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Full text of "Compte rendu"

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PURCHASED  FOR  THE 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 

FROM  THE 

CANADA  COUNCIL  SPECIAL  GRANT 

FOR 

LINGUISTICS 


CONGRES    INTERNATIONAL 


POUR 


L'EXTENSION  ET  LA  CULTURE  DE  LA  LANGUE  FRANÇAISE 


r<3-)  SOCIÉTÉ    ANwNVME 

«:r^^^^      M.  WEISSENBRUCH,  IMP.  DU    RO 


■^^ 


49.    RUE   DU    POINÇON 


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^  V.  ^ 


CONGRÈS  INTERNATIONAL 


L'EXTENSION  ET  LA  CULTURE 


DE    LA 


LANGUE    FEANCAISE 


TROISIEME    SESSION 

GAND,     11-14    SEPTEMBRE    1913 


La  langue  fbançaise  dans  le  monde  :  Algérie,  Alsace- 
LORiiAiNE,  Angleterre,  Actriche,  Belgique  Bohême, 
Bulcahik,  Egypte,  Hollande,  Hongrie,  Italie,  Macé- 
doine, Pologne,  Portugal,  Russie,  Suéde,  etc.  — 
L'extension  de  la  culture  française  par  les  groupe- 
ments et  les  écoles,  par  le  livre,  la  revue  et  le 
JOURNAL  —  Les  mots  français  en  grec  .  —  Le  français, 
langue  scientifique.  —  Le  français  dans  les  réunions 
internationales,  etc.,  etc. 


PARIS 
EDOUARD  CHAMPION,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

D,    QUAI    MALAQUAIS,    fi 


BRUXELLES 

Soc.  AN.  M.  WEISSENBRUCH,  Éditeur 

49,  HUE  DU  POINÇON,  49 


GENEVE 

A.    JULLIEN,    ÉDITELK 
32,    PLACE   DU   BOURO-DE-FOUR,    3! 


1914 


AT 

2C2.J 

/9/3 


Comité  organisateur  du  Congrès. 


Membres  du  Bureau  permanent  de  la  Fédération  pour  l'extension 
et  la  culture  de  la  langue  française  : 

MM.  Ansuux,  Maurice,  professeur  à  l'Université  de  Bruxelles; 
BoNNARD,  Jban,  professeur  à  l'Université  de  Lausanne; 
Bouvier,  Bernard,  professeur  à  l'Université  de  Genève  ; 
d'Huart,  Martin,  professeur  à  l'Athénée  de  Luxembourg; 
Salonb,  E.,  secrétaire  général  de  l'Alliance  française,  à  Paris; 
Gautier,  Jules,  membre  du  Conseil  d'Etat; 
Hyde,  James,   président   honoraire   de   l'Alliance    française    aux 

Etats-Unis  ; 
Métin,  Albert,  député,  ancien  chef  de  cabinet  de  M.  le  Ministre 

du  Travail  et  de  la  Prévoyance  nationale,  à  Paris  ; 
Nyrop,  Kr.,  professeur  à  l'Université  de  Copenhague; 
Rivard,  Adj.  h.,  à  Québec; 
SiMARD,  Joseph,  avocat,  à  Québec  ; 
Wilmotte,  Maurice,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  membre 

de  l'Académie  royale  de  Belgique,  président. 

Comité  d'action  parisien  : 

Présidents  : 
MM.  Barrés,  Maurice,  de  l'Académie  française; 
DE  Régnier,  Henri,  de  l'Académie  française. 

Vice-président  : 
M.      Lecomte,  Georoes,  président  de  la  Société  des  Gens  de  Lettres. 


—  6  — 

Membres  : 
M""    Rachildb  ; 
MM.  Adam,  Padl; 

Baudin,  Pierre,  ministre  de  la  marine  ; 

Bordât,  Gaston,  liirecteur  de  la  Reçue  des  Français , 

BoYLESVE,  René; 

Chaumeix,  André,  rédacteur  en  chef  des  Débats  ; 

Copeau,  Jacques,  directeur  de  la  Nouvelle  Revue  française  ; 

DK  COUBERTIN,  PlERRE  ; 

DucROCQ,  G.,  directeur  des  Marches  de  l'Est; 

DuMONT-WlLDEN,  L  ; 

Ernest-Charlbs,  J.; 

GiLLON,  André,  de  la  maison  Larousse  ; 

Gregh,  Fernand; 

Léon,  Paul,  délégué  général  de  la  Commission  des  Congrès  et 

Concours  à  l'Exposition  de  Gand  ; 
Liohtbnbbroer,  André  ; 
MocKEL,  Albert; 

Neveux,  Pol,  inspecteur  général  des  bibliothèques  de  France; 
Quentin,  Maurice,  président  de  la  Commission  des  Congrès  et 

Concours  de  l'Exposition  de  Gand  ; 
RosNY,  J.-H.,  aîné; 

Vallette,  Alfred,  directeur  du  Mercure  de  France  ; 
Verhaeren,  Emile. 

Secrétaire  : 
M.      OcHSÉ,  J.,  homme  de  lettres. 

Comité  d'organisation  belge  : 

MM.  WiLMOTTE,  Maurice,  président. 

Charlibr,  Gustave,  chargé  de  cours  à  l'Université  de  Bruxelles, 

secrétaire  général. 
DiGNEFFE,  Emile  ;  Ensch-Tesch,  bourgmestre  d'Arlon  ;  Peltz«r-de 

Clermont,  sénateur;  Rouffart,  E.,  présidents  des  sections  de 

Liège,  Arlon,  Verviers  et  Bruxelles. 
Mawet,  E.,  Van  Dooren,  J.,   Andblbrouck,  G.,   Daxhelbt,  A.. 

secrétaires  desdites  sections. 


Liste  des  Membres 


M.      Adam,  Léon,  docteur  en  médecine,  rue  Longue  du  Marais,  Gand. 
M"«    Adam,  Léon. 

MM.  Alexandre,   Alfred,   opérateur  aux  chemins  de  fer  de  l'Etat, 
Barvaui-sur-Ourthe. 
Amerlynok,  docteur  en  médecine,  chaussée  de  Courtrai,   84,  Gand. 
Andelbrouck,  g,  avocat,  Hodimont-Verviers. 
Ansiaux,  Maurice,  professeur  à  l'Université  libre,  avenue  des  Gau- 
lois, 36,  Bruxelles. 

Anspach-Puissant,  Armand,  avocat,  conseiller  communal,  membre 
de  l'Association  pour  l'extension  et  la  culture  de  la  langue  fran- 
çaise, rue  Belliard,  125,  Bruxelles. 

Barbery,  Bernard,  rédacteur  à  L'Olivier,  rue  de  France,  109, 
Nice. 

Barraud,  Roland,  rue  de  la  Pitié,  llbis,  Paris. 

Barrés,  Maurice,  de  l'Académie  française,  boulevard  Maillot,  100, 
Paris. 

Bastier,  Paul,  professeur  de  littérature  et  de  philologie  françaises 
à  l'Académie  Royale  de  Posen,  président  de  l'Alliance  fran- 
çaise de  Posen,  boulevard  Montparnasse,  13,  Paris. 

Baulers,  Camille,  étudiant  en  philosophie  et  lettres,  rue  Haute, 
16,  Gand. 

Bayens,  Eugène,  président  de  la  Ligue  pour  la  liberté  des  langues, 
rue  Charles-Quint,  51,  Gand. 

Bkcker,  Charles,  professeur  au  Lycée,  Bchternach  (Grand-duché 
de  Luxembourg). 

Becrers,  Léon,  directeur  général  de  l'Enseignement  supérieur  des 
Sciences  et  des  Lettres,  rue  Froissart,  104,  Bruxelles. 

Beckers,  René,  docteur  en  médecine,  trésorier  de  l'Association 
pour  la  culture  de  la  langue  française,  section  du  Brabant,  rue 
Froissart,  104,  Bruxelles. 


—  8  — 

MM.  Bertrand,  Henri,  docteur  en  médecine,  homme  de  lettres,   place 
Gambetta,  5,  Paris. 

Besnard,  Emile,  secrétaire  général  de  la  Mission  laïque,   rue  de 
Miromesnil,  16,  Paris  (viii') 

Béthunb,  baron  François,  professeur  à  l'Université,  rue  de  Bériot, 
34,  Louvain. 

M°"    Beybr,  Charles,  rue  Guillaume-Tell,  6,  Gand. 
Bibliothèque   Royale  (service  de  la  Bibliographie  de  Belgique),   Bru- 
xelles. 

MM.  BiDKz,  Joseph,  professeur  à  l'Université,  boulevard  Léopold,  62, 
Gand. 

BiRNBAUM,  professeur  à  l'Athénée  Royal,  Arlon. 

Blocher,  Eduard,  pasteur,  Huttenstrasse,  60,  Zurich  (Suisse). 

Blondiau,  Félix,    directeur  honoraire  d'Ecole  primaire,   avenue 

Albert  Giraud,  50,  Schaerbeek. 
BoDART,  Georges,  lecteur  à  l'Université  d'Erlangen,  rue  Wazon,  5, 

Liège. 
BoDDAERT,  Henry,  avocat  à  la  Cour,  secrétaire  général  du  comité 
exécutif  de  l'Exposition  Universelle  et  Internationale,  Coupure, 
44,  Gand. 
M""    BoDDAERT,  Marguerite,  Coupure,  44,  Gand. 
M"»»    Boddakrt,  Eugène,  rue  du  Gouvernement,  16,  Gand. 
MM.  BoDSON  Félix,  homme  de  lettres,  délégué  de  la  ville  de  Liège,  rue 
Saint-Laurent,  49,  Liège. 
BoGDAN,  docteur  Georges,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine, 
officier  de  la  Légion  d'honneur,  Grand-Croix  de  la  Couronne  de 
Roumanie,  Jassi,  (Roumanie). 
Bordât,  Gaston,  56,  rue  de  l'Université,  Paris. 
Bourrelier,  Henri,  éditeur,  rue  de  Mézières,  5,  Paris. 
Braeckman,  a.,  avocat,  chaussée  d'Anvers,  Mont-Saint- Amand. 
Bragard,  Louis,  professeur  à  l'Athénée  Royal,  Bruges. 
Brasseur,  Robert,  Coupure,  56,  Gand. 
M"'«»  Brasseur,  Robert. 

Braun,  Emile-Jean,  rue  du  Nouveau-Bois,  Gand. 
M.      Braun,  Fernand,  homme  de  lettres,  2,  rue  de  Croissy,   Vésinet, 

Seine  et-Oise  (France). 
M""    Breusing,  C,  rue  César  Franck,  46,  Liège. 
MM.  Bris,  Artus,  ingénieur  à  la  Vieille-Montagne,  Angleur-Liége. 
Brossbl,  Charles,  juge  de  paix.  Villa  Mistral,  Spa. 


MM.  Brunin,  Henri,  propriétaire,  Coupure,  231,  Gand. 

Brunot,  Ferdinand,  professeur  à  la  Sorbonne,  rue  Leneveux,  8, 
Paris  (xiv"). 

BuissET,  Emile,  membre  de  la  Chambre  des  représentants,  Char- 
leroi. 

Bure,  Pierrk,  consul  général  de  Belgique,  Moscou. 

BuYSSE,  AuGi'STE,  industriel,  château  Molendam,  Oostacker  (Gand). 

Cali.ibr,  Alexis,  procureur  général  près  la  Cour  d'Appel,  chaussée 
de  Courtrai,  Gand. 
M"s     C allier,  Francinb,  boulevard  du  Parc  (Gand). 
MM.  Carels,  Alphonse,  industriel,  Marché-au-Lin,  12,  Gand. 

Carkls,  Georges,  A.,  industriel.  Dock,  40,  Gand. 

Casati  (le  comte),  Milan. 

Ckuterick,  Albert,  avocat,  rue  Longue-du-Marais,  12,  Gand. 

Champion,  Edou.^rd,  éditeur,  quai  Malaquais,  5,  Paris. 

Charlier,  Gustave,  chargé  de  cours  à  l'Université  libre,  boulevard 
Militaire,  44,  Bruxelles. 

-  Christophe,  Charles,  avocat,  secrétaire  du  Cercle  artistique  et 
littéraire,  boulevard  du  Parc,  37,  Gand. 

CiROT,  Georges,   professeur  à  l'Université,   rue  Permentade,   41, 
Bordeaux. 

Clément,   Henri,    professeur   au   Lycée,     rue  Carnot,   217,    Gap 
(Hautes-Alpes),  France. 

M""    Closset,  Marie,  directrice  de  l'Institut  de  Culture  française,  rue  des 
Coteaux,  20,  Schaerbeek. 

MM.  Cohen,  Gustave,  professeur  à  l'Université  d'Amsterdam,  La  Sapi- 
nière, Laren,  (Hollande). 
CoLLON,  Auguste,  secrétaire  général  de  la  Société  Cockerill,  Seraing. 
Colson,   Oscar,    directeur   de    MVallonia,  rue  Fond-Pirette,  142, 
Liège. 

Constans,  L.,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres,  Aix-en-Provence 

(France). 

M""    CoopMAN,  chaussée  d'Hundelghem,  Ledeberg. 
M™"  Cooreman,  place  du  Marais,  Gand. 

Coppieters,  boulevard  Zoologique,  1,  Gand. 
MM.  Cornet,  commis-chef  à  l'Administration  des  postes,  rue  de  Sélys, 
40,  Liège. 
Coulet,  Jules,  directeur  de  l'Office  national  des  Universités,  délégué 
du  Gouvernement  français,   100,  rue  Denfert-Rochereau,  Paris. 


—  10  — 

MM.  CouNSON,  Albert,  professeur  à  l'Université,  boulevard  des  Hos- 
pices, 152,  Oand. 
Cruyt,  place  de  la  Calandre,  4,  Gand. 
Daubrbssb,  Paul,  ingénieur,  professeur  à  l'Université  catholique, 

rue  de  Paris,  90,  Louvain. 
Dauge,  Eugène,  professeur  à  l'Université,  rue  Guinard,  20,  Gand. 
M""    D'AuLANDE,  Béatrix,  rentière,  femme  de  lettres,  boulevard  de  la 

Cambre,  56,  Bruxelles. 
MM.  Daxhblet,  a.,  professeur  à  l'Athénée  royal  d'Ixelles,  rue  des  Eche- 
vins,  105,  Ixelles. 
De  Babts,  Hermann,  avocat  près  la  Cour  d'appel;  ancien  bâtonnier; 
membre  de  la  Députation  permanente,  rue  des  Boutiques,  9,  Gand 
Diî  Bast,  Camille,  sénateur.  Coupure,  42,  Gand. 
M™    De  Bast. 

MM    De  Bie,  Conseiller  à  la  Cour  d'appel,  boulevard  d'Ackerghem,  Gand. 
DE  Blociszkwski,  professeur  à  l'Académie  consulaire,  Hohenstaufen- 

gasse,  12,  Vienne  (Autriche). 
De  BoRCHGRAVB,  baron  Emile,  membre  de  l'Académie  royale  de 

Belgique,  rue  de  Berlin,  25,  Bruxelles. 
De  Bremaecker,  Alexis,  entrepreneur;  juge  au  tribunal  de  com- 
merce de  Bruxelles;  conseiller  communal  à  Bruxelles,  vice-prési- 
dent de  la  Chambre  de  commerce;  rue  de  Laeken,  162,  Bruxelles. 
De  Brinn'  Gaubast,  Louis  Pilate,  profe.«seur  de  littérature  fran- 
çaise à  l'Ecole  générale  allemande,  44,  rue  du  Bélier,  Anvers. 
De  Buggenoms,  Louis,  avocat  près  la  Cour  d'appel,  rue  Courtois,  40, 

Liège. 

Dechamps,  Jules,  professeur  à  l'Athénée  de  jeunes  filles  et  à  la 

Section  normale  moyenne  de  Gand,  avenue  des  Arts,  12,  Gand. 

De  Clercq,  Georges,  agent  de  change,  place  d'Armes,  20,  Gand. 

De  Cock,  Henri,  avocat,  place  Saint-Bavon,  12,  Gand. 

M"''     De  Grbppe,  professeur  à  l'Ecole  normale  provinciale  du  Hainaut, 

Mons. 
M.      De  Hemptinne,  Eugène,  sénateur  suppléant,  rue  du  Hainaut,  Gand. 
Mme    De  Hemptinne,  .Jean,  Château  Ter  Lye,  Saint-Denis-Westrem. 
M""    De  Hoon,  Augusta,  institutrice  aux  écoles  communales,  rue   du 

Rabot,  10,  Gand. 
MM.  De  Jouvenel,  Henry,  rédacteur  en  chef  du  Matin,  rue  Cortam- 
bert,  57,  Paris. 
Db  Keghbl,  Léonce,  industriel,  rue  aux  Draps,  17,  Gand. 


—  11  — 

MM.  De  Kerchove  d'Exakrdb,  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Gand, 
château  de  Wetteren. 
De  la  Hault,  Adhémar,  directeur  fondateur  de  la  revue  aéronau- 
tique La  Conquête  de  Vair,  rue  Royale,  à  Bruxelles. 
Delaite,  Julien,  président  de  la  Ligue  wallonne  de  Liège,  conseiller 

communal  et  provincial,  rue  Hois-Château,  50,  Liège. 
De  la  Kéthullb  de  Rijhove,  Ferdinand,  Château  d'Oosterzeele 
(Flandre  orientale). 
M°"    De  la  Kéthullr  de  Rijhove. 
MM.  De  Landtsheer,  Gaston,  industriel,  quai  du  Ramage,  2,  Gand. 

De  Landtsheer,  Léon-Georges,  directeur  de  la  société  anonyme 

La  Linière  Gantoise,  quai  du  Ramage,  2,  Gand 
De  Landtsheer,  Norbert,  industriel,  chaussée  de  Courtrai,  446, 
Gand. 

M™"    De  Lanier,  Alfred,  chaussée  de  Courtrai,  20,  Gand. 

M.      De  la  Royère,  Wh.mam,  ingénieur,  professeur  à  l'école  du  génie 

civil  de  l'Univeriité  de  Gand,  rue  de  la  Concorde,  65,  Gand. 
M™«    De  la  Royère. 
M.      Delohevalerie,  Charles,  homme  de  lettres,  rue  de  Campine,  127, 

Liège. 
M™*    Delmotte-Verbeeck,  rentière,  avenue  de  la  Cour,  16,  Gand. 
M.      Delori,  Coupure,  7,  Gand. 
M"*    Delori. 
MM.  Demblon,  Jules,  imprimeur,  Ans-Liège. 

De  Muynck,  Georges,  chaussée  de  Courtrai,  70,  Gand. 
M"»    De  Muynck. 

MM.  DE  Pélichy  (le  baron  i,  juge  au  tribunal  de  1"  instance  de  Gand, 
Vieux-Chemin,  Gentbmgge. 
De  Rakdt,  Aloïs,  Receveur  des  successions  pensionné,  rue  Gui- 

nard,  28,  Gand. 
DE  Régnier,  Henri,  de  l'Académie  française,  rue  Boissiére,  24, 
Paris. 

de  Reynold,  Gonzague,  professeur  à  l'Université  de  Genève,  Vinzel- 
sur-RoUe,  Vaud  (Suisse). 
M"«    Deruddbr,  règentp,  rue  du  Laitage,  3,  Gand. 
M.      Dervaux,  avocat,  ancien  bâtonnier,  rue  Guillaume-Tell,  Gand. 
M"'    Desaghkr,  Clémence,  rentière,  rue  Basse,  25,  Gand. 
M.      Db  Séjournet  de  Rameignies,  Léon,  propriétaire,  à  Melle-lez-Gand. 
M""    De  Séjournet  de  Rameignies. 


—  12  — 

M""    De  Séjournet  db  Rameignies,  Jacqueline. 

M.      De  Séjournet  de  Rameignies,  Christian. 

M"'    De  Smet  de  Nabybr,  Cécile,  château  de  Langerbrugge-lez-Gand. 

MM.  De  Smet  de  Naeyeb,  Christian,  rue  des  Servantes,  12,  Gand. 

De  Smet  de  Naeyer,  Henry,  industriel,  rue  de  Flandre,  17,  Gand. 
M""'    De  Smet  de  Naeyer. 

MM.  De  Smet  de  Naeyer,  Maurice,  président  de  l'Association  pour  la  vul- 
garisation de  la  langue  française,  rue  de  la  Vallée,  47,  Gand. 
De  Smet-Duhayon,  Joseph,  président  du  Cercle  artistique,  chaussée 
de  Courtrai,  22,  Gand. 
M'"«   De  Smet-Duhayon. 

MM.  Des  Ombiaux,  Maurice,  homme  de  lettres,  rue  du  Lac,  Bruxelles. 
Destrée,  Jules,  député,  Marcinelle. 
Dewachter,  Jules,  publiciste,  avenue  About,  82,  Malo-les-Bains, 

près  Dunkerque  (France). 
d'Huart,  Martin,  professeur  à  l'Athénée,  rue  Jean  l'Aveugle,  41, 

Luxembourg. 
DiBRMAN,  Pierre,  industriel,  Bel-Air,  Oostacker  lez-Gand. 

M""»    DiERMAN. 

DiERMAN,  J.  J.,  Tronchiennes  lez-Gand. 
MM.  DiGNEFFE,  Emile,  rue  Paul  Devaux,  Liège. 

Discailles,  Ernest,  professeur  honoraire  de  l'Université  de  Gand, 
membre  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  avenue  Louise,  492, 
Bruxelles. 

DiSTAVE,  Auguste,  professeur,  rue  E.  Beernaert,  41,  Ostende. 

DouTREPONT,  Auguste,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  José-, 
Battice  (Liège). 

Dreux,  Alexandre-François,  maître  de  forges,  administrateur- 
directeur  de  la  Société  des  Aciéries  de  Longwy,  Mont-Saint-Martin, 
Meurthe-et-Moselle  (France). 

Drory,  Harold,  propriétaire,  Ter  Heide-Meirelbeke. 

d'Udeghem  d'Acoz,  47,  rue  de  la  Vallée,  Gand. 

M""    d'Udeghem  d'Acoz. 

MM.  DupouRMANTEL,  LÉON,  secrétaire  général  honoraire  de  «  l'Alliance 
française  «,  rue  de  Madrid,  6,  Paris. 

DuMONT,  Fernand,  Thier  de  Cornillon,  1,  Bressoux  lez-Liége. 
DuMONT,  Paùl-Emile,  lecteur  à  l'Université  de  Kiel,  villa  ■•  Les  Clé- 
matites »,  La  Panne. 


—  13  — 

MM.  DuMONT-WiLDKN,  Louis,  homme  de  lettres,  rue  Emile  Banning,  13, 
Ixelles. 
DupiRE,  M.,  professeur  au  Lycée,  rue  du  Rôleur,  50,  Valenciennes 

(France). 
Dupont,  Victor,  à  Renaix. 

Engel,  Raoul,  avocat,  rue  de  la  Madeleine,  31,  Bruxelles. 
Ensch-Tesch,  bourgmestre,  Arlon. 

Ernould,  M.,  rue  de  Westphalie,  11,  Saint-Gilles-Bruxelles. 
Felleb,  Jules,   professeur  de  rhétorique  à  l'Athénée  royal,    rue 

Bidaut,  3,  Verviers. 
Feller,  Louis,  chargé  de  cours  à  l'Université  et  à  la  Polytechnique 
tchèques,  35,  rue  Podskalkska,  Prague  (Bohème). 
M""    Feyerick.  J.,  rue  du  Soleil,  1.  Gand. 

M.  Feyerick.,  Ferdinand,  vice-président  d'honneur  du  Cercle  commer- 
cial et  industriel  de  Gand,  consul  de  Russie  à  Gand,  vice-prési- 
dent du  Comité  belge  des  Expositions  à  l'étranger,  membre  du 
Comité  exécutif  de  l'Exposition  de  Gand,  rue  Neuve-Saint-Pierre, 
55,  Gand. 
jjiics    Feyerick.,  Marie-Rose. 

Feyerick.,  Fernande. 
M'""    Feyerick,  Léon,  château  d'Evergem  (Flandre  orientale). 
M""*    Feyerick,  Germaine. 
Feyerick,  Marcelle. 
MM.  FiERENS,  Maurice,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Joseph  Plateau,  1 8, 
Gand. 
Fontkyne,  Edouard,  homme  de  lettres,  rédacteur  à  l'Indépendance 

belge,  rue  Henri  Van  Zuylen,  42,  Ilccle. 
Foulon,  Franz,  homme  de  lettres,  avenue  Brugmann,  188,  Bruxelles. 
Francotte,  Charles,  industriel,  conseiller  communal,  officier  de 
l'Ordre  de  Léopold  et  de  l'Ordre  de  Franz-Joset  d'Autriche-Hon- 
grie, rue  Mont-Saint-Martin,  73,  Liège. 
Furstenhoff,  Jean-Auguste,  docteur  en  sciences  naturelles,  secré- 
taire de  l'Entente  scientifique  internationale  pour  l'adoption  d'une 
langue  auxiliaire,  rue  de  Pologne,  30,  Bruxelles. 
Gahide,  F.,  49,  rue  du  Chambge,  Tournai. 

Gaidoz,  Henri,  directeur  d'études  à  l'école  pratique  des  Hautes 
études,  professeur  honoraire  à  l'Ecole  des  Sciences  politiques, 
nie  Servandoni,  22,  Paris  (  VI=). 
Gallet,  RuFiN,  professeur  de  rhétorique  à  l'Athénée  royal  de  Char- 
leroi,  rue  du  Progrès,  35,  Charleroi. 


—  14  — 

MM.   Gauthier-Villars,  Albert,  éditeur,  quai  des  Grands-Augustins,  55, 
Paris. 
Gautikk,  Jui.KS,  membre  du  Conseil  d'Etat,  président  de  l'Alliance 
française,   délégué  du   ministre  de  l'Instruction  publique,  rue 
Oudinot,  6,  Paris. 
M"*    Gbrvais,  Paul,  avenue  Montaigne,  .3,  Paris. 
MM.  GiLBART,  Olympe,  docteur  en  philosophie  et  lettres,  secrétaire  de 
rédaction  de  la  Meuse,  rue  Fond-Pirette,  77,  Liège. 
Gillon,  André,  éditeur,  librairie  Larousse,  rue  Montparnasse,  13-17, 

Paris. 
Goblet    d'Alviklla,     Félix,     villa    Beauregard,     Court- Saint - 

Etienne. 
Gohy,  Jules-Hbnri-Théodork,  professeur  à  l'Athénée  communal  de 
Saint-Gilles. 

GoMBAULT,  directeur  honoraire  de  l'enregistrement,  Chartres,  Eure- 
et-Loir  (France). 

Grégoire,  Henri,  professeur  à  l'Université  libre  de  Bruxelles,  ave- 
nue Montjoie,  Uccle. 

Gromaire,  Georges,  agrégé  de  l'Université,  professeur  au  Lycée 
Buffon,  délégué  de  la  Société  d'Echange  international  des  enfants 
et  des  jeunes  gens  pour  l'étude  des  langues  étrangères,  rue  de 
Vaugirard,  189,  Paris. 

GuiLLEBERT,  J.,  professeur  et  publiciste,  rue  Vénéline,  20,  Sofia 
(Bulgarie). 

Hamaide,  Fritz,  avocat,  secrétaire  de  rédaction  de  l'Indépendance 
belge,  avenue  Louis-Bertrand,  34,  Bruxelles. 

Hanrez,  Prosper,  sénateur,  chaussée  de  Charleroi,  190, 
Bruxelles. 

Hansbn,  Joseph,  professeur  au  Lycée,  Diekirch  (Grand-Duché  de 

Luxembourg). 
Harry,  Gérard,  homme  de  lettres,  correspondant  du  Figaro,  de 

V Illustration,  etc.,  rue  de  Bellevue,  52,  Bruxelles. 
Helmer,  Paul-Albert,  avocat  à  la  Cour,  rue  Bruat,  6,  Colmar 

(Alsace). 
Henen,  Paul,  rédacteur  à  la  Flandre  libérale,  avenue  des  Arts,  12, 

Gand. 
Hennebicq,  Léon,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  de  Lausanne,  1, 

Bruxelles. 
Hennequin,  Emile,  lieutenant  au  \"  régiment  de  ligne,  Gand. 

Hennbquin,  L.,  lieutenant-colonel  retraité,  rue  de  Bréderode,  17, 
Gand. 


-   15  - 

MM.  Hknquinez,  Henry,  professeur  à  l'Institut  des  Hautes  études,  rédac- 
teur en  chef  de  la  Revue  d'Expansion  belge,  rue  des  Carmes,  13, 
Liège. 

Hbnkuean,  docteur,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  rue Fabri,  11, 
Liège. 
M"«     Hkris,  Alinb,  directrice  honoraire  des  cours  d'éducation,  rue  Les- 
broussart,  119,  Bruxelles. 

MM.  Hbrmant,  Ernbst,  inspecteur  général  retraité  du  service  de  santé 

de  l'armée,  rue  Anoul,  25,  Ixeltes-Bruxelles. 
Hkumann,  Albert-Gabriel,  homme  de  lettres,  rue  de  Montretout,  5, 

Saint-Cloud  (Seine-et-Oise,  France). 
Heynderycx  (baron),  rue  Montoyer,  42,  Bruxelles. 
Heysb,  Rodolphe,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  boulevard  du  Parc,  27, 

Gand. 
HocQUET,  archiviste  de  la  ville  de  Tournai. 
IIoGU,  Louis,  agrégé  de  l'Université,  professeur  à  la  Faculté  libre 

des  lettres,  rue  Paul  Bert,  9.  Angers  (France). 
HouBEN,  proviseur  du  Lycée,  avenue  Saint-Lambert,  1 ,  Maestricht 

(Hollande). 
M'"^    Hoz-Fratellini,  Coupure,  42,  Gand. 
MM.  Hubert,  Charles,  notaire,  Arlon. 

Hubert,    Herman,    professeur    à    l'Université,    rue    de    Sélys,   7, 

Liège. 
HuGUET,  Edmond,  professeur  à  la  Sorbonne,  membre  du  conseil 

d'administration    de    V Alliance     française,    boulevard     Saint- 
Michel,  127,  Paris. 
M"'    lIuvGKNS,  régente  à  l'école  moyenne,  Saint-Gilles. 
MM.  Ilitch,  Bitolska,  Ulica,  Skoplje  (Serbie). 

Jacquin,  Joseph,  négociant,  chaussée  de  Courtrai,  172,  Gand. 
Jennisskn,  Emile,  avocat,  secrétaire  des  Amitiés  françaises,  rue  de 

l'Ouest,  Liège. 
Kirsch,  Guillaume,  professeur  honoraire  d'école  normale,  membre 

du  comité  de  l'Association  pour  la  vulgarisation  de  la  langue 

française,  boulevard  de  Bruxelles,  21,  Gand. 
Kuffkrath,  Maurice,  directeur  du  théâtre  royal  de   la  Monnaie, 

membre  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  rue  du  Congrès,  2, 

Bruxelles. 
Laenkn,  Jean,  rue  de  l'Intendant,  217,  Bruxelles. 
Lamarre,    Onésime,    notaire,    président    du    comité    niortais   de 

V Alliance  française,  rue  Thiers,  8,  Niort  (Deux-Sèvres),  France. 


—   16  — 

M.      Lambiixiotte,  Alphonse,  professeur  à   l'Ecole  des    Mines  et   à 
l'Institut  commercial  de  Mons  ;  secrétaire  des  Amitiés  françaises, 
Le  Festinois,  Ghlin-lez-Mons. 
M"""  Lambilliotte. 

Lambotte,  Emma,  femme  de  lettres,  rue  Louise,  28,  Anvers. 

MM.  Lameere,  J.,  premier  président  honoraire  à  la  Cour  de  cassation, 
rue  de  Naples,  45,  Bruxelles. 

Lannes,  Ferdinand,  lecteur  à  l'Université,  Levchinski  Pereoulok, 
10,  Moscou  (Russie). 

Lardinois,  François,  rue  Torfs,  9,  Anvers. 

Larousse  (Librairie)  (Moreau,  Auge,  Gillon  et  C'"),  éditeurs-imprimeurs, 

rue  Montparnasse,  13-17,  Paris. 
MM.  Laugbl,    Anselme,     ancien   député,   Saint-Léonard,    par    Boerch 
(Basse-Alsace). 
Laurens,  Henri-Pierre, libraire-éditeur,  rue  de  Tournon,  6,  Paris. 
Lauwick,  André,  propriétaire,  Gièvres,  Loir-et-Cher  (France). 

Lauwick,  Marcel,  professeur  à  l'Université,  boulevard  Léopold,  9, 
Gand. 

Leclère,  Léon,  professeur  à  l'Université  de  Bruxelles,  avenue  de 
Longchamp,  54,  Uccle. 

Lecomte,  Maxime,  sénateur    du    Nord,   Achères    (Seine-et-Oise), 
France. 
M"'"    Lecomte. 

MM.  Lecoq,  J.,  directeur  des  établissements  de  la  Mission  laïque  à 
Salonique,  Saint-Saturnin-Iez-Avignon,  Vaucluse  (France). 
Lefranc,  Abel-Jlles-Maurice,  professeur  de  langue  et  littérature 
françaises  modernes  au  Collège  de  France,  directeur  d'études  à 
l'Ecole  pratique  des  Hautes  études,  président  de  la  Société  des 
Etudes  rabelaisiennes,  rue  Denfert-Rochereau,  38bis,  Paris. 

Leirens,  Jules,  industriel,  boulevard  du  Jardin  Zoologique,  35, 
Gand. 

Leirens,   Léon-Charles,   ingénieur,  boulevard   Frère-Orban,  29, 
Gand. 

M""    Leirens. 
M"«    Leirens,  Kitty. 

MM.  Lemos,   Alvaro,  lieutenant  de  l'armée  portugaise;  professeur  à 
l'institut  des  Pupilles  de  l'armée,  Bemfica,  Lisbonne  (Portugal). 

Lenkr,  a.,  instituteur.Houkerque, par  Steenvoorde  (Nord), France. 

Lbtquks,  Georges,  ancien  ministre,  rue  de  Solférino,  2,  Paris. 


—   17  — 

Ligue  wallonne  du  Tournaisis. 

MM.  Lisbonne, RiîNÉ.éditeur, boulevard  Saint-Germain,  108,  Paris  (VI"). 
L'Olivier,  Hknri-Fkrdinand,  ingénieur,  Moortebeek,  par  Dilbeek. 
LoNFiLS,  Hector,  professeur  à    l'Athénée    royal,   rue    du  Vélo- 
drome, 4,  Oitende. 
Mabille,  Alfred,  directeur  général  de  l'Instruction  publique  et  des 

Beaux- Arts  de  la  ville  de  Bruxelles,  rue  du  Conseil,  22,  Uccle. 
Maertens,  Louis,  avocat,  rue  des  Dominicains,  6,  Gand. 
Mabs,  Pierre,  homme  de  lettres,  rue  Traversière,  18,  Gand. 
Maeterlinck,  Louis,  conservateur  au  Musée  de  Gand,   avenue 

St-Denis,  119,  Gand. 
Magis,  Alfred,  sénateur,  Strouvenbosch,  par  Aubel. 
Mahaim,  Ernest,  professeur  i.  l'Université  de  Liège,  avenue  du 

Hêtre,  9,  Cointe  Sclessin. 
Maingukt,  André,  libraire-éditeur,  rue  Garancière,  10,  Paris. 
Malet,  Albert,  professeur  agrégé  d'histoire  au   Lycée  Louis-le- 

Grand,   secrétaire  général  de   l'Alliance  française,  rue  Claude 

Bernard,  79,  Paris  (VI»). 
Mallieux,  Ferdinand,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  rue  Hemricourt,  24, 

Liège. 
Malvoz,  Ernest,  directeur  de  l'Institut  bactériologique  de  l'Uni- 
versité de  Liège,  Liège. 
Mansuy,  Abel,  lecteur  à  l'Université,  Allée  de  Jérusalem,  93-94, 

Varsovie. 
Mantoux,  Paul,  professeur  à  l'Université  de  Londres,  South-Hill, 

Park  Gardens,  Londres,  N.-W. 
M""'    Marraud,  Vieux  Marché-aux-Moutons,  Gand. 
MM.  Martinenche.E., professeur  à  la  Sorbonne,  rue  Jouffroy,  88,  Paris. 
Martino,  Pierre,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres,  boulevard  Bon 

Accueil,  39,  Alger. 
Masoin,  E.,  docteur,  professeur  à  l'Université  catholique,  secrétaire 

perpétuel  de  l'Académie  Royale  de  médecine,  &  I^uvain. 
Masson,  Pikrre-V.,  libraire-éditeur,  boulevard  Saint-Germain,  120, 

Paris. 
Mawet,  E.,   avocat,  secrétaire  de  l'Association  internationale  pour 

l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française  (section  liégeoise), 

boulevard  d'Avroy,  77,  Liège. 
M"«    Mayer,  Lucien,  rue  de  Berlaimont,  30,  Bruxelles. 
M.      Mees-Braun,  Emile,  industriel,  président  du  tribunal  de  commerce 

de  Gand,  Coupure,  3,  Gand. 


