’aucune 
manière le besoin de l’allaiter, et l’abandonna bien- 
tôt entièrement. J’avois craint cette aberration de 
l'instinct : je savois que chez les animaux en escla- 
vage, lorsqu'ils ne sont pas soumis jusqu’à la domes- 
ticité, l'amour de la progéniture peut s’altérer au 
plus haut degré. On cssaya d’allaiter cette jeune 
macaque artificiellement, mais elle ne vécut que 
jusqu’au lendemain. La mère ne parut point souf- 
frir du Jait qui remplissoit ses mamelles, et qui s’é- 
coula en partie au dehors; vers le quatrième jour 
ses organes s’affaissèrent et reprirent leur état ordi- 
naire. Le rut reparut dix jours après. Il étoit peu 
vraisemblable que la gestation n’eût duré que de- 
puis l’époque de la dernière menstruation jusqu’à 
celle de la mise bas, ce qui auroit fait environ trois 
mois , une autre espèce de ce genre ayant eu une 
portée de sept mois; il faudroit donc en conclure 
que la menstruation de notre macaque reparut plu- 
s'eurs fois depuis la conception. Voici la description 
détaillée du jeune animal dont nous venons de par- 
ler. 


Longueur du corps, des callosités au sommet 
HP TA CEUR: à de ee ce Her 
———— de la tête, de l'occiput au bout du 
MUSEAU 2 M SSI PR EUNS ME 
————— de la queue, de son origine à son 
ExDTÉMILÉ nvrsice MEET EE 
———— de la jambe, du genou au talon. . 
————— de la cuisse, du genou à la tête 
HU RCMUE. ee to te nee 
————— du pied, du bout du grand doigt 
AAMBIONNNAUES MNT TIENNE 0 
————— de j’avant-bras, du coude à l’arli- 
culation du poignet. . . . . 
————— du bras, de l'épaule au coude. 
————— de la main, du bout du grand 
doigt au poignet. . . . . 


0,17 
0,07 


0,21 
0,06 


0,05 
0,06 


0,05 
0,05 


0,04 


» La tête de cette jeune macaque étoit longue 
d’arrière en avant, comparée à sa largeur de droite 


DES MAMMIFÈRES. 


à gauclie; le museau saillant, mais le front droit ; 
sa peau avoit une teinte livide, excepté entre les 
yeux où elle étoit blanche; tous ses poils étoient 
noirs, les parties supérieures du corps en étoient les 
plus fournies ; mais nulle part ils ne couvroient assez 
la peau pour qu’elle ne se vit pas. Les parties infé- 
rieures étoit presque entièrement nues. Les poils de 
l'extrémité de la queue paroissoient les plus longs, 
et la terminoient en une mèche. Au sommet de la 
tête les poils s’écartoient de la ligne moyenne en se 
dirigeant obliquement en arrière, et ils se réunis- 
soient ensuite à l’occiput en une sorte de crête. On 
voyoit deux petites mamelles sur la poitrine; les 
callosités saillantes, mais non encore calleuses. 

» En janvier 1818 notre femelle macaque fut de 
nouveau réunie à son mâle, qui la couvrit le 25. 
Aussitôt ces animaux furent séparés ; et dans le cou- 
rant de mars on s’aperçut que la conception avoit eu 
lieu, par le développement du ventre et des ma- 
melles, quoique la menstruation fût toujours reve- 
nue chaque mois : enfin notre macaque mit bas le 
49 juillet suivant une femelle qui eut le même sort 
que la première et qui lui ressembloit à tous égards. 
Ainsi, par cette nouvelle expérience, sur lPexacti- 
tude de laquelle il ne pouvoit s’élever aucun doute, 
la portée avoit duré sept mois, comme je l’avois 
déjà observé sur une autre espèce de ce genre. De- 
puis cette époque la Ménagerie du Roi a vu plu- 
sieurs fois cette espèce se reproduire et les jeunes 
s'élever. 

» Pendant le cours de ja première année il pa- 
roitroit, à en juger par le jeune mâle, que le mu- 
seau s’allonge et que la tête se rétrécit sans qu’il se 
forme de crêtes sourcilières; que les incisives se 
développent, et que les premières canines com- 
mencent à paroître à la mâchoire inférieure. 

» Le pelage verdâtre de l’adulte remplace, dès 
la première mue, le pelage du nouveau-né, excepté 
à la partie antérieure du sommet de la tête ; mais la 
face n’est point encore entourée à cette époque de 
ces poils épais qui se montreront par la suite. Dans 
l'individu que je décris, on voit au sommet de la 
tête le caractère de l’aigrette, une crête produite 
par la convergence des poils ; l'intervalle qui sépare 
lés yeux est toujours blanc, ét les organes génitaux 
ne diffèrent de ceux de l'adulte que par moins de 
développement. Cette jeune macaque a de la gaieté, 
mais la méchanceté perce déjà au travers de ses 
jeux ; la longueur de son corps est de trente centi- 
mètres (onze pouces), et toutes ses parties sont à 
peu près dans les proportions de celles de l'adulte. 

» À la troisième année le macaque mâle ressem- 
ble beaucoup à la femelle adulte, par les propor- 
tions et par la taille, si j'en juge par un individu de 
cet âge que j'ai possédé ; mais la partie inférieure 
du front n’est point encore en saillie au-dessus des 


243 


yeux, les canines ne dépassent plus les incisives, et 
on voit encore au-dessus des sourcils des restes du 
pelage noir qui y forment une bande assez marquée : 
le dessus du nez et de là partie des paupières quien 
est voisine conserve le blanc assez pur que nous 
avons vu dans cette partie chez tous les individus 
que nous venons de décrire. Ses couleurs sont les 
mêmes que celles de la femelle, et sa face est aussi 
entourée de poils gris et hérissés ; ses organes géni- 
taux sont, à peu de chose près, semblables à ceux 
de l’adulte. Cet animal est doux, mais il est déjà 
lourd et triste. » 

La mobilité des traits des macaques les porte à 
faire de nombreuses grimaces, plus répétées lors- 
qu’on les contrarie. L’humeur des mâles se mani- 
feste par la violence, et c’est avec ardeur qu’on les 
voit chercher à mordre ceux qui les irritent. Les 
jeuves, au contraire, témoignent leur mécontente- 
ment par un cliquetis particulier des lèvres, et en 
ouvrant la bouche de manière à montrer les dents. 
Indociles, légers, très inconstants dans leurs désirs, 
ces singes recherchent vivement lescaresses et s’ha- 
bituent aisément aux friandises. Ce n’est que par 
des punitions répétées, que par une patience à toute 
épreuve, qu’on les façconne à des exercices peu en 
rapport avec leur organisation ; toutefois ils ne tar. 
dent point à devenir habiles, mais ils ne s’y livrent 
jamais que d’une manière contrainte et pour éviter 
les corrections : nul animal ne conserve plus long-- 
temps une profonde rancune contre ceux dont les 
mauvais traitements lui ont inspiré de l’aversion. 
Mangeant indifféremment tout ce qu’on lui présente, 
le macaque a souvent la mauvaise habitude de ron- 
ger l'extrémité de sa queue. Les jeunes sont enjoués 
et aiment le badinage, tandis que les adultes sont 
revêches, méchants , et très portés à mordre. C’est 
avec la plus vive prestesse que ce singe gravit dans 
les cordages d’un vaisseau ; et c’est avec une grande 
docilité que les femelles, plus douces et moins volon- 
taires, sont faconnées par les jongleurs à une foule 
d'exercices qui amusent les oisifs des villes. Qui n’a 
point vu, en effet, quelque jeune et mallieureux 
Savoyard faire danser au son d’un rustique instru- 
ment un macaque revêtu d’accoutrements bizarres, 
et dont la face grippée est rendue plus ridicule par 
la coiffure qui la recouvre? Étrange association que 
celle d’un animal arraché aux profondes forêts de 
l'Asie, devenu le remplaçant de la marmote, et le 
compagnon et le gagne-pain d’un pauvre montagnard 
européen | 

Long-temps on a eru que le vrai macaque étoit 
originaire d’Afrique, mais cette opinion étoit une 
erreur ; et c’est dans les iles de Sumatra, ctsurtout 
de Java, qu’il vit en troupes considérables, et que 
les naturels le prennent dès son bas âge pour le 
plier à la domesticité, et le plus souvent afin d'en 


244 


lâche dans leurs ports. Ce singe, introduit acciden- 
tellement dans l'ile Maurice, s’est établi dans les 
rochers crevassés de la montagne du Pouce, et s’est 
rendu redoutable aux habitants par les maraudes 
continuelles auxquelles il se livre dans les vergers 
placés au pied des mornes. 


A 
LE MACAQUE A FACE NOIRE. 
Macacus carbonarius (1). 


Le macaque à face noire n’étoit point connu des 
naturalistes, avant que M. Cuvier l’eût distingué 
du macaque ordinaire. Il se pourroit cependant qu’il 
eût été mentionné par quelques voyageurs ; mais les 
renseignements qu'ils nous fournissent sur les singes 
” sont en général trop superficiels, pour qu’on puisse 
en tirer quelques données satisfaisantes. 

Le macaque à face noirea son pelage coloré comme 
le macaque ordinaire; il est d’un vert grisâtre sur 
les parties supérieures , teinte qui est due à ce que 
chaque poil , d’abord gris, se trouve annelé de jaune 
et de noirâtre ; le dessous du corps et le dedans des 
membres , de même que le devant du cou et la poi- 
trine, sont d’un gris blanc qui teint aussi les favo- 
ris et les poils des joues. La queue, de la longueur 
du corps environ, est couverte de poils ras, et s’a- 
mincit à mesure que l’on avance vers son extrémité ; 
elle est grise-verdàtre à sa base, et grise-blanchâtre 
à sa pointe. Ce qui distingue ce macaque de l’espèce 
ordinaire, qui à la face couleur de chair livide, est 
d’avoir tout le museau d’un noir profond, excepté 
la paupière supérieure qui est blanche. La crête 
sourcilière, médiocrement allongée, est hérissée de 
poils noirs qui dessinent une sorte de bandeau étroit 
au bas du front ; les oreilles, notablement défor- 
mées, sont d’un noir mat, ainsi que les mains, les 
pieds, et les callosités des fesses. La couleur des 
testicules tire sur le jaune tanné. 

Ce macaque ne paroît point différer, par ses 
mœurs , des autres espèces. Il habite l’ile de Su- 
matra. 


() Fr. Cuvier, Mammifères, pl. 28, p. 84, édition 
in-4o ; Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Dictionn. class. 
d'Hist. natur., t. IX , p. 588. 


HISTOIRE NATURELLE 


db u à E 
vendre les individus aux navires européens en re- 


LE MACAQUE ROUX-DORÉ. 


Macacus aureus. Isin. GEOFF. SAINT-Hiz. (1). 


Ce singe est très voisin du macaque ordinaire par 
la disposition de ses poils, ses proportions et sa 
taille; mais il s’en distingue, au premier aspect, 
par sa couleur. En effet , chez lui, le roux remplace 
partout Polivâtre . et ce n’est guère que sur les flancs 
qu’on aperçoit encore une légère teinte roussâtre. 

Le dessus du corps et de la tête est en entier cou- 
vert de poils gris à la base, avec la pointe annelée 
de noir et de roux, d’où résulte pour l’ensemble une 
couleur rousse tiquetée de noir. Les membres sont 
grisâtres à leur face externe et blancs à leur face in- 
terne, de même que le dessous du corps et de la 
queue. Celle-ci est, à sa face supérieure, d’un noir 
tiqueté de roux ou de gris roussâtre dans sa pre- 
mière moitié, puis, dans la portion terminale, d’un 
gris brunâtre. 

Les joues sont vertes, ayant à leur partie posté- 
rieure de longs poils blancs dirigés en arrière, et 
qui cachent presque les oreilles. Les sourcils sont 
blancs, et se trouvent séparés sur la ligne médiane 
par quelques poils noirs. Enfin , il existe ordinaire- 
ment sous le menton un bouquet de poils roux di- 
rigés inférieurement. 

Cette espèce se trouve à la fois répandue sur le 
continent indien et dans lesiles de la Sonde. M. Les- 
chenault l’a trouvée au Bengale, M. Reynaud au 
Pégou, M. Duvaucel à Sumatra, et M. Diard à Java. 

M. Bélanger assure que le macaque roux-doré est 
commun au bazar de Calcutta, où on peut se le pro- 
curer pour quelques roupies. 

Ce singe paroît avoir été déjà indiqué, mais non 
distingué spécifiquement dans plusieurs ouvrages, 
et c’est en partie sur lui que repose le prétendu cer- 
copithecus mulatta de quelques auteurs. 


LE MACAQUE URSIN. 
Macacus arctoïdes. Isib. GEOFF. SAINT-His. (?). 


Le macaque ursin se reconnoitra toujours, au pre- 
mier coup d'œil, à Pextrême brièveté de sa queue, 
qui n’a guère plus d’un pouce de longueur. Il offre 
aussi un caractère, qui sufliroit seul pour sa dis- 
tinction spécifique, dans son pelage, presque partout 


(") Voyage de Bélanger aux Indes orientales, partie 
zoologique, p. 76, pl. 2. 

(2) Voyage aux Indes orientales de Bélanger, zoolo- 
gie, p.77. 


DES MAMMIFÈRES. 24 


composé de longs poils assez rudes, annelés un 
grand nombre de fois de roux et de noir, d’où résulte 
une couleur générale brune -roussâtre tiquetée de 
noir. 

La coloration de la face, autant qu’on peut en 
juger sur une peau desséchée et conservée depuis 
plusieurs années, présente un caractère très spécial. 
En effet, le nez se détache par une couleur noirâtre 
au milieu de toute la face, qui paroît avoir été cou: 
leur de chair. 

Cette espèce parvient à une assez grande taille. 
L'individu d’après lequel a été faite cette description 
avoit environ deux pieds huit pouces du bout du 
museau à l’origine de la queue, celle-ci n'ayant 
qu'environ un pouce. 

Le nom spécifique d’arctoïdes rappelle à la fois et 
les longs poils bruns (comparables à ceux de l’ursus 
arctos), et la queue rudimentaire de l'ours. L’in- 
dividu qui existe au Muséum a été envoyé de Ja Co- 
chinchine par M. Diard: c’est un mâle bien conservé 
et parfaitement adulte. 

M. Fr. Cuvier a donné, dans son Histoire natu- 
relle des mammifères, la copie d’une figure qui lui 
a été envoyée de l’Inde par M. Duvaucel, et d’après 
laquelle il a établi une espèce nouvelle sous le nom 
de macaque de l’Inde, macacus maurus. Ce maca- 
que de l’Inde seroit caractérisé, par rapport au ma- 
caque ursin, par une face entièrement noire ( d’où 
le nom de macacus maurus ), la queue un peu plus 
longue et aussi quelques différences dans le pelage. 
Cependant on remarque la plus grande analogie entre 
ces deux singes sous plusieurs rapports, et il seroit 
possible que ces macacus maurus et arctoïdes ap- 
partinssent à une même espèce. 

Quoi qu’il en soit, la connoissance exacte du ma- 
caque ursin, outre l'intérêt qu’il peut offrir lui- 
même comme espèce , a cette conséquence pour la 
science que le sous-genre magot, admis par quelques 
auteurs, et conservé même dans la deuxième édi- 
tion du Règne animal, doit être supprimé. 

En effet, par l’extrême brièveté de sa queue, le 
macaque ursin se trouve exactement sur la limite 
du groupe des maimons et de celui des magots, qu’il 
lie ainsi de la manière la plus intime. Cela est si 
vrai, qu’on pourroit, presque avec un égal fonde- 
ment, le placer ou parmi les maimons, ou parmi 
les magots, dont il se rapproche incontestablement 
plus que des macaques proprement dits non seule- 
ment par les proportions de son prolongement cau- 
dal, mais aussi par l’ensemble de ses caractères 
spécifiques. 


[2 


11° TRIBU. 


LES OUANDEROUS. 


Silenus. Less. 


L'ouanderou, type unique de cette deuxième tribu, 
a élé ballotté dans plusieurs genres par les zoologis- 
tes ; c’est ainsi que les uns en ont fait un rhésus, et 
que d’autres l’ont classé parmi les papions ou les 
babouins, bien cependant que tous ses caractères 
d'organisation ne le fassent différer en rien d’essen- 
tiel des macaques dont on peut le séparer tout au plus 
en se servant de particularités accessoires peu im- 
portantes. 

Les macaques ouanderous auront done pour at- 
tribut un museau déelive et arrondi, qui, par sa 
saillie, établit le passage des macaques aux cynocé- 
phales, et, par l’ensemble de ses formes, les unit 
aux cercocèbes. Sa queue mince, grêle, et terminée 
par un flocon de poils, ne dépasse point la moitié du 
corps ; les poils de la tête s’allongent et retombent 
sur les joues et sur les côtés du cou en épaisse 
crinière. 

Cette tribu ne renferme qu’une espèce de l’île de 
Ceylan. 


LE MACAQUE OUANDEROU. 
Macacus silenus (1). 


Le singe nommé ouanderou est un des exemples 
les plus remarquables des vicissitudes qu’éprouve la 
nomenclature , et de la difficulté d'appliquer les des- 
criptions des voyageurs aux animaux classés dans 
nos ouvrages méthodiques. Ainsi pour certains na- 


(:) Desmarest, Mammalogie, esp. 31, p.63 ; Ency- 
clopédie, pl. 10, fig. #, et pl. 8, fig. 3 { guenon à cri- 
nière) ; Geoffroy Saint-Hilaire , Leçons sténographiées, 
huitiéme leçon, p. 23 : simia callitriches leonino cor- 
pore, P. Alpin, Ægypt., t. 1, pl. 20, fig. 2 et 21 : cer- 
copithecus silenus , faunus, vetus, senex et vetulus, 
Erxleben, Hammalium : simia silenus et simia leo- 
nina, Gmelin: simia silenus, Screber, pl. 41 ; Brisson, 
Quadrupèdes, p. 209 : simia leonina, Pennant, Shaw; 
louanderou et le lowando, Buffon,t. VIE, pl. 10, 
p. 404, et pl. color. 221 : l'ouanderou , Audebert, Sin- 
ges, deuxième famille , sect. 4, fig. 3 : le babouin ouan- 
derou, Geoffroy, Annal. du Mus.,t. XIX, p. 102: 
papio silenus, Geoffroy, Catalogue, p. 27 : le macaque 
à crinière , Cuvier, Règne animal, L.I, p. 95 ; macacus 
silenus, Fr. Cuvier, Hammif., pl. 38: rhesus ouande- 
rou, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Dictionn. class. 
d'Iist. natur., L. IX, p. 588 : the o-ouanderou, Griff., 
Règne animal, fig. 1. 


246 


turalistes cette espèce appartient au genre papion, 
au genre cynoréphale pour d’autres, bien cependant 
qu'il paroisse plus naturel de la laisser parmi les 
macaques. Son nom d’ouanderou lui a été donné par 
Buffon, qui l’emprunta au voyageur Knox, le pre- 
mier qui ait clairement décrit ce quadrumane. « À 
Ceylan, dit-il, se trouvent des singes aussi grands 
que nos épagneuls, qui ont le poil gris, le visage 
noir avec une grande barbe blanche d’une oreille à 
l’autre; on en voit d’autres de la même grosseur 
ayant le corps, le visage et la barbe d’une blancheur 
éblouissante ; on les nomme également ouanderou ; 
ils font peu de mal aux terres cultivées, et se tiennent 
ordinairement dans les bois où ils ne vivent que de 
feuilles et de bourgeons ; mais quad ils sont en cap- 
tivité, ils mangent de tout. » Ce nom d’ouanderou 
semble dériver de celui delwandu , qu’on leur doune 
däns l’ile de Ceylan, et c’est encore cette dernière 
dénomination que Buffon a changée en lowando. L'ile 
de Ceylän n’est point la patrie exclusive de cet ani- 
mäl; plusieurs voyageurs, et entre autres le père 
Vinceht-Marie, l’avoient rencontré sur la côte du 
Malabar, où peut-être il avoit été transporté par 
quelque trafiquant chingalois. Il est connu des 
Indous sous le nom de nil-bandar. 

Les variations que l’ouanderou présente dans les 
couleurs de son pelage ont fait ériger en espèces, par 
les nomenclateurs, de simples variétés d’âge et de 
sexe. C’est en effet le même singe qu’'Erxleben à 
décrit sous cinq noms différents ; ainsi ses cercopi- 
thecus veter (1), senex (2), velulus (3), silenus (4), et 
faunus (°), nesont évidemment que ce macaque aux 
différentes époques de sa vie. Les figures qu’on en 
possède s'accordent assez généralement ; on trouve 
une grande analogie en effet entre celles de Knox, 
de Screber, de Buffon, copiées dans l'Encyclopédie; 
d'Audebert, de Griffith, et de M.F. Cuvier. 

Dans ces derniers temps, le Muséum d'histoire 
naturelle a reçu plusieurs individus d’ouanderous 
qui ont vécu dans la ménagerie. Ce singe, assez long 
et mince de corps au niveau du bassin, à son mu- 
seau tout d’une venue avec le sommet de la tête, 
dont le nez estsitué presque à l’extrémité à une assez 
grande distance de la lèvre supérieure. Sa queue, 
forte à la base, puis amincie, se termine par une 
touffe de poils qui la grossit à l'extrémité ; sa lon- 
gueur est d’un peu plus du tiers du corps; et si ele 
paroit très courte dans la figure que Buffon a fait 
graver (pl. 40), cela tient à ce que le sujet qu’il exa- 
mina avoit eu cette partie coupée. Du reste, la 


() Cercopithécus barbatus, albus, barba nigra, 
Erxleb., p. 24 et suiv. 

() Cercopithecus barbatus, totus albus. 

(3) Cercopithecus barbatus, niger, barba alba. 

(4) Cercopithecus barbatus, totus niger. 

(5) Cercopithecus barbatus, caudà apice flocosa. 


HISTOIRE NATURELLE 


forme de la queue de l’ouanderouest très bien répré- 
sentée, quoique dans des dimensions trop longues, 
dans la figure, donnée par le même auteur, dé ce 
singe sous le faux nom de guenon à criniére. 

L'ouanderou atteint communément vingt-quatre 
pouces ét la queue dix. Les poils qui recouvrent le 
corps sont assez courts, et d’un noir intense sur le 
dos, la tête, le cou, les flancs, et les parties ex- 
ternes des membres. La queue est uniformément 
brune ; toutes les parties inférieures et le dedans 
des membres sont gris-blanchâtre, et parfois en- 
tièrement blancs ; une mèche grise termine aussi la 
queue. Mais ce qui rend l’ouanderou plus remar- 
quablé est l’épaissé crinière qui, à partir du front, 
enveloppe la face, couvre les joues , et retombe en 
épais flocons sur le menton. Cette crinière se com- 
pose de poils allongés, doués d’une certaine rigidité, 
souvent d’un blanc pur sur lés joues, et qui devien- 
nent gris et même gris-brun en avoisinant la face. 
Celle-ci est nue et colorée en noir mat, ainsi que,les 
pieds et les mains. 

Tous ceux qui ont vu des ouändérous en vie s’ac- 
cordent à les dire méchants, sauvages, et toujours 
prêts à mordre ceux qu’ils approchent. Leur angle 
facial aigu leur donne des liens de parenté assez in- 
times avec les cynocéphales , et semble prouver que 
leur intelligence, en suivant les développements de 
lencéphale, est peu susceptible d'éducation ; cepen- 
dant une femelle observée par M. F. Cuvier étoit 
douce, affectueuse, mais singulièrement capriciéuse. 

Le macaque ouanderou vit, dit-on, de fruits et de 
racines dans les forêts de l’ile de Ceylan. On l’a très 
fréquemment rencontré sur la côte du Malabar, 
mais en captivité ; il se pourroit alors qu’il y eût été 
transporté par les navires qui font lé cabotage entre 
Ceylan et les côtes de l’Inde. 


JI1° TRIBU. 


LES RHÉSUS OU MAIMONS. 


Rhesus. GEOFF. 


Les macaques de la tribu des rhésus s’éloignent 
déjà beaucoup des guenons et se rapprochent singu- 
lièrement des cynocéphales. Les deux espèces lés 
plus anciennement connues ont été jusqu’à ces der- 
niers temps une source intarissable d’erreurs de $y- 
nonymie de la part des nomenclateurs , et lés noms 
de rhésus et de maimons ont été fréquemment ap- 
pliqués tantôt à un de ces macaques, tantôt à l’autre. 
Les rhésus ont les formes trapues et massives, de 
larges callosités aux fesses , le museau très projeté 
en avant, et la cloison du nez abaissée verticale- 
ment sur la lèvre supérieure; leurs oreilles se dé- 


DES MAMMIFÉRES. 


forment déjà à leur sommet d’une manière très 
remarquable : leur queue ne dépasse jamais le cin- 
quième de la longueur du corps; elle est grosse et 
conique, et s’enroule en dessous ; elle est ordinai- 
rement tortillée chez les maimons, nommés à cause 
de cela singes à queue de cochon; enfin chez deux 
espèces la queue a au plus deux ou trois pouces, et 
établit le passage avec les magots. Tous les rhésus 
sont des iles indiennes de l’est. 


LE MACAQUE RHÉSUS. 


Macacus eryihrœus (1). 


Audebert donna le nom de rhésus au singe que 
Buffon décrivit sous les doubles noms de macaque 
et de palas à queue courte. C'est bien à tort que 
quelques auteurs réunirent à cette espèce le maimon 
aussi décrit par Buffon , et que déjà Edwards avoit 
mentionné sous le nom de singe à queue de cochon. 
Les auteurs les plus modernes ont singulièrement 
embrouillé la synonymie qui se rapporte au rhésus 
et au maimon, et ont appliqué avec tant d’arbitraire 
à l’une ou l’autre de ces espèces les phrases des au- 
teurs systématiques, que nous ne croyons pas devoir 
nous livrer à l’examen d’une question qui seroit oi- 
seuse aujourd’hui, que l’on peut déterminer avec 
précision ces singes pris individuellement. Le rhé- 
sus est le simia erythræa de Screber; et cette dési- 
gnation , consacrée dans îes species , lui vient de ce 
que ce singe est le seul dont les fesses et le haut des 
cuisses s’injectent à une certaine époque de la vieet 
paroissent d’un rouge de feu. 

Le rhésus mâle, représenté dans la pl. 55 des 
Mammifères de M. F. Cuvier , est remarquable par 
ses formes robustes el massives, et surtout parce 
que ses membres ont beaucoup plus d'épaisseur que 
ceux des autres macaques. Sa tête est forte, son cou 
est très court ; son front est aplati, séparé de la ra- 
cine du nez par un soubresaut, et son museau dé- 
clive est épais et conique : ses oreilles sont amples, 
et très pointues à leur sommet : mais son caractère 
principal consiste en une queue forte, assez courte, 
ayant une grande tendance à s’enrouler, non pas en 


(1) Isidore Geoffroy, Dictionn. class. d'Hist. natur., 
IX, p 588; Encyclopédie, pl. 7, fig. 2; Desmarest, 
Mammalogie, esp. 35 (synonymie erronée): macaque 
à queue courte et patas à queue courte, Buffon, Sup- 
Plément, t. XIV, pl 16:le rhesus, Audebert, Singes , 
deuxième famille, pl. 4 {bonne figure) : patas à queue 
courte, ibid , pl.4: macacus erythrœus , Fr. Cuvicr, 
pl..31 et 32; G. Cuvier, Règne animal, LI, p. 96: et 
Ménag_ du Mus. (figure de Maréchal gravée par Mi 
ger ): pithecus rhesus, Geoffroy, Catalogue, p. 25 : 
simia rhesus , G. Cuvier, Ménag. du Mus., in-fol. 


247 


dessus, mais bien en dessous et en forme de crochet. 
Ses testicules sont de couleur tannée, et le gland est 
simple. Son caractère répond à sa physionomie, car 
ses mœurs sont très méchantes. Son pelage est sur 
le corps d’un gris verdâtre à teintes blondes, qui ré- 
sulte de ce que chaque poil est gris, puis jaune, et 
terminé de noir. Les avant bras et les jambes sont 
plus décidément grisâtres, tandis que la teinte jaune 
des cuisses est plus dorée et plus brillante que sur 
toute autre partie. La queue est verdâtre en dessus 
et grise en dessous ; et toutes les parties inférieures 
du corps et internes des membres, foiblement gar- 
nies de poils soyeux, sont d’un blanc pur. La nature 
du pelage, chez cette espèce, est de toute part re- 
marquable par la finesse et la douceur des poils qui 
le composent. Des favoris assez épais recouvrent les 
joues ; ils sont gris-léger , tandis que la peau dénu- 
dée de la face , des oreilles et des mains, affecte une 
teinte cuivrée très claire. M. F. Cuvier signale un 
caractère assez spécial que présente le rhésus, c’est 
que, par une organisation qui semble particulière à 
la peau de ce macaque, le tissu de cette enveloppe 
éprouve une flaccidité qui n’est point le résultat de 
l’âge, mais qu’on observe à toutes les époques de la 
vie; fréquemment, chez de jeunes individus, la 
peau du cou est profondément ridée ; souvent encore 
les mamelies sont flétries de très bonne heure , et de 
nombreux plis sillonnent la surface de l'abdomen ; 
lorsque les individus ainsi amaigris du rhésus se 
trouvent dans des circonstances favorables pour ac- 
quérir de l’embonpoint, les mailles du tissu cellu- 
laire lâches se remplissent de graisse , les formes du 
rhésus disparoissent alors, et ce singe semble bal- 
lonné.C’est dans ces circonstances que les seins, de- 
venus demi-sphériques et arrondis, ont offert ces 
formes gracieuses de globes élastiques que surmonte 
un mamelon carné, qui ont porté si souyent des 
personnes, amies du merveilleux , à faire des rap- 
prochements absurdes de ce singe avec notre espèce. 

La femelle du rhésus ne diffère point du mâle 
par les couleurs de son pelage ; elle est toutefois de 
taille plus petite, et n’a guère, mesurée du bout du 
museau à la racine de la queue, que quinze pouces 
de longueur, tandis que la queue a rarement plus 
de cinq pouces et demi. Mais ce qui la distingue, 
et dont la planche 51 de M. F. Cuvier donne une 
parfaite idée, c’est la couleur rouge très vive qui 
couvre les fesses, entoure la queue ei descend sur 
les jambes. Cette teinte, due à l'injection perma- 
nente des vaisseaux capillaires par le sang , est en- 
core plus prononcée à l’époque du rut, sans ce- 
pendant acquérir le développement outré qu’on a 
signalé chez certaines espèces ; passé ce temps, l’af- 
flux du sang étant moins considérable, il en ré- 
sulte les rides ou les plis dont ces parties sont 
couvertes. 


245 


M. Frédéric Cuvier a fait figurer un jeune rhé- 
sus à l’âge de quarante-deux jours. I! naquit le 48 
novembre 1824, ayant, au moment où il vit la lu- 
miére , tous ses organes des sens parfaitement con- 
formés M. Cuvier suppose que la gestation dura 
sept mois; il rend compte ainsi des phénomènes 
qui suivirent sa naissance : « Immédiatement après 
être né, ce jeune rhésus s’attacha sous le ventre 
de sa mère, en se tenant fortement de ses quaire 
mains au pelage, et porta sa boucle aux mamelons 
qu'il saisit et qu’il ne quitta pas peodant environ 
quinze jours , gardant continuellement la même si- 
tuation, toujours prêt à téter lorsqu'il en sentoit le 
besoin, dormant quand sa mère éloit assise, mais 
ne lâchant pas, même pendant son sommeil, les 
poils qu’il avoit saisis. Quant aux mamelons, il n’en 
abandonnoïit un que pour prendre l’autre ; et c’est 
ainsi que les premiers jours de sa vie se sont écou- 
lés, ne faisant pas d'autre mouvement que celui de 
ses lèvres et de sa langue pour téter, et de ses yeux 
pour voir; car, dès les premiers moments de sa vie, 
il parut distinguer les objets et les regarder vérita- 
blement ; il suivoit des yeux les mouvements qui 
se faisoient autour de lui; et rien n’annoncoit qu’il 
eût besoin du toucher pour apprécier, non pas l’ef- 
fort qu'il auroit fallu qu'il fit pour atteindre les 
corps, mais la plus ou moins grande distance où ces 
corps étoient de lui. 

» Les soins de sa mère, dans tout ce qui tenoit 
à l'allaitement et à la sécurité de son nouveau-né, 
étoient aussi dévoués, aussi prévoyants que l’ima- 
gination peut se le figurer. Elle n’entendoit pas un 
bruit, n’apercevoit pas un mouvement sans que 
son attention ne fût excitée, et qu’elle ne manifes- 
tât une sollicitude qui se reportoit entièrement sur 
lui; car elle ne l’auroit jamais eue pour elle, appri- 
voisée au point où elle étoit. Le poids de ce petit ne 
paroissoit nuire à aucun de ses mouvements ; mais 
tous étoient si adroitement dirigés, que, malgré 
leur variété et leur pétulance, jamais son nourris- 
son n’en souffroit; jamais elle ne l’a heurté, même 
légèrement, contre les corps très irréguliers sur 
lesquels elle pouvoit courir et sauter. Jusqu'au 
moment de la mise bas, elle avoit eu le visage et 
les fesses fortement colorés en rouge ; mais presque 
immédiatement après, cette couleur, formée par 
l'accumulation du sang, disparut entièrement, et sa 
face redevint couleur de chair. » 

Ces quinze jours expirés, le jeune rhésus se dé- 
tacha de sa mère, montra dans ses premiers mou- 
vements une prestesse {out instinctive, et une assu- 
rance qui ne peut découler que d’un principe inné. 
Dans chacune de ses gambades pour s’accrocher 
aux barreaux de sa prison, la tendresse maternelle 
se manifestoit par une constante soilicitude ; et, sui- 
_vant tous ses mouvements d’un œil attentionné, sa 


HISTOIRE NATURELLE 


mère sembloit en surveiller les suites, afin de parer 
assez vile aux accidents qui pourroient en résulter. 
En grandissant , elle cherchoit de temps à autre à 
l'éloigner d'elle, non par indifférence, mais pour 
exercer ses organes ; dans le danger, au contraire, 
elle le serroit avec amour dans ses bras, et bon- 
dissoit dans sa prison en calculant tous ses gestes 
de manière à ce qu’il n’en arrivât point de mal à 
l’objet de ses affections. Ce jeune rhésus ne tarda 
pas à acquérir l’expérience de ses père et mère; 
mais on peut dire que sous le rapport de la jus- 
tesse du coup d'œil et de la certitude de la loco- 
motion , il se montra dès le début aussi habile que 
les individus adultes. Après six semaines environ il 
cherchoit une nourriture plus substantielle que le 
lait, qui, jusqu’à ce jour, avoit fait la base de son 
existence ; mais c’est alors que la mère montra le 
plus de sévérité, qu’à l'affût des aliments saisis par 
son enfant, et sans doute dans la crainte de son 
inexpérience, elle les lui arrachoit des mains et 
s’efforcoit d'empêcher qu’il y touchât : pressé par 
la faim, ce jeune singe devenoit très entreprenant, 
s’attiroit parfois des corrections, et n’obtenoit qu’à 
force d'adresse quelques parcelles des vivres qu’on 
placoit dans sa cage. Son pelage ne différoit point 
sensiblement de celui de sa mère, excepté que sa 
teinte étoit plus claire, et que la peau du dessous 
du corps, presque nue, étoit plus bleuâtre. Sa tête 
volumineuse et arrondie lui prêtoit une physio- 
nomie enfantine; mais ses membres étoient grêles 
et peu nourris, et ses oreilles amplement dévelop- 
pées. » 

M. F. Cuvier a figuré (pl. 57) une femelle de 
rhésus dont la face étoit remarquable par sa couleur 
brune-foncée. 

Doué de mœurs excessivement sauvages, rien 
n’a pu encore apprivoiser le rhésus ; d’abord har- 
gneux, puis capricieux et méchant par boutades, ce 
macaque en acquérant de l’âge ne tarde pas à de- 
venir foncièrement féroce. Les morsures qu'occa- 
sionnent les canines très développées des mâles 
sont souvent fort dangereuses. C’est sur le conti- 
nent de l’Inde qu’il vit, et c’est par troupes nom- 
breuses qu’on le rencontre dans les forêts qui bor- 
dent le Gange, et que, protégé par les Indous, il 
ne craint pas de s’avancer jusque dans les villes. 
Outre les figures publiées par M. F. Cuvier, on en 
trouve dans la ménagerie du Muséum une très 
belle gravure exécuiée par Miger d’après un vélin 
de Maréchal. 


DES MAMMIFÈRFS. 249 


ESEXZXFXTTYFYFYFT.-”-O-OO————————————— 


LE MACAQUE MAIMON. 


Macacus nemestrinus (1). 


Le maimon a été primitivement décrit par Ed- 
wards sous le nom de singe à queue de cochon (pig- 
tailed money). Les détails que Buffon et Dauben- 
ton donnèrent sur ce macaque sont vrais sous le 
rapport des formes, mais non sous celui de son 
identité spécifique avec l’espèce précédente. Les 
deux figures qu’en a publiées M. F. Cuvier ne per- 
mettent plus, par leur exactitude, de confondre ce 
singe avec le rhésus, dont il diffère à beaucoup d’é- 
gards. C'est encore le maimon que sir Raffles a dé- 
crit comme espèce nouvelle sous le nom de simia 
carpolegos (?). 

Le maimon, ou singe à queuc de cochon adulte, a 
près de vingt et un à vingt-deux pouces de longueur 
totale sur dix-huit ou dix-neuf d’élévation, tandis 
que sa queue, assez élevée au bas de léchine, est 
très courte et peu prononcée avec le reste du corps, 
et se recourbe en dessous en hameçon : la longueur 
de cette partie est au plus de quatre à cinq pouces. 
Ce singe à la tête volumineuse, le cou très court, 
le corps gros, les membres robustes et largement 
musclés ; son front est aplati, et son museau large 
et très proéminent ; la peau de sa face est basanée et 
presque nue, cà et’là quelques poils longs et noirs y 
sont implantés; les paupières supérieures sont d’une 
couleur carnée très claire; et les oreilles, médiocres 
et moins déformées que celles du rhésus, sont, ainsi 
que les mains et les pieds, de la même nuance que 


(1) Pig-tailed monkey, Edwards, Gl.,t. 7, pl. 214: 
simia nemestrina, Linnæus : lemaimon, Buffon, t. XIV, 
pl. 19, et pl. color. no 243 : simia platypigos, Scre- 
ber? : papio nemestrina, Erxleben, esp. 4, p. 20 : le 
maiïmon , Audebert, Singes, deuxième famille , sect. 4, 
pl. 2 (bonne figure d’un jeune); Encyclopédie, pl 10, 
fig. 1 :le nouveau babouin, Encyclopédie, pl. 10, 
fig. 1 : singe à queue de cochon, Fr Cuvier,pl. 33, 34, 
et 35: pithecus nemestrinus, Geoffroy, Catalogue, 
p.25; Desmarest, esp. 36, p. 66; G. Cuvier, Rég.anim., 
t. 1, p. 96: simia carpolegos, sir Raffles, Catal., 
Trans. Soc. Linn. Lond., t. XL: maimon, Griff., 
Règne animal, fig. 2. 

() Telle est la description donnée par sir Raffles 
{Trans Soc. Linn. Lond., t. XI): «Le bruh des Ma- 
lais est trés commun dans le voisinage de Bencoolen, 
où les habitants le dressent à monter aux arbres pour 
lui faire cueillir les noix de cocos, service dans lequel 
il est trés habile. 

» Il a environ deux pieds de haut lorsqu'il est assis; 
sa Couleur est d'un brun jaunâtre mélé de noir sur le 
dos, pâ'e ou blanchâtre par devant. Les poils du corps 
sont courts et serrés. Sur le sommet de la tête les poils 
sont noirs et divergenthorizontalement; ceux des sour- 
cils qui s'unissent au-dessus du nez sont aussi noirs ct 

I. 


| la face : toutefois les ongles sont d’un noir profond. 


Le pelage de ce singe est abondamment fourni de 
poils sur les parties supérieures du corps, tandis 
qu'ils sont plus rares en dessous et en dedans des 
membres ; tous sont soyeux : le milieu du vertex est 
d’un brun noir qui descend sur le cou, le long du 
dos, sur les lombes, et sur la moitié supérieure de 
la queue ; à ce brun noir ne tarde pas à se joindre 
sur les reins une teinte verdâtre qui s'étend aussi aux 
épaules, et qui passe au jaune sur les bras, puis au 
fauve sur les avant-bras : le verdâtre des cuisses se 
trouve mélangé de beaucoup de gris, dont la nuance 
s’affoiblit sur les pieds ; toutes les parties inférieures 
et le dedans des membres sont d’un blond clair qui 
succède au blanchâtre propre aux jeunes sujets : des 
poils assez épais entourent le visage en recouvrant 
les joues et en passant sous le menton; ils dessinent 
sur le front une sorte de petit bandeau d’un blanc 
pur qui se continue sur les joues, sous le menton et 
autour des oreilles : sous les yeux ces poils blanchà- 
tres se teignent de brun et forment sur les côtés des 
joues une sorte de tache noire; il en est de même 
en avant et au-dessous des oreilles. 

Les deux sexes se ressemblent par les couleurs, 
et les jeunes seuls ont leur livrée plus blonde ou plus 
dorée. C’est en vieillissant que le maimon devient 
trapu, que la tête prend de l’ampleur, que le des- 
sous du corps se teint de jaune, que les paupières 
blanchissent, et que la queue se recourbe en dessous. 
Daubenton, en disséquant le maimon décrit par Buf- 
fon, remarqua que ce quadrumane avoit le gland 
trilobé, les deux lobes latéraux étant plus longs que 
larges; et le troisième, placé en dessus à la naissance 
des deux autres, de forme arrondie et moins déve- 


dirigés en haut.Il n’a presque pas de barbe. La face est 
nue et couleur de chair, ainsi queles oreilles, les mains, 
et les callosités; l’'extrémilé du prépuce est vermillon; 
le museau est tant soit peu élevé, et les narines ouver- 
tes antérieurement; les yeux sont bruns ; les oreilles 
sont un peu rondes et ont une pointe obtuse en arrière; 
des poches aux joues; la queue courte et conique, lon- 
gue d'environ six pouces, insérée très hautetfrisanten 
bas; les callosités sont grandes; le pouce est un peu 
plus long, en proportion des autres doigts, que chez 
plusieurs autres singes; la derniére molaire a cinq tu- 
bercules. Dans cette espèce , comme dans plusieurs au- 
tres de ce genre, il y a un sac sous l’os hyoïde qui cora- 
munique avec le larynx. 

» Les naturels distinguent trois variétés de bruh : le 
bruh setopong, le bruh selasi, et le bruh puti. Le bruh 
setopong estle plus grand; la couleur du dos tire sur 
l'olive, et s’éclaircit en devant. Il est le plus docile et 
le plus intelligent de tous, et à cause de cela il est fort 
estimé. Lorsqu'on l'envoie cueillir des noix de cocos 
il choisit celles qui sont mûres avec beaucoup de juge- 
ment,et n’en prend pas plus qu'on ne le lui a commandé. 
Les deux autres sont d'une couleur plus sombre, moins 
intelligents et moins traitables. » 


32 


250 


loppé. Ces trois lobes sont séparés par de profonds 
sillons qui divisent ces trois portions du gland en les 
circonscrivant de manière que les deux grands lobes 
forment une cavité spacieuse au milieu de laquelle 
s'ouvre le méat urinaire. 

Les vieux maimons diffèrent des rhésus par leur 
douceur, et on en cite des individus dont le calme 
et la gravité ne se démentoient point; en général 
cependant, de doux et d’affectueux qu’ils sont dans 
le jeune âge, ils deviennent, en acquérant des an- 
nées, indociles et peu traitables. Plus douces que les 
mâles, les femelles, à l’époque du rut, présentoient 
l’ouverture du vagin bordée d'ordinaire par une large 
surface nue et ridée, gorgée d’un sang abondant 
dont la quantité finit par se faire une issue. Cette 
époque passée, l’abord du fluide sanguin diminue, 
et peu à peu la peau des parties naturelles reprend 
sa flaccidité première. Une femelle conservée dans 
la ménagerie du Muséum , et à laquelle on donna un 
mâle, s’accoupla très fréquemment dans un court 
espace de temps ; et chaque fois le coït ne duroit que 
quelques secondes. Après sept mois et vingt jours 
elle mit au monde un petit qui étoit mort dans la 
parturition. 

Le maimon habite l’ile de Sumatra. Les Malais lui 
donnent le nom de barrou, suivant M. Duvaucel, 
et de bruh, suivant sir Raffles. Les naturels l’em- 
ploient à monter dans les arbres pour cucillir les 
fruits, et l'habituent à unir la fidélité à l'adresse. 
C’est de cette particularité qu’étoit dérivé le nom de 
simia carpolegos que lui avoit donné sir Raflles 
dans son Catalogue d’une collection faite à Sumatra. 


LE MACAQUE LIBIDINEUX. 


Macacus libidinosus. Is. GEorr. (1). 


M. F. Cuvier fit copier par M. Prêtre un vélin du 
Muséum représentant un macaque inconnu, et cette 
petite figure parut dans l’atlas (cinquième livraison) 
du Dictionnaire des Sciences naturelles. M. Desma- 
rest crut y reconnoitre le maimon ou macacus ne- 
mestrinus ; mais ce rapprochement lui parut douteux, 
parce qu’alors le rhésus et le maïmon étoient très 
mal déterminés, et leur histoire considérablement 
embrouillée par les auteurs modernes. Toutefois il se 
pourroit que ce macaque libidineux, ainsi que l’a 
nommé M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, il y a peu 


() Isidore Geoffroy, Dictionn. class. d'Hist. natur., 
t. IX, p. 589 : le macaque inédit, Fr. Cuvier, Atlas du 
Dict. des Sc. natur., fig. 2; et Mammifères, p.109, 
édit. in-%o : macacus nemestrinus , var., Desmarest, 
Mammalogie, p. 67; G. Cuvier, Règne animal, Lt. 1, 
p.196: 


HISTOIRE NATURELLE 


de temps, fût véritablement le maimon femelle à 
l'époque du rut. Quoi qu’il en soit, la seule bonne 
diagnose faite de ce singe est celle que M. Isidore 
Geoffroy Saint-Hilaire (!) a tracée d’après la belle 
figure des vélins, et qu’il a imprimée en ces termes 
dans le Dictionnaire classique d'Histoire naturelle. 

« Notre description est faite d’après un dessin, de 
moitié environ de grandeur, qui se trouve dans la 
riche collection des vélins du Muséum. L’individu 
représenté, qui est une femelle, est fort semblable 
au maimon, dont il diffère cependant par ses joues 
d’un fauve légèrement olivâtre, comme les épaules 
et les membres antérieurs, et non pas blanches ou 
blanchâtres comme chez le maimon. Il a de même 
une sorte de calotte noire sur la tête, et cette tache 
se prolonge sur le dos et la queue, qui se trouvent, 
ainsi que toutes les parties postérieures du corps et 
la face externe des membres de derrière, d’un brun 
légèrement nuancé de fauve olivâtre. La face interne 
des membres, soit antérieurs, soit postérieurs, sem- 
ble grisâtre sur le dessin, et le dessous du corps d’un 
blanchâtre qui se nuance insensiblement avec le 
brun du corps. La face et les doigts sont à peu près 
couleur de chair ; enfin le corps paroît plus grêle que 
chez le maimon , et la queue est à peu près de même 
longueur : mais ce qui rend cette espèce extrême- 
ment remarquable, c’est l’énorme lurgescence de 
toutes les parties sexuelles pendant le rut. Tout ce 
qui environne la vulve, l'anus et les callosités (et 
même le dessous de la queue dans presque toute son 
étendue) acquiert un développement véritablement 
prodigieux, et dont il est tout-à-fait impossible de 
se faire une idée, par la fluxion quelquefois assez 
abondante qu’on observe périodiquement chez les 
autres macaques,. » 

Or cette description, faite d’après un dessin seule- 
ment, se rapproche beaucoup de celle du maimon ; 
elle légitime ce que Buffon dit de Pindividu qu'il a 
représenté dans sa planche coloriée 255, dont tout 
le dessous de la queue éloit nu et ridé, nudité qui 
devoit à l’époque du rut se gorger de sang, ainsi qu’on 
en a un exemple très remarquable dans la femelle 
du rhésus. 

Cette espèce est donc très douteuse, et devra pro- 
bablement être réunie au maimon, macacus ne- 
mestrinus des auteurs méthodiques. 


&«) Dictionnaire classique d'Hist. naturelle ,t. IX, 
p. 589. 


DES MAMMIFÉRES. 


LE MACAQUE A FACE ROUGE (1). 
Macacus speciosus (?). 


Le macacus speciosus, par l’ensemble de ses for- 
mes, établit le passage des macaques aux magots. Ce 
singe en effet est ramassé et a les membres trapus 
et la taille lourde, ce qui peut être dû à la brièveté 
de sa queue et au renflement de sa tête, que termine 
un museau conique. 

Le macaque à face rouge a son pelage teint sur les 
parties supérieures du corps et externes des mem- 
bres d’un roux vineux, la face entourée de poils 
noirs disposés en cercle alentour ; les parties infé- 
rieures et internes, et le bord des fesses, colorés en 
blanc grisâtre ; les oreilles et les doigts brunâtres, et 
les ongles noirs. 

Ce qui caractérise ce singe est le rouge vif qui co- 
lore la peau nue de la face, et qui ressemble à celui 
du macaque à face pourprée, mais qui est très dis- 
tinct du rouge vermillon qui apparoît sur le museau 
des femelles du rhésus lorsque leurs organes de la 
génération sont en état d’érétisme et d’excitation. 

Le macaque à face rouge est aussi très facile à re- 
connoitre à l’extrême brièveté de sa queue conique 
et pointue, et en grande partie cachée par les poils, 
qui dépassent le sacrum. 

On isnore quelles sont les mœurs de ce quadru- 
mane. Il vit au Japon, et pourroit être le bruk selasi 
de sir Rafles : on en doit la découverte à MM. Diard 
et Duvaucel. 


LE MACAQUE DE L'INDE (5. 
Macacus maurus (!). 


Un individu du macaque indien fut envoyé au Mu- 
séum par M. Alfred Duvaucel, et décrit par M. Des- 
marest dans sa Mammalogie sous le nom de cynoré- 
PDhale nègre. La tête forte que termine un museau 


() M. Temminck en fait une espêce du genre magot, 
et le nomme inuus speciosus. Il lui donne pour patrie 
les îles du Japon, etditqu'on ne le trouve point aux Mo- 
luques. 

() F. Cuvier, Mammifères, pl. 40, p.112, édit. in-#o; 
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Dictionn. class. d'Hist. 
natur., t.IX,p. 589; G. Cuvier , Règne animal, LI, 
p. 96. 

() M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en fait le type de 
son genre cynopithecus. 

(4) Fr Cuvier, Mammifères, pl. 39; Isidore Geoffroy, 
Diction. class. d’'Hist.natur., t. IX, pl. 589 ; G. Cuvier, 
Règne animal, t. I, p. 96: simia malayana, Desmou- 
lins, Diction. class. : magus maurus , Lesson , Man.: 


251 


conique et proéminent, et l'extrême brièveté de la 
queue de ce quadrumane, avoient porté ce dernier 
auteur à le ranger parmi les cynocéphales, et nous 
avoient décidé à le classer dans notre Manuel avec 
le magot, dont il a presque tous les caractères gé- 
néraux de port et de formes. M. Frédéric Cuvier le 
décrivit sous le nom de macaque; et c’est en effet 
parmi ces singes de la tribu des rhésus qu’il doit être 
placé comme un passage naturel à la tribu des ma- 
gots, dont la seule différence consiste dans le tuber- 
cule qui remplace le rudiment de queue que pré- 
sentent le macaque à face rouge et celui que nous 
décrivons. M. Gray, dans le premier fascicule de ses 
Spicilegia, vient de donner un médiocre portrait du 
cynocéphale nègre, sans tenir compte de celui du 
macaque indien de M. F. Cuvier, bien que ces deux 
représentations soient relatives à des animaux iden- 
tiques. Enfin nous savons que MM. Quoy et Gaimard 
doivent publier une nouvelle figure faite d’après un 
individu vivant, pris aux Célèbes, de ce macaque, 
dont le Muséum ne possède qu’une dépouille en 
mauvais état. 

Le macaque de Inde a le museau très prolongé 
et très gros; la peau de la face est nue et colorée 
en noir mat intense; les oreilles, terminées supé- 
rieurement en pointe, sont, ainsi que la peau des 
mains et des pieds colorées en noir; les ongles sont 
en gouttière et bruns, excepté ceux des pouces qui 
sont aplatis; son pelage se compose de poils assez 
longs, partout également épais et très fournis, 
mais surtout sur la tête et le cou, où ils s’épaissis- 
sent en forme de crinière. Leur couleur est uni- 
formément brun-noir sale, tirant au fuligineux; les 
callosités des fesses sont rouges et surmontées par 
une queue à peine apparente, très mince et très 
pointue. 

M. Gray à vu ce singe vivant dans la Tour de 
Londres (1); sa taille est d'environ vingt-deux pou- 
ces , et la queue a moins d’un pouce. 

Le macaque indien habite les Moluques, notam- 
ment les Célèbes et l'ile de Solo, suivant M. Dus- 
sumier. 


le cynocéphale nègre, cynocephalus niger, Desmarest, 
Mamm. , esp. 819, p. 534; Gray, Spicilègia, er fasc., 
pl. 1, fig. 2 : wood baboon, Pennant , Quadrupèdes?: 
cynocephalus niger, Guoy et Gaim., ast., pl. Get, 
t LD 07 

() I lui donne pour diagnose la phrase suivante : 
C. niger ; capite elongato, cristä compressä long or- 
nato ; caud& brevissima. 


LE GELADA D'ABYSSINIE (1). 


Il a été découvert, en Abyssinie, par le voyageur 
Ruppell, qui l’a rencontré dans les provinces Ha- 
remat, Simen et Godjam. Le pelage de ce singe est 
très fourni sur le dos où il simule un épais manteau ; 
tous Jes poils sont allongés et tombants. Sa colora- 
tion est d’un brun noirâtre, passant au brun-clair 
sur les flancs et sur la tête, les joues et les côtés 
du cou. Sa queue est floconneuse au sommet; ce 
qui caractérise cette espèce sont deux plaques sur 
le cou, l’une en triangle et l’autre obovale. 


IVe TRIBU. 


LES MAGOTS. 
Magus ou inuus. 


Une seule espèce appartient à cette quatrième 
tribu ; elle ne diffère presque point des macaques 
cercocèbes , dont elle a tous les caractères généraux 
d'organisation. Son museau est moins proéminent 
que celui des rhésus, mais elle a comme eux le 
bord supérieur de l'oreille déformé et terminé en 
pointe. Ce qui distingue d’une manière précise les 
magots, c’est leur manque à peu près complet de 
queue ; Car chez eux cette partie se trouve rempla- 
cée par un simple tubercule, ou plutôt l'extrémité 
du coccix forme une légère éminence au-dessous de 
la peau. Peut-être seroit-il plus convenable de pla- 
cer les magots à la suite des cercocèbes, en faisant 
suivre les rhésus par les singes du genre cynocé- 
phale; mais les rapports sont si nombreux entre les 
espèces des quatre tribus que nous avons énumérées, 
qu'il devient presque indifférent de placer l’une 
d'elles avant l’autre. 

Les magots sont les seuls macaques qui vivent 
en Afrique, et qui se soient avancés en Europe, 
puisqu'on sait qu’ils se sont propagés sur le rocher 
de Gibraltar. 


LE MACAQUE MAGDOT. 
Macacus inuus (?). 


On s’est livré à beaucoup de discussions pour sa- 
voir si le magot étoit le pithèque et le cynocéphale 


() Macacus gelada ; Rupp., pl. 2. 
(2) Desmarest, Mammalogie, esp. 37, p. 67 : pithe- 
cos, Arist., Gal.: cynocephalus, Prosp. Alpin: simia 


HISTOIRE NATURELLE 


connu des Grecs, dont Aristote nous a laissé la des- 
cription. Cette question est à peu près résolue d’une 
manière aflirmative en ce moment, et le pithèque 
que disséqua Galien paroît être, sans aucun doute, 
ce singe commun alors assurément comme aujour- 
d’hui sur toutes les terres d'Afrique qui bordent la 
Méditerranée. Dans son jeune âge, ses traits peu 
arrêtés lui donnent une physionomie enfantine; 
c’est alors le pithèque de quelques auteurs; en 
vieillissant, sa physionomie est dénaturée par les 
grands changements qu’elle éprouve, et revêt des 
formes âpres et dures, plus laides encore que ridi- 
cules, qui ont fait donner à ce singe le nom de ma- 
got, ou, en d’autres termes, celui de singe à tête de 
chien (cynocéphale ), ainsi qu’on le trouve déerit 
dans Prosper Alpin (pl. 16 et 20), Jonston (pl. 50), 
Brisson et quelques autres vieux auteurs. 

Le magot habite toute la bande septentrionale 
des terres d'Afrique; on l’a rencontré du moins en 
Egypte, en Abyssinie, en Arabie et très communé- 
ment en Barbarie. De ce dernier point il s’est pro- 
pagé sur le rocher escarpé de Gibraltar, en deçà du 
détroit, de sorte que c’est le seul endroit d'Europe 
où l’on puisse véritablement dire que les singes 
existent. Ces animaux ont-ils paru sur ce rocher 
depuis que la mer s’est ouvert un passage entre 
l’Europe et Afrique, ou bien s’y trouvoient-ils 
lorsqu'une langue de terre que les anciens géogra- 
phes nommoient le seuil de la Méditerranée établis: 
soit une communication entre ces deux parties du 
monde, ainsi que l’ont pensé quelques écrivains ? 
L'existence des macaques-magots sur le rocher de 
Gibraltar a donné lieu à l’énonciation d’un fait géo- 
logique assez curieux : un Anglois, M. Imerie, a 
publié, en 1798, dans les Transactiuns de la Société 
royale d'Edimbourg, une notice dans laquelle il 
aflirme que les brècies calcaires de Gibraltar sont 
parsemées de débris osseux qu’il a reconnus appar- 
tenir à l’espèce du magot. 

La taille la plus habituelle que ce macaque ac- 
quiert est d'environ vingt-six pouces et quelques 
lignes de longueur totale, sur dix-neuf pouces de 
hauteur vis-à-vis les épaules ; sa tête est forte, sup- 
portée par un cou à peine apparent; les proportions 


‘des membres et celles du corps sont régulières, 


mais robustes et massives ; son museau élargi est très 
projeté en avant et surmonté par deux crêtes sour- 


pithecus, Screber, pl. #, fig. B : simia inuus, sylvanus, 
el pithecus, Linnæus: le magot, Buffon, t. VI, pl. 4, 
et pl. color. nos 238, 239 : Audebert, Singes, (am. 1re, 
sect. 3, pl. 1: le petit cynocéphale, Encyclopédie, pl. 7. 
fig. 1: le magot, Encyclopédie, pl. 6, fig. 3, et pl. 18, 
fig. 2: le pithèque, Buffon (jeune magot) ; Encyclopé- 
die ,pl. 6, fig. 4 : pithecus inuus, Geoffroy, Catal., 
p. 26 : macacus sylvanus, Fr. Cuvier, pl. #1 , p. 114, 
édit. in-#; G. Cuvier, Régne animal, {, 1, p. 96. 


DES MAMMIFERES. 


cilières saillantes, sous lesquelles sont cachés les 
yeux; les oreilles nues sont décidément terminées 
en pointe; de larges surfaces dénulées et calleuses 
apparoissent sur les fesses ; un gland piriforme, sou- 
vent caché dans le scrotum, termine la verge. Ses 
abajoues sont amples, ses canines prononcées, les 
doigts garnis d'ongles aplatis; mais ce qui est par- 
ticulier au magot c’est que les pouces des mains sont 
très petits, tandis que ceux des pieds sont excessi- 
vement développés. 

S’avançant dans les contrées tempérées, le magot 
est de tous les singes celui qui a recu la vestiture 
la plus épaisse ; son pelage est en effet très fourni, 
et les teintes qui le colorent sont sur la tête, les 
joues, le cou, les épaules, la partie antérieure du 
dos et la région externe des membres antérieurs, 
d’un jaune doré assez vif, mélangé de quelques 
poils noirâtres : celte nuance générale est due à ce 
que chaque poil est gris-foncé à la base, et puis 
annelé de jaune et de gris : dans le reste du corps 
se mêle à la couleur que nous venons d'indiquer 
beaucoup de gris ; parfois apparoissent sur les 
Jlombes des lignes ondulées brunâtres, dues au dé- 
rangement qu’a éprouvé le système pileux de ces 
régions. La poitrine et l’abdomen, ainsi que le de- 
dans des membres et le bas des joues, sont d’un gris 
jaunâtre ; une petite tache noirâtre descendant sur 
les joues occupe l’angle externe des yeux ; elle est 
due à ce que les poils de cette partie sont noirs et 
légèrement terminés de jaune à leur sommet. La 
face, qui est entièrement nue, et les oreilles, velues 
sur leur pointe et à leur bord, sont d’une couleur 
de chair livide ; les mains sont noirâtres et presque 
entièrement poilues, et les poils des joues retom- 
bent sur les côtés du cou sous forme de favoris assez 
touffus; de même que chez les orangs, les poils 
implantés sur les avant-bras des magots rebrous- 
sent vers en haut, en sens contraire par conséquent 
de ceux du bras; enfin la peau et les testicules sont 
rosés. 

Les femelles sont plus petites que les mâles, et 
leurs canines dépassent à peine les autres dents : 
sous tous les autres rapports elles n’en différent en 
rien. 

Habitant des contrées peu éloignées de l’Europe, 
le magot est de tous les singes celui qu’on y trans- 
porte le plus fréquemment. Docile, soumis, très 
éducable, ce singe, dans sa jeunesse, se plie aisé- 
ment à la servitude, et retient facilement les tours 
que les jongleurs lui apprennent. Etourdi, inatten- 
tif, capricieux, vivement affecté par ce qui l'en- 
toure, ce macaque toutefois, lors même qu’il est 
bien appris, s’attire de nombreuses corrections en 
oubliant quelques unes des cérémonies qu'il doit 
accomplir dans nos carrefours et nos places publi- 
ques. Plus âgé, au contraire, ses penchants se dé- 


253 


naturent, son humeur s’aigrit, son caractère devient 
revêche, et il s’abandonne alors à toute la frénésie 
de ses sauvages penchants : pris âgé, on ne peut en 
rien faire ; il se défend avec courage, et mord avec 
fureur. 

Le magot a une grande propension à faire des 
grimaces et à montrer les dents. La locomotion à 
quatre pattes sur le sol est la plus ordinaire ; mais 
il grimpe avec la plus grande aisance, surtout dans 
les arbres. Il se sert de ses mains pour porter les 
aliments à sa bouche après les avoir flairés : tout 
lui est bon, bien qu’il préfère cependant les bour- 
geons et les fruits. Pour se reposer ou pour dormir 
il s’assied en penchant sa tête sur le corps, ou il se 
couche sur le côté. La colère se décèle chez lui par 
le claquement des dents; mais lorsqu'il est mû par 
des passions douces, sa voix est une sorte de: petit 
grognement léger. En captivité, ce singe éprouve 
du plaisir à être réuni à quelque animal d’une espèce 
même opposée à la sienne; il s’y attache, témoigne 
la satisfaction qu’il ressent dans sa compagnie, en 
lai épluchant les poils et en lui cherchant des in- 
sectes sur la peau. C’est aussi de cette manière qu'il 
manifeste l’attachement qu’il porte au maître qui a 
pris soin de l’élever. 

Par l’ensemble de son organisation, le magot 
est le lien de transition des macaques avec les cy- 
nocéphales, bien que son manque de queue ait 


servi à beaucoup d’auteurs pour le rapprocher des 
orangs. 


LES CYNOCÉPHALES. 
Cynocephalus. Brissox. 


Les Grecs donnoient le nom de xuvoxéoa)os ou tête 
de chien à des singes que les Latins , à leur imita- 
tion , appelèrent cynocephalus, et qui répondent en 
grande partie aux babouins ou aux papions de Buf- 
fon. Tout porte à croire que les cynocéphales men- 
tionnés par Diodore de Sicile sont des mandrills : 
ce qu'il en dit du moins semble le faire supposer, 
Toutefois les détails fournis par Strabon , par Pline 
et par Ælien, se bornent à peindre les cynocé- 
phales comme des singes intraitables et brutaux ; et 
il est propable que l'espèce qu’ils avoient en vue 
étoit le singe de Moco ou l’hamadryas, dont ils 
pouvoient avoir connoissance par leurs communica- 
tionsavec l'Ethiopie. Ces animaux sont de tous les 
quadrumanes ceux qui se rapprocient le plus des 
mammifères carnassiers : leurs caractères zoole- 
giques ne les font point différer essentiellement des 
macaques, mais on ne peut les confondre avec au- 
cune espèce de singes, soit de l’ancien, soit du nou 


D 
254 
yeau monde, à cause de leur museau allongé, qui 
présente une grande analogie de forme avec celui 
d’un chien, bien qu’il n'ait point de mufle ; les na- 
rines vont s'ouvrir à l'extrémité et en devant de la 
troncature du nez, en grande partie formée par 
l'énorme développement des os maxillaires. 

Les cynocéphales ont trente-deux dents, et les 
canines sont surtout remarquables par leur prodi- 
gieux développement : comme chez les semnopi- 
thèques, la dernière molaire à cinq tubercules , et 
celle d’en bas est terminée par un talon ; angle fa- 
cial est réduit de trente à trente-cinq degrés au plus, 
et le front est notablement eflacé ; les crêtes sourci- 
lières, sagittale et occipitale, s'élèvent avec rudesse 
sur la surface du crâne; les oreilles sont aplaties, 
mais très anguleuses à leur sommet ; de vastes aba- 
joues permettent la distension de l'appareil buccal ; 
le corps est toujours massif, et supporté par des 
membres égaux et puissamment musclés ; la queue 
varie de forme, elle est ou très longue ou très 
courte; de larges tubérosités dénudées recouvrent 
les fesses, et sont ordinairement teintes des plus 
vives couleurs. Lescynocéphales sontles plusgrands 


de tous les singes : leurs proportions et leur taille 


sont assez bien rendues par celles de nos grands 
chiens de basse-cour. Le pouce des mains est très 
court, celui des pieds est plus robuste, et une ex- 
tension de la peau unit les deux doigts à leur base 
jusqu à leur deuxième phalange : ils sont terminés 
par des ongles minces, ployés en gouttière, mais 
non aigus à leur sommet. Dans la locomotion, il 
n’y a que l’extrémité des doigts qui porte sur le sol. 

Les cynocéphales peuvent être aisément divisés 
en deux tribus ou sous-genres, que caractériseroient 
quelques traits d'organisation peu importants sans 
doute, mais suffisants cependant pour autoriser cette 
petite distinction : la première section comprendroit 
les cynocéphales proprement dits, ou les babouins 
dont la queue est aussi longue ou un peu moins 
longue que le corps, et dont la face est lisse; la 
deuxième comprendroit les mandrills, dont le mu- 
seau est couvert de plis, et la queue très courte, 
très grêle, et implantée d'une manière presque 
perpendiculaire à la colonne vertébrale. 

Les cynocéphales, étudiés sous le rapport des 
modifications qu'éprouvent les appareils des sens, 
ont les yeux protégés par des crêtes sourcilières très 
saillantes et une papille ronde, cerclée de brun; 
l'énorme renflement des sinus maxillaires et la 
grande ouverture des narines font supposer que leur 
odorat est parfait : les lèvres ne sont presque point 
apparentes ; et la langue, dont la muqueuse est 
douce, est très extensible ; la peau nue du bout des 
doigts paroît jouir d’une grande sensibilité : aussi 
le tact est-il très délicat chez ces singes : la verge, 


que termine un gland piriforme, se cache dans le | 


HISTOIRE NATURELLE 


repos au milieu d’un scrotum généralement très dé- 
veloppé. Les femelles ont deux mamelles placées 
sur la poitrine; l’ouverture vaginale apparoît au- 
dehors sous forme d’une fente longitudinale, où l’on 
n’apercoit aucune trace de lèvres et de nymphes : à 
l’époque du rut ces parties se gorgent de sang et se 
tuméfient outre mesure, jusqu’à ce qu’une perte 
vienne aider au rétablissement de leur état normal, 
L’accouplement a lieu comme chez les autres mam- 
miferes ; seulement les mâles ont le soin, pendant 
la copulation, de retenir immobiles les femelles, en 
saisissant leurs jambes avec leurs mains. 

Le pelage des cynocéphales se compose de poils 
généralement touffus, mais plus épais cependant 
sur les parties supérieures du corps : la face et les 
mains en sont ordinairement privées, ou du moins 
ils ne s’y montrent qu’en très petite quantité. Ce 
n’est guère qu’en se servant des quatre membres à 
la fois que la locomotion s'exécute chez ces ani- 
maux ; mais leur encolure massive et leurs muscles 
puissants leur donnent une énergie et une force pro- 
digieuses Ils gravissent les rochers ou grimpent 
dans les arbres avec une prestesse peu commune, 
et les endroits qu'ils préfèrent sont toujours les 
lieux les plus déserts et les plus escarpés : avec 
leurs longues canines ils peuvent faire de dange- 
reuses blessures ; leur voix aigre est tantôt un aboie- 
ment rauque ou tantôt un grognement sourd et 
étouffé : leur face hideuse et méchante, leurs ap- 
pétits brutaux , font de ces singes des animaux in- 
domptables dont rien ne peut adoucir la férocité 
naturelle. 

Les femelles, un peu plus petites de taille que 
les mâles, n’ont point leurs canines, et se laissent 
parfois apprivoiser : les jeunes au contraire, dont 
le museau est beaucoup moins saillant, dont les 
formes sont plus arrondies et plus douces, paroissent 
en effet doués d’un bon naturel, et ne perdent de 
leurs qualités enfantines qu’en vieillissant; mais 
c’est alors qu’ils paroissent hideux, tant par leur air 
féroce que par le cynisme avec lequel sont dévelop- 
pées leurs parties postérieures. 

La nourriture de ces singes ne consiste cependant 
qu'en fruits ou en graines, régime qui ne doit entrer 
pour rien dans leur instinct de méchanceté : ils 
boivent en humant, et leur appétit est loin d’être 
aussi développé que leur penchant pour l’amour ; 
leur lubricité est révoltante, et c’est en public qu’ils 
aiment à satisfaire leurs sens grossiers : lors même 
qu'ils sont en captivité, la vue d’une femme suflit 
pour allumer leurs désirs ; et c’est chez eux, parun 
sentiment inné, que, ne pouvant les satisfaire avec 
un individu de leur race, ils ont recours à la mas- 
turbation. 

Dans l’état de liberté, les cynocéphales vivent 
par troupes dans des cantons que chacun d’eux affec- 


DES MAMMIFÈRES. 


tionne, etdontils chassentimpitoyablement ceux qui 
tenteroient de s’y établir. Ces singes n’ont pas tou- 
jours peur de l’homme, et c’est, dit-on, à coups de 
pierres et de branches d’arbres qu’ils essaient de 
repousser les visitesimportunes. Leurs dévastations 
les ont rendus redoutables aux habitants des pays 
où ils vivent; et l’on assure que lorsqu'ils projet- 
tent de dépouiller un verger, ils ont le soin de pla- 
cer des vedettes dont la vigilance répond du salut 
de la bande. On suppose que la durée de la vie de 
ces singes est d'environ cinquante années ; et comme 
leur accroissement est lent, ils ne prennent guère 
les formes adultes avant sept ou huit ans. 

On n’a point d'exemple de cynocéphales appri- 
voisés ; ils n’ont même jamais conservé la plus pe- 
tite reconnoissance pour ceux qui en prennent soin: 
toujours hargneux, sans cesse disposés à mordre, il 
est bien rare de les voir déposer un instant leur air 
sauvage et méchant. 

Tous les cynocéphales sont originaires d'Afrique, 
et se trouvent plus abondamment dans les parties 
intertropicales, bien qu’on en connoisse de l'Arabie 
déserte et des environs du cap de Bonne-Espérance : 
ces derniers habitent ainsi la zone tempérée. 

Les espèces de singes que nous décrivons ont été 
placées dans le genre cynocephalus par Brisson, 
Erxleben, Illiger et F. Cuvier. Linnæus et Bod- 
daert ne les avoient point distingués de leurs simia 
ordinaires, et quelques espèces avoient été décrites 
comme papions par Brisson, Erxleben, Illiger, 
Geoffroy et Lacépède. ! 

Parmi les curiosités rapportées d'Egypte par le 
célèbre voyageur Belzoni se trouvoit une momie 
parfaitement bien conservée d’un cynocéphale-tar- 
tarin ou hamadrias, reconnoissable à sa chevelure 
et à son long camail. Il paroît assez évident que le 
simia cynocephalus de Linnæus avoit des temples à 
Hermopolis, et on en trouve des figures très re- 
connoissables sur la plupart des monuments égyp- 
tiens. Il est même très probable que le sphynx, 
dénaturé par la mythologie grecque, avoit pour fon- 
dement l'existence de l’hamadrias. Chez les Egyp- 
tiens le cynocéphale étoit le symbole de Tot ou 
Mercure. 


LE CYNOCÉPHALE BABOUIN. 


Cynocephalus babuin (1). 


Le babouin n’a été bien caractérisé que dans ces 
derniers temps. Les auteurs n’ont pas toujours été 


() Simia cynocephalus, Fr.Cuvier, Mém. du Mus., 
t. IV, pl. 19 ; et Mamsmiféères, mai 1819, t.1; Dictionn. 
des Sc. natur., t, XI, p. 377 : cynocephalus babuin, 


255 


d’accord sur les espèces qui devoient porter exelu- 
sivement ce nom. M. Geoffroy Saint-Hilaire est le 
premier qui ait reconnu que ce singe devoit être 
le cynocéphale des anciens, dont ils ont souvent fi- 
guré les traits. ainsi que le prouvent les monuments 
qu’ils nous ont laissés. 

Le babouin semble être le lien de transition des 
magots aux singes groupés sous le nom générique 
de cynocéphales. Ses narines, ouvertes à l’extré- 
mité d’un museau saillant et conique, ne sont ce- 
pendant pas perforées sur la partie la plus avancée ; 
le cartilage moyen forme une sorte de saillie qui 
se projette sur la lèvre supérieure; ses yeux sont 
enfoncés sous des arcades sourcilières proéminen- 
tes, sa taille la plus ordinaire est de deux pieds et 
quelques pouces, sans y comprendre la queue, dont 
les dimensions sont de vingt à vingt-deux pouces ; 
son museau est nu et de couleur de chair livide; 
d’épais favoris blanchâtres couvrent les joues; son 
pelage est tout entier d’un jaune verdâtre, formé 
de poils jaunes et légèrement annelés de noir : cette 
teinte est beaucoup plus claire sur les parties infé- 
rieures. 

Les jeunes babouins diffèrent des adultes en ce 
qu’ils sont d’un blanc sale sur la poitrine et le ven- 
tre; leur museau est moins saillant; et les parties 
dénudées des fesses, au lieu d’être rouges, sont de 
couleur tannée. Ce singe paroit avoir été vénéré à 
Hermopolis. Son espèce ne paroît pas en effet être 
rare dans toute l’Afrique septentrionale, et on la 
rencontre fréquemment dans la Barbarie. 


LE CYNOCÉPHALE ANUBIS. 
Cynocephalus anubis (1). 


L'anubis à les plus grands rapports avec le ba- 
bouin ordinaire, dont il pourroit fort bien n’être 
qu’une variété d'âge. Cependant l’anubis semble 
avoir quelques caractères qui lui sont propres, et 
qui, toutes proportions égales, le distinguent du 
babouin : tels sont un museau plus allongé, une 
voûte du crâne plus surbaissée, et un pelage d’un 
vert plus foncé. Ces caractères, toutefois, de lallon- 
gement de la face et de l’intensité de coloration, 
appartiennent en général aux individus âgés de 
toutes les espèces de singes, quelles qu’elles soient, 
et il seroit, dans ce cas, possible que l’anubis fût 
l’âge complétement adulte du babouin. Les deux 


Desmarest, Mamm., esp. 33, p. 68: papion cynocé- 
phale, Geoffroy, Annal. du Mus., L. XIX, p. 102:le 
babouin, Desmoulins, Dictionn. class. d'Hist. natur., 
t. V, p. 259; G. Cuvier, Règne animal, t I, p. 97. 

() Fr, Guvier, juin 1825. 


256 


individus que M. F. Cuvier a examinés avoient à 
peu près un pied et demi du bout du museau à 
l'extrémité postérieure du corps, et deux pieds 
d’élévation au-dessus du sol lorsqu'ils se tenoient 
debout. La partie antérieure de la face étoit noire, 
ainsi que les oreilles et les pieds, tandis que les 
joues et le tour des yeux offroient une teinte carnée 
légère, et que la peau des fesses étoit d’un violâtre 
foncé. Les poils des joues étoient d’un jaune pâle, 
et ceux du dedans des membres étoient blanc-gri- 
sâtre : quant au pelage, il étoit partout ailleurs d’un 
verdâtre foncé. 


La description de M. F. Cuvier a paru dans le 
mois de juin 4825 : nous en avons extrait les dé- 
tails qu’on vient de lire ; à cela seulement se borne 
toute l’histoire de l’anubis. 


ESRD———_—_—_—Z—E——————_—…—…—… …—…—……—…— — —— 


LE CYNOCÉPHALE PAPION. 
Cynocephalus sphinæx (!). 


Les naturalistes ont décrit sous le nom de pa- 
pions des espèces de singes fort différentes. Le vrai 
papion cependant se distingue de toutes par ses 
formes ramassées et par son long museau, imitant 
celui d’un dogue. Ses proportions communes, me- 
surées de l’extrémité du nez jusqu’à l’anus, sont de 
deux pieds et quelques pouces sur vingt-six pouces 
d’élévation ; la peau dénudée des mains, les oreilles 
et la face, sont d’un noir intense : seulement la pau- 
pière supérieure est d’une couleur de chair très 
claire : les narines sont larges, placées en avant du 
museau , qui est tronqué obliquement, de manière 
à en occuper le bord le plus allongé ; l’ensemble du 
pelage est jaunâtre, à reflets bruns, ce qui est dû à 
ce que chaque poil est annelé de noir et de brun 
clair ; ceux des joues sont fauves et disposés en fa- 
voris épais ; le cou est revêtu de poils bien plus 
longs que partout ailleurs, tandis que le dessous 
du corps et les régions internes des membres sont 
presque nus. Les callosités des fesses des papions 
sont très larges et d’un rouge assez vif; la queue, 
presque de la longueur du corps, est dressée jusqu’à 


(:) Simia sphinx, Linnæus, Screber, pl. 13 B : le grand 
papion, Buffon, t. XIV, pl. 15, et pl. color. ne 217 : le 
paypion, Audebert, Singes, fam 3, sect. 1 , fig. 1 ,2,et 
3 ; Encyclopédie, pl. 6, fig #: simia cynocephalus, 
Brongn ,Journ d'Hist. natur., pl. 21 (jeune); copiée, 
Screber, pl. 13 B : le bavian des Hollandois : le petit 
papion, Buffon, 1. VIF, pl. 7, p. 96, et pl. col. no 240; 
Encyclopédie, pl. 9, fig. 1 ; Fr. Cuvier, Mammifères, 
mai 4819, 1.1; Pesmarest, Mammal., esp. 39, pl.69; 
Fr. Cuvier , Dictionn. des Sc. natur.,t. XI, p. 377; 
Desmoulins, Dictionn. class. d'Hist.nat.,t, V, p. 260; 
G. Cuvier, Régne animal, t, 1, p. 97. 


HISTOIRE NATURELLE 


| quelques pouces de son origine, et puis retombe 
comme si elle étoit brisée. 

Buffon avoit figuré ce cynocéphale sous le nom 
de grand et petit papion. Les différences qu'il a 
cru remarquer ne tenoient qu’à des modifications ap- 
portées par l’âge; et son grand papion, représenté 
avec une queue courte, avoit été mutilé, 

M. F. Cuvier a donné le portrait d’un très jeune 
papion femelle dont la coloration ne diffère point 
considérablement de celle des adultes. Son pelage 
est en dessus d’un brun roux, tiqueté de noir, pas- 
sant au blanchâtre sur la poitrine, le ventre, et le 
dedans des membres; les oreilles et l'extrémité 
sont brunâtres : d’épais favoris roux couvrent les 
joues ; et le museau, d’un noir intense, est remar- 
quable par sa brièveté et par la concavité du chan- 
frein. 

Le papion possède à un haut degré toutes les ha- 
bitudes que nous avons énumérées dans l’histoire 
des cynocéphales. C’est un singe plein d'intelligence, 
d’un caractère revêche et indisciplinable, très adonné 
à la gourmandise et à la lubricité; ses passions sont 
violentes et haineuses, et la force musculaire qu’il 
possède le rend dangereux. 

Ce cynocéphale habite indubitablement la côte 
occidentale d'Afrique, et principalement la Guinée : 
il est assez commun dans les ménageries d'animaux 
vivants qu’on montre en Europe. M. Delalande lui 
donne pour patrie le cap de Bonne-Espérance. IL 
rapporte que les papions, très communs autour de 
la ville du Cap, ne dépassent point Ja baie de Plata- 
Monts. 


LE CYNOCÉPHALE PORC OU CHACMA. 
Cynocephalus porcarius (1). 


Boddaert est le premier auteur qui ait décrit le 
cynocéphale que M. F. Cuvier nomma dans ces 
derniers temps chacma, nom dérivé de chôakauma, 


(«) Desmarest, Mamm., esp. 40 , p. 69: simia por- 
caria, Boldaert, Nat ,t. XXI, fig.i et 2: Screber, pl 6 B 
el 7 B:simia ursina, Pennant, Quadrupedes: le ba- 
bouin des bois, Pennant, copié Encyclopédie, pl.9, 
fig. 4 : simia sphyngiola, Linnæus : papio comatus, 
Geoffroy, Ann. du Mus., t. XIX : quenon à museau 
allongé, Pennant; Buffon, Supplément, t'VUE, pl. 15, 
p. 60, copiée Encyclopédie, pl. 8, fig. 1 : papio coma- 
tus et porcarius , Geoffroy, Annal. du Mus ,1. XX , 
p.102 et 103 : le chacma, Fr. Cuvier, Mammif., juin 
1819,4 1, Te livrais.; Fr. Cuvier, Dictionn. des Scienc. 
natur., t. XI, p. 377 : le singe noir, Le Vaillant, deu- 
œième Voyage, t. I, pl. 17 : choak-kauma, Kolbe, 
It.,t UT, p.64, édit. in-12; Desmoulins, Dictionn. 
class. d'Hist. natur., t. V,p 260; G. Cuvier, Règne 
animal, t.1, p.97: cynocephalus comatus, Geoffroy 
Saint-Hilaire, Lecons sténographiées. 


DES MAMMIFÈRES. 


que Kolbe, dans sa relation du cap de Bonne-Espé- 
rance, applique, d’après les Hottentots, à un grand 
singe de cette partie de l'Afrique, qui paroît être en 
effet le cynocéphale porc(f}, Le Vaillant en donne 
une figure, dans son deuxième Voyage au Cap, sous 
le nom de singe noir, mais sans l’accompagner de 
détails intéressants : le portrait le plus exact de cette 
belle espèce est donc celui qui est lithographié dans 
l'histoire des Mammifères de M. K. Cuvier. 

Le chacma à des formes massives et trapues : les 
membres sont même courts, proportionnellement 
à l'ampleur du corps; la tête surtout est remar- 
quable par ses fortes proportions et par l'épaisseur 
du museau ; les os maxillaires sont, sur les côtés du 
nez, notablement renflés ; les yeux sont enfoncés 
sous une profonde dépression des crêtes sourcilières ; 
le crâne est très aplati; la face, les oreilles de ce 
singe, ainsi que la peau des mains, sont d’un noir 
violâtre, que relèvent la teinte claire du tour des 
yeux et la blancheur de la paupière supérieure ; 
les oreilles sont très déjetées en arrière de la tête, 
et se trouvent placées à une distance considérable 
des narines ; d’épais et larges favoris grisâtres recou- 
vrent les joues ; les callosités des fesses sont beau- 
coup plus petites que chez les autres cynocéphales. 

Le pelage est en général d’un noir verdâtre, plus 
clair sur les épaules et sur les flancs que le long du 
dos : la teinte verte est beaucoup plus décidée sur 
le sommet de la tête : les poils, épais et serrés sur 
les parties supérieures, très rares sous le corps et 
en dedans des membres, sont gris à leur base, puis 
noirs et annelés de jaune plus ou moins sale vers 
leur extrémité ; les doigts, ceux des pieds de der- 
rière surtout, sont hérissés de petites soies courtes, 
rudes et noires : un flocon épais de poils allongés 
termine la queue, et de très longs poils, formant une 
épaisse crinière, sont implantés sur le cou : une pro- 
fonde dépression sépare les deux narines en dessus. 

L'individu figuré par M. F. Cuvier avoit la tête 
longue d’un pied, mesurée du bout du museau à 
l’occiput. Les dimensions de la queue étoient d’un 
pied huit pouces; sa hauteur aux épaules de deux 
pieds quatre lignes ; et vis-à-vis le bassin, d’un pied 
neuf pouces quatre lignes. Ce chacma pouyoit alors 
avoir quinze ans. Une femelle conservée vivante 
dans la ménagerie du Muséum étoit douée d’une 
douceur de caractère qui ne se démentit point : elle 
éprouvoit chaque mois le retour du flux menstruel, 
etentroit en chaleur régulièrement à cette époque ; 
mais alors le pourtour extérieur des organes de la 
génération se gonfloit outre mesure , et donnoit à 
ces parties l'apparence extérieure d’un bourrelet 


(‘) La description de Kolbe est bien celle d’un cyno- 
céphale ; mais rien n'indique qu’elle soit plutôt relative 
au papion qu’au chacma: la figure qu’il en donne est 
méconnoissable, 

I, 


297 
renflé : elle se distinguoit du mâle en ce qu’elle n’a- 
voit point le cou garni d’une crinière. 

D'une insigne méchanceté, le chacma, par sa 
force et la brutalité de ses appétits, est un animal 
excessivement dangereux ; ses canines font de pro- 
fondes blessures : toutes les passions sont chez lui 
portées à un haut degré de violence ; la vue des 
femmes lui fait une vive impression ; et si quel- 
qu’un s’en approche et a l’air de leur adresser des 
caresses, il entre aussitôt en fureur. Jaloux, sen- 
suel, gourmand, méchant, ce singe semble avoir en 
partage tous les vices, sans qu’une bonne qualité 
vienne racheter ces défauts. 

Le cynocéphale porc ou chacma a, dit-on, treize 
côtes et cinq vertèbres lombaires. Il vit par troupes 
de trois ou quatre individus seulement, sur les 
montagnes, dans le voisinage des bois de l’Afrique 
australe, à plus de cent lieues de distance de la ville 
du Cap. 


LE CYNOCÉPHALE TARTARIN. 
Cynocephalus hamadryas (1). 


Le tartarin a été décrit par les anciens naturalistes 
de la renaissance des lettres. On en cite un portrait 
de Belon que nous n'avons pu vérifier; mais les fi- 
gures de Clusius et de Jonston , quoique grossières, 
sont très reconnoissables. Ce nom de tartarin lui fut 
donné par Belon, parce qu’il pensoit que le singe 
auquel il Pavoit appliqué provenoit de la Tartarie. 
Hasselquist, dans son Voyage au Levant, en parle 
sous le nom de simia œægyptiaca; c’est très évidem- 
ment le dog-faced money de Pennant, représenté 
dans sa planche 14, figure première. Le tartarin 
recut le nom spécifique d’hamadryas de Linnæus ; 
celui de singe de loco par Buffon, parce que l’in- 
dividu qu’il étudia provenoit de Moco sur le golfe Per- 
sique ; enfin M. Cuvier l’appela papion à perruque. 

Le tartarin a ordinairement le corps long de 
vingt-quatre pouces, et la queue de quinze ; la tête, 
mesurée depuis l’occiput jusqu’au bout du museau, 
a jusqu’à huit pouces ; son corps est trapu et éner- 
giquement membré; le ventre est peu proéminent, 
tandis que l’abondante fourrure qui recouvre les 


(:) Desmarest, Afammif., esp. 41, p. 69 : simia ha- 
madryas, Linnæus; Screber, pl. 10 : cercopitheci, 
Clusius, Exot., p. 370 : papion à perruque, Cuvier, 
Règne animal, t.1, p. 98 : papion à face de chien, Pen- 
nant, Quadrupèdes ; Muld-Tpuffel, pl. 39 : lowando 
et singe de Moco, Buffon , t. XIV, pl. 18 ; Supplément, 
t. VII, pl.10 ; copié Screber, pl. 10 , et Encyclopéuie, 
pl. 10, fig. 3; le tartarin, F. Cuvier, Mamamifères, 
avril 4819, t.1I, 5e livraison ; Dictionn. des Sc. natrur., 
t. XXII, p. 578 ; Desmoulins, Dictionn. class. d'Hist. 
nat. , {, V.p. 299, 


CL 


J9 


258 


épaules donne à cette partie du corps beaucoup d’am- 
pleur ; son museau est long et élevé ; un sillon assez 
profond sépare les narines; les yeux sont enfoncés 
sous des crêtes sourcilières très saillantes ; et les cal- 
losités sont tellement développées, qu’elles recou- 
vrent toutes les fesses et brillent du rouge le plus 
vif; le museau et le rebord du front sont de couleur 
de chair légèrement tannée, teinte qui est propre 
aux parties dénudées des oreilles, tandis que les 
mains et les pieds sont noirâtres; les joues sont gar- 
nies d’épais favoris gris-ardoisé ; une touffe de poils 
allongés termine la queue, qui est forte : toutes les 
parties supérieures du corps sont couvertes de poils 
Jongs de six pouces, qui forment sur le cou et sur le 
devant du corps une épaisse crinière : le pelage est 
uniformément d’un gris cuivré un peu lavé de ver- 
dâtre, ce qui est dû à ce que chaque poil est alter- 
nativement annelé de noir et de jaunâtre. 

Les tartarins qu’on à eu occasion d'observer en 
captivité étoient des singes hideux, d’une force 
étonnante, et d’une férocité inouïe : on leur a trouvé 
treize côtes et cinq vertèbres lombaires. 

Le tartarin ou papion à perruque habite l’Abys- 
sinie. Alvarez et Niebuhr l’ont rencontré en Ara- 
bie, et peut-être est-ce le sphinx de Diodore. Ce 
grand singe est représenté dans les bas-reliefs du 
sanctuaire d’Essaboua, si l’on en juge par la qua- 
rante-cinquième planche (figure a) des Monuments 
de la Nubie par Gau, où il est très reconnoissable. 

Ses habitudes sont entièrement inconnues. 


LE MANDRILL. 


Cynocephalus mormon (1). 


De tous les animaux, le mandrill est le plus re- 
marquable par la profusion des riches couleurs qui 
teignent les parties du corps qui sont privées de poil. 
Le rouge de feu , le violet le plus éclatant, l’azur le 
plus pur. sont répandus avec profusion sur sa face 
ou sur les larges nudités des fesses, et blessent les 
regards par la beauté cynique des organes qu’ils en- 


{() Simia mormon et maïimon, Linnæus (jeune âge 
et adulte) : le mandrill, le boggo, le barris, le choras, 
Buffon, t. XIV, pl. 146 et 17: et Supplément, t. VII, 
pl. 8, et pl. color. 220 et 241 ; Encycl., pl. 9, fig. 2 
et 3 :cynocephalus mormon, Desmarest, Mammal. , 
esp. 42, p. 70 : papio mermon, Geoffroy, mandrill, Au- 
debert , Singes, fam. ?, sect. 1, pl. 1 ; Screber, pl. 7 et 
8:mormon, Alstroëmer, Act. Holm.:le mantegar , 
Encyclopédie, pl. 6, fig. 2; G. Cuvier, Règ. anim.,t.H, 
p. 98;Miger, grav. d'après Maréchal , Aénag. du Mus. : 
mandrill,Fr. Cuvier, Hamm.(três jeune), juin 1821, 
29e livrais.;et mandrill mâle(vieux), mai 1824; Dict. 
des Sc. natur., t. XI, p. 378 ; Desmoulins, Dictionn. 
class. d'Hist. natur.,,t. V, p. 261, 


HISTOIRE NATURELLE 


luminent avec tant d'éclat. C’est aussi un singe ro- 
buste, puissant par son système musculaire , armé 
de canines redoutables, et d’une salacité encore plus 
brutale que celle des papions. La vue d’une femme 
jeune et jolie suflit pour allumer avec violence ses 
désirs ; et lorsqu'il est captif, on le voit la provoquer 
du geste, l’appeler avec ardeur, et se livrer enfin 
à tous les écarts de la passion la plus immodérée 
dans ses déréglements. Ce singe légitime done tout 
ce qu’en ont dit d'anciens voyageurs, et a dû plus 
d’une fois chercher à assouvir ses désirs avec les jeu- 
nes Négresses qu’il trouvoit isolées dans les forêts 
de la Guinée et du Congo, où il est très commun. 
De là a dû dériver sans aucun doute le nom donné, 
par les matelots hollandois des vaisseaux européens 
qui les premiers fréquentèrent la côte occidentale 
d'Afrique, de mann-drill, ou homme-satyre, mots 
qui répondroient au bon drille de notre vieux lan- 
gage. L'histoire de ce singe est entremêélée de détails 
qui appartiennent au chimpanzé ; et il seroit fort dif- 
ficile de débrouiller,. sous ce rapport, les faits qui 
appartiennent aux singes que Barbot, Gassendi et 
autres nomment barris, bogyo, mantegar, etc. 

Le mandrill atteint jusqu’à quatre pieds et demi 
lorsqu'il se tient debout. Ses dimensions les plus or- 
dinaires, prises du bout du museau jusqu’à l'anus, 
sont de vingt-cinq à vingt-six pouces, tandis que 
la tête, mesurée de l’occiput jusqu'aux narines, a 
huit pouces et quelques lignes ; la queue se borne 
à peu près à un tronçon qui à à peine deux pouces, 
et qui affecte une forme pointue et une position très 
élevée sur le bassin; ses membres sont épais et tra- 
pus; ses joues sont nues , très renflées, et sillonnées 
de rides profondes et longitudinales d’un bleu d’azur 
vif, passant au violet noirâtre; le nez est terminé 
par du rouge-cerise ; et ses oreilles, dont la peau est 
lisse et le sommet pointu, sont d’un noirâtre pour- 
pré ou violâtre, variant de teinte suivant l’âge et 
suivant la vivacité des désirs à l’époque du rut chez 
les mâles ; les pieds et les mains sont noirûtres ; les 
fesses sont complétement nues, et l’espace démuni 
de poils est beaucoup plus large que chez aucune 
autre espèce : ces parties sont d’un rose vif auquel 
se mêle un lilas pur ou un pourpre violet foncé, et 
parfois un violâtre bleu, qu’encadrent des teintes 
carnées; un rebord d’un rouge de sang entoure 
l'anus, et le périnée affecte souvent une coloration 
jaunâtre : à ce luxe de couleurs déposées sur des ap- 
pareils que la nature à presque toujours voilés par 
des poils et dérobés par des parties accessoires, tan- 
dis qu’elle s’est plu à les étaler au grand jour chez 
le mandrill, se joint le rouge de feu des parties de 
la génération. 

Le vieux mandrill a son pelage très épais et trés 
fourni sur le corps ; il est aussi foncé en couleur sur 

| ces parties, et est d'un brun verdâtre à nuances 


DES MAMMIFÈRES. 


sombres et intenses en dessus et d’un blanchätre 
uniforme en dessous; d’épais favoris rayonnants, 
formés de poils très longs, entourent les oreilles et 
couvrent les joues ; ils sont roux, teintés de gris, 
et tiquetés de noir ; sous le menton pend une petite 
barbe qui avance en brosse, et dont la couleur est 
d’un jaune citron agréable; une sorte d’aigrette, 
due à l'allongement des poils de la tête, hérisse par- 
fois l’occiput. 

Avant que les canines aient pris toute leur crois- 
sance, avant que le museau se soit allongé et que les 
maxillaires se soient renflées, les jeunes mandrills 
différent beaucoup desindividus adultes ; leur pelage 
est d’un gris verdâtre plus clair; leurs oreilles et le 
bout du museau sont noirs ; les rides se creusent sur 
les joues, mais la teinte bleue d’azur forme déjà un 
masque sur la face, et les distingue du drill; Ja 
petite barbe du menton est blanchâtre ou roussâtre ; 
les favoris sont tombants et roux, les fesses n’ont 
aucune des couleurs vives qui doivent plus tard y 
apparoître avec tant d'éclat, et les testicules enfin 
sont brunâtres. 

La femelle ne prend jamais la taille du mâle; ses 
formes sont plus petites et plus minces, et la peau 
de la face et des fesses ne se colore point avec autant 
de vivacité; son nez ne rougit à l’extrémité qu’à 
l’époque du rut, qui se renouvelle chaque mois, et 
qui amène sur le pourtour dela vulve uneexcitation 
et une aflluence de sang qui donnent alors à cette 
partie la forme sphérique qui finit par disparoitre 
avec la cause qui l’avoit vue naître, pour se déve- 
lopper le mois suivant. 

Les différences que présentent les mandrills 
avoient porté les auteurs systématiques à distinguer 
le jeune âge comme espèce sous le nom de simia 
maimon de Linnæus, tandis que l'individu adulte 
reçut le nom de simia mormon d’Alstroëmer et 
celui de choras par Buffon. 


Le mandrill est essentiellement méchant : jeune, 
il reçoit avec plaisir quelques caresses, et semble 
reconnoître les soins qu’on prend de lui; plus âgé, 
il est intraitable, colère, cruel, lascif et glouton : 
en un mot c’est un animal sauvage, féroce; et ce- 
pendant son régime est purement végétal, car il ne 
recherche pour aliments que les fruits et les racines. 
Il habite la Guinée et le Congo, où il est commun, 
et d’où on le tire ordinairement pour les ménageries 
ambulantes de l’Europe. 


259 


LE DRILE. 
Cynocephalus dril! (1). 


Le drill est la vivante image du mandril! ; iln’en 
diffère que par des nuances si peu frappantes, que 
tous les auteurs jusqu’à M. Frédéric Cuvier ne l’en 
distinguèrent point. A ce sujet, nous serions assez 
disposé à croire toutefois que c’est du drill qu’il 
s’agit sous le nom de simia syluicola, figurée pl. 12 
de la Zoologie générale de Shaw. C’est aussi proba- 
blement ce singe que Buffon avoit en vue quand il 
décrivit son babouin des bois ? (?). 

Le drill, dans l’âge adulte, ne diffère donc pas 
du mandrill, ni par les formes ni par les proportions 
du corps : la face et les oreilles sont nues ainsi que 
les fesses et les testicules, la paume des mains et la 
plante des pieds ; la teinte générale de la peau est 
bleuâtre, et les poils sont beaucoup moins abon- 
dants sur les côtés des fesses et sur la mâchoire infé- 
rieure ; les callosités et le serotum sont d’un rouge 
vif: ce cynocéphale est caractérisé parce que sa face 
est constamment, et dans tous les âges , d’un noir 
luisant ; les rides mêmes qui côtoient ie nez ne se 
creusent qu’à une époque assez avancée de la vie, et 
jamais on n'aperçoit de rouge sur le nez ni de bleu 
sur les joues. Des poils longs et très fins, gris à leur 
moitié inférieure, puis annelés de noir et de jaune, 
recouvrent toutes les parties supérieures du corps et 
externes des membres, ce qui donne à l’ensemble du 
pelage une teinte verdâtre ; ceux de la poitrine et du 
ventre, du dedans des cuisses et des bras, sont 
blancs-grisätres ; les joues sont recouvertes de poils 
assez rares couchés en arrière et d’un gris roussâtre 
qui ne cachent point la base des poils du cou, dont 
le gris est à nu et forme un demi-collier ; le dessous 
du menton est occupé par une petite barbe d’un 
blanc jaunâtre, tandis que les poils de l’occiput 
s’allongent pour donner naissance à une sorte de petite 
aigrette aplatie; la queue, très courte et presque 
verticale , est implantée très haut sur le croupion : 
elle est recouverte de poils gris disposés en une 
seule touffe. 

Le drill adalte a les mains et les pieds de cou- 
leur tannée, le front un peu bombé, les arcades sour- 
cilières assez développées, et le museau large et 


(r) Simia leucophœæa, Fr. Cuvier, Hammif., décem- 
bre 1818, t. 1 (adulte); et Annal. du fus. ,L. IX, 
pl.37 (jeune) ; drill très vieux, mai 1821, 28: livrais.; 
et drill trés jeune, février 4826 ; Dictionn. des Scienc. 
natur ,t. XII, p. 578 : cynocephalus leucophœus, 
Desmarest, Mammalogie, esp. 43, p. 71 ; G. Cuvier, 
Règne animal, t. 1, p. 99. 

(2) Babouin des bois, Pennant ; Encyclopédie, pl. 9, 
fig. #47?, 


260 


renflé; ses oreilles sontsans hélice proprement dite, 
ses lèvres minces et entières, et sa langue est douce : 
la verge, à gland piriforme, se cache en entierdans 
le serotum. 

La femelle du drill a la tête moins allongée, la 
taille plus petite, et le pelage beaucoup moins foncé 
en couleur ; les teintes verdâtres n’apparoissent que 
sur les parties antérieures , tandis qu’elles sont rem- 
placées par des tons gris sur les postérieures. A 
l’époque du rut le pourtour de la vulve se tuméfie, 
et forme une protubérance qu’un étranglement divise 
en deux portions inégales : ce phénomène se renou- 
velle mensuellement. 

Un drill âgé de douze ou quatorze ans avoit vingt- 
huit pouces de longueur totale, sur vingt de hau- 
teur. Le ton gris du pelage avoit pris une grande 
intensité de brunâtre, principalement sur le dos, les 
fesses, etles régions externes des membres : ies ar- 
cades sourcilières étoient saillantes, et le front affec- 
toit une grande déclivité; les os des maxillaires 
étoient très renflés ; et les poils des joues, du cou 
et des épaules constituoient par leur allongement une 
épaisse fourrure ; un rouge vif coloroit la mâchoire 
inférieure, les callosités, et traçoit autour de la queue 
un cercle élargi. 

Le drill mâle dans sa deuxième année ressemble 
beaucoup à la femelle ; les sillons des joues ne sont 
point encore développés, ct sa face est d’un noirä- 
tre sale; le front est bombé, les crêtes sourcilières 
peu saillantes, et le museau moins allongé ; le pelage 
est gris-jaunâtre , excepté sur le sommet de la tête 
ct'sur les membres où apparoissent des reflets ver- 
dâtres. Les jeunes femelles ont tous leurs poils gris- 
jaunûtres , et la barbe d’un jaune clair. 

Le drill doit, sans contredit, avoir les mêmes 
mœurs que le mandriil ; il doit aussi provenir des 
mêmes contrées, quoiqu’on ne soit point fixé à ce 
sujet. Les individus n’en sont pas rares dans les 
ménageries, et nous en avons vu un bel individu 
dans celle que le sieur Martin montre actuellement 
à Paris ( décembre 1829 ). 


D 


LE CYNOCÉPHALE DE WAGLER. 
Cynocephalus Wagleri (1). 


Cette espèce, donr nous ne connoissons que la 
courte description insérée par extrait dans le Bul- 
letin des Sciences de M. le baron de Férussac, pa- 
roit distincte des autres cynocéphales ; cependant il 
est si difficile de prononcer sur quelques phrases, 


(n) Agassiz, Fsis , t. XXI, p. 861, avec figure, ou ca- 
hiers 8 et 9 de l’année 1828 ; Bulletin des Sciences de 
Férussac, cahier de novembre 14829, p. 345, 


HISTOIRE NATURELLE 


et sans le secours de bonnes figures, que nous nous 
bornons à rappeler les rotions imparfaites qui indi- 
quent son existence. 

Les caractères que l’on assigne à ce singe nou- 
veau dans l'extrait de la description originale du 
recueil allemand l’fsis sont les suivants : Son mu- 
seau s’allonge beaucoup, et la peau de la face est 
nue, couleur de chair, et garnie de quelques petits 
poils sur le pourtour de la bouche seulement; les 
oreilles sont ovalaires, nues et sans rebord; la par- 
tie antérieure du cou et la poitrine étoient dénudées; 
le pelage se compose de poils olivâtres dans leur 
partie supérieure, cendrés à leur base et noirs à 
leur pointe; le pourtour de l’anus et les callosités 
des fesses sont colorés en fauve jaunâtre; les mains 
sont en dessus d’un cendré olivätre, et la queue, 
plus longue que le corps, est terminée par une touffe 
de poils jaunäâtres. 

Ce singe a offert les proportions suivantes : 


Longueur de la tête, du nez à l'occiput. . » 7 » 
———— de la face, du nez aufront. . , » 92 41 
Hauteur de la lèvre supérieur jusqu’au nez. » 7 
———— de tout le museau, du menton au 


nez. PS PE Eure de Ule) UIIR 
Intervalle entre les yeux.’ "7. "mp6 
_- entre les'oreilles., SES CRE OI) 
———— entreles oreilles et l’angle externe 

det'œil tierces ses DECO 7 
Longueur du/(rone. certe a claie TNT 
——— de la queue. . . . . . , . . 14 3 8 
———— des membres antérieurs. . . . 1 5 » 
———— des membres postérieurs. . . , 4 8 »% 


L'auteur dit avoir comparé le singe qu’il décrit 
avec les cynocéphales ouanderou , babouin ( cyno- 
cephalus antiquorum, Schintz), papion, comatus, 
chacma, hamadryas, et indique les différences qui 
l'isolent de ces diverses espèces. 

On n’en connoît point la patrie. M. Wagler acheta, 
vivant à Londres, l'individu femelle type de la des- 
cription. C’étoit un animal d’un caractère très doux, 
dont les mouvements étoient empreints de langueur, 
et dont la voix faisoit entendre les sons rauques et 
brefs de ho, ho, ho. 


LES SAPAJOUS, 
OU LES HÉLOPITHÈQUES. 
Cebus. Aucr. (1). 


Sous ce nom on désigne la tribu des singes amé- 
ricains ou platyrrhinins de M. Geoffroy Saint-Hi- 


(:) Cet article, rédigé en entier par M. Isidore Geof- 
froy Saint-Hilaire, ct dont nous sommes redevable à son 


DES MAMMIFÈRES. 


laire, que caractérisent une cloison nasale large, 
des narines ouvertes sur les côtés du nez; six mo- 
laires de chaque côté et à chaque mâchoire, ce qui 
porte le nombre total des dents à trente-six ; des on- 
gles aplatis; point d’abajoues ni de callosités; la 
queue longue, fortement musclée, et prenante, 
c’est-à-dire pouvant s’enrouler autour des corps et 
les saisir à l'instar d’une main. Ce dernier caractère 
est le seul qui soit propre aux sapajous ou hélopi- 
thèques, et qui les distingue des sagouins ou géo- 
pithèques : encore peut-on considérer le genre 
sapajou proprement dit ou sajou ( cebus), dont la 
queue est entièrement velue et foiblement prenante, 
comme formant un passage entre les deux groupes, 
et les liant de la manière la plus intime. Les sapa- 
jous et les sagouins sont donc très rapprochés les 
uns des autres par leur organisation, et ne sont 
véritablement que deux sections d’une même fa- 
mille naturelle. Presque toutes les considérations 
sommaires que nous pourrions présenter sur les 
uns étant ainsi également applicables aux autres, 
nous renverrons aux généralités relatives aux SINGES 
(p.164 de ce vol.) le petit nombre de remarques qui 
appartiennent à ces deux groupes; et nous nous 
attacherons principalement dans cet article à faire 
connoitre l’organisation et les mœurs de chacune 
des tribus dont nous avons à nous occuper. Ces 
genres seroient, suivant l’état présent de la science, 
au nombre de quatre; mais un cinquième parfaite- 
ment distinct, et très remarquable par plusieurs 
anomalies, doit être ajouté : nous en exposerons les 
caractères sous le nom d’eriodes. Parmi les cinq 
genres qui se trouveront ainsi décrits dans cet arti- 
cle, les quatre premiers, stentor, ateles, eriodes et 
lagothrix , ont la queue nue et calleuse en dessous 
vers son extrémité, et forment une première section 
à laquelle on peut donner avec Spix le nom de gym- 
nures. Le cinquième compose à lui seul une seconde 
section que caractérise sa queue entièrement velue ; 
c'est le genre cebus, que l’on nomme en francois sa- 
Pajou proprement dit, on mieux sajou. Nous dé- 
crirons d’abord les genres de la première section. 


$ Ter. 
SAPAJOUS 
A QUEUE NUE ET CALLEUSE. 
Gymnury. Srix. 


4e 2 Le à 

Si l’on excepte les cétacés et les kanguroos, il n’est 
point de mammifères chez lesquels la queue ac- 
quière une aussi grande force et remplisse d’aussi 


obligeance, est l’histoire abrégée la plus complète et la 
plus au courant de la science de cette famille de singes. 


261 


importantes fonctions. Cette partie, qui n'existe or- 
dinairement que rudimentaire et qui n’a presque 
toujours que des usages tout-à-fait secondaires, ou 
même entièrement nuls, devient, chez les sapajous, 
un instrument tout-puissant de préhension; c’est, 
en quelque sorte, une cinquième main à l’aide de 
laquelle l’animal peut, sans mouvoir son corps, 
aller saisir au loin les objets qu’il veut atteindre, 
ou se suspendre lui-même äux branches des arbres. 
L’étendue de la partie calleuse de la queue, toutes 
choses étant égales d’ailleurs, paroït se trouver 
dans un rapport assez exact avec la force de pré- 
hension de cet organe ; et comme elle est très con- 
stante pour chaque espèce, elle pourroit fournir 
d'excellents caractères spécifiques. Toutefois elle 
n’est sujette qu’à de bien légères variations, non 
seulement d’une espèce à l’autre, mais même entre 
deux genres différents. Ainsi la partie nue et cal- 
leuse comprend toujours le tiers environ de la queue 
chez les hurleurs et les atèles, et les deux cinquiè- 
mes chez les ériodes. Un autre trait commun à tous 
les sapajous de cette première section consiste dans 
le peu de largeur de leur nez; des narines sont 
ouvertes latéralement comme chez tous les autres 
singes américains, mais elles sont en général beau- 
coup plusrapprochées que chez les sapajous à queue 
velue et chez tous les singes américains à queue 
non prenante; et nous verrons même que ce Carac- 
tère est tellement exagéré dans le genre ériodes, 
que la disposition de ses narines le rend véritable- 
ment plus voisin des singes catarrhinins que des 
platyrrhinins. Cette remarque très curieuse a déjà 
été faite à l'égard d’une espèce, par Spix; elle doit 
être étendue à tous les ériodes. Quant aux formes 
du crâne , elles sont très variables dans cette pre- 
mière section des sapajous; cependant tous les 
genres ont cela de commun que la portion posté- 
rieure de la boîte cérébrale est très peu développée, 
et que l’os molaire ou jugal est constamment percé 
d’an trou très considérable dans sa portion orbitaire, 
au lieu du trou plus ou moins rétréci qui existe or- 
dinairement. La grandeur de ce trou n’est pas sans 
quelque importance, parce que, d’après l’analogie, 
il doit donner passage à une branche du principal 
nerf de la face, le trijumeau; et il est à remarquer 
que tout au contraire le trou sous-orbitaire est très 
exigu, ou plutôt se trouve remplacé par plusieurs 
ouvertures très petites; ce qui au reste est un Ca- 
ractère très général dans la famille des singes. Une 
autre condition organique, qui est commune à tous 
les sapajous à queue nue, consiste dans l'ampleur 
de leur hyoïde. C’est même dans l'un des genres 
de ce groupe, celui des hurleurs, que le corps de 
cet os arrive à son maximum de développement, 
ainsi que nous allons le montrer en présentant l'his- 
toire de ces singes, 


262 


LES HURLEURS OU ALOUATES, 


Stlentor. 


Ce genre, très naturel et très bien circonscrit, 
est caractérisé par ses membres d’une longueur 
moyenne, et tous terminés par cinq doigts; par son 
pouce antérieur de moitié moins long que le se- 
cond doigt, très peu libre dans ses mouvements et 
à peine opposable, et surtout par les modifications 
très remarquables de son crâne et de son os hyoïde. 
La tête est pyramidale, le museau allongé, le vi- 
sage oblique. L’angle facial est seulement de trente 
degrés ; et le plan du palais forme, avec celui de la 
base du crâne, un angle tel, que lorsqu'on pose la 
tête osseuse d'un hurleur sur les bords dentaires de 
la mâchoire supérieure , c’est-à-dire lorsqu'on met 
le palais dans un plan horizontal, le trou occipital 
se trouve placé au niveau de la partie supérieure 
des orbites. Ce trou est d’ailleurs remarquable par 
sa position ; il est reculé très en arriere, et dirigé 
verticalement au lieu de l’être horizontalement, en 
sorte que, bien loin d’être compris dans la base du 
crâne, il lui est perpendiculaire. La mâchoire in- 
férieure cst développée à l'excès, soit dans son 
corps, soit surtout dans ses branches ; celles-ci sont 
tellement étendues en largeur et en hauteur que 
leur surface est presque égale à celle du crâne tout 
entier. Elles forment ainsi deux vastes parois com- 
prenant entre elles une large cavité dans laquelle 
se trouve logé un hyoïde modifié d’une manière 
non moins remarquable. Le corps de l'os est trans- 
formé en une caisse osseuse à parois très minces et 
élastiques, présentant en arrière une large ouver- 
ture sur le côté de laquelle sont articulées deux 
paires de cornes, et figurant à peu près, lorsqu'elle 
a atteint son dernier degré de développement, une 
moitié d’ellipsoide. Cette caisse avoit, dans l’un des 
hyoïdes que nous avons examinés, deux pouces 
environ dans son diamètre antéro-postérieur, un et 
demi dans son diamètre transversal, et deux anté- 
rieurement dans son diamètre vertical ; et il n’est pas 
rare d'en voir de plus volumineuses encore. Aussi, 
ce qui est une suite de cet énorme accroissement, 
le corps de l’hyoïde dépasse en bas la mâchoire in- 
férieure, et forme au-dessous d’elle une saillie re- 
couverte extérieurement et cachée par une barbe 
longue et épaisse. La grande influence qu’exerce 
dans la production de la voix cette conformation 
singulière de l’hyoïde des hurleurs n’a point en- 
core été expliquée d’une manière entièrement sa- 
tisfaisante ; mais elle ne peut être révoquée en doute. 
Le larynx ne diffère de celui des sajons que par 
l'existence de deux poches membraneuses dans les- 
quelles s'ouvrent les ventricules, et qui se portent 


HISTOIRE NATURELLE 


vers l’hyoïde. Ces poches ont été décrites par Cam- 
per et Vicq-d’Azyr; et plus tard par M. Cuvier 
(Anat. comp., t. iv), qui, d’après de nouvelles re- 
cherches, a relevé quelques erreurs qui s’étoient 
glissées dans les observations de ses illustres pré- 
décesseurs, et qui a fait connoître quelques faits 
fort intéressants. Ainsi ce dernier anatomiste nous 
apprend que, dans l'individu qu'il a disséqué, la 
poche droite occupoit à elle seule presque toute la 
cavité de l’hyoïde, la gauche se terminant au mo- 
ment même où elle alloit y pénétrer; en sorte que 
les organes vocaux n’étoient pas symétriques, et 
présentoient une exception remarquable à l’un des 
caractères les plus généraux des appareils qui ap- 
partiennent en propre à la vie animale. Quoi qu’il 
en soit, au reste, de cette observation que nous 
nous bornons à présenter ici, il est certain que 
c’est aux modifications anatomiques de leur hyoïde 
que les hurleurs doivent la force extrême de leur 
voix qui se fait entendre à plus d’une demi-lieue à 
la ronde, ainsi que l’assurent tous les voyageurs. 
Cette voix est rauque et désagréable; d’Azara la 
compare au craquement d’une grande quantité de 
charrettes non graissées, et d’autres voyageurs aux 
hurlements d’une troupe de bêtes féroces. Ces 
singes se. font entendre de temps en temps dans le 
courant de la journée; mais c’est surtout au lever 
et au coucher du soleil, ou bien à l'approche d’un 
orage, qu'ils poussent des cris effrayants et prolon- 
gés : ceux qui n’y sont pas accoutumés croient alors, 
dit un voyageur, que les montagnes vont s’écrouler. 
Marcgraaff donne aussi à ce sujet quelques détails 
que nous rapporterons, sans toutefois nous porter 
garant de leur exactitude ; il assure qu’un individu 
se fait d’abord entendre seul, après s’être placé 
dans un lieu élevé, et avoir fait signe aux autres de 
s'asseoir autour de lui et de l'écouter : « Dès qu’il 
les voit placés, dit le voyageur saxon, il commence 
un discours à voix si haute et si précipitée, qu’à 
l'entendre de loin on croiroit qu’ils crient tous en- 
semble ; cependant il n’y en a qu’un seul ; et pendant 
tout le temps qu’il parle, tous les autres sont dans 
le plus grand silence; ensuite lorsqu'il cesse il fait 
signe de la main aux autres de répondre, et à l’in- 
stant tous se mettent à crier ensemble jusqu’à ce 
que, par un autre signe de main, il leur ordonne 
le silence. Dans le moment ils obéissent et se tai- 
sent ; alors le premier reprend son discours, et ce 
n’est qu'après l’avoir encore écouté bien attentive- 
ment qu'ils se séparent et rompent l'assemblée. » 
Quelques voyageurs assurent que les hurleurs se 
taisent lorsqu'on approche d’eux ; quelques autres 
affirment , au contraire, qu’ils redoublent alors 
leurs cris, et font un bruit épouvantable qui de- 
vient leur principal moyen de défense quand on les 
attaque. Ils cherchent en même temps à éloigner 


DES MAMMIFÉÈRES. 263 


l’agresseur en lui ‘jetant des branches d’arbres, et 
aussi en lançant sur lui leurs excréments, après 
les avoir reçus dans leurs mains. Au reste, ces 
animaux, dont le nombre est si considérable que, 
suivant un calcul de M. de Humboldt, il y en a, 
dans certains cantons, plus de deux mille sur une 
lieue carrée, sont assez rarement attaqués par les 
chasseurs. Leur peau est, il est vrai, employée 
quelquefois au Brésil, dans les Cordilières, pour 
recouvrir les selles et le dos des mulets ; mais leur 
chair paroît être d’un goût peu agréable, quoiqu’on 
l'ait comparée à celle du lièvre et à celle du mouton. 
Comme ils se tiennent toujours sur les branches 
élevées des grands arbres, les flèches et les armes à 
feu peuvent seules les atteindre; encore, avec leur 
secours même, a-t-on beaucoup de peine à se pro- 
curer un certain nombre d'individus, parce que, 
s’ils ne sont pas tués sur le coup, ils s’accrochent 
avec leur queue à une branche d’arbre, et y restent 
suspendus , même aprés leur mort. 

Les femelles des hurleurs, de même que celles des 
autres singes américains, ne paroïissent point sujettes 
à l'écoulement périodique, et elles ne font qu’un seul 
petit qu'elles portent sur leur dos. D’Azara assure 
que, lorsqu'on pousse près d’elles de grands cris, 
elles abandonnent leurs petits pour s’enfuir plus ra- 
pidement; et quelques autres voyageurs rapportent 
aussi des observations d’où il résulteroit que l'instinct 
de l’amour maternel a sur elles beaucoup moins de 
pouvoir que sur toutes les autres femelles de singes. 
Cependant nous trouvons, dans le grand ouvrage de 
Spix sur les singes du Brésil, un fait dont ce voyageur 
nous dit avoir été lui-même témoin, et qui tendroit 
à faire adopter une opinion toute contraire. Ayant 
fait à une femelle une blessure mortelle, il la vit 
continuer à porter son petit sur son dos jusqu’à ce 
qu’elle fût épuisée par la perte de son sang; se sen- 
tant alors près d’expirer, elle rassembla le peu de 
force qui lui restoit, pour lancer son précieux fardeau 
sur les branches voisines, et tomba presque aussitôt ; 
trait qui, ajoute Spix, suppose une sorte de réflexion. 
L'auteur de l'Histoire des Aventuriers, Oexmelin, 
affirme aussi que les femelles sont remarquables par 
leur attachement pour leurs petits, et qu’on ne peut 
se procurer de jeunes individus qu’en tuant leurs 
mères. Ce dernier auteur ajoute que les hurleurs sa- 
vent s’entr’aider et se secourir mutuellement pour 
passer d’un arbre ou d’un ruisseau à l’autre, et que, 
lorsqu'un individu est blessé, on voit les autres s’as- 
sembler autour de lui, mettre leurs doigts dans la 
plaie comme pour la sonder ; alors, si le sang coule 
en abondance, quelques uns ont soin de tenir la plaie 
fermée, pendant que d’autres apportent des feuilles 
qu’ils mâchent, et poussent adroitement dans l’ou- 
verture de la plaie. « Je puis dire, ajoute Oexmelin, 
avoir vu cela plusieurs fois, et l’avoir vu avec ad- 


miration. » Les hurleurs , comme la plupart des sin- 
ges, vivent en troupes et se tiennent habituellement 
sur les arbres; on a même prétendu qu’ils n’en des- 
cendent jamais. Spix affirme qu’ils sont monogames ; 
mais le contraire semble résulter des observations 
de d’Azara. {ls sautent avec agilité d’une branche à 
l’autre, et se lancent sans crainte de haut en bas, 
bien certains qu’ils sont de ne pas tomber jusqu’à 
terre, et de s’accrocher où il leur plaira, au moyen de 
leur queue à la fois longue, bien flexible et robuste. 
Ils se nourrissent de différentes espèces de fruits et 
de feuilles, et l’on assure qu’ils mangent quelquefois 
aussi des insectes. Bien loin de redouter le voisinage 
des grands amas d’eau, comme le font un grand nom- 
bre de singes, ils se plaisent dans les forêts les plus 
rapprochées des fleuves et des marais; c’est ce qui a 
été vérifié également au Paraguay par d’Azara, au 
Brésil par Spix, et à la Guiane par un observateur 
que Buffon cite sans le nommer, et qui est très vrai- 
semblablement le voyageur de Laborde. Suivant ce 
dernier, on trouve conmunément des alouates (sten- 
tor seniculus) dans les îlots boisés des grandes sa- 
vanes noyées, et jamais sur les montagnes de l’inté- 
rieur, Enfin M. de Humboldt, dont l'autorité suffiroit 
seule pour établir ce fait, l’a constaté également dans 
plusieurs parties de l'Amérique espagnole. Dans les 
vallées d’Aragua, à l’ouest de Caraccas, dans les 
Llanos de Lapuré et du Bas-Orénoque, et dans la 
province de la Nouvelle-Barcelone, on trouve des 
hurleurs partout où des mares d’eau stagnante sont 
ombragées par le sagoutier d'Amérique. On ne doit 
donc pas s'étonner, quoique la plupart des singes 
appartiennent exclusivement aux régions continen- 
tales, que quelques îles renferment des hurleurs. 
Telle est, d’après le voyageur Legentil, l'ile Saint- 
George, située à deux lieues du continent. Enfin, 
en terminant ce qui concerne les habitudes des hur- 
leurs, nous dirons que ce sont des animaux tristes, 
lourds, paresseux, farouches et d’un aspect dés- 
agréable. Ilest rare, pour cette raison, et sans doute 
à cause de leur voix, qu’on cherche à les apprivoi- 
ser, et il est plus rare encore qu’on y réussisse. Ils 
paroïissent en effet s’habituer très difficilement à vivre 
en domesticité ; et c’est ce qui nous explique pour- 
quoi on ne les amène jamais vivants dans nos cli- 
mats, malgré la fréquence des relations commerciales 
de l'Europe avec plusieurs des régions américaines 
où ils sont le plus communs. 

Ce genre, comme on a pu le voir par ce qui pré- 
cède, répandu dans presque toute l'Amérique mé- 
ridionale, avoit d’abord été établi sous le nom de 
cebus par MM. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, 
dans le Mémoire qu’ils ont publié en commun sur 
la classification des singes (Magas. encyclop.); mais 
le nom de cebus ayant été depuis transporté au genre 
des sajous ou sapajous proprement dits, nous adop- 


264 


terons, à l'exemple de M. de Humboldt, de Desma- 
rest (Dict. des Sc. nat.), et de plusieurs autres natu- 
ralistes, le nom de stentor proposé par M. Geoïfroy 
Saint-Hilaire. Ce nom, déjà ancien dans la science, 
rappelle d’une manière heureuse le trait le plus re- 
marquable des burleurs; et nous le prélérons aux 
noms d’alouata ct de mycetes créés Pun par Lacé- 
pède, l’autre par Illiger. Le nombre des espèces déjà 
connues, ou du moins indiquées par les auteurs, est 
assez considérable. M. de Humboïdt et M. Geoffroy 
en admettoient six, et depuis la publication de leurs 
travaux, quelques autres ont été annoncées par plu- 
sieurs écrivains, tels que Kuhl et Spix. Au surplus, 
il est très possible que le nombre réel des espèces 
soit beaucoup moindre qu’on ne l’a pensé. El est cer- 
tain que les hurleurs sont sujets à un grand nombre 
de variétés dépendant du sexe et de l'âge; et il est 
probable que plusieurs de ces variétés auront été éri- 
gées en espèces, comme on est porté à le faire toutes 
les fois qu’on n’a sous les yeux qu’un petit nombre 
d'individus. Pour nous, après l’examen de vingt 
crânes et de plus de quarante peaux, nous n'avons 
pu parvenir à déterminer, d’une manière exacte, que 
quatre espèces, savoir : les stentor seniculus et niger 
de M. Geoffroy, le stentor ursinus de M. de Hum- 
boldt, et une espèce non encore décrile que nous 
ferons connoître sous le nom de chrysurus. 


L'ALOUATE (1). 


On lui a quelquefois donné le nom de hurleur roux; 
nom que nous ne pouvons adopter, parce qu’il con- 
vient également à plusieurs espèces, IL se distingue 
de la plupart de ses congénères par la nudité presque 
complète de sa face où l’on remarque seulement des 
poils très courts et très clair-semés au-dessous des 
yeux et entre les orbites, sur la ligne médiane. Le 
corps est, en dessus, d’un fauve doré éciatant qui, 
vers la base de la queue et près des cuisses et des 
épaules, se change en roux brillant. La barbe, les 
joues, les bras, les cuisses et la partie supérieure des 
jambes, sont d’un marron clair très vif, et le reste 
des membres, le dessus de la tête et de la queue sont 
d'un marron foncé tirant un peu sur le violet. Les 
poils de la partie antérieure de la tête naissent du 
front, et se portent d'avant en arrière et de dedans 
en dehors. Un autre centre de poils se remarque vers 
la fin du cou. Il y existe en effet un point à partir 
duquel les poils du côté droit se portent à droite, 
ceux de gauche à gauche, ceux du dos ou les posté- 
rieurs en arrière, ceux du cou ou les antérieurs en 
avant. Les poils du cou et de la partie postérieure de 


() Buffon, t. VI: stentor senieulus, Geoffroy Saint- 
Hilaire ; simia seniculus , Liniæus. 


HISTOIRE NATURELLE 


la tête se dirigent ainsi précisément en sens inverse 
de ceux de la partie antérieure, d’où résulte, à l’en- 
droit où ils se rencontrent, une crête dont la direc- 
tion est transversale, et la forme demi-circulaire. Les 
poils des joues se portent en avant et en bas ; ceux 
de la queue, des membres postérieurs et des bras 
descendent; ceux de la face externe de l’avant-bras 
remontent au contraire, comme chez l’homme : ca- 
ractères remarquables qui se trouvent chez tous les 
hurleurs, quoique inégalement prononcés. La lon- 
gueur d’un individu adulte, mesuré du bout du mu- 
seau à l’origine de la queue, est de deux pieds envi- 
ron , et la queue est un peu plus longue. Les jeunes 
individus ont le corps uniformément d’un roux bru- 
pâtre. Cette espèce habite la Guiane, où on la connoît 
sous le nom de sirige rouge et de mono colorado. 


LE HURLEUR A QUEUE DORÉE. 


Stentor chrysurus. 1$. GEOrr. 
+ 

Cette espèce paroît avoir été confondue avec la 
précédente, dont elle diffère moins par la nuance 
que par la disposition de ses couleurs. La dernière 
moilié de la queue et le dessus du corps, depuis 
l’origine de la queue jusqu’un peu en arrière des 
épaules, sont d’un fauve-doré très brillant; l’extré- 
mité de la queue est d’un marron assez clair ; et le 
reste du corps, la tête tout entière, et les membres, 
sont d’un marron très foncé, principalement sur les 
membres, où il prend une teinte violacée. La face 
est un peu moins nue que dans l’espèce précédente. 
Elle se distingue d’ailleurs très facilement de celle- 
ci; en effet, le tête et les membres sont d’une seule 
couleur, et la queue et le dessus du corps de deux 
couleurs, cuez le stentor chrysurus, tandis que chez 
le stentor seniculus la tête et les membres sont de 
deux couleurs, et la queue et le dessus du corps d’une 
seule. De plus, le stentor chrysurus est sensible- 
ment plus petit, et il diffère même un peu par ses 
proportions ; sa queue forme seulement la moitié de 
sa longueur totale, et elle est par conséquent un peu 
plus courte que chez le stentor seniculus, et sa partie 
nue est proportionnellement un peu plus étendue. 
Cette espèce nous est connue par trois individus, dont 
deux adultes, entièrement semblables, et un jeune 
différant seulement par la nuance un peu moins claire 
de sa queue; peut-être le premier âge est-il géné- 
ralement brunâtre comme dans l’espèce précédente. 
C’est par l’examen de leurs pelleteries que nous les 
avons d’abord déterminés comme se rapportant à une 
espèce non encore décrile; depuis, la comparaison 
de leurs crânes avec ceux de leurs congénères nous 
a confirmé dans notre opinion. Il existe en effet plu- 
sieurs différences, dont les plus remarquables sont 


DES MAMMIFÈRES. 


les suivantes : la partie antérieure de la tête a moins 
de largeur que dans le slentor seniculus, et se dé- 
tache ainsi davantage de la portion moyenne. Par 
suite de cette modification, le palais devient plus 
étroit; mais en revanche il s'étend davantage en ar- 
rière, d’où il suit que les arrière-narines sont plus 
couvertes, et que leurs orifices sont placés dans un 
plan presque vertical, au lieu de l’être dans un plan 
très oblique. Les rangées des dents, plus longues que 
chez les autres espèces, sont parallèles entre eiles, 
principalement à la mâchoire inférieure. La sym- 
physe de cette mâchoire est aussi remarquable par 
sa direction très oblique en arrière, et son bord in- 
férieur est tellement sinueux qu’elle ne peut soute- 
nir la tête sur un plan horizontal, tandis que, chez 
le seniculus, la mâchoire inférieure, en posant sur 
Ja symphyse et son bord inférieur, fournit à la tête 
une base très solide. Enfin les apophyses zygomati- 
ques sont plus larges que chez aueun autre hurleur. 
Cette espèce, sous le nom d’aragualo, a été envoyée 
des Antilles au Muséum royal d'histoire naturelle 
par feu Plée. Il est cependant certain qu'elle n’ha- 
bite pas cet archipel où il n'existe point de singes, 
comme nous apprennent tous les voyageurs, et 
comme nous l’a confirmé M. Moreau de Jonnès 
dans une note qu’il a bien voulu nous communiquer 
sur les singes américains. Ce n’est que tout récem- 
ment que nous sommes parvenu à connoître la patrie 
du stentor chrysurus : cette patrie est la Colombie. 


a 


L'OURSON. 


Slentor ursinus. GEOrr. Sainr-Hir. 


Il a été décrit et figuré pour la première fois par 
M. de Humboldt dans son grand ouvrage zoologi- 
que, sous le nom de simia ursina. Son pelage, com- 
posé de poils plus longs et plus abondants que dans 
les autres espèces, est d’un roux doré à peu près 
uniforme, la barbe étant seulement plus foncée, et 
renfermant à son centre des poils d’un noir profond. 
Ses proporlions sont les mêmes que celles de 
l’alouate ; mais il est un peu plus petit. Sa face est 
beaucoup plus velue que celle des espèces précéden- 
tes ; des poils abondants se remarquent au-dessous 
des yeux jusqu’auprès de la ligne médiane, ct il n’y 
a guère que le tour de la bouche et le tour des yeux 
qui soient entièrement nus. Ces caractères sont les 
seuls que l’on puisse assigner à cette espèce, dans 
laquelle la nuance du pelage , et même la quantité 
proportionnelle des poils de la face, sont très varia- 
bles. Les jeunes individus sont bruns. L'ourson est 
commun au Brésil ; et c’est d’après un individu ori- 
ginaire de cette contrée, que M, de Humboldt l’a 

LE 


i 


Li 


265 


figuré dans son recueil de Zoologie. Il existe aussi, 
suivant ce célèbre voyageur, dans le voisinage de 
l’Orénoque, et il est connu dans la Terre-Ferme sous 
le nom d’arazuato. Ce nom est aussi celui de l’es- 
pèce précidente; ce qui prouve que. les deux bur- 
leurs sont confondus dans leur patrie, ou bien qu’a- 
raguato est une dénomination que l’on donne en 
commun aux diverses espèces de hurleurs, et non 
une désignation qui appart'enne en propre à telle ou 
telle espèce. Cette remarque peut servir à montrer, 
par une preuve nouvelle, combien l’usage qui sem- 
ble prévaloir depuis quelques années, d'adopter des 
noms de pays pour termes spécifiques, est nuisible 
aux intérêts de la science, et propre à amener dans 
la synonvmie-une dangereuse confusion, 


LE HURLEUR BRUN. 
Stentor fuscus. GEOFr. SAINT-HIL. 


Il est d’un brur marron; le dos et la tête passant 
au marron pur, et la pointe des poils étant dorée. 
Ii habite le Brésil comme l'ourson, et, comme lui, 
est sujet à un grand nombre de variétés ; aussi est-il 
extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, 
de le distinguer d’une manière nette et précise des 
autres espèces, et surtout de l’ourson. C’est à cette 
espèce qu’on rapporte l’ouarine de Buffon et le 
simia beelzebul de Gmelin, qu'il faut bien se garder 
de confondre avec l’atèle belzébuth. 


LE HURLEUR AUX MAINS ROUSSES, 
Stentor rufimanus. DEsx. (1). 


Il est généralement noir, avec les quatre pieds 
et la dernière moitié de la queue de couleur rousse. 
La face et le dessous du corps sont nus. Cette es- 
pèce, à laquelle on doit, suivant Spix, rapporter le 
guariba de Marcsraaff que tous les autres auteurs 
réanissent au stentor fuscus, présenté aussi un grand 
nombre de variétés. Nous pensons qu’on doit lui 
réunir le mycetes discotor de Spix, décrit et figuré 
( pl. 55) dans le riche ouvrage que ce naturaliste a 
publiésur les singes et les chauves-souris du Brésil. 
Ce hurleur habite les forêts voisines de la rivière 
des Amazones, et a, suivani la description de Spix, 
le pelage généralement brun, avee les mains rous- 
ses. La patrie de l'individu de Kuhl n’est pas con- 
nue; mais l’espèce existe très vraisemblablement 
dans plusieurs parties du Brésil. 


() Mycetes rufimanus, Kubl, 


CA 
231 


266 


LE HURLEUR A QUEUE NOIRE ET JAUNE. 


Stentor flavicaudatus. GEorr. Sainr-His. (1), 


Cette espèce, distinguée par M. de Humboldt, 
habite par bandes les rives de l’Amazone, dans les 
provinces de Jaën et de Maynas, et est connue sous 
le nom de Choro. Elle est généralement d’un brun 
noirâtre, avec deux stries jaunes sur les côtés de la 
queue ; la face, d’un brun jaunâtre, est peu garnie 
de poils. La queue est plus courte que le corps. 


En" —————…—"…—"—…—…"—"…"…" 


LE HURLEUR NOIR. 


Stentior niger. GEOFF. SaiNT-Hi. 


C'est très probablement le caraya de d'Azara. Le 
mâle adulte est uniformément noir ; seulement la 
queue est couverte à sa face inférieure de poils jau- 
nes à pointe noire. La face est revêtue presque par- 
tout de poils, mais ces poils sont très courts et très 
peu abondants. Les jeunes et les femelles diffèrent 
beaucoup des mâles; ils sont d’un jaune de paille 
à la face inférieure du corps, sur les flancs , sur les 
membres (à l'exception des mains), et sur la tête. 
Le dos est vêtu de poils noirs, avec la pointe jaune, 
paroïissant dans leur ensemble d’un fauve cendré. 
Cette espèce habite le Brésil, et se distingue, outre 
les traits caractéristiques que nous venons d’indi- 
quer, par sa taille (elle n’a qu’un peu plus d’un pied 
et demi du bout du museau à l’origine de la queue ) 
et par la callosité de sa queue, qui comprend moins 
du dernier tiers. Son crâne nous a présenté les carac- 
tères suivants : le museau est étroit comme chez le 
stentor chrysurus, mais seulement en devant; il 
suit de là que le palais est beaucoup plus large en 
arrière qu’en avant, et que les deux rangées de 
dents, bien loin d’être parallèles comme chez le 
chrysurus, se rapprochent beaucoup antérieure- 
ment. Nous pensons que l’on doit rapporter à cette 
espèce le #yreles barbatus de Spix (loc. cit., pl. 52 
et 55 ), qui différeroit cependant, suivant les obser- 
vations de ce voyageur, par l’étendue plus considé- 
rable de la callosité de la queue; et l’arabate, sten- 
tor stramineus de Geoffroy et de tous les auteurs 
françois, qui, d’après l'examen comparatif que nous 
avons fait des peileteries et des crânes de plusieurs 
individus, nous paroîit être la femelle ou le jeune. 
Peut-être le stentor flavicaudatus n'est-il Jui-même 
qu’un double emploi, et ne repose-t-il que sur des 
individus différant par l’âge de ceux que nous avons 
examinés. 


(:) Simia flavicauda, Humboldt. 


HISTOIRE NATURELLE 


EE | | —————— 


LES ATÈLES. 


Ateles. 


£e genre, établi par M. Geoffroy Saint-Hilaire 
(Ann. du Mus.,t. VIE), se distingue au premier 
aspect de tous les autres singes américains ( à l’ex- 
ception du genre suivant) par l’état rudimentaire 
du pouce aux mains antérieures. Liés de la manière 
la plus intime, soit avec les hurleurs qui les précè- 
dent, soitavec les lagothriches et les sajous qui vont 
les suivre, ils en diffèrent cependant d’une manière 
bien remarquable, en ce qu’ils manquent du carac- 
tère essentiel, non seulement de la famille des sin- 
ges, mais même de tout l’ordre des quadrumanes. 
Les atèles n’ont point de pouces, ou n’ont que des 
poucesexcessivement courts aux mains antérieures ; 
ou, pour parler plus exactement, ils ont des pouces 
tellement rudimentaires , qu’ils restent entièrement 
ou presque entièrement cachés sous la peau : d’où 
leur nom d’atèles, c’est-à-dire singes imparfaits, 
singes à mains imparfaites. Déjà chez les hurleurs 
nous avions trouvé aux mains antérieures des pouces 
courts, peu libres dans leurs mouvements, peu op- 
posables aux autres doigts, et par conséquent d’un 
usage borné dans la préhension. Chez les atèles leur 
emploi devient tout-à-fait nul, aussi bien lorsque leur 
extrémité paroit à l’extérieur que lorsqu'ils sont 
entièrement cachés sous les téguments. Il semble 
que dans ces deux groupes de sapajous quelques unes 
des fonctions qu’exerce ordinairement la main aient 
été dévolues au prolongement caudal, et que l’ex- 
trême développement de ce dernier organe soit lié 
nécéssairement à l’atrophie plus ou moins complète 
des pouces. La loi du balancement des organes, dont 
de nombreuses applications ont déjà été faites dans 
nos travaux, semble donner la clef de ces faits; 
mais surtout elle nous explique d’une maniere frap- 
panteet toute directe ceux que nous allons indiquer. 
Chez les hurleurs, les membres sont proportionnés 
au corps, et les pouces ne font que s’atrophier ; chez 
les atèles, les membres, et plus spécialement les 
mains, sont d’une excessive longueur, et les pouces 
avortent presque complétement. Et ilest si vrai que 
ces deùx conditions erganiques sont liées l’une à l’au- 
tre, que chez les lagothriches, dont l’organisation 
répète presque en tout point celle des atèles, nous 
verrons en même temps les pouces reparoître et les 
mains se raccourcir. Au reste, si les membres ont 
une longueur considérable chez les atèles, ils sont 
aussi excessivement grêles ; d’où l’on a quelquefois 
donné à ces animaux le nom de singes-araignées, et 
d’où résultent pour eux des habitudes et des allures 
très remarquables. Leur marche, ainsi qu’il résulte 


DES MAMMIFÈRES. 


des observations de M. Geoffroy Saint-Hilaire(Ann. 
du Mus., t. XIII), ressemble à celle des orangs, 
quiont aussi des membres très longs et très maigres. 
Comme ces derniers ils sont obligés, lorsqu'ils veu- 
lent marcher à quatre pieds, de fermer le poing et 
de poser sur la face dorsale des doigts. Dans quelques 
cas, les atèles, ce qui est aussi une habitude com- 
mune aux orangs, ont um autre mode de progres- 
sion un peu plus rapide : après s’être accroupis, ils 
soulèvent leur corps au moyen de leurs membres 
antérieurs, et les projettent en avant comme font 
les gens qui se servent de béquilles, ou bien encore 
comme le font les culs-de-jatte. Ce mode de loco- 
motion , qui rappelle aussi celui des kanguroos lors- 
qu’ils marchent à quatre pieds, est très remarqua- 
ble, en ce que les membres de derrière ne jouent 
qu'un rôle absolument passif, et que la longueur 
considérable de ceux de devant , qui est en général 
une cause de gêne et de lenteur dans la progression, 
devient ici une circonstance extrêmement favorable. 

Les atèles, semblables aux orangs par leurs mem- 
bres longs et grêles ct par leur mode de progres- 
sion, se rapprochent aussi à divers égards des autres 
genres qui tiennent avec les orangs le premier rang 
parmi les singes de l’ancien monde. Quelques rap- 
ports entre eux et les gibbons ont été signalés par 
M. Desmarest, et aussi entre eux et les semnopi- 
thèques par M. Fr. Cuvier ; etil est certain, comme 
la remarqué M. Geoffroy, qu’il existe quelque res- 
semblance entre leur crâne et celui du troglodyte. 
La boîte cérébrale est arrondie et volumineuse, et 
forme près des deux tiers de la longueur totale du 
cràne. L’angle facial est de soixante degrés environ. 
Les orbites, larges et profondes, sont en outre re- 
marquables chez les vieux individus par une sorte 
de crête existant à la portion supérieure et à la por- 
tion externe de leur circonférence. La mâchoire in- 
férieure est assez haute, et ses branches sont larges, 
quoique beaucoup moins que chez les hurleurs. L’ou- 
verture antérieure des fosses nasales est de forme 
ovale; et il est à remarquer qu’une partie de leur 
contour est formée par les apophyses ascendantes 
des os maxillaires, les intermaxillaires ne montant 
pas jusqu'aux os du nez, et ne s’articulant pas avec 
eux, comme cela a lieu chez la plupart des singes, 
et particulièrement chez les hurleurs, les lagothri- 
ches, les sajous, et même chez quelques espèces, 
jusqu’à ce jour confondues avec les véritables atèles, 
et que nous décrirons plus bas sous le nom d’ériodes. 
Tous ces caractères ont été vérifiés sur plusieurs in- 
dividus, et nous les avons constamment retrouvés 
sur tous les crânes que nous avons examinés. C’est 
au contraire sur un seul, appartenant à un mâle pres- 
que adulte de l’ateles pentadactylus, que nous avons 
reconnu un fait que nous ne pouvons regarder que 


comme une anomalie, celui de l’existence de sept 


267 
molaires au côté droit de l’une et de l’autre mâchoire. 
On verra plus loin que M. Geoffroy Saint-Hilaire a 
déjà signalé chez un très vieux sajou une semblable 
exception à l’un des caractères les plus généraux des 
singes platyrrhinins, puisqu'il se rencontre non seu- 
lement dans les cinq genres du groupe des hélopi- 
thèques, mais aussi chez les géopithèques. Enfin, 
pour terminer ce qui concerne le système osseux, 
nous dirons que les vertèbres caudales sont au nom- 
bre de plus de trente, et qu’elles forment plus de la 
moitié du nombre total des vertèbres ; qu’elles sont 
(principalement les premières) hérissées de nom- 
breuses et fortes apophyses ; que les os longs des 
membres sont au contraire grêles, et ne présentent 
sur leur corps ni crêtes ni aspérités; ce dont la loi 
du balancement des organes rend très bien compte, 
vu leur extrême développement en longueur ; enfin 
que les phalanges sont courbes, leur convexité étant 
en dessus; ce qui est un rapport de plus, et un rap- 
port très remarquable avec les genres orang et gib- 
bon. L’hyoïde ressemble aussi à celui d’un grand 
nombre de singes de l’ancien monde, tels que les 
guenons et les cynocéphales. Son corps est une lame 
très étendue de haut en bas, et recourbée sur elle- 
même d'avant en arrière. C’est en petit un arrange- 
ment analogue à celui qui caractérise d’une manière 
si remarquable les hurleurs. Au reste cette ressem- 
blance anatomique, quoique très réelle, n’entraîne 
point une ressemblance dans la voix. Celle desatèles, 
aussi bien que celle des genres suivants, est ordinai- 
rement une sorte de sifflement doux et flûté qui rap- 
pelle le gazouillement des oiseaux. 

Nous passons maintenant à l'examen de quelques 
caractères qui distinguent plus particulièrement les 
atèles, soit des lagothriches, soit surtout du genre 
auquel nous donnons le nom d’ériodes. Leurs mo- 
laires sont aux deux mâchoires petites et à couronne 
irrégulièrement arrondie ; et, ce qui est surtout à re- 
marquer, les incisives supérieures sont de grandeur 
très inégale, celles de la paire intermédiaire étant à 
la fois beaucoup plus longues et beaucoup plus larges 
que celles de la paire externe. Les inférieures, ran- 
gées à peu près en demi-cercle de même que les su- 
périeures, sont au contraire égales entre elles ; et, 
toutes assez grandes, elles surpassent sensiblement 
en volume les molaires. Les ongles sont élargis et en 
gouttière comme chez presque tous les singes; leur 
forme est à peu près demi-cylindrique. Les oreilles 
sont grandes et nues. Les narines, de forme allon- 
gée, sont disposées comme chez les hurleurs; elles 
sont assez écartées l’une de l’autre et tout-à-fait la- 
térales, c’est-à-dire placées exactement sur les côtés 
du nez. On à déjà vu, et il importe de le rappeler 
ici, que les ouvertures osseuses qui leur correspon- 
dent sont de forme ovale, et circonscrites dans une 
portion de leur contour par les apophyses montantes 


268 


des os maxillaires. Le clitoris est excessivement vo- 
lumineux ; aussi arrive-t-il très fréquemment que 
l'on prend des femelles pour des mâles. Cet organe 
avoit jusqu’à deux pouces et demi de longueur sur 
une femelle de belzébuth récemment morte à la Mé- 
nagerie, et sa grosseur étoit considérable. La struc- 
ture du clitoris ne présente d’ailleurs rien de parti- 
culier, et il est nu comme à l’ordinaire. Les parties 
du corps et de la queue, voisines des organes sexuels, 
r’offrent également rien d’insolite, et sont plus ou 
moins velues. La queue, beaucoup plus longue que 
le corps, est nue en dessous dans son tiers terminal. 
Enfin la nature et la disposition des poils offrent des 
caractères que nous ne devons pas omettre, parce 
qu’ils permettent de distinguer, au premier aspect 
et avant tout examen, les atèles des deux genres 
suivants. Le pelage est soyeux et généralement long 
comme chez les hurleurs. Cependant, comme cela a 
lieu aussi chez ces derniers, le front est couvert de 
poils ras qui se dirigent, au moins en partie, d'avant 
en arrière. Au contraire tous les autres poils de la 
tête sont très longs, et se portent d’arrière en avant ; 
d'où résulte au point de rencontre des uns et des 
autres une sorte de crête ou de huppe plus ou moins 
prononcée, el dont la disposition varie suivant les 
espèces. 

Les atèles sont généralement doux, craintifs, mé- 
lancoliques, paresseux et très lents dans leurs mou- 
vements. On les croiroit presque toujours malades 
et souffrants. Cependant, lorsqu'il en est besoin, ils 
savent déployer beaucoup d’agilité, et franchissent 
par le saut de très grandes distances. Ils vivent en 
troupes sur les branches élevées des arbres, et se 
nourrissent principalement de fruits. On assure qu’ils 
mangent aussi des racines, des insectes, des mol- 
lusques et de petits poissons , et même qu’ils vont 
pêcher des huîtres pendant la marée basse, et en 
brisent les coquilles entre deux pierres. Dampier, 
auquel nous empruntons ce fait, et d’Acosta rappor- 
tent encore quelques autres circonstances propres 
à nous donner une haute idée de l’intelligence et de 
l'adresse de ces animaux. Ils afrment que lorsque 
des atèles veulent traverser une rivière, ou passer 
sans descendre à terre sur un arbre trop éloigné pour 
qu'ils y puissent arriver par un saut, ils s’attachent 
les uns aux autres par la queue, et forment ainsi une 
sorte de chaîne qu’ils mettent en mouvement et font 
osciller, jusqu’à ce que le dernier d’entre eux puisse 
atteindre le but où ils tendent, se fixer à une bran- 
che, et tirer à lui tous les autres. Leur queue, outre 
sa fonction la plus habituelle, celle d’assurer la sta- 
tion en s’accrochant à queique branche d’arbre, est 
employée par eux à des usages très variés. Ils s’en 
servent pour aller saisir au loin divers objets sans 
mouvoir leur corps, et souvent même sans mouvoir 
leurs yeux ; sans doute parce que Ja callosité jouit 


HISTOIRE NATURELLE 


d’un toucher assez délicat pour rendre inutile dans 
quelques occasions le secours de la vue. Quelquefois 
ils s'enveloppent dans leur queue pour se garantir 
du froid, auquel ils sont très sensibles ; ou bien ils 
l’enroulent autour du corps d’un autre individu. Du 
reste, nous n'avons jamais yu aucune espèce se servir 
de sa queue pour porter à sa bouche sa nourriture, 
suivant une habitude que les voyageurs attribuent 
aux atèles. Leurs mains, que l’absence du pouce, 
leur étroitesse et leur extrême longueur rendent 
d'une forme désagréable, mais qui sont loin d’être 
sacs adresse, remplissent constamment cette fonc- 
tion. Ce genre, répandu dans une grande partie de 
l'Amérique du sud, comprend aujourd’hui un assez 
grand nombre d’espèces, toules trés voisines les unes 
des autres et se ressemblant même pour la plupart 
par les couleurs de leur pelage. Ce seroit, sans au- 
cun doute, rompre d’une manière très fâcheuse les 
rapports naturels, que de séparer gérériquement les 
espèces qui ont aux mains antérieures un rudiment 
de pouce, de celles que l’on a coutume de désigner 
comme tétradactyles. Nous avons déjà dit que le 
pouce existe en rudiments chez celles-ci comme chez 
les premières. Or, que le pouce soit entièrement ca- 
ché sous la peau, ou qu'il vienne porter à l'extérieur 
son extrémité, qui ne voit que C’est là une circon- 
stance qui ne peut avoir aucune influence sur les 
habitudes d’un animal, et par conséquent que c’est 
là un caractère sans aucune valeur générique ? Nous 
ne croyons donc pas devoir adopter le genre court- 
pouce, brachyteles, proposé par Spix dans son ou- 
vrage déjà cité sur les singes du Brésil. Ce genre, 
qui seroit formé du chamek, de l’hypoxanthe et d’une 
autre espèce, romproit doublement les rapports na- 
turels; savoir, en associant au chamek l’hypoxan- 
the, qui appartient, comme nous le démontrerons 
bientôt, à un genre très différent, et, de plus, en 
séparant le premier du coaïta, et le second de l’arach- 
noïde, si rapprochés d’eux par leur organisation, 
que ce n’est guère que par l’absence ou la présence 
du pouce qu’on les distingue les uns des autres. 


LE COAITA (1). 


C’est l’espèce la plus anciennement connue. Dau- 
benton en a donné l’anatomie, et Buffon l’a figurée ; 
mais elle avoit été confondue avec d’autres atèles. 
Son pelage est noir, sa face de couleur de mulâtre ; 
ses mains antérieures sont tétradactyles. Elle a un 
pied neuf pouces du bout du museau à la queue, et 
celle-ci a deux pieds et demi. Elle habite la Guiane, 
où on la connoîit sous le nom de coaïta ou coata. 


{) Buffon, t. V, pl. 4 : ateles paniscus, Geoffroy Saint- 
Hilaire, Ann, du Ausc.,t, VIT: simia paniscus, Lin- 
næus. 


DES MAMMIFÉRES. 269 


LE CHAMEK. 
Aieles pentadactylus. Georr. SanT-HiL. 


Il se distingue seulement du coaïta par sa queue 
un peu plus longue, et par ses pouces antérieurs 
qui paroissent au dehors sous la forme de tuber- 
cules ou de verrues sans ongles. Cette espèce a été 
connue de Buffon, mais confondue par lui avec le 
coaïta. M. Geoffroy Saint-Hilaire est le premier qui 
l'ait établie. Elle habite la Guiane , et, suivant Bui- 
fon, le Pérou. 


LE CAYOU. 
Ateles ater (1). 


Il ne se distingue du coaïta que par la couleur 
entièrement noire de sa face. Il paroit habiter éga- 
lement la Guiane. M. Geoffroy Saint-Hilaire, qui 
l'a le premier indiqué, le considéroit comme une 
simple variété. 


L'ATÉLE A FACE ENCADRÉE. 
Ateles marginatus (?). 


Il est généralement noir confme les espèces pré- 
cédentes ; mais il se distingue par une fraise de poils 
blancs qui entoure la face. Sa taille est à peu près la 
même que celle des autres espèces, mais sa queue 
est un peu plus courte. IL est à remarquer que chez 
les jeunes individus la fraise blanche n’existe pas 
tout entière. Cette espèce habite le Brésil, et se 
trouve aussi dans la province de Jaën de Bracamo- 
ros, d’après M. de Humboldt. En effet, le chuva 
de cet illustre voyageur ne diffère pas, suivant la 
plupart des auteurs et suivant M. de Humboldt lui- 
même, de l’ateles marginalus. 


CR 
LE BELZÉBUTH 6). 


Il est généralement noir, avec le dessous du 
corps et la face interne des membres d’un blanc 
plus ou moins jaunâtre. On doit remarquer que 
cette espèce n’est pas d’un noir pur comme les pré- 


() Er. Cuvier, Hamm. lith. 

(>) Geoffroy Saint-Hilaire, Ann. du Mus., t. XHII. 

(3) Brisson , Rég. anim. : ateles belzebuth, Geoffroy 
Saint-Hilaire. 


cédentes, mais d’un noir brunâtre. Sa taille est 
aussi un peu moindre; sa face est noire , avec le 
tour des veux couleur de chair; sa peau est noi- 
râtre, même sous le ventre. Plusicttrs auteurs in- 
diquent quelques différences entre le mâle et la 
femelle; mais ces différences ne sont pas constan- 
tes, comme nous l'avons vérifié nous -même par 
examen de plusieurs individus adultes de sexes 
différents, et cependant semblables par leurs cou- 
leurs. Cette espèce, qu’il ne faut pas confondre avec 
le sèmia belzebul de Linnæus (qui est le stentor 
fuscus), habite les hords de l’Orénoque. C’est l’un 
des quadrumanes les plus communs dans la Guiane 
espagnole, où on le connoît, suivant M. de Hum- 
boldt (Observations zoologiques , t. L), sous le nom 
de marimonda. 


Ï . 
L'ATÉLE MÉLANOCHÉÈIRE. 


è Ateles melanochir. 

M. Desmarest à décrit sous ce nom, dans Ja 
Mammalogie de l'Encyclopédie, deux atèles fe- 
melles que possède le Muséum, et dont le pelage 
est varié de gris et de noir. L’un d’eux a le dessous 
du corps et la face interne des membres blanchä- 
tres, le reste des membres et la queue presque par- 
tout noirâtres ; enfin le dessus du corps couvert de 
poils blancs dans leur première moitié, bruns dans 
la seconde. L'autre individu a les quatre mains, les 
avant-bras , les genoux et le dessus de la tête noirs; 
le dessus de la queuc brunâtre, le reste du pelage 
grisâtre. Ces deux atèles, dont l’origine est incon- 
nue, sont évidemment de jeunes sujets; et il sem- 
ble, d’après la disposition irrégulière de leurs cou- 
leurs, qu’ils soient en passage de l’état de jeune âge 
à l’état adulte. Peut-être appartiennent-ils à l’ateles 
belzebuth, auquel ils ressemblent par leurs propor- 
tions et la disposition générale de leurs couleurs, 
ou bien l’ateles marginatus, dont ils se rapprochent 
aussi à quelques égards. Malheureusement le peu 
de renseignements que l’on possède sur le premier 
âge de ces espèces nous oblige à laisser dans le doute 
cette question. 


A ———————————— "Lt 
L'ATÈLE MÉTIS. 
Ateles hybridus. Is, GEOrFr, 


C'est une espèce nouvelle, due aux recherches 
du voyageur Plée, et qui habite Ja Colombie, où on 
la connoît sous le nom de mono zambo (singe mé- 
tis), à cause de sa couleur semblable à celle des 


270 
métis du Nègre et de l’Iudien. Il paroît qu’elle est 
aussi connue, de même que le belzébuth , sous le 
nom de marimonda, nom commun à un grand nom- 
bre de singes dans l'Amérique espagnole. Le prin- 
cipal caractère de cet atèle consiste dans une tache 
blanche placée sur le front et de forme à peu près 
semi-lunaire, qui a environ un pouce de large sur 
la ligne médiane, et se termine en pointe, de cha- 
que côté, au-dessus de l’angle externe de l'œil. Le 
dessous de la tête, du corps et de toute la queue 
jusqu’à la callosité , et la face interne des membres, 
sont d’un blanc sale; et les parties supérieures sont 
généralement d’un brun cendré clair qui, sur la 
tête, les membres antérieurs, les cuisses et le des- 
sus de la queue, passe au brun pur, et qui, au con- 
traire, prend une nuance jaune très prononcée 
dans la région des fesses, sur les côtés de la queue 
et sur une partie des membres inférieurs. Cet atèle 
est à peu près de même taille que la plupart de ses 
congénères ; sa longueur, depuis le bout du museau 
jusqu’à l’origine de la queue, est d’un pied dix 
pouces ; mais Sa queue, plus courte que chez les 
autres espèces, mesure seulement un peu plus de 
deux pieds. Cette espèce nous est connue par l’exa- 
men d’un jeune mâle et de plusieurs femelles adul- 
tes. Le premier diffère seulement par la teinte plus 
claire des parties supérieures de son pelage, qui 
sont d’un cendré roussâtre, Comme lateles hybri- 
dus ne nous est point encore connu à l’état de mâle 
adulte, et comme d’un autre côté il paroitroit (d’a- 
près les remarques que nous avons faites dans le 
paragraphe précédent ) que quelques atèles, cen- 
drés dans leur premier âge, deviennent noirs dans 
leur état adulte, on pourroit supposer que les dif- 
férences sur lesquelles nous avons basé notre dé- 
termination ne sont que des différences d’âge ou de 
sexe, et que nos individus, par suite des dévelop- 
pements de l’âge, auroient pu prendre les caractères 
de l’une des espèces précédentes. Cette supposition 
ne seroit nullement fondée. Il est très probable que 
l’ateles kybridus ne devient jamais noir; car les fe- 
melles des espèces précédentes sont bien connues, 
et toutes sont noires comme leurs mâles; et d’ail- 
leurs aucun de nos individus, pas même le jeune 
mâle, ne présente la plus légère trace de poils noirs. 
Mais, il y a plus, en admettant même que ces indi- 
vidus appartiennent à une espèce noire dans l’état 
parfait du pelage, il n’en seroit pas moins certain 
qu’ils appartiennent à une espèce distincte de toutes 
celles déjà décrites. Il en est deux seulement avec 
lesquelles il seroit peut-être possible de la confondre 
alors, l’ateles belzebuth et l’ateles marginatus. 
Or le belzébuth n’a point de tache blanche au 
front, et les poils du côté de la tête et du cou sont 
disposés un peu différemment. Leur principal 
centre d’origine est toujours chez le belzébuth 


HISTOIRE NATURELLE 


à l’occiput ou à la région supérieure du cou. Chez 
l’atèle métis il est toujours à la région inférieure. 
Dans les deux espèces l'oreille est en grande partie 
cachée par les poils, mais chez le belzébuth c’est 
par de très longs poils naissant sur toute la joue 
depuis la commissure des lèvres et se dirigeant en 
arrière. Chez l’atèle métis c’est par des poils assez 
courts qui naissent du centre commun d’origine et 
se portent en avant. Quant à l’ateles marginatus, 
il sufliroit presque de dire qu’on en connoît le jeune 
mâle et la femelle ; car cela seul prouve qu’on ne 
saurait attribuer à l'influence de l’âge ou du sexe les 
différences qui nous ont servi de caractères. Nous 
ajouterons cependant que la portion du dessus de 
la tête qui est couvèrte de poils blancs et courts 
est beaucoup plus étendue chez l’ateles marginatus 
que chez l’ateles hybridus; aussi la petite huppe qui 
résulte de la rencontre des poils du front et de ceux 
du reste de la tête est-elle placée sur le milieu du 
crâne chez le premier, et, tout au contraire, très 
rapprochée des orbites chez le second. 


L'ATÈLE FRONTAL (1). 


Il à la taille de l’atèle noir, il ressemble à l’hy- 
bride par la coloration de son pelage. : 


LES ÉRIODES. 
Eriodes. Is. GEOFrFr. 


Les espèces que nous réunissons sous ce nom 
générique ont jusqu’à ce jour été confondues avec 
les véritables atèles, auxquels elles ressemblent 
par lextrême longueur de leurs membres, par 
l’état rudimentaire de leurs pouces antérieurs, 
toujours entièrement ou presque entièrement ca- 
chés sous la peau; enfin par quelques autres con- 
ditions organiques d’une importance secondaire. 
Toutefois si le nouveau genre que nous proposons 
aujourd’hui n’a point été établi plus tôt, c’est sans 
doute parce que les espèces qui doivent le compo- 
ser ont été jusqu’à ce jour peu étudiées, soit parce 
qu'elles sont en général assez rares et connues de- 
puis peu de temps, soit par d’autres causes. En 
effet les caractères qui distinguent nos ériodes des 
atèles sont à la fois très nombreux et, pour la plu- 
part, très importants, comme le prouvent les dé- 
tails suivants, et comme chacun pourra s’en assurer 


() Ateles frontalis, Benn., Proc, 1,38; ater, maculä 
frontali semilunari alba. 


DES MAMMIFÈRES. 


avec facilité, la description que nous avons donnée 
des atèles ayant été faite sous un point de vue com- 
paratif, et de manière à faire saisir au premier coup 
d'œil les caractères distinctifs de l’un et de l’autre 
genre. Les molaires des ériodes sont généralement 
très grosses et de forme quadrangulaire ; les incisi- 
ves sont aux deux mâchoires rangées à peu près sur 
une ligne droite, égales entre elles, et toutes fort 
petites : elles sont beaucoup moins grosses que les 
molaires, caractères qui sufliroient pour distinguer 
les ériodes de tous les autres sapajous, les hurleurs 
exceptés. Les ongles ressemblent autant à ceux de 
plusieurs carnassiers, tels que les chiens, qu’à ceux 
des atèles et de la plupart des singes; ils sont com- 
primés, et on peut les regarder comme composés de 
deux lames réunies supérieurement par une arête 
mousse. Les oreilles sont assez petites, et en grande 
partie velues; les narines, de forme arrondie, sont 
très rapprochées l’une de l’autre, et plutôt inférieu- 
res que latérales, à cause du peu d’épaisseur de la 
cloison du nez; disposition que Spix a déjà remar- 
quée dans une espèce, et qui fournit à notre genre 
ériodes l’un de ses caractères, sinon le plus appa- 
rent, du moins le plus remarquable. Les ériodes 
tiennent véritablement le milieu, par la conforma- 
tion de leur nez, entre les singes de l’ancien monde, 
ou catarrhinins, et ceux du Nouveau Monde ou pla- 
tyrrhinins ; et il est même exact de dire qu’ils sont, 
par ce caractère, plus voisins des premiers que des 
seconds. Les ouvertures osseuses des fosses nasales, 
qui sont à peu près cordiformes, présentent aussi 
une différence importante à l’égard des atèles. Les 
intermaxillaires montent jusqu'aux os propres du 
nez et s’articulent avec eux, en sorte que les maxil- 
laires ne concourent point à former l'ouverture. On 
seroit porté, au premier abord, à croire cette dispo- 
sition liée d’une manière nécessaire avec celle que 
présentent les narines des ériodes, d'autant mieux 
qu’elle se trouve aussi chez les singes de l’ancien 
monde. Il n’en est rien cependant ; car cet arrange- 
ment existe aussi presque toujours chez les singes 
américains, et les atèles sont même les seuls, à notre 
connoissance, qui ne le présentent pas. Le clitoris, 
moins volumineux chez les ériodes que chez ces der- 
niers, nous à présenté un caractère très singulier 
en lui-même, et que sa rareté rend plus remarqua- 
ble encore. Il est couvertsur ses deux faces de poils 
soyeux, un peu rudes, très serrés les uns contre 
les autres, noirâtres, longs d’un demi-pouce envi- 
ron à la face postérieure , et de près d’un pouce à 
l’antérieure. La disposition de ces poils est telle, 
que le clitoris ressemble à un pinceau élargi trans- 
versalement; et il est à ajouter que ceux de la face 
postérieure, se portant obliquement de dehôrs en 
dedans vers la pointe de l’organe, laissent d’abord 
entre eux un petit espace triangulaire qui semble 


271 


continuer le sillon de l’urètre. Il n’est pas douteux, 
au reste, que l’urine coule entre ces poils, non 
seulement parce que leur manière d’être l’indique, 
mais parce qu’ils sont comme agglutinés les uns aux 
autres. Cette disposition du clitoris se lie évidem- 
ment avec la particularité suivante : au-dessous de 
l'anus on remarque un espace triangulaire corres- 
pondant à la région périnéale, et plus ou moins 
étendu, qui se trouve nu ou couvert de poils exces- 
sivement courts et de même nature que ceux du cli- 
toris ; et tout le dessous de la base de la queue, dans 
la portion qui correspond à cet espace et qui s’ap- 
plique sur lui lorsque l’animal rapproche sa queue 
de son corps, est couvert de poils excessivement 
ras, dirigés de dehors en dedans, et formant au 
point où ils rencontrent ceux du côté opposé une 
sorte de petite crête longitudinale. L'aspect gras et 
luisant de toutes ces parties semble annoncer la 
présence d’un grand nombre de follicules sébacés ; 
mais n'ayant vu que des pelleteries desséchées, 
nous n'avons pu constater leur présence. Nous n’a- 
vons pu également, faute de sujets, et à notre 
grand regret, examiner chez le mâle le pénis et les 
parties environnantes. Nous ne doutons point que 
nous n’eussions trouvé chez lui quelque chose d’a- 
nalogue à ce que présente le clitoris, mais avec de 
notables différences; car on concevra facilement 
combien un gland pénien hérissé de poils rudes, 
comme l’est le gland du clitoris de la femelle, seroit 
une condition défavorable pour l'acte de l’accouple- 
ment. Enfin; outre toutes ces conditions organiques 
dont l'importance ne sauroit être constatée, les 
eriodes diffèrent encore des atèles par leur queue 
un peu plus courte, et nue dans ses deux cinquiè- 
mes postérieurs, et surtout-par la nature de leur 
pelage. Tous leurs poils sont moelleux, doux au 
toucher, laineux et assez courts: ceux de la tête, 
plus courts encore que ceux du corps et de la 
queue, sont dirigés en arrière, caractères précisé- 
ment inverses de ceux que présentent les atèles, et 
qui donnent aux ériodes une physionomie toute dif- 
férente. C’est à la nature laineuse de leurs poils que 
se rapporte le nom générique que nous avons 
adopté pour ces singes, et par lequel nous avons 
cherché à rappeler le plus apparent de leurs traits 
distinctifs. 

Ce genre est, dans l’état présent de la science, 
composé de trois espèces , toutes originaires du Bré- 
sil, et encore très peu connues; aucune d'elles n’a 
jamais été, du moins à notre connoissance, amenée 
vivante en Europe, depuis un individu qu'Edwards 
vit à Londres en 4761 , et qu’il a mentionné sous le 
nom de singe-araignée, sans nous transmettre à son 
sujet aucune remarque intéressante. Les ériodes ont 
été également très peu observés dans l’état sauvage. 
Spix, auquel on doit la découverte de l’un d'eux, 


279 


nous apprend seulement que ces singes vivent en 
troupes, et font, pendant toute la journée, retentir 
l'air de leur voix elaquante, et qu’à la vue du chas- 
seur ils se sauvent très rapidement en sautant sur 
le sommet des arbres. 

Un fait fort remarquable, et qui montre mieux 
que tous les raisonnements théoriques combien le 
voyageur que nous venons de citer brisoit les rap- 
ports naturels par l'établissement de son genre 
court-pouce, brachyteles, c’est que, sur nos trois 
ériodes, il en est un chez lequel il n'ya aucune 
trace extérieure des pouces antérieurs; un autre, 
chez lequel ces doigts se montrent au dehors sous 
la forme de tubercules sans ongles, et un autre en- 
tin chez lequel ils sont même onguiculés : et cepen- 
dant tous trois sont liés par des rapports si intimes, 
et se ressemblent tellement par les couleurs de leur 
pelage et leurs proportions, qu’on seroit presque 
tenté de les réunir en une seule espèce. Aussi le genre 
courl-pouce n’a-t-il été adopté par aucun natura- 
liste, quoique déjà publié depuis plusieurs années. 


L'ÉRIODE HÉMIDACTYLE. 
” Eriodes hemidactylus. Xs. Grorr. 


C’est l’espèce chez laquelle il existe un petit pouce 
onguiculé , très grêle, très court, atteignant à peine 
l'origine du second doigt, et tout-à-fait inutile à 
l’animal. Sa longueur, depuis le bout du museau jus- 
qu’à l'origine de la queue, est d’un pied huit pouces, 
et la queue a deux pieds un pouce ; son pelage est en 
général d'un fauve cendré, qui prend une teinte 
noirâtre sur le dos; les mains et la queue sont d’un 
fauve plus pur que le reste des membres et le COrps ; 
Jes poils qui entourent l’espace nu ou couvert de 
poils ras, que nous avons dit exister à la base de la 
queue et près de l’anus, sont d’un roux ferrugineux 
qui ne diffère de la couleur des poils du clitoris que 
par une nuance plus claire; la face, qui n’est com- 
plétement nue que dans le voisinage des yeux, paroît 
être tachetée de gris sur un fond couleur de chair. 
Cette espèce, découverte en 4846 au Brésil par De- 
lalande , a toujours été confondue avec la suivante, 


L'ÉRIODE A TUBERCULES. 
Eriodes tuberifer. Is. GEorr. (1). 


Cette espèce se distingue facilement de la précé- 
dente par le caractère suivant : ses pouces rudimen- 


(9 Ateles hyporanthus, Pr. de Neuwied et Kuhl, Beyt. 
zur Zool.: brachyteles macrotarsus, Spix, Loc. cit. 


HISTOIRE NATURELLE 


taires paroissent à l'extérieur sous la forme de sim- 
ples tubercules, et manquent constamment d'ongles, 
suivant les observations des auteurs allemands ; son 
pelage est, comme celui des deux autres ériodes, 
d’un fauve tirant sur Le cendré, la queue étant d’un 
brun ou d’un fauve ferrugineux ; la racine de la queue 
étant, ainsi que la partie postérieure des cuisses, de 
couleur rousse; les doigts sont couverts de poils 
ferrugineux. Cet ériode, qui ne nous est connu que 
par la description des auteurs que nous avons cités, 
a été découvert au Brésil par le prince de Neuwied ; 
on lui donne généralement les nomsdemiriki, mono, 
et Aoupo. 


L'ÉRIODE ARACHNOIDE. 
Eriodes arachnoides. 1s. GEOFr. (1). 


Cette espèce est généralement d’un fauve clair, 
qui passe au cendré roussâtre sur la tête, etau roux 
doré sur l'extrémité de la queue et sur les pattes, 
principalement aux talons : quelques individus sont 
d'un fauve clair uniforme. Cet ériode, dont la taille 
ne diffère pas de celle de l’hypoxanthe, est connu 
au Brésil sous le nom de macaco vermello. 


LES LAGOTHRICHES., 
Lagothrix. 


Ce genre, établi par M. Geoffroy Saint-Hilaire 
( Ann. du Mus., tom. XIX ), se distingue des deux 


“précédents par sesmembres beaucoup moins longs, 


et surtout par ses mains antérieures pentadactyles 
comme chez les hurleurs et les sajous : c’est à ces 
derniers qu’il ressemble par ses proportions. Les 
doigts sont de longueur moyenne ; et le second d’en- 
tre eux, ou l'indicateur, est même court; les ongles 
des mains antérieures sont un peu comprimés, même 
ceux des pouces, et ils tiennent ainsi le milieu, par 
leurs formes, entre ceux des atèles et des ériodes ; 
les ongles des mains postérieures sont, à l'exception 
de ceux des pouces, plus comprimés encore, et res- 
semblent davantage à ceux des ériodes ; ce qui est 
surtout apparent à l’égard des trois derniers doigts. 
La tête des lagothriches, qui est arrondie, et surtout 
leurs poils doux au toucher, très fins, et presque 
aussi laineux que ceux des ériodes, les rapprochent 
encore de ces derniers ; mais leurs incisives et leurs 
narines sont comme chez les atèles : leur angle facial 


(‘} Ateles arachnoides, Geoffroy Saint-Hilaire , Ann, 
du Hlus., t NH. 


DES MAMMIFÉRES. 


est de 50 degrés, et leurs oreilles sont très petites. 
Quant aux conditions organiques que présente le cli- 
toris, nous n’avons pu rien savoir à leur égard, à 
cause de l’état des pelleteries que nous avons exa- 
minées , et du défaut absolu de renseignements dans 
les ouvrages des voyageurs. 

C’est à M. de Humboldt qu'est due la découverte 
de ce genre encore peu connu, soit dans son orga- 
nisation, soit dans ses mœurs. M. de Humboldt 
nous apprend seulement que les lagothriches vivent 
par bandes nombreuses, qu’ils paroissent d’un na- 
turel très doux, et qu’ils se tiennent le plus sou- 
vent sur leurs pieds de derrière. Spix, qui depuis 
a retrouvé ce genre au Brésil, et qui l’a décrit sous 
le nom de gastrimargus, ajoute que le son de leur 
voix ressemble à un claquement, et qu’ils sont très 
gourmands. C’est à cette dernière remarque que se 
rapporte le nom de gastrimargus, que nous n’adop- 
terons pas. Nous préférons à tous égards celui de 
lagothrix, qui est à la fuis et le plus ancien et le 
plus convenable, et qui, malgré une assertion tout- 
à-fait erronée de plusieurs auteurs allemands, n’a 
jamais été appliqué à l’hypoxanthe par Les naturalis- 
ies du Musée de Paris. 


en nsne ereeng À 


LE LAGOTHRICHE DE HUMBOLDYT. 


Lagothrix Humboldtii (1). 


Ce singe a été décrit pour la première fois par 
M. de Humboldt sous le nom de caparro, simia 
lagothricha. X1 est haut de deux pieds deux pouces 
et demi; son pelage est uniformément gris, les poils 
étant blancs avec l'extrémité noire; le poil de la 
poitrine est beaucoup plus long que celui du dos , et 
de couleur brunâtre ; celui de la tête est au contraire 
très court, et de couleur plus claire que le reste du 
pelage. La queue est plus longue que le corps. C’est 
sans doute par erreur que M. de Humboldt, auquel 
nous empruntons ces détails, ajoute que les ongles 
sont tous aplatis. Cette espèce habite les bords du 
Rio Guaviare , et paroitse trouver aussi près de l’em- 
bouchure de l’Grénoque. 


LE GRISON. 


Lagothrix canus. GEdrr. SAINT-HIis. 
IL est d’un gris olivâtre sur le dessus du corps et 


la partie supérieure des membres, et d’un brun plus 
ou moins cendré sur la tête, la queue, les parties 


() Geoffroy Saint-Hilaire, Annales du Musée, t. XIX. 
L 


275 


inférieures du corps, et la portion interne desmem- 
bres. Sa taille est un peu moindre que celle du ca- 
parro. Cette espèce habite le Brésil. On doit très pro- 
bablement lui rapporter le gastrimargus olivaceus 
de Spix (loc. cit., pl. 28), et sans doute aussi un 
jeune lagothriche que possède le Muséum, et dans 
lequel le gris olivâtre est remplacé sur le dos par le 


gris argenté; et le brun, principalement sur latête, 
par le noir. 


LE LAGOTHRICHE ENFUMÉ. 
Lagothrix infumatus (1). 


Cette espèce, qui ne nous est connue que par la 
description et la figure de Spix, et que M. Tem- 
minck regarde comme un double emploi, est tout 
entière d’un brun enfumé, et habite le Brésil. 


6 I. 
SAPAJOUS 

À QUEUE ENTIÈREMENT VELUE. 
Trichuri. Srix. 


Ceite seconde section ne renferme qu’un seul 
genre, celui des sajous ou sapajous proprement dits, 
cebus des auteurs modernes, qui, par sa queue en- 
tièrement velue et beaucoup moins forte que dans les 
genres précédents, tient-le milieu entre la première 
section des sapajous, et le premier des genres du 
groupe des géopithèques, celui des callitriches. 


LES SAJOUS OU SAPAJOUS 
PROPREMENT DITS. 


Cebus. 


Dans ce genre les membres sont forts, robustes et 
allongés, principalement les postérieurs ; aussi les 
sajous sautent-ils avec une agilité remarquable. Les 
pouces antérieurs sont peu développés, peu libres 
dans leurs mouvements, et à peine opposables aux 
autres doigts; absolument comme chez les hurleurs 
et les lagothriches. Les ongles sont en gouttière et 
peu aplatis; la queue est à peu près de la longueur 
du corps; quelquefois elle est entièrement couverte 


() Gastrimargus infumatlus, Spix , doc. cit., pl. 29. 


ui) 


274 
de longs poils; quelquefois, au contraire, sa partie 
terminale ne présente plus en dessous que des poils 
très courts, parce qu’ils se trouvent usés par l’action 
répétée du frottement. Du reste, jamais elle ne pré- 
sente une véritable callosité. L'hyoïde a sa partie 
centrale élargie, mais ne fait aucune saillie; la tête 
est assez rende; la face est large et courte, et les 
yeux sont très volumineux et très rapprochés lun de 
l’autre, principalement dans la partie profonde des 
cavités orbitaires. L'ouverture des fosses nasales est 
large, mais peu étendue de haut en bas; le palais 
est aussi assez évasé, et les arcades dentaires sont à 
peu près parallèles, soit à l’une, soit à l’autre mà- 
choire; les molaires sont de grandeur moyenne, au 
nombre de six de chaque côté et à chaque mâchoire, 
comme chez tous les autres sapajous. Cependant 
M. Geoffroy Saint-Hilaire a trouvé sur un individu 
très vieux, appartenant au cebus variegalus, sept 
molaires à la mâchoire supérieure ; anomalie très re- 
marquable, puisque c’est, avec celle que nous avons 
nous-même observée et indiquée chez un atèle, la 
seule jusqu’à ce jour connue. Les incisives sont ran- 
gées sur une ligne presque droite; celles de la paire 
intermédiaire sont un peu plus grosses à la mâchoire 
supérieure, et c'est l'inverse à l’inférieure : les ca- 
nines sont très fortes chez tous les vieux individus. 
Enfin, la boite cérébrale est très volumineuse; elle 
est en effet très large et en même temps très étendue 
d'avant en arrière ; le trou occipital est assez rentré 
sous la base du crâne. Ces conditions organiques sont 
très différentes de celles que nous avons eues à si- 
gnaler dans les genres précédents ; cependant les 
rapports qui unissent entre eux tous les sapajous sont 
bien réels, et ne peuvent être révoqués en doute ; 
peut-être même seroit-il possible de s’assurer de ce 
fait par l'examen des crânes eux-mêmes, surtout si, 
au lieu de se boruer à l’étude des crânes des adultes, 
on embrassoit dans son examen les têtes de tous les 
âges. Des observations faites sous ce point de vue 
nous ont fait reconnoitre de nombreuses ressem- 
blances entre la tête des sajous adultes et celle des 
jeunes atèles ; et de plus, entre celle des atèles adultes 
et celle des jeunes hurleurs. El sembleroit ainsi que 
le même type cränien, se reproduisant chez tous les 
sapajous, nous apparût, dans un premier degré de 
développement, chez les sajous; dans un second, 
chez les atèles (et aussi chez les ériodes et les lago- 
thriches); et enfin dans un troisième et dernier, chez 
les hurleurs. 

Les sajous sont des animaux pleins d’adresse et 
d’inteltigence; ils sont vifs et remuants, et cependant 
très doux, dociles, et facilement éducables. Chacun 
a pu se convaincre de ces faits par ses propres ob- 
servations, ces singes étant maintenant extrémement 
communs dans toutes nos grandes villes. El seroit 
donc tout-à-fait inutile de nous étendre sur les qua- 


HISTOIRE NATURELLE 


lités que peut développer en eux l’édueation, et c’est 
ce que nous éviterons. Ce qui seroit vraiment inté- 
ressant, ce seroit de donner quelques remarques sur 
leur intelligence, telle qu’elle est naturellement, et 
non pas telle que l’homme l’a faite. Malheureuse- 
ment nous ne trouvons, dans les ouvrages des voya- 
geurs, aucun fait digne d’être cité; tous se bornent à 
nousdire que les sajous sont intelligents,et n’ajoutent 
aucun détail. Nous essaierons de suppléer en partie 
à leur silence, en rapportant une observation que 
nous avons faite nous-même sur un individu vivant 
en domesticité, il est vrai, mais n'ayant reçu aucune 
espèce d'éducation. Lui ayant donné un jour quel- 
ques noix, nous le vimes aussitôt les briser à l’aide 
de ses dents, séparer avec adresse la partie charnue, 
et la manger. Parmi ces noix, il s’en trouva une beau- 
coup plus dure que toutes les autres : le singe, ne 
pouvant réussir à la briser avec ses dents, la frappa 
fortement et à plusieurs reprises contre l’une des tra- 
verses en bois de sa cage. Ces tentatives restant de 
même sans succès, nous pensions qu'il alloit jeter 
avec impatience la noix, lorsque nous le vimes avec 
étonnement descendre vers un endroit de sa cage où 
se trouvoit une bande de fer, frapper la noix sur cette 
bande , et en briser enfin la coquille. Cette observa- 
tion nous paroit digne d’être citée, car elle prouve 
d’une manière incontestable que notre sajou, aban- 
donné à lui-même et sans avoir jamais reçu aucune 
éducation, avoit su reconnoitre que la dureté du fer 
l’emportoit sur celle du bois, et par conséquent s’é- 
toit élevé à un rapport, à une idée abstraite. 

Les sajous, comme les autres sapajous, vivent en 
troupes sur les branches élevées des arbres, ce qui 
n'empêche pas qu'ils ne soient monogames; ils se 
nourrissent principalement de fruits, et mangent 
aussi très volontiers des insectes, des vers, des mol- 
lusques, et même quelquefois de la viande. Les fe- 
melles ne sont pas sujettes à l'écoulement périodique; 
elles ne font ordinairement qu’un seul petit qu’elles 
portent sur leur dos, et auquel elles prodiguent les 
soins les plus empressés. C’est à tort qu’on à dit que 
ces anitnaux ne se reproduisoient pas dans nos cli- 
mats: Buffon prouve par plusieurs exemples la pos- 
sibilité de leur fécondation en France. Quelques es- 
pèces ont été désignées par les voyageurs sous les 
noms de singes musqués et de singes pleureurs : le 
premier de ces noms leur vient d’une forte odeur 
musquée qu'ils répandent, principalement à l’époque 
du rut; et le second, de leur voix, devenant, lors- 
qu’on les tourmente, plaintive et semblable à celle 
d'un enfant qui pleure. Le plus souvent ils ne font 
entendre qu’un petit sifflement doux et flûté ; mais 
quelquefois aussi, principalement quand ils sont ex- 
cités par la colère, la jalousie, ou même la joie, ils 
poussent des cris perçants et qu’on a quelque peine à 
supporter, tant leur voix estalors forte etglapissante 


DES MAMMIFÈRES. 275 


Ce genre, auquel tous les auteurs donnent aujour- 
d’hui le nom de cebus, autrefois commun à tous les 
sapajous, est principalement répandu dans le Brésil 
et la Guiane. Il nous paroit démontré qu’il renferme 
un assez grand nombre d'espèces, malgré lopinion 
de quelques auteurs ; mais il nous paroït non moins 
certain que plusieurs de celles qu'ont admises les 
naturalistes modernes ne sont réellement que de 
simples variétés. Il n’est point de genre dont l’his- 
toire offre autant de difficultés sous le rapport de la 
détermination de ses espèces; ou, pour mieux dire, 
un tel travail est absolument impossible dans l’état 
présent de la science, quel que soit le nombre des 
individus que possèdent toutes les collections, et de 
ceux même que nous pouvons observer vivants. On 
peut dire que rien n’est plus rare que de voir deux 
sujets absolument semblables, et qu’ilexiste presque 
autant de variétés que d'individus, tant les couleurs 


du pelage sont peu constantes. Bien plus, l’examen 


que nous avons fait il y a quelques mois de deux sa- 
jous du Brésil, l’un adulte, l’autre encore jeune, nous 
a Convaincu que non seulement la couleur, mais 
aussi la disposition des poils, varient d’une manière 
remerquable par l’effet des développements qu’a- 
mène l’âge. Ces deux individus ressemblent par leur 
tête, l’un au sajou brun, et l’autre au sajou cornu, 
et cependant ils appartiennent très certainement à la 
même espèce. Or, s’il en est ainsi, n’est-on pas porté 
à croire que les jeunes individus du cebus fatuellus, 
ou des autres espèces caractérisées par la disposition 
des poils de leur tête, ont pu donner lieu à quelque 
double emploi? Quant à nous, nous ne doutons pas 
qu’il en soit ainsi ; cependant, ne pouvant encore le 
démontrer, et ne possédant pas tous les éléments né- 
cessaires pour la solution de telles questions, nous 
présenterons une indication succincte des espèces 
admises par les auteurs. 


LE SAJOU BRUN (1). 


Pelage brun, clair en dessus, fauve en dessous - 
dessus de la tête, ligne qui descend sur les côtés de 
la face, queue et portion inférieure des membres, 
noirs. Longueur, depuis le bout du nez jusqu’à l’ori- 
gine de la queue, un pied et quelques lignes ; queue 
formant un peu plus de la moitié de la longueur to- 
tale, De la Guiane. 


() Buffon, &. XV : cebus apella, Erxleb.; Geoffroy 
Saint-Hilaire, Annales du Musée, t. XIX : simia apella, 
Linnæus, 


. LE SAJOU ROBUSTE, 


ü Cebus robustus. 


Kuhl et le prince de Neuwied ont donné ce nom 
à une espèce ou variété qui habite le Brésil, et qui 
se distingue de la précédente par sa taille un peu plus 
forte et par quelques légères différences de colora- 
tion. Nous ne voyons aucun motif pour séparer du 
cebus robustus le cebus macrocephatus de Spix (loc. 
eit., pl. 4). Tous les caractères qu'indique ce Voya- 
geur, tels que celui d’avoir des crêtes très prononcées 
sur le crâne, sont des caractères communs aux vieux 
individus de toutes les espèces. 


a ——— 
LE SAJOU LASCIF. 


Cebus libidinosus (1). 


Ce sajou est caractérisé ainsi par Spix : calolte 
brune-noire , barbe entourant en cercle toute la face ; 
dos, gorge, barbe, poitrine, membres (excepté les 
bras et les cuisses) et dessous de la queue, d’un roux 
ferrugineux; devant de la gorge d’un brun roux 
foncé ; joues, menton, doigts, d’un roux plus clair; 
corps d’un roux fauve, queue un peu plus courte 
que le corps. Du Brésil. « Cest, dit Spix, la lasci- 
veté qui rend ce singe remarquable; il aime à faire 
continuellement des grimaces en regardant certaine 
partie de son corps. » Il est évident qu’une telle ha- 
bitude étoit chez le sajou observé par Spix un ré- 
sultat de la domesticité, et qu’elle appartenoit à 
l'individu et non à l'espèce. 


LÉ SAJOU CORNU (’). 


Pelage marron sur le dos, plus clair sur les flancs, 
et roux-vif sur le ventre ; tête, extrémités et queue 
brunâtres, deux forts pinceaux de poils s’élevant de 
la racine du front. De la Guiane. 


LE SAJOU A TOUPET. 


Cebus cirrifer. GEorr. SAixT-His. 


Pelage brun-châtain; un toupet de poils très éle- 
vés, et disposés en fer-à-cheval, sur le devant de la 
tête ; poils longs, doux et moelleux. Du Brésil. 


(r) Spix, Loc. cit., pl. 2. 
() Buffon, Supplément, t. VI : cebus fatuellus , 
Erxleben : simia fatuellus, Linnæus, 


276 HISTOIRE NATURELLE 


C'est près de cette espèce ou variété que doit être 
placé un sajou du Brésil dont nous avons parlé au 
commencement de cet article, et qui ressemble au 
cebus fatuellus dans l’état adulte, au cebus apella 
dans le jeune âge. Son pelage, très long et moelleux, 
est généralement d’un brun châtain ; mais quelques 
longs poils blancs se trouvent chez l’adulte mêlés 
parmi les poils bruns. Peut-être le sajou à toupet ne 
seroit-il qu’un âge intermédiaire ? 


LE SAJOU TREMBLEUR. 


Cebus trepidus. Erx1. 


Pelage marron ; poils de la tête relevés, disposés 
en coiffe, et d’un brun noirâtre ; mains cendrées. 
Cette espèce, plus douteuse encore que les autres, 
habiteroit la Guiane hollandoise : c’est le singe à 
queue touffue d'Edwards ( Glan., t. VIT), et le simia 
trepida de Linnæus. 


LE SAJOU COIFFÉ. 


Cebus frontatus. Kuuz. 


Pelage d’un brun noir, poils du front relevés per- 
pendiculairement ; des poils blancs épars sur les 
mains. Cette espèce, dont la patrie est inconnue, 
diffère très peu de Ja précédente, et doit peut-être 
lui être réunie. 


aa EE 


LE SAJOU A CAPUCHON. 
Cebus cucullatus (). 


Poils de la partie antérieure de la tête dirigés en 
avant; membres et queue presque noirs, dos et tête 
brunûtres ; bras, gorge, poitrine roussâtres; ventre 


d’an roux ferrugineux. Du Brésil et de la Guiane, 
selon Spix. 


LE EE 


LE SAJOU BARBU. 


Cebus barbatus. GEOrr. SaiNT-Hix. 


Pelage gris-roux, variant du gris au blanc sui- 
vant l'âge et le sexe; ventre roux, barbe se prolon- 
geant sur les joues; poils longs et moelleux. De Ja 
Guiane. 


() Spix, Loc, cit., pl. 6. 


M. de Humboldt rapporte cette espèce ou variété 
au sajou brun ; et M. Desmarest , qui l’adopte mais 
avec doute, pense que le sajou gris de Buffon forme 


une espèce particulière, à laquelle il donne le nom 
de cebus griseus. 


LE SAJOU NÉGRE. 
Cebus niger (!). 


Pelage brun ; face, mains et queues noires ; front 
et joues blanches. C’est, suivant M. de Humboldt, 
une simple variété du sajou brun. 


EEEEEEEEE————_————……………—… 


LE SAJOU MAIGRE. 
Cebus gracilis ). 


Pelage brun-fauve en dessus, blanchâtre en des- 
sous; vertex et occiput bruns; formes très grêéles. 
Cette espèce, très douteuse, habiteroit les forêts voi- 
sines de Ja rivière des Amazones, 


LE SAJOU A GROSSE TÊTE. 


Cebus monachus (3). 


Front large et arrondi, pommettes saillantes ; poi- 
trine, ventre, joues, face antéricure des bras, d’un 
blanc jaunâtre orangé; face externe des bras blan- 
che; avant-bras, cuisses, jambes et queue noirs; 
dos et flancs variés de noir et de brun; tête noire en 
dessus, et blanchâtre sur les côtés ; bande noire des- 
cendant sur les côtés de la face, comme chez le 
cebus apella. Cette espèce, dont la patrie est incon- 
nue, n’a été établie qu'avec doute par M. Fr. Cu- 
vier, et ne repose que sur l’examen de deux indi- 
vidus qui même différoient entre eux à quelques 
égards. 


LE SAJOU LUNULÉ. 


Cebus lunatus. KunL. 


Pelage noirâtre ; une tache blanche, en forme de 
croissant, sur chaque joue. Patrie inconnue. 


() Buffon, Supplément, t. VII: cebus niger, Geoffroy 
Saint-Hilaire. 

(2) Spix, Loc. cit., pl. 5. 

() Fr. Cuvier, Mam. lith. 


DES MAMMIFÈRES. 


LE SAJOU A POITRINE JAUNE. 


Cebus xanthosternos. Wiep-NEuw, Kunr. 


Pelage châtain, dessous du cou et poitrine d’un 
jaune roussâtre très clair. Du Brésil. 


LE SAJOU A TÊTE FAUVE. 
Cebus æantocephalus (1). 


Région lombaire, partie supérieure de la poitrine, 
cou, nuque et dessus de la tête, fauves ; portion 
moyenne du tronc, fesses et cuisses, brunes. Du 
Brésil. 


LE SAJOU FAUVE. 
| Cebus flavus. GEorr. Saint-Hir. 

Pelage entièrement fauve. Du Brésil. Le sajou 
blanc, cebus albus de M. Geoffroy Saint-Hilaire, 
n’est qu’une variété albine de cette espèce ; et le sa- 
jou unicolore, cebus unicolor de Spix (loc. cit, 
pl. 4), en est un double emploi. 


LE SAJOU A FRONT BLANC. 
Cebus albifrons. GEOrF. SAINT-HIL. (?). 


Pelage gris, plus clair sur le ventre; sommet de 
la tête noir; front et orbite blancs ; extrémités d’un 
brun jaunâtre. Des environs de Maypures et d’A- 
tures, sur les bords de l'Orénoque. 


LE SAJOU VARIÉ. 
Cebus variegatus. GEOFF. SAINT-HIL. 


Pelage noirâtre, pointillé de doré ; ventre roussà- 
tre; poils du dos bruns à la racine, roux au milieu, 
noirs à la pointe. De la Guiane. 


(") Spix, loc. cit’, pl. 3. 
() L’ouavapavi, simia albifrons , Humboldt. 


à 


mm 


LE SAI (1. 


Pelage variant du gris brun au gris olivâtre ; ver- 
tex et extrémités noirs ; front, joues et épaules d’un 
blanc grisâtre. De la Guiane. Cette espèce, qu’il ne 
faut pas confondre avec le saï de M. F. Cuvier (qui 
paroit être le cebus apella), est celle que les voya- 
geurs ont le plus souvent désignée sous le nom de 
singe pleureur. 


LE SAJOU A GORGE BLANCHE (?). 


Pelage noir; front, côtés de Ja tête, gorge et 
épauies , blancs. De la Guiane. 


LE SAJOU AUX PIEDS DORÉS. 
Cebus chrysopus (3). 


Nous décrivons avec quelque détail cette jolie es- 
pèce parce qu’elle n’est encore que très peu connue. 
Son pelage est formé de plusieurs couleurs dont la 
disposition la rapproche de Ja plupart de ses congé- 
nères, mais dont la nuance la distingue parfaitement. 
La partie antérieure du dessus et des côtés de la tête, 
depuis les oreilles et le devant de la tête et du cou, 
est d’un blanc légèrement jaunâtre; les pieds, les 
jambes, les régions antérieure et interne des cuisses, 
les mains, les bras, et une portion des avant-bras, 
sont d’un roux vif. Le reste des membres, le des- 
sous de la queue, les flancs, les épaules, la partie 
antérieure du dos, et le dessous du cou, sont d’un 
brun clair légèrement cendré qui se prolonge sur la 
partie postérieure de la tête, en prenant une teinte 
un peu plus foncée ; la partie postérieure du dos et 
toute la région lombaire sont rousses. Enfin le ven- 
tre est d’un fauve roussâtre qui se confond par 
nuances insensibles, en avant, avec le blanc du des- 
sous du cou; en arrière, avec le roux de la partie 
interne des cuisses. Cette espèce, qui a de nombreux 
rapports avec l’ouavapavi de M. de Humboldt (cebus 
albifrons), paroît habiter la Colombie. Notre des- 
cription est faite d’après plusieurs individus entiè- 
rement semblables, envoyés au Muséum par le 
voyageur Plée sous le nom de earita blanca; nom 
très analogue à celui de cari-blanco que M. de 
Humboldt attribue à l'espèce précédente, et qui si- 
gnifie comme lui face blanche. 


(G) Buffon, t. XV : cebus capucinus, Erxleb. : simia 
capucina, Linnæus. 

(2) Buffon , t. XV : cebus hypoleucus, Geoffroy Saint- 
Hilaire : le cariblanco, simia hypoleuca , Humboldt. 


(3) Fr. Cuvier, Ham. lit, 


278 


Telles sont toutes les espèces de sajous admises 
par les auteurs modernes. Quant aux simia morta et 
simia syrichta, qui doivent également être rappor- 
tées au genre cebus, ce sont des espèces établies 
seulement sur des individus incomplets, et qui 
doivent dès à présent être retranchées des cata- 
logues. 

M. d'Orbigny a figuré (pl. 3), dans son Voyage 
en Amérique, une variété du cebus fulvus, remar- 
quable par la teinte uniformément blond doré de 
toutes les parties, sa face exceptée, qui est couleur 
de chair. 


——————…….….……_…—— …"—— …".…"…"….…"…"…"”"”…"”"." "- _—_——————————— 


LES SAGOUINS 
OU GÉOPITHÈQUES. 


Geopithecus. 


Nous avons donné, en traitant des singes en gé- 
néral dans ce même volume, une délinition des 
espèces qu'on réunit sous le nom commun de sa- 
gouins. On se rappellera d’ailleurs que M. Geoffroy 
Saint-Hilaire a divisé la famille des singes en deux 
grandes races, les catharrhinins ou singes de l’an- 
cien monde, et les platyrrhinins ou singes d’Amé- 
rique. Ces derniers sont eux-mêmes distingués en 
hélopithèques ou singes à queue prenante, en géo- 
pithèques où singes à queue non prenante, qui sont 
nos sagouins, eLenfin en arctopilhèques (1), ou ouis- 
tilis, et tamarins. Ces trois tribus américaines se 
trouvent donc nettement circonserites dans leurs at- 
tributs généraux. 

Les sagouins forment ainsi une petite famille qui 
renferme, d’après les travaux les plus récents de 
M. Geoffroy Saint-Hilaire, quatre genres, qui sont 
les callitriche, callithrix; nyctipithèque, nyctipi- 
thecus ; saki, pithecia; et enfin brachyure, brachyu- 
rus. M. Desmarest regardoit son genre sagouin 
comme synonyme de callithrix de M. Cuvier ; mais 
long-temps auparavant M. de Lacépède avoit pro- 
posé pour lui le nom scientifique de saguinus. Erx- 
leben ne sépara point les sagouins des cebus ou sa- 
pajous. 

Les sagouins se distinguent de tous les antres 
singes d'Amérique par leurs habitudes. Leur queue 
non prenante ne pourroit leur servir à se balancer 
sur les branches et sauter d'arbre en arbre dans 
les forêts ; aussi de cette conformation sont aussitôt 
découlées les privations de ce moyen de conserva- 
tion, et les sagouins ont été contraints de chercher 


(") Singes dont les molaires sont hérissées de pointes 
aiguës. 


HISTOIRE NATURELLE 


des refuges dans les broussailles et les fourrées du 
sol, qu’ils ne quittent guère, et dans les crevasses 
des rochers. De là le nom de géopithèques, que 
leur donna M. Geoffroy Saint-Hilaire. Ces singes, 
par leur tête arrondie, paroissent avoir recu en par- 
tage une ample dose d'intelligence ; leurs yeux or- 
ganisés pour la vision nocturne semblent prouver 
qu’ils n’ont jamais plus d’assurance que le soir et 
aux approches de l’obscurité, et qu'ils restent tapis 
le jour dans l'asile qu’ils habitent ; leur face, com- 
munément courte, forme un angle de soixante de- 
grés ; leurs narines, largement ouvertes, sont per- 
cées sur le côté ; leurs mâchoires présentent six dents 
molaires, et enfin la longue queue qui les distingue 
ne paroît avoir aucun but d’utilité. M. Geoffroy 
Saint-Hilaire les divise en deux sections, d’après les 
indications fournies par l'os incisif ou l’intermaxil- 
laire qui porte les dents incisives. Ainsi s'exprime 
ce savant dans ses Leçons : 

« L’incisif est dirigé en dedans, ou bien il est ré- 
fléchi en dehors. Infléchi comme chez tous les autres 
singes, les dents sont parallèles et contiguës, et la 
cloison des narines est moins large que ne l’est la 
rangée des dents incisives. L'intermaxillaire est-il 
au contraire prolongé et saillant en avant, les inci- 
sives s’écartent des canines, et la cloison des narines 
est tenue plus ample que la rangée des incisives n'a 
de largeur; mais de nouvelles recherches m'ont 
fait connoitre d'autres différences d’organisation, 
c'est-à-dire que les deux sections sont susceptibles 
de subdivisions, ou autrement qu’elles contiennent 
plusieurs genres, » 

M. F. Cuvier a trouvé que le système dentaire 
des callitriches ou saÿmiris, premier genre des sa- 
gouins, ne différoit point de celui des alouates, des 
atèles et des sajous ; qu’il présentoit trente-six dents, 
dix-huit à chaque mâchoire, ou quatre incisives, 
deux canines et douze molaires. 


LES CALLITRICHES. 
Callithriæ (1). 


Le type de ce genre est le saïmiri de Buffon, que 
M. Geoffroy Saint-Hilaire a pris pour le caractéri- 
ser ; et ce savant pense même que les autres espèces 
de callithriches diffèrent assez notablement du saï- 
miri par les détails de leur organisation, pour ne 
point faire partie du même genre. Quoiqu'il en soit, 
voici les caractères généraux adoptés par lesauteurs : 
tête petite, arrondie; museau court, angle facial de 
soixante degrés ; les canines médiocres ; les incisives 


() Cuvier, Geoffroy, Illiger, Desmarest:cebus, Erxleb. 


DES MAMMIFÈRES. 


inférieures verticales , et contiguës aux canines ; les 
oreilles grandes et déformées ; la queue un peu plus 
longue que le corps, couverte de poils courts; le 
corpsassez grêle. Le crâne des callithriches est énor- 
mément développé dans le saïmiri, mais beaucoup 
moins quant à l’ampleur dans les autres espèces ; le 
cerveau acquiert des dimensions qui rendent compte 
de l'extrême sagacité que le saïmiri manifeste; les 
yeux sont dans toutes les espèces d’une grandeur 
considérable ; les orbites sont complétement arron- 
dies;, l'oreille interne est munie de grandes caisses 
auditives, mais dans les callithriches, veuve à col- 
lier, moloch, et autres, la boîte cérébrale est moins 
étendue , le trou occipital est plus reculé en arrière, 
et la cloison inter-orbitaire estentièrement osseuse : 
leur pelage agréablement coloré leur a mérité le nom 
de callithrix, qui veut dire beau poil. 


Les mœurs de la plupart des animaux de ce genre 
sont encore peu connues; on sait seulement que 
quelques espèces ont beaucoup d'intelligence, vivent 
de fruits et d'insectes, et se réunissent par troupes 
considérables dans les forêts équatoriales du Nou- 
veau Monde. 


LE SAIMIRI. 
Callithrix sciureus. GEOrr. Saint-Hix. 


Ce joli singe, rempli d'intelligence, a recu une 
foule de noms vulgaires; c’est ainsi qu’on le nomme 
fréquemment sapajou-aurore ou singe-écureuil. Le 
nom de saïmiri, d'abord employé par Buffon, est 
usité parmi les Galibis de la Guiane, tandis qu'il 
est nommé {éti sur les bords de l’Orénoque, suivant 
le docte de Humboldt. Linnæus et Screber, dans sa 
planche 55, lui consacrèrent le nom scientifique de 
simia sciurea ou de singe-écureuil ; et M. Geoffroy 
Saint-Hilaire dans les Annales du Muséum (t. XIX, 
p. 415, sp. 1), et M. Desmarest dans sa Mammalo- 
gie (sp. 75), lui imposèrent celui de callithrix sciu- 
reus. On en trouve des figures dans l'Encyclopédie, 
pl. 48, fig. 4; dans Audebert, pl. 7 ; dans F. Cu- 
vier, t. 1!, 40e livraison des Mammifères ; dans Buf- 
fon, t. XV, pl. 67, et figures coloriées , pl. 265. 

Le saïmiri a de longueur totale environ un pied 
onze pouces. Il est remarquable par sa tête arron- 
die et par l’aplatissement de sa face, qui rend le 
museau très peu saillant. Des poils courts, en 
brosse, recouvrent le sommet et le derrière de la 
tête; ses oreilles sont nues et taillées à angles sur 
plusieurs points, leur forme est aplatie le long des 
tempes; les yeux sont gros; la couleur du pelage 
est en général d’un gris olivâtre tirant sur un roux 
léger; le museau est noirâtre, tandis que les bras et 


279 
les jambes sont d’un roux vif; le poil enfin est doux, 
etcouvre abondamment le corps, mais la face est 
entièrement nue et blanche, excepté le bout du rez 
qui est marqué par une tache noire qui se reproduit 
sur les lèvres. Au milieu de chaque joue se dessine 
une petite tache verdâtre; l'iris des yeux est chà- 
tain, et entouré d’un <ercle couleur de chair. On 
distingue deux variétés dans l'espèce de saüniri, 
l’une qui a le dos d’un jaune verdâtre unicolore, et 
qui est beaucoup plus commune que l’autre dont le 
pelage supérieur est varié de roux vif et de noir. 
Cette dernière à la taille du double plus forte que 
la précédente ; mais toutes deux ont une teinte grise 
sur les membres, qui se change en un bel orangé 
sur les avant-bras et sur les jambes. La queue, 
grise-verdätre dans son ensemble, est terminée de 
noir dans une longueur de deux pouces ; les parties 
inférieures sont d’un blanc sale teint de rouille, et 
les parties génitales sont d’une couleur de chair très 
vive. Le saïmiri a les ongles des pouces plats et lar- 
ges, tandis que les autres sont longs et étroits. Ce 
singe vit d'insectes et de fruits, et se réunit en trou- 
pes nombreuses. M. de Humboldt est le seul voya- 
geur qui ait publié sur cet animal des détails précis 
et complets. Voici ce qu’on lit dans les Lecons de 
M. Geoffroy Saint-Hilaire : « La physionomie du 
saïmir? ou titi de l’Orénoque est celle d’un enfant ; 
c’est la même expression d’innocence, quelquefois 
le même sourire malin, et constamment la même 
rapidité dans le passage de la joie à la tristesse. IL 
ressent aussi vivement le chagrin et le témoigne de 
même en pleurant; ses yeux se mouillent de larmes 
quand il est inquiet ou effrayé. Il est recherché par 
les habitants des côtes pour sa beauté, ses manières 
aimables et la douceur de ses mœurs. Il étonne par 
une agilation continuelle; cependant ses mouve- 
ments sont pleins de grâces. On le trouve occupé 
sans cesse à jouer, à sauter et à prendre des insec- 
tes, surtout des araignées qu’il préfère à tous les 
aliments végétaux. » M. de Humboldt a remarqué 
plusieurs fois que les titis reconnoissoient visible- 
ment des portraits d’insectes, qu’ils les distinguoient 
sur les gravures même en noir, et qu'ils faisoient 
preuve dediscernement en cherchant à s’en emparer 
en avancant leurs petites mains pour les saisir. Un 
discours suivi prononcé devant ces animaux les oc- 
cupoit au point qu’ils suivoient les regards de l’ora- 
teur, ou qu’ils s’approchoient de sa tête pour tou- 
cher la langue ou les lèvres. En général ils montrent 
une rare sagacité pour attraper les insectes dont ils 
sont friands, et jamais les jeunes n’abandonnent le 
corps de leurs mères lors même qu’elles sont tuées : 
aussi est-ce à l’aide de ce moyen que les Indiens se 
procurent les jeunes saïmiris qu’ils vont vendre à la 
Côte. « Cette aflection coïncide, dit M. Geoffroy 
Saint-Hilaire, avec le développement de la partie 


280 


postérieure des lobes cérébraux, dont les saïmiris 
sont si amplement dotés. » 

Ces singes vivent en troupes de dix à douze in- 
dividus ; ils saisissent leurs aliments, soit avec la 
main , soit avec la bouche, et boivent en humant. 
On les trouve communément au Brésil et à la Guiane. 
M. de Humboldt a plus part:culièrement observé la 
variété à dos unicolore sur les bords du Cassiquiaré. 
Les individus âgés ont leur pelage plus foncé en cou- 
leur suivant M. F. Cuvier, qui a décrit avec soin les 
mœurs d’un jeune individu en captivité. 


LE SAGOUIN ENTOMOPHAGE. 
Callithrix entomophagus. D'OrBiexy, pl. 4. 


Ce gracieux singe, qui rappelle le saïmiri, a l’oc- 
ciput brun, la face et les oreilles couleur de chair, 
le museau noir, le pelage gris tiqueté, les membres 
jaunes, et la partie nue des pieds couleur de chair ; 
sa queue est longue, grise, puis jaune et enfin ter- 
minée de brun. 


L 


EEE Ÿ 
———————_—_—_—_——_———…—…—…—…—…—… …—————— 


LE SAGOUIN A MASQUE. 
Callithrix personatus (1). 


Ce sagouin forme , suivant opinion de Kuhl, une 
seule espèce avec celles décrites sous les noms de 
sagouins à fraise et veuve. Il est de fait que ces 
trois animaux ont entre eux de grandes ressemblan- 
ces, quoique cependant M. Spix les isole. Le 
sagouin à masque a à peu près de longueur totale 
deux pieds sept pouces ; sur cette longueur la queue 
à elle seule a un pied trois pouces : son pelage est 
en entier gris-fauve ; la face, le sommet de la tête, 
les joues, le derrière des oreilles, sont d’une cou- 
leur brune-foncée dans la femelle , et d’un noir in- 
tense chez le mâle. Les poils des membres et du dos, 
étant annelés de blanc sale vers la pointe, paroissent 
grivelés; les parties inférieures sont d’un gris sale ; 
la queue est médiocrement touffue, d’un fauve 
roussâtre ; les poignets et les mains, les pieds de 
derrière, à l’exception des talons, sont d’un noir 
assez vif. F 

Ce sagouin habite le Brésil, depuis le 18° degré 
de latitude sud jusqu’au 21°, dans les forêts qui bor- 
dent les grandes rivières. 


(r) Geoffroy, Ann. Mus.,t. XIX, p. 113, sp. 2 ; Hum- 
boldt , Observ. x0olog., sp. 21 ; Desmarest, sp. 76. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE SAGOUIN-VEUVE. 
Callithrix lugens (1). 


Cette espèce a été décrite sous le nom de viduila 
ousimia lugens par M. de Humboldt, dans ses Mé- 
langes d’observations zoologiques, p. 519. Ses di- 
mensions sont d'environ un pied; son pelage se 
compose de poils doux, lustrés, d’un noir uni- 
forme, excepté au-devant de la poitrine et les mains 
qui sont d’un blanc net. La face est blanchâtre, 
teinté de bleuâtre, et traversée par deux lignes 
blanches qui se rendent des yeux aux tempes; les 
poils noirs du sommet de la tête ont un reflet pour- 
pré ; la queue et les pieds sont noirs. 

Les habitudes de ce sagouin sont tristes et mélan- 
coliques ; il vit isolé, et ne se réunit point en trou- 
pes comme les autres espèces du même genre. On 
le trouve dans les forêts qui bordent les rivières de 
l’Orénoque et du San-Fernando de Atapabo. 


LE SAGOUIN A FRAISE. 


Cailithrix amictus (?). 


M. de Humboldt a décrit cette espèce dans ses 
Mélanges zoologiques, sp. 24, sous le nom de simia 
amicla, sans se rappeler positivement sa patrie. On 
la dit toutefois du Brésil, Le sagouin à fraise est du 
double plus gros que le saïmiri; son pelage sur le 
corps, les avant-bras et les jambes, est d’un noir 
mélé de brunâtre, les poils des joues sont bruns, 
le dessous du cou et le haut de la gorge blancs; les 
mains, depuis le poignet jusqu’à l’extrémité des 
doigts, sont d’un gris jaunâtre sale ; la queue, entiè- 
rement noire, est moins touffue que celle des autres 
sagouins. 


LE SAGOUIN A COLLIER. 
Callithrix torquatus (?). 


Ce singe a été décrit pour la première fois en 1809 
par le comte de Hoffmansegg, dans un Recueil al- 
lemand sur l’Histoire naturelle. Il le nomma cal- 
lithrix torquata, en lui donnant pour caractères 
d’avoir le pelage brun-châtain, jaune en dessous 
avec un demi-collier blanc ; la queue un peu plus 
longue que le corps. El est du Brésil. 


Geoffroy, Desmarest, sp. 37. 
Geoffroy, Desmarest, sp. 78. 
Geoffroy, Desmarest, sp. 79, 


() 
(2) 
Q 


DES MAMMIFÈRES. 


LE SAGOUIN MOLOCH. 
Callithrix moloch (1). 


Cette espèce a, comme la précédente, été décrite 
par le comte de Hoffmansegg , qui la nomma cebus 
moloch, et qui la découvrit au Para où elle paroit 
être rare. Sa taille est du double de celle du saï- 
miri, son pelage est cendré ; mais comme les poils 
sont annelés, il en résulte que le dos et les régions 
externes des quatre membres sont variés agréable- 
ment; les extrémités sont en dehors d’un cendré 
plus clair que celui du dessus du corps; le gris des 
mains et du bout de la queue est très clair et presque 
blanc; la face est nue, brunâtre, garnie de quelques 
poils rudes sur les joues et le menton : tout le des- 
sous du corps et le dedans des bras et des jambes 
sont d’un fauve roussâtre, assez vif, qui s’arrête avec 
le gris des parties supérieures sans transition ; la 
queue est garnie de poils assez longs à sa base, puis 
courts à son extrémité, et annelés de gris-brun noi- 
râtre et de blanc sale. 


LE SAGOUIN AUX MAINS NOIRES. 
Callithrix melanochir (?}. 


Ce sagouin a été découvert par le prince Maxi- 
milien de Wied-Neuwied , et on en trouve une des- 
cription dans la traduction françoise de son Voyage 
au Brésil (tom. ZE, pag. 40). Il a de longueur trente- 
cinq pouces dix lignes; en y comprenant la queue, 
qui à elle seule a vingt et un pouces dix lignes. Les 
poils qui le recouvrent sont longs, touffus, et doux ; 
la face et les quatre extrémités sont noires, et son 
pelage paroit gris-cendré parce qu'il est mélangé de 
noir et de blanc sale ; le dos est d’un brun marron 
rougeâtre ; Ja queue est blanchâtre, souvent presque 
blanche, et quelquefois teintée de jaune. 

Cet animal, très commun dans les forêts de l’in- 
térieur du Brésil, où il est nommé gigo, pousse des 
cris rauques dès le lever du soleil, dont les sons dis- 
cordants retentissent au loin. 


() Geoffroy ; Desmarest, sp. 80. 
(2) Wied, Kubl, Desmarest, sp. S1 : callilhriæ inca- 
nescens., Lichst. : pilhecia, K,. Cuvier. 


281 


LE SAGOUIN DES BAMBOUS. 
Callithrix donacophilus. D'Oricxy, pl. 5. 


Ce sagouin , abondamment recouvert d’un pelage 
touffu , a pour coloration une teinte assez uniforme 
de gris clair tiqueté de brun. Cependant du roussä- 
tre clair règne sur le dos et un blond pâle lave les 
oreilles et la queue. La face est bleuâtre. 


LE SAGOUIN MITRÉ. 
Callithrix infulatus (1). 


Cette espèce a été primitivement décrite par 
Lichsteintein et Kuhl sous le nom de callithrix in- 
fulata, et ils se bornent à l'indication des carac- 
tères synoptiques les plus saillants, tels que d’avoir 
un pelage gris en dessus, d’un roux jaunâtre en des- 
sous, avec une grande tache blanche entourée de 
noir au-dessus des yeux; la queue est noire à son 
extrémité et d’un jaune roussâtre à sa naissance, 
Ce sagouin est du Brésil, où il est rare. 


6 II. 
LES NICTIPITHÉÈQUES, 


Nyctipithecus. Srix (?). 


M. de Humboldt, dans ses Mélanges de Zoologie, 
proposa la formation d’un genre nouveau pour re- 
cevoir un animal découvert par lui dans les épaisses 
forêts de l’Orénoque, et connu sous le nom de 
douroucouli.Ce genre recut du naturaliste prussien 
la dénomination d’aotus, d'a grec, privatif, sans, 
etotus, oreilles ; mais ce nom, forgé contre la réa- 
lité et très mal choisi, fut changé en 1825 par le 
Bavarois Spix en celui de nyctipithecus ou singe 
de nuit, nom plus convenable puisqu'il repose sur 
une particularité essentielle des mœurs des animaux 
de ce genre. Sans connoître cette dernière synony- 
mie, M. F. Cuvier proposa le nom de nocthora en 
place de celui d’aotus. 

Les nyctipitlèques présentent des caractères gé- 
nériques fort remarquables, que M. de Humboldt, 
puis Illiger et Geoffroy, spécifièrent ainsi qu’il suit : 
dents comme dans les callithriches, museau obtus, 


() Desmarest, sp. 82. 
e) Aotus, Humboldt: nocthora , F.Cuvier. 


CA 


6 


282 


face nue, point d’abajoues; yeux grands, oreilles 
nulles ; queue longue, à poils lâches ; deux mamelles 
pectorales, mains et pieds pentadactyles, fesses ve- 
lues sans callosités. Or on conçoit que de tels ca- 
ractères ont dû être singulièrement modifiés par 
une connoissance plus parfaite des formes de l’ani- 
mal, puisque les oreilles externes dont on suppo- 
soit qu'il étoit privé sont au contraire notablement 
développées. Aussi M. Desmarest dans sa Mamma- 
logie donne-t-il pour caractères au genre aotus les 
suivants : 

Tête ronde et fort large; museau court ; yeux noc- 
turnes , très grands et rapprochés; les narines sé- 
parées l’une de l’autre par une cloison mince; les 
oreilles très petites; la queue plus longue que le 
corps, non prenante et recouverte de poils : tous les 
pieds à cinq doigts et à ongles aplatis. 

Tout dans les nyctipithèques rappelle la coupe 
générale des loris ; leurs grands yeux, leur tête ar- 
rondie, leurs formes grêles, leurs habitudes noc- 
turnes , semblent en faire les représentants dans le 
Nouveau Monde des lemur, exclusivement confinés 
dans les régions équatoriales de l’ancien. M. Geof- 
froy Saint-Hilaire (Leçons sténographiées) a trouvé 
dans le squelette sept vertèbres cervicales, quatorze 
dorsales, neuf lombaires, deux sacrées, dix-huit 
coccygiennes , et jusqu’à trente vertèbres caudales. 
Long-temps on n’a connu qu’une seule espèce de 
ce genre, le douroucouli, nommé aotus trivirga- 
tus par M. de Humboldt; mais deux autres espèces 
ont été récemment décrites par Spix dans son s1- 
miarum et vespertilionum brasilienses Species 
novæ, publié à Munich en 4820. Ces deux espèces 
ne nous sont connues que par une courle nole in- 
sérée dans les Leçons sténographiées du savant pro- 
fesseur Geoffroy Saint-Hilaire, et tous les détails 
de mœurs relatifs aux habitudes et à la manière de 
vivre des nyctipithèques seront rapportés à l’his- 
toire du douroucouli qu'ils concernent exelusi- 
vement. 


LE NYCTIPITHÈQUE A FACE DE CHAT. 
Nyctipithecus felinus (1). 

Son pelage est d’un gris brun uniforme, le ventre 

roussâtre, le tour des yeux blanc et la queue noire 


à sa moitié terminale. 


() Spix, pl. 18. 


HISTOIRE NATURELLE 


| 


LE NYCTIPITHÈQUE HURLEUR. 
Nyclipithecus vociferans (1).! 


Le pelage est gris-roux par tout le corps, même 
sur Ja tête, et il a seulement le tiers de la queue 
noirâtre. Tous les deux vivent au Brésil, 


LE DOUROUCOULI. 


Nyclipithecus trivirgatus : aotus trivirgatus (?). 


Le douroucouli, aussi nommé cara rayada par 
les missionnaires espagnols établis sur les bords de 
l'Orénoque, est sans contredit un des singes les plus 
remarquables de l'Amérique méridionale, tant par 
ses formes corporelles que par les couleurs de son 
pelage. Sa longueur totale est d'environ vingt-trois 
à vingt-quatre pouces. Tout le pelage sur les parties 
supérieures du corps est d’un gris varié qui est dû 
à ce que chaque poil est annelé de blanc et de noir ; 
les parties inférieures, depuis le menton jusqu'à 
l'origine de la queue, sont d’un orangé qui remonte 
sur les côtés du cou; la queue, noire à son tiers 
terminal, est grise- jaunâtre dans le reste de son 
étendue; un sourcil blanc surmonte l'œil; trois 
raies noires sillonnent le front en divergeant : l’une 
occupe la ligne médiane, et chacune des deux au- 
tres naît de l’angle extérieur de l’œil et se recourbe 
vers l'angle interne : l’intérieur des mains et des 
oreilles est nu et couleur de chair; la face, égale- 
ment nue, est fuligineuse ; l'iris est brun-jaunâtre, 
et les ongles sont noirs. 

Les dents du douroucouli ne différent point de 
celles des sajous; les mains ont aussi la même con: . 
formation, les doigts antérieurs ne sont point ex- 
tensibles ; les ongles sont longs, étroits, creusés en 
gouttière et un peu crochus; la queue, qui n’est pas 
prenante, est assez touflue et mobile; le globe de 
l'œil est très gros et a sa pupille ronde; l'oreille 
est externe et très développée; le nez n’est point 
terminé par un mufle; les narines sont étroites; la 
bouche est fort grande et sans abajoues; les poils 
sont doux, épais et très soyeux; les intestins grêles 
sont extrêmement petits; les colons sont au contraire 
amples ; la vulve est grande et assez semblable, par 
sa forme extérieure, à celle des chiens, et les ma- 
melons sont placés près de chaque aisselle. 


(2) Spix, pl. 19. 

() Humboldt, Observ. zoolog., pl. 28, p. 806 ; Geof- 
froy Saint-Hilaire, Ann. du Mus., t. XIX, sp. 1 ; Des- 
marest , sp, 83 : nocthora trivirgata , F, Cuvier, 43e 
livraison. 


DES MAMMIFÉÈRES. 


Le douroucouli dort pendant le jour, parce que 
la lumière du soleil l’incommode, et ne se met en 
quête de sa nourriture qu'aux approches du cré- 
puseule. Ses tanières sont des troncs d’arbres ver- 
moulus, où il fait le guet lorsqu'il est inquiété par 
le bruit. En captivité il mange du lait, du biscuit 
et des fruits; en liberté, au contraire, suivant M. de 
Humboldt, il chasse aux petits oiseaux, et ne dé- 
daigne point les fruits, tels que les bananes, les 
cannes à sucre , les amandes du berthoï!letia, et les 
fèves du mimosa inga. Cet animal vit par paires. 
Pour dormir il prend la même position que les 
Joris, c’est-à-dire qu'il s’assied sur sa croupe, les 
jambes de derrière ramenées sur le ventre, les 
quatre mains réunies , le dos courbé, la tête bais- 
sée, presque cachée dans les mains; cette position 
est facilitée par une grande mobilité dans l’articula- 
tion des vertèbres. Son cri nocturne ne peut mieux 
être rendu que par les syllabes muk-muk, et n’est 
pas sans analogie avec celui du jaguar. Aussi est-ce 
pour cela, dit M. de Humboldt, que les créoles 
des missions de l’Orénoque l’appellent titi-tigre. 
La voix du douroucouli en effet est d’une force con- 
sidérable par rapport à Ja petitesse de sa taille. Il 
paroit qu’il a aussi deux autres cris, l’un qui est 
une espèce de miaulement {e-i-aou), et l'autre un 
son guttural très désagréable qu’on peut rendre par 
les syllabes quer-quer. Sa gorge se gonfle lorsqu'il 
est irrité ; il ressemble alors par son renflement et 
la position de son corps, à un chat attaqué par un 
chien. Un individu mâle que M. de Humboldt es- 
saya d’apprivoiser fut rebelle à tous ses soins ; une 
femelle, qui a vécu à la ménagerie du Muséum, 
étoit d’une grande douceur. 

Le douroucouli habite les forêts épaisses des bords 
du Cassiquiaré et du Haut-Orénoque, près des ca- 
taractes des Maypures. 


$ Il. 
LES SAKIS. 


Pithecia (1). 


Les sakis ont été nommés singes à queue de re- 
nard ou singes de nuit ; cependant ils sont beaucoup 
moins nocturnes que les nyctipithèques, mais ils 
sortent de préférence le soir et le matin. Ils sont 
voisins des sapajous et des sagouins par leurs for- 
mes corporelles ; mais ils se distinguent des pre- 
miers parce que leur queue n’est pas prenante, et 
on les isole nettement, à la première vue, des autres 


(9 Desmarest, Geoffroy , Cuvier , Illiger : 


cebus , 
Erxleben. 


283 


genres de la famille des sagouios parce que leur 
queue est garnie de longs poils touffus. Leur sys- 
tème dentaire présente aussi les particularités que 
M. F. Cuvier a décrites. Il offre trente-six dents : 
quatre incisives, deux canines, douze molaires en 
haut et un pareil nombre en bas. Les incisives 
supérieures sont arrondies à leur bord inférieur , 
échancrées au côté externe et excavées à la face in- 
terne; la canine se termine par une pointe aiguë ; 
les molaires, y compris les fausses, sont hérissées 
de crêtes diversement contournées : leur analogie 
se trouverait être parfaitement identique avec les 
dents des alouates , et paroît être la même que chez 
les callithriches. Ce genre est aussi séparé des ouisti- 
tis par les tubercules mousses de ses molaires; car 
les dents de ces derniers sont couronnées de tuber- 
cules acérés : leurs ongles diffèrent aussi notable- 
ment des demi-griffes des ouistitis. Les caractères 
extérieurs des sakis sont : une tête ronde avec un 
museau court, dont l'angle facial est de soixante 
degrés environ ; les oreilles de grandeur médiocre, 
et bordées ; la queue moins longue que le corps, et 
garnie de poils longs et touffus ; les pieds pentadac- 
tyles, et munis d’ongles courts et recourhés. Les 
espèces qui composent ce genre vivent dans les pro- 
fondes forêts du Nouveau Monde de fruits et d’in- 
sectes, et dorment ou se cachent le jour, de sorte 
que leurs habitudes sont peu connues. On dit tou- 
tefois qu’elles vivent en troupes de sept ou huit in- 
dividus, se livrant à la recherche des ruches de 
mouches à miel; que les sajous les suivent pour 
s'emparer de leur nourriture, et les battre lors- 
qu'elles font mine de résister. 


LE SAKI A VENTRE ROUX. 
Pithecia rufiventer (1). 


Ce saki est remarquable par sa face arrondie, son 
museau court, ses grands yeux, son manque de 
barbe, ses narines obliques et dilatées. Il est par- 
tout recouvert de poils très longs, très touflus, et 
qui ont jusqu’à trois pouces de longueur sur les 
côtés du cou; son'pelage est brun, lavé de roussà- 
tre en dessus ; roux sur le ventre, chaque poil étant 
brun à son origine et annelé de roux et de brun; 
les poils du sommet de la tête forment une sorte de 
calotte divergente; les poils des pieds et des mains 
sont ras, et ceux de la face fins et doux et de cou- 
leur tannée. 

Le saki est très commun dans les forêts de la 
Guiane francçoise. 


(‘) Geoffroy, Desmarest, sp. 86 : le sakt, le singe de 
nuit, Buffon, pl. 31 ; simia pithecia, Linnæus. 


L'YARQUÉ. 
Pithecia leucocephala (1). 


Cette espèce de singe a le corps long de dix à 
onze pouces et son pelage brun-noir ; les poils sont 
longs, touffus en dessus, et beaucoup moins en des- 
sous ; ceux de la tête sont courts et ras. Les joues, 
le front et la mâchoire inférieure sont d’un blanc 
sale teinté de jaunâtre ; le tour des yeux, le nez et 
les lèvres, sont les seules parties nues, et colorées 
en brun. 

Les yarqués se réunissent par petitestroupes d’une 
douzaine d'individus, et recherchent dans les brous- 
sailles le miel des abeilles sauvages. On les trouve 
aux environs de Cayenne. 


LE SAKI MOINE. 


Pithecia monachus (?). 


Ce singe seroit remarquable par son pelage varié 
de grandes taches brunes et blanchâtres; les poils 
sont bruns à leur origine, et roux et dorés à leur 
extrémité : il n’a point de barbe; les poils diver- 
gents de l’occiput se terminent au vertex. Sa taille 
est aussi plus petite que celle du saki à ventre roux. 
On le trouve au Brésil. 


LE SAKI A TÊTE JAUNE. 
Pithecia ocrocephala ("). 


Ce singe, de la taille du yarqué et dont un seul 
individu existe dans la collection de M. Temminck, 
provient, dit-on, de Cayenne. Son pelage est d’un 
marron-clair en dessus, puis d’un roux-cendré 
jaunâtre en dessous, avec les mains et les pieds 
d’un brun noir. Les poils qui recouvrent le front et 
qui entourent la face sont d’un jaune d’ocre. 


LE SAKI A MOUSTACHES ROUGES. 
Pithecia rufibarba (5). 


Cette espèce a été décrite d’après un individu 
conservé dans la collection de M. Temminck, et 


(‘) Geoffroy , Desmarest : saki et yarqué, Buffon, 
pl. 12 : simia pithecia, Linnæus, Audebert, pl. 2. 

(2) Geoffroy, Desmarest, sp. 90. 

() Kuhl, Desmarest, sp. 89, 

{#) Kuh], Desmarest , sp. 88. 


HISTOIRE NATURELLE 


provenant de Surinam. Le corps est en dessus d’un 
brun noir, et d’un roux pâle en dessous ; la queue 
paroit pointue par la diminution de longueur des 
poils : on n’observe point non plus de tache blan- 
che au-dessus de l’œil. 


LE MIRIQUOUINA. 
Pithecia miriquouina (1). 


Ce singe, décrit soigneusement par d’Azara, est 
long, sans y comprendre la queue, de trente-deux 
pouces. 11 habite les bois de la province de Chaco 
et de la rive occidentale de la rivière du Paraguay, 
que cet animal n’a jamais traversée. Il vit dans les 


Jorêts, et on dit qu’en captivité il est paisible et 


docile. Ce singe a un cou très court qui paroît plus 
gros que la tête, parce que celle-ci est petite et glo- 
buleuse; son œil est grand, et l’iris est couleur de 
tabac d’Espagne; l'oreille est très large , arrondie 
et velue ; le pelage est très touffu ; une tache blan- 
châtre, finissant en pointe, surmonte l’œil; la face 
est nue; les joues, légèrement velues, sont blan- 
châtres; tout Je dessus du corps est d’un gris-brun 
assez uniforme, quoique les poils soient annelés de 
noir et de blanchâtre; les parties inférieures ont 
une belle couleur cannelle fort vive; la queue est 
noire, excepté à son origine, où elle est couleur de 
tabac d'Espagne en dessous ; les poils du dos sont 
longs d’un pouce et demi, et ceux de la queue ont 
vingt et une lignes. La femelle ne diffère pas du 
mâle par ses teintes ; elle est seulement un peu plus 
petite, et présente une mamelle sur chaque côté de 
la poitrine. On ne connoîit point les mœurs du mi- 
riquouina, qui est la seule espèce de son genre qui 
s’'avance autant vers les latitudes méridionales. 


ç IV. 
LES BRACHYURES. 


Brachyurus. Srix (?). 


Les brachyures ne diffèrent en rien par les ca- 
ractères essentiels d'organisation des sakis; leur 
boite crânienne, leur système dentaire, sont analo- 
gues; mais leur queue, lâche et touffue comme celle 
des sakis, est de moitié plus courte : de là leur 
nom de brachyurus, courte-queue. Les espèces qui 


(1) Geoffroy, Desmarest, sp. 87 : d'Azara, Paraguay, 
t Il, p. 243: 

(2) Pithecia, Desmarest, Geoffroy : cebus, Erxleben : 
simia, Linnæuse 


DES MAMMIFÈRES, 985 


composent ce genre sont remarquables par leur 
chevelure épaisse, et rabattue sur le front, et par 
la longue barbe qui revêt le menton et couvre la 
partie latérale des joues. Ils habitent les profon- 
deurs des forêts, et leur naturel paroit triste et mé- 
lancolique. Lorsqu'ils sont irrités, ils se dressent 
sur leurs pieds de derrière, grincent des dents , se 
frottent la barbe, et s’élancent sur leur ennemi; ils 
boivent avec le creux de leurs mains, et prennent 
les plus grandes précautions pour ne jamais se 
mouiller. Ces détails, que nous empruntons à 
M. Geoffroy Saint-Hilaire dans ses Lecons sténo- 
graphiées, se rapportent à cinq espèces connues 
de ce genre, dont deux ont été découvertes par 
M. Spix. 


LE COUXIO. 
Brachyurus salanas (1). 


Ce singe est sans contredit l’espèce la plus re- 
marquable et la plus singulière qu’on puisse signa- 
ler, par la couleur uniforme et sombre de son pe- 
lage, et par la physionomie bizarre que lui donne 
une épaisse barbe. Le couxio a de longueur totale 
environ deux pieds neuf pouces , en y comprenant 
la queue. Sa face est nue, de couleur brune; l’am- 
pleur de la bouche laisse entrevoir les dents, et les 
canines surtout sont d’une grande force; le pelage 
est d’un brun foncé et lustré chez les mâles, et d’un 
brun fuligineux chez les femelles. Les jeunes sont 
entièrement d’un gris brunâtre. Les poils sont épais 
sur le corps, rares et grêles sur la poitrine, le cou, 
le ventre, et sur les faces internes des membres ; 
la tête paroît revêtue d’une sorte de chevelure for- 
mée de poils droits, assez longs, retombant sur le 
front et sur les tempes, en s’irradiant du sommet 
de l’occiput comme d’un point central. Une barbe 
touffue, flexueuse, médiocrement longue, occupe 
les joues et le menton, et se compose de poils pro- 
digieusement épais et tous d’égale longueur ; de 
sorte qu’ils forment un demi-cercle barbu autour 
du visage, tel qu’on en voit des exemples chez les 
Juifs. La queue est d’un brun noir , et la barbe 
des femelles est moins prononcée que celle des 
mâles. 


On ne connoït point les mœurs des couxio, dont 
le Muséum possède plusieurs individus très bien 
conservés, Seulement ils habitent la Guiane la plus 
déserte et le Para. 


(°) Geoffroy , Leçons sténograph.: pithecia satanas, 
Geoffroy, Ann. du Mus., t. XIX, sp. 4; Desmarest, 
sp. 84: cebus satanas, Hoffman : brachyurus israelita, 
Spix : couxio, Humboldt, Mél, z0o1., pl. 27. 


LE CAPUCIN. 
Brachyurus chiropotes (1). 


Ce singe, de la taille du précédent, a son pelage 
roux-marron ; la face et le front sont nus ; ses yeux 
sont grandsetenfoncés ; la chevelure qui recouvre le 
sommet de la tête est formée par des poils fort longs, 
et disposés sur chaque tempe en une touffe ou tou- 
pet assez long ; la barbe est très épaisse et retombe 
sur la poitrine, qu’elle recouvre en partie; la queue 
est d’un brun noirâtre, et les testicules ont une 
belle couleur pourprée. Le capucin de l'Orénoque 
a des mœurs tristes et solitaires : il vit isolé par 
couples dans les immenses déserts du Haut-Oréno- 
que. Son nom de chiropotes, qui boit avec la main, 
lui a été donné par M. de Humboldt , parce qu'il 
prend un soin particulier de sa barbe, en ayant 
grand soin de ne pas la mouiller en buvant. 

A ces deux espèces on doit joindre sans doute 
celle que M. Stew. Traill a décrite comme en étant 
très voisine, et n’en différant que par quelques 
teintes peu importantes du pelage, et qu’il nomme 
SAKI A GILET, pithecia sagulata (Mémoires de la 
Société Wern., tom. IIT, pag. 167), dont la queue 
est longue, noire, très velue et claviforme ; la barbe 
noire, ainsi que le corps en dessus, et les poils du 
dos de couleur ocracée. Ce mammifère a été décou- 
vert à Démérary, dans la Guiane hollandoise, par 
M. Edmonstone. 

On devra probablement laisser parmi les bra- 
chyurus : ? 


LE CACAJAO, 


Simia melanocephala (?). 


Ce singe a été exactement figuré par M. Griffith, 
dans sa traduction du Règne animal. Ce qui le dis- 
tingue dès Ja première vue est sa têle en entier de 
couleur noire, tandis que le corps et les membres 
sont d’un brun-jaunâtre clair. Sa queue , assez 
courte et touffue, est brune-jaunâtre , terminée de 
brun; les parties inférieures et la face interne des 
membres sont plus claires que les flancs ; les mains 
et les pieds sont noirs, et remarquables par des 
doigts très allongés. 

La cacajao, nommé aussi dans les forêts de la 


(:) Geoffroy, Zeçons sténogr.: pithecia chiropotes, 
Geoffroy , Desmarest, sp.89 : simia chiropotes, ou ca- 
pucin de l’Onéroque , Humboldt, Observ. zoolog. 

(2) Humboldt, pl, 29 ; pithecia melanocephala, Geof- 
froy, Desmarest, 


286 


Guiane et sur les bords de la rivière Noire caruiri, 
shucuzo et mono-rabon, viten troupes qui recher- 
chent les fruits sucrés et doux, tels que les bana- 
nes et les goyaves. Ses habitudes sont lentes et pa- 
resseuses , et son caractère doux et paisible. 


LES OUISTITIS. 


Arclopilhecus. G£Orr. (1). 


De tous les singes , les ouistitis sont les quadru- 
manes qui se rapprochent le plus visiblement des 
mammifères de l’ordre des rongeurs, par les traits 
fondamentaux de leur système osseux buccal. 
Quelles différences en effet entre les orangs et les 
gibbons, si remarquables par leurs longs bras, 
les semnopithèques dont les formes sont grêles, les 
babouins ou cynocéphales à museau de dogue, les 
sapajous à queue enroulante, et ces ouistilis au 
corps grêle, à tête arrondie, à longue queue velue ! 
Ce n’est qu'aux sagouins qu'ils se lient, et c’est 
parmi eux qu’ils ont été classés pendant fort long- 
temps ; mais on ne peut que reconnoitre la justesse 
des idées de M. Geoffroy Saint-Hilaire, qui a le 
premier isolé cette petite tribu sous le nom d’arc- 
topithèques ou de singes dont les ongles sont ana- 
Jlogues à ceux des ours. 

Les ouistitis s'éloignent donc des autres genres, 
non seulement par la petitesse de leur taille, l'har-- 
monie svelte et gracieuse des formes, la vivacité 
des couleurs qui teignent leur pelage, mais encore 
par les traits les plus fondamentaux de l’organisa- 
tion. 

C’est ainsi que, par opposition avec ce qui existe 
chez tous les autres quadrumanes, les ouistitis ont 
leurs incisives proclives et obliques, et leurs ongles 
comprimés, recourbés, crochus, imitant de véritables 
griffes : leurs dents, au nombre de trente-deux, tan- 
dis que tous les autres singes américains en ont 
trente-six, sè composent de quatre incisives, deux 
canines, dix molaires à chaque mâchoire. Les inci- 
sives d'en haut, très déjetées en avant et fort lar- 
ges, sont convexes sur leur face antérieure, concaves 
sur la postérieure, et un peu échancrées sur leur 
côté externe seulement ; celles d'en bas sont plus 
étroites que les précédentes, mais plus allongées : 
les molaires antérieures ont sur leur couronne une 
pointe aiguë s’élevant au bord externe , et un talon 
sur leur côté interne ; les plus reculées dans la bou- 
che ont leur surface hérissée, celle du maxillaire 


() Hapale, Wliger : jacchus et midas, Geoffroy : sa- 
guinus : Lacépéde et Cuvier : simia, Linnæus calli- 
thrix , Erxleben. 


HISTOIRE NATURELLE 


supérieur d’un tubercule interne et de deux exter- 
nes, et celle de l’arcade inférieure, de deux in- 
ternes et d'autant sur le rebord extérieur. 

Fels sont les caractères zoologiques les plus con- 
stants pour réunir les ouistitis en un groupe qu'on 
ne peut assimiler à aucun autre. L'examen des di- 
vers systèmes organiques ne fournit pas moins des 
données précises et non à dédaigner, pour en tracer 
le signalement générique ; ainsi le pouce de la main 
est peu mobile, et se trouve presque soudé au 
carpe, sans jouir par conséquent des mouvements 
d'opposition si complets, si étendus, chez tous les 
autres singes, faculté qui leur a valu le nom de qua- 
drumanes : ce pouce, au lieu d’être revêtu d’un on- 
gle aplati, présente une véritable griffe allongée et 
robuste. Cette anomalie ne se reproduit point au 
pouce du pied, qui est légèrement mobile, et 
revêtu d’un ongle aplati, à la manière des pouces 
de tous les singes. Les membres postérieurs sont 
plus allongés que les antérieurs, et décèlent les 
fonctions qu’ils sont appelés à remplir, c’est-à-dire 
à s'élancer de branche en branche à aider le saut 
et l’action de grimper dans les forêts touffues qu’ils 
habitent; leur queue est longue, abondamment 
revêtue de poils sur toute sa surface , et ne se con- 
tourne point ou west point prenante à l'extrémité, 
comme celle des sapajous : leurs oreilles sont gran- 
des, minces , cartilagineuses et presque dénudées, 
etleurs narines sont percées sur les côtés du nez à 
une assez grande distance l’une de l’autre. 

Les ouistilis sont recouverts d’une épaisse four- 
rure, moins serrée sous le corps et en dedans des 
membres, composée de poils doux, soyeux, très 
mollets ; ce qui avoit porté Illiger à créer comme 
nom générique le mot hapale, du grec amas, mol- 
lis : les nuances les plus gracieuses les teignent or- 
dinairement , et leur donnent un aspect satiné. 
Comme tous les singes américains, les ouistitis n’ont 
point d’abajoues ni de callosités dénudées sur les 
fesses. Leur angle facial est toutefois très ouvert, 
d'environ soixante degrés, et la peau de leur face 
n’est point hérissée de poils. 

De cette organisation générale doivent naturel- 
lement découler pour les ouistitis des mœurs et des 
habitudes différentes de celles des autres singes. 
Leur petite taille, dont les proportions sont sveltes ; 
leur queue, qu'ils portent le plus habituellement 
redressée sur le dos; leurs ongles acérés, en font 
des animaux destinés à vivre dans les forêts à la 
manière des écureuils, avec lesquels ils ont plus 
d’une analogie, soit de formes, soit de mœurs. Leur 
intelligence est peu étendue, peu complète, bien 
que leur angle facial fasse supposer une certaine 
ampleur dans la boite crânienne , et par suite dans 
le cerveau. Ce profil presque vertical est donc dû 
à un allongement de la face, qui ne contribue en 


DES MAMMIFÈRES. 


rien au développement des hémisphères cérébraux 
moins volumineux que le cervelet; ce qui doit su- 
bordonner l'intelligence à l’acte de la génération, 
dont la prééminence n’est pas douteuse. Leur large 
conque auditive doit recueillir avec une grande 
finesse les sons répandus dans l'air, et ce sens doit 
jouir chez ces petits êtres d’une perspicacité peu 
commune. Il en est de même de l’odorat, mis en 
communication avec l’atmosphère par deux ouver- 
tures élargies. Le toucher seul est à peu près nul, 
ou du moins fort incomplet, puisque les doigts sont 
peu mobiles, et que le pouce est comme fixé sur le 
carpe. Cette imperfection est alors remplacée par 
des ongles aigus, accrochants, destinés à se cram- 
ponner sur les écorces et sur les branches, et qui 
doivent suppléer par une adresse matérieile à la 
finesse intellectuelle et au tact des autres singes. 

Toutefois le cerveau est assez régulier pour que 
les actes soient communément empreints, d’une 
certaine prudence, et d’une connoissance des corps 
nuisibles ou utiles qui les entourent, sans. que pour 
cela on puisse leur accorder une dose remarquable 
d'intelligence. Dans leur état sauvage les mouve- 
ments sont rapides, pleins de grâces et de gentil- 
lesse ; la brusquerie de leurs manières, l’incon- 
stance de leurs allures, les caprices du moment qui 
ont tant d'influence sur leur attention toujours rapide 
et mobile, la beauté de leur pelage, en font des 
êtres aimables, qu’on chercheroit à conserver en 
captivité s'ils pouvoient vivre dans nos climats : ce 
n’est pas cependant que plusieurs espèces n'aient 
bravé les hivers de la France, car nous savons 
qu’un marikina couroit dans les rues de Brest par 
les plus grands froids sans êire incommodé ; mais 
ces exemples sont très peu nombreux, et tiennent 
à des exceptions individuelles. 

Des ouistitis en captivité, observés jar divers na- 
turalistes, témoignoient une grande aversion pour 
les chats et les guêpes , qui leur rappeloient deux 
redoutables ennemis de leurs climats, les premiers 
ne différant point en effet par les formes de plu- 
sieurs chats carnassiers du Nouveau Monde, et les 
secondes étant très voisines des guêpes rouges si 
dangereuses au Brésil et à la Guiane. Ces individus 
reconnoissoient même les figures coloriées qu’on 
placoit sous leurs yeux ; et lorsque c’étoit par 
exemple celles des grillons et des sauterelles, qu’ils 
aimoient, ils cherchoient à s’en saisir. Ceci nous 
rappelle que des macaques bonnet-chinois, quenous 
placions devant un miroir, faisoient la grimace à 
leur image, en la voyant reproduite par l’être ima- 
ginaire offert à leurs yeux , et s'empressoient de le 
chercher par derrière, absolument de la même ma- 
nière que le faisoient les Nègres océaniens soumis à 
cette épreuve. 

Des ouistitis captifs recherchoient les insectes, 


= 


287 


tels que les sauterelles, les hannetons, etc.; les 
pommes cuites, le sucre ; les’œufs, qu’ils vidoient 
avec adresse, tandis qu’ils refusoient les amandes, 
les fruits acides , et les chairs non cuites; cependant 
si l’on plaçoit dans leur cage un petit oiseau en vie, 
ils se jetoient sur lui pour le tuer, et sucoient la cer- 
velle après avoir brisé le crâne. De telles habitudes 
prouvent que ces singes à dents hérissées de pointes 
ont des mœurs cruelles comme celles des mésanges 
et des pies-grièches, avec lesquelles ils ont desrap- 
ports par leur humeur colérique, leur cri aigu et 
perçant, leurs brusques mouvements, leurs mobiles 
désirs. Ainsi les peint M. F. Cuvier : « Les ouistitis 
adultes n’ont jamais montré beaucoup d'intelligence ; 
très défiants, ils étoient assez attentifs à ce qui se 
passoit autour d’eux; et on auroit pu leur croire de 
la pénétration, à n’en juger que par leurs grands 
yeux toujours en mouvement, et par la vivacité de 
leurs regards. Cependant ils distinguoient peu les 
personnes , se méfioient de toutes, et menaçoient 
indifféremment de leurs morsures celles qui lesnour- 
rissoient et celles qui les voyoient pour la première 
fois ; peu susceptibles d'affection , ils l’étoient beau- 
coup de colère ; lamoindre contrariété les irritoit ; et 
lorsque la crainte s’emparoit d’eux, ils fuyoient se ca- 
cher en jetant un petit cri court mais pénétrant ; d’au- 
tresfois, et sans motifs apparents, ils poussoient un 
sifflement aigu qu'ils prolongeoient singulièrement 
sur le même ton: ils avoient besoin de déposer 
souvent de l'urine goutte à goutte ,et ils le faisoient 
toujours au même endroit et en s’accroupissant. » 

Les ouistitis viventexclusivement dans les régions 
chaudes du Nouveau Monde, et principalement 
dans les forêts du Brésil et de la Guiane. 

Les naturalistes les ont divisés en deux tribus : 
la première, celle des Jacchus, Geoffroy, ou Hapale, 
Illiger, ou ouistitis proprement dits, a les dents in- 
cisives inférieures inégales et cylindriques, le front 
peu apparent ; et la deuxième, ou celle des tamarins , 
Midas, Geoff., est caractérisée par les incisives tail- 
lées en bec de flûte , et le rebord orbitaire du front 
saillant. Ces deux petits genres assez naturels ont 
été proposés par M. Geoffroy Saint-Hilaire. Mikan, 
dans ces derniers temps, leur en a associé un troi- 
sième, celui des marikinas ; mais comme les trois 
divisions admises par l’auteur allemand ne reposent 
que sur l’arrangement des poils, il en résulte qu’el- 
les doivent être rejetées, ou qu’elles peuvent tout au 
plus servir à établir des races parmi des êtres dont 
les espèces d’ailleurs se réunissent par un passage 
insensible de l’une à l’autre. 


288 


L'OUISTITI VULGAIRE. 


Jacchus vulgaris (1). 


L'ouistiti est l’espèce la plus anciennement con- 
nue du genre ; et Edwards en avoit donné une assez 
bonne figure dans ses Glanures, sous le nom de san- 
glin ou de sajui minor. Ce petit singe, gracieux et 
proportionné dans ses formes, a le corps long d’envi- 
ron huit pouces , tandis que la queue en a de onze à 
douze : sa face est très aplatie; elle est compléte- 
ment nue, ainsi que les oreilles , les mains et les 
pieds , et de couleur de chair ; son pelage est cendré, 
tirant au brun sur Ja tête et sur le cou, et offrant dix 
ou onze bandes alternativement brunes et cendrées 
sur le dos et sur les reins ; la queue elle-même pré- 
sente quinze ou dix-huit de ces bandes d’égale lar- 
geur, qui la coupent par des cercles de l'effet le plus 
agréable : ces rayures sont dues à ce que les poils, 
tous assez allongés, ont leur racine noire, leur milieu 
jaune, surmonté par un cercle noir, tandis que la 
pointe est blanche ; parfois aussi la queue est régu- 
lièrement annelée de noir et de blanc : les parties 
inférieures du corps et celles des cuisses sont brunes, 
tiquetées de blanc ; une tache d’un blanc pur occupe 


le milieu du front entre les yeux ; etdes poils longs et 


flottants, d’un blanc de neige tiqueté de brunâtre, 
enveloppent les oreilles. 

On en connoît une variété dont le pelage est roux 
et la croupe annelée de fauve et de cendré. 

Les ouistitis à peine âgés de quelques mois diffè- 
rent de leurs père et mère en ce que les rayures des 
parties supérieures du corps sont à peine apparentes, 
et que leur tête est grisâtre. A leur naissance l’ocei- 
put et le cou sont d’un noir intense, même dans le 
lieu où, plus tard, doit se dessiner une tache blan- 
che; le corps et les membres sont alors d’un gris 
roussâtre. Les ouistitis mâle et femelle ont les or- 
ganes de la génération dénudés tout alentour, et 
hérissés de petits tubercules qui paroïssent tenir à 
un appareil glanduleux dont le but est inconnu. 

M. Frédéric Cuvier est le seul auteur qui ait eu 
occasion d'observer la gestation de ces singes; voici 
les détails qu’il fournit à ce sujet. « Deux de ces ani- 
maux ayantété réunis vers la fin de décembre 1819, 
quoique assez imparfaitement apprivoisés , ne tardè- 
rent pas à s’accoupler : la femelle conçut et mit bas, 


() Geoffroy, Ann. du Mus., t. XIX, p. 119; Des- 
marest, Mammif., esp. 93, p. 92; Encyclopédie, 
pl. 18, fig. 14; Isidore Geoffroy, Dict. class., t. XIT, 
p. 516: ouistiti, Buffon, &. XV, pl. 14, et fig. col. 
no 244; Fr. Cuvier, Mammifères, Sc livrais. : simia 
jacchus, Linnæus; Screber, pl. 33; Humboldt, Observ. 
zoolog., esp. 34: callithrir jacchus, Erxicben, esp. 
32, p. 56 : singe musqué, Brisson. 


HISTOIRE NATURELLE 


le 27 avril 4819, trois petits, un mâle et deux fe- 
melles, trés bien portants ; mais il n’a pas été pos- 
sible de fixer la durée de la gestation, parce que ces 
animaux s’accouplèrent presque jusqu’au moment 
de la naissance des petits : ceux-ci, en venant au 
monde, avoient les yeux ouverts, et étoient revêtus 
d’un poil gris-foncé très ras, et à peine sensible sur 
la queue; ils s'attachèrent aussitôt à leur mère en 
lPembrassant, en se cachant dans ses poils; mais 
avant qu'ils tétassent, elle mangea la tête à lun 
d'eux : cependant les autres prirent la mamelle, et 
dès ce moment la mère leur donna ses soins que le 
père partagea bientôt. Tout ce qu'Edwards dit d’une 
paire de ces animaux qui produisit en Portugal, j'ai 
pu l’observer sur ceux dont je parle. Lorsque la 
femelle étoit fatiguée de porter ses petits, elle s’ap- 
prochoit du mâle, jetoit un petitson plaintif, etaussi- 
tôtcelui-ciles prenoitavec ses mains, lesp'açoit sous 
son ventre ou sur son dos, où ils se tenoient eux- 
mêmes, et il les transportoit ainsi partout jusqu’à 
ce que le besoin de téter les rendit inquiets ; alors il 
les rendoit à leur mère, qui ne tardoit pas à s’en dé- 
barrasser de nouveau. En général , le père étoit celui 
des deux qui en avoit le plus de soin; la mère ne 
montroit pas pour eux cette affection vive, cette ten- 
dre sollicitude que la plupart des femelles ont pour 
leurs petits : aussi le second mourut-il au bout d’un 
mois , et le troisième ne prolongea sa vie que jusqu’à 
la mi-juin. Depuis les premiers jours de ce mois, la 
mère, ayant éprouvé de nouveau les besoins du rut, 
avoit fini par perdre son lait. » 

L’ouistiti a les mœurs irritables et colériques, 
analogues à celles des autres individus de la famille : 
il est commun à la Guiane et au Brésil. 


L'OUISTITI A PINCEAU. 


Jacchus penicillatus (1). 
PR 

L'ouistiti à pinceau ressemble beaucoup à l'espèce 
ordinaire, dont il a la taille, et M. Georges Cuvier 
croit même qu’il n’en est qu’une variété ; cependant, 
toutes proportions gardées, sa tête a des formes ar- 
rondies et des dimensions plus petites : sa gorge, 
ainsi que le ventre, sont de couleur roussâtre; la 
tache blanche qui règne sur le front forme un trian- 
gle plus large que chez l’ouistiti vulgaire ; son pelage 
est d’un brun roux cendré sur le dos , et les reins et 
la queue sont annelés de brun et de cendré clair : 
mais ce qui distingue l’ouistiti et ce qui lui a valu 
son nom, est un pinceau de longs poils noirs qui oc- 


() Geoffroy, Ann. du Bfus., t. XIX, p. 119 ; Hum- 
boldt, Observ. zoolog., esp. 38 bis; Desmarest, Ham., 
esp. 94, p. 92; Isidore Geoffroy , Dict. class., t. XI, 
4 p. 519; Spix, pl. 26. 


- 


… 


DES MAMMIFÉRES. 


cupe le devant de l'oreille. Quelques individus même 
ont aussi de ces longs poils allongés implantés sur 
l’occiput et sur le bord postérieur de l'oreille : ces 
touffes poilues sont de couleur fuligineuse chez les 
jeunes individus. 

Cet ouistili est très commun au Brésil, et l’on ne 
possède sur ses mœurs que des détails peu complets. 
« Les sahuis (jacchus penicillatus), dit le prince 
de Neuwied (dans la relation de son voyage au Bré- 
sil, t. 11, p. 145, trad. franc.) , s’offrirent à notre 
rencontre par troupes à l’embouchure du Rio da 
Salza ou Peruaçu; mais, aussi agiles que les écu- 
reuils, ils grimpèrent aux arbres trop vite pour qu'on 
pût les tirer. » ù 


L'OUISTITI À TÊTE BLANCHE. 
Jacchus leucocephalus (1). 


Cet ouistiti est encore une espèce ambiguë sur 
laquelle on a des doutes fondés ; peut-être n’est-ce 
en effet qu’une variété de l’ouistiti vulgaire. Sa taille 
est un peu plus forte que celle des deux espèces pré- 
cédentes ; sa face est nue et de couleur de chair ; son 
pelage est jaune-roux, excepté le front et toute la 
tête qui sont, ainsi que la gorge et le dessous du cou, 
de couleur blanche; deux bouquets de poils noirs 
allongés et rigides sont implantés en avant et en ar- 
rière de chaque oreille; une tache bruse noirûtre 
règne sur la partie supérieure du dos et sur les 
épaules, et se perd insensiblement avec le blane des 
parties inférieures et du dedans des membres; les 
régions externes desextrémités sont revêtues de poils 
brun-noir à pointes d’un blanc sale; la queue, 
comme celle des deux précédentes espèces , est an- 
nelée, et les mains et les pieds sont noirâtres. 

Cet ouistiti habite le Brésil ; mais toute son his- 
toire est réduite à une description de forme : cepen- 
dant dans ces derniers temps M. Auguste de Saint- 
Hilaire en a rapporté plusieurs individus de la capi- 
tainerie des Mines , et affirme ne l'avoir jamais ren- 
contré dans les bois vierges. 


L'OUISTITI-OREILLARD. 
Jacchus auritus (?). 


Ce petit singe est de même taille que l’oustiti or- 
dinaire ; il est en dessus zoné de bandes alternative- 


(:) Geoffroy, Ann. du Mus., t. XIX, p. 119 : simia 
Geoffroyi, Humboldt, Observ z00l0g.rrod., esp. 37 ; 
Desmarest, Mammal., esp. 95, p. 93; Isidore Geoffroy, 
Dictionn. class., t. XI, p. 517 ; Wied, 2e livrais. : jac- 
chus albicollis, Spix, Bras., pl. 25. 

(2) Geoffroy, Ann, du Mus, , t, XIX, p. 119; Hum- 


I. 


289 


ment rousses et noires à peine distinctes, ce qui 
tient à ceque les poils sont noirs et cerclés très étroi- 
tement de jaune à leur pointe ; le ventre, les flancs 
et la gorge sont noirs, et les membres sont noirâtres 
et grisâtres ; le dessus de la tête est roux-jaunâtre, 
tandis que la face est recouverte de très petits poils 
blanes; une quinzaine d’anneaux gris cendrés et 
autant de bruns-noirâtres se dessinent sur la queue ; 
un pinceau médiocre de poils blancs forme le carac- 
tère le plus tranchant de cette espèce, et occupe le 
devant de l'oreille. 

Le pelage des jeunes se compose de poils annelés 
de noir et de roux, ce qui lui donne une couleur 
brune assez uniforme plus ou moins claire ; le som - 
met de la tête est de ce même brun plus foncé que 
celui du corps, et quelquefois d’un brun-fauve doré. 
La patrie de ce singe est le Brésil. 


L'OUSTITI A CAMAIL. 
Jacclius humeralifer (1), 


Plus petit que l’ouistiti ordinaire, ce singe a la 
queue proportionnellement plus longue ; sa face est 
blanche, encadrée de brun clair, et recouverte sur 
le front de petits poils fins et serrés : son pelage est 
brun châtain ; maisles poils du dos sont blancs dans 
leur milieu, noirs à leur origine et à leur extrémité, 
d’où résulte une teinte générale noirâtre ; les cuisses 
sont d’un brun tiqueté de blanc: un camail d’un 
blanc neigeux occupe le haut du dos, et cette cou- 
leur est celle qui règne encore sur les bras, le cou, 
et tout le reste du corps; de très longs poils blancs 
naissent en faisceaux, non pas sur le bord des 
oreilles, comme chez les espèces précédentes, mais 
bien sur ses faces antérieures et postérieures; enfin 
les anneaux colorés de la queue sont mal arrêtés ct à 
peine distincts. 


C'est du Brésil que provient cet ouistiti. 


L'OUISTITI MÉLANURE. 
Jacchus melanurus (?). 


De la taille de l’ouistiti vulgaire, le mélanure a, 
ainsi que l'indique son nom, la queue d’un brun noir 


boldt, Prod. Rech. z00l1og.. esp 36; Desmares!, Ham- 
mifères,e:p. 96 ,p. 93; Isidore Geoffroy, Dictionn. 
class., t. XII, p. 518 

() Geoffroy, Annal. du Mus., t. XIX, p.120 ; Eum- 
boldt, Observ. zoo0log. prod., esp. 38; Desmarest, 
Mamm., esp 97, p. 93; Isidore Geoffroy, Dict. class., 
t. XIL , p. 518. 

(2) Geoffroy, Annual, du Hus., t. XIX ,p. 120 ; Des- 

J4 


290 


uniforme, et d’un tiers plus longue que le corps. La 
face, les pieds et les mains sont bruns, et le pelage sur 
le corps est noirâtre-fauve, plus foncé sur les reins 
et sur les bras. Les parties inférieures et intérieures 
sont d’un gris tirant légèrement sur le fauve; du 
jaunâtre teint les parties externes des cuisses, et s’é- 
tend jusque sur le bassin. 

Par son organisation, cette espèce fait le passage 
des ouistitis aux tamarins. Elle vit au Brésil, 


———————_—_—_—_—_———— 
L'OUISTITI MICO. 


Jacchus argentatus (1). 


‘ Le mico est un des singes les plus gracieux. Son 
pelage, composé de poils soyeux, satinés, brillants 
comme de l’amiante ou de la soie, reflète un blanc 
argenté ou nacré. Les parties nues de la face, telles 
que le museau, les oreilles. et même ‘la paume des 
mains et la plante.des pieds, sont vivement colorées 
en rouge-vermillon que relèvent quelques poils noirs 
sur les sourcils et sur les lèvres. Sa taille est celle de 
l'ouistiti vulgaire, et la queue a le double de la lon- 
gueur du corps. On en indique une variété dont la 
queue seroit toute blanche, ainsi que le pelage. 

M. Isidore Geoffroy soupçonne, avec assez de 
raison toutefois, que le mico pourroit bien être une 
variété albine de l’ouistiti mélanure ; ou peut-être 
l’âge adulte, dont le mélanure ne seroit que la pre- 
mière livrée. 

Le mico vit au Para. 


LE TAMARIN AU 


OU TAMARIN ORDINAIRE. 


X MAINS ROUSSES, 


Midas rufimanus (?). 


Le tamarin aux mains rousses, que l’on distingue 
par ces derniers noms du tamarin aux mains noires, 
est l'espèce la plus anciennement connue. C’est du 


marest, Mamm., esp 98, p. 93; Isidore Geoffroy, 
Dictionn. class:, t. XH , p. 518. 

(1) Geoffroy, Annal. du Mus.,t. XIX, p. 120 ; Des- 
marest, Hamm., esp. 99, p.94; LsiAbre Geoffroy, Dict 
class., t. XI,p.518 :le mico, Buffon, t. XV, pL 18, 
et pl. col. 266 ; Humboldt, Observ. zoolog., esp. 40: 
simia argentata, Linræus; Screber, pl 36. 

(2) Geoffroy, Annal , du Mus,, t. XIX,p. 121 : jac- 
chus midas, Desmarest, esp. 1400, p. 94: simia mi- 
das, Linnæus; Screber, pl 37 (copiée d’'Edwards, GL., 
pl. 196 : le tamarin, Buffon, L. XIV, pl. 54, et pl. cel. 
9260 ; Audebert, fam. 6 ,pl. 5; Humboldt, Observ. z001., 
esp. 46 : jacchus midas, Isidore Geoffroy, Dict. class., 
XI, p. 519 ; Fr. Cuvier, Hammiféres, 54° livraison. 


HISTOIRE NATURELLE 


nom de tamary, qu'il porte dans le Maragnon, 
qu’on a tiré la dénomination françoise adoptée. Ce 
singe a six à sept pouces de longueur, et la queue en 
a environ onze ou douze. Ses oreilles sont élargies, 
nues et découpées, et son front est saillant. Toutes 
les parties antérieures du corps sont d’un noir in- 
tense, ainsi que les membres, dont les extrémités 
sont colorées en beau jaune orangé. Les parties pos- 
térieures , à l’exception de la tête et du cou, sont va- 
riées de brun et de roux, ce qui est dû à ce que les 
poils sont annelés de brun et de fauve. La queue est 
partout uniformément noire ; et la face, les oreilles, 
et l’intériear des mains et des pieds, sont d’un brun 
violâtre foncé. La nature du pelage est douce, soyeu- 
se, et les poils qui le composent sont longs et très 
fournis. 

Ce tamarin est vif, gai, d’un naturel très irritable, 
très capricieux dans ses désirs, et d’une intelligence 
assez bornée. 

IL vit en troupes nombreuses, dans les hautes fu- 
taies des terrains élevés et éloignés des habitations, 
à la Guiane et au Maragnon. 


——… ….….… …"…"…"…"… … …… … …"…"…”"”…"…. 


LE TAMARIN NÈGRE. 
Midas ursulus (1), 


Ce tamarin, auquel Buffon donna le nom de nègre, 
à cause de sa couleur générale, a les mêmes propor- 
tions dans sa taille que le tamarin aux mains rousses. 
Son pelage épais et doux est complétement noir sur 
le corps, excepté sur le dos et sur les flancs, où se 
dessinent des ondulations fauves et brunâtres, ondu- 
lations qui sont dues à ce que les poils sont annelés 
de fauve et de noir. Toutes les parties nues du corps, 
telles que la face, les oreilles, les mains et les pieds, 
sont colorées en noir teinté de violet. La conque de 
l'oreille est surtout remarquable par son ampleur, 
et par la manière dont elle Fmiquetée sur son 
bord postérieur. 

Les mœurs de ce petit animal à l’état de liberté ne 
sont point connues. M. Frédéric Cuvier en a observé 
un individu femelle dont l’irritabilité étoit extrême, 
et qui grincoit des dents au moindre mouvement 
qu'on faisoit auprès de lui, en cherchant à mordre 
ceux qui l’approchoient. 


() Geoffroy, Annal. du Mus.,t. XIX, p. 121 : jac- 
chus ursulus, Desmarest, esp. 101: famarin nègre, 
Buffon , Supplément, t. VIT, p. 32 : saguinus ursula, 
Hoffmann, Nat.,t.X,p. 101; Audebert : Singes, fam. 
6, pl.6 ; Humboldt, Prod. Observ. zoolog , esp 45; 
Fr. Cuvier, Mammifères, 9e livraison :. marikina fus- 
cicollis, Spix , pl, 20. 


\ 


| 


DES MAMMIFÈRES. 


LE TAMARIN LABIÉ. 
Midas labiatus (\). 


Plus petite que le tamarin, cette espèce est remar- 
quable par son pelage brun tiqueté de blanc-rous- 
sâtre sur le dos et la région externe des membres. 
La tête, la queue et les quatre extrémités sont noires. 
Le dessous du corps, le dedans des membres, et 
l’origine de la queue en dessous, sont d’un roux vif, 
qui se change en fauve-roussâtre sur la nuque. 

Ce qui a valu à ce singe le nom de labié est une 
rangée de poils très courts, très serrés, et d’un blanc 
neigeux, qui entourent la bouche, et tranchent vi- 
vement sur le noir intense de la face. 

Le tamarin labié se trouve au Brésil. M. Tem- 
minck en rapproche, comme de simples variétés 
d'âge, les midas à cou roux, à cou noir et à mous- 
taches, du docteur Spix. 


LE TAMARIN CHRYSOMÉLE. 
Midas chrysomelas. Kuuk (?). 


Le midas chrysomèle, ou l’ouistiti à front jaune, 
a été décrit très brièvement par Kubhl, et à peu près 
en ces termes : « Son pelage est noir; le front et la 
partie supérieure de la queue sont d’un jaune doré 
assez vif, tandis que les avant-bras, les genoux, et les 
côtés de la tête, sont d’un roux qui tire sur le mar- 
ron. Ce petit singe a été découvert dans les grandes 
forêts du Brésil, principalement au Para, où il est 
rare, notamment entre les 44° et 45° degré de lati- 
tude méridionale qu’on lui assigne. » 

Ce tamarin fut d’abord indiqué par le prince Maxi- 
milien de Wied, sous le nom d’hapale à queue dorée 
(hapale chrysurus); mais cet auteur rectifie cette 
erreur dans le tome HI (page 25) de son Voyage au 
Brésil. Les détails qu’il fournit sur cette espèce sont 
très intéressants. 

Le sahui noir (hapale chrysomelas), dit le prince 
de Neuvwied, que les Brésiliens nomment sahuim 
preto, est très commun sur les bords du Ribeirao- 
das-Minhocas. Son corps est long de huit pouces 
huit lignes, et la queue a onze pouces dix lignes ; 
de longs poils roux dorés, droits comme ceux du 


() Geoffroy, Ann. du Mus., t. XIX , p. 121 : jacchus 
labiatus , Desmarest , Mammal, esp. 102 : Humboldt, 
Observ. zool., esp. 44: isidore Geoffroy, Dictionn. 
class., t. XE, p. 519 : midas mystaz, fuscicollis, et 
migricollis, Spix. 

) Desmarest, Mammifères, esp. 103, p. 95 : hapale 


cchrysurus, Wicd, 2e livrais.: et Voyage au Brésil, 


L. I, p, 25, trad. franc. 


291 


marikina, entourent la face, et ce même roux doré 
colore l’avant-bras et se change en une raie roussâtre 
qui règne sur toute la longueur de Ja queue dans sa 
moitié supérieure seulement : tout son pelage est en- 
suite d’un noir foncé. 

Cette espèce vit en petites troupes de quatre à 
douze individus, qui se tiennent à la cime des er- 
bres les plus élevés. Elle est très multipliée dans les 
grandes forêts entre San-Pedro d’Alcantara et le Ser- 
tam. Le prince de Neuwied suppose qu'elle ne s’est 
pas étendue sur un vaste espace; car il ne l’a trouvée 
que dans les lieux que nous venons de mentionner. 
Si l’on s'approche de l'arbre sur lequel sont posés 
les sahuis, ajoute encore ce voyageur, ils prennent 
l'alarme, se cachent derrière les grosses branches, 
et regardent avec curiosité, en avançant la tête, 
pour pouvoir fuir avec sécurité. On les tue aisément ; 
mais leur petitesse les fait dédaigner par les colons 
pour leur nourriture, et le seul usage qu’ils en re- 
tirent est de fabriquer parfois des bonnets avec leur 
peau. 


a 
LE TAMARIN A FRONT BLANC. 


 Jacchus albifrens (1). 


Nous extrairons la description de cette espèce de 
la Mammalogie de M. Desmarest, qui l’avoit lui- 
même empruntée aux Mémoires de l’Académie de 
Stockholm pour l’année 1819. Son corps, mesuré de- 
puis le bout du nez jusqu’à l’anus, a huit pouces, 
la queue dix, et les membres postérieurs huit. Sa 
face est noire ; et des poils blancs , très courts, revê- 
tent le front, les parties latérales du cou et la gorge. 
Sur le rebord des oreilles et sur l’occiput sont im- 
plantés de longs poils droits très noirs; quelques 
poils roussâtres bordent lanus ; et le pelage est en 
entier noir, légèrement varié d’un peu de blanclâtre, 
ce qui est dû à ce que les poils, noirs à leur som- 
met, sont blancs à leur base. La queue elle-même 
est brune, tachetée de blanc et d’un brun assez clair 
à son extrémité. 

On ignore dans quelle partie de l'Amérique méri- 
dionale vit cet ouistiti. 


LE MARIKINA. 


Midas rosalia (?). 


Proportionné et gracieux dans ses formes, enve- 
loppé d’un pelage brillant, retraçant en miniature 


(:) Desmarest, HMammal., esp 820, p. 534 : jacchus 
albifrons , Act. Stock. , 1819, fig. 
(2) Geoffroy, Annal. du Mus.,t. XIX, p. 121 : jacchus 


292 


quelques uns des caractères du lion, le marikina est 
un des êtres que la nature, sous le rapport de la 
gentillesse, a traités avec le plus de faveur. Ce petit 
singe, un des ornements des forêts du Brésil, n’est 
nulle part plus abondant qu’aux environs de Rio- 
Janéiro et du cap Frio. C’est le sahui vermelho des 
Brésiliens, et le singe-lion des voyageurs d'Europe. 

La taille ordinaire du marikina est d'environ sept 
pouces six lignes, tandis que les proportions de la 
queue sont de dix pouces. Son pelage est remarqua- 
ble par la finesse des poils soyeux qui le composent, 
et qui, beaucoup plus longs sur la tête et sur le cou, 
imitent assez bien sur ces parties une crinière qui 
n’est pas sans analogie de forme avec celle du lion. 
Tout le corps est d’un beau jaune clair, d’un blond 
doré sur la crinière, et plus pâle sur le dos, les cuis- 
ses, la naissance de la queue et le bas-ventre. La sur- 
face de la quebe est partout recouverte de poils égaux, 
et ne se termine point en flocon à son extrémité. Sa 
face est large et peu saillante, de couleur carnée li- 
vide, ainsi que les parties nues des mains et des pieds. 
Les poils du front naissent des arcades sourcilières ; 
mais ils sont d’abord très courts, et ne s’allongent 
qu’au niveau, à peu près, des sutures coronales. Le 
pavillon de l'oreille est arrondi, rebordé seulement 
en haut, et n’est point terminé en bas par un lobule ; 
il est aussi, en partie, caché sous la crinière. 

Parfois les couleurs du marikina sont variées de 
roux et de noirâtre, parfois aussi le roux du pelage 
affecte des teintes dorées d’un bel effet; mais on a 
remarqué que ce jaune se dénaturoit après la mort, 
qu’il étoit blafard, ce qui feroit supposer que les 
marikinas, en vieillissant, deviennent totalement 
blancs. 

Ces singes vivent diflicilement en Earope; ceux 
qu'on y a introduits souffroient beaucoup des va- 
riations de notre température : ils exigent des soins 
de propreté répétés, et paroissent éprouver le plus 
grand dégoût lorsqu'on les laisse croupir au milieu 
des ordures. Leurs aliments de prédilection sont les 
insectes et les fruits doux, bien qu’ils ne dédaignent 
point le. lait et les sucreries. En captivité, ces ani- 
maux cherchent à se cacher dès qu’ils entendent le 
moindre bruit ; et c'est par un petit cri prolongé qu’ils 
expriment les craintes qui les agitent. L’individu ob- 
servé par M. Frédérie Cuvier aimoit à recevoir des 
caresses, sans chercher à les rendre ; et, tout en té- 
moignant de l’affection aux personnes qui lui étoient 
familières, il ne dépouilloit jamais sa défiance. Ses 


rosalia , Desmarest, esp. 104, pl. 95 : simia rosalia, 
Linnæus, Screber, pl. 35: le marikina, Buffon, t. XV, 
pl. 16, et pl. color. n° 263 (copiée Enyclopédie, pl. 19, 
fig. 1); Audebert, Singes, fam. 6, pl. 3: Humboldt, 
Prod. Observ. zoolog. esp. #1 : Fr. Cuvier, Mammi- 
fêres, Ire, livrais. : Isidore Geoffroy, Dictionn. class., 
t. XII, p. 502. 


HISTOIRE NATURELLE 


antipathies se déceloient par l'envie de mordre, bien 
que ce ne fût que par un vain simulacre, et souvent 
par un sifflement prolongé sur un ton doux, mais 
élevé, qu’il témoignât son ennui et sa tristesse. IL 
prenoit ses aliments tantôt avec ses mains, tantôt 
avec sa bouche, et buvoit en humant. Une fois repu, 
il s’élancoit dans la partie la plus élevée de sa cage, 
qu’il sembloit préférer, et alors tous ses mouvements 
étoient agiles et brusques. 


LE LÉONCITO. 


Midas leoninus (1). 


Le léoncito de Mocoa, ou le petit lion des créoles 
portugais de l'Orénoque , est un charmant tamarin 
découvert par M. de Humboldt. Son corps est long 
de sept à huit pouces, et sa queue est de même di- 
mension. Son pelage est brun-olivâtre, et une cri- 
nière de la même couleur revêt et la ‘tête et le 
cou, Sa face est noire; mais une tache d’un blanc 
bleuâtre se dessine sur la bouche, et remonte sur les 
narines. Ses oreilles sont très développées, couver- 
tes de poils, de forme triangulaire, très séparées 
l’une de l’autre , et repliées sur leur extrémité su- 
périeure. Quelques lignes légères d'un blanc jau- 
nâtre se dessinent sur le dos. Sa queue, terminée 
par up flocon de poils, est noire en dessus et brune 
en dessous, et se recourbe sur le corps. Les mains 
et les pieds sont nus, colorés en noir foncé, ainsi 
que les ongles. « Le léoncito, dit M. de Humboldt 
(Obs. zool., t. FE, p.15), est très rare, même dans 
son pays natal. Il habite les plaines qui bordent la 
pente orientale des Cordilières , les rives fertiles du 
Putumayo et du Caqueta. Il ne monte jamais jus- 
qu'aux régions tempérées. C’est un des singes les 
plus petits et les plus élégants que nous ayons vus : 
il est gai, joueur, mais, comme la plupart des pe- 
tits animaux, très irascible. Lorsqu'il se fâche, il 
hérisse le poil de sa gorge, ce qui augmente sa res- 
semblance avec le lion d’Afrique. Je n’ai pu voir 
que deux individus de ce singe très rare : c'éloient 
les premiers qu’on eût portés vivants à l’ouest de la 
Cordilière. On les tenoit dans une cage; et leurs 
mouvements étoient si rapides et si continuels, que 
j'eus beaucoup de peine à les dessiner. On m’a assuré 
que , dans les cabanes des Indiens de Mocoa, le 
Jéoncito se multiplie dans l’état de domesticité. Ce 
ne seroit que par la voie du grand Para et de la ri- 


(9 Geoffroy, Annal. du Mus.,t. XIX, p. 121 : jac- 
chus leoninus , Desmarest, Mammalogie, esp. 105, 
p. 95: le léoncito, simia leonina, Humboldt , Observ. 
zoolog., p. 14, pl. 5; Isidore Geoffroy, Dict. class., 
t. XII, p. 519. 


DES MAMMIFÈRES. 


vière des Amazones que l’on pourroit se le procu- 
rer en Europe. » 


LE TAMARIN PINCHE. 
Midas œdipus (1). 


Le pinche, de la taille du tamarin, a neuf pouces 
environ de longueur, sans y comprendre la queue, 
qui en a à peu près dix-huit. Son pelage se compose 
de poils soyeux, assez longs, surtout sur la tête, 
où ils forment une crinière qui retombe en arrière, 
et qui se dessine avec d’autant plus de netteté que 
sa couleur neigeuse fait opposition aux teintes noires 
de la face et brunes des parties supérieures du dos, 
des flancs, et des bras. Ce brun, au contraire, tire 
sur le roussâtre sur les fesses et sur les cuisses, et 
règne sur la première moitié de la queue, qui est 
noire dans le reste de son étendue. Tout le dessous 
du corps, les bras et les jambes, ainsi que les 
mains et les pieds, sont d’un blanc pur. Les ongles 
sont jaunâtres. 

Le pinche a des oreilles assez larges, entièrement 
nues; elles sont d’un brun noir fuligineux , ainsi que 
la face, la paume des mains et la plante des pieds. 

La couleur brune du pelage est due à ce que les 
poils sont gris à leur base, puis annelés dans le 
reste de leur étendue de noir-gris et de brun-fauve ; 
les femelles ne diffèrent point des mâles par leur 
coloration. 

« Les individus que j'ai vus, dit M. Fr. Cuvier, 
passoient la journée à dormir couchés dans la partie 
la plus obscure de leur cage, et ils ne se déran- 
geoient même pas pour se débarrasser de leurs 
excréments ; mais dès que le crépuscule arrivoit, 
ils retrouvoient toute leur activité, et c’étoit alors 
qu’ils prenoient leur nourriture : aussitôt que l’aube 
paroissoit, ils retournoient dans le coin qu’ils 
avoient choisi pour se cacher, et d’où l’on ne pou- 
voit les tirer qu'avec peine. Lorsqu'ils étoient con- 
trariés ou qu’ils éprouvoient quelques besoins , ils 
faisoient entendre un petit sifflement doux, peu 
prolongé, et qui n’avoit qu’un ton. Ils avoient, 
dit-on , été amenés à Bordeaux par un navire qui 
venoit du Pérou. » 


(‘) Geoffroy, Annal. du Mus., t. XIX : jacchus ædi- 
pus, Desmarest, Mammal., esp. 106, p. 96 : simia 
ædipus, Linnæus; Screber, pl. 34: le pinche, Buffon, 
t XV, pl. 17, et pl. color. no 364 : (copiée Encyclop., 
pl. 18, fig. 5); Edwards, GL., pl. 195 :le singe du Mexi- 
que, Brisson, Règne animal, p. 210 : Audebert, Sin- 
ges, Fam. 6, pl. 1 : le titi de Carthagène , Humboldt, 
Observ. z0olog, p. 337 : le pinche, Fr. Cuvier, Mam., 
99e livrais. : Isidore Geoffroy , Dictionn class. ,t. XIL, 
p. 519: marikina bicolor, Spix, pl. 24; Griffit, Régn. 
an. , any. , figure copiée., 


293 


Quelques auteurs donnent au pinche un naturel 
méchant et atrabilaire , très difficile à apprivoiser. 

On le dit rare à la Guiane, et plus commun à Car- 
thagène, sur les rives et à l'embouchure du Rio- 
Sin, où les créoles le nomment {ili, suivant: 
M. de Humboldt. 


LE TAMARIN AUX FESSES DORÉES. 
Jacchus chrysopygus (!). 


Ce petit tamarin ou midas, que les habitants du 
Brésil nomment saguhy dos grandos , a été décou- 
vert dans la capitainerie de Saint-Paul par le 
voyageur Natterer, et supérieurement figuré dans le 
somptueux ouvrage de Mikan, intitulé Delectus 
Floræ et Faunœæ brasiliensis.Ce petit singe, voisin 
du marikina , a le corps long de dix pouces neuf 
lignes, et la queue de quatorze pouces cinq lignes , 

"son pelage est partout également noir, excepté les fes- 
ses et le haut des cuisses, qui sont, en dehors comme 
en dedans, d’un jaune assez vif, mélangé d’orangé 
et de brun: un bandeau d’un jaune verdûtre livide 
règne sur le front, et une longue crinière noire 
s'étend de la tête et retombe jusque sur les bras : la 
queue, beaucoup plus longue que le corps, est 
noire et couverte de poils peu serrés. Ce singe se 
nourrit de fruits pulpeux et butireux de la zone 
équatoriale; il recherche les insectes; mais il aime 
passionnément les œufs, dont il sait sucer l’inté- 
rieur avec adresse. 


LES LÉMURIENS. 


Buffon n’a décrit dans la famille des lmuriens 
qu’un indri, cinq makis, un lori, un nycticèbe, le 
microcèbe, le tarsier et l’aye-l’aye; ce qui porte à 
onze le nombre total des lémuriens consignés dans 
le grand ouvrage de ce célèbre naturaliste, tandis 
qu'aujourd'hui trente-quatre espèces de ces animaux 
se trouvent admises par les auteurs récents. 


L'INDRI A COURTE QUEUE. 
Indris brevicaudatus. GEOrr. (?). 


L'indri à courte queue, pour le distinguer du 
mali à bourre de Sonnerat, nommé aussi indri à 


4) Natterer, in Mikan, Delect. Flor.et Faun. bras., 
3e fasc., grand in-folio avec pl. color., Vienne; Isidore 
Geoffrey, Dictionn. classiq., t. XIE, p. 521; Férussac, 


Bulletin des Scienc. natur.,t: XI, p. 385. 1 
(2) Mag. encycl., t. VII, p.20 ; indri, Sonnerat, il. 


294 
longue queue, a le pelage noirâtre, la tête triangu- 
laire et allongée, des oreilles courtes et obrondes , 
le museau , le bas-ventre, les cuisses, et le dessous 
des bras grisâtres, les lombes blanches et laineuses, 
tandis que les autres poils sont soyeux. La queue 
est à peine longue d’un pouce sur trois pieds qu’a 
l'animal étant debout, bien que le corps n’ait qu’un 
pied huit pouces et la tête cinq pouces. 

On dit cet indri très doux et très facile à dresser 
à la chasse. Il vitde fruits et de racines. Son cri res- 
semble à celui d’un enfant qui pleure. On le trouve 
dans la partie méridionale de la grande ile de Ma- 
dagascar; car indri, en malzache, signifie homme 
des bois : l'individu du Musée à été rapporté par 
Sonnerat. 


LES AVAHIS, 
Avahi (1), 


Sonnerat le premier mentionna, sous le nom 
de maki à bourre ou d'indri à longue queue, un 
lémurien dont les nomenclateurs adoptèrent la 
description sans être fixés sur le véritable genre 
auquel il devoit appartenir. M. Jourdan, dans ces 
derniers temps, en étudiant une dépouille bien con- 
servée et complète, jugea convenable de séparer en 
une coupe générique, nommée avahi, cet animal 
rangé à tort parmi les makis ou les indris. 

Le système dentaire de l'avahi est celui-ci : inci- 

sives <, canines =, tausses molaires {, vraies mo- 
laires :. Total trente. 
_ Les incisives supérieures sont réunis par paires 
et distantes sur la ligne médiane. Les inférieures 
sont longues, proclives, et ne sont point séparées. 
Les canines ressemblent aux molaires qui les sui- 
vent, et celle:-ci, au nombre de deux en haut, sont 
aplaties transversalement et tricuspidées , tandis 
que l’unique du maxillaire inférieur est proclive. 
Les grosses molaires supérieures ont leurs tuber- 
cules internes disposés en croissants, et leurs tuber- 
cules externes hérissonnés de tubereules plus petits. 
Il résulte de cette disposition, dans l’ensemble des 
dents, que l’avahi tient, par sa nutrition, des insec- 
tivores, des rongeurs et même des ruminants. 

La seule espèce connue de ce nouveau genre est 
l’avahi des Madécasses bétanimènes , quadrumane 


p.142, pl. 88; Lemur indri, L.: Gm.: indriniger, Au- 
debert, Makis; Desmarest, Mamim., p. 96 : Geoff., Ann. 
du Mus., t. XIX, p. 157. Less., Man., p. 65: Encyclop. 
pl. 2, supp., fig, 5. Cuvier, Rég. an.,t. 1, p. 208: Isid. 
Geoffr. St.-Hil., Dict. classiq.,t 8, p. 533 : Shaw, gen. 
Z001., t. 4, p. 9%, pl. 32, Fisher, syn., p. 42. {ndri ni- 
gricans; caudä& brevissimä. ( Lichanotus, Illig.) 
(") Jourdan, ac. des sciences , 19 jnillet 1834. 


HISTOIRE NATURELLE 


un moins gros que le maki mococo, ayant onze pou- 
ces et demi du sommet de la tête à l’origine de la 
queue, qui elle-même a dix pouces. Ses formes sont 
généralement arrondies, et comme gouflées par l’a- 
bondance d’un pelage touffu et peu frisé. Sa tête est 
ronde, son museau petit, et ses oreilles ne font pres- 
que pas de saillie au-delà des poils. La teinte du 
pelage est d’un fauve légèrement roussâtre , princi- 
palement sur le dos, la tête et les régions externes 
des membres, tandis qu’elle passe au gris-de-souris- 
clair sur la poitrine, le ventre, et en dedans des 
cuisses et des bras. La peau paroît être colorée dans 
l'état de vie en noirâtre assez foncé. Les membres 
postérieurs sont en. outre deux fois plus longs que 
les antérieurs , et les doigts sont retenus par un re- 
pli membraneux noirâtre jusqu’à la première arti- 
culation phalangienne. 

L’avahi paroît avoir des habitudes crépusculaires, 
et il semble s’accommoder pour sa nourriture aussi 
bien d'insectes que de fruits, de grains durs et de 
racines. 

Le jour, on le trouve endormi, quelquefois au 
fond d’un trou d’arbre, où il est roulé sur lui-même, 
ou le plus ordinairement accroupi sur des branches. 
Il s'éveille au crépuscule en poussant un petit eri 
lent et pleureur, recherche les animaux de son es- 
pèce de manière à former des petites troupes de 
huit à dix individus, et se met alors en quête de sa 
nourriture. Sa démarche est gênée et difficile , mais 
en revanche il saute avec une merveilleuse puis- 
sance, et franchit avec la rapidité du vol de larges 
espaces en passant de branches en branches. Les 
Madécasses chassent ces animaux pendant le jour, 
car leur engourdissement et leur paresse sont tels, 
que, bien qu’ils entendent approcher leurs ennemis, 
par inertie ils ne cherchent point à leur échapper. 
Les femelles ne portent qu’un petit; elles mettent 
bas vers la fin de février. C’est de ce mois, et aussi 
en avril et mars, qu’on les rencontre portant leur 
progéniture sur le dos, accrochée par leurs longues 
extrémités postérieures. L’avahi vit presque exclu- 
sivement dans les forêts qui avoisinent la côte orien- 
tale de Madagascar, depuis l'embouchure de la Ma- 


“ 


nangara jusqu’à la baie d’Atongil. 


LE MAKI ROUGE. 


* Lemur ruber (1). 


Péron et Lesueur ont déposé au Muséum de Paris 
cette belle espèce, aw’ils s’étoient procurée à l'ile de 


() Péron et Lesueur, Geoff., Ann. du Mus., t. XIX, 
p. 159; Desm., Mamm., p. 98, Cuv., Rég. an.,t.], 
p. 107 ; le Maki roux, femelle, F.Cuv.,t. I. 


DES MAMMIFÈRES. 


France, au retour de leur voyage aux terres austra- 
les. Elle provenoit de Madagascar, où elle paroit 
être rare , bien que nous en ayons nous-même rap- 


porté un individu qui mourut à bord de la Coquille. 


Ce joli maki a le pelage d’une belle couleur rouge- 
marron ; la tête, les mains, le ventre et la queue 
noires, et une large plaque blanche sur le derrière 
du cou. Deux petites plaques d’un blanc vif se des- 
sinent transversalement en dedans des pieds. Les 
poils sont abondamment fournis, très laineux, et 
très allongés surtout aux oreilles. La peau nue de la 
face et des extrémités est brune-roussâtre , les yeux 
sont fauves, le sommet de la tête est plus foncé que 
le dos. 

Pieds. Pouc, 

Longueur totale du bout du nez à 

l'extrémité de la queue. 1 
————— delatête . . . . . . 0 
Hauteur du dos. . . . . . 1 
Longueur de dl 


SRE 
S 00€ 


laque. CN 


Le maki rouge est très agile, doux, mais parfois 
livré à des accès d'emportements. Il se pourruit que 
ce fût le babacot que les Malgaches vénèrent pour 
sa rareté. Il se nourrit de fruits. 


LE MAKI NOIR. 


Lemur niger (1). 


Ce maki, que l’on dit être de la taille du chat 
domestique , a le pelage d’un beau noir de jais, formé 
de poils allongés, médiocrement épais et soyeux. 
Ses yeux sont orangé vif, tirant sur le rouge, et les 
parties dénudées de la face et des extrémités sont 
d’un noir profond. Comme les autres makis, il vit à 
Madagascar, et on ignore quelles sont ses habitudes. 


LE MAKI AUX PIEDS BLANCS. 
Lemur albimanus (?). 


Cette espèce, mal connue encore, est, au plus, 
longue de quatorze à quinze pouces, à partir du bout 
du museau jusqu’à l’origine de la queue. Sa face est 
noirâtre, avec des poils jaunâtres courts sur les 
joues ; la gorge et les tempes d’un ferrugineux uni- 
forme; le pelage gris-brun en dessus, de même 
nuance, mais plus clair en dessous. Quelques poils 


(") Geoff., Ann. Mus., t. XIX, p.159, esp. 2 ; Desm., 
Mamm., esp. 112, p. 99; Maucoco noir, Edw., gl., t. 3, 
pl. 217. 

(@) Geoff., Ann. Mus., t. XIX , p. 160 , esp. 7; Desm., 
Mamm., esp, 115 : Maki aux pieds blancs, Briss., Rég. 
an., p. 221 ; Mongous , Audeb., Makis , fig. 1. 


295 


blanchâtres recouvrent les pieds et les mains; par- 
fois le ventre lui-même est de cette dernière teinte, 
Il provient de Madagascar. 


LE MAKI ROUX. 
Lemur rufus (1). 


De la taile du précédent, ce maki se distingue 
de ses congénères par son pelage d’un roux doré en 
dessus, blanc-jaunâtre en dessoas, l’encadrement 
neigeux de la tête et la bande noire qui de la face 
joint l’occiput. Ses oreilles sont courtes. On ignore 
de quel point de Madagascar le maki roux provient, 


LE MAKI A FRAISE. 


Lemur collaris (?). 


Dans sa description du mongous, M. Fr. Cuvier 
parle d’un maki que lui avoitrapporté M. Houssard, 
d’un voyage aux iles d’Anjouan, qui paroit être l’es- 
pèce dont il s’agit dans cet article. D’une taille un 
peu plus forte que celle du mococo, le maki à fraise, 
très voisin par tous ses rapports du mongous si bien 
figuré dans le grand ouvrage de Maréchal, d’après 
les vélins du Muséum, a sa fourrure d’un brun roux 
en dessus, fauve en dessous, avec une fraise de 
poils roux orangé disposés en favoris. La face est 
plombée, l’occiput brunâtre, le front noir varié de 
gris et le menton blanchâtre : sa queue brun foncé 
et plus longue que le corps. La femelle, plus petite 
que le mâle, a la tête grise, et les teintes de son 
pelage plus claires. 

Cet animal, en domesticité, paroît sans intelli : 
gence. ÎLest timide, se roule en boule pour dormir 
en s’enveloppant de sa queue. Il aime à peigner son 
poil avec ses dents ; recherche les racines, le pain, 
et le lait qu’il boit en humant. On ignore le district 
de Madagascar oùil vit. 


LE MAKIÏ A FRONT BLANC. 


Lemur albifrons 6). 


La maki a les proportions et la taille du mococo, 
les membres trapus, la queue longue, le pelage très 


(*) Audebert, Singes et Makis, pl. 2; Screber, pl. 39. 

(2) Geoffr., Ann. du Mus., t. XIX, p. 161, esp. 11 : 
Desm., Mamm., esp. 117, p. 100. 

(3) Geoff., Mag. encycl., t. 1, p. 20 ( mâle); Mém. du 


, Mus,, t. XIX , esp. 6, p. 160 ; Audebert, Makis, pl. 3. 


296 


touffu et très abondamment fourni. Le mâle est d’un 
gris roux ondé et tirant au brunâtre sur les parties 
supérieures du corps et externes des membres, s'é- 
claircissant sur les flancs, et faisant place à une teinte 
blanchäâtre en dedans. Les parties nues de la face sont 
d’un noir profond que relève le blanc pur des poils du 
front, des joues et du devant du cou. Les mains et 
les pieds sont fauves. La femelle a les teintes beau- 
coup plus claires, un simple bandeau grisâtre sur le 
front, et les jeunes, à l’âge de deux mois, présentent 
absolument les mêmes nuances. Ce maki a produit 


en France. On a remarqué que la gestation duroit 


un peu moins de quatre mois; que les petits pou- 
voient manger seuls à six semaines. 

Comme tous les makis, celui à front blanc habite 
Madagascar. 


LE MAKI À FRONT NOIR. 
Lemur nigrifons (1). 


Cette espèce est de la taille du maki à front blanc, 
et se rapproche de la femelle par la coloration de 
son pelage. Son front et ses joues sont d’un brun 
noir, qui diminue d'intensité vers le bout du museau 
qui est blanchâtre. Le dessus du corps et des mem- 
bres antérieurs est d’un gris de plomb varié de blan- 
châtre, tandis que les extrémités postérieures sont 
d’un gris brun assez uniforme. La queue d'un gris 
plus clair à sa base devient grise-noirâtre à son ex- 
trémité. Un bandeau noir ceint le front, du roux 
ceint le ventre et le dedans des cuisses, des poils 
gris cendré revêtent les pieds et les mains. 


——————_—_—_—_—_———_—_—_—_—_———————_—_—_—_— 
LE MAKI A'FRONT ROUX. 
Lemur rufifrons (?). 


A le corps long de plus d’un pied, et la queue plus 
longue que le corps. Celle-ci est cylindrique, cou- 
verte de très longs poils. Son dos est grisâtre, ce 


Maki à front blanc, mâle, femelle et jeune, Fr. Cuv., 
Mamm., t.…. 

Maki d’Anjouan, Geoff., Mém. du Mus., t. XIX, esp. 10 
(la femelle), et Maki aux picds fauves, Brisson {la fe- 
melle)Règn. an.,p. 221. 

(:) Geoff., Ann. du Mus.,t. XIX, p. 460 , esp. 4; Desm., 
Mamm., esp.119; Mari, no1,Briss., Règ. an., 220: 
Lemur simia sciurus , Petiver, Screb., pl. 42, Griss., 
esp. 135. 

(2) Bennett, Proceed., t. HE, p. 106. L. cinereus, sub- 
tüs artubusque rufescente tinctis ; caudä saturatiore; 
fronte superné rufo, inferné albo, line longitudinali 
medid nasoque nigris. 


HISTOIRE NATURELLE 


qui est dû à ce que les poils sont bruns, puis grisâtres 
à leur pointe. La queue est plus foncée en couleur 
que le dos , et toutes les parties inférieures sont noi- 
res. Sur les hanches et sur les lombes, une teinte 
rousse lave le brun des poils qui recouvrent ces par- 
ties. Ce maki appartient, comme les précédents, à 
l'ile de Madagascar. 


LE NYCTICÉBE DE JAVA. 
Nicticebus Javanicus (1). 


Le loris du Bengale, décrit par Buffon, est letype 
de la petite tribu des nycticèbes ou lémuriens que 
la lenteur des mouvements a fait nommer paresseux. 
Les loris ont les membres mincesetgrèles. Les nyc- 
ticèbes plus robustes ont leurs membres assez régu- 
lièrement proportionnés. Mais les uns et les autres 
n’ont pas de queue, et se rapprochent par leurs ca- 
ractères, au point que tous les naturalistes les con- 
fondent sous un même nom générique. 

Le nyctlicèbe, qui vit à Java, a été rapporté en 
France par le voyageur Leschenault, et se fait re- 
connoitre à son pelage roussâtre, sur lequel tranche 
une ligne dorsale plus foncée. Son museau estétroit, 
sa queue est courte, et le maxillaire supérieur ne 
présente que deux incisives. Sa longueur totale, la 
queue comprise, est de treize pouces trois à quatre 
lignes. Sir Rafles décrit sous le nom malais de hu- 
rang (?) un nycticèbe de Sumatra (5), qui offre quel- 
que identité avec l’espèce qui nous occupe. Ainsi 
s'exprime ce voyageur : 

« Les Malais distinguent deux variétés de cette 
espèce. L’unegrande qu’ils nomment bruhsamrndi, 
et l’autre petite. Ils dépeignent la première comme 
un animal plus fort et plus agile, ayant un pelage 
gris avec une raie noire le long du dos, et ils ont 
pour l’une et pour l’autre l’aversion la plus pro- 
noncée, parce que’, dans leurs idées, ces êtres sont 
censés porter malheur. » | 


LE NYCTICÉBE DE CEYLAN. 
Nyclicebus Ceylonius (f). 


Diffère du précédent par son pelage brun-som- 
bre, entièrement noir sur le dos. El vit dans l'ile de 
Ceylan : peut-êtren'est-il pas distinct spécifiquement. 


(1) Geoff., Ann. du Mus., t. XIX, p. 16#, esp. 2; 
Desm.,Mamm., esp. 123. 

(2) En le rapportant au Lemur tardigradus de Linné 
ou Nycticébe du Bengale. 

(3) Catalogue d’une collec tion faite à Sumatra. 

(4) Geoff., Ann. du Mus,, t. XIX, p. 164, esp. 3; Desm., 


DES MAMMIFERES. 


LE MICROCÈÉBE ROUX. 
Microcebus rufus (1). 


Le type du genre microcèbe est ce petit animal 
que Buflon a décrit sous le nom de rat de Nada- 
gascar, et qu’on trouve figuré dans ses planches co- 
loriées, n° 275. Ce prétendu rat est le galago de 
Madagascar de M. Geoffroy Saint-Hilaire (?), et le 
maki nain d’Audebert. On est tenté d’en séparer le 
microcèbe roux de Guinée, dont les poils laineux 
sont d’un roux doré, assez vif sur le corps, cédant 
au gris-roux sur le ventre, mais ce qui le distingue 
est une queue longue et très touffue à son extrémité. 
On remarquera que le mierocèbe rat de Madagascar 
a une ligne blanche entre les yeux, et la queue re- 
couverte de poils courts. 

Les microcèbes ont des habitudes entièrement 
nocturnes , ainsi que le prouvent leurs yeux et leurs 
oreilles largement développées. is se tiennent sur 
lesarbres, nichent dans les trous qu’ils rencontrent. 
Leurs jambes sont allongées, leur museau est court, 
leurs dents sont fines et serrées. 


LE PERODICTICUS DE GEOFFROY. 
Perodicticus Geoffroyri. BEXNETT. (?). 


Ce qui caractérise génériquement le perodicticus, 
sont principalement, sa queue courte, sa face apla- 
tie, des oreilles médiocres, des membres d’égale 
proportion , et le doigt index des mains qui est rac- 
courci. Les dents incisives d’en haut sont égales, les 
inférieures , au nombre de six, toutes grêles et dé- 
clives ; les quatre canines sont coniques, compri- 


Mamm., esp. 142% : cercopithecus zeylonius, seu tar- 
digradus dictus major, Sébe, Thes.,t.f, p. 75, pl. 45, 
fig. 1. 

t} Geoff., Leçons sténog., 41e leçon, p. 26 : lemur 
quineensis, Griff., An., Kingd., t. 5, p. 441. 

(2) Catalogue imprimé, p. 36 (Geoffroy }, et Mag. en- 
cyclop, 

(2) Deux genres de mammifères de Sierra-Leonne et 
de ses environs , recueillis par 3. Boyle(Philos. mag. 
and annals of philosoph., no 59, 1831, p. 389, par Ben- 
nett). 

Galago quineensis, Desm., Mamm., esp. 127, p.104. 

Lemur potto, L. Gm. 

Nycticébe potto, Geoff., Ann. du Aus.,t. XIX, p. 465, 
esp. 4. 

Potto de Bosman, Best. van. de Guin., Kust., 41, 
p- 30, fig. 4. 

Perodictus Geoffroyii, Sennelt, castaneus, infra 
pallidior, pilis raris cinereis interjectis ; vellere 
lanato, 

I. 


297 


mées ; les molaires supérieures dessinent un cône 
chez les deux premières, tandis que la troisième et 
la quatrième sont tuberculeuses. 

La tête de ce joli petit animal est arrondie, sa 
face déelive , ses narines latérales, petites, sinueuses, 
et séparées par un sillon médian qui descend jusque 

ur le rebord de la lèvre supérieure. La langue est 

recouverte de papilles qui s’arrondissent à leursom- 
met en partant d’une base élargie, et sous elle naît 
une lame qui, courte, simule une deuxièmelangue, 
et que rendent remarquablement frangée six laniè- 
res qui découpent son extrémité. Les yeux petits et 
arrondis se dirigent cbliquement sur les côtés de la 
tête, et les oreilles se trouvent être médiocres, ou- 
vertes, et {très garnies de poils aussi bien en dehors 
qu’en dedans. 

Le corps, gréle dans ses proportions, est supporté 
par des membres égaux, allongés et minces, que ter- 
minent des doigts médiocres et eflilés. Le doigtindex 
est raccourci de toute la première phalange, et l’on- 
guéale s’élargit uniquement au niveau de l’ongle ar- 
rondi qu’elle supporte. Les ongles des autres doigts 
sont aplalis, et celui du pouce est long, subulé et 
recourbé, ainsi que cela se remarque chez les autres 
lémuriens. La queue, médiocre dans sa longueur 
comme dans son volume, est uniformément revêtue 
de poils, analogues à ceux du corps, et assez uni- 
formes dans leur longueur, leur mollesse et leur 
abondance. Chacun d’eux est cendré à la base, roux 
au milieu, puis plus clairs à leur pointe : quelques 
uns épars sont terminés de blanc. Il en résulte, sur 
les parties supérieures du corps, sur les flancs, de 
même que sur les côtés extérieurs des membres, une 
nuance châtain, légèrement mélangée de gris. Tout 
le dessous de animal, comme le dedans des mem- 
bres, est de teinte plus claire, et quelques poils 
blancs, rares et peu apparents, sont seuls implantés 
sur le museau et sur le menton qui paroissent nus. 

Les dimensions de l'individu type de cette des- 
cription étoient les suivantes ( mesure angloise, onze 
pouces au pied ): 


Pouces. Lignes, 


Eongueurnde lantéte Re 2 
————— AUPCORDS RC EC CO 

D ———— dellatquetue. 2700 TG 
————— id. en y comprenant les poils. 2 3 
Largeur de la tête, entre les oreilles. . 4 # 
Séparation des Yeux 4 Rec ONE 
Évneneurdesoreilles V0 -me 0 OO 
————— de lhumérus. . . . . A1 
a de l'avant DAS EL 
————— du carpe. + + 4 . 19058 
———— dufémur. , . . . . . . 1 8 
————— du tibia. POSE RP CRE An Et 
GUN SE I 0 


Le perodicticus a lesmæurs solitaires. Il ne sort 


298 


guère que la nuit pour chercher sa nourriture, qui 
consiste principalement en semences de végétaux, 
telles que celles de la cassa‘'a ou arachis. Ses mou- 
vements sont empreints d’une sorte de paresse. Les 
colonistes de Sierra-Leone l’appellent bush-dog ou 
roquet de buisson. 


LE PROPITHÈQUE A DIADÈME. 


Propithecus diadema (1). 


Type d’un genre nouveau dans la famille des lé- 
muriens, et que M. Bennett caractérise ainsi : mu- 
seau médiocre, membres antérieurs plus longs que 
les postérieurs ; index court, queue longue et velue; 
dents : incisives :; les supérieures rapprochées par 
leur couronne, les inférieures proclives, rapprochées: 
canines =; molaires : en haut, les deux premières 
cuspidées, les troisième et quatrième allongées, ayant 
au bord externe deux tubereules; en bas, la pre- 
mière cuspidée, les deuxième et troisième à plusieurs 
tubercules. 

Ce genre se distingue de celui des lemur par le 
nombre et Ja forme des dents, et surtout par la dis- 
position des incisives supérieures, qui dessinent une 
rangée régulière sans analogue chez les makis. 

Le propithecus diadema (Benn.), type de ce nou- 
veau genre , a la face presque nue, marquée de quel- 
ques poils noirs sur les lèvres, et quelques courts 
poils blancs-jaunâtres sur le front et sur les yeux. 
Au-dessus des yeux les longs poils qui recouvrent 
tout le corps diffèrent par une bande blanc-jaunâtre 
qui traverse le front et croise les oreilles jusqu’à la 
poitrine. Il lui succède une coloration noire qui do- 
mine sur le dos , le sommet de la tête et le cou, mais 
qui se mélange de blanc sur les épaules et sur les 
flancs. A la racine de la queue, on remarque une 
place brune et la terminaison de celle-ci en blane pur. 
Les mains sont noires, et une touffe de poils blancs 
recouvre l'extrémité des doigts et même les ongles. 
Les poils sont généralement longs, soyeux, droits 
et touffus. Sur les reins ils sont plus courts et plus 
épais. Il en est de même de ceux de la queue. Le 
pouce des mains est grêle, celui des pieds est très ro- 
buste. Le corps mesure un pied neuf pouces. la queue 
un pied cinq pouces: Le museau est beaucoup plus 
camus que celui des autres lémuriens; les oreilles 
sont cachées par les poils, bien qu’arrondies dans 
leurs contours. Elles sont larges d’un pouce sur un 
pouce et demi. Cet animal, sur lequel on ne possède 


(:) Bennett, P. dorso cinerascenti; artubus, prymä, 
caud& , fasciaque frontali albis, illis fulvo tinctis ; 
vertice, nucha, manibusque nigris. Proceed., t. IH, 
p: 20. 


HISTOIRE NATURELLE 


aucun détail de mœurs, vit dans la grande île de 
Madagascar. 


LE GRAND GALAGO OÙ A QUEUE TOUFFUE. 


Galago crassicaudatus (1). 


Les galagos qu’Illiger distinguoit par le nom grec 
d’otolichnus (grande oreille), sont en petit la repré- 
sentation exacte des makis; ils ont le même nombre 
de dents, bien qu’il arrive souvent que deux inci- 
sives manquent ; mais ce qui les distingue même des 
cercocèbes, sont des oreilles vastes et propres à re- 
cueillir les sons les plus fugitifs, et des membres pos- 
térieurs de moitié plus longs que ceux de devant, 
de sorte que par là les galagos tiennent aux gerboises 
et aux kangourous. Ce sont des animaux qui vivent 
d'insectes pendant la nuit, et qui les saisissent sur 
les arbres où ils se tiennent, soit en se redressant, 
soit par des bonds pleins de vigueur. La conque au- 
ditive se reploie sur elle-même dans le repos, pour 
éviter de fatiguer l’ouïe par une grande susceptibilité 
d’audition , et c’est ainsi que les galagos peuvent se 
rendre sourds presque à volonté. Leurs habitudes 
tiennent des singes et des écureuils ; comme ceux- 
ci, ils vivent cramponnés sur les branches d'arbres, 
et rien n’égale la prodigieuse rapidité de leurs mou- 
vements: ils s’accouplent en s’accroupissant très bas, 
et préparent un nid tapissé d’herbes à leurs petits. 
Les nègres les chassent pour se nourrir de leur chair. 

* Au Sénégal, ils sont connus des Maures sous le nom 
d'animaux de la gomme, peut-être parce qu’ils se 
tiennent sur les mimosas, et non pas parce qu’ils man- 
gent la gomme et la résine, ainsi que le dit M. Geof- 
froy Saint-Hilaire. En domesticité, on les nourrit de 
laitage et d'œufs. 

Le grand galago est de la taille d’un lapin; son 
museau est court, son pelage très doux, gris uni- 
formément roux. Sa queue est très touflue, et ses 
oreilles sont seulement d’un quart moins longues que 
la tête. El vit en Afrique, mais on ignore au juste 
dans quelle localité. 


LE 
PETIT GALAGO OÙ GALAGO DE DEMIDOFF. 


Galago Demidoffii (?). 


M. Geoffroy Saint-Hilaire pense que ce galago, 
dédié par Fisher au Russe Demidoff, n’est pas autre 


(1) Geoff., Ann. du Mus., t. XIX, p. 166, esp. 2; Desm., 
Marmm., esp. 126, p. 103; le grand galago, Cuv., Règ. 
an., 4reédit.,pl. 1, fig. 1 ; Geoff., Mamm. de Fr. Cuvier, 
nov. 1820. 

(:) Galago Demidoffii, Fisher, Act. de Moscou, t.I, 


&. 


de A: 
AT TOME Le | 
we hi % * 


/ « « * 
Coulag / -Plencqul., Galago Nenegalensis, {y G/ de 
© ë 


a. Zete osseuve de profil , b.Zete vue de, face . C.-Hachotre uHnferieure . 
€ 


d. lenur 


Publiée ‘par fourrat £, a Paru. 


DES MAMMIFÈRES. 


que le maki nain, ou le rat de Madagascar de Buf- 
fon. Il ne se distingue comme espèce que par son pe- 
lage cendré et ses oreilles évasées moins longues 
que la tête, et par une queue plus longue que le corps 
et renflée à l’extrémité. Quoi qu’il en soit, le petit 
galago a donc le pelage roux-brun, une queue rous- 
sâtre, la taille moindre que celle du rat ordinaire et 
le museau noirâtre. On le croit du Sénégal. 


LE GALAGO DU SÉNÉGAL. 
Galago Senegalensis (1). 


Ce gracieux animal, de la taille d’un écureuil, a 
quatorze pouces de longueur totale, la queue com- 
prise, et celle-ci se trouve même entrer pour “huit 
pouces dans cette dimension. Son pelage est gris- 
roux ; ses oreilles, aussi longues que la tête, se 
terminent en pinceau. Le dessous du corps est blan- 
châtre, ainsi que les extrémités. La queue est bru- 
nâtre. Une sorte de cercle noirâtre entoure l'œil. Ses 
yeux sont gros et amples, et son museau légère- 
ment eflilé. Les galagos déjà décrits ont tous quatre 
incisives supérieures ; l'espèce du Sénégal n’en a ja- 
mais que deux. 

Vif et pétulant, ce galago habite les forêts de mi- 
mosas qui coupent l’uniformité du grand désert du 
Sahara, et peut se conserver avec assez de facilité en 
domesticité. Il seroit oiseux de rappeler, aujourd’hui 
que le véritable fennec est bien connu, toutes les 
opinions émises par M. Geoffroy Saint-Hilaire pour 
prouver que l’animal anonyine ne pouvoit être autre 
que le galago du Sénégal. 


aa 


LES TARSIERS, 


Tarsius. STORR. 


Le tarsier de Buffon est la seule espèce que cet 
auteur ait connue d’un petit genre, que caractérise, 
en effet, ainsi que son nom l'indique, un tarse trois 


p. 24, fig. 1 ; Geoff., Ann. du Mus., t. XIX, p. 166 ; Desm., 
Mamm., esp. 128, p. 104 : lemur minulus, Cuy., Tabl. 
élém., p 101 : little maucoco , Brown, Illust. zoolog., 
pl. 44 : galago cendré, galago murinus, Geoff., esp. 2, 
io Mamm , Fr.Cuvier, novembre 4820 : lemur murinus, 
Pennant, Quad., t. E, p. 47 

() Geoff., 1796, Mag. encycl., t. VII, p. 29 et Makis, 
P. 10, fig. re. Mamm., Cuvier, novembre 1820 : Le ga- 
lago moyen, Cuv., Desm., Mamm. , esp. 129 , p. 404; 
Geoff., Leçons sténogr., 11- leçon, p. 33. 

Galago, Adanson, Voy. au Sénég. : lemur galago, 
Screb. : galago Geoffroy, Fisher, Actes de Moscou, 


t.1, p.25 : lemur galago, Shaw, t. 1, p. 108, Allas de 
ee Suppl, pl, 5. 


299 
fois plus allongé que le métatarse. Les tarsiers ont 
trente-quatre dents, une tête arrondie, un museau 
obtus, des yeux grands et très rapprochés, une très 
longue queue, des oreilles saillantes et dénudées, et 
enfin des ongles aplatis en avant, subulés en arrière. 
Les zoologistes systématiques ont singulièrement 
varié sur la place à assigner à ces animaux. Aussi 
voit-on Gmelin en faire des didelphes, et Pennant 
des gerboises. Pallas, le premier, les classa avec les 
autres lémuriens, puis Boddaert en fit des prosimia 
ou makis, et Lacépède établit pour eux son genre 
macrotarse. 

Les tarsiers sont des animaux rusés, fins, ayant 
une audition parfaite, une vue crépusculaire perfec- 
tionnée , se nourrissent d’insectes. L'espèce la plus 
anciennement connue parut si hétéroclite à Pallas, 
qu’il lui donna le nom de lemur spectre; trois autres 
tarsiers sont aujourd’ hui connus des naturalistes, ce 
qui porte à quatre les espèces de ce genre. 

La première est le tarsier aux mains brunes (1), 
d’une taille un peu plus forte qu’un mulot de France, 
et dont le pelage est brun-clair sur le dos, gris-blanc 
sur le ventre. Les extrémités des membres sont d'un 
noirâtre assez intense. La queue, plus longue que le 
corps, est couverte de poils ras, excepté au sommet 
où ils s’allongent en pinceau. On dit que ce tarsier 
habite l’île de Madagascar. 