—  lh<  — 

M.      Mkllon,  p.,  place  Malesherbes,  24,  Paris. 
M'"«    Michaux  (baronne  Jane),  avenue  Friedland,  32,  Paris. 
MM.  MiciiKL,  Charles,  professeur  à  l'Université,  avenue  Blonden,  42, 
Liège. 
MocKKL,  Albert,  homme  de  lettres,  avenue  de   Paris,  109,  La 
Malmaison,  Rueil,  Seine-et-Oise  (France). 
M"«    MoRKAu,   secrétaire  de   la   revue   \'Ego,    166,   rue  Brogniez,  9, 

Bruxelles. 
MM.  Morand,  Hubert,  professeur  agrégé  au  Lycée  de  Nice,  envoyé  du 
Journal  des  Débats,  2,  rue  Saint-Siagre,  Nice. 
MouziN,  Chaklks,  ingénieur,  Trazegnies. 
NÉLis,  Jean,  homme  de  lettres,  rue  Clauzel,  25,  Paris 
Nève,  m.,  rue  de  la  Croix,  11,  Gand. 
M™'    Nèvb. 
mm.  Nève,  Léon,  rue  de  Bruges,  90,  Gand. 

Nèvb,  Paul,  chargé  de  cours  à  l'Université  de  Liège,  rue  du  Parc, 

47,  Liège. 
Nicolaï,  Edmond,  directeur  général  au  Ministère  des  Sciences  et 
des  Arts,  professeur  à  l'Ecole  de  Commerce  annexée  à  l'Univer- 
sité de  Gand,  rue  Théodore  Roosevelt,  56,  Bruxelles. 
Nicolay,  Aimé,  contrôleur  des  contributions,  rue  de  l'Ecole,  51, 
Mont-Saint-Amand,  Gand. 
M""»    Nicolay. 

MM.  NiMTTE.  Charles,  lieutenant  général  retraité,  chaussée  de  Vleur- 
gat,  111,  Bruxelles. 
NoKl,  Alexis,  avocat,  avenue  des  Villas,  42,  Bruxelles. 
NovATi,  Francesco,  professeur  à  l'Académie  de  Milan,  villa  Lisoo 

Scaler,  Gressoney-Saint-Jean,  Aoste  (Italie). 
NowÉ,  Henri,  étudiant,  rue  de  la  Vallép,  56,  Gand. 
OcHSÉ,  Julien,  homme  de  lettres,  rue  deVilliers,  43,  Neuilly  (Seine). 
Parmentier,  Léon,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  Hamoir-sur- 

Ourthe. 
Paschal,  Léon,  professeur  à  l'Ecole  de  Guerre  de  La  Haye,  Olden- 

barncveltlaan,  86,  La  Haye. 
Pavard,  Fernand,  avocat,  secrétaire  général  de  la  Ligue  natio- 
nale pour  la  défense  de  la  langue  française,    avenue   de   la 
Montagne,  71,  Forest. 
Peltzer  de  Clermont,  Edoi'ard,  sénateur,  Verviers. 
PiÉBARD,  Louis,  rédacteur  au  Soir,  correspondant  A'Excelsior,  rue 
de  Tyrol,  121,  Bruxelles. 


—   19  — 

MM.  Pinchart-Denis,  Maurice,  ingénieur-constructeur,  rue  Saint-Sabin, 
58,  Paris. 
Polis,    Lambert,    président  de  l'Association   pour  {extension    et 
la    culture   de    la    langue    française,    section    de    Maestricht, 
Maastricht. 
M™    Polis. 
MM.  PoLL.  Auguste,  industriel,  rue  Magelein,  8,  Gand. 

Poli,,  Georges,  avocat,  rue  Basse,  49,  Gand. 
M°»    Poll. 

M.      Poplimont,  avocat,  Anvers. 
Prague  (ville  de). 

MM.  Probst,  docteur,  rue  Gassies,  33,  Pau,  Basses- Pyrénées  (France). 
Reding,  Victor,  directeur  du  Théâtre  Royal  du  Parc,  rue  de  Ten- 

bosch,  32,  Bruxelles. 
Régnier,  Léon,  ingénieur,  place  du  Rabot,  I,  Gand. 
Remouchamps,  J.-M.,  avocat,  boulevard  d'Avroy,  280,  Liège. 
M""'    Remouchamps. 

MM.  Renard,  Maurice,  auditeur  militaire  de  la   Flandre  occidentale, 
Quai  des  Teinturiers,  15,  Bruges. 
Reynaud,   Louis,   professeur  à  l'Université  de  Poitiers,    Soyons, 

Ardèche  (France). 
RivARD,  Adjutor,  docteur  ès-lettres,  Membre  de  la  Société  Royale 
du  Canada,  professeur  à  l'Université  Laval,  président  de  la 
Société  du  Parler  français  au  Canada,  secrétaire  général  du 
Comité  Permanent  du  Congrès  de  la  langue  française  au  Canada, 
rue  Hamel,  7,  Québec  (Canada) . 

Roland,  Auguste,  conseiller  à  la  Cour  d'Appel  de  Gand,  château  de 

Runenboi-g,  Melle  lez-Gand. 
RooMA.N,  Frrnand,  agent  général  de  la  Société  des  Auteurs,  rue 
Royale,  96,  Bruxelles. 
M"*    Rose,  Maria,  directrice  de  l'Ecole  normale  provinciale  du  Hainaat, 

avenue  Michel-Ange,  39,  Bruxelles. 
MM.  RosY,  Léopold,  directeur  de  la  Revue  Le  Thyrse,  avenue  Mont- 
joie,  104,  Uccle. 
RoTH,  Gkorobs-Jules,  professeur  agrégé  de  l'Université,  avenue 
Mac-Mahon,  18,  Paris. 
M""    RbTHLiSBERGER,  Gand. 

M.      RouFFAKT,  Docteur  E.,  agrégé  à  l'Université,  rue  de  la  Sablon- 
niére,  28,  Bruxelles. 


—  20  — 

M.      RoTKR,  Emile,  avocat  et  député,  rue  de  Tyrol,  131,  Bruxelles. 
Miss  Ryan,  Mary,  professeur  de  langues  romanes,  University  Collège, 

Cork  (Irlande). 
MM.  Sadoul,  Charles,  directeur  du  Pays  lorrain  et  de  la  Revue  lorraine 

illustrée,  conservateur  au  Musée  lorrain,   rue  des  Carmes,  29, 

Nancy  (France). 
Salmon,  Amédéb,  professeur  à  l'Université  de  Reading,  Western 

Elms  Avenue,  54,  Reading  (Angleterre). 
M">°    Salmon. 
MM.  Salonb,  Emile,  vice-président  de  l'Alliance  française,  boulevard 

Saint-Germain,  186,  Paris. 
Sasserath,  Simon,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  président  de  la  Ligue 

nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française,  rue  du  Trône, 

51,  Bruxelles. 
Savart,  h.,  rue  Jacquemont,  11,  Paris. 
ScHATz,  Albert,  professeur  à  l'Université  de  Lille,  directeur  de 

l'Institut  français  de   Londres,  Marble  Arch  House,  Marble  Arch 

W.  Londres. 
M""    Sohœmarer,  rue  Neuve-Saint-Pierre,  Gand. 
M.      ScHOORMAN,  Robert,  conservateur  des  archives  de  l'Etat,  Coupure, 

175,  Gand. 

M""     ScHOORMAN . 
M"»       ScHOORMAN. 

M""    Sbryais-Ligit,  Hélène,  boulevard  de  la  Citadelle,  155,  Gand. 

Société  liégeoise  de  Littérature  wallonne. 

MM.  Spab,  Joseph,  avocat  à  la  Cour  d'appel,  Coupure,  133,  Gand. 

Stabs,  Auguste-Jean-Octave,  rue  Charles-Martel,  18,  Bruxelles. 
M"'    Stas  de  Richelle,  Villa  l'Aiglon,  Meirelbeke. 
MM.  Steinkuhler,  Robert,  place  du  Comte-de-Flandre,  2,  Gand. 

Stbyaert,    Emile,  président  du  tribunal,   quai  des  Moines,  46, 
Gand. 
M""*    Stbyaert. 
M"«     Stbyaert. 
MM.  Stuyck.,  Louis,  Longue  rue  Neuve,  42,  Anvers. 

Tbrtzwbil,  Léon,  rue  de  l'Eglise,  108,  Gentbrugge-Gand. 

Thibnpont,  Gustave,  industriel,  rue  des  Baguettes,  66,  Gand. 

Thoei.en,  docteur,  médecin  des  hôpitaux,  rue  du  Taciturne,  47, 
Bruxelles. 

Thomas,  Lucibn-Paul,  professeur  à  l'Université  de  Giessen,  rue 
Henri-Maus,  Liège. 


—  21  — 

M""  TiBERGHiEX,  Jeanne,  rue  de  Belle- Vue,  27,  Ledeberg-Gand. 
TiBEROHiBN,  Simonne. 

TouRNOT,  Elisa,  régente,  villa  Jeanne,  chaussée  de  Nieuport,  413, 
Ostende. 
M.      Ulrix,  Eugène,  professeur  à  l'Athénée  royal  de  Bruges,  rue  Krui- 

tenberg,  19,  Bruges. 
Union  des  Associations  internationales,  rue  de  la  Régence,  3bis,  Bruxelles. 
M.      Van  Acker,  cour  du  Prince,  57,  Gand. 
M""»    Van  Acker. 

M.      Van  Bknbden  (baron),  Charles,  avocat,  vice-président  de  la  Ligue 
nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française,  rue  Marie-de- 
Bourgogne,  16,  Bruxelles. 
M""    Van  Cauwbnberghe,  rue  Neuve-du-Casino,  Gand. 
MM.  Van  Ceulebroeck,  industriel,  boulevard  du  Château,  Gand. 

Van  Crombrugghb,  Jules,  industriel,  rue  des  Foulons,  15,  Gand. 
M"»    Van  den  Berghen,  rentière,  rue  du  Miroir,  22,  Gand. 
M.      Van  den  Daele,  Oscar,  professeur  à  l'Athénée  royal  et  à  l'Ecole 
des  Mines  et  Faculté  polytechnique  du  Hainaut,  rue  des  Cinq- 
Visages,  12,  Mons. 
M""     Van  de  Putte,  Carmen,  chaussée  d'Hundelghem,  Ledeberg. 
MM.  Van  de  Puttb,  Charles,  chaussée  de  Vleurgat,  173,  Iielles. 

Van  de  Putte,  Hector,  industriel,  Coupure,  70,  Gand. 
M"«»  Van  de  Putte,  Irène,  rue  de  l'Ecole,  51,  Mont-Saint-Amand,  Gand. 

Van  de  Putte,  Marguerite,  chaussée  d'Hundelghem,  Ledeberg. 
M"*    Van    der  Auwera,   Ed.,    rue    Eckelaers,   Saint- Josse-tenNoode, 

Bruxelles. 
MM.  Van  der  Noot,  Armand,  rue  Courte-du-Marais,  14,  Gand. 

Van  der  Noot,  Maurice,  restaurateur,  rue  Courte-du-Marais,  14, 
•   Gand. 

Van  Doorbn,  J.,  professeur  à  l'Athénée  royal  d'Arlon. 
Van  Hooreberb,  Edmond,  propriétaire,  ehaussée  de  Bruxelles,  31, 
Ledeberg-Gand. 

Van  Nieuwenhuïse,  Albert,  avocat,  chaussée  de  Malines,  191, 
Anvers. 

Van  Rijsschoot,  D.,  professeur  au  Conservatoire,  rue  de  la  Vallée, 
Gand. 
Mme   Van  Rijsschoot. 
MM.  Van  Santen,  René,  avocat,  rempart  des  Béguines,  97,  Anvers. 

Vantrappen,  Benoît,  négociant,  rue  Longue-duVerger,  6,  Gand. 


22  

M"«    Vantrappen,  Gabribixe. 

MM.  Van  Wetter,  ancien  recteur  de  l'UniTcrsité,  boulevard  Zoologique, 
Gand. 
Verhaeghe  db  Naeyer,  Henri,  place  Van  Artevelde,  8,  Gand. 
Verhaeren,  Emile,  homme  de  lettres,  Roisin. 
Verhulst,  Henri,  ancien  directeur  des  rentes,  quai  de  l'Evêché,  4, 

Gand. 
Vermeersch,  Paul,  professeur  à  l'Université,  Digue  de  Brabant,  71, 

Gand. 
Vermeire,  Théodore,  industriel,  rue  de  l'Hôpital,  10,  Saint-Nico- 
las (  Waes). 
ViRRÈs,  Georges,  hommes  de  lettres,  Lummel  (Limbourg). 
VooRTMAN,  Jean,  industriel,  rue  Neuve  Saint-Pierre,  84,  Gand. 
M""   VooRTMAN,  quai  du  Ramage,  Gand. 

MM.  Vranckkn,   Georges,   professeur  au   Collège  communal,  avenue 
Bouvier,  12,  Virton. 

Werbrouck,  Albert,  rue  du  Grand-Chien,  45,  Anvers. 

Welsch,  Eugène,  directeur  des  écoles  primaires,  délégué  de  la 

ville  de  Liège,  rue  Saint-Laurent,  49,  Liège. 
Wenqer,  Tony,  délégué  général  de  l'Alliance  française,  avenue 
Pescator,  5,  Luxembourg. 
M"«    Wibrin-Oliviek,  institutrice,  boulevard  d'Avroy,  31,  Liège. 
MM.  WiLLAERT,  Gaston,  rue  du  Prince  Royal,  28,  Anvers. 

Wilmotte,  Maurice,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  membre  de 
l'Académie  royale  de  Belgique,  rue  de  Pavie,  40,  Bruxelles. 

WuRTH,  G.,  conseiller  provincial,  rue  Guillaume  Tell,  Gand. 


Assemblées  et  travaux  du  Congrès. 


Notre  troisième  Congrès  international  a  eu  lieu,  à  Gand,  les 
11-14  septembre  1913.  Il  s'était  écoulé  cinq  ans  depuis  notre 
deuxième  réunion,  qui  avait  réuni  à  Arlon  environ  cinq  cents 
personnes,  dont  la  majorité  venait  des  parties  wallonnes  de  la 
Belgique,  du  Luxembourg,  de  la  France,  des  Pays-Bas,  de  la 
Hongrie,  etc.  Cette  fois,  il  fallait  s'attendre  à  la  prédominance 
des  éléments  néerlandais,  en  raison  du  choix  qui  avait  été  fait 
d'une  cité  considérée  ffomme  la  capitale  de  la  Flandre,  et  dont 
le  passé  historique  évoque  tant  de  souvenirs  glorieux,  juste- 
ment chers  aux  Belges  de  langue  germanique. 

Il  en  a  été  ainsi,  et  nous  avons  eu  le  plaisir  de  constater  que 
les  vieilles  sympathies  dont  la  France  a  joui,  dès  les  origines 
de  la  civilisation,  en  ce  beau  pays  qui  fut  d'abord  un  fief  de 
ses  rois  et  où  ses  évangélisateurs,  ses  moines,  ses  clercs,  ses 
écrivains  et  ses  artistes  accomplirent,  en  tout  temps,  leur 
œuvre  féconde,  étaient,  quoi  qu'on  dise,  restées  vivaces  et 
actives.  Ce  fut  de  Gand  que  parvint  à  notre  Bureau  fédéral 
l'offre  de  nous  réunir  dans  des  locaux,  mis  à  notre  disposition 
par  le  comité  organisateur  de  l'Exposition  universelle.  Aussitôt 


—  24  — 

que  la  date  du  Congrès  fut  arrêtée,  un  comité  local  (1)  fonc- 
tionna là-bas,  et  tout  un  programme  de  fêtes  fut  élaboré,  en 
même  temps  qu'un  appel  était  adressé  à  la  partie  la  plus 
intelligente  et  la  plus  cultivée  de  la  population,  appel  aussitôt 
entendu,  puisque  nous  avons  recueilli,  à  Gand  seulement,  plus 
de  120  adhésions,  parmi  lesquelles  il  en  est  de  considérables 
et  de  fortement  significatives. 


(1)  Il  était  composé  de  :  MlVf.  A.  Braeckman,  avocat;  A.  Callier,  procureur 
général  près  la  Cour  d'appel  ;  A.  Counson,  professeur  à  l'Université;  Eug.  Dauge, 
professeur  à  l'Université;  H.  de  Baets,  avocat,  ancien  bâtonnier,  député  per- 
manent ;  Eug.  de  Hemptinne,  sénateur-suppléant  ;  de  Kerchove  d'Exaerde, 
conseiller  à  la  Cour  d'appel;  A.  Dervaux,  avocat,  ancien  bâtonnier;  Baron  de 
Pélichy,  juge  au  tribunal  de  première  instance;  Chr.  de  Smet  de  Naeyer,  indus- 
triel, i)r&id«m«;  P.  Henen,  rédacteur  en  chef  de  la  Flandre  libérale;  M.  Lau- 
wick,  professeur  à  l'Université  ;  J.  E.  Nève,  avocat;  G.  Poplimont,  avocat; 
Renard,  auditeur  militaire  de  la  Flandre  occidentale;  R.  Schoorman,  conser- 
vateur des  Archives  de  l'État  ;  R.  Steinkiihler,  industriel  ;  E.  Steyaert,  prési- 
dent du  tribunal  de  première  instance  ;  G.  Stuyck,  président  de  l'Association 
pour  la  vulgarisation  de  la  langue  française  à  Anvers  ;  D.  Van  Reysschoot,  pro- 
fesseur au  Conservatoire  ;  R.  Van  Sauten,  avocat;  P.Van  Wetter,  professeur  â 
l'Université;  P.  Vermeersch,  professeur  à  l'Université;  G.  Wiirth,  avocat, 
conseiller  provincial,  membres. 

M.  Georges  Poil,  avocat,  remplit  les  fonctions  de  .«fcr^^rtîcc 


Première  journée. 


Le  jeudi  11  septembre,  à  3  heures  de  l'après-midi,  les  con- 
gressistes se  réunissaient  au  Palais  des  Fêtes  de  l'Exposition. 
A  cette  première  assemblée,  on  remarquait  la  présence  de  : 

MM.  Jules  Gautier,  conseiller  d'Etat,  et  Jules  Goulet,  direc- 
teur de  l'Office  national  des  Universités,  délégués  de  M.  le  mi- 
nistre de  l'Instruction  publique  de  France;  M.  Beckers,  direc- 
teur général  de  l'Enseignement  supérieur  des  Sciences  et  des 
Lettres  en  Belgique;  MM.  Brunot  et  Huguet,  professeurs  à  la 
Sorbonne;  M.  Salone,  secrétaire  général  de  ï Alliance  française; 
MM.  de  Baets  et  Peltzer  de  Clermont,  sénateurs;  M.  Fr.  Novati, 
professeur  à  l'Académie  de  Milan;  M.  le  comte  Casati,  de  Milan; 
M.  Bordât,  directeur  de  la  Revue  des  Français  ;  M.  Grozier, 
consul-général  de  France  à  Anvers;  M.  Helmer,  avocat  à  Gol- 
niar;  M.  Wenger,  délégué-général  de  l'Alliance  française  à 
Luxembourg;  M.  Hansen,  professeur  à  Diekirch;  M.  Georges 
Ducrocq,  directeur  des  Marches  de  l'Est;  M.  Sadoul,  directeur 
de  la  Revue  lorraine,  de  Nancy;  MM.  L.  Dumont-Wilden; 
Georges  Virrès;  Henri  Davignon;  Albert  Mockel;  Félix  Bodson; 
Olympe  Gilbart;  Gérard  Harry;  J.  Van  Dooren,  hommes  de 
lettres;  M.  S.  Sasserath,  président  de  la  Ligiie  nationale  pour 
la  défense  de  la  langue  française;  M.  Maurice  des  Ombiaux, 
président  des  Amitiés  françaises,  de  Bruxelles;  M.  Alphonse 
Lambillotte,  secrétaire  général  des  Ainitiés  françaises,  de  Mons; 
JL  Emile  Jennissen,  secrétaire  général  des  Amitiés  françaises, 
de  Liège,  etc.,  etc. 


—  26  — 

M.  Henry  Boddaert,  en  l'absence  de  M.  Maurice  de  Smet 
de  Naeyer  qu'un  deuil  récent  empêchait  d'être  parmi  nous, 
représentait  le  Comité  exécutif  de  l'Exposition   (1). 

M.  Maurice  Wilmotte,  président,  ouvre  la  séance.  Après  avoir 
lu  les  lettres  d'excuses  de  nombreux  amis  belges  et  étrangers 
(parmi  lesquels  M.  Klobukowski,  ministre  de  France  à  Bru- 
xelles ;  M.  Maurice  Barrés,  de  l'Académie  française  , 
MM.  M.  et  Chr.  de  Smet  de  Naeyer,  etc.),  il  prononce  une  allo- 
cution dans  laquelle  il  rappelle  le  passé  déjà  long  de  l'Associa- 
tion internationale.  Son  souvenir  va  à  ses  fondateurs,  parmi 
lesquels  deux  morts  illustres  :  J.  Novicow  et  G.  Van  Hamel. 
Lorsqu'en  1905,  à  Liège,  accoururent  de  toutes  les  parties  de 
l'Europe  les  amis  de  la  culture  française,  un  seul  sentiment 
les  guidait,  celui  d'assurer  à  leurs  compatriotes,  quelles  que 
fussent  leur  race  et  leur  langue,  le  bénéfice  d'un  instrument 
incomparable  d'échange  intellectuel  et  moral;  tous  ces  étran- 
gers étaient  d'ailleurs  d'excellents  patriotes;  ils  ne  croyaient 
pas  forfaire  à  l'honneur,  ni  trahir  leurs  devoirs  envers  une 
patrie  et  une  nationalité  en  venant  proclamer  à  Liège  leur 
respect  filial  pour  une  culture  et  une  langue,  qui  avaient  déposé 
en  leur  esprit  les  germes  intellectuels  les  plus  fécondants. 

((La  Belgique,  ajoute-il,  a  plus  de  raisons  que  tout  autre 
pays  d'être  reconnaissante  à  la  culture  française.  Bilingue  de- 
puis l'origine  de  la  civilisation,  elle  a,  même  dans  ses  parties 
germaniques,  toujours  fait  une  part  généreuse  à  la  pensée  et 
à  l'idiome  de  ses  voisins  du  Midi. 

La  Flandre  est  le  théâtre  idéal  et  nécessaire  des  efforts  les 
plus  vaillants  pour  la  propagation  du  français.  Mais  les  Luxem- 
bourgeois, les  Alsaciens,  les  Suisses  qui  sont  ici  ne  me  démen- 
tiront pas  si  j'affirme  que  toutes  les  marches  du  Nord-Est  et  de 
l'Est  sont  dans  le  même  cas  que  la  Belgique,  et  particulière- 
ment que  la  Belgique  flamande.  Ce  n'est  donc  pas  un  manque 


(i)  Une  gratitude  toute  particuU^re  est  due  à  M.  Maurice  de  Smet  de  Naeyer, 
dont  les  œuvres  françaises,  à  Gand,  sont  toutes  les  débitrices,  et  qui  dirige  avec 
éclat,  et  avec  une  sorte  d'entêtement  aimable,  la  n'îsistance  aux  prétentions 
exclusivistes  des  adversaires  de  notre  culture.  Il  n'est  que  juste  de  joindre  à  ce 
nom  respecté  celui  du  colonel  Hennequin,  secrétaire  général  de  VAnsoriation 
flamande  pour  la  vulgarisation  de  la  langue  française. 


—  -27  — 

d'égard  envers  le  néerlandais  et  sa  littérature  que  de  venir  à 
Gand  pour  y  exposer  les  titres  du  français  à  l'universalité.  » 

M.  Wilmotte  résume  ensuite  l'effort  accompli  depuis  1905, 
la  création  de  plusieurs  groupements,  tant  dans  le  sein  de  la 
Fédération  qu'il  préside  qu'en  dehors  d'elle,  les  Amitiés  fran- 
çaises, la  Ligue  nationale  pour  la  défense  de  la  langue 
française,  etc.,  sans  parler  de  cette  précieuse  Association  fla- 
mande pour  la  vulgarisation  de  la  langue  française,  qui  a  été 
la  première  fondée  chez  nous  et  qui  a  rendu  d'infinis  services. 
M.  Wilmotte  salue  les  délégués  étrangers;  il  annonce  que  la 
ville  de  Prague  vient  de  faire  parvenir  une  souscription  au 
Congrès;  il  exprihie  l'espoir  que  ces  nouvelles  assises  seront 
entourées  d'autant  de  sympathie  que  les  Congrès  de  Liège  et 
d'Arlon  en  avaient  réuni. 

M.  Jules  Gautier,  conseiller  d'Etat,  délégué  officiel  du  mi- 
nistre de  l'Instruction  publique,  prend  alors  la  parole.  Il  rend 
hommage  au  dévouement  du  Président. 

«  Nous  venons,  ajoute-t-il,  défendre  ici  une  idée.  Nous  venons 
défendre  la  langue  française  qui  a  été  depuis  toujours  le  véhi- 
cule de  la  civilisation;  qui  est  une  langue  d'union  et  de  con- 
corde; qui  nous  apporte  tout  son  passé  et  qui  est  un  instrument 
admirable  pour   le  développement  de  l'esprit. 

<i  Nous  voulons  montrer  que  la  connaissance  de  la  langue 
française  enrichit  les  esprits  d'une  quantité  innombrable 
d'idées. 

«  Ce  Congrès  de  Gand,  si  caractéristique  —  car  c'est  le  pre- 
mier congrès  que  nous  tenons  dans  une  terre  où  la  langue  fran- 
çaise n'est  pas  la  langue  maternelle  —  nous  donnera,  j'en  suis 
sûr,  des  résultats  plus  féconds  encore  que  ceux  de  Liège  et 
d'Arlon.  »  (Vifs  applaudissements.) 

On  entend  encore  d'excellentes  paroles  de  M.  Salone,  qui,  au 
nom  de  VAlliance  française,  promet  au  Congrès  la  sympathie 
de  cette  puissante  association,  et  un  bref  discours  de  M.  Henri 
Davignon,  saluant,  au  nom  du  Groupe  des  Congrès  et  Confé- 
rences de  l'Exposition,  les  membres  étrangers  du  Congrès  et 
souhaitant,  d'une  façon  générale,  la  bienvenue  aux  organisa- 
teurs de  celui-ci.  Enfin,  M.  Gustave  Charlier,  secrétaire  général, 
donne  aux  congressistes  diverses  indications  d'ordre  pratique. 

La  séance  est  levée  à  4  heures  et  demie. 


—  28  — 

Visite  de  la  section  française. 

Aussitôt  après  cette  première  réunion,  on  se  rendit,  en 
groupe,  dans  la  section  française,  où  M.  Wilmotte  présenta  les 
congressistes  à  M.  Marraud,  commissaire  général  de  la  France. 
Celui-ci  répondit  par  un  speech  de  bienvenue.  Au  surplus,  pen- 
dant toute  la  durée  du  Congrès,  et  même  pendant  la  période 
préparatoire,  nous  trouvâmes  en  ce  haut  fonctionnarie  un 
accueil  bienveillant  et  généreux  dont  nous  sommes  heureux  de 
lui  rendre  grâce  ici.  Il  serait  injuste  de  ne  pas  associer  à  ce 
souvenir  reconnaissant  le  secrétaire  des  conférences  au  com- 
missariat général,  M.  Joseph  Berge,  qui  s'est  dépensé  sans 
compter  à  notre  service. 

La  visite  de  la  section  française  fut  forcément  rapide,  sauf 
en  un  seul  endroit.  Nous  avions,  en  effet,  été  avisés  d'une 
réception  particulière  par  le  Cercle  de  la  Librairie  française. 
Un  certain  nombre  des  dirigeants  du  Cercle  étaient  là,  et,  en 
leur  nom,  M.  Moreau,  l'un  des  chefs  de  la  maison  Larousse, 
prononça  un  speech  aimable,  auquel  M.  Wilmotte  répondit 
brièvement. 

Représentation  théâtrale. 

Le  soir,  une  représentation  eut  lieu  au  Théâtre  Minard, 
aimablement  mis  à  la  disposition  des  organisateurs.  La  troupe 
du  Théâtre  de  l'Œuvre  y  joua  Le  Voile  de  Rodenbach  et  Les 
Romanesques  de  Rostand.  Programme  d'une  piquante  variété 
qui  fit  ressortir  avec  un  égal  bonheur  le  talent  admirablement 
souple  des  artistes  de  la  célèbre  compagnie,  que  M.  Lugné-Poe 
dirige  avec  tant  de  sens  littéraire.  Un  public  enthousiaste  et 
ravi  applaudit  tour  à  tour  en  M"«  Greta  Prozor  une  sœur 
Gudule  d'une  grâce  toute  mystique  et  un  Percinet,  délicieux 
de  fantaisie  alerte.  M"«  Dehle  fut  une  aimable  Sylvette. 
M"«  Marges,  MM.  Comély,  Berger,  Corney  formèrent  un  excel- 
lent ensemble.  Et  que  dire  de  M.  Lugné-Poe  lui-même,  dont 
l'initiative  novatrice  a,  depuis  vingt  ans,  introduit  et  natura- 
lisé en  France  tant  de  noms  glorieux  dans  les  fastes  drama- 
tiques! Non  content  d'apporter  à  cette  soirée  l'appoint  de  son 


—  29  — 

beau  talent,  il-  lut,  en  guise  d'intermède,  une  lettre  émouvante 
et  spirituelle  d'un  poète  disparu  dont  le  nom  est  justement 
cher  aux  Gantois  :  Charles  Van  Lerberghe. 

Bref,  beau  spectacle,  dont  les  congressistes  emportèrent  un 
vivant  souvenir.  Aucune  fête  ne  pouvait  mieux  terminer  la 
première  journée  de  ces  assises,  consacrées  à  l'exaltation  de  la 
culture  française. 


Deuxième  journée. 


Le  vendredi  12  septembre,  à  9  heures,  les  sections  s'organisent 
dans  les  locaux  mis  à  la  disposition  du  Congrès  au  Palais 
des  Fêtes  de  l'Exposition. 


I.  —  Section  de  propagande. 


La  séance  est  ouverte  à  9  heures  et  demie. 

Composition  du  bureau  : 
Président   :   M.  Jules   Gautier,   conseiller  d'Etat,    délégué  du 

ministre  de  l'Instruction  publique  de  France; 
Vice-présidents  :  M.  Salmon,  professeur  à  Reading  UniversHy 

(Angleterre)  et  M.  Helmer,  avocat  à  Colmar; 
Secrétaire  :  M.  S.  Sasserath,  président  de  la  Ligue  nationale 

pour  la  défense  de  la  langue  française  en  Belgique. 

M.  Becker  développe  son  rapport  sur  la  situation  de  la  lan- 
gue française  dans  le  Grand-Duché  de  Luxembourg. 

M.  le  Président  remercie  M.  Beclcer  pour  l'exposé  intéressant 
qu'il  a  bien  voulu  faire  à  l'assemblée. 

M.  Wenger,  de  Luxembourg,  signale  que,  dans  cette  ville,  les 
partisans  de  la  langue  française  ont  créé  des  cours  gratuits 
de  conversation  française.  Ces  cours  ont  été  bien  accueillis  et 
sont  suivis  par  de  nombreux  auditeurs. 


—  31  — 

M.  Renard,  président  de  la  section  brugeoise  de  la  Ligue 
nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française,  insiste  sur 
l'utilité  qu'il  y  aurait  pour  les  Luxembourgeois  de  langue 
française  à  se  mettre  en  rapport  avec  l'Association  tianiande 
pour  la  vulgarisation  de  la  langue  française;  ce  groupement 
pourrait  leur  donner  des  indications  très  utiles  pour  l'organi- 
sation de  cours  de  français. 

M.  Renard  exprime  également  le  vœu  que  l'on  crée  en  France 
des  diplômes  pour  les  étrangers  qui  veulent  y  suivre  des  cours 
supérieurs. 

M.  le  Pl-ésident  expose  d'une  manière  très  complète  com- 
ment les  diplômes  sont  délivrés  dans  les  écoles  françaises. 

Il  fait  remarquer  qu'il  faut  distinguer,  d'une  part,  les  grandes 
écoles  du  gouvernement,  et,  d'autre  part,  les  universités. 

Les  grandes  écoles  gouvernementales  sont  celles  qui  forment 
les  futurs  candidats  aux  fonctions  d'Etat,  et,  comme  il  faut  être 
Français  pour  remplir  ces  fonctions,  il  va  de  soi  que  ces 
diplômes  ne  peuvent  être  délivrés  qu'à  des  Français.  On  est 
admis  généralement  dans  ces  écoles  par  voie  de  concours. 

En  fait,  cependant,  les  étrangers  sont  admis  dans  ces  écoles 
en  qualité  d'élèves  libres. 

Rien  n'empêcherait  de  les  y  admettre  en  qualité  d'élèves 
réguliers,  mais  à  condition  que  les  diplômes  qui  leur  seraient 
délivrés  ne  leur  donnent  pas  le  droit  de  postuler  les  fonctions 
d'Etat  en  P'rance. 

D'autre  part,  il  y  a  les  universités,  et  avant  tout  la  Sorbonne. 
Toutes  ces  universités  sont  très  spécialisées  et  il  importe  que 
les  Luxembourgeois,  qui,  souvent,  vont  faire  leurs  études  dans 
les  universités  allemandes,  sachent  que  les  universités  fran- 
çaises sont  aussi  spécialisées  que  les  universités  allemande'^ 
et  personne  ne  soutiendra  que  les  diplômes  délivrés  par  les 
universités  françaises  ont  moins  de  valeur  que  ceux  délivrés 
par  les  universités  allemandes. 

Il  serait  donc  désirable  que  les  Luxembourgeois  fassent  de 
In  propagande  pour  que  les  jeunes  gens  du  Grand-Duché  de 
Luxembourg  donnent  la  préférence  aux  universités  françaises 

Les  universités  françaises  délivrent  aux  étrangers  des 
diplômes  qui  ont  absolument  la  même  valeur  scientifique  que 
les  diplômes  délivrés  aux  Français,  mais  qui  présentent  cette 


—  32  — 

différence  que  ceux  qui  en  sont  détenteurs  ne  peuvent  pas 
exercer  leur  profession  en  France,  ce  qui  est  une  mesure,  en 
somme,  de  légitime  protection  en  faveur  des  jeunes  Français. 
Mais  ces  diplômes  prouvent  aux  autorités  du  pays  d'origine 
de  l'étranger  qui  les  a  obtenus  que  celui-ci  a  fait  des  études 
sérieuses,  qu'il  possède  certaines  capacités  et  peuvent  avoir 
pour  conséquence  de  permettre  au  porteur  des  diplômes  de 
remplir  certaines  fonctions  dans  son  pays. 

Un  membre  de  la  section  émet  le  vœu  que  ces  observations 
de  M.  le  Président  fassent  l'objet  d'une  notice  spéciale,  insérée 
dans  le  compte  rendu  du  Congrès. 

M.  le  Président  répond  que  ses  observations  seront  résumées 
dans  le  procès-verbal  de  la  séance. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  S.  Sasserath,  avocat  à  la 
Cour  d'appel  de  Bruxelles,  président  de  la  Ligue  nationale  pour 
la  défense  de  la  langue  française  en  Belgique,  qui  développe 
son  rapport  sur  la  question  des  langues  dans  ce  pays. 

M.  le  Président  remercie  M.  S.  Sasserath  pour  son  exposé  et 
il  insiste  sur  cette  considération  que  la  propagande  faite  en 
faveur  de  la  langue  française'  ne  constitue  nullement  un  acte 
d'hostilité  envers  les  idiomes  locaux,  ni  envers  aucune  autre 
langue. 

u  Nous  ne  convions  pas,  dit-il,  les  Flamands  à  abandonner 
«  leur  langue;  nous  leur  demandons  simplement  d'y  ajouter 
«  quelque  chose,  c'est-à-dire  un  moyen  d'entrer  en  rapport  avec 
«  un  plus  grand  nombre  de  personnes,  de  développer  et  de 
«  multiplier  leurs  idées.  » 

La  séance  est  levée  à  10  h.  45  pour  permettre  aux  membres 
de  la  section  d'assister  à  la  conférence  de  M.  Brunot. 

La  section  s'ajourne  au  samedi  13  septembre,  à  2  heures  de 
relevée. 