La seconde est le tarsier de Pallas (2), à pelage 
brun-jaunâtre, à oreilles aiguës. La troisième, le vrai 
tarsier de Buffon (5), ou le podji des habitants d’Am- 
boine. Et la quatrième, le tarsier de Banca (4), que 
le docteur Horsfield à découvert dans les forêts des 
environs de Jeboos, dans l’île de Banca, l’une des 
Moluques. 

Cette dernière espèce est remarquable par sa tête 
arrondie, assez volumineuse par rapport à sa petite 
taille, et surtout par sa longue queue grêle et droite, 
couverte dans tout son diamètre de poils courts et ras. 


() Tarsius fuscomanus, Fish., Makis, p. 3 et4; 
Geoff., Ann. du Mus., t.XIX,168, esp. 2: tarsius Fisheri, 
Desm., Dict. Hist. nat, et Horsfield, zool. research. in 
Java. 

Incisoribus acutis, intermediis longis, latere exte- 
riore depressis crista acula obductis, marginatis ; ba- 
dius, pedibus ex nigro fuscis, auriculis rotundatis. 
( Fisher, zoognosia.) 

(2) Tarsius Pallasii, Fisher, incisoribus obtusis, 
intermediis brevibus : corpus sulphureo-brunneus ; au- 
riculis acuminatis (z00gnosia). 

(3) Tarsius Daubentonii, Fisher, incisoribus acutis, 
intermediis rotundatis, loggis; gracilis, ex nigro cine- 
reus auriculis rotundatis , zoognosia ). 

(4) T. fuscus, incisoribus intermediis maxillæ supe- 
rioris nullis, auriculis rotundatis horizontalibus capite 
brevioribus, Horsfield, zoo). research. in Java; Desma- 
rest, Mamm., esp. 821, p. 935. 


300 


Les oreilles du tarsier d’'Amboine sont aiguës et 
très saillantes; celles de l'espèce de Banca sout ru- 
dimentaires, et presque cachées par les poils d’une 
partie latérale de la tête: Son pelage est épais, serré, 
composé de poils d’une grande douceur au toucher, 
coloré en brunâtre tirant sur le blond gris en dessus, 
en gris passant au blanchâtre en dessous. La queue 
est plus claire au milieu qu’à ses extrémités. 


Eee 
ptet a 


LES CHEIROGALES. 
Cheirogaleus. ComuErs. (!). 


L'existence des cheirogales, petits lémuriens de 
l'île de Madagascar, a long-temps été problémati- 
que, et ne reposoit que sur trois dessins à la mine 
de plomb trouvés dans les manuscrits de l'illustre 
Commerson. Ce genre n’avoit donc pu être admis 
définitivement dans les catalogues systématiques , 
lorsque M Fr. Cuvier, en octobre 1821, figura, sous 
le nom de maki nain, un cheirogale que M. Milius, 
ex-gouverneur de Bourbon, avoit rapporté vivant en 
France. M. Geoffroy a dorc admis définitivement ce 
genre dans ses leçons sténographiées publiées en 
4829, et dans la même année MM. Vigors et Hors- 
field donnèrent quelques nouveaux détails sur une 
espèce inédite. Commerson a dessiné par erreur des 
ongles étroits, très grêles et acérés, dépassant no- 
tablement les phalanges, aux animaux dont il a laissé 
les figures; car les cheirogales (chats avec mains) 
sont des lémuriens, offrant, il est vrai, quelques 
traits de l’organisation des chats, ayant, au lieu 
des proportions sveltes, gracieuses et allongées deæ 
makis, ces mêmes formes grossies et ramassées. 
Les pattes de derrière sont un peu plus longues que 
es antérieures, le corps est trapu, la tête fort grosse, 
les yeux grands, le museau presque camus : les 
oreilles rondes et courtes sont peu distinctes, et la 
queue, très allongée, est pirtout régulièrement cy- 
lindrique et abondamment fournie de poils. 

Les cheirogales sont des animaux nocturnes, agi- 
les et robustes, se mettant en quête de leur nourri- 
ture pendant la nuit, se roulant sur eux-mêmes 
dans le foin où ils dorment , et pouvant exécuter des 
bonds de plusieurs pieds au-dessus du sol. 

Les trois figures de la pl. 40 du tom. XIX des 
Annales du Muséum représentent trois cheirogales, 
sous les noms de major, medius et minor. Le pre- 
mier, long de huit pouces, a le pelage rembruni, 
principalement sur le chanfrein. Le second, long de 
huit pouces, a les teintes plus claires, un cerclenoir 


{r) Geoff., Ann. du Mus., t. XIX, pl, 10 ; Leçons stén., 
41e lecon,p. 22, Desm.,Mamm., p. 406 (en note); 
Less. Man., p. 73 : Vigors et Horsfield, zool.journ.,t 3, 


1825, p. 112: Bull. de Férussac, t. XIV, no 351, p. 453. 


HISTOIRE NATURELLE 


autour de chaque æil , et le chanfrein clair. Le troi- 
sième , long de sept pouces, a le pelage plus elair 
que celui des deux précédents, et un cercle noir 
autour des yeux. 

Mais M. Geoffroy Saint-Hilaire n’admet plus 
qu’une espèce, le maki nain de M. Fr. Cuvier, qu’il 
nomme Cheirogale de Milius (1), et que caractérise 
un pelage gris roux en dessus, blanc cendré en des- 
sous , ayant une tache blanchâtre entre les yeux, et 
le chanfrein noirâtre. Le corps de cette espèce a plus 
d’un pied de longueur. Ce cheirogale a vécu assez 
long-temps à la ménagerie du Muséum, et M. Fr. 
Cuvier ne balance pas à le rapporter à l’espèce du 
rat de Madagascar figuré et décrit par Buffon, et 
ous partageons grandement son opinion. Par con- 
séquent, le genre microcèbe de M. Geoffroy Saint- 
Hilaire seroit une véritable superfétation. La figure 
de Buffon ( pl. 20 ) ne donne au prétendu rat de Ma- 
dagascar un museau aigu que par une faute de des- 
sinateur très probablement. 

Le cheirogale de M lius se rapporte à la figure 
n° 2 de Commerson, la taille exceptée, qui a été prise 
sur un dessin, sans indication de réduction. Peut- 
être doit-on regarder comme l’âge adulte de la même 
espèce, le cheirogale de Commerson (?}, avant 
treize pouces et demi de longueur totale du bout du 
museau à la naissance de la queue : celle-ci a dix- 
sept pouces. Une tache blanche au-dessus de chaque 
œil; deux lignes plus foncées occupent les côtés de 
la tête. Les poils du corps sont fauves à leur base, 
brunâtres au milieu, et noirs à leur sommet; une 
teinte rouge domine le long du dos et à la naissance 
de la queue. Les oreilles sont nues à leur rebord : 
l'extrémité des doigts, de même que les ongles, sont 
noirs. La patrie de l'individu décrit n’est point 
indiquée. 


LES GALÉOPITHÈQUES. 


Galcopithecus (3). 


Bontius avoit décrit sous le nom de chauve-souris 
admirable (*) un animal que Seba et Petiver appe- 
lèrent chal-singe et chat volant de Ternate, et que 
plus tard Linné admit, dans son Species des mam- 
mifères , parmi les makis (5). Mais c’est à Pallas que 


() Cheirogaleus Milii, Lec. sténog., 11. lecç., p. 24. 

(2) Cheirogaleus Commersontiti, Vig. et Horsf. zool. 
journ., L IV, p. 142. Rufo-griseus, pectore abdomine- 
que pallidé rafis ; regione suprà oculos circäque os al- 
bà ; maeulà frontali, lineâ utrinque ab oculis ad occi- 
put extendente, caudæque apice nigris. À 

(3) Pallas, Lacépède, Geoffroy, Iliig.:lemur , Storr, 
Gmelin. 

(#) Vespertilio admirabilis. 

(5) Lemur volans, L, 


VA 


7. ’ ‘4 \ / 
Ze falppiblegue 2 Wen, Mo ao. 


Publiée’ par Lourral . a Paru, 


DES MAMMIFÈRES. 


l’on doit les idées les plus saines sur ce quadrumane, 
pour lequel il créa le nom générique de galeopithe- 
cus, qui signifie chat-singe. 

Les galéopithèques sont donc, en effet, le chai- 
non intermédiaire «ui unit les makis aux chauves- 
souris ; ce sont les formes des premiers, avec les 
membranesqui lient les membres des secondes. Mais 
cette membrane, chez les galéopithèques, est carac- 
téristique ; elle naît des côtés de la tête derrière la 
commissure des lèvres, enveloppe les membres an- 
térieurs jusqu'aux doigts, s'étend de la même 
manière sur les postérieurs, sans en excepter la 
queue qui se trouve complétement engagée dans ses 
replis. 

Chez les chauves-souris , il y a exagération des 
membres antérieurs, surtout des doigts, et la mem- 
brane est mince, nue, étendue en un léger réseau. 
Chez les galéopithèques, au contraire, les bras et les 
mains ne diffèrent point par leurs proportions des 
jambes et des pieds, et la membrane qui les enlace 
constitue un manteau d’un tissu épais, résistant , très 
velu sur sa face dorsale. 

Les galéopithèques sont donc caractérisés par un 
système dentaire composé en haut de quatre inci- 
sives, deux canines et douze molaires, et en bas de 
six incisives, deux canines et dix molaires. Les der- 
nières de celles-ci ont leur couronne hérissée de poin- 
tes. Leur tête globuleuse se termine en un museau 
assez aigu. Les oreilles sont petites et arrondies. La 
queue médiocrement longue, les doigts courts armés 
d'ongles recourbés etaflilés. Leurs mamelles, situées 
sur la poitrine, sont au nombre de deux. 


Les mœurs de ces animaux sont à peu près celles 
des roussettes. Ils vivent comme elles de fruits et 
d'insectes, et s’accrochent aux branches par leurs 
pieds pour dormir suspendus la tête en bas. Le jour, 
ils fuient la lumière solaire, et se tiennent cachés 
dans les endroits les plus abrités des forêts. Ils n’en 
sortent que le soir pour chercher leur nourriture, 
en se servant de leurs membranes comme d'ailes, 
bien que leur vol soit incomplet, lourd et embar- 
rassé. Leur chair, à odeur forte, plait singulièrement 
à diverses peuplades de l'Océanie qui s’en nourris- 
sent. Les galéopithèques habitent exclusivement 
dans plusieurs iles de la Malaisie et de l'Océanie oc- 
cidentale. Buffon ne les pas mentionnés. 


L'espèce la plus anciennement connue est le ga- 
Jéopithèque roux (!), longue d’environ douze pou- 
ces, ayant le dessus du corps d’un roux marron très 


vif, passant sur le ventre au roux clair, et sans 
% 1 


. (1) Galcopithecus rufus, Pallas, Act., ac. se. Petrop., 
4780, p. 1, Desm, Mamm., esp. 108, esp. 133; Sir 
Raffles , Cat. : lemur volans, L. Gm., Screb., pl. 43 ; 
Geoff., Mag. encycl.; Audebert, Galéop , pl. 1 ; Geoff., 
Leçons, p. 37. , 


301 


taches. Les membres à leur face interne sont blancs, 
de même que les parties latérales du cou. Jusqu'à 
ce jour, on a cru le galéopithèque roux indigène des 
iles P’elew, où les naturels le nommoient Oleek. Mais 
sir Raflies le mentionne dans son catalogue des ani- 
maux de Sumatra, sous le nom malais de kubung. 
Voici ce qu'il en dit : 

« Cet animal, très commun dans la Péninsule et les 
iles malaises, est trop bien connu pour être décrit. 
Il se pend aux branches des arbres par les pieds ou 
par les mains. Sa membrane, semblable à desailes, 
ne peut lui servir à voler; mais, lorsqu'elle est 
étendue, elle remplit les fonctions de parachute, 
et, à son aide, il peut faire des sauts considérables 
d’un arbre à l’autre. Les canines sont munies de 
deux crochets comme les molaires, et le larynx est 
OSseUX. » 


Le kubung a deux mamelles, et donne le jour 
à deux petits à chaque portée. La teinte du dos chez 
les jeunes est plus distincte et plus variée que celle 
des adultes. 

La deuxième espèce admise par les auteurs est le 
caléopithèque varié (1); mais il se pourroit que l’in- 
dividu qui a servi de type à la description, ne fût 
que le jeune âge du galéopithèque roux. En effet, 
on ne donne que cinq pouces onze lignes à cette 
espèce, dont le pelage brun sombre est varié de ta- 
ches blanches éparses sur les membres, concurrem- 
ment avec des traits et des zigzags noirs. Chez quel- 
ques individus, cette nuance est cendrée; chez 
d’autres , elle est roussâtre. Or, cette variabilité de 
coloration et la grosseur de la tête, relativement aux 
proportions du corps, dénotent évidemment des 
individus très jeunes. Ce galéopithèque varié a été 
observé dans l’ile de Java. 

La troisième espèce est le galéopithèque de Ter- 
nate (?), ou le fameux felis volans Ternatea de 
Séba (*), encore plus petite que la précédente, ayant 
un pelage d’un gris roux, plus foncé en dessus au’en 
dessous, composé de poils roux et serrés, et quelques 
mouchetures sur la queue. Ce galéopithèque, très 
mal connu, vit dans l’ile de Ternate, l’une des 
Moluques. 

Une quatrième espèce, le galéopithèque à longue 
queue (‘), paroit vivre à Ceylan. M. Temminck sup- 
pose que ce mammifére devra former un nouveau 
genre dans la famille des makis. On ne possède 
que son squelette. 


(1) Galeopithecus variegatus, Geoff., Mag. encyel. ; 
Audebert, Galéop., pl. 2; Cuv., Table élém.; Desm., 
Mamm., p. 408, esp. 134; Geoff., Leçons sténograp., 
p. 37. 

(2) Galeopilhecus ternatensis, Geoff., Lec., p. 38; 
Desm., p. 108 , esp. 135. 

() Thes., t. I, p. 93, pl. 58, fig.2et 3. 

(:) Galcopithecus macrurus, Temm , Faune Jape, p.9, 


302 


HISTOIRE NATURELLE 


LIVRE V. 


LES CHEIROPTÈRES ('). 
Vespertiliones. 


Les cheiroptères, plusconnus sous le nom vulgaire 
de chauves-souris, forment une famille très natu- 
relle, divisée aujourd’hui en une assez grande diver- 

. sité de genres, et qui s’est principalement accrue 
dans ces dernières années. En 1756, Brisson ne 
connoissoit que neuf chauves-souris, qu’il sépara en 
deux genres, les vespertilio et les pteropus, et 
Jong-temps ce nombre ne reçut aucun accroissement. 

Buffon n’a conau que vingt-six espèces qui peu- 
vent être réparties ainsi qu’il suit : deux roussettes, 
une céphalote, trois molosses , trois phyllostomes, 
un glossophage, un mégaderme, deux rhinolophes, 
deux nyetères, un taphien, un myoptère, et neuf 
vespertilions. 

Les cheiroptères sont donc, ainsi que l'indique 
leur nom, des animaux qui peuvent se soutenir en 
l'air, et voler à l’aide de replis de la peau des flancs 
qui s'étendent sous forme d'ailes minces et nues 
entre les membres et surtout entre les doigts, dont 
les os sont excessivement allongés. Leurs mamelles, 
au nombre de deux, sont placées sur la poitrine. On 
les a distingués en deux tribus, suivant que les mo- 
laires sont à couronne plate ou sans éminences ; ou 
bien que ces os sont armés de pointes aiguës. La 
première est celle des chauves-souris fruivores, et 
la seconde celle des chauves-souris entomophages, 
Mais cette séparation est plutôt fictive que réelle, car 
les unes et les autres se nourrissent de fruits et de 
matières animales, suivant les circonstances. 


LES ROUSSETTES. 
Pteropus (?). 


Buffon a donné le nom de rousselte, par rapport 
à la coloration du pelage, à une chauve-souris in- 


(:) M. Hodgson a décrit dans le journal de la société 
de Calcutta, sept espéces de chauves-souris du Népaul, 
qu'il nomme rhinolophus armiger et tragatus ; pte- 
ropus leucocephalus et pyrivorus; vespertilio for- 
mosa, fuliginosa et labiata. Ces espèces nous sont 
inconnues. (Proceed., VI, 46). 

(2) Les méganyctéres, Latreill., fam. du Règ. an.: 
Pteropus (pieds ailés), Brisson. 


dienne , et ce nom est devenu générique pour toutes 
les autres espèces découvertes depuis. Les roussettes 
ont donc pour caractères zoologiques ane tête longue, 
étroite, se terminant en un museau effilé, quatre in- 
cisives à chaque mâchoire, de robustes canines; dix 
molaires supérieures et douze inférieures, à cou- 
ronne presque plane; la membrane interfémorale 
peu étendue, et ne formant qu’une étroite bordure sur 
le côté interne des jambes et des cuisses. La queue 
manque chez les grandes espèces ou est rudimen- 
taire chez les petites. La langue est papilleuse, et 
les femelles sont sujettes à un écoulement sanguin, 
périodique, par les organes sexuels. Ces animaux 
aiment à se pendre, la tête en bas, aux branches des 
arbres. [ls volent aussi bien le jour que le soir, bien 
que leurs habitudes soient plutôt crépusculaires. Leur 
chair, dont le fumet est désagréable, est cependant 
recherchée par quelques uns des peuples des con- 
trées où ils vivent. Leurs habitudes sont assez pai- 
sibles , et c’est à tort qu’on les a crus malfaisants. On 
ne trouve guère les roussettes que dans les contrées 
les plus chaudes de l’Aucien Monde, exclusivement 
entre les tropiques, 

Les espèces admises aujourd’hui sont nombreuses. 
Les deux plus anciennement connues sont la rous- 
sette (pteropus vulgaris) et la rougette ( pte: opus 
rubricullis), l’une et l’autre décrites par Buffon (1). 


LA ROUSSETTE D’'EDWARDS. 


Pleropus Edwardsi (?). 


Cette roussette, à laquelle il n’est pas entièrement 
certain qu’on doive rapporter l’espèce indiquée par 
Edwards sous le nom de grande chaure-s-uris de 
Madagascar, est considérée par M.Temminck comme 
une simple variété d’âge de l’édule; cependant l’exa- 
men de plusieurs sujets adultes ne permet pas de 
douter qu’elle ne forme réellement une espèce dis- 
tincte. L’individu qui a servi de type à la description 
de M. Geoffroy Saint-Hilaire, et plusieurs autres 
individus originaires, comme ce dernier, du Ben- 
gale, ont présenté les caractères suivants : tête d’un 

Fu | 

(:) M. Mayen décrit les pteropus pyrrocephalus € 
rhinolophus griseus qui nous sont inconnus. 

(2) Geoffr. Saint-Hilaire , mém, du Mus., t, XV. 


es 


LA 


DES MAMMIFÈRES. 


brun marron; parties postérieures et côté du col d’un 
roux vif; dos couvert de poils très couchés et rudes 
au toucher, dont la nuance varie du gris au noir gri- 
sâtre ; face antérieure du corps d’un roux qui passe 
au brun, sous la gorge, aux épaules, vers l’insertion 
des cuisses et à la région des flancs; longueur du 
bout du museau à l’origine de la membrane interfé- 
morale, huit ou neuf pouces chez l'adulte. 


LA ROUSSETTE LESCHENAULT. 


Pteropus Leschenaultii (1). 


Cette espèce est d’un fauve cendré sur le ventre, 
et d’un brun légèrement grisâtre sur le dos. La partie 
de ses FN Ed qui avoisine, soit le corps, 
soit lavant-bras ou les doigts, présente un grand 
nombre de points blanchâtres, rangés par lignes pa- 
rallèles. Cette roussette, découverte par feu Lesche- 
nault aux environs de Pondichéry, a cinq pouces et 
demi de longueur totale, et un pied et demi d’enver- 
gure. C’est à tort que quelques auteurs l'ont placée 
parmi les roussrites sans queue, car sa queue, très 
visible, n’est qu’à peine engagée dans la membrane 
interfémorale, et a environ six lignes de longueur. 


LA ROUSSETTE DUSSUMIER. 


Pteropus Dussumiert (?). 


Cette roussette à été découverte sur le continent 
de l’Inde par le voyageur francois Dussumier. Elle 
est voisine de la roussette Kéraudren, mais néan- 
moins elle est très facile à distinguer de celle-ci par 
son système de coloration. La face et la gorge sont 
brunes, le ventre et le dos sont couverts de poils 
bruns mélangés de quelques poils blancs ; ceux du 
dos diffèrent du ventre en ce qu’ils sont très couchés, 
comme cela a lieu chez presque toutes les roussettes. 
La partie supérieure de la poitrine est d’un brun 
roussâtre, et les côtés du col, et tout l’espace com- 
pris à la face postérieure du corps, depuis les oreilles 
jusqu’à l’insertion des ailes, sont d’un fauve tirant 
légèrement sur le roussâtre. La longueur totale est 
de sept pouces, et l’envergure est de deux pieds trois 
pouces. Cette espèce repose sur l'examen de deux 
individus entièrement semblables, dont l’un prove- 
noit du continent de l’Inde, et l’autre avoit été en- 
voyé d'Amboine, La couleur brune de la gorge et de 


(‘) Desmarest, Mamm., p. 410 , esp. 142. 
(2) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, Dict. classiq. d'hist. nat., 
t. 14, p. 701,(1828), Ann. des Sc. nat., t. XV, p. 201. 


303 


la partie antérieure du col, permet de la distinguer 
au premier coup d’æil de la roussette Kéraudren, 
qui a ces parties d'un jaune pâle; et des caractères 
non moins tranchés la séparent des autres espèces, 
et particulièrement de la roussette d'Edwards (pte- 
ropus medius , Tem.?) qui habite comme elle le con- 
tinent indien. 


LA ROUSSETTE INTERMÉDIAIRE. 


Pieropus medius (1). 


La tête, l’occiput, la gorge et l’attache des ailes 
sont d’un marron noirâtre; le dos d’un noirâtre légè- 
rement teint de brun ; la nuque d’un roux jaunûâtre; 
les côtés du col et toute la face ventrale du corps, 
à l’exception de la gorge et de la région humérale, 
d’un roux brun couleur de feuille morte ; les mem- 
branes brunes. Longueur, onze pouces. Cette espèce 
habite les environs de Calcutta et de Pondichéry, 
comme la roussetite d'Edwards, avec laquelle elle 
paroit avoir de nombreux rapports. Suivant M. Tem- 
minck, ce seroit le badur des Hindoustanis. 


LA ROUSSETTE DE LEACH. 
l'teropus Leachii (?). 


Cette roussette, très probablement identique avec 

Ja suivante, est commune dans Les jardins des envi- 
rons de la ville du Cap, pendant la saison des fruits, 
et elle détruit très souvent, pendant la nuit, les es- 
pérances des cultivateurs de vignes. Son pelage est 
d’un gris brunâtre en dessus, beaucoup plus pâle et 
moins foncé en dessous. Ses incisives sont courtes, 
fortes, régulières et arrondies à leurs bords. La tête 
est allongée, les oreilles sont médiocres et arron- 
dies. Les membranes sont colorées et noirâtres, et 
la queue est entièrement libre. 

. Cette roussette est longue de quatre pouces du 
bout du museau à l’origine de la queue; celle-ci a 
neuf lignes, et l’envergure est de treize pouces. Il 
paroît qu’aux environs du Cap on trouve encore une 
espèce de taille plus forte que celle-ci, mais qui est 
inconnue aux naturalistes. 


() Temm., Monog. de Mamm., p. 176. 

(2) Smith, Zoo!. journ., no 16, t. IV, p. 433 (contribu- 
tions to the natural history of south Africa ;. 

Pteropus suprà fusce-cinereus, infr& sordido-cine - 
reus, caudà liberä. Bulletin de Férussac, t. XVHE, 


p. 272 : Fisher, Suppl. synop., p. 661. 


LA ROUSSETTE DE mn 
Pteropus Geoffroyüi (1). . 


Cette espèce a le pelage laineux, gris-brunâtre, 
plus foncé en dessus qu’en dessous, une queue 
courte, cinq pouces et demi de longueur totale sur 
un pied neuf pouces d'envergure. Elle habite Le Sé- 
négal et l'Egypte. 


LA ROUSSETTE DE BONIN. 
Pteropus pselaphon (?). 


C'est pendant une relâche de la frégate the Blos- 

. som que M. Lay eut occasion d'observer celte rous- 

sette, qui est extrêmement commune dans l'ile de 

À Bonin. Elle paroit former une espèce bien caracté- 

_ risée par la teinte uniforme de son pelage, et par ses 

D Porions et la longueur de ses dents. La dénomi- 

. mation de pselaphon lui a été donnée pour exprimer 

que c’est plutôt par l’odorat que par la vue que cet 
animal se conduit pendant le jour. 

Les ailes membraneuses sont d’un beau noir dans 
l’état de vie, ec la membrane interfémorale est très 
étroite sur les parties postérieures des membres, et 
rudimentaire au coccix qui ue s’allonge point en 
queue. Les poils du dos sont doux et couchés, et ceux 
du cou, de la tête et des épaules sont frisotés ou re- 

_coquillés : tous sont d’un brun noirâtre, entremèêlés 
de quelques longs poils grisâtres, et ces derniers, 
plus nombreux là où les poils sont frisés, donnent 
aux épaules, au cou et à la tête, de même qu'aux 
parties inférieures du corps, une teinte voisine de la 
ferrugineuse. Mais cette couleur ocreuse est surtout 
prononcée au coccix et sur le pourtour de l'anus. Le 
corps avoit de longueur totale, du bout du museau 
à la membrane interfémorale, neuf pouces et demi 
sur deux pieds cinq pouces d'envergure. 

Cette roussette se nourrit principalement des fruits 
de sapola et pendanus, dont elle suce le jus et re- 
jette les parties filamenteuses. 


LA ROUSSETTE A FACE NOIRE. 
Pteropus phaiops (°). 
Cette espèce, peut-être la véritable chauve-souris 


() Temm., Monog.; Pt. ægyptiacus, Geoff., Ann. du 
Mus., t. XV, p. 97, Desm., Mauwm., p. 111 ; Geoffroy, 
Marmmn. de l'Égypte, pl. 3, fig. 2 

(2) Tradescant Lay, Zool. journ., ne XVI, p.457 (Ob- 
serv. on a species of pteropus froin Bonin) Bulletin de 
Férussac, t. XIX, p. 346. 

() Temm,., Monuog., p. 178. 


HISTOIRE NATURELLE 


d'Edwards, a le pelage long, grossier, très fournil, 
un peu frisé partout ; le museau , la gorge, les joues, 
le tour des veux, d’un noir profond; le reste de la 
tête, les côtés du cou, la nuque et les épaules, d’un 
jaune de paille; la poitrine d’un roux do é très vif; 

les autres parties inférieures, à poils eux cou- 
leurs, brun à la base, et d’un jaune clair à la pointe. 


La 


Sa longueur totale est de dix pouces, Elle habite 
Madagascar. 
LA ROUSSETTE KALOU. 


Pteropus javanicus (?). 


A été d’abord indiquée par M. Geoffroy, qui la 
considéroit comme une simple variété de l'édule ; 
elle en diffère, suivant M. Desmarest, par la couleur 
de son cou qui est d’un roux Entiine » et par sa taille 
plus considérable encore. Le squelette d’un très vieil 
individu à une envergure de cinq pieds deux pouces. 
Dans ces derniers temps, M. Temminck est revenu 
à l'opinion d'abord émise par M. Geoffroy, et, dans 


++ 


sa Monographie des roussettes, il réunit le pleropus 
javanicus au pteropus edul's. Le kalou qui habite — 


Java, comme son nom spécifique l'indique, offre 
aussi de très grands rapports avec l’édule ; et ce n’est 
qu'avec doute qu’on doit l’admettre comme espèce. 


LA ROUSSETTE MASQUÉE. 


Pleropus personatus (0 


A. 24 
Li] 


La tête est peinte d’une manière tranchée de blane # 


pur et de brun ; du blanc très éclatant couvre en- 


core tout le chanfrein, et s'étend jusqu’au-delà des | 


yeux. Les joues, le bord des lèvres et le mentôn sont 
aussi d’un blanc frais ; une large zone brune € couvre 
la gorge, et envoie des prolongements au-dessus des 
yeux. Le sommet de la tête, l’occiput, tout le cou 
et une partie de la poitrine, le ventre et les flancs 
ont les poils cotonneux, colorés de brun à leur base, 
et d’une teinte isabelle à leur pointe. Sa longueur 
totale est de six pouces six lignes. Cette espèce re- 
marquable a été découverte à Ternate, par le voya- 
geur hollandois Reinwardt. 


LA ROUSSETTE PALE. 


Pteropus pallidus (?). F 


Cette espèce est caractérisée ainsi qu’il suit par 


(r) Desmarest, Mamm. , p. 409: Horsf., Zool. resear- 
ches : pteropus edulis, Temm.,Monog., p. 172. 

(2) Temm., Monog., p.189. 

6) Temm., Monog., p. 18%. 


œ : 


M. Temminck. Le pelage est très court, mélangé 
de poils bruns, gris et blanchâtres. La nuque, les 
épaules, et un collier qui entoure la poitrine, sont 
roux. Le dos est couvert de poils couchés d’un brun 
pâle. La tête, la gorge, le ventre et les flancs sont 
d’un brun couleur de feuille morte. La membrane 
des ailes est brun-pâle. Elle a de longueur totale sept 
pouces six lignes, et habite Banda, où elle est très 
commune. 


LA ROUSSETTE GRISE. 


Pteropus griseus (1). 


Cette espèce, dont la longueur totale est de six 
pouces et demi, se distingue par sa tête et son cou 
d’un roux clair, et le reste de son pelage d’un gris 
légèrement roussâtre, qui, sur le dos, passe presque 
à la couleur lie de vin. Elle habite Timor, où elle à 
été découverte par MM. Péron et Lesueur. 


LA ROUSSEITE PAILLÉE. 
Pteropus stramineus (?). 


Se distingue facilement par son pelage d’un jaune 
de paille. Sa longueur totale est de sept pouces, et 
son envergure d’un peu plus de deux pieds. Sa 
queue ne paroît à l’extérieur que sous la forme d’un 
petit tubercule. Elle habite Timor, 
at 


LA ROUSSETTE AMPLEXICAUDE. 
Pteropus amplexicaudatus (). 


Se distingue facilement par sa queue égale en lon- 
gueur à la cuisse, et enveloppée seulement à son 
origine par la membrane interfémorale. Son pelage 
est d’un roux clair sur le dos et la croupe, et d’un 
blanc roussâtre sur le cou, la tête et les parties infé- 
rieures. Sa longueur totale est de quatre pouces et 
demi ou cinq pouces, et son envergure de quinze 
environ. Elle a été découverte à Timor, par Péron 
et Lesueur, et se trouve aussi, suivant Temminck, 
à Amboine, Java et Sumatra. 


() Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., t. XV, pl. 6; Temm., 
pl. 11, p.187. 

(2) Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., t. XV, p.95; Temm., 
p. 196. 


(, Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., t. XV, pl. 4; Temm., 
pl. 143, p. 200. 


DES MAMMIFÈRES. 


305 


. LA ROUSSETTE ÉDULE. 
# 


» hs Pteropus edulis (1). 


Est l’une des plus grandes espèces du genre. Les 
individus bien adultes ont jusqu’à quinze pouces de 
longueur du bout du museau à la membrane inter- 
fémorale, et quatre pieds dix pouces d'envergure. 
Le pelage est généralement noir ou noirâtre. La 
partie postérieure du corps et des épaules affecte une 
nuance qui tire sur le roux, et les poils du dos sont 
ras, luisants et couchés. La roussette édule a été 
nommée ainsi parce que sa chair blanche, délicate 
et très tendre est regardée par les Limoriens comme 
un mets exquis. Elle vit aux Moluques, et princi- 
palement dans la grande île de Timor, de même 
qu’à Sumatra et à Java. C’est le skalong ou ka- 
luang des Malais. 


LA ROUSSETTE KERAUDREN. 
Pteropus Keraudren (?). 


Cette espèce habite les îles Mariannes, où l'ont 
découverte MM. Quoy et Gaimard, Elle à l’occiput, 
le col, les épaules et le haut de la poitrine d’un 
jaune pâle, et le reste du corps brunâtre. Sa lon- 
gueur totale est de sept à huit pouces. 

Aux Mariannes, cette roussette est nommée fa- 
nihi, et malgré son odeur forte, les habitants re- 
cherchent sa chair. Les Carolins la connoissent sous 
le nom de poë, et les habitants d’Oualan, sous ce- 
lui de koi. 

La femelle ne fait qu’un petit qui se cramponne 
au ventre de sa mère, même dans le vol, et qui ne 
l'abandonne que lorsqu'il à assez de force pour 
prendre seul sa nourriture. 


————_—_——— 


LA ROUSSETTE DE TONGA. 
Pteropus tonganus (3). 


Cette roussette, que les habitants des île des Amis 
nomment péka, a les plus grands rapports avec la 


(") Péron et Lesueur, Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., 
t. XV, p. 92 ; pteropus javanicus, Horsf., Zool., res.; 
canis volans ternatanus orientalis, Seba, pl. 57; 
Temm.,Monog., p. 172. 

(2) Pteropus, corpore et alis subnigris ; collo, sca- 
pulis, parteque posteriore capitis flavis ; auriculis le- 
vibus; caudà null : Quoy et Gaim., Uranie, pl.3, 
p. 51. 

(3) Pteropus, corpore suprä nigro ; collo, parteque 
posteriore capitis rufis ; abdomine nigricante ; mem- 
branis brunneis. Varietas : corpore toto subalbido ; 
abdomine rufescente ; unguibus et auriculis albis ; 
Quoy et Gaim.,Astrol,pl.8 ,t.1, p. 74. 


5) 


306 
roussette kéraudren des iles Mariannes, bien qu’elle 
soit moins forte de taille. Son coilier fauve ne fait 
pas un tour complet en avant comme chez celle-ci. 
Le ventre a une teinte brune-rougeâtre plus uni- 
forme et sans mélange de poils blanchâtres. Le der- 
rière de la tête, depuis le col jusqu'aux épaules, 
est d’un roux ardent qui se dessine en demi-collier. 
Les joues et le museau sont d’un roux très sombre 
tirant au noir sur le milieu de la tête. Le dos est 
presque noir ; le ventre et la gorge sont d’un brun 
foncé avec quelques légers reflets rougeûtres. Le poil 
de la partie postérieure du corps est long, épais, 
très fourni et soyeux, celui de la nuque est légère- 
ment feutré, et sur le ventre il est grossier et lai- 
neux. Les oreilles sont médiocres et pointues, d’un 
beau noir ainsi que le museau. MM. Quoy et Gai- 
mard en décrivent une variété blanchâtre, ayant du 
roux-clair sur le ventre, les oreilles et les membra- 
nes d’un blanc sale. 

Cette roussette de Tonga est longue de six pouces 
sur deux pieds d'envergure. Elle vit par essaims de 
centaines d'individus sur les casuarinas de Tonga- 
Tabou. 


LA ROUSSETTE DE VANIKORO. 
Pteropus vanikorensis (1). 


Cette espèce se rapproche encore de la roussette 
kéraudren dont elle a la taille ; mais elle en diffère 
au premier aspect par son museau plus court. Son 
pelage est plus clair, moins soyeux; sa tête est 
moins noire, et son manteau , d’un roux fauve, des- 
cend plus bas sur le dos. Sa tête est grosse, son 
front bombé, le museau épais et cylindrique , les 
oreilles longues, noires et pointues. La face est 
brun-roussâtre. L’occiput, le col et les épaules d’un 
roux jaunâtre, et Le dos d’un brun mêlé de gris. Le 
col en devant est brun-roux. Le ventre est brun 
avec des reflets rougeâtres. Sa longueur totale est 
de neuf pouces sur deux pieds sept pouces d’enver- 
gure. 

Les habitants de l’île de Vanikoro connoissent 
cette roussette sous le nom de leguébé. 


LA ROUSSETTE DE MANILLE. 
Pteropus jubatus (?). 


Cette roussette a été observée par le docteur 
Eschscholtz, à Manille dans l’île de Luçon. Elle 


(«) Pteropus. capite crasso, elevato ; rostro brevi ; 
parte posteriori capitis, collo, humerisque fulvis ; 
gulà rufescente; alis, dorso, abdomineque brunneis ; 
Quoy et Gaim., Astrol. pl. 9, L. 7, p.77. 

(2) Eschscholtz, Zoologischer , atlas #e cah., pl, 16. 


, à Le. A 
HISTOIRE NATURELLE 


+ n. 


paroit avoir beaucoup de rapport avec l’edulis. Son 
pelage est généralement fauve-brunâtre, l’occiput 
et le col en arrière exceptés, qui sont d’un jaune 
assez vif. Les oreilles amples ont leur sommet ar- 
rondi. Les incisives inférieures sont très courtes et 
bilobées. LP 


6 


LA ROUSSETTE LAINEUSE. 
Pteropus dasymallus (1). 


Sa face, le sommet de la tête, les joues, la gorge 
et la région des oreilles, sont bruns. La nuqueet le | 
col, d’un blanc jaunûâtre, et le reste du corps d’un 
brun foncé. Le pelage est généralement long et lai- 
neux, et la longueur totale du corps est d’un peu 
plus de huit pouces. Cette espèce a été découverte 
au Japon par le Hollandois Siebold, on l’y nomme 
sobaosiki. Elle dévaste les jardins et les planta- 
tions. 


LA ROUSSETTE A TÊTE CENDRÉE. 
Pteropus poliocephalus (?). 


C’est une espèee bien voisine de la rougette par sa 
coloration. Le dessus de la tête, les joues.et la 
gorge sont d’un cendré foncé, mêlé de quelques 
poils noirs. La nuque, les épaules et une partie du 
devant du co, sont d’un brun marron-roussâtre , 
et le reste du corps est d’un gris dont la nuance 
présente quelques différences suivant les diverses 
régions du corps. Cette espèce, l’une des plus gran- 
des du genre, a près d’un pied de longueur totale, 
et son envergure est de trois pieds trois pouces. La 
roussette à tête cendrée paroît être l’une des espèces 
les plus intéressantes du genre, à cause de la ré- 
gion où elle a été découverte. Elle habite la Nou- 
velle-Hollande d’où un assez grand nombre d’in- 
dividus ont été rapportés par plusieurs voyageurs 
et particulièrement par le docteur Busseuil. 


LA ROUSSETTE HOTTENTOTE (3). 


Vit aux alentours de la ville du Cap. Son pelage, 
composé de poils ras, gris à la base, bruns à la 
pointe , est uniformément gris en dessous. 


Corpore fusco, occipite nuchaque flavis : auriculis 
magnis apice rotundatis ; patagio ad coccygem in- 
terrupto; dentibus incisivis inferioribus brevissimis, 
bilobis ; dente molari spurio suprà nullo. 

() Temm., Monog., p. 180, pl. 10. 

(2) Temm., Monog., p. 179 , Lesson, Voyage de la 
Thétis , pl. 42. 

(3) Pteropus hottentotus, Temm., Smuts, Cap., p. 3. 


2 


DES MAMMIFÉRES. 


LES ACÉRODONS (). 


Les acérodons appartiennent à la famille des rous- 
settes. Le caractère de la dentition, chez les espèces 
anciennement connues, est de présenter aux deux 
mâchoires, des molaires allongées à double colline, 
sans tubercules, molaires dont l’usure est si facile, 
que presque toujours leur couronne est rase, quel 
que soit l’âge de l'individu. 

Une roussette faitexception à quelques uns de ces 
caractères généraux ; c’est celle rapportée de Vani- 
coro par MM. Quoy et Gaimard. Ses molaires ne 
sorl point usées, et celles de sa mâchoire supérieure 
ont des collinesà tubercules. La colline interne a son 
tubereule en avant, et l’externe a le sien en arrière ; 
ces deux tubercules sont aigus, mais peu dévelop- 
pés. Malgré cette différence, cette roussette offre plu- 
sieurs des caractères communs à toute la famille : 
d’avoir des molaires étroites transversalement, c’est- 
à-dire allongées d’avant en arrière, et de n’avoirà ces 
molaires que deux collines. 

La roussette dont M. Jourdan fait le type de son 
genre Acérodon, et qui habite l’ile Luçon ainsi que 
les petites iles voisines, diffère de toutes les autres 
roussettes, parce que ses molaires sont larges trans- 
versalement, presque carrées, et que celles de la 
mâchoire inférieure ont trois collines. Ces molaires, 
comme dans la roussette de Vanicoro, ne s’usent 
point, et, comme dans la même roussette, celles de 
la mâchoire supérieure ont une colline interne tu- 
berculeuse ; mais les tubercules paroissent moins 
insectivores. Chez des sujets de différents âges, elles 
n’étloient point usées. 


LES PACHYSOMES (). 


Pachysoma. 


Les pachysomes sont des chauves-souris frugivores 
de petite taille, ayant des formes trapues, une tête 
courte et voluminense, et par suite un système den- 
taire restreint ; car si les roussettes ont trente-quatre 
dents, leurs maxillaires n’en présentent que trente. 

Leurs mœurs, leurs habitudes et le pays où on 
les rencontre n’offrent point de différence avec les 
roussettes. 


(1) Acerodon, Jourdan, Hermés, no 92, pl. 156. 
(2) Pachysoma, Geoff. St-Hil., Leçons siénog., p. 26 
(Pachysoma, corps massif, épais ); pteropus, Auct, 


307 


———— 


LE PACHYSOME MÉLANOCÉPHALE, 
 Pachysoma melanocephatum (1). 


Cette espèce, complétement dépourvue de queue, 
n’a que deux pouces dix lignes de longueur totale, 
sur onze pouces d'envergure. Son pelage est formé 
de poils de deux couleurs, à base blanc jaunâtre, 
et à sommet cendré noirâtre. La nuque, le sommet 
de la tête et le museau sont noirs; les parties infé- 
rieures sont d’un blanc jaunâtre. Sur les côtés, des 
poils divergents semblent partir d’un appareil glan- 
duleux qu'ils recouvrent et d’où suinte une humeur 
odorante. 


Ce pachysome habite, dans l’île de Java, le dis- 
trict de Bantam, où il porte le nom hollandois de 
Batoeauwel. 


mm | 
LE PACHYSOME MAMMILÈVRE. 


Pachysoma titthæcheilus (?). 

Cette espèce, assez semblable à la roussette à 
oreilles frangées, par sa taille, par le liseré blanc 
qui borde ses oreilles, s’en rapproche également par 
ses couleurs, comme le prouvent les particularités 
suivantes : les régions supérieures sont d’un brun 
nuancé d’olivâtre chez les femelles, de roussâtre 
chez les mâles. Le ventre est gris dans les deux 
sexes. Les côtés du col sont roux-olivâtre chez les 
femelles, roussâtres chez les mâles. Le ventre est 
gris dans les deux sexes. Le devant du col, la nuque 
et les parties latérales de la poitrine sont d’une belle 
teinte rousse dans le sexe masculin. La longueur 
totale du corps est de cinq pouces, et l’envergure 
d’un pied et demi. La queue, très grêle, est longue 
de sept lignes. Cette espèce habite Java et Sumatra; 
on la dit aussi, mais sans doute à tort, de la Cochin- 
chine et de Siam. 


LE PACHYSOME DE DIARD. 


Pachysoma Diardii (?). 


Se distingue facilement par son pelage composé 
de poils très courts, bruns sur la tête, le dos et les 


() Isid. Geoff St-Hil., Dict. class., t. XIV, p. 704: pte- 
ropus melanocephalus, Temm., Monog., p. 1490, pl. 12. 

(2) Isid. Geoff. St.-Hil., Diet. class., t. XIV, p. 704, 
pteropus titthæcheilus, Temm., Monog., pl. 15, fig. 17: 
p. 198 ; Fisher, Synops., p. 78. 

@) Ibid., p. 705. Fisher, Synop., p. 78. 


308 


bras; gris autour du cou et sur le milieu du ventre; 
- d’un brun grisätre sur les flancs. Sa longueur totale 
est de quatre pouces et demi, et son envergure d’un 
peu plus d’un pied et demi. Sa queue, assez longue, 
dépasse de sept ou huit lignes la membrane interfé- 
morale. Cette espèce a été découverte à Sumatra par 
MM. Diard et Duvaucel. 


LE PACHYSOME DE DUVAUCEL. 
Pachysoma Duvaucelit (1). 


A été également découvert à Sumatra par 
MM. Diard et Duvaucel. Sa fourrure est d’un fauve 
brunâtre uniforme. Le pouce de l'aile, fort allongé, 
est enfermé en grande partie dans cette portion de 
Ja membrane de l’aile que quelques auteurs nom- 
ment, d’après Pallas, membrane pollicaire. La lon- 
gueur totale du corps est de trois pouces un quart, 
et la queue, plus courte que dans les espèces pré- 
cédentes, ne dépasse la membrane interfémorale que 
de trois lignes. 


LE PACHYSOME A COURTE QUEUE. 


Pachysoma brevicaudatum (?). 


Cette espèce est très voisine, par son système de 
coloration et par la disposition des poils du col, du 
pachysome mammilèvre; mais ce qui la distingue au 
premier aspect , est l’extrême brièveté de sa queue, 
dépassant à peine d’une demi-ligne la membrane 
interfémorale. Le dessus du dos est d’un roux oli- 
vâtre. Les poils étant d’un brun olivètre dans 
presque toute leur étendue, et roux à la pointe. 
La face inférieure du corps est grise sur le mi- 
lieu du ventre; les flancs, la gorge et les côtés du 
col sont tantôt gris, tantôt d’un roux grisâtre ou 
même d’un roux vif. L’individu qui a présenté cette 
dernière couleur sur les côtés du cou éto:t mâle. Les 
oreilles sont entourées d’un liseré blanc. La lon- 
gueur totale du pachysome à courte queue est de 
quatre pouces, et son envergure est d’un peu plus 
d’un pied. Cette espèce habite, comme les précéden- 
tes, l’ile de Sumatra, où elle a été découverte par 
MM. Diard et Duvaucel, et paroît aussi se trouver 
sur le continent de l'Inde. 


(1) Esid. Geoff. St-Hil., Dict. classiq. d'Hist. nat., t. XIV, 
p.705 ; Fisher, Synop., p.78. 

(2) Isid. Geoff.St-Hil., Dict. classiq. d'Hist. nat ,t. XIV, 
p. 705 ; Ann. Sc. nat., t. XV, p. 204 : pteraupus brevi- 
caudatus, Fisher, Synop., p. 78. 


HISTOIRE NATURELLE 


LES CYNOPTÈRES. 
Cynopterus (1). 
Sont desrousseltes qui ont quatre incisives et deux 


fausses molaires en rudiment à chaque mächoire, 
mais qui, avec le système dentaire des vraies rous- 


-setles, sont privées des dernières molaires. Leurs 


mâchoires raccourcies donnent à la tête la forme de 
celle des céphalotes. Ce petit genre est d’ailleurs 
assez vaguement précisé, et rentre dans plusieurs 
des caractères donnés aux pachysomes. Il ne com- 
prend qu’une espèce du Bengale. 

Le cynoptère à oreilles bordées ( cynopterus mar- 
g'natus (?), de taille plus petite que la roussette am- 
plexicaude (), et s’en distingue par sa queue à peine 
apparente hors de la membrane interfémorale, par 
le liseré blanc que l’on remarque autour de ses oreil- 
les, et par son pelage qui est d'un gris clair en 
dessous, et d’un gris roussâtre en dessus. Elle est 
bien caractérisée comme espèce, et vit sur le conti- 
nent de l'Inde, au Bengale. 


LES MACROGLOSSES. 


Macroglossus ({). 


Se distinguent de toutes les roussettes, et même 
des autres chauves-souris par l’allongement extrême 
du museau, qui prend la forme d’un cylindre grêle 
assez analogue à celui des fourmilliers. Sa langue 
est très longue et paroît extensible sans papilles, et 
ses dents sont toutes remarquables par leur régula- 
rité et leur petitesse, et par divers intervalles qui les 
séparent. Quant à leur nombre, il est le même que 
celui des roussettes. 


On ne connoît qu’une espèce de ce genre, le ma- 
croglosse kiodote (5), nommé lowo-assu par les Ja- 
vanois. Cet animal vit dans les grandesiîles de la 
Sonde, et a de longueur totale trois pouces et demi 
sur dix pouces d’envergure. Son pelage est roux- 
clair, passant au fauve sous le corps qui n’a point de 
queue. Il dévaste les vergers et les plantations, et 
recherche principalement les fruits des £ugenia HN 


{:) Fr. Cuv. : pteropus, Auct. 

(2) Pteropus marginatus, Geoff. 

() Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., t. XV, p.97, pl. 5; 
Temm., Monog., pl. 1#, p. 202; Type du genre Cynop- 
TÈRE, Fr. Cuvier, dents, p. 39. 

(4; Fr. Cuvier, des Dents : pteropus, Auct. 

(5) Pteropus minimus. Gcoff., Ann. du Mus., t. XV, 
p. 97 : pteropus rostratus, Horsf., Zool, research; kio- 
dote, Fr. Cuvier. 


DES MAMMIFÈRES. 


demeure, pendant le jour, suspendu aux branches 
des arbres, etne va que pendant la nuit quêter sa 
nourriture. 


LES HARPIES. 
Harpya () 


Iliger a créé le genre harpya pour recevoir la 
chauve-souris nommée par Buffon céphalote (?) qui 
est privée complétement d’incisives à la mâchoire 
inférieure, et qui n’en a que deux à la supérieure. 
Du reste, tous les autres caractères des roussettes 
conviennent aux harpies; cependant celles-ci ont 
l'index des pieds armé .d’un ongle. Le type de ce 
genreest la céphalote, qui vitaux Moluques, à pelage 
doux et peu serré, d’un gris cendré, plus clair sur 
la tête et au voisinage des ailes, et blanchâtre en 
dessous. Sa longueur totale est de trois pouces et 
demi, et son envergure de quatorze pouces. La 
queue , placée sous la membrane interfémorale, la 
dépasse d’un demi- pouce environ : aucune autre 
chauve-souris frugivore n’a cette partie aussi lon- 
gue, proportion gardée par rapport aux dimensions 
du corps. 

M. Rafinesque a décrit sous le nom de cepha- 
lotes tœniotis (>)une chauve-souris de la Sicile, qui 
se rapproche des harpies. Elle n’a, en effet, que 
deux incisives à la mâchoire supérieure, et aucune 
à l’inférieure. Son museau est lisse, ses oreilles plus 
longues que la tête sont privées d’oreillons,; le pelage 
est en entier gris-brun. Si l'existence de cette espèce 
se confirme, elle sera d'un baut intérêt par rapport 
à la zoographie. 


LES HYPODERMES 
OU VRAIES CÉPHALOTES. 


Hypoderma ; cephalotes (4), 

Les hypodermes sont assez nettement caractérisés 
par la privation d’un ongle au doigt indicateur de 
l'aile, car ce doigt, composé de quatre phalanges, 
est ainsi dénudé au sommet. Les ailes ne naissent 


(°) Iliger, Prod. : cephalotes, Geoff. 

{2) La céphalote, Buff., Suppl., t. EH, pl. 52 : cephalotes 
Pallasiü, Geoff., Ann. du Mus ,t. XV, p. 107 : harpia 
Pallasii, Desm., Mamm., p.145 :vespertilio cephalotes, 
Pallas, Spie., HU, pl. 4, p. 10. 

() Prodrome de Siomologie ; Desm., Mamm., p. 113 
note. 

(%) Hypoderma, Geoff., Leçons sténog. : 


cephalotes 
Geoff. ÿ 


309 
pas non plus ces parties latérales du corps, ainsi 
que cela a lieu chez toutes les chauves-souris frugi- 
vores ou insectivores; mais ‘on les voit partir, au 
contraire, de la ligne médiane qui traverse longitu- 
dinalement la face dorsale; de sorte que le corps, 
au lieu d’être entre les ailes, se trouve immédiate- 
ment suspendu à leur point de jonction ou recouvert 
par elles comme par un mänteau (d’où le nom d’hy- 
poderma ). 

Enfin, les maxillaires n’ont chacun que deux in- 
cisives dans l’âge adulte, tandis que ces dents sont, 
comme chez les roussettes, au nombre de quatre chez 
les jeunes individus. 

L’hypoderme de Péron (!) ressemble beaucoup à 
la roussette paillée par les couleurs de son pelage (?), 
dont il se rapproche aussi à plusieurs égards par ses 
formes. Il est généralement d’un fauve roussâtre, 
qui, sur la tête, la nuque et le cou, passe au brun. 
La portion du dos qui est recouverte par la mem- 
brane alaire est de même couleur que les autres ré- 
gions du corps. La longueur totale est de six pouces 
et demi, et l’envergure de deux pieds environ. La 
queue, longue de neuf lignes, est enveloppée, dans 
son premier tiers, par la membrane interfémorale, 
ou plutôt donne insertion à cette membrane par sa 
face supérieure. Cette chauve-souris, si remarquable 
par son organisation, aété découverte par MM. Péron 
et Lesueur dans l'ile de Timor. Ses mœurs sont in- 
connues. 

MM. Quoy et Gaimard ont ajouté à ce genre une 
espèce qu’ils nomment HYPODERME DES MOLUQUES 
(hypoderma moluccense (3), et qui a de grands rap- 
ports avec la précédente. Elle ne s’en distingue en 
effet que par une taille plus forte, des oreilles plus 
longues, plus pointues et un pelage plus fortement 
teinté en brun. Le museau est aussi plus allongé. 
Le corps des hypodermes est moins uniformément 
cylindrique que celui des roussettes , car de large 
qu'il est par le haut, il s’'amincit rapidement vers 
le bas. 


La tête est brun clair plus foncé entre les oreilles 
et sur le museau ; celles-ci en partie nues et plissées 
sont brunes. Les poils du cou et des épaules sont 
doux, longs, teintés de gris-roussâtre. Le cou, la poi- 
trine et le ventre, de même que les extrémités, sont 
grisâtres. Les membranes sont brun-marron, et les 
doigts, comme leurs ongles, sont blanchätres. Cet 
hypoderme avoit deux pieds six pouces d'envergure. 


() Hypoderma Peronii, Is. Geoff St.-Hil., Dict. class., 
t. XIV, p 708: cephalotes Peronii, Geoff. Ann. du Mus., 
t. XV, p. 104. 

(2) Le jeune : Geoff. St-Hil , Ann. du Mus., t. XV, p. 99. 

()H. ;capite elongato ; auribus longis, acutis ; collo 
suprà et humeris griseis ; corpore infr@ subfulvo ; alis 
desuper brunneis ; unquibus albidis: Q. et G. (Astrol., 
p. 11). Zool., part. 1, p. 86. 


310 


Il habite l'ile d'Amboine, où il vit de fruits qu'il 
mange avec avidité. 


LES VESPERTILIONS. 
Vespertilio (1) 


Les chauves-souris, auxquelles est réservé dans un 
sens plus restreint le nom primitif de vespertilion, 
sont reconnoissables à leur système dentaire, pré“en- 
tant quatre incisives supérieures pointues et sépa- 
rées par paires rapprochées des canines, les deux in- 
termaxillaires n’étant point réunies sur la ligne mé- 
diane. Leurs narines en g renversé s'ouvre sur les 
côtés d’un mufle. Leur bouche est grande et sans 
abajoues; les oreilles, de forme variable, sont dis- 
tantes-entre elles d’une manière notable, mais leur 
oreillon est ou anguleux, ou subulé, ou taillé en 
croissant. Les ailes sout amples, et la membrane in- 
terfémorale enveloppe la totalité de la queue qui est 
allongée. 

Les vespertilions sont répandus dans toutes les 
parties du monde où leurs habitudes crépusculaires 
sont bien connues. Ils recherchent les insectes et 
même les petits animaux. 

Les espèces décrites par Buffon sont, les vesper- 
tilions murin(V.murinus, L.),noctule (V. noctula, 
L.), sérotine (. serotinus, L.); pipistrelle (W. jipts- 
trellus, L.); kirivoula (V. pictus, L) ; de Ceylan, 
marmotte volante (V. nigrila, L.); du Sénégal et la 
grande sérotine de la Guyane (V. maximus, Geoff., 
ou V. nasutus, Saw). 


LE VESPERTILION DE BECHSTEIN. 


Vespertilio Bechsteinii (?). 


Cette chauve-souris a des rapports avec le vesper- 
tilion murin. Sa face nue est parsemée de petits 
poils roides. Son museau est conique, allongé; les 
oreilles longues, sont minces et étroites, et l’oreillon 
est falciforme. La face est hérissée de glandes séba- 
cées linguiformes. Son pelage est gris roux ou fauve 
en dessus, blanc en dessous. Sa longueur totale est de 
deux pouces deux lignes sur onze pouces d’enver- 
gure. Elle se tient dans les arbres creux des forêts 
de la Thuringe , et ne fréquente point les édifices. 


() Vespertilio, Linné (ce nom générique, donné au- 
trefois à toutes les chauves-souris, a été réservé aujour- 
d’hui à un certain nombre d'entre elles) : vespertilio, 
Fr. Cuv.; Geoff. 

(e) Leisler, Kuhl, Deuth. Fled., pl 22; Desm., Mamm,, 
esp. 201. 


HISTOIRE NATURELLE 


Les femelles se réunissent pour vivre ensemble dès 
qu’elles sont fécondées. Elles se choisissent un trou 
d’où elles ne laissent approcher aucun mâle. Elles 
ne produisent qu’un petit à la fois. 


LE VESPERTILION DE NATTERER. 
Vespertilio Nattereri (1). 


A des oreilles ovalaires, élargies, plus longues 
que la tête qui est petite. Le nez est large, et la face, 
le tour des yeux excepté, est couverte de poils lai- 
neux et de quelques soies allongées. L’oreillon de 
couleur jaune ou lancéolé, le pelage d’un gris fauve 
en dessus, blanc en dessous. Les membranes alaires 
sont d’un gris de suie, l’interfémorale a son bord 
dentelé. Le corps a de longueur totale un pouce 
ouze lignes sur neuf pouces six lignes d'envergure. 
Cet animal est rare à Vienne, où Kuhl la observé 
le premier. 


LE VESPERTILION ROUSSATRE. 


Vespertilio rufescens (?). 


Sesoreilles sont courtes, réniformes, à poils courts. 
Le dessus du corps est grisâtre, couleur de rouilleen 
dessus, gris en dessous. Les ailes sont remarquable- 
ment étroites ; la queue dépasse la membrane inter- 
fémorale de deux lignes et demie. Son envergure est 
de seize pouces six lignes. L’individu, type de cette 
description, étoit femelle , et avoit été tué dans une 
vieille tour de la ville de Iéna. 


LE VESPERTILION FAUX MURIN. 
Vespertilio submurinus (°). 


Ses oreilles sont excessivement courtes. Ses ailes 
larges donnent jusqu’à dix-sept ou dix-huit pouces 
d'envergure. Le pelage sur le corps est brun-foncé 
tirant un peu au brun-grisâtre, pour s’affoiblir en 
dessous et affecter une teinte blanchâtre. Le museau, 
les oreilles et les membrones sont d’un gris noirâtre 
sale. Son système dentaire présente quelques parti- 
cularités. La canine supérieure n’a pas d’arête mar- 
quée en arrière, de sorte que la dent qui la suit est 
libre. Les deux mâchelières inférieures sont longues 
et très aiguës. Cette chauve-souris est très rare en 


(5) Kuhl, ibid., pl, 23 ; Desm., esp. 202. 
(2) Brehm; Isis., 1829, cab. 6, p. 640; Bullet. Férus- 
sac, t. XXIIL, p. 415. 


G) Brehm, Ornis, 1827, p. 17; Bullet. Féruss., t, XIY, 
p.250. 


DES MAMMIFÈRES. 


Allemagne; elle se tient sur les arbres à fruits, et 
vient parfois dans les maisons pendant la nuit. 


LE VESPERTILION DE WIED. 
Vespertilio Wiedii (1). 


Cette chauve-souris, assez rare en Allemagne, et 
dédiée au prince de Wied-Neuwied, voyageur bien 
connu, à les oreilles fort petites, la queue dépassant 
de deux lignes et demie la membrane interfémorale. 
Ses ailes sont médiotrement élargies , et donnent de 
quinze à seize pouces d'envergure. Elles sont grises- 
noirâtres, de même que les oreilles et le museau. Le 
pelage formé de poils longs et doux estgris-brun en 
dessus, etgris clair en dessous. Ses mœurs sont à peu 
près celles du V. murinus ou de la chauve-souris 
commune. 


LE VESPERTILION D'OKEN. 
Vespertilio Okentii (?). 


A de petites oreilles, de grandes dents, une queue 
dépassant la membrane interfémorale de trois lignes; 
des ailes médiocrement larges ; un pelage formé de 
poils doux, minces, noir-brun sur le dos, gris-terreux 
sous le ventre. Son envergure est de quinze à seize 
pouces. Cette espèce se tient dans le creux des arbres, 
en Allemagne. 


LE VESPERTILION FERRUGINEUX. 


Vespertilio fe: rugineus (3) 


À ses oreilles courtes et réniformes, des poils 
courts, teintés de rouille, des ailes étroites, donnant 
quinze pouces et demi d’envergure. Cette chauve- 
souris de l’Allemagne est rare, et fort voisine du 
V.noctula, dont elle diffère par une taille de moitié 
plus forte et les teintes plus claires de son pelage. 


RS 
LE VESPERTILION DE SCHINZ. 
Vespertilio Schinzi (1). 


Cette chauve-souris, également d'Allemagne, et 
qui fréquente les lieux habités sous les toitures des 


()Brehm, Ornis, 1827, p. 17 ; Bullet. Féruss., t, XIV, 
p.250. 

(2) Brehm, ibid. 

() Brehm, ibid. 

(*) Ibid. 


911 


maisons, a les oreilles longues de six lignes, plus 
courtes que la tête, l’oreillon lancéolé et la queue 
dépassant un peu la membrane interfémorale. Ses 
ailes sont larges et donnent une envergure de neuf 
à dix pouces. Son pelage se compose de poils longs, 
mollets , d’un noir fauve sur le dos, d’un brunâtre 
cendré ou même blanchâtre sur le ventre. 


LE VESPERTILION DE LEISLER. 
Vespertilio Leisleri (1). 


Est long de trois pouces neuf lignes sur onze d’en- 
vergure. Sa tête est plate et brève, et le nez est 
élargi avec des narines lunulées. Le front est très 
velu et la face est couverte de verrues jaunâtres. Les 
oreilles, qui sont ovales triangulaires, sont courtes et 
leur oreillon estobarrondi au sommet. Les poils longs 
et serrés sont de deux couleurs, d’un marron vif à la 
pointe, et d’un brun foncé à leur base. Le dessous du 
corps pareil gris-brun. Les jeunes sont encore plus 
foncés en couleur que les adultes. La queue dépasse 
à peine la membrane interfémorale. Cette chauve- 
souris habite l’Allemagne, et vit en troupes dans les 
bois et les cavernes. 


————— rm 
D EEppppEEEEEEEEE—————————————— 


LE VESPERTILION DE SCREIBERS. 
Vespertilio Screbersii (?). 


N’a de longueur totale que deux pouces sept li- 
gres sur dix à onze pouces d'envergure. Ses oreilles, 
plus courtes que la tête, sont larges, iriangulaires, 
arrondies aux angles, avec une bordure de poils en 
dedans. Leur oreillon est de forme lancéolée, et se 
recourbe intérieurement vers la pointe. Le pelage 
est d’un gris cendré, plus pâle en dessous ou même 
souvent mêlé de blanc jaunâtre. Cette espècese tient 
dans les cavernes, dans les montagnes, au sud-est 
du Bannat. 


LE VESPERTILION DISCOLORE. 
Vespertilio discolor (°). 


A le front très velu, un museau large et renflé, 
les oreilles courtes, ovalaires et recourbées en dehors, 
avec un lobe saillant en dedans et des oreillons 


() Kuhl, Desm., esp. 206. Vesp. dasycarpos, Leis- 
ler, Ms. 

(2) Natterer; Kulh; Desm., Mamm., esp. 207. 

() Natterer; Kulh, Deut. Fled , pl. 25,p. 2; Desm., 
esp. 208. 


312 
presque aussi larges en haut qu’en bas, et complé- 
tement nus. Les poils soyeux du dos sont bruns, 
excepté leur pointe qui est blanche. Le corps sur les 
parties inférieures est d’un blanc sale. 

Cette espèce, rare dans le midi de l'Allemagne, 
qu’elle semble habiter exclusivement, fréquente les 
habitations des hommes et jamais les arbres. Elle 
est crépusculaire et apparoît en même temps que la 
noctule. M. Gloger affirme qu’elle diffère de la séro- 
tine par ses mœurs; car, au lieu de voler tard et dans 
Ja nuit, elle se montre trente miautes après le cou- 
cher du soleil. 


EX’ — —…—…….……… 
LE VESPERTILION PYGMÉE. 
Vespertilio pygmϾus (1). 


Cette petite chauve-souris a de longueur totale un 
pouce deux lignes sur cinq pouces quatre lignes d’en- 
vergure. Elle se rapproche de la pipistrelle, mais sa 
tête est élevée, son museau court, obtus; ses oreilles 
sont plus courtes que la tête, larges à leur naissance, 
obtuses et arrondies à leur sommet. Leur oreillon 
est linéaire et simple. Le pelage mou et ras est fauve, 
plus foncé sur la tête, le haut du dos, passant au 
grisâtre clair en dessous. La queue est tant soit peu 
libre de la membrane interfémorale qui est fauve. 
Elle a été observée dans la forêt de Dartmoor, en 


Angleterre. 
EEE ——————— 
LE VESPERTILION ÉCHANCRE. 
Vespertilio emarginalus (?). 


A de longueur deux pouces sur neuf d'envergure, 
les oreilles oblongues aussi hautes que la tête, échan- 
crées sur leur bord extérieur et à oreillon en forme 
d’aléne. Le pelage est d’un gris roussâtre en dessus, 
cendré en dessous. La membrane interfémorale est 
recouverte de poils blancs à leur sommet. 

Cette chauve-souris se tient dans les souterrains, 
et a été rencontrée près d’Abbeville, de Charlemont, 
en France, et de Douvre, en Angleterre. 


LE VESPERTILION A MOUSTACHES. 


Vespertilio imystacinus (3). 


Long d’un pouce sept lignes sur sept à huit pou- 
ces d'envergure, ce vespertilion a les oreilles plus 


(") Leach, Zool. journ., 1825, t. 1, p. 559; Bulletin 
Féruss., t. VI, p. 398. 

(2) Geoff. St.-Hil., Ann. du Mus., t. VII, p. 198 ; Desm., 
Mamm., esp. 210 : V. murinus, Leisler, Ms. 

(:) Leisler, Kuhl, Desm., esp. 111. 


HISTOIRE NATURELLE 


grandes que la tête, oblongues et arrondies à leur 
sommet, repliées et échancrées sur leur bord cx- 
terne, et munies d’un oreitlon lancéolé. Des poils 
fins et serrés forment sur la lèvre supérieure une 
sorte de moustache. Pelage d’un brun lavé de mar- 
ron en dessus, plus clair chez les femelles. Cette 
espèce, rare en Allemagne, vit aussi en Angleterre; 
mais est très commune dans le nord du Jutland, 
suivant Faber. 4 


LE VESPERTILION DASYCNÈME. 
Vespertilio Dasycneme (1). 


Le mäle a deux pouces dix lignes de longueur to- 
tale sur huit pouces deux lignes d’envergure. La 
femelle mesure quatre pouces sur onze pouces qua- 
tre lignes. Cette espèce, qu’on rencontre en Allema- 
gne, est fauve, avec de longs poils blanchätres sur la 
membrane interfémorale, sur les doigts des pieds ct 
sur les articulations brachiales. Elle se distingue de 
la précédente avec laquelle on peut la confondre 
par sa taille, ses dents plus robustes et les stries pi- 
leuses de la membrane interfémorale. 


LE VESPERTILION DE KUHL. 
Vespertilio Kuhlii (?). 


Ce vespertilion est long d’un pouce huit lignes 
sur huit pouces huit lignes d'envergure. Sa tête est 
large, épaisse ; ses oreilles très simples, presque trian- 
gulaires et sans replis, ont leur oreillon large et ob- 
tus, et taillé en demi-cercle recourbé en dedans. Le 
pelage, composé de poils longs, doux, laineux, est 
d’un brun rouge-clair en dessus et entièrement 
fauve en dessous. La première moitié de la mem- 
brane interfémorale est très velue. Il habite Trieste. 


ER — 2 — 


LE VESPERTILION DE DAUBENTON. 
Vespertilio Daubentonti (°). 


Cette espèce a quelques rapports avec le Mysta - 
cinus, dont elle diffère, suivant M. Gloger. Sa lon- 
gueur est d’un pouce onze lignes sur neuf pouces et 
demi d'envergure. Sa tête est petité son front très 
velu est séparé du museau qui est renflé par une dé- 


()Boié, Isis, 1825, p. 1200. V. mystacinus, ejusd., 
Isis, 1823, p. 965; Fisher, Synop., p. 106. 

(2) Nalterer, Desm., Mamm., 212. 

(3) Leisler, Kuhl, pl, 25, f. 2; Desm., 213; Gloger, 
Isis, t, XX, p. 420. 


DES MAMMIFERES. 


pression. Des poils hérissent la lèvre supérieure, et 
- quelques verrues recouvrent la face. Ses oreilles sont 
petites, presque ovalaires, légèrement échancrées sur 
le bord extérieur, nues, et munies en dedans et en 
“bas d’un repli pileux. Les oreillons sont lancéolés, 
petits et minces. Le pelage gris-roux en dessus et 
blanchâtre en dessous. La femelle à la taille moin- 
dre et la coloration plus claire Ce vespertilion aime 
à raser la terre ou les eaux stagnantes quandil vole, 
sans doute pour mieux saisir les moucherons dont 
il se nourrit. On le trouve dans le midi de l’Alle- 
magne, et très communément à Hanau en Wété- 
ravie. 


LE VESPERTILION A COLLIER. 


Vespertilio collaris (1). 


Long de deux pouces et demi sur sept pouces 
d'envergure. Ce vespertilion a les oreilles lancéolées- 
acuminées à oreillon en fer de lance, les poils doux, 
la tête fauve, la face fort velue, un collier très mar- 
qué jaune blanchâtre, s’effacant sous le menton, les 
parties supérieures jaune fauve et le dessous du corps 
cendré. Il a été observé sur le mont Blanc. 


LE VESPERTILION MALAIS. 


Vespertilio malayanus (?). 


A la tête des murinoïdes, l’oreille en entonnoir et 
l’oreillon en pétale. 

Toutes les parties du corps sont d’un fauve clair ; 
les supérieures un peu plus foncées que les infé- 
rieures ; les membranes sont d’an brun clair, et des 
moustaches garnissent les côtés du museau. 


Pouc. Lignes. 


Longueur du corps, du bout du museau à 


l'origine de la queue. . . . . 14 5 
idea queue PCM TO T1 7 
AR CNE 2 SOPRANO 8 » 


On doit cette espèce aux recherches de feu Alfred 
Duvaucel. 


LE VESPERTILION DE FRÉDÉRIC. 
Vespertilio Frederici (?). 


Un peu plus petit que la noctule d'Europe, mais 
tout-à-fait semblable. 


(© Meisner; Schinz ; Fisher, Syn., p. 406. 
(*) Er. Cuvier, Nouv. Ann. du Must 1, pr20; 
F)Noctule de Sumatra, Fr. Cuvy., Nouv. Ann. du Mus., 
11; p.20: 
Ile 


315 


Pouce. Ligues, 

Longueur du corps, du bout du museau à 
l'origine de la queue. . . . . . 2 

———— de la queue. . D He ice: UE 

nm CNE AUTO NC MCE I ON) 


Cest feu Alfred Duvaucel qui a découvert cette 
espèce. 


——— 
LE VESPERTILION JAVANAIS. 
Vespertilio javanus (1). 


A la tête des noctuloïdes, les oreilles échancrées 
et les oreillons en couteau. Toutes les parties supé- 
rieures du corps d’un brun uniforme; les parties 
inférieures blanchâtres. Les poils n’ont ces couleurs 
qu’à leur pointe, ils sont noirs dans le reste de leur 
longueur. 

Pouc, Lignes, 

Longueur du corps, du bout du museau à 
l'origine de la queue. . , . . 1 

= —— QE GG à 4 4 8% 5 8 4 4 
ne COVELOUTE A 


M. Busseuil, chirurgien-major de la frégate la 
Thétis, commandée par M. de Bougainville fils, a 
rapporté cette espèce de Java. 


LE VESPERTILION IMBRIQUÉ. 


Vespertilio imbricatus (?). 


Est le lowo-lesser des Javanais. Sa tête et son mu- 
seau sont remarquables par leur brièveté. Lesoreilles 
sont larges, obtuses. L’oreillon est court, semi-lu- 
naire. Le pelage est d’un brun luisant à reflet fauve, 
et les poils du front se dressent pour cacher la base 
des oreilles. Sa longueur est de trois pouces sur dix 
pouces d'envergure. La membrane interfémorale est 
sillonnée de veines transversales d’où a été tiré le 
nom spécifique. 


EE ———_—_——_—_—_— me 
LE VESPERTILION INORDINAIRE. 
Vespertilio tralatitius (?). 


A la tête cunciforme, les oreilles larges, planes, 
obtuses en leurs bords, à oreillon court, linéaire, 
droitet obtus. Le pelage est très doux, fuligineux 
sur le corps, blanchâtre en dessous. La face n’a que 


() Er. Cuv., Nouv. Ann. du Mus,, t. I, p. 21. 
(2) Horsf., Zool. Research. 
(3) Horsf., loc. cit. 

40 


314 


quelques poils, et la membrane interfémorale est 
légèrement ponctuée. Ses dimensions sont identiques 
avec celles de l'espèce précédente. Les habitants de 
Java, sa patrie, lui donnent le nom de lowo-manir. 


LE VESPERTILION D'HARDWICKE. 
Vespertilio Hardwiclir (1). 


A la face déprimée, les oreilles larges à lobe ar- 
rondi, entourant par deux prolongements concaves, 
carenés en arrière, l’oreillon qui est linéaire, lancéolé, 
dressé et allongé. Le pelage est laineux, mollet, formé 
de poils très longs, soyeux à leur base, d’un blanc 
fauve plus sale en dessous. Des sillons transverses 
sur la membrane interfémorale. Le corps est long 
de trois pouces. Il habite Java. Son nom est celui 
d’un général anglais très zélé collecteur et descrip- 
teur d’objets d'histoire naturelle. 


LE VESPERTILION ADVERSE. 


Vespertilio adversus (?). 


À son museau large, la tête forte et élevée, les 
oreilles droites, obtuses, à oreillon linéaire, droit. Le 
pelàge est comme laineux , composé de longs poils 
fauve brillant en dessus, gris blanchâtre en dessous. 
Ses dimensions sont de trois pouces trois lignes de 
longueur sur dix pouces d'envergure. La membrane 
interfémorale est légèrement ridée et marquée de 
quelques points peu visibles. Java est sa patrie. 


LE VESPERTILION DE COROMANDEL. 


Vespertilio coromandelicus (). 


A la tête des noctuloïdes. Les oreilles échancrées, 
les oreillons en couteau. Les parties supérieures du 
corps sont d’un brun gris jaunâtre, et les parties 
inférieures blanchâtres. Les poils noirs dans les trois 
quarts de leur longueur sont d’un biond jaunâtre à 
leur extrémité. 


Pouc. Lignes, 


Longueur du corps, du bout du museau à 


l’origine de la queue. . . . . 1 4 
2 Adertarqueus. VE à 4 + , SR A 1 
st. (eRVErgurés & à + «à à « + « 6 6 


M. Leschenault a trouvé cette espèce à Pondi- 
chéry. 


() Horsf., loc. cit. 
(2) Ibid. 
(G) Fr. Cuv., Nouv. Ann. du Mus., t, 1, p. 21. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE VESPERTILION NOCTULINE. 


Vespertilio noctulina(t). 


A le dessus de la tête et du corps fauve roussâtre, 
le dessous fauve très clair. Les oreilles triangulaires, 
arrondies à leurs bords , à oreillons étroits et allon- 
gés. Le corps est long de deux pouces, la queue d’un, 
et l’envergure mesure huit pouces six lignes. 

Habite le Bengale. 


LE VESPERTILION DE BOURBON. 
| Vespertilio borbonicus (?). 


Se rapproche de la sérotine, dont il diffère par 
une taille plus forte, des oreilles ovales triangu- 
laires de moitié plus courtes que la tête, ayant un 
oreillon allongé, taillé en demi-cœur. Le pelage est 
roux en dessus, blanchâtre en dessous, composé de 
poils doux et luisants. Le corps a deux pouces onze 
lignes de longueur totale. Cette espèce habite Pile 
de Bourbon. 


LE VESPERTILION DU CAP. 
Vespertilio capensis (). 


Ce vespertilion se rapproche singulièrement du 
Nyctyceus Temminckii, bien que différent par la 
taille et peut-être par le système dentaire. Le corps 
est long d’un pouce neuf lignes sur neuf pouces 
d'envergure. Sa tête est courte , et les tempes ainsi 
que le museau sont noirs et sans poils. La commis- 
sure des lèvres est garnie de poils fauves très courts. 
Le pelage en dessus est fauve jaunâtre, passant en 
dessous au jaune blanchâtre. Les oreilles, aiguës à 
leur sommet, ont leur bord entier et un oreillon 
linéaire légèrement falciforme. On le rencontre dans 
l'intérieur de l’Afrique méridionale et dans l’île de 
Pâques. 


LE VESPERTILION DE TEMMINCK. 
Vespertilio Temminckü ({). 


Ce petit vespertilion, long d’un pouce dix lignes 
sur sept pouces d'envergure, a les oreilles arrondies, 


() Isid. Geoff., Zool du Voy. aux Indes or., p. 92. 

(2) Geoff., Ann. du Mus., t. VIE, p. 201, pl. 47 : Desm., 
246. 

(3) Smith, Zool. journ., t. IV. 

() Cretzehmar in Ruppell zoo! , pl. 6. V. Corpore su- 
prà ex cinereo fuscato, infrà albo. 


DES MAMMIFÈRES. 


velues en devant, nues en arrière, à oreillon foliolé, 
plus large à son sommet qui est arrondi. La mem- 
brane interfémorale est très villeuse. Le pelage est 
fauve, cendré en dessus, blanc en dessous. Les jeunes 
ne diffèrent point des adul'es. M. Ruppell a décou- 
vert celte espèce dans les forêts et les vergers du 
Dongola, en Afrique. 


LE VESPERTILION MARGINÉ. 
Veipertilio marginatus (!). 


Ce vespertilion , que M. Ruppell a découvert en 
Arabie, est remarquable par la bordure jaune qui 


se dessine sur les extrémités supérieures et inférieu- : 


res des membranes alaires et interfémorales. Le pe- 
lage est brun de suie en dessus, passant au rougeà- 
tre cendré en dessous. Le co:ps est long d’un pouce 
quatrelignes sur six pouces dix lignes d’envergure. 
On le trouve en Arabie. 


LE VESPERTILION GRIFFON. 


Vespertilio gryphus (?). 


A la tête des murinoïdes et deux fausses molaires 
anomales fort petites de chaque côté des deux mâ- 
choires. L’oreille est échancrée , et l’oreillon en cou- 
teau. Toutes les parties supérieures du corps sont 
d’un blond jaunâtre, les parties inférieures sont gri- 
ses, mais les poils des unes et des autres sont noirs 
à leur extrémité inférieure. Les parties nues sont 
violâtres. Des moustaches garnissent les côtés de la 
lèvre supérieure et le dessous de l’extrémité de la 
mâchoire inférieure. 


Pouc. Lignes. 
Longueur du corps de l'extrémité du mu- 


seau à l’origine de la queue. . . 1 9 
mm de la QUEUE. us SA 2 
———— eNnVerEure. … . - M NA TD 


Ce vespertilion habite les environs de New-York, 
d’où l’a rapporté M. Milbert. 


EEE——————_—_———— 
LE VESPERTILION DE SAULNIER. 
Vespertilio Salarii (3). 


A la tête des murinoïdes et deux fausses molaires 
de chaque côté des deux mâchoires. L'oreille est 


(*) Cretzchmar, in Rupp. zool., pl. 29, f. A. 


)Fr. Cuv., Nouv. App. du Mus.,t.1, p. 15, 
3) Ibid. 


519 
échancrée, et l’oreillon disposé en couteau. Toutes 
les parties supérieures du corps sont d’un brun 
marron grisâtre, et les régions inférieures g is blan- 
châtre. Aux parties brunes les poils sont plus foncés 
à leur moitié inférieure qu’à le. r supérieure; ils sont 
noirs dans celle inférieure aux portions grises. Les 
parties nues sont brunes. Des moustaches garnis- 
sent les côtés de la lèvre supérieure et le dessous 
de l’extrémité de la mâchoire inférieure. 


Pouc. Lignes. 
Longueur du corps, du bout du museau à 
Morigme dégarqueue, CN T0 p 
de NANQUELC NE ET DENT 
———— ENVETBUTE,. « « + + + + + + À 


Cette espèce est, comme la précédente, des envi- 
rons de New-York, et comme elle on en doit la 
connoissance à M. Milbert. 


LE VESPERTILION DE GÉORGIE. 
Vespertilio georgianus (1). 


A la tête des murinoïdes. L’oreille est échancrée, 
et l’oreillon en alène. Toutes les parties supérieures 
du corps sont colorées par un mélange de noir et de 
blond jaunâtre. Le noir paroît, parce que da pointe 
qui est blonde ne recouvre pas, à cause de sa briè- 
veté, le reste de la longueur de ces poils qui sont 
noirs. Les parties inférieures sont grises, mais mé- 
langées de noir, par la même cause qui fait domi- 
ner cette couleur aux parties supérieures. Des 
moustaches garnissent les côtés de la lèvre supé- 
rieure, et le dessous de l’extrémité de la mâchoire 
inférieure. 

Pouc. Lignes. 

Longueur du corps, du bout du museau à 

l’origine de la queue. . . . 


A6 
rdenatquenc. RL 0 
CNYETRUrRC US CNE RIT 7 


Découvert par M. Le Conte, aux États-Unis, dans 
la Géorgie. 


LE VESPERTILION BLONDIN. 
Vespertilio subflavus (?). 


A la tête des murinoïdes ; l'oreille est échancrée, 
et l’oreillon en demi-cœur. Les parties supérieures 
du corps sont d’un blond gris clair, légèrement on- 
dulées de brunâtre ; les parties inférieures d’un blanc 
jaunâtre. Les poils des parties supérieures sont noirs 


() Fr. Cuv., Nouv. Ann. du Mus., {. I, p. 16. 
(2) Fr. Cuy,, Nouv, Ann. du Mus., t. 1, p. 17. 


316 
à leur base, blanchâtres dans la plus grande partie 
de leur longueur, et brunâtres à leur pointe ; ceux 
des parties inférieures sont noirs à leur moitié in- 
férieure, et d’un blanc jaunâtre à leur autre moitié. 
Des moustaches garnissent les côtés de la lèvre su- 
périeure et le dessous de l’extrémité de la mâchoire 


inférieure. 


Pouce, Lignes. 
Longueur du corps, du bout du museau à 
l'origine de la queue. . . . . 1 
.————! de la queue. . . . . . .« . 1 3 
———— envergure. 7 


. . . . . . . . 


De la Géorgie. 


——_—_— 
LE VESPERTILION CRECKS.' 
Vespertilio Crecks (1). 


A la tête des serotinoïdes, point de fausses mo- 
laires anomales à la mâchoire supérieure, et une 
seule à l’inférieure. L’oreille est échancrée, et l’o- 
reillon en couteau. Les parties supérieures sont d’un 
brun jaunûtre, les parties inférieures d’un gris sale ; 
les poils de toutes ces parties sont noirs à leur base. 
Des moustaches garnissent les côtés du museau et le 
dessous de l’extrémité de la mâchoire inférieure. 


Pouc. Lignes, 
Longueur da corps, du bout du museau à 
l’origine de Ja queue. . . . . 2 » 
dexlaqueue creme ACTE pl 6 


pAyergure: LL M Net OU 


Habite la Géorgie. 
EE..." 
LE VESPERTILION ÉPAIS. 


Vespertilio crassus (?). 


A la tête des murinoïdes, deux fausses molaires 
anomales de chaque côté des deux mâchoires ; l’u- 
reille obtuse et l’oreillon en couteau. Toutes les 
parties supérieures du corps sont d’un brun marron 
grisâtre, et les parties inférieures blondes ; les poils 
à leur origine sont plus foncés qu’à leur extrémité. 
Des moustaches garnissent le côté de la lèvre supé- 
rieure et l'extrémité de la mâchoire inférieure. 

: Pouc. Lignes, 

Longueur du corps, du bout du museau à 

Lorisineïdellalqueue-u.".2.1 "102 » 


———— dela queue «+ + «+ . .,. . 1 8 
= 
———— eNVergUure. + + + + + + + + 8 8 


Cette espèce a été découverte par M. Lesueur, 
aux environs de New-York. 


() Fr. Cuv., Nouv. Ann. du Mus., t. 1, p. 18. 
(2) Fr. Cuv., Nouv. Ann, du Mus., {. FI, p. 18. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE VESPERTILION DE LA CAROLINE. 
Vespertilio carolinensis (1). 


Est long de trois pouces trois lignes sur neuf 
pouces sept lignes d'envergure. Les oreilles sont 
oblongues, entières ou sans replis, de la grandeur 
de la tête, en partie velues, et munies d’un oreillon 
faconné en moitié de cœur. Son pelage est brun- 
marron en dessus, jaune en dessous. Il vit aux 
environs de Charlestown, dans la Caroline du sud. 


LE VESPERTILION SUBULÉ. 
Vespertilio subulatus (?). 


Ses oreilles dépassent un peu la tête et sont de 
forme allongée, et munies d’oreillons subulés et 
grèles. Le pelage est brunâtre, à teinte cendrée, et 
la membrane interfémorale se trouve être velue dans 
sa première moitié. Le ventre est blanc jaunâtre. 
Ses dimensions sont de quatre pouces deux lignes, 
la queue comprise; celle-ci est un peu libre à sa 
terminaison. Habite les rives du fleuve d’Arkansa, 
dans le nord de l'Amérique. 


LE VESPERTILION ÉPERONNÉ. 
Vespertilio calcaratus (3). 


Long de quatre pouces sur douze d'envergure, et 
muni d’une sorte d’éperon à la partie interne de la 
première phalange ; son pelage est brun noirâtre en 
dessus, fauve foncé en dessous ; ses ailes sont noires; 
les doigts des mains sont rosés et ceux des pieds 
noirs. Habite le nord des États-Unis. 


LE VESPERTILION MOINE. 


Vespertilio monachus (). 


De la taille du précédent. Oreilles petites, entiè- 
rement cachées par des poils très longs ; pelage 
fauve-rouge foncé en dessus, fauve en dessous ; mem- 
brane des ailes gris foncé ; nez et doigts rosés. Des 
Etats-Unis. 


(:) Geoffroy, Ann. du Mus., t. VIE, p. 193, pl. 47 et 48. 

(2) Say, in Major Long's, exp. to the rocky mountains, 
t. 1, p. 107; Godman, Am. Hist. nat., t. I, p. 71 : Sabine, 
Zool., p. 3. 

(6) Rafinesq., Desm., p. 132, note. 

(6) Zbid., loc. cit. 


DES MAMMIFÈRES. 


LE VESPERTILION A FACE NOIRE. 
Vespertilio phaïops (1). 


* Long de quatre pouces et demi sur treize pouces 
d’envergure. Son pelage est brun bai obscur en des- 
sus, plus pâle en dessous. Sa face, ses oreilles et les 
membranes alaires sont noires. Du nord des Etats- 
Unis. 


LE VESPERTILION A DOS NOIR. 
Vespertilio melanotus (?). 


À quatre pouces et demi de longueur sur douze 
pouces et demi d'envergure. Les oreillons sont ar- 
rondis ; le corps est noirâtre en dessus, blanchâtre 
en dessous ; les membranes d’un gris foncé, et les 
doigts noi.:s. Du nord des Etats-Unis (5). 


LE VESPERTILION A QUEUE VELUE. 
Vespertilio lasiurus (f). 


A les oreilles ovalaires plus courtes que la tête, 
à oreillon étroit et en demi-cœur. Le pelage varié de 
gris jaunâtre et de roux vif; la membrane interfé- 
morale est très velue en dessus. Il a un pouce dix 
lignes de longueur.On dit ce vespertilion de Cayenne, 
nous le croyons des Etats-Unis. 


ns 


LE VESPERTILION TRÈS VELU. 
Vespertilio villosissimus (5). 


À les oreilles aiguës, munies d’un oreillon en 
lame d’épée ; les poils brunâtres et la membrane in- 
terfémorale très velue. Le corps a quatre pouces 
quatre lignes, la queue deux pouces, et l’envergure 
onze et demi. Son pelage est doux et formé de poils 
fort longs. D'Azara a observé cette espèce et la sui- 
vante au Paraguay. 


(r) Rafinesq., Desm., p. 139, note. 

(2) Ibid., Loc. cit. 

(Nous ne connoissons pas les descriptions des deux 
chauves-souris des États-Unis, nomméesvespertilio noc- 
tevagans el lucifugus par le major Lecomte. 

(#) L. Geoff., Ann., t. VIE, pl. 47 : Desm., 215; Screb., 
pl. 62, B. Encycl., 31, f. 4. 

(5) Geoff., ibid , p 204% ; Desm., 219. Chauve-souris 7°, 
d'Azara, Parag., t. II, p. 284. 


| 


317 


LE VESPERTILION ROUGE. 
Vespertilio ruber (1). 


À Je corps long de trois pouces une ligne, la 
queue de treize lignes, et neuf pouces deux lignes 
d'envergure. Le poil est court, de couleur cannelle 
eu dessus, de rose en dessous. L’oreille est aiguë, 
ainsi que l’oreillon qui est en forme de poinçon. Est 
peut-être une nycticée ? Habite le Paraguay. 


EE ————————_—_—_—_—— 
LE VESPERTILION POUDRÉ. 
Vespertilio albescens (2). 


Est long de trois pouces six lignes sur huit pouces 
dix lignes d'envergure. Son pelage est noir, piqueté 
de blanc en dessus et obseur en des-ous. Les orcilles 
sont aiguës, à oreillons étroits et pointus. Habite le 
Paraguay. Il en existe une variété tirant au blan- 
châtre. 


LE VESPERTILION DU BRÉSIL. 
Vespertilio Brasiliensis (3). 


À les oreilles médiocres, allongées ; onze à douze 
pouces d'envergure, un pelage doux et soyeux, brun 
obscur lavé de marron. Cette espèce a été rapportée 
du Brésil par M. Auguste Saint-Hilaire, 


- = = 


LE VESPERTILION DE SAINT-HILAIRE. 
Vespertilio Hilairii (3). 


A les oreilles petites, triangulaires, presque aussi 
larges que longues, à peine échancrées à leur bord 
externe; la membrane interfémorale dénudée, ainsi 
que les côtés de la face. Est long de deux pouces 
cinq lignes. Son pelage est fauve noirâtre passant 
au fauve marron. Habite la province des Missions, 
au Brésil. 


() Chauve-souris 14e, ou cannelle, Azara, Parag., t. Il, 
p.292. V. Ruber, Geoff., Ann., t. VIII, p 204. 

(2) Geoff, Ann. t. VIII, p. 204, pl. 18; Azara, Parag., 
LIL,p 294. 

(3) Desm., esp. 222, : : 

(*) Isid. Geoff., Ann. Sc. nat., t. I, p. 440, et Études 
zool., pl. 2. 


LE VESPERTILION POLYTRICE. 
Vespertilio polytriæ (1). 


A les oreilles plus longues que larges, échancrées 
en dehors; la face presque complétement velue ; le 
pelage brun marron passant au blanchâtre. Est long 
de trois pouces cinq lignes, et a quelques rapports 
avec la pipistrelle. Habite les provinces de Rio- 
Grande et des Mines, au Brésil. 


LE VESPERTILION LISSE. 
Vespertilio levis (?). 


Les oreilles sont longues, son pelage brun mar- 
ron, sa taille de deux pouces dix lignes. IL vit au 
Brésil. 


EEEEEEE——…—…—…—…—…—…—…—…—… 
LE VESPERTILION DE SPIX. 
Vespertilio Spixii (3). 


À de longueur quatre pouces sur dix d'envergure. 
Son corps est grêle, noir, avec les ailes bleuâtres. 
Les oreilles sont longues, lancéolées, élargies à leur 
base, roulées, à oreillon entier, lancéolé, de la lon- 
gueur de la conque auriculaire ; des verrues tuber- 
culifères sur le menton. Habite le Brésil. 


LE VESPERTILION CHIEN. 
Ves,ertilio caninus (i). 


A la mächoire supérieure qui s’avance, légère- 
ment retroussée, et le chanfrein fendu. Sa queue 
brève est complétement enveloppée dans la mem- 
brane interfémorale: ses oreilles coniques ont un 
oreillon court, aigu à la base, et muni d’un ap- 
pendice ample et long de plus de six lignes. Le 
corps est long de deux pouces, la queue de huit li- 
gnes sur dix pouces huit lignes d'envergure. La face 
est nue, et le pelage est d’un fauve noirâtre foncé. 
Il habite les édifices au Brésil. 


(:) Ibid., loc. cit. 

(2) Ibid., loc. cit. 

(3) Fisher, Synop., p. 3. V. Brasiliensis ; Spix, vesp. 
bras., pl. 36, fig. 8. 

(# Wied Neuvwied, Beit., 11, p. 262. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE VESPERTILION A VENTRE BLANC. 
Vespertilio leucogaster (1). 


Son museau est court, ses oreilles sont à bords 
droits et à oreillon lancéolé ; le pelage est noir brun, 
pointillé de jaunâtre en dessus, et blanc grisâtre en 
dessous ; est long de deux pouces dix lignes sur onze 
pouces et demi d'envergure. Fréquente les forêts qui 
bordent le fleuve Mucuri, au Brésil. 


LE VESPERTILION NOIRATRE. 
Vespertilio nigricans (?). 


Long de trois pouces neuf lignes sur huit pouces 
huit lignes d'envergure; a les oreilles médiocres, 
échancrées à leur bord, munies d’un oreillon subli- 
néaire. Le museau est court, séparé par un sillon, 
et les poils sont d’un noir fuligineux. Fréquente les 
rives de l’Iritiba, au Brésil. 


LE VESPERTILION DE MAXIMILIEN. 
Vespertilio Maximiliani (3) 


A le museau pointu, le pelage brun rougeàtre, 
deux pouces trois lignes de longueur sur onze pouces 
trois lignes d'envergure. L’oreillon est court et obtus. 
Habite la partie orientale du Brésil, les rochers et 
les vieux arbres des forêts vierges des rives du 
Mucuri. 


LES PROBOSCIDES. 
Proboscidea ({). 

Les proboscides sont des vespertilions dont le nez 
s’allonge en forme de trompe en dépassant la mâ- 
choire supérieure. Le système dentaire présente par- 
fois de six à huit incisives à la mâchoire inférieure ; 
les deux seules espèces connues ont été découvertes 
au Brésil. La première est la proboscide des roches 
(Proboscidea saxatilis (5), longue de trois pouces 


(") Ibid , loc. cit. 

(2) Ibid., loc. cit. 

() Fisher, Synop., p. 37 : vespertilio calcaratus, Wied, 
loc. cit. 

(4) Spix, Vesp. bras. : emballonura, Kuhl, Ms., fide 
Temminck. 

(5) Spix, tbid., pl. 35, t. VIIL: vespertilio naso, Wied 
Neuwied, 11, p. 274, fig. o. 


DES MAMMIFERES. 


onze lignes sur huit pouces neuf lignes d’enver- 
gure, ayant des oreilles très étroites, lancéolées, 
échancrées à leur bord externe, marquées de sil- 
Jons en dedans, ayant un oreillon très court. Cette 
chauve-souris est commune dans les forêts du Brésil, 
surtout sur les rives du Mucuri. La deuxième espèce 
est la proboscide des rivages (P. Rivalis (1), de 
taille plus petite que la précédente, à pelage brun- 
fauve en dessus, brun pâle en dessous, et remar- 
quable en ce que les ailes dépassent notablement 
la tête. On la rencontre vivant en essaims dans les 
arbres qui croissent snr les ‘bords du fleuve des 
Amazones. 


a ————_—_—_—_—_—_—_—__—_—_—_— 
LES OREILLARDS. 


Plecotus (?). 


Ont la plupart des caractères des vespertilions, à 
l'exception du nombre des incisives de la mâchoire 
supérieure qui est réduit à deux au lieu de quatre. 
De plus, leurs oreilles sont d’une hauteur démesu- 
rée, relativement aux proportions de la tête, et sont 
soudées sur le milieu du front par un prolongement 
de leur bord interne. Le trou auditif présente un 
opercule et un oreillon lancéolé. 

Leurs habitudes comme leur distribution sur la 
surface du globe ne diffèrent point de celles des ves- 
pertilions. 

Buffon n’a décrit dans ce genre que deux espè- 
ces : l’Oreillard (Vespertilio auritus, L.), et la Bar- 
bastelle ( V. barbastellus, L.); toutes les deux de 
France. 


L'OREILLARD CORNU. 


Plecotus cornutus (?). 


Se rapproche de lespèce ordinaire, dont il dif- 
fère toutefois par les oreilles bien plus grandes, ses 
poils plus fournis, plus iongs, et aussi par leur co- 
loration, car le pelage est en dessus noir lavé de bru- 
nâtre, et noir bleuâtre tacheté de grisâtre en dessous. 
Les oreilles, aussi longues que le corps, sont étroites 
à leur sommet et réunies à la base par une large 
membrane velue et échancrée à sa moitié. Les oreil- 
lons atteignent le milieu des oreilles et se dirigent 
parallèlement, de manière à simuler deux cornes. 
Les oreilles ont dix-neuf lignes de longueur. 

Cet oreillard a été découvert dans un château du 


(:) Spix, Loc. cit., 62. 
(2) Geoffroy Saint-Hilaire , Hist. nat. de l'Egypte. 
(6) Vespertilio cornutus, Faber, Isis, 1826, p. 515, 


319 


Jutland, près de la ville d'Horsens ; il est très vo- 
race , et se nourrit principalement de mouches et 
d'insectes ailés dont il lui faut soixante à soixante- 
dix pour son repas. Il mâche aussi vite qu’il digère, 
et son vol aussi bien que sa marche sont d’une 
grande légèreté. Ses oreilles sont très mobiles, dé- 
jetées en arrière dans le repos, dressées au moindre 
bruit, et dirigées en avant lorsque l’animal écoute. 
Sa voix est fine et sifflante, et l'odeur qu’il exhale 
très fétide. 


L'OREILLARD BRÉVIMANE. 


Piecotus brevimanus (1). 


A le pelage d’un roux fauve en dessus, blanchâtre 
en dessous. Ses oreilles sont oblongues, de la lon- 
gueur de la tête ou du double plus longues. L’oreil- 
lon estovalaire lancéolé ; la queue aiguë à sa pointe, 
égalant en longueur lavant-bras, se rapproche, par 
les autres caractères, de l’oreillard commun. Cette 
espèce a été trouvée en juillet dans un vieux saule 
de l’île d'Ely en Angleterre. 


L'OREILLARD DE PÉRON. 


Plecotus Peronii (?). 


Cette espèce a toutes les apparences de l’oreillard 
vulgaire, la taille comme la forme générale. Mais 
les oreillons de ce dernier sont de moitié moins 
grands que ceux de l’oreillard de Péron; enfin, ce- 
lui-ci a la coloration du pelage plus claire, surtout 
dans la région inférieure qui est presque blanche. 
On ignore la patrie de cette chauve-souris, qui a été 
rapportée par Péron de son voyage aux Terres Aus- 
trales. 


. L'OREILLARD VOILÉ. 
Plecotus velatus (3). 


A le pelage brun ou marron foncé, plus ou moins 
lavé de roussâtre sous le corps, et cette teinte passe 
même parfois au gris cendré. Ses poils sont lustrés, 
moelleux , abondants et assez longs. Les oreilles 
sont longues et très larges à leur base. L’oreillon 
est en languette triangulaire simple et très aiguë. 
La queue est fortement allongée et complétement 


()Jenyns, Linn. Trans., XVIe vol., re, p, 53; part., 
Bull. Féruss., t. XXIV, p. 190. 

(2) Isid. Geoff., Etudes 7001. pl. 3. 

(3) Ibid., loc. cit., pl, 2. 


320 


enveloppée par la membrane irterfémorale. La lon- 
gueur du corps est de deux pouces neuf lignes, celle 
de la queue deux pouces sur onze pouces six lignes 
d'envergure. Cette chauve-souris a été découverte 
dans le district de Curityba, au Brésil. 


: 


L'OREILLARD LEUCOMÈLE. 


e Plecotus leucomelas (). 


Longue d’un pouce neuf lignes sur sept pouces 
d'envergure, cette espèce a les oreilles grandes et 
soudées par leur base sur le milieu du front. Une 
scissure profonde sépare les deux côtés des narines. 
Le pelage est noir en dessus et varié de noir et de 
blanc en dessous. Elle habite l'Arabie. 


L'OREILLARD DE RAFINESQUE. 
Plecotus Rafinesquit (?). 


Long de quatre pouces sur douze d'envergure, 
coloré en gris foncé en dessus, et en gris clair en 
dessous, Les oreillons sont de même longueur que 
les oreilles qui sont très grandes. Du nord des 
Etats-Unis. 


L'OREILLARD DE MAUGÉ. 


Plecotus Maugei(s. 


A les oreilles très larges, échancrées sur leur 
bord externe et arrondies à leur pointe. Le pelage 
est d’un brun noirâtre ‘en dessus, passant au brun 
clair en dessous. Les parties postérieures du corps 
sont blanches, les membranes grises. Les oreillons 
sont pointus et médiocres. A été découvert à Porto- 
Rico, par Maugé. 


L'OREILLARD DE TIMOR. 


Plecotus timoriensis(), 


A le museau assez pointu, les oreilles marquées 
d’un repli à leur bord interne, et à oreillon en de- 


(*) Vespertilio leucomelas, Cretzchmar, in Ruppel, 
z001., pl. 28, fig. B. 

(2) Vespertilio macrotis, Rafineq., Desm., note p.133. 
V. Macrotis, major Lecomte. 

@) Vespertilio NMaugei, Desm., esp. 225. 

(4) Vespertilio timoriensis, Geoff., Ann. du Mus., 
t. VII, pl. 47. 


HISTOIRE NATURELTE 


mi-cœur ; le pelage brun noirâtre en dessus, brun 
cendré en dessous. Le corps a deux pouces sept li- 
gnes, la queue un pouce cinq lignes, et l’envergure 
dix pouces. Il a été rapporté de l'ile de Timor par 
Péronet Lesueur. 


LES FURIES. 
Furia (1). 


Ont le système dentaire des vespertilions, c’est-à- 
dire quatre incisives à la mâchoire supérieure, mais 
elles en diffèrent par plusieurs autres caractères im- 
portants. M. Fr. Cuvier a donné à l'espèce, type de 
ce nouveau genre, le nom de Furia, par rapport à 
sa figure étrange. Ainsi s'exprime ce savant : 

« Cette chauve-souris, de petite taille, frappe d’a- 
bord la vue par son museau camus et hérissé de 
poils roides, parmi lesqnels se montrent des yeux 
saillants qui ajoutent encore à l'expression bizarre 
de sa physionomie. 

» Ses dents incisives supérieures sont au nombre 
de quatre, de même grandeur et pointues, et les ex- 
ternes n’ont aucun rapport avec les canines infé- 
rieures. Chez la sérotine, la noctule, etc., au con- 
traire, les incisives moyennes sont beaucoup plus 
grandes que les latérales, et celles-ci sont échancrées 
par leur opposition avec les canines d’en bas. Les 
incisives inférieures, placées régulièrement sur un 
arc de cercle, sont à trois dentelures, et en cela 
différent de celles de plusieurs autres vespertilions, 
qui ne sont que bifides, et de celles des espèces 
nommées plus haut, lesquelles sont comprises entre 
les canines et placées les unes devant les autres. Les 
canines supérieures, beaucoup plus épaisses que les 
inférieures, sont à trois points ; une entière et une 
postérieure petite, et la moyenne forte, grande et 
conique. Les canines inférieures, de forme cylindri- 
que, ont aussi une pointe antérieure et une posté- 
rieure ; et ces dents, aux deux mächoires de forme 
tout-à-fait anomales, ont plus de rapport avec des 
fausses molaires qu'avec des canines, caractère au 
reste qui leur est commun avec celles de beaucoup 
d’autres insectivores. La mâchoire d’en haut a deux 
fausses molaires de chaque côté et trois vraies, et la 
mâchoire opposée n’en diffère sous ce rapport qu’en 
ce qu’elle a une fausse molaire de plus. Ces dents 
n’ont rien qui leur soit particulier ; elles ont tous 
les caractères des dentsanalogues des autres chauves- 
souris, qui, comme on sait, n’ont montré jusqu’à 
présent aucune différence ni dans le nombre ni dans 
la forme de leurs vraies molaires. 


(Fr. Cuv.,Mém, du Mus., t. XVI, p. 150, pl. 9. 


DES MAMMIFÈRES. 


» Les organes du mouvement ne présentent rien 
de très particulier. Le pouce ne se montre hors de 
la membrane des ailes que par son angle; le pre- 
mier doigt vient se terminer à la naissance de la 
troisième et derrière phalange du second. Lorsque 
les ailes ne sont point étendues , les ligaments ra- 
mènent en dedans la dernière phalange du second 
doigt, qui se replie ainsi sur lui-même par son ex- 
trémité. La queue diminue insensiblement d’épais- 
seur, et les vertèbres dont elle se compose finissent 
d’être distinctes dès le milieu de la membrane in- 
terfémorale ; mais elie paroit se continuer en un 
simple ligament jusqu’à l'extrémité de cette mem- 
brane fort étendue, et qui se termine en un angle 
dont le sommet dépasse de beaucoup-les pieds, et 
elle se replie en dessous comme ceux-ci, lorsque 
l’animal est en repos. 

» Les yeux sont saillants et remarquables par une 
grandeur qui ne s’observe point d'ordinaire chez les 
vespertilions. Les narines terminent le museau et ne 
sont séparées l’une de l’autre que par un bourrelet 
qui les environne et qui forme une échancrure à 
leur partie supérieure. Les lèvres sont entières, la 
langue est douce et la bouche sans abajoues ; mais 
on voit sur les côtés de la lèvre supérieure quatre 
ou cinq verrues ou tubercules nus, disposés très ré- 
gulièrement, et il en est de même de huit tuber- 
cules semblables qui garnissent le dessous de la 
mâchoire inférieure, et qui apparoissent par leur 
blancheur au milieu des poils noirs. Les oreilles sont 
grandes, à peu près aussi larges que longues, sim- 
ples de structure et pourvues d’un oreillon d’une 
forme particulière; il est à trois pointes disposées 
en croix. Le pelage est doux, épais, excepté sur le 
museau où il est plus long, plus roide et plus hé- 
rissé que sur les autres parties du corps. 

» L’individu observé étoit mâle, et sesorganes gé- 
nitaux ne présentoient aucune modification notable ; 
ils ne différoient point de ce qui existe chez les ves- 
pertilions. 

» À joutant maintenant à ces caractères zoologiques 
quelques considérations tirées des caractères anato- 
miques , on trouvera de nouvelles raisons pour jus- 
tifier l'établissement du genre Furia. Les formes 
de la tête, la disposition des diverses parties qui la 
composent, rendent raison de la singulière physio- 
nomie de cet animal : les frontaux et jes pariétaux 
se relèvent presque à angle droit au-dessus du nez, 
et toutes les parties postérieures ayant suivi ce mou- 
vement, les os de l'oreille sont fort au-dessus de la 
partie antérieure de l’arcade zygomatique qui, au 
lieu d’être ho izontale, forme un arc dont l’extré- 
mité postérieure est très relevée au-dessus de l’an- 
térieure. La hauteur du maxillaire supérieur est 
presque nulle, comparativement à celle des espèces 
qu'on peut considérer comme de véritables vesper- 

1 


321 
tilions. La branche montante de la mâchoire infé- 
rieure est remarquablement grande, et les os du 
nez, relevés sur leur bord externe dans toute la 
longueur du museau, laissent entre eux une dépres- 
sion sensible, quoiqu’elle ne s’apercoive pas sur la 
tête non dépouillée. 

» En comparant à cette tête celle de la noctule, 
par exemple, on peut apprécier du premier coup 
d'œil à quel point cette chauve-souris diffère par 
celte partie essentielle de l’organisation des vesper- 
tilions proprement dits. On voit en effet que la tête 
de la noctule a les os du nez postérieurement, ses 
frontaux, ses pariétaux et son occipital sur une même 
ligne droite oblique: que lParcade zygomatique est 
horizontale, et que par là les os de l'oreille se trou- 
vent au niveau de sa partie antérieure ; que le maxil- 
laire supérieur à une grande hauteur, et que celui 
de la branche montante de la mâchoire inférieure 
l’est d'autant moins , que ia cavité glénoïde n’est pas 
plus relevée que l’arcade zygomatique. 

» Ces seuls traits généraux suffisent pour montrer 
que la tête de la furie est formée d’une tout autre 
manière que celle de la noctule, et que la réunion 
dans un même genre, d'animaux qui présentent de 
telles différences, est impossible. 

» Le crâne du kirivoula (vespertilio pictus) est 
celui qui se rapproche le plus de la furie par Ja 
disposition des diverses parties de la tête, bien qu'il 
ait de nombreuses différences; mais en comparant 
cette tête à celle de la noctule, on a une nouvelle 
preuve de la nécessité de faire une étude des espèces 
qui sont réunies aujourd’hui dans les catalogues mé- 
thodiques , sous le nom de Vespertilions. 

» L'espèce type du genre furie a reçu le nom spé- 
cifique de hérissée ( Fu'ia horrens \; sa taille est 
petite; sa longueur, depuis le bout du museau à 
l’origine de la queue, est d’un pouce et demi, et 
son envergure est de six pouces; sa couleur est d’un 
brun noir uniforme. Elle a été découverte à la Mana, 
dans la Guyane, par feu Leschenault. » 


LES NYCTICÉES. 
Nycticeus (1). 


Les nycticées ont été séparées avec juste raison 
des vespertilions, et réunies en un petit groupe par 
Rafinesque (?). Plus tard cet auteur abandonna ses 
premières idées et classa ses deux nycticées parmi 


(1) Rafinesq., Journ. de Physiq., t. LXXX VII, p. 417; 
F. Cuvier, Dict. Sc. nat., t. LIX, p. #16: vespertilio, 
Auct, 

(5; 1bid., loc. cit., vespertilio humeralis, Rafinesq., 
Am.,Montl. mag. 


322 


les vespertilions. Cependant les nycticées diffèrent 
des vespertilions, parce qu’elles n’ont que deux in- 
cisives à la mâchoire supérieure, et que ces deux 
dents, écartées l’une de l’autre, se rapprochent des 
canines. Les six incisives inférieures sont lobées, et 
à chaque mandibule on remarque deux fausses mo- 
laires anomales. 

L'oreille, courte et éloignée, se termine en devant 
en une languette horizontale, et l'oreillon s'étend à 
l'intérieur en un appendice taillé en croissant ou 
prolongé en alène. 


LA NYCTICÉE HUMÉRALE. 


Nycticeus humeralis (1). 


A ses oreilles ovalaires , plus longues que la tête, 
noires ainsi que le museau. La queue est longue, 
mucronée. Le pelage est brun foncé en dessus, gris 
en dessous, avec les épaules maculées de noir. Lon- 
gueur trois pouces six lignes. Habite le Kentucky. 


Ro  — 
LA NYCTICÉE MARQUETÉE. 
Nycticeus tesselatus (?). 


Pelage bai en dessus, fauve en dessous, avec un 
étroit collier jaunätre, et les aisselles blanches. Ailes 
réticulées et pointillées de roux. Queue de la lon- 
gueur du corps et verruqueuse au sommet. Lon- 
gueur, quatre pouces. Le nez bilobé; les oreilles 
courtes, arrondies. Habite le Kentucky, dans l’Amé- 
rique du nord. 


©. —  "  —_—_ — —— 
LA NYCTICÉE DE TEMMINCK. 
Nycticeus Temminchii (5). 


Cette espèce a les oreilles plus courtes que la tête, 
et de forme oblongue arrondie, échancrées sur leur 
bord externe , et munies d’un oreillon allongé et re- 
courbé en faux. Le pelage est soyeux, formé de 
poils courts, fauves en dessus, jaunâtres sales en 
dessous. Les côtés de la tête et du corps sont d’un 
roux brillant. Elle a de longueur totale quatre pou- 
ces six lignes sur douze pouces d'envergure. Ses for- 
mes sont robustes et épaisses, et sa membrane in- 
terfémorale est marquée de quelques veinures au 
milieu. Habite Java. 


() Rafinesq., loc. cit. 
(2) Ibid, loc. cit. 
(3) Vespertilio Temminczii, Horsf, Zoo! Research. 


HISTOIRE NATÜRELEE 


LA NYCTICÉE DE BÉLANGER. 
Nycticeus Belangeri ('). 


A le corps, la tête et le haut du bras fauves en 
dessus comme en dessous. Chez l’adulte, cette colo- 
ration tire au marron nuaucé d’olivâtre. Les poils 
du dos, longs et moelleux, sont jaune brunâtre à 
leur racine , marron à leur pointe, et fauve sur le 
ventre. Les oreilles sont petites, triangulaires, et 
très écartées l’une de l’autre, à oreillons étroits et 
allongés. Les joues, le museau, le bas-ventre et les 
fesses sont dénudés. Longue de cinq pouces cinq li- 
gnes, celte espèce a treize pouces d'envergure. C’est 
le terinj li des habitants de Pondichéry, dont elle 
fréquente les maisons. Les jeunes sont brunâtres en 
dessus, jaune clair en dessous. 


LA NYCTICÉE DE SAY. 
Nycticeus Sayii (?). 


A les oreilles un peu plus courtes que la tête, et 
découpées en arrière en deux petits lobes grêles, et 
à oreillons arqués et obtus à leur sommet. La mem- 
brane interfémorale est nue. Elle a de longueur to- 
tale six pouces six lignes sur une envergure de treize 
pouces. Elle a été découverte sur les bords du 
Missouri. 


LA NYCTICÉE AUX AILES BLEUES. 
Nycticeus cyanopterus (à). 


A trois pouces de longueur sur dix d'envergure. 
Ses oreilles dépassent la tête ; le corps est gris foncé 
en dessus, et gris bleuâtre en dessous ; les ailessont 
bleuâtre foncé , et les doigts sout noirs. Habite le 
nord des Etats-Uuis. 


LA NYCTICÉE PRUINEUSE. 
Nycliceus pruinosus (i). 


À ses oreilles plus courtes que la tête, à oreillons 
arqués et obtus à leur sommet. Le pelage sur le dos 


{‘) Vespertilio Belangeri, Isid. Geoff., Zool du Voy. 
aux Indes Or., p. 87. 

(2) Vespcrtilio arcuatus, Say, in major Longs exp., 
t. 1, p. 21; Godman, t. [, p. 70. 

() Vespertilio cyanopterus, Rafinesq. 

(4) Say, in major Long’s exp., t, 1, p,. 167; Sabine, 
Zool., p. 1. 


DES MAMMIFÈRES. 


d'un fauve noirâtre pointillé deblane, mais d'un 
rouge ferrugineux sur lesépaules, et la gorge blanc 
jaunâtre. La meml rane interfémorale à demi velue. 
Longueur totale, quatre pouces et demi. Cette espèce 
a de l’analogie avec le V. nove'o-ucensis; elle est 
commune sur les. rives du Missouri. 


LA NYCTICÉE DE RAFINESQUE. 
Nycliceus Rafinesquii (1). 


A deux dents à la mâchoire supérieure, et par 
conséquent le genre atalapha, créé pour la rece- 
voir, est erroné. Les oreilles sont courtes, larges, 
arrondies ; la queue est entièrement enveloppée par 
la membrane interfémorale. Le pelage est fauve en 
dessus, plus clair en dessous, et marqué d’une tache 
blanche à l’attache de chaque aile. Le corps est long 
de deux pouces et demi, la queue d’un pouce quatre 
lignes, le nez est bifide. Elle habite les Etats-Unis. 


LA NYCTICÉE SICILIENNE. 
Nycticeus siculus (?). 


Cette espèce, qui demande à être étudiée de nou- 
veau, h bite la Sicile. Une verrue s'élève sur la lèvre 
infériewe; ses oreilles sont aussi longues que la 
tête; la queue dépasse la membrane interfémorale 
par une pointe obtuse ; le pelage est roux brunâtre 
en.dessus , et roux cendré en dessous; les ailes et le 
museau sont noirâtres. 


LA NYCTICÉE A MOUSTACHES. 
Nycticeus mystax (?). 


Les hypexodons, que M. Rafinesque avoit créés 
pour recevoir celle espèce, auroient le museau nu, 
les narines rondes et saillantes , les incisives supé- 
rieures manquant , les canines marquées d’un épe- 
ron à leur base . et la queue entièrement enveloppée 
dans la membrane interfémorale ; mais ce gen e est 
plus que douteux, et sans doute que les deux inci- 
sives ctoient tombées sur l'individu étudié par cet 
auteur. L'espèce décrite a les oreilles plus longues 


(:) Atalapha americana, Rafinesq., Somiol. ; Desm., 
Mamm., 227 : vespertilio noveboracensis, Pennant, 
pl. 31, fig. 2 ; Encycl., pl. 34, f. 5; Harlan, Fauve am., 
p, 20. 

) Atalapha sicula, Rafinesq., Somiol.; Desm., 
Mamm., 2928. 

6) Hyperodon mystax, Rafinesq., Somioi. ; Desm., 
p. 133. 


323 


que ia tête, brunes ; le pelage fauve, tirant au noi- 
râtre sur le crâne ; de longues moustaches et les ailes 
noires. Elle vitau Kentucky. 


EE 
LA NYCTICÉE DE BUÉNOS-AYRES. 
Nycticeus bonariensis (1). 


Cette espèce de chauve-souris, remarquable par 
les nuances agréables de son pelage, paroïît avoir été 
inconnue à d’Azara, qui a décrit les animaux du 
Paraguay, et qui ne la mentionne point. Elle est 
privée de deux dents incisives à la mâchoire supé- 
rieure, et se rapproche, par ce caractère, du F.ni- 
grita de Gmelin. 

La tête a six lignes de longueur totale, sur quatre 
d'épaisseur, du crâne au bord postérieur du maxil- 
laire inférieur. Les deux incisives supérieures sont 
terminées en pointe et séparées l’une de l’autre ; les 
six inférieures sont très peu apparentes et serrées, 
et ont leur sommet bilobé. Les canines sont aiguës, 
recourbées et proéminentes ; les mo!aires antérieu- 
res sont coniques, les suivantes ont leur couronne 
hérissée de pointes acérées, sinuées sur la partie 
extérieure, et disposées intérieurement comme en 
biseau. 


Lignes, Mètres 
Longueur totale, de la naissance de la . 
queue au bout du museau. . . . . 920 
de QUeUC M el 
————— des oreilles . . , , . . 3 
————— de latête, . . . . . , . 6 
— de l’avant-bras. . . . . . 16 
du pouce, dont la phalange 
estianlalres +5 40 0 0 
————— des membres postérieurs, . 10 0© 


0 045 
0 034 
0 007 
0 014 
0 036 


007 
023 


BANETEUFO MU CT Se ee 


Le museau est court, conique. I a houche est fen- 
due et les lèvres sont simples. La face est revêtue 
de poils ras; les oreilles sont minces, arrondies, 
nues, éloignées l’une de l'autre. Des poils soyeux 
et serrés recouvrent la tête et le corps, et sont plus 
fournis sur le ventre et le dos. Dans la flexion de 
l'aile, ie carpe est plus élevé que le museau. Les 
membranes en dedans et à leur bord postérieur sont 
nues, striées et comme réticulées, de couleur brune 
rougeâtre, entièrement lissesen dehors. Les parties 
internes contre le corps sont très velues, et des poils 
fauves et abondants se continuent sur le bras et 
l’avant-bras. La queue est complétement engagée 
dans la membrane interfémorale : celle-ci part de 
l'articulation tibio-tarsienne, et setermine en pointe 


() Vespertilio bonariensis, Less., Zool., Coq., pl, 3 
fig. 1. V. Blossevillii, Bull. Féruss., t, VILL, p. 95. 


324 


à son sommet, ayant de chaque côté une nervure 
apparente sur les deux tiers de sa longueur totale ; 
sa surface interne est nue, striée ou comme rélicu- 
lée, tandis que la face dorsale est entièrement recou- 
verte de poils épais. 

La couleur du pelage de la nycticée de Buénos- 
Ayres est d’un rouge aurore sur le museau, d’un 
fauve clair ou jaune sur le dos; chaque poil étant 
terminé par du noir surmonté d’un peu de blane, ce 
qui leur donne un aspect pruineux, assez semblable 
à celui de quelques petites phalènes. Les poils du 
dessus de la membrane interfémorale, moins doux 
et moins soyeux que les précédents, sont d’un rouge 
noir foncé qui tranche avec la teinte répandue sur 
le dos. La gorge, la poitrine et l’abdomen sont d'un 
fauve clair mêlé de brunâtre. 

Notre espèce a de g'ands rapports avec le vesper- 
tilio lasiurus , elle en diffère toutefois par les par- 
ticularités suivantes. Dans le nycticeus bonarien- 
sis, les dimensions sont plus fortes, l’envergure 
plus prononcée, les membres plus développés par 
rapport au corps, la queue de moitié plus longue 
proportionnellement. Dans le V. lasiurus, les mem- 
branes sont moins réticulées, les couleurs du corps 
sont plus uniformes, et partout d’un rouge brun 
vif, tandis que l’ensemble des autres caractères est 
parfaitement analogue dans les deux espèces. 

Ces chauves-souris vivent à une égale distance de 
l'équateur, dans les zones tempérées des deux hé- 
misphères du continent américain. Celle de Buénos- 
Ayres nous fut remise par M. de Blosseville, qui la 
prit sur un vaisseau mouillé dans la rivière de la 
Plata. Sa patrie est donc par les 55° de lat. S. dans 
l'Amérique méridionale, tandis que le V. lasiurus 
Ja remplace par les mêmes latitudes dans l'Améri- 
que septentrionale. 


LA NYCTICÉE DE POEPING. 
Nycticeus Pæpingii (1). 


Cette chauve-souris a des oreilles très petites, ova- 
laires, arrondies à leur sommet, à oreillon falciforme 
etobtus. La membrane interfémorale est nue dans 
sa partie antérieure, et très pileuse au contraire en 
dessus. Le pelage est sur le dos ferrugineux et de 
nature soyeuse; un collier jaunâtre entoure le cou, 
et une teinte brunâtre ondée de fuligineux recouvre 
la poitrine et l'abdomen. 


Cette nycticée est remarquable par le prolonge- 
ment de son museau qui est obtus, marqué d’un 
sillon et qui semble devoir être mobile. Ses narines 


&) Nycticeus prima speries, Pœning, Floriep's, 
notizen , no 586, 1830 ; Bull. Féruss. , t, XXHI, p. 113. 


HISTOIRE NATURELLE 


sont tubuleuses, ses veux et ses oreilles noirs; sa 
queue est sétiforme. verruqueuse, libre à son extré- 
mité. Elle habite le Chili, et se rapproche par la 
coloration des vespertilions velu et rouge, mais elle 
est suffisamment distincte par divers autres carac- 
tères. 


ee 
LA NYCTICÉE DU CHILI. 
Nycticeus chilensis (1). 


Cette espèce , dont on ignore les mœurs, habite le 
Chili méridional, dans les rochers subalpins d’An- 
taco, où l’a découverte M. Pæping. Ce qui la carac- 
térise sont à la fois ses oreilles ovalaires, sillonnées 
en travers de rugosités trois fois plus longues que 
la tête, ayant leur oreillon taillé en lame d’épée ; 
une membrane interfémorale complétement nue sur 
ses deux faces, et un pelage en entier d’un gris 
de souris uniforme, aussi bien sur le corps qu’en- 
dessous. Sa langue obtuse est couverte de papilles, 
et sa queue très courte, verruqueuse, est mobile 
et libre. 


Le docteur Horsfield a décrit une espèce décou- 
verte aux environs de Calcutta, sous le nom de Nyc- 
TICÉE DE HEATH (?), bien plus grande que celle qui 
vit dans l’ile de Java. Sa taille, la queue comprise, 
est de six pouces sur dix-huit d'envergure. Sa tête 
est médiocre, à chanfrein piane , comprimée sur les 
côtés. Les lèvres sont recouvertes de quelques poils. 
L'oreillon est droit, arrondi, nu, terminé par un 
lobe très petit, et le tragus est falciforme. Son 
pelage est ras, très doux et soyeux, composé de 
poils couchés sur le derme, d’un brun tirant sur 
la couleur du tan en dessus, fauve, tirant au gris 
en dessous. Les membranes alaires sont brunâtres. 


LA NYCTICÉE ALECTO. 


Nycticeus alecto (3). 


Se trouve à la Manille. Son pelage est noirâtre 
passant au brun sur la face inférieure, et aa grisi- 
tre sur le museau. Sa tête est épaisse et déprimée. 


{r) NN. secunda, Ibid. loc. cit. Peut-être est-ce un 
Oreillard ? 

(à) Nycticejus Heath, capite cuneato supra late- 
ribusque planis, auriculis capite brevioribus , oblon- 
qis, rotundatis margine exteriore, parum eæxcisis 
trajo elungato faleato, vellere pilis sericatis brevis- 
simis, notæo fusco, gastræo fulro (Procud. «f the 
Zoo!l. soc. part. 4, p. 115). 

(3) Gervais, fav., p. 7. 


DES MAMMIFÈRES. 


! leur bord postérieur. La queue est rudimentaire ou 


LES SCOTOPHILES. 
Scotophilus (1). 


Les chauves-souris de ce genre sont caractéristes 
plus pa ticulièrement par leur système dentaire, 
quiest composé ainsi qu’il suit : incisives À, cani- 
nes + et molaires ?. Les incisives supérieures sont 
inégales , aiguës. Les deux moyennes simples, sont 
plus longues que les latérales, qui sont également 
bifides. Les inférieures sont à trois divisions peu 
marquées. Les canines d’en haut sont très longues, 
et muiies en arrière d’un prolongement qui au con- 
traire occupe le bord antérieur des canines d’en 
bas. Les molaires sont hérissonées comme à l'ordi- 
naire ; les membres antérieurs ont une seule articu- 
lation à l'index, trois aux autres doigts. Les doigts 
des pieds sont médiocres, égaux, armés d’ongles 
comprimés et recourbés. La queue à cinq osselets 
est complétement enveloppée par la membrane in- 
terfémorale qui est acuminée à son sommet. Les 
oreilles sont séparées, à oreillons petits. On ne con- 
noit qu’une seule espèce de stocophile dédiée au doc- 
teur Kuil (2), et dont on ignore la patrie. Son pe- 
lage est ferrugineux , et le museau de même que les 
oreilles , et les ailes sont brunâtres, 


LES CELOENOS. 


Ceiæno {(). 


Sont des vespertilions dont le système dentaire 
présente la formule qui suit : incisives 5, canines 
et molaires <. Les incisives supérieures sont entiè- 
res et acuminées, celles d’en bas sont égales entre 
elles, et formées en apparence de quatre prismesan- 
nexés. Les canines supérieures sont très dévelop- 
pées. Les deux molaires antérieures de l’une et 
l’autre mâchoire sont aiguës, entières, tandis que 
les trois autres sont munies d’éminences acérées. 
Aux mains, l'index n’a qu'une articulation, le mé- 
dius et le quatrième doigt trois, et le cinquième 
deux. Les doigts des pieds sont allongés, presque 
égaux, armés d'ongles comprimés , recourhés, 
plus larges à leur base. Les membranes alaires dé- 
bordent légèrement les doigts ; les oreilles, aiguës 
et séparées, n’ont que des oreillons très petits. Elles 
sont arrondies en avant et coupées en ligue droite à 


() Leach , the Transactionsof the Linnean society, 
t. XII, p. 69. 

() Scotophilus Kuxlii, Leach, loc. cit. Ferrugineus, 
auribus , naso alisque fucescentibus. 

(3) Ibid, loc. eit., p. T0, 


325 


remplacée par un linéament cartilagineux, occu- 
pant le milieu de la membrane interfémorale. On 
ignore où vit la seule espèce connue actuellement et 
que le docteur Leach a nommée celæuo de Brooks (!), 
qui a le dos ferrugineux, le ventre et les épaules 
d’un jaune ocreux , les membranes noires. 


LES AELLOS. 
Aëllo (?). 


Leur formule dentaire est la suivante : incisives 
=, canines * et molaires +. Les incisives supérieu- 
res sont comprimées, larges, bifides , et leurs divi- 
sions arrondies. Les inférieures sont égales, à trois 
divisions. Les canines supérieures, très longues, très 
acérées, sont munies à leur base, en avant comme 
en arrière, d’un éperon, tandis que les inférieures 
sont gradueilement atténuées, très grêles et com- 
plétement simples. Les molaires supérieures ont les 
deux antérieures à trois pointes, la deuxième plus 
élevée, la troisième bifide à son bord extérieur, la 
quatrième trifide du même côté. Les inférieures 
présentent les trois premières aiguës, simples, et la 
deuxième est plus courte. Les trois dernières sont 
échancrées à leur bord externe. La queue , formée 
de cinq articulations, est libre à son sommet. Les 
oreilles sont rapprochées, courtes, mais en revan- 
che très élargies et sans oreillons. Les doigts des 
mains ont une articulation à l'index, quatre au mé- 
dius et trois aux quatrième et cinquième doigts ; 
ceux des pieds sont égaux, munis d’ongles recour- 
béset comprimés. La seule espèce connue est l’aëllo 
de Cuvier (3), de couleur isabelle, et dont on 
ignore la patrie. 


LES DICLIDURUS. 


Diclidurus ({). 


Ces chauves-souris ont des caractères génériques 
assez complexes. Leur formule dentaire est : inci- 
sives 2? canines À, molaires ©. Les incisives infé- 
rieures sont petites, à tranchant présentant trois 
crénelures. Les canines supérieures sont un peu 


comprimées et éperonnées à leur partie postérieure. 


(1) Celæno Brooksiana, Leach, loc. cit. 

(2) Leach, loc. cit. 

@) Aello Cuvieri, color isabellino-ferrugineus; alæ 
fuscescente-brunneæ, aures ad apices excavato trun- 
catæ. Leach, loc. cit., p. 71. 

{:) Wied Neuw., Isis, 1819, p. 1629. 


326 


Les inférieures sont droites avec une ligne en res- 
saut en avant. La première molaire d'en haut est 
très petite et séparée des suivantes par un inter- 
valle. Ceiles-ci sont munies de pointes acérées ro- 
bustes. Les os du coccyx, au lieu de former un pro- 
longement extérieur caudal, présentent plusieurs 
articulations qui se terminent par deux pièces cor- 
nées adhérentes à la peau, formant un appareil à 
deux valves ou capsules(!). La valve supérieure est 
semi-lunaire disciforme et creusée en cupule. L’in- 
férieure plus petite est pointue, triangulaire et adap- 
tée dans le sens horizontal sur la précédente. Ces 
deux pièces se recouvrent, sont mobiles ,,s’écartent 
ou restent collées, et sont tenues à leur insertion 
par un repli membraneux mince qui les isole du 
corps. Le coccyx se trouve logé dans la capsule su- 

-périeure, tandis que le bord postérieur de la mem- 
brane interfémorale se trouve tendu sous Ja valve 
caudale proprement dite, 

Outre ce singulier appareil, les dicludures se font 
encore remarquer par l’organisation peu ordinaire 
de leur crâne. Celui-ci présente en effet, entre les 
orbites, une dépression elliptique, profonde, qui fait 
saillir les os de la face, tandis que le vertex et les 
frontaux sont boursouflés par d’amples cavités cel- 
luleuses. 

Cette curieuse petite tribu ne renferme qu’une 
espèce, dédiée par le prince Maximilien de Wied 
Neuwied au naturaliste Freyreiss (?}, puis nommée 
par lui le diclidure blanc. Cette chauve-souris, lon- 
gue de deux pouces dix lignes, a les oreilles larges, 
insérées au-dessus des yeux. Le pelage se compose 
de poils très fournis, longs etblanchâtres. Les mains 
sont très robustes, tandis q''eles jambes sont grêles 
et longues. L’éperon est prononcé. Elle à été dé- 
couverte par le voyagenr botaniste Freyreiss, à 
l'embouchure du Rio Parda au Brésil, près de 
Carnavieras , se tenant cachée dans les spathes des 
cocoliers. 


EE _——."—"—_—"—"——"———"————————— 


LES TAPHIENS. 
OU LES SACCOPTERYX (5). 


Tapho:ous, GEorr. S.-HiL. 


Leur formule dentaire est la suivante : incisives 
2, canines ?, molaires anomales + Vraies molai- 


1" 


res ©. Les incisives inférieures sont de même lon- 


&) D'où le nom de diclidurus. 
6) Diclidurus Freyreissi, Isis. p. 1629. D. albus, 
ejusd. Beil. LI, p. 242. 
(B) De œuxxos, SiC, el rrevvë , aile, Illiger, Prodro- 
mus ,p. 11. (Le Taphien filet a les meimbraies repliées 
au coude en forme de poche.) 


} 


HISTOIRE NATURELLE 


gueur et divisées chacune en trois lobes. Les cani- 
nes sont rétrécies à leur base. 

Le museau des taphiens est conique, et les na- 
rines qui s'ouvrent à son extrémité sont petites et 
rapprochées, en dessinant un très mince mufle 
dans l'épaisseur de la lèvre supérieure. Leur langue, 
munie de lames rigides à son extrémité, est papil- 
leuse sur le reste de sa surface. La bouche est 
grande, sans abajoues ; deux éminences mamelon- 
nées, séparées par un étroit sillon, marquent la 
lèvre inférieure, en correspondant à un mamelon 
de même nature qui termine la lèvre supérieure. 
L’œil est médiocre et occupe le point qui sépare la 
commissure de la bouche de la conque auriculaire. 
L'oreille externe est très grande ; elle s'attache au 
chanfrein sur le rebord de la cavité qui creuse cette 
partie, et vient se terminer par un bord libre en 
arrière et au-dessous de la mâchoire inférieure. Les 
mâles ont sur la gorge une cavité dénudée à orifice 
musculeux transversal plissé. Les ailes sont médio- 
cres. La queue n’est engagée dans la membrane in- 
terfémorale que par sa moitié supérieure, l'autre 
portion reste libre. 

Les taphiens ont toutes les habitudes des vesper- 
tilions. Leur distribution géographique n’a encore 
rien de précis dans l’état actuel de nos connoissan- 


ces, bien qu’on doive les supposer tous de l’ancien 
monde. 


LE TAPHIEN A VENTRE NU. 


Taphozous nudiventris (1). 


A été découvert en Égypte eten Nubie par le 
voyageur allemand Ruppel! , et se rapproche du ta- 
phien perforé de M. Geoffroy Saint-Hilaire. Il en 
diffère par sa taille plus forte, quatre pouces trois 
lignes, et par son envergure de seize pouces et 
plus. Ses oreilles sont élevées, à oreillon court et 
conique ; son museau se projette avant etson corps 
est mince et fluet. 


LE TAPHIEN PERFORÉ. 
Taphozous perforaius (?). 


Cette espèce est beaucoup plus trapue que la pré 
cédente, son corps est plus épais, plus large, son 
museau beaucoup plus obtus. Sa queue paroît être 


@) Cretzm. in Ruppel pl. 27, fiz. B. T. Facie usque 
ad regionem opthalmicam sumine , inçuinibus, 
prymna et uropygio nudis ; corporis colore suprà ex 
fucescente griseo , infrà albido (1.1, p. 70). 

{a Geoff. St.-Hil., Egypte , pl. 8, fig. À, et pl, 4, fig. 4. 


DES MAMMIFÈRES. 327 


aussi un peu plus courte; enfin on remarque moins 
de nu sur la face , les bras et le bas-ventre. Son pe- 
lage est gris-roux en dessus, p:ssant au cendré en 
dessous, et son oreilion est taillé en fer de hache. 
Son corps a trois pouces sur neuf d'envergure. Elle 
aélé découverte en Egypte, dans les anciens tom- 
beaux d’Ombos et de Thèbes. 

On a fait une espèce (1) d’une variété à peine dis- 
tinete qui vit au Sénégal, où elie fut découverte par 
Adanson, et que Daubenton, le premier, déerivit (2) 
sous le nom de lérot volant. Cette variété, longue 
de deux pouces neuf lignes, a le pelage brun en 
dessus, passant au brun cendré en dessous. 


EE — © 2 2 — 


LE TAPHIEN FILET. 
Taphozous lepturus (3). 


Est remarquable par sa longue queue grêle , fili- 
forme, entièrement libre, ou du moins ne tenant à 
la membrane interfémorale qu’à la base. Ses oreil- 
les sont larges, pointues au sommet, à oreillon 
court et recourbé. Son museau est assez large, garni 
de soies très fines. Ses poils sont gris, à teinte affoi- 
blie sous le corps. On a rapporté ce taphien de Suri- 
nam. Il est probable qu’il y aura été importé de la 
côte d'Afrique. 


"| 


LE TAPHIEN DE L'ILE MAURICE. 


Taphozcus Maurilianus (1). 


Long de trois pouces six lignes, sur près de neuf 
pouces six lignes d'envergure. Il se rapproche du 
taphien perforé, dont il se distingue par un museau 
plus aigu, par l'oreillon qui est lobalé à son atta- 
che, par ses oreilles courtes et arrondies. Son pe- 
lage est marron en dessus, roussâtre en dessous. El 
vità l’ile Maurice, ou du moins il a été envoyé de 
cette ile par M. Matthieu. 


LE TAPHIEN AUX LONGUES MAINS. 
Taph ous long manus (5). 


Est long de quatre pouces huit lignes sur treize 
pouces six lignes d'envergure. Sa tête est déprimée 


(‘) Taphozous Senegalensis, Geoff., Egypte, L. Il 
p. 127 ; Desru., Marmm., esp. 435. 

(21 Mémoires Ac des Sc., 1759, p. 386. 

@) Taphozous lepturus, Geoif, Egypte, pl. 1 , fig ds 
el pl. 4, is. 6 : Vespertilio lepturus, Screb ADLO ZE 
VF. Marupialis, Müller; Saccopterys lepturuxæ, Illig., 
Prod 

() Geoff. Egypte, t. Ii, p. 427 ; Desm., 496c. 

(5) Hardwicke, Descript. of a new sp. Of tailed bat: 
(Linp. Trans, t. 1%, p. 525, pl. 27 ). 


? 


éntre les oreilles et brusquement atténuce vers le 
museau. Les oreilles sont droites, de forme ovalaire, 
et garnies de plis en dedans, avec un oreillon oblong. 
La queue à un pouce de longueur. Le corps est par- 
tout vêtu de poils très mous et très denses, roux- 
brunâtre chez les adultes, noirs chez les jeunes , et 
plus clairs en dessous. Les bras et les doigts sont 


-très longs. Il fréquente les habitations de Calcutta, 


surtout le soir, attiré qu’il est par la lumière. Il se 
nourrit d'insectes. 

Le docteur Harlan pense qu'on doit regarder 
comme une espèce du genre taphien, la chauve- 
souris rouge de Pensylvanie (!), décrite et figurée 
par Wilson dans son Ornithologie ( pl. 55, fig. 4}, 
et qui vit dans le nord de l'Amérique. Nous igno- 
rons quels peuvent être les Taphozous saccolaimus 
de Temminck, et T. brachmanus de Griflith. 


a | | 
LES MYOPTÈRES. 
Myopteris (?). 


Ont le nez simple, le chanfrein lisse, court et 
obtus ; les oreilles amples et latérales, munies d’un 
petit oreïllon. La membrane interfémorale est 
moyenne, et engage à sa base la queue qui est lon- 
gue et libre dans le reste de son étendue. Le système 
dentaire est formé d’incisives ©, les inférieures bi- 
lobées, tandis que les supérieures sont pointues et 
contiguës , de canines ; et de molaires =, celles-ci 
à trois pointe:. 

Cette petite coupe générique repose sur une seule 
espèce que personne n’a revue depuis Daubenton, 
qui la décrivit sous le nom de raf-volant (?), et que 
les naturalistes appellent myoptère de Daubenton, 
Myopteris Daubentonii (f). Ce chéiroptère a trois 
pouces de longueur, la queue non comprise. Ses 
oreilles sont larges, ses membranes teintées de blanc 
et degris, et son pelage brun en dessus, blanc sale 
teinté de fauve en dessous. On ignore où il vit. 


LES DINOPES. 
| Din ps (). 


Sont des molosces et des nyctinomes ayant deux 
incisives supérieures et six à la michoire inférieure, 


{) Warden, Descripl. des Etats-Unis, L V, p. 608. 
(Vesp rufus). Rubro oanus ; dentibus primoribus 
infra sex 

(2) Geolf., St.-Hil, 

(5) Mém. Ac. roy. des Sc. 1759, p. 386. 

(4) Ceoff, Egypte, Lexte, t. IH, p. 113 ; Desm.,Mamm., 
esp. 199. 

(S) Savi, Nuov. gior. di lett., no 21; Bull, Férus., 


328 


car la formule dentaire est celle-ci : incisives ?, ca- 
nines +, et molaire ©, total 52. Leurs orcilles 
sont réunies et étendues sur le front, la lèvre supé- 
rieure est pendante et plissée; leur queue, libre 
dans sa dernière moitié, est enveloppée dans la 
membrane interfémorale dans la première. M.'Tem- 
minck suppose que le Dinope n’est pas autre qu’un 
molosse n'ayant point encore ses quatre incisives 
supérieures. La seule espèce connue de ce genre à 
été rencontrée à Pise, où elle vit dans les maisons 
sans y être commune. C’est la dinope consacrée au 
naturaliste Cestoni de Livourne (1), dont le pelage 
est formé de poils épais, doux, gris-brun, teinté 
de jaunâtre partout , le dos excepté, où la nuance 
bruuâtre domine. Le museau les oreilles, sont 
noirs ; ces dernières, grandes et arrondies, sont lé- 
gèrement échancrées au bord externe, et recou- 
vrent presque en totalité le front. 


LES NYCTINOMES. 


Nyctinomus (?). 


Sont par tous leurs caractères des molosses, ex- 
cepté par la formule dentaire qui présente, incisives 
2, canines ; et molaires =’. Les incisives inférieu- 
res sont, les mitovennes lohées et les deux latérales 
simples. Leur museau est camus, et presque con- 
fondu avec la lèvre supérieure, qui est fendue et ri- 
dée. Les oreilles sont grandes, couchées sur la face, 
ayant ui oreillon extérieur. Leur queue est longue, 
à moitié enveloppée à sa naissance par la membrane 
interfémorale. 

* Les espèces connues vivent exclusivement entre 
les tropiques, dans les deux continents. M. Tem- 
minck ne les sépare point des molosses. LE Nycri- 
NOME GRËLE (Nyctinomus tenuis) (3). Adulte, cette 
chauve-souris a trois pouces neuf lignes de longueur, 
la queue uu pouce six lignes. Son pelage est brun- 
noirâtre , les membranes des doigts longues et min- 
ces; la queue grêle et libre dans plus de la moitié 
de son étendue, engagée dans la membrane interfé- 
morale garnie de plissures musculeuses. Ses lèvres 
sont épaisses et larges, la supérieure marquée de plis 
verticaux, tandis que l’inférieure est verruqueuse. 
Les adultes n’ont que deux incisives inférieures. On 
la rencontre dans les cavernes des rochers de Java, 
où elle est nommée lowo-churut. LE NYCTINOME pi- 


1826, t. VI, p. 386; Temm., Monog., p. 262 (Dinops, 
qui truciest vultu ). 

{) Dinops Cestoni, Savi, loc. cit ; Molossus Ces- 
toni, Fisher, Sp., p. 91. 

(2) Geoff, 

() Horsfield, Zool. resear. ; Dinops lenuis, Temm., 
pl. 19 bis. 


HISTOIRE NATURELLE 


LATE (Nyctinomus dilalatus) (1), A le pelage brun- 
noirâtre plus clair sous le corps, les membranes di- 
latées sur les flancs, la queue en partie libre. Cette 
espèce, comme la précédente, habite l’ile de Java. 
LE NYCTINOMÉ DE BourBon (Nyctinomus arel1bu- 
losus) (?). Ayant dix pouces d'envergure, a été trouvé 
par Commerson dans l'ile Bourbon. Son pelage est 
brun-noir, et la membrane interfémorale enveloppe 
les deux tiers de la queue. LE NYCTINOME pu BENGALE 
(Nyctinomus Benyalensis) (3), ou le chamchéeka des 
Indous, a une taille un peu plus forte que le précé- 
dent. Sa queue est assez grosse, enveloppée dans sa 
moitié supérieure par la membrane interfémorale, 
qui est pourvue de brides musculeuses apparentes. 
Les membranes alaires présentent un liseré marginal 
de poils. Il a été découvert dans le Bengale par le 
docteur Buchanan. LE NYCTINOME D’EcyrrTe (Nycli- 
nonmus Ægyptiacus) (*). Long de trois pouces, à le 
pelage roux en dessus, passant au brunâtre sous le 
corps, ayant une queue grêle enveloppée à moitié 
seulement par la membrane interfémorale qui n’a 
point de bride. Les membranes alaires près des flancs 
sont liserées de poils. Ce nyctinome habite les tom- 
beaux et les souterrains des grands édifices ruinés 
de l'Egypte. 


LE NYCTINOME PETIT. 
Nyctinomus pusilus (5). 


A le pelage brun noirâtre sombre en dessus , les 
ailes brunes, la queue allongée, forte, à demi en- 
gagée dans la membrane interfémorale. Sa face et 
ses oreilles sont d’un noir mat. Celles-ci sont amples, 
concaves, dressées et presque accolées. Le corps a 
vingt-une lignes, la queue dix, et l’envergure est 
de six pouces six lignes. Cette espèce a été trouvée à 
Massauach. 


LE NYCTINOME DE RUPPELL. 
Nyctinomus Ruppeilii (6). 


À les orcilles excessivement développées, recou- 
vrant la face et Les yeux par un repli interne. L’oreil- 


{) Horsf., loc. cit. 

(2) Geoff., Egypte, t. If, p. 1430 : Vespertilio aceta- 
bulosus , Herm., Obs. Zoo! , pl. 19; Desm , 163. 

(6) Geoff., Egypte, t. I, p. 130; Vespertilio plicatus, 
Buchanan. 

(+) Geoff., Eaypte, pl. 2, fig. 2 : Dysopes Geoffroyü; 
Temm., pl. 23, fig. 9. 

(5) Dysopes pumilus , Cretschm. in Ruppell, pl. 27, 
fig. A. 

(6) Dysopes Ruppellii, Temm ,Monog., pl. 18, p. 224. 


DES MAMMIFÈRES. 


lon externe est lenticulaire. La queue est déprimée 
et a plus de sa moitié enveloppée par la membrane 
interfémorale. Son pelage est abondant, fin, serré el 
lisse; deux rangées de poils bordent les membranes 
des ailes. Le museau est couvert de poils noirs, rares 
et divergents. Les lèvres sont larges, pendantes et 
plissées. Le dessus est d’un gris de souris très unifor- 
me, passant au gris clair en dessous. Sa longueur totale 
est de cinq pouces deux à six lignes, la queue pre- 
nant deux pouces, sur quatorze pouces six lignes 
d'envergure. Ce nyctinome habite Les souterrains des 
édifices en Egypte. 

Peut-être devra-t-on séparer des espèces précé- 
dentes : LE NYCTINOME NASON ( Nycltinomus nisu- 
tus) (!), dont le mufle, ainsi que l'indique son nom, 
se »rclonge en avant? Le corps est brun noir en des- 
sus, brun ou cendré en dessous. Sa queue est à demi 
libre; ses oreilles sont grandes et arrondies. Sa lon- 
gueur totale, la queue comprise, est de cinq pouces 
six lignes sur dix pouces huit lignes d'envergure. 
Les jeunes ont deux incisives supérieures, dix infé- 
rieures. Les poils de son pelage sont doux, ser- 
rés, moclleux. Cette espèce n’est pas rare au 
Brésil. 


LES THYROPTÈRES. 
Thyroptera (?), 


Sont des nyctinomes assez mal caractérisés par le 
docteur Spix, qui n’en a décrit qu’une espèce sous 
le nom de Thyroptère tricolore (Thyrop'era trico- 
lor) (3). Suivant cet auteur, leur nez est simple, et 
le pouce de la main se trouve muni d’une sorte d’é- 
cuslle subconcave. Le corps est mince, grêle, petit ; 
la queue est longue, en grande partie soudée à la 
membrane interfémorale, qui n’en jaisse guère de 
libre que le tiers. Les membranes alaires sont fort 
étroites, et les doigts des pieds égaux sont grêles, 
serrés et tous onguiculés. L'espèce type a deux pou- 
ces de longueur totale, la queue comprise, sur neuf 
pouces quatre lignes d'envergure. Le pelage est en 
dessus d’un brun fauve, passant au blanchâtre en 
dessous. Les ailes et les pieds sont noirs. Cette ves- 
pertilionide a été rencontrée à l’embouchure du fleuve 
des Amazones. 


(°) Dysopes nasutus, Temm., Spix, Vesp., pl. 65, 
fig. 7 ; Nyctinomus Brasiliensis , Isid. Geoff. Ann. Sc. 
nat. LE, p. 337, pl. 22, fig, 1 à 4. 

(2) Spix, Vesp. Bras. 

() 1bid., pl. 36, fig. 9. 


FE 


LES CHEIROMÈLES. 
Cheirometes (1). 


Les chauves-souris de ce genre ont leur système 
dentaire ainsi disposé : incisives ?, canines 2 et mo- 
laires . Les incisives supérieures sont grandes, co- 
niques, très rapprochées ; celles d'en bas sont très 
petites. Le museau s’avance en cône sillonné, et pré- 
sente trois rangées de verrues supportant des poils. 
Les oreilles sont distantes, ouvertes, présentant un 
oreiilon court et obtus, taillé en demi-cœur. La 
membrane des ailes est ample et se prolonge sur les 
flancs jusqu'aux genoux seulemeut. La membrane 
interfémorale est étroite et retient la queue dans son 
tiers supérieur. Celle-ci est conique, annelée. Les 
pieds sont robustes, courts, et terminés par des doigts 
grêles, qui présentent la singularité d'avoir des pe- 
tites touffes de poils à l’insertion de l'ongle, tandis 
que le pouce se termine par un faisceau de poils très 
prolongés au-delà de l’ongle. La seule espèce ad- 
mise par l’auteur de ce genre (Cheëromeles, de yes, 
main, et de pslo:s, membrane) est le c!eiromèle à 
collier (Cheëromel:s torqualtus) (?) long de cinq pou - 
ces et demi, sur une envergure de près de vingt- 
deux pouces. À les oreilles simples et orbiculaires. La 
lèvre supérieure sans plis, bordée d’une rangée de 
petits poils. Le pelage est plus long, plus épais sur 
le cou, et manque sur le corps, excepté sur ie ventre, 
où apparoît une bourre peu abondante. Le dos est 
done nu et ponctué. Cette espèce a été découverte par 
le docteur Finlayson, à Penang et à Sincapore, dans 
l'archipel de la Malaisie. 


LES MOLOSSES. 


Molossus (3). 


Sont des chauves-souris très reconnoissables à leur 
large museau, élevé au-dessus de la bouche, et à leur 
lèvre supérieure épaisse, d’où leur vient le nom de 
molossus, chien. Leurs oreilles très lirges sont cou- 
chées en avant et se terminent au même point sur le 
chanfrein , après avoir pris attache à la commissure 
des lèvres. Elles ont un tragus épais et lenticulaire , 
et un rudiment d’oreillon semblable à un petit pé- 
dicule implanté en avant du trou auditif. Leur inté- 


() Horsf., Zool. research. 
(@) Zbid., loc- cit. pl.; Dysopes cheiropus, Temm., 
Monog. pl. 17. 
(3) Geoff. St-Hil.; Dysopes, Illiger, Prod. 4811; 
Temm.,Monog. Ge. 
42 


330 


rieur enfin se partage en deux portions inégales par 
un pli profond, faisant saillie. La ièvre supérieure 
se trouve garnie de poils anomaux. dilatés à leur som- 
met et recourbés de bas en haut. Quelques espèces 
ont une poche gutturale sillonnée en travers, et des 
poils insérés à la naissance des ongles, aux doigts 
des pieds. 

Leur formule dentaire, variable suivant les âges, 
présente À incisives, ? canines et -* molaires. Les in- 
cisives supérieures sont aiguës, à deux lobes à leur 
base, convergentes et contiguës : les inférieures sont 
rudimentaires, bilohées et situées en avant des ca- 
nines. Celles-ci, robustes, ont un fort talon à leur 
base. Leur langue est lisse et douce, Les jeunes ont 
quatre incisives en bas. 

Les molosses ont des ailes médiocres, une mem- 
brane interfémorale embrassant la moitié de la queue. 
On les rencontre presque exclusivement dans les con- 
trées intertropicales de l'Amérique, bien que quel- 
ques uns s’avancent dans le'sud de cette contrée, 
jusque dans le Paraguay. Buffon n’a connu qu'une 
seule espèce de ce genre (1). 


LE MOLOSSE DOGUIN. 
Ml ssus rufus (?). 


Ce molosse, ainsi que son nom de doguin semble 
l'indiquer, a ie museau gros et court, ayant quelque 
ressemblance avec celui d’un chien dogue. Sa bouche 
est très fendue. Son pelage est en dessus d’un mar- 
ron foncé, à teinte plus claire en dessous. Ses mem- 
branes sont brun roussâtre. Il est long de cinq 
pouces quatre lignes sur quatorze à quinze pouces 
d'envergure On le suppose de Surinam. 


LE MOLOSSE ALECTO. 


Molossus alecto (3). 


A la tête courte, surmontée d’une crête coronale 
fort élevée et descendant sur le chanfrein. Ses ailes 
sont disproportionnées relativement au volume de 
son corps, et leur forme étroite présente de nom- 
breuses découpures. Les oreilles, plus larges que 
hautes se réunissent sur le front , et se continuent 
sur les narines en forme de ruban décurrent. Quel- 
ques longues soies sont implantées dans le croupion, 
et tout le reste du pelage imite un tissu de velours 


{) Chauve -souris de la Guyane, Baff. ( Molossus 
amplexicaudatus; Geoff., Ercycl., pl. 34, fig. 2), 

(2) Geoff. Ann. du Mur. , t. VI, p. 155. 

(3) Temm., Monog. pl. 20. 


BISTOIRE NATURELLE 


soyeux , fin et lustré. La coloration de sa vestiture 
est d’un beau noir luisant, « Sa physionomie hideuse, 
» dit M. Temminck, ses membres postérieurs très 
» courts, le peu de largeur des ailes relativement à 
» la grosseur du corps et du cou, son pelage noir, 
» tout contribue enfin à rendre le nom d’alecto très 
» convenable à cette espèce nouvelle. » Ce molosse 
a cinq pouces six lignes de longueur sur douze pou- 
ces d'envergure, Il vit dans les provinces intérieures 
du Brésil. 


LE MOLOSSE A POILS RAS. 


Molossus abrasus (1). 


Ce chéiroptère a le pelage très ras, très serré, 


. d’un marron vif et lustré, en dessus plus clair, et 


comme terni en dessous, la tête courte et obtuse, les 
formes comme les principaux traits d’arganisation de 
l’aleclo et du doguin. Le corps a de longueur quatre 
pouces trois lignes, la queue un pouce une ligne , et 
l’envergure neuf pouces sept lignes. On le rencontre 
dans les mêmes lieux que le précédent. 


LE MOLOSSE VÉLOCE. 


Molossus velox (?). : 


Les oreilles de ce molosse sont réunies sur le front 
sans présenter un ruban de peau sur le chanfrein , et 
une petite poche glanduleuse occupe le devant du 
cou. Le pelage est court et lisse, sa coloration est 
d’un brun marron très foncé, et lustré en dessus, à 
teinte plus claire et mate en dessous. Les poiis sont 
d’une seule couleur. Le corps a de longueur trois 
pouces trois lignes, la queue un pouce deux lignes, 
et l’envergure dix pouces. Cette espèce, comme la 
précédente, ne présente que six lignes de l’extrémité 
de la queue qui soit libre : elle à été découverte au 
Brésil par le voyageur Natterer, et rencontrée à Cuba 
par M Mac-Leay. Elle paroît s'être répandue dans 
toutes les îles du golfe du Mexique. 


LE MOLOSSE OBSCUR. 


Molossus obscurus (?). 


A de longueur totale trois pouces trois lignes, en 
y comprenant la queue pour treize lignes sur neuf 


() Temm., Monog., pl. 21. 

(2 Abid., loc. cit., pl. 22, fig. 4; Zool. journ., t. INT, 
p.237. 

(3) Geoff.; Temm., Monog., pl. 22, fig. 2; Molossus 
fumarius, Spix. 


DES MAMMIFÈRES. 


pouces d'envergure. Les poils qui le recouvrent sont ! 


de deux couleurs, blanc à leur naissance, puis brun 
noirätre sur le dos, puis blanc et ensuite brun cen- 
dré sur le ventre. Les lèvres sont revêtues de soies 
lisses. Cette espèce vit aussi bien à la Guyane qu’au 
Brésil. 


LE MOLOSSE NOIR. 


Molossus ater (1). 


A le museau effilé, le pelage noir lustré, seule 
ment en dessus; le corps long de deux pouces sept 
lignes , la queue d’un pouce six lignes. Il se rap- 
proche singulièrement du molosse doguin.Sa patrie 
esl inconnue. 


LE MOLOSSE D’AZARA. 
Molossus A:ara (?). 


A l'oreille arrondie, fort large , striée en dedans, 
et dont l’extrémité touche presque à celle du côté 
opposé. Son poil est court, très doux, brun obseur 
en dessus, brun en dessous. La lèvre supé.ieure est 
marquée par quelques plis verticaux; sa longueur 
est de trois pouces dix lignes sur onze pouces neuf 
lignes ; la queue a dix-huit lignes. Ce molosse ha- 
bite les villes au Paraguay. 


LE MOLOSSE A LONGUE QUEUE. 
Mulossus longicaudatus (°). 


À un pouce six lignes de longueur, sans y com- 
prendre la queue qui a quatorze lignes. Le pelage 
est cendré fauve, composé de poils très fournis et 
feutrés. Sur le museau se prolonge, du front au 
bout du museau, un ruban étroit à arête vive, 
formé par la peau qui se relève. Sa patrice est in- 
connue ({). 

Le second mulot volant de Daubenton (?) , et le 
molossus fusciventer des naturalistes (6). 


() Geoff., Mus.,t. VI, p. 55. 

(2) Petite chauve-souris obscure ou C.-S. 9e, Azara, 
Parag.t. Il, p.288, 

6, Geoff, Mus., L. VE, p.155: Vespertilio Molossus, 
L. , Screb., pl. 59. 

(:) Ceile espèce diffère sans contredit du mulot vo- 
tant, décril par Daubenton, et qui vil à la Martinique. 

Buffon ,t.X, pl. 19,fi; 2) 

6) Buffon, t. X, pi. 19, fig. 3. 

(5) Geoff., Mus., t. VI, p. 155. 


331 


LE MOLOSSE CHATAIN. 
Molossus castuneus (1). 


Dont le poil est serré, doux, peu long, châtain 
sur le corps, blanchâtre en dessous; les ailes sont 
noires; long de quaire pouces neuf lignes sur treize 
pouces neuf lignes d'envergure, la queue de un 
pouce onze lignes. Les oreilles sont très larges, ar- 
rondies vers leur bord supérieur. El vitau Paraguay. 


LE MOLOSSE À LARGE QUEUE. 
Molossus laticaudatus (?). 


Ce molosse, brun obscur en dessus, à teinte blan: 
châtre sous le corps. a quatre pouces de largeur sur 
douze pouces d’euvergure ; la queue a dix-sept ou 
dix-huit lignes ; la membrane interfémorale naît au 
tarse el se termine au milieu de la queue, qui, dans 
sa portion libre, se trouve bordée de chaque côté 
par un repli de membrane rudimentaire. L’oreille, 
étendue horizontalement, est large, arrondie, et se 
trouve munie en dessous d’un oreillon vertical. Des 
rides nombreuses marquent la lèvre supérieure dans 
le sens vertical ; la langue est doublée par une du- 
plicature de la muqueuse, qui simule une deuxième 
langue. Cette espèce vit au Paraguay. 


LE MOLOSSE A GROSSE QUEUE. 


Molossus crassicaudatus (?). 


À le museau aigu et fendu; les oreilles médiocres, 
ayant un oreillon épais, lenti ulaire, dirigé vers 
l’œil. La membrane interfémorale enveloppe plus de 
la moitié de la queue, et prolonge sa partie libre 
jusqu’à la pointe par deux replis latéraux. Le poil 
est court, d’une extrême douceur, brun-cannelleen 
dessus, à teinte plus faible en dessous. Le corps a 
trois pouces six lignes, la queue seize lignes, et 
l'eavergure dix pouces neuf lign?s. Est comme les 
espèces précédentes du Paraguay. 


RE 


LE MOLOSSE À QUEUE POINTUE. 
Molossus acuticaudatus (1). 


À la queue iongue, presque entièrement envelop- 
pée dans la membrane interfémorale qui dessine un 


1e} Geoff., Mus., t. VE, p. 455 : chauve-souris châtaine 
ou Ge ‘Azara, parag.t. HE, p. 282. 

2) Geoff, Mus:,t, VI, p. 156 ; chauve-souris 8e, ou 
obscure; Azara.,.Par,, t. II, p. 286. 

(G) Geoff. , loc cit. : chauve-souris brun-cannelle ou 
10e; Azara, Par.,t. if, ». 290, 

(4 Desm., Famin.,p, 416 ,e:p 160, 


292 
angle très aigu. Son pelage est brun-noir , lavé de 
fuligineux ; ses ailes sont très étroites ; ses oreilles 
grandes , peu relevées, à oreillon arrondi ; le poil 
est doux, long; le corps a dix-huit lignes, la queue 
autant ; les ailes sont très longues. Cette espèce à 
été découverte au Brésil par M. Auguste de Saint- 
Hilaire , et peut-être est-ce le jeune âge du molosse 
à poils ras ? 


| 
LE MOLOSSE PEROTIS. 
Molossus perotis (1). 


À quelques rapports avec le molosse roux. $es 
oreilles, grandes et très larges, sont partagées en 
deux poches; sa queue est robuste, nue, enveloppée 
dans sa moitié à peu près. Les poils qui recouvrent 
le corps sont épais, gris rougeitre foncé et brun en 
dessus, plus clair en dessous. Une glande d’où 
suinte un liquide fétide s'ouvre sur la poitrine. La 
face est nue; le corps est long de quatre pouces 
trois lignes, la queue de vingtlignes, et l'envergure 
de vingt-un pouces. Ce molosse a été observé par le 
prince de Wied Neuwied, dans le village de San- 
Salvador-dos-Campos , sur les rives du Parahiba. 


—————_—_— — — … … 


LE MOLOSSE OURSIN. 
Molossus ursinus (?). 


Est entièrement noir; son corps et ses membres 
sont épais et robustes ; les orcilles se réunissent sur 
le front. Ses dimensions sont de trois pouces six li- 
gnes pour le corps, un pouce trois lignes pour la 
queue, etun pied trois pouces six lignes d’enver- 
gure. Les narines sont triangulaires ; les oreilles ar- 
rondies. échancrées à leur bord, munies d’un oreil- 
lon externe, petit et subglobuieux. Le docteur Spix 
a rencontré celte chauve-souris dans la province du 
Para. Peut-être ne diffère-t-elle point de lalecto ? 

Quelques naturalistes placent parmi le: molosses 
le vespertilio auripendulus de Shaw (), dont le 
museau est camus , les oreilles simples, acumirées 
et pendantes. Le pelage est d’un châtain foncé en 
dessus , à teinte plus claire sur le ventre et cendrée 
sur les flancs. Sa taille est de trois pouces quatre 
lignes sur quinze pouces d'envergure; sa queue al- 
longée est à demi enfermée dans la membrane in- 
terfémorale, etse termine par un onglet. On le dit 
de Ja Guyane. 


() Dysopes perotis, Wied Neuw.,It., t. If, p. 227. 

(2) Spix, Vesp. bras., pl. 35, fig. 4. 

(G) Gener., Zoo!., t, 1, p. 437 ; Pennant, Quad, , {. IH, 
p. 313. 


HISTOIRE NATURELLE 


M.F. Cuvier paroit avoir adopté le nom de dy- 
sopes d’Illiger, tout en lui assignant de nouveaux 
caractères ; car on lit dans l’ouvrage sur les dents, 
de cet auteur, que son dysopes meops de l'Inde à 
deux incisives supérieures, quatre inférieures, deux 
canines à chaque mâchoire, quatre fausses molaires, 
quatre normales de chaque côté en haut, quatre 
fausses et six vraies en bas. Dans ses écrits posté- 
rieurs, M. Cuvier ne parle plus de ce genre. 


LES STÉNODERMES. 
Stenoderma (1). 


Ont vingt-huit dents, c'est-à-dire incisives ‘, ca- 
nines {, et molaires ‘, sans fausses mâchelières. 
Leur nez est simple; leurs oreilles, moyennes, sont 
distantes et placées sur les côtés de la tête, munies 
en dedans d’un oreillon. La queue est nulle, et la 
membrane interfémorale rudimentaire borde les 
jambes. La seule espèce connue est le STÉNODERME 
ROUX (Ste:ode ma rufa (?). A pelage roux-châtain 
uniforme, ayant lesoreillesovales, un peu échancrées 
au bord externe. Le corps est long de trois pouces 
sur dix d'envergure. On ignore le pays où elle vit. 


LES NOCTILIONS. 
Noctilio. 


Les chauve-souris, qu’on a nommées noctilions et 
aussi bec-de-lièvre, fontle passage des chauves-sou- 
ris à face simple à celles où cette partie est couverte 
de divers appendices. Leur museau, court et très 
renflé, est fendu verticalement et est garni de ver- 
rues et de tubercules charnus. Le nez, aussi dé- 
primé que les lèvres, n’a point de crêtes, de feuilles 
membraneuses ou de sillon. Les narines sont cha- 
cune entourées d'un bourrelet assez saillant. Une 
saillie triangulaire forme la partie mo\enne de la 
lèvre supérieure et descend sur les dents, et se 
trouve séparée des parties voisines par deux sillons 
profonds. La langue, large, charnue, est couverte de 
papilles molles. L'oreille est étroite, longue, poin- 
tue, ayant un tragus ouvert en une sorte de poche 
au dehors, et un petit oreillon dentelé et supporté 
par un court pédicelle. Le scrotum cest couvert d’é- 
pines ; les ailes sont très développées, et la mem- 
brane interfémorale, plus étendue que la queue, 
laisse celle-ci libre dans le quart à peu près de son 
étendue. Leurs dents sont au nombre de vingt-six, 


(:) Geoff., Egypte, Hist. nat.,t IT. 
() Jbid., loc, cit. ; Vespertilio, L.; Pteropus, Erxl. 


DES MAMMIFERES. 


2 


c'est-à-dire incisives {, canines + et molaires :. Les 
incisives supérieures varient, Îles deux moyennes 
étant larges et les deux latérales rudimentaires, tan- 
dis que les deux inférieures sônt lobées , et placées 
à côté l'une de l’autre. Les canines d’en haut sont 
plus longues que les deux qui leur sont opposées. 

Les espèces de noctilion sont encoretrès mal con- 
nues et n’ont été rencontrées que dans l'Amérique 
méridionale. Le NOGTILION D'AMERIQUE (noctilio 
Amrricanus (1) paroit avoir été décrit sous plusieurs 
noms suivant les divers états où les observateurs 
ont pu le rencontrer. De la taille du rat ordinaire 
de France, ce chéiroptère a les membranes des ailes 
d’un brun assez clair et le pelage d’un fauve-rous- 
sâtre uniforme. Les oreilles sont nues. On en con- 
noit une variété (?) ou un âge différent, de même 
taille , ayant seize pouces d'envergure sur quatre 
pouces et demi de longueur, à pelage fauve-jaunà- 
tre, traversé sur le dos par une bande longitudi- 
nale blanchâtre. Enfin dans son jeune âge (*) sa 
taille est moindre et son pelage varie du roussètre au 
brunâtre en dessus, et du blanc au cendré-clair en 
dessous. Ces noctilions ont été rencontrés au Brésil, 
au Paraguay, au Pérou, dans les forêts qui bordent 
les fleuves où même dans les édifices; mais il se 
pourroit, comme ces individus ont été assez mal 
étudiés, qu’on confondit sous un même nom plu- 
sieurs espèces réellement distinctes. 

Le docteur Spix a figuré sous le nom de noctilion 
à ventre blanc une chauve-souris (#) qui semble en- 
core appartenir à l’espèce précédente. Le corps est 
en dessus d’un fauve brunâtre, passant au blanchà- 
tre en dessous. Le dos est parcouru par une bande- 
lette longitudinale blanchâtre. Le corps a trois pou- 
ces et demi, la queue cinq lignes, l’envergure 
qualorze pouces. 


1 


É— ——_— _ _ 


LES NYCTÈRES. 
Nycteris (5). 


Se distinguent sufisamment des autres chauves- 
souris par le singulier appareil de leur nez. Une 


(‘) Linné, 19e édit., p. 88, vespertiho leporinus; 
Gm., peruvian bat, Penn.,p. 365 : chauve-souris de 
la vallée d'Ylo , Feuillée Obs., LE, p. 623 : vesp. cato 
simlis americanus, Séba, Mus,, t. 1, pl. 55, fig. 1 : 
Vesp. americanus rufus, Briss., 227 : noctilio uni- 
color, Geoff., Desm., esp. 165 : noctilio rufus, Spix, 
Vesp., pl. 35. fig. {. 

(2) Noctilio dorsatus, Geoff., Desm., 166 ; pteropus 
leporinus, Erxl.; chauve-souris rougeâtre, Azara, t. I, 
p. 280 : A. vittatus, Wied. 

(@) Noctilio albiventer, Geoff., peruvian bat, Penn, 
yar. B. 

(&) Vesp. bras., pl. 35, fig. 2, 3. 

{5) Geoff, St.-Hil., Vespertilio, auct. 


399 
fosse est creusée tout le long du chanfrein en ligne 
droite, et sur ses bords s’avancent deux replis de la 
peau de la face auxquels s’attachent deux lames ar- 
rondies recouvrant la partie moyenne de ce même 
sillon. Les narines s'ouvrent à l'extrémité de celui- 
ci sans avoir aucun organe foliacé ou compliqué. Les 
oreilles sont remarquables par leur ampleur, et 
leurs bords entiers et rapprochés se réunissent sur 
le front. Une sorte de bride les partage en deux ca- 
vités, et leur oreillon est très court. La lèvre supé- 
rieure est entière et simple, tandis que l’inférieure 
présente trois mamelons dénudés. La langue subar- 
rondie est recouverte de papilles aiguës très fines. 
La queue, terminée par un cartilage bifurqué, se 
trouve complétement enveloppée par la membrane 
interfémorale. 

Les dents sont au nombre de trente, c’est-à-dire 
< incisives, : canines et  molaires. Les incisives su- 
périeures sont lobées et séparées en deux paires, 
tandis que les inférieures, également lobées, sont 
disposées en cercle. 

Ces chauves-souris se retirent dans les cavernes et 
ont leur peau peu adhérente aux muscles ; on ne les 
rencontre que dans l’ancien monde, surtout en 
Afrique, et une espèce dans les iles de la Sonde. 

Buffon n’a connu qu’un animal de ce genre, son 
autre chauve-souris elsa chauve-souris étrangère (1) 
est celle que Daubenton à décrite sous le nom de 
Campagnol volant(*?), et qui est la nyctère de Dau- 
benton () des auteurs systématiques. 

Les autres nyctères sont, 1° LE NICTÈRE DE Java 
(nycteris Javanicus ) (f), ayant deux pouces six li- 
gnes de longueur, un pelage roux vif sur les parties 
supérieures du corps, passant au roussâtre en des- 
sous, et que l’on dit être de Java. Mais il se pour- 
roit qu’il fût de la côte de Coromandel. 2° LE nyc- 
TÈRE Du Cap (nycteris Capensis) (5), n'ayant que 
deux pouces de longueur sur dix pouces d’enver- 
gure, l’occiput et le dos d’un fauve noir, les côtés 
du cou d’un blanc sale, le dessous du corps cendré, 
les membranes alaires rougeûtres, le sommet du 
uagus semi-arrondi, vêtu d’une toufle de poils 
blancs. Cette espèce vit dans l’intérieur de l'Afrique 
méridionale et dans l’île de Pâques. 5° LE NYCTÉRE 
APPROCHANT (nycteris affinis ) (5), qui vit égale- 
ment au Cap, et dont la longueur ne dépasse pas 
deux pouces. Ses oreilles sont plus larges qu’au pré- 
cédent ; son tragus court est semi-arrondi au som- 
met, la queue est profondément fourchue. L’occiput 


GT. X, p.88, pl. 20), fig. 1,2. 

() Acad., 1759, p. 387. 

() Nycteris Daubentoni , Geoff., Desm., esp. 191 ; 
vespertilio hispidus, L. 

(+, Geoff. , Egypte, t. 11, p. 123 ; Desm. 192. 

(5) Smith, Zool. Journ., t. IV, p. 433. 

{5) 1bid., loc, cit. 


334 


et le dos sont rouge fauve; les côtés du cou rouge 
blanchâtre; une tache rousse derrière l'oreille, une 
teinte fauve blanchätre sous le corps, et des mem- 
branes noir brunâtre. 4° La dernière espèce et la 
mieux connue est le NICTÈRE DE LA FHÉBAIDE (nyc- 
teris Thebaïus ) (*), très bien figuré dans les belles 
planches du grand ouvrage de la commission d’É- 
gypte. Le corps a vingt-deux lisnes, la queue vingt- 
trois lignes sur neuf pouces d'envergure, Une tête 
grosse , un museau renflé, une boucle très fendue, 
une lvr: inférieure offrant deux bourrelets épais et 
dénudés, de très longues oreilles, donnent à ce 
nyctère une phy ionomie remarquable. Ses brassont 
courts el proportionneliement larges, mais en re- 
vanche la membrane interfémorale longue dépasse 
notablement les pieds, etest régulièrement échan- 
crée sur les côtés de son bord libre. Son pelage est 
gris-brun en dessus, teinté de gris-clair en dessous. 
Se rencontre en Egypte , au Sénégal. 


EE —— 
LES RHINOPOMES. 


Rhinopoma (?). 


Les caractères de ces chéiroptères sont, un chan- 
frein creusé en gouttière ; des oreilles aussi larges 
que hautes, ayant un oreillon lancéolé, et toutes les 
deux réunies sur le front. Les narines , en fentes 
obliques, sont entourées par une sorte de sphync- 
ter qui les ferme avec élasticité, et s’ouvrent à l’ex- 
trémité d’un petit groin détaché du museau par en 
haut et à angle droit. La lèvre supérieure ne descend 
point au-delà de la partie inférieure du groin, et 
l'inférieure se termine par deux mamelons séparés 
par un léger sillon. Les ailes sont longues, la mem- 
brane interfémorale est en revanche très étroite, et 
laisse libre la queue dans sa longueur. Leurs dents 
sont au nombre de vingt huit, c’est-à-dire, incisives 
2, petites, coniques, écartées l’une de l’autre en 
haut, et les quatre d’en bas trilobées, irrégulière- 
ment placées, canines ; et molaires ©, les deux an- 
térieures de la mâchoire inférieure fausses. 

Les rhinopomes ne diffèrent point par leur ma- 
nière de vivre des vespertilions. On n’en connoît 
que deux espèces , l’une de l’ancien monde, et l’au- 
tre que l’on croit de la Caroline du sud. Ce sont : 
LE RHINOPOME MICROPHYLLE (rh nopoma micro- 
3 hy um ) (3) qu'on a eru à tort être l'espèce figurée 
par Belon ( Ois., Liv. IF, p. 147), sous les noms de 


() Geoff., Egypte, pl. 4, fig. 1 et 2. N. Geoffroyi, 
Desm., 190. 

(2) Geoff, 

6; Ibid., Desm.,esp. 493: Vespertilio microphyllus, 
Brunn, Copenh., pl. 6, liv. 4 à 4. 


HISTOIRE NATURELLE 


nycleris, souris chiuve, rattepenade, etc. Car il 
s’agit d’uu oieilard dans le Lvre du père de l’Orni- 
thologie franco se. Le rhinopome microphyile ou à 
pelite foliole nasale, a le pelage cendié, la queue 
très longue et très grêle, deux pouces dans les di- 
mensions du corps , vingt deux lignes pour laqueue, 
sur une envergure de sept pouces quatre lignes. Les 
poils sont longs et touffus. Il vit dans les souterrains 
des pyramides d’Eg; pte. Son naturel est irritable, 
et il a la singulière habitude d'ouvrir et de fermer 
fréquemment ses naseaux. LE RHINOPOME DE LA Ca- 
ROLINE ( rhinopoma Carolinense) (1), qui n’est pas 
de cette partie du monde très probablement , et qui 
n’a été nommé ainsi que parce que M. Brongniart 
croyoit l’avoir reçu de la Caroline du sud, est carac- 
térisé par des oreilles triangulaires de médiocre di- 
mension, un pelage : run, une queue assez robuste 
engagée dans la membrane interfémorale dans sa 
premiere moitié. Son corps a deux pouces, la queue 
dix-huit lignes sur huit pouces d’envergure. 


LES MORMOOPS. 
Mormoops (?). 


Les chauves-souris ainsi nommées par le docteur 
Lcach se distinguent des phyllostomes par leur 
système dentaire et aussi par quelques autres carac- 
tères. Ainsi on compte“ incisives, 5 canines, +? mo- 
laires : total 54%. Les incisives supérieures sont in- 
égales , les deux moyennes profondément entaillées 
à leur milieu. Les deux latérales sont remarquables 
par leur petitesse, leur disposition aiguë et leur 
forme obliquement acuminée. Celles de la mâchoire 
inférieure sont toutes quatre assez régulièrement tri- 
fides, bien que chaque pointe soit arrondie à son 
sommet. Les canines supérieures sont du double 
plus grandes que les incisives, ellesse trouven être 
subeomprimées, creusées en gouttière en devant, 
et dilatées en dedans et à la base. Les inférieures 
sont moins hautes, et munies d’un renflement in- 
terne au point d’adhérence avec l’alvéole. Les mo- 
laires varient. en haut ; la première est petite, aiguë, 
élargie à sa base, en arrière et en dehors. Les troi- 
sième, quatrième et cinquième ont un fort tuber- 
cule à leur partie basale interne ; les troisième et 
quatrième marquées de trois mamelons externes, et 
de deux dents excavées internes, tandis que la cin- 
quième 1,’a qu’un mamelon sur le bord interne. Les 
trois premières molaires inférieures sont aiguës, 


(1) Geoff., Desm., esp. 194. 

(>) The caracters of seven genera ofbats with folia- 
ceous appendages to the nose, by Wülliam Elford 
LEAC& ( Trans, soc.linn,, Lond,, t, XIII, p.73). 


DES MAMMIFÈRES. 


comprimées, dilatées ; les quatrième, cinquième et 
sixième, plus longues, ont en dessus cinq festons. 

La seule espèce connue est une chauve-souris de 
la Jamaïque, découverte par M. Lewis : c’est le 
MORMOOPS DE BLAINVILLE, (1) ayant une feuille droite 
sur lenez etadhérente avec les conques auriculaires. 
La queue est comme bifurquée à son sommet , et se 
trouve être entièrement engagée dans la membrane 
interfémorale qui la déborde de beaucoup, excepté 
une dernière vertébre quise trouve libre et flottante, 
bien que peu discernable. Le front est brusquement 
élevé, en laissant entre lui et les maxillaires une 
profonde dépression. La lévre supérieure est lobée, 
légèrement crénelée , tandis que l’inférieure s'étend 
en une membrane à trois festons, ayant au milieu 
un appendice charnu disposé en une sorte de dia- 
dème. De chaque côté du menton part un feston 
membraneux qui va se souder avec le pavillon de 
l'oreille. La langue es: hérissée de papilles recour- 
bées, bilides en avant, et multifides et plus dévelop- 
pées en arrière. Le palais, transversalement élevé, 
se trouve ondulé dé sillons,le crâne paroit brusque- 
ment séparé de la face. 

Cette chauve-souris a de larges oreilles à deux 
lobes par le haut, et le nez recouvert de tubercules 
irréguliers. Sa face est des plus bizarres ; son pelage 
est composé de poils longs, droits, peu épais. 


LES MONOPHYLLES. 
Monophyilus (?). 


Les monophylles ont ‘ incisives, ? canines et = 
molaires; les incisives supérieures sont inégales, 
ayant les deux moyennes les plus longues, bifides, 
les latéralesétroites, tronquées à leur bordexterne, 
dilatées à leur base. Les canines d’en haut sont très 
renfiées en avant et en arrière ; c Iles d’en bas sont 
bordées en dedans et à leur base, n’ayant de dilaté 
que le bord postérieur. Les molairessupérieures sont 
distantes et bifides pour les deux premières, tuber- 
culeuses pour les autres. La feuille nasale est sim- 
ple, droite ; la queue est courte. La face est allon- 
gée, et le crâne est un peu plus élargi que la face. 

La seule espèce connue habite la Jamaïque : c’est 
le MONOPHYLLE DE REDMANX ($), ayant le menton 
couvert de longs poils, les orcilles arrondies , et la 
feuille nasale aiguë, blanchâtre et velue, 


() Mormoops Blainvill'i, Leach, Loc. cit., pl VI. 
() Leach, Trans soc, linn , Lond, ,t. XUL pl. 75. 
) Monophyllus Redmani, Leach, color supra fus- 


339 


LES NYCTOPHILLES. 
Nyctophillus (1). 


Ont deux feuilles droites, dont la postérieure est 
Ja plus longue. L’extrémité de la queue, formée de 
cinq vertèbres, dépasse le rebord de la membrane 
interfémorale, et présente une pointe acuminée. 
Les oreilles sont larges, médiocrement élevées. Le 
système dentaire est formé de 2 incisives, 2 canines 
el: molaires; total 28. En haut, les deux incisives 
sont allongées, coniques, aiguës ; les canines sont 
de même forme, mais simples ; la première molaire 
est aiguë, munie en arrière d’un tubereule. La 
deuxième et la troisième sont quadrituberculées , la 
quatrième n’en a que trois. En bas, les incisives 
sont égales, trifides, à lobes arrondis ; les canines 
armées en arrière d’un appendice aigu ; les molaires 
sont, la première simple, conique, aiguë; les 
deuxième, troisième et quatrième, tuberculeuses. 

La seule espèce de ce genre est le nyctophille de 
Geoffroy (2), fauve jaunâtre en dessus, blanchâtre 
en dessous, dont la patrie est ignorée. 


LES ARTIBÉES. 
Artibeus (3). 


Sont des phyllostomes par leurs incisives supé- 
rieures moyennes bilides, et par l’ensemble de leurs 
caractères, mais s’en distinguent par leurs incisives 
inférieures entières. Les artibées ont donc < incisi- 
ves, ; canines et -— molaires. Ils ont deux feuilles 
nasales, une horizontale ondulée, et l’autre verticale 
et acuminée ; la queue nulle. La membrane interfé- 
morale échancrée jusqu’auprès de sa base. La face 
esto'tuse. marquée de deux sillons. Le crâne est 
ample, bien qu’à peine plus large que le museau. 

Les incisi\es supérieures sont : les deux moyennes 
bifides, les latérales courtes et obtuses. Les infé- 
rieures sont tronquées , présentant les deux moyen- 
nes allongées , el creusées d'une gouttièreen devant. 
Les canines d’en haut sont les plus fortes ; elles sont 
étranglées en dedans, dilatées en arrière. Les mo- 
laires du maxillaire supérieur sontenfléesen dedans, 
la première petite, la troisième la plus volumineuse. 
Celies du maxillaire inférieure sont, les première 


() Leach, Loc. cit , p 78. 
(2) Nyctophillus Geoffroyi, Lerch; dorsum lutes- 
cente-fuscum. Fenter pectus et qula sordidé albidæ ; 


Cus, sublus murinus. Membrane omnes, aures el | membranæ fuscescentæ nigræ 


rhinophyllus fusci. 


(3) Leach, Traus. soc. linn., Lond.,t. XIHI, p. 79. 
Phyllostoma , Spix ; Horslf, 


936 


et deuxième , acuminées ; la deuxième la plus lon- 
gue, Les troisième et quatrième les plus larges, 
toutes tuberculeuses en dedans ; la cinquième est la 
plus petite. 

Le docteur Leach n’a brièvement mentionné 
qu’une espèce de ce genre nommée par lui ARTIBÉE 
DE LA JAMAÏQUE (1), que plus tard Horsfield a décrite 
avec d’amples détails sous le nom de phyllostome de 
la Jamaïque (?). Cette espèce de chauve-souris a un 
corps robuste couvert partout de longues soies mol- 
les; la couleur du dos, du dessus de la tête, est 
un gris tirant sur le brun, mais sans aucune nuance 
de jaune ou de rouge ; en dessous, elle est plus pâle 
et bleuâtre ; chaque poil du dessus se trouve être 
plus foncé à l’extrémité, de sorte que la fourrure 
paroit ou plus sombre ou plus claire suivant la po- 
sition ; sur le ventre, elle cest satinée et a l'éclat de 
l'argent. 

Les ailes, la membrane interfémorale et les ap- 
pendices du nez sont presque noirs. Les oreilles très 
étroites, arrondies, sont tant soit peu allongées. Le 
nez est couvert sur les côtés d’un duvet moelleux, 
parmi lequel quelques soies rudes sont éparpillées. 
Des quatre incisives supérieures, les deux latérales 
sont les plus petites; les incisives inférieures sont 
de même longueur et disposées régulièrement. La 
membrane interfémorale est profondément échan- 
crée. Les doigts sont semblables en longueur et en 
forme, et sont tous dans une même direction. Les 
griffes sont partiellement couvertes de poils rudes. 

Les lèvres sont bordées par une série régulière de 
verrues, et la bouche est pourvue intérieurement 
d’une membrane étroite et frangée. Son envergure 
est de quinze pouces sur quatre pouces dix lignes 
de longueur. 

À ce genre appartient encore le phyllostoma 
planirostrum de Spix (figurée pl. 56), qui se dis- 
tingue de l'espèce de la Jamaïque par la structure 
et l'adhésion de la portion inférieure de la mem- 
brane nasale, par l’absence des verrues sur les côtés 
du nez, ainsi que par d’autres particularités. Li vit 
au Brésil. 


LES PHYLLOSTOMES. 
Phyllostoma (3). 
Les phyllostomes ont été ainsi nommés de l’appa- 


() Artibeus Jamaïicensis. 

(2) Phyllostoma Jamaicense, WHorsf., Zool. journ., 
t.IL,p. 236, pl. suppl. 21. Capite sub compresso, 
maso ad latera pilis brevibus vestito : veæillo nasali 
inferiore anticè abbreviato, adnato , lobo marginali 
utrinque sulco solitario exarato ; corpore robusto, 
supra canescente fusco, subtus pallidiore, pilis sub- 
elongatis, molissimis. 

() Geoff., Cuv., Hlig., Desm , vespertilio, L. 


HISTOIRE NATURELLE 


reil compliqué qui semble être une dépendance de 
l’organe de l’odorat, environnant ou surmontant les 
narines, tantôt disposé en feuille, tantôt formant un 
bourrelet diversiforme. 

Le système dentaire est composé de trente-deux 
ou trente dents : {ou * incisives, ? canines et = mo- 
laires. Les incisives inférieures sont lobtes et dispo- 
sées régulièrement en arc de cercle, tandis que les 
supérieures sont, les latérales petites et rudimen- 
taires, les moyennes bilobées. 

La membrane nasaie, arrondie à son attache, se 
dresse en se rétrécissant pour finir en pointe obtuse. 
Elle est côtoyée par deux sillons profonds qui se ter- 
minent aux parines, et qui la partagent en deux por- 
tions ; l’inférieure assez semblable à un fer à cheval, 
et la supérieure qui imite un fer de lance. Enfin la 
partie moyenne de la feuille est plus épaisse et plus 
charnue que les latérales, qui sont fort rétrécies in- 
férieurement par les sillons des narines, ce qui fait 
que la portion lancéolée s’atténue à ses deux extré- 
mités. Cetie membrane n’adhère aux téguments de 
la face que sur le rebord des narines. 

Les oreilles sont larges, élevées, échancrées sur 
leur bord postérieur, puis terminées en bas par un 
petit lobule, ayant un orcillon pectiniforme. La 
bouche est assez largement ouverte, et les lèvres 
ont leur rebord mamelonné, et la partie moyenne 
de l’inférieure offre une mamelon environné de tu- 
bercules plus petits disposés à angle ouvert. Des pa- 
pilles cornées recouvrent la langue. Les ailes sont 
amples, ayant le doigt du milieu avec une phalange 
de plus. La queue varie en longueur ou manque 
complétement, et la membrane interfémorale est 
courte. 


Les phyllostomes vivent dans l'Amérique méri- 
dionale, et surtout à la Guiane, au Brésil et au 
Paraguay.Ce sont des chauves-souris nocturnes qui 
peuvent entamer la peau des animaux endormis, et 
sucer le sang qui s'échappe des plaies, à la manière 
des vampires. 

Buffon a connu dans ce genre le Phyllostoma 
hastatum, qu’il a décrit sous le nom de Chauve- 
souris-fer-de-lance (*), et le Phyllostoma perspi- 
cillatum, qui est son grand-fer-de-lance de la 
Guyane (?). L 

Les autres espèces sont, 4° LE PHYLLOSTOME CRÉ- 
NÉLE (Phyllostoma crenulatum) (3), à museau court, 
épais et obtus, ayant des oreilles larges et ovalaires; 
une feuille nasale taillée en triangle et dentelée sur 
ses bords, ne se détachant pas du fer à cheval qui 
la supporte. Le bout de la queue est libre. Sa len- 
gueur est de trois pouces deux lignes sur douze 


= 4 


(9) T. xt, pl. 33. Vespertilio hastatus, L. 
@; T. vu, pl. 74. Encycel., pl. 32, fig. 4. 
(3) Geoff., Ann. Mus,, 15, 483, pl. 40; Desm. , 119. 


DES MAMMIFÉRES. 


pouces d'envergure. Sa patrie est inconnue. 2° LE 
PHYLLOSTOME A FEUILLE ALLONGÉE (Phyllostoma 
elonga‘um) (:), dont on ignore également la patrie. 
Ses oreilles sont larges, striées et étroites vers le 
bout, ayant leur orcillon dentelé. Le museau est 
court et gros. La membrane interfémorale est cou- 
pée carrément, et le bout de la queue se trouve 
libre sur elle. La feuille nasale, très allongée et 
très aiguë à la pointe, et lisse à ses bords, repose à 
son attache sur un bourrelet sinueux soudé en avarit 
au fer-à-cheval qui est très étroit. Il a de longueur 
quatre pouces trois lignes sur quinze pouces d’en 
vergure. 


5° LE PHYLLOSTOME RAYÉ ( Phyllostoma linea- 
tum) (?). Est long de trois pouces sur treize pouces 
d'envergure. Son pelage à teinte brunâtre en dessus, 
plus clair en dessous, est marqué d’une raie blanche 
qui va de l’occiput au coccyx, en suivant la ligne dor- 
sale. Qnatre raies blanches se dessinent sur la face 
et s'arrêtent aux oreilles, également blanches, droi- 
tes, à oreillon pointu. Le museau est obtus, la 
feuille très acérée, et le fer-à-cheval arrondi. On le 
trouve au Paraguay. 

4° LE PHYLLOSTOME A FEUILLE ARRONDIE (Phyll. 
rolundum) (3). A le museau plutôt aigu que plat, la 
feuille nasale arrondie à son sommet, parfaitement 
entière ; le pelage brun rougeâtre ; deux pouces neuf 
lignes de longueur sur quinze pouces neuf lignes 
d'envergure. Cette espèce est commune au Para- 
guay, où elle court sur le sol avec prestesse, en 
se jetant sur les volailles, sur les animaux domes- 
tiques, et même sur l’homme, pour er sucer le 
sang. 

5° LE PHYLLOSTOME FLEUR DE LYS ( Phyll. li- 
lium) (*). À ses mâchoires allongées, les oreilles 
droites, une feuille nasale entière aussi haute que 
large, étroite à son attache. D’Azara assure que cha- 
que maxillaire ne présente que deux incisives. Le 
museau est obtus, peu fendu. Le pelage est brun 
rougeâtre, lirant au blanchâtre en dessous. Comme 
le précédent, ce phyllostome vit au Paraguay. Ces 
trois dernières espèces n’ont pas de queue, ainsi que 
les trois suivantes. 

6° LE PHYLLOSTOME A AILES COURTES ( Phyll. bra- 
chyotum) (5). A le corps épais, des orcilles couttes et 
larges, à tragus petit et arrondi, une feuille nasale 
aiguë, un pelage couleur de suie en dessus, plus 
clair en dessous. Il vit dans les forêts du Brésil, et 
s'approche des habitations au crépuscule. Le sys- 


() Ibid., loc. cit , pl. 9. 
(2) Geoff., Ann. du Mus.,t. XV, p. 180. Ch.-souris 
rouge ou brune rayée , Azara, Par., 2,271. 
() Tbid., p. 181. Azara, t. IE, p. 273. 
(4) 1bid. et Azara ,t. IH, p. 277. Chauve-couris, #°, 
(5) Wied Neuwied, Mamm. du Lrésil, 
L 


337 
tème dentaire est ; incisives, ? canines et 22 mo- 
laires. 

7° LE PHYLLOSTOME OBSCUR (Phyll. obscurum) (2). 
A ses oreilles ovales, la mâchoire inférieure pro- 
éminente, la feuille nasale étroite et ovalaire, poin- 
tue, le pelage noirâtre, fuligineux, passant au gris 
cendré sur l’abdomen. Cette espèce a été observée 
à Villa-Viciosa, sur les rives du Paraiba, au Brésil. 
Ses dents sont ainsi disposées : ‘incisives, £ canines 
et -“- molaires. 

50 LE PHYLLOSTOME A SOURCILS (Phyllostoma su- 
percilialum) (?). A son tragus court, pointu, blanc, 
un peu robuste; le pelage brun foncé, avec une 
bande blanche s'étendant de la feuille nasale jusqu’à 
l'oreille. Il habite les bois de la Lagoa de Ponta- 
Negra, Sago, Arema, sur le pourtour des lacs, au 
Brésil. 

9° LE PHYLLOSTOME A COURTE QUEUE (Phyll. bre- 
vicaudalum) (3). À une queue fort courte, n’excé- 
dant que peu la longueur de la feuille nasale. Ses 
oreilles sont larges, à tragus court, étroit, lancéolé. 
Le pelage est gris rougeâtre, tirant au brun sur les 
parties supérieures, et au cendré clair. Cette espèce, 
voisine du phyllostome allongé de Geoffroy, vit dans 
les grandes forêts du Rio-del-Espiritu-Santo, au 
Brésil. 


LES VAMPIRES, 
Vampyrus (‘). 


Ne différent des phyllostomes que par leur sys- 
tème dentaire, qui est composé de  incisives,  ca- 
nineset,; molaires. Les incisives supérieures ont 
les deux moyennes plus longues, tronquées au bord 
externe ; les latérales obtuses sont très courtes. Les 
inférieures sont toutes égales. Les canines sont très 
robustes. Les oreilles sont aussi plus grandes que 
celles des phyllostomes. La lèvre inférieure n’a en- 
core que deux mamelons, et leur museau rétréci est 
sensiblement allongé. 

Le type de ce genre est le vampire de Buffon (°), 
de la Nouvelle-Espagne et de la Guyane ( Phyllo- 
stoma spectrum, Geoff.), le canis volans maxima 
aurita de Séba (pl. 56, t. 1), célèbre par son habi- 
tude de sucer le sang des animaux pendant leur 
sommeil. Beaucoup d’auteurs s'accordent à nier cette 
faculté, mais M. d'Orbigny, qui a long-temps sé- 
journé dans le Paraguay, affirme ce fait : « L’avi- 


() Ibid., loc. cit. 

(2) Wied Neuwied, Loc. cit. 
(°) Ibid., loc. cit. 

(*) Geoffroy. 

(5) Tom. XX, page 49. 


} 
4 


dd 
Ç1 


338 
dité de ces animaux pour le sang est telle, dit ce 
voyageur, que les naturels sont obligés, pour s’y 
soustraire, de passer les nuits sous des mousti- 
quaires, et de renfermer soigneusement leurs poules 
et leurs animaux domestiques. Le vampire choisit 
en général la nuque, le cou et le dos de sa victime, 
afin qu’elle ne puisse que diflicilement se débar- 
rasser de lui, ce qu’elle fait cependant en se rou- 
lant sur le dos. » Cette p rticularité de mœurs pa- 
roitroit propre d’ailleurs aux phyllostomes et aux 
glossophages. 

On doit regarder sans doute comme un vampire, 
le grand phyl!ostome décrit par le princede Wied (1), 
ne différant de l’espèce la plus anciennement connue 
que par des caractères peu tranchés, bien que suf- 
fisants. Le prince de Wied dit qu’on le nomme au 
Brésil, sa patrie, guandir a ou jandira, ce qui por- 
teroit à croire que c’est le vrai andira quacu de 
Pison (2). Son corps en dessus est gris brun foncé, 
tirant parfois au rougeâtre, à teintes beaucoup plus 
claires en dessous. Sa longueur est de cinq pouces 
sur vingt-deux pouces dix lignes d'envergure. La 
queue déborde très peu la membrane interfémo- 
rale. Les Botocudos l’appellent nianghenut. Quel- 
ques auteurs pensent que cette espèce est le phyl- 
lostoma hastatum de Geoffroy, la chauve - souris 
fer-de-lance de Bufon, ce qui est douteux. 

Il se pourroit que les vampires découverts par 
Spix (?) au Brésil soient des phyllostomes. 


LES MADATEÉES. 
Madatæus (i). 


N'ont point de queue ; deux appendices sur le nez, 
l'un , feuille nasale s’élevant verticalement, autre 
horizontale semi-lunaire. Les pieds sont munis de 
deux suspenseurs très courts. Ils ont des doigts 
égaux et des ongles petits et comprimés. Les lèvres 
sont frangées de papilles molles et déprimées. La 
Jangue est recouverte antérieurement de filaments 
minces et bifides, plus grands vers son extrémité ; 
à son milieu se font remarquer des tubercules bi ou 
quinquéfides dirigés en avant; à sa base deux tu- 
bercules ovalaires sont situés dans une fossette. Le 
palais est en devant marqué d’une saillie longitudi- 
nale, et muni sur les côtés en arrière de tubercules 
dirigés en avant. 

La formule dentaire se compose de trente dents, 


&) Phyllostoma macrophyllum , itin. trad. franc., 
t.lL, p. 204. 

(2) Brazil, p.290. 

6) Vampyrus cirrhosus, pl. 36, fig. 3: F.bidens, 
pl. 36, fig. 5 ; el V. soricinus, pl. 36 , fig. 2 el G. 

(#) Leach, Trans, soc, Linn., t, XIIX , p. 81. 


HISTOIRE NATURELLE 


+ incisives, = canines et -“ molaires. Les incisives 
supérieures sont inégales, car les deux médianes 
sont les plus longues, bifides, à festons obtus, tan- 
dis que les latérales sont les plus courtes et obtu- 
ses. Les inférieures sont simples, égales entre elles 
et de forme acérée. Les canines d’en haut sont plus 
robustes et plus larges que celles d’en bas. A la 
mâchoire supérieure, les molaires présentent les 
particularités suivantes : la première est petite, 
aiguë, déclive sur son bord postérieur, dilatée à sa 
base en dedans ; la deuxième, plus large et aiguë, 
est armée d'un appendice obtus; les troisième et 
quatrième soat bifides en dehors, à divisions ob- 
tuses, fortement renflées à leur base et en dedans 
où se dessinent deux tubercules ; la quatrième, plus 
courte que la troisième, a une échancrure moins 
marquée au rebord postérieur. Les molaires du 
maxillaire inférieur sont : la première acuminée; 
la deuxième, plus grande, creusée d’un sillon en 
dedans, et renflée à la base en arrière ; la troisième 
a quatre lobes obtus sur chaque côté; la quatrième 
en a trois en dedans; et la cinquième, la plus petite, 
n’a que trois tubercules. 

La seule espèce connue de ce genre, la MADŸTHÉE 
DE Lewis (1), qui vit à la Jamaïque, a le pelage noi- 
râtre, la membrane interfémorale légèrement échan- 
crée, une envergure de dix-sept pouces et les dents 
striées en travers. 


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LES BRACHYPHYLLES. 
Brachyphylla (2). 


Ont les plus grands rapports avec les glossopha- 
ges, mais s’en distinguent par divers caractères. 
Leur museau est tronqué, et le nez est séparé de la 
face par un profond sillon. La feuille nasale, très 
courte, est large et plane. La lèvre inférieure est 
échancrée, recouverte de verrues. La langue est al- 
longée et très verruqueuse ; la queue est rudimen- 
taire; la membrane interfémorale est ample, échan- 
crée, renfermant deux brides tendineuses. La for- 
mule dentaire est : incisives :, les moyennes d’en 
haut fortes, coniques, rapprorhées, et les latérales 
très petites; canines :, molaires ;%. 

La seule espèce de ce genre est le brach'phylle 
des cavernes (Ÿ), qui se tient dans les souterrains de 


() Madatœus Lewisii, ibid., p. 82. Rhinophyllus 
verticalis acuminatus , marginibus abrupté attenua- 
tis, integris ad apicem non attingentibus, hinc, has- 
tiformis ; aures acuminatæ , mediocres. 

(2) Gray, Proceedings of the Zool. Soc. of Lond., 1833 
(26 nov.). 

C) Brachyphylla cavernarum, Gray, loc. cil.; V. 
Cavernarum Guilding , MS. 

B. Suprà badia , pilorum apicibus saturatioribus , 


DES MAMMIFÈRES. 


Saint-Vincent, une des îles du golfe du Mexique. 
C’est une chauve-souris longue de quatre pouces et 
demi sur une envergure de seize pouces. Sa feuille 
nasale est oblongue, le tragus est allongé, irrégulier, 
trilobé ; quelques poils rudes recouvrent la face. Le 
mäle est de couleur bai en dessus, chaque poil 
ayant son extrémité plus foncée, et le dessous 
tirant au jaunâtre. La femelle a le cou et les ailes 
plus pâles. 

Ce brachyphylle diffère des glossophages par la 
forme et la coupe de la feuille, la structure üe la 
lèvre inférieure et ses dents. Par ses incisives supé- 
rieures, il se rapproche du vampyrus soricinus de 
Spix, et par les brides tendineuses de sa mem- 
brane interfémorale, il a de l’analogie avec le 
V. spectrum. 


LES GLOSSOPHAGES. 
Glossophaga (1). 


Sont des phyllostomes dont le museau est allongé 
et étroit, et q i ont une langue disposée en bande- 
lette fort longue, mais peu large en revanche, que 
recouvrent en avant des poils nombreux, tandis 
qu’elle est creusée à son milieu par un sillon longi- 
tudinal. Cette langue est roulée, extensible, ayant 
ses bords saillants ou relevés en bourrelet, ce qui 
forme un puissant organe de suce on. Le nez est sur- 
monté d’une feuille taillée en fer de lance. La 
queue est tantôt nulle, tantôt longue. Quant à la 
membrane interfémorale, elle est presque nulle ou 
rudimentaire. Leurs dents sont au nombre de vingt- 
quatre, à savoir : < incisives, ? canines et £ molaires. 
Les incisives sont rapprochées ou rangées par paires ; 
‘les canines sont médiocres, et les molaires de même 
forme que celles des phyllostomes. 

Ce sont des chauves-souris de l'Amérique méri- 
dionale, qui aiment sucer le sang des animaux, ce 
que leur rend facile la conformation de leur langue. 

La première est le GLOSSOPHAGE DE PA£LAS (?), 
qui vit à Surinam et à Cayenne, et que Buffon a dé- 
crite sous le nom de chauve-souris musaraigne (3). 

Les autres glossophages ont été inconnus à Buf- 
fon ; ce sont : 1° LE GLOSSOPIIAGE À QUEUE ENVELGP- 
PÉE (*) du Brésil, ayant la membrane interfémorale 
infra pallidè flavescenti badia. fæœm. pallidior. 

(7) Geoff. St.-Hilaire , mém. Mus , t. IV. 

(2) Glossophäga soricira , Geoff., mem. Mus.,t. IV, 
p. #18 : vespertilio soricinus , Pallas, Spieil. 3, pl. 3 et 
4; la Feuille, Vicq d’Azyr, anat.1, 3°: Phyllostoma 
soricinum, Geolf, Mus., &. XV, pl. 11 : Encycl., pl. 32, 
fig 5; Desm., p. 122. 

BE) TXX, pitnl 177, fig. 2. 


(1) Glossophaga amplezicaudata, Geoff., Mus., t. IV, 
p. 4185:pl:18,.A. 


339 
large, une queue courte et terminée par une nodosité; 
le pelage brun noirâtre, plus clair en dessous qu’en 
dessus. 2° LE GLOSSOPHAGE CAUDATAIRE (1), aussi 
des environs de Rio de Janeiro, ayant une mem- 
brane interfémorale très courte, débordée par la 
queue, le pelage brun noirâtre. 5° LE GLOSSOPHAGE 
SANS QUEUE (2), à membrane interfémorale rudimen- 
taire, le corps brun obscur. Des environs de Rio 
comme les deux précédents. 


uen] 


LES DIPHYLLES. 
Diphylla (5). 


Sont des glossophages dont le nombre des dents 
est de vingt-huit : { incisives, ; canines et ; mo- 
laires, et qui ont deux appendices sur le nez, tron- 
qués, ne se prolongeant point sur les côtés, et tous 
les deux peu saillants. Les oreilles sont oblongues, 
Jancéolées, courtes, à oreillon entier et en fer de 


lance. 


La seule espèce de ce genre est la diphylle sans 
queue ({), qui vit au Brésil. Elle est longue de trois 
pouces neuf lignes sur dix pouces trois lignes d’en- 
vergure. Le pelage, villeux et ai ondant, est fauve 
brunâtre sur le dos; brun gris sur la tête et le 
ventre. Les ailes sont noirâtres, et la membrane 
interfémorale et la queue manquent compléte- 
ment. 


Er 


LES MÉGADERMES. 
Megaderma (). 


N’ont point d’incisives à la mâchoire supérieure, 
mais quatre à l'inférieure, les canines comme à l’or- 
dinaire. Quant au nombre, huit molaires en haut 
et dix en bas. Les incisives inférieures sont réguliè- 
rement rangées et sillonnées sur leur tranche. Les 
canines sont épaissies à leur base et munies d’un 
fort crochet en arrière. La feuille nasale est dispo- 
sée comme celle des phyllostomes, seulement elle 
est à triplicature, de sorte que la b se s’épanouit 
pour remplir es fonctions d’opercule aux narines, 
et l’autre extrémité est variable quant à sa forme. 
Les mégadermes ont un dernier caractère bien 
tranché, c’est de joindre à l'appareil compliqué du 


(‘) Glossophaga caudifer, ibid. loc. cit., pl. 17. 

(2) Glossophaga ecaudata, ibid., pl.18,B. 

G) Spix, Vesp. Bras., pl. 36, fig. 7. 

(:) Diphylla ecaudata, Spix, loc. cit. 

(5) Geoff., Cuv.; vespertilio, L.; phyllostomus, Illig. 
glis , Séba. 


340 


chanfrein les grandes oreilles des chauves-souris 
oreillards. Ces oreilles sont soudées sur le front par 
Je bord antérieur, et leur oreillon est grand et lan- 
céolé, Le troisième doigt des mains n’a que deux 
phalanges et le rudiment d’une troisième. La queue 
manque complétement, et la membrane interfémo- 
rale est coupée carrément. Leur langue est courte 
et lisse 

Les mégadermes vivent exclusivement en Afrique 
et dans l’Inde continentale, soit dans les forêts, 
soit dans les édifices ruinés. 

L'espèce la plus anciennement connue a été dé- 
couverte au Sénégal, par Adanson; c’est le méga- 
derme feuille (!), que Daubenton a décrit sous le 
nom de chauve-souris feuille dans les OŒEuvres de 
Buffon. 

Les autres mégadermes sont: 4° LA LYRE (?), que 
les habitants de la côte de Coromandel nomment 
vaval , où elle se tient dans les maisons inhabitées. 
Sa longueur est de quatre pouces sur douze pouces 
six lignes d'envergure. La feuille nasale est comme 
rectangulaire, coupée carrément à son sommet dans 
l’état ordinaire, mais paroissant avoir trois pointes 
lorsqu'elle est déplissée. La crête nasale à la figure 
d’une lyre; l’oreillon est formé de deux lobes en 
demi-cœur; la membrane interfémorale est pourvue 
dans son épaisseur de trois tendons qui partent du 
coccyx, et se dirigent l’un en ligne droite, et les 
deux autres obliquement aux tarses, tous pour plis- 
ser et replier la membrane sur elle-même. 

Le dessus du corps est d’un gris lavé de roux, 
parce que tous les poils sont d’un gris foncé avec la 
pointe rousse. Le ventre est vêtu de poils presque 
entièrement noirs, mais blancs à leur pointe, d’où 
résulte une teinte générale d’un gris très clair ou 
blanc grisâtre. La tête est gris clair; des poils blancs 
etroux clair-semés revêtent la mâchoire inférieure ; 
les portions membraneuses sont à teinte moins fon- 
cée que chez les autres chauves-souris. 

2° LE SPASME (3), qui habite l'ile Ternate, long 
de quatre pouces neuf lignes. La feuille qui sur- 
monte le nez est taillée en cœur, de même que {sa 
portion ovalaire ou operculaire. L’oreillon est bi- 
lobé , et le lobe extérieur est aigu, tandis que l’in- 
terne est ovalaire. Le front est roux clair, et le reste 
du pelage roussâtre. 

5° Le TR£FLE (f), que les habitants de Java, sa 
patrie, nomment Lovo, mot générique qui paroît 
être consacré à toutes les chauves-souris javanaises, 


() Megaderna frons, Geoff. 

(2) Megaderma lyra, Geoff., Ann. Mus., t. XV, pl. 12 : 
Isid. Geoff.it. Bél., Zool., p. 86. 

G) Megaderma spasma, Geoff.. Mus., t. XV, pl. 12 : 
Vespertilio spasma , L. Sereb., pl. 48 ; glis volans ter- 
matensis, Séba, t.1, pl. 56, fig. 1. 

_() Megaderma trifolium, Geoff., Mus., t. XV, pl. 12, 


HISTOIRE NATURELLE 


a été confondu à tort avec le spasme dont il se dis- 
tingue par son oreillon en trèfle ou à trois branches, 
et sa feuille nasale ovalaire, supportée par un fer 
à cheval plus ample. Le corps est long de quatre 
pouces sur dix pouces d'envergure. Son pelage est 
doux et de couleur gris de souris. 


LES DESMODES. 
Desmodus (1). 


Sont des rhinolophes dont la tête est petite, très 
courte, brièveté due surtout au raccourcissement 
des mâchoires, bien que l’inférieure vienne débor- 
der légèrement la supérieure. Les membranes sont 
robustes, le pouce est composé de deux articula- 
tions seulement. La queue manque ; la formule den- 
taire est celle-ci : £ incisives, = canines, < molaires. 
Les incisives supérieures sont coniques, recourbées, 
comprimées, pointues et fort élargies à leur base. 
Celles d’en bas sont dirigées en avant et bilobées, 
chaque lobe cylindracé est arrondi. Les canines sont 
grandes, pointues , coniques, et celles d’en bas af- 
fectent surtout une disposition pyramidale. On ignore 
absolument le nombre et la forme des molaires su- 
périeures. Les inférieures sont la première et la 
deuxième à une seule pointe, recourbées en arrière, 
et sont exactement adossées l’une à l’autre. La 
deuxième est à deux pointes. 

Le nez est sillonné par divers replis de la peau, 
couverts de poils, offrant surtout trois saillies en 
bourrelets légèrement aigus. Les oreilles sont pour- 
vues d’un tragus, mais Ja langue n’a point été exa- 
minée. 

La seule espèce de ce genre a été découverte par 
le prince de Wied Neuwied, dans les vieilles con- 
structions de la Fazenda de Muribeca sur les rives 
de l’Itabapuana au Brésil. C’est le Desmode roux (?), 
long de trois pouces neuf lignes sur quinze pouces 
d'envergure environ. Ses oreilles sont médiocres, 
plus allongées qu’arrondies, à tragus étroit, simple, 
acuminé au sommet et légèrement falciforme. Les 
narines sont obliques, entourées d’un bourrelet 
élevé. Les poils qui recouvreni le corps sont longs, 
mous, assez denses, d’un jaune clair à la base, roux 
ou d’un rouge cannelle au sommet, ce qui donne 
au pelage une teinte ferrugineuse. Ï.es parties in- 
férieures sont plus claires, d’un fauve jaunätre, 
à reflets dorés. La membrane interfémorale est 
brunâtre, avec des poils fauves tirant sur le jaune 
de soufre. 


(«) Wied Neuwied, Beits. 11, p. 223. fig. 
(2) Desmodus rufus, ibid., loc. cit ; Rhinolophus 
ecaudatus , Schinz. 1, 168. 


DES MAMMIFÉÈRES. 


LES RHINOLOPHES. 
Rhinolophus (1. 


Les chauves-souris auxquelles on a donné le nom 
de Rhinolophes, ont , comme les phyllostomes, la 
membrane nasale très étendue, mais toutefois bien 
plus compliquée dans sa structure et dans son action 
directe sur l’odorat. Le nezen eflet est situé au fond 
d’une cavité assez large, sorte de réceptacle pour 
les effluves odorants, entouré d’une crête en forme 
de fer à cheval en devant, et surmonté d’une feuille. 
Les oreilles sont développées, mais privées d’oreil- 
lon. Ce dernier est remplacé par un lobe large et 
arrondi qui termine la conque dans sa partie infé- 
rieure. L'œil est situé proche l'oreille. Les levres 
‘sont entières, ayant chacune à leur partie moyenne 
deux éminences mamelonnées. La langue est large, 
épaisse, et couverte de papilles molles très fines. 
La membrane interfémorale est ample, et la queue, 
diversement longue, estle plus souvent compléte- 
ment enveloppée. Sur la poitrine s'élèvent deux 
mamelles, et l’on remarque sur le ventre deux 
verrues pubiennes simulant des mamelles, mais 
privées de glandes lactifères. 

Leur formule dentaire est la suivante : trente 
dents, dont * incisives, £ canines, = molaires. Les 
incisives supérieures sont petites, coniques, écar- 
tées l’une de l’autre, et sortant à peine des genci- 
ves. Les inférieures sont trilobées. Les molaires ont 
des pointes aiguës à leur couronne. 

Les rhinolphes habitent exclusivement dans l’an- 
cien continent, soit en Europe, en Afrique, on 
dans les iles asiatiques de la Malaisie. Ce sont des 
chauves-souris vivant d’insectes nocturnes ou crépus- 
culaires qu’elles saisissent au vol. Dans le jour elles 
se retirent dans les cavernes profondes. Les espèces 
d'Europe passent l’hiver engourdies et suspendues 
par les pieds aux voûtes des souterrains. 

Les types de ce genre se trouvent être les petit et 
grand fer-à-cheval (?) de Buffon, l’une et l’autre de 
la France et d’une grande partie de l’Europe. 

Les espèces étrangères sont : 1° LE RIHINOLOPHE 
TRIDÉNT (*). A feuille nasale simple , laminaire, ter- 
minée par trois dents. Les oreilles sont en partie 
attachées au museau par un repli du tégument, et 
fortement échancrées à leur sommet en dehors. La 
queue est courte, débordant la membrane inter- 
fémorale, qui est peu large et coupée carrément. Le 
corps est long de deux pouces dix lignes, la queue 


(:) Geoff., Vespertilio, L. 

(>) Rhinolophus unihastatus et bihastatus, Geoff., 
ou Rh. ferrum equinum et hipposideros , Leach. 

() Rhinolophus tridens, Geoff., Egypte, pl 2, fig, 1. 


341 


comprise, sur huit pouces dix lignes d'envergure. 
Cette chauve-souris habite les cavernes et les tom- 
beaux de l'Egypte. ; 

20 LE RmINOLOPHE pu Car (1), dont l'existence 
dans ce genre est douteuse. San corps est fuligineux, 
passant au blanchâtre en dessous; long de trois 
pouces six lignes, sans y comprendre la queue, qui 
a un pouce, sur une envergure de douze pouces. 
On le mentionne au cap de Bonne-Espérance. 

5° LE RHINOLOPHE DE GEOFFROY (?), qui vit dans 
le même endroit du globe que le précédent. Sa 
feuille nasale est acuminée au sommet. Le corps est 
en dessus d’un fauve couleur de bois, passant au 
rouge feu en dessous. Les membranes sont noires, 
et l’interfémorale est sillonnée transversalement de 
veinules, et à peine débordée par l'extrémité libre 
de la queue. Le corps a trois pouces, la membrane 
interfémorale un pouce, sur treize pouces d’enver- 
gure. Le bord externe de l'oreille paroit être pro- 
fondément échancré. 

4° LE RHINOLOPHÉ MAMELONXÉ ($). Découvert par 
le voyageur Ruppell au milieu des rochers qui en- 
tourent la ville de Mobila, en Afrique, et que 
caractérisent les tubereulcs qui recouvrent l’appa- 
reil olfactif. Le corps est long de deux pouces six 
lignes sur dix pouces d'envergure. Les poils qui 
composent le pelage sont mous, laineux et gris. Les 
oreilles sont profondément échancrées, ct fauves 
ainsi que les membranes. 

5° LE RHINOLOPHE DE COMMERSON (f). Ainsi 
nommé par M. Gcoffroy en l'honneur du savant 
Commerson , qui le découvrit à Madagascar, et qui 
en a laissé un dessin et une description sous le nom 
de chauve-souris du fort Dauphin, du lieu où il 
l’observa. Cet animal ressemble assez au Rh. dia- 
dème de Timor, bien que sa taille soit plus petite. 
Sa feuille nasale est simple, à extrémité arrondie, 
sans aucune bourse. sur le front. La queue est très 
courte, et la membrane interfémorale finit par un 
angle rentrant. 

6° LE RHINOLOPHE AFFINIS (°). À le pelage brun 
jaunâtre en dessus, fauve en dessous, bien qu’à 
teinte plus foncée sur la gorge et la poitrine. La 


(:) Rhinolophus capensis, Lichst. 

(2) Rhinolophus Geoffroyii, Smith, Zool. Journ.,t.Iv, 
p. 433. 

(G) Rhinolophus clivosus, Creltzsch, Rupp. Zool., pl. 
18 : Apparatu olfactorio externo clivis gradatim ela- 
tis non dissimili; scypho parvulo fosæ nasali ferro 
equino membranaceo circumdatæ interposito, se- 
quente membranä transversali concavatà, antrorsüm 
eminenti, culmine obtusäâ tunc membranä rectà, 
conjungente posteriorem transversarie posilam , has- 
tatam ; corporis colore ex fusco cinerascente. 

() Rhinolophus Commersonit, Geoff., Mus., XX, 
pl. 5. 

(5) Rh. affinis, Horsf., Zool. Java ; texte, 


342 


queue est plus courte que les pieds, La membrane 
interfémorale est lancéolée, plissée sur les bords. 
La cloison du nez est droite et uncinée, et Îles 
oreilles ont à leur bord externe sinueux un large 
lobe accessoire. Cette espèce habite l’ile de Java. 

7° LE RHINOLOPHE PETIT (!). Estde couleur plom- 
bée en dessus, teintée de f.uve brillant et passant 
au blanchâtre en dessous. La membrane nasale est 
dilatée , et la division supérieure est droite, lan- 
céolée, ayant sur ses bords et à sa base un large 
repli membraneux. La queue est plus courte que 
les pieds. Ses oreilles sont grandes, droites, échan- 
crées au bord externe, et munies d’un lobe acces- 
soire très grand. Son envergure est de neuf pouces 
anglois. El habite l'ile de Java. 

8° LE RHINOLOPHE NOBLE (?), que les Javanais 
connoissent sous le nom de febblék, et qui est re- 
marquable par son pelage pruineux, comme saupou- 
dré de blanc. Sa longueur est de quatre pouces sur 
dix-huit pouces six lignes d'envergure. Les poils 
qui les recouvrent sont longs, soyeux , un peu lai- 
neux à leur base, grisâtres en dessus, plus clairs 
en dessous. ayant sur les côtés du cou etde l’abdo- 
men une tache axillaire d’un blanc pur ; queue com- 
plétement engagée dans la membrane interfémorale, 
qui est anguleuse. Ses oreilles, larges à leur atta- 
che , ont leur sommet aigu. 

Cette espèce est assez rare à Java, Elle se nourrit 
d'insectes. 

99 LE RHINOLOPHE DÉGUISÉ (3), que les Javanais 
nomment Lowo-sumbo, est brun jaunâtre en-des- 
sus, avec des teintes plus foncées en arrière, et d’un 
fauve blanchâtre en dessous. Sa queue, plus courte 
que les jambes, dépasse de la pointe seulement la 
membrane interfémorale, qui est échancrée. Ses 
oreilles sont simples, amples, aiguës, droites, rap- 
prochées et à base large. Sa longueur totale est de 
quatre pouces sur quatorze pouces d'envergure. 
Cette espèce de Java, comme les suivantes, y est 
très rare. 

40 LE RHINOLOPHE VULGAIRE (#). Est brun en 
dessus, blanchâtre en dessous. La queue est un peu 
plus longue que les jambes. La feuille nasale est 
simple à la base ; les oreilles sont ouvertes , échan- 
crées en dehors, munies à leur attache d’un lobule 
velu. Son envergure est de douze pouces six lignes. 
Il paroît être l’espèce la plus répandue dans l'ile de 
Java. 

440 LE RHINOLOPHE DÉFORME (5). Brun en dessus, 
blanchâtre en dessous. Les membranes nasales sont 
comprimées. La face est allongée et plane. La queue 


(2) Rh. nobilis, ibid. 
() Rh. lavatus, Borsf. res. Zool. in Java. 
4) Rh vulgaris, Horsf. loc. cit. 


(9) Rhinolophus minor, Horsf, loc. cit. 
) 

(+) 

(5) Rh. deformis, Horsf, loc. cit. 


HISTOIRE NATURELLE 


est courte, Les oreilles sont larges et droites, un 
peu rapprochées. Son envergure est de douze pouces 
anglois. El se trouve é:alement à Java. 

4120 LE RHINOLOPHE DIADÈME (1). A yant une feuille 
nasale simple, à bord terminal arrondi, trois fois 
plus large que haute, enroulée sur elle-même de 
dehors en dedans : analogue par sa forme au fer à 
cheval qui la borde en devant, et formant avec lui 
une espèce de diadème ou de couronne qui entoure 
les narines. Le bourrelet de la base de la feuille est 
très saillant. Les oreilles sont moins échancrées que 
dans l’espèce qui suit. La membrane interfémorale 
-e termine par un angle saillant. Son pelage est 
d’un roux vif et comme doré, très luisant. Cette 
espèce a été découverte dans l'ile de Timor par 
Péron et Lesueur. 

45° LE RHINOLOPHE CRUMÉNIFÉRE (?). Diffère des 
autres espèces par sa feuille nasale simple ; ayant 
son bord arrondi , une cavité sans issue placée sur le 
front , en arrière de la feuille, ayant ses parois an- 
térieures nues, et son bourrelet s’ouvrant par le 
moyen d’un sphyncter. Sur les côtés du fer à che- 
val se dessinent trois replis du derme. Le pelage 
est d’un gris tirant sur un roux assez foncé. Son 
envergure est de treize pouces et demi. 

Ce rhinolophe habite l'ile de Timor et celle de 
Java, et sans aucun doute plusieurs des îles malai- 
siennes intermédiaires. 

440 LE RHINOLOPHE DU DECCAN (3).A de grands rap- 
ports avec là cruménifère ; mais il est plus petit, 
a les oreilles proportionnellement plus arrondies et 
plus larges, et son pelage est uniformément gris 
de souris en dessus. Son envergure est de dix 
pouces. 

M. Temminck, dans ses Monographies, paroît 
avoir étudié ces animaux sur de nombreux échan- 
tillons. Il en admet dix-sept espèces, et regarde les 
rhinolophes de Commerson et larvatus d’'Horsfield 
comme douteux. Ce travail ne nous est connu que 
par une courte analyse insérée dans le Bulletin z00- 
logique de M. Guérin (pag. 12 et suiv.). On sait que 
les rhinolphes vivent exclusivement dans l’Ancien 
Monde, etque c’est à tort que M. Temmincek dit qu'on 
n’en à jamais rencontré dans la Nouvelle - Hol- 
lande. 

L'auteur néerlandois divise les espèces qu’il a exa- 


(:) Rhinolophus diadema, Geoff., Mus., t. XX, pl. 5 
el 6. 

(2) Vespertilio speoris, Scb. in Screb. ; Rhinolophus 
crumeniferus, Pér. et Les., it. Terres aust., pl. 65. Rh. 
marsapialis, Geoff, gal, de Paris; Rhinolophus insi- 
gnis, Horsf. Zool. Research. 

() Rh. Duihunensis, Sykes (Proceed. of the Zoo. 
Soc., part. 4, p. 99). R. suprà murinus , infrà albido 
brunneus; auribus capite longioribus, antibrachio 
corpus longitudine æquante. 


DES MAMMIFÈRES. 343 


minées en deux groupes : dans le premier, la mem- 
brane nasale est simple avec un bord uni, tandis 
que, dans le second , elle est composée, c’est-à-dire 
que la portion antérieure est surmontée par une sorte 
de fer de lance. Ainsi il range dans ces catégories les 
rhinolophes de la manière qui suit: 


A. MEMBRANE NASALE SIMPLE. 


40 Rhinolophus nobilis, de Java et de Timor; es- 
pèce 8 de ce \olume, p. 542. 


2° —— diadema, de Timor. 
5° —— insignis, de Java; esp. 15, p.542. 
4 —— speoris , de Timor et d’'Amboine; 


esp. 15, p. 542. 
(Cette espèce ne nous paroît pas différer de l’insignis.) 


50 _—— bicolor, de Java et d’'Amboine.S.N. 
6° —— tridens, d'Egypte et de Nubie;. 
esp. 1, p. 541. 
70 —— tricuspidatus, d’'Amboine. S. N. 
8° —— Commersontit, de Madagascar, es- 
pèce 5, p. 541. 
Ye  —— larvatu:, de Java; esp. 9, p. 542. 
B. MEMBRANE NASALE DOUBLE. 
40° —— luctus, de Java. S. N. 
410 —— euryolis, d'Amboine. S. N. 
42° —— trifolialus, de Java. S. N. 


450 —— unihastatus, d'Europe, d'Afrique 
et de Syrie, décrite par Buflon. 


44 —— affinis, de Java et de Sumatra; 
esp. 6, p. 541. 

15° —— clivosus, d'Egypte et du cap de 
Bonne-Espérance ; esp. 4, p.541. 

460 —— bihastatus, d'Europe, décrite par 
Buffon. 

470 —— minor, de Java et de Sumatra; es- 
pèce 7, p. 542. 

180 ——  pusillus, de Java. S. N. 

499 —— cornulus, du Japon. S. N. 


A ces dix-neuf rhinolophes, il faut joindre l’es- 
pèce du deccan, décrite dans ce volume, page 542, 
d'apres M.Sykes, et la nouvelle espèce découverte 
par M. Bennett, à la Nouvelle-Hollande, et nom- 
mée rhino'ophus megaphyllus. 

Or, nous allons, par suite de ce tableau, donner 
les descriptions des huit espèces nouvelles qui com- 
plèteront l’histoire de celles mentionnées ci-dessus. 

Le RHINOLOPHE BICOLORE ( R'énolophus bicolor, 
Temm.). A été découvert par MM. Kubl et Van- 
Hassel. (1), dans l’île d'Amboine et à Java. Sa feuille 
nasale est petite, transversale, et remarquable par 


(") Tijdse. voor nat.,1,p.1, pl I; Bull. de Guérin, 
p.12: Temm., Monog. , in-#o, Leyde, 1835, avec fig. 


l’excroissance qui occupe l'intervalle qui la sépare 
au fer à cheval. La lèvre inférieure est couverte de 
verrues : ses oreilles sont plus longues que larges ; 
leur forme est arrondie, et elles possèdent un petit 
lobale. Leur queue est plus longue que les deux tiers 
de Pavant-bras. Le pelage est formé de poils longs, 
unis également de deux couleurs partout, c’est-à- 
dire blancs au sommet, avec la pointe brun châtain, 
et ceux du dessous blanchâtres avec les pointes bru- 
nâtres. 

Le RHINOLOPHE A TROIS POINTES (Rh. {ricuspida= 
tus,Temm.). Vit à Java, où l’ont découveri MM. Boié 
et Macklott. C’est une chauve-souris dont la feuille 
nasale est étendue et se termine par trois digitations 
inégales, dont celle du milieu se relève en fer de 
lance. Ses oreilles sont petites, étroites et pointues. 
La membrane interfémorale est coupée carrément. 
L’extrémité de la queue est libre, les poils sont fins 
et unis, teintés de brun roussâtre en dessus, brun 
obseur en arrière, d’un brun sale en dessous. Le corps 
est long de deux pouces deux lignes, et la queue a 
seule dix lignes, sur une envergure de sept pouces 
et demi. 

Le RHINOLOPHE LUCTUS (Temm.). A été découvert 
à Java par M. Boié. C’est une chauve-souris remar- 
quable par l’ampleur de ses ailes, l’allongement ex- 
cessif des oreilles, et la forme des appendices du 
nez. Sa queue, de la longueur du tibia et des doigts, 
se trouve libre à son extrémité. Le fer à cheval re- 
couvre la lèvre, et le fer de lance est formé par trois 
replis membraneux superposés, dont la base s’appuie 
dans l'intervalle des narines, en se soudant à quatre 
feuillets disposés en croix de Malte. Deux fortes ver- 
rues s'élèvent à la région inférieure des joues. Le 
pelage est partout laineux et épais, de teinte obscure. 
Ses dimensions sont les suivantes : longueur totale 
de la pointe des oreilles à l'extrémité de la queue, 
cinq pouces, la queue comprise pour vingt lignes, 
sur une envergure de quatorze pouces deux lignes. 

Le RHINOLOPHE DEUIL (1) à pré enté une variété à 
pelage roussâtre, qui vit à Manille où l’a rencontrée 
M. Lydoux. 

Le RHINOLOPHE EURYOTIS (Femm.). À ses oreilles 
très grandes, munies de lobules arrondis. Sa queue 
est courte, ne dépassant pas le tiers du tibia. Le fer 
de lance est allongé ct part de la base de la mem- 
brane, qui est simple et droite, et dont les bords sont 
arrondis. Les naïines sont rebordées par un repli 
membraneux, et sur la partie inférieure des joues se 
dessinent quatre verrues. Le pelage se compose de 
poils épais, laineux, à teinte blanchâtre à la pointe, 
et roux brun foncé dans le reste de leur étendue. La 
face, ainsi que les côtés du cou, sont brunâtres, la 


(:) Rhinolophus luctus ; var, rufu, Gervais, favorite, 
p. 9. 


344 


poitrine est blanchätre, les flancs sont brun obscur 
et le milieu du ventre brun pâle. La femelle a moins 
de roux que le mâle. Sa longueur est de qua're pouces 
onze lignes sur onze pouces six lignes d'envergure. 
Cette espèce vit à Amboiue. 

Le RHINOLOPHE A TROIS FEUILLES (R", trifo'iatus, 
Temm.). A sa feuille nasale double, et la première 
affecte une disposition transversale, en s’unissant 
au fer de lance par un appendice membraneux. Ce 
dernier est formé lui-même par deux membranes 
d’entre lesquelles naît le support commun, divisé en 
trois festons taillés en forme de trèfle. Les oreilles af- 
fectent une disposition élargie, et la queue se trouve 
être de la longueur du tibia. Le dessus du corps est 
d’un cendré roussätre; la tête et le cou sont blanc 
roussätre , et la poitrine et le ventre d’un brun cen- 
dré, tandis que les membranes alaires sont jaunâtres. 
Cette chauve-souris, de Java, a trois pouces de lon- 
gueur totale sur douze pouces d'envergure. 

Le rmINOLOPHE PETIT (Rh. pussillus, Temm.). A 
sa feuille nasale élevée en fer de lance et poilue, de 
même que le tubercule qui se renfle à sa base. Sur 
la partie antérieure de celle-ci se dessine une feuille 
minée, se rencontrant en pointe en avant. Le pelage, 
dans les deux sexes, affecte deux couleurs sur le 
corps et une seule en dessous. Sa longueur est de deux 
pouces deux ou trois lignes, sur une envergure de 
huit pouces trois à quatre lignes. IL vit à Java. 

Le RHINOLOPHE CORNU (Ra. cornutus, Temm.). 
Est une espèce récemment découverte au Japon, par 
M. Burger. Sa feuille nasale est composée, poilue et 
Jancéolée, munie d’un repli membraneux en fer de 
lance. Ses oreilles sont grandes et découpées, et sa 


HISTOIRE NATURELLE 


queue égale en longueur les proportions du tiria. 
Ses poils sont longs et partout bicolores, et ses mem- 
brañes sont partoutégalement noires. Le corps a deux 
pouces deux lignes de longueur totale, en y compre- 
nant la queue pour neuf lignes, sur une envergure 
de sept pouces deux lignes. 


A ces espèces, nous ajouterons la suivante : 


Le RHINOLOPHE À GRANDE FEUILLE (Rh.megaphyl- 
lus, Grayÿ)(!), découvert à la Nouvelle-Hollande par 
M. Bennett, et qui habite les cavernes avoisinant la 
rivière Moorumbidjee. Sa feuille nasale postérieure 
est courte, ovale, lancéolée. Un sillon assez profond 
sépare les narines, et la feuille frontale se termine 
en une pointe membraneuse libre. La tête est allon- 
gée, la face déprimée, le nez arrondi. Les oreilles 
sont larges, et assez longues pour dépasser l’extré- 
mité du museau. Le pelage est doux, teinté d’un 
gris de souris clair. Les membranes sont nues et d'un 
noir mat, et recouvertes de quelques poils blancs 
seulement sur les côtés du corps. Ce rhinolophe à 
les plus grands rapports avec ceux qui vivent en Eu- 
rope, par la disposition des appendices compliqués 
qui surmontent le nez, mais avec cette différence 
que ces appendices sont beaucoup plus élargis; et 
M. Gray propose d’en faire une petite tribu distincte 
décorée du nom d’hypposiderus. 


{:) Rh. prosthemate posteriore ovato-lanceolato, 
faciem latitudine subæquante ; pallidè murinus ; pa- 
tagis subnudiis pilis sparcis albis subltus prope cor- 
pus instructis. Long. humeri, 12:/ lin. ; ulnæ 22'/,; 
pollicis cum ungue 4; tibiæ 9; pedis 5; calcaris 5 ; 
caudæ, 12. (Gray, Proceed., t. IV, p. 52.) 


—————————————— a ——————————— 


LIVRE VE 


LES MAMMIFÈRES INSECTIVORES. 


LES MACROSCELIDES. 


Macroscelides (1). 


Les macroscélides, dont on ne connoît qu’une 
espèce figurée par Petiver, mais que les natura- 
listes regardèrent jusqu’à ce jour comme le produit 
d’un caprice du dessinateur, ont été découverts au 
cap de Bonne-Espérance par M. Andrew Smith, et 


() Smith, Zoolog. Journ., Bo XVI, D. 436 ; Isidore 
Geoffroy Saint-Hilaire, Annal. des Se. natur., octobre 
1829 ; Lesson, Cent Zoolog , pl. 12. 


\ 


décrits presque en même temps, d’abord par ce na- 
turaliste , et puis par M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire. 
Après avoir offert littéralement à nos lecteurs la 
traduction du texte anglois, nous reproduirons celui 
de M. Is. Geoffroy, qui ne laissera rien à désirer 
pour la connoissance complète de l’intéressant et 
fantasque petit animal qui forme le type de ce nou- 
veau genre. 

Les macroscélides, dit M. Smith (1), ont les dents 


() Contributions to the Natural History of south 
Africa, etc. Zool. Journ., n° xvr, p. 433, 


DES MAMMIFÈRES. 


incisives, au nombre de deux en haut et deux en 
bas, un peu éloignées : les supérieures verticales, 
comprimées et aiguës ; les inférieures couchées, et 
taillées en biseau à leur sommet : les canines sont 
au nombre de seize (!)!.. plus courtes que les in- 
cisives en haut, comprimées sur les côtés, et plus 
ou moins aiguës à leur sommet, et distantes ; les 
inférieures sont rapprochées ; la plus antérieure est 
terminée par trois pointes, tandis que les deuxième, 
troisième et quatrième n’en ont que deux : les mo- 
laires, au nombre de vingt, c’est-à-dire dix à cha- 
que mâchoire et cinq de chaque côté, présentent 
quelques différences dans la manière dont leur cou- 
ronne se hérisse de pointes; ainsi la mâchelière an- 
térieure d’en haut est quinquecuspidée; la troisième 
et la quatrième ont quatre pointes, la cinquième 
n’en à que trois; les molaires inférieures sont, les 
deux premières comprimées sur les côtés, et à trois 
pointes ; les quatrième et cinquième, à quatre poin- 
tes : ce qui porte à quarante le nombre total de 
l'appareil dentaire, dont vingt à chaque os maxil- 
laire. Leur museau est étroit et se termine en une 
sorte de trompe longue et cylindrique, à l'extrémité 
de laquelle s'ouvrent les narines ; les yeux sont mé- 
diocres, les oreilles grandes et arrondies; le corps 
est abondamment recouvert de poils ; la queue, qui 
le termine, est longue, recouverte de squamelles 
annelées d’où sortent quelques poils rares; les pieds, 
plantigrades, pentadactyles, et terminés par des on- 
gles falciformes : les membres postérieurs sont beau- 
coup plus longs que ceux de devant ( d’où découle 
le nom générique de macro-scelides). 

C’est près des musaraignes que notre nouveau 
genre doit prendre place, dit M. Smith. Il nomme 
macroscelides lypus une espèce découverte par 
lui dans les plaines de l’intérieur du Cap, en lui ap- 
pliquant pour phrase spécifique, ces mots : suprà 
fuscus nitore fulvo, infra subalbus. Cet animal 
est en eflet d’un brun rougeûtre en dessus, ce qui 
est dû au mélange des teintes tannée et brune; le 
dessous du corps est blanchâtre, et l'extrémité des 
membres est garnie de petits poils blanchâtres ex- 
trêmement courts; les oreilles sont à peu près nues, 
ou du moins très légèrement garnies de quelques 
poils blanchâtres; quelques poils noirs et roides 
apparoissent çà et là sur la queue; les moustaches 
sont noires et blanches, et se trouvent placées près 
de la naissance du museau allongé; les ongles sont 
courts, noirs, comprimés et aigus à leur pointe. 

Le macroscélide, mesuré des narines jusqu’à la 
base de la queue, est de quatre pouces neuf lignes, 
mesure angloise, et la queue a environ trois pouces 


() Dans ce nombre M. Smith compte les fausses mo- 
laires, petites dents anomales que montrent plusieurs 
carnassiers. (L.) 

1. 


345 


neuf lignes. Il sort dans le jour, et se tient de pré- 
férence au bas des buissons ou des petites fourrées, 
d’où, aussitôt qu’il se croit découvert, il s'élance 
dans les terriers qu’il se creuse. 

Tels sont les détails publiés par M. Andrew 
Smith dans le tome IV du Zoological Journal. 
Cetouvrage n’étoit point encore parvenu en France, 
que M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire établissoit de son 
côté le genre euméère pour le même animal, nom 
qu’il dut supprimer dans le Mémoire qu’il publia, 
en octobre 4829, dans les Annales des Sciences na- 
turelles, pour adopter celui de M. Smith, ayant la 
priorité sur le sien. Voici textuellement la descrip- 
tion complète de cet animal , telle que la rédigée 
M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire (1). 

« Lorsqu'on lit les ouvrages des anciens auteurs, 
on est frappé de la confiance aveugle avec laquelle 
ils s’'empressoient d'adopter sans examen et de 
mettre au rang des faits positifs toutes les fables de 
leur époque ; ils semblent ne pas même s’être doutés 
qu’un voyageur püt ajouter quelques ornements à 
ses récits, ou demander à son imagination ce qu’il 
ne trouve plus dans sa mémoire. C’est là une source 
d'erreurs graves, contre lesquelles les naturalistes 
ont dès long-temps senti la nécessité de se tenir en 
garde ; mais peut-être, en voulant éviter un écueil, 
sont-ils tombés dans un autre, à la vérité beaucoup 
moins dangereux. On semble croire que, parce que 
nous savons beaucoup plus que les auteurs des 
siècles précédents, nous ne devons rien ignorer de 
ce qu'ils ont su : on veut retrouver, parmi les ani- 
maux que nous connoissons, tous ceux qu’ils ont 
décrits; et lorsque leur description contredit le rap- 
prochement que lon veut établir, on n’hésite pas à 
la déclarer mal faite et erronée. Je puis citer comme 
exemple le genre remarquable qui fait l’objet de 
cette description. 


» Petiver, dans ses Opera Historiam naturalem 
spectentia (?), avoit figuré, sous le nom de Sorex 
araneus, maximus, capensis, un mammifère très 
remarquable par la bizarrerie de ses formes. Des 
jambes postérieures beaucoup plus longues que les 
antérieures, des oreilles très amples, une queue 
aussi longue que le corps; et avec ces caractères, 
qui auroient pu le fatre prendre pour une gerbille, 
des dents d’insectivore, et une trompe aussi longue 
que celle d’un desman; tels sont les traits qui le 
signalent, au premier aspect, comme un être tout- 
à-fait singulier , et véritablement sui generis. Ce- 
pendant tous les auteurs modernes se sont accordés 
à ne voir dans la figure, à la vérité assez impar- 
faite, de Petiver qu’une sorte de caricature gros- 
sière d’une musaraigne du Cap; et c’est en eflet ce 


() Annal. des Sc. natur., octobre 1829. 
(2) Planche xx, fig. 9, 


— 
EST 


346 


qu’on trouve, non pas indiqué avec doute, mais 
établi comme incontestable dans tous les ouvrages 
récents. 

» Ceite synonymie est cependant fausse , et l’es- 
pèce qui a véritablement servi de t\pe à la figure de 
Petiver vient de nous a river avec ces formes et ces 
p'oportions que l’on avoit prises pour un produit 
bizarie de l'imagination du dessinateur. Décrite 
avec soin par M. Smith, elle vient aussi d’être re- 
trouvée au cap de Bonne-Espérance, par M. Jules 
Verreaux, auquel la science est déjà redevable d’un 
grand nombre d’acquisitions importantes, et qui 
marche avec distinction dans une carrière où s’est 
déjà illustré son oncle, le célèbre Delalande. 

» M. Smith a donné au singulier geure d’insec- 
tivores qu’il vient de rendre à la science le nom 
de macroscélide, macroscelides, qui rappelle l’ex- 
trême développement des membres postérieurs. 
Ce caractère , tout nouveau dans la famille des in- 
sectivores, el par conséquent très remarquable, 
suffit, avec l’excessive longueur du nez, pour dis- 
tinguer les macroscélides de tous les autres mam- 
mifères. Ces insectivores ont d’ailleurs en propre 
un grand nombre d’autres caractères, comme le 
montrera la description suivante, faite d’après deux 
individus. 

» Le système dentaire des macroscélides les place 
dans cette famille d’insectivores dont les genres 
scalops, mygale, sorex, et cladobates ou tupaia, 
sont les types principaux ; mais, malgré quelques 
rapports remarquables, il sufliroit seul pour mo:i- 
ver leur séparation générique. Les mocroscélides ont 
dix dents de chaque côlé et à chaque mâchoire, et 
ces dents présentent dans leur forme et leur dispo- 
sition, aussi bien que dans leur nombre, des carac- 
tères importants. 

» En procédant d’arrière en avant, on trouve de 
chaque côté, à la mâchoire supérieure, cinq mâ- 
chelières, dont la pénultième et l’antépénultième 
sont les plus grosses, et la dernière la plus petite; 
la dernière est de forme triangulaire, et n’a que 
trois pointes, dont deux sont antérieures, et une 
postérieure : les quatre autres sont de forme qua- 
drangulaire, et ont quatre pointes. En avant de 
ces cinq mâchelières se trouvent quatre fausses 
molaires, très comprimées, dont la postérieure a 
deux pointes , placées l’une à la suite de l’autre; et 
les trois antérieures, une pointe un peu recourbée 
en arrière, et un petit tubercule obtus. La troi- 
sième fausse molaire, la plus grande de toutes, est 
séparée des deux antérieures par un espace à peu 
près égal à la longueur d’une dent. Enfin, tout en 
avant, se trouve une dent p'us longue que les 
fausses molaires, conique, arrondie à son extré- 
mité, séparée de celle du côté opposé par un inter- 
valle vide, assez étendu, et qui, d’après l’analogie, 


HISTOIRE NATURELLE 


doit être considérée comme une canine. À la mâ- 
choire inférieure on trouve de chaque côté, d’ar- 
rière en avant, deux mâchelières de forme qua- 
drangulaire, et à quatre pointes, très semllables à 
la pénultième et à l’antépénultième supérieures ; 
puis une très longue dent, séparée, par un sillon 
profond , en deux portions, l’une postérieure, trian- 
gulaire, à deux pointes, l'autre antérieure, triangu- 
laire, à trois pointes. Viennent ersuite deux autres 
mâchelières de forme comprimée, ayant trois pointes 
placées à la suite l’une de l’autre, et dont l’intermé- 
diaire est la plus grande; puis quatre autres dents 
très comprimées, paraissant être des fausses mo- 
laires; enfin une dent plus longue, moins large que 
les précédentes, tournée en avant, se trouvant en 
contact avec celle du côté opposé, et qui paroît être 
une canine. 

» Les macroscélides auroient done à chaque mâ- 
choire, et de chaque côté, cinq mâchelières, qua- 
tre fausses molaires, une canine et point d’incisive. 
Il me suflit de donner ce résultat, et d’avoir décrit 
les dents des macroscélides, sans traiter avec détail 
du problème très compliqué de leur détermination. 
En effet je me suis occupé ailleurs (1), avec le déve- 
loppement nécessaire, de la solution de cette ques- 
tion, en ce qui concerne les musaraignes, el presque 
tout ce que j'ai dit de ce genre peut être appliqué 


aux macroscélides. 


» Les tanrecs sont, avec les macroscélides, les 
seulsinsectivores chez lesquels on trouve vingt dents 
à chaque mâchoire: leur système dentaire est d’ail- 
leurs très différent, puisqu'ils ont, comme chacun 
sait, des canines et des incisives disposées à peu 
près comme chez les carnivores. 

» Les membres antérieurs des macroscélides sont 
assez longs, et terminés par cinq doigts, dont l’in- 
terne et l’externe sont beaucoup plus courts que les 
trois intermédiaires; le médius est le plus long de 
tous. Les membres postérieurs sont presque dou- 
bles en longueur des antérieurs, la jambe étant 
beaucoup plus longue que lavant-bras, et le pied 
étant plus que doub'e de la main. De même que les 
antérieurs , ils sont pentadactyles; mais leurs doigts 
sont combinés d’une manière bien différente. Le 
pouce est, comme chez les chiens, peu libre, et 
beaucoup plus court que les quat:e doigts externes, 
son ongle étant placé à l’union du tiers antérieur du 
pied avec les deux tiers postérieurs. La paume des 
mains et la plante des pieds sont entièrement nues; 
les ongles sont comprimés, erochus, acérés : ceux 
des pieds sont un peu plus longs que ceux des 
mains; la queue, à peu près de même longueur que 
le corps, est couverte de poils rudes, très couchés 


() «Voyez les articles MUSARAIGNE et RONGEUR du 
Dictionnaire d'Histoire naturelle. » 


DES MAMMIFÈRES. 


et assez longs, surtout à l'extrémité, où ils forment 
un petit pinceau. 

» Il est à ajouter que les doigts sont séparés sur 
toute leur longueur, soit antérieurement, soit pos- 
térieurement, On ne voit entre eux aucune trace de 
palmature, différence très importante entre les ma- 
croscélides et les desmans. 

» Une autre différence non moins remarquable 
entre ces deux genres, d’ailleurs semblables à plu- 
sieurs égards, c’est que les yeux des macroscélides 
sont d’une grosseur moyenne, et que leurs oreilles, 
presque entièrement nues, membraneuses, et ar- 
rondies comme chez les musaraignes, sont très dé- 
veloppées. Néanmoins, et malgré ces différences re- 
marquables, nul autre animal ne se rapproche plus 
des desmans par sa physionomie que les macroscé- 
lides, à cause de l’extrême développement de leur 
nez, prolongé en une trompe grêle, de forme cy- 
lindrique, et d’une longueur considérable Cette 
trompe est terminée par un petit mufle, divisé, par 
un sillon médian, en deux parties, qui entourent 
les deux narines Dans le reste de son étendue la 
trompe est couverte de poils très courts et peu 
abondants, surtout à sa face inférieure; les jambes, 
les pieds, les avant-bras et les mains sont également 
couverts de poils ras, peu abondants, et de plus 
assez rudes : ceux du reste du corps Sont au con- 
traire fins, longs, moelleux, très doux au toucher, 
les moustaches sonttrès longues, et disposées comme 
chez les musaraignes. 

» Le squelette de ce genre remarquable d’insec- 
tivoré ne m'est pas connu ; je n’ai eu sous les yeux 
qu'un crâne incomplet, et j’ai seulement pu con- 
stater que sa forme générale le rapproche beaucoup 
plus de celui des cladobates que de celui des mu- 
saraignes. Son caractère le‘plus remarquable consiste 
dans la rectitude de la ligne du chanfrein. 

» En résumé, le genre macroscélide peut être 
caractérisé de la manière suivante : vingt dents à 
chaque mâchoire; membres pentadactyles, non pal- 
més, les inférieurs étant beaucoup plus longs que 
les supérieurs; pouce postérieur très court, queue 
longue, oreilles très amples, yeux de grandeur or- 
dinaire; nez extrêmement allongé, et formant une 
petite trompe grêle, cylindrique, que termine un 


petit mufle; pelage composé de poils longs et doux 
au toucher. 


LE MACROSCÉLIDE TYPE. 
Macroscelides typus. Suvrn. 


» L'espèce d'après laquelle je viens de tracer les 
caractères du genre paroît être celle qu'a décrite 


347 


M. Smith, et à laquelle il a donné le nom spéci- 
fique de typus. La partie supérieure du corps est re- 
vêtue de poils d’un gris noiràtre dans la plus grande 
portion de leur longueur, puis noirs, et enfin d’un 
fauves à leur pointe, et paroît, dans son ensemble, 
fauve roussätre varié de brun, couleur qui diffère 
peu de celle du lièvre commun ; les poils de là face 
concave des oreilles sont blanchâtres; ceux, moins 
nombreux encore, de la face convexe sont d’un 
fauve roussâtre ; le dessous du corps, dont les poils 
sont noirs à la racine, blancs à la pointe, la face 
interne des avant-bras et des jambes, entin les mains 
et les pieds sont blancs; la aueue, variée de roux 
brunâtre et de blanchâtre à son origine, est noire 
dans le reste de son étendue. 

» Voici les dimensions des principales parties : 
elles sont prises sur le plus grand des individus que 
j'ai examinés. 

Pouces. Lignes, 

Longueurtotale. 4. Lune 
= UUCONDS NEC CE 
————— de la queue, , , . , . . 
————— de la tête, y compris la 

CÉOM PEL IS NS MORE NE 
————— des membres antérieurs. . 
————— des membres postérieurs. , 
————— de la main. . . . . 
HUIT REC RCE 
————— des oreilles. . . . 


= y N à NN & or © 


eye de » 


» Le genre macroscélide devra être placé près 
des desmans et des musaraignes; il formera pour 
la science une acquisition précieuse, non seule- 
ment à cause de ses proportions singulières et de 
l'erreur à laquelle il avoit donné lieu, mais aussi à 
cause des rapports nouveaux qu'il établit entre les 
carnassiers insectivores et deux autres groupes, les 
marsupiaux insectivores et les rongeurs. En effet 
les macroscélides répètent presque à tous égards, 
en petit, les péramèles, et ils se rapprochent 
d’une manière évidente, par leurs organes du 
mouvement, des gerboises, des gerbilles et des 
hélamys. Ces derniers rapports me semblent sur- 
tous intéressants, et méritent d’être exposés avec 
quelque détail. 

» Sous le point de vue de leurs organes du mou- 
vement, les rongeurs peuvent être rapportés à cinq 
types, 4° les marcheurs, comme les rats, les cam- 
pagnols; 2° les fouisseurs, comme les rats-taupe*, 
les pores épics; 5° les nageurs, comme les castors, 
les ondatras ; 4’ les grimpeurs, comme les écureuils, 


les loirs; 5° les sauteurs, comme les gerboises, les 
hélamys (1). 


(:) « Ces cinq groupes se trouvent également repré- 
sentés parmi les marsupiaux; savoir, les marcheurs par 
les dasyures et le thylacine. les fouisseurs par le phas- 


348 


» L'établissement du genre macroscélide prouve 
que ces cinq combinaisons des organes du mouve- 
ment peuvent se présenter avec le système dentaire 
des insectivores comme avec celui des rongeurs. 
Ainsi les marcheurs se trouvent dès long-temps re- 
présentés, parmi les premiers, par les musaraignes, 
les fouisseurs par les taupes et les hérissons, les 
nageurs par les desmans. Le genre tupaia ou clado- 
bate (1), établi depuis quelques années, représente 
parmi eux le type des grimpeurs ; et le $enre ma- 
croscélide vient compléter cet ensemble, en repré- 
sentant celui des sauteurs. » 


LE MACROSCÉLIDE DE ROZET. 
Macroscelides Rozeli, DUVERNOY (?). 


Nous avons donné page 547 de ce volume l’his- 


toire d’un petit animal des plus intéressants décou- 


vert au Cap par M. Smith, et qu'il a nommé 
Macroscélide type. Dans ses recherches sur Île 
territoire d'Afrique, le laborieux géologue Rozet à 
rencontré une seconde espèce de ce petit genre 
anomal , si curieux par ses formes transitoires et ses 
points de contact avec divers rongeurs. La descrip- 
tion qu’en a donnée M. Duvernoy, dans les Mémoires 
de Ja Société d'Histoire naturelle de Strasbourg, ne 


0 
colome , les nageurs par le chironecte, les grimpeurs 
par les phalangers et les didelphes, enfin les sauteurs 
parles kanguroos, les potoroos, et les péraméles. » 

() «La découverte de ce genre remarquable a élé 
attribuée tantôt à M. Diard, tantôt à sir Raffles. Le fait 
est qu'elle n'appartient ni à l'un ni à l’autre de ces 
voyageurs, mais à Leschenault de La Tour, qui avoit 
envoyé dés 4807, au Muséum royal de Paris, un indi- 
vidu de l’espéce que l’on a depuis appelée tupaia java- 
mica. » 

(2) Mémoire de la Soc. d’hist. nat. de Strasbourg, t.1, 
deuxième livr. (1833), pl. 1 et 2. 

Caractéres du genre Macrocelides , Smith, rectifiés 
par M. Duvernoy. 

Formule dentaire. 
IN CISIVES CT. 
Maxil. sup. Canines. . . . 
Fausses molair. 
Molaires. : 
Anormales. . . 
Normales, . . . 
| Maxil. inf..Incisives. . . . 
Canines. . . . 
Faasses molair. 
Molaires. . . 
Anormales. . . ou 1—1 
Normales. +. . ou 3—3 


Rostrum in proboscidem desinens, orificiis narium 
in apice parum oblique perforatis. Oculi mediocres, 
orbiti rotundi; auriculæ magnæ; pedes plantigradi ; 


20 Dents. 


dr es 


D QG & © © à 


=) 
5 
2 
29 


HISTOIRE NATURELLE 


laisse rien à désirer, et nous la reproduirons dans la 
majeure partie de ses détails. 

Les distinctions spécifiques à établir entre les 
deux (!) macroscélides ne sont pas très tranchées : 
elles suffisent cependant pour le zoologiste. Ainsi, 
le macroscélide type de M. Smitha les oreilles plus 
étroites et plus oblongues que ne le sont celles du 
macroscélide de Rozet, de M. Duvernoy. Le premier 
diffère encore du second par un pelage plus clair et 
plus nuancé de roux, par une large tache de jaune 
arrondie placée derrière chaque oreille, par une 
raie noire longitudinale qui occupe le milieu du 
museau, et enfin par un plus grand allongement de 
ce dernier organe. On croit même qu’il en existe 
une troisième espèce au musée de Paris, reconnois- 
sable à ses oreilles beaucoup plus larges et tout-à- 
fait rondes, etqui pourroit bien être celle qu’auroit 
figurée Petiver. 

Quelques autres distinctions, tirées de la disposi- 
tion des dentset des proportions des membres, sont 
relatées ainsi qu'il suit par M. Duvernoy : 

À la mâchoire inférieure, les deux incisives 


anteriores posterioribus multo breviores ; omnes pen- 

tadactyli; ungues semi retracli. 

: k ( Dents incisives. 6/, 

4° Macroscelides typus,Smitr. 
(Faussesmolair. 


0 —0 
Anormales, . . . ——— 
4 — 1 
3 — à 
Normales. . . . ——— 
3 — 3 


Suprà luteo falvus , albus infra; auriculis oblongis. 
Macula lutea post eas. Rostrum aculum, longius. Den- 
tibus primoribus irtermediis approximalis in mandi- 
bula; ejusdem tribus primoribus imbricatis. Hab. in 
Africa meridionali propé Cap de Bonne-Espérance. 

2 Macroscelides Rozeti, Duvernoy. Dents incisives. 6/, 


Fausses molaires. 


0 — 0 

: Anormales. * + + ——— 
\ 323 
2 — 2 

(Re se e ——— 
2 —92 

5 —5 

Molaires vraies. +. — 
3 — 3 


Suprà fasceus, infrà subalbus, auriculis rotundatis; ros- 
trum brevius, dentibus primoribus discrelis in mandi- 
bula. Hab. in Africa septentrionali propé Oran. 

() M. Smith écrit le 8 septembre 1830 (Proceed. of 
the Zool. Soc., t.[, part. 4, page 11), qu'il a découvert 
une nouvelle espèce qu'il nomme Macroscelides rupes- 
tris, et qui vit dans les montagnes placées à l'embou- 
chure dela riviére d'Orange, principalement dansles 
rochers. Ce genre de vie etla coloration de son pelage 
le distinguent suffisamment du typus; il n’a pas 
comme ce dernier la large tache arrondie placée der- 
riére l'oreille à sa base. 


DES MAMMIFÈRES. 349 


moyennes ne sont séparées que par un très pelit 
intervalle, à peine marqué, tandis qu’elles sont très 
écartées dans l’espèce d'Oran dédiée à M. Rozet. 

La deuxième incisive touche la première. La pre- 
mière fausse molaire s’avance derrière Ja deuxième 
incisive , et pourroit tout aussi bien passer pour une 
troisième incisive, étant semblable à la seconde, 
Ces deux dents diffèrent beaucoup dans l'espèce 
d'Oran. 

La deuxième fausse molaire abnormale est aussi 
en forme de hache etlobée. LL y a ensuite une fausse 
molaire normale ou à deux racines, ayant une pe- 
tite pointe au milieu, et une petite surface tritu- 
rante en arrière; puis, deux autres plus grandes 
avec une pointe saillante au milieu , une moins sail- 
lante en avant, et un creux en arrière. 

Les trois molaires sont analogues à celles du 
haut, mais plus étroites et moins épaisses, ayant 
leur bord externe plus court que l’interne. 

Les trois incisives supérieures sont à égale dis- 
tance. Il y à un intervalle très marqué entre Ja troi- 
sième et la première fausse molaire. 

Lescinq vraies molaires ont toutes quatre pointes, 
sauf la cinquième qui n’en à que trois. Leur bord 
interne est aussi le moins saillant; leur couronne 
moins large et plus hérissée, et ne présente pas ce 
creux très prononcé et dénué d’émail que nous 
avons signalé dans le macroscélide de Rozet. Cette 
différence, qui tient sans doute à divers degrés 
d'usure, et qui ôte pour ainsi dire aux vraies mo- 
Jaires de cette dernière espèce le caractère des in- 
sectivores, estun indice, dit M. Duvernoy, qu'elle 
se nourrit aussi de substances végétales (1). 


{) «Le macroscélide de Rozet, ou rat à trempe de la 
province d'Oran , ne se trouve ni à Alger, ni à Bougie, 
ni à Bone. Une personne en avait à Oran deux individus 
qui ont vécu une quinzaine de jours. Ils firent beaucoup 
de bruit la première nuit qu’ils passèrent ensemble , et 
l'on s'aperçut le lendemain que l'un des deux avait 
mangé la queue de l’autre. On les nourrissoit d'orge, 
de riz, de lentilles et d’autres semences dont ils ne 
laissoient que l'enveloppe. Ils aimoient beaucoup les 
mouches qu’ils avalaient avec une rapidité remarqua- 
ble. Quand on les appeloit en leur présentant un de 
ces insecles, ils accouroient tout de suite pour les 
prendre. 

» On doit espérer que la ménagerie du Muséum ne 
tardera pas à posséder des macroscélides vivants.» 


(Hermés, 29 mai 1836, p.95.) 


Tableau des dimensions relatives du macroscélide type de 
Smith, et du macroscélide de Rozet, de Duvernoy. 


MACROCÉLI- | MACROSCÉLIDE 
DE de 
TYPUS. ROZET. 
a | —, 
pouc |ligne.!pouc.| lignes. 
= — | 
Longueur totale, , 9 0 9 Â 
Id. du corps. 5 o 4 8 
Id. de la queue . 4 o 4 3 
Id. de la tète, y compris. la trompe: 2 2 1 10 
Id. des membres antérieurs. I 6 J 7 
Id. des membres postérieurs. . 2 3 2 9 
Id. delamain. . . 0 6 o 5 
Id. dau pied. 1 3 1 2 
Id. des orcilles = o 8 (e) o 
Hauteur depuis l'occiput a su Pointe) - » » o II 
Longueur de la HD dés les pre- 
mières dents. . » » o 5 3/2 
Distance du bord anté rieur de l orbite à 
l'extrémité de la trompe. » » o J 
Id. Au bord antérieur de l'oreille au 
bord postérieur de l'orbite. . . » » o 4 
Diameétre Jongitudinal de l'orbite et 
VELÉICAL UT EE EAN DES) » o 3 1/2 
Dimensions prises sur le squelette. 
Fongueur Üerlnétète, 2 mu . » » I 4 
Id. du bord dentaire supérieur. . . » » o 8 1/4 
Id. du bord dentaire inférieur. . . » » o 8 1/2 
Plus grande longueur de l’omoplate, 
depuis son angle postérieur à l’extre. 
mite de l’apophyse coraceide. . . . » » 0 9 
Longueur de Ja clavicule. . , , . . » » o 4 3° 
Id. des bras, y compris l'olécrane. , » » o 12 2/3 
Id. _ de la main, jusqu’au bout des plus 
lonssidoists le en er » » 0 5 
Id) du fémur, depuis le grand tro- 
chanter à l’un de conasis: » » (] 11 1/4 
OR ET) E dde leo St:6 ct » » 0 17 
Id. du pied. . . » » 0] 1 
Id. des vertèbres ‘cylindriques de la 
queue, qui manquent d’ PRARNTEES 
épineuses et transverses, , , » » 4 6 
Id. des autres vertebres de la queue. » » o 4 
ld. des vertébres sacrées. , . . o » » o 4 
Id. des vertébres lombaires. . . . » » o IL 
Id. des vertébres dorsales , LEO) » o 10 1/2 
Id. des vertèbres cervicales. . . . » » o 3 2/3 
Id. du bassin, depuis l'extrémité de 
l’iléon à celle de l'ischion. . , . » » 0 11 


Le macroscélide de Rozet est remarquable par sa 
tête, qui se prolonge en un museau disposé en forme 
de trompe arrondie couvert de poils-jaunâtres, roux 
à son extrémité, complétement nu en dessous, où 
se dessine un sillon longitudinal, résultat de la 
séparation de la lèvre supérieure en deux replis. Les 
narines, de forme ovalaire, se trouvent être per- 
cées à l’extrémité du nez, et séparées par un petit 
sillon vertical. La bouche, assez fendue, laisse voir, 
quand elle est ouverte, une partie des vraies molai- 
res. Les joues sont larges et forment comme une 
poche , au fond de laquelle sont les dernières vraies 
molaires. Les oreilles sont longues, ovales, ayant 
le bord antérieur un peu replié en arrière, depuis 
la base jusqu’à la moitié, et même près des deux 
tiers de la hauteur ; il est simple : le bord postérieur 
forme un bourrelet épais dès la base qui se bifurque 
à deux lignes de hauteur. Cette bifurcation en porte 
une autre, dont la fourche antérieure, plus longue, 
va se confondre versle haut avec le bord de l'oreille, 
et dont l’autre, beaucoup plus courte, moins sail- 
lante, moins épaisse, se perd de suite en dedans de 
ce même bord postérieur, Dans la conque même, 


390 
mais en avant, est un petit lobe de forme arrondie, 
libre dans sa partie supérieure, tenant par sa base 
au fond de la conque. 

Les yeux sont ronds, de grandeur médiocre. 
Leurs paupières, peu développées, ont paru manquer 
de cartilage : on diroit qu’elles ne sont formées que 
d’un repli circulaire de la peau. 

Le corps a une forme ramassée, épaisse et courte. 

Quoique les extrémités postérieures soient beau- 
coup plus longues que les antérieures, on ne peut 
pas dire que cette différence se rapporte, comme 
dans les gerboises et les kanguroos, à un dévelop- 
pement proportionnel beaucoup plus considérable 
de la partie postérieure du corps. 

Celui-ci se termine par une longue queue. 

L'ouverture de l’anus , placte sous l’origine de la 
queue , est garnie de petites glandes. 

Sous elle et en avant, est une large poche formée 
par deux replis transverses de la peau, qui vont 
d'une fesse à l’autre, et interceptent une cavité peu 
profonde, au fond de laquelle est proprement 


_ l'orifice de la vulve. 


Toutes les parties des extrémités antérieures sont 
plus courtes que celles des postérieures, comme on 
peut le voir dans la table des longueurs qui a été 
donnée précédemment ; mais cette disproportion est 
surtout remarquable dans les pieds de derrière, 
comparativement à ceux de devant. 

Les quatre extrémités sont terminées par cinq 
doigtsbien distincts, bien séparés, armés de grands 


.onglestranchants en faucille , qui sont emboïtés sur 


un unguical de même forme, de manière à rester 
relevés dans la marche, et à ne pas s’user par Île 
frottement. Il y a sous l'articulation de la deuxième 
phalange avec la troisième , une callosité saillante, 
comprimée et arrondie. 

Aux pieds de devant, le pouce est reculé et n’at- 
teint pas la base du second doigt. Le quatrième est 
le plus long, et le cinquième le plus court après le 
pouce. 

Aux pieds de derrière, le pouce ne s’avance guère 
plus qu’à la première moitié de la longueur du bord 


interne, y compris le second orteil. Les quatre au- 


tres doigts ont à peu près les mêmes proportions 
relatives qu'aux pieds de devant. 

Le fond de tout le pelage du corps, de la tête, 
des cuisses , des bras, est gris de souris, plus foncé 
en dessus qu’en dessous, parce que la première 
partie<es poils, celle de la base, qui reste en grande 
partie cachée, est de cette couleur. L'autre partie, 
jusqu’à leur extrémité, celle qui reste à découvert, 
est rousse ou brune sur tout le corps, excepté dans 
toute sa partie inférieure, et dans l’intérieur des 
bras et des cuisses, où elle est blanche. 

L’étendue de cette teinte plus claire qui termine 
les poils, varie un peu suivant les régions. Sur la 


HISTOIRE NATURELLE 


croupe les poils sontplus noirâtres, etn’ont queleur 
extrémité jaune. À la base de la trompe, ils sont 
presque entièrement jaunes. Sur les épaules et le 
garrot , ils ont aussi plus de jaune que sur la croupe. 
Les barbes ou les moustaches, qui sont fort longues, 
sont en partie jaunes ou blanchâtres, et en partie 
noirâtres. 

Les oreilles sont couvertes d’un épiderme sale, 
avec très peu de poils. Ceux que l’on voit à la base, 
en dedans, sont blanchâtres, de même que les poils 
qui bordent le tranchant de l'oreille, ou qui sont 
épars et rares sur les pieds et les mains. 

Le dessous des mains est nu et couvert de callo- 
sités ; celui des pieds est garni d’un épiderme com- 
posé de grosses écailles. Cette circonstance semble- 
roit indiquer que l’animal appuie parfois sur le sol 
toute l'étendue de ses longs pieds. 

La queue a un épiderme noirâtre formant des 
anneaux imbriqués , comme dans certains rats. Elle 
porte des poils roides, peu nombreux, d’un blanc 
sale ou jaunâtre ; une partie a la pointe noire. Ceux 
de l’extrémité de la queuesont presque entièrement 
noirs. Ainsi, la couleur des poils de la queue est 
l'inverse de celle du corps, puisque dans ceux-ci 
c’est la partie foncée qui est en dedans, et consé- 
quemment plus ou moins cachée par la partieclaire, 
suivant que celle-ci est plus ou moins étendue. Cette 
disposition donne à notre animalune couleur mélan- 
gée de jaune ou de brun et de gris ardoisé, analogue 
à celle de plusieurs rats. 

Le macroscélide de Rozet est rare dans les envi- 
rons d'Oran, sa patrie, ou du moins le savant qui 
l’a découvert n’en a vu que deux individus, l’un vi- 
vant et l’autre mort, qu’une couleuvre s’apprêtait à 
dévorer. Il se tient au milieu des broussailles, et 
probablement dans des petites galeries souterraines 
comme l'espèce du Cap. 11 ne saute point comme 
les gerboises, mais marche sur ses quatre pieds en 
flairant avec sa trompe tous les objets qui se trou- 
vent sur son passage. Ses mœurs sont douces et 
nullement sauvages. Celui que M. Rozet a observé 
en vie restoit volontiers dans la main qui le pres- 
soit, et se promenoit paisiblement autour d’une ta- 
ble où plusieurs personnes prenoient leur repas, en 
recevant les miettes etles fruits qu’on lui offroit. 
Il buvoit même du vin en lappant à la manière des 
chiens (1). 

En jugeant à priori les habitudes du macroscé- 
lide, on reconnoitra que ce mammifère devra pos- 
séder la faculté de sauter, de courir avec énergie, 
tant est puissant le développement musculaire des 
membres postérieurs. Sa nourriture doit consisier 
en insectes, et peut-être aussi en fruits, par la dis- 


(:) Rozet, voyage dans la régence d'Alger, 1833, 
tomeI, p. 246. 


" DES MAMMIFÈRES. 


position de ses dents molaires à couronne creuse, 
et de la coupe oblique du rebord alvéolaire, dispo- 
sition convenable pour la rumination, 


DESCRIPTION ANATOMIQUE DU MACROSCÉLIDE DE 
RozetT, Par M. DuvERNoY. 


4° Squelette. 


Téète. Le museau est long et prismatique, coupé 
presque verticalement en avant pour les ouvertures 
des narines; il s’élève en pente douce vers le front, 
qui est plat et légèrement incliné. Plus en arrière, 
le crâne est bombé sur les côtés, dans jes deux tiers 
antérieurs de la surface formée par les pariétaux. 
Derrière cette portion bomblée, le crâne est très 
déprimé jusqu’à la crête occipitale. Cette partie dé- 
clive est divisée au sommet par une légère crête 
sagittale. 

En arrière de la crête occipitale, l’os de ce nom 
présente une surface convexe , qui ne montre aucune 
portion du trou occipital, lorsqu'on la regarde en 
arrière , parce que ce trou est dirigé en bas, et percé 
à la face inférieure du crâne, 

Les arcades zygomatiques n'ont pas de courbure 

verticale, mais seulement une courbure horizontale, 
qui cesse même au milieu de l’arcade, où celle-ci 
est aplatie et droite. 
; En dessous, l’arcade alvéolaire, large d’abord, 
devient plus étroite vis-à-vis la deuxième molaire, 
et encore plus vis-à-vis la première et la deuxième 
fausse molaire. 

Les caisses sont remarquables par les deux gran- 
des saillies sphériques qu’elles font de ce côté. C’est 
immédiatement derrière, et un peu entre elles, que 
se voit le trou occipital, dirigé en bas plutôt qu’en 
arrière ; ce qui indique que la posture la plus natu- 
relle à cet animal doit être celle qui approche de la 
verticale. 

Tout le bord alvéolaire de la mâchoire inférieure 
s’engrène en dedans ou derrière le hord supérieur. 

Les branches montantes de la mâchoire inférieure 
sont lon rues, et présentent une large surface d'avant 
en arrière. Ces mêmes branches forment de ce der- 
nier cêlé une forte apophyse, qui semble plutôt in- 
diquer que la mâchoire s’est continuée au-de à de 
la portion verticale. Cette apophyse intercepte avec 
la branche montante une échancrure arrondie qui 
embrasse en avant et en bas le pourtour de l'oreille. 

Le condyle, qui a sa forme articulaire transver- 
sale et s’élève au niveau de l’apophyse coronoïde. 

Les cavités orbitaires sont confondues avec les 
fosses temporales. Le frontal n’a pas même d’apo- 
physe postorbitaire pour indiquer leurs limites réci- 
proques. 

Il'y à un grand trou sous-orbitaire, 


Jo 

L'ouverture du canal auditif osseux, ou de la 
caisse, est extrêmement grande. 

A la face, les os nasaux sont deux lames lon- 
gues , étroites, formant toute la surface supérieure 
du museau, Leur suture avec les frontaux est truns- 
versale. 

Les intermaxillaires forment la face latérale et 
antérieure du museau. 

Les maxillaires occupent les deux autres tiers de 
cette face. 

Les deux frontaux, réunis par une suture mi- 
toyenne, sont courts et plats. 

Les pariétaux ont une suture sagittale dans leur 
partie convexe qui est en avant, et une crête en ar- 
rière dans celle qui est déprimée. 

Vertèbres Il y a sept vertèbres cervicales, treize 
dorsales, sept lombaires, trois sacrées, trois cau- 
dales à apophyses transverses et épineuses, comme 
les sacrées , el vingt-trois rondes n’ayant ni apo- 
physes transverses, ni apophysés épineuses. 

L'atlas est large, et présente une grande ouverture 
pour embrasser les condyles. ; 

La deuxième vertèbre cefvicale est encore assez 
large, avec une apophyse épineuse très forte. 

La troisième et la quatrième ont aussi des apo- 
physes épineuses très prononcées. 

Les suivantes n’en ont que des rudiments : elles 
sont petites dans les trois vertèbres ; mais jusqu’à la 
dixième elles sont grandes et inclinées en arrière, 
La onzième est à peu près verticale; dans la dou- 
zième et la treizième elles sont larges et dirigées en 
avant. 

Le volume des vertèbres lombaires est bien plus 
grand. 

Celles-ci vont en augmentant d’avant en arrière, 
ainsi que leurs apophyses. Les épineuses de la sep- 
tième et de la sixième sont longues et grêles. Les 
transverses forment de larges lames dans les trois 
dernières, pour l’attache des muscles lombaires 
Elles sont soudées en une seule lame dans les trois 
vertèbres qui forment le sacrum, qu’on distingue 
par trois larges apophyses épineuses verticales et 
élargies à leur sommet. 

Les trois premières vertèbres caudales sont cour- 
tes la première plus que la seconde, et celle-ci plus 
que la troisième. Elles ont des apophyses épineuses 
courtes, des apophyses transverses relevées, et la 
deuxième et la troisième des apophyses épineuses 
inférieures. 

Les vingt-trois autres sont longues, arrondies, 
n’ayant proprement que des apophyses articulaires. 
Les six dernières sont petites et grêles ; la dernière 
surtout n’est qu’un petit rudiment. 

Côtes. Les côtes sont au nombre de treize. Huit 
tiennent immédiatement au sternum; trois autres 
médiatement par des filets cartilagineux. Les deux 


302 HISTOIRE NATURELLE ét 


dernières garoissent libres, quoique la pénultième 
ait aussi une portion cartilagineuse. 

Le sternum a sept pièces ; l’antérieure étroite, 
pointue en avant dans sa partie osseuse, élargie dans 
sa partie cartilagineuse, pour recevoir la clavicule et 
la première côte. La postérieure est bifurquée en 
arrière d’une manière très remarquable, et se ter- 
mine par deux larges lames cartilagineuses. 

Extrémités. Dans les membres antérieurs, l’é- 
paule est composée d'une omoplate et d’une clavi- 
cule. 

L'omoplate est triangulaire ; son bord supérieur, 
qui est ici postérieur, ou l’épineux, est arqué et le 
plus court ; le postérieur, qui est ici inférieur et le 
plus long, est en ligne droite; l’antérieur est aussi 
un peu courbé. C’est la forme de l’omoplate du hé- 
risson. 

Une crête assez élevée partage la face externe en 
deux parties à peu près égales ; l’os se termine brus- 
quement bien avant l'articulation, de sorte qu’il 
n'y à pas proprement d'acromion, quoique celte 
crête finisse par une pointe. 

L’apophyse coracoïde est courte, et s’unit à la 
clavicule; celle-ci est grêle, un peu arquée à ses ex- 
trémités, mais davantage à l’humérale. 

L'humérus est droit, avec une crête mousse en 
avant. 

Le cubitus est en partie rudimentaire ; il forme 
en arrière de son articulation un olécrâne fort et 
très saillant, arrondi à son extrémité, comprimé 
latéralement. En avant de son articulation, le eubi- 
tus se prolonge sous le tiers postérieur de l’avant- 
bras, où sa face interne est creusée d’une rainure. 
Au-deli de ce tiers ce n’est plus qu'un filet osseux, 
appliqué contre le radius, et même soudé à cet os. 

Le radius est devant le cubitus, et forme presque 
à lui seul tout l’avant-bras. 

Les pieds antérieurs ont les cinq os du méta- 
carpe bien distincts ; celui du pouce est très court, 
et n’atteint que le milieu du second doigt. Dans le 
troisième et le quatrième doigt ils sont d’égale lon- 
gueur. 

La première phalange de chaque doigt est allongée. 
la deuxième de même; elles se dirigent dans le 
sens de la longueur du pied, tandis que la troisième 
ou phalange onguéale s'élève verticalement en 
forme de faucille, de manière à rappeler la phalange 
onguéale des chats. 

Le bassin est allongé et assez large, quoique son 
développement proportionnel ne soit pas aussi grand 
que celui des gerboises. 

Les os des iles sont étroits et longs, conséquem- 
ment la surface pour l’attache d’une partie des mus- 
cles fléchisseurs ou rotateurs de la cuisse est très 
petite dans ce dernier sens. 

Les pubis w’étoient pas réunis. La rupture de 


leur symphyse auroit-elle eu lieu au moment de la 
préparation du squelette ? Dans ce cas, elle n’auroit 
existé que par une très petite surface, et l’union des 
pubis auroit été bien foible. 

Les fémurs sont droits. 

Le grand trochanter s'élève bien au-dessus du col, 
De cette proéminence part une large crête qui fait 
saillie à la farce externe de l’os au tiers supérieur. 

Le péroné et le tibia sont soudés dans leur arti- 
culation fémorale, et à l'endroit où le premier tiers 
de la jambe s’unit au second tiers de sa longueur. 
Entre ces deux points, le péroné est très séparé du 
tibia, et forme comme une anse, ainsi que cela se 
voit dans le hérisson. Plus bas, la jambe ne paroit 
composée que d’un seul os, du tibia, qui présente 
en avant, dans son tiers supérieur, une large crête 
pliée en dehors. 

L’astragale est petit ; le calcanéum très grand, très 
saillant en arrière. 

L’'os du tarse, qui répondroit à l’os cuboïde, en ce 
qu’il porte les deux os métatarsiens des deux der- 
niers doigts, est cylindrique et allongé, comme los 
du métatarse d’un autre animal. 

Trois autres os, de même forme, placés parallè- 
lement à celui-ci, supportent les trois autres méta- 
tarsiens. 

Le métatarsien du pouce est grêle, et n’atteint 
que la moitié de la longueur des autres. 

Ils sont tous quatre très longs et très rappro- 
chés. 

Les phalanges des doigts ont les mêmes caractères 
qu'aux pieds antérieurs. 

L’articulation onguéale se fait en dessus et en 
dedans de l'extrémité de la deuxième phalange, 
comme dans les animaux à ongles rétractiles. Ceux- 
ci sont au moins semi-rétractiles. 


Système dentaire. 


Chaque mâchoire a vingt dents, dix de chaque 
côté. 

A la supérieure, d’un bord seulement, comme 
l'os incisif est large et rejeté tout-à-fait sur le côté 
par la présence de la trompe et le prolongement 
des narines, il y a trois incisives à une seule racine, 
qui y sont implantées l’une après l'autre, de marière 
que la troisième est plus séparée de la seconde que 
celle-ci de la première. 

La première est verticale, conique, obtuse à sa 
pointe, un peu courbée en arrière, et de beaucoup 
plus grande ; un large espace vide la sépare en avant 
de l’analoguc du côté opposé. 

La seconde, beaucoup plus petite, a sa pointe plus 
aiguë et plus recourbée en arrière. 

La troisième, un peu plus grande que la seconde, 
présente à peu près la même forme.  ; =: 


& ACT 
à 


DES MAMMIFÈRES. 352 


* Ces trois dents rappellent les trois incisives du 
hérisson, dont les antérieures sont aussi les plus 
Jongues. 

Vient ensuite une première fausse molaire, à deux 
racines, posée sur le bord de l'os maxillaire, dont la 
forme, vue de profil, est large à la base, et se rc- 
trécit promplement d’arrière en avant, de manière 
à présenter une pointe aiguë et une légère saillie 
en arrière près de la gencive : elle est d’ailleurs un 
peu comprimée ettranchante par son bord posiérieur. 

La deuxième fausse molaire, plus distante de la 
seconde que celle de la troisième, est plus courte et 
plus longue : elle à deux pointes, dont la postérieure 
est moins longue que l’antérieure. Sa couronne est 
comprimée et tranchante. 

Les cinq dents suivantes sont de vraies molaires : 
elles sont rapprochées l’une de l’autre de manière 
qu’elles se touchent. La première est séparée par 
un petit intervalle de la deuxième fausse molaire ; 
vue de prolil elle se termine par une pointe aiguë ; 
son bord, tranchant en arrière, est interrompu par 
une seconde pointe, plus courte, obluse, qui ter- 
mine une saillie ou une côte de la face externe. Vue 
de face, la couronne présente, derrière la grande 
pointe, une aire élargie, creuse, de substance 0s- 
seuse, offrant un ovale irrégulier circonscrit par 
l'émail qui le festonne. 

La deuxième molaire, un peu plus grande, a 
exactement la même forme. 

Dans la troisième, qui est la plus grande de 
toutes, la seconde pointe descend presque autant 
que la première : elles terminent deux prismes de 
la face externe, séparés par un sillon profond. La 
couronne, vue de face, est large, ct présenie un 
creux presque carré, bordé par l'émail qui rentre au 
milieu de la face interne comme de l’externe, et 
forme de chaque côté les deux pointes. 

C’estexactement la même chose pour la quatrième 
molaire, sauf qu’elle est plus petite. 

La cinquième, qui est encore plus petite, a aussi 
deux pointes en dehors ; mais comme elle est trian- 
gulaire , elle n'a en dedans qu’une pointe du côté 
antérieur, et elle en manque en arrière. Le creux 
de sa couronne a aussi la forme triangulaire. 

Considérées dans leur ensemble, les couronnes 
de cinq molaires sont coupées obliquement de de- 
hors en dedans. 

A la mâchoire inférieure, une première dent, im- 
plantée à l'extrémité de cette mâchoire, inclinée en 
avant, présente sa face de chaque côté : elle est sé- 
parée de sa semblable par un intervalle très mar- 
qué, quoique moins grand qu’à la mâchoire supé- 
rieure. 

Sa forme est un peu'comprimée d’avanten arrière, 


un peu élargie de la racine jusqu’au sommet, qui 
est arrondi et mousse, 


à EUR + 


La seconde est latérale, aussi inclirée en avant, 
mais un peu moins séparée de la première, exacte- 
ment de même forme et sensihlement plus grande. 

Viennent ensuile trois petites dents en forme de 
heche, c’est-à-dire que leur couronne ect étroite à 
la racine et élargie à son sommet, qui est comprimé 

t tranchant, puis échancré de manière à présenter 
une petite pointe en arrière, du moins dans les deux 
dernières. 

Ces trois dents sont bien séparées entre elles, ainsi 
que de la deuxième incisive. 

M. Duverno les considère comme de petites faus- 
ses melaires abnormales à une racine. 

Elles sont suivies de deux fausses molaires nor- 
males, à deux racines, beaucoup plus grandes, com- 
primées, tranchantes, ayant la couronne divisée par 
trois pointes, dont la moyenne est de beaucoup plus 
saillante, et l'antérieure plus haute et plus petite 
que la postérieure. 

La première de ces deux fausses molaires est plus 
petite que la seconde. 

Les vraies molaires sont au nombre de trois : la 
première est la plus grande, la seconde un peu 
moins, et la troisième sensiblement encore plus pe- 
tite ; elles ont toutes trois la même forme. En de- 
hors elles présentent deux prismes triangulaires, 
séparés dans la première par un sillon qui se rétré- 
cit dans Ja seconde et la troisième, de manière à 
n'être plus qu’une fente. 

La couronne présente deux creux semi-lunaires 
ou irrégulièrement triangulaires : ils sont bordés par 
l'émail, qui porte cinq pointes, deux en dedans plus 
brillantes, au contraire des dents supéricures, deux 
en dehors et ure en avant. 

La surface triturante de ces molaires est coupée 
obliquement dans un sens opposé aux molaires de 
la mâchoire supérieure, c’est-à-dire de dedans en 
dehors, comme chez les ruminants. Aussi le bord al- 
véolaire des molaires supérieures est-il plus saillant, 
plus proéminent du côté externe, et beaucoup moins 
du côté interne ; tandis que c’est le contraire dans 
les dents inférieures. Le type de ces molaires se rap- 
proche d’ailleurs davantage du type secondaire des 
hérissons que de celui des autres insectivores. 

La mâchoire inférieure étant plus courte et plus 
étroite que la supérieure, la première incisive d’en 
bas se place derrière la première d’en haut; la 
deuxième d’en bas, dans l'intervalle de la deuxième 
et de la troisième d’en haut. La première petite 
fausse molaire, entre la première fausse molaire 
d’en haut et la troisième incisive ; la deuxième et 
la troisième petite fausse molaire, dans le long in- 
tervalle de la deuxième et de la troisième fausse 
molaire supérieure ; la première grande fausse mo- 
laire d’en bas, entre la deuxième fausse molaire d’en 


| haut et la première vraie molaire d’en haut; la pre- 


45 


304 


mière vraie molaire touche, à la deuxième rencon- 
tre, la troisième et la seconde supérieures, et la der- 
nière d’en bas répond à la pénultième et à la dernière 
d’en haut. 

En résumé, il y auroit cinq incisives en hant, dont 
les deux moyennes les plus grandes, trois de cha- 
que côté et quatre en bas ; deux fausses molaires de 
chaque côté en haut, et cinq vraies molaires. En bas 
on a compté trois petites fausses molaires abnorma- 
les, deux grandes normales de chaque côté, et trois 
vraies moluires. 


90 MyoLocie. — Muscles des mâchoires. 


Le digastrique a deux faisceaux et un tendon mi 
toyen qui traverse le stylo-hyoïdien, Son faisceau 
antérieur se fixe au tiers postérieur de la mandibule ; 
il s’'avance même jusque près de la moitié de sa lon- 
‘gueur. en s’attachant, non pas au bord inférieur, 
mais à la face externe. 

Le zygomato-maxillaire, dirigé obliquement en 
arrière et en bas de l’arcade zygomatique à la face 
externe de la branche montante et de l’angle de la 
mandibule , est très fort et très épais. 

Le temporal (temporo-maxillaire ) recouvre l’oc- 
ciput et les côtés du crâne, touche à son semblable 
au sommet de la tête, en forme une couche muscu- 
leuse peu épaisse, car le eràne est bombé au lieu 
d’être enfoncé dans la partie qui répond à la.fosse 
temporale. Cependant, en raison de son étendue, ce 
muscle est médiocrement fort. 

Les ptérygoïdiens sont très développés. 

Il y a un sterno-mastoïdien et un cléido-mastoi- 
dien forts et assez écartés l’un de l’autre en arrière. 


Muscles des extrémités postérieures. 


Les muscles propres à produire l’extension du 
pied sur la jambe, ou de celle-ci sur la cuisse et de 
la cuisse sur le bassin, ont reçu un développement 
proportionné à l’usage que cet animal devait faire 
de ses extrémités postérieures. Plus particulièrement 
destiné à se dresser sur ces extrémités et à s’avancer 
en sautant par le redressement subit de leurs diffé- 
rentes parties, le macroscélide devoit avoir, dans les 
muscles qui doivent opérer ce redressement, une 
force et un développement extraordinaires. C’est la 
principale modification qui à eu lieu dans le plan 
général de l’organisation de ces extrémités. 


Muscles du bassin. 


Le prélumbo-pubien vient des vertèbres lombai- 
res : son tendon grêle longe le détroit supérieur 
du bassin , et s'attache au milieu de cette ouverture 
sur le côté. 

Le carré des lombes est un muscle fort. 


HISTOIRE NATURELLE : Du 


Muscles de la cuisse. x 


Le prélumbo-trochantinien est très long, par suite 
de l'allongement des lombes, et cilindrique. 

L’iléo-trochantinien forme un muscle très épais, 
très fort, qui couvre toute la longueur de liléon en 
dessous, et ne devient tendineux que pour s’attacher 
au petit trochanter. 

Le pubo-fémurien est large et mince : il s’insère 
par un tendon de même forme à la partie moyenne 
du fémur. 

JL y à un premier adducteur, qui vient de la bran- 
che montante du pubis : il est large et plat, et s’in- 
sère au fémur derrière le précédent et même au-delà. 
Puis un second. qui vient de la branche postérieure 
ou descendante du pubis; il s’avance derrière le 
premier adducteur et le pubo-fémurien, jusqu’au 
tiers antérieur du fémur auquel il s'attache. 

Il y a un muscle qui vient du sacrum ou de toute 
cette région de l’origine de la queue, recouvre les 
fessiers, donne un petit tendon au grand trochanter, 
et s'étend sur toute la face externe de la cuisse par 
une aponévrose très mince. 

C’est sous lui que sont les fessiers, muscles très 
forts , très épais, très charnus, réunis en une seule 
masse attachée au sacrum et à l'os des iles d’un côté, 
fixée de l'autre par un tendon très fort au grand 
trochanter. On pourroit, à la rigueur, distinguer le 
grand, qui vient du sacrum, du moyen, qui vient 
de la crête antérieure de l'os des iles. 


Muscles extenseurs et fléchisseurs de la jambe. 


L'iléo-rotulien, ou droit antérieur, est extrême- 
ment développé; il forme une saillie très épaisse sur 
le devant de la cuisie. Une portion s'attache à l'os 
fémur et tient lieu de vaste externe, tandis que le 
crural ne consiste que dans la portion qui répond au 
vaste interne. 

L’analogue du demi-nerveux, ischio-prétibien, est 
très fort, très charnu, vient de l’ischion et de la 
branche postérieure du pubis, et s’insère par une 
large aponévrose au devant du quart supérieur du 
tibia. 

L’ischio-sous tibien est grêle; il s'attache au haut 
du tibia en arrière. 

L'ischio-péronien est fort, et divisé inférieure- 
ment en deux parties : la supéricure se fixe par une 
large aponévrose à la portion sapérieure du péroné; 
la seconde, plus petite, s'attache au-dessous de la 
première. 


Muscles du ter don d'Achille. 


Les jumeaux, bifémoro-calcaniens, sont énor- 
mes : ils forment une saillie très épaisse au haut de 
la jambe. 


DES MAMMIFÈRES. 


Devant eux se trouve le soléaire, tibio-calcanien, 
qui est très faible en comparaison , et qui forme un 
ruban mince, provenant d’un tendon plat et grêle, 
attaché derrière le tibia. 


Organes d'alimentation : intérieur de la bouche. 


Le palais a neuf rides transversales très fortes, 
dont la dernière est interrompue au milieu, et la 
première très arquée. Il y a entre ces rides des tu- 
bercules de grandeur inégale. 

Le voile du palais est épais, charnu, sans luette. 

Glandes salivaires. Les parotides sont minces et 
étendues : elles recouvrent une partie du masséter 
et descendent jusqu’à la rencontre des sous-maxil- 
laires. 

Celles-ci forment une masse ronde et plate, plus 
épaisse que celle des parotides placées sous la gorge, 
adhérentes l’une à l’autre : elles cachent une partie 
de la face inférieure du cou. Il y a de chaque côté 
une petite glande sous - maxillaire accesseire, de 
même forme que la grande. 

Les sublinguales sont très petites et allongées. 

Os hyoïde. Le corps de l’os hyoïde forme une 
lame comprimée, aplatie, courbée dans le sens de 
son bord. 

Les cornes thyroïdes continuent sur les côtés l’arc 
que ce corps forme en avant. 

Les cornes styloïdes sont composées de deux os; 
l’un plus court à la base, large, dirigé en avant et 
en dessous, ayant avec le corps une articulation très 
mobile ; l’autre, plus long, grêle, un peu arqué en 
avant , s’élevant sur les côtés à la rencontre de los 
styloïde : celui-ci est également de forme grêle, ex- 
cepté vers son extrémité antérieure, où il est élargi 
en forme de cuiller, pour s'appliquer sous la cuisse 
et s'adapter à sa convexité. Il est attaché sous le 
bord de l'ouverture du conduit auditif. Les chauves- 
souris ont aussi un os styloïde, élargi en cuiller à 
son extrémité supérieure; la composition de leur 
hyoïde ressemble, en général, beaucoup à celui du 
macroscélide. 


Muscles de l'os hyoïde. 


Ce sont : 

4° Les stylo-hyoïdiens, muscles charnus, percés 
par le tendon du digastrique , et fixés par des fibres 
aponévrotiques à ja partie moyenne de l’hyoïde. 

20 Les géni-hyoïdiens, qui viennent du bord in- 
férieur de la mandibule, au devant de l’attache des 
digastriques , et se portent à la partie moyenne de 
lhyoïde. 

5° Les sterno-hyoïdiens, qui sont attachés en de- 
dans de la poitrine, sur le sternum , et s’avancent, 
collés l’un à l’autre, jusqu’à l’hyoïde (les sterno-thy- 
roïdiens sont plus en dehors). 


4° De très petits mastoïdo-styloïdiens, qui tien- 


309 


nent au haut de la cuisse par des fibres ligamenteuses 
très serrées, et s’attachent d'autre part à l’extrémité 
élargie de l’os styloïde. 

La langue est proportionnellement très grande, 
étroite et obtuse. Sa surface n’a aucune aspérité. Sa 
base est déprimée, et présente trois papilles à calice, 
dont la mitoyenne, plus reculée, est plus petite que 
les latérales. A trois lignes en avant de ces papilles, 
la langue se relève beaucoup, et présentoit de pro- 
fonds sillons transverses, qui correspondoient aux 
rainures du palais, contre lesquelles la surface de la 
langue avoit été comprimée et moulée. 

L’œsophage contenoit ure fourmi et un morceau 
de feuilles ; il se dilate un peu vers le cardia. Sa 
membrane interne est mince; celle de l’estomac au 
cardia est épaisse, glanduleuse, sans plis. 

Malheureusement on avoit enlevé le reste de l'es- 
tomac et la plus grande partie du canal intestinal : 
il ne subsistoit de ce dernier que la portion qui se 
trouve entre les reins et au-delà jusqu’à l’anus. Son 
diamètre étoit égal partout, et sans boursouflure. La 
membrane interne avoit quelques plis longitudi- 
naux. 

Le foie, de grandeur médiocre, est divisé en lobes 
distincts. Le lobe moyen, de forme arrondie, a deux 
scissures : la droite renferme la vésicule, qui n’at- 
teint pas jusqu’au bord; la gauche est peu profonde. 
Le lobe gauche est oblong ; c’est le plus grand après 
le lobe moyen: il y a un petit lobule rond à sa base. 
Le lobe droit est petit et rond , le lobule droit pris- 
matique, bifurqué. 

La vésicule est médiocre. Son canal est large, il 
réunit les canaux hépatiques. Vu par sa face con- 
vexe, le foie ne paroît avoir que trois lobes; le li- 
gament suspenseur répond en partie à la scissure 
gauche. 

Toutes les fois que le foie se trouve divisé en lo- 
bes distincts, cela a toujours lieu d’après un plan 
uniforme. Ainsi, il y a constamment un lobe moyen, 
un lobe droit et un lobe gauche, et le plus souvent 
un lobule droit et un lobule gauche. Le lobe moyen 
a fréquemment deux scissures : l’une, celle de gau- 
che, répond au ligament suspenseur ; l’autre, celle 
de droite, renferme la vésicule du fiel, quand elle 
existe. Ces différents lobes et lobules varient beau- 
coup dans leurs formes et dans leurs proportions 
relatives. 


Organes de la respiration et de la circulation. 


La glotte est très en arrière de la base de la lan- 
gue. C’est une ouverture circulaire tout entourée 
d’un rebord beaucoup plus saillant en avant et sur 
les côtés, parce que c’est l’épiglotte qui le forme 
dans ces trois sens : elle est un peu échancrée au 
milieu. 


396 


Les poumons ont'ehacun trois lobes. Le gauche 
a son lobe supérieur prismatique, le troisièine est 
le plus grand. Du côté droit le lobe supérieur, aussi 
le plus petit, est bilobé ; le moyen est arrondi, c’est 
le plus grand, et l’inférieur est prismatique. 

Le cœur est ovale, obtus. Son ventricule droit a 
des parois si minces qu’elles sont affaisstes ; de sorte 
que la forme que conserve le cœur vient de son 
veutricule gauche. 


Organes de la sécrétion urinaire. 


La vessie est assez grande, à parois très épaisses. 

Les reins sont grands, ovales, sans enfoncement 
pour le bussinet, aplatis du côté des glandes surré- 
nales, qui les touchent et sont d’une grande pro- 
portion. 


‘ Organes de la génération. 


L'individu étudié était une femelle. 

La vulve présente une large ouverture dont le cli- 
toris n’est pas évident. 

L'utérus a un corps et deux cornes. 

Le corps s’avance presque à la hauteur de la ves- 
sie, puis se divise en deux branches, qui vont, en 
se dilatant, jusqu’à une poche sphérique, qui ter- 
mine cette corne par un cul-de-sac. La trompe, qui 
continue la corne, d’abord un peu large, va promp- 
tement en diminuant, de manière à ne plus former 
qu’un canal très fin vers son extrémité. 


————_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_———————————.—— 


* LES HÉRISSONS. 


Erinaceus. 


De tontes les espèces aujourd’hui connues des na- 
turalistes, Buffon n’a admis que le HERISSON COMMUN 
(erinaceus europeus), répandu dans toute l’Europe 
tempérée. Pallas a mentionné le premier les carac- 
tères du HÉRISSON A LONGUES OREILLES (erinaceus 
aurilus) (), supérieurement figuré dans le grand 
ouvrage de la commission d'Egypte (?), et qui, de 
taille toujours moindre que ceile du hérisson d'Eu- 
rope, a ses oreilles tellement amples qu’elles recou- 
vrent les deux tiers de la tête. Ses piquants ont aussi 
des anneaux bruns plus étroits, et les poils du ventre 
sont d’un gris plus cendré. La femelle met has le 
même nombre de petits, et a deux portées par an. 
Ce hérisson habite la Russie, et s'étend du nord de 
la mer Caspienne jusqu’en Fgypte; et a, dans cette 
dernière contrée, les poils du thorax d’un fauve jau- 
nâtre. On le trouve abondamment dans la province 


(G) Pallas, Screber, pl. 163. 
e) PL 5, fig. 3 ,et Encycl., pl. 38, fig. 3. 


HISTOIRE NATURELLE 


d’Astracan et sur les bords du lac Baikal. Nous ne 
connoissons pas le HÉRISSON A COLLIER (erinaceus 
collaris), dont M. Gray a publié une figure dans ses 
Illustrations de la zoolozie de l'Inde, dont se rap- 
proche le HÉRISSON SPATANGUE (erinaceus spatan- 
qus) () de M. Bennett, remarquable par une très pe- 
tite taille. trois pouces trois lignes au plus, la forme 
allongée du corps, la régularité des rangées des épi- 
nes, la coupe arrondie des oreilles. La tête, les pieds, 
le thorax, sont brun fauve; les oreilles et le menton 
blancs, les piquants longuement marqués de noir 
bleu à leur sommet, puis annelés de jaune. Ses mous- 
taches sont remarquablement longues. Le HÉRISSON 
DE GrAY (erinaceus Grayii), également décrit par 
M. Bennett, habite, comme le précédent, les monts 
Himalaya. El est de forme ovalaire, presque globu- 
leuse, ayant aussi de longues oreilles; les piquants 
irrégulièrement fixés sur le corps, et six pouces de 
longueur. Les orcilles ont un pouce, la queue huit 
lignes. Les piquants, jaunes au sommet, sont an- 
nelés de brun. Les poils de la tête sont gris brunä- 
tre, les oreilles et le menton blancs, le thorax et les 
membres d’un brunâtre clair: Le jeune, sans avoir 
encore de dents, possédoit des piquants jaunes, lar- 
gement teints de noir à leur pointe, et des piquants 
entièrement blancs. La coloration affectoit les mé- 
mes feintes, mais beaucoup plus claires que celles 
des individus adultes. Les voyages dans l’intérieur 
de l'Afrique australe de M. Steedman ont procuré 
un nouveau hérisson que M. Bennett à fait connoître 
sous le nom de HÉRISSON FRONTAL (erinaceus fron- 
talis) (?). Cet animal est long de cinq pouces six li- 
gnes, et ses oreilles oblongues n’ont que sept lignes. 
Sa forme est allongée ovalaire, et son dos est recou- 
vert de piquants irrégulièrement plantés, blancs à 
leur base, roses au milieu, et blancs terminés de 
brun à leur pointe. Les poils sont bruns, et ceux qui 
forment sur le front une bande neigeuse présentent 
une notable rigidité. Cette espèce a donc de grands 
rapports avec celle d'Europe. On trouve à Madagas- 
car un hérisson que les naturels de Tintingue nom- 
ment soki, et que nous ne savons à quelle espèce 
rapporter, faute de renseignements complets. Sa 
taille est petite, sa coloration brun foncé, sa forme 
naturellement globuleuse ; son museau est court et 
relevé; des soies grises revêtent les parties externes 
des membres. Ce hérisson se tient dans les bois pour- 
ris, ne sort que la nuit pour se nourrir de fruits 
tombés sur le sol. Les Malgaches regardent sa chair 
comme un mets délicat. 

Ce n’est qu'avec doute qu’on doit admettre, dans 
le genre qui nous occupe, trois espèces qui reposent 
sur les figures fautives de Séba. La première est le 


(‘) Procced. 1 ,p. 123. 
(2) Proceed.1832, p. 193 


DES MAMMIFÈRES. 


HÉRISSON DE MALACCA (erinaceus Malaccensis) (1), 
que M. Fr. Cuvier soupconne avec raison être un 
porc-épic. Son museau est camus, ses oreilles so't 
courtes et pendantes, et ses épines allongées sont 
attachées sur le corps par lignes parallèles. La deuxiè- 
me est le HÉRISSON DE SIBÉRIE (erinaceus Sibiri- 
cus) (?), à oreilles planes, à nez simple, et que tout 
autorise à penser n’étre qu'une variété de l'espèce 
d'Europe. Enfin la troisième est le HÉRISSON D’AMÉ- 
RIQUE (erinaceus inauris) (>), sans conque externe 
aux oreilles, à épines cendrées et jaunâtres, et qui 
est dit vivre à la Guyane. D’Azara à supposé qu’il 
s’agissoit d’un coëndou; et la longueur du corps, qui 
est de huit pouces, semble le prouver (f). 


(9) Linné: Séba, Thes. t. I, pl. 31, fig. 1 ; Brisson, 
p.183. Hystrix brochyura, Gmelin. 

3) Brisson , Rég. an., p. 182. Acanthion echinatus, 
Klein. 

(2) Linné; Séba,t.I, pl. 49, fig. 3. 

(4) M. de Blainville (*) vient de publicr sur les animaux 
insectivores des rapprochements intéressants. 11 classe 
avec les trois genres anciennement connus, taupe, 
masaraigne et hérisson, plusieurs formes nouvelles 
découvertes dans ces derniers temps. M. de Blainville 
a cherché, comme il a entrepris de le faire pour toute 
la série animale, à déterminer la position de cette fa- 
mille, ainsi que la disposition et la distribution des gen- 
res et des espèces qui la composent. 

Pour leur position, il aadopté la marière de voir de 
Storr et de Pallas, qui en font un groupe, les chauves- 
souris ou chéiroptéres, et précédant les carnassiers 
plantigrades. 


Quant à la disposition, quoique Ics musaraignes 
{soreæ) soient peut-être plus rapprochées des chéirop- 
téres par la forme générale, M. de Blainville croit néan- 
moins commencer la série des inseclivores par les tau- 
pes, qui sont pour ainsi dire des insectivores disposés 
pour voler dans un milieu plus ou moins meuble, comme 
les chauves-souris le font dans l’atmosphère, qui est un 
milieu au contraire d’une si faible densité. Il termine 
parles hérissons dont les dernières espèces ont le sys- 
tème dentaire normal des carnassiers, et surtout des 
carnassiers didelphes; intermédiairement se placent 
dans les sorex qui , en effet, passent aux taupes par 
les desmans, aux hérissons par les gymnures. 

La distribution des espéces est une conséquence de 
leur disposition.M. de Blainville les réunit sous les trois 
dénominations génériques talpa, sorex, erinaceris, et 
prenant en considération l’ensemble de leur organisa- 
tion ,et surtout la forme générale du corps et de ses 
appendices ; le système dentaire étant trop variable 
pour que toutes ces différences puissent être regardées 
comme génériques, la valeur de ces différences est 
beaucoup plutôt spécifique, et, ainsi envisagée, elle est 
d'une certitude vraiment remarquabie. 

1° Les taupes, talpa, sont définies par la forme de 
leur corps sacciforme plus large en avant qu'en arriére, 
par le grand développement proportionnel de leurs 
membres antérieurs, par la petitesse de leur queue, de 
leurs yeux et de leurs oreilles; elles se partagent en sec- 


(‘) Hermés, no 84, p. 122, 1837. 


357 


LES TENRECS. 


Centenes (1). 


Le tenrec (?) et le tendrac (5) ont été décrits par 
Buffon. Il en est de même du tenrec rayé que Son- 
nerat a figuré dans son Foyage aux Indes, mais que 
Buflon (f) regardoit à tort comme un jeune tenrec. 


tions caractérisées par diverses particularités de détail 
du système dentaire et de la queue, qui est de moins en 
moins courte, Chrysochora, talpa-svrex, condylurus. 

2 Les musaraignes, sorex, définies par la forme du 
corps la plus normale, les membres dans les proportions 
babituelles, et la queue allongée, sont groupées d'aprés 
la considération de leur degré de rapprochement ou d'é- 
loignementavec les taupes, ce qui permet de distinguer 
parmi elles les mygales ou musaraignes à queue compri- 
mée, espèces tout-à-fait aquatiques; les solenodons ou 
musoraignes à queue de rat, et dont l'espèce unique re- 
présente scule jusqu'ici les musaraigres dans l'Amérique 
méridionale; les sorex proprement dites, partagées con- 
venablement par MM.Wagler et Duvernoy en trois grou- 
pes , que le second de ces naturalistes appelle hydro- 
sorexæ, soreæ ( crocidura Wagl.) et amphisoreæ. A côté 
de ces animaux se place le macroscélide d'Afrique, qui 
est pour ainsi dire le dipus des sorex, et les cladobates 
qui en sont les sciuziens, et pour lesquels on ne sauroit 
trouver de nom meilleur que celui de Glisoreæ Musa- 
raigne-Loir ou Reureuil) que leur avoit donné M. Diard. 

3° Les hérissons, erinaceus, sont caractérisés par 
leur corps plus ou moins globuleux , plus gros, mais en 
général à museau pointu, leur queue variable ou nulle, 
leur doigts forts à ongles fouisseurs, et surtout les pi- 
quants plus ou moins abondants dont leur peau est ar- 
mée, ainsi que par leur systéme dentaire de plus en plus 
semblable à celui des vrais carnassiers. M de Blainville 
les dispose d'après la considération de ce dernier Sys- 
tème,-ainsi que d'aprés l'étendue de la queue, d'abord 
longue et écailleuse comme dans les gymnures que l’on 
a quelquefois, mais à tort, placés parmi les carnassiers 
digitigrades; puis très courte comme dans les héris- 
sons qui sont aussi pourvus d’une arcade zygomatique, 
ou tout-à-fait nulle comme dans les tanrecs , subdivi- 
bles en fandrecs et en tanrecs, d'aprés la considéra- 
lion de leurs incisives au nombre de de chaque côté 
dans les premiers, et de 2 oui même dans le jeune 
âge chezles seconds, comme c’est le cas du tanrec or- 
dinaire de Madagascar, de l’île de France et de Bourbon, 
et du centener variegalus ou semi-spinosus , dont on 
ne connoiît encore que le jeune âge. 

M. de Blainville retire de la famille des inseclivores 
pour la placer parmi les digitigrades à côté des van- 
sires , l'intéressante cespêce des carnassiers dont 
M. Doyére a fait le genre eupleres. Il à de plus rétabli 
la signification de différentes parties du système den- 
taire des insectivores; mais il seroit trop long et trop 
difficile d'en donner la démonstration sans figures. 

(:) Iliger, Prod. Setiger, Cuvier. 

2) Centenes spinosus, Desm. ; Erinaceus ecauda- 
tus , L. 

(3) Centenes Setosus, Desm. ; Érinaceus setosus, L. 

(4) Suppl, t HF, pl. 37. 


358 
C’est bien évidemment une espèce distincte couverte 
de soies mêlées aux piquants, rayée de jaune et de 
noir ; ses mächoires ont six incisives, et des canines 
grêles et crochues ; sa taille est au plus celle de la 
taupe. Tous les tenrecs sont originaires de Madagas- 
car, et naturalisés à l’île Maurice. M. Dujardin (1) à 
publié sur le tendrac une note qui renferme quelques 
détails intéressants. Les jeunes, à quelques mois, 
n’ont au plus que quatre pouces de longueur ; et les 
bandes jaunâtres qui se dessinent sur le fond brun 
de leur pelage, disparoissent en vieillissant, et font 
place à une teinte fauve uniforme. Les nègres sont 
tellement friands de leur chair, qu'ils les font griller 
pour les manger aussitôt qu’ils les prennent. Les 
créoles de Maurice leur donnent le nom de tandk ou 
tandka. Les femelles mettent bas de quinze à dix- 
huit petits pour une portée. Un fait neuf de leur his- 
toire est leur habitude de se retirer dans les terriers 
souterrains à l’ile Maurice, depuis juin jusqu’en no- 
vembre, et ils n’en sortent guère qu’en décembre. 
Le pelage d’une variété est remarquable par le rouge 
de sang qui colore et les poils et les piquants (?). 


{) Ann. des sc. nat ,t. XX, p. 479. 

(‘) M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a lu à l'Académie 
des Sciences une notice sur les mammifères épineux de 
Madagascar, ayant pour sujet la description d'une espèce 
nouvelle de tanrec, et l'établissement d'un troisième 
genre d’insectivores épineux, habitant comme les Lan- 
recs l'île de Madagascar, et exactement intermédiaires 
par ses rapports naturels entre ceux-ci et les hérissons. 

Les caractères des tanrecs sont les uns communs 
avec les hérissons, les autres différentiels. Parmi ces 
derniers on peut citer, quoique n'étant qu'un carac- 
tére de sccond ordre, la disposition relative des poils 
et des piquants chez les hérissons; la tête est couverte 
de poils en dessus comme en dessous jusqu'à la nuque, 
point à partir duquel toute la partie supérieure est cou- 
verte de piquants sensiblement de même longueur. 
Chez les véritables tanrees, le museau, aprés un espace 
nu assez élendu qui estun prolongement ‘du mufle, 
offre des poils dont la longueur et la grosseur vonten 
augmentant insensiblement d'avant en arriére, jusqu’à 
ce qu'au niveau des yeux ce soient déjà de véritables 
piquants , suivis eux- mêmes d'autres plus grands 
et plus forts; le passage des poils aux piquants est 
aussi insensible sur les flancs; vers la croupe, les 
piquants, sans diminuer de longueur, deviennent plus 
grèles et finissent par n'être que des soies; enfin, du 
milieu des piquants et des soies naissent de distance en 
distance de longs poils comparables à ceux des mous- 
taches. 

Les pieds des tanrecs offrent au train de derriére et 
à celui de devant même disposition des ongies et même 
longueur respective des doigts; chez les hérissons cette 
similitude est loin d'être aussi complète. 

Un caractère plus important des tanrecs consiste 
dans l’allongement considérable du museau, sorte de 
groin trés certainement mobile, et qui se lie aux carac- 
têres de premier ordre que fournit le systéme dentaire. 
Les dents consistent pour chaque côté et à chaque mà- 
choire en cinq mâcheliéres, une fausse molaire séparée 


HISTOIRE NATURELLE 


RSS ER 


LES GYMNURES. 


Gymnura. 


Les premières notions que les naturalistes aient 
eues des gymnures sont dues à sir Raffles, et consi- 
gnées à la fin du Catalogue des collections faites par 
cet Anglois zélé et instruit, inséré dans le tome XIII 
des Transactions de la Société linnéenne de Londres. 
Sir Raflles, toutefois, confondit l’animal-type avec 
les viverres, et lui appliqua avec doute, il est vrai, 
le nom de viverra gymnura. Mais sa description est 
si précise, qu’elle nous porta, en mai 1827, à créer 
dans notre Manuel de Mammalogie, p. 471, le genre 
gymnure, gymaura, en donnant à l'espèce le nom 
même de sir Raffles. Dans le dixième cahier du Zoo- 
logical Journal, d'avril à septembre 1827 inclus, et 
qui n’a pu paroître que dans le mois d’octobre sui- 
vant, MM. Vigors et Horsfield fournissent une nou- 
velle description du gymnure, en l’appelant égale- 
ment comme nous gymnura Rafflesii. La figure 


par un petit intervalle de la première mâchelière, et 
par un très grand intervalle d’une très longue canine 
comprimée, pointue, très semblable à son analogue 
chez la plupart des carnivores; enfin, de même que 
chez ceux-ci, il existe entre les canines des incisives 
trés petites de forme assez simple, mais sur le nombre 
desquelles les auteurs ne sont pas d'accord. D'aprésles 
recherches de M. I. Geoffroy, leur véritable nombre est, 
dans la jeunesse, de six en haut et de six en bas; dans 
l’âge adulte, les deux plus externes de la mâchoire su- 
périeure manquent. 

M. Geoffroy a fixé la synonymie et la description des 
espèces anciennement connues , le tanrec de Buffon et 
le tanrec demi-épineux; puis il en fait connoître une 
nouvelle espèce, le tanrec armé dont le seul individu 
connu aélé donné au Muséum avec d'autres animaux 
d'Afrique, par M. le capitaine d'artillerie Sganzin qui 
les avoit pris sur les lieux. Quant au tendrac de Buffon, 
l’auteur du mémoire a été conduit à le retirer du tan- 
rec pour le comprendre dans le nouveau genre qu'il 
établit sous le nom d'Ericule. 

Buffon savoit hien que tous les mammifères épineux 
de Madagascar ne pouvoient être rangés parmi les tan- 
recs.« Dans les mêmes endroits, dit-il, où ces derniers 
animaux se trouvent, on rencontre aussi des hérissons 
de la même espèce que les nôtres qui ne portent pas le 
nom de tanrec, mais qui s'appellent Sora.» Mais au lieu 
d'être un vrai hérisson, le sora doit devenir le type 
d'un genre distinct entre les hérissons et les tanrecs, 
et c'est dans ce genre établi sous le nom d'Ericule 
(nom qui rappelle l’analogie de ces animaux avec le 
hérisson, et indique leur petite taille, que doit venir 
se placer le Lendrac de Buffon , jusqu'à présent associé 
à tort aux lanrecs. M. le capitaine Sganzin, auquel est 
due la connoissance du tanrec armé, est aussi le pre- 
mier qui ait fourni à lascience les éléments nécessaires 
à l'établissement du nouveau genre éricule. Un sora 
en trés bon état se trouvoit dans la collection dontil a 
fait don au Muséum ; et, depuis, d’autres individus de 


DES MAMMIFÈRES. 359 


qu’ils en ont publiée paroit exacte, et nous l’avons 
reproduite planche 22 de notre Atlas. Telles sont 
les données historiques que nous possédons sur ces 
mammifères : on voit qu’elles ne sont ni anciennes 
ni nomhreuses. 

Sir Raflles s’est exprimé, relativement à ces ani- 
maux, en ces termes : « Depuis que j’ai rédigé mon 
Catalogue, on m'a apporté un animal nouveau et sin- 
gulier ; il appartient aux viverres par le nombre de 
dents, mais il s’en distingue par leurs formes et par 
leurs proportions : sa queue est dénudée comme celle 
d’un rat; si on lui conserve le nom de viverra, on 
devra lui adjoindre comme désignation spécifique le 
mot de gymnura (queue nue). Cet animal à plus d’un 
pied de longueur du nez à l’origine de la queue, qui 
a elle-même plus de dix pouces. Le corps, les jambes, 
et la première moitié de la queue, sont d’un noir 
intense, tandis que la tête, le cou jusqu'aux épaules, 
sont blancs; les yeux sont surmontés par un demi- 
cercle brun, et des poils blancs se trouvent mélangés 
aux noi:s sur l’occiput; la queue, que revêtent des 
écailles nues, est noire dans sa première moitié, et 
blanche dans le reste de son étendie; le pelage se 


la même espèce ont été envoyés en France par M. Gou- 
dot, voyageur du Muséum, avec des notes pleines de 
détails intére:sants 

Examinant les caractères du genre éricule dans le 
même ordre qu'il a suivi pour le genre précédent, M. I. 
Geoffroy remarque que le pelage chez ces animaux est 
bien différent de celui des lanrecs, et, comme dans 
les hérissons, composé de trois sortes de poils : en pre- 
mier lieu de poils ordinaires, mais en petit nombre, 
mais couvrant la tête jusqu’à la nuque, les membres et 
toutes les parties inférieures du corps; en secondlieu 
de quelques longs poils ou moustaches qui naissent 
sur les parties latérales du museau, et se dirigent en 
arriére ; enfin en troisiéme lieu, de piquants trés résis- 
tants, soit en avant et au milieu du dos, soit en arriére. 
Mais une différence notable entre les téguments des 
éricules et des tanrecs, c'est que les longues soies, qui 
chez ceux-ci s'élèvent du milieu des piquants, man- 
quent Lolalemernt chez les premiers. 

Les pieds, dans la forme de leurs ongles et celle de 
leurs doigts, offrent des différences assez sensibles 
avec les Lanrecs. La queue, plus courte encore que chez 
les hérissons, est complétement couverte par les pi- 
quants de la croupe. 


La tête, plus longue que dans les hérissons, plus 
courte que dansles tanrecs, indique également par sa 
forme que ces animaux appartiennent à un genre inter- 
médiaire. Les éricules ressemblent aux derniers par la 
forme de la région moyenne de la tête, et notamment 
par le caractère qui rend si remarquable le crâne des 
tanrecs par l'absence de l’arcade zygomatique. 

Les mêmes caractères mixtes se montrent, et plus 
clairement encore, dans le système dentaire. En effet, 
quoique les molaires soient en même nombre, et à 
peu près de même forme que chez les tanrecs, il y a 
dans les autres des différences bien marquées. Ainsi, 
1° ces grandes canines qui distinguent si bien les tan- 


compose de deux sortes de poils, l’un épais, très 
fourni, très soyeux, formant une bourre dense au- 
tour du corps, que traversent de longues soies ; le 
museau très allongé se termine par un mufle qui dé- 
passe d'environ un pouce la mâchoire inférieure; les 
narines sont en saillie, et leurs bords se trouvent 
être roulés ; la langue est ample , et douce sur sa sur- 
face ; les yeux sont petits ; les oreilles arrondies, dres- 
sées et dénudées ; des moustaches composées de longs 
poils noirs et blancs sont implantées sur le museau ; 
des poils ras et courts couvrent les jambes et les 
pieds, que terminent cinq doigts armés d'ongles ai- 
gus, comprimés et recourlés; une forte odeur de 
musc s’exhaloit de son corps. » Sir Raflles ajoute à 
ces détails quelques particularités sur les dents : ainsi 
il compta six incisives à la mâchoire supérieure ; les 
deux moyennes grandes et espacées, les deux ex- 
ternes très petites ; deux canines de la taille des in- 
cisives, et six molaires de chaque côté ; la première 
des mâchelières est petite, et a deux pointes sur sa 
couronne ; la seconde, plus ample, n’en a qu’une ; 
la quatrième et la cinquième, les plus grandes, ont 
quatre tubercules, et la sixième seulement trois. A 


recs, en Ce que seuls entre les insectivores ils offrent 
celte disposition propre aux mammiféres carnivores : 
ne se présenlenl point chez les éricules dont les ca- 
nines seroient aisément confondues avec les premières 
molaires. 


2 Les incisives qui, chez les tanrces sont essentiel- 
lement ?, ou aprés la chute ‘, sont chez les éricules 
au nombre de { seulement. 

30 La canine très séparée de la fausse molaire chez 
les Lanrecs, y est presque contiguë chez les éricules. 

4 Enfin , chez ces derniers les mâcheliéres, quoiqu'à 
peu prés de même forme que chez les tanrecs, ont 
transversalement plus d'étendue à leur couronne ; les 
fausses molaires sont aussi comparativement beaucoup 
plus petites. 

Les noles remises par M. Goudot donrent sur les 
mœurs du sora les renseignements suivants : 

L'animal habite l'intérieur des vastes forêts qui cou: 
vrent les montagnes du pays des Ambanivoulers. Dans 
le jour, lorsqu'on est au milieu de ces bois, on voit fré- 
quemment un sora sortir de sa retraite, et chercher en 
furetant sa nourriture ; il saute et court avec beaucoup 
d'agililé; lorsqu'on s'approche de lui, il hérisse aussi- 
tôt en diadéme la huppe épineuse qu'il porte ordinai- 
rement rabatlué sur le cou; on l'entend alors souffler 
trés dislinctement, et il saute par intervalle en héris- 
sant de plus en plus ses piquants. 

Les derniers détaiis, dit M. L. Geoffroy, sembleraient 
indiquer que les éricules , de même que les tanrecs , ne 
se mellent pas en boule à la maniére des hérissons. 
Je suis cependant porté, jusqu'à preave du contraire, 
à croire, en raison de la similitude si compléle qui 
existe dans la nature et dans la d'sposition du légument 
des hérissons et des éricules , que ces deux genres doi- 
vent offrir une grande analogie dans leur mode de dé- 
fense. 


360 
Ja mâchoire inférieure on a trouvé six incisives à peu 
près semblables à celles d'en haut, les deux canines 
et les molaires ne différant point par leur nombre 
et par leur forme de celles du maxiilaire supé- 
rieur. Enfin sir Raffles pensoit que l’animal envoyé 
au major Farquhar de l’intérieur de Malaca, sous 
le nom de tikus cinbang bulan, n’étoit autre que le 
gymnurc. 

MM. Horsfield et Vigors ont pu examiner dans 
Ja collection de la Société de zoologie deux individus 
intacts du gymnure de Raflles : l’un étoit évidem- 
ment encore jeune, et l'autre, conservé dans des li- 
queurs spiritueuses, étoit adulte et dans un état par- 
fait de conservation. Dans leur Mémoire ils penchent 
à placer ces animaux à côté des {upaia, bien qu'ils 
leur assignent de grands rapports avec quelques es- 
pèces de didelphes de la grande famiile des marsu- 
piaux ou mammifères à bourse (1). 

Les mœurs des gymnures. sont inconnues, et la 
seule espèce authentique est des îles indiennes de 
l'Est. 

Ces mammifères sont évidemment les représen- 


() D'après ces naturalistes, le genre gymnura a Îles 
caractéres suivants (Zool. Journ., n° x, p. 247 et248 ): 
« Jncisores suprà 2, remoli, maximi, subevlindrici, 
» apice rotundato; infrà 6, quatuor intermedii approxi- 
« mali, breviuseuli, proclives, compressi, paginà ante- 
» riori convexà, inleriori plan, scalpro rotundalo, duo 
» laterales abbreviati, aculi. Laniarii supra ulrinsecus 
» 2, abincisoribus remotiillisque breviores, conici, an- 
» tici majores; infrà utrinsecus 4,maximus,;conicus, sub- 
» arcuatus iutrorsum spectans. Holares suprà utrin- 
» secus 8, a laniariis remoli, tres antici unicuspides, 
» primus elongatus sectorius, secundus ctterlius abbre- 
» viati, quartus cuspide conicà elongalâ, ad basim 
» gradu postico et exteriori abbreviato, quintus cus- 
» pideexteriori longissimà inleriori abbreviala ; sextus 
» et septimus maximi, multicuspides, cuspidibus sub- 
» abbreviatis, rotundalis, octavus minor subtritorius, 
» cuspidibus obtusioribus; infrà 7, tres antici unicuspi- 
» des, compressi, primus et secundus breviores, terlius 
» subelongatus, quartus cuspide elongatà, gradu ante- 
» riori alteroque posteriori abbrevialis, quintus, sextus 
» et septimus maximi, mullicuspides cuspidibus elatio- 
» ribus, acutioribus. Caput elongatum acuminatum, 
» anguslatum, lateribus compressum, suprà planiuscu- 
» lum. Rostrum oblusum, eclongatum, protensum, 
» maxillam inferiorem longiludine magnoperé supe- 
» rans ; nares laterales, prominentes, marginibus con- 
» volutis. Lingua glabriuscula, grandis. Auriculæ ro- 
tundatæ , prominulæ, nudæ; oculi parvi. Vibrissæ 
» elongatæ. Corpus subrohustum; cordario molli pilis 
» raris erectis , subelongatis , asperis. Cauda longius- 
» cula, teres, attenuata, Buda , squamosa, pilis rarissi- 
» mis injuventute obsila. Pedes mediocres, plantigradi, 
» pentadactyli, anteriores pollice breviusculo, digitis 
» tribus intermediis longioribus subæqualibus, exte- 
» riori abbreviato; posteriores pollice brevissimo, 
» digitis tribus intermediis valdè elongatis, exteriori 
» mediocri. Ungues mediocres, angusli, arcuali, com- 
pressi, acutissimi, retracliles, » 


% 
4 


> 


HISTOIRE NATURELLE 


tants en Asie des sarigues de l'Amérique et des 
péramèles de l’Australie. C’est peut-être parmi les 
marsupiaux qu’on devra les classer, lorsque leur or- 
ganisation interne aura été soigneusement étudiée. 


LE GYMNURE DE RAFFLES. 
Gymnura Rafflesii (1). 


Cet animal, qui rappelle aux amis des sciences 
paturelles le nom recommandable de sir Stamford 
Raflles, est remarquable par ses caractères généri- 
ques, et par les particularités d'organisation que nous 
avons signalées dans les considérations générales qui 
précèdent. Nous nous bornerons à dire que son pe- 
lage sur le corps, les pieds, la moitié de la queue, 
est d’un noir mat, et qu’une ligne de cette nuance 
surmonte l'œil; la tête, le cou et l'extrémité de la 
queue sont au contraire de couleur blanche, et les 
poils sont moins fournis sur la région dorsale. 

Les dimensions de l'adulte sont les suivantes : 

Pouc. Ligues. 


Longueur du corps et de la tête, du 
museau à l'extrémité de 


laiqueue in ere AR ES 
————— GA UEECONOMONENOMEN TITRE (UNE "(Er 
————— delatête . . . . . . » 4 3 
du mUSeAU. MEN M NDS 
Largeur entre lesyeux. . «+ . . . » 1 6 
Intervalle entre les oreilles. . . . » 4 » 
Elévalion aux épaules. . . . + . » © » 
— ——)auMtbassin-Me Mer NE PNG 
Longueur des tarses de devant, y 

compris les doigts. . . » 1% 9 


————— desmembres postérieurs » % » 


Le gymnure de Raffles n’a point encore été envoyé 
au Muséum d'histoire naturelle de Paris. C’est une 
découverte tout angloise, et c’est d’après les natu- 
ralistes de cette nation que nous en avons tracé la 
description et reproduit la figure. 


LES CLADOBATES, 


OU LES TUPAIAS. 
Cladobates (?). 


Les cladobates sont des mammifères récemment 
découverts dans les grandes îles de la Sonde et dans 


() Lesson, Manuel de Alammalogie (mai 1827), 
p 171; Vigors et Horsfield, Zoo!. Journ., no 10 ( sep- 
tembre 14827 ),p 248,et pl 8 : viverragymnura, sir 
Ralfles, Cat. Trans. Soc. linn., t. XII (1823). 

(2) Fr. Cuvier; Tupaia, sir Raffles, Horsfield.: Sorex- 
glis, Diard; Glisorex, Desm.; Hytogale, Temminck. 
Remarques sur les dents des Cladobates, par Huschke, 
Isis, t. XX, 1827, pl, 10. 


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DES MAMMIFÉRES. 


le Pégou ; ils ont reçu des Malais le nom de tupaïa, 
bien que ce terme soit chez ces peuples générique 
pour désigner une foule depetits animaux grimpants. 
Ils sont un lien de transition entre les hérissons, 
les desmans, les taupes insectivores et les écureuils 
rongeurs, auxquels ils demeurent affiliés par leurs 
formes et par la prestesse avec laquelle ils gravissent 
à la cime des arbres jes plus élevés. Leur corps, leur 
longue queue couverte de poils, les feroient prendre, 
de prime abord, pour des Guerlinguets, si leurs 
oreilles nues et leur museau taillé en boutoir ne 
leur prêtoient une physionomie distinetive. La pre- 
mière mention qui ait été faite des tupaïas paroit être 
due à Valentin, qui mentionna sous le nom de faupe 
un petit animal de ce genre. Pais sir Rafles décrivit 
deux espèces que M. F. Cuvier, de son côté, faisoit 
connoitre en France, à peu près à la même époque, 
sous le nom générique de cladobates. Horsfield, 
dans ses Recherches sur Java, ajouta une troisième 
espèce; et M. Bélanger une quatrième, originaire 
du Pégou. Toutefois, il se pourroit que les trois pre- 
miers ne fussent que des âges différents d’une seule 
race. 

Les cladobates, suivant sir Raffles, présentent 
les caractères suivants : leur museau est allongé ; les 
dents incisives sont an nombre de quatre en haut et 
de six en bas, penchées en avant et celles du milieu 
écartées. Les canines sont distantes, les molaires au 
nombre de six à chaque mandibule, et les pieds di- 
visés en cinq doigts. À ces caractères incomplets il 
ajoute, habitudes et mœurs des écureuils. Leur for- 
mule dentaire est la suivante : incisives :, fausses 
molaires ——, vraies molaires =—. Les incisives 
supérieures sont petites, coniques, obtuses et cro- 
chues; les inférieures longues, conchées en avant, 
aplaties et elliptiques. Leurs yeux sont grands, leurs 
orcilles peu élevées, arrondies, nues et larges: leur 
bouche est ample avec une langue douce; le museau 
présente un mufle, sur le côté duquel s’ouvrent les 
narines ; leur pelage dense et moelleux; et les cinq 
doigts des extrémités sont armés d’ongles aigus, 
rétractiles et non usés par la marche. Ils vivent d’in- 
sectes et de fruits. 

Le PRESS, fupaïa ferruginea (!), ou, comme le 
nomment les Malais de Sumatra, tupaïa press, ha- 
bite les forêts de Singapore et de Bencoolen . où il 
se nourrit des fruits du kayo gadis. Il est d'humeur 
vive et gaie, et n’a point les habitudes nocturnes, 
malgré la grosseur de ses yeux larges et brillants : 
son pelage est d’un marron rouille sur le dos et les 
côtés du corps, blanchâtre sur le ventre. Les poils 
de la queue sont teints de brun grisätre, avec un mé- 
lange de noir et de blanc Sa taille varie entre six ou 
huit pouces, la queue non comprise ; et celle-ci a en- 


(2 Sir Raffles, Cat ; Cladobates ferruginea , Fr, Cuv. 
L. 


361 


viron cinq ou six pouces. Sa forme est arrondie et 
abondamment recouverte de poils. Le press est do- 
cile, facile à soumettre à la domesticité ; il ne pro- 
fite de la liberté qu'on lui laisse que pour s’ébattre, 
car il se rend avec ponctualité aux heures des repas 
de celui qu’il affectionne pour en obtenir des fruits 
ou du lait. Le TuPAÏA TANA (1), tupaïia tana, habite 
également l'ile de Sumatra, et sa taille est plus forte 
que celle du press; il a de neuf à dix pouces de 
longueur, sans ajouter les sept pouces de la queue. 
Il ressemble au press par les teintes brunes de son 
pelage, excepté les parties inférieures du corps qui 
sont d’un rouge ferrugineux. La queue est aussi plus 
aplatie, assez analogue à celle de l’écureuil, et rou - 
geètre. Son museau est surtout allongé d’une manière 
remarquable. Les babitants rapportèrentà sir Raffles 
que les habitudes de cette espèce ja tenoient fixée 
sur le sol, ou à une faible distance au-dessus ; de là 
le nom de {upaïatana ou de terre, que lai donnentles 
naturels. Le TUPAÏA BANGSRING ou SINSRING, lupaïa 
javanira (?), vit exclusivement, ainsi que l'indique 
son nom, dans l’ile de Java. Son museau est mé- 
diocre, et sa queue très longue. Son pelage brun 
est tiqueté de jaunâtre en dessus, passant au blan- 
châtre sale en dessous, et une étroite bandelette 
blanche naît au cou et vient de chaque côté se ter- 
miner au milieu de l'épaule. Le corps a six pouces 
et demi de Jongueur, et la queue neuf. C’est dans 
les forêts du district de Blambangan qu’il semble 
plus exclusivement habiter, au dire de M. Horsfied, 
et qu’il y vit de fruits, de noix et de quelques autres 
matières végétales, 

Le Tupaïa pu PÉGOU, tupaïa Peguaxus (3), a son 
pelage roux tiqueté de noir en dessus, imitant les 
nuances du lièvre; la face externe et le devant des 
membres, le dessus de la tête, sont de ce même roux 
piqueté, tandis que les parties inférieures sont fau- 
ves; sur l’épaule apparoît une petite tache irrégu- 
lière fauve clair. Les poils de la queue, distiques, 
forment une touffe noirâtre à sa terminaison : elle 
est longue de sept pouces ct demi, tandis que le 
corps n’a que sept pouces. Ce tupaïa, assez commun 
dans les bois épais et humides de Siriam au Pégou, 
a les plus grands rapports avec le {ana ou le bangs 
ring. 


LES MUSARAIGNES. 
Sorex. 


Les espèces nombreuses de ce genre n’ont été 
bien étudiées que dans ces dernières années , car 


() Sir Raffles ; Horsf.; Cladobates tana, Fr. Cuvier. 
(2) Horsf., Resear. in Java.; Cladobates Javania, 
Fr. Cuvier, 35e liv. 
(3) sid. Geoff., Zool, de Bélanger, pl. 4. 
46 


362 


Buffon n’a connu que trois espèces : la musaraigne 
commune ou musette, le mus araneus de Pline, 
la musaraigne d’eau, découverte par Daubenton, 
sorex Daubentoni d'Erxleben, et la musaraigne de 
Sonnerat figurée dans le septième volume des Sup- 
pléments, sous le nom de rat musqué de l'Inde. 
Quant à la musaraigne du Brésil de Buffon, c’est 
très probablement un sarigue, le touan (didelphis 
tricolor). 

Les musaraignes sont reconnoissables à leur mu- 
seau allongé, terminé par un mufle, à leurs yeux 
petits et peu apparents, à leurs oreilles courtes et 
arrondies, à leur aspect de souris. Leur pelage est 
épais et doux; mais sur chaque flanc existe, sous 
les poils ordinaires, une bandelette mince de soies 
rigides, entre lesquelles suinte au temps des amours 
un liquide d’odeur musquée fragrante, sécrété par 
un appareil glanduleux. Les pieds sont terminés par 
cinq doigts, dont la plante est calleuse, et six ma- 
melles saillent sur le thorax et sur le ventre. Leurs 
dents à couronnes cuspidées les rendent essentiel- 
lement entomophages. Ces animaux sont très diffi- 
ciles à distinguer les uns des autres; aussi pour 
rendre leur description plus facile à saisir, les ca- 
ractériserons-nous par les traits les plus essentiels, 
en les groupant par régions. 

Les musaraignes européennes terrestres sont les 
suivantes : 4° La MUSARAIGNE PYGMÉE (s0rer pyj- 
meus) (1), décrite par Pallas, et qui habite les rives 
des fleuves de la Sibérie , de la Silésie et le Meklen- 
bourg. Cest de tous les mammifères le plus petit, 
car sa longueur est, du bout du museau à l'anus, de 
vingt lignes, et sa pesanteur de trente-trois à qua- 
rante grains. Son pelage est fauve; sa queue, grêle 
et étranglée à la base, cet annelée de soie. La variété 
de la Silésie est, suivant Gloger, d’un cendré fauve 
à reflets dorés, passant au cendré sur le corps, et 
au blanc pur au menton. 2 La MUSARAIGNE d'E- 
TRURIE (sorex etruscus ) (2), tout aussi fluette dans 
ses proportions que l’espèce précédente, car elle 
n’a que vingt-deux lignes de longueur; un pelage 
gris cendré, tirant sur le blanchâtre en dessous ; 
des oreilles arrondies, la queue médiocre et comme 
quadrangulaire; elle répand une forte odeur mus- 
quée, et se tient dans les trous des arbres et sous 
leurs racines dans la Toscane. 5° La MUSARAIGNE 
LEUCODE (sorex leucodon) (5), a le corps long de 
deux pouces dix lignes, la queue de seize lignes. 
Le pelage est fauve sur le dos, tandis que le ventre 
et les flancs sont blancs; la queue est quadrangulaire. 
Commune aux environs de Strasbourg. On la ren- 


("} Pallas. Laxmann: Sorexz minutus, L.; Soreæ mi- 
mutissimus, Zimmerm. 


(2) Savi, Mem., pl. 5. 
(3) Hermann ; Screber, pl. 159. 


HISTOIRE NATURELLE 


contre encore dans plusieurs lieux de la France et 
de l'Allemagne. On en distingue une variété dé- 
crite par Pallas (t), qui a les oreilles petites, la queue 
grêle et nue, le pelage à peu près fauve. Peut-être 
doit-on rapporter à la leucode deux autres espèces 
décrites par Pallas. La première, très commune dans 
les jardins et dans les forêts du Caucase, porte le 
nom de sorexæ suaveolens. Son pelage est fauve 
cendré; sa queue grêle est couverte de poils courts 
entremélés à des poils plus longs. La deuxième, du 
même pays, est la sorer Gmnelini, roussâtre, à 
orcilles cachées, à queue unicolore vêtue de poils 
sétacés. 40 La MUSARAIGNE PLARON (sorex conslric- 
tus) (?), longue de quatre pouces, et qui vit dans les 
p'airies de la France ; a ses oreilles velues , très pe- 
tites , entièrement cachées par les poils de la tête. 
Son pelage est noir cendré, sa queue est aplatie à la 
base et à la pointe, ronde dans sa partie moyenne. 
A cette espèce se rapportent probablement comme 
variétés : la sorer eremita de Bechstein, à pelage 
noir ; la sorexæ cunicularius ou leucurus, fauve en 
dessus, blanchâtre en dessous, à queue courte ter- 
minée de blanc; la sorex unicolor, cendré fauve, 
à queue anguleuse à sa naissance. Le plaron se re- 
trouve en Allemagne, et se reconnoit à son museau 
velu et épais . à ses incisives jaunes , et à l'épaisseur 
relative de sa queue. 5° La MUSARAIGNE CARRELET 
(sorex tetragonurus) (?), de même que le plaron, 
pourroient bien n’être que des variétés d'âge de la 
musaraigne d’ean ou de Daubenton. Sa taille varie 
de trois pouces trois à cinq lignes, la queue com- 
prise. Les incisives sont fauves, les oreilles courtes; 
les poils qui la recouvrent sont, sur le dos, noi- 
râtres, et fauve cendré sur le ventre. Sa queue, brus- 
quement acuminée, est régulièrement quadrilatère ; 
on la rencontre en France et en Allemagne. 6° La 
MUSARAIGNE MUSETTE (sorex araneus), si commune 
dans les campagnes et dans les prés de presque 
toute l’Europe, a été décrite par Buffon, et la sorex 
vulyaris de Linné et d'Hermann ne paraît point en 
différer. 7° La MUSARAIGNE COURONNÉE (s0rex COro- 
natus) (#), est longue de deux pouces dix lignes, et 
la queue a vingt lignes; toutes les parties supé- 
ricures sont d’un brun roux foncé, avec une sorte 
de masque à teinte plus prononcée, qui enveloppe 
le devant de la tête à partir du bout du museau jus- 
qu'à l’occiput , et qu’encadre une ligne minee, cen- 
drée. Sa queue est tétragone , la gorge blanchâtre, 
les flancs gris roussâtre, et toutes les dents teintées 
de rouge à leur pointe. Cette musaraigne à museau 
très eflilé est assez rare à Blou, sa patrie, dans 


() Sorex Güldenstadti. 

(:) Herm.; Encycl., pl. 4, fig. 6. 

(3) Herm. 48. 

(:) Millet, Faune de Maine-et-Loire , t, 1, p. 18, pl. 1, 
CURE 


fi: 


DES MAMMIFÈRES. 


l’ouest de la France, et se tient dans les lieux secs 
et sablonneux. 

Les musaraignes européennes aquatiques, où qui 
fréquentent le bord des eaux, comprennent dans 
leur tribu un assez grand nombre d’espèces. Elles 
ont des poils droits et roides, plus où moins longs, 
mobiles et érectiles, garnissant les côtés des tarses 
et des orteils, et qui servent à la natation. 4° La 
plus anciennement connue est la MUSARAIGNE D'EAU 
ou de DAuBENTON ( sorex fodiens ) (1), décrite par 
Vicq-d’Azyr sous le nom de greber, commune sur 
le bord des rivières et des fontaines de la plupart 
des contrées de l’Europe. Breh:n (?) en admet trois 
espèces qui s’en rapprochent beaucoup. 2° La nu- 
SARAIGNE AMPHIBIE ( sorex ainphibius ), se distin- 
gue de toutes ses congénères par la brièveté de ses 
soies natatrices, de sa queue qui n’a que les deux 
tiers de la longueur du corps. Son pelage est uni- 
formément d’un cendré noirâtre, passant en dessous 
au roux blanchâtre sale. Ses mains sont autant ter- 
restres qu'aquatiques, €t sa nourriture principale 
consiste en insectes, et même en viande. Elle fré- 
quente l’Allemagne principalement l’hiver , car 
l'été elle disparoît ou devient rare.5° La MUSARAIGNE 
A QUEUE EN RAME (sorex natans, Brehm ), ayant sa 
queue munie de poils serrés, disposés en rames, et 
ses dents supérieures gris blanchâtre. Sa taille est 
plus forte que celle des précédentes. Elle est rare 
sur le bord des eaux, qu’elle ne quitte guère dans 
l'automne en Allemagne. 4° La MUSARAIGNE À DENTS 
BLANCHES (sorex stajnalilis, Brehm ), qui res- 
semble singulièrement aux précédentes, mais qui 
s’en distingue par la blancheur de ses dents et la 
forme toute spéciale des incisives inférieures et des 
canines. Elles paroït être très commune dans les 
étangs de la forêt montagneuse de Thuringe. 
4° M. Geoffroy Saint-Hilaire distingue comme es- 
pèce, la MUSARAIGNS A LIGNES ( sorex lincatus) (3), 
à queue grêle, arrondie, fortement carénée en des- 
sous, à pelage brun noirâtre plus pâle sous le corps, 
à gorge cendrée, mais distinguée par une tache sur 
chaque oreille et une ligne blanche sur le chanfrein. 
Sa taille est de trois pouces six lignes de longueur 
totale. Son museau est grêle et eflilé, elle vit aux 
environs de Paris. 5° La MUSARAIGNE PORTE-RAME 
(sorex ramifer ), décrite par le même naturaliste, 
a la queue quadrilatère à la base, comprimée à la 
pointe; son pelage brun noirâtre foncé en dessus, 
brun cendré en dessous, ct la gorge d’un cendré 
clair. Elle fréquente le bord des eaux aux environs 
d'Abbeville. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en 


() Gmelin : Sorex Daubentonii, 8lumenb. et Erxl 
Sorex carinatus , Herinann; Sorex fodiens, Becht. 
(2, Ornis , 2e cah. 1826. 


6) Geoff., Ann. du Muséum, t, XVII, p. 181. 


363 


signale une variété assez caractérisée par son pelage 
noir cendré en dessus, la gorge d’un gris net, et les 
soies des pieds et de la queue d’un beau noir. Son 
museau est très prolongé, et sa queue, garnie de squa- 
melles, est légèrement villeuse. 6° La MUSARAIGNE 
A COLLIER ( sorex collaris) (!), est totalement noire 
avec un collier blanc. On la rencontre communé- 
ment dans les petites iles placées à embouchure de 
l’Escaut et sur les rives de la Meuse. 

L'Asie possède plusieurs musaraignes assez dis- 
tinctes. La Sibérie en à deux : 4° la MUSARAIGNE 4 
QUEUE DE RAT (sorer myosurus, Pallas ), dont la 
queue est arrondie, épaisse, presque nue ; le mu- 
seau renflé, le pelage blanc ou brunâtre chez le 
mâle ; et 2° la MUSARAIGNE GRÈLE (sorex exilis, Pal- 
las), à queue ronde ; les formes massives, mais la 
taille très petite. 3° Eversmann a rencontré dans les 
déserts sablonneux, entre Orembourg et Bukhara, 
la MUSARAIGNE GRACIEUSE ( sorex pulchellus, Lich- 
steinstein), une des plus petites de la famille, à pe- 
lage gris foncé sur le dos, gris clair sur le sommet 
de la tête, ayant les flancs blancs de neige, les oreil- 
les gris ardoisé, et une tache blanche sur la nuque 
Ses moustaches sont aussi d’un blanc éclatant. Elle 
place son nid au milieu des roseaux. 

L'Inde offre plusieurs espèces à dents blanches, 
que les voyageurs ont long-temps confondues sous un 
même nom, tant leurs rapports sont intimes : ce sont 
les plus grandes que l’on connoisse : 4° la MUSARAI- 
GNE SONNERAT (so:eæ Sonneralit) (?). A son pelage 
cendré, lavé de roussâtre en dessus et de gris clair en 
dessous ; une queue épaisse et arrondie, et le corps 
long de quatre pouces. Elle habite l'Inde, surtout 
le territoire de Pondichéry. On la trouve à Pile de 
France. C’est probablement de cette espèce que 
parle sir Raffles dans son Catalogue, sous le nom de 
soreæ cœrulescens, comme existant au Bengale, et 
n'ayant qu’une seule glande de chaque côté du corps, 
sécrétant le fluide d’odeur musquée qui a valu dans 
toutes les colonies le nom de rats-musqués appliqué 
aux animaux de ce genre. 2° La MUSARAIGNE GÉANTE 
(sorex giganteus) (*). À son pelage généralement 
fauve, bien que les poils soient cendrés à leur ori- 
gine et fauves à leur pointe. Ses oreilles sont assez 
grandes, non cachées par les poils des joues. La lon- 
gueur totale du corps est de cinq pouces et demi; 
et la queue, épaisse et arrondie, n’a que le tiers de 
cette dimension. Cet animal vit au Bengale, et, 
suivant le dire de M. Bélanger, aux environs de Pon- 
dichéry, où sa trop rapide multiplication apporte de 


© (1) Geoffroy Saint-Hilaire. 

(2) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, Mém, du Mus , 1827: 
Zool. de Bélanger, p. 109 : Etudes zoologiques, 13. 
Figurée par Buffon dans ses Suppléments, est la Sorex 
indicus, auct, 

@) 1bidem. 


364 
grands dégâts dans les magasins de riz. 5° La musa- 
RAIGNE SERPENTAIRE OU MONDJOUROU (Surex £erpen- 
tarius (1). Vit également dans l'Inde, et s’est na- 
turalisée à l’ile Maurice. Peut-être est-ce la même 
espèce qu'on rencontre sur l'ile de l’Ascension , où 
des navires l’auront transportée ? On a cru que son 
odeur pouvait chasser les serpents des habitations. 
M. Leschenault de La Tour s'exprime ainsi : « Les 
» musaraignes sont communes dans les maisons de 
» Pondichéry, où elles deviennent incommodes par 
» l'odeur musquée qu’elles exhalent. Cette odeur 
» est si pénétrante, que si elles passent sur une 
» gargoulette, elles la communiquent à l’eau con- 
» tenue dans le vase; et l’on prétend que les ser- 
» pents les fuient et s’éloignent des lieux où elles se 
» trouvent. Elles font fréquemment entendre dans 
» leurs courses un petit cri aigu que l’on rend à peu 
» près par la syllabe kouik. » Nous-même, dans nos 
voyages, nous avons vérifié la justesse de ces remar- 
ques ; et dans les caves les vins ou les bouchons s’im- 
prègnent tellement de ces eflluves, qu’il devient 
impossible de s’en servir. 4° La MUSARAIGNE MURINE 
(sorex murinus, Linn.). Vit dans l'ile Java. Son 
pelage est généralement d’un brun foncé, avec le 
dessus du corps, la gorge et la face interne des 
membres d’un gris brunâtre. Sa queue est carrée, 
Jongue de vingt lignes, tandis que le corps et la tête 
n’ont guère plus de deux pouces quatre lignes. Ses 
oreilles sont grandes, sa queue écailleuse, et pres- 
que entièrement couverte de poils courts et fins, 
d’entre lesquels se détachent quelques longues 
soies. 

Les musaraignes d'Afrique comptent quelques es- 
pèces intéressantes. 4° La plus curieuse est, sans con- 
tredit, la MUSARAIGNE SACRÉE (sorex religiosus) (?), 
sans doute éteinte depuis des siècles, et qu’on ne 
rencontre plus que dans les catacombes à l’état de 
momie. Olivier, le premier (5), découvrit les débris 
de la grande musaraigne dans un des puits des oi- 
seaux sacrés d’Aauisir, près de Memphis, et en fit 
graver une figure dans la relation de ses voyages ; 
long-temps après, M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire 
la retrouva dans les collections de M. Passalacqua, 
car ce voyageur avoit recueilli, dans la Nécropolis de 
Thèbes, vingt-sept individus embaumés appartenant 
à plusieurs espèces distinctes. La musaraigne sacrée 
se distingue de ses congénères par sa très pelite taille. 
à peu près égale à celle de la sorex «truscus; par 
sa queue fort longue, et dont l’extrémité pourroit 
atteindre et dépasser l’occiput. Ses orei les sont très 
développées, et son pouce surtout est remarquable- 
ment court. Sa queue est régulièrement carrée comme 


(1) Isidore Geoff, Saint.-Hil., Voy. de Bélanger, p.119. 
(2) Ibid. Mém. du Muséum, 1827. 

&) Sorex Olivieri, Desm., Mamm,., note, f, 193, 
L = 


HISTOIRE NATURELLE 


celle de la tetragonurus. Son pelage, débarrassé par 
l'alcool des résines qui lui servoient de langes, a 
paru être un gris de souris uniforme. 2° La MUSARAI- 
GNE A QUEUE ÉPAISSE (sorex crassicaudus) (!). Est, 
suivant le naturaliste prussien Lichsteinstein, celle 
dont M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a figuré une 
dépouille embaumée dans les Annales du Muséum , 
en la rapportant à la sorex giganteus Le type vivant 
habite toute l'Egypte inférieure, etse fait reconnoître 
à son pelage gris argenté, à sa quéue tétraédrique, 
munie de longs poils elair-semés. Sa taille est de cinq 
pouces et demi, et la queue à deux pouces neuf li- 
gnes ; et, sous ces rapports, il y a conformité entre 
la musaraigne à queue épaisse et la géante. 5° La mu- 
SARAIGNE CANNELLE (sorex cinnamomeus, Lichst.). 
A le dessus du corps de couleur cannelle, et le des- 
sous gris. Sa queue est cylindrique, couverte de poi's 
serrés. Ses dimensions sont de cinq pouces pour le 
corps et de vingt-une lignes pour la queue. Elle vit 
dans le midi de l'Afrique. 4° La MUSARAIGNE BLONDE 
{sorex flavescens, Isid. Geo.) (?). A été découverte 
au cap de Bonne-Espérance, par M. Deialande. Elle 
habite plus particulièrement la Cafrerie et le pays 
des Hottentots. Adulte, elle a quatre pouces six li- 
gnes de longueur, tandis que la queue ne compte 
que dix-huit lignes. Le dessus du corps est un blond 
roussâtre de teinte fraiche et satinée, tandis que le 
dedans des membres, le ventre, sont d’un blanc lavé 
de cendré. Sur le chanfrein et sur le nez se dessine 
une ligne longitudinale brunâtre qui tranche avec les 
couleurs claires des parties-voisines. La queue pré- 
sente quelques longues soies dirigées en arrière. Le 
museau esttrès eflilé. Les poils des jeunes sujets sont 
bien plus fortement colorés que ceux des adultes. 
Les oreilles, blanches à leur base, sont brunes au 
sommet. 5° La MUSARAIGNE DES CHEMINS (S0rex va- 
rèus) (3). À le pelage roux grisètre en dessus, cendré 
clair en dessous ; les oreilles grandes, non cachées 
dans les poils. Sa queuc, un peu comprimée dans sa 
première portion, est arrondie à son extrémité, et 
garnie de longues soies clair-semées, dirigées en ar- 
rière. Elle à trois pouces de longueur, et la queue 
deux. Celte musaraigne, découverte au Sénégal par 
M. Perrottet, se trouve le plus ordinairement sur les 
chemins, le long des haies, ou cachée sous les ra- 
cines des arbres, et ne se rencontre qu’accidentelle- 
ment dans les habitations. 6° La MUSARAIGNE pu Car 
(soreæ Capeïsis). N'est regardée par plusieurs zoo- 
logistes que comme un d'uble emploi de la musa- 
raigne de Sonnerat, ou sorex Indicus. M. Lichstein- 
stein cependant la croit distincte, bien que l’ensemble 
de leurs caractères soit identique. Celle du Cap ne 


(”) Ebremberg et Hemprich;Lichsteinstein, Mém. sur 
les Musaraignes d'Afrique et d’Asie , 1829. 

(2) Etudes zoo!., pl. 13. 

(5) Isidor. Geoff., Vos. de Bélang., Zoo!., p. 127, 


DES MAMMIFÉRES. 


différeroit de l’espèce indienne que par la couleur 
de la queue, qui est rousse, et par la plus grande 
longueur de cette partie, et encore par une taille 
moindre. 


L'Amérique compte aussi quelques musaraignes, 
et plusieurs se trouvent avoir été décrites dans ces 
derniers temps. La première est la MUSARAIGNE DE 
SurINAM )sorexz Surinamensis, Shaw, Screber, 
pag. 575, 6), qui a été observée dans la partie de la 
Guyane dont elle porte le nom. Son pelage est à 
teinte cannelle en dessus, jaune cendré en dessous. 
Son museau est blanc et assez court; ses oreilles 
sont amples, arrondies et nues; la queue, blanche en 
dessous , est longue de dix-huit lignes, et le corps a 
trois pouces. 20 La MUSARAIGNE MASQUÉE (S.rex per- 
sonalus) |). Est, par sa taille, une des plus petites 
espèces du genre; elle vit aux Etats-Unis, où elle 
a été découverte par M. Milbert. Sa couleur est en 
dessus brun roux, passant au cendré clair en dessous. 
Le bout du museau est brun noirâtre; les dents se 
trouvent être colorées à leur extrémité ; les oreilles, 
petites, sont entièrement cachées par les poils. La 
queue est carrée, ne formant que le tiers des propor- 
tio sdu corps, qui a au plus deux pouces de longueur. 
5° La MUSARAIGNE NAINE (sorex parvus, Say) (?). Pa- 
roit être bien distincte de la précédente. Son pelage 
est brun cendré en dessus, gris cendré en dessous, 
sa queue est courte et ses dents sont noirâtres ; sa 
taille est de deux pouces trois lignes, et la queuc n’a 
que neuf lignes. Son museau est eflilé, et les pieds 
sont d’une teinte blanchâtre. Elle a été rencontrée 
près Council-Bluffs, sur les rives du Missouri. Ri- 
chardson en décrit une variété qui a une queue plus 
longue, et qui vit au détroit de Pehring. 4° La mu- 
SARAIGNE DES MARAIS (sorex palustris)(3), A trois 
pouces six lignes de loigueur, la queue deux pouces 
sept ligues. fes oreilles sontabondamment couvertes 
de poils doux; le corps est noir cendré sur le dos, 
et cendré sur le ventre. Elle fréquente les bords des 
Jacs de la baie d'Hudson. ° La MUSARAIGNE DE Fors- 
TER (sorex Forsteri) (*). À la queue tétragone, de la 
longueur du corps ; les oreilles poilies et brèves ; son 
pelage gris brun en dessus et brun jaunâtre en des- 
sous. Un petit pinceau de poils termine la queue, qui 
est longue de quinze lignes, lorsque le corps a deux 
pouces trois lignes. Forster décrivit le premier cette 
espèce, qui vit par des températures rigoureuses au 
nord de l’Amérique, dans le tome LXII, page 581, 
des Transactions philosophiques de Londres. 6° La 
MUSARAIGNE A COURTE QUEUE (sorex brericaudatus, 


() 1sid Geoff., Etudes, pl. 14, 

() Long’s Exped.,t.1, p. 163, 

() Richardson, Faun. am. bor., p. 5. 

de Ibidem, p. 6; Gapper, Zool. journ., no 18, p.201, 
pL 7, 


309 


Say) (!). À trois pouces neuf lignes, et la queuc un 
pouce. Son pelage est noir plombé en dessus, et à 
teinte plus claire sur les parties inférieures. Ses dents 
sont noirâtres, et sa queue courte et trapue. Elle vit 
dans le Missouri. M. Godman a nommé musaraigne 
de Peale, <orex Pealii, une musaraigne américaine, 
dont M. Harlan a imprimé la description, traduite 
de M. Desmarest, comme étant identique avec la 
muselte de France, Mais nous ne connoissons pas les 
caractères de cette espèce, très commune, à ce qu’il 
paroît, aux environs de Philadelphie. 7° La musa- 
RAIGNE TALPOÏDE (sorex laipoires) (?). Vit dans les 
marécages du Haut -Canada. Sa queue est arrondie, 
longue d’un pouce; le corps est couvert de poils 
denses, d’un brun gris en dessus, plus clair en des- 
sous ; il a quatre pouces et demi de longueur. Or, 
celte espèce est bien distincte de toutes les musarai- 
gnes américaines, par sa forte taille, la brièveté de 
sa queue, et son museau conique. 

Telles sont les espèces admises par les naturalis- 
tes; mais on conçoit que les nuances fugitives qui 
distinguent à peine quelques unes d’elles, rendent 
leur étude diflicile, et que ces animaux demande- 
roient un travail spécial, accompagné de détails ana- 
tomiques et de bonnes figures coloriées. Tout est donc 
à refaire dans ce petit genre. 

Les SOLEDONS (3) sont ainsi caractérisés : Je sys- 
tème dentaire a vingt dents à chaque mâchoire, ou 
= incisives, © fausses molaires et © vraies. Le muscau 
est allongé, en boutoir ; les yeux sont très petits ; les 
oreilles grandes, arrondies, presque nues. Les pieds 
sont plantigrades, pentadactyles, à doigts libres ; les 
ongles falciformes Le SOLÉNODONTE PARADOXAL ({), 
dont on ignore les mœurs, habite l'île de Saint-Do- 
mingue. Îl joint au poit des musaraignes la forme 
des petites espèces de sarigues , et la dentition des 
desmans. Sa taille est celle du rat surmulot. Son 
crâne est allongé, et son corps est couvert de poils 
très courts, soyeux et très rares sur les fesses. Les 
ongles sont plus longs aux pieds de devant. La queue 
est allongée, grêle, et en grande partie écailleuse. 


LES DESMANS. 
Mygale, Cuvier ; Myogalea, Fisuer. 


Buffon a décrit le desman de la Moscovie, que 
Linné rangeoit parmi les castors ; mais M. Desrouais 
a fait connoître depuis une espèce distincte qui vit 


(:) Long's Expedit. , t.1, p. 164: Harlan , Faune am, 
p. 29. 

@) Gapper, Zool.journ. no 18 , p. 202, pl.8. 

(3) Solenodon , Brandt. 

{* Solenodon paradoxus , Brandt, 


366 
en France aux environs de Tarbes au pied des Pyré- 
nées, et nommée le DESMAN DES PYRÈNÉES (1) (mygale 
pyrenuica) (?). Cet animal, long de quatre pouces, a 
Ja queue plus longue que le corps, puisqu'elle me- 
sure quatre pouces six lignes. La forme de cette der- 
nière partie est un cylindre, diminuant graduelle- 
ment de volume jusqu’à l'extrémité qui se trouve 
comprimée dans le sens vertical. Son pelage, formé 
de longues soies et de feutre, est brun-marron en 
dessus, passant au gris brun sur les flancs, et au gris 
argentin sur le ventre. Ses ongles sont du double 
plus longs que ceux du desman de Russie. Ses mœurs 
sont inconnues, mais cette espèce doit, comme la 
précédente, fréquenter le bord des ruisseaux pour 
s’y creuser des galeries souterraines, dont l'ouver- 
ture est sous l’eau, bien qu'une grande portion des 
conduits soit tracée de manière, par son niveau, à 
ne jamais être submergée. Sans doute que ce des- 
man se nourrit de vers, d’annélides et d’insectes 
aquatiques. 

Les curYsOCHLORES (chrysochloris)(%), compren- 
nent deux mammifères décrits par Buffon sous les 
noms de taupe dorée et de taupe roue & Amérique, 
et peut-être aussi de taupe de Pensylvanie du même 
auteur. En 1829 M. Smith a fait connoiître la cury- 
SOCHLORE HOTTENTOTE (chrysochloris hottento- 
tus) (#), longue de quatre pouces, et qui habite le 
territoire intérieur de l'extrémité méridionale de 
l'Afrique, mais qu’on ne rencontre jamais dans les 
environs du cap de Bonne-Espérance; tandis que la 
chrysochlore dorée est très commune dans cette der- 
nière localité. La hottentote à le museau allongé, 
dénudé et couleur de chair; des taches blanches, 
plus ou moins étendues, se dessinent sur le front. Le 
corps est d’un brun rougetre à teinte ferrugineuse, 
ou marron ; les jeunes individus ont leur pelage d’un 
vert noirâtre plus ou moins foncé. 


LES CONDYLURES. 
Condylura, ILLIGER. 


La taupe du Canada de Buffon est le cond'lure à 
museau étoilé (5), type de ce petit genre. On en dis- 
tingue, 4° Le CONDYLURE A LONGUE QUEUE (condy- 
lura longicaudata) ($), qui paroît au docteur God- 


() M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire sépare cette es- 
péce des desmans , et en fail un genre qu’il nomme 
Mygaline. 

(a) Geoff., Ann. du Mus., t. XVIL, pl. 4, fig. 4. Encycl. 
supp., #, fig. 1 à 4. 

(3) Cuvier. 

(; Zool. journ., t. IV, p. 436. 

(5) Condylura cristata, Desm. 

(5) Desm.; Talpa longicaudata, Pennant, Erxleb, 


HISTOIRE NATURELLE 


man reposer sur un individu mutilé de la taupe du 
Canada, auquel on aura enlevé dans la préparation 
les appendices charnus et rayonnés qui entourent le 
museau. Cette espèce, décrite par Pennant sous le 
nom de lony-tailed mole, est restée dans le genre 
taupe de M. Cuvier ; mais ce n’est que par erreur 
qu’on l’a crue privée des organes charnus du pour- 
tour du museau, suivant le docteur Richardson (1). 
C’est toutefois un animal distinct par l’ensemble de 
ses caractères de la taupe du Canada, et les Chippe- 
wais le nomment naspass-kasic. Sa tête allongée se 
termine par un museau entouré d’appendices carti- 
lagineux sur le pourtour des narines, ayant huit 
rayons à la circonférence , et deux plus courts et bi- 
lides implantés sur les narines. Son pelage, formé 
de poils ras, est en dessus d’un brun noir luisant. 
Sa queue grêle est d’un tiers plus courte que le corps, 
qui a quatre pouces neuf lignes. Le condylure est 
commun à la baie d'Hudson, vers le lac supérieur. 
Ses habitudes sont inconnues. Dans ces dernières an- 
nées, les naturalistes américains ont fait connoître 
deux espèces de ce genre. 2° Le CONDYLURE A GROSSE 
QUEUE (condylura macroura)(?), qui vit sur les 
bords de la Colombie, dans le Missouri, est remar- 
quable par l’ampleur du diamètre de sa queue. Sa 
tête est large, son corps court et épais, et son mu- 
seau possède seize rayons au pourtour, et deux four- 
chus entre les narines, surmontés de deux lèvres. 
Ces rayons sont cartilagineux, et granulés sur leur 
surface. Les poils sont doux, très luisants et plus 
longs que les autres espèces. Ils sont teints sur le dos 
d'un brun bistre tirant au noir, et d’un brun clair 
sur le ventre. La queue, mince à son insertion, se 
renfle subitement de manière à acquérir jusqu’à dix- 
huit lignes de diamètre, puis elle s’amincit graduel- 
lement pour finir par un mince pinceau. Elle est ar- 
rondie ou légèrement comprimée, et à soies rudes. 
Cet animal a quatre pouces trois lignes de longueur, 
et la queue présente deux pouces six lignes. 5° Le 
CONDYLURE A PELAGE VERT (condylura prasinala) (3) 
ne doit pas être admis sans un nouvel examen. Sa 
fourrure présente une magnifique coloration en vert 
d’émeraude, et ses poils sont longs et fins. Vingt- 
deux lanières composent la portion nasale muscu- 
laire qui distingue ce condylure. Sa queue, mince 
et grêle, n'a que les trois quarts de la longueur du 
corps, qui est de quatre pouces et demi. Elle est cou- 
verte de poils verticillés. On l’a rencontré dans le 
New-Jersey, aux Etats Unis. 


() Fauna am. boreal. , p. 13. 

(2) Harlan, Faun. amer., p. 39, cl Richardson, Faun. 
am. borea., p.28#, pl. 24. 

(2) Haris , journal de Boston, août 1825. 


VILA ATA ZA 


DES MAMMIFÉRES. 


LES SCALOPES. 
Scalops. Cuv. (!). 


N'ont point été connus de Buffon. Ce sont des 
petits animaux qui tiennent des musaraignes par 
leur museau pointu, cartilagineux , terminé par un 
boutoir, et des taupes par leurs mains élargies , ar- 
mées d'ongles robustes très propres à creuser la 
terre. Leurs yeux petits, leurs oreilles cachées, 
leurs mœurs enfin les rapprochent également des 
taupes , mais leurs dents, assez semblables à celies 
des desmans, peuvent être rendues par la formule 
suivante : incisives +, petites molaires =, vraies mo- 
laires ©, total vingt-quatre. Leur queue est courte; 
le corps est trapu, couvert de poils ras, très doux, 
très fins, implantés perpendiculairement sur la peau 
comme celui des taupes. Les scalopes se tiennent de 
préférence le long des rivières et des ruisseaux, et 
les deux seules espèces connues habitent les Etats- 
Unis. 4° Le scALOPE pu Canapa (scalops Cana- 
densis ) (2), qui vit depuis le Canada jusqu’en Vir- 
ginie, est long de sept pouces et demi, et la queue 
n’a que neuf lignes. À son pelage gris brun, et res- 
semble singulièrement à la taupe commune. 2° Le 
SCALOPE DE LA PENSYLVANIE (scalops Pensylva- 
tica ) (3), long de six pouces six lignes, ne diffère 
du précédent que parce que ses molaires se tou- 
chent, et que leur couronne est légèrement dentelée, 


(:) Soreæ, Linné; T'alpa, Pennant ; Talpasorex, 
Lesson, Man. 

(2) Desm., 245/, Richardson, p. 9 ; Sorex aquaticus, 
L. talpa fusca, Pennant; Screb., pl. 158. 

(3) Harlan , Faune am.,p. 33; Talpasorex, Less., 
Man. 124. 


367 
avec un sillon qui se prolonge sur le bord interne, 
De plus, la formule dentaire est la suivante : inci- 
sives ?, molaires =", total quarante. Cette es- 
pèce encore douteuse habite la Pensylvanie. 

Le scalope du Canada est la taupe des voyageurs 
Lewis et Clarke. Il est excessivement multiplié sur 
les rives de la Colombie, où il se creuse de profon- 
des galeries. Le docteur Godman rapporte que cet 
animal , très vif le matin, cesse d’être agile vers le 
soir, et que régulièrement un individu observé 
vivant, prenait son repas à midi, et mangeait in- 
différemment de la viande et des légumes. C’est de 
cet animal qu’il s’agit, lorsqu'on trouve mention- 
née dans les livres américains la taupe d'Europe. 


LES TAUPES. 
Talpa. L. 


Il ne s’agit pas dans cet article de la taupe (!) or- 
dinaire, mais bien de cette espèce italienne qu’a fait 
connoître M. Savi, quoiqu’elle soit répandue en 
France et appelée petile taupe. C'est la talpa 
cæca (?) caractérisée ainsi : ouverture des voiles pal- 
pébraux oblitérée, tandis que la taupe ordinaire 
a une petite ouverture à ces mêmes voiles. Cette 
taupe aveugle peroit être commune dans toute l'Eu- 
rope, puisqu’Aristote la mentionne en Grèce, Savi 
en Suisse eten Italie, Lecourten France, Schelham- 
mer à Hambourg. Elle ressemble complétement, 
par tous ses autres caractères, à l'espèce vulgaire, 
mais sa taiile est plus petite. 


(") Talpa Europea, L. Brisson , 1756. 
(2) Sopra la talpa cieca degli antichi, Pisa, 1822, 
et Memorie scientifiche, p. 29. 


LIVRE Vi 
LES MAMMIFÈRES CARNASSIERS. 


LES OURS. 
Ursus. L. 


Les naturalistes placent les ours à la tête de la fa- 
mille des animaux carnivores dans la tribu des 
Plantigrades, c’est-à-dire de ceux aui marchent 
sur la plante des pieds, par opposition aux Digi- 
tigrades , tels que les chats, qui ne posent sur le 


sol que l'extrémité des membres. Leur nombre s’est 
beaucoup accru depuis la mort de Buffon, puisqu'on 
ne trouve de décrits dans son histoire naturelle que 
les ours brun {ursus arctos, L,), noir (ursus Ame- 
ricanus, Pallas), et blanc (ursus marilimus, L.). 
M. Gray a réservé le nom d'ours proprement dit 
aux espèces d'Europe et d'Amérique, tout en sépa- 
rant par le nom de danis l'ours féroce du Missouri, 
et par celui de thalarctos l'ours blanc des régions 


368 


polaires du Groënland et du Spitzberg. M Hors- 
field a consacré à deux espèces asiatiques des iles 
Malaisiennes la dénomination d’helarctos (1). 
Parmi les ours proprement dits, on compte, 
do l'ours ORDINAIRE (ursus arclos( L.), donton a 
distingué dans ces derniers temps quelques variétés 
tranchées , érigées en espèces par des zoologistes 
éminents, et qui sont, 2° l’OURS DES PYRÈNÉES ou 
DES ASTURIES (2). D'une taille moindre que celle de 
l'ours brun ou des Alpes, ayant dans les pre- 
mières années son pelage d’un blond jaunâtre, plus 
foncé sur la tête , et ses pieds noirs. Les poils n’ont 
que leur extrémité de couleur blonde, car le reste de 
leur étendue est d’un brun uniforme. On doit sup- 
poser que cette dernière teinte devient dominante 
sur l'individu adulte. 5 L’ours DE NORWÉGE (3), 
dont on ne connoît qu’un jeune individu âgé decinq 
semaines, de couleur brune terre d'ombre, sans 
aucuns vestiges de collier blanc. 4° L’OURS DE SI- 
BÉRIE (4). Susceptible d'acquérir une grande taille; 
son pelage est d’un brun foncé chez les jeunes comme 
chez les adultes, chez les femelles comme chez les 
mâles. Sur les épaules se dessine une bande blan- 
che Qui varie de largeur. L’ours pu Moxr-Lipax 
(ursus syriacus ) (5). Le dab des Hébreux et le 
dubb des Arabes, paroît former une espèce distinete 
au savant voyageur Ehremberg, qui la caractérise 
par cette phrase diagnostiqae : son pelage cst blanc 
jaunâtre, le plus ordinairement unicolore, ou par- 
fois varié de fauve. Scs oreilles sont allongées, son 
front un peu bombé. Les poils sont pour la plupart 
serrés , recouvrant une bourre très peu abondante ; 
formant entre les épaules une crinière dressée par 
leur allongementet leur rectitude. Sa longueur totale 
est de trois pieds huit pouces. Cet ours habite le 
Mont-Liban , au pied des pitons neigeux de Gebel- 
Sanin et de Hakmel ; il vit d'herbes, de pois chi- 
ches et de fruits pendant l'été, et descend pendant 
l'hiver dans les régions inférieures. Ses exeréments, 
nommés par les Arabes bar ed dubb, jouissent d’une 
grande réputation dans toute l'Égypte et la Syrie 
pour guérir les maux d’yeux , et son fiel est recher- 
ché comme un médicament précieux. Les monta- 
gnards estiment beaucoup sa fourrure. Nul doute 
que ce ne soit l’ours de Syrie qu’aient en vue les 
Ancieus quand ils parlent d’ours blancs montrés 
dans les fêtes si célèbres de Ptolomée Philadelphe. 
7° Enfin, doit-on aussi distinguer de l'ours com- 


(3) D'rltows, soleil et apntos, OUrs; Horcfield, Zool. 
journ., 1.11, p.221. 

(2) Fr. Cuvicr, Mamm., 45.liv. oct. 482%, 

(3) Ibid. , avril 1819. 

(4) Ursus Collaris, Fr. Cuvier, Mamm., 42e liv. 

(5) Ehremb. et Hemprich., Symbolæ physicæ , Aer 
déc , pl. 1. 


HISTOIRE NATURELLE 


mun, le noir ( wrsus niger ) (!), dont on ignore la 


patrie, et qui est remarquable p:r l’aplatissement 
de son front, qui est concave dans le sens transver- 
sal; son pelage fauve noir, et son museau fauve 
roux ? 

Le Bengale nourrit un ours qui paroît y être com- 
mun : sa docilité et sa grande intelligence l'ont en- 
tièrement soumis aux jongleurs indiens, qui le plient 
à une foule d’exercices dans lesquels il excelle, en 
surpassant en bonne volonté et en adresse les ours 
des Alpes, que les bateleurs promènent dans les 
villes d'Europe. C’est l'OURS AUX GRANDES LÈVRES (?) 
(ursus labiatus )(5), qui a été l’objet dediscussions 
entre divers naturalistes. Un individu amené en Eu- 
rope avoit eu les incisives arrachées, de sorte que ses 
mâchoires, lisses en devant, et ses lèvres extensi- 
bles lui donnoient une physionomie fort étrange. 
Shaw en fit un paresseux ( bradypus ursinus), et 
Jlliger créa pour cet anima le genre prochilus; puis 
Meyer le baptisa dunom de Blaireau-ours, melursus ; 
et Fischer, de Moscou , l’appela chrondorhynchus. 
M. de Blainville rectifia le premier cette grave er- 
reur, en rapportant parmi les ours le carnassier bal- 
lotté dans tant de genres ; bien que le colonel Sykes 
ait penché en ces derniers temps à le classer dans 
une tribu à part. 

De taille d’un huitième moindre que l’ours des 
Alpes, celui-ci a un museau épais, fort allongé, 
faisant une grande saillie sur une tête petite que re- 
lèvent des oreilles proportionnellement grandes ; le 
nez à une large plaque cartilagineuse, très mobile; 
et comme la lèvre inférieure avance de beaucoup sur 
la supérieure , il en résulte un jeu de physionomie 
tout particulier. Jeune, les membres étant allongés 
et les poils courts, ses formes se trouvent être svel- 
tes en quelque sorte; mais plus tard le corps s’é- 
paissit, les poils s’allongent en forme de crinière 
touffue sur le cou, enveloppant la tête ou tombant 
presque à terre sur le train postérieur, de manière 
à le faire apparoître lourd et difforme. Le pelage est 
donc entièrement noir, la poitrine exceptée, où se 
dessine une large tache blanche en forme d’Y ren- 
versé ; parfois, sous les yeux, existe une petite ma- 
culature albine. L’ours à grandes lèvres est l’asirail 
des Mahrattes. Le colonel Sykes n'a jamais rencon - 
tré plus de quatre dents incisives à la mâchoire su- 
périeure, mais constamment six à l'inférieure. II 


(") G. Cuvier, Ann. du Mus.,t. VII, p. 332, pl. 18 et 
49. Ursus arctos, var. Niger, L. 

(2) Cet animal est le type du genre mélours ou ours- 
blaireau , de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 

(G) De Blainv., Soc, phil., 14817. Bradypus ursinus, 
Shaw, gen. Zool., t. KE, part. 1, p. 47 : prochilus, Illiger, 
Prod. 1409 : Ursus Longirostris, Reichemb., act. de 
Bonn., 14826 ,t. XI, pl. 15, p. 335. Paresseux, ours, 
Journ. de physiq. 1792, pl. 1 ; Fr. Cuvier, Mammif. 39e 
et 4Gelivrais. 


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DES MAMMIFERES. 


habiteles cavernes et creuse la terre avecses griffes : 
ii aime les thermites ou fourmis blanches, les fruits 
du borassus à éventail, le miel et le riz. I vit par 
couples, conduisant deux petits, qui gravissent sur 
le dos de leur mère lorsqu'ils sont en danger. 

Au Thibet vit un ours (ursus Thibetanus (1) ) à 
pelage noir, ayant la lèvre inférieure, etune grande 
marque en croissant sur la poitrine, blanches ; son 
profil est presque droit, et ses crigles sont foibles. 
M. Owen (?) en a distingué un individu long de trois 
pieds quatre pouces, dont le tube digestif mesuroit 
trente-trois pieds. Sa langue étoit large et longue, 
très papilleuse à sa surface. Cette espèce, figurée 
dans la Tower menagerie, p. 129, paroît habiter 
toutes les montagnes du Nord de l'Inde , puisque 
M. Wallich l’a trouvé dans le Népaul, et M. Duvau- 
cel dans les montagnes du Sylhet. 

Le Népaul auroit aussi un ours qui lui seroit pro- 
pre, suivant le docteur Horsfield (%). L’ours 1s41- 
BELLE (ursus isabellinus ) (*) n’est toutefois connu 
que par une peau mutilée, recueillie dans les mon- 
tagnes du Népaul, par M. Colebrooke. Fe crâne 
avoit été enlevé, mais les dents incisives se trou- 
voient conservées aux deux mâchoires, et n’offroient 
rien qui ne se représentât chez les autres ours. Les 
dimensions de cette peau étoient de trois pieds dix 
pouces, sur une largeur, à l’abdomen, de deux pieds 
trois pouces. La fourrure du sommet de la tête, du 
cou, des épaules, est longue, épaisse et frisée, tan- 
dis qu’elle est courte et très serrée sur les flancs et 
sur le ventre ; des poils rigides, assez semblables aux 
soies d’un sanglier, sont implantés sur les cuisses. 
Les griffes des membres antérieurs sont petites, ob- 
tuses et épaisses, fortement arrondies en-dessus et 
presque droites ; celles des membres postérieurs n’en 
diffèrent que par une plus grande petitesse : à leur 
attache, elles sont couvertes de brosses roides et 
épaisses. La nuance générale du pelage est une cou- 
leur de tan ou brun rougcâtre très pâle , que domi- 
nent des reflets jaune-sale ou isabelle. Quelques 
touffes plus claires, passant même au blanchätre, 
se trouvent mêlées aux boucles rudes du sommet de 
Ja tête; la queue n’a guère qu’un pouce de long. 
Cet ours ressemble donc à l’espèce d'Europe par sa 
structure , autant qu’il est possible d’en juger sur 
une pelleterie fort incomplète. 

Les grandes ilesde l’archipel des fndes orientales, 
telles que Sumatra et Bornéo, présentent deux es- 


(:) Fr. Cuvier, Mammif. ; G. Cuvier, Oss., t. IV, p. 325 

(2) Owen, Anat. ofthe Thibet bear, Proc. 1831, 76. 

(@) Trans. of the Linn. Soc. Lond. t. XV, premiére 
partie, p. 332 : Bull. Férus., t. XVII, p. 443. 

( Horsfield , sordide fulvus, nitore isabellino , pilis 
colli dorsique elongatis, molliusculis , crispatis ; ad 


latera rigidis, adyressis ; unguibus brevibus, rectis, 
obtusis. 


1. 


369 
pèces d’ours qui ne s’éloignent de celles de la Terre- 
Ferme d’Asie et d'Europe que par quelques parti- 
cularités de détails, et surtout par la forme des 
ongles qui leur permet de grimper sur les tronc; les 
pluslisses. Le docteur Eorsfield leur consacre le nom 
générique d’helarctos (*). Ces ours paroissent être 
orgauisés pour vivre sous l'équateur même, où ils 
se nourrissent plus spécialement de matières végé- 
tales , en s’approchant des villages où les attirent Les 
cocotiers ; pris, ils s’apprivoisent aisément, et dans 
les forêts leur longue langue gluante les favorise 
pour saisir le miel et les abeilles dontils sont friands. 
Les hélarctos ont la tête globuleuse, dilatée, et ren- 
fiée sur les côtés; le front large, la face arrondie et 
le museau court ; les yeux sont petits, les oreilles à 
rebord dénudé sont abondamment vêtues de poils à 
leur base ; leur langue est très extensible, mince, 
et la lèvre supérieure läche, ample et très dilatable. 
Le corps a des formes épaisses, des poils courts, 
brillants; quatre mamelles , deux pectorales et deux 
ventrales; des pieds robustes, des doigts comprimés, 
armés d'ongles falciformes, g êles, fortement re- 
courbés, coupés dans le sens oblique, et plus pro- 
noncés aux pieds de devant. La première espèce est 
l'ours MALAIS ( helarctos malayanus (?) ). Sir Rat- 
Îles s'exprime en ces termes : « Le bruang des 
» Malais mérite d’être regardé comme une espèce 
» distincte de l’ours commun et de celui du conti- 
» nent des Indes. La différence la plus remarquable 
» est dans son pelage, qui est beaucoup plus court, 
» plus brillantet plus fin; et, par cette particularité, 
» il ressembleroit à l’ours d'Amérique; ila aussiune 
» grande tache blanche en forme de cœur sur la poi- 
» trine. Le museau est de couleur ferrugineuse ; il 
» est moins élevé, mais plus fort et mieux propor- 
» tionné que ne l’est l’ours commun. 

» Etant pris jeune, il s’apprivoise fort bien. J’en 
» ai possédé un pendant deux ans, que l’on menoit 
» dans la chambre de la nourrice de mes enfants, et 
» lorsqu'on l’admetitoit à ma table, ce qui arriva sou- 
» vent, il donnoit une preuve de son goût en refu- 
» sant de manger d’autres fruits que des mangues, 
» et en ne buvant d’autre vin que du champagne. 
» Une seule fois je le vis prendre de l’humeur, ct ee 
» fut occasionné par l'absence du champagne. Son 
» naturel étoit caressant et enjoué, et jamais il n’a 
» été nécessaire de le punir ou de l’enchainer. Cet 
» ours avoit l'habitude de manger dans le mère plat 
» que le chat, le chien et un petit oiseau bleu de 
» montagne, ou lory de la Nouvelle-Hollande. Son 
» compagnon favori étoit le chien, dont il supportoit 


LS 


LS 


S 


LS 


S 


(r) Zool. journal, t. II, p. 221 à 234. 


(2) Ibid., p. 234. Ursus malayanus, sir Raffies, Trans. 
soc. Linn., t. XHI, p. 254; Horsf. Zool. research., Fr. 
Cuvier, #7eliv, 


47 


370 HISTOIRE 


gaiement, et rendoit de même, les agaceries et les 
coups. En grandissant il devint très vigoureux ; 
et dans ses promenades dans le jardin, il saisis- 
» soit les plus grands bananiers, et, quoiqu'il püt à 
peine les embrasser, il les déracinoit. » 

La deuxième espèce est l’ours DE BORNEO (helarc- 
tos euryspilus) (1), à pelage d’un noir de jayet. Son 
museau et la région des yeux sont d’un brun jaunä- 
tre, et la large tache qui forme sur la poitrine un 
ample plastron, tire sur le jaune orangé. Ce plastron 
caractéristique est irrégulièrement quadrangulaire, 
puis échancré en ses bords, et surtout supérieure- 
ment ; des bandelettes d’un gris clair règnent sur les 
doigts à la naissance des ongles. Sa taille est de 
trois pieds neuf pouces, et sa circonférence de deux 
pieds cinq pouces, et ses dimensions sont par con- 
séquent moindres que celle de l’ours malais. Un in- 
dividu conservé vivant dans la ménagerie de la Tour 
de Londres, aimoit se tenir dans une position verti- 
cale en ne s'appuyant que sur les pieds de derrière. 
Les sens de l’odorat, de la vue, étoient très deve- 
loppés, et rien de ce qui se passoit sous ses yeux, 
même au loin, ne lui échappoit. Il avoit la plus ten- 
dre affection pour le gardien qui prenoit soin de lui. 
Son appétit étoit vorace, et à bord du vaisseau qui 
le transporta en Europe, il vécut en bonne intelli- 
gence avec un singe et quelques autres jeun+s ani- 
maux. Il a les habitudes de l’ours malais, et cepen- 
dant M. Horsfield le croit inférieur en sagäcité et en 
intelligence. 

L'Amérique a aussi des ours qui Jui sont propres. 
Le plus remarquable d’entre eux, vivant au milieu 
de giaces du pôle, aussi bien sur les côtes du Spitz- 
berg, du Groënland, que sur celles où s'ouvrent 
les baies de Paflin, les détroits de Lancastre et de 
Behring, etc., est l’OURS BLANC où maritime (ursus 
maritimus, L.), dont M. Gray a fait un thalarctos. 
Cet ours est donc confiné dans les mers polaires, et 
appartient tout aussi bien à l’Europe qu'à lPAméri- 
que, et son histoire laisse peu à désirer dans l’ou- 
vrage de Buffon. 

La seconde espèce, de l’Amérique méridionale, 
est l’ours des Cordillières du Chili (ursus ornatus, 
F. Cuvier) (2), dont un jeune individu a vécu au Jar- 
din des Plantes. Cet animal avoit trois pieds de lon- 
gueur sur seize pouces de hauteur. Son pelage, lisse 
et noir, étoit relevé par le blanc neigeux du dessous 
du cou, de la poitrine jusqu'aux jambes de devant; 
de son museau gris-roux partoient deux traits fauves 
remontant sur le front et se divisant pour envelop- 


C4 


Ë 


L 


ÿ 


() Horsfield , ibid., planche supplémentaire, no XI. 
Ater, pectore plagä amplä, supernè profundèé emar- 
ginatà, pedibus fascià transversä cinered. PI. 8 de no- 
tre atlas. The Bornean bear, Tower menag., p, 133, 
avec figure en bois. 

@) Mammif., liv. 50, juin 1825. 


NATURELLE 


per les yeux en deux demi-cereles imitant des lu- 
nettes, qui prêtoient à cet ours une physionom<e 
caractéristique par leur enjolivement. Le seul ours 
connu de cette espèce avoit été acheté à Valparaiso 
par le commandant de la station francoise du Chili. 

L'Amérique septentrionale a deux ours. La pre- 
mière espèce est l'ours Noir d'Amérique (ursus 
Americanus ) (1), dont le front est très peu bombé, 
et le museau tout d’une venue ou presque droit. Ses 
oreilles sont assez grandes et distantes. Son pelage, 
assez doux au toucher, est d’un beau noir, composé 
de poils droits et allongés. Une tache fauve règne 
sur les côtés du museau, et chez quelques individus 
on remarque de semblables maculatures sous l'œil 
et sur la poitrine, maculatures qui deviennent blan- 
ches. L’ours qulaire de M. Geoffroy Saint-Hilaire 
est cette espèce marquée de taches blanches à Ja 
gorge et au thorax, et M. Catton a donné une figure 
dessinée d’après le vivant d’une variété à pelage en- 
tièrement jaunâtre et unicolore. Enfin les habitants 
de New-York en reconnoissent eux-mêmes deux 
variétés qu'ils distinguent par les roms d'ours à 
longues ou courtes jambes. 

L'ours américain se tient dans les fourrées des fo- 
rêts, où il vit de graines d’érables, des fruits de 
nyssa, des glands de chênes verts, d’œufs, de petits 
oiseaux et de quadrupèdes. On dit qu’il pêche avec 
adresse des harengs, et son goût pour le miel, les 
prunes, les groseilles, les tubercules de pommes de 
terre, est fort vif. En août et septembre, il se rend 
dars les champs de maïs qu’il ravage en mangeant les 
épis, renversant les chaumes sur lesquels il aime à 
se vautrer. Sa demeure la plus habituelle est le creux 
de quelque vieil arbre toujours vert. Il paroit ha- 
biter une vaste zone de l'Amérique septentrionale, 
s'étendre depuis le Canada jusqu'aux plaines du Mis- 
souri, et l’on suppose même qu’il existe au Kamt- 
chatka, au Japon, aux îles Kouriles. Les [ndiens Che- 
pewians le nomment sass, et les Creks, musquaw. 
Toutefois, ces derniers en reconnoissent deux races, 
l’une noire, le cuskecteh musquaw, et l’autre can- 
nelle, le oosaw musquaw. C’est encore, le jeune du 
moins, le maconsh des Algonquins. 

M. Richardson décrit un ours du nord des Etats- 
Unis qui ne se rapporte point à l'espèce précédente, 
ni à l’ours féroce , et qu’il regarde comme une va- 
riété américaine de l'ours d'Europe (?), que men- 
tionna pour la première fois Hearne (5). La plupart 
des traits qui se rapportent à son histoire ont été 
confondus avec les détails que l’on possède sur l’ours 


() Pallas, spicileg. 14 : Encycl., pl. 5, fig. 1 ; Cuvier, 
mém. du Muséum. belle figure par Miger; Screber, pl. 
141 : Black bear, Tower menag., p. 1415 ; Richardson, 
Faun.am. 14; Godman, Mast. 1, 194. 

(2) Ursus arctos? Americanus, Richardson, p. 21. 

(5) Grizzly bear, voyage; Pennant, vol, 1, p. 62. 


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DIN DÉESRÈET 


En 


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DAS 4007 AA (tt (tt. ) 


ShsJI | 


SHUVOLIOUIL 


DES MAMMIFÈRES. 


gris, et cette dernière épithète donnée à deux ani- 
maux différents, n’a pas peu contribué à embrouiller 
les notions qui les concernent, et a rendu, dans l’état 
actuel des choses, impossible une bonne détermina- 
tion spécifique. Tout porte à croire que cette pré- 
tendue variété, mieux connue, formera une espèce 
distincte et indélébile dans ses formes comme dans 
son organisation. Sa longueur totale est de cinq pieds 
huit pouces, sur une hauteur de deux pieds neuf 
pouces. Son pelage est partout d’un brun jaunâtre 
uniforme, à teinte plus claire, toutefois, sur le dos 
et sur le devant de la tête. Son crâne est bombé , ses 
cuisses longues et ses ongles pointus. Il est commun 
sur les rivages de la mer arctique qu’il abandonne 
au mois d’août. Il vit de phoques, de spermophiles, 
des racines sucrées des astragales et des hedysarum , 
des baies d’empetrum et de quelques petits gra- 
mens. Hearne a donné le nom de Mont des ours 
gris(!), à une montagne où cette espèce lui apparut 
fréquemment : Richardson la distingue de celle qui 
suit par le nom de Barren-ground bear où d’ours 
des prairies. 

Enfin le dernier, comme le plus célèbre des ours 
de l'Amérique du nord, est celui qui a reçu l’épi- 
thète de féroce des voyageurs Lewis et Clarck, lors- 
qu'ils explorèrent les immenses plaines du Missouri, 
et les monts rocheux (?) ; mais avanteux, Umfreville, 
dans son voyage à la baie d'Hudson (5), en parle sous 
le nom d'ours gris, grizsle bear, de même que 
Mackensie (f) qui l'appelle grisly bear (5); c'est le 
meesheh musquurw des Indiens Creks, et le kohhost 
des Chopunnish, et l'ours blanc des coureurs de 
bois canadiens. 

L'ours féroce à jusqu’à dix pieds et plus de lon- 
gueur, des poils très longs recouvrent le corps et les 
membres, et il ressemble assez à la variété norwé- 
gienne de l'ours commun, quant à l’aspect de ses 
traits. Son pelage paroît jaunâtre, parce que la pointe 
de chaque poil est de cette couleur, tandis que le 
reste de leur étendue est brun. Beauconp de poils 
gris sont implantés sur la tête, et la teinte de ceux 
des flancs est moins foncée que sur le dos et sur le 
ventre. Ses oreilles sont beaucoup plus courtes et 
plus coniques que celles des ours noir et brun, et ses 
ongles sont surtout remarquablement comprimés et 
recourbés. 

La force et la férocité de cet ours l’ont rendu re- 
dontable aux chasseurs indiens qui ne l’attaquent 


(!) Grizzly-bear hill. 

() Ursus ferox, Lew. et Clark , Exp.; Ghoris, Voy. 
pitt, pl. 5. Ursus cinereus, Desm., 253; Ursus can- 
descens , Smith, Griff. an. Kingd. 2, 229 ; Ursus horri- 
bilis, Say, Lonz's exp., 2, 26%, 

(3) 4790, p. 168. 

(4) 14801, p. 160. 

6) Grizsly bear, Godman, 1, 131; Fr. Cuvier, Mamm. 


371 

| qu'avec des précautions infinies, et l’on cite des traits 
d’une assurance audacieuse qui prouvent une vigueur 
inouïc, puisque des carcasses de buffalos, pesant 
plus de mille livres, ont été emportées , et des chas- 
seurs enlevés par lui au milieu même de leurs com- 
pagnons terrifiés. Il se nourrit principalement de 
chairs, et plus rarement de végétaux, Il recherche 
cependant, lorsqu'il est pressé par la faim, les ra- 
cines de quelques psoralées et sainfoins, les fruits de 
quelques éricées et de l'hippophaë canadensis , dont 
l'effet purgatif ne le dégoûte même pas. Cet ours gris 
habite les monts rocheux et les plaines immenses 
qui les bornent à l’orient jusque par soixante-un 
degrés de latitude boréale et peut-être plus au sep- 
tentrion encore. Les jeunes et les femelles hyber- 
nent, tandis que les mâles adultes sont en quête de 
leur nourriture en toute saison. Les guerriers indiens 
portent les ongles de ses pieds en décorations comme 
une haute marque de valeur et de prouesse. 

Des débris fossiles d’ours ont été rencontrés dans 
plusieurs cavernes de la Hongrie, de la Franconie 
et du Hartz. Ils appartiennent à deux espèces diflé- 
rentes des ours vivants connus, et nommées ours des 
cavernes (ursus spæwleus, Blum.), et ours à front 
plat (ursus arcioideus, Blum.) ; le frontal du pre- 
mier est très élevé au-dessus de la racine du nez, et 
marqué de deux bosses, tandis que cet os est assez 
semblable à celui de lours noir, avec moins d’élé- 
vation verticale chez le second. Le museau est aussi 
plus allongé. M. Bravard a décrit sous les noms 
d’ursus eluerarium et issiodorensis, deux espèces 
fossiles de l'Auvergne. Goldfuss (1) a fait connoître 
les restes d’un ours trouvés dans une caverne proche 
Muggendorf qu’il nomme wrsus priscus, et Nesli (2) 
a rencontré dans les terrains d’alluvion de la Tos- 
cane les restes de l’ours qu’il appelle ursus cultri- 
dens , les mêmes que M. Cuvier a décrits comme 
appartenant à l’ursus etruscus. Enfin, MM. Croizet 
et Jobert mentionnent parmi les animaux détruits 
de l’Auvergne, les ursus arvernensis, cultridens 
arvernensis et culiridens issiodorensis des espèces 
qui font probablement double emploi avec celles de 
M. Bravard. 


LE RATON D'HERNANDEZ. 
Procyon Hernandezii (3). 


Buffon a décrit le raton ou raccoon des Améri- 
cains (ursus lotor de Linné); dans cet article il ne 
s'agira que d’une espèce nouvellement introduite 


(‘) Nov. act. nat. cur.,t.X, pl. 20, p. 257. 
(2) 1826 , Pisa, in-8o; Bull, t. XVI, p. 457. 


€ 


Isis, no D, p. 510, 1831. Le tepe maæxtlaton,. 


372 HISTOIRE NATURELLE 


dans nos livres d'histoire naturelle. Le raton d'Her- 
nandez a le pelage grisâtre ou brunâtre, passant à 
la teinte obscure ou noirâtre, avec des taches blan- 
ches et les extrémités fauves. Son museau est brun, 
si l’on en excepte une bandelette blanche qui tra- 
verse obliquement la région oculaire; l’intérieur des 
oreilles de même que les soies sont blanc pur, et la 
queue brunâtre se trouve annelée de cercles noirs. 
Les parties nues des pattes, de même que le bout 
du rez, sont d’un incarnat teinté de noirâtre; les 
poils sont longs, rigides, fauves à leur origine, puis 
blanchâtres au milieu pour devenir noirs vers leur 
extrémité; ils sont allongés et blancs sur les fesses, 
très courts et presque ras sur les membres : la queue, 
qui se trouve être longue et terminée de noir, pré- 
sente six anneaux, dont deux sont mal arrêtés. Les 
ongles robustes et fauves cornés, sont comprimés, 
et subrétraclyles à ce que l’on croit. Les incisives 
ont leur face antérieure plane, à tranchant assez dis- 
tinct, ayant deux ou trois sillons : les plus externes 
sont moins grandes que les moyennes, les inférieures 
ont sur leur face interne un sillon médian longitu- 
dinal. Les canines ont à leur base une sorte de prolon- 
gement anguleux ; de plus on remarque un bouquet 
de poils à l'extrémité postérieure de l’avant-bras : 
les oreilles, de forme ovalaire, sont velues sur toutes 
leurs faces. 
Cet arimal vit au Mexique. 


LES BASSARIS. 
Bassaris (1). 


Les bassaris se distinguent des autres mammifères 
de la famille des ours par leur système dentaire, 
qui présente © incisives, ; canines et : molaires 
ou 52 dents. 

Leur têleestaiguë, un peu à la manière de celle 
des genettes, et se termine par un museau dénudé, 
à nez obtus et légèrement saillant. Les oreilles sont 
de médiocre dimension, bien que plus étroites et 
plus ovalaires que celles des geneties ; on ignore la 
forme de la langue. Les yeux occupent l’espace in- 
termédiaire entre le tour du nez et l'insertion du 
pavillon auriculaire, et leur ouverture n’est ni pe- 
tite vi grande. Le corps est svelte, mince, couvert 
de poils très longs, et la queue, aussi très prolon- 
gée, est villeuse et de même forme que celle des 
genettes. Les mamelles n’ont point élé examinées. 


Fernand.,Thes. p. 9. Griseo sive fuscescente nigres- 
cens , albido irroratus, maniculis ac podariis fuscus; 
facie tota alba, exclusa vitta infrà oculari obliqua 
nigra ; auriculis intus et vibrissis albis; fauda fus- 
cescente nigro annulata. W. 

{) Lichsteinstein, Katfenfrer, ; Isis, no 5, 1831, 
p. 510. 


| Les pieds, appartenant, par leur organisation , à la 


forme nommée digitigrade , sont terminés par cinq 
doigts libres, et leur surface plantaire est velue, 
bien que l’éminence calleuse hypodactyle soitcomme 
chez les chats complétement dénudée; les ongles 
sont falciformes, comprimés, élevés à leur base, 
recourbés , très acérés et rétractiles. 

Les dents incisives du maxillaire supérieur sont 
très rapprochées , droites ; les quatre intermédiaires 
sont égales, à tranchant acéré, régulièrement im- 
plantées, tandis que les deux plus externes sont 
beaucoup plus courtes, de forme conique. Les six 
inférieures sont rapprochées, droites, offrant les 
quatre moyennes d’entre elles régulières, et les la- 
térales plus fortes ct pluslarges, à tranchantsinueux. 
Les canines aiguës , coniques , un peu courbées, sont 
aussi légèrement anguleuses à leur base. La pre- 
mière molaire de chaque côté, en haut comme en 
bas, est la plus petite et de forme trigone. Les deux 
suivantes sont tricuspides ; les trois autres vraies 
molaires sont à couronne quadrispidée. 

Les bassaris tiennent, par l’ensemble de leurs 
caractères, autant des coulis que des genettes. La 
seule espèce connue est le bassaris astula (!), oule 
CACOMIXLE des Mexicains actuels, suivant le voya- 
geur Keerl. Cet animal se rencontre principalement 
dans les environs de Mexico. Son pelage est fauve 
grisâtre, avec des poils noirs très longs, implantés 
sur la ligne dorsale de l’épine. Les joues et le ven- 
tre sont blancs ; une tache de même couleur occupe 
le devant de l’œil de chaque côté, tandis qu’en ar- 
rière on observe une bordure noire. Les oreilles, peu 
velues, sont blanches en arrière, et la queue est 
régulièrement marquée de sept anneaux noirs et de 
six blancs; le bout de la queue est noir mat chez 
les jeunes comme chez les adultes. 

Le bout du nez comme les parties nues des pattes 
sont couleur de chair; les ongles sont hlancs. Les 
vieux individus ont, du museau au bout de la 
queue, vingt-cinq pouces; du nez à l’origine de 
celle-ci on compte treize pouces, douze pour la 
queue, trois pouces neuf lignes pour la tête, et un 
pouce deux lignes pour les oreilles. Les jeunes ne 
diffèrent point des adultes par leur coloration. 


LES BENTURONGS, 
OU LES ICTIDES. 
Ictides (?). 
Les ictides sont des animaux si voisins des ratons, 
(‘) Lichsteinstein, Mus. Berol. , Isis, loc. cit. Tepe- 
mazxtla, Fernandez, Thes., p. 6, cap. XVI. 


(2) Valenciennes , Ann. sc. nat., t. IV, p. 57 (1824); 
Arctictis. Temm,Monog.; Fisher, Syn., p, 157. 


DES MAMMIFÈRES. 


que MM. Diard et Duvaucel en envoyèrent un des- 
sin en Europe, sous le nom de ralons à queue pre- 
nante : ce dessin fut publié par M. F. Cuvier, sous 
le nom de benturong, que l'animal porte dans 
l'Inde. Mais c’est à M. Valenciennes que l’on doit 
leur séparation générique, et il emprunta le nom 
d'iktis qu’Aristote donnoit à un petit quadrupède, 
qui pourroit bien être le putois. Les ictides sont des 
animaux plantigrades, ayant à chaque pied cinq 
doigts comprimés et fort aigus; l'oreille petite, le 
museau terminé par un mufle, l'œil muni d’une 
pupille allongée. Leur queue, longue et velue, s’en- 
roule comme si elle étoit prenante. Leurs dents 
sont, quant au nombre, semblables à celles des 
civettes: mais, par leur épaisseur, elles se rappro- 
chent de celles des ratons ( molaires +, fausses mo- 
Jaires <. 

Leurs mœurs sont peu connues. Les auteurs en 
admettent trois espèces qui pourroient bien en con- 
slituer une seule, dont le pelage varie suivant les 
âges et les sexes. Le BENTURONG (ictides ater an 
benturong (1) ), à poils noirs glacés de cendré roux 
en-dessus, plus foncés sous le corps. La femelle a le 
front et le museau blancs (?), et le jeune (*) est en 
entier d’un riche fauve doré, à poils plus longs et 
plus soyeux, et de la taille d’un chat. 

L'histoire qu’en a donnée sir Raflles, sous le nom 
de viverra benturony, est assez complète pour que 
nous la citions textucllement : « Le benturong doit 
» être placé entre les genettes et les ours; il a été 
» découvert à Malacca (f), par le major Farquhar, 
» et j'ai pu étudier, en 1819, un individu qu’il con- 
» servoit vivant. Le corps de cet animal à environ 
» deux pieds et demi de long, la queue à peu près 
» de même longueur, épaisse, prenante; sa hauteur 
» est de douze à quinze pouces. fl est entièremeat 
» couvert, à l'exception des jambes et de la face, 
» d’une épaisse fourrure de poils noirs. Il est lent 
» et se tapit volontiers; le corps est long , pesant, 
» et bas sur jambes. La queue est touffue à son ori- 
» gine, diminuant graduellement de grosseur jus- 
» qu’à l'extrémité, où elle estcontournée en dedans. 
» Le museau est court et pointu, tant soit peu re- 
» levé vers le nez, et est couvert de poils rudes, 
» bruns à l'extrémité, qui se raccourcissent à me- 


» sure qu'ils divergent, en formant un cercle radié” 


» autour de la face, ce qui lui prête une physiono- 
» mie caractéristique. Les yeux sont grands, noirs 
» et avancés ; les oreilles sont courtes, arrondies, 
» bordées de blanc, et terminées par des touffes de 
» poils noirs. Il y a six incisives courtes et arron- 


() Arctictis binturong , Ibid., p. 157. 
(2) Tctides albifrons, Valence. Loc cit. 
( 


3) Ictides aurea, l'ictide doré, Fr. Cuvier,Mus. IX, 
pl. #,p 47. 


4) M, Reinwardi l’a trouvé à Java. 


373 
» dies à chaque mâchoire, deux canines qui sont lon- 
» gues et aiguës , et six molaires de chaque côté. Les 
» trois premières sont pointues dans la mâchoire 
» supérieure ; et dans la mâchoire inférieure, les 
» deux premières sont pointues et la dernière est 
» plus petite etimparfaite. Les molaires sont éloi- 
» gnées des canines dans le haut, et rapprochées 
» dans le bas. Les pieds ont cinq doigts, armés de 
» fortes griffes : la plante des pieds est nue, et s’ap- 
» puie sur la terre dans toute sa longueur ; ceux de 
» derrière sont plus longs que ceux de devant. Le 
» poil des jambes est court et d’une teinte brunâtre. 
» Lorsque l'animal est en repos , il se met en rond 
» en s’enveloppant le corps avec sa queue : celle-ci 
» Jui sert à grimper aux arbres, car sa force est 
» extrême. L'individu que posséda M. Farquhar a 
» vécu plusieurs années. 11 se nourrissoit également 
» de végétaux ou d'animaux; mais il recherchoit 
» de préférence les bananes, bien qu’il mangeût 
» aussi des têtes de volailles, des œufs, etc. Ses 
» mouvements sont lentset son naturel est timide : 
» il dort beaucoup dans le jour, et devient actif pen- 
» dant la nuit. » 


LES PANDAS. 


L2 


Ailurus. A 


M. F. Cuvier a décrit, dans la cinquantième li- 
vraison de son Histoire des Mammifères, un genre 
nouveau qu’il nomme Panda, et dont la découverte 
est due à M. Duvaucel; on n’en connoit qu’une 
seule espèce qui vit dans l'Inde, et sur laquelle 
M. Hardwicke a publié un excellent Mémoire qu'il 
avoit lu, dès le 6 novembre 1821, à la Société lin- 
iéenne de Londres, et dont l'insertion fut différée 
jusqu’au commencement de 1826, époque où ce 
travail parut dans le tome XV (4'e partie, p.161) 
des Transactions de cette Société. M. F. Cuvier 
place ce nouvéau genre entre la famille des civettes 
et celle des ours. Il se rapproche des premiers par 
ses ongles rétractiles, et de ces derniers par sa mar- 
che plantigrade. Par le système dentaire, il est très 
voisin des ratons; et c’est aussi à côté des genres 
nasua et procyon que M. Hardwicke le classe, et 
dont il ne diffère essentiellement que parce que ceux- 
ci ont latête plus allongée, le museau beaucoup plus 
effilé, que termine un nez mobile, en même temps 
qu’on observe quelques différences dans le nombre 
des molaireset dans leurs formes. L’individu soumis 
à l'étude de M. F. Cuvier étoit tellement mutilé, 
qu’il na pu bien décrire les dents ; nous y supplée- 
rons par le travail du naturaliste anglois. 

Les caractères de ce nouveau genre sont d'avoir 


374 


six incisives à chaque mâchoire, à peu près d’égale 
dimension ; les deux externes d’en haut un peu plus 
élevées que les quatre du milieu, et renflées à leur 
base : les plus externes d’en bas sont épaisses , élar- 
gies au sommet, obliquement tronquées à leur par- 
tie externe ; les deux du milieu un peu plus courtes. 
Les canines sont fortes ; les supérieures sont droites, 
coniques ; les inférieures sont recourbées, déjetées 
en dehors , marquées sur leur face externe de deux 
rainures longitudinales. Les molaires sont au nom- 
bre de cinq de chaque côté, et augmentent de gros- 
seur à mesure qu’elles deviennent plus postérieures : 
la première du maxillaire supérieur est séparée de 
la canine par un espace vide; elle est de forme tri- 
cuspide, la portion centrale étant élevée et conique, 
et s'évasant en deux éminences aux bords antérieur 
et postérieur : la s:conde est épaisse, ayant trois 
dents latérales, celle du milieu étant la plus grande : 
la troisième est multicuspidée, les éminences exter- 
nes droites, d'égale hauteur ; les deux internes coni- 
ques en devant, élargies à leur base ; la postérieure 
plus petite ; toutes obliquement tronquées à leurs 
sommets, qui sont garnis d'un rebord : la qua- 
trième plus grande, multicuspidée à deux dents ex- 
ternes , est élargie et trilide à sa partie antérieure, 
à éminences intermédiaires plus grandes et au nom- 
bre de deux, et toutes entourées d’un rebord sail- 
lant ; les trois tubercules intérieurs courts, simples, 
aigus, annexés au dedans du rebord : la cinquième, 
un peu plus étroite, est aussi multicuspidée; elle 
ressemble à la quatrième. Les molaires de la par- 
tie inférieure sont plus étroites, et diffèrent des su- 
périeures par quelques modifications ; la {troisième 
surtout à sa dent intérieure obliquement tronquée , 
l'éminence intermédiaire très grande, isolée par un 
sillon profond et régulièrement conique à sa base ; 
la postérieure est large, courte, tronquée , et le tu- 
bercule intérieur est très petit. Les éminences des 
qua:rième et cinquième molaires sont inégales, 
quelques unes sont arrondies, d’autres sont ai- 
guës.. 

Les caractères extérieurs du genre panda sont 
d’avoir la tête arrondie, grosse; la face obtuse, les 
joues élargies, le front aplati et large, la langue pa- 
pileuse ; le museau conique, large et camus, le nez 
obtus, les narines terminales, les oreilles courtes, 
distantes, un peu aiguës , très poilues ; les yeux en 
avant, proche des narines ; les poils des moustaches 
peu fournis ; le corps épais ; les pieds pentadactyles, 
à plante revêtue d’une bourre très dense et très 
moelleuse : les ongles très aigus, comprimés et 
arqués ; la queue forte, épaisse et touffue. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE PANDA ÉCLATANT. 
Ailurus fulgens (1). 


Cette espèce représente en Asie les ratons qui sont 
propres à l'Amérique. C’est un animal dont la lon- 
gueur totale est de trois pieds deux pouces, la queue 
àelle seule a treize pouces et demi : ses formes sont 
ramassées et massives, son cou est court; son pelage 
se compose de poils longs, très doux, et lanugineux 
à la base ; la queue est très épaisse à sa naissance, 
cylindrique, et atténuée vers sa pointe; elle est re- 
vêtue de poils très longs et peu serrés : mais ce qui 
rend surtout cet animal remarquable ce sont les cou- 
leurs tranchées de sa fourrure ; des poils fauves gar- 
nissent le front ; le derrière de la tête, le dessus du 
cou et du dos, les parties extérieures de la base des 
membres sont d’un beau fauve brun, s’éclaircissant 
sur le dos pour prendre une teinte dorée brillante ; 
une bande brune naît derrière les yeux et va s’unir à 
celle du côté opposé sur le cou ; la face, le museau et 
les oreilles sont d’un blanc pur ; l'abdomen et les ex- 
trémités sont d’un noir profond ; la queue est anne- 
lée de cercles alternativement jaunes ou brun-fauve, 
et noire à son extrémité: le feutre recouvrant la 
plante des pieds est de couleur grise ou brunâtre. 

Le panda fréquente le bord des rivières et des tor- 
rents qui descendent des montagnes. Il se plait dans 
les arbres et se nourrit d'oiseaux et de petits quadru- 
pèdes; son cri sert fréquemment à le faire décou- 
vrir, et ressemble au mot wha souvent répété : aussi 
le nomme-t-on wha dans certains cantons et chitiwa 
dans d’autres. C’est de là sans doute que provient le 
mot panda introduit dans notre langue et corrompu. 
Cet animal n’a jusqu’à présent été trouvé que dans 
la chaîne des montagnes de l'Himalaya, entre le 
Népaul et les montagnes neigeuses. 

Le genre ailurus fournit encore un exemple des 
nombreux écarts auxquels se livre la nature relati- 
vement à nos méthodes. Par ses mœurs, par ses 
formes, par son organisation, il se trouve en effet 
placé sur la limite des genres raton, civelte,etours, 
qu’il réunit par un passage insensible. 


LES ARCTONYX. 
Arcionyx (?). 


L'animal qui porte ce nom est encore peu connu : 
il tient des ours une allure plantigrade, et cinq 


(:) Fr. Cuvier, Mammifères, 50e livrais.; Hardwicke , 
Trans. -t.-XV,-pl°4d. 
ce) Fr. Cuv., Mamm,, Liv. 51 ; Atlas, pl. 10 , fig. 2. 


4 y) 


/ IE S AIULE, Alurus Fuloens, CCE Gi (LCI 


2 


) « ne 
e eMatsarrs, Axetonxx Collaris, €" Curidr. 


7-21 I2 1499 ? 


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/ 


L'TFOUL 


u soyod saydoçoam ) 


DES MAMMIFERES. 


; fouisseurs à chaque pied ; mais son museau 
rminé par une sorte de groin assez semblable 
ii des cochons. Il a six incisives à chaque maxil- 
toutes égales et grêles, et deux canines. On 
e la forme et le nombre des molaires. Les veux 
petits, les oreilles courtes, sa queue est nue ; 
rte que cet arctonyx semble être le lien de 
ition entre les ours et les sangliers. C’est de 
pour, dans l'Inde, que M. Duvaucel à envoyé 
TONYX BALI-SAUR (1) (arclonyx collaris) à pe- 
blanc-jaunâtre, paroissant ondé de noir, parce 
la pointe de chaque poil est de cette couleur. Le 
ü est ro‘é, et relevé par une bandelette brune 
remonte de chaque côté sur les yeux, et va jus- 
:ux oreilles en suivant les jugulaires et encadrant 
: large tache blanche de la gorge. Les membres 
t brunâtres; des poils rares recouvrent à peine le 
atre et le dedans des membres. 


LES KINKAJOUS 
OU LES POTTO. 
Cercoleptes (?). 


Le seul animal connu de ce genre ne se lie à au- 

ane famille, tant il y a d’anomalie dans ses carac : 
res. Par sa marche plantigrade c’est près des ours 
w’il doit être classé ; par sa longue queue enroulée 
tprenante, il a des rapports avec les singes sapajous, 
ar sa tête arrondie et ses oreilles, il tient de quel- 
ques makis. Le potto a son pelage laineux d’un gris 
aunâtre : son naturel est doux, bien qu’il se nour- 
risse indifféremment de fruits, de miel, de lait et 
de sang. La figure que Buffon a fait graver (3) est 
mauvaise ; celle que nous en donnons ({)a été peinte 
sur nature par madame Lesson, née Clémence Du- 
mont de Sainte-Croix. C’est le potos caudivoluu- 
lus (*) des méthodistes. M. Martin en distingue le 
POTTO A COURTES OREILLES (cercoleptes brachyotus), 
à pelage jaune grisâtre ondé de brun et à petites 
oreilles. 


EE 


LES BLAIREAUX. 
Meles (6). 


7 


Le blaireau d'Europe (°) a été décrit par Buffon. 


() Bali-saor signifie en indien Cochon de sables. 

(2) lliger. 

3) Supplém., t. IE, pl. 50. 

(4) AUlas, pl. 13. 

@) Geoffroy : Viverra Caudivolvula. Gm. Cescoleptes 
megalotus, Marlin, proc. VI, 83. 

(6) Brisson. 

(2) Moles vulgaris, Guv.; Ursus Meles, L. 


379 
Cet article sera consacré à une espèce fort voisine, 
regardée comme une simple variété par Buffon et 
par quelques autres auteurs, et décrite comme dis- 
üncte par d’autres. C’est le BLAIREAU DU NORD (meles 
hudsonius ou labradoria) (1) que les Indiens creks 
appellent mistonusk, et les Paounis chocartoosh. 
C’est à tort que Buflon donne le nom de carcajou 
à cet animal, c’est la wolvérenne qui le porte dans 
le langage des chasseurs canadiens. Ce blaireau fré- 
quente les plaines sablonneuses de la région des 
monts rocheux, au nord de la rivière de la Paix, par 
58 degrés de latitude boréale ; il est excessivement 
commun dans les plaines qu’arrose le Missouri, sur 
les rives de la Saskatchewan et de laririère Rouge. 
C’est un animal timide, engourdi pendant les mois 
d'hiver de novembre à avril, et beaucoup plus ear- 
massier que celui d'Europe. Une femelle, tuée par 
Richardson, avoit dans son estomac une marmotte 
entière. Le blaireau du Labrador a donc le pelage 
plus clair que celui de l’Europe, beaucoup plus 
court; el enfin il présente quelques autres légères 
différences , dans le nombre des dents surtout. 

Le BLAIREAU INDIEN (meles indica) (?) est noir en 
dessus, blanc en dessous; il a de longueur deux 
pieds quatre pouces sur quatre pouces de hauteur, 
le nez et Ja face au-dessus des veux , noirs. Les In- 
diens le nomment bajou , et il habite l'Inde, entre 
Chuna-ghur et Delhi; cet animal n'appartient pas 
probablement au genre blaireau, et semble être plu- 
tôt un paradoxure ou une genette. 


LES RATELS. 
Mellivor a (3). 
Sont des gloutons par les caractères généraux, 


bien qu’ils retiennent quelques particularités des 
hyènes, des putois et des martes; ils sont, après les 


| chats, les plus carnassiers des animaux, sans être 


dangereux. Leur museau court se termine par un 
mufle, et ne permet pas de penser que le sens de 
l'odorat soit très perfectionné. Leurs oreilles, très 
petites, donnent à l'audition peu de finesse; leur 
langue est papilleuse comme celle des chats; leur 
pelage est grossier et dur. Leurs pieds trapus ont 
cinq doigts garnis d'ongles très robustes, avec les- 
quels lanimal peut se creuser les terriers qu'il ha- 
bite. La queue est brève, le corps épais; le pelage, 
gris en dessus, présente sur les côtés deux bandes 
blanches longitudinales, qui s'étendent des oreilles 


() Richardson, Fauna, 37, pl. 2. 

(2) Hardwice, Lino. Trans., t. IX, p. 115, pl. 9; Ur- 
sus indicus, Shaw , gen. Zool., L. I, p. 470. 

(3) Storr; Fr. Cuvier, dict, sc. nat, t, LIX, p. 4#6. 


376 


jusqu’à la queue. Sa taille est d'environ trois pieds 
quatre pouces. 

Célèbre dans toutes les relations des voyageurs à 
l’extrémité australe de l'Afrique, le RATEL (melli- 
vora capensis) (!) a été décrit par Sparmann; par 
Lacaille, qui le romme llaireau puant, et est 
connu des Hollandois sous le nom de chercheur de 
miel (honig freler ). On rapporte qu’averti par un 
oiscau nommé, à cause de cette particularité de 
mœurs, coucou indicateur, de l'existence d°s ru- 
ches d’abeilles sauvayes, il s'arrange de manière à 
butiner le miel qui s’y trouve en laissant des par- 
celles pour son complice ailé, à titre de récompense. 
Le ratel, toutefois, est encore très mal connu, et 
n'existe pas dans la plupart des musées européens. 


LES GLOUTONS. 
Gulo (?). 


Trois gloutons ont été décrits par Buffon , le glou- 
ton proprement dit, le grison et le tayra ou galera ; 
mais, certes, leurs descriptions laissent beaucoup à 
désirer, et renferment de nombreuses erreurs. La 
petite fouine de la Guyane (Ÿ), entre autres, paroît 
reposer sur le mélange des caractères du grison (gulo 
viltatus) avec ceux tirés d'une peau de coati, dé- 
formée par l’empaillage. La grande marte de la 
Guyane, du même auteur, fait double emploi avec 
le tayra (gulo barbatus). La volverenne (qul) lus- 
cus), pour quelques auteurs, n’est qu’une variété 
du glouton du nord ou rossomak des Russes. Le 
tayra est encore la viverra poliocephala du docteur 
Traill; et ce nom de {ayra est contracté des mots 
hyrara ou trara, par lesquels les Brasiliens le dé- 
signent, bien qu’ils se servent quelquefois du nom 
de jupium, qu’il porte chez les Botocudos. Enfin le 
grison (gula vittalus) (#) est le type du genre galic- 
tis (5) de M. Bell. 


LES HÉLICTIS. 
Helictis (6). 


Ce sont des animaux voisins des gloutons et des 
martes par leur appareil buccal, et des mydaüs par 


(") Gulo capensis, Desm.; Viverra mellivora, Blu- 
menb.; Taxus mellivorus, Thienem: Wiverra capen- 
sis, Screber, pl. 125. 

(2) Storrs, Grisonia, Gray. 

(3) C’est la Mustela lanata de Schinz et le Gulo La- 
natus de Fisher. 

(4) Desm., Mamm. 

(5) Proceed. 1833, p. 140. 

(6) Gray, Proceed., t. I, p. 94(1831). 


HISTOIRE NATURELLE 


leur coloration. La formule dentaire est celle-ci : 
incisives *, canines —+, et molaires —*, total 58. 
Dans le nombre des molaires il y en a =: fausses, 
coniques, comprimées. Les canines du maxillaire 
supérieur sont trilobées, et marquées d’une arête 
interne ayant deux éminences coniques à son som- 


1—1 


met : les tuberculeuses = d’en haut sont transver- 
ses, celles d’en bas petites. La tête est allongée, les 
pieds sont courts, à plante à peu près dénudée jus- 
qu’au talon, et sont terminés par cinq doigts armés 
d'ongles robustes ; ceux de devant comprimés. La 
queuc est cylindrique, et de longueur moyenne. 
L'espèce type est l’IHÉLICTIS MUSQUE (helictis mos- 
chata) (‘), remarquable par le blanc argentin de la 
partie supérieure du corps, dû à ce que les poils sont 
colorés en gris à leur base, puis d’un blanc satiné à 
leur pointe. Cette même teinte neigeuse règne sur 
les flancs et à l’origine de la queue, tandis que la 
tête, les membres antérieurs, sont d’un fauve cen- 
dré. L’intervalle des yeux est rempli par une tache 
blanche, et cette couleur apparoît de nouveau entre 
les oreilles, à la nuque, à la lèvre supérieure, au 
menton, à la gorge, en dedans des cuisses. L’hélictis 
musqué à vingt trois pouces et demi de longueur, 
en y comprenant Ja queue pour huit pouces : il ha- 
bite la Chine, et répand une forte odeur de musc. On 
ignore quelles sont ses mœurs. 

M. Gray regarde comme un hélictis le GLOUTON 
ORIENTAL (gulo orientalis) (?), que le docteur Hors- 
field a rencontré dans l’ile de Java, où il est nommé 
nyentek. Son corps est allongé (vingt-huit pouces), 
terminé par une queue peu longue {six pouces), à 
pelage fauve-brunâtre, excepté l’ce:iput et une ligne 
longitudinale sur le dos; les joues, la gorge et le 
devant du cou qui sont blancs. C’est un animal qui 
vit solitaire dans les districts les plus reculés des pro- 
vinces orientales de la grande ile de Java. 


LES PAGUMA. 
Paguma (i). 


Se rapprochent des viverres par leurs dents, des 
ictides par leur coloration, et des civettes par l’odeur 
qu'ils répandent. Leur formule dentaire est celle-ci : 
incisives £, égales ; canines ==, molaires ==. En 
haut, trois petites sont comprimées, fausses, la car- 
nivore courtement trilobée, ayant une arête interne 
bituberculeuse au centre, anguleuse en dedans. En 


bas, il y a quatre fausses molaires, dont la carnivore 


(:) Gray, Proceed., Loc. cit. 

(2) Horsfieid, Zool. Research. avec figure. Mydaus 
macrurus, Griff., t. V, p 336. 

() Gray, Proceed., 1831, p. 95. 


12) DAT 194 vd», p 


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DES MAMMIFÈRES. 


est à un seul tubercule. Les pieds de derrière sont 
plantigrades, c’est-à-dire que la plante des pieds est 
dénudée jusqu’au talon. La queue amincie est assez 
longue. La seule espèce de ce petit genre encore mal 
connu, cest. le paguma larvata (1), à pelage gris, 
ayant un bandeau blanc sur le front, puis une ban- 
delette de même couleur, s'étendant longitudinale- 
ment sur le museau du nez à la région frontale. Le 
bout de la queue est noir. Le paguma a été rapporté 
de Chine par M. Reeves. 

Peut-être est-ce à ce genre qu’on devra joindre le 
GLOUTON FERRUGINEUX (gluo ferrugineus) (?), dont 
la patrie est inconnue. Ses formes corporelles sont 
allongées, grêles, vermiformes comme celles des 
martes, tandis que les membres sont robustes. Son 
pelage est long, rude, mélangé de fauve et de mar- 
ron que relève la teinte noire de la queue. Les pieds 
sont fauves, et la tête élargie paroît fortement dépri- 
mée. Cet animal, imparfaitement déterminé, est long 
de quatre pieds, dans lesquels la queue entre pour 
les deux tiers. 


LES MYDAUS. 
Mydaus (). 


Les mydaüs, par la forme de leurs dents, la di- 
vision des pieds, et les couleurs du pelage, sont de 
vraies moufettes ; mais ce qui les distingue sont un 
museau tronqué imitant un groin, une queue courte 
et tronçconnée. La seule espèce connue est le télagu 
des Malais, suivant sir Raîflles; nom travesti par 
erreur typographique en Pélagon par M. F. Cuvier. 
Les habitants de Sumatra , au dire de Marsden, écri- 
vent téleggo ; les Javanais, dans le district de Sche- 
ribon, prononcent feledu: et enfin les montagnards 
de Scheribon, jusqu’à Bantam, l’appellent sexg- 
guny. Le MYDAUS A TÉTE DE BLAIREAU, Mydaus me- 
léceps (#), avoit été décrit par M. Desmarest, d’a- 
près un individu découvert par Leschenault de La 
Tour, sous le nom de mouf}ette de Java (), nom 
adopté par sir Raffles (6). Voici ce qu’en dit ce dernier 
auteur : 


(} Gray, Proceed.; Paradoæurus larvatus, Gray, Pro- 
ceed., 1832, 63; Viverra larvata, Gray, spicil. Zool., 
p. 9; Gulo larvatus, Hamilt.-Smith, Griff.,t. EH, p.281, 
avec figure. Gulo larvatus, Temm. 

(2) Hamilton-Smithin Griff., V, 338, ou Gulo casta- 
neus du même, avec figure. 

() Fr. Cuvier, Mammif., t. 1; Horsfield, Zool. Re- 
search. 

(4) Fr. Cüvier, Mammif. ; Horsfield, Loc. cit. 

(5) Mephitis Javanensis, p. 187. 

(6) Cat., Linn. Trans., t. XI, p. 2514 (Atlas pl. 12). 
Meplhitis meliceps Griff., Reg. an,, V, 359-2, 

L 


377 


« Cet animal est très voisin de la mouffette d’A- 
» mérique, mais il en diffère par sa queue très courte, 
» qui n’excède pas un pouce de longueur, puis en ce 
» qu’il y a une ligne blanche le long du dos qui cou- 
» vre le sommet de la tête, et devient plus étroite 
» en descendant vers la queue qui est blanche aussi. 
» Le reste du corps est d’une couleur brune foncée. 
» Le museau est long et pointu. La direction des 
» pois sur le devant du corps est particulière ; ils 
» sont dirigés vers le bas dessous la gorge ; et en haut 
» et en avant sur le dos, la tête et le cou. Les cinq 
» orteils des pieds de devant sont garnis de longues 
» griffes propres à creuser. El a six incisives, deux 
» canines et cinq molaires à chaque mâchoire, dont 
» les cinq premières ne sont pas tuberculées. 

» Lorsqu'il est irrité ou en danger, il s'échappe 
» du reetum un fluide de la plus insupportable puan- 
» teur, » 

Le rydaüs habite les îles de Java et de Sumatra, 
et a un pied deux pouces de longueur. 


LS 


LS 


SZ 


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LES MOUFFETTES. 


Mephitis, Cuvier. 


Le conépate ou mouffette d'Amérique, le chinche 
et la mouffette du Chili sont les trois seules es- 
pèces que Buffon paroît avoir connues de cette petite 
tribu de carnassiers digitigrades, car son coase pa- 
roit être une espèce fictive établie sur une peau de 
coati défigurée. 

Les moufettes sont très mal déterminées; et bien 
que nos catalogues aient été enrichis de quelques es- 
pèces dans ces dernières années, il est fort difficile 
de préciser chacune d’elles, et d’en tracer des des- 
criptions satisfaisantes. Ce sont des animaux qui sé- 
crètent par des glandes anales une odeur tellement 
fétide, qu’on leur a donné les noms de bétes puantes, 
d’enfan!s du diable, etc., etque l’on n’a jusqu’à pré- 
sent rencontrés qu’en Amérique. 4° Le MAPUrRITO (1) 
de la Nouvelle-Grenade a, suivant Mutis et de Hum- 
boldt, un pelage touffa noir foncé, marqué sur le 
dos d’une raie blane e; la queue noire terminée d’un 
flocon blanc. Ses oreilles sont peu apparentes. 11 se 
creuse des terriers, et se nourrit de vers et de larves 
d'insectes. 2° La MOUFFETTE pu CHILI (?), rapportée 
par le célèbre voyageur Dombey, ne paroît être à 
M. G. Cuvier qu’une variété du chinche répandue à 
la Plata, au Mexique, au Brésil, à la Louisiane, et 
même dans le nord des Etats-Unis. Il est de fait que 
chez ces animaux les nuances blanches paroissent 
éprouver dans leur arrangement de grands change- 


(:) Viverra mapurito, Gm. 
a) Mephitis chiliensis, Geoff, 
48 


378 


ments. 5° L’aToKx &u le ZoRrA DE Quiro (!), dont le 
corps noir est marqué de deux bandelettes blanches 
longitudinales. Ses oreilles sont petites, noires et 
poilues ; sa queue, très touffue, d’un tiers moins lon- 
gue que le corps, est noire et blanche. 4° La mMour- 
FETTE INTERROMPUE (?) habite la Louisiane. Son 
pelage présente deux raies courtes dirigées parallè- 
lement sur les côtés de la tête, quatre longitudinales 
sur le dos coupées par quatre transversales, toutes 
d’un blanc pur sur un fond brun. 5° La MOUFFETTE 
DE LA CALIFORNIE (°) paroit être bien distincte des 
autres espèces, principalement par la forme de son 
nez, dont le mufle est très saillant. Ses proportions 
sont trapues; son pelage, très épais, composé de 
poils allongés, sétacés et rigides, est noir, relevé par 
une simple bandelette blanche qui part des sourcils 
pour se développer le long de la ligne médiane du 
dos en s’élargissant, et gagnant la queue qu'elle 
parcourt dans toute son étendue. Un caractère assez 
remarquable de cette espèce est la dénudation com- 
plète de la plante des pieds. Sa longueur totale est 
de seize pouces, tandis que la queue n’a que neuf 
pouces et demi, le pinceau de poils qui la termine 
compris. 

Richardson, dans sa Faune du nord de l’Améri- 
que, ouvrage plein de documents intéressants et de 
figures gracieuses, décrit une variété de la mour- 
FETTE AMÉRICAINE ou chinche (#), connue des Indiens 
Creks sous le nom de sicawk, et qui s'étend jusque 
par les cinquante-six ou cinquante-sept degrés de 
latitude nord. Cet animal se tient dans les rochers 
et les bois, bien qu’il soit plus ordinaire de le ren- 
contrer dans les bouquets d’arbres des plaines sa- 
blonneuses de Saskatchewan. I vit de souris, et dans 
l'été on l’a vu pêcher des grenouilles. Le fluide qui 
chez lui répand tant de puanteur est jaune, placé à 
la naissance de la queue dans une petite poche, d’où 
il s'échappe lorsque l'animal veut se dérober à la 
poursuite de ses ennemis; ce fluide est tellement 
persistant, que les peaux séchées de cette mouffette 
en restent imprégnées pendant un long espace de 
temps. Sagard Théodat, dans son Histoire du Ca- 
nada (°), en parlant du fiskat!'a où chinche de Buf- 
fon, dit : « Les enfants du diable, que les Hurons 
» appellent scangaresse, et le commun des Monta- 
» gnais, babougi manitou où ouinesque, est une 
» bête, fort puante, de la grandeur d’un chat; mais 
» elle a la tête un peu moins aiguë et la peau cou- 
» verte d’n gros poil rude et enfumé, et sa grosse 
» queue retroussée de même, et se cache en hiver 


() Mephitis quitensis, Humb. 

() Mephitis interrupta, Rafinesq. 

(6) Mephitis nasuta, Bennett, Proceed., 1833, p. 39. 
(4) Mephitis Americana, var. Hudsonica, Fauna, 


HISTOIRE NATURELLE 


» sous la neige et ne sort point qu’au commencement 
» de la lune du mois de mars, laquelle les Monta- 
» gnais nomment ouiniscou pismi, qui signifie la 
» lune de la ouinesque. Cet animal, outre qu’il est 
» de fort mauvaise odeur, est très malicieux et d’un 
» laid regard. » 


LES MÉLOGALES. 
Melogale (1). 


Les mélogales ont trente-huit dents comme les 
mouflettes, c’est-à-dire incisives ?, canines 2 faus- 
ses molaires ©—;, carnassières ?-° et tuberculeu- 
ses 1, Leurs membres sont assez courts, mais 
assez épais etrobustes parce que le corps est allongé ; 
tous sont terminés par cinq doigts. Leur paume est 
en partie dénudée, ce qui dénote des habitudes 
semi-plantigrades, et comme les ongles de devant 
sont longs, arqués et très forts, on doit en conclure 
qu’ils servent à fouir comme ceux des mouffettes 
et des mydaüs. Le museau est terminé par un 
mufle qui dénote une grande perfection dans l'o- 
dorat. La nature du pelage est de deux sortes, des 
poils laineux cachés par d’abondants poils soyeux, 
en général rudes et grossiers. La queue longue et 
touffue. Leur tête est conique, prolongée, ayant un 
museau fin non terminé en groin ; l’espèce type est 
la MÉLOGALE MASQUÉE, melogale personata (?), à 
pelage sur le corps brun lavé de roux clair, mais 
relevé entre les yeux par une grande plaque blan- 
che, irrégulièrement triangulaire et encadrée de 
brunâtre. Les lèvres, les joues, l'oreille et le pour- 
tour des yeux sont d’un blanc pur, ainsi que la gorge 
et le dessous de la tête. Une bandelette blanche part 
de la nuque jusqu’à la partie postérieure du dos. 
Les membres sont d’un gris roussâtre. De longs poils 
flottants recouvrent la queue. Ils sont en dessus de 
Ja teinte de ceux du dos et blanes en dessous. Le 
mufle et les orcilles paroissent couleur de chair, et 
les moustaches sont brun roux. La longueur du 
corps est de treize pouces, et celle de la queue doit 
dépasser huit pouces. La mélogale vit au Pégou, 
dans les environs de Rangoun, où M. Bélanger s’en 
est procuré un individu vivant qu’on lui à dit pro- 
venir des bois : son humeur paroit être irritable, et 
l’animal hérisse son poil à la moindre contrariété. 
Sa nourriture principale en captivité consiste en riz, 
de sorte que la mélogale sauvage peut indifférem- 
ment rechercher les matières animales ou végétales. 
M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire nomme MÉLOGALE 


()1sid. Geoff. St-Hil., Zool. voy. de Bélanger, pl. 5, 
p. 129. 
(a) Ibid, (AUas pl. 17.) 


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Puble par Pourral Fa Paris 


DES MAMMIFÈRES. 


BRUNE (1), l’animal de Java que M. Horsfield à décrit 
sous le nom de glouton oriental (voyez page 285 ). 
Ce seroit donc une deuxième espèce de ce genre. Il 
est de fait que ce gulo orientalis ressemble singu- 
lièrement à l'espèce type, dont il se distingue par 
son pelage qui est généralement brun, excepté quel- 
ques parties blanches, telles que l'extrémité de la 
queue, le dessus de la tête, une ligne médiane sur 
le dos, les joues, les sourcils, les parties inférieures 
de la gorge, du thorax et le ventre. Les ongles sont 
blanchâtres et les poils sont de deux sortes, les uns 
soyeux, longs, rudes au toucher et brillants, les 
autres laineux et duveteux. Sa taille est de treize 
pouces, la tête ayant trois pouces neuf lignes, et la 
queue six. 


LES MARTES. 
Mustela, L. 


Buffon a décrit les martes putois, furet, pérouasca, 
belette, hermine, zorille commune, fouine, zibe- 
line, vison et pekan. Les écrivains modernes ajoutent 
à ce genre quelques autres espèces : 41° le PUTOIS DE 
SIBÉRIE (mustela Siberica)(?), le chorok des Russes, 
le nonno des Tongouses, le kulou des Tatars, se 
rapproche du putois de Pologne ou pérouasea, bien 
que son pelage soit d’un fauve uniforme et clair, 
marqué de brun sur le nez et autour des yeux, tan- 
dis que le bout du museau et le dessous de la mâ- 
choire inférieure sont blancs. On le rencontre l'été 
dans les profondes forêts des montagnes de la Si- 
bérie. 2° Le FURET DE JAvA (mustela nudipes) (3), 
à pelage fauve doré brillant, excepté la tête et l’ex- 
trémité de la queue qui sont blancs. La plante des 
pieds est complétement dénudée, ce qui annonce 
une allure en partie plantigrade. Il habite la grande 
ile de Java. 5° La BELETTE D'AFRIQUE (muste!a Afri- 
cana) (*), brune roussâtre sur le corps qui est blanc 
jaunâtre en dessous, marquée sur le ventre par une 
bande longitudinale rousse. On ignore de quel point 
de l'Afrique elle provient. 4° La BELETTE RAYÉE DE 
Mapacascar (pulorius striatus, Cuv.), qui est de 
la taille de la belette d'Europe ; mais marquée de 
cinq raies longitudinales blanchâtres sur un fond 
brun roussâtre, et le dessous du corps et presque 
toute la queue blanchâtres. 5° Le MINK (mustela lu- 
treola ) (5) aussi nommé nocrz ou norck ou putois 
des rivières, a été confondu par Buffon avec le 


() Melogale fusca, Mag. de Zool., pl. 16. 

(2) Pallas, Spicil. XIV, 4, p. 2. 

6) Fr. Cuv., Mamm., 32e liv. 

(4 Desm., Mamm., 276. 

(6) Pallas, Spicil. XE, 4; Lech., Stock. 1739, pl. 11 ; 
Screber, pl, 127. 


379 
vison. Ce minque a les doigts des pieds légèrement 
palmés, un pelage brun roussâtre ; le tour des lèvres 
et le dessous du maxillaire inférieur blancs. Par la 
forme de ses dents et la disposition arrondie de sa 
queue, le mink appartient aux putois, mais il tient 
des loutres par la longueur et la finesse de sa four- 
rure. Il fréquente le bord des eaux, dans le nord 
cemme dans l’est de l’Europe, depuis la mer Gla- 
ciale jusqu’à la mer Noire. Sa nourriture consiste en 
grenouilles et en écrevisses. Le vison ou putois des 
rivières de l'Amérique septentrionale a aussi les 
pieds demi-palmés, mais le bout du menton est seu- 
lement marqué de blanc, et parfois une ligne de 
celte couleur règne sur la gorge. 

Ge La MARTE RENARD ( mustela vulpina ) (1) est 
fauve, marquée de trois grandes taches jaunâtres 
sur la gorge, la poitrine et l’abdomen. Les joues sont 
blanches, ainsi que le dedans des oreilles et une 
tache sur la nuque. Le tiers terminal de la queue 
est également blanc, ses pieds sont noirâtres, maisles 
doigts sont blancs. Cette marte est longue de dix- 
huit pouces sans y comprendre la queue qui a neuf 
pouces. Des brosses de poils serrés recouvrent les 
doigts. Ses ongles sont blancs et sa queue fort touffue. 
Cette marte habite les rives du Missouri. On doit 
regarder comme un jeune âge de cette espèce la 
marte aux pieds blancs ( mustela leucopus) (2) qui 
vit au Canada; sa taille est de quinze pouces et 
demi, la queue a un peu moins de neuf pouces, les 
pieds et leurs ongles sont blancs, son pelage est 
d’un brun roussâtre plus päle en dessous. Le de- 
vant du cou passe du jaune roussàtre à une teinte 
blanchâtre. Les oreilles fauves en dehors sont blan- 
ches en dedans. 7° La MARTE PÉCHEUSE ( mustela 
piscaloria) (3), est noire, excepté les flancs qui sont 
fauves, la face qui est cendrée et sur laquelle tranche 
le noir profond du nez, longue de vingt-huit pouces 
( la queue en à dix-sept); ses oreilles sont larges, 
arrGndies, percées et bordées d’un liseré blane ; elle 
vit dans le nord de l'Amérique. 8° La MARTE pE 
Gopuax (M. Godmani) (), dont parle Hearne sous 
le nom de Wejack, est jaunâtre passant au brun 
marron sur la tête. La poitrine est brune avec quel- 
ques poils blancs ; le ventre et les cuisses sont d’un 
brun noir, et la queue d’un noir luisant est grise 
à son extrémité. Cette espèce habite la Pensylva- 
nie sur les bords du grand lac des Esclaves. 9° La 
MarTe Huro (A. Huro) 6), est uniformément jau- 
nâtre; plus claire en dessous, ses pieds et le sommet 


(r) Rafinesque, Sillim. journ. , 4, p. 82. 

(2) KuBl, Beit. 74. 

(3) Viverra piscator, Shaw, Zool.1, 414; Mustela 
Pennantii, Erxl. 470 ; M. melanorhyncha, Bodd, 
Elench. 88. 

(t) Fustela Pennuntii, Godman, Mast., 203. 

5) Fr, Cuvier, dict. Sc. nat., 29, 256. 


350 
de sa queue sont fauves ; ses ongles sont enveloppés 
par des poils abondants; elle a été découverte dans 
le haut Canada par M. Milbert; sa taille est celle de la 
fouine commune. 40° Le Cuya (M. C: ya, Molina) 
du Chili est noir, et à pelage épais ; sa queue aussi 
longue que le corps.est très touffue. Cette marte se 
nourrit de rats, et n’est que très mal connue. Il en 
est de même, 44° du Quiqui (7. Quiqui) (1), qui se 
rapproche de la beleite commune, et dont le pe- 
lage est brun, la tête aplatie, terminée en un mu- 
seau en forme de groin. Une taché blanche occupe le 
milieu du nez, ses oreilles sont courtes et arrondies; 
elle se creuse des terriers et vit de petits animaux 
au Chili sa patrie. 4%° Le Zonra (M. Sinuensis) (?), 
qui vit à la Nouvelle-Grenade, a son pelage unifor- 
mément gris noirâtre, le ventre blanc, la queue 
de la longueur de la moitié du corps, les oreilles 
droites, aiguës et blanches en dedans, la tête d’un 
renard. 45° La MARTE MARRON (H. Rufa), (3) longue 
de dix-neuf pouces, à pelage roux marron plus 
foncé en dessus, formé de poils annelés de brun 
marron et de jaunâtre; la queue est terminée de 
brun, on ignore sa patrie. 44° La MARTE GRISE 
(M. Polocepha) (*) remarquable par les longs poils 
de sa fourrure, plus longs sur la nuque où ils dessi- 
nent une sorte de collerette, et par la teinte noirà- 
tre du corps, la couleur grise de la tête et du cou, 
la plaque jaune encadrée de noir de jais qui occupe 
Ja gorge. Cette espèce habite les forêts de Démérary 
à Ja Guyane. 

La zorille de Buffon présente deux variétés assez 
distinctes : l’une du Cap (5) avec d’étroites taches 
blanches et celle du Sénégal (6) à taches blanches 
larges, confluentes, à queue annelée de noir et de 
blanc, que Bodwich a mentionnée le premier. 

Quelques auteurs regardent comme une variété du 
putois d'Europe, l'animal (7) que M. Lichsteinsten 
a décrit dans la relation du Voyage d’Eversmann à 
Orenbourg et à Bukkara. Sa coloration est un jaune 
clair; les poils des lombes sont fauves au sommet; 
la poitrine et les membres sont fauves. Le corps a 
dix pouces et la queue six; celle-ci est noire. 

M. Gebler a mentionné un putois des Alpes (8), 
jaune soufre, fauve en dessus, à menton blane, qui a 
le port du putois, mais avec une taille plus grêle, 
la tête moins allongée et plus atténuée ; il vit sur 
les monts Altai, autour des mines d'argent de Rid- 


(5) M. Capensis. 

(6) M. Senegalensis. 

(7) Mustela Eversmanni. M. Putorius, Licht. 

(8) Mustela alpinus, mém. Soc. de Moscou, VI, 
p. 213. 


HISTOIRE N 


ATURELLE 


dersk, où il se blottit sous terre et dans les crevasses 
des rochers. 

AT. Harlan dans sa Faune américaine décrit sous 
le nom de MARTE A TETE DE LOUTRE (M. Lutreoce- 
phala) üne espèce qu’on avoit confondue avec le 
vison, dont elle diffère par la coloration et par la 
taille, car elle est d’un blanc sale plus foncé en bru- 
näire sur le corps. Sa queue est d’un brun ferrugi- 
neux; ses doigts sont à demi palmés, et ses formes, 
analogues à celles d’une marte, ont la tête et les 
oreilles d’une loutre. Elle vit dans le Maryland. 

On regarde comme une marte distincte l’animal 
figuré par Séba (!) sous le nom de mustela java- 
nica (?), rousse en dessus, jaune clair en dessousavec 
la queue noire à l’extrémité. Sa taille est d'environ 
huit pouces; elle ressemble davantage à la belette 
qu'à l'hermine. Sa patrie est l’île de Java, s’il faut 
s’en rapporter aux indications le plus souvent fau- 
tives de Séba, cette marte a la plus grande ressem- 
blance avec celle décrite par Sevastianoff (3) sous le 
nom de mustela brasiliensis, dont le corps, d’un 
roux clair à teinte verdâtre, passe au jaune en des- 
sous. La queue longue est noire à son extrémité, 
une tache presque quadrilatère blanche se dessine 
entre les yeux. Ses dimensions sont, pour le corps, 
onze pouces, et pour la queue sept pouces et demi. 
Ses formes sont celles de l’hermine, dont on doit la 
distinguer par ses proportions plus fortes, sa queue 
plus longue, les poils jaunes du thorax. L'auteur 
russe lui donne pour patrie le Brésil, et aussi les îles 
de Java et de Bornéo, deux sortes de localités qui 
s'excluent formellement et qui ne doivent reposer 
que sur des indications fautives. 

La muslela boccamela de Bechstein (4), décrite 
par Cetti sous le nom de ROCCAMNÈLE, est une martle 
de Sardaigne fort mal caractérisée, dont la queue 
est, dit-on, médiocre et noire à l’extrémité, et dont 


‘le dos est rayé par une bande longitudinale égale- 


ment noire, sur un fond roux, tandis que le dessous 
du corps est blanc de neige. 

Nous connoissons très mal la BELETTE PALMÉE 
(M. palmata), qui vit en Egypte et en Arabie, et 
qui ressemble, dit-on, à l’hermine par les couleurs 
de son pelage brun marron pâle, mais qui s’en dis- 
tingue par les membranes natatoires dont ses doigts 
sont munis, de sorte qu’elle est le lien qui rapproche 
les martes des loutres. 

M. Richardson indique, dans sa Faune américaine 
boréale, cinq martes comme très répandues dans Île 
continent américain; ce sont : les martes vulgaire, 
hermine, vison, marte proprement dite, du Canada, 
et sa variété albine, toutes bien connues. 


(:) Thes.f, pl. 48, fig. 4. 
2) Viverra javanica, Brisson, rêg. an. 245. 
3) Mém. de l'Ac. de Pétersb., t. IV, p. 56, pl. #. 


( 
(° 
(4) Nat. deut., p. 819. 


DES MAMMIFERES. 


M. Horsfield a figuré, sous le nom de mustela 
Hardwicki (), une marte indienne de la taille de 
Ja fouine, dont elle a les habitudes et les formes. 
Longue de deux pieds deux pouces, cette marte a la 
queue cylindrique, mesurant dix-neuf pouces. Son 
corps est allongé, mince, assez élevé et assez ro- 
buste au train de derrière. La tête, le cou en dessus, 
les extrémités et la queue sont d’un noir intense, 
tandis que le corps et le cou sont d’un jaune clair 
sale, et que la gorge est blanchâtre. Assez répandu 
dans les forêts ‘des montagnes du Népaul, cet ani- 
mal vorace, grand destructeur d'oiseaux et de petits 
mammifères, est connu des indigènes sous le nom 
de mull.-samprah, et n’est sans aucun doute qu'une 
variété de la MARTE A GORGE DORÉE (mustela flavi- 
gula) (?), à laquelle elle ressemble par certaines dis- 
positions de la masse des couleurs qui caractérisent 
son pelage. Ainsi, la marte à gorge dorée a le cou 
jaunâtre cendré, passant au jaune pur sur la gorge, 
tandis que la tête, les membres et la queue sont noirs, 
les joues et le menton blanes. Le corps a dix-huit 
pouces de longueur, et la queue autant.'Le capitaine 
Shore (3) a donné des renseignements récents sur 
cette marte jusqu'alors connue par une description 
incomplète de Boddaert qui la croyoit d'Afrique, 
tandis qu’elle vit dans les hautes chaines de l'Hima- 
Jaya, dans les provinces de Kumoun, Gurhouall et 
Sirmour. On la rencontre aussi dans le Népaul. Elle 
se tient de préférence dans les chaudes vallées, bien 
qu’elle apparoisse dans des localités assez analogues 
par leur température au midi de la France. Son sé- 
jour de prédilection est dans les rochers ou les ar- 
bres, où elle guete les oiseaux, les rats, les souris, 
les lièvres et les jeunes faons du *ahur, sorte de petit 
daim à peine haut de vingt pouces. Cette marte, au 
dire du capitaine Shore, varie beaucoup en couleurs, 
puisque plusieurs individus tués par lui présentoient 
les parties supérieures de la tête, du dos, les mem- 
bres et la queue d’un brun noir, passant au noir 
profond chez d’autres ; le menton et les joues d’un 
blanc de neige, la poitrine chez lesuns d’un jaune bri- 
queté, orangé chez d’autres, ou enfin de couleur tan- 
née chez quelques uns. Ces changements paroîtroient 
tenir, non à l'influence des saisons, mais à des mo- 
difications purement individuelles. Les indigènes 
nomment celte marte, ceux de Gushoual et de Ku- 
moun Zooturalæ, et ceux de Sirmour Æosean ou 
Kousiar. Tout nous autorise donc à penser que Ja 
marte d’Hardwicke, décrite plus haut, ne peut être 
admise comme espèce. Peut-être doit-on encore ne 
pas distinguer de la marte à gorge dorée celle que 


(") Zool. journ., t, IV, pl. 8, p. 239. 


(>) Boddaert, Elench. 88; Mustela quadricolor, 
Shaw, Zool.1, 429. 


(3) Zool. journ., no 18, p. 271, 


381 


MM. Temminck et Hamilton Smith ont nommée 
mustela leucotis (1), d’un riche fauve, à oreilles 
blanches, longues de vingt pouces, et dont Ja patrie 
est ignorée. 

La cicocxiart provient de Mexico et nous est in- 
connue. Elle est décrite sous le nom de muslela ci- 
cogniari par le prince de Musignano. 


LES EUPLÈRES. 
Eupleres. 


Ont été publiés par M. Doyère dans le cahier de 
novembre 1835 des Annales iles sciences nalu:clles, 
et nous nous bornerons à recueillir les faits qui con- 
cernent la scule espèce connue. 


L'EUPLÈRE DE GOUDOT. 
Eupleres Goudotii (2). 


M. Goudot, voyageur-collecteur, reçut des habi- 
tants de Tamatave, dans l’ile de Madagascar, ce petit 
quadrupède, qu’ils lui dirent vivre dans les sables, 
où il se creusoit des terriers, bien que ses ongles, 
peu robustes, n’indiquassent pas chez lui des habi- 
tudes fouisseuses constantes. Les naturels le nom- 
moient falanouc. Or, M. Doyère n’a retrouvé ce 
nom que dans Flaccourt, qui dit (chap. 58, p. 154: 
« Falanouc, c’est la vraye ciuette, il y en à grande 
» quantité. Les habitants de Manatengha ; San- 
» drauinangha et de Mananbondro les mangent. » 
M. Doyère ajoute que la vraie civette n’a été indi- 
quée à Madagascar que sur cette note de Flaccourt, 
et que par conséquent on devra à M. Goudot d’avoir 
fait disparoître cette erreur de nos livres d'histoire 
naturelle. Mais nous avons vu des dépouilles de fos- 
sane (viverra fossa) provenant de la grande île de 
Madagascar, où M. Sganzin se les étoit procurées, 
et nul doute que Flaccourt n'ait voulu indiquer la 
fossane comme étant à ses yeux la vraie civette, bien 
qu’il mentionne (p.512), sous le nom de « fussa, un 
animal semblable au blaireau de France, qui mange 
les poules, et d'aussi bon goût que le levraut quand 
il est jeune. » Les noms des animaux varient à Ma- 
dagascar suivant les districts, et l’on sait que cette 
grande île est peuplée d'hommes appartenant à di- 
verses races distinctes, parlant plusieurs langues. 

Les euplères (eupleres) ont donc les caractères zo0- 
logiques suivants : six incisives à la mâchoire supé- 
rieure , petites et parfaitement rangées ; deux ca- 
nines ; six fausses molaires séparées par de larges 


6) Griff, an. kingd. V, 357-9. 
(>) Ann, Sc. Nat. 2e série, t. IV, p. 270 et pl. 8. 


382 


intervalles ; quatre ou peut-être six molaires vraies à 
cinq pointes ; huit incisives à la mâchoire inférieure ; 
deux canines à double racine, se logeant en arrière 
des canines d’en haut comme chez la taupe; quatre 
fausses molaires ; au moins six molaires vraies, hé- 
rissées de pointes aiguës : ce genre nouveau est pour 
quelques zoologistes le type de la famille des eu- 
plériens dans la tribu des mammifères ensectivores 
digiligrades. 

Le museau est effilé, et terminé par un petit mufle; 
les yeux sont grands, les oreilles amples et trian- 
gulaires ; le corps est vermiforme. Les jambes sont 
moyennes, et leurs tarses sont allongés et garnis de 
poils sous la face plantaire. Toutes les extrémités ont 
cinq doigts bien séparés et garnis en dessous de poils 
ras. Le pouce est beaucoup plus court que les autres 
doigts, et notamment aux membres postérieurs, car 
il touche à peine à terre. Les ongles sont déprimés, 
aigus et semi-rétractiles, de moitié plus longs aux 
doigts de devant. Le corps est revêlu d’une épaisse 
fourrure composée de poils soyeux, garnis à leur 
base d’un duvet court et serré. 

L’euplère de Goudot, dans son jeune âge, a sur 
le corps des poils de deux sortes: les uns soyeux, 
d’un brun très foncé, et les autres en duvet fauve 
à la base, d’où résulte un pelage fauve nuancé de 
brun, devenu plus foncé aux régions supérieures. 
Le corps sur ses parties inférieures est d’une teinte 
beaucoup plus claire, notamment sur la gorge, qui 
est blanc-cendré. Une raie noire transversale passe 
au-dessus des épaules. 

M. Doyère donne à l’euplère les proportions sui- 
vanles : 


Longueur Le crâne pris 
absolue. pour unilé. 

Du bout du museau à l'extrémité 

AelaqUEUC RS ENT oise 410 will. 5,7 
Éa queue seule. D. 2.1 150 2,1 
Tête osseuse ( du sommet de lé- 

minerce occipitale au bout du 

muscau)atin &! août Mauss rire 72 1,9 
La plus grande largeur des 0s 

HERRDOHAUXe =. se. ons. 30 0,42 
Ligne des arcades zygomaliques. 27 0,58 
Cavilé crânienne (de l’éminence 

occipitale à l'origine des os 

MASTER De eut. ee EU 51 0,71 
Sa plus grande hauteur. . . . 24 0,33 
Distance des orbites. . . . . 0,18 
Largeur du museau jusqu'à la 2e 

fausse molaire. . .,. . . 7 0/; 0,10 
Ligne :des secondes molaires 

(d'un bord à l'autre). . . . 19 0,26 
Le pied (Larse compris). « . . 65 0,90 


Quant aux caractères organiques que présente l’eu- 
plère, nous transcrirons textuellement les obser- 
vations que M. Doyère a été à même de faire sur les 
os soumis à son étude. Ainsi s'exprime cet auteur, 


HISTOIRE NATURELLE 


en parlant de la féle osseuse : « Tous ceux qui ont pu 
suivre le développement progressif des mammifères 
dans les diverses périodes de leur vie, ont pu se 
convaincre que, de toutes les régions du corps, la 
tête est celle qui subit les modifications les plus con- 
sidérables , lesquelles consistent surtout dans la di- 
minution de la capacité cérébrale, et dans l’agran- 
dissement correspondant de la région faciale. Aussi 
appuierons-nous peu, dans le cas actuel, sur l’ex- 
trême développement du cerveau et de la fosse cé- 
rébelleuse, sur l’état du trou occipital, tellement 
grand et rejeté en dessous, qu’on ne peut le comparer 
qu’au même passage dans la tête d’un quadrumane, 
si les observations et les mesures précédentes ne 
devoient servir un jour à constater les changements 
qu’amène l’à:e, afin de compléter par des faits nou- 
veaux ceux que l’on possède sur cette partie. 

» Le museau est grêle et acuminé ; les mâchoires 
et l’arcade zygomatique sont d’une foiblesse remar- 
quable, même après qu’on a fait la part de l’âge, et 
cette dernière, infléchie du dehors en dedans sur le 
milieu de son trajet, ne laisse qu’un passage étroit 
pour le musele crotaphyte. La fosse temporale existe 
à peine et n’est nullement séparée de la fosse orbi- 
taire; il n'existe même aucune trace d’apophyses 
post-orbitaires, ni sur le jugal, ni sur le coronal. 
Les deux pariétaux sont réunis par une simple su- 
ture sans trace d'une crête sagittale ; mais la crête 
occipito-pariétale paroit devoir prendre un certain 
accroissement. Le plan du trou oecipital se confond 
presque avec celui qui forme la base du crâne en 
continuant le plancher supérieur de la bouche. 

» Tous les organes des sens sont bien développés; 
les caisses auditives rappellent ce qu’on observe chez 
les carnivores, dont l’audition est la plus délicate, 
Les yeux sont grands, presque jusqu’à rappeler ceux 
des animaux nocturnes. Le palais et les narines re- 
gagnent en longueur ce qu’il perdent par Pétroi- 
tesse du museau. En dernière analyse, ce qui paroit 
le plus digne d'attention dans l’animal type, est une 
réunion de.caractères empruntés à divers genres fort 
éloignés en apparence. De là le nom d’eu-plérés, 
bien complet, qui lui a été appliqué : ce genre doit 
donc terminer l’ordre des insectivores, et le lier aux 
carnivores. » 

Le système dentaire offre des particularités remar- 
quables. M. Doyère le décrit ainsi : « À la mâc'oire 
supérieure. Chaque os insicisif perte trois dents tran- 
chantes ct aiguës. Celle du milieu est contiguë, bord 
à bord, avec son analogue de l’autre côté, mais elle 
est séparée de la seconde par un intervalle sensible, 
et celle-ci l'est de la troisième par un autre encore 
plus grand. 

» La quatrième est de même à quelque distance 
de la troisième. Sa plus grande hauteur, sa forme 
crochue, terminée en pointe régulièrement conique, 


« 


DES MAMMIFERES. 


sa position tangentielle à la suture des os incisif 
et maxillaire, l’indiquent assez comme la canine su- 
périeure. 

» Elle est suivie presque immédiatement d’une 
dent de moitié plus petite, mais présentant avec elle 
une ressemblance frappante. Cette double circon- 
stance, jointe à l’absence de tout rapport avec celles 
qui la suivent, et dont elle est séparée par un large 
espace vide, jointe encore à la manière dont se su- 
perposent ces deux dents avec celle qu’on est con- 
duit à désigner comme la canine inférieure, devroit 
peut-être la faire regarder comme une seconde ca- 
nine, bien que l’usage recu semble ne pas consacrer 
une telle dénomination. Ce sera done une première 
fausse molaire, ne paroissant avoir au reste qu'une 
racine unique. 

» La deuxième est séparée de la première, ainsi 
que de la troisième, par un large espace vide, et ne 
lui ressemble en rien. Elle est simple dans son épais- 
seur, mince et remarquablement tranchante, avec 
une pointe très aiguë, précédée en avant d’un tu- 
bercule peu marqué, et suivie en arrière d’un autre 
très saillant. Elle est portée sur deux racines. 

» La troisième ressemble en tout à la seconde ; seu- 
lement elle est du double plus grande, et ses racines 
sont au nombre de trois. 

» La suivante est une molaire vraie. Sa forme est 
celle d’un prisme triangulaire, sensiblement incliné 
vers l’intérieur de la bouche, et présentant, à sa 
surface supérieure, cinq pointes, réunies entre elles 
par des arêtes tranchantes, l’une intérieure, formant 
le sommet du triangle; deux moyennes, très sail- 
lantes et aiguës ; deux extérieures formant la base, 
mais très obtuses et réduites à l’état de simples tu- 
bercules. 

» Enfin, la dernière dent, qui est la neuvième, 
n'est pas encore sortie entièrement. Elle reproduit 
la précédente, à cela près qu’elle est plus grosse, 
que le talon intérieur surtout est beaucoup plus dé- 
veloppé, et séparé des autres par une entaille plus 
profonde. Cette seconde molaire s’étend presque jus- 
qu’à l'extrémité postérieure du maxillaire. Mais 
l'examen d’un individu adulte pourra seul faire con- 
noître les changements qui doivent survenir dans 
cette portion du système dentaire, la plus suscep- 
tible d’être modifiée par l’âge. 

» Ces trois dernières dents sont contiguës bord à 
bord ; mais par une conséquence de leur forme en 
prisme triangulaire , elles laissent entre elles, en de- 
dans de la bouche, deux espaces angulaires de la gran- 
deur des dents elles-mêmes, et destinés à loger en 
grande partie celles qui leur correspondent en bas. 

» À la mâchoire inférieure. On observe d’abord, 
en avant, quatre incisives de chaque côté fort tran- 
chantes, et dont les trois premières sont contiguës 
bord à bord, et un peu séparées de la quatrième. 


383 


Celle-ci se fait distinguer en outre par une pointe 
aiguë qui la surmonte, en lui donnant une forme voi- 
sine de celle d’une canine : mais c’est à la cinquième 
dent que ce dernier nom doit être donné, à en juger 
par sa forme et ses proportions relatives. Cependant, 
dans le mouvement réciproque des maxillaires, au 
lieu d’opposer sa face postérieure à celle antérieure 
de la canine d’en haut, comme cela a lieu générale- 
ment, elle se place au contraire en arrière et dans 
l'intervalle vide qui existe entre cette canine et la 
première fausse molaire. C’est un rapport de plus 
que l’euplère possède avec les taupes; et cette par- 
ticularité se fait aussi remarquer chez les makis, in- 
dris, loris et galagos, d’après les déterminations de 
M. F. Cuvier, bien que ce zoologiste refuse, à la 
cinquième dent inférieure de la taupe, le nom de ca- 
nine, moins peut-être à cause de sa position, que 
parce qu’elle est munie de deux racines. On deit ob- 
server toutefois que celle d'en haut possède égale- 
ment deux racines. 

» La première fausse molaire, isolée par deux es- 
paces vides , est fort aiguë, et sa pointe se dirige un 
peu en arrière. La seconde est du double plus grande, 
simple dans son épaisseur, et à trois pointes, dont 
celle du milieu est haute et tranchante, et les deux 
autres sont rudimentaires. Les deux molaires vraies 
qui suivent n’en différent que par des proportions 
qui augmentent jusqu’à la dernière, et par des pointes 
plus hautes et mieux séparées, et l’existence à la face 
interne et à la base de la pointe moyenne d’une qua- 
trième pointe plus petite et fort aiguë. 

» Ces deux molaires se logent presque en totalité 
dans les espaces angulaires que nous avons signalés 
à la mâchoire supérieure, à la manière des dents des 
carnivores les plus complets, et de telle façon que 
le talon postérieur de chaque molaire d'en bas s’ap- 
plique seul sur le tubercule interne de celle qui lui 
correspond en haut. Du reste, les mâchoires s'em- 
boitent avec une remarquable précision; et, à partir 
de la canine d’en bas, et de la première fausse mo- 
laire d’en haut, chaque dent inférieure glisse bord 
à bord, et un peu en avant de celle qui lui corres- 
pond, comme le feroient deux lames de ciseaux. » 

Tels sont les principaux caractères de Purganisa- 
tion des euplères, et nous ne suivrons par M. Doyère 
dans les comparaisons qu’il établit entre eux et les 
autres ordres de mammifères, Nous nous bornerons 
à dire que l’euplère forme un genre de transition ; 
qu'il a les dents et le museau aminci des musarai- 
gnes, des tenrecs, des tupayas, et surtout des tau- 
pes. Quant au rétrécissement du museau, il a la plus 
grande analogie avee ce que présentent le mélogale, 
et même les coatis. Par les formes grêles, onduleuses 
et souples de son corps, l’euplère, bas sur jambes, 
ayant des membres naturellement fléchis et ramenés 
en dessous, possède une allure flexible et rampante, 


384 


qui le place à côté des carnassiers vermiformes, ou 
vrais digitigrades, là où viennent encore le classer 
ses tarses garnis de poils en dessous, la paume de 
la main exceptée, qui est nue et charnue. Cette par- 
ticularité fait des euplères des animaux, zoologique- 
ment parlant, autant plantigrades que digitigrades. 
Chaque membre toutefois a cinq doigts bien armés 
d'ongles assez longs, d’une finesse et d’une, acuité 
remarquables, et qui, sans être complétement ré- 
tractiles, ne posent pourtant point à terre dans la 
marche. Comme chez le macroscelide, et quelques 
autres insectivores, le pouce à chaque pied est beau- 
coup plus court que les autres doigts, et surtout aux 
pieds de derrière, où à peine il touche le sol. Quant 
à la queue longue et bien fournie, elle rappelle celle 
des tupayas, et surtout des pandas et des ratons. 


LES LOUTRES. 
Lulra (!). 


Le nombre des loutres reconnues comme espèces 
s’est de beaucoup accru par les travaux des natura- 
listes modernes, bien qu’on puisse désirer des ren- 
seignements plus complets pour les distinguer entre 
elles ; leur ressemblance commune fait régner une 
incertitude désespérante dans leur histoire. Aussi 
Buffon a-t-il très mal circonserit les traits distinctifs 
des espèces qu’il nomme loutre, saricovienne, lou- 
tre du Canada et loutre marine; car il a entaché 
ses descriptions de renseignements qui appartiennent 
à des êtres types qu'il n’avoit pu reconnoitre, tant 
étoient et sont encore incomplètes les données ras- 
semblées sur eux. 

Les loutres forment donc un genre très naturel, 
dont les espèces ne peuvent être distinguées les unes 
des autres que par des nuances difliciles à saisir, à la 
suite d’un examen minutieux et comparatif de leurs 
dépouilles. Leur corps très allongé est supporté par 
des membres raccourcis dont les cinq doigts sont 
réunis par une membrane natatrice. Leur queue 
puissante et fort longue est aplatie horizontale- 
ment comme une rame dont elle doit faire loflice. 
D'épaisses moustaches, des oreilles très courtes, de 
grands yeux et une tête arrondie , mais déprimée, 
leur donnent quelque ressemblance avec les pho- 
ques. Comme ces derniers elles vivent de poisson, 
et habitent le bord des eaux douces ou de la mer. 
Leurs mâchoires sont armées de trente-six dents, et 
leur langue est rugueuse. Leur fourrure est l’objet 
d'un commerce actifet d’armements importants. Des 
vaisseaux expédiés d'Europe vont les recueillir à 
la côte N. - O. d'Amérique pour les transporter en 


() Brisson , Cuvier. 


HISTOIRE NATURELLE 


| Chine où elles sont très prisées par les riches habi- 


tants. Franklin rapporte que plus de 7,500 peaux 
furent importées aux Etats-Unis dans la seule an- 
née 1821. 

La loutre d'Europe (!) est l’espèce la plus ancien- 
nement connue (?). Brune en dessus, elle est blan- 
châtre sous le corps, autour des lèvres et sur les 
joues. Quelques individus sont mouchetés, quelques 
autres atteints d’albinisme. Diverses loutres étran- 
gères se rapprochent singulièrement de celle-ci de - 
venue type. En diffèrent-elles réellement par une 
individualité propre et fondamentale ? On doit le 
supposer, bien que des nuances ne puissent suffire à 
résoudre cette question, car ces nuances peuvent 
être aussi le résultat de la climature. La première 
de ces variétés de la loutre d'Europe est celle dite du 
Caxapa (5), connue seulement par une tête osseuse 
dont la ligne du profil est bien plus inclinée que dans 
le crâne de la loutre d'Europe, en même temps 
qu'ii se présente en outre quelques autres différen- 
ces dans la disposition des pièces osseuses. 2° La 
LOUTRE DE LA GUYANE (f) est longue de deux pieds 
et la queue a dix-huit pouces. Son pelage est bai-clair 
en dessus, plus pâle en dessous, la gorge et les 
côtés de la face jusqu'aux oreilles sont blancs. Son 
cräne diffère aussi de la forme de ceux des deux es- 
pèces précédentes. 3° LA LOUTRE DE LA CAROLINE (5) 
a les poils de sa fourrure longs et touffus, les 
soyeux recouvrant les laineux qui sont épais et 
doux. Leur couleur est un brun foncé noirâtre, 
plus clair sur les parties inférieures du corps. Les 
joues, les tempes, le tour des lèvres, le menton et 
la gorge sont d’un gris brunâtre pâle, tandis que 
la partie inférieure du cou passe au brunâtre. Sa 
taille est de deux pieds neuf pouces, et la queue a 
un pied cinq pouces. Le jeune âge est remarquable 
par la rareté des poils soyeux, et sa coloration est 
un brun foncé. Cette loutre habite la Caroline du 
Sud, où elle a été observée par M. L’Herminier. 
4e LA LOUTRE DE LA TRINITÉ (6) a des poils courts, 
très lisses et presque ras, composés de soyeux qui 


() Lutra vulgaris, Erxl. ; mustela lutra, L. 

(2) M. Ogilby a décrit {*), sous le nom de lutra Roen- 
sis, en l'honneur de miss Anna Moody de Roe Mills qui 
l'a découverte, une loutre d'Irlande que ce savant croit 
distincte de la loutre commune. Elle vit presque exclu- 
sivement le long des rivages du comté d’Antrim, dans 
des trous ou des cavernes formées dans les crevasses 
des coulées basalliques de cette partie des côtes d'Ir- 
landes, Elle se uourrit principalement de saumons, 
aussi sa tête est-elle mise à prix. 

G) Lutra Canadensis,F.Cuv., Dict.sc. nat.,t. XX VI, 
p. 242. 

(4) Lutraenudris, Fr. Cuv., loc. cit. 
(5) Lutra lataxima, Fr. Cuv., loc. cit. 
(6) Lutra insularis, Fr. Cuv., loc, cit. 


) L'Institut, ne 101, p. 123. 


DES MAMMIFERES. 


recouvrent entièrement les laineux, courts, très 
touffus et très doux. La couleur du pelage est un 
brun châtain clair, plus pâle sur les flancs, et pas- 
sant au blanc jaunâtre sur le dessous du corps et les 
côtés de la tête, avec une nuance plus sale au pour- 
tour des lèvres, au menton, sur la gorge, le des- 
sous du cou et sur la poitrine. Sa taille est de deux à 
trois pouces, et la queue a un pied six pouces. 5° La 
SARICOVIENNE (1) de Buffon paroit être l'animal décrit 
par Maregrave sous les noms d’iiya et de carigue- 
bequ. Mais tout porte à croire que la description 
tracée par les auteurs de la loutre de la Guyane 
renferme deux espèces fort distinctes l’une de l’au- 
tre. 6° La LOUTRE pu Kamscnacuska (?) est la véri: 
table loutre de mer, figurée par Screber (5) et décrite 
par Buffon. 

Sir Stamford Raffles, dans son catalogue, (#) dit : 

« [l y a deux espèces de loutres à Sumatra, ap- 
» pelées communément anjin} ayer, ou chien des 
» eaux. La plus grande est distinguée par le nom 
» de simung, et la plus petite par celui de barang 
» barang où ambrang. 

» La dernière paroît très voisne de la {utra 
» tutreola (mustela lulreola, Lixx. ); elle a envi- 
» ron un pied et demi de long ; est d’une belle eou- 
» leur brune luisante, la gorge et la bouche blanches. 
» Les pieds sont couverts de poils, mais les doigts 
» ne sont pas d’égale longueur. La queue est plus 
» courte que le corps, très poilue, épaisse à sa base 
» et terminée en pointe. » Or cette pelite espèce est 
LA LOUTRE BARANG (5), à pelage dur et hérissé, à 
poils soyeux très longs et recouvrant les laineux. 
Elle est d’un brun de terre sombre et grisâtre, plus 
pâle sous le corps, tandis que les tempes, la gorge, 
le dessous et le bas des côtés du cou sont d’une 
teinte gris brunâtre qui se fond insensiblement avec 
le brun cendré du reste du pelage. Les poils laineux 
sont d’un gris brun sale, et les soyeux, générale- 
ment bruns, prennent une coloration blanchâtre à 
leur pointe sur le dessous du cou. Sa taille est de 


vingt pouces pour le corps et huit pouces pour la 
queue. 


M. F. Cuvier parle d’un jeune individu qu’il sup- 
pose appartenir à cette grande espèce, remarquable 
par ses poils brun foncé, prenant une teinte rous- 
sâtre sous le corps et la queue. Le tour des yeux, les 
côtés de la tête, le rebord de la lèvre supérieure, les 
côtés et le dessous du cou sont d’un blanc fauve jau-: 
nâtre, le menton est blanc. M. Horsfield a nommé 


(; Lutra brasiliensis, Geoff.; mustelu Brasiliensis, 
Gm. 


(2) Lutra lutris, Cuv.; mustela lutris, L, 
(3) PI, 128. 
G) Trans. of the Linn. Soc., t, XIE, 
(5) Lutra barang, Fr. Cuy., loc. cit, 
}, 


389 


cette grande espèce ({) LOUTRE AUX PETITS ONGLES (?), 
bien qu’elle paroisse avoir été déjà signalée par Il- 
liger () : on la rencontre sur les bords des rivières, 
aussi bien à Java qu'à Sumatra; dans la première 
contrée elle porte le nom de overlingsang ou de 
owargul; elle à deux pieds un pouce anglois de 
longueur; la queue mesure un pied. Sa voracité 
passe pour très grande. 

L'Inde continentale produit une espèce de loutre 
que M. Leschenault à rencontrée aux environs de 
Pondichéry, où elle porte le nom de nir-nayie, 
c’est la LOUTRE NIR-NAYER () des naturalistes mo- 
dernes. Son pelage se compose de poils assez doux 
et peu longs, colorés et châtain foncé, plus päle sur 
les côtés, passant au blanc roussâtre en dessous. Les 
joues et les parties latérales du cou, le rebord des 
lèvres, le menton, la gorge et le dessous du cou 
sont d’un blanc roussâtre clair assez pur. Le bout 
du museau est roussâtre, et l’on remarque au-dessus 
comme au-dessous de Fæil une tache d’un brun 
fauve roussâtre clair. Les moustaches sont blanches. 
Les jeunes ont leur fourrure plus douce, à poils plus 
longs, colorés moins vivement; le menton et la 
gorge en entier d’un blanc paillé. Les adultes ont 
deux pieds quatre pouces, et la queue à un pied 
cinq pouces. 

Molina a mentionné sous le nom araucan de 
CHINCHIMEN un animal que Shaw a introduit dans 
le geure loutre (5), bien que la description de ce 
moine italien soit fort incomplète. On lui donne 
vingt pouces de longueur, la queue non comp:ise, 
qui en a dix, et les mers qui baignent le Chili pour 
patrie. 

Nous avons rangé dans un genre distinct (6) Ja 
LOUTRE DU Cap (7), dont on doit la connoissance à 
feu Delalande, un des marchands d'histoire natu- 
relle du Muséum. L'animal type est une loutre par 
la forme générale du corps, la coupe des oreilles, les 
contours du muffle, mais ses extrémités grosses et 
courtes sont à peine palmées en arrière et nulle- 
ment en devant. De plus, les deuxième et troisième 
doigts, bien plus longs que les autres, sont soudés 
ensemble jusqu’à la troisième articulation, et toutes 


() Zutra leptonyx, Zool. Research. Fusca nitore 
fulvo ; qulà sordide flavescente ; cauda corpore dimi- 
dio breviore ; unquibus brevibus obtusis sub lamina- 
ribus. 

(2) C’est la lutra barang de Temminck. 

@) Lutra cinerea, Illiger; L. perspicillata, Isid. 
Geoff. St.-Hilaire ; Diet. classiq., t. IX. 

(4) Lutranair, Fr. Cuv., loc. cit. 

(5) Lutra felina , Shaw ; cauda corporis dimidii lon- 
gitudine ; dentes molares ;—* primores =, ungues fal- 
culares ; palama pilosa , feroxæ, rugit. 

(6) Aonyz, Less , Man. 

(:) Lutra inunguis, Fr, Cuy.;5 Aonyx Delalandi, 
Less., Man., p. 197. 


49 


386 


les extrémités des phalanges sont dépourvues d’on- 
gles, les deuxième et troisième doigts de l'arrière 
exceptés. Ceux-ci présentent une lame cornée demi- 
circulaire, au milieu de laquelle s’élève un tuber- 
cule épais et arrondi. Cette anomalie paroit con- 
stante et s'être présentée sur tous les sujets examinés 
par M. Delalande, aussi bon observateur que col- 
lecteur infatigable. Le pelage de cette loutre du 
Cap est doux, épais, d’un brun châtain plus foncé 
sur la croupe, les membres et la queue, plus clair 
sur les flancs, et gris brunâtre sur la tête, puis 
blanc presque pur sur le ventre. La taille est pour 


le corps de deux pieds dix pouces, pour la queue. 


d'un pied huit pouces : elle habite les étangs salés 
non loin de la mer, au Cap même, et se nourrit 
de crustacés et de poissons. Sa retraite habituelle 
se trouve être les joncs et les broussailles qui gar- 
nissent les bords des marécages. 

La LOUTRE DE MER (1) est le type d’une petite tribu 
nommée ENYDRIS par le docteur Fleming. On en 
distingue la loutre grêle (?) de Pennant, bien que 
l'une et l’autre nous paraissent appartenir à une 
seule espèce (#) décrite et figurée par Cook, et dont 
la description dans Buffon se trouve mêlée avec 
l’histoire de la saricovienne , être mixte, reposant 
ainsi sur ce que nous a laissé Steller de la loutre de 
mer, et sur ce que dit Maregrave de la loutre du 
Brésil ou cariguebeya. La loutre de mer est deux 
lois plus grande que l’espèce commune. Sa queue 
p’a que le quart de la longueur totale du corps qui 
est fort allongé. Les pieds de derrière sont courts, 
son pelage noirâtre à éclat de velours, et la tête est 
assez habituellement blanchâtre. La mâchoire in- 
féricure n’a que quatre incisives. Cette loutre est 
singulièrement estimée par la beauté de sa fourrure, 
sa valeur, et la recherche qu’en font les Européens 
qui vont sur la côte N.-0. d'Amérique en faire la 
traite. Ces fourrures sont vendues ensuite chez les 
Asiatiques du nord, tels que les Chinois et les Ja- 
ponais; car elles sont chez eux l’objet d’un goût 
universel en parures de luxe pour les hommes et les 
femmes. 


LES CHIENS. 
Canis, L. 


Les nombreuses races de chiens répandues sur 
toute la surface de la terre, et qui comptent un 
grand nombre d'espèces qui se rattachent à l’homme 
par les liens d’une véritable amitié, se sont beau- 


() Enydris stelleri, nigra, capite cano ; qulä albà; 
auriculis erectis pilosis. 

(2) Lutra gracilis, Shaw; Flender oiter, Pennant, 

4) Mustela lutris, L. 


HISTOIRE NATURELLE 


coup enrichies par les découvertes des voyageurs, 
principalement dans les vingt années qui viennent 
de s’écouler. 

M. Seringe, professeur à Lyon, a présenté à la 
Société linnéenne de cette ville un mémoire sur le 
résultat de l’accouplement d’un chien et d’un cha- 
cal. Comme les cas reconnus d’hybridité, parmi les 
animaux, sont rares, il nous à paru intéressant de 
rapporter les observations de cet auteur (!). 

« Le chacal, aussi nommé loup doré, chien doré 
(canis aureus, L.), semble établir le passage des 
chiens aux renards. Il habite plusieurs contrées 
chaudes du globe. Quoique cet animal ne soit que 
de la taille du renard , avec lequel il a plus d’affi- 
nité qu'avec le chien, principalement par la force de 
sa tête , l’aspect et la position de sa queue, par son 
cri, ses mœurs etc., il n’en est pas moins à craindre 
par ses goûts carnassiers. Il joint à la férocité du 
loup l’astuce du renard. Sa voix consiste en une es- 
pèce de hurlement mêlé de gémissement. Il est sus- 
ceptible de se familiariser jusqu’à un certain degré. 
Les rapports d’organisation et de mœurs ont fait 
penser à quelques naturalistes que le chacal étoit un 
chien sauvage qui, par la servitude, avoit produit 
ce nombre considérable de races et de variétés que 
nous connoissons. Ce qui sembleroit légitimer cette 
manière de voir, ce seroit que les chiens échappés 
à la servitude n’aboient plus, et que ceux que nous 
élevons ont cette faculté d'autant plus développée, 
qu’ils sont plus impressionnés de domesticité. 

» Un soldat, venant d'Alger, avoit apporté à 
Lyon une jeune chacale qui n’avoit qu’un mois et 
demi. Un serrurier du faubourg de Bresse l’acheta, 
et la laissa d’abord libre dans sa boutique. Avec 
l’âge cet animal se fit craindre, non seulement de 
l’homme, mais encore des chiens du voisinage. Ils la 
fuyoient, quoiqu’ils fussent bien plus forts et plus 
gros qu’elle. Elle mordit diverses personnes ; et le 
propriétaire, ayant éprouvé plusieurs désagréments 
de ce genre, se vit forcé de l’enchainer. 

» Cet animal, méchant même avec son maître, 
a cependant été en partie dompté par lui, au point 
d’être devenu presque aussi obéissant qu’un chien : il 
lui donne la patte; se roule à terre, et joue très fa- 
milièrement avec lui; cependant il reste toujours 
enchainé, et le serrurier est souvent contraint à se 
servir de la menace. Les ouvriers de la boutique ont 
toujours grand soin de passer assez loin de lui, dans 
la crainte d’en être atteints. Cet animal, toujours 
inquiet, répand uue très forte odeur. 

» Ce fut avec surprise que, la troisième année, 
l’on vit un petit chien-loup blanc s’accoupler avec 
cette chacale. Ils présentèrent dans leur accouple- 


(:) Bibliothèque universelle de Genève, août 1835, 
p. 438, 


DES MAMMIFERES, 


ment absolument les mêmes circonstances que les 
chiens entre eux. Soixante jours après , elle mit bas 
trois petits qui ressembloient assez aux très jeunes 
chiens : leur queue, courte, se termine insensible- 
ment en pointe, sans offrir de poils longs et écartés; 
ils présentoient un mois après leur naissance, 
comme leur mère, deux espèces de poils : les uns 
courts, nombreux, fins, mous; les autres beaucoup 
plus longs, roides et divergents. Leur regard a quel- 
que chose de faux; l’un est mâle, complétement 
noir, avec les maxillairessupérieurs un peu saillants; 
il offre les deux espèces de poils peu distinctes. Le 
second étoit une femelle; elle avoit le museau 
pointu, le pelage roux, composé des deux espèces 
de poils déjà indiquées. Elle avoit été donnée à 
M. Gasparin , mais elle est morte accidentellement. 
Le troisième enfin, que la mère allaitoit encore, 
ressembloit assez au précédent; cependant il étoit 
plus foncé, d’un brun noirâtre; son museau étoit 
plus pointu. 

» Ces jeunes animaux étoient très vifs; leur cri 
approchoit de celui de leur mère, plutôt que de ce- 
Jui du chien ; leurs pattes étoient étroites, souples et 
non larges comme celles des chiens; leurs ongles 
ont aussi paru moins forts; d’ailleurs ils badinoient 
à la manière des jeunes chiens. 

» Un seul des trois jeunes métis de chacale et 
de chien-loup qui existoient, reste actuellement. 
M; Joanon-Navier, maire de Cuire, le possède. 
Quoique petit, il est craint de tous les chiens du 
voisinage : il a des goûts très voraces. M. Joanon 
s’est vu forcé de le tenir à l’attache, car il tuoit tous 
les canards et poulets du voisinage; il ne les mange 
pas à la manière des chiens, il les avale tout entiers 
s'ils ne sont pas trop gros. D'ailleurs, il est cares- 
sant pour ses maîtres, mais de mauvaise garde. Il 
aboie fort rarement, et gratte la terre à la manière 
des bêtes sauvages. Il est d’une grande agilité, 
saute le long des murs à une grande élévation. Le 
second de ses frères est mort de cette manière. En 
juillet 4855, M. Joanon tenoit constamment à la 
chaîne ce jeune métis, qui avoit été mordu par un 
chien que l’on supposoit être enragé. Cette gêne con- 
tinuelle le rendoit sombre. 

» Cet animal change fréquemment de pelage; il 
avoit dernièrement des poils ras assez courts; ceux 
des cuisses étoient très longs, tachetés en travers, ce 
qui leur donne un aspect ondulé. Sa queue est lon- 
gue et à poils assez étalés ; ses oreilles ressemblent 
beaucoup à celles du chien-loup, elles ont la con- 
que fortement dressée, ferme et dirigée en avant. 
Le museau est garni de moustaches noires, formées 
de poils assez nombreux et roides ; ses soureils sont 
proéminents; ses yeux dénotent la méfiance et la 
férocité. » 

Les variétés que l’on peut regarder comme appar- 


t 


387 
tenant au chien domestique sont : le bINGO ( canis 
austra'asiæ, Desm.) à pelage fauve , à queue touf- 
fue , et qui suit, aux alentours du port Jackson, les 
misérables tribus de nègres de l'Australie. LE CHIEN 
DE L'HYMALAYA, ayant deux taches noirâtres aux 
oreilles, que les Boteaniens nomment wha, par 
analogie avec son cri. Le chien sauvage de SumaTRA 
(canis Sumatrensis ) (1), roux ferrugineux ; sir 
Raflles le décrit en ces termes : « J'amenai au Ben- 
gale, en 1818, un de ces animaux vivant; il mou- 
rut bientôt après, et sa dépouille, conservée, fut 
envoyée à M. Henry Colebrooke, en Angleterre, 
et se trouve déposée dans le cabinet du docteur 
Wallich. Il est très commun dans les forêts de l’in- 
térieur, où l’on dit qu’il se réunit en troupes pour 
chasser. 

» Il est d’une petite taille, de couleur rouge bru- 
nâtre, plus claire en dessous, sa queue ressemblant 
assez à celle du renard; sa tête est allongée, son 
corps est mince, ses oreilles courtes et droites; il est 
sauvage et indomptable, et paroît ressembler beau- 
coup au chien d’Australasie ou dingo. » 

Le Qquao (C. quo, Hardw.), voisin du précédent, 
mais qu’on ne rencontre que dans les montagnes de 
Ramglur sur le continent indien. LE CHIEN de la 
Nouvelle-Irlande (canis Novæ Hyberniæ) (?), que 
les naturels nomment poull, a le pelage brun fauve 
ras, et les membres grêles, et les oréilles droites. Sa 
chair est estimée des peuplades noires dont il est le 
commensal, bien qu’il se nourrisse de crâbes, de 
mollusques et de débris de toutes sortes rejetés par 
les flots. Le chien de Java (5), fauve, à dos, jambes 


et queue noirs, est très peu connu, et semble se rap- 


procher da loup. 

M. Sykes (4) a fait connoître trois espèces de canis 
du pays des Mahrates. La première, LE KOLSUN(canis 
dukunensis, Syk.) est roux, à teinte plus claire sous 
le corps; il diffère du quao de Sumatra, d’où il se 
rapproche toutefois. La deuxième, LE LANDGAH (ca- 
nis pallipes, Syk.) est d’un roux blanchâtre sale, 
tacheté sur le dos de noir et de ferrugineux. Les 
pieds sont de cette dernière couleur. C’est le repré- 
sentant de notre loup dans l'Inde. La troisième est 
LE KOKRÉE (C. kokrt, Syk.) gris roussâtre en dessus, 
blanc sale en dessous, et qui rappelle par son aspect 
le renard d'Europe, ou le corsac, dont elle a les 
formes extérieures. 

M. Hodgson parle d’une sorte de renard intermé- 
diare au jackal et au renard indien, qu’il nomme 
canis primævus (°) et que les habitants du Nepaul 


(‘) Hardwiche, Wild dog of Sumatra, Trans, soc, 
Linn., &. XII, p. 235. 

(2) Lesson, Zool. delaCoq,t.I,p. 123. 

() Canis javanicus, Fr. Cuv, Dict. tt. VIT, p. 557. 

(4 Procced,,t. 1, p. 100 (1831), 

(5) Ibid., 1833, t. LI, p. 3. 


388 


appellent bucnsu. Ses creilles sont droites, son pe- 
Jage roux en dessus, jaunâtre en dessous, et sa 
queue est tiès touffue. C’est un animal qui chasse 
pendant la nuit, et qui, pris jeune, n'est pas insen- 
sible aux caresses. 


LE RENARD DE L’'HIMALAYA (1). 


Cet animal, dont M. Ogilby a pu recueillir trois 
peaux, dont deux avec fourrure d'été, appartenant 
à la Société zoologique de Londres, et l’autre, avec la 
fourrure d'hiver, envoyée de Mussouri par M. Royle, 
paroît être rare dans le Nepal, puisque M. Hodgson 
n’a jamais pu parvenir à s’en procurer un individu. 
1 n’est pas cependant inconnu dans le Doun, à Ku- 
maon ct dans les parties orientales et élevées de ces 
montagnes, où il est appelé renard de montagne 
par les Européens ; l’éclat et la variété des couleurs 
de sa robe le font très rechercher. Sa longueur to- 
tale, jusqu’à l’origine de la queue, est de deux pieds 
six pouces; celle de la queue, d’un pied six pouces ; 
celle des oreilles, de quatre pouces; et sa hauteur, 
d’un pied quatre à cinq pouces. Il se rapproche des 
renards européens par les taches noires qu’il porte 
sur la partie interne et convexe des oreilles, et en 
avant des jambes antérieures et postérieures, la peau 
est couverte d’une longue et riche fourrure aussi fine 
que celle des plus bélles variétés d'Amérique, mais 
infiniment plus riche et plus brillante; elle se com- 
pose de deux sortes de poils; l’un, intérieur, d’une 
texture cotonneuse très fine; l’autre, extérieur, de 
rature longue, soyeuse, très flexible, semblable à 
la fourrure de la marte, douce et moelleuse dans 
toutes les directions; la fourrure intérieure est d un 
bleu enfumé et de couleur brune, le long du dos; il 
en est de même de la fourrure soyeuse extérieure 
qui, jusqu’à la queue, est de la même texture douce 
et cotonneuse que la fourrure intérieure : là, elle 
prend un caractère soyeux un peu plus dur; elle est 
entourée d’un large anneau jaune blancaâtre, et se 
termine par une longue pointe d’an bai foncé. La 
surface de la tête, du cou, du dos, est d’un rouge 
foncé, brillant et sans mélange. Sur les parties la- 
térales du cou, sur la gorge, les côtés et les flancs, 
la nuance bleue devient légèrement enfumée sur les 
dernières parties; le poil extérieur des hancues et 
des cuisses est teint de gris au lieu de rouge, couleur 
qui prédomine sur toutes les parties supérieures des 
deux individus appartenant à la Société, dans les- 
quels la fourrure est, en outre, plus courte, plus 
dure, et à couleurs moins brillantes et moins variées 


(:) Ggilby, Revue brilannique, no 20, p, 369, août 
1837. 


HISTOIRE NATURELLE 


que dans la variété de M. Royle. Les couleurs exté- 
rieures de ces renards sont done le bai brillant sur 
le dos, le rouge jaunâtre sur les côtés du corps, le 
blanc sur la gorge, l'estomac et le ventre; les oreilles 
sont assez grandes et elliptiques, leur surface ex- 
terne est blanche; une bande de la même couleur 
descend sur la partie extérieure des jambes anté- 
rieures et postérieures; la plante des pieds est re- 
couverte d’un poil dense d’un brun jaunâtre, à l’ex- 
ception des tubercules qui sont nus; le pinceau de 
la queue est bien fourni et régulier; il conserve la 
même couleur que celle du corps sur la plus grande 
partie de sa longueur, etilest terminé par une grande 
pointe blanche: 

Eschschol(z (!) a figuré un loup de la Californie, 
nommé CAJOTE par les habitants (lupus ochropus), 
d’un fauve ocreux, à poils du corps fauves à leur 
base, ferrugineux à leur milieu, noirs au sommet ; 
les pieds de devant d’un jaune ocreux franc, marqués 
d’une ligne noire. Ce loup, voisin des C. latrans, 
nubilus et mexicanus, en est bien distinct suivant 
notre auteur. Le loup du Mexique (lupus Merica- 
nus, L.), anciennement connu, est gris-roussâtre 
avec du noirâtre, a le tour du museau, le dessous 
du corps et les pieds blanchâtres. Le cajote n’en est 
probablement qu’une variété. On en distingue tou- 
tefois l’AGOURAGTAZOU ou loup rouge d'Amérique 
(canis jubatus , Cuv.), d’un roux cannelle brillant, 
ayant une courte crinière noire le long de l’épine 
dorsale , et qui vit dans les pampas de la république 
argentine. 

L’AcouarACHAY ou renard gris du Paraguay est le 
cachorro do malo où raposa des Brésiliens (?). IL 
habite les forêts de la Plata et du Brésil, où il chasse 
aux lapins. Son pelage est jaune cendré, ayant du 
noirâtre sur les parties supérieures, et une bande 
noire sur les pieds de devant. La queue est terminée 
par un flocon blanc. 

M. F. Cuvier distingue du chacal (canis aureus, 
L.), que Buffon a décrit sous trois types en parlant 
du c'aral, de l’adive et du petit chacal, un animal 
très voisin qui vit au Sénégal , et qu’il nomme canis 
anthus (2). Son pelage est gris, avec quelques macu- 
latures jaunâtres en dessus, blanchâtres en dessous ; 
la queue fauve, marquée d’une ligne noire longitu- 
dinale à sa base, et terminée de noir. Erxleben 
avoit déjà distingué le chacal du Cap (canis meso- 
melas), à flancs roux, à poitrine et ventre blancs, 
ayant le dos marqué d’une plaque triangulaire gris- 
noirâtre. Le karagan (canis karagan) de Pallas, dont 
les marchands d'Orembourg apportent les fourrures 
en Russie, est fort peu connu. 


(") Zool. atlas, 1829, pl. 11. 
2) Canis brasiliensis, Schinz ; canis azaræ, Wied. 
(} Ruppell, Mammif., pl. 17. 


DES MAMMIFÈRES. 


Richardson (i) a donné de précieux détails sur les 
espèces de loups, de chiens et de renards du nord 
du continent américain. Il rapproche de notre loup 
d'Europe l’animal qu’il décrit sous le nom de canis 
lupus occidentalis (?), et il en distingue comme va- 
riétés : l’AMAROK des Esquimaux, qu’il nomme :u- 
pus griseus, couvert de longs poils gris et noirs; 
le loup blanc ({upus albus) en pelage d’hiver ; le 
lupus slicte des rives de la Mackensie; le c :nis nu- 
bilus de Say, qui exhale une odeur forte et dés- 
agréable, et dont le pelage est pommelé; le loup 
noir {lupus ater) décris par M. Harlan sous le nom 
de canis lycaon. Toutes ses variétés se rencontrent 
dans les plaines du Missouri, et au pied des mon- 
tagnes rocheuses. 

Une espèce indélébile décrite par Say est le loup 
de prairie (canis la‘rans); son pelage est gris cen- 
dré, varié de noir et de fauve. Il vit en troupes dans 
les plaines de Missouri, chassant les daims, et ne 
dédaignant pas même les fruits quand il est pressé 
par la faim. Les Indiens l'appellent ineesteh-chag- 
goneesk. 

Les variétés du chien domestique qui vivent dans 
les régions arctiques boréales, et mentionnées par 
M. Richarson, sont : le chien des Esquimaux (-œnts 
fan: liaris borea'is, Desm.)(3). La figure donnée 
sous ce nom par M. K. Cuvier paroît avoir été faite 
sur un métis sorti d’un vrai chien des Esquimaux 
et d’une chienne de Terre-Neuve. Le ‘agopus, élevé 
par domesticité par les Indiens qui fréquentent les 
rives de la Makensie et les bords du lac du Grand- 
Ours; le chien du Canada (canis ranadensés), le com- 
pagnon des diverses peuplades américaines, paroi 
être la race la plus étendue sur les terres septen- 
trionales du Nouveau Monde. Les sauvages Creks 
lappellent altim, les Slouaccousses oualts, les In 
diens des Chutes hudther, les Sarcis hey, ls Alzon- 
quins animous , les Stones shong . les Pieds-Noirs 
ametou, et les Chippewais thing. M. Richardson 
en sépare le chien de la Nouvelle-Calédonie (canès, 
var. Noræ Caletoniæ), dont les poils sont tachetés. 
Parmi les renards, le même auteur distingue le canis 
(vulpes) lagopus de Linné, le peszi des Russes, le 
terienniak des Groenlendais, et le ferriani-ariou 
des Esquimaux de la presqu’ile Melville. Son pelage 
d'hiver est d’un blanc pur, et ce qui le sépare des 
autres renards, entre autres du renard rouge, est Ja 
brièveté de ses oreilles, dont la coupe est arrondie. 
Une des variétés les plus remarquables du renard arc- 
tique est le renard bleu (canis fuliginosus, Shaw), 
à pelage noir ou brunâtre dans toutes les saisons. 
On distingue encore le renard rouge des plaines (ca- 


(*) Fauna Boreala-amer., p. 60 et suiv. 
) Wilson, Ilust. of Zool., pl. 29. 
(3 Zool. Jour, t. NH, pl. 4. (Bonne figure.) 


a , 
oo, 


389 


nis fulrus, Desm.) des régions boisées de l’Améri- 
que, qui se rapproche singulièrement de l'espèce 
d'Europe; le belodusrhli des Russes (canis decussa- 
tus, Geoff.), ou le renard barré ou tsinantontonque, 
décrit par Sagard Théodat, dans son Histoire du 
Canada (!). Le renard argenté (canis fulvux, argen- 
tatus, Desm.), ou le tschernoburi des Russes, à 
pelage d’été noir, à pelage d'hiver blane de neige. 
Le renard gris (?) (canis virgnianus. Gm.) a les 
poils d’une teinte grisâtre, et ses caractères sont peu 
tranchés. Enfin, MM. Say et Harlan (3) décrivent 
un renard véloce (canis veloxæ, Sas), qui diffère du 
corsac par sa tête brune ferrugineuse, mélangée de 
grisàtre, et son pelage fauve, et qui, comme lui, vit 
dans les terriers souterrains qu’il se creuse dans les 
prairies dégarnies. 

On se rappel'e que Christophe Colomb, dans une 
lettre au docteur Chanca (2° Voyage), s’exprimait 
ainsi : « On n’a jamais vu dans ces iles de aquadru- 
» pèdes, excepté quelqnes chiens de toutes couleurs, 
» comme dans votre patrie. Leur espèce ressemble 
» à celle de nos gros carlins. » Or, ce passage formel 
et peu connu ne permet plus de croire que Colomb 
n'ait eu en vue que des carlins, et nous ignorons quel 
degré d’exactitude on doit reconnoître à la figure du 
chien sauvage d'Amérique, gravée dans l'Encyclo- 
pédie (pl. 144, fig. 1), ou à celle qu'on trouve dans 
un neptune de 1:65, avec ces mots : canis lepora- 
rius ex Indis occidentalibus (Gades, 1364), et 
représentant une sorte de lévrier. 

De toutes les contrées, l'Afrique semble être la 
plus riche en renards. Au corsac ou adive, au mé- 
somêl- du Cap, viennent s’adjoindre plusieurs es- 
pèces distinctes, rapportées par les voyageurs Rup- 
peil et Delalande, de la Nubie, de l’Abyssinie et du 
cap de Bonne Espérance. La preraière est l’abuhos- 
sein de Nubie(), ayant les plus grands rapports 
avec le corsac (5), dont elle ne semble être qu’une 
légère modification de localité. La deuxième, le sa- 
bora des Arabes, ou renard d'Egypte (©), à lèvres 
blanches, fauve en dessus, gris en dessous, la queue 
terminée par un flocon blanc. La troisième est le re- 
nard tacheté 7), à queue médiocre, à pelage fauve 
tacheté de noir, et qu’on rencontre en Nubie aussi 
bien qu’en Egypte. Nous ignorons quels sont les 
canis riparius et pygmæus que MM. Hemprick et 
Ebremberg disent être voisins du zerdo ou zerda. 

Mais c'est à l’Afrique qu'appartient exclusivement 
la petite tribu des renards à grandes oreilles : les me- 

() P. 745. 

(2) Canis cinereo argenteus, Say, Longs exp,, I, 340. 
(3) Fauna am. , p. 91. 

(£) Canis pallidus, Cretzm., pl. 2, p. 33. 

(5) Canis corsac, Gm. 

(6) Canis niloticus, Geoff., Ruppell, pl. 45, p 41. 


/ 


(7) Canis variegatus , Crelzm., pl. 10, p. 31. 


390 


galotis d’Illiger, remarquables, en effet, par la lon- 
gueur peu ordinaire de leurs conques auriculaires, 
et la rigidité des soies qui forment leurs moustaches. 
L'espèce typique (!) a été rapportée du cap de Bonne- 
Espérance par le voyageur Delalande. C’est un ani- 
mal moins fort de taille que notre renard, mais plus 
haut sur jambes, gris jaunâtre en dessus, blanchä- 
tre en dessous, ayant une ligne noire sur la queue 
qui est fort touffue. 

La seconde est le famel(?) jaune grisâtre en des- 
sus, jaune blanchâtre en dessous, avec une ligne 
marron sur le dos et la tête, couleur d’ocre, que le 
voyageur Ruppell a découverte dans le Kordofan. 

La troisième, et la plus célèbre de toutes, est le 
zerdo ou zerda de Sparmann, le fennec de Bruce, 
et l'animal a:onyme de Buffon, sur laquelle tant de 
divigations ont été écrites dans ces derniers temps (*). 
M. Leuckart, dans l’Isis, publia le premier une des- 
cription du fennec, suflisante pour faire apprécier 
cet animal ; et Cretzmar, dans le Voyage de Ruppell, 
et Vigors, dans celui de Denham, en firent graver 
de nouveaux portraits. Le fennec est donc aujour- 
d’hui dénué des prestiges dont de vagues et incom- 
plètes notions l’entourèrent pendant long-temps. 
C'est tout simplement un renard en miniature, re- 
marquable par ses longs poils laineux, abondants, 
blond pâle et blanc satiné, passant au jaune paille ; 
ses membres grêles, son museau eflilé : il se creuse 
des terriers dans les sables de la Nubie(‘). Le genre 
fennecus des auteurs doit ainsi disparoitre de nos ca- 
talogues systématiques. 


Sir William Yarrel a fourni sur son ostéologie de 
bons détails. Ainsi s'exprime ce savant : 


« Dans la description du fennec, qui a paru der- 
nièrement dans l’appendice du Voyage en Afrique du 
colonel Denham, nous avons eu à regretter que l’on 
n'ait pu décider de l’aflinité immédiate de cet ani- 
mal avec les chiens, par suite de l'impossibilité où 
l’on se trouve d'étudier la dentition d’un individu 
adulte. Nous étions loin de nous imaginer, à celte 
époque, que nous pourrions aussitôt lever les incer- 
titudes à ce sujet. Un bel individu de cet animal 
ayant été dernièrement présenté à la Société zoolo- 
gique immédiatement après sa mort, lon en retira 


(") Canis megalotis, Desm.; megalotis palandii , 
Smith. 


() Canis famelicus , Ruppell, pl. 5. 

() Bruce, pl. 28; Buffon, supp., pl. 19 ; Encycl., pl. 
108 , fig. (mauvaises figures, Loutes copiées de celle 
de Bruce ); Ruppell, pl. 2 (médiocre figure); Derham, 
atlas, pl. 10, trad. franç. (figure pas assez exacte et 
reproduite dans notre atlas, pl. 15 ). 

(5) Vulpes minimus saarensis,Skiold., 1777 ; serda, 
Sparm. ; viverra aurita, Blumenb.; megalotis zerdo, 
1llig.; Observations sur l’ostéologie du fennec, par 
W. Jarrell, Zool. journ., t, HE , pl, 401 et 453. 


HISTOIRE NATURELLE 


un squelette complet et une peau en fort bon état. 
Le squelette étudié par M. Yarrel ne laisse pas le 
moindre doute sur la place que le fennec doit avoir 
parmi les chiens, et tous les naturalistes sont au- 
jourd’hui unanimement d’accord à ce sujet. 

» Les dents du fennec s'accordent en tout point 
avec les caractères des dents des espèces du genre 
canis. L'animal étant jeune, les pointes sont plus 
saillantes et plus aiguës ; le sinus frontal est un peu 
moindre que la proportion générale observée dans 
cette famille, et le sommet de la tête n’a aucune 
apparence du sillon central pour l'insertion du bord 
supérieur du muscle temporal, si remarquable dans 
les canis lupus et lycaon, vulpes et lagapus. IL y 
aun plus grand développement des portions laté- 
rales des os pariétaux, ce qui forme un plus grand 
volume de cerveau; l’are zygomatique est plus com- 
primé, et la portion post-orbitaire des os formant 
l’arcade est beaucoup plus foible. 

» La tête, comparée à celles des plus parfaites 
races angloises de chiens, se rapproche beaucoup 
plus de celle du terrier, canis brilannicus des au- 
teurs, que d'aucune autre ; mais le museau est plus 
pointu dans le fennec. La forme de la mâchoire in- 
férieure et ses condyles s'accordent aussi compléte- 
ment avec les mêmes parties dans le chien. 

» La têt- du fennec présente cependant une autre 
particularité qu’il ne faut pas omettre ; les méats au- 
ditifs, dans ce petit animal, sont plus grands que ces 
mêmes parties dans notre renard commun, quoique 
le fennec soit de deux tiers moins grand que le re- 
nard. La conque extérieure est aussi plus grande en 
proportion que ces méats, et, jegeant par analogie, 
il est probable que le fennec possède le sens de l’ouïe 
d’une manière bien plus étendue que la plupart des 
autres quadrupèdes. 

» Pour rendre ceci plus évident, quelque expli- 
cation peut encore être nécessaire. Les organes les 
plus parfaits de l’ouïe doivent être considérés comme 
composés de trois portions , et chacune d'elles con- 
tient plusieurs parties séparées. 

» La première, extérieure, consiste dans la con- 
que, le canal et la membrane du tympan; la troi- 
sième, intérieure, contient le vestibule, les canaux 
semi-cireulaires, le limacon , etc. La seconde partie, 
intermédiaire par sa place, et réunissant la première 
et la troisième portion, consiste dans les os auditifs, 
série de quatre os très petits et d’une belle forme, 
qui, par leur puissance de communication, trans- 
mettent l'impression extérieure reçue sur la mem- 
brane du tympan aux labyrinthes intérieurs occupés 
par les portions des nerfs auditifs. | 

» En général, dans les quadrupèdes, les cellules 
auditives sont agrandies quand la conque extérieure 
est petite, ef vice versä, ainsi que le montre le crâne 
de la belette, comparé à ceux des lièvres et des la- 


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DES MAMMIFÈRES. 


pins. Les os auditifs sont beaucoup plus grands et 
plus parfaitement déterminés dans leurs formes dans 
notre écureuil commun (sciurus vulqgaiis), que dans 
le lièvre (leyus timidus), nonobstant la dispropor- 
tion de taille de ces deux animaux. La faculté de re- 
cueillir les sons ou les vibrations sonores, dépendant 
de la forme et de l'amplitude de la conque, semble 
expliquer cette circonstance d’une manière satisfai- 
sante : cette petite portion extérieure dans l’écureuil 
demandant une construction interne et une commu- 
nication plus parfaite. 

» Ayant établi que les cellules auditives, dans le 
fennec, sont plus grandes que celles de notre renard 
commun, les os auditifs aussi grands en proportion 
et également parfaits dans leur forme, et la conque 

-extérieure d’une grande dimension, telle qu’on peut 
_ Ja voir dans l'échantillon de cet animal, déposé au 
musée de la Société zoologique, et qui a été soumis 
à mon examen, on peut conclure que son ouïe est 
extrêmement étendue, par le développement extra- 
ordinaire de chaque organe en particulier. 

» Le squelette du fennec ressemble si exactement 
à celui du chien, qu’il est inutile d’en faire la des- 
cription; et il y à aussi ce point de ressemblance : 
c’est que la pupille de l’œil est circulaire. » 

Près des chiens vient se placer un nouveau genre, 
celui des CYNHYOENES (1), destiné à recevoir l’animal 
décrit pour la première fois par M. Temminck, et 
qu’il nomma hyène peinte (?), très bien figuré depuis 
par Ruppell, sous le nom de chien peint ($). Ce 
chien-hyène , ainsi que l’indique son nom, contracté 
du grec, a le système dentaire des chiens : quatre 
doigts seulement à chaque pied au lieu de cinq qu'ont 
ceux-ci, et le pelage bizarré des hyènes. Sa taille est 
celle du loup, mais ses formes sont plus élancées, 
et son pelage est marbré par larges plaques de noir, 
de fauve, de blanc pur et de gris. Sa queue, d’abord 
fauve, puis noire, est à moitié terminée de blanc 
neiseux. Il vit par grandes troupes qui dévastent les 
alentours de la ville du Cap, et il s’avance jusqu’en 
Arabie, où il est nommé simir. C’est la hyène chas- 
seresse de Burchell (#). 


Les cynicris forment un nouveau genre établi par 
M. Ogilby (5), qui vient se placer sur la limite des 
chiens, des civettes et des mangoustes, ainsi que l’in- 
dique son nom de cynictis, etqui présente des formes 
de transition intéressantes. Ses incisives sont au nom- 
brede:, ses canines, et ses molaires :*. Ses pieds ont 


(") Cinhyæna, Fr. Cuv., Dict. Sc. nat., t. LIX, p. 454. 

(2) Hyæna picta; Ann. des Sc. phys., 1820, t. HI, 
p- 54, pl. 35. 

(3) Canis pictus, Cretzm., pl. 42. 

(4) Hyæna venatica. 

(5) Proceed. of Zool. Soc., 4833 ,p. 49: mém.,t.1, 


premiére partie, p. 29, pl. 3: Ann. Sc. nat., 1834, 
p. 374. 


391 


cinq doigts en avant, quatre en arrière, {ous munis 
d'ongles fouisseurs recourbés et robustes; la queue 
est fort touffue et très allongée. L'espèce type a l’as- 
pect d’un petit renard, tant par la coloration que par 
les formes, et paroit avoir été indiquée par Spar- 
mann, sous le nom de meer-kat. Ce cynictis, dédié 
à M. Steedman (!), qui l’a découvert dans les envi- 
rons d’Uitenhage, sur la limite du pays de Cafres, 
où il se cache dans des terriers, a un pied six pouces 
de longueur corporelle, un pied à la queue, et le 
pelage roux, plus foncé sur le dos; les joues, les 
flancs et la queue mélangés de roux et de gris ; cette 
dernière partie terminée de blanc sale. 

Le CYNICTIS A QUEUE NOIRE (?) a été découvert à 
Sierra-Leone par le capitaine Strachan. Il diffère du 
cynictis de Steedman, et M. Ogilby suppose que 
c’est le kokeboe du vieux voyageur Bosman. Cet ani- 
mal à le pelage roux ponctué de noir, plus clair sur 
les flancs. La gorge est d’un brun jaunâtre sale, 
tandis que le dedans des membres'et le ventre sont 
d’un roux jaunâtre. La queue, qui est floconneuse à 
son sommet, est grandement terminée de brun. Sa 
taille est de onze pouces. 


LES VIVERRES. 
Viverra. L. 


Les viverres ($) forment une famille très naturelle 
divisée en plusieurs petites coupes génériques par les 
naturalistes modernes, dont les espèces sont fort 
difficiles à caractériser, tant les nuances de leur pe- 


(1) Cynictis Stecdmanni, Ogilhy. 

(2) Cynictis melanurus, Marlin, Proc., VI, 55. 

(3) M. Isidore Geofiroy Saint-Hilaire a lu à l'Académie 
des Sciences un mémoire sur l'établissemeut de deux 
nouveaux genres de mammifères carnassiers de la fa- 
miile des Viverriens, qu'il nomme Jchneumie el Ga- 
lidie. 

Le genre viverra de Linné revu par Cuvier et par 
M. Geoffroy étoit devenu parfaitement naturel, et sa 
coordination sembloit ne plus rien laisser à désirer, lors- 
qu'il y a quelques années il se composoit de quatre gen- 
res :civette, genette, mangousteet suricatte. Ces genres, 
en même lemps que faciles à distinguer, formoient un 
groupe parfaitement défini à l'égard des ursiens qniles 
précédent et des mustelliens qui les suivent, et, de plus, 
ils offraient cet avantage de former une série linéaire 
parfaite. Cependant des genres nouveaux ont élé établis; 
les uns, tels que les paradoxures, les ailures, et surtout 
les ictides, semblent combler peu à peu l'intervalle qui 


, Séparoit les viverriens des ursiens; les autres, tels que 


les genres crossarque el athylace (Vansire } de M. Fr. 
Cuvier; cryptocropte de Bennett, cynictis et mongo 
d'Ogilby, et tout récemment encore l'amblyodon, de 
M. Jourdan, s’intercalent entre les quatre genres an- 
ciennement connus, et opérent entre eux des transi- 


392 
lage ont d’analogie et leurs formes de similitude. 
Leurs membres sont tous terminés par cinq doigts 
munis d'ongles plus où moins rétractiles ; leur lan- 
gue est couverte de papilles cornées , et près de l’a- 
nus sont des glandes et une poche qui sécrètent des 
fluidés odorants. Leurs habitudes sont carnassières. 

LA première tribu à poche anale est celle des cr- 
vETTES (viverra, Cuv.), dont les deux principales 
espèces, la vraie civette et le zibeth (1), ont été dé- 
crites par Buffon. On doit à M. Horstield la con- 
noissance d’une espèce regardée comme une genetle 
par quelques auteurs , et fort voisine du zibeth, c'est 
la viverra rasse (?), grise teintée de fauve, à oreilles 
courtes, ayant huit raies très noires sur ie dos, trois 
lignes interrompues sur les flancs, et que l’on dis- 
tingue de la viverra indica(3), parce que celle-ci est 
gris-i-abelle, à oreilles longues, huit bandes noirä- 
tres sur le dos, et celles des flancs continues. La 
première habiteles forêts des Ghauts à l'occident, et 
la seconde les plateaux à l’est des mêmes montagnes. 
Pallas, Zimmermann, Screber,Shaw et Gmelin ont 
admis une &tverra hermuphrodila (f), originaire de 


tions plus ou moins intimes, en même temps qu'ils dé- 
truisent la possibilité d'une classification de lous les 
viverra en série linéaire. 

M.Is. Geoffroy en ajoute deux autres qui formerent de 
nouvelles transitions : l'un, galidie, sert à lier avec les 
mustellieus, les mongos, les genelles, el par elles tout le 
groupe des viverriens déjà lié par d'autres groupes avec 
les féliens , et surtout par d'autres encore avec les ur- 
siens ; l’autre , ichneumie, lie les mangoustes au genre 
des cyuiclis Le genre galidie comprend trois espêces 
de Madagascar, dont une imparfailement connue et 
deux entiérement nouvelles. Le genre ichneumie comple 
de méme trois espêéces, dont deux connues et l’autre 
inédite. (Hermès, no 94, p. 464.) 

(‘) Sir Raffles parle en ces termes du zibeth, que les 
Malais nomment fangalung à Sumalra : « Cet animal 
» est élevé par les naturels dans le but d'obtenir le par- 
» fum célévre qu'ils appellent jibet ou dedes, contenu 
» dans un double sac sous l'anus. Le zibeth a plus de 
» deux pieds de long, la queue est plus courte que le 
» corps et annelée. Une bande noire court le long du 
» corps. Il a piusieurs raies longitudinales derrière le 
» cou, et une large bande entoure la partie inférieure 
» de la gorge. Les flancs sont tachetés, et les taches 
» deviennent ondulées sur les membres.Le poilest court 
» etépais Les naturels en distinguent une variété plus 
» petite sous le nom de tan-galung padi.» 

(2) Hors. Zooi. Research.; Sykes, proc, IT, 23 ; et v. 
Hamilt. 

(3) Geoff, St.-Hil. 

() Cette viverre hermaphrodile a été pour le docteur 
Otto l'objet d'un mémoire lu à l’Académie impériale 
Léopoldine-Caroline des curieux de la nature. Les diffé- 


rences que présente cel animal avec les vraies viverres. 


sont assez tranchées, bien qu'il soit trés voisin des ic- 
tides par ses attributs les plus extérieurs ; il doit, sui- 
vant le zoologiste aliemand, être rangé à part dans un 
sous-genre qu'il appelle platyschista , en dédiant l'es- 
péce à Pallas, et la pommauyt platyschista Pallasii, 


HISTOIRE NATURELLE 


Borbarie, et très voisine du zibeth, à pelage noir 
cendré, moins foncé sur les parties inférieures, 
n'ayant sur le dos que trois raeis noires. M. Gray (!) 
y ajoute les viveira undulata, tangalunga et pa'- 
lida, qui nous sont inconnues. Il regarde comme 
une civette la vèverra linsang (?) d'Hardwicke, ou 
Felis gracilis d Horsfield. 

La seconde tribu est celle des GENETTES à simple 


() Spic. Zocl., pl. 8. 

\) M Jourdan, directeur du Musée de Lyon, a pre- 
senté à l’Académie des Sciences la figure el la descrip- 
tion de deux espèces nouvelles de mammiières de l’Inde, 
qu'il désigne, l’une sous le nam d'hémigale zébré, 
l'autre sous celui d amblyodon doré, et qui se rappro- 
chent beaucoup des paradoxures, 

L'hémigale zébré lie les genvttes aux paradoxures 
par les pieds semi-plantigrades, son museau effilé , 5e 
fausses molaires minces, tranchantes et dentelées; les 
vraies molaires formant presque un carré allongé, et 
couronnées cependant de petits tubercules aigus. 

L'amblycdon doré se rapproche des ictides par le 
développement considérable des organes de l'olfaction, 
et des blaireaux par ses incisives et ses canines. I est 
plus plantigrade que les paradoxures dont il a d'ailleurs 
la plupart des caractères. 

L'amblyodon est un carnassier omnivorc, l’hémi- 
gale est à la fois insectivore et fragivore. Celui-ci a la 
tête cffilée, le museau fendu, les orcilles droites. Ja 
queue non susceplible de se lordre comme celle des 
paradoxures ; les orteils sont entourés de poils à leur 
base, les ongles demi-rétractiles; la plante des picds 
postérieurs est nue. Le poil est assez court, lisse, et 
rappelle celui des grands félis; le fond de la robe est 
blanc fauve: les zébrures sont formées par de larges 
bandes brunâtres disposées longiludinalement sur le 
cou et transversalement sur le corps. La longueur de 
l'anima!, depuis la pointe du museaujusqu'à la naissance 
de la queue, est de 50 centimétres ; celle de la queue, 
de 36 centimètres. 

L'amblyodon doré a des formes encore plus lourdes 
que celles des paradoxures : la tête est moins effilée ; 
les oreilles sont plus courtes; les poils sont anrelés et 
assez longs.Les parties supérieures dutronc,ses côtés, les 
régions externes des membres et l'origine de la queue 
sont d’un roux doré teinté de bran, et d'autant plus 
qu’on s'approche davantage dela ligne moyenne da dos. 
La poitrine et l'abdomen sont d’un blanc fauve terreux; 
les pattes sont brunes; le dessus du museau et le front 
sont d'un blanc brusâtre; les côtés du museau et le 
pourtour des yeux bruns; les joues, la mâchoire et le 
devant du cou d’un jaunc terreux; l'occiput et le haut 
du cou noirâtres, ainsi que la plus grande partie de la 
queue, qui cependant se termine par unfloconblanc.Sa 
longueur, de la pointe dumuseau à l’extrémitédela queue, 
est de 4 métre 15 centimétres, dont la queue forme 
prés de la moilié, ayant à elle seule 51 centimétres. 

M. Jourdan pense qu'on pourroit réunir aux deux 
genres hémigale et amblyodon, les civettes, les ge- 
pvettes et les paradoxures, pour en faire une petite famille 
qui auroit plusieurs caractères communs, entre autres 
celui des angles à demi rétractiles, Elle offriroit ces 
genres dans l'ordre suivant: civelte, genelte, hémigale, 
paradoxures, amblyodon, 


EE 
ANS 


7 Ge nelle sang, Viverra lisané Horde. 


_ PARC à TP. , « . ( 
ae 0 hien daut'age de umatra , Cams Sumatrensis, 


c 


luble par l’ourratÆ à laru 


; 
; 


DES MAMMIFERES. 


1 à 


fente périnéale( g netta , Cuv.) (1), et on doit y rap- 
porter les animaux décrits par Buffon sous le nom 
de genette (?), genette du cap de Bonne-E pérance, 
Bizaam, pour la genette commune, cé etterore 
dont la civette de France est une espèce différente 
de type, aujourd'hui du genre paradoxure(#), la 
fossane et le putois rayé de l'Inde (fj. La civette 
de Malaca de Sonnerat est pour Thanberg la viverra 
felina(5), comme le chat bizaum de Vosmaer est la 
civerra ligrina de Screber. Cette viverre féiine (6) 
se tient de préfésencesur les plages du cap de Bonne- 
Espérance. Une ligne noire suit la ligne longitudi- 
nale du dos. Sous les veux règne une tache blanche, 
mais la tête et la gorge sont d’un noir grisâtre, tan- 
dis que les autres parties sont noires. Or, ces deux 
espèces nous paroissent être é idemment des genet- 
tes communes. Quelques espèces ont été admises ou 
décrites sous divers noms; ce sont : 4° la genette du 
Sénéyal (viverra senegalensis, F. Cuv.), à pelige 
bianc légèrement lavé de jaunätre , la queue blanche 
au bout, avant de dix à douze anneaux noirs ; 2° la 


(j M. Jourdan avoit présenté un mémoire deseriplif 


sur deux mammiféres carnassiers voisins des viverra 
plantigrades, dont il faisoit deux genres nouveaux sous 
les soms d'Amblyodon et de Hémigale. M de Blain- 
ville a fait sur ce mémoire ur rapport trés savant dans 
lequel , Lout en reconnoissant que ces deux animaux 
présentent des caractéres distinels et assez intéres- 
sauts, il pense que ces caractères ne sont pas suffisants 
pour déterminer l'établissement de deux genres séparés 
des viverra plartigrades ou paradoxurus. 

M. de Blainville cite à ce sujet le dasyure de Harris, 
et pense, comme cet auteur, que le but des divisions 
systématiques dans la science étant d'aider l'esprit à 
distinguer les êtres innombrables de la création, on 
doit, d'une part, établir un assez grand nombre de divi- 
sions principales, mais d’autre part on doiléviter que 
la multitude des sous-divisiors ne ramène le désordre 
et la confasion, surtout si on établit des divisions sur 
des distinctions stériles, et qui ne peuvent influer en 
rien sur l’ensemble et les détails de la science. 

Les deux espèces, d'ailleurs. sont bien distinctes de 
toutes celles qu'on connoissoit dans les collections 
curopéennes, et devroient, sielles étoient laissées dans 
le genre paradoxurus, oceuper, l’une la têle, et l'autre 
la fin de ce genre. 

Celle que M. Jourdan nomme l'emblyodon doré offre 
la disposition dentaire la plus omnivore, et rappelle le 
mieux ce qui a lieu dans les ratons; celle qu'il appelle 
l'hémigale zébré se rapproche au contraire des ge- 
nettes et des fossanes par son systéme dentaire. 

(2) Sir Stamford Raffles rapporte à la viverra genetta 
de Linné un animal de Sumatra nommé musang sapu- 
lit, de couleur gris foncé, avec des raies et des taches 
noires, la queue mélangée de gris et de noir, mais non 
terminée de blane comme à la musanga. 

(5) Voyez page 393 de ce vol. 

(1) Viverra striata, Desm. ; viverra fasciata, L. 

(3) Viverra malaccensis, Gm. 

(6) Viverra felina, Thunb. Kya handl., pl 7. Smuls, 
Cap , p. 18. 

k, 


393 


GURete à bandeau {véverra fasciata, Desm.), jaune 
air avec des taches fauves disposées par rangées 
tt avec un bandeau blanc en travers de 
la face ; on ignore sa patrie; 5° la geneite de Cey- 
lan (viverra zeylanica, Pallas ), dont le genre est 
douteux , et qui est peut-être une marte {1), à pelage 
cendré mélangé de fauve en dessus, bla::châtre en 
dessous ; 4° la genette hyénoïde de M. Fr. Cuvier, qui 
a été depuis étudiée par M. isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire, et forme le genre protèle (?) ; :° la genette 
de Berbarie () ou la shib-beardou des Maures, grise, 
à plaque noire par rangées régulières, à museau 
blane relevé par le noir des joues ; 6° la genette du 
Cap (f) grise tachetée de noir; 7° la genette panthé- 
rine ( genetla par: ina ) 5), qui vit dans l’intérieur 
au Sénégal, distincte de toutes les autres espèces 
par la vive coloration ce ses taches qui sont roux vif 
encadrées de noir et disposées par rangées sur les 
flanes, tandis qu’ Iles sont pleines et sans encadre- 
ment sur les membres. Sa queue est annelée de noir 
et de blanc, et les anneaux noirs sont les plus 
rends. L’individu type a vécu à la ménagerie du 
Muséum : douce et recherchant les caresses quand 
elle fut donnée à l’établissement , cette genette ne 
tarda pas à reprendre ses habitudes sauvages. 
La troisième tribu, à plante de pieds dénudée, est 
celle des PARADOXURES. 


LES PARADOXURES. 


Paradoxurus (Fr. Cuv.). 


M. Fr. Cuvier, en proposant ce genre, n’y placa 
d’abord qu’un seul carnassier connu depuis long- 
temps, il est vrai, mais dont l’histoire étoit obseur- 
cie par de graves erreurs. Cet animal, nommé tour 
à tour genetle de France, martle des palmier:, 
pougounié, recut le nom de paradoxurus typus. 
Cette espèce est la seule qui soit bien au‘hentique. 
Desmarest en décrivit une seconde que nous croyons 
nominale, le paradoæurus prehensilis (viverra 
ne de Blainville ), et M. Fr. Cuvier y ran- 
gea aussi la viverra musangua de sir Raffles. Quant 
au paradoxurus aureus (Fr.Cuv.), il a été reconnu 
appartenir au nouveau genre arcliciis de M. Tem 
minck, ou ictides de Valenciennes, ainsi que le 
beinturony que, dans son Mémoire lu à la Société 
philomatique en :822,M. Fr. Cuvier plaçoit encore 
dans son genre paradoxure. Ainsi les paradoxures 
1) Martes philippinensis, Camell., Ac. angl. 

2) Décril page 404 de ce volume. 

2} Genetta afra, Fr. Cu. ; Shaw, It., t 1, p. 218. 
() Genette mâle, Fr. Cuv., Mammif. 

(5) Esid. Geoff., fascic, 2e, pl. 8. 


( 
( 
( 


50 


394 


comprendront deux espèces certaines et deux dou- 
teuses ; car c’est à tort que M. Temminck dit qu’on 
en connoit six bien déterminées. 

Le genre paradoxure, dont le nom tiré du grec 
signifie queue anomale (parce que chez l’animal type 
celte partie, non prenante, s’enroule jusqu’à sa base 
de dessus en dessous), appartient à la classe des 
carnassiers et à la grande famille des civettes. Par 
l’organisation qui lui est propre, il est le lien inter- 
médiaire entre les plantigrades, dont il a la marche, 
et les digitigrades dont il a les ongles rétractiles. 
M. Fr.Cuvier le place après les mangoustes etavant 
les surikates (Dents, pag. 252), et M. Temminck 
dans son quatrième ordre et sa seconde tribu des car- 
nassiers proprement dits (Tableau méthodique des 
Mammifères). 

Le genre paradoxure a le système dentaire des 
civettes, des mangoustes et des genettes. Les mà- 
choires sont armées de quarante dents, six incisives, 
deux canines et douze molaires à chaque maxillaire. 
Le nombre des fausses molaires et celui des tuber- 
culeuses varient seulement, Ces derniéres sont au 
nombre de quatre en haut et deux en bas; la face 
interne de la première tuberculeuse diffère toutefois 
dans le paradoxure de celle des civettes, des genettes 
et des mangoustes, parce qu’elle est aussi large que 
la face externe et qu’elle s’est transformée en une 
crête qui a la forme d’une portion de cercle. Quel- 
ques légères petites différences se remarquent aussi 
dans la première tuberculeuse supérieure. 

Les caractères généraux des genelles conviennent 
parfaitement au genre paradoxure, qui a pour ca- 
ractères spéciaux les suivants : corps ramassé, trapu ; 
pieds plantigrades, pentadactyles, armés d'ongles 
crochus, minces, très aigus et rétractiles, munis à 
leur base d’un bourrelet musculaire ; doigts réunis 
jusqu’à la dernière phalan:e par une membrane 
lâche et pouvant s’élargir; plante des pieds et des 
mains garnie de quatre tubereules charnus, revêtus 
d’un épiderme lisse; queue s’enroulant de dessus en 
dessous, non prenante, tordue sur elle-même à son 
extrémité; pupille verticale; œil offrant une troi- 
sième paupière susceptible de le recouvrir ; narines 
entourées d’un mufle séparé en deux par un sillon 
profond ; oreille externe arrondie, profondément 
échancrée à son bord postérieur, et à conque recou- 
verte par un large lobe libre; poches près de l'anus 
manquant complétement. 

On doit encore à M. Fr. Cuvier des détails inté- 
ressants d'anatomie ; mais comme ce savant n’a exa- 
miné que la civette noîre où paradoxure type, il 
s'ensuit qu'ils ne sont applicables qu’à cette espèce. 
« La langue est longue, étroite, mince, et couverte 
de papilles cornées , globuleuses à leur base, et ter- 
minées par une pointe crochue et grêle : entre elles 
se trouvent des tubercules arrondis, recouverts d’une 


HISTOIRE NATURELLE 


peau très douce, et sa partie postérieure est garnie 
de cinq glandes à calice. Toute Ja région interne de 
l'oreille est hérissée de tubercules très compliqués 
dans leurs formes, et l’orifice du canal est recouvert 
d’une sorte de valvule. Les organes génitaux du mâle 
se composent d’un scrotum libre et volumineux, et 
d’une verge dirigée en avant dans un fourreau at- 
taché à l'abdomen. Un organe glanduleux, laissant 
suinter un liquide lubrifiant , en occupe les parois 
latérales ; la verge est comprimée et recouverte de 
papilles cornées, déjetées en arrière ; l’orifice de 
l'urètre est surmonté d’une sorte de gland arrondi, 
lisse, et long de trois lignes ; les mamelles sont au 
nombre de trois de chaque côté. Il y en a une pec- 
torale et deux abdominales. » 

Les paradoxures doivent avoir les mœurs et les 
habitudes des civettes de la section des genettes; leur 
pupille verticale annonce qu’ils sont nocturnes, et 
qu’ils doivent chasser leur proie principalement 
pendant la nuit; leur pelage est composé de poils 
soyeux et de poils laineux, et de longues moustaches 
recouvrent la lèvre supérieure. 


LE PARADOXURE TYPE. 


Paradoxurus typus (1). 


Buffon décrivit dans le tome III de ses Supplé- 
ments, page 257, comme une légère variété de la 
genette de France, un animal qu’on montroit vivant, 
en 1772, à la foire Saint-Germain, et qu’on nour- 
rissoit avec de la viande seulement. La patrie de cet 
animal étoit inconnue; et c’est par erreur que Buf- 
fon le regardoit comme identique avec la genette de 
France. M. Cuvier le premier reconnut que cet ani- 
mal étoit la genctte pougouné des Indes Orientales : 
et un individu vivant que son frère eut occasion d’é- 
tudier vint fournir à ce dernier les traits distinetifs 
qui la séparent non seulement de l’espèce de genette 
européenne, mais même encore du genre viverra. 
La description de Buffon donne au pougouné les ca- 
ractères suivants : tête effilée et mince, museau al- 
longé, œil grand, pupille étroite, oreilles rondes, 
corps moucheté, queue longue et velue. Cet animal 
avoit vingt pouces de longueur, et sept pouces et 
demi de hauteur. Son pelaze étoit long, plus fourni 
sur le cou; les moustaches noires, longues de deux 
pouces sept lignes, couchées sur les joues; les na- 


() Fr. Cuvier, Mammifères, janvier 1821 : viverra 
nigra , Desmarest, Mammalogie, sp. 316 : genctte de 
France , Buffon, Histoire naturelle , tt, WE, Supplém., 
p. 236, fig. 47 : genette du cap de Bonne-Espérance, 
Buffon, Supplément, t. VIT, pl. 58? le pougouné, la 
marte des palmiers, Leschenault : viverra genetta, 
musang sapulut, Raffles, Cat., p. 252? 


DES MAMMIFÈRES. 


rines très arquées, le nez brun : une raie noire bor- 
dée de deux raies blanchâtres occupoit le dessus des 
yeux; une tache blanche se dessinoit au-dessus des 
paupières; les oreilles, noires, étoient allongées ; les 
poils du corps d’un blanc gris mêlé de grands poils 
bruns à reflets ondés de noir ; le dessus du dos rayé 
et moucheté de noir ; le dessous du ventre blanc, les 
jambes et les cuisses sombres, les ongles blancs et 
crochus ; la queue longue de seize pouces, grosse de 
deux pouces à l’origine, noire dans les deux tiers 
de sa longueur. 

L'espèce décrite par M. Fr. Cuvier avoit un pied 
sept pouces de longueur, la queue un pied sept pou- 
ces, et huit à neuf pouces de hauteur. Ea couleur du 
pelage étoit un noir jaunâtre, ayant trois rangées 
de taches noirâtres sur les côtés et des taches éparses 
sur les cuisses et les épaules, tantôt isolées, tantôt 
formant des sortes de lignes ; la conque de l'oreille 
étoit liserée de blane à son bord externe. Tous les 
autres caractères étoient identiques avec ceux dé'à 
donnés par Buflon. 

Les habitudes et les mœurs du paradoxure pou- 
gouné sont encore inconnues; celui que Buffon ob- 
serva en caplivité étoit sans cesse en mouvement et 
fort vif. On doit penser, d’après le nom de marte 
des palmiers qu’on a aussi donné à cet animal, qu’il 
aime à grimper sur les végétaux pour y atteindre les 
petits oiseaux ou les œufs dont il doit être friand. fl 
habite la presqu’ile de Malaca, lile de Java, et très 
probablement une partie de la côte de Coromandel 
et du Malabar ; peut-être aussi la plupart des iles de 
la Sonde. M. Leschenault l’a envoyé de Pondichéry. 

La deuxième espèce qui doit être admise dans le 
genre paradoæure, quoique avec doute, est le mus- 
ang-bulan, décrit par sir Raffles dans son Catalogue 
descriptif de la Collection faite à Sumatra (Trans. 
Soc. linn. de Lond., t. XILE, p. 252). 


LA VIVERRE MUSANGA. 
Viverra musangua. RAFFLES (1). 


Le musang a été figuré par Marsden dans l'édition 
originale de son Histoire de Sumatra. La traduction 
françoise ne le nomme qu’une fois. C’est un animal 
de la grosseur d’un chat ordinaire, à pelage d’un 
fauve foncé mélangé de noir ; la queue est de cette 
couleur, mais excepté à deux pouces de son extré- 
mité, où elle est d’un blanc pur ; sa longueur est à 
peu près celle du corps : l’espace qui existe entre 
les oreilles et les yeux est blanc; quelques longues 
soies occupent le devant et le dessous de chaque æil; 


(‘) Le musang-bulan des Malais, Horsfield, Research. 
in Java, fase, 1. 


395 


le nez est proéminent, et profondément sillonné 
entre les narines ; le museau est long et pointu ; les 
pieds sont pentadact; les. Tels sont les détails fournis 
par sir Raffles sur cet animal qui habite Sumatra, et 
qui a, comme on peut le voir, la plus grande partie 
des traits caractéristiques du pougouné. N’en seroit- 
ce qu’une variété? nous serions fort tenté de le croire; 


cependant l'extrémité de la queue est noire dans le 


pougouné, et blanche dans le musang-bulan. Nous 
ne savons rien de plus sur ce dernier animal. 

Tout porte à croire qu’on doit joindre aux para- 
doxures une espèce de civette qu'Hardwicke ne 
place qu'avec doute dans le genre viverra, et que 
M. Horsfield range parmi les chats. 


a  — — 
LA CIVETTE GRÊLE, 
Viverra gracilis (1), 


M. Horsfield placa cette civette dans le genre 
chat, et en forma une section sous le nom de prio- 
nodonte. La figure qu’en a publiée le général Hard- 
wicke ne représente nullement les formes d’un chat, 
et la description qu’il en a tracée l’en éloigne encore 
plus. Voici textuellement ce qu’il en dit: La tête est 
petite, ovale, très pointue, légèrement conique; 1- 
mâchoire supérieure est plus longue que l'infé 
rieure; les moustaches sont fournies, sétacées, plus 
longues que la tête, dirigées obliquement en ar- 
rière; les yeux petits, arrondis; les oreilles ovales, 
médiocres; queue presque aussi longue que le 
corps, cylindrique ; pieds analogues à ceux des chats 
(M. Hardwicke entend ici des ongles digitigrades), 
pentadactyles ; ongles petits, rétractiles, et cachés 
dans le poil ; pelage de couleur blanc jaunûtre , avec 
des bandes longitudinales noires et des taches con- 
fluentes et allongées de la même couleur; les taches 
des cuisses et des jambes plus nettement circon- 
scrites ; queue offrant six anneaux blanc jaunâtre et 
six noirs; les parties inférieures du ventre, du cou, 
d’un blanc jaunûtre ; le nez noir ; un trait noir par- 
tant de l’angle externe de l’œil, et se rendant sur 
les côtés du cou. Cet animal habite Java. 

Le linsang nous paroît être identique avec la ci- 
velte préhensile (viverra prehensilis de Blainv.) que 
M. Desmarest a décrite (sp. 515 de sa Mammalogie) 
d’après un dessin fait dans le Bengale, et qui nous 
paroit être celui qu’a fait graver le général Hard- 
wicke, et communiqué par le major Farquhar qui 
le premier jut un Mémoire sur cet animal à la So- 


(1) Horsfield, Research. in Java, fasc. 1 ; Desmarest, 
ep. 834? : viverra linsang, Hardw., Trans. Soc. linn, 
Lord., t. XEE, p. 236, fig. : viverra prehensilis, Blain- 
ville, Desmarest, sp, 35 ; le belundung des Javanois. 


390 


ciété asiatique de Calcutta. La description de la v:- 
verra prelensilis, telle qu’elle est tracée, ofire la 
plus grande analogie avec celle de la viverra gra- 
cilis, Horsfield, ou vév-rra linsany, Hardwicke, et 
doit faire retrancher des catalogues celte premiere 
espèce qui est purement nominale. La viverra lin- 
sang pourra ainsi rentrer provisoirement dans le 


genre paradoxure, en conservant le nom spécifique, 


qui la distingue. 


LE PARADOXURE A PIEDS BLANCS. 


Paradoæurus leucopus. OciLey ('). 


Cette espèce de paradoxure ne nous est connue 
que par la description qu’en à publiée M, Ogüby 
dans le quinzième numéro du Zoo ojical Journal. 
Cet animal vivoit à Londres dans l'année 4827 ; et 
bien que ses formes ne différassent point de celles 
de toutes les autres espèces du genre, le corps étoit 
cependant plus arrondi et plus épais. 

Les oreilles du paradoxure aux pieds blancs sont 
nues, demi-cireulaires, d’une couleur foncée, et 
très découpées ; sa queuc est parfaitement cylindri- 
que, épaisse à la base, et diminue de grosseur à son 
extrémité : un petit mufle noir termine le museau, 
au-dessous duquel s'ouvrent des narines de même 
forme que celles des civeties ou des chiens; les ex- 
trémités des membres sont accommodées pour une 
locomotion semi- plantigrade, aussi la plante des 
pieds est-elle blanche et dénudée jusqu’à six lignes 
du taion : ce dernier est recouvert de poils, et ne 
porte pas sur le sol pendant la marche. Chaque ex- 
trémité est terminée par cinq doigts de même lon- 
gueur, réunis comme ceux du chat, presque jus- 
qu'aux ongles, qui sont blancs et très rétractiles. 

Son pelage se compose de poils longs et très four- 
nis sur le corps, qui se raccourcissent et deviennent 
dars sur la tête et sur les membres; les moustaches 
sont composées de soies longues, roides et noires, 
et cette dernière teinte est encore répandue sur les 
joues, le nez et la figure, excepté autour des veux, 
où se dessine un cercle cendré ; la fourrure du cou, 
des épaules, du croupion et de la queue, est d’un 
brun clair sur lequel apparoissent des poils d’une 
autre sorte, imitant des soies roides et longues, de 
couleur grise, et terminés de noir : ces soies sont 
plus abondantes sur les épaules que partout ail- 
leurs, et leur teinte grisâtre contribue à donner à 
celte partie une coioration beaucoup plus claire : une 


() Paradozurus nigro-bruneus ; pedibus, .cingulo 
tumborum lato , ventre , membris internê , caudæque 
apice, albis ; cruribus facieque nigris ; hkac circa in- 
terque oculos cinerea, Ugilby, Zoo!. Journ., no xv, 
p. 300 et suiv. ; planches supplémentaires, n° 30, 


HISTOIRE NATURELLE 


écharpe d’un blanc pur forme un large chevrou sur 
les reins, et c’est encore cette dernière couleur qui 
règne sur le ventre, en dedans des membres, et qui 
teint l'extrémité de la queue ; les pattes sont d’un 
noir de jais, que relève le blanc de neige du dessous 
des pieds. 

Comme les espèces du même genre, ce paradoxure 
enroule sa queue; comme elles aussi il recherche le 
pain, les fruits, et autres substances végétales. L’in- 
dividu que M. Ogilby eut occasion d'étudier n’avoit 
environ que seize pouces de longueur, du bout du 
nez à la naissance de la queue, tandis que la queue 
pouvoit en avoir environ quatorze et cinq ou six li- 
gnes. Il étoit bas sur ses jambes, mais très vif et 
très agile dans ses mouvements. Ce paradoxure, 
d'un naturel méchant, dormoit assez ordinairement 
le jour, en formant autour du corps un cercle avec 
sa queue. Le soir, au contraire, il perdoit de sa tor- 
peur diurne, et paroissoit se ranimer : lorsqu'on le 
tourmentoit, il poussoit un pelit sifflement sourd, 
assez anaïogue au grognement des chats lorsqu'ils 
sont en colère. On rapporta à M. Cgilb: que sous la 
queue ex stoit une rainure d’où suintoit, en petite 
quantité toutefois, une humeur sébacée de la nature 
du musc; mais il ne put vérifier ce fait. 

On ignore la patrie de cet animal, bien qu’on le 
suppose des Indes Orientales. 


LE 
PARADOXURE A MOUSTACHES BLANCHES. 


Est'pour M. Owen le type d’un genre qu’il nomme 
CYNOCALE DE BENNETT (!), et qui est le lien inter- 
médiaire des paradoxures et des ictides. Il diffère 
des uns et des autres par la longueur du museau, la 
forme comprimée des fausses canines, et la petitcsse 
de la première molaire carnassière qui est trian- 
gulaire. 

Depuis, M. Gray a donné une révision de ce genre, 
qu’il a enrichi de plusieurs espèces nouvelles; leurs 
yeux ont une pupille verticale, et toutes vivent ex- 
clusivement sur le continent de l’Inde ou dans les 
iles de la Malaisie. 1° Le paradoxure type, la ge- 
nette de France de Buffon, décrite. 2’ Le paradoxure 
de Pennant (2), brun cendré, à bandes obscures sur 
les flancs, à pourtour des yeux blanc, est du Ben- 
gale. 5° Le bon“ar (°) où chat musqué du Bengale, 
la viverra bondar de Blain ille, a le pelage fauve 
marqué d’une bande dorsale noire, les quatre pieds 
et le bout de la queue noirs. 4° La viverre préhen- 


() Cynogale Bennetit, Owen, Proc. vr, 88. 

&) Paradoxæurus Pennantii, Gray, proceed, 14832, 
p.66. 

3) P, bondar, ibid. 


. L 


DES MAMMIFÈRES. 


sile (*), déjà décrite. 5° Le musanga (2). 6° Le para- 
doxure douteux (5) qui semble être le jeune âge du 
précédent. Son pelage est d'un cendré jaunâtre clair, 
tirant au blanc jaunätre en dessous; de Java. 7° Le 
paradoxure hermaphrodite de Pallas, indiqué pré- 
cédemment parmi les vraies civeltes. 8° Le para- 
doxure de Pallas (‘), gris noir, varié de noir et de 
blanc, mais de teinte plus claire en dessous, la face 
noire, tachelée de blanc neigeux : de l'Inde. 9° Le 
paradoxure de Cross (5), noirâtre en dessus, jauntre 
en dessous et au front. Un individu vivant est con- 
servé dans la ménagerie de Londres. 10° Le para- 
doxure aux pieds blanes(6), déjà décrit, 41° Le pa 
radoxure d’Hamilton (7), gris cendré avec six ou 
sept rangées de taches noires, un bandeau de cette 
dernière couleur sur les veux. 42’ Le paradoxure 
décrit par M. Hamilton Smith, sous le nom de qulo 
larvatus, est le type du genre paguma de Gray. 
45° Le paradoxure à trois lignes (), gris noirâtre, 
passant au gris clair en dessous, à trois raies brunes 
sur le dos; des Moluques. 14° Le pararoxurus bi- 
notalus (*), peut être aussi des Moluques, ayant 
deux bandes seulement. 15° Le paradoxure de Fin- 
layson (1), d’un brun pâle, avec une bande brune 
sur la face, une deuxième sur les yeux, et une lon- 
gitudinale sur le dos; provient de Siam. 

La quatrième tribu est celle des MaNGoOuSTES (her- 
prstes, Ellig.) (11), à formes allongées, à queue très vo- 
lumineuse à son attache, ayant des membres courts 
terminés par des doigts à demi palmés, et qui habi- 
tent exclusivement les contrées les plus chaudes de 
l'Afrique et de l’Asie. Buffon en à décrit quatre es- 
pêces : lamangoust, la grandema. gousie, le neipse 
ou nems, et le mun:1o. 

Tous les détails relatifs aux mœurs des mangous- 
tes, au rôle qu'elles ont joué dans la croyance des 
peuples, sont consignés dans l’histoire de l’ichneu- 
mon des Egypliens, et du mungos des Indiens. Ce 
genre ne s’est donc enrichi dans ces derniers temps 
que de quelques descriptions minulieuses des varié- 
tés que présentent les dépouilles d'espèces regardées 
par M. G. Cuvier comme distinctes de celles que 


{) Viverra prehensilis, Blainv.. fg., pl. 16, f. 1 de 
notre atlas. 
G) V. fasciata, Desm.; V. musanga, HBorsf., Zool. 
Research, 
G) P. dubius, ibid. 
(4, P. Pailasii, Gray. loc. cit.; P. albifrons, Lister, 
1831. , 
(5) Paradozurus Grosii, Gray, loc. cit, 
(6) P. leucopus , Ogilby- 
(:) P. Hamiltonïii, Gray, loc cit. 
(8) P. trivirgatus Gray: viverra trivirgata, ReinW., 
Leyde. 
(o) V. binotata, Reinw. 
(ro) P. Finlaysonnii, Gray. 
… (1) Mangusta, Olivier; Ichnewmon, Geoff. 


397 
nous venons de nommer. 4° La mangouste de Java 
(he pestes javanieus) (!) est brune roussâtre, les joues 
marron roux, et la gorge nuancéc de fauve ; 2° la 
mangouste du Sénégal (H. albicaudus) (2), grise, à 
queue entièrement blanche; 5° la mangouste des 
marécages (17. paludosus), de grande taille, et qui 
vit au Cap: son pelage est roux bran uniforme, ti- 
rant au noirâtre, et plus pâle sur le menton; 4° Ja 
mangousle à pinceau (H. penicillatus) (3), gris 
fauve, ayant le bout de la queue blanc. Cette der- 
nière à été décrite par M. Smith {# sous le nom de 
mangouste de Levaillant (£. Lerai lantii). Le corps 
a dix-sept pouces de longueur, la queue dix, les 
yeux brun rougeâtre, à pupilles transverses, le pe- 
lage fauve rougeâtre en dessus, mélangé de poils 
variés de fauve et de noirâtre, passant au fauve 
en dessous. L’extrémité blanche de la queue est ca- 
ractéristique. Elle est répandue dans tout le sud de 
l'Afrique, où elle habite les plaines arides. Peut-être 
une cinquième espèce, décrite par M. Smith, fait- 
elle double emploi avec la mangouste des maré- 
cages; c'est celle -que cet auteur nomme mangus!'a 
urinatlrix, à pelage à peu près noirâtre ou teinté 
de fauve; les poils du dos, de la queue, de la tête, 
variés de rougeâtre et de blanchâtre. Sa queue se 
termine en pointe aiguë. lle habite les lieux maré- 
cageux et les bords des petites rivières de toute l’ex- 
trémité australe de l'Afrique, vivant de grenouilles 
et de crabes. Elle va à l’eau, et peut y séjourner 
quelque temps. On ignore la patrie de la maugouste 
rouge (I. ruber), à pelage ferruyineux lustré (). 
La cinquième tribu est celle des SURIKATES. 


LES SURIKATES. 
Ryzæena. ILLic. 


Buffon nommoit surikate un animal que la plu- 
part des auteurs, à l'exemple de Linnæus, ne dis- 
tinguoient point des viverres, viverra. Illiger le pre- 
mier l'en sépara, en proposant le nom de ryzœna. 
Le genre surikate n’a qu’une espèce, qui appartient 
à la classe des animaux carnivores et à l’ordre des 
digitigrades, et que M. Geoffroy Saint-Hilaire a pla- 
cée, dans son Catalogue imprimé, parmi les man- 
goustes (ichueuinon). Les caractères génériques du 


(:) Geoff. SL.-Hil. 

() Cette mangouste est le type du genre Lasiope La- 
siopus ( Esidore Geoff.) qui a les pieds velus, mais seu- 
lement quatre doigts à chaque extrémité. 

() Celle espéce est le type du genre cynope, Cynopus, 
créé par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, parce que les 
tarses sont velus et queles pieds de derrière manquent 
de pouce. 

(*) Zaol. journ., 3, 437 ; Féruss., Bul!, 18, 275, 

(5) Ibid. 


398 


surikate, d’après Illiger, sont les suivants : six inci- 
sives, la deuxième externe de la mâchoire inférieure 
plus épaisse à la base; canines coniques et aiguës; 
les molaires comme chez les viverres ; museau aigu, 
terminé par un nez allongé et obtus; langue termi- 
née en pointe; oreilles petites, arrondies; corps 
assez vêtu de poils allongés ; queue longue ; deux 
mamelles ; deux follicules glanduleux à Panus; pieds 
digitigrades, tétradactyles, à plante velue; ongles 
recourbés, très aigus, plus longs aux extrémités an- 
térieures. 

A ces caractères on peut ajouter que les dents 
sont au nombre de trente-six, c’est-à-dire dix-huit à 
chaque maxillaire ; savoir, six incisives, deux ca- 
nines et dix molaires. M. Fr. Cuvier les décrit ainsi 
(Dents, p. 405): à la mâchoire supérieure, les in- 
cisives et les canines présentent le nombre et les 
formes de celles des civetes. Il n’y a que deux faus- 
ses molaires, toutes deux avec les formes normales, 
et la première un peu plus petite que la seconde. 
La carnassière ne diffère point de celle des man- 
goustes. A la mâchoire inférieure, la troisième fausse 
molaire, la carnassière et la tuberculeuse ont cela 
de remarquable qu’elles ont évidemment été faites 
sur le même plan, quoiqu’elles présentent quelques 
différences; la fausse molaire est identique avec 
celle du paradoxure, ayant une pointe principale en 
avant et un talon divisé en plus petits tubercules. 
La carnassière antérieure a un gros tubercule divisé 
en trois petits mamelons, un moyen, le plus petit 
de tous en avant, un à la face externe, l’autre à la 
face interne de la dent ; elle a en arrière un talon 
séparé en trois ou quatre petits tubercules. Enfin la 
tuberculeuse a la plus grande ressemblance avec la 
carnassière pour les formes et les dimensions; seu- 
lement son tubereule antérieur n’est divisé qu’en 
deux mamelons. 

Desmarest dans sa Mammalogie remplace le nom 
d'Hlliger, ryzæna, par celui de suricata Les carac- 
tères qu’il adopte sont les suivants : museau pointu, 
oreilles petites et arrondies, langue couverte de pa- 
pilles cornées; pieds antérieurs et postérieurs, à 
quatre doigts armés d'ongles arqués et robustes; 
une poche semblable à celle des mangoustes près de 
l'anus; queue assez longue et pointue; pelage com- 
posé de poils annelés de différentes teintes. 

Le genre surikate ne renferme qu’une espèce du 
cap de Bonne-Espérance, que Linnæus a surnom- 
mée viverra tetradactyla, et Buffon surikate. Son- 
nerat en publiant sa figure sous le nom de zenick 
(Voyage aux Indes, pl. 92) donna lieu à Gmelin de 
créer nominalement dans la douzième édition du 
Systema Naturæ son viverra zenick, qui est le su- 
rikate ordinaire, habitué à se creuser des terriers et 
à vivre de petits animaux, d'œufs, et de tout ce qu'il 
peut attraper, Son urine exhale une odeur fétide. 


HISTOIRE NATURELLE 


EE" "1 


LE SURIKATE DU CAP. 
Ryzæna capensis (1). 


Cet animal, qüe Buffon avoit indiqué à tort comme 
de l’Amériqu : méridionale, a le museau allongé en 
forme de boutoir mobile ; son pelage est mêlé de 
brun, de blanc, de jaunâtre et de noir ; le corps en 
dessous et les quatre membres sont jaunâtres ; la 
queue est moins longue que le corps, et noire à son 
extrémité ; le nez, le tour des yeux et des oreilles, 
ainsi que le chanfrein, sont de couleur brune. Le 
surikate a de longueur totale, y compris la queue, 
trois pieds dix pouces. On le trouve aux environs 
du cap de Bonne-Espérance. 

La sixième tribu est celle des MANGUES (crossas- 
chus, F. Cuv.), qui joignent au système dentaire, 
au museau, à la poche, aux allures du surikate, les 
organes générateurs des mangoustes. Leur tête est 
globuleuse, la pupille ronde, le museau érectile, la 
queue aplatie; la poche anale sécrète une matière 
onctueuse horriblement puante. La seule espèce con- 
nue est a mangue (“rossaschus obscurus, F. Cuv.), 
à pelage gris-brun uniforme, plus clair sur la tête, 
et qui habite le territoire de Sierra-Leone. C’est un 
animal qui se nourrit de viande, doué d'intelligence, 
très doux et très propre. 

La septième tribu est celle des ATILAx (atilax , 
F.Cuv.), qui sont très voisins des mangoustes, mais 
qui s’en distinguent par deux fausses molaires de 
moins, des doigts entièrement libres, et en ce qu’ils 
sont privés de poche anale. Leur crâne est très large, 
et leur museau est camus. La seule espèce connue 
est l’atilax vansire (?), décrit deux fois par Buffon 
sous les noms de vansire et de pelite fouine de Na- 
dagascar. 

La huitième et dernière tribu est celle des crYP- 
TOPROCTA (Bennet) (3), dont la seule espèce a recu 
le nom trivial de ferox. Ces animaux ont les plus 
grands rapports avec les paradoxures, dont ils ont 
la marche presque plantigrade, les ongles rétractiles 
bien qu’ils tiennent des chats par quelques rapports 
d'organisation viscérale. Le corps est plus ramassé 
que celui des paradoxures, et la queue est plus ar- 
rondie et plus grêle, également couverte de poils sur 
tous les points de sa surface. Ils ont une poche anale 
et un pelage uniformément coloré. Le cryptoprocta 
féroce habite l’ile de Madagascar. 

M. Bennet ajoute, d’après des documents que 


(") Suricata capensis, Desmarest, sp. 330 : ichneu- 
mon tetradactylus , Geoffroy, Cat. ; Miller, pl. 20 ; 
Screb., ul. 1417. 4 

) Le Vansire,Buff. 

() Proceed, 3, p. 46, 4 * 


DES MAMMIFÈRES. 


lui a fournis M. Bojer, les détails suivants : « Cet 
animal, irrité, et à la vue d’un morceau de chair, 
devient furieux, et exhale alors une odeur aussi fé- 
tide que celle des mouffettes; mais lorsqu'on n’excite 
point sa voracilé, en même temps qu'on n’aigrit 
point son caractère, il est doux, très privé, et ba- 
dine même avec les enfants, sans chercher à leur 
faire le moindre mal. 11 rôde autour du logis sans 
s'éloigner, mangeant tout ce qui lui tombe sous la 
dent. Ïl aime dans l’état de liberté se rouler en boule; 
mais lorsqu'il sommeille en captivité, il se couche 
sur le côté ou sur le dos, tenant les barreaux de sa 
cage avec ses pattes de devant. L’individu décrit 
mourut par suite d'attaques d’épilepsie, qui le tour- 
mentèrent l’espace de trois mois, et qui prirent de 
plus en plus de force et de vivacité. M. Bojer l’avoit 
conservé vingt-cinq mois à l'ile Maurice, et note 
que, malgré ce laps de temps, son système dentaire 
n’avoit point encore parcouru toutes les évolutions 
propres aux os qui le composent. 


LES HYÈNES, 
Hyæna, STorRr. 


Buffon, dans son histoire de la hyène, n’a eu en 
vue que l’espèce d'Orient ( hyæna vu'garis, Cuv., 
ou canis hyæna, L.), qui habite depuis l'Inde jus- 
qu’en Abyssinie, la Perse, jusqu’en Barbarie et au 
Sénégal. Cette hyène, connue de toute antiquité, 
mentionnée par Aristote et par Appien, a été ce- 
pendant confondue avec deux autres vraiment dis- 
tinctes. La première est LA HYÈNE BRUNE ( hyœ@na 
brunnea , Thunberg ) (1), que M. Smith a décrite 
comme nouvelle (?) sous le nom de hyæna villosa, 
et M. G. Cuvier sous celui d’hyæna rufa, et M. Isi- 
dore Geoffroy Saint-Hilaire sous celui d’hyæna 
fusea (3). Cette hyène a les poils qui la recouvrenttrès 
longs, très touffus, de couleur gris brun foncé uni- 
forme, les membres exceptés, où l’on remarque des 
rayures rapprochées. C’est le loup des rivages des 

_colons du cap de Bonne-Espérance. 

… M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire vient de publier 
une description assez complète , accompagnée d’un 
portrait de cet animal qu’il nomme hyœrna fusca, 
dans le cinquième numéro du Magasin de zoologie 
pour l’année 4835, et Pindividu qu’il à fait connoi- 
tre avoit été tué jeune et envoyé du cap de Bonne- 
Espérance par MM. Verreaux. Ces voyageurs s’en 
procurèrent également un individu complétement 


() Actes de Stokh., 1820, part. 1, pl. 2. 
() Trans. Soc. Linn,, t. XV, 2e part., p. 461, pl. 19 ; 
Zool. journ., r HT, p. 589; Bull, Féruss , t, 18, p. 442. 
=) Dict, classiq. d’hist, nat, 
L4 


» du 


399 


adulte, de sorte que les données physiques de cette 
espèce, qui vit dans l’intérieur de l'Afrique australe, 
laissent peu à désirer aujourd’hui. Ainsi s'exprime 
M. Isidore Geoffroy à son sujet : « En jetant les 
yeux sur la figure de cette jeune hyène, on pour- 
roit la prendre, au premier aspect, aussi bien pour 
le jeune âge de la hyène rayée que pour celui de la 
hyène brune, car elle se trouve dans les conditions 
exactement intermédiaires entre celles de ces deux 
espèces. Le bout de la queue, les poils de la ligne 
dorsale ,: tous très allongés; deux larges bandes 
transversales mal limitées et irrégulières, placées 
sur les flancs; plusieurs autres places sur les épau- 
les et sur les cuisses, et disposées aussi transversa- 
lement par rapport à l'axe des membres, beaucoup 
d’autres petites raies transversales placées au devant 
des jambes et des pieds de derrière, et surtout de 
devant , enfin le museau tout entier, sont noirs ou 
noirâtres. Le fond du pelage est d’un fauve sale, les 
poils sont loin d’être aussi longs que chez la hyène 
brune comp'étement adulte, mais ils le sont déjà 


‘ plus que chez la hyène rayée. Les ongles sont gri- 


sâtres. 
» La taille de cet individu est la suivante : 


Pieds, Pouces, 

Longueur totale du bout du museau à 
l'origine de la queue. . , . , 2 
11 della queues 90 AULUS 01 06n ; Dj 
Hauteur du train de devant. , . . . . 1 
———— du train de derrière. , . . . . 1 


Et «I © © 


» On voit, dit M. Geoffroy, que cet individu, 
loin d’être un très jeune sujet, étoit déjà parvenu 
au moins aux deux tiers de son accroissement, et 
il ”y a nul doute que les raies transversales de li- 
vrée, bien qu’encore très manifestes chez lui, n’aient 
déjà beaucoup perdu de leur netteté première. » 

La deuxième espèce , plus anciennement décrite, 
StLA HYÈNE TACHETÉE (hyæna crocu'a, L.)(1), dont 
parle le voyageur Kolbe, qui l'appelle loup-tisre, 
à pelage en entier d’un jaune roux, avec des bandes 
longitudinales sur le corps formées de taches brunes 
indécises. Elle paroît répandue dans tout le midi de 
l'Afrique, et s'étendre même jusqu’en Barbarie, 
Dans les dépôts d’ossements fossiles on rencontre 
souvent des débris de hyènes, notamment de la HA, 
fossilis de Goldfuss, assez abondants dans les ca- 
vernes de la Franconie, de Baumann ( Doubs), de 
Montmartre, de Kirckab, de Sundwige et de Gai- 
lenreuth. A Saint-Macaire, proche Bordeaux, on a 
trouvé les os de la hyène maculée. 


() Screber, pl 96, fig. B; hyœna capensis, Desm, 


400 


HISTOIRE 


EE 


LES PROTÈLES. 
Proteles. Is. Grorr. Saixt-His. (1). 


M. Delalande envoya au Muséum un mammifère 
carnassier digitigrade du cap de Bonnc-Espérance, 
que M. Cuvier nomma civette ou genette hyénoïde. 
Cet animal, comme ce nom l'indique, a de grands 
rapports avec les civettes et les hyènes, et ressem- 
ble aussi, sous plusieurs points de vue, aux renards, 
il frappe d’abord par sa grande ressemblance exté- 
ricure avec les hyènes (?), et surtout avec la hyène 
d'Orient : c’est 1: même fond de co'oration, le même 
système de rayures transversales; enfin une sem- 
blable crinière et une grande brièveté apparente des 
membres postérieurs viennent encore ajouter à cette 
similitude vraiment remarquable. 

Cette circon tance organique de la brièveté des 
membres postérieurs est d’une importance très 
grande par l’aspect particulier qu’elle donne à 
l’animal, la gêne qu'elle lui impose dans sa démar- 
che, et par suite la grande influence qu’elle a sur 
ses habitudes. Sans doute beaucoup des fables 
accréditées dans l'antiquité au sujet de la hyène 
ont eu leur source dans cette disproportion des par- 
ties, d’où résultent un aspect, une allure, qui la si- 
gnalent à l'œil le moins observateur comme un être 
anomal et extraordinaire. 

Un animal qui reproduit un caractère si bizarre, 
si dominent, est bien digne d’attention ; aussi, quoi- 
que arrivé en France depuis peu de temps, at il 
déjà occupé plusieurs zoologistes. MM. G. et Fr. 
Cuvier et M. Desmarest, dans leurs ouvrages (?), 
mon père, dans ses cours, en ont déjà donné les 
principaux caracteres. M. Cuvier à reconnu que, 
malgré tous ses rapports de ressemblance avec la 


(‘) Ge Mémoire, rédigé avec le plus grand soin ,estle 
seul travail complet que nous possédions sur les proté- 
les: M.lsidore Geoffroy, son auteur, a bien voulu nous 
permettre d'en enrichir notre Supplément. fl est extrait 
des Mémoires du Huséum. 

(2) M. Isidore Geoffroy a fait connoîlre à l'Académie 
des Sciences de nouveaux détails sur le prolèle, mam- 
mifére carnässier de l'Afrique méridionale, qui res- 
semble singuliérement à l'hyéne par sa forme el par ses 
couleurs, mais qui s’en distingue entiérement par son 
systéme dentaire et par ses habitudes. fl paroîtroit en ef- 
fet que cet animal se nourriroit principalement, non de 
proie vivante, mais de ces queues si lourdes et si grasses 
que portentles moutons d'Afrique, et que même en 
Perse, au rapport du voyageur Chardin, on est obligé 
de soutenir sur un petit chariot. (L'Hermês, no 94, 
pe 164.) 

(3) Voyez G. Cuvier, dnent fossiles, t. IV; Fr 
Cuvier, Dictionn. des Sc. natur. (Levrault), & XXIF, 
au mot nyëxr;et Desmarcst, Mammalogie de l'En- 
eyclopédie, Supplément. 


NATORELEE 


hyène, l’animal découvert par M. Deialande n’est 
point une hyène, mais qu’il doit former un genre 
nouveau. £ 

Je me propose, dans ce travail, d'établir le nou- 
veau genre que je désignerai sous le nom de pro- 
leles (1) (protèle ): ce nom rappellera que les pieds 
antérieurs du nouvel animal sont compiets, quant 
au nombre des doigts, par opposition avec ceux de 
la hyène, qui ne sont que tétradactyles. Tiré, il est 
vrai, d'un caractère qui est loin d’avoir une impor- 
tance majeure, il a du moins l’avantage d'indiquer 
une distinction extérieure très nette et très facile 
entre deux animaux qui se ressemblent autant à 
l'extérieur. 

Je vais donner les rapports principaux du pro- 
tèle avec les genres les plus voisins, ceux des ci- 
veltes, des hyènes et des chiens. Malheureasement 
les individus que possède le Muséum sont tous jeu- 
nes, ce qui me privera sans doute de quelques con- 
sidérations intéressantes : j'aurai soin, à cause de 
celte circonstance, de comparer le protèle, autant 
que Pt, non seulement aux adultes, mais aussi 
aux jeunes des genres voisins. : 

Les grandes ressemblances extérieures que je 
viens d'indiquer entre la hyène et le protèle portent 
sur le tronc et spécialement sur les extrémités, 
qui diffèrent beaucoup de celles de la hyène, sur- 
tout par leurs dimensions proportionnelles ; néan- 
moins, malgré {ous ces rapports de ressemblance 
extérieure, un coup d'œil suffit pour distinguer 
les deux animaux. En effet un museau obtus et 
comme tronqué , terminant une tête ramassée, ca- 
ractérise les hyènes; un museau assez fin et al- 
longé, terminant une tête à proportions élégantes, 
caractérise au contraire le protèle : de sorte que sa 
tête se rapproche davantage de celle de la civette ou 
du renard, par sa forme générale. Ce rapport, donné 
par l'inspection i"mé'iate des parties extérieures, 
l'est pa cillemeni par l'étude du crâne. 

En général, le système osseux de la tête présente 
bien toutes ee conditions du jeune âge; les os, peu 
denses, peu épais, sont séparés par des sutures très 
prononcées pertout, si ce n’est à locciput où déjà 


se remarquent d’assez fortes crêtes. Une tête de 


jeune hyène, d’un quart moins longue que celle de 
l'adulte, a les sutures et les crêtes à peu près dans 
le même état, mais l'épaisseur et la densité de ses 
os sont même, proportion gardée, beaucoup plus 
considérables. 

L'arcade zygomatique diffère beaucoup de celle 
de la hyène, en ce qu’elle offre de plus important; 
mais par s2s détails secondaires elle lui ressemble 


(") De +po, devant, et de zekner , parfait, compiet. Je 


prends ici ce Aer mot comme P. nt de penta- 
dactyle. Mon pére l’a déjà employé das Len E sens, 


(Isid, Geoff, St.-Hilaire,) 
Ty * 
pe “ 


# 


RE 


RE 
TR 


Er 


Er a 


Protele de Lalande, Proteles Lalandu : 


QU Fi PASS 


ANA 


Hu 


DES MAMMIFÉRES. 


d’une manière remarquable, s’éloignant au con- 
traire beaucoup de celle de la civette. Chez ce car- 
nassier elle est longue, mince et parallèle à l’axe de 
la tête ; le jugal est étroit et grêle; son apophyse or- 
bitaire ainsi que celle du frontal n'existent pas (!) : 
au contraire chez le protèle, comme chez la hyène, 
les arcades zygomatiques sont fortes, épaisses, plus 
écartées vers le temporal que vers l'orbite ; le jugal 
est très large, et les apophyses orbitaires sont très 
prononcées. La différence consiste en ce que, chez 
le protèle, l’arcade est moins rejetée en arrière et 
surtout beaucoup moins écartée, l’apophyse zygo- 
matique du temporal étant beaucoup plus courte, 
et le jugel ne pouvant plus s’articuler avec elle 
qu’en se rapprochant beauconp du crâne. Ces con- 
ditions organiques font que le protèle passe de_la 
forme élargie de la tête dis hyènes à la forme allon- 
gée de celle des renards ; que la boîte cérébrale’est 
plus étendue, la masse encéphalique plus considé- 
rable, la totalité des muscles moteurs de [a mâchoire 
inférieure diminuant au contraire. 

Les ouvertures des arrière - narines sont larges, 
et très rejetées en arrière; le palais à aussi beau: 
coup de largeur. Les deux rangées de molaires sont 
sensiblement parallèles, ce qui se voit aussi chez 
les ours, tandis que le parallélisme n’a lieu que 
pour les deux ou trois dernières molaires chez les 
hyènes, les chiens, les civettes et les autres car- 
nassiers. Cette disposition fait que le museau, d’ail- 
leurs beaucoup plus court que celui du renard, est 
beaucoup plus large à son extrémité. Les os propres 
du nez, s’allongeant avec le museau, et diminuant 
avec lui, sont aussi beaucoup plus court$ que chez 
le renard; mais ils sont plus longs que chez la 
hyène. La largeur du museau doune aux cavités 
olf«ctives une assez grande capacité. On ne remar- 
que point de gouttière le :ong de la suture des os 
propres du nez, comme cela se voitchez les renards, 
la civette et les hyènes. 

Le jeune protèle ayant, comme la jeune hyène, 
les crêtes de l’occiput déjà très prononcées , il est à 
croire qu’elles sont très saillantes chez le protèle 
adulte comme chez la hyène adulte. 

La mâchoire inférieure, courte et assez semblable 
à celle de la hyène, présente néanmoins quelques 
modifications remarquables. Les deux branches du 
maxillaire sont à peine obliques l’une sur l’autre 
dans toute l'étendue où doivent s'implanter les mo- 
laires ; puis les deux bords dentaires se rapprochent 
en se contournant, d’où résulte une sorte d’échan- 


( Cette remarque estapplicable à la civette propre- 
ment dite, et à plusieurs aufres animaux du même 
genre, mais non à Lous : chez quelques uns méme les 
apophyses orbitaires existent si prononcées, que l'œil 
est entouré d’un cercle osseux complet. (Isid, Geoftroy 
D j 

y 17 


401 


crure qui répond aux canines supérieures, et sépare 
les moluires inférieures des canines et des incisives 
inférieures. Cette disposition fait que, malgré le 
parallélisme des deux rangées de molaires de la mà- 
choire supérieure, les molaires inférieures sont, 
comme chez tous les carnassiers, reçues entre les 
supérieures, et sont alternes à leur égard, tandis 
que les incisives supérieures et inférieures sont op- 
posées. Cette disposition se retrouve chez les ours, 
qui ont aussi, comme je l’ai remarqué, les bords du 
maxillaire supérieur parallèles. 

Le maxillaire inférieur du protéle est d’ailleurs 
beauconp moins fort que celui de la hyène ; son con 
dyle, et suriout son apophyse coronoïde, sont peu 
développées. 

C'est ici surtout que la connoissance de l'adulte 
est à regretter, tous les individus que j'ai examinés 
n'ayant encore que de très petites dents de lait. 
M. Fr. Cuvier, celui de tous nos zoologistes qui a 
porté le plus d'attention sur les dents considérées 
comme caraclères zoologiques, ayant examiné les 
dents du protèle, je ne puis mieux faire que de 
renvoyer à son travail. Je dirai seulement qw’il v a 
de e:aque côté, à la mâchoire supérieure, trois in- 
cisives, une canine, quatre molaires; et à l’inférieure, 
une molaire de moius. Les molaires de la mâchoire 
inférieure sont séparées des autres dents par un vidé 
assez considérable ; celles de la mâchoire supé- 
rieure sont écartées les unes des autres. Toutes ces 
dents sont très petites; les incisives supérieures 
sont en biseau : chez l’un des deux individus que 
j'ai examinés elles sont larges et divisées par un 
sillon longitudinal, visible particulièrement sur la 
face antérieure, de sorte qu'elles présentent deux 
petits sommets, chez un autre individu elles sont 
beaucoup plus étroites, et le sillon est à peine sen- 
sible; dans un troisième el'es sont larges, et le sil- 
lon estencore moins marqué. Les incisives inférieu- 
res ont deux sommeis plus distincts; les canines 
supérieures et inférieures sont peu saillantes. 

Les dents du protèle sont dans un état complet 
d'anomalie. C’est, dit M. G. Cuvier, que les dents 
persistantes ont été retardées, comme il arrive assez 
souvent aux genettes. El pense d’ailleurs que, dans 
leur état nornial, elles doivent ressembler à celles 
des civettes et des genettes; et c’est ce qui l’avoit 
déterminé à donner au nouveau quadrupède le nom 
de civette hyénoïde, que, du reste, il ne regardoit 
lui-même que comme une désignation provisoire. 
Cependant les mâchoires du protèle sont courtes : 
la portion de la mâchoire inférieure, où doivent 
s'implanter les molaires, est, proportion gardée, 
d’un quart au moins plus p:tite chez le protèle que 
chez la civette. 

C'est avec la hyène que le protèle a le plus de 
rapports, quant aux os du tronc. Par le nombre 

51 


402 


des côtes, il tient le milieu entre la hyène et la 
civette ; il en a quatorze; elles sont aplaties et assez 
longues : les huit premières sont les seules qui s’ar- 
ticulent avec le sternum. Cet os ne présente rien 
de bien remarquable, et ne fait en avant des côtes 
qu’une saillie peu considérable. Les vertèbres cer- 
vicales sont très fortes; toutes leurs apophyses 
sont très élargies. Les vertèbres lombaires sont au 
nombre de six, les sacrées au nombre de deux : ce 
qui fait vingt-neuf vertèbres, sans compter les cau- 
dales qui sont au nombre de vingt et une ou vingt- 
deux. La série des apophyses épineuses présente 
une disposition remarquable : Patlas et l’axis sont 
comme chez les autres carnivores; dans les cinq 
dernières cervicales, les apophyses épineuses sont 
élargies, mais peu saillantes : à la région dorsale, 
elles deviennent tout-à-coup des tiges très allon: 
gées. Cette disposition est particulière au protèle 
et aux hyènes, surtout à la hyène tachetée ; car chez 
les civettes, les chats et les autres carnivores, les 
apophyses épineuses des dernières cervicales ont 
déjà pris la forme allongée de celles des dorsales. 
Vers la fin du dos, et dans la région lombaire, ces 
apophyses deviennent plus larges et moins sail- 
lantes ; enfin, à la région sacrée, elles sont minces 
et allongées comme à la région dorsale, mais plus 
petites. 

Les quatorze ou quinze dernières vertébres cau- 
dales ne sont plus que des cycléaux grêles et allon- 
gés: les autres ont des apophyses dont quelques unes 
sont même très saillantes. 

Le bassin est, comme chez la hyène, moins 
oblique sur la culonne vertébrale qu’il ne l’est or- 
dinairement : l’iléum est plus étroit et plus allongé 
que chez ce carnassier ; la cavité cotyloïde a peu de 
largeur : elle résulte de l’union de l’iléum, de l’is- 
chium, du pubis et d’un quatrième os découvert, 
il y a quelques années, dans l’homme et les mam- 
mifères, par notre célèbre anatomiste M. Serres, 
qui le regarde comme l’analogue de l’os marsupial 
des animaux à bourse. (Voyez Analyse des travaux 
de l’Académie royale des Sciences pour 1819, 
page 40.) L’os pénial des chiens n’est aussi, suivant 
mon père, que le même os soudé à son congénère, 
et ne formant avec lui qu'une seule pièce placée 
sur la ligne méd ane.(Voicz tome IX des Mémoires 
du Muséum, pige 559.) Ainsi ce quatrième os 
existeroit dans la cavité cotiloide chez tous les 
mammifères, excepté ceux qui ont ou l'os pénial 
ou l’os marsupial : il est, chez le protèle comme 
chez la hyène, placé entre lischium, le pubis et 
l'iléum. Le protèle, de même que la hyène, n’a done 
pas d'os pénial. 

On saisit, à la simple inspection des membres 
du protèle, quelques uus de ses rapports avec la 
hyène et la civette. Le membre antérieur du pro- 


HISTOIRE NATURELLE 


tèle, par ses proportions, ressemble à celui de la 
hyène, et diffère de celui de la civette; par le nom- 
bre dés daigts, au contraire, il ressemble à celui 
de la civette, et diffère de celui de la hyène, qui 
manque de pouce, ou du moins qui n'a qu’un 
pouce rudimentaire. Quant au membre postérieur, 
sous ces deux rapports également, il ressemble à 
celui de la hyène, et diffère de celui de la civette. 
Ainsi, à la simple inspection, les membres du 
protèle paroissent avoir plus de rapports de res- 
semblance avec ceux de la hyène qu'avec ceux de 
la civette. Unexamen détaillé des parties nous don- 
nera ce même résultat. L'extrémité antérieure 
même ressemble plus à celle de la hyène qu’à celle 
de la civette. 

L'omoplate a peu de largeur, mais il est très 
allongé; cet os est remarquab'e par cette forme 
allongée, et surtout par son épine très peu obli- 
que sur les bords de l'os. Cette même disposition, 
qui n'existe ni chez le renard ni chez la civette, 
se retrouve chez la hyèae. Je n’ai point vu la clavi- 
cule; elle manquoit au squelette que j'ai examiné : 
il est probable qu’elle est petite, et suspendue dans 
les chairs. 

L'humérus est arqué, très fort, surtout vers l’ex- 
trémité scapulaire ; la tête, les tubérosités, tout le 
tiers supérieur de l'os, remarquable par sa largeur : 
déprimé dans une partie de sa longueur, comprimé 
dans l’autre, il est arrondi vers sa moitié; les os de 
l’avant-bras sont, dans toute leur longueur, appli- 
qués l’un contre l’autre, et même si intimement 
qu'ils se reçoivent dans de légères facettes dont ils 
sont creusés à leur partie supérieure; tous deux, 
et le radins surtout, sont larges et aplatis. Le cubi- 
tus, moins large, a plus d'épaisseur; sa portion 
carpienne, arrondie et assez semblable à une pha- 
lange, n’est pas encore réunie au corps de los £a 
portion inférieure du radius est au contraire soudée 
à la supérieure; mais on voit une suture très pro- 
noncée, indice de la séparation primitive des deux 
parties de l'os. 

La première rangée du carpe est formée de trois 
os, dont l’interne , plus grand, est reçu dans la fa- 
cette articulaire du radius; lexterne plus petit, 
dans celle du cubitus le troisième os est placé au- 
dessous, et forme une sorte de talon extrèmement 
saillant ; il y a de plus un petit osselet lenticnlaire 
placé dans la ligne du pouce; la seconde rangée est 
formée de quatre os : à la partie inférieure de l'in- 
terne est placé un petit osselet, suivi de trois autres 
osselets plus ou moins allongés; c’est le pouce. Le 
même os et le suivant soutiennent le métacarpien 
du second doigt ; le suivant porte celui du troisième; 
enfin sur Pexterne s'appuient les deux derniers mé- 
tacarpiens. 


Tel est le carpe du protele, remarquable par 


_ 


DES MAMMIFÈRES. 


une grande analogie de composition avec le tarse. 
Il est très différent de celui de la civette, moins de 
celui de la hyène. Ainsi, par le nombre des doigts 
semblable à la civette, et différent de la hyène , le 
protèle est cependant, par son carpe, plus sembla- 
ble à cette cernière. 

Le pied offre encore une considération plus im- 
portante, qui le rapproche pareillement de celle-ci. 

Les carnassiers ont ordina‘rement le picd de de- 
vant plus court que celui de derrière ; et particuliè- 
rement, car c’est sur eux que porte la diflérence (1), 
les métacarpiens plus courts que les métatarsiens. 
La hyène fait exception : chez elle le métacarpe ne 
le cède en rien pour la longueur au mét tarse. I! 
en est de même chez le protèle, qui se rapproche 
ainsi de la hyène jusque dans ses anomalies. 

Le pouce est formé de trois os : le premier est 
aussi long que les phalanges métacarpiennes des 
autres doigts ; le second est court ; le dernier, qui 
est la phalange unguéale, est encore beaucoup 
plus court : cette petite phalange porte un ongle 
pointu, placé vers le Las du métacarpe. Les quatre 


grands doigts ne présentent rien de remarquable; 


les deux métacarpiens externes sont beaucoup plus 
courts que les internes : aussi les doigts auxquels 
ceux-ci appartiennent sont-ils plus allongés que 
les autres, et les ongles du deuxième et du cin- 
quième doigt placés beaucoup plus en arrière que 
ceux du troisième et du quatrième. Aux pieds de 
derrière les métatarsiens internes sont les plus allcn- 
gés, comme le sont les métacarpiens internes aux 
pieds de devant : par suite, aux pieds de derrière 
comme aux pieds de devant, les ongles externes 
sont rejetés en arrière. 

On remarque, à la partie postérieure de chaque 
articulation métacarpo-phalangienne, deux os entre 
lesquels glisse, dans la flexion, l’extrémité supé- 
_rieure de la phalange correspondante. Ces deux os 
se retrouvent dans les chats, les hyènes, etc., où ils 
finissent par se souder ensemble. Ceite soudure a 
sans doute pareillement lieu chez le protèle. Enfin 
il ya en devant, dans les ligaments de la même 
articulation, de petits osselets qui ressemblent tout- 
à-fait à la rotule par leur position et par leur forme. 
Tous ces os, placés derrière les articulations méta- 
carpo- phalangieunes, et ces osselets sésamoïdes, 


() Fe pourrois dire presque tous les mammiféres. Les 
chauves-souris, plusieurs édentés , elc., font cependant 
exceplion. Dans les marsupiaux , qui manquert de 
pouce au pied de derrière, l'allongement de ce pied ne 
vient pas uniquement de l'allongement des métatar- 
siens ,il porte en grande parlie sur les phalanges digi- 
tales. C'est qu'il y a ici un excés de développement dû à 
des condilions organiques propres aux marsupiaux. 
Mon père a donné l'explication de ce fait dans l'article 
MARSUPIAUX du Dictionn. des Sc. natur. {de Levraull}, 
t. XXIX. (Isid. Geoff. Saint-Hilaire. ) 


403 


placés au devant, se retrouvent aux parties corress 
pondantes du membre postérieur, à l’examen du- 
quel je vais maintenant passer, 

Le fémur et la rotule du protèle ressemblent 
beaucoup à ceux de la civette et de la hyène ; la tête 
du fémur est cependant plus saillante qe chez la 
hyène. Le péroné n’est encore qu’une tige aplatie, 
un peu renflée et arrondie à ses extrémites : contigu 
au tibia dans sa moitié inférieure, il s’en écarte dans 
la supérieure. Cette disposition produit une cour- 
bure dont la concavité est tou née vers l'extérieur. 
Sans doute dans les vieux individus les deux os de 
la jambe sont soudés dans une grande partie de leur 
longueur. Dans les civettes comme dans les chats, 
au contraire, les deux os ne se réunissent qu’à leurs 
extrémiiés, et sont toujours écartés l’un de l’autre 
dans le reste de leur longue r. Au-dessous du pé- 
roné est une épiphyse qui se soude plus tard avec le 
péroné, dont elle doit faire partie, et avec le tibia; à 
l'extrémité supérieure du péroné sont deux autres 
épiphyses, dont l’inférieure sert aussi de point de 
réunion pour les os de la jambe : il y a de plus un 
petit osselet placé au côté externe. Le péroné de la 
hyène ressemble à celui du protèle; il est même 
encore plus étroit chez elle, proportion gardée. Les 
chiens ont aussi les os de la jambe disposés de la 
même manière, et soudés pareillement dans leur 
moitié inférieure ; ils se réunissent même quelque- 
fois dans la portion de leur longueur où ils sont écar- 
tés, au moyen d’une lame osseuse qui va d’un os à 
l’au re comme feroit un ligament interosseux. Je 
parle de cette disposition , que je n’ai observée que 
chez les chiens, parce qu’elle doit se rencontrer pa- 
reillement chez les vieux protèles. 

Le tarse ne diffère que très peu de celui des au- 
tres carnassiers, et particulièrement de la civette : 
analogie remarquable entre les pieds de deux ani- 
maux dont l’un est pentadactyle, et l’autre privé de 
pouce. Au reste, comme on sait, un élément orga- 
nique de plus ou de moins dans une série de parties 
analogues n’est pas un caractère d’une importance 
majeure : c'est ainsi que varie fréquemment dans 
le même genre, quelquefois dans la même espèce ,: 
le nombre des doigts, des côtes, des vertèbres, des 
d nts, etc. 

Il y a toutefois une légère modification chez la 
civette : les cunéiformes portent les trois méta'ar- 
siens internes ; le cuboïde soutient le suivant, et ne 
s'articule à l’externe que dans une très petite por- 
tion. Telle est aussi, à peu près, la disposition de ces 
os chez l’homme. Dans le protèle le tarse est aussi 
large ; mais l'absence d’un métatar-ien rend le mé- 
tatarse plus étroit, ce qui fait que les quatre méta- 
tarsiens qui restent sont moins gênés, et s’arliculent 
avec le tarse d'une manière plus pleine et plus en- 
tière. {1 est à remarquer au reste que le pouce joue 


401 


chez la civette un rôle très peu important; en cflet 
le métatarsien de ce doist est placé hors de rang, 
s'articule avec son cunéiforme presque tout entier 
au-dessous du métatarsien du second doigt, et reste 
caché sous lui dans une grande par ic de sa lon- 
gueur : il est d’ailleurs extrêmement grêle. 

Les phalanges métatarsiennes et digitales du pro- 
tèle sont très semb ables à celles de la civeite sur- 
tout quant aux trois doigts externes : car l’interne, 
grêle chez la civette, est très fort chez le protèle. 
C’est à l'absence du pouce qu'il faut attribuer le vo- 
lume remarquable de cet os, nourri chez le protèle 
de tout le sang qui, dars le cas normal, se seroit 
porté au pouce. 

Telles sont les principales particularités que nous 
présente le squelette du protè e. J'ai montré que 
cet animal est très voisin des hyènes ; qu’il l’est plus 
même que ne semblent l’avoir pensé les naturalistes 
qui se sont occupés de lui avant moi. En effet, si 
nous omettons les caractères extérieurs, qui ne sont 
pa- eux mêmes sans importince, pour nous baser 
uniquement sur les considérations que présente le 
squelette, que trouvons-nous? L'ensemble de la co- 
lon::e vertébrale, le bassin, le membre postérieur 
tout entier, l'épaule, les os de la jambe, du carpe, 
les quatre doigts externes, qui sont les plus impor- 
tants dans ces famiiles, nous rappellent entiè:ement 
et p esque uniquement la hyène. Les côtes, le ster- 
num. ressemblent autant aux os correspondants de 
la hyène qu'à ceux de tout autre animal. Le protèle 
a.un doigt de plus; mais ce n’est pas là une diffé- 
rence bien importante : ce doigtest petit, grêle, sans 
usage, comme surnuméraire ; et d'ailleurs on trouve 
des rudiments de pouce chez la hyène. 

La forme de la tête est différente ; l’arcade zygo- 
matique est beaucoup plus écartée chez la hyène : 
l’arcade z\gomatique qui, étant pour le naturaliste 
comme l'indice du vo'ume de la masse encéphalique 
et de la force des muscles mot:urs de la mâchoire, 
renferme en elle un caractère d'importance majeure. 
Nous sommes enfin ici sur une différence fondamen- 
tale, et qui ne permet pas de laisser le nouvel ani- 
mal parmi les hyènes; mais n'est-il pas remarqua- 
ble de trouver encore, jusque dans les points où la 
dissemblince est la plus grande, des rapnorts de 
ressemblance dans les détails secondaires ? 

Que conclure de tout ceci? C’est que le nouveau 
mammifère doit être regardé comme le type d’un 
genre nouveau, selon l'opinion de M. Cuvier; et 
que ce genre, qui se rapprocle, à certains égards, 
des civeties et des renards, a des rapports très nom- 
breux avec les hyènes. 

J'achèverai de faire connoître l'animal qui fait 
le type du nouveau genre , en disant quelques mots 
des couleurs de son pelage et de ses pertics exté- 
rieures. 


HISTOIRE NATURELLE 


L'aspect général est, comme je l’ai dit, celui des 
hyènes. Ses jambes de derrière sont en apparence 
très courtes, ce qui vient de la flexion continuelle 
où il en tient les diverses parties, et non de leur 
brièveté réelle ; car, malgré l'allongement du carpe 
dont j'ai fait mention, les membres postérieurs sont 
aussi longs que les antérieurs. 

Les oreilles sont :llongées et couvertes d'un poil 
très court et peu abondant : clles rappelient celles 
de la hyène d'Orient. Les narines font une saillie 
prononcée au delà du museau, qui est noir et peu 
fourni de poils ; on y remarque de longues mousta- 
ches. Les poils de la crinière et ceux de toute la 
queue sont de longs poils rudes au toucher et an- 
nelés de noir et de blanchätre ; ce qui fait que la cri- 

‘nière et la queue sont aussi dans leur ensemble 
annelées des mêmes couleurs. La crinière s’étend de 
la nuque à l’origine de la queue ; les poils qui la 
composent sont plus rares, et plus courts vers le 
i eut du cou et vers la queue. Le reste du corps est 
presque en entier couvert d’un poil laineux, entre- 
mêlé de quelques poils plus longs et plus rudes. Le 

_fond du pelage est blanc-roussâtre ; mais il est va- 
rié sur les côtés et la poitrine de lignes noires trans- 
versales, inégalement prononcées et espacées. Les 
tarses sont noirs; le reste de la jambe, de même 
couleur que le corps, est varié aus i de bandes noires 
transversales dont les supérieures se continuent 
avec celles du tronc. 

Il paroit qu’il y avoit un sillon sous l’anus, comme 
l'a remarqué M. Cuvier. 

Ici se termine tout ce que pouvoit apprendre 
l'inspection du nouvel animal. M. Jules Verreaux, 
neveu de M. Delalande, et qui l’a accompagné dans 
son mémorable voyage au Cap, a bien voulu com- 
pléter mon travail en me communiquant ce qu’il a 
pu savoir des habitudes du nouvel animal 

Les protèles sont nocturnes : ils ont une grande 
facilité pour fouiller la terre, et se creusent des ter- 
riers à la manière des renards. [!s ont toujours soin 
de se ménager plusieurs issues. Lorsqu'ils sont ex- 
cités, leur criaière se dres €, et leurs poils sont hé- 
rissés depuis la nuque jusqu’à la queue. Ces ani- 
maux paroissent assez prompts à la course{t). 

Les trois individus que M. Delalande a tués habi- 
toient ensemb'e; ils sont sortis de leur terrier par 


(‘) Je ne puis m'empécher de remarquer que les ha- 
bitedes da protéle ressemblent sous plusieurs rapports 
à celles des hyènes : ainsi les hyènes sont nocturnes 
comme le protéle; comme lui, elles ont pour fouiller 
la terre une facilité dont elles font usage non pas, il 
est vrai, pour se creuser des terriers, mais seulement 
pour exhumer les cadavres dont elles veulent se repat- 
tre. Cette ressemblance entre les habitudes des deux 
animaux est à Ja fois et la suite nécessaire et la preuve 
de celie qui existe entre leurs organes. (Isid. Geoff, 
Saint-Hilaire.) 


DES MAMMIFÉÈRES. 


diverses issues, pour éviter un chien qui s’y étoit 
introduit Ils fuyoient avec une grande vitesse, les 
crinières hérissées , le corps très oblique sur le sol, 
les. oreilles et la queue baissées. L’un d'eux se 
voyant en danger, se mit à fouiller le sol, comme 
pour se creuser un nouveau lerrier (!). ; 

C'est au fond de la Cafrerie que M. Delalande a 
tié les protèles. J'ai consu té les relations des prin- 
cipaux voyages faits dans ces contrées encore pres 
que inconnues, et dans toute l’Afrique mé idionale. 
Je n'ai tiouvé ces animaux indiqués dans aucun : 
ce qu'expliqueroient au besoin très facilement le 
petit nombre de voyageurs qui ont pénétré dans ces 
contrées, et ! habitude qu'ont ees carnassiers de ne 
sortir que la nuit. Mais il est une circonstance qui 
l'explique encore mieux : c’est leur très gratide ra- 
reté. Les protèles sont en effet si rares qu'ils étoient 
inconnus même aux naturels du pays, Cest une 
raison de plus pour nous d’attacher un grand prix à 
la découverte de M. Delalande, puisque sans lui le 
protèle nous seroit sans doute inconnu pour long- 
temps encore. fs 

Je proposerai d'appeler le nouvel animai Gu nom 
du voyageur auquel vous en devons la connoissance 
proleles Lalandii (protèle Delalande). Qu'il me 
soit ainsi permis de rattacher son nom à sa décou- 
verte, et de ramener l'attention et le souvenir re- 
connoissant des naturalistes sur le plus infatigable 
et le plus intrépide de nos voyageurs : foible hom- 
mage. bien dù sans doute à l’un des hommes qui 
ont rendu le plus de services à la zoologie ; qui a 
véeu pour elle, et qui même a péri à la fleur de l’âge, 
au retour du plus glorieux et du plus beiu de ses 
voyages, victime de son ardeur, de son zèle et de 
son dévouement pour les sciences. 


LES FÉLIS. 
Felis, L. 


Malgré les travaux consciencieux d’un grand nom- 
bre de naturalistes de l’Europe et de l'Amérique, 


{:) Voyez notre planche. —« La découverte du pro- 
tèle étoit, aux yeux de M. Delalande, d'un grand inté- 
rét : aussi, à peine de retour du Cap, s'est-il empressé 
de le faire peindre sous ses yeux par l'habile peintre 
M. de Wailly Une pelleterie préparée ne pouvoil doi - 
rer qu'une idée insuffisante et peu exacte du nouvel 
animal : cependant M. Delalande, doué d’un grand ta- 
leut d'observation, et suppléant à ce qui manquoit par 
les nombreux souvenirs de son voyage, a fait ce que lui 
seul pouvoit faire, il a obtenu une bonne figure. 11 à fait 
représenter l'animal tel qu'il l’a vu, c’est-à-dire sortant 
de son terrier. C'est ce précieux dessin que j'ai fait 
graver, et qui accompagne mon Mémoire. L'original 
fait partie de la riche collection des vélins du Muséum, » 
(sid, Geoff, Saint-Hilaire.) 


405 


l’histoire des animaux du genre félis est encoré un 
dédale où lon se perd quand on veut séparer par 
des distinctions précises une foule d’espèces entre 
elles. La partie poétique de leur histoire a été moins 
négligée, quoique tracée d'après des idées purement 
conventionnelles ; car, qui n’a retenu quelques lon- 
gues tirades sur la magnanimité du lion, ce roi des 
animaux, sur la férocité du sanguinaire tigre, la du- 
plicité et la perfidie des chats, etc., ete. ? Il n’en est 
plus de même lorsqu'il s'agit de distinguer les gran- 
dés espèces à pelage couvert de rosaces diverses. 
Des erreurs accumulées par les anciens écrivains 
viennent à chaque pas embarrasser la distinction 
que l’on ce erche à établir entre elles. Nous essaie- 
rens donc de retracer le plus brièvement possible 
les idées les plus communément reçues sur l’ensem- 
ble de celte grande famille, que nous diviserons en 
petites tribus naturelles. 

La première section est celle des lions, ou des 
félis à pelage ras et uniforme dans-sa coloration , à 
longue queue terminée par un flocon de poils. Le 
lion en est le tvpe. Les trois principales variétés de 
pays sont: le lion 'u Sénégal, à pelage jaunûtre, 
à crinière peu fournie, le lion d'Arabie, à pelage 
Isabelle et à épaisse crinière, et enfin le lion du 
Cap, jaune et brunâtre. Le capitaine Smce en dis- 
tingue le ontiah baug ou chameau-tigre des In- 
diens de Guzarate, qu'il appelle felis les, varietas 


_goojratensis (1), qui paroît être inoffensif- pour 


l’homme. Dans ces dernières années, M. Des: aies (?) 
a retrouvé à la queue du lion de Barbarie l’ongle ou 
aiguillon implanté dans la ernière vertèbre caudele 
qu’lle termine au milieu de la touffe de poils, et 
qu'Homère avoit ind quée. Ce fait étoit demeuré 
inaperçu pendant une longue s‘rie de siècles. 

* A cette tribu nous ajoutons le PUMA, nommé aussi 
le lion d'Amé ique, décrit par Buffon sous le nom 
de couquar (felis discolor, L.), et qui vit dans 
toutes les régions chaudes et tempérées de l’Amé- 
rique méridionale. C’est évidemment le goua- 
zouara de d’Azara et le fig e rouge des Péruviens. 
Doit-on en distinguer le félis unicolore (felis uni- 
color, Trail.) des profondes forêts de Démérary, 
dans la Guyane hollandoise, de taille moindre de 
moitié que le puma, à pelage fauve bruaâtre sans 
taches, les orcilles sans bordure noire et la tête 
beaucoup plus pointue que celle du couguar ? On 
regarde comme une espèce fort mal décrite le ja- 
guerété de Pison, dont Buffon à fait son CotGuar 
NOIR (felis disrolor, Screb.), que l’on dit habiter 
Cayenne et le Brésil, mais que personne n’a revu 
parmi les dépouilles qui proviennent journellement 
de ces contrées. 


(x) Proceed., t. Ti, p. 140. Jub& maris cervicalibrevi, 
erectà; cauda flocco apicali maximo nigro. 
(2; Ann, sç. nat,,t, XVIL p, 79. 


406 


La deuxième tribu est celle des ricres. Les poils 
du pelage sont ras, la tête ronde, leur coloration 
fauve doré avec de grandes rayures no‘res et pleines 
dirigées daus le sens vertical. Leur queue n’est pas 
terminée en toufle. LE TIGRE ROYAL (felis tigris, L.) 
est répandu sur une vaste étendue de pays. Dans les 
iles Malaises, on en rencontre une variété qui est 
l’arimaou bessar des habitants, ou le madjangedé 
des Javanais. Sir Raffles mentionne le tigre à Su- 
matra, et ajoule : 


« Deux seules espèces de ce genre sont dans la 
» collection, le tigre royal et une espèce de chat- 
» tigre. Le dernier est précisément le même que le 
» felis bengalensis, le chat-tigre du Bengale décrit 
» par Pennant, et est appelé par les Malais Rimeau 
» bulu. Les tigres sont très nombreux à Sumatra, 
»el sont très dangereux sur la côte occidentale. 
» Les naturels en distinguent plusieurs variétés, 
» telles que le rimau kunbang ou tigre noir; le 
» rimceau samplat, et autres » 


On doit regarder comme une variété du tigre 
royal ou du Bengale le tigre de la Russie asiatique, 
qui vit dans un climat plus froid que l'Allemagne 
du Nord, car on le rencontre entre les quarante- 
cinquième et les cinquante troisième degrés de la- 
titude nord dans la Mongolie, la Dzoungarie et la 
Boukarie. Cette variété s'éloigne par quelques diffé- 
rences de taille du tigre du Bengale, et s’en dis- 
tingüe surtout par un pelage plus fourni et beau - 
coup plus long. Elie est très commune dans l’Er- 
tysch, les steppes des Kirghises, et sur les bords du 
lac Baïkal (!). 

La troisième tribu est celle des CHATS-PANTHÉ- 
RINS. Leur taille est forte et puissante. Leur pelage 
est fauve ou blanc, avec des taches noires en forme 
de roses creuses ou pleines, ou des maculatures 
noires ; la queue, à sa pointe, se recourbe vers en 
haut: leur coloration a de la tendance à passer à un 
état opposé à l’albinisme, puisque le fauve devient 
noir luisant, et constitue un véritable mélanisme 
chez plusieurs espèces Les chats-panthérins sont: 
4° LA PANTHÉRE D AFRIQUE (felis pardus, L.), 
connue des anciens qui l’appelaient pardalis, et 
que les Arabes nomment faahd (?); elle a un large 
fanon sur la gorge, et paroït être répandue en 
Afrique, en Asie et même dans larchipel des 
Indes, dans les parties équatoriales. Le felis me- 
las, que Péron à observé le premier à Java, et 
dont nous avons vu un individu vivant à Soura- 
baya, ne paroît être qu’une variété atteinte de mé- 
lanisme: sa fourrure très noire laisse apercevoir 
des rosettes plus noires encore et lustrées. On le 


() Obs. sur le tigre du Nord, Ehrenb., Ann. sc. nat., 
t. XXI, p. 387; Féruss. Bull., t. XXV, p. 207. 
@) Le léopard de M. Temminck (felis leopardus\, 


HISTOIRE NATURELLE 


rencontre surtout dans Île district de Blambangan. 
2° La PANTHÈRE DES INDIS ORIENTALES (felis par- 
dus, Temm.) (!), plus basse sur jambes que le léo- 
pard, ayant la queue de la longueur de la tête et du 
corps, eL les taches noires du pelage plus nom- 
breuses et plus petites que celles de la panthère. 
Elle habite exclusivement le Bengale. 5° Le LEo- 
PARD, (felis lcopardus, L.), assez semblable à la 
panthère d'Afrique, a cependant dix rangées de 
taches beaucoup plus petites (?). Ces trois espèces 
sont confondues par les fourreurs. 4° La PANTHÈRE 
pu Nonrp (felis rbis, Muller) (#), méconnue jus- 
qu’à ce jour, est remarquable surtout par le grand 
allongement de sa queue et par ses poils longs et 
blanchâtres, crêpés et laineux à leur base. Elle à 
été figurée par plusieurs auteurs sous le nom D'ONCE 
(felis uncia, L.), notamment par Buffon, planches 
coloriées, n° 195, et par Griffith dans la traduction 
angloise du règne animal. L’'individu que M. de 
Humboldt s’est procuré à Semipalatna appartenoit 
au sexe féminin. Sa taille étoit de trois pieds huit 
pouces, tandis que la queue avoit trois pieds. Les 
poils du ventre n’avoient pas moins de trois pou- 
ces de longueur. La coloration générale étoit un 
gris blanc, avec des roses noires, marqué sur le 
milieu du dos d’une large raie d’un gris plus foncé. 
Cette panthère vit dans les contrées montagneuses 
et boisées de la Sibérie orientale, sur les rives du 
Jenisei, de l’Olenk et de l'Amour, et surtout sur 
les bords du lac Buïkal. Pallas rapporte qu’elle 
monte sur les arbres comme le lynx, et qu’elle se 
rencontre en Perse. 


Le Nouveau Monde a aussi une panthère(f), re- 
marquable par sa forte taille et ses goûts carnas- 
siers. C’est le JAGUAR outi:re d'Amérique, la grande 
panthère des fourreurs (fel s uncia, L.), très bien 
figurée par M. Fr.Cuvier. Fauve vif en dessus, mar- 
quée le Jong des flancs de quatre rangées de taches 
noires en anneaux ponctués de noir à leur centre; 
blanc en dessous avec des raies noires. Le jaguar 
est parfois atteint de mélanisme, et c’est alors le 
jaguar noir ( felis nigra, d'Erxleb.). Cet animal se 
rencontre au Paraguay, au Brésil, à la Guñane, 
généralement dans les forêts des Savanes des 1é- 
gions américaineséquatoriales. Le jaguar de la Nou- 
velle-Espigne de Buffon ne paroît pas différer de 
l'espèce type. 


() Felis chalybeata, Herm.; Screb., pl. 101. 

() On en connoît une variété atteinte de mélanisme. 

(3) Observ., etc; Ann. sc. nat., L XXI, p. 387; Bull, 
t XXV.p. 210 Cauda longiore; corpore albido macu- 
larum nigricantium annulis orellatis matimis irre- 
gularibus obtecto, villoso (Shremberg). 

(4) Le jaguar est le type de la description que Buffon 
donne de sa panthère, car Buffon n’a point connu la 
vraie panthére d'Afrique ni celle des Indes, 


DES MAMMIFÈRES. 


La quatrième tribu est celle des CHATS-OCELOÏDES. 
Leurs jambes sont fortes et courtes. de manière à 
ce que Île corps est bas. Leur queue est robuste, 
assez longue, tout d’une venue, c’est-à-dire qu’elle 
est encore forte à sa terminaison. Le pelage, assez 
court, est généralement roux doré, avec des taches 
noires, vides au ceutre, allongées el disposées par 
bandes régulières ou interrompues. La queue est an- 
pelée, les oreilles sont courtes et arrondies. Ce sont 
en un motdes panthères en miniatur , et qui vivent 
exclusivement dans l'Amérique chaude. t° Le type 
de cette tribu est l’ocecor (felis parr'alis, L.) 
ayant de grandes bandes fauves bordées de noir, dis- 
posées obliquement sur les flancs, dont le fond est 
gris. C’est le maracaya des Brésiliens, au dire du 
prince de Neuwied , et le chibigquaz u de d’Azara, 
suivant M. Temminck. L’ocelot vit dans l'Amérique 
méridionale, depuis la Plata jusqu'au Mexique. 
2 Le FÉLIS OCELOÏDE ( felès m'croura,) Wied. (1) 
se rapproche de l’ocelot. Il est fauve, gris roussâtre 
en dessus, blanchâtie en dessous. Cinq bandes lon- 
gitudinales obscures se dessinent sur ie cou, et le 
corps est couvert de taches gris brun ou noir. El vit 
dans les grandes forêts primitives des bords du Pa- 
rahyba , du Mucuri, où il est nommé par les Brési- 
liens crévles gattos pintados. 5° Le cuaATE (felis 
maitis, F. Cuv.). fauve, avec quatre rang'es de 
taches noires non liées, les oreilles noires avec une 
grande tache blanche. On le dit de mœurs douces. 
I vitau Paraguay. 4° Le marGay (felis tigrina, 
L.)oule baracaya de d’Azara, fauve, avec des 
taches d’un brun noir allongéeset formant cinq ban- 
des longitudinales. El vit au Brésil et à la Guyane. 
de Le caat pu Brésil (felis brasilivnsis, F.Cuv., 
Mamm.,t.2,) gris fauve, avec des cercles noirs 
irréguliers encadrant des taches fauves; la queue 
largement annelée de blane et de noir. Il est du 
Brésil. G° Le CHAT A COLLIER (fe'is armillatus, Fr. 
Cuv., 65° liv. }, fauve, avec de larges bandes bru- 
nes, quelques unes fauves encadrées de noir, le ven- 
tre blanc ponctué de noir. L'individu décrit par 
M. Cuvier avoit vécu à la ménagerie du Muséum; 
on ignoroit sa patrie. 7° Enfin, la dernière espèce 
des chats-oceloïdes est celle que nous avons décrite 
sous le nom de cuar ÉLÉGANT /felis elerans, Les- 
son , Cent. zool., pl. 21). Ce chat, long de dix-huit 
pouces, la queue avant douze pouces et «emi, a les 
müx liaires armés de dents peu puissantes. La supé- 
rieure a six petites incisives régulières, les quatre 
du milieu un peu déberdées par les deux plus exter- 
nes. Les canines sont longues, fortes, aiguës ; elles 
sont suivies d’une molaire, petite, à peine apparente, 
Les molaires suivantes sont robustes , tranchantes, 
tricuspides. La mâchoire inférieure présente la même 


.() Wied, Braz., pl, 11,Zool. journ., t.H, p. 531—533, 


407 
furme de dent, excepté que l’espace qni isole la ca- 
nine et la première forte molaire est sans doute la 
petite mâc elière rudimentaire qu’on remarque dans 
celle d'en haut. 

Ce chat a le pelage épais, court, très fourni, très 
doux. Sa couleur sur les parties supérieures est d’un 
roux fort vif, avec des taches d’un noir ‘intense, 
tandis que les flancs et le dessous du corps sont d’un 
blanc tacheté de brun foncé. Les membres, roux en 
dehors etblances en dedans, sont mourhetés de brun, 
et la queue est annelée de brun, sur un fond roux 
en dessus et blanchâtre en dessous. 

Mis en reprenant chaque partie en détail, nous 
trouverons les particularités suivantes : 

La tête, d’un roux doié vif cn dessus, présente 
un cercle noir autour des Yeux , et deux raivs, qui 
partent du milieu de la paupière, montent parallè- 
lement sur le c âne et se continuent sur le cou. L’es- 
pace qui les sépare est rempli de taches brunes for- 
mant des sortes de lignes iuterrompues sur l’occi- 
put. Les côtés de la tête, le dessous et le rebord de 
la lèvre supéiteure sont blancs. Deux lignes brunes 
partent de chaque côté, l’une de devant l'œil, lau- 
tre du bord postérieur de la paupière en descendant 
sur le cou, pour Punir à une large tache brune qui 
règne sur la gorge et y former uue sorte de croissant 
irrégulier, Les moustaches, longues de trois pouces 
et demi, sont blanches dans toute leur étendue. Les 
oreilles, médiocres et garnies de poils roux et fauves 
en dedans, sont d’un noir intense à leur basecn dehors, 
d'un gris blanc à leur bord externe et à leur extrémité. 
Le conest d’un roux doré en dessus et blane en des- 
sous Deux raies d’un noir profondet plein se dessinent 
longitudinalement en dessus et sur les côtés, et deux 
taches brunes se joignent presque en dessous et à la 
base. Tout le dessus du corps est roux doré; mais de 
nombreuses raies , interrompues de taches arrondies 
d'un noir profond, en occupent toute la surface. Vers 
la ligne médiane les taches noires sont pleines et 
allongces, sur lescôtés elles s’arrondissent en roses, 
dont le centre est fauve vif et le pourtour cerclé de 
noir; mais ces cercles arrondis sont rarement très 
distinets; ils s'allongent, se confondent avec leur voi- 
sin, el simulent des sortes de bandelettes sinueuses, 
interrompues ou continues, qui n’ont rien de régu- 
lier. Les flancs sont blanchâtres, mêlés de fauve 
clair, lachetés de noirâtre et de brun clair. Tout le 
dessous du corps est blanc, tacheté de brun peu in- 
tense. 

Les membres antérieurs, roux en dessus, sont 
mouchetés irrégulièrement de noir, dont l'intensité 
décroil en avançant vers les doigts. Es sont blanchà- 
tres en dessous, tachetés de brun. Seulement les 
poils de la surface plantaire des pieds sont fuligi- 
peux. Il en est de même desextrémités postérieures ; 
seulement tout le derrière du tarse , depuis le talon, 


408 


est d’un brun fuligincux uniforme. Les ongles de 
cette espèce sont petils, peu aigus, et entièrement 
cachés dans le feutre poilu qui enveloppe les doigts. 

La queue est rousse en dessus, annelée de cercles 
bruns larges, irréguliers, formant une dizaine d'an- 
peaux , qui sontinterrompus et peu marqués en des- 
sous, sur un fond blanchâtre. 

Ce chat vit au Brésil. 

A cette tribu appartiennent encore divers chats 
distingués par M. Hamilton Smith, et figurés dans 
l'édition angloise du Règne animal donné par Grif- 
fith. C'est ainsi que cet auteur place près du chat : 
le cmiBiGuazu de d’Azara, dont le pelage est rou- 
geûtre , avec le nez, la face, le cou, les épaules 
fauves , les rosettes c'euses et noires. On en distin- 
gue probablement à tortle FELIS D'HAMILTON (felès 
Hamiltoni)(1:, blanc roussätre, ayant le nez, le 
museau , le cou et les épaules fanves comme le pré- 
cédent , et quelques variantes dans la disposition des 
bandes noires et des rosaces. Le CHAT DE GRIFFITH 
(felis Griffithir), plu, petit que le précédent, est 
d’un cendré ocreux en dessus et blanchâtre en des- 
sous , et la queue est terminée par une touffe blan- 
che. Ce deruier est de Mexico, et les deux précé- 
dents, ainsi que le‘suivant, sont de l'Amérique mé- 
ridionale. Cette qnatrième espèce est le felis cate- 
sata (Hamilt. Sm.), roux jaunâtre, à région tem- 
porale de couleur d’ocre. 

La cinquième tribu est celle des rIMAOES où chats 
malaisiens , qui remplicent les tigres dans les gran- 
des iles de l'archipel Indien. Leur queue est longue, 
leur pelage ras, marqué de larges plaques irégu- 
lières encadrées de noir. Les premières notions sur 
ces grands ligres sont dues à sir Raflles qui, dans 
son catalogue des animaux qui vivent dans l'ile de 
Sumatra, s'exprime ainsi : « De deux espèces de 
» chats, le premier, appelé rimau mangin dans les 
» districts du Nord, est, dit-on, aussi grand que le 
» tigre, plus dangereux et plus destructeur que lui; 
» il attaque d’une maniéredifférente , ne se tapit pas 
» et ne s’élance pas d’une tanière, mais court avec 
» force et fureur, et même se fraie un chemin dans 
» les maisons et dans les villages. Il 3 une crinière 


» de longs poils sur sa lêteet sur son cou; une toufle 


» à l'extrémité de saqueue ; sa couleur est plus uni- 
» forme et plus sombre, et sa tête plus large et plus 
» longue que celle du tigre. Toutes ces particularités 
» de forme et de mœurs montrent qu'il est une es- 
» pêece de lion. On l’a vu en différentes parties du 
» pays, mais il est rare. 

» Le rimau dahan est presque de la taille du léo- 
» pard, mais sa couleur est plus sombre et moins 
» irrégulièrement tachetée El vitprincipalement sur 
» les arbres , poursuivant les oiseaux , et s’en nour- 


{‘) Fisher, suppl. synops., 368, 


HISTOIRE NATURELLE 


» rissant. Les naturels disent qu’il dort habituetle- 
» ment étendu sur l’enfourchure des grosses bran- 
» ches. » 

Ce rinmau mingin ne peut être animal figuré par 
Griflith sous le nom r'e the clouded tiger (f ls ne- 
bulosa ), fauve brun sur le dos, à larges macula- 
tures fauve doré encadrées de noir profond, que 
la plupart des auteurs rapportent au rimau “ahan, 
etque M. Horsfield à décrit sous le nom de felis 
macros: lis (1). Or des comparaisons de ce ratura- 
liste résulte une identité parfaite entre le chat nébn- 
leux et le macroscelis. Le pelage de ce dernier est 
gris. avec des taches noires, transversales et gran- 
des sur ies épaules, obliques sur les flancs et par 
plaques anguleuses ou arrondies, unies ou séparées, 
rarement ocellées (?). Ce félis vità Sumatra et à Bor- 
néo, et aussi, dit-on, à Siam. Le CHAT MARBRÉ (5) 
rappelle le rimau dañan en miniature. A1 vit dans 
les iles de Java et de Sumatra. 

M. Jardine est le seul naturaliste qui en ait fait 
mention, en la confondant avec le felis diarui de 
Cuvicr, espèce avec laquelle il a quelque analogie, 
surtout sous le rapport de la distribution et de la 
couleur de sa fourrure. Le chat dont il est ici ques- 
tion à les dimensions suivantes : 


Pieds. Pouce. angl. 


OO LR TOM 1 11 
Tête du bout du museau à l'occiput 

en suivant la courbure du cräne. . » 5 '/2 
OUEUC NET MEME ERONENR 1 3 '/? 
Hauleural’énau'ers à ne » 40 '/2 
Lopsueur iôlale CRE Nr tr 3 2 '/a2 


Ce chatest encore adulte, comme on a pu le con- 
stater par sa dentition. La teinte du fond est un gris 
rougeâtre où le roux domine au sommet de la tête, 
descendant sur le milieu du dos, sur les joues, la 
poitrine , les épaules, les membres antérieurs et les 
cuisses ; sur la tête on découvre des marques lon- 
giludinales noires, renfermant un espace entrecoupé 
par de peUts anneanx irréguliers ou des traits noirs, 
el à l'extérieur de ceux-ci commencent deux lignes 
noires, bien tranchées, qui prennent chacune nais- 
sance au dessus des yeux, s’élargissant sur l’occiput 
et sur la partie supérieure de la nuque et du cou où 
elles convergent, mais sans s'approcher jusqu’au 
contact ; alors elles s’abaissent sur les épaules pour 
se confondre avec les autres marques que porte la 
fourrure. Les oreilles sont courtes el un peu arron- 
dies, noires à l'extrémité, grises au centre et noires 
à leur base; la fourrure est modérément épaisse ct 


(‘) Zooi. Journ , t. L p.542, pl. 21. Sir Raffles, Trans. 
linn. Soc., tt. XIE, p. 259. Felis Diardi, G. Cuy., Oss. 
f0Ss-, LUN p.391: 

{ A las, pl. 19, d'aprés Horsfeld. 

5, Helis marmoratu, Marlin, procced. VI, 1407. 


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DES MAMMIFÉRES 


l'sse autour du corps; sur la queue elle devient plus 
touffue. M. Martin propose d'appeler cette belle 
espèce de chat f lis marmorata. à cause de la dis- 
position et des accidents de sa couleur. 

La sixième tribu est celle des GuÉPAaRS ou tigres 
chasseurs. Les félis de ceite section se distinguent 
de toutes les autres par leur tête courte et très arron- 
die, une sorte de crinière sur le cou, et par leurs 
ongles qui ne sont pas rétractiles. La seule espèce 
connue est le cuéPpanr (felis jubata e! felis gultata, 
Screber ) (:}, qui vit en Afrique et dans l'Inde jus- 
qu'à Sumatra. C’est le purdalis d'Appien, et le 
youïze des Persans. Sa taille est c:lie du léopard, 
mais ses formes sont plus élancées et ses jambes plus 
élevées. Son pelage est fauve, semé de petites taches 
noires uniformes, Son naturel est doux, et cet ani- 
mal n’a rien de la sauvagerie des grands félis, car 
il s’apprivoise avec facilité et peut être dressé pour 
la chasse. Il est irès commun au Sénégal. Le f.lis 
venilica d'Hamilton Smith n’est que le félis à 
gouttelettes de Screber. 

La septième tribu est celle des CHATS-SERVALS. 
Leur taille est petite, leur queue moyenne, leurs 
oreilles longues, droites et aiguës Leur corps est 
proportion ellement assez élevé. 115 sont tous des 
parties chaudes de l’ancien continent. i° Le SERYAL 
{ felis serval L.) est jaunâtre , à taches irrégulières 
no‘res. Il vit au Sénégal. :° L'espèce qui s’en rap- 
proche le plus est celle que nous avons nommée 
CHAT DU SÉXÉCAL (felis Sencgalensis (?), Less : 
Iilust. de z0ol., pl. 61 ). Nous décrirons compléte. 
ment celte espèce encore inédite. 

Cette jolie espèce de chat, entièrement nouvelle, 
et que nous avons eue vivante, provient du Sénégal, 
où l’espèce paroïît être commune et très répandue 
sur les bords des fleuves. Elle se rapproche du felis 
v:rerrinus décrit par M. Bennett, et qui vit au Ben- 
gale: mais elle s’en distingue suflisimment. 

L'individu que nous avons sous les yeux est de la 
taille du chat domestique, mais ses membres assez 
robustes annoncent qu’il doit acquérir une taille plus 
considérable. Son pelage est entier, d’un roux gri- 
sâtre uniforme, plus elair en dessous, et couvert de 
taches d’un noir profond, disposées par lignes sur 
le dos, et plus irrégulièrement semées sur les pattes. 
Deux landes d’un noir profond, encadrant une bande 
blanche, rendent ses orcilles très remarquables, et 


() PI. 105 et 105 bis. 

) Felis rufo-fulvoque griseus, subtus rufescenti- 
albidus. Auriculis latis intus albidis, suprà nigerrimis 
cum vitta lata nivea Dorso et lateribus tribus vittis 
nigris, necnon lineis formatis numerosissimis maculis 
atris; caudä longä, rufescenti grisea, niyro anellata 
Z'ecie rufa duabus lineis et nasa aterrimis; rostro 
albo : pedibus rufo-grims punctatis. Hab. -iculos flu- 
minis Senegalensis, (Lesson, l'Institut, 1834.) 

I, 


409 


son museau blanc, ainsi que le menton, sont bordés 
par le noir profond du nez, qui s'étend jusqu'aux 
veux, en formant un chevron de cette couleur. 

La tête est donc arrondie et surmontée de deux 
oreilles amples, élevées, à bords lisses, très poilues 
en dedaws, et rappelant celles des servals. Les yeux 
brillent de l'éclat le plus suave de l’émeraude. Ses 
moustarhes sont courtes et blanches, peu fournies. 
Le front est d’un roussâtre gris. Quelques petites 
lignes noires se dessinent sur le sommet de la tête. 
Deux rebords blanchâtres indiquent les parois laté- 
rales du rez, et sont, sur le sourcilier. marqués par 
deux taches noires. Le nez et les ailes sont noir 
profond Le peurtour des lévres et le menton sont 
blanc pur. La gorge est blanchâtre, marquée de quel- 
ques points noirs. Ses dents sont peu robustes, et les 
muquetises ont une teinte noirâtre. Tous le corps 
sur le dos et les flancs est d’un roussâtre brunâtre, 
plus foncé sur les flancs Sur ie milieu du dos se des- 
sine une raie noire uniforme, qui s'étend longitudi- 
nalement jusqu'à la queue, bordée par deux autres 
moins annelées à leur naissance surtout. Des ran- 
g es de points noirs un peu oblongs sont rapprochés 
et semés avec assez de réguiarité sur les flancs, les 
épaules et les cuisses. Les taches des épaules sont pe- 
tites et nombreuses, de même que celles des pattes. 
Quelques bandes brunes recouvrent les membres en 
dedans et en haut. Les doigts sont forts, épais et 
armés d’ongies assez robustes, très rétractiles, et qui 
sont blancs. Le dessous dau corps est blanchätre et 
sans taches. La queue est allongée, pointue, rous- 
sâtre, terminée de noir et marquée de sept à huit 
anneaux noirs incomplets. 

Le pelage est assez épais, très fourni; ce chat ha- 
bite les bords du fieave Sénégal , dans nos établisse- 
ments d'Afrique. L’individu décrit vit dans l'hôpital 
de la marine à Rochefort. 

5° Le FELIS VIVERRIN (felis viverrinus) (!), rem- 
place le serval sur le continent de l’Inde. Sun pe- 
lage est fauve cendré avec des bandelettes noires 
ou des meculatures sur les flaucs, le ventre et les 
membres. 

La huitième tribu est celle des vrais CHATS, dont 
la taille est médiocre ou petite, les oreilles nues, 
arrondies aux bords, les membres proportionnés, 
le pelage épais et soyeux , diversement couvert de 
barres et de taches. On peut les diviser en petites 
seclions : 


Les VRAIS GHATS SERVALINS de l’ancien continent 
sont : 1° Le cHar DE LA CaFrerIE (felis Cafra, 
F. Cuv., 62° liv.). Gris brua jaunätre sale, avec des 


(5) Bennett, Proceed., t. I, p. 68. Fu/vo-cinereus, 
subis albescens; capite, nuchä, dorso, genis, qulâque 
nigro vitlatis; latsribus, ventre, pedibusque nigro 
maculatis, 

2 


HE 


410 


bandes brunätres circulaires, et la queue terminée ; 
de noir. Sa taille est celle du chat sauvage, et ses 
formes sont élancées. Il a été rapporté de la Cafrerie 
par M. Delalande. 2° Le CHAT GANTÉ (felis mani- 
culata, Cretzschm, pl. 1). Voisin du précédent, gris 
brun en dessus, à teintes claires et ocreuses en des- 
sous, les membres annelés de brun et des zones 
jaunes sur la poitrine. Découvert dans le Kordofan 
par M. Ruppell. 5° Le CHAT A TACHES DE ROUILLE 
(felis rub'ginosa, Isid. Geoff.)('). A pelage gris 
rougeâtre tiqueté de blanc, et varié de taches rousses, 
passant au noir intense sur le ventre. Ce chat habite 
les bois de lataniers sur les coteaux aux alentours de 
Pondichéry. Il est de la taille du chat domestique. 
4° Le cuar pu Népauc (felis torquata, F.Cuv.) (2) 
et du BEXGALE. De la taille du chat ordinaire, gris 
fauve en dessus, blanc en dessous, le front marqué 
de quatre lignes brunes, deux sur les joues, un 
double collier, et des taches brunes sur le dos, le 
ventre et les pieds. Il vit au Bengale et au Népaul. 
5° Le CHAT NOIR pu Cap (felis obscura, Desm.) (3). 
Brun noir foncé avec des bandes transversales noi- 
res. 6° Le CHAT DE MOORMES (felis moormensis, 
Hogson) (f). Fauve en dessus, plus pâle en dessous , 
ayant le sommet des oreilles et de la queue noir, le 
menton blanc, les raies de la face jaunes bordées 
de noir. Sa taille est plus forte que celle des chats 
ordinaires, et il est très élevé sur ses membres. Cet 
animal paroît être rare dans les montagnes du Né- 
paul, sa patrie. 

Les vrais chats sont répanlus dans l’Ancien 
Monde et dans le Nouveau. Déjà sir Rafles, en par- 
lant de ceux de Sumatra, a dt: 

« Il est à propos de mentionner aussi la variété 
» de chats domestiques particulière à l’archipel Ma- 
» Jais, remarquables par leur queue tortillée ou ter- 
» minée en houppe, en quoi ils ressemblent à ceux 
» de Madagascar. Quelquefois ils n’ont pas de queue 
» du tout. Cette coïncidence avec la variété de Ma- 
» dagascar est encore plus frappante, ainsi que la 
» ressemblance entre le langage et les coutumes des 
» habitants de Madagascar et ceux des iles malaises, 
» qui ont souvent été un sujet d'observation. 

» Outre ces espèces, les naturels ont parlé de deux 
» autres qui existent à Sumatra, le chiqau ou jigau, 
» et le rimau dahan. » 

Les chats de l’ancien continent sont : Le CHAT 
commun (felis calus, L.), originaire des forêts de 
l'Europe, dont le minul de Pallas, qui vit dans la 
Tartarie mongole ne seroit qu’une variété. Brisson 
en a distingué la race domestique (felis domestica, 


(:) Zool de Bélanger, pl. 6, p.140. 

(2) Felis Bengalensis, Desm , suppl, p.540: felis Ne- 
palensis, Horsf. et Vigors, Zool.journ.. IV, 382, 

6, Felis capensis, Forster, Griff, 

(:) Proceed, t. II, p. 10, 


HISTOIRE NATURELLE 


Brisson), et ses nombreuses variétés, décrites par 
Buffon, celles de Chine et du Japon exceptées, la 
première à longs poils laineux blancs, à oreilles 
pendintes, et la seconde tachetée de blanc, de noir 
et de jaune, à queue cour'e. 

Les chats ondés, de Java et de Sumatra, parois- 
sent ne former qu’une espèce. Le premier (felis un- 
dala, Desm )(1), a le pelage gris sale, tacheté de 
noirâtre. Il +st de la taille du chat doméstique. Le 
second (fe'is javanensis, Horsf., Zool. research. ), 
nommé par les Javanais kuwuk, est gris fauve, avec 
quatre raies fuligineuses interrompues sur le dos, 
des taches oblongues sur les flancs, une seule ban- 
delette sur le museau et deux au cou de teinte de 
suie. Le troisième (felis sumatrana, Horsf., Zool. 
research.), est d’un gris ferrugineux nuancé de jau- 
nâtre, avec des raies confluentes d’un noir fauve sur 
le dos, et des taches irrégulièrement anguleuses sur 
les flancs; c’est le rimaou-boulou des Malais. Le 
CHAT AUX PIEDS NOIRS (félis nigrippes, Burchell) (?), 
de couleur ocreuse, plus clair en dessous, avec des 
tacies oblongues noires, qu’on trouve dans la Ca- 
frerie, ne diflère peut-être pas du felis cafra men- 
tionué plus haut. 

Nous pensons que c’est ici que doivent être placés 
deux chats de Sumatra, décrits par MM. Vigors et 
Horsfield (3), qu'ils nomment : le premier (fel:s pla- 
niceps), brun roux, les poils des flancs blancs à leur 
pointe, le dos plus foncé en couleur, la tête rousse, 
deux lignes entre les yeux allant jusqu’à l’occiput, 
les joues, la poitrine et le bas-ventre blancs. La 
queue est très courte, et ce qui caractérise cet ani- 
mal est une dépression qui va de la racine du nez 
jusqu’au bout du museau. Le second (felis Tem- 
minclii), est roux, ayant sur le front deux bande- 
lettes blanches alternant avec trois noires, les oreilles 
blanches en dedans, noires en dehors, le menton, 
le thorax et le ventre blancs. Sa taille est celle du 
chat domestique. Sa queue a douze pouces de lon- 
gueur, le corps en mesure dix-neuf. 

Les vrais chats américains ont des formes plus 
ramassées, la tête plus arrondie, les couleurs plus 
tranchées. On peut distinguer : 1° Le JAGUARONDI 
(felis ja uarundi, Desm.) de d’Azara. En entier 
d’un brun noirâtre, piqueté de blanc sale, et qui 
vit dans les bois du Chili, les plaines du Paraguay, 
où il chasse aux oiseaux. 2° Le CHAT A VENTRE TA- 
GHETE (felis ce‘idogaster, Temm.) Gris de souris, 
avec des taches pleines brun chocolat, cinq on six. 
bandes brunes sur la poitrine, et qui vit au Chili 
ou au Pérou. 5° Le CO1.0c0L0 (felis colocolo, Mo- 


() Felis minuta, Memm. 

(2) Travels, 11. 

G) Zool. Journ.,t, I, p 449; Bu'l. Féruss., t. XIX » 
p. 105. 


DES MAMMIFERES. 


lina) (t). Blanc, transversalement rayé de noir et de 
jaune, du Chili et de Surinam. 4° Le GurGxaA (feli 
guigna, Molina) (?). Fauve, tacheté de noir, égale- 
ment du Chili. 5° Le CHAT DE LA CAROLINE ( felis 
caro inensis, Desm.). Fauve clair, le dos strié de 
noir, des taches brunes sur le ventre, indiqué par 
Collinson, à la Caroline. 6° Le PAJEROS où CHAT 
papa (felis pajeros, Desm.), du Paraguay. A poils 
longs et mous, d’un fauve blanchâtre er dessus, 
marqué sur la gorge et le ventre de bandes trans- 
versales rousses. 7° L’Evra (felis eyra, Desm.), de 
d'Azara. D'un roux clair, tacheté de blanc sur les 
côtés du »ez, à queue touffue. 8° Le CHAT MEXICAIN 
(felis mexicana, Desm.) (3), que Buffon a figuré sous 
le nom de chat sauvage de la Nôuvelle-Espagne, à 
pelage unicolore, blanc bleuâtre, ondé de noirûtre. 
Toutefois, la plupart de ces espèces exigeroient un 
nouvel examen. 