33 


II.   —    Section  littéraire. 


La  séance  est  ouverte  à  9  h.  1/2,  sous  la  présidence  provi- 
soire de  M.  Gérard  Harry,  auquel  succède  bientôt  M.  Albert 
Mockel. 

La  parole  est  à  M.  Gaston  Bordât,  directeur  de  la  Revue  des 
Frai^çais,  qui  lit  un  rapport  très  intéressant  sur  le  rôle  de  la 
presse  périodique  dans  la  propagation  de  la  culture  française. 
M.  J.  Dechamps  remplit  les  fonctions  de  secrétaire. 

M.  Georges  Ducrocq,  en  approuvant  les  vues  de  M.  Bordât, 
souhaite  que  les  revues  en  général,  et  surtout  les  revues  étran- 
gères de  langue  française,  s'inspirent  des  idées  qui  viennent 
d'être  exposées. 

M.  Harry  défend  ensuite  un  projet  original  de  propagande 
française  par  les  langues  étrangères.  Ce  projet  vise  naturelle- 
ment les  pays  étrangers. 

Entre  autres  mesures,  M.  Harry  propose  de  fonder,  là  où 
le  français  se  heurte  à  des  antagonismes  sérieux,  des  organes 
périodiques  de  combat  rédigés  dans  la  langue  concurrente  et 
de  créer  en  même  temps  des  comités  locaux  pour  soutenir 
l'œuvre  entreprise. 

M.  le  Président  félicite  l'orateur  et  estime  qu'il  serait  à 
propos  d'attirer  l'attention  de  la  section  de  propagande  sur 
les  conclusions  si  judicieuses  du  rapport  de  M.  Harry.  Il  prie 
donc  ce  dernier  de  soumettre  à  l'assemblée  un  vœu  qui  serait 
plus  tard  discuté  en   séance  publique. 

Le  vœu  suivant,  amendé  par  MM.  Mockel  et  Rosy,  est  admis 
à  l'unanimité  : 

((  La  section  littéraire  émet  le  vœu  que  dans  les  pays  étran- 
11  gers  où  la  vogue  et  l'extension  de  la  langue  française  sont 
«  contrariées  par  une  propagande  hostile  menée  contre  elle 
«  dans  une  autre  langue,  il  soit  créé  un  organe  quotidien  ou 
i<  périodique,  rédigé  dans  l'idiome  servant  à  battre  en  brèche 
Cl  le  français; 


—  34  — 

(1  Que  le  Congrès  désigne  pour  chaque  pays  un  comité 
«  chargé  de  travailler  à  réaliser  ce  programme  dans  toute  la 
((  mesure  du  possible.  » 

M.  Harry  fait  également  adopter  un  vœu  formulé  en  ces 
termes  : 

«  La  section,  considérant  que  la  propagande  de  la  langue 
((  française  est  inséparable  de  celle  des  idées,  souhaite  que  les 
<i  revues  françaises  demeurent  fidèles  au  principe  de  ne  jamais 
((  publier  un  article  susceptible  de  diminuer  le  prestige  de  la 
((  France  à  l'étranger  et  de  ne  point  fournir  d'armes  à  ses 
«  adversaires.  » 

M.    Georges    Ducrocq,  directeur    de    l'excejlente    revue    Les 
Marches  de  l'Est,  soulève  la  question  des  aoûterons  flamands, 
qui  vont  faire  la  moisson  en   France   et  auxquels  on  devrait 
s'occuper  d'apprendre  la  langue  française. 

Une  vive  discussion  s'engage  sur  ce  sujet  si  digne  d'atten- 
tion, jusqu'à  ce  qu'on  se  rallie  au  vœu  présenté  par  M.  Ducrocq 
et  amendé  d'après  les  observations  de  MM.  Harry  et  Gromaire  : 

«  La  section  émet  le  vœu  que  les  ouvriers  agricoles  étrangers, 
«qui  viennent  en  France  chaque  année,  y  trouvent  des  orga- 
«  nismes  locaux  qui  leur  faciliteront  la  connaissance  de  la 
<i  langue  française  et  leur  assureront  une  atmosphère  de  sym 
«  pathie  dont  ils  ont  besoin.  Il  souhaite  la  création  immédiate 
(1  d'un  comité  spécialement  chargé  de  cette  mission  et  que  le 
((  comité  organisateur  du  présent  Congrès  désignera.  » 

M.  Gillon  résume  un  rapport  très  documenté  dont  il  est 
l'auteur  avec  MM.  Bourrelier,  Mainguet  et-  Lisbonne,  éditeurs 
parisiens,  sur  la  librairie  et  l'extension  de  la  littérature  fran- 
çaise. Cette  étude,  qui  est  l'œuvre  de  spécialistes  compétents, 
est  jugée  fort  instructive  par  l'assemblée.  Au  nom  de  celle-ci, 
M.  le  Président  adresse  des  éloges  mérités  à  M.  Gillon  et  à  ses 
coHaborateurs. 

Le  tableau  tracé  d'une  manière  si  éloquente  par  M.  Gillon 
suggère  à  M.  Dumont-Wilden  une  proposition  à  laquelle,   sur 


—  35  — 

l'initiative  de   M.  le  Président,  il   donne   la  forme  d'un   vœu 
adopté  à  l'unanimité  par  l'assemblée  : 

»  La  section  littéraire  émet  le  vœu  que  les  éditeurs  français 
<i  publient,  sous  forme  d'une  bibliographie  pratique  à  l'usage  du 
«  public,  nn  catalogue  systématique  des  principales  œuvres 
<i  de  la  littérature  en  langue  française.  » 

Le  rapport  de  M.  Albert  Heumann,  sur  les  écrivains  fla- 
mands dans  la  littcrature  française  et  la  portée  européenne 
de  leur  apport,  provoque,  entre  les  auditeurs,  de  piquants 
échanges  de  vues. 

M.  Kirsch  se  refuse  à  considérer  Camille  Lemonnier  comme 
un  Flamand.  Il  insiste  aussi  sur  le  fait  que  Georges  Rodenbach 
est  né  à  Tournai  et  qu'il  ignorait  parfaitement  l'idiome  de 
Van  Maerlant... 

M.  Oillon  observe  que  les  Français  ont  pour  devoir  de  rendre 
un  hommage  particulier  aux  écrivains  d'origine  étrangère  qui 
s'e.xpriment  dans  notre  langue,  mais  que  leur  simple  qualité 
d'étrangers  suffit  à  les  faire  honorer.  Au  reste,  il  serait  péril- 
leux et  discourtois  de  féliciter  exclusivement  les  écrivains 
belges.  Il  y  a  aussi  des  Italiens,  des  Suisses,  etc.,  qui  s'ex- 
priment en  français.  Oublie-t-on  que  le  Congrès  a  un  caractère 
international?  Cette  discussion  amène  M.  Nélis  à  présenter  la 
motion  suivante  : 

«  Les  écrivains  français  expriment  toute  leur  reconnaissance 
«aux  écrivains  étrangers,  dont  le  talent  contribue  à  augmenter 
<i  le  patrimoine  des  lettres  françaises.  » 

M.  Mockel  abandonne  momentanément  à  M.  Glllon  la  pré- 
sidence de  l'assemblée  et  critique  avec  entrain  l'organisation 
des  jurys  belges  chargés  de  décerner  les  prix  littéraires.  Le 
choix  des  membres  qui  composent  ces  jurys  est  tendancieux; 
leurs  décisions  ne  sont  pas  irréprochables,  tant  s'en  faut.  Il 
suffit  de  penser  que  des  écrivains  comme  Hubert  Krains, 
Blanche  Rousseau  ou  Louis  Delattre  n'ont  jamais  été  distin- 
gués. Au  demeurant,  la  générosité  du  gouvernement  est  tou- 
chante :  l'orateur  établit  par  un  savant  calcul  que  le  prix  quin- 


-  36  — 

quennal  de  5,000  francs  rapporte  chaque  jour  aux  lauréats  la 
somme  fabuleuse  de  fr.  2.65! 

En  guise  de  conclusion,  M.  Mockel,  appuyé  par  M.  Dumont- 
Wilden,  émet  le  vœu  suivant,  qui  est  approuvé  : 

«  La  section  littéraire  émet  le  vœu  que  les  jurys  chargés  de 
«  décerner  les  prix  littéraires  soient,  autant  que  possible, 
«  formés,  pour  la  moitié  de  leurs  membres  au  moins,  des  an- 
«  ciens  titulaires  de  ces  prix.  » 

La  séance  est  levée. 


III.  —  Sections  :  a)  pédagogique  et  sociale; 
h)  de  philologie  et  d'histoire. 


La  séance  est  ouverte  à  9  h.  30,  sous  la  présidence  de 
M.  Ferdinand  Brunot,  professeur  d'histoire  de  la  langue  fran- 
çaise à  l'Université  de  Paris,  assisté,  pour  la  section  de  philo- 
logie et  d'histoire,  de  M.  Francesco  Novati,  professeur  à  l'Aca- 
démie de  Milan.  M.  Louis-Pilate  de  Brinn'  Gaubast,  professeur 
de  langue  et  de  littérature  françaises  à  l'Ecole  générale  alle- 
mande d'Anvers,  est  installé  comme  secrétaire. 

M.  R.  Gallet,  professeur  à  l'Athénée  royal  de  Charleroi,  lit 
son  rapport  :  De  la  j^art  qu'il  convient  de  faire,  dans  l'ensei- 
gnement des  pays  de  langue  française,  à  la  lecture  des  écri- 
vains régionaux. 

M.  de  Brinn'  Gaubast  demande  à  présenter  quelques  obser- 
vations sommaires.  L'auteur  nous  a  montré,  dit-il,  quel  parti 
l'on  pourrait  ou  l'on  a  pu  tirer,  dans  le  domaine  pédagogique, 
de  textes  relatifs  à  telle  ou  telle  région.  L'application  de  ces 
idées  aux  besoins  de  l'enseignement  chez  toutes  les  nations 
étrangères  de  langue  française  ne  regarde  point  les  Français; 
ceux-ci  n'en  ont  pas  moins  le  droit  d'exprimer,  à  l'adresse  de 


—  37  — 

leurs  compatriotes,  un  vœu  conforme  à  l'esprit  même  d'un 
Congrès  tel  que  celui-ci  :  dans  leurs  Anthologies  scolaires, 
pourquoi  n'introduiraient-ils  pas  des  extraits  caractéristiques 
de  l'œuvre  des  grands  écrivains  de  langue  française,  même 
étrangers,  un  Maurice  Maeterlinck,  un  Emile  Verhaeren?  Non 
seulement  cet  hommage  modeste  est  bien  dû  à  de  pareils  noms, 
mais  il  contribuerait,  en  outre,  à  démontrer  une  fois  de  plus, 
au  moyen  d'exemples  récents,  quelles  ressources  la  langue  fran- 
çaise offre  aux  penseurs  soucieux  de  faire  entendre  au  monde 
la  voix  authentiquement  humaine  de  leur  génie,  synthèse  de 
l'àme  de  toute  une  race. 

M.  Brunot  constate  qu'ainsi  envisagée  comme  une  consé- 
quence réciproque  du  rapport  de  M.  Gallet,  cette  question  de- 
vrait, en  tout  cas,  être  résolue  de  manière  à  ne  pouvoir  sou- 
lever aucun  malentendu  :  par  exemple,  les  œuvres  des  écrivains 
belges  sont,  au  point  de  vue  de  la  France,  non  pas  du  tout  des 
œuvres  «  régionales  »  françaises,  mais  des  œuvres  nationales 
belges;  quoique  M.  de  Brinn'  Gaubast  ait  assez  indiqué  qu'il 
est  du  même  avis,  c'est  le  devoir  du  président  d'insister  en 
termes  formels  sur  ce  principe. 

Reste  à  voir  s'il  y  aurait  lieu  de  réserver,  dans  les  Antho- 
logies scolaires  destinées  à  de  jeunes  Français,  une  place  aux 
auteurs  étrangers  de  langue  française  :  pourquoi  non?  Remar- 
quons toutefois  que  la  place  faite  aux  écrivains  même  exclusi- 
vement nationaux,  dans  un  recueil  de  cette  nature,  n'est  pour 
ainsi  dire  accordée  qu'à  l'ancienneté  :  non  pas  que  l'Université 
se  soit  toujours  montrée  timide,  mais  souvent  le  mauvais  vou- 
loir, les  refus  de  quelque  éditeur-propriétaire  limitent  néces- 
sairement le  choix  ou  l'interdisent. 

.  Quant  aux  écrivains  régionaux  proprement  dits,  sont-ils 
moins  répandus  en  France  que  les  autres?  Il  n'y  paraît  guère. 
Et  en  Belgique?  Nous  l'avons  vu,  ceci  ne  nous  regarde  point. 
La  question  doit  intéresser  notre  Congrès,  mais  ne  saurait  y 
devenir  l'objet  d'aucun  «  vœu  »  collectif,  parce  que  ce  congrès 
est  international. 

M.  Constans,  professeur  à  l'Université  d'Aix-Marseille,  dé- 
clare que,  tout  au  moins  individuellement,  il  serait  fort  heu- 
reux de  voir  admettre  enfin,  dans  les  Anthologies  françaises, 


—  38  — 

la  traduction  de  quelques  textes  d'auteurs  provençaux  mo- 
dernes :  Roumanille,  Aubanel,  à  défaut  de  Mistral,  puisque 
celui-ci  vit  encore.  Et  pourquoi  n'en  pas  faire  autant  pour  la 
littérature  celtique  de  la  Bretagne? 

Idée  séduisante,  il  est  vrai,  mais  dangereuse,  dit  M.  Brunot, 
par  l'application  tendancieuse  qu'on  en  ferait  presque  à  coup 
sûr,  soit  dans  l'enseignement  primaire  en  certaines  régions 
de  la  France,  soit,  aux  divers  degrés,  dans  les  pays  bilingues, 
où,  en  face  du  français,  se  dressent,  par  exemple,  certaines 
tendances  nationalistes  que  leurs  partisans  croient,  ou  feignent 
de  croire,  incompatibles  avec  lui. 

Le  point  de  vue  de  M.  Brunot  est  partagé  par  MM.  Jules  Noël, 
avocat  à  Bruxelles,  et  Albert  Counson,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Gand,  qui,  pour  préciser  leur  pensée,  fournissent  des 
exemples  tirés  de  diverses  anthologies  en  usage  dans  un  cer- 
tain nombre  d'athénées  et  d'écoles  belges. 

M™  Emma  Lambotte,  d'Anvers,  fait  observer  que  si  l'écri- 
vain ambitionne  une  gloire  qui  puisse  être  à  la  fois  régionale 
et  française,  il  n'a  qu'à  écrire  en  français  :  pourquoi  favoriser 
celui  qui  s'en  abstient? 

La  connaissance  de  chaque  région  et  de  ses  écrivains  spé- 
ciaux, remarque  M.  Jules  Coulet,  directeur  du  Musée  pédago- 
gique à  Paris,  peut  d'ailleurs  être  fortifiée  chez  les  enfants, 
qui  constituent  l'avenir  de  sa  population,  par  l'une  de  ces 
monographies  comme  il  en  existe  déjà  et  qu'ont  recommandées 
en  France,  après  le  Ministère  de  l'Instruction  publique,  maints 
inspecteurs  d'académie. 

Le  débat  étant  épuisé,  le  président  donne  la  parole  à 
M.  Lener,  directeur  d'école  à  Houtkerque  (France),  lequel 
expose  en  résumé  le  rapport  qu'on  lira  plus  loin  dans  ce 
volume  :  De  l'enseignement  du  français  usuel  aux  débutants, 
en  pays  de  langue  flamande. 

La  séance  est  levée  à  10  h.  55. 


—  39  — 
Conférence  de  M.  Brtinot. 

A  11  heures,  les  congressistes  se  réunissaient  à  la  salle 
Azaléa,  où  ils  étaient  conviés  à  un  véritable  régal  littéraire. 
On  remarquait  parmi  les  assistants  la  présence  de  MM.  Coore- 
man,  ministre  d'Etat,  Marraud  et  Coppieters,  sénateurs.  Cau- 
seur délicieux,  en  même  temps  que  savant  renonmié,  M.  Ferdi- 
nand Brunot,  professeur  d'histoire  de  la  langue  française  à 
l'Université  de  Paris,  expose,  avec  autant  d'érudition  précise 
que  de  lumineuse  clarté,  Comment  la  langue  française  est 
devenue   la   langue   diplomatique   de  l'Europe. 

Pendant  des  siècles,  dit  en  substance  l'éminent  professeur, 
le  latin  avait  été  la  langue  universelle;  mais,  dès  le  commence- 
ment du  XVI'  siècle,  il  entre  en  décadence.  On  en  avait  fait  une 
langue  trop  littéraire  qui  ne  s'adaptait  plus  à  l'actualité  et  on 
le  prononçait  de  façon  tellement  diverse  qu'il  en  était  devenu 
méconnaissable. 

Entretemps,  le  français  fait  son  apparition  dans  les  grands 
salons  européens  à  l'occasion  de  réceptions  et  de  visites;  mais, 
à  cette  époque,  son  rôle  est  encore  restreint. 

Les  traités  des  Westphalie  sont  toujours  rédigés  en  latin; 
c'est  seulement  en  1714  que  le  français  est  adopté  comme  langue 
diplomatique,  et  ce  n'est  guère  qu'en  1750  que  le  triomphe  du 
français  est  complet. 

Mais,  dit  M.  Brunot,  il  faut  comprendre  que  cette  victoire 
du  français  n'est  pas  due  à  la  puissance  supérieure  d'une 
langue  dominatrice. 

Le  français  est  devenu  la  langue  des  Etats  parce  qu'il  était 
la  langue  des  cours.  Les  Anglais  et  les  Hollandais  l'avaient 
élu  comme  seconde  langue  nationale,  et  toutes  les  autres  puis- 
sances le  choyaient. 

En  1680,  on  considère  le  français  comme  la  langue  de  la 
civilisation  la  plus  estimée,  et  cela  est  dû  au  génie  même  de  la 
langue  française,  à  sa  valeur,  à  ses  qualités  profondes  de 
.netteté,  de  précision,  de  clarté,  qui  la  rendent  apte  à  servir 
essentiellement  d'expression  à  la  pensée  humaine,  surtout  sous 
sa  forme  analytique. 

Toutes  les  gazettes  européennes  sont  rédigées  en  français, 
ainsi  que  tous  les  pamphlets  imprimés  en  Hollande. 


—  40  — 

On  peut  dire  qu'à  partir  de  1650  le  latin  s'est  survécu  à  lui- 
môme.  Le  français  a  définitivement  conquis  l'élite  de  l'Europe. 

Présentée  sous  une  forme  d'une  admirable  éloquence,  cette 
brillante  conférence  fut  longuement   acclamée. 

Visite  de  la  ville. 

A  2  heures,  les  congressistes  comniençaient  la  visite  des  mo- 
numents principaux  de  la  ville  de  Gand.  Divers  historiens  et 
archéologues,  aussi  aimables  qu'érudits,  avaient  bien  voulu 
accepter  de  leur  servir  de  guides.  M.  le  chanoine  Van  den  Gheyn, 
président  de  la  Société  d'histoire  et  d'archéologie,  leur  montra 
les  trésors  artistiques  de  cette  cathédrale  de  Saint-Bavon  qu'il 
connaît  si  bien.  M.  "Van  VVerweke,  conservateur-adjoint  des 
archives  de  l'Etat,  les  conduisit  au  Château  des  Comtes  et  dans 
les  ruines  de  l'Abbaye  de  Saint-Bavon.  M.  Schoorman,  conser- 
vateur des  archives  de  l'Etat,  leur  fit  visiter  le  Château  de 
Gérard-le-Diable.  Qu'il  nous  soit  permis  de  leur  adresser  à 
tous  trois,  au  nom  des  congressistes,  l'hommage  de  notre  vive 
gratitude.  Elle  va  également  à  l'administration  communale  de 
Gand,  qui  avait  généreusement  ouvert  à  nos  membres  l'accès 
des  monuments  de  son  glorieux  -passé. 

Cette  visite  s'achevait  à  peine  lorsque  nous  fûmes  de  nou- 
veau réunis.  Cette  fois,  c'était  à  la  gracieuse  pensée  d'un 
groupe  de  dames  du  monde  gantois  que  nous  devions  de  goûter 
quelques  instants  délicieux.  Parmi  toutes  les  marques  de  sym- 
pathie accordées  à  nos  congressistes,  celle-là  fut  assurément  la 
plus  touchante  et  celle  dont  nous  sommes  le  plus  fiers.  Un 
comité  de  dames  de  la  haute  société  locale  s'était,  en  effet, 
constitué  pour  recevoir  les  congressistes.  A  4  heures,  elles  leur 
offrirent  une  fête  charmante,  où  M.  Sechiari,  secondé  par 
une  de  ses  meilleures  artistes,  nous  fit  entendre  quelques 
œuvres  de  grand  intérêt.  Après  quoi  nos  aimables  hôtesses  ser- 
virent un  thé  dans  l'antique  salle  de  la  Chef-Confrérie  de 
Saint-Michel.  Là,  dans  un  merveilleux  décor  historique,  des 
femmes  et  des  jeunes  filles  du  meilleur  monde  rivalisèrent  de 
bonne  grâce  et  d'empressement  pour  laisser  à  nos  congressistes 
étrangers  le  souvenir  ineffaçable  d'une  hospitalité  qui  ne  res- 
semblait à  nulle  autre. 


—  41  — 

Concert. 

Le  soir,  grâce  à  une  attention  toute  spéciale  de  M.  Marraud, 
l'oi'chestre  sym-phonique  des  concerts  Sechiari  composa  un 
merveilleux  programme  d'œuvres  françaises  qu'il  exécuta  en 
l'honneur  des  congressistes  et  en  présence  d'un  public  aussi 
nombreux  qu'enthousiaste  réuni  dans  la  vaste  Salle  des  Fêtes. 
M.  Raoul  Pugno,  le  grand  artiste  que  la  mort  a  enlevé  depuis, 
avait  consenti  à  venir  tout  exprès  de  Paris  et  à  jouer  pour  les 
amis  de  la  France.  Il  fut  applaudi  dans  les  admirables  Varia^ 
lions  symphoniques  de  César  Franck,  et  dans  une  suite,  aussi 
originale  que  variée,  de  ses  compositions  personnelles. 


Troisième  journée. 


Excursion  à  Bruges. 

Le  matin  du  samedi  13  septembre,  un  groupe  important  de 
congressistes  prirent  le  train  pour  Bruges,  où  ils  devaient 
consacrer  une  demi-journée  à  la  visite  des  chefs-d'œuvre  qui 
sont  la  gloire  artistique  de  la  Ville  Morte.  Ces  merveilles  étaient 
connues  de  la  plupart  d'entre  eux,  mais  elles  sont  de  celles 
qu'on  aime  toujours  à  revoir.  Ils  auront  dû  au  Congrès  de 
refaire  ce  pèlerinage  dans  les  conditions  les  meilleures  et  dans 
le  minimum  de  temps.  De  vaillants  amis  brugeois  de  la  langue 
française  avaient,  en  effet,  préparé  cette  excursion  avec  un 
soin  et  un  zèle  auxquels  chacun  s'est  plu  à  rendre  hommage. 
M.  Maurice  Renard,  président  de  la  section  brugeoise  de  la 
Ligue  nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française,  avait 
bien  voulu  en  assumer  l'organisation,  et  il  se  prodigua  avec  un 
inlassable  dévouement.  Il  fut  secondé  dans  cette  tâche  ardue 
par  les  vice-président  et  secrétaire  du  même  groupement, 
MM.  Lequime  et  Pir,  qui  se  révélèrent  les  plus  obligeants  et  les 
plus  avertis  des  ciceroni.  Grâce  à  eux,  les  congressistes  con- 
nurent quelques  heures  délicieuses  de  communion  esthétique 
devant  les  toiles  incomparables  de  Memling  et  de  Van  Eyck,  et 
ils  purent  éprouver  dans  toute  son  attirance  le  charme  mélan- 
colique de  Bruges.  Aussi  est-ce  à  regret  qu'ils  quittèrent  cette 
admirable  ville,  non  sans  avoir  remercié  vivement  leurs  ai- 
mables hôtes.  Mais  leurs  travaux  les  rappelaient  à  Gand,  où  ils 
rentraient  à  2  heures  et  demie. 


—  43 


SEANCE  DES  SECTIONS 


I.  —  Section  de  propagande. 


La  séance  est  ouverte  à  2  h.  45  m.,  sous  la  présidence  de 
M.  Gautier. 

Le  bureau  se  compose,  comme  la  veille,  de  MM.  Salmon  et 
Helmer,  vice-présidents;  S.  Sasserath,  secrétaire. 

La  parole  est  donnée  à  M.  Salmon,  qui  fait,  sur  la  situation 
du  français  en  Angleterre,  une  intéressante  communication, 
dont  on  trouvera  la  substance  dans  le  rapport  où  il  a  exposé 
l'œuvre  réalisée  dans  ce  pays  par  Y. Alliance  française. 

Comme  suite  à  la  discussion  d'hier  concernant  les  diplômes 
à  conférer  aux  étrangers  par  les  collèges  supérieurs  de  France, 
M.  Renard  propose  de  voter  un  vœu  qui,  après  discussion  et 
divers  amendements,  est  voté  dans  les  termes  suivants  : 

"  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  le  gouvernement  français,  qui 
«  a  déjà  ouvert  ses  universités  aux  élèves  étrangers,  leur 
(1  accorde  le  même  traitement  dans  ses  écoles  spéciales  et  qu'en 
(I  particulier  il  donne  le  plus  de  facilités  possibles  à  ceux  de 
Il  ces  élèves  qui  sont  de  langue  française. 

«  Pour  empêcher  qu'un  pareil  régime  pût  avoir  comme  con- 
11  séquence  l'abaissement  des  études,  il  y  aurait  lieu  d'exiger 
»  des  intéressés  la  prcKluction  de  certificats  attestant  des  études 
11  préparatoires  suffisantes.  » 

Ce  vœu  a  été  signé  également  par  MM.  Salone,  Huguet, 
Wenger,  Becker  et  Hansen. 

M.  Coulet,  directeur  de  l'Office  international  des  universités 
et  des  écoles  françaises,  fait  une  intéressante  communication 
au  sujet  du  fonctionnement  de  cet  office. 

11  Celui-ci  fournit  gratuitement  tous  les  renseignements  sur 
les  universités  et  les  écoles  supérieures  françaises.  11  a  aussi 
essayé  de  rendre  le  plus  libéral  possible  le  régime  des  univer- 
sités françaises  ipour  les  étrangers.  C'est  ainsi  que  l'Ecole  des 


—  44  — 

mines,  l'Ecole  des  agronomes,  etc.,  ont  constitué  des  sections 
pour  les  étrangers,  qui  y  sont  reçus  à' condition  qu'ils  justifient, 
par  un  diplôme  sérieux,  qu'ils  ont  fait  des  études  prépara- 
toires suffisantes.  Tout  étranger  qui  justifie  avoir  fait  des 
études  secondaires  est  admis  à  l'iramatriculation  pour  les 
grades.  Le  changement  est  très  libéral.  Il  .faut,  il  est  vrai,  une 
décision  ministérielle  spéciale" 'pour  chaque  cas  particulier. 
Mais  en  fait,  on  ne  refuse  l'admission  que  lorsque  l'ignorance 
est  avérée. 

«  D'ici  à  peu  de  temps,  les  candidats  seront  admis  de  idano, 
sans  qu'il  soit  nécessaire  d'une  autorisation  ministérielle  spé- 
ciale, du  moment  qu'ils  auront  justifié  d'un  diplôme  prépara- 
toire suffisant. 

«  L'office  s'est  également  préoccupé  de  la  situation  des  Fran- 
çais qui  vont  enseigner  le  français  à  l'étranger. 

«  Jadis,  quand  les  jeunes  Français  partaient  pour  l'étranger, 
ils  compromettaient  leur  avenir  dans  l'enseignement  en  Fi-ance. 
Ils  partaient  cependant,  séduits  par  les  avantages  matériels 
qui  leur  étaient  offerts  à  l'étranger. 

«  Actuellement,  le  jeune  Français  qui  part  pour  enseigner 
la  langue  française  à  l'étranger  n'est  plus  un  exilé;  il  reste  à 
l'étranger  professeur  de  français,  c'est-à-dire  qu'il  conserve 
ses  droits  à  la  retraite  et  à  l'avancement.  On  peut  même  affir- 
mer que  cet  avancement  est  mieux  assuré  que  s'il  demeurait 
en  France. 

«  Ce  qui  précède  concerne  tous  les  jeunes  gens  qui  faisaient 
partie  de  l'enseignement  au  moment  où  ils  sont  partis  à  l'étran- 
ger, dûment  autorisés.  Mais  il  y  a  des  jeunes  gens  qui  partent 
avant  d'être  entrés  dans  l'enseignement  français. 

"On  essaie  en  ce  moment  d'obtenir  que,  lorsqu'un  jeune 
homme  français  partira  pour  l'étranger  avec  l'approbation  du 
gouvernement  français,  il  soit  considéré  comme  faisant  partie 
du  personnel  du  gouvernement  français,  même  si,  au  moment 
de  son  départ,  il  n'était  pas  encore  entré  dans  l'enseignement. 

«  Ainsi  on  trouvera  plus  facilement  le  personnel  nécessaire 
pour  enseigner  le  français  à  l'étranger. 

«  Les  demandes  qui  sont  adressées  à  l'Office  international 
français  pour  obtenir  des  professeurs  sont  d'ailleurs  de  plus 
en  plus  nombreuses.  Citons  comme  exemple  caractéristique 
qu'en  octobre  1911  un  professeur  français  fut  demandé  à  l'office 


—  45  — 

pour  aller  enseigner  en  Islande,  et  qu"en  191:?,  une  chaire  de 
littérature  française  fut  fondée  à  Christiania.  Cette  année,  les 
cours  de  français  étaient  suivis  à  cette  université  par  un 
nombre  d'étudiants  tellement  considérable  que  la  salle  dans 
laquelle  les  cours  devaient  se  donner  n'était  pas  assez  vaste 
pour  contenir  tous  les  auditeurs. 

(I  II  faut  signaler  aussi  que  des  chaires  de  littérature  fran- 
çaise vont  être  créées  en  Hongrie  et  en  Roumanie,  en  suite  des 
demandes  qui  ont  été  adressées  à  l'Office. 

«  L'Office  pratique  l'échange  de  professeurs,  notamment  avec 
les  universités  d'Amérique  et  spécialement  avec  l'Université 
de  Chicago,  où  un  Américain  très  riche  a  créé  une  chaire  de 
français. 

«  Il  y  a  également  en  ce  moment  des  négociations  entamées 
avec  les  Universités  de  Buenos-Ayres  et  de  Santiago  du  Chili. 

ce  Ces  sympathies  sont  témoignées  non  seulement  à  la  langue 
française,  mais  aussi  à  la  science  et  à  la  méthode  françaises. 

«  La  preuve  en  est  que  l'on  ne  demande  pas  seulement  à 
l'Office  des  professeurs  pour  enseigner  la  langue  française  à 
l'étranger,  mais  aussi  des  professeurs  d'histoire,  de  sciences  et 
de  mathématiques.  C'est  ainsi  que  l'Université  de  Calcutta  a 
demandé  un  professeur  français  de  mathématiques  et  l'Uni- 
versité de  Santiago  du  Chili  un  professeur  de  chimie  appli- 
quée. I) 

M.  le  Président  i-emercie  vivement  M.  Coulet  de  son  intéres- 
sante communication. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  Ilitch,  qui  expose  la  situa- 
tion du  français' en  Serbie. 

Il  débute  par  un  historique  rapide  de  la  diffusion  du  fran- 
çais en  Orient,  conséquence  des  capitulations  de  1540,  con- 
firmées et  étendues  par  celles  de  1740.  Cette  diffusion  a  été, 
pour  la  plus  grande  part,  l'œuvre  des  missions  religieuses  qui 
ont  exercé  leur  influence  en  Syrie,  et  aussi,  mais  dans  une 
moindre  mesure,  en  Asie-Mineure.  Il  insiste  sur  le  fait  que  la 
pénétration  de  la  langue  et  de  la  culture  françaises  s'est  effec- 
tuée surtout  par  les  ports  de  mer.  Ceci  explique  la  situation 
particulière  de  la  Serbie,   où  la  culture  française  n'a   pu  se 


—  46  — 

répandre  avant  la  seconde  moitié  du  xix^  siècle.  A  partir  de 
cette  date,  de  rapides  progrès  ont  été  réalisés. 

Aussitôt  que  des  écoles  et  des  gymnases  ont  été  créés  en 
Serbie,  la  langue  française  a  été  introduite  dans  le  programme 
des  cours. 

Au  début,  vu  la  difficulté  qu'on  éprouvait  à  se  procurer  des 
professeurs  de  langue  française,  les  leçons  de  français  ne 
furent  données  que  dans  les  gymnases  de  Belgrade.  Mais  au 
fur  et  à  mesure  que  le  nombre  des  professeurs  de  langue  fran- 
çaise augmentait,  des  leçons  furent  faites  dans  tous  les  gym- 
nases et  dans  toutes  les  écoles  de  commerce  du  pays,  aussi 
bien  dans  les  établissements  privés  que  dans  ceux  de  l'Etat. 
Actuellement,  on  enseigne  le  français,  la  littérature  et  l'histoire 
dans  toutes  les  écoles  moyennes,  supérieures  et  techniques  du 
Royaume.  De  plus,  ces  cours  étant  obligatoires,  les  notes  obte- 
nues au.\  examens  sont  indiquées  sur  les  certificats  et  diplômes 
des  élèves.  L'enseignement  de  la  langue  française  dans  les 
gymnases  et  écoles  commerciales  commence  dès  les  premières 
classes  et  se  poursuit  pendant  toute  la  durée  des  études,  c'est- 
à-dire  pendant  sept  à  huit  ans  pour  les  gymnases  et  trois  ans 
pour  les  écoles  commerciales. 

En  dehors  de  l'enseignement  moyen  et  technique,  où  la 
langue  et  la  littérature  françaises  sont  matières  obligatoires, 
il  existe  encore  des  cours,  également  obligatoires,  à  l'Univer- 
sité de  Belgrade. 

A  la  Faculté  de  philosophie  et  lettres,  outre  un  professeur 
serbe  pour  la  littérature  française,  M.  Bogdan  Popevitch,  dis 
tingué  connaisseur  de  la  littérature  française  bien  connu  des 
savants  français,  il  y  a  un  chargé  de  cours,  M.  Gaston  Gravier, 
qui  enseigne  la  langue  française  aux  élèves  de  cette  Faculté. 

Ainsi  donc  on  se  préoccupe  en  Serbie  de  développer  de  plus 
en  plus,  et  dans  toutes  les  écoles,  l'enseignement  du  français, 
afin  que  les  élèves,  une  fois  leurs  études  terminées,  puissent 
en  tirer  parti  dans  la  vie  courante,  ou  bien  encore  afin  qu'ils 
puissent  consulter  les  ouvrages  français  scientifiques  et  litté- 
raires pour  développer  leur  culture  intellectuelle. 

En  somme,  si  on  compare  le  français  avec  les  autres  langues 
étrangères  répandues  en  Serbie,  on  constate  que  jusqu'en  1906 
il  se  heurte  à  l'allemand,  qui  l'emporte  même  sur  lui  en  raison 
des    relations  économiques  que  la  Serbie  entretenait  jusqu'à 


-  47  — 

cette  date  avec  l'Autriche-Hongrie,  qui  monopolisait  à  elle 
seule  90  p.  c.  de  son  commerce. 

La  Serbie,  privée  de  sortie  sur  la  mer  libre,  se  trouvait,  en 
effet,  forcée  d'aller  écouler  ses  produits  en  Autriche  et  de  s'y 
procurer  ceux  qu'elle  ne  possédait  pas. 

Aussi  la  plupart  des  jeunes  gens  serbes  se  rendaient-ils  en 
Autriche  et  en  Allemagne  pour  y  apprendre  l'allemand  et 
suivre  les  cours  des  écoles  de  commerce.  Rentrés  chez  eux, 
ils  favorisaient  la  langue  et  la  culture  allemandes.  Ce  n'était 
nullement  par  sympathie,  car  le  Serbe  est  beaucoup  plus  attiré 
vers  la  langue  et  la  culture  françaises. 

Dans  les  classes  élevées,  par  exemple,  on  préfère  de  beau- 
coup parler  français  qu'allemand,  bien  entendu  s'il  est  néces- 
saire d'employer  une  langue  étrangère. 

Le  français  est  tenu  pour  une  langue  plus  souple  et  plus 
chantante  que  l'allemand,  et  c'est  pourquoi  la  haute  société 
considère  le  français  comme  la  langue  des  gens  instruits. 