La neuvième et dernière tribu est celle des LYNX 
ou des LOUPS-CERVIERS, dont le pelage est formé de 
longs poils, la queue assez courte, les oreilles gran- 
des, dressées et terminées par un fort bouquet de 
poils. Ces animaux vivent aussi bien dans le nord 
des deux continents que dans les parties chaudes de 
l'Ancien Monde. On doit y classer : 4° Le CARACAL 
(fe is caracal, L.). À pelage roux vineux, presque 
unicolore, et qui vit en Perse eten Turquie. Cet ani- 
mal paroit être le {ynx des anciens, rendu si célèbre 
par la bonté de sa vue. On en distingue le caracal 
d'Alger, à pelage roussätre, avec des raies longitu- 
dinales en croix ; le caracal de Nubie, ayant des 
taches fauves sous le corps; et le caracal du Ben- 
gale, ayant une très longue queue ({). 2° Le cHaus 
(felis chaus) (5), ou le Iynx des marais. Gris brun 
jaunâtre, ayant une queue qui touche les jarrets, 
et qui est annelée de noir au bout. El habite les ma- 
récages du Caucase, de la Perse et de l'Egypte, et 
chasse aux oiseaux d’eau. On en distingue : 5° Le 
LYNX BOTTE (felès caligata, Temm.) (6). Un peu plus 
petit, à oreilles rousses en dehors. El se trouve en 
Afrique, depuis l'Egypte jusqu’au cap de Bonne- 
Espérance , et aussi dans le midi de l’Asie. 4° Le 
CHAT-CERVIER DES FOURREURS ( felès ruf 1, Guld.) (?). 
Fauve roussâtre ou grisâtre, ou moucheté de bru- 
nâtre , ayant des ondes brunes sur les cuisses la 
queue annelée de brun ou de noir. 8° Le LYNX DE 
Mexico (8) (felis maculata) (?). Roux grisâtre, plus 


(") F. Cuvier, Mammif. 

@) Poeping , Bull. Féruss., t. XIX, p. 99. 

6) Fels Nove Hispaniæ , Schinz. 

(&) Buffon, pl enl., no 292. 

(5) Guldensletdt; Screber, pl. 110; Ruppell, p. # 

(6 Temm., Monog., p. 121. Le liux botlé, Bruce, 
2e voy., L IX, p. 296, pl. 30. 

(7) Screber, pl. 169, B. 

(8) Lyon, ms. 

(9) Horsf, et Vigors, Zool. Journ, IV, pl. 43, j. 381. 


411 


foncé sur le dos; les flancs et les membres maculés 
de brun du côté externe, la gorge, le dessous du 
corps et le dedans des membres blanes, largement 
tachetés de brun.6° Sous le nom de LOUPS-CERVIERS, 
les pelletiers confondent plusieurs animaux distincts 
comme espèces. C’est ainsi que la Suède nourrit trois 
Lynx, décrits sous le nom de felis lynæx par Linné (1). 
1° La première de ces espèces est le feiis lupulinus 
de Thumberg, le vrai feiis {ynæx de Linné, ayant 
des taches ferru:ineuses parsemées de taches noires ; 
c’est le varg-lo des Suédois, ou lynx-loup. 8° La 
seconde de ces espèces de la Scandinavie est le katt- 
lo ou lynx-chat des chasseurs, le felis lorealis de 
Thumberg, à pelage blanchâtre, maculé de stries 
noires petites (?). Et 9° la troisième est le raf-lo ou 
lynzx-renard, le felis-vulpinus de Thumberg, à pe- 
lage roux, avec des taches noires peu nombreuses. 
Pontoppidan a mentionné cette dernière espèce sous 
le nom de raf-goupe; elle est très rare en Suède, et 
l'académie d'Upsal n’en possède qu’un seul individu 
tué aux environs de la ville. 

On doit distinguer des lynx de la Suède les sui- 
vants : 10° Le LYNx D’ASIE (felis cervaria, Temm.), 
gris-roussâtre , avec des mouchetures noires bril- 
lantes. Cet animal est de la taille du loup, et pro- 
vient du nord de l’Asie par la voie de Moscou. 11° Le 
LYNX Du CANADA (felis borealis, Temm.), qui nous 
paroit différer de la même espèce de Suède, à pe- 
lage épais, touflu, gris cendré, sans aucune tache 
distincte, seulement ondé de brun, et qui est ré- 
pandu dans toutes les contrées boréales de l’Amé- 
rique. 12° Le Lynx de l’Europe tempérée (felis lynx, 
Temm.), roux, tacheté de roux brun, et se ren- 
contre dans les Pyrénées, les Apennins, et aussi, 
dit-on, en Afrique. 15° Le LYNx du midi de l’Europe 
(felis pardina, Oken), plus petit et moins velu que 
le précédent, roux, moucheté de noir, ayant des 
mouchetures même sur la queue, et qu’on rencontre 
en Portugal, en Sardaigne, en Sicile et en Turquie. 
Cet animal paroît être le loup-cerrier décrit par 
Perrault, dans les Mémoires de l’Académie (t. LIT, 
p-195, pl. 17}. 

Rafinesque a décrit quelques lynx de l'Amérique 
du nord qui sont très mal caractérisés, et qu’on ne 
doit, par conséquent, admettre qu’avec doute. 1° Le 
LYNX A BANDES (lynæx fasciatus, Raf.) (3). A pelage 
épais, roux fauve, raÿéel ponctué de noir, la queue 
blanche, terminée de noir. De la côte nord-ouest d’A- 
mérique, où le rencontrèrent Lewis et Clark. 2° Le 
Lynx pu Mississipr ({ynx montanus, Raf.). A pelage 
grisâtre, sans laches en dessus, blanchâtre en des- 
sous , tacheté de fauve. Des monts Alleghanys, du 


() Thumberg, Deuk. Schr.,t. IX, p. 187. 
(2) Ibid, Oct. de Stoc., 1815. 
@) Amer, month. Mag, 1817, pl. 46. 


412 


Pérou, de New-York. 5° Le LYNX DE LA FLORIDE, 
lynx floridanus, Raf.). A pelage blanchâtre, ta- 
cheté sur les flancs de fauve jaunâtre et de bande- 
lettes noires ondulées. FI habite la Floride, la Géor- 
gie et la Louisiane. 4° Le LYNX DORE (lynx aureus, 
Rafinesq.). À pelage d’un jaune clair, parsemé de 
taches noires et blanches . brillantes. Le ventre d’un 
jaune pâle. sans taches. Habite les rives de Yellow- 
Stone, dans le Missouri. Paroit être le chat sauvage 
indiqué dans le voyage de Charles Le Raye. 

Oa doit regarder comme un caracal le FEL'S DORE 
(felis chrysothrix, Temm.), bien que ses orcilles 
soient à peine garnies d'un pinceau de poils. Plus 
grand que le caracal, son pelage, court et lusiré, 
est rouge bai très vif, sans tache sur le corps. Ses 
pattes sont courtes, d’un roux doré, brillant On 
ignore la patrie de cet animal. 


LES PHOQUES. 
Phoca. 


Sous ce nom générique Linnæus, Erxleben, Illi- 
ger, MM. Cuvicr, Geoffroy Saint-Hilaire, de Blain- 
ville, et la plupart des auteurs qui les ont suivis, 
comprennent une grande famille naturelle de mam- 
mifères carnivores et amphibies dont les pi-ds sont 
enveloppés dans la peau et disposés en forme de 
pageoires. Cette organisation gène leur marche sur 
Ja terre, où ils ne font guère que ramper sur les ri- 
vages, tandis que dans l’eau ils nagent avec facilité. 
Les carnivores amphibies ne comprennent que les 
deux genres anciens , ho: a el triche hus, et forment 
ainsi un groupe très naturel que l’on à nommé 
phocacés. M. Cuvier le place : avant les marsupiaux 
et après les carnassiers digitigrades; M. Doméril au 
contraire le rejette à la fin de sa classe des mam- 
miières, dans son avant-dernière famille, qui pré- 
cède seulement les cétacés. M Eatreille, dans ses 
familles naturelles du règne animal, a établi un ciu- 
quième ordre, celui des amphibies, et sa première 
famille est celle des cynomorphes , et comprend les 
genres phoque el otarie, ce dernier n’élant qu'un 
démembrement du premier. M. Temminck a suivi 
à peu près la même règle de classification que 
M. Cuvier. Les phoques ont dans ces derniers temps 
été l’objet de travaux estimables dout nous présen- 
terons une analyse détaillée; mais nous devons 
avouer cependant qu’il n’est pas d'êtres dont l’his- 
toire soit plus incomplète, plus fautive, plus sur- 
chargée d'erreurs : aussi leur étude est-elle encore 
dans l'enfance. Comment en effet pouvoir grouper 
les renseignements épars, souvent inrohérents, 
des voyageurs, les seuls qui nous en aient fourni 
de nombreux, mais dont l'abondance ne compense 


| 


HISTOIRE NATURELLE 


pas la bonté, et qui sont on ne peut plus embarras- 
sants à mettre en ordre et à consulter avec fruit? Ces 
animaux d’ailleurs varient suivant les âges, les sexes, 
les saisons et les climats. La plupart n'existent 
point dans nos musées, et ne sont établis que sur 
des descriptions souvent incomplètes ou sur des 
figures dessinées avec plus ou moins d’exactitude. 
Les movens de comparaison manquent donc pour 
établir leurs caractères, et par conséquent la ma- 
jeure partie des espèces se trouve reposer sur des 
êtres équivoques. Il n’en est pas de même de-celles 
étudiées par les naturalistes modernes; leurs des- 
criptions les isolent nettement de loutes les autres, 
el ce sont ces espèces-là que nous citerons de pré- 
férence. D'un autre côté, l'intérêt que présente 
l’histoire des phoques sous le rapport de l’organi- 
salion, des mœurs, de l'habitation; les ressources 
qu’ils fournissent à l’économie politique ; les arme- 
ments que nécessite leur c'asse; les traits divers 
qui se rapportent à chacun d'eux, nous forceront à 
nous étendre un peu sur ces divers points, à outre- 
passer les bornes habituelles de nos descriptions. 
Les phoques ont été connus des anciens, qui sou- 
vent les mentionnent dans leurs écrits sous le nom 
de phoca adopté par les modernes; les poëtes les 
nommoient les troupeaux du vieux Protée. Tous les 
auteurs de l’époque de la régénération des lettres 
les décrivent également sous une foule de noms 
qu’il seroit sans utilité de reproduire; quelques uns, 
tels que Gelsins, Olaus Worm, Aldrovandi, Gessner, 
en dounèrent des figures plus ou moins grossières. 
Mais nous ne remonserons pas plus haut que les 
écrits de Linnæus, et même que la douzième édition 
du Systema Nalu:æ donnée par Gmeiin. Les pho- 
ques, phoca, commencent la troisième classe, les 
ma, malia firæ de Linnæus, et le nombre des es- 
pèces est borné à dix ; cependant ces êtres venoient 
d’être mieux étudiés. Steller avoit fait cornoître 
ceux du pôle boréal ; Eggède et Crantz y ajoutérent 
quelques espèces, et Molina les phoques porc, 
urigne et éléphant, de la mer du Sud. Erxleben 
(Sy:t., 1717) n'a décrit que neuf espèces, et paroît 
avoir donué tous ses soins à la synonymie, qui n’en 
est pas moins souvent erronée. Buffon et les natu- 
ralistes qui le suivirent n’ajoutèrent que des faits 
partiels à ce que l’on savoit sur ces animaux; mais 
déjà la multiplication des espèces ne permettoit 
guère de les présenter avec ordie et netteté. Péron 
le premier, guidé par Buffon, eut l’idée heureuse 
de diviser le genre phoque en deux, suivant que 
ces animaux ont une conque extérieure apparente 
ou nulle. Les prem'ers reçurent le nom d'otarie, 
o' ra; et les seconds conservèrent le nom de pho- 
que proprement dit, phoca. Cette division fut géné- 
ralement admise, et elleest d'autant plus commode 
pour la pratique qu’elle est fondée sur un caractère 


DES MAMMIFERES. 


facile à saisir et à distingner. Tout récemment 
M. Fr. Cuvier, portant un examen attentif sur des 
crânes qui existent dans le Cabinet d'anatomie, fut 
autorisé à former sept genres fondés sur la forme 
des dents; etenfia Nylsson en ajouta un huitième, 
également établi sur ces organes. Mais M. de 
Blainville avoit déjà cherché à séparer en coupes 
plus nombreuses, et en se servant de caractères 
tirés des dents incisives, des phoques dont il püt 
étudier les dépouilles, mais sans leur donner de 
noms distinctifs. 

Linnæus caractérisa les phoques ainsi qu’il suit : 
incisives supérieures aiguës, parallèles, au nombre 
de six: les extérieures plus grandes que les inté- 
rieures ; les inférieures au nombre de quatre, égales, 
régulières, obtuses : canines plus longues que les 
incisives du double, aiguës, robustes; moluires, 
cinq ou six de chaque côté, tricuspides; auricules 
nulles ; pieds postérieurs réunis. Erxleben adopta 
l'exposition des caractères donnés par Linnæus, et 
en modifia seulement quelques points. C’est ainsi 
qu'après la phrase erronée d’auricules nulles, il 
ajouta chez la p'upart, et qu'après celle de pieds 
postérieurs réunis, il plaça le mot pentadactyles. 
Nous passons sous silence les caractères génériques 
présentés par divers auteurs moins connus, et in- 
termédiaires à Linnæus et à M. Cuvier. Ce dernier, 
dont le nom est d’un si grand poids en zoologie, 
définit ainsi les phoques : « Ce sont des animaux 
qui ont quatre ou six incisives en haut, quatre en 
bas; des canines pointues et des molaires au nom- 
bre de vingt, vingt-deux ou vingt-quatre, toutes 
tranchantes ou coniques, sens aucune partie tuber- 
culeuse ; à tous les pieds cinq doigts, dont ceux de 
devant vont en décroissant du pouce au petit doigt, 
tandis qu'aux pieds de derrière le pouce et le petit 
doigt sont les plus longs, et les intermédiaires les 
pl s courts; les pieds de devant sont enveloppés 
dans la peau du corps jusqu’au poignet; ceux de 
derrière presque jusqu’au talon : entre ceux-ci est 
une très courte queue. » 

M. Fr. Cuvier, dans un travail fort remarquable, 
basé sur une connoissance rigoureuse des espè- 
ces, divisa les phoques existant dans les collec- 
tions en sept genres qu'il nomma : Calocéphale, 
sténorhyn ue, pélage <temma ope, mariorhin, 
arcioc’phale et plalyrhinque. Dans ces sept genres 
M. Fr. Cuvier ne décrivit qu'un petit nombre d'es- 
pèces ; il fut forcé de rejeter sous les anciens noms 
de phoque et d’otarie, la plupart des individus va- 
guement connus. Nous pensons devoir passer suc- 
cessivement en revue ces nouveaux genres et les ca- 
raclères qui leur sont assignés, : 

4° CALOCÉPHALE, ealocephalus. Fr. Cuv. Mâche- 
lières formées principalement d’une grande pointe 
placée au milien, d'une plus petite située antérieu- 


413 


rement, et de deux, également plus petites, placées 
postérieurement; boîte cérébrale bombée sur les 
côtés, aplatie au sommet ; de légères rugosités peur 
crêtes orcipitales ; trente-quatre dents, six incisives, 
deux canines, dix molaires en haut; quatre incisives, 
deux canines, dix molaires en bas. 

Les espèces que M. Fr. Cuvier admet dans ce 
genre sont les phoques veau-marin, lièvre, marbré, 
lagure, groëniandois, hérissé et barbu Tel au’il est 
composé, le groupe des calocéphales comprend des 
animaux qui vivent dans nos mers, et qui se distin- 
guent par la membrane interdigitale , qui ne dépasse 
pas les doigts et qui n’enveloppe pas entièrement 
ceux de devant; en ce que les doigts vout en dimi- 
nuant de longueur graduellement de l’interre à l'ex - 
terne, et que les deux doigts externes des pieds 
postérieurs sont plus longs que les autres; par leur 
pupille verticale, par les narines qui sont obliques, 
par la langue qui est échancrée à son sommet ; par 
leurs mamelles qui sont au nombre de quatre, et 
abdominales. 

Les calocéphales sont remarquables parune grande 
intelligence, ce qu’ils doivent en partie à leur organe 
cérébral largement développé. Ils sont doux, faciles 
à apprivoiser, susceptibles d’attachement, et recon- 
noissent les soins qu’on leur porte; ils nagent avec la 
plus grande aisance, mais se trainent avec difliculté 
etaveceflort sur le rivage où ils se rendent pendant 
certain temps de l’année. 

2° STÉNORHYNQUE slenorhynchus. Fr. Cuv. Le 
museau est très proéminent el efMilé ; les dents sont 
composées à leur partie moyenne d'un long tuber- 
cule arrondi, cylindrique, recourbé en arrière, et 
séparé de deux autres tubercules un peu plus petits, 
‘un antérieur et l’autre postérieur, par une pro- 
fonde échancrure : leurs pieds n’ont que des ongles 
très petits. 

Dans ce genre M. Fr. Cuvier ne place que le pho- 
que leptonyx de M. de Blainville, dont le phoque de 
Weddell n’est pas très distinct. On ne connoit point 
ses habitudes ni ses mœurs. 

5° PELAGE, pelagius. Fr. Cuv. Il a le museau al- 
longé, très élargi à son extrémité, à chanfrein très 
arqué; incisives supérieures échancrées transversa- 
lement à leur extrémité; les inférieures simples ; 
molaires, épaisses et coniques, n'ayant en avantet 
en arrière que de petites pointes rudimentaires. 

Une seule espèce appartient au genre pélage ; 
c'est le phoque moine de la mer Adriatique, dont 
les pieds de derrière sont quelquefois privés d’on- 
gles, les narines parallèles, la pupille verticale, 
l'orcille sans conque externe : quatre mamelles pla- 
cées autour du nombril. 

49 STEMMATOPE, stemma'opus. Fr. Cuv. Une 
seule espèce appartient à ce genre, que caracléri- 
sent un organe éreclile surmontant Ja tête; trente 


414 


dents, dont les molaires, courtes, élargies, ont une 
simple racine ; leur couronne, striée plutôt que den- 
telée, sort très peu des gencives; le museau est 
étroit, oblus, et le cerveau assez développé. Tout ce 
qu’on sail de son organisation se borne au manque 
d'oreille externe, à la langue qui est douce et échan- 
crée, aux doigts qui sont onguiculés et débordés par 
Ja membrane natatoire. Le phoque mitré deCamper, 
phoca crislala, Gm., est encore le seul amphibie 
de cette tribu que l’on connoisse. 

5° MACRORHIN, macro: hinus. F. Cuv. Ce genre, 
comme le stemmatope, s'éloigne beaucoup des pho- 
ques proprement dits par ses formes el surtout par 
son système dentaire. Les dents sont au nombre de 
trente ; les incisives sont crochues comme les cani- 
nes, mais seulement un peu plus petites ; les racines 
des molaires sont simples, plus larges que les cou- 
ronnes, qui imilent un mamelon pédonculé. Le 
type de ce genre est fourni par l’éléphant de mer 
de Péron. 

6° ARCTOCÉPHALE, arclocephalus. Fr. Cuv. Il a 
trente-six dents, la tête surbaissée, le museau ré- 
tréci; les quatre incisives moyennes sont partagées 
transversalement dans leur milieu par une échan- 
crure profonde; les inférieures sont entaillées d’a- 
vant en arrière; les molaires n’ont qu’une racine, 
moins épaisse que la couronne, qui cousiste en un 
tubercule moyen, äyant à sa base, en a ant et en 
arrière, un tubercule beaucoup plus petit. 

Dans les aretocéphales les membres antérieurs 
sont placés très en arrière, ce qui contribue à don- 
ner au cou une extension démesurée; les posté- 
rieurs ont leur membrane lobée dépassant les 
doigts et à cinq festons; la conque externe des 
oreilles est rudimentaire. On n’en connoit qu’une 
espèce, qui et l'ours de mer de Steller et de 
Forster. 

7° PLATYRHYNQUE, pla yrhynchus. Fr. Cuv. Sa 
région cérébrale est très élevée, le museau élargi; 
le même système dentaire, numériquement, que les 
arctocéphales ; mais les incisives sont aiguës, et les 
molaires n’ont pas de pointe secondaire postérieu- 
rement. Le type de cette division est le lion marin 
de Steller. 

Tel sont les sept genres adoptés par M. Fr. Cu- 
vier, et dans lesquels, faute de détails précis, on 
ne peut classer la plupart des espèces mentionnées 
si vaguement sous les noms mille fois erronés de 
veau marin, lion marin, loup marin, ete. Un autre 
genre fut admis par Nylsson et fondé sur le phoca 
hispida de Fabricius, et adopté par Hornschuch 
dans un Mémoire sur une espèce de phoque de Po- 
méranie (Isis, t. VIII, p. 810; 1822), sous le noin 
d'halychirus. Les caractères principaux de ce 
genre seroient , suivant Hornschueh , dans la quan- 
tité et la forme des dents; celles-ci sont au nombre 


HISTOIRE NATURELLE 


: de trente-quatre. Toutes sont coniques, recourhées ; 


les inférieures égales, courtes, séparées également 
par un intervalle vide ; les deux incisives externes 
d’en haut simulant des canines, et marquées d’un 
canal étroit à leur partie postéreure; les quatre 
intermédiaires plus longues et d’égale longueur ; 
canines inférieures rapprochées, sillonnées en ar- 
rière et en dedans, s’engageant dans un intervalle 
des canines supérieures qui sont semblables; mo- 
laires triquêtres, les supérieures convexes sur leur 
face externe, recourbées, les troisième et qua- 
trième plus grandes; les inférieures pyramidales, 
les deuxième et troisième plus fortes : les ongles sont 
plus longs et plus recourbés que chez les autres 
phoques. Une seule espèce est le phoque gris ou 
ph ca annellata de Nylsson des mers du Nord. 

Telles sont les divisions admises en ce j ‘ur; mais 
comme la plupart des espèces ne sauroient y être 
placées, et que ces genres seront un jour l’objet 
d’un nouveau travail et sans doute d’une nouvelle 
révision, nous suivrons dans la description des es- 
pèces l’ordre plus communément admis des genres 
phoque et otarie. 

Destinés à vivre dans un liquide dense ({ tel que 
l'eau, susceptibles de séjourner Jlong-temps sur 
terre, quoique ce ne soit pas cette dernière habi- 
tation qui leur fournisse leur nourriture, les pho- 
ques doivent jouir d’une organisation en rapport 
avec ces deux genres d'existence. Par les formes 
extérieures de leur enveloppe corporelle, i!s ne dif 
férent point des quadrupèdes carnassiers terres- 
tres, tandis que par leurs membres conformés poar 
la natation ils s’en éloignent au contraire beaucoup. 
Les phoques et les loutres ont aussi plus d’un point 
d’analogie. Nous sommes redevables à Daubenton 
des premiers détails positifs sur l'anatomie de ce 
genre. Selon lui, les phoques sont plus particuliè- 
rement remarquables par les circonstances suivan- 
tes : le bras et l’avant-bras sont courts, et cachés 
sous la peau de la poitrine; les doigts sont empâtés 
dans une membrane qui sert de nageoire, et sont 
au nombre de cinqzles poils sont généralement 
durs , secs et cassants : dans quelques espèces ils 
sont de deux sortes, et il y en a de doux et de 
soyeux : les soies des moustaches sont généralement 
plates, et même noueuses à la manière des antennes 
de certains insectes coléoptères. Les viscères offrent 
entre autres particularités un épiploon court et fort 
mince, le foie plus étendu à droite qu’à gauche, 
l'estomac occupant le milieu de la région épigastri- 
que. courbé en arc de cercle, dont la convexité se 
trouve en arrière, et les deux ext émités en avant 


(:) Buffon attribuoit à l'ouverture du trou de Botal 
celte faculté; mais les observalions modernes ont 
prouvé que cette prélendue ouverture constante étoit 
oblitérée comme chez les autres animaux. 


DES MAMMIFÈRES. 


et sans grand cul-de-sac ; le canal intestinal fait de 
nombreuses circonvolutions; le cœcum est fort 
court, et arrondi par le bout ; le foie est très grand, 
mais il est moins épais que long et large; ses lobes, 
au nombre de quatre, sont fort longs et pointus ; et 
c’est à tort que Perrault en indique six, car il aura 
pris pour autant de lobesdistincts les trois portions du 
lobe moyen; la rate est placée transversalement de 
droite à gauche sur l’estomac ; le pancréas est assez 
grand, très épais, très compacte, de forme oblon- 
gue irrégulière, plus large à son extrémité droite 
qu’à la gauche; les reins sont fort grands, tubercu- 
leux en dehors; le cœur est ovoïde, placé dans le 
milieu de la poitrine plus à droite qu’à gauche; les 
poumons ont un seul lobe volumineux, le gauche 
un peu plus grand que le droit; la langue est 
échancrée à l’extrémilé, comme fourchue, très 
étroite, très mince au sommet, large, épaisse et 
courte à la base, garnie de papilles : cerveau dé- 
veloppé, et cervelet beaucoup plus grand à pro- 
portion. 

La vulve chez la femelle touche à l'anus; les 
lèvres sont minces, le clitoris gros et long; vagin 
étranglé au milieu de sa longueur ; col de la ma- 
trice formant un bourrelet aplati; vessie de forme 
oblongue et presque conique. Le squelette des pho- 
ques ne diffère que peu de la forme dévolue aux 
autres mammifères, et les différences principales 
s’observent seulement dans les organes locomoteurs ; 
cependant les os offrent des différences saillantes, 
dont voici les principales : les apophyses épineuses 
des vertèbres sont très courtes; les côtes sont au 
nombre de quinze de chaque côté, dix vraies et cinq 
fausses; le sternum est composé de dix os fort étroits, 
et le dernier est le plus long de tous. Il y a cinq ver- 
tèbres lombaires, dont les apophyses épineuses ont 
peu de hauteur; la queue à douze vertèbres et le 
sacrum quatre; le bassin est très long et fort étroit; 
les os pubis sont allongés, et articulés comme chez 
l’homme. Il n'ya point de clavicules; les os de 
l’avant-bras sont très courts ; la tubérosité humérale 
est très développée; les fémurs sont moins longs 
que les humérus ; le tarse et le carpe soul composés 
de septos. f 

Mais ce qu'il importe le plus de connoître sont 
les appareils des sens des phoques, puisque par eux 
la vie de relation et de reproduction en est le résul- 
tat; el, sous ce rapport, nous ne pouvons mieux 
faire que de nous servir d’un très bon travail exé- 
cuté par M. de Rosenthal : il est intitulé Des orga- 
nes des sens chez les chicns de mer, et il est inséré 
dans le tome X11, page 675, des Mémoires de la 
Société de Bonne, Ce Mémoire, écrit en allemand, a 
été traduit par M. le docteur Isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire, jeune savant qui marche dignement sur les 


415 


le communiquer. De Rosenthal entreprit son travail 
de concert avec le professeur Hornschuch, et cher- 
cha dans les dissemblances de l’organisation inté- 
rieure à retrouver si ces différences coïncidoient avec 
les caractères différentiels extérieurs. Son but étoit 
de trouver le moyen de mieux préciser les carac- 
tères spécifiques, quoique plusieurs des organes 
internes soient peu propres à cet usage. Il s’occupa 
done des appareils des sens et les étudia les uns 
après les autres. Nous allons le suivre dans le résul- 
tat de ses recherches. 

Sile tact est dans toute sa perfection chez l’homme, 
s’il conserve ses plus précieux attributs chez plu- 
sieurs animaux , il perd la plupart de ses avantages 
chez les phoques. Leurs enveloppes extérieures, 
leurs membres ne sont pas disposés favorablement 
pour en être le siége. De Rosenthal regarde comme 
organes essentiels du toucher les longues soies, d’une 
nalure particulière, qui revêient les lèvres sous 
forme de moustaches roides. Ces soies-pa pes sont 
implantées au milieu des fibres d’un muscle épais 
qui sert à l’occlusion des cavités nasales. Leur sen- 
sibilité exquise est mise en jeu au contact des corps, 
mais elle est plus avivée encore lorsqu'elle coïncide 
avec l'ouverture des narines, parce que le sens de 
l'odorat ajoute un moyen de plus à la perception de 
la sensation. Ces poils des moustaches sont roides, 
annelés le plus souvent, arrondis à leur extrémité 
inférieure où ils sont traversés d’un canal cent'al 
dans l'étendue d’une ligne et demie. Fls sont, dans 
toute la portion enfoncée dans les interstices du 
musele c'auteur des narines, entourés d’une cap- 
su'e cornée cylindrique, ou bulbe producteur, ou- 
verte à ses deux extrémités et nue en dehors, tandis 
que son intérieur est tapissé par une légère pellicule 
ou membrane vasculaire. Cette membrane forme 
une véritable gaine à la soie, s’unit à la capsule 
cornée par son extrémité ouverte inférieure, el va 
j'indre le bout du canal de la soie et s’y attoche 
circulairement en y laissant pénétrer quelques lé- 
gers petits vaisseaux. Cette membrane agit ainsi 
autour de la base du poil comme l’anneau membra- 
neux qu’on observe sur le pourtour de l’ouverture 
inférieure des plumes (voyez Fr. Cuvier, Recherches 
sur l'organisa ion des plu es, Mém. du Musé m, 
tom. XII, p. 527) Cette membrane mince, dont 
l'existence est annoncée per les recherches de de 
Rosenthal, peut aisément être brisée, et c'est ce qui 
explique le silence que Rudolphi garde à son égard, 
car ele paroît lui avoir échappé (Mém. de l’Acad. 
de l'erlin , 4844 — 15). Cette membrane, en entra: t 
dars le bulbe pour en tapisser les parois internes, y 
laisse pénétrer des vaisseaux et des nerfs. Ces der- 
niers appartiennent à la deuxième branche princi- 
pale de la cinquième paire, qui prend sur la face un 


traces de son célèbre père, et qui a bien voulu nous ! développement considérable, Ils envoient de nom- 


416 


breux filets aux extrémités du bulbe, dont les poils 
ou soies des moustaches sont les prolongements, et 
qui ont sans doute pour but de transmettre au bulbe, 
véritable siége de la sensation du toucher, les im- 
pressions qu’ils recoivent par le contact des corps 
extérieurs. On conçoit alors que les sensations de 
relation par le toucher doivent être très obtuses 
chez les phoques. , 

La langue e:t longue de trois pouces, et est large 
à sa partie postérieure d’un pouce trois quarts envi- 
ron (ces proportions appartiennent seulement aux 
espèces de la taille du veau marin du nord de l’Eu- 
rope sans doute). Le muscle lingual recoit, comme 
chez les autres animaux, les hyo-glosse, génio-glosse, 
et les autres muscles de lappareil hyoïdien. La 
membrane muqueuse qui le tapisse est douce , et se 
replie en plusieurs rides à la partie postérieure ; 
elle recouvre une membrane fibreuse beaucoup plus 
épaisse, et qu’on ne peut comparer qu'au réseau de 
Malpighi de certains animaux herbivores. Les pa- 
pilles nerveuses, siége du goût, sont de grandeur 
très inégale ; elles ne sont pas roides, e1 leurs pointes 
sont diigées en arrière : de très petits ramcaux 
nerveux se rendent à chacune d'elles. L’os hyoïde, 
par la manière dont il est placé, et aussi par sa 
forme , a beaucoup de rapport. avec celui de 
l’homme. Son corps est aplati, large d’à peu près 
trois lignes , et disposé obliquement; de sorte que 
le bord tranchant est dirigé en haut et en devant, 
et que le bord épais est tourné en arrière et en bas. 
Les cornes t.yroïdiennes sont plus larges et plus 
robustes proportionnellement que celles de l'os 
hyoïde de l’homme, elles s'unissent immédiatement 
avec le cartilage thyroide : leurs extrémités sont 
terminées par une membrane qui afïecte la forme 
d’une membrane capsulaire ; les cornes antérieures 
se composent de trois portions osseuses arrondies , 
réunies par des cartilages. Ces pièces osseuses ac- 
cessoires ont élé retrouvées chez le Nègre, et plus 
rarement chez les Européens, par Sæmmering. Les 
muscles de la région hyoïdienne ne présentent rien 
de particulier. 

Ce sens est bien moins développé, suivant de 
Rosenthal, chez les phoques que chez les autres 
carnassiers. Il est de fait que la plupart d’entre eux 
paroissent ne point avoir la conscience des odeurs, 
même à une foible distance. On doit penser que 
chez les phoques l’appareil olfacif est disposé, 
comme chez les poissons, à recevoir les particules 
des aromes apportées par un fluide beaucoup plus 
dense que Pair, tel que l’eau. Leur respiration à 
terre est toujours gênée, et ne s’exécule que par des 
inspirations fortes et aidées de tous les muscles, 
et notamment desdivers plans de fibres intercostales. 

La cavité nasale cest inégalement large, et très 
comprimée à sa partie supérieure par le développe- 


HISTOIRE NATURELLE 


ment des fosses orbitaires, Le corps de l’etlimoïde 
est très petit, et de Rosenthal compta dans le phora 
fætida, à la partie externe des curnets supérieurs, 
sept apophyses aplaties et enroulées à leur bord; le 
cornet inférieur est au contraire très grand , et rem- 
plilen grande partie tout l’espace des fosses nasales 
antérieures el postérieures, et se trouve formé de 
feuillets enroulés très minces ; la portion de la pitui- 
taire qui le tapisse est mince, et recoit comine à l’or- 
dinaire les nerfs des première et cinquième paires : 
le nerf olfactif offre des différences que dé,à Tie- 
demann avoit entrevues. Ainsi, naissant d’un pro- 
longement remarquable du lobe moyen du cerveau 
et d’un mince filet médullaire venant des parois la- 
térales des cavités cérébrales, il prend la forme d’un 
cordon assez large. s’unit à la substance grise, sous 
le lobe antérieur, et s’y loge dans une gouttière pro- 
fonde, jusqu’à la lame criblée où il se reufle sous 
forme d’un petit bulbe séparable en deux portions 
qui ont de la ressemblance avec les feuillets du sep- 
tum lucidum. La portion membrancuse du cornet 
inférieur recoit quelques petits filets provenant de 
la cinquième paire Les observations de Treviranus 
semblent prouver qu'aucune branche de la première 
paire ne vient s’y adjoindre. Le rebord des n rines 
est formé d’une membrane épaisse, remp'ie de 
graisse, et qui s’atiache à la portion cartilagineuse 
du vomer. Il en résulte que les ailes du nez jouissent 
d’une grande mobilité, et peuvent éprouver un de- 
gré de contraction assez puissant pour les fermer 
complétement. Ce mouvement est opéré par deux 
muscles , faisant l’office de constricieurs, et dont 
les fibres s’entre-croisent dans la lèvre supér eure 
et dans la membrane musculo-fibreuse du pourtour 
des narines. Le plus large de ces muscles, l’éléva- 
teur des ailes du nez, prend naissance sur les côtés 
du maxillaire su: érietr et des os nasaux, se dirige 
oblique:nent en Las, et va s'épanouir dans le labial 
supérieur et au pourtour entier de la narine qui est 
placée de son côté. Ses fibres, en se contractant, 
ürent ainsi les ailes du nez en dehors et par consé- 
quent les ouvrent de toute la capacité de leur dia- 
mètre transversal. Le deuxième muscle, plus épais, 
le constricteur des ailes du nez, nait «le la partie 
postérieure du maxillaire supérieur, sur le rebord 
des alvéoles, se rend aans les téguments de la lèvre 
supérieure, où il forme un faisceau musculaire, où 
sont logés les bulbes producteurs des soies des mous- 
taches, et se rend à la partie antérieure de la cloison 
nasale après avoir contourné le bord des buccina- 
teurs; ses fibres, en se contractant sur leur point 
fixe en dedans, serrent les ailes du nez contre la 
cloison, eLopèrent en même temps un mouvement 
d’érection à chacun des poils ou soies des moustaches. 

Les yeux sont notablement grands, et plus rap-. 
prochés que dans beaucoup d’autres animaux. L'œil 


DES MAMMIFÈRES. 


est presque sphérique, et a un pouce six lignes de 
hauteur sur un pouce quatre lignes de diamètre 
transversal. La membrane sclérotique se compose 
d’un tissu épais et presque fibro-cartilagineux , mou 
et mince dans son milieu, mais épais en avant aussi 
bien qu’à la partie postérieure. L'usage ou le but de 


cette organisation n’est pas encore connu , bien que. 


Blumembach le premier ait mis en avant l'opinion 
que cette disposition pouvoit servir au phoque aux 
divers mouvements de l’œil pour voir sur terre 
comme dans l’eau. De Rosenthal regarde la connois- 
sance de l’épaississement de la sclérotique comme 
importante à approfondir, et comme propreaux êtres 
dest nés à vivre dans un liquide dense tel que l’eau ; 
et il remarque qu’on retrouve cette épaisseur nota- 
ble chez tous les animaux dont l'orbite est incom- 
plétement osseuse ; que certains poissons entreautres 
ont leur sclérotique comme cartilagineuse, et que 
chez les baleines elle est d’une force considérable. 
La cornée est aplatie, ayant environ neuf lignes de 
diamètre ; elle est épaisse à ses bords, mince dans 
son milieu, et peut s’isoler aisément en plusieurs 
feuillets ; une membrane brunâtre tapisse la surface 
interne de Ja sclérotique; son tissu est cellulaire et 
lâche, et paroît destiné à servir de moyen d'union 
entre les divers plans membraneux; au-dessous 
existe une autre membrañe aisément séparable en 
deux feuillets; la vasculaire, ou tunique choroï- 
dienne, est entièrement formée par un tissu cellu- 
laire qui unit le réseau vasculaire qui la parcourt 
et qui est généralement occupé par un pigmentum 
noir : les vaisseaux s'unissent irrégulièrement, et 
d’une manière serrée, à sa partie postérieure ; mais 
ils affectent la forme entortillée , et sont rangés sy- 
métriquement les uns à côté des autres, à la partie 
antérieure. La ruyschienne , ou membrane colorée, 
consiste en un tissu homogène, mince, serré, qui 
ne recoit aucun vaisseau, et elle se sépare très aisé- 
ment de la membrane vasculaire : les vaisseaux de 
la choroïde rampent sur sa face externe sans péné- 
trer dans son tissu; elle est teinte en dehors comme 
en dedans , et la matière colorante ou pigmentum lui 
adhère de la même manière que le fait le tissu mu- 
queux de Malpighi à l’épiderme; en l’enlevant, la 
ruyschienne devient transparente, et comme un 
fragment d’épiderme ; deux portions de pigmentum, 
l’une blanche, l’autre noire, assez denses et assez 
épaisses, pouvant se diviser en lamelles, occupent 
la surface intérieure de la partie postérieure de l’œil ; 
la noire est la plus lâche , et on peut la débarrasser 
de sa couleur en la lavant avec de l’eau ; au devant 
de cette membrane se trouve le corps ciliaire, com- 
posé de plis qui sont d’abord petits, puis plus larges 
à mesure qu'ils avoisinent le cristallin; la cloison 
qui isole les chambres de l’œil consiste en deux feuil- 
I, 


417 


lets qui paroissént être les prolongements des mem- 
branes vasculaire et ruyschienne; l'iris à, par la 
nature de son tissu, de grands rapports avec la cho- 
roïde; mais, de plus qu’elle, il est parcouru par 
un plusgrand nombre de vaisseaux unis par un tissu 
cellulaire plus épais et plus lâche; on y distingue 
très aisément les diverses artères ciliaires, et le tra- 
jet que leurs canaux affectent : la membrane uvée 
est un simple prolongement de la ruyschicnne ; elle 
offre des plis qui se dirigent vers la pupille, et qui 
partent de sa partie postérieure, et ses deux surfa- 
ces sont enduites d’un pigment noir; la rétineprend 
naissance à une lamelle excavée de la terminaison du 
nerf optique, et esttrès mince par compa:aison avec 
les membranes précédentes; son tissu est formé par 
un réseau dont les mailles sont remplies d’une sub- 
stance médullaire assez épaisse, qui se détache aisé- 
ment par la macération : le tissu réticulé alorsreste 
à nu. La surface interne de la rétine est parsemée 
de vaisseaux qu’on y découvre aisément, et qui lais- 
sent de profondes impressions sur l'humeur vitrée ; 
quelques fibres un peu plus grosses paroissent, sous 
le pouvoir d’un verre grossissant, avoir quelque ana- 
logie avec des vaisseaux ; cependant leur ténuité est 
telle, qu’elles ne paroissent guère susceptibles de 
recevoir même du sérum : cette membrane sert à 
contenir une masse visqueuse , jaunâtre, qui est sans 
doute déposée par les petits vaisseaux, et analogue 
à ce que l’on observe chez beaucoup de poissons; le 
cristallin est grand, sphérique, et a environ six li- 
gnes de diamètre; l’humeur aqueuse est en quan- 
tité considérable ; six muscles servent à mouvoir en 
divers sens le globe de l’œil; un bourrelet presque 
immobile et circulaire , privé de cils, forme les pau- 
pières; le voile palpébral est grand, et, comme chez 
les autres animaux , il consiste en un repli lâche et 
mobile de tégument renforcé par un demi-cartilage 
mince , convexe, suivant la forme de l’œil ; quatre 
muscles nés de la partie postérieure de l'orbite, et 
dirigés en avant où ils s'unissent à la base des mus- 
cles droits, ont pour fonctions de mouvoir un peu 
les paupières ; séparés des muscles propres de l'œil 
dans la partie antérieure de l'orbite, il se per- 
dent dans les fibres du palpébral, ou muscle orbi- 
culaire. 

La glande lacrymale est extrêmement petite; on 
pe frouve aucun organe destiné à absorber ou à 
servir d’émonctoire à la sécrétion des larmes; la 
glande d’'Harderius est minime, et toutefois existe 
avec ses Canaux. 

Le conduit auditif, formé par l’union d'os et de 
carlilages, aboutit à une ouverture extérieure lon- 
gue de deux lignes. La portion mobile consiste en 
quatre larges demi-anneaux cartilagineux unis l’un 
à l’autre par une membrane épaisse et forte ; il en 


La 


415 


résulte un tuyau élastique, étroit, long de quinze 
lignes, un peu tordu, courbé, et susceptible d’être 
rétréci etraccourci suivant les mouvements de l’ani- 
mal. L’anneau cartilagineux externe diffère par sa 
forme de ceux qui le suivent; sa portion antérieure 
est légèrement convexe, et est munie en dessus 
d’un petit prolongement faisant saillie sur l’ouver- 
ture auriculaire extérieure, et assez comparable au 
tragus de quelques animaux terrestres. Ce conduit 
recoit non seulement quelques fibres du peaussier, 
maisencore quelques muscles propres, qui naissent 
de l’aponévrose du crotaphyte, et se rendent à la 
partie postérieure du tube cartilagineux , en letirant 
en arrière lorsqu'ils agissent; un petit faisceau mus- 
culaire plus épais naît de la base de l’apophyse zy- 
gomatique , à la cavité glénoïde, monte au cartilage 
annulaire externe, et s'attache au devant; son action 
tend à fermer ce conduit en le tirant en avant et lui 
faisant exécuter un coude. Enfin des fibres muscu- 
laires disposées en faisceaux grêles s’avancent même 
jusqu’au troisième anneau, en partant du premier, 
et, le tirant en haut, exercent par ce moyen une 
fermeture complète. Le conduit auditif osseux a six 
lignes de longueur ; son ouverture est elliptique, et 
a, dans son plus grand diamètre, jusqu’à troislignes : 
la membrane du tympan est grande, inégalement 
arrondie, ayant un diamètre de six lignes sur une 
largeur de trois huitièmes de pouce ; sa position est 
oblique : la cavité du tympan est très développée et 
présente la forme d’une pyramide dont le sommet est 
dirigé en haut et en arrière; le côté externe de cette 
pyramide supporte la membrane du tympan ; l’inté- 
rieur est adossé à la base du crâne, et le postérieur 
correspond au labyrinthe. Les petits os de l’oreille 
n’ont rien de remarquable, si ce n’est leur position 
quiest un peu plus obliqueque danslesautres mam- 
mifères : l'oreille interne n’a aussi rien de particu- 
lier ; le vestibule est très large, et a plus de trois 
lignes dans son plus grand diamètre : une lame cri- 
blée sert pour le passage du nerf acoustique, quiest 
très épais. 

Habitants naturels des mers, les phoques ne sont 
nulle part plus abondants, nulle part réunis en 
troupeaux aussi nombreux que sur les rivages des 
*erces frappées de mort et enveloppées des glaces du 
pôle. C’est là en effet que leurs sauvages tribus se 
plaisent de préférence depuis des siècles, et qu’elles 
y sont sans cesse et de plus en plus refoulées par le 
génie destructeur de l’homme qui les harcelle et les 
y poursuit. Toutes les mers de l’océan Atlantique 
comme la Méditerranée et la Caspienne, l'océan 
Indien comme la mer Rouge, la mer Equatoriale 
comme les océans Arctique et Antarctique, nourris- 
sent des phocacés; mais cependant on peut hardi- 
ment poser en principe que les phoques qui vivent 


HISTOIRE NATURELLE 


| sous l’équateur et entre les deux tropiques ne sont 


jamais que des espèces isolées ou solitaires, rare- 
ment réunies en petit nombre, et que les phoques 
qui habitent autour du pôle boréal ou sur les limites 
du pôle austral se réunissent au contraire en com- 
pagnies et forment d’innombrables légions. Des 
voyageurs ont aussi prétendu que les phoques se 
trouvoient dans les eaux douces du lac Baïkal (Kra- 
kenninikow, Voyage en Sibérieet au Kamitschatka, 
t. IT, p. 424). On conçoit qu’un tel fait mérite un 
examen bien réfléchi, avant d’être consacré. Des 
naturalistes estimables, et Péron entre autres, ont 
écrit qu'on pouvoit fort bien avoir pris des loutres 
pour des phoques; et, en effet, cette supposition est 
extrêmement vraisemblable. On a long-temps cru, 
et cette erreur-ci a été plus grave en ce qu’elle a 
contribué à embrouiller la synonymie, que certaines 
espèces de phoques vivoient indifféremment dans 
l’un ou l’autre hémisphère; et, partant de cette 
idée, on a cherché à faire cadrer les descriptions de 
Steller et de Fabricius avec celles de Forster, de 
Pagès, de Dampier, et autres. Péron le premier s’est 
prononcé fortement contre cette opinion, et nous 
partageons sincèrement son avis. Les grands ani- 
maux en effet ont des limites qu’ils ne franchissent 
guère, et les phoques surtout paroissent être dans 
ce cas. On n’a jamais trouvé dans l’hémisphère nord 
l'éléphant marin, par exemple, pas plus qu’on n’a 
observé dans le Sud un seul des phoques du Nord; 
et si le lion marin, l’ours marin, le chat marin de 
Krakenninikow et de Steller sont regardés comme 
synonymes des animaux ainsi nommés par Pernetty, 
par Forster; le nom qui les réunit mal à propos, 
et qui est donné sans réflexion à tous ces amphibies 
par les navigateurs, y a eu plus de part que la res- 
semblance ou l’analogie de formes. Nous dirons 
cependant que nous avonseuoccasion d’observer une 
espèce de phoque très commune dans la rade de la 
Conception au Chili, et que nous croyons avoir ren- 
contré la même espèce au Pérou à Payta, presque 
sous la ligne ; de sorte qu’il n’y auroit rien d’éton- 
nant qu’elle se rencontrât aussi sur les côtes de la 
Californie; mais cependant nous n’affirmerons pas 
que ces deux espèces, que nous n’avons fait qu’en- 
trevoir, soient identiques, et, en attendant des 
observations directes et positives, nous regardons 
comme réelle la ligne de démarcation qui isole pour 
nous les phoques du Nord de ceux qu’on rencontre 
au Sud. : 
Ainsi donc , adoptant la manière de voir de Pé- 
ron (et aucun exemple n’est là pour en infirmer la 
justesse, et toutes les observations au contraire sem- 
blent la valider), nous verrons que les phoques peu- 
vent être distribués géographiquement en troisgrou- 
pes : 1° phoques atlantiques du pôle boréal ; 2° pho- 


DES MAMMIFÈRES. 


ques arctiques de l'océan Pacifique, et 5° phoques ! des où ils se plaisent. 


antarctiques (). 
Lorsque la navigation étoit dans l'enfance, les 
grands cétacés devoient pulluler dans les zones froi- 


{") NOTICE SUR L’HABITATION DES PHOQUES, 


PAR PÉRON'. 


D’après les recherches que nous avons déjà faites, 
nous nous sommes assuré que, sous le nom d'ours ma- 
rin (phoca ursina), il existe réellement plus de vingt 
phoques décrits, figurés ou indiqués dans les divers au- 
teurs, et qui différent entre eux, non seulement par 
l'habitation, la couleur, la forme, la grandeur, la posi- 
tion respective des nageoires antérieures, etc., mais en- 
core par le nombre des dents, la présence des auricules 
ou leur absence, etc. 

La confusion n’est pas moins grande à l'égard des 
veaux marins (phoca vitulina): non seulement en effet 
celte prélendue espéce habiteroit à la fois les régions 
glacées des deux pôles, mais encore elle vivroit au mi- 


t Le nombre des auteurs qui ont écrit sur les animaux 
de cette famille est trés considérable, et ce n’est pour- 
tant qu’en réunissant tous les matériaux qui se trouvent 
disséminés dans leurs écrits qu’il est possible de faire un 
travail complet sur les phoques; la plupart de ces au- 
teurs, et ceux-là mêmes qui offrent le plus d'intérêt sous 
ce rapport; paroissant être peu connus des naturalistes, 
qui ne les citent jamais, nous croyons faire une chose 
agréable autant qu’ulile à ces derniers en leur indiquant 
les sources principales où nous avons puisé nous-mêmes. 
Quelque considérable que cette liste puisse -paroître, il 
s’en faut beaucoup qu’elle soit complète ; nous ne pen- 
sons même pas qu'il soit possible de terminer avant 
plûsieurs années la compilation difficile que nous avons 
entreprise sur les animaux dont il s’agit. 


Liste des auteurs. 


Albini, Aldrovande, Alessandro, Anderson, Anson, Ar- 
gensole , Aristote. 

Baoks, Barrow, Battell, Beauchéne, Bell, Belon, Bil- 
lings, Bomare, Bory, Bougainville, Brisson, Buffon, 
Byron. 

Candish, Cardan, Carteret, Charleton, Charlevoix, 
Clayton, Cook, Coreal, Cox, Crantz, Cuvier. 

Dambpier, de Gennes, de Lussan, d'Entrecasteaux, de 
Noort, Denys, Dereste, Desbrosses, Desmaresl', Do- 

. dart, Dracke, Duclos-Guyot, du Petit-Thouars, 

Egéde, Ellis, Erxleben. 

Fabricius, Flacourt, Fleurieu, Forster, Frézier, Fur- 
neaux. 

Gessner, Gmelin, Grandpré, Grew, Gronovius. 

Hackluyt, Hagénaar, Hallenius, Hawkins, Hearne, Hei- 
denreich, Hermann, Houttmann, Huddart. 

Isbrandt, Jonston. 

Knorr, Kolbe, Krakenninikow. 

Labbe, La Billardière, Lacépède, Laët, Langius, La 
Hontan, La Pérouse, Leclereq, Lemaire, Lépéchin, 
Lescarbot, Linnæus. 

Macartney, Mainziez, Marchand, Marion, Martens, Ma- 
thews, Meares, Merrelt, Misson, Molina, Mortimer, 
Muller. 

Narborough, Nassau, Noël. 

OEdman, Olafsen, Olaüs Magnus. ; 

Pagès, Pallas, Parsons, Penuant, Penrose, Perestrello, 
PernetLy, Pigafetta, Pline, Polvesen, Pontoppidan, 
Pretty, Prévost, Purchass, Pyrard. 

Quirugoa, 

Ray, Rochon, Rogers, Rondelet. 

Sauer, Screber, Schouten, Sparmann, Spilberg, Sta- 
vorinus, Steller, Strahlenberg, Surville. 

Valentyn, Vancouver. 

Wallis, Walther, White. 

Ulloa. 

Zimmermann, Zorgdrager, 


419 


Il en était de même des pho- 
cacés. Les terres stériles, nues, désertes, semées 
dans les mers antarctiques, ou formant un rempart 
aux glaces du pôle boréal, en étoient couvertes; 


lieu des flots de la zone torride; elle se reproduiroit au 
sein de la mer Caspienne, et, par un privilége inoui jus- 
qu'à ce jour, elle occuperoit de ses tribus essentielle- 
ment marines les eaux douces du lac Baïkal, celles du 
Ladega, de l'Onéga, etc. 

Pour justifier de tels rapprochements on a supposé 
que les phoques dont il s’agit ont pu passer de la mer 
Noire dans la mer Caspienne, à la faveur des conduits 
souterrains que quelques géographes pensent devoir 
exister entre l’une et l’autre de ces deux mers » : mais 
comment concevoir, dans cette hypothèse, que des ani- 
maux qui ont besoin de venir à chaque instant respirer 
l'air à la surface des flots aient pu, sans étouffer, faire 
une route de plusieurs centaines de lieues à travers ces 
espèces de siphons souterrains, où il paroît impossible 
d'admettre l'existence d'aucune portion d’air atmosphé- 
rique ?, 

Effrayé sans doute d’une telle objection, Pallas établit 
une autre hypothèse à cet égard ; il veut que la Méditer: 
ranée, la mer Noire et la Caspienne n'aient formé jadis 
qu'une seule etmême mer, peuplée des mêmes animaux, 
et qüi s’étendoit jusqu'au pays des Calmoucks et des 
Cubans?. 


D’autres naturalistes au contraire, et Tournefort k 
leur tête, pensent que la Méditerranée, dont le niveau 
étoit anciennement plus élevé que nous ne le voyons de 
nos jours, a rompu les montagnes du Bosphore, et formé 
la Caspienne en se précipitant sur l'Asie comme uu 
épouvantable torrent3. Ainsi l'Océan renversa jadis ses 
barrières entre Calpé et Abyla pour former la Méditer- 
ranée elle-même. 


Toutes ces explications, tautes ces grandes hypothé- 
ses, ne paroissant pas encore à Zimmermann suscepti- 
bles de rendre raison du phénoméne singulier dont il 
s’agit, il suppose lui-même qu’il n’a pu être produit que 
par une grande révolution et un bouleversement général 
du globe #. 

A l'égard des prétendus veaux marins d’eau douce, 
rien n'a paru plus simple que de les faire arriver de 
l'Océan par divers fleuves jusqu'aux lacs où ils se trou- 
vent établis maintenant. Ainsi ceux du lac Baïkal par 
exemple y seroient venus de la mer Glaciale, les uns en 
remontant le Jenissey, le Tunguska et l’Angora; les au- 
tres en suivant le cours de la Léna, du Witim, du Sélin- 
gué 5, etc. Quelques portions de route à faire par terre 
n’éloient sans doute pas capables d'arrêter des voya- 
geurs aguerris par une traversée de sept à huit cents 
lieues ; car on suppose qu'ils ont pu faire celte dernière 
partie de leur route en se traînant sur le sol... 

Et ce sont des naturalistes estimables sous tant 
d'autres rapports qui ont pu créer de pareilles hypothé- 


: Kircker., Mund. Subter.: Luloff., Geograph ; Zim- 
merm., Zool. Geogr., p. 248 ; African. Reich.,t. VII, 
 Ÿ. 
2 Pallas, Reis Durch Russl., t. TT, p. 569. 
3 Tournefort, Voyage du Levant, t.1, p.80,ett.1i, 


4 Zimmermann, Zool. Geograp., p. 251. 
5 [l convient de faire observer ici qu'ou ne trouve au- 
cune trace de phoque dans ces divers fleuves, 


420 


mais l’homme en apprécia bientôt la valeur com- 
merciale, et Ie nombre de ces animaux diminua ra- 
pidemeut à mesure que lesarmementsaugmentoient. 
Deux nations sont en possession presque exclusive 


ses! L'identité des animaux dontils’agil' avec les véri- 
tables veaux marins de la Méditerrance, de la mer Noire, 
de la Baltique , et de l'Océan Glacial, se trouvât-elle ap- 
puyée du témoignage des plus illustres naturalistes, il 
sembleroit encore impossible de pouvoir y croire; et 
c’est sur la simple assertion d’un Langius, d’un Isbrandt, 
d'un Heidenreich que de telles erreurs se trouvent con- 
sacrées dans les annales de la science! 

L'histoire du lion marin (phoca leonina) est entachée 
de méprises plus graves encore, s’il est possible. 

40 Trois grandes espéces de phocacés des mers du 
Sud ont été faussement réunies sous ce nom, et confon- 
dues ensuite avec le lion marin du Sud, 

20 Celte derniére espéce se compose elle-même de 
plusieurs animaux essentiellement différents; il suffit 
de comparer, pour s’en convaincre, les deux descrip- 
tions que Fabricius2 et Steller? nous ont laissées du 
lion marin antarctique. Placés l’un et l’autre sur un 
théâtre également favorable aux observations de ce 
genre , ayant vécu plusieurs années lun et l’autre au 
milieu des animaux qu'ils ont décrits, ces deux natura- 
listes célébres nous offrent des termes de comparaison 
également précieux, également irrécusables. 

Or il résulte de cette comparaison que le phoca leo- 
nina de Fabricius différe du phoca leonina de Steller, 

4° Par les proportions. Le lion marin de Fabricius 
p’a que sept à huit pieds de longneuré#, et Steller dit po- 
silivement du sien qu'il est deux fois plus grand que les 
ours de mer : Maynitudine bis, vel maximos et senio 
con/ectos, ursos marinos superat5. Mais, d'aprés le 
méme Steller, les ours marins ont sept à huit pieds de 
longueur 6; l'espéce de Fabricius est donc une fois plus 
petile que celle de Steller. 

20 Par la forme de la'téte. L'espèce de Fabricius 
porte sur le front une sorte de gros tubercule suscepti- 
pie de se gonfler comme une vessie ‘et caréné dans sa 
piriie moyenne; Steller ne dit rien d'une conforma- 
{ion si extraordinaire. 

30 Par la proportion des narines. Indépendamment 
des véritables narines, dit Fabricius, le lion marinena 
de fausses dans le même tubercule dont il vient d’être 
fait mention, et le nombre de ces fausses narines varie 
d'une à deux, suivant l’âge 8 : or l'animal de Steller ne 
présente rien de semblable à (out cela. 

4o Par la couleur des yeuæ. L'iris, dans le-phoque de 
Fabricius, est bruns; dans celui de Steller il est d’un 
blanc d'ivoire poli 'o. 

50 Par la forme des nageoires. Celles de devant, dans 
l'animal de Fabricius, ont la forme d’un pied humain, et 
le pouce en est le plus long doigt"; cette configuration 


‘Il paroît assez probable que les prétendus phoques 
des divers lacs de la Russie appartiennent au genre lou- 
tre; celle présomption est d'autant plus naturelle que 
plusieurs animaux de ce dernier genre ont été à diverses 
reprises confondus avec les phoques. 

2 Fabricius. Faun, groënt., p. 7 (1780) 

3 Steller, Nov, Com. Petropol., vol. 11, p. 360-366 

4751), 
4 Op. cit., p. 7.—5 Op. cit, p 360. 

6 Op, cit, p, 331. — 7 Op. cit., p. 7. 

8 Op. cit., p. 7 .— 9 Op. cit., n.8 

10 Op. cit., p. 361, —"" Op, cit., p. 8. 


HISTOIRE NATURELLE 


du commerce des phoques, et les bénéfices qu’elles 
ont faits dans ce genre de chasse sont énormes. Les 
Anglais et les Américains de l’Union entretiennent 
chaque année plus de soixante navires de deux cent 


remarquable est étrangère au lion marin de Stellerr. 
6° Par le mode d'accouplement. Ceux de Fabricius 

s’accouplent debout: ; ceux de Steller étendus sur le sa- 
le, la femelle dessus, le mâle dessous 3, 

7° Par l'époque de la mise bas. Ceux de Fabricius en 
avril4, ceux de Steller en juillet 5. 

8° Par le lieu de la mise bas. Ceux de Fabricius sur 
la glace 6, ceux de Steller sur le continent 7. 

9° Par la nature des poils. Dans l'animal de Fabricius 
ils sont doux el longs, avec un fondlaineux et profond 8 ; 
dans celui de Steller ils sont courts, roides, et sans 
aucune fourrure 9. £ 

10 Par La couleur, même à toutes les époques de la 
vie. Les lionsmarins de Fabricius, à l'âge de douze mois, 
sont blancs, avec le sommet du dos d’un gris livide; à 
la deuxième année ils sont d'un blanc deneige, avec une 
raie étroite et brunâtre sur le dos : dans les plus vieux, 
la tête et les pieds sont noirs; le reste du corps, éga- 
lement noir, estparsemé de taches grises, le dos restant 
toujours plus obscure, . 

Dans les lions marins de Steller les poils sont de cou- 
leur marron, parfois brunâtres ; les individus adultes 
affectent une teinte rousse assez semblable , dit Steller, 
à celle des vaches, et cette teinte est plus forte dans les 
jeunes, plus pâle dans les vieux, plus vive et comme 
ocracée dans les femelles ‘. 

41° Par la crinière. Les lions marins mâles de Steller 
ont le dessus de la tête et le cou garnis de poils longs et 
soyeux qui forment une espêce de criniére trés remar- 
quable2,et dont on ne trouve aucune trace dans les 
lions groënlandois de Fabricius, 

12 Ces animaux différent encore par le nombre des 
dents Ceux de Fabricius n’en ont que trente-deux 3, 
et ceux de Steller en ont trente-six ‘4. 

430 L's différent enfin par les oreilles. Le lion marin 
de Fabricius n’a point d'auricule'5 ; celui de Steller en 
a'6,et apparlient conséquemment au nouveau genre 
que nous avons cru devoir établir dans la famille des 
pPHOCACÉS sous le rom d'otarie'r, 

Maintenant, nous osons le demander, si pour les plus 
grands phoques de notre hémisphére il régne une telle 
confusion même daus les écrits de nos plus célébres na- 
turalistes, de quelles erreurs plus graves ne doit pas se 
trouver surchargée l'histoire de ces innombrables am- 
phibies marins qui peuplent toutes les parties de l'océan 
Antarctique ? Comment admettre ces réunions témérai- 
res, ces identités invraisemblables dont on les a rendus 
l'objet, et qui se trouvent consacrées dans un si grand 
nombre d'ouvrages? Presque exclusivement observés 
jusqu'à ce jour par des hommes étrangers à tous les 
principes de la science, à toutes les distinctions qu’elle 


! Op. cit., p. 335 et 360. —: Op. cit., p. 8. 

3 Op. cit., p. 360, 362 et 384. 

k Op. cit., p. 8 —5 Op. cit., p.363. — 6 Op.cit., p. 8. 
7 Op. cit. p. 363.— 8 Op. cit., p.8.—9 Op. cit., p. 360. 
‘0 Op. cit, p. 8.— "Op. cit., p. 360.— "2 Op cit.,p 8. 
13 Op. cit., p.7.—14 Op. cit., p. 333, 334 et 360. 

15 Op. cit., p. 8. — "6 Op. cit., p. 361. 

‘1 Voyage aux Terres Australes, t.1E, p.37, éd. in-#. 


DES MAMMIFÈRES. 


cinquante à trois cents louneaux au moins, et ayant 
chacun dix à quinze hommes d’équipage. On con- 
çoit que des moyens de destruction si actifs ont en 
quelques années singulièrement diminué le nombre 
de ces amphibies , et c’est ce qui les force à émigrer 
en quelque sorte et à se réfugier sur les ilots déserts 
du Sud. Aussi, lorsqu'on vient à découvrir quelques 
unes de ces terres avancées dans les hautes latitudes, 
les trouve-t-on couvertes sur leurs plages de toutes 
sortes de phoques. On dit même à ce sujet que les 
îles Shetland étoient connues de quelques pêcheurs 
américains, qui y firént des chasses immensément 
lucratives, bien avant que leur découverte ait été 
publiée par un capitaine anglois. Ces expéditions sont 
même confiées à des marins distingués; et James 
Weddell, par exemple, tout en chassant les pho- 
cacés desiles Shetland , a fait des découvertes impor- 
tantes dans cet archipel naguère complétement 
ignoré. Les phoquessontrecherchés pour leur graisse 
huileuse , qui est usitée dans les arts; mais certaines 
espèces le sont principalement pour leur fourrure 
douce et soyeuse. Quant aux autres secours que 
l’homme peut en retirer, ils sont bornés à certaines 
localités. La chasse des phoques par les Européens 
nécessite des mesures et des dépenses qui méritent 
d’être connues. Nous en emprunterons les détails à 
M. Dubaut, cité dans la Zoologie de MM. Quoy et 
Gaimard ( page 75), et nous les ferons suivre d’oh- 
servations qui nous sont propres. Les navires desti- 
nés pour cetarmement sont du port de deux cents à 
trois cents tonneaux environ, et solidement con- 
struits. Tout y est installé avec la plus grande éco- 
nomie. Par cette raison les fonds du navire sent 
doublés en bois. L’armement se compose, outre le 
gréement simple et très solide, de barriques pour 
mettre l'huile, de six voles armées'comme pour la 
pêche de la baleine , et d’un petit bâtiment de qua- 
rante tonneaux, mis en botte à hord et monté aux 
îles destinées à servir de théâtre à la € sasse lors de 
l'arrivée. L’équipage d’un navire est d’euviron vingt- 
quatre hommes, et on estime à 25.000 piastres la 
mise dehors d’une expédition ordinaire, Les marins 
qui font cette chasse ont généralement pour habi- 
tude d'explorer divers lieux successivement , ou de 
se fixer sur un point d’une terre et de faire des bat- 
tues nombreuses aux environs. Ainsi il est très ordi- 
naire qu’un navire soit mouillé dans une anse sûre 
d’une île, que ses agrès soient débarqués et abrités, 
ct que les fourneaux destinés à la fonte de la graisse 


exige, à toutes les comparaisons qu'elle réclame, La 
plupart de ces animaux sont spécifiquement indéter- 
minables ; el de tous ceux qe nous avons pu voir nous- 
même, ou à l'égard desquels il nous a paru possible de 
pouvoir prononcer avec certitude, 4 n’en est pas un 


seul qui ne se distinque essentiellement des espèces 
boréales analogues. * 


121 

soient placés sur la grève. Pendant que le navire est 
ainsi dégréé, le petit bâtiment très fin et très léger 
est armé de la moitié environ de l'équipage, fait le 
tour des terres environnantes, en expédiant ses em- 
barcations lorsqu'il voit des phoques sur les rivages, 
ou laissant çà et là des hommes destinés à épier ceux 
qui sortent de la mer. La cargaison totale du petit 
navire se compose d'environ deux cents phoques 
coupés par gros morceaux, et qui peuvent fournir 
quatre-vingts à cent barils d’huile, chaque baril 
contenant environ cent vingt litres et valant à peu 
près 80 fr. Arrivé au port où est mouillé le navire 
principal , les chairs des phoques coupées en mor- 
ceaux sont transportées sur la grève où sont établies 
les chaudières, et sont fondues. Les fibres musculai- 
res qui servent de résidu sont destinées à alimenter 
le feu. Les équipages des vaisseaux destinés à ces 
chasses sont à la part; chacur se trouve ainsi inté- 
ressé au succès de l’entreprise. La campagne dure 
quelquefois trois années , et au milieu des privations 
et des dangers les plus inouïs. Il arrive souvent que 
des navires destinés à ce genre de commerce jettent 
des hommes sur une île pour y faire la chasse, et 
vont deux mille lieues plus loin en déposer quelques 
autres; et c’est ainsi que très souvent des marins 
ont été laissés pendant de longues années sur des 
terres désertes, parce que leur bâtiment avoit fait 
naufrage, etpar conséquent n’avoit pu les repren- 
dre aux époques fixées. L’huile est importée en 
Europe ou aux États-Unis ; les fourrures se vendent 
en Chine. 

Les chasseurs de plioques de la mer du Sud re- 
conuoissent trois espèces principales et commercia- 
les : la première recherchée pour l’huile est le lion 
marin, éléphant de mer (phoca proboscidea des 
naturalistes ); la seconde, les phoques à erin (ota- 
ria molossina et jubata) . et les phoques à fourrure 
(otaria ursina) : mais il paroit que sous ce nom 
de phoques à fourrure les Anglo-Américains con- 
fondent plusieurs espèces inconnues des naturalis- 
tes, et bien distinctes. Ainsi, suivanteux, le phoque 
à fourrure de la Patagonie a une bosse derrière la 
tête; celui de la Californie a une très grande taille; 
le upland seal, où phoque du hrut dela terre, est 
petit et habite exclusivement les iles Macquarie et 
penantipodes ; enfin cclui du sud de la Nouvelle- 
Zélande paroît avoir des caractères distincts. C'esten 
mai, juin, juillet, et une partie d'août, que les pho- 
ques à fourrure fréquentent la terre. Ils y revien- 
nent encore en novembre, décembre et janvier, épo- 
que à laquelle les femelles mettent bas. Les petits 
tettent pendant cinqou six mois, et peut-être davan- 
tage. Un fait notoire est l’usage constant qu'ont ces 
amphibies de se lester en quelque sorte avec des 
cailloux dont ils se chargent l'estomac pour aller à 
l’eau, et qu’ils vomissent en revenant au rivage. 


422 


Les phoques des mers du Kamtschatka et des îles 
Kouriles sont assez nombreux en espèces. Suivant 
Krakenninikow ( Voyage en Sibérie, de Chappe, 
t. IT, p. 420), ils remontent jusque dans les rivières 
pour atteindre les poissons ; mais ce naturaliste leur 
attribue des mœurs féroces qui sont exagérées. Il 
dit aussi que jamais les phoques ne s’éloignent des 
côtes de plus trente milles , et que leur présence est 
le signe le plus certain du voisinage de la terre. Ils 
s’accouplent sur la glace pendant le printemps, dans 
le mois d'avril, et quelquefois aussi sur la terre, ou 
sur la mer quand elle est calme , et de la même ma- 
nière que nous. Les femelles ne font qu’un petit à 
la fois. Les Tunguses se servent de leur lait comme 
médicament pour leurs enfants. Les Kamtschadales 
emploient divers moyens pour les chasser, et en ti- 
rent un grand parti pour une foule d’usages. Avec 
leur peau on construit des baïdars, sorte de pirogues, 
et des vêtements; leur graisse sert à fabriquer de 
la chandelle, qui en même temps est une friandise 
pour ces peuples. La chair desséchée au soleil ou 
fumée constitue la provision d’hiver ; et la chair de 
phoque fraîche est l’aliment ordinaire des Russes et 
des Kamtschadales, qui pratiquent à ce sujet des 
C‘rémonies bizarres racontées avec détail par Kra- 
kenninikow. 

Les phoques ne fréquentent la terre que pendant 
un certain temps de l’année. Ceux des mers antarc- 
tiques habitent surtout les côtes Îles plus désertes des 
îles Malouines, de la Terre de Feu, des iles Shet- 
land, Campbel, Macquarie, Orcades, des côtes sud 
de la terre de Diémen et de la Nouvelle-Hollande. 
Leur manière de cheminer sur le sol ne s'exécute 
que difficilement; ce n’est qu'avec des efforts péni- 
bles, des ondulations embarrassées qu'ils se traînent 
sur la partie postérieure du corps. Leur odorat est 
subtil, et leur intelligence extrêmement développée. 
Certaines espèces fréquentent les plages sahlon- 
neuses abritées, d'autres les rocs battus par la mer, 
d’autres enfin les touffes d'herbes épaisses des ri- 
vages. À chaque blessure que ces animaux reçoi- 
vent, le sang jaillit avec une extrême abondance : 
les mailles du tissu cellulaire graisseux sont en effet 
très fournies de vaisseaux : mais cependant ces bles- 
sures , qui paroissent si dangereuses , attaquent ra- 
rement la vie de l'animal, qui ne meurt qu’à la 
longue, d’épuisement, et dans le cas où elles sont 
très profondes. Pour tuer les phoques il faut done 
atteindre un viscère principal, ou les frapper sur la 
face avec un bâton pesant. Ces amphibies se nour- 
rissent de poissons, et notamment de poulpes, et 
aussi d'oiseaux marins, tels que sternes et mouettes. 
Nous avons vu un phoque attraper avec dextérité 
un de ces oiseaux occupé à recueillir les débris qui 
s’échappoient de son repas un instant auparavant. 
Pendant leur séjour à terre, ils ne mangent point; 


HISTOIRE NATURELLE 


aussi dit-on qu'ils maigrissent à cette époque, et 
qu’ils se gonflent l'estomac en avalant des pierres. 
Steller et Péron, ainsi que divers autres observa- 
teurs, leur accordent la faculté de pleurer. Les cris 
qu’ils poussent ont été comparés, suivant les es- 
pèces, à ceux des animaux terrestres dont on leur a 
donné les noms. 

Les phoques de l'océan Pacifique du Nord ont ab- 
solument les mêmes mœurs générales et les mêmes 
habitudes que ceux des mers antarctiques. Il paroît 
qu'ils sont aussi soumis à des migrations périodi- 
ques. Nous nous arrêterons ici pour une foule de 
détails spéciaux, que nous placerons à la suite des 
espèces qu’ils concernent exclusivement. | 

Les caractères de la famille des phoques, ou pho- 
cacés, sont les suivants : pieds enveloppés dans des 
nageoires ; les antérieurs courts, les postérieurs dans 
le sens du corps ; les dents incisives variant en nom- 
bre de quatre à six, où même de deux, à une seule 
mächoire. 

Les PHOQuEs (phora, Péron) n’ont point d'oreilles 
externes; les incisives sont à tranchant simple; les 
molaires multicuspides ; les doigts des pieds de der- 
rière sont terminés par des ongles pointus, placés 
sur le rebord des membranes qui les unissent. 


A. Phoques de l'océan Atlantique boréal. 


LE PHOQUE A CAPUCHON. 


Phoca cristata (1). 


Le mâle est le nesaursalik des Groënlandois, et 
le jeune de deux ans le kakortak. Sa taille est d’en- 
viron sept ou huit pieds; il a trente-deux dents : la 
tête est remarquable par un organe singulier, sacci- 
forme, dilatable, caréné en dessus, et susceptible 
de recouvrir le museau en raison d’une mobilité qui 
lui est propre. Les femelles et les jeunes n’en ont 
point. Les moustaches sont grêles, annelées, apla- 
ties et obtuses au sommet ; l'iris est fauve; le corps 
est allongé, à peu près conique, revêtu de poils 
longs, droits, au milieu d’une bourre laineuse; la 
couleur du pelage varie suivant les âges : elle est 
communément d’un gris brun supérieurement, et 
d’un blanc d'argent inférieurement. L’individu dé- 
crit par M. Dekai (Ann. of Lycœum of New-York, 
vol. I, p. 584) étoit parsemé de taches grises. Les 
jeunes sont entièrement blancs ; les vieux ont la tête 
et les pieds noirs. Cette espèce se présente sur les 
côtes du Groënland dans les mois d’avril, de mai et 


(‘) Gmel., Desm., 371 : Harlan, Faun. amer., p. 106: 
phoca mitrata, Camper, Dekai: phoca leonina, Fabri- 
cius, p. 7 : stemmatopus cristatus, Fr. Cuvier, Dic- 


, tionn., t, XXXIX ,p. 991 ; phoca cucullata, Bodd. 


DES MAMMIFÉRES. 


de juin, époque à laquelle , suivant Fabricius , il se 
rend à terre. Suivant Crantzius (Hist. gén. des Voy., 
t. XIX), il fait deux voyages par an au détroit de 
Davis, et il y séjourne de septembre en mars; en 
mai et juin il est très maigre : il vit sur les côtes sep- 
tentrionales de l'Amérique, si le phoca maitrata est 
bien le phoca leonina de Fabricius ; car ce dernier 
donne quatre incisives inférieures à son phoque, 
tandis que dans celui de Etats-Unis on n’en a trouvé 
que deux. Mais M. Cuvier pense que ces deux espèces 
doivent être réunies, et qu'il est très probable que 
Fabricius se sera trompé en comptant le nombre des 
dents. Le phoque à capuchon vit de poissons; il est 
polygame, et exerce le coït dans une position verti- 
cale : la femelle parture un seul fœtus, sur la glace 
et dans le mois d’avril. Ses chairs, son lard et ses 
tendons sont utilisés. Les Groënlandois s’habillent 
avec sa peau. Ses membranes et ses intestins servent 
à fabriquer des vitres, et des cordages pour les pi- 
rogues. On le harponne aussi pour son lard. 


LE PHOQUE DE MULLER. 
Phoca Miüllerii. Less. (1). 


Les principaux caractères de ce phoque sont tirés 
des mâchelières, qui sont petites et écartées, et qui 
n’ont à la mâchoire supérieure qu’un seul tubercule 
en avant ou en arrière du tubercule moyen. La ca- 
pacité cérébrale est moins étendue que dans le veau 
marin, phoca vitullin :; l'os lacrymal manque, et 
n’est point remplacé par une membrane. Le phoque 
de Müller a trente-huit dents, une taille de six à sept 
pieds, un pelage d’un gris blanc, excepté la tête, 
qui est d’un noir assez intense ; une bande oblique en 
croissant nait aux épaules, se courbe sur les flancs, 
et se rend aux parties postérieures. Les jeunes sont 
tout blanes en naissant; puis leur pelage prend une 
teinte cendrée, avec de nombreuses taches sur les 
parties inférieures du corps. Ces taches s’afloiblis- 
sent, et le pelage dans l’adulte revêt une seule cou- 
leur uniforme. Une variété nommée kenalit par les 
Groënlandois a le front brun, suivant Fabricius; les 
adultes, tout bruns, sont nommés kernektæt. Le 
phoque océanique de Lepéchin ne diffère en rien, 
quant aux caractères extérieurs, du phoque groën- 
landois ou de Müller. Le premier a quatre incisives 
en haut et quatre en bas, tandis que le second en 
a quatre en haut et six en bas. Cette espèce habite 


(} Phoca groenlandica, Müller; Fabricius, Faun., 
p. 11; Thienn., Voy., pl. 14, 15, et 16: Harlan, 
Faun amer., p. 109; Desmarest , 376 : calocephalus 
groenlandicus , Fr. Cuvier : phoca oceanica, Lepéchin; 
Desmarest, 373 : phoca semi-lunaris, Bood. : svar- 
tside, Eggède : attarsoak, Crantz. : atax des Groënlan- 
dois : harpseal, Shaw, pl. 71, Gen. Zool.? 


423 


pendant l'hiver la mer Blanche, et toute l’année les 
rivages de la Nouvelle-Zemble : elle est commune, 
suivant Fabricius, dans les golfes profonds des côtes 
du Groënland. Elle émigre deux fois par an, en 
mars pour revenir en mai, et en juin pour repa- 
roitre en septembre ; elle se nourrit de poissons et 
de crustacés. La copulation à lieu en juin, et les pe- 
tils naissent à la fin de mars ou au commencement 
d'avril; rarement compte-t-on deux jumeaux. Ce 
phoque est chassé pour sa graisse et sa fourrure, qui 
sont très employées. 


LE PHOQUE DE SCREBER: 


Phoca Screberi. Less. (1). 


Ce phoque est le plus petit des espèces polaires 
boréales : il n’a que quatre pieds et demi de longueur 
totale, sur dix pouces d’épaisseur. La tête est courte, 
arrondie, à museau à peine long du tiers de la tête ; 
soies des moustaches blanchâtres, quelques unes 
noires, aiguës, comprimées , et leurs bords complé- 
tement ondulés ; yeux très petits, à pupille blanchä- 
tre, à iris brun; corps de forme elliptique, robuste, 
dos renflé, pelage à poils très épais, droits, mous, 
très longs, grêles, de couleur fauve, sillonné de 
flammettes blanches sur le corps, et blane parsemé 
de taches fauves rares sur le ventre. Les jeunes n’ont 
point de taches; le dos est d’un cendré livide , et le 
ventre blanc : les vieux sont très remarquables par 
le grand nombre des taches, le museau presque nu; 
et la peau à peu près complétement dégarnie de 
poils. Les vieux mâles exhalent une horrible puar- 
teur. Fabricius indique une variété toute blanche, 
ayant une ligne obscure sur le dos, que les Groën- 
landois nomment uka leriak. Cette espèce vit de 
poissons et de crustacés dans les golfes les plus isolés 
du Groënländ. L’accouplement a lieu en juin, et la 
parturition en février. On recherche de cette espèce 
son lard et sa peau ; mais on rejette ses chairs, dont 
la mauvaise odeur est extrême. 


TE 


LE PHOQUE DE PARSONS. 


Phoca Parsonsii. Less. (2). 


Ce phoque a communément dix pieds de longueur, 
et les jeunes âgés de deux ans n’ont pas moins de 


() Phoca hispida, Screber. 86 : phoca annellata, 
Nylss. Tied., pl. 9, 40, 11, et 12, Voy. en 151. : 
phoca fœtida, Müller; Fabricius, sp. 8; Desmarest, 
377 : neitsek, Crantz, 164: calosephalus hispidus, 
Fr. Cuvier, 547: phoque neitsoak, Buffon, Supplé- 
ment, t. VI: le neitsek des Groënlandois, qui lui don- 
nent encore plusieurs noms suivant ses variétés d'âges. 

(>) Phocamajor, Parsons; Tr, phil., t. XLVIE, p, 124; 


424 


six pieds et plusieurs pouces; il à trente-quatre 
dents, six incisives supérieures et quatre inférieures; 
sa tête est longue, le museau très élargi, et les lè- 
vres lâches ; les soies des moustaches sont longues, 
nombreuses, cornées, flexibles, subulées et com- 
primées, glabres et pellucides ; les oreilles sont plus 
ouvertes que dans les autres espèces, mais sans au- 
ricule extérieure; yeux grands, à pupille arrondie 
et noire (les deux espèces précédentes ont la pupille 
verticale); le doigt du milieu des membres anté- 
rieurs très long ; corps robuste, allongé ; dos élevé, 
peau épaisse ; pelage des jeunes fourni de poils mous, 
peu laineux en dessous, plus rares et caduques chez 
les adultes, et tombant presque complétement chez 
les vieux, qui ont la peau presque nue. Sa couleur 
varie suivant l’âge : de grisètre sale et blanc en des- 
sous chez les jeunes, il passe à une teinte noire fon- 
cée dans un àge plus avancé. Ce phoque habite la 
haute mer du pôle boréal ; il se rend à terre au prin- 
temps, et les femelles mettent bas un seul fœtus vers 
le mois de mars, et sur les glaces flottantes : il est 
timide et sans prévoyance. Les Groënlandois esti- 
ment comme un aliment délicat sa chair, sa graisse, 
ses intestins, et font avec sa peau des ajustements 
et divers ustensiles. 

Thienemann, qui a récemment donné de très bons 
détails sur cette espèce, remarque qu’elle à quatre 
mamelles , tandis que les précédentes n’en ont que 
deux. 
EEE ——"————…—…—…———— 


LE PHOQUE DE THIENEMANN. 


Phoca Thienemanniti. Less. (!). 


Nous ne connoissons les espèces de phoques dé- 
crites , à ce qu’il paroît, avec soin, et très bien figu- 
rées, par Thienemann, autrement que par de courtes 
indications. Il est noir sur le dos, vert sous le ven- 
tre ; les flancs sont de cette dernière couleur, marbrée 
de noir près du dos et de gris près du ventre. L’ani- 
mal adulte a six pieds de longueur, et vit sur les 
côtes d'Islande. 


LE PHOQUE LEUCOPLE. 
Phoca leucopla (?). 


Cette espèce est entièrement verdâtre, teintée de 
grisâtre sur le dos. Des mers de l'Islande. 


phoca barbata , Müller, p. 8; Fabricius, sp. 9; Desma- 
rest, 378; Thien., Voy., pl. 1 à 4: grand phoque, 
Buffon, supplément, 1. VI. fig, 45 :urksuk, Crantz., 
465 : gramselur , Olafs., 532 : calocephalus barbatus, 
Fr. Cuvier : l'urksuk takkamugak des Groënlandois, 
qui nomment terkigluk le jeune âge. 

() Phoca scopulicola, Thienemann, Voy. en 1sl., 
18224, pl. 5 (mâle adulte). 

() Thienemann, Voy en Isl., pl. 13. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE PHOQUE DE LINNÆUS. 


Phoca Linnæwi. Less. (!) 


. 
‘ 


Ce phoque, commun sur nos côtes, a environ trois 
pieds de longueur. Sa couleur est d'un gris jaunà- 
tre, couvert de taches irrégulières noirâtres. Suivant 
Fr. Cuvier, dont nous empruntons la description 
parce qu’elle le distingue de plusieurs espèces voi- 
sines, son pelage change de teinte suivant qu’il est 
sec ou mouillé. Lorsque le phoque commun sort de 
l’eau , tout le corps en dessus est d’un gris d’ardoise 
et couvert sur les côtés de nombreuses petites taches 
rondes sur un fond un peu plus pâle ou jaunâtre ; 
les parties inférieures sont de cette dernière teinte. 
Lorsque le pelage est sec, le gris ne paroît que sur 
la ligne moyenne, et tout le reste du corps paroît 
jaunâtre. En vicillissant, les poils blanchissent. 11 
habite les mers du Nord et les côtes de l'Europe. On 
peut regarder provisoirement comme une variété de 
cette espèce le kassigiak (phoca maculata, Bod- 
daert; phoca vitulina, Fabr.), dont le pelage est 
noir en dessus et blanc en dessous chez les jeunes, 
puis d’un gris livide parsemé de taches, et enfin, 
dans l’âge adulte, varié de noir, ou de blanc ou ti- 
gré : la chair rouge. Le phoque de Linnæus s’ap- 
parie en séptembre dans le Nord, et met bas un seul 
fœtus en juin. Il est très défiant, soupconneux et 
très timide. 


LE PHOQUE DE LEPÉCHIN. 
Phoca Lepechenri. Less. (?). 


Ce phoque a six pieds et six pouces environ, 
quatre incisives à chaque mâchoire. Il ressemble 
par les formes de la tête au phoque de Linnæus. Les 
poils des moustaches sont épais et forts, placés sur 
quinze rangs. Les bras sont assez foibles, les mains 
petites, serrées, comme coupées ; la membane des 
doizts est égale, la queue courte et épaisse. Son pe- 
lage est composé de poils longs, peu serrés, non cuu- 
chés sur le corps, d’un jaune pâle assez uniforme, 
excepté sur le cou, où règne une bande transversale 
noire. Les jeunes sont gris roirâtre, couverts sur le 
dos de petites taches noirâtres. F. Cuvier a observé 


@) Linnæus, Syst. Natur.,t.1, p. 56; Müller, pr. 3; 
Fabricius, sp. 8; Desmarets, sp. 375 : phoque, Buffon, 
t VIE, pl. 45 : Aassigiak des Groënlandais : phoque 
commun, Fr. Cuvier, #1+ livrais. : calocephalus vituli- 
nus, ejusd. Dictionn., t. XXXIX, p. 544. 

() Phoca leporina, Lepéchin, Act., Acad. Pétersb,, 
t. I, pl. 8 et 9 ; Desmarest, sp. 374; Bodd., Shaw : calo- 
cephalus leporinus, Fr. Cuvier, t. XIX, p. 545: pho- 
que commun, ejusd. Mamimif., 9e livraison. 


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DES MAMMIFERIS. 4 


vivant un phoque de cette espèce qui mangeoit sous 
l’eau, souflloit comme les chats lorsqu'on linquié- 
toit, et cherchoit, non à mordre, mais à égratigner 
avec ses ongles. Les mers boréales, la Baltique, les 
côtes d'Europe, sont les lieux qu’habite le phoque- 
lièvre. Sa peau est employée dans l’art du sellier. 


EE 
LE PHOQUE DE FRÉDÉRIC. 
Phoca Frederici. LESS. (1). 


Cette espèce nouvelle a été observée vivante par 
F. Cuvier. Sa taille est celle du phoque commun. Le 
fond de son pelage est d’un gris très foncé, veiné 
de lignes blanchâtres, irrégulières, qui forment, 
principalement sur le dos et les flancs, une sorte de 
marbrare. Des côtes de France. Son nom spécifique 
est celui de F. Cuvier. C’est peut-être le phoque lit- 
toral de Thienemann ? 


LE PHOQUE DE LA PILAYE. 


Phoca Pilayana. Less. (?). 


Cette espèce a trois pieds trois pouces de longueur 
totale; du moins telles étoient les dimensions d’un 
individu apporté au Muséum par M. de La Pilaye, 
qui se l’est procuré à Terre-Neuve. Le corps est d’un 
cendré argenté en dessus avec quelques tacses épar- 
ses d’un brun noirâtre, les flancs et le dessous sont 
d'un cendré presque blanc. Les ongles sont forts et 
noirs ; les moustaches médiocres, en partie noirâtres 
et en partie blanchâtres , et gaufrées à peu près 
comine celles du phoque commun. 


LE PHOQUE DE DESMAREST, 


Phoca Desmarestii. Less. (?). 


Suivant M. Desmarest, cette espèce a les formes 
du phoque commun, le pelage gris de fer, s’éclair- 
cissant sur les côtés, et blanchâtre sous îe ventre. 
Quelques petites taches noirâtres, irrégalières, oc- 
cupent le dos et les flancs. Le museau est blane en 
dessus ; les moustaches sont médiocres et noires; la 
queue est assez longue, mince, d’un beau blanc; 


(" Calocephalus discolor, Fr. Cuvier, Dictionn., 
t. XXIX ,p. 545 : phoque commun, ejusd. Nammif., 
Qc livraison. 

(2) Phoca lagurus, Cuvier, Css. foss., t. V, p. 206 : 
calocephalus lagurus, Fr. Cuvier, Dictionn., t. XXIX, 
p. 206. 

(*) Phoca albiciuda, Desmarest, Mammalogie Sup- 
plém., sp. 839. 

I, 


35 


les ongles des pieds de devant sont longs, robustes, 
comprimés, peu arqués et noirs. Sa longueur totale 
est de trois pieds et demi environ. Sa patrie est in- 
connue, et l’espèce dont ce phoque se rapproche le 
plus est ie Lepéchin (phoca le; orina). K seroit fort 
possible que cette espèce fût la même que le phoque 
La Pilaye, le phoca laqurus de M. G. Cuvier. 


—————.—._"…—."—.——…"—— — —_———.. ———.". — ——— —" ——…— —————— — —.—+—…——h 


LE PHOQUE D'HERMANN. 


Phoca Hermannii. Less. (1). 


Il a de sept à huit pieds et même dix de longueur. 
Il est entièrement noir en dessus, et d’un blanc gris 
jaunâtre en dessous. Il a trente-deux dents, quatre 
incisives en haut et en bas. Les poils sont ras, longs 
de quatre lignes , très serrés, et comme collés sur le 
corps. La femelle a quatre mamelles. Ce phoque est 
très intelligent et très docile : il apprend aisément à 
obéir à l'homme. Il séjourne long-temps au fond de 
l’eau sans avoir besoin de respirer. Sa voix est une 
sorte d’aboiement sourd et précipité. On ne l’a, jus- 
qu’à ce jour, rencontré communément que dans la 
mer Adriatique. Cependant de La Marmora (Voyage 
en Strrdaigne, p. 173) le mentionne comme habi- 
tant les côtes de Sardaigne. C’est très probablement 
le phoca d’Aristote et de Pline. La figure qu’en a 
donnée Buffon est excellente. 


B. Phoques de l'océan Pacifique boréal. 
LE PHOQUE DE CHORIS. 


Phoca Chorisii. LEss. (?). 


Ce phoque du détroit de Behring est blanc, cou- 
vert de petites taches noires nombreuses; une va- 
riété des îles Aléoutiennes est d’un blanc sale sans 
taches ; une variété des Kouriles est noire maculée 
de blanc. Sa taille est de quatre pieds et demi; le 
museau est conique, le corps gros, le pelage ras et 
régulier, les moustaches très fournies : les ongles des 
membres antérieurs sont robustes ; ceux des pieds 
de derrière, également au nombre de cinq, sont 
placés, les trois du milieu au bord de la membrane 
interdigitale; et les deux plus extérieurs, l'interne 


() Phoca monachus, Hermann, Mémoires de Berlin, 
t.1V, fig. 12 et13; Desmarest, sp. 372 : phoque moine, 
Fr. Cuvier, Mémoires du Huséum, L. XX, p. 387 : pe- 
lagius monachus, Fr. Cuvier, Dictionn., t. XXXIX, 
p. 550 : phoque à ventre blanc, Buffon, Supplém., 
t. VE, fig. 44 : phoca bicolor, Shaw, Gen. Zool., pl. 70: 
phoca albiventer, Bood.: phoca luucogaster, Péron; 
Ranzani, 102. 

{@) Chien de mer du détroit de Behring, Choris, 

Voyage pittoresque autour du monde, pl. 8. 
à 


ES 


426 


et l’externe, un peu en dedans. La queue est courte; 
le ventre jaunâtre. Nous supposons que cette espèce 
est la même qu'a décrite Krakenninikow, et qu’il 
dit grosse comme un bœuf d’un an, variable dans 
ses couleurs, mais marquée de taches ronde: sur 
le dos, et le ventre d’un blanc jaunâtre ; ses petits 
sont blancs comme la neige. Elle habite les côtes 
du Kamtschatka. 


LE PHOQUE DE BYRON. 

Phoca Byronii. Brain. (1). 
" Cette espèce ne repose que sur un crâne examiné 
à Londres par M. de Blainville, dans la collection 
d’Hunter, et étiqueté sea lion from the Island of 
Tinian by commodore Byron. Elle présente six in- 
cisives supérieures, dont la seconde est plus grosse 
que les autres, et ressemble à une canine; les crêtes 
occipitale et sagittale sont très saillantes , ainsi que 
l’apophyse mastoïde. Des côtes des îles Mariannes. 


C. Phoques de l'hémisphère austral. 
LE PHOQUE DE HOME. 
Phoca Homei. Less. (?). 


Cette espèce est remarquable par de très petits 
ongles, surtout aux pieds de derrière ; et c’est de 
cette particularité que lui vient le nom de leptonyx. 
Le seul individu qu’on en connoisse a sept pieds de 
longueur. Tout le dessus du corps est gris noirâtre, 
et les côtés deviennent jaunâtres par degrés, à cause 
des petites taches de sette couleur qui s’y mêlent ; 
les flancs. le dessous du corps, les pieds et le des- 
sus des yeux, sont entièrement d’un jaune gris pâle. 
Ses moustaches sont simples et courtes. Ce phoque 
habite, dit-on, les côtes des îles Malouines et de 
la Géorgie du Sud. Nous avons plus d’un motif de 
rapporter à cette espèce la suivante : cependant M. Ja- 
mieso, ayant examiné le crâne du phoque de Wed- 
dell, a trouvé des différences qui doivent, suivant 
lui, l'en distinguer. I! est très probable aussi que 
les phoca lepionix et Weï*dellii soient des otaries 
à conques rudimeitaires, conques qui ne sont pas 
visibles sur des peaux racornies. 


(") Desmarest, sp. 370. 

(:) Phoca leptonyx, Blainville, Journal de Physique; 
Desmarest, sp. 379 : stenorhyncus leptenyx, Fr. Cu- 
vier, t. XXXIX, p. 549; Éverard Home, Trans. Soc. 
de Lond., part. [ (1822), pl. 29. 


HISTOIRE NATURELLE 


LE PHOQUE DE WEDDELL. 
Phoca Weddellii. Less. (1). 


Ce phoque à beaucoup de ressemblance avec l’es- 
pèce précédente, que sir Everard Home a figurée 
pl. 29 des Transactions philosophiques de 41822. 
Toutefois il en diffère suivant le docteur Jamieson, 
qui en a examiné des dépouilles et le système den- 
taire. La description de Weddell est trop incom- 
plète pour être satisfaisante, et le dessin lui-même 
laisse beaucoup à désirer. Les auricules ne sont 
point apparentes, et ont été peut-être oubliées ; car 
les formes du corps sont entièrement celles des 
otaries. Cette espèce est arrondie, à corps épais, à 
cou très long s’amincissant jusqu’à la tête. Celle-ci 
est très petite et à museau proéminent. Les mem- 
bres antérieurs sont courts et éloignés de la tête ; les 
postérieurs très rapprochés l’un de l’autre, et ter- 
minés par cinq lobes membraneux peu amples. Le 
pelage est ras, lustré, d’un gris pâle , parsemé d’un 
grand nombre de taches arrondies blanchâtres en 
dessus et jaunâtres en dessous. Ce phoque n’habite 
que les hautes latitudes des Orcades australes, par 
60 degrés. Il vit sur la glace : on ne sait rien de ses 
mœurs. 

M. Lesquin de Roscoff, dans la relation du nau- 
frage de la goëlette L'Aventure ( Lycée armoricain, 
Xe vol., 55° liv., p. 55), s’exprime ainsi en parlant 
d’un phoque qui paroît être celui qui nous occupe : 

Page 56. — « Le léopard marin est plus long que 
l'éléphant, mais ilest bien plus agile. Il a une gueule 
énorme, garnie de dents aiguës, et de très longues 
nageoires. Sa peau est bigarrée comme celle du léo- 
pard terrestre. Cet amphibie ne paroît aux iles 
Crozet que dans les mois d'août et de septembre, 
et semble être le mortel ennemi de l'éléphant, qu’il 
n’attaque cependant jamais à terre; mais il enlève 
très souvent ses petits, lorsqu'ils se trouvent près 
du bord de la mer. » 

Page 46. — « La variété de sa peau nous fit lui 
donner le nom de léopard marin. Il a huit pieds de 
long, sa tête est longue et plate; les mâchoires sont 
garnies de deux rangées de dents très aiguës, et il 
se remuoit comme l'éléphant marin; mais il avoit 
ses nageoires infiniment plus longues. Le goût de 
sa chair est détestable. » 


(:) Olaria Weddellii, Bulletin des Sciences naturel- 
les : stenorhyncus Weddellii, Lesson, Manuel, 
Mamm., sp 541 : sea leopard of south Orkneys, 
Weddell. Foy. to south pole, p. 22, avec figure mé- 
diocre : phoque à long cou, long necked seal, Parsons, 
Transact. philosoph., t. XLVIK, pl. 6; phoca longicol- 
lis, Shaw, Gen, Zool.? 


TUE NZ 34 


£ CI que à loire Phoca proboseidea ACID. 


DES MAMMIFERES. 


LE PHOQUE A TROMPE. 


Phoca proboscidea (1). 


Ce phoque est long de vingt, vingt-cinq ou trente 
pieds, sur quinze à dix-huit de circonférence : il est 
grisâtre où d’un gris bleuâtre, plus rarement d’un 
brun noirûtre ; les canines inférieures sont longues, 
fortes, arquées et saillantes ; les soies des mousta- 
ches sont dures, rudes , très longues, tordues 
comme une espèce de vis; les yeux sont très volu- 
mineux et proéminents; les membres antérieurs 
sont robustes, et présentent à leur extrémité, tout 
près du bord postérieur, cinq petits ongles noirà- 
tres; la queue est très courte, peu apparente entre 
les membres postérieurs, qui sont horizontalement 
aplatis. Ce qui caractérise l’éléphant marin est, à 
l’époque des amours, le prolongement du nez, for- 
mant, dans l’état d’érection , une trompe molle et 
élastique, longue quelquefois d’un pied; cette trompe 
érectile manque à la femelle, et paroit s’effacer peu 
à peu lorsque la saison du rut est passée : c’est le 
tissu cellulaire du nez, qui semble ainsi se gorger 
de sang et s’allonger à l’instar des panicules charnus 
de quelques oiseaux gallinacés lors de la reproduc- 
tion ; le pelage des deux sexes est ras et très gros- 
sier. L’éléphant marin paroît habiter toutes les iles 
désertes de l’hémisphère austral; Péron dit qu’il 
n'existe pas sur les côtes de la Nouvelle-Hollande 
et de la Terre de Diémen, ce qui est peu probable. 
On le trouve en nombreuses tribus sur la Terre de 
Kerguelin, la Nouvelle-Géorgie , la Terre-des-Etats, 
les îles Malouines et Shetland, l’île de Juan-Fernan- 
dez, l'archipel de Chiloé, les côtes de Chili. Péron 
dit qu’il émigre chaque année, suivant les saisons, 
et que, redoutant les trop grandes chaleurs comme 
les froids trop vifs, il va dans l’hiver du sud un peu 
plus au nord, et dans l’été il quitte les côtes nord, 
ses limites, pour retourner au sud. Le système mus- 
culaire est enveloppé d’une couche huileuse, qui 
a jusqu’à neuf pouces d'épaisseur; sa nourriture 
principale consiste en céphalopodes ; et ce sont les 
plages sablonneuses qu’il fréquente de préférence, 
et les lits épais de laminaria gigantea sur lesquels 


(:) Péron, Voyage aux Terres-Australes, t. WU, p. 55, 
et Atlas, pl. 62:lion marin, Dampier, Voyages,t.I, 
p. 118 :lion marin, Anson, Voyage, p. 101 : loup ma- 
rin, Pernetty, Mal.,t.I, p.38 : phoca leonina, Lin- 
pæus : phoque à museau ridé, Forster; Buffon, t. VI: 
phoca elephantina, lame, Molina, Chili, p. 260 : phoca 
proboscidea, Desmarest, sp. 368 : phoca Ansonii, 
Desmarest, 369 : macrorhinus proboscideus, Fr. Cu- 
vier, Dictionnaire, t. XXIX, p. 552 :miourong des 
Négres australiens du port Jackson, Péron, t. HI, p. 61; 
Forster, t. IL; second Voyage de Cook, t, IV, p, 85; 
Dampier, Voyage, 1715,t.1,p, 118. 


427 
il aime à se reposer. Dans les quatre premiers mois 
de l’année il se tient à la mer, dans les autres il 
vient alternativement à terre; il est d'humeur 
douce, paisible, indolente, et se laisse approcher 
par l’homme : ce qui permet aux chasseurs de le 
frapper au cœur avec une longue lance. Un mâle a 
toujours plusieurs femelles : il se bat à outrance 
avec ses rivaux, pour leur possession; le vainqueur 
choisit en octobre, et compose à son gré son sérail : 
la jouissance émoussant ses sens, il abandonne en- 
suite à ceux qu’il a vaincus la possession des fe- 
melles qu’il ne peut plus féconder. Chacune d'elles 
a deux petits, quelques auteurs disent un seul, qui 
tettent deux ou trois mois, et qui naissent en juillet 
et août. L’éléphant marin se réunit par troupes de 
cent cinquante à deux cents individus, et chacun 
peut fournir environ deux mille livres en poids de 
chair : tel étoit celui qui servit à l'équipage de la 
corvette l’Uranie, naufragée sur les Malouines, et 
qui venoit probablement expirer sur le rivage, près 
du camp qu’avoit établi le capitaine de vaisseau de 
Freycinet. Ce qui fait rechercher cette espèce est 
abondance d’huile qu’elle fournit. « L’éléphant de 
mer, dit M. Lesquin de Roscoff, a quinze ou seize 
pieds de longueur sur quatre pieds de tour; il se 
sert, pour se trainer à terre, de ses nageoires, ar- 
mées de fortes griffes. Depuis septembre jusqu’en 
mars les grèves et les vallées des îles Crozet sont 
couvertes de ces phoques : ils ne sont pas dange- 
reux, parce qu'ils se meuvent lentement. Les fe- 
melles ne quittent jamais leurs petits tant qu’elles 
sont à terre, etc. » 

L'éléphant marin est parfaitement décrit par An- 
son ( Voyage autour du monde, page 101), mais 
assez mal figuré quant aux membres antérieurs et 
postérieurs. Ce qu’il en dit est exact, et analogue à 
ce que nous avons présenté dans ce qui précède. 
Molina, sous le nom chilien de lame, et puis sous 
celui de phoca elephantina, ne s'éloigne pas trop des 
détails admis ; cependant il dit que la femelle a un 
rudiment de trompe, ce qui n’est pas : mais on voit 
qu’il a mis à profit la description d’Anson. Per- 
netty (Voyage aux îles Malouines, tome IT, pag. 58 
et suiv., pl. IX) a simplement copié la mauvaise 
figure d’Anson, et n’a pas manqué de reproduire 
sa queue élégamment retroussée en chapiteau co- 
rinthien, garni de ses feuilles d’acanthe : les détails 
qu’il en donne, sous le nom de loup marin, sont 
assez exacts pour la manière d’écrire l’histoire na- 
turelle de cet abbé. M. Desmarest a décrit, sous le 
nom de phoque d’Anson, phoca Ansonii, sp. 369, 
une espèce qui n’est autre que l'éléphant marin; 
mais la tête osseuse, qu’il caractérise d’après M. de 
Blainville, appartient évidemment à une autre es- 
pèce, dont les formes corporelles sont encore in- 
connues : celle-ci resteroit alors, dans nos species, 


428 


sous le nom de phoque d’Anson. Cette tête osseuse 
appartient à la collection de Hunter; elle y étoitéti- 
quetée sous le nom de sea lion des îles Malouines, 
et elle présente de notables différences avce les crä- 
nes de l'éléphant marin. (Voyez Desmarest, Encyrl. 
mamin., p. 210.) 

Peut-être est-ce encore à l'éléphant marin qu'il 
faut rapporter cette grande espèce sans trompe érec- 
tile, vue par Mortimer et Cox (Obs. and rem. made 
during a voy. to the ist. of Amsterdam, ete., 1791, 
p. 11) sur les iles d'Amsterdam et Saint-Paul, et 
que M. Desmarest à décrite sous le nom de ph'ca 
Coæii (Nouv. Dict.d’Hist. nat., deuxième édition) : 
c’est peut-être l’éléphant de mer avant l'époque du 
rut. Péron l’avoit nommé phoca resima (IL. t. FI, 
p. 415, deuxième édition), et c’est indubitablement 
le phoque urigne, phoca lupina de Molina (Histoire 
naturelle du Chili, p. 255), et très probabiement 
celui mentionné par Aubert di Petit - Tiouars 
(p.12) dans sa description de l'ile de Tristan d’A- 
cugna. 


LES OTARIES 7). 
Otaria. PÉRON, Licusr. 


Une conque auditive extérieure enroulée, et re- 
couvrant l’orifice de l’oreille ; les pieds postérieurs 
rapprochés, garnis d'ongles très étroits, dépassés 
de beaucoup par une membrane natatoire lobée : les 
pieds antérieurs en nageoires, sans aucune trace 
d'ongles, et placés au milieu de la Jongueur du 
corps ; incisives supérieures à deux tranchants, les 
molaires espacées el coniques. } 


a ———— 
A. Otaries de l'Océan Atlantique bortal. 
L'OTARIE DE FABRICIUS. 


Otaria Fabricii. Less. (?). 


Sous ce nom Fabricius a décrit une espèce qui ne 
peut être l’ours de mer de Steiler ui celui de Kors- 
ter : il lui donne pour unique caractère d’avoir des 
oreilles. Les Groënlandois le nomment auvekeæjak, 
et emploient ses dents en amulettes contre les ul- 


{) Quelques auteurs font d'otarie un nom substantif 
féminin : nous préférons le faire masculin malgré l'é- 
tymologie radicale : car phoque el otarie formeroicnt 
par leur orthographe ou masculine ou féminine une 
disparate qui établiroit une ligne de démarcation im- 
mense entre les animaux des deux genres, démarcalion 
qui est bien loin d'exister essentiellement. 

Ge) Phoca ursina, Fabricius, Fauna groenlandica, 
b.6. 


HISTOIRE NATURELLE 


cères; il paroit rare dans le sud du Groënland. Le 
phoca ursina du Systema Naturæ , auquel Fabri- 
cius rapporte son espèce; ne peut être identique 
avec cet otarie. Cette espèce est donc à revoir, et 
nous avouerons que nous sommes assez porté à pen- 
ser que les otaries ne se trouvent que dans l'Océan 
Pacifique , soit au nord, soit au sud. 


B. Olaries de l'Océan Pacifique boréal. 


L'OTARIE DE STELLER. 
Olaria Stellerii. Less. (1). 


Nous ne répéterons pas ce que nous avons déjà 
dit, que cetle espèce doit avoir élé confondue par 
tous les auteurs avec le lion marin des mers aus- 
trales. On donne au lion marin des côtes du Kamt- 
schatka et aussi des îles Kuriles le nom de cheval 
marin. Son cou est nu, mais garni d’une petite cri- 
nière dont le poil est rude et frisé (expression de la 
description originale), le pelage est brun; la tête est 
de médiocre grosseur; les oreilles sont courtes; le 
museau conique ct relevé comme celui d’un doguin ; 
nageoires peu longues : il se tient sur les rochers 
des rivages, grimpe à une grande hauteur ; ses mu- 
gissements sont affreux, mais ses mœurs sont timi- 
des; sa c'air passe pour délicate aux yeux des 
Aléoutes et des Kamtschadales. Les mâles ont deux 
ou trois femelles, et s’accouplent en août et septem- 
bre; la femelle porte neuf mois. Il exhale une forte 
odeur, moins désagréable que celle de l'ours marin, 
Cette espèce est commune dans le détroit de Bebring, 
mais paroit ne pas dépasser le cinquante sixième 
degré de latitude sud, Peut-être l’otarie de Steller 
est-il identique avec l’otarie de Choris. 


-L'OTARIE DE LA CALIFORNIE. 
Otaria californiana. Less. (?). 


Cette espèce, d’après la figure de Choris, a le pe- 
Jage ras, uniformément fauve brunâtre, les mous- 
taches peu fournies ; le museau est assez pointu ; les 
membres antérieurs sont réguliers, plus grands que 
les postérieurs. Cinq rudiments d'ongles occupent 
l'extrémité des phalanges, et sont débordés par une 
large bande de Ja membrane. Les pieds postérieurs 
sont minces, ayant trois ongles au milieu et deux 
rudiments d’ongles interne et externe ; cinq festons 


{) Leo marinus, Steller , de Bestiis marinis, Mém. 
acad. de Pétersbourg; Krakenninikow, Description 
du Kamtschatka, p. 428. 

() Jeune lion marin de la Californie, Choris, Foyage 
pittoresque, pl. 11. 


DES MAMMIFÉRES. 


lancéolés et étroits dépassent de cinq à six pouces les 
ongles; la queue est très courte. Des côtes de la 
Californie. 


L'OTARIE DE KRAKENNINIKOW. 


Otaria Krakenninikowte. Less. (1). 


. La taille de cet otarie est plus petite que celle de 
l'espèce précédente, et d'environ huit à neuf pieds 
chez les plus grands individus ; le museau est plus 
long et les dents plus fortes; pelage noirâtre, taché 
de gris, court et cassant; celui des jeunes est d’un 
noir bleuâtre ; dans la vieillesse la pointe des poils, 
devenant grise, donne une teinte brunâtre à la 
masse du pelage; les pieds nus et noirs. Cet otarie 
est de passage dans les diverses îles qui forment une 
ceinture à l’océan Pacifique du Nord, entre l'Asie 
et l'Amérique, et paroit changer de côtes suivant le 
temps; il aime à fréquenter l’embouchure des ri- 
vières : les pêcheurs en détruisent beaucoup, et 
recherchent surtout les fœtus, jusque dans la ma- 
trice, parce que leur fourrure est d’un beau noir, 
et est très recherchée : les femelles, qui n’ont que 
deux mamelles abdominales, allaitent leurs petits 
pendant deux mois; il est rare qu’elles en aient plus 
d’un à chaque portée : ils naissent les yeux ouverts 
et avec trente-deux dents, et leur pelage est d’un 
bleu noirâtre fort beau. Les femelles deviennent 
grises en vieillissant, et sont beaucoup plus petites 
que les mâles : elles portent à leurs enfants le plus 
vif attachement. Chaque mâle à de huit à quinze 
femelles, et quelquefois plus, et témoigne la plus 
grande jalousie pour son sérail ; les vieux seuls vi- 
vent solitaires, et repoussés des grandes commu- 
nautés où leurs infirmités ne leur permettroient plus 
de lutter avec les jeunes. Cette espèce de phoque 
exhale une odeur extrêmement fétide : ils sont bel- 
liqueux et acharnés dans le combat ; rien ne peut 
leur faire lâcher prise. Pour plus de détails, on doit 
consulter Krakenninikow , qui a transcrit les ob- 
servations nombreuses de Steller sur les habitudes de 
cette espèce. 


C. Olaries de l'hémisphère austral. 
L'OTARIE DE PERNETTY. 


Otaria Pernettii. Less. (?). 


Ce phoque acquiert une taille considérable sui- 
vant Pernetty, puisqu'il dit que des individus ont 


(*) Ursus marinus, Steller, loc. cit.: chat marin, 
Krakenuinikow. 

(} Otaria jubata, Desmarest, sp. 380, non Linnæus, 
non Erxleben : platyrhyncus leoninus, Fr. Curvier, 


429 


jusqu'à vingt-cinq pieds de longueur, et dix-neuf à 
vingt pieds de circonférence ; ce qui le caractérise 
est le poil de Ja partie supérieure du corps, notam- 
ment celui qui revêt la tête, le cou et les épaules, 
et qui est aussi long que celui d’une chèvre. Mais 
Forster, plus croyable en cela, ne donne au lion 
marin du Sud qu’une douzaine de pieds au plus, et 
sept à huit pour les femelles. Voici la description 
qu’en trace cet habile compagnon de-Cook { second 
Voyage, t. IV, p.71, iu-#) : « Le corps est gros, cy- 
lindrique, très gras; la tête assez petite, assez sem- 
blable à celle d’un gros dogue ; le nez un peu relevé 
et comme tronqué à son extrémité ; la lèvre supé- 
rieure déborde Pinférieure, et est garnie de cinq 
rangs de soies rigides en forme de moustaches : ces 
soies sont longues, dures et noires, et blanches dans 
la vieillesse : les oreilles sont coniques, longues de 
six à sept lignes seulement ; leur cartilage est ferme 
et roide ; les yeux sont grands et proéminents, l'iris 
vert: trente-six dents; les pieds antérieurs noirs, 
formant une large bande plate, nue, offrant sur les 
doigts des vestiges d’angles seulement, les pieds 
postérieurs ayant les doigts terminés par cinq très 
petits ongles que dépassent notablement cinq fes- 
tons membraneux minces : queue conique et courte. 
Le mâle seul à sur la partie supérieure du corps son 
pelage composé de poils rudes, grossiers et longs 
de deux à trois pouces, de couleur tannée, tandis 
que sur toutes les parties postérieures le poil est 
court, serré et d’égale longueur; les poils de la fe- 
melle sont uniformément ras partout et de couleur 
fauve. » 


Pernetty (14, t. IE, p. 49) décrit ainsi les mœurs 
de son lion marin : « Il n’est point méchant, et fuit 
plutôt que de chercher à attaquer; il vit de poisson, 
d'oiseaux d’eau qu'il attrape par surprise, et d’herbe : 
les femelles font leurs petits et les allaitent dans les 
glaïeuls (herbes littorales du genre festuca). où elles 
se rendent chaque soir. La chair de cet animal peut 
se manger sans dégoût, et son huile est d’une grande 
ressource ; sa peau est très propre aux ouvrages de 
sellerie. » 


EE ——— 
L'OTARIE DE FORSTER. 
Ofaria Forsteri. Less. (1). 


Ce phoque est long de quatre à six pieds ; le corps 
est mince, la tête ronde, la bouche peu fendue, les 


Dictionnaire, t. XXIX, p. 555 : otaria leonina, Pé- 
ron, Zt.,t. I, p.113 ,in-8o: lion marin, Pernetty, 
It, LOU, p.47, pl. 10; Forster, second Voyage de 
Cook, t. IV, p.71 ; Buffon, Supplément, t. VI, pl. 48. 

() Otaria ursina, Desmarest, sp. 381 : arctocepha- 
lus ursinus, Fr, Cuvier, Dictionnaire, 1, XXIX, p, 554; 


430 


moustaches très longues, les yeux proéminents, les 
oreilles pointues et coniques, les pieds antérieurs 
sont dégagés, à membrane des doigts nue, lisse su- 
périeurement, ridée inféricurement; le pouce est 
le plus long des doigts, qui diminuent de longueur 
successivement ; le pelage se compose de deux 
sortes de poils, l’un ras la peau, et analogue à un 
feutre court, très doux, satiné brun roux, et analo- 
gue à celui d’une loutre ; l’autre se compose de poils 
plus longs, assez fournis, brunâtres et tachetés de 
gris foncé. 

Forster rapporta cet otarie à l'ours marin de Stel- 
ler; mais Forster, quoique doué d’un vaste savoir, 
avoit un coup d'œil trop peu sûr en zoologie pour 
affirmer de prime abord, d’après la courte et plus 
qu’incomplète description de Steller, que ces deux 
animaux étoient identiques. On pourroit à peine pro- 
noncer sur deux figures exactes, à plus forte raison 
ne peut-on pas le faire d’après des caractères peu 
précis, tracés à une époque où les espèces étoient 
volontiers confondues quand elles n’offroient pas de 
trop grandes dissemblances. 

L'otarie de Forster, ou l’ours marin, est le phoque 
à fourrure des pêcheurs européens ou américains. 
Il habite les hautes latitudes, fréquente toutes les 
cites morcelées de l'extrémité australe de l’Améri- 
que, le cap Horn, la Terre-des-Etats, les iles Maloui- 
nes, l'archipel de Pierre-le-Grand, et ‘aussi les îles 
Macquarie, pénantipodes, les parties méridionales 
de la Nouvelle-Hollande, de la Nouvelle-Zélande et 
de la Terre de Diémen. Du Petit-Thouars le men- 
tionne à l'ile de Tristan d’Acugna (p. 15). 

Ce phoque est très recherché dans le commerce, 
et sa fourrure est très estimée. La couleur la plus 
ordinaire de cette fourrure est le brun ; mais lorsque 
l'animal est parvenu à toute sa croissance, elle tire 
sur le rouge. Sa qualité ne diffère de celle des cas- 
tors que parce que les poils ou le feutre soyeux qui 
la composent sont plus courts; mais cependant cette 
fourrure est grossière sur le dos et sur le cou ; et ce 
n'est que sous le corps, et notamment sur le ventre, 
qu’elle prend cette finesse et ce moelleux qui la font 

echercher. Les crins qui couvrent le corps et qui 
dépassent le feutre sont toujours arrachés : pour ce, 
on chauffe doucement la peau, et on la ratisse for- 
tement avec un large couteau de bois façonné à cet 
effet ; débarrassée des longs poils, la fourrure ac- 
quiert alors toute sa beauté, et se vend en Chine deux 
dollars (42 francs), et jusqu’à cinq ou six en An- 
gleterre, en y comprenant la prime. On en fait des 
chapeaux superfins, des garnitures de robes, des 
manteaux, etc. Des chasseurs nous ont dit que cette 


phoca ursina, Linnæus et Erxleben : ours marin, Fors- 
ter; second Voyage de Cook, t. 1, p. 174; Buffon, t. VI, 
p. 336, pl. 47. 


HISTOIRE NATURELLE 


espèce d’otarie, si précieuse à leurs yeux, ne se 
trouvoit jamais que sur les côtes les plus battues par 
les vagues, dans les lieux les plus âpres des rivages 
de fer qui enveloppent beaucoup des îles de la mer 
du Sud, et que jamais on ne les voyoit se reposer 
dans les criques bordées de longues plages sablon- 
neuses déclives où la mer roule paisiblement ses eaux 
pendant la marée montante. Ses mœurs sont, dit-on, 
très sauvages, et son odorat très subtil ; de loin il 
a la conscience, par son moyen, des approches de 
l’homme, et il s’'empresse de gagner la mer, et de 
fuir un ennemi qu’il a appris à redouter. Au reste, 
si nous en croyons des renseignements qu’on nous a 
donnés comme positifs, on devra trouver un jour 
dans l’otarie de Forster, ou ours de mer, plus d’une 
espèce à distinguer. 


E———— —…—…….…….…—…" "—…"….…"…"….…"…—_.…_……—… 


L'OTARIE MOLOSSE, 


Otaria molossina (1). 


Ce phoque a les formes élancées , régulières, la 
tête petite, arrondie, comme tronquée en avant, et 
présentant assez exactement le museau d’un chien 
dogue. Le nez est peu proéminent , et séparé par une 
rainure ; la lèvre supérieure déborde l’inférieure, et 
toutes les deux sont garnies sur leur rebord de poils 
courts et serrés : les moustaches qui couvrent la face 
sont disposées sur quatre à six rangs; elles se com- 
posent de poils d’autant plus allongés qu'ils sont 
plus extérieurs, et dont la plus grande longueur est 
de quatre pouces : ces poils sont lisses, très rudes, 
aplatis transversalement, et de couleur fauve clair. 
L'œil, à iris verdâtre, est placé à deux pouces de 
la commissure de la bouche; les oreilles sont très 
petites, épaisses, pointues et roulées sur elles-mé- 
mes : elles sont revêtues d’un poil ras et se:ré; leur 
face inférieure est nue. Les paupières sont longues 
d'un pouce, entourées de poils roux et courts; les 
membres antérieurs sont aplatis en nageoires que ter- 
mine une membrane épaisse, sinueuse en son bord, 
d’un noir vif et complétement lisse. Les phalanges 
sont empâtées dans cet'e portion membraneuse, et 
sont indiquées par trois stries principales et profon- 
des ; sur leurs parties moyennes, on observe quatre 
rudiments d’ongles. Les membres postérieurs sont 
rapprochés, aplatis, terminés par des phalanges 
d’égale longueur. Les trois doigts du milieu sont mu- 
nis chacun d’un ongle fort, noir, long d’un pouce, 
arrondi, convexe supérieurement , aplati inférieure- 
ment, et terminé par un rebord taillé obliquement 


(°) Lesson et Garnot, Zoologie de la Coguille, pl. 3, 
p. 440 : otarie Guérin, Quoy et Gaimard, Zoologie de 
l'Uranie, note de la page 71 ? lion marin de la petite 
espèce, Pernetty, Zf,, t. II, p. 48? 


DES MAMMIFÉRES. 


à la partie externe de la phalange externe et au bord 
interne des deux phalanges internes. On remarque 
seulement deux rudiments d'ongles aux doigts ex- 
terne et interne ; la membrane qui unit les doigts est 
large, et les engage jusqu’à un pouce au-delà des 
ongles en formant un rebord. Cette portion, garnie 
de nervures tendineuses qui partent de la dernière 
phalange, se divise en cinq festons étroits, arrondis 
à leur sommet, où ils sont plus larges qu’à leur base, 
et d'autant plus développés qu’ils sont plus exté- 
rieurs. La surface externe des membres est couverte, 
comme toutes les autres parties du corps, d’un poil 
abondant, court et serré, tandis que les aisselles, 
les aines et le dessous des membres sont compléte- 
ment nus. Les membranes n’ont aucune trace de 
poils, et sont d’un noir vif; la queue est courte, 
aplatie et pointue à son extrémité. La longueur des 
poils ne dépasse pas quatre lignes, et leur couleur 
est d’un roux brun, comme satiné, lorsque l'animal 
est en vie. Cet otarie a trente-six dents : les incisives 
supérieures, aplaties transversalement, sont séparées 
en deux lobes par un sillon profond. Nous en tuâmes 
un individu au fond du Port-Louis, dans la baie 
françoise des îles Malouines. Ces amphibies étoient 
peu communs dans les premiers temps de notre sé- 
jour sur ces îles australes, en novembre; mais à 
l’époque de notre départ, vers la fin de décembre, 
ils s’approchoient chaque jour du rivage. Notre otarie 
molosse est sans doute identique avec l’otarie-Gué- 
rin, décrit brièvement par MM. Quoy et Gaimard, 
page 71 du texte de leur Zoologie, et qu’ils trouvè- 
rent également aux îles Malouines. 

C’est très probablement de ce phoque que parle 
M. Lesquin de Roscoff aux pages 36 et 57 de la re- 
lation de son naufrage : 

« Le loup marin est très agile, et saute de roche 
en roche avec une souplesse sans égale. Il est quel- 
quefois terrible, quand on l’attaque ; mais le moindre 
coup sur le nez l’étourdit sur-le-champ. Il monte à 
terre en novembre, et se retire vers avril. La fe- 
melle vient ordinairement allaiter son petit à la nuit, 
et le laisse le jour à la garde du mâle. 

» Les loups marins aux îles Crozet sont couverts 
d'un poil gris, sous lequel se trouve un superbe duvet 
très ressemblant à celui de la loutre. Les peaux ser- 
vent à la chapellerie. Ils se nourrissent de poissons 
et d'insectes marins, mais ne mangent rien à terre. 
Ils se remplissent la panse de sable, sans doute pour 
mieux nager. » 


A — 
L'OTARIE DE PAGÈS. 


Otaria Pagesii (1). 
Cette espèce, dans ses plus fortes dimensions, a, 


() Otaria Perom, Desmarest, p. 382 : phoca pu: 


431 


suivant Pagès, quatre pieds de longueur sur deux de 
circonférence ; mais la taille du plus grand nombre 
n’est que de deux pieds et demi ou trois, sur un et 
demi de circonférence. La tête est ronde, un peu 
déprimée ; le museau fort court. Elle a six incisives 
supérieures, dont les deux externes en forme de 
canines, et les quatre intermédiaires sillonnées trans- 
versalement, et quatre incisives inférieures. Les 
moustaches sont assez longues ; les oreilles étroites, 
et longues de dix-huit lignes. Le cou est gros, ainsi 
que la poitrine; le doigt interne des membres anté- 
rieurs est le plus long ; les ongles sont presque im- 
perceptibles, et cachés sous le poil, et si petits qu’à 
peine, suivant l’expression de Pagès, méritent-ils 
le nom d'ongles. Les pieds de devant sont velus en 
dessus et nus en dessous : ceux de derrière ont trois 
ongles très marqués aux phalanges du milieu, et les 
phalanges interne et externe ont des rudiments 
d'ongles à peine visibles. La membrane qui unit les 
cinq doigts dépasse ceux-ci, et forme en se décou- 
pant cinq festons d’autant plus longs qu’ils sont plus 
internes. Le pelage est doux et luisant, et d’un brun 
tirant sur le gris de fer, avec la tête plus foncée et 
le dessous beaucoup plus clair, surtout sur la poi- 
trine, suivant M. Desmarest ; chaque poil est d’un 
fauve très clair dans la plus grande partie de son 
étendue, puis d’un brun minime plus abondant en 
dessus qu’en dessous, et terminé, sur le dos, de gris 
clair, et sur le ventre de blanchâtre; la queue est 
longue de deux pouces. Le pelage des jeunes indi- 
vidus, suivant Pagès, est noirâtre. Cet otarie a été 
décrit par Daubenton et par Buffon, mais surtout 
longuement par Pagès dans son Voyage autour du 
monde. I! paroîit qu’il est très commun dans les en- 
virons du cap de Bonne-Espérance, et notamment 
dans Symon’s Bay, où il se réunit par grandes trou- 
pes. Son intelligence est très perfectionnée, ses ha- 
bitudes timides et douces. Il se tient sur les rochers. 
Nul doute que l’espèce décrite sous le nom d’otarie 
de Delalande (Oss. foss., t. V, p. 220) ne soit l’es- 
pèce que nous venons de décrire. M. Cuvier spécifie 
ainsi l’otarie de Delalande, rapporté du Cap par le 
voyageur-naturaliste de ce nom : « Cet animal a trois 
pieds six pouces de longueur ; son pelage est fourré, 
doux, laineux à sa base; sa pointe, annelée de gris 
et de noirâtre, donne une teinte généralement d’un 
gris brun roussâtre ; le ventre est plus pâle, et les 
pattes sont noirâtres. Les moustaches sont noires, 
fortes et simples. Peut-être faudra-t-il adjoindre à 
l'otarie de Pagès l’otarie de Milbert, qui est, dit- 
on, du Sud, et dont la taille est de trois pieds huit 
pouces, et les couleurs du pelage beaucoup plus 


silla, Linnæus : phoca parva, Bodd.: petit phoque, Buf- 
fon, t. XIII, pl. 53 : otaria Delalande, Fr. Cuvier, Dic- 
tionn.des Scienc. natur., t. XXIX, p. 558 : loup marin; 


. Pagés, JE, t. II, p. 32 et suiv. 


432 


blanches que celles des otaries blanchâtres et de De- 
Jlalande. » 


L'OTARIE DE BLAINVILLE. 
Olaria Blainvillii (1). 


Cette espèce a été observée par M. de Blainville 
dans la collection de Bullok en Angleterre. Voici la 
description qu’en donne, d’après lui, M. Besmarest 
dans sa Mammalogie : « Longaeur totale, environ 
un pied six pouces ; pelage généralement d’un noir 
luisant, parsemé de taches irrégulières jaunes : tête 
également noire, mais avec une bande d’un jaune 
doré sur le crâne, et une autre de la même couleur 
-et assez allongée sur le museau ; bouche très fendue ; 
membres antérieurs assez avancés, courts, et ter- 
minés par de larges mains dont les cinq doigts sont 
presque égaux , palmés et armés d’ongles très forts, 
arqués et aigus; les pieds postérieurs tout-à-fait en 
éventail, et sensiblement plus grands que les mains, 
dirigés en arrière, aussi à cinq doigts onguiculés, 
mais dépassés par des pointes membrancuses : queue 
longue d’un pouce environ, On ignore sa patrie. » 


L'OTARIE CENDRÉ. 
Olaria cinerea (?). 


Cette espèce est loin d’être connue; on lui donne 
neuf à dix pieds de longueur, ct un pelage dur, gros- 
sier, de couleur grise cendrée. Péron en rencontra 
des individus sur les côtes méridionales de la Nou- 
velle - Hollande, à l'ile Decrès. Son cuir es! très 
épais et l'huile qu’on en retire est aussi bonne qu’a- 
bondante. 

IL faut rapporter très probablement à l’otarie 
cendré une belle cspèce envoyée au Muséum par 
MM. Quoy et Gaimard, et qui provient du port du 
Roi-Georges sur la côte S.-0. de la Nouvelle-Hol- 
lande. Son pelage, rude et grossier, est un peu plus 
long et un peu plus touffu sur le cou et sur les épau- 
les, quoique dépassant de peu celui des parties in- 
férieures. Cela peut tenir à l’âge ou à l’époque de la 
vie de l’animal, qui peut avoir dix pieds de lon- 
gueur. Sa couleur est d’un brun fauve sale, et les 
nageoires sont noires. MM. Quaoy et Gaimard ont 
aussi envoyé plusieurs phocacés de la même relâche 
qui tous appartiennent au genre otarie ; et par eux 
nous posséderons enfin des détails précis sur les es- 


(‘, Otaria coronata, Desmarest,sp. 383 : phoca coro- 
nata, Blainville. 

(* Péron et Lesueur, Voyage aux Terres Australes, 
t. 1, p. 133; Desmarest, Mammalogie, sp. 384. 


HISTOTRE NATURELLE - 


pèces qui vivent dans les mers antarcliques, et parmi 
lesquelles ils nous en signaleront indubitablement 
de nouvelles. 


L'OTARIE ALBICOL. 


Otaria albicollis (1). 


Cette espèce est encore mal connue. Péron ne 
donne sur elle que fort peu de détails. Sa longueur 
totale seroit de huit à neuf pieds ; son pelage est mar- 
qué d’une grande tache blanche à la partie moyenne 
et supérieure du cou. Les membres antérieurs sont 
situés très en arrière. Elle abonde sur les plages de 
l'ile Eugène dans le sud de la Nouvelle-Hollande. 


L'OTARIE JAUNATRE. 
Ofaria flavescens (?). 


M. Desmarest a donné la description suivante de 
cette espèce : « Longueur totale, un pied dix pouces ; 
tête petite; nez un peu aigu ; les oreilles très étroites, 
pointues, en forme de feuille, longues d’un pouce ; 
moustaches longues et blanches; pieds de devant 
sans aucun ongle apparent; ceux de derrière forte- 
ment palmés, avec de véritables ongles longs et dis- 
tincts, les trois intermédiaires plus larges que les au- 
tres; pelage jaune pâle uniforme, ou de couleur de 
crème foncée sans mélange. On le dit du détroit de 
Magellan, et il en existe ua individu à Londres. » 


L'OTARIE DE SHAW. 


Olaria Shawii. Less. (3). 


Espèce encore peu connue, décrite ainsi par Des- 
marest : « Longueur totale, environ quatre picds ; 
nez court; lèvre supérieure munie de moustaches 
noires ; oreilles courtes, velues et pointues; incisives 
supérieures marquées d’un sillon transversal; les 
inférieures ayant aussi un sillon, mais dans un sens 
opposé; molaires très fortes, avec un petit appendice 
de chaque côté, près de leur base ; pieds de devant 
sans ongles, avec le bout de la nageoire terminé en 
palmures , qui s'étendent au-delà des extrémités des 
doigts ; pieds de derrière n'ayant que quatre doigts, 


| pourvus d'ongles longs et aigus, enveloppés par la 


(:) Péron et Lesueur, 1t.; Desmarest, 385, 

(2) Desmarest, sp. 386 : phoca flavescens, Shaw, t.1, 
p. 260, pl. 73. 

(2) Otaria falklandica, Desmarest, Mammalogie, Sp. 
387: phoca falklandica, Shaw, Gen. Zool., t.1, p. 256, 
Penrart, p 279. 


DES MAMMIFERES. 


membrane ; pelage gris cendré , nuancé de blanc 
terne : habite lesiles Malouines, nommées îles Falk- 
land par les Anglois; espèce certainement en dou- 
ble emploi, mais trop incomplétement décrite pour 
qu’on puisse l’isoler ou la rapporter à telle ou telle 
espèce. » 


L'OTARIE D'HAUVILLE. 
Otaria Hauvillii (1). 


Longueur, quatre pieds deux pouces ; pelage d’un 
cendré foncé en dessus, blanchâtre aux flancs et 
sous la poitrine; une bande d’un brun roux règne 
longitudinalement sous le ventre. Une bande noi- 
râtre va transversälement d’une nageoire à l’autre. 
Des îles Malouines. 


eee 
L'OTARIE DE MOLINA. 
Otaria Molinaii. Less. (?). 


Cette espèce n’est connue que par la description 
très incomplète de Molina, qui s'exprime en ces ler- 
mes : « Le cochon marin ressemble à l’urigne, pour 
la figure, le poil et la manière de vivre. Il en dif- 
fère cependant par le muscau, qui est plus allongé, 
et qui ressemble au groin du cochon : il a encore les 
oreilles plus relevées ; les pattes de devant divisées 
en cinq doigts bien distinets, quoique couverts par 
une membrane. Il ne se rencontre que rarement sur 
la côte du Chili. » 

Telles sont les espèces de phoques les plus au- 
thentiques et les mieux caractérisées. Les auteurs 
systématiques en ajoutent plusieurs autres dont la 
détermination est si peu précise, que nous ne balan- 
cons pas à les omettre. Ainsi se rangent dans cette 
catégorie les rHoca Coxii, Desm.; lupina, Molina; 
longicollis, Shaw, testudinea, Shaw; fasciala, 
Shaw ; punctata, Encycl. angl. ; maculata, Encycl. 
angl. des Kouriles, comme l’espèce précédente ; n2- 
gra, Encycl. angl.; lakhtak de Krakenniniow ; 


()G. Guvier, Ossem. foss., t. V, p. 220 : otarie de Pé- 
ron, de Blainville, Journal de Physique, t. XCI, p. 295. 
() Phoca porcina, Molina, Histoire naturelle, p.260. 


433. 
tigré , du même ; et grum-selur des Islandois et d’O- 
lafsen. Nous supprimerons aussi une foule de détails 
que nous avions extraits des anciens auteurs, et sur- 
tout des navigateurs, parce qu’ils eussent allongé, 
sans profit pour le lecteur, un article déjà très long, 
et où, au lieu des faits les plus avérés dans l’état 
actuel des choses, auroient pu se glisser, au milieu 
d’un vain étalage d’érudition, un grand nombre 
d'erreurs. On pourra d’ailleurs se faire une idée du 
dédale dans lequel s'engagent les compilateurs non 
naturalistes, en prenant connoissance des observa- 
tions du savant Fleurieu, tome IT du Voyage au- 
tour du monde de Marchand. On y verra que ces 
noms de veau, de loup, de lion, de renard, de chat, 
de bœuf et d’ours, en y ajoutant l’adjectif marin, ont 
plus contribué à embrouiller l’histoire des phoques 
que toutes les descriptions plus ou moins erronées 
qu’on en à données. Aussi avons-nous cherché à 
faire disparoître en partie cet inconvénient, en leur 
appliquant les noms de ceux qui les premiers les 
firent connoitre. 

40 L’OTARIE JAUNATRE (ofaria flavescens , 
Desm.) (1), qui fréquente les côtes du Chili, où on 
Ja nomme {abo de mar. {1 se rend sur le rivage 
desiîles de la Motcha, où les chasseurs en éteindront 
Ja race déjà bien diminuée. Son pelage est fauve 
cannelle , plus clair en dessous. Ses nageoires sont 
brunes , et les trois doigts intermédiaires de celles 
de l'arrière sont seuls munis d'ongles; tous les 
doigts sont débordés par des festons membraneux. 
Sa longueur varie de six à sept pieds. Ce phoque 
nous paroit être identique avec notre otariemolosse. 
20 L’OTARIE CENDRE (otaria cinerea, Péron) (?), fi- 
gurée planches 12, 45 et 15 de l’atlas de MM. Quoy 
et Gaimard, dans le voyage de l’Astrolabe (3). 
5° L’OTARIE AUSTRALE (otaria australis, Quoy et 
Gaim.) (f), a le corps gris, avec des reflets jaunâtres. 
Ses moustaches sont blanches, et les poils du corps, 
même ceux du cou, sont courts et serrés. Ce phoque 
habite le port du Roi-Georges, à la Nouvelle-Hol- 
lande. 


(‘) Poeping, Bull. Féruss., t. XIX, p, 100. 

() Voyage aux terres australes, t. Il, p. 54. 

() Otaria tota cinerea; membris nigricantibus ; 
pilis capitis et colli rudibus et longis, sub coactis, 
fulvis. 

(+) Otaria, corpore suprà griseo, subtus vulvo ; collo 
crasso; artubus infrà nigricantibus. 


[rs 
CS 
PSS 


HISTOIRE NATURELLE 


LIVRE VII 


LES MARSUPIAUX, OÙ AN IMAUX À BOURSES 


Les animaux de cette famille ont vu s’accroitre 
singulièrement leur nombre depuis quarante an- 
nées, notamment depuis l'établissement des An- 
glois à la Nouvelle-Galles du Sud , et par suite des 
explorations dirigées sur les côtes de la Nouvelle- 
Hollande. Avant 1789 on ne connoissoit que les 
didelphes ou filandres de l'Amérique, mentionnés 
par Marcgrave et Pison, et le phalanger des Molu- 
ques, décrit par Valentin, et figuré par Séba. Buffon 
lui-même n’a connu que six didelphes : le sarigue 
des Illinois ou à longs poils, le crabier, l'opos-um, 
le cayapollin ou le filandre de Surinam, la mar- 
mose et le toan, un chironecte, la petite loutre de 
la Guyane, et deux phalangers ou couscous, le pha- 
langer mâle, et le couscous roux que cet auteur 
prenoit pour la femelle de son phalanger. Aujour- 
d’hui les naturalistes connaissent un grand nombre 
d'espèces renfe:mées dans douze genres nettement 
circonscrits. 

Aucune famille de mammifères n’a donné lieu à 
plus d’éerits que celle des marsupiaux. La plupart 
des idées extravagantes émises sur son mode de gé- 
nération sont déjà oubliées ; mais ce qu’on peut ad- 
mettre de plus positif dans la double nutrition des 
petits, dans l’acte dit de la marsupialité, est que cet 
acte s'opère à l’aide d’une duplicature de la peau 
lu ventre qui renferme les organes de la lactation, 
2t qu'après la fécondation les embryons contenus 
dans la matrice, ayant pris un certain accroissement, 
se trouvent expulsés de l'utérus, et soumis à un au- 
tre mode de vitalité parementexterne. Cesembryons, 
encore peu développés, sont alors collés aux tétines 
renfermées dans la poche marsupiale qui les protège 
et les garantit des influences extérieures, tandis que 
les mamelons s’allongent et les abreuvent d’un lait 
nourricier. Puis, à une époque plus avancée, les pe- 
tits, plus robustes, peuvent abandonner le sein qui 
les allaite, se familiariser avec Pair extérieur, déve- 
lopper leurs facultés instinctives, et se blottir au 
moindre signe de danger dans cette poche protec- 
trice que leur mère referme sur eux, en usant, pour 
sauver elle et sa famille, des voies de prudence que 
Ja nature lui a départies. On ignore &u juste com- 
ment les embryons abandonnent la matrice pour 


être portés dans la poche marsupiale, bien que 
M. Owen, par exemple, admette des canaux péri- 
tonéaux, à travers lesquels s'opère le déplacement, 
et qu'il a découverts en disséquant un kangourou 
femelle (1). Des os particuliers, dits marsupiaux , 
servent d'appui aux parois de cette poche, bien 
qu’ils existent également chez les mâles, et ceux-ci 
présentent la singularité d’avoir le scrotum pendant 
en avant de la verge. 

Les marsupiaux se ressemblent par des formes gé- 
nérales telles, qu'il seroit fort difficile de les séparer, 
sans les dissemblances profondes fournies par les 
dents, le tube digestif, et par suite le genre de vie, 
et par les pieds. On trouve donc parmi eux de vrais 
insectivores, des carnassiers, des rongeurs, des her- 
bivores, des édentés. Les vrais sarigues sont du 
Nouveau Monde, les phalangers des grandes iles 
malaisiennes, les péramèles de la Papuasie et de la 
Nouvelle Hollande ; puis tous les autres genres ap- 
partiennent exclusivement au continent justement 
nommé Australie. 

Ainsi, par leurs incisives petites et rudimentaires, 
leurs longues canines , leurs arrière-molaires héris- 
sées de pointes, les sariques, les chironerctes et les 
phascogales sont insectivores ; les thylacines et les 
dasyures sont carnivores ; les péramèles ont des on- 
gles fouisseurs. 

Les incisives larges et tranchantes, les canines 
d'en bas rudimentaires font des phalangers et des 
petaurus des animaux plus phytophages qu’entomo- 
phages. 

Les potorous sont frugivores, et manquent de ca- 
nines à la mâchoire inférieure ; les kangourous sont 
complétement herbivores et n’ont pas de canines du 
tout, et de même que le potourous ils rappellent les 
gerboises par l’extrême allongement de leurs mem- 
bres postérieurs, et par le développement de leur 
queue. Enfin les koalas et les phascolomes vivent 
d'herbes et sont de véritables rongeurs sous plusieurs 
rapports. 


(:) Proceed, of the zool, soc. 1, p. 159. 


DES MAMMIFÈRES. 


LES DIDELPHÉS (). 
Didelphis, L. (?). 


Forment un genre très naturel dont les espèces sont 
répandues dans toute l'Amérique intertropicale , et 
dans les zones tempérées aussi bien au nord qu’ausud. 
Ce sont des animaux nocturnes, répandant une odeur 
fétide, se tenant sur les arbres où ils poursuiventles 
oiseaux, se nourrissant d'œufs, de fruits et d'insectes. 
Quelques sarigues ont en place de poche marsupiale 
un repli longitudinal de la peau sur chaque côté du 
ventre. Les espèces inconnues, à Buflon sont les 
suivantes : 

4° Le saRIGUE D’Azara {D. Azare, Screb.) (5) ou 
GAMBA , qui se trouve au Paraguay et au Brésil , et 
qui diffère du sarigue opossum ( D. virginiana, 
Shaw), par la teinte noire intense de son museau et 
de ses oreilles, et par sa longue queue. 2° Le pr- 
DELPHE DE LA CALIFORNIE ( D. californica, Benn.), 
à pelage laineux, la pointe de chaque poil noire, 
tandis que les longues soies sont blanches, la face 
d’un pâle brun noirâtre ; le pourtour des yeux foncé, 
les lèvres et les joues blanches. Sa taille est de 
douze pouces, la queue longue également de seize 
pouces. Habite la Californie. 5° Le quica (D. quica, 
Natt.), qui vit au Brésil. Le mâle est gris en des- 
sus, blanc en dessous, la femelle est fauve noirâtre, 
passant au roux sous le corps. La queue aussi lon- 
gue que le corps et blanche à son extrémité. 4 Le 
DIDELPHE MYOSURE ( D. nudicaudata, Geoff.) (4), 
à très grandes oreilles, à pelage doux, serré, très 


(1) M. Isidore Geoffroy Saint-Hillaire a récemment 
élabli, aux dépens des didelphes, les genres hémiure et 
micouré, le premier à queue courte, et le second à sim- 
ples replis existant au lieu de poche. 

(2) Philander, Briss.; sipalus, Fisher : sarigue vient de 
cariqueia, nom que donnent à ces animaux les Brési- 
liens, suivant Marcgrave. Au Paraguay on les nomme 
micouré, manicou dans les îles Caraïbes, opossum aux 
États-Unis, thlaquatzin au Mexique, d'après Fernandez. 
Les anciens Mexicains leur donnoient le nom de cAou- 
chouacha et les adoroient, ainsi que semble le prouver 
ce passage d'un voyage à Mexico : 

« Sur un autel placé en face de la porte orientale, de 
«maniére à recevoir les premiers rayons du soleil le- 
« vant, s’élevoit une idole représentant un chouchoua 
« cha. Cet animal, de la grosseur d'un cochon de lait, a 
« le poil dublaireau, la queue du rat, les pattes du singe: 
«la femelle porte sous le ventre une poche où elle 
«nourrit ses pelits. A droile de l'image du chouchoua- 
» cha étoit la figure d’un serpent à sonnettes, à gauche 
» un marmouset grossièrement sculpté. » 

,Temm., p. 30; Micouré premier, d'Azara, Par. ; 
didelphis aurita, Wied, It.; fig. Dict. classiq. d'hist. 
nat. 

4) D. myosuros, Temm. 38 ; Wied, 


435 


court, brun roussätre en dessus, blanc roussâtre en 
dessous. Sa queue ressemble à celle du rat ordinaire 
par sa nudité, Cet animal est rare à la Guyane et 
commun au Brésil. 5° Le pIn£ELPHE Gris (D. grisea, 
Desm.) (!), qui diffère peu du cayopollin. Son pe- 
lage est gris en dessus, blanchâtre en dessous, le 
pourtour des yeux cerclé de nor et de blanc, la 
queue très longue. Cette espèce se tient dans les 
creux des arbres au Paraguay. 6° Le DIDELPHE A 
TÊTE COURTE (D. breviceps, Benn.) (?), à pelage 
laineux, à museau brun noirâtre clair, une bande 
oculaire noire allant du nez aux orcilles. La queue, 
aussi longue que le corps, a douze pouces. Habite 
la Californie. 

Parmi les espèces qui n’ont que des plis sur le 
ventre, il faut ranger: 4° Le DIDELPHE CENDRÉ 
(D. cinerea, Wied) (3), de la taille du rat ordinaire, 
et ayant comme lui une grande partie de la queue 
nue, un pelaze court et épais, gris cendré clair en 
dessus, blanchâtre en dessous, roussâtre sur la poi- 
trine, Cet animal a été découvert au Brésil par le 
prince Maximilien de Wied Neuwied. 2 Le sa- 
RIGUE DORSAL (didelphis dorsigera, L., Temm., 
p.48), de la taille d’un rat, à queue grêle, brune 
dans sa partie dénudée. Les yeux enveleppés par 
une lache marron. Son pelage est fin, court, peu 
fourni, gris brun. Le front est blanc jaunâtre ainsi 
que les joues. De Surinam. 5° Le didelplie de Cu- 
vier (D. Cuvieri), est une espèce fort voisine de la 
marmose, et dont on rencontre les débris dans les 
carrières à plâtre de Montmartre. 4° La musaraigne 
du Brésil de Buffon est pour les naturalistes mo- 
dernes le didelphis tristriata (Kubhl), long de sept 


| pouces, la queue y étant comprise pour deux, son 


pelage roux brunâtre plus clair en dessous, et mar- 
qué en dessus de trois bandes noires. 5° Le TOUAN 
de Buffon paroiît être le D. tricolor (Geoff ) distinct 
du D. brachyura de Screber, qui vit à Monte- 
Video, à pelage gris fauve en dessus, le ventre et 
les pieds blanes. La queue n’atteint que la moitié 
du corps. 6° Le DIDELPHE LANIGÈRE (D. lanigera, 
Desm.) (4) à pelage laineux, couleur de tabac d’Es - 
pagne en dessus, blane en dessous, ayant la queus 
triangulaire à la naissance, beaucoup plus longue 
que le corps, et qui vitau Paraguay. 7° Enfin le 
DIDELPHE NAIN ( D. pusilla, Desm.) (5), gris de sou- 
ris en dessus, blanchâtre sous le corps, ayant une 
queue grêle, nue et blanchâtre. El vit également 
dans le Paraguay. 


t) Le Micouré 4e d'Azara, Par. 
(2) Proceed.,t. It, p. 40. 

(3) Temm., Monog., p.46 

(+) Micouré laineux, Azara. 

(5) Micouré nain, Azara. 


LES CHIRONECTES. 


Chironectes, ILLIG. 


Forment le deuxième genre de la famille des 
marsupiaux. On n’en connoît qu'une espèce d’Amé- 
rique, décrite sous le nom de didelphis palmata 
par M. Geoffroy, et sous celui de petite loutre de 
la Guyane par Buflon. Le mot chironectes indique 
la palmure des mains qui servent en effet à la na- 
tation. 


a 


LES THYLACINES. 
Thylacinus. TE. 


Sont les plus grands animaux carnassiers de la 
Nouvelle-Hollande, où ils semblent remplacer no- 
tre loup. 

Lorsque les expéditions européennes visitèrent 
pour la première fois le continent austral, des orni- 
thorhynques, des échidnés, des kangourous, se pré- 
sentèrent à leurs regards, et les étonnèrent par la 
bizarrerie de leurs formes. Rien sur ce sol singu 
lier ne rappeloit les animaux des autres parties du 
monde ; toutefois, après quelque temps de coloni- 
sation, plusieurs Anglois parlèrent dans leurs rela- 
tions de loups qui vivoient sur la terre de Diémen ; 
mais l’existence de ces carnassiers austraux resla 
douteuse, jusqu’à ce que M. Harris en ait publié 
une description accompagnée de figures qu’on trouve 
insérée dans’ le neuvième volume (pl. 49) des Frans- 
actions de la Société linnéenne de Londres. M. Des- 
marest reproduisit le dessin gravé en noir de M. Har- 
ris dans la planche n° 7 feuille 5, de ses figures 
supplémentaires pour l'Encyclopédie. 

L'intérêt, dont est pour la science l’animal qui 
nous occupe , nous à engagé à en donner une repré- 
sentation coloriée, d’après le bel individu qui orne 
les galeries du Muséum. 


LE THYLACINE DE HARRIS. 


Thylacinus Harrisii, TEemm.(t). 


A été séparé du genre dasyure, dasyurus, 
Gcoff., par M. Temminck. Ce nom vient du grec 
Sôdayos, qui veut dire bourse, et il convient à tous 


(r) Monog., t. I, p. 63 ; didelphis cynocephala, Harris, 
Trans.soc. linn.,t. IX; dasyurus cynocephalus, Geoff.; 


Desm., esp. 401; Cuv., Règ. an., LI, p. 178; thylacinus - 


Harrisii, Lesson, Cent, zool., pl. 2. (Atlas, pl, 26.) 


HISTOIRE NATURELLE 


les marsupiaux. Déjà M Harris avoit entrevu quel- 
ques uns des points de rapprochement qui unis- 
sent cet animal avec les espèces du genre canis, 
en lui donnant le nom spécifique de cynocephalus, 
tout en lui appliquant abusivement le nom géné- 
rique de didelphis, à cause de sa poche abdomi- 
vale, quoique les didelphes soient tous de l'Amé- 
rique. 

Le thylacine a quarante-six dents, c’est-à-dire 
huit incisives, deux canines, quatorze molaires à la 
mâchoire supérieure et six incisives; deux canines 
et quatorze molaires au maxillaire inférieur. Les 
incisives supérieures occupent une sorte de demi- 
cercle, et sont séparées sur la ligne médiane par un 
petit intervalle libre. Les canines et les dernières 
molaires sont assez semblables à celles des chiens et 
des chats ; mais les premières mâchelières sont puis- 
santes et hérissées sur leur couronne de trois tuber- 
cules. 

Les extrémités sont terminées en devant par cinq 
doigts, et en arrière par quatre seulement, et tous 
sont armés d'ongles forts, puissants, presque droits 
et un peu obtus à leur sommet. Le museau est assez 
pointu, terminé par un mufle assez analogue à 
celui des chiers, et divisé au milieu. Les narines 
sont latérales et très ouvertes. La queue est pointue, 
garnie de poils courts, et comme comprimée à l’ex- 
trémité. 

Le thylacine de Harris est grand comme un loup 
de médiocre taille, mais son corps est proportion- 
nellement plus long et aussi plus bas sur jambes. 
Ïl marche sur les doigts à la manière des digitigra- 
des, en appliquant parfois le talon sur le sol comme 
les plantigrades. La verge du mâle, dont le gland 
est bifurqué, est placée en arrière du scrotum, et 
celui-ci semble se cacher dans un repli sacciforme 
de la peau placé entre les cuisses : il est couvert de 
poils courts, serrés, rougeâtres en dessus et nu en 
dessous. Le museau est allongé, un peu resserré 
sur les côtés, et terminé par une bouche très fen- 
due. Ses oreilles sont larges à la base et arrondies 
à leur sommet, et les yeux sont dirigés presque de 
face au lieu d’être latéraux. Le pelage de cet animal 
se compose de poils lisses, très rudes, courts, un 
peu plus longs sur le cou, plus serrés sur le dos, 
et de nature plus mollette sur le ventre. Il est de 
couleur gris brun jaunâtre, pointillé de noirûâtre, 
passant au jaune sur les joues. Mais ce qui rend re- 
marquable le thylacine, sont douze ou seize larges 
bandes d’un noir profond qui occupent régulière- 
ment la partie postérieure du corps, depuis le dos 
jusqu’à la naissance de la queue, et qui descendent 
sur les cuisses. Une bande longitudinale noire suit 
l'épine dorsale et recoit toutes les autres bandes 
noires qui la traversent. Le dessous du corps et le 
dedans des membres est d’un gris clair, que relève 


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DES MAMMIFÈRES. 


le rouge des parties dénudées des organes de la gé- 


nération. La queue, moins longue que le corps, est . 


d’abord arrondie, puis s’aplatit vers son extrémité 
que termine une légère touffe de poils : et cette 
. forme a fait penser à M. Geoffroy Saint-Hilaire que 
le thylacine étoit un quadrupède nageur. 

Les dimensions d’un thylacine ordinaire, mesuré 
par M. Temminck , ont otfert : 


Pieds. Pouc. Lignes. 


Longueur totale. . . . . . . « D 2 5 
—— = denlalqueue tree HR 
OA LÉ te ON A) 
————— du nezàl'œil. . . . . #4 6 » 
Hautennédestoreilles. ne -netee NO EC) 
_————— du corps aux épaules. . 14 4 7 
————— àlacroupe. . . . à o« 14 5 7 


Le thylacine de Harris vit exclusivement à la terre 
de Diémen ou Tasmanie, sur les bords de la mer. 
Il ne quitte guère les rivages dont les rochers lui 
servent de retraite, et se nourrit de cétacés échoués, 
de phoques qu’il poursuit et aussi de kangourous, 
de poissons et de crabes laissés sur les grèves. Ses 
mœurs et ses habitudes sont inconnues, et on doit 
désirer que quelque naturaliste établi à Hobart- 
Fown veuille bien s’en occuper. 

M. Cuvier a présenté à l’institut des os de thyla- 
cine, en tout semblables à ceux de l'espèce qui ha- 
bite nos antipodes, découverts à l’état fossile dans 
les carrières à plâtre dé Montmartre. 


LES MYRMECOPES (). 


Forment un nouveau genre de mammifères mar- 
supiaux, découvert tout récemment à la Nouvelle- 
Hollande. 

Les peaux seulement ont été rapportées, un peu 
mutilées, par M. Dale, de Liverpool, qui se les est 
procurées pendant une exploration faite dans l’in- 
térieur, à quatre-vingt-dix milles (quarante lieues) 
au sud-est de l’embouchure de la rivière des Cy- 
gnes. Ce n’est donc que par conjecture qu’on peut 
placer cet animal dans l’ordre des marsupiaux. 
Deux individus seulement ont été vus; ils se réfu- 
gièrent dans des arbres creux; et l’un d’eux fut 
malheureusement brûlé en partie pendant qu’on 
l'enfumoit pour le déloger de sa retraite. Le pays 
abonde en arbres morts et en fourmilières. C’est 
d’après cela et d’après quelques particularités de la 
structure de cet animal que M. Waterhouse a pensé 
qu'il vit principalement, sinon complétement, de 
fourmis, et lui a donné un nom (myrmecobius) 
qui exprime cette manière de vivre. 


(") Myrmecobius, Walerhouse ; Proced, VI, 69, Her- 
més, no 52, p. 232. 


La dentition est exprimée ainsi : incisives À, 
canines :—", fausses molaires —°, molaires ==", 


c’est-à-dire qu'il a quarante-huit dents en tout, vingt- 
quatre en haut et vingt-quatre en bas, mais dispo- 
sées différemment, puisqu'il y a deux incisives et 
deux fausses moloires de plus en haut, et au con- 
traire deux canines et deux vraies molaires de plus 
en bas. 

Les pieds antérieurs ont cinq doigts, dont les 
trois intermédiaires plus longs; les postérieurs ont 
quatre doigts, dont les deux du milieu surpassent 
l’interne, et dont l’externe est très court; les ongles 
sont longs, aigus, presque en faucille ; les jambes 
sont plus longues en avant. La tête est allongée, 
avec le museau prolongé et les oreilles médiocres, 
aiguës; le corps est grêle, la queue médiocre. 

Quand cet animal fut tué, il laissa sortir sa lan- 
gue de deux pouces au-delà de l’extrémité du mu- 
seau, Cette circonstance et le peu de largeur de cette 
langue, en même temps que sa dentition, font bien 
penser, en effet, qu’il devoit vivre de fourmis. Quoi- 
que la peau ait été trop gâtée pour qu’on puisse 
afirmer qu’ilexistât une poche, cependant on aper- 
coit une trace de celte poche et deux mamelles. 
M. Waterhouse pense que le myrmecobius, mieux 
connu, sera placé dans la classification contre le 
genre phascogale. Il a aussi quelques points de 
ressemblance avec le {upaia, de même qu'avec les 
écureuils de terre ou le genre famias des auteurs 
modernes. 

Cette espèce, que M. Waterhouse nomme myr- 
mecobius fasciatus, est longue de dix pouces (me- 
sure anglaise) du bout du nez à la racine de la queue; 
la tête est longue de un pouce et six huitièmes ; la 
queue a six pouces et un quart. Il esten dessus d’une 
couleur d’ocre rougeâtre mêlée de poils blancs ; la 
moitié postérieure du corps est ornée de bandes 
transverses noires et blanches, disposées à peu près 
comme celles du thylacinus cynocephalus. Le des- 
sous du corps est blanc jaunätre; les poils de la 
queue sont mêlées de noir, de blanc et de couleur 
d’ocre rougeûtre. 


LE 
MYRMECOBE DE LA TERRE DE DIÉMEN(). 


Diffère du précédent qui vit à la Nouvelle-Galles du 
Sud, par sa coloration brune noire du dos moins fon- 
cée. Les rayures, au lieu d’être blanches, sont d’un 
jaune clair, et diffèrent dans leur nombre comme 
dans leur arrangement. De plus, enlin , cette espèce 
a de chaque côté quatre molaires et plus, ce qui 
porte à cinquante-deux ou vingt-six à chaque maxil- 


(1) Myrmecobius, Waterhous., Proc., VI, 131. 


438 


laire, les os de l’appareil dentaire. 11 vit d'insectes, 
et se tient caché dans les racines des arbres. 


LES PHASCOGALES. 


Phascogale. TE. 


Ont encore été séparés des dasyures pour y placer 
primitivement un petit animal décrit sous le nom de 


dasyurus penicillatus. Les caractères que M. Fem-. 


minck donne à ce nouveau genre sont pris de l’or- 
ganisation ou des formes du système dentaire, qui 
présente deux incisives miloyennes, dont les deux 
supérieures sont saillantes, épaisses, arrondies, 
pointues au bout, convergentes à la pointe, et sé- 
parées des incisives latérales par un espace vide. 
Les inférieures sont un peu couchées en avant, et 
sont du double plus grandes que les latérales. Les 
incisives latérales sont au nombre de trois en haut 
et de cuaque côté, et de deux en bas : elles sont 
petites, égales et bien rangées. Le nombre total des 
incisives est donc de huit en haut et de six en bas. 
Les canines sont de moyenne grandeur, celles d’en 
bas sont les moins fortes. Les molaires sont au 
nombre de sept de chaque côté, dont trois fausses 
molaires, coniques , très pointues et cannelées in- 
térieurement ; les quatre vraies molaires sont trian- 
gulaires, plus hérissées et moins égales entre elles 
que dans les sarigues. Le nombre total des dents 
du genre phascogale est donc de quarante-six. Tem- 
minck, jugeant du genre de nourriture par la forme 
dentaire, pense que les phascoga'es doivent être 
insectivores, et que l’arrangement des incisives 
donne à ces animaux une apparence de boutoir 
comme dans le; sarigues, dont i!s doivent être les 
représentants dans l’Australie. Ils diffèrent des 
dasyures, suivant lui, 1° par le nombre des molaires, 
les phascogales en ayant sept, tandis que les dasyu- 
res n’eu ont que six, et par les incisives, qui chez 
les premiers sont inégales et de deux sortes, tandis 
que chez les seconds elles sont disposées sur une 
seule rangée. Les dasyures vrais n’ont point de 
boutoir et leurs oreilles sont couvertes de poils. 

Les deux espèces connues sont : 4° Le PHASCO- 
GALE A PINCEAU ( phascoga'e penicillata, Femm. ), 
un peu plus gros qu’un surmulot à queue très touf- 
fue, à pelage uniforme cendré, court, laineux, 
épais, plus e air en dessous. Il se tient sur les arbres 
à la Nouvelle - Hollande. 2° Le PHASCOGALE NAIN 
(Ph. minima, Temm.); plus petit que le lérot d’'Eu- 
rope, à pelage cotonneux, d nse, et d’un roux uni- 
forme. Il hibite la pointe méridionale de la Fasma- 
nie ou terre de Van-Diémen. 


HISTOIRE NATURELLE 


LES DASYURES. 


Dasyurus, GEOFr. 


Nom tiré dugrec, 3:55, et 09%, signifiant queue ve- 
lue,ont deux incisives et quatre molaires de moinsque 
les sarigues à chaque mâchoire, ce qui porte le nom- 
be de leurs dents à quarante-deux. Leur tête esttrès 
conique, pointue ; leur: oreilles sont médioces, cou- 
verte; de poils ; leurs pieds de derrière ont le pouce 
rédui: à un simple tubercule qui manque même par- 
fois; leur queue garnie de longs poils n’est pas pre- 
nante. En un mot, par leur facies général, ce sont des 
renards, etils semblent remplacer ces animaux sur le 
continent de la Nouveille-Hollande. Es vivent d’in- 
sectes, de cadavres, et s’insinuent dans les maisons 
des colcns, où leur voracité les fait redouter. Les 
espèces que l'on doit admettre sont : 1° Le spotted 
martin de Phillipp, ou DASYURE TACHETÉ de Pé- 
ron (1) dasyurus macrurus, Geoff.), grand comme 
un chat, brun tacheté de blanc, se tenant sur les 
bords de la mer, aux alentours du port Jackson, et 
il dépèce les animaux morts rejetés sur les rivages 
par les flots. M. Owen a disséqué un individu fe- 
melle de cette espèce, et a publié les observations 
ci-jointes; cette femelle pesait trois livres huit onces” 
et demie ( mesure anglaise). Sa longueur, depuis 
l'extrémité du museau jusqu'à l’extrémité de la 
queue , étoit d’un pied quatre pouces; la tête avoit 
quatre pouces et la queue un pied deux pouces et 
demi. Le pancréas s’offroit sous forme d’un corps 
glanduleux , aplati, divisé, envoyant un prolonge- 
ment au côté de la rate, et dessinant un T romain. 
La rate occupe la portion gauche et dorsale de la 
région épigastrique : sa forme est comprimée et 
trièdre, à peu près comme dans les kangourous, 
mais avec moins d’ampleur. 

2 L’oursix ( D. ursinus, Geoff.) (?), dont le pe- 
lage se compose de lon::3 poils grossiers, noirs, avec 
quelque; taches bianches ; la queue de moitié plus 
courte que le corps, presque nue en dessous. Il vit 
sur le bord de la mer à la terre de Diémen ; s1 taille 
est celle du biaireau. M. Fr. Cuvier fait de cet ani- 
mal le type de son genre sarcophile. 5° Le MAUGE 
(dasyurus Maugei, Geoff.) (;, de la taille du pu- 
tois, olivâtre en dessus, cendré en dessous, mou- 
cheté de blanc; la queue unicolore. Sa voracité est 
très grande, il chasse la nuit aux environs du port 
Jackson. 4 Le viverriN (D. viverrinus, Geoff.) (4, 


(r) Atlas, pl, 33; Screb., pl. 1452, B. a. 

(2) Didelphis ursina, Harris, Trans. Soc. linn., t. IX, 
pl. 19, f. 2: Encycl., pl. 7, fig. 6, suppl; sarcophilus 
ursinus, F. Cuv., 70e livr. 

(3) Quoy et Gaim., Ur. pl. 4, p. 54. 

(1) Spotted opossum, Philipp. It: atlas, pl.25. 


Dasvurus Viverrinus , 


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4 ! 


lublie par lourrat La larrs 


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L'asipure ze. Hauge PR TERRE LENS ; Lanrgetrett LR DL DUC 


Publie par l'ourrat F.a Paris 


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4 


= 


CHJAUVONOG SOPUVIOT | 


DES MAMMIFÈRES. 


brun noir, moucheté de blanc, du port Jackson. 
5° Le Tara ( D. tafa, Geoffroy }, ou {opoa-tafa de 
J. Wiite, qui diffère à peine du précédent, et qui 
pourroit bien n’en être qu’une variété d’âge. Soi 
pelage est brun, non moucheté, et sa taille est plus 
mince que celle du viverrin. Il habite également le 
pourtour boisé et rocailleux du vaste port Jackson, 
à la Nouvelle-Galles du Sud. 


LES PÉRAMÉLES. 


d Perameles. GEOrr. 


Ce sont des mammifères carnassiers de la grande 
famille des marsupiaux, ou animaux à bourse, éta- 
blie par M. Geoffroy Saint-Hilaire, et dont l’étymo- 
logie dérive de meies, blaireau, et de pera, poche 
ou bourse. Illiger, qui aimoit , souvent sans néces- 
sité, à changer les noms déjà donnés , appliqua à ce 
genre la déñomination de thylacis, du grec, bourse, 
qu’il ne faut pas confondre avec le nouveau genre 
thylacine, thylacynus, proposé tout récemment par 
M. Temminck aux dépens des dasyures. Les péra- 
mèles sont rangés par M. Duméril dans sa sixième 
famille des pédimanesou marsupiaux , et par M. La- 
treille (Fam. du Rè ;neanim., p.55) dans son sixième 
ordre, et dans sa première famille, des entomo- 
phages, avec les sarigues, les chironectes et les 
dasyures. M. Fr. Cuvier (des Dents) a placé les 
péramèles dans un ordre différent de celui adopté 
par ses prédécesseurs. C’est ainsi qu’il les rapproche 
des hérissons, des tenrecs , des dasyures, et des sa- 
rigues , au milieu desquels il les range dans ses qua- 
drumunes insectivores, tandis qu’il res reint les 
marsupiaux aux phalangers, aux pétauristes, au 
koala, au wombat, et aux kangourous. M. Geoffroy 
Saint-Hilaire, qui s’est beaucoup occupé des ani- 
maux de cette grande famille (et on remarquera 
comme un fait très intéressant que la Nouvelle- 
Hollande, à trois espèces près, n’a jusqu’à ce jour 
offert aux voyageurs que des mammifères marsu- 
piaux ), créa d'abord deux genres pour les deux pé- 
ramèles alors connus. Le premier avoit pour type 
le perameles nasuta, Geoffroy ; et le second, nommé 
isoodon, renfermoit l'espèce nommée par Shaw di- 
delphis obesula, et qui est le perameles obesula de 
Geoffroy. Le genre isoodon , qui n’est point demeuré 
dans la science , avoit pour principal caractère des 
différences dans son système de dentition. En effet, 
il présente cinquante dents : dix incisives, deux ca- 
nines , et seize molaires, dont huit fausses molaires 
et huit molaires à la mâchoire supérieure; et huit 
incisives , deux canines, et douze molaires, dont six 
fausses et six vraies à la mâchoire inférieure. Récem- 
ment M. Say, naturaliste américain, a appliqué ce 


439 


nom d’isoodon au genre que presque immédiate- 
ment M. Desmarest décrivoit sous le nom de 
cap'omys. 

Les caractères des péramèles, tirés premièrement 
du système dentaire, sont : quarante-huit dents: 
dix incisives, deux canines, six fausses molaires, 
huit vraies molaires, à la mâchoire supérieure; six 
incisives, deux canines, six fausses molaires, huit 
vraies molaires, à la mâchoire inférieure. Les incisi- 
ves d’en haut ; d’après M. Fr. Cuvier, sont disposées 
à extrémité d’une ellipse très allongée, dont la con- 
vexité est en dehors: elles sont au nombre de cinq 
de chaque côté; la première est petite, tranchante, et 
couchée en dedans; les trois suivantes, semblables 
lune à l'autre, et un peu plus grandes que la pre- 
mière, sont aussi coupantes, mais leur tranchant est 
un peu oblique d’arrière en avant; ces quatre dents 
se touchent, et après elles existe un espace vide qui 
les sépare de la cinquième incisive qui est petite, poin- 
tue, comprimée de dedans en dehors, et un peu cro- 
chue ; un espace vide sépare cette dernière de Ja 
canine , dont la forme est très pointue, très crochue, 
comprimée de dedans en dehors, mais à bords ar- 
rondis. Les deux premières fausses molaires se res- 
semblent, et ne different point de la formedes vraies 
molaires ; celles-ci ont l’aspect de celles des des- 
mans, et sont composées de deux prismes posés sur 
une base qui s'étend en portion de cercle dans l’in- 
térieur de la mâchoire; la dernière des molaires est 
tronquée obliquement à sa partie postérieure; les 
dents de la mâchoire inférieure, en suivant toujours 
les idées de M. Fr. Cuvier, présentent les moditica- 
tions suivantes : les trois incisives de chaque côté 
sont couchées, disposées sur une ligne oblique par 
rapport à celles du côté opposé ; les deux premières 
sont simples, petites et tranchantes; la troisième, 
un peu plus grande, est bilobée; la canine est dé- 
jetée en dehors, plus épaisse et pluscourte, quoique 
de même forme que celle d’en haut ; les molairesin- 
férieures ressemblent aux supérieures. Dans les vieux 
individus, les prismes des molaires s’usenten grande 
partie. Les autres caractères du genre, tirés de l’en- 
semble des formes extérieures ou zoologiques et 
anatomiques, sont : une tête longue, un museau 
pointu, des oreilles médiocres; des membres à cinq 
doigts robustes, garnis d’ongles grands, presque 
droits, bien séparés aux pieds de devant ; le pouce et 
le petit doigt rudimentaires , ou sous forme de sim- 
ples tubercules ; les pieds de derrière sont une fois 
plus longs que ceux de devant, à quatre doigts seu- 
lement , dont les deux plus internes sont t ès petits, 
réunis et enveloppés par la peau jusqu'aux ongles; 
le troisième est robuste, et le quatrième externe est 
très petit. La queue est non prenante, mais velue 
et lâche , peu épaisse à sa base, médiccrement lon- 
gue, pointue, et un peu dégarnie de poils en des- 


410 


sous. Les femelles ont une poche abdominale. Le 
pelage est composé de deux sortes de poils. 

Suivant M. Geoffroy Saint-Hilaire ( Annales du 
Muséum, t. IV, p- 59 et suiv.), les péramèles sont 
des mammifères voisins des sarigues par leurs for- 
mes extérieures, mais dont ils diffèrent par leurs 
mœurs. Leur nez allongé indique que le sens de l’o- 
dorat est très développé, et qu’ils doivent habiter 
des galeries souterrainesqu’ils se creusent avec leurs 
ongles robustes, et qu’ils y vivent de chairs mortes, 
de reptiles, ou plutôt d'insectes. Ils poussent un petit 
cri aigu , analogue à celui du rat, quand ils sont in- 
quiétés. MM. Quoy et Gaimard observèreut dans les 
dunes de l'ile Dirck-Hatichs des trous qu'ils sont 
disposés à regarder comme faits par les péramèles, 
ce qui légitimeroit l’idée de M. Gcofiroy Saint- 
Hilaire. Nous devons dire aussi que les colons an- 
glois, quiles nomment bandicoot, nous assurèrent 
qu'ils habitoient des terriers. C’est surtout près de 
Liverpool, dans la Nouvelle-Galles du Sud, qu'ils 
sont le plus communs. La forme des pieds rapproche 
évidemment les péramèles des kangourous, cepen- 
dant ces derniers n’offrent point l’espèce de pouce 
qu'ont les premiers. Cette disposition doit donner 
quelque analogie à leur manière de marcher, et 
MM. Quoy et Gaimard rapportent qu’ils courent en 
sautillant. Les jambes postérieures, plus longues que 
les antérieures, doivent aussi leur permettre de s’é- 
lancer facilement par bonds, ou de se tenir sur leur 
derrièie. Leur queue, d'un autre côté, ne peut guère 
leur être d’une grandeulilité dans cette circonstance, 
tandis qu'on sait que les kangourous s’en servent 
comme d’un appui avantageux. Les appareils géné- 
rateurs et des sens n’ont point encore été étudiés : 
leurs habitudes sont aussi entièrement inconnues. 
Ils paroissent habiter de préférence le littoral de la 
Nouvelle-Hollande et les cantons sablonneux et 
plats. On les a observés à la Terre d'Endracht et à la 
Nouvelle-Galles du Sud seulement. 


LE PÉRAMÈLE NEZ POINTU. 
l'erameles nasuta (1). 


Cette espèce a pour diagnose les caractères spé- 
cifiques suivants : une têle très longue, un museau 
effilé, un nez prolongé au-delà de la mächoire, et 
six incisives inférieures. Le corps a de longueur un 
pied quatre pouces, et la queue environ six pouces. 
Ses oreilles, suivant M. Geoffroy Saint-Hilaire, sont 
courtes et oblongues , ses yeux très pelits. Son poil 


() Geoffroy, Annal. du Hus.,t.1V,p. 62, pl. 44; 
G. Cuvier, Règne animal, &. 1, p. 177; Desmarcest, 
Mammalogie, sp. 409 ;F. Cuvier, Dictionn. des Scienc. 
natur., t, XXXVUE, p. 416. 


HISTOIRE NATURELLE 


est médiocrement fourni, plus abondant ct plus roide 
sur le garrot, mélangé d’un peu de feutre et de beau- 
coup de soie, cendré à son origine, et fauve ou noir 
à la pointe; la teinte générale est en dessus d’un brun 
clair ; tout le dessous du corpsest blanc, et les ongles 
sont jaunâtres. La queue est d’une teinte plus déci- 
dée, brune, tirant sur le marron en dessus, et chà- 
tain en dessous. Le péramèle nez pointu a été rap- 
porté de la Nouvelle-Hollande par Péron, mais on 
ne sait pas au juste de quelle partie. 


= 


LE PÉRAMÈLE DE BOUGAINVILLE. 
Peraineles Bougainvillii (1). 


L'individu décrit par les naturalistes de l’expé- 
dition autour du monde du capitaine de Freycinet 
est un jeune non adulte. M. Temminck , dans son 
Analyse de Mammalogie , le regarde comme le pre- 
mier âge du péramèle nez pointu ; mais il suflit de 
l'examen de ses caractères les plus apparents pour 
s'assurer positivement du contraire. Le bougain- 
vêlle, plus élancé dans ses formes, est aussi beau- 
coup plus petit quelenasuta, mais ses oreilles sont 
considérablement plus développées proportionnel- 
lement. Le péramèle Bougainville est remarquable, 
suivant MM. Quoy et Gaimard, par son corps al- 
longé, plus large en arrière qu’en avant; par son 
nez effilé dépassant les mâchoires, ses moustaches 
longues et bien fournies, ses yeux médiocres, ses 
oreilles de forme oblongue et longues d’un pouce. 

Son poil, médiocrement dru, plus abondant sur 
le garrot, mêlé d’ur peu de feutre, est cendré à l’o- 
rigine, et roux ou brun à la pointe. Le pelage, dans 
toutes les parties supérieures, à une teinte rousse 
assez vive ; un cendré légèrement mélangé de roux 
se remarque en dedans des membres et au dessous 
du corps ; la queue est d’un roux brun en dessus et 
roux cendré en dessous ; les ongles sont jaunâtres ; 
quelques poils isolés très longs se font remarquer 
sur les membres antérieurs, près des articulations. 
La longueur du corps est de six pouces, celle de la 
queue de deux pouces et demi; des membres anté- 
rieurs, un pouce quatre lignes ; des membres pos- 
térieurs, deux pouces et demi, Les dents canines 
sont petites, peu fortes, et ne dépassent pas le niveau 
des premières molaires, tandis que dans le péramèle 
museau pointu elles ont une longueur au moins dou- 
ble. De plus, l’espace interdentaire, qui sépare la 
dernière incisive de la canine supérieure, est plus 
grand dans le bougainville que dans le nasuta, d'où 
il résulte une longueur encore plus considérable du 


() Quey ct Gaimard, Zoologie de l'Uranie, p. 66, 
pl. 5. 1 


DES MAMMIFÈRES. 


museau. La troisième incisive inférieure est bilobée ; 
les molaires tranchantes sont un peu écartées les 
unes des autres : la dernière de ces dents est très 
petite, et comme rudimentaire sur l’une et l’autre 
mâchoire. Les dents du fond de la bouche ne pa- 
roissent offrir aucune trace d’usure : ellessont à base 
large et à couronne hérissée de plusieurs petites 
pointes, dont le nombre varie de cinq à huit. De 
cette disposition, disent MM. Quoy et Gaimard, 
jointe à des pieds fouisseurs et au prolongement du 
nez, on doit admettre comme très probable aue 
c’est un animal principalement insectivore. Ce pé- 
ramèle, dédié à la mémoire du navigateur de Bou- 
gainville, a été tué sous des touffes de mimosa, au 
bas des dunes de la presqu’ile Péron, à la baie des 
Chiens-Marins. 

MM. Quoy et Gaimard mentionnent sous le nom 
de PÉRAMÈLE-LAwSON ( Zoologie, p. 57 et 7114) une 
grande espèce, récemment découverte , et qui leur 
fut donnée à Bathurst, au-delà desmontagnes Bleues. 
Elle pouvoit avoir deux de. l'extrémité de la 
tête à la queue. Son pelage étoit roux brun en des- 
sus, et comme fauve en dessous. Ils la perdirent 
dans le naufrage de l’Uranie, aux îles Malouines. 

Nous serions fort tenté de regarder comme un 
péramèle un animal que nous avions découvert dans 
l'ile de Waïigiou, et que notre collègue Garnot per- 
dit dans son naufrage au cap de Bonne-Espérance. 
La seule note que nous ayons sur ce petit mammi- 
fère, nommé Æalubu par les naturels de l'ile de 
Waigiou, est celle-ci : le kalubu est de la famille 
des marsupiaux. Son pelage est d’un gris fauve ; la 
queue est presque nue, longue de dix-huit lignes; 
le corps est de la grosseur d’un mulot ( arvicola ). 
Il a cinq doigts aux pieds antérieurs , dont les deux 
externes sont très courts, tandis que les autres sont 
très allongés et munis d’ongles forts. Les pieds de 
derrière ont également cinq doigts, dont un pouce 
petit et sans ongle. Les doigts du milieu sont réunis 
comme dans les phalangers, et l’externe est très 
long ; la poche marsupiale est peu apparente. 


LE PÉRAMÈLE OBÉSULE. 
Parameles obesula (1). 


Cette espèce ne diffère des péramèles, suivant 
M. de Blainville, que par le système de dentition. 
Elle a été primitivement établie par M. Geoffroy 
Saint-Hilaire, d’après des renseignements obtenus 


(") Geoffroy, Annal. du Mus., t. IV, p. 6%, pl. 45; 
Desmarest, Mammalogie, sp. 410 : isoodon, Geoffroy : 
isoodon obesula, Fr. Cuvier, Dictionn. des Scienc. 
natur., L XXXVII, p. 416 : didelphis obesula, Shaw, 
Mise., n° 96, pl. 298. 

1, 


A4 


des naturalistes anglois sur le didelphis obesula de 
Shaw, conservé dans la collection d'Hunter. Il en 
résulte que sa tête est assez courte, son chanfrein 
arqué; qu’il à huit incisives à la mâchoire inférieure, 
Sa taille est celle du surmulot; ses formes sont plus 
ramassées, plus courtes, que dans les deux précé- 
dentes, toutes proportions gardées Les oreilles sont 
assez larges, arrondies; le pelage tirant générale- 
ment sur le jaune roussâtre , entremêélé de soies noi- 
râtres à leur extrémité; le ventre est blanc. On ne 
connoît rien de ses habitudes ni de ses mœurs. La 
Nouvelle-Hollande estsa patrie. M. Geoffroy Saint- 
Hilaire rapporte avec doute à cette espèce un indi- 
vidu du Muséum, qui est incomplet, mais dont la 
taille est du double de celle de l’obesula, auquel il 
ressemb e toutefois par les oreilles, le museau, et les 
couleurs, quoique plus brunes, du pelage. Il y a aussi 
quelques modifications dans l’appareil masticatoire. 


LE PÉRAMÈLE LAGOTIS (1. 


À été découvert à la terre de Diémen et paroît 
exister sur les côtes occidentales de la Nouvelle-Hol- 
lande. Son nom indigène est Dalgheit, tandis que 
les colons le prennent pour un lapin. Son pelage est 
gris, mais la tête, la nuque et le dos, sont lavés de 
marron. Les joues, les côtés du cou, les épaules, les 
flancs, la partie externe des cuisses et la base de la 
queue sont aussi d’un marron clair. Le menton, la 
gorge, les parties inférieures du corps et internes des 
membres sont blanchâtres. 

Ce péramèle a son pelage formé de poils mous et 
longs, tandis que ceux qui revêtent la queue sont 
durs. Ses moustaches sont très fournies, ses oreilles 
sont larges, ovalaires, nues en dedans, garnies de 
poils bruns et ras en dehors, plombés à la base. Sa 
taille est de cinq pouces trois lignes. ( Mes. angl.) 

Cet animal a été rencontré dans la partie élevée 
de la rivière des Cygnes, dans le district d’York à la 
Nouvelle-Hollande, 

Nous ajouterons aux espèces australiennes, jus- 
qu’à ce jour les seules connues, le kaloubou (pera- 
meles doreyanus) (?) de la Nouvelle-Guinée. Nous 
avons signalé ce kalubu ou kaloubou dans l’ile de 
Waigiou, et nous l’avons décrit dans la partie z00- 
logique du Voyage de la Coquille (tom. E, part. 1, 
p. 425) d’après des notes, ayant perdu, dans le 
naufrage de M. le docteur Garnot, sur la côte du cap 
de Bonne-Espérance, la seule dépouille que nous 
avions pa nous procurer. Ce péramèle a la queue 
nue, le corps épais, brun en dessus, fauve en des- 


(°) Perameles lagotis, Reid., proceed , VI, 129. 
() Quoy et Gaim., Astrol, zool., t,#, p. 100, pl. 16, 
fig. 14 à 5. 
26 


442 


sous, les oreilles Targes et arrondies, les poils planes, 
rugueux, lancéolés. Adulte, ses dimensions vont jus- 
qu'à dix-huit pouces, tandis que sa queue n’a que 
trois pouces. ME. Quoy et Guaimard trouvèrent cet 
animal sur les bords du havre de Dorey (1). 


LES PHALANGERS, 


Phalangista. Cux. 


Les mammifères connus des naturalistes par le 
nom de phalangers appartiennent à l’ordre des car- 
nassiers , et à la famille des marsupiaux qu'ont éta- 
blie MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier. Hliger 
nomme phalangista les pétauristes ou phalangers 
volants, et balantia les phalangers qui nous occu- 
pent. Ce nom de bulan ia, du grec bourse, n’est 
guère heureux, car il est applicable à tous les mar- 
supiaux, sans aucune distinction. Les plus grandes 
erreurs ont long-temps obseurei l'histoire de ces 
mammifères. La principale découloit de la fausse 
idée que l’Amérique seule produisoit des didelphes, 
et qu’il étoit très douteux qu’il en vint des Indes 
orientales. Aussi l'animal le plus anciennement dé- 
crit par Daubenton, et auquel il imposa le nom de 
phalanger, adopté par Buffon, fut long-temps connu 
sous le nom erroné de rat de Surinam. Ce pha- 
langer, le «idelp'is orientalis de Linnæus, resta en 
effet, jusqu’à ce jour, la seule espèce du genre pha- 
Janger qu'on mentionnât. Si cet animal ne fut pas 
plus tôt reconnu appartenir à une famille distincte, 
on doit l’attribuer à l’esprit de système qui obseurcit 
souvent les idées les plus claires. Clusius en effet 
avoit cité assez longuement, en 4605, sous le nom 
de cusa, le phalanger d’Amboine. Valentyn (Hist. 
des Moluqurs, t. III, p. 272, F. D. 1726) vint en- 
suite, et le décrivit de nouveau sous le nom malais 
de coëscoës; mais comme il entremèéla les traits de 
son histoire avec ceux de son philander, qui est le 
&angourou des anciens, Less. ( Xangurus brunii, 
L.), Séba, qui figuroit et décrivoit sans soin tout ce 
qui lui tomboit sous la main, s’'empara de ce nom de 
philander, qui désignoit un animal marsupial, et le 
donna à des sarigues du Brésil. De là est découlé un 
amas inextricable d'erreurs de synonymie, que les 
modernes seuls ont pu débrouiiler : car Buffon a dit 
formellement qu’il ne voyoit aucune différence entre 
le philandre d’Amboine et son sarigue ; et dans le 
tome XIII (Sup L.) de son Histoire naturelle il re- 
garde comime les deux sexes de son phalanger de 
Surinam les phalangers tachetés de blanc, que des 
différences majeures d'organisation auroient dû lui 


() Shaw a figuré le P, obesula, t. VII, p. 298 de ses 


Misc. 


HISTOIRE NATURELLE 


faire distinguer dès la première vue. Séba avoit ce- 
pendant donné sous le nom de mus ou sorex ameri- 
canus major une figure reconnoissable de phalanger 
(th. TE, p. 59, tab. 51, f. 8); mais il est vrai qu'il lui 
donna, comme Buffon, l'Amérique pour patrie. Lin- 
næus n’a connu que le didelphis orientalis, ou sari- 
gue oriental. El en est de même de Pallas, qui le laisse 
parmi les sarigues, dans ses Miscellanea, page 59, 
ainsi qu'Erxleben, page 79. Müller le nommoit di- 
delphis indica. Les voyages de Cook, de Péron , de 
Quoy et Gaimard, et le nôtre, ont multiplié les es- 
pèces dans les collections, et aujourd’hui ces mam- 
mifères sont beaucoup mieux connus, quoiqu’ils 
soient en général très difficiles à caractériser par les 
variétés nombreuses qu’ils présentent, soit par leur 
taille, soit par les couleurs du pelage, 

Les phalangers sont des animaux essentiellement 
propres aux iles d'Asie, à la Nouvelle- Hollande, à 
la Tasmanie. Daubenton leur à donné le nom qu’ils 
portent d’après les caractères que lui a offerts le di- 
delphis orientalis, d’avoir le premier et le second 
doigts des pieds 1e derrié soudés jusqu’à la dernière 
phalarnge. Mais ce caractère s’est reproduit chez plu- 
sieurs animaux de l'Australie qu’on avoit rangés 
d’abord parmi eux , et qu’on en a séparés ensuite, et 
à juste raison, tels que les pétauristes. Les phalan- 
gers des auteurs modernes devroient encore être sé- 
parés en deux tribus; quelques traits d'organisation, 
les habitudes, les mœurs, et surtout les limites géo- 
graphiques, l’exigent impérieusement. Ainsi les sa- 
riques seroient les représentants dans les deux A mé- 
riques des phalangers ou des couscous des îles des 
Indes orientales que nous avons nommées Malaisie, 
et des phalangers ou des trichosurus (que nous nom- 
mons ainsi, queue velue, par opposition avec la queue 
nue des couscous) de la Nouvelle-Hollande et de la 
Terre de Diémen. Lacépède avoit d’ailleurs, en 1799, 
adopté le genre couscous, qu’il nomma tel que 
Valentyn l’avoit écrit en hollandois , coëscoës, mais 
dont le nom malais et euphonique est couscous, mot 
plus doux à prononcer et plus en rapport avec notre 
nomenclature. Temminek (Monog., p. 10 , en note) 
dit qu’il avoit eu l’idée de faire des couscous un genre 
sous le nom de ceonyx, mais que ces coupes nom- 
breuses lui paroïissent fort inutiles, souvent à charge 
à la mémoire, lorsqu'elles ne reposent pas sur des 
caractères faciles à saisir. Nous sommes de cet avis 
en un sens; mais nous dirons que le nom de ceonyæ 
auroit été inutile, puisque déjà on avoit appliqué un 
terme de pays suffisamment connu et de prononcia- 
tion facile, et qu’ensuite, lorsqu'on isole par des ca- 
ractères précis des êtres de pays différents, de mœurs 
non analogues, de formes légèrement dissemblables, 
on rend service à la science, on avance la géogra- 
phie zoologique, dont les circonscriptions deviennent 
plus faciles, sans embarrasser sa marche. N’est-il 


DES MAMMIFÉRES. 


pas avantageux et naturel de séparer les pétauristes 
et les trichosures de l’Avstralie, et les couscous de 
la Polynésie occidentale ? Cependant, pour satisfaire 
à l’exigence la plus difficile, nous regarderons dans 
cet article le genre phalanger comme seulement sec- 
tionué en deux sous-genies; et c’est aprés avoir 
présenté les caractères de ces derniers, que nous 
ajouterons les détails généraux qui se rapportent à 
chacun d’eux. 

Le système dentaire du genre phalanger, étudié 
par M. F. Cuvier dans plusieurs espèces, telles que 
les phalangers roux, tacheté, renard et sciurien (ce 
dernier appartient au genre pétauriste actuel), a pré- 
senté la même quantité de dents et les mêmes for- 
mes. Celles-ci sont au nombre de quarante, vingt- 
deux supérieureset dix-huit inférieures ; six incisives 
à chaque mâchoire, point de canines; douze molaires 
en haut, huit vraies et quatre fausses ; seize en bas, 
huit vraies et huit fausses. Le phalanger tacheté, 
cuscus maculalus, comp! A8 adulte, nous à 
offert le même nombre de dents : six incisives supé- 
rieures, deux canines ou incisives de chaque côté, 
dix molaires et deux fausses molaires ; en bas nous 
avons trouvé deux incisives seulement, point de ca- 
nines, douze molaires et six fausses molaires. Mais 
voici quelques particularités qui ne s’accordent point 
avec ce que dit M. F. Cuvier. La mâchoire supé- 
rieure présente les deux incisives antérieures beau - 
coup plus longues que les latérales, qui sont très 
courtes et tronquées au sommet. La première pseudo- 
canine de chaque côté est logée dans une alvéole à 
moitié creusée dans l’os incisif, et séparée par un 
espace libre de la seconde pseudo-canine, qui est 
plus petite. Elles sont toutes les deux recourbées, à 
pointe mousse, et aplaties transversalement. Entre 
la première et la dernière molaire existe un étroit 
espace libre où se fait remarquer une très petite dent 
placée à la base de la première molaire, et dont la 
couronne est aiguë et bifasciée. Les quatre dernières 
molaires sont égales, à couronne quadricuspide. La 
mâchoire inférieure n’a que deux incisives très lon- 
gues, très fortes, taillées en biseau; trois fausses 
molaires rudimentaires de chaque côté, à couronne 
arrondie : la première molaire et les quatre suivantes 
ne diffèrent point de celles de la mâchoire supérieure. 
M. Temminck dit que cette espèce, le phalanger ta- 
cheté, a seulement deux dents minimes, obtuses à 
la mâchoire inférieure dans l’adulte, et que les jeunes 
ont encore une très petite dent à chaque mâchoire, 
entre la canine et la première molaire, à la mâchoire 
supérieure, entre la seconde dent anomale et la pre- 
mière molaire inférieure, et que ces petites dents 
tombent, et que les alvéoles se ferment dans un âge 
plus avancé; propositions évidemment erronées, 
puisque l'individu que nous avons étudié est d’une 
taille bien supérieure à tous les phalangers décrits et 


143 


aux dimensions assignées par M. Temminck, Mais 
si le système dentaire ne peut toujours fournir des 
caractères rigoureux, c’est bien certainement dans 
ce genre. On peut en juger par la séparation pure- 
ment artificielle que M. F. Cuvier a été conduit à 
faire dans son article Paalanger du Dictionnaire des 
Sciences naturelles. Cet auteur admet en effet deux 
divisions, 4° des phala gers, 2° des petaurus. La 
première division comprend « des phalangers à queue 
prenante, B des phalangers volants. La seconde a 
aussi deux sections ; x des petaurus à queue prenante, 
et à des petaurus volants. Mais il est aisé de voir que 
les formes extérieures, les mœurs et les habitudes, 
en un mot les distinctions qui frappent nos sens, ne 
sont pas conservées dans uae division qui est entiè- 
rement anatomique, et qui ne repose que sur des 
parties non toujours identiques en nombre et en 
forme , etc. M. Temminek, dans sa première Mono- 
graphie, consacrée à l'histoire du genre phalangista, 
qu’il a enrichi de bons détails et d’espèces nouvelles Ë 
a trouvé dans son phalangisia cavifrons le même 
nombre et la même disposition dans les dents que 
nous; et ce nombre, différent de celui qui s’observe 
dans les autres espèces, d’après les auteurs modernes 
qui s’en sont occupés, varie assez pour qu’on ne lui 
donne qu'une attention secondaire dans l’établisse- 
ment d’un genre. 

Les caractères zoologiques des phalangers sont : 
une tête arrondie, à museau obtus, à chanfrein lé- 
gèrement arqué ; des oreilles variables, un peu lon- 
gues dans les trichosures, courtes et souvent peu 
apparentes dans les couscous ; les pieds sont penta- 
dactyies, isolés ; les antérieurs munis d'ongles forts et 
crochus ; les doigts internes des pieds postérieurs 
égaux, beaucoup plus courts que les quatrième et 
cinquième, et réunis par la peau jusqu’à la base des 
ongles; un pouce opposable, distinct, à ongle aplati 
et mince; queue nue au bout ou couverte de poils, 
enroulante, robuste, très longue ; une poche abdo- 
minale ample chez les femelles, un serotum pendant 
et velu chez les mâles. 

Daubenton nous a laissé la description anatomi- 
que des parties et des viscères du phalanger de Buf- 
fon, dans le tome XITF, page 94 de l'édition royale. 
M. Garnot ayant disséqué le couscous tacheté, et 
en ayant mis le résultat à la suite de notre descrip- 
tion de cet animal dans la Zoologie de la Coquille, 
tome [, page 455, nous nous servirons de ce travail 
pour résumer les traits les plus saillants de lorga- 
nisation de ce genre. 

Le squelette a treize vertèbres dorsales ; treize 
côles , sept vraies et six fausses ; le sternum est 
composé de sept pièces, six vertèbres lombaires et 
vingt-neuf dans la queue ; les os marsupiaux ont neuf 
lignes de longueur ; la langue est charnue, légère- 
ment rugueuse sur sa face supérieure, ayant un es- 


444 


pace quadrilatère noir à la base, long de sept lignes; 
le thorax est étroit en avant, s’élargissant inférieu- 
rement, de la forme d’un cône tronqué, ayant cinq 
pouces et demi dans sa plus grande dimension ; sa 
longueur, y compris l’appendice xiphoïde, est de 
trois pouces quatre lignes ; le sternum est étroit ; 
l'abdomen ample, plus large à sa partie moyenne 
qu’à ses deux extrémités : l’inférieure surtout est très 
rétrécie : l'estomac occupe toute la région épigastri- 
que, et s'étend un peu dans l’hypochondre gauche. 
Le foie est divisé en cinq lobes inégaux, dont deux 
sont beaucoup plus grands et échancrés; la vésicule 
du fiel est ample, très distendue, sacciforme, logée 
entre le grand lobe droit et le troisième , et cachée 
par eux; la rate est pelite, allongée, rétrécie à une 
de ses extrémités ; les intestins forment de nom- 
breuses circonvolutions ; le cœcum est long de dix- 
huit pouces, ample, et terminé par un appendice 
vermiforme ; les intestins grêles ont de cent douze 
à cent quinze pouces de longueur ; les reins sont peu 
volumineux, ils ont de quinze à seize lignes de di- 
mension; les uretères en ont cinq : la vessie est al- 
longée, piriforme ; la verge est placée derrière le 
scrotum, et le gland est surmonté d’un prépuce 
pointu. 


LES COUSCOUS. 


: Cuscus. Less. (1). 

© Queue entièrement nue, et papilleuse à son ticrs 
inférieur; oreilles toujours courtes, et souvent non 
apparentes ; tête arrondie, museau pointu, pupiile 
verticale ; animaux nocturnes, nourriture frugivore ; 
patrie , les îles des Moluques et Papoues : dans les 
arbres. 

Les couscous sont des animaux à tête arrondie, à 
museau conique, à oreilles très courtes ou cachées 
dans les poils; les yeux sont grands, très saillants, 
et à fleur de tête; leur pupille verticale annonce 
des habitudes nocturnes, et.leur donne dans le jour 
un air de profonde stupidité. Leur pelage se compose 
en entier d’un feutre très serré, très épais, lanugi- 
neux, d’où sortent, en plus ou moins grande abon- 
dance, des poils soyeux plus longs que le pelage 
Jaineux. Leurs mouvements décèlent une grande 
paresse, et ils ne s’animent que lorsqu'ils sont con- 
trariés ; ils grognent en siflant alors à la manière des 
chats, et cherchent à mordre. En général, même 
en captivité, ils sont très doux, ils préfèrent les re- 
coins les plus obscurs, et le grand jour paroit les 
affecier péniblement : ils se nourrissent de fruits, de 
moelle de sagou , boivent en lapant, se frottent sans 


4) Coëscoës, Lacépède ; ccunyx, Temminck, p. 10. 


HISTOIRE NATURELLE 


cesse la face et les mains, et aiment à enrouler leur 
queue et se tenir sur le bassin et sur les deux pieds 
de derrière. En domesticité, deux couscous que nous 
cherchâämes à apporter en France mangeoient du 
pain et même de la visnde. Mais on ne peut rien 
conclure de ce dernier fait; car un kangourou que 
nous avions préféroit aussi, à toute autre substance, 
les chairs cuites qu’on lui présentoit. Les couscous 
laissent exhaler une odeur fragrante, très expan- 
sible, que sécrète un appareil glanduleux placé sur 
le pourtour de l’anus. Souvent dans les immenses 
forêts des Moluques et de la Nouvelle-Guinée nous 
avons été saisis par cette odeur fétide, qui nous aver- 
tissoit de la présence d'un de ces animaux, que nous 
déroboit à la vue un feuillage pressé et très touffu. 
Les naturels de ces terres en détruisent beaucoup ; 
et M. Cuvier a imprimé qu’on faisoit tomber les 
couscous des branches où ils se tiennent par leur 
queue enroulée, en les regardant long-temps. Ce fait 
est très probable car les Nègres du port Praslin, à 
la Nouvelle-Frlande, en apportoient un si grand 
nombre à bord de la coryette la Coquille, qu’ils ne 
devoient pas avoir beaucoup de peine pour s’en em- 
parer. {ls leur passoient toutefois un morceau de bois 
dans la bouche, afin sans doute de les empêcher de 
mordre. Ces peuples aiment singulièrement la chair 
grasse des couscous; ils la font rôtir sur des char- 
bons avec les poils, et ne rejettent que les intestins. 
Avec les dents ils forment des ceintures et autres 
ornements ; et leur abondance est telle, que j’ai vu 
beaucoup d'habitants avoir des cordons de plusieurs 
brasses de longueur, qui attestent la destruction qu’on 
en fait. 

La patrie des couscous est sous l’équateur, dans 
les profondes forêts humides des îles Moluques, 
Tidoriennes et Papoues. C’est surtout aux Célèbes, 
à Céram, à Waigiou, à la Nouvelle-Guinée et à Ja 
Nouvelle-Irlande, que ces animaux sont très com- 
muns. Il est probable qu’ils existent sur le système 
entier des archipels de la Polynésie occidentale, jus- 
qu'aux îles de Santa-Cruz et de la Louisiade. 


A. Couscous à oreilles très courtes, velues en 
dedans et en dehors. 


LE PHALANGER TACHETÉ. 
Phalangista maculata. GEorr, (1). 


Cette espèce a fort embarrassé les naturalistes qui 
ont essayé de présenter son histoire, tant sont va- 


(') Desmarest, 411; Temminck, Mon., p. 14; Quoy 
et Gaimard, AtL., pl. 7 : didelphis orientalis, Linnæus ; 
Gmelin, 9 : phalanger mâle, Buffon, t. XII, pl. xt, p. 92 
et 9%: cuscus amboinensis, Lacépède: cuscus macu- 
latus, Lesson et Garnot, Zoologie, pl, 8. 


DES MAMMIFÉRES. 


riables les couleurs de son pelage aux époques di- 
verses de la vie. Il n°y a pas jusqu’au système dentaire 
qui ne présente des modifications dans le nombre 
des fausses mâchelières, et qui par conséquent ne 
peut qu’apporter des causes d'erreur dans la des- 
cription de ce phalanger. Certes, les différences 
qu’on remarque dans les histoires données par Buf- 
fon (jeune äge), Quoy et Gaimard {âge moyen), Tem- 
minck (jeune adult nous (adulte complet), sont 
assez frappantes pour laisser du doute sur le degré 
de certitude que présentent ces individus comme 
variétés d’une même espèce. Le couscous tacheté est 
très allongé, et de la taille d’un gros chat; la tête 
est arrondie, à chanfrein légèrement concave, et à 
museau conique et court ; les oreilles sont peu ap- 
parentes, très brèves, revêtues de poils en dehors 
comme en dedans ; les paupières sont épaisses, rou- 
geûtres, et forment un bourrelet autour de l’œil qui 
est très saillant et carné; la queue, nue dans plus 
de la moitié de sa longueur, est chargée de verrues 
rugueuses, d’un rouge carmin assez vif; les ongles 
sont robustes, aplatis transversalement, recourbés, 
terminés en pointe mousse; le pelage est lanugineux, 
très épais, traversé par quelques soies rares, d’un 
blanc légèrement jaunâtre sur lequel se dessinent 
nettement dans l’âge complétement adulte des taches 
arrondies, séparées, d’un noir foncé ; des taches plus 
confuses, d’un roux brun, recouvrent les parties ex- 
ternes des membres; le scrotum est long de dix-huit 
lignes et très velu ; la face et la partie antérieure du 
crâne sont d’un jaune assez vif; les parties nues des 
mains et des pieds sont rougeâtres, ainsi que les 
narines et les lèvres. L'espèce que nous décrivons, 
et dont nous avons donné dans l’Atlas zoologique 
de la Coquille une figure qui ne nous satisfait pas 
entièrement (tant il est vrai qu’il n’est pas toujours 
facile de diriger les peintres comme on le désire), a 
plus de vingt-cinq pouces de longueur, et la queue 
vingt pouces, et vit sur l’île de Waigiou, où les na- 
turels la nomment schamscham. L'individu décrit 
par MM. Quoy et Gaimard a le dessus du cou et l’oc- 
ciput d’un gris roussâtre, et le dos et les flancs re- 
couverts de taches irrégulières dont la couleur varie 
du gris brun au gris roussâtre ; la surface externe des 
membres offre des taches d’un fauve plus ou moins 
clair; le dessous du corps est d’un blanc tirant sur 
le roux; la longueur du tronc, du bout du museau 
à l’origine de la queue, est de quatorze pouces, et 
celle de cette dernière est de douze pouces. Sa patrie 
est l’île de Waigiou. La description du couscous ta- 
cheté faite par M. Temminck repose sur plusieurs 
individus rapportés de Banda et d’Amboine. Le pe- 
Jlage qu’il indique est court, cotonneux et rude; es 
poils soyeux sont très clair-semés, et des taches ir- 
régulières blanches et brunes sc dessinent sur le 
corps ; les poils de la face sont ras, jaunâtres ou blan- 


. 445 


châtres ; les parties inférieures du corps sont d’un 
blanc pur ; l'extrémité des membres est d’un rous- 
sâtre très clair; la longueur du corps est de deux 
pieds neuf ou dix pouces, et celle de la queue d’un 
pied trois ou quatre pouces. Cette description est 
applicable à l'espèce primitivement décrite, et n’en 
diffère que peu. 


7 


LE PHALANGER QUOY 
Phalangista Quoyi (1). 


Cette espèce se rapproche beaucoup de la précé- 
dente, dont elle ne seroit qu’une variété suivant 
M. Temminck, qui a très probablement raison en 
cette circonstance, mais qui a tort dars sa manière 
dure et tranchante de l’établir ; car ce qu’il dit à Ja 
fin de son article, relativement à MM. Quoy et Gai- 
mard, pourroit fort bien lui être rétorqué pour cent 
articles, mais surtout pour son genre aulacude. 
Quoi qu’il en soit, le phalanger Quoy seroit entiè- 
rement gris brunâtre, plus spécialement sur le dos 
où règne une ligne longitudinale de teinte plus 
foncée ; des taches de même couleur, et aussi plus 
foncées, occupent les flancs; le museau et le dessus 
de la tête sont d'un fauve vif; la gorge et la poitrine 
sont blanches, et la partie interne des membres à 
une teinte grisâtre ; les poignets sont traversés par 
une bandelette roux foncé, et les doigts sont re- 
couverts de poils noirâtres. La longueur du corps 
est d’un pied deux pouces, celle de la queue est 
d’un pied. Il est aussi de l’île de Waigiou. 


LE PHALANGER OURSIN. 
Phalangista ursina (?). 


On est redevable de la connoissance de cette es- 
pèce à M. Temminck, qui l’a reçue du voyageur 
néerlandois Reinwardt. Ce phalanger est très re- 
marquable et très distinct, et nous extrairons tout 
ce que nous en rApporterons de la Monographie du 
savant ornithologiste hollandois. Sa taille est à peu 
près celle de la civette; ses oreilles sont très courtes, 
cachées, poilues en dedans comme en dehors; la 
queue de la longueur du corps, noirâtre dans sa 
partie nue; la tête et le chanfrein à peu près d’une 
venue; le pelage est plus fourni et plus serré que 
‘dans les autres couscous; il est plus rude et plus 
grossier sur le corps, ras sur la tête, long et frisé 


(‘) Phalangista Quoy, Quoy et Gaimard, Zoologie, 
pl. 6, p.58:phalangista päpuensis, Desmarest, Suppl., 
Mamm., sp. 840. 

@)Temminck, Honog., p. 10, 


446 HISTOIRE 


sur les oreilles; sa couleur est noirâtre ou noir fauve; 
les poils soyeux sont noirs, ceux de la iête et du 
dessus du corps sont de cette dernière teinte; la 
face, le cou, la poitrine et les parties inférieures, 
sans distinction, sont d’un fauve roussâtre ; la touffe 
qui revêt les oreilles est d’un roux jaunâtre ; les 
parties nues de la face, de la queue, sont noires. 
Le pelage des jeunes sujets est plus clair; celui des 
adultes âgés est d’un noir parfait, sans tache ni raies. 
La longueur du corps est de trois pieds quatre à six 
pouces. Sa patrie est l'ile de Célèbes, où les habitants 
mangent sa Chair. 


a ——_—_—_—_—_—_—_—]—_———— 
LE PHALANGER A CROUPION DORÉ. 
Phalangista chrysorrhos (1). 


Cette espèce est encore due à M. Temminck, et 
comme la précédente elle a été découverte par 
M. Reinwardt dans les Moluques. Sa taille est celle 
du chat sauvage ; son museau est camus ; le front 
tout d’une venue ; les orei les très courtes et poilues; 
le pelage ras, serré, cotonneux et un peu frisé, est 
traversé par des poils soyeux, d’un gris cendré cl'ir 
sur la tête, blanchâtre sur les oreilles; d’un gris 
cendré plus ou moins noirâtre sur tout le corps en 
dessus , et sur les flancs et les membres; d’un jaune 
doré sur la croupe et sur le dessus de la queue; 
d’un blanc pur sur la face interne des membres et 
à la partie inférieure du cou ; une bande noire lon- 
gitudinale sépare le gris du dos du blanc de l’abdo- 
men sur les flancs des adultes; la région de la po- 
che, qui est ample, est de couleur rousse ; la partie 
dénudée de la queue est d’un jaune terne (sur les 
peaux desséchées sans doute, mais pas sur le vivant). 
Les plus grands individus ont à peu près trois pieds, 
et la queue a treize pouces. 


LE PHALANGER A GROSSE QUEUE. 
Plialangista macroura (?). 


Ce couscous n’a que douze pouces huit lignes du 
bout du museau à l’origine de la queue, et celle-ci 
a dix-sept pouces ; il est recouvert d’un feutre épais 
et grossier, d’où sortent abondamment des poils 
soyeux et noirs; les dents ne différent point de 
celles du phalanger tacheté, dont elles ont la forme, 
seulement les deux incisives supérieures sont plus 
rapprochées ; celles d’en bas, plus élargies, sont plus 
obliques en avant; au lieu de trois fausses molaires 
à la mâchoire inférieure, il n’y en a que deux; les 
oreilles sont un peu plus saillantes que dans le cous- 


() Temminck, Monog., p. 12. 
E) Cuscus macrourus, Lesson el Garnot, Zoologie, 
pl.6, p.156. 


NATURELLE 


cous tacheté ; le front, le chanfrein, sont tout d’une 
venue; le museau est pointu et eflilé, et a quelque 
chose de celui des makis ; le pourtour des yeux est 
brun ; les poils des oreilles sont blanes ainsi que la 
gorge et le dessous du cou; le corps est, en général, 
d’un gris cendré ondé de brunâtre; les poils de la 
queue sont cendrés, roussâtres, noirs à l'endroit 
où ils cessent ; le ventre et le dedans des cuisses sont 
blanchâtres ; les poils qui lent les do gts sont 
noirs; les ongles sont jaun ous n’avons {rouvé 
qu’un seul individu de cette espèce , sur les bords de 
la baie d’Offack, dans la grande île de Waigiou. 


B. Couscous à oreilles un peu saillantes, 
complétement nues en dedans. 


LE PHALANGER BLANC. 
Phalangista alba. GEoOrr. (1). 


La figure que Buffon a donnée de cette espèce est 
mauvaise, et nous n’en connoissions pas de bonne 
avant celle dont nous sommes redevable au pin- 
ceau de M. Prêtre. Le couscous blanc ( car celui que 
M. Geoffroy a nommé phalanger roux n’en est que 
la femelle) a le corps long de vingt pouces six lignes, 
et la queue de treize pouces six lignes. Son pelage 
est épais, cotonneux, garni de soies fines, longues 
et nombreuses. Le pelage (dans le mâle) est d’un 
blanc légèrement gris, teinté de fauve, et marqué 
d’une raie longitudinale plus foncée sur le dos; les 
doigts sont légèrement velus, les ongles sont noirs; 
la femelle est d’un roux assez vif, ayant aussi une 
raie rousse sur le dos : mais :es oreilles de ce cous- 
cous ont cela de remarquable, qu’elles sont assez 
apparentes, pointues et nues en dedans. Le pha- 
langer blanc, nommé kapoune par les Nègres de la 
Nouvelle-Irlande, est commun au port Praslin, et 
sa chair est très estimée des naturels. M. Temminck 
indique comme sa patrie les îles de Banda et d’Am- 
boine. 


LES TRICHOSURES. 


Trichosurus. Less. (?). 


Queue garnie de poils, ou n’ayant point de peau 
entièrement nue ; oreilles assez longues et droites ; 
face allongée, pupille ronde; animaux diurnes, 
nourriture animale ? dans des terriers? Patrie, les 
Terres Austraies. 


() Phalangista rufa, Desmarest, 412 : didelphis 
orientalis, Linnæus: phalanger femelle, Buffon, pl. 10: 
coëscoës, Valentin ? : phalangista cavifrons, Tem- 
minck, p. 17 : cuscus albus, Lesson et Garnot, Atl., 
pl. 7, p. 158. 

() Phalangista, 1° sect., Temminck, p. & 


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luble par Pourrat Fréres à Paris 


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Publie par L'ourrat l'a l'arw 


DES MAMMIFÈRES. 


Les phalangers de la Nouvelle-Hollande et de la 
Terre de Diémen où Tasmanie (ainsi nommée avec 
raison pour la distinguer de la Terre de Diémen du 
nord de l'Australie, qui touche la Nouveile-Guinée 
et qui doit en avoir quelques unes des productions), 
sont encore aujourd’hui très peu connus. Leurs ha- 
bitudes, leurs mœurs, n’ont point été observées, et 
ilest vraiment étonnant que les Anglois, qui pos- 
sèdent à Sydney une colonie florissante, n’aient en- 
core rien éclairei sous ce rapport, et qu’ils n’aient 
pas présenté d’une manière précise les mœurs d’a- 
nimaux qui sont abondants autour d'eux. Le peu 
qu’on en sait est dû à Rollin, chirurgien des trans- 
ports de Convicts au port Jackson, qui rapporte que 
le phalanger renard habite des terriers, se nourrit 
de gibier, et chasse aux oiseaux. La connoissance des 
lieux légitime très po itivement ces données. On 
sait en effet que la Nouvelle-Hollande ne possède 
que des fruits secs et coriaces, et qu'aucun n'est 
bon à manger, à part la baie, maigre et rare, du 
leptomeria Billardieri.. Le sol d’ailleurs, meuble 
et arénacé, est très propre à se creuser en terriers. 
Enfin si les phalangers se tiennent dans les arbres, 
c’est sans doute pour y chasser plus commodémert 
les petits oiseaux. C’est à tort que Cook a supposé 
(p.159, Troisième Voyage) qu’ils y vivoient de baies; 
on ne connoit pas un végétal qui en produise, même 
pour les oiseaux. 

Les espèces de cette tribu paroissent être des ani- 
maux diurnes, ayant dans leurs formes générales 
quelque chose du facies du renard; leur tête est 
plus allongée, plus grosse, à museau moins déprimé ; 
leurs oreilles sont saillantes, nues en dedans et très 
apparentes ; leur queue est velue partout, et n’est 
nue que dans un étroit sillon inférieur. Dans deux 
espèces, les poils de l'extrémité sont plus courts et 
plus rares que dans le reste de la queue. Comme 
les coude. il paroït qu’ils aiment à s’accroupir 
sur le bassin, prendre leurs aliments avec les mem- 
bres antérieurs ; on dit même qu’ils sont omnivores : 
leur pelage est aussi très lanugineux. 

Ces phalangers habitent les côtes de la Nouvelle- 
Galles du Sud et de la Terre de Diémen. On ne sait 
pas s’ils répandent comme les couscous une odeur 
fétide diffasible. ls vivent sous des latitudes refroi- 
dies et tempêtueuses, tandis que les couscous habi- 
tent les contrées les plus chaudes de la terre. 


LE PHALANGER NAIN. 


Phalangista nana. Grorr. (1). 


On ne conuoïît qu’un individu de cette espèce, 
qui a été découverte par Péron sur l’île Maria, îlot 


(°) Desmarest, 415 ; Temminch, Monag., p. 9. 


447 


dépendant de la Terre de Diémen. Ce célèbre voya- 
geur l’a mentionné sous le nom de dasyure (t. KE, 
p. 162, Voyage aux Terres Australes, édition in-8°), 
et lobtint vivant d’un naturel qui se disposoit à s’en 
régaler. 

Ce phalanger est de la grosseur d’une souris ; il 
a de longueur totale cinq pouces, en y comprenant 
la queue qui a deux pouces six lignes. Son pelage 
est en dessus d’un gris légèrement teint de rous- 
sâtre ; la lèvre supérieure est garnie de poils blanes ; 
un cercle b un entoure les yeux; les orcilles sont 
courtes, arrondies, couvertes de poils ; les parties 
inférieures et le dedans des membres sont blancs; 
la queue est grêle, à poils plus longs à sa base qu’à 
l'extrémité où ils sont ras. Le système dentaire est 
à peu près le même que dans les phalangers blanc 
et tacheté. On ne possède aucun renseignement sur 
ses mœurs. Îl paraît que les naturels s’en nourris- 
sent, comme le font les Nègres du port Praslin et 
des îles environn:ntes pour les couscous. 


LE PHALANGER GLIRIFORME 
Phalangista gliriformis (1). 


Ce petit animal, décrit tout récemment par 
M. Thomas Bell, ressemble beaucoup au phalanger 
nain, dont il diffère toutefois par quelques carac- 
tères , tels que ceux entre autres d’avoir les oreilles 
complétement nues, et les parties inférieures du 
corps d’un blane pur. 

La description de M. Bell a été faite sur deux in- 
dividus femelles, apportés vivants à Londres. Leurs 
mamelles, occupant l’abdomen, étoient au nombre 
de quatre, et l'ouverture du rectum se trouvoit 
placée au tiers de la distance de la racine de la queue 
à la poche marsupiale. La description de ce gracieux 
animal est donc empruntée en entier au naturaliste 
anglois. 

Le phalanger gliriforme est de la taille du loir 
d'Europe, bien qu’il soit cependant un peu plus 
ample, plus large sur les côtés, et plus déprimé dans 
l’ensemble du corps. La tête est élargie près des 
oreilles, et diminue successivement jusqu’à l’extré- 
mité du museau qui affecte une forme pointue. 

Les narines sont étroites et à demi circulaires; la 
mâchoire supérieure, plus longue que Pinférieure, 
la déborde aussi sur les côtés ; des poils courts et 
doux, blanchâtres et duveteux, revêtent les lèvres ; 
les moustaches entièrement noires ou teintées de 
brun clair à la pointe des plus extérieures, sont dis- 
posées sur quatre rangs; larges et proéminents, les 
yeux brillent d’un viféclat, et l'iris est d'un noir in- 


(:) Thomas Bell, Trans., Soc. linn. Tond., t. XVI, 
pl. 1, p. 121, et pl. 13 et 14. 


418 


tense : les orcilles sont proportionnellement beau- 
coup plus développées que dans les autres espèces ; 
elles se redressent sur le sommet de la tête, et leur 
surface est complétement dénudée. Le système den - 
taire ne fut que très imparfaitement examiné sur 
ces animaux, pleins de vigueur et de vie; toutefois 
les incisives ne parurent point différer de celles des 
autres phalangers, et les molaires, très petites, 
étoient peu apparentes sous les gencives qui les ca- 
choient. 

Le corps du phalanger gliriforme cst assez massif 
et assez épais dans ses diverses proportions; il est 
recouvert d’une abondante fourrure, dont les poils 
sont serrés et d’une extrême douceur : la couleur 
de chacun d’eux est un gris terminé de brun rou- 
geâtre, ce qui donne au pelage une teinte générale 
grise fauve. Les poils qui revêtent les parties infé- 
rieures sont moins épais; leur teinte est le gris jau- 
nâtre affoibli, se fonçant en jaune sur les flancs, sur 
les côtés et sur la gorge ; la face est jaunâtre, et les 
parties supérieures et postérieures de la tête aflec- 
tent les nuances grises roussâtres du dos ; un cercle 
noirâtre encadre les yeux, et de pareils cercles aussi 
noirâtres se trouvent circonscrire à demi la base.des 
oreilles. 

Lorsque ce petit animal est dans un état complet 
de repos , les extrémités des membres disparoissent 
dans son épaisse fourrure. Sa queue est de la lon- 
gueur du corps; et sa racine acquiert une assez 
grande largeur, qui diminue graduellement jusqu’à 
l'extrémité; elle est abondamment recouverte de 
poils, surtout à la base, et principalement en des- 
sus ; en dessous se dessine une étroite bandelette lon- 
gue d'environ six lignes et entièrement nue : cet 
espace dénudé contribue principalement à assurer 
la faculté préhensile dont jouit celte partie à son 
extrémité. 

Les doigts peuvent saisir les corps avec une grande 
facilité : le pouce. comme chez les autres phalangers, 
n'a point d'ongle, ni aux mains ni aux picds; les 
ongles des autres doigts, au contraire, sont très étroits 
et très fortement recourbés : les doigts sont très poi- 
lus en dessus, et complétement nus en dessous. 

Le genre de vie de ce petit phalanger est assez 
analogue à celui du loir, aimant les noix et les ali- 
ments de même nature qu’il saisit avec les mains. 
Ses habitudes sont nocturnes; il restoit plongé dans 
un état de torpeur pendant le jour, tandis qu’aux 
approches du soir sa vivacité se réveilloit pour faire 
place alors à des mouvements pleins de brusquerie. 
Parfois, en grimpant sur des branches d’arbre, sa 
queue s’enrouloit autour ; parfois aussi il Ja rouloit 
soigneusement entre ses jambes pour se préserver 
du froid. Les individus captifs étudiés par M. Bell 
étoient devenus assez familiers pour se laisser cares 
ser sans éprouver de frayeur ; mais il ne parurent 


HISTOIRE NATURELLE 


jamais susceptibles du moindre attachement, soit 
envers les personnes qui les soignoient , soit même 
entre eux. 


Les dimensions que présentèrent leurs diverses 
parties sont les suivantes : 


Pouc. Lignes, 
Longueur totale (mesüre angloise). . . .« 7 6 
———— dela tête, . . . . . . z 
a ——— OU COTES. ee Melle lee ee 2 010 
———— ‘de la queue." 2.7, 0 36 
Largeur de la tête entre les yeux. . . . » 9 
———— des oreilles complètement déve- 


lOBDÉES. reitle &-AE ea cie 0) 0 
Longueur desoreilles. . . FUN, D 
Hauteur du corps. . . . ERRONÉE. 
SA TASER Se de tele eue ie ee ON 
————— de la queue à son origine. . , » 6 
De la même à un poute de sa base. . . . » 3 
Epaisseur de la queue à son origine. . . » 3 
Parsceurade la imain 0. 1. Di 
a AN DICIà à: 18 eee PEN 
Longueur des doigts de devant. . . . . » 2'A 
— — des deux doigls externes de la 
MANU RIRE PRIS RENNIS 
———— des deux doigts soudés de la 
{ mails Sols ste alé pie 


———— des pouces. . +, «+ + + + « D» 2 


LE PHALANGER DE COOK. 
Trichosurus Cookii. Less. (1). 


Le phalanger de Cook est une des espèces les plus 
gracieuses du genre phalangista des auteurs; et 
quoique ce petitanimal , de l’ordre des marsupiaux , 
ait été soigneusement décrit par MM. Cuvier, Des- 
marest, Temminck, dans des ouvrages récents de 
mammalogie, nous avons cru devoir en publier une 
figure qui diffère notablement de celle qu'on trouve 
dans la quarante-cinquième livraison des Mammi- 
fères de M. Fr. Cuvier, et bien préférable à la gra- 
vure de Cook (pl. 8 de son Troisième Voyage), qui 
est peu susceptible, ainsi que la fig. 5 de la pl. 8 de 
l'Atlas supplémentaire de l'Encyclopédie, de don- 
ner une idée satisfaisante de ce mammifère. 

La première mention qui soit faite du phalange 
de Cook est consignée dans le Voyage de ce cèlèbre 
navigateur ( Troisième Voyage, t. 1, p. 159), en 
ces termes : « Le seul animal quadrupède que nous 
ayons pris est un 0possum. à peu près aussi gros 


(:) Annales des Sciences naturelles (mars 1829), avec 
planche étiquetée par erreur pétauriste de Péron : 
Desmarest, Nouveau Dictionnaire d'Histoire natu- 
relle, t. XXV, p. 476 ; Mammalogie, no 268, pl. 8 (Sup- 
plém.); Fr. Cuvier, Dents, Mammifères, 54: livrais. : 
petaurus Cookii, Fr.Cuvier, Diclionnuaire des Scienc. 
natur., &. XXXIX, p. 417; Temminck, Monog., 1, 1, 
p. 8; Lesson, Dictionn classiq., t. XUK, p. 334. 


À Thalinges 74 EE, 


Phalangista Cookii 


Publie Par l'ourrat F à lurir 


DES MAMMIFERES. 


qu’un rat; c'est vraisemblablement le mâle de l’es- 
pêce rencontrée sur les bords de la rivière Endea- 
vour, dont parle Binks dans le Premier Voyage. X 
est noirâtre dans la partie supérieure du corps, avec 
des teintes brunes ou couleur de rouille, et il est 
blanc dans la partie inférieure ; le tiers de la queue, 
du côté de la pointe, est blanc, et dégarni de poils 
en dessous : il grimpe ou s'accroche sur les bran- 
ches d'arbres parce qu’il vit de baies, et il est pro- 
bable que cette nudité d’une partie de la queue est 
une suite de ses habitudes. » 

Le phalanger de Cook à de longueur totale deux 
pieds deux à six pouces, et la queue entre pour moi- 
tié dans ces dimensions ; mais s taille varie beau- 
coup, car la figure que nous publions a été fuite en 
proportion naturelle sur un jeune individu parfai- 
tement conformé et de la taille à peine d’un écureuil : 
Ja tête de cette espèce est très déprimée et très poin- 
tue. Le système dentaire présente la plus grande ana- 
logie avec celui des petaurus ; aussi M. Fr. Cuvier 
a-t-il distrait ce petit animal du genre phalangiste 
pour le placer dans celui des pétauristes. Il se com- 
pose de trente-huit dents réparties de la manière sui- 
vante : en haut, quatre incisives, deux canines, 
Puit fausses molaires, et huit molaires ; en bas, deux 
incisives, point de canines , six fausses molaires, et 
huit vraies mâcl'elières. Les incisives supérieures et 
externes sont cannelées ainsi que les dents canines, 
ou plutôt les dents anomales et fausses qui en tien- 
nent lieu. La couronne des mâchelières est hérissée 
de tubercules aigus disposés sur deux rangées ; les 
incisives inférieures sont longues, minces, et diri- 
gées en avant. Les dents anomales quiexistententre 
elles et les vraies molaires ont été appelées diverse- 
ment par les auteurs , et sont remarquables par leur 
petitesse. 


Le phalanger de Cook est partout abondamment 
recouvert d’un pelage épais, serré, composé de deux 
sortes de poils, les uns soyeux plus longs, lesautres 
Janugineux, formant sur le corps une bourre épaisse 
et dense; le dessus du corps est gris brun, passant 
au roux vifsur les flancs, tandis que toutes les par- 
ties inférieures sont d’un blanc plus ou moins teint 
de jaunâtre; un cercle roux entoure les yeux; le 
front est brun, les mains sont grises, la queue est 
brune en dessus, terminée à son extrémité par du 
blanc pur. Le nu ne forme qu’un étroit et léger 
ruban en dessous. Les individus complétement adul- 
tes diffèrent par leurs couleurs : c’est ainsi que le 
gris cendré domine chez quelques uns, tandis que 
chez d’autres c’est le roux plus ou moins vif. Deux 
petits faisceaux de moustaches rigides, noires, par- 
tent des côtés du museau dont l’extrémité est cou- 
leur de chair. Les ongles sont foibles et cornés ; les 
oreilles sont nu‘s en dedans, marquées à leur base 
par une touffe de poils très blancs. ù 

I. 


449 

Le phalanger de Cook, comme ses congénères, est 
doué de mœurs douces et paisibles ; il vit de racines, 
et en captivité il se contente de pain, de lait, de 
fruits et d'œufs ; il se roule en boule pour dormir, 
et se défend avec courage lorsqu'il est attaqué : 
alors il souffle avec force, à la manière des chats. 
Ses habitudes doivent être crépusculaires, ainsi 
que le semble prouver l’ensemble de son organi- 
sation. 

La femelle ne diffère presque point du mâle, et 
l'ouverture de sa poche abdominale est abondam- 
ment recouverte de poils parfois teints de roux. 

Le Muséum possède deux de ces animaux adultes 
rapportés de la Terre de Diémen et de la Nouvelle- 
Galles du Sud par les expéditions d’Entrecasteaux 
et Baudin, et recueillis par MM. La Biilardière et 
Péron. L’individu que nôus avons figuré, et qui est 
un très jeune individu , a été conservé vivant à bord 
de l’Urantie par M. Gaimard. 

Cet animal est donc un pétauriste pour M. Fr. 
Cuvier, et un phalanger, p'alangisia, pour MM.G. 
Cuvicr, Desmarest et Temminek. Nous l’avons con- 
sidéré comme un sous-genre très distinct des pha- 
langisla, qui comprennent, suivant nous, les cous- 
cous, ou phalangers des Moluques, et les tricho- 
sures,ou phalangers des Terres Australes : ce seroit 
donc pour nous le {richosurus Cookii. 


LE PHALANGER RENARD. 
Phalangista Vuipina. Cux. (1). 


Phillipp et White sont les premiers qui nous 
aient fait connoître le phalanger renard, et on en 
doit à ce dernier une excellente figure. Les formes 
qui le caractérisent sont beaucoup plus dégagées que 
dans les autres espèces. Ses oreilles sont plus lon- 
gues, et sa queue plus grosse et plus touffue. 
La couleur générale du corps est le gris brun ar- 
doisé ; une sorte de collier fauve vif entoure le cou: 
le ventre est fauve roux clair cannelle; les oreilles 
sont triangulaires, pointues, nues en dedans, et re- 
couvertes de poils ras en dehors, de la couleur du 
dos; un trait noir contourne le bout du museau ; 
deux cercles bruns entourent les yeux. La queue 
est longue d’un pied cinq pouces, forte, très touf- 
fue, garnie de longs poils d’un gris brun ardoisé à 
son origine , et d’un noir profond dans tout le reste 
de son étendue. Le corps d’un adulte a deux pieds 
de longueur sur dix pouces de hauteur, et la taille 


(") Desmarest, Mammalogie, 413: didelphis vulpina 
et lemurina, Shaw: wha-tapoua-r00, White,1t.,p 278 
(figure trés bonne): le bruno, Vicq d’Azyr, Anat.: 
vulpine opossum, Phillipp, Et, fig. #, y. 450; Tem- 
minck, Monog., p. 9. 

27 


450 


et le port sont à peu près, au dire de White, ceux 
d’un raton; une bandelette nue occupe le dessous 
de la queue dans le sens de sa longueur, et est gra- 
nuleuse. L'individu décrit par Püilipp n’avoit que 
vingt-six pouces de dimension depuis le bout du nez 
jusqu’à l’origine de la queue, qui avoit quinze pou- 
ces; mais il n’est pas rare de rencontrer des indivi- 
dus de taille variable. Les femelles ne diffèrent 
point des mâles; leur pelage est de nature coton- 
veuse, parsemé de soies plus longues et plusdéliées, 
mais rares. Les jeunes ne présentent à la mâchoire 
supérieure que deux petites fausses molaires, et 
trois à celle d’en bas. Leur pelage offre ausi des 
nuances différentes ; les teintes sont plus claires que 
dans les adultes, elles passeat du cendrié gris au 
brun clair, et quelquefois au gris clair. Les adul- 
tes n’ont que trente-huit dents. 

Le phalanger renard est commun à la Nouvelle- 
Hollande, d’où la rapporté Péron. C’est bien gra- 
tüitement que M. Temminek dit qu'on le trouve à 
Sumatra. Deux localités aussi opposées, aussi dis- 
tantes, aussi di parates, dérouteroient quiconque 
voudroit tenter une distribution géographique des 
animaux : celte indication demande donc une con- 
firmation authentique. N’avons-nous pas vu le même 
auteur faire venir le phalanger de Cook de Rawack 
dans les Moluques? 

En dernière analyse, six espèces de couscous 
sont connues aujourd’hui, ou du moins cinq, et tou- 
tes ont seulement été rencontrées dans les Moluques. 
D’autres phalangers à queue velue occupent notre 
deuxième section, et sont propres à ce que les géo- 
graphes nomment Australie. Que d’espèces vien- 
dront encoreenrichir ce genre, et quede détails nous 
devons désirer pour compléter leur histoire ! 

Nous ajouterons deux espèces nouvelles, décrites 
par M. Ogil: y (1), et qui viennent prendre place à 
côté du phalanger oursia : l’une (phalangista fuli- 
ginosa ) a le pelage crépu , en entier brun de suie, 
une queue longue, couverte de poils et d’une seule 
couleur dans toute son étendue ; l’autre ( Ph. æan- 
thopus ), a son pelage très touffu, d’un gris de cen- 
dre blanchâtre en dessus, passant au blanc sale en 
dessous. Les pieds sont jaune roux. La queue est 
terminée de blane. On ignore de quel point de PAus- 
tralie ces deux animaux proviennent. M. Fr. Cu- 
vier a également enrichi ce genre du PHALANGER DE 
BoucaxviLLe (Ph. Bougainvillii, Règ an.), grand 
comme un écureuil, cendré dessus, blane dessous, 
ayant la moitié terminale de la queue noire, et 
l'oreille à moitié blanche. 


(*) Proceed, 1, p. 133. « 


HISTOIRE NATURELLE 


LE PHALANGER VIVERRIN (1). 


Habite la Terre de Diémen, et a les plus grands 
rapports avec celui de Cook. El n’a pas cependant sa 
coloration , et est privé de pouce opposable. 


LES PÉTAURISTES 
OÙ PHALANGERS VOLANTS. 
Petaurus, Shaw ; phalangista, WMig. 


Les pétauristes rappelant dans les marsupiaux, 
par suite de l’extension de la peau des flancs 
entre les membres, les pelatouches de l’ordre des 
rongeurs, furent d’abord rangés par Shaw parmi 
les didelphes ; ils reçurent ensuite le nom de 
phalangers volants, et furent distingués des vrais 
phalangers par le nom générique de petaurus, 
adopté par M. Cuvier. Illiger, dans son Prodrome, 
proposa le nom de phalangista, et M. Desmarest, 
dans sa Mammalogie, celui de pelaurisla; le genre 
phalanger rapprochoit donc ainsi des animaux dis- 
tincts les uns des aut.es, et dont le principal carac- 
tère éloit celui de la double génération ou de la 
marsupialité. Mais des limites géographiques pré- 
cises et une ressemblance fondamentale dans chaque 
groupe permettent, pour éviter toute confusion, de 
former de ce genre trois tribus bien distinctes, qui 
seroient celles des couscous, phalangers nocturnes 
à queue nue, essentiellement propres aux Molu- 
ques ; balantia, où phalangers diurnes à quete poi- 
lue; et petaurus, ou phalangers volants : ces deux 
derniers genres sont exclusivement de la Tasmanie 
et de l’Australie ou Nouvelle-Hollande. Les pétau- 
ristes appartiennent à la famille des marsupiaux ou 
animaux à bourse, quatrième division de l’ordre des 
carnivores du règne animal ; M. Duméril les con- 
fond avec les phalangers dans sa sixième famille ou 
celle des pédimanes. M. Latreille (Règne animal, 
p.55), dont les marsupiaux forment le sixième or- 
dre de sa méthode, place le genre petaurus dans sa 
troisième famille ou celle des phyllophages. M. Tem- 
minck observe à peu près la même classification, et 
les pétauristes composent le huitième genre de son 
cinquième ordre. M. Geoffroy Saint-ilaire, qui 
s’est beaucoup occupé de la classe des animaux mar- 
supiaux , a laissé les pétauristes dans le genre pha- 
langer ; et M. Fr. Cuvier, dans son article h laun- 
ger (tome XXXIX du Dictionnaire des Sciences 
naturelles), n’a point débrouillé l’histoire de ces 
animaux, et a peut-être accru encore l’irrésolution 
qu’on doit éprouver à les isoler les uns des autres. 
C’est ainsi qu'il sépare le genre phalanger en deux 


{) Phalangista viverrine, Ogilby. 


DES MAMMIFÉRES. 


sections : la 1", phalanger ; la n°, petaurus; puis 
les phalangers sont divisés suivant qu’ils ont la 
queue prenante, ou qu'ils ont la peau des flancs 
étendue entre les membres; enfin il y a aussi des 
pelaurus à queue prenante et des petaurus volants. 
Pe sorte que le genre pétauriste, tel que nous allons 
le considérer, renferme des animaux des deux sec- 
tions de M. Fr. Cuvier, c’est-à-dire ses phalangers 
volants et ses petaurus volants. À l’article Phaian- 
ger, pages 126 et suivantes de son Traité des Dents, 
cet auteur regarde le caractère de la peau des flancs 
étendue entre les membres comme trop peu impor- 
tant pour séparer les pétauristes des phalangers. 
Cependant c’est à peu près la seule nuance qui isole 
les écureuils des polatouches ; et les dents elles- 
mêmes sont trop souvent variables de leur nature, 
pour fournir, dans tous les cas, des distinctions ri- 
goureusement exactes. Les pétauristes, vivant dans 
. les arbres de la Nouvelle-Hollande, doivent différer 
par leurs mœurs des phalangers à queue d.oite qui 
habitent dans les broussailles sablonneuses des par- 
ties maritimes de la Nouvelle- Hollande et de la 
Terre de Diémen, et des couscous ou phalangers à 
queue nue, qui sont nocturnes, et qui recherchent 
les fruits dans les Moluques. Au reste nous nous ef- 
forcerons d’éclai cir cette question lorsque nous dé- 
erirons les phalangers. 

Le genre pétauriste a été divisé lui-même par 
M. Desmarest en deux sous-genres : le premier, dont 
le principal caractère est d’avoir la queue ronde, 
est le pétauriste proprement dit; et le second, ca- 
ractérisé par une queue dont les poils sont distiques 
comme dans certains écureuils, est celui nommé 
voltigeur, acrobata( Desmarest), et qui ne renferme 
qu’une espèce, le phalanger pygmée. 

Les caractères des pelaurus sont donc les sui- 
rants ; formule dentaire : mâchoire supé ieure, six 
incisives ; canines nulles; seize molaires, y compris 
les fausses molaires qui sont au nombre de huit ; 
mâchoire inférieure, deux incisives ; canines nulles, 
quato!ze molaires ; au total, trente-huit. 

« Les os incisifs (Fr. Cuvier, Dents, p. 129) de la 
mâchoire supéiieure forment entre eux un angle 
plus ou moins aigu, et les incisives sont elles-mêmes 
disposées de la sorte : la première est forte et tran- 
chante ; la seconde, également coupante, à sa cou- 
ronne plus large que sa racine ; la troisième, plus 
petite, est obtuse. Entre les incisives et les fausses 
molaires existe un espace vide : la première fausse 
molaire est rudimentaire, la seconde estencore plus 
petite que la première, la troisième plus grande ap- 
proche de la forme des vraies molaires ; la quatrième 
a plus de grandeur et d'épaisseur, elle touche Ja 
iroisième , tandis que toutes les autres dents sont 
isolées ; les trois premières molaires ne diffèrent 


451 


chacun de leurs angles d’une pointe triangulaire, et 
sur les côtés d’une pointe plus petite; deux petits 
tubercules anguleux occupent aussi leur face ex- 
terne ; la dernière molaire n’a que trois pointes 
principales : deux en avant et une en arrière. Ces 
tubercules et ces pointes donnent aux dents des 
petaurus une forme compliquée et difficile à carac- 
tériser. 

» À la mâchoire inférieure les deux incisives sont 
longues, presque horizontales, arrondies en avant, 
aplaties à leur face interne, minces et pointues à 
leur sommet ; les deux premières fausses molaires 
pe sont que deux points rudimentaires, et c’est aussi 
ce qu'on o'serve fréquemment chez les couscous ; la 
troisième fausse molaire se rapproche de la forme 
de la première vraie molaire, mais elle est plus 
épaisse à sa moilié postérieure qu’à sa moitié anté- 
rieure. Les quatre vraies molaires se ressemblent 
entièrement et se composent de quatre pointes trian- 
gulaires, disposées deux par deux en avant et en 
arrière. » Tels sout les principaux faits dont nous 
sommes redevables à M. Fr. Cuvier, et qui lui ont 
été fournis par l’étude des petaurus taguanoïde, di- 
delphoïde et macroure. Il est remarquable que le 
phalanger de Cook a aussi présenté les mêmes par. 
ticularités dans sa dentition. 

Les caractères extérieurs ou Zzoologiques sont : 
ane tête médiocrem nt allongée, des oreilles moyen- 
nes dressées ; des pieds pentadactyles, à ongles com- 
primés, recourbés, robuste, excepté au pouce qui 
est sans ongle et opposable ; les deux premiers 
doigts sont beaucoup plus courts que les autres; 
la peau des flancs étendue entre les membres anté- 
rieurs et postérieurs peut servir de parachute (dis- 
position qui se retrouve chez les galéopithèques et 
les sciuroptères ou polatouches): une poche sur 
l’ahdomen ; la queue très longue, garnie de pois, 
tantôt épars, tantôt distiques. 

Les habitudes des pétauristes ne sont point con- 
nues; ce sont des animaux probablement noctur- 
nes, qui vivent dans les eucalypt: s de la Nouvelle- 
Hoilande, où ils sautent de branche en branche en 
s’aidant de leurs parachutes pour soutenir leur élan ; 
leur genre de nourriture doit principalement con- 
sister en insectes ou en feuilles, car on sait que la 
Nouvelle-Hollande ne produit aucun fruit édule. Ils 
sont très communs, et les naturels de celle partie 
du monde en font un grand dégât, car ils recher- 
chent leur chair en même temps qu’ils se font avec 
leur peau de petits manteaux employés par les fem- 
mes pour voiler leurs parties naturelles, ou pour 
couvrir les épaules. Leur fourrure est tellement 
belle, qu’elle pourroit être utilisée dans les arts, et 
former une branche avant geuse de commerce. 

Les pétauristes n’ont été jusqu’à ce jour rencon- 


point entre elles ; elles sont quadrilatères, munies à | trés que dans les grandes forêts des montognes 


452 


Bleues, et dans la petite île de Norfolk, placée non 
Join des côtes du port Jackson. On en connoît cinq 
espèces. 


LE PÉTAURISTE TAGUANOIDE. 
Petaurus taguanoïdes (1). 


Le taguanoïde est la plus grande des espèces de 
ce genre : la longueur du corps est communément 
de dix-huit pouces, et la queue a elle seule près de 
vingt pouces; la tête est petite, le museau triangu- 
laire et très aigu ; les oreilles sont assez grandes et 
élevées ; les doigts des pieds sont entièrement gar- 
nis de poils; la queue est arrondie, très touffue : le 
pelage du taguanoïde est d'une finesse et d’une 
douceur extrêmes ; il est très épais, très long, prin- 
cipalement sur le dos. 

Var. «. Pelage d'un brun chocolat foncé et lui- 
sant en dessus, et d’un blanc sale en dessous ; la 
queue complétement brune. 

Var. B. Pelage nuancé de fauve clair, mélangé 
de brun, ayant une raie plus foncée sur le dos; les 
flancs d’un gris cendré; deux taches oblongues et 
fauves sur les flancs, le dessous blanchâtre. 

Var. ». Pelage entièrement blanc ; d’un blanc pur 
en dessous, d’un blanc jaunâtre sur le dos. 

Le taguanoïde est l’espèce la plus commune aux 
alentours de Sydney et dans les montagnes Bleues. 


LE PÉTAURISTE A GRANDE QUEUE. 
Petaurus macrourus (?). 


Cette espèce est, dit-on, de la taille du surmulot ; 
son pelage est d’un gris brunâtre en dessus, et blan- 
châtre en dessous ; une bande brunâtre foncée s’é- 
tend du vertex au bout du museau; les oreilles sont 
assez larges, arrondies et blanchâtres ; la queue est 
ronde et touffue, d’un marron uniforme, qui se 
dégrade légèrement ; les pattes antérieures sont 
blanches à leur extrémité. Cet animal habite la 
Nouvelle-Galles du Sud. 

Sans doute on ne peut considérer que comme 
une variété le pétauriste à ventre jaune, pelaurista 
flaviventer (Geoffroy, Desmarest, 418), qui a la 
taille du pétauriste à grande queue, mais dont le 
pelage est gris teinté de fauve en dessus, ayant une 
ligne dorsale brun marron, et le bord des flancs et 


(1) Shaw, Gen. Zool., pl. 112 : petaurista taguanoi- 
des, Desmarest, Mammalogie, sp. 416 : Hepoona roo, 
White, 1t., édit. orig , p. 288 : black flying opossum, 
Phillipp, 2€, édit. orig., p.279, fig. 5. 

(2) Desmarest, Dictionn. d'Hist. natur., t. XXV: 
didelphis macroura, Shaw, Gen, Zool., pl. 113, A 


HISTOIRE NATURELTE 


des membres de cette couleur, et tout le dessous du 
corps d’un fauve blanchâtre ; la queue est aussi d’un 
brun marron uniforme. Il est du même pays. 


LE PÉTAURISTE DE PÉRON. 
Petaurus Peronii (1). 


Cette espèce, que M. Desmarest a le premier fait 
connoître, à pour principal caractère d’avoir sa 
membrane des flancs terminée au coude, tandis 
qu'elle va jusqu’au poignet dans le taguanoïde, et 
jusqu’au doigt extérieur dans le sciurien. 

Sa taille est celle de l’écureuil d'Europe. Son pe- 
lage est généralement brun en dessus et blanc en 
dessous ; la queue est plus longue que le corps, mais 
terminée à son extrémité par un demi-pouce de 
blanc jaunâtre bien tranché; la membrane des 
flancs est d’un brun varié de gris ; le dehors des 
cuisses et les pattes de derrière sont d'un brun 
foncé. Il paroît avoir été rapporté de la Nouvelle- 
Hollande par Péron. 


LE PÉTAURISTE SCIURIEN. 
Petaurus sciureus (?). 


Ce pétauriste a près de neuf pouces de longueur, 
sans y comprendre la queue qui en a à peu près dix ; 
les oreilles sont très courtes ; sa taille est celle de 
l’écureuil commun; son pelage est gris en dessus, 
blanc en dessous; une raie noire foncée s'étend du 
bout du nez jusqu’à l’extrémité de la queue; deux 
traits noirs partant des narines règnent sur les yeux ; 
la membrane des flancs est noire, bordée de blanc ; 
la queue est cendrée, plus päle que le reste du 
corps, ronde et garnie de poils très fournis partout, 
Il habite la Nouvelle-Hollande et l’ile déserte de 
Norfolk. Cet animal est surtout très commun au 
pied des montagnes Bleues, dans les arbres d’E- 
miou-plains ; il niche dans les trous d'arbres, et fait 
huit petits à chaque portée. 


LE PÉTAURISTE PYGMÉE. 
Petaurus pygmaæus (°). 


M. Desmarest a fait de cette espèce un sous-genre, 
qu’il a nommé acrobata; elle se distingue de prime 


() Desmarest, Mammalogie, sp. 420. 

(2) Desmarest, Mammalogie, sp 419 : didelphis sciu- 
rea, Shaw, pl. 11, Zoo!. New-Holt : Norfolk island 
flying squirel, Philipp, édit. orig., p. 151 et 193, trad. 
franc.; Pennant, Histoire des Quadrupèdes. 

(3) Desmarest, Dictionnaire d'Hist. natur., 2e édit. : 


DES MAMMIFÈRES, 


abord de la précédente par les poils de sa queue, 
qui sont parfaitement distiques ; sa taille est celle 
de la souris ; le corps a trois pouces deux lignes de 
longueur, et la queue a deux pouces six lignes. Son 
pelage est en dessus d’un gris fauve, et blanc pur 
en dessous ; les poils de la queue sont gris roussà- 
tres, et rangés avec la plus grande symétrie de cha- 
que côté de la queue ; la membrane des flancs est 
très dilatée, et se termine au coude comme dans le 
pétauriste de Péron. Le pygmée habite la Nouvelle- 
Hollande ; et ses habitudes, comme celles des autres 
espèces, sont entièrement inconnues. 


LE PÉTAURISTE A JOUES BLANCHES (1). 


Est une grande espèce à robe grise cendrée et à 
joues blanches, qui vit au Japon, où l’a rencontré 
le voyageur Vansiebold. 


LES POTOUROUS. 
Hypsyprymnus. 


Les potourous appartiennent à l’ordre des marsu- 
piaux , et furent décrits par Vicq d’Azyr et Cuvier 
sous le nom de kangurvo-rat, classés parmi les kan- 
gourous ou macropus par Shaw, dont filiger a formé 
son genre hypsyprymnus, et que M. Desmarest à 
nommé polourous en latinisant le nom de potoroo 
que l'espèce primitivement connue porte chez les 
naturels de la Nouvelle-Galles du Sud, au rapport 
de White. Le mot hypsyprymnos signifie qui est 
élevé de la partie postérieure. 

Les potourous ont les plus grands rapports avec 
les kangourous ; et, par la forme et l’organisation 
de leurs dents, ils font le passage des phalangers à 
ces derniers. Ce qui les distingue surtout est l’appa- 
reil dentaire. Voici ce que nous apprend à ce sujet 
M. Fr. Cuvier ( Dents, p. 155) : trente dents; mä- 
choire supérieure, six incisives, deux canines, deux 
fausses molaires et huit vraies ; mâchoire inférieure, 
deux incisives, canines nulles, deux fausses molaires, 
et huit vraies. 

A la mâchoire supérieure, la première incisive 
est forte, plus longue que les autres, à trois faces, 
arrondies en avant, et droites sur ses deux autres 
côtés ; elle est en outre enracinée profondément, et 
la capsule dentaire reste libre : la seconde est une 
petite dent semblable à l’analogue des petaurus et 


didelphis pygmæa, Shaw, pl. 114, Gen. Zool : petau- 
rista pygmæa , Geoffroy, Cat., Desmarest, Mammalo- 
gie, sp. 421. 

(9 Petaurista leucogenys, Temm., Disc, faune, p, 12. 


453 


des phalangers : la troisième, un peu plus grande 
que la précédente, est tranchante, et se rapproche 
de la forme normale des dents de son ordre. Après 
un intervalle vide vient une petite dent mince, com- 
primée et crochue, servant de canine, et qui, comme 
lanalogue des phalangers, dépend presque autant 
de l'os incisif que du maxillaire. Un large vide suit, 
et la première mâchelière est une fausse molaire re- 
marquable par sa forme singulière, mais dans la- 
quelle on trouve modifiée l’analogue des phalangers; 
elle est longue, mince, en forme de coin, striée sur 
ses deux faces, et dentelée sur son bord. Les quatre 
molaires qui viennent immédiatement après ont de 
l’analogie entre elles, si ce n’est que la dernière est 
plus petite que les autres; et toutes possèdent les 
formes des molaires des phalangers. A la mâchoire 
inférieure, les incisives ressemblent à celles des 
deux genres précédents, et les fausses molaires sont, 
comme les molaires, sans aucune exception, sem- 
blables à leurs analogues de la mâchoire opposée. 
Dans leur action réciproque, ces dents n’offrent rien 
de particulier, si ce n'est que la fice externe de la 
fausse molaire inférieure correspond à la face interne 
de la fausse molaire supérieure. Ce système de den- 
tition, dit M. Fr. Cuvier, nous est donné par quatre 
têtes qui appartiennent certainement à trois ou qua- 
tre espèces, l’une est celle du kanguroo-rat (hypsy- 
prymnus Whilei): les espèces auxquelles les autres 
appartiennent ne nous sont point connues; il est 
alors inutile de leur donner des noms. 

Les caractères extérieurs des potourous sont prin- 
cipalement les suivants : leurs jambes de derrière 
sont beaucoup plus grandes à proportion que celles 
de devant, dont les pieds manquent de pouce, et 
ont les deux premiers doigts réunis jusqu’à l’ongle, 
en sorte, dit M. Cuvier, qu’on croit d’abord n’y voir 
que trois doigts, dont l’interne auroit deux ongles. 
Leur queue est longue et robuste. La poche abdo- 
minale est complète, et renferme deux mamelles. 
Leur estomac est grand, divisé en deux cavités mu- 
nies de plusieurs boursouflures. Le cœcum est mé- 
diocre et arrondi. 

Les potourous ne vivent que d'herbes qu’ils pais- 
sent avec leurs longues incisives coupantes. Ils se 
tiennent dans les broussailles et dans les buissons, 
où ils poussent de petits cris assez analogues à ceux 
des rats. Ils sautent avec force. Bien qu’on ne con- 
noisse qu’une espèce de ce genre, on a acquis la 
certitude qu’il y en a un bien plus grand nombre; 
et déjà, dans un envoi de MM. Quoy et Gaimard, 
adressé de la baie du Roi-Georges au Muséum, 
nous avons reconnu une belle espèce de potourou 
que ces naturalistes auront à décrire. Ces animaux 
sont très mullipliés dans les cantons rocailleux de 
la Nouvelle-Galles du Sud, et notamment aux envi- 
rons de Port-Jackson. Ils se sont aussi présentés aux 


454 


navigateurs sur toutes les côtes occidentales et mé- 
ridionales de la Nouvelle-Hollande. 


LE POTOUROU DE WHITE. 
Hypsyprymnus Wlilei (1). 


Ce potourou a la tête triangulaire, large et un peu 
aplatie par derrière, pointue en avant; le mufle et 
les narines sont placés à l'extrémité du museau, et 
sont séparés dans leur milieu par un sillon longitu- 
dinal; les moustaches sont d’une médiocre longueur; 
la bouche est petite, et la mâchoire supérieure 
s’avance un peu plus que l’inférieure; quelques 
poils noirs surmontent l'œil; les oreilles sont 
courtes, très larges, et velues à leur partie posté- 
rieure. La grosseur du cou donne à cette espèce quel- 
que ressemblance avec les rats, disent MM. Quoy 
et Gaimard. Leurs pattes antérieures sont petites, 
pourvues d'ongles blanchâtres, longs, grêles et ar- 
qués; l’onzle du milieu est plus saillant. Les mem- 
bres postérieurs sont proportionnellement plus 
longs et plus déliés que dans les kangourous. La 
queue est à peu près aussi longue que le corps : elle 
est grêle , écailleuse, presque nue, flexible, et porte 
à terre; son extrémité est terminée par un bouquet 
de poils. La couleur du pelage de cet animal est uni- 
formément d’un gris roux; la gorge, la poitrine, 
le ventre et l’intérieur des membres, sont d’un blanc 
sale ; le dessus de la tête, le dos, une partie des flancs 
et des cuisses, sont d’un gris brun : le bout de la 
queue est brun. Les poils sont de deux sortes : les 
plus profonds sont courts, doux, moelleux et un 
peu floconneux; ils présentent une teinte gris de 


souris lorsqu'on les écarte : les extérieurs sont plus: 


longs, roides et plus rares. Les tarses sont recouverts 
de poils longs, rudes et fauves , dirigés d’arrière en 
avant, et s'étendant ju-qu’à l’extrémité des ongles : 
ceux des paltes antérieures, plus doux, recouvrent 
les doigts. Tels sont les renseignements dont nous 
sommes redevables à 11 description soignée que 
MM. Quoy et Gaimard ont publiée d’après un indi- 
vidu bien conservé, et qui avoit les dimensions sui- 
vantes : longueur du corps, du bout du musrau à 
l'origine de la queue, un pied cinq lignes; de la 
queue, un pied; de la tête, du bout du museau à 
l’occiput, trois pouces; des membres antérieurs, 
trois pouces six lignes; des membres postérieurs, 
huit pouces dix lignes. En général, la taille du po- 
tourou e$t celle d’un petit lapin. 


(") Quoy et Gaimard, Zoologie de l'Uranie, pl. 10: 
potorous murinus et kanqurus Gaimardi, Besmarest, 
Mammalogie, sp 422 et 842: kanquroo-rat, Phillip., 
It, pl 47; White, 1t., pl. 60: kanguroo rat, Cuvier, 
Règ. anim.; 1.1, p. 181 : macropus minor, Shaw, Gen. 
Zool., pl. 126. 


HISTOIRE NATURELLE 


Les potourous ont des meurs très douces, et 
moins timides que celles des kankourous fls sont 
très agiles, et fuient en faisant des bonds considé- 
rables lorsqu'on les inquiète. MM. Quoy et Gaimard 
rapportent qiu'un de ces animaux vint enlever fa- 
milièrement des restes d'aliments, au milieu d’une 
cabane bâtie pour les abriter dans une excursion 
dans les montagnes Bleues, et qu’il s’enfuit par un 
trou à la manière des rats. Nous les avons souvent 
vus, au milieu des rocailles de la Werra-Gambia, 
courir sous les petits buissons qui couvrent cette 
partie de la Nouvelle-Hollande. 

MM. Quoy et Gaimard ont rapporté de l’île 
Birck-Hatichs plusieurs têtes de potourous, qui ont 
à peu près les mêmes dimensions que le potourou de 
White : elles en diffèrent toutefois par l'étendue plus 
considérable de la cavité tympanique, par la lar- 
geur des arcades z\gomatiques, ce qui Îes rappro- 
che de celle du kangourou élégant, et par la briè- 
velé de la voûte palatine. Ces têtes appartiennent à 
une espèce nouvelle pour laquelle ils proposent le 
nom de, potourou de Lesueur, kypsyprymnus Le- 
sueur. 

Péron a déposé au Muséum d'histoire naturelle 
un squelette de potourou dont la tête, longue de deux 
pouces onze lignes, est plus mince, plus pointue et 
plus allongée en cône que les précédentes; les inci- 
sives supérieures miloyennes et les canines ont 
plus de longueur; la caisse du tympan est moins 

éveloppée; les arcades zygomatiques sont plus 
étroites et moins convexes; l’extrémité des os du 
nez dépasse le niveau des dents incisives supé- 
rieures. Sans doute ce squelette est celui qu’a mer- 
tiouné M. Fr. Cuvier. MM. Quoy et Gaimard, après 
lavoir comparé avec le potourou de White, propo- 
sent de le nommer potoroo de Péron, hypsyprym- 
nus Pé on. 


LE POTOUROU OURSON (1). 


Découvert à la Nouvelle-Guinée. I est plus bas 
sur jambes que les autres espèces; son pelage est 
formé de gros poils brun marron; ses oreilles sont 
arrondies, très velues, et sa queue fort longue et 
partout couverte de poils. Le jeune âge a sa livrée 
gris brun lavé de jaunûtre. 

M. Ogilby a fait connoître une nouvelle espèce 
(H. setosus) (?), qui a été découverte sur les bords 
de la rivière des Cygnes-Noirs, sur la côte occiden- 
tale de la Nouvelle-Hollande. Les habitants de 
Sidney l’appellent beftang kanguroo : son pelage 


( Hypsyprymaus ursinus, Temm., Faune Jap., 2. 6, 
note 2. 
(2) Ogilby, Proceed., 1, 149, 


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DES MAMMIFÉRES. 


fauve cendré tire sous le corps au blanchäâtre. Ses 
oreilles sont amples, nues et noires. Sa queue, mé- 
diocrement longue, est grê'e, squameuse, et lé- 
gèrement recouverte de poils courts et rigides. 


LES KANGÜROOS 
OÙ MIEUX KANGOUROUS. 
Macropus, Shaw (!). 


Sont des marsupiaux dont une seule espèce vit à 
la Nouvelle-Guinée, tandis que toutes les autres 
sont propres aux terres australes; ils sont complé- 
tement privés de dents canines, et représentent, 
à la Nouvelle-Hollande, les gerboises de l’ancien 
continent, et nous devons dire que la première es- 
pèce de kangourou, que Cook figura en 1778, fut 
classée avec les yerbua, par l'extrême allongement 
du train de derrière, ce qui lui valut, de Shaw, le 
nom de macropus, qu'Illiger changea plus tard en 
halmaturus. L'inégalité dans les proportions des 
membres rend donc la progression à quatre pattes 
fort difficile, tandis qu'elle facilite l’action de sau- 
ter. Les pieds de derrière possèdent une puissance 
musculaire des plus énergiques, et les kangourous 
s’en servent, pour frapper leurs ennemis, avec une 
force dont on ne les croiroit pas susceptibles. Les 
kangourous sont méchants par nécessité, doux par 
caractère, entièrement herbivores, et s’apprivoisent 
au point d'être de la plus grande familiarité. Leur 
pelage éprouve des variations telles, qu'il est fort 
difficile d’en tirer de bons caractères pour la dis- 
linction des espèces (?). 

Buffon n’a connu qu’une espèce de ce genre, le 
kangourou géant (*), et cependant Valentin ({) et le 
voyageur Lebruyn (5) avoient sous le nom de filan- 
der, de péiandoc d’Aroë, ou de lapin des îles d’A- 
rou des Malais, décrit assez nettement une espèce 
que Gmelin nommoit didelphis Brunnii, et que 
Screber figura pl. 155 de ses portraits d'animaux. 


() Halmaturus, Hiliger (queue propre à sauter ); 
kançurus, Lacép.; Geoffroy Saint-Hil., sur la gestation 
des kangourous, Ann. sc. pal., L IX, p 341 : Férussac, 
Boll., t. XXHE, p. 265; sur les glandes maminaires, Bull, 
t. XXI, p. 266. 

() M. Coste, pendant son séjour en Angleterre, a pu, 
g'âce à l'obligeance de M. Owen, disséquer un œuf de 
ka :guroo Au lieu de trouver seulement, comme cet ha- 
bile anatomiste, une seule vésieule sortant du ventre de 
l'embryon, ils en ont trouvé deux; or, la premiére ayant 
élé bien reconuue pour l’allantoïde, l’autre ne pouvoit 
être que ia vésicule ombilicale. (L'Hermès, no 95, 
p. 169 ) 

(©) Didelphis gigantea, Gm.; macropus major, Shaw. 

{#} Amboina, £. Eli, p. 272. 

(5) Voy. aux Indes, t. 1, p. 347, fig, 213. 


459 
Nous appelâmes les premiers Patteïtion sur ce 
mammifère, que nous retrouvèmes à la Nouvelle- 
Guinée, où les Papous le nomment podin (1), et 
que viennent de représenter MM. Quoy et Gaimard 
dans la partie zoologique du Voyage de l’Astro- 
labe (?). Son peiage est gris brun en dessus, gris 
fauve en dessous. Son museau est largement rosé. 
Il a vingt-deux pouces de longueur, et la queue a 
douze pouces. Il habite les Moluques, l'ile de Wai- 
giou et la terre des Papous. Les naturels nous don- 
nèrent ce mot podin pour nom indigène, et kopenn 
à MM, Quoy et Gaimard. 

Les vrais kangourous des terres australes sont : 
4° Le GÉANT (macropus giganteus, Shaw) (3), ou 
kangourou à moustaches, qui est le plus grand des 
mammifères que nourrit la Nouvelle-Hollande, car 
il atteint jusqu’à six pieds de hauteur. Les colons le 
recherchent pour sa chair, b'en qu’elle soit uv peu 
coriace. Son pelage est gris clair, moins foncé en 
dessous ; ses extrémités sont noires. Il vit en trou- 
pes. que l’on dit être conduites par de vieux mäles, 
et fait des bonds énormes quand il veut fuir. El s’est 
éloigné des environs de Sydney, au fur et à mesure 
que les colons abattoient les forêts, et se trouve re- 
légué aujourd’hui au-delà des plaines de Bathurst 
et des montagnes Bleues. 2 Le KANGOUROU PORTE- 
LAINE (ME. laniger) (4), à pelage laineux, frisoté, 
entièrement d’un beau roux cannelle; des alentours 
du port Macquarie. 5° L’ENFuMÉ (M. fuligino- 
sus), d’un brun fuligineux uniforme, le sommet de 
la queue excepté, qui est roux. 4° Le BANKSIEN 
(M. banksianus), encore peu connu, d’un roux 
vif, ayant des taches fauves sur la tête, et que les 
nègres des montagnes Bleues nomment waring. 
5° Le RUFICOL (4. ruficollis), blanciäâtre sur le Corps 
et les flancs, le cou en arrière, d’un roux vif: de l’île 
King. 6° Le ROUx-GRIS (ML. rufo-griseus), roussâtre 
en dessus, plus clair en dessous, les pieds et le 
bout de la queue fauves ; de la Nouvelle-Hollande , 
sans indication précise de localité. T° L'EUGENE 
(M. Eugenii), blanc fauve, roux en devant, blan- 
châtre en dessous . de l’ile d'Eugène, où il vit par 
troupes. 8° L’ouALABAT (M. ualalabus) 5), ou han- 
gourou de buisson des colons de Sydney. 

Nous conservons à cet animal (f) le nom qu’il porte 


() Zoo!. de la Cogq.,t.1, p. 1463; macropus veterum, 
Less. Man. 1827, p. 227 ; Fisher, Syn:p., 1. 283. 

(2) AUas, pi. 20, LU I, p, 116. Æ., capite longo, obtuso; 
Corpore suprà fusco griseo, infrà griseo fulvo; mem- 
bris robustis ; auribus minimis. 

(3) Misc., 1290, LE, pl. 33 

(4, Quoy et Gaim., Ur., pl. 9, p. 65. 

(5) Lesson Zool. Coq., pl. 7, p. 461. 

(6, Kangurus bicolor, Vélins du Muséum, el Nouveau 
Dictionnaire d'Histoire naturelle, premiére édition : 
kanguroo d’Aroé, kangurus Brunii, Desmarest, Mam- 
malogie, sp, #29 : non le didelphis Brunii de Gmelin 


456 


chez les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. On 
en trouve dans les Vélins du Muséum (tom. IV, 
n° 18) une figure inédite, peinte d’après une peau 
en mauvais état, qui provient du cabinet du Sta- 
thouder. Mais nous pensons que c’est par erreur 
qu'on lui a donné, dans plusieurs ouvrages francois, 
le nom de kangourou d’Aroë, en lui appliquant à 
tort les courtes descriptions du flander de Valentyn 
(Amb., t. IT, p.272 ), etde Lebruyn ( Voyage aux 
Indes . Le kangourou d’Aroë, habitant des climats 
placés sous l'équateur, diffère notablement du kan- 
gourou-oualabat, qui est très commun dans le dis- 
trict de Cumberland , à la Nouvelle-Galles du Sud, 
et par des latitudes assez éloignées du tropique du 
Capricorne. Chaque jour on observe cette espèce en 
abondance au marché de Sydney, où elle est connue 
sous le nom de kangourou de buisson que lui don- 
nent les colons anglois. 


Le kangourou-oualabat est à peine de la moitié 
de la taille du Æ. labiatus ou macropus major de 
Shaw. Il a le même aspect et les mêmes formes que 
les autres kangourous de l’Australie. Cependant son 
mufle est moins prononcé que dans les grandes es- 
pèces : ses extrémités antérieures sont minces; les 
oreilles sont allongées , le museau est plus effilé, 
les membres postérieurs sont robustes, et la queue 
est forte et longue. 


Les poils du museau en dessus sont courts et 
noirs, ceux du front sont gris ; des poils plus fins 
et plus longs bordent la lèvre supérieure et le des- 
sous de l’inférieure. Les joues sont assez velues, gri- 
ses, ainsi que la gorge. Les oreilles sont ovalaires, 
pointues, nues en dedans, garnies extérieurement 
d’un poilres, de couleur noire au sommet, et d’un 
roux vif à la base. Les deux dents incisives supé- 
rieures sont un peu plus longues que les latérales : 
celles d’en bas, courhées en avant et séparées l’une 
de l’autre, se terminent en pointe mousse. L’occi- 
put est légèrement fauve. Les membres et le dessus 
du corps sont revêtus de poils longs, droits, mous, 
gris à leur racine, blancs jaunâtres à leur pointe, et 
comme annelés de noir et de blanc. La teinte des 
flancs est claire, tandis que celle des lombes et du 
dessus de la queue est d’un brun foncé. Cette der- 
nière partie est abondamment recouverte de poils 
très noirs et plus fournis en dessus et à son extré- 
mité, où ils forment une touffe de couleur roussà- 
tre. Deux taches d’un gris brun uniforme occupent 
le dessous des épaules. Tout l’abdomen, la poi- 
trine et la gorge sont recouverts d’un poil plusépais, 
plus grossier, tirant sur le jaune roux. Le feutre est 


et de Valentyn: la phrase spécifique du Systema Na- 
ture est: Caud& brevi, calva, pedibus posticis longio- 
tribus tridactylis : oualahat des naturels des environs 
de Sydney, 


HISTOIRE NATURELLE 


d’un gris cendré ; les poils des mains et des pieds, 
ainsi que les ongles, sont d’un noir intense. 

Les dimensions de l'individu figuré sont les sui- 
vantes : 


Pieds. Pouc. Lig. 
Longueur totale, du bout du museau à 


l'origine de la queue. . . . 2 3 6 

= UB IHIQUEUC: 2) 2: Le 0 PES 

———— de la tête. . . : à: . . »E 4" 6 

—————\des, oreilles: MI LUS RUE 
————— du bout des ongles jusqu'au 

CONTES Ras is SR US CNE EN 


————— de la cuisse jusqu'autalon. . » 9  » 
— du talon à l'extrémité de l'on- 


gle:du; milieu.05: ME SN ETAT 6 
————— des ongles dela main, . . . » » 7 
—— des ongles du doigt du milieu 

dupe, MST RC TER 


Tels sont ies caractères spécifiques du kangourou- 
oualabat, qui est parfaitement décrit dans la Mam- 
malogie de M. Desmarest sous le nom de kanguroo 
d'Aroë (n° 429; ett. XVII, p. 42, Nouveau Dic- 
tionnaire d'Histoire naturelle# 2° édition); mais 
comme il est extraordinairement abondant aux alen- 
tours du port Jackson, et par conséquent dans une 
zone assez froide de la Nouvelle - Hollande , on 
conçoit qu’il ne peut être le pélandoc (1) ou lapin 
d’Aroé, propre au climat brûlant des Moluques et 
du nord de la terre des Papous. C’est très probable- 
ment ce dernier, encore inédit, que notre commis 
aux revues, M. Gabert, se procura, pendant notre 
relàche , à la Nouvelle-Guinée. Cet animal, que cet 
officier acheta à des Papouas, fut conservé en vie 
pendant quelques semaines à bord de notre navire, 
et disparut un jour sans que personne püt savoir ce 
qu'il étoit devenu ; probablement il tomba à la mer. 
Il eût été d’un haut intérêt à faire connoître , et eût 
levé tous les doutes sur la véritable espèce décrite 
par Valentya et par Lebruyn, comme le représen- 
tant naturel et le premier type, sous l’équateur et 
dans les iles Moluques, d’un genre nombreux en 
espèces sur les terres de la Nouvelle-Hollande. 

Ainsi donc l'animal que nous nommons provisoi- 
rement kangourou d’Aroé ( kangurus velerum, 
Less.) est appelé podin par les Papouas du havre 
de Doréry à la Nouvelle-Guinée. IL présente tous 
les caractères extérieurs des kangourous australiens, 
quoiqu'il en diffère par les dimensions des mem- 
bres. Sa taille est celle du lièvre commun : ses oreil- 


(") Le nom de pélandor est une faute typographique 
copiée par tous les naturalistes successivement. Valen- 
tyn dit: « Le filander est nommé pélandoc-Aroëé par les 
Malais, chat d'Arou par les Hollandoïs, et aijir par les 
naturels d’Arou. » Quant au nom de chat d'Arou, ilest à 
présumer que Valentyn ici confond le phalanger avec le 
filander. ( Valentyn, Amboine, t. II. p.272.) 


DES MAMMIFÉRES. 


les sont proportionnellement plus courtes que dans 
les autres espèces connues. Sa tête est arrondie , à 
museau plus conique et moins rétréci que dans l’oua- 
labat. Le cou est moins grêle. Les membres anté- 
rieurs sont plus allongés, plus forts, et plus robus- 
tes ; ceux de derrière sont moins longs et plus gros. 
La queue est d’un tiers plus courte. Son pelage est 
uniformément brun sur les parties supérieures du 
corps, passant au gris sur les parties inférieures. Le 
caractère de l'individu qui vécut à bordétoit très doux 
ettrès paisible. fl aimoit la viande, quoique ce genre 
de nourriture ne füt pas approprié à son organisation. 
11 flairoit les aliments qu’on lui présentoit, à la 
manière des autres kangourous, et, comme eux, il 
les saisissoit avec ses deux mains. Nous éprouvons 
le regret de ne pouvoir fournir de plus complets 
renseignements sur une espèce inconnue des z00- 
logistes, et qu’il eût été si intéressant d'ajouter à 
nos collections. 

Nul doute que Valentyn, en parlant d’un animal 
de Banda et des iles d’Arou, placées presque sur 
les côtes de la Nouvelle-Guinée, n’ait eu en vue le 
kangourou dont nous parlons ici; et que c’est à tort 
qu’on a pris pour lui le Æ. oualabat , qui vit exclu- 
sivement dans des latitudes plus élevées. 

Quant au filander décrit par Lebruyn (1) (t. 1, 
p. 547, fig. 215), et dont ce voyageur donne une 
assez médiocre figure, il seroit possible que ce fût 
encore le pélandoc; et voici textuellement ce qu’il 
en dit : 

« Etant à la maison de campagne de notre géné- 
ral (ilede Bantam) , je vis un certain animal , qu’on 
nomme filander, lequel a quelque chose de fort sin- 
gulier. Il y en avoit plusieurs qui couroient en 
toute liberté avec des lapins, et qui avoient leurs 
. tanières sous une petite colline entourée d’une ba- 
lusirade. Les jambes de derrière sont beaucoup plus 
longues que celles de devant; et cet animal est à 
peu près de la grandeur et du poil d’un gros lièvre, 
et a la tête approchant celle d’un renard, et la queue 
pointue. Mais ce qu’il y a de plus extraordinaire, 
c’est qu’il a une ouverture sous le ventre, en forme 
de sac, dans laquelle ses petits entrent et ressortent, 
même lorsqu'ils sont assez gros. On leur voit assez 
souvent la tête et le cou hors de ce sac ; mais lors- 
que la mère court, ils ne paroissent pas, et se tien- 
nent au fond, parce qu’elle s’élance fort en courant. » 

9° Le K. De LABILLARDIÈRE ( M. Billardieri), à 
oreilles courtes, à pelage blanchâtre, lavé de fauve, 
tirant au roussâtre en dessous, de la Terre de Van 
Diémen. 40° Le bagari des nègres australiens, le 
silver où brush kanguroo des colonistes ( M. ele- 
gans, Lamb.) (?), médiocre, à pelage satiné, les 


(‘) Voyages de Corneille Le Brun (Lebruyn)}), par la 
Mo:covie, en Perse et aux Indes orientales ; 1718,in-#4. 
() Linn, Trans., t. VU, pl. 16, p. 318, 
Le 


457 


oreilles obtuses, et les pieds de devant pentadacty- 
les. 11 est excessivement rare , et vit solitaire. 44° Le 
KANGOUROU À COURTE QUEUE (M. brachiurus) (1), 
brun, tacheté de noir, roux sur le ventre, ayant 
des poils longs et droits, de petites oreilles arron- 
dies, et une queue très courte. Il habite le port du 
Roi-George:. Il n’a guère que vingt-cinq pouces de 
longueur, et la queue n’a que sept pouceset demi (2). 

Le capitaine Parry a offert à la Société zoologique 
de Londres un kangourou à queue en pinceau (ma- 
cropus penicillatus, Gray), chez lequel la queue 
très mince à sa naissance et très touffue dans le 
reste de son étendue, indique , suivant M. Bennett, 
la nécessité de former un nouveau sous-genre parmi 
les animaux rangés dans les macropus. I est de 
fait que, chez les vrais kangourous, la queue est ro- 
buste, assez puissante pour former un levier qui tient 
lieu de cinquième membre locomoteur à ces sin- 
guliers mammifères australiens. M. Bennett indique 
encore une légère modification de forme à la dent 
incisive latérale, qui est bilobée. Ce nouveau kan- 
gourou paroit très rare, et a été observé pour la 
première fois dans les plaines de Liverpool, de Ja 
Nouvelle-Galles du Sud, par M. Hall. Ilsembleaimer 
par préférence les terrains montueux, ou il se creuse 
des tanières dans lesquelles il se réfugie quand il 
est poursuivi. Ses mœurs sont d’une grande sauva- 
gerie. Il se pourroit que cette espèce fût le gunar 
des Australiens, que les peuplades noires de cette 
partie du monde dirent à M. Bennett exister vers 
Peran-Plains, et ne différer des autres kangourous 
que par sa tête imitant celle du lièvre, et sa queue 
garnie de crins floconneux et abondants. 

A cette section des macropus à queue en pinceau 
viendroit s’adjoindre ja nouvelle espèce nommée par 
M. Bennett le KANGOUROU DE Parry ( macropus 
Parryii) (*), ayant de longueur totale cinq pieds 


(") Quoy et Gaim., Astrol., pl. 19, p. 114. 

() M. Jourdan, de Lyon, vient de faire connoître trois 
nouveaux mammifères du Brésil, des Philippines et de 
la Nouvelle -Hollande, qu'il considère comme types 
d'autant de genres : le genre heteropus, appartenant à 
la famille des kanguroos;le genre acerodon, faisant 
partie de la famille des roussettes; le genre nelomys, 
genre des rongeurs, démembré de celui des échymis. 

Le genre heleropus se distingue des kanguroos vrais 
et des halmaturus par les caractères suivants : les jam- 
bes postérieures sont courtes et trapues; l'ongle da 
troisième doigt en dépasse à peine la partie charnue; 
ilest pelit, émoussé, et assez semblable 4 un ongle de 
chien. L'espèce qui sert de type à ce genre, l'heteropus 
à gorge blanche, provient des montagnes siluées au 
sud est de Sydney, Nouvelle-Holiande. D’après le rap- 
port des habitants, il vit dans les montagnes arides, peu 
boisées, marchant plutôt qu’il ne saute. (Hermés, 
Do 92, p. 156.) 

(6) Macropus rhinario lato ; auriculis elongatis me- 
diusculis ; caudà corpore sublongiore, pilis rigidis 

)8 


158 


quatre pouces, la queue entrant dans ces dimen- 
sions pour deux pieds six ponees. Le pelage de cet 
animal est généralement d’un gris ardoisé elair ; ses 
oreilles sont presque rues, sou museau lui-même a 
une portion dénudée beaucoup plus large que 
chez les autres espèces , el ses joues sont traversées 
par une large bande blanche. Les naturels du port 
Siephens (situé par 32 degrés sud) le connoissent 
sous le nom de wall :rou. M s'apprivoise aisément, 
et bien que mis en liberté pour aller dans les buis- 
sons paitre chaque nuit , l’individu observé ne man- 
quoit jamais de se rendre à deux heures du matin 
dans le lieu qu’on lui avoit consacré comme habita- 
tion. 11 mangeoit, au reste, de la viande, du pain et 
des végétaux, et cela avec la même eppétence. 
M. Owen, en disséquant cet animal, qui mourut à 
son arrivée à Londres, et comparant son organisa- 
lion viscérale avec celle du grand kangourou, a 
trouvé quelques difiérences dans les replis mem- 
braneux du tube digestif et de plus a signalé les 
points d’asalogie qu'a l'estomac avec celui des ru- 
minants. 

M. Fr. Cuvier réserve le nom d'halmalurus aux 
kangourous, dont la queue est dénudée, et qui ont 
de chaque côté cinq molaires. 

Cette petite tribu ne renferme que deux espèces : 
40 LekaxGocrnOU À BANDES (K. fasciatus, Péron) (1), 
d’un roux grisâtre , rayé en travers sur le dos de 
bandes rousses et fauves, la queue terminée de noir. 
EL vitsur l’ile Bernier > Le K. ruéris(H. thetidis, 
Fr. Cuvier } 2), roux cendré, plus clair en dessous, 
les flanes blanc jaunâtre , les côtés du cou rouges, 
la queue noire, écailleuse. Le corps mesure vingt- 
cinq pouces, et la queue vingt. Hi est de la Nouvelle- 
Galles du Sud. 


LES KOALA, COALA OÙ KOLOK. 


Lipurus, GoLpr. (5). 


Ont le corps trapu, les j:mhes courtes, nul ves- 
tige de queue, cinq doigts aux extrémités antérieures, 
se partageant en deux groupes pour saisir le pouce 
et l'index d’un côté, les trois autres doigts de l’autre. 
Le pouce manque aux pieds de derrière, et les deux 
premiers doigts sont réunis comme chez les phalan- 
gers et les kangourous. Les ongles sont forts et très 


brevibus incumbentibusvestitä:notæo grisco; jastræo 
pallido ; fascià genarum, caudûâque pro marimä par- 
te, albis, hâc ad apicem nigra Procecd. #, 151. 

(:, Péron et Less., Voy. pl. 27. (Atlas, pl. 35—1 

G) Buffeuil, Voyage de 12 Thélis, avec figure peinte 
par Bessa, 

(3) Phascolarctos, de Blainv.: koala, G, Cuv.; mero- 
dactylus, Cuy,; wombatus, Knox, 


HISTOIRE NATURELLE 


propres à fouir. La seule espèce eennue, dont 
AL. Crifhith a donné une figure que nous avons re: 
produite (1), est le KOALA wOMBAT DE FLINDERS 
(lipurus cinereus, Gold.) (), cendré, le museau 
noir. La mère porte son petit sur son cou, se tient 
dans les arbres ou dans les terriers qu’elle se ereuse, 
sur la côte méridionale de la Nouvelle- Hollande. 


LES PHASCOLOMES. 


Phoscolomys. GEOFFr. 


Sous ce nom, tiré du grec, et qui signifie rat 
muni d’une poche, M. Geoffroy Saint-Hilaire a créé 
un genre de la famille des marsupi:ux pour rece- 
voir un animal apporté de la Nouvelle-Hollande 
par Péron, et qu’il nommoit » ombat. Bass, chirur- 
£gien de l’expédition de Flinders, décrivit aussi sous 
ce nom de wombat un animal qui, aux formes du 
phascolome joignoit des différences notables dans le 
système dentaire, dont M. Cuwier a fait son koala 
{ Règne animal, t. X, p. 184); et M. de Blainville 
son phascolarctos. Iliger 1 emier avoit toute- 
fois, dans son Prodrome, proposé, sur la simple et 
incomplète indication de Bass, le nom générique 
d’amblotis. Enfin récemment M. Knox, discutant 
d'une manière diffuse tout ce qui avoit été fait par 
ses devanciers , adopta le nom générique de wom- 
batus, et rangea comme deux espèces de ce genre 
ainsi constitué le phascolarctos ou koala et le phas- 
colome. Cette opinion n'est pas basée assez solide- 
ment pour faire loi; et M. de Blainville s’est pro- 
noncé trop formellement pour l'existence du koala, 
pour qu’on puisse douter de sa séparation du genre 
phascolome. 

Ce dernier possède les dents et les intestins des 
rongeurs, quelques caractères des carnassiers, et 
l’organisation ma: supiale des didelphes. Il est done 
un de ces nombreux exemples des lois d'exception 
que présente la Nouvelle-Hollande pour les animaux 
qu’elle produit. 

La seule espèce décrite de phascolome avoit été 
rangée par Shaw, qui le premier Îa fit connoître, 
dans le genre didelphis, où eet auteur entassoit pêle- 
mêle et sans ordre tous les animaux , quels qu'ils 
fussent, pourvu qu’ils eussent uné double poche. 
M. Geoffroy Saint-Hilaire établit les prineipaux ca- 
ractères du genre dans le tome IT des Annales du 
Muséum (1853). 

Les dents du phascolome sont au nombre de vingt- 
quatre. Chaque maxillaire offre deux incisives, point 
de canines, et dix molaires. Suivant M. Fr. Cuvier 


(6) Atlas, pl. 31. 
(2) Phascolarctos fuscus, Desm,; Screb,, pl, 55, A, 


JTTAAAN 


tt 


Le FU d'après 2 27/L 


( 
Phascolarctos fuscus, Les 


) 
ublée par Pourrat F à Farë 


cl Aedttri, 


Phasco omvs Vormoat, 
t 


Prblepes l'ourret ÆE a farte 


DES MAMMIFERES. 


{ Dents, p. 139), à la mächoire supérieure les inci- 
sives sont très fortes, et paroissent être de vérita- 
bles défenses : elle: sont arquées, de forme elliptique 
et à couronne plate. Après un grand intervalle vide 
vient la première molaire, qui, comme toutes les 
autres, est une dent sans racines, c’est-à-dire à la 
base de laquelle la capsule dentaire reste libre : elle 
est simple, et de forme à peu prèsellipuique. Toutes 
les autres, de même grandeur, sont composées de 
deux parties semblables à la première, réunies au 
bord externe ; de sorte que vers leur côté interne 
elles sont séparées par une profonde échancrure, 
tandis qu’un | ger sillon seulement les isole vers le 
côté opposé. La partie postérieure de la dernière est 
moins grande que l’intérieure, et à peu près circu- 
laire. La surface de leur couronne est lisse, et pré- 
sente dans chaque partie un milieu entouré d’émail 
et formant une crête relevée. À la mâchoire infé- 
rieure , les incisives et les molaires sont semblables 
à celles d’en haut; seulement la dernière molaire 
est composée de deux parties égales, et la grande 
échancrure de ces dents est vers leur côté externe. 
Toutes les dents sont opposées couronne à couronne, 
de sorte que, dans la mastication, elles paroissent 
agir toutes également. 

Les caractères zoologiques du genre sont : un 
corps épais, raccourci, à formes lourdes ; une tête 
grosse, aplatie; des oreilles courtes; des yeux mé- 
diocrement ouverts, très écartés; des pieds à cinq 
doigts, les antérieurs armés d’ongles c ochus et ro- 
bustes, propres à fouir ; le pouce des pieds de der- 
rière très petit et sans ongle ; les trois doigts inter- 
médiaires à demi engagés par les téguments com- 
muns; le doigt externe tout-à-fait libre ; une poche 
abdominale chez les femelles ; la queue très courte, 
à peine apparente. 

Les membres antérieurs sont claviculés : le cœ- 
cum, muni d’un appendice vermiforme, est très 
petit et très g êle, suivant M. Geoffroy; robuste et 
très gros, suivant M.C :vier. Le mâle a des os mar- 
supiaux : la verge est située derrière les testicules, 
et sort de la partie antérieure de la commissure de 
l'anus ; elle n’est pas bifurquée, mais le gland est 
terminé par deux tubérosités. Les os de l’avant-bras 
et ceux de la jambe ne sont pas soudés ensemble, 
ce qui permet à ces membres d'exécuter avec aisance 
les mouvements de pronation et de supination. La 
marche des phascolomes est plantigrade; et leur 
encolure a la plus grande analogie, en petit, avec 
celle de l’ours. 

Les wombats sont des animaux très lourds, se 
ramassant en boule, doués d’une grande douceur 
de caractère, se creusant des terriers où ils se re- 
tirent pour dormir pendant le jour, tandis qu'ils 
paroissent ne rechercher leurs aliments que pendant 
la nuit, Ils vivent exclusivement d'herbes à leur 


459 


état de liberté, tandis qu’en domesticité ils ne dédai- 
gnent ni le pain, ni les fruits, les racines, les her- 
bages,et même le lait. La femelle fait trois ou quatre 
petits par portée, et en a le plus grand soin. Péron 
rapporte que les pêcheurs de phoques vivent de la 
chair de phascolome, qui est fort bonne; aussi 
M. Cuvier a:t-il exprimé plusieurs fois le désir de 
voir naturaliser en France un animal aussi utile, et 
qui fourniroit à nos basses cours un quadrupède 
d'autant plus précieux qu’il seroit peu difficile à 
acclimater et à nourrir. On n’a, jusqu’à ce jour, 
trouvé le wombat que sur les îles du détroit de Bass 
et sur les côtes-sud de la Nouvelle-Hollande, où il 
devient de jour en jour plus rare. Encore quelques 
années, et le wombat privé de tout moyen de dé- 
fense, n’existera plus que sur les listes zoologiques 
dressées par les naturalistes. Une seule espèce ap- 
parlient à ce genre. 


LE PHASCOLOME WOMBAT. 
Phascolomys wombat (1). 


Dans l’âge adulte cet anin:al attei t la taille du 
blaireau ; son prlage est très fourni, d’un brun plus 
ou moirs jaunâtre ou plus ou moin foncé en bru- 
nâtre, et sa nature est grossière; chaque poil est 
d’un brun clair à la base ensuite marqué d’un petit 
anneau roussâtre, puis l’un large anneau blanc sale, 
surmonté d’un cerele brun roux étroit, et la pointe 
est brune. Les teintes de la poitrine sout plus fon- 
cées que celles du reste du cerps. 

Péron et Lesueur , en représentant dans la plan- 
che 58 de leur Atlas deux phascolomes, ont donné 
aux quatre petits qui y sont figurés, ainsi qu'à la 
femeile, une teinte fauve assez claire, tandis que 
le mâle est d’un brun ardoisé uniforme. La meil- 
leure figure que nous puissions citer des animaux 
de ce genre est celle de Maréchal, qui fait partie 
des belles gravures publiées d’après les Vélins du 
Muséum. 

Le wombat trouvé par Péron dans l’île King pa- 
roit : xister sur la plupart des petites îles semées dans 
le détroit de Bass. 


1) Péron et Lesueur, Voyage aux Terres Austraics, 
pl! 58; Desmarest, Mammalogie, sp. 431 : phascolo- 
mys, Geoffroy, Annal. du Mus., t. I, p. 36#: womba- 
tus fossor, Geoffroy, Catalogue: phascolome brun, 
Desmarest, Dictionn. d’Hist. nat., 1. XXV : phascolo- 
mys Bassii, Lessor, Manuel, Manu , Sp- 613: didel- 
phis ursina, Shaw: Wombat, Cuvier, Kégne animal, 
t.1, p. 185. 


460 


LES MONOTRÈMES 
OU LES PARADOXAUX. 


Les monotrêmes (!) sont de tous les mammifères 
ceux qui présentent l’organisation la plus paradoxale 
ou la moins normale. Des volumes entiers ont déjà 
été écrits à leur sujet, et les plus vives controverses 
ont été émises sur leur organisation et sur les fonc- 
tions qui en découlent. C’est surtout leur mode de 
reproduction qui à fait naître le plus de doutes. 
Quant à leur classification, les idées sont loin d’avoir 
arrêté la place qu’ils doivent occuper dans la série 
animale. M. Cuvier place les monotrêmes à la suite 
des édentés de Blainville (?), dans une sous-classe 
des didelphes anomaux, à la fin de la serie des 
mammifères. M. Latreille les rejette dans sa seconde 
classe, en les séparant en deux ordres : les macro- 
glosses, l’échidné et les pinnipèdes, l’orxitho- 
rhynque. Enlin, quelques auteurs les placent sur 
les confins des oiseaux et des reptiles, comme un 
lien intermédiaire qui les unit aux animaux à ma- 
melles. 

Les monotrêmes n’ont donc qu’un cloaque et une 
ouverture extérieure pour la semence, l'urine et la 
défécation. Ils n’ont pas de poche abdominale, mais 
la présence des os marsupiaux atteste l'état rudi- 
mentaire ou l’ébauche de cette poche. L’urètre 
s'ouvre dans le cloaque, et dans le repos la verge 
enveloppée d’un fourreau peut sortir par une ou- 
verture qui en occupe le fond. Deux canaux tien- 
nent lieu de trompes et de matrice, et s'ouvrent 
chacun par un double orifice dans le canal urétral, 
qui est largement ouvert dans le cloaque. Leur gé- 
nération est ovivipare, et l'enveloppe de l'œuf, 
membraneuse, se déchire pour laisser sortir le fœtus. 
On ignore comment peuts’opérer la lactation. Meckel 
indique comme glandes mammaires des corps glan- 
doleux, occupant les côtés du corps, et que M. Geof- 
froy (3) regarde comme l’analogue de l’appareil que 
présentent les musaraignes, les desmans; glandes 
qui sécrètent un liquide odorant, et probablement 
huileux, destiné à rendre la peau des animaux qui 
vont dans l’eau peu impressionnable à de longues 
immersions (4). Enfin, les mêmes anomalies que 
présentent les parties molles se reproduisent dans 


(r) « Monotrémes, nom d’un ordre d'animaux qui 
> lient autant des marmmifères que des oiseaux ; cet or- 
» dre ou classe est composé des genres ornitaorhynque 
» et échidné. » (Geoff. Saiot-Hil., Phil. anat ,t.….) 

( Dissertation sur la place que la famille des ornitho- 
rhynques et des échidnés doil occuper dans les séries 
raturelles, thèse in-4o, 1812. 

(8)Mém. lu à l'Ac. des Sc., 3 janvier 14827. 

(:) Ann. sc. nat., t, If, p. 79. 


HISTOIRE NATURELLE 


le squelette, et une clavicule commune aux deux 
épaules est tout-à-fait l'équivalent de l’os de la four- 
chette chez les oiseaux. De plus, les mâles ont aux 
pieds de derrière un ergot particulier percé d’un 
tube, et qui aboutit par des canaux à une glande oc- 
cupant la région interne de la cuisse. On a supposé 
que cette glande sécrétoit un fluide vénéneux, bien 
qu'on n'ait aucun exemple d’accidents survenus par 
suite de blessures (1). 

Tout est done anomal dans les monotrêmes ; leurs 
mâchoires sont sans dents, à moins qu’on ne prenne 
pour des dents, chez les ornithorhynques, deux 
tubercules fibreux, aplatis et quadrilatères, n’ayant 
ni matière osseuse, ni émail dans leur texture. Leurs 
pieds sont tous terminés par cinq doigts, leurs mem- 
bres courts. [ls vivent exclusivement à la Nouvelle- 
Hollande. 


—_—_—_——_——_——_—————Z2 mé 


LES ÉCHIDNÉS. 


Echidna, Cuv.; tachyglossus, ILL1G. 


Ont leur museau allongé et mince, terminé par 
une bouche très petite, à travers laquelle passe une 
langue très extensible, à la manière de celle des 
fourmiliers ; aussi leur a-t-on donné le nom de 
fourmiliers épineux. Leur corps est ramassé, re- 
couvert de forts piquants, parfois entremélés de 
poils, comme celui des hérissons. Leur palais est 
garni de quelques petites épines qui remplacent les 
dents dont sont privées les mâchoires. Leurs pieds 
courts sont terminés par cinq ongles fouisseurs très 
robustes. Leur queue est à peine apparente, et leur 
verge présente à son sommet quatre tubercules. Ce 
sont des animaux nommés hedges-hogs, cochons de 
buissons ou hérissons par les Anglois colonistes de 
la Nouvelle-Galles du Sud ct de la Terre de Diémen, 
seules contrées où l’on ait rencontré ces animaux. 
C’est principalement dans les montagnes Bleues 
que se tiennent les échidnés qui vivent d'insectes, 
et surtout de fourmis qu'ils saisissent avec leur lon- 
gue langue gluante. Ils se tiennent cachés sous terre 
lors des sécheresses, ne sortent qu'au temps des 
pluies, et peuvent supporter sans inconvénients de 
longs engourdissements. Ils se roulent en boule, à 
ce que l’on assure, au moment du danger. Les 
deux espèces admises dans ce genre ne sont regar- 
dées, par beaucoup de zoologistes, que comme des 
variétés d'âge, de sexe ou de localité d’une unique 
espèce. Shaw en donne la première figure (?) sous le 


«) M. Benrett affirme, dans une lettre écrite à 
M. Owen, avoir tué une femelle dont la glande mam- 
maire trés développée sécrétoit du lait. (Proceed., 1, 
p. 82:) 

(2) Atlas, pl. 52: Myrmecophaga aculeata, Shaw, Nal. 
misc., t. I, pl. 109. 


AUD D If JDAINO] AD 1]0Y 


ee FF CISUNZ VUPIU9", 2271 , 6 
D NTM COPIE 2772, HE 


DES MAMMIFERES. 


ñom de fourmilier épineux; sir Éverard Home le 
distingua par l’épithète d’'ornithorhynque héris- 
son (!). C’est l’echidna histrix de Cuvier, recouvert 
en entier par de gros piquants. On en a distingué, 
sous le nom d’echidna selosa , une variété ou une 
espèce dont les piquants sont entremélés et à moitié 
cachés par des poils épais, nombreux et de couleur 
marron (?). 

Les mœurs de l’échidné ont été étudiées par 
M. Garnot; le lieutenant Meton (Proceeill. 4,25) 
dit en avoir conservé un individu que le froid fit 
mourir lorsque le vaisseau qui le portoit doubla le 
cap de Horn. Il avoit été pris dans les montagnes 
Bleues, où l’espèce devient de jour en jour plusrare. 
Avant son embarquement, cet échidné fut nourri 
avec des œufs de fourmi et du lait, et à bord du 
vaisseau , avec des œufs broyés avec un peu de foie 
ou de viande. Il buvoit beaucoup d’eau, et sa ma- 
nière de prendre les aliments avoit cela de remar- 
quable , qu’elle rappeloit celle du caméléon, c’est- 
à-dire qu’il tiroit la langue en Ja déjetant sur le côté, 
et s’en servant pour tirer les aliments dans sa bou- 
che. Cette langue est comme revêtue d’une matière 
tenace qui englue les substances dont l’animal se 
nourrit. M. Meton donne les moyens qui lui sem- 
blent les plus convenables pour préserver cet inté- 
ressant et rare animal des accidents de la naviga- 
tion , et pour l’amener vivant en Europe. Il paroit 
que ses déjections exhalent une odeur des plus 
fétides. 


LES ORNITHORHYNQUES. 
Ornilhorhyncus, BLux (3). 


Sont remarquables par l’étrangeté de leur museau 
élargi, aplati, et ayant sur ses bords des lamelles 
transverses comme le bec de certains canards. Des 
tubes fibreux remplacent les dents au fond de la 
bouche. Leur corps bas, couvert de poils serrés, 
aplatis, leur queue déprimée en rame, leurs pieds 
de devant débordés par une large membrane nata- 
toire, membrane qui ne dépasse pas la racine des 
ongles aux pieds de derrière, en font des animaux 
essentiellement aquatiques. 

Leur langue semble être double, par un repli qui 


(" Ornithorhynchus aculeatus. 

(* Consultez pour l’anatomie de l’échidné Quoy et 
Gaim., Zool. de l’Astrol., t. I, p. 118,et pl. 21 : Owen, 
Proceed., t. II, p. 179 : sur ses mœurs, Garnot, Ann. 
sc. pat., t. VI, p. 504. 

() Mag. de Voigt, 1800. Le nom d'ornithorhynque a 
prévalu, bien que Shaw, six mois avant Blumenbach, 
lui ait consacré le nom de platypus (Atlas, pl. 53); der- 
mipus, Wiedem. 


161 
occupe les mandibules et que recouvrent de nom- 
breuses villosités, tandis qu’un second repli, situé 
à la base du premier, présente en avant deux petits 
prolongements charnus. On ne sait rien des habi- 
tudes et du genre de vie de ces singuliers animaux, 
quise tiennent dans les rivières de la Nouvelle-Galles 
du Sud, notamment sur les bords de la Nepean, de 
Fish-River, de la Maquarie et de la Campbell, au 
pied comme au-delà des montagnes Bleues. On dit 
cependant qu’ils se creusent de profonds terriers où 
ils se nichent et se tiennent cachés, et que bien que 
les ouvertures de ces souterrains soient sous l’eau, 
les galeries intérieures se trouvent être élevées au- 
dessus de la ligne des plus grandes eaux, où l’animal 
n’a rien à craindre des inondations. La femelle fait 
un nid en jonc. Le nom de water-mole ou taupes 
d’eau des colons est assez bien appliqué quant à l’as- 
pect et aux mœurs; les naturels les nomment mon- 
[lengorg où mullingong. 

La première figure qu’on a eue de l’ornithorhyn- 
que est celle de Shaw (1). Celle de Blumenbach, qui 
parut six mois après, est remarquable par son exac- 
titude. C’est à cet auteur que cet animal dut une ra- 
pide célébrité. Les noms qu’il donna y contribuérent 
puissamment (?). « Cette créature très extraordinaire, 
» dit-il, se distingue de tous les mammifères connus 
» jusqu’à présent par la conformation singulière de 
» son museau, etc., Cte. (%). » Deux espèces avoient 
été admises par Péron et Lesueur. Les ORNITHO- 
RHYNQUES ROUX (D. rufus) et FAUvE (0. fuscus) : le 
premier d’un roux pâle, avec les ongles antérieurs 
aigus, et le second à museau et pieds noirs, avec les 
ongles de devant étroits et obtus, le pelage hrunâtre. 
M. Geoffroy (#) n’admet qu’uype seule espèce, l'orNi- 
THORHYNQUE PARADOXAL, et en cela il a suivi l’opi- 
nion de Meckel, Vander-Howen, et plusieurs au- 
tres anatomistes. M. Macgillivray a décrit, dans les 
Mémoires de la Société wernérienne (t. V, p.575), 
un ornithorhynque à poils crépus (ornith. crispus), 
qui ne paroît différer du précédent que par le friso- 
tement des poils immergés dans un liquide conser- 
vateur. M. Ogilby vient, dans ces derniers temps (”), 
de distinguer spécifiquement l'ORNITHORHYNQUE A 
MUSEAU COURT (0. brevirostris), à pelage très épais, 
fauve vineux, métallisé en dessus, blanc argenté en 
dessous, et dont les mandibules sont très courtes. 
Sa taille est de douze pouces anglois; la queue a 
trois pouces et demi, et le museau seulement dix- 
huit lignes en longueur et en largeur. Cette espèce 


(1) Platypus anatinus, Misce., t. X, pl. 385 et 386. 

(2) Ornithorynchus, bec d'oiseau, et paradoxus, pa- 
radoxal. 

(8) Manuel, t.1, p. 165 de la trad. franc. 

() Sur l'identité des deux espéces nominales d'orni- 
thorhynques, Ann. sc. pat., 1826, t. I, p.151. 

(5) Procced., t. IL, p. 150 (1851 }. 


462 


provenoit de Port-Jackson, sans aucune autre indi- 
cation de localité. 

L’ornithorhynque habite donc principalement les 
bords des rivières dans les endroits où l'eau est pro- 
fonde, et sur les rives ombragées par des arbres. 
L'entrée des canaux qu’il se creuse est étroite, et à 
quelque distance, Le principal siilon se bifurque en 
deux souterrains qui vont en demi-cercle, et qui se 
joignent à l'endroit où est établi le gite de la famille, 
placé dans une sorte de c.ambre couverte de mous- 
ses et de feuilles, et distante quelquefois de plus de 
vingt loises de l’eau, et à au moins deux pieds au- 
dessus de son niveau. Le capitaine Maule rapporte 
avoir rencontré une vielile femelle avec deux peuts, 
qu'il put garder vivanie près de deux semaines en 
la nourrissaut de vers, dé lait et de pain, et en lui 
douuaut abondamment de l’eau. Elle mourut par 
suile d’accideut (1). 

Nous donnons, comme complément de lhistoire 
de l'ORNITHORHYNQUE PARADOXAL, des détails four- 
nis sur les habitudes de ce singulier animal, par des 
témoins oculaires. 

Ainsi s'exprime M. Patrick Hill, chirurgien de 
la marine, dans une lettre datée de Sydney, capitale 
de la Nouvelle Galles du Sud , et adressée au secré- 
taire de la Société zoologique de Londres : 

« Vous serez satisfait d'apprendre que je suis par- 
venu à conlirmer les assertions du docteur John 
Jamieson sur l'éperon de l’ornithorhyncus para- 
doxus, Voici un extrait de mes notes : dimanche, 
4°" octobre 4529. — Sur les bords de la rivière Camp- 
bell, en examinant, aussitôt après l'avoir tué, un or- 
nithorhynque mâle, j'obser vai à l'extrémité, du côté 
convexe de l’éperon , une pelite tache semblable à 
l'orifice d’un canal, et en cherchant à passer un erin 
dans cette tache, trois gouttes successives d’un fluide 
limpide en sortireni. Je remarquai la même chose à 
Pautre éperon. Après avoir disséqué le pied de l’ani- 
mal, je trouvai sur le côté inférieur de la racine de 
l’éperon, immédiutement au-dessus de l’articulation, 
un pelis Conduit que Je coupali; il ne conteuoit alors 
aucun fluide, mais je passai facilement à travers un 
erin jusqu'à l'éperon. Je vous ai euvoyé celle prépa- 
ralion, ainsi que la vésicule desséchée. 

» J ai été assez heureux pour prendre une femelle 
pleine de cet animal intéressant. Je vous donne un 
autre extrait de mes notes : Bathurst, 45 octobre. 
Après déjeuner, j'allai examiner avec M. Scott un 
trou où l’on nous avoit dit qu’un ornithorhynque 
blessé s’étoit réfugié, et que nous espérions être la 
demeure de lanimal; mais en creusant nous vimes 


(1) Proceed., (. I, p.145. Consultez Knox, Zool.journ , 
t. ILE, p. 598; Ann. sc. nat., L. X, p. 193; 1. XVII, p.157; 
t. XVI, p. #61 ; Vander-Hoeven, Act. ces. leop. cur., 
t. XIE, part. 2, 1825 ; Geoff, Saint.-Hil., Mém, du Mus,, 
t. XX, p. 4, elc., elc. 


HISTOIRE NATURELLE 


que c’étoit celle d’un rat. En revenant nous apprimes 
qu’une ornithorhyÿnque femelle avoit été apportée vi- 
vante après avoir été prise dans son nid, près des 
lagunes de la rivière Campbell, par M. Rawley, qui 
fut obligé de déchirer le nid par morceaux avant de 
pouvoir en tirer l'animal. Ce nid étoit formé de ro- 
seaux et de jones, avec un long tube lui servant 
d'entrée, hors duquel le bec de l'animal étoit seul 
visible. On plaça cet ornithorh; nque dans un baguet 
plein d’eau, et il sembla s’y plaire pend :nt quelque 
temps, plongeant parfois son dos dans l’eau pour se 
gratter la tête avec ses pieds de derrière. Ses veux 
sont pelits et proéminents, d’une couleur brun terne, 
avec la pupille bleue, et sont placés immédiatement 
à la base du bec. Au bout de peu d'instots il parut 
vouloir sortir de l’eau, on l’en retira, on attacha une 
corde autour de sa jambe et on le laissa aller sur le 
gazon , où il se traina avec assez de difficulté; il pa- 
rut se plaire à ce qu’on li grattàt la tête, car il me 
le laissa faire sans bouger. 14 octobre. — Je trouvai 
l’ornithorhynque presque mort, et j'examinai sa struc- 
ture. Le rectum, le vagin et la vessie ont un orifice 
commun; en ouvrant l’abdomen je trouvai dans l’o- 
vaire gauche un œuf rond et jaune, de la grosseur 
d’un petit pois. Il y en avoit deux autres plus petits, 
et une immense quantité de petiles vésicules, à 
peine apercevables à l'œil, mais faciles à voir au mi- 
croscope. El n’y avoit point d’utérus ni aucun corps 
qui y ressemblàt, mais seulement un tube condui- 
sant au cloaque, qui se divisoit en deux conduits 
allant aux ovaires, semblables par leur situation aux 
trompes des animaux vivipares, mais beaucoup plus 
grands et plus larges. [1 n’y avoit aucune apparence 
d’imprégnation daus l'ovaire droit; j’enlevai toutes 
les parties intérieures de la génération, la vessie 
urinale, une portion du rectum, et les mis dans 
l'alcool. Cette préparation est maintenant en la 
possession de M. Scott, qui doit l'emporter en An- 
gleterre. 

» Cookoogong, un des naturels, chef de la tribu | 
de Boorah-Boorah, dit qu’ils savent tous que cet ani- 
mal dépose deux œufs, à peu près de la forme, de 
la grosseur et de la couleur de ceux d’une poule; que 
la femelle couve fort loeng-temps ses œufs dans un 
nid que l’on trouve toujours au milieu des roseaux 
sur la surface de l’eau; que cet animal peut courir 
sur le gazon, et qu'on le trouve parfois à une dis- 
tance considérable de l’eau; qu’il sait aussi qu’une 
blessure de l’éperon du mâle est suivie d’enflure et 
de grandes douleurs, mais que, quoiqu'il ait vu piu- 
sieurs de ces accidents, il n’y en a jamais eu de mor- 
tels ; que la chair de cet animal ne se mange jamais, 
et que son nom de pays est mullingong. » 

A ces détails nous ajouterons, d'après M. Ben- 
nett, que l’ornithorhynque habite les eaux tran- 
quilles et les retraites les plus cachées. Sa capture 


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DES MAMMIFÉRES. 


est difficile, ear il est doué d’une prudence excessive 
que desservent des sens vigilants et très impres- 
sionnables. Il est difficil> de le tuer, car le plomb 
glisse sur les poils de son corps, et sa tête est le seul 
point vulnérable. Lorsqu'il est atteint par un coup 
de feu, il plonge et cherche à gagner son trou, ou 
bien il se cache au milieu des herbes aquatiques. Sa 
défiance est telle, qu'il disparoït au plus léger bruit 
lorsqu'il vient respirer à la surface de l’eau, et même 
ilest rarement paisible, et plonge fréquemment. Le 
meilleur moment pour le tirer est celui où il se forme 
un iéger remoux sur l’eau, indice certain qu’il va 
apparoître, et qu’il devient nécessaire de saisir ce 
seul moment opportun, puisque sa tête va s'élever 
au dessus du liquide. Il faut alors être en joue, et 
avoir le doigt aussi prompt pour faire partir l’arme 
que le coup d'œil qui perçoit l’image de ce fantasque 
quadrupède. 


465 


M. Owen (!) a pu étudier de très jeunes ornitho- 
rhynques, que M. Weatherhead s’étoit proeuré à la 
Nouvelie-Hollande , et qui méritèrent son attention 
par Pabsence totale des poils, la mollesse du bec, 
et la brièveté de cette partie relativement à sa lar- 
geur, et au développement qu’elle présente chez les 
adultes. La langue surtout a cela de remarquable, 
qu’elle paroît être le seul organe convenable de pré- 
hension pour les aliments. Sur le milieu de la man- 
dibule supérieure, et un peu en avant des narines, 
on remarque une petite éminence charnue, cartila- 
gineuse à ses bords, etqui manque chez les adultes. 
Elle semble l’analogue de la pointe accessoire avec 
Hhaquelle les jeunes oiseaux brisent les enveloppes 
de l'œuf au moment où ils éclosent. Il croit avoir 
rencontré des traces de globules de lait dans les pa- 
rois de l'estomac. 


(") Proceed., 1834, p. 43. 


LIVRE EX. 


LES RONGEURS. 
Gires. L. 


Forment une grande famille naturelle, dont tous 
les genres s’enchainent par uue filiation non inter- 
rompue. 

Linnæus donnoit pour caractères généraux à ses 
glires, deux dents incisives en haut et en bas; de 
manquer de molaires ; d’avoir les picds onguiculés, 
et propres à sauter ; de vivre en rongean les écorces, 
les racines et autres matières végétales. Ce nom de 
glires répondoit au LOIR, le glires des anciens est le 
type de l'ordre. 

Illiger proposa le nom de prensiculantia, inventé 
par Buttmann, parce que les animaux de cctte fa- 
mille se servent des pattes antérieures, à la manière 
des quadrumanes. 

Les rongeurs peuvent être caractérisés de la ma- 
nière suivante : les pieds sont onguiculés ; le corps 
est d’une forme ovale; les membres sont courts et le 
plus ordinairement disproportionnés, c’est-à-dire 
que les antérieurs sont plus courts que les inférieurs, 
de sorte qu’ils sautent plus qu'ils ne marchent; leurs 
intestins sout forts longs ; le cœcum est souvent plus 
volumineux que l'estomac, qui est simple; les par- 
ties de la génération sont trop développées ; le cer- 
veau est lisse et sans circonvolution ; les orbites et la 


fosse temporale n’ont point de lignes de démarcation. 
Les yeux sont toujours latéraux. 

Mais ce qui caractérise plus particulièrement les 
rongeurs sont : la forme et l’organisation des dents. 
Les incisives n’ont d’émail que sur leur face anté- 
rieure; elles n’ont point de racines, et &’est ce qui 
leur permet de croître sans cesse ; leur nombre est, 
le plus ordinairement, de deux à chaque mâchoire, 
excepté chez les lièvres et les lagomys, où elles sont 
au nombie de quatre en haut. Les dents molaires 
se composent parfois de racines distinctes de la cou- 
ronne, et appa tiennent aux rongeurs omnivores : 
d’autres fois, au contraire, les dents sont réduites à 
une seule couronne qui est propre aux rongeurs fru- 
givores, La nature des dents molaires varie: les 
unes sont composées de matière osseuse et d'émail, 
et les autres ont, de plus que les deux matières de 
ces premières , la substance corticale. La surface des 
couronnes est hérissée de collines et de sillens qui 
prennent diverses formes, suivant les degrés d’usure, 
et beaucoup de genres ne reposent que sur ces ca- 
ractères fugaces. 

Ces animaux vivent dans tous les climats, et se 
nourrissent de fruits, de graines, de feuiles et 
d'herbes. I!s sautent beaucoup plus qu'ils ne mar- 
chent. La plupart se creusent des terriers, vivent 
en troupes nombreuses. Un grand nombre ont peu 
d’instinet et très peu d’attachement pour leurs pe- 


464 


tits; d’autres , au contraire. sont remarquables par 
leur intelligence et leur industrie. 

Ona diviséles rongeurs en deux grandessections, 
suivant qu’ils ont les clavicules complètes ou seule- 
ment rudimentaires ; et nous allons successivement 
passer en revue les genres qui entrent dans cette 
grande famille. 


LES ÉCUREUILS. 


Sciuri. L. 


Forment le premier genre de rongeurs qui doive 
nous occuper. Buffon n’en à décrit que treize, c’est- 
à-dire sept écureuils, deux guerlinguets, un tamia 
el trois polatouches; mais ce nombre s’est singuliè- 
rement accru dans ces dernières années, et il devient 
nécessaire, pour établir un peu d'ordre dans l’étude 
des soixante-quinze à quatre-vingts espèces de ce 
genre, que nous adoptions quelques distinctions gé- 
nérales. 

La première tribu, entièrement indienne et ma- 
décasse, sera celle des FUNAMBULES (funambulus) ; 
elle comprend les écureuils dont la tête est bombée, 
les oreilles sans pinceaux, courtes et arrondies, les 
formes corporelles trapues , les membres assez min- 
ces, la queue très longue , arrondie et garnie de poils 
sur toute sa surface , le serotum très développé ; le 
type de cette tribu est L’ÉCUREUIL DE MADAGASCAR (1), 
décrit par Buffon. La deuxième espèce est le GRAND 
ÉCUREUIL DE LA CÔTE MALABar (?), de Scnnerat, le 
rasou des montagnards indiens, et qui se trouve dans 
plusieurs contrées des Indes, sur le continent, à 
Java et à Ceylan. Son pelage est noir, tandis que les 
flancs et l’occiput sont d’un beau marron vif; la tête 
et le dedans des membres sont jaune pâle. Il setient 
sur les palmiers, et recherche le lait émulsif des 
noix de coco. ‘5° Le LaRY (*) de Sumatra, que les 
Javanois nomment bokiol, fauve, varié de gris en 
dessus, blanc en dessous, marqué de trois bandes 
noires longitudinales, et de bandelettes ferrugineuses 
sur les côtés du cou et des flancs. 4° L’AFFINIS (f) de 
sir Raflles. A son sujet nous lisons dans le catalogue 
des animaux qui vivent à Sumatra : « Qu'on le 
trouve abondamment dans les bois de Singapore ; il 
a un ongle plat sur le pouce des mains, qui est très 
court, cendré ou brunâtre sur la partie supérieure 
de la tête. du corps et de la queue et à l'extérieur 
des membres, et presque blanc en dessous et aux 


(*) Buffon , suppl., pl. 63, sciurus madagascariensis, 
Shaw, Gen. zool. 

(2, Sc. maximus, Screber ; Horsf. Zool. research ; Sc. 
macrourus, Forster. 

(G) Sc. insignis, Fr.Cuv., 34eliv., Horsf.Zool. research. 

(#) Sc. affinis, Raffles, Cat. 


HISTOIRE NATURELLE 


parties intérieures. [l a à peu près la taille du sciu- 
rus bicotor. La séparation des couleurs sur le corps 
n’est pas aussi brusque que dans cette espèce, une 
raie brune rougeâtre marque la transition. Le gris 
domine sur les parties supérieures; mais il paroît 
varier considérablement en différentes saisons (peut- 
être au temps du rut), changeant en brun clair et 
même en jaune foncé. Les premiers individus que 
l’on se procura en février éloient de cette dernière 
couleur ; cinq mois après on les trouva gris. L'un 
d'eux, que j'ai possédé dix mois et qui vit encore, 
n’a pas changé visiblement de couleur dans cetemps. 
Cet animal est très doux, et est un compagnon très 
assidu et très divertissant au déjeuner. 