Depuis  1906,  c'est-à-dire  depuis  la  guerre  douanière  avec 
l'Autriche,  le  commerce  serbe  s'est  tourné  vers  d'autres  pays 
étrangers,  et  notamment  vers  l'Egypte,  l'Italie,  la  France  et 
la  Belgique.  Depuis  lors,  la  langue  française  a  vu  accroître 
son  importance,  et  l'allemand,  n'étant  plus  aussi  nécessaire, 
a  été  abandonné  volontiers. 

Les  jeunes  gens  vont  étudier  dans  les  écoles  françaises  de 
Salonique,  à  Paris,  en  Belgique,  principalement  à  Anvers. 
Le  recul  de  l'influence  autrichienne  s'est  effectué  au  profit  de 
l'influence  française. 

A  la  suite  de  la  guerre  balkanique,  la  Serbie  s'est  annexé  des 
provinces  de  la  Turquie  d'Europe,  habitées  par  une  population 
où  la  culture  française  s'était  implantée  déjà. 

Ces  provinces  faisant  le  commerce  avec  Salonique,  où  la 
langue  française  est  prédominante,  sont  obligées  d'enseigner  le 
français  aux  jeunes  commerçants.  De  plus,  comme  la  nouvelle 
Serbie  tout  entière  sera  contrainte  de  diriger  son  commerce 
vers  cette  même  ville  et  vers  la  Grèce,  il  est  certain  que  la 
langue  française  est  appelée  à  de  nouveaux  progrès. 

M.  Ilitch  ne  croit  pas  toutefois  que  sa  diffusion  puisse  attein- 
dre le  degré  qu'elle  connaît  en  Turquie  ou  en  Grèce,  ou  le  fran- 
çais est  parlé  jusque  dans  la  petite  bourgeoisie.  En  effet,  il  n'y 


—  48  - 

a  pas,  en  Serbie,  de  missions  catholiques  :  leur  propagande 
n'y  serait  pas  tolérée  par  la  population,  très  attachée  à  sa  cul- 
ture nationale  et  à  sa  religion.  Il  conclut  : 

«L'existence  de, la  langue  française  est  assurée  en  Serbie, 
elle  s'y  développera  de  jour  en  jour,  car  nous  sommes  avides 
de  lumières  et  de  civilisation,  et  nous  préférons  étudier  et  nous 
éclairer  à  la  lumière  française  qu'à  la  lumière  allemande,  qui 
représente  pour  nous  l'Autriche,  nation  ennemie  de  notre 
Serbie.  » 

M,  Goulet  fait  remarquer  que  la  Société  de  librairie  de  Bel- 
grade a  formé  une  bibliothèque  française  remarquable,  et  il 
cite  cet  exemple  caractéristique  du  goût  des  Serbes  pour  la 
langue  française  : 

«  Il  y  a  deux  ans,  VOffice  international  des  Universités  fran- 
çaises a  été  prié  d'envoyer  un  instituteur  dans  une  petite  ville 
de  Serbie  pour  y  enseigner  le  français.  On  lui  offrait  150  francs 
par  mois.  C'étaient  dix  officiers  serbes  qui  s'étaient  cotisés 
pour  avoir  un  professeur  de  français  et  s'étaient  engagés  à 
payer  chacun  15  francs  par  mois. 

«  Un  instituteur  français  a  eu  le  courage  de  partir,  et  ses 
élèves  se  sont  multipliés  depuis  deux  ans  dans  de  telles  pro- 
portions qu'il  gagne  dans  cette  petite  ville,  rien  que  par  ses 
cours  de  français,  des  appointements  de  5,000  à  6,000  francs. 

«  Il  a  été  signalé  que  le  gouvernement  serbe  se  préoccupe 
d'améliorer  l'enseignement  du  français  dans  les  écoles  de 
Serbie.  » 

La  parole  est  donnée  à  M.  Sadoul,  conservateur  du  Musée  de 
Nancy,  qui,  après  exposé,  propose  le  vœu  suivant  : 

«  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  les  gouvernements  français  et 
li  luxembourgeois  appliquent  dans  leurs  relations  postales  le 
i<  tarif  réduit  prévu  en  France  dans  la  circulation  intérieure 
«  pour  les  imprimés  et  les  journaux.  » 

Ce  vœu  est  également  signé  par  MM.  Wenger,  Hansen  et 
Becker. 

Il  est  admis  à  l'unanimité. 


—  49  — 

M.  Morand,  professeur  agrégé  au  Lycée  de  Nice,  développe 
son  rapport  sur  la  situation  du  français  en  Hongrie. 

La  parole  est  donnée  ensuite  à  M™  E.  Lambotte,  qui  attire 
l'attention  du  Congrès  sur  la  situation  faite  aux  enfants  des 
nombreux  bouilleurs  wallons  qui  travaillent  dans  les  mines 
du  Limbourg. 

Ces  enfants  sont  obligés  de  suivre  des  cours  donnés  exclusi- 
vement en  flamand,  le  Limbourg  se  trouvant  dans  la  partie 
flamande  du  pays. 

Elle  propose  d'émettre  un  vœu  engageant  l'initiative  privée 
à  créer  des  écoles  dans  lesquelles  les  enfants  des  bouilleurs 
wallons  pourraient  recevoir  l'instruction  en  français. 

Ce  vœu  est  admis  à  l'unanimité. 

La  parole  est  donnée  à  M.  Gromaire,  professeur,  qui  déve- 
loppe son  rapport  sur  l'échange  international  des  jeunes  gens 
et  des  enfants. 

Il  propose  et  fait  adopter  le  vœu  suivant  : 

«  Le  Congrès, 

«  Considérant  que  l'organisation  des  échanges  d'enfants  et 
«  de  jeunes  gens,  telle  qu'elle  a  été  comprise  et  réalisée  par  la 
«  Société  d'échange  international,  constitue  un  puissant  moyen 
«  d'action  pour  la  diffusion  de  la  langue  française; 

«  Reconnaissant  les  services  déjà  rendus  par  cette  œuvre  à 
«  la  cause  de  la  langue  et  de  la  civilisation  françaises, 

((  Emet  le  vœu  que  les  groupements  d'idée  française  s'inté- 
(.  ressent  de  plus  en  plus  à  l'œuvre  organisée  et  poursuivie  par 
«  cette  société  et  encouragent  la  pratique  de  l'échange  inter- 
«  national.  » 

Les  congressistes  devant  se  rendre  à  l'Hôtel  de  Ville  pour 
être  reçus  par  l'admininistration  communale,  la  séance  est 
levée  à  5  heures. 


—  50  — 


II.  —  Section  littéraire. 


La  séance  est  ouv-erte  à  3  heures  de  l'après-midi.  On  entend 
une  causerie  abondante  et  lucide  de  M.  Mockel,  qui  est  écoutée 
avec  recueillement.  Avec  sagesse,  il  définit  l'attitude  que  les 
écrivains  des  Marches  doivent  observer  à  l'égard  de  la  culture 
et  de  la  tradition  françaises.  L'argumentation  originale  et 
ferme  de  l'orateur  convainc  les  auditeurs,  qui  accueillent  avec 
enthousiasme  le  vœu  suivant  : 

i<  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  les  écrivains  des  Marches 
«  servent  de  tous  leurs  efforts  la  pureté  de  la  langue  française, 
«  tout  en  gardant,  selon  l'exemple  qui  leur  est  donné  par  la  tra- 
«  dition  française  elle-même,  la  plus  grande  liberté  pour  la 
»  création  de  leurs  œuvres.  » 

M™  Lamtootte  fait  également  adopter  le  vœu  qu'on  va  lire, 
bien  que,  suivant  la  remarque  de  M.  le  Président,  il  s'adresse 
plutôt  à  la  section  de  propagande  «t  à  la  Ligue  nationale  pour 
la  défense  de  la  langue  française  : 

((  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  l'initiative  privée,  représentée 
(<  par  les  associations  pour  la  vulgarisation  de  la  langue  fran- 
«  çaise,  crée  des  écoles  primaires  gratuites  permettant  aux 
«  enfants  de  la  partie  flamande  du  pays,  dont  la  langue  mater- 
ti  nelle  est  le  français,  et  notanunent  à  ceux  de  la  colonie 
•«  wallonne  du  bassin  houiller  de  la  Campine,  de  recevoir 
(i  l'instruction  dans  cette  langue.  » 

La  section  ayant  .épuisé  son  ordre  du  jour,  la  séance  est  levée. 


III.  —  Sections  :  a)  pédagogique  et  sociale  ; 
b)  de  philologie  et  d'histoire. 


La  séance  est  ouverte  à  2  h.  50  m.,  sons  la  présidence  de 
M.  Brunot,  assisté  de  M.  Louis-Pilate  de  Brinn'  Gaubast  comme 
secrétaire. 


—  51  — 

Une  communication  :  Les  Wallons  en  Campine,  est  déposée 
par  M"'"  Lambotte  entre  les  mains  du  président,  qui  la  reçoit 
et  prie  M.  H.  Grégoire,  professeur  à  l'Université  de  Bruxelles, 
de  résumer  son  rapport  :  Les  mots  français  en  grec.  (Voir  ci- 
après). 

La  parole  est  donnée  ensuite  à  M.  Fiirstenhoff,  dont  on 
pourra  lire  ci-après  le  considérable  travail  sur  Le  statut  Hn- 
guistiqve  des  associations  internationales. 

Suit  un  échange  d'observations  d'où  paraît  découler  une 
double  conclusion,  formulée  par  M.  Brunot. 

Tout  d'abord,  il  serait  convenable  et  même  habile  de  ne  pas 
prétendre  imposer  le  français  seul  aux  associations  en  cause, 
mais  plutôt  de  le  proposer  en  même  temps  que  l'anglais  et 
l'allemand,  par  exemple,  à  l'exclusion  de  toutes  les  langues 
artificielles. 

Second  point  :  M.  Fiirstenhoff  compte  beaucoup,  pour  faci- 
liter l'adrnission  de  la  langue  française  comme  langue  unique 
par  les  mêmes  associations,  sur  l'organisation  d'une  Biblio- 
graphie en  quelque  sorte  universelle,  composée  non  seulement 
de  titres,  mais  de  résumés  rédigés  en  français.  M.  Brunot  vou- 
drait partager  cet  espoir;  mais  il  a  mainte  raison  de  croire 
pour  ainsi  dire  insurmontables  les  difficultés  d'une  pareille 
entreprise. 

Cependant  le  rapport  de  M.  Fiirstenhoff  doit  être  étudié  de 
fort  près.  Qui  sait?  Le  but  reste  lointain,  le  succès  plus  ou 
moins  douteux,  mais  certaines  initiatives  éventuelles  peuvent 
nous  réserver  des  surprises. 

La  séance  est  levée  à  4  h.  45  m. 


Réception  à  l'Hôtel  de  ville. 

Le  même  jour,  à  4  heures,  nos  congressistes  furent  reçus  à 
l'Hôtel  de  'Ville  de  Gand.  Environ  300  d'entre  eux  s'étaient 
trouvés  réunis  pour  cette  importante  manifestation.  M.  'Wil- 
motte  crut  devoir  les  présenter,  en  un  bref  discours,  à  M.  l'éche- 
vin    de     Weert,    ff.    de    bourgmestre    en     remplacement    de 


—  52  — 

M.  Braun.  Il  évoqua  le  beau  et  fier  passé  des  vieilles  cités 
flamandes,  qui  survit  dans  les  institutions  démocratiques  des 
villes  belges  actuelles.  Celles-ci  sont  de  véritables  Etats  au 
petit  pied,  et,  par  le  développement  de  leurs  services  munici- 
paux, elles  démontrent  les  bienfaits  d'une  décentralisation 
intelligente.  Mais  dans  aucun  autre  domaine  elles  n'ont  mul- 
tiplié les  initiatives  au  même  degré  que  dans  celui  de  l'instruc- 
tion publique.  M.  "Wilmotte  se  plut  à  le  rappeler  devant  un 
auditoire  où  les  étrangers  étaient  nombreux.  Il  fit  observer 
ensuite  que  cette  instruction  populaire  serait  incomplète  et  ne 
rendrait  qu'une  faible  partie  des  services  qu'on  en  attend, 
si  le  français,  langue  de  grande  communication  à  Gand  comme 
à  Bruxelles  et  à  Liège,  n'en  faisait  partie  intégrante.  En  con- 
clusion, il  dit  : 

«  Monsieur  le  bourgmestre,  vous  avez  eu  jadis  un  fils  illustre 
qui,  devenu  un  grand  monarque,  disait  :  «  Je  mettrais  Paris 
«  dans  mon  Gand.  »  Certes,  l'idée  ne  viendra  pas  au  premier 
citoyen  de  la  République  de  retourner  cette  formule,  si  aisé 
que  cela  lui  serait.  La  France  n'entend  absorber  personne. 
Elle  entend  respecter  l'individualité  de  chacun.  C'est,  j'en  suis 
sûr,  ce  que  pensent  les  Français  qui  m'entourent,  et  je  suis 
heureux,  en  cette  circonstance,  d'être  leur  interprète  dans  le 
palais  municipal  gantois.  » 

M.  de  Weert  prononça  alors  le  discours  suivant,  qui  fut  cha- 
leureusement accueilli  et  même  interrompu,  en  dépit  des  con- 
venances protocolaires,   par  des  applaudissements  unanimes  :, 

«  Messieurs, 

«  C'est  avec  le  plus  grand  plaisir  qu'en  remplacement  de 
M.  le  bourgmestre,  que  de  graves  préoccupations  retiennent, 
je  reçois,  au  nom  de  l'administration  communale,  dans  cet 
Hôtel  de  Ville,  le  troisième  Congrès  international  pour  l'exten- 
sion et  la  culture  de  la  langue  française. 

(I  Nous  estimons,  avec  vous,  que  l'extension  et  la  culture  de 
cette  langue  doivent  être  encouragées  dans  la  Belgique  entière, 
et  c'est  pourquoi  nous  n'avons  pas  hésité  à  vous  faire  accueil. 

Il  A  Gand,  nous  aimons  la  France  comme  nous  aimons  la 
Hollande  ou  l'Angleterre  ou  l'Allemagne;  mais  nous  sommes 
avant  tout  des  Flamands  et  des  Belges. 


—  53  — 

((  Notre  petite  patrie,  la  Flandre,  nous  est  chère;  notre 
grande  patrie,  la  Belgique,  bien  plus  encore,  et  nous  ne  les 
séparons  pas  dans  notre  affection. 

((  Nous  sommes  et  nous  demeurerons  de  bons  patriotes,  atta- 
chés à  leur  sol  natal,  à  leur  passé,  à  leurs  sou\ienirs,  à  leurs 
traditions,  à  leur  langue.  Notre  patriotisme  est  vif  et  réfléchi; 
il  n'est  ni  inquiet,  ni  soupçonneux.  Nous  pensons  que  les  Fla- 
mands ont  le  plus  grand  intérêt  à  connaître,  à  côté  du  néer- 
landais, le  français,  et  nous  nous  efforçons  d'atteindre  ce  but 
par  l'enseignement  bilingue   dans  nos  écoles. 

c(  Nous  ne  voyons  pas  pourquoi  les  deux  cultures,  la  culture 
néerlandaise  et  la  culture  française,  ne  pourraient  pas  se  déve- 
lopper parallèlement,  et  il  nous  semble  que  dans  toutes  nos 
écoles  moyennes  et  supérieures  la  langue  véhiculaire  pourrait 
être  tantôt  flamande,  tantôt  française,  suivant  les  besoins  de 
l'enseignement  et,  autant  que  possible,  suivant  les  désirs 
exprimés  par  les  parents. 

«  Dans  nos  écoles  primaires,  à  raison  de  nécessités  d'ordre 
pédagogique,  l'enseignement  doit  évidemment  être  flamand,, 
mais  il  est  très  utile  d'y  enseigner  également  le  français. 

«  Nous  pensons  que  les  hommes  de  bonne  volonté  pourraient, 
dans  cette  voie,  loyalement  et  clairement  indiquée,  trouver  la 
solution  de  la  question  des  langues. 

»  Nous  avons  assisté  avec  joie  à  l'émulation  qui  s'est  établie 
à  l'Exposition  entre  les  conférenciers  de  langue  française,  d'une 
part,  et  les  conférenciers  d'expression  néerlandaise,  d'autre 
part,  et  nous  avons  sincèrement  applaudi  aux  succès  obtenus 
par  les  uns  et  les  autres. 

»  Cette  expérience  prouve  suffisamment  que  les  deux  cultures 
peuvent  coexister  et  que  le  public  cultivé  gantois  connaît  les 
deux  ■  langues  et  en  apprécie  les  beautés.  C'est  aussi  une  de 
ses  traditions. 

«  Nous  nous  plaisons  à  croira  que  ces  idées,  qui  sont  d'ail- 
leurs, dans  leurs  grandes  lignes,  celles  qui  ont  été  exposées 
ici  même  par  l'éloquent  sous-secrétaire  d'Etat  français  aux 
Beaux-Arts,  M.  Léon  Bérard,  ont  inspiré  les  travaux  de  votre 
Congrès.  Quelle  joie  pour  nous  si  nous  pouvions  y  voir  l'au- 
rore d'une  nouvelle  Pacification  de  Gand! 

a  II  me  reste  à  vous  présenter  mon  hommage  personnel  et  à 


—  54  — 

vous  dire  que  celui  qui  vous  parle  est  un  admirateur  fervent 
de  la  langue  française. 

Il  II  trouve  dans  la  lecture  et  l'étude  de  ses  auteurs,  surtout 
des  classiques,  une  des  grandes  joies  de  sa  vie  et  il  les  salue 
comme  les  continuateurs  de  la  grâce  grecque  et  de  la  clarté 
latine. 

«  Je  vous  convie,  Messieurs,  à  lever  votre  verre  à  l'avenir  de 
la  langue  française,  à  sa  pérennité!  » 


Le  Banquet. 

Les  travaux  en  sections  furent  suivis,  après  la  réception  offi- 
cielle à  l'Hôtel  de  Ville,  d'un  banquet  qui  réunissait  une  cen- 
taine de  congressistes  au  restaurant  Van  der  Noot,  à  la  Vieille- 
Flandre. 

M.  Maurice  Wilmotte  présidait  ces  agapes,  auxquelles  assis- 
taient entre  autres  M.  et  M""  Pierre  Marraud;  MM.  Jules  Gau- 
tier, représentant  le  gouvernement  français;  Charles  Legrand, 
président  de  la  section  française;  le  sénateur  Coppieters; 
Laurent,  maire  de  Nancy;  Brunot,  professeur  à  la  Sorbonne; 
Salone,  secrétaire  général  de  l'Alliance  française,  etc. 

Les  dames  y  étaient  nombreuses. 

M.  Maurice  Wilmotte  prit  le  premier  la  parole  pour  porter 
des  toasts  successifs  au  roi  des  Belges;  à  M.  Poincaré,  prési- 
dent de  la  République;  à  MM.  Marraud  et  Legrand;  à 
M.  Salone,  représentant  de  VAlliance  française  de  Paris,  et  à 
l'éminent  conférencier  M.  Brunot,  de  la  Sorbonne;  au  maire  de 
Nancy;  à  M.  le  sénateur  Coppieters;  à  M.  Hermann  De  Baets, 
représentant  de  l'Association  flamande  pour  la  vulgarisation 
de  la  langue  française,  etc. 

M.  Jules  Gautier  prononça  alors  un  toast  charmant. 

<(  La  France,  dit-il  notamment,  ne  songe  à  exploiter  aucune 
langue,  aucune  culture  d'aucun  pays,  si  petit,  si  humble 
soit-il.  Elle  respecte  partout  le  sentiment  national  et,  si  elle 
cherche  à  défendre  par  les  armes  les  plus  pacifiques  les  posi- 
tions que  sa  langue  et  sa  culture  occupent  dans  le  monde,  c'est 
avec  un  désintéressement  absolu.  » 


—  55  — 

M.  H.  De  Baets,  dél^ué  de  l'Association  flamande,  but 
ensuite  aux  délégués  étrangers,  à  l'Œuvre  de  l'extension  de  la 
langue  française. 

D'autres  toasts,  tous  très  applaudis  également,  furent  encore 
portés  par  MM.  Pierre  Marraud,  Charles  Legrand,  Salone, 
et  enfin  .par  M.  le  .professeur  Brunot,  qui  vanta  les  beautés  de 
la  langue  française  et  but  au  rayonnement  déjà  si  glorieux  des 
lettres  belges  et  à  leurs  représentants. 


Quatrième  journée. 


Assemblée  générale  de  clôture. 

Le  dimanche  14'  septembre,  la  séance  est  ouverte  à 
10  heures  et  demie  du  matin  dans  la  salle  des  Conférences  de  la 
section  française,  aimablement  mise  à  la  disposition  du  Con- 
grès par  le  commissaire-général,   M.  Marraud. 

M.  Maurice  Wilmotte  préside,  ayant  à  ses  côtés  MM.  Jules 
Gautier,  délégué  de  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  de 
France,  et  Gustave  Cliarlier,  secrétaire  général  du  Congrès. 

Le  Secrétaire  général  donne  lecture  des  vœux  adoptés  en 
sections. 

On  adopte  à  l'unanimité  le  vœu  suivant,  présenté  par 
MM.  Renard,  Salone,  Edm.  Huguet,  Wenger,  Becker  et 
Hansen  : 

»  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  le  gouvernement  français,  qui 
<  a  déjà  ouvert  ses  universités  aux  élèves  étrangers,  leur 
«  accorde  le  même  traitement  dans  ses  écoles  spéciales,  et,  en 
«  particulier,  donne  le  plus  de  facilités  possibles  à  ceux  de  ces 
«  élèves  qui  sont  de  langue  française.  Pour  éviter  que  pareil 
»  régime  pût  avoir  comme  conséquence  l'abaissement  des 
«  études,  il  y  aurait  lieu  d'exiger  des  intéressés  la  production 
«de  certificats  attestant  des  études  préparatoires  suffisantes.  » 

Le  vœu  présenté  par  MM.  Ch.  Sadoul,  Wenger,  Hansen  et 

Becker  et  relatif  aux  relations  postales  entre  la  France  et  le 
Grand-Duché  de  Luxembourg  donne  lieu  à  une  courte  discus- 
sion. M.  Salmon  voudrait  réclamer  pour  l'Angleterre  le  même 
traitement  de  faveur,  et   M.  Delaite  rappelle  une  proposition 


—  57  — 

antérieure  de  .M.  le  comte  du  Bois.  Sur  l'intervention  de 
M.  le  Président  et  de  M.  Sadoul,  le  vœu  est  adopté  sous  la 
forme  suivante  : 

»  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  les  gouvernements  français 
11  et  luxembourgeois  appliquent,  dans  leurs  relations  postales, 
(j  le  tarif  réduit  prévu  en  France,  dans  la  circulation  intérieure, 
(I  pour  les  imprimés  et  journaux.  » 

Lecture  est  ensuite  donnée  de  ce  vœu,  présenté  par 
M.  Gromaire  : 

»  Le  Congrès, 

((  Considérant  que  l'organisation  des  échanges  d'enfants  et 
«  de  jeunes  gens,  telle  qu'elle  a  été  comprise  et  réalisée  par 
la  Société  d'cchaiHje  international,  constitue  un  puissant 
moyen  a'action  pour  la  diffusion  de  la  langue  française, 

«  Reconnaissant  les  services  déjà  rendus  par  cette  œuvre  à 
Il  la  cause  de  la  langue  et  de  la  civilisation  françaises, 

»  Emet  le  vœu  que  les  groupements  d'idée  française  s'inté- 
II  ressent  de  plus  en  plus  à  l'œuvre  organisée  et  poursuivie  par 
Il  cette  société  et  encouragent  la  pratique  de  l'échange  inter- 
II  national.  » 

Il  est  adopté  sans  opposition. 

Il  en  va  de  même  du  vœu  suivant,  présenté  par  M.  Albert 
Mockel  : 

Il  Le  Congi'ès  émet  le  vœu  que  les  écrivains  des  Marches 
Il  sei'vent  de  tous  leurs  efforts  la  pureté  de  la  langue  française. 
Il  tout  en  gardant,  selon  l'exemple  qui  leur  est  donné  par  la 
Il  tradition  française  elle-même,  la  plus  grande  liberté  pour 
Il  la  création  de  leurs  œuvres.  » 

Un  vœu  de  MM.  Albert  Mockel  et  Dumont-Wilden,  adopté 
par  la  section  littéraire,  demande  que  les  jurys  chargés  de 
décerner  les  prix  littéraires  soient  formés,  pour  la  moitié  au 
moins,  des  anciens  titulaires  de  ces  prix.  Il  suscite  un  assez 
long  échange  de  vues. 

M,  le  Président  craint  que  ce  vœu,  inspiré  par  des  circon- 
stances locales,  n'ait  pas  une  portée  assez  générale  pour  être 


—  58  — 

sanctionné  par  le  Congrès.  Il  signale  qu'en  ce  qui  concerne  la 
Belgique,  l'Académie  royale  est  sur  le  point  d'apporter  de 
sérieuses  réformes  à  la  composition  de  ses  jurys. 

M.  Albert  Mockel  défend  éloquemment  le  vœu  proposé.  11 
estime  que  les  écrivains  doivent  être  jugés  par  leurs  pairs,  et, 
revenant  sur  des  incidents  récents,  il  dénonce  le  «  scandale  » 
d'un  jury  belge  qui,  nommé  par  le  gouvernement,  s'est  empressé 
de  couronner  un  membre  de  ce  gouvernement. 

M.  Jules  Gautier  conteste  à  son  tour  la  portée  générale  du 
vœu  et  fait  remarquer  qu'il  ne  peut  en  tout  cas  s'appliquer  à 
la  France,  où  tous  les  prix,  sauf  un,  sont  décernés  par  l'Institut. 

M.  le  Président  signale  qu'en  Belgique  certains  titulaires  de 
prix  ont  refusé  de  faire  partie  du  jury. 

M.  Rosy  insiste  sur  la  question  de  principe  :  il  est  désirable 
que  les  anciens  lauréats  soient  appelés  à  siéger  dans  le  jury. 

Ce  n'est  point  l'avis  de  M.  Maurice  Renard,  qui  s'élève  vive- 
ment contre  la  tendance  à  abandonner  la  littérature  au  juge- 
ment exclusif  des  gens  de  lettres.  Les  lettres,  patrimoine  natio- 
nal, ne  doivent  point  devenir  celui  d'une  caste. 

On  passe  au  vote.  Le  vœu  est  rejeté  à  une  forte  majorité. 

On  adopte  sans  opposition  le  vœu  suivant,  présenté  par 
M.  Dumont-Wilden  : 

«  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  les  éditeurs  français  publient, 
«  sous  forme  de  bibliographie  pratique,  à  l'usage  du  public, 
«  un  catalogue  systématique  des  principales  œuvres  de  la  litté- 
«  rature  française.  » 

Lecture  est  ensuite  donnée  du  vœu  de  M.  Ducrocq,  amendé 
en  section  par  MM.  Gérard  Harry  et  Gromaire  : 

«  ILe  Congrès  émet  le  vœu  que  les  ouvriers  agricoles  étrangers, 
«  qui  viennent  en  France  chaque  année,  y  trouvent  des  orga- 
«  nismes  locaux,  qui  leur  faciliteront  la  connaissance  de  la 
«  langue  française  et  leur  assureront  une  atmosphère  de  sym- 


—  59  — 

«  pathie  dont  ils  ont  besoin.  Il  souhaite  la  création  immédiate 
«  d'un  comité  spécialement  chargé  de  cette  mission  et  que  le 
«  comité  organisateur  du  présent  Congrès  désignera.  » 

M.  Salone  signale  divers  exemples  d'organismes  analogues 
à  celui  dont  on  souhaite  la  création  et  il  rend  notamment 
compte  de  ce  que  l'Alliance  française  de  Nancy  fait  à  l'inten- 
tion des  ouvriers  étrangers.  Le  vœu  est  adopté. 

Un  vœu  émanant  de   M.  Gérard   Harry  est  alors  soumis  à 
l'assemblée.   II  invite  les   revues  de  langue  française  à    «ne 
«  jamais  publier  un  article  susceptible  de  diminuer  le  prestige 
«  de  la  France  à  l'étranger  et  à  ne  point  fournir  d'armes  à  nos  • 
«  adversaires  ». 

M.  Gautier  le  combat  :  il  voit  là  une  atteinte  à  la  liberté 
littéraire. 

Wr.  Rosy  déclare  qu'il  s'abstiendra  :  ce  vœu  lui  paraît  con- 
sacrer la  tactique  de  l'autruche. 

Cet  avis  est  partagé  par  M.  Mockel. 

M.  Nélis  croit  devoir  préciser  la  portée  du  vœu  :  il  s'agit 
d'attirer  l'attention  des  revues  de  langue  française  sur  le  dan-^ 
ger  qu'il  y  a  à  se  dénigrer  soi-même. 

M.  Morand  trouve  le  vœu  inopérant. 

M.  Fiirstenhoff  propose  de  remplacer  dans  le  texte  »  le  pres- 
tige de  la  France  »  par  «  le  prestige  de  la  culture  française  », 
et  M.  Harry  se  rallie  à  cet  amendement. 

M.  Joseph  de  Smet  critique  à  la  fois  le  fond  et  la  forme  du 
vœu.  Nous  sommes  d'accord  pour  souhaiter  que  le  prestige  de 
la  culture  française  reste  intact  à  l'étranger.  Mais  pareille 
déclaration  est  forcement  platonique.  Tout  ce  que  nous  faisons 
ici  contribue  pleinement  à  réaliser  le  souhait  de  M.   Harry. 

M.  Delaite  estime,  lui  aussi,  que  ce  vœu  engage  trop  le  Con- 
grès, et  il  s'abstiendra  au  vote. 


—  60     - 
M.  Mockel  réclame  l'ajournement. 

M.  Harry  insiste,  mais  MM.  Sasserath  et  Salmon  demandant 
à  leur  tour  l'ajournement,  il  finit  par  se  rallier  à  leur  a. 

Le  vœu  est  donc  ajourné. 

Lecture  est  ensuite  donnée  d'un  autre  vœu  de  M.  Gérard 
Harry  préconisant  la  fondation  de  journaux  chargés  de  dé- 
fendre le  français  dans  la  langue  maternelle  des  populations 
parmi  lesquelles  on  l'attaque,  et,  particulièrement,  de  jour- 
naux flamands  antiflamingants. 

M.  le  Président  se  demande  si  pareil  vœu  n'a  pas  une  portée 
trop  locale  pour  être  adopté  par  un  Congrès  international. 

Une   discussion    s'engage   sur  ce    point.    MM.    Sasserath   et 

Mockel  estiment  que  cet  argument  ne  doit  point  retenir  l'as- 
semblée :  les  vœux  généraux  ne  résultent-ils  pas  de  constations 
régionales? 

MM.  Nélis  et  j.  de  Smet  sont  d'un  avis  différent. 

M.  Renard  insiste  sur  l'utilité  d'organes  de  propagande  tels 
que  ceux  dont  M.  Harry  demande  la  création. 

M.  Rosy,  d'accord  avec  M.  Mockel,  présente  un  texte  nouveau, 
qui  ne  prête  pas  aux  mêmes  critiques. 

M.  Sasserath  le  défend,  en  insistant  à  nouveau  sur  l'impor- 
tance pratique  du  vœu. 

M.  le  Président  voudrait  en  étendre  la  portée  en  prévoyant  le 
cas  où  ces  publications  pourraient  être  bilingues. 

M.  Harry  se  rallie  à  cet  amendement. 

On  met  aux  voix  le  texte  de  MM.  Rosy  et  Mockel,  amendé  par 
M.  le  Président  : 

«  Le  Congrès  émet  le  vœu,  lorsque  les  nécessités  s'en  mani- 
«  testent,   de  voir  éditer  des  publications,  soit  bilingues,   soit 


—  61   — 

<(  rédigées  dans  la  langue  des  populations  ignorant  le  français 
«  qu'il  convient  de  gagner  à  la  langue  française.  » 

Ce  texte  est  adopté. 

On  passe  au  vœu  présenté  par  M™°  Lambotte  : 

ic  Le  Congrès  émet  le  vœu  que  l'initiative  privée,  représentée 
<i  par  les  associations  pour  la  vulgarisation  de  la  langue  fran- 
«  çaise,  crée  des  écoles  primaires  gratuites  permettant  aux 
«  enfants  de  la  partie  flamande  du  pays,  dont  la  langue  mater- 
«  nelle  est  le  français,  et  notamment  à  ceux  de  la  colonie 
«  wallonne  du  bassin  houiller  de  la  Camjpine,  de  recevoir  l'in- 
<i  struction  dans  cette  langue.  » 

M"'"  Lambotte  expose  les  circonstances  qui  justifient  l'urgence 
de  l'initiative  qu'elle  réclame. 

Un  court  échange  de  vues  se  produit,  auquel  prennent  par 
MM.  Delaite  et  Stuyck.  Ce  dernier  voudrait  donner  au  vœu  une 
portée  plus  pratique.  Il  propose  de  s'adresser  aux  capitalistes 
du  bassin  houiller. 

M.  le  Président  promet  de  tenter  une  démarche  dans  ce  sens. 
Le  vœu  est  adopté. 

L'assemblée  prend  acte  de  la  motion  suivante  de  M.  Nélis, 
après  que  l'auteur  en  a  expliqué  la  portée  : 

«  Les  écrivains  français  expriment  toute  leur  reconnaissance 
«  aux  écrivains  étrangers,  dont  le  talent  contribue  à  augmenter 
((  le  patrimoine  des  lettres  françaises.  » 

Lecture  est  donnée  de  la  résolution  suivante,  proposée  par 
M.  Fiirstenhsff  : 

«  Considérant  : 

«  1°  Que  les  nécessités  de  l'internationalisme  exigent  impé- 
"  rieusement  la  limitation  du  nonnbre  des  langues  admises  dans 
«  les  réunions  internationales; 

«  2°  Que  la  majorité  des  associations  internationales  ont  déjà 
<(  admis  le  français,  l'anglais  et  l'allemand  comme  seules  lan- 


—  62  — 

i<  gués  internationales  et  que  nombre  d'entre  elles  n'admettent 
«  même  déjà  que  le  français  ou  donnent  à  cette  langue  une 
«  prééminence  justifiée  de  diverses  façons  et  spécialement  par 
«  son  emploi  dans  la  diplomatie  et  les  postes,  ainsi  que  par 
"l'installation  du  siège  de  la  majorité  des  associations  inter- 
«  nationales  en  pays  de  langue  française; 

«  3°  Qu'une  règle  ainsi  conçue  dans  l'intérêt  général  ne  sau- 
<(  rait  froisser  les  amours-propres  nationaux; 

«  4°  Que  l'enquête  faite  directement  auprès  des  associations 
«  internationales  ou  par  étude  de  leurs  statuts  confirme  ces 
«  faits; 

«  Le  Congrès  décide  de  communiquer  aux  associations  inter- 
«  nationales  les  résultats  de  l'enquête  et  de  leur  proposer 
«  l'adoption  du  statut  linguistique  discuté  en  section.  » 

M.  le  Président  fait  ressortir  toute  l'importance  de  cette 
résolution,  qui  élargit  singulièrement  la  portée  du  Congrès. 
Il  demandô  à  l'assemblée  de  l'adopter.  (Adhésion  générale.) 

Une  seconde  résolution,  proposée  par  M.  Furstenhoff,  con- 
cerne l'œuvre  des  «  résumés  français  »  et  préconise  la  nomi- 
nation d'une  délégation  chargée  de  provoquer  la  formation 
d'un  comité  d'étude  et  de  réalisation. 

M.  le  Président  en  explique  la  portée. 

M.  Sasseratii  propose  d'ajouter  que  cette  délégation  sera 
nommée  «  par  les  soins  du  bureau  du  Congrès  ». 

M,  Furstenhoff  se  rallie  à  cet  amendement. 

Après  quelques  éclaircissements  réclamés  par  M.  Salmon,  la 

résolution  est  adoptée  sous  la  forme  suivante  : 

t  Considérant  que  ÏŒuvre  des  résumés  français,  telle  qu'elle 
((  a  été  proposée  au  Congrès  de  1908  et  étudiée  au  présent  Con- 
«  grès,  amènerait  les  savants  et  industriels  étrangers  à  s'en 
«  servir  de  préférence,  comme  source  d'information,  et  favo- 
«  riserait  considérablement  la  connaissance  de  la  langue  fran- 
«  çaise  dans  le  monde  entier, 


—  63  — 

i<  Le  Congrès  décide  la  nomination,  par  les  soins  de  son 
«  bureau,  d'une  délégation  chargée  de  provoquer  la  formation, 
«  à  Paris,  d'un  comité  d'étude  et  de  réalisation  de  l'Œuvre  des 
11  résumés  français.  » 

M.  le  Président,  avant  de  lever  la  séance,  remercie  une  der- 
nière fois  les  congressistes  étrangers,  et  particulièrement  les 
délégués  officiels,  les  délégations  des  associations  étran- 
gères, etc.  Il  exprime  une  dernière  fois  les  sentiments  de  tous 
à  l'égard  du  Commissariat  général  de  la  France,  qui  n'a  cessé 
pendant  ces  quatre  jours,  de  seconder  chaleureusement  notre 
effort. 