» On n’a pas examiné un assez grand nombre des 
sciurus maximus et bicolor pour décider s’ils sont 
sujets aux mêmes variations de couleurs. Un jeune 
des derniers, venu du détroit de la Sonde, avoit 
toute la queue de couleur fauve comme son ventre, 
tandis que chez les adultes elle est entièrement 
noire, ainsi que la partie supérieure du corps. Ces 
faits prouvent combien il faut apporter d’attention 
pour ne pas multiplier le nombre des espèces dans 
ce genre sur la simple variété de couleurs, parce 
que des variétés intermédiaires seront souvent trou- 
vées unir des espèces en apparence assez éloignées. » 

5° Le Turaï(!), que sir Rafil-s décrit en ces ter- 
mes : « Cette espèce, qui paroît voisine du sciurus 
ginginianus, est plus petite que le S.affinis. On la 
trouve fréguemment dans les bois de Bencoolen, 
vivant principalement sur les palmiers. Cet animal 
fait un trou dans les noix de coco dans le dessein 
de boire le lait qui y est contenu. On l’y appelle chez 
les Malais {upaï, ce qui paroît être le nom généri- 
que des écureuils. Il a environ huit pouces de long, 
et la queue à peu près autant. Les oreilles sont ron- 
des , assez semblables aux oreilles de l’homme pour 
la forme, et non velues. La couleur de la partie su- 
périeure du corps et de la queue est grise jaune 
mélangée, chaque poil étant deux fois annelé de 
noir et de fauve. Les parties inférieures sont rouge 
brunâtre ou fauve. Sur les côtés, depuis l'épaule 
jusqu’à la jambe de derrière, est une raie blanche, 
séparée des parties fauves par une raie noire. La 
queue est ronde, les poils en sont uniformément dis- 
posés, en s’étendant de chaque côté, par quoi il 
ressemble au $. guerlingus (mioæus queilingus, 
Pennant ). Il la porte élevée comme les autres écu- 
reuils, et elle est de la même couleur que le corps, 
à l'exception de l'extrémité qui est garnie de quel- 
ques poils fauves. Le scrotum est très grand et pen- 
dant. Les yeux sont entourés par un cercle fauve. 
Les moustaches sont noires. 


(:) Sciurus vittatus, sir Raffles; Sc. bivittatus, Fr. 
Cuv., 34e liv. 


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DES MAMMIFÈRES. 


» Il y a une autre espèce très rapprochée de la 
précédente. mais beaucoup plus petite, n'ayant que 
cinq pouces de long; elle a des caractères identi- 
ques : les oreilles arrondies, la queue ronde, et un 
grand scrotum; mais elle diffère en n’ayant pas la 
raie blanche sur les côtés ; en ce que les parties in- 
férieures sont d’un blanc grisâtre et non pas fauve; 
en ce que la queue manque de poils fauves à son 
extrémité , eten ayant les couleurs claires et foncées 
plus distinctes et tant soit peu annelées. Pour tout 
le reste et pour la couleur du dos il ressemble exac- 
tement au premier, et n’en est peut-être qu'une 
variété. » 6° Le PALMISTE (1), brun roussâtre , avec 
trois bandes dorsales blanchâtres, très commun dans 
les palmiers des alentours de Pondichéry et dans 
les jardins du Dukheu, où les hahitants le nomment 
khurry. 7° Le BANANISTE (?), gris en dessus, jaunà- 
tre en dessous, avec une ligne blanche sur chaque 
flanc, est le plantan squirrel de Pennant, qui vit 
dans l’ile de Java. 8° L’ECUREUIL A VENTRE DORÉ ($), 
est de la taille du grand écureuil de la côte du Ma- 
labar. Sa queue est excessivement allongée , et dé- 
passe de beaucoup le corps. Les poils sont partout 
en dessus jaune clair, passant au jaune safrané en 
dessous. Le bout du museau est blanc. El vit à Java. 
9° L’ÉCUREUIL A CROUPION ROUX (4), roux brun en 
dessus, roux cannelle en dessous. Des forêts de 
Syriam au Pégou 10° L’ÈCUREUIL DE KERAUDREN (°), 
découvert par M. Reynaud dans l’empire des Bir- 
mans, où il est nommé sin-nti, d’un roux brun 
foncé, le bout de la queue seul est blanc, et les ex- 
trémités noires. 44° L’ECUREUIL A QUEUE DE CHE- 
vaL (6), ayant de longs poils noirs à la queue, la 
tête et les fesses brunes le dos roux, le dessous du 
corps orangé vif. De l’ile de Java. 42° L’ECUREUIL 
A VENTRE GRIS (7), aussi de Java, à queue annelée, 
brun fauve sur le dos, gris sur le ventre. 15° L’ÉCu- 
REUIL AUX MAINS JAUNES (#), brun tiqueté de rous- 
sâtre en dessus, roux marron sous le corps et sur 
les membres, mais ayant le museau et le devant des 
membres antérieurs fauves, et la queue entièrement 
annelée. Habite Ceylan et la Cochinèhine. A toutes 
ces espèces nous ajouterons les suivantes : 440 L’E- 
CUREUIL DE BRAAM (°), que l’on dit vivre aux Indes 


() Sciurus palmarum, Briss., Buff., enl. 121. 

(>) Sciurus plantani, Horsf., Zool, research. 

(3) Sciurus auriventer, Isid. Geoff, Saint-Hil., Etudes, 
pl. 5, p. 15. 

( Sciurus pygerythrus, Isid.Geoff. Zool. de Bélanger, 
pl. 7, p. 145. 

(5) Sciurus Keraudrenii, Regn. in cent, zool., pl. 1; 
sciurus ferrugineus, F. Cuvier, 59e liv. 

(6) Sciurus hippurus, Isid. Geoff., Etudes, pl 6. 

(7) Sciurus griseiventer, Isid. Geoff., Etudes. 

(8) Sciurus flavimanus, Isid., Etudes. 

(o) Sciurus redimitus, Van Der Boon Mesch, Amst., 
4829 ; Bull., t. XXIV, p.76. 

LI, 


orientales, où l’auroît découvert le : 
Braam , est fauve sur les parties supé res 
que toutes les parties inférieures et le dedans des 
membres sont d’un roux pâle : une raïe blanche lon- 
gitudinale parcourt les flancs. 15° L’ÉCUREUIL D»'E- 
PHINSTON (1), qui vit dans le pays des Mahrattes, où 
les habitants le nomment shekrou. Il à la taille du 
sciurus maximus, et vit exclusivement dans les 
forêts des Ghants occidentales. Son pelage est d’un 
beau marron luisant , passant au roux blanchâtre 
sous le corps, tandis que la moitié de sa queue est 
d’un roussâtre pâle.Peut-être devroit-on placer cette 
espèce parmi les vrais écureuils. 46° L’ÉCUREUIL DE 
Prevosr (), noir en dessus, jaune sur les flancs, 
marron en dessous, la queue brune. Habite l’Inde, 
17° Peut-être ne doit-on pas distinguer du précédent 
l'ÉCUREUIL DE RAFFLES (3), noir en dessus, roux en 
dessous, ayant une bande latérale allant de l’humé- 
rus à la cuisse blanche, ainsi qu’une tache de cette 
couleur derrière la bouche, et les joues grises. 
Habite l’ile de Sumatra. 48° L’ÉCUREUIL DE LEs- 
CHENAUTT (4), découvert dans l’ile de Java par le 
voyageur Leschenault de la Tour, a parfois son 
pelage brun foncé ; mais le plus ordinairement brun 
clair, excepté la tête, la gorge, le ventre et le 
dedans des membres qui sont d’un blanc jaunûtre. 
49° Le BICOLORE (5), brun foncé noirâtre en dessus, 
fauve vif en dessous, les yeux cerclés de noir. 
Habite Java. 20° L’ÉCUREUIL RAYE DE NOIR (5), voi- 
sin par ses rapports de l'espèce nommée le bana- 
niste. Cet animal , également de l’île de Java, est 
varié de fauve, de gris et de brunâtre , à teintes plus 
claires sur les flancs et autour des yeux, et blanc 
sous le corps. Une raie noire se dessine sur les flancs, 
et la queue, fort longue, est annelée de noir. 21° Le 
FINLAYSON (7), que Buffon paroît avoir connu sous 
le nom d’éeureuil blanc de Siam (5), a son pelage 
blanc de neige nuancé de jaune sur le dos, les yeux, 
les moustaches et la plante des pieds très noirs, La 
queue n’a que quelques poils noirs clair-semés. Le 
docteur Finlayson a rencontré cetécureuil dans l’ile 
Sichang, dans le golfe de Siam. 22° L’ÉCUREUIL 
FLUET (°), rapporté de Sincapore par M. Finlayson, 
a le pelage fauve intense, nuancé finement de brun, 
les flancs jaunâtres, et le dessous du corps cendré 
jaunâtre, la queue brune annelée de noir. 25° Le 


royageur Van 


() Sciurus Ephinstonii, Sykes Proceed., t. I, p. 103. 

() Sciurus Prevostii, Desm., 537. 

(3) Sciurus Rafflesii, Horsf. et Vig., Zool. journ., t. IV 
p. 143, pl. #. 

(4) Sciurus Leschenaultii, Desm.; sciurus albiceps, 
Geoff, 

(5) Sciurus bicolor, Sparmann, Desm., 539, 

(6) Sciurus nigrovittatus, Horsf., Zool. research, 

(7) Sciurus Finlaisonii, Horsf., Zool. research. 

(5) Hist. nat, t. VILLE, p. 256. 

(9) Sc, tenuis, Horsf., Zool, research, 


59 


466 


TUPAÏ JINJANG Ou TANRRAWA (1), des Malais, très 
commun d es iles de Java et de Sumatra. Sa 
coloration est remarquable par sa teinte cannelle, 
brunâtre sur les flancs, blanc sur les côtés de la 
tête. La queue, plus longue que le corps, est jau- 
nâtre à sa pointe. C’est une grande espèce voisine 
du S. bicolor, ayant quatorze pouces de longueur, 
et la queue en a quatorze à seize. 24° L’ÉCUREUIL 
ANNELE (?), dont la patrie est ignorée, nous paroit 
devoir être rapporté à ce groupe, car nous le sup- 
posons originaire de l’Inde. D’un blanchâtre teint 
d’olive en dessus, blanc en dessous. Sa queue, plus 
longue que le corps, est grêle, et annelée de cercles 
noirs blancs alternatifs. 25° L’ECUREUIL GIinxGy (5), 
vient clore la série d’écureuils à oreilles arrondies. 
Son pelage est roux cannelle, marqué de chaque côté 
d’une raie neigeuse , tandis que le dessous du corps 
et le dedans des membres sont blancs. Sa queue est 
annelée de noir et de blanc. Ses ongles sont fort al- 
longés. On en distingue une première variété, grise 
roussâtre, à l’extrémité de la queue noire ({); une 
deuxième, qui est l’écureuil de yingi de Sonnerat (5), 
varie de noir roux ocreux en dessus, blane en des- 
sous. Cette espèce habite les Indes orientales, Java 
et la presqu’ile de Malacca. 

Deux espèces originaires de l’Inde sont encore 
mal connues. Ce sont : 4° L’ÉCUREUIL ROUGE (°), mé- 
langé sur le corps de jaune et de brunätre, tandis 
qu’il est en dessous d’un fauve sanguin. Les oreilles 
sont ciliées : ce qui en feroit un véritahle écureuil. On 
le dit des Indes orientales. 2° L’'ÉCUREUIL JAUNE (7), 
dont les oreilles sont arrondies, le pelage jaune, la 
queue grêle et poilue. On a dit eet écureuil d’Amé- 
rique. Pennant le signale comme indigène de Guzu- 
rate, et de quelques autres points des Indes orien- 
tales. Nous croyons que celle espèce est identique 
avec le sciurus auriventer de M. Geoffroy Saint- 
Hilaire fils. 

© La seconde tribu, exclusivement africaine, est celle 
des SPERMOSCIURES (spermosciuri) , caractérisée par 
le grand allongement du corps, le renflement du 
dos, les membres antérieurs plus longs et plus grêles 
que ceux des vrais écureuils, des oreilles courtes, 
nues, arrondies, ne dépassant pas la tête, qui est 
longue, uniformément déprimée, un serotum très 
développé, une queue touffue, couverte de poils là- 
ches ou serrés, tous les poiis rudes ou cassanis. Leurs 
mouvements sout ients, et n’ont rien de la pétulauce 


() Sir Raffles; seiurus hypoleucus, Horsf,, Zool, re- 
search. 

(2) Sc annulatus, Desm., 546 

() Sc. albovittatus, Desm. Horsfield, Zool. research, 
{#) Desm., DicL. hist nat ,X, 110. 

(5) Sc. dschinschinus, L.; Sc gingianus, Shaw. 

(6) Sc. crythrœus, Pallas, Horsf. 
{r) Sc. flavus, L, 


_ HISTOIRE NATURELLE 


de ceux des écureuils ordinaires. Le type de cette 
tribu sera : 4° Le SCHILLU D’ABYSSINIE (1), fauve, ti- 
queté de blanc et de noir en dessus, blanc en des- 
sous, la queue touflue, fauve sur sa face dorsale, 
ayant d’épaisses moustaches. Habite le Kordofan et 
le Sennaar. 2° L’aguimp des Hottentots (?), roux 
ocreux, noirâtre en dessus, blanc en dessous, à poils 
rigides, spinescents. Du Cap. 5° Le NAMAQuOIS (3), 
noir en dessus, brun en dessous, ayant une ligne 
blanche latérale. Du pays des Namaquois, dans l’in- 
térieur du Cap. 4° Le rossoyeur ({), entièrement 
fauve, plus ou moins brua verdätre. La teinte ver- 
dâtre est plus pure sur les flanes et les cuisses. Les 
membres sont fauves en dehors. Tout le dessous du 
corps est blanc pur. Sous l'oreille existe une tache 
blanche, et une bandelette transversale neigeuse 
part du bas, et va gagner la naissance de la cuisse. 
La queue fort touffue est olivâtre, rousse, et variée 
de brun par sortes d’anneaux incomplets. IL vit au 
Sénégal et au Bornou. Le nom de fossoyeur lui a été 
donné par M. Geoffroy Saint-Hilaire, d’après un in- 
dividu qui avoit vécu en captivité, et qui avoit des 
ongles tres développés , ce qui faisoit supposer qu’il 
éloit fouisseur, et ce qui est au reste fort probable. 
à° L’ÉCUREUIL AUX PIEDS ROUX (©) habite la côte de 
Sierra-Leone en Afrique, et plus exclusivement la 
petite île de Fernando-Po. Entièrement olive foncé 
ou verdâtre en dessus, blanc en dessous. Cette es- 
pèce se distingue par l'orangé vif de ses joues, de ses 
fesses et de ses quatre extrémités. De plus, une ban- 
delette blanche se dirige longitudinalement sur les 
côtés du corps Sa queue est variée de roux olivâtre 
brun, et a des poils longs et distiques. 6° Le BRA- 
CHYOTE (6), qui vit en Abyssinie, où il a été décou- 
vert par MM. Ehremberg et Hemprich, a le corps 
et les flancs tiquetés de gris, de noir et de roux, le 
devant des membres et le dessous du corps d’un blanc 
sale, la queue touffue et comme annelée de roux et 
de brunâtre, disposition due à ce que les poils sont 
annelés de roux et de brunâtre. Doit-on ajouter à 


_cette petite famille les espèces suivantes ? 7° L’ÉCu- 


REUIL OCULAIRE (7), qui a le dessus du corps d’un bleu 
blanchätre, passant au blanc pur en dessous. Le 
museau en dessus et une tache derrière les oreilles 
sont blancs. Une bandelette noire traverse les joues. 
Le seul individu observé par M. Smith a été trouvé 


(:) Sciurus rutilis, Ruppell, pl. 24. 

(>) Sciurus setosus, Forster; Sc. capensis, Thunb.; 
Sc. Levallantii, Kuhl. 

(3) Sciurus namaquensis, Lichst., cat. 16. 

(4) Sciurus crythropus, Geoff. Saint-Hil.; Fréd. Cuv., 
62e liv.; sciurus dschinschicus, Voyage de Denham, 
t. IL, p. 232. 

(5) Sc. pyrropus, Fr. Cuv., 66e liv. 

(6) Sc. brachyotus, Hemp et Ehremb., déc. I, pl. 9. 

(+) Sc. ocularis, Smith, Zool, journ,; t, IV, p. 439; 
Bull., t. XVII, p. 276. 


DES MAMMIFÈRES. ë 


dans un arbre creux près de la baie de Slettenberg, 
au cap de Bonne-Espérance. 8° L'ÉCUREUIL D’ABYs- 
SINIE (1), noir, ferrugineux en dessus, gris en des- 
sous trois fois plus grand que notre éeureuil. 9° L’£- 
QUREUIL DU GONGO (?), varié en dessus de noir et 
d’olivâtre, ayant deux bandes blanches longitudi- 
nales , bordées d’un liseré noir à leur bord inférieur, 
les flancs blanc lavé de jaunâtre, la queue variée de 
noir et de jaune, les oreilles petites, privées de pin- 
ceau de poils, Du Congo. 10° L'ÉCUREUIL DE PER- 
SE (3), à teinte obscure , les flancs blancs, le dessous 
du corps jaunâtre, les oreilles sans pinceaux, la 
queue annelée de brun cendré et de blane. Le pour- 
tour des yeux est noir, les parties nues des pieds et 
des mains sont rouge vif. Il habite la province de 
Gilan en Perse. 41° L’ÉCUREUIL ANOMAL (#) est encore 
très mal connu. Guldensteldt le dit de la Géorgie, 
et Kubhl assure qu’il vit dans l’Inde. Il est fauve en 
dessus , avec du cerdré sur les côtés, et tacheté de 
noir et de roux, ce qui tient à ce que les poils sont 
cendrés à leur base, puis jaune roux et brun noir, et 
puis jaune roussâtre à leur sommet. Les noirs sont 
les plus longs. La queue est grande, touffue, d’un 
roux vif en dessous et fauve en dessus. 42° Enfin, 
V'ÉGUREUIL BARBARESQUE (5), remarquable par ses 
quatre bandes longitudinales blanches sur le dos, et 
qui vit en Afrique, pourroit appartenir à la seconde 
section. 

Mais nous allons décrire comme de vrais spermo- 
seiures, trois espèces inédites du Sénégal qui ont 
les plus grands rapports de formes avec le schillu 
d’Abyssinie. La première, que nous nommons ÉCu- 
REUIL MARABOU (6), a de onze à quatorze pouces de 
longueur, et la queue longue de sept à dix pouces. 
Ses oreilles sont nues et légèrement échancrées au 
bord externe de la conque. Sa tête est remarquable- 
ment allongée. Son pelage est fauve brunâtre tiqueté 
de roux vif en dessus, tandis que le tour des yeux, 
les joues, la gorge, la poitrine et le bas du ventre 
sont blancs. Les côtés du corps sont au contraire 
blanc sale, et une bande longitudinale, allant des 
bras aux lombes, est de teinte neigeuse. Les poils de 
la queue sont épais, très abondants, longs, roux vifs 
à leur moitié. puis blanes, et ensuite noirs, en enfin 
terminés de blanc. La deuxième espèce est l’Écu- 
REUIL MODESTE (7), long de dix pouces, la queue ne 
mesurant que huit, tiqueté de gris, de fauve et de 
brun en dessus, blanchâtre en dessous. La queue est 
gris fauve, comme annelée de brun. La troisième 


(:) Gmelin, Thevenot, Voy., t. V, p. 54. 

(2) Sc. congicus, Kuhl., Beitr,, 66. 

(3) Sc. persicus, Gm. 

(4) Sc. anomalus, Guld. in Screber, pl. 215. 
(5) Sc. getulus, L., Briss., pl. 27. 

(6) Se. marabutus, N, 

(7) Sc, simplex, N. 


467 


espèce est l’ÉCURFUIL GRIOT (t), de petite taille, celle 
de natre écurenil commun. et à pelage roux bru- 
nâtre, tiqueté de noir. Une bande!ette blanche lon- 
gitudinale va de l'épaule jusqu'aux lombes. Le tour 
des yeux, le devant du cou, le dedans des membres 
sont blanes. Sa queue est médiocre atténuée et poin. 
tue, parfaitement ronde, et garnie de poils assez 
courts, blanchâtres. Tous les poils sont secs, rudes 
et cassants. 


LES GUERLINGUETS ), 


Sont des écureuils de l'Amérique intertropieale, 
à formes assez robustes, à membres courts, à mu- 
seau garni d’épaisses moustaches. Les oreilles sont 
pointues, mais privées de pinceaux de poils. Leur 
queue, beaucoup plus longue que le corps, est mince, 
arrondie et garnie de poils courts. On en connoît 
deux. de la Guyane et du Brésil, le grand (5) et le 
petit (%) guerlinguet, décrits et figurés par Buffon. 
Ils forment une troisième tribu naturelle. 

La quatrième tribu sera celle des VRAIS ÉCU- 
REUILS (5), reconnoissables à leur taille plus réduite, 
à leurs membres proportionnés, à la queue de la lon- 
gueur du corps, touffue et à poils souvent distiques, 
à leur tête courte et bombée, à leurs oreilles aiguës, 
saillantes, poilues ou parfois terminées par des pin- 
ceaux de poils. Leurs mouvements sont agiles, leurs 
ongles peu forts ; leurs habitudes les retiennent ex- 
elu ivement sur les arbres des forêts. Leurs poils, 
abondants et soyeux, changent suivant les saisons ; 
car ce sont des animaux des régions glaciales et tem- 
pérées de l’Ancien et du Nouveau Monde, et qui 
n’habitent que les zones refroidies entre les trepi- 
ques, en ne quittant pas alors les hautes montagnes. 
La première espèce est l’'ÉCUREUIL VULGAIRE (6) qui 
garde dans nos elimats son pelage rouge marron, et 
qui dans le Nord prend, l'hiver, un pelage gris bleu 
tendre (7); on dit même que dans le nord de l’Asie 
il devient brun noir ; mais il est presque certain que 
cette livrée appartient à l'espèce suivante. F'écureuil 
est donc répandu dans toute l'Europe tempérée et 
boréale.puis il s’est propagé dans l'Asie et même dans 
le nord de l'Amérique. 2° On distingue du précédent 
l'ÉCUREUIL DES PYRÉNÉES (8), dont le pelage est un 


{:) Sc. prestigiator, N. 

(2) Macroæus, Pars.; Fr. Cuv.; myoæus, Shaw, 

(3) Sc. æstuans, L. 

(4) Sc. pusillus, Geoff. 

(5) Sciurus. 

(6) Sc. vulgaris, L, 

(7) C'est alors le pefit gris du commerce, quand on 
prend seulement le dos, et le vair quand on choisit le 
blanc satiné du dessous du corps. 

(8) Sc, alpinus, Fr, Cuy., Mammif,, t, L, 


F” 


à. 
468 


brun assez foncé, tiqueté de blanc jaunâtre sur toutes 
les parties supérieures du corps, et d’un blanc pur 
en dessous. Les lèvres sont marquées par un rebord 
blanc. Il habite les chaînes montagneuses de presque 
toute l’Europe. 

Le mont Liban possède un véritable écureuil , le 
sciurus syriacus, figure 9, planche 8 des Décades 
de MM. Hemprich et Ehremberg, dont les oreilles 
sont saillantes, mais non terminées par un pinceau 
de poils. Il est brun noir en dessus, tiqueté de blanc ; 
la tête, les flancs et le dessous du corps d’un roux 
couleur de buffle. Sa queue est d’un roux vif, mé- 
langé de noir et de blanchâtre. 

L'Amérique est, sans contredit, la patrie d’adop- 
tion des écureuils, tous privés de pinceaux de poils 
aux oreilles. Nulle part ils ne se présentent en aussi 
grand nombre que dans sa portion boréale, bien que 
d’autres contrées de ce vaste continent nourrissent 
quelques espèces distinctes. Le Chili a le degu, connu 
par une courte indication de Molina (!), et type d’un 
nouveau genre, intermédiaire aux rats et aux écu- 
reuils. Le Brésil, que l’on supposoit n'avoir qu’un 
guerlinguet, possède aussi sur ses montagnes un vé- 
ritable ÉCUREUIL, depuis long-temps indiqué par 
Marcgrave (?}, et décrit par M. F. Cuvier ($), comme 
ayant la taille de l'espèce vulgaire d'Europe, le pe- 
lage brun, tiqueté de fauve sur le dos, à nuances 
fauves sur les membres et la queue, fauve vif sous 
celte dernière partie, tandis que le ventre et la gorge 
sont d’un blanc grisàtre, que tranche une ligne fauve 
qui va de la poitrine au scrotum. 


La Colombie a donné, dans ces derniers temps, 
un seul ÉCUREUIL, que M. Isidore Geoffroy a nommé 
sciurus variabilis (Etudes, pl. 4), fauve jaunâtre 
en dessus, tirant au marron vif sur les flancs et la 
croupe, blanc pur en dessous. La queue longue, 
variée de roux, de noir et de jaune ocreux. 

La Californie possède trois espèces, qui sont: 
4° L’AURÉAUGASTRE (4) gris glacé, le dessous du corps 
et les membres exceptés, où les poils sont ferrugi- 
neux. La queue, ample et touffue et grise en dessus, 
blanche sur les côtés, rousse en dessous. Il habite la 
Chine, entre Mexico, la Vera-Crux et la Californie. 
20 Celui que nous avons nommé ÉCUREUIL DE BOTTA 
(S. Bottæ, Less., Cent. zool., pl. 76). Cet écureuil, 
rapporté de la Californie par le docteur Botta, a de 
longueur totale seize pouces, et, dans ces dimen- 
sions, la tête entre pour deux pouces, et la queue 
pour six pouces six lignes. Les membres ont deux 
pouces et demi de hauteur, et les postérieurs trois et 
demi. Cette espèce a la queue arrondie, à poils mé- 


(") Sc. degus, Gm. 

(2) Hist. bras., p. 230. 

(3) Sc. brasiliensis, Fr. Cuvier, suppl. t. 1, p. 307. 
(+) Sc. aureogaster, Fr. Guvier, 99e liv. 


HISTOIRE NATURELLE 


diocrement distiques, et sa forme est légèrement 
pointue à l’extrémité, par l’amincissement successif, 
depuis sa base, des vertèbres jusqu’à leur terminai- 
son. Les moustaches sont composées de poils fins, 
grêles, assez nombreux et noirs. Les oreilles sont 
pointues, garnies en dedans de poils très courts, qui 
s'allongent au sommet en un petit pinceau grêle et 
mince. Tous les doigts sont revêtus, jusqu’aux ongles, 
en dessus et sur les côtés de poils ras et serrés. Le 
ded:ns des mains et des pieds est nu à partir des sur- 
faces palmaire et plantaire. Le pouce de la main est 
complétement rudimentaire. Celui du pied est assez 
robuste, bien que plus court que le doigt extrême. 
Les trois doigts moyens sont au pied à peu près de 
même longueur. Le pelage de cet écureuil est partout 
médiocre, serré, assez dense et un peu rude. Les 
poils s’allongent sur les lombes et sur les fesses, et 
principalement sur la queue. Chaque poil est coloré 
par portions presque égales de blanc, de brun, de 
blanc fauve et de roux. Il en résulte une teinte gé- 
nérale, fauve, ondée de roux, et surtout de noir sur 
toutes les parties supérieures et externes. Le dessous 
du corps, au contraire, est en entier, à partir du 
menton jusqu’à l’anus, d’un fauve clair tirant au 
blanchâtre. Ainsi, le sommet de la tête paroît roux; 
les joues et les côtés du cou sont gris, le milieu du 
dos et les flancs, le haut des membres en dehors, 
sont d’un roux fauve clair varié de noir. La queue 
est de cette nuance fauve et brune, chaque poil se 
trouvant terminé de fauve très clair. Les pieds et les 
mains en dessus sont fauve clair, les ongles sont bor- 
nés, petits, peu robustes et assez aigus. Les parties 
nues sont couleur de chair vive. Les oreilles de cet 
écureuil sont remarquables en dessus par le noir qui 
les colore, et qui s’affoiblit sur le bord postérieur en 
prenant de l’intensité au sommet. 5° L’ÉCUREUIL DE 
BENNETT (1), à pelage noir, varié de blanc sale à 
teintes claires en dessous, grisâtres ; on remarque 
derrière les oreilles une tache blanche, et la queue 
est annelée de blanc et de noir ; des montagnes qui 
séparent la Californie du Mexico. 

Le Mexique et ses hauts plateaux montagneux 
possèdent en propre les espèces suivantes : 4° Le 
coztiocotequallin d'Hernandez (?), ou sciurus hip- 
popyrrhus (?), à longue queue noire variée de fauve 
grisâtre. La tête et les pieds noirs sont ondés de 
jaune grisâtre. Les oreilles et le nez sont noirs, tan- 
dis que les parties inférieures sont ferrugineuses. Il 
se cache l’hiver dans les trous et les cavernes qu’il 
approvisionne en graines de maïs, et où il élève 
ses petits. 2° L'ÉCUREUIL NOIR ou le quauhtechalost 
thilltic d'Hernandez, le sciurus mexicanus, ou 


(") Sc. nigrescens, Benn., Proceed. IE, #1, 
(2) Thes., p. 8, cap. 26. 
() Wagler, Isis, no 5, p. 510 (1831). 


DES MAMMIFÈRES. 


niger des auteurs (t), pourroit bien être le pelage 
complet de l’espèce précédente. Il est en entier brun 
fuligineux intense, et sans doute que le COQUALLIN 
de Buffon (sciurus varie ;ata d'Erxleben), aussi du 
Mexique, n’en est qu’une variété. 

Le Haut-Canada a le sciurus leucolis (?) teinté sur 
le corps de noir , de blanc et d’ocre, blanc grisâtre 
dessous, les oreilles blanches et la queue liserée de 
cette dernière couleur. Long de douze pouces an- 
glois; la queue en mesure treize. Il paroit être rare. 
M. Gapper signale encore dans cette partie de l’A- 
mérique les scèurus Lysteri, hudsonius et niger, 
qui y sont plus communs. 

Mais ce sont principalement les montagnes Ro- 
cheuses , les bassins qu’elles forment en serpentant 
entre les États-Unis, la Nouvelle-Géorgie, la Nou- 
velle-Bretagne, jusqu’au nouveau Cornouäilles, dans 
ces vastes terrains vagues qu’arrose le Missouri, 
qu’on rencontre le plus d’écureuils en compagnie 
de tamias. L'espèce la plus répandue est le chicka- 
ree des habitants des États-Unis, où ÉCUREUIL DE 
LA BAIE D'Hupson (). L’aroussen des Hurons, le 
siksik des Esquimaux, plus petit que notre écureuil 
dont il rappelle les formes, remarquable par l’oli- 
vâtre de son dos, le roussâtre de sa face, le blanc 
pur du dessous du corps, le marron de ses quatre 
pattes, le noir qui borde ses oreilles et ses flancs. Sa 
queue touffue est variée de brunâtre ou de roux vif. 
M. Fr. Cuvier en a figuré une variété albine, 2 Le 
PETIT-GRIS de Buffon, qui n’est point l’animal qui 
fournit le petit-gris du commerce, décrit sous le 
nom de capistrate par Bosc (4). Cet écureuil est cen- 
dré, la tête exceptée, qui est noire, avec le nezet les 
oreilles d’un blanc pur. C’est alors l’'ÉCUREUIL A 
MASQUE de M. Cuvier. C’est au contraire l’ÉCUREUIL 
Gris de M. Fr. Cuvier (5), lorsque sa livrée est en- 
tièrement d’un gris de perle tiqueté de brunâtre, 
Enfin , il arrive que les poils deviennent compléte- 
ment noirs, ceux des pieds exceptés qui restent 
blancs (6), ou bien que, blanc sur le corps, cet ani- 
mal reste noirâtre sous le ventre, et c’est alors le 
sciurus nigriventer. Enfin, varié de roux et de noir 
en dessus, roux orangé en dessous, c’est le coyual- 
lin de Buffon, figuré pl. 218 de ses Enluminures de 
quadrupèdes. Ce capistrate , très commun dans la 
Caroline du Sud, paroit répandu sur une vaste éten- 
due de l'Amérique septentrionale. 5° L’ÉCUREUIL DE 


(5) Fr. Cuv., Mammif., t. IL, 

(2) Gapper, Zool. journ.. n° 18, p. 206, pl. XI; Ball. 
Féruss., t. XXII, p. 264. 

(3) Sc. hudsonius, Pennant., Fr. Cuv., t. Het 65e liv. 

() Sc. capistratus, Bose.; Sc. cinereus, Screb., pl.213, 
f.B: Sc. bicolor, Forst.; Sc. vulpinus, Gm. 

(EC 


(6) Sc, niger, Brown, Illust., pl, 47. 


469 


Lewis (!), découvert dans les plaines du Missouri 
par les voyageurs Lewis et Clark, paroît être d’un 
cendré ocreux en dessus. tirant au jaune d’ocre franc 
en dessous et aux quatre extrémités. Sa queue est 
très fournie, marquée de sept anneaux noirs et de 
six blancs. Ses oreilles sont petites et arrondies, et 
ses lèvres sont bordées d’un liseré blanc. 4° Le ca- 
PISTRATE A LONGUE QUEUE (?), très commun dans les 
bois qui bordent le Missouri, est très remarquable 
par sa forte taille, puisqu'il a quinze pouces de lon- 
gueur, sans y comprendre la queue qui en a dix-huit, 
et qui, de plus, est amplement couverte de longs 
poils jaunes, gris seulement à leur sommet. Les poils 
qui recouvrent le corps sont annelés de noir, de 
blanc et de jaune, de sorte que les teintes varient 
suivant que ces couleurs diminuent. Ainsi la tête est 
poire sur lecrâne, grise brune sur les joues, blanche 
aux oreilles, au museau et sur la gorge. Le dos et 
les flancs sont olivâtres, le dessous est blanc, et une 
sorte d’écharpe jaune traverse les épaules. 

Quelques espèces bien moins connues habitent 
les mêmes contrées que les précédentes. Ce sont : 
3° L’ÉCUREUIL ROUGE (3), rouge dessus, blanc dessous. 
Du Missouri. 6° Le VENTRE ROUGE (4), ayant le corps 
fauve blanchâtre, le ventre roux, la queue fauve au 
sommet. 7° Le LOUISIANAIS (5), blanchâtre en dessus, 
brun roussâtre en dessous , avec une forte queue. 
Des rives du fleuve Rouge. Le LATÉRAL (6) de Say 
est un Spermophile. 

La cinquième tribu est celle des Tamras (7), bien 
distincte des précédentes, parce qu’elle comprend 
des écureuils ayant des abajoues ou munis de po- 
ches dilatables aux joues, qu’ils peuvent remplir 
d'aliments tenus en réserve. Leurs habitudes les 
rendent fouisseurs, et les poils de leur queue $ont 
distiques. Tous sont du nord de PAmérique, et vi- 
vent dans les terriers qu’ils se creusent dans les 
vastes plaines nues du Missouri. Les tamias les 
mieux connus sont : 4e le Lackee (8) des Angio-Amé- 
ricains, le ohihoin des Hurons, l’écureuil suisse du 
père Charlevoix, gris brun sur le dos, ayant une 
ligne d’un noir foncé qui suit longitudinalement la 
colonne épinière, et qu’accompagnent sur les côtés 
deux bandelettes blanches bordées d’un petit ruban 
noir. Les parties inférieures sont blanches, et la 


(1) Se. Lewisii, Griff,, t, IE, p. 1490 ; Fisher, Synops., 
suppl. 401 

(2) Sc. macroura, Say, Long’s exp. t. 1, p. 115; Sc. 
magnicaudatus, Harlan; Fr, Cuvier, t. HIT. 

(3) Sc. ruber, Hafinesq. 

(2) Sc.rufiventer, Geoff.; Sc. fulviventris, Herm., Obs. 
zool., 65. 

(5) Se ludovicianus, Curtis, 

(6) Sc. lateralis, Say. 

(7) Hlig. 


(8) Sc. (tamias), Lysteri, Ray; Richards, p. 181, pl. 15. 


470 


queue, qui est droite, est de médiocre longueur. Ce 
petit animal est très commun sur les bords du lac 
Huron et du lac Supérieur, et paroit ne pas aller au 
delà du cinquantième degré de latitude nord, Quoi- 
que très sauvage, il aime les lieux fréquentés par 
l'homme, et trouve, surtout dans les lieux cultivés, 
des chances plus favorables de multiplication, 2° Le 
SASSACKA-WAPPISCOOS des Indiens Creeks (1), ayant 
sur le corps cinq raies longitudinales noires, alter- 
nant avec quatre blanches, les flancs couleur de 
rouille, le ventre cendré, la queue longue et grêle, 
fuligineuse et ocreuse, Ce tamias vit retiré dans les 
cavernes et les crevasses des montagnes Rocheuses, 
aux sou ces de l’Akensa et de la Platte, dans les 
endroits hoisés du grand lac des Esclaves, aux 
sources de la rivière de la Paix. Il commence à pa- 
roître dès le einquantième degré de latitude nord. 
5° Le ramias DE KuuzL (?), qui a sur le dos deux 
raies blanches et trois noires. La tête cendrée, et 
le train de l'arrière roux vif, le devant du eou blanc, 
le ventre roussâtre, la queue grêle , rousse, variée 
de noir et de blanc. On ignore de quel point de 
l'Amérique septentrionale il provient. 4 Le TLA- 
MOTOLLI du Mexique ($), cendré brunâtre, m:rqué 
de cinq à sept bandes blanches longitudinales. 
3° Le GRAMMURE ({), qui est cendré, marbré de fer- 
rugineux, blanc au pourtour des yeux et à la nuque, 
les poils durs et plats, et creusés en gouttières des- 
sus , la queue blanche, marquée de trois raies bru- 
nes. Celte espèce, que M. Harlan croit à tort être 
uue variété de l’écureuil d'Hudson, habite les lis- 
sures des rochers sur les rives du Canada. L’écu- 
reuil rouge de M. Warden (5) est aussi regardé par 
l’auteur de la Faune américaine comme une variété 
de l’Hudsonien. On le dit blanc! âtre sur les flancs, 
blanc en dessous, ayant le dos traversé par une ban- 
delete longitudinale rouge. 
La sixième tribu est celle des raGuaxs 5), bien 
on ts des écureuils , en ce qu’ils ont la peau des 
étendue entre 1e jambes de devant et celles 
de derrière, comme une sorte de parachute, qui leur 
donne la facilité de se soutenir en l’air et de franchir 
en sautant d'assez grands espaces. Ce caractère leur 
est commun avec les polatouches ou sciuroptères ; 
mais les taguans ont une autre coupe dans la texture 
de leur museau obtus ; leur membrane fait un angle 


() Sc. (famias) quadrivittatus, Say. in Long's exp., 
t.H,p. 349; Richards., p. 184, pl. 46; Bull.,t. XVIII, 
p- 103. 

() Tamias americana, Kuhl, Beit. 69. (ce nom spé- 
cifique est mauvais, puisque tous les tamias sont d’A- 
mérique.) 

(3) Sc. mexicanus, Erxl. 

() Se. grammurus, Say, Long's exp. IN, 72. 

(5, Sc. rubrolineatus, Desm. 

. (6) Pteromys, G: Guv. (rat ailé }; petauristus, Fisher. 


HISTOIRE NATURELLE 


très aigu derrière le poignet; ils ont des habitudes 
nocturnes, et vivent exclusivement dans les contrées 
les plus chaudes de l'Asie. Leur régime est pure- 
ment frugivore. 4° Le faguan (? de Buffon est le 
type de cette tribu. On le trouve à Sincapore, aux 
iles Philippines, et dans les îles de la Sonde. Sui- 
vant le major Farquhar, le taguan est très commun 
à Malacca, où il est nommé chin krawa. 2 On en 
distingue le PTÉROMYS ÉCLATANT (), brun marron 
foncé en dessus, roux brillant en dessous, qui vit à 
Java. 53° Une espèce plus petite, le SAGETTE (3), est 
brune foncée en dessus, blanche en dessous , de la 
taille de l’écureuil d'Europe, et vit dans l'ile de 
Java. Sir Raffles en indique une variété qu’on lui 
adressa de Sincapore, dont la membrane étoit fort 
agréablement frangée, et dont la queue, aplatie et 
garnie de poils distiques, avoit une forme oblongue 
et lancéolée. Son scrotum étoit très développé. 
4° M. Temminck se borne à mentionner nominale- 
ment un pteromys leucogenys, qu'il dit provenir 
du Japon. 5e M Horsfield (i) a figuré deux taguans, 
qui vivent aussi à Java. 6° L'un est le kechubu (5) 
des indigènes. Son pelage est blanchâtre, passant 
au blane pur sous le corps; k ligne médiane du dos 
est brunâtre. Ses moustaches épaisses et dures sont 
fasciculées. Il est rare , et habite les forêts de Pugar, 
dans le district le plus sauvage de la côte orientale 
de Java. 7° L'autre est le LÉPIDE (6), brun noirâtre 
en dessus, blanc en dessous, la tête et le manteau 
blanehâtres, la queue plate et distique. Il se tient 
de préférence dans les fourrés les plus épais et les 
plus touffus. 

La septième et dernière tribu est celle des POLA- 
TOUCHES OU SCIUROPTÈRES (7), nommés aussi ÉCU- 
REUILS VOLANTS, parce qu’ils ont comme les ta- 
guants un repli de la peau des flancs étendu et 
dilaté entre les membres. Ils ont la tête plus effilée, 
la membrane entière et droite à son bord libre, des 
habitudes diurnes. Ils ne se rencontrent que dansle 
nord de l’Europe, de l’Asie et de l'Amérique. Le 
type de cette tribu est bien connu, c’est le POLATOU- 
ce (8) de Buffon, commun dans les bois de bou- 
leaux de la Sibérie, et plus rare en Pologne, en 
Lithuanie et en Laponie. La seconde est l’ASsA- 
pan (°), si commun aux Etats-Unis , e décrit aussi 
sous le nom de polatouche par Buffon. Enfin, la 


() Sc. petaurista, L.; pteromys petaurista, Pallas, 
Desm. 
() Pt. nitidus, Geoff. 
() Sc. sagitta, L.; pteromys'sagitta, Geoff. 
() Zool. resear. in Java. 
(5) Pteromys genibarbis, Horsf. 
(6) Pteromys lepidus, Horsf, 
(7) Sciuropterus, Fr. Cuv. 
(8) Sc. volans, L, 
(9) Sc, volucella, Pallas. 


b «0174 
+ 


DES MAMMIFÈRES. 


troisième est l’'ÉCUREUIL VOLANT d'Hupsox (!), brun 
rougeâtre sur le corps, la queue aplatie, de la cou- 
leur dudos Cetanimal ne dépasse pas les cinquante- 
deux degrés de latitude boréale et la rivière Severn, 
sur les bords de laquelle il est commun. Il avait été 
confondu par Forster avec le polatouche du lac 
Huron, à l'embouchure de la baie de James, etc. 
Il est remplacé dans les montagnes Rocheuses par 
une variété alpine que M. Richardson nomme pfe- 
romys sabrinus, alpinus, à pelage brun jaunâtre 
en dessus, à queue aplatie, plus longue que le corps. 
Cette variété est suriout commune le long de la 
rivière des Élans et de la Mackensie, Quant au pte- 
romys cucullatus de la Virginie, c’est indubitable- 
ment une espèce fictive. 


LE POLATOUCHE ÉLÉGANT (). 


Est d’un tiers moins grand que le nitudus, mais 
sa robe est peinte de vives couleurs. Le dos a de 
grandes mèches d’un blanc ou plutôt d’un gris ar- 
gentin, sur un fond noir profond. Les membranes 
sont en dessus d’un marron vif, et la queue de la 
longueur du corps est d’un noir parfait. Cet animal 
a été découvert dans l'ile de Nusa-Kambang, petite 
île située non loin de Java. 

Le nouveau genre dendrobius de M. Meyen ap- 
partient à la tribu des écureuils, et établit le passage 
de ce genre à celui des rats. Les ineisives supérieu- 
rés sont plus courtes que les inférieures, qui sont 
très longues , aplaties en dedans, et un peu arron- 
dies en avant. Les moiaires sont au nombre de qua- 
tre partout. Les supérieures sont presque triangu- 
laires, tandis que lesinférieuressontquadrangulaires, 
et un peu échancrées en dedans et en dehors. La 
queue est écailleuse, annelée et terminée par un bou- 
quet de poils. L'espèce signalée par M. Mayen est 
son dendrobius degus, déjà connue par une des- 
cription de Molina, qui la nomme sciurus degus. 
Son pelage est jaune brunâtre, avec une bande noire 
sur la nuque, et des taches noires sur le dos. Il a 
cinq pouces et demi de longueur sans y comprendre 
la queue. C’est un animal qui habite le Chili, où il 
vit en grandes troupes, en se creusant des galeries 
souterraines, bien qu’il sache grimper sur les arbres 
avec la plus grande aisance. On assure qu’il se nour- 
rit d'œufs et de pelits oiseaux, aussi bien que de 
matières végétales, et lorsqu'il mange il se redresse 
sur ses pattes de derrière et sur sa queue. Il occa- 


sionne de grands dégâts en rongeant les racines des 
arbres fruitiers. 


(:) Sc hudsonius, L.; pteromys sabrinus, Shaw, Rich. 
193 


() Pteromys elegans, Temm., faune Jap., dise, 


471 


LES CHIROMYS (!). 


Ne renferment qu’une espèce décrite par Buffon, 
d’après Sonnerat, sous le nom d’aye-aye (?), et qui 
fait le passage des lémuriens aux rongeurs. C’est un 
animal nocturne, indolent et entomophage. 


LES CYNOMIS() 
OU CHIENS -RATS. 


Forment un petit genre qui tient des écureuils et 
des spermophiles. Il appartiendroit à ces derniets si 
on vient à retrouver les abajoues que Lewis et Clerk 
seuls lui accordent, mais que n’ont pas indiqués 
plusieurs auteurs qui en ont parlé après les deux 
voyageurs. Les dents sont semblables à celles des 
écureuils; toutes les extrémités ont cinq doigts armés 
d’ongies puissants, et leur queue est couverte de 
poils distiques. Rafinesque en décrit deux espèces 
des plaines du Missouri; la première, peu con- 
nue (), est grise en entier, la seconde est célèbre 
sous le nom d’ÉCUREUIL JAPPANT (5), ( parce que sa 
voix imite, à s’y méprendre, l’aboiement d’un petit 
chien , ou de chien de prairie, et se trouve fréquem- 
ment cité dans les écrits des Anglo-Américains.Cet 
animal vit par troupes considérables dans les plai- 
ves du Missouri, où il se creuse de vastes terriers 
que les chasseurs appellent des villages ( prairie's 
dog villa.es), où il entasse les racines et les herbes 
qui forment sa nourriture. Son pelage est rouge de 
brique en dessus, gris ou blanchâtre en dessous. 

Les mœurs de ces animaux concourroient à prêter 
aux vastes solitudes du Missouri un de ces aspects pi- 
quants devenus célèbres dans les écrits de Cooper et 
de Washington Irving. 

Nous emprunterons à ce dernier l’un des chapi- 
tres de son Voyaje dins les prairies à l'ouest des 
Étais-Unis , où il rapporte comme témoin oculaire 
une foule de détails curieux sur les républiques du 
CYNOMIS SOCIAL ( cynomis socialis), lout en rappe- 
lant à nos lecteurs qu’ils doivent faire la part de 
l’exagération poetique de l’homme de lettres. 

Ainsi s'exprime Washington Irving dans son 
52e chapitre, intitulé : Une république de chiens 
de prairie : « J'appris qu’on avoit découvert à un 
» mille du camp, sur le plateau d’une colline, un 


{:) G. Cuv.; Daubentonia, Geoff. 

(2) Sc. madayascariensis, L, 

(3) Rafinesque. 

(t) Cynom s griseus. 

(5) Cynomis socialis, Rafinesq.; spermophilus ludo- 
vicianus, Ord., Richards, p. 154; arctomis ludovicia- 
nus, Say : À. latrans, Harlan. 


“ 


L 


472 


» terrier, ou, comme on les appelle , un grand vil- 
» lage de chiens de prairie. De bonne heure, dans 
» après-midi, je m'acheminai pour aller visiter ce 
» curieux établissement. Le chien de prairie est un 
» petit quadrupéde de la famille des lapins et de la 
» grosseur du lapin commun. fl est vif, étourdi, 
» sensible et un peu pétulant. C’est un animal très 
» social, vivant en nombreuses communautés qui 
» occupent quelquefois plusieurs acres détendue, et 
» où les traces foulées et refoulées que l’on remar- 
» que sur le sol, prouvent l’extrême mobilité des 
» habitants. Ils sont, en effet, dans un mouvement 
» perpétuel , tantôt se livrant à des jeux, tantôt à 
» leurs affaires publiques ou privées, et on les voit 
» aller et venir d’un trou à l’autre comme s'ils se 
» rendaient des visites. Souvent ils se réunissent en 
» plein air, pour gambader et courir ensemble à la 
» fraicheur du soir, après les pluies d’été. D'autres 
» fois ils passent la moitié de la nuit à se diverür, 
» en aboyant, ou plutôt en jappant d’une voix basse 
» et foible, assez semblable à celle de très jeunes 
» chiens. Mais à la moindre alarme , tous se retireut 
» dans leurs cellules, et les villages restent dépeu- 
» plés et silencieux. Quand ils sont surpris, et qu’ils 
» n'ont aucun moyen d'échapper, ils prennent un 
» certain air d’audace, et la plus singulière expres- 
» sion de défi ou de colère impuissante. 
» Cependant les chiens de prairie ne sont pas les 
» seuls habitants de ces villages. Des hiboux, des 
» serpents à sonnettes y établissent aussi leur domi- 
» cile ; mais reste à savoir si ce sont des hôtes bien 
» accueillis ou des étrangers introduits sans la par- 
» ticipation des véritables propriétaires. Les hiboux 
» qui se logent dans ces terriers ont un regard vif, 
_ »un vol rapide, des pattes plus grandes que celles 
onde nos hiboux communs, et de plus ils sortent en 
» plein jour {strixæ cunicularia). Des voyageurs as- 
» surent qu'ils nes ‘étabiissent dans les demeures des 
iens de prairie que lorsque ces derniers les ont 
andonnées par suite de la mort de quelques 
» membres de leur famille , car la sensibilité de ces 
» singuliers petits quadrupèdes les porte à fuir l’en- 
» droit où ils ont perdu un des objets de leur atta- 
» chement. Diverses personnes prétendent même 
» que le hibou est une sorte d'intendant ou de con- 
» cierge pour le chien de prairie, et l’on prétend 
» encore, vu la ressemblance de leur cri que l’oi- 
» seau apprend à japper aux jeunes cynomis, et qu'il 
» est ainsi le précepteur de la famille, 
» À l'égard du serpent à sonnettes, on n’a rien 
» découvert de satisfaisant sur le rôle qu’il joue dans 
» l’économie domestique de cette intéressante com- 
» munauté. Quelques personnes insinuent que cet 
» animal rusé s’introduit comme un vrai sycophante 
» dans l’asile de l’honnête et crédule chien de prai- 
» rie, qu’il trompe indignement, Il est certain qu’on 


» 


HISTOIRE NATURELLE 


» l'a surpris parfois mangeant quelques uns des 
» petits de ses hôtes, et qu’on peut inférer de là 
» qu'il se permet en secret des dédommagements 
» au-dessus de ceux qui sont ordinairement accor- 
» dés aux parasites. 

» Tout ce que j’avois entendu dire sur ces petits 
» animaux sociaux et politiques me faisoit appro- 
» cher de leur village avec un grand intérêt : mal- 
» heureusement, dans le courant de la journée, il 
» avoit été visité par quelques chasseurs qui avoient 
» tué deux ou trois des citoyens. Toute la république 
» étoit donc outragée et irritée. Des sentinelles 
» avoient été posées, et, à notre approche, nous en- 
» tendimes cette garde avancée décamper pour don- 
» ner l’alarme. Les citoyens qui se tenoient prudem- 
» ment assis à l'entrée de leurs trous respectifs, 
» après un bref jappement, s’enfoncèrent sous terre, 
» leurs talons s’agitant en Pair comme s’ils eussent 
» battu des entrechats. 

» Nous traversèmes le village, qui couvroit un 
» espace de trente acres; pas un seul habitant ne s’y 
» montroit. On y voyoit d'innombrables trous, et 
» chacun d’eux avoit à côté de lui un monticule de 
»terre formé par le petit animal en creusant ses 
» galeries souterraines. Tous ces trous étoient vides 
» aussi loin que nous pûmes les sonder avec les ba- 
» gueltes de nos fusils, et nous ne dénichâmes ni 
» chien, ni hibou, ni serpent à sonnettes. Nous nous 
» retiràämes à petit bruit, et nous asseyant à terre nou 
» loin du terrier, nous reslämes assez long-temps 
et en silence, les yeux fixés sur le vil- 
» lage abandonné. Par degrés nous vimes de vieux 
» bourgeois expérimentés qui, se trouvant logés 
» aux limites du village , passoient prudemment le 
» bout de leur nez, puis se retiroient aussitôt. D’au- 
» tres plus éloignés sortoient tout-à-fait, mais en 
» nous apercevant ils faisoient leur eculbute ordi- 
» naire, et se plongeoient brusquement dans leur 
» trou. Enfin, quelques habitants du côté opposé, 
» encouragés par le maintien de la tranquillité, se 
» glissèrent hors de leurs gîtes, et se hâtèrent de 
» courir à un trou situé à une ass z grande distance, 
» comme s'ils alloient chez un ami ou un compère, 
» juger et comparer leurs mutuelles observations sur 
» les derniers événements. D'autres encore, plus 
» hardis, formoient de petits groupes dans les rues 
» et dans les places publiques, et s’occupoient évi- 
» demment des outrages récents faits à la république, 
» et du meurtre barbare de leurs concitoyens. Nous 
» nous levâmes pour tâcher de les voir d: plus près; 
» mais biouf! biouf! biouf! fut le son poussé de 
» toutes les bouches, et il y eut une disparition uni- 
» verselle. De tous côtés on ne voyoit que pieds de 
» derrière tricotants, et dans un clin d’œil tout dis- 
» parut sous le sol. 

» La nuit mit fin à nos observations ; mais long- 


» immobiles 


k 


Ed 


» temps après notre retour au camp, nous enten- 
» dimes une foible clameur s'élever du village; on 
» eût dit que ses habitants déploroient en commun 
» Ja perte de quelque grand personnage. » 


DES MAMMIFÈRES. 


LES SPERMOPHILES (). 
Spermophilus. 


Sont intermédiaires aux écureuils et aux mar- 
mottes. Ils joignent à la disposition du système den- 
taire de ces dernières les abajoues et la queue droite 
des tamias. Ils se creusent des terriers, aussi les a- 
t-on nommés écureuils de terre, et vivent exclusi- 
vement dans la portion boréale de l'Amérique. 

Ces animaux font le passage des marmottes aux 
tamia ou écureuils de terre, et se distinguent des 
premières par des formes plus élancées et plus grê- 
les, par des pieds plus longs et plus étroits, par 
leurs doigts presque entièrement libres, avec un seul 
tubercule à la base de chacun, et dépouillés de poils. 
Les dents présentent entre autres particularités 
d’être plus étroites que celles des marmottes, et les 
différences les plus fondamentales se trouvent éga- 
lement établies dans les modifications qu'éprouve 

la boîte osseuse cränienne. On peut donc caractériser 

ce genre ainsi qu’il suit : un hélix bordant l'oreille ; 
une pupille ovale, de grandes abajoues, les doigts 
des pieds étroits et libres ; le talon couvert de poils, 
tandis que les doigts des pieds de derrière sont nus : 
vingt-deux dents; quatre incisives et dix molaires 
en haut, et huit en bas. Le type des spermophiles 
est un rongeur anciennement connu, 


à 


a ———— —  — — — — … …—…—… … … … …"….… …… … _ —_————  ____ _—_—_—__—_—_ _—_—_—_— — 
LÀ 


dé 
» LE SOUSLICK. 


_ Spermophilus citillus (?). 


Ce spermophile est d’un gris brun en dessus, 
ondé ou tacheté de blanc par gouttelettes, blanc en 
dessous. On en connoît plusieurs variétés : l’une, 
tachetée (Sp. guttata ) ; l’autre, ondulée ( Sp. undu- 
lata) ou le =izel; enfin, une troisième, d’un brun 
jaunâtre uniforme, ou la marmotte de Sibérie. 

Cet animal vit isolé dans des terriers au nord de 
l’Europe et de l'Asie, ainsi que dans la Perse, l'Inde 
et la Tartarie : il se nourrit de semences. 

Lisez son histoire dans Buffon, sous les noms de 
gisel et de souslick. A ce genre il faut joindre, sans 
aucun doute, les animaux suivants : 


() Spermophilus, Fr GCuvier. 

() Le zizel et le souslicx, Buffon, pl. 31 : arctomys 
citillus, Pallas, pl. 5 et 6 : le jevraschka, ou la mar- 
motte de Sibérie, var., Buflon. 

L 


473 


LE SPERMOPHILE DE PARRY. 
Spermophilus Parryti (1). 


Cette espèce est un peu plus développée que le 
spermophile de Franklin, et un peu moins forte de 
taille que la marmotte de Québec de Pennant. Sa 
longueur totale, du bout du museau à la base de la 
queue, varie de douze à quatorze pouces. La queue, 
jusqu’au bout des poils, a cinq pouces et demi. Le 
corps est large et aplati ; les jambes épaisses ; le nez 
tronqué et couvert de poils courts, bruns et serrés ; 
le bord de la bouche blanc; les yeux grands et de 
couleur foncée; l’orifice du conduit auditif large; 
les oreilles très courtes, consistant simplement en 
une conque semi ovalaire et plate de la longueur 
de deux lignes : Les abajoues amples, s’ouvrant dans 
la bouche en avant des dents mâchelières ; les in- 
cisives blanches avec les bords dentelés, usées, et 
souvent cannelées intérieurement ; celles de la mâ- 
choire supérieure courtes et tant soit peu tronquées ; 
celles du bas plus longues d’un tiers, plus étroites, 
et terminées au dehors par une ligne semi -circu- 
laire ; cinq molaires en haut , quatre en bas, les pos- 
térieures les plus larges : quelques adultes n’en ont 
que quatre à la mâchoire supérieure ; leurs cou- 
ronnes sont terminées par une plaque d’émail cour- 
bée et irrégulière, traversée par deux raies transver- 
sales de hauteur inégale présentant quelques pointes 
obtuses. Le dos est vêtu d’une fourrure douce, con- 
sistant en un duvet d’un gris de fumée sombre à 
l’origine, d’un gris pâle et frais au milieu, et d’un 
gris jaune à l'extrémité: cet arrangement produit 
un ensemble confus de taches blanchâtres, irrégu- 


lières et nombreuses, bordées et séparées par du 


noir et du gris jaune ; ces taches se trouvent placées 
transversalement sur la partie postérieure du dos. 

la gorge et tout le dessous sont rouge or 
jaune brunâtre, ou plutôt d’une teinte intermédiaire ; 
les couleurs du dos et du ventre tirent entre les 
deux. La queue est aplatie et distique : l'animal peut 
en étaler les poils comme sur une plume ; en cet état 
la queue est brune le long de sa tige, terminée et 
bordée aux deux tiers de sa longueur par du noir. 
Les pieds ont des ongles courts, déprimés, larges, 
noirâtres, légèrement arqués et sillonnés en dessous; 
sur le côté intérieur des pieds de devant, et assez 
haut, se trouve un petit pouce armé d’un ongle 
court; les paumes nues, ayant des protubérances 


(1) Ground-squirrel, Hearne; Voy., n. 141 : Quebec's 
marmot, Forster, Trans. phil., t. LXXIE, p. 378 : arcto, 
mys alpina, Parry, deuxième Voyage, p.61 : aretomys 
Parryii, Richardsou, App. au Voyage de Franklin; 
Harlan, Faun, amer., p, 170. 

60 


474 


calleuses, trois à la base des doigts, le pouce inséré 
dans la plus large. 
Ce rongeur vit dans le nord de l'Amérique. 


LE SPERMOPHILE RAYÉ. 


Spermophilus tridecemlineatus (1). 


Cet animal a environ sept pouces et demi de lon- 
gueur, du bout du nez à l'insertion de la queue. Le 
sommet de la tête est large et aplati, varié obscuré- 
ment de taches d’un brun foncé et d’un blanc sale, 
Les oreilles sont très courtes et pelites; les joues 
et la gorge sont revêtues de poils grisâtres; les 
moustaches sont longues rigides et implantées dans 
l'intervalle qui sépare le nez et les yeux. Les inci- 
sives sont courtes et épaisses, les inférieures sont 
beaucoup plus longues et plus étroites. Toute la par- 
tie supérieure du corps est marquée Jongitudinale- 
ment de raies alternantes d’un brun foncé et d’un 
blanc sale : les raies brunes sont du double plus 
larges que celles qui sont claires, et dans leur mi- 
lieu elles sont remplies de nombreuses petites ta 
ches blanchâtres sordides. Sur le rachis se dessine 
une raie noire beaucoup plus étroite que les précé- 
dentes, qui sont au nombre de trois de chaque côté ; 
mais la plus inférieure, sur les flancs, est irrégulière- 
ment marquée, et les taches qui y apparoissent sont 
beaucoup moins nettes. Le ventre et l’ensemble des 
parties inférieures sont d’un blanc sale . légèrement 
teint de fauve. La queue n’a que deux pouces de lon- 
gueur, et est alternativement zonée de brun foncé et 
de blanchâtre : cette dernière couleur la termine, 
Les pieds de devant sont courts et grêles, vêtus de 
poils elair-sewués ; le doigt externe et son ongle sont 
petits et placés très en arrière : les trois doigts du 

ilieu sont les plus longs. En dedans on remarque 
aussi un rudiment de doigt, avec un petit ongle co- 
5. mais beaucoup moins visible que dans le 

_ spermophile de Richardson. Les ongles sont d’une 
couleur de corne brune, et petits; ceux de devant 
sont les plus longs, 

Cette espèce habite le nord de l'Amérique sep- 
tentrionale. 


LE SPERMOPHILE DE RICH \RDSON, 
Spermophilus Ric'ardsonii (?). 
Cette espèce est à peu près de la taille de la pré- 


(r) Sciurus tridecemlineatus, Mitchill, Med. reposit., 
t. VI 14821 ; Say, Long's Exp., Lt. U, p. ÀT2 Serctômus, 

Harlan, É ., p. 16%: arctomys Hoodii, Sabine, 
Trans., Soc. linn Lonud., t. XI, p. 590, pl. 29; Fr. 
Cuvier, Mammifères, 46e livraison. 

E) Arctomys Richardsonii, Sabine, Trans., Soc. linn, 


"7 


HISTOIRE NATURELLE 


cédente, mais elle est seulement plus grêle dans 
ses formes. Le sommet de la tête est recouvert de 
poils courts, foncés en couleur à leur naissance et 
plus clairs à leur sommet. Le museau est étroit, et 
se termine par un nez pointu ou finit en pointe ai- 
guë : il est revêtu de poils qui s’unissent à ceux du 
sommet de la tête. Les oreilles sont ovalaires et 
brèves. Les joues sont velues, couvertes de poils ras 
d’un brun clair. Les moustaches sont peu dévelop- 
pées, et se trouvent implantées dans les joues et au- 
dessous des yeux. La gorge est d'un blane sale. 
Toutes les parties supérieures du corps sont cou- 
vertes de poils ras, mous, foncés à leur base, et d’un 
fauve uniforme à leur extrémité. Sur l’échine se 
dessine une rangée de poils roides, analogues à ceux 
qui recouvrent le sommet de la tête, mais de teinte 
plus claire : les poils des flancs sont plus longs, et 
paroissent noirs à leur base lorsqu'on les soulève; 
ils sont d’un blanc enfumé à leur pointe : ceux du 
ventre et des parties inférieures sont de la même 
teinte, à laquelle se mêle une couleur ferrugineuse. 
La queue a trois pouces et demi de longueur jus- 
qu'au bout des poils les plus longs, qui la dépas- 
sent : elle est grêle, recouverte de poils allongés, 
clair-semés, de la couleur de ceux du corps à leur 
base, mais présentant en dessous trois nuances dis 
tinctes, qui sont le noir, le brun, et enfin une teinte 
claire au sommet. Les jambes sont assez longues et 
grêles, proportionnellement. Les pieds sont minces. 
Les ongles, de couleur de corne, sont recourbés et 
étroits. Les pieds antérieurs ont à leur côté interne 
un petit doigt placé en arrière et terminé par un 
ongle obtus, et différent, par cette particularité, des 
caractères génériques de toutes les autres espèces. 
Les doigts des pieds de derrière ont les trois du mi- 
lieu égaux, et les deux latéraux beaucoup plus courts 
et placés plus en arrière. 

Ce spermophile fut tué à Carlstonchipnee, dans 
l'Amérique du Nord, et rappelle le nom du docteur 
Richardson, compagnon du eapitaine Franklin. 


LE SPERMOPHILE DE FRANKLIN. 
Spermophilus Franklinii (1). 


Ce spermophile a la taille d’un fort rat, et a de 
longueur, depuis le museau jusqu’à la racine de la 
queue, sept pouces environ. Son chanfrein est large, 
couvert de poils roides, grisâtres, c’est-à-dire noirs 
et blancs ; le nez est nu et obtus; les oreilles sont 


Lond , t. XUE, p. 589, pl. 28; Lesson, Complèm. Buff., 
pl. 40, fig. 1. 


() Arctomys Franklinit, Sabine, Trans., Soc, linn. 


| Lond.,t, XL, p. 587, pl. 27. 


ermohhil de e Honor ; Aretomis Franklin: nee 


nl 
sf 


= 
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) LE , 
1. eMarmell nÉ Lt fard 2, Arctomis Richardsonn lline 


/ 


larmetll 7 ea D / Arctomis Hoodi, 4 falin 


LR 


et 


TL EN N 2 
A SAR 


DES MAMMIFEÉRES. 


larges, revêtues de poils ras ; les poils des mousta- 
ches sont noirs et courts, el çà et là sous les yeux 
et au-dessus il y en à quelques uns d’implantés. La 
gorge est d’un blanc pur. Les incisives sont inégales : 
les supérieures sont d’un Jaune rougeâtre, et les in- 
férieures sont beaucoup plus pâles. Les poils qui re- 
couvrent la partie supérieure du corps sont courts, 
d’un bruw foncé à leur base, blancs à leur milieu, 
annelés de noir, puis de blanc. de jaunâtre, et enfin 
terminés de noir, ce qui donne à l’ensemble du pe- 
Jage une couleur grise-jaunâtre variée de noirâtre. 
Les poils des flancs ont plus de longueur que ceux 
du dos; ils ont moins de noir, et n’ont aucune teinte 
de jaune : ceux du ventre sont noirâtres à leur nais- 
sance, et d’un blanc sale à leur pointe. La queue 
est longue de cinq pouces, et est garnie de poils 
touffus, variés de tlane et de noir par zones assez 
larges. Les pieds sont élargis ; les doigts sont min- 
ces, velus et grisâtres: les trois du milieu égaux, les 
deux externes plus courts. Les ongles sont de cou- 
leur de corne , et les antérieurs sont plus longs que 
les postérieu s. 

Ce spermophile est voisin de l’arctomys pruinosa 
des auteurs, suivant le capitaine Sabine, bien qu’il 
en diffère. Son nom rappelle l’intrépide chef de l’ex- 
pédition angloise destinée à se rendre par terre au 
pôle, pour rejoindre les vaisseaux de Parry. On le 
trouve dans le nord de l’Amérique. 


EE" 


LE SPERMOPHILE POUDRE. 


Spermophilus pruinosus (!). 


Cette espèce a jusqu’à ce jour été assez mal dé- 


crite, et même elle sembleroit être l’arctomys Fran- 


klinii de Sabine. On la dit de la taille d’un lapin, 
ayant la pointe du nez noire, les oreilles courtes et 
ovalaires , les joues blanchâtres ; les poils longs et 
rigides, cendrés à leur base, noirs à leur centre et 
blancs à leur sommet. La queue est noire, variée de 
couleur de rouille. Les pieds sont noirs et les on- 
gles brunâtres. 

Ce spermophile a été décrit ainsi par Pennant 
d’après un individu conservé au Muséum de Lever, 
et que l’on supposoit du nord de l'Amérique. 

Il nous reste à signaler quelques espèces nouvelles. 
Ce sont: 1° Le SPERMOPHILE DE DoucLas (?), des 
rives de la Colombia, à pelage pruineux, marqué 
d’une ligne noire entre les épaules, tirant sur les lom- 
bes au brunâtre, mélangé de fuligineux. Le ventre 


(‘) Arctomys pruinosa, Gmelin : koary-marmot, Pen- 
pant; Shaw, Gen. Zool.,t. I, p 121; Sab'ne, Trans., 
Soc. linn. Lond., 1, XUH, p. 586; Harlao, Faun: amer., 
p. 169. 

C) Sp.? Douglasii, Rich., 172, 


475 


est blanc, et la queue annelée de brun et de blan- 
châtre. 2° Le SPERMOPHILE DE Say (1), brun cendré, 
ayant sur le côté du dos deux bandes blanches bor- 
dées de bandelettes noires ou ferrugineuses, Il habite 
les montagnes Rocheuses par cinquante-sept degrés 
de latitude septentrionale. 5° Le SPEUMOPHILE pu 
MEXIQUE (?), découvert en 1826 à Toluca, où on le 
nomme wrion, par M. Deppe, est roux, émaillé de 
taches blanches. Sa queue est annelée de blanc et 
de brun. Les parties inférieures sont gris cendré ou 
blancliâtres. Cette espèce est bien voisine, si elle 
n’est pas identique, avec la suivante. 4° Le spErMo- 
PHILE DE BEECHEY (3) a le port du sciurus bicolor 
de Sparmann, et paroît être le quauhtecallotiqua- 
pachili et le costiocoteguallin d'Hernandez(‘), qui 
vit, au dire de cet auteur, dans les crevasses souter- 
raines, les cavernes closes, où il élève en paix sa pro- 
géniture. Il recherche principalement le maïs qu’il 
vole dans les champs, et avec lequel il forme des 
greniers d'hiver. Ses mœurs sont farouches , et ne 
peuvent se plier à l'éducation. Il porte sa queue 
droite ; elle est très longue, de couleur noire, bien 
que les poils soient, à leur pointe, d'un brun grisâtre. 
La tête, le corps, les extrémités, sont, en dessus, 
noir plaqué çà et là de fauve ou de jaune grisâtre. 
Les oreilles, le nez, les parties dénudées des mains 
et des pieds, de même que les moustaches, sont noirs. 
Les côtés internes des pieds et du ventre sont mar- 


_qués de ferrugineux. 


Ses dimensions sont les suivantes : 


Pouc, Lignes 
Longueur totale; >: «+ +; + + : : 93 9 


————— du corps, du bout du nez à la 
naissance de la queue. . 12 » 
————— dela queue. . . . . . . . 11 9 
————— dela tête. . . . . . . , 2 4 
Hauteur des oreilles "000 FT ODL AL 


La queue est presque aussi longue que le corps, 
la tête comprise. Les oreilles sont médiocrement dé- 
veloppées, obovales sans bouquet à leur sommet, 
mais vêtues sur leurs bords de poils courts et rares. 
Les incisives sont jaunes. Les ongles, recourbés, cor- 
nés, sont plus clairs à leur pointe, et la queue très 
velue est comme distique. 

M. Bennett a fait connoître deux spermophiles, 
découverts à la Californie par M. Sykes. Ce sont : 
5° Le sousLick de la Californie (5), brun roux, ponc- 
tué finement de noir et de blanc; les lèvres, le men- 


(') Sp. lateralis, Rich., 17%, pl. 13; Sc. lateralis, 
saq. 

(2) Citillus mexicanus, Lichse. 

() Sc. hypopyrrhus, Isis, n° 5, 1831, p. 510 ? Sper- 
mophylus Beecheyi, Richardson, Fauna boreali ame- 
ricana, Lond., 1829. 

(4) Thesau., p. 8, caput 26 ?? 

(5) Sp. spilosoma, Benn., Proceed., t. II, p. 40. 


476 


ton et le tour des yeux blancs; le ventre et les cuisses 
jaunâtres ; la queue terminée de noir et de blanc. 
6° Le Sp. À GROSSE QUEUE (1), noir, ponctué de blanc 
par rayures ; la tête noire, avec quelques poils blancs ; 
les sourcils neigeux ; les lèvres et le menton ferru- 
gineux ; le ventre ocreux , varié de noir ; la queue 
fort longue, variée de noir et de blanc. Cette espèce 
est voisine du Sp. de Frankiin et de Beechey. Le 
spermophilus concolor est regardé, par M. Lich- 
steinsten, comme une espèce distincte du zizel, bien 
que Pallas ne l’en ait pas séparée. C'est le jevras- 
chkat ou la marmotte de Sibérie. 


LES CITILLUS. 
Lichst., Saüget. 1827. 


Sont pour nous les représentants, dans le nord de 
l'Ancien Monde, des spermophiles qui vivent dans 
le Nouveau. La principale espèce est le soreslick ou 
le zizel, qui habite le nord de l’Europe et de l’Asie, 
depuis la Pologne jusqu’en Sibérie. Les deux autres 
espèces ont été découvertes en Bukkarie par le doc- 
teur Eversmann, et ont été figurées dans Ja Mono- 
graphie de Lichsteinsten. La première, le citillus 
leptodactylus (?), est jaune paille, à teintes claires 
en dessous ; la queue moyenne, terminée de noir vif 
et de blanc pur. La seconde est le cètillus mugora- 
rirus(3), à queue grêle, à pelage en entier brun fu- 
ligineux. 


LES LIPURES (. 


Ne comprennent qu’une espèce du pourtour de la 
baie d'Hudson, fort mal connue, dont le museau est 
aigu, la queue nulle, les pieds terminés par quatre 
doigts armés d’ongles fouisseurs. L’espèce type est le 
daman hudsonien (5), de la taille d’une marmotte, à 
pelage brun cendré, chaque poil terminé de blanc, 
que personne n’a revu depuis Pennant. 


né u 
LES MARMOTTES (. 


r Elles renferment plusieurs espèces des montagnes 
d'Europe, de la Perse et de la Bukkarie, ou du nord 
Amérique. Buffon a décrit la marmotte des Al- 


ga! () Sp. macrourus, ibid. 

(2) PI. 32, fig. 1. 

6) PI. 32, fig. 2. 

( Lipura, illiger, Prod. (Lipura, qui n’a pas de 
queue.) L 

(5) Hyrax hudsonius, Screber, pl. 240; fig. G; arcto- 
mys hudsonius de Turton. 

(6) Arctomys, Gm, (rat-ours). 


HISTOIRE NATURELLE 


pes (1), la boback (?) de la Pologne et de l’Asie sep- 
tentrionale, la monar() des parties méridionales 
des Etats-Unis. On doit ajouter à ces espèces la sui- 
vante : Le GuNp1 (f) des Arabes, d’un roux testacé 
uniforme, des chaînes de l’Atlas, proche Massufin. 
Nous n’en pouvons distinguer le spermophile con- 
colore de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, décrit 
et figuré dans le Voyage de Bélanger (5), et qui a un 
pelage jaune fauve , la queue marquée par deux an- 
neaux noirs. Cet animal habite la province d’Azer- 
baidjan en Perse, et surtout la vaste plaine de Sul- 
tanieh, où il élève des petites huttes en terre, qu’il 
remplit de grains. La brune (5), à pelage luisant, 
jaune brunâtre, très voisin du boback. IL habite Ja 
Bukkarie. 

La monazx n’est pas la seule marmotte que nour- 
rissent les Etats-Unis. 7° L’albe de Quebec (arto- 
mys empetra, Screb.) (7), ou le siffleur des Canadiens 
francois, le weenush des Indiens Creeks, est une 
espèce très répandue. Son pelage est gris, c'est-à- 
dire mélangé de nuances fauves, brunes et blanches. 
Les joues sont blanches, et sa queue, dépassant à 
peine la moitié du corps, est noirâtre à son extré- 
mité. Cette marmotte habite donc le Canada et les 
soixante à soixante-deux degrés de latitude nord. 
Les Indiens la recherchent pour la délicatesse de sa 
chair et pour sa fourrure. 8° La MARMOTTE BRA- 
CHYURE ($), gris brun teinté de rouge en dessus, les 
parties inférieures d’un rouge de brique. La queue 
déprimée, marquée d’une tache elliptique brune, 
bordée de blanc, et grise sur sa partie inférieure. 
Habite les plaines de la Colombie. 9° Enfin, M. Es- 
chscholt a décrit une marmotte qui paroît être le tar- 
bogan des trafiquants russes des îles Kodiack, et 
qu’il nomme arctomys caligata (?), à pelage gris, 
teinté de ferrugineux sur la tête et la queue. mais 
remarquable par le pourtour de la bouche qui est 
blanc et les quatre pieds qui sont noirs. Elle habite 
les alentours de la baie de Bristol sur la côte nord- 
ouesf. 


LES APLODONTES (‘). 
Sont intermédiaires aux marmottes et aux lièvres. 


(*) Arctomys marmotta, L. 

(2) À. baba, L. 

(3) A. Monaz, L. 

(4) Mus qundi, Roth.; gundi marmot, Penn. 

(5) Sp. concolor, Isid. Geoff., Bél., pl. 8,p 151. 

(6) Arctomys fulvus, Lichst. Eversm., Il., 119. 

(5) Richards., p. 147, pl. 9. 

(8) Arctomys brachyurus, Harlan, Rich., p. 151 ; ani- 
sonyx brachyura, Rafinesque. 

(9) Atlas 1, pl. 6, 2e liv. 

(ro) Aplodontia, Richards.,Zool. journ., IV, 333; Bull., 
XVII, 445; Faune, p. 240, pl. 18 ; anisonyx, Rafinesq. 


DÉS MAMMIFÉÈRES. 


Ce sont des animaux à museau élargi, obtus, sans 
abajoues, ayant de courtes oreilles arrondies, pres- 
que nues, ou à peine garnies de quelques poils. Le 
corps est court et ramassé, couvert d’une épaisse 
fourrure. Les membres sont robustes, terminés tous 
par cinq doigts. Le pouce des pieds de devant est très 
court : tous ont des’ ongles solides, recourbés, très 
comprimés. La queue est rudimentaire, cachée par 
une touffe de poils. On compte six mamelles, les 
deux inférieures sur la poitrine. Les dents sont au 
nombre de vingt-deux, et les molaires sont remar- 
quables par un fort talon saillant sur un de leurs bords. 
Ce sont des rongeurs qui vivent en société dans des 
galeries , et qui se nourrissent de matières végétales. 
La seule espèce connue est le SEWELLEL des Anglo- 
Américains (aplodontia leporina, Rich.), la mar- 
motte rousse d’Harlan(t), qui habite les vastes plaines 
de la Colombia. Ses poils, longs et soyeux, sont brun 
rougeâtre. 


LES LOIRS (. 


Ceux connus de Buffon sont le loir proprement 
dit, le lérot et le muscardin. On doit leur adjoindre 
quelques espèces nouvelles. 4° Le LOIR Du SENE- 
GAL (5), gris clair teinté de jaunâtre, à ventre blanc, 
et qui vit au Sénégal. 2° Le DRYADE () des forêts de 
Ja Russie et de la Géorgie, peu distinct du loir com- 
mun. Il est gris fauve en dessus, blanc sale en des- 
sous, avec une bordure noire à l’œil. 5° Le LOIR DE 
SIGIRE (5) n’est pas très bien décrit, et n’est peut- 
être pas un loir. On le dit roux brunätre, ayec des 
oreilles nues et arrondies, une queue cylindrique et 
brune. Il vit de fruits, niche sur les arbres, et sa 
chair a bon goût. 4° Le LOIR À GORGE ROUGE (6) ha- 
bite les forêts du cap de Bonne-Espérance. El est gris 
brun sur le dos, roussâtre sur les flancs, cendré sur 
le dos. Tout le devant du corps est d’un beau rouge 
ferrugineux. Ses moustaches sont longues et épais- 
ses, et sa queue touffue. 5° Le nonedsumi des Jap o- 
nois (myoæus iinealus) de M. Siebold, remar quable 
par les cinq raies noires qui se dessinent dans le sens 
longitudinal du dos. Il est long de six pouces; la 
queue en a quatre. On le trouve dans l'ile d'Yesso. 


(") Arctomis rufa, Harlan: anisonix ? rufa, Rafinesq,. 

e) Myoxus, Gm. 

() Myoxus africanus, Shaw; M. Coupei, F. Cur., 
87e liv. 

(:) M. dryas, Screb. 

(5) M. siculæ ; musculus frugivorus, Rafinesq. 


(6) Myoxus crythrabronchus, Smith, Zool. journ., IV, 
438 : Bull., XVIII, 275. 


477 


LES DENDROMYS (!). 
Sont des rongeurs du cap de Bonne-Espérance, à 
museau aigu, dont les oreilles sont oblongues et 
nues, muuies en dedans d’une cloison membraneuse 
à double repli, et dont le trou auditif est fermé par 
la duplicature inférieure. Leur queue est longue, 
composée d’anneaux garnis de peu de poils. Les pieds 
antérieurs ont trois doigts et un pouce rudimentaire, 
sous forme de verrue; les postérieurs sont pentadac- 
tyles et ont des ongles falciformes. Les incisives sont 
sillonnées en avant. Les molaires tuberculeuses. La 
seule espèce est le dendromys typus, brun ou ferru- 
gineux sur le corps, blanc lavé de rose en dessous, 
à queue allongée, une ligne noire disposée longitu- 
dinalement sur le dos. El vit sur les arbres, où il se 
construit un nid dans lequel il élève ses petits. 


LES GRAPHIURES (). 


Ont la forme générale du lérot, et se rapprochent 
des loirs et des dendromys. Ils sontremarquables par 
des membres courts et minces, les antérieurs termi- 
nés par quatre doigts plus un ongle plat, qu’on ob- 
serve sur le gros tubercule interne de la paume et 
qui remplace le pouce; les postérieurs sont penta- 
dactyles, et sont munis d'ongles pointus, comprimés, 
arqués et forts. La queue est courte, très charnue, 
épaisse à sa racine, et finit en pointe. L’oreille est 
grande et simple, susceptible de se ployer longitudi- 
nalement sur elle-même. Le pelage est épais, formé 
de poils laineux et doux, et de poils soyeux en petit 
nombre, excepté sur la queue où ils forment un pin- 
ceau La seule espèce connue habite le cap de Bonne- 
Espérance (3). C’est un joli petit animal gris brun sur 
le corps, à joues, devant du cou et parties inférieures 
de même que les pattes gris de perle. Un trait noir 
va de l’œil à l’oreille qui est carnée. La queue est à 
moitié noire, puis terminée de blanc. 


LES PITHÉCHEIRS (). 


Forment un genre singulier, voisin à la fois %:; 
rats et des sarigues, et qu’il est fort dillicile de placer 


(:) Rat d'arbre, Smith, Zool. journ. IV, 438 ; Bull., 
# Il1, 276 
) Graphiurus, Fr. Cuv., queue en pinceau. 
:  G. capensis, Fr. Cuv., t. HN; et Nouv. Ann. du Mus., 
1, p.441 ; mioæus Cattoirii, Fr. Cuv., Dict., t, XXVIL, 
p. 124. 
dr ) Fr. Cuv., 66e liv., 4833, 


478 


convenablement dans l’état actuel de nos connois- 
sances. Le PITHÉCHEIR MÉLANURE, dont la décou- 
verte est due à M. Duvaucel, provient de l'Inde, sans 
qu’on puisse dire si c’est du Bengale, de Malacca 
ou de Sumatra. C’est un animal probablement de la 
taille d’un rat, à pelage jaune doré, à queue noire, 
longue, pointue et nue. Ses oreilles dénudées sont 
de couleur de chair, et ses extrémités privées de poils 
ont quatre doigts munis de fort petits ongles; mais 
ce qui le rend remarquable est un pouce recouvert 
d’un ongle aplati, rudimentaire aux mains, et oppo- 
sable aux pieds. 


LES NÉOTOMES (1). 


Sont des campagnols pour beaucoup d'auteurs. 
Pour nous, ce sont des rongeurs frugivores qui vi- 
vent sur les arbres à la manière des loirs. Ils ont 
seize dents. et l'émail des molaires est remarquable 
par la disposition de ses rainures, Par l’ensemble du 
système dentaire, ils s’éloignent peu des campagnols. 
Leur museau est pointu, leurs oreilles sont grandes, 
vêtues de poils si fins, qu’elles paroissent nues. La 
queue est longue, couverte de poils ras. Les mains 
ont quatre doigts, avec un rudiment de pouce; les 
pieds sont tétradactyles, tous munis d'ongles aigus. 
D'épaisses moustaches recouvrent les lèvres qui out 
entières. Le pelage est d’une grande finesse. Ou con- 
noît aujourd’hui deux espèces de ce gen’e, toutes 
les deux de l’Amérique Septentrionale. 1° La pre- 
mière est le NÉOTOME DE LA FLORIDE (2), plombé en 
dessus avec quelques poils jaunes et noirs, couleur 
de buffle en dessous ; des pinceaux de poils blancs 
sur la racine des ongles. Habite la Floride orientale, 
les plantations abandonnées. 2° Le NEOTOME DE 
Druümmons (8), que Lewis et Clark observèrent dans 
les montagnes Rocheuses (3), brun jaunâtre, le ventre 
blanc, les poils de la queue plus longs et en touffe 
à l'extrémité de cet organe. Il se tient.par les cin 
quante-sept degrés de latitude, où il niche dans les 
crevasses des rochers, et sa voracité le rend très des- 
tructeur. Il se nourrit de jeunes branches de sapins, 
de racines, etc. 


EE D 2 
LES OTOMYS (. 


LE 


_ Tiennent de près aux campagnols, car ils ont 


(5) Neotoma, Say et Ord., Journ. of ac. Philad., t, IV, 
p. 345, pl 21 et 22. 

(2) Neotoma floridana, ibid.; mus floridanus, Desm , 
492 ; Zool. journ., 11, 294. 

(3, Neotoma Drummondi, Rich , Fauna, p. 137, pl. 8; 
myoxus Drummondii, ibid., Zool. journ., IV, 317. 

() Rat vf the rocky mountains, IL. t. LIL, p. 41. 

(5) Otomys, Fr. Cuy. 


HISTOIRE NATURELLE 


comme eux trois molaires, formées de lames arquées, 
et leurs incisives sont creusées d’un sillon longitu- 
dinal. Leurs oreilles sont grandes et velues, leur 
queue est grêle, mais couverte de poils. Leurs doigts 
sont comme chez les rats. Les deux seules espèces 
connues ont été découvertes au cap de Bonne-Espé- 
rance par Delalande : 4° l’une, l’oromys cAFFrR£E (1), 
de la taille d’un rat, est variée de noir et de fauve. 
La deuxième, l’oromys NamaAQuoIs (?), est d’un 
brun foncé, passant au gris clair sous le corps. 


| 


LES ÉCHIMYS 
OU LES LONCHÈRES (1). 
Illiger. 


Ceux que Zimmermann plaçoit parmi les loirs, 
el Screber parmi les porcs-épics, sont des rongeurs 
couverts de poils rudes, entremêlés d’épines apla- 
lies ou de piquants faits en lames d'épée. Ils ont qua- 
tre molaires formées, les supérieures de deux lames 
ployéesen V, les inférieures d’une seule. Les oreil- 
les sont courtes, arrondies, nues, les membres 
antérieurs terminés par quatre doigts avec un rudi- 
ment de pouce; les pieds sont pentadactiles, Leur 
queue est assez longue, squameuse et couverte de 
poils. Leurs mœurs sont celles des loirs, et toutes 
les espèces connues sont de l'Amérique Méridionale : 
19 Le plus anciennement décrit est le LÉROT À QUEUE 
DORÉE ®) de Buffon, qui vit à Surinam. 2° Onen dis- 
tingue ECHIMY s HUPPÉ (6”,brun ocreux,ayant des ban- 


(") Otomis capensis, Fr. Cuv. 

(2) OL. bisulcatus, Fr, Cuv., 61e liv., 1829. 

(3) Geoff 

(4) On a jusqu’à présent, dit M. Jourdan, de Lyon, 
réuni sous le nom d'échimys des animaux qui n'ont pour 
caractères communs que d'avoir des poils dispersés en 
piquants. Cependant ces rongeurs forment deux groupes 
bien distincts. Les animaux du premier ont de grandes 
oreilles, une queue écailleuse et nue, des tarses allon- 
gés, uue forme générale élancée: tel e:t le type du 
genre échimys, l’échimys de Cayenne de M. Geoffroy- 
Saint-Hilaire Les animaux du second groupe, au con- 
traire, se font remarquer par des oreilles arrondies peu 
développées, une queue velue, des tarses courts, des 
membres trapus et une forme générale assez lourde: 
tel est l’échimys huppé, echimys cristatus de Desma- 
rets. Les deux groupes ne sont pas moins distinets par 
la forme de leurs dents, et il semble couvenable de ne 
pas les confondre. M Jourdan propose, en conséquence, 
de laisser au premier le nom d'échimys, et de désigner 
le second par celui de nelomys C’est à ce dernier groupe 
qu'appartient la nouvelle espèce décrite par l'auteur 
sous lenom de nelomys Blainvillii, et qui vient d’une 
petite île des côtes du Brésil, voisine de Bahia (L’Her- 
mes, no 92, p. 156.) 

() Hystrix chrysurus, Screber, pl 170. 

(*) Echimys clistatus, Desm.; loncheres paleacea, If. 


"TL 
+ «2 


DES MAMMIFÈRES. 


delettes blanches sur la tête, et le museau et le bout 
de la queue blancs. Il habite le Para. 3° L’rcHImYS 
pACTYLINA (!), brun, mélangé de blanc et de jaune, 
les flanes roux les deux doigts médians des mains 
plus longs que les autres. Les poils de son pelage 
sont rigides et cassants. 4° L’ECHIMYS ROUX OÙ RAT 
ÉPINEUX de d’Azara (?). gris :oussâtre , etde la taille 
d'un rat. Il vit au Brésil, à la Guyane, au Para- 
guay, où il se creuse sous terre de longs canaux. 
Dans re dernier pays, les habitants le nomment 
angoya-y-bigoui. 5° L’ECHIMYS HISPIDE ($), brun 
roux , la tête rousse, les poils épineux , très rigides, 
larges, leintés de roux au sommet, 6° Le DIDEL- 
PHE (4), brun sur le dos, plus clair sur les flanes. le 
dessous jaune , et une partie de la queue dénudée. 
7° Le CAYENNAIS (5), roux, teint de brunâtre sur le 
milieu du dos, le ventre blanc. 8° L’ECHIMYS A 
SOIES (6), qui n’a que peu d’épines parmi les poils 
de son pelage, l’extrémité des pieds blanche. 


————_—_—— 


LES CERCOMYS(). 


Sont des échimys par le système dentaire, qui 
rappellent les rats par la couleur de leur pelage, la 
forme des membres et de la queue, bien qu’ils s’en 
éloignent par quelques modifications importantes de 
l'organisme. Leurs mains n’ont que quatre doigts 
avec un rudiment de pouce recouvert d’un petit 
ongle plat. Les pieds sont pentadactyles. La queue 
est très longue , écailleuse et nue. Le pelage se com- 
pose de poils longs, fermes, droits et clair-semés, et 
de poils épais, fins et soyeux , mais sans traces d’é- 
pines. La seule espèce connue a été découverte au 
Brésil par M. Auguste de Saint-Hilaire, dans la 
capitainerie des mines, et a recu le nom de cerco- 
mys cunicularius. Cet animal est brun foncé en des- 
sus, blanchâtre en dessous, 


LES SIGMODONS (). 


Sont des campagnols pour quelques naturalistes, 
Ils en ont la formeet le système dentaire, quant aux 
principales dispositions. Cependant leurs dents ont 
des racines, et leur couronne a de profondes rainu- 


(") Desm. 

() Loncheres rufa, Lichst.; echimys spinosus, Geoff, 

() E. hispidus, Geoff. 

() E. didelphoides, Geoff, 

(5) E. cayennensis, Geoff, 

(6) E. setosus, Geoff. 

(7) Fr. Cuv., Nouv. Ann,, t. 1, p. 441, et Mammif., 
Gie liv. 

(8) Say et Ord., Zool. journ., t. II, p. 296. 


€ 


479 
res alternes disposées en sigma ; leurs oreilles sont 
grandes et pileuses , la queue est allongée et velue. 
Les pieds de devant ont quatre doigts et un rudiment 
de pouce onguiculé.et les pieds ont cinq doigts. Les 
deux espèces connues vivent exclusivement aux 
Etats-Unis : 4° L'une, tvpe du genre, est le sig- 
modon hispidum (!), jaune d’ocre pâle, mélangé de 
noir sur la tête, cendré sur le ventre. Les yeux sont 
grands. Le noir domine dans la livrée des jeunes, 
et c'est le jaune dans celle des adultes Le sigmo- 
don veluest très commun dans les plantations aban- 
données le ‘ong de la rivière Saint-Jean dans la Flo- 
ride orientale, plus particulièrement dans les 
jardins ; il se creuse des terriers, et est très nuisi- 
ble dans les cultures qu’il dévaste. 2° La seconde 
espèce est le SIGMODON DE HaRLax (?); son corps est 
épais, long de sept pouces, sans y comprendre la 
queue qui en a quatre. Son pelage est brun ferru- 
gineux en dessus, blanchâtre en dessous. Les mem- 
bres antérieurs courts et grêles, les pieds gris et 
tachés de blanc en devant ; les ongles sont noirs, 
comprimés et très aigus. Ce siemodon, fort voisin 
du précédent, se tient dans les troncs d'arbres ex- 
clusivement dans les plantations de cotonniers, 
aussi les colons le nomment-ils white-bel ied-cot- 
tonrat. Il porte ses petits sur son dos, et grimpe 
sur les arbres comme un écureuil. On le trouve 
sur les bords du Mississipi, dans le pays des 
Natchez, 


LES HÉTÉROMYS (6). 


Tiennent des échimys par les piquants aplatis qui 
sont implantés sur le corps ; par leurs formes géné- 
rales et leur queue ce sont des rats, par leurs aba- 
joues ils se rapprochent des hamsters. Les pieds sont 
pentadactyles, le pouce des mains est rudimentaire. 
L'espèce type habite l’île caraïbe de la Trinité : c’est 
V’'HETEROMYS DE THOMPSON (i), gros comme un rat, 
brun marron en dessus, blancen dessous ; la queue 
écaillense, revêtue de quelque poils épars, de poils 
doux entremêlés d’épines sur le dos. La deuxième 
habite la province de Bahia au Brésil C’est le lon- 
cheres myosurus (5), fuligineux sur le dos, roux sur 
les flancs, blanc sur le thorax , des épines aplaties, 


(:) Say et Ord. ; arvicola hortensis, Harlan. 

(2) Sigmodon Harlani, N ; arvicola ferrugineus, 
Harlan, Silliman’s journ., p. 285; arvicola gossypina, 
Lecomte. 

(3) Lesson, Man , 263, 

(&) Mus anomalus, Thomps:: cricetus anomalus, 
Desm., 507. 

(5) Lichst.; mus leptosoma, ibid, ; loncheres anomala, 
Kubhl. 


480 


très longues, fortes, mélangées aux poils. Les pieds 
blancs ; la queue nue, noire dessus, blanche dessous, 


LES MYNOMES (). 


 Diffèrent peu des campagnols : ils n’ont que qua- 
tre doigts à chaque extrémité et un rudiment de 
cinauième. Leur queue est velue, aplatie, etécail- 
leuse comme celle des ondatras. Le MYNOME DES 
PRAIRIES (?) e-t fauve brunâtre, à ventre blanc gri- 
sâtre. Il habite le bord des rivièrés, vit de bulbes de 
liliacées , et notammeut de ceux de l'ail, aux Etats- 


Unis. 


LES CTÉNOMES (). 


Ont le corps allongé, déprime, fort velu terminé 
par une queue médiocre couverte de quelques poils 
rares. La tête est ovalaire, les oreilles petites, et 
les extrémités ont toutes cinq doigts pourvus d’on- 
gles fouisseurs très longs, arqués et pointusen avant, 
plus courts, plus larges et excavés en arrière. Ils 
sont recouverts à leur racine de poils durs, roides, 
disposés en peigne. Le créNOouE pu BrésiL ({) est de 
la taille du rat d’eau d'Europe. -on pelage est doux, 
fin, court et de teinte grise ardoisée à sa base, puis 
brun roussâtre luisant, passant au blanc roussätre 
sous le corps. C’est le ratto de las minas des Brési- 
liens. Le CTÉNOME A COLLIER (5}, roux brun sur le 
dos, les oreilles, les joues , le dessous du corps, un 
collier et les pattes blanches. De la province d’Uru- 
gay au Brésil. 


LE CTÉNOME MAGELLANIQUE (5) 


Diffère du précédent par la couleur de son pelage. 
C’est un petit rongeur fort timide, qui se nourrit 
d'herbes, et que les Patagons recherchent pour le 
manger. Il habite des terriers et paroît très mul- 
tiplié, à en juger par le grand nombre des individus, 
0 Rafinesque. 6 
ME) Raf.; arvicola pennsylvatica, Ord. et Harlan ?? 

(Æ) Ctenomys, de Blainv., Nouv. Bull. Soc. phil.; et 
Ann. sc.nat.,t.1IX, p. 97. 

(h Ctenomys brasiliensis, ibid., fig., avril 1826, 62. 
© (5) Ctenomys torquatus, Lichst., pl. 31, fig. 1 (sous 
le nom de georychus à la planche). 

(6) Ctenomys magellanicus, King, the philos. mag., 
juin 1536. 


HISTOIRE NATURELLE 


a | 


LES HYDROMYS0). 


Sont des échimys par leur aspect, mais leurs pieds 
de derrière ont les doigts aux deux tiers palmés, et 
les molaires, au nombre de deux, ont leur couronne 
divisée en lobes obliquement quadrangulaires , dont 
les sommets sont creusés en cuiller. Leurs habi- 
tudes sont aquatiques. On n en connoît que deux de 
la Nouvelle-Hollande, ayant nn museau aigu, de 
petites oreilles arrondies, des extrémités pentadac- 
tyles, à pouce des mains rudimentaire; la queue 
garnie de quelques poils rares : l’hydromis chry- 
sogr<'er (2), marron en dessus , orangé en dessous, 
qui vit dans une île du détroit de d’Entrecasteaux : 
l'hydromys leucagaster, brun en dessus, blanc en 
dessous (3). De l’ile de Maria. 


LES CAPROMYS, UTIAS 
OU ISODONS (1). 


Forment un genre de rongeurs très intéressant, 
et dont les espèces vivent exclusivement dans l’île 
de Cuba. Leur museau est obtus, leurs narines sont 
obliques, leurs oreilles médiocres, nues et arron- 
dies ; le corps est épais, massif; les mains à quatre 
doigts, avec une verrue pour pouce. les pieds plan- 
tigrades et pentadactyles. Tous les doigts longs, 
armés d’ongles recourbés. On compte quatre ma- 
melles, deux ventrales et deux pectorales. Leur 
queue est médiocre, épaisse, squameuse, nue. Ils 
habitent les forêts, et vivent de fruits. La première 
espèce est le chemi d’Oviédo, l’agutia congo des - 
créoles espagnols, ou le cAPROMYS DE FOURNIER de 
M. Desmarest, l’isodon pilorides de Say (5), de la 
taille d’un lapin, le pelage grossier, noirâtre, lavé 
de fauve obscur sur le dos , de roux sur la croupe. 
La seconde espèce, l’agutia carabalii des créoles de 
Cuba, l’utia d'Oviédo, à pelage épais, ferrugineux, 
mêlé de gris, la tête, les pattes et les ongles blancs, 
est le capromys prehensilis de Poepping (6), rare 
dans le: districts méridionaux de lus Piedras et de 
Masmariges de la Havane. Ils sont avidement re- 
cherchés par les nègres, qui, dans quelques cantons 


(1) Geoff. 

(2) Ibid. 

(3, Ibid. 

(4) Isodon, Say, Journ. of the ac. phil ; capromys, 
Desm , Mém. hist. nat. Paris, t, 15; Zool. journ ,1, 230; 
IV, 269, no 18, 179 ; Bull., XXIV, 75; Proceed., II, 68. 

(5) Mus, Brown, Jam. 484; Atlas, pl. 45. 

(5) Journ. of. ac. phil,, t. IV, p. 1; Zool. journ., £. IE, 
p. 410. P'ASQUE LE j 


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DES MAMMIFÈRES. 


481 


où ils sont très multipliés, n’ont pas d’autre viande | les oreilles. Le dessous de la gorge est blanc, et 


fraiche pour leur nourriture. 


ÉHJIYIIYIFIFYVSYSYYVYF | ZOO 


LE CAPROMYS DE POEY. 
Capromys Poeyi. GUERIN (1). 


Les capromys de Fournier et à queue prenante, 
ont été décrits dans le tome [, p. 480 de ce sup- 
plément. Depuis, M. Guérin a publié une notice sur 
une troisième espèce que lui envoya de Cuba le na- 
turaliste Poey, et nousemprunterons à la description 
qu’il en a donnée les renseignements dont elle se 
compose. 

Le capromys de Poey a des rapportsévidents avec 
les deux espèces connues, tout en se faisant distin- 
guer de l’une et de l’autre. Son pelage est mou, flexi- 
ble, de couleur marron, mais .piqueté de ferrugi- 
neux et de jaune. Ces teintes sont dues à ce que les 
poils sont ou marron foncé à leur base, ou ferrugi- 
neux, ou jaunâtres à l'extrémité. Le nez est brunà- 
tre, le front et les joues sont d’un jaune ocreux pâle, 
tandis que la gorge et le ventre sont blancs. Les 
moustaches sont brun marron et blanches à la base. 
Des poils roides sont implantés sur les extrémités 
teintes de marron clair. La queue, un peu moins 
longue que le corps, est entièrement couverte de 
longs poils ferrugineux, sans qu’on puisse remar- 
quer d’espace nu sous sa partie inférieure. Ainsi 
cette espèce diffère du capromys de Fournier par sa 
coloration et par les proportions de sa queue. Elle 
s'éloigne encore du capromys préliensile ou de Pœp- 
ping, par sa queue également couverte de poils sur 
tous les points, et par une différence de teintes aux 
moustaches, aux poils des extrémités et au front. 

L'individu que possède le Muséum a deux pieds 
un pouce depuis l'extrémité de la queue jusqu’au bout 
du nez. La queue seule entre dans ces proportions 
pour un pied. Le corps est abondamment enveloppé 
d’une épaisse fourrure, formée de poils assez mous. 
La tête et le front sont bombés : les oreilles ne font 
qu’une mince saillie, et décrivent dans leurs con- 
tours une moilié d’ovale dont la surface interne est 
nue, et l’externe velue de couleur fuligineuse. Les 
yeux sont de forme oblongue, entourés d’un rebord 
brunâtre. Le nez, compiétement nu, est garni de 
poils marron clair qui lui servent de bordure, et 
dont la coloration s’efface en remontant vers le front 
lavé de fauve jaunâtre , passant sur la tête et sur les 
joues au ferrugineux franc. Cependant les nuances 
de la tête sont beaucoup plus claires que celles du 
corps. Des longs poils implantés sur les joues y for- 
ment des sortes de favoris qui se prolongent derrière 


() Iconog. du rêgne animal, Mammif., pl. 25, fig. 2, 
et Mag. de zoologie, classe 1, pl. 15, #e année. 
I. ? s 


cette couleur est interrompue par un collier brunâ- 
tre incomplet en avant des épaules. Les moustaches, 
d’abord marron, sont ensuite, dans les deux tiers 


-de leur longueur, d’un blanc satiné. Le dessous du 


corps est blanc pur ; les pattes présentent un rebord 
de cette dernière teinte avec une coloration marron. 
Leurs ongles sont de la teinte de la corne. 

Ce capromys habite les lieux écartés et sauvages, 
principalement les districts occupés par les nègres 
caravalli, à mœurs farouches , dans l’île de Cuba. 

Le nouveau genre que M. Gray propose pour 
recevoir le mus sumatrensis ou le rat de bambous 
des Anglois établis aux Indes, a été changé par 
M. Temminck, dans le deuxième volume de ses 
Monographies de Mammalogie, et a été figuré(pl. 55) 
dans les Hlustrations de la zoologie indienne du 
général Hardwicke, sous le nouveau nom de Nico- 
LEPTE DEKAN (nicoleptes dekan). C’est entre les ca- 
promys et les muriens qu’il le classe, en lui don- 
nant les caractères suivants. Les incisives sont au 
nombre de ©, et les molaires +, assez semblables à 
celles des spalax. Les supérieures sont dirigées en 
arrière et marquées de deux sillons. Les inférieures, 
au contraire, vont en avant, et la dernière est 
plus étroite de ce côté. Les pieds de devant ont 
quatre doigts à peu près égaux, et le pouce est à l’état 
rudimentaire, car son ongle est seul visible. Les 
pieds de l'arrière ont cinq doigts. Le crâne, très 
raccourci, présente sur les joues de fortes et larges 
apophyses zygomatiques. Les oreilles sont rondes 
et très courtes. Les individus connus du dekan, 
ainsi que le nomment les Malais, proviennent tous 
de la presqu’ile de Malacca. 


LES EURYOTIS (!). 


Qui font sans doute un double emploi avec l’oto- 
mys namaquois de M. Fr. Cuvier, auroient pour 
principal caractère d’avoir un profond sillon sur les 
incisives dans le sens de leur longueur. Les molai- 
res à couronne sillonnée notablement en travers et 
à côtes élevées. L’euryotis irrorata de Brants, 
figuré par M. Lichsteinstein, est brun roussâtre , 
plus clair sous le ventre, de la taille d’une souris ; 
a été découvert dans le sud de l'Afrique par le voya- 
geur von L. Krebs. ( Voyez otomys.) 


LES RHIZOMYS (). 


Tiennent aux spalax par leurs dents et leur forme 
générale ; mais ils s’en éloignent par la texture de 


() Brants, Lichst., pl. 30 ; ofomys, Fr. Cu. 
(2) Gray, Procced., t. 1, p. 95 (1831), 
61 


482 


leurs molaires, leur queue, leurs oreilles. Tis ont 
trois mâchelières à couronne transversalement et 
parallèlement entamée. Leur tête est forte, leurs 
yeux très petits, leurs oreilles dénudées , leur corps 
épais, cylindrique, à membres courts, mais robus- 
tes, ayant tous cinq doigts. La queue est moyenne, 
épaisse, entièrement dénudée. Les deux espèces sont 
de l'Asie: la première est le RHIZOMYS DE LA 
Cane (1), d’un cendrépâleuniforme, etladeuxième, 
le RHIZOMYS DE SUMATRA (?), le bamboo-rat des 
Européens établis dans l'Inde, et le dekan des 
Malais, que sir Raflles décrit en ces termes : 

« Le corps a environ dix-sept pouces de long , dix 
» pouces de circonférence, et sa hauteur à l’épaule 
» est d'environ cinq pouces. La queue a six pouces 
» de long, conique et émoussée à sa pointe, nue et 
» écailleuse, Le corps est couvert de poils roides, 
» grisâtres, brunâtres sur le dos. La tête ronde et 
» légèrement colorée. Les incisives grandes ; deux 
» à chaque mâchoire. Les yeux petits. Les oreilles 
» nues. » 

Cet animal se tient de préférence dans les haies 
de bambous à Malacca et dans l'ile de Java. 


LES STÉNODACTYLES(). 


Sont des rongeurs de l’Afrique, voisins des lem- 
mings par leurs formes extérieures, excepté qu’ils 
ont les doigts à chaque pied avec un rudiment de 
cinquième. Les deux doigts du milieu sont les plus 
longs. Les ongles à leur naissance sont recouverts 
par trois petites brosses de poils. La tête est large, 
les oreilles sont disposées en tube, et les molaires ne 
se ressemblent pas, suivant qu’elles sont placées en 
haut ou en bas. La seule espèce connue est le c{eno- 
dactylus Massonit, qui vit au cap de Bonne-Espé- 
rance. M. Yarrel a pensé que cet animal étoit iden- 
tique avec le mus gundi de la côte de Barbarie, si 
imparfaitement décrit par Rothmann, et dont Gme- 
lin a fait une marmotte, avec juste raison suivant 
nous, et que même nous avons confondu avec le sper- 
mophile concolore de M. Isidore Geoffroy Saint- 
Hilaire. 


(') R. sinensis, Reeves. 

(2) Mus sumatrensis, Raffles, Trans. XINT, 258 : spalax 
javanus, Cuv.: Pallidè fuscus pilis raris albidis in- 
terspersis ; corporis lateribus pedibusque saturatiori- 
bus; genis pallidioribus, occipîte nigrescenti lineä 
longitudinali albä, pectore albido.(Reeves.) 

(5) Ctenodactylus, Gray, Sp. zool.; Yarrell, Proceed., 
I, 48 


” y 


HISTOIRE NATURELLE , 


LES PSAMMOMYS 0). 


Ont seize dents, et la couronne des trois molaires 
de chaque côté est creusée en trois losanges rebor- 
dés. Le museau est aigu, comprimé en avant, à lè- 
vres entières. Les oreilles sont médiocres, arrondies ; 
le corps est couvert de poils très mous, et la queue 
est garnie de poils sur toute sa surface ; ceux de son 
extrémité forment même une sorte de touffe. Les 
mains ont quatre doigts avec une verrue pour pouce ; 
les pieds ont cinq doigts recouverts d’ongles falci- 
formes. L'espèce unique de ce genre est le psammo- 
mys obesus (?), à pelage isabelle en dessus, jaunâtre 
en dessous, la queue terminée de noir et fasciculée, 
nommé far en Arabie, sa patrie. 


LES PINEMYS (): 


Ont cinq dents, les molaires lamelleuses, le mu- 
seau court et obtus, les narines latérales, les yeux 
peu fendus, les oreilles petites, cachées par les poils. 
La queue courte, grêle, couverte de poils, les ma- 
melles ventrales, les extrémités pentadactyles. Le 
pouce des mains est court, tous les ongles sont falci- 
formes. La seule espèce connue est le ground-mousse 
des Anglo-Américains (f), qui vit dans les forêts de 
pins dans la Géorgie, en se creusant des terriers. Sa 
nourriture consiste en racines de patates et autres. 
Ses poils sont courts, bruns dessus, cendrés des- 
sous, avec une teinte rouge aux pieds. Le corps est 
long de trois pouces sept lignes, et la queue a neuf 
lignes. 

L'akodon est un nouveau genre de rongeurs de la 
tribu des rats, créé par M. Meyen, pour une espèce 
offrant la plus grande analogie avec la souris de 
France, dont elle à aussi la formule dentaire, mais 
avec cette particularité que les replis internes de l’é- 
mail sont différents, et que les oreilles, très courtes, 
sont presque cachées sous les poils. L’akodon boli- 
viense (Act. de Bonn., t. XVI, 2e partie, pl. 45, 
fig. 4) est long de trois pouces, la queue comprise 
pour quatorze lignes. Son corps est couvert de poils 
gris jaunâtres qui dépassent d’autres poils noirs. La 
queue, écailleuse, est annelée et couverte de petits 
poils fins. Les oreilles sont velues à la partie interne 
de leur pavillon. La plante des pieds est noire. Ce 
rongeur habite le Haut-Pérou. 


(‘) Ruppel, Mamm., 1, 56 (4826). 
(2) Id., pl. 22 et 23. 


(3) Psammomys, Jules Lecomte, Ann. of the Iyc, nat. 
hist. of New-York, t. IL, p. 132 et fig. 


(:) Ps. pinetorum, Lecomte, Loc. cit. 


DES MAMMIFÈRES. 


LES PSEUDOMYS (). 


Ont une forte tête, de grandes oreilles dénudées, 
les membres égaux, pentadact;les, à doigts libres, 
bien fendus, ayant de petits ongles recourbés, une 
queue filiforme, annelée, garnie de quelques soies 
rares. Ces animaux représentent les rats d’eau à la 
Nouvelle-Hollande sur la côte orientale en dehors 
des tropiques. La seule espèce connue a été décou- 
verte par M. Cunningham dans les sables maréca- 
geux des plaines de Liverpool. C’est le pseudomys 
australis, brun noir, mélangé de cendré en dessus, 
roux gris en dessous, le cou et le thorax cendré pur. 


LES OCTODONS (). 


” Ont les habitudes des campagnols, les formes du 
rat, certains caractères des lajomys, et la chair sa- 
voureuse des lapins. Les membres sont égaux, tous 
pentadactyles, à doigts libres, munis d’ongles falci- 
formes aigus. Leur queue est médiocre, couverte de 
poils et floconneuse à son extrémité. On compte qua- 
tre molaires de chaque côté à plissures prononcées 
et diversiformes, se rapprochant assez de celle qu’on 
remarque chez les helamys. L'espèce type est l’oc- 
TODON DE CUMING (5) qui vit au Chili, Sa coloration 
est sur le corps un gris brun tacheté de noir, à 
teintes plus claires sur le ventre et sur les pieds. La 
queue est uniformément noirâtre, elle est distinc- 
tement annelée et couverte de petits poils courts. 
L’octodon se nourrit de végétaux , et paroît commun 
aux alentours de Valparaiso et sur les bords de la 
route qui conduit à San-Yago, où il sert à la subsis- 
tance d’une espèce de hibou du pays. C’est un ani- 
mal essentiellement herbivore. 


LES POEPHAGOMYS (1. 


Se rapprochent des gerbilles et des mérions par 
la forme de leur tête, des oryctères par la manière 
dont sont creusées les couronnes de leurs molaires, 
et par leur genre de vie herbivore : c'est près des 
Japins qu'ils doivent être classés, quoique par leurs 
formes ils rappellent les campagnols. Le porpna- 
GOMYS NOIR (°) est la seule espèce de ce genre. El a 


() Gray, Proceed., II, 39, 

() Octodon, Bennett, Proceed., If, 46. 

(3) Oct. Cumingii, ibid. 

(9 Fr. Cuvier, Ann, sc. nat., juin 183%, p. 321(t.1, 
2e série), pl. 13. 

(5) P, ater, ibid. 


483 


été découvert au Chili, proche Coquimbo. Son pe- 
lage est entièrement noir; sa taille est celle du rat 
d’eau. Il a quatre pouces trois lignes de longueur, et 
la queue dix-sept lignes. Ses membres sont propor- 
tionnellement forts, larges, terminés par cinq doigts 


Jibres armés d'ongles longs, minces et crochus, ex- 


cepté le pouce des mains qui est beaucoup plus court 
que les autres doigts, et qui a un ongle plat. La 
queue est vêtue de poils sur toute sa surface. L'œil 
est assez grand, et les oreilles sont médiocres. De 
fortes moustaches garnissent les côtés du museau, 
Les poils sont de nature douce et soyeuse. 


—— 


LES AULACODES (. 


Semblent conduire des rats aux erethizon. Ils en 
ont en effet le système dentaire. Les extrémités sont 
toutes terminées par quatre doigts. Leurs oreilles 
sont grandes, ayant des replis intérieurs au pavillon. 
Leur queue est couverte de poils, La seule espèce 
connue est l’'AULACODE SWINDERIEN (?) à pelage formé 
de soies comme spinescentes et aplaties, dont le som- 
met est seul flexible, et qui sont longues de dix-huit 
lignes. Le noir qui teint ces soies reflète un éclat mé- 
tallisé changeant, et passant, suivant les reflets de 
la lumière, du bleu d’acier au rouge de cuivre bril- 
lant. Cet animal a dix-sept pouces de longueur, et la 
queue neuf. Il habite la côte de Sierra-Leone, où les 
Anglois le nomment ground-pig, cochon de terre 
ou hérisson, ou ground-rat. I] est avide des gousses 
souterraines de cassada ou d’arachis hypogea, et 
recherche aussi les patates. M. Bennett suppose 
que c’est le wield-rat mentionné par le voyageur 
Bosman. 


LES ELIGMODONTES. 
Eligmodontia. F. Cuv. 


Récemment découverts dans le sud de l'Améri- 
que, ils ont été l’objet d’un intéressant mémoire de 
M. Frédéric Cuvier, le savant le plus laborieux et 
le plus modeste des temps actuels. Ainsi s'exprime 
l’auteur : 

« Une des difficultés qui s'opposent le plus à la 
formation des familles, dans l’ordre des rongeurs, 
paroît consister dans le petit nombre d’animaux de 
cet ordre qui sont connus, en comparaison de ceux 


(:) Aulacodus, Temm.,Monog. 7e; Boyle, Bennett, 
Philos. mag. and ann. of Phil., no 59, 1831, p. 389; 
Bull., XX VIF, 91. 

(2) V. swinderanus, Temm., loc, cit., Zool. journ., HE, 
467 ; Proceed., HI, 111. PTE 


484 


qui probablement existent. En effet, rien n’est plus 
commun que de trouver, dans les espèces qu’on dé- 
couvre, des modifications organiques nouvelles qui 
viennent s’interposer dans les vides nombreux que 
laissent encore entre elles les modifications des es- 


pèces déjà connues et classées ; et ce n’est point sortir, 


des bornes d’une légitime induction que de supposer 
que les espèces qui restent à découvrir achèveroient 
de combler ces larges vides, dont il faut sans doute 
moins accuser la nature que la lenteur de nos pro- 
grès dans la connoissance de ces animaux. Tout nous 
invite donc à nous occuper de la recherche des ron- 
geurs. De nombreux genres, et des genres fort na- 
turels composent cet ordre; mais lorsqu'on veut les 
rapprocher en groupes plus généraux, les faits man- 
quent ; et si l’on persiste dans ces rapprochements 
que réclame la science, on arrive d’un autre côté à 
des classifications artificielles qu’elle repousse. 

» La famille des rats, qu’on a désignée par le nom 
de murins, est une de celles où s’est introduit le 
plus de confusion; il semble qu’on ait voulu repro- 
duire celle que Linnæus et Pallas avoient faite en 
composant d’une manière si hétérogène leur genre 
mus; mais ce qui alors pouvoit paroître un perfec- 
tionnement ne sauroit aujourd’hui se comprendre. 

» Nous regardons donc comme heureuse la circon- 
stance qui nous à procuré une nouvelle espèce de 
rongeurs, Où nous trouvons , avec des caractères gé- 
nériques nouveaux, tous ceux qui la rapprochent 
véritablement des rats et la font rentrer dans la fa- 
mille dont ceux-ci présentent le type. 

» L’éligmodonte a deux pouces et demi de longueur 
du bout du museau à l’origine de la queue; celle-ci 
est longue de trois pouces quatre lignes. Les pieds 
de derrière sont proportionnellement beaucoup plus 
longs que ceux de devant; les premiers ont neuf li- 
gnes, tandis que les seconds n’en ont que trois, ce 
qui diffère sensiblement des proportions de ces par- 
ties chez les rats, où les pieds de devant ne font pas 
le tiers, mais la moitié de ceux de derrière; et, re- 
lativement à la longueur du corps, le tarse chez l’é- 
ligmodonte en égale le tiers, et chez les rats le quart 
seulement. Les doigts, minces en général, sont plus 
longs aux pieds de derrière qu’à ceux de devant et 
au nombre de cinq aux uns comme aux autres, gar- 
nis d'ongles falciformes. Le pouce des membres pos- 
térieurs est sensiblement plus court que les autres 
doigts, les trois moyens sont à peu près égaux et plus 
longs que l’externe. Aux membres antérieurs il n’y 
a que quatre doigts entiers; le pouce est rudimen- 
taire, et ne se montre en dehors que par l’ongle plat 
et obtus qui le revêt. Sous le tarse , au lieu de six ou 
sept tubercules nus, comme chez les rats, il n’y en a 
qu’un en forme de trèfle, entièrement recouvert de 
poils rudes ; et il en est de même pour les tubercules du 


carpe. La queue fort longue est entièrement revêtue ! 


HISTOIRE NATURELLE 


de poils courts, sous lesquels se montrent les verti- 
cilles d’écailles caractéristiques de la queué des rats. 
Les yeux sont d’une grandeur moyenne; les oreilles, 
minces, ovales et larges, ont les trois quarts de la 
longueur de la tête et égalent celles d’un rat long de 
plus de quatre pouces. Le nez consiste en deux très 
petites narines environnées d’un mufle fort étroit, et 
la langue est épaisse et douce. De très fortes mousta- 
ches garnissent les côtés du museau, et quelquesunes 
se montrent au-dessus des yeux. Les poils du corps, 
tous soyeux, sont doux, lisses et de médiocre lon- 
gueur ; ceux de la queue sont aplatis. La couleur du 
pelage est d’un brun grisâtre en dessous, qui passe 
au fauve sur les flancs et les cuisses. Toutes les par 
ties inférieures du corps et le dessus des extrémités 
sont blanches. La queue est uniformément blonde. 

» La tête, osseuse, a dans son ensemble et dans ses 
parties, à peu de chose près, la proportion et les 
formes de celle du mulét. Sa portion crânienne est 
peut-être un peu plus ramassée par plus de brièveté 
dans la région basilaire et moins d’étendue dans la 
caisse. Or ces différences sont de celles qu’on retrou- 
veroit entre les espèces d’un même genre, et qui 
existent en eflet entre celles du genre rat. Ce qui 
constitue la différence essentielle entre les rats et 
l’éligmodonte, c’est la forme des dents molaires, qui 
chez le second est tout-à-fait nouvelle et diffère es- 
sentiellement de celle des rats. 

» Ces dents molaires sont au nombre de trois de 
chaque côté des deux mâchoires, et elles sont pour- 
vues de racines distinctes de la couronne. Toutes trois 
présentent de chaque côté des échancrures alterna- 
tives, de manière à former des zigzags, circonstance 
qui nous a déterminé à donner à ce genre le nom 
a’éligmodonde. La première de ces dents, qui est la 
plus grande, a deux échancrures de chaque côté; 
la seconde en a deux du côté externe et une du côté 
interne, et la troisième, très petit tubercule arrondi, 
en à une de chaque côté. 

» Les dents des deux mâchoires sont semblables, 
seulement elles sont renversées dans l’une par rap- 
port à l’autre, c’est-à-dire que le côté interné des 
molaires supérieures fait le côté externe des infé- 
rieures, et réciproquement. Les incisives sont unies 
et jaunes aux deux mâchoires. 

» Le canal intestinal, comparé à celui des rats, 
présente cette différence que le cœcum a une capa- 
cité plus grande que l’estomac; que la portion droite 
de celui-ci, beaucoup plus grande que la gauche, a 
un étranglement qui la partage en deux portions à 
peu près égales, et que le cardia est très rapproché 
du pylore. Du reste, les gros et les petits intestins 
ne diffèrent point de diamètre, et les premiers, de 
quinze lignes de longueur, sont d’un peu plus de 
moitié moins longs que les seconds qui en ont trente- 
deux. Le cœcum, de forme allongée, en a treize, et 


© DES MAMMIFÈRES. 


il est déprimé ‘par des brides ligamenteuses dispo- 
sées en spirales. 

» Ce petit rongeur est originaire des environs de 
Buenos-A yres, et je l'ai désigné spécifiquement par 
le nom de ce pays pour rappeler que c’est dans cette 
contrée qu'a été faite la découverte de la première 
espèce du genre. 

» Je n'ai obtenu aucun renseignement sur ses 
mœurs, sa manière de vivre. La longueur de ses 
tarses, les poils qui revêtent le tubercule du méta- 
tarse, la nudité des tubercules terminaux des doigts, 
donnent lieu de penser que, n’appuyant que l’extré- 
mité des doigts en marchant, il pourroit bien n’a- 
vancer, lorsqu'il veut le faire promptement, qu’en 
sautant à la manière des gerbilles. La grande étendue 
de ses oreilles annonce un animal timide, vivant 
dans une grande retraite, et peut-être dans des ter- 
riers que ses ongles, semblables à ceux des mulots, 
Jui permettroient de fouir dans les terrains meubles. 
Il se nourrit, sans donte, de fruits et de racines. » 


LES RATS OÙ MUS(). 


Forment un genre riche en espèces. Buffon n’a 
bien connu que le rat noir (mus rattus, L.), le sur- 
mulot (M, decumanus), la souris (M. musculus), et 
le mulot (M. sylvaticus). Nous aurons donc à faire 
connoître par de brèves indications un grand nombre 
de ces animaux, et nous suivrons un ordre purement 
géographique. 

Dans l’Europe tempérée habitent les espèces sui- 
vantes : 4° Le MULOT NAIX ou mulot des bois de Dau- 
benton (?), gris ardoisé en dessus, blanc en dessous, 
ayant la queue plus longue que le corps. 11 se tient 
dans les champs, proche des villages, en France. 
2° Le RAT A MUSEAU PROLONGÉ (3), gris jaunâtre, 
blanchätre sur le ventre, à oreilles orbiculaires et 
velues. La queue de la longueur du corps. Son mu- 
seau pointu le distingue du rat des moissons. On le 
trouve aux environs de Strasbourg. 5° Le RAT DES 
MOISSONS (#), gris de souris teinté de jaunâtre, le corps 
blanc en dessous. Il habite les endroits rocailleux 
et les champs cultivés en Angleterre et en France. 
4 Le PARVULE (5), brun cendré en dessus, blanc en 
dessous, vivant en Alsace. 

La Sicile a la souris que M. Rafinesque a nommée 
musculus dichrurus (6), brunâtre, fauve sur Les cô- 


(") Linné et auct. 


() Mus campestris, Fr. Cuv., Dict. se. nat.,t, XLIV, 
p. 477. 


(3) Mus soricinus, Herm., p. 57. 

(+) Aus messorius, Shaw, Desm. 479; Fr. Cuv. 
64e liv. ; 

(5) Mus parvulus, Herm., 62. 

(6) Mus dichrurus, Rafin.; Desm., 305, note, 


485 


tés, la tête marquée d’une bandelette noirâtre. La 
queue quadrangulaire, annelée et ciliée. Sa taille est 
de huit pouces. Elle habite les champs. 

L'Allemagne possède le RAT A BANDE NOIRE (!), jau- 
nâtre, avec une bande brune et une longue queue 
squameuse. On le rencontre en Prusse, dans le 
Holstein, le long du Danube, en Russie jusqu’en 
Sibérie. La Russie et la Sibérie ont encore le mus 
m'nutus (Pallas), ferrugineux en dessus, à ventre 
blanc, long au plus de deux pouces trois lignes ; la 
queue mesurantun pouce neuf lignes. IL vit en Rus- 
sie, en Sibérie, dans les bois de houleaux, entre les 
fleuves Obi et Jenisea. L'Islande a une espèce qui 
lui est propre, c’est le mus Islandicus de Thiene- 
mann, remarquable par son pelage brun gris ou blan- 
châtre en dessus, mélangé de poils blancs et bruns. 
Les parties inférieures sont blanches. La queue est 
à peu près nue, à squames verticillées, brune en 
dessus, blanche en dessous. Il est intermédiaire au 
mulot et à la souris, 

L'Afrique a les espèces suivantes : 1° Le RAT DE 
BARBARIE (2), plus petit que la souris commune, à 
pelage brun rayé longitudinalement de blanchâtre, 
les raies au nombre de dix. Linnée a imprimé que 
ses mains n’avoient que trois doigts; mais M. Ger- 
vais, qui à eu occasion de l’étudier à Oran, où il est 
commun, s’est assuré que les mains avoient quatre 
doigts et un tuberbule onguiculé au côté interne. La 
première molaire a sept tubercules, et la seconde en 
a cinq. Il-habite toute la côte de Barbarie. 2° Le 
RAT D'ALEXANDRIE (3), gris roussâtre, à ventre cen- 
dré, la queue d’un quart plus longue que le corps, 
ayant sur le dos de longs poils aplatis ou fusiformes, 
striés sur une de leurs faces. Il habite l'Egypte, 
principalement Alexandrie et Sakkara. 5° Le mus 
prætextus (*), brunâtre clair en dessus, blanc en 
dessous ; de grandes oreilles, nues et plissées. Les 
doigts sont blancs. Les jeunes ont une teinte blan- 
châtre. Ce rat vit en Syrie et en Arabie. 4° Le mus 
flaviventris (5), a le dos d’un roux brun clair, les 
flanes blanchâtres, le dessous du corps jaune, les 
pieds blancs ; la queue de la longueur du corps. Quel- 
ques poils sont aplatis. Cet animal habite l'Arabie. 
5° Le mus gentilis (6), brun cendré sur le dos, blanc 
sur le ventre ; n'ayant que de petites oreilles, une 
queue médiocre, des poils mous et laineux. Il habite 
l'Egypte et la Nubie. 6° Le mus varieqatus (7), gris 
ponctué de noir et de blanc. Une ligne dorsale noire, 


() Mus agrarius, Pallas, Glires, pl. 24, a. 
(2) Mus barbarus, L. 
() Mus alexandrinus, Geoff., Desm. 475. Egypte, 
pl. 5, fig. 1. 
(4) Brants et Lichst 
(5) Ibid. 
(6) Zbid. 
(7) Brants, Muizen,102 ; Aypudœus variegatus, Lichst. 


486 


les oreilles velues et la queue garnie de poils rigides. 
Il se rencontre dans les champs en Egypte, en Ara- 
bie et en Nubie. 7° Le mus orientalis (1), dont les 
oreilles sont amples, le pelage brun fauve en dessus, 
le ventre jaune, et les quatre membres de couleur 
tannée claire ou couleur de chair. Plus petit que la 
souris, ayant deux pouces deux lignes et la queue 
deux pouces neuf lignes. Se trouve à Massaua dans 
le nord de l'Afrique. 

Le cap de Bonne-Espérance a plusieurs mus, qui 
sont : 4° Le pumilio (?), jaune brunâtre cendré, mar- 
qué de quatre raies noires; ses oreilles sont velues. 
On en distingue une variété plus forte. Sparmann, 
qui a le premier décrit cet animal, l’a rencontré dans 
la forêt de Sitsikama, dans l’ouest du Cap. 2° Le RAT 
A DOS RAYÉ (3), que M. Fr. Cuvier ne distingue pas 
du pumilio, est fauve, brun cendré sur le dos que 
sillonnent trois bandes longitudinales claires, lise- 
rées de noir ; la queue mince et pointue; les oreilles 
arrondies et rousses. 5° Le MESOMÈLE (4), ou le zon- 
dags-rivier des colons du Cap, est roux brun sur le 
dos, avec une raie moyenne noire, le devant blanc, 
et les canines de devant sillonnées; le corps a trois 
pouces huit lignes, la queue deux pouces dix lignes. 
4 Le coLox (5), blanchâtre, tirant légèrement au 
brun en dessus, blanc sur le ventre ; à pelage com- 
posé de poils mollets. 

L’Asie n’a guère que huit espèces de rats, répar- 
ties ainsi. Dans la Mongolie et la Bukkarie se rencon- 
trent : 4° Le mus caraco de Pallas (5); le characho, 
le jike-cholgonach des Mongols, long de six pouces, 
voisin du surmulot ; il est gris, avec les doigts lé- 
gèrement palmés. On le rencontre dans la Sibérie 
orientale , jusqu’en Chine. 2 le mus lineatus (°), 
cendré , avec une raie noire sur l’épine dorsale, les 
oreilles velues, blanches, avec une tache brune; il 
est long de trois pouces six lignes. On le trouve sur 
les bords du fleuve Uruburta, dans la Bukkarie. 
5 Le mus subtilis de Pallas ($), le dshilkio-sitskan 
des Tartares, cendré ou brunâtre, rayé de noir sur 
le dos, et les oreilles plissées ; le corps a deux pouces 
et demi. On n’en distingue pas le rat vagabond, qui 
est cendré et de taille plus forte; ni le M. betuli- 
nus, qui est brun et plus petit. Il vit dans les dé- 


() Ruppell, 1, pl. 30, fig. a. 

(2) Sparmann, act. de Stock., 1784, pl. 6; arvicola 
pumilio, Desm. 

(G; Lineated mouse , Shaw, Gen. z00l., pl. 133. Mus 
Donavani, Less., Man.; Donavan, Nat. misc., 26e liv. 
Mus lineatus, Fr. Cuv., 61e liv.?? 

(:) Mus mesomelas, Lichst. 

(5) Mus colonus, ibid. 

{5) Glires, pl. 23. 

(7) Lichst. It. d'Eversm. 123. 

(8) Mus vagans et subtilis, Pallas, le rat vagabond, 
Vicq-d’Azyr. 


HISTOIRE NATURELIE 


serts de la Sibérie, sur les rives de l'Oby, du Jaina 
et de l’Irtisch. 

L'Inde continentale n’a que trois rats qui lui ap- 
partiennent en propre. 4° Le mus indicus (!), de la 
taille du surmulot; il est gris roussâtre sur le dos, 
grisâtre sur le ventre; ses oreilles sont grandes et 
presque nues. Il habite la ville de Pondichéry. 2° Le 
STRIÉ (?), gris roux, avec une douzaine de lignes lon- 
gitudinales et de petites taches blanches, de taille 
plus petite qu’une souris. On le dit des Indes orien- 
tales, mais on ignore au juste de quelle contrée. 
5° Le mus oleraceus (°), de Dukhun, découvert par 
le colonel Sykes , remarquable par une très longue 
queue (quatre pouces et demi), tandis que le corps 
n’a que deux pouces trois lignes ; ses oreilles sont 
grandes et arrondies, son pelage en dessus d’un riche 
marron, tandis que le pourtour de la bouche, la poi- 
trine et les pieds sont d’un jaune blanchâtre. Il se 
tient dans les champs, où il se bâtit un nid avec des 
feuilles de graminées qu'il place sous des touffes de 
plantes potagères. 

La grande ile de Java en possède deux espèces. 
L'une, que l’on n’a point rencontrée ailleurs, est le 
mus javarus (+), de la taille du surmulot, brun roux, 
ayant les quatre pieds blancs : la queue plus courte 
que le corps, et assez poilue. La seconde, qui est très 
répandue, puisqu'elle existe sur la côte du Malabar, 
au Bengale, au Mysore, au Coromandel , à Calcutta, 
et même jusqu’à la terre de Van-Diémen; c’est le 
RAT GÉANT (°), long de plus d’un pied, sans y com- 
prendre la queue qui a aussi douze pouces. Il est 
brun obscur sur le dos, gris sous le ventre, et les 
extrémités sont noires. Il se creuse de grands trous 
dans les jardins. 

L'Amérique produit un grand nombre de rats. La 
partie septentrionale de ce continent compte les es- 
pèces suivantes : d’abord les trois mus d'Europe, 
qui semblent être cosmopolites et s'être établis en 
colonie réglée partout où l’homme a été former des 
établissements; le rat, le surmulot et la souris. Mais 
elle possède en propre l’american field mouse, ou 
le MULOT AUX PIEDS BLANCS(S), que les Indiens Creeks 
nomment appecooseesh. Ses oreilles sont grandes, 
sa queue velue, son dos gris jaunâtre, son ventre 
d’un blanc pur, ainsi que les membres. On le ren- 
contre depuis la baie d'Hudson jusqu’à l’embou- 


(‘) Geoff., Desm. 474. 

(>) Mus striatus, L.; striated mouse, Shaw, Misc., 
t. II, p.73. Mus orientalis, Seba. 

(2) Bennett, Proceed., t. IE, p. 121. 

(#) Desm. 471 ; Besm., p. 63. 

(5) Mus giganteus, Hardw.; Trans., VIII, 306; ban- 
dicot rat, mus bandicota, Pennant ; mus malabaricus, 
Shaw. 

(5) Mus leucopus, Rafinesq., Ann. monthl. mag.'TIr, 
444 (1818). Mus agrarius, Godman, II, 88. Mus syl- 
vaticus, Forster, Trans, 62, 380 ; Richards., 142, 


DES MAMMIFÉRES. 


chure de la Colombia. Le mus nigricans (!) ou le 
wood rat des Anglo-Américains, long de six pouces, 
noirâtre sur le dos, blanchâtre sur le ventre; la 
queue noire et plus longue que le corps. On le ren- 
contre dans les provinces de l’ouest des Etats-Unis, 
et il n’est peut-être qu’une variété légère du rat 
commun. 

Les Antilles ont le pILOr1 (2) mentionné par Du- 
tertre, Rochefort et Labat, et que les auteurs sys- 
tématiques modernes avoient confondu avec l’agouti. 
Ce rat est bien reconnoissable à son pelage d’un noir 
foncé , à reflets bruns sur les parties supérieures , et 
blanc sous le corps. Le nez, les oreilles et les pieds 
sont de couleur tannée ; le corps n’a pas moins de 
dix pouces et demi. Il vit en troupes, se creuse des 
terriers, et s'établit près des habitations, et entre 
même dans celles-ci en attestant sa présence par 
une forte odeur de musc. 

Le Brésil nourrit cinq espèces : 4° Le mus vul- 
pinus (3), roux vif, jaune sur les flancs, le poitrine 
blanche, le pelage formé de poils mollets, les oreil- 
les velues. Son corps a neuf pouces cinq lignes, et 
la queue six pouces et demi. 2° Le mus squami- 
ceps (?), brun cendré, blanc sur le ventre; les oreil- 
les courtes et velues; des squamelles sur la partie 
dénudée des pieds. 5° Le mus physodes (5), roux 
vif, à ventre neigeux, les mains tridactyles. 4° Le 
mus brasiliensis($), ressemble au rat commun; 
mais sa tête est plus courte et ses oreilles sont 
moins longues; son pelage est ras et doux, brun 
fauve sur le dos, fauve sur les flancs, gris sur le 
ventre. Sa queue est un peu plus lsngue que le 
corps. 5° Le RAT DES CATINGAS (7), de Ja taille d’un 
lérot, à longue queue, gris brunâtre sale, les oreil- 
les grandes et presque nues ; les cuisses et l’attache 
de la queue rouge brun. Il habite les forêts du Ser- 
tong de Bahia, et s'empare souvent des nids de fau- 
vette pour s’y loger. 

Les rats du Paraguay ont été décrits par d’Azara : 
on en admet huit : 4° Le mus rufus (8; ou l’hoci- 
cudo de d’Azara, brun, à ventre roussâtre, à 
museau très aigu, et les oreilles plissées. On le 
trouve aussi au Brésil sur la limite du Paraguay. 
20 Le RAT A GROSSE TÊTE (*), ou colaignal al cuerpo, 
à tête très forte, à museau court, brun sur le corps, 
plus clair sur les flancs, blanc tirant au buffle en 
dessous. Long de quatre pouces. Il fréquente les jar- 


() Desm. 
(2) Mus pilorides, Desm.; Fr. Cuv., 63e liv. 


() 
(+) Ibid. 
{5} 


(6) Desm., Dict. sc. nat., XLIV, 483. 
(7) Mus pyrrorhinus, Wied-Neuw. 
(8) Desm, 

(2) Mus cephalotes, Desm. 


487 


dins de la ville de Saint-Ignace. 5° Le RAT OrEIL- 
LARD (1) ou l’orejo de d’Azara, brun cendré, les côtés 
roussätres. On le rencontre dans les champs situés 
au sud de Buénos-A yres. 4° Le RAT AUX PIEDS NOIRS (?) 
ou le COLILARGO de d’Azara, à grosse tête, jaune cen- 
dré sur le corps, blanc sur le ventre, les oreillesnues, 
les pieds très noirs. 5° Le LAUCHA (5), à petite tête, à 
museau pointu ; plombé sur le dos, blanchâtre sur 
le ventre, les oreilles grandes et nues. Il vit aux 
alentours de Buénos-Ayres. 6° L’ANcouyA (#), brun 
fauve , plus clair sur la tête, le ventre blanchâtre, 
la poitrine brun foncé. Les oreilles arrondies et mé- 
diocres. Les lieux montueux du Paraguay. 7° Le 
RAT AGRESTE (5), qui n’est peut-être pas un rat. Brun 
foncé sur le corps avec un mélange de roux, il est 
blanchâtre en dessous. Ses oreilles sont brèves, ar- 
rondies, poilues; la queue, plus courte que le 
corps, est à peu près nue. 8° Le rato blanco de 
laxo ($) n’est peut-être pas un rat. Son pelage est 
brun foncé, varié de roux et de blanchäâtre sur le 
corps, tirant au blanchâtre sur le ventre. Ses oreil- 
les sont médiocres, ovales et nues. Sa queue fort 
courte ; est blanche : ses poils sont doux, son corps 
massif. 

Le Chili a fourni à nos catalogues, dans ces der- 
niers temps, une seule espèce : la SOURIS A LONGUE 
QUEUE (7), qui se construit un nid fait avec des gra- 
mens et qu’elle place dans les arbres. Sa queue est 
remarquablement longue , puisqu’elle a cinq pouces 
et demi lorsque le corps n’a que trois pouces. Le 
pelage est brun pâle varié de noir en dessus, blanc 
en dessous et sur les pieds. 


LES PERCHALS, OU RATS ÉPINEUX. 


Forment une tribu qui joint aux caractères fonda- 
mentaux des rats la particularité d’avoir des poils 
très rigides, faits en forme de fuseaux aplatis et creu- 
sés en gouttière sur l’une de leurs faces. Ils ont des 
oreillesamples et nues. Ils sont tous de l’ancien con- 
tinent. 4° Le PErRCHAL (5), le type de ce groupe, a 
été décrit par Buffon, et vit dans l’Inde, à Pondi- 
chéry.2° Le riKkus wIROK des Javanais, ou mus setifer 
d'Horsfield (°,, a le corps couvert de soies brunes noi- 
râtres en dessus ; le ventre est blanc. IL vit à Java. 


() Mus auritus, Desm.; mus pyrrhogaster, Natter. 
(2) Mus nigripes, Desm. ; mus eliurus, Nallerer. 
(3) Mus laucha, Desm. 

() Mus angouyia. Desm.; mus brasiliensis, Geoff. 
(5) Mus azareæ, Brants. 

(6) Mus dubius, Fish. 39. 

(7) Mus longicaudatus, Cuming, Proceed., I, 2. 

(8) Mus perchal, L.; Fr, Cuv., 61° liv. 

(2) Zool. research. 


488 


5° Le mus platythrix(!), du Dukun dans l’Inde, 
est long de trois pouces et demi, et la queue est 
aussi longue que le corps. Ses oreilles sont nues, 
arrondies ; son pelage est brun passant au gris blanc, 
tandis que les parties inférieures et les pieds sont 
jaune blanchâtre. Les soies spinescentes sont plates 
et transparentes. 4° Le RAT ÉPINÉUX D'EGYPTE (?) 
est blanc cendré, à teinte plus foncée sur le corps. 
La queue égale en longueur le corps et la tête. Rup- 
pell en décrit une variété grise fauve. Ce rat est très 
commun dans toute l'Egypte, et surtout au Caire, 
à Syène, dans le Fayüm. 5° Le mus hixpidus (3) est 
blanc jaunâtre, avec une teinte ardoisée foncée sur 
le dos: le ventre est blanc jaunâtre. Il viten Arabie. 
M. Cretzschmar ({) en a figuré une variété, décou- 
verte par M Ruppell en Nubie et dans les rochers 
du mont Sinaï, sous le nom de mus dimidiatus.Son 
pelage est jaune roussätre en dessus, blanc en des- 
sous, une tache blanche occupe la base des oreilles ; 
ses moustaches sont longues, noires et blanches, 


LES CAMPAGNOIS, 
OU ARVICOLA (5). 


Ontune grosse tête, un large museau, des formes 
massives, quatre doigts avec un rudiment de pouce 
aux mains; les pieds ont cinq doigts, tous libres, armés 
d’ongles longs et crochus. Leurs molaires sont au 
nombre de trois de chaque côté, leurs bords sont en 
zigzags enchevêtrés. La lèvre supérieure est fendue. 
Les femelles ont six mamelles. Ils vivent dans tou- 
tes les parties du monde. Buffon a décrit le campa- 
gnol rat d’eau (f), le scherman (*) et le campagnol 
vulgaire (8). Nous aurons à en signaler beaucoup 
d’autres espèces. Le rat d’eau paroïit s’être propagé 
en Europe, en Asie, dans l'Amérique Septentrio- 
nale ; on en a distingué comme variétés, lemus palu- 
dosus de Linné, noir, à pieds blancs, etle mus ma- 
culatus de Pallas, quiest jaunâtre. L'Europe, outre 
le rat d’eau , le campagnol et le scherman, répandu 
dans presque toute l’Allemagne jusqu’en Suède, 
possède quelques autres campagnols. Ce sont : 
4° L’arvicola fulva (Desm.), fauve rougeûtre, à ven- 
tre et pieds jaunes, qui vit en France. 2° La FEGOULE 
de Vicq-d’Azyr, arvicola æconomus (Desm.), brun 


() Bennett, Proceed., IT, 121. 

e) Mus cahirinus, Geoff.:echymys d'Egypte, Egypte, 
pl. 5, fig. 2, et Ruppell, pl. 13, fig. B. 

() Lichtenst. Brants, 154, 65. 

(&) Ruppell, pl. 13, fig. A. 

(5) Arvicola, Lacèp.; hypudeæus, Illig. 

(6) À. amphilius, Lacép. 

(7) À. argentoratensis, Lacép., ou À. terrestris. 

(8) À, vulgaris, Lacép. 


HISTOIRE NATURELLE 


sur le dos, jaune sur les flancs, blanc sous le corps, 
nommé encore campagnol des prés, qui se trouve 
en France , en Allemagne, mais bien plus rarement 
que dans les vallées arrosées de la Sibérie, depuis 
l’Irtisch jusqu’à la mer Polaire. 5° L’arvicola gla- 
reolus (Screber, pl. 490 ; B.), cannelle, plus foncé 
sur le milieu du dos, le ventre blanchâtre, se te- 
nant caché sous les touffes de l’élyme des sables 
dans l'ile de Laland. 4° L’agreste ( 4. agrestis, Yar- 
rell) (1), voisin de l’arvicolaripariades États-Unis, 
mais en différant par sa teinte rousse brunâtre, pas- 
sant au cendré sur le ventre; ses oreilles à peine ap- 
parentes , sa queue égalant à peine le tiers de la lon- 
gueur du corps. Il à été découvert en Angleterre, 
où il vit dans les prairies fraiches et herbeuses , où 
il fait son nid avec des herbes choisies On ignore 
de quel lieu provient une espèce inscrite dans les 
catalogues sous le nom d’arvicola albicaudatus 
( Desm. ), brune, à pieds et dessus de la queue 
blancs. M. Van Beneden a découvert dans le Hai- 
naut un Campagnol qu’il nomme le BELGE, qui a la 
taille de la musaraigne naine de Toscane, a le corps 
brun roussâtre en dessus, cendré clair en dessous; 
les oreilles très petites ct velues, la queue longue 
du quart des proportions du corps. 

La Sibérie a plusieurs campagnols. 4° L’A. saxa- 
tilis (Desm.) brun mélangé de blanchâtre, les flancs 
d’un blanc pur, le dessous cendré blanchâtre, Il ha- 
bite au-delà du lac Baikal, dans les rochers de la 
Sibérie orientale. 2 L’A. alliarius (?), l’alliaire de 
Vicq-d’Azyr, cendré brun” jaunâtre, blanc en des- 
sous, gris sur les flancs. Les oreilles longues, larges 
et dénudées. Il habite la Sibérie proche Jenisa, Kan 
et Angora. 5° Le roux de Vicq-d’Azyr ( 4.rutilus, 
Desm. ), brun en dessus, avec une bande foncée, 
blanc en dessous, les flancs jaunes, la queueépaisse 
et très velue. On le retrouve en Allemagne, aux 
environs de Leipsick ; maissa vraie patrie est la Si- 
bérie, Cazan et Simbirsh. 4° Le compacnox de 
Vicq-d’Azyr ( mus sociale, Pallas, gl. pl. 15, B. ), 
remarquable par le blanc qui teint ses oreilles, ses 
membres et le dessous du corps. Ses oreilles sont 
arrondies et nues. Il est très commun dans les sables 
des déserts , entre le Volga et le Jaik. 5° Le GREGARI 
de Vicq-d’Azyr (mus gregalis, Pallas) , ou rat du 
Baïkal, est blanchâtre sur le dos, avec quelques 
longs poils noirs. Lesflancsont une teinte plus claire, 
le ventre est blanc. Il se tient dans les lieux mon 
tueux de la Sibérie orientale. 6° Le RAT d’ASTRA- 
CAN ( À. astrachanensis, Desm.), jaune sur le dos, 
cendré sur le ventre, les pattes et la queue gris. Des 
environs d’Astracan. 


La Perse a le campagnol à courte queue (mus 


MS es 1 2 &. TR 


() Procced, IF, 409. 
() Pallas, Glires. pl. 14, fig, 6. 


DES MAMMIFÈRES. 


microrus, Erxl.), cendré clair en dessus, blanc 
sale en dessous, les oreilles velues. On le rencontre 
dans la province de Masanderan. La Syrie a l’hy- 
pudæus syriacus ( Lichst. ), muni de très longues 
moustaches, le dos jaune grisâtre, les flancs jaunà- 
tres (1), a la poitrine et les pieds blanchâtres. 

L'Égypte nous présente le campagnol du Nil (A. 
niloticus, Desm. ) (?), brun fauve, à ventre blanc 
jaunâtre; les oreilles grandes, nues et brunes. La 
queue garnie de quelques poilsrares. Habitelesrives 
des fleuves en Egypte. 

L'Amérique n’a que cinq campagnols. Le Brésil 
possède le rato bubo des créoles ( hypudœus dasy- 
trichos, Wied.)(?), à pelage épais brun noir, teinté 
de fauve. La queue est plus courte que le corps, et 
est annelée de squamelles, d’entre lesquelles par- 
tent quelques poils. Très communs aux embouchu- 
res des fleuves de presque tout le Brésil. Les Etats- 
Unis proprement dits ont : 1° le campagnol riverain 
(arvicola riparius, Ord.) (*); cendré brun sur le 
corps, plombé en dessous; la queue de moitié plus 
courte que le corps, les oreilles pileuses sur leurs 
bords. La femelle a, dit-on, huit mamelles, quatre 
pectorales et quatre ventrales. Il est commun dans 
les marais et sur les rives des fleuves de l'Amérique 
Septentrionale, et il recherche pour sa nourriture 
les racines de la zizanie aquatique. 2 L’arvicola 
æanthognathus(5) à dos brun noir, à ventre gris ar- 
genté, les joues d’un orangé vif, les pieds bruns. 
Ce campagnol se creuse des canaux souterrains sur 
les bords des lacs et des rivières, même dans les 
bois, dans le voisinage du fort Franklin, dans les 
montagnes Rocheuses, sur les bords de la baie d'Hud- 
son. L’arvicola pensylvaticus ($), ou le représentant 
aux Etats-Unis de notre campagnol vulgaire, est 
brun, à ventre gris. Son museau est obtus; ses oreil- 
les sont cachées sous la fourrure, et sa queue, toute 
poilue , égale à peine la longueur de la tête seule- 
ment. Assez commun dans le nord de l’Amérique. 
4 L’arvicola noveboracensis (7) a son museau très 
effilé, ses oreilles apparentes, sa queue squame- 
leuse , nue, dépassant en longueur celle de la tête. 
Son pelage est en dessus brun obscur, gris de souris 
sale en dessous. Il se trouve dans les montagnes 
Rocheuses. 

M. Gapper a découvert dans le Haut-Canada (8) 


(") Brants, Muiz, 92, 26. 

2) Geoff., Egypte. 

(3) Beit., IN, 425. 

(4) Journ. of th. ac. of nat. sc. phil., IV, 2, 305. Jarell 
proceed., II, 109 ; Sabine, Zool. journ., III, 260 ; Rich., 
120. 

(5) Leach, Zool. mise., t. [, pl. 26. 

(6) Ord. Harlan. 

(7) Lemmus, Rafinesq.; Rich. 126, 

(s) Zool. journ., n° 18, p. 204. 

Ï, 


489 


un campagnol (À. Gapperi, Vig.), à oreilles cour- 
tes et arrondies, le dos et la tête châtains, les flancs 
brun jaunâtre, le ventre blanc jaunûtre, la gorge et 
le menton cendrés. Il est commun dans les bois, 
dans les falaises et sur les rives des fleuves. 


LES LEMMINGS, LES HIPUDÆUS 
OU LES GEORYCHUS. 
Lemmus. Cu. 


Ont les mains pentadactyles, armées d'ongles 
fouisseurs robustes. Leurs oreilles sont rudimen- 
taires et leur queue est très courte. Par les autres 
caractères, ce sont des campagnols. Buffon n’a connu 
que le lemming de Norwége et de Laponie ( L. 
norwegicus, Geoff.), le mus lemmus de Pallas. On 
en admet aujourd’hui huit autres espèces, toutes 
habitant les terres du cercle polaire boréal. Ce sont : 
4° Le PESTRUSCHLA des Russes ( L. migratorius ), 
que l’on distingue du lemming de Norwége par son 
pelage jaune , sa nuque noire, sa gorge blanche; ses 
dents incisives sillonnées. Il vit plus particulière- 
ment dans la Laponie russe. 2° Le COLLIER de Vicq- 
d'Azyr ( L. torquatus )(1), ferrugineux varié de 
brun, marqué d’un collier blanc, ayant une ligne 
noire sur le dos, des membres courts, des oreilles 
cachées par la fourrure. On le trouve dans la partie 
boréale des monts Ourals et dans les marais du 
pourtour de la mer Glaciale. %° Le Dshithis- 
Tsitskhan des Tartares ( L. lagurus, Thien. ) (?), 
cendré, avec une ligne noire. Ses membres sont 
courts, et les mains n’ont que quatre doigts avec un 
rudiment de pouce. Il est commun dans les sables 
des déserts de la Sibérie, entre les fleuves Jaïk, Je- 
nisa et Frtisch. 

L'Amérique Septentrionale offre cinq espèces de 
ce genre. Ce sont : 4° Le lemming de la baie d'Hud- 
son ou rat du Labrador (L. hudsonius, Desm. ), 
cendré lavé de brun, les flancs ferrugineux , le ven- 
tre blanc, les mains à quatre doigts avec un rudi- 
ment de pouce. Commun sur le pourtour de la baie 
d'Hudson (3) et à la presqu'ile de Melville. 
2 L'awINNAK (arvicola borealis) ({),qui a les oreil- 
les cachées sous la fourrure, la queue de la longueur 
de la tête, le pelage épais , noir et jaune en dessus, 
cendré en dessous. Très commun sur les bords du 
lac du Grand-Ours. 5° Le georychus helvolus (*), 
qui a latête noire et tannée, le corps d’un rouge 


() Mus torquatus, Pallas, gl. pl. 11, fig. B. 
(2) Mus lagurus, Pallas, pl. 13, fig. a. 

G) Richards, p. 132. 

(4) Ibid., p. 127. 

(5) Richards., p. 128, 


490 


orangé fort vif, à teintes plus claires en dessous. 
M. Drummond l’a rencontré dans les marais subal- 
pins par les 56 degrés de latitude nord. Les ongles 
sont en tout point semblables à ceux du lemming 
de Norwèëge. 4 Le georychus trimucronatus (1), 
dont les oreilles sont cachées sous la fourrure, qui 
est marron obscur sur le corps, ferrugineux sur les 
flancs, cendré sur le ventre. Ses ongles de devant 
sont recourbés et lancéolés, et celui du pouce a trois 
pointes. IL a été rencontré dans la première expédi- 
tion du capitaine Franklin, par les 65 degrés de 
latitude nord , et à Igloolik par 69 dans la deuxième 
expédition du capitaine Parry. 5° L’hypudœus albo- 
vittatus, de Rafinesque, que l’on dit être brun avec 
cinq bandes longitudinales blanches, est une espèce 
douteuse des États-Unis, qui n'appartient peut-être 
pas à ee genre (?). C’est le nursing-mouse des Anglo- 
Américains. 


LES HAMSTERS. 
Cricetus. Cuv. 


Ont le système dentaire des rats, une queue courte, 
couverte de poils ; mais déjà nous voyons apparoître 
chez eux cette ampliation des joues qui se dilatent 
comme des sacoches, et qu’on nomme abajoues. Ces 
poches, qu'ont certains singes, servent à ces ron- 
geurs à transporter les graines qu'ils vont marauder, 
et qu'ils entassent dans des greniers souterrains. Buf- 
fon n’a décrit que le hamster commun (cricetus vul- 
garis, Cuv.), ou la marmotte d'Allemagne. Pallas 
en a fait counoître plusieurs espèces de la Sibérie, 
M. Rafinesque une du Kentucky, et M. Gapper une 
du Canada. Ce sont: 1° Le hagri de Vicq-d’Azyr 
(cricetus migratorius, Desm.), gris cendré en des- 
sus, le ventre et les pieds blancs. De la Sibérie. 
90 Le saBLe (Vicq-d’Azyr) (3), cendré blanchâtre, à 
ventre très blanc, les oreilles pubescentes. Sa queue 
est un peu plus allongée que chez les autres espèces. 
Il se nourrit de graines d’astragales dans les sables 
de la Sibérie. 5° Le pné (cricetus phœus, Desm.), 
cendré brunâtre sur le dos, blanc sur le ventre, les 
oreilles larges et presque nues. IL vit de graines cé- 
réales dans les déserts d’Astracan et dans le nord de 
la Perse. 4° Le soNGaRr (cricelus songarus, Desm.), 
cendré sur le dos avec une ligne dorsale noire, les 
flancs variés de brun et de blanc. Le corps est trapu, 
et la queue est très courte. Il vit, dans les parties 
les plus désertes de la Sibérie, de graines, de plantes 
légumineuses qui le rendent très gras. 5° L’oRoZ0 
(mus furoncuius, Pallas), à corps allongé, à mu- 


() Rich., p. 130, arvicola Parry, app. 2e voy., 309. 
* (2) New month magaz., oct. 1818. 
() Cricetus arenarius, Desm.; musarenarius, Pallas. 


RISTOIRE NATURELLE 


seau pointu, à oreilles larges et nues. Le pelage est 
gris jaunâtre en dessus avec une ligne dorsale noire. 
Le ventre et les pieds sont blancs. On le trouve en 
Daourie. 

Rafinesque décrit un HAMSTER À BANDES (cricelus 
fasciatus) des plaines du Kentucky aux Etats-Unis, 
roux sur le dos, avec dix raies transversales noires. 
Ses abajoues sont pendantes. Mais une espèce qui 
paroît plus certaine, est le cricetus myoïdes (1), dé- 
couverte dans le Haut-Canada, entre York et Sim- 
coé, par le docteur Gapper. Son pelage est sur le 
corps brun noirâtre, mêlé d’un peu de roux ou de 
jaunâtre, et blanc pur sur le ventre. Ses yeux sont 
bien fendus, ses oreilles amples. Ce hamster niche 
dans les haies, dans les granges. Il grimpe avec faci- 
lité dans les arbres,entasse des provisions de réserve, 
et suit les troupeaux pour ramasser les graines non 
digérées qui se trouvent dans le fumier. 


LES GÉOMYS. 


Décrits par Rafinesque-Smaltz, ils ont été dans 
ces derniers temps reproduits sous divers noms, tels 
que ceux d’ascomys (Lichsteinstein) (?), pseudo- 
stoma (Say), saccomys (Fr. Cuvier), et saccophorus 
(Kuhl.). Ce sont des rongeurs singuliers dont le mu- 
seau est comprimé, les yeux médiocres, les oreilles 
très courtes et arrondies, les abajoues amples, et 
parfois déjetées en dehors. M. Fr. Cuvier donne à 
son saccomys quatre doigts et un pouce rudimen- 
taire aux mains. M. Say dit que le pseudostoma a 
cinq doigts à toutes les extrémités, et c’est aussi ce 
nombre que M. Lichsteinstein accorde à ses asco- 
mys. Les géomys (3) ont les oreilles arrondies, très 
courtes, et une queue médiocre, nue ou converte de 
quelques poils. Les ongles, surtout les trois mitoyens 
de devant, sont très longs, crochus et tranchants. 
Leurs membres sont courts et les font paroître bas 
sur le sol. Ce sont des animaux fouisseurs exclusive- 
ment répandus dans l'Amérique du Nord, et vivant 
de racines. Leurs molaires, au nombre de quatre, 
sont en prismes comprimés, la première double, 
les trois autres simples. Les incisives sont creusées 
d’un double sillon en devant. Ces rongeurs portent 
le nom de sand-rat aux Etats-Unis. 

L'espèce type est le GEOMYS CENDRÉ (geomys ci- 
nereus, Rafinesq.), que Shaw décrivit sous le nom 
de canada-rat (Zoolog., t. IT, p.100), et puis sous 
celui de mus bursarius (Trans. soc., Linn., t. V, 
p.227, pl. 8); c’estle mus saccatus de Mitchill,et un 


() Zool. journ., no 18, p. 204; Bull., XXIIL, 264. 

) Berlin, 4825, pl. 2, fig, 1 et 2; Bull., XHIL. 114; Ri- 
chard., pl. 18, fig. 1 à 6. 

(5) Rats de terre. 


DES MAMMIFERES. 


hamster (cricetus bursareus) pour MM. G. Cuvier, 
Desmarest et Oken. C’est encore le saccophorus 
bursarius de Kubhl, le pseudostoma bursarius de 
Say, le geomys bursarius de Richardson (Fauna, 
p. 205), et l’ascomys canadensis de Lichsteinstein. 
Enfin quelques auteurs pensent même que le {ucan 
de Fernandez ne diffère pas de cet animal si riche- 
ment doté en noms divers. Quoi qu’il en soit, le géo- 
mys à le pelage court, très fin et gris. La plante des 
pieds pose en entier sur le sol. On le trouve au Ca- 
nada suivant Shaw, sur les bords du lac Supérieur 
suivant Mitchill. 

Une espèce voisine de la précédente est le Sacco- 
PHORE DE BOTTA (saccophorus Bottæ, Fav., pl. 21, 
fig. 4), longue de huit pouces, et qui vit à la Cali- 
fornie. Son pelage est fauve roussâtre, plus clair à 
la gorge et sous les ahajoues, tandis que les cuisses 
et. les jambes sont fauves comme le corps, et que les 
quatre extrémités sont blanc sale. 

La troisième espèce est le GEOMYS DE DOUGLAS 
(geomys Douglasii, Richards., pl.18, C. fig. 4 à 6), 
le colombia sand-rat des Anglois, fuligineux sur le 
corps, plus clair sur les parties inférieures. Cette es- 
pèce est commune dans le voisinage du fort Vancou- 
ver, où il se tient sur les pentes des collines, dans 
le sable pur; il se nourrit de grains, de noisettes du 
corylus rostrata et de gramens. 

La quatrième espèce est le geomys umbrinus de 
Richardson, couleur de terre d'ombre sur le corps, 
gris en dessous, avec la gorge et les pieds blancs ; la 
queue grise, poilue, de la longueur de la tête. El vit 
dans la partie sud-ouesi de la Louisiane, aux envi- 
rons de la ville de Cadadaguios. 

Une cinquième espèce est l’ASCOMYS MEXICAIN 
(Lichst. et Bandt.), qu'Hernandez paroit avoir décrit 
sous le nom de fucan. Ses dents incisives supérieures 
présentent un seul sillon submédian, les deuxième 
et troisième molaires sont ovalaires et transverses. 
Ce rongeur, long d’un pied, vit au Mexique. Son 
pelage est brun ou roux marron. 


LE SACCOMYS MANGEUR DE FLEURS. 
Ca S. Antopilus. Fr. Cuv. (1). 


Ainsi nommé, parce que les abajoues de la peau, 
examinée par cet auteur, étoient remplies par des 
fleurs sèches de coronilla securidaca. 1 est de la 
taille d'une souris ; sa queue est longue et nue, ses 
pieds sont tous pentadactyles, et son pelage est uni- 


(:) Nous paroît être le gopher décrit par M. School- 
craft (journ. 365), et trouvé aux chutes de Saint-An- 
toine du Mississipi. Fr, Cuv., Mém. du Mus., no X, p. 419, 
pl. 26. 


AY 


forme. Est-ce une sixième espèce ? Ce saccomys pro- 
venoit des Etats-Unis. 


LES DIPLOSTOMES. 
Diplostoma (1). 


Les Anglo-Américains les nomment camas-rat, 
et les François du Canada les appellent gaufres; ils 
ont le corps déprimé, bas sur jambes, une tête forte, 
des incisives à trois côtés convexes, des abajoues en 
forme de sacs très dilatables, communiquant avec 
l'intérieur de la bouche par un sphincter. Les yeux 
sont petits, en partie cachés par les poils de la face ; 
la conque auditive est médiocre, et on n’apercçoit au- 
cune trace d'oreilles extérieures. Les poils sont épais, 
serrés et doux ; la queue est courte, arrondie et poi- 
lue. On en connoît trois espèces de l'Amérique du 
Nord : 1e Le diplostome brun (diplostoma fusca , 
Rafinesy.), long de onze pouces, entièrement brun; 
il vit sous terre de racines dans les plaines de Mis- 
souri. 2° Le diplostome blanc (D. alba, Rafinesq.), 
long de cinq pouces et demi, à pelage entièrement 
blanc ; des mêmes contrées. 5° Le diplostome man- 
geur d’ognons (D. bulbivorum, Richards., 206), qui 
recherche avec avidité les ognons de camnas ou qua- 
mash (scilla esculenta), gris de plomb, passant sur 
le dos au marron et au brun jaunâtre, à teinte plus 
claire sur la tête; le ventre est brun mélangé de 
gris. Il est commun dans les plaines arrosées par la 
rivière Multomah. 4° Le mole, shaped sand-rat des 
Anglo-Américains (?), ou geomys talpoïdes de Ri- 
chardson, l’ootaw-chee-gæshees des Indiens Creeks, 
est noir cendré en dessus, avec le menton et la queue 
biancs ; les pieds semblent n’avoir que quatre doigts. 
Du pourtour de la baie d'Hudson. 


LES RATS-TAUPES (6). 
| Spalaz , GuLv.; Aspalaxæ, OLiv. 


Ils sont bas sur jambes et ont cinq doigts à toutes 
les extrémités, les ongles plats et menus; leur queue 
manque complétement. Leurs oreilles sont cachées 
par la fourrure ; les yeux sont voilés par la peau ; 
leurs dents, surtout les molaires, sont à peu près de 
même forme et en même nombre que chez les rats. 
Ce sont des rongeurs informes, qui vivent cachés 


() Rafinesq. (1817): Desm.; Richards. 206, pl. 18, B, 
(Les caractères de Rafinesque sont fautifs.) 

(a) Sabine, Bull., X VIII, 103 ; Richards. 204, Cricetus, 
talpoïides, Zool.journ.. IN, 518. 

(3) Talpoïides, Lacép.; Siphneus, Brants. 


492 


comme les taupes en élevant la terre, et qui s’ali- 
mentent exclusivement de racines. L'espèce type est 
répandue dans le Nord et en Orient, la deuxième se 
trouve dans l’ile de Java. Le ZEMNI, slepez, ou RAT- 
TAUPE AVEUGLE (mus typhlus, Pallas, gl., pl. 8) (1), 
qui paroit être l’aspalax d’Aristote , et que Buffon à 
décrit sous le nom de zemni. Ce rongeur a une va- 
riété tachetée de blanc. Il est répandu dans les cul- 
tures de la Syrie, de la Mésopotamie, de la Perse, 
de la Russie méridionale, de la Pologne et de la Hon- 
grie. M. Fr. Cuvier mentionne un rat-taupe aussi 
grand qu’un lapin, gris foncé , avec une raie blanche 
longitudinale sur la tête, et qui vit dans les îles de 
la Sonde. Il le nomme spalax javanus. 


LES ZOKORS, OÙ SIPHNEUS. 


BRANTS. 


Ont les trois molaires des spalax, les yeux très 
petits, les ongles des mains comprimés et tranchants, 
très propres à fouir ; une courte queue. On n’en con- 
noît bien qu’une espèce, le monon zokor des habi- 
tants de la Daourie, le semlanaja-medwedka des 
Russes. C’est le mus aspalax de Pallas (?) qui est 
gris roussâtre, et qui vit sous terre à la manière des 
taupes ; il se nourrit de bulbes de liliacées, et se 
trouve communément en Daourie, entre les fleuves 
Ingoda et Argun. Il est plus rare à Abakan, au-delà 
de l’Irtisch. La deuxième espèce seroit le suker- 
kan (3) (mus talpinus, Pallas) ou le semlereia des 
Russes, brun noir sur le corps, cendré en dessous ; 
le menton blanc. Il vit de racines et de tubercules 
dans les galeries souterraines qu’il se creuse, et ne 
sort que la nuit. Il est commun dans les déserts d’As- 
tracan et dans les plaines de la Russie tempérée ; on 
le retrouve en Bukkarie et en Tartarie. 


LES BATHYERGUES, 
OU ORYCTÈRES. 


Bathyergus. LL. ({). 


Ont quatre molaires à chaque maxillaire , ayant, 
avant d’être usées , une échancrure au bord externe, 


() Spalax typhlus, Ilig.; aspalax typhlus, Desm. 

(2) Siphneus aspalax, Brants ; mus myospaler, Laxm. 
Georychus, G. Cuv. 

G) Spalax talpinus, Tienem.; georychus talpinus, 
Illig. 

(4) Oryctères, Fr. Cuv. ; observations sur les rongeurs 
lu cap de Bonne-Espérance classés dans les genres 
Fathyergus, Oryctères, Georichus, etc.; Anp. sc, nat,, 

vril 4834, 1, 193. 


HISTOIRE NATURELLE 


et une circonférence uniforme par suite d'usure. 
Leur corps est bas sur jambes ; les yeux extrême- 
ment petits, les ongles fouisseurs et la queue courte. 
Les bathyergues sont : 4° Le RAT-TAUPE DES DUNES 
(mus maritimus, L.) (1); le kauw-howba des Hot- 
tentots; la taupe du Cap du voyageur Lacaille, cen- 
dré roux sur le corps, blanc sur le ventre. Les inci- 
sives sont sillonnées en devant. On en connoît une 
variété toute blanche. Il vit dans les sables mari- 
times du cap de Bonne-Espérance. 2° La PETITE 
TAUPE DU Cap (B. Buffonii, Fr.Cuv.), à pelage brun 
ou gris clair, marqué de blanc à l'oreille, à l'œil, au 
bout du nez et sur la tête. Elle vit dans les dunes du 
Cap, et surtout dans le pays des Caffres. 3° Le RAT- 
TAUPE HOTTENTOT (bathyergus hottentotus, Less.)(?\, 
a été reproduit sous deux noms différents. C’est le 
bathyergus cæcutiens de Lichsteinstein (3), et le 
B. Ludwigii de M. Smith (f), qui vit également 
au Cap. 

Les oryctères ou rats-taupes, dont on ne connois- 
soit que deux espèces (les bathyergqus maritimus, 
Desmarest, 519, et bathyergus capensis, Mamma- 
logie, 520), n’ont été observés, jusqu’à ce jour, 
qu’à l'extrémité australe de l’Afrique, où ils vivent 
dans les dunes des environs de la ville du Cap. C’est 
dans la même contrée que M. le docteur Garnot, 
après son naufrage, rencontra la troisième espèce 
que nous décrivons ici, et qui se distingue des deux 
précédentes par sa petite taille et par la teinte uni- 
forme et sombre de son pelage. Elle sembleroit être 
une variété minor georychus d'Illiger, ou bathyer- 
gus capensis ; mais les dimensions plus foibles de 
toutes ses parties, et sa couleur, doivent autoriser 
à la considérer comme formant une espèce assez 
distincte. 

L'oryctère hottentot a quatre pouces six lignes de 
longueur totale, depuis la naissance de la queue jus- 
qu’au bout du museau. La tête a quatorze lignes ; la 
queue a cinq lignes, sans y comprendre les poils qui 
la dépassent de six lignes. Les bras et l’avant-bras 
n’ont de longueur que six lignes : la main, de la face 
palmaire au bout des ongles, a six lignes; les doigts 
du milieu en ont trois, et les ongles ont moins d’une 
ligne. La face plantaire a neuf lignes ; les doigts du 
milieu, trois lignes : sa circonférence dans la partie 
la plus large est de quatre pouces. 

Le corps est cylindrique ; la tête est courte, ar- 
rondie, conique , à museau obtus et comme tron- 
qué. Les yeux sont extrémement petits et très peu 
visibles. On ne peut apercevoir aucune trace d’o- 


() Mus suillus, Screb., pl. 204, fig. B. Bathyergus 
maritimus, Brants. Orycterus maritimus, Fr. Cuv. 

(2) Less. et Garn., Zool. de la Coq. pl. 2, fig. 2, p. 166 
(1826). 

(3) Brants, Muiz. 

() Zool. journ., Elf, 439 ; Bull, XVIII , 276. 


DES MAMMIFÉRES. 


reilles extérieures. Les membres sont courts et grê- 
les. Les deux doigts du milieu sont réunis jusqu’à 
près de la moitié de leur longueur. Le pouce et l’in- 
dex sont les plus courts, et d’égale dimension à peu 
près ; les ongles sont très petits et très foibles ; la 
queue est aplatie, brève, et comme ciliée par des 
poils peu fournis, allongés, qui partent des bords et 
” de son extrémité ; le bout du museau est nu, et de 
couleur de chair, garni de barbes fines à la mâchoire 
supérieure. L’oryctère hottentot est recouvert de 
poils très fournis, très courts et très soyeux. Toutes 
les parties supérieures du corps sont d’une teinte 
gris brun uniforme, et comme lustrée , se fondant 
sur les côtés avec la couleur grisâtre des parties in- 
férieures et des mains et des pieds. Cette espèce n’a 
aucune tache blanche, ni près de Poreille, ni près 
de l'œil ou sur le vertex , comme on en voit sur ces 
parties chez l’oryetère-cricet (bathyerqus capensis : 
mus capensis de Pallas, Gmel.). Le pelage est gé- 
néralement de couleur brune à la naissance de chaque 
poil, et ce n’est qu’à sa pointe qu’il prend las- 
pect ou gris brun ou grisâtre que nous avons in- 
diqué. 

Ce petit rongeur, par la foiblesse de ses ongles, 
doit principalement se servir de son museau pour 
se creuser des galeries dans le sable. Celui que nous 
décrivons a été tué à vingt lieues de la ville du Cap, 
près le village de la Pearl, non loin des montagnes 
de Drackenstein. C’est indubitablement de cette es- 
pèce qu'Allamand (Suppléments à l'Histoire des 
Quadrupèdes de Buffon) veut parler lorsqu'il dit: 
« M. Gordon a vu, fort avant dans l’intérieur du 
pays, une espèce beaucoup plus petite, et de couleur 
d’acier ; aussi lui en donne-t-on le nom au Cap. » 
(Buffon, t. XX, p. 185.) 

4° Enfin, M. Fr. Cuvier mentionne le squelette 
d’une quatrième espèce dont on ne connoît pas 
les parties molles, et qui diffère des trois précé- 
dentes. 


LES GÉORIQUES. 
Georychus. 


Se distingueroient des bathyergues, en ce qu’ils 
n'ont que trois molaires de chaque côté de la mà- 
choire. La seule espèce connue est le mus capensis 
de Pallas (gl., pl. 7), ou georychus capensis d'Hli- 
ger, à pelage entièrement brun foncé et sans tache 
blanche sur la tête. Cette espèce vit dans les dunes 
et les lieux cultivés du cap de Bonne-Espérance. 


493 


LES HÉLAMYS, 
OU LIÈVRES SAUTEURS. 


Pedetes. Tiuic. 


Gnt la tête large, de gros yeux, une longue queue, 
des membres postérieurs considérablement plus forts 
que ceux de devant. Ce qui les caractérise plus par- 
ticulièrement sont quatre molaires formées de deux 
lames, les cinq doigts des mains terminés par des 
ongles longs et pointus, les quatre doigts des pieds, 
lisses et munis d'ongles larges et disposés en forme 
de sabots. Les incisives inférieures sont tronquées. 
On n’en connoît qu’une seule espèce qui vit dans les 
lieux montueux du cap de Bonne-Éspérance, c’est 
le GERBO {peuetes capensis, Desm. ; helamys capen- 
sis, Fr. Cuv.), ou le yerbua de Forster, la grande 
gerboise de Buffon (1). 


> 
LES GERBOISES. 
Dipus. ScREs. 


Joignent aux dents des rats les cinq doigts des 
mains des hélamys. Leurs pieds n’ont que trois 
doigts, parfois avec un ou deux petits doigts rudi- 
mentaires surmontés. Leurs membres antérieurs 
sont très courts, les postérieurs sont robustes et gran- 
dement développés. Il en résulte que ces animaux 
ne peuvent que sauter. De là le nom de rats à deux 
pieds que leur donnoient les anciens , ou de rats de 
Lybie, ainsi qu’on le lit dans Ælien. Leur tête est 
large, leurs yeux sont grands, leur queue surtout 
est trés longue et très touffue. Ce sont des rongeurs 
organisés pour les déserts, vivant en troupes, qui 
se creusent des terriers dans les sables où ils tom- 
bent dans une profonde léthargie pendant lhiver, 
Les Tartares leur donnent le nom commun de jou 
ou rats jaunes. [ls pensent qu’ils se transforment en 
cailles, ce qui est dû à ce que ces animaux rentrent 
dans leurs tanières quand les cailles arrivent. et en 
sortent quand elles émigrent. Toutes les gerboises 
vivent dans les régions chaudes et tempérées de l’an- 
cien continent, et leurs espèces sont nombreuses. 
Ce sont : 1° Le gerbo ou gerboise de Buffon, la jer- 
boa des Arabes ou le djarbua des Egyptiens (dipus 
sagitta, Zimmerm.) (?), fauve, avec un croissant 
bianc sur chaque fesse. Sa nourriture consiste en 
bulbes de plantes ; on le trouve en Barbarie, en Sy- 
rie, en Egypte et en Arabie. Bruce en a décrit une 


@) Dipus cafer, Gm.; mus cafer, Pallas. 
(@) Mus sagitta, Pallas; mus jaculus, L., Fr. Cuv., 
63e liv.; mus saliens, Shaw, IL, 38. 


494 


variété peu distincte qui a été nommée dipus Brucii, 
et qui vit dans les déserts de Barca. 2° Le dypus 
ægyptius (Hemp. et Ehr. ; Lichs. 22), voisin du pré- 
cédent , à oreilles médiocres , la queue noire au bout 
et terminée de blanc(1). De l'Egypte. 5° Dipus telum 
(Lichst., pl. 25) des steppes des Kirguis, et sur les 
bords du lac Aral, roux jaunâtre, queue jaune, 
oreilles petites, flancs et ventre blancs. 4° Dipus 
tetradactylus (Lichs., pl. 25), qui paroit être le ger- 
boa de la cyrénaïique de Bruce (?), à longues oreilles 
gris fauve. La queue floconneuse terminée de noir et 
de blanc. De la Lybie. 5° Dipus hirtipes (Lichst., 
pl. 24), à longue queue terminée d’un flocon blanc. 
Les pieds très velus. De la Nubie. 6° Dipus lagopus 
(Lich., pl. 24), à petites oreilles, queue terminée de 
blanc, peu touffue. Des steppes du lac Aral. 7° Dipus 
decumanus (Lich., pl. 25), à oreilles pointues, roux 
vif sur le dos, la queue très longue, rousse, puis 
noire, et terminée de blanc. De l’Oural. 8° Dipus 
spiculum (Lich., pl. 26), roux vif ondé de noir. La 
queue terminée par une forte touffe, noire et blan- 
che. Deux petits ergots surmontant les trois doigts 
des pieds. De la Sibérie, des monts Altaï. 9° Dipus 
pygmeæus (lig., Lich., pl. 26), gris blond, la queue 
grêle. Des steppes des Kirguis (#). 10° Dipus elater 
(Lich., pl. 27), jaune en dessus. De la Sibérie. 14° Di- 
pus platyurus (Lich., pl. 27), est le seul qui ait la 
queue garnie de poils distiques sur toute son éten- 
due. Il habite les bords du lac Aral. 

Les espèces les plus anciennement connues après 
la gerboise ou jerbo sont : 12° Le dipus jaculus ou 
l’alak-daagha des Mongoles, le morin-jalma des 
Kalmouks, décrit par Buffon sous le nom d’alag- 
taga, et qui vit sur les rives du Tanaïs, de l’Irtisch 
et du Volga. 15° Le dipus brachyurus(de Blainv.), 
brun varié de fauve, qui paroit être le choën-jalma 
des Kalmouks, voisin de l'espèce précédente, à la- 
quelle l’avoit réuni Gmelin. 


LES GERBILLES. 
Gerbillus, Des, ; Meriones, ÎLirG, 


Ont les extrémités antérieures courtes et penta- 
dactyles, les postérieures assez longues, terminées 
par cinq doigts presque égaux. Leur queue est lon- 
gue et velue. Leurs dents ne diffèrent de celles des 
rats qu’en ce qu’en s’usant apparoissent des collines 
transversales. Les incisives supérieures sont creusées 


(") D. bipes, Lichst.; Fisher, esp. 3, p. 334, 

e) Et le dipus ubyssinicus de Meyer. 

(5) C’est aussi le dipus minutus de Blainv.,et le mus 
jaculus, var. minor de Pallas. ou son dipus acontion. 
(Zoog. russe, I, 1482.) 


HISTOIRE NATURELLE 


d’un sillon. Les gerbilles vivent dans les contrées 
chaudes et sablonneuses de l’ancien continent. 

L'Inde a les gerbilles suivantes : 4° L’heereena- 
moos des Indiens, ou l’hérine (Fr. Cuvier)(!), brune, 
linéolée de noirâtre, avec une longue queue termi- 
née par une touffe de poils bruns. Elle habite les 
Indes Orientales, entre Benarès et Hurdwan. 2° L’a- 
picalis (?), à corps brun lustré en dessus, jaune blan- 
châtre en dessous ; la queue est garnie de poils ri- 
gides, denses et pressés. Les Indes Orientales, sans 
désignation de localité. 

Le Æordofan a la gerbille robuste ($), brun mé- 
langé de gris et d’ocre, à teintes plus claires sur les 
flanes. Les pieds sont velus, et la queue est épaisse. 
La Nubie a fourni au voyageur Ruppell une espèce 
voisine (£) au mus longipes, à pelage isabelle , tirant 
au roux vif, ayant deux taches blanches, l’une au- 
dessus des veux, l’autre derrière les oreilles. Les 
poils de la queue semblent être distiques. On retrouve 
cette espèce en Egypte avec les suivantes. La GER- 
BILLE DES PYRAMIDES (°), jaune rougeûtre, ayant 
deux lignes blanches au-dessus des yeux; les pieds 
à quatre doigts seulement, et la queue terminée par 
un flocon jaune. Elle vit proche des pyramides d’E- 
gypte. La {amarisque ou gerboise à queue annelce, 
en est un peu distincte (6); elle est jaunâtre sur le dos, 
blanche sur le ventre ; mais elle a cinq doigts aux 
pieds , le pouce et le petit très remontés, il est vrai. 
La Lybie nourrit dans ses déserts une gerbille (7) à 
museau effilé, à oreilles courtes, à queue très flocon- 
neuse au bout. C’est dans les sables qui environnent 
la mer Caspienne, entre le Volga et l’Oural, que se 
tient le amp de Vicq-d’Azyr $), brun clair sur le 
dos, avec une ligne brun fauve sur le dos; le ventre 
blanc. Le Sénégal a une gerbille roux vif sur le dos, 
et blanc sur le ventre ; et le cap de Bonne-Espérance 
en à une autre plus grande, roussâtre. 


LA GERBILLE DE BURTON (°) 


Habite le Dahrfour, où l’a découverte M. Burton 
à qui M. Fr. Cuvier l’a dédiée. Cette gerbille est plus 
petite que le surmulot. Sa coloration est un jaunâtre 
vif plus foncé sur les parties externes et plus clair 
sur le ventre. 


() Dipus indicus , Hardw., Trans. lion., VIN, pl. 7, 
p. 279 

(2) Meriones apicalis, mus. de Berlin, Fisher, p. 337. 

(3) Meriones robustus, Cretzm.,pl. 29, fig. B. 

(:) Meriones gerbillus, Cretzm., pl. 30, fig. B. 

(5) Gerbillus pyramidum, Geoff. 

(6) Meriones tamaricinus, Kuhl. 

(1) Meriones lybicus, Lichst. 

(8) Dipus longipes, Screb.; mus longipes, L.; ger- 
billus meridianus, Desm. 

(9) Gerbillus Burtoni, Fr. Cuv., 70e liv. 


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DES MAMMIFÈRES. 


a —— 


LES MÉRIONS. 


Meriones. Fr. CUv. 


Sont exclusivement de l'Amérique. Elles ont les 
incisives sillonnées des gerbilles, une petite molaire 
devant les trois grosses, comme les gerboises ; toutes 
les extrémités pentadactyles, mais la queue longue, 
pointue et dénudée des rats. Leurs membres de der- 
rière sont longs et ceux de devant courts. Leur 
facies les éloigne de prime-abord des gerbilles. 
4° L'espèce la plus anciennement connue est la ME- 
RIONE DU CANADA (1), jaunâtre en dessus, à ventre 
blanc, de la taille d’une souris. Elle passe l'hiver 
dans un sommeil léthargique, et s’enferme sous terre 
dans le Canada, sa patrie. 2° La MÉRIONE DU LABRA- 
por (2), le katzès des Indiens Chippewais, et le la- 
brador Iumping-mouse des Anglo - Américains, 
qui est très commune sur le pourtour du grand lac 
des Esclaves. Son pelage, en dessus d’un brun noir 
mélangé de jaune brunâtre, passe sur les flancs au 
jaune brun; tout le dessous du corps est blanc. La 
fourrure est épaisse et grossière. 

Est-ce à ce petit groupe que doit appartenir le 
meriones musculus décrit par Kuhl, comme prove- 
nant du Brésil? De la taille d’un rat, blanc grisà- 
tre en dessous, roux jaunâtre en dessus, avec des 
oreilles assez amples et la queue floconneuse ? ? Tout 
porte à croire que ce rongeur appartient à un tout 
autre genre. 

M. Rafinesque a décrit sous le nom de gerbille de 
la baie d'Hudson (G. hudsonius), la mérione du 
Canada, mentionnée plus haut, et de plus une espèce 
de l'Amérique du Nord (G. soricinus), gris brun, 
ayant une ligne rousse sur les flancs, les oreilles 
presque nues. Nous ne savons de quelle espèce veut 
parler Mitchill sous le nom de gerbillus sylvaticus. 
Ilen est de même du gerbillus leonurus de Rafi- 
nesque , du Kentucky. 


a 


LES ONDATRAS. 
Fiber. 


Forment un petit groupe qui ne comprend qu’une 
espèce de l’A mérique Septentrionale, le rat musqué du 
Canada (mus zibethicus), l'ondatra des Canadiens, 


(5 Meriones canadensis, Less. Man.; dipus america- 
nus, Barton; dipus canadensis, Shaw, gen, z0ol. 2, 
pl. 16. Meriones nemoralis, Isid. Geoff., pl. du Dict. 
class. 

(2) Meriones labradorius, Rich. pl. 7 ; le labrador rat 
de Pennant; gerbillus hudsonius de Rafinesque ; mus 
labradorius, Sabine ; gerbillus labradorius, Harlan, 


495 


décrit par Buffon sous ce nom. Richardson, dans sa 
Faune de l'Amérique Septentrionale (page 445), en 
distingue trois variétés, l’une noire, l’autre tachetée 
et la troisième blanche. Les Anglo-Américains nom- 
ment ce rongeur musquasch. 


LES COUIA, OU MYOPOTAMES (1. 


D’Azara les a mentionnés sous les noms de quyia, 
et Damasio de Larranhaga sous celui de potamys(?); 
ce sont des rongeurs à tête large, à museau obtus, 
dont les oreilles sont petites et rondes , les pieds 
pentadactyles ; le pouce des mains fort court, les 
quatre autres doigts libres, tandis que tous les doigts 
des pieds sont palmés; la queue est longue, coni- 
que, forte, écailleuse et parsemée de quelques gros 
poils. Les quatre molaires de chaque côté ressem- 
blent à celles du castor, elles ont une échancerure sur 
une face et trois du côté opposé. La seule espèce de 
cette tribu est le coypou (#), brun marron sur le dos, 
roux sur les flancs, brun clair sur le ventre. On en 
connoît trois variétés, une rousse, une brune avec 
une ligne dorsale fauve , et une troisième tachetée de 
blanc. Cet animal est commun au Chili, à la Plata, 
dans le Tucuman. Il est rare à Montevideo et dans 
le Paraguay. Il viten petites familles sur le bord 
des eaux, où il se creuse des terriers. Son poil, em- 
ployé dans la fabrication des chapeaux de castor, est 
connu dans le commerce des pelleteries sous le nom 
de racoonda. 


LES CASTORS. 


Castor. L. 


Dont on ne connoît bien qu’une espèce, le castor 
fiber, et dont il se pourroit que la variété d'Europe 
se distinguât comme type séparé, ne se sont enri- 
chis, depuis les travaux de Buffon, que de quelques 
détails (4). 


{) Myopotamus, Commerson ; kydromys, Geoff. 

(2) Nouv. Bull. Soc. phil., 1823, p. 85. 

G) Myopotamus bonariensis, Commers.; potamys 
coypus, Desm.; mus coypus, Molina, Chili, p. 268; 
Geoff., Ann. du Mus., t. VI, pl. 35 ; mus castorides, Bur- 
row, Trans. soc. Linn., t. XI, p. 168. (Atlas, pl. 43, 
fig. 2.) 

() Sur les mœurs du castor, Ann. sc. nat, {. J, p. 266; 
Richardson, Faupa, p. 105 et suiv. 


496 


LES PORCS ÉPICS. 
Hystrix. L. 


Forment un grand genre, divisé aujourd’hui en 
plusieurs sous-genres. Le premier, celui des PoRCs- 
ÉPICS proprement dit, comprend le porc-épic de 
Buffon ( hystrix cristata, L.), et celui des Indes, 
qui forme évidemment une espèce distincte. Le 
deuxième genre comprend les ATHÉRURES (Fr.Cuv.), 
qui n’a qu’une espèce, le porc-épic à queue en pin- 
ceau, de Buffon ( . fasciculata, L. ), qui vit dans 
l'Inde (!). Le troisième genre est celui des ursoxS 
(eretison, Fr. Cuv. ), dont on ne connoît que l’ur- 
son de Buffon ( Aystrix dorsata, L. ) (2), de l'Amé- 
rique septentrionale. Enfin le quatrième genre est 
le COExDOU ( sinetheres, Fr. Cuv.), dont Buffon a 
décrit deux espèces. L’une, son coendou , est un 
urson défiguré par l’empaillage. L'autre, le coendou 
à longue queue (hystrix prehensilis, L.), est 
encore le hoitztlaquatzind’'Hernandez et le cuendu 
de Marcgrave. On le trouve au Brésil , au Mexique 
et au Paraguay. Buffon paroît avoir mal connu le 
couiy de d’Azara (hystrix insidiosa, Lichst.), qui 
vit également au Brésil, et qui a ses piquants roux 
ou jaunes, cachés une partie de l’année par un long 
feutre gris brun. 

Nous ne connoissons dans le genre PORC-ÉPIC pro- 
prement dit qu’une espèce donnée comme nouvelle, 
c'est l’hystrix leucurus(?) de.Sykes, qui se trouve 
dans le pays des Mahrattes, où elle est appelée 
sayal. Elle est fort voisine du porc-épic d'Italie, seu- 
lement sa queue est d’un blanc pur, et elle est pri 
vée de poils capillacés. 


LES LIÈVRES ET LES LAPINS. 
Lepus. . 
Se sont accrus de plusieurs espèces dans ces der- 


(‘) Nous citons le passage de ‘sir Stamford Raffles sur 
les pores-épics de Sumatra : « Il y en a deux espèces, une 


» à longue queue, l’hystrix fasciculata, l’autre, le Lan- 


» dax, figurée par M. Marsden ‘dans son Histoire de 
» Sumatra, sous le nom d’Aystrix longicauda. Cette fi- 
» gure est bonue et exacte, excepté que l’on a dessiné 
» les pieds de devant avec cinq doigts, tandis qu'ils n’en 
» ont réellement que quatre, la place du pouce étant 
» garnie d’un tubercule. Le nom de longicauda peut 
» être combattu . parce que la queue de cette espéce est 
» plus courte que celle de l’hystrix fasciculata. On doit 
» examiner si l'hystrixæ macroura de Séba diffère vrai- 
» ment de l'hystrix fasciculata, et si ces deux espèces 
» ne sont pas confondues sous un seul nom. » 

() Pour l’urson , consultez Richardson, Faun., p, 214. 

(6) Proceed., t,1, p, 103. 


HISTOIRE NATURELLE 


nières années. Buffon n’a parlé avec lucidité que 
du lièvre et du lapin ordinaires, avec leurs varié- 
tés domestiques, du TOLAÏ (lepus tolai, Pallas ) 
et du TaprTi (lepus brasiliensis, L. ) (1). Nous 
y ajouterons les suivantes : l’Europe, dans sa 
partie boréale, et sur les hautes montagnes, a : 
4° le LIÈVRE VARIABLE (lepus variabilis, Pallas), 
un peu plus grand que le lièvre de nos plaines de 
France, ayant ses oreilles et sa queue plus courtes. 
Son pelage est gris en été, blanc en hiver, mais la 
queue reste blanche en toutes saisons. Sa chair est, 
dit-on , insipide. 2° On nomme REKALEK , au Groën- 
land , où il est commun, un lièvre qui paroît habi- 
ter tout autour du cercle polaire arctique. Le lepus 
glacialis de Leach ©), brun grisâtre, puis entière- 
ment blanc , à oreilles plus longues que la tête, les 
lèvres noires, les ongles larges et déprimés. Il est 
aussi très multiplié sur l'ile Melville, dans les fa- 
laises des bords de la mer. Les Esquimaux lappel- 
lent ookalik , les Indiens des mines de cuivre kaw- 
cg0q. Fabricius paroît l'avoir décrit sous le nom de 
lepus timidus (3). Le lepus hybridus de Pallas n’est 
point authentique. Cet auteur regardoit le lièvre 
désigné ainsi comme le produit du lièvre commun 
et du lièvre variable. Il le distinguoit de ce dernier, 
parce que le pelage ne blanchit qu’incomplétement, 
c’est-à-dire qu’il conserve toute l’année du gris, en 
même temps que la queue reste noire. On le ren- 
contre dans quelques provinces de la Russie, mais 
surtout dans la Sibérie. 

L'Amérique du Nord a deux espèces de ce genre 
qui lui sontexclusivement propres. La première est 
le 4ah des Chippewais ou le warwpous des Indiens 
Creeks, le lepus americanus d’Erxleben (4), de la 
tille d’un médiocre lapin, à pelage roux brun ti- 
queté de gris, le cou et le ventre blancs, les oreilles 
noires, la queue grisâtre en dessus , blanche en des- 
sous. Cet animal ne se creuse pas des terriers, mais 
se tient dans les plaines boisées de tout le nord des 
Etats-Unis. La deuxième est le lièvre des prairies 
(prairie hare ) des chasseurs Anglo-Américains, 
le lepus virginianus de M. Harlan (5), le waring- 
hare des voyageurs Lewis et Clark. Il est gris brun 
en été, blanc en hiver, avec un cercle roussâtre qui 
persiste autour des yeux. Sa queue est très courte. 
Une variété est de couleur plombée sur le dos.Cette 
espèce ne paroit pas dépasser les 56 degrés de lati- 
tude nord. Elle est fort commune dans les prairies 
du Missouri et de la Colombia. Elle ne se creuse pas 
de terriers, mais se réfugie dans les bouquets de 
bois , et se cache entre les rejets des arbres. 


{r) Atlas, pl. #44, fig. 2. 

(2) Richards., Fauna, p. 221. 

(3) Fauna groenlandica, p. 25 

(4) Lepus hudsonius, Pallas, gl. 30. 

(5) Fauna amer., p. 196 et 310; Rich. 224, 


DES MAMMIFÈRES. 


Les îles Malouines, placées à l'extrémité sud du 
continent américain}, ont le lapin de Magellanie (1). 


LE LAPIN DE MAGELLANIE. 


Lepus magellanicus. LEss. 


La nature, en créant les animaux , a donné à plu- 
sienrs d’entre eux des caractères généraux , qui nous 
permettent d'en former des genres, et des caractè- 
res particuliers, qui servent à isoler les espèces 
entre elles. Mais les nuances qui peuvent servir à 
distinguer ces espèces dans quelques familles sont 
si peu précises, et sontsi évasives , qu’il est presque 
impossible de les rendre sensibles par une descrip- 
tion. Soumettant ensuite à la domesticité plusieurs 
des animaux utiles, l’homme est venu apporter 
parmi eux des causes nombreuses de variations qu’on 
ne remarque point chez les individus sauvages ; et 
c’est ainsi que des croisements de races, ou l’édu- 
cation, ou l'influence du climat, ont donné à la 
même espèce des couleurs différentes ou une livrée 
étrangère. Si, par exemple, des caractères zoologi- 
ques nets et précis manquent pour isoler le lièvre 
de nos contrées d’avec le lapin, on conçoit combien 
il est plus diflicile encore de tracer la différence de 
ce dernier avec les espèces qui vivent sur divers 
points du globe , où elles sembleroient, en émigrant 
avec l’homme, avoir subi de profondes altérations. 

Quoi qu’il en soit, il se peut que le lapin des ter- 
res magellaniques, que nous décrivons, ne soit qu’une 
variété du lepus cuniculus de Linnæus, portée sur 
les îles Malouines par les Francois qui y tentèrent 
un établissementen février 1764, et qui y déposèrent 
des chevaux et des bêtes à cornes prises à Monte- 
Video, et qui y vivent encore. Mais cependant, 
après un examen attentif, et fort surtout de l’opinion 
du baren Cuvier, nous ne balancons pas à la regar- 
der comme une espèce distincte, dont la souche 
provientindubitablementde la Patagonie. Lesanciens 
navigateurs nous apprennent, d’ailleurs, que les 
lapins sont très abondants sur les bords du détroit 
de Magellan , et il n’est pas improbable que l’espèce 
qu’ils indiquent ne soit celle que nous décrivons(?). 

Le lapin magellanique est de la taille du lapin 
sauvage de France, et a les mêmes formes. Son pe- 


(:) Zool. de la Coq., p. 168. 

(2) Magellan, le premier Européen qui ait abordé dans 
la partie sud de l'Amérique en 1520, en décrivant les 
animaux du port Saint-Julien, sur les bords du détroit 
qui porte son nom, dit formellement : «On y trouve des 
autruches (nandou), des renards (chiens antarctiques), 
et des lapins plus petits que les nôtres. »(Desbrosses, 
t. I, p.133.) Ce même fait est consigné page 38 de la 
Traduction françoise du Journal de Pigafetta (1 vol. 
in-8°, Paris, an 1x.) 

I. 


497 


lage est très fourni, soyeux, et entremêlé de poils 
bruns formant un épais duvet lanugineux en dessous. 
Destiné à vivre dans les hautes latitudes australes, 
la nature a pourvu à le préserver de ces climats froids 
et tempêtueux. Il estentièrement , sur tout le corps 
sans exception , de couleur noire, mêlée de violâtre, 
et parsemée d’un grand nombre de poils blancs. 
Quatre taches blanches, arrondies , qui se dessinent 
nettement sur le fond noir de la robe de l’animal, 
occapent le milieu de la poitrine, la moitié de la lèvre 
inférieure, l’extrémité du nez, et le sommet de la 
tête. Les jambes sont assez courtes et minces; les 
doigts sont munis d’ongles forts et robustes , cachés 
dans des poils abondants, grossiers, d’un noir rous- 
sâtre foncé , garnissant les mains et la plante des 
pieds. La tête est un peu obtuse, arrondie, à front 
convexe : les oreilles sont plus courtes que la tête, 
caractère opposé à toutes les variétés domestiques 
du lapin, chez lesquelles ces parties se développent 
considérablement. La queue , également noire, est 
courte et recourbée en haut; les oreilles sont brunes 
rougeâtres. 


Pouce, Ligues, 
Longueur du corps entier, du bout du mu- 


seau à l'anus. :. ... . 1416 8 
Hauteur du train de devant. . . . ... 6 6 
———— du train de derrière. . . . . . 10 » 
Longueur de la lête, du nez à l'occiput. . 4 6 


dESROTENLES RER Ne te » 
du tronçon de la queue. . . . » 18 
de l’avant-bras , depuis le coude 
jusqu'aupoigne(: 1.0.1. 00 42 6 
depuis le poignet jusqu'au bout 
dés obpeles EU AE Lo 12 


de la jambe, depuis le genou jus- 


—— =) — 


QU'AURIAON Eee CG 
———— du pied,depuis le talon jusqu’au 
boutdes“ongles.U LI 0) NON We 


Le lapin des terres magellaniques vit, par petites 
troupes, dans les terriers qu’il se creuse dans les val- 
lons rétrécis ou dans les dunes des bords de la baie 
Françoise aux iles Malouines, près l’anse Chabot, 
et aux alentours du camp de l’Uranie. Il s'établit 
près des ruisseaux et sous les bouquets du seul et 
frêle arbrisseau de ces climats, le chiliotrichum 
amelloides, Cass., au milieu d’an grand nombre de 
lapins, dont le pelage est, au premier coup d'œil, 
celui de lespèce sauvage européenne. Il ne nous a 
paru différer en rien, par ses habitudes , autant que 
nous avons pu l’observer dans nos diverses excur- 
sions, des lapins qu’on trouve en France. 

Le Brésil et le Paraguay ont le tapéti, décrit par 
Buffon , et la Californie et le Mexique lespèce nou- 
velle découverte par M. Sykes, et nommée lepus 
nigricaudalus (1), à pelage épais et doux, mêlé de 


(" Proceed.ft. It; p: #1: 


498 


quelques longues soies, varié de noir et de jaune 
sur le dos, tandis que le coccyx et le ventre sont 
blancs. La nuque et la partie supérieure de la queue 
sont d’un noir prononcé, la gorge est jaunûtre, les 
pieds roux, les oreilles blanches à leur naissance. 
Son facies est c°lui d’un lapin. M. Bennett pense 
qu'il a été décrit par Hernandez sous le nom de 
tlacoyotl. Le Mexique a encore, suivant M. Wa- 
gler (1), le LIÈVRE ciTLi (?) | lepus callotis, Wagl.), 
décrit par Hernandez comme semblable au lièvre 
d'Europe par ses formes, les oreilles exceptées, qui 
sont très longues relativement aux autres propor- 
tions du corps, et qui surtout sont d’une grande 
largeur. Les Mexicains étoient dans l’usage de se 
servir de sa peau pour en confectionner des vête- 
ments, et surtout des manteaux très doux, très 
chauds, et qu'ils ornoient avec des plumes vivement 
colorées. 

L'Afrique nourrit plusieurs espèces de lepus. Le 
LIÈVRE D'EGypTe (L. ægyptiacus, Gecff.) (3) rappelle 
par ses formes notre espèce de France, mais il est 
plus petit. Il est roux grisâtre en dessus, la gorge 
et le menton blanc lavé de fauve; une bandelette 
neigeuse au-dessus des yeux, et la queue brun noir 
sur Ja moitié dorsale. Ses oreilles sont remarquable- 
ment longues. On le trouve en Egypte. L’Abyssinie, 
et notamment les déserts auS. O. d’Ambukol, pos- 
sèdent le lièvre isabelle (lepus isabellinus) (), dont 
les oreilles sont très longues, le pelage de teinte joli 
isabelle , les parties inférieures blanches. 

Le cap de Bonne-Espérance a diverses espèces 
qui ont été étudiées, dans ces dernières années, en 
France et en Angleterre, de manière à laisser quel- 
ques doutes sur leur identité. 4° Le LIÈVRE Du Cap 
(lepus capensis, L.), le plus anciennement décrit, 
et de taille plus forte que le lièvre d'Egypte, dont 
il a les teintes grises rousses sur le corps, et blan- 
ches sur le ventre. Les jambes et la poitrine sont 
d’un roux uniforme. La queue est mi-partie noire 
et blanche. C’est le mountan-hare des colons du 
Cap. Il est rare dans les dunes, qu’il ne quitte 
guère.2° Le LIÈVRE DES ROCHERS (lepussaxatilis)(5), 
gris roux , tiqueté sur la tête, plus foncé sur le dos, 
plus clair et plus gris sur les flancs, avec un trait 
gris sur l'œil. L’oreille est bordée en arrière de 
blanc, de roux en avant, et est terminée de noir. 
Le dessous du cou est gris brun, les membres gris 
roux uniforme. Cette espèce est de la grandeur d’un 
lapin, et habite les montagnes du Cap. 5° Le LIÈVRE 
DES SABLES (lepus arenarius) est une des plus pe- 


() Isis, no 5,p 510 (1834). 

() Thesaur., p. 2, tract. 1, de citli seulepore, 

(3) Egypte, pl. 6, fig. 2; Bull., XIX, 339. 

(*) Cretzm. in Zool. de Ruppell, pl. 20; Zool. journ., 
HI, 338. (Atlas, pl. 44, fig. 1.) 

(5) Fr. Cuv., Dict. sc, nat., t. XXVI, p. 309. 


HISTOIRE NATURELLE 


tites espèces du genre ({). Son pelage est gris cendré 

tiqueté, avec les membres, la gorge, les flancs, le 

tour des yeux roux. Le ventre est blanc. Il vit dans 

les sables du pays des Hottentots. 4° Le LIÈVRE A 

GROSSE QUEUE (lepus crassicaudatus ) (2?) paroît 

être intermédiaire aux lièvres et aux lapins; il est 

gris roux en dessus, blanc en dessous, et remar- 

quable par sa queue arrondie, couverte de longs 
poils frisés, roux brunâtre ou brun foncé. Il habite 

l’Afrique australe, principalement aux environs 

de Port-Natal, dans les lieux montueux et rocail- 

leux. 5° Le LIÈVRE À NUQUE ROUSSE (lepus rufinu- 

cha) ($) est très voisin du saxatilis, et pourroit bien 

être identique avec lui. Les colons le connoiïssent 
sous le nom de Æleine-klip-haas. I à quatorze pouces 

de longueur, un pelage gris fauve tiqueté de noir, 

les parties inférieures blanches, la nuque d’un roux 

vif, la queue mi-partie noire et blanche. Il se tient 
dans les endroits montagneux et rocailleux du cap 

de Bonne-Espérance. 

L’Asie n’est pas sans avoir quelques lièvres : le 
MUSSEL des Malabares, et le sussuk des Mahrates, 
si commun dans les collines stériles du Dukhun , est 
le lepus nigricollis de M. Fréd. Cuvier (‘), découvert 
dans l’Inde par MM. Leschenault de La Tour, Diard 
et Duvaucel, et qu’on dit aussi exister à Java. Sa tête 
est fauve roux tiqueté, et les joues grises; une bande 
grisâtre va du museau à l'oreille en passant sur l'œil ; 
la nuque d’un beau noir, le dos en rouge fauve, les 
flancs et les cuisses gris de perle, les parties infé- 
rieures blancs de neige. La deuxième espèce , ou le 
lepus ruficaudatus (5), habite le Bengale. Il res- 
semble au lièvre de France par ses formes, ses pro- 
portions et sa couleur; mais ce qui le distingue sont, 
et la maculature noire de ses oreilles, et le roux 
vif du dessus de la queue, qui, dans les autres es- 
pèces , est brun. 


LE LIÈVRE A NUQUE NOIRE (5. 


Plus petit que le lièvre d'Europe, et d’une même 
coloration, la nuque exceptée, qui, au lieu d’être 
rousse , est noire. Il vit au Japon. 


(9 Tsid. Geoff. Saint-Hil., Etudes, pl. 40; Dict. class. 
d'hist. nat. 

(2) fbid., Etudes, pl. 9. 

@) Smith, Zooï. journ., t. IV, p. 440 ; Bull., XVHE, 
276. 
(&) Dict. se. nat.,t. XX VI. 
(5) Isid. Geoff., Voy. de Bélanger, p. 156. 
(6) Lepus melanauchen, Temm., faun., Jap., p. 18. 


de 


DES MAMMIFÈRES. 


© 
LES LAGOMYS (). 


Diffèrent des lièvres, principalement par quelques 
traits de leur organisation fondamentale ; car ils en 
ont le facies, bien que leurs oreilles soient médiocres, 
leurs jambes presque égales, et qu’ils n’aient pas de 
queue. Buffon n’a point connu ces animaux qui 
vivent exclusivement en Sibérie et dans le nord de 
l'Amérique ,'de manière à ne pas s'éloigner de la 
zone polaire arctique. M. G. Cuvier rapporte, dans 
son ouvrage sur les Ossements fossiles, que des os 
d’un lagomys inconnu se trouvent fossilisés dans des” 
concrétions ou brèches de l'ile de Corse. Les lago- 
mys, qui vivent comme les lièvres, sont pentadac- 
tyles en devant et tétradactyles en arrière; les fe- 
melles ont quatre à six mamelles toutes ventrales. 
On en connoiît aujourd’hui quatre espèces : 4° Le 
NAIN (lepus pusillus (?), le sulgan ou l’ittsiskan des 
Tartares, le semlianoi saël!schik des Russes. Son 
pelage est gris brun, et sa taille est celle d’un rat. 
Il vit dans des terriers qu’il se creuse dans les pays 
fertiles, dans les lieux montueux, aux sources de 
l’Oural ; sa nourriture consiste en fruits et en bour- 
geons. 2° Le LAGOMYS GRIS (lepus ogotonna) (:), ou 
l'ogotonna des Mongoles, que les Russes appellent 
kamenoï-krot, est d’un gris très pâle que relève la 
teinte jaunâtre des pieds ; il est un peu plus grand 
que le précédent. Il niche dans des tas de pierres, 
dans les crevasses des rochers, où il amasse du foin 
pour l’hiver. On le rencontre au-delà du lac Baïkal, 
dans les déserts de la Mongolie et dans la Tartarie 
chinoise. 5° Le pica (lepus alpinus) (i), que les Tar- 
tares nomment schadak ou sadajak, et les Russes 
pistschucha sjenostawez, est de la taille d’un co- 
chon d'Inde; son pelage est roux jaunâtre. Il habite 
les sommets les plus élevés des montagnes, où il 
passe l'été à choisir et à sécher les herbes qui doi- 
vent former sa provision d'hiver. Les tas de foin 
deviennent une des ressources les plus précieuses 
pour les chevaux des chasseurs de zibelines ; il ha- 
bite donc les rochers des Alpes sibériennes, le Kam- 
schatka suivant Pallas, et les îles aléoutiennes sui- 
vant Pennant. 4° Le little chief hare de Richardson, 
où le lagomys princeps (5), habite les montagnes 
rocheuses; cette barrière boréale des vastes plaines 
du Missouri, depuis le cinquante-deuxième degré 
de latitude jusqu’au soixantième. C'est principale- 
meut aux sources de la Mackensie et de la rivière 


() Lagomys, rat-lièvre, G. Cuvier, 

(2) Pallas, gl., pl. 4. 

(5) Pallas, gl, pl. 3 ; Screber, pl. 238. 

(4) Ibid., pl. 2. 

(5) Richardson, Fauna, pl. 19; p, 227; Zoo!l. journ.; 
t. ILE, p, 920 ; Bull; t; XXIV;, 74, 


499 


de l'Élan qu'il est le plus commun; il niche dans 
les fentes des rochers, et à l'approche de l’homme 
il pousse un foible cri. Les Indiens l’appellent buc- 
krathræ kahyawzæ, ce qu’on peut traduire par les 
mots lièvre-petit-chef. X ressemble au pika; mais la 
tête est courte, les oreilles sont arrondies; il est 
brun en dessus, gris sur le ventre. 


LES CHINCHILLIDÉES, 
OÙ LA FAMILLE DES CHINCHILEAS. 


Forment un groupe naturel qui n’est connu que 
depuis fort peu d'années, bien qu’on trouve men- 
tionnés dans beaucoup de vieux récits de voyageurs 
les animaux qui le composent. Cette famille suit 
immédiatemént celle des lièvres, et appartient 
comme eux à la tribu des herbivores, dont les mo- 
laires sont privées de racines. M. Bennett la carac- 
térise ainsi (1): les dents incisives d'en haut simples; 
les molairés <<, à couronne formée de lamelles 
d’émail en deux ou trois rangées parallèles, entou- 
rées d’un rebord de la matière vitrée. Animaux vi- 
vant en troupes dans le sud de l'Amérique, dans 
les terriers qu'ils se creusent. Leurs mœurs sont 
douces, leurs membres postérieurs du double plus 
longs que les añtérieurs; leur queue est principale- 
ment garnie de poils touffus en dessus et à l’extré- 
mité. Or, trois genres se trouveraient aujourd’hui 
composer seuls cette famille des chischillas, assez 
convenablement caractérisée, dans l’état actuel de 
nos connaissances, par les quelques lignes que nous 
venons de citer. Ces trois genres comprennent les 
lagostomes, les éryomis, callomys ou chinchillas, et 
enfin les lagotis. 


LES LAGOSTOMES. 
Lagostomus. BROOKkES (?). 


Ne comprennent qu’une espèce célèbre sous les 
noms de vVISCACHE (lagostomus trichodactylus), et 
que nous avons décrite dans nos Illustrations de 
zoologie. 

Dobrizhoffer, Jolis, Proctor, Head, Mers et 
Haigh sont les voyageurs qui ont parlé sous le nom 
de viscache d'un animal que d’Azara décrivit avec 


() Proceed., t. IT, p. 58. 

e) Zool. journ., t. IV, 13%. 489, 501 : Harmot-diana, 
pl., Griffith ; Lesson, Illust. de zool., pl. 8. Z. pilis den- 
sis, mollioribus insuper gilvis, niveis infra. Mystaci- 
bus albis et atris, mans digito medio scopula intecto. 
Hab.; Reipublicæ Argentinæ Agri, (AUas, pl. #2, fig. 4.) 


500 


une rare exactitude dans ses Quadrupèdes du Pa- 
raguay. M. Desmarest, dans sa Mammalogie, n’a 
point admis ce rongeur dans les genres établis, et 
ce n’est qu’en note qu’il cite les détails qui le con- 
cernent ( Mamm., p. 560); mais il donne une des- 
cription très exacte de la viscache, que M. de Blain- 
ville avait rédigée à Londres, d’après un individu 
vivant sous le nom de dipus maximus (esp. 508 
de la Mammalogie et Nouveau Dictionnaire d'His- 
toire naturelle, t. XAIE, p. 417). 

M. J. Brookes a établi le genre lagostomus pour 
cette même viscache, qu’il figura dans Je tome XIV, 
p. 95, des Transactions de la Société Linnéenne 
de Londres. Le chinchilla, autre rongeur alors très 
peu connu, fut, sur ces entrefaites, figuré par 
Lichsteinstein, sous le nom d’eriomys chinchilla, et 
l'objet d’un mémoire de M. Van-der-Hoeven; en- 
fin, M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ( Ann. des 
Sc. nat.), ayant reçu le chinchilla et la viscache du 
voyageur Dessalines d'Orbigny, réunit ces deux 
animaux dans un même genre, qu’il nomma callo- 
mys (beau rat), à cause de la belle fourrure du chin- 
chilla, qu’il appela callomys laniger, en ajoutant une 
troisième espèce, le callomys aureus. 

Un lagostome nous a été communiqué par M. Ca- 
nivet, qui l’avoit reçu de Buenos-Ayres. D'après 
M. d'Orbigny, il paroît que les peuplades améri- 
caines l’appellent les Bocobis, ararouca; les Pam- 
pas, trui, et que les Espagnols seuls le connoissent 
sous le nom de biscacha. La viscache est bien «is- 
tincte du chinchilla, C’est le vrai représentant, dans 
les Pampas de l'Amérique, des gerboises de l’Asie 
et de l’Afrique, en faisant le passage des d pus aux 
lepus et aux cavia; elle devra conserver le nom de 
lagostomus, proposé par M. Brookes, tandis que 
les deux espèces de chinchilla retiendront celui 
d’eriomys, donné par M. Lichsteinstein. 

La viscache, que nous avons sous les yeux, avoit 
les dimensions suivantes : 

Pieds. Pouc. Lignes. 


Longueur totale du bout du museau 


à la naissance de la queue. . 4 8 » 
———— dela queue . . . + . + » 7 
———— delatéte .. . .. . + » 3 6 
———— des oreilles. . : . . . . » 41 6 
———— des membres antérieurs... . » 3 3 
———— desmembres postérieurs. . » #8  » 
———— de la face palmaire. . . . » 1  % 
———— dela face plantaire jusqu’au 
sommet de l’ongle. ‘. . » Æ 5» 
———— del'ongle postérieur médian. » » 9 
———— dHCldtéles 0.1, . 2. . un 2 9 
———— des dents incisives, chacune. » » 92 
———— des moustaches(la pluslongue), » Æ  » 
———— * des poils du dos. . . . . . » 14 3 


La viscache, de ja taille d’un lapin, en a les for- 
mes, Sa tête est grosse, bien renflée et très bombée 


HISTOIRE NATURELLE 


en devant, de manière que les maxillaires sont tout- 
à-coup rétrécis pour former une face étroite: le mufle 
est couvert de petits poils courts et ras, et les denx 
narines s’ouvrent en deux fentes qui se rapprochent 
par le bas. Les dents sont blanc jaunâtre. Les yeux 
sont grands, très séparés ; des poils noirs allongés 
surmontent les sourcils. Les oreilles, nues en de- 
dans, carnées, sont presque sans poils en dehors; ce 
n’est que sur leurs bords qu’apparoissent des pin- 
ceaux de poils très prononcés et très longs antérieu- 
rement. Les poils des joues sont longs, mélangés 
d’un feutre doux, mollet, et semblent former des 
favoris touffus sur la face. Les moustaches, compo- 
sées chacune de deux faisceaux, le supérieur plus 
long, noir, et l’inférieur plus court, blanc pur, sont 
rudes à leur naissance, puis très fines, et toutes di- 
rigées en dehors. Le pelage est partout abondant et 
épais. Il se compose d’un feutre soyeux, mollet, gris 
roux sur toutes les parties supérieures du corps et 
sur les faces externes des membres. Dans ce feutre 
sont éparpillés en plus ou moins grand nombre des 
poile noirs, lustrés, longs, et qui donnent à la four- 
rure un aspect roux ondé de noir. Ces poils sont plus 
denses principalement sur la ligne médiane du dos 
et sur les lombes. Toutes les parties inférieures et 
latérales du corps sont d’un blanc de neige, ainsi 
que le dedans des membres. Les poils de la queue, 
secs et roides, sont brun marron sale; mais deux ta- 
ches grises partent de sa naissance et se dirigent vers 
le milieu de la longueur de celle-ci sur les côtés seu- 
lement. La tête est colorée de la manière qui suit : 
du gris et du noir couvrent la partie bombée dû 
front ; le museau et la base des moustaches sont noirs, 
et ce noir passe au brun sous les narines. Les côtés 
de la tête sont blancs, mais une large écharpe brune 
roussâtre traverse le milieu de la joue derrière les 
moustaches. Les ongles sont jaunâtres. Les mamelles 
sont, dit-on, placées sur la poitrine. 

La viscache habite les plaines rases nommées pam- 
pas, qui constituent, au sud de l’Amérique, une 
vaste étendue de terrains situés entre les 29 et 59 
degrés de latitude S. ; elle s’y abrite dans des terriers 
qu’elle creuse avec l’ongle puissant de ses pieds de 
derrière, et vit en familles réunies par les mêmes 
besoins et par les mêmes appétits, familles compo- 
sées de huit à dix individus dont les mœurs sont 
craintives, timides, car le moindre bruit les effraie. 
Ces animaux restent assis sur leur derrière, à la ma- 
nière des lapins, portent leurs aliments à la bouche, 
en se servant de leurs petites mains pour les enfon- 
cer. Leur marche s- compose de sauts réguliers, de 
devant en arrière, par le jeu simultané des deux 
membres, soit antérieurs, soit postérieurs. Leur 
nourriture consiste en herbes légumineuses et en 
graminées qu’ils broutent, principalement en une 
espèce de luzerne qui couvre les pampas. Les dégâts 


M El Lt 
ARE 2 


GEI 


74 


1 Ce Chile 2 LÉchyrys AA 


Publie-par Pourrat Frères adarur . 


DES MAMMIFÈRES. 


occasionnés par les viscaches aux jardins portent les 
cultivateurs à leur faire une chasse active. L'accou 
plement a lieu dans la belle saison de l'hémisphère 
sud, c’est-à-dire en décembre, en janvier et en fé 
vrier. La femelle donne le jour à deux ou quatre pe- 
tits qu’elle porte pendant quatre ou cinq mois. La 
chair de ces animaux ne sert point à la nourriture. 
On les tue à cause des ravages qu’ils font dans les 
plantations, et pour retirer de leur pelage quelques 
services. On pourroit utiliser leurs poils dans la con- 
fection des chapeaux de feutre. 

En résumé, le lagostome habite exclusivement les 
pampas de la Plata et du Paraguay. 

Les caractères zoologiques des lagostomes sont les 
suivants : incisives quatre, molaires seize. Les inci- 
sives, très longues, accolées, triangulaires, sont lisses 
en devant, épaisses, taillées en biseau égal : les in- 
férieures sont un peu plus courtes que les supérieu- 
res ; les molaires, on les dit obliques , au nombre de 
quatre de chaque côté et à chaque mâchoire, à cou- 
ronne en lame simple ou en V ; la tête est courte, 
bombée, à front très élevé, à nez obtus, à narines 
en fentes étroites, en demi-cercle. Les soies sont lon- 
gues, rigides, partant toutes d’un même point en 
formant faisceau à leur base; les joues sont très ren- 
flées. Les oreilles médiocres, nues en dedans, poi- 
lues en dehors, triangulaires, dilatées à leur base, 
qui est bordée en arrière par un renflement. Les 
membres antérieurs sont courts, grêles, à face pal- 
maire nue, terminés par quatre doigts presque égaux, 
l’interne et l’externe un peu plus courts que les deux 
médians. Les ongles, courts, rudes, sont recouverts 
de poils mous à leur racine. Les membres postérieurs 
sont robustes, du double plus longs que les anté- 
rieurs, à tarses longs, dénudés à Particulation et à 
la naissance des doigts. Ceux-ci sont au nombre de 
trois, le moyen est plus long que les latéraux : tous 
ayant leur phalange terminale libre, renflée, dénu- 
dée. Les ongles, s’insérant au milieu de la phalange 
onguéable, sont énergiquement puissants, surtout 
celui du milieu , qui est très long ; ils sont droits, 
aigus, concaves en dessous, convexes en dessus. 
Le médian est recouvert par une brosse de poils très 
rudes, très serrés, égaux. La queue est longue, gar- 
nie à sa naissance de poils ras, et à son extrémité 
de poils longs, touffus, implantés sur le bord infé- 
rieur, tandis que ceux du bord supérieur sont ras, 
La nature et la couleur du pelage sont analogues à 
celles du lièvre ordinaire, et les poils, bien que gé- 
néralement mous, sont droits et de deux sortes , des 
longs et des poils duveteux. 

Le Muséum de Paris possède deux espèces de ce 
genre fort remarquables. La GRANDE VISCACHE, grise, 
avec de longues soies brunes, d’épaisses moustaches 
noires formant sur les joues deux bandes de favoris 
très prolongés, que surmontent deux raies blanches. 


501 


Sa queue est médiocre. La VISCACHE A CRINS, à pe- 
lage uniformément brun, mais remarquatle par sa 
queue longue , couverte de crins noirs épais, variés 
de noir et de blanchâtre. Ses oreilles sont aiguës et 
prolongées, et ses moustaches sont remarquable- 
ment longues. Comme le plus grand désordre règne 
dans les collections du Muséum, ces espèces n’ont 
aucune désignation de patrie, 


LES CHINCHILLAS. 
Eryomis. Licasr (1). 


Dont le pelage est remarquable par son excessive 
douceur, ont cinq doigts aux membres antérieurs et 
le pouce parfaitement développé. Ils n’en ont que 
quatre aux membres postérieurs, et les ongles sont 
petits, à peu près falciformes. Leurs oreilles sont 
comme celles des lièvres , amples et membraneuses ; 
de longues soies forment des moustaches touffues , 
leur queue est moyenne et couverte de poils abon- 
dants. Leurs doigts sont revêtus de poils cachant 
presque les ongles, qui ne rappellent en rien ceux 
des lagostomes. Les dents incisives ? sont aiguës, les 
molaires, +, ont trois lamelles obliques, et le 
crâne, assez brusquement tronqué, se trouve être 
déprimé sur la tête et renflé sur les régions tempo- 
rales. Les chinchillas habitent exclusivement les pla- 
teaux élevés du Chili et du Pérou. On n’en connoit 
que deux espèces. La première, le VRAI CHINCHIL- 
LA (?), célèbre par la précieuse fourrure qu'il donne 
au commerce, est l’eryomis, chinchilla des auteurs 
systématiques, que Molina avoit depuis long-temps 
décrit sous le nom de rat laineux (mus laniger), et 
dont M. Geoffroy Saint-Hilaire avoit fait un hamster 
et M. Tiedemann un lemming. Joseph Acosta est le 
premier voyageur qui, dès 1591, ait parlé de l’ani- 
mal qui nous occupe, que l’on retrouve dans la re- 
lation d’Awkins (1622), sous le nom de hardilla. 
Alonzo de Ovalle, écrivant sur le Chili, à Rome, en 
1646, parle aussi de cet animal qu’il nomme ardas. 
Buffon , dans son histoire du chinche (qui est une 
mouffette, mephitis), emprunta ce nom à Acosta 


(:) Callomys, Isidore Geoff.; chinchilla, Bennett. 

(2) Eryomis chinchilla, Lichst., pl, 28; over de chin- 
chilla, door J. Vander-Hoeven, Overg. deel VI, no 1; 
callomys laniger, Isid.; note sur la viscache et le chin- 
chilla, Ann. se. nat., t. XXI, p. 282, nov. 1830: chin- 
chilla lanigera, Bennett, Proceed., t. IH, p. 59; dents, 
Zool. journ.,t. IV, p. 317; Anat., proceed., {. I, p. 31; 
mœurs, Rousseau, Ann. sc. nat., t. XXVI,p. 337; Bull., 
t. XXIV, p. 352; Ann. sc. nat., juin 14835, p. 379; le 
chinchilla, Fr. Cuv.. 64e liv.; Zool. menag., fig.; Gray, 
Spicilig. zool., pl. 7, p.11 ; Meyer Schmidt, Voy. au Chili, 
Lond., 1824; Molina, Hist. nat, du Chili, trad, franc., 
p. 283. (atlas, pl. #1, fig. 1.) 


502 


tout en l’appliquant à un autre animal. Molina seul 
réunit quelques bons détails de mœurs sur son rat 
laineux, qui n’est autre que le chinchilla ; mais ces 
détails incomplets laissèrent les naturalistes en sus- 
pens jusque vers 1825, où les fourreurs en reçurent 
quelques peaux entières qui permirent d’en mieux 
préciser les caractères. Enfin, quelques individus 
vivants furent observés dans les ménageries d’Eu- 
rope. N’est-il pas étonnant qu’un petit an mal, qui 
paroît extraordinairement multiplié dans le Chili et 
le Pérou, à en juger par la prodigieuse quantité de 
peaux que l’on retire de ces pays, soit resté jusqu’en 
ces derniers temps un objet de doutes et de contro- 
verses? Le chinchilla a son pelage d’un gris de perle, 
de nuance suave, ondulé de blanc sur toutes les par- 
ties supérieures du corps, et de gris clair sur les in- 
férieures. Son poil, d’une extrême finesse, est d'une 
grande douceur au toucher. Les moustäclies sont 
noires et blanches, la queue terminée de brun. Nous 
ferons remarquer qu’il existe d’assez notables diffé- 
rences entre les figures publiées par M. Fr. Cuvier 
et Lichsteinstein, Le portrait donné par le premier à 
les oreilles noires, arrondies; celui du savant Prus- 
sien les a blanches, grandement allongées et ova- 
laires , etc. 

« Les poils des chinchillas, disoit Acosta, sont 
» merveilleusement doux et lisses, et on porte leur 
» peau comme une chose exquise et salutaire pour 
» échauffer l’estomac et les parties qui ont besoin de 
» chaleur modérée, » Tout rappelle un lapin dans les 
formes des chinchillas ; i! en ont aussi les mœurs, 
car ils vivent en troupes dans des terriers. Es se nour- 
rissent principalement de plantes bulbeuses qu’ils 
mangent assis sur leur derrière la queue relevée, et 
se servent de leurs mains pour porter à la bouche 
ces aliments. La femelle met bas, chaque année, 
deux portées de cinq à six petits, et c’est à l’aide de 
chiens dressés à cette chasse et conduits par des en- 
fants qu’on s’en empare. 

C’est principalement dans les provinces de Co- 
piabo et de Valparaiso au Chili que vit le chinchilla, 
et c’est de là que leurs fourrures sont expédiées en 
Europe. 

La seconde espèce est le CHINCHILLA DORE (f), qui 
ne repose que sur des dépouilles envoyées du Pérou 
aux marchands de fourrures. Son pelage est d’un 
jaune nuancé de verdâtre et ondulé de noir sur le 
corps, passant au jaune doré brillant lavé de rous- 
sâtre sur les parties inférieures ; une ligne dorsale 
noire suit le rachis, et ses moustaches sont entière- 
ment brunes. Les poils de ce chinçhilla sont, comme 
ceux du précédent, d’une finesse et d’un moelleux 
extrêmes. 


(*) Callomys aureus, Isid. Geoff., loc. cit. 


HISTOIRE NATURELLE 


LES LAGOTIS ('). 


Ont tous les pieds tétradactyles, c’est-à-dire que 
le pouce manque complétement ; les doigts sont 
armés d'ongles foibles, bien que légèrement falci- 
formes. Leurs oreilles sont longues, et la queue elle- 
même se prolonge beaucoup. Les dents incisives sont 
aiguës ; les molaires, en même nombre que celles 
des chinchillas, ont sur leur couronne trois lamelles 
obliques et entières. La seule espèce connue, le LA- 
GoTIs DE CUVIER (?), a son pelage doux et mollet, et 
vit dans les parties montagneuses du Pérou. M. Ben- 
nett ne doute pas, et ses raisons nous paroissent pé- 
remptoires, que ce ne soit de cette espèce, confondue 
avec le lagostome sous le nom vulgaire de viscacia 
ou viscache, adopté par les créoles espagnols, que 
parlent Acosta, Garcilasso, de Laet, Nieremberg, 
Feuillée, Ulloa, Vidauré, Molina même, Schmidt- 
Meyer, Stevenson. En effet, le lagostome est un ani- 
mal des pampas de Buenos-Ayres et du Paraguay , 
et le lagotis semble confiné sur le penchant occi- 
dental des andes au Chili comme au Pérou. Ce lagotis 
de Cuvier a les proportions d’un lapin, et sa queue 
est aussi longue que le corps et la tête à la fois. Ses 
moustaches sont épaisses, d’un noir de jayet et fort 
longues, car les dix ou douze plus grandes mesurent 
jusqu’à sept pouces de longueur. Les oreilles ont la 
forme d’un parallélogramme, et sont arrondies au 
sommet, Elles mesurent trois pouces de hau'eur. 
Les ongles sont entièrement cachés dans l’épaisseur 
des poils qui recouvrent les doigts. Le pelage sé com- 
pose de poils très longs, d’une souplesse remarqua- 
ble, mélangés de longues soies noires, et de poils 
soyeux blancs à leur sommet et lavés de brun jau- 
nâtre, ce qui lui donne une coloration générale gris 
de cendre, à reflets satinés. Nous ne doutoris pas 
que l’animal figuré par M. Lichsteinstein ne soit évi- 
demment le lagotis et non le vrai chinchilla. 

Le genre LAGIpIuM ‘du docteur M.-F. Meyen ne 
renferme qu’une espèce, le lagidium peruanum , 
dont le système dentaire est celui des chinchilli- 
dées ; mais les mains ont quatre doigts et les pieds 
trois, avec un rudiment de quatrième au côté ex- 
terne. Ce genre est bien voisin, s’il n’est pas celui 
nommé tagolis. Mais les termes de comparaison nous 
manquent. 

A la suite des chinchillas vient se placer un petit 
genre fort voisin, celui des HapaLOrTIs (Lichst.), ayant 
quatre doigts petits et foibles aux mains, terminés 
par des ongles grêles, cinq doigts aux pieds, abon- 
damment velus en dessus. Les oreilles sont ovalai- 


(‘) Lagotis, Bennett, Proceed., t. HIT, p. 58. 
(2) Lagotis Cuvieri, ibid. 


DES MAMMIFERES. 


res, très grandes, droites et légèrement acuminées 
au sommet. La queue est longue, mais grêle, et cou- 
verte de poils ras. Les moustaches sont fort grandes, 
et le corps a le port et la tête du chinchilla. Seule- 
ment le train de derrière est moins disproportionné 
avec celui de devant. Malheureusement nous igno- 
rons quels sont les caractères assignés à ce genre par 
son auteur, n'ayant pu lire la description publiée en 
langue allemande. La seule espèce connue, l’hapa- 
lotis albipes (1), de la taille du surmalot, est brun 
enfumé, les mains et le ventre exceptés, qui sont 
blancs. I vit à la Nouvelle-Hollande; probablement 
dans les montagnes Bleues, où l’a découvert le voya- 
geur Sieber. 


LES CABTAÏIS. 
Hydrochærus. ErxL. (2). 


Dont on ne connoit qu’une espèce, le capybara, 
n’ont rien acquis dans leur histoire depuis la mort 
de Buffon. C’est un animal qui fréquente les bords 
de tous les grands fleuves d'Amérique, où il vit en 
troupes qui sortent principalement la nuit. Capy- 
bara est son nom brésilien , que les Botocudos ont 
changé en niimpoon. C’est aussi l’irabubo de Gu- 
mila, le capivard du voyageur Froger. 


LES COBAYES 
OU COCHONS D'INDE. 


Cavia. IiLic. (i). 


Ceux connus jusqu’à ce jour étoient propres au 
Brésil et au Paraguay. L'espèce la plus répandue, 
et que l’on soupçonne issue de l’apéréa, est Le co- 
chon d’Inde de Buffon (cavia cobaya, Pallas; mus 
porcellus, L.). Récemment, M. Wagler en a décrit 
deux espèces comme propres au Mexique. La pre- 
mière, cavia Spixii (!), est d’un cendré brunâtre, 
marqueté de noirâtre, offrant sur chaque joue, en 
avant de l'oreille, une courte bandelette blanche ; 
le dessous du cou et le ventre sont blancs, de même 
que les soies inférieures , tandis que les ongles des 
doigts sont noirâtres. La seconde est le cavia ful- 
gida (), fauve brunâtre, marbré de noir par taches 
luisantes. Le cou et le tronc en dessous sont de cou- 


() Lichst., pl. 29. (Atlas, pl. 49, fig. 2.) 

(2) Hydrochærus, cochon d’eau; Voyage de Pesmar- 
chais, t. IT, p. 298. M. Wilson (Illust,, pl. XII jen a 
donné une trés bonne figure. 

(3) Anœma, sans force, Fr. Cu, 

(4) Isis, n° 5, p. 510 (14831). 

(5) Ibid. 


503 


leur ocreuse. Les moustaches les plus inférieures 
sont teintées de fauve, et les oreilles carnées ont leur 
rebord supérieur obscur. M. d'Orbigny a découvert 
dans la Patagonie une quatrième espèce, le cobaye 
austral (cavia austra'is) (1), qui a les formes et les 
proportions de lapéréa; mais il s’en distingue par 
ses ongles, qui sont plus longs et plus aigus, et d’un 
noir foncé. Le dessus du corps est d’un gris jaunä- 
tre tiqueté de noir, plus foncé en noir sur la ligne 
moyenne, les parties inférieures sont d’un blanc 
grisâtre. Cette espèce a besoin d’être comparée à 
l’apéréa pour pouvoir en être distinguée. Ses poils 
sont plus longs et plus doux. Sa taille ne dépasse 
pas huit pouces de longueur, Ce cobaye est très 
commun sur les bords du Rio Negro, vers le qua- 
rante-unième degré de latitude S. ; plus au nord la 
race disparoit. Il se creuse de profonds terriers qui 
communiquent au dehors par plusie rs ouvertures, 
et lesétablit principalement dans les endroits habités 
par l’homme, et rarement dans les lieux déserts. Il 
ne sort guère que la nuit, car il aime se tenir blotti 
dans son trou pendant le jour. Son naturel est vif, 
mais doux et craintif. Ses allures sont sautillantes. 
Lors même qu'il s'établit près de l’apéréa, Jamais 
les individus des deux espèces ne se mêlent ensem- 
ble. L'apéréa ne peut grimper aux arbres; il n’en 
est pas de même du cobaye austral, qui va cueillir 
lui-même les petits fruits qu’il aime, et dont il se 
nourrit en y joignant des jeunes pousses, des grai-= 
nes, etc. La femelle met bas, dans le courant du 
printemps et de l’été, plusieurs portées de deux 
petits chaque, qui, à trois mois, ont les proport ons 
des père et mère. | A nomment ce rongeur 
sahal, et les Patagons téreguin, noms qui sont ap- 
pliqués à quelques autres animaux. Les Espagnols 
créoles seuls le distinguent nettement par les mots 
tucu-lucu, qui rendent euphoniquement l’accentua- 
tion du cri qu’il fait entendre. 


LE COBAYE DE CUTHLER (. 


Se trouve en Patagonie : a les fortnes du cobaÿà, 
mais son pelage est en entier formé de longs poils 
lisses, brillants, noirs et finement rayés de brun. 
Ses oreilles sônt plus grandes, plus ouvertes, et 
garnies Ge poils plus longs que ceux des parties ad- 


jacentes. I n’est pas sans analogie avec le cavia de 
Péron. 


(*) Isid. Geoff., Etudes, pl. 12. 


(+) Cavia cuthleri, Bennett, the philos., mag., juin 
1836. 


904 


LES MOCOS. 
Kerodon, Fr. Cuv. ‘ 


Sont du Brésil, où le prince Maximilien de Wied 
Neuwied découvrit la seule espèce qui forme ce 
genre, en ne la séparant pas des cobayes et la nom- 
mant cavia rupestris. Les molaires, plus simples 
que celles des .cavia, ont leur couronne formée par 
deux prismes triangulaires. Le moco 1), un peu plus 
gros que le cochon d’Inde, a son pelage gris olivâtre 
mélangé de jaune rougeâtre, teinté de noirâtre en 
dessus; les parties inférieures sont blanchâtres. Il 
se plaît dans les lieux rocailleux de l’intérieur du 
Brésil, proche le Rio-San-Francisco. 


LE MOKO DE KING (?). 


Diffère du précédent par sa coloration uniforme. 
Il habite la Patagonie. 


LES ACOUTIS (). 


Vivent dans les parties les plus chaudes de l’A- 
mérique méridionale, au Brésil et à la Guyane. L'a- 
gouti et l’acouchy ont été’ décrits par Buffon. Il 
n’en est pas de même de la troisième espèce nom- 
mée AGOUTI À CRÈTE ou cavèa huppé (), qu’on ne 
rencontre qu'à Surinam, dans la Guyane hollan- 
doise. Son pelage est noirâtre, piqueté de roux ; les 


poils de l’occiput sont allongés etforment une sorte ‘ 


de hure. Ceux de la croupe sont également très 
longs. Le ventre est brun , les oreilles et la queue 
sont courtes. Son caractère est revêche; sa taille est 
celle de l’agouti ordinaire. 

: Ona décrit sous le nom d’agouti un animal de Java 
et de Sumatra, qui doit appartenir à un tout autre 
genre. C’est le m:s leporinus de Linné, le cuni- 
culus javensis de Brisson. On dit cet animal sans 
queue, roux sur le corps, blanc en dessous. 


LES MARAS. 
Mara. 
Semblent distincts des cobayes et des agoutis, dont 


() Æerodon moco, Fr. Cuv.; Æ. sciureus, Isid., Dict. 
classiq. 

(2) Bennett, the philos. mag., juin 1836. 

(3) Dasyprocta, fesse velue, Illig.; chloromys, rat 
jaune, Fr. Cuv. 

(&) Dasyprocta cristata, Desm., 572 ; chloromis cris- 
tatus, Fr, Guy. f 


HISTOIRE NATURELLE 


ils n’ont point les formes extérieures. Leurs orcilles 
sont assez saillantes; les jambes sont élevées, grêles, 
d’égale longueur, n'ayant, comme les agoutis, que 
trois doigts aux pieds de derrière et quatre à ceux 
de devant. Les doigts antérieurs sont petits, courts, 
bien que les deux moyens dépassent les latéraux. 
Les trois postérieurs sont médiocres, et cependant 
celui du milieu déborde les externes. Les ongles ont 
une forme triquêtre. La queue est rudimentaire et 
nue. La seule espèce connue est le MARA MAGELLA- 
NIQUE (1), ou le lièvre pampa de d’Azara (?), qui 
vit dans les pampas de la Patagonie, et dans toute 
la partie australe de l'Amérique. Sa taille est celle 
du lièvre ordinaire. Son pelage est doux, soyeux, 
très fourni, de couleur brune sur le dos et sur la 
région externe des membres, tandis que les poils 
sont annelés de blanc et de roux clair sur les flancs, 
le cou, les joues et derrière les extrémités, ce qui 
donne une teinte jaune cannelle ou fauve. Les poils 
du dessous du corps et du dedans des membres sont 
blancs. La bourre n'existe point. Une tache d’un 
noir violâtre occupe toute la région lombaire à l’ex- 
trémité du dos, tandis qu’immédiatement au-des- 
sous la région sacrée est neigeuse. Les poils de ces 
parties sont beaucoup plus longs qu’ailleurs. La 
queue est représentée par un petit moignon. Des 
moustaches qui sont noires et très luisantes occu- 
pent la face. Les oreilles élargies et pointues sont 
bordées de poils, formant un léger pinceau à leur 
sommet. 

Les Puelches des rivages du détroit de Magellan 
nomment le petit animal qui nous occupe mara, et 
les zoologistes sont encore à désirer des renseigne- 
ments sur les mœurs, les habitudes de ce mammi- 
fère intéressant, tiès rare dans nos musées, et dont 
on ne possédoit aucune bonne figure. Celle que 
nous donnons dans ce supplément aux œuvres de 
Buffon ( Mammifères), laisse beaucoup à désirer. 
Tout porte à croire que les voyageurs françois 
qui expl rent l’Amérique Méridionale nous donne- 
ront des renseignements complets sur ce singulier 
et curieux animal, qu’on laisse parmi les agoutis, 
faute de détails suffisants pour l’en retirer, car il 
s’en éloigne par tous ses caractères extéri urs, bien 
que la forme et le nombre de ses molaires soient 
inconnus. 

Ce mara est le lièvre pampa des créoles de Buénos- 
Ayres, et notre description repose sur l’individu con- 
servé au Muséum et en mauvais état. 


(r) Lesson, cent. zool., pl. 42, p. 113; dasyprocta 
patagonica, Desm., Mamm.; Encycl., 574, cavia pata- 
gonica, Pennant, quad. pl. 39 ; Shaw, gen. zool., t. IH, 
pl. 465; Cuv., Règ. an., t.1, p. 221; note sur un mam- 
mifére peu connu de l’ordre des rongeurs, Desm., Jour- 
pal de physique, t. LXXX VIIL, p. 205 (1819). 

(2) Parag., €. I, p. 51. (Atlas, pl. 49.) 


2 Coirt 


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‘ : } ; 
eAgcult 2 cHalager.s Dasvprocta nalachomiea , 
2 DGA VE F 


[24 J'arc 


l’ourrat Z 


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l'ublie 


» 


DES MAMMIFÈRES. 505 


En consultant les auteurs qui ont parlé du mara, 
on semble reconnoître qu’il est mentionné par John 
Narborough, Wood et Byron, dans les relations de 
leurs voyages; mais les notions fournies par ces na- 
vigateurs sont trop confuses pour éclairer son his- 
toire. D’Azara seul a publié d’utiles et importants 
documents dans le tome second ( {rad. franc.) de 
ses Essais sur l'Histoire naturelle des Quadru- 
pèdes de la province du Paraguay; tout ce que 
nous allons dire sera donc extrait de cet auteur. 
« Le lièvre pampa, dit d’Azara, n'existe point au 
» Paraguay; mais j'en ai pris beaucoup entre les 
» trente-quatrième et trente-cinquième degrés de 
» latitude sud dans les Pampas, au midi de Buénos- 
» Ayres. On l'appelle lièvre, mais il est plus charnu, 
» plus grand que celui d'Espagne, et très différent 
» par le goût de sa chair. » D’après le même au- 
teur, dont nous allons analyser les observations, le 
mâle et la femelle vivent réunis, et courent ensem- 
ble avec beaucoup de rapidité ; mais ils se fatiguent 
bientôt, et un chasseur à cheval peut alors les pren- 
dre avec le Jaço ou avec les boules. Cet animal à la 
voix élevée, incommode et très “iguë : ce eri, qu’on 
entend dans la nuit, peut se rendre par les syllabes 
0, 0, 0, y; et lorsqu'on le prend en vie il le pousse 
avec force. Les Indiens mangent sa chair, bien qu’ils 
lui préfèrent celle des tatous. Le mara, pris jeune, 
s’apprivoise aisément, se laisse toucher avec la main, 
marge de tout, sort de la maison où il est privé, et 
y rentre volontiers. 

D’Azara donne au mara la proportion suivante : 


Pouc. Lignes, 
LORBUCUrIOtAIC MER Me ee CS OL) 
dellalquenc Wire 1 6 


— dutarse de derriére, . , . , ZI0D » 
Elévation du train de devant. . . . . 16 6 
— dutrain de derriére. . , . . 19 6 
Circonférence vis-à-vis le thorax. , . . 15 6 


Sa queue est sans poils, grosse, dure comme un 
morceau de bois; elle est sans mouvement, arron- 
die, tronquée et un peu recourbée à son extrémité. 
Le plus grand ongle des pieds de devant à six li- 


gnes : il est aigu, noir, fort et très propre à fouir. 
La plante du pied de devant a un cal pelé, mou et 
de la grosseur d’une noix, encore plus grand et plus 
développé aux pieds de derrière. Ses jambes sont 
menues et nerveuses, sa {ête est assez comprimée 
sur les côtés; des cils bordent les paupières, et de 
longues soies composent les moustaches, et quel- 
ques unes sont implantées au-dessus de l'œil. Une 
légère rainure isole les narines qui s’ouvrent sur le 
même plan du museau; l'oreille a trois pouces trois 
lignes de longueur et deux pouces de largeur ; elle 
est arrondie à l’extrémité, d’où part un faisceau de 
poils a longés L'’oreille est repliée à son bord anté- 
rieur vers le conduit auditif, et de la base jusqu’au 
milieu sur le rebord postérieur. Le mâle ne diffère 
point de la femelle; son scrotum n’est point visible 
au dehors, mais l’enveloppe du pénis est dense et 
grosse; seulement ce dernier forme une courbe, de 
manière à se diriger d'avant en arrière dans l’érec- 
tion. 


Les femelles paroissent faire deux petits, du 
moins d’Azara observa deux fœtus dans la matrice 
de l’une d'elles qu’il ouvrit dans le mois d’avril : 
deux mamelles inguinales occupent le milieu de 
l’abdomen, et deux autres sont placées à environ 
trois pouces plus en avant. On fait des tapis avec 
leur pelage, estimés par leur douceur et par les 
nuances de leur coloration. 


LES PACAS. 


Terminent l’ordre des rongeurs. Le paca fauve 
( cœlogenys fulvus ), et le paca brun (C. subniger ) 
ont été décrits par Buffon sous le nom commun de 
paca. Nous ne dirons rien non plus du genre os- 
teopera de M. Harlan, qui a été fondé sur une tête 
osseuse de paca ordinaire. Le cϾlogenys fuscus de 
M. Fr. Cuvier ne se distingue du paca brun que 
par son pelage fauve, marqué sur les flancs de 
quatre à cinq bandes longitudinales blanches; son 
crâne offre aussi quelques particularités distinctives. 


506 


HISTOIRE NATURELLE 


LIVRE X. 


LES MAMMIFÈRES ÉDENTÉS, PACHYDERMES ET RUMINANTS. 


LES ÉDENTÉS. 
Bruta. L. 


Forment un ordre de mammifères peu nombreux, 
et qui nes’est enrichi que d’un genre, il est vrai bien 
remarquable, depuis l’époque où la mort du Pline 
de la France arrêta son histoire des animaux. 


LES PARESSEUX. 
Bradypus. L. 


C'est-à-dire l’unau, le kouri et l’aë, décrits par 
Buffon, forment aujourd’hui deux genres pour 
M. Fr. Cuvier, les acheus qui ont trois ongles aux 
doigts de devant et une courte queue, et les bra- 
dypus(cholæpus, Hlig.), qui n’ont que deux ongles 
aux pieds de devant et point de queue. Les acheus 
ont pour type l’aï (bradypus tridactylus, L.), dont 
il faut distinguer 1° l’Aï À DOS BRULÉ, véritable 
espèce, quoi qu’en dise M. Témminek, qui suppose 
que la large tache noire entourée de fauve qu’on voit 
occuper l'intervalle des épaules puisse disparoitre 
par l'usure des longs poiis. Cet aï est plus petit, à 
pelage moins grossier et plus noir; 2° l’AÏ À COLLIER 
noiR (B. torquatus ; Wlig.) (!), qui diffère par sa 
taille et même par la conformation de son squelette. 
Son pelage est mélangé de gris et de rougeûtre. La 
tête est rousse, variée de blanchâtre. Sur la partie 
supérieure du cou se trouve -une grosse touffe de 
longs poils noirs. Il habite le Brésil. Les Botocudos 
le nomment({hogipa-heiou, tandis que l’aï ordinaire 
est leur :hocoudii. 

Près des paresseux viennent se placer des animaux 
dont les os fossiles sont ie type du genre megathe- 
rium de M. G. Cuvier, ou megalonyx de Jefferson. 
Ces races éteintes appartenoient à l'Amérique méri- 
dionale, et ont reçü les noms de MM. Cuvier et de 
Jefferson. Pander faisoit de la première son brady- 
pus giganteus (?). 


(:) Geoffroy, Ann. du Mus.; Screber, pl. 74, fig. A; 
Acheus torquatus, Wied., It. p. 419. (Trad. franc.) 
(2) Guv., Oss. fossiles, t. V, 1e part., p. 174. 


LES PANGOLINS. 


Manis. 


Les pangolins, que tous les auteurs ont réunis, 
sont voisins des tatous et des fourmiliers, et appar- 
tiennent à l’ordre des édentés ordinaires du Règne 
animal de M. Cuvier. Klein les placçoit parmi les 
tatous, et Brisson proposa pour eux le nom de pho- 
lidotus, que Knorr adopta. Le mot pangolin est 
d’origine javanaise, et se trouve employé pour la 
première fois par Valentyn (Amboyne) pour dési- 
gner le manis brachyura (Erxleben). Les pangolins 
sont encore nommés fourmiliers écailleux ; arma- 
dilles par Séba; quogelo par le voyageur Desmar- 
chais ; alunçu sur la côte de Coromandel; pangul- 
ling par les Javanais, et {chin-chian-kiapp par les 
Chinois. 

Les caractères du genre pangolin, manis, sont 
d’avoir le corps, les membres et la queue entière- 
ment revêtus d’écailles fortes, tranchantes, imbri- 
quées, et de forme triangulaire. Le corps est allongé, 
très bas sur jambes ; la tête mince, et le museau très 
prolongé; les maxillaires sont complétement éden- 
tés ; les yeux sont petits ; la bouche est transversale 
au sommet du museau ; la langue est grêle, très exten- 
sible, très longue, arrondie, et lumbrisciforme ; les 
pieds ont tous cinq doigts; la queue est longue, et 
fait suite au corps sans séparation nette; les mamel- 
les sont situées sur la poitrine, et au nombre de deux. 

M. Cuvier dit que les pangolins ont l’estomac 
légèrement divisé dans le milieu ; qu’ilsn’ont point 
de cæœcum; que les phalanges onguéales sont four- 
chues , et que les organes génitaux sont séparés de 
anus. 

On ne connoîit que trois espèces de ce genre, et 
leurs mœurs n’ont point encore été complétement 
étudiées. On sait qu’elles vivent à la manière des 
fourmiliers, en laissant trainer leur longue langue, 
et ramassant les fourmis blanches et autres insectes 
très communs dans les pays qu’elles habitent. Erxle- 
ben dit que les pangolins recherchent encore les 
petits lézards. Leur naturel est doux, leur cri très 
foible, ieur démarche lente, et ils ne sortent guère 
que la nuit. Lorsqu'ils sont effrayés, ils hérissent 


DES MAMMIFÈRES. 


leurs écailles et se roulent en boule de manière à 
être efficacement protégés par leur armure. Leur 
chair est très délicate, recherchée par les habitants, 
qui emploient aussi dans leur médecine populaire 
la graisse abondante et fluide qu’ils retirent de la 
queue. Ce genre habite seulement l'Ancien Monde. 
Il est donc le représentant du genre fourmilier, ex- 
clusivement propre à l'Amérique , et dont il ne dif- 
fère que parce que, au lieu de poils, le corps est 
revêtu d’écailles, quoique l’ensemble de l’organisa- 
tion, et même des habitudes, soit identique. Les 
pangolins se retirent dans les trous qu’ils creusent 
à l’aide de leurs ongles robustes. 


LE PANGOLIN DE L'INDE. 


Manis indicus (1). 


Le pangolin indien a jusqu’à deux pieds trois pou- 
ces de longueur, et la queue un pied six ou sept pou- 
ces. Cette partie, chez cet animal, est toujours plus 
courte que le corps, qui a, en dessus , onze ou treize 
rangées d’écailles, et qui est nu sur le ventre et en 
dedans des membres. Sa tête est petite, pointue, à 
museau allongé; les écailles sont de couleur blonde, 
obtuses, slabres, striées vers leur base, et garnies 
cà et là de quelques poils rudes, fauves, sortant de 
leurs interstices ; toutes les parties inférieures du 
corps et internes des membres sont nues ou revêtues 


de poils très rares ; les oreilles sont peu apparentes 


et à pavillon arrondi; les trois ongles du milieu des 
membres antérieurs sont plus longs que les deux 
latéraux, et leur couleur est jaunâtre. 

Le pangolin indien paroitroit être le badjarkita 
ou reptile de pierres de quelques relations de voya- 
geurs. C’est sans doute un individu mutilé de cette 
espèce qui a porté Pennant à faire d’un pangolin 
de Tranquebar son broad iailed manis ou pangolin 
à large queue. Il habite la côte de l’Inde, les îles de 
Formose et de Ceylan. 


LE PANGOLIN D'AFRIQUE. 
Manis africana (?). 


Le corps du phatagin a un pied deux pouces de 
longueur, et la queue un pied sept pouces. Son prin- 


() Manis pentadactyla, Linnæus, t. 1, p. 53 : manis 
brachyura, Erxleben, 98 : le pangolin à queue courte, 
Cuvier, t 1, p. 224: manis macroura, Desmarest, sp. 
594: pangolin, Buffon, t. X, pl. 34: manis crassicau- 
data, Geoffroy, Catal.: armadillo, Séba, tab. 53, fig. 5, 
et tab. 54, fig. 1 : short-tailed manis, Pennant, 329 : 
tatu mustelinus, Klein, 47 : phattagen, Ælien ? 

(2) Desmarest, sp. 595 : manis tetradactyla, Lin- 


507 


cipal caractère, pour le différencier de l'espèce pré- 
cédente, est donc d’avoir la queue plus longue que 
le corps, et celui-ci couvert en dessus d&onz ran- 
gées d’écailles, et garni’ er dessous de poils ce: rt:, 
roides et bruns. La tête est petite, garnie d’écaiiles 
peu développées et s'étendant sur ie museau : celles 
du corps n’ontaucun poil dans leurs interstices ; elles 
sont brunâtres, carénées sur les deux rangées exter- 
nes et sur celles des cuisses : l’ongle du pouce du 
membre antérieur est peu apparent, c’est pourquoi 
Lionæus ne lui donnoit que quatre doigts en avant. 
La queue est atténuée et obtuse au sommet. Les 
ongles sont bruns. 

Le phatagin habite l’Afrique, et notamment le 
Sénégal et la Guinée. 


LE PANGOLIN DE JAVA. 
Manis javanicus (1). 


Cette espèce, décrite pour la première fois par 
M. Desmarest, dans sa Mammalogie, a été apportée 
de Java par M. Leschenault de La Tour. Elle à un 
pied quatre pouces de longueur, sans y comprendre 
la queue , qui à un pied un pouce. Les écailles for- 
ment sur le dos dix-sept rangées : elles sont brunes, 
et d’autant plus élargies qu’elles s’éloignent davan- 
tage de la nuque; celles des cuisses sont carénées : 
les parties inférieures et internes du corps et des 
membres sont nues, ou seulement garnies de quel- 
ques poils rares, durs , et blancs; les interstices des 
écailles sont revêtus aussi de quelques poils: les 
doigts des pieds de devant ont des ongles inégaux, 
celui du milieu est beaucoup plus fort que ceux qui 
l’avoisinent ; les deux plus externes sont très courts. 

Ce pangolin habite l'ile de Java. 

Illiger a rapproché du genre manis un animal 
indéchiffrable nommé par Bontius testudo squa- 
mala, et dont il a fait le genre panphractus, qui 
appartient plutôt aux reptiles qu'aux mammifères, 
et qui d’ailleurs est très douteux. Il paroïtroit aussi 
qu’une grande espèce de pangolin existoit autrefois, 
à en juger par une phalange onguéale bifurquée dé- 
crite par M. Cuvier dans son grand ouvrage sur les 
ossements fossiles. 


uæus, 54 : manis macroura, Erxleben, 101 : pangolin 
à longue queue, Cuvier, 224: manis longicaudata, 
Geoffroy Saint-Hilaire : pholidotus longicaudatus , 
Brisson : le lézard de Clusius, Perrault, t. ALL, p. 89 : 
scaly-lisard, Grew : lacertus peregrinus squamosus , 
Clus., 374, tab. : the long-tailed manis, Pennant, 328 : 
phatagin, Buffon, t. X, pl. 35. 
(‘) Desmarest, sp. 296. 


508 


MU ULES TATOUS. 
Dasypus. L. 


Ont été divisés en plusieurs petites tribus. Les 
CACHICAMES (Cuv.) ont pour type le tatu-peba de 
Marcgrave (dasypus novem cinctus, L.), décrit sous 
trois noms par Buffon, ceux de fatouète ou tatou à 
huit bandes, de cachicame ou tatoi à neuf bandes, 
et de {atou à longue queue; il vit à la Guyane, au 
Brésil et au Paraguay. On doit en distinguer le TaTOu 
MULET de d’Azara ( D. septemcinctus, L.)(1), qui 
n’a que sept bandes, une queue médiocre et une 
taille moindre que le précédent. 


LES APARS. 
Cuvier. 


Ont dix dents, et les quatre doigts aux pieds de 
devant des cachicames qui n’ont que sept dents. Ils 
comprennent l’apar de Buffon ou le mataco de d’A- 
zara (D. tricinctus, L.). 


LES ENCOUBERTS. 
Cuvier. 


Ont cinq doigts aux pieds de devant : des écailles 
en quinconce recouvrent leur queue. Les espèces 
sont : l’encoubert ou cirquinson de Buffon, le tatou 
poyou de d’Azara (D. sexinclus et octodecimcinc- 
tus, L.). On doit en distinguer le pichiy de d’A- 
zara (?), qui ressemble à l’encoubert, mais qui s’en 
distingue par la dentelure en scie de la partie posté- 
rieure de son bouclier, avec des poils plus longs et 
plus fournis sur les parties non écailleuses. Le {atou 
velu de d’Azara est encore une espèce voisine ({alu- 
sia villosa) (?), à poils abondants, bruus et très longs, 
ayant six à sept bandes dentelées au bord terminal. 
Il recherche les cadavres des chevaux et des autres 
animaux morts dans les pampas de la Plata. 


LES KABASSOUS. 
CUvIER. 


Ont aussi cinq doigts, mais disposés avec obli- 
quité. Le pouce et l'index sont très grêles ; ils ont 


(:) Screber, pl. 72. 
() Dasypus minutus, Desm. 
6) Dasypus villosus, Desm. | 


HISTOIRE NATURELLE 


de huit à neuf dents de chaque côté et à chaque mâ: 
choire. Le type de ce groupe est le tatouay de 
d’Azara, ou le kabassou propre de Buffon (D. uni- 
cinctus, L.)(!). 


LES PRIODONTES. 


Pridontes. Cuv. 


Ont cinq doigts inégaux, des ongles très grands, 
et jusqu’à vingt-deux ou vingt-quatre petites dents 
de chaque côté, ou quatre-vingt-quatorze ou quatre- 
vingt-seize en tout. La seule espèce est le deuxième 
kabassou de Buffon, le grand tatou de d’Azara (da- 
sypus giganteus, G. Cuv.), qui vit dans les bois, 
fouille la terre aux alentours de l’Assomption, au 
Paraguay. 

Enfin, le genre le plus intéressant qu’on ait dé- 
couvert dans ces dernières années, est celui des 
CHLAMYPHORES (chlamyphorus, Harlan) (?). La ca- 
rapace est composée de bandes nombreuses, trans- 
versales et mobiles, s'étendant ile la tête à la queue, 
et non divisée en deux boucliers, pour les épaules, 
et pour les reins, comme chez les tatous. Ils ont six 
dents partout, cinq doigts à tous les pieds , et des 
ongles très grands, crochus, comprimés, taillés en 
cuvelte en devant. Le corps est comme tronqué car- 
rément en arrière, et la queue, accolée à cette tron- 


‘cature, semble s'attacher sous le corps. Les dents 


sont au nombre de trente-deux, c’est-à-dire seize mo- 
laires en haut et seize en bas. La seule espèce de ce 
genre intéressant est le CHLAMYPHORE TRONQUÉ 
(ch'amyphorus trunratus, Harlan), le p'chiciago 
des Indiens du territoire de la ville de Mendoce, 
dans les Cordillières du Chili, et dans la province 
de Cayo, lieu où cet animal a été découvert, en dé- 
cembre 1824, par M. Williams Colesberry. Les squa- 
melles de la carapace, de consistance coriace, sont 
rhomboïdales , rangées par lignes transversales, gar- 
nies en dessous de poils blancs, soyeux. La longueur 
totale est de cinq pouces six lignes anglois ; sa tête 
a un pouce six lignes ; l’espace entre les yeux est de 
huit lignes. La hauteur de la troncature du corps est 
d'un pouce trois lignes; sa plus grande largeur de 
vingt lignes. La portion libre de la queue est de qua- 
torze lignes. Le test est de couleur cornée, et les 
poils sont satinés. 


(\ Armadillo africanus, Séba. 

() Ann. of New-York, tom. 1, 24 janv. 1825; Zool. 
journ., t. IL, p. 154; Ann Sc. nat.,t. V, p. 5; Ostéol, 
Bull., t. XVII, p. 267. (Atlas, pl. 50.) 


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“ DES MAMMIFÉRES. 


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LES ORYCTÉROPES. 


Orycteropus. GEOFF. 


N'ont que le cochon de terre de Buffon (orycte- 
ropus capensis, Cuv.); les PANGOLINS (manis, L.) 
qui ont été l’objet d’un article dans ce volume, 
page 506, et les deux fourmiliers (myrmecophaga , 
L.) qui ont été décrits par Buffon. M. biviltata et 
nigra ne sont guère distincts du {amandua ordi- 
naire, et le M. annulata ne repose que sur une fi- 
gure de l’atlas du voyage de Krusenstern. 


LES PACHYDERMES. 
Bellueæ. 


Forment un ordre de mammifères à la tête du- 
quel viennent se placer les ÉLÉPHANTS (elephas, L.). 
Bien que Buffon ait connu les deux espèces de ce 
genre, c’est-à-dire l’éléphant des Indes (elephas in- 
dicus, Cuv.)('), et celui d'Afrique (el phas africa- 
nus, Cuv.), nous avons cru devoir donner de ce 
dernier, dans l’âge parfaitement adulte, un portrait 
(atlas, pl. 54) fait d’après nature ; car la planche de 
Buffon ne reproduit qu’un jeune individu , et encore 
d’une manière imparfaite Nous n’ajouterons rien à ce 
qui concerne le mastodonte géant (mastodon gigan- 
teum, Cuv.), dont il est question dans la Théorie de 
la terre dans divers articles relatifs à des ossements 
décrits par Daubenton. Quant à l'éléphant fossile 
(elephas primogenius), M. Cuvier le caractérise 
ainsi : tête oblongue, avec le front concave, les al- 
véoles des défenses très grandes, les molaires très 
larges, marquées sur leur couronne de rubans émail- 
leux parallèles entre eux et très serrés. La mâchoire 
inférieure est très obtuse en avant. On se rappelle 
qu’un individu tiré des glaces, sur les côtes de la Si- 
bérie, par M. Adams, avoit des poils épais et de deux 
natures, ce qui porteroit à croire que cette espèce 
devoit vivre exclusivement dans les régions les plus 
refroidies (2). 


() Sir Raffles dit, en parlant des éléphants sauvages 
de l'île de Sumatra: «Ils sont trés mullipliés dars les 
» forêts, mais peu de tentatives ont été faites pour les 
» prendre et les soumettre à la domesticité. A Achem 
» seulement on les a habitués au service de l'homme, 
» et le sultan de ce pays m'en a offert un parfaitement 
» dressé. » 

(2) Voyez aussi la description du tetracolodon mas- 
todontoideum, de Godman, Trans, Philadelp., pl. 17, 
t. LL, p.478 et suiv. 


509 


a 


LES COCHONS OÙ SANGLIERS. 
Sus. L. 


N'ont point été l’objet de découvertes vraiment 
neuves depuis la mort de Buffon, à part le cocuon 
DES Papous (1), que nous avons rencontré à la Nou- 
velle-Guinée. Nous n’avons que de courtes indica- 
tions à donner sur quelques espèces connues depuis 
long-temps. Le baby-russa des Malais (sus baby- 
russa, L ) a été rapporté vivant par l'expédition de 
l’Astrolabe, et se trouve figuré dans l'atlas zoologi- 
que de la relation de cette campagne (pl. 22 et 25, 
texte, p. 125). Déjà nous-même avions décrit, dans 
la partie zoologique du voyage de la Coquille, les 
baby-russas mâle et femelle que nous avions observés 
vivants chez le résident de Sourabaya à Java (?). Ce 
cochon si remarquable passe pour avoir été connu 
dès la plus haute antiquité, car l’aper in Indiä, de 
Pline , se rapporte certainement à lui. Ælien (3) l’a 
connu également, bieu que ce ne soit pas, ainsi 
que le pensent quelques naturalistes, son tetrache- 
ros, qui n’est pas autre que le phacochære d'Afrique, 
que Calpuraius avoit également en vue quand il dit. 
vidi…. et non sine cornubus apros (Egl. 7). 


RE | 
LE SANGLIER A BANDES (i). 


À la taille d’un fort marcassin d'Europe. Sa tête 
est peu longue ; son museau est obtus, sans aucunes 
protubérances ni favoris. Ses yeux sont plus grands 
que ceux du sanglier à verrues. Son front est peu 
bombé, mais très étroit ; sa crinière est peu fournie. 
Son pelage est court, presque ras, semé à claire- 
voie, et d’une nuance brun terne. Une bande blan- 
che, plus ou moins bien dessinée. s'étend du nez aux 
joues. IL habite Java. 


LE SANGLIER A VERRUES ). 


Se trouve à Java; sa taille est puissante, et sa 
tête est très allongée, ayant sur les côtés des joues 
une protubérance calleuse fort saillante. Ses yeux 
sont petits, éloignés de plus du double du milieu de la 
longueur qui sépare le mufle des oreilles. Le front 
est excavé, et d’épais faisceaux de poils recouvrent 


() Sus papuensis, Less., Zool. de la Coquille, p. 171, 
pl. 8. 

(2) Zool. de la Coq.,t I, pl. 1, p. 124. (Atlas, pl. 57.) 

(@) Hist. an., lib. X VIT, cap. 10. 

(4) Sus vittatus, Temm., Faune Jap.. dise. 

5) Sus verrucosus, Temm., Faune japonaise, dise, 


210 
les joues. Sa crinière est composée de poils longs et 
roides, tous trifurqués à leur extrémité. Le pelage 
est abondant, noirâtre, varié de jaunâtre en dessus, 
et d’une teinte jaune roussâtre en dessous. 

Le koiropotame (sus koiropolamus, Desm. ) à 
soies grossières, diffère du sanglier à masque (sus 
larvatus, Fr. Cuv.), parce qu’il n’a pas de tuber- 
cules sur les côtés du museau. Il habite l’ile de Ma- 
dagascar. 


LE COCHON DES PAPOUS. 
Sus papuensis. Less. (1). 


A l’examen des formes extérieures de ce cochon 
adulte , on seroit tenté de le rapprocher du cochon 
de Siam, dont il a le port et un peu la physiono- 
mie générale. Cependant, lorsqu'on descend dans 
les détails, il s'en éloigne trop par les caractères qui 
lui sont propres, pour ne pas constituer une es- 
pèce, fondée principalement sur la disposition des 
dents. 

La tête osseuse de cet animal est beaucoup moins 
longue que dans le cochon ordinaire, toutes pro- 
portions égales d’ailleurs. Les côtés du museau sont 
moins concaves, el sont sans enfoncement sur la 
mâchoire supérieure : ils sont droits; et le rebord 
des alvéoles destinés à loger les défenses est légère- 
ment élevé, mais non déjeté en dehors comme dans 
l'espèce commune. 

La formule dentaire est celle-ci : douze incisives, 
quatre canines, vingt molaires ; au total, trente-six 
dents (2). 

La longueur de la erête occipitale à l’os du bou- 
toir est de neuf pouces et demi; celle du frontal au 
rebord maxillaire inférieur est de quatre pouces 
trois lignes. Le maxillaire inférieur a six pouces de 
longueur et trois pouces d’écartement entre ses 
branches , dans l'endroit le plus large : il y a, de 
l’arcade zygomatique aux incisives de la mâchoire 
supérieure, quatre pouces et demi. Les deux inci- 
sives de devant de la mächoire supérieure sont 
rapprochées, épaisses et tronquées au sommet ; les 
deux extérieures sont plus courtes et dirigées obli- 
quement en avant. À quelques lignes des quatre 
incisives est placée, de chaque côté, une dent étroite, 
logée obliquement d'avant en arrière dans un al- 


() Zoologie de la Coquille, pl. 8 : béne dans la langue 
des Papous de Doréry. 

(2) Les parties osseuses présentent une ouverture en 
arrière de chaque derniére grosse molaire, des deux 
côlés et aux deux mâchoires; ce qui semble prouver que 
les germes d’une sixiéme molaire étoient encore ren- 
fermés dans ares et ce qui porteroit à quaranle le 
nombre des dents de cette espèce. 


TIISTOIRE NATURELLE . 


véole de l'os incisif, et qu e peut se dispenser 
de regarder comme une incisive, quoiqu’elle s’éloi- 
gne de la forme des quatre antérieures, et qu’elle 
ressemble à la canine : celle-ci, mince, peu appa- 
rente, se dirige d’arrière en avant, et occupe un es- 
pace vide de chaque côté de la mâchoire, Les mo- 
laires antérieures sont transverses, à pointe unique, 
tandis que les trois dernières présentent à leur cou- 
ronne quatre pointes mousses, séparées par des 
sillons profonds. Les dents de la mächoire infé- 
rieure sont à peu près d’égale longueur dans les 
quatre incisives projetées en avant. Les deux au- 
tres incisives externes, plus courtes, ont leur som- 
met à trois pointes peu apparentes et aplaties laté- 
ralement. La canine, de chaque côté, est mince, 
pyramidale , très étroite et peu élevée. Un léger in- 
tervalle la sépare de la première molaire, isolée 
elle-même des quatre autres. Les trois premières 
molaires sont donc aplaties transversalement et à 
pointe mousse. La quatrième a six pointes paral- 
lèles, séparées par deux sillons; et la dernière en a 
quatre régulières, et une cinquième plus petite en 
arrière, 

Nous avons observé à bord et à la Nouvelle-Gui- 
née un assez grand nombre de ces cochons parve- 
ous à l’âge adulte : tous à peu près nous présentè- 
rent les caractères que nous allons rapporter. 

La taille moyenne de cette espèce est élevée de 
dix-huit à vingt pouces au plus; et ses formes sont, 
en général, élancées et sveltes. La tête s’allonge en 
un groin effilé, et la mâchoire inférieure est un peu 
plus courte que la supérieure. Le chanfrein est droit, 
et non convexe comme dans quelques espèces. L’œil 
est petit; les oreilles sont très courtes proportion- 
nellement à la tête; elles sont droites, roides et 
minces sur le bord externe. Le corps est arrondi 
dans ses formes ; les membres sont courts et assez 
gros. Les pieds sont petits, à sabots peu prononcés 
et courts. La queue est grêle, terminée par une pe- 
tite touffe. 

Les poils de ce cochon sont médiocrement four- 
nis. Les soies sont assez roides, espacées, plus nom- 
breuses que gans le cochon de Siam et le babi-russa, 
mais moins que dans les espèces ordinaires. La peau 
est brune et rugueuse, nue et rougeâtre derrière les 
oreilles, sur les joues, et sur plusieurs endroits de 
l'abdomen. L’extrémité du museau est garnie de 
poils noirs, longs, plus abondants sur la mâchoire 
inférieure et autour des yeux. Deux bandes noires 
s’avancent sur les branches du maxillaire inférieur. 

Les soies, plus fournies plus denses et plus lon- 
gues sur le rachis, et particulièrement sur la nu- 
que, sont très noires. Les poils des oreilles sont ras 
à l'extérieur, allongés et blancs à l’intérieur : ceux 
des parties supérieures du corps et des flancs sont 
couchés, alternativement noirs et rougeâtres, et plus 


foncés en brun sur les membres, à leur portion ex- 
terne. Bes poils des joues, de la gorge, des flancs, 
et de dessous le ventre, sont blancs, mêlés de quel- 
ques poils noirs, ou blancs à leur naissance et ter- 
minés par du noir : ceux des côtés du cou sont 
courts, épais et roides ; et nulle part on n’en remar- 
que de frisés. Le tour des yeux est brun. On compte 
huit mamelles abdominales. 

Les marcassins, dans leur premier âge, ont une 
livrée comme les petits du sanglier. Leur pelage est 
communément d’un brun plus ou moins foncé, ayant 
sur le dos de deux à cinq raies longitudinales d’un 
fauve assez vif. 

Ce cochon, nommé béne par les Papous du havre 
de Doréry, est excessivement commun dans les fo- 
rêts de la Nouvelle-Guinée, où nous en rencontrà- 
mes fréquemment. Les Papous en conservent quel- 
ques uns en une sorte de domesticité, en attrapant 
les jeunes dans les bois, et lés renfermant dans des 
parcs au-dessous de leurs cabanes. Mais ils ne cher- 
chent point à apprivoiser cet animal, qui retient 
parmi eux Ja plupart de ses mœurs sauvages et fa- 
rouches. Ceux que nous conservâmes à bord se fai- 
soient remarquer par leur courage, et se disposoient 
souvent à résister lorsqu'on les agacoit ; et quoique 
bien plus petits que le cochon de Siam, ils le bat- 
toient avec un acharnement peu ordinaire. Au bout 
d’un certain temps, cependant, ils devinrent assez 
dociles. Les individus que nous observâämes étoient 
solitaires ; mais il paroît qu’à certaine époque ils 
vont par files nombreuses : c’est du moins ce qu’as- 
sure le navigateur Forrest, qui les représente ainsi 
dans les planches 2 et 5 de son ouvrage, et qui rap- 
porte que les Papous les chassent à coups de flèche. 
« Les cochons sauvages, nommés ben, dit Forrest 
» ( Voyage à la Nouvelle-Guinée), passent souvent 
» à la nage, en file, d’une île à une autre; le cochon 
» de derrière appuyant son groin sur la croupe de 
» celui qui le précède. » 

Les proportions des diverses parties de celui que 
nous représentons sont les suivantes : 


Pieds. Pouc, Lig. 
Longueur totale du corps, du bout du 


MUSÉE AURA ANUS eee iN ele den OL 0) 
Hauteur du train de devant. . , . . 4 6 6 
———— de celui de derrière, . , , 4 8  » 
Bongüeurrdelatélefoaus cts 2e 21401: » 
———— des oreilles. ,. . . . . , » 0) 
a delid QUEUES Cd NE OZ ED) 


de l’avant-bras, depuis lecoud 
jusqu'au! poignet. . ? ._ » 5 6 
du poignet jusqu’au bout des 


SAHOUS TETE CD SIM D pt» 
———— dela jambe, depuis le genou 
jusqu'antalon a ne D pu5 06 


depuis le talon jusqu’au bout 
ES SADUIS A NS MSN AUDIO TE 
Circonférence £e la tête, . 4 : . : » #4 » 


A. DES MAMMIFÈRES. 


511 
———— delapoitrine, , . , . . 2 1 » 
———— del'abdomen.. . . . . . 9 2 » 
Longueur des sabots postérieurs. , , » » 9 
———— des sabots antérieurs. , . » 41 3 


La chair du cochon des Papous est très délicate. 
Cet animal se nourrit principalement des fruits 
abondants qui jonchent le sol des forêts de cette 
contrée, tels que l’é-vy, la muscade, la moelle des 
vieux sagoutiers, et les racines nutritives qu’on y 
rencontre à chaque pas. Cette espèce, par l’ensem- 
ble de ses formes, le manque de défenses, et sa 
queue réduite à un état presque rudimentaire, sem- 
ble former le passage du genre cochon à celui des 
pécaris ( DicOtifles, Cuv.) qui vivent dans les ré- 
gions chaudes et tempérées du continent d’Amé- 
rique. Les grandes îles nombreuses de la terre des 
Papous, si riches et si peu connues, fourniroient 
ainsi la nuance qui réunit ces deux genres ; mais nul 
organe analogue à la glande des pécaris n’existe 
sur notre espèce, qui n’exhale point d’odeur allia- 
cée ou fétide, dont la chair est savoureuse, et qui a 
quatre sabots à chaque pied. Le cochon ordinaire’ a 
douze mamelles, celui des Papous ne nous en a pré- 


-senté que huit, nombre qui le rapproche encore, 


par ce caractère, du pécari, car M. Fr. Cuvier n’a 
pu en trouver que deux chez l'individu qu’il à fi- 
guré. Plusieurs de ces animaux, que nous conser- 
vâmes à bord de notre corvette, se familiarisèrent à 
la longue, recherchoïent les caresses, et se mon- 
troient jaloux de celles que l’objet de leur amitié 
prodiguoit à d’autres ; et c’est principalement sur un 
jeune chien que se portoit toute leur sollicitude. Ils 
se couchoient à son approche, se laissoient agacer 
par lui, et chacun d’eux paroissoit mécontent lors- 
qu’il l’abandonnoit pour jouer avec quelque autre 
animal. 


LES PHACOCHÆRES. 
Phacochærus, Fr. Cuv. (1). 


Buffon a parlé de celui du Cap de Bonne-Espé- 
rance (?), sous le nom d’engallo , et du PHACOCHÆRE 
AFRICAIN (3), sous le nom de sanglier du cap Vert. 
M. Ruppell en distingue le PHACOCHÆRE d’ÆLIEN ({) 
qui vit en Abyssinie, nommé haruja à Massawabh, 
et halluf dans le Kordofan. Par son nom spécifique 
on doit croire que M. Ruppell suppose que c’est 
de cet animal que parle Ælien sous le nom de te- 


(:) Phaco-chærus, cochon portant une verrue. 

(2) Sus ethiopicus, Gm. 

(3) Phacochæres africanus, Fr. Cuv. 

(4) Phascochæres œliani, Cretzm., in Rupp.; pl 25 
et 26, p. 61. 


512 


tracheros. Les deux incisives supérieures sont per- 
manentes à toutes les époques de la vie. Son crâne 
est déprimé, sinué seulement sur la face. La verrue 
calleuse des joues est placée au-dessus des défen- 
ses; la coloration générale est brun terreux, tandis 
que les erins qui hérissent la nuque et la ligne dor- 
sale forment une épaisse crinière touffue. Sa lon- 
gueur totale est de quatre pieds quatre pouces six 
lignes. 


LES PÉCARIS (). 


Comptent deux espèces, que Buffon n'a point dis- 
tinguées , tout en les décrivant sous le même nom, 
et ne les regardant que comme des variétés l’une 
de l’autre. L'une est le paATIRA (2), l’autre le tagni- 
cati taitelou ou tajassou (?), toutes les deux de la 
Guyane, du Brésil et du Paraguay. 


LES ANOPLOTHÉRIUMS(). 


Ne sont connus que par leurs débris fossiles, con- 
servés dans les carrières à plâtre de Montmartre. 
On leur a supposé des habitudes aquatiques, et 
M. Cuvier, le créateur du genre, en a reconnu deux 
espèces. Les xIPHODONS (5) sont dans le même cas, 
et l'espèce type devoit avoir les formes légères des 
gazel es, et par suite des mœurs timides et crain- 
tives. Les trois DICHOBRUKES (6) remplacoient sans 
doute les lièvres aux premières époques de la créa- 
tion, et l’aparis (7) de Montmartre, à taille d’un 
hérisson, formoit aussi un type éteint depuis des 
siècles. 


EEFZFZYZXYFYFYSYFSFVS.S.S.-----—O———.….….……_.….….….………… 


LES RHINOCÉROS. 


Rhinoceros. L. 


Les rhinocéros, pachydermes, appartiennent à 
la seconde division du Règne animal de M. Cuvier. 
Les espèces vivantes se trouvent seulement dans 
les contrées les plus chaudes de l’ancien monde, 
et les zones tempérées et glaciales n’en présentent 
que des débris. Ce sont des animaux de grande 
taille, variant entre eux par le nombre et par la 


(:) Dicotyles, Cuv. 

() Le pécari à collier, dicotyles torquatus, Cuv. 
(3) Dicotyles labiatus, Guy. 

() G. Cuv., Oss. foss. 

(5) Xiphodon, ibid. 

(6) Dichobrune, G. Cuv. 

(7) Adapis, ibid. 


HISTOIRE NATURELLE à © 


forme des dents, et range par une ou deux 
cornes solides, adhérentes à la peau, et placées sur 
les os nasaux. Ces cornes sont de nature fibreuse 
ou cornée, et semblent être une réunion de poils 
agglutinés. Linnæus placoit les rhinocéros dans sa 
classe des mammifères qu’il a nommée bruta, et il 
donnoit au genre les caractères suivants : corne so- 
lide, le plus souvent conique, implantée sur le nez 
et n’adhérant point aux os ; il n'en connoissoit que 
deux espèces. qu’il nommoit rhinoceros unicornis 
et bicornis. M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans son Ca- 
talogue imprimé, mais non mis en circulation, n’ad- 
met que ces deux espèces sous les noms de rhinocé- 
r0s d'Asie et de rhinocéros d'Afrique, en leur don- 
nant pour caractères génériques d’avoir : deux ou 
point d’incisives, de cinq à sept molaires; des pieds 
tridactyles, à sabots très grands; une ou deux cornes 
solides, persistantes, coniques, placées sur le nez, 
n’adhérant point à l’os, mais n'étant qu’une conti- 
nuation de l’épiderme, et formées de poils aggluti- 
nés ; les jambes courtes, les yeux petits, les oreilles 
peu développées, la tête assez allongée, la peau tres 
épaisse, la queue courte; point de vésicule du fiel ? 
un colon considérable. 

M. Fr. Cuvier a spécifié quelques caractères tirés 
des dents, bien qu’on sache que le nombre des in- 
cisives varie dans chaque espèce. Les modifications 
que présente le système dentaire du rhinocéros de 
Java, par exemple, sont donc les suivantes : à la 
mâchoire supérieure, l’incisive occupe presque tout 
l’intermaxillaire : c’est une dent large, épaisse et 
obtuse. Il n’y a point de canine. La première mâ- 
chelière est très petite; la seconde, beaucoup plus 
grande, est un peu plus petite que la troisième, 
qui l’est elle-même plus que la quatrième. Celle-ci 
et les deux suivantes sont de même grandeur, et la 
dernière est plus petite qu’elles. Ces mâchelières 
se ressemblent par la forme, qui estencore la même 
que celle des tapirs et des damans ; elles se compo- 
sent de deux collines réunies par une crête à leur 
côté externe; cette crête se prolonge postérieure- 
ment, et la colline placée en arrière présente la 
pointe en forme de crochet qu’on observe sur les 
molaires des damans; la dernière paroît être moins 
complète; elle a la forme générale d’un triangle, 
au lieu d’être à peu près carrée, et semble différer 
des autres parce qu’elle auroit été privée de leur 
portion antéro-externe : on y voit encore la colline 
postérieure avec son crochet, mais l’antérieure ne 
s'aperçoit plus qu’en partie. À la mâchoire infé- 
rieure, l’incisive est une dent conique, droite, poin- 
tue, et de la nature des défenses, c’est-à-dire qu’elle 
n’a pas de racines distinctes. La canine n’existe 
point. Les mâchelières vont en augmentant de 
grandeur de la première, qui est fort petite, à la 
dernière, et toutes deux sont composées, comme 


DES MAMMIFÈRES. 


celles des damans, de tx croissants dont la con- 
cavité est en dedans de la mâchoire, et réunis par 
une de leurs extrémités lorsque la dent est parve- 
nue à un certain degré d’usure, mais séparés par 
une échancrure avant cette époque. La première 
de ces dents n’est que rudimentaire, comparative- 
ment aux autres. L’incisive supérieure est en rap- 
port, par son côté externe, avec le côté interne de 
l’incisive inférieure, et les mâchelières sont alter- 
nes. Telles sont les particularités que M. Fr. Cuvier 
a remarquées sur les dents des rhinocéros, dont le 
nombre est réparti ainsi qu’il suit : quatre incisives, 
canines nulles, et vingt-huit molaires. Mais il pa- 
roit que ce naturaliste n’a pas tenu compte des pe- 
tites incisives externes supérieures et mitoyennes 
inférieures , que le sujet soumis à son examen avoit 
perdues par accident. 

Les caractères physiques du genre rhinoceros con- 
sistent en des formes lourdes et très massives; la 
peau est sèche, rugueuse, presque dépourvue de 
poils, et tellement épaisse qu’elle semble consti- 
tuer sur le corps une cuirasse; la tête est courte, 
triangulaire, à chanfrein un peu convexe; les yeux 
sont latéraux, très petits ; les oreilles ont la forme 
de cornets ; la lèvre supérieure est plus longue que 
l’inférieure, et se termine en une légère pointe; 
une ou deux cornes (d’où est venu le nom du genre 
des mots grecs nez et corne) occupent la ligne mé- 
diane du museau, et trois sabots à chaque pied in- 
diquent lenombre des doigts ; la queue est médiocre 
et grêle. 

Les rhinocéros ont deux mamelles inguinales, 
des intestins très longs, un estomac simple et vaste, 
un grand cœcum, point de vésicule du fiel; le gland 
de la verge du mâle fait en forme de fleur de lis. 
La colonne vertébrale se compose de dix-neuf ver- 
tébres dorsales, trois lombaires, gæinq sacrées et 
vingt-deux coceygiennes, Les côtes sont au nombre 
de neuf paires, dont quatre fausses. Ce sont des 
animaux de grande taille, à corps ample et épais, 
dont les sens sont lourds et grossiers, et le carac- 
tère sauvage. Ils habitent les lieux humides et 
ombragés, aiment à se vautrer dans la fange, et 
se nourrissent uniquement d’herbes et de jeunes 
branches d'arbres. Leur vue paroît mauvaise et ne 
point s'étendre à une grande distance, mais en re- 
vanche leur odorat est subtil. La force de ces ani- 
maux est extraordinaire, et lorsqu'ils sont en fu- 
reur, ils brisent tout ce qui tend à leur faire obstacle. 
Les espèces vivantes habitent aujourd’hui les con- 
trées les plus méridionales du globe, et on ne les 
trouve qu’en Afrique et en Asie, dans les continents 
ou dans les grandes îles qui en dépendent. Mais il 
paroit que le monde aritédiluvien étoit jadis peuplé 
d'animaux pachydermes non ruminants, dont on 
ne connoit maintenant que les débris, et que parmi 

L. 


°13 


eux se trouvoient plusieurs espèces de rhinocéros 
organisées pour vivre dans les climats les plus froids 
du globe. 

Les cornes qui caractérisent les animaux du 
genre rhinocéros ont cela de particulier, de n’adhé- 
rer qu'au périoste ou aux téguments qui revêtent 
les os de la face , et d’être formées de fibres qui ne 
sont pas toujours très unies entre elles et qui sou- 
vent s’épluchent au sommet, comme les soies d’une 
brosse, dit Daubenton. Les Indiens attribuent à 
ces cornes des propriétés alexitères, et les recher- 
chent comme la substance la plus utile pour s’op- 
poser aux empoisonnements; vertus chimériques 
qui n’ont d'autre fondement que le caprice et la 
superstition. l 

Les rhinocéros sont estimés des habitants des 
pays où ils vivent par leur chair, qu’on dit être dé- 
licate, et par leur peau, qui fournit un cuir telle- 
ment dur, que le meilleur acier ne peut le couper 
qu’à la suite d’efforts prolongés. Au Cap on s’en sert 
pour faire des soupentes de voitures. Ils sont très 
difficiles à tuer, et leur chasse demande beaucoup 
de précautions. 

Long temps on a confondu sous le nom de rhino- 
céros deux espèces distinctes, qui vivent, l’une en 
Asie, l’autre en Afrique, et qui sont d’autant plus 
aisées à distinguer, que la première n’a qu’une corne 
nasale, et que l’autre en a deux. Buffon donnoit en- 
core, pour synonyme de son espèce, l'indication 
qu’on la trouvoit à Sumatra et à Java ; mais des re- 
cherches récentes ont tout-à-fait prouvé que ces 
deux îles avoient en propres des rhinocéros qu’on 
n’a observés jusqu’à ce jour dans aucun autre pays. 
Enfin des descriptions imparfaites semblent faire 
présumer qu’on doit encore distinguer quelques 
autres espèces vivant dans l'Afrique, mais dont on 
ne pourra apprécier les vrais caractères que lorsque 
quelque voyageur intrépide les aura fait parvenir 
dans les collections européennes, ou en aura donné 
une description très détaillée. 


A ——@ ro >, 


[SA CA 
Rlinocéros vivants. Deux cornes nasales. 
LE RHINOCÉROS D'AFRIQUE. 
Rhinoceros africanus. G Cuv. (1). 


Le rhinocéros d'Afrique n’a que peu de plis à la 
peau, les mâchoires n’ont point d’incisives non plus; 
cet animal auroit de onze à douze pieds, et suivant 


() Rhinoceros bicornis, Camper; Desmarest, 628 : le 
rhinocéros d'Afrique, Buffon, pl. 6 (Supplément) En :_ 
cyclopédie, pl, 41, fig. 2. 


65 


bi4 
Sparmann, ilales yeux petits etenfoncés ; les cornes 
coniques , inclinées en arrière, la première longue 
de deux pieds; sa peau est presque complétement 
nue; quelques soies noires bordent les oreilles et 
terminent la queue; il vit dans les bois près des 
grandes rivières; il broute les branches des arbris- 
seaux, et notamment une espèce d’acacia dont il est 
friand. Les auteurs conservent des doutes sur plu- 
sieurs espèces africaines, décrites par les voyageurs : 
c’est ainsi que le rhinocéros de Bruce différeroïit de 
l'espèce décrite plus haut, par des replis à la peau 
et par l'extrême compression de sa corne extérieure; 
enfin, il sembleroit confiné dans l’intérieur de l’'A- 
byssinie ; la seconde est le rhinocéros de Gordon, 
qui a neuf pieds environ, deux cornes, vingt-quatre 
molaires en tout, deux incisives à chaque mâchoire, 
et qui pourroit bien être le rhinocéros de Burchell 
(rhinoceros simus), dont on trouve une figure pu- 
bliée pl. 42, fig. 5, du Supplément à l’Encyclo- 
pédie. Ce rhinocéros, encore mal connu, paroït ce- 
pendant assez authentique ; Burchell dit que sa taille 
est du double de celle du rhinocéros du Cap; que 
comme lui il a deux cornes, une peau sans poils et 
sans plis; mais qu’il en‘ diffère par ses lèvres et son 
nez, qui sont très élargis et comme tronqués. Ce rhi- 
nocéros habite les vastes plaines arides de l’intérieur 
du Cap; il aime à se vautrer dans la boue, et ne 
mange que l'herbe tendre. 

Il paroit que les anciens ont connu ce rhinocéros 
bicorne, et que c'est'le taureau d’Ethiopie de Pau- 
sanias ; on frappa, sous Domitien, des médailles ro- 
maines où l’on trouve son efligie. Quelques auteurs 
anciens ont aussi distingué cette espèce de celle d’A- 
sie; mais Buffon a béaucoup embrouillé son histoire, 
et n’en a point eu d'idée distincte. D’après M. Gor- 
don, les Hottentots lui donnent le nom de nabal. 


LE RHINOCÉROS DE SUMATRA. 


Rhinoceros sumatranus (1). 


Ce rhinocéros, qui vit dans la grande ile de Su- 
matra, est l’animal que Marsden mentionne sous le 
nom de buddah, nom qui dérive sans aucun ‘doute 
du mot abada, qui dans la plupart des langues in- 
diennes est donné au rhinocéros asiatique. Sir Raf- 
Îles, dans le Catalogue de la collection qu'il a faite 


(:) Sir Raffles et Horsfield ; Bell, Trans. philos., 1793; 
Horsfield, Zoo!. Research.; Pennant, Quadrumanes, 
&. 1, p. 152; Fr. Cuviér, Mammif. lithograph. (févriér 
4825), 47e livrais.: rhinoceros sumatrencis, G. Cuvier, 
Ossem. foss., t. I, pl. 94; Shaw, Gen. Zool., t. I, p. 2: 


two-horned rhinoceros of Sumatra, rhinoceros suma- : 
tranus , sir Raffles, Trans. Soc. linn. Lond., t. XHE, 


p- 268 ; Desmarest, 629. 


HISTOIRE NATURELLE 


à Sumatra, décrit cette espèce assez longuement 
sous le nom malais de batals D dit que les naturels 
nomment ternu un animal qui vit dans l’intérieur 
de l'ile, et sur lequel on n’a point de détail, bien 
qu’il ressemble parfaitement par les formes au rhi- 
nocéros de Sumatra, excepté qu'il n’a qu’une corne 
comme le rhinocéros indien, tandis que celui de Su- 
matra en à deux. Ce nom de {ennu est appliqué par 
quelques peuples malais au tapir ; mais à Sumatra 
le tapir est nommé gindol ou babi alu; et tout porte 
à croire que les habitants ont une autre espèce de 
rhinocéros qui diffère par la taille et par les cornes 
fibreuses de celle aujourd’hui connue des matu- 
ralistes. 

Le rhinocéros de Sumatra a la peau qui le revêt 
beaucoup plus lisse, et moins profondément garnie 
de rides que les espèces précédentes. Sa couleur est 
d’un brun foncé. Une grande quantité de poils ca- 
che l’épiderme ; la queue est aplatie, et garnie de 
crins en dessus et en dessous seulement : les deux 
mâchoires présentent quatre incisives mais celles 
d’eñn haut ne se font remarquer que pendant le jeune 
âge, parce que les deux externes tombent à une cer- 
taine époque de la vie : les mâcheliéres ne différent 
en rien de celles des autres espèces. La taille d’un 
bel individu envoyé au Muséum par Duvaucel et 
Diard est d'environ cinq pieds et demi de longueur 
totale, sur environ quatre pieds de hauteur ; la queue 
a un pied huit pouces, longueur que présente aussi 
la tête ; des deux cornes qui surmontent le nez, la 
première est médiocrement longue, et la deuxième 
n’est que rudimentaire. Les femelles ont des cornes 
encore moins prononcées , et les plis de la peau sont 
presque entièrement effacés. 


LE RHINOCÉROS SANS CORNES 
OÙ GAINDAR ('). 


Rhinoceros inermis. 


Le gaïndar des Hindous du Bengale habite les 
Sundries, ou îles à demi submergées, couvertes de 
profondes forêts que baignent à la fois les eaux du 
Gange et la mer du golfe du Bengale. Ces îles mal- 
saines , où règnent des fièvres intermittentes graves, 
ne sont visitées que par les pirates malais, et sont 
peuplées de tigres, de gigantesques pythons, et d’une 
foule d'animaux nuisibles. M. Lamare-Picquot ra- 
conte avec détails les précautions qu’il dut prendre 
pour exécuter, dans l'intérêt de l’histoire naturelle, 
des chasses dans cette partie peu connue des Indes 
Orientales. Le gaïndar complétement adulte se dis- 


. (9 Lamare-Picquot, Réponse pour servir de réfuta- 
tion, etc., etc. Paris, 1835, brochure in:8c, 


DES MAMMIFÈRES. 


tingue des espèces de rhinocéros déjà connues par le 
manque total de corne ou même de plaque cornée 
sur le chanfrein. L’individu tué dans la chasse diri- 
gée par M. Picquot étoit femelle, et avoit onze pieds 
sept pouces de longueur sur cinq pieds trois pouces 
de hauteur, mesurée du garrot à la partie inférieure 
du sabot. Son euir présentoit une épaisseur de sept 
à huit lignes, et la dureté des écailles tuberculeuses 
de l’épiderme étoit extrême. Ces écailles ont une 
forme aplatie, et de huit à quinze lignes de diamètre, 
suivant les parties du corps. La région dorsale of- 
froit quelques poils courts, roides ; le tissu cellu- 
Jaire graisseux n’est pas abondant , et les mamelles, 
remplies d’un lait fort sucré et agréable au goût, ont 
deux mamelons allongés, en partie cachés par un 
profond sillon de la mamelle. La queue n’avoit qu’un 
pied environ de longueur, en affectant une forme 
aplatie, élargie au sommet, rétrécie à son attache, 
et garnie sur ses bords de poils noirs, épais et courts. 
L’œil, relativement aux autres organes, est très pe- 
tit: sa pupille est noire et parfaitement arrondie. 
La conque auriculaire est large, et à demi dressée. 
La lèvre supérieure, plus longue que l’inférieure, 
recouvre cette dernière. Les lèvres, bien que dures, 
jouissent d’une grande mobilité, d’une rare puis- 
sance de préhension, et de beaucoup d'adresse pour 
saisir les matières végétales qui doivent servir à 
l'alimentation. Le gandar ou gaïndar est farouche 
comme ses congénères, doué d’une force prodigieuse 
qui le rend redoutable. El vit dans la solitude, et ne 
recherche point la compagnie de ses semblables. 
C’est dans les parties les plus inaccessibles des forêts 
qu’il se retire, là où il trouve les feuilles et les jeu- 
nes pousses d'arbres qui entrent dans son régime. 
Comme les buffles, dit M. Lamare-Picquot, il aime 
se vautrer dans la fange des lieux inondés, et à l’é- 
poque du rut il va d’une île à une autre en traver- 
sant à la nage les bouches du Gange ou les bras de 
mer qui les séparent. Les Indiens assurent qu’il est 
toujours vainqueur dans les combats qu’il livre au 
tigre royal, au buffle et à l’éléphant, Sa chasse est 
d'autant plus dangereuse, qu’on ne peut avoir des 
chances de le tuer roide que lorsqu'on l'approche 
assez près, et en se servant de balles de fer ; et quand 
il n’est que blessé, il se précipite sur les chasseurs, 
brise tous les obstacles qui le séparent d’eux , et ma- 
feste sa puissance par des ravages et des beuglements 
effroyables. M. Lamare-Picquot estime à 5,400 li- 
vres environ le poids de l'individu dont il est ici 
question. Les Musulmans regardent comme un régal 
sa chair, qui ne déplaît pas non plus aux Européens. 
« Quant au foie, dit M. Picquot, il est d’une finesse 
de goût qui surpasse de beaucoup celle du meilleur 
foie de veau. » Les Brahmes font des amulettes, 
qu'ils vendent aux fidèles, avec la corne des ongles 
et certains os de ce grand quadrupède, et c’est avec 


{5 


ces talismans que les Hindous croient éviter la lèpre; 
les tigres et le venin des serpents. 

Ce rhinocéros femelle avoit un petit, aussi de 
même sexe, que M. Lamare-Picquot parvint à faire 
tuer, et dont la dépouille, conjointement avec celle 
de sa mère , est en ce moment à Paris. Ce jeune ani- 
mal n’étoit âgé que de quatre mois environ, et pou- 
voit peser 500 livres. Du reste, il n’offroit aucune 
dissemblance. 


x 


VE ctennsnmemen] 


Une seule corne nasale. 
LE RHINOCÉROS DES INDES. 


Rhinoceros indicus (1). 


JL n’a qu’une seule corne sur le nez; la peau est 
marquée de sillons profonds en arrière des épaules 
et des cuisses ; chaque mâchoire a deux fortes inci- 
sives ; la tête est raccourcie et triangulaire ; les poils, 
qui sont en petit nombre, sont roides, grossiers et 
lisses, et couvrent la queue et les oreilles; les yeux 
sont fort petits, et la peau est très épaisse et à peu 
près nue et de couleur gris foncé violâtre ; sa taille 
est de neuf ou dix pieds de longueur ; ses formes sont 
massives, son caractère sauvage; sa yue est foible, 
mais son ouie est très fine ; la femelle ne fait qu’un 
petit et porte neuf mois : on est parvenu quelquefois 
à le conserver en domesticité, 

Le rhinocéros des Indes, quoique d’un naturel 
grossier et sauvage, peut s’apprivoiser et devenir 
familier ; et ceux qu’on a vus en Europe, bien qu’en 
petit nombre, étaient généralement doux lorsqu'on 
les avoit pris jeunes, mais d’une sauvagerie intrai- 
table et sans espérance d’adoucissement lorsqu'ils y 
ont été amenés dans un âge un peu ayancé. En cap- 
tivité cet animal mange avec plaisir du sucre, du 
riz, du pain; tandis qu’à l’état de liberté il ne reche- 
che guère que les herbes, les racines qu'il déterre, 
dit-on, avec sa trompe, et les pousses des jeunes 
arbrisseaux. 

Dans l'érection, le membre génital du rhinoctros 
se dirige en arrière, et n’a guère que huit pouces 
de longueur ; de manière que la copulation ne peut 
véritablement s’accomplir que la croupe de la fe- 
melle approchée de celle du mâle. Ce rhinocéros ne 
se trouve que dans les contrées intérieures de l’Inde, 
au-delà du Gange. La femelle ne produit qu’un 
petit à la fois, après une gestation de reuf mois, et 
ce n’est qu'à mesure qu’il vieillit que les cornes se 
développent. 


() Cuvier, Ménaq. du Mus., gravure de Miger (excel- 
lente figure): rhinoceros unicornis, Linnæus: rhino- 
ceros unicornu, Bodd. : rhinocéros, Buffoh, pl. T7; 
Desmarest, sp. 626. 


516 


LE RHINOCÉROS DE JAVA. 


Rhinoceros javanicus. G. Cuv. (1). 


M. Fr. Cuvier est le premier qui ait publié une 
figure du rhinocéros de Java, d’après un dessin d’Al- 
fred Duvaucel. La description qu'il en donne étant 
la plus authentique, nous nous bornerons à la rap- 
peler. « L'espèce de Java, dit ce naturaliste, paroît 
être une des moins grandes : sa longueur, de la base 
des oreilles jusqu’à l’origine de la queue, est de six 
pieds ; celle de sa tête, du bout du museau à la base 
des oreilles, de deux pieds, et sa hauteur moyenne 
dépasse quatre pieds ; sa queue a plus d’un pied ; elle 
p’a qu'une seule corne qui paroît située plus près 
des yeux que l’antérieure des rhinocéros bicornes, 
mais non pas entre les yeux, comme la postérieure 
de ces derniers. Dans l'individu qui est au Muséum 
cet organe est tout-à-fait usé, arrondi par le frotte- 
ment, et saillant à peine de douze à quinze lignes ; 
les incisives supérieures sont au nombre de quatre 
chez les jeunes, deux dans chaque intermaxillaire 
très rapprochées l’une de l’autre; alors elles sont pe- 
tites et presque cylindriques ; bientôt elles tombent, 
et ne sont remplacées chez les adultes que par deux 
dents, longues d’arrière en avant, minces de dehors 
en dedans , sortant à peine des gencives, dont le 
tranchant est mousse et arrondi, et qui sont oppo- 
sées à la partie antérieure des longues incisives in- 
férieures ; la peau est plissée sous le cou, au-dessus 
des jambes, en arrière des épaules et à la cuisse; le 
pli des épaules embrasse tout le corps, et les plis 
des jambes sont de toute la largeur de celles-ci ; les 
autres finissent insensiblement avant d’arriver à la 
limite du corps vers laquelle ils se dirigent ; mais son 
caractère le plus remarquable se trouve être les tu- 
hercules, pour la plupart pentagones, dont elle est 
en grande partie revêtue; on la diroit couverte de 
sortes d’écailles, bien que ces tubercules ne soient 
que des éminences épidermoïques qui laissent leur 
empreinte sur la couche générale de l’épiderme té- 
gumentaire. Les seuls poils qu’on apercoive sur le 
corps prennent naissance dans une dépression qui 
occupe le centre de ces mêmes tubercules ; et ces 
poils, de couleur noire, sont beaucoup plus fournis 
en deux endroits seulement, sur le bord des oreilles 
et dessus et dessous la queue qui est comprimée. » 


() Rhinoceros sondaïcus, Cuvier, Horsfield : rhino- 
céros unicorne de Java, Camper; Desmarest, sp. 627. 


HISTOIRE NATURELLE 


ER RAS RRRR ER NNET  NRRRNRENN PAR 


$ IL. 
Rhinocéros fossiles. 
LE 
RHINOCÉROS A NARINES CLOISONNÉES. 


Rhinoceros tichorhinus. G. Cuv. (1). 


La taille de cet animal perdu étoit plus considé- 
rable que celle du rhinocéros d'Afrique : sa tête, très 
allongée, a dû supporter deux cornes très longues, 
à en juger par les disques, remplis d’inégalités, qui 
existent sur le crâne; les os du nez, rabattus en 
avant, forment une large voûte soutenue par une 
cloison verticaie moyenne qu’on n’observe point chez 
les espèces vivantes; un pelage abondant semble in:. 
diquer que ce rhinocéros vivoit dans les contrées les 
plus froides. On en a trouvé en 1774 dans les glaces 
de la Sibérie un cadavre presque entier, avec sa peau, 
ses poils et sa chair ; les ossements de cette espèce 
gisent en plusieurs lieux d'Europe, et notamment 
en France. 


LE RHINOCÉROS A NARINES SIMPLES. 


Rhinoceros leptorhinus. G. Cuv. (?). 


Cette espèce a deux cornes comme la précédente, 
et en diffère parce que ses narines ne sont pas cloi- 
sonnées et que ses proportions sont plus grêles ; les os 
du nez sont beaucoup plus minces: son port étoit 
élancé , ses formes moins massives, et elle devoit 
rappeler le rhinocéros d'Afrique. 

Cet animal éteint habitoit l’Europe tempérée, car 
on ne trouve ses ossements que dans l’Italie. 


LE RHINOCÉROS PETIT. 
Rhinoceros minutus. G. Cuv. (). 


Cette espèce étoit très petite : ce qui la distingue 
est d’avoir des incisives de même forme que celles 
du rhinocéros de Java : sa taille ne dépassoit pas 
celle du cochon, et ses ossements ont été trouvés à 
soixante pieds sous terre, enfouis avec des débris 
de crocodiles et de tortues, à Saint-Laurent près 
Moissac. 


(‘) Rhinoceros Pallasii, Desmarest, 630. 
(2) Rhinoceros Cuvierii, Desmarest, 631. 
(3) Rhinoceros minimus, Desmarest, 632. 


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DES MAMMIFÈRES. 


LE RHINOCÉROS A INCISIVES. 


Rhinoceros incisivus. G. Cuv. 


Cette espèce, dont Camper a recueilli des dents 
. incisives en Allemagne , ne ressemble point au rhi- 
nocéros à narines cloisonnées de Pallas, ni au rhi- 
nocéros leptorhin de M. Cuvier, qui n’ont lPun et 
l’autre point d’os intermaxillaires susceptibles de lo- 
ger de telles incisives. 


LES DAMANS (). 


Ne sont pas même aujourd'hui bien distingués les 
uns des autres. Ce que Buffon a écrit à leur sujet est 
vague, car il mentionne sous les noms de marmotte 
du Cap, et daman, V'hyrax capensis (Cuv.), tandis 
que son daman-israel, dont le nom est emprunté à 
Prosper Alpin, est certainement l’askoko de Bruce, 
l’'uabr de Forkael, et l’hyrax syriacus de Screber, 
d’Hemprich et d'Ehremberg, qui le distinguent du 
premier. Ce daman de Syrie ou du mont Sinaï, ou 
l'agneau d’Israël des Arabes, est encore l’el vabr 
des Hébreux, le saphan des livres saints, bien que 
Bochart ait supposé que ce saphan devoit être le 
gerboa. 

Au reste, voici les caractères comparatifs des 
quatre espèces admises par MM. Hemprich, et 
Ehremberg (?). 

4° Le pamaAnN pu Cap (hyrax capensis) (3) : poils 
mous, cendrés , avec une raie dorsale plus foncée ; 
la tache médiane noire intense ; le dessous du corps 
blanchâtre. La tête plus épaisse, à mâchoires hautes; 
on compte quarante huit à cinquante vertèbres, 
vingt et une à vingt-deux côtes, etc., etc. 

2° Le DAMAN DESYRIE (hyrax syriacus, sinaiti- 
us) : poils rigides, brun jaunâtre en dessus, sans 
ligne dorsale, la tache médiane jaune livide. Le des- 
sous du corps blanchâtre; la tête grêle, à mâchoires 
étroites : quarante-six à quarante-sept vertèbres, 
vingt à vingt et une côtes, etc., etc. 

5° Le DAMAN pu DONGOLA A TÊTE ROUSSE (H. ru- 
ficeps, Dongolanus)() à poils rigides, brun jaunâtre, 
sans ligne dorsale; le sommet de la tête des indivi- 
dus adultes d’un roux intense. La tache dorsale 
jaune ; le dessous du corps blanchâtre ; la tête est 
grêle, les mâchoires sont étroites, etc. 

Ce daman fut découvert par Hemprich aux sour- 

LI 

() Hyrax, Hermann. 

e) Hyraz syriacus, Hemp. et Ehrenb,, pl. 2, fig. 2, 
3) Symbolæ, Decas I. 
) 


( 
() Hemp. et Ehr., pl. 2, fig. 1. 


Le 


517 


ces de Simrie, entre le Dongola et le Sennaar. 
C’est le kleidoms des Berbères et le Xceka des 
Arabes. 

4° Le DAMAN D’ABYSSINIE (H. habessinicus) (1), à 
poils rigides, gris brun sur le corps, mélangés de 
noir avec une tache noire sur le dos. Le dessous du 
corps est blanchâtre ; la tête est mince, fortement - 
comprimée, et les mâchoires sont étroites. C’est le 
véritable aschkoko et le gihe des naturels suivant 
Bruce et Salt. C’est proche Arkiko et Eilet, dans les 
montagnes de l’Abyssinie que cette espèce a été 
rencontrée par MM. Hemprich et Ehremberg. Elle 
se tient dans les rochers. 

M. Andreew Smith (2) distingue du daman du Cap 
le boom-das ou blaireau des arbres des colons hol- 
landois, qu’il nomme DAMAN DES ARBRES (hyrax ar- 
boreus) G), et qui est d’une taille plus forte ; car il 
a vingt et un pouces de longueur sur sept de hau- 
teur. Son pelage est brun rougeâtre entremêlé de 
noir, et le dessous du corps est blane. Il a une tache 
blanche sur la partie moyenne du dos. Du reste, 
mêmes allures, mêmes formes, même aspect. 


LES TAPIRS. 
Tapirus (). 


Dont on ne connoissoit que le MAÏ-POURI (°), que 
l’on regardoit comme un type franchement améri- 
cain, se sont accrus dans ces derniers temps de deux 
espèces remarquables, l’une des contrées tropicales 
de l’Asie, dans les grandesiles de la Malais'e, l'autre 
de la chaîne des Andes de la Colombie. Le rarir de 
V'INDE (6) ou le maïBa (7), a été décrit par sir Rafiles 
ainsi qu’il suit : 

« La première fois que j'eus connoissance de 
l’existence de cet animal , fut en 4805. Un individu 
vivant fut envoyé à sir Georges Leith, lorsqu'il étoit 
lieutenant gouverneur de l'ile de Penang. Il fut 
ensuite observé par le major Farquhar dans les 
environs de Malaca. Un dessin et une description 


(r) Ibid. 

(2) Trans. of the Linn. Soc. of London, vol. XV, 2e part., 
p. 460 (1827); Zool. journ., t. HE, p. 580; Bull, t. XVII, 
p. 449. 

() Ibid. 

(4) Linn. et auct, 

(5, Tapirus americanus, Gm.; lanta ou tapir, Buf- 
fon ; tapurète, Marcgrave. 

(6) Farquhar, Mém. soc, asiat., janv. 1816, t. XIV, 
Mém. XE, avec figure ; Horsfield, Zool. research. in Java, 
avec fig. T'apirus malayanus, sir Raffles; Trans. Soc. 
linn., t. XII (dans le mémoire de sir Farquhar sont 
jointes des notes de MM. Seton et Diard sur le même 
anfmal ): Zool.journ., t. 1, p.543 et 582. 

(2) Fr. Cuv,, Mammif., Desm., 617. (Atlas, pl. 56.) 


520 : 


du ling-yang (sorte d’antilope) qui puisse les enta- 
mer. Le même lexicographe, toujours enclin à ras- 
sembler des contes populaires, et les rédacteurs du 
Khang-hi Tseu-tian, qui l’ont suivi en cette occa- 
sion, ajoutent d’autres particularités fabuleuses, et 
un trait d'histoire qui n'offre pas plus de vraisem- 
blance. 

» Le Pen-thsao-kang-mou, ou Traité général d’'His- 
toire naturelle, va plus droit au but : Le me, dit- 
il, est semblable à un ours; il a la tête petite, et les 
jambes basses ; le poil, court et luisant , est tacheté 
de noir et de blanc (il y en a qui disent qu’il est 
d’un blanc jaunâtre, d’autres d’un blanc grisâtre) ; 
il a une trompe d'éléphant, des yeux de rhinocéros, 
la queue d’un bœuf, et les pieds d’un tigre; il est 
très robuste, et peut ronger le fer, le cuivre, les 
bambous, et dévorer les plus gros serpents ; ses ar- 
ticulations sont fortes , droites ; ses os épais, et pres- 
que sans moelle; ses excréments peuvent servir à 

_aiguiser les armes et à tailler le jaspe; son urine 
dissout le fer ; ses os et ses dents sont si durs, qu’ils 


résistent à l’action du fer et du feu; et il est arrivé: 


que des charlatans, qui s’en étoient procuré, les 
ont fait passer pour des reliques précieuses, comme 
les dents ou les os de Bouddha. 

» La peau du me sert à faire des matelas pour se 
coucher, et des couvertures ; elle garantit de lhu- 
midité, du mauvais air et des malélices ; la repré- 
sentation même de l’animal produit cet effet ; aussi, 
sous la dynastie de Thang, on avoit coutume de 
peindre sur les paravents des figures de me pour se 
préserver du mauvais air. 

» Suivant les géographies du Midi, le me est de la 
grandeur d’un âne, semblable à un ours, etc. 

» À travers les extravagances dont ces descriptions 
sont remplies, il est impossible de méconnoitre les 
traits caractéristiques du tapir : sa taille, la forme 
de ses membres, sa croupe plus longue que celle du 
tapir d'Amérique, et comparable à celle de l’élé- 
phant ; la solidité de ses os, naturelle dans un gros 
pachyderme ,‘y sont indiquées de-manière à ne s’y 
pouvoir tromper. La figure confirme aussi une par- 
ticularité remarquable, en ajoutant à tous ces signes 
un indice de plus, celui de la livrée que l’animal 
porte quand il est jeune, suivant l’observation de 
M. Farqubhar. L’indication de sa patrie, et les usages 
économiques auxquels onemploie sa peau, sont aussi 
deux circonstances assez remarquables, parce qu’el- 
les prouvent que le tapir habite dans les provinces 
occidentales de la Chine, et qu’il doit y être assez 
commun. 

» Les livres chinois soné remplis d'observations 
d'histoire naturelle très curieuses, et généralement 
assez exactes; il suflit de savoir les distinguer des 
fables qui y sont mêlées, et c'est ce qui n’est pas 
toujours fort difficile. La vue des figures que con- 


HISTOIRE NATURELLE . 


tiennent leurs traités de zoologie et de botanique 
permet souvent de distinguer des espèces nouvelles 
ou peu connues , et les descriptions qui y sont join- 
tes aident presque toujours à lever l'incertitude que 
peuvent laisser les figures. C’estune mine abondante 
que l’on ne doit pas négliger d’exploiter, et dont 
rien ne pourra remplacer les produits, tant que les 
Européens seront exclus de la Chine, c’est-à-dire 
pendant long-temps encore, si le gouvernement de 
ce pays entend ses véritables intérêts, et qu’il ne 
mette pas en oubli le soin de sa tranquillité. » 

Enfin M. G. Cuvier a décrit, dans son ouvrage 
sur les ossements fossiles , les débris trouvés dans 
les terrains meubles de plusieurs endroits de la 
France , d’un tapir nommé tapirus giganteus, car 
il avoit la taille des plus grands éléphants. 