La  séance  est  levée  à  midi  et  demi. 

Ainsi  s'est  terminé  le  troisième  Congrès  international  pour 
l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A  )  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La   langue  française  en  Hollande, 


Gustave  COHEN, 
professeur  à  l'Université  d'Amsterdiim 


L'année  1912-1913  aura  élé  décisive  dans  l'histoire  des  rela- 
tions intellectuelles  de  la  HoUandeet  de  la  France  :  en  novembre, 
cours  du  physicien  de  Leyde,  Lorentz,  au  Collège  de  Francej  en 
janvier,  cours  du  romaniste' de  Groninguc,  Salverda  de  Grave,  à 
la  Sorbonne;  en  octobre,  installation  d'un  privat-docent  pour  le 
vieux  français  à  l'Université  d'Utrecht  et  inauguration  d'une 
chaire  de  langue  et  de  littérature  françaises  à  l'Université 
d'Amsterdam.  Dans  cette  môme  Université  et  le  même  hiver 
prenaient  la  parole,  à  l'invitation  de  la  Faculté  de  droit,  le  juris- 
consulte Benault  et,  à  l'invitation  de  la  Faculté  des  Lettres, 
Salomon  Reinach,  membre  de  l'Institut.  Un  cercle  se  formait  à 
La  Haye  pour  organiser  une  série  de  leçons  d'histoire  de  l'art, 
professées  par  André  Michel  et,  pour  s'arrêter  un  instant  à  des 
faits  peut-être  moins  importants  mais  non  pas  complètement 

la  I 


2  —  la  1  SECTION  DE  PROPAGANDE 

négligeables,  un  groupe  d'amateurs  hollandais  organisait  spon- 
tanément, au  mois  de  mars  dernier,  une  remarquable  exposition 
de  céramique  française;  l'orchestre  de  Mengelberg  s'est  fait 
entendre  au  théâtre  de  l'Elysée;  les  Concerts  Colonne  occupent 
l'été  le  Kursaal  de  Scheveningue  ;  tout  l'hiver,  chaque  mois, 
presque  dans  chaque  ville,  comme  les  années  précédentes,  un 
conférencier  de  Paris  a  visité  les  comités  d'Alliance  française  et 
y  a  trouvé  un  auditoire  souvent  nombreux,  toujours  attentif, 
mais  ceci  n'est  pas  une  nouveauté;  ce  qui  en  constitue  une,  c'est 
la  création  du  Cercle  français  de  l'Université  d'Amsterdam,  la 
formation  d'un  nouveau  comité  d'Alliance  française  dans  une 
petite  ville  de  6,000  habitants,  à  quelques  kilomètres  de  la" fron- 
tière allemande,  à  Wintersvvijk,  et  la  prochaine  résurrection  des 
comités  d'Arnhem  et  de  Zutphen. 

Ce  sont  là  des  événements  d'inégale  importance  dont  quelques- 
uns,  considérés  isolément,  pourraient  paraître  sans  signification, 
mais  qui,  groupés  ainsi  et  envisagés  en  leur  ensemble,  forcent 
l'attention  et  attestent  un  singulier  réveil  de  notre  influence, 
dans  le  domaine  intellectuel,  aux  Pays-Bas. 

Ainsi  1913,  centenaire  de  la  revanche,  centenaire  du  triomphe 
de  la  nationalité  iiollandaise  sur  l'oppression  politique  de  la 
France,  aura  contribué  à  rapprocher  deux  peuples,  auxquels  des 
siècles  de  lutte  souvent  sanglantes  n'ont  pu  désapprendre  de 
s'estimer  et  de  s'aimer. 

Dans  ce  rapport  nous  examinerons  :  I.  l'enseignement  du 
français  aux  trois  degrés;  II.  la  diffusion  du  français  par  les 
associations  privées;  III.  les  autres  organes  de  l'intluence 
française. 


I.  —    L'ENSlilGNEMENT    DU    FRANÇAIS  AUX   TROIS   DEGRÉS. 

A)  Enseignement  primaire. 

Le  trait  caractéristique  à  mettre  en  relief  tout  d'abord  est  l'en- 
seignement du  français  dans  un  grand  nombre  d'écoles  pri- 
maires. 


l.E   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  la  1  —  3 

En  1910-1911  (•),  sur  un  nombi'e  total  de  5,363  écoles  pri- 
maires (dont  3,303  publiques  et  2,000  libres),  comprenant 
ensemble  916,594  élèves,  le  français  était  enseigné,  le  lo  janvier, 
dans  l,17o  (dont  S94 publiques,  581  libres),  soit  un  peu  plus  du 
cinquième;  l'allemand  dans  724,  soit  un  peu  plus  du  septième 
seulement,  et  l'anglais  dans  520,  soit  un  dixième  environ. 

Cette  situation  privilégiée  du  français  tient  à  ce  qu'il  est  exigé 
à  l'examen  d'entrée  dans  l'enseignement  secondaire,  auquel  une 
partie  des  écoles  primaires  a  pour  mission  de  préparer  ('^).  On 
demande  aux  jeunes  candidats,  à  l'écrit,  la  traduction  d'un  petit 
récit  facile  du  français  en  hollandais  et  la  traduction  en  français 
d'une  douzaine  de  phrases  hollandaises  pouvant  donner  lieu  à 
l'application  des  principales  règles  de  grammaire.  Pour  arriver 
à  ce  résultat,  trois  ans  d'étude  sont  nécessaires,  au  taux  de 
cinq  heures  par  semaine. 

On  a  fait  beaucoup  de  bruit  autour  d'une  décision  du  conseil 
municipal  de  Rotterdam,  en  1898,  prise  dans  l'intérêt  du 
commerce  de  cette  ville  et  remplaçant  dans  quelques  écoles  pri- 
maires communales,  la  classe  de  français  par  uneclasse  d'anglais 
ou  d'allemand,  mais  cette  résolution,  dictée  par  des  besoins 
locaux,  n'a  pas  la  portée  qu'on  a  voulu  lui  donner.  Il  serait 
facile  de  lui  opposer,  écrivait  Van  Hamel  en  1900  (^),  la  création 
de  nouveaux  cours  gratuits  par  la  ville  d'Amsterdam  en  faveur 
des  classes  populaires  et  où  le  français  est  enseigné  à  500  élèves 

(')  Chiffres  empruntés  à  un  travail  manuscrit  de  M.  Riemens  qui  pré- 
pare, à  l'Université  d'Amsterdam,  une  thèse  sur  l'histoire  de  l'enseigne- 
ment du  fiançais  aux  Pays-Pas.  M.  Riemens  a  puisé  ses  chiffres  dans  une 
publication  officielle  intitulée:  Verslag  van  den  staatder  Hooge-,  Middel- 
bare  en  Lagere  Scholen  in  het  Koningrijh  der  Nederlanden  over  1910- 
1911,  's  Gravenhage,  1912,  2  deel.,  4»  (gedrukt  der  Algemeene  Lands- 
drukkerij). 

(2)  De  bonnes  notes  obtenues  dans  l'établissement  d'où  l'on  sort  peuvent 
faire  dispenser  de  l'examen  suivant  l'appréciation  du  proviseur  du 
lycée. 

(3)  Bulletin  de  V Alliance  française,  n»  71,  15  octobre  1898,  p.  190,  et 
Van  IIamel.  »  La  langue  française  dans  les  Pays-Bas  »,  p.  28  à  32  de 
La  langue  française  dans  le  Monde.  Paris,  Alliance  française^  1900 
in-8°.  Cf.  p.  29. 


4,  —  Ia-1  SECTION    DE   PROPAGANDE 

environ.  En  1908,  il  y  avait  36  de  ces  cours  pour  le  français;  en 
1911,  4o;  pour  l'anglais,  il  y  en  avait,  en  1908,  71  et  en  1911, 
89,  tandis  que  le  nombre  des  cours  d'allemand  tombait 
de  21,  pour  1908,  à  19  pour  1911  (').  Même  dans  la  métropole 
commerciale  de  Rotterdam,  le  français  est  enseigné  dans  des 
classes  complémentaires  de  jour. 

Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  cependant  que  le  français  à  l'école 
primaire  ne  soit  l'objet  d'une  violenlehostilité,  dont  l'inspecteur 
Stcyn  Parvc  {^)  avait,  en  1877,  déjà,  à  repousser  les  attaques. 
Les  enquêtes  se  multiplient.  Celle  qu'a  entreprise  l'Union  des 
professeurs  de  l'enseignement  secondaire,  en  1912,  auprès 
des  directeurs  et  des  professeurs  de  français  des  lycées  modernes 
quinquennaux  et  triennaux  (3),  pour  savoir  s'il  convenait  de  sup- 
primer le  français  à  l'examen  d'admission,  a  donné  le  résultat 
suivant  :  sur  130  réponses,  37  ont  été  affirmatives  (dont  22  avec 
plus  ou  moins  de  restrictions,  19  émanant  de  professeurs  de 
français)  et  93  négatives  (dont  43  émanant  de  professeurs  de 
français),  soit  une  majorité  de  37  en  faveur  du  maintien  du  fran- 
çais à  l'examen  d'entrée  et,  par  voie  de  conséquence,  à  l'école 
primaire.  Cette  majorité  est  d'autant  plus  intéressante  qu'elle 
n'est  pas  composée  seulement  de  professeurs  de  français  (■•). 

Quoique  plusieurs  inspecteurs  de  district  se  soient,  en  1908, 
déclarés  pour  la  suppression,  la  commission  instituée  par  le 
gouvernement  pour  la  réorganisation  8e  l'enseignement  (Ineen- 
schakdingscommissie)  conclut,  dans  son  rapport,  au  maintien 
du  français  au  programme  des  écoles  primaires.  Il  y  a  donc  à 
peu  près  chose  jugée  et  notre  cause  a  triomphé. 

Cela  ne  doit  pas  nous  aveugler  sur  le  danger  que  nous  avons 
couru  et  qui  nous  menace  encore  pour  deux  raisons  :  notre 


(ij  Article  de  M.  Bolrestkin,  Weehb/ad  voor  Gymnasiaal  en  Middel- 
baar  Onderwijs,  VIII,  n°  26,  p.  678,  cité  par  M.  Riemens,  op.  cit. 

(')  De  yrens  tusschen  het  Lager-  en  het  Middelbaar  Ondaxcijs,  1877, 
in-8",  pp.  7  et  suiv.,  cité  par  M.  Riemens. 

(')  Pour  l'explication  de  ces  termes,  voir  plus  loin. 

{•«)  A  consulter  Bolkestein  ;  WeekbJad  voor  Gymnasiaal  en  Middel- 
i/aar  Onderwijs,  8"  jaargang,  n»  26,  p.  666-713,  utilisé  par  M.  Riemens. 


LE  FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-1  —  ,"> 

infériorité  économique  relative  (bien  qu'il  y  ait  amélioration  sur 
ce  point)  à  laquelle  nous  pouvons  difficilement,  dans  l'enseigne- 
ment populaire,  forcément  plus  utilitaire,  opposer  notre  supé- 
riorité de  culture  et,  ensuite,  la  disproportion  des  résultats  et  de 
l'effort  déployé.  Trois  ans  d'étude  à  cinq  heures  par  semaine 
n'aboutissent  pas  à  produire  des  élèves  ayant  une  connaissance 
suffisante  du  français  parlé  et  écrit. 

Ceci  tient  à  l'excès  de  la  grammaire  qui  rebute  les  enfants,  aux- 
quels notre  langue  n'apparaît  plus  que  comme  un  arsenal  de 
règles  redoutables,  et  aussi  à  l'ignorance  de  cette  méthode  directe 
qui  peut  faire  de  la  classe  de  français  une  classe  française  et  de 
l'étude,  un  jeu.  Le  vice  radical  est  dans  l'insuffisante  formation 
des  instituteurs,  qui  sont  autorisés  à  enseigner  le  français 
lorsqu'ils  ont  subi  l'épreuve  spéciale  établie  pour  eux  {^)  et  à 
laquelle  préparent  les  cours  annexés  aux  écoles  normales.  Il 
faudrait  organiser  en  leur  faveur,  un  système  de  bourses  de 
voyage  et  augmenter  la  difficulté  de  l'examen.  Je  sais  bien  qu'il 
est  des  instituteurs  pleins  de  mérite  et  sachant  très  bien  notre 
langue,  mais  s'ils  continuent  leurs  études  et  passent  leur  licence 
ou  leur  agrégation  de  français,  ils  quitteront  bientôt  le  primaire 
pour  le  secondaire. 

A  Groningue.M.Van  Hamel  (^)  entend,  dans  une  école  gratuite,, 
expliquer  l'exemple  suivant  :  «  Berthe  a  fait  vœu  de  pauvreté», 
et  les  enfants  ne  comprennent  pas  qu'il  faille  un  vœu  pouf 
aboutir  à  cet  état  qui  leur  est  habituel. 

Voici  une  autre  anecdote  non  moins  authentique  :  l'institu- 
teur dicte  «j'ai  pris  ma  parapluie  ».  Une  élève  qui  a  une  gouver- 
nante française  proteste  timidement  :  «  Monsieur,  c'est  un  para- 
pluie».—  «Non,  lui  est-il  répondu,  puisqu'on  dit  la  pluie, il  faut 


(')  Se  sont  présentés  à  cet  examen  en  1910  :  764  candidats  pour  )e 
français,  dont  455  ont  réussi;  pour  l'allemand,  359  candidats,  dont  149 
ont  réussi  ;  pour  l'anglais,  390  candidats,  dont  239  ont  réussi. 

L'épreuve  imposée  consiste  en  une  traduction  du  hollandais  en  français 
et  une  dictée;  l'oral,  qui  porte  surtout  sur  la  grammaire  et  l'explication  do 
textes  faciles,  se  passe  entièrement  en  français. 

(^)  Bulletin  de  l'Alliance  f7'ançaise,  }a.n\ieT-mdLTS  1893,  p.  19. 


6  —  Ia-1  SECTION   DE   PROPAGANDE 

dire  une  parapluie.  Vous  êtes  une  insolente!  »  Et  le  directeur  de 
l'école  de  faire  savoir  aux  parents  qu'il  est  désagréable  d'avoir 
des  enfants  sachant  trop  bien  le  français  parce  que  cela  trouble 
la  classe. 

A  ces  excès  du  «  livresque  »  et  du  pédantesque  grammatical, 
la  méthode  directe,  appliquée  avec  mesure,  peut  seule  remédier, 
mais  son  avantage  ou  son  inconvénient  est  que  le  professeur  doit 
connaître  la  langue  qu'il  enseigne.  L'introduction  du  grammo- 
phone  préconisée  par  l'éminent  linguiste  Brunot  pourrait  être 
pour  lui  un  adjuvant  précieux  en  même  temps  qu'un  contrôle. 

Ces  réserves  faites,  l'enseignement  du  français  à  l'école  pri- 
maire se  justifie  parfaitement.  La  situation  du  français,' on  ne 
l'a  pas  assez  remarqué,  n'est  pas  aussi  privilégiée  qu'elle  en  a 
l'air.  11  faut  songer  que,  de  l'aveu  de  tous,  professeurs  et 
élèves,  notre  langue  est;  pour  le  Hollandais,  en  regard  de  l'anglais 
et  de  l'allemand,  la  plus  ditlicile  à  apprendre. 

Pour  l'allemand,  au  contraire,  l'élève  n'a  guère  d'hésitations 
que  dans  la  prononciation  et  dans  la  déclinaison;  le  vocabulaire 
lui  est  presque  entièrement  connu  d'avance  (*);  pour  l'anglais, 
il  n'est  arrêté  que  par  la  phonétique,  l'orthographe  et  un  peu 
par  les  mots  d'origine  romane. 

Si  donc  on  consacre  plus  de  temps  au  français,  ce  n'est  que 
justice,  si  on  veut  lui  accorder  le  traitement  d'égalité  auquel  lui 
donne  droit  sa  situation  de  langue  de  haute  culture.  Cette 
observation  vaut  surtout  pour  l'enseignement  secondaire,  où 
une  place  prépondérante  lui  est  aussi,  en  apparence,  conférée. 

B)  Enseignement  secondaire. 

Cette  rubrique  enveloppe  :  a)  les  lycées  classiques  ou  Gymna- 
sjfl (2), six  ans  d'études;  30  officiels,  14  libres;  population  totale 
en   1911:  5,336;   ft)  les  lycées  modernes  ou  lloogere  Burger- 

(*)  Un  simple  système  de  transposition  de  consonnes,  qui  s'opère  presque 
inconsciemment,  suffit  pour  l'obtenir. 

(^)  Les  gymnases  sont  accessibles  aux  jeunes  filles  qui  tendt-nt  même 
en  ces  dernières  années  à  l'emporter  en  nombre  sur  les  jeunes  gens. 


I,E   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-1  —  7 

school  met  5-jarigen  cur'stis;  cinq  ans  d'étude;  ol  oftkiels, 
10  libres;  population  totale  en  19H  :  7,922  ;  c)  les  écoles  quin- 
quennales de  jeunes  filles;  11  officielles,  5  libres;  population 
totale  1,734  élèves;  d)  les  écoles  triennales  Iloogere  Biirger- 
school  met  3-jarigen  cursus;  23  officielles,  1  libre;  population 
totale  :  2,922  élèves.  Total  général  des  élèves  en  1911  :  17,914 
sur  près  de  6  millions  d'habitants. 

Dans  tous  ces  établissements  les  trois  langues  sont  obliga- 
toires, mais  une  connaissance  élémentaire  du  français  étant 
exigée  à  l'examen  d'entrée,  le  français  est  étudié  dès  la  pre- 
mière année,  tandis  que  l'anglais  ne  l'est  jamais  que  dans  la 
deuxième  et  même, pour  les  gymnases,  dans  la  troisième;  l'alle- 
mand n'y  est  commencé  qu'en  deuxième  année. 

Il  est  regrettable  que  dans  les  lycées  modernes  et  surtout 
dans  les  lycées  classiques,  le  nombre  d'heures  consacrées  aux 
langues  modernes  diminue  dans  les  deux  dernières  années  au 
point  de  tomber  dans  Içs  lycées  classiques  de  quatre  heui'es  par 
semaine  (1" année)  à  une  en  o'^  et  6^  années;  dans  les  lycées 
modernes,  de  quatre  (1"""  et  2"  années)  à  deux  (4"  et  o'  années).  Le 
néerlandais  n'est  d'ailleurs  pas  mieux  traité.  Cette  situation  est 
déplorable,  parce  que  c'est  des  dernières  classes,  que  les  élèves 
emportent  l'empreinte  qui  les  marquera  pour  la  vie.  Ce  dédain 
des  lycées  classiques  à  l'égard  des  langues  étrangères  est  consa- 
cré par  l'examen  de  sortie,  équivalent  de  l'Àbiturientenexamen 
plutôt  que  du  baccalauréat  français.  On  se  borne  à  faire  traduire 
un  texte  en  prose,  de  la  langue  étrangère  en  hollandais  (').  Pas 
d'oral.  Il  n'est  donc  pas  extraordinaire  que  les  étudiants  de 
néerlandais,  de  langues  anciennes,  de  médecine  ou  de  droit 
aient  souvent  de  la  peine  à  s'exprimer  en  français.  Heureuse- 
ment qu'une  ambiance  favorable  à  notre  langue  dans  les  familles 
aisées  d'où  ils  sont  le  plus  souvent  issus,  compense  un  peu 
cette  insuffisance. 

L'examen  de  sortie  des  lycées  modernes  est  beaucoup  plus 

(')  L'épreuve  est,  en  fait,  plus  difficile  pour  le  français  que  pour  l'alle- 
mand, que  le  jeune  candidat  hollandais  peut  comprendre  presque  sans 
l'avoir  appris. 


8  —  Ia-1  SECTION   DE  PROPAGANDE 

sévère.  Il  comporte  une  comjiosition  en  français  sans  diction- 
naire, une  interrogation  sur  l'histoire  de  la  littérature  et  les 
(cuvres  étudiées  spécialement  par  le  candidat  ainsi  que  la  lecture 
d'une  page  à  expliquer  au  point  de  vue  grammatical.  L'examen  se 
passe  entièrement  en  français  ;  on  exige  .  une  diction  assez 
correcte  et  une  certaine  facilité  d'élocution.  Conditions  ana- 
logues pour  les  deux  autres  langues. 

Aussi  est-ce  parmi  les  élèves  des  lycées  modernes  et  des 
écoles  quinquennales  de  jeunes  filles  que  se  recrutent  la  plupart 
des  étudiants  de  langues  modernes. 

On  remarquera  dans  tout  l'enseignement  la  part  faite  à 
l'interprétation  du  théâtre  classique  et,  ceci  dérive  surtout  de 
l'initiative  des  professeurs,  la  part  faite  k  l'histoire  de  la  littéra- 
ture française. 

Dans  les  classes  supérieures,  partout,  les  cours  se  font  en 
français. 

Nous  sommes  forcés,  pour  gagner  du  temps,  de  laisser  de  côté 
les  écoles  de  commerce  et  les  écoles  militaires,  où  le  français 
s'enseigne  également. 

C)  Enseignement  supérieur 

Depuis  l'an  dernier,  octobre  1912,  le  français  est  représenté 
dans  les  quatre  universités  hollandaises,  mais  il  a  longtemps 
soutTert  de  l'ostracisme  dont  toutes  les  langues  modernes  étaient 
frappées  dans  cet  enseignement  supérieur,  tout  imbu  encore  des 
préjugés  de  la  Renaissance.  Ce  n'est  qu'en  1884  que  fut  fondée, 
à  Groningue,  la  première  chaire  de  français,  que  le  regretté 
Van  Hamel  inaugura  par  un  admirable  discours.  En  1907,  il 
trouva  un  digne  successeur  en  Salverda  de  Grave,  à  qui  l'Univer- 
sité de  Leyde  avait  confié  une  chaire  de  lecteur  d'ancien 
français  en  1895. 

D'ailleurs,  si  le  vieux  français  trouve  grâce  aux  yeux  des 
philologues  et  est  enseigné  maintenant  par  un  professeur, 
M.  Salverda  de  Grave,  à  Groningue,  un  lecteur  (maifi-e  de  confé- 
rences), M.  Sneyders  de  Vogel,  à  Leyde,  et  un  privat-docent, 
M.  de  Boer,   à  Utrecht,  depuis  1912,  la  philologie  française 


r.E    FRANÇAIS    DANS    LE    MONDi;  lal  —  9 

moderne  et  l'histoire  de  la  littérature  française  moderne,  qui, 
s'étant  donné  une  méthode  ont  droit  au  haut  enseignement,  ne 
sont  professées  qu'à  Groningue  par  un  lecteur,  M'"  Loke,  et,  à 
Amsterdam  (Université  municipale),  par  un  professeur,  nommé 
l'an  dernier  seulement. 

En  revanche,  tous  ces  maîtres,  bien  que  n'ignorant  rien  des 
résultats  acquis  par  la  science  allemande, ont  tous  fait  de  longues 
études  en  l^rance,  où  plusieurs  d'entre  eux  ont  conquis  le  grade 
de  docteur,  et  se  servent  exclusivement  du  français  dans  leurs 
exposés  (').  C'est  assurément  une  originalité  du  système  hollan- 
dais et  qui  est  tout  à  la  louange  de  ses  maîtres. 

Le  programme  de  Groningue  comprend  sept  heures  de  cours 
de  M.  Salverda  de  Grave,  portant  sur  le  vieux  français,  la  syn- 
taxe historique,  la  littérature  du  moyen  âge,  la  grammaire,  le 
provençal  ou  l'italien  (le  nombre  d'auditeurs  est  d'une  trentaine) 
et  cinq  heures  faites  par  M"=  Loke,  lecteur,  sur  l'histoire  géné- 
rale de  la  littérature,  sur  une  question  particulière  de  littérature 
moderne,  l'interprétation  des  classiques  et  l'explication  de 
textes  du  xix*  siècle  (une  quarantaine  d'auditeurs). 

A  Leyde,  M.  Sneyders  de  Vogel  fait  sept  heures  de  cours  se 
rapportant  à  la  phonétique,  à  la  morpliologie,  à  la  syntaxe  histo- 
rique du  français,  à  la  littérature  du  moyen  âge  avec  lecture 
d'anciens  textes,  au  provençal  et  à  l'italien. 

A  Ulrecht,  M.  de  Boer  enseigne  l'ancien  français,  langue  et 
littérature. 

Quant  à  Amsterdam,  voici  le  programme  dont  la  Faculté  et  la 
Municipalité  m'ont  abandonné  complètement  l'élaboration. 

1.  Histoire  de  la  littérature  française  moderne,  deux  heures  par  semaine. 

En  1912-1913  :  la  poésie  dans  la  première  moidé  du  xix'  siècle. 
En  1913-1914  :  la  poésie  dans  la  seconde  moitié  du  xix*  siècle, 
de  Lecontffde  Lisie  à  Emile  Verhaeren. 

2.  Histdire  de  la  littérature  française  médiévale,  une  heure.  En  1912-1913  : 

le  drame  liturgique.  En  1913-1914,  le  drame  religieux  français  des 
origines  au  xvi''  siècle  avec  lecture  du  Jeu  d'Adam. 

(*)  Los  professeurs  d'allemand  et  d'anglais  n'usent  aussi  que  de  la 
langue  qu'ils  enseignent. 


10  —  la±  SECTION   DE  PROPAGANDE 

3.  Conférence   d'histoire   littéraire,  deux  heures.  Recherches  originales 

faites  en  commun,  sous  la  direction  du  professeur,  sur  les  relations 
littéraires  de  la  France  et  de  la  Hollande  au  xvii°  siècle  (').  Cri- 
tique hebdomadaire  des  publications  récentes  relatives  à  la  littéra- 
ture française. 

4.  Histoire  de  la  langue    1912-1913.    Phonétique    générale  et  expéri- 

mentale 1913-1914  :  Phonétique  historique,  deux  heures  par 
semaine  avec  lecture  d'anciens  textes. 

5.  Explication  de  textes  classiques,  une  heure.  1912-1913  :  Britannicus. 

1913-1914  :  Les  Pensées. 

6.  Exercices   pratiques   de  français  :  Phonétique,  diction,  stjle,  explica- 

tion de  textes  modernes. 

Ce  programme  est  évidemment  trop  vaste  pour  être  rempli 
utilement  par  un  seul  ;  l'unique  ressource  qui  reste  au  pro- 
fesseur qui  ne  veut  pas  se  borner  à  faire  de  la  vulgarisation  est 
de  s'attaquer  chaque  année  à  un  nouveau  sujet  particulier. 
L'innovation  principale  qu'apporte,  au  point  de  vue  hollandais, 
cette  organisation  est  l'institution  de  la  conférence  d'histoire 
littéraire  sur  le  modèle  de  la  conférence  d'Abel  Lefranc  à  l'Ecole 
des  hautes  études.  11  s'y  rassemble  de  seize  à  vingt  auditeurs,  la 
plupart  très  avancés  et  dont  plusieurs  sonl  professeurs  de  lycée, 
comme  MM.  Gai  las  et  Riemens,  et  se  sont  signalés  déjà  par  des 
travaux.  Quelques  communications  d'auditeurs  seront  publiées, 
en  même  temps  qu'une  Bibliographie  des  livres  français  parus  en 
Hollande  au  xvu"  siècle,  œuvre  collective  de  la  conférence.  A 
tous  les  cours,  sauf  le  premier,  les  étudiants  ont  l'occasion  de 
faire  des  travaux  personnels  dont  ils  donnent  lecture  et  qui  sont 
critiqués  ensuite.  Le  nombre  des  étudiants  inscrits  n'a  guère 
dépassé  vingt  en  1912-1913,  mais  le  cours  de  littérature 
moderne,  destiné  au  grand  public,  en  a  rassemblé  une  quaran- 
taine, dont  plusieurs  maîtres  de  français  et  étudiants  d'autres 
facultés. 

En  Hollande,  où  le  cours  public  n'existe  pas,  mais  où  j'espère 
pouvoir  l'introduire  bientôt,  au  moins  à  l'Université  d'Amster- 
dam,  le  public  lettré  se  tient  ou  plutôt  est  tenu  à  l'écart  de 

(')  Sujet  auquel  je  compte  consacrer  ma  thèse  de  Sorbonne. 


LE    FnANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  lo-l    —   l  I 

l'Université.  Cela  est  éminemment  regrettable,  car  l'Université 
est  le  cerveau  de  la  cité  et  il  importe  que  la  partie  de  la  nation 
qui  pense,  reste  en  contact  permanent  avec  elle. 

Les  étudiants  de  français  sont  en  général  bien  préparés.  Si 
leur  prononciation  laisse  souvent  à  désirer,  ils  ont  une  facilité 
d'élocution  assez  grande  et  comprennent  admirablement  notre 
langue.  On  n'a  jamais  la  sensation  de  parler  devant  un  auditoire 
étranger.  Un  peu  froids  au  premier  abord,  les  étudiants  ne  tar- 
dent pas  à  manifester  à  leur  maître  un  respectueux  attachement, 
condition  favorable  au  travail  en  commun.  Intelligents  et  tra- 
vailleurs, ils  manquent  un  peu  d'homogénéité,  ce  qui  tient  à 
leur  diversité  d'origine  et  de  culture  générale.  Ayant  des  idéeis, 
ils  ne  savent  pas  les  grouper,  puis  ils  manquent  de  jugement 
esthétique.  C'est  sur  ces  trois  points:  développement  de  la  culture 
générale  et  philosophique,  art  de  la  disposition  et  goût,  que 
notre  ettort  doit  porter  surtout  et  c'est  là  que  se  marquera  le 
bénéfice  que  l'étudiant  hollandais  peut  retirer  de  la  culture 
française. 

Le  défaut  général  de  cet  enseignement  universitaire  au  point 
de  vue  des  langues  modernes  et  en  particulier  du  français  est 
d'abord  qu'il  est  incomplet,  le  personne!  étant  trop  peu  nom- 
breux, qu'ensuite  il  manque  de  sanction  :  aucun  contrôle  à 
l'entrée,  aucune  consécration  à  la  sortie.  Les  examens  de  langues 
modernes  sont  institués  par  l'État.  Ils  ont  lieu,  en  général, 
à  La  Haye  et,  théoriquement,  sont  indépendants  des  univer- 
sités. 

En  fait  Van  Hamel  ayant  pris,  en  1889,  la  présidence  du 
jury  et  Salverda  de  Grave  lui  ayant  succédé  dans  cette 
charge  ('),  l'action  des  universités  y  est  devenue  prépondérante. 
Alors  que,  de  1884  à  1889,  aucun  professeur  d'université  ne  faisait 
partie  de  ce  jury,  ils  y  figurent  aujourd'hui  tous  les  cinq. 

Le  résultat  est  que  presque  tous  les  candidats,  du  moins  pour 
l'examen  B,  ont  passé  par  une  des  quatre  universités,  mais  ils 
n'y  sont  point  astreints  et  plusieurs  se  préparent  encore,  surtout 

(')  Charge  pourtant  bien  instable,  car  il  suffirait  du  caprice  d'un 
ministre  pour  que  le  président  changeât. 


12  —  la  1  SECTION  DE  PROPAGANDE 

pour  l'examen  A,  qui  est  plus  élémentaire,  dans  les  cours  privés 
organisés  par  des  membres  du  jury  (>). 

Il  y  a  deux  espèces  d'examen  :  le  premier,  l'examen  A,  dont  le 
diplôme  donne  le  droit  d'être  nommé  dans  une  école  triennale; 
le  second,  l'examen  B,  dont  le  diplôme  donne  accès  à  toutes  les 
chaires  de.  français  des  lycées  classiques  et  modernes.  Les  jeunes 
filles  peuvent  prétendre  à  l'un  et  à  l'autre  et  peuvent  être  nom- 
mées dans  des  lycées  classiques  au  même  titre  que  les  hommes. 
Une  autre  originalité  de  ces  examens  est  qu'ils  sont  accessibles 
aux  étrangers;  il  s'y  présente  donc  assez  souvent  des  Français, 
des  Suisses  et  des  Belges  ('),  que  le  gouvernement  choisit  même 
parfois  comme  professeurs  dans  les  établissements  officiels, 
mais  dont  il  entend  contrôler  les  connaissances  en  exigeant 
d'eux  des  diplômes  hollandais. 

Le  programme  de  l'examen  A  comporte,  à  l'écrit,  une  traduc- 
tion du  hollandais  en  français,  dont  les  étrangers  sont  dispensés, 
et  une  composition  française;  à  l'oral,  la  lecture  et  l'analyse 
d'une  des  trente  fables  de  La  Fontaine  ou  d'une  des  cinquante 
pages  de  la  Chrestomalhie  de  Sensine  (prosateurs),  que  le  candi- 
dat a  préparées.  On  y  rattache  des  questions  sur  la  phonétique, 
la  syntaxe  et  la  pédagogie.  La  lecture  à  vue  d'un  texte  en  prose 
par  le  candidat  amène  des  questions  de  vocabulaire,  formation 
des  mots  et  synonymie.  Cet  examen,  qui  se  passe  entièrement  en 
français,  reste  cependant  assez  élémentaire.  Il  s'est  présenté,  en 
1910,  137  candidats  (contre  89  pour  l'allemand  et  123  pour  l'an- 
glais); 70  ont  réussi  (contre  39  pour  l'allemand  et  47  pour 
l'anglais). 

Le  nombre  de  candidats  pour  le  français  a  subi  une  progres- 
sion de  près  de  trois  quarts  passant  de  48,  en  1887  (dont 
26  hommes  et  22  femmes),  à  188,  en  1912  (dont  70  hommes  et 

(')  Un  professeur  n'inteiToge  jamais  à  l'examen  ses  propres  élèves, 
ce  que  regrettent  naturellement  les  professeurs  d'université  qui  connaissent 
leurs  disciples  pour  les  avoir  vus  à  l'œuvre  et  suivis  longtemps. 

{*]  Il  y  a  eu  jadis  jusqu'à  20  ou  25  Suisses  dans  l'enseignement  hollan- 
dais, aujourd'hui  on  n'en  compte  plus  guère  que  8.  Je  connais  7  Français 
et  2  ou  3  Belges.  Dans  le  jury  de  l'examen  B,  les  Hollandais  ne  se  sont 
accordé  cependant  qu'une  voix  de  majorité. 


LE    FRANÇAIS    DANS    l.E    MOÎiDE  Ia-1  —  13 

H8  femmes).  Malgré  la  difficulté  croissante  de  l'examen,  les 
admissions  se  sont  accrues  dans  une  proportion  encore  plus 
grande,  passant  de  17,  en  1887  (8  hommes  et  9  femmes),  à  100  (*), 
en  1912  (i28  hommes  et  72  femmes). 

L'examen  B  constitue  une  épreuve  extrêmement  difficile  et 
dont  l'action  personnelle  des  deux  professeurs  qui  se  sont  succé- 
dés à  la  présidence  du  jury,  MM.  Van  Hamel  et  Salverda  de  Grave, 
ont  accru  le  caractère  scientifique  et  universitaire.  «  Par  opposi- 
tion à  l'examen  A,  dit  le  programme,  l'examen  B  porte  sur  l'his- 
toire de  la  langue  et  de  la  littérature  françaises  ;  il  a  un  caractère 
scientifique  (^).  On  ne  saurait  trop  recommander  à  ceux  qui  vou- 
dront s'y  préparer  de  donner  à  leurs  études  une  base  aussi  large 
que  possible  ». 

L'écrit  comprend  une  traduction  du  hollandais  en  français 
(remplacée  pour  les  étrangers  par  une  paraphrase  d'une  poésie) 
et  une  composition  française  sur  uu  sujet  littéraire;  tels  que  la 
sensibilité  au  xvin'^  siècle,  les  thèmes  lyriques  dans  les  quatre 
grands  romantiques,  etc. 