LES CHEVAUX. 
Equus. L. 


Sont peu nombreux en espèces. Le cheval ordi- 
naire et ses variétés (!), l'âne (?), le dziggtai (3), le 
zèbre (4), et la couagya (), ont été décrits par Buf- 
fon. Quelques détails ont été donnés par M. Richard- 
son sur la variété du cheval qui vit dans le nord de 
l'Amérique (6), et M. Gray a proposé une division 
zoologique qui ne mérite point que nous nous en oc- 
cupions ei(7). Nous n'avons done à citer que Ja 
nouvelle espèce confondue avec les zèbres, nom- 
mées ONAGGA où DAUW ($), qui vit au cap de Boune- 
Espérance, dans les plaines de l’intérieur. Ce d.uw 
est blanc; la nuque et le dos sont rayés de bandes 
alternatives noires et fauves, dont les plus larges 
sont noires ; une bande brune bordée de blanc s'étend 
longitudinalement sur le dos. Le ventre, la queue 
et les fesses sont d’un blanc uni. La crinière est rayée 


de bandes noirâtres et blanches. Les sabots ontleurs 


bords plus tranchanis et plus creux que ceux du 
zèbre. 

M. Graya pu observer l’equus bisulcus de Molina, 
qui lui paroît être un véritable ruminant voisin des 
chevrotains. Il a la taille du cerf, et deux grands 
larmiers à la base des yeux, qui ne laissent aucun 
doute sur la place qu’il doit occuper. Les Chiliens 


(1) Equus caballus, L. 

(2) Equus asinus, L. 

() Equus hem'onus, Pallas. 

(4 Equus zebra, L. 

(5) Equus quagga, L. 

(6) Fauna, p. 231. 

(7) Zool. journ.,t.!, p. 264 et suiv. 

(8) Equus mentanus, Burchell. Voy. asinus Bur- 
chelli, Gray ; equus zebroides, Less.; Fr. Cuv., Mammif. 
(AUas , pl. 58.) 


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DES MAMMIFÈRES. 


appellent ces trous ou larmiers respidatores.M.Gray 
suppose que cet animal est destiné à former un nou- 
veau genre. Il vit dans les Cordillières. ( Echo du 
monde savant, 49 juin 4855.) 

Sir Raffles dit que les chevaux de Sumatra sont 
petits, forts et hardis. Ceux du nord de l’île, prin- 
cipalement ceux d’Achem, sont les plus estimés. 
Les chevaux de Batta sont plus grands, très forts, 
mais ils ne sont pas beaux ; ils appartiennent d’ail- 
leurs à une race distincte de celle de Java et de 
Bima, bien qu'ayant la même taille, environ quatre 
pieds. 


L'HÉMIONE OU LE DZIGGTAL. 


L'animal ainsi nommé a été décrit par Buffon, 
et surtout par Pallas : depuis ces travaux , un mé- 


moire fort intéressant a été publié sur cet animal 


dans les Nouvelles Annales du Muséum, t. IV, 
p. 97 et suiv., et une gravure très bien exécutée 
accompagne ce travail sorti de la plume de M. Hsi- 
dore Geoffroy Saint-Hilaire. Nous lui emprunterons 
donc tous les faits qui peuvent intéresser nes lec- 
teurs, en leur rappelant que la description donnée 
par le professeur futur du Muséum, a été faite sur 
un individu femelle âgé de trois ans, et rapporté de 
l'Inde par le voyageur Dussumier. 

Des six espèces connues de chevaux, trois à pelage 
zébré sont propres à l’extrémité méridionale de 
l'Afrique : ce sont le zèbre , le dauw et le couagga ; 
et les trois autres sont nées sur les hauts plateaux 
de l'Asie: ce sont le cheval, l’âne et l’hémione. Ces 
trois derniers ont leur pelage uniformément coloré 
ou seulement marqué par une ligne dorsale. Depuis 
long-temps soumis à la domesticité, l'âne et le che- 
val sont très répandus en Europe, et ce dernier a 
produit des races aussi nombreuses que variées. 
Dans l’Inde, l’hémione lui-même a été plié au ser- 
vice de l’homme, et dans quelques can'ons de l’In- 
dostan on l’élève en domesticité poer les travaux 
agricoles ; mais il ne paroil pas avoir été jamaissorti 
de ces contrées, excepté comme animal rare et cu- 
rieux. Les trois espèces plus ou moins zébrées d’A- 
frique sont assez communément regardées comme 
incapables de se soumettre au frein. On n'en con- 
noit qu’un petit nombre d'individus, noùrris chez 
de riches particuliers, qui aient pu s’assouplir au 
joug des chariots, bien que cependant, au temps 
des Romains, on en ait vu assez fréquemment tirer 
des chars daus les arènes. 

Quoi qu'il en soit, l’hémione est une des espèces 
de solipèdes des pius intéressantes à naturaliser 
parmi nos races domestiques ; son histoire est toute 
moderne, bien qu’il ait été mentionné dans de vieux 
écrits, et qu’il aitété confondu le plus ordinairement 

I, 


52 { 


avec l’onagre ou âne sauvage, nommé dshilketaei 
par les Mongols ; ce nom a été adopté par Pallas, et 
a été travesti par les François en dziggelai, bien 
que divers auteurs l’aient écrit en dshikketéi, dzig- 
tai, czighiai, cziggitai, et même crigithaï (1)! 
bien que Pallas lui-même adopta comme épithète 
spécifique le nom d’hemionus ou hemionos, c’est- 
à-dire demi-âne, désignation par laquelle les Grecs 
caractérisoient ce quadrupède, l’equus hemionus 
des naturalistes modernes. Le mulet sauvage d’A- 
ristote (2?) ou l’emionos, est certainement l’animal 
qui nous occupe, et c’est encore évidemment le 
mulet rouge, emionos pyros d’Ælien ($), que Pline 
se borne à indiquer vaguement (4). Pennant publia 
en 1795, dans son Histoire des Quadrupèdes (5), un 
extrait du mémoire de Pallas, et en 4825 M. Fr. 
Cuvier en donna une figure accompagnée de ren- 
seignements fournis par M. Alfred Duveucel. En 
4851, un Anglois, M. Kerporter, donna également 
un portrait du wild ass, ou âne sauvage, ou gour 
des Persans, dans larelation de ses voyages (6), mais 
un portrait fait de mémoire et peu correct. 

La femelle décrite par M. Isidore Geoffroy Saint-, 
Hilaire étoit âgée de trois ans; elle provenoit du 
pays de Cutch au nord de Guzarate, et c’est par le 
Malabar que M. Dussumier avoit pu se la procurer. 

« Ses formes générales sont celles d’un âne de 
moyenne taille, que supporteroient des jambes éle- 
vées et très fines, ce qui indique des qualités pro- 
pres à la course. Lorsqu'on l’aperçoit de loin, dit 
l’auteur cité, on croit voir une antilope, sauf ses 
longues jambes, les nœuds des articulations exceptés 
qui sont grêles etsveltes. Il en estsurtout ainsi de ses 
canons vus par devantet par derrière, trèscemprimés, 
ils présentent en effet, lorsqu'on les regarde de profil, 
une surface assez étendue. Les jarrets sont ce qu’on 
appelle vulgairement secs et maigres. Aux membres 
postérieurs les tendons d'Achille, aux antérieurs 
aussi bien qu’aux postérieurs, les tendons des flé- 
chisseurs font assez fortement saillie. Les sabots sont 
petits, très bien faits, un peu comprimés. Leur 
coupe représente, non un demi-cercle, mais une 
demi-ellipse. Le tronc offre, dans ses parties anté- 
rieures, plus de rapports avec celui du eleval, dans 
les postérieures , beaucoup plus avec celui de l'âne. 
La croupe est un peu maigre et comprimée, et repro- 
duit presque exactement celle du mulet. Le train 
postérieur est sensiblement plus élevé que l’anté- 
rieur, mais celui-ci semble racheter cette différence 


(5) Tome LE, p. 4. 
(6) Travels in Georgia, Persia, Armœnia, ancient 
Babylonia, etc., tome 1, p. 460. 
66 


522 


par un développement des muscles de l’épaule, bien 
supérieur à celui des museles de la région fessière. 
Le ventre de l'individu, conservé vivant à la ména- 
gerie du Muséum , est arrondi, très renflé, surtout 
dans sa partie inférieure. 

» La tête est de toutes les parties celle qui semble 

le mieux justifier le nom de l’espèce. Elle est, par 
ses dimensions proportionnellement exagérées, 
comparable à celle de l’âne ; mais ses formes, quant 
à la région cranienne particulièrement, reproduisent 
parfaitement celles du cheval. On peut en dire autant 
des oreilles, qui sont faites à peu près comme chez 
ce dernier, et qui sont arrondies d’une manière très 
sensible aux extrémités, bien que très longues. Ce 
seroit toutefois en exagérer beaucoup la longueur que 
de l’assimiler à celie des oreilles de l’âne domesti- 
que, ou même de l’onagre : il y a à cet égard une 
différence très grande et que l’on peut exprimer en 
disant que l’oreille, renversée directement en bas, 
atteindroit par sa pointe le bord inférieur de l’orbite 
chez l’hémione, etle dépasseroit chez l’âne d’un cin- 
quième , et peut-être même d’un quart de sa lon- 
‘gueur. Enfin, un dernier trait caractéristique que 
fournissent les formes de l’hémione , est la dispo- 
sition des narines , qui sont très amples sans doute, 
mais qui dessinent un demi-cercle presque complet 
ou un croissant dont la convexilé est tournée en 
dehors. » 

Les couleurs de l’hémione varient selon les sai- 
sons, car son poil est gris pâle et plus long l’hiver 
que l'été, et même il est frisoté dans quelques pro- 
vinces froides. Dans l’été, son pelage se compose de 
poils courts, un peu roides, mais lisses et luisants, 
imitant parfaitement ceux de certaines antilopes afri- 
caines , telles que l’addax ou le dama. Les nuances 
qu’il affecte sont : pour la région inférieure de la 
tête, du cou et du corps, et pour la face externe des 
membres, le blanc; pour les parties supérieures et 
pour le dehors des membres, l’isabelle. Sous certai- 
nes inflexions de lumière, cette dernière couleur 
semble un peu lavée de cendré ; sous d’autres as- 
pects, elle montre une légère nuance rougeûtre, assez 
remarquable pour avoir légitimé le nom d’éne rouge 
indiqué dans Ælien. 

« Les deux couleurs dominantes de l’hémione 
sont donc le blanc et l’isabelle , se fondant l’une dans 
l’autre sur le ventre, vers sa portion inférieare, et 
sur le cou presqu’à égale distance de sa partie su- 
périeure ou de l’inférieure. Sur la tête, au contraire, 
le blanc n’occupe guère que le museau et la gorge, 
le couétant presque exelusivementisabelle.Les oreil- 
les sont de trois couleurs, la face concave, et la por- 
tion latérale et inférieure de la face convexe étant 
blanches , l'extrême pointe noire,-et le reste isa- 
belle. Sur les membres, contradictoirement à ce qui 
a lieu sur le corps, c’est le blanc qui domine. 


HISTOIRE NATURELLE 


L’épaule, blanche antérieurement ainsi que le haut 
de la jambe , est isabelle dans le reste de son éten- 
due. Mais la jambe, depuis son tiers supérieur jus- 
qu’au canon , a sa moitié antérieure et externe isa- 
belle, mais avec cette particularité que le fond d’une 
teinte isabelline très pâle est marqué de petites 
rayures transversales ou zébrures d’une couleur iden- 
tique mais plus foncée. Le système de coloration du 
membre postérieur est le même, avec cette diffé- 
rence que le blanc prédomine encore davantage que 
l’isabelle. La couleur blanche s’étend même supé- 
rieurement très loin, formant enavant de l'insertion 
du membre postérieur une sorte d’angle rentrant, 
et en arrière régnant sur toute la partie postérieure 
de la croupe. 

» Tout ce système de coloration est rehaussé, sur 
le corps, par une bande dorsale longitudinale, non 
pas noire comme on l’a dit, mais d’un brun légère- 
ment roussâtre. Cette bande dorsale, non senlement 
ne se confond pas par ses bords avec la couleur isa- 
belline des parties supérieures, mais elle est bordée 
sur presque toute sa longueur, principalement en 
arrière, de blanchâtre. Elle commence un peu en 
avant du garrot, s’élargit ensuite, au point d’avoir 
jusqu’à trois pouces sur le milieu du dos, et plus de 
quatre sur la partie antérieure de la croupe, puis se 
rétrécit ensuite, et se prolonge en devant, toujours 
de plus en plus étroite, jusque vers le milieu de la 
queue où elle finit en pointe. En devant, la bande 
dorsale est remplacée par la crinière. Celle-ci com- 
mence un peu en avant des oreilles par des poils 
roux, peu allongés et irrégulièrement disposés. A 
partir des oreilles, et jusqu’à l’origine de la bande 
dorsale , cette crinière est formée par des crins dres- 
sés, presque tous noirâtres, tandis que quelques 
autres , déjetés sur les côtés, sont blanchâtres. Ces 
crins ont, sur presque toute la longueur du cou, 
près de deux pouces de hauteur. Ils diminuent aussi 
bien à la naissance qu’à la terminaison de la cri- 
nière, de manière que proche la bande dorsale ils 
n’ont plus qu’un pouce. Après lapparition de cette 
bande, on remarque encore sur un espace de trois 
ou quatre pouces quelques poils bruns implantés sur 
son milieu , et y représentant encore la crinière ; plus 
loin il n’en existe plus aucune trace. La disposition 
de cette crinière rappelle très bien celle de l’âne; 
mais la bande dorsale de l’hémione diffère beaucoup 
de celle de l’âne par la grande largeur qu’elle pré- 
sente à la partie moyenne du tronc et vers le com- 
mencement de la croupe. En outre, l'individu 
vivant au Muséum n'offre aucune trace de la bande 
transversale qui, perpendiculaire à la première, 
forme la croix que chacun connaît sur le corps de l’âne, 
et qui paroît exister sur le dos des hémiones mâles. 

» La queue de l’hémione se raproche de celle du 
cheval. Nue dans une grande portion de sa lon- 


DES MAMMIFÉRES. 


gueur, et sur la partie qui regarde le corps, cette 
queue est revêtue sur la face opposée de crins blan- 
châtres très courts, et assez semblables aux poils 
du corps, excepté à son extrémité où ces crins for- 
ment. une touffe noirâtre et médiocrement fournie. 

.» Les yeux de l’hémione sont bruns rougeûtres. 
Les lèvres sont d’un noir bleuâtre. Les sabots sont 
grisâtres. Les membres postérieurs n’ont point les 
plaques cornées connues sous le nom de châtaignes, 
tandis qu’à ceux de devant il existe de ces plaques, 
fort grandes, allongées et irrégulièrement ovalaires, 
colorées en noirâtre. » 

Les proportions de l’individu décrit par M. Isidore 
Geoffroy, sont les suivantes : 


Pieds, Pouc. Lig. 
Longueur de la tête, prise latéralement 
en digne-droile. 74. . + « # 2% 6 
dela tête, prise en devant en 
suivantla convexité du chan- 
réel IOUIRUEe. 2. suce - AD J 
du cou, ou distance de l'occi- 
pat'augarrot. Li CURAS: sage 
du tronc, ou distance du gar- 
rot à l’origine de la queue. 2 10 à. 
de la queue, y compris les 


KORES DOS be ler le nD 
———— deloreille. . . . +. . . + » 8 9 
AOLG QU D ATEDe + re À ee A one 0 D 


Distance de la ligne dorsale au haut de 

lajamheñt 22:65. 4@hr05 esbetls column 
Largeur du couenavant. . . . .. . » 8 6 
du cou en arrière. ,...44,-..+ 2410,.43 


Les mœurs et iles habitudes de l’hémione tien- 
nent de sa conformation et des analogies qu'il pré- 
sente avec les autres espèces du genre equus. Son 
extrême agilité, jointe à sa pétulance et à sa viva- 
cité, forme le fond de son caractère. Il trotte, et 
galope surtout avec une vigueur comparable à celle 
des meilleurs chevaux de course. Si on l’approche 
quand il galope, il s’arrête pour lancer des ruades 
qu’il multiplie, en s’élevant sur place, à une grande 
hauteur. Parfois il cherche à mordre lorsqu'il est 
excité. M. Isidore a remarqué que, si l’hémione 
femelle retenue captive dans la ménagerie du 
Muséum accueillait ainsi les étrangers, elle agissait 
parfois de même à l’égard du palefrenier chargé 
d'en prendresoin , bien qu’elle le reconnût à la voix, 
et qu’elle accouresouvent à son appel lui lécher les 
mains avec toute la familiarité du cheval le mieux 
dressé. De même que l’âne, cet animal aime se rou- 
ler, soit dans Ja litière de son écurie, soit dans la 
poussière de son parc. Les manifestations du rut 
sont analogues à celles des ânesses. Savoix est 
assez analogue au braire de l’âne, mais elle en dif- 
fère en ce qu’elle se compose d’une suite de sons 
moins graves, moins retentissants , et plutôt bizar- 
res que désagréables. 


523 

M. Dussumier a fourni sur l’hémione, dont on 
lui est redevable, les détails suivants : 

« Les hémiones ou dziggetais, que les Anglois 
» appellent encore mulets sauvages ou zèbres, 
» vivent en grandes troupes dans le pays de Cutch, 
» au nord de Guzarate. On les prend très d'fficile- 
» ment, à cause de la rapidité de leur course. Les 
» Anglois s'amusent quelquefois à les poursuivre 
» avec d’excellents chevaux arabes, et ne peuvent 
» les joindre. Aussi ne se les procure-t-on adultes 
» qu’en les surprenant dans des piéges. 

» On en a vu à Bombay recherchés comme des 
» montures fort agréables. On en a employé même 
» quelquefois comme attelages trainant de légères 
» voitures. Généralement leur vivacité est extrême, 
» ce qui rend leur domestication difficile. 

» Voici un exemple de leur instinct. Un Euro- 
» péen, habitant le pays de Cutch, avoit un hé- 
» mione qui le suivoit dans ses promenades à cheval. 
» Ayant un jour pris un étang pour but de la pro- 
» menade, le maître de l’hémione s’embarqua dans 
» un bateau : l’animal resta d’abord paisible sur le 
» rivage; mais, impatienté de voir que le bateau tar- 
» doit à revenir, il se mit à la nage, rejoignit le 
» bateau , et le suivit jusqu’à la fin de la promenade, 

» Notre hémione n’a jamais été dressé, soit qu’on 
» nait pas assez insisté, soit à cause de son naturel 
» propre. Au moment de l’embarquement il fallut 
» deux hommes pour le tenir ; mais, peu de jours 
» après son arrivée à bord, il devint très familier. IL 
» connoissoit très bien l’heure des repas. Il frappoit 
» avec son pied deux ou trois petits coups dans sa 
» loge de transport; après quoi, si l’on ne venoit 
» pas, il donnoit de violents coups de pied. » 


LES RUMINANTS. 


Pecora, L,. 


Cetie grande famille s’est enrichie de nombreuses 
espèces, surtout dans les genres cerf, antilope et 
mouton, mais d'aucun genre à caractères du pre- 
mier ordre, ou de quelque valeur. Nous ne signale- 
rons donc que les faits les plus remarquables des 
écrits qui les concernent. 

Vicq-d’Azyr proposa le nom de ruminants pour 
un ordre de mammifères éminemment naturel, que 
Linné nommoit pecora, et qu’Illiger appeloit bi- 
sulca. Les ruminants ont été presque constamment 
classés par les naturalistes méthodiques dans les 
mêmes rapports : leurs caractères généraux consis- 
tent, pour le système dentaire, en 6 ou 8 incisives 
seulement en bas, remplacées en haut par un bour- 
relet calleux (le chameau et le paca exceptés). 
L'espace qui sépare les incisives des molaires est 


524 


vide le plus ordinairement, et rempli dans quel- 
ques genres par des canines. Les molaires, commu- 
nément au nombre de douze à chaque maxillaire, ont 
la surface de leur couronne marquée de deux dou- 
bles croissants. Les pieds reposent sur deux doigts 
garnis chacun d’un sabot convexe en dehors et rap- 
prochés en dedans, en se touchant par une surface 
plane Les doigts latéraux sont réduits à des vestiges 
ongulés qui surmontent les sabots, et qu’on nomme 
onglons. Le métatarse et le tarse sont soudés en un 
seul os, qu’on nomme le canon. Le nom de rumi- 
nant a été donné aux animaux de cet ordre, parce 
que tous, par une disposition de leur organisme, 
peuvent mâcher et triturer leurs aliments après les 
avoir d’abord ingérés, et cette fonction , qui leur est 
spéciale, se nomme rumination. Cela tient à l’exis- 
tence de quatre poches stomacales, qu’on appelle 
panse, bonnet, feuillet et caillette, et que suit un 
tube intestinal formé d’un grand cœcum et d’une 
longue suite d’intestins grêles. 

Les formes corporelles des ruminants sont généra- 
lement lourdes dans certains genres , et sveltes pour 
le plus grand nombre. Leur tête est nue, garnie de 
cornes ou de bois. Leur pelage se compose de poils 
généralement ras, parfois soyeux ou laineux. La 
graisse qui remplit les mailles du tissu cellulaire 
prend, dans plusieurs genres, le nom de suif. Les 
ægagropiles ou amas en boules de poils et de duvet 
de chardon dans l'estomac, ne se trouvent que dans 
les ruminants. La nourriture de ces mammifères ne 
consiste qu’en herbes et en feuilles, en bourgeons et 
en lichens. Ils sont polygames et multiplient beau- 
coup, et vivent communément par grandes troupes. 

Les ruminants sont de tous les animaux ceux qui 
fournissent le plus de secours à l’homme. Leur chair, 
leur lait, le nourrissent ; leur suif, leurs peaux, leurs 
cornes, leur laine, sont l’objet des arts qui satisfont 
à ses premiers besoins. Ils vivent dans toutes les 
contrées, sous tous les climats, dans toutes les posi- 
tions ; on trouve des ruminants dans les plaines 
comme sur les montagnes, au milieu des herbages 
plantureux comme dans le vague des déserts, près 
des glaces du pôle comme sous les feux de l’équa- 
teur. Partout quelques unes de leurs espèces se sont 
pliées à la domesticité. 


LES LAMAS. 


Ÿ Auchenia, ILLic.; Lama, Cuv. 


Ont été mieux étudiés depuis quelques années, 
bien qu’on manque de bons renseignements sur les 
distinctions réelles à établir entre le guanaco ou la- 
ma (1) à l’état sauvage, dont l’alpaca (C. arucanus, 


() Observations on the structure of the Peruvyian la- 
ma ; by Robert Knox, Edimb,, 1831, 


HISTOIRE NATURELLE 


Molina), à longs poils laineux , ne seroit qu’une va- 
riété, au dire de plusieurs naturalistes (Atlas, pl. 39). 
Cet alpaca a sa laine fréquemment barriolée de mar- 
ron et de blanc, comme certains moutons de nos 
contrées, et nous en avons vu des individus entière- 
ment blancs. Une jeune vigogne (‘) que nous avogs 
été à même de voir vivante chez M. Delessert, et 
qui avoit été apportée du Pérou par le capitaine 
Hoff, nous a permis de tracer une description plus 
complète que celles qu’on possède. Cette vigogne 
mourut peu de temps après son arrivée (1829 ), et 
sa dépouille a été préparée pour les galeries du 
Muséum. 

La vigogne que possédoit M. Delessert étoit une 
femelle âgée de dix-huit mois. Délicate, très agile 
et bien proportionnée dans toutes ses parties, ses 
jambes surtout étoient fines et déliées. Elle avoit 
environ quatre pieds de hauteur totale. Ses oreilles 
éloient longues, droites et couvertes de poils ras; 
ses yeux gros, saillants et bruns ; la lèvre supérieure 
profondément fendue. Les deux doigts, enchâssés 
en deux ongles petits, triquêtres, carénés en des- 
sus, se trouvoient séparés l’un de l’autre par un sillon 
profond qui entamoit même le devant du tarse. Les 
deux sabots qui en résultoient étoient étendus, con- 
vexes, et formés par un épaississement de l’épider- 
me ; le dos étoit légèrement renflé. Elle avoit des 
châtaignes ou plaques cornées aux jambes, quatre 
mamelles inguinales, la queue épaisse, longue de 
huit pouces, pendante. Son pelage étoit médiocre- 
ment long, très fourni sur le dos, et composé de 
poils déliés, plus longs que la bourre fine, ténue et 
soyeuse qui étoit en dessous. Les poils des parties in- 
férieures et internes étoient courts, blancs, tandis 
que le dessus du corps paroissoit d’un fauve vif uni- 
forme, et ceux de la tête brunâtres. Les poils des 
jambes étoient ras et blancs; les sabots noirs. 

Cette femelle étoit très apprivoisée, et d’une ex- 
cessive douceur. Tous les auteurs s'accordent à re- 
garder les vigognes comme d’un naturel farouche, 
timide et incapable d’attachement. Il n’en est pas de 
même de celle-ci. Elle reconnoissoit parfaitement 
les personnes qui en avoient eu soin. 

Elle venoit, lorsqu'on l’appeloit, manger du su- 
cre, et surtout du papier. Cette habitude de manger 
du papier est propre à tous les ruminants qui sont 
transportés à bord des vaisseaux. Nous avons vu des 
moutons ne vivre en quelque sorte que de feuilles 
de vieilles gazettes, lorsque leur séjour prolongé en 
mer les avoit dégoûtés de toute autre nourriture plus 
substantielle. Cette matière leur rappelle-t-elle la 
saveur des feuilles des arbres, ou bien le bruit que 
les dents font en la déchirant fait-il illusion à leur 


{) Camelus vicunna, L.; Lesson, Bull. Férussac, 
t, XI, p. 119; Zool. journ., t. 1, p. 242. 


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DES MAMMIFÉRES. 


appétit ? Pendant son séjour à bord, la vigogne mon- 
troit la plus grande antipathie pour les chèvres, et 
lorsqu'elle étoit inquiétée , sa manière de se défendre 
consistoit à leur lancer sa salive, en leur crachant 
à la face. 

Cette femelle de vigogne commença à être en cha- 
leur le 42 août, ce qui annonceroit que dans leur 
hémisphère le rut a lieu pendant l’hiver. Mais une 
particularité singulière que cet animal nous offrit, 
étoit d’aller flairer, avec une sorte de vif plaisir, 
en plaçant son museau entre leurs jambes, les per- 
sonnes qui alloient le visiter, comme pour ne rien 
perdre de cette odeur que le bon Henri IV aimoit 
tant, et qu'on peut appeler effluve sexuel. L’odeur 
que cet animal exhale tient un peu de celle du bouc; 
elle est aussi désagréable, mais beaucoup moins ex- 
pansible. 


LES CHEVROTAINS. 
Moschus. L. 


Porte-musc (1), meminno (?), de Java () et pyg- 
mé (), se trouvent décrits dans l'Histoire des mam- 
mifères de Buffon ; nous n’aurons à faire connoitre 
que les trois espèces suivantes , toutes trois des îles 
Malaises et de Sumatra, où les habitants, au dire 
de sir Rafles, les distinguent par les noms de napu, 
de kanchall et de pélandok. 4° Le NaPu () est décrit 
par sir Raffles en ces termes : « C’est le plus grand 
des trois chevrotains. Il a environ vingt pouces de 
long et treize de haut. Il est beaucoup plus haut en 
arrière que sur les épaules. Sa couleur est ferrugi- 
neuse, mélangée sur le dos. grise variée de blanc 
sur les côtés et blanche en dessus et en dedans des 
cuisses. La queue à deux ou trois pouces de long ; 
elle est touffue et blanche en dessous et à l'extré- 
mité. Une raie blanche s’étend depuis la base de la 
mâchoire inférieure jusqu'aux deux côtés de l’angle 
postérieur. L'espace qui se trouve entre est aussi 
blanc, et donne naissance à trois raies blanches di- 
vergentes , qui vont des épaules au milieu de la poi- 
trine. Le sommet de la tête est très plat et de la cou- 
leur ferruginéuse du dos , mais cette couleur devient 
plus sombre derrière le cou. Une raie noire part de 
chaque œil et aboutit au nez. Une raie grise s’étend 
vers le milieu du ventre. Il a de petits éperons 
cornés. 


!) Moschus moschiferus , L. 
2) Moschus meminna, Erxl. 
3) Moschus javanicus, L. 

AN Pygmœus, L.; Shaw, misc., t. 1(1790), 
pl. 3. 

6) Moschus napu, Fr. Cuv.; moschus javanicus, Raf- 
Îles, Cat. trans. Soc. linn, de di XI, p. 261, ( At- 
las, pl. 62, fig. 2.) 


( 
( 
( 


525 


» Cette espèce fréquente les halliers près du rivage 
de la mer, et se nourrit des graines d’un ardisia. 
Si on la prend jeune on l’apprivoise facilement, et 
elle devient alors très familière. » 

2 Le KANCHILL (1) est plus petit que le napur, il 
n’a que quinze pouces environ de longueur sur neuf 
ou dix de haut. Il lui ressemble beaucoup par sa 
forme, mais il est plus svelte et plus vif. Sa couleur 
est très différente, elle est d’un brun foncé rougeà- 
tre, qui s'approche du noir sur le dos et devient bai 
brillant snr les côtés. Le ventre et le dedans des 
jambes sont blancs. Il à trois raies blanches sur Ja 
poitrine, de même que le napu, mais disposées au- 
trement. La raie.de chaque côté de la mâchoire in- 
férieure est prolongée jusqu’à l’épaule, et devient 
plus étroite à mesure qu’elle s'éloigne. La raie du 
milieu est pius large en bas, et se rétrécit en pointe 
au-dessus : elle ne s’unit point aux raies latérales. 
Dans le napu, au contraire, les trois raies blanches 
partent d’un même point entre les maxillaires, et 
semblent être le commencement d’une autre paire ; 
puis toutes trois deviennent plus larges en arrière, 
La tête du kanchill n’est pas aussi plate et le museau 
est plus courbé en dessus. Les raies noires, des yeux 
au nez, manquent; mais une raie noire bien pronon- 
cée s'étend sur le derrière du cou, ce qui n'existe 
pas dans le napu. Une raie brune part d’entre les 
jambes de devant jusqu’au milieu du ventre. Cette 
espèce se distingue encore par ses dents canines su- 
périeures, qui sont longues et se recourbent en ar- 
rière, tandis que dans le napu elles sont courtes et 
droites. La queue est longue d’un pouce et demi à 
deux pouces, touffue, blanche en dessus et à l’ex- 
trémité, et, comme le premier, cet animal a des épe- 
rons cornés, 

« Ces différences sont constantes à tous les âges, et 
ils ne sont pas moins opposés par leurs habitudes et 
leurs manières. Ce ruminant se trouve dans la pro- 
fondeur des forêts, et se nourrit principalement du 
fruit du kayo briang (gmelina villosa, Roxb.). Il 
vivra privé de sa liberté, mais il ne deviendra ja- 
mais apprivoisé comme le napu. S'il parvient à s'é- 
chapper, il se sauvera dans les bois. La finesse et la 
vivacité de cet animal sont passées en proverbe chez 
les Malais, et lorsqu'ils veulent parler d’un grand 
coquin , ils disent : éfre rusé comme un kanchill. Les 
naturels racontent beaucoup de tours de cet animal. 
S'il est pris dans le piége qu’on lui a tendu, il res- 
tera sans mouvements, et simulera la mort lorsque 
le chasseur arrivera, et si celui-ci, trompé par cette 
manœuvre, le détache, le kanchall saisira cet instant 
pour se relever et disparoître. On cite un expédient 
plus singulier : lorsqu'il est poursuivi de près par des 

Pi 

: 

() Moschus kanchil, Raffles, Catal. 
t. XII, p. 262 ; 


, Trans. Soc. linn., 
Fr. Cuv., 02e Jiv.( AUS, pl. 63, fig. 2.) 


526 
chiens, il fera un bond élevé, se pendra aux bran- 
ches d’un arbre au moyen de ses défenses crochues, 
et restera suspendu jusqu’à ce que les chiens l’aient 
dépassé. Le pélandok et le napu sont privés de cette 
vivacité et de cette activité. C’est à cette différence 
de caractère que l’on attribue la hardiesse du kan- 
chill à fréquenter les forêts sans crainte des tigres et 
des bêtes féroces ; tandis que les deux autres espèces, 
plus timides, cherchent leur sûreté dans les bois plus 
rapprochés des habitations humaines, où ils sont 
moins exposés à rencontrer de tels ennemis. » 

5° Le PÉLANDOK (!) est le moins élevé des trois, 
mais, à proportion, son corps est plus gros et plus 
lourd, son œil est aussi plus grand. On lui rapporte 
un individu du musée Leverian, blanchätre, avec 
trois stries blanches sur la gorge. Le CHEVROTAIN 
DE GRIFFITH (?), ferrugineux blanchâtre, avec trois 
lignes pectorales, les cuisses rousses, pourroit bien 
encore appartenir à celte espèce. 

4° Le MUSC À VENTRE FAUVE (3) paroît avoir été dé- 
crit par Buffon comme le jeune âge du chevrotain. 
M. Gray le distingue spécifiquement du musc indien. 
Son pelage est brun varié de noirâtre, marqué sur la 
nuque d’une large raie noire. Le rebord du menton 
ettrois raies sur la poitrine sont blanches. Il se trouve 
dans les îles Malaises, et peut-être aussi dans la pres- 
qu’ile de Malacca. 

5° Le musc DE STANLEY (#) que M. Gray admet 
comme espèce, est brun roussâtre, mais le sommet 
de chaque poil est noir. Le cou et le thorax sont 
d’un brun lustré. Le rebord du menton, les trois 
raies pectorales, le dedans des cuisses et le dessous de 
la queue sont blancs. Les rebords des oreilles et un 
trait sur chaque œil sont noirs. On ignore sa patrie. 


LES CERES. 
Cervus, L. 


Ont été l’objet de découvertes aussi neuves qu’in- 
téressantes : on les divise en plusieurs tribus (5. 


(:) Moschus pelandoc, Griff., anim. Kingd., V,769, 5. 

(>) Moschus Griffitchii, pigmy musk of Sumatra, an. 
Kiogd.IV, p.62 et fig. 

(3) Moschus fulviventer, Gray, Proc. VI, 65. 

(4) Moschus stanleyanus, Gray, Proceed., VI, 65. 

(5) M. Bravard a divisé les cerfs fossiles dont il a dé- 
crit les ossements trouvés dans le Puy-de-Dôme (in-#o) 
en deux sous-genres, ainsi qu’il suit : 
xer sous-genre. CATOGLOCHIS. Catoglochis, Bravard. (Du 

grec yhuyte, pointe, et xar&, en bas.) Maître andouiller 

des bois prenant naissance au-dessus des tubercules 

de la meule. #% 
4. Cervus issiodorensis, Bravard, n. sp. : 
2, Cervus perrieri, Bravard, n. sp. 


HISTOIRE NATURELLE - 


LES ÉLANS. 


Alces. 


Ont leurs bois palmés, largement digités sur le 
bord externe. Buffon a décrit l’ÉLAN ou l’ORIGNAL 
(cervus alces, L.) (1), qui vit en petites troupes dans 
les forêts marécageuses du nord desdeux continents. 
C’est le moose deer des Anglo - Américains, le 
moosoa des Indiens Algonquins et Creeks, le de- 
nyai des Chipewais, le sondareinta des Hurons. 
Le nom d’oriGnaL qu’il porte dans le Canada dérive 
de celui d’orIGNAC, que lui donnèrent les premiers 
navigateurs basques qui s’établirent dans le nord de 
l'Amérique. Demont, dans son Histoire de la Nou 
velle-France , appelle l’éian ellan, stagg où aptap- 
tou. Sagart-Théodat le nomme eslan ou orignat. On 
en distingue une espèce dite ÉLAN COURONNÉ (?), 
dont on ne possède que les bois. Ces parties . d’une 
origine inconnue, sont noirâtres, formées d’une 
seule empaumure disposée en lames minces, très 
unies, et un peu concaves, ayant cinq ou six den- 
telures profondes à leur face externe. L’ÉLAN 1s- 
LANDAIS (C. euryceros, His. ) est loin d’être bien 
caractérisé. 


LES RENNES. 
Rangifer. 


N'ont pas de mufle. Leurs bois sont sessiles, à 
andouiller aplati, et persistent dans les deux sexes. 
La seule espèce vivante est le RENNE ou le CarI- 
BOU (ÿ) qu'a décrit Buffon, animal répandu tout 
autour du pôle nord, aussi bien en Laponie qu’au 
Kamschatka, à Terre-Neuve et dans le Canada. 
M. Richardson en reconnoît deux variétés ({). Ca- 
ribou, nom qu’adoptèrent les Francois établis dans 


3. Cervus etuerarium, Bravard, n. sp. 
4. Cervus pardinensis, Bravard, n. sp. 
5. Cervus arvernensis, Bravard, n. sp. 

Cervus elaphus, L. sp. 946. 

Cervus dama, L. sp. 943. 

Cervus hippelaphus, Guv., esp. foss. 


Ile sous-genre. ANOGLOCHIS, anoylochis, Bravard. (Du 
grec yloyte, pointe, et &yw, en haut.) Premier an- 
douiller du bois éloigné de la couronne. 

Cervus ardei, Bravard, n. sp. 
Cervus ramosus, Brayard, n. sp. 
(:) Richards., Faune am., p. 232. 
(2) Cervus coronarius. Geoff., Desm. 673. 
G) Cervus tarandus, L. 
() Cervus tarandus arctica-sylvestris, Rich.,p. 204, 
250. 


DES MAMMIFÈRES. 


le Canada, est corrompu de celui de carré-bœuf, 
que lui donnèrent quelques Provençaux. C’est le 
touctou des Esquimaux, le tucta des Groënlandois, 
l’elthin des Indiens du Nord, et l’attecs des Creeks. 
On en distingue le RENNE DE GUETTARD (!) dont les dé- 
bris fossiles ont été trouvés proche la ville d’ Etampes, 
dans une vallée sablonneuse. Bien que de même 
forme, que le bois des rennes, l'armure de celui de 
Guettard est à proportion plus mince et plus grêle. 
L'animal ne devoit pas être plus grand que le che- 
vreuil ordinaire. M. Hamilton Smith en distingue 
le RENNE DE L'OUEST (C.occidentalis) ou mule deer 
des Américains. 


LES DAIMS. 
Dana. 


Ont des bois grêles, dont la partie supérieure est 
seule palmée dans le sens vertical ; ils n’ont pas de 
canines. Le DAIM ORDINAIRE (?) décrit par Buffon, 
est le type et la seule espèce vivante de cette tribu. 
C’est un animal répandu dans toute l'Europe, prin- 
cipalement dans les contrées septentrionales, et 
qu’on retrouve depuis la Norwége jusqu’en Perse 
eten Chine (3). On en distingue plusieurs espèces 
fossiles, qui sont : 10 le CERF ISLANDAIS (#) qui a de 
très grands bois, découvert en Islande; 2° CELUI 
D’ABBEVILLE (5) voisin du précédent, et découvert 
dans les sables de la vallée de la Somme, proche 
Abbeville ; 5° enfin, le DAIM FOSSILE de SCaNIE (6) 
à bois plus rameux et plus grands que ceux du 
daim , palmés à leur sommet, et qu’on a trouvé en 
Suède. 


LES VRAIS CERFS. 
Elaphus. 


Ont des bois étroits, ayant trois branches di- 
rigées en avant : bois rameux à leur sommet, 
et supportés à leur base par un andouiller mé- 
dian. Leur mufle est bien dessiné, et les mâles 
ont des dents canines. Le CERF ORDINAIRE (7), 


() Cervus Guettardi, Desm. 

(2) Cervus dama, L.; Cervus platyceros, Rai. 

(3) Une variété albine estle dama leucæthiops; et une 
variété brune à fesses noires est le dama maura, ou 
cervus mauricus de Fr. Cuvier. Cette derniére se ren- 
contre en Danemarck et en Norwège; elle est peut-être 
distincte de la race type. 

&) Cervus hibernus, Cuv.; Cervus giganteus, Goldf. 

(5) Cervus somonensis, G. Cu. 

(6) Cervus paleodama, G. Cuy, 

(7) Cervus elaphus, L,. 


527 


type de cette tribu, répandu dans les régions tem- 
pérées d'Europe et d’Asie, a été décrit par Buffon. 
On en reconnoît deux variétés. Le CERF DES AR- 
DEXNXES (1), l’hippelaphus de Jonston et de Gessner, 
plus grand, et à poils du cou plus prononcés; et le 
CERF de Corse (?) de Buffon, beaucoup plus petit que 
le vulgaire et à pelage brun. Les espèces étrangères 
sont : 40 Je Wapiri (3) des Américains de l’Union, 
une de ces belles espèces que Buffon n’a point 
connues; nommé e{Æ par Lewis et Clarck, red-deer, 
ou daim rouge par divers voyageurs, est encore le 
stag de Pennant (f), le wewashiss de Heazrne. Les 
Indiens Creeks appellent cet animal wawaskishou, 
awaskis et moustousk. Le Jardin des Plantes de 
Paris en à dû à M. Milbert un individu vivant bien 
portant et complétement adulte. Ce cerf, de taille 
assez analogue ou un peu plus forte que notre es- 
pèce commune , n’a qu’une très courte queue, un 
pelage fauve brunâtre, et une large tache d’un jaune 
très clair occupant les fesses et toute la région anale. 
Ses bois sont très rameux, fort grands, et sans 
empaumure. Le mufle est large, et les poils du 
dessus du cou sont plus allongés que les autres. La 
femelle, privée de bois, a aussi une coloration moins 
foncée. Le wapiti vit en famille et est monogame ; 
il devient très doux par les soins qu’on lui donne 
pour l’apprivoiser, car les Indiens s’en servent pour 
conduire leur traineaux. On le rencontre dans tout 
le Canada et dans les vallées du Missouri, bien qu’il 
paroisse ne pas dépasser 36 degrés de latitude bo- 
réale. Quelques personnes seroient disposées à en 
distinguer le red-deer de Warden , qui n’auroit pas 
la tache jaune de l'extrémité du corps; mais tout porte 
à croire que la description de M. Warden a été faite 
sur un sujet en mue ou d’une manière imparfaite ; 
2° le cerr de WALLicu 5), qui vit au Népaul, est brun; 
gris jaunâtre, plus pâle sur les joues, le museau 
autour des yeux et sur le ventre. Sa queue est très 
courte et blanche, ainsi que l’extrémité de la croupe. 
Ses bois, écartés sur les côtés, se renversent en ar- 
rière après les premiers andouillers pour se diriger 
verticalement; 5° le CERF DE KuxL (6) est plus petit 
que le chevreuil d'Europe et de la taille du muntjak. 
Il à les bois grêles et divisés comme ceux du cerf 
axis, mais les andouillers supérieurs sont égaux. Il 
ne se trouve que sur les iles Bavian dans l'archipel 


{) Cervus hippelaphus ou Cervus germanicus de 
Brisson. (Atlas, pl. 64, fig. 2.) 

(2) Cervus corsicanus. 

(3) Cervus canadensis, Brisson; Cervus strongyloce- 
ros, Screber ; Cervus Wapiti, Mitchill (Atlas, pl. 64, 
fig. 2); Cervus major, Ord.; Richards., Faun., 251. 

(4) Artc. Zool.I, 27. 

(5) Cervus Wallichii, Fr. Cuv., 39e liv.; G. Cuv., Oss., 
t. IV, p. 504. 

(6) Cervus kuhlii, Temm., Faune Jap., p. 11. 


528 


de la Sonde ; 4 le cErF de DuvauceL (!), dont on 
ne connoit que les bois, qui ressemblent beaucoup 
à ceux «le notre cerf, excepté qu’ils ont une toute 
autre courbure, et une différence dans la distribu- 
tion des andouillers ; 5° le CERF AMÉRICAIN (?), dont 
on ne connoit que le crâne avec les bois fossiles, assez 
analogues à ceux du wapiti, et qui très probable- 
ment est le cervus maccrotis. Ces débris ont été 
rencontrés aux chutes de l’Ohio, nommées bigbone- 
lick, conjointement avec des os de mastodontes (?); 
Go Le CERF NIPPON (4) est d’un tiers moins grand 
que celui d'Europe, et ses bois sont aussi plus grêles. 
Il a la queue totalement blanche, et le bord posté- 
rieur des fesses de même que la région caudale sont 
garnis de poils blancs, I1 habite le Japon. 


DÉBRIS FOSSILES DE QUELQUES CERFS. 


En creusant l’ancien chenal de la Gardette, qui 
doit servir à amener les eaux du canal de Brouage 
aux fosses destinées à la conservation des bois de ta 
marine, que l’on creuse vis-à-vis l'avant-garde du 
port, on a trouvé à deux mètres de profondeur des 
ossements et deux bois de cerfs. L’un de ces bois, 
assez bien conservé, a été coupé en morceaux et em- 
porté par les ouvriers ; l’autre, plus voisin de l’état 
fossile, se compose d’un bois entier, moins le maître 
andouiller. La prairie de Rosne, où ces restes furent 
découverts, est formée par un terrain d’alluvion 
d’une grande étendue , au milieu duquel coule la 
Charente, et dont la surface est à peine au niveau à 
l’époque actuelle des plus grandes marées. Telle est 
en substance l'analyse d’une note insérée, sur l’in- 
dication de M. Matthieu, dans le n° 5 des Tablettes 
publiées le 16 janvier 1858 pour annoncer cette 
découverte fort intéressante, et les fragments qu’il 
indique, entre autres l’empaumure intacte, furent 
déposés au Musée d'histoire naturelle de l’Ecole de 
médecine. 

En examinant ces fragments, que je présentai à 
la Société d agriculture, sciences et arts de Roche- 
fort, je ne pus qu'être étonné de quelques particula- 
rités de formes qui sembloient éloigner ces débris de 
ceux des espèces vivantes, et je priai M. Matthieu, 
ingénieur en chef et directeur des travaux hydrau- 
liques, qui avoit le premier appelé l'attention sur ces 
restes, de vouloir bien faire continuer ses recherches 


(:) Cervus Duvaucelii, G.Cuv., Oss. foss., t. IV, p.505, 
pl. 39, fig. 6 à 8. 

() Cervus americanus, Harlan, Faune, p. 265, fossil 
elk des Etats-Unis. 

@) Cervus occidentalis, Ham. Smith, Griff., L, LE 
p. 777 ; Cervus auritus, Warden. 


4) Cervus nippon, Temm., Faune Jap., p. 12. 


HISTOIRE NATURELLE 


en nous mettant à même d'obtenir les fragments que 
les ouvriers avoient emportés, et j’obtins ce qui man- 
quoit à l’empaumure, c’est-à-dire tout le reste du 
bois du côté droit, excepté le maître andouiller qui 
étoit brisé à la base : la cassure du merrain et de 
l’empaumure, faite de vieille date, s’ajustoit parfai- 
tement. De plus on retrouva la portion postérieure 
d’un crâne enfoui avec ces bois. 

Les cerfs et les daims étoient très abondants dans 
les forêts qui couvroient la Saintonge, l’'Angoumois, 
jusqu'aux bords de la mer, dans les premiers temps 
de notre ère. Les rois de race carlovingienne avoient 
des domaines où ils se rendoient fréquemment pour 
prendre le plaisir de la chasse, et l’ancien palais des 
ducs d'Aquitaine, près de Saint-Jean-d’Angély, fut 


. souvent habité par Pepin et Charlemagne. Saint Hu- 


bert, le patron des chasseurs, étoit très vénéré en 
Saintonge, où on l’a communément représenté, jus- 
qu’à la révolution, avec un cerf sur les enseignes des 
auberges de campagne. Le P. Mabillon (Ann., 1.59, 
21) cite une charte de 1047, par laquelle Geoffroy 
Martel, comte de Saintonge, et son épouse, fondè- 
rent à Saintes un monastère de filles sous le nom de 
Notre-Dame (abbaye de Saintes) qu’ils dotèrent ri- 
chement. Il est à noter qu’outre la dime sur tous les 
cerfs et biches qu’on tueroit dans l’ile d’Oleron pour 
faire avec leur peau des couvertures de livres, il étoit 
en outre permis à l’abbesse de faire prendre vifs dans 
une forêt de l'ile tous les ans, un cerf et sa biche, 
un sanglier et sa laie, un chevreuil et sa femelle, 
deux daims et deux lièvres, pareillement mâles et 
femelles , pour servir d’amusement à ces dames. (44 
recreandam femineam imbecillitatem.) 

Depuis long-temps les défrichements ont éteint 
dans nos pays la race de ces bêtes fauves, et le cerf 
lui-même, déjà rare en France, disparoitra bientôt 
d’une portion de l’Europe tempérée. 

Les dépouilles des diverses espèces du genre cer- 
vus sont en général fort difficiles à reconnoître par 
les modifications d’âge qu’elles présentent, et bien 
que très nombreuses dans les musées, et décrites 
dans une foule de mémoires particuliers, ce n’est que 
depuis la publication du grand ouvrage de G. Cu- 
vier sur les ossements fossiles, qu’on à pu établir 
avec quelque exactitude des distinctions parmi elles. 

La plus remarquable des espèces fossiles est le 
cerf à bois gigantesques (cervus giganteus, Goldf.), 
primitivement décrite dans les n°° 227, 594 et 444 
des Transactions philosophiques de la Société royale 
de Londres. On trouve dans le n° 479 de la même 
collection pour 4746 une lettre de Thomas Knowl- 
ton, écrite à Marc Catesby sur deux bois extraor- 
dinaires de cerf, extraits de la terre en différents 
endroits de la province d’York. Cette lettre cest ac- 
compagnée d’un dessin (pl. 1 du n° 479, fig. 2 et 5). 


| La première de ces têtes a été tirée des sables de la 


DES MAMMIFÉRES. 


rivière de Rye qui se jette dans la Derwent, et la 
seconde a été déterrée d’un fond marécageux à Cow- 
throp en 1744. Jusqu'à ce jour tous ces bois n’avoient 
été rencontrés qu’en Irlande, et les derniers débris 
gisoient sous plusieurs couches de sable et de cail- 
loux de rivière. Mais je vais ici analyser l’article de 
M. Cuvier. 

Dès 1697, Thomas Molineux, dans le n° 227 du 
même recueil, avoit décrit un crâne avec ses cornes, 
déterré dans le comté de Meath, dans un verger, 
dont plus d’une trentainede crânes identiquesavoient 
été extraits dans un espace de vingt ans. M. Cuvier 
les a reproduits pl. 6, fig. 4. 

Jacques Kelly représenta dans le même recueil, 
n° 594, une perche isolée que M. Cuvier a repro- 
duite pl. 6, fig. 6. 

Puis M. Cuvier mentionne les recherches de Pen- 
nant (Cuv., pl. 6, fig. 4), de Parkinson, de Percy 
(Cuv., pl. 4, fig. 2), de Thomas Wright, de Gré- 
goire Razoumowsky (Cuv., pl. 6, fig. 5), et enfin la 
tête parfaitement conservée figurée pl. 7, fig. 1, 2, 
5 et 4 des ossements fossiles. 

« Ce qui caractérise cette grande espèce d’élan 
éteinte, dit M. Cuvier (Osm., t. IV, p.75), est la 
forme de ses bois, portés sur un merrain cylindri- 
que, dirigé obliquement en dehors, et un peu en 
haut et en arrière, et qui s’aplatiten une grande 
palme qui varie pour la forme et le nombre des an- 
douillers, mais qui a toujours sa concavité dirigée 
en haut et légèrement en arrière, et de manière tou- 
tefois à regarder un peu celle de la perche opposée. 
La disposition assez générale de ces bois est une 
meule courte et grosse, ayant une couronne de prer- 
rures à la base, la portion cylindrique du merrain 
formant à peu près le quart de la longueur totale. 
Immédiatement au-dessus de la couronne naît un 
andouiller simple et pointu ; les autres sortent du 
bord de la palme, et sont au nombre de neuf, in- 
égaux en longueuret en courbure, en sorte qu’au total 
ce cerf a vingt cors. Ces bois, dit M. Cuvier, ont une 
forme très reconnoissable, très caractéristique, et la 
grandeur de cette espèce ne permettoit pas de cher- 
cher son analogue parmi les animaux vivants, autre- 
ment que chez l'élan. » 

Pallas, Camper, Buffon, attribuèrent ces dépouilles 
à l’élan et au renne, ce qui est erroné. Puis on les 
a rapprochés de quelques cerfs de l'Amérique du 
Nord, tels que le caribou, l’orignal et le cerf du 
Canada (dont les deux premiers sont le renne et l’é- 
lan), avec tout aussi peu de fondement. 

On doit en conclure que le cerf à bois gigantesques 
“est une espèce perdue, différant de toutes les espèces 
vivantes aussi bien par ses bois que par son sque- 
lette; car M. Cuvier en a gravé un individu entier 
(pl. 8), trouvé dans l’île de Man, à dix-huit pieds 
de profondeur, dans une marnière remplie de co- 

re 


529 
quilles d’eau douce. Ce cerf enfin tient plus au cerf 
proprement dit que de l'élan. 

Tous ces débris du cerf à bois gigantesques ont été 
trouvés : la tête décrite par Molineux à quatre ou 
cinq pieds de profondeur dans une espèce de marne 
recouverte de tourbe et de terre franche; les débris 
de Knowlton, dans des couches de diverses épais- 
seurs ; ceux de Kelly, dans des tourbes et un lit de 
gravier, où sont couchés des troncs d’arbres recou- 
verts de feuilles de chêne encore reconnoissables, de 
l'argile bleue avec eoquilles, et de marne remplie 
de coquilles fluviatiles. 

Les restes de ce cerf ont été aussi rencontrés en 
Irlande, en Angleterre, en Allemagne, en France 
eten Italie. 

Les individus d'Allemagne ontété observés à Oëls 
en Silésie (1729); dans le vieux Rhin près de Dour- 
lach (1664); à Vechelde, dans la tourbe; dans le 
Rhin près de Wornes (1771); à la naissance de l’Is- 
sel, au-dessous d’'Emmerich, dans le duché de Clè- 
ves ( 800); sur les bords de l’Ess, dans un terrain 
sablonneux (1860). Ceux de France, dans les fouilles 
du canal de POurcq, dans la forêt de Bondi, dans 
un terrain meuble à Villers-sur-Mer, département 
du Calvados. Ceux de l'Italie, en plusieurs lieux de 
la Lombardie, sur les bords du P6 et du Lambro, 
à Pavie et à Turin. 

M. Hibbert à récemment publié , dans le Journal 
scientifique d’Edimbourg (n° 5, p.15, 28; 4825), 
une notice sur la découverte de l’élan fossile de l’île 
de Man, trouvé dans un bassin de marne coquillière 
recouverte d’un banc de sables épais de trois pieds. 
On trouva le squelette entier. M. Hibbert conclut 
que cette espèce n’est point anté-diluvienne, mais 
qu’elle s’est éteinte dans des temps moins anciens. 

Dans un mémoire inséré dans le n° 5 du même 
recueil, M. Hibbert s’étaie de l'opinion des anciens 
paturalistes suédois, qui disent que l'élan du Nord 
ou de la Scandinavie vivoit dans les marais, pour at- 
tribuer la même manière de vivre à l’élan irlandois 
qu’il croit être le segh des anciens Bretons, le cervus 
palmatus de Julius Capitolinus, et l'euryceros d'Op- 
pien. Il pense enfin que ce cerf, dont la race est 
aujourd’hui éteinte, habitoit les marécages des îles 
Britanniques, et qu’il y remplacoit l’élan du Nord. 

Or, le travail de M. Hibbert n'offre rien de nou- 
veau. M. Cuvier avoit trop bien précisé que le cerf 
à bois gigantesques étoit intermédiaire au véritable 
cerf et à l'élan, en même temps qu’il formoit une 
espèce distincte. pour qu’on puisse discuter les doutes 
et l'opinion hypothétique de l'écrivain anglois. 

Après le cerf aux bois gigantesques, M. G. Cuvier 
décrit d’autres débris appartenant à diverses espèces 
du même genre. C’est ainsi qu’il place près des ren- 
nes un cerf fort voisin, dont les restes ont été dé- 
terrés proche d’'Etampes, et retrouvés dans la ca 
67 


530 


verne de Breugne dans le département du Lot. Des 
bois d’un daim de grande taille gisoient dans la vallée 
de la Somme proche Abbeville, et en divers lieux 
d'Allemagne, et notamment en Scanie; un cerf fort 
voisin du chevreuil, qui semble en être distinct et 
dont la race seroit perdue, a été rencontré à Monta- 
busard dans le Loiret ; des bois de véritables che- 
vreuils se sont communément offerts dans les tour- 
bières des environs de Beauvais et dans les sables 
d’alluvion. 

M. Bravard a découvert au Puy-de-Dôme sept es- 
pèces de cerf nouvelles, et les restes de trois plus 
anciennement connues. 

Le bois de cerf qui nous occupe, et qui a été ren- 
contré dans le sol d’alluvion argilo-crayeux de la 
prairie de Rosne, se rapproche singulièrement des 
bois de l'espèce du cerf ordinaire (cervus elaphus, 
L.), bien qu’il semble être intermédiaire entre cette 
espèce, encore vivante aujourd’hui, et le cerf aux 
bois gigantesques ; car la forme du merrain, sa gros- 
seur, la concavité de l’empaumure, n’ont qu’une ana- 
logie fort éloignée avec ce qu’on observe aujour- 
d'hui chez les cerfs vivants. Faut-il admettre avec 
M. G. Cuvier que les cerfs qui vivoient à l’époque où 
les Gaules étoient presque couvertes de forêts (Oss., 
t. IV, p. 105) devoient avoir des formes plus ro- 
bustes? car ce savant dit : « Le bois fossile du cerf 
comman est plus grand même que celui du cerf du 
Canada de même âge; il en est de même pour la 
grosseur. Mais je n’attache pas une grande impor- 
tance à cette circonstance. Il étoit naturel que dans 
l'état sauvage, au milieu d’une nourriture abondante 
et non disputée, les bois des cerfs prissent un déve- 
loppement peu commun aujourd’hui. » 

Les débris des cerfs communs fossiles ont été ren- 
contrés, souvent en très grande abondance, dans les 
alluvions récente, les lits de sables, les tuffaux ; 
dans la caverne de Kirkdale remplie de débris d’a- 
nimaux d’espèces très différentes avec les dépôts 
d’ossements d’éléphants et de rhinocéros ; dans des 
glaisières, et surtout dans les tourbières. La vallée 
de la Somme est riche en débris de ce genre : les tour- 
bières de l'Oise en possèdent de nombreux restes, 
et ces ossements ou bois fossiles ont encore été ren- 
contrés dans le Dauphiné, la Provence, l’Orléanois 
et aux environs de Saint-Pétersbourg. 

Les tourbières des environs de Surgères, exploi- 
tées en grand par la distillation des vins depuis quel- 
ques années, ont présenté un grand nombre de dé- 
bris fossiles de cerfs, qui ont été dispersés, et que 
nous n'avons pu examiner. 

« Le caractère général des bois du cerf commun, 
» dit M. G.Cuüvier (Oss. foss., t. IV, p. 24), est d’être 
» ronds et arqués de manière que leur concavité re- 
» garde en dedans et un peu en arrière, et que leurs 
» andouillers se dirigent en avant et un peu en de- 


SL 


HISTOIRE NATURELLE 


» hors. Les vieux cerfs, à huit ans et au-dessus, ont 
» des bois plus gros, des sillons plus marqués, des 
» pierrures ou turbercules de leur soubassement 
» plus saillants, etc. Passé sept ans, des andouillers 
» croissent en nombre sans règle fixe; ils se multi- 
» plient davantage vers le sommet du bois, où ils se 
» groupent en une espèce de couronne ou d’empau- 
» mure, comme on le voit planche 5, aux figures 9, 
» 10, 41 et 12. Ordinairement les plus vieux bois 
» n’en ont en tout que dix ou douze, mais on en a 
» vu qui en avoient jusqu’à trente-trois. » 

Dans son Règne animal, M. Cuvier dit (tom. 1}, 
p- 262) : « Le bois du mâle est rond, et vient la se- 
» conde année, d’abord en forme de dagues, puis il 
» prend ensuite à sa face inférieure plus de branches 
» ou d’andouillers à mesure qu’il avance en âgé, et 
» se couronne d’une espèce d’empaumure de plu- 
» sieurs pelites pointes. » 

Desmarest, dans sa Mammalogie(t. IT, p. 434), 
donne pour caractères essentiels des bois du cerf 
commun d’être ronds, branchus , de s’écarter d’a- 
bord l’un de l’autre, puis de se rapprocher un peu 
vers l’extrémité; d’avoir trois andouillers tournés 
en avant ou un peu en dehors, et uñe enpaumure 
terminale ou couronne formée de deux à cinq dagues. 
Il ajoute pour dimensions les plus ordinaires que ces 
bois ont deux pieds. 

Or, par ces diagnoses, c’est aux bois du cerf or- 
dinaire que le bois fossile du cerf Rochefortin se rap- 
porte le plus : et cependant j'ai examiné avec soin 
les figures de ces bois données par Georges Cuvier 
(Oss. foss., t. IV, pl. 5, fig. 4 à 42); Buffon et Dau- 
benton (édit. de l'Impr. royale, et Buffon, Mammi- 
fères coloriés 2 v. in-4°), et surtout par ce dernier, 
décrivant sous les noms de bois de cerfs bizarres les 
nombreuses modifications que ces bois prennent avec 
l’âge; Frédérie Cuvier (Mammifères) et les planches 
de l'Encyclopédie, sans pouvoir me décider à rap- 
porter au cerfeommun le bois objet de notre examen. 
Le fossile Rochefortin est bien voisin sans doute de 
l'espèce commune, mais il se rapproche aussi du cerf 
à bois gigantesques, car, comme lui, il a la concavité 
de son empaumure dirigée vers le ciel, et la base 
de l’empaumure largement évasée. Une description 
minutieuse et une bonne figure rendront cette diffé- 
rence plus sensible. 


2 


S 


S 


v 


Le bois de cerf fossile Rochefortin que nous décri- 
vons appartenoit au côté gauche; il mesure : 


Pieds: Pouc. Lignes, 
Longueur totale de la pierrure au som- 
met de la derniére dague. . 2 6 9 
du maître andouiller. (On ne 
possède qu’un fragment de 
cinq pouces et demi, ayantun 
diamètre de seize lignes.) 


du 2+ andouiller. . . : . » 8 5 


DES MAMMIFÈRES. 


Epaisseur à la base du maître andouiller 
aluanmants, nimes ib «hommes le gi 40 6 
 Circonférence du merrain à la pierrure. » 8  » 
Longueur du 3e andouiller. . . , . » 
Circonférence du merrain au-dessus des 
deux premiers andouillers. » 
————— au-dessus du 3e andouiller. » 
Largeur de l’évasement de ’empaumure. » 
Circonférence de cet évasement.. . . 1 
Longueur du premier andouiller de la 
COURONDO ME Ter sh, 2 12 
OUÉTERSIEMES D) 
HUAUTOISIÉEME Ne ee ee en) 
du qualrièeme nn D 
du cinquiéme.. . . . . + D 
deolatmeule:st o1 162) .0/:1n316% 


[= 
RRO À 
& ÿ 


D © & & À Or 
à ; 


Ce bois s’insère sur le crâne par une meule évasée, 
fortement pédiculée, et séparée de la couronne de 
pierrures par une longueur de deux pouces sept li- 
gnes à l’endroit de sa plus grande obliquité, et seu- 
lement d’un pouce en haut. La couronne de pier- 
rures est très rugueuse , mince et adhérente à la base 
du maître andouiller (celui coupé par les ouvriers 
terrassiers n’a pu être retrouvé). Le merrain est cy- 
lindrique, très compacte, très épais, profondément 
sillonné et raboteux à sa surface. Le second an- 
douiller naît au-dessus du premier et à le toucher ; 
il est arrondi, recourbé en segment mince, rugueux, 
et n'ayant que huit lignes de diamètre, ou trois pou- 
ces cinq lignes de circonférence extérieure. Le troi- 
sième andouiller est très long, recourbé, graduel- 
lement aminei, rugueux, et séparé du deuxième par 
un assez large intervalle, à partir de cet andouiller ; 
le merrain se déjette légèrement en dehors, s’épaissit 
et s’évase bientôt sur son axe d’ayant en arrière, 
de manière à présenter une surface convexe en de- 
hors et une concavité en dedans, et surtout en haut. 
Des rugosités sillonnent cette couronne, épaisse, mas- 
sive, divisée en cinq andouillers séparés par de pro- 
fondes échancrures, et disposés avec régularité. Ces 
andouillers sont coniques, arrondis, graduellement 
atténués. L’antérieur est libre, long de cinq pouces 
neuf lignes ; celui qui vient ensuile est plus court, 
presque droit. Le médian se dirige un peu en haut, 
il est assez pointu. Le quatrième est plus court, et 
assez intimement lié à la base du cinquième ou pos- 
térieur, qui est assez gros pour supporter en haut le 
rudiment d’un sixième andouiller, formant onglet à 
la base du cinquième qui n’a que trois pouces trois 
lignes, en partant du milieu de l'échancrure. 

Avec ces bois on a trouvé seulement la partie pos- 
térieure de la boîte crânienne de ce cerf, entourée 
d’une gangue de tuf calcaire lacustre. Toute la partie 
antérieure manquoit, Les sutures étoient vives et 
intactes, et les os d’une extrême dureté. L’épaisseur 
de l’occipital et des temporaux étoit démesurée ; 
cette épaisseur alloit jusqu’à onze lignes. Il est vrai 


531 


de dire que ces os sont très celluleux et sans presque 
de diploé. La partie postérieure da cerveau se trouve 
ainsi occuper une partie très rétrécie. Le diamètre 
de ce crâne, pris d’une fosse temporale à l’autre, 
avoit trois pouces dix lignes. La face occipitale ex- 
terne est, on le sait, comme tronquée, mais sa surface 
à peine oblique est rendue sinueuse par des ondu- 
lations et des sillons destinés à loger des muscles 
d’une grande puissance d'énergie. Les condyles sur- 
tout sont proportionnellement d’une grosseur nota- 
ble. Or, cette portion de crâne, comparée avec celle 
d’un élan de Terre-Neuve, la seule que nous ayons 
en notre possession, est plus forte en toutes ses par- 
ties, et garnie d’aspérités beaucoup plus considéra- 
bles sur sa face occipitale. 

Le cerf Rochefortin, tel que nous le concevons, 
devoit avoir les formes de l’élan, avec la tête longue, 
large, etles membres plus robustes du renne. Vivant 
dans les bois marécageux, son pelage devoit être 
composé de poils drus, courts, assez secs et cassants. 
Il fréquentoit les rives de la Charente que la mer 
baignoit alors jusqu’au Vergeroux, en s’élendant au 
pied du coteau de Surgères et jusqu’au-delà Anne- 
zai, en formant des presqu’iles de toutes ces terres 
hautes et crayeuses qui bordent aujourd’hui nos di- 
vers systèmes de marais. Le cerf géant et les autres 
cerfs ou daims, dont les races sont aujourd’hui étein- 
tes, occupo'ent alors les lisières des vastes forêts qui 
couvroient une grande partie des Gaules : ces forêts 
s’étendoient sur les rives de tous nos fleuves, et sur 
les rivages de la mer. Ces animaux trouvoient dans 
ces solitudes les éléments de leur existence ; mais 
successivement traqués par les chasses des Celtes et 
des Romains, puis mis à découvert par les défriche- 
ments et par le desséchement successif des marais 
dans les trois à quatre premiers siècles de notre ère, 
leur race a été anéantie, à mesure que la culture des 
terres et que la population s’acc'oissoient. Nul doute 
que les daims mentionnés par les auteurs latins dans 
l'île d'Oléron n'aient appartenu à notre espèce au- 
jourd’hui perdue, car les bois du cerf Rochefortin 
ne sont pas de vrais fossiles, dans l’acception ordi- 
naire du mot, mais des débris soigneusement con- 
servés dans des terrains d’alluvion d’une argile mar- 
neuse , mêlée de craie. 


a 


LES RUSA DES MATAÏTS, 
OU CERFS INDIENS. 


Rusa. 


Ne diffèrent presque point des vrais cerfs. Leurs 
bois sont trifurqués, à andouiller basilaire seulement, 
sans médian ; le museau est large, le larmier très 


532 


profond. Sous le cou, les poils s’allongentde manière 
à former une sorte de fanon, et la coloration de la 
plupart est franche et foncée. Buffon n’a connu au- 


. e + 
cune espèce de cette tribu. Ce sont : 4° l’HIPPÉLA- 


PHE (1), ou le barensing-ha des Indiens du Bengale, 
de la taille de notre cerf, mais à poils plus rudes, 
plus grossiers, d’un gris brun plus ou moins foncé, 
passant au brun doré en été, et au brun noir en hi- 
ver. La croupe est fauve pâle, la queue est brune, 
terminée de poils noirs assez longs Aristote donnoit 
le nom d’hippelaphus à un ruminant d'Arachosie ; 
2 le CERF de MALACCA (?), bien voisin de l’hippélaphe; 
brun noirâtre, plus foncé en noir sur le dos et sur 
le cou, les fesses fauves, la queue brun noirûtre, 
habitant la presqu’ile de Malac; 5° le CERF UNICO- 
LORE (3) ou le gorrarusa de Daniells (scenery in Cey- 
lan ), à longues oreilles acuminées, à mufle large, 
et muni sous la gorge d’un fanon de longs poils : son 
pelage est brunâtre, et sa taille forte. Il vit dans les 
forêts les plus inaccessibles de l’ile du Ceylan ; #° le 
CERF D’ARISTOTE (4) ou l’elk venator des Anglais éta- 
blis aux Indes, et que les habitants du Ramguhr 
nomment saumer, est brun cendré jaunâtre. Sa 
queue est très courte de même que ses bois. Il porte 
au Bengale le nom de cal-orinn ou de cerf noir; 
3° le CERF CABALLIN (°) ou le rusa-ilam de Malais, le 
méjangan banjoe ( cerf d’eau) des Javanais, le 
jamboe stag des Anglois colonistes, a le museau 
noir et le menton blanc, le pelage brun grisâtre, 
plus obscur sur le ventre, et même tirant au noir 
sur ces parties. Les poils de sa gorge sont rudes 
comme des soies, et sa taille est presque celle du 
cheval. Il habite l’île de Sumatra (6), où sir Rafles 
J'a observé et décrit en ces termes, sous le nom de 
cervus axis ou rusa : « Il est de grande taille et 
souvent de la hauteur d’un petit cheval ordinaire du 
pays, qui est d'environ quatre pieds. Ses cornes sont 
grandes, sillonnées et raboteuses, et à trois branches 
comme dans les autres espèces d’axis. Sa couleur 
est d’un brun grisâtre uniforme, plus foncé sur le 
ventre; les parties postérieures et la queue sont de 
nuance un peu ferrugineuse , et le dedans des mem- 
bres est blanchâtre. La tête est belle; le museau 
noir et doux à l’extrémité ; le menton est blanchâtre, 
les yeux ont le trou lacrymal ordinaire. La femelle 
n’a pas de cornes; dans le mâle elles sont grandes 


() Cervus hippelaphus, G. Guv., Oss., t. IV, p. 40. 

(2) Cervus malaccensis, Fr. Cuv., liv. 10; rusa of Ma- 
Zaca, Smith. ° 

(3) Cervus unicolor, Smith. Griff., t. V, p. 781. 
(4) Cervus Aristotelis, G. Cuv., Oss. foss., t. IV, p. 503. 

(5) Cervus equinus, G. Cuv., Oss. foss.,t. IV, p. 44: 
Raffles, Trans. Soc. linn., t. XIE, p. 263. 

(6) «II y a trois espéces du genre cerf três communes 
à Sumatra, dit sir Raffles, ce sont le rusa, le rusa ubi 
et le xijang.» 


HISTOIRE NATURELLE 


et souvent longues de plus de deux pieds, variant 
un peu dans le degré de divergence, et dans l’épais- 
seur et leurs proportions relatives. Leur couleur est 
plus ou moins noirâtre ou brune. La meule est tu- 
berculée à sa base. La branche la plus basse est 
dirigée en avant, et la supérieure, qui est la plus 
courte, s’étend en arrière. Les canines de la mâchoire 
supérieure sont assez longues chez les vieux indivi- 
dus... Les oreilles sont grandes, presque nues, douces 
et blänchâtres sur les bords, elles ont quelques 
pinceaux de longs poils aux bords inférieurs et en 
dedans. 

» Ce cerf est d’une forme élégante et d’un naturel 
doux et traitable. On le garde souvent apprivoisé. 
Il a été communément appelé, par les Européens de 
ces iles, du nom erroné de elg. Le couple que je 
possède m’a été offert par le roi d’Acheen. 

» Les naturels en connoissent une variété de cou- 
leur plus sombre ; elle est d’un brun foncé ou presque 
noire ; ils l’appellent rusa etam ou rusa kumbang. 
Elle est plus petite que l'espèce commune, mais ses 
cornes sont exactement les mêmes, et dans le fait 
elle ne paroît différer que par la couleur. 

» L’axis tacheté, rencontré dans ces îles, semble 
être le même que celui du Bengale, et en a proba- 
blement été apporté. 

» L’axis moyen de Pennant est probablement la 
petite espèce plus fréquente à Java, et dont on des- 
sèche les chairs, comme aliment, appelé dinding 
dans les iles orientales. On m’envoya de Macassar 
(île Célèbes) un individu blanc de cette espèce, 
qui vécut quelques années dans mon parc à Bui- 
tenzorg. » 

6° Le CERF DE PÉRON (1), dont on ne connoît que 
les bois et le crâne rapportés de l’île de Timor par 
Péron ; 7° le CERF DE LESCHENAULT (?), autre espèce 
dont on ne possède que les bois, rapportés de la 
côte de Coromandel par M. Leschenault de La Tour; 
8° le CERF NOIR (3) a la taille et les formes du cerf 
commun, le pelage d’un brun presque noir en des- 
sus, plus clair en dessous, tandis que les parties in- 
ternes des membres sont blanches. Les bois sont 
très simples, et n’ont qu’un andouiller. Cette espèce 
a été décrite d’après un dessin envoyé de l’Inde; 
9° le CERF DES ILES MARIANNES (#), rapporté par 
MM. Quoy et Gaimard, est remarquable par ses bois 
à deux andouillers à une seule pointe terminale. Son 
pelage est gris brun. Les faons sont sans tache, d’un 
fauve uniforme. Ce cerf est très commun aux îles 
Mariannes, et sert à la nourriture des habitants ; 


(r) Cervus Peronii, G. Cuv., Oss. foss., t. IV, p. 46: 
Fr. Cuv., 65e liv. 

(2) Cervus Leschenaultii, ibid. 

(3) Cervus niger, de Blainv., Desm., 671. 

&) Cervus mariannus, Fr. Guv., 65e liv.; G, Guy., t, IV, 
p. 45 ; Desm., 669. 


DES MAMMIFÈRES. 


A0le cErF DES MOLUQUES ({) que nous avons ob- 
servé dans l’île de Bourou, et qui se trouve à Am- 
boine et dans d’autres Moluques, a des formes cour- 
tes et trapues , une tête fort grosse, un pelage rude 
et brun, le ventre et l’intérieur des cuisses fauves ; 
ses bois ont de fortes rugosités ; ils sont médiocres et 
divergents. Les jeunes individus sont d’un gris fauve 
foncé, et leurs dagues sont supportées par un pé- 
doncule velu. 


LES AXIS. 


Axis. 


l Ont les bois des rusa, bien qu’ils soient plus 
grêles; les mâles n’ont pas de canines; le larmier 
manque ou ne se manifeste que d’une manière pres- 
que indiscernable. Leur robe est généralement ta- 
chetée de blanc. On ne remarque point de poils 
formant un fanon sous la gorge. Leur taille est mé- 
diorre et même petite. Cette tribu a peu d’espèces. 
4° L’axis (2, dont Buffon a parlé sous le nom de cerf 
du Gange. M. Hamilton Sraith en distingue deux 
races : l’une de Ceylan, à taches blanches plus petites 
et plus irrégulières; l’autre de l'Inde, plus petite de 
taille, et à taches plus régulières. L’axis habite les 
épaisses forêts du continent indien aussi bien que 
celles des îles de Ceylan, Java et Sumatra. 2 Le CERF- 
COCHON (3) a également été décrit par Buffon. Comme 
le précédent il vit dans l’Inde; 5° le PuMILI0 (#) ne 
repose que sur un crâne avec son armure, CONS#TVÉ 
dans le musée des chirurgiens de Londres, et que 
l’on suppose provenir de l’Inde. Ces fragments se 
rapprochent beaucoup des mêmes parties dans le 
cochon-cerf; 4° 1e CERF AUX PAUPIÈRES NUES (5), qui 
vit dans l’Inde comme tous les axis connus. Ses 
formes sont trapues ; sa coloration d’un brun foncé 
tirant au noir, particulièrement sur la tête, le cou 
et la ligne moyenne du dos, est tachetée d'une ma- 
nière indécise de blanchâtre, seulement sensible 
sous divers effets de lumière. Ses bois sont trifur- 
qués, et toute la région palpébrale est nue et noire, 
Le mufle est large et brun, et ses oreilles sont am- 
ples. 11 habite les rives du Gange. 


(9 Cervus moluccensis, Quoy et Gaim. Astrol., pl. 24 
et25,t.1, p. 133. 

() Cervus axis, Erxl. syst. 312. 

(3) Cervus porcinus, Zimmer. 
(4) Cervus pumilio, Hamilt. Smith. 

(5) Cervus nudipalpebra, Bennett, Proceed., E, p. 27. 


533 


LES CHEVREUILS. 
Capreolus. 


N'ont point de canines ni de larmiers. Leurs bois 
sont sessiles, ramifiés avec un seul andouiller mé- 
dian. Buffon n’a décrit que le CcHEvREUIL (1), ré- 
pandu dans l’Europe et l’Asie tempérées. On en 
distingue l’AHU (2; ou le CHEVREUIL DE TARTAR E (5), 
plus grand que le daim, ayant un tubercule en 
place de queue, un pelage long et épais, gris-brun ; 
des bois médiocres, très rugueux et à deux andouil- 
lers, dont le postérieur forme une fourche; le ven- 
tre est jaunâtre , les fesses sont blanches. Il habite 
les parties boréales et tempérées de l’Asie, la Tar- 
tarie, mais surtout la Tartarie russe On regarde 
comme appartenant à cette tribu le CHEVREUIL DU 
Cuizr (%), de petite taille, bas sur jambes et épais 
de corps. Son mufle est large, tronqué ; son larmier 
peu marqué ; la queue est nulle; son pelage est 
complétement roux, tirant au noir en devant, et 
devenant plus clair sous le corps. Le capitaine King 
l’a rencontré dans la province de la Conception , et 
plus au sud de l'archipel de Chiloë, où il vit de pe- 
tites herbes qu’il broute. 


LES MAZAMES. 
Mazama. 


Ont leurs bois légèrement aplatis, recourbés de 
manière à ce que la ligne convexe se trouve êtreen 
dehors, à ramelet interne unique, les autres dirigés 
en arrière et verticalement. Leur queue est beau- 
coup plus longue que celle de tous les autres cerfs. 
Ils n’ont point de canines ; leur mufle est très mar- 
qué; les pores sus-orbitaires forment des fronçures 
à la peau. Toutes les espèces sont américaines. 
Buffon en a décrit deux : le CARIACOU ( cervus vir- 
ginianus. L. ), et la biche de Borallou ( C. paludo- 
sus), mais d’une manière fort incomplète. Lichs- 
teinstein, par de très bonnes figures des individus 
des deux sexes et des jeunes. a rendu la distinction 
de quelques espèces facile (5). Il figure les suivan- 
tes : 40 le GuaAzu-PuCu de d’Azara (5), et des Guara- 


() Cervus capreolus, Briss., Linn. 

(2) Cervus pygarqus, Pallas, Desm. 675. 

(3) G. Cuvier; wpnws, Oppian. 

(4) Cervus humilis, Bennett, Proceed. I, p. 27. 

(5) Saugethière, Berlin, 1827, in-4°, planches colo- 
riées. 

(6) Cervus paladosus, Desm, ; Lichst., pl, 17. (Atlas, 
pl. 61, fig. 1.) 


534 


nis, qui vit dans les lieux marécageux du Paraguay. 
Son museau est assez gros; ses bois ont trois ou 
cinq dagues ; son pelage est rouge bai, passant au 

lance sur le ventre et les cuisses; les orcilles ont 
des poils blancs, les quatre jambes sont noires: les 
poils sont longs et épais, et la queue est recouverte 
d’une ample touffe soyeuse, La femelle ressemble au 
mâle , les bois exceptés , dont elle est privée, 2 Le 
CERF DU MEXIQUE (!) ou l’ACULLIAME d’Hernandez, 
dont les bois ont été mentionnés par Daubenton sous 
le nom de chevreuil du Mexique. Ses bois sont très 
comprimés, larges, à trois ou quatre dagues, peu 
hautes. Tout le dessus du corps est brunâtre, tirant 
au clair en dessous et en dedans des membres. Le 
jeune a le pelage plus clair que les père et mère, 
mais sans livrée. Il habite les alentours de Mexico. 
5° Le CERF DES Pampas (?) ou le GuazuTiI des Gua- 
ranis et de d’Azara, qui habite les plaines du Para- 
‘ guay. Ses bois ont trois dagues et sont peu com- 
primés, mais robustes à leur base. Le pelage est 
brunâtre, lavé de fauve. Toutes les parties internes 
des cuisses, le dessous du corps, sont blanches. Le 
pourtour des yeux surtout est d’un blanc de neige. 
Les jeunes sont tachetés de blanchâtre, les femelles 
sont moins foncées en couleur que les mâles. 4° Le 
CERF AUX GRANDES OREILLES (?), que les Indiens 
Creeks appellent kinwaithoos ou cerf à longue 
queue, à les bois arrondis, amples, rugueux, à 
quatre dagues pointues, la face grise blanchâtre, le 
dessus du corps gris brun, le dessous blanc; une 
tache noire se dessine sur le cou, une autre à l’atta- 
che de la queue, qui est blanche, mais terminée de 
noir. M. Richardson en distingue une variété (4), 
que quelques naturalistes ont érigée en espèce, et 
qui n’est connue que par une courte description des 
voyageurs Lewis et Clarck, à moins qu’elle ne soit 
identique avec l'espèce suivante. Le macrotis vit 
dans les plaines du Missouri et dans les contrées de 
l'Amérique du Nord qu'arrose la Colombia. 3° Le 
CERF A GRANDE QUEUE ($), le jumping deer des 
trafiquants de la baie d'Hudson, que les Creeks 
nomment apisi-mongsous, et les Indiens à l’ouest 
des montagnes Rocheuses, mowitch. La tête et les 
jambes sont d’un cendré clair en hiver et brun 
rougeâtre en été. Le ventre, le dedans des membres 
et le dessus de la queue sont blanes ; les lèvres et 
le bout des oreilles sont noirs. Les jeunes sont ta- 


() Cervus mexicanus, Desm.; Lichst., pl. 18. 

(2) Cervus campestris, Cuv., Lickst., pl. 49. 

(3) Cervus macrotis, Say; Rich., pl. 20; le cerf mulet 
et le daim à queue noire, Desm ; notes, 443. 

() GC. M., var. B., colombiana (cervus macrourus, 
Griff.) ; Rich., Faune, p. 257. 

(@) Cervus macrurus, Rafinesg; cervus leucurus, 


Douglas Rich., p. 258 ; Zool. journ., t. IV, p. 330 ; Bull., 
XVII, p. 447. 


HISTOIRE NATURELLE 


chetés de blanc jusqu’au milieu” du premier hiver 
qu'ils prennent la livrée des adultes. Ce cerf est 
commun sur les bords de la Colum!'ia, Son séjour 
de prédilection est de ne pas sortir des taillis de 
coudriers , de ronces et d’amelanchiers sur le pen- 
chan! des collines. 6° Le cervus clavatus d'Hamil- 
ton Smith ne repose que sur la connoissance de bois 
conservés dans le musée de Brooks. Ces bois sont 
jaunes , robustes, granulés, comprimés , à deux 
branches, à trois dagues, dont une bifurquée. 7° Le 
CERF DES PALETUVIERS (1), que Buffon a indiqué 
sous le nom de chevreuil d'Amérique. Sa tête est 
subarrondie, marquée de taches blanches et noires 
sur le museau et aux côtés de la bouche. Le corps 
en dessus est jaune blanc cendré. La femelle ne 
diffère pas du mâle, quant à la couleur. Il habite 
dans l'Amérique chaude, à Surinam, le long du 
golfe du Mexique. 


LES DAGUETS. 
Subula. 


Sont faciles à reconnaître à leurs bois simples, 
sessiles , et faits en forme de dague. Ils sont de 
l'Amérique méridionale, et les deux espèces con- 
nues ont été décrites par Buffon, la première 
sous le nom de biche rousse ou des bois fourrés, 
le guazu-p la des Guaranis et de d’Azara (?), et la 
seconde, la biche des Savanes de Buffon, est le 
guazu-birà de d'Azara (5). 


—- 


LES CERVULES, 
Stylocerus. 


Ont les bois portés sur un pédicule osseux, mais 
petits, n’ayant qu’une frêle dague en avant; les 
mâles ont de longues canines , des larmiers creux 
et un petit mufle. Le type de cette tribu est le 
MUNTJAC ou le KIJANG des Javanais (cervus munt- 
jac, L.), que sir Raffles décrit en ces termes : 

« Le kijang est plus petit que les autres espèces 
de bêtes fauves, il a moins de quatre pieds de long, ét 
n'excède pas deux pieds de haut. Les cornes sont 
placées sur une base cylindrique élevée, ou pédicule 
couvert de peau et de poils. Le pédicule a environ 
trois pouces de long ; la corne près de quatre, à sil- 


(1) Cervus nemoralis, Hamilt. Smith; Griff., t. V, 798, 
28 ; Cariacou, de Laborde, dans Buffon. 

(2) Cervus rufus, Illiger, Desm., 683; Lichst., pl. 20. 

(3) Cervus simplicicornis, Ulig., Lichst., pl. 21 ; cer- 
vus nemorivaqus, Fr. Cuv.; la tamemezame d'Her- 
nandez ? ? 


DES MAMMIFÈRES. 


lons profonds, avec une meule proéminente à sa 
base, au-dessus de laquelle elle se divise aussitôt en 
deux branches, une qui est courte et se dirige en de- 
dans, l’autre droite, courbée en dedans et en arrière 
à la pointe. Les pédicules sont un prolongement des 
os frontaux, et leurs racines sont poussées en avant 
au-dessus des yeux et du nez, formant deux cônes 
sur la face. Sur le front, dans cet espace, est un 
double pli longitudinal de la peau, formant en quel- 
que sorte une grosseur au milieu, beaucoup moins 
apparente que les deux latérales. La femelle n’a 
point de cornes, et les bosses de la tête sont moins 
sensibles. Le mâle a de longues canines dans la 
mâchoire supérieure, ressemblant à des défenses 
aiguës et recourbées en arrière. Cet animal est ex- 
trêmement élégant dans ses formes; les jambes 
sont déliées et gracieuses. Le corps est arrondi, 
bien fait, et un peu fort en proportion des jambes. 
La fourrure est très belle, serrée et brillante. La 
couleur est bai lustré ou trun rougeûtre, plus claire 
en dessous et mêlée de brun sur le cou. Le dessous 
des cuisses , la région du pubis et le dessous de la 
queue , sont d'un blanc pur. Le menton et la mâ- 
choire inférieure sont blanchâtres. Le museau est 
presque noir ; celte couleur s'étend le long de la 
bosse du milieu, et de là en une raie qui va joindre 
l'extrémité des deux pédicules. La place des cornes 
est marquée chez la femelle par une touffe de poils 
noirs. Les oreilles sont assez petites et légèrement 
couvertes de poils. Trou lacrymal comme à l’ordi- 
naire ; éperons cornés, petits et tronqués. 

» Cette espèce se trouve dans le voisinage de 
Bencoolen, et se trouve figurée dans l'Histoire de 
Sumatra, de M. Marsden. Ce dessin, cependant, 
doit avoir été fait d’après un jeune individu auquel 
les bois n’avoient pas encore pris toute leur crois- 
Sance, ou n’avoient pas encore poussé de bran- 
ches. Même la meule, qui par la suite devient si 
grosse, paroît avoir manqué. On la retrouve dans 
le pays des Mahrattes, où elle porte le nom de 
raiker. 

» Sir Raffles ne s’est pas procuré d’échantillon du 
rusa ubi, autrement rusa saput et rusa tunjuk ; 
mais les naturels le disent plus petit que le rusa, de 
couleur rougeâtre, et ayant des cornes non bran- 
chues, couvertes de poils jusqu’à une faible distance 
de la pointe. 

» Aucune de ces espèces ne paroît perdre ses bois 
annuellement comme celles d'Europe. Le premier 
bois est ordinairement petit et imparfait, et tombe 
de bonne heure; il est remplacé par celui qui reste 
parfait, permanent, et qui n’est jamais perdu que 
par accident lorsqu'il n’en est pas poussé de nou- 
veau. Cela est probablement commun à toutes les 
bêtes fauves des régions des tropiques. » 

On place encore dans ce petit groupe : 4° Le 


535 


CERF DE GUINÉE ({) , très mal connu, ét qui appar- 
tient peut-être au genre antilope ; on lui donne la 
Guinée pour patrie, bien que rien ne soit moins 
certain. L’individu, type de la description de Lin- 
næus, est conservé dans le musée de Suède. C’est un 
animal de la taille d’un chat, à pelage gris en des- 
sus, noirâtre en dessous. Il à entre les oreilles et 
au-dessus des yeux des taches noires. 2° Le CERF DES 
PHILIPPINES (?), à museau tronqué, marqué entre 
les yeux et sur le front d’un croissant cendré. Le 
pelage du corps est d’un brun cendré, plus intense 
qu'au montjac. Sa taille est moindre que celle du 
chevreuil. Sa queue grêle a trois pouces de longueur. 
IL vit aux îles Philippines, d’où l’a rapporté M. Dus- 
sumier. 3° Le CERF A PETITS BOIS ($) ne repose que 
sur un crâne observé à Londres par M. de Blain- 
ville. Son bois est très petit, à meule assez bien 
formée. Ses pédoncules sont médiocrement allon- 
gés. %° Le CERF DORÉ ({), qui paroît être l’ubt 
muntjack de sir Raflles, et qui a les proportions du 
montjac, a le pelage fauve-doré ; les oreilles larges, 
blanches en dedans ; la gorge, le ventre et le dedans 
des membres sont blancs, Deux raies de poils durs 
et en soie se dessinent au-dessus des yeux. La 
queue à quatre pouces de longueur et est terminéeen 
pinceau noir, [1 habite la presqu’ile de Malacca, à ce 
que l’on suppose. 5° Le musc (5), habite le Népaul. 
Il à deux pieds onze pouces de longueur sur deux 
pieds d’élévation. Ses bois sont grêles, simples, re- 
courbés ; portés sur de longs pédoncules. Ses poils, 
partout rudes et sétiformes , longs de deux pouces, 
sont bruns. Sa queue brune n’a pas moins de six 
pouces et demi. Ses canines sont très longues. 


a 


LES GIRAFES. 


Camelopardalis. L. 


Dont on ne connoît bien que l'espèce décrite par 
Buffon dans le tome VIT, pl. 81 de ses Supplé- 
menis, a été étudiée avec beaucoup plus d'exacti- 
tude dans ces dernières années, On possède mainté- 
nant d'excellentes figures de cet animal, dessinées 
par MM. Meunier (6), Prêtre, Prévost, etc., d’a- 


(") Cervus quineensis, L.; cervus minutus, de Blainv., 
Bull. soc. phil.. 1816, p. 6. 

(2) Cervus philippinus , Hamilt. Smith, anim. kingd. 
t. V, 803,33. 

(5) Cervus subcornutus, de Blainv.; Desm. 678. 

(4) Cervus aureus, Hamilt. Smith, Griff. an. kingd., 
t. V, 805. 

(5) Cervus moschus, Desm.; cervus moschatus, Ham. 
Smith : musx der of Nepaul, W. Ousley in or, coll. 
1798, avec fig. 

(6) Atlas du Dict. des Sc. naturelles; Buffon de Ver- 
dière ; Fr, Cuv., Mammif. ; Ruppell, pl. 8 et 9. 


536 


près le bel individu donné à la France par le pacha 
d'Égypte en 1826. On vit sous Amurat, à la fête de 
la Circoncision, vers 1574 ou 1578, des girafes qui 
furent promenées dans l’hippodrome de Constan- 
tinople, et qui avaient jusqu’à dix-huit pieds de 
hauteur. Un ancien voyageur francois, Michel Bau- 
dier, présent à cette fête, les décrivit avecheaucoup 
d’exactitude pour le temps, et en laissa une figure 
assez nette. Bélon, dans ses Voyages (p. 118), a 
figuré aussi une girafe sous le nom de zumapa. Al- 
bert-le-Grand avoit déjà décrit, sous les noms de 
sesaph et d'anabula, des individus offerts à Fré- 
déric II, empereur d'Allemagne, par le prince de 
Damas. M. Geoffroy pense qu’il existe des diflé- 
rences spécifiques entre la girafe du Cap et celle 
du Sennaar (1). 


LES ANTILOPES. 
Antilope (?). L. 


Ne peuvent être vraiment distinguées des cerfs, 
que parce qu’elles ont des cornes formées d’un 
noyau et d’un étui élastique creux, cornes que les 
femelles ont aussi bien que les mâles, et qui sont 
contournées de bien des manières. Leur taille est le 
plus souvent svelte, parfois massive. Leur nez est 
poilu et terminé par un véritable mufle. Elles ont 
des larmiers, ou en manquent suivant les espèces : 
elles n’ont pas de barbe comme les chèvres, mais 
souvent elles ont leurs poignets garnis de brosses 
de poils durs. Leurs mamelles varient de deux à 
quatre. On les rencontre dans toutes les régions 
chaudes de l'Afrique, de l’Asie et de 1 Amérique. 
Le nombre des espèces s’est prodigieusement accru 
dans ces dernières années; aussi M. Hamilton 
Smith, qui s’est occupé avec une étude toute spé- 
ciale des animaux de ce genre, est-il arrivé à ad- 
mettre vingtet une tribus dispersées en trois familles 
répondant au geure antilope des anciens auteurs. 
Buflon n’en a bien connu qu'un petit nombre, 
vingt-quatre au plus; tandis qu’on en compte en ce 
moment près de quatre-vingts. Nous les diviserons 
ainsi qu’il suit : 


(:) Note lue à l'Institut le 2 juillet 4827 : Salze, obser- 
vations faites sur la girafe envoyée par le pacha d'É- 
gypte, et sortie du lazaret de Marseille le 44 novembre 
4826 ; Mém. du Muséum, t. XIV, p. 68 : consultez Ann. 
Sc. nat.,t. XI, p. 210 ; Mongez, ibid., t. XI, p. 225, et 
add, t. XI, p. 444. 

(2) Antilope est un nom récent,corrompu d'antholops, 
employé par Eustathius, auteur contemporain de Con- 
stantin. Les Grecs appeloient la gazelle commune sui- 
vant Ælien dorcas de Lybie ; dorcas étoit le nom du 
chevreuil. Gazel est arabe. G. Guy. 


| 


HISTOIRE NATURELLE 


I. 
LES ANTILOCAPRES DE M. ORD. 


: Dicranocerus, H. S. 


Vivent exclusivement dans l’Amérique septen- 
trionale. Leurs cornes sont comprimées, scabresr, 
granulées , striées sur leur pourtour, ayant un pro- 
longement en avant, et sont recourbées à leur som- 
met. Elles manquent de larmiers, de pores ingui- 
naux et de mufle. Leur queue est courte; les poils 
qui les recouvrent sont rigides, rudes, frisés. Leur 
port est celui de cerfs. Le nombre de leurs mamelles 
est ignoré, et l’on suppose que les femelles n’ont 
pas de cornes. On n’en connoît que deux : 4° L’ax- 
TILOPE PORTE-CROIX (antilope furcifer) (1) qu'Her- 
nandez paroît avoir décrit sous le nom de teuthlal- 
macame, et que les Indiens Kluches appellent 
petit-élan (kistu-he). De la taille du chevreuil, cette 
antilope a le pelage roussâtre, et vit en grandes trou- 
pes dans les vastes plaines du centre et de l’ouest 
de l'Amérique septentrionale. 2° L’ANTILOPE PAL- 
MÉE (4. palmata, H. S.) à cornes comprimées, à 
pelage mollet et blanchâtre, à face et croupion 
blancs, de la taille du chamois, et n’est peut-être 
qu’une variété de la précédente. 


Ir. 
LES ÉGOCÈRES DE DESMAREST. 


Æ gocerus. 


Ont, les mâles et les femelles, de très grandes 
cornes pointues, simplement recourbées , annelées, 
s'élevant de dessus les yeux. Le mufñe est légère- 
ment dessiné ; mais elles n’ont point de pores lacry- 
matoires et inguinaux. Leur queue allongée atteint 
les jarrets. Une tache blanche occupe l'intervalle 
qui sépare les yeux ; sous le menton pend une petite 
barbe. Les mamelles sont au nombre de deux, et 
leurs proportions sont fortes. Les espèces connues 
habitent l’Afrique et l'Asie. Ce sont : 1° le TZEIRAN 
ou CHÈVRE BLEUE de Buffon ( À. leucophæa, Gm.), 
qui vivoit au cap de Bonne-Espérance, car il paroi- 
troit que la race y est éteinte ; 2° l’ANTILOPE CHE- 
VALINE (A. equina, Geoff.) (?), grande comme un 
cheval, ayant la tête brune, le pelage gris roussâ- 
tre, une tache blanche devant chaque œil, de très 
grandes cornes, une crinière sur le cou. Elle habite 
le sud de l'Afrique, sur les hauteurs d’où découlent 


() H. Smith, Trans. Soc. linn., XII, pl. 2 ; Desm., 733. 
Antilocapra americana, Ord.: Rich. pl. 21. Cervus 
hamatus, de Blainv.: cervus bifurcatus, Rafinesq; Fr. 
Cuv., 65e liv. 

(2) À. aurita, Burchell. 


d'à Anlilope _Lleucor, 7 AE Cerf ati «Motuques 


€ 


Publee par L’'ourral F. à Pari 


3 DES MAMMIFÈRES. 537 


les sources du Gariep ; 3° l’ANTILOPE de STEEDMANN 
(A. ellipsiprymnus, Ogilby) (!) est une des belles 
acquisitions faites dans ces dernières années, et l’une 
des plus grandes espèces, puisque ses dimensions 
sont de sept pieds trois pouces sur trois pieds dix 
pouces de hauteur. Les cornes ont jusqu’à trente pou- 
ces de longueur ; elles sont recourbées, annelées. Le 
mufle est très large, et l’on remarque des pores aux 
aines. Sa queue est longue, terminée par un flocon 
de crins. Les poils qui recouvrent le corps sont ri- 
gides, floconneux, formant crinière sur le cou et 
sur le dos. Leur coloration est un roux brunûtre, 
varié de gris, sur lequel tranche le blanc pur d’une 
tache sur les yeux, des lèvres, de la gorge, et qui 
décrit une ellipse sur les fesses. Cette antilope a été 
découverte dans l’intérieur du cap de Bonne-Espé- 
rance, à trente-cinq jours de marche au nord de la 
rivière Orange, entre Latakou et les côtes occiden- 
tales ; 40 l’ANTILOPE A GRANDES CORNES (À. grandi- 
cornis, Herm.) (?), espèce qui ne repose que sur des 
bois achetés par Hermann fils à Lorient, et dont 
nous possédons le dessin original, avec la descrip- 
tion par Hermann père. Ces bois avoient deux pieds 
et demi de longueur, une surface annelée circulai- 
rement et leur sommet recourbé (3). M. Hamilton 
Smith lui donne pour synonyme l’empalanga, V'em- 
palunga de Purchass (#) et De Bry. Suivant ce der- 
nier, l'animal vivroit aux Indes orientales, bien que 
M. Smith établisse avec doute, et comme synony- 
mes, le kourouko des habitants du Bournou, lel- 
bucher et achmer des Maures, suivant les voya- 
geurs Denham et Clapperton. Cette antilope seroit 
donc de l’Afrique centrale; 5° l’ANTILOPE BARBUE 
(4. barbata, H. S.) (5), que Daniells, dans ses scè- 
nes d'Afrique (n° 24), a représenté sous le nom de 
takhaise, légèrement corrompu du mot fakhitse, 
cité par Truter et Somervilles dans les Éphéméri- 
des géographiques de 4807 ( p. 274). C'est encore 
le bouquetin à crinière de M. G. Cuvier. Sa taille 
est celle d’un petit cheval. Son pelage est bleu cen- 
dré , teinté de roux, que relève une raie noire pla- 
cée entre les yeux. Les cornes sont recourbées, à peu 
d’anneaux. Sous le menton pend une longue barbe, 
et des.crins forment une crinière brune. Long de 
six pieds ; les cornes ont de quinze à dix-huit pouces. 
JL habite l’intérieur de l’Afrique. 


(") Proceed., t. III, p. 47. 

(>) Obs. zool., p 87. 

() Cornubus erectis, apice recurvis, compressis , 
dorso rotundato, carinatis, rugosis ; patria ignota. 
Herm. 

() Pilgrims. 

(5) A. Truteri, Sish., Syn. 478 ; capra œthiopica, 
Schinz. 


TTL. 
LES ORYX DE BLAINVILLE, 
Oryx. 


Ont, les mâles et femelles, des cornes déjetées ho- 
rizontalement, très longues, acérées, tournées en 
spirale à leur base. Les oreilles sont longues, les 
larmiers nuls, le mufle velu. La queue tombe jus- 
qu'aux jarrets, et se termine par une touffe de crins. 
Les femelles ont deux mamelles; leur tailleest forte, 
et leur coloration est assez généralement rousse ou 
cendré vineux sur un fond blanc. M. Ruppell a 
découverten Abyssinie une antilope de la taille d’un 
cerf, nommée beisa, qu’il suppose être l’oryx des 
anciens. Ce sont : 4° la GAZELLE PASAN de Buffon 
(antilope oryx, Pallas), le gemsbok des colons du 
Cap, qui vit solitaire ou en petites troupes sur les 
montagnes du cap de Bonne-Espérance : ce ne peut 
être l’oryx dés anciens, et le nom de pasan lui a 
été donné par erreur par Buffon; 2° l’ANTILOPE 
BEISA ( À.beisa, Rupp., pl. 5) est voisine de l’oryx. 
Elle vit dans la Nubie, l’Abyssinie, et ses longues 
cornes droites dir gées en arrière la rendent remar- 
quable. Son pelage ras est gris fauve sur le corps, 
blanc sur les joues, les parties inférieures et les 
membres. Le flocon de la queue est noir : une pla 
que noire et deux brides de cette couleur occupent 
le chanfrein , les joues et le cou. Une écharpe noire 
sépare le roux des flancs du blanc du ventre. Les 
membres antérieurs ont deux plaques noires. La 
queue est de cette dernière couleur. 5° l’ALGAZEL 
(A. leucoryx, Pallas ) (!), qui semble être l’oryx 
représenté sur les bas-reliefs desanciensmonuments, 
et décrits par Oppian et Pline. C’est un animal à 
pelage blanchâtre, avec des nuances roussâtres à 
diverses parties. Les cornes sont courbées en demi- 
cercle, fort pointues, tournées en spirale à leur 
tiers antérieur. Elle vit dans l’Afrique sep entrio- 
nale, depuis la Nubie jusqu’au Sénégal; mais elle 
est surtout commune dans le Sennaar et le Kordo- 
fan, où les Arabes la nomment abu-larb. Il paroît 
que sa nourriture de prédilection consiste en feuil- 
les de l’acacia tortilis de Forskahl, et aracia 
Ehrimbergii de Hayn. Suivant M. Hamilton Smith, 
on la retrouve à Bahrein-Mekran, et dans les dé- 
serts de la Perse. Les habitants de cette partie du 
monde lui donnent le nom d’el walrush et buhrus , 
les Indiens l’appellent gauh-bahrein, les Arabes 
jachmur on yazmur ; 4° on regarde, comme une 
espèce distincte l’ANTILOPE TAO ( H. Smith), le {ao 
des Égyptiens et des Juifs, de grande taille, ayant 
des cornes longues de trois pieds quatre pouces et très 


() Lichst., pl. 4. Ehremb, 4er déc., pl. 3; gazella, L,; 
avswlwy, d'Eustath.; Egypte, pl. 18, fig. 9 et 10. 
68 


538 


robustes, fortement contournées en spirale. Son cou 
est remarquable par sa longueur, et ses formes sont 
élégantes. Le pelage est varié de blane et de roux ; 
mais le mufle, les tempes, les joues, le cou et les 
membres ont une teinte cendrée Les yeux sont en- 
tourés d'un léger rebord noirâtre. La crinière et la 
houppe de la queue sont blanches. Cette espèce 
habite la Nubie et les contrées intérieures de l’Afri- 
que boréale ; 5° l’ANTILOPE À BÉZOAR (A. bexoar- 
tica, H.S$.), qui n’est peut-être qu’une variété de 
la leucoryx, a ses cornes grêles, recourbées, marquées 
de trente-six anneaux simples ; sa tête est allongée, 
et son cou est court; son corps est massif, mais sup- 
porté par des membres souples ; les yeux ont des 
larmiers, et la crinière cervicale se compose de poils 
courts et blanes. La tête est blanche, avec une tache 
obseure à la base des cornes et autour des yeux. Le 
pelage est généralement brun cendré. Elle habite les 
mêmes contrées que les précédentes; 5° l’ADDAX 
(A. adiax, Lichst. ) (!), de la taille d’un âne, à 
cornes contournées, pointues, annelées, à pelage 
blanc lavé de jaunâtre, ou brun roux en avant et 
blanc en arrière. La crinière frontale rousse; un 
croissant neigeux sur le front. Le jeune âge est 
blanc, et ses cornes sont droites. Les Arabes lui 
donnent le nom d'abu-akasch, akas, où adas. 
M. Lichsteinstein pense que cet animal est le véri- 
table a/dax ou stre siceros de Pline (lib. XE, c.57), 
qu’on voit figurer sur une foule de bas reliefs égyp- 
tiens. L’addax est commun dans le Sennaar et le 
Kordofan; 6° le cuinu (A. komas, H.S.) (?) du 
Népaul, a le pelage bleu grisâtre, passant au fauve 
roux sur le dos. Son poil est très fourni, long d’un 
pouce ; le ventre est blanc, etles jambes sont noires. 
Ses dimensions sont de cinq piedsquatre pouces. Ses 
formes sont élégantes, et ses mœurs sont douces. 
Elle est commune dans la vallée de Tingri-Maida 
dans les montagnes de l’Hymalaya; 7° l’ANTILOPE 
DEFASSA (4. defassa, Rupp. pl. 5), varie suivant les 
sexes. Le mâle a des cornes robustes, acuminées, 
recourbées, lisses à la pointe et annelées au milieu 
du bord externe. Le front est roussâtre. Son pelage 
est brun, avec du blanc aux fesses, au cou, au 
mufle. Les extrémités sont noires. Elle vit en Abys- 
sinie, et son nom indigène est defassa , tandis qu’on 
la nomme bura dans le Kordo'an. La femelle n'a pas 
de cornes ; 8’ l’ANTILOPE DECULA ( A. decula, Rupp., 
pl. 4), a les cornes à peine recourbées, triangulai- 


() PI. 2; Hemp. et Ebr., pl. 4 : Ruppell, pl. 7 ; Zool. 
Journ.,t. IT, p. 59, et t. IV, p. 264%. Addax, Fr. Cuw., 
Mammif. Antilope gibbosa, Savi, Memorie, Fiz., in-8° ; 
Ball.,t XX, p.163. ( Addax en pelage d'hiver) 

G) À. chiru, Less. man.; chirsu, Ann. of Phil., 40 
et 59; antilope Hogsoni, Abel, Edimb. Journ., 1827, 
p.163 ; Proceed. zool. soc., I, 52; II, 44, et LIL, 410 ; 
Bull, t. XV, p. 141. 


HISTOIRE NATURELLE : 


res à la base, et recouvertes d’anneaux obsolets. Son 
pelage est bai brun, tirant au nord sur la ligne dor- 
sale et sous le ventre. Une ligne blanche, traversée 
par trois ou quatre raies de la même couleur, forme 
une sorte de carré sur le dos. La queue floconneuse au 
bout, est rousse terminée de noir, mais blanche en 
dessous. Elle vit en Abyssinie, où elle est nommée 
decula. 


IV. 
LES GAZELLES. 
Gazella. 


Ont les cornes des deux sexes inséréesau-dessus des 
yeux et presque verticalement, mais leur sommet est 
recourbé en avant,en même temps qu’elles se déjet- 
tent en lyre sur les côtés. Elles sont noires, annelées 
ou striées. Elles ont des larmiers et des pores ingui- 
naux, le mufle velu; la face de la plupart des espèces 
est foncée en couleur ou bariolée. Leurs yeux sonttrès 
grands, leur queue est courte, légèrement flocon- 
neuse au bout. Les femelles ont deux ou quatre ma- 
melles, elles vivent en troupes dans les plaines. 
4° La PYGARGUE (A, pygarga, Pallas), le blassbok 
des colons du Cap, de la taille du chevreuil, à cor- 
nes rondes, noires, rugueuses, le pelage fauve 
clair, brun sur les flancs, blanc au front, sur le ven- 
tre et à la croupe. Elle vit en troupes au cap de 
Bonne-Espérance. Le jeune âge de cette antilope 
paroît avoir été décrit comme espèce sous le nom 
d’ANTILOPE MASQUÉE (!) par M. Wood. 2 La myTiI- 
LOPE ( À. mytilopes, S. H. ), de l’Afrique occiden- 
tale, ades cornes grêles , en lyre, à treize ou quatorze 
anneaux, et prenant naissance du milieu d’une 
grande tache rousse. La bande longitudinale est d’un 
blanc ocreux ; des marbrures blanches se dessinent 
entre les épaules et sur le dos. 5° La CHÈVRE SAu- 
TantTE de Buffon est l’antilope euchore de Forster (?) 
ou la gazelle à bourse, que les colons du Cap nom- 
ment springbock. Elle vit en grandes troupes dans 
le midi de l’Afrique. 4° La GAZELLE ( À. drcas, L. 
et Pallas )(#), décrite par Buffon, etreprésentée sur 
une foule de bas-reliefs égyptiens. Elle est répandue 
dans tout le nord de l’Afrique par troupes considé- 
rables, et les poëtes orientaux ont emprunté à sa 
physionomie un texte inépuisable de comparaisons 
gracieuses. 5° On en distingue la CORINNE ( À. 
corinna, Gm.), qui ne diffère que par des cornes 
plus grêles. Quelques auteurs supposent que la 
corinne n’est que la femelle de la gazelle. 6° Le 
KEVEL (À. kevella, Gm.), dont les cornes sont 


() À. personata, Wood, Proceed., II, 45; Zool. 
journ., II, 524, et V, 2. 

2) À. euchore, Lichst., pl. 7. 

(3) Lichst., pl. 5. 


DES MAMMIFÈRES. 


compriméés à leur base avec des anneaux peu nom- 
breux, 7° L’ARABIQUE ( À, arabica, Hemp. et 
Ehr. ) (!) autre espèce fort voisine de la gazelle dor- 
cas, mais à cornes annelées jusque proche la pointe. 
8° L’auu de Kæmpffer ( À. sulgutturosa, Gm.), la 
véritable fseyrain des Persans et des Turcs, qui 
ne se distingue que par une éminence légèrement 
goîtreuse sur le cou. 9% L’ANTILOPE DE BENNETT 
(A. Bennétii, Sykes ) (?) à cornes noires, à huit ou 
neuf anneaux, à pelage brun roussâtre en dessus, 
blanc en dessous, ayant sur les flancs une bande 
peu marquée, des bandelettes noires sur le milieu 
de la face, et s'étendant de l’œil à la commissure de 
la bouche. Sa queue est noire. Les Mabrattes la nom- 
ment kalsipi ou queue noire, et les Anglois goat 
antelupe ; elle vit dans les montagnes rocailleuses 
du Dukhun. 10° La cora ( A. cora, H. $S.) à cor- 
nes très grêles, à peine longues de cinq pouces, des 
provinces limitrophes du golfe Persique dans l’Ara- 
bie orientale. 11° L’ANTILOPE DE SOEMMERING ( À. 
Sœmmeringii) (), qui habite l’Abyssinie, remar- 
quable par son pelage soyeux isabelle et son chan- 
frein noir (‘). 


V. 
LES DAMÉES. 


Dane. 


Ont les cornes réfléchies , annelées, très recour- 
bées à leur sommet, qui est lisse. Leur cou est al- 
longé, et montre constamment en avant et à son 
milieu une tache blanche. Le type de cette petite 
tribu est le NANGUER de Buffon ( A. dama, Pailas), 
de Nubie et du Sénégal, que lon suppose être le 
dama de Pline (), et que M. Bennett se propose de 
nommer anlilope nanguer. La deuxième est l’ANTI- 
LOPE ADDRA (6) où LEDDRA, de la Nubie ou de la Haute- 
Egypte, décrite et figurée par M. Lichsteinstein 
(p'. 5 et 4), par M. Ruppell (pl. 14 et 16), et par 
MM. Hemprich et Ehremberg (pl. 6), sous le nom 
d’antilopedama. Enfin, on doit en distinguer encore 


6) PI. 5,etLichst , pl. 6. 

(2) Proceed., I, 104. 

(5) À. nasomaculata, de Blaïnv. 

(5) Cretzm. in Ruppell, pl. 19: Corpore supra colore 
isabellino , pilis quasi sericatis, suturis undique im- 
plicatis nitescente; infra splendidé albo, facie, fronte, 
fuliginoso-nigris, tænia alba superciliari, basicornu 
ad rhinarium usque descendente ; cornubus annula- 
tis, reclinatis, apicibus levibus introrsum flectis ly- 
ratis. 

6) Antilope supra fulva, infrà, prymna, clunibus- 
que totis albis. (Proceed., I, 2.) Antilope ruficollis , 
A.Sm. 

(6) A. colo dorsoque medio diluté fulvis ; infra, 
prymnä, dorso posteriore , lateribusque albis. { Pro- 
ceed, IT, 2.) 


539 


P’ANTILOPE MHOKS (1!) qui habite Mogadore, sur la 
côle de Barbarie. Ces trois espèces paroissent être 
taillées sur un même type, comme le sont la gazelle, 
la corinne et le kevel. 


Ni 
LES ANTILOPES. 
Antilope. 


N'’ont de cornes que chez les mâles, et leur dis- 
position ne simule point une lyre. Ces cornes s’in- 
sérent au-dessous de la crête frontale, et sont 
contournées en spire ou en forme de spirale. Les Jar- 
miers sont amples, les pores inguinaux marqués, un 
mufle dénudé très rétréci; deux mamelles chez les 
femelles , et le plus ordinairement des brosses. Les 
vraies antilopes vivent en famille et en grandes 
troupes dans les plaines. Buffon a décrit trois es- 
pèces de cette tribu : 4° le sarca ou le coLus de 
Strabon (?) (antilope saïga, Pallas), du midi des 
landes de la Pologne et de la Russie ; 2° le DSHEYRAN 
des Mongoles ou la chèvre jaune des Chinois ( A. 
gutturosa, Pallas ) (#) des plaines arides du milieu 
de l’Asie ; 5° enfin la gazelle antilope ou l’antilope 
des Indes (A. cervicapra, Pallas), commune dans 
le Dukhun, où les Mahrattes la connoissent sous le 
nom de bamunni-hun; 4° le cor (A. adenota, 
H. S.), répandu dans l’ouest et le centre de l’Afri- 
que, à pelage brun cannelle, la queue courte cou-- 
verte de crins noirs ; 5° l’ANTILOPE DE GAMBIE (A. 
forfeæ, H.S.), de l'Afrique occidentale et centrale, 
a le corps épais, le front large, et un long paquet de 
poils aux oreilles; son pelage est fauve brunâtre, 
blanc en dessous : on remarque une tache blanche 


encadrant chaque œil ; la queue est courte, terminée 
par un flocon noir. 


VLT 
LES NAGORS, 
OÙ LES CERVICHÈVRES DE BLAINVILLE. 


Redunca. 


N'ont de cornes que chez les mâles. Celles- 
ci sont situées au - dessus des yeux. Elle: sont 
proclives vers le sommet, noïres, annelées à leur 
base, lisses à la pointe, et de forme grêle et courte. 
Les oreilles sont longues, ovalaires et ouvertes, Les 


(9 À. obscurè badius ; facie albïda, vittis tribus gri- 
seis vel nigrescentibus ; prymnà, lincäque latà utrin- 
que inde antrorsum ductà, caudä, ventre, artubusque 


internè anticè posticèque albis; coloribus abruptis. 
(Proceed., ITE, 2.) 


(2) Screber, pl,276. 
(5) Screber, pl. 273. 


540 


larmiers sont incomplets; le mufle est petit; les 
pores inguinaux marqués ; les brosses manquent, la 
queue est en touffe médiocre; les poils sont longs, 
frisés. En général, leurs formes sont robustes, et les 
femelles ont quatre mamelles. La plupart des anti- 
Jopes de cette tribu vivent en troupes, exclusive- 
ment en Afrique. Le type est, 4° le xaAGoR (1) de Buf- 
fon (A. redunca, L. et Pallas), brun roussâtre , qui 
vit au Sénégal , et dont l’antilope Delalande (4. De- 
lalandii, Desm.), ne paroiît être qu’un jeune âge; 
20 le RITBOK ‘À. eleotragus, Screb.) (?\, cendré blan- 
châtre , lavé d’ocre, ayant les poils de la gorge al- 
longés. L’antilope isabelle (3) n’en est qu’une variété 
légère, ayant sur le front une place triangulaire dé- 
nudée ; 5° l’ourÉBI (À. scoparia, Screb.) (#), qui vit 
dans la Cafrerie. Ses cornes sont petites, presque 
droites, marquées de six anneaux. Les genoux sont 
couverts de longs pinceaux. Une tache blanche existe 
sous les oreilles; des sourcils blancs encadrent les 
yeux, et le pelage est brun tanné; 4° l’antilope vil- 
leuse (4. villosa, H. S.), à cornes ayant treize an- 
neaux, une tache noire devant les yeux, un pelage 
mou, villeux ; 4° l’antilope montana de Ruppell (), 
se rapproche beaucoup de l’ourébi, dont elle n’est 
peut-être qu’une variété. 


VIIL. 
LES TRAGULES. 
Tragulus. 


N'ontde cornes que chezles mâles, insérées au-des- 
sus des yeux, et plus courtes que les oreilles. Elles 
sont noires, minces, droites, séparées , parallèles, 
le plus ordinairement sans anneaux ni stries. Leurs 
oreilles sont longues ; leurs formes corporelles sont 
sveltes et leurs membres grêles. Leur tête est ar. 
rondie, marquée d’une tache noire devant et autour 
des yeux. Les larmiers existent; le mufle est noir 
et petit; la queue est très courte, les pores ingui- 
naux sont apparents. Les brosses manquent, et les 
femelles ont deux mamelles. Toutes les espèces 
sont monogames, vivent isolées dans diverses loca- 
lités de l'Afrique. Le type de cette tribu est, 4° le 
steenbok(A.tragulus, Forst.) (6), à très grandesoreil- 
les, à queue courte, et qui vit au Cap. Son pelage est 
brun fauve : on réunit à cette espèce le grisbok (A. 


() Buffon, XII, pl. 46 ; Screb., pl. 265. 

(2) Lichst., pl. 9. 

6) A. isabellina, Afzelius, Lichst., pl. 10. 

(4) Lichst., pl. 43. 

(5) Zool. journ.,t. IV, p. 390: Antilope corpore supra 
badio, infra albo; cornubus levibus erectis ; regione 
parotica macula nuda rotunda ; cauda brevi. Cretzm. 
in Ruppell, pl. 3. 

(6) Lichst,, pl. 14: antilope rupestris, H.S. 


HISTOIRE NATURELLE 


melanotis, Afzel. (1), et le vlackte steenbok des Hol- 
landois du Cap, qui est l’antilope rufescens du 
voyageur Burchel} ; 2° le KLIPPSPRINGER Ou RITBOK 
(4. oreotragus, Forst.) en est bien voisin. Ce dernier 
a été décrit par Buffon; 5° le BLEEKBOK de Forster 
(A. pediotragus, Afzel.) (?), qui se rapproche du me- 
lonotis (3), est roux pâle, passant au jaune blanchâtre. 
Il est rare dans la Cafrerie, sa patrie; 4° le REE- 
BOCK ( À. capreolus, Lichst., pl. VIII), à longues 
oreilles, à cornes prolongées, grêles, à pelage bleu 
cendré; il vit au Cap, dans les endroits marécageux. 
Il est rare. 


IX. 
LES RAPHICÈRES. 
Raphicerus. 


Vivent en Asie. Leur taille est petite, leur front 
étroit; leurs cornes sont rugueuses, sans stries ni 
anneaux. Elles sont noires, grêles, très acérées, 
presque droites ; on ne connoît point les animaux 
qui portent ces cornes, et les deux espèces distin- 
guées ne le sont que par leur armure. Ce sont : 
V'ANTILOPE ACUTICORNE (A. acuticornis, de Blainv.), 
et l’A. SUBULÉE (4. subulala, H. S.), toutes les deux 
des Indes orientales. 


D. 


LES TÉTRACÈRES. 
Tetracerus, LEACH. 


N'ont de cornes que chez les mâles, et ces cornes 
sont au nombre de quatre. Elles sont droites, pa- 
rallèles, séparées, sans rides, grêles, lisses, noires, 
acuminées. Les inférieures sont placées entre les 
orbites. Leur forme est conique, courte. Les lar- 
miers sont amples, leur queue est courte. Les deux 
espèces de cette tribu, décrites dans ces dernières 
années, sont monogames, et habitent exclusive- 
ment l’Asie. Ælien en a parlé (lib. XV, cap. 14) 
sous le nom d’oryx à quatre cornes. Ce sont : 1° le 
CHICKARA Ou TSCHICARA (À. chicarra, Hardw.) (i), 
de la taille d’un chevreuil, et généralement fauve. 
On le trouve dans les forêts de l’Indoustan ; 2° la 
QUADRICORNE (A. quadricornis, de Blainv.), bru- 
nâtre sur le corps, blanchâtre en dessous. Les 
cornes antérieures sont proportionnellement plus 
grandes que les postérieures. On la rencontre sur 
la rive orientale du fleuve Burampoutre, dans l’Inde, 
et peut-être dans le Népaul. 


(:) Antilope melanotis| :Lichst., pl. 12. À. pediotra- 
gus, Afzel. 

(2) Lichst., pl. 45. 

(3) À. grisea ; antilope melanotis, Afzelius. 

(:) Zool. journ., II, 267 ; Trans. Soc. linn., XIV, pl. 15; 
Fr, Cuvier, Mammif. 


/ Un Clipie 4e DE rlope a Corne déformées : 
LA 


Lublie par Pourrat F. a Zarrs 


DES MAMMIFÈÉRES. 


XI. 


LES CÉPHALOPHES. 
Cephalophus. 


N'ont de cornes que chez les mâles : celles-ci sont 
petites, droites, penchées en arrière, implantées 
sur le haut du front, noires, légèrement rugueuses 
ou annelées. Le mufle est large; les poils du sinciput 
forment un épi plus ou moins allongé et noir. Un 
sac ouvert, et placé entre les orbites et les narines, 
accompagne souvent les larmiers. Le plus ordinai- 
rement les genoux n’ont point de brosses. Les fe- 
melles ont deux ou quatre mamelles. La queue est 
courte, floconneuse. Les teintes du pelage sont en 
général obscures, et leur taille est médiocre. Les 
espèces de cette tribu sont solitaires, et se plaisent 
dans les champs couverts de buissons ou dans les 
petits bois découverts. Ce sont: 1° Le BUSH-GOAT des 
colons de Sierra-Léone (A. syluicultrix, Afzel )(), 
fauve , avec une large tache isabelle sur le milieu 
du dos. Cette antilope vit solitaire sur les plateaux 
buissonneux des montagnes de Sierra-Léone. On doit 
très probablement lui réunir l’antilope platyotis 
d’'Hamilton Smith, qui n’en diffère que par son pe- 
lage brun jaune blanchâtre, passant au gris de cen- 
dres en dessous. On la rencontre dans les montagnes 
des districts occidentaux de la Cafrerie. 2° L’anti- 
lope quadriscopa (H. S.), des rivages de l’ouest de 
l'Afrique, brun jaunâtre cendré, blane sous le corps, 
avec des brosses obscures aux genoux. 53° L'ANTILOPE 
DE BURCHELL (A. Burchellii, H. S.), marquée de 
trois bandelettes sur ses oreilles qui sont amples et 
très longues. Une touffe de longs poils bruns recou- 
vre le front; le corps est brun rougeâtre en dessus, 
cendré en dessous. Elle habite la Cafrerie. 4° Le 
DUIKER (?) (A. mergens, de Blainv.), ou l’ANTiILOPE 
PLONGEANTE, brun fauve clair, ayant du blanc sous 
le menton, la queue et le ventre, le museau noir et 
le front roux. Son nom lui vient de la manière dont 
elle se précipite dans les fourrées quand on la pour- 
suit. Elle est commune dans la Cafrerie. 5° Le Prox 
(4. ptox, H.S.), ou l’antilope grimmia de Pal- 
las (3), brunâtre pâle, avec une bande longitudinale 
obscure. Elle vit dans le sud et l’ouest de l'Afrique, 
plus particulièrement dans la Guinée. 6° LaiGRIMME () 
(4. grimmia, Fr. Cuv.), gris fauve, à chanfrein noi- 
râtre, ayant aussi une petite touffe de poils sur la 
tête. De la côte de Guinée. 7° La MaxWELLE (4. 


{) Act. Ups., VII, 1238. 

@) Lichst., pl. 11. 

G) Misc., pl. 1, p. 1; Spicil.zool.I, 38. 

(4) Moschus grimmia. L.; capra grimmia, ibid.; tra- 
galus africanus, Briss.; la grimme, Buffon, pl. 41, 
fig. 2 et 3. 


541 


Maxwellii, H. S.), brunâtre, à thorax blanc, à 
queue noire, le chanfrein obscur, avec une tache noire 
sous l’œil. Habite Sierra-Léone, et ressemble beau- 
coup à la grimme. 8° Le blauw-bockjé de la Cafrerie 
(4. cærula, H. S.), figurée dans les scènes africai- 
nes de Daniells, est d’une couleur ardoisée passant 
au bleu violacé sur le corps, au blanc pur en des- 
sous. 9° L’antilope perpusilla (H. S.), brunûâtre 
tanné en dessus, blanc en dessous, avec des oreilles 
courtes et arrondies. De la Cafrerie, et peut-être 
une variété de la précédente. 10° Enfin, l'antilope 
philantomba (H. S.), brun cendré, plus foncé sur 
les cuisses, et qui pourroit bien être le guevei rajor 
des Ethiopiens. Elle provient de Sierra-Léone, 


XII. 


LES NÉOTRAGUES. ME 1 


Neotragus. 


N'’ont point de cornes chez les femelles. Celles des 
mâles sont déjetées, grêles, foiblement annelées. 
Leur museau est pointu, leur mufle petit, leur queue 
courte ; les femelles ont deux mamelles, et les deux 
sexes n’ont qu’une petite taille. Les espèces connues 
de cette tribu sont d’Afrique. La première est le QuE- 
VEI Où l’ANTILOPE PYGMÉE (A. pygmæa, Pallas) (1), 
est cendrée, avec une ligne pâle de chaque côté du 
front qui est noirâtre. C’est le boschbokje des colons 
du Cap et le véritable ourebi des Hottentots (2). La 
deuxième est l’ANTILOPE MADOKA (A. madoka. H. 
S.) (3), bleu ardoisé, la tête et les joues roux vif, le 
bord des oreilles, le tour des yeux, blanc. Les flancs 
et le dessous du corps blanc de neige, les jambes 
roux doré maculé de blanc en avant. Toute la région 
anale est blanche. Elle habite l'Abyssinie où elle 
porte le nom de mado!a. La troisième espèce est 
l'ANTILOPE DE SALT (1. salliana, de Blainv.) (f), gris 
ardoisé clair, à front roux ferrugineux. Les mem- 
bres lavés de roussätre ainsi que les flancs. Elle ha- 
bite également l’Abyssinie. 


D. Q 1] D 
LES TRAGÉLAPHES. 
Tragelaphus. 


N'ont des cornes, à ce que l’on suppose, que chez 


; les mâles ; elles décrivent des tours de spire carénés 


et anguleux; elles s’implantent sur les os du front 


(‘) Lichst., pl. 16, fig. 1. 

() Le nom d'ourebi a été transporté à l’A. scoparia. 

() Antilope saltiana ; Cretzschmar in Ruppell, 
pl. 21. 


&#) Lichst., pl. 16, fig. 2; Ehremb. et Hemp., 1er déc., 
pl. 7. 


542. 


et sont déclives; le mufle est à peine réduit à une 
petite place dénudée. Les larmiers n’existent point. 
Les femelles ont quatre mamelles. Le pelage des 
mâles est agréablement bariolé, et leurs formes, 
bien que tirant sur celles des chèvres, ne sont pas 
sans élégance. Buffon en a connu deux espèces, le 
BOSC-BOCK (À. sylvalica, Sparm.) et le cuiB (A. 
scripta, Pallas). On doit ajouter à cette tribu l’an- 
tilope phalera'a (HE. S.) (1), roux, ayant une ligne 
dorsale noire, des bandelettes blanches sur les côtés 
et neuf raies perpendiculaires sur les flancs. Cette 
antilope habite les petits bois de l’ouest de 1 Afrique, 
sur les rives du Congo. 


XIV. 


LES NEMORHÉDES. 


Nemorhedus. 


Ont le facies des chèvres, des cornes, chez le mâle 
seul probablement, courtes, grêles, recourbées, 
annelées à la base ; leur mufle est petit, leurs poils 
sont rudes, à teinte obscure, leurs membres sont 
robustes. Les deux espèces connues vivent dans les 
forêts montagneuses de l’Asie et de la Malaisie; ce 
sont : 1° La GorAL ( À. goral, Hardw.) (?), figurée 
par M. Fr. Cuvier ($) sous le nom de bouquelin du 
Népaul, et qui vit sur les montagnes du Népaul et 
de l'Himalaya, où il porte le nom de goral. Ses cornes 
sont courtes, lisses, son pelage est gris cendré, plus 
pâle en dessous. Là bouche est bordée de blanc, la 
queue est courte, terminée par un flocon de poils. 
On dit sa chair très délicate. 2° La camBixG (4. su- 
matrensis, Penn., Desm.) (‘), sur laquelle sir Raffles 
a fourni les renseignements suivants : 

« La kambing-utan ou la chèvre sauvage de Su- 
matra a été figurée dans la dernière édition de l’His- 
toire de Sumatra de M. Marsden, et cette figure est 
exacte, bien qu’elle n’exprime pas entièrement le 
caractère d’esprit et de vivacité qui distingue le sujet 
vivant. J'en gardai une quelques mois, mais il fut 
impossible de l'apprivoiser, et elle finit par mourir 
de chagrin d’avoir perdu sa liberté. C’est un anima! 
très fort, etc. » 

Cette antilope a des formes trapues, un mufle 
assez grand , un pelage long, très fourni, d’un brun 
presque noir, n’ayant de blanc qu'aux épaules, au 
haut du cou et en dedans des oreilles. Ses cornes 
sont noires, rondes, courtes et aiguës au sommet, 
annelées et légèrement arquées en arrière. Elle ha- 
bite les montagnes de la grande ile de Sumatra. 


() Décrite sous le nom d’À. scripta par Desmarest. 

(1 Zool. journ., t. 11, p. 267; Trans. Soc. lino., L, 1#, 
p. 518, pl. 14. 

(8, Mammif., 44e liv. 

(+) Mammif, ( Atlas, pl. 62, fig. 1.) 


HISTOIRE NATURELLE 


Peut-être n’en doit-on pas distinguer l’antilope Du- 
vaucelii, cendrée blanchâtre, ayant les lèvres, le 
menton et la gorge blancs, une crinière courte et 
dressée, des cornes plus penchées et marquées de 
peu d’anneaux. 

3° L’ANTILOPE CRÉPUE (!) est voisine du cambtan 
et du goral. Elle vit dans les iles du Japon. Son pe- 
lage est formé d’une laine grossière, longue et frisée, 
grise blanchâtre lavée de brun en hiver, puis d’un 
brun clair assez franc en été. Sa queue est courte. 
Ses cornes sont régulièrement courbées en arrière 
comme chez le cambtan de Sumatra. 


XV. 


LES CHAMOIS. 
Rupicapra. 


Ont aussi le port des chèvres; des cornes, dans 
les deux sexes, dressées, grêles, annelées à la base, 
brusquement recourbées à leur pointe. Leurs mem- 
bres sont forts ; les pores inguinaux sont apparents ; 
les femelles ont deux mamelles ; les poils sont de 
deux sortes, des soyeux et des laineux. Leur taille 
est médiocre. La seule espèce de cette tribu est 
lPYsarp des Pyrénées ou le cHAmoIs des Alpes (À. ru- 
picapra, L.), déerit par Buffon, animal de l'Europeët 
du nord de l’Asie. M. Hamilton Smith distingue une 
variété de Perse. 


XVI. 


LES APLOCÈRES. 
Aplocerus. 


Ont le port des moutons, des cornes courtes, brè+ 
ves, annelées et légèrement recourbées, mais point 
de larmiers ni de mufle, et une queue très courte. 
Ils vivent exclusivement sur les montagnes de l’A- 
mérique septentrionale. Ce sont (2,: 4° L’ANT.LOPE 
LAINEUSE (A. lanata, H. S.) (3), dont les cornes 
noires ont cinq pouces de longueur. Son pelage est 
blanc jaunâtre, très épais, composé de longs poils 
droits recouvrant des poils laineux et courts. Elle 
habite l’Amérique du Nord depuis l'océan Pacifique 
jusqu’au lac des Bois, près le lac Supérieur (#). 2 La 
MAZAME (A. mazama, H. S.) de taille moindre que 


{:) Antilope crispa, Temm., Faune Jap., p. 12. 

() Observations on sonre animals of América allied to 
the genus antilope by Charles Hamilton Smith, read 
may 4819. (Trans. Soc. linn., Lond., t. XHI, pl, #4, et p.33 
et suiv.) 

(3) Ovis montana, Ord.; rupicapra americana, de 
Blain v. (Atlas, pl. 68 ): À. americana, Desm., 782. 

(4) Dans le voyage du capitaine Bonneville on trouve 
de curieux détails sur cette antilope laineuse, qu'il ap- 


PAD] DJ JDIINO 4Dd NU] 


4 / 


frruu? * vveur] odopnuy 


21")7 LA pr Se 
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Mr 6 a Corne d f° urchueo f Anulope furcifer, c nil , 


A .ZLes cornes dans leur entier developpement , 


Puble par Pourrat F, a Paru , 
P 


DES MAMMIFÈRES. 


celle d'une chèvre domestique, à pelage brun pâle (1), 
-roussâtre en dessus, blanc jaunâtre sur le menton, 
la poitrine et le dedans des membres. Sa queue est 
épaisse et courte. Ses formes sont trapues. Elle ha- 
bite le Mexique. 5° La TÉMAMAZAME (A. lemama- 


pelle mouton laineuæ, et sur le mouflon américain, ou 
ahsahta. (Trad. franç., t. 1, p. 38 et suiv.) 

«Parmi les objets remarquables de ces régions pitto- 
resques, le capitaine Bonneville vit pour la premiére 
fois des troupeaux d’ahsahta, ou longues cornes, ani- 
mal qui fréquente en grand nombre ces rochers Il ca- 
dre parfaitement avec la nature du paysage, el ajoute 
beaucoup à son effet romantique Les cornes de ces ani- 
maux descendent en courbes multipliées plus bas que 
leurs museaux. Bondissant de roc en roc, comme des 
chèvres. on les voit souvent longer par troupesles hautes 
crêtes des montagnes, sous la conduite ‘de quelque vé- 
pérable patriarche ; et quelquefois perchés sur l’extré- 
mité d’un précipice à une si grande hauteur, qu'ils ne 
paroissent pas plus gros que des corbeaux. En effet, ce 
semble être pour eux un plaisir que de rechercher les 
lieux les plus escarpés et les plus effrayants, obéissant 
par là, sans doute, à un instinct de sécurité. 

» Cet animal est habituellement appelé le mouton des 
montagnes, el il arrive souvent de le confondre avec un 
autre, le mouton laineux, qu’on rencontre plus avant au 
nord, vers le pays des Têtes-Plates. Ce dernier habite 
également les rochers en élé, mais descend dans Îles 
vallées en hiver. Il a une laine blanche comme celle du 
mouton, mêlée à un poil rare et long; mais il a les jam- 
bes courtes, le ventre bas et une barbe comme la ché- 
vre. Ses cornes sont longues de cinq pouces, légère- 
ment recourbées vers la terre, noires comme du jais et 
d’un poli brillant. Ses sabots sont de la même couleur. 
Cet animal n’est pas, à beaucoup prés, aussi agile que la 
longue-corae; il bondit beaucoup moins, mais s’assied 
fréquemment sur les hanches, Il n'est pas non plus 
aussi abondant ; rarement on en voit plus de deux ou 
trois à la fois. Il n’a de commun avec le mouton que sa 
laine; il appartie:t plutôt au genre chèvre. On prétend 


que sa chair a un goût de moisi; il en est qui pensent 
que sa toison pourroit être précieuse, attendu qu'elle* 


est, dit-on, aussi fine que celle de la chèvre de cache- 
mire; maison ne peut se la procurer en quantité suffi- 
sante, 

» Au contraire, l’ahsahta-argali, ou longues-cornes, a 
le poil court comme celui du daim, et lui ressemble pour 
la forme, mais il a la tête et les cornes du bélier : on 
assure que la chair est du mouton délicieux ; les Indiens 
la considérent comme un morceau plus friand et plus 
délicat que toute autre espèce de venaison. Il abonde 
dans les montagnes Rocheuses, depuis le 50e degré de 
latitude nord jusqu'à la Californie, en général dans les 
plus hantes régions capables de végétation. Parfoisils se 
hasardent dans les vallées; mais, à la moindre alarme, 
ils regagnent leurs rochers et leurs précipices favoris, 
où le chasseur ne pourroit les suivre sans danger *,» 

() Mazama seu cervus cornutus, Seba, pl. 42, fig. 3. 
antelope of honduras? Anders. hist. ofhonduras, in-8o: 

* Dimensions d'un mâle de cette espèce : du nez à la 


naissance de la queue, cinq pieds. Longueur de la queue, 
quatre pouces. Circonférence du corps, quatre pieds. 


ny potes de om huit pouces. Les cornes, trois pieds 


cinq pou e long, sur une largeur se, d’ 
pied trois pouces. ci F CnaR.4 lé bas don 


\ 


543 


zama, H.S.)(1), a des formes assez déliées, des 
oreilles longues, étroites, un pelage fauve en des- 
sus, blanc en dessous, des cornes longues de cinq 
pouces et un peu courbées en arrière, Elle a été ob- 
servée près des sources de la rivière Rouge, dans 
l'Amérique du Nord. 


XVII. 


LES ANOA. 
Anoa (?). 


Ont un peu le port d’une vache. Leurs cornes 
sont situées sur le haut du front, leurs formes peu 
élégantes sont trapues ; leur queue est assez longue ; 
leur corps épais est bas. Le chanfrein décrit une 
ligne droite. La seule espèce connue habite l’île de 
Célèbes, où elle est nommée sapi-outang ou vache 
des bois des Malais. C’est l’antilope depressicornis 
d'Hamilton Smith (3). Par sa forme trapue elle res- 
semble à un jeune buflle; ses jambes ont peu de 
hauteur. La tête est grosse, le front large, le mufle 
peu saillant. Les cornes à peine divergentes sont 
courtes, droites, déprimées d’arrière en avant, et à 
la base qui est plus ou moins annelée. Elles se ré- 
trécissent assez brusquement vers les deux tiers su- 
périeurs internes. Elles sont très lisses, très poin- 
tues et d’un noir luisant. Le larmier n'existe pas. 
Le cou est gros et court, peu cambré. Les jambes, 
surtout celles de devant, sont légèrement torses 
comme celles des bœufs. La queue, courte et grosse 
à la base, est pourvue d’une touffe de poils noirs à 
l'extrémité, La femelle a quatre tétines. La couleur 
des individus diffère assez fortement. Un mâle avoit 
un pelage brun clair plus foncé sur le dos que sur 
le ventre où cette couleur s’éclaircissoit. Les mem- 
bres étoient d’un brun chocolat plus prononcé. Le 
poil étoit fin, rare, assez court, excepté sur les 
membres, où il étoit plus fourni. Un autre individu 
femelle, plus gros, plus trapu, à queue grêle et 
encore plus bas sur jambes, étoit tout noir, et avoit 
beaucoup plus de rapport avec un jeune buffle que 
le précédent. Un jeune étoit brun, un autre tiroit 
sur le fauve. Cet animal vit dans les bois; on le dit 
très sauvage et dangereux par les blessures qu'il 
peut faire avec ses cornes. IL est d’ailleurs peu 
agile. On le trouve principalement aux environs de 
Manado. 


(1) Cervus macatl chichiltic seu temamaxzame ? Seba; 
capra pudu, Molina ? ovis pudu, L.? 

(2) Loten, ms. 

(3) A. compressicornis, Leach, ms; antilopes à cor- 
nes déprimées, Quoy et Gaimard, Ann. se. nat., t. XVII, 
4829, p. 423 et pl. 20; Bull., t, XIX, p. 408; Astrolabe, 
z001., 1.1, p. 136, pl. 26. (Atlas, pl. 65, fig. 2) 


244 


XVIII. 
LES IXALES. 


N'ont qu’une espèce; l’IXALE (1) qui a été décou- 
vert par le docteur Richardson qui le prenoit pour 
un individu femelle de l’antilope fuscifer. L'indi- 
vidu observé appartenoit au sexe mâle, long de 
quatre pieds dix pouces anglois. La tête n’a point 
de cornes, mais à la place de celle-ci deux petits 
“cônes écailleux et nus. Sa coloration est un brun 
rougeûtre clair, tandis que le thorax et le ventre 
sont gris blanc. Cet animal tient des cerfs et des an- 
tilopes, et forme le type d’une nouvelle section, que 
M. Ogilby nomme ixalus, en donnant à l’espèce le 
nom d’ixalus probator. 


LES DAMALIS. 
HS: 


… Forment un genre démembré des antilopes des 
auteurs, et divisé lui-même en plusieurs tribus. 
Leur système dentaire se compose d’incisives ;; de 
canines, 0 ; de molaires +. Les deux sexes ont des 
cornes implantées sur l’os frontal, diversement re- 
courbées. Leur tête est massive, allongée, leur cou 
est court, et le dos est élevé au niveau de la pre- 
mière vertèbre dorsale dont l’appendice fait saillie. 
Les reins sont abaissés, le corps est épais, les mem- 
bres sont robustes, la queue plus ou moins longue 
est pendante. Leur taille est toujours forte. On les 
divise en quatre tribus. 


EL. 
LES ACRONOTES D'AFRIQUE. 


Acronotus. 


Répondent aux ALCÉLAPHES de M. de Blainville, 
ou bubulides de Lichsteinstein. Leur cornes, rap- 
prochées à la base, ont une double courbure. Elles 
sont marquées par des anneaux en bas et sont lisses 
et recourbées à leur sommet. Leur tête est longue 
et étroite, n’ayant qu’un mufle à peine visible. Les 
larmiers sont petits, et elles sont dépourvues de pin- 
ceaux et munies de pores inguinaux. Les épaules 
sont très élevées et la croupe est abaissée. La queue 
est longue, terminée par un épais flocon. Les fe- 
melles ont deux ou quatre mamelles. 4° Le type de 
cette tribu est le BUBALE ( À. bubalis, Pallas) des 
anciens ou vache de Barbarie. 2° On en distingue 
V'ANTILOPE BUBALINE (A. thar, sive bubalina, Hog- 


0 Antilope ixalus, Ogilby, Proc., VI, 119 et 135. 


HISTOIRE NATURELLE 


son) (1), que les habitants du Népaul appellent thar, 
et qu'ils estiment singulièrement comme venaison. 
5° Le CAAMA ou cERF du Cap des colons hollandois 
(4. caama, G. Cuv.), a été décrit par Buffon. 4° Le 
KOBA ou petite vache brune de Buffon (A. senega- 
lensis: A. koba, Erx].) dont on ne connoît que les 
cornes, rapportées du Sénégal. 5° L’ANTILOPE à 
COLLETS (À. suturosa, Otto) (2;, à formes lourdes, 
à queue longue et floconneuse. Ses cornes sont al- 
longées, grandes, annelées, recourbées au sommet. 
Les poils sont secs, inégaux, très longs sur le dos 
et sur le cou, où ils forment trois bandes imitant de 
larges collets. Ils sont brun cendré. Le ventre, les 
pieds et la queue sont blancs. Une tache brune oc- 
cupe la région frontale, et trois taches blanches se 
dessinent sur les côtés de la tête. On ignore son 
pays natal. L’A. nasomaculata de Desmarest se 
rapproche beaucoup de notre animal. 6° La SASSAYBI 
de Daniells (african scenery ) paroît être l’antilope 
lunata d’'Hamilton Smith, et est remarquable par 
ses cornes robustes, insérées sur le sommet de l’os 
frontal, et décrivant deux demi-cercles. Elles sont 
marquées de douze anneaux. Le cou est court, le corps 
est épais, la tête large. Le pelage est en dessus d’un 
noir brun rougeâtre, passant au brun en dessous. 
Les oreilles ont jusqu’à six pouces et demi de lar- 
geur sur quatre pieds et demi de longueur que pré- 
sente cette antilope, qui vit dans les pays des Hot- 
tentots Bojisman.. 


11. 


LES BOSÉLAPHES 


OU LES ORÉADES DE BLAINVILLE. 


Boselaphus. 


Ont des cornes fortes, puissantes, attachées au 


| sommet de l’os frontal, rugueuses transversalement, 


légèrement recourbées à leur poirte, de couleur 
brunâtre ou cendrée , décrivant une arête spirale. 
Le mufle est distinct ; les larmiers manquent, le cou 
est garni d'une crinière. Les femelles ont quatre 
mamelles. Leur taille est des plus fortes. Ils vivent 
en Afrique. Le type de cette tribu est l’élan du Cap 
des Hollandois (1. oreas, Pallas), décrit sous le faux 
nom de coudous par Buffon. On en distingue le 
canNa ou l’y-gann des Hottentots, qui est plus pe- 
tit de taille, plus grêle, à tête plus courte, à cornes 
sans carène spirale, plus rapprochées, longues de 
dix-sept pouces chez le mâle et de vingt-deux chez la 


(‘) Proceed., t. If, p. 12 : Cervice jubatä; cornubus 
brevibus, conicis, recurvis, sulcatis, annulatisque ; 
suprà nigra, ad latera saturatè fulvo intermixta ; 
ant. thar., Hodgson. 

(2) Mém. soc. curieux de la nat.,t. XI, p. 421 ; Zool. 
journ., t. IL, p. 251. # 


ES 


= 


Re 


2 


oibbosa 


— 


: 24072 gl dé Antilope 


DES MAMMIFÈRES. 


femelle. Une bandelette noire s'étend longitudina- 
lement sur le front. Le pelage sur le corps est cen- 
dré mélangé de brun; il est blanc sur la poitrine et 
noir sur les membres. Il habite l'Afrique australe, 
au-delà du fleuve Gariep. 


III. 


LES STREPSICEROS. 
Strepsiceros. 


Dont les mâles seuls ont des cornes, lisses, de 
couleur claire, mais plus foncée au sommet, contour- 
nées en spirale, recourbées, insérées sur le haut 
du frontal ; le mufle est large, humide; une longue 
crinière s'élève sur le cou , une touffe de poils pend 
sur le menton. L’œil est surmonté d’un trait blanc. 
Les oreilles sont larges, les épaules sont élevées, 
la queue est recouverte de longs poils. Leur taille 
est grande, et l'Afrique est leur patrie. La seule 
espèce connue est le cOuDOuS (A. strepsiceros, Pal- 
las ), décrit par Buffon sous le faux nom de con- 
doma, de la taille d’un cerf, et qui vit isolé au nord 
du Cap. 


TV. 


LES PORTAX. 


Portax. 


Ont des cornes attachées aux côtés de la crête 
frontale. Les femelles en sont privées. Elles sont 
robustes, courtes, anguleuses, sans anneaux; le 
imufle est ample; les larmiers sont profonds, les 
épaules sont élevées par opposition avec l’abaisse- 
ment du train de derrière. Le corps est court et 
épais, muni d’une forte crinière sur le cou. Les 
pieds et la queue simulent ces parties dans le tau- 
reau. Leur taille est grande. Ils vivent en Asie. La 
seule espèce connue est le DAMALIS RISIA (HE. S.), le 
ris’ya ou rishia en langue sanscrite chez les Indous, 
le nyl-ghau des Perses, le roice des Mahrattes (an- 
tilope picta, Pallas ) (1), décrit par Buffon sous le 
nom de nilgaut. 


LES CATOBLEPAS. 
H. S. (?). 


Forment encore un genre démembré des antilo- 
pes et distingué des damalis. Leur formule dentaire 


() À. trago camelus, Gm. 
(2) Connochaeti, Lichst.; Catoblepas, Pline, lib. 8, 
cap. 32; Ælien, lih.7, cap. 5. 
4 


CR] 


545 


se compose d'incisives ©; de canines, 0; de mo- 
laires, =. Leur tête est presque carrée; leurs 
cornes sont planes et larges à la base, attachées 
proche la crête frontale, et sont contournées vers le 
sommet. Leur mufle est large, leurs narines £reu- 
sées comme celles des bœufs , et munies en dedans 
d’une sorte de valvule élastique. Sur les genoux 
s'élèvent des tubercules glanduleux; le cou est 
muni d’une crinière, et la gorge est couverte d’une 
épaisse barbe ; les paupières et les lèvres sont cou- 
vertes de soies. Le corps et la queue ont les formes 
et l’aspect de ces parties dans le cheval. Ils vivent 
en troupes dans les déserts de l'Afrique. Le type 
de ce genre est le GNOU ou NIOU ( À. gnu, Zim- 
merm.) (1), qui vit dans les montagnes du nord du 
Cap. Il a été décrit par Buffon. La seconde espèce 
est le catoblepas taurina (Burchell), le kohong de 
Lichsteinstein, le koknu des géographes Trutter et 
Sommerville , figuré par Daniells dans ses African 
scenerys, et par Hamilton Smith. Le catoblepas 
taureau adulte a quatre pieds et demi de hauteur 
au niveau des épaules ; son bassin est déprimé sur 
cinq pieds de iongueur à partir du thorax jusqu’à 
l'anus ; la tête, le cou et les épauies sont des plus 
robustes, et la tête est à proportion plus courte que 
large. Les cornes sont plus élargies à leur base que 
celles du gnou ; elles sont noires et aussi plus sépa- 
rées et plus irrégulièrement rugueuses. La crinière 
est longue, flottante, et va jusqu’au milieu des 
épaules. On remarque sous chaque œil une glande 
arrondie et nue laissant découler une humeur 
gluante. Sous le menton pend une longue barbe 
soyeuse tombant jusqu’à la poitrine. Son pelage est 
d’un cendré blanchâtre, et la queue, longue de trois 
pieds trois pouces, est couverte de longs crins noirs. 
Il vit en troupessur le territoire des Hottentots Bel- 
januis, au cap de Bonne-Espérance. La troisième 
espèce est la bastard wild beest des Hollandois du 
Cap, catoblepas gorgon (H. S.), plus grand que le 
gnu, ayant comme lui des cornes blanches, mais 
plus rapprochées, grêles, recourbées en dehors, 
noires au sommet. Le museau est presque quadri- 
latère. Les oreilles sont courtes; la crinière longue 
et flottante dépasse les épaules ; le menton n’a point 
de poils en forme de barbe. La queue est courte et 
noire, le pelage brun sale, mélangé de roux cendré 
avec des raies transversales plus obscures, et quatre 
ou cinq raies noires entourent les bras. On dit que 
cet animal féroce et dangereux vit en troupes dans 
l'intérieur de l'Afrique australe. Enfin on connoiît 
des cornes d'un catoblepas différentes de celles des 
trois espèces précédentes, et que M. Hamilton 
Smith propose d'appeler C. Brooksii. Ces cornes, 
longues de treize pouces, sont noir luisant, presque 


() Les Hottentots prononcent tignu. 
69 


546 


planes à leur base, triangulaires, très rugueuses, 
granuleuses, grêles à leur pointe et doublement 
recourbées. Elles sont conservées dans le cabinet de 
M. Brookes. 

Les antilopes gazella et lervia de Pallas sont 
douteuses, et nous ne connoissons pas l’antilope 
spinigera de Temminch, ni les A. tendal, chora et 
dammah de Ruppell. 


LES CHÈVRES. 
Capra. L. 


Se sont enrichies de quelques espèces inconnues 
à Buffon, qui n’a décrit que le bouquetin (capra 
îibex, L. ), le paseng (capra ægagrus, L.), ettrois 
variétés de la chèvre domestique, le bouc de Juida, 
les chèvres naine et d’Angora. M. Richardson, dans 
sa Faune de l'Amérique du Nord (‘),a figuré sous le 
nom de capra americana (?) ou de chèvre des mon- 
tagnes Rocheuses, l’animal que nous avons décrit, 
sous le nor d’antilope lanigère. D’après M. Hamil- 
ton Smith, Guldenstedt à nommé bouquetin du 
Caucase (capra caucasica) (3), le zach, remarqua- 
ble par ses grandes cornes triangulaires, obtuses et 
ñon carrées en avant, noueuses comme celles du 
bouquetin, à pelage brunâtre en dessus, blanchâtre 
en déssous. Il vitsur lessommets schisteux du Cau- 
case. M. F. Cuvier à représenté le bouquetin d’'E- 
thiopie (capra nubiana ) (#), commun en Arabie et 
en Nubie, et dont les formes sont sveltes. Ses cor- 
nes assez grêles ont deux pieds et demi de longueur. 
Elles sont noires, comprimées sur le bord interne, 
et munies d’une douzaine de renflements saillants. 
Son pelage est fauve grisâtre, mêlé de brun. Les 
épaules et les flancs sont bruns, ainsi que le devant 
des jambes, tandis que le derrière est blanc. Le dos 
est marqué par uné ligne longitudinale noire. 


LE BOUQUETIN WALIE,. 
Capra Walia, Rapp. pl. 6. 


Est remarquable par l'épaisseur de ses cornes, 
qui sont noueuses , rhomboïdales à leur base, à pro- 
tubérance frontale. Sa coloration est terre d'ombre 


(") Pagé 268, pl 22. 

(2) Antilope americana et rupicapra americana, de 
Blainv.; ovis montana, Ord.; capra columbiana, 
Desm. : capra montana, Harlan : mazama sericèa, Ra- 
finesq. 

(3) Act. Petrop:, 1779, pl. 146 et 17; Screber, pl. 
281, B. 

(4) Fr. Cuv., Mammif., 50e liv.: capra arabica; Mus. 
de Vienne. 


HISTOIRE NATURELLE 


brunâtré, passant au blancliâtre en dessous. Les 
membres sont blañchâtres, tachés de brun en devant. 
Il habite l’Abyssinie. 

M. Hodson dans une lettre datée du Népaul du 
4 mars 1854 (‘), décrit une nouvelle espèce de chè- 
vre, qu’il nomme, d’après les habitants du pays, 
capra jharal. Cette chèvre a quelque analogie avec 
l’œgagre et le capra jemlaica.L’individu décrit étoit 
un mâle adulte long de cinquante pouces sur trente- 
trois de hauteur. Sa tête, mince et gracieuse, étoit 
couverte de poils courts et drus, sans le moindre 
vestige de barbe. Sa ligne faciale étoit droite, ses 
oreilles, petites, étroites, relevées, étoient arrondies 
à leur sommet et striées. Les autres particularités de 
son organisation peuvent se résumer ainsi : œil vif, 
mufle muqueux, narines courtes et larges; jarret 
et sternum calleux ; queué courte , déprimée, entiè- 
rement nue par le bas; animal d’une forme com- 
pacte et puissante, avec un cou grêle, court, arqué, 
un tronc arrondi, des membres un peu longs, très 
forts, portés sur un paturon droit et des sabots éle- 
vés et compactes; eérgots coniques et amples ; atti- 
tude rämassée pendant le repos, avec la têté modé- 
rément élevée et le dos légèrement arqué; épaules 
sensiblement plus hautes que la croupe. Le devant 
du corps est entièrement enveloppé dans une cri- 
nière longue, flottante, droite, semblable à celle du 
lion et descendant jusqu'aux jarrets. Le train de 
derrière est petit, se rapprochant de celui des porcs 
avec abaissement de la croupe vers la queue, et la 
peau est tres resserrée entre les membres de der- 
rière. La toison est formée de deux sortes de poils. 
Les plus externes sont d’une dureté moyenne, ni 
roides, ni cassants, droits et appliqués sur la peau, 
susceptibles de se redresser par l'effet des sensa- 
tions, et d’une longueur et couleur inégales. Les 
interne. sont doux et laineux, aussi abondants, mais 
plus fins que ceux de la chèvre sauvage. Les cor- 
nes, longues de neuf pouces, sont obliquement insé- 
rées sur la crête des os frontaux, et se touchent à la 
base par leurs arêtes antérieures. Elles sont subcom- 
primées, subtriangulaires, et uniformément ridées 
ou sillonnées en travers, excepté près des extrémités 
où elles sont convexes et unies, carénées et tran- 
chantes vers les pointes, arrondies, obtuses par 
derrière. Elles divergent et se recourbent simple- 
ment en se dirigeant plutôt vers en haut qu’en bas. 
La couleur du jharal est un brun foncé, avec une 
teinte rouille aux quatre membres en arrière; le 
chanfrein et les joues sont brun foncé, et celles-ci 
sont traversées par une ligne roux pâle, et un trait 
de cette couleur se dessine en devant des yeux. Les 
lèvres et le menton sont gris. Une tache noire ar- 
rondie se dessine à l’angle de la bouche, Toutes les 


() L'institut, no 104, p. 122, 


d « 


DES MAMMIFÈRES. 


muqueuses du larynx sont noires. L’iris est brun 
rougeâtre foncé, et le mâle, à certaines époques, 
répand une odeur de bouc très flagrante. 

Cet animal vit à l’état sauvage dans les districts 
Kachar du Népaul par petites troupes, ou parfois 
solitairement. Il est robuste, capricieux, vagabond, 
hardi, éminemment grimpeur, très querelleur, mais 
facile à apprivoiser. Par la forme de ses cornes il 
ressemble beaucoup à l’œgagre des montagnes alpi- 
nes, et sous quelques autres rapports au capra 
iemlaica, dont il diffère par le manque de barbe, 
et par la compression beaucoup moindre de ses cor- 
nes. Le jharal peut s’accoupler avec les chèvres do- 
mestiques, et ressemble plus particulièrement aux 
types ordinaires des races en domesticité qu'aucune 
autre espèce sauvage connue. 


LES MOUTONS. 
Ovis. L. 


Avoient été assez mal étudiés jusqu’à ces derniè- 
res années. Leurs espèces n’avoient point été appré- 
ciées d’une manière convenable. Buffon ne s’est 
occupé que du mouton sauvage (ovis aries), sous 
le nom de mouflon, et de la race domestique avec 
les variétés suivantes : le bélier des Indes, de Gui- 
née et du Sénégal, le morvant de la Chine, le mou- 
ton de Barbarie, le bélier de Tunis, le mouton de 
Valachie, enfin le mouton d'Islande. 

Le nord de l'Amérique possède un mouton que 
les Anglo Américains appellent rocky-mountains 
shepp (1), et dont parle Cook sous le nom d’argali, 
Mackensie sous le nom de white buffalo, et Lewis 
et Clarck sous celui de big-horn. C’est l’ovis mon- 
tana de Desmarest(?), de la taille d’un cerf, haut 
sur jambes, et dont le corps est svelte. Son chan- 
frein est presque droit. Son poil est court, roide, 
grossier, comme desséché , brun marron, tandis que 
les fesses sont blanc pur. Il habite le Canada et toute 
la partie septentrionale des montagnes Rocheuses. 
M. Eschscholtz en distingue l’ovis nivicola () qu’on 
rencontre dans le Kamtschatka. 

La Californie possède l’ovis californicus de Dou- 
glas (£), long de cinq pieds dix pouces, sur deux 


(*) Ovis ammon, Harlan, Fauna, 259. 

(2, Ovis canadensis, Shaw, Misc., pl. 610, t. XV (1803- 
1804), copiée de Geoff.; Encycl., pl. 14, fig. 4: Screber, 
pl. 214: Richardson, pl. 23. The argali, Godman, Hist. 
pat.,t. II, p. 329. 

(3) PI. 4 ; mas cornuius subtriquetris, post intervalla 
magna transversim incisis, latere externo planis; 
angulo externo prominulo ;'vellere hyemali longo, 
recto, rigido, flavo-griseo ; pedibus anticè ferrugi- 
meis (1829). 

4) Bull., t. XVII, p. 447 ; Zool. journ,, t. IV, p. 332. 


547 


pieds huit pouces de hauteur. Le mâle a les cornes 
recourbées en croissant, en partie comprimées, jau- 
nâtres, et loigues de vingt-quatre à trente pouces, 
Celles de la femelle n’ont que sept pouces de lon- 
gueur, et sont recourbées en arrière avec la pointe 
tournée en dehors. La laine est courte , fine, blanc 
jaunâtre et entremêlée de poils bruns, plus longs, 
plus gros à lanuque, au dos, aux jambes età la queue. 
Il habite les contrées montueuses de la Californie , 
les environs de la grande cataracte de la Colombia, 
ainsi que les régions subalpines des monts Wood, 
Sainte-Hélène et Vancouver. 

L'Egypte a deux moutons fort remarquables fi- 
gurés dans les somptueuses planches du grand ou- 
vrage de la Commission. 


LE MOUFLON A MANCHETTES (1). 


Le mouflon à manchettes (ovis ornata),est uni-= 
formément d’un beau fauve roussâtre, et se rap- 
proche ainsi par sa couleur générale de notre mou- 
flon : néanmoins la nuance est plus éclaircie que 
chez l'espèce d'Europe, parce que les poils fauves 
ne sont pas mêlés de poils noirs, et que, tout au 
contraire, leur pointe est blanche; ce qui donne 
même au pelage un aspect tiqueté lorsqu'on le re- 
garde de près. La couleur que nous venons d’indi- 
quer est celle de la tête, du corps et des membres 
presque entiers ; cependa:t le devant des canons et 
la ligne dorsale ont une teinte brunâtre, et l’on re- 
marque entreles deux jambes, sur la ligne médiane, 
une tache noire longitudinale ; enfin , le dessous du 
corps et les régions internes et inférieures des mem- 
bres sont de couleur blanche, comme chez notre 
mouflon ; toutefois, avec cette différence, que la 
portion blanche du corps a beaucoup moins d’éten- 
due que chez celui-ci. Mais ce qui rend cette espèce 
très singulière, et qui lui a valu le nom de mouflon 
à manchettes, ce sont les longs poils qui garnissent 
les parties antérieures de son corps et de ses mem- 
bres. Des poils de six à sept pouces naissent depnis 
le tiers inférieur de la jambe jusqu’au canon, sur 
les faces antérieure, postérieure et externe de la 
jambe, et tombent jusqu’au milieu du canon, en 
formant ainsi une parure fortremarquable. En outre, 
vers l’angle de la mâchoire, il naît de chaque côté 
une touffe de poils longs de deux, trois ou quatre 
pouces ; et un peu au-dessous commence une bande 
de poils placés sur la ligne médiane, et qui se con- 
tinue jusqu’au tiers inférieur du cou, où elle se bi- 
furque en deux lignes qui vont se terminer vers 
l'articulation de la cuisse avec la jambe. Ces poils 


() Ovis ornata, Savigny, Egypte, pl. 7, fig. 2, t. XXHIL, 
p. 201 : ovis tragelaphus, Cuv. 


548 


ont un peu avant la bifureation jusqu’à un pied ou 
treize pouces de long; mais, vers le haut du cou 
et vers l'épaule, ils sont beaucoup plus courts et 
n'ont qu'un demi-pied environ. Leur couleur est 
généralement celle du corps : seulement ceux qui 
avoisinent la partie interne de la jambe et du canon 
sont brunâtres ; et on remarque aussi une ligne de 
cette couleur sur ceux dela partie antérieure du cou. 

Cetanimal, dont la taille est d’un cinquième plus 
considérable que celle de notre mouflon, a la queue 
longue’ de sept pouces et terminée par un pinceau 
de poils. 

Les cornes paroissent assez petites eu égard au 
volume de l’animal, et chez l’individu que possède 
le Muséum , elles ne sont pas plus grandes que cel- 
les du mouflon, quoiqu'il soit mâle et qu’il paraisse 
bien adulte. Elles présentent d’ailleurs des carac- 
tères particuliers : leur forme les rend très différen- 
tes de celles du mouflon, et leur baseest plutôt qua- 
drangulaire que triangulaire ; ellesn’ont aucune arête 
saillante, surtout vers la base, et l'extrémité, qui est di- 
rigée en dedans (au contraire de ce quia lieu chez les 
autresespèces ), n’a presque aucune largeur, et forme 
véritablement une pointe dans le sens que l’on atta- 
che ordinairement à ce mot. Les rides sont très peu 
prononcées, si ce n’est près de la barbe, et l’extré- 
mité est même presque entièrement lisse. Les deux 
sornes sont, comme chez les autres mouflons, très 
rapprochées sur le front, et il est même un point où 
elles sont presque contiguës : l'angle qu’elles com- 
prenvent entre elles est beaucoup plus aigu que 
chez notre mouflon, il n’est guère que de 60 degrés 
environ. Enfin elles sont aussi larges à la base que 
dans cette espèce; mais leur circonférence est plus 
grande à cause de l’augmentation de surface qui ré- 
sulte de leur forme quadrangulaire. 

Ce bel animal porte, dans quelques descriptions, 
le nom de mouflon d'Afrique; on ne sait pas encore 
avec certitude s’il doit être rapporté au mouton barbu 
de Pennant. La description donnée par cet auteur 
est trop incomplète pour qu’il soit possible de pro- 
noncer l'identité spécifique ; cependant MM. Euvier 
et Desmarest l’ont admise : ils ont réuni ces deux 
espèces sous le nom d’ovis tragelaplus. 

Le mouflon à manchettes de M. Geoffroy Saint- 
Hilaire a été tué près de la porte de la ville du Caire; 
mais il ne paroît pas qu’il se tienne habituellement 
dans cette partie de l'Egypte. 


R————————a————_—_— 


LE BÉLIER A LARGE QUEUE (1). 


Bien que connu depuis long-temps, a été mieux 
décrit dans ces dernières années. C’est d’ailleurs 


() Ovis laticauda, Gm.; Savigny, Egypte, pl. 7, fig. 1, 
4. XXL, p. 199 : éd. in-8e, 


HISTOIRE NATURELLE 


avec difficulté et par des caractères de peu de valeur 
que les naturalistes sont venus à bout de distinguer 
les moutons des chèvres. Plusieurs auteurs qui 
croient cette distinction peu fondée, ne l’adoptent 
pas. Toutefois l'usage a prévalu, et le genre mou- 
ton est généralement admis et caractérisé de la ma- 
nière suivante : 

Les cornes anguleuses, ridées en travers, con- 
tournées latéralement en spirale, et se développant 
sur un axe osseux , celluleux, qui a la même direc- 
tion ; trente-deux dents en totalité, savoir : huitin- 
cisives inférieures formant un arc et se touchant 
toutes régulièrement par leurs bords, les deux in- 
termédiaires étant les plus larges, et les deux laté- 
rales les plus petites; six molaires à couronnes mar- 
quées de doubles croissants d’émail, dont trois 
fausses et trois vraies de chaque côté et à chaque 
mâchoire; les vraies molaires supérieures ayant la 
convexité des doubles croissants de leur couronne 
tournée en dedans, et les inférieures l’ayant en 
dessous. Le chanfrein arqué ; le museau terminé 
par des narines de forme allongée, obliques, sans 
mufle ; point de larmiers, point de barbe au menton ; 
les oreilles médiocres et pointues ; le corps de sta- 
ture moyenne, couvert de poils; les jambes assez 
grêles, sans brosses aux genoux; deux mamelles 
inguinales; point de pores inguinaux; la queue (du 
moins dans les espèces sauvages) plus ou moins 
courte , infléchie ou pendante. 

Le genre mouton est un de ceux qui fournissent 
le plus de variétés dans les espèces ; ce qui rend la 
distinction de ces trois dernières très difficile. L’in- 
dividu qu’on voit représenté sur cette planche est 
le mouton à large queue, ovis lati caudata, Ray, 
Gmelin, etc. : il doit être considéré comme une va- 
riété distincte, dont le caractère le plus tranché con- 
siste dans un allongement plus considérable de la 
queue, qui, dans les deux tiers supérieurs, dépasse 
le corpsen largeur. Cette variété se rapproche beau- 
coup de celles qui ont été figurées, sous le même 
nom, par MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Frédéric 
Cuvier; seulement on remarquera qu'ici le poil 
est court et frisé. Les couleurs paroissent aussi offrir 
quelques différences, mais nous n’avons pu nous en 
assurer, l’individu dont on a donné la figure n’ayant 
pas été conservé dans les collections. Au reste, ce 
dernier caractère est trop variable pour avoir quel- 
que importance. 


L'ARGALI. 
Ovis ammon. ErxL. (1). 


Est de la taille du daim. Son pelage est d’un gris 


() Desm.. 740; ovis argali, Bodd.; ægoceros argali, 
Pallas, Tilésius; capra ammon, Cuy. 


DES MAMMIFÈRES. 


e — 


fauve en dessus, passant au rougeâtre clair en des- 
sous, nuancé de plus de roussâtre en hiver. Une 
ligne jaunâtre occupe le milieu du dos , ainsi qu’une 
large tache sur chaque fesse. Les cornes des mâles 
sont très grandes , très fortes, triangulaires, aplaties 
en devant, striées en travers. Celles de la femelle 
sont minces et presque lisses. L’argali vit dans les 
steppes de la Sibérie méridionale, au pied du grand 
plateau de la Tartarie. On le retrouve au Kamt- 
schatka, à moins qu’il n’ait été confondu avec l’ovis 
nivicola. 

. M. Hodgson, dans un catalogue des animaux ob- 
servés dans le Népaul (1), signale dans les montagnes 
de l'Himalaya deux espèces de mouton sauvage : le 
ban-bhera, littéralement le mouton sauvage, va- 
riété de l’ovis ammon ou argali, et l’autre le nayour 
ou na’hour, l’'ovis musmon (H. S.), ayant un fanon 
sous la gorge ; le pelage brun ou cendré rougeûtre, 
la face blanche, une raie sur l’échine, et le cou 
noirâtre. 

M. Moorcoff a trouvé en 1822 en pénétrant dans 
la Tartarie, par les possessions angloises de l'Inde, 
une espèce de mouton dont la possession seroit pré- 
cieuse pour les bergeries de l’Europe. Ce mouton 
vit dans un état de domesticité semblable à celui du 
chien, dans la cour ou sous le toit de son maitre, 
se nourrissant de tout, s’engraissant des restes de la 
cuisine, et mangeant jusqu'aux os qu’on lui jette. Il 
est de petite taille; mais les particularités remar- 
quables de sa vie, la bonté de sa chair, la finesse et 
le poids de sa toison, le placent au rang des races 
supérieures. 11 donne deux agneaux par an, et au- 
tant de tontes qui rapportent trois livres de laine 
chacune. Quelle est cette variété? C’est ce que nous 
ignorons encore. 


LES OVIBOS-: 


Ovibos. DE BLainv. 


Forment un genre démembré de celui des bœufs 
en ce qu’ils n'ont pas de mufle. Le chanfrein est 
busqué comme celui des moutons. Ils n’ont point de 
barbe, mais des membres robustes et une queue fort 
courte. Leurs cornes sont élargies et se touchent à 
la base, en s'appliquant ensuite sur les côtés de Ja 
tête. La seule espèce connue vit dans l'Amérique du 
Nord, où les Anglo-Américains lui donnent le nom 
de musk-oæ. C’est l’'oviBos MUSQUÉ (2) décrit par 
Buffon sous le nom de bœuf musqué, 


(1) Proceed., t. IE, p. 105; Journ. of the Asialic s0- 
ciety of Calcutta; l’Institut, no 101, p. 122. 

() Ovibus moschatus, de Blainv.; bos moschatus, 
Gm.; Richardson, Fauna, p. 275. 


549 


LES BOEUFS. 
Bos. 


Se sont enrichis de quelques espèces dans ces der- 
niers temps. Buffon a décrit le buffle du cap de 
Bonne-Espérance (bos cufer, L.), le buffle (B. buba- 
bus, L.), le bison d'Amérique (B. americanus, L.), 
la vache grognante ou yak (bos grunniens, L.), l’au- 
rochs, bonasus ou bœuf de Pœonie (B. urus, Cuv.), 
et le bœuf ordinaire (B. taurus, L.) avec sa variété 
à loupe graisseuse, le zé'u. 

L'arni des habitants de l'Indostan (bos arni, 
Shaw.) paroît être une variété fort remarquable du 
bufle, bubale ou bœuf sauvage d’Arachosie d’Aris- 
tote, originaire de l’fnde et transporté en Egypte, 
en Grèce, puis en Italie. Cet arni a des cornes dé- 
mesurément grandes puisqu'elles portent de huit à 
dix pieds d’envergure : elles sont ridées sur leur 
concavité et un peu aplaties en avant. L’animal est 
noir, sans bosses ni crinière, et vit principalement 
dans les montagnes du continent indien et des îles de 
la Malaisie. , 

Sir Raflles (1), en parlant des espèces du genre bœuf 
qui vivent à Sumatra, s'exprime en ces termes: «Il 
y a une très belle race de bétail particulière à Su- 
matra, que je vis en abondance dans le Menangkabu 
quand je visitai la capitale de ce pays en 1818. Ce 
sont des animaux petits, bien faits, sans bosse, et 
presque toujours de couleur fauve clair relevée de 
blanc. Les yeux sont grands et bordés de longues 
paupières noires. Les jambes sont délicates et jolies. 
Parmi ceux que je vis, je n’en aperçus aucun qui ne 
fût en fort bon état, ce en quoi ils font un contraste 
frappant avec le bétail que l’on rencontre généra- 
lement dans l’Inde. On s’en sert pour l’agriculture ; 
ce sont des animaux domestiques. Cette race est en- 
tièrement distincte du banting de Java et des îles 
plus orientales. 

» Quant au buffle (buffaln), la variété blanche se 
trouve être la plus commune à Bencolen. Elle ne 
diffère en rien de la noire que par la couleur, qui 
tire au blanc rougeûtre. » 

Le major général Hardwicke a donné quelques 
détails sur le GOuR (bos gour), bœuf de l’Inde. Nous 
transcrirons les renseignements que ce zélé voyageur 
a imprimés sur cet animal (?). 

« Dans le Journal philosophique d’'Edimbourg 
(octobre 1824), l’on trouve des détails intéressants 
du docteur Trail], sur cette nouvelle espèce de bœuf, 
et comme je n’ai pas connoissance qu’aucun dessin 
de cet animal ait été publié, je fais graver pour le 


() Trans. Soc. linn,Lond., t. XIII. 
{2) Zool. journ., t. HE, p. 231 ; Bull,, t. XIV, p, 292, 


550 


Journal zoologique la figure d’une paire de cornes 
du gour, tué dans la chasse décrite par le capitaine 
Rogers. 

» Par l’examen de ces cornes et par leur compa- 
raison avec celle du gayal, on doit voir que la dif- 
férence de structure est des plus tranchées, et tend 
à séparer et à prouver la non-aflinité d'espèces entre 
le gour et le gayal. 

» Il paroît y avoir plus d’une race du gayal (bos 
gaywus) de Colebrooke (R-cherch. asiat., t. VII). 
Les provinces de Chattgong et de Sylhet produisent 
le gayal sauvage, ou, comme l’appellent les natu- 
rels, le assel gayal (1), et le gayal domestique. Le 
premier est regardé comme un animal indomptable, 
extrêmement féroce. et que l’on ne peut prendre 
vivant. Il s'éloigne rarement des montagnes de la 
frontière sud-est, et ne se joint jamais au gobbah 
ou gayal de village des plaines; je suis parvenu à 
obtenir la peau et la tête du asseel gayal, qui sont 
déposées dans le Muséum de la compagnie des Indes, 
dont un dessin accompagne celui des cornes du gour. 

» Je dois parler d’une autre espèce de gayal, dont 
j'ai vu un mâle et une femelle dans le pare du gou- 
verneur-général, à Barrackpore. Cette espèce diffère 
en quelques points du gayal domestique ainsi que 
du asseel ou vrai gayal: premièrement par la taille, 
étant un plus grand animal que celui qui est privé; 
deuxièmement par la grandeur du fanon, qui est 
plus ample et plus ondulé que dans l'espèce sauvage 
ou dans l’espèce privée; et troisièmement dans les 
proportions et la forme des cornes. » 

Le gour ( bos gour) a, suivant le docteur Trailk, 
des cornes courtes , épaisses, recourbées en dehors; 
le front crépu, le dos renflé ou gibbeux, un poil 
court, lisse, noir brun. Les Indiens appellent le 
mäle gour, le veau purorah, la jeune vache pa- 
réeah. X1 vit en troupeaux considérables dans les fo- 
rêts montagneuses de Min-Pat dans la province de 
Sergojah. 

Le GyaLz ou bœuf des Jongles (bos frontalis, 
Lambert) (2) des Indiens, le bausinger des Javanois, 
a l’ensemble des caractères du bœuf domestique, 
mais ses cornes sont aplaties d'avant en arrière et 
sans arêtes anguleuses. Elles se dirigent sur le côté 
en haut et non pas en arrière. Son pelage est ras, 
noir luisant, excepté le front et une ligne le long du 
dos, qui sont gris ou fauves, et les jambes qui sont 
blanches. Le gyall où gyal est élevé en domesticité 
dans les provinces montagneuses du nord-est de 


(") Vrai gayal. Les naturels établissent une grande 
différence entre le gayal sauvage et le gayal privé. 

(2) Frans. Soc. linn.,t. VIH, pl. IV, p. 57 ; bos sylheta- 
nus, Fr. Cuv., 42% liv.; le GAYAL, Colebrooke; Asialic 
research., t. VII, p. 511, avec figures ?? bos bubalus, 
gauwera, Pennant, Quad. I, p. 27. Gauvera, Knox, Cey- 
lan, p. 21. 


HISTOIRE NATURELLE 


l’Inde. Peut-être est-il le résultat du croisement 
du buffle avec l’espèce commune, ainsi que le pense 
M. Fr. Cuvier, ou bien est-il la souche du bœuf do- 
mestique de l’Europe ? 

Le suraL (bos «arvœus, H. S.), le nunel des Bir- 
mans, est un bœuf très répandu dans l’Inde, re- 
marquable par ses cornes courtes et robustes, com- 
primées sur les côtés, et recourbées en avant. Sa 
tête est large et plane, son mufle est assez brusque- 
ment atténué à son extrémité. La touffe frontale se 
compose de poils blancs et crépus. Les yeux sont 
petits ; les oreilles sont longues et larges, le cou est 
grêle ; son poil est brun, mais les pieds sont blan-. 
châtres. 

Le GHauxour (dos pœphaqus, H.S.) ou le gaw- 
dashti des Persans, le soora goy des Indiens, le 
si-nym des Chinois, est un bœuf domestique d’Asie, 
voisin du bœuf de Tartarie, à pelage du cou et du 
dos laineux varié de noir et de blanc. Les poils de la 
queue sont excessivement allongés. Ses cornes sont 
minces, lisses, pointues, latérales et recourbées par 
en haut. 

MM. Quoy et Gaimard décrivent, sous le nom de 
BOEUF A FESSES BLANCHES (B. leucoprymnus) (1), 
une espèce de grande taille qu’ils se procurèrent dans 
l'île de Java, aux environs de Batavia. Son élévation 
est de cinq pieds neuf pouces sur cinq pieds de lon- 
gueur de la fesse à l’épaule. Sa tête est longue, élar- 
gie par le haut, à mufle peu gros; ses cornes sont 
médiocres, s’écartent et se rapprochent sur le haut 
de la tête de manière à ce que les pointes se regar- 
dent. Les oreilles sont grandes, bien détachées, 
comme pédiculées et pourvues de longs poils à leur 
bord interne. Le cou est court, mais un peu cam- 
bré comme dans les cerfs, et pourvu d’un fanon 
mince et peu pendant. Les premières apophyses épi- 
neuses des vertèbres sont élevées et arrondissent le 
corps dans cette partie qui n’a cependant point de 
bosse : le reste du dos présente une surface plane. 
Les jambes sont déliées, la queue est longue et mu- 
nie d’une petite crinière à l’extrémité. On remarque 
quatre tétines , dont les deux antérieures sont plus 
grosses et les deux autres plus rapprochées. Le pe- 
lage y est court, bien fourni, en général d’un brun 
tirant sur le noir, avec quelques nuances rougeâtres 
ou fauves. Les oreilles sont blanchâtres dans leur 
intérieur et sur le bord. La partie postérieure de cha- 
que fesse est marquée d’une large tache blanchâtre 
qui commence à l’anus. Les quatre pieds ont aussi, 


‘au-dessus du sabot, de pareilles taches plus ou moins 


marquées suivant les individus. Les cornes sont noi- 
râtres, blondes en quelques endroits et rugueuses à 
la base. Leur axe est creux. Les côtes sont au nom- 


() Bos, corpore magno, fusco ; chunibus albis ; cor- 
nubus mediocribus ; capite elongato. Zool. de l’Astro- 
labe, part. I, p. 140 (1830). 


DES MAMMIFÈRES. 


bre de vingt-six, c’est-à-dire treize de chaque côté. 
Les narines sont ovalaires et creusées dans l’axe de 
la tête. Le mufle présente à l'extrémité une rainure 
assez profonde, et de chaque côté la muqueuse est 
comme parquetée. 


LE BUFFLE DES ÉTATS-UNIS (1). 


À été l’objet d’une étude assez intéressante par 
le capitaine Bonneville dans sa vie de trappeur, 
Nous reproduisons son récit, riche en détails de 
mœurs. 

« Tout ce qui se rapporte à l’histoire de cet étrange 
et intéressant animal, qu'un vieil auteur nous dit 
ressembler, «sous certains rapports, au lion, et sous 
d’autres au chameau, au cheval, au bœuf, au mou- 
ton ou à la chèvre (?), » doit être important à re- 
cueillir; car le nombre de ces animaux a diminué si 
rapidement depuis un siècle; leurs excursions se 
sont tellement restreintes, qu’il y a toute raison de 
croire qu’ils ne tarderont pas à disparoître de la sur- 
face de la terre. 

» Le buflle se trouvoit autrefois dans toute l’é- 
tendue du territoire des États-Unis, à l'exception 
de la partie située à l’est de la rivière d'Hudson et du 
lac Champlain , ainsi que dans une étroite lisière de 
côte sur l'Atlantique et lé golfe du Mexique, dont 
le terrain étoit marécageux et couvert d’épais taillis. 
Ce qui prouveroit qu’il n’y avoit pas de buffles à une 
proximité de quatre-vingts ou cent milles de la 
côte Atlantique, c’est que les premiers auteurs, dit 
M. Colhoun, et ils sont nombreux, ne mentionnent 
leur existence que beaucoup plus loin. Thomas 
Morton, l’un des premiers colons de la Nouvelle- 
Augleterre, dit que les Indiens « parlent aussi de 
vastes troupeaux de grands animaux qui vivent aux 
abords de ce lac ( l’Erocoise, maintenant lac Onta 
rio). Ils sont de la taille d’une vache; leur chair 
fournit une bonne nourriture, leur peau d’excellent 
cuir; leur toison est une espèce de laine presque 
aussi fine que celle du castor, dont les sauvages se 
font des vêtements. » Il ajoute : « Il ya dix ans que 
Ja relation de ces choses est venue aux oreilles des 
Anglois (3). » Nous avons fait cette citation en par- 
lie pour prouver que la finesse de la laine du buffle, 
qui en a fait, depuis quelques années , un objet de 
commerce , éloit connue du temps même de Morton. 
Il là compare à celle du castor, et non sans raison. 
On nous à montré, dans le voisinage de la rivière 
Rouge, des chapeaux qui nous ont paru d’une excel- 


(") Voyez Aventores,etc., par Washington Irwing, t. II, 
p.273 et suiv., de la trad. française. 

(2) Purchas, son pêlerinage; Londres, 14614, p. 778. 
, F) Le nouveau Canaan anglais, par Thomas Morton. 
Amsterdam, 1637, p. 98, 


. 


551 
lente qualité : ils avoient été fabriqués à Londres 
avec de la laine de buffle. On peut rapporter à près 
d’un siècle auparavant la connoissance de cet ani- 
mal de la part des Européens; car, en 1582, Guzman 
rencontra le bufile dans la province de Cinaloa (1). 
De Laet, parlant du buffle de Quivira, dit, sur le 
témoignage de Gomara, qu’il est presque noir, ra- 
rement tacheté de blanc (?). Dans son Histoire, 
écrite postérieurement à l’année 1684, Hubbard 
n’énumère pas cet animal au nombre de ceux de la 
Nouvelle-Angleterre. Purchäs nous apprend qu’en 
4615 les aventuriers découvrirent en Virginie « une 
sorte de bétail de la grosseur d’une vache, excellent 
à manger (3) » Nous voyons dans Lawson qu’il y 
avoit une grande quantité de buflles, d’élans, etc., 
aux environs de la rivière du cap Terrible et de ses 
affluents (f); on sait aussi que quelques uns de ceux 
qui s’établirent les premiers, en 1756, dans le dis- 
trict d’Abbeville, Caroline du Sud, y trouvèrent 
le buffle. La caravane de Soto, qui de 1559 à 1545, 
traversa la Floride orientale, la Géorgie, l’Ala- 
bama, le Mississipi, le territoire de l’Arkansas et 
la Louisiane, n’y vit pas de buflles. On leur dit que 
cet animal étoit plus au nord; cependant ils eurent 
fréquemment l’occasion de voir des peaux de buffles, 
surtout à l’ouest du Mississipi. Du Pratz, qui écri- 
voiten 1758, nous apprend qu’à cette époque cet 
animal n’existoit pas dans la Basse-Louisiahe. Tou- 
te'ois nous avons lu un auteur, Bernard Romans, 
qui écrivoit en 1774, et qui parle du buflle comme 
un bienfait de la nature accordé à la Floride. On 
ne sauroit douter que cet animal n’approchât du 
golfe du Mexique , dans le voisinage de la baie de 
Saint-Bernard; car Alvar Nunez, vers l’année 1555, 
le vit non loin de la côte, et Joutel, cent cinquante 
ans plus tard, le vit à la baie de Saint-Bernard. Il 
est probable que cette baie est le point de latitude 
le plus bas auquel cet animal ait été rencontré à 
l’est des montagnes Rocheuses. Son existence à 
l’ouest de ces montagnes n’est point douteuse, 
quoique le père Venegas ne le compte point au 
nombre des animaux de la Californie, et qu’il n’ait 
point été vu, à l’ouest des montagnes, par Lewis et 
Clarke, ni mentionné par Harmon où Mackensie, 
comme existant dans la Nouvelle-Calédonie, contrée 
d’une étendue immense, comprise entre l’océan 
Pacifique, les montagnes Rocheuses, le territoire 
des Etats-Unis, et les possessions russes sur la 
Croix nord-ouest de l'Amérique. 

Néanmoins son existence actuelle sur la Colombie 


(‘) De Laet, Description des deux Amériques. Amster- 
dam, 1633, liv. 6, chap. 6. 

(@) De Laet, Description des deux Amériques, Amster- 
dam, 1633, liv. 6, chap. 17. 

(3) Purchas, p. 759. 

(:) Lawson, p. 48, 119, cic. 


552 


paroît constatée, et l’on nous assure que, quelque 
temps avant la visite de nos hardis explorateurs, 
d’effroyables incendies avoient ravagé les prairies et 
refoulé les buffles à l’est des montagnes. M. Doug- 
herty, l'agent capable et intelligent qui accompa- 
gna l'expédition aux montagnes Rocheuses et com- 
muniqua tant de renseignements précieux à M. Say, 
aflirmoit en avoir vu quelques uns dans les mon- 
tagnes, mais non à l’ouest. Il est très probable que 
le buflle se montroit sur le versant occidental des 
montagnes Rocheuses, à une latitude aussi basse 
que sur le versant oriental. De Laet dit, d’après le 
témoignage d’'Herrera, que le bufle paissoit vers le 
sud jusqu'aux bords de la rivière Yaquimi (); dans 
le même chapitre, cet auteur dit que Martin Pérez 
avoit, en 45)1, fixé la position de la province de 
Cinaloa, dans laquelle cette rivière coule, à trois 
cents lieues de la ville de Mexico; cette rivière est, 
dit-on, la même qui, sur la carte de l’Amérique du 
Nord, par M. Tanner (Philadelphie, 1822), est nom- 
mée Hiaqui , et placée entre le 27° et le 28° degré de 
latitude nord; peut-être aussi est-ce le Rio-Gila qui a 
son embouchure sous le 52° degré de latitude. Quoi- 
que nous ne puissions déterminer avec précision le 
zénith méridional du buflle à l’ouest des montignes, 
néanmoins le fait de son existence même dans cette 
région est amplement prouvé par le témoignage de 
Gomara, de Delaet, liv. VI, chap. XVI, etc., de 
Purchas, p.778. 

La Hmite au nord n’est pas plus facile à détermi- 
ner. Dans le Recueil d'Hakluyt, nous trouvons 
l'extrait d’une lettre de M. Anthonie Parkhurst, 
en 1578; on y lit : « Dans l’ile de Terre-Neuve, il 
y a de grands animaux de la taille du chameau et 
qui ont le pied fourchu; je les ai vus de loin, et n’ai 
pu les examiner avec précision ; mais j'ai pu juger, 
à leurs pas, qu’ils avoient les pieds fourchus et 
plus gros que ceux du chameau. Je pense que c est 
la même espèce que les buffles, que l’on dit exister 
dans les contrées voisines, et qui abondent sur le 
continent (2). » Dans le même recueil, p. (89, nous 
trouvons, dans le récit des Voyages de sir Hunfrey 
Gilbert, qui commencèrent en 1585, qu’on prétend 
qu'il existe à Terre-Neuve des « buttolfes , animal 
qui, à en juger par l'empreinte de ses pieds, doit 
être de la taille du bœuf. » Il est possible cependant 
que ce fût le bœuf à muse et non le buffle ou bison 
de nos prairies. Aucun témoignage ne nous autorise 
à croire que le buflle existoit au nord des lacs On- 
tario et Érié, etc., et à l’est du lac Winnepeck. 
D'après ce que nous connoissons du pays situé entre 


() Juxta yaquimi fluminis ripas, tauri vaccæqgye et 
prœgrandes cervi pascuntur. L. 6, ch. 6. 

(2) Navigations, Vovages et Découvertes principales 
de la nation anglaise, etc., par Richard Hakluys. Lon- 
dres, 1589, p. 676. 


HISTOIRE NATURELLE 


la rivière de Melson, la baie d'Hudson et les lacs 
inférieurs, en y comprenant la Nouvelle-Galles du 
Sud et le Canada supérieur, nous sommes porté à 
croire que le buflle n’y a jamais abordé, si même 
on l’a jamais trouvé aux bords des lacs; mais à 
l’ouest du Winnepeck, nous savons qu’on le trouve 
au nord jusqu’au 64° degré de latitude. Les gens 
du capitaine Franklin en tuèrent un sur la rivière 
Salée, vers le 67° degré. Peut-être se trouve-t-il 
dans toute l’étendue des prairies bordées, au nord, 
par uneligne, commençant au point où le 62e degré 
rencontre la base des montagnes Rocheuses, et cou- 
rant, dans une direction sud-est, jusqu’à l’extrémité 
sud du lac Winnepeck, un peu au nord du 50° degré. 
Sur le Saskatchawan, les buflles sont très abondants. 
Nous dirons en passant que le petit buffle blanc, 
dont Mackensie fait souvent mention, d’après le 
témoignage des Indiens, qui lui dirent qu’il vivoit 
dans les montagnes, n’est probablement pas le bison; 
car Lewis et Clarke nous apprennent que les In- 
diens désignoient sous ce nom le mouton sauvage 
(vol. IT, p.525). Il est probable qu’à l’ouest des 
nee Rocheuses le buflle ne pénètre pas au 
nord de la Colombie. 

A présent, c’est à peine si on le voit à l’est du 
Mississipi et au sud du Saint-Laurent. La caravane 
du gouverneur Cass trouva, en 1819, des buflles sur 
la rive orientale du Mississipi, au-dessus des cata- 
ractes de Saint-Antoine. Chaque année, les excur- 
sions de cet animal se restreignent dans un cercle 
plus limité. En 1822, elles s'étendoient en descen- 
dant le cours du Saint-Pierre jusqu’au grand lac du 
Cygne, près du Cap-Croissant. En 1825, les mem- 
bres de la compagnie des fourrures de la Colombie 
furent obligés de voyager cinq jours dans une direc- 
tion nord-ouest, à partir du lac Travers, avant de 
rencontrer des buflles; mais alors ils réussirent à en 
tuer soixante. Plus tard, les troupeaux s’avancèrent 
très près du lac Travers, et peut-être même descen- 
dirent le cours du Saint-Pierre. 

On ne sauroit douter que cette constante réduc- 
tion dans le cercle des excursions du bufile n’amène 
une diminution dans leur nombre, plus encore que 
la coutume de ne tuer que les génisses et de laisser 
les taureaux, coutume probablement très ancienne 
parmi les Indiens, et que nous ne pouvons, en con- 
séquence , considérer que comme la cause de cette 
grande diminution récente. La civilisation, dans sa 
marche incessante, détruit les grands animaux qui 
vivent en troupes, et refoule le chasseur lui-même, 
s’il ne modifie sa manière de vivre. Si le daim avoit 
des habitudes plus sociables, cet hôte intéressant de 
nos forêts eût été depuis long-temps repoussé vers 
l'asile du buffle, de l’élan et du castor. Tous les 
buffles que nous vimes étoient d’une couleur brune; 
on nous dit qu’on en voyoit quelquefois de blancs 


DES MAMMIFÈRES:. 


ou tachetés. On prétend'que l’âge de cet animal est 
indiqué par le nombre des lignes transversales tra- 
cées sur ses cornes ; M. Colhoun tua un buffle mâle 
qui, d’après ce calcul, devoit avoir vingt-six ans. 
Dans cette hypothèse, les quatre premières lignes 
comptent pour la première année. Si ce mode de 
calcul est correct, et on le suppose tel en général, 
le buffle atteint à un âge plus considérable que le 
bœuf domestique. Le buflle a aussi des proportions 
plus grandes, et quoique par devant ses formes 
aient quelque chose de peu gracieux, néanmoins les 
parties postérieures sont belles. On regarde la 
viande des génisses comme plus délicate que celle 
des taureaux, surtout pendant la saison du rut, où 
celle de ces derniers a un goût rance et fort. C’est 
ce qui avoit lieu à l’époque où notre caravane les 
vit; nous n’eûmes pas l’occasion de tuer des génis- 
ses; et comme les taureaux étoient maigres, nous 
ne mangions guère que 1a langue et le foie de ceux 
que nous avions tués. Ces parties, ainsi que la bosse, 
le cœur, l’aloyau et le rôti du ch:sseur (le filet près 
de l’omoplate), constituent les morceaux de choix : 
ce sont les seuls que l’on mange quand le buflle est 
en abondance. 

Au lac Travers, on estime que les génisses donnent 
de deux cent cinquante à trois cents livres d’excel- 
lente viande, sans y comprendre la tête et plusieurs 
autres parties de la bête. Il y a huit os réputés os à 
moelle : ce sont les quatre os des jambes et des cuis- 
ses. Il est diflicile d'évaluer la quantité de moelle 
qu'ils rendent, pris à part ou collectivement, mais la 
moelle d’un os suflit habituellement pour un repas. 
Pour l'obtenir, on jette l’os dans le feu, après en 
avoir enlevé la chair; après qu'il y est resté quel- 
ques minutes, on l'en retire, le brise, et la moelle 
que l’on extrait, à l’aide d’un morceau de bois eflilé, 
est mangée sans aucun assaisonnement. C’est un mets 
très succulent et très délicat, et qui, mis au four, a 
la couleur et la consistance du flan. Quelques per- 
sonnes préfèrent le manger cru, mais nous ne lui 
avons pas trouvé, en cet état, un goût aussi agréable. 

Quand on poursuit un troupeau de buffles, sur- 
tout s’il se compose de taureaux, il s’en exhale une 
forte odeur de musc, et leurs pieds font craquer 
l'herbe comme si elle étoit desséchée. Nous avons 
dit que les buffles mâles s’étoient fréquemment 
approchés très près de nos lignes, ce que quelques 
uns de nos compagnons de voyage attribuèrent à la 
vue imparfaite de l’animal, dont les yeux sont ca- 
chés par la grande quantité de poils qui couvrent sa 
face; c’est probablement une erreur; cette circon- 
stance provient de ce que les taureaux sont moins 
faciles à effaroucher dans la saison du rut ; ou peut- 
être de ce que, bien qu’ils puissent parfaitement 
distinguer l’homme, la simple vue ne suflit pas pour 
les instruire de sa nature, C’est l'odeur de l'homme 

& : 


553 


surtout qui les fait fuir. Nous avons vu souvent des 
taureaux s'approcher dans le plus grand calme au 
vent de notre ligne, et passer près de nous paisible- 
ment; mais dès qu’ils arrivoient sous le vent ,Vo- 
deur les faisoit fuir au grand galop. La promptitude 
de leur odorat est connue; quelquefois, quand le 
vent est fort, ils sont avertis de la présence de 
l’homme à deux ou trois milles de distance. Les 
buffles et les élans se rencontrent dans les mêmes 
prairies, et ne paroissent nullement affectés de leur 
présence réciproque; mais ils ne vont point ensem- 
ble ; ils ne s’associent qu'aux animaux de leur espèce. 
Outre l’élan, nous avons vu dans les prairies, avec 
le buffle, le loup ordinaire des prairies, qui paroït 
l’accompagner habituellement. En fait d'oiseaux, 
nous avons remarqué l’aigle chauve (falcoleucoce 
phalus) et la grue sauvage. On voit souvent le buffle 
se rouler et faire jaillir la poussière autour de lui 
on le prendroit alors de loin pour une baleine qui 
fait jouer ses évents. 

Cet animal est très difficile à tuer. M. Péale tira 
quatorze balles dans le poitrail d’un bufile avant de 
le tuer; et M. Scott, voulant s’assurer si une balle 
tirée dans la tête briserait l’os frontal, déchargea 
sa carabine à dix pas sur un buffle mort; la balle ne 
pénétra pas, mais s’embarrassa dans les poils où on 
la retrouva. Toutefois elle avoit frappé le front et y 
avoit laissé son empreinte avant de rebondir. Ce fait 
étoit conforme à l'opinion que M. Scott s’étoit for- 
mée sur ce sujet, ayant séjourné pendant près de 
dix ans dans un pays à buffles, et ayant eu de fré- 
quentes occasions de tirer sur eux dans toutes les 
directions. Son habileté et son adresse au tir sont 
proverbiales sur le Mississipi et le Missouri. Nous 
avons souvent été à même d’en être témoin, quoique 
la rareté de toute espèce de gibier, pendant la to- 
talité de l'expédition, excepté dans les prairies, 
aux sources de la rivière Rouge, ne lui donnât que 
de tares occasions de déployer son adresse en ce 
genre. 

Quand nous considérons la force, la taille, lagi- 
lité et la vélocité du buffle, nous regrettons qu’on 
n’ait point tenté encore avec succès d’apprivoiser 
ce noble animal, et de l’approprier aux besoins de 
l’homme. Au lieu de chercher à utiliser tant d’ani- 
maux précieux qui autrefois parcouraiert nos ré- 
gions , les colons paroiïssent s'être contentés d’im- 
porter ceux d'Europe. On ne sauroit douter que le 
bufle ne pût être apprivoisé, et ne remplaçät avec 
avantage le bœuf européen. Nous en avons vu un 
exemple. Une autre expérience qui seroit certaine- 
ment des plus intéressantes, ce seroit de constater 
si les deux races ne peuvent pas être croisées, et 
quel en seroit le résultat; c’est une épreuve digne 
d’être tentée. 


L'AUROCHS (1). 


A été l’objet d’un bon travail lu à l’Académie de 
Pétersbourg par M. Baer, travail fait sur les dé- 
pouilles d’un animal de cette espèce tué dans le 
Caucase. 

Le bœuf qu’on appelle auroch en France et en 
Allemagne, et zoubre en Russie, et que Cuvier à 
démontré être le même que celui que les anciens 
nommoient bison wisent (en Allemagne), a été, 
dans les temps reculés , répandu dans presque toute 
l'Europe. Beaucoup de noms de lieux (comme 
Wisantensteg et autres) ont conservé sa mémoire 
en Souabe. On chante sa chasse dans le Nibelun- 
genlied. Mais au temps de la renaissance des lettres, 
il n’yen avoit déjà plus en Allemagne. Il se maintint 
plus long-temps en Prusse et en diflérentes parties 
de la Pologne, où il a été observé et dessiné par 
Herberstain. Le dernier qu’on a tué en Prusse re- 
monte à 4755. Du temps de Forster fils, il ne s’en 
trouvoit plus en Pologne que dans la grande forêt 
de Bialowieza, où ii n’existe encore aujourd’hui que 
grâce aux soins avec lesquels le gouvernement russe 
veille à sa conservation. Cette localité étoit la seule 
où l’on croyoit que de nos jours s’étoit maintenu 
l'auroch. C’est donc une nouvelle intéressante pour 
la zoologie, que l’annonce de la présence de cet 
animal dans le Caucase, où l’on sait qu’il existe 
aussi un reste de tigres royaux et de panthères. 

M. Baer a comparé les dépouilles du zoubre 
adressé du Caucase, avec celles d’un zoubre prove- 
nant de la forêt de Bialowieza , que possède l’A ca- 
démie, Il a trouvé que, dans le premier, les cornes 
sont sensiblement plus grêles et plus courtes, et que 
la distance qui les sépare ou la largeur du front est 
moindre. Mais il pense que ces différences ne dé- 
pendent que du sexe, l’individu du Caucase étant 
une femelle. La couleur du pelage est aussi moins 
foncée et mêlée de gris; il est plus court dans la 
partie antérieure, et n’est crépu que sur le front et 
une partie de la nuque; mais M. Baer explique 
encore ces différences comme dépendant de la saison 
et de l’âge. Les sabots et les ergots sont beaucoup 
plus courts que dans l’individu de la Pologne, ce 
qui dépend sans doute de l’habitation sur les mon- 
tagnes. Il n’y à d’autres différences entre les deux 
aurochs, autant du moins qu’on peut en juger d'a- 
près une simple peau, qu'une courbure un peu 
différente des cornes et la présence d’un trait foncé 
qui règne sur le dos de l’un et manque sur celui de 
l’autre. Ces différences sont, comme on le voit, 
bien insuflisantes pour faire reconnoître si le bœuf 
sauvage du Caucase doit être regardé comme une 
espèce distincte du zoubre de la Lithuanie. Ce n’est 


(") Bos urus, Guy. ; Hesmés, no 95, p. 168. 


HISTOIRE NATURELLE 


que par l’examen des squelettes que cette question 
pourroit être éclaircie. | 

On a annoncé, il y a quelques années, l'existence 
d’un bœuf sauvage nommé gaour, dans l’intérieur 
de l’Inde, entre la côte de Coromandel et la baie de 
Caleutta. L'existence d’un zoubre du Caucase porte 
M. Baer à croire que ce bœuf est aussi un zoubre ; 
la description insuffisante, qui en a été donnée, se 
rapportant d’ailleurs assez bien à celle du soubre 
caucasien. M. Baer regarde encore comme probable 
que le même animal se trouve aussi au-delà du 
Gange. Il fonde cette présomption sur un récit;du 
capitaine Low dans le journal dela Société asiatique 
de Lordres. Enfin il ne doute point non plus de 
son habitation actuelle au milieu même de l'Asie 
centrale et vers la côte orientale. Il tient en effet de 
M. Schmidt que des écrits mongols font mention 
d’un bœuf sauvage vivant aux environs du lac 
Kokkonoor et dans la province chinoise de Khansi, 
qu'on a bien distingué cet animal du yak (bos 
grunniens), et que les dictionnaires mongols le dé- 
crivent ainsi : « Il ressemble au bœuf ordinaire ; la 
partie antérieure de son corps est haute, la partie 
postérieure inclinée et étroite. Le pelage est ar- 
doisé foncé, brun foncé ou noirâtre. » 

Le zoubre ou l’aurochs, dit-il en terminant, est 
donc encore aujourd’hui dispersé en quelques tri- 
bus bien éloignées les unes des autres. Dans la forêt 
de Bialowieza, il a pour voisin le glouton du Nord, 
et sur la côte de Tenasserim l'éléphant et le rhino- 
céros. Si maintenant nous rappelons l’idée de Pallas. 
qui, frappé de la ressemblance du bison d'Amérique 
et de l’aurochs d'Europe, et persuadé qu’il n’y avoit 
pas de zoubres en Asie, prétendoit que l’animal eu- 
ropéen pouvoit être arrivé de l’ouest, nous serons 
loin de croire fondée cette explication. 

Au sujet de ces mutations dans l'habitat de lqu- 
rochs, M. Baer fait, sur les variations qu’éprouve 
la distribution géographique des animaux, les ré- 
flexions suivantes : 

« Quelques animaux, dit-il, voyagent avec les 
plantes, d’autres avec l’homme; il y en a dont l’A- 
mérique a doté l'Europe, et en reyanche d’autres 
sont passés de l’ancien monde dans le nouveau. 
Parmi les mammifères, ce sont toujours les plus 
petits, appartenant aux rongeurs et aux insectivores, 
qui sont les plus conquérants. Le plus petit des 
mammifères, la musaraigne naine (sorex pygmæus, 
Pallas), que l’on n’avoit jamais vue'en Allemagne, a 
été observée, il y a quelques années, dans la Silésie 
et dans le Mecklembourg. Plusieurs espèces de sou- 
ris et de rats avancent continuellement de l’Asie en 
Europe. Il semble que le rat commun ait été inconnu 
dans les temps anciens, on l’a depuis long-temps 
dans toute l'Europe. Mais de nos jours ce rat gris 
noir (us rattus), n’est déjà plus le rat vulgaire; 
une autre espèce plus forte, si neuve, que Linné ne 


DES MAMMIFERES. 


la connoïssoit pas encore, et que Pallas désigne pour 
époque de son arrivée à Astr kan, l’an 1727, fait 
dispäroitre la première partout où le commerce 
s'établit : c’est le surmulot de Buffon, æwanderratte 
dés Allemands (mus recumanus, Pallas ); il a été 
transporté de nos jours par le Radejda au Kamts- 
chatka : c’est la véritable énseigne du commerce, 
et l’on peut dire qu’un lieu sans surmulots est un 
lieu sans commerce. 

Tout au contraire, les grands animaux se retirent 
et finissent par $e perdre, preuve que l'issue de la 
lutte entre l’homme et un animal, quels que soient 
sa force et son courage, est toujours à l'avantage du 
premier. C’est airisi que le lion, qui, selon Hérodote 
et Aristote, existoit de leurs temps encore en Ma- 
cédoine, après avoir long-temps occupé l’Asie-Mi- 
neure et la Syrie, est repoussé aujourd’hui hors des 


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frontières de la Perse et de l’Inde, dans quelques 


contrées désertes de l’Arabie, et n’est plus domi- 


nant qu'en Afrique. C’est ainsi que le crocodile 
n'existe plus dans la Basse-Egypte. C’est ainsi, en- 
fin, que l’hippopotame, la girafe et d’autres animaux 
colossaux se sont retirés dans l’intérieur de l'Afrique. 

Mais il y a aussi des espèces animales qui ont été 
anéanties dans les temps historiques. Ainsi l’urus 
des anciens, qui, du temps de César, étoit commun 
en Allemagne, n’existoit plus au seizième siècle, La 
vache-marine de la mer de Kamtschatka a une histoire 
beaucoup plus courte. En effet, ce n’est qu’au com- 
mencement du dix-huitième siècle qu’on en a eu 
connoissance. Steller en a donné une description 
détaillée en 1745 et en 1768, c’est-à-dire seulement 
vingt-cinq ans après que le dernier individu étoit 
détruit. à 


er 


LIVRE XL 


LES MAMMIFÈRES CÉTACES. 


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 


Le monde physique, déstiné à l'habitation de tous 
lés animaux, fie paroiît formé que de deux milieux : 
l’un, térrestre, se coinpose de la surface entière et 
Sblide du globe ; l’autre, aqueux et beaucoup plus 
considérable en étendue, couvre la plus grande par- 
tie dé notre planète. E’atmosphère, constituant une 
épaisse couche gazeuse qui les presse tous les deux, 
sért, quoique par des moyens différents, à entre- 
tenir dans chaque être le principe de la vie. Mais 
on concoit alors que, sans s’astreindre à des règles 
fixes , la puissance organisatrice de la matière donna 
à chacuñ des êtres destinés à passer leur vie dans 
l’un ou l’autre de ces milieux des formes accommo- 
dées aux mœurs qui leur furent départies. Tou efois, 
se jouant des lignes de démarcation que se trace la 
foiblésse de notre intelligence, elle brusqua quelque- 
fois les formes typiques, et essaya de présenter des 
cas qui, pour nous, sont exceptionnels, mais qui, 
aux yeux du véritable observateur, prouvent sa 
puissinée. Aussi, en confinant sur la terre le plus 
grand nombre de mammifères, la nature dénna à 
plusieurs dés habitudes et des formes tout aquati- 
ques; et, quoique destinant à ne point sortir du sein 
des mers la plupart des crustacés et des mollusques, 
elle voulut qu’il en existät de terrestres. Cependant 
une classe d'êtres, dont les individus affectent tou- 
tes les formes possibles, les poissons semblent avoir 
été façonnés pour vivre exclusivement au milieu 
du fluidé äquéux.Si les animaux térréstres, en effet, 


nous paroissent munis d'organes locomoteurs des- 
tinés à la marche, au vol, ou même à la natation, 
les poissons sont entièrenient disposés pour se mou- 
voir dans l’eau à l’aide de rames qui pressent ce 
liquide. On conçoit que leur forme, convenable 
pour cette sorte de séjour, à dû se retrouver plus 
ou moins complétement chez tous les animaux des- 
tinés à habiter les eaux, et les cétacés ne sont, en 
effet, que des mamfifères terrestres dont les or- 
ganes intérieurs sont cachés sous les formes aqua- 
tiques par excellence, ou celles des poissons. Les 
cétacés , par leur organisation mixte, portent à pen- 
ser que la nature, essayant ses forces après la créa- 
tion des poissons , combina des organes d’unenaturé 
plus complexe , et forma ainsi le vrai lien par lequel, 
dans l’échelle des êtres, on s'élève de ceux-ci aux 
mammifères. Les phoques d’ailleurs, à corps poilu, 
à membres empâtés par des membranes, ne se rap- 
prochent-ils pas des cétacés par les dugongs, qui 
semblent placés sur les limites des deux genres ? IL 
est de fait que toute ridicule qu’a paru aux yeux de 
beaucoup de savants l’opinion de Demaillet dans son 
Telliamed , qui regardoit l’eau comme lé centre de 
toute création, cette opinion, purement conjectu- 
rale , n’étoit pas dénuée de vraisemblance, en ne la 
considérant d’ailleurs que comme une hypothèse 
ingénieuse. 

Les cétacés ont donc les formes générales et ex- 
térieures des poissons : ils en ont aussi les habitudes, 
les mœurs, et même le genre de vie. Tous paroissent 
organisés sûr lé même plan ; ils ne diffèrent presque 


556 


point par l'enveloppe extérieure, et par le nombre 
des nageoires, ou du moins les différences sont peu 
importantes. Il n’enest pas de même des dimensions 
de leur taille; elles varient depuis les proportions 
colossales jusqu’à celles plus rapprochées des autres 
êtres. Leur peau est toujours nue, lisse; leurs or- 
ganes locomoteurs sont de larges et robustes nageoi- 
res qui assurent la rapidité de leur course. Destinés 
à vivre dans les immenses et vastes solitudes des 
mers, la plupart acquièrent une taille énorme. C’est 
en effet parmi les cétacés qu’on cite les plus grands, 
les plus gigantesques des animaux. A les voir orga- 
nisés en apparence comme des poissons, on est porté 
à hésiter sur leur identité d'organisation avec les 
mammifères : aussi tous les anciens auteurs, jusqu’à 
Bloch, ne les plaçoient point, dans leurs ouvrages, 
ailleurs que parmi les poissons, et les naturalistes 
modernes les rejettent à la fin de toutes les familles 
des vrais mammifères. Cependant une distinction 
assez importante qui les caractérise extérieurement 
est d’avoir une nageoire caudale toujours horizon- 
tale, tandis qu’elle est verticale chez les poissons. 
Les cétacés sont donc, pour les naturalistes, des 
mammifères à sang chaud, vivipares, respirant l'air 
en nature par les poumons , s'accouplant comme les 
animaux terrestres, et nourrissant leurs petits avec 
le lait de deux mamelles placées tantôt sur la poi- 
trine et tantôt sur l’abdomen. Mais comme leurs 
organes pulmonaires absorbent une grande quantité 
d’air atmosphérique, ils sont forcés de venir respirer 
fréquemment à la surface de l’eau, et de réparer sans 
cesse les quantités qui se consomment par l’acte 
respiratoire. Dans les poissons, au contraire , la fonc- 
tion de l’oxigénation du sang s’exécute à l’aide d’or- 
ganes particuliers nommés branchies , qui décompo- 
sent ou séparent l’air de l'eau. Les oreilles des 
cétacés, privées de conque, sont percées à l’extérieur 
par un étroit canal. Quant aux membres postérieurs, 
ils manquent complétement : ils sont remplacés par 
une large nageoire cartilagineuse, horizontale et 
aplatie. La tête n’est point distincte du tronc, ou, 
pour mieux dire, il n’y a pas de cou. Les os des 
extrémités antérieures sont raccourcis, disposés en 
nageoires que forment des enveloppes tendineuses 
épaisses. 

Ainsi donc les cétacés paroissent taillés sur le 
même modèle. Il n’y a pas chez eux comme chez les 
autres animaux de ces dissemblances frappantes. 
Leurs principales lois d'opposition sont prises dans 
le système dentaire; c’est en effet là que gisent les 
seuls caractères qui puissent servir à isoler les gen- 
res, car ceux qu’on emprunte à la présence ou à 
l'absence des nageoires du dos ne sont que très se- 
condaires, et sans doute peu importants dans les 
habitudes de l’animal. Il n’en est pas de même, 
disons-nous, des rangées de petits os qui meublent 
les mâchoires. De leur forme comme de leur dispo- 


= 


HISTOIRE NATURELLE 


sition dérivent de nombreuses différences dans le 
genre de vie et dans les mœurs. Certes il existe une 
distinction bien nette à établir entre les baleines à 
mâchoires garnies d’une matière fibreuse, formant 
ce qu’on nomme des fanons, et les cachalots à mâ- 
choire inférieure munie de dents très robustes, ou les 
dauphins dont les deux maxillaires sont hérissées de 
dents nombreuses et acérées. On pourra assurément 
dire des baleines que leurs mœurs sont douces, lour- 
des et stupides peut-être , que les cachalots sont cou- 
rageux et cruels, et que les dauphins sont voraces et 
toujours affamés. 

Pormi les cétacés se trouvent les plus grands ani- 
maux connus. Il est de fait que ces géants du règne 
animal, occupant les espaces immenses des mers, 
devoient être en rapport avec la vaste surface qu'ils 
sont appelés à animer. Ainsi les terres étendues et 
désertes de l’Afrique sont la patrie des plus grands 
quadrupèdes, tels que l’éléphant africain , le rhino- 
céros, la girafe, etc. Ainsi les plateaux de l’Asie 
nourrissent l'éléphant asiatique, le tigre; Bornéo, 
les grands orangs, etc. Tous les cétacés cependant 
n’acquièrent pas des proportions très fortes, et la 
plupart des dauphins ne diffèrent point par ia taille 
des grands squales. Les baleines et les cachalots 
sont donc les seuls genres où les individus prennent 
ces dimensions, qui, tout exagérées qu'on les a fai- 
tes, sont prodigieusement disproportionnées, tou- 
tefois, avec e que nous connoissons dans la nature 
animée. Mais le cercle de leur existence, quoique 
enveloppé d’une profonde obscurité , paroît s’écou- 
ler dans la répétition des mêmes actes. Les besoin# 
de la nourriture, se faisant sentir chaque jour, ra- 
mènent la même industrie, c’est-à-dire la chasse de 
la pâture. 

Les mœurs des grands cétacés sont stupides; ils 
ignorent les moyens d'attaquer, et ne se défendent 
qu’en employant les mouvements brusques et vigou- 
reux de leur lourde masse. Les dauphins seuls, et 
surtout quelques espèces, paroissent au contraire 
belliqueux et se plaire dans les combats qu’attestent 
les profondes blessures dont leurs corps sont sillon- 
nés. Des ennemis redoutables les assiégent fréquem- 
ment et les attaquent à outrance. Il est bien rare en 
effet que, malgré leur petite taille , les armes dan- 
gereuses dont ils sont munis neles fassent triompher 
d'animaux dont l'énorme corpulence n’est garantie 
de leurs atteintes que par une épaisse couche de 
graisse fluide. 

Ils habitent constamment dans l’eau ; mais si la 
plupart d’entre eux, et surtout les grands cétacés, 
ne se plaisent qu’au milieu des mers, et surtout dans 
les parages les plus tempêtueux , et dont les vagues 
sont les plus agitées des grands océans, plusieurs 
aussi affectionnent les rivages, ou bien recherchent 
les eaux douces qu’ils abandonnent rarement. Ces 


derniers sont peu nombreux , il est vrai, mais enfin 


DES MAMMIFERES. 


ilren existe au moins trois espèces qui présentent 
cette particularité dans leur genre de vie. Le mar- 
souin, au contraire, vivant d'habitude sur les côtes, 
fréquente souvent les fleuves et les rivières, attiré 
par les poissons qu’il poursuit; et c’est ainsi qu'on 
a vu un de ces cétacés remonter la Seine jusqu’à 
Paris. Mais ce qui est plus important pour le natu- 
raliste est de fixer les zones où chaque espèce sem- 
ble s’arrêter, de tracer en quelque sorte le cercle de 
son domaine, soit dans les mers qui baignent les 
pôles, soit dans celles qui sont situées sous l’équa- 
teur, dans les deux hémisphères. Ici, il faut 
l’avouer, règne encore une grande incertitude. Il est 
généralement admis en eflet que les grands cétacés 
les plus connus sont répandus dans toutes les mers 
du globe , et que la baleine ou le cachalot macrocé- 
phale des mers du Nord sontidentiques dans le Grand 
Océan , soit dans la partie qui baigne les côtes nord- 
ouest d'Amérique, soit dans les mers du cap Horn, 
ou du sud de la Nouvelle-Hollande. Ilest de fait 
que les capitaines baleiniers que nous avons consul- 
tés à ce sujet nous ont toujours aflirmé cette iden- 
tité, et que les baleines ou les cachalots que nous 
avons vus sous tous les paralièles possibles du nord 
au sud , ou sous l’équateur, dans la mer Pacilique 
comme dans l’océan Atlantique, nous ont paru ne 
différer en rien des mêmes célacés des mers du Nord 
tels qu’ils sent décrits (1). Mais nous savons qu’il 
n’en est pas de même pour les dauphins ; ils subis- 
sent les lois imposées à tous les animaux dans l’état 
de nature, ils ne sortent point de certaines limites. 
Dans celles-ci sont toutes les conditions qui sont ap- 
propriées à leur espèce: c’est là qu'ils trouvent le 
genre d’aliment qui leur convient, la nature et la 


() Cependant on connoît actuellement des cachalots 
et des baleinoptéres qui paroissent exclusivement pro- 
pres aux mers du pôle sud, et Péron ( Voyage aux 
Terres Australes, t. IH, p. 243) s’est formellement ex- 
primé sur la non-identité des cétacés du nord et du sud 
lorsqu'il dit : «Les voyageurs et les naturalistes ayant 
» confondu sous un même nom, pour ainsi dire à l'envi 
» les uns des autres, des animaux essentiellement diffé- 
» rents, il n’est aucune classe du rêgne animal qui, dans 
» l’état actuel des choses, ne compte plusieurs espêces 
» orbicoles..…. Ainsi on voit répéter chaque jour, dans 
» les ouvrages les plus estimables d’ailleurs, que la 
» grande baleine ( balæna mysticetus) se retrouve éga- 
» lement au milieu des frimas du Spitzberg et des glaces 
» du pôle antarctique, etc. Quand on ne consulteroit 
» que la raison et l’analogie, de telles assertions pour- 
» roient paroître douteuses ; en recourant à l'expérience, 
»elles se trouvent absolument fausses, etc.» Malgré 
celle opinion s itranchante de Péron, et que nous 
croyons trés vraie pour la presque totalité des animaux, 
et même pour la plupart des cétacés, nous persistons, 
jusqu'à de nouvelles et de meilleures observations, à 
croire que celte loi n’est pas entièrement applicable à 
des animaux marins tels que la baleine et les cachalots, 
qu’on trouve aussi bien au milieu des glaces que sous 
le soleil de l'équateur. 


997 
température des eaux auxquelles leurs organes sont 
habitués : c’est sous ces latitudes que sont renfer- 
mées toutes les nécessités de leur vie ; ainsi le sud a 
le delphinaptère de Péron, et son remplaçant dans 
le nord est le béluga; ainsi les dauphins des côtes 
d'Islande, ou même de l’Europe, ne sont nulle- 
ment ceux des mers antarctiques. 

Les armements considérables que les peuples ci- 
vilisés ont dirigés vers les grands cétacés ont na- 
turellement dû changer pour eux les limites de leur 
séjour. Sans cesse chassés des mers où ils trouvoient 
abondamment leur nourriture, ils se sont retirés 
vers les contrées qui leur présentoient momentané- 
ment un abri protecteur, et c’est ainsi qu’ils ont été 
refoulés vers le nord et vers le sud ; mais cependant 
il est diflicile de croire que des animaux dont les 
proportions sont considérables aient pu se contenter 
d’un espace étroit de mer où ils auroient bientôt 
épuisé les aliments qui leur sont appropriés, et 
comme leur taille surpasse celle de tous les autres 
êtres, de même l’étendue des mers a dû leur être 
concédée. L'eau d’ailleurs est un fluide dont la tem- 
pérature est beaucoup plus égale que celle de l'air, 
etpar conséquent l'habitation constante au milieu de 
ce fluide doit avoir sur les cétacés une influence bien 
moindre que les changements annuels de tempéra- 
ture de l’eté à l'hiver n’en ont pour les animaux des 
climats tempérés. On doit même supposer, à la 
grande masse de sang et à la chaleur énorme qui 
doit en résulter pour le phénomène de la circulation 
chez ces êtres, qu’ils éprouvent au moins arnuel- 
lement le besoin de vivre près des glaces dans des 
milieux où l’eau qui les entoure puisse leur enlever 
cet exeédant de chaleur, vers l’époque du rut sur- 
tout. On sait en effet que les phoques, dans la sai- 
son des amours, se réunissent sur les glaçons flot- 
tants, ou sur les côtes inhospitalières des îles les 
plus reculées dans le sud ou dans le nord , pour y 
satisfaire à ce premier besoin ie tous les animaux. 

La na’ation ou le mouvement locomoteur qui par- 
met aux cétacés de se transporter d’un lieu à un 
autre est extrêmement rapide; tout chez eux est or- 
ganisé pour accroitre la puissance de la marche; et 
si l’on peut se servir d’une comparaison assez juste, 
ce sont les oiseaux de la mer. Leur charpente os- 
seuse, solide, les muscles nombreux et puissants, 
la graisse huileuse qui leur sert d’atmosphère, et 
qui en grossissant le corps augmente sa légèreté(!) 
spécifique par rapport à la densité de l’eau qu’il 
déplace, de robustes et le plus souvent de larges 


() La graisse abondante des cétacés paroît devoir 
porter à l'extérieur ce que les poissons ont à l’intérieur. 
Ces derniers ont des chairs compactes et pesantes ; 
mais une vessie aérienne compense le trop de pesanteur 
avec le déplacement de l’eau. On remarque le contraire 
chez les cétacés, et l'enveloppe huileuse ballonnée qui 
empâte les chairs remplace la vessie aérienne, 


08 


nageoires, une forme en cône caréné, tout, en un 
mot, est disposé pour que la natation soit chez eux 
puissante, continue et facile. Ne falloit-il pas en 
effet cette disposition pour vaincre la résistance op- 
posée par des vagues que là tempête bouleverse, ou 
parcourir en tout sens d’assez grandes distances pour 
trouver la nourriture journalière ? 

Nous avons vu que les cétacés respiroient l'air en 
nature; mais comme leur tête est presque constam- 
ment plongée sous l’eau, et que lorsqu’ils viennent 
à la surface la partie supérieure de leur corps s'élève 
seule hors de ce liquide, ils ont dû recevoir une or- 
ganisation particulière, en un mot avoir sur le som- 
met de la tête des ouvertures préparées pour l'acte 
respiratoire, et qu’on nomme évents. M. le baron 
Cuvier est le premier qui ait bien décrit le méca- 
nisme par lequel l’eau qui entre dans le pharynx des 
cétacés, lorsqu'ils saisissent leur proie , est rejetée 
au dehors par ces évents, et aussi comment, par 
une sorte d'aspiration, l’air extérieur ÿ est introduit 
pour passer dans les poumons. Ces évents se com- 
posent de deux fortes poches musculaires munies de 
soupape et dont les parois sont très élastiques. L'eau 
qui s’introduit dans la bouche est forcée d'entrer 
dans ce canal par la contraction des muscles orbicu- 
laires du pharynx, et est rejetée de diverses ma- 
nières, tantôt en colonne très serrée comme chez les 
baleines, tantôt en gerbe comme chez les cachalots: 
Les dauphins au contraire, dont les tubes des évents 
sont presque entièrement osseux , n’ont pas la même 
puissance musculaire dans leurs parois supérieures ; 
et l’eau qui en sort n’en jaillit point, mais s’en écoule 
simplement en ruisselant sur les bords. 

Les évents qui s'ouvrent sur le sommet de la tête 
sont à la fois les canaux par lesquels est rejetée l’eau 
introduite dans la bouche, et les vraies narines des 
cétacés. Dans les poissons osseux au contraire, cette 
eau, refoulée de la bouche dans les branchies , est 
rejetée par les fentes des operculës, bien que Îles 
évents existent aussi chez quelques poissons chon- 
droptérygiens, tels que les raies et les squales. M. Cu- 
vier décrit ainsi les modifications qu'ont dû éprouver 
lés narines pour remplir à la fois les deux buts de 
la respiration et du rejet de l’eau avalée. « Si l'on 
» suit l'œsophage de bas en haut, on trouve qu’ar- 
» rivé à la hauteur du larynx, il semble se partager 
» en deux conduits dont l’un se continue dans la 
» bouche et l’autre remonte dans le nez; ce dernier 
» est entouré de glandes et de fibres charnues for- 
» mant plusieurs muscles.Les uns, longitudinaux, in- 

» sérés au pourtour de l’orifice postérieur des narines, 
» descendent jusqu’au pharynx ; les autres, annu- 
» laires, semblent être une continuation du muscle 
» propre du pharynx. Comme le larynx s'élève dans 
» ce conduit en obélisque ou en pyramide, il peut 
» être serré par les contractions de ces fibres annu- 
» laires. Toute cette partie est pourvue de follicules 


HISTOIRE NATURELLE 


» muqueux versant leur fluide par dés trous bien 
» visibles ; une fois arrivée au vomer, la membrarie 
» interne du coriduit, qui devient celle des narines 
» osseuses, prénd uñ tissu uni et sec. Les deux na- 
» rines, osseuses à leur orifice supérieur, sont munies 
» d’une valvule charnue en forme de deux demi- 
» cercles, attachée au bord antérieur de cet orifice 
» qu’elle ferme au moyen d’un muscle très fort 'cou- 
» ché sur les os inter-maxillaires ; pouf l’ouvrir il 
» faut un effort puissant de bas en haut. L’abaisse- 
» ment de la valvule intercepte toute communication 
» entre les närines et les cavités placées au -dessus: 
» Ces cavités sont deux grandes poches membra- 
» neuses formées d’une peau noirâtre et muqueuse, 
» très ridées quand elles sont vides, et ovales quand 
» elles sont distendues; elles sont situées entre là 
» peau et la surface osseuse, et circonscrivent l’ori- 
» fice antérieur des narines osseuses. Toutes deux 
» donnent dans une cavité intermédiaire placée im= 
» médiatement sur les narines, et communiquant aü 
» dehors par une fente étroite en forme d’arc. Des 
» fibres charnues très fortes forment une expansion 
» au-dessus de tout cet appareil ; elles convergétit 
» de tout le pourtour du crâne sur les deux bourses 


‘ » qu’elles peuvent comprimer fortement. » 


On explique de cette manière le jeu des évents. 
La bouche se remplissant d’eau , la langüe et les mâ- 
choires se meuvent comme pour la déglutition ; mais 
le pharynx, en se fermant, fait refluer l’eau du con< 
duit œsophagien inférieur au larynx ; ce mouvement 
réfléchi est accéléré par les fibres annulaires au point 
de soulever la valvule, et l’eau parvient dans les 
deux poches supérieures. Là elle peut séjourner jus- 
qu’à ce que l’animal veuille la projéter : alors, fixant 
la valvule, pour empêcher Peau de redescendre il 
comprime les poches latérales au moyen des fibres 
sus-jacentes. Cette compression fait sortir l’eau par 
la fente extérieure avec une vitesse et une hauteur 
proportionnées à l’intensité de la force musculaire: 
Les évents des poissons au contraire paroissent avoir 
pour fonction de laisser introduire l’eau, mais non 
de l’expulser. 

Toutefois, le mécanisme de ces canaux efférents, 
quoique s’exerçant de la même manière chez tous 
les cétacés, est accommodé aux formes propres aux 
espèces de chaque famille ; le canal osseux dès évents 
des dauphins est unique, tandis que chez les baleines 
ilest double, ou plutôt divisé en deux canaux par 
un diaphragme osseux longitudinal; le supérieur 
sert au passage de l'air seul, et aboutit au siége de 
l’odorat, et l’autre, inférieur, est uniquement destiné à 
conduire l’eau. Quant à la place qu’occupe l’ouver- 
ture des évents, el'e varie dans chaque famille ; ainsi 
les dauphins l’ont sur le sommet de la tête perpen- 
diculairement à son axe, et en forme de croissant; 
les baleines ont d’abord leurs canaux osséüx obli- 
ques, puis ils se redressent pour s’ouvrir sur 1e $6m- 


DES MAMMIFÈRES. 


met de la tête aux deux tiers antérieurs de l’œil. Dans 
les cachalots au contraire l’évent semble placé sur le 
rebord de l’extrémité tronquée que présente la tête. 
Les cétacés herbivores, tels que les lamantins, les 
dugongs, ont des évents qui ne diffèrent presque 
point par la grandeur des narines des phoques, et 
c’est sans doute par inadvertance que M. Latreille, 
dans ses Familles du règne animal, a imprimé qu’ils 
en étoient privés. Les anciens auteurs considéroient 
ces ouvertures comme le siége principal du sens de 
l’odorat. 

Long-temps on avoit eru que les cétacés pouvoient 
respirer sous l’eau sans avoir besoin du contact de 
l'air atmosphérique, et que ce phénomène s’exécu- 
toit par un mécanisme particulier des organes de la 
circulation, et qu’ils conservoient toute leur vie le 
trou ovale, ouverture qui fait communiquer les deux 
oreillettes du cœur, et permet au sang veineux de 
se confondre avec le sang artériel, sans passer par 
les poumons. Ce trou ovale, qui existe tant que le 
fœtus est dans le sein de sa mère, se ferme lorsque 
le jeune animal apparoît à la lumiere, et que les pou- 
mons par le contact de l'air extérieur entrent en 
exercice. Mais cette idée erronée, combattue depuis 
long-temps, a été complétement démontrée fausse, 
et le trou de Botal, chez les cétacés, s’oblitère au 
moment de la naissance comme chez les autres ani- 
maux. Ce qui le prouve d’ailleurs d’une manière dé- 
cisive, c'est qu'aussitôt qu’un cétacé est pris dans 
quelque piége, et qu'il ne peut venir respirer à la 
surface de l’eau, il meurt asphyxié. 

Avant de considérer les animaux qui nous occu- 
pent sous le rapport général de leur organisation et 
de quelques unes des fonctions qu’ils sont appelés 
à remplir, peut-être devons-nous étudier la manière 
dont ils se mettent en rapport avec les corps qui les 
environnent, ou en d’autres termes, quelle est chez 
eux l’étendue des facultés des sens. Nous avouerons 
que l’ample dose de sensibilité dont on les 4 dotés 
n’est pas digne d’être citée, et que rien ne nous pa- 
roit moins sensible qu’une monstrueuse baleine, dont 
tous les sens sont émoussés sous des couches d’un 
tissu cellulaire épais, qu'animent à peine quelques 
filets nerveux, peu en rapport avec les surfaces dont 
ils doivent exciter vitalement les propriétés, et que 
parcourent très peu de vaisseaux. Pour s'emparer 
d’un cétacé quel qu'il soit, il faut toujours en effet 
frapper un viscère principal, et retenir l'animal qui 
emporte avec lui le harpon qui l’a blessé, en filant 
une corde dont la mollesse atteste la cessation des 
forces à la suite de la perte du sang, et c’est alors 
seulement qu'on la retire, et souvent encore il ar- 
rive que l'animal, se débattant, brise par un dernier 
effort, au moment où il va être sorti de l’eau, l'arme 
enfoncée profondément ; il meurt au loin, ou sou- 
vent il guérit de ses blessures lorsqu’elles n’intéres- 


559 


sent que les tissus adipeux et musculaire. Les sens 
sont en général trop obtus : aussi tous les cétacés 
semblent avoir bien moins d'intelligence et d’indus- 
trie que les poissons. Le tact doit être peu sensible, 
et probablement qu’il ne s’exerce bien que sur les 
aliments en se joignant au goût. Le tact paroitroit 
donc résider dans les cryptes qui existent sur le re- 
bord de la bouche, là où les nerfs du goût se joignent 
à ceux de l’odorat. Les nageoires et la peau, sur la 
surface du corps, ne semblent propres en effet qu’à 
rendre compte des chocs rudes et brusques, mais 
sont incapables d'apprécier les sensations qui ne sont 
pas de nature douloureuse. L’odorat par suite est 
aussi très restreint chez la plupart des cétacés. Les 
baleines seules reçoivent dans la lame criblée de leur 
ethmoïde assez de filets nerveux pour percevoir quel- 
ques odeurs. Les dauphins et les cachalots, chez les- 
quels cette lame est imperforée, n’ont aucune trace 
du nerf ethmoïdal. Aussi a-t-on cru que chez eux 
l’olfaction avoit son siége dans les larges cavités pté- 
rygo-palatines dont les crânes des baleines sont pri- 
vés. Mais on a trop oublié peut-être que l’odorat, 
dans les animaux destinés à vivre dans la mer, étoit 
confondu avec le goût, et que les effluves ou plutôt 
les odeurs ne leur étoient apportées que dissoutes, 
et que par conséquent elles ne pouvoient être per- 
cues qu'après que l’eau a frappé les parties sensibles 
de l’intérieur de Ja bouche; qu’ainsi les sensations 
produites par les corps, et ayant pour véhicule l’air, 
étoient des odeurs, et que celles que l’eau dissout 
sont des saveurs : les cétacés alors n’ont pas besoin 
d’odorat proprement dit. 

Quant au goût il doit être très borné. L'appareil 
de la mastication, en effet, annonce que chez tous 
les cétacés il est destiné plutôt à enlacer et à retenir 
la proie qu'a la triturer et la réduire en bol que la 
langue et les membranes environnantes doivent pré- 
senter à la luette ou sentinelle du goût. Chez tous les 
cétacés, la langue est plus ou moins enveloppée de 
graisse ; elle est immobile, sans muscles moteurs, 
privée de papilles, revêtue d’une peau très lisse de 
nature sèche, et plutôt épidermique, et ses fonctions 
doivent être très bornées. Les fanons des baleines 
sont d’ailleurs des sortes de tamis qui arrêtent tous 
les petits animaux qui forment sa nourriture. Chez 
les dauphins et les cachalots, les dents font plutôt 
l'office de crochets qu’elles ne servent à déchirer la 
proie. Dans le petit groupe des cétacés herbivores, 
on conçoit naturellement que le genre de vie a né- 
cessité une modification dans la forme de la couronne 
de chaque os des arcades dentaires. Il en résulte 
naturellement que l'estomac chez les cétacés est le 
principal et presque le seul agent de la digestion pro- 
prement dite, et que la proie y arrive entière et sans 
élaboration préalable. 

L’ouïe est renfermée dans un os qui ne fait point 


560 


partie de la boîte osseuse crânienne, ou qui n’y tient 
que par des ligaments ; de sorte que l'appareil de 
l'audition se trouve ainsi flottant au milieu d'un tissu 
cellulaire abondant. Il doit en résulter une percep- 
tion de sons très incomplète, et c’est aussi ce qui 
arrive ; car souvent un navire à la voile passe avec 
un rapide sillage près des grands cétacés sans que 
ceux-ci en aient connoissance que lorsqu'ils sont pro- 
ches, et encore lorsque la vue fixe leur attention. 
D'ailleurs l'appareil auditif, privé de conque pour 
rassembler les sons, ne les reçoit qu’à travers une 
fissure étroite, qui forme un canal sinueux ouvert 
derrière les yeux, et chez plusieurs cette fissure est 
même oblitérée (1). 

La voix est réduite à une sorte de mugissement. 
Nous pouvons aflirmer en effet que des dauphins, 
que très souvent nos matelots harponnèrent, et qu’on 
hissoit à bord du navire encore vivants , où on les 
dépecoit bien avant qu’ils eussent rendu le dernier 
soupir, ne faisoient entendre aucun bruit, et qu’ils 
bornoient l’expression de leur douleur à de violents 
mouvements musculaires. N’auroit-on pas pris pour 
des mugissements le bruit fort et aigu que produit 
l'air violemment refoulé dans les évents par un ani- 
mal en proie aux angoisses de la mort ? 

La vue s’exerce de différentes manières chez les cé- 
tacés, et les organes qui en sont le siége sont peu en 
rapport par leur petitesse avec le reste des autres 
appareils. Ainsi les yeux, entre eux, éprouvent un 
écartement immense chez la baleine et les cachalots, 
et ne peuvent servir qu'à la vision latérale, et ce 
gui doit le plus étonner, est le défaut de régularité 
par rapport à la ligne médiane qui existe entre eux 
dans quelques genres. Nous croyons que ce manque 
de régularité est accommodé à la natation de ces ani- 


(”) Les mammifères qui vivent dans l’eau, dit M. de 
Blainville ( Anatomie comparée, 1. 1, p. 481 ), offrent 
quelque analogie dans l'appareil de l'audition avec cer- 
tains animaux terrestres, c'est-à-dire que cette analogie 
pe se trouve pas dans le peu de développement du la- 
byrinthe qui est souvent remarquable par sa petitesse, 
mais seulement dans la disparition graduelie de la par- 
tie extérieure ou de recueillement. C’est ce que l’on 
voit, pour ce dernier point, en étudiant successivement 
les loutres, les phoques, les lamantins, et enfin les céta- 
cés. Les premiers ont encore la conque complète, quoi- 
que beaucoup plus petite que dans les autres carnas- 
siers vermiformes : les premières espèces de phoques 
ont aussi un petit rudiment de conque extérieure qui 
disparoît tout-à-fait dans les dernières. Chez les laman- 
tins et la plupart des dauphins, la conque n’est plus 
qu’un tube fort étroit qui s’ouvre encore à la peau par 
un orifice trés petit, et qu’on a souvent beaucoup de 
peine à apercevoir. Mais dans beaucoup d'espèces de 
ceux-ci, et dans les cachalots et les baleines, ce tube se 
réduit en une sorte de ligament qui va à peine jusqu’à la 
peau, el par conséquent l'oreille moyenne n’a pas d’ou- 
verture réellement extérieure; elle n’a que celle de la 
trompe dans l’arrière-bouche. » 


HISTOIRE NATURELLE 


maux : natation qui, lorsqu'elle est rapide, s’exerce 
toujours d’un côté sur l’autre, et rend le mécanisme 
de la vision subordonné à la position ou en haut ou 
en bas, que chaque côté occupe à son tour. Dans les 
autres cétacés , le type de la vision normale est ob- 
servé, et le peu d'écartement que les orbites ont 
entre eux permet qu’elle s'exécute comme chez les 
vrais mammifères. Au reste, on ne connoit que très 
peu la répartition des humeurs de l’œil ; seulement 
les formes du globe et celles du cristallin viennent 
confirmer cette loi, que plus un animal est destiné 
à vivre dans l’eau, plus la siccité et la convexité de 
ces parties est grande. Quantaux organes accessoires, 
‘tels que la glande lacrymale et les cils, ils manquent 
complétement, et la mobilité des fibres du palpébral 
est presque nulle. 

Nous ajouterons aux détails précédents un aperçu 
sommaire sur la forme du squelette des cétacés , ré- 
servant pour l’histoire de chaque famille en parti- 
culier les traits caractéristiques d’organisation qu’il 
sera intéressant de faire connoître. La charpente os- 
seuse de ces animaux est dépourvue de membres 
postérieurs, et le bassin même se trouve réduit à un 
état rudimentaire , et ne se compose que de trois os- 
selets, dont celui du milieu est impair, et simule 
l’arcade pubienne. La colonne vertébrale aboutit à 
la queue, et le passage du tronc à cette partie se fait 
par une diminution successive d’ampleur. Les os qui 
forment les crânes des cétacés herbivores notam- 
ment n’acquièrent point de développement plus con- 
sidérable que chez les autres mammifères ; mais les 
os de la face des baleines et des cachalots prennent 
des dimensions énormes; les membres antérieurs 
sont très courts, aplatis, disposés en nageoires, et les 
phalanges sont empâtées au milieu de la membrane 
des ailerons sous forme de baguettes osseuses, roides 
et inflexibles. Ce qui caractérise surtout les vertèbres 
est l’amincissement extrême du corps des cervicales, 
et c’est à cette disposition qu'est due la nullité ap- 
parente du cou: car les vrais cétacés ne jouissent de 
mouvements de flexion de cette partie dans aucun 
sens Déjà cependant le cou est un peu plus prononcé 
chez les cétacés herbivores : aussi ces animaux ont- 
ils été long-temps placés à côté des morses, et font-ils 
naturel ement le passage des cétacés aux amphibies 
ou phocacées. Quant aux formes des dents, elles sont 
assez identiquement les mêmes pour,tous, ou du 
moins en en exceptant les baleines, qui n’ont la mâ- 
choire garnie que de lames cornées d’une nature par- 
ticulière. Ces dents sont toujours creusées en cônes 
à leur base, pyramidales et pointues à leur sommet ; 
et l'énorme défense du narwhal ne contrarie même 
pas cette règle : celles des cétacés herbivores sont à 
couronne plate; mais si les os de la face (1) ont recu 


() Les os des cétacés sont extrêmement celluleux dans 


DES MAMMIFÈRES. 


un développement aussi considérable , le crâne n’a 
point eu d’agrandissement dans sa capacité, et le cer- 
veau, qu’il est destiné à loger, est toujours très petit 
par rapport à l’ensemble de l’animal : autre cause 
pour que le jugement soit presque nul chez les cé- 
tacés. Les dauphins seuls ont une capacité cérébrale 
un peu plus en rapport avec leur taille : aussi leur 
attribue-t-on plus d'intelligence, bien qu’il y ait 
beaucoup à dire sur ce sujet. Dans l’accroissement 
considérable qu'ont reçu les os de la face, ce sont les 
maxillaires supérieurs qui ont été surtout très allon- 
gés ; mais les inter-maxillaires n’adhèrent au pour- 
tour du museau que par une pointe étroite : dans le 
dugong cependant, ces os inter-maxillaires suppor- 
tent des dents disposées en défenses qui sont propres 
à cet animal. 


La nature a enveloppé la masse des muscles, dont 
les fibres puissantes forment de nombreux plans sur 
les parties osseuses, par une épaisse couche de tissu 
cellulaire que recouvre un épiderme parcheminacé 
très lisse, qui, s’isolant très aisément par la dessic- 
cation, se fendille en tous sens et par plaques irré- 
gulières, comme nous en avons eu souvent la preuve 
en voulant conserver des peaux de dauphins. M. Sco- 
resby dit que le réseau muqueux d’une baleine a 
près de huit lignes d'épaisseur, et que les fibres qui 
le composent sont perpendiculaires à la peau. Il pa 
roit que l'enveloppe extérieure des cétacés se com- 
pose de trois couches qu’on reconnoit à cette partie 
de l’organisme des animaux terrestres. La couleur 

.générale de la peau n’a point d’autres teintes que le 
bleu noir, le gris et le blanc : quelques espèces seu- 
lement ont de légères taches jaunes ou rosées ; mais 
jamais on ne voit, chez les cétacés, ces reflets écla- 
tants qui se fondent ou se nuancent de mille ma- 
nières pour orner les poissons. La couleur blanche 
toutefois jouit d’un éclat satiné ou argentin qui, pen- 
dant la vie des dauphins, est très remarquable. 


Des considérations générales précédentes que de- 
vons-nous conclure ? Que les cétacés, vivant dans 
les grandes mers et encore peu étudiés, n’ont rien 
de ce qui est nécessaire pour fixer la curicsité, amu- 
ser l'esprit, ou distraire l’homme du monde. On ne 
trouve plus dans leur histoire ces détails piquants 
de mœurs, ces observations ingénieuses sur leur in- 
dustrie, leurs ruses, leurs jeux et leurs amours. Leur 
taille, le plus souvent gigantesque, étonne, mais ne 
parle point au cœur; la connoissance de leurs ha- 
bitudes est importante pour le commerce, mais ne 
présente rien qui intéresse, et dont la mémoire 
veuille conserver un doux souvenir. Tout est gros- 


leur intérieur, et par conséquent la couche lisse de 
phosphate de chaux quien revêt l'extérieur est beaucoup 
plus mince proportionnellement qu'elle ne l’est sur les 
os des mammiféres terrestres, Û 

I. 


561 


sier dans leurs formes comme dans leurs penchants, 
pour tout autre que le naturaliste philosophe. Ce 
dernier seul sait que la nature, en jetant sur la sur- 
face de notre monde les êtres qui le peuplent, a eu 
des intentions d’une sagesse infinie. Il se complait 
dans l’idée d’en dévoiler quelques secrets, et de pou- 
voir se rendre compte de quelques unes des lois 
qu’elle à imposées à la matière. 

Mais avant de passer à la description de chaque 
cétacé, nous croyons devoir jeter un dernier coup 
d'œil sur les habitudes, utilité, ou sur quelques au- 
tres phénomènes de leur vie. Les grandes espèces 
sont le plus ordinairement isolées; les petites nagent 
par couples solitaires, ou se réunissent à certaines 
époques par bandes nombreuses. Les lamantins, les 
dugongs, les stellères, vivent assez volontiers entre 
eux dans un état d’éloignement, et ne se réunissent 
qu’à l’époque où le besoin de l’union des sexes se 
fait sentir. La durée de leur existence est inconnue. 
Toutes les supputations qui ont été faites sur la vie 
de la baleine, par exemple, paroissent exagérées et 
sont incertaines : leur reproduction est le résultat 
d’un coïit qui s'exécute en s'appliquant à la renverse 
l’un contre l’autre. Leur sommeil paroît avoir lieu 
au sein des eaux et être toujours incomplet, c’est- 
à-dire qu'il semble ne consister qu’à une torpeur 
prudente que l'apparence du moindre danger fait 
cesser aussitôt. 

Nous avons vu des baleines dormir sur la surface 
de la mer, et ne s’y soutenir que par de légers mou- 
vements des nageoires, qui, répétés de temps à 
autre et nonchalamment, les maintenoient sur l’eau. 
Leur genre de nourriture varie : il consiste en herbes 
marines pour quelques espèces, en poissons, en 
mollusques pour le plus grand nombre. Quelques 
peuples ont vénéré des cétacés, ou les ont repré- 
sentés dans des allégories ingénieuses. L’utilité que 
les Européens en retirent est immense, et les arts se 
sont emparés de plusieurs de leurs parties : la mé- 
decine surtout a utilisé l’ambre dont l’art des cos- 
métiques fait un grand usag». L'huile et le blanc de 
baleine sont l’objet d’un commerce étendu. 

Les cétacés, ou du moins plusieurs d’entre eux, 
ont été connus dès la plus haute antiquité. Les écrits 
des anciens auteurs, d’Aristote, de Pline, d'Elien k 
les mentionnent sous Je nom de cetus ou de 10 
{cete), qu’ils appliquoient aussi à de grands poissons 
du genre squale. C’est de là que découle le nom de 
célacés, que les modernes leur ont donné sans par- 
tage. Observés dès l’époque la plus reculée sur les 
rivages des nations celles, i's ont reçu d’elles le nom 
de whall, et ce mot, légèrement modifié par l’ortho- 
graphe, est répandu chez tous les peuples qui sont 
d’origine tudesque. Les Italiens et les Francois des 
côtes de l'Océan et de la Méditerranée, et premiè- 
rement les Basques, leur appliquèrent à tous le nom 


71 


4 


562 


- 


de souffleurs ou son équivalent, et c’est encore par 
cette dénomination que les habitants riverains de 
ces deux pays les désignent aujourd’hui. 

Aristote (Hist. nat. des Animaux, édit. de 
Camus. Paris, 2 vol. in-4°, 1785 ) n’a parlé que 
d’une seule espèce de baleine, et il en a cité de la 
taille de mille pieds, exagération qui prouve qu’il 
ne la connoissoit que par les rapports populaires; 
cependant le philosophe de Stagyre lui donne pour 
patrie la mer des Indes , et il est possible alors que 
ce soit réellement la baleine franche qu’il ait voulu 
indiquer. Dans le même passage, il dit aussi que le 
Gange produit des anguilles detrois cents pieds ; or, 
pour être conséquent, Aristote devoit naturellement 
donner mille pieds à une baleine. Le naturaliste 
grec cependant isoloit (liv. E, ch. vi, p. 7) les cé- 
tacés des autres animaux, et en formoit une sorte 
de genre, car son opinion à ce sujet est précise; 
« On peut, dit-il, établir le genre des oiseaux, celui 
des poissons, celui des cétacés, etc. ; » mais nulle part 
on ne voit qu'il ait eu une idée bien nette de ccs 
animaux. L'histoire du dauphin est beaucoup plus 
circonstanciée , et on ne peut douter qu’Aristote ne 
l’ait assez bien connu; mais après avoir rapporté 
quelques détails encore vrais aujourd’hui sur cet 
animal, il y entremêle aussitôt des fables, et surtout 
beaucoup de faits qui n’appartiennent qu’au requin. 
Le mysticetus , que les modernes regardent comme 
la baleine franche, pourroit bien cependant être tout 
autre chose, et il n’y a rien d’impossible que ce ne 
soit un chætodon ; car Aristote se borne à dire que 
le mysticetus a dans la bouche au lieu de dents des 
soies semblables à celles du porc. Pline ensuite est 
venu rendre méconnoissable cet animal en le défigu- 
rant par des contes puérils. Le marsouin est le pho- 
cena d’Aristote, au sentiment de la plupart des 
ichthyologistes du dernier siècle. Comment se fait- 
il cependant que cet auteur lui donne seulement 
pour patrie les mers du Pont-Euxin, et qu’il dise 
que sa taille soit plus petite que celle du dauphin ? 
Le marsouin de la Méditerranée paroîtroit être au con- 
traire, suivant le docte Scaliger, le tyrsio des 
Grecs , bien que quelques auteurs ne voient dans le 
tyrsio que le phoque commun. Si, après Aristote, 
nous consultons Pline { liv. IX ), nous n’en retire- 
rons pas de grandes lumières ; cependant on trouve 
dans son Histoire naturelle quelques espèces de cé- 
tacés sur lesquelles il a réuni des détails apparte- 
nant à plusieurs sortes d’animaux marins. Nous y 
acquérons la preuve toutefois de la bonhomie que 
Pline apportoit à recueillir les contes que les navi- 
gateurs de son temps ne manquoient pas de faire à 
leur retour. Ainsi, dit l’auteur romain, la mer des 
Indes produit de très grands animaux , comme des 
baleines de quatre arpents, des langoustes de quatre 
coudées !.…. Dans l'océan des Gaules vit le ph yseter 


HISTOIRE NATURELLE 


ou souflleur, et dans la mer de Cadix, Je poisson 
en forme d'arbre, dont les branches sont si larges 
qu’on croit qu’il n’a jamais pu passer dans le détroit 
de Gibraltar (1). Les baleines, dit encore Pline, fré- 
quentent nos mers, ainsi que les orques, leurs en- 
nemies les plus redoutables. Or, tous les naturalis- 
tes ont pensé que l’orque étoit le dauphin épaulard: 
cependant Pline donne à la tête de son orque féroce 
la forme de la proue d’un navire liburnique; cette 
forme, encore conservée dans la construction des 
petits navires de Gênes et de Livourne, est entière- 
ment celle que présente un espadon ; aussi trouve- 
t-on dans l’orque une réunion de caractères qui ap- 
partiennent à plusieurs animaux, et à la forme de 
la tête d’un espadon sont joints des détails de mœurs 
propres aux squalesrequin et scie, et les dimensions 
d’un cachalot. Elle devoit être de grande taille, cette 
orque que l’empereur Claude fit attaquer par les 
cohortes prétoriennes, et qui coula à fond, devant 
Pline, un navire avec son équipage, en le submer- 
geant sous une nappe d’eau qu'elle fit jaillir de ses 
évents ! 

Pline cependant connoissoit les fonctions et le but 
des évents, sans toutefois en expliquer le méca- 
nisme. Il ne dit que peu de chose des marsouins, 
qu’il caractérise assez bien d’avec les dauphins : 
quant à ceux-ci, ilse complaît à en tracer l’histoire, 
et rappelle, non seulement les contes d’Aristote , 
mais encore il en ajoute de nouveaux et de plus cir- 
constanciés. Imbu des idées populaires de son temps, 
il joint aux mœurs du dauphin , auquel il prête une 
rare intelligence dans son conte de Simon, plusieurs 
de celles du requin, telles que d’être forcé de se 
renverser pour saisir sa proie, d’avoir la bouche en 
dessous de la tête, etc. ; en parlant de sa nageoire 
dorsale, on voit évidemment qu'il avoit en vue un 
gros poisson du genre scare; mais on ‘ne sait, par 
exemple , sur quel fondement peut reposer ce qu’il 
raconte du dauphin remontant le Nil, et attaquant 
le crocodile. Il dit en effet que ce cétacé, connois- 
sant le côté vulnérable de son ennemi, plonge vive- 
ment au moment où il voit celui-ci se diriger vers 
lui pour l’attaquer, et qu’avec l’épine tranchante de 
sa nageoire dorsale il lui ouvreadroitement le ventre. 

Ces citations doivent suflire pour montrer que 
ce seroit en vain qu’on chercheroit à retrouver d’une 
manière positive les animaux dont les anciens ont 
parlé. Plus d’obscurité règne encore dans lesauteurs 
des derniers siècles : faut-il s'en étonner? Si les 
Romains et les Grecs, au temps de leur splendeur, 
ont adopté les histoires d’Aristote, de Pline, d’Elien, 


(") Ce dernier doit être le poulpe kraken, qui renverse 
les vaisseaux à trois ponts ayant cent vingt bouches à 
feu et douze cents hommes d'équipage, que Montfort, 
de mensongère mémoire, a décrit et figuré dans le Buf- 
fon de Sonnini!!! 


DES MAMMIFERES. 


les écrivains de la renaissance des lettres, après de 
longues années de ténèbres et d’avilissement, obli- 
gés de tout recréer, saisirent avidement ce qui leur 
fut raconté par leurs contemporains ; et plus on met- 
toit de merveilleux dans les histoires sans goût 
comme sans choix qu'on leur débitoit, plus elles 
avoient de vogue et de succès. Leurs ouvrages ren- 
ferment cependant de nombreuses et importantes 
observations ; mais comme l’ivraie est abondamment 
mêlée au bon grain, il en résulte qu’on ne peut en 
tirer tout le fruit désirable; aussi ne présenterons- 
nous qu’un résumé très court des opinions admises 
vers celte époque. 

On trouve dans le Museum Wormianum (1655)un 
extrait assez détaillé d’un vieilouvrage intitulé, Afi- 
soir royal, dont l’auteur étoit, dit-on, unetête cou- 
ronnée ; il présente une classification des cétacés en 
genres d'après leur taille. Cette division, qui n’a pas 
demandé un grand effort de sagacité, est, bien 
entendu , entremêlée de toutes les absurdités dont 
nos pères aimoient à se bercer ; nous en donnerons 
un léger échantillon. 


Genres : 4° Nyding, vingt aunes de longueur, 
point de dents, point de barbes ( c’est-à-dire point 
de fanons ). 
2e Nisen, cinq aunes. Les dauphins. 

3° Leipter, sept aunes. 


4° Wagnhyalur ou Hualhund, douze aunes, 
des dents grandes et aiguës ( est sans doute le squale 
pèlerin). 

> Andhyal et Suinhual, vingt aunes, etc., etc. 

On peut ainsi prendre une idée de laméthode, sion 
peut donner ce nom à des démarcations aussi gros- 
sières, suivie dans le Speculum regale. Le dernier 
genre ou le vingt-deuxième, est le hafgufe ou 
cétacé dont la taille étoit plus grande qu’une île, et 
dont il n’existoit qu'un individu dans le monde; 
bien heureux sans doute que cet animal connu de 
nos. bons aïeux ait disparu de la surface du globe 
dont il eût épuisé les productions ! 

Rondelet ( Histoire entière des poissons. Lyon, 
petit in-4°, 1558), dans un ouvrage fort remarqua- 
ble pour l’époque, a joint à son Histoire des poissons 
des figures en bois de cétacés ; il décrit le marsouin, 
la baleine vulgaire, la vraie baleine, l’espaular, le 
mular ou senedette, la scolopendre cétacée; ces f- 
gures sont d’ailleurs imparfaites et grossières ; mais 
Rondelet, imbu des idées chimériques d’une époque 
d’ignorance et de ténèbres, a joint aux êtres réels 
des images fantastiques et absurdes, et son monstre 
léonin , son monstre marin en habit de moine, son 
monstre marin en habit d’évêque, prouvent com- 
bien on aimoit alors les animaux à formes surnatu- 
relles. Le mular ou sénedette, dont on a fait depuis 
un delphinaptère, ne peut être autre qu’un cacha- 


563 
lot, car ladescription qui sert d'explication à la figure 
semble le prouver. 

Conrad Gesner, né en 4516, mort en 4565, pu- 
blia dans un très gros in-folio tout ce que ses devan- 
ciers avoient dit sur les animaux, et il répète, au 
sujet des cétacés, ce qu’en avoient écrit Belon et 
Rondelet. Son livre VIII de Aquatilibus comprend, 
rangés par ordre alphabétique, tous les animaux 
marins connus de son temps ; ses figures de poissons 
sont en bois, et assez bonnes ; celles des cétacés ne 
valent rien; les espèces qu’il décrit sont : le dau- 
phin de Belon, pag. 589; le phocæna ou tyrsio de 
Belon, pag. 857; l’orca de Rondelet, pag. 748; le 
physétère, pag. 851, qui n’est autre que le séne- 
dette, ou mular de Rondelct. Plusieurs planches 
sont consacrées à ce que Gesner appelle la baleine, 
p. 459; mais l’imagination du peintre s’est exercée 
à loisir sur ce sujet : aussi voit-on de ces animaux, 
armés de longues défenses, submergeant des vais- 
seaux avec leurs évents, ou bien des navires jetant 
l'ancre sur eux comme sur un haut-fond , et des équi- 
pages campant sur leur dos comme sur un rivage!... 

Aldrovande( ist. nat. de Animalib,, libri sep- 
tem. Francfort. in-folio, 4625 ) a consacré un livre 
intitulé de Cetis. La plupart de ses descriptions sont 
prises des auteurs antérieurs, et les figures en bois 
qu’il donne des cétacés sont grossières et calquées 
des pourtraits au naïf du livre du maitre 
Rondelet. 

Jonston ( Histor. nat. de, Piscibus. Amst., in- 
folio, 1657), après avoir figuré avec beaucoup de 
soins pour l’époque des licornes de toutes les facons, 
représenta et décrivit quelques cétacés, et aussi, 
suivant l’opinion reçue alors, des sirènes et des 
hommes marins. Le livre V, p. 450, est consacré 
aux baleines, aux physétères , et aux dauphins, qui 
occupent plusieurs planches. La figure d’un cacha- 
lot (pl. 42) couché sur le flanc, copiée par labbé 
Bonnaterre, est très bonne; mais il n’en est pas de 
même de celles qui renferment des dauphins très 
difficiles à reconnoitre, et surtout sa scolupendre 
cétacée, être fantastique et chimérique. Jonston, 
dans son Histoire, a copié Rondelet, Aldrovande., 
et Belon, aussi bien que Pline et Aristote, toute- 
fois déjà avec une apparence de goût. Il donne, 
comme document assez utile, et d’après Gesner, la 
figure d’une médaille représentant deux dauphins 
avec la forme propre à ces animaux, et non celle 
que les Grecs leur attribuoient généralement, et sous 
laquelle ils les ont presque constamment figurés. Ces 
dauphin+ ont pour revers-une têle casquée. 

Telles étoient les connoissances sur les cétacés il 
ya deux siècles. De nombreux voyages entrepris 
dans l'intervalle qui nous sépare de l’époque où éeri- 
voient Rondelet, Belon, Aldrovande, Jonston et 
Gesner, jetèrent quelques lumières sur l’histoire 


564 


d’une classe d'animaux que le merveilleux a tou- 
jours défigurée de préférence à toute autre. Nous 
n’aurons à mentionner que queloues sources prin- 
cipales, malheureusement trop peu nombreuses : 
car tout ce que l’on dit des baleines, des dauphins, 
ou des cachalots, dans le plus grand nombre des 
voyages nautiques, est si vague, qu’on ne peut en 
tirer aucun fruit. 

Eggede, missionnaire au Groënland , dans la des- 
cription qu’il a publiée de l’histoire naturelle de 
cette contrée (4 vol. in-12. Copenhague, 1765), et 
qui parut pour la première fois en 14758, présenta 
des observations neuves et intéressantes sur les cé- 
tacés du Nord, et sur la manière dont les naturels 
se livrent à leur pêche. 

Un nommé Lapevyrère, qui est, dit-on, l’auteur 
d’une Relation du Groënland , imprimée, sous le 
voile de anonyme, à Paris, en 4665 (14 vol.in-12), 
décrivitavec quelque soin le narwhal, donna l'éty- 
mologie de son nom, et une figure assez médiocre ; 
mais il expliqua assez bien comment ce qu’on pre- 
noit alors pour des cornes de narwhal en étoient les 
dents. 

Ellis, dans son voyage à la baie d'Hudson exé- 
cuté en 4746 et 4747 (2 vol. in-12. Paris, 1749), 
mentionne quelque cétacés ; et plusieurs fois, sous 
le nom de baleine blanche , il indique le béluga. 

L'ouvrage le plus saillant, et qui est encore la 
source presque unique où l’on doive puiser des 
détails sur les cétacés, est celui d’Anderson, inti- 
tulé Histoire naturelle du Groënland, de l'Islande 
et du détroit de Davis (trad., 2 vol..in-42. Paris, 
4754), publié pour la première fois en 4750. Cet 
ouvrage, résultat de renseignements demandés à tous 
les baleiniers, se ressent malheureusement de la 
manière dont il a été fait, et quoiqu'il soit riche en 
bons documents, il renferme beaucoup d’erreurs 
et des faits transposés. D'ailleurs , à l’époque d’An- 
derson on ne savoit pas peindre un animal quelcon- 
que avec des caractères précis ; aussi doit-on être très 
scrupuleux pour admettre les espèces qu’il décrit, 
et qu'il n’a pas très bien figurées. Nous serons donc 
forcé de recourir à ce que cet auteur indique ; mais 
nous ne le ferons qu'après des discussions raison- 
nées et une rigoureuse comparaison du texte avec les 
planches, ce qui n’a pas toujours eu lieu, comme il 
est facile de s’en convaincre pour le genre physale 
des auteurs modernes. 

Depuis Anderson jusqu’à l’époque actuelle, et 


par les livres d’Ellis, de Forskal, de Pagès , d'Has-. 


selquist, de Klein, d’Illiger, d'Olafsen et Povelsen, 
de Péron , de Duhamel , de Shaw, de Risso, etc., etc., 
l'histoire naturelle des cétacés s’estenrichie de quel- 
ques bonnes observations, bien cependant que ses 
progrès n’aient été nullement en rapport avec ceux 
des autres branches du règne animal. Les traités de 


HISTOIRE NATURELLE 


Bonnaterre et de Lacépède, les plus complets que 
nous possédions , laissent toutefois beaucoup à dé- 
sirer, et ne sont pas sans erreurs. De sorte qu’au- 
jourd’hui, où tant d'animaux nouveaux ont été 
décrits avec exactitude, nous ne possédons pas une 
bonne histoire de cette classe d’êtres. Cependant le 
livre précieux de Scoresby, sur les pêches du Nord; 
la Zoologie de Shaw ; la Mammalogie de M. Des- 
marest, et surtout le Règne animal du baron Cuvier, 
ainsi que l'ouvrage de ce célèbre naturaliste sur les 
ossements fossiles, viendront nous fournir des lu- 
mières plus nombreuses et plus certaines, et nous 
permettre de réunir sur les cétacés des faits nou- 
veaux et intéressants. 

Linné, dans l'édition que Gmelin a revue du Sys- 
Lema natur«æ, a formé , sous le nom de cele, sa classe 
septième ou dernière des animaux. L’illustre Sué- 
dois n’y admet que quatre genres, qui sont ceux 
nommés par lui, monodon, baleine, physétère, et 
dauphin ; et dans ces quatre genres il ne décrit que 
quinze espèces. 

Erxleben, dont l’ouvrage sur les mammifères fut 
publié en 4777, se trouve avoir rejeté à la fin des 
animaux les phoques, et les avoir fait suivre des cé- 
tacés. IT adopte les genres et les espèces proposés 
par Linné, à l'exception de deux. 

Othon Fabricius , dans sa Faune du Groënland, 
décrivitavec soin plusieurs espèces du Nord, et ren- 
dit, sous ce rapport, un véritable service à la science. 

L'abbé Bonnaterre, dans sa Cétologie(in-4°,1789), 
proposa seulement quatre familles, dans lesquelles 
furent compris huit espèces de baleines, deux mo- 
nodons, six cachalots, et neuf dauphins. 

L'histoire naturelle des cétacés du comte de La- 
cépède parut en 480% : cet ouvrage eut un grand 
succès, et resta classique jusqu’à ces derniers temps. 
Il fit connoître trente-quatre espèces distribuées 
dans dix genres, savoir : quatre baleines, quatre 
baleinoptères, trois narwhals, un anarnak, quatre 
cachalots, un physale, trois physélères, deux del- 
phinaptères, onze dauphins, etun hyperoodon. Plus 
tard il y ajouta les descriptions faites d’après des 
peintures chinoises de plusieurs cétacés des mers du 
Japon, tels que deux baleines, quatre baleinoptères, 
un physétère, et un dauphin. 

Depuis cette époque, de nombreux voyageurs 
ont publiédiverses espèces, notamment de la famille 
des dauphins, et plusieurs des cétacés décrits pri- 
mitivement, comparés avec plus d'attention, ont 
paru aux meilleurs esprits ne reposer que sur des 
figures fautives , ou sur de vagues observations, et 
ont été rejetés des catalogues. M. Desmarest, dans 
sa Mammalogie (4820-1822), porte encore cepen- 
dant leur nombre total à soixante-deux : sur ce nom- 
bre, vingt-neuf espèces sont indiquées comme mal 
constatées, et comme douteuses; ce qui réduit à 


DES MAMMIFÈRES. 


trente-trois celles sur lesquelles on possède des 
détails à peu près posilifs. 

Les cétacés connus aujourd’hui s'élèvent au nom- 
bre de quatre-vingts, en y joignant les espèces dou- 
teuses, ou seulement à celui de cinquante, en ne 
parlant que des espèces assez rigoureusement dé- 


terminces. 


Célacés des mers du Kamtschatka, publiés, d’après 
des figures sculptées en bois par les Aléoutes, 
par M. de Cramisso. 


M. de Chamisso, naturaliste français au service 
de la Russie, a fait le voyage autour du monde avec 
le capitaine de Kotzebuë sur le Rurick. Parmi les 
découvertes intéressantes de son voyage, on doit 
compter celles qui sont relatives à des cétacés du 
nord de l’océan Pacifique, dont il se procura des 
modèles sculptés avec beaucoup d'adresse par les 
naturels de ces contrées, et sur lesquels il publia 
un mémoire intéressant dans les Actes de la so- 
ciété de Bonne. Quoiqu’on ne doive pas ajouter 
une croyance complète aux espèces qui sont ainsi 
décrites, et qu'on ne puisse les rapporter ou Îles 
isoler des cétacés déjà connus, on ne peut cepen- 
dant se dispenser d’en signaler les principaux ca- 
ractères, parce que les renseignements qui les ac- 
compagnent sont curieux, et deviendront très utiles 
aux voyageurs futurs. D'ailleurs, le but principal 
de M. de Chamisso a été de retrouver, dans les 
noms aléoutes, la synonymie de ceux employés par 
le célèbre Pallas, qui a décrit, dans sa Zoographie 
du nord de la Russie, trois cachalots et six baleines 
des mers du Kamtschatka, et les figures qu’il a fait 
lithographier de ces animaux portent le cachet de 
l'exactitude, en même temps que des notes claires 
et précises indiquent l'utilité que retirent de ces 
cétacés les habitants riverains des mers où ils 
vivent. Les espèces figurées ct décrites par M. de 
Chamisso, et dont les représentations originales en 
bois sont déposées au Muséum de Berlin, sont au 
nombre de neuf. 


1 


LA BALEINE KULIOMOCK. 


Cette baleine paroît être l’espèce décrite par Pal- 
las sous le nom de culammach, et que les Russes 
nomment kulioma. Les Aléoutes, qui l’appellent 
kuliomoch dans l’âge adulte, donnent aux jeunes 
individus le nom de kuliomagadoch. C’est par er- 
reur que Pallas en distingue la baleine kamschalang : 
ce mot signifiant, dans la langue des naturels, vieil- 
lard ou ancien, et s'appliquant aux très vieux Æu- 
liomoch. 


965 


De toutes les espèces de baleines, celle-ci est la 
plus abondamment entourée d'huile, et les chairs, 
au dire des naturels , ne forment qu’une très petite 
partie de la masse totale du corps. Cette graisse 
huileuse est fluide et très odorante, et les Aléoutes 
la recherchent pour leurs aliments. Ces peuples 
mangent aussi les nageoires des jeunes individus, 
font des cordes et des lignes de pêche avec ses ten- 
dons et ses aponévroses, et emploient les os dans 
la construction de leurs cabanes, tandis qu'avec la 
peau ils feconnent leur chaussure. 

Le kuliomoch, la plus commune comme la plus 
grande espèce des mers du nord de l’océan Pacifi- 
que, se rapproche beaucoup de la baleine franche 
(balæna mysticetus). En effet, sa poitrine est lisse, 
mais marquée sur les côtés d’un large sillon con- 
tourné; ses fanons, au nombre de quatre à cinq 
cents, sont très grands, et de couleur noir bleuâtre; 
ses évents sont flexueux et placés au milieu de la 
tête; une éminence conique surmonte le bout du 
maseau dans la figure, et la bouche est arrondie 
et recourbée à sa commissure. La nageoire de la 
queue est échancrée dans son milieu, et les pecto- 
rales sont de forme ovalaire oblongue : leur cou- 
leur est blanche , ainsi que la poitrine. Le dos enfin 
offre une gibbosité assez semblable à une fausse 
nageoire, tandis que la forme du corps est cylin- 
drique. 

Souvent M. de Chamisso observa le kuliomoch 
nageant autour du Rurick, et une fois entre autres 
le brick russe, que poussoient des vents favorables, 
heurta deux de ces baleines qui jouoient, et dont le 
choc se fit ressentir sur le vaisseau. 

Cette espèce se rapporteroit parfaitement à la ba- 
leine franche des mers du Nord, sans bosse qui 
surmonte le dos, suivant M. de Chamisso ; et tous 
ses caractères, à cela près , s'accordent beaucoup 
plus qu'avec ceux qui distinguent les baleiries gib- 
beuses, ou les baleinoptères boops et à bec, décrites 
dans les auteurs. Toutefois quelques personnes ré- 
pugnent à croire que la baleine franche vive indif- 
féremment dans tous les océans, et que l’espèce des 
mers boréales atlantiques soit celle des mers bo- 
réales pacifiques. À cet égard, M. de Chamisso à 
recueilli quelques preuves qui paroissent assez dé- 
cisives. Henri Æamel, et Buseq, le premier en 1655 
sur les rivages de la Corée, et le second en 1736 
sur les côtes du Kamischatka, affirment avoir pé- 
ché des baleines franches sur le corps desquelles 
étoient enfoncés des harpons européens, dont la 
marque étoit celle des pêcheurs du Groënland. On 
sait d’ailleurs que la connaissance de ce fait avoit 
précédé les lumières de la géographie pour faire 
supposer un canal de jonction, sous le pôle, entre 
la mer Atlantique et l'océan Pacifique. Au reste, 


l quoique feu Péron ait eu l'opinion formellement 


566 


contraire, tout auforise à penser que certains 
grands cétacés vivent indifféremment dans toutes 
les mers. 

Cependant le kuliomoch, ayant une bosse sur le 
dos, ne peut être considéré comme la baleine fran- 
che, et c’est à la baleine noueuse (balæna nodosa) 
qu’il doit être rapporté. Le peu d’ailleurs qu’on 
sait dè cette dernière espèce, que le capitaine Col- 
nett a vue sur les côtes de la Californie, légitime 
notre rapprochement, et la phrase de M. de Lact- 
pède qui indique une seule bosse et des nageoires 
pectorales blanches à la baleine noueuse, ne per- 
met pas de penser que le kuliomoch en soit dis- 
tinct. 

Eofin, M. de Chamisso rapporte encore au kulio- 
moch, la baleine décrite par Steller après son nau- 
frage dans l’ile de Behring, qui avoit quarante-six 
pieds, et deux cent quaraute fanons, dont la Jon- 
gueur varioit de six pouces à cinq ou six pieds. 


II. 


LA BALEINE TSCHIKAGLUCH. 


Nommée ainsi par Pallas, cette baleine est le 
tschikagliok des Russes. C’est la plus petite des 
espèces décrites, dont elle se distingue par sa tête 
plus courte et plus conique, par le manque absolu 
de nagcoire dorsale, par des pectorales ovulaires, 
par un renflement en-dessous de la queue, et enfin 
par une large nageoire caudale presque rectiligne. 
Sa graisse est tellement abondante, que les chairs 
semblent manquer sous la couche qu’elle forme ; 
mais cette graisse, d’une saveur agréabie, est li- 
quéfiée et teinte en rouge. Ses fanons sont rejetés 
à cause de leur petitesse ; ses os, plus compactes et 
plus durs que dans les autres espèces, servent à 
faire des armes; sa poitrine est marqrée de deux 
larges taches argentées , et la face inférieure de la 
queue est blanche, ainsi que les nageoires pecto- 
rales. 


III. 


LA BALEINOPTÈRE ABUGULICH. 


Pallas a décrit cette espèce sous le nom d’umgul- 
lice, connue des Russes sous celui d’amgolia. Ses 
formes, dans la figure que M. de Chamisso en 
done, sont celles d’un cylindre assez régulier. Les 
deux mäâchoires sont d’égale longueur; une na- 
geoire dorsale est placée sur la partie supérieure 
du corps aux deux tiers postérieurs; les nageoires 
pectorales sont petites, ovalaires, et arrondies à 
leur sommet; des plis nombreux occupent les ré- 
gions du ventre et de la poitrine; la nageoire de la 


HISTOIRE NATURELLE 


queue est échancrée dans son milieu, et de même 
couleur que le corps. 

L’abugulich est considérée, par les Aléoutes ct 
par les Russes établis au Kamtschatka, comme la 
plus utile de toutes les baleines de leurs mers. 
Pailas lui accorde , d’après l'opinion des habitants, 
jusqu’à trois cent cinquante pieds anglais de lon- 
gueur; ses fanons sont petits et inusités ; sa graisse, 
peu abondante et concrète, a une saveur agréable, 
et se trouve pure sur le dos et les flancs, tandis que 
sur le ventre elle est unie aux fibres musculaires 
qui la traversent. Son ennemi le plus acharné est 
un dauphin qui l’attaque et la harcèle pour lui dé- 
chirer la langue ou dévorer sa graisse, dont il est 
friand. Souvent en effet on en trouve de mortes 
sur les rivages à la suite de blessures qui paroïissent 
dues à ce cétacé. Les Aléoutes, lorsqu'ils s'emparent 
d’un abugulich , ce qui est assez rare, détachent la 
membrane qui recouvre la langue pour en fabri- 
quer ces tuniques si minces et si transparentes, 
mais en même temps imperméables à la pluie, dont 
se revétent ces peuples, et qu’ils obtiennent aussi 
des intestins de phoques ou de baleines. Les os de 
la mâchoire sont employés à faire des armures de 
javelots, et ils retirent de la queue, pour en tisser 
des cordes, depuis cent vingt jusqu’à cent soixante 
livres de tendons. 


IVe 
LA BALEINOPTÈRE MANGIDACH. 


Le jeune âge de cette espèce est le mangidadach 


des Aléoutes; elle est connue des Russes sous le 


nom de magida , et décrite par Pallas sous celui de 
mangidal ou balæna musculus. Sa taille est un 
peu plus prononcée que celle de l'espèce suivante; 
elle se distingue de l’abugulicqg par un renflement 
plus considérable de la tête, par une nageoire dor- 
sale pointue et plus déjetée en arrière du corps, par 
des pectorales plus étroites et plus aiguës à leur 
sommet, enfin parce que le rebord de la naseoire 
caudale n’est pas échancré. Les fanons du mangi- 
dach n’ont que six pouces de longueur, et ne ser- 
vent que comme étoupes; sa graisse huileuse est 
également concrète, et a les mêmes usages que 
celle de l'espèce précédente. El en est de même des 
os et des tendons. Cependant on mange parfois la 
chair du ventre des jeunes individus, qui est tendre, 
tandis qu’elle durcit et devient trop coriace dans un 
âge plus avancé. Un individu, long de soixante-dix 
pieds anglais, fournit de quatre-vingts à cent vingt 
livres de tendons. 


DES MAMMIFÈRES. 


Ve 


LA BALEINOPTÈRE AGAMACHTSCHICH. 


Cette baleinoptère, connue sous Je même nom 
par les Russes et par Pallas, est un peu plus petite 
que la précédente, dont elle a les formes; elle est 
d’une couleur brunâtre , excepté sous le ventre qui 
est blanc, marqué de rides, et aplati. On recherche 
ses chairs pour la nourriture, et ses fanons, qui 
sont blancs et longs de deux pieds, ne sont pas uti- 
lisés. M. de Chamisso dit que sa taille ne dépasse 
pas vingt-huit pieds anglais, et Pallas lui en donne 
jusqu’à soixante-dix ; sa graisse est abondante, et 
les membranes des intestins servent aussi à faire 
des vêtements, mais moins solides que ceux de 
plusieurs autres baleines. 


VI. 
LA BALEINOPTÈRE ALIOMOCH. 


- L’aliomoch ou aliama des Aléoutes dans l’âge 
adulte , et l’aitamna gadach dans les premières an- 
nées, est l'aliamot des Russes, et l’alliamak de 
Pallss ; elle ressemble aux espèces précédentes. Ce- 
pendant, d’après la figure, le corps est plus ra- 
massé et plus épais, la mâchoire inférieure est plus 
courte que la supérieure, la nageoire dorsale est 
prolongée , mais peu haute et comme tronquée ; les 
pectorales au contraire sont très longues et rappro- 
chées des yeux, et la caudale forme un large crois- 
sant. La partie inférieure de celle-ci est blanche, et 
c’est également la couleur des pectorales ; sa taille 
ne dépasse guère trente-cinq pieds ; sa graisse hui- 
leuse est abondante et fluide, et ses fanons sont 
trop courts pour être employés. 


VU. 


LE CACHALOT AGIDAGICH. 


Ce cachalot est l’agidagich ou agdagjach des 
Aléoutes que Pallas écrit aggadacchgik, et qui paroît 
être le plavun des Russes ; sa grosse tête cubique, 
sa large nageoire caudale, l’étroitesse de la mâchoire 
inférieure , sa bosse dorsale, tout annonce que c’est 
le cachalot macrocéphale des auteurs. La longueur 
que lui donne M. de Chamisso est de cent sept pieds 
anglais environ, et il ne sera pas inutile de rappe- 
ler que le pied anglois n’a que onze pouces du pied 
de France. Les dents de la mâchoire inférieure ont 
huit pouces de longueur, et les branches osseuses de 
celle-ci sont employées à la confection des javelots ; 
Ja peau de ce cachalot est usitée par les Aléoutes 
pour faire des chaussures ; sa graisse huileuse, qu’on 
dit purgative, sert uniquement à l'éclairage des 


567 


yourtes, eton retire d’un animal de cinquante pieds 
jusqu’à quatre cents livres de tendons. Les évents 
dans la figure en bois, au lieu d’être placés sur le 
sommet de la tête, sont creusés en devant et comme 
des narines : ce qu’on doit attribuer probablement 
à une erreur de l'artiste. ; 


VIII. 
LE PHYSÉTÈRE ALUGNINICH. 


Cette espèce est rapportée par M. de Chamisso 
au genre ancylodon d’Illiger, et a pour synonymes 
les noms de fchieduk et d’agidagich; elle paroît 
se rapprocher du monodon spurius de Fabricius, 
ainsi que de l’hyperoodon de M. Lacépède, et du 
delphinus diodon de Hunter. Pallas décrit briève- 
ment l’alugninich, et ne lui donne que deux dents 
en avant de chacune des mâchoires; il dit que sa 
graisse est-purgative, et seulement employée à brü- 
ler. Le fschieduk, du même auteur, a soixante-dix 
pieds, deux dents longues de neuf pouces à chaque 
maxillaire, et une graisse également nuisible.Entfin, 
son tschumtschugagack peut avoir environ quatre- 
vingt-quatre pieds, suivant l’opinion des insulaires 
de Kadiak ; maisil a quatre dents à chaque mâchoire. 
Il est donc fort difficile de rapporter positivement 
l'espèce de M. de Chamisso à celles de Pallas. 
L'image aléoute représente toutefois à l'alugninich 
deux évents séparés, deux dents à l’un et l’autre 
maxillaires, et deux raies blanches entourant le 
corps très obliquement. 

M. de Chamisso possédoit trois figures de dau- 


/ phins : deux ont été jugées trop imparfaites et trop 


grossières pour être publiées, et il s’est borné à 
une seule qui termine son mémoire. 


1:06 
LE MARSOUIN AGULUCH. 


M. de Chamisso regarde ce marsouin comme le 
dauphin orque ou lépaulard de M. Cuvier. Les 
Russes le connoissent sous le nom de 4ossatka, et 
Pallas l’a décrit sous celui d’agl'uk. Le dessin lui 
donne deux évents, ce qui est sans doute une erreur, 
une large nageoire dorsale, etune queue rectiligne. 
Une raie blanche latérale se dessine de la commis- 
sure de la bouche jusqu’au-delà de la pectorale, et 
une autre raie nait en avant de la dorsale, et se pro- 
longe obliquement jusqu’en dessous du corps près 
de l’origine de la queue. Suivant M. de Chamisso sa 
taille est de treize pieds, ses dents sont petites et 
nombreuses; il vit en grandes troupes, et attaque 
avec férocité les baleines dontil est l'ennemi acharné. 
Si cette espèce étoit exactement décrite, elle seroit 
nouvelle : car l’orque ne lui ressemble point, et 


568 


l'orque d’ailleurs ne peut se trouver dans les mêmes 
mers; car chaque espèce de la famille des dauphins 
quitte peu les zones qui lui ont été affectées. 


Description de quelques cétacés des mers du Japon, 
d'après des figures peintes en Chineet au Japon ; 
par le comte dE LACÉPEDE. 


Nous plaçons à la suite des cétacés des îles kou- 
riles et aléoutiennes, quelques espèces que M. le 
comte de Lacépède décrivit d’après des dessins je- 
ponois que lui avoit communiqués M. Abel de Re- 
musat, et dont il fit l’objet d’un mémoire spécial 
qu’il lut à l’Institut le 21 septembre 1818. Des es- 
pèces qui ne reposent que sur des peintures de ce 
genre , sans description aucune, ne peuvent en effet 
être rangées parmi celles admises dans les ouvrages 
comme réelles : car on sait que les peintres chinois 
se plaisent à enluminer leurs dessins avec des cou- 
leurs de fantaisie, et que rarement ils s’astreignent 
à peindre la nature telle qu’elle est. D'un autre côté, 
cependant, M. de Lacépède assure que les traits dis- 
tinctifs des diverses espèces sont présentés avec une 
grande netteté, et qu’ils portent tous les signes de 
l’authenticité et de l'exactitude que les zoologistes 
sont accoutumés à reconnoitre, de sorte qu'on est 
tenté de regarder ces figures comme les portraits 
exacts d'espèces vraiment nouvelles. 


ç Er. 
Les Baleines à dos sans bosse. 
ï. 
LA BALEINE JAPONAISE. 


Balæna japonica. LacÉr. 


Nous emprunterons textuellement, pour cette 
espèce comme pour les suivantes, la description 
qu’en à tracée M. de Lacépède. 

« L'évent est placé un pen au-devant des yeux; 
la nageoire caudale est grande ; on voit sur le mu- 
seau trois bosses garnies de tubérosités, et placées 
longitudinalement ; la couleur générale est noire; le 
ventre est d’un blanc éclatant, et cette grande place 
blanche est comme festonnée profondément dans son 
contour ; les mächoirés, les nageoires pectorales , et 
la caudale, sont bordées de blanc; des lignes cour- 
bes , noires et très fines, relèvent le blane qui est 
autour des yeux et à la base des pectorales : on dis- 
tingue des groupes de petites taches blanches sur Ja 
mâchoire inférieure, et d’autres petites taches de la 
même couleur sont répandues sur le museau. » 


HISTOIRE NATURELLE 


FI 
LA BALEINE LUNULÉE. 


Balæna ltunulata. Lacir. 


« L'évent de cette espèce est placé un peu en at- 
rière des yeux, et les deux mâchoires sont hérissées 
à l'extérieur de poils ou petits piquants noirs; la 
couleur générale est verdâtre, et on voit sur la tête, 
le corps et les nageoires, un grand nombre de petits 
croissants blancs. » 


6 IL. 


Les Baleinoptères à plis longitudinaux sous la 
gorge et sous le ventre. 


IT. 
LA BALEINOPTÈRE MOUCHETÉE. 
Balænopiera punctulata. Lacér. 


La nagcoire dorsale est petite, et située à une dis- 
tance égale des pectorales et de la caudale ; cinq ou 
six bosses sont placées longitudinalement sur le 
museau; la tête, le corps, et les pectorales, sont 
mouchetés de blanc sur un fond noir, et les lèvres, 
les sillons longitudinaux , et le tour des yeux, sont 
blancs. 


TVA 
LA BALEINOPTÈRE NOIRE. 
Balænoptera nigra. Lacér. 


La mâchoire supérieure est étroite, et le contour 
de cette mâchoire se relève au-devant de l'œil, pres- 
que verticalement ; on voit sur le museau ou sur le 
front quatre bosses placées longitudinalement; la 
couleur générale est noire ; les nageoires et Ja mà- 
choire sont bordées de blanc. 


AE 


ss 


LA BALEINOPTÈRE BLEUATRE. 
Balænoptera cœrulesrens. Lacér. 


À la mâchoire supérieure conformée comme l’es- 
pèce précédente : sa dorsale est petite et plus rap- 
prochée de la caudale que de l’anus ; on voit plus 
de douze plis ou sillons inclinés de chaque côté de 
la mâchoire inférieure, et sa couleur est d’un gris 
bleuâtre. 


DES MAMMIFÈRES. 569 


VE. 
LA BALEINOPTÈRE TACHETÉE. 
Bulwnoplera maculata. Later. 


Celle ci a la mâchoire inférieure plus avancée que 
la supérieure ; les orifices des évents sont un peu en 
arrière des yeux, quisont près de la commissure. La 
dorsale est à une distance presque égale des bras et 
de la nageoire de la queue : la couleur noirâtre règne 
sur la partie supérieure de l'animal ; le dessous de 
la tête et du corps est blanchâtre; quelques taches 
très blanches, presque rondes et inégales, sont pla- 
cées irrégulièrement sur les côtés de ce cétacé. 


6 HIT. 


Les Cachalots à nageoires. 
VII. 
7! LE PHYSÉTÈRE SILLONNÉ. 
+. Physeterus sulcatus. Lace. 


Ce cachalot a de chaque côté de la mâchoire in- 
férieure six plis ou sillons inclinés. La longueur de 
la tête égale le tiers de sa longueur totale ; l’évent 
est placé au dessus de l'extrémité de l'ouverture de 
Ja bouche : la nageoire dorsale, conique , recourbée 
en arrière, s'élève au-dessus des pectorales qu’elle 
égale presque en longueur ; des dents pointues et 
droites garnissent l’extrémité de la mächoire infé- 
rieure. La couleur générale est noire. Les mâchoires 
et les nageoires sont bordées de blanc. 


VIIT. 
LE DAUPHIN NOIR. 


Delphinus niger. Lacér. 

Ce dauphin a le museau très aplati et trèsallongé, 
et plus de douze dents de chaque côté des deux mà- 
choires. La dorsale, très petite, est plus voisine de 
la nageoire de la queue que des pectorales. Sa cou- 
leur générale est noire, etles commissures, ainsi que 
les pectorales, et une partie de la caudale, sont d’un 
blane plus ou moins éclatant. 


DES CÉTACÉS HERBIVORES, 
OU DES SIRÈNES. 


M. Cuvier, le premier, divisa l’ordre des cétacés 
en deux familles. Il rangea dans la première, sous 
le nom de célacés herbivores, les genres lamantin, 

£. 


dugong , et stellère ; et dans la seconde, sous lenom 
de cétacés proprement dits, furent compris tous les 
animaux connus jusqu’à ce jour, et d’une manière 
exclusive , sous ce nom seul, tels que les baleines, 
les cachalots, les narwhals et les dauphins. 

Les cétacés herbivores se distinguent des cétacés 
ordinaires par l’aplatissement des couronnes de 
leurs dents. Ce caractère, en effet, est la consé- 
quence naturelle de leur genre de vie : aussi les ani- 
maux de cette division tirent leur substance des 
matières végétales qu'ils paissent sous les caux à 
peu de profondeur sur les rivages ; ils allaitent leurs 
petits avec deux mamelies placées sur la poitrine ; 
des poils naissent sur le rebord de la lèvre supé- 
rieure , et leursévents , dont le canal osseux s'ouvre 
vers le haut du crâne, ne sont percés dans la peau 
que vers le bout du museau. 

Frois genres seulement sont compris dans les cé- 
tacés herbivores, et long-temps on les a rangés à 
côté des phoques. Leur histoire a été entremêlée de 
contes populaires ; et c’est ainsi qu’on les a figurés 
et décrits sous les noms d'hommes ou de femmes 
marines, de sirèues. Les Européens établis aux Indes 
croient encore à leurs rapports avec les tritons de 
la mythologie; et il est bien rare qu’à Batavia, par 
exemple, on ne mentionne pas annuellement, dans 
les gazettes, la capture de quelques uns de ces 
demi-hommes et demi-poissons , qui ne sont autres 
que des dugongs. 

Les cétocés herbivores paroissent habiter plus 
particulièrement entre les tropiques, et seulement 
sur les rivages, et jamais dans la haute mer. De 
trois espèces connues de lamantins, en effet, une 
vit aux Antilles, la seconde au Sénégal, et la troi- 
sième sur les côtes de la Floride. Le dugong n’a, 
jusqu’à ce jour, été trouvé que dans les mers chau- 
des qui séparent par d'innombrables canaux lesiles 
de la Malaisie. El s’avance sur les côtes de la Nou- 
velle-Hollande jusqu’au-delà du tropique du Capri- 
corne; et les naturalistes prussiens, Hemprich et 
Ehrenberg, assurent l’avoir observé dans la mer 
Rouge. Le stellère paroit confiné aux mers boréa- 
les de l’océan Pacifique, sur les côtes de la pres- 
qu’'üce du Kamtschatka, et au milieu des îlots in- 
nombrables de la côte nord-ouest d'Amérique. 

Le comte de Buffon ayant déjà décrit (tom. IX, 
et suppl. tom. VI )les lamantins et le dugong, nous 
nous bornerons à présenter un résumé de l’histoire 
de ces animaux , beaucoup plus exactement connus 
aujourd’hui. 


HHIIYIYTFTFYYTYTYVYVYV,VTVTVTVTVUV-vÙ_p_p__—_———————————— 
LES LAMANTINS OÙ MANATES. 


Long-temps rangés à côté des phoques et des 


morses, les lamantins ne furent regardés comme 
co 
is 


970 
de vrais cétacés que dans ces derniers temps. His 
étoient connus d'Hernandez, de Clusius et de Ron- 
delet, et ce dernier en a publié une figure dans son 
Traité des poissons; tous les auteurs qui se sont 
succédé s'accordent à les désigner sous le nom de 
manatus, d'où par corruption nous avons fait la- 
mantin, bien que quelques zoologistes, et Buffon 
entre autres, fassent dériver ce mot de celui de ma- 
nati, usité par les galibis de la Guyane ou les colons 
espagnols d'Amérique pour désigier un grand mam- 
mifère aquatique : mais cette dernière étymologie 
est peu admissible. Le nom de #nanatus ou de m«- 
naltes, signifiant animal à mains, indique que ces 
cétacés se servent de leurs nageoires pectorales pour 
soutenir leurs petits dans leurs bras à la manière de 
certains animaux terrestres. D’autres noms donnés. 
par le vulgaire ou par des voyageurs ignorants, rap- 
pellent les ressemblances plus ou moins grossières 
que des esprits prévenus ont cherché à établir avec 
les lamantins ; et c’est ainsi que les désignations les 
plus opposées de bœuf marin, de vache marine, 
de femme de mer, leur ont été appliquées dans plu- 
sieurs relations. 

Linné, en donnant au morse le nom générique et 
scientifique de trichechus, regardoit la seule espèce 
de lamantin connue de son temps comme présentant 
l’ensemble des caractères de cet animal; et ce rap- 
prochement erroné subsista jusqu’à l’époque où 
M. Cuvier fit paroître son ouvrage classique sur le 
règne animal. 

Les lamantins sont des animaux à corps oblong, 
sans cou distinct, et dont l'extrémité postérieure 
est arrondie, un peu déprimée, et à nageoire cau- 
dale oblongue, et très développée. Les rudiments 
intérieurs des membres postérieurs manquent com- 
plétement. Les nageoires antérieures sont formées 
par une membrane qui enveloppe les cinq doigts et 
leurs phalanges : et ceux-ci ne sont apparents au 
dehors que par quatre ongles plats qui sont atta- 
chés au rebord de la nagcoire. Les membres anté- 
rieurs ont toutefois les parties osseuses que présen- 
tent les squelettes des autres animaux. Les yeux 
sont très petits et occupent l'intervalle qui sépare 
le bout du museau des trous auditifs : ceux-ci sont 
très peu visibles. Les narines sont petites, semi-lu- 
naires et dirigées en avant. La langue est de forme 
ovalaire; la lèvre supérieure est fendue et garnie de 
soies ou moustaches courtes, mais de certaine gros- 
seur, et formant de chaque côté des lèvres deux 
faisceaux cornés résistants. La peau ou l’enveloppe 
générale du corps est épaisse, légèrement chagrinée 
et garnie de quelques poils rares. Le mâle a une 
verge dont le giand est élargi comme chez le chevai; 
cet élargissement est formé de deux bords frangés, 
embrassant une éminence conique, au milieu de la- 
quelle s'ouvre le canal de l’urètre. Les femelles ont 


HISTOIRE NATURELLE 


deux mamelles placées sur la poitrine et entre les 
deux nageoires. 

Le système dentaire, ou cet appareil avec lequel 
l'animal saisit et triture sa nourriture, a quelque 
chose de particulier chez les lamantins. El paroît que 
les fœtus viennent au monde avec deux incisives en 
devant à chaque mâchoire, et que ces dents tom- 
bent aussitôt qu’elles ont vu le jour, pour ne plus 
reparoitre ; car les individus adultes n’ont plus ni 
incisives ni canines, mais seulement neuf dents 
molaires de chaque côté et à l’une et l’autre mâ- 
choire. Ces denis, en sortant de l’alvéole, ont leur 
couronne hérissée de trois mamelons aigus qui 
s’usent par la mastication des aliments, et auxquels 
succèdent deux collines transversales, bordées en 
avant et en arriere de deux crêtes qui sont dente- 
lées. Les molaires inférieures ne diffèrent des pré- 
cédentes que par quelques légères dissemblances. 
Leur nombre total est de trente-six, mais il est sou- 
vent réduit à trente-deux, parce qu’à certaine épo- 
que de la vie, quatre d’entre elles tombent et ne 
repoussent plus. 

La charpente osseuse se compose principalement 
de six vertèbres cervicales et de seize paires de côtes 
très grosses et épaisses, dont les deux premières 
seules s'unissent au sternum. Le viscère stomacal 
est formé par deux poches où s'ouvrent trois petits 
tubes en forme de cœcum, et le vrai cœcum est court 
et divisé en deux branches. Le colon est dilaté et 
comme boursouflé. 

Tels sont les caractères succincts de l’organisation 
générale des lamantins. Ce sont des cétacés qui ne 
vivent que de matières végétales, et qui, s’assem- 
blant en troupes nombreuses et pacifiques, fréquen- 
tent les côtes intertropicales de l’océan Atlantique, 
et se plaisent à l'embouchure des grands fleuves, 
qu’ils remontent souvent à des distances considéra- 
bles, On a dit que parfois les lamantins sortoient de 
l’eau, et qu’ils pouvoientse trainer avec de pénibles 
efforts sur les rivages, à l’aide de leurs nageoires et 
même des poils de leurs moustaches; mais ce fait 
ne paroît pas hors de doute, et rien n’autorise à 
l’admetire, à moirs que de nouvelles observations 
ne viennent le sanctionner par un témoignage irré- 
çqusable. Leurs mœurs sont douces et innocentes , et 
si leurs formes ne séduisent point l’observateur, 
leur sociabilité et leur bon naturel l’intéressent du 
moins, et doivent leur mériter une part à sa bien- 
veillance. Les mâles, à ce qu’il paroît, sont en effet 
attentionnés et pleins de soins pour leurs femelles, 
et celles-ci chérissent tendrement leurs petits, et 
leur prodiguent les plus doux soins maternels; elles 
les soutiennent entre leurs nageoires et sur leur sein, 
et garantissent leur inexpérience des piéges où ellene 
manqueroit pas de tomber. | 


La durée de la gestation est d'environ une année, 


/ LRU: frmerique, Manatus Americanus . 


5) ( l'ugons DE Le hules. Halicore Indicus , L: L'esn 


J : fine 7 C Ladleny Fe Pijpines d'aprés Bu > 
l , { 


Puble par Pourrat Fa l'arur 


DES MAMMIFÈRES. 


et a pour résultat le plus ordinairement un seul petit, 
et rarement deux. Dans les contrées eù on trouve 
les lamantins, les habitants en recherchent la chair, 
et en emploient la peau à divers usages. Deux seules 
espèces vivantes paroissent être susceptibles d’être 
nettement distinguées ; l’une est d'Amérique et l’au- 
tre d'Afrique. 

Des débris fossiles de Jamantins ont été reconnus 
et décrits par M. G. Cuvier. Les plus intacts ont été 
trouvés dans un calcaire coquillier grossier dont se 
composent les coteaux qui bordent la petite rivière 
de Layon dans le département de Maine-et-Loire. 
Ces débris consistoient en os du crâne, des mem- 
bres antérieurs et des côtes, et tous étoient convertis 
en calcaire ferrugineux rougeûtre renfermant Cu 
fluate de chaux. Mais l’examen de ces fossiles à fait 
entrevoir qu’ils devoient appartenir à une espèce de 
lamantin totalement perdue et tout-à-fait difiérente 
de celles qui existent aujourd’hui, et que rendoient 
surtout très remarquable et sa grande taille et les 
formes de sa tête. D’autres ossements fossiles ont 
é.é découverts à Capian, à quinze lieues environ ce 
Bordeaux, mais ils étoient trop triturés pour être 
bien reconnoissables ; on en à observé aussi à Marly 
où ils éioient placés dans de l'argile plastique recou- 
yrant le terrain de craie des environs de Paris, et à 
l’ile d'Aix. Nous trouvons dans ce fait, dit M. Cu- 
vier, la preuve que les lamantins, aujourd’hui con- 
finés entre les tropiques, vivoient naguère dans les 
mers qui baignoient la France. Enfin, s’il faut s’en 
rapporter à une courte note publiée aux Etats-Unis 
par le docteur Harlan, on auroit rencontré, sur la 
côte occidentale du Maryland, des côtes et des ver- 
tèbres appartenant à un lamantin fossile de taille 
gigantesque ; car le diamètre vertical de la vertèbre 
atlas seroit de neuf pouces anglois, et le diamètre 
transversal de sept. 

Les limites géographiques des lamantins vivants 
sont donc renfermées aujourd’hui dans l'intervalle 
de 59 degrés, ou de 25 degrés au nord et au sud de 
l’équateur. Cependant nous trouvons dans les rela- 
tions de tous les anciens navigateurs, et notamment 
dans les voyages de Dampier, qu’il y est fait men- 
tion de lamantins existant par de plus hauts paral- 
lèles. Or il est ben probable que diverses espèces 
sont encore incennues des naturalistes, bien que 
sous ce nom de lamantin des voyageurs aient eu en 
vue peut-être des phoques, et souvent le dugong. 
Quant au lamantin des côtes du Pérou, il est presque 
certain qu’il diffère desespèces de l’océan Atlantique; 
mais on ne possède sur lui aucun renseignement 
particulier. 


o7 1 


LE LAMANTIN D’AMÉRIQUE. 
Trichechus manatus. LiNXE. 


Le lamantin d'Amérique est l'espèce la plus an- 
ciennement connue. Clusiuset Aldrovande le-nom- 
moientmanati Indorum, d'après Hernandez, et c’est 
sous le nom de manati ou inanalus qu’il se trouve 
mentionné dans les ouvrages de Rondelet, de Ges- 
ner, de Laet, de Jonston, de Charlet, de Rai, de 
Dampier, de Sloane, de Klein, de Brisson et de 
Pennant, et sous celui de lamentin ou lamantin dans 
La Condamine, Brown et Buffon. Les Portugais, 
dont les flottes couvroient jadis les mers, parlent 
dans leurs plus anciennes relations du lamantin 
d'Amérique sous le nom de pezze muger ou pois- 
son-femme, et les Espagnols des bords de l’Oré- 
noque sous celui de pesce buey. C’est le se:kuh des 
Allemands, le manatee des Anglois, et le soë-koe des 
Banois. Buffon nomme cette espèce le grand laman- 
tin des Antilles, et la décrit et la figure dans le t. x1H, 
pl. 57, et pag. 577 et 455 de son Histoire des qua- 
drupèdes. 

La forme du corps est allongée et ovalaire, et 
rappelle celle d’une outre, terminée à la partie posté- 
rieure, après un léger étranglement, et s’aplatis- 
sant pour donner naissance à la queue. Celle-ci est 
oblongue, ovalaire, large et comme tronquée, et 
forme à peu près le quart de la longueur totale de 
lan mal. La tête est conique, sans point de dépres- 
sion à son union avec le corps. Le museau est gros 
et charnu, et représente en haut un demi-cercle 
où s'ouvrent les deux narines faites en croissant et 
dirigées en avant. La lèvre supérieure est renflée , 
et échancrée dans son milieu. Deux touffes de soies 
roides, d’un volame assez prononcé, en garnissent 
les côtés. La lèvre inférieure est plus courte et plus 
étroite que la supérieure, et la bouche est peu fendue. 
Les yeux sont petits et placés à une égale distance 
des narines et de la commissure des lèvres. Les 
oreilles ne consistent qu’en deux fissures étroites 
ouvertes dans la peau; les orifices des appareils de 
la génération et de la défécation sont très voisins, et 
ne sont séparés que par une mince cloison. Tels sont 
les principaux caractères du lamantin d'Amérique, 
dont le corps est recouvert d’une peau grise, légère- 
ment chagrinée, et sur laquelle paroïssent quelques 
poils rares, peu fournis, et un peu plus rapprochés 
près de l’angle de la bouche et sous les nageoires. 
Les mamelles, peu développées dans l’étatordinaire, 
se gonflent et s’rrondissent à l’époque de la fécon- 
dation, et sécrètent alors un lait onctueux et agréable 
au goût. 

Buffon avoit singulièrement embrouillé l’histoire 
naturelle de ce cétacé herbivore. Des quatre espic:s 


572 
qu’il admettoit, une seule doit subsister, et c’est 
celle qui nous occupe. Mais son lamantin des 
Grandes-Indes est évidemment le dugong ; son la- 
mantin du Kamtschatka, le stellère; et son petit 
lamantin des Antilles ne diffère en rien de celui 
d'Amérique. M. G.Cuvier, par des recherches sui- 
vies et complètes, est le premier naturaliste qui ait 
éclairci, d'une manière satisfaisante, les descrip- 
tions de ces animaux, qui cependant ne sont point 
encore aussi complétement connus qu’on devroit le 
désirer. 

Le lamantin d'Amérique atteint une assez grande 
taille ; elle est souvent de plus de vingt pieds. Son 
poids s'élève, dit-on, jusqu'à huit milliers. La 
graisse qui enveloppe les chairs est très abondante, 
et les jeunes sont fort recherchés pour leur délica- 
tesse. Toutefois, la nourriture que les Américains 
retirent des salaisons de lamantins est peu estimée 
des créoles, et elle ne sert guère qu'aux nègres plan- 
teurs. L'os de manali, vanté outre mesure dans des 
arcanes mis en vogue par la superstition la plus 
grossière, est l’os du rocher, flottant au milieu de 
l'appareil auditif, comme on le remarque chez tous 
les cétacés indistinctement. 

Le lamantin ne vit point dans les eaux profondes: 
il se tient sur les grèves des iles des Antilles où 
l’observèrent et Dutertre et le père Labat, ou bien 
dans les anses abritées des côtes de l'Amérique mé- 
ridionale, et notamment du Brésil et des deux 
Guyanes. C’est surtout aux embouchures des grands 
fleuves de l’Orénoque et des Amazones, au milieu 
du mélange de leurs eaux douces avec les eaux sa- 
lées de l'Atlantique, que ces cétacés se plaisent et 
qu'ils vivent en plus grand nombre. L’utilité de 
leur chair a engagé les colons établis dans le Nou- 
veau-Monde à leur faire la chasse, et les lamantins 
ont bientôt appris à fuir des lieux qui leur deve 
noient funestes ; ils se sont retirés sur les côtes les 
plus désertes et dans les fleuves les moins visités : 
partout où l’homme habite ils sont devenus rares et 
farouches. 

M. de Blainville a considéré les lamantins comme 
représentant, au milieu de leur genre de vie tout 
aquatique, les éléphants terrestres. Il compare ces 
animaux, au premier coup d’æil si disparates, dans 
la disposition et la manière dont se forment les dents, 
et surtout dans les poils durs et cornés qui revêtent 
les lèvres des lamantins aussi bien que celles des 
éléphants. D’autres analogies se découvrent aussi 
dans les pièces diverses du squelette. 

Les mœurs du lamantin d'Amérique sont plus 
particulièrement celles que nous avons indiquées, 
en parlant des espèces en général. Les voyageurs 
disent que lorsque l’un d'eux est attaqué, les autres 
individus, au licu de fuir, viennent à son secours, 
et cherchent à le protéger. On rapporte, et c’est 


HISTOIRE NATURELLE 


sans doute en parlant du stellère seul, qu’ils dor- 
ment dans l'eau le ventre en haut, ce qui suppose- 
roit que leurs évents restent au-dessus de la surface 
de la mer. L’accouplement se fait vers la chute du 
jour, et la femelle, pour son accomplissement, se 
renverse sur le dos et serre le mâle dans ses nageoi- 
res. Leurs sens sont inégalement développés : et 
c’est ainsi qu’on s’accorde à dire que leur vue est 
mauvaise, mais que l’ouïc , en revanche, epprécie 
avec une grande délicatesse le moindre bruit. Les 
pations qui habitent les côtes de l'Amérique les 
chassent avec des bateaux montés par des harpon- 
neurs habiles, et les percent le plus ordinairement 
avec des lances acérées. 

Nous avons peint le lamantin d'Amérique tel que 
l’a créé la nature. Nous n’avons point surchargé 
notre palette pour l’embellir par des couleurs que 
la vérité répudie : et cependant nous parlons d’un 
être sur lequel la mauvaise foi la plus insigne s’est 
exercée. L'homme en général aime à se faire illu- 
sion, et, en se trompant lui-même, il se plait à 
tromper ceux qui l'écoutent. Car quelle autre rai- 
son donner que toutes ces descriptions aflirmées 
avec une rare impudence, et dont on peut se faire 
une idée en ouvrant le Telliamed de Dumuillet, 
de ces hommes à barbes épaisses, de ces femmes 
marines portant des mamelles, tenant leur nour- 
risson sur leur sein , dont le corps est gracieux par 
le haut et terminé par une hideuse queue de 
poisson ? 


LE LAMANTIN A LARGE MUSEAU. 
Manatus latirostris. HARLAN. 


M. le docteur américain Harlan a publié récem- 
ment, dans le Journal de l’Académie des Sciences 
naturelles de Philadelphie (t. AIX. part. 2, p. 590; 
pl. 45, fig. 4, 2 et 3), la description d’un lamantin 
qu’il regarde comme différant spécifiquement de 
l'espèce précédente, et dont il n’a pu étudier que 
des crânes, qu’il trouva gisants en grand nombre sur 
les rives et à l'embouchure des rivières qui arrosent 
les Florides, et qui se perdent sous les 25 degrés 
de latitude. Ces crânes différoient d’une manière no- 
table de ceux qui sont propres aux lamantins d’A- 
mérique et du Sénégal, et le portèrent à créer no- 
minalement une nouvelle espèce, en attendant que 
des observations directes vinssent en faire connoître 
les différences extérieures. Cette espèce n’auroit que 
trente-deux dents. M. Harlan n'ayant pas jugé à 
propos de dire dans sa Faune des États-Unis, que 
nous avons sous les yeux, en quoi le crâne de son 
lamantin latirostre différoit de ceux des deux au- 
tres espèces , nous attendrons que celte découverte 


DES MAMMIFEÈRES. 


soit confirmée ‘par des observations un peu plus 
précises. 

Toutefois M. Harlan ajoute que les Indiens font 
la chasse à ce lamantin pendant les mois d'hiver; 
qu’ils le poursuivent avec des harpons, et que cha- 
cun d’eux en tue environ une dizaine par année : 
il dit aussi qu’il peut avoir neuf ou dix pieds anglois 
de longueur, et que sa taille approche de celle d’un 
} œuf. Enfin il pense que ce cétacé a été mentionné 
par le capitaine Henderson dans la relation qu’il a 
publiée en 1809 des établissements anglois à Hon- 
duras, bien que nous n’y ayons rien vu qui s’ap- 
plique plutôt à une espèce qu’à l’autre. M. Hen- 
derson n’a écrit en effet que cette courte note. « Le 


» mâle et la femelle vont d'ordinaire ensemble; et. 


» lorsqu'ils nagent à la surface des lagons, ils sont 
» frappés avec des harpons ou dards, que savent 
» lancer avec la plus grande adresse les esclaves de 
» l'établissement ou les Indiens mosquites. La chair 
» de ces animaux est très estimée et ressemble 
» beaucoup à celle du veau, et la queue, qui com- 
» pose la partie la plus considérable du corps d’un 
» manali, assaisonnée convenablement, fournit un 
» mets qui, mangé froid, jouit de la plus grande 
» faveur, et eût été estimé d’Apicius et d'Hélioga- 
» bale eux-mêmes. » 


LE LAMANTIN DU SÉNÉGAL. 
Manatus senegalensis. G. Cuv. 


Adançson est ie premier voyageur qui ait distingué 
le lamantin du Sénégal, que la plupart des auteurs 
ont confondu depuis lui avec l’espèce des côtes d’A- 
mérique. Ce n’est toutefois que par la comparaison 
du crâne, apporté de la Sénégambie par ce célèbre 
naturaliste, que M. G. Cuvier s’est assuré qu'il con- 
stituoit évidemment une espèce réelle et distincte. 
IL est fort probable que ce lamantin est celui que 
mentionnent Dapper et Lacaille dans leur voyage ; 
mais il est certain que c’est le lercou des nègres yo- 
loffs des bords du fleuve Sénégal, et le cojumero des 
naturels de la Guinée. 

Les détails fournis par Adanson sont peu étendus ; 
il se borne à dire en effet que les plus grands indi- 
vidus n’ont au plus que huit pieds de longueur, et 
pèsent environ huit cents livres. Puis il ajoute: Leur 
tête est conique et de médiocre grosseur ; les yeux 
sont ronds, leur iris est de couleur bleue foncée, et 
la prunelle noire. Les lèvres sont charnues et épais- 
ses: la langue est ovalaire; les quatre ongles de cha- 
que nageoire sont d’un rouge brun luisant : leur cuir, 
épais de six lignes sous le ventre, de neuf sur le dos 
et de dix-huit sur la tête, est à teinte cendrée noi- 
râtre. La graisse est blanche et la chair d’un rouge 


573 
pâle. Les femelles ont deux mamelles plutôt ellip- 
tiques que rondes, placées près de l’aisselle. 

Buffon et Shaw distinguoient ce lamantin de celui 
d'Amérique par des caractères qui n’existent point. 
M. G. Cuvier n’a trouvé de différences que dans la 
forme comparative des têtes osseuses ; ct il en ré- 
sulte en effet que le lamantin du Sénégal a les fosses 
nasales et temporales plus larges et moius longues, 
la tête plus courte et plus étendue dans le sens trans- 
versal; les orbites plus écartées, les apophyses de 
l'os temporal moins renflées, la partie inférieure de 
la mâchoire d’en bas recourbée, tandis que c’est l’op- 
posé chez le lamantin d'Amérique. 

Cette espèce est la plus anciennement connue, sans 
que pour cela nous possédions sur elle les moindres 
renseignements positifs. Les Portugais en eurent les 
premiers cénnoissance, et, les premiers aussi, ils 
lui donnèrent les noms de syrène ou de femme ma- 
rine, qu’on transporta ensuite à l’espèce d’Amé- 
rique lors de la découverte du Nouveau Monde. Ses 
habitudes n’ont point été étudiées : tout ce que l’on 
sait, c'est qu’elle fréquente les embouchures des 
grands fleuves, qui, tels que le Sénégal, le Zaïre, 
vont se perdre à la mer sur la côte occidentale d’A- 
frique. 


LES DÜUGONGS OÙ HALICORES. 


On ne connoît qu’une seule espèce de dugong, 
Cet animal n’a été nettement distingué des autres 
cétacés herbivores, et même des amphibies carni- 
vores, que dans ces derniers temps. Tous les anciens 
voyageurs, tous les auteurs systématiques du dix- 
huitième siècle, ne les séparoient pas des lamantins, 
dont il a en effet la plupart des caractères, ou du 
morse auquel il ne ressemble que par une analogie 
grossière, tirée de ce que l’un et l’autre possèdent 
des défenses. Cependant, s’il faut s’en rapporter à 
lopinion populaire des Malais, deux espèces de du- 
gongs fréquenteroient leurs rivages. On soupconne 
même que les os recueillis sur les côtes de la Nou- 
velle-Hollande diffèrent assez notablement de ceux 
du dugong des archipels des Indes orientales (1), et 
que lespèce découverte récemment dans la mer 
Rouge ne se rapporte point à aucune des précé- 
dentes. Cette dernière ne seroit-elle pas le lamantin 
femelle (the meermaid) décrit et figuré par Barbot 
dans son Voyage à la côte de Guinée ? Au reste, on 
ne possède de documents authentiques que sur le 
dugong indien. 