L'oral  porte  sur  la  grammaire  historique  (phonétique,  mor- 
phologie, syntaxe,  prosodie)  et  sur  l'iiistoire  de  la  littérature  des 
origines  à  nos  jours,  mise  en  rapport  avec  l'histoire  politique  ; 
le  candidat  remet  une  liste  de  lectures  qui  doit  comprendre  pour 
le  moyen  âge  :  une  chanson  de  geste,  un  roman  breton,  une 
pièce  de  théâtre,  la  première  partie  du  Roman  de  la  Rose;  pour  le 
xvi"  siècle  :  la  DelJ'ense,  un  choix  de  Ronsard,  de  Montaigne  et  une 
tragédie;  pour  le  wn"  siècle  :  Corneille,  Racine,  Molière,  Boileau, 
une  œuvre  de  Pascal,  trois  chapitres  de  La  Bruyère,  La  prin- 
cesse (le  Clèves,  et  la  Lettre  à  l'Académie;  pour  le  .win"  siècle  : 
deux  tragédies  et  un  roman  de  Voltaire,  les  Lettres  persanes, 
la  Nouvelle  Héloïse,  deux  pièces  de  Marivaux  et  deux  de  Beau- 
marchais; pour  le  XIX*  siècle  :  les  chefs-d'œuvre  de  Chateau- 
briand, Corinne,  Allemayne,  un  choix  de  chacun  des  grands 
poètes,  Lamartine,  Hugo,  Musset,  Vigny,  Leconte  de  Lisle, 
Sully  Prudhomme,  deux  romans  de  Sand,  deux  de  Balzac,  un 

(')  Dans  ce  nombre  il  y  avait  19  étrangers. 

{')  L'examen  A  a  plutôt  un  caractère  pédagogique  et  pratique. 


14  —  Ia-1  SECTION   DE   PROPAG\NDE 

de  Flaubert,  Zola,  Daudet,  Loti  et  Bourgct,  deux  drames  de 
Hugo,  deux  pièces  de  Musset  et  deux  d'Augier.  Ce  n'est  là 
qu'une  liste-type,  dans  laquelle  on  peut  à  volonté  remplacer  une 
œuvre  par  une  autre  d'importance  égale.  A  cette  interrogation 
s'ajoute  aussi  l'explication  d'une  scène  du  théâtre  classique. 

Contrairement  à  ce  qui  s'est  passé  pour  A,  le  nombre  des  can- 
didats n'a  presque  pas  varié  depuis  1887.  H  était  alors  de  2o 
(22  hommes,  3  femmes)  et  est,  en  1912,  de  2G  (19  hommes, 
7  femmes),  mais,  ici  aussi,  le  nombre  des  admissions  a  augmenté: 
8,  en  1887,  14,  en  1912.  Si  l'on  tient  compte  de  la  difTiculté 
croissante  de  l'examen,  on  se  rendra  compte  que  la  stagnation  du 
nombre  de  candidats  ne  correspond  pas  à  un  recul  ;  on  n'a  pas 
gagné  en  nombre,  on  a  gagné  en  qualité. 

Peut-être  y  a-t-il  quelque  excès  dans  les  connaissances  philo- 
logiques que  l'on  réclame  des  élèves;  peut-être  pourrait-on 
désirer  chez  beaucoup  de  candidats  une  prononciation  meilleure, 
plus  de  sens  esthétique  et  plus  de  méthode  dans  l'exposé,  mais 
sous  une  direction  aussi  souple  et  aussi  progressive  que  celle  de 
l'éminent  professeur  de  Groningue,  Salvcrda  de  Grave,  cet 
examen  s'est  attesté  indéfiniment  perfectible.  Tel  qu'il  est,  il 
constitue  une  épreuve  remarquable  et  qui  garantira  de  mieux  en 
mieux,  en  attendant  l'organisation  universitaire  promise  depuis 
longtemps  aux  langues  modernes,  une  formation  de  plus  en  plus 
solide  des  professeurs  de  français  de  l'enseignement  secondaire. 


II.  —  La  DiKrusiON  du  français  paii  i.f.s  associations  pp.ivkes 

C'est  un  fait  remarquable,  probablement  unique  et  qui  doit 
nous  préserver  de  conclusions  trop  pessimistes,  que  presque 
toutes  les  villes  de  Hollande  possèdent  un  groupe  d'Alliance 
française  ou  une  institution  analogue  dans  le  but  d'orga- 
niser chaque  hiver  plusieurs  conférences.  Ce  qui  achève  de 
caractériser  ce  fait  c'est  cette  parole  d'un  membre  de  l'Alliance 
de  Nimègue  :  «  Nous  sommes  à  deux  pas  de  la  frontière,  notre 
Alliance  française  a  200  membres;  une  Société  de  conférences 
allemandes  n'en  rassemblerait  pas  2o  et  pourtant,  tous,  nous 


I.E    FRANÇAIS    DANS    l.E   MONDE  lal  —  15 

savons  l'allemand  ».  Sur  un  autre  point  de  la  même  frontière,  un 
comité  d'Alliance  française  s'est  constitué  l'an  dernier,  nous 
l'avons  vu,  dans  une  toute  petite  ville. 

L'histoire  de  l'Alliance  française  aux  Pays-Bas  pourrait  se 
symboliser  par  une  courbe  ascendante  jusque  vers  1899,  descen- 
dante à  partir  de  ce  moment,  mais  de  nouveau  ascendante 
depuis  1908  à  peu  près. 

L'Alliance  française  était  à  peine  fondée,  à  Paris,  le  21  juil- 
Icl  1883,  que  M.  Hofman,  directeur  d'école  primaire  à  La  Haye, 
y  adhérait  en  1884  (>).  Il  est  nommé  délégué  pour  La  Haye, 
tandis  que  M.  Baale  le  devient  pour  Amsterdam  (1886),  M.  Van 
Ilamel  pour  Groningue  (1886)  et  le  pasteur  Bresson  pour  Rotter- 
dam (1886)  (2).  En  1887,  les  Pays-Bas  comptent  9  adhérents 
contre  o  en  Belgique.  Enfin,  en  1800,  le  3  janvier,  un  comité 
d'action  se  fonde  à  La  Haye  sur  l'initiative  de  M.  Hofman.  H 
compte  132  adhérents  en  octobre  1891,  il  en  a  3S6  à  la  fin 
de  1893,480  en  1896;  vient  alors  une  période  de  régression, 
qu'on  retrouvera  dans  l'histoire  de  tous  les  comités  et  que  Van 
Hamei,  dans  son  rapport  de  1900  (^),  explique  ainsi  : 

«  J'ai  le  regret  d'ajouter  que,  dans  quatre  ou  cinq  de  ces 
comités,  le  zèle  s'est  relâché  considérablement  depuis  un  an  ou 
deux  et  qu'il  y  a  en  a  même  qui  semblent  vouloir  se  résigner  à 
disparaître.  J'aime  à  croire  qu'il  ne  s'agit  là  que  d'une  éclipse 
passagère  qui  s'explique  en  grande  partie  par  le  contre-coup  que 
VAjfaire  a  eu  en  Hollande,  où  l'immense  majorité  de  la  popula- 
tion avait  franchement  adhéré  à  la  cause  de  la  revision.  Le  peuple 
hollandais  ne  demande  d'ailleurs  qu'à  retrouver  son  ancienne 
confiance  dans  l'avenir  de  la  France  idéaliste  et  généreuse,  etc.  » 
Singulière  aberration,  car  il  n'y  a  que  cette  «  France  idéaliste  et 
généi'euse  »,  qui  piit  s'émouvoir  d'une  injustice  au  point  d'en 

(')  Bulletin  de  l'Alliance  française,  2  décembre  1884.  Qu'il  me  soit 
permis  de  remercier  ici  MM.  Salone,  secrétaire  général,  et  Diiflot,  chef  du 
secrétarial  de  l'Alliance  française  d'avoir  mis  si  obligeamment  à  ma  dispo- 
sition la  collection  complète  des  Bulletins,  devenue  rare,  et  qui  renferme 
une  foule  de  renseignements  précieux.  Sauf  indication  contraire, toutes  les 
dates  et  tous  les  chiffres  qu'on  trouvera  ici  sont  puisés  &  cette  source. 

(')  Bulletin  de  l'Alliance  française.  79.  15  avril  1900. 


16  —  Ia-1  SECTION   DE  PROPAGANDE 

être  déchirée  et  qui  pût  remuer  à  ce  point,  par  la  voix  de  ses 
orateurs  et  de  ses  écrivains,  la  conscience  universelle.  Toujours 
est-il  que,  tombé  à  300,  le  nombre  des  adhérents  remonte  à 
334,  en  1908,  et  va  bientôt  dépasser  oOO. 

A  Rotterdam,  où  M.  le  pasteur  Brcsson  avait  déjà  fait  des  con- 
férences sur  la  littérature  française  en  1886,  un  second  comité  se 
constitue  en  1893.  Il  débute  avec  343  adhérents.  Après  avoir 
failli  disparaître,  ce  comité  rentre  en  pleine  activité,  depuis 
1910,  sous  la  présidence  de  M.  le  pasteur  Jalaguier. 

A  Groningue,  le  terrain  était  préparé  par  M.  Van  Hamel  qui 
fonda,  en  1894,  un  comité  d'Alliance  franvaise.  C'est  le  troisième 
en  date,  puis  vinrent,  dans  la  même  année,  Leeuwarden, 
Arnhem,  Utrecht.  En  1893,  se  fondent  ceux  d'Amsterdam,  de 
Haarlem,  de  Leyde,de  Delft;  en  1896,  ceux  de  Bréda,  Amersfoort 
et  Nimègue,  ils  sont  donc  alors  treize,  ils  seront  quatorze 
après  la  création  de  Assen,  en  1899. 

Puis  commence  le  déclin  :  le  rapport  du  secrétaire  général  de 
l'Alliance  (•)  déplore  la  dissolution  de  quelques  groupes,  mais 
Amsterdam,  Rotterdam,  La  Haye,  Bréda,  Groningue,  Arnhem, 
Assen  restent.  Van  Hamel,  dans  son  rapport  de  la  même  époque 
(1900),  en  compte  encore  une  douzaine.  En  tous  cas,  ceux  de 
Leeuwarden,  Assen,  Arnhem,  Zutphen  (fondé  en  1903),  Delft, 
Amersfoort  ont  définitivement  disparu. 

Celui  de  Nimègue  a  été  reconstitué  sous  la  présidence  de 
M.  Vieweg  et  le  secrétariat  de  M.  Hovenkamp,  celui  d'Utrecht 
par  M.  Genouy,  celui  de  Bréda  par  M.  Sauveur,  celui  de  Haar- 
lem a  été  remplacé  par  une  association  dont  nous  repar- 
lerons. 

Par  contre,  un  comité  d'Alliance  française  a  été  fondé  à  Dor- 
drecht  par  M.  Sauveur,  en  1903,  un  second  à  Deventer  par 
M.  Mouton  en  190o,  un  troisième  à  Almelo  par  M.  Salomonson 
en  1909,  un  quatrième  à  Hengelo  par  M.  Timniermans  en  1912, 
un  cinquième  à  Winterswijk  par  M.  Dijkshoorn  en  1913.  Nous 
espérons  reconstituer  cet  hiver  ceux  d'Arnhem  et  de  Zutphen. 
Sans  tenir  compte  de  ceux-ci,  qui  sont  seulement  en  formation, 

(*)  Bulletin  de  l'Alliance  française.  79.  15  avril  1900. 


I-E    FUANÇAIS    DANS    l,E    MONDE  Ia-1  —  17 

nous  avons  donc,  en  1913,  treize  comités  d'Alliance  française  en 
pleine  activité,  savoir  : 

1.  Almelo;  président,  M.  H.  Salomonson,  industriel;  secrétaire, 
M.  W.  Barends  (S4  membres). 

2.  Amsterdam;  président,  le  D"^  Treub,  professeur  à  l'Université; 
secrétaire,  M.  Dirks,  directeur  d'école  en  retraite  (170  mem- 
bres). 

3.  Bréda;  président,  M.  AUard,  pasteur  de  l'Eglise  wallonne 
secrétaire,  M"*  D.  Bolomey,  professeur  (100  membres). 

4.  Deventer;  président,    M.   Mouton,    professeur;   secrétaire,' 
M"«  Engelbrecht,  professeur  (12o  membres). 

5.  Dordrecht;  président,  M.  Picard,  pasteur  de  l'Eglise  wallonne  ; 
secrétaire,  M.  Horbach,  professeur  (ISS  membres). 

6.  Groningue  ;  président,  M.  Salverda  de  Grave,  professeur  à 
l'Université;  secrétaire,  N**'  (')  (113  membres). 

7.  Hengelo;  président,  M.  Timmermans,  professeur;  secrétaire, 
M.  A.  Ottignon,  ingénieur  (60  membres). 

8.  La  Haye;  président,  M.  l'amiral  Roëll;  secrétaire,  M"'  Wer- 
lemann  (2),  professeur  (oOO  membres). 

y.  Leydc;  président,  M.  Sneyders  de  Vogel,  lecteur  à  l'Univer- 
sité; secrétaire,  M.  Werkmann,  professeur  (118  membres). 

10.  Nimèguef;   président,   M.    Vieweg,    directeur    de   journal; 
secrétaire,  M.  Hovenkamp,  professeur  (près  de  200  membres). 

11.  Kotterdam;  président,   M.   Jalaguier,    pasteur  de    l'Eglise 
wallonne;  secrétaire,  M.  Miellet(^),  négociant(loO membres). 

12.  Utrechl;  président,  M.  Genouy,  pasteur  de  l'Eglise  wallonne; 
secrétaire,  M.  Visser,  professeur  (140  membres). 

13.  Winterswijk,  président,  M.  Dijkshoorn,  professeur;  secré- 
taire, M.  J.-B.  Keizer  (40  membres). 

1!  est  légitime,  si  l'on  ne  veut  pas  s'arrêter  à  la  simple  éti- 
quette, d'ajouter  à  celte  liste  deux  comités  extrêmement  impor- 

(')  Jusqu'à  présent  M.  Bethe,  récemment  décédé. 

(~)  Ce  fut  pendant  vingt  et  un  ans  un  dévoué  ami  des  lettres  françaises. 
M.  Hofman,  fondateur  du  premier  comité  hollandais. 

(')  Ce  fut  longtemps  M.  Stille,  professeur  à  Utrecht,  tout  dévoué,  lui 
aussi,  à  notre  cause. 


18  —  Ia-1  SECTION   Dli   PROPAGANDE 

tants,  fondés  sous  les  auspices  de  l'Association  pour  l'extension 
et  la  culture  de  la  langue  française,  présidée  par  M.  M.  Wilmotte, 
l'un  àMacslricht  en  1909,  sur  l'intelligente  initiative  de  M.  Houben, 
proviseur  du  lycée,  l'autre  à  Haarlem,  en  1910,  sur  l'initiative  de 
M.  Sauveur,  qui  fut  jadis  secrétaire  de  l'Alliance  française  à 
Nimèguc,  président  de  celle  de  Bréda,et  dont  l'activité  pour  notre 
cause  est  infatigable.  Enfin,  mes  élèves  ont  fondé  à  Amsterdam 
un  Cercle  français  de  l'Université  qui  a  organisé  et  continuera 
à  organiser,  plutôt  que  des  conférences,  des  leçons  synthétiques 
suivies  de  discussion  sur  les  principaux  problèmes  de  l'histoire 
de  la  littérature  française. 

14.  Maestricht ;   président,  M.   Houben,  proviseur  du  Lycée; 

secrétaire,  M.  A.  Schietfer  (300  membres), 
la.  Haarlem;    président,   M.    Sauveur,    professeur;    secrétaire 

M"''  Berdenis  van  Berlekom,  professeur  (300  membres). 
16.  Amsterdam;   Cercle    français    de    l'Université;  président, 

M.  Tielrooy,  étudiant;  secrétaire,  M.  Van  Maeren,  étudiant 

(7o  membres). 

Ces  cercles  ont  un  secrétariat  commun  qui  centralise  les  ren- 
seignements relatifs  aux  conférences  (^). 

Ainsi  nous  dépassons  de  deux  unités  et  bientôt  nous  dépasse- 
rons sans  doute  de  trois  ou  quatre  unités  le  nombi'e  de  cercles 
de  conférences  françaises  de  la  période  la  plus  prospère  des 
dernières  années  du  xix'  siècle.  Mais  le  nombre  est  peu  de 
chose  si  l'activité  ne  règne  pas;  or  toutes  ces  créations  récentes 
ou  ces  réorganisations  attestent  le  regain  de  vitalité  du  mouve- 
ment français  aux  Pays-Bas.  L'intérêt  que  provoquent  les  confé- 
rences ne  s'arrête  pas  aux  membres  qui  le  plus  souvent  emmènent 
leur  famille.  Je  signale  particulièrement  le  développement  des 
cercles  de  La  Haye,  Haarlem,  Maestricht  et  Nimègue  où  le  public 
dépasse  parfois  2o0  et  300  personnes. 

(1)  Le  siège  de  ce  secrétariat  passe  chaque  année  d'une  ville  à  une 
autre.  Pour  19131914,  c'est  Leyde  qui  assume  ce  service.  Il  est  regret- 
table que  quelques-uns  des  comités  se  tiennent  à  l'écart  de  cette  utile  orga- 
nisation qui  propose  les  conférenciers,  mais  s'uiterdit  de  jamais  les 
imposer  aux  différents  cercles. 


I.E  FBANÇAIS  DANS  LE  MONDE  lal  —  19' 

Des  bibliothèques  circulantes  ont  été  organisées,  par  exemple,  à 
Nimègue,  à  llcngeio  et  au  Cercle  franç^ii s  d'Amsterdam  ou  vont 
l'être  à  Bréda  et  à  Deventcr. 

Tout  comité  d'alliance  ou  d'association  françaises  est  un 
foyer  d'influence. 

Il  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans  le  fait  de  ces  profes- 
seurs, de  ces  pasteurs,  de  ces  industriels  qui  prennent  sur  leurs 
maigres  loisirs  le  temps  d'organiser  ces  fêtes  de  la  pensée 
française  et  veillent  à  ne  pas  laisser  l'idée  française  s'endormir 
autour  d'eux,  fût-ce  dans  la  plus  petite  cité.  Parmi  les  trente- 
deux  présidents  et  secrétaires  que  je  viens  de  nommer  plus  de 
la  moitié  sont  des  professeurs  de  français  qui  estiment  n'avoir  pas 
fait  assez  pour  nous  quand  il  se  sont  acquittés  de  leur  lourde 
tâche  quotidienne.  Peu  d'entre  ces  trente-deux  membres  sont  de 
nationalité  française  :  quatre  pasteurs  et  un  négociant;  les 
Français  résidant  aux  Pays-Bas  sont  très  peu  nombreux,  ce  sont 
donc  uniquement  les  sympathies  hollandaises  qui,  spontané- 
ment, font  surgir  ces  initiatives.  Ici  se  marque  la  différence  entre 
les  Alliances  françaises  et  le»  Schul-  ou  Flottenverein  ;  les 
premières  sont  composées  d'étrangers  venus  à  nous  par  affection, 
les  autres  sont  composés  d'émigrés  allemands  restés  fidèles  à  la 
mère- patrie. 

Sans  doute,  les  comités  d'Alliance  française,  surtouts'ils  étaient 
mieux  soutenus  par  le  siège  central  de  Paris  (')  qui  ne  leur  envoie 
jamais  que  queUiues  livres,  pourraient  faire  davantage  :  multiplier 
les  bibliothèques,  créer  des  cercles  de  conversation,  comme  il 
y  en  eut  jadis  à  Dordrecht  et  à  La  Haye,  mais,  telle  qu'elle  est, 
leur  œuvre  est  belle.  Chaque  mois,  d'octobre  à  mai,  retentit  à 
leur  tribune  une  parole  française.  La  Hollande  a  entendu  Verlaine 
et  contribua  à  alléger  la  misère  de  ses  dernières  années;  il  lui  en 
exprima  sa  reconnaissance  dans  Quinze  jours  en  Hollande;  elle 
entendit  Henry  Becque,  Prévost,  Aicard,  Henry  Bordeaux,  Roden- 

(')  Depuis  qu'un  Office  des  Universités  a  été  créé  et  que  l'activité  inlas- 
sable de  son  directeur  M.  Conlet,  lui  a  donné  une  vitalité  remarquable, 
on  peut  esijTérer,  en  un  jour  prochain,  voir  aussi  le  gouvernement  s'iuté- 
resser  à  ces  nobles  œuvres  françaises. 


20  —  Ia-1  SECTION    DE    PROPAGANDE 

bach,  Lemonnier,  Verhaeren;  elle  accueillit,  en  ces  derniers  vingt 
ans,  des  professeurs  :  Bornecque,  Brunot,  Jeanroy,  Potez,  Wil- 
motte.  Elle  recevra  cet  hiver  Paul  Fiat,  Foucher,  Steeg,  Charcot. 
Je  voudrais  qu'elle  fût  désormais  aussi  accueillante  à  la  science 
pure  qu'aux  lettres.  Tout  cela  viendra  à  son  heure.  L'Alliance  est 
un  merveilleux  instrument  dont  nous  saurons  nous  servir  pour 
le  plus  grand  profit  des  deux  pays  amis. 


111.  —  Autres  organes  de  l'influence  française. 

Parmi  les  autres  organes  de  l'inlluence  française  en  Hollande, 
sur  lesquels,  faute  de  place,  il  nous  faudra  passer  rapidement, 
figure  en  premier  ordre  l'Église  wallonne  qui  s'appellerait  plus 
justement  l'Église  française  (i).  A  l'inverse  de  leurs  frères  d'outre- 
Rhiix,  les  réformés  français  réfugiés  en  Hollande  ont  gardé 
intacte,  depuis  le  xvi"  et  le  xvn°  siècles,  la  langue  de  leurs  pères. 
Elle  seule  est  employée  dans  l'administration  de  l'Église,  au 
prêche,  au  catéchisme.  H  reste  seize  communautés  wallonnes 
dispersées  dans  le  pays,  quelques-unes  comme  celles  d'Amster- 
dam, de  La  Haye  et  de  Rotterdam  encore  très  importantes.  Elles 
ont  en  tout  vingt-cinq  pasteurs,  Français  pour  la  plupart.  Pour 
aider  les  catéchumènes  dans  leur  instruction  religieuse,  les 
pasteurs  ont  créé  presque  partout  (^)  des  écoles  diaconiques  où 
des  centaines  d'élèves  apprennent  le  français.  Nous  avons  vu  que 
la  plupart  des  pasteurs  s'intéressent  aux  groupements  d'alliance 
française,  en  ont  formé  ou  y  jouent  un  rôle  (^).  L'Église  wallonne 
est  un  facteur  important  de  notre  action  morale  en  Hollande. 
H  faut  mentionner  aussi  quelques  établissements  congréga- 


(')  Je  me  permets  de  renvoyer  à  mon  article  de  la  Revue  Bleue,  7  octc- 
bre  1911.  "Une  Église  française  en  Hollande»  et  à  l'article  de  G.  Bonet- 
Maury,  Bulletin  de  l'Alliance  française,  n"  92,  15  avril  1903,  p.  93-94, 
pour  les  écoles  diaconiques. 

(')  .Je  signale  en  particulier  celles  du  pasteur  Giran  à  Amsterdam, 
Genouy  à  Utrecht,  Jalagnier  à  Rotterdam,  Allard  à  Bréda. 

(')  Par  exemple,  encore  M.  Chouillet  à  La  Haye  et  Bretey  à  Gro- 
ningue. 


LE    FRANÇAIS    DANS    l.E    MONDE  I«-l   —21 

nistes  français  établis  dans  le  sud  du  pays,  par  exemple,  à  l'Écluse 
à  Maestricht  et  à  Nimègue. 

Les  bibliothèques  surtout  celles  de  La  Haye,  dirigée  par  un 
savant  éminent,  M.  Byvanck,  sont  abondamment  pourvues  de 
livres  français.  Partout  des  Leesmuseum  ou  Clubs  de  lecture 
répandent  nos  journaux,  nos  revues  et  nos  publications,  dont  les 
grands  quotidiens  rendent  compte  régulièrement.  A  La  Haye  se 
publie  en  français  un  journal  bien  connu  :  La  Gazette  de 
Hollande,  fondée,  en  19H,  par  M.  Van  Bcresteyn,  qui  continue 
à  la  diriger. 

Les  tournées  théâtrales  sont  assez  nombreuses  dans  les  grandes 
villes,  mais  le  fait  le  plus  saillant  est  l'existence  d'un  Opéra 
français  à  La  Haye,  subventionné  par  la  Cour. 

J'y  ai  assiste  à  une  scène  extraordinaire,  uue  manifestation  en 
faveur  d'un  compositeur  français  dont  l'opéra  venait  de  triom- 
pher. Je  ne  croyais  pas  que  le  peuple  hollandais  fût  capable  d'un 
enthousiasme  aussi  délirant.  On  jetait  des  (leurs;  du  haut  des 
galeries,  un  spectateur  lut  une  pièce  de  vers  dithyrambiques. 

Il  semble  (on  l'a  vu  lors  de  la  réception  de  M.  Fallières, 
en  19H),  que  ce  soit  le  privilège  de  la  France  de  faire  sortir  le 
Hollandais  de  son  calme,  d'ailleurs  plus  apparent  que  réel. 
Combien  je  sais  de  Hollandais  dont  le  cœur  bat  plus  fort  et  dont 
le  regard  s'anime  à  parler  d'elle.  Une  jeune  tille  de  seize  ans  me 
disait  l'autre  jour  :  «  Votre  littérature  a  quelque  chose  de  raHiné, 
de  délicat,  d'élevé  dont  nous  ne  pouvons  pas  nous  passer!» 
Et  un  professeur  de  littérature  néerlandaise,  peu  suspect  de 
tendresse  pour  la  France,  m'écrivait  :  «  Continuez  à  exercer 
votre  action;  elle  a  toujours  été  profitable  depuis  le  moyen  âge 
au  développement  de  notre  culture  nationale!  » 

La  conclusion  de  ce  rapport  ne  peut  pas  êlre  pessimiste. 
Notre  langue  ne  règne  plus  seule  comme  au  temps  jadis,  elle  a 
des  concurrentes  redoutables,  mais  elle  reste  en  Hollande  la  plus 
favorisée  et  surtout  la  plus  aimée. 

Je  crois  avoir  montré  que,  pour  ces  quelques  dernières  années, 
nous  pouvons  observer  un  véritable  réveil  de  notre  influence.  Ce 
réveil  n'est  pas  particulier  à  la  Hollande;  il  est  général,  il  corres- 
pond au  réveil  des  énergies  françaises  et  aussi  à  ce  regain  d'uni- 


22  —  lai  SECTION   DE   PROPAGANDE 

versalité  non  plus  tyrannique  mais  pacifique,  conciliante, 
sociable,  dont  les  congrès  de  la  langue  française,  organisés  par 
M.  VVilmolle,  en  1903,  1909,  1913,  marquent  les  étapes  victo- 
rieuses. 

Je  terminerai  par  celle  citation  de  P.  Hazard,  dans  son  élo- 
quent discours  sur  la  langue  française  (')  :  «  Ainsi  parce  que 
l'idée  même  de  l'hégémonie  intellectuelle  a  disparu,  a  disparu 
l'hégémonie  de  notre  langue...  Elle  ne  prétend  plus  asservir  les 
autres  en  despote  ;  mais  elle  peut  prendre  place  à  côté  des 
autres  en  amie.  » 

(*)  Académie  française,  prix  d'éloquence,  1912.  Paris,  Hachette  1913, 
n-18,  p.  20.  C'est  un  indice  remarquable  qu'à  cent  trente  ans  de  distancp, 
<m  mette  au  concours  un  nouveau  discours  sur  l'universalité  de  notre 
langue,  mai?...  ce  n'est  plus  Berlin  qui  en  a  pris  l'initiative. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

.1;  LK  FR.VNr.AXS  DANS  LE  MONDH. 


La  langue  française  dans  le  Grand-Duché  de  Luxembourg, 


Chari.es   JiECKER, 
professeur  au  Oymuase  d'Echlernach. 


Au  moment  d'enlro.prendrc  ce  petit  travail  que  la  Fédération 
internationale  pour  la  culture  française  a  bien  voulu  mcdeman 
der  à  l'occasion  de  son  1II«  Congrès,  je  me  rends  bien  compte 
qu'il  me  faudra,  tout  d'abord,  ri-péter  quelques-uns  des  dévelop- 
pements qui  ont  formé  la  base  et  les  grandes  lignes  des  mémoires 
sur  le  même  sujet,  présentés  à  des  congrès  antérieurs  et  iden- 
tiques par  les  représentants  du  grand-duché  de  Luxembourg.  Je 
songe,  notamment,  aux  travaux  de  M""^  Poirier,  de  MM.  Tony 
Wenger  et  Joseph  Hansen,  présentés  successivement  aux  Congrès 
de  Liège,  d'Arlon  et  de  Mons,  ce  dernier  tenu  sous  les  auspices 
des  «  Amitiés  françaises  ».  C'est  là  le  côté  ingrat  de  la  matière; 
aussi  ne  s'attendra-t-on  pas  à  ce  que  je  vienne  remercier  ici  ceux 
qui  m'ont  précédé  par  des  exposés  qui,  tout  en  me  facilitant  sin- 
gulièrement ma  tâche,  ne  laissent  pas  cependant  de  m'embar- 
rasser  quelque  peu.  Mais,  tout  en  les  suivant,  j'espère  bien  pour- 
tant découvrir  quelques  points  nouveaux,  soit  qu'on  les  ait 
réellement  négligés  jusqu'ici,  soit  que  la  situation  de  la  langue 


24  —  Ia-2  SECTION   DE    PROPAGANDE 

française  ait  vraiment  subi  quelques  modifications  pendant  ces 
dernières  années. 

Il  est  évident  que,  depuis  le  Congrès  d'Arlon  en  1908,  les 
grands  aspects  de  la  question  n'ont  pas  changé.  Le  grand- 
duché  de  Luxembourg  est  resté  pays  bilingue  dans  le  sens  que 
l'on  sait,  c'est-à-dire  que  le  français  y  a  maintenu  sa  position  de 
seconde  langue  nationale,  tout  en  continuant  à  rester  inférieure 
l'allemand,  qui  y  jouit  de  la  bonne  fortune  d'être  la  langue  du 
pays  auquel  nous  sommes  unis  par  les  liens  assez  étroits  du 
Zollverein.  C'est  là  une  situation  économique,  matérielle  et  pri- 
vilégiée qui  assure,  a  priori,  un  avantage  très  sérieux  à  l'Alle- 
magne en  ce  qui  concerne  les  questions  linguistiques  de  notre 
pays.  Quiconque  veut  bien  se  l'appeler  l'activité  fébrile  de  l'Alle- 
magne industrielle  et  commerciale,  activité  dont  de  plus  grands 
pays  que  le  nôtre  ont  ressenti  les  puissants  effets,  comprendra 
facilement  qu'un  petit  pays  comme  le  nôtre,  dépourvu  de  toutes 
ces  puissantes  industries  qui  alimentent  le  commerce  de  nos 
jours,  est  nécessairement  envahi  par  les  produits  allemands  qui 
entrent  chez  nous  comme  dans  n'importe  quelle  terre  d'empire, 
librement  et  sans  subir  la  moindre  entrave.  Ce  commerce  très 
actif  que  nous  entretenons  avec  l'Allemagne  en  lui  achetant  nos 
principaux  articles  de  commerce,  exerce  fatalement  une  influence 
favorable  sur  la  langue. allemande  dans  notre  pays. 

Presque  tous  nos  commerçants  se  trouvent  ainsi  obligés,  par 
la  force  des  choses,  à  se  servir,  dans  leurs  relations  commerciales, 
presque  exclusivement  de  la  langue  allemande.  Tantôt,  ils 
reçoivent  chez  eux  le  fameux  commis-voyageur  allemand  qui 
prône  sa  marchandise  tout  en  ravalant  celle  de  l'étranger;  tantôt, 
ils  vont  faire  eux-mêmes  leurs  achats  en  Allemagne,  et,  dans  les 
deux  cas,  ils  entretiennent  des  relations  suivies  et  assidues  avec 
les  centres  industriels  allemands.  C'est  ainsi  que  l'idée  ne  s'ancre 
que  trop  facilement  dans  leur  tête,  que  l'allemand  est  la  langue 
essentielle  dans  le  Luxemboiu'g,  celle  qu'il  est  de  toute  nécessité 
de  savoir  à  la  perfection. 

Qui  ne  voit  aussitôt  que  c'est  là  un  état  de  choses  très  préju- 
diciable à  la  langue  française?  Il  paraît  que  l'histoire  est  ainsi 
faite  que  tout  ce  qui  alimente  et  favorise  l'allemand,  entrave  en 


LE   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-2  —  25 

même  temps  tout  ce  qui  porte  la  marque  française.  L'antagonisme 
des  deux  races  s'est  porté  sur  leurs  langues,  et  nous  en  constatons 
chaque  jour  des  preuves  éclatantes.  Le  commerce  français,  et 
par  là  j'entends  aussi  le  commerce  belge,  est  loin  de  nous  inon- 
der de  ses  produits  au  même  degré  que  le  commerce  allemand, 
ce  qui  s'explique  d'ailleurs  assez  naturellement  par  l'union  doua- 
nière allemande.  Ainsi  donc,  en  subissant  le  contre-coup  de  nos 
relations  commerciales  avec  la  France,  la  langue  française  se 
heurte  indirectement  à  ces  mêmes  barrières  de  la  douane  que  les 
produits  français.  Cet  état,  on  le  sait,  dure  depuis  -1842,  et,  à 
moins  d'un  miracle,  il  ne  faut  pas  espérer  le  voir  s'améliorer. 

Un  autre  facteur  très  puissant  de  la  germanisation  de  notre 
pays  sont  les  quelques  administrations  allemandes,  ainsi  que  les 
centres  métallurgiques  de  notre  riche  bassin  minier.  Les  admi- 
nistrations qui  se  servent  exclusivement  de  la  langue  allemande, 
sont  les  douanes  et  la  Société  des  chemins  de  fer  Guillaume- 
Luxembourg.  Etant  exploitées  directement  par  l'Allemagne,  les 
chefs  en  sont  naturellement  de  nationalité  allemande,  et  il  n'est 
que  trop  visible  qu'on  y  veille  jalousement  sur  l'emploi  exclusif 
de  la  langue  allemande.  C'est  un  coup  de  force  que  l'Allemagne 
se  permet  contre  nous;  elle  oublie  qu'elle  ne  se  trouve  pas  en 
territoire  allemand,  mais  dans  un  pays  neutre  qui  tient  h  son 
bilinguisme  et  dans  lequel  beaucoup  de  personnes  ne  com- 
prennent pas  l'allemand.  C'est  à  peine  si,  à  la  nouvelle  gare  de 
Luxembourg,  une  traduction  française  des  principales  enseignes 
a  pu  être  extorquée  à  l'administration.  Le  journal  L'Indépendance 
luxembourgeoise  s'en  est  indigné  à  plusieurs  reprises,  sans  qu'on 
ait  naturellement  fait  droit  à  ses  réclamations  pourtant  si  justi- 
fiées. 

Mentionnons  encore  nos  admistrations  militaires,  la  gendar- 
merie et  le  corps  de  nos  volontaires,  qui  ont  été  allemands  de 
tout  temps,  en  tant  que  se  servant  exclusivement  de  l'allemand, 
sans  doute  parce  que  l'Allemagne,  depuis  sa  victoire  de  1870,  a 
incarné  en  Europe  le  principe  même  du  militarisme  et  de  la 
force.  On  instruft  nos  soldats  à  la  prussienne,  et  le  fameux 
Parademarsch  est  tenu  en  grand  honneur  dans  la  vieille  caserne 
à  Luxembourg. 


26  —  Ia-2  8ECT10K    DE    PKOPAGANDE 

Dans  le  bassin  minier  d'Esch,  les  Allemands  travaillent  fébri- 
lenoent.  Ayant  mis  la  main  sur  les  grandes  usines  métallurgiques, 
ils  favorisent  surtout  la  langue  de  leur  pays  et  cherchent  à 
opprimer  la  langue  française,  autant  du  moins  que  cela  est  possi- 
ble dans  un  centre  industriel  qui  occupe  en  niasse  des  ouvriers 
italiens,  belges  et  français.  Puisque  la  France  s'est  désintéress<^c 
de  nos  minerais,  il  est  évident  que  nous  sommes  impuissants  à 
opposer  de  ce  côté-là  la  moindre  digue  à  l'envahissement  germa- 
nique. 

Il  y  a  ensuite  notre  idiome  national  qui  est  d'origine  germa- 
nique et  que  l'on  invoque  toujours  quand  on  veut  nous  prouver 
que  nous  sommes  bien,  comme  tant  d'autres,  des  Germains 
pur  sang.  Et  en  effet,  bien  que  cet  idiome  soit  le  pbis  souvent 
tout  à  fait  inintelligible  aux  Allemands,  on  ne  niera  pas  cepen- 
dant qu'il  ne  soit  à  base  germanique  avec,  il  est  vrai,  une  forte 
dose  de  mots  français,  ce  qui  lui  donne  une  saveur  toule  parti- 
culière. On  prévoit  aussitôt  l'immense  avantage  qui  en  résulte 
pour  la  langue  allemande,  car  il  suffit  ordinairement  d'un  temps 
relativement  court  pour  diriger  l'enfant,  de  cet  idiome  national, 
vers  l'usage  de  la  vraie  langue  allemande.  De  plus,  cet  idiome 
étant  seulement  une  langue  pariée,  il  s'ensuit  que  la  grande 
majorité  de  ceux  qui  n'ont  pas  reçu  de  culture  un  peu  élevée 
se  trouvent  forcément  obligés  d'user  de  l'allemand,  toutes 
les  fois  qu'ils  se  servent  de  la  plume  comme  moyen  d'expres- 
sion et  de  communication. 