Leguat, protestant exilé par la révocation de l’édit : 


() Le trou mentonnier d’un maxillaire inféricur, ob« 
servé par MY. Quoy et Gaimard, est plus grand, 


974 
de Nantes, et voyageur auquel nous devons quel- 
ques descriptions d'histoire naturelle médiocres, est 
le premier, à notre connoissance, qui ait donné dès 
4720, et sous le nom de lamantin des Indes, une 
figure et ure description du dugong (!) assez recon- 
noissables. Renard ensuite publia à Amsterdam, en 
4754, un volume in-folio de figures de poissons des- 
sinées par des peintres indiens, et dans ce recueil, 
dont la véracité fut long-temps suspectée, parut un 
portrait du dugong (pl. 54, fig. 480) assez mal ca- 
ractérisè , imitant plutôt un squale, et que la plu- 
part des naturalistes rejetèrent comme faulif. Cet 
animal ne fut regardé par les uns que comme uu 
lamantin, et par les autres que comme un morse. 
Le célèbre anatomiste hollandois Camper reçut un 


dugong de Batavia; et, se livrant à quelques recher- 


<hes dens les écrits de ses devanciers, il exhuma la 
figure publiée par Renard, dont il donna une copie 
dans ses œuvres, à laquelle il ajouta en note, que, 
sous le nom de dou-jung (vache marine}, on con- 
noissoit depuis long-temps un poisson qui respiroit 
par les poumons, et avoit des mamelles placées de- 
vant Ja poitrine entre les nagcoires, et dont les lè- 
vres étoient entourées de barbe. 

Le dugong ne fut pour Linné, pour Erxleben et 
même pour Shaw, qu’une espèce du genre morse, à 
laquelle ces auteurs appliquèrent le nom spécifique 
de trichechus dugung. Buffon toutefois avoit déjà 
entrevu, par la comparaison d’un cräne que Dau- 
benton avoit disséqué, que le dugong différoit beau- 
coup du morse; il dit: « La tête du dugong est à peu 
près déformée de la même manière par la profon- 
deur des alvéoles, d’où naissent, à la mâchoire su- 
périeure, deux dents longues d’un demi-pied : ces 
dents sont plutôt de grandes incisives que des dé- 
fenses, elles ne s'étendent pas directement hors de 
la gueule comme celles du morse; elies sont beau- 
coup plus courtes et plus minces, et d’ailleurs elles 
sont situées au-devant de la mâchoire, et tout près 
lune de l’autre, comme des dents incisives; au lieu 
que les défenses du morse laissent entre elles un 
intervalle considérable, et ne sont pas situées à la 
pointe, mais aux côtés de la mâchojre supérieure. 
Les dents mâchelières du dugong diffèrent aussi, 
tant pour le nombre que pour la position et la forme 
des dents du morse; ainsi nous ne doutons pas que 
ce soit un animal d'espèce différente. » 

Dans ces dernières années, deux naturalistes fran- 
cois, MM. Diard et Duvaucel, qui séjournèrent 
long-temps aux Indes, envoyèrent au Muséum un 
squelette complet de dugong, avec le dessin de l’a- 


{) Voyages et aventures de François Leguat ct de 
ses compagnons en deux isles désertes des Indes Orien- 
£ales, 2 vol, in-42. Londres, 4720 (tome I, page 93 
et suiv.). 


HISTOIRE NATURELLE 


nimal, et une description détaillée. M. G. Cuvier a 
fait graver la figure du squelette dans son ouvrage 
sur les ossements fossiles, et M. Fr. Cuvier en à 
tracé l’histoire d’après les deux voyageurs que nous 
venons de citer, dans son recueil de planches colo- 
riées, consacré aux mammifères. À la même époque, 
sir Raflles, alors gouverneur de Sumatra, adressoit 
un mémoire à Londres, rédigé sur les notes de 
MM. Diard et Duvaucel, qui s’étojent momentané- 
ment engagés à le seconder dans ses recherches; et 
sir Everard Home, étudiant les viscères et la char- 
pente osseuse de dépouilles qui laccompagnoient, 
donnoit à ce travail un haut degré d'intérêt. (Trans. 
soc. philosophig., deuxième partie, 4820.) 

Des caractères généraux rapprochent donc les du- 
gongs des lamantins, et les placent les uns et les 
autres dans la première famille des cétacés; mais 
des caractères particuliers les éloignent générique- 
ment. Aussi, dès 4799, M. Lacépède, proposant une 
nouvelle classification des mammifères, avoit créé le 
genre dugon (dugong) dans son dix-neuvième ordre, 
qu’il avoit placé pour conserver les rapports natu- 
rels, et comme lien intermédiaire entre les morses 
et les lamantins. MM. Duméril et Tiedemann adop- 
tèrent ce genre, dont le nom fut changé en 4814 par 
le naturaliste prussien Illiger, et remplacé par celui 
d’halicore qui est tiré du grec, et qui signifie véerge 
ou fille de La mer, nom plus pompeux et plus sonore 
sans doute, mais dont on ne sent pas bien la néces- 
sité. Les zoologis'es modernes ont toutefois sanc- 
tionné cette dénomination plus récente, et M. Fr. 
Cuvier l’écrit halicorne. 

Les dugongs n’ont point de rapports de forme 
extérieure avec les morses, qui ont quatre membres 
comme les phoques, membres à demi engagés dans 
des nageoires, il est vrai, mais qui établissent entre 
ces deux genres une bien grande séparation. Leur 
corps est pisciforme, mais plus rapproché déjà par 
son organisation des vrais célacés que celui des la- 
mantins. Les ongles qu’on remarque sur les na- 
geoires de ces derniers manquent complétement sur 
celles des dugongs, et la queue ovalaire est rempla- 
cée par une nageoire en croissant, de même forme 
que celle des dauphins. Leur tête n’est point dis- 
tincte du corps ; le museau est très gros, mobile et 
comme tronqué : ilest garni de poils épineux sur le 
rebord des lèvres, qui sont très grosses. 

Ce qui caractérise plus particulièrement les du- 
gongs, c’est le nombre, la forme et la disposition 
des dents. M. Fr. Cuvier a donné une description 
exacte de ces os, dans son ouvrage intitulé, des Dents 
des mamanifères considérées comme caractères z00- 
logiques (Paris, in-8°, 4825, p. 258). Il résulte de 
ses observations que la mâchoire supérieure a quatre 
dents incisives et dix molaires ou mâchelières, et 
qu’à Ja mâchoire inférieure on compte parfois six ou 


|. MAMMIFÈRES. 


hüit incisives, et le même nombre de molaires qu’à 
celle d’en haut, ce qui en porte le nombre total à 
rente ou trente-deux. Par l'examen de ces organes, 
si importants dans la mastication et si bien accom- 
modés au genre de vie propre à chaque animal, on 
ne trouve aucun point de rapprochement à faire avec 
nulle autre espèce, soit terrestre, soit aquatique. 
Il paroît que le nombre des molaires varie suivant 
l’âge, et que dans les premières années de la vie il 
n’y en a que deux implantées de chaque côté et à 
chaque maxillaire ; mais à mesure que l'individa 
vieillit, le nombre s'élève jusqu’à cinq, saus jamais 
le dépasser. Les incisives inférieures tombent de très 
bonne heure; ce sont des dents très petites et poin- 
tues. Il n’en est pas de même des supérieures; cha- 
cune d’elles constitue une défense très forte, droite, 
comprimée sur les côtés, divergente d’avec sa con- 
génère, et usée sur le côté externe, de manière à 
être tranchante à son sommet. Une petite dent poin- 
tue, constamment enveloppée par les gencives, est 
placée à sa partie postérieure, et se trouve chez les 
jeunes individus. Les trois premières molaires supé- 
rieures sont primitivement simples et coniques, leur 
couronne s’use bientôt et n’a plus qu’une forme apla- 
tie. La quatrième ressemble à deux des premières 
qui seroient soudées ensemble et à sommet égale- 
ment tronqué. La cinquième a la forme de la troi- 
sième, et toutes ont de longues racines solidement 
fixées dans les alvéoles. Les dents du maxillaire in- 
férieur n’ont rien de particulier. M. Fr. Cuvier 
trouve des différences entre le crâne du dugong en- 
voyé de l'archipel de Malak par MM. Diard et Du- 
vaucel, et celui décrit par Daubenton, et qui prove- 
noit des îles Philippines. Peut-être doit-on penser 
que ces deux têtes appartiennent à deux espèces dis- 
tinctes; c’est ce que les voyageurs futurs pourront 
seuls décider. 

Tout ce que nous venons de dire du système den- 
taire du dugong, tout ce que nous ajouterons sur 
l'organisation de ses viscères , ne s’applique qu’à la 
seule espèce bien connue, et qui a été observée aux 
Indes orientales. 

M. G. Cuvier compare les portions osseuses du 
crâne dü dugong et du lamantin, et il généralise 
ainsi son opinion : « Les connexions des os, leur 
coupe générale, etc., sont à peu près les mêmes, et 
l’on voit que pour changer une tête de lamantin en 
une tête de dugong, il sufliroit de renfier et d’allon- 
ger ses os intermaxillaires, pour y placer des dé- 
fenses, et de courber vers le bas la symphyse de la 
mâchoire inférieure, pour la conformer à l’inflexion 
de la supérieure. Le museau prendroit alors la forme 
qu’il a dans le dugong, et les narines se relèveroient 
comme elles le sont dans cet animal : en un mot, on 
diroit que le lamantin n'est qu’un dugong dont les 
défenses ne sont pas développées. » 


575 


Le squelette du dugong a cinquante-deux vertè- 
bres et dix-huit paires de côtes. Deux os étroits et 
plats, en forme de clavicule hamaine et simulant des 
vestiges de bassin, occupent les côtés de la colonne 
vertébrale, vis-à-vis la huitième vertèbre lombaire, 
et flottent librement dans les muscles de cette ré- 
gion. Les narines, par rapport au développement 
considérable des os intermaxillaires, sont portées 
vers le sommet de la tête. L’ethmoïde r’a qu’une 
fosse peu développée, ce qui autorise à penser que 
l’odorat est très borné. Le maxillaire inférieur est 
déclive et recourbé pour s’accommoder à la forme 
de la mâchoire supérieure. L’humérus et les os de 
Pavant-bras sont plus développés que chez le la- 
mantin. Le carpe n’a que quatre os placés sur deux 
rangs, et le pouce est réduit à un métacarpien pointu 
et peu développé. Les doigts ont le nombre ordinaire 
des phalanges, et les dernières sont comprimées et 
obtuses. Une peau épaisse enveloppe les membres 
antérieurs, et les transforme complétement en na- 
geoires sur lesquelles n’existe aucun vestige d'ongles. 
Le sternum,long-temps cartilagineux chez les jeunes, 
ne s’ossifie complétement que chez les adultes. La 
cavité crânienne est médiocre. L’estomac est volu- 
mineux, divisé en deux poches, par un étrangle- 
ment prononcé; la cavité cardiaque est plus petite 
que Ja pylorique. Près de son orifice s’insèrent deux 
cœcums longs de ix pouces. La longueur du tube 
intestinal est d'environ quatorze fois la longueur 
totale de l'animal; les deux ventricules du cœur sont 
unis à leur base, et séparés à leur origine; les pou- 
mons sont entiers ; la trachée-artère est très courte, 
et n’a guëre que deux pouces; le thymus est très 
développé. Le foie est divisé en larges lobes, et l’un 
d'eux, plus petit, cache la vésicule biliaire, Les reins 
sont volumineux : la vessie est susceptible d’une 
grande extension. La verge est longue, assez grosse, 
renfermée dans un fourreau; le gland qui la termine 
présente deux lèvres plissées, développées et écar- 
tées, embrassant un tubercule central et conique, 
perforé à son milieu pour louverture du canal de 
lurètre. Les testicules sont cachés dans l’abdomen. 
Telles sont les particularités anatomiques les pius 
saillantes dont nous sommes redevable à MM. Diard 
et Duvaucel, à sir Everard Home, et par suite à 
M. Fr. Cuvier, qui les a résumées dans son Histoire 
du Dujong, publiée en avril 4821. 

Le dugong a été étudié avec beaucoup de soin par 
MM. Quoy et Gaimard dans la Zoologie de l’Astro- 
labe (1), et M. Robert Knox a fourni de bons détails 
anatomiques (?) sur ce cétacé herbivore. 


("; Tome 1, p. 143, pl. 27, fig. 1 à 11. 

(2) Observat. to determ. the dent. of dugong, etc.,ete., 
par Robert Knox. Trans, of the Soc. of Edinburgh 
1831 


LE DUGONG DES INDES 1), 
Trichechus dugong. Gu, 


© Ce n’est que dans ces canaux innombrables qui 
séparent les îles de la Polynésie, dans ces mers peu 
profondes, constamment échauflées par le soleil 
équatorial, que vit le dugong. Il paroit exister de- 
puis les Philippines dans l’est jusqu'aux iles de la 
Sonde dans l’ouest; et de la presqu’ile de Malak au 
nord jusque sur les côtes intertropicaies de la Nou- 
velle-Hollande au sud. C’est en effet au milieu de 
cette quantité prodigieuse d’iles et d’ilots qui en- 
combrent cetle mer, généralement semée de hauts- 
fonds, que ce cétacé est observé aujourd’hui, tantôt 
isolé, mais le plus souvent par grandes troupes. Il 
étoit fort commun naguère au milieu des. paracels 
de corail des Seychelles, de Rodrigue, et dans les 
bassins échauflés des récifs de l’ile de France; mais 
personne n'alteste l’y avoir observé depuis Leguat. 
Cet ancien voyageur nous à laissé du dugong une 
description faite à sa manière, mais qui, bien qu’il 
l'ait confondu avec le lamantin, est assez exacte pour 
l’époque où il écrivoit. « Le lamantin, dit Leguat, 
» que d'autres nations appellent manati, pour dire 
» ayant des mains, se trouve en grande abondance 
» dans les mers de cette île (Rodrigue); sa tête res- 
» semble extrêmement à celle d’un pourceau, mais 
» il n'a pas le groin si pointu ; les plus grands ont 
» autour de vingt pieds de long, et n'ont aucune autre 
» nageoire que la queue et les deux pattes. Le corps 
» est assez gros jusque vers le nombril, et la queue 
» a cela de particulier avec celle des balcines que la 
» largeur en est horizontale, lorsque l’animal est 
» posé sur le ventre. El a le sang chaud, la peau noi- 
» râtre, fort rude et fort dure, avec quelques poils 
» si clair-semés qu’on ne les aperçoit qu’à peine, les 
» yeux petits, et deux trous qu'il serre et qu'il ouvre, 
» que l’on peut avec raison appeler ses ouïes et ses 
» oreilles ; comme il retire assez souvent sa langue, 
» qui n’est pas fort grande, plusieurs ont dit qu’il 
» n’en avoit point; il a des dents mächelières, et 
» même des défenses qui paroissent comme à un san- 
» glier, mais il n’a point de dents de devant; ses 
» gencives sont assez dures pour arracher et pour 
T{) Halicore indicus, Desm. mamm., sp. 751: Tri- 
chechus dugong, L. Gm. Eral. Muller; The indian Wal- 
rus, penn. quad., no 264; Rosmarus in:dicus, Bodd.; 
Dugon, Buff., t. XI, fig. 56; Dugong indicus, Lacép.; 
Dugong, Renard, poisson des Indes, pl. 34, f. 180; La- 
mantin, Leguat; Halicore dugong, G. Cuv., oss. foss., 
t. V, pl. 19 et 20; Desmoul. Dict. class. d'hist.nat., {. V, 
p. 640; F. Cuv.., mamm., 27e liv., Dict. sc. nat., L. XX, 


p.219 ; Sir Raffles, Everard Home, Trans. soc. philos. 
1820, 2e partie. 


HISTOIRE NATURELLE 


» brouter l'herbe. La chair en est excellente, et a le 
» goût fort approchant de celle du meilleur veau. 
» C’est une viande fort saine. La femelle a les ma- 
» melles comme celles des femmes : plusieurs assu- 
» rent qu’elle fait ordinairement deux petits à la fois, 
» et qu’elle les allaite ensemble, les portant tous deux 
» à son sein, avec ses deux espèces de mains; mais 
» comme je ne lui en ai jamais vu embrasser qu’un, 
» j'ai du penchant à croire qu’elle n’en produit pas 
» davantage à la fois. 

» Nous prenions ce poisson fort facilement ; il paît 
» par troupeaux, comme des moutons, à trois ou 
» quatre pieds d’eau seulement; et quand nous en- 
» trions au milieu d’eux, ils ne fuyoient point; tel- 
» lement que nous pouvions prendre celui que nous 
» voulions, le tirer à bout touchant avec un fusil, si 
» bon nous sembloit, ou nous jeter sur lui deux ou 
» trois sans armes, et le trainer à force de bras sur 
» le rivage; nous en trouvions quelquefois trois ou 
» quatre cents ensemble qui paissoient l'herbe au 
» fond de l’eau, et ils étoient si peu effarouchés que 
» souvent nous les tâtions pour choisir le plus gras : 
» nous leur passions une corde à la queue pour les 
» tirer hors de l’eau; nous ne prenions pas les plus 
» gros, parce qu’ils nous auroient donné beaucoup 
» de peine, et auroient même, peut-être, été maîtres 
» de nous; outre que leur chair n’est pas si délicate 
» que celle des petits. 

» Ils ont un lard ferme qui est excellent ; il n’y a 
» personne qui, à la vue et au goût, ne prit la chair 
» de ce poisson pour de la viande de boucherie. Ce 
» pauvre animal meurt aussitôt qu’il a perdu un peu 
» de son sang. Nous n'avons pas remarqué qu’il 
» vienne jamais à terre : je doute qu’il s’y püût trai- 
» ner, et je ne crois pas qu’il soit amphibie. » 

En élaguant quelques faits erronés et mal obser- 
vés, de cette description de Leguat, on reconnoît 
parfaitement le dugong. Nul doute que ce cétacé her- 
bivore ne vécût alors sur les côtes, et au milieu des 
iles Seychelles, et probablement aussi dans les baies 
et dans les ports de la grande île de Madagascar; et 
peut-être le sanglier de mer de Flaccourt (Histoire 
de Madagascar, p. 468), si mal décrit par ce voya- 
geur, ne repose-t-il que sur les formes d’un dugong, 
entremêlées de traits qui appartiennent aux phoques 
et aux squales. 

Le nom de dugong est malais. Les peuples de ce 
rameau de la race humaine qui s’est répandu sur 
les côtes de la plupart de terres vulgairement appe- 
lées archipels des Indes orientales, et pour lesquelles 
nous avons proposé le nom coilectif de Malaisie, 
s'accordent tous à désigner l'animal qui nous occupe 
par les mots d’ikan dugunq, ou poisson dugung, 
dont nous avons fait dugong. Sir Rafîfles, d’après 
l'orthographe arabe, le nomme éuyony, mot que les 
naturels prononcent dou-joungue; ils en distinguent 


LS 


S 


U 


” DES MAMMIFÈRES. 577 


en outre deux espèces, qu'ils spécifient par les noms 
de busban et de buntal. 

Nous ne répéterons point ce que nous avons déjà 
dit en parlant des lamantins, sur les noms de vache 
marine, de sirène, de femme de la mer, qu'on a 
aussi appliqués au dugong. Combien il faut être ami 
du merveilleux pour chercher à établir des ressem- 
blances aussi disparates, et trouver dans la physio- 
nomie d’un cétacé, et dans les éminences grossières 
qui s'élèvent sur sa poitrine et qui sont destinées à 
la Jactation, les charmes qui font le plus bel orne- 
ment du plus bel objet de la création ! 

Les dimensions les plus ordinaires d’un dugong 
sont sept à huit pieds, sur une circonférence, à la 
partie moyenne du corps, de trois à quatre pieds; 
les défenses n’ont guère alors que dix-huit lignes au 
plus ; son aspect est repoussant. Qu'on se figure en 
effet une tête volumineuse, terminée par une lèvre 
antérieure brusquement et largement tronquée, de 
petits yeux, des lèvres pendantes formant d’épais 
bourrelets; et l’on aura l’image, non pas d’une sirène 
gracieuse, mais d’un animal bien indigne des agré- 
ments qu’on lui a prêtés avec tant de complaisance. 

Le corps est revêtu d’une peau épaisse, de couleur 
ardoisée uniforme en dessus, prenant une teinte plus 
claire et dégradée en blanchâtre en dessous, où se 
dessinent des taches plus foncées ; sa surface est 
lisse, et à peine on y remarque quelques poils; les 
nageoires brachiales sont garnies sur leur rebord an- 
térieur de verrues ou de callosités , et sont de forme 
oblongue ; la queue a deux jiohes taillés en croissant ; 
le museau est mobile sur la mâchoire supérieure, et 
recouvre, comme les lèvres de certains chiens do- 
gues, les bords de la mâchoire inférieure ; en avant 
il est tronqué, et la surface ea cœur renversé, qui 
en résulte, est légèrement convexe et revêtue, ainsi 
que les lèvres, d’épines cornées longues d’un pouce, 
très consistantes, et qui sont ou des organes de tact, 
ou des moustaches, ou des corps destinés à arracher 
les herbes marines dont le dugong fait sa nourri- 
ture , et qui, peut-être, servent à ces trois usages à 
la fois ; le bout des défenses paroïit en avant de ce 
museau mobile sous deux dépressions qui y sont tra- 
cées. L'intérieur de la bouche est garni de verrues 
cornées et de poils ; la langue est courte, étroite, et 
presque adhérente par tous ses points; son extré- 
mité est hérissée de papilles cornées, et à sa base 
existent deux glandes à calice; les gencives sont 
épaisses ; les narines forment deux fentes paraboli- 
ques rapprochées de l’extrémité du museau, à bords 
semi-lunaires, susceptibles de se contracter ou de se 
relâcher ; les yeux sont très petits, convexes et mu- 
nis d’une troisième paupière; les oreilles, placées 
derrière les yeux, s'ouvrent par une petite ouverture 
arrondie et peu visible. 

Les dugongs n'ont, jusqu’à ce jour, été trouvés 

[ 


que sur les côtes où la mer est peu profonde ; aussi 
nulle contrée sur le globe ne paroît mieux disposée 
pour leur fournir des surfaces calmes, moins bou- 
leversées par les tempêtes, que ces bras de mer qui 
séparent les iles de la Sonde, les Moluques, les îles 
Tidoriennes et les terres des Papous. Là les du- 
gongs, réunis en troupes, paissent les fucus qui 
croissent sur les rochers, et qu’ils arrachent aisé- 
ment avec leurs gencives épaisses et endurcies, et 
les poils épineux de leur museau et de leurs lèvres. 
Il paroît toutefois qu’ils changent de parages suivant 
les moussons, et qu’ils se placent sous le vent des 
îles pour s’abriter ainsi des typhons qui y règnent en 
certaines saisons, et qui les briseroient sur les récifs 
des côtes. Leurs habitudes ne sont point connues : 
il en est de même de leurs facultés. Toute la partie 
morale de leur histoire se réduit donc à les croire 
doux, affectueux, et pleins de-tendresse pour leurs 
petits. Sir Raffles mentionne le détroit de Singapore 
pour le lieu où o: les trouve en plus grand nombre, 
et les côtes de Bornéo, de Sumatra, comme celles 
de Timor et de Ternate paroissent être très fréquen- 
tées par ces cétacés en certains temps. Déjà Leguat 
avoit parlé de la délicatesse de leur chair; et ce 
qu’en disent les voyageurs modernes confirme plei- 
nement son récit, car ils rapportent que sa bonté la 
fait réserver pour la table des sultans et des rajahs 
malais. 

Les dugongs sont-ils les représentants exclusifs, 
dans l’océan Indien, des lamantins de l'océan At- 
lantique, et sous ce dernier nom, Dampier et d’au- 
tres voyageurs, qui indiquent des animaux observés 
sur les côtes des Moluques, ont ils désigné des du- 
gongs? Nous sommes très disposé à le croire. 


LES STELLÈRES ou RYTINES. 


Le docteur Steller déerivit, dans le tome second, 
page 294, des Actes de l’Académie de Pétersboürg, 
un animal de l’océan Pacifique boréal qu’il prenoit 
pour un Jamantin, bien qu’il s'en éloignât beaucoup. 
Linné ne reconnut point cette différence, et le ma- 
nalus de Steller devint pour lui une variété du la- 
mantin d'Amérique, sous le nom de trichechus 
manalus borealis. Cette opinion fut adoptée par 
Gmelin, par Erxleben et par Lacépède. Shaw en 
fit une espèce distincte, mais en la laissant toujours 
dans le genre manatus. M. G. Cuvier le premier, 
dans son Tableau élémentaire de l'histo re natu- 
reile des animaux, 1788, caractérisa les stellères 
en les séparant des lamantins, et les décora du nom 
du premier naturaliste qui les ait fait connoître. I- 
liger, en 4811, changea le nom générique de stelle- 
rus en celui de rytina, qu'il tira du grec pvxs, et 


75 


578 


qui signifie rude, nom qui ne dit rien, tandis que 
le premier est l'offrande de la science, et rappelle 
la mémoire du médecin de l'expédition de Behring, 
et les honorables souffrances qu’il eut à endurer pour 
s'occuper d'histoire naturelle dans ce voyage péril- 
Jeux. Les stellères ne comprennent donc qu'une es- 
pèce unique, espèce dont nous n'avons même pas de 
figure, et sur laquel e les renseignements de Steller 
et ceux de Kracheninnikow (!) sont les seuls docu- 
ments que nous possédions, et les seuls qui aient 
servi à tracer son histoire dans les divers ouvrages 
publiés sur les mammifères. 

Les caractères les plus remarquables des stellères 
consistent dans la forme et la texture des dents. 
Celles-ci en effet ne sont qu’au nombre de quatre, 
et elles sont disposées de manière qu'il n’y en à 
qu’une de chaque côté à l’une et l’autre mâchoire. 
Ces dents, toutes mâchelières, ont leur couronne 
aplatie, et sillonnée sur sa surface de lames d’émail 
formant des zigzag, ou des chevrons brisés. Leurs 
racines sont nulles, et chacune d'elles n’est par 
conséquent pas implantée dans l’alvéole, mais seu- 
lement tenue sur l'os de la mâchoire par des fibres 
solides. Leur nature est plutôt cornée qu'osseuse. 

La tête est obtuse, sans cou distinet. Les oreilles 
n’ont point d’auricules extérieures, et le corps, 
assez épais et massif à son milieu, aminci vers la 
queue, est recouvert d’un épiderme extrêmement 
solide, très épais, entièrement privé de poils, mais 
composé de fibres denses et perpendiculaires au 
derme. Les mamelles sont placées sur la poitrine 
et au nombre de deux. Les nageoires qui tiennent 
lieu de bras, sont entières, sans apparence d’on- 
gles, et seulement terminées par une callosité ayant 
l'aspect ongulé. La nageoire caudale est très large, 
peu longue, et disposée en croissant, dont les deux 
extrémités se prolongent en pointes aiguës. 

Tels sont les principaux caractères qui séparent 
les stellères des dugongs et des lamantins : l'orga- 
nisation de leurs viscères offre aussi quelques par- 
ticularités très remarquables. 

Ainsi, ils ont des lèvres épaisses, qui semblent 
divisées chacune en deux bourrelets arrondis et 
saillants. La bouche est petite et placée en dessous 
du museau. Les yeux peuvent être voilés par une 
crête ou membrane solide et de nature cartilagi- 
neuse , qui forme comme une troisième paupière à 
l'angle interne de l'orbite. Les os des membres 
antérieurs existent comme chez les lamantins ; 
mais ceux de la main se réduisent au carpe et au 
métacarpe, et les phalanges manquent compléte- 
ment. On compte dans la formation de leur sque- 


('} Voyage en Sibérie de Chappe, et Description du 


Kamtschatka, par Kracheninnikow, trad. du russe. 


2 vol, in-4o, Paris, 1768, 


HISTOIRE nn : 


lette six vertèbres cervicales, dix-neuf dorsales , et 
trente-cinq caudales. Deux os des iles, arrondis, 
allongés, sont attachés par de forts ligaments vis- 
à-vis la vingt-cinquième vertèbre, et simulent le 
bassin. L’estomac ne forme qu’une poche unique, 
et le canal intestinal est d’une longueur qu’on porte 
jusqu’à quatre cent soixante-six pieds. Le cœcum 
est très développé ; et le colon, élargi et boursouflé, 
a de fortes brides qui renflent la continuité de son 
tube. 


LE STELLÈRE PORÉAL (1). 


Stellerus borealis. DES». 


Steller et Kracheninnikow donnent au stellère 
boréal le nom de manate, et de vache de mer. C'est 
une espèce mitoyenne, disent-ils, qui tient de la bête 
marine et du poisson. Voici la description qu’ils en 
tracent à peu près en ces termes : 

Cet animal ne sort point de l’eau ; ce liquide est 
son habitation exclusive. Sa peau est noire, très 
épaisse, rude et inégale sur sa surface, et imite, 
suivant Steller, l’écorce rugueuse d’un vieux chêne. 
Elle est tellement fibreuse et résistante, que le 
meilleur instrument peut à peine l’entamer. La tête 
est petite par rapport au corps; mais sa forme est 
allongée, déclive depuis le sommet jusqu’au museau. 
Les moustaches sont blanches, recourbées et longues 
de quatre à cinq pouces. Les narines occupent l’ex- 
trémité du museau ; leur longueur égale leur lar- 
geur, et elles sont velues dans leur intérieur. Les 
yeux sont noirs et placés au milieu de l'intervalle 
qui sépare le trou auditif externe du museau, et sur 
la même ligne que les narines : ils sont à peine aussi 
grands que ceux d’un mouton, et par conséquent 
ils paroissent ne pas être proportionnés avec les 
formes monstrueuses de l’animal. Ils n’ont pas de 
sourcils; les oreilles ne sont point visibles à l’ex- 
térieur, etelles ne s'ouvrent que par de petits trous : 
bien que le cou soit tout d’une venue avec le corps, 
les vertèbres cervicales ont cependant des mouve- 
ments de flexion, surtout en bas. Le corps est ar- 
rondi, plus élargi vers le nombril, et rétréci vers la 
queue : celle-ci est grosse et épaisse. Les nageoires 
brachiales sont situées presque sous le cou : et non 
seulement elles servent à la natation , mais encore 
elles permettent aux stellères de se cramponner sur 
les récifs et de s’y maintenir solidement. Il arrive 


(:) Manatus, Steller, act. petrop. nov. comm, {. If, 
p.294: Trichecus manatus, Var.; borealis, L. Gm.; ma- 
nati balænurus, Bodd. El. 173; Trichecus borealis, 
Shaw, Gen. zool.:le grand lamantin du Kamtschat}a, 
Daub., Dict. encycl. Sonnini, Nouv. dict. d’hist. nat., 
t. XII, p, 501, Are édit. 


DES MAMMIFÈRES. 


quelquefois que les membranes qui les enveloppent 
se déchirent et se cicatrisent en formant des fes- 
tons qui ne sont jamais qu'accidentels. Le stellère 
boréal a communément vingt-cinq pieds de longueur 
sur une circonférence, dans l’endroit le plus large, 
de dix-neuf pieds, et pèse, dit-on, jusqu'à six mille 
six cents livres ( deux cents poudes russes) (1), en- 
viron. 

Les stellères vivent par bandes et se retirent dans 
les baies où la mer est calme , et surtout ils fréquen- 
tent de préférence les embouchures saumäâtres des 
rivières. Les mères ont le soin, lorsqu’elles na- 
gent et qu’elles sont réunies, de placer leurs petits 
au milieu d’elles, afin de protéger tous leurs mou- 
vements. 

Ces cétacés, dans les heures de lamarée montante, 
s’approchent tellement des rivages, qu’on peut les 
atteindre avec des bâtons, et leur toucher le dos 
avec la main, suivant Steller, Ils vivent en bandes 
composées chacune des père et mère, d’un petit déjà 
grand , et d’un plus jeune, ce qui porte à penser 
qu’ils sont monogames ; la portée des femelles dure 
neuf mois, et n’est que d’un fœtus. La fécondation 
a lieu au printemps, et les femelles mettent bas en 
automne. 

Les stellères sont d’une grande voracité, Ils man- 
gent presque constamment, et rien alors, pendant 
cet acte, ne peut les distraire, ni les faire fuir. Ils 
viennent de temps à autre respirer à la surface de 
la mer en soufllant avec force. Lorsqu'ils nagent, ce 
qu’ils font paisiblement et sans saccade, ils ont une 
partie du corps hors de l’eau. C’est alors que des 
oiseaux de mer viennent, suivant les Russes, dévo- 
rer de petits crustacées marins qui s’attachent sur 
leur épiderme. 

La nourriture que ces animaux recherchent se 
compose de quatre espèces de fucus et d’ulva, dont 
ils ne broutent que les parties les plus délicates; 
aussi lorsqu'ils abandonnent !e rivage où ils ont fait 
leur pâture, la mer rejette bientôt sur la grève une 
énorme quantité de racines et de tiges qu’ils ont 
détachées de leur base. Une fois qu’ils sont rassa- 
siés, les stellères se couchent sur le dos, et dorment 
dans cette position; mais lorsque la mer vient à 
baisser, ils s’éloignent alors et gagnent le large, de 
crainte de s’échouer. Les glaces en écrasent beau- 
coup pendant l'hiver, ainsi que les tempêtes qui les 
surprennent trop près des côtes. Dans cette saison 
ils sont très maigres, ce qui tient au peu de nourri- 
ture qu'ils se procurent avec peine pendant cette 
époque rigoureuse. 

C’est au printemps, lorsque la nature, engourdie 
sous les frimas et sous les glaces, se ranime et se 


(") Le poude russe est de trente-trois livres anciennes 
de France. 


579 


réchauffe , que les stellères se cherchent une coms 
pagne et se livrent à la reproduction; ils choisissent 
un temps serein, une mer unie et calme, et une 
belle soirée pour satisfaire leurs désirs : un peu de 
coquetterie de la part des femelles les a encore ai- 
guisés , et ce n’est qu'après d’aimables préludes, de 
vives caresses, des fuites simulées, que celles-ci se 
renversent pour recevoir entre leurs nageoires les 
mâles qui les poursuivent. 

Les habitants du Kamtschatka font la chasse à ces 
cétacés, dont ils retirent divers produits ; ils les 
harponnent le plus ordinairement avec des fers aux- 
quels tiennent des cordes que des hommes postés 
sur le rivage tirent aussitôt lorsque l’instrument est 
fixé dans le corps. Mais souvent il arrive que les 
harpons sont arrachés par la résistance qu’opposent 
les stellères cramponnés sur les rochers avec leurs 
nageoires, et que des embarcations armées sont obli- 
gées alors de les assommer. Les vieux individus, 
engourdis par l’âge ou par la graisse sont bien plus 
faciles à prendre que les jeunes qui sont très agiles. 
Tous les individus de la troupe se précipitent d’ha- 
bitude vers celui d’entre eux qui a reçu de graves 
blessures; mais leur sollicitude vaine et infructueuse 
ne fait souvent qu'assurer la perte de la famille 
entière, sans préserver aucun deux des coups qui 
leur sont destinés : les mâles paroïssent surtout por- 
ter le plus vif attachement à leurs femelles, et suivre 
leur corps trainé vers le rivage sans être émus du 
danger qui les menace : touchant exemple d'amour 
conjugal qu’attestent les observations des deux na- 
turalistes russes que nous avons cités. 

Les sens de la vue et de l’ouïe sont très peu deve- 
loppés, et leur usage paroît être imparfait ; la voix, 
dit-on, ressemble au mugissement d’un bœuf. 

Les Tartares tschutchis font de larges baïdares avec 
les peaux des stellères ; les Kamtschatdales recher- 
chent leur chair qu’on dit être savoureuse, quoique 
difficile à cuire et un peu coriace : la graisse des 
jeunes a le goût du lard, et les muscles celui du 
veau : on en fait des bouillons excellents. 

L'espèce de cétacé dont nous parlons est extra- 
ordinairement commune dans les mers qui bäignent 
la presqu'ile du Kamtschatka; elle fournit à la 
subsistance de la plus grande partie de la popula- 
tion : on doit la retrouver dans toutes ces baies qui 
morcellent la côte nord d'Amérique, et que présen- 
tent les groupes d’iles Kuriles et Aléoutiennes qui 
forment des ceintures à la partie boréale du grand 
Gcéan. 

Othon Fabricius, dans sa Faune, aflirme avoir 
trouvé au Groenland un erâne de stellère. Ge fait 
n’a rien qui répugne à la vraisemblance ; il servi- 
roit à prouver de noaveau qu'il existe un canal 
dont les eaux sont presque toujours gelées, et par 
lequel, sous le pôle boréal même, les océans Atlan- 


580 


tique et Pacifique communiquent entre eux. Il est 
bien étonnant que les Russes qui possèdent ces 
contrées, et qui y expédient fréquemment des na- 
vires, dont les missions ont un vernis scientifique, 
ne nous aient pas encore tout-à-fait fixés sur lani- 
mal dont nous avons esquissé tout ce qu’on sait de 
son histoire. 


LES CÉTACÉS PISCIVORES 
OU CÉTACÉS ORDINAIRES. 


Les animaux qui forment cette grande division 
ont long temps été les seuls auxquels on ait appliqué 
spécialement le nom de cétacés. La presque totalité 
des considérations générales, par lesquelles nous 
avons débuté dans cet ouvrage, leur sont applica- 
bles, et il nous suflira de rappeler brièvement les 
caractères les plus tranchés qui les séparent des cé- 
tacés herbivores. 

Les cétacés piscivores se nourrissent, ainsi que 
l'indique leur nom, de poissons, mais aussi de mol- 
lusques et de zoophytes; ils recherchent les chairs 
animales, et ont, en un mot, un régime tout opposé 
à celui des lamantins, des dugongs, des stellères 
qui ne vivent que de matières végétales. Mais ils 
s’en distinguent encore par l’appareil compliqué 
des évents, par des mâchoires garnies de dents ou 
de fanons, et quelquefois privées des deux, par une 
peau lisse entièrement nue (1), n'ayant aucun vestige 
de poils, par un estomac composé de cinq ou même 
de sept poches distinctes, par plusieurs rates petites 
et globuleuses, seulement unies par un tissu vascu- 
laire läche. 

Les cétacés, dont nous aurons à nous occuper in- 
dividuellement lorsque nous parlerons de chaque fa- 
mille, considérés dans leur ensemble, donnent une 
ample matière aux réflexions ; et pour nous servir 
d’un passage assez juste de M. Virey, quoi de plus 
étrange que ces masses vivantes et informes, qui ne 
sont ni de vrais poissons ni de véritables quadrupè- 
des ? qui respirent l'air au milieu des eaux, qui al- 


1) M. de Blainville explique ainsi la nature de l’épi- 
derme des cétacés (Anat. comp., t. 1, p.69): «Je ne 
» trouve pas que le séjour, dans un milieu différent de 
» celui de l'air où vivent ordinairement les quadrupédes, 
» ait beaucoup d'influence sur l’épiderme. Cependant 
» les espèces qui vivent habiluellement dans l'eau, ct 
» qui n'en sortent pas, comme les cétacés, ont un épi- 
» derme singulier qui paroît remplacer chez eux les vé- 
» rilables poils. Il est en effet composé de filets collés 
» les uns aux autres, perpendiculaires à la peau, et qui 
» s'enlèévent avec la plus grande facilité; je suis fort 
» porté à regarder cette partie comme appartenant plu- 
» tôt aux poils qu’à l’épiderme proprement dit. » 


HISTOIRE NATURELLE 


laitent leurs petits à la manière des mammifères, et 
qui sont intermédiaires entre l’air et l’eau, sans être 
en effet amphibies ? 

La respiration et le rejet de l’eau avalée par le 
moyen des évents ont toujours frappé l'attention 
des peuples maritimes. Aussi, comme nous l’avons 
dit, dans les langues dérivées du latin on les à 
nommés souflleurs, et dans les celtiques whall-fish, 
ce qu'on peut rendre par les mots de poisson-à- 
source. Cette fonction est, comme on l’a vu, beau- 
coup plus restreinte chez les cétacés herbivores. 

M. Cuvier a proposé de diviser les vrais cétacés 
en deux tribus. L'une comprend les cétacés dont la 
tête est en proportion ordinaire avec le corps; l’au- 
tre, ceux qui l’ont démesurément grande. Les nar- 
whals et les dauphins font partie de la première ; les 
cachalots et les baleines, ainsi que les sous-genres 
qui s’y rattachent, forment la seconde. Le dévelop- 
pement énorme de la tête des cétacés de cette der- 
nière tribu est dû aux grandes dimensions que pren- 
nent les os de la face, dimensions qui n’influent en 
rien sur la capacité du crâne, ni sur l’augmentation 
de surface des os qui la composent. 

Les cétacés ordinaires constituent, pour MM.Gold- 
fuss et Latreille, une famille naturelle qu’ils appel- 
lent souflleurs, hydraula.On peut sous-diviser cette 
grande famille en plusieurs petits groupes, en se 
servant de caractères tirés des dents. Ainsi, lorsque 
les dents manquent complétement, ce sera la famille 
des aodons ; lorsque ces petits os, au contraire, sont 
en nombre et en forme très variables, nous aurons 
celle des hétérodons ; les deux maxillaires garnis de 
dents acérées , régulières et nombreuses, nous pré- 
senteront les dauphins; la mâchoire inférieure, 
garnie seule de dents coniques, creuses à la base, 
donnera naissance à la famille des cachalots; et, 
enfin, Ja cinquième et dernière se composera des 
baleines, dont le palais est recouvert d’une matière 
fibreuse de nature cornée. 


LES HÉTÉRODONS. 


Cette famille n’est point très naturelle , car elle à 
tous les caractères extérieurs des dauphins, dont 
elle diffère seulement par les dents, qui éprouvent 
des anomalies assez constantes dans le nombre, la 
forme et la place qu’elles occupent. M. de Blain- 
ville proposa le nom d’hétérodon pour réunir les cé- 
tacés ainsi organisés, et nous le conservons pour en 
former une famille dont nous isolons le dauphin de 
lale, qu’on sait positivement aujourd'hui n’avoir 
aucune dent, et qui comprendra les narwhals, les 
anarnaks, les diodons, et les hyperoodons ou ura- 
nodons. 

Les hétérodons peuvent être définis : cétacés 


DES MAMMIFÈRES. 


m’ayant jamais qu'un très petit nombre de dents, le 
plus souvent deux placées ou à la mâchoire supé- 
rieure ou à l’inférieure, et cette dernière ordinaire- 
ment plus développée et plus volumineuse que Pau- 
tre. La plupart des cétacés, réunis ainsi par des 
caractères artificiels, sont très peu connus, etexigent 
dela part des naturalistes ou des voyageurs qui explo- 
reront leurs pays, de nouvelles recherches, et sur- 
tout desobservations plus précises et plus détaillées. 


Les cétacés connus sous ce nom de narwhals sont 
depuislong-temps célèbres par la ressemblance qu’on 
a cru trouver dans la longue défense qui arme leur 
tête, avecla corne implantée sur le front de la licorne 
de la fable. De là le nom de licorne de mer, que la 
plupart des voyageurs leur ont donné. Mais l’histoire 
des narwhals r’est point encore complétement éclair- 
cie, et c’est avec la plus grande difficulté qu’on en 
élague de temps à autre les erreurs qui l’obseurcis- 
sent, et que les marins du Nord se sont plu à l’envi 
les uns des autres à propager. Une seule espèce au- 
thentique compose aujourd’hui ce groupe ; bien que 
M. de Lacépède, dans son Histoire naturelle, en 
ait décrit trois. 

Les narwhals se distinguent aisément, sous le 
rapport zoologique, des genres qui les avoisinent, 
par une organisation du système dentaire qui leur 
est propre. On ne peut en effet les confondre, niavec 
les dauphins, ni avec les anarnaks, ni avec les ao- 
dons , etencore moins avec les hyperocdons. Cepen- 
dant les formes matérielles du corps ne diffèrent en 
rien de celles des cétacés de la famille des dauphins ; 
ctils ont pour caractères communs, l’orifice des 
évents situé à la partie supérieure et postérieure de 
la tête; la nageoire dorsale presque nulle, ou réduite 
à une simple saillie longitudinale: les pectorales de 
forme ovalaire ; une caudale horizontale. Mais ce qui 
les caractérise d’une manièretrès distincte, sont deux 
longues défenses droites et pointues, qui, implantées 
dans l'os intermaxillaire, se dirigent en avant dans 
le sens de la longueur du corps. Ces deux dents. de 
forme si singulière, sont les seules qui soient logécs 
dans les os incisifs; les molaires, qui presque tou- 
jours subsistent lorsque les derits incisives et cani- 
nes manquent, ne présentent iei aucune trace de leur 
existence. 

La tête osseuse du narwhal ressemble beaucoup 
à celle du béluga ( delphinus leucas), et M. Cuvier, 
les comparant l’une à l’autre, décrit ainsi les rap- 
ports qui les unissent : « C’est à la tête du béluga 
que celle du narwhal ressemble le plus par luni- 


581 


rectiligne des bords de son museau, par deux sillons 
profonds qui dessinent une demi-ellipse et une lon- 
gue pointe sur les intermaxillaires , au-dessous des 
parines, et par les pointes que forment ses ptéry- 
goïdiens au bord postérieur de ses arrière-narines. 
La partie du museau, et surtout des intermaxillaires, 
est plus élargie que dans les dauphins. Les inter- 
maxillaires remontent jusque tout près des os du 
nez. Les trous dont les maxillaires sont percés dans 
leur partie élargie, et qui tiennent lieu de sous-orbi- 
taires , sont grands et nombreux. L’échancrure qui 
sépare cette partieélargie du museau est petite , et le 
dessus de orbite peu saillant. Les os du nez sont 
fort petits, et la narine gauche est plus petite que 
l’autre. » 

Dans le jeune âge, les narwhals ont dans chaque 
alvéole le germe d’une dent, dont l’allongement 
successif doit former la défense acérée des adultes. 
Quelquefois ces deux germes se développent à la fois, 
et donnent naissance , ainsi qu’on le remarque sur 
beaucoup de crânes, à deux défenses horizontales 
et divergentes. Anderson , Bonnaterre, et plusieurs 
autres naturalistes, en ont d’ailleurs figuré des exem- 
ples. Mais il arrive le plus souvent que l’un de ces 
germes reçoit toute la matière secrétée de l’ivoire, 
et que l’autre, refoulé ou pressé, soit oblitéré et tout- 
à-fait enveloppé dans l’alvéole, comme un noyau 
osseux inerte. De cette circonstance, qui se repro- 
duit le plus ordinairement, sont découlés plusieurs 
des noms que les narwhals ont reçus dans les livres 
d'histoire naturelle, noms pour la plupart erronés et 
susceptibles d’induire en erreur, tels que ceux de 
monodon, de monocéros , d’unicorne, de licorne 
de mer. X| ne faut pas croire cependant que les an- 
ciens auteurs, antérieurs à Linné, aient ignoré que 
les défenses des narwhals étoient au nombre de deux, 
et que le plus souvent il ne s’en développoit qu’une 
seule. Bien avant Anderson, on trouve dans une 
Relation du Groenland, À vol. in-12, Paris, 1665, 
publiée par Eapeyrère, d’après les Chroniques da- 
noîses, ainsi que dans le Muséum de Wormius, 
dans Angrimus et Junas (Specimen islandicum), 
que les défenses de narwhal étoient de véritables 
dents, et que l’une d’elles restoit souvent à l’état 
rudimentaire, renfermée dans l’intérieur de l’alvéole. 
Muis Anderson, dans son Histoire naturelle du 
Gro aland, a donné sur cesuiet de forts bons détails, 
qu’il seroit en ce moment peu nécessaire de repro- 
duire. 

Si nous examinons la forme, les dimensions, et 
même l'utilité des défenses du narwhal, nous serons 
fort embarrassé d'expliquer dans quel but ces dents 
ont été ainsi conformées. Rien, dans aucun autre 
animal, ne nous rappelle leurs dimensions, la 
manière dont elles sont placées, et la direction 


formité de la convexité, par la direction presque à: qu’elles affectent. Une seule défense est le plus or- 


582 


dinairement implantée dans l'os intermaxillaire du 
côté droit ; sa circonférence est sillonnée profondé- 
ment sur toute sa longueur, qui varie de six à dix 
pieds. Sa base est creue ; sa direction est en avant; 
et la manière dont elle est placée sur Ja partie anté- 
rieure de la tête la fait ressembler à une longue lance. 
C’est donc bien à tort qu’on a cru si long-temps 
qu'elle étoit fixée par juxtaposition sur la ligne 
médiane des os frontaux. Ses usages doivent être 
bornés à ceux que l’animal en retire pour attaquer 
sa proie ou se défendre de ses ennemis. Elle ne peut 
être d'aucune utilité pour la mastication, ni pour 
déchirer les aliments, et sa position seule dans une 
alvéole du maxillaire supérieur a pu lui mériter le 
nom de dent. Nous ne pensons pas non plus qu'on 
puisse la comparer ni avec les canines des babi- 
russa , qui sont recourbées en avant de la face, ni 
avec celles du morse, qui se déjettent vers en bas. 

A l’époque où les défenses de narwhal furent con- 
nues, elles jouirentd'une réputation extraordinaire ; 
et comme elles étoient assez rares, leur valeur, mise 
à prix par le charlatanisme , fut en rapport avec les 
propriétés les plus surnaturelles dont on les qualifia. 
Des couvents de moines achetèrent bien cher la vé- 
rilable corne de licorne, qui devoit, aux yeux de 
la superstition, guérir les maladies les plus invété- 
rées. Chacun, à l'ordinaire, prétendoit posséder la 
véritable, l’unique merveille douée de tant de ver- 
tus ! mais, assez commune sur les rivages du Nord, 
la défense du narwhal plusrépandue perdit sa haute 
réputation près du vulgaire, dontelle cessa dès lors 
d'attirer les regards. 

L'ivoire des défenses de narwhal est supérieur à 
celui de l'éléphant, Il est formé de fibres compactes 
extraordinairement serrées, dont la réunion est 
d’une densité et d’une dureté extrêmes. Cet ivoire, 
d’une blancheur éblouissante , a surtout l'avantage 
de ne point jaunir et de prendre un très beau poli 
lorsqu'il est travaillé .Quoique les narwhals nesoient 
pas rares, leurs défenses ne sont cependant pas assez 
nombreuses pour permettre que leur usage soit ré- 
pandu dans les arts ; et Bonnaterre rapporte, dans 
sa Cétologie, que les rois de Danemarck possèdent 
un trône magnifique fait avec cette matière : et ce 
chef-d'œuvre, conservé précieusement au château de 
Rosemberg, a, dit-il, une valeur considérable. 

Les narwbals habitent les mers du Nord, autour 
du pôle arctique, et principalement celles qui bai- 
gnent le Groenland et le Spitzherg. Ils s’avancent 
quelquefois jusque vers l’Angleterre et la Hollande ; 
mais jamais on n’en a trouvé sous des latitudes plus 
méridionales. 

Quelques naturalistes qui avoient vu des défenses 
de ces cétacés tirées de la terre, ont pensé qu’elles 
devoient être considérées comme des débris fossiles. 
M. Cuvier à combattu cette opinion, et croit qu’el- 


HISTOIRE NATURELLE 


les ont bien pu être simplement altérées par leur 
séjour pendant un temps plus ou moins long sous 
terre, où elles auront été enfouies par quelques 
circonstances locales, purement accidentelles. 

Le nom de narwhal est emprunté aux langues du 
Nord. On trouve dans les Chroniques islandoises 
que ce mot, qu’on doit prononcer nar-houal, signi- 
fie un cétacé qui se nourrit de cadavres, les mots 
islandois whal ou availl désignant une baleine, et 
nar un cadavre. Peut-être cette étymologie n’est 
pas plus juste que celle du speculum regale, quile 
fait provenir d'un cétacé dont les chairs empoison- 
nent ceux qui en mangent. Ce nom de narwhal, 
généralement adopté, est écrit de plusieurs maniè- 
res par les François. C’est ainsi qu’on trouve indif- 
féremment dans divers ouvrages narhwal, narwal, 
et narval. Les auteurs systématiques ont proposé 
pour dénominations scientifiques et génériques les 
noms de monodon, L., Diodon, Storr., cratodon, 
Brisson et Illiger. Ce dernier, dans son Prodrome, 
donne à son genre ceralodon, pour caractères es- 
sentiels, d’avoir deux dents, dont l’une manque 
souvent au sommet de la mâchoire supérieure, et 
dont la forme est longue et droite, tandis que les 
autres dents n’existent pas. Les évents, dit Illiger, 
s'ouvrent par une seule ouverture sur ie sommet de 
la tête. Le corps est oblong, à épiderme lisse, et 
s’amincit vers la queue. Les mamelles sont inguina- 
les, au nombre de deux, et il n’a pas de nageoire 
dorsale. 

L'espèce que nous allons décrire est la seule con- 
nue de ce genre. 


LE NAR WHAL - LICORNE. 


Monodon monoceros.L.Far. 


Le narwhal a les formes générales d’un dauphin. 
Sa tête est peu distincte, obtuse, arrondie, et assez 
brusquement tronquée. Son corps est ovalaire, 
aminci aux deux extrémités. Sur le des s'élève, non 
pas une véritable nageoire, mais une arête charnue, 
haute à peine de deux pouces , assez longue et irré- 
gulière. Les pectorales sont courtes, étroites, et 
obliquement coupées. La nageoire caudale est divi- 
sée en deux lobes arrondis et convexes du côté du 
corps. Les évents occupent le sommet de la tête, 
et s'ouvrent par une fente sinueuse et en croissant. 
Les yeux sont très petits, placés assez bas et à peine 
au niveau du museau. La bouche n’est presque pas 
fendue, et la lèvre inférieure est mince et courte. 
Les bords du museau sont , suivant Anderson , durs 
et raboteux. La langue remplit assez la bouche, et 
n’a point, par conséquent, un grand développement. 
La verge des mâles, dans l’état ordinaire, ne paroît 
point sortir du corps, et reste cachée dans une gaine 


edit hu, 
CUT 
= ü 


2 


= 
Le Varahal.. éco ne, Monodon Moneceros, Z, 
( , ï £ , Cp) 
Spoiler C2 conatcul, Velphmus Desmaresti, life 


DT 2 Poor 2 Q Honfleur. ILvperoodon Butskopf : Face ; 


luble ‘par lourrat La Larvr : 


DES MAMMIFÉRES. 


formée par la peau. La défense, lorsqu'elle est uni- 
que, sort assez communément du côté gauche ; sa 
surface est sillonnée dans la dent entièrement dé- 
veloppée , et lisse dans celle qui avorte, et qui reste 
cachée dans l’alvéole. Souvent les deux défenses 
poussent en même temps, et celles des individus fe- 
melles manquent quelquefois, ou croissent comme 
celles des mâles, sans qu’on puisse établir de diffé- 
rences. Leur longueur est à peu près la moitié de 
celle totale de l’animal. 

Scoresby donne au narwhal cinquante-quatre ver- 
tèbres, dont sept cervicales, douze dorsales, et 
trente-cinq lombaires et caudales. Les os furcéaux 
commencent entre la trentième et la trente-unième, 
et finissent entre lesquarante-deuxième ettroisième. 
Les os des nageoires pectorales sont assez semblables 
à ceux des dauphins, mais ils sont plus égaux. 

La surface du corps du narwhal est recouverte 
par un épiderme lisse, et tendu avec régularité sur 
un tissu cellulaire gorgé d’huile et épais de plus d’un 
pouce. Les chairs sont de couleur rouge très vive, 
et le ventre, contre l'ordinaire de quelques cétacés, 
ne présente ni rides ni vergetures. La couleur du 
corps, d’après Eggède et Othon Fabricius, est noire 
en entier, et seulement les vieux individus sont ta- 
chetés de blanc. Anderson, au contraire , décrivant 
un narwhal qui s’étoit échoué dans l’Elbe en fé- 
vrier 1756, dit que sa peau étoit blanche comme la 
neige et marquetée d’une infinité de taches noires 
sur le dos, tandis que le ventre étoit uniformément 
blanc, luisant, et doux au toucher comme du 
velours. El paroit cependant que les narwbals, au 
milieu des variétés de couleurs qui leur sont assez 
ordinaires , sont plus habituellement grisâtres avec 

des marbrures plus foncées dans les premières an- 
nées de leur existence. et que les taches noires du 
dessus du corps se dessinent sur le fond blanc gri- 
sâtre d'autant mieux que les individus sont plus 
âgés. Le rebord des nageoires est d’un brun foncé. 

Les dimensions qu’Anderson a dounées à un nar- 
whal, qu’il a eu occasion de mesurer, sont les sui- 
vantes : 
l’extrémité de la queue, dix pieds six pouces fran- 
cois ; défense, cinq pieds quatre pouces ; nageoires 
pectorales, neuf pouces. Largeur de la queue, dans 
le sens horizontal, trois pieds deux pouces six lignes. 
La plupart des défenses qui existent dans les collec- 
tions de Paris n’ont guère que dix pieds, de sorte 
que la taille qu’on peut raisonnablement accorder 
aux animaux dont elles proviennent, ne peut être 
au plus que de vingt à vingt-cinq pieds, sur huit ou 
neuf de circonférence. La longueur du crâne est à 
peu près le septième de celle du corps. M. de La- 
cépède dorne jusqu’à vingt mètres aux dimensions 
que peut acquérir le narwhal vulgaire. Kci il y a in- 
dubitablement erreur, et cela provient notamment 


longueur depuis le bout du museau jusqu’à 


| 583 
des différences qui existententr ce l'unité de longueur 
nommée pied dans quelques États du Nord et en 
France. Enfin l’individu auquel on accorde des pro- 
portions aussi fortes a bien pu, par le nombre des 
années, acquérir une taille plus considérable que 
celle qu’on observe habituellement chezle plusgrand . 
nombre de cesanimaux marins, el faire ainsi excep- 
tion à la mesure commune. 

Le narwhal-licorne se tient de préférence au mi- 
lieu des glaces du pôle boréal; dans les anses et 
dans les baies du Groenland, du détroit de Davis, 
de l'Islande ; il y est très abondant, tandis que ce 
n’est que lorsqu'il s’égare qu’on le voit s’avancer vers 
le sud. Alors, errant, solitaire, séparé des animaux 
de son espèce, par des blessures, par des chasses, 
il apparoît sur les côtes de l’Angleterre et des villes 
anséatiquesÿ ainsi qu’on l’a vu plusieurs fois. Habi- 
tant les àpres régions où règne un éternel hiver, le 
narwhal semble ne pas quitter les soixante-dix à 
quatre vingts degrés de latitude nord. C’est là que 
ses tribus nombreuses vivent au milieu des grands 
cétacég auxquels elles ont déclaré la guerre, et des 
ours blancs dont elles bravent la férocité. 

Othon Fabricius rapporte que le narwhal se nour- 
rit principalement de poissons du genre pleuronecte, 
de grandes actinies, et qu’il les traverse avec sa lon- 
gue défense, puis, qu’il les approche de son mu- 
seau en les léchant, et qu’il les mange ainsi en les 
saisissant avec la lèvre inférieure. On ne conçoit pas 
très bien comment ce mouvement peut s’opérer ; 
aussi Fabricius n’a écrit ce fait que d’après le récit 
des peuplades groenlandoises. Nulle part il n’est dit 
que le narwbal recherche les cadavres, ce qui, au 


‘reste, n’auroit rien d'étonnant, car la plupart des 


poissons, aussi bien que beaucoup d’animaux terres- 
tres, n’ont pas d’autre pâture. 

Les narwhals n’abandonnent guère les glacons ; 
mais comme ils ont besoin de venir souvent respirer 
à la surface de la mer, ils choisissent des criques où 
les eaux ne sont pas gelées, et ils en affectionnent 
toujours quelques unes où ils se rendent de préfé- 
rence. Îls nagent avec beaucoup de rapidité, souvent 
en troupes serrées, les narwhals de larrière ap- 
puyant leur défense sur le corps de ceux de l'avant; 
mais, gênant mutuellement leurs mouvements, il 
devient facile aux pêcheurs qui les poursuivent de 
harponner les individus restés en arrière. 

La force de ces cétacés est considérable, et leur 
dent est redoutable et dangereuse. I] paroît qu'ils 
attaquent la baleine avec fureur, et qu’ils la percent 
avec leur dague, mais non sans doute pour lui arra- 
cher la langue dont on les dit friands, car le diamètre 
de la bouche n’est nullement propre à saisir quel- 
ques parties d’un animal un peu gros, et ne peut 
tout au plus recevoir que des poissons de foible taille. 
Cet instinct qui les porte à combattre est donc fondé 


584 


sur des antipathies, ou sur une sauvagerie de mœurs 
qui semble caractériser un grand nombre d'êtres. 
Cependant, lorsqu'un narwhal enfonce la pointe de 
sa défense dans le corps de quelque animal, il doit 
éprouver lui-même de l’embarras pour la retirer des 
tissus denses, par exemple, par un mouvement ho- 
rizontai de recul qu’on ne peut aisément expliquer. 
Les anciens auteurs ont écrit que les narwhals, ex- 
cités, se jettent sur les embarcations dont les marins 
les harcèlent, et qu'ils se précipitent vers elles avec 
tant de fureur que leurs dents percent le bois de plu- 
sieurs pouces de profondeur et s’y brisent souvent 
près de la tête, en y restant implantées. Ce fait a pu 
se présenter une fois; mais on n’adoptera pas sans 
doute l'opinion que M. de Lacépède a rapportée 
d’après Albert, qu’ils pouvoient se jeter contre une 
chaloupe, l’écarter, la briser, la faire voler en éclats, 
percer le bord des navires, les détruire, ou les couler 
à fond ! 

On doit beaucoup regretter que les mœurs d’un 
animal aussi singulièrement organisé que le narwhal 
ne soient pas mieux connues. Certes son arme plan- 
tée en avant de la tête, et d’une longueur aussi dé- 
mesurée, demande, pour être mise en jeu, des forces 
musculaires considérables, mais en même temps 
des habitudes toutes spéciales. Nous ne chercherons 
point à les deviner, ces mœurs que nous ignorons, 
et encore moins à les comparer avec celles des au- 
tres êtres qui vivent dans la mer; nous attendrons 
que des observations précises viennent nous éclairer 
sur ce sujet. 

Fabricius, auquel il faut toujours recourir lors- 
qu’on parle des animaux du Nord, que cet habile 
observateur a étudiés dans leur patrie avec tant de 
sagacité, Fabricius rapporte que les Groenlandois 
se délectent avec la chair des narwhals, et qu’ils la 
mangent indifféremment cuite, desséchée, à demi 
putréfiée, et quelquefois crue. Souvent aussi ils se 
nourrissent de la peau et du lard sans les soumettre 
à aucune coction. L'huile qu'ils obtiennent du tissu 
cellulaire sert à l'éclairage des iourtes. Ils ne dé- 
daignent même pas les intestins comme aliment. Ils 
emploient comme vessies et pour la pêche les renfle- 
ments de l'estomac et le tube digestif. Avec les ten- 
dons ils font des fils excelients. Les défenses servent 
à fabriquer des pointes de harpons, ou des piquets 
pour dresser les tentes de peaux pendant l'été. En 
un mot, ces peuplades retirent des narwhals, comme 
de presque tous les cétacés, un grand nombre de 
ressources de première nécessité pour elles. 

Les balciniers européens préfèrent, dit-on, pour 
la qualité, l'huile de narwhal à celle de baleine ; 
mais la quantité qu’on en obtient est si peu considé- 
rable que, sous ce rapport, la pêche de ce cétacé ne 
donne point de profit. Un très grand narwhal n’en 
produit guère qu’un tonneau. 


HISTOIRE NATURELLE 


Les habitants du Groenland regardent les nat- 
whals comme les avant-coureurs des baleines, et dès 
qu’ils les reconnoissent ils se préparent aussitôt à la 
pêche. Ces cétacés émigreroient donc pendant une 
portion de l’année ? Quant à leur habitude de pré- 
céder les baleines, Anderson l’attribue à Papparition 
des petits mollusques qui composent la nourriture 
des uns et des autres; car Anderson regarde ces 
cétacés, si différents par l’organisation de leur bou- 
che, comme forcés de sucer, au lieu de tout autre 
aliment plus solide, les petits insectes de mer (clio 
borealis) qui sont communs dans le Nord. Eggède 
d’ailleurs pense que le narwhal ne se nourrit que 
des herbes marines qu’il retire du fond des rivages 
avec sa longue dent, et qu’il emploie encore à briser 
la glace lorqu’il a besoin de venir respirer à la sur- 
face. Mais ces deux opinions, d’un observateur d’ail- 
leurs généralement exact, sont tres douteuses. 

L'ivoire des dents de narwhal, par sa compacité, 
la densité et la force d’union des fibres qui le con- 
stituent, est susceptible d’être employé pour des 
ouvrages d'ornements très précieux. On en fait quel- 
quefois des cannes plus curieuses qu’utiles. Dans 
leur état naturel, ces défenses ont leur surface sillon- 
née par seize tours de spire ou plus. On leur a attri- 
bué les propriétés les plus chimériques et les plus 
merveilleuses. C’est ainsi que Wormius raconte fort 
au long les essais qu’il tenta pour éprouver comme 
antidote contre l’empoisonnement par l’arsenic les 
vertus des dents de narwhal! Les bezoards et la 
corne de licorne sont rentrés, sous le rapport médi- 
cal, dans l’oubli dont ils n’auroient jamais dû sortir. 

Tout porte à croire que la -connoissance du nar- 
whal dans le moyen âge a rappelé l'existence de la 
licorne des anciens. C’est du moins à cette époque 
de la féodalité, où chaque anobli prenoit des armes 
et des devises, qu’on voit figurer une défense de nar- 
whal sur le front d’un cheval, et transmettre dans 
des armoiries ce témoignage de l'ignorance de nos 
aïeux. Une discussion à ce sujet seroit ici déplacée. 

Aux noms divers que porte le narwhal-licorne, 
et que nous avons cités, nous ajouterons ceux qu’on 
lui donne dans les contrées où il est commun. Sui- 
vant Fabricius, les Groenlandois le nomment tuga- 
lik, kelelluak-kerneïtoï, et, d'une manière absolue , 
kernektak. C’est le eechiorning d’Eggède, le ein- 
horn-fisch de Crantz, le sec-einhorn d’Ellis. Le 
nom de {owack, qu'Anderson croit être groenlan- 
dois, et qu’il dit appartenir au narwhal, ne se trouve 
nulle part, et n’a point d’analogie apparente avec les 
mots donnés par Fabricius. 

Une seule espèce de narwbal est donc connue au- 
jourd’hui; car c’est d’après des figures incomplètes 
que M. de Lacépède a établi le narwhal vulgaire 
(narwalus vulgaris, Lacép.) et le narwhal microcé- 
phale (nariwalus microcephalus, Lacép.). Le pre- 


DES MAMMIFERES. 


mier repose sur des peaux mal préparées, et dont la 
tête avoit été trop grossie dans l’arrangement , et le 
second sur une figure dessinée d’après nature, mais 
assez médiocre. Les caractères que M. de Lacépède 
donnoit au narwhal microcéphale pour lisoler de 
l'espèce vulgaire reposoient sur des formes plus al- 
longées, et sur une tête plus petite, ayant à peine 
le dixième de la longueur totale de l’animal, tandis 
que la même partie dans le macrocéphale en étoit 
supposée acquérir le quart à peu près. 

Quant au narwhal d’Anderson (rnarwalus ander- 
sonianus) du même naturaliste, il n’étoit établi que 
sur des défenses lisses, entièrement unies, et par 
conséquent ni sinueuses ni cannelées, qu’Anderson 
avoit vues à Hambourg , et que Sachs a figurées 
dans sa Monocérologie. Ces défenses sont, dit-on, 
très rares ; et Brisson, dans une note de la page 252 
de son Règne animal , avoit déjà pensé qu’elles de- 
voient appartenir à une espèce distincte. Mais il 
paroît très probable, et M. G. Cuvier, le premier, 
a eu cette opinion, que ces défesses unies sont ou 
le résultat d’une maladie, ou qu’elles appartiennent 
à des fœtus, ou même enfin qu’elles ont été travail- 
lées dans le but de les faire passer pour plus rares 
et plus précieuses. 


EEE "7" 
LES ANARNAKS. 


La seule espèce connue de ce genre a été signalée 
par Othon Fabricius, dans sa Faune du Groenla:d, 
et n’a point été revue depuis ; mais, comme les des- 
criplions de Fabricius sont en général exactes, on 
ne peut douter de l'existence de l’anarnack , dont 
Illiger avoit formé le genre aneylodon du grec 
ayro)os, NCUTUUS, Et, odove, dens, dénomination assez 
inutile, puisque déjà existoit celle d’anarnak, pro- 
posée par le comte de Lacépède, et adoptée par 
MM. Daméril et Tiedemann. Fabricius avoit décrit 
l’anarnak sous le nom de monodon spurius avec 
les narwhals. M. de Blainville ne l’a point séparé 
des vrais dauphins, et le place dans le sous-genre 
hélérodon, où viennent se ranger tous les cétacés à 
mâchoires garnies de dents très variables en nombre 
ou en position, et, en cela, il a été suivi par M. Des- 
marest. MM. Cuvier etde Blainvillerapprochent tou- 
tefois l’anarnak de l’hyperoodon de M. de Lacépède. 
Les caractères de ce genre sont done d’avoir deux 
petites dents recourbées à leur sommet, peu visibles, 
et placées à l'extrémité de la mâchoire supérieure; 
tandis que nulles traces de dents, autres que celles- 
ci, n'existent sur les maxillaires, dont l’inférieur se 
trouve complétement édenté. Les évents sont per- 
cés sur la tête par une seule ouverture; le corps est 
oblong , entièrement nu, aminci vers la queue; la 

l. 


285 


nageoire dorsale est peu développée, etles mamelles, 
au nombre de deux, sont inguinales. 

Ce n’est toutefois qu’avec réserve qu'on devra ad- 
mettre plusieurs des petites coupes faites parmi les 
dauphins, et dont les caractères sont tirés des dents, 
parce que ces dernières paroissent tomber à di- 
verses époques de la vie. Ainsi, pour en citer un 
exemple, le héluga, dont les mächoires sont ordi- 
nairement garnies d’un certain nombre de dents, 
ce qui le place dans la famille des dauphins, les perd 
fréquemment à la mâchoire supérieure, ce qui le 
classe alors parmi les cachalots, et cesse d’en avoir 
parfois aux deux mâchoires, ce qui en fait dans ce 
cas une baleine. 


L’'ANARNAK GROENLANDOIS. 


Monodon spurius. Or. FaBric., BONNAT. 


L'anarnak est un cétacé de très petite taille dont 
on ne possède aucune figure. Il a été nommé ainsi 
par les habitants du Groenland, parce que son lard 
et ses chairs sont éminemment purgatifs ; car le mot 
anarnak signifie, dans leur langue, aller à la selle. 
Le peu de détails que nous possédons sur cet animal 
sont dus à Fabricius, et ont été reproduits par La- 
cépède et par Bonnaterre. 

Les deux seules dents qui sont implantées dans 
la mâchoire supérieure sont très pelites, coniques, 
obtuses, un peu recourbées à leur sommet, grêles, 
et longues à peine d’un pouce. Le corps estal'ongé, 
fluet, et de couleur noire. En outre des nageoires 
pectorales, et de la caudale, l’anarnak a sur le dos 
une pelile dorsale. 

Ce cétacé habite la haute mer, et ne se rap- 
proche que rarement des baies et des havres. Sa 
nourriture consiste principalement en poulpes. 
Fabricius dit qu’il a l'habitude de se lever à moi- 
tié hors de l’eau en s'appuyant sur ses nagcoires 
pectorales. 

Malgré les propriétés laxatives de ses chairs et de 
sa graisse huileuse, les naturels, pressés par la faim, 
mangent parfois l’anarnak, qu'il est rare d'observer 
en vie, mais dont on trouve souvent des cadavres 
jetés sur le rivage. 

C'est le delphinus anarnacus de M. Desmarest ; 
l’anarnah groenlandicus de Lacépède ; le haken- 
wall des Allemands. 

Peut-être doit-on joindre, à la seule espèce con- 
pue d’anarnak, un cétacé très mal décrit par Klein 
et par Chemnitz, sous le nom de baleine à bec, ba- 
læna rostrata, et que MM. de Blainvilie et Desma- 
rest ont classé parmi les dauphins du sous-genre 
hétérorton, sous le nom de DAUPHIN DE CHEMNITZ 
(delphinus chemnitzianus), dont la longueur seroit 

74 


586 
» 


de vingt-six pieds , et qui auroit les formes géné- 
rales de la baleine jubarte. On dit que sa mâchoire 
supérieure est beaucoup moins épaisse que linfé- 
rieure, et qu’elle est pourvue d’une dent de chaque 
côté. On ne sait rien de plus sur ce cétacé, dont la 
patrie est inconnue, et qui ne peut être l’anarnak 
du Groenland, puisqu'il a une grande taille; ni une 
baleine, puisqu’au lieu de fanons cornés à la mè- 
choire supérieure on y trouve deux véritables dents. 
M. le baron Cuvier réunit cette espèce à l’hyperoo- 
don de M. Lacépède, au dauphin diodon de Hun- 
ter, et au dauphin de Dale ou bottle-heat-whail, et 
pense que le même cétacé, mal observé, a servi 
ainsi à l’établissement de ces diverses espèces pu- 
rement nominiles. 

Si l’on s’en rapportoit à la description que M. Ra- 
finesque-Smaltz a tracée dans son Précis de dérou- 
vertes et de sémiologie, d’un dauphin qu’il a nommé 
epiodon urganantus, et dont on trouve les carac- 
tères dans la Mammalogie de M. Desmarest, sous 
le nom de dauphin épiodon (delphinus epiodon), ce 
seroit encore à côté des anarnaks qu’il faudroit le 
placer. Les détails qu’on possède sur ce cétacé se 
bornent à savoir que son corps est oblong, etatténué 
vers la queue ; que son museau est arrondi; que sa 
mâchoire inférieure est plus courte que la supé- 
rieure; que cette dernière est munie de plusieurs 
dents égales, tandis que l’inférieure en est complé- 
tement privée. Mais si déjà cette espèce diffère des 
anarnaks parce qu’elle à plusieurs dents, elle 
s’en éloigneroit en outre par le manque de nagcoire 
dorsale. La mer qui baigne les côtes de Sicile est 
sa patrie, et tout porte à croire que ses caractères 
ont été mal observés, et ont besoin d’une nouvelle 
révision. 


LES DIODONS. 


Nous prenons pour type des diodons une seule 
espèce de cétacé assez authentique, et qu’a figurée 
M. Risso dans son Histoire naturelle des princi- 
pales productions de l'Europe méridionale, sous 
le nom de dauphin de Desmarest (delphinus Desma- 
resli, t. IE, p. 24). Peut-être nous blâmera-t-on 
d’avoir employé un nom que déjà l’ichthyologie 
avoit consacré à des poissons, bien que Storr le 
premier lait introduit dans la cétologie, et par con- 
séquent en ait fait un double emploi : il nous suflira 
sans doute de rappeler que nos divisions ne peuvent 
être rigoureusement considérées comme des genres, 
mais bien comme de petits groupes caractérisés par 
quelques particularités d'organisation. Déjà Hun- 
ter, dans les Transactions philosophiques pour 


l'année AT8T, avoit décrit une espèce de dauphin : 


HISTOIRE NATURELLE 


bidenté, sous le nom de delphinus bidentatus, que 
M. de Lacépède conserva dans son Histoire natu- 
relle des cétacés sous le nom de dauphin diodon, et 
que M. Desmarest a décrit dans sa Mammalogie 
sous celui de dauphin de Hunter. Tout autorise à 
penser que ce diodon ne diffère point de l’hyper- 
oodon. 

Le naturaliste anglois Sowerby a fait connoitre, 
sous le nom de delphinus bidens, une espèce qui 
formera un deuxième diodon, si cet auteur n’a 
point été trompé par la chute des dents de devant 
de la mâchoire inférieure, ce qui paroîtroit fort 
probable, 

Le caractère des diodons sera donc d’avoir, ainsi 
que l'indique leur nom, la mâchoire inférieure mu- 
nie de deux dents seulement, tandis que la supé- 
rieure en est complétement privée : disposition in- 
versè de ce qu'on remarque dans les anarnaks. On 
pourra aussi y joindre la forme déprimée du front, 
la plus grande longueur du maxillaire inférieur 
et sa convexité, la coupe quadrilatère de la na- 
geoire, etc. Le dauphin de Desmarest de M. Risso 
en sera le type. 

Les mœurs des diodons ne sont point connues, 
et tout porte à croire qu'ils vivent de mollusques 
faciles à broyer, ei qu’ils sont moins carnassiers que 
la plupart des cétacés de la famille des dauphins. 


LE DIODON DE DESMAREST. 
Delphiuus Desmaresti. Risso. 


Nommé souflur par les habitants de Nice, qui 
donnent ce nom à la plupart des dauphiris de leur 
mer, le diodon de Desmarest est surtout remar- 
quable par les formes singulières de sa tête. La 
figure que M. Risso a fait graver (pl. 2, f. 5, t. IL, 
Histoire naturelle, Nice, 1826), représente ce cé- 
tacé avec « un corps fort gros, épais au milieu, 
» diminuant vers la queue, où il forme une longue 
» carène, et s’amincissant sous le ventre. Sa tête 
» n'a point le front bombé, mais cette partie est 
» au contraire déprimée, et se termine par un long 
» museau, dont la mâchoire supérieure est courte 
» et édentée, et l’inférieure beaucoup plus longue, 
» convexe en dessous, et armée vers son extrémité 
» de deux grosses dents coniques, qui sont échan- 
» crées de chaque côté près de leur pointe. Les yeux 
sont petits, ovales, à iris bleuâtre ; l'ouverture 
des évents est large, semi-lunaire ; les nageoires 
» pectorales sont courtes, et la dorsale est placée 
» plus près de la queue que de la tête, à peu près 
» au-dessus de l’orifice de l’anus; la vulve de la fe- 
» melle est oblongue et entourée d’un petit rebord; 
» la nageoire caudale est large et festonnée ; le des- 


Ÿ 


S 
A 


DES MAMMIFÈRES. 


» sus du corps et de la tête est d’une couleur d’acier 
» poli, avec une multitude de lignes et de traits 
» blancs disposés sans régularité; le ventre est blan- 
» châtre ; l’intérieur de la gueule est d’un bleu noi- 
» râtre. Sa longueur totale est de près de quinze pieds. 
» Les dents sont longues de trois pouces sur un pouce 
» de largeur. » 

Telle est la description que M. Risso à tracée de 
cette espèce de dauphin qui commence à paroître 
sur les côtes de Nice vers les premiers jours du mois 
de mars, et qui y séjourne jusqu’en septembre. 
Les rapports qu’elle présente avec le dauphin de 
Hunter sont assez grands pour que ce naturaliste 
laborieux et modeste ait jugé à propos de mettre en 
opposition les traits de dissemblance extérieurs qui 
peuvent servir à les distinguer. Ainsi la taille du 
diodon de Desmarest est à peu près celle qu’on ac- 
corde au dauphin de Hunter; car ce célèbre ana- 
tomiste en a décrit un individu de vingt-un pieds 
et possédoit un crâne qui n’avoit pu appartenir qu’à 
un animal long de trente-neuf. Ces deux espèces 
ont également deux seules dents à la mâchoire in- 
férieure; mais le diodon de Desmarest a le front 
concave, et celui de Hunter l’a convexe. Le premier 


aen outre le maxillaire inférieur épais, et dépas- ‘ 


sant de beaucoup le supérieur, tandis que chez ce 
dernier il est médiocrement allongé et plus foible. 
Les nageoires offrent aussi quelques différences, 
notamment les pectorales, qui sont pointues chez 
le delphinus Desmaresti, la dorsale plus aiguë 
chez l’un, obtuse chez l’autre. Enfin le dauphin dio- 
don est assez uniformément de couleur krun noi- 
râtre s’éclaircissant sur le ventre, tandis que le 
dauphin de Desmargst à le corps sinuolé de ver- 
getures et de lignes blanches agréablement distri- 
buées. 

Il paroît que le cétacé qui nous occupe se présente 
rarement sur les côtes , et qu’il se tient de préfé- 
rence dans les eaux profondes de la Méditerranée, 
où il est rare. L’individu que M. Risso a figuré étoit 
une femelle ; et son nom rappelle celui d’un natu- 
raliste françois counu par des travaux importants et 
estimés. 


LE DIODON DE SOWERBY. 
Delphinus Sowerbyi. DE BLainv., Des. 


Ce n’est qu'avec doute que nous plaçons près des 
diodons l’espèce de dauphin que M. Sowerby a 
décrite sous le nom de delphinus bidens, et qu’on 
trouve mentionnée dans la Mammalogie de M. Des- 
marest, sous celui de dauphin de Sowerby (delphi- 
nus Sowerbyi), que lui a donné M. de Blainville 
dans un travail général sur la famille des dauphins 


587 


encore inédit, et dont M. Desmarest a suivi les di- 
visions et admis les principes. 

Ce dauphin de Sowerby diffère des espèces pré- 
cédentes parce que les deux dents de la mâchoire 
inférieure sont situées non pas à son extrémité, 
mais bien vers son milieu. Il s'éloigne encore, dit 
M. Desmarest, du dauphin de Honfleur ou hyper- 
oodon, parce que ce dernier n’a pas de dents du 


tout, mais aussi parce que les cornes de l’oritice de 


l'évent sont tournées en avant, et par conséquent 
en sens contraire. Peut-être les dents antérieures 
éloient-elles tombées à Pindividu dont la description 
fut remise par son auteur à M. de Blainville ; car 
cette circonstance se présente assez fréquemment 
chez beaucoup de cétacés, et plus particulièrement 
chez ceux de la famille des hétérodons. Quoi qu’il 
en soit, le dauphin de Sowerby doit être rangé avec 
les diodons jusqu’à ce que de nouvelles observations 
viennent détruire ce rapprochement, On n’en a 
observé jusqu’à ce jour qu’un seul individu, qui 
échoua sur les côtes d’Elquiskire en Angleterre, et 
qui a présenté les formes extérieures du diodon de 
Desmarest. Sa taille étoit d'environ dix-huit pieds 
anglois sur o:ze pieds de circonférence. La seule 
description qu’on en possède est celle-ci : La tête 
peu bombée est terminée par un museau distinct, 
assez allongé et étroit ; la mâchoire supérieure est 
plus courteet infiniment plus étroite que l’inférieure, 
dans laquelle elle est reçue. Comme nous l'avons 
dit, de chaque côté, et implantée dans le milieu du 
maxillaire, existe une seule dent comprimée qui se 
dirige obliquement en arrière. L’orifice des évents 
occupe sans doute le sommet de la tête ; il a la forme 
d’un croissant, dont les deux cornes sont dirigées en 
avant. 


LES HYPEROODONS. 


Le 49 septembre 1788 vinrent échouer, près de 
la petite ville d’Honfleur, deux cétacés, un jeune et 
sa mère, dontun officier de marine nommé Paussard 
publia l’histoire dans le cahier de mars 4789 du 
Journal de Physique, en y joignant deux planches 
médiocres. Les particularités qui accompagnèrent 
cette description ne furent pas de nature à éclairer 
d’une manière positive l’organisation de ces deux 
cétacés; mais, bien qu’incomplétement présentées, 
elles démontrèrent que ces animaux ne pouvoient 
être rapportés à aucune des espèces connues, et 
qu’ils avoient des formes génériques bien distinctes. 
Ce qui les caractérise surtout est la phrase suivante : 
« A la place de dents on trouve, sur la surface du 
palais et sur le contour de la mâchoire supérieure, 
de petites pointes inégales et dures; el'es avoient 
une demi-ligne d'élévation sur le jeune célaré; 


# 


088 


celles de la mére éloient plus longues. » Plus loin 
Baussard dit : Le jeune cétacé n’avoit pas dedents, 
et l'adulte étoit sans dents. 

Avant la publication du Mémoire de M. Baussard, 
Hunter, célèbre anatomiste anglois, avoit décrit et 
fait figurer dans les Transactions philosophiques, 
… pour l’année 4787, un cétacé qu'il appela dauphin 
à deux dents (delphinus bilentatus), et dont la 
figure est copiée par l’abbé Bonnaterre dans l’En- 
cyclopédie méthodique (pl. A4 , fig. 5), et par M.de 
Lacépède sous le nom de dauphin diodon. M. Des- 
marest reproduisit cette espèce dans sa Mammalo- 
gie, et la décora du nom de Hunter (delphinus 
Hunteri). De sorte que Hunter non seulement ne 
parle pas des fausses dents quiexistent au palais des 
cétacés de Baussard , mais encore il a reconnu deux 
dents fortes et robustes qui occupent l'extrémité de 
Ja mâchoire inférieure, dont les cétacés précédents 
seroient complétement privés d'après la description 
insérée dans le Journal de Physique. De là Vexis- 
tence des deux espèces que tous les naturalistes ont 
admises jusqu'à ce jour, de là un embarras pour 
débrouiller leur synonymie, car elles ne différent 
que par des circonstances anatomiques peut-être 
mal observées : circonstances qui, cependant, éta- 
bliroient une démarcation considérable, si elles 
existoient réellement. Bonnaterre décrivant les cé- 
tacés observés par Baussard, sous le nom spécifique 
de dauphin butskopf, leur donne toutefois comme 
caractère remarquable d’avoir deux véritables dents 
à la mâchoire inférieure; et en celaïl a été suivi par 
MM. de Lacépède, Illiger et Cuvier. Par cette ex- 
position simple des faits principaux, on doit juger 
combien il étoit diflicile de ne pas isoler deux céta- 
cés aussi distincts par l’organisation de la bouche, 
à moins de supposer qu’un examen superficie} avoit 
présidé aux observations de Baussard, ou bien que, 
par des circonstances que nous ne pouvons expli- 
quer, les deux individus avoient perdu leurs dents 
inférieures, ou qu’elles n'étaient point sorties de 
l’alvéole, ou mieux encore, que Hunter n’avoit 
point porté son attention sur les papilles cornées qui 
hérissoient le palais des cétacés vus par M. Baus- 
sard. Il eût été fort difficile de porter un jugement 
motivé-sur l'identité des cétacés décrits à la fois 
dans le Journal de Physique et dans les Transac- 
tions philosophiques, si M. Cuvier, en visitant le 
cabinet de Hunter, n’eût eu occasion d'étudier le 
crâne et le squelette qui avoient servi à cet habile 
anatomiste pour établir son dauphin à deux dents, 
en même temps que le coup d’œil exercé et profond 
de M. Cuvier reconnoissoit parfaitement dans les 
dessins de Baussard tous les caractères que lui of- 
froient les pièces osseuses soumises à son examen. 
Il en résulta donc pour lui que les cétacés de Baus- 
sard et celui de Hunter ne formoient qu’une seule 


HISTOIRE NATURELLE 


et même espèce, mais qu’on avoit eu raison de les 
placer dans un genre distinct. 

Les cétacés de Baussard furent décrits par l’abbé 
Bonnaterre sous le nom de dauphins butskopf, et 
cet auteur leur appliqua très mal à propos, ainsi 
que l’a prouvé M. Cuvier, le nom de butskopf, qui 
signifie dans les langues du Nord poisson façonné 
en carène, et qui appartient à plusieurs espèces de 
dauphins, mais surtout à l’épaulard. D’autres au- 
teurs pensent que ce mot butskopf est la treduction 
de l’épithète de slounders-head , ou tête de pleuro- 
necte, que Dale joignoit à l'espèce de cétacé qu'il 
nommoit aussi botlle-head, ou tête en bouteille; 
mais nous verrons que cette dernière espèce, bien 
qu'il soit presque impossible de:la reconnoître posi- 
tivement, à la plus grande analogie avec l’aodon. 

M. de Lacépède créa pour les cétacés décrits par 
Baussard un genre qu’il nomma hyperoodon, et 
dont le nom, tiré du grec, est formé d’hyperoon, 
palais, et odons, dent. Il conserva comme dénomi- 
nation spécifique celle de butskopf, que Bonnaterre 
lui avoit appliquée par erreur. Enfin, en 1814, 
Illiger, dans son frodrome des genres des mammi- 
fvres et des oiseaux, changea, sans trop de néces- 
sité, le mot hyperoodon en celui d’uranodon , aussi 
tiré du grec, et qui vient de ourane, palais, et 
odons, dent, et qui signilie, comme le précédent, 
animal à palais garni de dents. 

L'hyperoodon est surtout remarquable par la par- 
ticularité d’avoir des dents, ou du moins des corps 
de nature cornée, implantés dans le palais et sur le 
rebord de la mâchoire supérieure. L'existence de ces 
pointes cornées formant de fausses dents ne s’est 
représentée chez nul autre cétacé , et n’a jamais été 
observée depuis le lieutenant de frégate Baussard ; 
de sorte qu’elle a été mise en doute par de savants 
anatomistes. Mais que ces fausses dents palatiales 
existent ou manquent réellement, peu importe, 
maintenant qu’on a, pour séparer l’hyperoodon de 
tous les autres cétacés connus, des motifs mieux 
fondés ; car la forme du crâne, entre autres, est tel- 
lement distincte, qu’elle doit suflire pour qu’on ne 
confonde jamais, l’hyperoodon avec le seul cétacé 
dont il se rapproche, l’aodon. D'ailleurs ce dernier 
a un rostre à peu près cylindrique, tandis qu’il est 
aplati et un peu dans legenre de celui des dauphins 
chez le premier. La direction des cornes des évents 
n’est pas la même non plus. 

Les hyperoodons peuvent donc être caractérisés 
par les trois énormes crêtes occipitale et maxillaires 
qui surmontent le crâne , et qui sont séparées par de 
profonds sillons. Le corps est obloug, muni d’une 
petite nageoire dorsale. Les deux mamelles sont vi- 
siblesetinguinales. Le museau est étroit et déprimé. 
Les évents sont réunis en une seule ouverture lu- 
nulée , dont les extrémités du croissant sont tour- 


DES MAMMIFÉRES. 


nées du côté de la queue. Le palais est hérissé de 
dents fausses et plutôt cornées. Ces dents ne peu- 
vent guère être, dit M. Cuvier, et par analogie, que 
des proéminences cornées de la membrane du palais, 
comme on en voit dans l’échidné, ou peut-être des ves- 
tiges de ces fanons, qui deviennent si considérables 
dans les baleines. Deux dents aiguës occuperoient 
l'extrémité de la mâchoire inférieure, suivant Hunter. 
| L’hyperoodon est très rare. On ne connoît rien de 
ses habitudes et de ses mœurs ; et si la structure de 
sa charpente osseuse a été bien étudiée , on est rede- 
vable de tout ce qu’on en sait aux travaux que 
M. G. Cuvier a consignés dans le tome V, part. 1, 
pl. 324, de ses Recherches sur les ossements fossi- 
les. Ce profond naturaliste eut occasion de dessiner 
au muséum des chirurgiens de Londres le squelette 
du dauphin à deux dents ou hyperoodon fait du 
temps de Hunter, et une tête osseuse chez Adrien 
Camper, et il s’assura de leur ressemblance parfaite 
avec les figures qu’en avoit publiées Baussard. 

Voici le résultat de ses observations : « La tête 
» de l’hyperoodon sort tout-à-fait des formes pro- 
» pres au genre des dauphins, et mériteroit à elle 
» seule de faire placer l'animal dans un genre par- 
» ticulier. Les maxillaires, pointus en avant, élar- 
» gis vers la base du museau, élèvent de chacun de 
» leurs bords latéraux une grande crête verticale, 
» arrondie dans le haut, descendant obliquement 
» en avant, et plus rapidement en arrière, où elle 
» retombe à peu près au-dessus de l’apophyse post- 
» orbitaire. Plus en arrière encore, ce maxillaire, 
» continuant de couvrir le frontal, remonte verti- 
» calement avec lui et avec Poccipital, pour former 
» sur le derrière de la tête une crête occipitale, 
» transverse, très élevée et très épaisse. En sorte 
» que sur la tête de cet animal il y a trois de cesgran- 
» des crêtes : la crête occipitale en arriere, et les 
» deux crêtes maxillaires sur les côtés, qui sont sé- 
» parées de Ja première par une large et profonde 
» échancrure ; elles le sont l’une de l’autre par toute 
» la largeur de la tête, car elles ne se rapprochent 
» point en dessus, et ne forment point de voûte 
» comme dans le dauphin du Gange, mais simple- 
» ment des espèces de murs latéraux. 

» Les intermaxillaires, placés comme à l’ordi- 
» naire entre les maxillaires, remontent avec eux 
» jusqu'aux narines, et, passant à côté d'elles, s’é- 
» lèvent jusqu’au-dessus; en sorte qu’ils prennent 
» aussi part à la formation de la crête postérieure 
élevée sur locciput. Les deux os du nez, fort 
» inégaux, ainsi que les narines, sont placés à la 
» face antérieure de cette crête occipitale, et s’élè- 
» ventjusqu’à son sommet. Du reste, les connexions 
» des os sont à peu près les mêmes que dans les 
» dauphins. L’apophyse zy:omatique du temporal 
» est épaisse, sans être aussi longue que dans le 


Y 
> 


539 
» dauphin du Gange. L’orbite est aussi large que 
» dans les dauphins ordinaires, et bornée de même 
»en dessous par une tige grêle donnée par le ju- 
» gal. Les pariétaux ne se montrent que très peu 
» dans la fosse temporale, qui elle-même est peu 
» étendue en hauteur. En dessous, le palais est un 
» peu en carène, ce qui pourroit indiquer un rap- 
» prochement avec les baleines. Il n’a point les sil- 
» Jons latéraux du dauphin vulgaire. Les ptérygoï- 
» diens occupent une très grande longueur aux 
» artrière-narines, et diminuent beaucoup la part 
» qu'y prennent en avant d’eux les palatins. L’occi- 
» put est plus haut que large. La mâchoire infé- 
» rieure n’a pas sa symphyse plus longue qu’aux 
» espèces ordinaires de dauphins. 

» Le squelette que M. Cuvier examina avoit tous 
» ses os épiphysés, bien qu'il fût long de vingt-un 
» pieds. On y comptoit sept vertèbres cervicales, 
» toutes soudées ensemble ; trente-huitautres verté- 
» bres, dont neuf portant des côtes. Les six os fur- 
» céaux commencent à la vingt-deuxième, de sorte 
» qu’on peut compter dix-sept vertèbres caudales : 
» les apophyses épineuses des vertèbres supérieures 
» cessent à la neuvième caudale. Les cinq premiè- 
» res côtes s’articulent seules au sternum, etil ya 
» quatre de ces dernières libres de chaque côté. Le 
» sternum est composé de trois os. L’omoplate a le 
» bord spinal plus étendu à proportion et plus rec- 
» liligne que dans les dauphins. L’angle antérieur 
» plus aigu, l’acromion un peu dirigé vers le bas, 
» et la pointe coracoïde un peu en sens contraire. 
» Les os du bras et de l’avant-bras sont un peu 
» moins raccourcis que dans les dauphins. La main 
est presque arrondie , mais il seroit possible que 
» les plialanges n’eussent pas été bien montées, » 


L'HYPEROODON DE HONFLEUR. 


{Delphinus bidentatus, Hunter ; delphinus buts= 
kopf, BonNxatTErRE, DESMAREST; hyperoodon 
butskopf, LACÉPÉDE.) 


L'hyperoodon que l’abbé Bonnaterre décrivit sous 
Je nom de dauphin butskopf, en puisant dans le 
Mémoire de Baussard tous les détails de son histoire, 
a été, jusqu’à ces derniers temps, le seul type du 
genre établi par M. de Lacépède, qui pensoit que 
le dauphin à deux dents de Hunter en étoit très 
distinct. Comme on pourra s’en apercevoir, ils se 
ressemblent parfaitement par tous les traits de leur 
organisation générale , et s’ils diffèrent, ce n’est que 
par un point en litige, résultat naturel de quelque 
observation incomplète, et sur lequel nous nous 
sommes appesantis. Nous avons cru devoir, dans cet 
embarras, rapporter le plus textuellement possible 


590 


l'histoire du butskopf et celle du dauphin à deux 
dents de Hunter. 

L'hyperoodon de Honfleur a, comme presque tous 
les cétacés de la grande famille des dauphins, le 
corps en forme de fuseau. Sa plus grande épaisseur 
est vis-à-vis l’insertion des nageoires pectorales , et 
il décroit ensuite, et d’une manière insensible , jus- 
que vers la queue. Sa tête a plus de hauteur que de 
largeur ; le front, qui est très renflé, se rétrécit su- 
bitement et finit en une espèce de bec plat ef ar- 
rondi à l'extrémité. L’évent est placé sur le sommet 
de la tête, au-dessus des yeux, et présente à son 
ouverture la forme d’un croissant dont les cornes 
sont dirigées du côté de la queue ; l’orifice de cet 
évent est incliné de manière à ce que l’eau qui en 
est refoulée jaillisse obliquement en avant; son dia- 
mètre est considérable; la langue, adhérente à la 
mâchoire inférieure, est rude, dentelée sur son 
pourtour. L’œil est situé sur la moitié de la hauteur 
dela tête et plusélevé que l'ouverture de la bouche. 
ILest convexe, bordé de sortes de paupières et en- 
touré d’un bourrelet glutineux d’un pouce et demi 
de diamètre. Les nageoires pectorales sont placées 
sur la partie inférieure de la poitrine, elles sont très 
petites relativement à la grosseur de l’animal ; la 
dorsale est beaucoup plus près de la queue que de 
la tête : elle est recourbée et peu développée. La 
queue est échancrée à son milieu, et divisée en 
deux lobes fort larges. 

La peau de l’hyperoodon est formée d’une graisse 
jaunâtre assez épaisse, sur laquelle est tendu un 
épiderme mince et lisse, qui recouvre une chair très 
rouge. Sa couleur générale est brune noirätre, se 
dégradant sur les flancs et passant au blanchâtre sur 
Je ventre. Ses dimensions les plus ordinaires sont de 
vingt à vingt-cinq pieds, et de ceux qu’observa 
Baussard, le jeune avoit douze pieds six pou- 
ces de longueur, et la mère vingt-trois pieds six 
pouces. 

Les deux individus qui s’échouèrent sur les riva- 
ges d’Honfleur, où ils furent portés par les vagues, 
se débattoient sur la grève lorsqu'ils furent aperçus 
par des pêcheurs. Le jeune venoit d’être jeté sur le 
sable, et sa mère cherchant à le tirer de cette po- 
sition malheureuse se vit elle-même dans l’impos- 
sibilité de gagner le large. Les pêcheurs tirèrent le 
jeune individu à terre et firent de profondes blessu- 
res à la mère, qui, bien que mutilée, parvint, 
malgré tous les efforts qu’on employa pour la rete- 
nir, à regagner la haute mer; toutefois le lendemain 
son cadavre fut trouvé gisant à trois lieues de Hon- 
fleur. L'huile qu’on en retira fut vendue cent vingt 
francs ; et M Baussard, dit-on, pendant qu’il dis- 
séquoit ce cétacé, eut la peau des mains corrodée 
par l’âcreté de l’huile dont les émanations lui occa- 
sionnèrent aussi des inflammations aux narines et à 


HISTOIRE NATURELLE 


la gorge, ce qu’on doit attribuer peut-être à une pu- 
tréfaction rapide de quelques viscères. 

L'hyperoodon a trois estomacs : l’un très grand 
et deux petits; les poumons sont allongés et termi- 
nés en pointe; le cœur a deux pieds et plus de lon- 
gueur et de largeur. 


Le cétacé qui nous occupe paroît être rare et vivre 
solitaire; il habiteroit les mers qui baignent le nord 
de la France et les îles britanniques. 


Proportions des deux hyperoodons décrits par 
Baussard. 


LE JEUNE: 
Pieds. 

Longueur totale depuis le bout du museau 

jusqu'à l'extrémité de la queue. . . . 12 6 
Circonférence du corps vis-à-vis les na- 

geoires Inférales, 0%..." Cu ÉD en 
Longueur du Lec ou museau. . . . . D 45 
Distance del'éventäl'ertrémité du museau, LIT 
Distance de l'anus à l'extrémité de la na- 

geoire de la queue: 5°: 5,150 1p»n0% 
Distance de la nageoire du dos à l’extré- 

milé de la nageoire de la queue. . . . 3 6 
Distance de la partie antérieure de cette 

rageoire à l'extrémité du museau. . .- 7 8 
Longueur de la nageoiïire du dos. . . . 1 » 
Hauteur de celte même nageoire, , . «+ » 7 
Longueur des nageoires latérales. . . . 41 » 
Largeur de ces nageoires. . . . « «+ + » 7 
Largeur de la nageoire de la queue. . . 3 2 


Pouces, 


L'INDIVIDU ADULTE : 


Longueur totale depuis le bout du museau 
jusqu'à l'extrémité de la queue. . . . 23 
Circonférence du corps vis-à-vis les na- 
COBIECS AlOTAIGS, 73e elehie et 7 Dei En 
Distance de l’évent à l'extrémilé dumuseau. #4 
Ecngueurde la télé: 120005 RER AR NA 
8 
1 
» 


a 


Circouférence de la tête. . . . . . . 
Hauteur de la tête. + +, mn. 
Largeur de la tête. . . . RCE AS 
Distance de la nageoïire du dos à l’extré- 
MIE TIUSPAUS = sr le lee LE 
Longueur de la nageoire du dos. . . . 2 
Hauteur de cette même nageoire. . . . » 
Longueur des nageoires latérales. . . . 2 » 
4. 
6 
si 


ox @ À T4 & à I 


> 


Largeur de ces mêmes nageoires. . . . 
Largeur de la nagcoire de la queue. . . 


Longueur de la vulve. . . . . . . : 3 
Distance de l'ouverture de l’anus,aux detx 
fentes qui renferment les mamelles. . » 8 


Diamètre du mamelon. . . . . . . + » 1 
Longueur du mamelon.. . . . . . . six lignes. 


Le diodon a été décrit dans la Cétologie de l'abbé 
Bonnaterre sous le nom de delphinus bidentatus 
(p.25). La description en est transcrite de Hunter, 
et pour éviter de la dénaturer nous préférons la co- 
pier textuellement. C’est le meilleur moyen de con- 
server les caractères originaux des espèces pour 


DES MAMMIFÈRES. 


l’histoire desquelles les auteurs modernes n’ont point 
à s'étayer d'observations plus récentes ou plus com- 
plètes. 

Le corps a la forme d’un cône, et présente à l’ex- 
trémité du dos une nagcoire lancéolée. 

« À juger de cet animal, dit Bonnaterre, par la 
» figure et par la courte description qu’en a donnée 
» M. Hunter, il a beaucoup de ressemblance avec le 
» nésarnack. I s’en éloigne cependant par plusieurs 
» caractères qui l'ont fait regarder avec raison comme 
» un animal très différent. Sa plus grande grosseur 
» est vis-à-vis les nageoires latérales, ensuite il s’a- 
» mincit, par degrés insensibles, jusqu’à l’extrémité 
» de la queue. Le front est convexe, arrondi ; la mà- 
» choire supérieure est aplatie et terminée par un 
» bec semblable à celui d’un canard ; mais on ne 
» trouve que deux dents pointues à l'extrémité an- 
» térieure de la mächoire d’en bas. Les nageoires 
» latérales sont situées vis-à-vis les angles de la bou- 
» che; elles sont petites relativement à la grandeur 
» du corps et d’une figure ovale. Celle du dos cor- 
» respond à l’origine de la queue; elle est conformée 
» en fer de lance, pointue et inclinée en arrière. Celle 
» de la queue est composée de deux lobes échancrés, 
» qui représentent un croissant par leur réunion. Le 
» dessus du corps est d’un brun noirâtre, et le ventre 
» un peu moins obscur. » 

L’'individu qui a servi de type à cette description 
avoit vingt-un pieds anglois de longueur, et c’est 
son squelette que M. Cuvier a fait connoître et dont 
nous avons rapporté la description dans nos généra- 
lités sur les hyperoodons. Il avoit été pris dans la 
Tamise en 1785, au-dessus du pont de Londres. 
Hunter possédoit encore dans son cabinet un crâne 
de la même espèce de cétacé, dont les dimensions, 
trois fois plus grandes que celles de l'individu pré- 
cédent, indiquoient que l’animal entier devoit avoir 
eu au moins de trente à quarante pieds de longueur. 

On ignore complétement au reste les mœurs, les 
habitudes des hyperoodons. Ils vivent dans nos mers 
et sur nos côtes, et n’ont jamais été observés ail- 
leurs que dans la Manche. 


LES ZIPHIUS. 


Tous les cétacés que nons avons décrits jusqu’à 
présent sont vivants dans la nature. Il n’en est pas 
de même des ziphius; on ne les a jamais rencontrés 
qu’à l’état fossile, et peut-être qu’ils sont éteints 
depuis des siècles, et que les ossements qu’on en 
possède dans les collections sont les seuls témoi- 
gnages que nous aurons jamais de leur existence. 
Les ziphius vivoient donc dans les mers, en même 


temps que des animaux singuliers, et aujourd’hui 


591 


perdus ; des reptiles bizarres formoient un monde 
zoologique bien différent de ce qu’il est en ce mo- 
ment. 

Nous ne connoissons les ziphius que par les dé- 
couvertes de M. Cuvier. Ce naturaliste, qui a tant 
enrichi histoire naturelle, eut à étudier des pièces 
osseuses fossiles de cétacés qu’il ne put rapporter 
aux espèces vivantes, et qu'après des comparaisons 
nombreuses il décrivit ( Fossiles, tom. V, part. 1, 
p. 539) sous les noms de ziphius cavirostre, pla- 
nirostre et longirostre. El appliqua à ce genre le 
nom de ziphius, que Gesner donnoit, conjointement 
avec la plupart des auteurs du moyen âge, à un cé- 
tacé d'espèce indéterminée. 

Lesziphius, par leurs têtes osseuses, ont de grands 
rapports avec les cachalots ; mais c’est surtout près 
des hyperoodons qu’ils doivent se placer, et dont 
ils ont plusieurs des caractères les plus saillants. Il 
paroît qu’ils n’avoient point de dents. 

Le ziphius à museau concave (ziphius caviros- 
tris, Cuv., Oss. foss., t. V, p. 552) repose sur une 
tête très pesante, et complétement pétrifiée en cal- 
caire , qui fut découverte en 1894, par M. Raymond 
Gorsse, dans le département des Bouches-du-Rhône. 
M. Cuvier, en la comparant avec des têtes de ca- 
chalot, d’hyperoodon et de dauphin du Gange, ca- 
ractérisa les divers traits de sa conformation de la 
manière suivante : « Les os intermaxillaires sont 
» intimement unis aux maxillaires, et remontent le 
» long des côtés des narines, et se recourbent en 
» avant pour former, avec les deux os du nez, qui 
» sont encastrés entre eux, une espèce d’auvent sur 
» le dessus de ces narines, dont les ouvertures se 
» trouvent presque verticales. Au pied, et en avant 
» des narines, ces mêmes intermaxillaires sont élar- 
» gis et concaves, et forment ainsi, sur la base du 
» museau, une très grande fosse, dont les bords un 
» peu saillants remontent et se continuent avec l’au- 
» vent, ou l’espèce de demi-cône placé au-dessus des 
» narines. Cette tête partage le défaut de symétrie, 
» commun à la plupart des cétacés. Vus distincte- 
» ment en dessus, les os du nez forment un lobe di- 
» rigé à gauche, et, dans cette partie supérieure, 
» c’est l'os intermaxillaire droit qui est le plus large ; 
» mais, dans la grande fosse, c’est le gauche qui re- 
» prend de la largeur, et qui rejette vers la droite 
» la suture qui le sépare de l’autre ; en revanche, il 
» avance moins sur la narine de son côté, en sorte 
» que cette narine est plus évasée à son ouverture 
» que celle du eôté droit. El n’y a qu’un seul trou 
» de chaque côté pour la communication du nerf 
» olfactif avec les cavités nasales. Le frontal s’élève 
» en dessus pour doubler les os intermaxillaires der- 
» rière les narines, et l’on voit, par les sillons de 
» sa face postérieure, qu’il devoit être doublé lui- 
» même en arrière par l’occipital, comme cela arrive 


J92 


» dans le cachalot et l’hyperoodon. Ea tête du zi- 
» phius cavirostre ne diffère de celle de ce dernier 
» que parce que les maxillaires ne se redressent 
» point sur les côtés du museau en cloisons verti- 
» cales, et que l'espèce de mur de derrière les na- 
» rines ne se borne pas à s'élever verticalement, mais 
» qu’il se recourbe pour former un demi-dôme au- 
» dessus de ces cavités. » 

Le ziphius à museau aplati (ziphius planirostris, 
Cuv., Oss. foss., t. V, part. 1, p. 556) repose sur 
plusieurs têtes complétement pétriliées, et décou- 
vertes, en 4809, dans les fouilles nécessitées par le 
creusement des bassins d'Anvers, dont elles occu- 
poient le fond. Elles étoient placées à trente pieds 
au-dessous du sol moyen de la ville d'Anvers, et in- 
férieurement à des couches de diverses épaisseurs, 
de sable et de terre, renfermant un grand nombre 
de coquilles et de dents de squales. M. Cuvier a re- 
marqué de légères différences que ces divers mor- 
ceaux offrent entre eux, et les attribue à l'influence 
du sexe. La pièce osseuse la plus complète est celle 
qu'il a décrite de la manière qui suit : « La partie du 
» museau, formée comme à l'ordinaire par les maxil- 
» laires et les intermaxillaires, est une espèce de 
» cylindre ou de prisme quadrangulaire dont les an- 
» gles sont arrondis ; elle s’aiguise un peu en pointe 
» en avant, s’élargit et s’aplatit un peu en dessus 
vers la tête, en même temps qu’elle prend , en 
dessous, une forme de carène ou de toit renversé. 
Elle est un peu plus haute que large, et son ex- 
» trémité antérieure est percée d’un canal large de 
» quinze millimètres, qui renfermoit sans doute, 
» comme dans les dauphins, une substance ligamen- 
» teuse. Le long de chacun des angles latéraux est 
» un sillon où sont percés quelques trous pour les 
» nerfs palatins En dessus on voit des restes de su- 
» tures qui distinguent les maxillaires des intermaxil- 
» laires, et ceux-ci entre eux ; mais la dernière de 
» ces sutures s'efface dans le haut.” 

» Le crâne s’élevoit beaucoup sur l'arrière de la 
» face ; les narines étoient percées sur la face anté- 
» rieure, presque verticalement ; celle de droite est 
» sensiblement plus étroite. Les crêtes qui séparent 
» les fosses placées avant les narines des sillons laté- 
» raux, montent de chaque côté parallélement aux 
» bords des narines: les os du nez sont plus larges 
» que hauts, et celui de droite est le plus large. » 

Le ziphius à long museau (ziphius longiros!ris, 
Cuv., Oss. foss., t. V, p. 537) a pour type une pièce 
osseuse pétrifiée en calcaire très compacte, déposée 
dans les galeries du Muséum, mais dont le lieu du 
gisement est complétement, ignoré. Ce fragment 
possède l’ensemble des caractères qui distinguent 
les deux ziphius précédents , et n’en diffère que par 
quelques particularités spécifiques, et notamment 
par un plus grand allongement du museau, L'animal 


2 
A 


2 
> 


» 
LA 


HISTOIRE NATURELLE 


dont il provient, dit M. Cuvier, devoit être aux zi- 
phius, ee que le dauphin du Gange est au dauphin 
ordinaire et aux dauphins à museau large. 


RE — 


LES AODONS. 


La première connoissance qu'on ait eue des cé- 
tacés que nous nommons ainsi, parce qu’ils n’offrent 
aucun vestige de dents, paroît remonter jusqu’à 
Dale, qui, dans son Histoire des antiquités d'Har- 
wich et de Dovercourt, publiée à Londres en 1750, 
mentionne sous le nom de bottle nose, et aussi sous 
celui de fionders-head-whall, un cétacé qui a Îles 
plus grands rapports avec l’aodon, que Schreber 
semble avoir parfaitement indiqué sous le nom de 
dauphin sans dents, delphinus edextulus. Peut-être 
retrouveroit-on cet animal dans les baleines à bec, 
balwna rostrala, de plusieurs auteurs anciens, s 
l’on pouvoit dépouiller les descriptions qu’ils en ont 
données des détails qui ne peuvent apparteuir qu’à 
de véritables baleines. Toutefois le dauphin, figuré 
par l’Anglois Samuel Dale, fut considéré par M. Cu- 
vier comme ne différant point de l’hyperoodon, bien 
que Schreber, MM. de Blainville et Desmarest, en 
aient fait une espèce distincte sous le nom de delphi- 
nus edentulus. 

Les doutes qu’avoit fait naître la description de 
Dale ne seroient point encore dissipés, si un cétacé, 
qui en présente les formes et tous les caractères, 
n'étoit échoué, le 3 septembre 1825, sur la plage de 
Saint-Adresse, près le Havre, et si cet animal, ac- 
quis par lPadministration du Muséum d’aistoire na- 
turelle, n’avoit été étudié d’abord sur les lieux par 
le docteur Suriray, puis par M. de Blainville, et au 
même moment par le fils de M. Fr. Cuvier, qui trans- 
metloit à son père tous les renseignements qu’il 
s'étoit procurés. La description de M, de Blainville 
est insérée dans le nouveau Bulletin de la Société 
philomalique pour le mois de septembre 1825, 
page 159, et celle que M. Fr. Cuvier a publiée, et 
qu'accompagne une figure coloriée, se trouve dans la 
cinquante-troisième livraison de son grand ouvrage 
sur Les mammiféres, sous la date de février 4826. 
Nous emprunterons donc à ces deux naturalistes tous 
les détails qu’on va lire sur l’aoron, détails qui nous 
permettent de considérer ce cétacé comme un des 
mieux connus. Mais son analogie avec le dauphin 
de Dale ne doit pas toutefois être admise sans res- 
triction , et M. Fr. Cavier s'exprime à ce sujet de la 
manière suivante : « Excepté le très petit nombre 
» d'espèces de dauphins que les circonstances ont 
» souvent permis d'observer, dont les caractères sont 
» remarquables, et qui se présentent constamment 
» les mêmes, toutes les autres sont si peu connues, 


DES MAMMIFÈRES. 


» si imparfaitement caractérisées, que ce n’est jamais 
» sans beaucoup d'incertitude qu’on y rapporte les 
» rares individus qui ont avec elles quelques ressem- 
» blances, que le hasard fait parfois rencontrer au 
» milieu des mers, ou qui viennent de loin à loin 
» échouer sur nos rivages. 

» Le cétacé dont nous donnons aujourd’hui la 
» figure est dans ce cas. Nous n'avons aucune cer- 
» titude qu’il ait appartenu à l’espèce décrite, et 
» figurée par Dale, sous le nom de botile nosewhall 
» (Antig. of Harwich, p. 412,t. XIV ); et si nous 
» lui donnons le nom de cette espèce, c’est parce 
» qu’il l’a reçu de M. de Blainville, et queles prin- 
» cipes de la cétologie sontsi imparfaits, que les rai- 
» sons que nous aurions pour en faire le type d’une 
» espèce nouvelle ne seroient pas mieux fondées 
» que celles qui nous portent à le regarder comme 
» un individu d’une espèce déjà connue. 

» Si, pour établir les rapports naturels des céta- 
» cés, il étoit possible de se laisser conduire par les 
» analogies, qui sont devenues des guides si fidèles 
» dans toutes les autres branches de la mammalo- 
» gie, on seroit forcé de faire de ce dauphin le type 
» d’une espèce nouvelle, et même d’un genre nou- 
» veau; mais si nous savons quelles sont les modi- 
» fications de forme que les individus d’une même 
» espèce peuvent nous présenter par les différences 
» d'âge, de sexe, chez les autres mammifères, nous 
» l'ignorons presque complétement pour les dau- 
phins : tout ce que l’observation à pu faire con- 
» noître, c’est que les changements qu'ils éprouvent 
» sont considérables, comparés à ceux des autres 
» animaux de leur classe. Ainsi ces derniers con- 
servent toujours le même nombre de dents, tan- 
» dis qu’il paroit être extrêmement variable chez 
» les premiers. 

» La figure ct la description de ce nouveau dau- 
» phin de Dale ne doivent donc être considérées que 
» comme des faits isolés qui pourront aider quelque 
» jour à faire l’histoire raisonnée de ces animaux, 
» si peu observés et si dignes de l'être. » 

Les aodons, par leur aspect comme par l’orga- 
nisation de leur bouche, semblent être le passage 
des dauphins aux baleines, et leurs mœurs doivent 
beaucoup différer de celles des autres cétacés. A ce 
sujet nous sommes dans une obscurité absolue. La 
cétologie se compose de si peu de faits connus et 
avérés, qu'elle est encore dans l'enfance, et qu’à 
part d’imposants matériaux recueillis par quelques 
mains habiles, tout dans l’édifice est à rassembler et à 
coordonner. Les faits étant l’œuvre du temps et des 
circonstances, et ne se découvrant qu'avec lenteur, 
celte branche ne peut que se trainer péniblement 
vers l’ère nouvelle qui doit marquer sa place dans 
le système des connoissances naturelles et philoso- 
phiques. 

1. 


S 
> 


S 
Ÿ 


593 

Nous assignerons aux aodons, comme caractères 
propres à les faire distinguer de tous les autres mam- 
mifères marins de leur classe, ceux qu’on peut tirer 
de l'inspection du crâne , dont les os du nez et les 
frontaux forment une saillie énorme à la naissance 
du front , et derrière laquelle existe une dépression 
profonde. Leurs mâchoires sont prolongées en forme 
de bec cylindrique, arrondi, et ne sont point sépa- 
rées de la tête par un sillon à la base du front, 
comme on l'observe dans la plupart des dauphins. 
Ces mâchoires, dont la supérieure est un peu plus 
courte et plus étroite que l’inférieure, offrent en 
dedans, tout le long du palais, une rigole latérale, 
dans laquelle pénètre le Bord gengival de la supé- 
rieure, tandis que le sien pénètre dans une rainure 
semblable de l’inférieure. Le palais n’a point de ru- 
gosités, et les maxillaires sont complétement privés 
de dents. Le corps a la forme générale des dauphins. 
Les cornes de l'ouverture de l’évent sont dirigées 
en avant. 

M. de Blainville n’a pu examiner que très rapi- 
dement le squelette etle crâne de l’aodon. Voici à ce 
sujet ce qu’il rapporte: « Le système osseux de la 
colonne vertébrale étoit,-comme dans toutes les es- 
pèces de ce groupe, très solidement établi. Les ver- 
tèbres, peu mobiles entre elles, et réunies par un 
üssu fibreux, court et serré, avec une petite quan- 
tité de matière comme graisseuse, mais réellement 
mucoso-gélatineuse au milieu, étoient au nombre de 
neuf au dos, quinze à vingt à la queue, et sept dis- 
posées, comme dans les dauphins, au cou. Les 
côtes n’étoient qu’au nombre de neuf, dont six ster- 
pales. Le crâne ressembloit presque complétement 
à celui des dauphins, avec cette différence cepen- 
dant qu’au-dessus de l'ouverture des narines les os 
du nez et les frontaux formoient une avance assez 
considérable, un peu pointue, et recourbée en avant, 
ce qui donnoit à la racine du front la forme bombée, 
et faitsupposer des poches olfactives considérables : 
en arrière de celte avance osseuse il y avoit une 
dépression assez sensible. Les trous des narines os- 
seuses n’étoient pas exactementsymétriques, comme 
cela arrive souvent dans ce genre : le gauche étoit 
plus grand et un peu dévié. Quant aux viscères, ils 
n'ont point été examinés, et le docteur Suriray, qui 
n’a fait qu'y jeter un coup d’œil, se borne à dire que 
Je tube digestif étoit long et grêe, et qu’il partoit 
des trois poches stomacales que possèdent la plu- 
part des dauphins. 

» L’aodon qui échoua au Havreavoit, dans l’épais- 
seur de la couche de graisse qui l’enveloppoit, une 
sorte de kyste, dans lequel étoit replié un ver vi- 
vant voisin des monostomes, se contractant sous 
des formes très variables, quelquefois globuleux, 
d’autres fois ovalaire, étranglé au milieu ou noué, 


avec des tubes en avant et une sorte de queue en 


75 


594 


arrière. Ce kyste, à parois internes lisses, peu dis- 
tinct au deho:s, n’étoit point unique, et on en dé- 
couvrit plusieurs en divers autres endroits. 

» On ne connoit qu’une seule espèce de ce 
genre(!). » 


L'AODON DE DALE. 


Delphinus edentulus, Scres., DEsm.; dauphin de 
Dale, DE BLaiNviLeE. F. Cuvier. 


La taille de l’aodon que possède actuellement le 
Muséum et dont nous donnons un portrait gravé 
d’après nature, étoit d'environ quinze pieds de lon- 
gueur sur sept pieds et demi de circonférence. La 
tête, assez distincte par un rétrécissement du reste 
du corps, avoit deux pieds sept pouces de long, me- 
surée de l’extrémité du museau à Pocciput. 

La forme de l’aodon étoit celle d’un fuseau, ou, 
pour mieux dire, son corps étoit renflé au milieu, 
et atténué à ses extrémités. La ligne dorsale étoit 
plus relevée et plus bombée vers l’occiput et au mi- 
lieu du dos; et au-delà de la nageoire dorsale elle 
se relevoit pour former une carène, d’autant plus 
saillante qu’elle étoit plus voisine de la queue. Sur 
chaque côté de cette dernière partie s’élevoient des 
traces d’arêtes , bien moins longues et moins sensi- 
bles que celles du dos. Le ventre au contraire étoit 


(:) Est: ce à ce groupe qu’appartient l'espèce de cétacé 
que M. de Blainville a nommé dauphin à museau épais 
(delphinus densirostris, de BI., Desm., Nouv. Dict. 
d'Histoire nat., t. IX, p. 178;, et que ce naturaliste a 
établi sur un fragment de mâchoire fossile, long de neuf 
pouces, et haut de deux pouces et demi sur deux pouces 
de largeur dans la partie la plus épaisse? Ce fragment 
présente une forme droite et pyramidale, sa coupe est 
triangulaire, ses bords dentaires sont très peu déve- 
loppés,et soutiennent une légère crête saillante de cha- 
que côté, aux deux arêtes de la base; leur extrémité 
offre un léger sinus qui en forme la continualion, et 
s'étend jusqu’au bout de la màchoire quiest mousse; on 
p’aperçoit sur les bords aucune trace de dents, ni au- 
cune impression produite par une dent de la mâchoire 
opposée. 

Cette mâchoire, dit M. Desmarest, dont nous citons 
texluellement les paroles, ne peut être celle d’un anar- 
nak, puisque celui-ci a deux petites dents à l'extrémité 
de la sienne. Ce n’est sans doute pas celle du dauphin 
de Chemnitz, puisqu'elle n’a point de dents latérales; ce 
pe pourroit être tout au plus que celle d’un dauphin de 
l'espèce de Honfleur, ou d’un dauphin de Sowerby, mais 
dans ces animaux les os maxillaires sont plus dépri- 
més. Ce pourroit être une mâchoire d'aodon, mais il se 
peut que la mâchoire supérieure qui manque ait eu des 
dents. 

Le débris fossile sur lequel M, de Blainville a établi son 
dauphin densirostre, est d'une contexture fort serrée 
et d’une pesanteur spécifique trés remarquable. On 
ignore complétement d'où il provient. 


HISTOIRE NATURELLE 


doucement arrondi. Le front, par la maniere pro- 
noncée dont il est bombé à son origine nasale, se 
prolonge brusquement en un museau arrondi, al- 
longé, étroit, qui ressemble parfaitement à un bec 
d'oiseau. L'ouverture des deux mâchoires éloit con- 
sidérable , et son diamètre de deux pieds au moins. 

L'évent étoit placé à deux pieds trois pouces de 
l'extrémité du museau. Son ouverture extérieure 
n’avoit pas moins de trois pouces de largeur, et les 
cornes du croissant qu’elle affecte étoient dirigées 
en avant. 

L’œil avoit deux pouces de diamètre, et éloit re- 
couvert d’une paupière supérieure assez développée ; 
mais on ne distingua aucune trace d'oreille externe, 
nideconduit auditif. La langue ne fut point observée. 

Les nageoires pectorales étoient fort petites pro- 
portionnellement à la taille de l’animal, et n’avoient 
que dix-huit pouces de longüeur sur six pouces de 
largeur. Elles étoient de forme ovalaire, allongée, 
un peu taillées en biseau à leur bord postérieur, et 
placées à trois pieds quatre pouces del’extrémité des 
mâchoires. La dorsale étoit également très petite, 
surbaissée, triangulaire et recourbée à son extré- 
mité : elle commencoit à neuf pieds onze lignes de 
l'extrémité du rostre,etavoit onze pouces de hauteur. 

La nageoire caudale étoit large de plus de trois 
pieds , et formée de deux lobes arqués et pointus. 

La vulve, dont la longueur étoit de plus de-huit 
pouces, ne se présentoit que sous la forme d’une 
simple fente longitudinale, et n'étant distante de 
l’anus que d’un pouce ; de claque côté on apercevoit 
un pli dans lequel étoit logée une mamelle. 

L’épiderme de l’aodon offrit partout la structure 
lisse de celui des cétacés ; cependant le docteur Su- 
riray observa sur la gorge quatre fentes parallèles, 
longues de cinq à six pouces, et de trois à quatre 
lignes dans leur plus grande largeur. 

La couleur générale de la peau étoit d’un gris 
foncé en dessus , se dégradant au gris blanc! âtre en 
dessous; elle présentoit ce brillant et cette douceur 
de teinte qu’un enduit graisseux rend si remarqua- 
ble chez tous les mammifères de cette classe. 

Tels sont les renseignements dont nous sommes 
redevable à M. de Blainville. Les caractères de cet 
animal, dont on ne connoît non seulement qu’une 
espèce unique, mais même encore qu’un seul indi- 
vidu , sont donc suffisamment établis pour l’isoler 
de tous les autres cétacés sous le rapport physique : 
mais ce qu’il importe d'apprendre maintenant, sont 
les habitudes, les mœurs, legenre de vie de l’aodon 
qui paroît être extrêmement rare, bien qu’il vive 
dans nos mers. 


/ + f He Le Dale F Aodon Dalei, 74 


2 Celui 


Dr , dune ( 
De 7, lag lorcal. Belug'a œlacialis À Lefo : 
CO 


déesse de Gang , Dusu Platanista, Acfs 


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Publer par Pourrat Fa l'arur 


DES MAMMIFÉRES. 


LES DAUPHINS. 


Le nom de dauphin retrace à notre esprit les fic- 
tions gracieuses de l’Hellénie, et nous rappelle ces 
êtres marins que les poëtes grecs célébrèrent à l’envi 
dans leurs vers, en les dotant des plus rares qua- 
lités (1). Qui ne conserve le souvenir d’Arion attirant 
par les sons enchanteurs de sa Ivre des dauphins 
avides d'harmonie, et transportant sur leur dos le 
chantre qui avoit su les charmer, pour le soustraire 
à ses ennemis? Apollon n’a-t-il pas été surnommé 
Delphien, parce que sans doute le soleil est le régé- 
nérateur de la nature, comme le dauphin est l’em- 
blème de la mer ou de la reproduetion ? La peinture, 
la sculpture, figurèrent sur les bas-reliefs qui déco- 
rent la plupart des monuments publics et religieux 
de l’ancienne Grèce, l'espèce connue des naturalistes 
sous le nom de Dauphin vulgaire ; mais les artistes 
ne s’astreignirent point à copier la nature ; ils firent 
de cet animal un être chimérique qui ne seroit point 
reconnoissabie si l’on ne possédoit des médailles du 
temps qui en donnent des portraits assez ressem- 
blants par les formes aux dauphins qui vivent dans 
Ja Méditerranée. Héritiers du goût pour les arts 
que les Grecs pouséèrent si loin, les modernes sem- 
blent avoir consacré aux monuments d’utilité géné- 
rale destinés à fournir de l’eau, les figures transmises 
par la tradition des anciens dauphins, et ne voyons- 
nous pas sur presque toutes les fontaines qui déco- 
rent nos villes le dauphin des Grecs, jetant de l’eau 
par son énorme boucle, et dont le corps couvert de 
larges écailles, muni de nageoires hérissées de pi- 
quants robustes, se termine par une queue élégam- 
ment retroussée ? Que les poëtes attèlent des dau- 
phins au char de Cythérée, ou placent sur leursdos 
Mélantho et ses séduisantes compagnes, ces images 
empruntées à la mythologie, et qui sont le fruit 
d’une imagination riante, et embellie par le prestige 
des illusions, ne sortent point de leurs priviléges ; 


(‘) La constellation du Dauphin a pris son nom ou du 
dauphin d’Arien, qui négocia le mariage de Neptune et 
d’&mphitrite,ou d’an marinier que Bacchus changea en 
cet animal, bien que quelques mythologues n’y voient 
que le dauphin qu'Apollon donna pour conducteur à 
des Crétois qui alloient dans la Phocide. Le dauphin 
étoit consacré à Apollon; il est même admis par plu- 
sieurs auteurs que la ville de Delphes liroit son nom de 
la forme du dauphin, sous laquelle Apollon y avoit con- 
duit Castalius, qui bâtit cette ville, et non de Delphus, 
fils d'Apollon et de Celæno, alnsi que le pensent quel- 
ques autres (MILLIN). 

Sur les médailles, le dauphin placé à côté du trépied 
d’Apollon désigne le sacerdoce des décemvirs. Lorsqu'il 
estjoint à un trident ou à une ancre, il marque la li- 
berté du commerce et l'empire des mers; on s'en est 
servi aussi pour exprimer la tranquillité sur mer, parce 
qu'il ne se montre que quand elle est calme (NoeL). 


595 


mais le naturaliste qui examine la nature sans lais- 
ser endormir le témoignoge de ses sens, n’écoute 
qu’une froide réalité, et les dauphins, ces êtres si 
pleins d'intelligence, ces êtres qui sembloient les 
seuls dans l’univers susceptibles de conserver dans 
leur mémoire le souvenir des bienfaits recus, les 
daupbins ne sont plus pour lui que des cétacés gros- 
siers dans leurs formes, dans leurs appétits, et 
n'ayant qu’un instinct un peu supérieur aux grands 
animaux de leur classe. Ainsi déchus des attributs 
mensongers dont les décorèrent sans motif les poëtes 
des anciens temps, alors, comme ceux d’aujour- 
d’hui, peu jaloux de peindre la nature telle qu'elle 
est, les dauphins resteront pour le philosophe qui 
cherche à tout connoître sur la surface du globe, 
depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, une famille com- 
posée d'espèces nombreuses et pour la plupart in- 
connues, mais digne d’un intérêt d'autant plus vif, 
que l’observateur a moins souvent occasion d’en étu- 
dier les mœurs, les habitudes, et même les attributs 
physiques. 

La famille des dauphins se compose d’un grand 
nombre d’espèces, décrites, pour la plupart, dans 
ces derniers temps. Mais le nombre de celles qui 
restent à découvrir est immense, et ce n’est qu'avec 
lenteur que nous avançons vers le moment où leur 
étude , dégagée des renseignements erronés donnés 
par les anciens auteurs, doit marcher d’un pas ferme 
et rapide. « Nous avons déjà eu, dit M. Cuvier dans 
» son Histoire des ossements fossiles, beaucoup d’oc- 
» casions de remarquer que c’est sur les grands ani- 
» maux qu'il règne le plus d'erreurs et de confusion, 
» par Ja raison qu’il n’est possible de connoître et 
» de distinguer que les espèces que l’on a pu voir de 
» près, et comparer soigneusement les unes avec 
» lesautres. Cette remarque s'applique spécialement 
» aux cétacés. [ls ont frappé tout le monde par l’im- 
» mensilé de leurs dimensions, et leur pêche a 
» donné lieu, depuis des siècles, à des efforts inouïs 
» d'activité et de courage ; mais, à moins d’un heu- 
» reux hasard qui en ait fait échouer sur une côte où 
» se trouvoit quelque homme instruit, ils n’ont 
» presque jamais été décrits avec exactitude, et en- 
» core moins comparés avec détails. 

» Des milliers de marins ont pris et dépecé des 
» baleines, qui pent-être n’en ont jamais contemplé 
» une dans son ensemble ; et cependant c’est d’après 
» leurs descriptions vagues, d’après les ligures gros- 
» sières qu’ils en ont tracées, que les naturalistes 
» ont cru pouvoir composer l’histoire de ces ani: 
» maux. La plupart n’ont pu même faire présider 
» Ja critique à leurs compilations, faute de faits 
» assez bien constatés pour servir de base à leurs 
» raisonnements. Voilà pourquoi cette histoire est 
» à Ja fois si pauvre et si remplie de contradictions 
» et de doubles emplois. 


3 


596 


» Nous tâcherons de lui fournir quelques unes 

» des bases qui lui manquent, en décrivant avec 
» précision les faits observés par nous-mêmes, en 
» les comparant à ceux qu'ont publiés des observa- 
» teurs exacts, et en cherchant, d’après ces données, 
» à démêler ce que signifient les indications incom- 
» plètes des pêcheurs et des navigateurs, mais en 
» nous gardant bien d’accorder jamais assez d’im- 
» portance à ces indications pour établir sur elles 
» seules des espèces, et encore moins des genres et 
» des sous-genres, comme l'ont fait des naturalistes 
» plus bardis que nous ne le serons jamais. 
» Il nous seroit en effet bien facile, en profitant 
de figures grossières, faites d'imagination ou de 
» souvenir, et de descriptions confuses ou tronquées, 
» et en accumulant des synonymes qui ne sont que 
» des copies les uns des autres, de faire paroître 
» de longues listes d’espèces qui n’auroient aucune 
» réalité, et que le moindre souflle de la critique 
» renverseroit ou mettroit en désordre. Mais c’est 
» précisément la conduite contraire qu'il est, selon 
» nous, nécessaire de tenir, si l’on veut tirer l’his- 
» toire naturelle du chaos où elle est encore. » On ne 
peut donc qu’imiter la sage réserve énoncée avec 
tant de profondeur par l’un de nos savants les plus 
célèbres. La marche qu’il a suivie est la seule cer- 
taine, et c’est aussi l'unique moyen qu’on puisse 
employer pour tirer la cétologie de l’ornière où elle 
reste stationnaire. 

Les dauphins sont les plus petits de tous les vrais 
cétacés. Il ne faut cependant pas croire que leur 
taille soit suffisante pour les caractériser ; car si on 
connoît des espèces petites, on en connoît qui ont 
des proportions considérables : en général, leur 
taille varie beaucoup. Ce qui les distingue surtout 
est d'avoir des dents plus ou moins nombreuses aux 
deux mâchoires. Aux yeux des naturalistes, en 
effet, tout cétacé qui a la tête en proportion régu- 
lière avec le corps, les mâchoires garnies chacune 
d’une rangée de dents, doit être classé dans le genre 
dauphin, delyhinus. Lorsque l’on ne connoissoit que 
très pen d'espèces , que leurs caractères étoient mal 
déterminés, ce genre étoit suffisant pour lesrenfermer 
toutes; mais aujourd’hui qu’il y en à davantage de 
décrites, que leur organisation fondamentale à été 
mieux étudiée, il doit en résulter des coupes géné- 
riques plus nombreuses , et le mot dauphin ne peut 
plus être appliqué qu’à la famille entière. C’est 
déjà ce qu’avoit pressenti M. Cuvier dans son Règne 
animal, en séparant, non seulement, comme l’avoit 
fait M. de Lacépède, les delphinaptères, mais en- 
core en isolant les marsouins des dauphins propre- 
ment dits. M. de Blainville augmenta le nombre de 
ces coupes génériques, et créa celles des delphi- 
norhynques et des hétérodons, et adopta les oxyp- 
ières de M. Rafinesque. Si en effet les caractères 


LA 


IISTOIRE NATURELLE 


tirés de la forme des dents des mammifères terres- 
tres, ou du bec d’un oiseau, suflisent dans ces deux 
branches pour établir des genres, certes des dispa- 
rates aussi fortes que celles que présentent un grand 
nombre de dauphins dans les organes les plus im- 
portants et les plus fondamentaux, tels que sont 
ceux de la tête, considérés avec leurs rapports et 
leurs systèmes divers d'organisation , doivent forcer 
à admettre ce moyen artificiel, mais en même temps 
avantageux, de classification. L’extrême longueur 
du museau de quelques espèces, opposée au retrait 
absolu que montrent quelques autres, doit faire pré- 
sumer sans doute que les animaux qui offrent ces 
dissemhlances, bien que complétement analogues 
par toutes les formes extérieures, ont des mœurs, et 
peut-être des habitudes différentes. Aussi croyons- 
nous servir l’histoire des dauphins, en passant en 
revue leur tribu, dont nous distribucrons les es- 
pèces sous les noms, 4° de bélugas; 2° de delphinap- 
tères; 5° d'oxyptères; 4° de delphynorhynques ; 
5° de platanistes ; 6° de dauphins; "° de marsouins, 
et 8° de globicéphales. Les deux premiers appar- 
tiendront à la division des dauphins sans nageoire 
dorsale, le troisième aux dauphins à doubles na- 
geoires sur Je dos, et les cinq autres aux dauphins 
à dorsale unique (1). 

Le corps des dauphins est allongé, plus épais au 
milieu, aminci graduellement vers la queue ; un épi- 
derme très lisse le recouvre; les évents n’ont qu’une 
ouverture unique sur le sommet de la tête; les na- 
geoires pectorales sont le plus souvent minces, 
aiguës et longues ; les mamelles sont inguinales, et 
placées au nombre de deux dans un repli de la peau 
près les organes de la génération; la verge des mâles 
a, dit-on, un os dans son intérieur, comme beaucoup 
de mammifères, et notamment les chiens; leur 
queue horizontale est le plus ordinairement bilobée, 
c’est-à-dire échancrée au milieu, et rarement en- 
tière et en croissant. 


La plupart des particularités anatomiques que 
nous avons rapportées dans notre début conviennent 


() L'existence des nageoires sur le dos des cétacés de 
la famille des dauphins doit être peu importante dans 
l'organisation de ces animaux; aussi observe-t-on 
qu’elles manquent naturellement dans beaucoup de 
genres, et que même très souvent elles sont mutilées, 
déchirées complétement chez plusieurs individus des 
espèces qui en sont munies; les nageoires dorsales des 
dauphins ne sont donc que des replis de la peau, rem- 
plis par du lissu cellulaire , et qui forment à leur partie 
antérieure un rebord un peu plus épais : la forme de ces 
nageoires est le plus ordinairement celle d'un triangle 
aigu plus ou moins recourhé et aminci vers le bord pos- 
térieur. Ces nageoires adipeuses dorsales s'abaissent 
même chez les cachalots pour être remplacées par des 
bosses graisseuses qui s’effacent tout-à-fait sur le dos 
des baleines et des delphinaptéres. 


DES MAMMIFÉRES. 


aux dauphins; aussi nous n'y reviendrons point : 
nous remarquerons, d’après M. de Blainville (Nouv. 
Dict. Hist. nat.,t. 19, p. 142, 2e édit.), qu'on 
n’observe aucune trace de poils proprement dits sur 
la peau de ces cétacés ; mais que les fibrilles sont 
réunies par couches perpendiculaires, et semblent 
être une certaine modification des poils et en tenir 
lieu. Tous les organes des sens spéciaux ont atteint 
lc plus grand degré de modification aquatique. Les 
poumons n'ont rien de remarquable, si ce n’est 
leur étendue et leur non-division Le système vas- 
culaire veineux est extraordinairement développé, 
surtout sous la peau et à la base de la tête. On y 
trouve de vastes sinus qui établissent de nombreuses 
communications entre toutes les veines de ces par- 
ties du corps, et la grande quantité de sang qu’on 
trouve dans les canaux veineux fait présumer, dit 
M. de Blainville, que la cause de la mort de ces 
animaux, lorsqu'on les tire de l’eau, est une véri- 
table apoplexie cutanée. De cet excès de sang vei- 
neux, presque noir, qui circule peut-être même dans 
le système artériel, résultent la couleur bleuâtre et 
très foncée des muscles, la grande abondance de 
graisse sous-cutanée, et peut-être quelque différence 
dans le degré de chaleur. C’est encore à la modifi- 
cation profonde qu'ont reçue ces animaux aquati- 
ques, qu’il faut attribuer leur accouplement ventre 
à ventre, quoique sur le côté, en s’entrelaçant par 
les nageoires pectorales, et le mode d'allaitement 
par lequel le fœtus qui naît déjà capable de nager, 
est disposé en sens inverse de la mère, ou de la 
tête à la queue. M. de Blainville combat en outre 
l'explication qui admet que les cétacés en saisissant 
leur proie rejettent l’eau qu'ils avalent par leurs 
évents. A ce sujet il dit : « L'opinion reçue jusqu'ici 
» est que c’est dans la déglutition des aliments 
» solides que cette eau est introduite dans la cavité 
» buccale, et que, pour que l'estomac n’en soit pas 
» gorgé, elle est successivement remontée le long 
» du canal aérien, accumulée dans les poches de 
» l’ouverture extérieure des narines, et enfin éja- 
» culée avec plus ou moins de force par l’action 
» des fibres musculaires qui entourent ces poches 
» et qui agissent sur elles. Mais tout cela paroît fort 
» difficile à admettre : d’abord, on sait que la pyra- 
» mide du larynx est fortement serrée par l’espèce 
» de sphincter que forment autour d’elle les muscles 
» du voile du palais, et que par conséquent il est 
» difficile, pour ne pas dire impossible, que l’eau 
» vienne par là ; secondement, dans la déglutition 
» de l’eau, animal ne peut tout au plus rendre que 
» la petite quantité de fluide qui se trouve remplir 
» dans sa bouche la place qu’occupe le bol alimen- 
» taire, et, en effet, on voit le phoque très bien 
» avaler sa proie dans l’eau sans être obligé de re- 
» jeter ce flnide ; troisièmement, il est bien certain 


ÿ 


597 


» que la membrane qui tapisse les poches nasales 
» n'indique nullement une disposition niune struc- 
» ture propre. à l’usage qu'on veut lui attribuer; et 
» enfin l’on sait, par des observations directes, que 
» c’est dans l’expiration que cette éjection de l’eau 
» a lieu, et que l’air qui sort avec elle est extrême- 
» ment infect, ce qui dénote qu’il a été long-temps 
» conservé dans l'organe pulmonaire, en sorte qu’on 
» pourroit penser que ce jet, qui paroît proportionné 
» à la quantité d’air contenu dans les poumons, est 
» formé dans l'expiration par l’eau qui se trouve au- 
» dessus de l’orilice des narines. » 

Nous sommes redevables à M. Cuvier d’une étude 
approfondie des parties osseuses des dauphins. Nous 
extrairons textuellement les passages de ce natura- 
liste, qui se lient directement à notre sujet : « Dans 
» les dauphins, le crâne est très élevé, très court, 
» très bombé en arrière ; la crête occipitale entoure 
» le haut de la tête , et descend de chaque côté sur 
» le milieu des crêtes temporales qui se portent 
» beaucoup plus en arrière qu’elle. Cette face occi- 
» pitale, si grande et si bombée, est formée par l'os 
» du même nom, par l’interpariétal et par les parié- 
» taux , qui s’unissent tous de très bonne heure en 
» une seule pièce. Les pariétaux descendent de cha- 
» que côté de la tempe entre le temporal et le frontal, 
» etils yatteignent au sphénoïde postérieur. Enavant 
» et en dessus, ces pariétaux se terminent derrière 
» Ja crête occipitale, et les maxillaires, s’en rap- 
» prochant beaucoup de leur côté, ce qui paroît du 
» frontal à l’extérieur ne représente qu’un bandeau 
» fort étroit qui traverse sur la tête de droite à 
» gauche, et paroît se dilater à chaque extrémité 
» pour former le plafond de chaque orbite; mais 
» quand on a enlevé le maxillaire, qui double en 
» dessus et ce plafond et presque toute la face an- 
» térieure du crâne, on voit que le frontal est en 
» réalité plus large qu’il ne paroît à l'extérieur. 

» Les deux os du nez sont deux tubercules ar- 
» rondis enchàâssés dans deux fosses du milieu du 
» frontal, et au devant desquels les narines s’en- 
» foncent verticalement. La face postérieure et ver- 
» ticale de ces narines est la lame cribleuse de 
» l’ethmoïde, mais qui a peu de trous : trois ou 
» quatre , mais quelquefois moins. Le reste du con- 
» tour intérieur des narines appartient aux maxil- 
» laires; leur cloison est le vomer, qui tient à 
» l’ethmoïde comme à l'ordinaire. Les maxillaires, 
» en effet, après avoir formé le long museau, ar- 
» rivés au voisinage des orbites, s’élargissent, cou- 
» vrent d’une lame large et dilatée le plafond que 
» le frontal donne à ces cavités et toute la face an- 
» térieure du frontal, excepté ce petit bandeau 
» qu'ils laissent paroître le long de la crête occipi- 
» tale. Ils viennent ainsi toucher aux os du nez. Les 
» deux intermaxillaires forment le bord externe et 


598 
» antérieur de l'ouverture nasale , et descendent sur 
» et entre les deux maxillaires jusqu’à la pointe du 
» museau, où ils se remontrent même en dessous ; 
» mais ls maxillaires s’y montrent un peu entre 
» eux, dans le haut, près des narines. Cependant 
» ce n’est pas le frontal qui forme en entier la face 
» inférieure du plafond de l'orbite; la partie anté- 
» rieure est faite par un os plat et irrégulier, recou- 
» vert en dessus, comme le frontal, par le maxil- 
» aire: cet os, qui est le jugal, donne de son angle 
» antérieur une apophyse grêle et longue qui se 
» dirige en arrière, et va s’articuler à l’apophyse 
» zygomatique du temporal; ce filet mince est la 
» seule limite osseuse de l’orbite en dessous. L’apo- 
» physe zygomatique du temporal s’unit à l'apo- 
» physe postorbitaire du frontal pour limiter l'orbite 
» en arrière, d’où il arrive que toute l’arcade zygo- 
» matique proprement dite appartient au temporal. 
» Ce dernier os est peu étendu dans la tempe, etse 
» termine à la crête temporale, en sorte qu’il ne pa- 
» roit point dans l’occiput. En dessous, l’occipital 
» latéral et le basilaire produisent des lames sail- 
» Jantes, qui, s’unissant à la continuation de l’aile 
» ptérygoïdienne et à une lame du temporal, com- 
» posent une sorte de voûte sous laquelle sont sus- 
» pendus, par des ligaments, le rocher et la caisse 
» qui se soudent ou s’engrènent promptement en 
» une seule pièce. Le pariétal, après avoir passé 
» derrière le temporal , vient prendre part à cette 
» voûte. Le temporal lui-même se trouve donc 
» presque étranger à la composition du crâne, ne 
» servant qu’à boucher quelques petits trous restés 
» au pariétal. C’est un commencement de la sépa- 
» ration qu’il éprouve dans les classes inférieures. 
» La partie de ces crêtes qui borde de chaque côté 
» la région basilaire fait ressembler cette région à un 
» large canal. Dans le fond de l’orbite on voit les 
» deux sphénoïdes placés comme à l'ordinaire. Le 
» postérieur touchant au temporal, au pariétal et au 
» frontal, l’antérieur au postérieur, au frontal, à 
» l’apophyse ptérygoïde interne; mais ce qui est 
» très particulier, c’est la forme et Ja composition 
» des bords des arrière-narines. Les maxillaires 
» étant prolongés en un museau aplati et les dents 
» finissant avant l’orbite, le maxillaire n’est pas au 
» plancher ni aux parois antérieures ou latérales de 
» celte cavité, mais à son plafond, comme y est aussi 
» le jugat ; il complète le bord interne de ce plafond. 
» De tout le contour postérieur de la face inférieure 
» ou palatine de ces maxillaires part une sorte de 
» pyramide quadrangulaire, dont la base est fra- 
» versée verticalement par les narines, et dont le 
» reste de l’espace est creux ou contenu entre deux 
» lames ouvertes en arrière. Ce sont des espèces de 
» doubles parois qui entourent l’ouverture posté- 
» rieure des narines. Elles sont composées des apo- 


Ÿ 


> 
Ÿ 


HISTOIRE NATURELLE 


physes ptérygoïdes internes et des palatins qui se 
replient pour former la base de cette double paroi, 
et le plafond en est complété par le maxillaire 
auquel il s'articule. 

» Quant à l’apophyse ptérygoïde interne, elle se 
recourbe seulement en S. Une de ses courbures 
s'articule extérieurement au palatin pour prolon- 
ger la paroi inférieure et externe; l’autre s’unit à 
l’autre arc du paialin , et se continue ensuite sur 
le sphénoïde antérieur, pour s’articuler au vomer 
et compléter ainsi la partie interne de cet entou- 
rage de l’arrière-narine ; d'où il résulte que le 
bord tont entier de l’arrière-narine, sauf le vomer, 
appartient, comme dans les fourmiliers, à l’os 
que nous avons toujours appelé apophyse ptéry- 
goïde interne. Ce que le dauphin a de particulier, 
c’est ce grand sinus intercepté entre les deux pa- 
rois de ce bord. Cet os ptérygoïde interne reste 
toujours distinct. Le sphénoïde postérieur se sonde 
au basilaire beaucoup plus tôt qu’au sphénoïde 
antérieur; je l’y trouve même soudé dans certains 
fœtus avant tous les autres os. Ce dérangement 
presque absolu de tous les os a beaucoup changé 
la direction des trous. Au lieu de trou incisif, il y 
a un long canal qui règne entre les deux maxil- 
laires et les intermaxillaires, depuis le bout du 
museau jusqu'aux norines , près desquelles il se 
bifurque. Il faut chercher le trou sous-orbitaire 
au plafond de l'orbite, où il représente une cavité 
ouverte en dessous, de laquelle partent, dans di- 
verses directions , des canaux qui vont s'ouvrir à 
la face supérieure des maxillaires et des inter- 
maxillaires, non pas au-dessous, mais en dessus 
et vis-à-vis de l'orbite. Je ne trouve ni os ni trou 
lacrymal. Tout-à-fait dans un creux, en avant de 
l'orbite, entre le maxillaire, le vomer, et une 
pointe du palatin, est un petit trou qui monte 
dans la narine, et qui présente le sphéno-palatin. 
Je re vois, pour répondre au plérygo-palatin, 
qu'un petit trou sur la jonction du palatin au 
maxillaire, dans le palais, lequel donne dans le 
sinus placé de chaque côté des narines postérieu- 
res. Le trou optique est médiocre, et dans le sphé- 
noïde antérieur comme à l'ordinaire. Le trou 
sphéno-orbilaire, entre les deux sphénoïdes, fait 
aussi l’office du trou rond. Il y a ensuite un trou 
ovale dans le sphénoïde postérieur , et plus inté- 


» rieurement dans le même os un trou pour un 


vaisseau. Une ouverture entre le temporal, loc- 
cipital latéral, le basilaire et le sphénoïde posté- 
rieur, laisse passer les nerfs de l'oreille pour se 
rendre au rocher. En avant d’elle, et fort près, 
est le trou carotidien. Dans le basilaire, et dans 
une échancrure des bords de cette voûte de l’o- 
reille dont nous avons parlé , est le trou condy- 
loïdien, fort petit. C’est le bord postérieur de cette 


DES MAMMIFÉRES. 


» espèce de voûte qui tient lieu de toute apophyse 

» mastoïde. A l’intérieur, la cavité cérébrale est 
_» bien remarquable, en ce que sa hauteur surpasse 
» sa longueur. Le plancher en est très serré. La selle 
» se marque peu. Les fosses cérébelleuses sont les 
» plus creuses ; il y a souvent une tente osseuse très 
» Saillante à son milieu ; la faux est toujours osseuse 
» en arrière; mais il n’y a point de crête de coq. et 
» à peine aperçoit-on quelques petits trous à la 
» lame cribleuse. Le rocher et la caisse, comme 
» nous l'avons déjà indiqué, ne se joignent au crâne 
» par aucune suture , et n’y sont pas même enchâs- 
» sés, mais seulement suspendus par des ligaments 
» sous l'espèce de voûte dont nous avons parlé. Ils 
» se réunissent de bonne heure en un seul os de 
» l'oreille. Les condyles occipitaux sont grands, 
» mais peu saillants. Le trou, dirigé tout-à-fait dans 
» l’alignement de la tête, est presque circulaire. Il 
» est à remarquer que l’on ne trouve jamais de sy- 
» métrie complète dans les têtes de dauphins; les 
» deux narines, les deux os du nez, et les parties 
» adjacentes, ne m'ont jamais semblé égales comme 
» dans les autres mammifères ; ce qui nous conduit 
» à l’extrême inégalité de ces parties, que nous ob- 
» serverons dans les cachalots. » 

Un dauphin du genre marsouin, dont nous exa- 
minâmes l’organisation, nous présenta les circon- 
stances suivantes : Le tissu cellulaire formoit une 
couche d’un pouce d'épaisseur autour de l'animal, 
dont la longueur totale étoit de huit pieds. Les 
chairs étoient noires, assez abondamment gorgées 
de sang. L’estomac se composoit de trois capacités, 
dont la première éloit de forme ovoïde, irrégulière 
et tapissée d’une n'embrane muqueuse très blan- 
che, mais garnie de froncures considérables et nom- 
breuses. La seconde cavité stomacale communi- 


quoit avec la précédente par une ouverture étroite. 


et ronde ; elle étoit également tapissée par une mu- 
queuse ridée , mais de couleur noirâtre très foncée. 
Le troisième estomac étoit lui-même renflé, long de 
huit pouces , et donnoit naissance aux intestins grê- 
les , tapissés par une muqueuse interne très char- 
gée de valvules , et dont l’ensemble formoit un tube 
étranglé de distance en distance, long de cinquante- 
six pieds, et s’élargissoit un peu pour aboutir au 
rectum. L'intérieur de l'estomac étoit rempli de 
débris d’aliments à demi décomposés , et qui tous 
consistoient en poulpes et en poissons volants. Des 
vers lombrics adhéroient fortement à ses parois. Les 
reins étoient composés de lobules cunéiformes, réu- 
nis lächement entre eux, entourés par un réseau 
membraneux. Le cœur étoit volumineux; les pi- 
liers de ses ventricules étoient d’une grande force. 
Les poumons n'étoient formés que de deux lo- 
bes volumineux, dont le droit envoyoit un mince 
repli vers celui de gauche, et sous lequel le cœur 


999 
étoit complétement caché. Le parenchyme de ces 
viscè es étoit assez compacte et de couleur rouge 
foncée. La verge, très grosse à sa base, se termi- 
noit en pointe aiguë ; elle étoit logée dans un sil- 
lon profond placé sous l’abdomen, d’où elle doit 
sortir dans l'érection. Si de l’organisation profonde 
nous passons à la surface du corps, nous verrons 
que l’enveloppe luisante qui en revêt les contours 
est partout également tendue, également brillante, 
et que tout en elle retrace le poli des métaux. Les 
couleurs qui sont propres aux dauphins sont gé- 
néralement le bleu noir et ses teintes dégradées, 
ou la couleur blanche, dont la pureté et l'aspect 
sont analogues à l’éclat du satin, ou rejettent la lu- 
mière comme l'argent travaillé et poli. Cette sua- 
vité de teinte est l’attribut de l’existence ; elle pa- 
roît entretenue par une couche huileuse de nature 
spéciale, qui lubrifie l’épiderme et le rend imper- 
méable à l’action prolongée de l’eau; car n'est-ce 
pas cette couche huileuse qui conserve chez Îles 
poissons cette fleur de vie si fugace qui colore leurs 
écailles de toutes les nuances du prisme, et que ne 
tarde pas à perdre l’animal sorti de l'élément hors 
duquel il ne peut plus vivre? En mourant, les dau- 
phins aussi perdent ces couleurs de velours ou d’ar- 
gent qui constituoient leur unique parure, et un 
jaune huileux , fonçant de plus en plus ses teintes, 
remplace l’éclat qui s’est évanoui pour toujours. 
Les femelles des dauphins reçoivent dans l’ac- 
couplement les mâles en les serrant entre leurs na- 
geoires. On dit que la gestation est de dix mois, et 
que la conception a lieu dans l'automne ; on assure 
aussi qu’elles ne font qu’un petit ou deux à cha- 
que portée, et que la mère surveille avec sollici- 
tudé leurs mouvements, les faconne ou les habitue 
à la natation , protége leur inexpérience , les guide 
jusqu’au moment où ils peuvent se conduire par 
eux-mêmes. Ce n’est qu’en se penchant sur le côté 
que les jeunes dauphins saisissent le mamelon du 
sein de leur nourrice, et qu’ils y puisent un lait onc- 
tueux , de couleur bleuâtre, maïs très nourrissant. 
On a supposé que ces cétacés pouvoient vivre de 
vingt à trente ans : sur quelles observations appuie- 
t-on cette opinion ? nous l’ignorons complétement. 
Il parait plus avéré que les dauphins choisissent 
pour théâtre de leurs amours, ou pour mettre au 
jour leurs petits, des havres isolés et abrités des 
vagues de la haute mer, des lieux enfin où l’eau est 
pais ble, la température plus convenable pour les 
nouveaux-nés , et les vivres faciles à se procurer. 
Les mœurs des dauphins n’ont rien de cette dou- 
ceur et de cette générosité qu’on leur accorde : ce 
sont les êtres les plus voraces, les plus gloutons, 
les plus belliqueux de tous les cétacés. Ils sont réu- 
nis presque constamment par troupes immenses, 
traversent de vastes espaces de mer, et poursuivent 


600 
les poissons parmi lesquels ils portent les ravages 
et Ja mort. Souvent aussi, s’avançant en ligne et de 
front, ils barrent l'embouchure de quelque rivière, 
remontent ses eaux, et saisissent au passage ceux 
qui descendent vers la mer et qu’entrainent les 
courants. La nourriture des cétacés dont nous par- 
lons consiste principalement en poissons et en mol- 
lusques, et surtout en céphalopodes ; quelques es- 
pèces attaquent la baleine avec fureur, et sont ses 
ennemis les plus acharnés et les plus redoutables ; 
d’autres s’accommodent de ptéropodes, d’ascidies, 
et fréquentent les parages où ces petits animaux se 
trouvent en même temps que les baleines qui s’en 
nourrissent également ; et c’est pour cela qu'on les 
regarde comme en étant les avant-coureurs. 

Le nombre des dauphins inconnus doit être très 
grand. Ceux qu’on à décrits dans ces dernières an- 
nées, joints à quatre ou cinq qui figurent dans nos 
anciens traités d'histoire naturelle, se réduisent à 
une vingtaine d'espèces à peu près certaines. Mais 
on sait toutefois que chacune d’elles ne quitte guère 


les parages qui lui sont propres, et que toutes dif- | 


férent suivant les degrés de latitude et les divers 
océans où on les trouve. Ainsi l'hémisphère austral 
possède des espèces différentes et que n’a point l'hé- 
misphère boréal, ainsi les dauphins de la mer du 
sud ne sont point ceux de l’océan Atlantique ou de 
la Méditerranée. Certaines espèces vivent exclusi- 
vement dans les eaux douces des fleuves, tandis 
que d’autres ne quittent pas les rivages ou se tien- 
nent dans les eaux moins profondes des détroits ; il 
en est enfin qui ne se plaisent que dans les espaces 
les plus isolés des grands océans, loin des terres et 
par de hautes latitudes. 

Les dauphins vont rarement par petites trou- 
pes ; ils aiment à se réunir au contraire par bandes 
nombreuses, jouer ou folâtrer lorsque la faim ne 
les aiguillonne point, et se livrer à mille jeux qui 
 consolent le voyageur de l’ennui inséparable des 
longues navigations. À ce sujet nous rappellerons 
ce que nous avons écrit sur les dauphins dans la 
zoologie de notre voyage (!). Les navigateurs ont cha- 
que jour sous les yeux des troupes nombreuses de 
cétacés dont les rapides évolutions ne permettent 
point de considérer leurs formes à loisir ; et ce n’est 
jamais que d’une manière très rapide qu’ils peu- 
vent s'en former une idée. Cette famille seroit tou- 
tefois bien intéressante à étudier ; elle fourniroit un 
grand nombre d'individus à décrire, si des obstacles 
presque insurmontables ne s’y opposaient; mais 
pendant long-temps encore il faudra nous borner à 
des aperçus. Écrivant pour ceux qui nous suivront 


(") Zoologie du Voyage autour du Monde de la cor- 
vette de S. M. la Coquille, in-4°, p. 177 ct suiv., avec 
fig. coloriées in-fol. 


HISTOIRE NATURELLE 


un jour dans ces espaces immenses de mer où les 
tribus nombreuses de dauphins errent sous des la- 
titudes qui leur conviennent, nous rapporterons 
quelques unes des remarques que nous avons faites 
dans ces journées si longues où le voyageur, flot- 
tant entre le ciel et l’eau , n’a pour récréer ses re- 
gards qu’un horizon sans bornes , ou parfois la vue 
de quelques êtres qui viennent animer un instant 
ces vastes solitudes (1). 


{‘) Nous avons dit que les dauphins ne rejetoient ja- 
mais d’eau par ieurs évenis à une certaine hauteur, et 
que le liquide avalé ruisseloil seulement sur les bords 
de ces canaux. Cela tient au peu d'épaisseur qu'ont les 
plans musculaires qui surmontent le canal osseux; car 
nous avons examiné pendant des heures entières des 
espèces trés différentes de dauphins jouant autour de 
notre vaisseau, sans que jamais nous ayons aperçu la 
moindre colenne de vapeur ou d'eau jaillir de l'ouver- 
ture supérieure de l'évent. A ce sujet nous citerons le 
passage suivant de MM. Quoy et Gaimard. «Tous les cé- 
» tacés ne rejettent pas habituellement de l’eau par leurs 
» évents. On n’aperçoit que très rarement les dauphins 
» produire cet effet; nous allions dire jamais, parce que 
» nous ne l’avons point vu dans des centaines qui se 
» sont offerts à nos regards ; mais Spallanzani l’a remar- 
» qué, et de très prés, en allant de Lipari à Stromboli; 
» or, quand un observateur tel que l'illustre professeur 
» de Pavie avance un fait, il est interdit de n’y pas 
» croire. Ces animaux nous fourniront la preuve la plus 
» convaincante et la plus irréfragable à opposer à l’opi- 
» niôn de M. Scoresby* : car sans aucun doute, si le jet 
» visible étoit composé simplement d’air et de mucus 
» condensés, les marsouins qui, dans nos contrées, 
» viennent souvent respirer à la surface de la mer, émet- 
» troient cette vapeur sous une forme analogue, et pro- 
» portionnellement à leur grandeur; mais il n’en est 
» rien : les personnes qui habitent les bords de la mer 
» ou des grands fleuves à leur embouchure, et qui voient 
» très fréquemment des troupes de ces animaux, peu- 
» vent bien, lorsqu'elles sont assez prés, entendre le 
» bruit qu'ils font en respirant (ron/fler comme un mar- 


‘» souin es! passé en proverbe parmi les matelots); mais 


» jamais elles n’ont remarqué qu’il s'échappät de vapeur 
» apparente de leur évent; bien plus, en hiver,temps où 
» cette émission doit étre naturellement sensible à la 
» vue, nous n'avons pu rien distinguer de semblable. 

» Et pourquoi, par exemple, si c’étoit à la respiration 
» seule que cet effet dût être attribué, ne l’eussions- 
» nous pas observé chez les dauphins dans les mêmes 
» parages où nous voyions de grands cétacés le pro- 
» duire? On ne peat pas nous objecter l’éloignement où 
» ces dauphins étoient de nous, car c’est sous la proue 
» que nous nous plaisions à les étudier. Le bruit qu'ils 
» font, quand ils viennent respirer à la surface, a du 
» rapport avec celui d’une fusée qui part. Jamais dans 
» ces circonstances nous n'avons vu la moindre appa- 
» rence de vapeur au-dessus de leur tête, ni le jet d'eau 
» observé une fois par Spallanzani dans la Méditerra- 
» née, et par M. de Humboldt, à l'égard des marsouins, 
» dans les eaux douces de l’Orénoque, à plus de trois 
» cents lieues de son embouchure. 

» Il faut donc admettre que ces agilesanimaux ne sont 


* Cette opinion étoit aussi celle d'Eggéde, 


DES MAMMIFÈRES. 


En général les dauphins , quelle que soit leur es- 
pèce, paroissent se plaire à lutter de vitesse avec 
les navires qu'ils rencontrent, lorsqu'un vent fa- 
vorable fait faire à ceux-ci un sillage rapide, et que 
l'étrave brise les vagues qui rejaillissent en nappes 
écumeuses, parfois étincelantes par une vive phos- 
phorescence; leurs prompts mouvements, leurs 
sauts hors de la mer, leur manière de nager en fen- 
dant l’eau avec la rapidité d’une flèche, contri- 
buent à former de leur existence un tableau auquel 
le matelot, même le plus grossier, n’est jamais in- 
différent. Après avoir suivi un instant le navire, 
avoir formé mille cercles à l’entour, il est rare que 
tous les dauphins ne disparoïissent point à la fois en 
prenant une autre direction. Les marins croient 
qu'ils sont les précurseurs des mauvais temps, et 
qu'ils ont pour habitude de se diriger du côté d’où 
soufle le vent. 

A ces détails sur les dauphins nous ajouterons les 
observations que MA. Quoy et Gaimard ont publiées 
dans la partie zoologique du Voyage autour du 
Monde de la corvette l'Uranie; l'amitié qui nous lie 
à ces deux voyageurs nous fait un devoir de con- 
server leurs propres expressions, « Tout le monde 
» connoît l'allure de ces animaux, lorsqu'ils chassent 
» à l'embouchure de nos fleuves. [ls vont de compa- 
» gnie en nageant plusieurs de front, ou par couple 
» à la queue les uns des autres. Mais ce qu’il y à de 
plus remarquable, ce sont les longues ondulations 
» qu'ils décrivent, semblables à celles d’une mer 
» qui cesse d’être agitée; de sorte que, lorsque la 
» partie supérieure de leur corps paroiît à la surface; 
» comme on n’aperçoit qu'une portion de la courbe 
» qu'il décrit, il semble vraiment que l'animal, en 
» s’enfonçant dans l’eau, tourne sur lui-même comme 
» une roue. Il n’en est plus ainsi lorsque, jouant au- 
» tour d’un vaisseau, qui cingle à pleines voiles, ils 
» veulent le dépasser ; alors ils filent droit, et font 
» même quelquefois des bonds en l'air. Dans ces di- 
» verses évolutions, M. Gaudichaud a remarqué que 
» deux dauphins, se tournant de côté, s’accoloient 
» par le ventre et nageoïent ainsi un court instant. 
» S'accouploient-ils? ou bien, ce qui seroit plus pro- 
» bable, sont-ce de simple préludes d’accouplement ? 
» c’est ce qu’on ne peut pas déterminer, Comme dans 
» ces violents exercices ils sont obligés de faire une 
» grande dépense de forces, et que leur sang circule 


Ë 


» point organisés pour renvoyer l’eau par les voies de la 
» respiration aussi souvent que le font d’autres cétacés. 
» Ces jets, il faut le dire aussi, sont bien éloignés de 
» l'idée qu’en donnent certaines gravures : ce sont uni- 
» quement de petites nuées d’air et d’eau retombant 
» en pluie fine, absolument comme quand on s’est rem- 
» pli à moitié la bouche de quelque fluide, qu'on y fait 
» arriver de l'air, et qu’on chasse le tout avec violence.» 
(Zoologie de l'Uranie, pag. 79 et 80.) 
I. 


6of 


» avec beaucoup plus de vitesse, ils viennent fré- 
» quemment respirer à la surface. 

» Lorsque, parcourant l'Océan, ‘es dauphins aper- 
» çoivent un navire, il est presque certain qu'ils 
» viendront rôder autour un instant, et continueront 
» ensuite leur route. Ils disparoïitront très vite, si 
» un de leurs compagnons blessé teint la mer de son 
» sang (1). Mais il n’est pas vrai, comme on l’a 
» avancé, qu’ils recherchent l'ombre des vaisseaux 
» pour se soustraire à l’action des rayons du soleil, 
» et que, dans ce but, ils accompagnent les flottes 
» qui font alors, pour eux, l'effet d’une forêt. Ce sont 
» des histoires faites à plaisir, et que maintenant de 
» sévères observations ne permettent plus d’admet- 
» tre; huit fois au moins sur dix qu’on rencontrera 
» de ces animaux, le vent sera fort, le ciel couvert 
» de nuages, et l’on remarquera que c’est presque 
» toujours le matin et le soir, souvent même la nuit, 
» qu’ils se plaisent autour des navires. 

» Soit qu’on ait réellement reconnu qu’ils aiment 
» Ja musique, soit que les agréables fictions de la 
» Grèce exercent sur l’imagination des navigateurs 
» Ja même influence dans l’Gcéan que jadis dans la 
» Méditerranée, toujours est-il vrai que, dès que les 
» matelots apercoivent des dauphins, ils sifflent 
» pour les attirer. Très souvent nous les avons vus 
» employer ce moyen, sans avoir remarqué qu’il pro- 
» duisit quelque effet sur ces animaux. 

» Les dauphins vivent de poissons. Nous avons 
» pêché des muges qui, ayant échappé à leurs dents 
» aiguës, survivoient à de larges blessures avec 
» perte de substance. Els paroissent très friands de 
» sèches, dont ils ne mangent que la tête et les ten- 
» tacules (?). » 

Nous avons déjà dit que les dauphins se Jivroient 
de rudes combats. Comme tous les autres animaux, 
ils ressentent la haine et ses fureurs, et se disputent 
avec acharnement leurs proies, ou leurs femelles 
peut-être. Les blessures qu’ils se font sont profondes, 


{r) C’est aussi ce que nous avons toujours remar- 
qué. M. de Fleurieu affirme toutefois le contraire, et dit 
que lorsqu'un danphin, dangereusement blessé, brise le 
harpon et retombe à ja mer, ceux qui l'entourent se 
jetient sur lui et le mettent en piéces bien avant qu’il 
soit mort. Ce fait nous paroît mériter de nouvelles ob- 
servations. 

(2) Étant en 1813 sur le vaisseau Le Régulus, dans un 
endroit de la côte appelée le Pertuis de Maumusson, 
entre l'ile d'Olcron et la Tremblade, un courant venant 
de la haute mer nous apportloit chaque jour, dans les 
mois d'avril et de mai, des milliers de séches récem- 
ment privées de la tête et de leurs tentacules; ces sè- 
ches formoient des bancs si épais que les quatre cents 
hommes de l'équipage en desséchoient la chair et s’en 
nourrissoient. Les pêcheurs nous assurérent que les 
marsouins occasionnoient ce dégât parmi ces mollus- 
ques, et qu'ils rcjetoieut le corps à cause de l'axe cal- 
caire qu'il renferme, 

76 


602 


mais elles guérissent rapidement, car souvent nous 
avons vu de vieux individus dont la peau étoit cou- 
verte de cicatrices qui attestoient leur humeur que- 
relleuse, et nous remarquâmes que très fréquem- 
ment leurs nageoires dorsales, surtout, éloient 
tronquées ou mutilées à la suite des morsures qu’ils 
avoient reçues. 

Nous ne nous appesantirons pas davantage sur les 
mœurs des dauphins. Ce que nous en savons est trop 
vague pour essayer d’en former un tableau suscep- 
tible d’attacher par un intérêt de détails. Le petit 
nombre de renseignements qui ont été publiés sur 
plusieurs espèces sera plus naturellement placé à la 
suite des descriptions de chacune d'elles. 

L’atilité que l'espèce humaine retire des dauphins 
n’est point à citer. Leur chair compacte, noire et 
indigeste, ne doit paroitre savoureuse qu'aux misé- 
rables peuplades qui vivent sur les limites du pôle, 
ou peut-être aux marins dont le palais est fatigué 
par les salaisons de bord, ou aux navigateurs que 
les tempêtes ont jetés sur les écueils de quelques 
terres abandonnées, ou sur les glaces flottantes du 
Labrador ou du Spitzberg. La quantité d'huile qu’on 
pourroit en retirer n’est pas assez considérable pour 
engager les Européens à se livrer à leur pêche. Les 
dauphins d’ailleurs, par leur agilité, le petit volume 
de leur corps, leur force musculaire, ne seroient 
point aisés à harponner ou à prendre dans les filets. 
C'est donc bien gratuitement que M. Noël n’avoit 
vu, dans les vieilles chartes qui régloient l’associa- 
tion des walmans, qu'un témoignage relatif à Ja 
pêche des marsouins : cette idée assez légèrement 
établie, par un homme d’aiileurs très instruit dans 
l’histoire des pêches chez les peuples anciens et mo- 
dernes, a été combattue par M. Cuvier avec d’autant 
plus de force, que M. Noël, versé dans les lingues 
du Nord, ne pouvoit ignorer que tous les peuples 
qui les parlent appeloient wat, ou se servoient des 
dérivés de ce mot pour désigner ce que les anciens 
et nous, en parlant des baleines et des dauphins en 
général, nommons cétacés. Les baleines d’ailleurs, 
et Rondelet affirme ce fait, alors comme aujour- 
d’hui, n’étoient pas rares sur nos côtes ; et si les 
dauphins étoient recherchés comme aliment, c'étoit 
plutôt à une époque où la délicatesse de la table 
n'avoit pas fait de grands progrès, et surtout parce 
qu’on pouvoit se mortifier et faire maigre, tout en 
mangeant leur chair. Nous ne croyons pas cepen- 
dant qu’on en ait jamais fait une grande consom- 
mation (1). 


(1) A cet égard nous nous appuierons du témoignage 
de Rondelet qui dit, pag. 350 : « Je me suis souvent es- 
» bahi qu'on servoit du dauphin aux tables des grands 
» seigneurs, veu la mauvaise odeur qui deveroit effacer 
» la bonté de la viande si aucune y en avoit. En Langue- 
» doc, à peine le menu peuple, voire les laboureurs, en 


HISTOIRE NATURELLE 


Ce que les dauphins fournissent de plus remar- 
quable , et dont la découverte, faite en 1817 et 1818, 
appartient à M. Chevreul, qui a tant éclairé la com- 
position des corps gras, est l'huile animale (‘) que 
ce savant chimiste a nommée phocénine, parce qu’il 
l'a positivement retirée du marsouin ou phocæna 
des naturalistes. 

La phocénine est liquide à la température ordi- 
naire, et ne diffère point par son aspect de l’oléine, 
dont elle s'éloigne toutefois par la propriété qu’elle 
a de donner naissance à des acides volatils odorants, 
quand on la saponifie ou lorsqu'on la traite par la- 
cide sulfurique, qu’on lexpose à l’action de l’oxi- 
gène, ou qu'on la distille. M. Chevreul a trouvé que 
la phocénine, qu’il a obtenue en traitant de l’huile 
de marsouin par l'alcool à plusieurs reprises, de 
manière à en séparer la portion la plus soluble dans 
le liquide alcoolique, contenoit, sur cent parties de 
phocénine saponiliée, einquante-six parties d'acide 
oléique mêlé d’acide margarique, douze de glycé- 
rine, trente-deux environ d’acide phocénique. 

L’acide phocénique, suivant le même chimiste, 
est un acide organique qui se trouve non seulement 
dans l’huile de marsouin, mais encore dans les baies 
du viburnum opulus. Uni aux bases salifiables, il 
donne naissance aux sels nommés phocénates. 

L’acide phocénique est, sous les deux états, hy- 
draté et sec. Il a pour caractères d’être incolore, li- 
quide à neuf degrés, de n’entrer en ébullition qu’à 
une température supérieure à celle de cent degrés. 
Son odeur est très forte; sa saveur, d’abord piquante, 
devient sucrée ; il mouille le verre et le papier à la 
manière des huiles volatiles, et il les imprègne d’une 
odeur qui rappelle celle des vieilles huiles de mar- 
souin ; il est soluble en toutes proportions dans l’al- 
cool, et sa solution a une odeur éthérée. 5,5 parties 
d'acide phocénique hydraté se dissolvent dans cent 
parties d’eau, à la température de trente degrés. 
Les phocénates sont des sels formés de 400 parties 


» veulent-ils manger. Le dauphin é les autres cétacés 
» ont la chair dure, de mauvais suc, excrementense, de 
» mauvaise digestion, qui esmeut à vomir. On la sale, 
»on la cuit avec oignons, persil é autres semblables; 
» aucuns la rotissent é la mangent ayec l'orange, ou 
» avec sauce faite avec sucre 6 espices ; les autres la 
» rostissent sur le gril: les plus friandes parties sont le 
» foie 6 la langue; le foie est tendre, mais il engendre 
» mauvaise nourriture.» 

() L'huile des delphinus globiceps et phocæna que 
M. Chevreul a examinée, a été extraite du tissu qui la 
renferme, à la chaleur du bain-marie; sa couleur est lé- 
gérement colorée en jaune citron. Exposée à trois de- 
grés sous zéro, elle se réduit en une substance cristalli- 
sée, brillante, ayant beaucoup d’analogie avec la cétine; 
et à quelques degrés au-dessus de zéro l'huile est liquide 
el semble plus particuliérement formée de phocénine, 
d'oiéine et d'un peu d'acide phocénique. ( Thénard, 
Traité de chimie, t. IV, p. 500. 


DES MAMMIFERES. 


d'acide neutralisant, 82,77 de baryte, 57,58 de 
strontiane , 52,42 de chaux, 55,57 de potasse, et 
422,6 d'oxide de plomb, seules combinaisons que 
M. Chevreul ait étudiées. L’odeur des phocénates 
est celle de l'acide, et leur solubilité, dans l’état 
neutre, est très grande dans l’eau, en même temps 
qu'ils offrent la saveur de l'acide ou de la base. 

Les phocénates de baryte ne cristallisent que lors- 
que la solution est à l’état sirupeux. Ce n'est que par 
le moyen d’une haute température qu’on peut ob- 
tenir les cristaux isolés, dont la forme est difficile à 
caractériser, mais que M. Chevreul regarde comme 
étant voisin d’une octaèdre. 

Les phocénates de strontiane et de chaux cristal- 
lisent en prismes efflorescents. 

Le phocénate de potasse ne peut cristalliser à cause 
de son extrême déliquescence. Il en est de même du 
phocénate de chaux. 


= = 


\ Ier. 
LES BÉLUGAS. 


© On ne connoît qu’une seule espèce de béluga, que 
les auteurs ont décrite sous plusieurs noms, mais 
plus particulièrement sous celui de delphinaptère 
béluga. La forme qu’affectent les pièces osseuses ser- 
vira à établir des caractères génériques suflisants 
pour l’isoler des autres dauphins. 

Le crâne des bélugas (G. Cuvier, Oss. foss., t. V, 
p. 298) diffère notablement de celui des vrais dau- 
phins par un profil presque rectiligne, par une sar- 
face uniforme et sans concavités profondes sur les 
côtés : il est plus long qu’il n’est large, et il se ré- 
trécit en arrière. Les tempes sont plus allongées et 
leurs crêtes sont moins saillantes ; le museau se ré- 
trécit uniformément. 

De cette conformation anatomique , il résulte que 
les bélugas ont un museau obtus, conique, et qui 
n’est point séparé de la tête par aucune dépression : 
ils se distinguent en outre des dauphins, parce qu’ils 
n'ont point de nageoires, et des delphinaptères, 
parce que le museau de ceux-ci est eflilé, pointu, et 
sous forme de bec aplati. 


LE BÉLUGA DES RÉGIONS ARCTIQUES(1). 
Delphinus leucas. L. 


Le pôle boréal, entouré d’une ceinture de glaces 
qui s'élèvent en montagnes énormes, ou qui se dé- 


(‘) Delphinapterus beluga, Lacép., et catodon can- 
dicans, Lacép., delphinus albicans, Othon Fabricius, 
Faune du Groenland. 


603 
tachent en îles flottantes, lorsque les rayons du 
soleil placés à notre tropique en ont désagrégé les 
masses ; le pôle où semblent expirer toutes les pro- 
ductions terrestres, est la patrie d’an grand nombre 
de cétacés. La plupart vivent ou vivroient dans nos ‘ 
régions tempérées, si l’homme ne les avoit classés 
vers ces mers glacées qui n’ont pu les soustraire à 
ses poursuites. Ei n’en est pas de même du béluga : 
c’est par choix, c'est en veriu de son genre de vie 
qu’il n’abandonne point les climats refroidis du sep- 
tentrion; et si parfois il s’égare dans les mers de 
l'Europe tempérée, ce n’est jamais qu’accidentelle- 
ment qu’on en voit quelques individus isolés venir 
s’échouer sur les rivages du nord de l'Allemagne et 
de l’Ecosse. 

Les baleiniers ne harponnent point le béluga : ils 
dédaignent ses chairs rouges, que recouvre un tissu 
cellulaire presque fluide, sans consistance, et telle- 
ment mou que le harpon y pénètre sans effort, et 
peut en être retiré sans résistance ; mais ils ont un 
préjugé qui leur fait regarder le béluga comme l’a- 
vant-coureur des baleines ; et la vue de ce cétacé est 
pour eux l’heureux signal du début de la pêche. 
Vivant dans les mêmes parages, il n’est pas étonnant 
que ces deux espèces se montrent ensemble, et pour 
ainsi dire comme de compagnie. 

Il ne faut pas croire cependant que le béluga ne 
puisse être utilisé par le commerce européen. Un 
observateur exact, Eggède ( Descrip. et Ilist. nat. 
du Groenland, p. 35), s'exprime sur la bonté de ce 
cétacé dans des termes non équivoques. « Le poisson 
» blanc, Avtid-fiske, est, dit-il, mis au nombre des 
» baleines, à qui il ressemble beaucoup. Il n’a point 
» de nageoires sur le dos; mais en dessous il en a 
» deux grandes, et sa queue est semblable à celle de 
» la baleine. Il a un trou par où il souffle, et par où 
» il respire et jette de l’eau, avec une bosse comme 
» la baleine. Sa couleur tire sur un jaune blanchà- 
» tre. Il a communément depuis douze jusqu'à seize 
» pieds de longueur, et il est extrêmement gras. On 
» tire de son lard une huile aussi belle que la plus 
» belle huile d'olives (!). Sa chair n’a pas mauvais 
» goût, non plus que son lard, qui, quand il a été 
» mariné dans le vinaigre et le sel, est aussi bon que 
» la chair de cochon; les nageoires et la queue sont 
» aussi d’un assez bon goût, et quand on a eu soin 
» de les mariner. Cette sorte de poisson n’est pas 
» timide, car on le voit souvent se rendre en foule 
» autour des vaisseaux qui naviguent sur la mer. Les 
» Groenlandois s'appliquent beaucoup à sa pêche, 
» parce qu’il leur est d’une grande utilité. » 

Le béluga est nommé weis-fisch par Martens et 
par Anderson (Histoërenaturelle de l'Islande , etce., 


(") Anderson dit qu'on en oblient un ou deux ton- 
peaux; mais cette quantité nous parcit exagérée. 


604 
t. 11, p.448), et la description que ce dernier en 
donne est assez exacte, bien que peu étendue. Les 
baleiniers anglois le désigrent ordinairement par 
l'épithète de cétacé blane, white whale. 

Un individu fut pris en 1815 dans le golfe d’Edim- 
bourg ; il avoit treize pieds quatre pouces anglois 
de longueur, et neuf pieds de circonférence dans 
la partie la plus large. C'est d’après un dessin que 
M. Syme en avoit tracé que M. Scoresby en a publié 
une figure que nous reproduisons. 

Très commun dans les mers de l'océan Atlantique 
boréal, notamment dans la baie d'Hudson et dans 
le détroit de Davis, le béluga, qui remonte très fré- 
quemment dans les rivières, se trouve aussi, à ce 
que l’on assure, sur les rivages de l'océan Pacitique 
boréal ; car Stelier le mentionne, en le nommant 
bieluga, sur les côtes du K snisehalka, 

Les plus grandes dimensions que ce célacé puisse 
atteindre sont de dix-huit à vingt pieds. Sa tête est 
peu développée et conique ; les nageoires pectorales 
sont larges, épaisses et de forme ovalaire ; l'œil est 
petit, à iris bleuâtre ; l’orifice des évents est percé 
au milieu d’un mamelon arrondi et saillant, et se 
dirige un peu eu arrière ; l'ouverture du canal au- 
riculaire est presque imperceptible ; la bouche est 
médiocrement fendue; les mâchoires sont garnies 
de chaque côté de neuf dents ; celles-ci sont courtes, 
émoussées, distantes, et tombent communément à 
une certaine époque de la vie de l'animal. De leur 
chute complète ou partielle résultent les fluctuations 
de genres qu’a éprouvées le béluga; ellectivement 
on en fait une baleine quand toutes les dents sont 
tombées, et un cachalot quand celles de la mâchoire 
supérieure, qui se détachent les premières, vien- 
nent à manquer. 

La langue, comme chez presque tous les cétacés, 
est arrondie, courte, et fortement atlacace à la mà- 
choire inférieure. 

La femelle ne met au jour qu'un seul petit. Elle 
le soigne avec la plus vive tendresse, et le nourrit 
fort long-temps. 

La couleur du béluga est d’un blanc jaunûâtre uni- 
forme. Ilest à remarquer que cette couleur semble 
propre aux animaux destinés à vivre essentielle- 
ment dans le Nord. Plusieurs cétacés grisnoirètre 
habitent bien, il est vrai, les mêmes parages, mais 
aucun d’eux ne semble être fixé d’une manière 
aussi permanente au milieu des mers glaciales que 
le béluga. Les jeunes individus ont leur peau mar- 
brée de taches brunâtres ou bleuâtres par zones ir- 
régulières, et que'quefuis leur coloration est assez 
uniformément d’un brunâtre ardoisé clair. M. Sco- 
resby affirme avoir vu des bélugas dont la cou'eur 
de la peau, au lieu d’être blanche, étoit d’un jaune 
vif assez voisin de la teinte orange. 

Les bélugas se réunissent communément par fa- 


HISTOIRE NATURELLE 


mille de six à dix individus au plus [ls sont vora- 
ces et détruisent une grande quantité de poissons, 
qu'ils poursuivent avec acharnement , et qu’ils dé- 
vorent avec avidité. 


6 IL. 
LES DELPHINAPTÈRES. 


M. de Lacépède a créé ce nom générique pour 
isoler le béluga des vrais dauphins : ii signifie dau- 
phin sans nageuire dorsale. Mais nous conservons 
au béluga le nom sous lequel il est plus universel- 
lement connu, et nous réservons celui de delphi- 
naptère au dauphin de Péron. Ce cétacé , en effet, 
avoit déjà été reconnu pour appartenir au genre 
delphinaptlerus, par M. G. Cuvier ( Oss. fossiles, 
t. V, p.289); mais nous avons eu occasion de met- 
tre cette vérité hors de doute dans le cours de notre 
voyage. 

Les delphinaptères se distinguent donc des vrais 
dauphins, parce qu’ils n’ont pas de nageoire dor- 
sale, et des bélugas, parce que la tête est bombée, 
arrondie, puis terminée par un bec mince, aplati 
transversalement, séparé du crâne par un sillon 
assez profond. Les maxillaires sont garnis sur cha- 
que cêté, en haut et en bas, de dents nombreuses. 
L'omoplate est beaucoup plus large qu’à aucune 
autre espèce de dauphin. 

Les bélugas appartiennent aux hautes latitudes 
septentrionales , et les delphinaptères à celles de 
l'&émisphère austral. 


DELPHINAPTÈRE DE PÉRON. 


(Delphinapterus Peronii,Less.,Zool.delaCoquille, 
pl. 9, fig. 4; Delphinus Peronit, LACEP.) 


M. Cuvier, dans ses Ossements fossiles, tome V, 
p. 288, mentionne une tête osseuse de l’espèce qui 
nous occupe, qu’avoit apportée le capitaine Baus- 
sard, et une peau qu’avoit conservée M. Dussu- 
mier, armateur de Bordeaux, très connu par ses 
nombreuses découvertes en histoire naturelle. Ces 
objets avoient, sans aucun doute, été recucillis par 
ces voyageurs en doublant le cap de Bonne-Espé- 
rance. M. Cuvier décrit airsi ce delphinaptère : 
« Son museau est obtus, mais déprimé au bout et 
» sur les bords, ce qui lui fait une sorte de com- 
» mencement de bec; ses pectorales sont taillées en 
» faux comme dans le dauphin commun et le mar- 
» souin ; sa caudale est grande, pointue aux deux 
» bouts, et échancrée au milieu; le dessus de son 
» corps est d’un noir bleuâtre foncé; le dessus de 


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DES MAMMIFÉRES. 


» son museau , tout le dessous de son corps, et ses 
» pectorales, sont d’un blanc éclatant, excepté le 
» bord tranchant des pectorales qui est noir comme 
» le dos. Partout le noir et le blanc sont nettement 
» séparés l’un de l’autre. La tête osseuse est assez 
» semblable à celle du dauphin vulgaire, et encore 
» plus à celle du dubius, mais elle a le museau un 
» peu plus plat et plus large. Sa taille étoit de cinq 
» pieds et demi. » : 

A ces détails nous ajouterons ceux que nous avons 
publiés dans la partie zoologique du voyage autour 
du monde de la corvette la Coquille. 

« Les hautes latitudes du sud sont encore la patrie 
du dauphin de Péron, qui fréquente les attérages 
des iles Malouines, même jusqu’au fond de la baie 
de la Soledad. Le célèbre historien du voyage de 
Baudin le rencontra au sud de la terre de Diémen ; 
le docteur Quoy le vit par deux degrés de latitude, 
près de la Nouvelle-Guinée; et nous, nous l’obser- 
vâmes diverses fois par 52° de latitude sud, vis-à- 
vis le détroit de Magellan près du cap Pillars, et 
par 45°, lorsque nous contournâämes la Nouvelle- 
Hollande. Plusieurs centaines de ces dauphins en- 
tourèrent la corvette, le 42 janvier 1825, à notre 
entrée dans la mer du Sud. Nous ne pûmes en saisir 
ce jour-là : mais une autre fois nous y parvinmes ; 
et l'individu que nos matelots harponnèrent nous 
mettra à même de donner de cette espèce une idée 
autre que celle qu’on trouve consignée dans les au- 
teurs qui en ont parlé. Ce dauphin, mentionné dans 
le voyage du capitaine Kotzebue, sous le nom de 
dauphin du Chili, est décrit sous le nom de delphi- 
nus Peronii dans Lacépède et dans la Mammalogie 
de M. Desmarest(771-). C'est le delphinus leuroram- 
phus de Péron(Hist. voy. terres Australes, p. 217, 
édit. in-4°); mais comme ce cétacé n’a point de na- 
geoire dorsale, il doit appartenir au genre delphi- 
naptère, pour y prendre place à côté du béluga, dont 
il se distingue génériquement par son museau dis- 
posé en bec eflilé. Nous le désignerons sous le nom 
de delphinapterus Peronii (pl. 9, fig. 1). 

» Ce delphinaptère avoit trente-neuf dents de cha- 
que côté de la mâchoire supérieure, et un égal nom- 
bre de chaque côté de l’inférieure. Elles étoient 
grêles, pointues, et un peu recourbées au sommet. 
Il pesoit soixante-cinq kilogrammes. | 


Pieds. Poue, Lig. 

Pongueurtotale SMS ne D SD 
Circonférence du corps vis-à-vis l’appa- 

Telle CN tale EN M2 700 D 
de la tête en passant sur 


JSTOR ER LE 075) 
Loneuveur de lalqueue mn up 10 0) 
—— du bout du museau à la pec- 
LOCALE NERO) 
———— de la sommissure de la bou- 
CC AIO RER ER ED SEE) 


Longueur de l'œil à la nagcoire pecto- 


PATES IE Ven er ra mea CUIR OTI ONG 
———— de la nageoire pectorale. . » 11 6 
———— du bout du museau à la com- 

missure de la bouche. . . » 10 » 
———— delaqueue. , . . . . . . » 5 6 
———— dela verge . . . . . . » 8 » 
mr—— del Œilus: 7e « ad. ME in ARS 
———— de l'anus à l'extrémité de la 

DUT NE CT RD TOC 
———— de l'ouverture de l'anus. . . » » $ 


L'évent est placé au milieu de la tête entre les yeux. 


» Arrondi dans ses contours, gracieux dans ses 
formes, lisse dans toutes ses parties, ce cétacé est 
d'autant plus remarquable, qu’il semble recouvert 
d’un camail noir. Son museau jusqu’à l’œil est d’un 
blanc soyeux ou argentin. Il en est de même des 
côtés du corps, des nageoires pectorales, du ventre 
el d’une partie de la queue. Un large scapulaire d’un 
bleu noir foncé, prenant naissance aux yeux où le 
blanc décrit un croissant, se.dessine et se recourbe 
sur les flancs, pour recouvrir seulement la partie su- 
périeure du dos. Le bord antérieur des nageoires 
pectorales et caudale est brun. Le museau est al- 
longé, séparé du crâne par un sillon profond. L'iris 
est d’un vert d’émeraude. » 

Quant au DELPHINAPTÈRE SENEDETTE (delphinap- 
terus senedelta) de M. de Lacépède, tout porte à 
croire que c’est un être fictif, dont la description, 
laissée par Rondelet, ne repose que sur de vagues 
renseignements, el sans doute sur une confusion de 
caractères, pris à la fois, suivant M. Cuvier, du bé- 
Juga, de l’épaulard, et surtout du cachalot. Rondelct 
(Hist. des Poissons, chap. x) donne à cette espèce 
les noms de peis mular, de capidolio, qui appar- 
tiennent au cachalot, et il lui applique même le nom 
de physeter, employé par les Grecs. La description 
de Rondelet et de M. de Lacépède s'accorde à don- 
ner au delphinaptère senedette une grande taille, 
une gueule vaste, des dents aiguës, au nombre de 
neuf de chaque côté de la mâchoire supérieure, et 
au moins de huit de chaque côté de celle d’en bas. 
L’orifice extérieur des évents est situé presque au- 
dessus des yeux, mais un peu plus près du museau, 
qui est allongé et pointu. Sa langue est grande et 
charnue. Le corps et la queue forment un cône très 
long : les nageoires pectorales sont très larges; la 
dorsale marque : on l’auroit vu dans l’Océan et la 
Méditerranée. Tout autorise à penser que la figure 
en bois de Rondelet représente un cachalot, et que 
l'artiste aura oublié la bosse adipeuse qui s'élève sur 
le dos, et placé des dents robustes à la mächoire 
supérieure. Les vieux auteurs ont bien d’ailleurs 
souvent figuré des défenses dans la bouche de Ja 
baleine ! 

M. Cuvier pense, et nous partageons son senti- 
ment, qu’on doit placer parmi les delphinaptères le 


606 


dauphin de Commerson (delphinus Commersonit , 
Lacép.), ou le jacobite (1). 

Ft Ce cétacé, que nous vimes plusieurs fois dans l’im- 
mense baie de la Soledad aux iles Malouines, est 
moins grand que le marsouin des mers d'Europe. 
Son museau est aplati et eflilé; sa couleur générale 
est d’un blanc d’argent, que relève encore le noir 
profond qu’on remarque sur l'extrémité du museau, 
sur le bord des nageoires pectorales et caudale. 

Nous emprunterons à M. de Lacépède un passage 
où il peint avec vérité, et d après les notes de Com- 
merson, les habitudes de ce cétacé. « C’est pendant 
» l'été de l'hémisphère austral, et un peu avant le 
» solstice, que Commerson a vu ces dauphins ar- 
» géntés, dont les brillantes couleurs ont fait dire à 
» ce grand observateur qu’il falloit distinguer ces 
» cétacés même parmi les plus beaux habitants des 
» mers. Ils jouoient autour du vaisseau de Commer- 
» son, et se faisoient considérer avec plaisir par leur 
» facilité à l'emporter de vitesse sur le bâtiment, 
» qu’ils dépassoient avec promptitude, et qu’ils en- 
» véloppoient avec célérité au milieu de leurs ma- 
» nœuvres et de leurs évolutions. » 

Cette espèce a été observée par Commerson, dans 
le voyage autour du monde de Bougainville, à l'ex- 
trémité méridionale de l'Amérique. Il paroît qu'elle 
se plait au milieu des orages du cap Horn, et dans 
les mers si souvent agitées qui baignent ou qui sé- 
parent la Terre-de-Feu, la Terre-des-Etats, et qui 
forment les détroits de Le Maire et de Magellan. 
Nous l’avons vue dans la baie Soledad aux iles Ma- 
louines, et il est probable que c’est ce cétacé que 
MM. Quey et Gaimard mentionnent dans la Zoo- 
loyie de l'erpédition de l'Uranie lorsqu'is parlent, 
page 57, d’un dauphin moitié blanc, moitié noir, à 
museau peu allongé, des îles Malouines , que M. Bé- 
rard tua , et qui coula à l’instant même si profondé- 
ment qu'ils ne purent lavoir. 


6 I. 
LES DELPHINORHYNQUES. 


M. de Blainville à nommé delphinorhynques des 
dauphins qui se distinguent des autres espèces par 
un museau prolongé en un bec mince et fort long, 
et qui n’est point séparé du front par un sillon. La 
forme des mâchoires est linéaire, et leurs bords 
sont garnis de dents nombreuses et acérées. La na- 
geoire dorsale est petite et unique. Sa position est 
un peu en arrière du milieu du corps. M. Desma- 


() Tursio corpore argenteo, extremitatibus nigri- 
cantibus, Commers. Voyage autour du monde, obs. 
Ms. déposées au Muséum. 


HISTOIRE NATURELLE 


rest, en adoptant cette division, y range quatre es- 
pèces qui sont: les dauphins de Geoffroy, couronné, 
du Gange et de Pernetty; mais le dauphin du Gange 
nous paroît devoir former un genre distinct; et quant 
au dauphin de Pernetty, son existence comme espèce 
n’est point bien démontrée; et, dans tous les cas, 
ce n’est que parmi les dauphins à rostre aplati et 
déprimé qu’il pourroit d’ailleurs prendre place. Les 
deux premières espèces appartiennent donc seules 
à cette division que M. Cuvier n’a point reconnue, 
et à laquelle nous ajouterons les dauphins malais 
et tacheté, décrits par nous dans la Zoologie de 
l'expédition de la corvette la Coquille, et le dau- 
phin de Breda dont M. Cuvier nous a révélé l’exis- 
tence. 

Les delphinorhynques ne sont pas séparés des 
vrais dauphins par des caractères très précis. Leurs 
mœurs et leurs habitudes sont inconnues, et sans 
doute qu’elles ne différent point de celles des autres 
cétacés. Les limites géographiques dans lesquelles 
ils sont confinés ne permettent pas non plus d’éta- 
blir de rapprochement entre eux. 


LE 
DELPHINORHYNQUE DE GEOFFROY. 


Delphinus Geoffroyi. Des. (!). 


Ce dauphin dont la patrie est inconnue, mais 
qu’on suppose des mers du Brésil, a été rapporté du 
cabinet d'histoire naturelle de Lisbonne par le sa- 
vant professeur dont il rappelle le nom. La deserip- 
tion que M. Desmarest en a tracée dans son Traité 
de Mammalogie, diffère peu de ce que M. Cuvier 
en a dit; ainsi, suivant le premier de ces auteurs, 
le dauphin qui nous occupe a de longueur quatre 
pieds et demi; ses mâchoires sont étroites, linéaires 
et très allongées; le front est très bombé ; les mà- 
choires sont garnies de chaque côté de vingt-six 
grosses dents également espacées ; la nageoire est 
très basse ; le corps est cylindrique, et le museau 
imite assez celui d’un gavial ou crocodile du Gange; 
les deux maxillaires sont de même longueur et 
obtus à leur sommet ; les dents ont une forme co- 
nique , et leur pointe est légèrement obtuse ; elles 
sont rugueuses et marquées d’un collet à leur base. 
Les yeux sont placés un peu au-dessus de la com- 
missure des lèvres; les nageoires pectorales sont 
très développées et insérées très bas sur les côtés. 
Les deux brancl:es ou cornes desévents sont dirigées 
du côté de la queue. La couleur générale de ce cé- 


() Delphinus Geoffrensis, Blainv.; Desm., Nouv. 
Dict. d'hist. nat., tom. IX, p. 151; Dauphin à bec 
mince, Cuv.; Delphinus frontatus, G. Cuv., Oss, foss., 


| t. V, 278 et 296, non la pl. 21, fig. 7 el 8. 


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DES MAMMIFÉRES. 


tacé est le gris de perle en dessus, et le blanc pur 
en dessous. 

Ce dauphin peu connu, dit M. Cuvier (!), est 
remarquable par la chute rapide de sa convexité 
frontale, par un bec plus prononcé et plus comprimé 
que chez les autres dauphins. Le nombre des dents 
examiné dans plusieurs crânes n’est, au plus, que 
de quatre- vingt-quatre à quatre - vingt - douze en 
tout, ou vingt-un, vingt-deux et vingt-trois, de 
chaque côté et à chaque mâchoire. Bien que ce 
nombre soit celui du tursio, les dents du delphino- 
rhynque de Geoffroy en diffèrent parce qu’elles ne 
sont point usées au bout, et que la forme du museau 
n’est pas la même. 

L'individu qui est au Muséum , et que M. Des- 
marest a décrit, a, dit M. Cuvier, vingt-cinq dents 
partout, une taille de sept pieds, en y comprenant 
le bec qui a huit ou dix pouces; il est peint de gris 
sur le dos, et de blanc sous le ventre et autour des 
yeux. On a donné aux nageoires une teinte d’un blanc 
roussâtre , afin d’imiter sans doute les couleurs de 
l'animal lorsqu'il étoit en vie. 


ESSSR———————————…"…”…"…"…"…—….… "…"…"…"…"—"_— _.". ———  _—— 


LE DELPHINORHYNQUE DE BREDA. 
Delphinus Bredanensis. Cu. 


En figurant le crâne de cette espèce, M. Cuvier 
l'avoit rapportée au delphinorhynque de Geoffroy 
ou delphinus frontatus (?). Ce savant, ayant reçu de 
M. Van Breda de Gand un dessin de l’espèce véri- 
table d'où provenoient les têtes qu’il avoit exami- 
nées , a été conduit à reconnoître l’existence d’un 
cétacé nouveau et authentique ( Oss. fss., tom. V, 
p. 400). Depuis on a aussi envoyé de Brest un dessin 
de dauphin qui se rapporte encore à ce delphino- 
rhynque. 

L'individu observé par M. Van Breda avoit huit 
pieds de longueur; une dorsale élevée et en demi- 
croissant, à peu près sur le milieu de la hauteur; 
des pectorales taillées en faux ; sa caudale faconnée 
en croissant et échancrée au milieu. Mais ce qui 
caractérise cette espèce est le profil du crâne qui 
se perd insensiblement dans celui du museau , tan- 
dis qu’on remarque le contraire dans celui qui pré- 
cède. è 

Sa tête osseuse (3) se distingue en effet par un 
museau plus comprimé vers le bout, un peu plus 
élargi vers son quart supérieur ; le lobe du devant 
de l’orbite plus marqué et séparé du museau par une 


(r) Oss. foss ,t. V, p. 278. 

E) Delphinus frontatus, G. Cuv., Oss. foss., t. V, 
pl. 21, fig. 7et8 (par erreur). Addit. importante, G, Cuv. 
t. V, p. 400. 

(3) G. Cuvier, Oss. foss., t. V, p. 296. 


607 


plus grande échancrure; les os du nez sont plus 
larges, moins saillants et touchent aux intermaxil- 
laires. La crête accipitale est plus effacée ; la région 
temporale beaucoup plus grande, et l’occiput en 
conséquence plus étroit. 

Ce delphinorhynque sur lequel nous ne possédons 
que les renseignements qu’on vient de lire, habite 
les mers d'Europe. 


LE DELPHINORHYNQUE COURONNÉ. 
Delphinus coronatus, DE FRÉMINVILLE (1). 


Nous devons à M. de Fréminville, capitaine de 
frégate de la marine royale, les seuls détails que la 
science possède sur le dauphin qui nous occupe en 
ce moment. Nul observateur plus récent n’est venu 
sanctionner par les résultats de ses recherches les 
particularités que rapporte ce voyageur instruit, et 
pour témoignage de notre amour pour la vérité, 
nous nous bornerons à transcrire la description 
qu'il en a tracée en 1806. C’est le seul moyen de 
conserver aux sources où nous puisons leur pureté 
originel'e. 

Le delphinorhynque couronné a le corps allongé, 
et sesdimensions varient de trente à trente-six pieds, 
sur une circonférence de quinze pieds dans sa plus 
grande épaisseur. La tête est petite relativement au 
volume de l’animal, et le front est convexe et ob- 
tus. Les deux mâchoires se prolongent en un bee 
fort long et très aigu, et l’inférieure surtout dépasse 
la supérieure. Cette dernière est munie de quarante- 
huit dents, petites, aiguës et de forme conique, tan- 
dis que le maxillaire supérieur n’en présente que 
trente. La nagcoire dorsale recourbée est plus voi- 
sine de la queue que de la tête, et la caudale à la 
forme. d’un croissant entier. Les deux pectorales 
sont de médiocre grandeur. 

La couleur de ce dauphin est d’un noir uniforme 
tant en dessus qu’en dessous ; mais ce qui le carac- 
térise principalement, ce sont deux cercles jaunes 
concentriques placés sur le front, et formant une 
sorte de diadème, d’où est découlé son nom spéci- 
fique. 

Ce delphinorhynque est commun dans la mer 
Glaciale suivant M. de Fréminville, et on com- 
mence à le rencontrer vers les 74° degrés de latitude 
boréale. Mais ce n’est qu’au milieu des ilots du 
Spitzberg, vers le 80e degré, qu’on le voit se réunir 
par troupes considérables, dont la confiance est si 
grande, qu’elles viennent jouer à toucher les na- 
vires. Le nager de ces cétacés se compose de mou- 


() Nouv. Bull. des Sciences, par la Société philom. 
de Paris, t. HI, cinquième année, p. 71 ; Desm., Flamm., 
sp. 254; G, Cuvier, Oss, foss., t, V, p. 278. 


608 


vements de rotation, ou plutôt ils décrivent comme 
les marsouins des arcs de cercles continus. L'eau 
qu’ils lancent par leur évent est poussée avec bruit, 
et avec une telle force qu’elle n’a bientôt que l’ap- 
parence d’une légère vapeur, qui ne s'élève pas 
toutefois au-delà de six pieds. 


LE DELPHINORHYNQUE MALAIS. 
Delphinus malayanus. LESsON (!). 


Nous primes un individu de cette espèce entre 
Java et Bornéo, dans les canaux étroits où la mer 
a peu de profondeur, et où elle est généralement 
calme et réchauflée par les chaleurs du soleil équa- 
torial. Ce delphinorhynque, auquel nous avons im- 
posé le nom spécifique de malais, avoit cinq pieds 
onze pouces de longueur totale, et quinze pouces 


d'épaisseur vis-à-vis les nageoires pectorales. La : 


hauteur de la dorsale, placée au milieu du corps, 
et échancrée au sommet, éloit de huit pouces; la 
Jongueur de la pectorale, de treize pouces ; la tête 
étoit longue de seize pouces sur dix de largeur; la 
nageoire de la queue avoit vingt-trois pouces, et cinq 
de diamètre à sa base; une forte carène, comme 
celle de certains scombres, occupoit les parties la- 
térales et postérieures du corps; l’évent, en crois- 
sant, étoit placé un peu en arrière des yeux, qui 
étoient très petits; la tête grosse et arrondie, très 
convexe sur le front qui s’abaisse subitement, pré- 
sentoit à la base du museau une forte rainure ; celui- 
ci, mince et allongé, garni de dents nombreuses, 
offroit une plus grande longueur de la mâchoire in- 
férieure. La couleur de ce dauphin étoit uniformé- 
ment cendrée. Sa chair, qui fut mangée par les 
marins de la corvette la Coquille, étoit noire, hui- 
leuse et désagréable pour tout autre que pour des 
navigateurs avides de viande fraîche. La couche de 
graisse dense, qui leur sert d’enveloppe, éloit re- 
vêtue d’une peau parfaitement lisse, sur laquelle 
seulement paroissoient parfois quelques cicatrices 
d'anciennes plaies. 


‘ © LE DELPHINORHYNQUE MACULÉ, 


Delphinus maculatus, Less.; Zool. de la Coquille, 
pag. 185. 


L'histoire de cette espèce de dauphin est loin de 
mériter une entière croyance. Nous ne l’avons tracée 
que d’après la vue de ces animaux qui nageoient 
avec rapidité autour de la corvette La Coquille, vo- 


(:) Zoologie de l'expédition de la Coquille, p. 184, 
et pl. 9, fig. 5. 


HISTOIRE NATURELLE 


guant sur le vas{e sein de la mer Pacifique, et que 
poussoient les brises rafraichies de l’est. Quelque 
incomplets que soient les détails dont se composera 
celte notice, ils serviront sans doute, pour un jour 
à venir, à rappeler l’attention sur ce dauphin, que 
nous placons parmi les delphinorhynques parce qu'il 
nous à paru avoir un long museau. 

Le 49 avril 1825, par 18 degrés de latitude sud, 
et 457 degrés de longitude occidentale, la veille 
du jour où nous dérouvrimes l'ile de Clermont- 
Tonnerre, au milieu des îles de corail de la mer 
Mauvaise, nous fûmes suivis par une nombreuse 
troupe de dauphins tachetés, que nous examinâmes 
fort long-temps sous la proue où ils passoient et 
repassoient sans cesse. Leur tête étoit eflilée, ter- 
minée par un long museau; leur corps étoit mince 
par rapport à sa longueur, qui sembloit être de six 
pieds. La nageoire de la queue étoit forte et pro- 
noncée; celle du dos, placée au milieu du corps, 
étoit presque chez tous bifurquée légèrement au 
sommet. Ce céticé paroissoit d’un vert clair dans 
l’eau; mais hors de ce liquide, la teinte du dos étoit 
glauque ou bleuâtre. Le ventre étoit de couleur 
grise, parsemé de taches blanches, arrondies, lé- 
gérement bordées de roussâtre. Les rebords des 
mâchoires, et surtout de la supérieure, étoient 
d’un blanc pur. L'évent occupoit l’espace intermé- 
diaire aux yeux, et ce dauphin souflloit souvent avec 
force ; bien que sa natation fût très rapide. nous n'en 
observämes pas moins avec attention le mécanisme. 
C'est parun mouvementrapide et alternatif dedroite 
et de gauche de la queue, mouvement analogue à 
celui qui s'opère lorsque les marins goudillent, que 
ces célacés, roulant ainsi tantôt sur un côté et tan- 
tôt sur l’autre, se poussent en ayant, et acquièrent 
une vélocité peu commune. 


6 IV. 
LES SOUSOUS. 


Les sousous sont sans contredit les plus remar- 
quables des cétacés par la forme de leur museau. 
De tous les dauphins à bec, a dit M. Cuvier (Oss. 
foss.,t. V, p. 279), le plus extraordinaire, celui 
qui mérileroit peut-être le plus de faire un genre 
à part, c’est le dauphin du Gange ou sousou. En 
effet, le bec de la seule espèce que l’on connoisse est 
long, mince, comprimé sur les côtés, et renflé à son 
extrémité, de manière qu’il est plus gros à cette par- 
tie qu'à son milieu; il est aussi un peu recourbé dans 
sa longueur, et ne ressemble pas mal au prolonge- 
ment de la tête de certains insectes du genre des 
fulgores. 

Les sousous ne comprennent qu’une espèce qui 


DES MAMMIFÉRES. 


est décrite dans la plupart des ouvrages systémati- 
ques sous le nom de dauphin du Gange. Ce nom de 
sousou est celui qu’elle porte dans le Bengale où elle 
habite les bouches du Gange. On est redevable des 
détails circonstanciés que nous possédons aujour 
d'hui, et des deux beaux individus qui enrichissent 
notre Muséum, à MM. Diard ét Duvaucel, et 
M. Cuvier a complété, par ses recherches, l'utilité 
et l’importance des observations locales que lui 
adressèrent ces deux naturalistes. Ce savant pense 
même que le dauphin du Gange est très probable- 
ment le platanista de Pline, et qu’on doit le re- 
trouver dans ce passage du naturaliste romain. In 
Gange Indiæ platanistas vocanf, rostro delplini ct 
cauda, magniludine autem xV cubitorum (Pline, 
lib. IX, cap. xv.)» 

Mais ce qui rend les sousous encore plus distincts 
de tous les autres cétacés de la grande famille des 
dauphins, ne sont pas les enveloppes les plus su : 
perticielles, mais bien la partie la plus profonde et 
la plus caractéristique de l’organisation, celle qui 
ne varie point, la charpente osseuse enfin. Nous 
empruñterons au célèbre auteur des Oss'ments fo- 
siles les détails anatomiques les plus intéressants 
sur le système osseux de ces cétacés. 

« Le museau, très long, est extrêmement com- 
» primé par les côtés. Les intermaxillaires en occu- 
» pent la partie supérieure, et les maxillaires l’infé- 
» rieure. Les premiers remontent jusqu’aux côtés, 
» et même jusqu’au-dessus des narines, qui dans 
» cette espèce sont plus longues que larges. 

» Le caractère le plus frappant de la tête, c'est 
» que les maxillaires, après avoir recouvert comme 
» dans les autres dauphins les frontaux jusqu'aux 
» crêtes temporales, produisent cacun une grande 
» paroi osseuse qui se redresse et forme une vaste 
» voûte sur le dessus de l’appareil éjaculateur des 
» narines. À cet effet, l’une de ces productions os- 
» seuses se rapproche de l’autre , et paroît même la 
» toucher sur les deux tiers antérieurs; mais en 
» arrière elles s’écartent pour laisser passage à l’é- 
» vent. C'est la ligne de réunion de ces deux parois 
» osseuses qui soutient la carène que le front de cet 
» animal montre à l’extérieur. En dessous, ces pa- 
» rois offrent plusieurs cavités ou une espèce de ré- 
» seau formé par des branches osseuses très multi- 
pliées. Dans l'animal frais, la plus grande partie 
» de l’espace qu’elles couvrent est remplie d’une 
» substance fibreuse, serrée et assez dure. 

» Les fosses temporales sont très grandes; leurs 
crêtes supérieures cernent au haut de l’occiput 
un espace rectangulaire, des deux côtés duquel 
» part à angle droit le reste de la crête occipitale. 
» L'apophyse zygomatique est très longue et pro- 
» portionnée à la grandeur de la tempe, et forme 
» en s’unissant avéc l’apophyse orbitaire externe 
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609 


» presque à elle seule l’arcade zygomatique. L’or- 
» bite est très petite; les palatins sont plus grands 
» que chez les autres dauphins, et ne touchent point 
» aux pariétaux. Les crêtes du basilaire et des occi 
» pitaux latéraux, qui bordent au côté interne la 
» voûte sous laquelle est l'oreille, sont très épaisses 
» et hérissées de petites pointes osseuses. L'espace 
» qu’elles laissent entre elles est rempli et fermé par 
» l'os de la caisse, qui est très grand et adhère au 
» rocher : celui-ci n’est pes simpiement suspendu, 
» il est enchâssé à demeure entre le temporal et les 
» parties voisines de l’occipital. » 

Parmi les autres particularités anatomiques que 
présente le dauphin du Gange, M. Cuvier mentionne 
encore la grande compression de la mâchoire infé- 
rieure qui rapproche les deux rangées de dents, et la 
longueur de la symph se, dont les branches acquiè- 
rent aussi une plus grande hauteur. Celte longue 
symphyse, dit M. Cuvier, ainsi que les crèles qui 
naissent du maxillaire, nous préparent à ce que 
nous observerons dans le cachalot. 

Le reste du squelette offre aussi des caractères 
qui sont propres à ce genre. Les vertèbres cervica- 
les sont très distinctes, fortes, mais courtes ; des 
apophyses transverses accessoires, plus longues que 
les véritables, partent du corps des quatrième, cin- 
quième et sixième. Les dorsales sont au nombre de 
onze ou douze. Il v a vingt-huit lombaires. L’omo- 
plate est plus large qu’aux dauphins proprement dits. 


———_—_—_—_—_——a 
nn 


LE SOUSOU PLATANISTE, 
Delphinus gangeticus. LeBeck (1). 


C’est non loin de Calcutta et de Chandernagor 
que vit le sousou des Indous; il habite les innom- 
brables canaux qui serpentent dans le delta du Ben- 
gale, et qui se jettent à la mer au fond de cet im- 
mense golfe, quoique souvent il remonte les eaux 
sacrées du fleuve chéri de Brama à de grandes dis- 
tances dans l’intérieur. 

Dans quel but la nature a-t-elle donné à ce cétacé 
un long bec caréné, armé de dents aiguës? Les ani- 
maux destinés à vivre dans les eaux du Gange ont 
done besoin de ce museau prolongé pour fouiller 
dans les roseaux , dans le limon, peut-être, afin d’y 
atteindre plus sûrement leur proie; car si un cétacé 


() Delphinus qangeticus, Leb , Mém. de la Soc. nat. 
de Berlin, 1801, €. I, pl. 2, p. 280 ; Roxburgh, Mém. 
de la Suc. asiat., Calcutta, t. VIE, pl. 3, p. 170; Del- 
phinus rostratus, Shaw,Geu.zool.,t I, part. 2, p. 514; 
Delphinus shawensis, Blainv., Desm., Nouv. Dict. 
d'hist. nat., 2e édit., t. IX; Cuvier, Oss. foss., t. V, 
p. 278, 298, 307, p). 22, 8; sir Everard Home, Trans. 
philosoph., 1818, p. 419, pl. 20; Desmoulins, Dict. 
classiq. d'hist. nat., t. V, p, 355, 


77 


610 
armé de dents robustes, comme le sousou, présente 
une disposition aussi caractéristique dans la forme 
de son museau, n'est-il pas remarquable de la re- 
trouver dans un des sauriens les plus voraces des 
mêmes contrées, le gavial ? 

Le sousou a cent vingt dents, c'est-à-dire soixante 
enhauteten bas, et par conséquent trente de cha- 
que côté. Ces dents sont pointues, et de forme coni- 
que ; mais en vieillissant elles finissent par s’user 
au sommet. Leur racine est irrégulière, et souvent 
comprimée latéralement. Toutes sont implantées sur 
les bords des mâchoires, dont la forme allongée, 
grêle au centre, un peu renflée à l’extrémité, est 
souvent, dans l’âge adulte du moins, légèrement 
recourbée. Les dents antérieures sont beaucoup plus 
longues , plus acérées, plus serrées les unes contre 
les autres que les postérieures. Elles s’entre-croisent 
à l'extrémité du museau, tandis que sur les branches 
de chaque maxillaire , elles sont distantes, courtes, 
et comme usées à leur pointe. Le sousou varie dans 
sa taille ; celle qui lui est le plus ordinaire ne s’éloi- 
gne pas de six à sept pieds; sa langue est charnue, 
épaisse, et légèrement arrondie en cœur ; les yeux 
sont presque imperceptibles, et placés très près de 
la commissure de la bouche. L’évent n’est point en 
croissant comme on le remarque chez la plupart 
des cétacés de la grande famille des dauphins, mais 
bien en ligne droite et disposé longitudinalement. 
Les nagcoires pectorales sont larges et presque car- 
rées à leur bord. La dorsale est rudimentaire, et ne 
paroît que comme un léger repli dela peau s’élevant 
un peu en arrière du milieu du dos. 

La couleur générale de cette espèce est le gris de 
perle, le plus doux en dessus, passant au gris blan- 
châtre sous le corps, et qui, pendant la vie, brille 
de cet éclat satiné si rapidement éteint lorsque la 
mort a cessé d'animer l’organisme. 

On remarque plusieurs individus bien conservés 
de ce dauphin rare et curieux dans les galeries du 
Muséum d'histoire naturelle. On en est redevable 
aux recherches assidues de MM. Duvaucel et Diard; 
et le premier surtout, qui promeltoit à la science 
un naturaliste plein d’ardeur, est mort sur les pla- 
ges où vit le dauphin qui nous occupe, peu de 
temps apres avoir enrichi sa patrie du bel individu 
dont nous avons fait graver la figure. 

Le plus grand sousou que l’on possède à Paris a 
sept pieds trois pouces. Son museau a quatorze pou- 
ces jusqu’à la chute du front, et dix-sept jusqu’à la 
commissure de la bouche ; la nageoire pectorale a un 
pied de longueur sur sept à huit pouces de largeur. 

Combien il seroit intéressant de connoitre les 
mœurs, les habitudes, les appétits du sousou! On 
dit qu’il nage avec lenteur, et qu’il vit en troupes 
nombreuses.Mais où se tient-ilau temps des amours? 
quel est le nombre de ses petits? de quelle proie se 


RISTOIRE NATURELLE 


nourrit-il plus particulièrement? quelle peut être 
enfin l’étendue de la sagacité qui lui a été départie? 


6 V. 
LES DAUPHINS PROPREMENT DITS. 


Les vrais dauphins se distinguent des autres tri- 
bus de la grande famille par leur museau médiocre- 
ment allongé, élargi à la base, arrondi à l’extré- 
mité, et n’imitant pas mal un bec d’oie, d’où leur 
en est venu le nom vulgaire. Le museau, toujours 
un peu aplati transversalementet élargi dans sa par- 
tie postérieure, est garni de dents nombreuses et 
acérées. Il est séparé du front par un sillon distinct. 
La nageoire dorsale est toujours unique au milieu 
du corps. 

Les vrais dauphins habitent toutes les mers, et 
ne sont pas très distincts des delphinorhynques; 
mais des doutes nombreux obscurcissent l’histoire 
de la plupart des espèces qui sont encore très mal 
déterminées, et qui exigent des voyageurs à venir 
des observations plus complètes et plus précises 
que celles que la science possède en ce moment. 


LE DAUPHIN VULGAIRE. 
Delphinus delphis. L. (1). 


Le dauphin auquel les naturalistes ont donné Île 
nom de vulgaire, a été connu dès la plus haute an- 
tiquité ; car l'opinion généralement admise regarde 
ce cétacé comme l'être doué des qualités surnatu- 
relles, que les Grecs divinisèrent sous le nom de 
aogrs. Déjà nous avons eu occasion de dire que le 
duphin de la mythologie païenne étoit au moins un 
être tout aussi chimérique que le minotaure; et 
bien qu’Apollon n’ait pas dédaigné d’emprunter ses 
formes corporelles pour apparoître aux Crétois, le 
dieu du jour et des beaux-arts pouvoit sans contre- 
dit choisir un être organisé doué de plus d’intelli- 
gence et de mœurs moins grossières. Le hieros 
ichthys, ou poisson sacré des Grecs, dont la physio- 
uomie est formée de plusieurs traits appartenant à 
d’autres animaux, est done un dauphin, mais un 
dauphin auquel un peuple insulaire avoit dressé des 


(‘) Delphinus delphis, L. Bonnat., Cétol., p. 20 ; La- 
cép., Cét., pl. 13, fig. 1, p. 305 ; Cuvier, Rég. anim., 
t. 1, p. 277 ; Oss. foss., t. V, p. 275, pl. 21, fig. 9 et 10; 
Desm., Mamm., sp. 758; Fr Cuvier, Liv. mam. ; Hist. 
des Péches, t.1, pl. 9, Brisson, CI. 2, Cetacea, p. 233; 
Othon Fabricius, Faune groenl., p. 4; Muller, Faun. 
dan. prod., sp. 55; Anderson, Voyage en Islande et 


au Groent., (IE, p. 153. 


DES MAMMIFÈRES. 


autels dans un temps d’ignorance et de fables, et 
qu'il dut embellir de tous les prestiges de l'illusion, 
lorsque sa civilisation perfectionnée lui apprit à 
rougir des hommages qu’il adressoit aux idoles gros- 
sières de la primitive théogonie(t). Certes nous re- 
léguerions avec le Sphinx et Pégase le dauphin des 
Grecs, si des médailles fidèles et frappées dans les 
années où le goût s’étoit purifié par le vrai ne nous 
représentoient ce cétacé avec des formes assez exac- 
tement celles que nous connoissons au dauphin qui 
habite nosrivageset les archipels de la Méditerranée. 

Le dauphin vulgaire vil dans les mers de toute 
l’Europe; mais on le rencontre plus fréquemment 
dans les zones tempérées que dans celles du midi. 
Chaque nation maritime lui a donné un nom; et les 
peuples d’origine celtique l'ont indifféremment ap- 
pelé kuyser, hofrung, tummeler, nyssa, tandis que 
les méridionaux lui ont conservé son ancien nom de 
delphinus, modifié un peu par la corruption de la 
langue romane en celui de delfino et de daufin , usi- 
tés aujourd’hui en Italie (?). 

Moins susceptibles d’être émus par des idées de 
convention que les anciens Grecs, les habitants ri- 
verains de nos côtes n’ont point vu dans le dauphin 
un ami déclaréde l'homme ; mais son museau aplati 
leur à rappelé le bec d’un oiseau , et, dans leur lan- 
gage simple et naïf, ils lui ont consacré la dénomi- 
nation, caractéristique sous ce rapport, d’oye de 
mer ou de bec d’oye ( Rondelet, Belon). 

Le dauphin vulgaire est communément long de 
six ou sept pieds : quelquefois ses dimensions vont 
jusqu’à neuf ou dix. Son museau, à partir du front, 
égale en longueur le restede la tête; il en est séparé 
par un sillon. Les nageoires pectorales sont médio- 
cres , taillées en faux, tandis que la dorsale, placée 
un peu au-delà de la moitié du corps, est assez aiguë 
et un peuélevée. La queue est terminée par un crois- 
sant échancré au milieu, dont les cornes sont obtu- 
ses et assez courtes : elle est légèrement comprimée 
à son origine, et carénée en dessus et en dessous. 

La tête du dauphin vulgaire n’est point renflée 
sur le sommet comme celle du marsouin; elle s’a- 
baisse graduellement pour former un museau aplati, 
beaucoup plus large à sa naissance que vers son 
extrémité. Les deux mächoires sont égales : elles 
ont de chaque côté de quarante-deux à quarante- 


{) Tous les peuples encore dans l'enfance de la civi- 
lisation vénérent des animaux; les uns par crainte, et 
le plus grand nombre par les services qu'ils en retirent 
pour leur subsistance. Plusieurs peuples de la mer du 
Sud regardent comme un être surnaturel et puissant le 
requin, auquel ils paroissent adresser des sortes de 
prières. 

(2) Le nom de foninas, employé par les Portugais 
pour désigner des dauphins, se trouve cité dans le pre- 
mier livre de la Navigation de l'Inde orientale, im- 
primée en 1598, 


611 


sept dents grêles , arquées. pointues , arrondies, et 
placées à uneégale distance les unes des autres. Les 
dents du milieu sont un peu plus fortes que celles 
qui occupent les parties antérieures ou postérieures. 
Le nombre total decesos varie donc de cent soixante- 
huit à cent quatre-vingt-dix, et concourt à donner 
au dauphin des armes puissantes pour saisir et rete- 
nir sa proie. 

L'évent, situé sur le sommet de la tête vis-à-vis 
les yeux, forme un croissant dont les cornes sont 
dirigées du côté du museau. 

Les couleurs du dauphin n’ont rien d’attrayant. 
Ce ne sont pas ces teintes si pures et si éclatantes 
qui ornent la daurade, que les marins nommentaussi 
dauphin, qui ont pu lui attirer les hommages des 
anciens peuples de la Grèce et de l’Htalie, Ces avan- 
tages extérieurs lui ontété refusés aussi bien qu'aux 
autres cétacés, et le noir des parties supérieures du 
corps, passant au gris sur les côtés, et se dégradant 
au blanchâtre sur le ventre, sont les seules nuances 
qui le caractérisent, Il est vrai que ces couleurs 
ont un aspect satiné et luisant qui tient à la nature 
de Ja peau. 

Nous le répétons, le dauphin vulgaire vit dans 
les mers d'Europe, soit dans l’océan Atlantique, soit 
dans la Méditerranée (1) : il sillonne le seiu des eaux 
par troupes plus ou moins nombreuses, etses bonds 
vigoureux, son mode rapide de natation, observés 
journellement par nos peuples maritimes, l'ont 
depuis long-temps rendu célèbre. On lui a donné 
comme un attribut spécial des qualités dont jouis- 
sent la plus grande partie des dauphins, et ses 
mœurs sous ce rapport ne permettent point de l’ho- 
narer de distinctions particulières. Nager avec la 
rapidité d’un trait, se jouer autour des vaisseaux que 
poussent des vents favorables, s’élancer au-dessus 
des vagues, sont des habitudes que nous trouvons 
chez tous les petits cétacés qui vivent par essaims 
dans la haute mer. 

Long-temps on a cru que la musique avoit le pou- 
voir de captiver le dauphin, et cette opinion que 
nous a léguée l'antiquité est sans doute l’origine de 
l'habitude qu'ont encore aujourd’hui les marins, 
surtout les Provençaux, de siffler lorsqu'ils voient 
des troupes de ces animaux accourir près des navi- 
res. Mais l’austère raison nous force à avouer que le 
dauphin d’aujourd’hui ne se présente plus à nous 
avec les h: bitudes aimablesdontles anciens l’avoient 
doté, et que son vorace appétit, ses sens grossiers 
ou dirigés vers les moyens de saisir une proie que 
ses nombreuses dents dilacèrent et que son large 


(:) Nous ne partageons pas l'opinion de M. Fr. Cuvier, 
qui croit que le dauphin vulgaire a été trouvé dans tou- 
tes les mers, au pôle austral comme au pôle boréal, et 
dans la mer Pacifique comme dans l'Océan occidental. 
{Description du Dauphin, p. 2.) 


612 


gosier engloutit, sont loin de fixer dans notreesprit 
les prestiges que les beanx-arts nous retracent sans 
cesse. « Cet animal, dit le baron Cuvier, paroit avoir 
» été réellement le dauphin des anciens. Toute l’or- 
» ganisation de son cerveau annonce qu’il ne doit 
» pas être dépourvu de la docilité qu’ils lui attri- 
» buoient, » 

Pline a décrit le dauphin au chapitre vrtr du li- 
vre IX de son Histoire naturelle, et sa description 
se compose de faits appartenant à plusieurs animaux 
différents, et notamment au squale requin. Il peint 
sa natation rapide, ses bands hors de l’eau, l’orga- 
nisation de quelques parties, etc. Il dit que la fe- 
melle porte dix mois, parture en été, donne le jour 
à deux petits, qu’elle soigne avec la plus vive ten- 
dresse , et que la durée de leur vie est de trente ans. 
Son conte du dauphin du lac Lucrin est entièrement 
le fruit d'idées puériles et superstitieuses que Pline 
raconte avec une naïveté étrange, bien qu'émettant 
toutefois de légers doutes sur cette histoire. On se 
rappelle en effet qu’un dauphin nommé Simon, ché- 
rissant un jeune enfant qui lui donnoit du pain, et qui 
contournoit tous les jours le lac Lucrin pour aller à 
l’école de Baïa à Pouzzole, le prenoit sur son dos 
pour le transporter de l’autre côté du lac, et qu’il 
répondoit à sa voix. Cette intimité dura plusieurs 
années, et l'enfant étant venu à mourir, le sensible 
dauphin ne tarda pas lui-même à succomber à la 
douleur que cette perte lui causa. 

Les dauphins sont les animaux les plus carnas- 
siers de la famille : ils vivent de poulpes et de pois- 
sons, notamment de sardines et de harengs. Leur 
chair est médiocre et ne peut être admise dans un 
palais délicat qu'avec dégoût. Jadis on employoit le 
foie et quelques autres parties dans des affections 
morbides, et l’on supposoit que ces viscères jouis- 
soient de propriétés curalives efficaces. Le temps a 
fait justice de ces vieilles opinions d’une époque 
féconde en arcanes et en recettes miraculeuses. 

« La tête osseuse (1) du dauphin vulgaire présente 
» Un museau étroit, al ongé, un peu moins long que 
» la mâchoire inférieure, légèrement convexe en 
» dessus, plat en dessous; la partie au-devant des 
» parin:s est un peu concave. De chaque côté sur 
» le devant de lorbite est un lobe obtus, déprimé, 
» formé du jugal, recouvert du maxillaire, et sé- 
» paré du reste du museau par une échancrure peu 
» profonde. L’occiput est à peu près hémisphéri- 
» que; la tempe se porte en arrière par un angle 
» Saillant et arrondi. Les tubercules représentant 
» les os du nez sont un peu plus larges que longs. » 
Le dauphin vulgaire est aussi distinct des autres 
espèces par son palais, dontle milieu est occupé par 
une saillie longitudinale qui s'étend depuis la pyra- 


(1) G. Cuvier, Oss, foss., t. V, p. 295. 


HISTOIRE NATURELLE 


mide des arrière-narines jusqu’à sa pointe, saillie 
que côtoient deuxsillons ; le vomer est peu visible. 

Les vertèbres cervicales sont au nombre de sept : 
les six premières sont très minces, et la septième 
seule prend un peu d'épaisseur; on compte treize 
dorsales et cinquante-trois lombaires : il a treize pai- 
res de côtes. Les corps des vertèbres sont arrondis, 
plus comprimés et plus épais dans la région dorsale, 
plus courts dans la lombaire, où il prennent une 
forme carénée. Le sternum est composé de trois os; 
le premier est percé d’un trou : l’omoplate est ar- 
rondie en éventail, lhumérus est court et gros ; sa 
tête supporte en devant une très forte tubérosité ; les 
radius et cubitus sont courts et comprimés , les os du 
carpe sont plats etanguleux : un os pointu est le seui 
vestige de pouce qu’on observe à la main: le pre- 
mier doigt est composé de neuf articulations, le 
second de sept, le troisième de quatre, et le petit 
doigt d’un seul tubercule presque imperceptible. 

Les os en V ou furcéaux sont placés vis-à-vis la 
trente-huitième vertèbre. 

Les reins sont formés dans le dauphin comme 
chez tous les cétacés, par une réunion de petites 
glandes agglomérées. Le cerveau est volumineux, 
très développé et arrondi. Les yeux sont petits et 
garnis de paupières ; leur pupille a la forme d’un 
cœur, et la membrane ruyschienne brille de l'éclat 
doré le plus vif. L’oreille s'ouvre à l'extérieur par 
une petite ouverture; mais l’organe qui perçoit les 
sons est très développé et autorise à penser que le 
deuphin jouit d’une faculté auditive très prononcée : 
la langue est douce, frangée sur ses bords, et pré- 
sente à sa base des ouvertures dont les fonctions ne 
sont pointencore connues. Les femelles ont un vagin 
très simpleet quatre mamelles placées sur le ventre. 

Telles sont les particularités anatomiques que nous 
devons seulement indiquer, en y joignant quelques 
faits accessoires sur deux des appareils des sens. La 
vue paroît chez le dauphin être très étendue ; et bien 
que plusieurs auteurs lui aient refusé les organes sé- 
crétoires des larmes, M. Rapp décrit avec soin la 
glande Jacrymale que Hunter avoit indiquée. Cette 
glande est disposée sous forme d’anneauet enveloppe 
le globe de l’œil, qu’elle égale en grosseur : elle est 
composée de granulations nombreuses, consistantes 
et de couleur rougeâtre, réunies par du tissu cellu- 
laire : mais cet auteur n’a point trouvé de traces de 
canal ni de points lacrymaux. 

L'odorat doit être très borné; M. Rapp n’a point 
trouvé de vestiges de nerfs olfactifs, quoiqu'il ait 
disséqué un dauphin à l’état frais. La lame ethmoi- 
dale n’étoit percée que d’un seul trou, et ce trou avoit 
peut-être servi au passage de quelque vaisseau. Mais 
on sait que M. Baer a reconnu que les nerfs olfactifs 
étoient dans le marsouin à l’état rudimentaire, et 
que ses filets nerveux étoient blancs, distinctement 


DES MAMMIFÉRES. 


fibreux , et avoient au plus un sixième de ligne de 
diamètre. 

Nous ne répèterons point ce que nous avons déjà 
eu occasion de dire sur le goût, le toucher et les 
mouvements locomoteurs des dauphins, en parlant 
des cétacés en général, et il nous suflira quant à 
présent de nous borner à ce simple aperçu. 


RE — 
LE DAUPHIN DE PERNETTY. 
Delphinus Pernettyi. DEsx. (1). 


L'existence de ce dauphin est loin d’être recon- 
nue: Bonnaterre le regardoit comme une simple 
variété du dauphin ordinaire ; et M. Cuvier parlage 
aussi ce sentiment, car il dit (Oss. foss., t. V, 
p.277 ) : « Doit-on distinguer du dauphin vulgaire, 
» par exemple, celui de Pernetty, qui a été vu près 
» desiles du Cap-Vert, et dont le ventre paroit avoir 
» été tacheté? » 

Cependant, à moins que la figure de dom Per- 
netty n’ait été faite à plaisir, il est impossit le d’ad- 
mettre que le dauphin qu’elle retrace soit identique 
avec l’espèce précédente; et dans le doute, nous 
croyons devoir rapporter la description que ce reli- 
gieux en a donnée; rar nous avons eu souvent oCCa- 
sion de reconnoitre que les descriptions de Pernetty, 
bien que superiicielles, étoient cependant d'une exac- 
titude scrupuleuse en beaucoup de points. 

Le 50 octobre le navire de Bougainviile, où se 
trouvoit le père Pernetty, étant à peu de distance 
de Bona-Vista, une des îles du Cap-Vert, fut en- 
touré d’une centaine de dauphins qui s’en approche- 
rent de très près. Ils sembloient, dit Perneity, n'être 
venus que pour nous divertir ; ils faisoient des bonds 
singuliers hors de l’eau : plusieurs, dans ces cabrioles, 
sautoient au moins à trois ou quatre pieds de haut, 
et tournoient Jusqu'à trois fois en l’air. 

Un de ces dauphins que l’on prit pesoit cent livres; 
son bec étoit eflilé et revêtu d’une peau épaisse et 
grise. « Je pense, dit l’auteur bénédictin, qu’il 
» étoit de l’espèce de ceux que l’on nomme moines 
» de mer, car la partie antérieure de la tête se ter- 
» minoit en bourrelet près de la racine du museau, 
» et y formoit comme les bords d’un coqueluchon ; 
» il avoit le dos noirâtre et le ventre d’un gris de 
» perle, un peu jaunâtre, moucheté de taches noires 
» et d’autres gris de fer : les dents étoient aiguës, 
» blanches, ct de la forme de celles du brochez. » 

A ces caractères particuliers l’auteur en a ajouté 
qui conviennent à presque tous les dauphins des 


{‘) Delphinus pernettentis, de Blairv.; Belphinus del- 
phis, var. a, Cétologie, p. 21; Marsouin, Pernelly; 
Voyage aux îles Malouines, t. 1, p. 97, pl. 2, fiz 1, 
Desm., Hamm., Sp. 756. 


613 


grandes mers, tels que de vivre en troupes, de na- 
ger de front, de se diriger du côté d’où le vent doit 
s'élever, d’avoir une force et une énergie muscu- 


_laires considérables, d’exhaler une odeur si forte ct 


si tenace, que les corps qui s’en imprègnent la 
conservent plusieurs jours, quelque chose que l’on 
fasse pour les en débarrasser, ete. Pernetty par- 
tage d’ailleurs dans sa narration plusieurs des opi- 
nions populaires des marins au milieu desquels il 
vivoit. 

La figure du dauphin de Pernetty est assez bien 
faite; le bec est surtout plus long, toutes propor- 
üions égales, que celui du dauphin vulgaire; il est 
aussi moins haut et évidemment moins large. La 
mâchoire inférieure un peu recourbée est plus longne 
que la supérieure; dans l’espèce précédente elles 
sont égales : la nageoire dorsale est plus pointue, et 
placée plus en arrière; enfin les taches du ventre, 
clairement exprimées dans le texte, sont très mar- 
quées dans la figure ; et tout porte à croire à l’exis- 
tence de cette espèce, que les voyageurs rencontre- 
ront sans doute un jour, et sur laquelle ils fixeront 
alors l'opinion des naturalistes. 


LE DAUPHIN DOUTEUX. 
Delphinus dubius. Cuv. (1). 


Les formes générales de ce dauphin sont entière- 
ment inconnues ; mais on doit croire qu'elles ne dif- 
férent en rien de celles du dauphin vulgaire, avec 
lequel on l’a confondu jusqu’à ce jour. Son existence 
comme espèce distincte a été constatée par M. Cu- 
vier sur plusieurs têtes osseuses conservées au Mu- 
séum, e{ toutes remarquables par l’égale quantité de 
dents qu’eïles possèdent. Le dauphin vulgaire en 
effet a constamment de chaque côté, et à l’une et 
autre mâchoire, de quarante-deux à quarante-sept 
dents, tandis que le danphin douteux n’en a jamais 
que trente-sept ou trente-huit; la tê'e osseuse a 
d’ailleurs la plus grande ressemblance avec celle 
du dauphin vulgaire, bien qu’elle soit un peu plus 
petite, et que le museau soit plus effiléet plus pointu : 
la mâchoire supérieure aussi est légèrement conique, 
mais non renflée. 

Ce dauphin vit sur les côtes d Europe, et peut- 
être devons-nous le reconnoître dans le marsouin 
ouette des pêcheurs hoilandoiïis, mal décrit et médio- 
crement figuré dans la pl. VIII de l'Histoire des 
Péches dans les mers du Nord. 

La plupart des auteurs ont considéré comme une 
variété du dauphin vulgaire l'espèce qu'Osbeck a 


(°) Rapport sur les cétacés échoués à Paimpol, Mém. 
du Mus.; Desm., Mamm., sp. 760. 


614 


décrite dans son Voyage en Chine (1. T, p. 7), sous 
Je nom de delphinus chine sis (1). 

La description de ce dauphin de Chine, tracée 
suivant la méthode linnéenne, est trop incomplète 
pour que nous puissions l’admettre comme espèce 
distincte; cependant on ne peut douter que ce cé- 
tacé ne soit fort différent du dauphin vulgaire, et 
que l’analogie qu'on a remarquée entre eux ne soit 
le résultat d’un examen rapide et superficiel. Nous 
le répétons, chaque espèce de dauphin vit dans 
des parages beaucoup plus restreints qu’on ne le 
pense communément ; et chaque espèce, bien que 
voisine de ses congénères par la même organisa- 
tion de forme, s’en distingue nettement cependant 
par des différences caractéristiques, souvent lé- 
gères, mais qui n’en per-istent pas moins pour 
constituer, par la filiation, ce que nous sommes 
convenu d'appeler race ou type spécifique primitif. 
C’est donner trop d'extension aux variétés comme 
à la faculté de vivre dans des circonstances oppo- 
sées, que d'admettre cette homogénéité de formes 
dans le règne animal : elle n’existe que pour quel- 
ques êtres. 

Osbeck se borne à dire que son dauphin des mers 
de Chine est semblable au dauphin vulgaire, mais 
qu'il est partout d’un blanc Chlo“issant. 

Jl en est de même du dauphin blanc ou du Ca- 
nada (delphinus caradensis, de Blainv., Desm.) que 
Duhamel a figuré dans son Traité des  èches (p. 2, 
pl. 10, fig. 4 }, et que M. Cuvier regarde comme 
identique ( Rène animal, t. Y, pag. 278), avec le 
dauphin à bec mince (delÿhinus rostratus. Shaw ), 
mais que MM. de Blainville et Desmarest en dis 
tinguent. En effet, tout porte à croire que le delphi- 
aus rostratus de Shaw est un individu du sousou 
du Gange mal décrit. L'espèce de Duhamel vit dans 
les mers du Canada; sa tête est très bombée, son 
front fort élevé, son museau très pointu et brus- 
quement séparé du front: il est généralement blanc 
À cela se bornent les détails qu’on possède sur cette 
espèce. 

M. de Blainville croit, avec juste raison, que le 
cétacé nommé dauphin de Bertin (?), figuré dans le 
Traité des Péches de Duhamel (3), est un cachalot. 
Au reste on n’a sur cet e espèce que des renseigne- 
ments très incomplets et qui se bornent à savoir que 
sa tête est très bombée; que son museau est gros; 
que les yeux sont situés au-dessus du niveau de la 
“bouche; que la mâchoire inférieure est seule «arnie 
de dents ; que les nageoires pectorales sont très éle- 


(1) Desm., lamm., sp. 759; Delph'nus delphis, var., 
C.; Bonnat., Cét., p. 21. 

(2) Delphinus Bertini, de Blainv.; Desm., Mamm., 
sp. 768. s 

(3) Deuxième partie, dixième section, pl. 10, fig. 3, 
p. 41. 


HISTOIRE NATURELLE 


vées et la dorsale très petite. On ne sait rien de ses 
dimensions et des mers qu’il fréquente, et par con- 
séquent une indication aussi incomplète doit le faire 
rejeter de la liste des espèces connues. 


EE 
LE DAUPHIN DE BORY. 
Delphinus Boryi. Des. (1). 


M. Desmarest a publié la description de cette 
espèce de dauphin d’après un dessin et d’après des 
notes que possédoit M. Bory de Saint-Vincent, qui, 
le premier, l’a observée dans les mers d'Afrique, 
non loin des îles de Madagascar, de Bourbon et de 
Maurice. 

Sa taille est d'environ huit pieds; son bec est 
long, déprimé et fort large près de la tête : celle- 
ci est peu haute ; la nageoire dorsale est médiocre- 
ment élevée, elle occupe assez exactement le milieu 
du corps; les nageoires pectorales sont petites et 
assez larges ; la caudale forme un croissant dont le 
bord , dans le dessin du moins, est presque recti- 
ligne. 

La couleur générale Ju corps de cette espèce est 
gris de souris, fort tendre en dessus, se dégradant en 
gris très clair en dessous. Cette dernière partie pré- 
sente un grand nombre de taches peu arrêtées, 
d’un gris bleuâtre fugace, et qui disparurent aus- 
sitôt après la mort de l'animal ; mais ce qui caracté- 
rise le dauphin de Bory, dès la première vue, est 
une bande d’un blanc pur qui occupe les côtés de 
la tête en traversant la région oculaire, et qui est 
nettement séparée du gris des parties supérieures. 

Le baron Milius remit à M. Bory de Saint-Vincent 
un dessin de la même espèce de dauphin qui n’en 
différoit que parce que ses couleurs affectoient une 
teinte capucin fort pâle. L’individu qu’il représen- 
toit avoit été pris non loin de la baie des Chiens 
marins, sur la côte occidentale de l'Australie. 

On ne connoît point les mœurs de ce dauphin, 
bien que M. Bory les suppose analogues à celles de 
l'espèce vulgaire. 


LE DAUPHIN A BEC MINCE. 
D'lphinus rostratus. Cuv (?). 


Cette espèce de la taille du dauphin vulgaire s’en 
rapproche beaucoup : elle ne repose que sur l’exa- 
men de quelques crânes. Le museau est grêle et 


() Mamm., sp. 757; Desmonl., Dict. class. d'hist. 
nat., t. V, p. 356, pl. de l’atlas, fig. 1. 

12) Rapport sur les cétacés échoués à Paimpol, Ann. 
du Mus ,t. XIX, p. 9; Desm., Mamm,, sp. 764. 


le : : “1 
1 Dauphin 4 nou vou Üancs, Delphinus supercihosus, lof. 


, ! , ; } 
2 L'auphir CHuCuyCt , Delphinus CEUCI®CE , ( (49/ Pr Gaine 
© = 
É LL 


Pabbe par lourratf: a Paru. 


DES MAMMIFÈRES. 


long, et comprimé sur les côtés au lieu d’être dé- 
primé. Les dents sont grosses, Coniques, un peu 
courbées en arrière et en dedans ; leur base présente 
un collet, et leur surface est rugueuse et comme 
guillochée. Leur nombre varie : M. Georges Cuvier 
en a trouvé vingt six de chaque côté et à l’une et 
l’autre mâchoire ; et M. de Blainville, en examinant 
une tête très fraiche. et qui feroit supposer que ce 
dauphin vit dans nos mers, n’en a trouvé que vingt- 
deux. 

On ne possède aucun autre renseignement sur Île 
dauphin à bec mince. 


LE DAUPHIN CRUCIGÈRE. 


Delphinus cruciger, Quoy et Gaim.; Zool. de 
PUranie, p. 87, pl. 1, fig. 5 et 4. 


Ce dauphin a été observé par MM. Quoy et Gai- 
mard dans le vaste intervalle de mer qui existe 
entre la Nouvelle-Hollande et le cap Horn, et par 
49 degrés de latitude sud. Il est remarquable par 
deux larges bandes blanches, coupées à angle droit 
par une noire, qui occupent chaque côté du corps, 
dans presque toute sa longueur, et qui forment une 
croix noire sur un fond blanc. La nageoirce dorsale 
étoit assez aiguë. , 

Cette espèce, n’ayant été qu’entrevue et ne re- 
posant, ainsi que là suivante, que sur des données 
fugitives, a besoin d’être observée de nouveau, et 
nous ne savons pas si elle doit appartenir aux dau- 
phins ou aux marsouins, bien que la figure autorise 
à la ranger avec les premiers. 


LE DAUPHIN ALBIGÈNE. 


Delphinus albigena, Quoy et Gaim.; Zoolog, de 
l'Uranie, p. 87, pl. 11, fig. 2. 


C'est encore dans les mers antarctiques que 
MM. Quoy et Gaimard observèrent cette espèce 
de dauphin, dont le corps étoit entièrement noir, 
et que rendoit remarquable une large bandelette 
blanche placée de chaque côté de la tête. Ces voya- 
geurs se demandent si ce n’est pas une variété de 
l'espèce qui précède, ou peut-être si ce caractère 
n’est pas le résultat de la jeunesse de l'individu. 
Il nous arriva plusieurs fois de voir, dans les mers 
du sud de la Nouvelle-Hollande, nager autour de 
notre vaisseau ce dauphin, et nous pensons qu’il 
est bien distinct du précédent , sans toutefois pou- 
voir compléter son histoire par des détails plus cir- 
constanciés. 


» 


LE DAUPHIN A BANDES. 


Delphinus bivitatus, LEss.; Zool. de la Coquille, 
pl. 1x, fig. 3. 


Dans les mers orageuses du cap Horn, en allant 
aux Malouines, à cent quarante lieues de ces îles, 
nous observämes un dauphin qui différoit notable- 
ment de ceux dont Commerson et le docteur Quoy 
ont fait mention. Le dauphin à bandes suivit quelque 
temps notre navire en grande troupe, quoique la 
mer fût très grosse. Il s'élancoit fréquemment au- 
dessus des houles, et sembloit jouir de la résistance 
qu’il trouvoit dans l’eau ainsi bouleversée. 

Sa taille est d’environ deux pieds et demi de lon- 
gueur sur dix pouces à peu près d'épaisseur. Il est 
court, mais svelte, dans l’ensemble de ses formes. 
La moitié supérieure du corps est d’un noir lustré 
et foncé: le ventre est blanc, ainsi que la mâchoire 
inférieure. Ce qu’il offre de remarquable est une 
large écharpe d’un blanc satiné, disposée longitudi- 
nalement sur chaque côté du corps, et interrompue 
au milieu vis-à-vis la nageoire dorsale, où les deux 
portions de cette bande ainsi séparée s’élargissent. 
Cette disposition lui donneroit quelque analogie 
avec le delphinus cruciger des docteurs Quoy et 
Gaimard, si ce dernier n’avoit pas le corps noir su- 
périearement et blanc inférieurement, avec une 
large ceinture noire sur le ventre. Le museau de 
cette espèce est court et conique ({); la nageoire dor- 
sale est médiccrement élevée, noire, placée au mi- 
lieu du corps; la caudale est écancrée au milieu, 
brune; les pectorales sont minces, blanc.es, noirà- 
tres seulement sur le bord antérieur. 


EE ——— 
LE DAUPHIN A SOURCILS BLANCS (:,. 
Delphinus supercitiosus. Less. 


C’est après avoir doublé le cap Horn, et par 45 
et 45 degrés de latitude méridionale, que nous ob- 
servàmes ce dauphin, que nous primes d’abord pour 
l'espèce que MM. Quoy et Gaimard avoient men- 
tionnée sous le nom de dauphin albigène. Lorsque 
M. Garnot partit du port Jackson pour opérer son 
retour en France, sur le navire anglois le Castle- 
Forbes, on en tua un individu qu’il décrivit à peu 
près en ces termes : 

Sa longueur totale étoit de quatre pieds deux 
pouces; la mâchoire supérieure offroit de chaque 


(") Peut-être seroit-elle mieux placée avec les mar- 
souins. 

() Zoo. de la Coquille, par MM, Lesson et Garnot, 
p. 181, pl. 9, fig, 2, 


616 


côté trente dents, et l’inférieure vingt-neuf; le 
museau de médiocre longueur étoit séparé du front 
par une rainure profonde ; la dorsale étoit placée un 
peu au-delà du milieu du corps, elle finissoit en 
pointe assez aiguë: la caudale disposée en croissant 
étoit échancrée au milieu. Toutes les parties supé- 
rieures du corps présentoient une couleur noir bleu 
éclatant, et les inférieures ainsi que les flancs res- 
plendissoient d’un éclat argentin. Les nageoires 
pectorales étoient brunes , bien que placées au mi- 
lieu des teintes blanches du dessous du corps; mais 
ce qui caractérise particulièrement ce dauphin est 
un trait blanc élargi qui occupe le dessus de l'œil 
jusqu’au front, tandis qu’un autre trait blanc 
rubané est placé sur les côtés du corps, tout près de 
la queue. 


a —————_—_—_—_— 
LE DAUPHIN FUNENAS. 
Delphinus lunatus. Less. (1). 


L'immense baie de la Conception nourrit un grand 
nombre de dauphins, dont nous ne pümes tuer au- 
cun individu. Cette espèce, nommée funenas dans 
le pays, est ramassée dans ses formes, et longue 
de trois pieds au plus. Son museau est eflilé , sa na- 
geoire dorsale arrondie au sommet, la couleur de 
son dos d'un brun fauve clair, qui se fond insensi- 
blement avec le blanc de la partie inférieure, un 
croissant brun et nettement dessiné occupe le dos, 
vis-à-vis les nageoires pectorales, en avant de la 
dorsale. Ce petit dauphin détruit une grande quan- 
tité de poissons, et tous les matins au lever du 
soleil nous eûmes occasion d’en observer des trou- 
pes nombreuses qui plongeoient sans cesse et 
paroissoient très occupées à la pêche. Vers dix 
heures du matin, lorsque les funenas étoient repus, 
ils jouoient à l’envi les uns des autres, et sem- 
bloient se plaire à faire des bonds rapides hors de 
l’eau , et lutter à qui s’élanceroit à une plus grande 
hauteur. 

Nous n'avons point observé cette espèce ailleurs 
que dans la baie de Talcaguana, dans la province 
de la Conception, au Chili; mais elle y est extraor- 
dinairement commune. 


EEE ——_——_—_—_—_—_—"—"— — — ———"—"—"— 


LE PLUS PETIT DES DAUPHINS. 


Delphinus minimus, LEss.; Zool. de la Coguille, 
pag. 185. 


Dans les mers chaudes des îles fabuleuses de 
Salomon, au milieu de ces terres qui se rapprochent 


t) Zool. de la Coquille ( voyage autour du monde), 
pl. 9, Gg. 4, p. 163. 


HISTOIRE NATURELLE 


de la constitution des Moluques, nous fûmes en- 
tourés (2 et 10 août 1825) par des milliers de dau- 
phins à bec mince, dont la taille chez les plus grands 
ne dépassoit pas deux pieds. Leur couleur générale 
étoit brune, et on remarquoit une tache blanche 
seulement au bout du museau. Ils sautoient hors 
de l’eau à la manière des scombres, et suivoientune 
direction constante, tous formant deux lignes dispo- 
sées en échiquier. 


| 


LE DAUPHIN OUDRE. 
Delphinus tursio. BONNAT. (1). 


La synonymie de cette espèce de cétacé est fort 
embarrassante à débrouiller; car chaque auteur, en 
la décrivant, lui a souvent appliqué un nom, de 
sorte qu’il devient difficile de marc'er d’un pas 
ferme dans ce labyrinthe de nomenclatures. Les cé- 
tacés en effet, n’ont que bien rarement été décrits 
d'après des êtres mesurés, pour ainsi dire, avec le 
compas, et comparés surtout les uns aux autres, 
de manière que le plus souvent les descriptions que 
nous avons à mettre en œuvre se ressentent des 
négligences ou des principes fort opposés de ceux 
qui nous les ont transmises. 

Le nom d'oudre que porte ce dauphin se trouve 
mentionné, pour la première fois, par Belon, na- 
turaliste du seizième siècle. Il le confondoit toute- 
fois avec l’orca des Latins, ou le capidoglio des 
Italiens, qui paroit être évidemment le cachalot 
macrocéphale des auteurs modernes. La figure de 
l'oudre a été reproduite par Rondelet, Jonston, et 
Aldrovande, dans les divers portraits de dauphins 
qu'ils ont fait graver; mais il est probable que c’est 
de lui dont parle Artédi, lorsqu'il donne à sa orque 
un museau conformé comme celui du dauphin vul- 
gaire, bien qu’il ajoute à sa phrase : Des dents larges 
et crénelées sur leurs bords. 

Linné confondit sous les noms de delphinus orca, 
l'oudre, qui est un vrai dauphin, avec l’orca de 
Rondelet, qui est un marsouin, et consacra l'épi- 
thète de tursio à un physétère. 

Fabricius décrivit l’oudre sous le nom de nésar- 
nak, usité par les habitants du Groenland. L'abbé 
Bonnaterre compléta cette description par des détails 


{n Nésarnak, delphinus tursio, Bonnat. Cét., p.21, 
pl. 41, fig. 1; Dauptiin nésarnak, Delphinus nesarnak, 
Lacép., 2eédit., t. 1, p. 366; delphinus delphis ou bottle 
nose whale, Hunter, pl. 18, fig. 1 et 2, des Trans. phi- 
losoph. de 1787; Camper, pl. 35 et 36, 39 et 40; G. 
Cuv,, Oss foss., t. V, p. 277; Delphinus tursio, Oth. 
Fabricins, Faune Groen., p. 49; Desm,, sp. 761, 762 
et 765: Risso, Nice, t. I, p. 21 ; orca rt oudre, Belon, 
Etranges poiss marins, pl. 33, p. 30, el de aquat., 
pl. 18, fig. 16 ; delphinus orca, L. Gmel. sp. 4, 


DES MAMMIFÈRES. 


pris sur un individu conservé à l'École vétérinaire 
d’Alfort. Plusieurs auteurs, toutefois, ne pensent 
point que le nésarnak de Fabricius soit identique 
avec le nésarnak de l’abké Bonnaterre ou l’oudre, 
et font deux espèces distinctes de ces cétacés. Nous 
devons dire que les détails donnés par Fabricius dif- 
fèrent un peu de ceux de l'abbé Bonnaterre, mais 
que la description du premier auteur est si incom- 
plète, et si peu caractéristique, qu’il est impossible 
de l’admettre sans restriction. 

L’oudre se présente quelquefois sur les côtes occi- 
dentales de la France, où les habitants riverains lui 
donnent le nom de grand souffleur, etsur les rivages 
de la Méditerranée, où il conserve la dénomination 
de souflur. À Nice, suivant M. Risso, il porte les 
noms de cau‘ues et de capidoglio; et suivant Du- 
hamel ( Péches, sect. 10, pag. 44), il s’appelleroit 
aussi coudin ou coudrieu. 

L’oudre est beaucoup plus grand que le dauphin 
vulgaire, auquel il ressemble par les formes corpo- 
relies. I] a communément dix pieds de longueur, 
bien qu’on en indique des individus de quinze et 
même de vingt-quatre pieds, s’il falloit s'en rappor- 
ter à des renseignements dont l’exactitude n’est pas 
démontrée. La nageoire dorsale est placée à peu 
près au miliea du corps : son sommet est arrondi et 
obtus, et elle se continue sur le dos par un prolon- 
gement adipeux. Les pectorales sont oblongues, 
pointues, longues de dix-huit pouces, et attachées 
à l'endroit le plus épais du corps, qui s’amincit in- 
sensiblement jusqu’à la queue, qui est large de vingt- 
trois pouces ; les deux lobes de celle-ci sont échan- 
crés, falciformes, et recourbés en arrière. 

La tête est légèrement arrondie à son sommet; elle 
est terminée par un museau moins large, beaucoup 
moins prolongé que celui du dauphin vulgaire, et 
séparé du front par un sillon profond (!). Le bec de 
l’oudre n’a guère, pour un animal long de neuf pieds, 
que cinq pouces de largeur à la base, sur quatre 
pouces et quelques lignes de longueur, à partir du 
sillon jusqu’à l'extrémité du museau. Les deux mâ- 
choires ne sont point égales ; l’inférieure dépasse un 
peu la supérieure, et affecte une légère convexité 


{‘) M. Cuvier (Oss. foss., t. V, p. 296, pl. 21, fig. 3 
et 4), dit « que le tursio est au rostratus ce que le du- 
» bius est au delphis ; son museau est plus court, plus 
» large, plus déprimé, mais ses tempes ont la même 
» grandeur relative. Ses os du nez sont plus petitsetne 
» touchent pas aux intermaxillaires. Le vomer s’y mon- 
» tre à deux endroits de la face inférieure ; une fois sur 
» un trés petit espace rhomboïdal, entre les”maxillaires 
»etles palatins, et plus avant sur un espace longitudi- 
» nal, entre les maxillaires et les intermaxillaires ; les 
» verlébres cervicales sont minces et distinctes; il ya 
» treize dorsales ct trente-huit lombaires; le premier 
» os du steroum n’a pas de trou,et ses angles sont moins 
» aigus qu'au dauphin vulgaire. » 

L, 


617 


en dessous. Mais ce qui ne permet pas de confondre 
cette espèce avec aucun autre vrai dauphin est le 
nombre des dents; on en compte généralement 
vingt-trois, en haut et de chaque côté, et vingt-une 
en bas; ces quatre-vingt-huit dents présentent les 
mêmes formes, c’est-à-dire que toutes sont droites, 
cylindriques et émoussées à leur sommet. 

L'évent est placé au-dessus des yeux ; sa forme 
est celle d’un croissant, et ses cornes sont dirigées 
en avant: il a dix-huit lignes de diamètre lorsque 
l'animal présente neuf pieds de longueur. 

Les couleurs de l’oudre n’ont rien de remarqua- 
ble; les parties supérieures sont brunes, et le des- 
sous du corps est d’un blanchâtre sale. 

M. Risso rapporte que la prise de ce dauphin 
donne toujours lieu, aux pêcheurs de Nice, de faire 
des réjouissances, et qu’ils l’ornent de fleurs pour 
le promener en triomphe dans les principaux quar- 
tiers de la ville, en faisant retentir l’air de leur cri 
d’allégresse. Le cortége de ce cétacé s'arrête d’oabi- 
tude devant les demeures des gens riches, et les 
capteurs jouissent du privilége d’en obtenir quelque 
argent. 

Le grand souffleur à bec d’oie, de l'Histoire des 
pêches hollandoises (1) (t. I, p. 285), ou butz-kop, 
est évidemment l’aodon ; la figure qui accompagne 
le texte est assez exacte, et ne permet aucun doute 
à cet égard (pl. vint). Ce nom de butz-kop ou butz- 
kopf paroît avoir été donné à plusieurs grandes es- 
pèces de dauphins, dont la tête, suivant le sens 
littéral du mot, a une forme carénée (?). Eggède dé- 
crit sous ce nom le marsouin épaulard (Descript. du 
Groenlt., 56). L'oudre ou grand souffleur habite la 
haute mer. Il n’approche que très rarement les côtes, 
aussi n’a-t-on que difficilement les occasions de l’ob- 
server. [1 vit indifféremment dans l'Océan comme 
dans la Méditerrnée. On assure en avoir vu plu- 
sieurs fois des troupes de sept à huit individus se 
présenter à l'embouchure de la Seine. 

On ne sait rien de ses mœurs. 

Le nésarnak décrit par Fabricins a, suivant cet 
auteur, le museau comprimé comme le bec d’un 
eider (anas mollissima ); les dents, au nombre de 
quarante à quarante-six à chaque maxillaire, et qui 
sont grosses, fortes, très obtuses, et courhées obli- 
quemen! en haut, d'avant en arrière, et en bas, 
d'arrière en avant. Cette dernière particularité que 


G) Histoire des péches, des découvertes ct des éta- 
blissements des Hollandois dans la mer du Nord; 
traduit du hollandoiïs par Bernard de Reste, 3 vol. in-8o. 
Paris, an IX. 

(2) L'épaulard est le vrai buts-kop, ou buts kopper ; 
mais ce nom a été Gonné dans l'Histoire des pêches, à 
l'aodon. Les Hollandois du cap de Bonse-Espérance 
l'ont appliqué à une baleinoptère à ventre plissé, et: 
Baussard ct Bonralerre l'ont transporté à l'ayperoudon. 

18 


GIR 


Bonnaterre et aucun autre auteur ne mentionnent 
pour l’oudre seroit caractéristique. Mais quel degré 
d'importance doit-on lui donner dans une descrip- 
tion très concise ? 

Le nésarnak de Fabricius vit dans les mers du 
Groenland, loin des rivages, et se laisse difficilement 
approcher. La femelle donne le jour à un ou deux 
petits, au milieu de l'hiver. Les naturels estiment ses 
chairs, son lard, et se régalent de ses intestins. 


DD 
LE DAUPHIN DE BAYER. 
Delphinus Bayeri. Ris50 (1). 


Le cétacé qui nous cecupe en ce moment à pri- 
mitivement été décrit par Bayer, qui en publia une 
assez médiocre figure dans les Mémoires de La So- 
ciélé Léopoldine des curieux de la nature. M. Risso 
s'étant procuré un dessin, qu’il dit exact, d’un cé- 
tacé échoué sur les côtes de Nice en 1726, reconnut 
qu'il ne différoit point de l’espèce qu’avoit indiquée 
Bayer. 

M. Risso a toutefois balancé sur le genre auquel 
ce cétacé devroit appartenir; et bien qu'il ait quel- 
ques uns des caractères des physétères, c'est avec 
les dauphins qu’il s’est décidé à le placer. Le genre 
physétère d’ailleurs n’a dans l'état actuel de nos con- 
noissances aucun caractère précis; et comme il doit 
disparoître des méthodes, le cétacé de Bayer sera 
conservé parmi les vrais dauphins avec lesquels il 
a de grands rapports, surtout par la longueur de 
son museau, jusqu’à ce qu’uu examen plus exact 
vienne éclairer son histoire, ct mettre à même de 
discuter la place qu’il doit oceuper dans la cétologie. 

Le dauphin de Barer est remarquable par la grande 
longueur de sa tête, qui égale à peu près le tiers de 
celle de son corps entier. Son museau est très pro- 
longé, obtusément pointu, un peu relevé, et de 
même forme: que celui du dauphin vulgaire; Pou- 
verture de la bouche est très grande; les mâchoires 
sont égaies et armées de chaque côté de trente- 
quatre dents aplaties, pointues et tranchantes ; l'ori- 
lice extérieur de l’évent paroit être large et occuper 
le sommet de la tête; les nageoires pectorales sont, 
dit-on, développées, tandis que la dorsale est trian- 

. gulaire. 

Cet animal n’a pas moins de quarante-deux pieds 
de longueur ; son corps est d’un bleu obseur en 
dessus, et blanchâtre en dessous; il vit dans la Mé- 
diterrance. 


(1) Phycélère, physeter, Lacép.; Cuv., Rég. an., t. 1, 
p.284, en note; Bayer, Ac. méd. Ac. cæs. Eecop. eur. 
nat., (IN. p. 2, pl. 1, fig, 2; Risso, Fist. nat., Nice, 
LIN ,p 22. 


HISTOIRE NATURELLE 


LES INIAS. 
Inia. D'Orpieny (1). 


Les inias sont des cétacés d'autant plus remar- 
quables, qu’exelusivement fluviatiles, ils ne quittent 
point les affluents du Rio Mamoré qui va se jeter 
dans l’Amazone, à plus de sept cents lieues de la 
mer, car ils sont très communs dans toutes les ri- 
vières de la province de Moxos, dans l’intérieur de 
la république de Bolivia ou Haut-Pérou. Par leurs 
mâchoires allongées en un bec eflilé, séparé du front 
par une profonde dépression , ils se rapprochent des 
sousous qui vivent aussi dans les eaux douces du 
Gange, mais qu’on rencontre fréquemment à l’em- 
bouchure de ce fleuve, et qui, avec leur museau de 
gavial, ont des dents inégales et une lame osseuse 
pour protéger les évents. Dans les inias, les dents, 
d'abord incisives, finissent par prendre la forme de 
molaires sur les branches des maxiliaires, et ce.sys- 
tème dentaire conduit évidemment les cétacés pis- 
civores aux herbivores, car les inias font le passage 
des sousous aux lamentins, et ont comme ces der- 
niers le museau couvert de poils rudes, particularité 
que ne présentent point les vrais cétacés, excepté 
dans leur jeune âge. 

Les caractères zoologiques des inias sont donc, 
quant aux formes extérieures, ceux des dauphins, 
excepté que la nageoire dorsale s'élève sur le dos en 
une simple proéminence assez semblable à celle des 
cachalots. Leur museau s’allonge en uae sorte de 
tube cylindrique revêtu de poils fermes. Les dents 
antérieures sont incisives, grosses , aiguës, ou usées 
par Ja mastication ; elles passent successivement à 
la forme de molaires en s’élargissant et prenant un 
talon interne, Comme chez les cachalots et le sou- 
sou, la symphyse de la mâchoire inférieure est très 
prolongée. La fosse temporale est ample, la fosse 
orbitaire très petite, et la première se trouve bordée 
en dessus par une crête fronto-pariétale très élevée, 
qui nait du milieu de la crête occipitale. 

La seule espèce de ce genre est l’inia de Boli- 
vie (?). Son corps est gros et très court, comparative- 
ment à celui des dauphins ordinaires. Son museau 
imite assez un bec prolongé, très mince, presque 
cylindrique, et obtus à son extrémité. La bouche est 
fendue jusqu’au-dessous des yeux, et forme une 
ouverture linéaire, seulement arquée à sa partie pos- 
térieure. Le canal nasal est tellement oblique d’a- 


() Nouv. Ann. du Mus., t. II, p. 31. 

Le nom d'inia est celui que donnent à ces cétacés les 
Indiens Quarayos des rives du Rio de San-Miguel, entre 
les provinces de Chiquitos etMoxos, dans la république 
de Bolivia. 

(2) Inia boliviensis, d'Orbign., Loc. cit,, pl. 3. 


DES MAMMIFÈRES. 


vant en arrière, que son orifice est placé presque 
au-dessus des bras. Derrière l'œil s’ouvre le trou au- 
ditif externe, beaucoup plus apparent que chez les 
autres cétacés. Les nageoires antérieures sont larges, 
volumineuses, obtuses à leur sommet, tandis que 
la dorsale à peine saillante se trouve occuper à peu 
près le tiers postérieur de la longueur totale du 
corps. Celui-ci est légèrement comprimé en arrière, 
et terminé par une large rame caudale échancrée à 
son milieu. : 

Le crâne se trouve être déprimé. Le museau est 
long et muni de dents sur toute la longueur des maxil- 
laires. On en compte de 150 à 154, ou 66—68 en 
haut et 66—66 en bas. Ces dents sont rugueuses ou 
marquées de sillons profonds et interrompus. Les 
dents de la mâchoire supérieure ont les vingt-trois 
premières de chaque côté arquées et coniques, et 
celles qui suivent sont munies d’un talon qui élargit 
leur base au bord interne, talon qui s’accroit d’au- 
tant plus que les dents deviennent plus postérieures, 
de manière que celles-ci n’ont presque pas de pointe 
ou semblent être à couronne rectiligne. Les dix-neuf 
premières dents sur chaque bord de la mâchoire in- 
férieure sont seules arquées et coniques, les autres 
sont semblabies à celles d’en haut, Dans l’état de vie, 
la peau qui recouvre toutes les parties est lisse, ex- 
cepté sur le museau , où apparoissent quelques poils 
rares, gros et crépus chez les jeunes sujets, et très 
longs et très fermes chez les vieux. Par la dessicca- 
tion ces poils tombent aisément. 

L'individu décrit par M. d'Orbigny étoit du sexe 
féminin, de petite taille, et prêt à mettre bas. La 
vulve étoit turgescente et gonflée, et les mamelles, 
placées sur les côtés de la vulve, se trouvoient rem- 
plies de lait qu’on pouvoit faire jaillir par la pres- 
sion. Cette femelle mit au jour un petit fœtus venu 
à terme, ayant des poils sur le museau, un cordon 
ombilical gros et hérissé de tubercules élevés. Ses 
dimensions étoient celles-ci : 


mèl, cent, mil. 
Longueur totale du bout du museau à 


l'extrémité de la queue. +. 2 4% 
_———— du bout du museau à sa base, » 23 
———— du bout du muscauàl'œæil, . » 3%  » 
———— de l'œil. , . . . . . . » » 9 
———— du bout du museau à l'orifice 

HAS TEST 00) 267 
———— du bout du museau à l'orifice 

de l’ouïe. HR SEL AU 5 LEE) 


du boul du museau au bras, » 52  » 
du bout du museau à la na- 
geoiretdorsale. 414.11. 44 30), 2 
du bout de la queue à sa base. » 2%  » 
du bout de la queue ala vulve, » 60 » 
du bras ou nageoiïire. . . . » 42 » 
FArpeEUT/AUDrAS. TM SHC CPE CRIME OLIS 
— deaqueues métis ue Lun ra 
Hauteur deJa dorsale, ,.  . :: + + :21 9 .» 


Circonférence du museau... . + . . » 20 » 
AUNEI VUE st Ci DE AGIT ON 
SOUSIES DRASS, . 2e er + 0) JON) 
AIT UOTPALE Se ee ie vie A ED 


Les mâles parviennent fréquemment à une lon- 
gueur de quatre mètres, mais les femelles restent 
toujours plus petites. La coloration générale de la 
peau varie, bien que celle qu’on remarque le plus 
ordinairement consiste en un bleuâtre uniforme sur 
les nageoires, à teinte pâie sur le dos, et se dégra- 
dant en nuance rosée sous le corps. Certains indi- 
vidus sont rougetres, d’autres à teinte noirâtre, 
enfin quelques uns sont tachetés ou rayés. Dans les 
grandes rivières, la coloration de la peau est toujours 
afoiblie, tandis que ceux qui vivent dans les lacs for- 
més par l’accumulation des eaux pluviales commu- 
piquant avec les rivières, et qui sont forcés d'y séjour 
ner pendant la saison des sécheresses, sont presque 
noirs, el ne perdent cette couleur qu'après un long 
séjour dans les eaux des rivières. 

M. d'Orbigny trouva ce dauphin fluviatile dans 
toutes les rivières qui traversent les immenses plai- 
nes de la province de Moxos, dans la république de 
Bolivia, et qui vont former les rivs Mamore et Gua- 
poré, qui cux-mêmes constituent plus loin la rivière 
de Madeiras, un des premiers bras des Amazones. 
L’inia remonte ainsi jusqu’au pied des dernières 
montagnes du versant est de la Cordilière orientale, 
à plus de sept cents lieues de distance de la mer, et 
M. d'Orbigny affirme qu’il paroit ceriain qu'il ne 
descend jamais jusqu’à l’Gcéan , et qu'il ne quitte 
point les fleuves désignés plus haut, HE seroit diffi- 
cile, ajoute ce voyageur, que cet animal, qui nage 
avec peu de vitesse, puisse d’ailleurs remonter les 
dix-neuf cascades du Rio de Ma‘eiras, qui se trou- 
vententre les 9 et 1üe degrés de latitude méridio- 
nale. Quelques négociants brésiliens, ayant à diverses 
reprises fait le voyage de Aato Grosso au Para, as- 
surérent que ces dauphins habitoient uniquement 
au-dessous des cascades, dans les rivières com prises 
entre les 10 et 17e degrés de latitude sud et les 64 
à 70e degrés de longitude occidentale. 

C'est seulement au fort de Beira, sur la rivière 
de Guaporé, que les Brésiliens font des inias uns 
pêche réglée au temps des basses eaux, afin de se 
procurer de lhuile pour leur éclairage ; les paisibles 
habitants de la province de Moxos ne les poursui-. : 
vent jamais. Les femelles ne donnent le jour qu'à | 
un petit qu'elles affectionnent avec la plus vive ten- 
dresse, et qui les paie du plus tendre retour. On a 
vu des femelles suivre avec une opiniàtreté d'amour 
maternel les pirogues qui emportoient leur progéni- 
ture tuée par le harpon, et se livrer ainsi à la mort, 
Les jeunes inias restent long-temps sous la protection 
de leur mère, et ne l’abandonnent que lorsqu'ils 
sont déjà grands, 


620 

Lorsque ces célacés ne sont point inquiétés, ils 
viennent lentement, et bien plus fréquemment que 
les espèces marines, respirer à la surface de l’eau. 
Muis s'ils sont effrayés, ils accélèrent leur nager, 
bien qu'ii n'ait point la vitesse de celai des dauphins. 
Rarement ils vont isolés, mais au contraire ils se 
réunissent par trois ou quatre individus, presque ja- 
mais en plus grand nombre. 

Le sens de l’ouïe chez les inias paroît être d’une 
grande délicatesse, car ces animaux s'arrêtent au 
bruit des pagaies qui agitent l’eau, et viennent à 
plusieurs reprises, en soufflant, s'assurer de la cause 
du bruit qui les émeut. Ils poursuivent les pois- 
sons, qu’ils viennent mâcher à la surface de l’eau, ce 
qui dénote des mœurs plus terrestres que celles des 
dauphins. 

Le nom d'inia, donné par M. d’'Orbigny à ce genre 
de dauphin fluviatile, est emprunté à la langue des 
Guarayos. L'espèce porte le nom de bote chez les 
Brésiliens du fort del principe de Beira , et celui de 
bufeo chez les Espagnols. C’est encore le sisi des 
Chapacuras, V'ihui des Baures, le puchca des Ito- 
namas, le potohi des Cayuvava, le sata des Eten, 
le cachoïcana des Pacaguaras, le pathi des Movi- 
mas, le nituya des Canichanas, entin l’aïco des 
Moxos. 


LE RORQUAL MUSEAU - POINTU. 
Balænoptera acuto-rostra'a. 


Nous aurons quelques nouveaux renseignements 
à donner sur cette espèce de baleinoptère , que nous 
avons pu étudier sur un bel individu, parfaitement 
conservé et long de vingt-trois pieds dix pouces. Ce 
rorqual, battu par de fort mauvais temps dans le 
golfe de Gascogne, entra dans la Charente, et vint 
s’échouer à la marée basse au Vergeroux, le 26 août 
1853. Là, les employés des douanes s’en rendi- 
rent maitres, et le préfet maritime, M. de Freyci- 
net, et le commissaire général, M. Jurrien, firent 
de la meilleure grâce les dépenses nécessaires pour 
que ce cétacé pût être conservé pour le cabinet d’his- 
toire naturelle de l'Ecole de médecine navale. En 
attendant que cette espèce soit l’objet d’un travail 
spécial, dont sont chargés MM. les docteurs Triaud, 
Souty et Duché, nous offrirons à nos lecteurs la des- 
cription suivante. 

Ce baleinoptère a l’épiderme épais, lisse, assez 
semblable à du taffctas d'Angleterre. La tête est 
peu longue, et se continue avec le corps tout d'une 
venue, et sans aucune élévation. La mâchoire su- 
périeure est très étroite, formant un angle aigu, 
tandis que l’inférieure la déborde bien qu’elle soit 
aiguë à son extrémité. La plus grande épaisseur du 


HISTOIRE NATURELLE 


corps est au niveau des rageoires pectorales, qui 
sont longues de deux pieds huit pouces. La dorsale 
a douze pouces de hauteur. Le dos est caréné, et 
s’'amincit à la queue, dontles deux lobes sont échan- 
crés à leur milieu. Les fanons n’ont que six pouces 
de hauteur. L’æœil, très petit, est sur le rebord du 
maxillaire supérieur que garnit une muqueuse sèche 
etnoire. La langue est oblongue, arrondie, molle, 
rougeûtre , lardacée. La gorge jusqu’au ventre est 
garnie de plissures régulières. Les évents s’ouvrent 
sur la nuque par deux fentes obliques, formant par 
leur position un accent circonflexe (‘). Le conduit 
auditif est percé par un trou ressemblant à un tube 
de plume à écrire. Il est traversé par une ligne 
blanche. 

Les couleurs du corps sont : un blond blanchâtre 
pour les fanons ; un noir luisant pour tout le dessus 
du corps et les côtés; un blanc satiné pour toutes 
les parties inférieures et pour les plis de la gorge. 


6 VI. 
LES OXYPTÈRES. 


M. Rafinesque-Smaltz, dans son Précis de So- 
miologie (pag. 15), proposa de séparer des delphi- 
nus, sous le nom d’oxyptère (oxyplerus), son dau- 
phin de mongitore («elphinus mongilori), qui a 
deux nageoires dorsales sur la partie supérieure du 
corps. Cet auteur, alors établi en Sicile, n’a point 
jugé à propos de donner des renseignements suscep- 
tibles de nous mieux faire connoître ce dauphin à 
deux nagcoires qui vit dans la méditerranée. Nous 
eussions donc négligé de parler des oxyptères, si 
MM. Quoy et Gaimard, en décrivant dans la Zoo- 
logie de l’Uranie un cétacé remarquable par deux 
nageoires dorsales, ne nousavoient prouvé l'existence 
de ce sous-genre. 


L'OXYPTÈRE RHINOCÉROS. 


Delphinus rhinoceros, Quoyx et Gaim. ; Zool. de 
l'Uranie, pl. M, fig. 2, pag. 86. 


C’est en ces termes que MM. Quoy et Gaimard . 
décrivent cette espèce qu’ils n’ont fait qu’entrevoir : 

« Dans le mois d'octobre 1819, en allant des îles 
» Sandwich à la Nouvelle-Galles du Sud, nous vimes 
» par 5° 2ÿ' de latitude nord, beaucoup de dauphins 
» exécutant en troupes, autour du vaisseau, leurs 
» rapides évolutions : tout le monde à bord fut sur- 
» pris, comme nous, de leur voir sur le front une 
» COrne Ou nageoire recourbée en arrière, de même 
» que celle du dos; le volume de l’animal étoit à 


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Delphinu s compre s sicauda ; 


4 


271 


DES MAMMIFÈRES. 


» peu près double de celui du marsouin ordinaire, 
» et le dessus de son corps, jusqu’à la dorsale, étoit 
» tacheté de noir et de blanc. 

» Nous nous attachâmes à observer ces dauphins 
» pendant tout le temps qu’ils nous accompagnèrent ; 
» mais quoiqu'ils passassent souvent à toucher la 
» proue de notre corvelte, ayant le haut du corps 
» hors de l’eau, leur tête y étoit tellement enfoncée, 
» que ni M. Arago, ni nous, ne pûmes distinguer 
» sileur museau étoit court ou allongé; leur allure 
» ne put rien nous indiquer à cet égard ; car ils ne 
» s’élancoient point au-dessus des eaux comme les 
» autres espèces. D'après leur conformation toute 
» particulière, nous les avons nommés dauphins 
» rhinocéros (delphinus rhinoceros). » 


es eee 
6 VII. 
LES MARSOUINS. 


Les cétacés susceptibles d’être classés sous ce nom 
commun se distinguent des dauphins, seulement 
par les formes de leur museau. Il est en effet court 
et uniformément bombé, et non terminé en bec 
aplati et allongé comme celui des vrais dauphins; 
leur tête s'éloigne en outre de celle des globicépha- 
les , en ce qu’elle n’est point brusquement tronquée, 
ni à demi globuleuse. 

Les marsouins ont donc le front et le museau 
tout d’une venue ou sans sillon distinct. Quelque- 
fois une légère dépression sert à marquer le passage 
de l’une à l’autre de ces parties. Par l’ensemble des 
formes du corps et la disposition des nageoires, ils 
ressembient parfaitement aux dauphins. 

Ce sous-genre renferme plusieurs espèces nomi- 
nales: on ne peut en admettre, d’après les auteurs, 
que trois véritablement authentiques, auxquelles 
nous en Joindrons une quatrième inédite. 


LE MARSOUIN COMMUN. 
Delphinus phocæna. L. (1). 


Le marsouin est de tous les cétacés celui que les 
peuples modernes connoissent le mieux; il viten 


(9) Delphinus phocæna, Artédi; L. Brisson; phocæna 
Rondeletii, Gesn.; phocæna, Rondelet, Klein, Jonston, 
Aldrov.; sus marinus, Nieremb.; marsouin, Belon. 

Poxxve, Aristote, Pline, 

Delphinus phocæna, Olh. Fabricius, sp. 29, p. 46; 
Bonnat, Cét p.18: G. Cuvier, Ménagerie du Muséum 
avec exc. figure: Lacép., Cétacés, p. 344, édit. Desma- 
rest; G.Cuvier, Régn. anim, t. 1, p. 279; Desmarest, 
Mamm., sp 770, G. Cuvier, Oss. foss., t. V, sp. 280; 
F. Cuvier, Histoire des Mammifères, liv. 53. 


621 
effet sur nos côtes, ne quitte presque point nos ri- 
vages, remonte dans les eaux douces des fleuves, 
et s’y présente toujours par troupes nombreuses. 

Sa taille est plus petite que celle du dauphin vul- 
gaire, avec lequel il a les plus grands rapports, par 
les formes corporelles comme par les couleurs; 
mais ce qui le distingue dès la première vue est sa 
tête arrondie, légèrement déprimée, et que ne ter- 
mine point un bec allongé et aplati; son museau 
présente done, à partir du front, une ligne douce- 
ment recourbée , et ses mâchoires acquièrent en lar- 
geur ce qui leur manque en longueur, en formant 
un demi-ellipsoïde. 

Le marsouin a rarement plus de quatre à cinq 
pieds de longueur, bien qu’on en indique des indi- 
vidus longs de six à huit pieds. Les jeunes, au 
moment de leur naissance, ont vingt pouces, à ce 
que rapporte Klein. Son poids varie suivant les di- 
mensions qui lui sont propres, et M. Cuvier dit 
qu'un M. Cardan prétend avoir vu, à Saint-Valery, 
un marsouin pesant mille livres. 

Les bords des maxillaires sont régulièrement gar- 
nis de dents ; toutes sont également aplaties et tran- 
chantes, droites, et arrondies au bout, au nombre 
de vingt-une, vingt-deux, et vingt-trois de chaque 
côté, en haut et en bas (!) ; quelquefois la surface de 
ces dents est striée, quoique le plus souvent elle soit 
lisse, ce qu’il est difficile d’expliquer, à moins que 
celte particularité ne tienne à l’âge, au sexe, ou peut- 
être à une différence spécifique. 

M. Cuvier a tracé une description rapide de ce 
cétacé , dans l’ouvragein-folio, et malheureusement 
non achevé, de la Ménagerie du Muséum qu’accom- 
pagnent les magnifiques gravures de Miger, d’après 
les vélins peints par Maréchal. « Le marsouin, dit- 
» il, est absolument dépourvu de poils ; il n’a pas 
» même de cils aux paupières. Sa peau est parfaite- 
» ment lisse, et son épiderme, très doux au toucher, 
» se détache facilement. Il n’a pas de lèvres propre- 
» ment dites; mais la peau, toujours lisse et noire, 
» se renfonce seulement un peu pour s'unir aux 
» gencives. L’œil est petit, fendu longitudinalement, 
» et situé presque dans l’alignement de l'ouverture 
» de la bouche. Les paupières sont molles et ont 
» peu de jeu; leur face interne est enduite de 


() M. Frédéric Cuvier (des Dents des mammifères 
considérées comme caractères zoologiques, p. 243) 
donne au marsouin la formule dentaire suivante : 


Dents, toutes mâchelières { se so de Fe HA 


Ces dents comprimées latéralement, plus larges à l’ex- 
trémité de leur couronne qu’à leur partie moyenne: 
elles se recourbent d'avant en arrière en s'introduisant 
dans l'alvéole, et l'extrémité de la racine est plus large 
que son collet. 


622 
» mucus ; mais il ne paroit point que ces animaux 
» répandent de larmes, et ils n’ont pas de points 
» Jacrymaux. L’iris de l'œil est jaunätre, et la pupiile 
» à la forme d’un V renversé. L'ouverture de l'oreille 
» n'est pas plus grosse qu’une pipüre d’épingle; 
» celle des narines est placée sur le sommet de la 
» tête, précisément entre les veux, et ressemble à 
» un croissant dont la concavité seroit dirigée en 
» avant. 

» La nagcoire dorsale et ceile de la queue n’ont 
» point de parties osseuses dans leur intérieur, et 
» ne sont pas susceptibles de mouvements particu- 
» liers : leur substance est un mélange de cartilages 
» et de fibres ligamenteuses croisées en différents 
» sens; celle du dos est presque toute composée de 
» graisse. » 

La nageoire dorsale occupe à peu près le milieu 
du corps : sa forme est assez régulièrement trian- 
gulaire. Les pectorales sont oblongues et obtuses à 
leur sommet. La caudale-est composée de deux lobes 
larges et échancrés à leur milieu. La surface du dos 
est arrondie avant la dorsale, et prend une disposi- 
tion légèrement carénée à mesure que le corps s’a- 
mincit en allant vers la queue. Les chairs sont noi- 
res, gorgées de sang, et recouvertes par un tissu 
cellulaire abondant, épais de plus d’un pouce, et 
d’une grande blancheur. Il se réduit presque en- 
tièrement par la chaleur en une huile semblable à 
celle de la baleine, mais plus fine et plus estimée. 

Le marsouin a le dessus du corps d’un beau noir 
bleuâtre, s’affaiblissant sur les côtés, et le ventre 
d’un blanc argentin. Les nageoires pectorales sont 
brunes, bien que naissant au milieu de Ja couleur 
blanche des flancs. 

L'opinion la plus générale fait provenir le nom 
françois de marsouin de l'allemand meer schwein, 
qui signifie cochon de mer, par analogie avec la 
graisse abondante qui enveloppe le corps de cet ani- 
mal; nous n’adoptons pas cette manière de voir. 
Marsouin découle , sans aucun doute, des deux mots 
usités dans la langue provençale, maretsuin, qu’on 
peut rendre littéralement par graisse ou cochon de 
ser ; ce mot suin servant encore dans beaucoup de 
mes provinces de l’ouest et du midi à désigner les 
corps gras. La plupart des peuples ont en effet donné 
le nom de cochon de mer (sus maris) au cétacé 
dont nous traçons l’histoire ; et tandis que les anciens 
dressoient des autels au dauphin , l’être qui s’en rap- 
proche le plus par les formes comme par les mœurs 
étoit relégué parmi les animaux immondes : telle 
est la justice des hommes! ils apprécient tout ce qui 
les entoure suivant leurs caprices ou leurs préjugés. 
Les noms divers que le marsouin a reçus sont mul- 
tipliés à l'infini; chaque contrée, chaque peuple, 
chaque auteur, a consacré les siens. Pour les Fran- 
sois, c’est le marsouin franc, le cochon de mer; c’est 


HISTOIRE NATURELLE 


le porpus et sea-pork des Anglois ; et remarquons 
en passant que ce nom de porus, qu’on trouveécrit 
dans beaucoup de voyages nautiques porpess, est 
d’origine espagnole ou portugaise, car por-pesse si- 
gnifie indubitablement p'isson-porc, dont on a fait 
ensuite pourpois dans le moyen âge, et aujourd’hui 
porpoisse , et pourcille en Sai tonge. Les Portugais 
cependant, lors de leurs premières navigations, men- 
tionnent les marsouins et les dauphins en général 
sous le nom de {orinas, que nous retrouvons dans 
la langue hollandoise, où il s’est glissé, et changé 
en tonyn ou funin. Les peuples du Nord appellent 
marswin où meer -schwein, que l'orthographe et les 
altérations de la langue celtique ont plus ou moins 
modifiés, notre mammifère marin qu’'Eggède désigne 
sous le nom de niser, et qu’on trouve écrit dans 
Othon Fabricius nisa ou nesa, d’après la pronqgn- 
ciation groenlardoise. C’est le brunskop(téle écrasée) 
des Danois; le bruin-fisch (poisson noir) de quel- 
ques Hol'andois; le spring-hwal (rélacé sautcur ), 
de plusieurs peuples maritimes; le suin-hual ou 
witingr des Islandois, suivant Martens, 

« Les deux sexes, dans le marsouin, varient trés 
» peu à l'extérieur, même par les organes de la gé- 
» pération (‘); la verge rentre entièrement sous la 
» peau , et l’on n’apercoit en dehors que l'extrémité 
» du gland. Celle du marsouin d’abord cylindrique, 
» aprés avoir fait un coude , se termine en cône assez 
» aigu; celle du dauphin ressemble plutôt à une lan- 
» gue aplatie. Les testicules sont cachés er dedans, 
» et portés par un ligament membraneux fourni par 
» le péri oiue, dans l'épaisseur duquel l’artère sper- 
» malique forme un plexus comme la veine. Le 
» canal déférent, comme celui de l'éléphant, est 
» replié sur lui-même jusqu’à son entrée dans l’urè- 
» tre. Il n’y a ni vés'cule séminale ni glande de Cow- 
» per; mais la prostate est énorme. La première 
» moitié de l’urètre fait, avec celle contenue dans 
» la verge, un angle de quarante degrés : les corps 
» caverneux et leurs muscles s’attachent aux petits 
» wsselets qui tiennent lieu de tout bassin. La fe- 
» melle n’a point de nymphes, mais un clitoris assez 
» notable. Son vagin est garni de rides transversa- 
» les, presque semblables à des valvules. Sa matrice 
» est partagée très près de son orifice. » 

La femelle porte six mois, d’après le témoignage 
d’Anderson. 

Le squelette du marsouin offre également, dans ia 
disposition des pièces osseuses, des caractères pré- 
cis et distincts. Comme nous l’avons vu, c’est, de 
tous les dauphins, celui qui a le museau le pluscourt 
et le plus large; et, bien que sa petitesse et la forme 
des dents le spécifient nettement, on doit y joindre 


(‘) Cuvier, Histoire du marsouin, Ménagerie du Mu- 
séum, in-folio. 


DES MAMMIFERES. 


Ja saillie que présentent les intermaxillaires au- 
devant des narires, qu’un large sillon sépare au- 
dessus de l'orbite; puis une autre saillie en pyra- 
mide tronquée , que l’occipital vient faire au-dessus 
dès naseaux, qui sont un peu concaves et plus hauts 
que larges ; au-devant des narines, sur le bord de 
Ja saillie des intermaxillaires, apparoit une petite 
rartie anguleuse des maxiilaires. Les intermaxil- 
laires ne remontent point du bord externe des nà- 
rines jusqu'aux naseaux. L’échancrure qui sépare le 
Jobe antérieur de l’orhite et le museau n’est pas pro- 
fonde. Le défaut de symétrie que présentent les têtes 
osseuses des célacés est beaucoup moins sensible 
dan; le marsouin ; les vertèbres cervicales sont min- 
ces et soudées; on compte treize paires de côtes 
dont sept s’articulent aux corps des vertèbres : il a 
sept vertèbres cervicales, quatorze dorsales et qua- 
rante-cinq lonbaires, sacrées et caudales : les der- 
nières sont petites, et en partie incrustées dans la 
nageoire de la queue. Le sternum est soudé de bonne 
heure; le premier os est percé d’un large trou, et 
n’est point anguleux sur ses bords. 

L'appareil digestif se compose de quatre estomacs ; 
Hunter en a compté jusqu’à sept : le premier est le 
plus volumineux; il ressemble à une large poche 
ovale, et s’unit au deuxième estomac par un renfle- 
ment que terminent deux portions étranglées qui l'ont 
souvent fait compter pour une véritable poche gas- 
trique ; le deuxième estomacest arrondi ; letroisième 
est disposé en tube recourbé; le-quatrième est tout- 
à-faitglobuleux. Une membrane veloutée et épaisse, 
froncée par des rides nombreuses, revêt les parois 
du premier estomac. Le p\lore est lui-même garni 
de rides tellement fortes et saillantes que nul corps 
volumineux ne pourroit le traverser. Les plissures 
du deuxième estomac sont entre-croisées en divers 
sens : ses parois sont formées d’une sorte de pulpe 
assez homogène ; et la muqueuse qui les tapisse est 
fine et lisse. Le troisième est simplement membra- 
neux : la muqueuse est couverte d’une infinité de 
petits pores. Enfin le quatrième ressemble beau- 
coup au premier. 

Tous les auteurs n'admettent point ces quatre es- 
tomacs indiqués et décrits par M. Cuvier ; M. Baer, 
entre autres, qui s’est beaucoup occupé de l’anato- 
mie du marsouin, pense que le réservoir principal 
de la nutrition ne se compose que de trois cavités 
digestives, et que le quatrième estomac de M. Cuvier 
n'est que le duodénum dilaté, facile à reconnoître 
par l'insertion du canal cholédoque , et par la distri- 
bution des vaisseaux : M. Arthur Jacob partage cette 
opinion, 

Ces nombreux estomaes ont pour but de faire 
subir aux substances alimentaires diverses élabora- 
tions successives; car de même que le gésier est 
pour les oiseaux le seul organe digesteur, de même 


625 


les quatre poches viscérales du marsouin sont desti- 
nées à agir immédiatement sur des corps que les 
dents n’ont point trilurés, et qui sont engloutis et 
lancés d’un seul jet dans le premier estomac. Le 
canal digestif diminue de diamètre jusqu'à l’anus, 
au point que le rectum est d’une minceur extraor- 
dinaire, et rien ne retrace les gros intestins et les 
cœcum ; sa longueur totale égale, dit-en, onze fois 
celle de l’animal entier. 

Le foie n'a que deux lobes, et point de vésicules 
du liel ; les rates sont au nombre de sept, et dimi- 
nuent de grosseur. Les reins, dépourvus de bassi- 
net, sont divisés en plusieurs lobes distincts ; cepen- 
dant M. Baer pense que les calices sont réunis en 
un canal ramifié, qui n’est autre qu’un bassinet de 
forme extraordinaire. 

La langue est molle, large, aplatie, et dentelée 
sur ses bords; la trachée-artère se compose d’an- 
neaux cartilagineux entiers ; le larynx s'ouvre par 
une fente dans les œsophages ; il n’y a point de liga- 
ment de la glotte ; l’épiglotte est rudimentaire. 

L'oreille interne du marsouin est, dit M. Cuvier, 
de même que celle des autres cétacés, creusée dans 
un os particulier, qui ne fait point partie du crâne 
comme dans les mammifères, mais qui n’y tient que 
par des ligaments. La trompe d’Eustache va s'ou- 
vrir assez haut dans le nez; c’est sans doute par là 
que l’animal entend ce qui résonne dans l’air. C'est 
avec el'e que communiquent les cavités auxquelies 
nous attribuons le siége de l'odorat; de sorte qu'on 
pourroit prétendre, jusqu'à un certain point, que le 
marsouin entend par le nezet sent par l'oreille. 

Le cerveau est large, convexe, formé de nom- 
breuses et profondes circonvolutions, et recouvre 
le cervelet en errière. On netrouve que chez l’homme 
et les singes cette disposition de l'organisme. 4 

De nombreux travaux ont été publiées en ces der- 
niers temps sur la structure interne du cétacé qui 
nous oceupe; la plupart confirment ou détruisent 
les opinions admises jusqu'ici. [ls nous sont trop 
imparfaitement eonnus pour que nous cherchions 
à en présenter même une analyse, et, bien qu’im- 
portants d’ailleurs, ils nous entraineroient hors du 
cadre que nous avons dù nous tracer (!). | 

Le marsouin se trouve dans toutes les mers d’'Eu- 
rope, aussi bien dans l'océan Atlantique que dans 


(:) Quelques observations anatomiques sur un mar- 
souin peu avancé en âge, par le docteur E. Eichwald 
(Mém. de l'Acad. imp. de Pétersbourg, t. IX, p. 431); 
Anatomie du marsouin, par le professeur Baer de Kæ- 
nigsberg (sis, 1826, Se cab. 807 ; Sur le nez des céta- 
cés et principalement sur celui du marsouin, par le 
même {avec fig.,ibid., p. S811); Anatomie des Cétacés 
du genre dauphin, par M. A. Jacob : Mémoire accom- 
pagné de l'anatomie d'un marsouin, par Tyson (Dublin 
philos. journ., 1826, février, p. 45; mai, p. 192, 


624 


la Méditerranée. Il se réunit par troupes considé- 
rables, dont les individus nagent le plus souvent à 
la file les uns des autres, en ne montrant jamais à la 
surface de l’eau que la partie supérieure de leur 
corps, de sorte qu’ils ont l'air de faire un mouve- 
ment de rotation complet sur eux-mêmes. Ils ne 
paroissent point quitter les côtes, et jamais on n’en 
a rencontré dans la haute mer ; ils remontent les 
fleuves lorsqu'ils sont acharnés à la poursuite des 
poissons ; mais, en général, ils ne dépassent guère 
la ligne où finit le mélange des eaux salées avec les 
eaux douces. Très souvent nous avons vu des mar- 
souins nager contre le courant de la Charente, jus- 
qu’au-delà de Rochefort, à cinq lieues de l’embou- 
chure de cette rivière. 

Lorsque la surface de la mer n’est pas agitée, que 

les marsouins sont repus, on les voit s’élancer hors 
de l’eau, faire des bonds rapides, et s’exciter réci- 
proquement dans leurs jeux. C’est ce qui arrive sur- 
tout dans les beaux jours de l'été, au moment où 
les mâles veulent obtenir la possession des femelles ; 
c’est alors aussi qu’ils se disputent la jouissance de 
ces dernières, qu’ils se livrent des combats à 
outrance, et que leur passion brutale les aveugle au 
point que nul piége, nul danger, ne peut arrêter la 
fougue de leurs désirs impétueux. On dit même 
que, dans ce moment, leur jugement est tellement 
obscurei par l’amour qui les transporte, qu’ils se 
heurtent contre les navires, ou qu’ils vont se jeter 
sur les rivages. La femelle ne donne le jour qu’à un 
seul petit ; elle en prend le plus grand soin , et sur- 
veille pendant une année avec la plus tendre solli- 
citude le développement de ses forces. 
# Le marsouin émigreroit-il? tout porte à le croire, 
Les Islandois, qui ont déguisé son imprévoyance en 
admettant qu’il étoit aveugle, en font des pêches 
considérables au mois de juin ({). C'est principale- 
ment en été, suivant Othon Fabricius, qu’il est 
commun sur les côtes du Groenland; et ce n’est 
jamais que dans l'hiver et dans les premiers mois 
du printemps qu'on le rencontre abondamment sur 
les côtes de France : ce fait, d’ailleurs, avoit déjà 
été remarqué par Belon. 

Les pêcheurs hollandois croient que le marsouin 
monte à la surface de l'eau à l'approche d’une tem- 
pête, et que sa présence en est un sûr pronostic. 
Ils distinguent le marsouin franc, et une espèce 
beaucoup plus petite qu’ils nomment le marsouin 
ouette. 

Plusieurs peuplesrecherchent le marsouin à cause 
de son huile ; mais comme c’est un animal de petite 


(‘) Anderson a été jusqu’à dire que si les Islandois en 
prenoient un aussi grand nombre, cela lenoit à ce que 
cet animal, vers celte époque, devenoit aveugle par la 
formation d’une petite membrane qui voiloit ainsi le 
globe de l'œil. 


HISTOIRE NATURELLE 


taille et fort agile, sa pêche n’a jamais été qu’acci- 
dentelle et très bornée, et e’est bien gratuitement, 
sans doute,que M Noël de La Morinière a prétendu 
que la compagnie des Walmans , dont les anciennes 
chartes du moyen âge de la monarchie françoise nous 
révèlent l’existence , se bornoit à la pêche du mar- 
souin ; tout porte à croire que c’étoit alors , de même 
qu'aujourd'hui, celle de la baleine. 

Comme aliment, la chair de ce cétacé repousse, 
et par son odeur, et par sa saveur, le palais le 
moins diflicile; elle n’est cependant pas aussi mau- 
vaise qu’on le dit en plusieurs livres. II paroît qu’on 
en faisoit autrefois quelque consommation dans le 
carême, et qu'on s’occupoit alors plus particuliè- 
rement de la pêche du marsouin. Les marins denos 
jours, dont le goût obtus n’est point blasé par les 
délicatesses de la vie, ne dédaignent point cette 
chair; et bien qu’elle soit noire, compacte, hui- 
leuse, indigeste, et accompagnée d’une odeur fra- 
grante et sui generis , ils en font d'excellents repas. 
Ilen est de même des Groenlandois, au dire d’Othon 
Fabricius ; et ce fait n’a rien qui étonne, car on sait 
que les peuplades polaires, luttant sans cesse contre 
les besoins qui les assiègent sous d’âpres climats, 
trouvent dans la chair des cétacés un mets exquis, 
et dans l’huiie qu’elles en expriment, un breuvage 
au-dessus duquel leur sensualité ne connoiît rien de 
plus délicieux. 


LE MARSOUIN ORQUE OÙ L'ÉPAULARD (1). 


L'épaulard, que Rondelet a décrit sous ce nom 
usité dans la Saintonge, mais dont les habitants 
actuels ont complétement perdu la tradition, est le 
véritable butzkopf de la plupart des peuples du 
nord : c’est du moins sous ce nom qu’on le trouve 
décrit dans plusieurs relations de voyages, d’une 
manière si obscure, il est vrai, qu'il est bien difli- 
cile de débarrasser son histoire des contradictions 
que nous ont transmises Martens, Muller, Eggède, 
Anderson, Fabricius, et Hunter, lorsqu'ils nous 
parlent de leurs butzkopf, grampus, épée de mer, 
killærs, et orque. L'épaulard, que Rondelet écrivoit 
espaular, est le grampus (?) des Anglois, le sverd- 


(3 Delphinus orca, L. Briss.: Muller ; O(h. Fabricius; 
Bunter, Trans. philosoph., 1787 (dont on a fait del- 
phinus ventricosus ); Buts-Kopper, Egged.. p. 56: le 
Butz-Kopf., Anderson, Hist. nat. Groen.,t I, p. 150; 
Bonnaterre, Cét., p. 29, pl. 12, fig. 1 ; Lacépéde, Cêét, 
édit. in-8o, p. 356, pl. 18, fig. 1; Desm., Mamm., sp. 
774, p. 517; G. Cuvier, Rég. an.,t.1, p.279 ; Oss.foss, 
t. V, p. 28, pl. 22, fig. 3 et 4. 

(2) M. Cuvier pense que ce nom de grampus est cor- 
rompu du françois grand poisson, ou gras poisson que 
les Normands prononcoient grapois, ou qu'il provient 


DES MAMMIFÈRES. 625 


fisk des Danois, et l’ardlurksoak des Groenlandois. 
C’est un marsouin dont la taille acquiert de vingt à 
vingt-cinq pieds de longueur, sur dix ou douze de 
circonférence. Son corps est allongé, et son museau 
est court et arrondi sans quele crâne soit aussi con- 
vexe que celui du marsouin commun. La mâchoire 
inférieure est un peu renflée en dessous; elle est 
plus large et moins longue que la supérieure. Les 
maxillaires sont armés deonze dents de chaque côté, 
et sur chacun d’eux : celles-ci sont grosses, coniques, 
un peu crochues, et les plus éloignées sont aplaties 
sur les côtés. 

La nageoire dorsale occupe à peu près le milieu 
du corps : ellea ordinairement quatre pieds de haut ; 
les pectorales sont très développées, larges et pres- 
que ovalaires : la caudale est échancrée à son milieu. 
L'organe génital a jusqu’à trois pieds de longueur. 

La couleur de l’épaulard est noirâtre en dessus, 
s’affoiblissant sur les côtés du corps, dont les par- 
ties inférieures sont blanches. Souvent derrière l’œil 
se dessine un large sourcil blanc, ce qui a porté 
quelques naturalistes à voir dans cette espèce le 
dauphin bélier de mer, ou aries d’ Ælien et de Pline. 
Une tache noire dirigée en avant entre dans le blanc 
du corps à la base de la queue. 


Le crâne de cette espèce(!) est remarquable par 
son museau large et courtcomme celui du marsouin 
vulgaire; mais ce qui lui est particulier est d’avoir 
la région en avant des narines, concave, au lieu 
d’être renflée et séparée des plafonds des orbites par 
une crête un peu saillante. Le lobe antérieur de 
l'orbite est gros et bien isolé par une échancrure de 
la base «u museau. Les tempes profondes et conca- 
ves sont circonscrites à l’occiput par des crêtes 
plus saillantes même que la crête temporale. Les 
os du nez sont petits, et on ne voit pas de vomerau 
palais. 

De tous les dauphins l’épaulard est le plus belii- 
queux : armé de dents robustes, animé d’une vi- 
gueur qu'il tire de sa grande taille et de la puissance 
de ses muscles, il est l'ennemi de plusieurs espèces 
de sa propre famille, et surtout de la baleine, qui 
ne sait, pour se protéger de ses atteintes, que fuir 
ou battre l’eau de tout le poids de sa masse. On dit 
que l’épaulard, pour triompher plus aisément d’un 
animal qu’il hait par instinct plutôt que par esprit 
de vengeance, se réunit en troupes, et que tous se 
jettent sur l’innocente baleine, la harcèlent, lui ar- 
rachent des lambeaux de chair, et cherchent de pré- 
férence à lui déchirer la langue. 


C'est bien gratuitement que plusieurs auteurs ont 


peut-être de peis au lard{piscis ad lardum), dénomi- 
palion par laquelle tous les cétacés étoient souvent dé- 
signés dans le moyen âge, ( Oss. foss.. t. V, p. 281.) 
(') Cuvier, Oss, foss., t. V, p. 297, pl. 22, fig, 3 et 4. 
L 


2 


vu dans l’épaulard l’orque des anciens, qui est pro- 
bablement, comme nous avons déjà eu occasion de 
le dire, le cachalot macrocéphale. 

C’est encore le pôle nord qui sert de refuge à ce 
marsouin ; il se tient au milieu des glaces du détroit 
de Davis, sur les côtes du Spitzberg et du Groen- 
land; parfois il s’égare dans les mers plus tempé- 
rees, et c’est ainsi qu’on en prit, en 4772, un indi- 
vidu long de vingt-un pieds dans la Tamise , un 
deuxième, en 4793, ayant trente pieds, et un troi- 
sième, de dix-huit pieds, qui échoua à l'embouchure 
de la Loire. Il faut sans doute lui rapporter aussi 
l’espèce dorsale moins élevée, dont Hunter fit son 
deuxième grampus, d’après un individu trouvé éga- 
lement dans la Tamise en 1772, et dont l’abbé Bon- 
naterre et M. de Lacépède ont fait leur dauphin 
ventru. M. Cuvier soupçonne, avec juste raison, que 
ce dernier, qui ne diffère de l’épaulard que par un 
peu moins d’élévation de la nageoire dorsale, et par 
un développement énorme du ventre, auroit bien 
pu avoir perdu le sommet de la première partie, 
comme cela arrive à beaucoup de cétacés, et que 
quant au ballonnement du ventre, il a dû tenir à 
ce que le sujet examiné par Hunter étoit dans un 
état de corruption avancée, d'où il devoit s’ensuivre 
une distension de l’abdomen produite par des gaz. 

Tout porte à croire qu'Anderson avoit en vue 
l’épaulard lorsqu'il décrit son butzkopf(!) ; et la sy- 
nonymie qu’il lui donne le prouve d’ailleurs. I en 
est de même de son épée de mer, dont Bonnaterre 
et de Lacépède ont fait une espèce distincie, sous 
le nom de dauphin gladiateur (?). Le gladiateur ne 
diflèreroit de l’épaulard'en effet, que par moins de 
largeur de la dorsale, et par des formes corporelles 
plus ramassées ; mais tous les détails de mœurs, 
d’habitudes, sont identiques, et prouvent d’une 
manière assez positive que cet épée de mer, et les 
killærs des côtes des Etats-Unis, et de Terre-Neuve, 
ne sont pas distincts de l’épaulard. Les renseigne- 
ments fournis par M. de Pagès, dans son F'oyage 
au pôle nord, ne sont pas plus concluants. Voici 
ce qu’il rapporte (tom. Il, pag. 142): « Les poissons 
» sabres se voient aussi parmi ces glaces; mais ils 
» quittent plus rarement leurs climats gelés du 
» pôle. Ils ont vingt-trois ou vingt-ciny pieds de 
» longueur; leur couleur est noire, et ils portent 
» leur sabre perpendiculairement sur le dos. Ce 
» sabre a sa courbure en arrière de l’animal, et a 
» environ quatre pieds de longueur. Ils sont enne- 
» mis des baleines, vont en troupes de cinq ou six 
» pour la combattre, et ont un chef qui est plus 
» grand que les autres. J’ai vu des baleines fuir avec 


() Hist. nat. du Groenland, t. 1, p.150. 
(2) Delphinus gladiator, Bonn., Cé£., p. 23; Lacép., 


{ pl. 18, fig. 2 ; Delphinus orca (var., B.). L. 


79 


626 
» grande vitesse, et j'en ai vu d'autres pleines des 
» enlailles du sabre de ces poissons belliqueux. » 
Or la description erronée de Pagès, celle tout aussi 
peu satisfaisante d'Anderson , ne peuvent autoriser 
à séparer l’épée de mer, l’espadon ou gladiateur, 
de l’épaulard. 

Ce dernier est vorace; son appétit ne peut se sa- 
tisfaire qu’aux dépens d’un grand nombre de pois- 
sons; aussi diton qu’il se nourrit des plus gros; 
qu’il aime surtout les pleuronectes, et que, pressé 
par la faim, ilse jette sur tout ce qu’il rencontre, 
aussi bien sur des dauphins que sur des phoques. 

Lebuts-kopper d'Eggède est-il l’épaulard?Ondoit 
croire que, sous Ce nom, le missionnaire danois 
parle du de phinus deductor de Scoresby, ou globi- 
ceps de M. Cuvier. 


D ———_—_—_—————_— 
LE MARSOUIN DE PAIMPOL. 
Delphinus griseus. Cuv. (!) 


M. Cuvier a décrit cette espèce d’après plusieurs 
individus qui échouèrent sur les côtes occidentales 
de France; et bien qu’elle ait beaucoup d'analogie 
avec l’épaulard, elle en diffère cependant, et par 
sa taille, et par quelques autres particularités, Un 
individu fortâgé, dontM.Duméril envoyale squelette 
de Brest, étoit long de onze pieds, et n’a oit plus 
que quatre dents, fort usées, à la mâchoire infé- 
rieure. La taille de-trois autres de ces marsouins, 
jetés en 1822 sur la pointe de l’Aiguillon, près de 
Rockefort, étoit d'environ dix pieds; un quatrième 
n’en avoit que sept; ce dernier offroit huit dents 
entières à leur pointe. et placées seulementà la mâ- 
choire inférieure, tendis que les trois premiers n’en 
avoient plus que six ou sept, usées et cariées. Tous 
ces animaux étoient complétement édentés au 
maxillaire supérieur. 

Etudié par M. Cuvier, le crâne du marsouin de 
Paimpol présenta, indépendamment d’un plus grand 
développement, plus de largeur que celui du mar- 
souin commun. Les plafonds des orbites sont plus 
écartés ; leur lobe antérieur est renflé, et séparé du 
museau par une échancrure plus profonde. Les in- 
termaxillaires remontent jusqu'aux naseaux , et se 
renflent au-devant et aux côtés des narines, mais 
sans y former une élévation distincte par des sillons 
comme au marsouin. Le vomer n’est point apparent 
au palais. 

Les vertèbres cervicales sont rapidement soudées. 
je 

(1)G. Cuvier, Rapport sur les cétacés échouës à Paim- 
pol, Ann. du Muséum, t. XIX, p. 1 à 16, pl. 1,fig. 1; 
Desm., Mamm., sp. 775, p. 518. G. Cuvier, Oss. foss., 


t. V, p. 284 et 297, pl. 22, fig. 1 et 2, Goldfuss., 
pl. 345. 


HISTOIRE NATURELLE 


Les dorsales sont au nombre de douze, et on en 
compte quarante-deux des autres. Il y a douze côtes, 
dont six articulées avec le corps des vertèbres. Le 
premier doigt a deux articulations , le second huit, 
le troisième sept, le quatrième deux, et le cinquième 
une seule. Le premier os du sternum n’a pas de 
trou ; mais le dernier est légèrement échancré. 

Tels sont les traits les plus saillants que présente 
la charpente solide du dauphin de Paimpol. Ce qui 
le caractérise, et le distingue à l'extérieur, sont à 
la fois, une tête mousse, obtuse, et bombée, ana- 
logue à celle du marsouin vulgaire; une nagcoire 
dorsale trés élevée, très pointue, ayant quinze pou- 
ces de largeur à son origine sur quatorze de hauteur, 
et qui souvent manque par suile de blessures; cette 
nageoire est placée à peu près au milieu du corps. 
Les pectorales sont énormément développées ; elles 
ont un pied de largeur à leur insertion, et jusqu’à 
trois pieds de longueur. 

Les parties supérieures du corps, aussi bien que 
les nageoires, sont d’un noir bleuâtre foncé, qui 
s'éteint à mesure qu’il descend sur les flancs, et 
qui fait place en dessous à la couleur blanchâtre. 
Le marsouin de Paimpol r'a point derrière l’œil la 
tache d’un blanc pur que présente l’épaulard, et 
M. Cuvier lui avoit d’abord donné le nom de dau- 
phin gris, parce que le dessin original, dont on 
trouve une copie gravée dansles Annales du Muséum, 
offroit cette teinte. 