Après  cela,  il  y  a  le  catholicisme  que  l'on  peut  considérer 
chez  nous  comme  un  des  grands  foyers  du  germanisme.  La 
France,  sous  ce  point-là,  supporte  les  conséquences  de  sa  poli- 
tique radicale,  en  tant  que  le  clergé  de  tout  pays  étranger  croit 
qu'il  est  un  peu  de  son  devoir  de  travailler  contre  une  nation 
qui,  du  titre  glorieux  de  «  (iile  aînée  de  l'église  »,  est  descendue 
au  rang  des  pires  ennemis  du  catholicisme.  Cela  est  particuliè- 
rement le  cas  pour  le  grand-duché  de  Luxembourg.  Il  suffit  de 
nommer  ici  les  deux  organes  spéciaux  du  clergé  et  de  l'évêché, 
le  Luxenihirger  Wort  et  le  Luxemburger  Volk,  deux  feuilles  qui 
ne  laissent  passer  aucune  occasion  quand  il  s'agit  de  honnir  et 
de  vilipender  la  France,  tellement  qu'on  peut  dire  qu'elles  ont 


i.lï    rilANÇAlS    IIAXS    l,K    MOM)E  Ia-2  —    27 

fait  de  leur  haine  pour  ce  pays  le  W/mo///' et  la  plate-forme  de 
leur  politique.  Le  clergé,  chez  nous,  se  fait  décidément  follicu- 
laire. Heureusement  on  n'arrive  pas  à  ébranler  les  sympathies 
de  notre  peuple  pour  notz'c  grande  voisine  de  l'ouest;  chaque 
fois  qu'un  de  ces  articles  perfides  et  venimeux  est  lancé  par  la 
presse  cléricale,  c'est  un  frisson  de  colère  et  d'indignation  géné- 
rale qui  parcourt  tous  les  vrais  Luxembourgeois.  On  est  mal 
venu  de  représenter  la  France  comme  le  rebut  des  nations,  au 
moment  où  les  prouesses  éclatantes  de  ses  avialeurs  excitent 
jusqu'à  l'enthousiasme  de  ses  plus  grands  adversaires.  Rien 
d'étonnant  donc  que,  dans  tous  ses  rites  et  dans  toutes  ses  céré- 
monies, la  religion  catholique  du  Luxembourg  ne  connaisse,  en 
dehors  du  latin,  que  l'emploi  exclusif  de  la  langue  allemande. 
Le  fait  est  significatif  et  méritait  peut-être  d'être  signalé  aux 
catholiques  français  et  belges. 

Plusieurs  autres  facteurs  de  moindre  importance  agissent  éga- 
lement dans  le  sens  de  la  germanisation  du  pays.  Tel  est,  par 
exemple,  le  nombre  assez  considérable  d'Allemands  qui  se 
fixent,  bon  an  mal  an,  sur  noti-e  sol,  produit  d'un  excès  de 
population  que  l'Allemagne  se  voit  forcée  d'écouler  vers  les  pays 
étrangers.  Tel  est  encore  ce  prestige  même  que  possède  l'empire 
allemand  d'aujourd'hui  et  qui  lui  vient  des  champs  de  bataille 
de  1870,  prestige  qui  est  la  cause  do  mainte  atlmiration  instinc- 
tive et  irraisonnée.  Telle  est  surtout  l'étendue  relativement 
grande  des  frontières  par  lesquelles  nous  touchons  à  l'Alle- 
magne; cette  frontière,  en  eliét,  s'étend  sur  une  longueur 
presque  double  de  celle  par  laquelle  nous  touchons  à  la  Belgique 
et  a  la  France.  Il  en  est  de  même  de  la  proximité  de  villes  alle- 
mandes assez  importantes,  comme  Trêves  et  Metz,  qui,  pouvant 
être  atteintes  en  un  temps  relativement  court,  constituent  par 
cela  même  un  centre  d'attractions  assez  apprécié  par  les  Luxem- 
bourgeois. En  Belgique,  nous  avons  seulement  Arlon,  en  France, 
Longwy;  c'est  peu  de  chose;  mais  Bruxelles  est  déjà  loin,  et 
Nancy  assez  difficile  à  atteindre.  Il  y  a  ensuite  la  presse  indigène 
qui,  dans  le  dernier  quart  de  siècle,  a  cru  devoir  se  démocratiser 
en  se  servant  presque  exclusivement  de  la  langue  allemande;  ce 
n'est  que  sous  la  rubrique  des  annonces  qu'on  rencontre  un 


28  —  Ia-2  SECTION    DE   PROPAGANDE 

timide  usage  de  la  langue  française.  C'est  encore  pour  des  motifs 
de  démonstration,  je  crois,  que  les  nombreuses  associations 
pour  l'instruction  populaire  se  servent  de  l'allemand.  Outre  que 
cette  langue  y  est  la  langue  usuelle  et  véhiculaire,  il  faut  dire 
aussi  que,  dans  leurs  bibliothèques,  les  livres  allemands  l'em- 
portent de  beaucoup  sur  les  livres  français.  Il  est  vrai  que 
l'Allemagne  accorde  à  ces  bibliothèques  populaires  des  faveurs 
d'achat  toutes  spéciales. 

Je  ne  dirai  rien  ici  de  notre  maison  régnante  dans  laquelle 
quelques-uns  ont  toujours  voulu  voir  une  entrave  à  la  langue  et 
à  la  culture  françaises.  Notre  jeune  et  gracieuse  souveraine  n'est 
certainement  pas  animée  de  sentiments  anti-français.  Elle  parle 
un  français  impeccable,  et  ç"a  été  pour  nous  une  agréable  sur- 
prise, quand,  dans  nos  établissements  d'enseignement  moyen, 
nous  avons  eu  dernièrement  l'occasion  d'apprécier  la  pureté  de 
son  langage  et  le  charme  de  sa  diction. 

11  est  temps  peut-être  d'en  terminer  avec  ce  tableau  si  désolant 
pour  un  pays  qui  se  dit  bilingue.  J'ai  hâte  d'arriver  à  la  contre- 
partie de  ma  tâcHe,  et  ici  j'espère  montrer  par  quels  liens  nous 
tenons  à  la  France,  à  sa  langue  et  à  sa  culture. 

Si  l'Allemagne  nous  a  imposé  son  emprise  économique,  il 
n'est  pas  exagéré  de  dire  que  notre  nourriture  intellectuelle  et 
morale  nous  vient  principalement  de  la  France.  Tout  comme 
l'Allemagne  s'est  entourée  d'un  prestige  industriel  et  militaire, 
la  France,  elle,  a  créé  autour  d'elle  une  atmosphère  d'admira- 
tion et  de  gloire  émanant  d'une  civilisation  supérieure  à  laquelle 
n'ont  pas  échappé  les  autres  nations.  Elle  est  regardée  à  juste 
titre  comme  la  dépositaire  des  antiques  civilisations  disparues, 
celles  des  Grecs  et  des  Romains,  ce  qui,  joint  à  son  grandiose 
passé  historique,  a  fait  d'elle  comme  le  pivot  de  la  haute  culture 
de  l'Europe  entière.  Rien  donc  d'étonnant  à  ce  que,  petit  peuple 
frontière,  nous  nous  soyons  attachés  à  ses  tlancs  pour  en  tirer, 
comme  une  sangsue,  la  substance  de  notre  vie  intellectuelle  et 
morale.  Nous  avons,  de  tout  temps,  puisé  largement  dans  les 
trésors  de  sa  civilisation  avancée,  dans  ses  mœurs  affinées  et 
douces,  dans  ses  principes  de  liberté  et  de  bien-être,  dans  son 
admirable  littérature,  dans  la  galerie  de  ses  grands  hommes, 


l.E   FRANÇAIS    DANS    LE    MONDE  Ia-2  —  29 

dans  ses  richesses  matérielles  et  spirituelles.  Nous  nous  sommes 
fait  une  âme  à  la  française,  en  sorleque,  en  beaucoup  de  points, 
nous  ressemblons  au  peuple  français  comme  un  frère.  L'image  de 
nos  momrs  privées  et  publiques  trahit  bien  plutôt  une  influence 
française  qu'une  inlhience  allemande.  C'est  à  cause  de  ces  affinités 
profondes  et  sincères  que  nous  accueillons  avec  tant  d'enthou- 
siasme les  productions  intellectuelles  françaises  :  la  littérature 
française,  et  surtout  la  littérature  moderne,  compte  un  très 
grand  nombre  de  lecteurs  et  d'admirateurs  parmi  nous  :  elle  est 
beaucoup  plus  connue  que  la  littérature  allemande.  Pour.ne  pré- 
ciser qu'un  point,  relevons  ici  que,  de  toutes  les  représentations 
théâtrales  au  théâtre  de  Luxembourg,  les  trois  quarts  au  moins 
sont  des  représentations  de  pièces  françaises.  Pourquoi?  Parce 
que  le  public  le  demande  ainsi;  tandis  que  les  pièces  françaises 
font  courir  tout  Luxembourg,  les  pièces  allemandes  sont  jouées 
trop  souvent  devant  des  banquettes  vides. 

C'est  que  nos  sympathies  sont  très  vives  pour  la  nation  fran- 
çaise. Nous  avons  cela  dans  le  sang,  et  ces  sympathies  sont 
instinctives  plutôt  que  raisonnées.  Nous  les  trouvons  aussi  bien 
chez  l'ouvrier  et  dans  le  bas  peuple  que  chez  l'employé  et  dans 
les  classes  plus  élevées.  La  France  nous  apparaît  comme  un  beau 
pays,  riche,  généreux  et  hospitalier,  à  mœurs  polies  et  douces, 
dans  lequel  on  aimerait  à  vivre.  L'Allemagne,  au  contraire,  nous 
inspire  une  certaine  méfiance,  mal  fondée  sans  doute  et  dans 
laquelle  n'entre  aucune  hostilité,  mais  qui  n'en  existe  pas 
moins.  Nous  avons  peur,  peut-être,  qu'une  trop  forte  emprise  de 
l'esprit  germanique  ne  puisse  constituer  un  danger  pour  l'indé- 
pendance de  notre  sol,  et  voilà  pourquoi,  si  nous  tendons  l'une 
de  nos  mains  à  l'Allemagne,  nous  aimons  à  tendre  l'autre  à  la 
France.  Tout  régime  du  sabre  nous  est  odieux,  et  il  y  a  une  qua- 
lité que  nous  regardons  comme  essentielle  à  la  vie:  c'est  la  liberté. 

On  m'en  voudrait  peut-être  si  je  ne  rapportais  ici  les  belles 
paroles  que  le  ministre  d'Etat,  M.  Eyschen,  président  du  gou- 
vernement, a  prononcées  dernièrement  à  Luxembourg,  devant 
des  Français  de  Nancy:  «Messieurs,  dit-il,  si  vous  vous  sentez 
chez  vous  ici,  n'en  soyez  pas  étonnés.  Le  Luxembourg,  intellec- 
tuellement, est  français,  il  n'y  a  pas  le  moindre  doute...  Il  y  a 


30  —  I«-2  SECTION    Dl£   PROPAGASDE 

des  Luxembourgeois  tout  à  fait  Français,  tandis  qu'il  n'y  en  a 
pas  un  seul  qui  n'ait  pas  quelque  chose  de  français.  C'est  le  passé 
de  la  France  qui  est  la  cause  de  cette  situation.  Ce  sont  vos 
ancêtres,  Messieurs,  c'est  votre  glorieuse  histoire  qui  a  gagné  le 
monde.  » 

On  peut  dire  de  même  que  nous  sympathisons  profondément 
avec  la  Belgique.  Nous  voyons  dans  ce  peuple  un  peuple  voisin 
et  ami  dont  les  destinées  sont  un  peu  pareilles  aux  nôtres  et 
auquel  on  nous  a  arrachés  de  force.  C'est  d'ailleurs  une  nation 
qui  lient  de  notre  race,  et  tout  le  Luxembourg  belge,  par 
exemple,  est  en  grande  partie  une  image  assez  fidèle  de  notre 
grand-duché  !  Existe-il  deux  villes  qui  se  ressemblent  plus 
que  Luxembourg  et  Arlon? 

Je  voudrais  également  appuyer  ici  sur  la  proximité  relative  de 
deux  villes  comme  Paris  et  Bruxelles,  parce  qu'elles  contribuent 
puissamment  à  répandre  chez  nous  le  goiit  de  la  langue  fran- 
çaise. Ces  deux  villes  forment  un  centre  d'attractions  unique 
pour  les  Luxembourgeois  ;  elles  exercent  sur  nos  compatriotes 
une  espèce  de  fascination,  surtout  sur  la  jeunesse,  et  rares  sont 
ceux  parmi  nous  qui  n'ont  pas  passé  quelque  temps  dans  l'une 
des  deux  villes. 

Mais  l'élément  le  plus  important  pour  la  diffusion  de  la  langufr 
française  dans  notre  pays  est  sans  contredit  la  situation  privi- 
légiée créée  au  français  en  tant  que  langue  ofiicielle.  Il  est, 
presque  exclusivement,  la  langue  des  administrations,  des  tri- 
bunaux et  du  parlement.  Le  conseil  municipal  de  Luxembourg, 
dans  ses  séances,  se  sert  également  de  cette  langue.  De  plus, 
chaque  fois  qu'un  orateur  quelconque  doit  parler  en  public,  il 
est  de  bon  ton  de  s'exprimer  en  français,  à  moins  que  l'orateur 
ne  s'adresse  plus  spécialement  aux  classes  inférieures  et  peu 
cultivées.  C'est  ainsi  que  tous  les  discours  d'enterr<;ment  sont 
prononcés  en  français  et  il  n'y  a  pas  jusqu'aux  journaux  de 
langue  allemande  qui  ne  se  fassent  un  honneur  de  les  publier 
également  en  français. 

Parmi  les  administrations  se  servant  principalement  du  fran- 
çais, il  faut  mentionner  aussi  la  Société  des  chemins  de  fer 
Prince-Heni'i.  Quand  elle  n'emploie  pas  exclusivement  le  fran- 


I.E    FRANÇAIS    DANS    LE   MONDE  Ia-2  —  31 

çais,  comme  dans  toutes  les  branches  du  service  intérieur,  elle 
se  sert  au  moins  des  deux  langues,  comme  pour  tous  les  écri- 
teaux  dans  les  gares,  tranchant  louablement  par  là  sur  la  ma- 
nière un  peu  bourrue  des  Chemins  de  fer  Guillaume-Luxem- 
bourg. 

Tant  que  le  franç^iis  jouira  de  cette  faveur  des  autorités 
publiques,  il  n'y  a  pas  de  recul  sérieux  à  craindre.  Nos  compa- 
triotes peuvent  ainsi  se  convaincre  qu'il  n'est  pas  seulement 
utile,  mais  qu'il  est  tout  à  fait  nécessaire  de  bien  connaître  cette 
langue. 

C'est  ici  qu'il  faut  placer  l'action  de  l'Alliance  française.  Elle 
a  été  fondée,  voici  huit  ans,  par  les  soins  principalement  de 
M.  Tony  Wenger,  délégué  général,  un  des  Luxembourgeois  qui 
rendent  le  plus  de  services  à  la  cause  française.  Elle  compte 
aujourd'hui  quatre  sections  :  Luxembourg,  Diekirch,  Esch  et 
Echternach,  parmi  lesquelles  les  deux  premières  sont  particu- 
lièrement florissantes.  Les  quatre  sections  réunies  comptent  à 
peu  près  500  adhérents.  On  peut  dire  que,  pendant  les  huit 
années  de  son  existence,  l'Alliance  fx-ançaise  a  bien  servi  la  cause 
française  :  elle  a  organisé  des  conférences  et  des  soirées  drama- 
tiques; elle  a  créé  des  bibliothèques  et,  en  accordant  à  nos 
instituteurs  des  faveurs  toutes  spéciales  d'abonnement  à  ^es 
revues  ou  à  des  journaux  français,  elle  a  mis  le  doigt  sur  un  des 
points  qui  réclament  le  plus  notre  sollicitude.  Je  ne  veux  pas 
dire  qu'elle  fasse  tout  ce  qu'on  est  en  droit  d'attendre  d'elle.  Ce 
que  je  lui  reproche  notamment,  c'est  qu'elle  n'atteint  (ju'une 
élite,  élite  intellectuelle  ou  sociale,  alors  qu'il  faudrait  précisé- 
ment descendre  un  peu  plus  bas,  dans  ces  classes  moins  culti- 
vées où  l'instruction  dans  la  langue  et  la  culture  française  est  si 
grandement  nécessaire.  C'est  une  question  que  je  soulève  et  à 
laquelle  j'espère  bien  qu'on  trouvera  une  réponse. 

J'estime,  en  eftet,  que  ces  classes-là  accepteraient  avec  grati- 
tude un  enseignement  qui  serait  pour  elles  de  la  plus  grande 
valeur  pratique.  Pour  les  travailleurs,  le  français  est,  sinon  tout 
à  fait  indispensable,  du  moins  de  la  dernière  importance.  Tout 
artisan,  que  ce  soit  un  menuisier,  un  tailleur,  un  serrurier,  un 
teinturier,  un  mécanicien  ou  un  bijoutier,  tient  à  aller  terminer 


32  —  Ia-2  SECTION   DE   PROPAGANDE 

son  apprentissage  à  Paris.  Tous  savent  bien  que  c'est  à  Paris  seu- 
lement qu'ils  pourront  acquérir  cette  perfection  et  ce  fini  de  leur 
art  sans  lesquels  il  n'y  a  pas  de  véritable  maître.  Avoir  travaillé 
à  Paris  constitue  pour  nos  artisans  la  plus  efficace  des  réclames. 
J'en  dirai  autant  des  modistes  et  des  couturières.  Je  ne  parlerais 
pas  ici  de  la  grande  quantité  de  domestiques  des  deux  sexes  que 
nous  dirigeons  tous  les  ans  sur  Paris  et  sur  Bruxelles  —  cela 
pourrait  jeter  la  déconsidéi'ation  sur  notre  pays  —  si  je  ne  savais 
qu'on  s'improvise  le  plus  souvent  domestique  dans  la  très 
louable  intention  de  se  donner  une  teinte  au  moins  de  culture 
franvaise.  De  là  vient  donc  qu'il  y  a,  comme  on  l'a  si  souvent 
répété,  20,000  Luxembourgeois  à  Paris,  alors  qu'à  Bruxelles  il 
y  en  a  peut-être  10,000.  Il  est  évident  qu'un  grand  nombre  de 
ces  émigrés  ne  reviennent  plus  dans  leur  pays  natal.  Combien 
trouvent  à  se  placer  durablement! 

On  se  marie  à  l'étranger.  Des  relations  nouvelles  de  parenté  et 
de  connaissance  naissent  à  chaque  instant  et  c'est  ainsi  que  nous 
arrivons  à  la  surprenante  situation  qu'il  y  a  peu  de  familles 
luxembourgeoises  qui  n'aient  un  ou  plusieurs  parents  en  France 
ou  en  Belgique,  en  France  surtout.  Ceci  est  d'une  importance 
capitale  pour  la  question  de  la  langue  française;  car  nous 
sommes  vraiment  en  droit  de  dire  que  nous  sommes  liés  A  la 
nation  française  par  les  liens  du  sang.  Et  que  les  Français  se 
rassurent  sur  ce  contingent  nouveau  de  citoyens  qui  leur  vient 
ainsi  du  Luxembourg!  Ils  portent  tous  dans  leur  cœur  un  ardent 
amour  pour  leur  patrie  nouvelle. 

En  Allemagne,  au  contraire,  où  la  main-d'œuvre  ne  fait  pas 
défaut  au  même  degré,  nous  n'avons  rien  à  chercher.  Nous  pré- 
férons d'ailleurs  nous  diriger  vers  la  France.  L'Allemagne  a 
même,  aux  yeux  de  beaucoup  de  nos  compatriotes,  le  tort  de 
nous  faire  souffrir  beaucoup  par  la  cherté  des  vivres  et  des 
denrées,  et  on  aime  à  se  dire  chez  nous  que  nous  payons  indi- 
rectement notre  écot  pour  les  formidables  armements  de  la 
grande  nation  militaire.  Les  fonctionnaires  convoitent  bien  les 
gros  traitements  de  leurs  collègues  allemands,  mais  il  n'est  que 
trop  évident  que  la  parité  ne  leur  sera  jamais  accordée. 

Quant  aux  universités,  il  serait  difficile  de  dire  lequel  des  deux 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  Ia-2  —  33 

pays,  de  la  France  ou  de  l'Allemagne,  attire  le  plus  grand  nombre 
d'étudiants  luxembourgeois.  Mais  je  crois  pouvoir  avancer  que 
la  France,  la  Belgique  et  la  Suisse  française  absorbent  un  nombre 
d'étudiants  sensiblement  plus  élevé  que  les  universités  alle- 
mandes. On  va  en  France  pour  faire  son  droit,  parce  qu'on  plaide 
en  français  devant  nos  tribunaux  et  parce  que  nous  vivons  sous 
le  régime  du  Code  français.  On  va  de  préférence  en  Allemagne, 
ou  encore  en  Belgique,  pour  se  préparer  à  la  carrière  d'ingénieur, 
les  examens  d'entrée  des  grandes  écoles  françaises  en  écartant 
la  plupart  du  nos  étudiants.  Nos  médecins-dentistes  viennent 
ordinairement  de  Paris.  Les  autres  carrières,  médecine,  médecine 
vétérinaire,  sciences,  lettres,  beaux-arts,  se  répartissent  sur  les 
quatre  pays  que  nous  venons  de  nommer. 

Dans  ces  dernières  années  nous  avons  assisté  à  plusieurs  événe- 
ments propres  à  faire  bien  augurer  de  l'avenir  de  la  langue  fran- 
çaise dans  le  grand-duché  de  Luxembourg.  Il  y  a  eu,  évidemment, 
dans  la  diffusion  de  cette  langue  un  moment  d'arrêt,  moment  qui 
s'étend  à  peu  près  jusque  vers  1910  et  qui  a  bien  duré  une  tren- 
taine d'années.  C'était  la  conséquence  inévitable  de  la  démocra- 
tisation^de  nos  mœurs  et  de  nos  institutions  politiques.  Il  fallait 
faire  à  l'allemand  une  plus  large  part  dans  la  vie  publique,  lors- 
que, par  l'abaissement  du  cens  électoral,  on  appelait  à  la  vie 
politique  des  éléments  qui,  jusque-là,  en  avaient  été  exclus.  Il 
faut  croire  que  ce  moment  de  recul  est  passé. 

Voici,  d'abord,  la  création  assez  récente  du  Conservatoirs  de 
musique  ^à  Luxembourg  qui,  sous  la  direction  éclairée  de 
M.  Vreuls,  rend  des  services  inappréciables  à  la  langue  et  à  la 
culture  françaises.  Je  manque  de  compétence  pour  relever  ici  les 
talents  et  les  mérites  de  M.  Vreuls,  dont  la  gloire  a  d'ailleurs 
dépassé  nos  frontières.  Associons  à  son  nom  celui  de  tous  les 
professeurs  qui,  en  faisant  tous  leurs  cours  en  français  et  en 
propageant  chez  nous  le  goût  de  la  musique  française,  de  ses 
grands  maîtres  surtout,  opposent  un  contre-poids  très  énergiqije 
aux  excès  du  germanisme. 

Il  y  a  ensuite  le  journal  L'Indépendance  luxembourgeoise  qui 
a  été  complètement  réorganisé  avec  l'année  1913  et  qui  est  un 
des  moyens  les  plus  efficaces  dont  nous  disposions  pour  pro- 


34  —  Ia-2  SECTION   DE  PROPAGANDE 

pager  dans  lès  classes,  inférieures  le  goût  de  la  langue  française. 
11  faut  regretter  seulement  qu'il  ne  dispose  pas  encore  des 
moyens  qui  lui  permettraient  de  devenir  un  de  nos  journaux 
les  plus  lus  et  les  plus  demandés.  Je  sais  que  la  presse 
française  et  belge  enti'e  largement  dans  notre  pays  ;  mais  elle 
n'atteint  guère  lei  classes,  moins  cultivées.  Il  faiidrait  donc  sou- 
tenir L'indépemliince  et  en  augmenter  les  ressources,  pour 
qu'elle  puisse  s'assurer  une  riche  collaboration,  ce  qui  lui  amè- 
nerait une  foule  de  lecteurs  nouveaux.  Je  soulève  la  question 
sans  y  répondre  Fiiisons  aussi  une  place  honorable  ici  à  un 
journal  de  fondation  plus  récente,  les  Temps  nouveaux,  qui 
ouvre  assez  largement  ses  colonnes  aux  articles  de  langue  fran- 
çaise. 

Le  tourisme,  qui  constitue  une  des  ressources  de  notrepays, 
exerce  également  une  influence  très  salutaire  sur  la  propagation 
de  la  langue  française.  La  majorité  des  touristes  qui  nous 
honorent  chaque  année  de  leur  visite  sont  des  touristes  de 
langue  française,  et  il  faut  souhaiter,  dans  l'intérêt  de  cette 
langue,  que  les  Belges  et  les  Fi'ançais  continuent  à  venir  passer 
leurs  vacances  parmi  noua.  Toui  le  monde  connaît  les  villes  de 
l^uxembourg,  de  Diekirch,  de  Vianden  et  surtout  d'Echternach, 
les  centres  du  tourisme  luxembourgeois.  Tout  le  monde,  enfin, 
connaît  notre  célèbre  station  thermale  de  Mondorf-les-Bains,  qui 
attire  chaque  saison  un  si  grand  nombre  de  baigneurs,  princi- 
palement des  baigneurs  franç;»is  et  belges,  au  point  qu'on  s'y 
croirait  dans  une  ville  d'eau  française. 

Dans  ces  dernières  années,  les  fêtes  sportives  ont  pris  une 
valeur,  une  importance  toute  particulière,  et,  résultat  inat- 
tendu, avec  les  exercices  physiques  et  hygiéniques,  elles  ont  créé 
entre  notre  pays,  d'une  part,  et  la  France  et  la  Belgique,  d'autre 
part,  des  relations  nouvelles  et  suivies  dont  la  langue  française 
€St  la  première  à  profiter.  Je  ne  rappelle  ici  que  le  Tour  de  Bel- 
gique, qui  a  traversé  dernièrement  le  pays  dans  toute  sa  lon- 
gueur; l'épreuve  Nancy-Luxembourg  qui  a  été  célébrée  par  de 
brillantes  fêtes  franco-luxembourgeoises.  Combien  d'autres 
sociétés  de  sport  et  de  gymnastiques  françaises  et  belges  nous 
honorent  chaque  année  de  leur  visite,  ce  qui  a  évidemment  pour 


I.E  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  la  2  —  35 

suite  que  nos  sociétés  se  rendent  à  leur  tour  chez  nos  voisins  de 
l'ouest.  Puis  ce  sont  les  sociétés  de  chant  cl  de  musique  qui  se 
font  acclamer  à  Luxembourg,  et  de  tout  cela  résulte  une  très 
heureuse  recrudescence  dans  les  rapports  de  ses  pays  voisins. 

Il  faut  dire  un  mot  encore,  en  finissant,  d'un  événement 
important  et  qui  date  seulement  de  l'année  dernière,  mais 
qui  exercera  sans  doute  une  influence  très  heureuse  sur  la  lan- 
gue française  de  chez  nous.  .le  veux  parler  de  la  récente  loi  sco- 
laire qui  a  provoqué  parfois  des  discussions  orageuses,  mais  qui 
n'en  est  pas  moins  très  salutaire  et  qui  a  été  approuvée  par  la 
grande  majorité  du  pays.  Elle  a  ajouté  une  septième  année  à  la 
durée  des  études  primaires,  et  il  y  a  tout  lieu  d'espérer  que  nous 
verrons  à  l'avenir  nos  enfants  quitter  l'école  primaire  avec  le 
minimum  de  connaissances  françaises  qu'un  pays  bilingue  et 
frontière  est  en  droit  de  réclamer  d'eux.  Ainsi  donc  je  ne  crois 
pas  qu'il  faille  désespérer  de  la  langue  française  dans  le  grand- 
<luché  de  Luxembourg. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Autriche, 


J.  DE  BLOCISZEWSKI, 

professeur  à  l'Académie  consulaire  de  Vienne. 


Le  français  est  encore,  aujourd'hui,  la  langue  étrangère  que 
l'on  étudie  le  plus  en  Autriche.  Jusqu'ici,  il  conserve,  dans 
l'ensemble,  sa  position  prédominante.  Cela  résulte  des  chiffres 
suivants  tirés  des  divers  ordres  d'enseignement. 

A)  Enseignement  supérieur. 

En  laissant  de  côté  l'étude  théorique  et  historique  des  langues 
modernes,  pour  ne  s'occuper  que  de  l'enseignement  pratique, 
les  cours  de  langue  française,  faits  à  l'Université  de  Vienne, 
comptent  environ  300  étudiants  inscrits.  C'est  de  beaucoup 
le  chiffre  le  plus  élevé  atteint  par  les  cours  pratiques  de  langues 
modernes.  Les  cours  d'anglais  ne  réunissent  guère  qu'une 
soixantaine  d'élèves  et  ce  sont  les  plus  nombreux  après  ceux  de 
français. 


38  —  Ia-3  SECTION   DE  PROPAGANDE 

B)  Enseignement  secondaire. 

Cet  enseignement  est  donné  clans  des  Gymnases  (enseigne- 
ment classique,  grec  et  latin)  des  Bealgymnasien  (latin  et  une 
langue  moderne),  des  Realschulen,  écoles  réaies  (pas  de  latin, 
deux  langues  modernes). 

a)  Gymnases.  —  Ces  établissements  donnent  une  forme 
d'enseignement  dont  il  y  a  tendance  à  s'écarter.  Il  existe  encore, 
en  Basse-Autriche,  22  gymnases.  On  les  maintient,  mais  on  ne 
crée  plus  que  des  Realgymnasien. 

Dans  le  gymnase  ordinaire,  les  langues  modernes  ne  sont  pas 
obligatoires.  On  les  y  apprend  facultativement.  C'est  surtout  la 
langue  française  qui  y  est  demandée  par  les  élèves. 

Parmi  ces  gymnases,  le  Theresiamim,  fondé  par  l'impératrice 
Marie-Thérèse,  occupe  une  place  exceptionnelle.  Une  langue 
moderne  est  obligatoire  pour  les  élèves  internes  et  cette  langue 
est  le  français. 

b)  Realgymnascs.  —  C'est  le  type  moderne.  Il  y  a  déjà 
20  établissements  de  ce  genre  en  Basse- Autriche. 

A  côté  du  latin,  on  y  apprend  obligatoirement  une  langue 
moderne. 

Dans  les  reaigymnases  créés  avant  1908,  cette  langue  moderne 
est  le  français. 

Dans  les  reaigymnases  créés  depuis  1908,  cette  langue 
moderne  est,  ou  le  français,  ou  l'anglais.  On  s'inspire  pour  le 
choix  des  besoins  locaux,  des  désirs  des  municipalités,  etc. 

On  voit  donc  ici  apparaître  la  concurrence  de  l'anglais.  Mais 
le  français  maintient  encore  sa  supériorité.  Sur  les  13  reaigym- 
nases, créés  depuis  1908,  4  ont  choisi  l'anglais,  9  le  français. 

c)  Ecoles  réaies.  —  Tous  les  élèves  y  apprennent  l'anglais  et 
le  français,  mais  l'anglais  n'est  enseigné  que  pendant  trois  ans, 
tandis  que  le  français  est  enseigné  pendant  sept  ans. 

Dans  les  26  écoles  réaies  de  Basse-Autriche,  le  nombre  des 
élèves  apprenant  le  français  était,  pendant  la  dernière  année 
scolaire,  de  9,912. 


1,E   FllANÇAIS    DAKS    LE   MONDE  la- 3  —  39 

C)  Enseignement  primaire  supérieur. 

L'enseignement  primaire  supérieur  est  donné  dans  les  Bûr^er- 
schulen.  Ces  écoles  sont  la  prolongation  de  l'école  primaire,  qui 
comporte  cinq  années  d'études. 

Dans  les  Bûrgerschulen,  ou  écoles  primaires  supérieures, 
l'enseignement  du  français  est  facultatif.  Toutes  les  écoles 
primaires  supérieures  de  Vienne  l'enseignent.  Hors  de  Vienne, 
presque  toutes.  L'enseignement  du  français  y  est  fait  pendant 
trois  ans,  à  raison  de  trois  Iieures  par  semaine. 

L'anglais  n'est  pas  enseigné. 

D)  Enseignement  libre. 

Le  français  est  enseigné  dans  un  très  grand  nombre  d'écoles 
libres. 

Dans  une  d'entre  elles,  que  l'on  peut  prendre  pour  type, 
VEcole  Weiser,  le  nombre  des  élèves  apprenant  le  français  est 
égal  à  ceux  apprenant  l'anglais.  On  remarque  cependant  que  les 
élèves  apprenant  le  français  se  découragent  plus  que  ceux  qui 
apprennent  l'anglais.  La  cause  en  est  dans  la  facilité  que  présente 
la  langue  anglaise  à  qui  connaît  déjà  l'allemand.  Le  résultat 
de  ce  découragement,  c'est  qu'aux  examens  de  fin  d'études,  les 
élèves  demandant  à  être  examinés  en  anglais  sont  plus  nombreux 
que  ceux  qui  demandent  à  subir  les  épreuves  de  français. 


De  ce  qui  vient  d'être  dit,  on  peut  conclure  que  le  français 
occupe  une  situation  prépondérante  dans  l'enseignement  des 
langues  modernes  en  Basse-Autriche.  Mais  il  faut  tenir  compte, 
pour  l'avenir,  d'une  concurrence  possible  de  l'anglais. 


Les  chiffres  et  indications  que  nous  avons  donnés  se  rap- 
portent exclusivement  à    la  Basse-Autriche.  Mais   ils  seraient 


40  —  Ia-3  SECTION   DE  PROPAGANDE 

sensiblement  les  mêmes  pour  les  principaux  autres  pays  autri- 
chiens (Bohême,  Moravie,  Galicie,  Haute-Autriche,  Carinthie, 
Carniole,  Salzbourg,  etc.).  Il  faudrait  certainement  relever 
l'importance  de  l'enseignement  du  français,  dans  les  pays  de 
langues  slaves  où  les  sympathies  pour  la  France  viennent 
s'ajouter  à  l'intérêt  pratique  de  la  connaissance  du  français. 


I.  —  SECTION   DE  PROPAGANDE 

^1)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Bohême, 


Louis   FELLER, 
chargé  de  cours  à  l'Université  tchèque  de  Prague. 


L'étranger  qui  vient  à  Prague  ne  sachant  ni  le  tchèque  ni 
l'allemand  n'est  pas  perdu  pour  cela,  s'il  sait  le  français.  Cette 
langue  est  quasiment  la  troisième  langue  du  pays  :  partout  des 
enseignes,  des  inscriptions  françaises  s'offrent  à  ses  yeux;  un 
magasin  sur  trois,  ou  presque,  porte  l'inscription  :  On  parle 
français;  dans  les  rues,  des  sons  français,  souvent,  frappent  ses 
oreilles.  Certes,  il  n'est  que  peu  de  villes  à  l'étranger,  où  le  fran- 
çais soit  aussi  cultivé,  aussi  répandu. 

Où  le  Praguois  acquiert-il  sa  connaissance  du  français?  A 
l'école,  tout  simplement.  Nous  commencerons  donc  d'abord  par 
voir  quel  est  cet  enseignement  (•). 

(1)  Ces  données  ne  s'appliquent  qu'à  l'enseignement  tchèque.  Les  AUfi- 
msnds  de  Prague, quoique  ne  formant  à  peine  que  10  p.  c.  de  la  population, 
ont,  eux  aussi,  beaucoup  d'écoles  d'enseignement  primaire  et  secondaire, 
une  université  et  un  polytechnicum. 


■  42  —  Ia-4  SECTION  de  propagande 

Enseignement  public. 
a)  Enseignement  primaire. 

L'enseignement  primaire  est  donné  à  l'rague  dans  les  écoIes^ 
dites  communales  et  dans  celles  dites  de  la  ville,  celles-ci  étant  de 
deux  classes  plus  élevées. 