Cette espèce vit dans nos mers, eta probable- 
ment été souvent confondue avec l’épaulard par 
les habitants de l’ouest de la France. Elle n’est jetée 
sur nos rivages que pendant les tourmentes des 
mois d'hiver, et lorsque, trop confiante, ou que 
surprise par ces tempêtes si redoutables du golfe 
de Gascogne et du cap Finistère, elle ne peut ré- 
sister aux vagues, et lutte en vain contre leur 
puissance. 


LE MARSOUIN CARÉNÉ. 
Delphinus compressicauda. LESSON. 


Cette espèce inédite, que nous représentons 
d’après une figure que nous avons retrouvée dans 
nos dessins , a été prise dans l’océan Atlantique, 
presque sous l’équateur, par 4 degrés de latitude 
sud, et 26 degrés de longitude occidentale; elle 
avoit huit pieds de longueur totale : une tête grosse, 
arrondie, très bombée, terminée par un museau 
court, obtus, dont la mâchoire inférieure étoit lé- 
gérement renflée et un peu plus courte que la 
supérieure. 

Les dimensions que nous avons trouvées à ses 
diverses parties sont les suivantes : 


DES MAMMIFÈRES. 627 


Pieds, Pove. 
PODSHCULILOLAIE EU eu Cie le ee ee) 
du bout du museau à la nageoire 
dOrSAlGrREUERUE CUS ANNEE LEET 6 
Ed leilhramsetidha net onan 
de l'ouverture de la bouche. . » 10 


—————— 


———— de chaque nageoire pectorale. 1 4 
———— de la caudale. . . . , + . .« 1 6 
———— dela fente génitale, , . . . 4 


de l'anus à l'extrémité de la 
duent MEME rRURMrEe MN2AUXG 
Largeur de la tête vis-à-vis les yeux. . . 41  » 
———— de l'extrémité du corps à la nais- 
sance dela Queue.) 


19 


Ce marsouin est done remarquable par sa nageoire 
dorsale triangulaire, placée à peu près au miiieu du 
corps, ou peut-être un peu plus dans le voisinage 
de la queue. Son élévation est médiocre et d’environ 
un pied ; les pectorales sont attachées très bas; leur 
forme est recourbée, étroite et terminée en pointe 
aiguë au sommet. La caudale a peu de largeur et se 
trouve échancrée au centre. L'organe générateur 
mâle, long de quatorze pouces, gros à la base, est 
terminé en pointe déliée. L’extrémité du corps s’a- 
mincit considérablement vers la caudale, et sur 
chaque côté s'élève une saillie longitudinale dispo- 
sée en forme de carène, qui se termine à la queue ; 
le corps est arrondi et très massif à sa partie 
antérieure. 

L’æil est très petit et placé un peu au-dessus de la 
commissure des lèvres. Les dents sont au nombre 
de quarante-quatre en haut et de quarante-six en 
bas, c’est-à-dire vingt-deux de chaque côté au 
maxillaire supérieur et vingt-trois à l’inférieur ; elles 
sont coniques, régulières, recourbées, et à demi 
crochues au sommet. La membrane qui tapisse l’in- 
térieur de la bouche est noirätre. 

Ce marsouin est en dessus d’une teinte bleuâtre 
claire, ou plutôt plombée, qui s’affoiblit sur les 
flancs ; le dessous du corps est blanc. De larges ci- 
catrices attestoient çà et là que celui que nous avions 
sous les yeux avoit livré plus d’un combat : son 
tissu cellulaire avoit partout de huit lignes à un 
pouce d'épaisseur : nous n’en vimes que deux ou 
trois individus qui vinrent rôder autour de ja cor- 
vette la Cuquille; et lun d’eux fut frappé par un 
harpon et hissé à bord, où ses chairs distribuées à 
l’équipage servirent à le régaler. Ce n’est pas im- 
punément toutefois que les estomacs les moins ro- 
bustes reçurent cet aliment indigeste et huileux ; et 
plus d’une ingurgitation, suivie de diarrhée, en fut 
le résultat. 

Les remarques que lautopsie nous permit de 
faire sur les divers organes intérieurs de cette 
espèce se trouvent rapportées à la page 599 de ce 
volume, lorsque nous avons parlé des dauphins en 
général. 


Le marsouin à queue carénée n’est pas sans quel= 
que analogie avec le dauphin férès (delphinus feres) 
de Bonnaterre (1); bien que ce cétacé , décrit d’après 
des individus échoués sur les côtes de Provence, 
soit très mal caractérisé et presque méconnoissable, 
on trouve cependant entre lui et notre espèce quel- 
ques traits de conformité, entre autres ceux-ci : « La 
» hauteur de la tête égale à peu près sa longueur; 
» elle est très renflée sur le sommet, et, s'amincis- 
» sant tout-à-coup vers la partie antérieure, elle se 
» termine par un museau court et arrondi comme 
» celui d’un veau : » mais il n’y a plus d’analogie en- 
suite lorsque l’abbé Bonnaterre donne à son férès 
vingt dents à chaque mâchoire : ces dents d’ailleurs 
ont pour caractère d’être inégales, c’est-à-üire indif= 
féremment grosses et petites, longues de quelques 
lignes sur un demi-pouce de large, arrondies au som3 
met et comme divisées en deux lobes par une rai- 
nure qui règne sur toute leur longueur. El paroit 
qu’une troupe de ces férès fut observée le 22 juin 1787 
sur la plage de Saint-Troppez, mais personne n’a ja- 
mais pu revoir cette espèce, et les naturalistes les 
plus instruits pensent qu’elle repose sur des obser- 
vations légèrement faites et qu’elle doit être rejetée 
du nombre des cétacés connus. 


a —— | 


$ VIII. 
LES GLOBICÉPHALES. 


Nous avons vu, en comparant l’ensemble des for 
mes extérieures des diverses tribus de la grande fa- 
mille des dauphins. que le museau effilé des sousous, 
ou celui aplati des vrais dauphins, se réduisoit pour 
les marsouins à des mâchoires disposées en cône plus 
ou moins déprimé, ou pius ou moins régulier. Dans 
les globicéphales, ce museau est complétement ef- 
facé ; la tête est presque entièrement globuleuse et 
termine le corps sous forme de casque antique, pour 
nous servir de l’expression de M. Cuvier. 

Le crâne du delphinrs globiceps, qui sert de type 
à cette division, ressemble à celui de l’épaulard (?) 
par la circonscription générale; mais ses intermaxil- 
laires sont beaucoup plus amples : ils ont presque 
les deux tiers de la largeur du museau, tandis que 
dans l’épaulard ils n’en prennent guère plus d’un 
tiers. Ils sont aussi un peu moins concaves en avant 
des narines, et remontent le long de Jeurs côtés jus- 
qu'aux os du nez, qui sont très proéminents et fort 
gros. Mais les tempes sont plus petites et leurs crêtes 
beaucoup moins saillantes, ce qui annonce, di 
M. Cuvicr, un animal à mâcloires moins robustes ; 


() Cétologie, p.27. 
(2) Cuvier, Oss, foss., t. V, p. 297, pl. 21, fig. 14 
2 


42'el45: 


628 


le vomer ne se montre pas au palais. « Les vertèbres 
cervicales se soudent assez vite; il n'y a que onze 
dorsales et autant de côtes : les six premières s’atta- 
chent au corps des vertèbres. Les lombaires et cau- 
dales sont au nombre de trente-sept. Le premier os 
du sternum est percé d’un grand trou qui, dans les 
jeunes individus, n’existe que sous forme d’échan- 
crure. L’omoplate est plus aiguë à son angle exté- 
rieur et a son acromion plus court et plus carré que 
le delphi us delphis. » 

Les globicéphales, que l’on reconnoîtra toujours 
à leur tête globuleuse, de manière que la bouche 
n'en occupe que la partie inférieure, n’ont été clai- 
rement décrits que dans ces derniers temps par le 
docteur Traill d’abord, puis, et de la manière la plus 
complète, par MM Cuvier, Scoresby et Risso. Bon- 
naterre (!) et M. de Lacépède ne paroissent pas avoir 
eu d’idée fixe à leur sujet, et le cachalut siwineval 2), 
ainsi que le genre physétère de ce dernier auteur, 
ne reposent certainement que sur une connoissance 
très imparfaite des globicéphales, qui perdent le 
plus ordinairement de très bonne heure les dents de 
leur mâchoire d’en haut. 

On n’a distingué positivement et bien que deux 
espèces susceptibles d’être placées dans cette divi- 
sion : l’une vit dans l’océan Atlantique et la Médi- 
terranée, et l’autre n’a encore élé rencontrée que 
dans cette dernière mer. 


LE GLOBICÉPHALE CONDUCTEUR. 
Delphinus globiceps, Cuv.; D. deductor, Scon. 


Avant d'entamer la description de ce globicé 
phale, nous croyons devoir présenter le résumé des 
Opinions ou des recherches dont il a été l’objet. 

Eggède (3), le premier, l’a évidemment mentionné 
sous le nom de buts-kopper lorsqu'il parle de « sa tête 
» grosse et obtuse par devant, et également épaisse 
» par derrière, » Duhamel en avoit donné une mau- 
vaise (f) figure d’après un individu pris au Havre , et 
celte figure fut reproduite sous le nom de marsouin 
à museau arrondi (5), dans l'Histoire des Péches, 
par Bernard de Reste. Quant aux détails insérés dans 
le texte, ils sont trop obscurs pour qu’on puisse en 
rien déduire, 


En 4806, M. P. Neill décrivit le globicéphale dans 


() Bonnaterre, Cétologie, pl. 6, fig. 2. 

(2) Lacèépède, Hist. nat. des Cétacés, pl. 9, fig. 2; 
Narwhal édenté, Camper, Cét., pl. 32, 33 et 34. 

(>) Description du Groenland, p. 56. 

&) Péches, seconde partie, section x, pl. 9, fig. 5, 

(5) Histoire des Pêches, etc., trad. par Bernard de 
Reste; 3 vol. in-8°. Paris, 14801, t. 1, p. 204, pl, 9, 
fig, 1. 


HISTOIRE NATURELLE 


son Voyage dans quelques unes des îles Orkncy et 
Shetland (), qui parut à Edimbourg, et trois ans 
plus tard (février 4809) le docteur Traill fut à même 
d'en examiner quatre-vingt-douze individus, jetés 
par une tempête dans la baie de Scalpa, et il en 
publia la description et une bonne figure, dans le 
tome X XIT (2) du journal de Nicholson, sous le nom 
de delphinus melas. Le 7 janvier 1812, soixante-dix 
de ces cétacés s’échouèrent près de Paimpol sur la 
côte de Bretagne. M. Lamàout en adressa une fi- 
gure (*) accompagnée de documents à M. Cuvier, et 
ce savant publia une description lumineuse et raison- 
née sur les caractères de cette espèce, qu’il nomma 
delphinus globiceps. En 1820, M. Scoresby repro- 
duisit (4) la figure dessinée d’après nature par James 
Watson, et qui ne s'éloigne pas beaucoup de celle 
qu’on trouve dans les Annales du Muséum; et il y 
ajouta, en le nommant delphinus deductor, une des- 
cription très circonstanciée (5) ; enfin M. Risso (6), 
en 1826, donna une nouvelle figure du globicéphale, 
qui diffère notablement des deux précédentes, et que 
nous croyons erronée en plusieurs points. 

Telles sont les sources (7) où l’on peut puiser les 
renseignements nécessaires pour écrire l'histoire du 
cétacé qui nous occupe. 

Le globicéphale, ainsi que l'indique son nom, a 
la tête très bombée, courte, arrondie, et le museau 
formé par une sorte de bourrelet qui lui donne une 
physionomie extraordinaire. La mâchoire supérieure 
est légèrement projetée sur l’inférieure ; son corps 
est épais. La nageoire dorsale qui en occupe le mi- 
lieu n’a guère que quinze pouces de hauteur sur une 
largeur, à sa base, du double; elle est recourbée, 
arrondie et terminée en biais en arrière. Les pecto- 
rales sont très longues, insérées presque sur les 
côtés du cou, étroites, minces et terminées en pointe 
obtuse. La caudale, échancrée à son milieu, est 
large, suivant le docteur Traill, de près de quatre 
pieds six pouces. 

La taille du globicéphale est communément de 
vingt à vingt-deux pieds, sur une circonférence de 
neuf à dix pieds; quelques individus n’en ont que 
seize à dix-huit ; les dents ne sortent de leurs alvéoles 
qu’à un âge assez avancé, et il paroît aussi qu’elles 
tombent de très bonne heure, car il n’est pas rare de 


{") Page 221. 

(2) Page 81. 

(G) Rapport sur les Cétacés échouëés à Paimpol; Ann. 
du Muséum, t. XIX, p. 1 à 16, pl. 1, fig. 2. 

(*) An Account of the Arctic Regions, etc. 2 vol. 
in-8 . Edimb., 1890, pl. 13, fig. 1. 

(5) Loco citato, t. I, p.486. 

(6, Hist. nat. des principales productions de l'Eu- 
rope méridionale et particulièrement de Nice. 5 vol. 
in-So, Paris, 18926, t. II!, p. 23, 

(7) Desm., lamm., sp. 777, p. 519. Goldfuss, pl. 345, 
fig. 2 ct 3. 


AUD] D 7 JUAINO “vd. 079] 


LA 0) PR EEE EU 77 P V7 ES) De. 
” D) Sdoo1qo]s) Shundpo( 6 2471 up) nprnpu ) 7714 De / 


rencontrer de ces cétacés adultes qui sont complé- 
tement édentés, ou qui n’ont qu’un petit nombre de 
dents à la mâchoire inférieure. Dans l’état normal 
le nombre de celles-ci est de vingt à vingt-quatre 
dents à chaque maxillaire, quoique souvent certains 
individus n’en aient que dix et que d’autres n’en 
présentent que vingt-deux, et même vingt-six et 
vingt-huit; leur forme est conique, aiguë, et un peu 
recourbée au sommet. M. Watson compta, sur un 
de ces cétacés, vingt-huit dents en haut et vingt- 
quatre en bas. 

Les proportions des diverses parties d’un globicé- 
phale observé par M. Watson sont celles-ci : 


Pisds angl. Pouce 

PONCUeURATOLAlE MEN ES NT 419 6 
GIRCONÉTENCE EN CN 0) » 
Longueur de la nageoiïire pectorale. . . 3 
Largeur de la même. . 1 
Hauteur de la dorsale, . . . . + 4 
largeur dela MÉMeEMMCM TI UNE 2 
D 


de lAICAUTAlE EME NUS 


+ . « . « . . 


La couleur générale du corps est un noir bleuâtre 
foncé, ayant l'aspect lustré et brillant du satin en 
dessus, et quelquefois blanchâtre en dessous. Mais 
un ruban blanc naît par un élargissement disposé 
en cœur sous la gorge, et descend sur la poitrine et 
le ventre, jusqu’à la région anale. La couche de tissu 
cellulaire n’a pas moins de trois ou quatre pouces 
d'épaisseur. 

Le globicéphale paroît être le plus sociable de tous 
les dauphins; il se réunit par troupes considérables, 
composées quelquefois de plus de mille individus, 
sous la direction de quelques vieux chefs ; aussi 
M. Scoresby les compare-t-il à ces troupeaux de 
moutons qui suivent ceux que l'habitude ou l’expé- 
rience ont placés à la tête de la troupe. De cette par- 
ticularité dans leurs mœurs découle le nom de con- 
ducteur, que lui ontdonnéles Anglois des iles Orkney 
et Shetland, en l’exprimant par les mots de the 
ca’inq w hale ou lea ing whale. Les habitants de ces 
îles sauvages reculées dans le nord, et qui n’ont 
pour unique ressource que ce qu'ils retirent de la 
mer, connoissent si bien cette habitude des globicé- 
phales, que tous leurs efforts se bornent à diriger 
vers les baies étroites le conducteur de la bande, bien 
sûrs que le reste suivra stupidement, et donnera 
dans le piége (1). 

Le globicéphale conducteur se réunit donc presque 
constamment par essaims dont l’imprévoyance est 
bien remarquable, puisque M. Scoresby a dressé 
une liste qui prouve combien cette espèce est multi- 
pliée, mais en même temps combien elle a peu d’in- 
stinct pour se garantir du danger d’être brisée sur 


4) Fait consigré dans le Yoyage de M. Neill, 


DES MAMMIFÈRES. 


629 


les rochers. En ne s’occupant que d’une bien petite 
partie du nord de l’Europe, telle que les côtes des 
iles Orcades, Shetland, Féroé et Islande, ce savant 
marin nous a fourni à ce sujet des détails pleins d’in- 
térêt. El paroit que dès 1676 un Danois nommé Lucas 
Jacobson Dcbes, publiant une description des îles 
Féroé (1), rapporta les procédés que suivoient les 
habitants pour prendre ce cétacé qu’ils nommoient 
griud-whae, et dont ils conduisoient les troupes 
dans de petits havres à l’aide de bateaux, et il affirme 
qu’on en tua mille en deux endroits seulement dans 
j’année 1662. 

« Dans l’année 1748, quarante globicéphales s’ap- 
» prochèrent de Torbav, et l’on ne put en tuer qu'un 
» seul long de dix-sept pieds. En 1799, environ deux 
» cents, de huit à vingt pieds de long, échouèrent 
» dans le détroit de Taesta, à Fetlar, une des îles 
» Shetland. Le 25 février 1805, cent quatre-vingt- 
» dix de la même espèce, de six à vingt pieds de 
» long, furent attirés dans le détroit d'Uyea à Unst, 
» et le 19 mars de la même année on en tna cent 
» vingt autres. En décembre 1806, échouèrent à 
» Scalpa-Bay, île Orkney, quatre-vingt-douze indi- 
» vidus ; ils avoient de cinq à vingt-un pieds de long. 
» On observa dans les trois dernières troupes un 
» grand nombre de femelles allaitant encore leurs 
» petits lorsqu'elles touchèrent au rivage , et dont le 
» lait jaillit de leurs mamelles tant qu’elles vécurent. 
» Dans les hivers de 1869 et 1819, onze cents de ces 
» cétacés approchèrent de la côte de Hvalford en 
» Islande, et furent capturés. Dans l’hiver de 1814, 
» cent cinquante furent conduits à Bulta-Sound , île 
» Shetland , où on les tua. Ce nombre est peu consi- 
» dérable si on le compare à l’immense destruction 
» qu’on en a faite dans ces derniers temps en di- 
» vers liéux de la Grande-Bretagne et autres îles du 
» Nord. » 

La troupe de soixante-dix individus qui échoua 
en 1812 sur les côtes de la Bretagne, en France, se 
composoit d’un grand nombre de femelles, et n’avoit 
que sept mâles et douze petits d'âge très différent. 

Tels sont les détails que la cétologie possède sur 
les globicéphales ; mais si leurs formes et leur orga- 
nisation sont bien décrites, il nous reste à désirer 
une connoissance moins imparfaite de leurs mœurs, 
de leurs habitudes, de leur genre de vie, de tout ce 
qui peut enfin nous en donner une idée autre qu’une 
simple description physique. 

Le globicéphale que M. Risso a décrit et figuré a 
bien tous les caractères généraux de l’animal dont 
nous venons de tracer l’histoire, mais cependant la 
figure n’est pas sans offrir quelques dissemblances, 
et le texte lui-même s'éloigne un peu de ce que nous 


() Færoæ et Feroa reserata, 1 vol, in-12 Londres, 
1676. 


630 


HISTOIRE NATURELLE 


dd 


ont appris MM. Cuvier, Traill et Scoresby. Voici la ? de ces os ou à leur absence de l’un des maxillaires 


description de M. Risso. Le cauphi: à tête ronde, 
que les pêcheurs de Nice nomment souflur, visite 
annuellement cette partie de la Méditerranée en 
avril et mai surtout, et paroït émigrer après celte 
courte apparition. Il s’approche rarement des côtes. 
« Un individu récemment pris étoit long de seize 
» pieds. Son corps éloit très long, arrondi jusqu’à 
» Ja nageoire dorsale, et caréné ensuite jusqu’à la 
» queue. Sa peau étoit unie, d’un beau noir brillant, 
» avec une grande bande d’un gris sale qui s’étendoit 
» de chaque côté depuis la gorge jusqu’à l'anus. Sa 
» têle étoit grande, renflée, parfaitement ronde, très 
» large. Scs mâchoires étoient égales, l'inférieure 
» armée de vingt-deux dents, la supérieure de vingt 
» de chaque côté, rondes, coniques, courbées, jau- 
» nâtres, espacées ; les antérieures et les postérieu- 
» res étoient les plus petites. Chacune s’inséroit dans 
» une espèce d’alvéole ou de cavilé de la mâchoire 
» Opposée, quand la bouche étoit fermée; les yeux, 
» fort petits, avoient l'iris d’un blanc sale; les 
» évents (1), fort larges, étoient en forme de crois- 
» sants ; les nageoires paires étoient rapprochées de 
» la gorge, fort longues, coupées en queue d’hiron- 
» delle, et terminées en pointe obtuse. La nageoire 
» dôrsale avoit une forme triangulaire , et éloit rou- 
» chée et échancrée en arrière. La caudale, fort 
» large, étoit sinueuse et très profondément échan- 
» crée au milieu. Il avoit la chair rouge et le lard 
» très huileux. » 


LE GLOBICÉPHALE DE RISSO. 


Delphinus rissoanus. Cuv. (?). 


Aldrovande paroît être le premier auteur qui ait 
mentionné sous le nom de delphinus prior ce cé- 
tacé, dont on doit une connoissance plus exacte à 
M. Risso, naturaliste laborieux, auteur d’un ouvrage 
important sur l’histoire naturelle des environs de 
Nice. Dès 1814, M. Risso avoit adressé à Paris un 
dessin fait d’après un individu long de neuf pieds 
qu'on trouve gravé dans les Annales du Muséum , 
sous le nom de dauphin-bélier, parce qu’il supposoit 
que ce devoit être le bélier de mer, ou aries mari- 
nus d’Ælien et de Pline. Nous dirons, avant de tracer 
son histoire, que ce cétacé, ainsi que le globicéphale 
conducteur, perd aisément les Gents de ia mâchoire 
supérieure, et qu'on ne doit pas donner au nombre 


(:) Test unique: c’est une faute {ypographique. 

(2) Cuvier, Rapport sur les Cétacés échouès à& Païm- 
pol, Ann. du Muséum, t. XIX, p. 1 à 146: Desm.. sp. 
778; Delphinus aries, Risso, Ann. Afus..t. XIX, pl. 1, 
fig. 3; G. Cuvier, Oss. foss., t. V, p. 284; Delphinus 
risso., Risso, Hist. nat., Nice, t. HI, p. 23, pl. 1, fig. 2. 


une importance bien grande dans la détermination 
des espèces, ou lorsqu'on cherche à établir leur iden- 
tité. M. Risso étant le seul observateur moderne qui 
ait donné la description de cet animal, que M. Cu- 
vier a décoré de son nom, nous ne pouvons mieux 
faire que de rappeler textucllement ce qu'il en dit (1). 

« Des mœurs douces, comme la zone tempérée 
» qu’il habite, semblent être le partage de ce cétacé, 
» qui n’approche de nos côtes que dans le temps des 
» amours. Son corps est allongé, arrondi, renflé vers 
» sa partie antérieure, diminuant insensiblement de 
» grosseur vers la queue, qui est déprimée ; sa peau 
» est mince, de couleur grise, à nuances bleuâtres, 
» traversée par des traits irréguliers et des raies 
» inégales, droites ou ficxueuses, blanchâtres ; le 
» ventre est d’un blanc mat; la tête fort grande: le 
» museau arrondi, relevé en arc, obtus, percé vers 
» Ja nuque par l'ouverture des évents ; la bouche est 
» ample, arquée; la mâchoire supérieure, pourvue 
» d’alvéoles seulement, est plus avancée et couvre 
» l’inférieure, qui est garnie de chaque côté de cinq 
» grosses dents coniques, aiguës, un peu courbées , 
» distantes, fortement enchässées dans l’ossement 
» de la mâchoire; ces dents sont solides, presque 
» égales, d’un blanc jaunâtre, recouvertes d’un émail 
» fort luisant ; l’intérieur de la gueule est muni de 
» tubercules émoussés ; la langue est libre, unie sur 
» ses deux bords ; les yeux sont ovales, oblongs, très 
» petits, avec l'iris doré; la nageoire dorsale, haute, 
» élevée, à peu près en forme de triangle scalène, 
» est située presque au milieu du dos; les nageoires 
» paires sont grandes, épaisses, noirâtres ; la caudale 
» est forte, divisée en deux grands lobes par une 
» échancrüre assez profonde. » 


Le globicéphale de Risso est donc caractérisé par- 
ticulièrement par son dos arrondi, sa tête large et 
obtuse, sa mâchoire supérieure plus longue que l’in- 
férieure ; il a neuf pieds de longueur sur trois de lar- 
geur, et paroît à la surface de la mer du golfe de Nice 
dans la belle saison, surtout au printemps et dans 
l’automne. Rien en lui ne peut faire supposer que 
ce soit véritablement l’aries des anciens. 

Nous devons ajouter probablement à ce genre de 
dauphins deux espèces que nous n’avons fait qu’en- 
trevoir dans le cours de notre ee première 
fut observée près des archipels des Pomotous, dans 
la mer Mauvaise. Nous lavons indiquée dans la 
Zoologie de la Coquille(?), sous le nom de de!phinus 
leucocephalus, en disant que sa tête étoit courte, 
tronquée, et plus conique que celle du marsouin 
ordinaire. Ce cétacé dont nous vimes une douzaine 
d'individus pouvoit avoir six pieds de longueur en- 


(:) De Piscibus, p. 103. 
(:) Page 184, 


+4 


viron. Sa nageoire dorsale étoit prononcée, très 
étroite et aiguë au sommet. Son corps éloit d’un gris 
foncé; mais la tête et le cou étoient d’un blanc pur, 
Il ne resta qu’un instant le long de notre navire. 

La seconde espèce, sur laquelle nous n’aurons qu 
peu de choses à dire est un cétacé d’un brun noir 

forme et dont la taille est du double de celle du 

marsouin commun. Sa tête complétement tronquée, 
sa haute nageoire dorsale faite en forme de faux, 
sont tout ce que nous en pümes distinguer. Nous le 
rencontràmes dans ce vaste espace de mer qui existe 
hors du tropique du Capricorne, entre les iles des 
Amis et la Nouvelle-Hollande. Un capitaine balei- 
nier anglois, dont le navire étoit occupé à la pêche 
des cachalots, et qui se trouvoit à bord de {a Coquille 
en ce moment, nous dit que les pêcheurs le connois- 
soient sous le nom de black-fish ou poisson noir, et 
que son agilité étoit remarquable, mais que cepen- 
dant on cherchoit à le prendre, parce que son crâne 
renfermoit une matière analogue au sperma-ceti. 
… Ici se termine la série des espèces de dauphins 
vivants existant réellement dans la nature. Nous 
n'avons pas craint de supprimer l'indication de 
plusieurs, parce que les renseignements qui ont 
servi à les établir sont trop obscurs et trop incom- 
plets pour mériter une entière croyance : il est 
temps enfin de faire justice de quelques vieilles 
err urs. 

M. Dussumier, #rmateur, qui suit les destina- 
tions lointaines de ses navires, etqui utilise ses relà- 
ches en recueillant tous les animaux rares et précieux 
des pays où ses relations commerciales l’appellent, 
a enrichi le Muséum de cinq ou six espèces entiè- 
rement nouvelles. Il nous en avoit promis les des- 
criplions, que nous nous fussions fait un devoir 
d'insérer textuellement; mais son départ et des 
causes que nous ne pouvons apprécier nous ont 
privé de compléter notre livre par ces intéressants 
documents. 

Il ne nous reste plus à mentionnner que les dau- 
phins dont les débris gisent en divers lieux de 
l'Europe, et dont l’ouvrage de M. Cuvier sur les 
ossements fossiles offre les caractères distinctifs et 
Jes descriptions détaillées. Mais nous ne devons pas 
oublier à classe de iecteurs cet ouvrage est 
principalement adressé , et il nous suffira de men- 
tionner quelques uns des faits les plus importants 
de ces dé ouvertes modernes. Quelle que soit en 
effet l'opinion qui admet un déluge universel, des 
cataclysmes partiels, ou des éruptions d'eau par 
vastes bassins, toujours est il qu’un grand nombre 
de vallées sont devenues célèbres par les ossements 
d'animaux qu’on y a découverts, et que beaucoup 
de ces êtres n'existent plus et ont complétement dis- 
paru de la surface du globe. D’autres, au contraire, 
viventencore, mais dans des régions où les influences 


DES MAMMIFERES. 


| 
| 


631 
des climats sont complétement changées Pour les 
dauphins, il est beaucoup plus dificile d’établirleurs 
rapports avec les espèces vivantes ; car celles-ci sont 
très mal déterminées pour la plupart: et il yen a tant 
d’inconnues , que les moyens de comparaison man- 
quent complétement. 

Un squelette de dauphin presque entier, voisin du 
globiceps et de l’épaulard, a été découvert en 1795 
par M. Cortesi de Plaisance, dans une colline des 
Apenrnins, voisine du mont Pulgnasco. C'est au 
petit village de Sort, près de Dax, dans-le départe- 
ment des Landes, que fut trouvée la mâchoire in- 
férieure d’un cétacé nommé, à cause des particula- 
rités qu’elle présenta, dauphin à longue symphyse. 
Les falunières des Landes ont aussi donné un frag- 
ment qui a été rapporté à une espèce très voisine du 
dauphin vulgaire: Enfin dans le calcaire grossier 
du département de l'Orne on déterra un fragment 
dont la forme annonce évidemment une nouvelle 
espèce de dauphin à long museau. 


NOTES SUR QUELQUES AUTRES DAUPHINS. 


Le Zoological journal (1) a publié le phocæna 
IHomei, de M. Smith (?), long de six pieds, et qui 
vit dans les mers du Cap. M. Gray, dans ses Spici- 
legia (4°* fascicule), a décrit les grampus Leadivt- 
sit ($) et obscurus (4) des mers du cap de Bonne- 
Espérance. Une variété de ce dernier est figurée 
(pl. 2, fig. 2,5, 4 et 5) par MM. Quoy et Gaimard, 
dans la Zoologie de l’Astro'abe. Ces mêmes auteurs 
ont décrit un dauphin de la Nouvelle-Zélande (del- 
phinus Nove-Zelandiæ (5), qui est représenté dans 
leur planche n° 28. 

M. Harla (6) nomme de/phinus intermedius un 
marsouin dont le corps est d’un noir brillant, tandis 


6) T.IV, p. 440, el Bull; t. XVII, p. 276. 

() Ph. suprà nigra pura, capitis corporisque lateri- 
bus nigricante et albo variegatis; dentibus suprà 
utrinque quadraginta, infrà sexes triginta ; postc- 
riori pinnæ dorsalis margine falcato. Smith, Zool. 
journ.,t.IV, p. 433. 

G; Corpore obeso; fronte obliquo ; pinnis brevibus, 
obtusis, dorsalitrianqulari; subtus fasciä lineis ma- 
culisque albis notatus; cæterum totus niger; denti- 
bus parvis conicis 25—25—26-26 utrinque. Bull, 
€ XVII, p. 116. 

{:) Corpore lanceolato ; capite obliquo, acuto ; pin- 
nis mediocribus falcatis; collo ventreque albidis, 
fasciä nigrâ ab angulo oris usque ad pinnas pectora= 
les ; stri;@ obliqua laterdi alba postica ; cæterum to- 
tus niger ; dentibus parvis, conicis, utrinque 24—924 
—26—26. Bull. L XVII, p.116. 

51 D. corpore elongato, cylindracco, suprà nigri- 
cante ; infra albo ; lateribus sub flavis ; rostro longo ; 
oculis nigro cinctis ; dorsali pinna, pinnis pectorali- 
bus mediocribus recurvalis. Zool. Astrol., t. I, p. 149. 

(6, Sourn. of the ac. 6f nat, sc. of Phil.,t. VI, 2e cah., 
p. 91 (1827). 


632 


que les côtés du ventre et du cou sont d’un blanc 
qui se continue sur le ventre et sur la poitrine. La 
queue est comprimée et séparée par un fort étran- 
glement. Sa taille est de seize pieds et demi, sur 
une circonférence de dix pieds à l'endroit le plus 
épais du corps. Les nageoires pectorales ont trois 
pieds onze pouces. Il vit sur les côtes de la Nou- 
velle-Angleterre. Il est intermédiaire aux delphinus 
grampus et globiceps. M. Gray dans ses Spicile- 
gia ( 4°" fascicule), a décrit un delphinorhyn- 
que (‘) et un vrai dauphin (?) qu’il indique comme 
nouveau (). 

M. Fr. Cuvicr a donné, dans son bel ouvrage sur 
les mammifères , des portraits du dauphin de Risso 
(liv. 66), qui a été décrit par nous comme étant un 
globicéphale, et le dauphin à long bec (67° liv.) 
qui est un delphinorhynque, puis les dauphins 
plombé(f), véloce (5), bridé (6), douteux (7),de Dole (8), 
et le marsouin du Cap (°). 

Nous sommes forcé de distinguer comme espèce 
un cétacé à long museau qui fut pris sur les côtes de 
l'ile d'Aix, à l'embouchure de la Charente, et que 
nous dessinâämes sur nature. Ce sera notre delphi- 
norhyncus santonicus voisin du delphinus fronta- 
tus de feu G. Cuvier (Oss. fois., t. V, p. 278). Cet 
animal avoit cinq pieds huit pouces de longueur, le 
corps fusiforme, la dorsale recourbée, placée un 
peu au-delà du milieu du corps, l’œil situé à tou- 
cher la commissure de la bouche , le museau mince, 
arrondi, séparé du front qui s’élevoit en bosse pour 
se continuer avec la ligne du corps sans saccade. 
Toutes les parties supérieures étoient d’un noir in- 
tense, les inférieures d’un blanc satiné. Il avoit cent 
quarante-deux dents coniques, petites, régulières, 
symétriquement rangées, c’est-à-dire à la mâchoire 
supérieure et de chaque côté trente-trois, et à l’in- 
férieure, de chaque bord trente-huit. 


() Delphinus lengirostris, Gray ; Bull, t. XVI, p. 116. 
Osse palatino carinato, posticè convexo, rostro lon- 
gissimo attenuato, supra depresso, linea media ele- 
vata ; dentibus parvis utrinque 48—48—50—50. 

(2) Delphinus capensis, Gray, Spic.; Bull, t. XVI, 
p. 116. Corpore lanceolato; pinna dorsali elevata, 
falcata ; pinnis pectoralibus mediocribus, falcatis ; 
dorso, labiis, pinnisque nigrescentibus ; ventre albi- 
do; deutibus utrinque circiter 5—5—0—0. 

() Consultez, dauphin de Fréminville, Bull. Soc. phil, 
p. 71; cétacés échoués dans la rade de Paimpol, Bull. 
(1812—1813), p. 69.) 

(8) Delphinus plumbens, F. Cuv., t. IN, pl. ne 4 et 3. 

(5) D. velox, Dussumier, ibid. 

(6) D frænatus, ibid. 

(7) D. dubius, G. Cuy. 

(5) Aodon Dalei. 

{9 Ph. capensis, Duss.; Fr. Cuv.,Mammif. 


HISTOIRE NATURELLE . 


LES CACHALOTS. 


Les cétacés dont nous nous sommes occupé jus= 
qu’à présent ont leur tête en rapportavecles dimen- 
sions de leur taille, mais il n’en est pas de mê 
de ceux qu’on a nommés cachalots: cette partie, 
par un énorme développement des os de la face, 
devient tellement volumineuse, que souvent elle 
compose à elle seule un quart de la longueur totale 
de l'animal. 

Le nom de cachalot est tout moderne : on trouve 
dans Anderson (!) une citation des Éphémérides des 
Curieux de la Nature par laquelle on voit que le 
nom de cachalot ou ea halut est d’origine basque, 
et que les habitants de Bayonre, de Biariz, et de 
Saint-Jean-de-Luz, en introduisirent l’usage parmi 
les pêcheurs: car dans leur langue, cachau signifie 
une dent, suivant l'opinion reçue. 

L'histoire de ces gigantesques cétacés ne se com- 
pose que de documents suspects sur tous les points. 
Il semble qu’on se soit plu à accumuler les citations 
les plus disparates, afin de multiplier les espèces 
sur les prétextes les plus frivoies. 

Les naturalistes anciens ne paroissent point en 
avoir eu connoissance. On dit bien que l’orca 
d'Aristote et le physétère de Pline doivent être le 
cachalot ; mais on ne peut à ce sujet émettre que 
des soupçons : il suflira de citer sans doute les re- 
cherches de Théodore Hasæus , qui prétendoit que 
ce cétacé étoit le léviathan de Job ou la baleine de 
Jonas (?). 

Les Italiens ont toujours nommé capidoglio ce 
que les peuples parlant la langue d’oc nommoient 
pris mular, et qui est le cachalot macrocéphale; le 
senedette de Rondelet n’est pas autre que ce der- 
nier animal. Enfin le genre physale de M. Lacé- 
pède est encore le même cachalot, auquel un 
pêcheur, dans un eroquis grossièrement tracé, 
aura mis de mémoire l'ouverture de l'évent à l’ex- 
trémité postérieure de la tête au lieu de la placer 
en avant. 

Tous les peuples du Nord nomment les cachalots 
pol-fiske, pol-visch ou hump-ba qui équi- 
vaut à dos bossu. La plupart des ominations 
sous lesquelles ils sont connus rappellent plus ou 
moins cette particularité de leur organisme, d'avoir 
une gibbe élevée et saillante de nature graisseuse 
sur le dos. 

Linné, en coordonnant l’ensemble des êtres vi- 


() Hist. nat. de l'Islande et du Groenland, t. II, 
p.116 (en note}. 

(2) Disquisitio de Levianthan Jobi et ceto Jonæ ; par 
Théodore Hase, augmenté par Wernerus Kohne, 1723, 
p. 240. # 


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sado xto d 109$ £ le 471 2704 C2) 


DES MAMMIFÈRES. 


vants, dans son Système de la nature, et séparant 
les cétacés en une classe, appliqua, le premier, aux 
cachalots le nom de physétére qu’on trouve dans les 
écrits de Pline. Avant Linné la plupart des auteurs 
anciens s’étoient bornés à les mentionner sous les 
noms de cetus et même de b1læna, en leur ajoutant 
une foule d’épithètes qu’il seroit très peu. intéres- 
sant de rappeler. Linné ne reconnut que trois es- 
pèces: le physeter macrocephalus, qui est le cacha- 
lot macrocéphale, et la seule espèce véritablement 
authentique; son mic:ops, qui nous paroît être un 
globicéphale ou le marsouin gris; et son {ursio, 
l’épaulard. 

Brisson conserva aux eachalots le nom générique 
de cetus, et son cetus albicans est le béluga ; son cetus 
Novæw-Angliæ, dont on a fait un cachalot {rumpo, 
ne diffère point de son premier cetus ou le macro- 
céphale ; et ses quatre dernières espèces sont certai- 
nement des épaulards et des globicéphaies. Des 
naturalistes systématiques, aussi universellement 
suivis dans les principes de leur classification que 
Linné et Brisson, sanctionnant en partie la manière 
de voir d'Anderson qui, en copiant un vieil auteur 
nommé Sibbald, avoit formé quatre espèces diffé- 
rentes de cachalots’(1), durent fire prévaloir dans 
tous les ouvrages l'opinion qu’il en existoit plu- 
sieurs, et tous les renseignements tronqués pris 
dans les relations de voyages, dans les rapports des 
marins employés aux pêches, furent mis à contri- 
bution pour étayer l’existence de ces prétendues 
espèces. Bonnaterre dans sa Célologie, et M. de 
Lacépède dans son Histoire naturelle, de même 
que plusieurs autres naturalistes, ne manqutrent 
point de reproduire ces êtres fic ifs, et d’accempa- 
gner leur histoire de longs détails, parmi lesquels 
il ne s’en trouve pas un seul de caractéristique : il 
nous paroît donc inutile de citer les synonymies 
d'Erxleberi, de Boddaert ct autres, et de reproduire 
les caractères des genres physétères et physales, qui 
nereposent que sur des descriptions très incomplètes 
et de peu de valeur (?). 

Les caractères généraux des cachalots (physeter, 
L.; catodon, Lacépède) sont particulièrement : une 
tête très grande et volumineuse, terminée en avant 
par un museau tronqué, ou qui semble coupé car- 
rément; une mâchoire supérieure très large, re- 


() Tome Il, p, 116 et suiv. 


2) Dans un aperçu historique sur l'état de la science 
relativement aux cétacés mentionnés par les vieux au- 
teurs, M. Cuvier ( Css. foss., t. V, p. 828 ct suiv.)a dé- 
brouillé, avec l’érudition la plus vaste, les erreurs de 
synonymie! qui sarchargeoient les livres consacrés à 
l'histoire de ces animaux. Nous renvoyons le lecteur 
jaloux de se pénétrer des discussions scientifiques qui 
rétablissent les faits à l'ouvrage même de ce profond 
naturaliste. 

I, 


” 


633 


couvrant l’inférieure, qui est très étroite, allongée, 
et faconnée de manière à s’emboîter dans un sillon 
de la supérieure ; la mâchoire inférieure est seule 
garnie de dents épaisses et robustes, dont est com- 
plétement privée celle d'en haut; ces dents sont 
reçues, lorsque l’animal ferme la bouche, dans les 
dépressions du bord gengival supérieur que revê- 
tent des gencives épaisses. L’orifice des évents est 
unique et ouvert sur l’extrémité du museau; les 
yeux sont fort petits et inégaux, et cette particula- 
rité anatomique n’avoit point échappé à Eggède (1); 
une bosse graisseuse surmonte le dos. 

Tels sont les cachalots considérés dans leur en- 
semble. Les dispositions, l’ordre et les particulari- 
tés qu’affecte la charpente osseuse, méritent aussi 
de fixer l’attention. A ce sujet nous présenterons 
un résumé des travaux les plus modernes. Le 
crâne (2?) a la plus grande analogie avec celui d’un 
dauphin dont les bords du museau seroient très 
élargis, et relevés de manière à en rendre la face 
supérieure concave. Les narines osseuses externes 
s'ouvrent aussi au fond d’une très grande concavité 
formée par une portion des maxillaires ; les parié- 
taux, à leur base, sont presque entièrement cachés 
par un développement considérable de la crête oc- 
cipitale; le museau, malgré son étendue, doit son 
énorme développement aux maxillaires et aux in- 
termaxillaires : ceux-ci remontent et se redressent, 
pour former des crêtes qui s'élèvent perpendicu- 
lairement tout autour de la tête; un demi-canal 
traverse le vomer; les narines sont très inégales. et 
celle du côté droit n’a pas le quart de l'ampleur de 
celle du côté gauche; les os du nez sont aussi irré- 
guliers ; le nasal du côté droit est plus large que 
celui du côté opposé. Cette direction du vomer, dit 
M. Cuvier, et cette ampleur de la narine gauche, 
indiquent une direction du canal membraneux des 
narines, et de tout l'appareil des jets d’eau vers le 
même côté, et expliquent ce fait observé par les 
marins, que les cachalots lancent toujours la co- 
lonne d’eau vers le côté gauche (3;. Le bord inférieur 
de l'orbite est formé par un os jugal, gros, et de 
forme cylindrique, dilaté à sa partie antérieure en 
une lame oblongue qui ferme à demi l'orbite en 
avant ; la fosse temporale est arrondie et profonde, 
mais aucune crête ne la sépare des côtés du crâne; 
l’arcade zygomatique est conique et courte, et n’est 


(r) CHI paroît n'avoir qu'un œil, quoiqu'il en ait deux; 
» mais le gauche est si pelit qu'on ne peut guére l'aper- 
» cevoir: ce qui fait que les Groenlandoïs peuvent aisé- 
» ment en venir aux prises avec lui, en l'attaquant du 
» côlé où il n’a presque point d'œil. »( Eygède, Groenl., 
page 55.) 

(2) Cuvier, Oss. foss., t. V, p. 342, pl. 24, fig. 1,2, 3, 
4et5. 

(3) Swediaur, Journ. physiq., octobre 1784, 986. 

50 


634 


Formée que par la partie écailleuse du temporal ; le 
trou occipital est à peu près au tiers inférieur de sa 
hauteur; le bord inférieur de l’occipital se divise de 
chaque côté par une échancrure en deux lobes, dont 
l'externe représente l’apophyse mastoïde; le basi- 
laire et le sphénoïde postérieur sont fort courts; le 
sphénoïde antérieur ne se montre en dessous que 
dans une échancrure du vomer; le bord postérieur 
du jugal est simple. 

On compte sept vertèbres cervicales, et l'atlas 
est la seule qui soit distincte ; les autres sont soudées 
entre elles. Il y a quatorze paires de côtes ; quatorze 
ou quinze vertèbres dorsales, et trente-huit lom- 
baires ou caudales. Les os en V sont placés vis-à- 
vis ls vingt unième vertèbre ; ils sont d’abord assez 
longs, puis ils se raccourcissent ensuite; les vertè- 
bres caudales restent fort grosses ju qu'aux six ou 
sept dernières, qui diminuent rapidement, de ma- 
nière que l’épine est généralement d’égale grosseur 
partout. 

L'omoplate est concave à l'extérieur, convexe du 
côté des côtes, et plus étroite qu'aux autres cétacés: 
son apophyse acromion est très développée ; l’hu- 
mérus est court et gros, et présente à son bord an- 
térieur une crête terminée par un crochet, et qui 
retrace la crête deltoïdale ; le cubitus se soude de 
bonne heure à l’humérus; avant même que lépi- 
physe de celui-ci soit réunie ; l’apophyse oléerà- 
nienne est très saillante, et se recourbe vers le 
poignet. 

Les dents qui occupent des alvéoles profondes de 
la mächoire inférieure sont au nombre de vingl- 
deux à vingt-cinq de chaque côté; on dit même que 
certains individus en offrent jusqu'à trente, Ces 
dents sont espaces entre elles, et plus fortes et 
plus grosses sur la partie antérieure de la mâchoire ; 
elles sont tris pointues, coniques, et recourbées à 
partir des gencives, cylindriques et massives dans 
leur corps, comprimées et creusées en cône à leur 
base; leur pointe, qui s'élève quelquefois jusqu’à 
trois pouces hors de la mâchoire et des matières 
fibreuses et denses qui tiennent lieu de gencives, 
s’use, et finit par s'aplatir à mesure que le cétacé 
vieillit. Nous en avons vu dont la couronne étoit 
presque complétement tronquée, et dans ce mo- 
ment nous avons sous les yeux une dent d’un jeune 
cachalot, pris dans la baie de la Conecption an Chili, 
et qui a les proportions suivantes : longueur totale 
cinq pouces, sur une circonférence d’à peu près 
quatre pouces; forme d’un cylindre assez régulier, 
jusqu'à vingt lignes de la pointe, où un collet indi- 
que Paitache de la gencive, et la base de la cou- 
ronne ; ceile-ei est conique, amincie, arrendie, et 
fortement recourbée; la dent entière, d’ailleurs, 
décrit une courbe beaucoup plus sensible en devant; 


HISTOIRE NATURELLE 


blanc jaunâtre, que leur dureté fait rechercher dans 
les arts. 

L'audition paroîit devoir être très obtuse chez les 
cachalots. On sait d’ailleurs, d’après les observations 
de Camper, que l'appareil auditif est en totalité 
beaucoup plus petit que celui des dauphins et des 
baleines. Les rampes du limaçon (1) sont séparées 
par une cloison osseuse continue ; la spire qu’elles 
forment a un peu plus de deux tours; la fin du li- 
maçon s’élargit en une espèce de petit vestibule 
particulier, séparé du grand par use écaille, et 
dans lequel on voit deux petites ouvertures appar- 
tenant probablement aux aquedues. La caisse est 
aussi tres petite, et sa forme est plus ouverte; le 
marteau, libre par sa tête, qui est globuleuse, est 
soudé par son apophyse externe avec le bord de la 
caisse. 

La vision ne paroît point devoir être étendue, si 
l’on en juge par la petitesse du g'obe de l'œil. A ce 
sujet M. de Lacépède dit « que l’œil du cachalot 
» macrocéphale est situé plus haut que dans plu- 
» sieurs grands cétacés, et qu’il est placé au sommet 
» d’une sorte d’éminence ou de bosse, peu sensible 
» à la vérité, mais qui s'élève cependant assez au- 
» dessus de la surface de la tête. pour que le museau 
» n'empêche pas cet organe de recevoir les rayons 
» Jumineux réfléchis par les objets placés devant le 
» cétacé, pourvu que ces objets soient un peu éloi- 
» gnés. Aussi le capitaine Colnett a-t-il imprimé, 
» dans Ja relation de son voyage, que le cachalot 
» poursuit sa proie sans être obligé d’incliner le 
» grand axe de sa tête et de son corps sur la ligne 
» le long de laquelle il s’avance. » Comment con- 
cilier toutefois l’explication de l'existence de ce fait 
avec celui que rapportent MM. Quoy et Gaimard 
en parlant de leur cachalot bosselé (2)? « Nous di- 
» rons avec le capitaine Hammat que, par la dis- 
» position de ses yeux placés dans un enfoncement, 
» il ne peut voir ni en avant de sa tête ni derrière 
» Jui; ce n’est que de côté et obliquement qu’il peut 
» distinguer les objets. » Or ces deux opinions sont 
diamétralement opposées, bien que nous r’igno- 
rions pas qu'on a positivement argué de cette cir- 
constance que le polycyphe différoit spécifiquement 
en cela du macrocéphale. Le cachalot bosselé (phy- 
seter polycyphus) que MM. Quoy et Gaimard ont 
fait figurer (3), d’après plusieurs croquis d’un capi- 
taine baleinier, dessin que nous avons reproduit 
dans l'atlas de cet ouvrage, et qu’on dit propre aux 
mers équatoriales des archipels . des Moiuques ct 
des îles Tidoriennes, n’est remarquable que par un 
grand nombre de bosselures qui règnent tout le long 


«) Principes de l'anatomie comparée, etc.; par de 
Blainville,t.[, p. 504. 
(2) Zoolo gie de l'Uranie, p. 77. 


livoire en est formée de fibres très compactes , d’un ÿ (5) Zool. de l'Uranie, p. 76, pl. 12. 


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Ca Hate Pa Cr' O4 hat . Physeter macrocephalus, et 


l'ublis par l'ourrat # à farus 


DES MAMMIFÉÈRES. 


du dos. Ce caractère pourroit fort bien dépendre de 
circonstances accidentelles, et même d’une pléthore 
du vaisseau dor-al renfermant la céline où sperma- 
ceii, qui laisseroit extravaser la matière adipoci- 
reuse. Peut-être encore ces bosses sont-elles dues à 
des engorgements du tissu cellulaire, car on a re- 
marqué que quelquefois cette circonstance se pro- 
duisoit chez les baleines et même chez le cachalot 
macroctphale. La figure du cachalot bosselé n’est 
accompagnée d’aucuns détails autres que ceux que 
nous avons cités , et nous n’ajouterons rien de plus 
sur ce célacé, que nous ne connoissons point encore, 
et pour lequel on doit désirer une description plus 
circonslanciée. 


LE CACHALOT MACROCÉPHALE. 


Plyseter macrocephalus. Bonx. 


Le cachalot mac'océphale et la baleine franche 
sont les géants du règne animal. Ea nature en les 
créant a voulu les mettre en rapport avec l'étendue 
de mer qu’ils sont destinés à animer, et cependant 
leur gigantesque masse n’apparoit que comme un 
point imperceptible sur la vaste surface des océans. 
Leurs os, semblables à des poutres , le poids énorme 
de leurs muscles, les torrents de sang qui circulent 
dans leurs vaisseaux , l’enveloppe épaisse qui jette 
une immense couverture de graisse huileuse sur cet 
assemblage informe; tout en eux dut porter l’éton- 
nement et glacer d’épouvante les anciens peuples 
sur les rivages desquels on les vit apparoître. De là 
naquirent ces fables que les traditions et la poésie 
ont conservées : car tout porte à croire que l’orque 
si terrible et si redoutable des Latins n’est pas autre 
que le cachalot macrocéphale ; mais, bientôt aguer- 
ris, les hommes, qui avoient su remplacer de frêles 
pirogues par des naviies, et sillonner en tous sens 
les mers attirés per le commerce, puissants d’ail- 
leurs par la possession d'armes formidables, ne 
virent plus dans ces grands cétacés qu'une proie assez 
facile à conquérir, et importante par les ressources 
qu’ils pouvoient en retirer. Le cachalot n’est cepen- 
dant pas doué de mœurs aussi innocentes que la 
baleine : celle-ci en effet n’a pour se garantir des 
atteintes de ses ennemis que les efforts impétueux 
d’une puissance musculaire immense , tandis que le 
cachalot, dont la bouche est armée de dents fortes 
et très robustes , plus carnassier dans ses habitudes, 
a recu par cette seule modification de la mâchoire 
inférieure un caractère plus sauvage, plus décidé et 
plus belliqueux. 

Mais on conçoit qu’un tel colosse n’est pas de ces 
animaux qu'on peut conserver dans un muséum : 


on est heureux lorsque quelques parties s’y trouvent | 


635 
pour en faciliter l'étude ; aussi tous les anciens au- 
teurs qui ont décrit des cachalots semblent avoir pris 
pour les peindre des verres de nature très variable, 
grossissant où rapetissant leurs proportions au gré 
du narrateur, et c’est dans de telles circonstances 
qu'ont été tracfes ces descriptions si diverses, si in- 
correctes, et si peu rationnelles, qui mettent à la 
torture les naturalistes jaloux de baser leur opinion 
sur des faits avérés : etcependant, si l’on avoit voulu 
s’appesantir sur ces faits, n’éloit-il pas démontré 
que partout Îles capitaines baleiniers donnoient au 
mäcrocéphale les mêmes caractères, à de légères 
exceptions près ; que partout, dans toutes les mers, 
sous tous les parallèles , sous l'équateur comme dans 
les deux zones lempérées, au pôle nord comme au 
pôle sud, l'espèce que l’on y rencontre présentoit le 
même signalement, si nous pouvons nous servir de 
cette expression ; que l’ambre gris, que l’on sait être 
produit par cet animal, se trouve sur tous les riva- 
ges, sur ceux de la mer Baltique comme sur les 
côtes des Moluques et des iles du grand Océan? Les 
distinctions qu’on à cherché à établir de plusieurs 
espèces peuvent-elles être sanctionnées à l'époque 
actueile, lorsqu'on sait qu’elles reposent sur des 
nuances aussi légères que celles qui résultent de la 
courbure des dents et de bosses adipeuses sur le dos? 
Ce dernier caractère est si peu important que plu- 
sieurs auteurs mentionnent quelques unes de ces 
loupes s’élevant accidentellement sur la région dor- 
sale des macrocéphales observés dans les mers d'Eu- 
rope. De tout cet échafaudage de distinetions spéci- 
fiques établies dans le genre cachalot, et qui s'eroule 
de lui-même, on ne peut véritsblement admettre 
qu'une seule espèce, le cachalot ma:rocép ale, ou 
à grosse lle. 

Ce cachalot a communément de cinquante à 
soixante pieds de longueur, et plus rarement soixante- 
dix et quatre-vingts : ce sont les proportions les plus 
avérées ; car celles de cent pieds, qu'on lui donne 
dans quelques relations, sont exagérécs, ou ne peu- 
vent tout au plus être propres qu’à quelques vieux 
individus atteignant le terme d’une croissance qui 
n’est point ordinaire. Le corps a la forme d’un im- 
mense cylindre, dont la tête, qu’une légère dépres- 
sion sépare du dos, constitue une grande portion , et 
qu’elle termine par une masse cubique, tronquée 
en avant pour former ua museau obtus, ou plutôt 
quadrilatère. L'orifice de l’évent s'ouvre à l’extré- 
mité antérieure de la tête, au milieu d’un mamelon 
arrondi et formé de fibres épaisses qui servent à son 
occlusion , tandis que le corps finit graduellement 
et s’'amineit jusque vers la queue pour s'épanouir en 
une immense rageoire composée de deux larges 
lobes, profondément échanerés à leur milieu, et 
n'ayant pas moins de quatorze picds de diamètre 
transversal. Les peciorales au contraire n'ont point 


636 


recu des proportions en rapport avec la puissance 
de la rame caudale ; elles sont comparativement pe- 
tites, oblongues, ovalaires, et placées non loin de la 
commissure de la bouche. La surface du dos, ar- 
rondie et lisse, est surmontée par ure fausse na- 
geoire, ou plutôt une bosse en‘ièrement formée de 
tissu cellulaire dans un repli épais de la peau, et qui 
est brusquement interrompue à sa partie postérieure. 
Cette loupe graisseuse n’est pas toujours unique ; et 
souvent on en compte jusqu'à trois, qui ondulent 
aiusi la région dorsale. Les yeux sont très petits, 
noirs, inégaux, et celui du côté droit est beaucoup 
plus grand que le gauche. On à même cru que ce 
dernier ne servoit point à la vision. Le canal de 
l'évent affecte aussi ce défaut de symétrie; il est 
simple et non double comme chez les baleines, et 
se dirige obliquement vers le côté gauche de la tête. 
La langue est très charnue, d’un rouge livide, peu 
mobile, et remplit la mâchoire inférieure dont elle 
a la forme; la bouche à peu d’ampleur; la conque 
auditive extérieure se réduit à une simple fissure 
très étroite; la ve:ge du mâle est renfermée dans 
une sorte de fourreau qui l’abrite des chocs exté- 
rieurs, tandis que les deux mamelles des femelles 
occupent deux profonds replis de la peau sur le ven- 
re. Les chairs ont une teinte de rouge noir, propre 
à la plupart des cétacés , et la couche de tissu grais- 
seux ou huileux qui les revêt est épaisse de plus de 
six pouces en dessus. 

La couleur générale du cachalot macrocéphale 
est un noir bleuâtre plus foncé sur le dos et s’éclair- 
cissant sur les côtés et sous le ventre. Parfois le des- 
sous du corps est blanchâtre, ainsi que le tour des 
yeux. L’épiderme est d’une nature si dense, si in- 
sensible, que communément de larges coquilles s’y 
attachent comme sur un rocher et y prennent leur 
complet accroissement. Ce sont ces coquilles, réu- 
nies quelquefois en un assez grand nombre, que l’on 
a prises pour des taches blanches. Le mollusque 
dont existence paroit siée à celle des grands céta- 
cés, et qui, semblable à certains crustacés , adhère 
sur leur peau en parasite, est le genre coronule (1). 
Nous observerons en passant que cette particularité, 
de voir des coquilles bivalves , du genre huitre, s’in- 
cruster sur la peau des cachalots, vers la tête et le 
dos , prouve que ce cétacé n’a point de mouvements 
brusques; et c’est aussi ce que nous avons eu très 
souvent occasion de remarquer. 


Le macrocéphale nage ordinairement avec lenteur, 
et ne fait paroître à la surface de l’eau que la large 
voûte de son dos et l’'éminence charnue qui entoure 
d’un épais bourrelet l’orifice extérieur de l’évent. 


() Coronule-diadéme, coronula diadema, Lamarck, 
. V,p. 387, et coronule rayonnée, coronula balæna- 
ris, Laomarck, Loco citato. 


HISTOIRE NATURELLE 


Souvent il reste paisible pendant quelques secondes, 
le corps élevé au niveau de la mer quand elle est 
calme, puis il replonge doucement et sans saccades 
pour reparoitre quelques minutes après. Il n’en est 
pas de même lorsque, réuni en troupe à l’époque 
des amours, l’ardeur qui l’anime le transporte : on 
le voit soulever à moitié sa tête massive etinforme, 
battre les flots de ses nageoires et plonger perpen- 
diculairement, de manière à déployer en immense 
éventail les lobes de sa queue, et se servir de cette 
partie, entièrement composée de tendons épais et 
énergiquement robustes, pour frapper l’eau avec 
bruit et la faire jaillir en gerbes à de grandes dis- 
tances, Ce spectacle imposant, dont nous avons été 
plusieurs fois témoin, n’a communément lieu que 
lorsque les cachalots se réunissent en troupes. C’est 
alors qu’ils s’agacent et se recherchent en témoi- 
gnant bruyemment les plaisirs de leurs sens lourds 
et épais; c’est alors aussi qu’on les voit se rendre 
vers les côtes, préférer les grandes baies paisibles, 
choisir leurs femelles, et une fois ce c' oix fait se 
séparer de la bande, et se diriger, toujours par cou- 
ples et au hasard , au milieu des grands océans. La 
science la plus utile que puisseacquérir un capitaine 
baleinier est donc d'étudier, par son expérience et 
par celle de ses devanciers, les lieux où à telle épo- 
que ces cétacés se rapprochent, se réunissent et 
vivent en troupes dans les divers parages : c’est ce 
que l’on nomme pour un pays la saison de la pêche. 
Toute la navigation se borne à ce résultat : elle doit 
être conduite de manière que le navire arrive dans 
les temps opportuns sur les côtes reconnues pour être 
les plus fréquentées. Dans les traversées intermé- 
diaires on ne chasse que les espèces nageant par pai- 
res, ct qui, isolées de quelque grand essaim , vien- 
nent s'offrir sur la route. 

Les cachelots ne rejettent point de l’eau par leur 
évent chaque fois qu’ils apparoissent, mais ce phé- 
nomèêne a lieu sans doute lorsque l’animal prend ses 
aliments, et a rempli le réservoir pneumo-nasal du 
liquide qu’il a dù avaler en saisissant sa proie. Ce 
n’est point un simple mucus uni à la vapeur, résul- 
tat de l'acte respiratoire et condensé par air exté- 
rieur, ainsi que le prétend M. Scoresby; car nous 
pouvons affirmer, pour l’avoir vu maintes fois à quel- 
ques pas de distance, qu’il sort de l’évent, s’ouvrant 
par une vive contraction et avec bruit, un jet d’eau 
qui s’élève à une foible hauteur en se répandantaus- 
sitôt en pluie fine, tandis que la colonne que lancent 
les baleines conserve long-temps l’aspect d’un jet 
droit qui monte haut avant de retomber en pluie. 

L'opinion qui admet que le cachalot macrocéphale 
est cosmopolite est vraiment la plus probable; et 
bien cependant que, de tous les cétacés , ce soit celui 
qui préfère la zone intertropicale et les régions tem- 
pérées , on le trouve également dans les mers boréa- 


DES MAMMIFÈRES. 


les et dans celles du pôle sud. On doit dire toutefois 
qu'il y est beaucoup plus rare, et qu'il ne s’y pré- 
sente qu’à certaines époques , et peut-être dans des 
circonstances dont on ne s’est point encore rendu 
compte. Onsait d’ailleurs que beaucoup de ces grands 
cétacés ont été parfois jetés sur nos côtes, mais on 
doit supposer aussi que, plus sauvages que les ba- 
lcines, le grand nombre des navires qui sillonnent 
l'étendue de notre portion d’océan Atlantique les ont 
chassés depuis long-temps, et qu’ils s’y présentent 
aujourd’hui beaucoup plus rarement. Dans les mers 
chaudes de Madagascar aussi bien que dans celles 
des Moluques, dans les parages tempêtueux de la 
Nouvelle-Zélande comme sur les côtes du Japon, 
où règnent les redoutables typhons , on rencontre 
des cachalots qui sont identiques par l'ensemble de 
leurs formes, car les capitaines baleiniers qui les 
poursuivent ne reconnoissent parmi eux que quel- 
ques nuances de taille, dues sans doute à l’âge , au 
sexe, ou à des circonstances que nous ne pouvons 
apprécier. Les parages Jes plus fréquentés par les 
cachalots sont done, dans le nord, le détroit de 
Davis ; les rivages de l’Europe tempérée ; les côtes 
de Patagonie, dans l'océan Atlantique ; les rivages de 
Madagascar et la côte occidentale de la Nouvelle- 
Hollande dans la mer des Indes ; les Moluques , les 
Carolines, les Marianes, dans l’océan Pacifique ; les 
Gallapagos sous l’équateur et non loin du Pérou, 
la Nouvelle-Zélande dans le grand océan Antarcti- 
que, et les archipels japonois dans le Grand-Océan 
boréal. 

Armé de dents robustes, le cachalot a dù avoir 
des mœurs plus cruelles que les baleines par exem- 
ple, dont la bouche est tapissée de lames cornées ; 
il a dû aussi recevoir un appétit plus carnassier, et 
par suite avoir des modifications dans les organes di- 
gestifi, qui ont dû se raccourcir, et concentrer l’é- 
nergie de leurs fibres: des muscles larges et que 
terminent des tendons de la grosseur de fortes cor- 
des, mettant en jeu une mâchoire inférieure étroite, 
mais longue , et que hérissent des dents recourbées, 
formées d’un ivoire compacte et implantées dans des 
branches osseuses , massives, constituent un appa- 
reil qui demande, pour être mis en jeu, des proies 
volumineuses, et prises parmi de grands animaux. 
D'un autre côté cependant l’étroitesse de l'ouverture 
de l'æsophage semble contrarier le plan primitif, et 
porter à penser que tout ce système buccal n’est qu’an 
luxe inutile, ou que les cachalots ne s’en servent que 
comme un moyen puissant de défense. Anderson 
dit en effet qu’on avoit trouvé dans l’estomac d’un 
cachalot des restes de requin et autres grands pois- 
sons, tandis que les baleiniers ne mentionnent que 
des débris de ce qu’ils appellent squid ; or nous 
savons que ces squid ne sont pas autre chose que les 
poulpes ou sèches que les marsouins dévorent avec 


637 


tant de plaisir. Il paroît cependant que ces animaux 
nese bornent point à ces seuls céphalopodes, et qu’ils 
ne dédaignent pas les clupées et autres poissons voi- 
sins, et même les mollusques. Othon Fabricius af- 
firme aussi qu’ils avalent des requins (squalus car- 
charias), etle cycloptère lump, et que les premiers 
surtout en ont une si grande frayeur, qu’il leur suf- 
fit de la vue d’un cachalot pour fuir jusque sur les 
rivages, et s’y échouer. Enfin il ajoute que cet ani- 
mal se repait des cadavres des autres cétacés, et 
même de ceux de sa propre espèce. 

Eggède(!) n’a décrit qu’un seul cachalot, qu’il 
nomme pot-fishe ou cachelotet ; et, dans la courte 
notice contenue dans son livre, on lit qu’il est brun 
sur le dos et blanc sur le ventre, long de cinquante 
à soixante-dix pieds, et qu’on retire de son crâne 
jusqu’à vingtet vingt-quatre tonnes de sperma-ceti. 
Anderson (?) lui donne les noms de pot-fisch et ca- 
ilot, usités en Hollande, et dit que quelques pé- 
cheurs appellent encore ce cétacé nord-caper : c’est 
le sperma-ceti whale où humpback des baleiniers 
anglois , et certainement, le trumpo des Bermudes, 
que l’on a cru devoir distinguer dans nos livres d’his- 
toire naturelle, bien qu’Anderson ne le sépare point 
de sa première espèce ou du macrocéphale. Quant 
à sa troisième espèce, ou cachalot à dents minces, 
courbes, et en forme de faucilles nous savons que 
les dents du jeune macrocéphale ont parfaitement 
cette forme, et qu’ils ne la perdent qu’en vieillissant 
et par usure. Le switt-fisch du même auteur n’est 
que le béluga pris pour type du cachalot blanc par 
M. de Lacépède , parce que les dents de la mâchoire 
supérieure tombent facilement. Des trois physeter 
de Fabricius(), le premier appartient seul à ce 
genre, et c’est le macrocéphale dont la description 
est exacte ; mais son catodon et son microps sont 
évidemment un marsouin et le globicéphale conduc- 
teur. Quant aux espèces des ouvrages plus modernes, 
la confusion qu’on y a introduite exigeroit de nom- 
breuses citations, etunesynonymie d’une utilité trop 
peu directe ÿ la plupart de nos lecteurs pour que 
nous cherchions à la transcrire. D’ailleurs les espè- 
ces de Bonnaterre et de M. de Lacépède, copiées 
par divers autres naturalistes, ne sont que les cacha- 
lots &’Anderson , d’Artedi, et par suite de Sibbald , 
décorés de noms nouveaux sans être accompagnés 
de renseignements modernes le moindrement au- 
thentiques. 

Quelles sont les mœurs du cachalot macrocéphale ? 
quelle est la durée de là gestation de la femelle, et 
combien produit-elle de petits ? Si cescétacés suivent 
la loi commune, ils ne doivent donner la vie qu'àun 


() Description du Groenland, p. 54, 
(2) Hist. nat. du Groenland, t. I, p. 116. 
() Fauna groenlandica, p.41. 


638 


seul individu. puisqu'on a remärqué que les animaux 
produisoien! d'autant plus, à la lois et à des époques 
plus rapprochées , qu’ils étoient plus petits, et que 
plus leur taille étoit considérable, moins leur piogé- 
niture étoit nombreuse. 

Nous ne connoissons rien de ce qui se rattache 
à la partie philosophique et à l’histoire morale du 
cachalot macrocéphale, et probablement nous serons 
long-temps encore dans une profonde ignorance à 
cesujet. Il n’en est pas de même des ressources qu'il 
accorde aux arts; les commerçants savent fort bien 
les bénéfices qu’ils doivent en retirer. C’est surtout 
vers la fin du dernier siècle et au commencement de 
celui-ci que la pêche du cachalot a été régularisée, 
et que des armements considérables ont été expédiés 
däns la mer du Sud pour le poursuivre et pour le 
harponner ; et bien que dés centaines de navires an- 
glois et américains rentrent chaque année üans les 
ports de l'empire britannique et des états de l’Union, 
nous en sommes encore à savoir si l’on ne doit posi- 
tivement reconnoître qu'un seul cachalot, ou bien 
si celui du nord diffère de celui du sud. 

Deux substances précieuses par leur abondar.ce 
ou par leur prix sont principalement extraites des 
cachalots; l’une est le blanc de baleine, si impro- 
prement nommé sperma-celi, et que nous décrirons 
sous la dénomination plus convenable de céline, et 
l’autre est l’ambre gris. Mais l’huile qu’on retire 
desontissuceliulaire, quoique beaucoup moins abon- 
dante que celle de la baleine, est également estimée : 
les Groenlandois se font des tuniques avec les intes- 
tins , et des cordes avec les tendons. Les dents sont 
employées à une foule d’usages domestiques : à ce 
sujet nous dirons qu'elles sont en singulière estime 
dans plusieursiles de la mer duSud,et notammentaux 
Fidjis et à Rotouma. Ces peuples, dont les idées so- 
ciales sont peu perfectionnées , ont aussi adopté ces 
distinctions qui, partout, sont nées de la vanité et 
de l’amour-propre, en offrant en hommage à leurs 
dieux, ou parant les épouses de leurs souverains 
avec des colliers de dents de cachalots : car cette 
matière est à leurs yeux le nec plus ultrà de la ra- 
reté et de la valeur. C’est avec cette monnoie que la 
plupart des capitaines baleiniers paient aujourd’hui, 
dans les îles où elle est prisée , les vivres frais qu’ils 
s’y procurent pour leurs équipages ; et lorsque nous 
communiquämes avec les habitants de la petite mais 
fortunée ile de Rotouma (1), ils nous donnèrent avec 
un abandon et une largesse qui devoient nous éton- 
ner leurs étoffes les plus fines et les plus précieu- 
ses pour une de ces dents, lors même qu’ils dédai- 
gnoient les instruments de fer les plus utiles, dont 


(5) Notice sur l'île de Rotouma, située dans le grand 
Océan austral, par R. P. Lesson; Nouv, Ann, des Voya- 
ges, Cahier de juillet 1825. 


HISTOIRE NATURELLE 


ils n’ignoroient point l’usage! Et, soit dit en pas- 
sant, l’homme n'est-il pas paitout le même, en 
préférant le superflu à l’utile ? 

Ces dents sont nommées {amboua aux Fidjis, et 
touboua à Rotouma; les habitants pensent que 
l'animal d'où elles proviennent est le roi de la mer, 
que tous les navires qui sillonnent le grand Océan 
ont pour but de se les procurer, et que l’huile que 
l'on retire du tissu cellulaire n’est destinée qu’à ser- 
vir en frictions : mais ces préjugés de peuplades 
simples et encore stationnaires dans l’enfance de la 
civilisation ne se bornent point à quelques ilots (on 
les retrouve à de grandes distances, aux iles Mar- 
quises (!), par exemple), et prouvent que la race 
humaine que nous avons nommée océanienne a con- 
servé partout, et plus ou moins pures, ses tradi- 
tions. 

La substance la plus recherchée dans les cacha- 
lots est une matière particulière utile dans les arts, 
qu’on a nommée sperma-cetli, blanc de baleine, et 
il y a quelques années adipocire. L’impropriété et le 
ridicule du premier nom en auroient dû faire faire 
justice depuis long-temps, si les erreurs que propage 
la routine n’étoient pas très difficiles à déraciner. Ce 
nom de sperma-celi, donné par des matelots gros- 
siers, est en effet plus connu que celui de blanc de 
baleine, peu convenable, mais qui au moins n’impli- 
que pas avéc lui une idée fausse. Quant au nom d’a- 
dipocire, que le célèbre Foureroy donnoit à cette 
matière, cela tenoit à l’analogie que ce professeur 
avoit cru trouver entre elle, le gras des cadavres, et 
la matière cristallisée des calculs biliaires humains, 
analogie que M. Chevreul le premier a prouvé ne 
pas exister. Ce chimiste a donc proposé le nom de 
cétine, pour succéder à ceux de sperma-ceti et de 
blanc de baleine; et sa brièveté, sa douceur et son 
étymologie radicale doivent le faire adopter avec 
empressement ; tandis que la substance des calculs 
est nommée cholestérine, et que le gras des cadavres 
conserve son nom primitif d’adipocire. 

La céline (?) ou sperma-ceti du commerce n'est 
point pure; elle retient une petite portion d’huile 
qui la jaunit, et que l’action de l'air fait rapidement 
rancir : pour la purifier, on la dissout dans de l’al- 
cool bouillant ; et lorsque la liqueur se refroidit, il 
se forme des cristaux qu’on laisse égoutter, et qu’on 
dissout dans de nouvel alcool. La cétine qu’on en 
obtient est à son état de pureté; elle s'offre sous 
forme de lames blanches, brillantes, comme na- 


(") Les habitants des îles Marquises de Mendoce esti- 
ment beaucoup les dents de cachalot, et les regardent 
comme le bien le plus précieux qu'ils puisse” t ambi- 
tionner: « À Good one s considered equal to the grea- 
» test property.» Schitlibeer, Briton’s Voyage, 1813. 

(2) Chevreul, article CHOLESTERINE Dict, des sc, 
nat., t. IX, p. 58. 


DES MAMMIFÈRES, 


crées, et ayant au toucher une douceur onctueuse 
et une grande translucidité; son odeur et sa sa- 
veur dans cet état sont nulles : elle se congèle à 
49 degrés, tandis que celle du commerce, impure, 
se fige à 41. 

Les propriétés chimiques de la cétine sont : 
d'être insoluble dans l’eau; de se dissoudre dans 
les huiles fixes et volatiles, dans l’éther et dans 
l'alcool ; de ne point éprouver d’altération par la- 
cide nitrique ; de se saponifier très diflicilement, 
de se séparer dans cette circonstance en acide mar- 
garique uni à de la cétine restée libre. Ses éléments 
constitutifs sont pour 408 parties, suivant M. Bé- 
rard , carbone 81, hydrogène 45, et oxigène 6; et 
d’après de Saussure, carbone 73,574, hydrogène 
12,795, oxigène 44,577, et azote 0,554, pour 
469,000 parties. 

Telle est la cétine purifiée et obtenue du blanc 
de baleine que le commerce livre sous forme so- 
lide, d’un aspect blanc, d’une texture cassante et 
que le contact de l’air jaunit rapidement (!), en lui 
donnant dans ce cas une odeur de ranci désagréa- 
ble. Mais ce n’est point sous cette forme qu’on la 
retire du c'chalot, et à ce sujet nous devons entrer 
dans quelques détails. 

La cét ne liquide occupe l'immense cavité qui 
forme à elle seule la plus grande portion de la tête ; 
aussi les anciens auteurs ont-ils écrit que ce sperma- 
ceti étoit la partie la plus molle du cerveau, et le 
ce ebellum. Mais la nature s’est servie pour la sépa- 
ration de cette matière du véritable organe principal 
des sens, d’un appareil simple qui ne permet pas de 
supposer de corrélation eutre eux. 

On se rappelle que de larges crêtes s'élèvent 
horizontalement des maxillaires comme les bords 
d’une coquille, et se rendent jusqu’auprès des or- 

bites où elles se redressent brusquement pour at- 
teindre le nivear du bord supérieur de l’occipital 
sur la face antérieure duquel elles se contournent 
en formant le rebord d’une immense coupe oblon- 
gue, moins arrêtée en avant, et qui aussi est forte- 
ment inclinée de ce côté. Ces crêtes composent done 
les parois extérieures d’une concavité dont le fond 
repose sur la portion centrale, et déprimée de 
plusieurs pieds, des os maxillaires et intermaxil- 
Jaires, et qui surmonte toute la partie supérieure 
Gu crâne. Or le cerveau, très petit et refoulé, oc- 
cupe comme à l’ordinaire la cavité cranienne , due 
principalement à l’occipital en arrière et à l’eth- 
moïde en avant; ses dimensions n'ont offert à 
Camper, sur une tête de dix-huit pieds de lon- 
gueur, que sept pouces de profondeur, douze de 
largeur et neuf de longueur Cest done bien gra- 
tuitement que plusieurs écrivains ont prétendu 


(, Couleur que le charbon animal lui enléve. 


639 


qu'il y avoit des communications entre la hoîte 
crânienne et le vaste réservoir à demi osseux de 
la céline ; elle n’en occupe que la partie postérieure 
et inférieure, dont l’isolent des cloisons osseuses 
épaisses. 

La cétine est contenue, dans ce large et immense 
réservoir sus-crânien , dans deux étages, dit-on; le 
premier seroit ure cloison membrano - fibreuse, 
fixée solidement sur les bords des parois osseuses, 
et le second, ou le Elapmut: des pêcheurs du Nord, 
formeroit par dessus cette paroi intermédiaire une 
immense calotte fibro-cartilagineuse, très épaisse, 
très dense, et tellement serrée que le harpon a 
peine à y pénétrer. Le Alxpmutz n'est recouvert ex- 
térieurement que par six pouces environ de tissu 
cellulaire, et par la peau. Il est tapissé en dedans 
d’une membrane noire, sillonnée par des branches 
nerveuses volumineuses, et renferme la cétine la 
plus pure et la plus précieuse, tandis que l’étage 
inférieur est rempli par une cétine plus grossière, 
contenue dans des aréoles nombreuses. Ce blanc de 
baleine est fluide tant que l’animal esten vie, et ne 
se concrète qu'après la mort. Il est maintenu isolé 
par des cloisons minces, membraneuses, et formées 
de fibres entrelacées. On lit dans Anderson (!) que les 
pêcheurs lui rapportèrent que lorsqu'on vide la der- 
nière chambre ou le réservoir inférieur du sperma- 
celi, celui qui est épars dans le corps reflue vers la 
tête par un large canal qui paroît avoir pour fonc- 
tions de transporter cette matière en plusieurs points 
de l’organisme. Mais on ne conçoit pas bien l’exis- 
tence de ce vaisseau, qui doit être peu profond, 
pour être au niveau du pourtour osseux de la 
grande cavité, bien cependant qu’on sache que la 
cétine soit éparse en plusieurs parties, et notam- 
ment aux endroits marqués d’un carré, tels qu’on 
peut le voir dans le croquis ci-joint : ce croquis a 
été copié d’une figure de cachalct gravée en tête 
des instructions que tout capitaine baleinier doit 
avoir sur un tableau dans sa chambre, afin que 
chaque homme de l'équipage puisse en prendre 
connoissance. 

La tête d’un cachalot (?) pris dans les mers des 
Moluques , et long de soixante-quatre pieds fran- 
cois, a donné vingt-quatre barils de blanc de ba- 
leine, après qu’on a eu enlevé le lard par zores 
perpendiculaires, produisant soixante-dix , quatre- 
vingts (%) et quelquefois cent barils d'huile pure. 
Les femelles, acquérant une moins grande dimen- 


() Tom. If, p. 124. 

() Zootogie de L'Uranie, p. 81. 

(3) Le baril contient 31 gallons et demi; le gallon est 
de 4 pintes françoises environ; ce qui donne exacte- 
ment un total de 3075 pintes de blanc de baleine (28359 
litres) et 42842 pintes d'huile (119143 litres), lorsqu'un 
de ces cétacés produit cent barils. 


640 


sion que les mâles, ne donnent pas au-delà de dix- 
huit à vingt barils de blanc de baleine, Ceiles des 
côtes de la Nouvelle-Zélande peuvent fournir vingt- 
cinq ou trente barils ; mais les mâles, plus grands à 
proportion, rendent beaucoup plus des deux sub- 
stances que ceux des archipels d’Asie (1), 

« On assure (?) qu’il n’y a maintenant à Londres 
» qu’un prix pour le blane de baleine et l’huile ; on 
» les vend 120 livres sterling les deux mille pounds; 
» ce qui n’avoit pas lieu, dit-on, il y a cinq ou six 
» ans; la première denrée valoit 12 à 15 livres ster- 
» ling de plus par tonneau que la dernière, Jadis 
» aussi on vendoit les deux productions séparément; 
» les fabricants les mélangeoient ensuite; à présent 
» on vend le tout ensemble. » 

Quelle est la destination de la cétine dans l’orga- 
nisation des cachalots? Qu’un fluide graisseux , ré- 
sultat d’un excès de vie, remplisse les mailles du 
tissu cellulaire et devienne huile, graisse ou suif, 
on conçoit les résultats d’une extra-nutrition, et ces 
matières semblent être la première réserve que les 
maladies ou le manque de nourriture doivent ab- 
sorber. La cétine a t-elle le même but? ou n’est-elle 
que le produit d’une sécrétion spéciale destinée à un 
ordre de nutrition directe que nous ne pouvons ex- 
pliquer ? 

Introduite dans le commerce, la éétine a d’abord 
été employée en médecine. On s’en est servi comme 
d’un cérat naturel fort doux pour toutes ces petites 
éruptions de la peau que la beauté et la coquetterie 
redoutent; mais l’art des cosmétiques a vainement 
varié ses formules; la rancidité, qui trop souvent 
s'empare de cette substance, en a fait rejeter l’em- 
ploi. C’est principalement dans la composition de 
la bougie que la cétine a été utilisée : on a obtenu 
des produits remarquables par leur pureté, et les 
masses qu’on à vues à l'exposition de 1827 prouvent 
que nos manufacturiers ont surpassé les Angiois 
dans l’art de la purifier. 

Des matières d’une valeur aussi grande que l’huile 
et la cétine ont servi d’appät aux armateurs. Des 
centaines de navires partent chaque année des ports 
de Londres pour une campagne dont la durée n’est 
jamais moindre que deux ans, et le plus long terme 
quatre années. Dans ce voyage, le capitaine et les 
harponneurs sont les plus intéressés, et Le resie de 
l'équipage est à la part. L’armement d’un navire 
baleinier se compose de vingt-cinq hommes d’équi- 
page, et de tous les ustensiles nécessaires pour 
fondre l’huile et la cétine ; ils sont aussi munis d’ob- 


(:) A ce sujet nous pensons que dans leurs premiéres 
années les cachalots préfèrent les régions intertropica- 
les, et qu’ils ne s’avancent dans les hautes latitudes que 
lorsqu'ils sont complétement adultes et peut être dans 
un état de pléthore. 

(2) Ce sont MM. Quoy et Gaimard qui parlent. 


HISTOIRE NATURELLE 


jets d'échange pour se procurer des vivres frais dans 
quelque iîle de la mer du Sud. Des tonneliers sont 
embarqués pour mettre en ordre les pièces qui sont 
rangées dans le vaisseau , et qui, d’abord remplies 
d’eau, ne servent ensuite, et à mesure que la pêche 
avance, qu'à recevoir lhuile. La plupart de ces 
équipages sont quelquefois neuf mois sans commu- 
niquer avec la terre. 

En 1824 et 4825 la route que suivoient généra 
lement les navires baleinicrs (1) étoit de doubler 
d’abord le cap de Bonne-Espérance, de croiser dans 
les parages de Madagascar, de séjourner dans les 
Moluques, de se ravitailler à la Nouvelle-Zélande, 
de traverser les archipels des Amis, des Naviga- 
teurs, et quelquefois ceux des Carolines et des Mul- 
graves, et de se rendre, dans la belle saison, sur 
les côtes du Japon, puis revenir par les Gallapagos, 
les Marquises, relâcher au Chili, croiser devant la 
Motcha, y terminer la pêche et effectuer le retour 
en Europe, en doublant le cap Horn, après avoir 
traversé dans tous les sens le grand Océan pen- 
dant trois années environ, et fait le tour du monde. 
D'autres au contraire se dirigent sur les côtes du 
3résil, croisent sur le banc de Patagonie , doublent 
le cap Horn, s'arrêtent à Valdivia et à la Concep- 
tion, se rendent à Payta, font de l’eau à Salengo, 
sur la côte de Guyaquil, et commencent leur grande 
pêche aux Gallapagos, et suivent, pour opérer leur 
retour, un ordre inverse aux précédents. 

Les gains qui résultent d’une pêche rapidement 
faite, en deux ans par exemple, sont énormes, et 
trois voyages suflisent pour-assurer une fortune in- 
dépendante au capitaine. 

Les baleiniers de la mer du Sud harponnent les 
cachalots et les baleines de la même manière. Bien 
que les termes techniques dont nous devions nous 
servir soient peu propres à donner de l'agrément 
à ce sujet, son importance pour notre patrie nous 
engage à le présenier à nos lecteurs sans en rien 
retrancher. 

Lorsqu'on aperçoit à l’horizon un cétacé, l’homme 
placé en vigie sur le mât de l'avant ne manque 
point de signaler l'aire de vent où il s’est montré. 
Des embarcations solides . sveltes et légères, nom- 
mées baleinières, suspendues le long du navire, et 
constamment munies des armes destinées à la pé- 
che , sont lancées à la mer (?). Les canotiers nagent 


(‘) Ce mot baleinier est donné aux navires destinés à 
la pêche du cachalot aussi bien qu’à celle de la ba- 
leine. = 

{) Ce qu'on nomme l'armement d'une baleiniére se 
compose d’un gouvernail, de septavirons, de cinq har- 
pons, dont deux en bataille sur la fourche, et munis de 
leurs lignes; les trois autres sont dans leur étui le long 
du bord: trois lances, dont une en bataille, c’est-à-dire 
prête à étre lancée ; une hache; ur couteau; une bouée 


DES MAMMIFÉRES. 


de manière à prolonger l'animal de la queue à la 
tête. Le harponneur se tient sur l'avant ; lorsqu'il 
se croit en position favorable pour lancer son fer, 
il fait un signal; les rameurs cessent de nager; il 
fixe la place qu'il doit frapper, et dirige avec vi- 
gueur le harpon, qui quelquefois et du premier 
coup blesse à mort l’animal dont il intéresse les 
principaux viscères. Mais il n’en est pas toujours 
ainsi : l'arme acérée ne fait que pénétrer le plus sou- 
vent les plans musculaires et n’occasionne qu’une 
émotion suivie d’hésitation de la part du cétacé , et 
le harponneur doit alors saisir ce moment rapide 
comme l'éclair pour lancer son deuxième fer. A ces 
coups l’animal, que la douleur irrite, plonge ver- 
ticalement à de grandes profondeurs, et ce mouve- 
ment, que les pêcheurs appellent sonder, néces- 
site des précautions extrêmes pour que les cordes 
attachées au harpon puissent se dérouler vivement 
et sans entraves : car si elles s’engageoient, et qu’un 
matelot ne füt pas assez alerte pour les couper, la 
baleinière seroit indubitablement chavirée, et les 
homnies qui la montent en danger de périr. 

Ces lignes ont communément quatre cent quatre- 
vingts brasses de longueur. Souvent on est forcé de 
tout filer, parce que le cachalot, qui n’est que blessé, 
nage avec d’autant plus de force que la douleur Pai- 
guillonne. Les baleiniers alors n’ont pas d’autre 
ressource que d’attacher à leur extrémité une bouée 
en liége que surmonte un pavillon et qu'ils jettent 
à la mer. Cette bouée, que l’animal entraîne sur le 
sein de l’océan, est la boussole qui les guide pour 
aller reprendre le bout de la ligne lorsque les forces 
du cétacé s’affoiblissent et que ses mouvements sont 
ralentis par la perte du sang qui s'échappe de ses 
blessures. Mais cependant, lorsque les pêcheurs 
s’apercoivent que le cachalot plonge brusquement 
dès le premier coup de harpon, ils ont soin de fiter 
la corde avec résistance, et, comme ils disent, à 

retour , de manière que l'animal puisse éprouver 
Mn obstacle permanent, qu’il surmonte il est vrai, 
mais qui use d’autant l’énergie de ses mouvements. 
Leur habitude, qu'éclaire l’expérience, est telle- 
ment faconnée à cette guerre d’extermination de ce 
géant de la mer, qu’ils s’apercçoivent, à la diminu- 
tion de tension des lignes, que le cétacé a besoin de 
s'élever pour venir respirer dans l'air, ou que la 
douleur dompte son courage, et ils ne manquent 
point alors de tirer la corde à eux en s’approchant 
presque à le toucher, et là de le frapper de nouveau 
jusqu’à ce qu’il expire. Le sang qui jaillit de l’évent 


avec son signal ; une ou deux lignes de deux cent qua- 
rante brasses chacune de deux pouces à peu près de dia- 
mètre, et bien lovées ou arrangées régulièrement dans 
une baille ou petite cuve en bois. Cette embarcalion à 
toujours à bord et de plus un mät, une voile et une pro- 
vision d’eau douce. 

LE 


641 
avec des colonnes d’air bruyamment expirées est le 
signal de Ja victoire, et les capteurs spéculent dès 
lors sur les produits qu’ils vont en retirer. Le ca: 
chalot expirant n’agite plusses nageoires, son corps 
devient inerte et roule sur les flancs; on l’attache 
et on le conduit jusqu’au vaisseau qui a cessé de 
faire route dès le début de la chasse, et qui fixe le 
corps de l’animal sur une de ses hanches ({). Alors 
on procède au dépècement ainsi qu’il suit : des 
planches sont mises en échafaudage sur le corps du 
cétacé ; les découpeurs lèvent le tissu cellulaire, en 
se servant de couteaux faits exprès, par larges ban- 
des régulières mais en spirale ; des matelots, armés 
de fourchettes de fer longuement emmanchées, font 
passer à bord ces quartiers de lard huileux, que 
d’autres hommes coupent menu sur un chevalet; 
d’autres enfin prennent ces derniers et les jettent 
dans la chaudière où ils doivent laisser échapper 
Phuile qu'ils contiennent. Lorsque le uissu cellulaire 
est complétement exprimé, et qu’il est réduit aux 
mailles membraneuses qui forment son canevas, on 
l’emploie comme combustible, et il sert à entretenir 
le feu sous les chaudières (?). L'huile clarifiée est 
mise dans des pièces en bois d’une grande capacité, 
et le blanc de baleine, qu’on ne purifie que lorsque 
toute l'huile du cétacé a été obtenue, est mis en dé- 
pôt dans des caisses en cuivre étamé, qui sont pla- 
cées dans l’entre-pont, à côté du grand mût, et dont 
les ouvertures communiquentavec le pont supérieur. 
Plus tard cette matière est fondue à loisir et avec 
soin, et mise dans de petites caisses en cuivre, 
auxquelles on ne touche plus jusqu’à l’arrivée en 
Europe. 

IL nous reste encore à mentionner un produit des 
cachalots que la médecine et surtout la toilette ont 


(:) Cette opération se fait par le moyen de deux 
caliornes affalées du grand mât : à l'une d’elles est at- 
taché un croc que l'on fixe profondément dans un trou 
pratiqué près de l’œil du cétacé, et de dehors en dedans, 
c'est-à-dire que la caliorne passe en dehors du corps, 
et vient se crocher dans le {rou pratiqué sur le côté qui 
touche au navire: l’autre caliorne est suspendue à une 
élinque qui soutient le milieu du corps. 


() Ces chaudières sont au nombre de deux : elles sont 
en cuivre, et placées dans un fourneau en brique, qu 
repose lui-même sur un réservoir plein d'eau praliqu 
sur le pont. Deux vases quadrilatéres, en cuivre, occt 
pont les côtés du fourneau : ils sont destinés à recevo' 
l'huile, résultat de la fonte du tissu cellulaire, et qi 
s'écoule des chaudières par des ouvertures pratiquée à 
leur bord supérieur. La partie la plus pure de cette hule 
coule par uve grille fermée par un robinet extériur 
placé en haut et sur un côté de chaque réservoir, etest 
reçue dans des caisses en fonte, où elle est prise vec 
une grande cuiller el jetée dans une manche ea)eau 
pour être dirigée dans les barriques arrangées dans la 
cale, et d’où elle ne doit plus sortir que pour ciculer 
dans le commerce, 

81 


642 
rendu célèbre ; nous vouions parler de l’ambre gris. 
Les opinions les plus bizarres ont été émises au 
sujet de ceite substance, et il seroit oiseux de les 
reproduire; car quel avantage obtiendroit-on de 
discussions relatives aux idées des vieux auteurs, 
qui ne voyoient dans l’ambre qu’un bitume, de la 
cire ou du miel concrété? N’est-il pas reconnu au- 
jourd’hui, par des faits directs, que l’ambre gris est 
recélé dans les intestins des cachalots sous forme 
de boules dont le volume varie, et que cette matière 
précieuse se trouve rarement dans les jeunes indi- 
vidus, mais seulement chez ceux qui ont atteint 
leur entier développement, et qui sont dans un 
état maladif dont elle est la cause ou du moins le 
résultat ? 

Swediaur, médecin anglois, est regardé comme le 
premier auteur qui ait cherché à prouver que l’ambre 
gris étoit ou un bézoard, ou des matières endurcies 
dans les intestins des cachalots ; Swediaur fondoit 
ses raisons sur ce que celte substance étoit mélangée 
d’arêtes de poissons, et de becs cornés et durs de sè- 
ches (squid des Anglois), débris non douteux d'une 
élaboration digestive; ii s’étayoit encore de faits bien 
connus, tels que l’odeur ambrée qu’exhalent à di- 
verses époques les excréments de plusieurs bestiaux 
et des fouines. Maïs bien long-temps avant Swediaur, 
Marco-Polo(!), ce vieux et véridique voyageur qu’on 
a long-temps regardé comme un conteur, n’a-t-il pas 
dit en parlart des cachalots, qui alors étoient très 
communs sur les côtes de Madagascar : « Ils ont 
» anbre asez, por ce qe en cel mer a balene en grant 
» abondance ; et encore hi a cap doille (huile de la 
» tête ou cétine), et porce qe il prenent de ceste ba- 
» lene e de cesti cap dol asez, ont de l’anbre en grant 
» quantité , et vos savès que ta balene fait l'an- 
» bre(?). » 

L’ambre gris est mou, sans saveur particulière, 
plus léger que l’eau, aussi a-t-il la propriété de sur- 
nager. Sa couleur est d’un gris cendré rayé de jaune 
brunâtre et de blanc; son odeur est d'autant plus 
douce et d'autant plus suave, qu’il a davantage vieilli 
et qu'il se dessèche. 

L'ambre n’est presque entièrement formé que 
une matière cristallisable, nommée ambréine (3), 
ui s'obtient sous formes de houppes blanches et dé- 
ges, en traitant l’ambre gris à chaud par de l'alcool, 
€en abandonnant la liqueur à elle-même après l’a- 
Vir filtrée. Cette ambréine se rapproche beaucoup 
dla cholestérine on matière cristalline des calculs 
biaires dont elle se distingue non seulement par 


( Voyages de Marco-Polo, Ffémotres de la Société 
de \éographie de Paris, t.1, p.232. 

(Les Indiens d'ailleurs lui donnoient le nom de min- 
unbr, qui signifie ambre des poissons. 

(G) Mémoire de MM. Pelletier et Caventou, Journal 
de Prarmacic, 1820, p. 46. 


HISTOIRE NATURELLE 


ses propriétés physiques, mais encore par sa fusion 
qui a lieu à 50 degrés, et par un acide particu- 
lier auquel elle donne naissance, lorsqu'on l’unit à 
de l'acide nitrique bouillant. Cette analogie ne vien- 
droit-elle pas corroborer son origine, si tous les 
pêcheurs de cachalots ne savoient d’une manière 
formelle que c’est au milieu du tube digestif qu’ils 
doivent chercher ce corps si parfumé que l’animal 
rejette au milieu des matières ronges et infectes qui 
constituent ses déjections ? L’ambre, ainsi débarrassé 
par l’eau qui le baigne des impuretés qui le souil- 
loient, flotte sur la mer, et est poussé par les cou- 
rants sur les sables des rivages, où de toute part on 
apprécie sa rencontre comme une bonne fortune. 
Les choses les plus précieuses, pour l’homme factice 
de la civilisation, n’ont point une origine plus pure : 
et n'est-ce pas au milieu des organes de la génération 
et près de lanus qu’il va puiser le musc ou la ci- 
vette dont il parfume son visage: et l’eau de mille- 
fleurs, si chère aux femmes mondaines, n’est-elle 
pas le résultat d’une composition bien merveilleuse 
il est vrai, puisque après avoir été puisée au sein 
de mille fleurs de la prairie, elle est distillée dans 
l'estomac d’un ruminant, et sécrétée ensuite par les 
organes de l'appareil urinaire ? 

Pour en revenir à l’ambre gris, les chimistes l’ont 
trouvé composé : d’'ambréine, 85 parties; de ma- 
tière balsamique douce , acidule, soluble dans l’eau 
et l'alcool, et qui paroît contenir de l’acide benzoïque, 
2,5, d’une matière soluble dans l’eau; d’acide ben- 
zoïque et d’hydrochlorate de soude, 1,5; perte 41. 

L’ambre gris n'existe que très rarement dans les 
cachalots. Les navigateurs baleiniers affirment que 
souvent ils font deux ou trois voyages et des car- 
gaisons complètes avant d’en trouver. MM. Quoy et 
Gaimard rapportent que le capitaine en second du 
navire l'Océan, de qui ils tiennent le fait, eut une 
fois le bonheur d’en recueillir cinquante livres dans 
un seul animal. L’once de l’ambre se vend à Lon- 
dres de 20 à 22 francs environ. | 

Tout porte à croire que l’ambre est le résultat d’un 
état maladif des intestins, dont les mouvements pé- 
ristaltiques n’agissent plus sur les matières alimen- 
taires qui leur sont soumises. Or, comme les cachalots 
font une grande consommation de céphalopodes, il 
n’est pas le moindrement douteux que leur chair 
lardacée, coriace, parfumée et ambrée({), ne se 
convertisse en boules ou agglomérations de formes 
variées, qui se moulent en concrétions comme les 
calculs divers qui s'organisent chez l’homme. Le dia- 
bête sucré, d’ailleurs, qui transforme la saveur âcre 
et ammoniacale de nos urines en sirop doux et su- 


(‘) L’encre de Chine, qui exbale l'odeur d’ambre, ne 
doit cette propriété qu’à la grande quantité de noir de 


. sèche qui sert à la former. 


DES MAMMIFÈRES. 


cré, n'est-il pas une dégénérescence bien plus éton- 
nante et bien plus inexplicable encore? Un voyageur 
a émis l’opinion que l’ambre n’étoit qu’une modifi- 
cation du blanc de baleine résorbé par les bouches 
absorbantes des tubes digestifs. Cette idée n’est 
guère admissible, de même que celle de Lemery 
et de Formey, qui ont soutenu que l’ambre n'étoit 
autre chose que du miel modifié par de l’acide for- 
mique (1). 

L’ambre se trouve abondamment sur les côtes des 
archipels des Indes orientales : les Malais en esti- 
ment singulièrement le parfum, ainsi que tous les 
Orientaux , et en réservent la jouissance exclusive 
à leurs rajahs. Les côtes de Formose, des Moluques, 
des îles de la Sonde, du Brésil, des Antilles, de 
Madagascar, entre les tropiques, sont les lieux plus 
particulièrement reconnus pour fournir de l’ambre. 
La Chine et le Japon dans la zone tempérée australe, 
la mer Baltique et les côtes d'Europe dans la zone 
tempérée boréale, en produisent aussi quoiqu’en 
moindre quantité. 

L'ambre brut varie en couleurs et en pureté; il 
est souvent mêlé à un grand nombre de substances 
étrangères, et la cupidité surtout le dénature fort 
souvent en le sophistiquant avec des résines et des 
baumes. Sous sa forme primitive la plus ordinaire, 
l’ambre gris forme des boules dont le diamètre, dit- 
on, va jusqu’à un pied , et qui pèsent communément 
depuis une livre jusqu’à vingt et plus. 

La médecine a négligé l’usage de l’ambre dont les 
propriétés odorantes ne sont plus mises à profit que 
pour les eaux de sen eur, et pour mitiger ce que le 
musc a de trop fragrant et de trop expansible. 


LES BALEINES. 


Tous les cétacés que nous avons passés en revue 
nous ont, jusqu’à présent, offert pour attribut géné- 
ral d’avoir des dents aux deux mâchoires, parfois à 
une seule, tandis que les grands animaux qui com- 
posent la famille des baleines ont leur palais supé- 
rieur seulement recouvert d’une matière cornée, 
disposée par lames nommées fanons. Une telle modi- 
fication a dû nécessairement imprimer à l’économie 
des particularités de mœurs et d’habitudes remar- 
quables ; aussi les baleines sont-elles des habitants 
des mers doux et inoffensifs, que leur énorme cor- 
pulence ne défend point efficacement des attaques 
d’un grand nombre d’ennemis. 

Ces masses animalisées et grossièrement dégrossies 
qu’on nomme baleines ont donc, pour être isolées 


() I nous suffira de dire que Dudley a établi sans 
preuve ( Transact. philos., t. XXII) que l'ambre étoit 
produit dans un sac particulier, placé au-dessus des 
testicules du cachalot. 


643 
des agiles dauphins ou des gigantesques cachalots, 
des caractères précis et qui ne permettent point de 
les confondre avec eux. Ces caractères sont : nulle 
trace de dents (1); la mâchoire supérieure disposée 
en toit renversé ou en carène , et garnie de lames de 
cornes transversales, ou fanons, disposées de cha- 
que côté et sous forme de feuillets minces, très ser- 
rés , et eflilés à leur extrémité; un évent, placé au 
milieu du sommet de la tête, où il s’ouvre par deux 
orifices séparés par une cloison. 

Les baleines sont susceptibles d’être divisées en 
deux sous-genres, suivant qu’elles ont une nagcoire 
dorsale, ou que le dos est parfaitement uni. Le pre- 
mier comprendra les baleines à nageoires ou ba- 
leinoptères (balænopteræ, Lacép.), et le second 
les baleines sans nageoire ou vraies baleines (ba- 
lænw, L.). 

Linné à réani dans un seul genre toutes les ba- 
leines connues de son temps, ou du moins celles que 
l'on croyoit conuoître, et les baluna, pour le père 
de l’ordre méthodique en histoire naturelle, se com- 
posoient de six espèces qu’il nommoit mysticelus, 

hysalus, boops, gibbosa, musculus et rostrata 
Jonnaterre, car nous croyons inutile de nous occuper 
de ceux qui ont copié ou à peine moditié quelques 
parties du Systema Naturæ, Bonnaterre, dans sa 
Cétologie, forma son premier genre des baleines, et 
comprit, 1° dans Ja division des espèces sans nageoi- 
res, la baleine franche (B. mysticetus, L. var. A.), 
le nord-caper (B. mysticetus, var. B. L.; B. glacia- 
lis. Klein) ; 2° parmi les espèces ayant une nageoire 
ou des bosses, le gibbar (B. physalus, L.), le tam- 
pon (B. nodosa, Klein), la baleine à bosses (B. gib- 
bosa, Klein) ; 5° dans les espèces à plis sur le ventre, 
la jubarte (B. boops, L.), le rorqual (2. musculus, 
L.), et la baleine à bec (B. rostrala, L.). 

M. Lacépède, mettant à profit les travaux de ses 
devanciers, reprenant en sous-œuvre les renseigne- 
ments incomplets, mutilés et hétérogènes de Sib- 
bald, d’Artédi, de Klein, d'Anderson, de Dudley, 
de Müller, de Crantz et d'Eggède, bâtit sur les fon- 
dements posés tant bien que mal par Bonnaterre, et 
divisa le genre balæna en deux sous-genres. Le pre- 
mier, caractérisé par le manque de bosse sur le dos, 
comprend les B. mysticetus el nord-caper, et le se- 
cond, particularisé par une ou plusieurs bosses, a 
pour types les B. nocosa et gibbosa. Mais M. de 
Lacépède distingua les baleines munies d’une na- 
geoire, auxquelles il appliqua, pour les distinguer 
des précédentes, le nom de baleinoptères (?), et il les 


() M. Geoffroy Saint-Hilaire a découvert, dans un fœ- 
tus de baleine. des germes de dents à la mâchoire infé- 
rieure, qui paroissent tomber de très bonue heure. 
(Ann. Muséum, t. X, p. 365.) 

(2) De balæna et pteron, aile ou nageoire, pour dire 
baleine à nageoïre, dorsale bien entendu. 


644 


subdivisa également en deux sous-genres. Le pre- 
mier, sans plis sous la gorge ni sur le ventre, à reçu 
le ibbar (balænoptera gib ar, Lacép.), et le second, 
ayant des plis longitudinaux sous la gorge et sur le 
ventre, a trois espèces, qui sont la jubarte, le ror- 
qual et le museau-pointu (balænopteræ jubartes, 
rorqual et acuto-rostrata, Lacép.). 

Depuis Linné, tous les méthodistes avoient donc 
augmenté le nombre des baleines connues, en éle- 
vaut successivement au rang d’espèce des variétés. 
Ces espèces n’éloient pourtant point ignorées de 
Linné, qui ne les avoit considérées que comme de 
simples variétés, et qui les avoit négligées parce que 
Klein, leur principal auteur, ne les avoit établies que 
sur des caractères confus et insaisissables. Brisson, 
qui étoit passionné pour les divisions, quelles qu’elles 
fussent, ne manqua point de les adopter, et son 
exemple fut imité par tous les naturalistes qui le 
suivirent. Et cependant Eggède n’a connu que trois 
baleines, l’une qu’il nomme poisson à fanons, c’est 
la baleine franche ; une seconde, qui a une nageoire, 
et que pour cela on appelle finne-fiske (le rorqual ) ; 
et la troisième, qu’il décrit en la désignant par l’é- 
pithète de nerd-kapper. Mais cette dernière ne re- 
pose que sur des oui-dire, et d’ailleurs ce nom de 
nord-kapper n’a-t-il pas été donné à des cétacés fort 
différents, et même au cachalot? Anderson, établi 
à Hambourg, et cherchant dans son cabinet à faire 
concorder les dépositions des capitaines baleiniers 
qu’il interrogeoit avec les descriptions des voyageurs 
et des naturalistes de son temps, n’est point une 
source qu'on ne puisse suspecter. 4i proposa dès 1754 
la distinction de baleines à dos uni et de baleines à 
dos raboteux. Dans la première division il n’admet- 
toit que la baleine du Groenland (le nord-kapper), 
et dans la seconde, le finn-fisch (le gibbar), le pois- 
sou-Jupiter (la iubarle); et encore avoue Lil (1) qwil 
ne sait comment déterminer cette dernière. Son 
psiock-fisch est la balæna boops de Einné ; le knoten- 
fisch ou Enobbel-fisch et aussi srag-whale de Dud- 
les n’est établi que sur une phrase insignifiante du 
n° 587 des Transaclios philusophiques, bien qu'on 
en ait fait la balæna nodosa. 

Othon Fabricius, ce ministre protestant établi au 
Groenland (?), dont les descriptions sont en général 
faites d’après nature, mais dont la synonymie est 
presque constamment fautive, a déerit cinq especes 
de balæna: les mysticetus, physalus (rorqual), 
boops, musculus (nori-kapper, Eggède), et ros- 
trata. Mais on voit qu’il n’a vraiment vu que deux 
des espèces qu’il mentionne. 

Les renseignements les plus modernes et les plus 
circonstanciés que nous ayons sur les baleines sont 


(‘) Hist. nat du Groenland, t. If, p. 95. 
E) Fauna groënlandica, in-8o, Hafniæ, 1786, p. 32. 


HISTOIRE NATURETILE 


dus à Scoresby (1), Cet observateur exact, qui a donné 
la première bonne figure que l’on ait de Ja baleine 
franche, décrit donc les balæna mysticetus (Groen- 
land iwhale), la balænoptera gibbar (B. physalis, 
L. Razo:-back des baleiniers), la balænoptera ror- 
qual (B. musculus, L.; broad-nosed whale), la ju- 
barte (B. boops, L.; finner), et l’'acuto-rostrala de 
Lacépède (PB. rostrala, L.; beaked-whale). Mais 
M. Scoresby comme ses devanciers n’a encore men- 
tionné plusieurs de ces espèces que d’après des des- 
criptions écrites, et n’a vraiment vu que la baleine 
franche et la baleinop'ère museau pointu, dont il 
donne un assez bon portrait (?). 

Persoïne n’avoit donc jusqu’à ce jour osé porter 
un œil investigateur sur cet échafaudage d’espèces, 
ne reposant pour la plupart que sur des passages 
obscurs de vieux auteurs décorés de noms de pé- 
cheurs, qui doivent différer suivant chaque nation. 
M. Cuvier seul 5) entreprit de débrouiller ce chaos, 
de remonter aux autorités premières, et de soumettre 
au creuset de la discussion la valeur des prétendus 
caractères assignés à chacune de ces baleines. Il en 
est résulté des distinctions précises constantes pour 
deux d’entre elles; mais les autres, formées au gré 
des caprices des nomenclateurs, durent s’écrouler 
devant un examen approfondi et consciencieux Déjà 
nous avions pu nous apercevoir que deux espèces de 
baleinoptères à ventre plissé étoient purement no- 
minales, parce qu’en recevant la description d’un 
grand cétacé échoué sur les côtes d’Oleron nous 
avious eu la certitude que tous les caractères du ror- 
qual et de la jubarte lui convenoient à la fois. Quant 
à la balwnoptera rostrata de plusieurs auteurs, il 
n’est pas douteux que ce ne soit l’andon de Dale dé- 
crit page 594 de ce volume qui ait servi de type à 
son établissement. 

Le gibbar ou finn-fisch a primitivement été figuré 
par Martens, qui ne parle point dans sa description 
de plis sous la gorge, de sorte que beaucoup d’au- 
teurs croient à l'existence de cette grande baleinop- 
tère, et la séparent par conséquent des espèces à 
ventre plissé où rorquals. M. Scoresby lui-même 
décrit un rorqual sous ce nom de fina-fisch d’après 
des renseignements fournis par des pêcheurs, et non 
par conséquent d’après son propre témoignage. Il 
en résulte donc que Martens à fort bien pu ne pas 
voir ou oublier les fronçures qui couvrent la partie 
inférieure du corps ; et cette opinion, qu'a émise 
M. Cuvier, est d'autant plus probable que Martens 
ne parle point du rorqual, et que personne depuis 
ce vieux voyageur n’a décrit le gibbar. Ce nom d'’ail- 
leurs, qui signifie baleine bossue, lui a été donné 


(:) Account of the arctic Regions, t. I, p. #49. 
(2) Tome If, pl. 15. 
(>) Oss. foss., t. V, p. 359 et suiv. 


4 ( ë 
€ 1 squat . De Balacnoptera borealis = 


DES MAMMIFÈRES. 645 


par rapport à sa nageoire dorsale, et on le trouve 
également appliqué au rorqual et même à la jubarte. 
Le nom «ie cette dernière ne paroit être également 
pour M. Cuvier qu’une corruption de gibbar. Quant 
à l’étymologie de l’épithète de poëss.n de Jupiter 
que lui ont consacrée divers pêcheurs du Nord, il 
seroit ridicule de s’y arrêter, car elle ne peut être 
que le résulat d’un caprice d’une classe d'hommes 
peu éclairés. 

Enfin le mot balæna, dans les anciens auteurs, 
doit, dans le plus grand nombre des cas, s'entendre 
par cétacés en général, comme Aual où whale dans 
le Nord est la traduction littérale du celus des Grecs. 


LES BALEINOPTÈRES. 
Balænop'ere. Lacrr. 


Les baleinoptères diffèrent non seulement des ba- 
leines, parce que leur corps moins massif, moins 
épais, plus allongé, est surmonté d’une nageoire dor- 
sale, mais aussi par des plis nombreux dont l’usage 
n’est pas encore connu, et par des modifications im- 
portantes dans la configuration de quelques parties 
du squelette. Ce nom de rorqual signifie, chez les 
Norvégiens, une baleine à tuyaux. 

Ecoutons ce que dit au sujet des espèces admises 
dans ce genre un profond zoologiste (1) : « Les no- 
» mernclateurs, en admettant trois espèces dans le 
» Nord, y paroissent autorisés par les indications de 
» quelques voyageurs; mais quand on vient à exa- 
» miner les figures et les descriptions sur lesquelles 
» ces espèces reposent, on ne trouve aucun moyen 
» d’en tirer des caractères distinetifs. Tous ces ani- 
» maux ont la tête aplatie horizontalement, un sque- 
» lette autrement fait que dans les baleines propre- 
» ment dites, la mâchoire inférieure un peu plus 
» longue que l’autre, la peau de la poitrine et de la 
» gorge sillonnée d’un grand nombre de plis longi- 
» tudinaux et susceptible de dilatation, les fanons 
» courts, durs, et s’effilant en soies £rosses ei cas- 
» santes ; une nageoire à l'arrière du corps, courte 
» et épaisse, et ressemblant à une bosse. Quand on 
» vient à examiner en détail les témoignages sur ces 
» prétendues trois espèces, on ne trouve personne 
» qui en ait vu plus d’une, je ne dis pas ensemble, 
» mais même successivement, et chaque auteur est 
» toujours obligé de s'en rapporter à des témoignages 
» étrangers. » 

Avec une telle autorité nous craignons moins de 
n’admettre que quatre espèces seulement Ge balei- 
noptères ; trois d’entre elles reposent sur un examen 
comparatif de la charpente osseuse, et méritent par 


() Cuvier, Oss, foss., t, V, p. 365. 


cela même une entière confiance : ce sont les ror- 
quals du Nvrd, de la Méditerranée, et austral; Ja 
quatrième espèce, beaucoup moins distincte, n’a 
pour type que la figure, au’on dit exacte, publiée 
dans l'ouvrage de M. Scoresby sous le nom de ba- 
leinoptére museau pointu. 


LE RORQUAL DU NORD. 
Balænoptera borealis. Less. (1). 


Dans la description de cette espèce comme pour 
les suivantes, il ne s’agit plus de résumer les ancien- 
nes opinions, de les confronter avec les témoignages 
des observateurs les plus dignes de confiance, mais 
bien de débuter par des faits positifs et irrécusables; 
c’est-à-dire que, loin de donner carrière à limagi- 
nation, notre rôle doit se borner à préciser avec sé- 
vérité les caractères de c'iacune des espèces que nous 
établissons , et on nous pardonnera par suite de nous 
étaver principalement de recherches anatomiques. 

Le crâne du rorqual du Nord diffère notablement 
de ceux des rorquals de la Méditerranée et de l’hé- 
misphère sud. n museau, dit M. Cuvier (2), est 
» plus large à proportion et sa partie inter-orbitaire 
» est plus étroite, en sorte que ces bords extérieurs 
» paroissent plus d’une venue, et ne forment point 
» une si forte. dilatation à la région inter-orbitaire. La 
» ligne postérieure de celte partie du frontal qui se 
» rend sur l'orbite n'est ni précisément transversale 
» comme dans le rorqual du Cap, ni dirigée en avant 
» comme dans celui de la Méditerranée, mais elle 
» se dirige obliquement en arrière. Les os du nez 
» sont aussi longs à proportion que dans le rorqual 
» du Cap, mais leur figüre est à peu près reclangu- 
» laire; la ligne externe, formée par Porbite et l’ar- 
» cade zygomatiq ue, est moins arrondie. Sa mâchoire 
» inférieure est aussi beaucoup moins arquée en de- 
» hors, et, au lieu d’être un peu convexe en dessous, 
» elle prend dans le sens vertical ane courbure con- 
» traire. A en juger (3) par les planches de MM. Al- 
»_bert et Rudolphi, l’omoplate du rorqual du Nord 
» seroit encore plus large d'avant en arrière que celui 
» de la Méditerranée ; son angle postérieur surtout 
» seroit plus saillant et plus aigu. Les mains parois- 
» sent y être aussi bien moins allongées que dans 
» celui du Cap. Le squelette conservé à Berlin a cin- 
» quante-quatre vertèbres. M. Rudolphi n’y compte 
» que cinq cervicales; mais il y en avoit sept dans 
» celui de J. Hunter, comme dans notre squelette 
» du Cap. Hunter et Albert ne trouvent que douze 


() Balæna boops, L. 
(2) Oss. foss., t. V, p. 373, pl. 26, fig. 6. 
(3; Cuvier, Oss, foss., t. V, p. 383. 


646 


» dorsales et douze paires de côtes : M. Rudolphi a 
» treize côtes, dont la première s'attache à deux ver- 
» tèbres ; ainsi il compte quatorze dorsales. Ce n’est 
» qu'après la quinzième lombaire que commencent 
» les os furcéaux : il y en à quatorze; les six der- 
» nières caudales manquent seules de ces os et de 
» vestiges d’apophyses épineuses. » 

Telles sont les particularités anatomiques qui dis- 
tinguent le rorqual du Nord des autres espèces. 
Nous serons assez heureux pour y joindre le résultat 
d’un travail inédit de M. Souty, chirurgien de la ma- 
rine, que le conseil de santé du port de Rochefort 
expédia à l'ile d’Oleron pour observer et décrire un 
de ces cétacés échoué sur le rivage. Ce jeune ofli- 
cier de santé nous a fait parvenir, avec ce mémoire, 
plusieurs dessins exacts, dont l’un représente le cé- 
tacé en entier, et les autres des détails d'ostéologie. 
Mais une esquisse du crâne nous à offert la plus 
grande analogie avec la figure de la pl 26, fig. 6, 
des Ossements fossiles ; aussi réunissons-nous sans 
aucun doute cette espèce à celle de M. Cuvier. Nous 
rapporterons les observations détaillées de M. Sou- 
ty, en élaguant quelques considérations générales 
inutiles. 

Le 10 mars 1827, à la suite ort coup Ce 
vent de N.-0. qui bouleversoit quinze jours 
Ja mer qui baigne les côtes de l’Aunis et de la Sain- 
tonge, le cadavre d’un rorqual du Nord fut jeté sur 
les sables de l’ile d'Oleron, et devint bientôt la proie 


d’une putréfaction rapide. Il avoit les dimensions 
suivantes : 


Pieds. Pouce, Lig. 
Longueur depuisie bout du museau jus- 
qu’à l'extrémité de la nageoire 
candale 2 ne Re OZ DS 
———— jusqu'à la racine de la queue. 48 3 » 
———— dela nageoire caudale, de sa 
racine à son éxtrémilé, . . 5 9 » 
— de sa racine à sabifurcation. 3  »  » 
Hauteur du corps, mesurée de la vulve 
à la parlie correspondante du 
OS En pi ns su AS UE 
———— à la naissance des nageoires 
PECIOIAIES <. sde Se D. à 
Largeur de la tête dans le diamètre ver- 
tical de l'œil... . Ch hab dun ue Li à Mlésd Ss 
Longueur de la mâchoire supérieure du 
bout du museau à la commis- 
sure des lèvres, . LT 
———— de la mâchoireinférieure. . 12 6 » 
Largeur dela mâchoire supérieure, prise 
; au niveau de l'extrémité anté- 
rieure dé l'orifice des évents. . 3 G » 
———— de la mâchoire inférieure à sa 
partie moyenne. . . . 
———— à la Commissure des lèvres. 
———— à un pied de son extrémilé an- 
Lérieure MINES 
Diamètre longiludinal de l'œil. . 
———— vertical de l'œil.. . 


© a 
2 


sut 1 » » 


“à » 9 » 


HISTOIRE NATURELLE 


Mesure de l’écartement des paupières 


en longueur. . » #% » 

———— a vVentiCale Ent NUS 

Longueur des orifices aes évents. : . 4 2 » 
Mesure de leur écartement à leur ex- 

TÉLÉ NOSICRIEURC RON EL NE 

————— antérieure . . . y» 14 9 


Distance de l'extrémité antérieure de 
l'orifice desévents au bout du museau. 8  % » 
Distance de l'extrémité postérieure des 
évents à la commissure antérieure de 
CRE RER PEER MAT 
Largeur des orifices des évents à leur 
extrémilé postérieure, . , »  » 10 
antérieure. M0 M SZ 
———— à leur partie moyenne. . . » » 6 
Distance de l'œil à la commissure des 
lèvres. RC RE cad LRO D 
à la nageoire pectcrale. , , #4  G  » 
Longueur de la nageoire pectorale. . 6 »  » 
Largeur à la partie moyenne. , . . . 14 8 » 
Longueur (estimée) de la nageoïire dor- 
SAIC: 2 ee MEN cc RSR D) EE) 
de TA VUIVEs 5 PARENT 
L'MBeUr TEA NOIVES MS UE 
Diamètre de l'ouverture anale, . . . » 
Distance Ge l'anus à la racine de la 
queue eee oh ice le; siettié MORT ED) 
A LAIVULVES etude em dla 00 St 
Longueur du sillon de la mamelle, . . » 4  » 
Largeur moyenne des plisabdominaux. » 2 


La forme générale du corps est celle d’un im- 
mense cylindre beaucoup plus gros vers la tête, et 
quis’amincit graduellement jusqu’à la queue. La na- 
geoire dorsale est peu développée, obtuse au sommet 
et placée vis-à-vis l'anus, presqu’aux quatre cinquiè- 
mes de la longueur totale. Les pectorales sont assez 
éloignées de la commissure de la bouche; elles sont 
minces, étroites et pointues au sommet. La tête 
est massive, sans dépression sensible avec le corps ; 
les évents ne sont point à la partie la plus élevée, 
mais assez en avant de l'œil; la mâchoire supérieure 
descend assez brusquement vers l’inférieure, et est 
beaucoup moins large et beaucoup moins longue 
qu’elle. L’œil est placé à la commissure et près de 
son bord. La mâchoire inférieure se relève consi- 
dérablement, au point d'être du double plus épaisse 
que la supérieure : des sillons nombreux la recou- 
vrent en entier et s'étendent jusqu’au baut du ven- 
tre ; la nageoire caué@ale, échancrée au milieu, a ses 
lobes presque triangulaires et à pointes obtuses. Ce 
cétacé , déjà altéré, n’offroit qu’une teinte grise ar- 
doisée assez uniforme. 

Telle est la description peinte à grands traits du 
rorqual du nord d’après la figure que nous devons 
à M. Souty. Si nous entrons avec lui dans des dé- 
tails plus circonstanciés, nous verrons que les plis 
longitudinaux du ventre commencent dès le bout 
du museau, et s'étendent jusque vers le milieu de 
l'abdomen. Ces plis ont jusqu’à trois pouces d’épais- 


DES MAMMIFÈRES. 


seur à leurs extrémités, maïs ils sont moins larges 
au centre et séparés par des intervalles peu profonds. 
La tête a été trouvée constituer presque le qaart de 
la longueur totale de l’animal : elle diminue promp- 
tement de largeur pour se terminer en pointe vers 
le museau : la mâchoire inférieure dépasse la supé- 
rieure de dix-huit pouces; elle est aussi un peu 
plus large. La vessie aérienne avoit huit pieds en- 
viron et formoit une poche oblongue et allongée. 
Les fanons n’existoient point, et avoient été proba- 
blement enlevés par les habitants de la côte : quel -- 
ques brins, semés çà et là, et de-couleur blanchà- 
tre, n’imitoient pas mal par leur aspect des erins 
de sanglier; leur longueur ne dépassoit pas quatre 
pouces. La langue étoit de consistance molle et spon- 
gieuse, formée d’un tissu rougeâtre à sa base, et 
blanc lardacé dans le reste de son étendue; l’épi- 
dermê qui revêt sa partie postérieure étoit lâche et 
plissé, couvert d'épaisses rides qu’on ne peut com- 
parer qu’à celles d’un scrotum. La commiseure de 
la bouche est arrondie, recourbée et froncée par 
quelques rides; l'œil est entouré de sortes de pau- 
pières épaisses et fermes, très peu mobiles et for- 
mées d’une peau graisseuse ; leur ouverture est très 
petite, de manière que la cornée est à peine visible 
dans toute son étendue. Le nerf optique à un pouce 
de diamètre ; le globe de l’œil est mû par des mus- 
cles épais, et ne roule point sur du tissu cellulaire 
graisseux remplissant le fond de l'orbite, comme 
cela se remarque chez les autres mammifères. Ce 
globe oculaire avoit dix pouces de circonférence, 
la cornée un pouce de diamètre, et la sclérotique un 
pouce d'épaisseur en arrière; elle s’amincil à me- 
sure qu’elle devient plus antérieure. L'orilice exté- 
rieur de l’orville n’étoit point perceptible : seule- 
ment une petite membrane, tendue äu niveau de la 
peau, est tout ce qui indique un organe de recueille- 
ment. M. Souty l’a trouvée placée à distance environ 
d’un pied derrière l'œil; l’os de l'oreille intérieure 
n’imite pas mal la coquille univalve nommée ovule : 
il est compacte, blanc et très dur ; un deuxième os 
allongé isolé s'adapte au premier, dont il paroit être 
la continuation ; dans sa première portion on remar- 
que des anfractuosités, et il prend un aspect ligneux, 
de blanc, de dur et de compacte qu’il était. 

Les ouvertures extérieures des deux évents ont 
quatorze pouces de long; elles sont distantes l’une 
de l’autre de deux pouces seulement en avant, et 
de neuf en arrière ; le bourrelet musculaire qui en- 
toure chacune d'elles est formé de fibres tendineu- 
ses, adhérant d’une manière tenace sur les parois 
osseuses, 

Les nageoires pectorales ont six pieds de lon- 
gueur et dix-huit pouces de large à leur milieu ; 
leur bord antérieur est épais, tandis que celui qui 


647 
dorsale avoit été déchirée; la caudale étoit formée 
de deux lobes, ayant chieun cinq pieds et demi de 
largeur ; la couche de graisse perd peu à peu de son 
épaisseur à mesure qu’on avance vers la queue, et 
devient à demi fibreuse ; des filets nerveux, de trois 
pouces de diamètre, et qui côtoient la colonne ver- 
tébrale, paroissent avoir pour fonction de mettre en 
jeu les larges blocs de la queue, 

L'ouverture anale étoit arrondie, et n’avoit pas 
moins de neuf pouces de circonférence; elle étoit 
placée à douze pieds de la nageoire caudale ; un 
muscle constricteur assez épais en maintient l’ou- 
verture fermée. 

Ce rorqual étoit un individu femelle; l'examen 
de ses parties naturelles montra que la fente exté- 
rieure de la vulve étoit longue d’un pied sur quatre 
pouces de large ; elle étoit entourée de sortes d'ap- 
pendices libres, longs de deux ou trois pouces, si- 
mulant des sortes de poils. Deux à trois pouces et 
plus. en avant sur la ligne médiane, M. Souty ob- 
serva un point proéminant qu’il fut tenté de consi- 
dérer comme la trace de l'ouverture ombilicale. 

De chaque côté de la vulve est placé un sillon au 
milieu duquel est logée la mamelle, que termine un 
mamelon gros comme une noix, percé d’un canal, 
dont l’orifice béant pourroit recevoir une plume à 
écrire. 

Les chairs étoient d’un rouge vif, et la couche 
graisseuse avoit de six à sept pouces d'épaisseur le 
long de la colonne vertébrale et à la nuque, tandis 
que sur le ventre elle n’étoit que de deux ou trois 
pouces. Le derme étoit partout rugueux et très 
épais. 

Le cœur, long de quatre pieds, étoit entièrement 
musculeux ; un péricarde blane et dur l’envelop- 
poit; la crosse de l’aorte avoit dix pouces de dia- 
mètre, et ses parois évidemment fibreuses cinq à six 
lignes d'épaisseur. Des cerceaux cartilagineux, lar- 
ges d'un pouce, séparés par une membrane fibreuse, 
formoient la trachée-artère, divisée au niveau de la 
crosse de l'aorte pour pénétrer dans les poumons ; 
le diaphragme, obliquement situé entre le thorax et 
l’abdomen, offroit des fibres rosées, dirigées longi- 
tudinalement etentrecoupées de distanceen distance 
de bandes aponévrotiques ; son épaisseur, dans sa 
partie moyenne, étoit de cinq pouces, 

Tous les viscères contenus dans l’abdomen étoient 
dans un tel état de putréfaction, que M. Souty ne 
put se livrer à leur examen. Seulement il reconnut 
que l'æsophage étoit long à peine de neuf pouces, 
et qu'il aboutissoit à une suite de cavités ou d’esto . 
macs qui lui parurent au nombre de cinq, et de 
grandeur différente. F1 compare le second, beaucoup 
plus développé que les suivants, et dont les parois 
épaisses sont recouvertes de froncures, au troisième 


Jui est opposé est d’une grande minceur ; la nageoire | estomac des ruminants ; et ce rapprochement, que 


648 


plusieurs auteurs ont déjà fait pour l'estomac des 
marsouins, prouve que par quelques particularités 
de leur squelette, comme par la structure intime 
de leurs viscères, les rorquals ne diffèrent point 
très notablement des dauphins; la vessie, de forme 
ovalaire et presque cartilagineuse à son bas-fond, 
offroit dix-iuit pouces de longueur; les organes 
sexuels étoient putréfiés ; les matières fécales avoient 
une odeur fragrante et très fétide ; elles étoient de 
consistance pâteuse, et divisées en boules de la 
grosseur du poing et colorées en rouge brun. 

Le crâne avoit treize pieds de longueur sur cinq 
de largeur à sa partie postérieure ; on comptoit trente 
côtes, dont les dimensions alloient en augmentant 
jusque vers le milieu du thorax pour diminuer en- 
suite; chaque côte est renfermée à l’état frais dans 
un périoste disposé en gaine membraneuse d’un 
blanc satiné intérieurement, et que lubrilie une es- 
pèce de synovie analogue à de la crème de lait. Le 
sternum est petit et plat; on comptoit quarante- 
six vertèbres complètes sans y réunir celles qui 
s'engagent dans la nageoire caudale, et qui sont au 
nombre de dix-sept. Les sept cervicales étoient pe- 
tites, isolées et séparées dans leur corps par des 
lames détachées, formées de de ques osseuses 
mobiles l’une sur l’autre au mo ‘une substance 
fibro-cartilagineuse intermédiaire très mince. Les 
os des nageoires pectorales ou des membres anté- 
rieurs étoient encore épiphysés. Une bande fibro- 
cartilagineuse entouroit les bords de l'omoplate. 

Il y avoit quinze os en V; toutes les pièces os- 
seuses étoient d’ailleurs complétement formées, 
dures et compactes, et épaisses à leur surface. 

Tels sont les détails dont nous sommes redeva- 
ble à M. Souty; et quoiqu’ils nous laissent encore 
beaucoup à désirer, ils sont, malgré tout, d’un haut 
intérêt, puisqu'ils fixent nos idées sur l’organisation 
d’un cétacé dont les formes extérieures ont été con- 
fondues avec d’autres espèces dans les descriptions 
des anciens auteurs. 

Le rorqual du nord échoué sur la côte d’Oleron 
étoit un jeune individu, et cependant il avoit cin- 
quante-quatre pieds. Il est donc susceptible d’ac- 
quérir des dimensions encore plus considérables, 
et sans doute d’atteindre soixante, soixante-dix et 
quatre-vingts pieds, taille que l’on donne au gibbar. 

Si nous examinons maintenant les descriptions 
données par les auteurs, nous verrons que la p'u- 
part des caractères qu’ils assignent à leurs diverses 
espèces sont incertains. 

Le gibbar(t) est le plus grand des cétacés, car on 


() Finnfisch, Martens, Spitzb., p. 425, pl. 2; gibbar, 
Rond., Bonnat.,, Cét. ; balæna physalus, L.; balænop- 
tera gibbar, Lacép.;rasor bach des baleinicrs, Scoreshy, 
4. 1,p.478. 


HISTOIRE NATURELLE 


dit qu’il peut acquérir jusqu’à cent pieds de lon- 
gueur, sur une circonférence de trente à trente- 
cinq ; son corps n’est point c\lindrique, mais con- 
sidérablement comprimé sur les côtés, et anguleux 
sur le dos; il diffère de la baleine par une plus 
grande longueur du corps et par moins d’ampleur. 
Il fournit peu d’huile, et ses fanons ne dépassent 
pas quatre pieds dans leur plus grande dimension. : 
Sa couleur est un bleu noir ou bleu gris sombre as- 
sez analogue à celle de la baleine. Une petite pro- 
tubérance s'élève à l'extrémité du dos: le bruit que 
fait l'air chassé par les évents est très fort, et peut 
s'entendre à plus d’un mille. 

Ce cétacé est redouté des pêcheurs du nord, par 
ses mouvements brusques et violents. Il nage avec 
une extrême rapidité; et lorsque les barponneurs 
se trompent et le prennent pour l'espèce franche, 
il est rare qu’ils n'aient point à se repentir de leur 
méprise. M. Scoresby rapporte qu'il fit plusieurs 
tentatives pour s'emparer d’un gibbar, et que, mal- 
gré toutes les précautions dont il usa, il ne put réus- 
sir à accomplir ce dessein. Un de ces animaux qu’un 
baleinier avoit frappé plongea si brusquement, que 
quatre cent quatre-vingts brasses de cordes furent 
déroulées en une minute de temps ; tous échappè- 
rent, parce que leurs violentes saccades firent rom- 
pre les lignes attachées aux harpons. 

Le gibbar a une tête petite comparée à celle de la 
baleine franche, des nageoires pectorales longues 
et étroites, une queue large de douze pieds, et, dit 
M. Scoresby, la peau lisse, excepté sur les côtés de 
la poitrine, où on remarque des sillons(t). 

On le dit très commun dans les mers arctiques, 
le long des montagnes flottantes de glaces, entre 
l'ile Chérie et la Nouvelle-Zemble, et près aussi de 
l'ile de Jan-Mayen. Il se tient de préférence aux 
environs du Spitzberg, par 70 et 76 degrés, mais 
lorsque la mer est ouverte, dans les mois de juin, 
juillet et août , il s’avance jusque vers les 80 de- 
grés. M. Scoresby suppose que c’est une baleinop- 
tère de cette espèce, longue de cent un pieds, 
que l’on prit en septembre 1750 sur le banc de 
Humber. 

Othon Fabricius, dans sa Faune du Groenland, 
ne décrit sa balæna physalus que d’après les auteurs, 
et il lui donne pour synonymes les noms de finnfisk 
d'Eggède et de Crantz, de rorqual de Stroïn, de 
physceter de Jonston, et de Jupiter-fish d'Anderson. 
Cette espèce, dit-il, se nourrit de clupées, du sal- 
mone arctique, et d’autres poissons de petite taille. 


() M. de Lacépéde, au contraire, a fait son premier 
sous-genre des baleinoptères qui n'ont point de plis 
sous la gorge ni sous le ventre, et il y a placé le gibbar ; 
mais M. Scoresby entend ici, sans aucun doute, le phy- 
salus d'Olhon Fabricius, qui n’est point le gibbar, mais 
bien le rorqual de M. de Lacépéie. 


DES MAMMIFÈRES. 649 


Mais il n’en est pas de même de sa balæna bcoys, 
et ben que certaines particularités ne conviennent 
point à notre rorqual du nord, tout porte à croire 
à l'identité de ces espèces. Comme le boops a été 
décrit par Fabricius (1), d’après l’examen d’un grand 
nombre d'individus, nous croyons devoir rappro- 
cher ce qu’il en dit, des faits que nous avons pré- 
sentés sur l'individu échoué sur les côtes de France. 

La baleine boops (?) a le corps arrondi, très épais 
vers les nageoires pectorales, et s’amincissant gra- 
duellement jusqu’au bout de la queue. Sa tête est 
oblongue, disposée en pente déclive et terminée 
par un museau large et obtus; les évents ont deux 
orifices qui s'ouvrent au centre d’un tubercule placé 
sur le milieu de la tête, e{ qui sont tellement rappro- 
chés l’un de l'autre, qu’ils semblent n'enfaire qu'un 
seul (3); trois rangées de p'otubérances disposées 
circulairement les précèdent; la mâchoire infé- 
rieure est un peu plus courte et plus étroite que la 
supérieure, et est oblique(#); les yeux sont noirs et 
placés derrière les évents et sur les côtés de la tête. 
Les ouvertures des oreilles forment deux trous 
presque imperceptibles derrière l'orbite. Les fanons 
qui garnissent la mâchoire supérieure sont noirs et 
ont à peine un pied de longueur ; le palais est blanc, 
la langue large, rugueuse, grasse, de couleur hépa- 
tique, donne naissance à une membrane lâche qui 
s'étend sur le gosier, et semble lui servir de voile; 
les nageoires pectorales soit grandes, ovalaires, ar- 
rondies et sinuolées en avant ; les deux lobes de la 
queue sont séparés par une échancrure, et terminés 
en croissant. De dessous le museau, jusqu’à la région 
anale, partent des sillons qui se réunissent par pai- 
res, et qui forment des angles aux deux extrémités ; 
les deux sillons extérieurs sont toujours les plus 
longs, et l’animal a la faculté de les dilater ou de les 
resserrer à volonté, Le dessus du corps est noir, et 
le dessous du museau ainsi que les nageoires pecto- 
rales sont blanchâtres ; les sillons sont rougeâtres (5), 
et le ventre est marbré de noir et de blanc. La na- 
geoire dorsale est très éloignée du corps; elle oc- 
cupe la partie postérieure du dos vis-à-vis l’anus ; 


() Othon Fabricins, Faune du Groenland, p. 36 à 39, 

(2 Balæna boops. L., Fab. ; pflok-fisch, Anders., t. II, 
p. 101 ; la juourte, Lacép.; Cét., Bonnat., p. 6; Sco- 
resby, t.1, p. 48%. 

() Les phrases imprimées en ilalique indiquent des 
caractères opposés à ceux que nous avons rapporlés en 
parlant du rorqual échoué en 14827 sur le rivage de l’île 
d’Oleron. 

(£) N'y auroit-il pas quelque transposition de mot ou 
une faute typographique? car si cette particularité 
existe réellement, nul doute que la jubarte ne soit dis- 
tincte du rorqual. 

(5) L'état de corruption qui s’étoit rapidement emparé 
du rorqual d'Oleron n'a pas permis de décrire les cou- 
leurs de la peau. 

1. 


sa forme est comprimée, plus large à sa base et ai- 
guë à son sommet qui est légèrement reconrbé ; un 
peu avant cetle nageoire dorsale, commence à pa- 
roître une carène qui se continue jusqu’à la queue. 

La baleine boops atteint de cinquante à cinquante- 
quatre pieds ; sa chair est rouge, et son lard peu 
épais. Elle se tient communément vers les 61 à 
65 degrés de latitude nord, et ne s'approche des 
attérages que dans la belle saison ; ce n’est guère que 
dans l’été qu’on la voit s'engager dans les baies du 
Groenland ; elle ne produit qu'un seul petit, qui 
ne quitte sa mère que lorsque ses forces sont assez 
développées pour ne plus réclamer ses secours. Sa 
nourriture se compose principalement de poissons, 
et surtout des saumons du nord, de l’ammonite to- 
biane et de l’argonaute arctique. 

Fabricius rapporte que la baleine boops dilate 
les nombreux sillons qui couvrent sa poitrine, lors- 
qu'elle veut avaler sa proie, et que le rouge de ces 
plis, par opposition avec les taches de deux couleurs 
du ventre, le noir de ses fanons et la blancheur de 
sa gorge, lui donnent une parure plus brillante en 
apparence que celle à teintes foncées et sans con- 
traste des autres espèces. Eile chasse avec moins 
d'énergie des colonnes d’eau par ses évents; elle est 
aussi peu de temps submergée. Souvent, dans les 
beaux jours, elle reste sans mouvement sur la sur- 
face de l’eau comme si elle dormoit. Ses mœurs 
sont timides. et elle redoute parmi ses ennemis une 
espèce de dauphin qui la harcèle et la poursuit sans 
cesse. Les moindres blessures qui l’atteignent sont 
mortelles, suivant Fabricius, parce que la gangrène 
s'en empare presque aussitôt; mais peut-être celte 
opinion n'est-elle que le résultat de faits parüculiers 
et non ordinaires. 


On fait usage, au Groenland, de ses chairs, de 
sa peau, de son lard, de ses tendons, et même de 
ses intestins. Son huile est principalement employée 
à l'éclairage des yourtes, et la peau membraneuse 
qui entoure Ja langue à sa base sert aux peuplides 
polaires à remplacer le verre aux fenêtres de leurs 
cabanes d'été. 


Or nous venons de voir sur quels principaux ca- 
ractères repose le gibbar que M. Scoreshy con- 
fond avec la balæna physalus de Linné, et boops 
d’Othon Fabricius, et quels sont les traits distinctifs 
qui séparent celte dernière du rorqual que Fabri- 
cius à cru être la balæna physalus, et à laquelle il 
a joint comme synonyme le Jupiter fisch d'An- 
derson , ou la jubarte(t). Pour nous tirer de ce dé- 


{‘) Ce nom de jubarte vient peut-être des noms de qu- 
bartes ou gibbartas, donnés au gibbar par les Basques. 
D'ailleurs Ro ndelet n’a-t-il pas dit: «Les pêcheurs sain 
» tongeois l’appellent gibbar, de la bosse élevée sur son 
» dos, qui est la nageoire ; cette baleine n’est pas plus 

82 


650 


dale, nous allons mettre sous les veux de nos lec- 
teurs les phrases caractéristiques et linnéennes 
proposées par M.de Lacépède et par les naturalistes 
qui l'ont suivi. 


GENRE BALEINOPTÈRE , balænopteras, LACÉP. 
ler Sous-zenre : point de plis sous la gorge ni sous le 
ventre. 


1. Baleinoptère gibbar, balænoptera yibbar, Lacép. ; 
mâchoires pointues et également avancées ; les fa- 
nons courts. 


Ile Sous-genre : des plis longitudinaur sous la gorgé 
. ct sous le ventre. 

2, Baleinoptére jubarte, balænoptera jubartes, Lacép.; 
la nuque élevée et arrondie, le museau avancé, large 
ct un peu arrondi, des tubérosités presque derni-sphé- 
riques au-devant des évents; la dorsale courbée en 
arriére, 

8. Baleinoplère rorqual, balænoptera rorqual, Lacép. ; 
la mâchoire inférieure arrondie, plus avancée et beau- 
coup plus large que celle d'en haut; la tête courte, à 
proportion du corps et de la queue. 

4. Baleinoptère museau pointu, balænoptera acuto- 
rostrata, Lacép.; les deux mâchoires pointues, celle 


d'en haut plus courte et beaucoup plus étroite que 
celle d'en bas, 


En dernièré analyse le rorqual du nord vit dans 
les mers du pôle boréal et ne quitté guère les pa- 
rages glacés du Spitzberg, du Groenland, du détroit 
de Davis et de l’Islande. Ce n’est jamais que dans 
les tempêtes de notre hiver qu’on le voit fréquen- 
ter les mers de l’Europe tempérée, et que parfois 
sou cadavre est jelé sur nos rivages. M. Scoresby, 
en parlant du rorqual, qu’il dit être le broad nosed 
wl ale des baleiniérs, rapporte qu'on le voit parfois 
sur les côtes d’Ecosse, d'Irlande et de là Norwège, 
et qu’il recherche principalement les harengs pour 
sa nourriture ; il donne une liste des individus plus 
particulièrement cités pour avoir été jetés sur les ri- 
vages des Iles Britanniques, et que l’on doit regar- 
der comme appartenant vérit:blement à la baleinop- 
tère rorqual. Un de ces cétacés , long de cinquante- 
deux pieds, fut dépecé le 19 juin 4752 à Eyemoutkh ; 
un deuxième, long de soixanté-dix pieds, échoua 
le 18 juin 4797 dans le comté de Cornwall; plu- 
sieurs furent harponnés sur la côté d’irlande en 
4562 et 4765 ; un ou deux ont été pris dans la Ta- 
mise. On en prit un en 1818, long de quatre-vingt- 
deux pieds, dont les fanons avoient trois pieds de 
longueur, et dont on ne Lira que cinq tonneaux 
d'huile d’une mauvaise qualité. 

Sous le aom de rorqual, M. de Lacépède a réuni 
deux baleinoptères, l’une du Nord, qui est le ror- 
qual que nous venons de décrire, et l’autre de la 


» pétile que les ordinaires, mais elle est moins épaisse 
» et moins grasse, ct à le bee plus long et plus pointu. » 


| 


HISTOIRE NATURELLE 


Méditerranée, à laquelle nous allons consacrer 
quelques lignes. 


LE RORQUAL DE LA MÉDITERRANÉE. 
Balænoptera rorqual. Lacrr. 


Ce rorqual n’est presque pas connu; son exis- 
tence repose sur quelques pièces osseuses et sur un 
crène qui se distinguent aisément , d’après les ob- 
servalions de M. Cuvier, des mêmes parties de 
l'espèce du Nord. M. de Lacépède ne l'avait point 
séparé de son rorqual proprement dit. La seule in- 
dication qu’on trouve dans son Histoire naturelle se 
borne aux renseignements suivants. 

« Le 20 mars 1758, un cétacé de suixante pieds 
» de longueur fut pris dans la Méditerranée sur la 
» côte occidentale de l’île Sainte-Marguerite, dans 
» le département du Var. Les marins le nommoient 
» souffleur. M. Quine en a fait un dessin que j'ai 
» fait graver, et bientôt après, les fanons, les os de 
» Ja tête et quelques autres os de cet animal ayant 
» été apportés à Paris, je reconnus aisément que 
» ce cétacé appartenoit à l'espèce du rorqual. 

» C’est à la même espèce, qui pénètre dans la 
» Méditerranée, qu’il faut rapporter une partie de 
» ce qu'Aristole et d'autres anciens naturalistes ont 
» dit de leur mysticetus et de leur baleine. K1 sem- 
» bleroit qu’à beaucoup d’égards le mystice'us et 
» la baleine des anciens auteurs sont des êtres 
» idéaux, formés par la réunion de plusieurs traits, 
» dont les uns appartiennent à notre baleine fran- 
» che, et les autres au gibbar, ou au rorqual, où à 
» notre cathalot macrocéphale. 

» Daléchamp, savant médecin et naturaliste, 
» mort à Lyon en 1588, parle, dans une de ses no- 
» tes sur Pline, d’un cétacé qu’il avoit vu et qui 
» avoit été jeté sur le rivage de la Méditerranée, 
» auprès de Montpellier ; il donne le nom d’orque 
» à ce cétacé, mais il paroît que c’est un rorqual 
» qu’il avoit observé. » 

Ces faits, vaguement exprimés, composent à peu 
près toute l’histoire du rorqual de là Méditerranée, 
et nous ne pourrions en tirer les moindres lumières 
pour le séparer des autres espèces, si les ossements 
envoyés de la Provence, et comparés par M. Cu- 
vier avec les crânes des rorquals du Sud et du Nord, 
n’avoient offert des caractères anatomiques telle- 
ment prononcés, qu’on ne peut regarder comme 
identiques des espèces aussi disparates dans les par- 
ties les plus uniformes comme les plus profondes 
de l’organisme. 

Les modifications qu’affecte l’ossature des ror- 
quals en général et de celui de la Méditerranée en 
particulier sont les suivantes : 


DES MAMMIFERES. 


« Les immenses maxillaires, dit M. Cuvier (1), 
» sont disposés en forme de toit renversé où d’une 
» carène, aux deux côtés de laquelle s’attachent les 
» fanons. Le vomer se montre en dessous, entre 
» eux , dans presque toute la ligne moyenne de la 
» carène. En dessus, les deux intermaxillaires, 
» placés parallèlement entre les deux maxillaires, 
» laissent entre eux un espace vide, qui se continue 
» dans le haut où plutôt en arrière avec la très large 
» ouverture des narines , laquelle est en forme d’un 
» Ovale allongé, et au contraire des autres cétacés , 
» conserve, ainsi que dans tout le genre des balei- 
» nes, une forme symétrique. Les os du nez courts, 
» mais échancrés ou festonnés en avant et non pas 
» en forme de tubercules, forment le bord de cette 
» ouverture; le maxillaire ne coupe pas le frontal, 
» si ce n’est par une apophyse étroite des deux cô- 
» tés des os du nez. Toute la partie du frontal qui 
» s'écarte de chaque côté pour former le dessus de 
» l'orbite se voit à nu; mais les pariétaux viennent 
» la recouvrir dans le haut de la fosse temporale 
» jusqu'aux côtés de l’apophyse du maxillaire qui 
» se montre entre le frontal et l’os du nez. L’'occi- 
» pital s’avance entre eux et recouvre le milieu du 
» frontal jusque près des os du nez, de sorte qu’à 
» la base du nez le frontal ne se montre presque 
» pas à l'extérieur. Il y a deux crêtes temporales 
» très saillantes en dehors, commencant aux côtés 
» du nez et entre lesquels le crâne est plane ou 
» même un peu concave et descend lentement vers 
» le trou occipital qui est tout près de la base des 
» OS du nez, traversant d’une crête temporale à 
» l’autre, Sur le milieu de cette face occipitale est 
» une arête longitudinale légèrement saillante. 
» Le jugal est courbé en portion de cerc'e et 
forme le bord inférieur de l'orbite, en se rendant 
» de lapophyse zygomatique du maxillaire qui abou- 
» lità l’angle antérieur jusqu’à celle du temporal qui 
» aboutit à l’angle postérieur. Le jugal ne se dilate 
» point à son extrémité antérieure comme dans le 
» dauphin. Le frontal toucl.e d’une part aux maxillai- 
» res, de l’autre un temporal, par ses apophyses 
» antérieures el post-orbitaires, et forme à lui seul 
» tout le plafond de l'orbite sans être doublé en 
» dessus par le maxillaire ; maisil l’est au contraire 
» en dessous de sa partie antérieure, de celle qui 
» est en ayant de l'orbite, et il y est de plus bordé 
» en avant par la lame latérale du maxillaire, la- 
» quelle se trouve ainsi, par rapport au frontal, 
» dans une position inverse de celle qu’elle obser- 
» voit dans les dauphins. 

» C’est par cette lame que le maxitlaire vient 
» aboutir à l’angle antérieur de l'orbite et s’articu- 
» Ier avec l’extrémité antérieure et élargie du ju- 


v 
Ÿ 


() Oss. foss., t. V, p. 370, pl. 26, fig. 5. 


Got 
gal ; mais ce qui est très remarquable, c’est qu’il 
» se trouve à cet endroit, entre le frontal et le maxil- 
» aire, et pour ainsi dire dans leur articulation 
» même, un 6s particulier en forme de lame, oc- 
» Cupäant à peu pres moitié de la longueur de cette su- 
» ture, et qui ne peut être que l’analogue du lacrymal, 

» Toute l’arcade zygomatique proprement dite, 
» qui est fort grosse, appartient au temporal. Le 
» cadre de l’orbite est clos de toutes parts ; son pla- 
» fond est très grand et concave en dessus. 

» Les palatins prolongent en dessous la carène des 
» maxillaires. Les narines postérieures sont très près 
» du trou occipital. Elles ont à chaque angle une 
» tubérosité formée par los ptérygoïdien, lequel a 
» peu d’étendue en longueur et n’entoure les narines 
» que par le côté externe et un peu en dessus et en 
» dessous, mais sans y former un sinus, ou double 
» rebord, comme dans les dauphins, La région ba- 
» silaire, qui est fort courte, est aussi creusée en 
» Canal comme dans le dauphin, et a, de chaque côté, 
» les os de l'oreille, lesquels sont fort petits à pro- 
» portion et de forme ovale, et également convexes 
» dans leur face inférieure. 

» En avant de los basilaire et entre les os ptéry- 
» goïdiens, on voit le corps du sphénoïde postérieur, 
» La face glénoïde du temporal est presque verticale 
» et regarde en avant; ce qui fait que la face arti- 
» culaire de la mâchoire inférieure est en quelque 
» sorte la troncature de l'extrémité de l'os. 

» Cette mâchoire est un are convexe en dehors, 
» comprimé , un peu tranchant en dessus et en des- 
» Sous. 1 y à une apophyse coronoïde en forme 
» d'angle obtus, et une tubérosité un peu plus en 
» arrière, » 

D'après la gravure publiée par M. de Lacépède, le 
rorqual de la Méditerranée a le corps très bembé 
sur le dos. Cette figure représente assez exactement 
en elfet deux pyramides réunies base à base; mais 
celte forme est évidemment le résultat de la COrrup- 
tion dont ce cétacé avoil été la proie, et la grande 
dépression de la tête ne dépend probablement que 
de la même cause. Dans le dessin qui nous est par- 
venu du rorqual du Nord échoué sur les côtes d’O- 
leron, la tête est extrêmement bombée, tandis que 
cette partie dans la figure publiée par M. de Lacé- 
pède est très dépiimée, et représente un long mu- 
seau aplati et pointu. Les autres particularités sont : 
la mâchoire supérieure plus courte que l’inférieure ; 
l'œil placé non loin de la commissure ; une nageoire 
dorsale petite et située environ aux quatre cinquiè- 
mes du corps et beaucoup plus loin que l'anus Les 
plis de l'abdomen s'étendent jusqu'à la région anale ; 
tout le dessus du corps est d’un noir bleuâtre s’af- 
foiblissant sur les flancs pour faire place en dessous 
à une couleur blanchâtre. 

D est fort important que les voyageurs futurs dans 


652 
les divers parages de la Méditerranée cherchent, par 
des comparaisons attentives, à lever nos doutes sur 


cette espèce, et à fournir les observations qui man- 
quent pour éclairer son histoire. 


EEE ——————————_—_—_——————.———— 


LE RORQUAL MUSEAU POINTU. 


Balænoptera acuto-rostrata (1). 


Ce n’est point de la baleinoptère museau pointu, 
de M. de Lacépède, qu'il sera question dans cette 
notice. Cette espèce, dite aussi baleine à bec, se 
trouve décrite dans plusieurs auteurs (?), bien que 
la plupart aient confondu sous ce nom des cétacés 
fort différents, et qu’ils aient pris pour elle tantôt 
l'aodon, tantôt l’hyperoodon, et presque constam- 
ment lerorqual du Nord. La baleinoptère à laquelle 
nous conservons ce nom de museau pointu ne re- 
pose que sur la description d’Othon Fabricius et une 
figure publiée par M. Scoresby ; mais comme cette 
figure a été faite d’après des mesures rigoureuses, 
et par un habile dessinateur, il est impossible de ne 
pas croire à son enlière exactitude, et les formes 
qu’elle retrace sont trop clairement arrêtées pour 
qu’on ne trouve point une distinction à étab'ir entre 
l'animal qu'elle représente et la baleine museau 
pointu figurée dans la Cetotogie de l'abbé Bonnaterre 
et l'Histoire naturelle de M. de Lacépède. 

Quel voile épais couvre la connoissance des céta- 
cés! Ce n’est qu'à tàtons qu'on peut marcher dans 
ce champ semé d’épines ; et lorsque, de toutes parts, 
les autres branches des sciences naturelles poussent 
avec vigueur des rameaux chargés de fleurs et de 
fruit:, la cétologie, réduite à des bourgeons rares et 
maigres, avortés pour la plupart, privés de sève, 
languit et attriste notre esprit. Ne semble-t-il pas en 
effet qu’à chaque animal que nous décrivons dans 
cette grande famille il nous faut protester de notre 
ignorance, et {racer avec quelques faits vagues une 
histoire sèche et aride dont la terminaison seroit 
constamment cette phrase désespérante : nous ne 
connissons ni les mœurs, ni les habitudes, ni 
méme d'une manière posilive l'orgarisation de cet 
animal ? Que les voyageurs favorisés des circon- 
stances, que les amis des sciences stationnés sur les 
bords des mers, n’oublient donc jamais de porter 
sur ceux que les vagues viendront déposer sur les 
rivages une investigation sévère et détaiilée. Mais 
revenons à notre baleinoptère museau pointu : ainsi 
s'exprime, à son sujet, M. Scoresby (°). 

« Cette baleinoptère est la plus petite espèce des 


(r) Scoresby, Acc. arct. Reg., !.1, p. 485, pl. 13. 

(2) Balæna rostrata, L, Muller, Pro. 48; Fabricius, 
p - 40. 

{* Tom, 1, p. 485. 


HISTOIRE NATURELLE 


» baleines connues. La figure que nous en donnons 
» est une représentation exacte de l'animal ; elle a 
» été faite d’après des mesures prises avec soin par 
» James Watson, établi aux iles Orcades. L’individu 
» qui a servi de type fut tué le 14 novembre 1808 
» dans la baie de Scalpa. Il avoit dix-sept pieds six 
» pouces anglois de longueur sur une circonférence 
». de vingt pieds, et quelques autres dimensions que 
» nous rapporterons ci-après : 


Pieds, Pouc. 
Longueur depuis le bout du museau jusqu'à 


la nagcoire dorsale. . . . . . 12 6 
———— du museau aux pectorales. . . 5  » 
———— id à l'œil. , . . . . . 3. 6 
———— id aux évents. . . . . . . . 3 » 
———— des nageoires peclorales. . . . 2  » 
Largeur des MÉMES dc he tre TO) ER 
Hautenr ide la DCCtOrAIE SON CR TER 
L'aArUEUrS Pa Rrirehlo me Movie Le Meteo oi DE) 


» La plus grande longueur des fanons étoit d’en- 
» viron cinq pouces. La couleur du dos étoit le noir 
» intense, tandis que le ventre étoit d’un blanc écla- 
» tant. Les plissures du ventre cffroient, au dire du 
» docteur Fraill, une teinte carnée. 

» On dit que ia balæn« rostrata habite principa- 
» lement les mers qui baignent la Norwége, et ac- 


» quiert au plus vingt-cinq pieds dans son plus grand 


» développement. On en tua une proche le Spitz- 
» berg, dont les fanons étoient fibreux, d’un blanc 
» jaunâtre, et à demi transparents, et à la manière 
» des lames de corne. Ils offroient une direction 
» courbée : et le bord convexe, ainsi que la pointe, 
» étoient garnis de barbes frangées blanches. Leur 
» Jongueur ne dépassoit pas neuf pouces sur deux 
» pouces trois lignes de largeur. » 

A ces faits bornëés, mais suffisants pour étayer 
notre manière de voir et la distinction que nous fai- 
sons de cette espèce, nous ajouterons quelques par- 
ticularités tirées de la comparaison de la figure. Il 
est bien évident que la baleinoptère museau pointu 
de M. de Lacépède, identique avec le même cétacé 
de l'abbé Bonnaterre, ne diffère point, excepté par 
l'indication de la taille, du rorqual du Nord; mais il 
est probable que la baleine à bec de Hunter à quel- 
ques traits d’analogie avec celle de M. Scoresby, qui 
se présente plus fréquemment sur les côtes boréales 
de l’Angleterre. Cette petite espèce n’atteint donc 
jamais les proportions des autres rorquals ; elle 
semb'e être le lien de transition qui unit les colosses 
de l’ordre aux espèces moins pwssantes et moins 
développées, mais plus courageuses, du reste de la 
famil.e. 

Le rorqual à bee ou baletroptère museau pointu 
diffère du grand rorqual par les caractères que nous 
allons énumérer successivement. La tête, au lieu 
d’être renflée et de former la partie la plus volumi- 


DÉS MAMMIFERES. 


fleuse de tout le corps, ou du moins celle qui présente 
le plus d’ampleur, comme on le remarque dans le 
rorqual du Nord, est beaucoup plus allongée pro- 
portionnellement et plus déprimée. Les deux mû- 
choires, d’égale épaisseur à peu près, diffèrent aussi 
en ce que, dans le rorqual du Nord, la mâchoire 
supérieure est beaucoup plus courte que l’inférieure, 
tandis que, dans cette espèce-ci, on ne remarque 
point cette disposition, car les deux mâchoires pa- 
roissent égales, et la supérieure est même un peu 
plus longue que celle d’en bas. L’œil est éloigné de 
la commissure ; et la nageoire dorsale, au lieu d’être 
très en arrière du dos, se trouve à peu près au tiers 
de la longueur totale du corps Les lobes de la queue 
sont aussi moins larges, plus longs et plus aigus que 
dans le rorqual du Nord : enfin le dos est noir et le 
ventre d’un blanc satiné, tandis que le grand ror- 
qual est brun bleuâtre et d’un blanchâtre plus ou 
moins sale sur le ventre. 

Entre les branches du maxillaire inférieur, et dans 
le gosier, apparoît, lorsque les gaz distendent les 
cadavres des baleinoptères gisants sur les pentes dé- 
clives des rivages, une grande poche membraneuse 
qui fait effort et finit par ouvrir la bouche; cette 
vessie paroit destinée, lorsqu'elle est gonflée, à di- 
later les téguments de la poitrine et du ventre que 
sillonnent les plis ou fronçures qu’on y remarque, 
mais on en ignore complétement le but et l’usage. 
S'il est permis d'émettre quelque conjecture , on doit 
supposer que cet appareil, préparé pour des habi- 
tudes qui sont encore ignorées, est destiné, lorsque 
le cétacé veut monter et se rapprocher de Ja surface 
de l’eau , à diminuer, par le déplacement d’eau qu’il 
occasionne, la pesanteur toujours considérable de 
sa têle; pesanteur telle qu’elle l’emporte de beau- 
coup sur le reste du corps. 

Le rorqual à bec, par les dimensions de sa bouche 
largement fendue, doit être plus carnassier que la 
baleine franche ; aussi toutes ies baleinoptères en gé- 
néral font-elles une grande consommation de harengs 
etautres poissons voyageurs, dont elles suivent par- 
fois les essaims jusque sur nos côtes. 

Othon Fabricius dit que sa balæna rostrata, ou 
le tikagulik des Groenlandois, est très commune 
au milieu des rochers, où elle se tient de préférence 
pendant l'été, mais qu’elle devient rare pendant 
l'hiver. Les peuplades polaires recherchent sa chair, 
qui est plus savoureuse et plus tendre que celle des 
autres espèces, quoiqu'il leur soit très difficile de 
s'en emparer, parce qu’elle nage avec une vigueur 
extraordinaire. 


653 


LE RORQUAL DU SUD. 
Balænoptera australis. LEss. 


Si les contrées glacées que recouvrent presque 
constamment les neiges et les frimas du Nord sont 
la patrie exclusive d'animaux terrestres et marins 
que des températures plus chaudes incommode- 
roient ; si les espaces resserrés de mer où se heurtent 
les montagnes de glaces détachées du pôle sont af- 
fectionnés par presque tous les grands cétacés de 
notre hémisphère, les parages souvent agités par les 
tempêtes du cup des Tourmentes ont aussi leurs es- 
pèces, et Le rorqual du Nord se trouve remplacé dans 
la zone australe par le rorqual du Sud. Ce cétacé, 
dont la découverte ne date que de quelques années, 
vient donc ouvrir un vaste champ aux spéculations, 
et, conjointement avec la baleine australe, rempla- 
çant la baleine frauche du Nord, nous prouver en- 
core combien est vraie, pour le plus grand nombre 
des cas, cette grande et belle loi de Buffon, que cha- 
que point du globe, suivant ses degrés de parallèles, 
a ses animaux propres: cette loi cependant est moins 
démontrée pour les êtres destinés à vivre au sein des 
caux, et nous avons constamment remarqué que le 
rayon de leur habitat ne se compte plus par bassins, 
mais bien par degrés de latitude, de manière que 
la zone intertropicale renferme assez volontiers sur 
touie la circonférence de notre planète les mêmes 
animaux , et qu’ensuite, à mesure qu’on s'élève des 
tropiques vers l’un ou l’autre pôle, chaque pirallèle 
a des productions propres dont l’irradiation dans le 
sens de la latitude s’arrête à des méridiens tracés 
par les bassins que forment les grandes masses de 
terre. Il n’est pas toutefois possible d’aflirmer que 
les grands cétacés, tels que le cachalot macrocéphale 
et la baleine franche, parcourent indifféremment 
toutes les mers, d’un pôle à l’autre; mais ce qui est 
positif est l'existence, dans l’hémisphère méridional, 
d’un rorqual et d’une vraie baleine. Peut-être s’assu- 
rera-t-on un jour que la baleine franche ne quitte 
point les quatre-vingt-cinq degrés navigables de la- 
titude qui coupent l'hémisphère nord, et qu’elle ne 
traverse point la ligne équinoxiale ; mais jusque là 
on peut admettre, avec de grandes probabilités, que 
dans un fluide dont la température est toujours assez 
uniforme elle ne doit avoir pour guide que ses be- 
soins physiques, ses appétits et l’aiguillon du plai- 
sir. S'il en étoit ainsi, les baleines du Nord seroient 
beaucoup moins favorisées que celles du Sud. Celles- 
ci en effet auroient eu en partage ces vastes océans 
que l’on croyoit jadis bornés par un continent aus- 
tral, ces océans sans limites qui, du pôle et de quel- 
ques terres de désolation éparses comme un point 
dans leur immensité, viennent dérouler leurs lon- 


654 
gues vagues sur l'extrémité avancée des deux grands 
continents, s'ouvrir devant le cap de Bonne-Espé- 
rance et ie cap Horn, ei trouver une digue le long 
de la côte méridionale de la Nouvelle Hollande. 

Les tempêtes fréquentes qui bouleversen! les flots 
dans le Sud, en étourdissant et en jetant dans leur 
choc les poulpes à la surface de la mer, permettent 
aux baleines qui y vivent de ne point chercher mi- 
nutieusement leur proie : celle-ci vient pour ainsi 
dire les trouver d'elle-même !1); maïs il arrive sou- 
vent que, trop confiantes dans leur force, elles sont 
surprises sur les attérages , et brisées sur les récifs 
qui en défendent les approches. 

Le rorqual du Sud a été observé au cap de Bonne- 
Espérance pir M. Delalande. C’est une des nom- 
breuses conquêtes de cet entreprenant et actif voya- 
geur, mort peu de temps après avoir revu sa patrie. 
Les Hollandois établis au Cap ont donné à ce ror- 
qual le nom de poeskop, parce que son oeciput est 
surmonté d’une bosse; mais ce qui distingue cette 
baleinoptère de toutes les espèces connues est une 
lonzue nageoire dorsale qui, au lieu d’être placée 
vers l'extrémité du corps, se trouve située directe- 
ment au-dessous des pectorales. Le corps est noir 
en dessus, et d’un blanc pur en dessous; les sil- 
lons de la gorge et de la poitrine sont teintés de rose 
assez vif. 

Les différences que les pièces osseuses du rorqual 
du Sud présentent en les comparant avec celles des 
rorquals du Nord et de la Méditerranée sont très 
caractéristiques. 

« La tête du rorquai du Cap, dit M. Cuvier (?), 
comparée à celle du rorqual de la Méditerranée, a 
une largeur beaucoup plus considérable entre les or- 
bites à proportion de la hauteur; cette portion du 
frontal a une dimension transversale beaucoup plus 
prononcée relativement à sa longueur ; le bord pos- 
térieur de cet os se dirige en arrière, tandis que dans 
la tête du rorqual de la Méditerranée il se dirige en 
avant; les os du nez sont légèrement festonnés à 
leur bord antérieur; le dessous du museau est mé 
diocrement convexe; l’atlas est distinct de l’axis; ce 
dernier se soude , par la partie supérieure de son an- 
neau qui n’a point d’apophyse épineuse, avec la partie 
correspondante de la troisième cervicale ; les quatre 
suivantes ne s'unissent point entre elles, et leur 


ï) Nous avons long-temps séjourné au milieu de ces 
parages féconds en tempêtes, où la mer sembloit con- 
stamment déchaînée; la hauteur et la violence des va- 
gues étoit telle, que, se brisant sur les flancs de notre 
navire, la bruine épaisse qui s'en élevoit entrainoit sur 
le pont de nombreux poulpes et des poissons vo- 
lants, ete. : c'est alors qu’on voit nager les cétacés avec 
le plus de vigueur, ct qu'ils paroissent le plus occupés 
de saisir les animaux dont ils se nourrissent. 

(23 Oss. foss., 1, V, p. 372, pl. 26, fig. 1, 2, 3 et #; 19, 
20 et 21. 


HISTOIRE NATURELLE 


corps est assez épais; le reste de la colonne verté- 
brale est composé de quatorze dorsales d'où partent 
autant de paires de côtes, et de trente-une lombaires 
et caudaies ; le nombre total des vertèbres est donc 
de cinquante-deux. Les os en V commencent à la 
onzième lombaire ; le corps de celle-ci et des caudales 
est marqué d’une très légère carène ; le sternum est 
quadrilatère, bifurqué en arrière, et muni d’une 
pointe au milieu de son bord externe; l’omoplate est 
plus large que long ; il n’y a que quatre doigts pro- 
noncés, terminés chacun par une dilatation cartila- 
gineuse, composés d’un nombre variable d’articula- 
tions qui sont : deux à l’index, sept au médius et à 
l’annulaire, et trois au petit doigt. » - 

Le rorqual du Sud paroît ne s'approcher que très 
rarement sur les attérages du cap de Bonne-Espé- 
rance, puisqu'on assure qu'à peine on en voit deux 
ou trois chaque année. Personne ne s'occupe de la 
chasse de ce cétacé ; la vivacité qui le distinsue la 
rendroit très difficile et dangereuse; sa graisse d’ail- 
leurs ne pourroit guère servir d’appât, car elle ne 
contient qu’une très petite quantité d’huile qui ne 
dédommageroit nullement des fatigues et des efforts 
qu'il auroit fallu pour l'obtenir. M. Delalande a re- 
marqué que les excréments éloient d’un rouge vif; 
et cette couleur, comme nous avons eu occasion de 
le voir souvent, appartient à toutes les espèces. On 
a proposé de l’introduire en teinture, et nous igno- 
rons jusqu'à quel point il seroit possible de fixer la 
matière colorante qui lui donne cette nuance cra- 
moisie si éclatante. 

C'est très probablement au rorqual du Sud que 
nous devons rapporter l'espèce de baleinoptère dé- 
crite par MM. Quoy et Guimard dans fa partie z00- 
logique du Voyage autour ru monde d'la co vrtte 
l'Uranie(!).Voici cequ'en disent ces deux voyageurs. 

« Pendant notre séjour aux Malouines, une ba- 
leinoptère de l'espèce museau pointu vint s’'échouer 
sur les rochers de la baie Françoise. Ua chasseur , 
qui se trouvoit dans cet instant près de là, lui tira 
plusieurs coups de fusil à balles, qui probablement 
la blessèrent grièvement ; le soir elle étoit encore 
vivante : la marée basse lui avoit laissé une portion 
du dos et les évents à découvert. De temps en temps 
elle rejetoit de l’eau par ces ouvertures, en respirant 
avec bruit. Un canot fut expédié pour tâcher d’ame- 
ner ce cétacé plus près de notre camp, afin d'en 
tirer le meilleur parti possible. Ce fut en vain qu’on 
s’efforça de remuer cette lourde masse, qui d’ail- 
leurs encore animée, portoit presque sur tous les 
points : on se contenta d'envoyer sur son dos un 
homme qui, armé d’une hache, y fit un trou dans 
lequel il fixa un grapin d’embarcation auquel tenoit 
une chaine, puis une corde attachée à terre, pour 


() Pag. 81 elsuiv, 


DES MAMMIFÈRES. 


que la marée montante n’entraînât pas l’animal. Mais 
lorsqu’il se sentit entrainer par le flux, à l’aide d’une 
légère secousse il cassa la corde, et, par un mouve- 
ment plus fort, il se retira de dessus les rochers et 
gagna le large. Ce fut vainement qu’il chercha à s’en- 
fuir ; blessé à mort, nous le trouvàmes le lendemain 
sans vie sur le même enroit. 

» À l'instant où ce cétacé échoua, quoique ce fût 
un mâle, plusieurs petites baleinoptères qui étoient 
dans la rade rôdèrent long-temps autour de lui. La 
nageoire dorsale de ces jeunes, du double plus grande 
qu’au dauphin ordinaire, nous parut beaucoup plus 
considérable et pas autant reculée vers la queue que 
celle de l'individu adulte que nous aviens sous les 
yeux. Nous acquimes la preuve que ces animaux ne 
sont point à craindre, par ce qui arriva à un matelot 
qui, étant allé à la nage examiner de très près la ba- 
leine échouée, en fut tout-à-coup entouré. Saisi d’une 
frayeur extrême qu’il manifestoit par de grands cris, 
il se hâta de gagner la terre de toutes ses forces. 
Plusieurs personnes qui étoient sur le rivage crai- 
gnoient pour sa vie ; nous nous efforçämes de le ras- 
surer en lui criant qu’il n’avoit rien à redouter, per- 
suadé en effet que cette espèce de cétacé n'a jamais 
volontairement fait de mal à l’homme. 

» Cette baleinoptère museau pointu étoit placée 
sur le dos et inclinée du côté droit. Le lendemain 
de sa mort les mächoires étoient encore fermées : 
le jour d’après elles étoient entr'ouvertes par les 
efiorts de la vésicule aérienne propre à cet animal, 
qui faisoit une saillie considérable ; lorsque la pu- 
uéfaction commença, les gaz qui s’accumulèrent 
distendirent davantage celte vésicüle, et agrandi- 
rent de plus en plus l’ouverture de la gueule, ce 
qui donna la facilité de couper les fanons à coups 
de häche. 

» Les vautours et tous les oiseaux de mer eurent 
bientôt enlevé son épiderme excessivement mince 
et déchiquetérent sa peau. L'huile qui découloit 
de toutes ses blessures, répandue sur le rivage à 
deux cents pas à la ronde, rendoit les rochers très 
glissants : le capitaine baleinier Horn, qui survint 
dans ces entrefaites, en retira encore quelques bar- 
riques. 

» En général ces cétacés né sont pas très estimés 
à cause du peu d'épaisseur de leut lard et de l’ex- 
uême vivacité de leurs mouvements, qui fait que 
l’on ne peut pas facilement s’en rendre maître Voici 
les seuls détails anatomiques que notre fâcleuse 
position nous ait permis de recueillir sur cette ba- 
leinoptère. 

» Sa longueur, prise de l'extrémité de la mâchoire 
inférieure au bout de la queue, étoit de cinquante- 
trois pieds quatre pouces. Les mâchoires avoient, 
de l’extrémité à là commissure, neuf pieds six pou- 
ces : la supérieure, un peu plus avanéée que celle 


655 


d'en bas, portoit seule des fanons sur chaque côté 
de ses bords. Dans leur arrangement ils forment 
comme un V tronqué par la pointe : l'animal étant 
renversé, il représentoit assez bien le ber ou ber- 
ceau sur lequel est posé un vaisseau qu’on va lan- 
cer. La largeur et la longueur de ses fanons, vus en 
dehors de la gueule, alloient en décroissant à me- 
sure qu’ils se rapprochoient du gosier ; leurs franges 
étoient en dedans : les plus longs avoient deux 
pieds six pouces et neuf pouces de largeur à la base. 

» Le dessous du corps près de la queue étoit ca- 
réné ; le balenas sorti dans toute sa longueur, très 
pointu à son extrémité où étoit placé le méat uri- 
naire, avoit cinq pieds neuf pouces de long et un 
pied de diamètre à sa base. En le coupant, ilen sortit 
du sang et beaucoup d’air. 

» Les plis longitudinaux du ventre commencoient 
au bout de la mâchoire et s’étendoient jusqu’à trois 
ou quatre pieds du nombril : le plus grand nombre 
se prolongeoit par une ligne continue, pendant que 
d’autres se bifurquoient ; les bandelettes qu'ils for- 
moient peu saillantes, larges d’un pouce et demi à 
deux pouces, étoient noirâtres au milieu avec un 
petit cordon plus clair sur les bords ; les interstices 
offroient uné teinte rougeâtre. 

« La longueur des nageoires pectorales étoit de 
six pieds trois pouces; la largeur de celles de la 
queue éloit de treize pieds. La dorsale, située à 
l’opposé du balenas, n’a pu être mesurée; nous 
nous sommes aperçus qu’elle se dirigeoit en arrière 
en formant un peu le croissant. 

» L'œil, très peu apparent à l'extérieur placé à 
la commissure des mâchoires, étoit à peu près de 
la grosseur d’un boulet de six livres, et pesoit six 
hectogrammes, ou environ une livre et un cin- 
quième. Le globe avoit une forme aplatie de la par- 
tie antérieure à la postérieure; de sorte que son 
grand diamètre étoit à peu près dans le sens de la 
longueur du corps de l’animal : ce diamètre avoit 
quatre pouces six lignes; le vertical, quatre pouces 
seulement, et l’axe deux pouces heuf lignes. La 
<elérotique formoit extérieurement deux saillies aux 
extrémités de l’axe longitudinal à l'endroit d’inser- 
tion des muscles droits latéraux. A la partie posté- 
rieure, la sclérotique laissoit apercevoir un enfonce- 
ment considérable ovalaire dirigé dans le sens du 
grand diamètre, et où se trouvoit, mais hon au mi- 
lieu, un trou de la grosseur d’une forte plume à 
écrire, pour le passage du nerf optique ; de chaque 
côté, deux ouvertures obliques du calibre d’une 
plume de cygne donnoient accès à deux grosses ar- 
tères, et, tout autour de l'entrée du nerf optique, 
vingt-six autres ouvertures plus où moins grandes 
étoient destinées au même usage. Sur le dévant, la 
cornée transparente présentoit une forme ovalaire, 
dont le grand diamètre, dirigé aussi dans le Sens 


656 


longitudinal, avoit un pouce six lignes, et le verti- 
cal dix lignes; de sorte que ces diamètres étoient, 
avec ceux du globe de l'œil, le premier comme trois 
est à un, et le second comme un est à cinq. La cor- 
née étoit peu convexe; à son insertion sur la sc'é- 
rotique elle offroit un petit cordon blanchâtre d’en- 
viron une ligne de large; sur sa surface interne, 
une membrane ou plutôt un enduit noirâtre assez 
semblable par sa couleur à la choroïde de l’homme, 
mais plus consistante, formoit un cercie de près 
d’un pouce de largeur. En râclant cette substance 
avec la lame d’un scalpel, on l’enlevoit facilement; 
par conséquent le plus grand diamètre de la cornée 
susceptible de laisser passer les rayons lumineux se 
réduisoit à six lignes. L’iris étoit noir sur les deux 
faces ; la pupille transversale comme dans les ru- 
minants ; la choroïde argentée et la rétine rougeà- 
tre ; le cristallin avoit une forme arrondie, il pesoit 
quatre-vingt-deux grains ; son grand diamètre étoit 
de neuf lignes, et son axe de sept. La plus grande 
épaisseur de la selérotique étoit d’un pouce, elle 
n’étoit que de onze lignes en laut et en bas; elle 
diminuoit tellement à la partie antérieure, qu’à sa 
réunion avec la cornée elle étoit tout au plus d’une 
ligne. Ainsi le volume de l'œil, assez considérable 
extérieurement, ne produisoit qu’une cavité dont le 
plus grand diamètre, le longitudinal, n’avoit que 
deux pouces dix lignes, le vertical deux pouces 
cinq lignes et demie, et l’axe un pouce neuf lignes 
et demie, de sorte que son rapport au plus grand 
diamètre se trouvoit à peu près être comme sept est 
à onze. 

» Ces baleines étoient assez communes vers le 
cap Horn à l’époque du voyage de Forster ; car ce 
naturaliste en vit plus de trente dans un jour auprès 
de son navire, qui, en lançant de l’eau, répandoient 
une odeur infecte. 

» Lors du coup de vent que nous éprouvâmes dans 
le détroit de Lemaire, nous passämes très près d’une 
baleine qui étoit morte et que nous reconnümes, aux 
nombreux plis de son ventre, pour être de la même 
espèce. » 

Les faits positifs sur lesquels on doit baser la con- 
noissance exacte des cétacés sont si rares, que nous 
avons cru devoir, dans l'intérêt de la science, don- 
ner textuellement le résultat des observations de 
MM. Quoy et Gaimard. Il ne nous seroit pas diffi- 
cile, en forçant tant soit peu les analogies comme 
les points de dissemllance, d'en créer une espèce 
nouvelle. Ce n’est pas en effet le rorqual du Nord, 
puisque la mâchoire supérieure est plus longue que 
l'inférieure ; ce ne seroit pas non plus le rorqual du 
Sud, puisque la nageoire dorsale, au lieu d'être 
placée au-dessus des pectorales, se trouve bien plus 
déjetée en arrière ; car sa position est, dit-on , au- 
dessus de l’appareil génital. Mais ce premier carac- 


HISTOIRE NATURELLE 


ière est-il rigoureusement exact ? Il est si facile d’er- 
rer, lorsqu’en considérant ces gigantesques cétacés 
on confie le plus souvent à sa mémoire des caractères 
qu'on se croit sûr d’avoir remarqués. Nous n’ajou- 
terons donc rien aux détails que nous venons de 
rapporter très au long, sinon qu’une espèce de ba- 
leinoptère, ou peut-être plusieurs, vivent dans l’hé- 
misphère sud, entre les 40° et 70e degrés de lati- 
tude, et que ces animaux , que nous avons souvent 
rencontrés, se distinguent aisément dès la première 
vue par leur nageoire dorsale saillante ; aussi les 
baleiniers bretons et ceux des Etats-Unis ne les nom- 
ment pas autrement que finn-fish. 


LES BALEINES. 


Bien qu'on ait beaucoup exagéré la taille des ba- 
leines, bien que ce mot emporte avec lui l’idée d’un 
être démesuré dans ses dimensions, toujours est-il 
vrai qu’il faut beaucoup rabattre de ces proportions 
colossales, résultat de contes populaires et de réeits 
emphatiques, soigneusement enregistrées dans la 
plupart de nos livres d'histoire naturelle. Les balei- 
nes, les rorquals, et les cachalots, sont, il est vrai, 
les plus grands des animaux que nous connoissions ; 
mais leur taille ne nous paroît aussi considérable 
que par un sentiment de comparaison avec nous- 
mêmes ; et les soixante à quatre-vingts pieds qui 
forment leurs dimensions les plus ordinaires sont 
moins en rapport avec la vaste étendue des mers 
qu'ils habitent, que la longueur du brochet, par 
exemple, ne l’est avec les eaux douces de nos peti- 
tes rivières. 

Entièrement organisées pour la vie animale, ne 
paroissant pas jouir d’une grande plénitude des sens, 
possédant des mœurs douces et timides, les baleines 
forment un genre qui ne renferme que deux espèces 
avérées ; genre qui est caractérisé aux yeux des na- 
turalistes par une large tête moins renflée en avant 
que celle des caclialots, et dont les bords du palais 
sont garnis de fanons minces et serrés, fibreux et 
frangés à leurs bords. Ces caractères sont aussi con- 
venables aux rorquals ou baleinoptères, qui ontune 
nageoire dorsale dont les baleines sont complétement 
privées. L'organisation de la bouche, les formes gé- 
nérales du corps, les mœurs et le genre de nourri- 
ture, conviennent aussi bien aux baleinoptères qu'aux 
baleines ; mais ce quine permet pas de les réunir les 
unes aux autres est, non pas la nageoire dorsale, 
qui est un caractère sans importance, mais les plis 
nombreux qui sillonnent le dessous du corps des 
rorquals. Ces plis, en effet, par un mécani me qui 
nous est inconnu, doivent remplir des fonctions 
étrangères aux habitudes des baleines. 

Les lames cornées ou fanons, qui remplacent dans 


DES MAMMIFÉRES. 


la bouche des baleines les dents des autres cétacés, 
sont frangés à leur extrémité de manière à former 
une sorte de brosse, peu susceptible de comprimer 
fortement une pioie résistante ; aussi dit-on que la 
nourriture principale des vraies baleines consiste en 
mollusques mous et en petits poissons. 

La mâchoire supérieure, qui porte sur ses côtés 
les fanons, est étroite en dessus, et s’élargit sur ses 
bords, ou, mieux, a la forme d’un toitrenversé. La 
tête osseuse (1) présente un museau rétréciet allongé, 
comprimé sur les côtés , et arqué d’avant en arrière 
à peu près en quart de cercle. Les fanons sont logés 
sur cette courbure, y adhèrent par leur extrémité 
supérieure, el descendent obliquement vers la mâ- 
choire inférieure. Une substance membraneuse et 
dure fixe chaque série de fanons dans la longue fosse 
alvéolaire du maxillaire, et les recouvre comme 
une gencive ; l'extrémité des fanons , qui est eflilée 
en soies plus ou moivs fines, se trouve fixée sur Île 
bord de la mâchoire inférieure par la langue qui est 
immobile en dedans , et par les téguments de la 
bouche en dehors Le canal de l’évent, divisé en 
deux étages, est bien plus incliné dans les baleines 
que chez les autres cétacés. 

L’odorat, chez les animaux de ce genre, paroît 
être assez développé, bien que quelques auteurs 
aient nié son existence ; la vue elle-même, à en ju- 
ger du moins par le volume de l’æil, doit être bien 
plus parfaite qu’on ne l’a cru jusqu’à ce jour. M. Sco- 
resby d’ailleurs affirme que les baleines voient dans 
l’eau claire à de très grandes distances, et que ce 
sens ne paroit être «ffoibli que lorsque ces animaux 
se trouvent parcourir des espaces de mer colorés, 
comme cela arrive sur les hauts-fonds et après les 
tempêtes. Le goûtest nul; il ne pourroit être perçu 
en effet par l’épiderme sec et parcheminacé qui 
enveloppeen totalité la langue, qu’on sait être im- 
mobile ; les baleines d’ailleurs, comme tous les au 
tres cétacés, avalent leur proie sans la mâcher. 
Quelques physiologistes pensent que le sens du tou- 
cher a son siége sous les aisselles, seule partie re- 
vêtue d’une peau moins épaisse; et l’on donne pour 
preuve de cette opinion la sollicitude qu'ont parfois 
les baleines femelles de serrer leurs petits sous leur 
nageoire. Ne seroit-ce pas plutôt un abri protecteur 
que la tendresse maternelle chercheroità leur offrir ? 
Le pharynx etl’œsophage varient en grandeur ; celui 
de la baleine franche est, dit-on, fort étroit; il a 
neuf pieds, s’il faut s'en rapporter à Schneider. Le 
tube digestif présente, comme celui des marsouins, 
plusieurs cavités stomacales ; les reins, très volu- 
mineux, sont aussi formés de globules agglomérés. 

Les Latins donnoient le nom de balæna à un 
animal armé de dents, qui ne peut être le cétacé que 


(1, Camper, Cét., p. 1,4,5 et 6, 
J. 


657 


nous connoissons aujourd’hui sous le nom de baleine : 
tout porte à croire, cependant, qu’ils employoient 
ce mot balæna comme synonyme de celus, et que 
leur mysticetus pourroit bien être la baleinoptère 
de la Méditerranée ; mais leurs indications sont si 
vagues , et ils ont employé si souvent ces noms pour 
désigner desanimaux qui n’ont aucune analogieentre 
eux, qu'on ne peut vraiment assurer qu’ils aient 
voulu désigner plutôt un cétacé qu’un grand squale, 
Nous croyons qu’il en est de même du nom phéni- 
cien de baal nun, ou roi de la mer, dont Bochart 
fait dériver celui de baleine , en en tirant la conclu- 
sion que les Tyriens en faisoient la pêche. 

Dans l'état actuel de la zoologie on ne peut recon- 
noître que deux espèces de baleines, l’une du Nord 
et l’autre du Sud ; mais on doit penser qu’ilen existe 
plusieurs autres encore inconnues, car M. Cuvier 
a trouvé des différences, qui ne peuvent dépendre 
que de caractères spécifiques, dans l’examen de 
diverses pièces osseuses déposées dans les collections 
publiques. 

Au milieu des débris fossiles d'animaux de toutes 
sortes, qui gisent dans la couche superficielle du 
globe, comme le témoignage le plus irrécusable des 
bouleversements qui en ont agité la surface, les os- 
sements des baleines sont aussi venus témoigner que, 
dans ces siècles reculés, les espèces, sans être plus 
grandes que celles d’aujourd’hui, vivoient alors dans 
des mers dont les fonds desséchés sont, dans le 
moment présent, couverts de cités. Ainsi des por- 
tions de squelettes de baleines ont été déterrées en 
Ecosse et en quelques autres lieux de l'Angleterre. 
M. Cortesi, de Plaisance, découvrit, en 1306, sur 
le flanc oriental du mont Pulgnasco, à environ six 
cents pieds au-dessus de la plaine, un squelette de 
rorqual. Les os qui le composoient éloient encore 
pour la plupart dans leur position naturelle, et de 
nombreuses coquilles marines leur servoient d’en- 
tourage. Ce savant observa encore, en 1816, un 
deuxième squelette de la même espèce qui étoit 
moins bien conservé que le premier, placé non loin 
de lui, dans un gisement beaucoup plus inférieur ; 
enfin, en 1779, on déterra d’unecave, dans la rue Dane 
phine, à Paris, une portion considérable d’un crâre 
de baleine que le naturaliste Lamanon décrivit et 
figura dans le cahier de mai 1781 du Journal de 
Physique. 

La plupart des peuples restés stationnaires dans 
l'enfance de la civilisation , ceux qui vivent dans les 
petites iles éparses dans l'Océanie, comme les ha- 
bitants riverains des côtes maritimes, ont généra- 
lement introduit dans leur théogonie le culte des 
fétiches et des animaux qu’ils redoutent : le requin, 
le crocodile, et tant d’autres, en recoivent des of- 
frandes arrachées par la peur; les baleines, par leur 
taille colossale, ont aussi eu part à leurs hommuges 

82 


658 


superstitieux, et on les adoroit sur la côte d’Afrique, 
suivant Marmol. Les Nouveaux-Zélandois, séparés 
en tribus belliqueuses qui vivent sur deux iles aus- 
trales, placées aux antipodes de la France, facon- 
nent avec un très beau jade des dieux ou atouas 
qu’ils portent suspendus au cou; ils en fabriquent 
aussi leur casse-tête de combats et divers ornements 
qui servent à désigner le rang des guerriers. Ils sont 
dans la persuasion que ce jade est le squelette d’une 
baleine durei dans le sein dela terre, et queles vol- 
cans vomissent à la surface. Ce jade ne se trouve 
en effet que dans une seule des îles de la Nouvelle- 
Zélande, que les habitants ont nommée à cause de 
cela Tawaï poénammou, ce qui signifie l’êle du 
poisson qui produit le jade vert. 


LA BALEINE DU SUD. 


Balæna antarctica. Less. (1). 


Cette espèce de baleine avoit, jusqu’à ce jour, été 
confondue avec celle du Nord, et nous ignorerious 
encore probablement son existence si M. Delalande, 
pendant son séjour au cap de Bonne-Espérance, 
n’étoit parvenu, par son zèle et son courage, à dé- 
pecer un de ces animaux et à transporter en France 
sa charpente osseuse ; là, classée dans l'immense 
dépôt d’Analomie comparée, M. Cuvier s’aperçut 
bientôt qu’elle difléroit considérablement de celle de 
la baleine du Nord. Les traits de dissemblance con- 
sistent principalement dans la soudure des sept ver- 
tèbres cervicales, dans deux paires de côtes de plus, 
et aussi dans l’ensemble des formes corporelles. 

Le museau de la baleine du Sud, à partir des 
évents , forme une ligne droite qui se termine à l’ex- 
trémité de la mâchoire supérieure , relevée en bour- 
relet; une éminence borne extérieurement les ou- 
vertures des évents. Les pièces osseuses de ses 
diverses parties offrent quelques caractères qu’il est 
utile de signaler : toutes les apophyses épineuses 
des vertèbres cervicales se soudent pour donner 
naissance à une crête osseuse continue ; les côtes, 
au nombre de quinze paires, s’articulent, les onze 
premières avec le corps des vertèbres, et les quatre 
dernières avec les apophyses transverses. La pre- 
mière paire est aplatie et extrêmement large, les 
trois dernières sont grêles et courtes. On compte 
quinze vertèbres dorsales , et trente-sept lombaires 
et caudales. Les os en V commencent entre la 
onzième et la douzième, et finissent à la vingt- 
sixième. Le sternum est oblong et plus large en 
avant ; l'omoplate est moins large que haute , sans 


(‘) Cuvier, Oss. foss.,t. V, p. 374, pl. 95, fig. 1 à 4; 
Balæna australis non Klcin; Desmoul., Dict. class., 
t. 1, p. 161, fig: atlas, 


HISTOIRE NATURELLE 


courbure concave, et presque plane; l’humérus 
est gros, court, et très épais ; le radius et lé cubitus 
sont comprimés; le pouce a deux articles, l'index 
quatre, le médius cinq, l’annulaire quatre, le petit 
doigt trois; tous sont terminés par des dilatations 
cartilagineuses. 

Si l'on doit s’en rapporter à la figure esquissée par 
M. Delalande, la baleine australe a la tête beaucoup 
plus déprimée que celle du Nord; ses nageoires pet- 
torales sont aussi plus longues et plus pointues ; la 
queue a ses lobes moins échancrés. Elle est d’une 
couleur noire assez uniforme. Ses excréments sont 
aussi d’un beau rouge. 

Cette baleine entre danses diverses baies du cap 


de Bonne-Espérance, dans le courant de juin, et 


elle en part vers la fin d’août, ou au milieu de sep- 
tembre, après avoir donné le jour à un petit long de 
douze à quinze pieds en naissant, et dont le premier 
mouvement est de saisir la tétine de la mère. M. De- 
lalande a remarqué que les femelles étoient beaucoup 
plus nombreuses que les mâles; car il n’a vu que 
deux ou trois de ceux-ci pour une cinquantaine des 
premières , et les pêcheurs du Cap lui ont également 
assuré la permanence de ce fait. 

La baleine du Sud est un peu plus petite que celle 
du Nord; ses dimensions les plus ordinaires sont 
de quarante à cinquante pieds. Elle est très proba- 
blement répandue dans toutes les mers, à partir 
du 55° degré de latitude sud : quoique cependant 
elle paroisse remonter jusqu’à l'équateur, et tout le 
long de l'Amérique méridionale, ce doit être cette 
espèce que les baleiniers américains vont harponner 
sur le banc de Patagonie; c’est elle sans doute qui a 
occasionné ces nombreuses pêcheries ou armaçao 
établies en grand dans divers ports du Brésil, et qui 
ont pendant long-temps nécessité des armements 
considérables de la part des Portugais; mais cette 
pêche, jadis très active par l’abondance extrême des 
baleines qui pulluloient non loin des rivages, est 
presque abandonnée aujourd’hui, quoiqueles cétacés 
qui en ont été l’objet ne soient pas devenus très 
rares dans ces mers. 


LA BALEINE DU NORD, 


où 
LA BALEINE FRANCHE. 
Balæna mysticetus. L. (1) 


Nous terminerons cette histoire par le plus utile 
comme le plus célèbre des cétacés : depuis des siè- 


() Balæna mysticetus, L. Wallfisch, Martens, Spitzb., 
pl, Q, f, a et b (médiocre fiqure et la seule qui ait été 
connue pendant long-temps, ; Hualfisk, Eggéde; Othon 
Fabricius, Faun, groenl., p. 32. 

Béhanc, Et pvotxntos, Arist.; Baleine franche et nord- 


SIND] DJ JVIINO] D7774 og] 


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SIV940Q 


DES MAMMIFÈRES. 


cles les peuples civilisés arment des flottes pour le 
combattre ; il a contribué à la puissance et au rôle 
que jouent parmi les nations plusieurs Etats mari- 
times. Il mérite à bien des titres de fixer l'attention 
du naturaliste, du commerçant et des administra- 
teurs politiques. Nous n’emploierons pour le décrire 
que les formes commandées par l'intérêt du sujet 
même, et nous ne surchargerons point notre tableau 
par des accessoires souvent plusbrillants que justes ; 
car le moindre insecte offre quelquefois des mœurs 
et une organisation cent fois plus extraordinaires 
que la baleine lourde et pesante, dont la vie paroît 
s’écouler sous l'influence des besoins physiques les 
plus ordinaires et dépendants des fonctions digesti- 
ves et reproductrices. Mais nous dirons, avant d’en- 
trer en plus ample matière, que jamais la baleine 
n’acquiert cette taille démesurée qu’on lui accorde 
dans les livres d’après des récits populaires; et 
M. Scoresby, armateur baleinier, véridique et très 
instruit, aflirme que, sur trois cent vingt-deux in- 
dividus pris avec sa participation, il n’en à jamais 
rencontré qui ait eu plus de soixante pieds de lon- 
gueur, et que la plus grande baleine qu'il ait mesu- 
rée n’avoit que cinquante-huit pieds. Une seule, qui 
fut harponnée il ya vingt ans près du Spitzberg, 
avoit des fanons longs de quinze pieds et pouvoit 
avoir soixante-dix pieds; mais, dit M. Scoresby, je 
soupçonne que ces dimensions ne se présentent que 
très rarement, et que le maximum de la taille des 
vieux individus ayant pris toute leur croissance est 
de soixante pieds ou tout au plus soixante-cinq. 
Ainsi s’écroulent ces comparaisons avec les grands 
monuments de nos cités, ainsi se rédüisent par Ja 
réalité ces proportions gigantesques qui faisoient de 
Ja baleine un être extraordinaire parmi le peuple 
comme parmi la classe élevée de la société. 

« Qui croiroit, dit M. Cuvier (!), que l’on a eu 
» pendant plus d’un siècle qu’une seule figure un 
» peu authentique d’un animal dont la pêche occupe 
» tant de milliers d'hommes ? Cependant il est très 
» vrai que les figures gravées dans presque tous les 
» livres avant celui de M. Scoresby sont copiées 
» de celle que donna, en 4671, le chirurgien ham- 
» bourgeois Frédéric Martens (?) en lui faisant seu- 
» lement subir quelques aitérations, dans la vue 
» peut-être, de la part des dessinateurs, de dissi- 
» muler le plagiat, » 

La figure de Martens, dont on peut voir des co- 
pies dans les ouvrages de Bonnaterre et de M. La- 
cépède, donne à la baleine une forme cylindrique» 


caper, Bonnal, Cét., p. 1 et 3, pl. 1, fig. 1; Balæna my- 
ticetus et balæna nord-caper, Lacép., pl. 1,2 et 3; Sco- 
resby, Ace. arct. Reg., t., p. 449, pl. 12 et 13. 

(r) Oss. foss., t. V,p. 361. 

(2) Voy au Spitzberg, Collect. des voyages au Nord, 
t. II, Rouen, 1716. 


659 


arrondie et massive , qui la rendoit méconnoissable ; 
aussi lorsque M. de Lacépède reçut d'Angleterre 
un dessin de baleine (1) dont les formes étoient élan- 
cées , et assez en rapport avec celles des autres cé- 
tacés , il n’hésita point à en faire une espèce sous le 
nom de nord-caper. Mais cette dénomination, qu’on 
a cru exclusive à une espèce du cap Nord plus 
grêle, moins chargée d’huile que la baleine franche, 
a souvent été employée pour désigner dans les vieux 
auteurs, très vaguement il est vrai, le cachalot ma- 
crocéphale, le rorqual, et même des dauphins de 
grande taille. Lorsque M. Scoresby eut publié une 
figure véridique de la »aleine franche, il fut facile 
de se convaincre que le nord-caper étoit idéal, ou 
plutôt qu’il n’étoit pas autre que l’espèce ordinaire 
des pêcheurs. 

Les noms que porte la baleine franche sont très 
nombreux. Les Anglois la désignent habituelle- 
ment par ceux de common whale ou greenland 
whale, ou enfin par le mot unique de whale ou le 
cétacé par excellence. C’est le whalfisk d'Ellis, le 
nordhvalr de Thormond Torfe ; l’arbek, argvek ou 
sokalik des Groenlandois, suivant Othon Fabricius; 
le slettbakr des Islandois ; le slichteback ou dos uni 
des Danois; sand-hual de quelques autres, enfin le 
poisson à fanons d'Eggède. 

Le crâne de la baleine du Groenland diffère d’une 
manière très remarquable de celui de la baleine 
antarctique : « Il est beaucoup moins large (?) à sa 
partie postérieure à proportion de sa longueur; les 
portions transverses du frontal et des maxillaires 
qui se rencent à l'orbite ont une direction oblique. 
Le temporal au contraire a presque autant de di- 
mension dans le sens transversal que dans le lon- 
gitudinal, ce qui lui donne une figure presque car- 
rée, mais fort irrégulière. Il se porte beaucoup plus 
en arrière que les condyles occipitaux, qui, dans 
la baleine du Sud, forment le point le plus postérieur 
du crâne. La facette glénoïde se porte beaucoup plus 
près de son bord externe. Les os du nez sont plus 
étroits à proportion. Les frontaux avancent sur eux 
en forme de deux petites pointes. » 

Tels sont les caractères purement anatomiques 
qui distinguent la baleine franche du Nord de celle 
du Sud, Mais l’ensemble du corps présente aussi 
des différences qu’il est nécessaire de passer suc- 
cessivement en revue. On conçoit naturellement 
qu'afin de garantir nos lecteurs des erreurs propa- 
vées par les anciennes sources, suspectes en bien 
des points, qui ont servi à tracer l’histoire de la 
baleine, il nous faudra recourir à des documents 
plus modernes, et nous aurons peu de choses à dé- 
sirer sous ce rapport, car M. Scoresby, dans un ou- 


(:) Dessin fait au Groenland par Bachstrom, et adressé 
à M. de Lacépéde par sir Joseph Banks. 
(2) Cuvier, Oss, foss., t. V, p. 379, 


660 


vrage (1) très remiarquable pour l’époque, a réuni 
sur ce cétacé comme sur l’histoire des pêches, des 
faits de la plus haute importance , et qui sont le ré- 
sultat d’uneexpérience consommée, acquise par une 
Jongue suite d'années passées au milieu des glaces 
des régions arcliques. 

Les baleines d’aujourd’hui n’ont pas une taille 
plus petite que celles d’autrefois , et c’est par suile 
d’une idée spéculative qu’on aura admis que le 
grand nombre des pêcheurs ne donne point le 
temps à ces animaux d'acquérir toute leur crois- 
sance. Le voyageur Jenkinson, parcourant la Russie 
en 4557, signale comme très monstrueuse la taille 
d’une baleine qu'il dit avoir environ soixante pieds. 
Cette opinion setrouve reproduite en 1625 par Edge, 
chef de la Compagnie russe, et le plus ancien pé- 
cheur, qui, après avoir passé dix années au Spiz- 
berg , dit, en parlant de la baleine, que cette béle 
marine peut avoir soixante-cinq pieds de long sur 
trente-cinq d’épaisseur, des fanons de dix à onze 
pieds de longueur, et qu’elle fournissoit à peu près 
cent barriques d'huile. M. Scoresby croit ferme- 
ment que les baleines qui vivoient au Spitzberg, au 
temps où les Européens s’y présentèrent pour la 
première fois, ne différoient en rien par les propor- 
tions de celles qu’on y rencontre aujourd’hui. En 
dernier résultat, on doit admettre que la taille com- 
mune d’une baleine franche varie de cinquante à 
soixante-cinq pieds (2) an plus, et que sa circonfé- 
rence la plus naturelle ne dépasse pas trente à qua- 
rante pieds. 

Le corps présente sa plus grande épaisseur à peu 
de distance des nageoires pectorales et vers le mi- 
lieu. A partir de ce point il diminue successive- 
ment, d’abord du côté de la tête, et ensuite du côté 
de la queue. Sa forme est celle d’un cylindre, qui 
cesse. à dix pieds avant la queue, par devenir qua- 
drangulaire; c’est-à-dire qu’une sorte de carène 
naît à cette distance sur la ligne médiane de l’ani- 
mal, et se continue jusqu’à la queue. La tête, à 
peu près trisngulaire et aplatie en dessous, est ar- 
rondie et très développée sur les côtés, ce qui est 
dû aux deux ares formés par les branches du maxil- 
laire inférieur. Sa longueur varie de seize à vingt 
pieds sur dix ou douze de largeur. Les rebords 
charnus qui forment les lèvres s'élèvent de l'os 
maxillaire inférieur, en formant un angle de quatre- 
vingts degrés, et jusqu’à cinq ou six pieds de hau- 
teur. La mâchoire supérieure a les lèvres squam- 


() An Account of the arelic Regions, with a history 
and description of the Northern Whale -Fishery; by 
W. Sceresby, Junior, 2 vol. in-8°, Edimb., 1820, avec 
24 planches. 

{2) C'est du pied anglais qu'il s’agit dans tout cet arti- 
gle : il suffira de se rappeler qu'il répond à environ onze 
pouces deux lignes du pied de France. 


HISTOIRE NATURELLE 


meuses sur les côtés. Les dimensions de l’ouverture 
de la bouche sont énormes, et n’ont pas moins de 
six à huit pieds de iargeur sur dix ou douze de hau- 
teur et quinze ou seize de longueur. M. Scoresby 
affirme que le canot d’un navire baleinier, plein 
d'hommes. pourroit y être recu fort à l'aise. 

Les nageoires pectorales sont insérées au tiers ou 
aux deux cinquièmes de la longueur totale, à partir 
du museau, et à peu près deux pieds de la commis- 
sure de la bouche : elles sont longues de sept à 
neuf pieds, sur quatre où cinq de large; et leur 
point d'insertion qui est arrondi, a deux pieds de 
diamètre : ces nageoires jouissent, par leur mode d’ar- 
ticulation , de mouvements de rotation en tout sens, 
bien que la tension de la peau ne puisse permettre 
celui d'élévation à toucher le corps, et qu’il ne dé- 
passe point une ligne horizontale. Il en résulte, 
comme le dit judicieusement M. Scoresby , que la 
baleine ne peut jamais, ainsi que le prétendent 
quelques navigateurs, soutenir parfois son petit sur 
son dos. 

La nageoire dorsale manque complétement; le 
dos est lisse et sans aucune élévation sur la peau. 
La caudale est longue de cinq à six pieds, et large de 
dix-huit à vingt-quatre, et même vingt-six, aplatie 
et formée de deux lobes semi-lunaires, profondé- 
ment échancrés à leur milieu, pointus à leur extré- 
mité, et légèrement recourbés. Sa puissance mus- 
culaire est immense : c’est le levier avec lequel 
la baleine presse l’eau pour s'élever comme pour 
s’abaisser , et qui imprime à sa masse ces monve- 
ments rapides de natation qu’on a évalués parfois 
à plus de trois lieues marines par heure; ce qui 
leur permettroit de faire Je tour du monde en 
moins de trois mois, si leur force musculaire pou- 
voit suffire sans déperdition pendant ce laps de 
temps. ; 

Les veux sont situés sur les parties latérales de 
la tête, dans une direction oblique, et environ un 
pied au-dessus et en arrière de la commissure de la 
bouche. M. Scoreshy les compare pour le volume 
à ceux d’un bœuf, et dit qu’ils paroissent extrême- 
ment petits par opposition avec la masse du corps. 
On ne découvre dans la peau aucun orifice extérieur 
pour le passage des corpuscules sonores et leur in- 
troduction dans l’oreille interne. 

Les évents s'ouvrent sur le sommet de la tête, à 
seize pieds de distance environ de l'extrémité du 
museau, en deux orifices longs de six à huit pouces. 
Jl n’en sort, dit M. Scoresby (1), qu’une vapeur mé- 


() « À moîst vapour, mixed with mucous, is dechar- 
ged from them, when then the animal breathes ; but 
no water accompanies it unless an expiration of the 
breath be made under the surface.» Scoresby’s Acc., 
t. 1, p. 456. Or nous avons déjà dit que cent fois dans 
les régions intertropicales nous avions vu des baleines 


DES MAMMIFÈRES. 


lée de mucus quand l'animal respire ; mais jamais 
il n’en jaillit d'eau, à moins que l'expiration n'ait 
lieu sous la couche du liquide. 

La mâchoire supérieure présente au lieu de dents 
deux rangées considérables de fanons attachés sur 
les côtés du palais. Ces fanons, que les arts em- 
ploient sous le nom de baieine, sont communément 
recourbés dans leur longueur, et plus rarement 
droits, de sorte que par leur réunion ils donnent au 
palais la forme d’une voûte; ils sont complétement 
recouverts par le rebord membraneux ou lèvre de 
Ja mâchoire inférieure, et embrassent la langue par 
leur extrémité libre , qui est toujours eflilée. Chaque 
série de fanons sur un côlé de mâchoire, ainsi que 
s'expriment les baleiniers, à de trois cents à trois 
cent vingt lames cornées,dont les plus longues se trou- 
ventoccuper la partie la plus profonde ou le milieu de 
la bouche, et qui diminuent graduellement et d’une 
manière insensible jusqu'aux rebords du maxillaire 
supérieur. La plus grande longueur de ces fanons 
est de quinze pieds; mais dix ou onze sont la taille 
la plus ordinaire, et il est rare d’en trouver de treize 
pieds : leur plus grande largeur est de dix ou douze 
pouces. Les lames des deux +éries de fanons (chaque 
série occupant un côté de la mächoire) sont accolées 
les unes aux autres à six lignes environ de distance, 
en y comprenant l'épaisseur propre à chaque lame. 
Leur terminaison est du côté intérieur frangée et 
comme garnie de houppes de soies, tandis que le 
bord extérieur est aplati et recourbé, et présente 
aux lèvres des surfaces unies et douces; on a re- 
marqué que plusieurs baleines offroient, sur les 
lames des fanons, d’un côté une ouverture circulaire, 
et de l’autre une sorte de rainure, qui se reprodui- 
sent assez régulièrement de sept pouces en sept 
pouces. M. Scoresby seroit assez disposé à comparer 
ces intervalles de fanons comme les représentants 
des anneaux des cornes de bæufs, et comme un signe 
de croissance ; et cette opinion, qui n’est pas sans 
fondement, nécessiteroit maintenant un genre de 
recherche à faire, qui seroit de savoir combien les 
jeunes individus ont de ces marques, et à quelle 
période de leur vie elles peuvent coïncider. Nous 
savons d’ailleurs que le bec des calaos se recouvre 
aussi de sillons osseux dont le développement est 
en rapport avec les années écoulées, et que l’on 
compte leur nombre par la quantité des renflements 
du casque de ces oiseaux; de même M. Scoresby 
admet, si la justesse de son observation vient à être 
démontrée, que chaque longueur de six à sept pouces 
des plus grandes lames de fanons d’une baleine non 


faisant jaillir de leurs évents des colonnes d'eau élevées, 
et que c'étoit par cela que les baleiniers les distinguoicnt 
des cachalots à l'horizon, Ce jet d’eau, il est vrai, n’a 
lieu qu'à des intervalles plus ou moins éloignés, par 
suite de fonctions que nous ignorons encore, 


661 
encore adulte représentera exactement une année 
révolue dans son âge. Les fanons n’ont que quelques 
pouces de longueur dans les plus jeunes baleines, 
que les pêcheurs nomment sucker ( qui teltent ); 
lorsqu'ils ont pris dans leur développement six pieds 
et au-dessus, on dit alors en termes de pêche que la . 
baleine est de taille. 

La couleur des fanons est d’un noir brunâtre ou 
bleuûtre parfois, avec des raies longitudinales blan- 
ches : elle est surtout brillante lorsque les lames 
ont été nettoyées. Une grande baleine fournit assez 
souvent jusqu’à un tonneau et demi de fänons ; et 
si une seule des lames les plus grandes de la série 
pèse sept livres angloises, on peut estimer le pro- 
duit total à un tonneau, et plus où moins, suivant 
le poids primitif de la lame prise pour type. 

Les fanons sont insérés dans les rainures des 
max l'aires supérieurs; un enduit tenace, blanc, 
fibreux, tendre et sans saveur, assez analogue à la 
chair de la noix de coco, etqu’on peut couper comme 
du fromage, en unit les lames les unes aux autres 
et les soude ainsi complétement. 

La langue occupe la plus grande partie de la bou- 
che, et remplit l'intervalle que présentent les deux 
branches inermes du maxillaire inférieur; elle 
adhère depuis la base jusqu’à la pointe au tissu cel- 
lulaire sous-cutané tendu entre ces deux os, ne peut 
jouir par conséquent d'aucun mouvement, et ne 
sert ni au goût ni à la mastication. 

Une sorte de petite barbe, ne consistant qu’en 
quelques éminences : lanches, et sous forme de poils 
très courts, s'élève en avant des deux mâchoires. 

La poitrine est très étroite. 

L'organe génital du mâle est très développé, et a 
jusqu'à deux ou trois pieds de longueur en dehors 
de la fente où il est en partie caché. Lorsque la ba- 
leine est morte, il ne présente pas moins de huit ou 
dix pieds sur six pouces de diamètre à la base. Son 
extrémité est pointue, et percée pour l'orilice du 
canal de l’urètre. La femelle a deux mamelles pla- 
cées sur l’abdomen de chaque côté de l'ouverture 
du vagin à deux pieds de distance; elles ne parois- 
sent pas susceptibles de se dilater, car elles n'ont 
que quelques pouces de longueur : après la mort 
on les trouve contractées. Le lait que ces mamelles 
sécrètent ne paroît pas différer de celui des autres 
espèces de mammifères : on le dit abondant et d’a- 
gréable saveur. 

L'anus s'ouvre à six pouces environ derrière le 
vagin chez la femelle, mais il est plus éloigné des 
organes sexuels chez les mâles, 

La couleur générale de la baleine franche est un 
noir de velours, dégradé sur les côtés en gris tacheté 
de brun noirâtre, et auquel succède du blane teinté 
de jaune. Le dos, la plus grande partie de la mà- 
choire supérieure et une portion de l'inférieure 


662 


ainsi que les nageoires pectorales et caudales sont 
noirs ; la langue, le devant de la bouche et le ventre 
sont blancs; les paupières, le point d'union de la 
queue avec le corps et le dedans des pectorales ou 
les aisselles sont gris. M. Scoresby a vu des baleines 
pies, et dit que les vieux individus ont plus de 
blanc et de gris que les adultes ordinaires. Les jeu- 
nes ont le dessous du corps d’un bleu pâle ou d'un 
gris bleuâtre. 

La peau du corps est ridée très finement en des- 
sus, tandis que celle de la queue et des nageoires 
pectorales est parfaitement lisse. L’épiderme , lors- 
qu’il est détaché du derme et qu’il a été desséché 
par le froid, ressemble parfaitement à du parche- 
min. Le tissu muqueux des adultes a environ neuf 
lignes d'épaisseur sur le corps, tandis que dans les 
jeunes il a près de deux pouces ; ‘mais il est plus 
mince sous les nageoires, sur les lèvres, et à la sur- 
face de la langue. Cette portion des téguments con- 
serve partout la coloration qui lui est propre, et 
paroît formée de fibres perpendiculaires : plus pro- 
fondément s'étend un réseau membraneux blanc et 
coriace, dont on ne peut au juste apprécier l’épais- 
seur, parce qu'il se perd insensiblement avec le 
tissu aréolaire gorgé d'huile, mais on peut toutefois 
admettre qu’il ne dépasse pas trois lignes dans l’en- 
droit de sa plus grande densité, 

Sous la peau apparoît le tissu cellulaire graisseux, 
ou, comme les Anglois l’appelient, le blubber, qui 
enveloppe le corps entier : sa couleur est d’un blanc 
jaunâtre , ou jaune, ou même rouge. Dans les très 
jeunes animaux ce tissu graisseux est d’un blanc 
jaunâtre, tandis que chez les très vieux iloffre la teinte 
de la chair du saumon ; sa densité est moins grande 
que celle de l’eau; son épaisseur à l’entour du 
corps varie de huit, dix à vingt pouces, suivant les 
régions et suivant les baleines. Les lèvres forment 
autour des maxillaires deux épais bourrelets entie- 
rement dus à ce tissu cellulaire graisseux , et cha- 
cune d'elles renferme un ou deux tonneaux de 
l'huile la plus pure; la langue, presque entièrement 
formée par une espèce particulière de graisse, ne 
donne que très peu d’huile; la partie musculaire 
en effet n’occupe que le milieu et la base de cet or- 
gane ; l'intervalle des deux branches du maxillaire 
inférieur n’est aussi qu’une masse graisseuse où 
l'on aperçoit à peine quelques fibres de muscles. 
Tous les organes extérieurs de la baleine ne sem- 
blent être qu’un tissu cellulaire qui s’est glissé dans 
les interstices des tendons des nageoires et dans les 
cavités des os. L'huile est donc ainsi contenue dans 
les mailles du blubber, mailles qui paroissent dues 
à des aréoles membraneunses très résistantes, les- 
quelles se pressent et s’élargissent à mesure qu’elles 
s’approchent davantage de l’épiderme pour former 
ces couches épaisses et compactes qui Jui sont sous- 


HISTOIRE NATURELIE 


jacentes. C’est par le moyen de la chaleur que l'huile 
est relirée du tissu adipeux; elle s’écoule également 
lorsque la putréfaction a rompu les parois membra- 
neuses qui la tenoient renfermée. 

Objet de grande valeur dans le commerce, l'huile 
et les fanons sont les seules parties que les balei- 
niers recherchent dans le cétacé dont nous nous oc- 
cupons. Ils en rejettent les chairs, et ce n’est que 
pour des usages bornés que les os de la mâchoire 
inférieure sont parfois utilisés. Le blubber dans son 
état-de fraicheur n’a aucune odeur désagréable, 
mäis il n’en est pas de même vers le dernier terme 
du voyage et au moment où le navire va opérer son 
retour. 

Les pêcheurs estiment que quatre tonneaux de 
tissu cellulaire graisseux en produisent générale- 
ment trois d’huile {1); celui des jeunes en fournit 
beaucoup moins. On cite des baleines qui ont 
donné jusqu’à trente tonneaux d'huile pure, mais 
celles dont on en retire vingt ne sont pas très rares, 

M. Scoresby a remarqué que la quantité d’huile 
qu’on pouvoit retirer d’une baleine correspondoit 
assez exactement à la longueur des plus grandes 
lames de fanons, et il en a dressé la table suivante 
que nous reproduisons : 


5 [6x 2 81/2|11|121/1 17 


Huile 
mise en 
tonneaux. 


> 11/2121/4}23/4|3114 


mg. des | 
pr 
en pieds. 


Quoique ce petit tableau de M. Scoresby s'éloigne 
peu des faits avérés, il doit parfois présenter quel- 
ques exceptions; car on a vu une baleine dont les fa- 
nons avoient deux pieds et demi donner jusqu’à dix 
tonneaux d'huile, tandis qu’une autre dont les lames 
cornées de la bouche avoient douze pieds de long 
n’en a fourni que neuf; mais ce sont des cas acci- 
dentels qui n’infirment point la règle générale. 

Une grande baleine de soixante pieds de long at- 
teint le poids énorme de soixante-dix tonneaux, et 
les rapports des diverses parties sont pour le tissu 
cellulaire graisseux trente tonneaux; neuf ou dix 
pour les os de la tête, les fanons, les nageoires pec- 
torales et la queue; et trente ou trente-deux pour le 
reste du squelette. 

La chair des jeunes baleines est rouge et ne res- 
semble pas mal, lorsqu'elle est cuite, à du bœuf 
grossier ; celle des vieux individus est noire et aussi 
mauvaise que possible. Une immense épaisseur de 


() Le tonneau d'huile est de 252 gallons anglois, ou 
1008 litres de l’ancienne mesure de France, 


DES MAMMIFÈRES. 


muscles entoure le corps; la plupart sont destinés à 
mouvoir la rame puissante qui le termine et qui est 
mise en jeu par des masses de fibres tendineuses : 
celles-ci sont recherchées par les Hollandois, qui les 
emploient dans la fabrication de la colle forte. 

La plupart des pièces osseuses du squelette sont 
creusées à leur intérieur de grandes cavités remplies 
par un tissu médullaire qui donne une buile très 
fine; c’est à cause de cela que les os des mâchoires, 
longs de vingt à vingt-cinq pieds, sont très souvent 
conservés, parce que l'huile qui est renfermée dans 


leur intérieur parvient à se faire jour à leur surface 


663 
lorsque le navire baleinier quitte les parages froids 
pour entrer dans les zones tempérées. Lorsque toute 
l'huile en est exprimée, M. Scoresby assure que ces 
os, si compactes en apparence, surnagent et peuvent 
flotter alors sur la surface de la mer : celluleux dans 
leur intérieur, ils sont en général enveloppés par 
une couche de phosphate calcaire très lisse, mais 
épaisse. 

Sir Charles Giesecke, cité par M. Scoresby, ne 
compte aux parois osseuses du thorax que treize 
paires dé côtes. 


Les dimensions des diverses parties de la baleine franche sont, d'après M. Scoresby : 


Pieds. Poucès. 


FeiDiS2IONPSTANDNE 2. 2 le ercrers 
Longueur totale. . ...::.:.. LOUE 
— de la tête. .. 
— de la mâchoire inférieure. . .. .. ... 
— de l’extrémité de la lèvre à la nageoire. . 
— plus grande circonférence. . . . . . . . 
Girconférence du con. ..:....::.... 
Plus grande circonférence. . ......4:.. 
Circonférence du balénas. . . .... are 
— près de la queue. . . . .. CPE : 
Napeoire, JONBUEUL E- .eu-e e re - 
EN ON SR ct Mn 
OueterTongacunih 26 14 semer ueleic À 
a A REUTERS NN ete Pad 
Lèvres, longueur. 
ET ee PO OT 
Produit de lhuile (tonneaux). . . ...... 
SESER NE DR hens 99e Ven line 


SONO 


6 
» 
» 
» 
11 
3 
3 


à 19 © 


Nous venons de passer en revue les particularités 
d'organisation les plus saillantes de la baleine, et 
nous ne nous sommes pas écarté du récit circonstan- 
cié de M. Scoresby. Il en sera de même pour quel- 
ques unes des fonctions que cet observateur zélé et 
plein d'instruction a présentées avec cette simplicité 
de langage qui est le type de l’exactitude et le cachet 
de la vérité. 

L’ouie n'ayant point de pavillon de l'oreille ou 
d’organe de recueillement, ni même de canal audi- 
tif, il en résulte üne perception de sons très difficile ; 
aussi la baleine paroît n’avoir pas la moindre con- 
science de l'explosion d’une arme à feu, lors même 
qu'elle a lieu à la foible distance d’une longueur de 
navire. [l n’en est pas de même lorsque la mer, par 
un temps calme, est agitée par quelque cause que ce 
soit, la marche d’un navire entre autres ; la baleine 
s’en aperçoit aussitôt, s'en émeut, et fuit au plus 
vite le danger qu’elle croit reconnoître. Si l’audition 
est obtuse et incomplète, la vue en revanche est fort 
bonne, puisqu'on assure que les baleines s’aperçoi- 
vent à de grandes distances lorsque la mer est claire : 
mais cette observation est-elle bien positive? et n’est- 
elle pas contredite par le fait qu’à la surface de l’eau 


Pieds. Poutes, | Pieds, Pouces. | Pieds, Pouces. | Pieds. Pouces. | Pics Pouces. 


= | ——————— 


11 
58 
19 
12 


DO vOy v OC Ee 


Gr: Over o 


U 
= 


elles ne voient presque pas, à moins qu’on ne puisse 
expliquer cette dernière circonstance par une trop 
grande abondance de rayons lumineux ? 

Ilest bien reconnu que tous les cétacés sont pri- 
vés de la voix : le bruit qu’ils font entendre dépend 
de la gêne de la respiration et de l'air violemment 
expulsé par les évents. M. Scoresby compare la va- 
peur pulmonaire, qui se dégage dans les grandes 
expirations, à des bouffées de fumée qui s'élèvent à 
plusieurs toises dans l'air. Lorsque les pêcheurs ont 
harponné une baleine, et que la blessure est pro- 
fonde, il est facile de le reconnoitre, parce que le 
sang se mêle à l'air expiré, ou jaillit à flots par les 
orifices extérieurs des évents. La respiration ne s'exé- 
cute que quatre ou cinq fois dans une minute. 

L'immense couche de graisse qui entoure le corps 
d’une baleine la rend beaucoup moins pesante que 
la masse d’eau qu’elle déplace, aussi peut-elle se 
tenir à la surface n'ayant en dehors de la ligne des 
eaux que les ouvertures extérieures des évents et la 
voûte de son large dos, sans avoir le moindrement 
besoin d’agiter ses nageoires; la partie que l’on en 


. découvre ainsi, lorsqu’en nageant elle vient à la sur- 


face de la mer, n’est peut-être pas le vingtième de 


664 
la masse totale ; mais lorsqu’à sa mort son cadavre 
est en proie à la putréfaction, il se distend outre 
mesure, au point que le tiers de l’animal surgit au- 
dessus de l’eau, et les gaz qui l’enflent font quelque- 
fois eflort pour se procurer une issue en brisant la 
peau qui les emprisonnoit. 

La queue est le levier puissant avec lequel la ba- 
leine, pressant dans les deux sens l’immense colonne 
d’eau qui la comprime, s’avance et imprime à sa 
natation une grande rapidité locomotrice ; mais son 
nager plus facile, ou lorsque le cétacé veut se détour- 
ner d’un côté ou d’un autre, s'obtient par des mou- 
vements latéraux de torsion plus simples et moins 
énergiques de sa caudale. Quant aux pectorales, pres- 
que constamment déployées dans le sens horizontal, 
leurs principales fonctions se réduisent à faire l’équi- 
libre du corps, et maintenir, en pressant le liquide, 
la partie la plus pesante, telles que la tête et le 
haut du tronc; car on a remarqué qu’aussitôt que 
ces organes ne remplissoient plus leurs fonctions, le 
corps alors tournoit sur le côté ou se renversoit com- 
plétement. 

Bien que la baleine paroisse en général lourde et 
massive , elle peut cependant, dans un court espace 
de cinq à six secondes, plonger rapidement à une 
grande profondeur ; sa natation est aussi aisée hori- 
zontalement que dans le sens vertical. M. Scoresby 
a remarqué qu’un de ces animaux atteint d’un har- 
pon est descendu à quatre cents brasses avec une vi- 
tesse qu’il estime être de sept à huit milles par heure : 
cependant ces cas sont exceptionnels, et la rapidité 
de sa marche n'excède point d'ordinaire quatre milles 
par heure; et lorsqu'elle va jusqu’à huit ou neuf, ce 
n'est que pendant quelques minutes et à la suite de 
blessures ou de vives frayeurs. Parfois, réunissant 
tous ses efforts, et jouant à l’époque des amours, la 
baleine franche s’élance en entier hors de l’eau , et 
saute ainsi au-dessus des vagues, à la manière d’un 
scombre. Un tel spectacle est imposant sans doute, 
dit M. Scoresby, lorsqu'on est à certaine distance, 
mais il n’est pas sans inspirer quelque terreur au 
pêcheur novice qui est à son début. Souvent les ba- 
leiniers expérimentés ne craignent point d’appro- 
cher la baleine dans des moments en apparence aussi 
inopportuns, et de la frapper de leurs harpons. Lors- 
qu’un cétacé, dont le corps a soixante pieds environ, 
avec une circonférence proportionnée, joue et cher- 
che à folâtrer, ces plaisirs devront être grossiers et 
bruyants, et ses mouvements des secousses qui bou- 
leverseront les vagues et en porteront au loin les 
agitations : c’est aussi ce qu’on à remarqué, et, par 
un temps calme, on entend, à une grande distance, 
la mer violemment agitée par les nageoires qui la 
frappent ; on voit l’eau qui s'élève dans les airs et 


retombe en pluie, et les vagues, nées de l’agitation, 


formant un large cerele qui va au loin détruire cette 


HISTOIRE NATURELLE 


uniformité de la surface des ondes. Le craquement 
qui interrompt fort souvent le calme des nuits arcti- 
ques n’est point le résultat d'un banc de glace qui 
se brise, ni celui d’un vaisseau dont les joints sont 
entr'ouverts par un fatigant roulis; il est souvent 
produit par de brusques saccades de la large rame 
caudale d’une baleine qui frappe l'air, et dont le 
bruit peut s'entendre à deux ou trois milles ( deux 
tiers, ou une lieue marine). 

La baleine qui nage paisiblement à la surface de la 
mer, et qui veut plonger, soulève sa tête pour la di- 
riger perpendiculairement, élève son dos comme le 
segment d’une sphère, déploie sa queue, s'enfonce 
et disparoit. 

Le temps que les baleines restent à la surface de la 
mer pour respirer ne dépasse guère deux minutes, . 
et dans cet intervalle elles font huit ou neuf expira- 
tions, après lesquelles elles plongent sous l’eau pour 
reparoitre cinq ou dix‘minutes après, et plus rare- 
ment au bout de quinze ou vingt minutes; c’est ce 
que les pêcheurs appellent manquer. Le milieu 
qu’elles affectionnent sous la couche d’eau est in- 
connu. On doit supposer cependant qu'il n’est pas à 
une grande profondeur, à en juger par leur retour 
prompt et périodique à la surface. Il n’en est pas de 
même lorsqu'elles sont blessées ; la ligne qui suit le 
barpon indique précisém nt Ja distance verticale à 
laquelle elles pénètrent ; et on peut l’évaluer, avec 
assez de certitude, à un mille ou un tiers de lieue 
marine. Mais la rapidité avec laquelle les baleines 
plongent est d'autant plus vive que la blessure est 
plus profonde et a porté de plus grands désordres 
dans leur organisme ; aussi a-t-on tiré parfois par la 
ligne attachée au harpon, et à sept ou huit cents 
toises, des baleines qui, en se précipitant comme 
une masse pesante sur les rochers du fond de la mer, 
où on les avoit frappées, présentoient leur crâne 
fracassé, ou leurs mâchoires brisées par la violence 
du choc. Il seroit fort difficile d'admettre Popinion 
de quelques pêcheurs, qui croient que la baleine 
peut rester plusieurs heures, lorsqu'elle est paisi- 
ble, sous les bancs de glace, ou au fond de la mer 
sans respirer : la grande consommation d’air atmo- 
sphérique qu’exigent ses volumineux poumons rend 
peu probable cette assertion. El est rare de la ren- 
contrer se livrant au sommeil ; cependant lorsque la 
mer est calme et unie, on la voit parfois au milieu 
des bancs de glaces, qui la protégent, en goûter les 
douceurs. 

Les aliments dont se nourrissent les baleines con- 
sistent, diton, en actinies, clios, sèches, méduses, 
cancers et petits mollusques marins. Mais c’est sur- 
tout le clio ‘orealis, ptéropode qui pullule par my- 
riades d’essaims dans les mers du pôle boréal, qu'on 
a jusqu’à ce jour regardé comme la matière alimen- 
taire presque exclusive de ces cétacés, et qu'Eggède 


DES MAMMIFÈRES. 


décrit et figure sous le nom de hual-fiske-aas (1) : 
cependant M. Scoresby dit n'avoir trouvé dans la 
capacité de l'estomac que de petits crustacés, tels 
que des chevrettes, peut-être que ces clios servent 
de pâture à un grand nombre de petits animaux ma- 
rins que les baleines recherchent, et que leur pré- 
sence simultanée dans les mêmes parages peut être 
expliquée de cette manière. 

En prenant sa nourriture la baleine nage avec ra- 
pidité: ses mâchoires sont ouvertes et font l'office 
d’un filet que traîneroit une embarcation : l’eau char- 
gée des êtres qui pullalent dans son sein s’engouffre 
dans son vaste gosier, en est repoussée par les parois 
fermées de toutes parts, et sort à travers les barbes 
effilées des fanons sans que le moindre petit insecte, 
füt-il gros comme un grain de millet, pût échapper 
à ce vaste lacis. 

Les caractères des baleines franches du Nord, dit 
M. Scoresby, ont trop d’analogie entre eux pour 
qu’on puisse en tirer des inductions sur des espèces 
différentes. Cependant les proportions des diverses 
parties du corps varient d’une manière fort remar- 
quable, et doivent peut-être autoriser à indiquer des 
variétés dans l'espèce prise en elle-même. Ainsi 
certaines baleines ont une tête qui fait les quatre 
dixièmes de leur longueur totale, dans d’autres elle 
n'excède point trois dixièmes. Il en est de même de 
la circonférence; elle varie de sept dixièmes de la 
plus grande longueur à six dixièmes : or ces dimen- 
sions sur un animal de soixante pieds par exemple 
annoncent des différences dans le squelette, dont il 
seroit fort important d'établir les caractères et qui 
probablement deviendroient spécifiques. 

Les baleines entrent en chaleur vers la fin de l'été; 


() Eggède, pag. 52, décrit en ces termes cette espèce 
de Clio : « On s’imagineroit qu'un si grand corps auroil 
» besoin pour sa nourriture d’un grand nombre d'au- 
» tres poissons ou animaux de mer; mais sa nourriture 
» consiste en une sorte d’insecte que l’on appelle kual- 
» fiske-aas, qui est d’une couleur brune,et muni de deux 
» petites nageoires, par le moyen desquelles il se remue 
» dans l’eau, silentement néanmoins qu’on peut le pren- 
» dre avec la main aussi bien qu'avec un seau: celle es- 
» pèce d’insecte est si mou que, quand on le frotte entre 
» les doigts, on croit tenir de la graisse ou de l'huile de 
» poisson. Il abonde de tous côtés dans les mers du 
» Groenland, et cette sorte de baleine lerecherche beau- 
» coup. Comme elle a le gosier extrêmement étroit, son 
» diamètre n'ayant pas plus de quatre pouces, que les 
» pelits fanons à l'extrémité de la langne semblent en- 
» trer dans son gosier, et qu’elle n’a point de dents pour 
» mâcher ou broyer, elle ne sauroit avaler quelque corps 
» gros ou dur; mais il est proportionné à ce petit pois- 
» son, et les sèvres d'une grandeur énorme en peuvent 
» recevoir et retenir une grande quantité lorsqu'elle les 
» ouvre comme un filet et qu’elle les ferme ensuite, La 
» nature a muni sa bouche de fanons si près les uns des 
» autres, que l’eau seule peut sortir, comme au travers 
» d’un tamis, tandis que sa proie demeure,» à 


LE 


665 


c’est principalement vers les beaux jours du prin- 
temps que les femelles sont accompagnées de leur 
nourrisson. Un baleinier prit vers la fin d'avril 481 

un jeune qui avoit encore le cordon ombilical. La 
gestation est d'environ dix mois; et chaque femelle 
donne le jour, en février ou mars, à un seul petit, 
très rarement à deux, dont la longueur est de dix à 
quatorze pieds. La mère n’abandonne point son en- 
fant, au moins tant qu’il n’a pas pris de forces suf- 
fisantes, et: que ses fanons ne sont pas assez sortis 
des gencives pour le mettre à même de chercher sa 
nourriture et de se passer d’un secours étranger. Si 
la remarque faite précédemment, que les fanons in- 
diquent l’âge par les interstices qui en séparent les 
lames, est juste, on peut en tirer la conclusion, sui- 
vant M. Scoresby, que la baleine prend sa taille or- 
dinaire à douze ans, lorsque ses fanons ont six 
pieds, et qu’ainsi à vingt ou vingt-cinq ans elle a par- 
achevé sa croissance. Tout'porte à croire alors que 
son existence est longue et:se .compose d’une nom- 
breuse suite d’années ; d’ailleurs ‘à mesure qu’elle 
vieillit la peau change de couleur et devient de plus 
en plus grise, tandis que le blanc de la tête jaunit 
et que la couche de tissu cellulaire diminue. Les 
vieux individus en effet donnent beaucoup moins 
d'huile, ce qui est dû au ‘grand développement des 
parties membraneuses et de l’épiderme de l’enve- 
loppe cutanée. 

Tout animal en donnant le jour à celui qui le doit 
remplacer dans le système harmonique de notre pla- 
nète, pour continuer ainsi le cercle éternel de la vie, 
a reçu pour première loi instinetive la tendresse ou 
l'attachement de la paternité. Peu d’anima x ont 
éludé cette loi qu’ils ne vont point chercher dans un 
code écrit, mais qu’ils se transmettent comme une 
conséquence de leur organisation. La baleine en ap- 
parence si grossière, si stupide sous d’autres rap- 
ports, ressent vivement ce besoin d’attachement 
pour ses petits et leur en donne des preuves qu’elle 
paie souvent bien cher. L'isexpérience ou l’étour- 
derie des baleineaux (c’est ainsi qu’on nomme par- 
fois les très jeunes baleines) les jette sans précaution 
sous les coups des baleiniers, qui les harponnent 
non parce qu’ils espèrent en retirer le moindre pro- 
fit‘), mais parce que la mère inquiète, troublée 
par l'éloignement du fruit de ses amours, oublie sa 
timidité naturelle, le cherche avec une aveugle ou 
plutôt une courageuse confiance, et vient d’elle- 
même se livrer au fer qui la menace et qui met fin 
à ses inquiétudes et à sa vie. Mais heureuse lors- 
qu’elle a trompé l’avide espoir des baleiniers, on la 
voit pousser son petit à fuir, s'élever avec lui lors- 
qu’il vient respirer, le presser de sa nageoire, le 
protéger de son corps, bondir avec violence pour 


(‘} On n’en oblient qu'un tonneau d'huile médiocre 
: 84 


666 


exprimer sa fureur, et l’entraîner lors même qu’il 
est blessé à mort. A ce sujet M. Scoresby raconte 
qu’un de ses matelots harponna, en 1811, une jeune 
baleine dans l'espérance d'attirer la mère et de s’en 
emparer, mais que celle-ci s’éleva brusquement près 
du canot meurtrier, saisit son enfant et l’entraîna 
avec une force et une promptitude remarquables : 
toutefois on la vit bientôt s’élever à la surface de la 
mer, bondir, se jeter de côté et d’autre, et donner 
en un mot les signes les moins douteux du plus vio- 
lent désespoir ; elle sembloit dans cet état ne plus 
connoître de danger, aussi fut-elle entourée de ca- 
nots qui la massacrèrent ({) sans respect pour les an- 
goisses du malheureux animal qui montroit plus de 
sensibilité que l’équipage des baleinières n’en ac- 
corda jamais à aucun membre de sa famille. 

La destruction d’un animal qui témoigne tant d’at- 
tachement pour ses petits, dit M. Scoresby, inspire 
une grande tristesse; mais la valeur de la prise, la 
joie du triomphe, font taire tout sentiment de com- 
passion ! 

On ne peut pas dire que les baleines vivent en 
troupes, parce qu’on en rencontre un grand nombre 
de réunies sur plusieurs points. En général elles ne 
vont que deux ensemble, et sont le plus souvent 
isolées. Les mâles paroïissent être plus nombreux 
que les femelles; car M. Scoresby, sur cent vingt- 
quatre baleines prises sur les côtes du Spitzberg dans 
un laps de huit années, a compté soixante-dix mâles 
et seulement cinquante-quatre femelles, ce qui éta- 
blit un rapport de cinq à quatre. 

La baleine franche n’est nulle part plus abondante 
que dans les régions hyperborées du Groenland et 
du détroit de Davis, dans la baie de Baffin et dans 
celle d'Hudson. On la rencontre dans les mers si- 
tuées au nord du détroit de Behring, et le long des 
côtes septentrionales de l’Asie et peut-être de l’Amé- 
rique. On ne l’a jamais observée dans la mer d’Alle- 
magne, et rarement à moins de deux cents lieues 
des côtes d'Angleterre. Sans doute on ne doit pas la 
confondre avec la baleine du Sud, qui se présente 
périodiquement et en grande abondance sur les ri- 
vages de l’Afrique et de l'Amérique méridionale ; 
mais ce qui isole encore mieux ces deux espèces est 
un caractère qui n’est point à dédaigner : la baleine 
australe est souvent recouverte de coronules, tandis 
que la baleine du Nord n’en a jamais. Ne devons- 


{) «At lenght, one of the boats approached so near, 
»that a harpoon was hove at her, it hit, but dit not 
» attach it self. A second harpoon was struck; this also 
» failed to penetrate : but a third was more effectual, 
» and held. Still she did not attempt to escape : but al- 
» lowed other boats to approach; so that, in a few mi- 
» nutes, three more harpoons were fastened : and in 
»the course of an hour afterwards, she was Killed:» 
Scoresby’s Acc., p.472, t. I. 


HISTOIRE NATURELLE 


nous pas conclure de ce fait que la première habite 
presque constamment des parages plus échauffés, 
où la température permet à ces mollusques de vivre 
cramponnés sur sa peau ainsi que sur celle des ca- 
chalots, tandis que le rigoureux climat du Nord ne 
lui permet point de se développer et de vivre? Cer- 
taines baleines du Sud ne s’élèveroient donc jamais 
dans les hautes latitudes australes ? | 

La baleine, timide par caractère, inoffensive lors 
même qu’elle est tourmentée , a peur d’un oiseau 
qui vole au-dessus d’elle. Elle s'offre donc sans 
moyens de défense aux coups de ses ennemis, et 
ceux-ci sont nombreux ; à part l’homme, le plus in- 
dustrieux comme le plus dangereux de ses adversai- 
res, la baleine franehe est sans cesse harcelée, sui- 
vant l’opinion reçue, par les squales, les scies, les 
espadons , et surtout les narwhals. Quant à ces der- 
niers, M. Scoresby doute beaucoup qu’ils vivent en 
état d’hostilité avec la baleine, parce qu’il a observé 
que les bandes de narwhals se trouvoient constam- 
ment dans les lieux où les baleines sont plus nom- 
breuses, et que les uns et les autres paroissent dans 
la meilleure intelligence. Les pêcheurs s’applaudis- 
sent même, à leur entrée dans les mers du Groen- 
land , de la présence des licornes, qu’ils regardent 
comme le signe le plus favorable du voisinage des 
baleines franches. M. Scoresby n’a jamais vu non 
plus de combats entre le cétacé qui nous occupe et 
les espadons et les scies. Qui plus que lui cepen- 
dant, après un si long séjour au milieu des mers po- 
laires, pouvoit nous fournir à ce sujet des détails 
plus précis? On a donc beaucoup exagéré ces inimitiés. 

Les squales toutefois, sans être très redoutables, 
à cause de leur petite taille, s'efforcent de déchirer 
quelques lambeaux de chair, et l’on rencontre sou- 
vent des baleines dont la queue est couverte de ci- 
catrices qui proviennent de ces morsures. Vivantes 
elles doivent aisément triompher ou repousser un 
tel ennemi, et l’on doit croire qu’il ne se repaît que 
du cadavre de celles qui ont expiré. 

Si les Européens retirent de la baleine d'immenses 
produits, les peuplades qui vivent sous le ciel ri- 
goureux des régions arctiques lui empruntent la base 
de leur existence , et trouvent en elle les provisions 
nourricières qui leur font supporter gaiement dans 
leurs vourtes souterraines Ja rigueur de leurs hivers 
de six mois et des longues nuits que dissipent à 
peine les aurores boréales. Aussi la chair de baleine, 
dont tout Européen ne pourroit se nourrir sans un 
invincible dégoût, est considérée par tous les habi- 
tants des côtes septentrionales de l’Europe, de l’Asie 
et de l'Amérique, et par ceux qui vivent sur les 
bords du détroit de Davis et de la baie d'Hudson, 
comme une substance délicate et savoureuse. Les 
Esquimaux ne connoissent point d’aliment plus flat- 
teur, de mets plus exquis, que cette chair noire, 


e 


DES MAMMIFÉRES. 


huileuse et coriace; et l'huile, qu’ils boivent avec 
délices , leur paroit être ce que le ciel à fait de plus 
séduisant pour leur friandise. Ce breuvage est ren- 
fermé dans des vessies qu’ils portent avec eux, soit 
qu’ils aillent à la pêche, soit qu'ils aillent à ja chasse, 
et de temps à autre ils visitent ce vase avec le même 
plaisir qu’un buveur décidé d'Europe éprouve à vider 
sa bouteille. [ls aiment encore la peau de baleine 
crue, des vieux individus comme des jeunes, sur- 
tout lorsqu'elle présente des portions de tissu cellu- 
Jaire : ils la coupent par lanières ; et les femmes qui 
vont au travail donnent à leurs enfants attachés sur 
leur dos, suivant la coutume de ces tribus, pour 
les apaiser lorsqu'ils pleurent, et en place de sucre- 
ries, des morceaux de ces lanières que ceux-ci sucent 
et dévorent avec joie. M. Scoresbv rapporte que la 
chair de baleine est très mangeable lorsqu'elle est 
cuite avec dusel et du vinaigre ; que bouillie ou rôtie 
elle n’est point à rejeter : mais il n’a jamais goûté 
que celle des jeunes individus, qu’il dit être bien 
préférable. 

S'il falloit s’en rapporter à l'opinion émise par 
M. Noël de La Morinière dans son Mémoire sur 
l'antiquité de la péche de la baleine par les nations 
européennes, on auroit fait dans les X1I°, XIHHI°, XIV 
et xv° siècles une grande consommation de viande de 
baleine chez les Islandois, les Hollandois , les Fran- 
cois, les Espagnols, et probablement les Anglois. 
Il dit qu’au x1ue siècle on vendoit particulièrement 
la chair et surtout la langue de baleine dans les mar- 
chés de Bayonne et de Biariz, et qu’on les servoit 
sur les meilleures tables. Que les peuples du Nord, 
dont l’estomac est accoutumé aux substances rances 
et huileuses ; que les Islandois, qui font du pain 
avec l’écorce de sapin, aient mangé et mangent 
encore de la chair de baleine, nous le concevons 
sans peine; mais que l’on en ait fait un grandusage 
dans l’Europe tempérée, malgré la grossièreté du 
goût des habitants d'alors, c’est ce que nous ne pou- 
vons admettre. Il est probable que les dauphins et 
les marsouins ont servi d'aliments aux habitants 
riverains, dans ces siècles d’abrutissement du goût 
dans tous les genres : et Rondelet, cité dans cet 
ouvrage, nous offre son témoignage; mais quant 
à la baleine, il n’est pas probable qu’on en ait beau- 
coup mangé dans aucun temps. 

Ce n’est point sous l’unique rapport de la nour- 
riture que les peuplades de la race esquimau esti- 
ment la baleine , elle fournit encore à la plupart de 
leurs besoins : la membrane péritonéale, mince, 
transparente , sert à faire des vitres pour leurs hut- 
tes d'été; dans les parois des intestins ils taillent 
leurs tuniques, dont ils cousent les coutures avec 
des filaments tendineux tirés de la queue ; avec les 
os ils façconnent des harpons ou des lances pour la 
chasse des phoques et des grands oiseaux de mer, 


667 


et se servent des côtes pour les piquets ou les étaies 
de leurs demeures ; les tendons donnent des cordes 
et du fil; et les fanons, si précieux par leur force 
et leur souplesse, sont aussi utilisés. 

Les matières que le commerce et les arts euro- 
péens préfèrent dans les baleines sont donc les fanons 
et l'huile; on à aussi proposé d'employer en teinture 
les excréments, qui sont d’un rouge vif; mais nous 
ne savons passi on en a fait quelques essais un peu en 
grand à ce sujet, et jusqu’à quel point ce procédé 
pourroit être employé : tout ce que nous pouvons 
dire, c’est que la défécation de la baleine se fait par 
masses énormes, liquides, très fétides, et qui tei- 
gnent une vaste surface de mer en beau rouge. 

Les fanons, connus en Europe sous le nom de 
baleine, travaillés par les mains habiles d'ouvriers 
industrieux , servent à faire ces ombrelles, ces pa- 
rapluies si utiles par la variation du climat des con- 
trées tempérées ; par leur élasticité et le noir brillant 
qu’ils prennent, on s’en sert pour faire des cannes 
souples et en même temps solides ; des verges pour 
les sacristains et pour les massiers des facultés ; des 
corsets enfin, destinés par le caprice des modes à 
déformer et faner de bonne heure les charmes les 
plus séduisants de la femme. Ces fanons tirés du 
palais de la baleine demandent quelques prépara- 
tions , dont l'Histoire des pêches des Hollandoïis(1) 
donne la description et que nous rapporterons briè- 
vement. 

La matière gélatineuse qui soude entre elles les 
lames minces des fanons prend plus de consistance 
et de ténacité après la mort de l’animal ; de sorte que 
la réunion des fanons ne forme plus qu’une seule 
masse, que les baleiniers grattent et nettoient dans 
son état de fraicheur pour la débarrasser des gen- 
cives et des chairs qui pourroient y adhérer ; on la 
sépare par lames minces, au moyen d’un coin pro- 
pre à cette opération; on coupe les barbes eflilées 
avec une herminette, et on les fend en morceaux de 
grosseur convenable que l’on fait sécher isolément 
afin que l'air les débarrasse des mucosités et autres 
matières putrescibles qui les feroient se gâter ; ces 
morceaux, avant d’être placés à l’air, sont lavés, 
raclés, frottés avec une brosse, et ne sont renfermés 
dans un lieu sec qu'après avoir subi ces diverses pré- 
parations. Lorsqu’on les a mis en bottes sans les avoir 
préalablement débarrassés des chairs, il convient, 
au moment où on veut s’en occuper, de les ramollir 
dans l’eau tiède, et souvent avec de l'huile, pour 
leur redonner de la souplesse et les sécher ensuite 
comme il a été dit précédemment. 

L'huile de baleine , qui contient au milieu de ses 
principes constituants une assez forte proportion de 
cétine ou plutôt de phocénine, est de première né 


(') Page 134, tome. 


668 


® cessité dans la plupart des arts. Ceux en effet qui 
‘ emploient les corps gras huileux en font une con- 
- sommation énorme, et qui s’aceroit chaque jour Ce 


seroit outrepasser les bornes que nous devons nous 
imposer par la nature de cet ouvrage que de recher- 
cher les quantités de cette matière utilisées par les 
manufactures et par les arts, les gains qui en résul- 
tent pour les pêcheurs, déduction faite des frais d’ar- 
mement et des droits perçus par les gouverne- 
ments, etc., etc.; envisagée sous ce rapport, la 
pêche de la baleine n'appartient plus à l’histoire 
paturelle, c’est ‘une branche de i’économie politi- 
“que, une des ressources les plus fécondes de la puis- 
sance des Etats : c’est, en un mot, à la statistique 
commerciale à présenter le tableau des immenses 
avantages de cette industrie, malheureusement trop 
négligée en France. 

On a beaucoup discuté pour savoir quels peuples 
s’étoient livrés les premiers à la pêche de la baleine, 
dans l'océan Atlantique d'Europe et dans le Nord (!). 
L'opinion générale a, jusqu’à présent, reconnu les 
Basques pour les plus anciens des Européens qui 
aient pratiqué en grand cette pêche; et tous les do- 
cuments écrits confirment ce point d’histoire. Cer- 
tes, si l’on veut chercher philosophiquement à quelle 
époque, et par qui cette chasse a été faite, on sera 
forcé, par le manque de lumières, de s’en rapporter 
à des comparaisons, en concluant, par ce que l’on 
voit aujo:rd'hui, que les peuplades boréales, sur 
les rivages desquelles les baleines ont toujours été 
abondantes , ont les premières cherché à s'emparer 
des cétacés, et que les Islandois, les Norwégiens, 
de même que les anciens Normands, habitués à 
tirer de la mer leurs principales ressources, sont, 
dans le sens rigoureux du mot, les plus anciens 
baleinicrs, ou que du moins on doit le supposer; 
toujours est-il que les Basques maritimes, apparte- 
nant à une race d'hommes agile, adroite à tous les 
exercices du corps, courageuse jusqu’à la témérité , 
sont les premiers qui osèrent poursuivre le baleine 
d’une manière permanente, et en régulariser la 
pêche : du moins les plus anciennes chartes, les his- 
toires des pêches écrites même par des étrangers, 
s'expriment formellement en ce sens. Tout autorise 
à penser cependant que les Basques débutèrent 
d’abord par prendre dans des filets les marsouins 
abondant sur leurs côtes , et à harponner le rorqual, 
qui s’y présente fréquemment. Peut-être enfin les 
baleines franches , qu’on ne voit plus dans nos mers 
tempérées, y étoient-elles communes autrefois, et 
ne se sont-elles réfugiées dans le Nord qu’à la suite 
des chasses non interrompues dontelles ont été l’ob- 
jet. Cette explication est tellement probable que les 


() Consultez l'excellent mémoire de M. Noël de La Mo- 
tiniére, sur l'antiquité de la pêche de la baleine, 


HISTOIRE NATURELLE 


pêcheurs savent fort bien, par le récit de ceux qui 
parurent anciennement dans les mers arctiques, 
que, d’abord très communes au cap Nord et sur les 
côtes du Groenland méridional , elles se sont suc- 
cessivement enfoncées au milieu des îles flottantes 
de glace : cette habitude du harpon est d'ailleurs 
propre à tous les peuples qui vivent sur les bords de 
la mer, et qui, étrangers à l’agriculture, en tirent 
leur subsistance. La plupart des insulaires de la mer 
du Sud harponnent les poissons ; et leur adresse est 
telle et leur coup d'œil si sûr, que rarement ils man- 
quent l'animal qui nage à quelques pieds sous la 
surface de l’eau. Les Nègres de la Nouvelle-Guinée, 
ces Papous à chevelure ébouriffée , excellent surtout 
à cet exercice, que nous leur avons vu pratiquer 
mille fois. On ne doit donc pas trouver étonnant 
que, à une époque où l’adresse des mains rempla- 
coit la puissance que procurent les machines ingé- 
nieuses inventées depuis, on se soit servi du har- 
pon : cette arme a une forme primitive qui a dû se 
présenter dès les temps les plus reculés, bien que 
les Basques, suivant les documents historiques, 
soient censés en avoir introduit l’usage vers 1550. 
Cependant , dès 890, on trouve dans le voyage d’AI- 
fred-le-Grand (1), écrit par Ohthère, une description 
assez positive des pêcheries du Nord, où les Bas- 
ques ne se seroient avancés qu’en 1575 d’après les 
historiens. Langebek, auteur danois, affirme que 
des pêcheries existoient dans le Nord au 1x° siècle (?), 
et M. Noël a découvert dans quelques vieux ouvra- 
ges mystiques que des établissements de pêche exi- 
stoient sur les côtes de France vers 875. Les preu- 
ves historiques abondent pour prouver que l’on 
harponnoit les cétacés en 4145, 1519, etc. Le titre 
le plus ancien que les Anglois aient, pour prouver 
que leurs ancêtres s’étoient livrés à cette pêche, ne 
remonte point au-delà de 4524. 

Les Basques, long-temps réduits à ne poursuivre 
que le rorqual , entrainés petit à petit dans les mers 
plus septentrionales, s’adonnèrent bientôt à la pêche 
dela baleine franche (3), où ils furentlong-temps sans 
concurrents. À cette époque aussi l’huile étoit moins 
estimée, et les chairs étoient préférées. Mais, soit 
que les fanons du rorqual fussent trop courts, soit 
que ceux de la baleine franche fussent peu communs, 
toujours est-il qu’en 1202 on citoit comme une 
grande rareté le panache de fanons de baleine qui 
ombrageoit le casque du comte de Boulogne à la 
bataille de Bovines. 

(‘) Collection des voyages d'Hackluyt, t. I, p. 4. 

(2) Hist. med. rer. dan., t. H, p. 108. 

(3, Cenom de baleine a été aussi donné aux marsouins; 
une ordonnance de Louis dit le Hutin, en 1315, impose 
sept sous sur chaque cent de baleines transportées à 
Paris par la Scine : or, en bonne conscience, ce ne pou- 
voit être que des marsouins, et encore peut-être, et 
plus probablement des chiens de mer ou squales, 


DES MAMMIFÈRES. 


Les Hollandois débutèrent dans cette carrière 
lucrativeen 1612; le génie patient, économe, de ce 
peuple trafiquant par excellence . donna bientôt une 
rapide extension à cette branche de revenu : mais 
les Hollandois, froids et apathiques, ne s’improvi- 
sèrent point pêcheurs habiles ; et il leur fallut recou- 
rir aux Basques, qu’ils mirent d'abord à leur solde 
pour mieux apprendre à les expulser. Les Angl is 
s’éloient montrés dans ces mersarctiques dès 1608 (1) : 
ils vouloient chasser les Hollandois en pleine paix ; 
de ce qu’ils appeloient leurs possessions ; et l’on vit 
des peuples, rivaux de commerce, se rendre au pôle 
pour s’y entre-détruire : de là naquirent les hostili- 
tés de 1617. Cependant dès 1597, d’autres disent 
en 16i1,les Moscovites formèrent une compagnie 
pour la pêche de la baleine sur les côtes du Spitz- 
berg, et à la même époque les Espagnols parurent 
dans ces mers. Les profits retirés de la pêche de la 
baleine fixérent l’attention des peuples voisins. Cha- 
cun voulut y prendre part; et vers cette époque les 
pêcheurs se virent contraints par leur intérêt réci- 
proque de se partager cette mer et de s'imposer des 
limites. Plus défavorisée que les autres puissances, 
la France n’expédia qu’un petit nombre de navires 
baleiniers pour prendre part à cette riche mine d’or, 
encore leur fallut-il pendant long-temps payer aux 
Anglois un honteux tribut de neuf baleines afin de 
ne pas être privés du droit de pêcher dans les baies 
qu'ils s’étoiént appropriées. La Hollande , au milieu 
des débats et des vicissitudes que la rivalité amène 
parmi les nations maritimes , consolida sa puissance 
et bâtit la factorerie de Smeeremberg, qui subsista 
jusqu’au moment où le théâtre des pêches fut changé 
par suite de l'éloignement des cétacés au milieu des 
glaces, et dans umintervalle de dix années, de 1660 
à 1670. Cette pêcherie futabandonnée de 4672 à 16914, 
par suite de la guerre avec les Anglois. 

L'année 1657 fut célèbre parmi les pêcheurs par 
la grande quantité de baleines qui y furent prises. 
Les mémoires du temps en font laépartition sui- 
vante: les Hollandois eurent en agun pa vi- 
res chargés de douze cent cinquante-deux baleines ; 
les Hambourgeois, cinquante-quatre bâtiments et 
cinq cent quinze cétacés ; cent dix-neuf à bord de 
quinz: Brêmois, Un seul bâtiment n’y eut point de 
succès. Cent quatre-vingt-onze navires ont donc 
détruit, dans une seule année, dix-huit cent quatre- 
vingt-huit baleines ! De 1715 à 4721 on a importé à 
Loudres seulement, et année commune, cent cin- 
quante tonneaux de fanons, dans le prix moyen de 
quatre cents livres le tonneau ; o1 estime la quantité 
qui est entrée dans les autres ports de l'empire bri- 
tannique à plus de cent tonneaux, dont la valeur 
peut être estimée à cent mille livres. Ce n’est guère 


() M, Scoresby dit 1594 et 1598, 


669: 


qu’en 1719 que les balciniers s’avancèrent dans le 
détroit de Davis, et en 1721 on compta jusqu’à trois 
cent soixante-cinq voiles qui y complétèrent leur 
chargement. En 1756 cent quatre-vingt-onze navires 
hollandois y harponnèrent huit cent cinquante-sépt 
baleines; en 4771 cent vingt-un baleiniers de Ja 
même nation s’emparèérent de cinq cents baleines, 
qui produisirent quatorze mille trois cent vingt 
barils d’huile.En 1772on c ercha à introduire l'usage 
d’une arme à feu lançant un harpon ; mais quoique 
diverses modifications aient été apportées à cet instru- 
ment, on ne s’en est guère jamais servi que sous 
forme d’essai , et l’on n’a point discontinué l'usage 
du harpon primitif, dont on a perfectionné la forme... 
Enfin, pour avoir une idée de l’importance de la 
pêche de la baleine, il nous suflira de citer le bill 
présenté en 1786 à la chambre des communes, par 
lequel on avoit accordé, de 1755 à 4785, un million 
soixante-quatre mille deux cent soixante-douze 
livres dix-huit shellings à titre seul dx nCourage- 
ment : deux cent cinquante navires sortirent des ports 
d'Angleterre en 1788. 


A ces faits nous croyons devoir borner le simple 
aperçu que cet ouvrage comporte. L'histoire de la 
pêche de la baleine a d’ailleurs été traitée ex pro- 
fesse par des auteurs de diverses nations, et notam- 
ment d’une manière claire et succincte par M. Sco- 
resby dans le deuxième volume de sa Description 
des Régions arctiques. 

Par les mêmes motifs nous ne devons pas nous 
appesantir sur la nature des armements, l’approvi- 
sionnement des vaisseaux , les intérêts des armateurs 
et des équipages, et le résultat commercial des pro- 
duits : les procédés suivis pour harponner la baleine 
sont à peu près ceux que nous avons décrits en par- 
lant des cachalots ; nous les croyons suffisants pour 
donner une idée de la manière dont on poursuit et 
dépèce les b leines ; et nous dirons seulement que 
ces expédiuons ne différent de celles de la mer du 
Sud que parce que leur durée n'excède jamais une 
année, et que le lard est apporté en nature dans les 
ports d'armement pour y être fondu (1). 

La pêche de la baleine n’est pas sans danger : cet 
animal, en cherchant un abri au milieu des glaces 
flottantes qui se détachent du pôle et dans des cinaux 
étroits, a rendu périlleuse la navigation des vais- 
seaux qui le poursuivent. Peu d'années s’écoulent 
sans que des naufrages désastreux ne viennent trom- 
per l'espoir de quelques armateurs et porter la dé- 
solation au sein des familles des marins qui les mon- 
tent. Nos journaux ont retenti cent fois du récit de 
bâtiments perdus sur les glaces, dont les équipages 


(‘) Quinze mille huit cent neuf tonneaux d’huile fu- 
rent introduits en Angleterre en 1787; ils proyenoient 
de la pêche annuelle des nationaux seuls, 


670 


ont été abandonnés aux angoissés d’une situation 
horrible, sans nourriture , sans moyens de défense, 
et n’espérant pas se préserver d’une lente agonie ou 
de la dent cruelle du terrible ours polaire , l’animal 
le plus féroce et le plus redoutable de ces tristes 
régions. Parfois encore, lorsque les baleinieres se 
sont trop approchées du cétacé qu’elle veulent at- 
teindre, il arrive que l’animal, incertain dans sa 
fuite et battant la mer de sa large nageoire caudale, 
brise comme un verre la légère embarcation qui se 
trouve sous ses coups, et jette au loin les hommes 
qui la montoient. 

Nous venons de présenter à nos lecteurs le ta- 
bleau des ressources fournies à l'espèce humaine par 
l'animal le plus puissant de la mer (!); nous l’avons 


(‘) La baleine de la mer du Sud, nommée finner par 
les baleiniers, est le rorqual du sud ; mais nous ignorons 
complétement quelle peut être leur sulphur-bottom, 
aussi de l'hémisphère austral, à corps trés gréle, trés 


HISTOIRE NATURELLE DES MAMMIFÈRES. 


vu, objet de l’ardente soif du gain de la plupart des 
peuples maritimes, se réfugier aux dernières limites 
du pôle sans pouvoir y trouver un abri. Quelle étoit 
donc la quantité énorme de ces cétacés, pour pou- 
voir fournir à la consommation qui s’en fait depuis 
tant d'années? Quel spectacle la baleine doit offrir 
dans ces froides contrées, près des montagnes de 
glace qui reflètent au loin les rayons obliques du 
soleil, près des côtes nues du Groenland, sans cesse 
revêtues d’écharpes de neige, et au milieu des bancs 
de glace sur lesquels voyage l’ours polaire ou le loup 
affamé , tandis que de voraces oiseaux maritimes se 
disputent les moindres parcelles des cadavres des 
animaux qui ont été faconnés pour vivre dans ces 
âpres climats! 


long, et qui nage trés rapidement : son tissu cellulaire 
n’a guére que six pouces d'épaisseur ; les fanons n’ont 
jamais plus de dix-huit à vingt-quatre pouces de lon- 
gueur. 


k FIN DU TOME PREMIER. 


4: 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES DANS LE TOME PREMIER, 


AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR , P. 1. 


LIVRE L.— CONSIDÉR ATIONS GÉNÉ- 
RALES sur les variétés de l'espèce 
humaine qui habitent l'Océanie, la 
Polynésie et l'Australie, 3. — Objet 
de ce livre, ibid.—Description phy- 
sique et circonscription du Grand- 
Océan, ibid. — Rameaux des races 
humaines qui en peuplent les di- 
verses iles, ibid. — Constitution 
géologique, 4. — Iles coralligènes, 
5.— Végétation, 7, — Zoologie, 9. 
— Mammifères, ibid. — Reptiles, 
40 — Oiseaux, 11.— Poissons, 12 
— Mollusques, ibid.— Insectes, 143 
RACES HUMAINES, 13.— Malais, 15. 
— Océaniens, 148 — Carolins ou 
Mongols-Pélagiens , 26.— Papouas 
ou Papous, 32. —Tasmaniens , 38. 
— Alfourous- Endamènes, 39. — 
Australiens, 4#0.— Détails anato- 
miques relatifs aux crânes de quel- 
ques uns des peuples dont il est 
question dans le livre précédent, 
43.— Tableau comparatif des pro- 
portions que présentent ces crà- 
nes, #4.— Dimensions de quelques 
uns des naturels cités, ibid. 


LIVRE I. — MÉMOIRES DIVERS sur 
plusieurs variétés des races humai- 
nes , 45. 

$ I. Des Araucanos ou Arau- 
cans, ibid. 

$ I. Des Patagons, #48. 

$ II. Des Esquimaux, 51. 

$ IV. Des Péruviens , 53. 

$ V. Ds Pomotous , 55. 

$ VI. Des O-Taïtiens, 97. 
75 VIT. Des Nouveaux-Zélandois , 

$ VIII. Des Rotoumaiens , 89. 

Ç IX. Des Carolins ou Mongols- 
Pélagiens , 93. — 1. Naturels de 
l'archipel Gilbert, 94.— 2. Naturels 
de l’île Sydenham , 95. — 3. Natu- 
rels de l'ile Henderville, ibid. — #. 
Naturels de l’île de Woodle , 96. — 
5. Naturels de l’île d'Oualan, ibid. 
— 6. Naturels desiles Mac-Askill, 
1406.— 7. Naturels des îles Dupe- 
ney, 1407. — 8. Naturels des îles 
Hogolous , 108. — 9. Naturels des 
îles Tamatan , ibid. — 10, Naturels 
de l’île Satahoual , 109. 

RACES NOIRES répandues sur les 

îles de la Polynésie et de l’Austra- 

lie, 409. 

$ I. Habitants de l'île de Wai- 
giou , 409.— Idées générales sur 
l'île Waigiou, 410. — Influence de 


“ 


l'atmosphère, ibid. — Géologie ,| 


ibid. — Végétation, 411.— Rèzne 
animal, ibid. — Mammifères, 1bid 
— Oiseaux, 412. — Reptiles, ibid. 
— Poissons, ibid — Mollusques, 
1413.— Crustacés, ibid. — Races 
humaines, ibid. et suiv. 

SIL. Habitants du Port-Praslin de 
la Nouvelle-Irlande, 120.— Aperçu 
sur la position géographique du 
Port-Praslin, ibid.— Circonstances 
atmosphériques, 121. — Aspect du 
pays , ibid. — Végétation, 122. — 
Zoophytes, 123. — Mammifères , 
1424 — Oiseaux , 125. — Reptiles, 
126. — Poissons, ibid. — Crusla- 
cés,ibid.—Mollusques, ibid. —Z00- 
phytes (nouvelle indication des ), 
1427.— Peuples qui vivent sur celte 
terre, ibid. — Naturels de l'ile 
d'York, 1436. — Naturels de l'île 
Bouca , ibid. 

$ HE. Habitants de la Nouvelle- 
Guinée, 137.— Idées générales sur 
la Nouvelle-Guinée , ibid. — Végé- 
tation, 138.— Productions usuelles 
du sol, 439. — Règne animal, 140. 
— Oiseaux , 4#1.— Poissons, ibid. 
— Des Papous ou Papouas, ibid. 


TABLEAU PHYSIQUE de la Nouvelle- 


Hollande, 149. 


LIVRE II. — CONSIDÉRATIONS GÉ- 


NÉRALES sur les mammifères ob- 
servés dans l'Océanie et la Polyné- 
sie, 497. 


LIVRE IV. — LES MAMMIFÈRES 


QUADRUMANES , 164. 


LES SINGES , 172. 
LES ORANGS , 472.— L'Orang chim- 


panzé, 176. — Le Chimpanzé à coc- 
eix blanc, 1481. — L'Orang-Outan, 
182, 


LES GIBBONS, 202.— Le Gibbon Sia- 


mang, 204.—Le Gibbon aux mains 
blanches, 207.—Le Gibbon cendré, 
ou Moloch , 209 — Le Gibbon va- 
rié, 210.— Le Gibbon Ounko, 212. 


— Le Gibbon Holoch, 214. 


LES SEMNOPITHÈQUES , 216. — Le 
. Semnopithèque doux. 217. — Le|, 


Semnopithèque entelle, ibid. — 
Le Semnopithèque Cimepaye, ou 
Simpaï, 218.— Le Semnopithèque 
Croo, ou Lotang.219.— Le Semno- 
pithèque Pyrrhus , 220. — Le Sem- 
nopithéque Kræ, 221 — Le Semno- 
pithèque à eroupion blanc, ibid. — 
Le Semnopithèque maure, ou Thin- 
cou, 222, — Le Semnopithèque 
Kahau, ou Nasique, 223, — Le Sem- 


nopithèque aux mains jaunes, 224. 
— Le Semnopithéque à capuchon, 
295.— Le Semnopithèque à four- 
rure , ibid. 

LES SEMNOPITHÈQUES NESTOR et 
BICOLORE , 226. 

LES COLOBES , ibid. — Le Colobe à 
camail, 227. — Le Colobe ferrugi- 
neux , ibid. 

LES GUENOYS, 298.—La Guenon 
Mone , 229. — La Guenon Diane, 
9230.— La Guenon Hocheur, ibid, 
— La Guenon Ascägne, ou Blanc 
nez , 231. — La Guenon Moustac, 
9392,— La Guenon Talapoin, ou Me- 
larhine, ibid. — La Guenon Calli- 
triche , ibid. — La Guenon grivet, 
233. — La Guenon vervet, 234. — 
La Guenon Malbrouk , ibid. — La 
Guenon Patas, 235.— La Guenon 
Maogabey à collier, 236.— La Gue- 
non Mangabey, ibid. — Le Nisnas, 
937.— La Guenon Atys, ibid. 

LES MACAQUES , 238. — Les Maca- 
ques Cérocèbes,239.— Le Macaque 
à face rouge , ibid. — Le Macaque 
bonnet chinois, 240. — Le Maca- 
que toque, ibid. — Le Macaque or- 
dinaire, 241.— Le Macaque à face 
noire, 24%. — Le Macaque roux do- 
ré ,ibid. — Le Macaque ursin, ibid, 

LES OUANDEROUS, 245.— Le Ma- 
caque ouanderou, ibid. 

LES RHÉSUS, ou MAIMONS , 246. — 
Le Macaque Rhésns, 247. — Le Ma- 
caque Raimon, 249. — Le Macaque 
libidineux, 250.— Le Macaque à 
face rouge, 251.— Le Macaque de 
l'Inde , ibid, — Le Gelada d’Abvssi- 
nie , 2592, 

LES MAGOTS , 252, — Le Macaque 
magot, ibid. 

LES CYNOCÉPHALES , 254.— Le Cy- 
nocéphale babouin, 255. — Le Cy- 
nocéphale anubis, ibid.— Le Cyno- 
céphale papion, 256.— Le Cynocé- 
phale porc, ou Chacma , ibid. — Le 
Cynocéphale tartarin, 257. — Le 
Mandrill, 258. — Le Drill , 259. — 
Le Cynocéphale de Wagler, 260. 

LES SAPAJOUS,, ou LES HÉLOPITHÉ- 
QUES , 260. 

$ L Sapajous à queue nue et cal- 
leuse , 261. 

LES HURLEURS, ou ALOUATES, 262. 
— L'Alouate, 264. — Le Hurleur à 
queue dorée, ibid.—L'Ourson, 265. 
— Le Hurleur brun, ibid — Le Hur- 
leur aux mains rousses , ibid. — Le 
Hurleur à queue noire et jaune, 
266. — Le Hurleur noir, ibid, 


672 


LES ATÈLES. 266. — Le Coaita,268.| LES LÉMURIENS, 293. — L'Indri à 


— Le Chamek, 269. — Le Cayou, 
ibid. — L'A'éle à face encadrée, 
ibid. — Le Belzébuth , ibid. — L'A- 
tèle mélanochéire , ibid. — L’'Atête 
métis, ibid. — L'Atèle frontal, ibid. 


LES ERIODES , 270. — L'Eriode hé- 


midaetyle, 272.— L'Eriode à tu 
bercules, ibid. — L'Eriode arach- 
noïde , ibid. 


LES LAGOTHRICHES,, 272.— Le La- 


LES SAGOUINS, ou GÉOPITHÈQUES, 


gotriche de Humholdt,273 —Le 
Grison, ibid. — Le Lagolriche en- 
fumé , ibid. 

GIE Sapajous à queue entiérement 
velue, 273. — Les Saious on Sapa- 
jous proprement dits, ibid. — Le 
Sajou brun, 275.— Le Sajon ro- 
buste, ibid. — Le Sajou lascif, ibid. 
— Le Sajou cornu, ibid. — Le Sajou 
à toupet , ibid. — Le Sajou trem- 
bleur, 276. — Le Sajou coiffé, 1bid. 
— Le Sajou à capuchon, ibid — Le 
Sajou barbu, ibid. — Le Sajou né- 
gre, ibid. — Le Sajou maigre, ibid. 
— Le Sajou à grosse tête, ibid — 
Le Sajou lunulé, ibid. — Le Sajou 
à poitrine jaune, 277. — Le Sajou 
à tête fauve, ibid.— Le Sajou fauve, 
ibid.— Le Sajou à front blanc, ibid 
— Le Sajou varié, ibid. — Le Saï, 
ibid. — Le Sajuu à gorge blanche, 
RS — Le Sajou aux pieds dorés, 
ibld, 


278. 

SI, Les Callitriches, 278. — Le 
Saïmiri, 279. — Le Sagouin ento- 
mophage, 280. — Le Sagouin à 
masque, ibid.— Le Sigouin veuve, 
ibid — Le Sagouin à fraise, ibid. 
— Le Sagouin à collier, ibid. — Le 
Sagouin moloch, 281. — Le Sa- 
gouin aux mains noires, ibid. — Le 
Sagouin des Bambous, ibid. — Le 
Sagouin mitré, ibid. 

SIL. Les Nyctipithèques, 281. — 
Le Nyctipithèque à face de chat, 
982.— Le Nyctipithèque hurleur. 
ibid. — Le Douroucouli , ibid. 

S II. Les Sakis, 283. — Le Saki 
à ventre roux, ibid. — L'Yarqué, 
984.— Le Saki moine, ibid. — Le 
Saki à tête jaune , ibid. — Le Saki à 
moustaches rouges, ibid. — Le Mi- 
riquouine , ibid. 

& IV. Les Brachyures, 928%. — Le 
Couxio, 285.— Le Capucin, ibid.— 
Le Cacajao, ibid. 


LES OUISTITIS, 286. — L'Ouistiti 


+ 


vulgaire, 288. — L'Ouistili à pin- 
ceau, ibid. — L'Ouistiti à tête 
blanche, 289.—L'Ouistitioreillard, 
ibid. — L'Ouistiti à camail, ibid — 
L'Ouistitimélanure, ibid —L'Ouis- 
titi mico, 490.— Le Tamarin aux 
mains rouges, ou Tamarin ordi- 
paire, ibid. — Le Tamarin nègre, 
ibid. — Le Tamarin labié, 291. — 
Le Tamarin chrysomele, ibid. — 
Le Tamarin à front blanc, ibid. — 
Le Marikina, ibid. — Le Léoneito, 
992, — Le Tamarin pinche, 293. 


— Le Tamarin aux fesses dorées , 


ibid. 


LES AVAHIS, 294. —Le Maki rouge, 


LES CHÉIROPTÈRES, 300. 
LES GALEOPITHÈQUES, ibid. 
LIVRE Y. — LES CHÉIROPTÈRES. 


L:S ROUSSETTES , ibid. — La Rous- 


LES ACÉRODONS, 307. 
LES PACHYSOMES, ibid. — Le Pa- 


LES CYNOPTÈRES , 308. 
LES MACROGLOSSES, ibid. 
LES HARPIES , 309. 

LES HYPODERMES , ou VRAIES 


TABLE 


courte queue, ibid. 


ibid. — Le Maki noir, 295. — Le 
Maki aux pieds blancs, ibid. — Le 
Maki à fraise, ibid. — Le Maki à 
front blanc. ibid. — Le Maki à 
frontnoir, 296.— Le Maki à front 
roux, ibid.—Le Nyclicèbe de Java, 
ibid. — Le Nycticébe de Ceylan, 
ibid.— Le Microcébe roux, 297. — 
Le Pérodicticus de Geoffroy, ibid. 
— Le Propithéque à diadème, 298. 
— Le grand Galago ou à queue 
touffue, ibid. — Le petit Galago ou 
Galago de Demidoff, ibid. — Le 
Galago du Sénégal, 299. 


LES TARSIERS. 299. — Le Tarsier 


aux mains brunes, ibid. — Le 
Tarsier de Pallas, ibid. 


302. 


sette d'Edwards, ibid. — La Rou- 
chelte Leschenault, 303. — La 
Bousselte Dussumier, ibid. — La 
Roussette intermédiaire, ibid. — 
La Rousselte de Leach, ibid. — La 
Roussette de Geoffroy, 30%. — La 
Roussette de Bonin, ibid. — La 
Roussette à face noir, ibid. — La 
Roussette Kaloa , ibid. — La Rous- 
sette masquée, ibid.—La Rousselte 
pâle , ibid. — La Roussette gri-e, 
305. — La Roussette paillée, ibid. 
— Roussette amplexicaude , ibid. 
__ La Rousselte Edule, ibid. — La 
Roussette de Keraudren, ibid. — 
La Roussetle de Tonga, ibid. — La 
Roussetle de Vanikoro, 306. — La 
Roussette de manille, ibid. — La 
Roussette laineuse, ibid — La 
Rousselte à tête cendrée, ibid.—La 
Roussette hottentote , ibid. 


chysome mélanocéphale, 307 — 
Le Pachysome mammifêre, ibid.— 
Le Pachysome de Diard, ibid. —Le 
Pachysome de Duvaucel, 368. — 
Le Pachysome à courie queue, 
ibid. 


CEPHALOTES, ibid. 


LES VESPERTILIONS, 310. — Le 


Vespertilior de Bechsten, ibid. — 


Le Vespertilion de Natterer, ibid. 


— Le Vespertilion roussâtre , ibid. 
—Le Vespertilion faux marin, ibid. 
— Le Vespertilion de Wied, 311.— 
Le Vespertilion d'Oken, ibid. — Le 
Vespertilion ferrugineux , ibid. — 
Le Vespertilion de Schinz ibid. 
— Le Vespertilion de Leisler, ihid. 
— Le Vespertilion de Sereber, 


ibid — Le Vespertilion discolore, 
ibid. — Le Vespertilion pygmée, 
312. — Le Vespertilion échan- 


sw 
» 
Wa 4 
* 

cré, ibid. — Le Vespertilion à 
moustaches, ibid. — Le Vesperti- 
lion Dasycnéme , ibid — Le 
Vespertilion de Kuhi, ibid. — Le 
Vespertilion de Daubenton, ibid.— 
Le Verpertilion à collier, 313 — 
Le Vespertilion malais, ibid. — Le 
Vespertilion de Frédérie, ibid. — 
Le Vespertilion javanais, ibid — 
Le Vespertilion imbriqué, ibid. 
— Le Vespertilion inordinaire, 
ibid.—Le Vespertilion d'Harwicke, 
314%. — Le Vespertilion adverse, 
ibid. — Le Vespertilion de Coro- 
mandel, ibid. — Le Vespertilion 
poctuline, ibid. — Le Vespertilion 
de Bourbon ,ibid — Le Vesperti- 
lion du Cap, ibid. — Le Vesper- 
tilion de Temminck, ibid. — Le 
Vespertilion matrginé, 3145. — Le 
Vespertilion grilfon, ibid. — Le 
Vespertilion de Saulnier, ibid. — 
Le Vespertilion de Géorgie, ibid. 
— Le Vespertilion Blondin, ibid.— 
Le Vespertilion Crecks, 316. — Le 
Vespertilion épais, ibid — Le Ves- 
pertilion de la Caroline, ibid. — 
Le Vespertilion subulé, ibid. — Le 
Vespertilion éperonné , ibid. — Le 
Vespertilion moiné.ibid.— Le Ves- 
pertilion à face noire, 317. — Le 
Vespertilion à dos noir, ibid. —Le 
Vespertilion à queue velue, ibid. 
— Le Vespertilion trés velu, ibid. 
— Le Vespertilion rouge , ibid. — 
Le Vespertilion poudré, ibid. — Le 
Vespertilion du Brésil, ibid. — 
Le Vespertilion de Saint-Hilaire, 
ibid — Le Vespertilion Polytrice, 
318. — Le Vespertilion lisse, ibid. 
— Le Vesperlilion de Spix, ibid. — 
Le Vespertilion chien, ibid. — Le 
Vespertilion à ventre blanc, ibid, 
— Le Vespertilion noirâtre, ibid. 
— Le Vespertilion Maximilien, 
ibid. 


LES PROBOSCIDES , 318. 
LES OREILLARDS, 319. — L'Oreil- 


lard cornu — L'Oreillard brévima- 
pe, ibid. — L'Orcillard de Péron, 
ibid.—L'Oreillard voilé, ibid.—L'O- 
reillard leocomèle, 320.— L'Oreil- 
lard de Rafinesque, ibid.— L'Oreil- 
lard de Maugé, ibid. — L'Oreillard 
de Timor, ibid. 


LES FURIES, 320. 
LES NYCTICÉES, 321.— La Nyclicée 


humérale, 322 — La Nyclicée 
marquetée, ibid. — La Nyclicée de 
Temminek , ibid. — La Niclicée 
de Bélanger, ibid. — La Nycticée 
de Say, ibid. — La Nyclicée aux 
ailes bleues, ibid. — La Nyc- 
ticée pruineuse , ibid. — La Nycti- 
cée de Rafinesque, 323. — La 
Nycticée sicilienne , ibid. — La 
Nyclicée à moustaches, ibid. — La 
Nyclicée de Buénos-Ayres, ibid — 
La Nycticée de Pæping, 324.—La 
Nycticée du Chili, ibid. — La Nyc- 
ticée Aluto , ibid. 


LES SCOTOPHILES , 325. 
LES CELOENOS, ibid. 
LES ÆLLOS, ibid. 

LES DIELIDURUS , ibid. 


" 


E TAPHIENS ou les SACCOPTE- 
RIX,326.—Le Taphien à ventre nu, 
ibid. — Le raghien perforé, ibid. 
_. — Le Taphien filet, 327. — Le Ta- 
phien de l’île Maurice, ibid. — Le 


Taphien aux longues mains, ibid. 
LES MYORTÈRES, 327. 


LES DINOPES , ibid. 

LES NYCTINOMES, 328. — Le nyc- 
tinome petit, ibid.—Le Nyctinome 
de Rupel, ibid. 

LES THYROPTÈRES. 329. 

LES CHEIROMÈLES, ibid 


LES MOLOSSES, ibid. — Le Molosse 
doguin , 330. Le Molosse 
Alecto , ibid. — Le Molosse à poil 
ras. ibid. — Le Molosse véloce, 
ibid.—Le Molosse obseur,ibid.—Le 
Molosse noir, 331. -— Le Molosse 
d’Azara, ibid. — Le Molosse à lon- 
gue queue, ibid. — Le Molosse chà- 
tain, ibid. — Le Molosse à large 
queue, ibid. — Le Molosse à grosse 
queue, ibid. — Le Molosse à queue 
pointue, ibid.—Le Molosse Pérolis, 
332.— Le Molosse oursin, ibid. 

LES STENODERMES, 322. 

LES NOCTILIONS, ihid. 

LES NYCTÈRES, 333. — Le nyctère 
de Java, ibid. — Le Nyctère appro- 
chant, ibid. — Le Nyctére de la 
Thébaïde, 334. 

LES RHINOPOMES, 334. — Le Rhi- 
nopome mycrophylle, ibid. — Le 
Rhinopome de la Caroline, ibid. 

LES MORMOOPS, ibid. 

LES MONOPHYLLES, 335. 

LES NYCTOPBYLLES, ibid. 


LES ARTIBÉES, ibid.— L'Artibée de 
la Jamaïque, 336. —L’Artibée du 
Brésil, ibid. 

LES PHYLLOSTOMES,336.—Le Phyl- 
lostome crénelé,336.—Le Phyllos- 
tome rayé, 337.—Le Phyllostome 
à feuille arrondie, ibid — Le Phyl- 
lostome fleur de lys, ibid. — Le 
Phyllostome à aile courte, ibid. — 
Le Phyllostome obscur, ibid. — Le 
Phyllostome à sourcils, ibid. — Le 
Phyllostome à courte queue, ibid. 

LES VAMPIRES, 337. 

LES MADATÉES, 338. 

LES BRACHYPHYLLES, ibid. 

LES GLOSSUPHAGES, 339. 

LES DIPHYLLES, ibid. 

LES MÉGADERMES, ibid. 

LES DESMODES, 340. 

LES RHINOLOPHES, '341.— Le Tri- 
dent, 341.— Le Rhynolophe du 
Cap, ibid. — Le Rhynolophe de 
Geoffroy, ibid. — Le Rhynolophe 
mamelonné, ibid.—Le Rhinolophe 
de Commerson, ibid. — L'Offinis, 
ibid. — Le Petit, 342. — Le Noble, 
ibid. —Le Déguisé, ibid.— Le Vul- 
gaire,ibid.— Le Diadême, ibid, — 
Le Cruménifère , ibid. — Le Rhino- 

+ Jlophe du Deccan, ihid.—Le Rhino- 
lophe tricolore, 343.—Le Rhino- 
lophe à trois pointes, ibid. —Le 

1. 


DES MATIÈRES. 


Luctus,ibid.—LeRhinolophe deuil, 
ibid.— Le Hhinolophe Euryotis, ib. 
— Le Rhinolophe à trois feuilles, 
344.— Le Rhinolophe petit, Ibid. 
— Le Rhinol-phe cornu, ibid. — 
Le Rbinolophe à grande feullle, ib. 


L : 

LIVRE VI. — LES MAMMIFERES 
INSECTIVORES , 344. 

LES MACROSCELIDES, 344. — Le 
Macroscélide Type, 347.— Le Ma- 
croscélide de Rozet, 348. 

LES HÉRISSONS, 356. 

LES TENRECS, 357. 

LES GYMNURES, 358:—Le Gymnure 
de Raffles, 369. 

LES CLADOBATES , ou les Tupaias, 
360. — Le Press, 361.— Le Tara, 
ibid.—Le Bangtring, ibid.—Le Pe- 
gouan , ibid. 

LES MUSARAIGXES.— La Pygmée, 
262. — L'Elrurienne, ibid. — La 
Leucode, ibid. — La Plaron, ibid. 
— La Carrelet, ibid.— La Musette, 
ibid. —La Couronnée, ibid. — La 
d'Aubenton, 363. — L'Amphibie, 
ibid.— La queue en rame.— La Mu- 
saraigne à dents blanches, ibid. 
— La Musaraigne à lignes, ibid. — 
La porte-rame, ibid.— La Musarai 
gne à collier, ibid.—La Musaraigne 
à queue de rat, ibid.— La Grêle, ib, 
— La Gracieuse, ibid. — La Sonne- 
rat, ibid.— La Géante, ibid. — La 
Serpentaire ou Mondjourou, 364 
— La marine, ibid.— La sacrée, ib. 
— La queue épaisse,ibid.—E£a can- 
nelle, ibid. — La blonde, ibid, — 
La Musaraigne des chemins, ibid.— 
— La Capensienne, ibid.— La Suri- 
nam, 365.— La masquée, ibid, — 
La naine, ibid. — La marécageuse, 
ibid. — La Forstérienne, ibid. — La 
courte queue, ibid.— La Peale, ib. 
— La Talpoïde, ibid. 

LES DESMANS, 365. 


LES CONDYLURES, 366.— à longue 
queue, ibid.— à grosse queue, ibid. 
— à pelage vert, ibid. 

LES SCALOPES, 367.— Le Scalope 
du Canada, ibid. — de la Pensylva- 
nie, ibid, 

LES TAUPES, 367. 


LIVRE VII — LES MAMMIFERES 
CARNASSIERS , 367. 


LES OURS, 367. — L'Ours ordinaire, 
368.— L'Ours des Asturies, ibid. 
— L'Ours de Norwége,ibid.— L'Ours 
du mont Liban, ibid.— L'Ours noir, 
ibid. — L'Ours aux grandes lévres, 
ibid. — L'Ours du Thibet, 369. — 
L'Ours isabelle, ibid. — L'Ours ma- 
lais, ibid — L'Ours de Bornéo, 370. 
— L'Ours blanc, ibid. — L'Ours du 
Chili, ibid. — L'Ours noir d'Améri- 
que, ibid. — L'Ours gulaire, ibid, 
— L'Ours d'Europe, variété améri- 
caine, ibid, — L'Ours gris ou terri- 
ble, 371. 

LE RATON D'HERNANDEZ, 371. 

LES BASSARIS, 372, 


657 
LES BENTURONYS, ou LES ICTI- 
DES , 372. 
LES PANDAS, 373. 
LES ARCTONYX, 374. 
LES RIRASOUS ou LES POTTO, 
419. 


LES BLAIREAUX, 375.— Le Blaireau 
du Nord, ibid. — Le Blaireau in- 
dien , ibid. 

LES RATELS, 375. 

LES GLOUTONS , 376. 


LES HÉLICTIS, 376. — L'Hélictis 
musqué, ibid. — Le Glouton orien- 
tal, ibid. 

LES PAGUMA , 376. — Le Paguma 
larvé , 377. — Le Glouton ferrugi- 
neux , ibid. 

LES MYDAUS, 377. 

LES MOUFFETTES, 377. — Le Ma- 
purit, ibid.— La Mouffette du Chili, 
ibid. — L’Atok, 378. — La Mouffet- 
tes interrompue, ibid. — La Mouf- 
fette de Californie, ibid. — La Si- 
caw, ibid. 

LES MÉLOGALES, 378. — Le Mélo- 
gale masqué, ibid. — Le Mélogale 
brun, 379. 

LES MARTES , 379. — Le Putois de 
Sibérie, ibid. — Le Furet de Java, 
ibid. — La Belette d'Afrique, ibid. 
— La Belette rayée de Madagascar, 
ibid. — Le Mink, ibid. — La Marte 
renard, ibid. — La Marte pécheuse, 
ibid. — La Marte de Godman, ibid. 
— La Marte huro , ibid. — Le Cuya, 
380.— Le Quiqui, ibid.— Le Zorra, 
ibid. — La Marte marron, ibid. — 
La Marte grise , ibid. — La Zorille, 
ibid.—La Marte d'Eversmann, ibid. 
— La Marie à lêle de loutre, ibid. 
— La Marte de Java, ibid. — La 
Marte du Brésil. ibid. — La Bocca- 
mêle, ibid. — La Belette palmée, 
ibid.— La Marte d'Hardwiche, 381. 
— La Marte à gorge dorée, ibid. — 
La Cigogniari, ibid. 

LES EUPLERES, 381. — L'Euplère 
de Goudot, ibid. 

LES LOUTRES , 384.— La Loutre du 
Canada, ibid. — La Loutre de la 
Guyane, ibid. — La Loutre de la 
Caroline, ibid. — La Loutre de la 
Trinité, ibid. — La Saricovienne ; 
389.—La Loutre du Kamschatka , 
ibid. — La Loutre Barang, ibid. — 
La Loutre aux petits ongles, ibid. 
— La Loutre nir-nayer, ibid. — La 
Loutre du Cap, ibid. — La Loutre 
de mer, 386. 

LES CHIENS, 386.—Le Dingo, 387. 
— Le Chien de l'Hymalaya, ibid. — 
Le Chien de Sumatra, ibid. — Le 
quao , ibid. — Le Chien de la Nou- 
— velle-Irlande, ibid. — Le Chien 
de Java, ibid. — Le Æolsun, ibid. 
— Le Landgah, ibid — Le Kokrée, 
ibid — Le Buansu, 388. — Le Re- 
nard de l'Hymalaya, ibid. — Le 
Cajote, ibid. — Le Loup du Mexi- 
que, ibid. — L'Agouraguazou, ibid. 
— L'Agouarachay, ibid —L'Anthus, 
ibid. — Le Chacal du Cap, ibid, — 


85 


653 


Le Karagan, ibid. — L'Amarok, 
389.— Le Loup blanc, ibid. — Le 
Stiète, ibid. — Le Loup noir, ibid. 
— Le Loup de prairie, ibid. — Le 
Chien des Esquimaux , ibid. — Le 
Chien du Canada, ibid. — Le Chien 
de la Nouvelle-Calédonie. — Le 
Renard bleu, ibid, — Le Renard 
rouge des plaines , ibid. — Le Re- 
nard barré, ibid. — Le Renard 
argenté , ibid. — Le Renard gris, 
ibid. — Le Renard véloce, ibid. — 
Le Chien sauvage d'Amérique, ibid. 
— L’Aduhossein de Nubie, ibid. — 
Le Sabora des Arabes, ibid. — Le 
Renard tacheté , ibid. — Le Méga- 
lotis, 390. — Le Famel, ibid. — 
Le Zerdo, ibid. 

LES CYNHYOENES, 391. 

LES CYNICTIS, ibid. — Le Cyniclis à 
queue noire , ibid. 

LES VIVERNES , 391. 

LES CIVETTES, 392. 

LES GENETTES ibid. 

LES PARADOXURES , 393. — Le 
paradoxure type, 394.— La vivéne 
musanya, 395.— La Civette grêle, 
ÿbid. — Le Paradoxure à pieds 
blancs, 396.— Le Paradoxure à 
moustaches blanches, ibid. 

LES MANGOUSTES, 397.— La Mon- 
gouste de Java, ibid. — La Mon- 
gouste du Sénégal , ibid. — La 
Mongouste des marécages, ibid. 
— La Mongouste à pinceau, ibid. 

LES SURIKATES, 397.— Le Surikate 
du Cap, 398. 

LES HYÈNES, 399. — La Hyéne 
brune , ibid. — La Hyène tachetée, 


il) Du 

LES PROTÈLES, 400. 

LES FELIS. 405. 

LES LIONS, ibid. 

LES TIGRES , 406. 

LES CHATS-PANTHERES, ibid. 

LES CHATS-OCÉLOIDES, 407. 

LES UMAOUS, 408. 

LES GUEPARS, 409. 

LES CHATS SERVALS, 409. 

LES VRAIS CHATS , 409. 

LES LYNX, ou LOUPS CERVIERS, 
411. 

LES PHOQUES, 412.— Le Phoque 
de Muller 423. — Le Phoque de 
Screber, ibid. — Le Phoque de Par- 
son , ibid. — Le Phoque de Thiene- 
man , 424. — Le Phoque leucople , 
ibid.—Le Phoque de Linnæus, ibid. 
— Le Phoque de Lepéchin, ibid. — 
Le Phoque de Frédéric , 425. — Le 
Phoque de la Pilaye, ibid.— Le Pho- 
que de Besmarest, ibid. — Le Pho- 
que d’Herman , ibid. 

PHOQUES de l'océan Pacifique bo- 
réal, 425. — Le Phoque de Choris, 
ibid. — Le Phoque de Byron, ibid. 

PHOQUES de l'hémisphère austral, 
426, — Le Phoque de Home, ibid. 
— Le Phoque Werdell, ibid. — Le 
Phoque à trompe , 427. 

LES OTARIES, 428.— Otaries de l’o- 
céan Atlantique, ibid.— L'Otarie de 
Fabricius, ibid. 


TABLE 


|OTARIES de l'océan Pacifique boréal, 


428.— L'Otarie de Steller, ibid. — 

L'Otarie de Californie, ibid. — L’O- 

tarie de Krakenninikow, 429. 
OTARIES de l'hémisphére austral, 
429. — L'Otarie de Pernetty, ibid. 
— L'Otarie de Forster, ibid. — L'O- 
tarie molosse, 430. — L'Otarie de 
Pagés, 431.— L'Otarie de Blain- 
ville, 432. — L'Otarie cendré, ibid. 
— L'Otarie albicol, ibid. — L'Otarie 
jaunâtre, ibid. — L'Otarie de Shaw, 
ibid. — L'Otarie d'Hanville, 433. 
— L'Otarie de Molina, ibid. 


LIVRE VIII. — LES MARSUPIAUX, 
ou ANIMAUX A BOURSES , 434. 

LES DIDELPHES, 435. 

LES CHIRONECTES , 436. 

LES THYLACINES , 436.— Le Thyla- 
cine de Harris, ibid. 

LES MYRMECOBES , 437. — Le Myr- 
mecobe de la Terre de Diémen, 
ibid. 

LES PHOSCOGALES, 438. 

LES DASYURES , 438. 

LES PÉRAMÈLES , 439.— Le Péra- 
mêle nez pointu, ##0.—Le Péra- 
méle de Bougainville, ibid. — Le 
Péramèle obésule , 441.— Le Péra- 
mèle lagotis, ibid. 

LES PHALANGERS , 442. 

LES COUSCOUS , 444. — Couscous à 

oreilles très courtes, velues en de- 

dans et en dehors, ibid. — Le Pha- 
langer tacheté, ibid. — Le Phalan- 
ger Quoy , 445. — Le Phalanger 

oursin , ibid. — Le Phalanger à 

croupion doré, 446. — Le Phalan- 

ger à grosse queue , ibid. — Cous- 
cous à oreilles un peu saillantes 
complétementnues en dedans, ibid. 

— Le Phalanger blanc, ibid. 

LES TRICHOSURES , 446. — Le Pha- 

langer nain, 447. — Le Phalanger 

gliriforme, ibid. — Le Phalanger de 

Cook,448.— Le Phalanger renard, 

449.— Le Phalanger viverrin, 450. 

LES PÉTAURISTES, ou PHALAN- 

GERS VOLANTS, 450.— Le Pétau- 

riste taguanoïde, #52. — Le Pétau- 

riste à grande queue, ibid. — Le 

Pétauriste de Peron, ibid. — Le Pé- 

tauriste scuirien, ibid. — Le Pétau- 

riste pygmée , ibid. — Le Pétauriste 

à joues blanches, 453. 

LES POTOUROUS, 453. — Le Potou- 

rou de‘ White, 45 4. 

LES KANGUROOS, ou mieux KAN- 

GOUROUS, 455. 

LES KOALA , ou COALA , ou KOLOK, 

458. 

LES PHASCOLOMES, ibid.— Le Phas- 

colome Wombat, 459. 

LES MONOPTÈRES, ou les PARA- 

DOXAUX , 460. 

LES ÉCHIDNÉS, ibid. 

LES ORNITHORYNQUES, 461. 


LIVRE IX. —LES RONGEURS, 463. 
LES ÉCUREUILS, 464. — 1. Le Fu- 
| nambule, ibid. — 2. Le grand écu- 


Ÿe 
$ 
reuil de la côte de Malabar , ibid. 
— 3. Le Lary, ibid. — #. L’Affinis, 
ibid. — 5. Le Tupaï, ibid. — Le 
Talmiste, 465. — 7. Le Bananiste, 
ibid. — 8. Le Ventre doré, ibid. — 
9. L’Ecureuil à croupion roux, 
ibid. — 10. L'Ecureuil de Kerau- 
dren, ibid. — 11. L’Ecureuil à 
queue de cheval, ibid, — 12. L'E- 
cureuil à ventre gris, ibid. — 13. 
L'Écureuil aux mains jaunes, ibid. 
14.—L'Ecureuil de Braan, ibid. — 
45. L'Ecureuil d'Ephniston, ibid. 
— 16. L'Ecureuvil de Prévost, ibid. 
— 17. L'Ecureuil de Raffles, 
ibid. — 18. L'Ecureuil de Lesche- 
nault, ibid. — 19. La Bicolore, 
ibid. — 20. L'Ecureuil rayé noir, 
ibid. — 21. Le Finlaison, ibid. — 
29, — L'Ecureuil fluet, ibid. — 23. 
Le Tupaï jinjang ou Tankrawa, 
466G 24. L'Ecureuil anrelé, 
ibid. — 25. L'Ecureuil Gingy, ibid. 

LES GUERLINGUETS, 467. — Le 
Polatouche élégant, 471. 

LES CHIROMYS , ibid. 

LES CYNOMIS, ou CHIENS-RAITS, 
ibid. 

LES SPERMOPHILES, 473, — Le 
Soulick, ibid. — Le Spermophile 
de Parry , ibid. — Le Spermophile 
rayé, 474. — Le Spermophile de 
Richardson, ibid. — Le Spermo- 
phile de Franklin, ibid. — Le Sper- 
mophile poudré, #75. 

LES CITILLUS , 476. 

LES LIPURES , ibid. 

LES MARMOTTES , ibid. 

LES APLADONTES , ibid. 

LES LORIS , 477. 

LES DENDROMYS , ibid. 

LES GRAPHIURES, ibid. 

LES PITHÉCHEIRS , ibid. 

LES NIOTOMES , 478. 

LES OTOMYS, ibid. 

LES ECHIMYS, ou les LONCHÈRES , 
ibid. 

LES CERCOMYS, 479. 

LES SIGMODONS, ibid, 

LES HÉTÉROMYS, ibid. 

LES MYNOMES , 480. 

LES CTÉNOMES, ibid.— Le Cténome 
magellanique, ibid. 

LES HYDROMYS, ibid. 

LES CAPROMYS , Utias ou Isodons, 
ibid: — Le Capromys de Poey, 
481. 

LES EURYOTIS, ibid. 

LES RHIZOMYS , ibid. 

LES STENODACTYLES , 482. 

LES PSAMMOMYS, ibid. 

LES PINEMYS, ibid. 

LES PSEUDOMYS, 483. 

LES OCTODONS, ibid. 

LES PAPHAGOMYS, ibid. 

LES AULACODES, ibid. 

LES ÉLIGMODONTES, ibid. 

LES RATS ou MUS, 485. 

LES PERCHALS, ou RATS EPINEUX 
487. 

LES CAMPAGNOLES , ou ARVICOLA, 
488. 


LES LEMMINGS, les Hipudœus ou les 
Géorychus, 489. 

LES HAMSTERS, 490. 

LES GÉOMYS, ibid. — Le Saccomys 
mangeur de fleurs, 491. 

LES DIPLOSTOMES, ibid. 

LES RATS-TAUPES , ibid. 

LES ZOKORS, ou Siphnœus, 492. 

* LES BATHYERGNES, ou Oryctères, 
ibid. 

LES GÉGRIQUES , 493. 


LES HÉLAMYS , ou nièvres sauteurs, 
ibid, 

LES GERBOISES, ibid. 

LES GERBILLES, 494. — La Gerbille 
de Buffon, ibid. 

LES MÉRIONS , 495. 

LES ONDATROS, idid 

LES COUIA ou MYOPOTOME S, ibid. 

LES CASTORS, ibid. 

ES PORCS-EPICS, 496. 

LES LIÈVRES ET LES LAPINS, 

ibid. — Le Lièvre variable, ibid. — 
Le Rekalek, ibid. —Le Lapin de 
Magellanie , 497. — Le Citli, 498 
— L' Egyptier, ibid. — Le Liévre du 
Cap, ibid.— Le Lièvre des rochers, 
ibid. — Le Lièvre des sables, ibid. 
— Le Liévre à grosse queue, ibid. 
— Le Lièvre à nuque rousse, 
ibid. — Le Lièvre à nuque noire, 
ibid. 

LES LAGOMYS, 499.— Le Nain, ibid. 
— Le Gris, ibid. — Le Pica, ibid. — 
Le Princeps, ibid. 

LES CHINCHILLIDÉES, ou la famille 
des Chinchillas, 499. 

LES LAGOSTOMES , 499. 

LES CHINCHILLAS, 501. — Le vrai 
Chinchilla, ibid. — Le Chinchilla 
doré, 502. 

LES LAGOTIS , 502. 

LES CABIAIS, 503. 

LES COBAYES ou Cochons d'Inde , 
503.— Le Cobaye de Cuthler, ibid. 

LES MOCOS , 504. — Le Moko de 
King, ibid. 

LES ACOUTIS, 504. 

LES MARAS, 504. 

LES PACAS, 505. 


MAMMIFÈRES 
DERMES et RU- 


LIVRE X. — LES 
ÉDENTÉS, PACHYD 
MINANTS, 506. 

LES ÉDENTÉS, 506. 

LES PARESSEUX , 506. 

LES PANGOLINS , 506.— Le Pango- 
lin de l'Inde, 507. — Le Pangolin 
d'Afrique, ibid. — Le Pangolin de 
Java, ibid. — Les Tatous, 508. 

LES APARS, 308. 

LES ENCOUBERS , 508. 

LES KABASSOUS, 508 

LES PRIODONTES , 208. 

LES ORYCTÉROPES , 509. 

LES PACHYDERMES , 509. 

LES COCHONS ou SANGLIERS , 509 
— Le Sanglier à bandes , ibid. Le 
Sanglier à verrues. be — Le Co- 
chon des Papous, & 

LES PHACOCHÆRES 

LES PÉCARIS, 512 

LES ANOPLOTHÉRIUNS , 512. 

LES RHINOCÉROS , 512, 


DES MATIÈRES. 


$ I. Rhinocéros vivants , 513. — 
Le Rhinocéros d'Afrique, ibid — 
Le Rhinocéros de Sumatra , 514 
— Le Rhinocéros sans cornes, ibid. 
— Le Rhinocéros des Indes , 515 
— Le Rhinocéros de Java , 516. 

$ IL. Rhinocéros fossiles, 546 — 
Le Rhinocéros à narines cloison- 
nées , ibid. — Le Rhinocéros à na- 
rines simples, ibid. — Le Rhinocèé- 
ros petit, ibid. — Le Rhinocèros à 
incisives, 517. 

LES DAMANS, 517. 

LES TAPIRS, 517.— Le Tapir des 
Andes ou Pinchaque, 518. — Le 
Mé des Chinois, 

LES CHEVAUX, 5 

L'Hermione ou le Dzigglai, 521. 

LES RUMINANTS, 523. 

LES LAMAS, 524. 

LES CHE VROTAINS, 525. 

LES CERFS, 526. 

LES ELA NS, ibid. 

LES R ENNES. 

LES DAIMS , 527. 

LES VRAIS CERFS, ibid. — Débris 
fossiles de quelques Cerfs, ibid. — 


Les Rusa des Malais ou Cerfs in- 
diens, 531. 

LES AXIS, 533. 

LES CHE VREUISS, ibid, 


LES MAZAMES, ibid. 

LES DAGUETS , 534 

LES CER VULES , ibid. 

LES GIRAFES , 935. 

LES ANTILOPES , 536.— Les Antilo- 
pes de M. Ord , ibid. — Les Égo- 
cères de Desmarest, ibid. — Les 
Oryx de Blainville, 537. — Les 
Gazelles, 538. — Les Damées, 
539. — Les Antilopes, ibid. — Les 
Nagors,ibid.—Les Tragules, 540. 
Les Raphicères, ibid. — Les Tétra- 
cères, ibid. — Les Céphalophes, 
341.— Les Néotragues, ibid.—Les 
— Tragélaphes, ibid. — Les Némo- 
rhèdes, 542. — Les Chamois, ibid. 
— Les Aplocères, ibid. — Les Anoa, 
543. — Les Ixales, 944. 

LES DAMOLIS, ibid. — Les Acro- 
notes d'Afrique, ibid. — Les Bosé- 
laphes, ibid. — Les Strepsicéres, 
545. — Les Portax, ibid. 

LES CATOBLÉPAS, ibid. 

LES CHEVRES, 546 —Le Bouquelia 
Wolie, ibid. — Les Moutons, 5#7. 
— Le Mouflon à manchettes, ibid. 
— Le Bélier à large queue, 548. — 
L'Argoli, ibid. — Les Ovibos, 549. 

LES BOEUFS , ibid. — Le Buffle des 
États-Unis, 951. 
554. 


— L'Aurochs, 


LIVRE XI. — LES MAMMIFÈRES 
CÉTACÉS. 555. 
CONSIDÉRATIONS GENERALES, 099. 


CÉTACÉS des mers de Kamtschatka, 
publiés d’après des figures sculp- 
tées en bois par Les Aléoutes, 
par M. de Chamiss0, 569.— 1.La 
Baleine kuliomock, 565.— 2. La 
Baleine tschikagluck, 566.— 3. La 
Baleinoptére abugulich, ibid, — 
4 — La Baleinoptèére mangidach, 
ibid, — 5. La Baleinoptère aga- 


659 


machtschich. 567. — 6. La Balei- 
noptère aliomoch , ibid. — 7. Le 
Cachalot agidagich, ibid. — 8. Le 
Physétère alugninich, ibid. — 9. Le 
Marsouin aguluch, ibid. 

DESCRIPTION de quelques cétacés 
des mers du Japon, d'aprés des 
figures peintes en Chine et au Ja- 
pon, par le comte de Lacépéde. 
568. 

$ I. — Les Baleines à dos sans . 
bosse, 565.—La Baleine japonaise, 
ibid. — La Baleine lunulée, ibid. 

$ IL. — Les Baleinaptéres à plis 
longitudinaux sous la gorge et 
sous le ventre, 568.—La Baleinop- 
tère mouchetée , ibid. — La Balei- 
noptère noire, ibid.— La Baleinop- 
tère bleuâtre:, ibid. — La Balei- 
noplére tachetée, 569. 

S1II.—Les Cachalotsä nageoires, 
569.— Le Physétére sillonné, ibid. 
— LeDauphin noir, ibid. 

DES CÉTACÉS HERBIVORES, ou des 
Sirènes, ibid. 

LES LAMANTINS, ou Manates, ibid. 
— Le Lamantin à long museau, 
es — Le Lamantin du Sénégal, 

4 

LES DUGONGS, ou Halicores, 573. 
— Le Dugong des Indes, 576. 

LES STELLERES, ou Rytines , 577. 
Le Stellère boréal, 578. 

LES CETACES piscivores, 580. 

LES HÉTÉRODONS, ibid. 

LES NARWALS, 581. — Le Narwhal- 
licorne, 582. 

LES 'ANARNAKS, 585,— L'Anarnak 
groenlandois, ibid. 

LES DIODONS, 586. 
de Sowerby, 587. 

LES HYPÉROODONS, ibid. — L'Hy- 
péroodon de Honfieur, 589. 

Proportions des deux Hypéroo- 
dons décrits par Baussard le jeune, 
590.—L'individu adulte, ibid.—Les 
Ziphius, 591. 

LES AODONS, 592. — L'Aodon de 
Dale, 594. — Les Dauphins, 595. 

& I. — Les Bélugas, 603. — Le 
Béluga des régions arctiques, ibid. 

$ IL — Les Delphinaptéres, 
604. — Delphinaptère de Péron, 
ibid. 

$ HE. — Les Delphinorhynques, 
606. — Le Delphinorhynque de 
Geoffroy, ibid. — Le Delphino- 
rhynque de Breda, 607. — Le Del- 
phinorhynque couronné, ibid. — 
Le Delphinorhynque malais, 608. 
— Le Delphinorhynque maculé, 
ibid. 

LES SOUSOUS , 608. — Le Sousou 
plataniste, 609. 

LES DAUPHINS proprement dits, 
610.— Le Dauphin vulgaire, ibid. 
—Le Dauphin de Pernetty ,613.— 
Le Dauphin douteux, ibid. — Le 
Dauphin de Bory, 614. — Le Dau- 
phin à becmince, ibid. — Le Dau- 
phin crucigère, 615.—Le Dauphin 
albigéne , ibid. — Le Dauphin à 
bandes. — ibid. — Le Dauphin à 
sourcils blancs, ibid.—Le Dauphin 


— Le Diodon 


+ + 


660 TABLE DES MATIERES. . 
funenas , 616. — Le plus petit des | souin commun, ibid. — Le Mar- | LES BALEINES, 643. F2 
Dauphins, ibid. — Le Dauphin souin orque, ou l'épaulard , 624. | LES BALEINOPTÈRES, 645. — ne 
oudre, ibid. — Le Dauphin de | — Le Marsouin de Paimpol, 626.— |  Rorqual du Nord, ibid. — Le Ror- 
Bayer, 618. Le Marsouin caréné, ibid. ‘ qual de la Méditerranée, 650. — 
LES INIAS, 618. — Le Rorqual Mu- | LES GLOBICÉPHAnES, 627. — Le | Le Rorqual à museau pointu, 652. 
seau pointu, 620. Globicéphale conducteur. 628. — |  — Le Rorqual du Sud, 653. 
LES OXYPTÈRES, 620.— L'Oxyp- Le Globicéphale de Risso, 630. LES BALEINES , 656. — La Baleine 
tére rhinocéros, ibid. LES CACHALOTS, 632. — Le Cacha- du Sud, 658.—La Baleine du Nord, 
LES MARSOUINS, 621.— Le Mar- lot macrocéphale, 635. ibid. 
C2 


FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME PREMIER. 


. + 


. CLASSEMENT 


DES 120 PLANCHES POUR LES COMPLÉMENTS DE BUFFON, 


PAR LESSON. 


L'Orang-Outang. 
Chimpanzé jeune. 
Semnopithèque pyrrhus. 
Semnopithèque à croupion blanc. 
L'Indri. 

Galago du Sénégal. 

Le Galéopithèque. 
Gymnure de Raffles. 
Tupaya Banxring. 

Ours malais. 

Ours aux grandes lèvres. 
Ours noir d'Amérique. 
Le Panda. 

Kincajou potot. 

Le Télagon. 

Le Mélogale musqué. 
Fennec. 

Genette Lisang, 

Protèle Delalande. 

Chat arimaou. : 
Phoque de Choris. 
Phoque à trompe. 
Thylacine de Harris. 
Dasyure viverrin. 
Dasyure de Maugé. 
Péramèle de Bougainville. 
Le Couscous blanc. 

Le Phalanger volant. 

Le Phalanger de Cook. 
Le Potouroo. 


Lamantin d'Amérique. 
Narwal licorne. 


Aodon de Dale 
Delphinaptèr ; 
Delphinorhynque couronné. 


Dauphin à sourcils blancs. 


220 
221 
293 
299 
300 
360 
361 
367 
368 
371 
374 
379 
377 
378 
390 
392 
400 
408 
425 
427 
436 
438 


Le Kangourou oualabat. 
Le Kaugourou rouge. 

Le Kangourou élégant. 
Le Koala. 

Le Wombat. 

Echidné australien. 
Ornithorhynque paradoxal. 
Ecureuil bicolore. 
Ecureuil ferrugineux. 
Spermophile de Franklin 
Marmotte de Richardson. 
Le Capromys de Fournier. 
Mérione des bois. 

Lièvre d'Egypte. 

Le Chinchilla. 

Agouti des Patagons 
Chlamyphore tronqué. 
L’Eléphant. 

Le Cochon babi-russa. 
Le Rhinocéros. 

Le Tapier maïba. 

Zèbre 

L’Alpaco. 

Chevrotin napu. 


ib. | Antilope leucoryx. 
439 | Antilope pygmé.M 
446 | Antilope laneuse. 
447 | Antilope à cornes fourchues. 
448 | Atilope gibbeuse. 
454 
CÉTACÉS. 
571 | Marsouin commun. 
582 | Globicéphale conducteur. 
594 | Cachalot bosselé. 
604 | Cachalot macrocéphale. 
607 | Rorqual du Nord. 
615 | Baleine franche. 


658 


Aptérix austral. 

La Harpie. 
Uru-Taurana. 

Le Ketupu. 

Phasianus pucrasia. 

Le Rouloul de Malacca. 
Eudrome élégante. 
Chionis blanc 
Mégapode Duperrey. 
Mégapode à pieds rouges. 
Alecthélie Durville. 
Ménure lyre. 

Touraco Pauline. 
Musophage violet. 
Musophage géant. 

Le Gubernète du Brésil. 
Phonygame de Kéraudren 
Garrulax de Bellanger. 
Vanga écorché. 
Sparacte bec-de-fer. 
Drongo azuré. 

Enicure couronné. 
Céphaloptère orné. 
Rupicole vert. 
Eurycère de Prevost. 


Some Second. 


OISEAUX. 
71 | Martinet à moustaches. 
108 | Glaucope cendré. 


Epimaque royal. 
Epimaque promefil. 
Epimaque magnifique. 


210. | Le Scytrops de la Nouvelle-Hollande 


acatoès de Banks. 
Cacatoès nasique. 
Microglosse noir. 


ib. | Ara hyacinthe. 
257 | Arara de la Patagonie. 
260 | Psittacule de Kuhl. 
267 | La Perruche pygmée mâle. 
268 | Couroucou pavonin. 
ib. | Malcoha à bec peint. 
387 | Coucal atralbin. 
403 | Le Coua Delalande. 
405 | Coucou Guira Cantara. 
406 | Coucou Dridric. 
418 | Coucou cuivre. 
423 | Drome ardéole. 
425 | Le Sterne des Incas. 
429 | Canard pie à pieds demi-palmés. 
430 | Le petit Manchot de la Nouvelle-Zélande. 


À /7/ 7°! 


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448 
536 
937 

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600 
602 

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603 
604 

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607 

ib. 
614 
618 
60 
621 
624 
627 

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