Les  maîtres  enseignant  ont  passé  leurs  examens  à  l'école  nor- 
male. Dans  l'année  scolaire  191 1-1912,  le  français  a  été  enseigné 
dans  9  écoles  de  garçons,  en  21  classes,  à  44S  élèves;  dans 
14  écoles  de  filles,  en  71  classes,  à  1,334  élèves.  9  maîtres  ensei- 
gnaient dans  les  écoles  de  garçons,  et  19  maîtresses  dans  les 
écoles  de  filles.  Il  a  été  donné  dans  chaque  classe  deux  leçons 
par  semaine.  Dans  ces  écoles,  l'enseignement  du  français  est 
facultatif. 

L'Ecole  supérieure  de  jennes  filles  dépendant  aussi  de  la  ville, 
nous  en  parlerons  ici.  Le  français  y  est  obligatoire  de  la  cinquième 
classe  à  la  première.  On  y  a  donné  4  leçons  par  semaine  à 
320  élèves.  L'enseignement  est  donné  dans  les  basses  classes  par 
des  institutrices  de  la  ville,  dans  les  deux  premières  par  des  pro- 
fesseurs d'enseignement  secondaire. 

La  ville  entretient  encore  une  Ecole  industrielle  pour  jeunes 
filles,  dans  laquelle  le  français  a  été  également  enseigné  dans 
S  classes  à  158  élèves,  à  raison  de  3  leçons  par  semaine. 

Les  établissements  de  la  ville  ont  donc  enseigné  le  français  à 
2,203  élèves  des  deux  sexes. 

b)  Enseignement  secondaire. 

L'enseignement  secondaire  est,  à  peu  d'exceptions  près,  chose 
de  l'Etat.  11  est  donné  à  Prague,  faubourgs  compris,  dans  5  écoles 
dites  gymnases  (enseignement  classique),  8  écoles  dites  réaies 
(enseignement  des  langues  vivantes),  5  écoles  dites  gymnases 
réals  (enseignement  du  latin  et  du  français),  6  gymnases  et  lycées 
de  filles,  3  écoles  normales,  8  écoles  et  1  académie  de  commerce. 

L'enseignement  du  français  est  obligatoire  dans  tous  ces  éla- 


I.E   FRANÇAIS   DANS   I.E   MONDE  Ifl-4  —  43 

blissements,  à  l'exception  ries  gymnases,  où  il  est  facultatif.  Le 
programme  officiel  demande,  dans  les  écoles  rcales  par  exemple, 
pour  les  classes  inférieures,  une  prononciation  s'approehant 
autant  que  possible  de  la  nationale,  la  traduction  de  textes 
faciles  traitant  de  la  vie  moderne  pratique,  des  connaissances 
élémentaires  sur  la  structure  de  la  langue  découlant  d'un  ensei- 
gnement synthctico-analytique,  les  principales  règles  de  la  gram- 
maire, l'emploi  de  la  langue  (par  écrit  et  de  vive  voix)  pour  tout 
ce  qui  a  été  traité  dans  les  lei.ons,  sans  jamais  perdre  de  vue  le 
côté  pratique.  Pour  les  classes  supérieures,  le  programme 
demande  la  lecture  de  quelques  ouvrages  importants  de  littéra- 
ture, aptes  à  faire  connaître  la  culture  et  la  vie  spirituelle  de  la 
France;  la  connaissance  de  la  lexicologie  et  de  la  syntaxe;  un 
emploi  rationnel  de  la  langue  (par  écrit  et  de  vive  voix). 

En  sixième,  il  est  donné  6  leçons  par  semaine;  en  cin- 
quième, S;  i,  en  quatrième;  en  troisième,  en  deuxième  et  en 
première,  3.  Les  élèves  qui  sortent  de  ces  établissements  ont 
donc  eu  six  ans  d'enseignement  de  français,  à  raison  de.4  leçons 
par  semaine  en  moyenne.  Généralement,  ils  comprennent  tout 
ce  qu'ils  lisent;  par  contre,  l'emploi  oral  de  la  langue  leur  pré- 
sente des  difficultés,  non  tant  intellectuelles  que  pliysiques 
(l'oreille  saisit  mal  les  sons,  la  langue  est  inhabile  à  les  rendre). 
Mais  il  y  a  de  bons  fondements  de  posés,  et  quelques  mois  d'exer- 
cice suffiront  pour  qu'ils  puissent  tout  comprendre  et  tout  dire. 

c)  Enseignement  supérieur. 

i"  Université.  —  L'enseignement  du  français  a  été  donné  à 
l'Université  dans  le  semestre  d'été  1913  par  un  professeur  de 
littérature,  S  leçons  par  semaine  (cours  fait  en  tchèque);  par  un 
privat-docent  de  grammaire  historique,  3  leçons  par  semaine 
(cours  fait  en  tchèque);  par  un  privat-docent  de  littérature, 
3  leçons  par  semaine  (cours  fait  en  tchèque);  par  un  chargé  de 
cours  de  langue  et  de  littérature  modernes,  3  leçons  par  semaine 
(cours  faits  en  français).  Outre  cela,  il  y  a  eu  dans  le  séminaire 
roman  4  leçons  par  semaine  en  langue  tchèque  (2  privatrdocent) 
et  8  leçons  par  semaine  en  langue  française  (2  lecteurs);  enfin, 


44  —  Ia-4  SECTION   DE  PROPAGANDE 

un  troisième  lecteur  a  eu  3  leçons  par  semaine  en  langue  fran- 
çaise. 

Il  y  a  donc  eu,  cet  été,  quatorze  heures  de  leçons  par  semaine 
en  langue  française,  et  treize  heures  en  langue  tchèque.  L'occa- 
sion ne  manque  donc  pas  aux  étudiants  d'acquérir  de  bonnes  et 
solides  connaissances  en  français.  Je  dois  dire  que  ceux  qui  se 
soumettent  à  l'examen  du  professorat  sont  non  seulement  très 
ferrés  sur  le  vieux  français,  mais  qu'ils  comprennent  encore  fort 
bien  le  français  moderne  et  s'expriment  d'une  façon  suffisam- 
ment correcte. 

2°  École  Polytechnique.  —  Ici,  il  n'y  a  pas  de  cours,  mais  seu- 
lement des  exercices.  Un  lecteur  donne  3  leçons  par  semaine 
(lecture  et  compte  rendu  oral  d'un  texte  moderne).  Ces  exercices 
ont  pour  but  d'offrir  aux  étudiants  l'occasion  de  travailler  dans 
l'emploi  oral  de  la  langue  et  de  s'y  perfectionner. 

Enseignement  libre. 

Il  y  a  à  Prague  quantité  d'écoles  libres,  d'abord  des  écoles 
d'enseignement  primaire  et  secondaire,  dont  le  programme 
répond  à  celui  des  écoles  publiques.  Nous  n'avons  donc  pas  à 
nous  y  arrêter.  Puis  il  y  a,  à  côté,  des  écoles  de  langues,  telles 
que  VÉcole  Berlitz,  VÉcole  Idéale,  l'École  Internationale  et 
d'autres,  qui  enseignent,  de  par  leurs  prospectus,  toutes  les 
langues  possibles  et  imaginables,  mais  se  bornent  en  fait  à  ensei- 
gner principalement  le  français  et  l'anglais. 

En  outre,  je  ne  connais  aucune  ville  où  il  y  ait  plus  de  pro- 
fesseurs libres  enseignant  le  français.  Il  y  en  a  des  deux  sexes, 
de  tout  acabit,  de  tout  poil  et  de  toute  plume  :  Français  et 
Tchèques,  lettrés  et  illettrés.  Et,  chose  remarquable,  tous 
trouvent  des  leçons  à  donner  ;  c'est  dire  combien  le  français,  est 
pratiqué. 

Par  surcroît,  il  n'y  a  guère  de  familles  d'un  certain  rang 
qui  n'aient  une  bonne  ou  une  gouvernante  française  pour  leurs 
enfants;  aussi  y  a-t-il  à  Prague  quantité  de  Françaises,  de  Suis- 
sesses et  de  Belges. 


LE    FRANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  Ia-4  —  45 


Cercles. 


La  ville  de  Prague  possède  cinq  cercles  s'occupant  delà  cul- 
ture du  français.  Ce  sont,  par  ordre  chronologique  de  fonda- 
tion :  1°  L'Alliance  française;  2»  le  Ceixle  français  de  r Uni- 
versité; 3°  la  Société  des  Amis  de  la  France;  4°  le  Cercle  jrançais 
de  la  Polytechnique;  5°  le  Cercle  français  de  Prague. 

\J Alliance  française,  qui  a  succédé  à  la  Réunion  et  à  la  Société 
françaises  a  quelque  vingt-cinq  ans  d'existence;  elle  possède  une 
riche  bibliothèque;  elle  se  réunit  une  dizaine  de  fois  en  hiver. 
Elle  dépend  de  VAlliance  française  de  Paris  qui  l'aide  morale- 
ment et  effectivement.  Elle  organise  surtout  des  conférences. 
Autrefois,  elle  donnait  des  prix  aux  élèves  des  écoles  publiques 
qui  s'étaient  distingués  dans  l'étude  du  français,  mais  elle  y  a 
renoncé  depuis  longtemps. 

Le  Cercle  français  de  l'Université,  de  dix  ans  plus  jeune, 
réunit  les  étudiants  qui  s'occupent  tout  particulièrement  du 
français.  Il  s'assemble  une  fois  toutes  les  semaines  dans  le 
semestre  d'hiver.  De  plus,  il  organise  chaque  année  une  série  de 
six  conférences  ;  en  été,  il  organise  des  excursions.  Il  dispose 
d'une  modeste  bibliothèque. 

La  Société  des  Amis  de  la  France  a  treize  ans  d'existence.  Elle 
réunit  une  fois  par  semaine  ses  membres  en  soirées  de  conver- 
sation pendant  la  saison  d'hiver. 

Le  Cercle  français  de  la  Polytechnique,  fondé  en  1903,  poursuit 
le  môm'e  but  que  le  Cercle  français  de  l'Université.  11  organise, 
lui  aussi,  pendant  l'hiver,  des  soirées  de  conversation  hebdoma- 
daires et  un  cycle  de  six  conférences.  II  possède  une  petite 
bibliothèque. 

Le  Cercle  français  de  Prague  enfin,  fondé  en  janvier  1906, 
est  le  plus  actif  de  tous.  11  s'assemble  régulièrement  toute  l'année, 
le  lundi  soir,  en  réunions  amicales  et  familières  :  d'octobre  à  fin 
avril  avec  programme  (conférences,  causeries,  récitations,  mono- 
logues, saynètes,  chant  ou  musique).  Une  fois  par  an,  il  donne 
une  grande  soirée  théâtrale.  En  été,  il  réunit  en  soirées  de  con- 
versation ceux  de  ses  membres  qui  sont  en  ville.  Il  possède  un 


46  —  la-4  SECTION   DE   PROPAGANDE 

commencement  de  bibliothèque.  Il  est  en  relations  amicales  avec 
les  Annales  politiques  et  littéraii-es  de  Paris,  qui  veulent  bien  le 
compter  au  nombre  de  leurs  cercles. 

CONFÉRESCES. 

Les  Praguois  ont  eu  l'heur  d'avoir  dans  leurs  murs,  ces 
dernières  années,  plusieurs  conférenciers  de  marque.  Ainsi 
Cat.  Mendès,  Anat.  Leroy-Beaulieu,  Jean  Richepin,  Kené 
Henry,  Cam.  Mauclair,  Frantz  Funck-Brentano,  André  Lichten- 
berger,  René  Pinon,  Marguerite  Chenu  (j'en  oublie  certaine- 
ment, et  pas  des  moindi'es)  se  sont  fait  entendre  ici. 

De  plus,  les  Cercles  français  de  l'Université  et  de  la  Polytech- 
nique organisent,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  tous  les  hivers,  des 
cycles  de  conférences  dans  lesquels  prennent  la  parole  les  pro- 
fesseurs de  l'Université  et  les  propagateurs  les  plus  connus  de 
la  langue,  de  la  littérature  et  de  l'esprit  français,  dont  il  existe 
ici  une  illustre  pléiade. 

L'ilÔTEL-DE-VILLE. 

Enfin,  et  last  not  least,  un  fadeur  très  important  de  la  culture 
du  français  à  Prague,  est  l'entente  municipale  entre  les  deux 
capitales,  Paris  et  Prague. 

Ces  relations  amicales  (')  datent  de  1901,  année  où  le  Conâeil 
municipal  de  Paris,  sous  la  conduite  de  son  président,  rendit 
la  visite  que  lui  avait  faite  l'année  précédente  le  Conseil  munici- 
pal de  Prague.  Depuis  lors,  ces  visites  réciproques  se  sont 
renouvelées  et  toujours  la  population  de  Prague  a  chaleureuse- 
ment accueilli  ses  hôtes.  Ces  diverses  visites,  ainsi  que  celles  des 
journalistes  et  des  gymnastes  français  aux  fêtes  sokoles  (en 
1902,  1907  et  1912)  n'ont  pas  peu  contribué  à  populariser  de 
plus  en  plus  le  français  chez  nous.  Les  savants,  les  écrivains,  les 

(')  Cfi'.  la  très  intéressante  brochuie  de  M.  Em.  de  Cenkov,  homme  de 
lettres  fort  connu  et  méritant,  grtind  propagateur  de  l'idée  française,  s 
l'Entente  municipale  entre  Paris  et  Prague.  Prague  1909,  in-8»,  77  pages. 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  Ia-4  —  47 

artistes  français  de  passage  à  l*r;igue  (à  ceux  nommés  plus  haut 
ajoutons  Louis  Léger,  Juliette  Adam,  Georges  Lecomte,  Aug. 
Rodin)  ont  tous  reçu  le  meilleur  accueil  de  la  Municipalité  et 
ont  été  les  enfants  gâtés  de  la  population. 

Depuis  lors,  l'on  trouve  à  Prague  une  quantité  de  journaux  et 
d'hebdomadaires  français  ;  autrefois,  l'on  n'y  connaissait  guère 
que  le  Figaro. 

Les  études  de  Louis  Léger,  d'Ernest  Denis,  de  Jeanne  Réga- 
niey,  d'Ernest  Gay  sur  la  Bohême;  les  articles  des  Dausset, 
Nadan,  Galli.Chéradame,  Bourdon,  Puceaux,  Massard,  Larivière 
et  autres  sur  Prague  ont  excité  à  l'étude  du  français  :  les  Pra- 
guois voulaient  savoir  ce  que  leurs  amis  français  pensaient  et 
disaient  d'eux. 

On  ne  saurait  donc  trop  apprécier  pour  la  propagation  du 
français  à  Prague,  l'entente  cordiale  entre  les  Conseils  munici- 
paux de  Prague  et  de  Paris. 

Le  Consulat. 

Les  divers  consuls  et  vice-consuls  de  France  qui  se  sont  suc- 
cédé à  Prague  depuis  dix  ans,  ont,  eux  aussi,  beaucoup  fait  pour 
l'extension  du  français.  Maints  d'entre  eux  n'ont  pas  dédaigné 
de  mettre  la  main  à  la  pâte,  c'est-à-dire  de  faire  des  conférences, 
des  causeries,  des  projections  lumineuses,  de  dire  des  mono- 
logues, voire  déjouer  la  comédie;  tous  ont  visité  sou  ventes  fois 
les  différents  cercles,  les  ont  assistés  de  leurs  conseils  et  aidés  de 
leur  aimable  bienveillance. 

Ainsi  le  consul  actuel,  M.  Henri  Ferté,  ainsi  que  M"'"  et 
et  M""  Ferté,  ont  bien  mérité  par  la  chaleureuse  sympathie  qu'ils 
appQrtentà  l'œuvre  de  la  culture  et  de  la  propagande  du  fran- 
çais en  Bohême. 

L'influence  du  Consulat  en  l'espèce  est  très  grande,  et  il  peut 
beaucoup. 

CONCUSION. 

Comme  on  peut  le  voir  par  ce  qui  précède,  le  français  est  très 
«ultivé  à  Prague,  ainsi,  d'ailleurs,  que  dans  toutes  les  villes  de 


■48  —  Ia-4  SECTION   DE   PROPAGANDE 

province,  tant  les  petites  que  les  grandes;  mieux  encore,  il  est 
aimé.  Il  joue  aussi  ici  un  rôle  tout  particulier  au  pays  :  celui 
d'intermédiaire  entre  les  deux  langues  rivales  qui  se  partagent 
la  Bohème  :  le  tchèque  et  l'allemand.  Les  commerçants  qui 
hésitent  à  mettre  vchod  ou  Eingang  sur  leur  porte,  y  mettent 
délibérément  entrée,  sûrs  qu'ils  sont  de  n'offenser,  ainsi  faisant, 
ni  Tchèques  ni  Allemands. 

Tous  les  instituts,  les  grandes  maisons  de  commerce,  voire 
les  petits  fabricants  ont  des  catalogues,  des  prospectus  français. 
11  y  a  même  ici  uae  librairie  française  ('). 

Quelque  grand  que  soit  l'emploi  du  français  en  Bohême,  il 
peut  encore  grandir,  car  il  a  l'avenir  devant  lui.  C'est  donc  un 
devoir  pour  ceux  qui  s'occupent  de  la  culture  du  français  et  de 
son  extension  à  l'étranger,  d'encourager  et  d'aider  de  tout  leur 
pouvoir  un  mouvement  comme  celui-ci. 

Il  leur  faut  pour  cela  aider  les  cercles,  et,  en  particulier,  le 
Cercle  français  de  Prague,  le  plus  actif  de  tous.  Ses  membres 
qui  se  réunissent  toutes  les  semaines,  été  comme  hiver,  pour 
s'occuper  de  la  langue  et  de  l'esprit  français,  sont  absolument 
dignes  d'intérêt. 

La  meilleure  manière  d'aider  ici  est  d'abord,  selon  moi,  d'en- 
richir les  bibliothèques  existantes;  et  puis,  si  possible,  d'en- 
voyer de  temps  à  autre  des  conférenciers  qui  se  feraient 
entendre  dans  le  Cercle  français  de  Prague.  Ils  y  trouveraient  un 
public  des  plus  sympathiques  et  des  plus  reconnaissants  :  tout 
Prague  s'y  donnerait  rendez-vous. 

C'est  là,  pour  la  Fédération,  une  belle  tâche  :  je  souhaite  de 
tout  mon  cœur  qu'elle  n'y  faillisse  point. 

(')  Celle  de  Fr.  Topic,  rue  Ferdinand,  qui  contribue  de  son  côte  à 
l'expans^n  française  en  exposant  dans  ses  vitrines  toutes  les  nouveautés 
littéraires  et  journalistiques. 


1.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La   langue   française    en    Portugal, 


Alvaro  VIANA  ue  LEMOS, 
professeur  à  Lisbonne. 


Le  Portugal  est  un  des  pays  latins  où  la  langue  française  est 
la  plus  répandue  parmi  les  différentes  classes  qui  donnent  à  une 
nation  son  importance  intellectuelle,  industrielle  et  commer- 
ciale. 

Il  est  utile  de  donner  ici  un  très  bref  aperçu  des  faits  histo- 
riques qui,  en  Portugal,  ont  déterminé  cette  expansion. 

C'est  un  Français,  Henri  de  Bourgogne,  qui  a  jeté  les  fonde- 
ments de  la  nationalité  portugaise,  au  xi«  siècle.  Ses  successeurs, 
Alphonse  I"  et  Sancho  l",  ne  possédant  pas  assez  de  soldats  pour 
poursuivre  les  guerres  qu'ils  avaient  entreprises  contre  les 
Maures,  ni  assez  de  monde  pour  peupler  les  territoires  récem- 
ment conquis,  cherchèrent  à  attirer  dans  leur  pays  les  croisés 
francs  qui,  en  route  pour  la  Palestine,  touchaient  au  port  de 
Lisbonne.  Plusieurs  de  ces  croisés  se  fixèrent  dans  le  pays,  fon- 
dant des  villes  qui,  encore  aujourd'hui,  conservent  leur  nom 
primitif,  telle  Villa  Franca. 

La  cour  gardant  toujours  le  souvenir  des  habitudes  fran- 


50  —  Ia-5  SECTION   DE  PROPAGANDE 

çaises,  fit  venir  auprès  d'elle  des  troubadours  et  des  fous,  alors 
inconnus  en  Espagne. 

Alphonse  m,  qui,  avant  son  avènement  au  trône,  avait  vécu 
longtemps  en  France  (comté  de  Boulogne),  en  rentrant  en  Por- 
tugal se  fit  accompagner  de  plusieurs  ménestrels  pour  égayer  sa 
cour,  ainsi  que  de  professeurs  et  de  savants  chargés  de  l'instruc- 
tion de  ses  enfants.  Un  de  ces  savants  est  digne  de  remarque, 
c'est  Eymeric  d'Ebrard,  chargé  Je  l'éducation  du  prince  Diniz, 
qui  acquit  un  haut  degré  de  culture  et,  devenu  roi  dans  la  suite, 
créa  la  première  Université  à  Coimbre. 

Plus  tard,  le  roi  Jean  I"'  ayant  épousé  une  princesse  d'Angle- 
teiTe,  où  alors  le  français  était  la  langue  officielle,  on  vit  cette 
langue  prendre  à  la  cour  un  tel  développement  que  les  princes 
portaient  des  devises  françaises,  comme  celles-ci  :  le  bien  me 
plaît,  talent  de  bien  (aire. 

Vers  la  fin  du  xvii'  siècle,  les  événements  politiques  avaient 
déterminé  en  Portugal  une  sorte  de  répulsion  pour  tout  ce  qui 
était  espagnol,  ce  qui  contribua  beaucoup  au  développement  de 
la  langue  et  des  mœurs  françaises.  On  en  arriva  à  n'attacher  de 
valeur  qu'à  ce  qui  venait  de  France. 

Grisé  par  l'or  qui  lui  arrivait  du  Brésil,  le  roi  Jean  V,  obéis- 
sant à  ses  instincts  de  magnificence  et  de  prodigalité,  voulut 
imiter  Louis  XIV,  non  seulement  en  élevant  des  monuments 
remarquables,  mais  en  introduisant  à  la  cour  une  vie  fastueuse. 
Il  fut  ainsi  obligé  de  faire  venir  en  Portugal  nombre  d'ouvriers 
et  d'artistes  français.  Et  l'on  peut  dire  qu'à  ce  moment,  depuis 
le  costume  jusqu'à  la  cuisine,  tout  était  français  dans  le  pays. 
.  Ce  bref  exposé  historique  suffît  à  donner  une  idée  de  l'in- 
lluence  de  la  vie  française  sur  la  manière  de  vivre  des  classes  pri- 
vilégiées du  Portugal.  Et  l'on  comprend  qu'à  travers  les  siècles, 
toutes  ces  relations,  qui  parfois  allaient  jusqu'à  la  camara- 
derie, avaient  introduit  dans  la  nation  des  mots  et  des  mœurs 
vraiment  françaises.  Ce  fait  est  aisément  constaté  par  l'influence 
que  la  culture  française  a  eue  sur  les  académies  littéraires  fon- 
dées alors  et  sur  la  littérature  et  la  philosophie  portugaises. 

La  Révolution  française,  qui  a  ouvert  en  Europe  l'ère  des 
revendications  sociales,   eut,    en   Portugal,   une  répercussion 


I.E    FRARÇAIS    DANS    LE    MONDE  la-S  —  Sf 

extraordinaire  et  los  ouvrages  des  philosophes  français  y  furent 
de  plus  en  plus  recherchés.  Mïilgré  la  réaction  qui  commença 
alors  à  se  manifester  de  la  part  des  classes  privilégiées,  hostiles 
1  Rntroduction  des  idées  philosophiques  parties  de  France, 
malgré  l'animosité  provoquée  par  les  trois  invasions  des  armées 
de  Napoléon  I",  la  connaissance  pratique  de  la  langue  et  l'in- 
fluence de  la  culture  française  n'ont  fait  que  progresser  en 
Portugal. 

A  l'avènement  du  régime  constitutionnel,  en  18,33,  les  ser- 
vices de  l'instruction  ont  été  réorganisés  et  l'enseignement  du 
français  a  été  rendu  obligatoire  dans  les  établissements  d'ensei- 
gnement secondaire  et  supérieur.  Plus  tard,  l'enseignement  du 
français  a  été  Introduit  dans  les  écoles  normales  primaires,  les 
écoles  industrielles  et  les  écoles  de  commerce.  La  nouvelle  loi 
scolaire,  récemment  mise  en  exécution,  rend  obligatoire  l'ensei- 
gnement du  français  dans  les  écoles  primaires  du  degré 
supérieur. 

A  côté  de  cet  enseignement  officiel,  nombreux  sont  les  établis- 
sements privés  oîi  l'enseignement  de  la  langue  française  est 
l'objet  des  plus  grands  soins.  Il  y  a  des  collèges  où,  pendant  cer- 
tains cours,  les  élèves  ne  peuvent  s'exprimer  qu'en  français. 

L'Ecole  française  de  Lisbonne,  consacrée  à  renseignement 
gratuit  du  français  et  patronnée  par  le  gouvernement  français, 
prend  un  développement  plus  grand  de  jour  en  jour. 

11  est  à  peine  besoin  de  dire  combien  les  ouvrages  français  de 
philosophie,  de  science  ou  de  littérature  se  trouvent  répandus 
dans  les  classes  intellectuelles  portugaises.  Il  est  même  fréquent 
de  trouver,  dans  de  petits  centres,  des  lettrés  pour  qui  les 
auteurs  français,  des  plus  anciens  jusqu'aux  conlomporains,  ne 
gardent  plus  de  secrets.  Et  il  n'y  a  pas  de  petit  village  où  le  fran- 
çais ne  puisse  tout  au  moins  être  traduit,  soit  par  l'instituteur, 
soit  par  le  curé  ou  le  médecin. 

En  résumé,  la  langue  française  est,  de  toutes  les  langues 
étrangères,  la  plus  répandue,  et  de  beaucoup,  en  Portugal.  Au 
point  de  vue  intellectuel,  il  n'y  a  pas,  pour  ainsi  dire,  de  dis- 
tance entre  le  Portugal  et  la  France.  Le  grand  nombre  de 
touristes  portugais  qui  se  rendent  en  France,  chaque  année. 


52  —  Ia-5  SECTION  DE  PROPAGANDE 

l'importance  qu'ont  prises  en  Portugal  la  littérature  et  la  presse 
françaises  suffiraient  à  démontrer  l'influence  marquante  qu'exerce 
la  culture  française  sur  la  vie  portugaise,  ce  qui  s'explique  non 
seulement  par  l'affinité  des  races,  mais  aussi  par  les  tendances 
des  deux  peuples. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Suède, 


M"»  \.k  Baronne  J.  MICHAUX. 


De  tous  les  pays  où  pénétra  l'influence  fran(,"aise  au  xvni'  siècle, 
la  Suède  est  celui  qui  l'accueillit  et  s'en  para  avec  le  plus  d'en- 
thousiasme. 

Avec  le  roi  Gustave  111,  la  Suède  tout  enlière  fut  française. 
N'était  beau  et  bon  que  ce  qui  venait  de  Paris,  et  notre  belle 
langue  fut  parlée  dans  toutes  les  familles,  enseignée  dans  toutes 
les  écoles. 

C'est  que  ce  peuple,  tenu  par  sa  situation  géographique  à  l'écart 
des  grands  courants  étrangers  qui  traversèrent  l'Europe,  sentait 
le  besoin  de  s'aftiner  un  peu  au  contact  d'une  civilisation  qui  lui 
apparaissait  supérieure  à  la  sienne. 

Cependant,  vers  1850,  l'enthousiasme  se  ralentit;  faut-il  en 
accuser  les  crinolines,  les  globes  de  pendules  et  les  meubles  de 
reps  vert  qui  dévastèrent  la  France  à  cette  époque,  ou  bien  plutôt 
le  réveil  d'un  sentiment  national  suédois  qui  essaya  d'entraîner 
les  esprits  vers  un  autre  idéal  ? 

Leféminisme  naissant  prêchait, avec  l'horreurde  la  coquetterie. 


54  —  Irt-6  SECTION  DE  PROPAGANDE 

la  nécessité  du  travail  manuel,  et  dénonçait  la  frivolité  dépri- 
mante de  cette  influence  française  qui  détruisait  la  vigueur  du 
■caractère  Scandinave. 

Et  depuis  notre  influence  déclina  de  plus  en  plus,  sans  que 
nous  nous  en  soyons  aperçus,  et  sans  que  nous  ayons  rien  tenté 
pour  la  reconquérir. 

Aujooi-d'hui.deux  causes  bien  différentes  éloignent  les  Suédois 
de  l'étude  de  la  langue  française,  qui  leur  serait  si  nécessaire 
pour  apporter  un  peu  de  clarté  dans  la  leur  ; 

1°  L'esprit  même  de  notre  littérature  .courante; 
2°  Le  peu  d'importance  du  français  au  point  de  vue  commer- 
cial. 


Les  Suédois  ont  traversé  l'histoire  en  buvant  et  en  bataillant, 
sans  jamais  beaucoup  réfléchir.  Ils  ont  gardé  au  fond  de  leur  âme 
naïve  un  besoin  d'idéal  d'autant  plus  violent  qu'il  ne  sait  au  juste 
à  quoi  se  prendre.  Enfants  d'une  nature  extravagante  et  embru- 
mée, la  clarté  les  trouble,  et,  dans  ce  qui  est  trop  clair,  ils  ne  voient 
plus  rien.  Ils  ont  des  botanistes  épris  de  la  vie  mystérieuse  des 
plantes,  des  astronomes  qui  jouent  avec  les  mondes  invisibles; 
mais  l'âme  humaine  qui  est  à  leur  portée  ne  les  intéresse  guère, 
ils  n'ont  ni  psychologues  fouilleurs  de  pensées,  ni  analystes  méti- 
culeux de  ces  pensées,  et  ils  gardent  leur  propre  intimité  jalou- 
sement voilée  pour  eux-mêmes. 

S'ils  apprécient  encore  la  beauté  de  notre  langue,  notre  litté- 
rature moderne  les  choque  et  les  ennuie;  sa  netteté  de  pointes 
sèches,  son  manque  d'idéalisme  blessent  leurs  plus  chères  ten- 
dances. Us  ne  sont  ni  assez  curieux  pour  s'intéresser  à  notre 
pensée,  ni  assez  dilettantes  ])Our  eu  goûter  la  forme  raflinée, 
mais  ils  en  sentent  tout  de  suite  ce  qu'ils  en  appellent  «  la 
pourriture  ». 

La  jeunesse,  très  peu  cultivée  au  fond,  juge  qu'elle  n'a  rien  à 
apprendre  d'un  peuple  qui  fournit  la  lignée  des  «  Courpières  », 
incapable  d'en  saisir,  sous  l'élégante  ironie,  la  portée  philoso- 
phique. Elle  se  tourne  vers  l'Allemagne,  méthodique  et  senti- 


LE  FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  la-6  —  f>0 

mentale,  dont  la  lourdeur  lui  semble  plus  nourrissante  que  notre 
grâce  fatiguée. 

C'est  en  vain  que  les  intellectuels  de  la  vieille  école,  les  pro- 
fesseurs des  universités,  qui  sentent  le  tort  que  l'abandon  du 
français  fait  aux  intelligences  Scandinaves,  déplorent  cet  aban- 
don :  pour  un  temps,  noire  vogue  est  passée. 


La  deuxième  cause  qui  a  fait,  il  y  a  quelques  années,  supprimer 
l'étude  obligatoire  de  la  langue  française  dans  les  écoles  (sans 
que  la  France  ait  fait  quoi  que  ce  soit  pour  combattre  cette  loi) 
est  d'un  ordre  purement  pratique. 

Au  point  de  vue  commercial  et  militaire,  le  français  vient  en 
Suède  au  quatrième  rang,  après  l'anglais,  l'allemand  et  le  russe; 
il  n'est  qu'une  langue  de  luxe.  Or  les  Suédois,  en  plein  déve- 
loppement industriel  et  militaire,  travaillent  par  devoir  et  non 
par  goût  et  s'écartent  tout  naturellement  d'une  langue  qui  ne  leur 
est  pas  essentiellement  nécessaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  public  suédois  aime  encore  assez  entendre 
la  langue  française  pour  faire  un  chaleureux  accueil  aux  confé- 
renciers qu'ils  vont  entendre  un  peu  comme  ils  iraient  au 
concert. 

Si  on  ne  comprend  plus  la  France  moderne  en  Suède  comme 
on  a  compris  la  France  du  xvni^  siècle,  on  en  aime  encore  la  belle 
et  douce  langue  ;  on  l'aime  avec  le  regret  de  ne  pouvoir  l'aimer 
davantage. 

La  partie  n'est  donc  pas  tout  à  fait  compromise,  et  c'est  à  nous 
seuls  qu'il  appartient  de  la  regagner. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Russie, 


Ferdinand  LANNES, 
lecteur  à  l'Université  de  Moscou. 


Quelle  est  la  situation  actuelle  de  la  langue  française  en  Russie? 
Pour  répondre  avec  une  rigoureuse  précision,  il  faudrait  élre 
muni  d'une  statistique  complète  :  il  est  facile  d'en  apercevoir  la 
difficulté.  Il  me  sera  donc  permis  d'alléguer  l'invitation  trop  tar- 
dive (à  peine  un  mois  avant  la  date  extrême  pour  la  réception 
des  rapports)  pour  accomplir  une  pareille  tâche.  Mais  j'espère 
toutefois  présenter  au  Congrès  un  document  suffisamment 
précis.  Seulement,  mon  enquête  ne  sera  que  partielle  et  aura  pour 
objet  la  langue  française  en  tant  que  langue  scientifique  et  instru- 
ment de  travail  pour  l'enseignement  supérieur.  Je  commencerai 
cependant  par  dire  quelques  mots  de  la  langue  française  dans 
son  usage  courant  et  plus  proprement  pratique,  ainsi  que  de  son 
étude  dans  l'enseignement  secondaire. 

Les  deux  langues  modernes  obligatoires  dans  les  écoles  russes 
de  garçons  sont  l'allemand  et  le  français;  elles  sont  facultatives 
dans  les  gymnases  (lycées)  déjeune  filles  (mais  obligatoires  dans 


S8  —  Ifl-7  SF.CTION   DE    PROPAGANDE 

les  instituts  ou  établissements  de  l'impératrice  Marie)  ;  la  statis- 
tique seule  nous  apprendrait  de  quel  côté  est  la  supériorité 
numérique  là  où  les  langues  sont  facultatives.  Je  crois  qu'il  existe, 
en  outre,  à  Moscou,  un  petit  nombre  de  fondations  scolaires,  où 
l'allemand  seul  est  enseigné  en  conséquence  des  rapports  com- 
merciaux entre  cette  ville  et  l'Allemagne.  Cela  établit,  pour  le 
dire  en  passant,  qu'à  Moscou,  et  généralement  en  Russie,  l'alle- 
mand est  presque  toujours  la  langue  des  affaires. 

Il  y  aurait  à  déterminer  aussi  laquelle  de  ces  deux  langues,  et 
dans  quelles  proportions,  a  la  supériorité  numérique  dans  l'en- 
semble de  la  population  russe,  mais  une  semblable  enquête  est 
pour  ainsi  dire  impossible. 

D'une  façon  générale,  on  peut  dire  que  les  Russes  savent 
probablement  moins  le  français  qu'autrefois  dans  les  hautes 
classes,  du  moins  avec  la  même  perfection  de  langage  et  la  même, 
possession  elFective  du  vocubulaire,  et  il  semble  que  les  bonnes 
et  les  inslitutrices  allemandes  soient  plus  demandées  qu'autrefois 
dans  les  familles:  ce  serait  trop  s'écarter  do  la  question  que 
d'essayer  d'en  expliquer  les  causes. 

On  pourrait  enfin  trouver  un  élément  d'information  dans 
l'œuvre  de  l'Alliance  française  qui  a  constitué  des  comités 
d'action  dans  plusieurs  villes  russes,  mais  on  ne  connaît  les 
résultats  que  pour  les  grandes  villes  :  d'ailleurs,  celte  action 
est  encore  trop  récente  pour  qu'il  soit  permis  de  s'en  former  une 
représentation  exacte  ('). 

Somme  toute,  la  situation  de  la  langue  française  paraît  satis- 
faisante selon  les  divisions  que  nous  avons  établies  jusqu'ici;  en 
tout  cas,  elle  doit  être  jugée  avec  la  perspective  du  recul  histo- 
rique. 

Avec  le  développement  de  la  conscience  russe,  la  langue  fran- 
çaise devait  peu  à  peu  perdre,  en  Russie,  sa  situation  privilégiée 
d'idiome  contrebalançant  même  l'idiome  national  dans  les 
milieux  aristocratiques  et   intellectuels  de  la  nation   dès  le 

(»)  A  Moscou,  pour  1912-1013  :  533  Russes,  3Û  Polonais.  46  Allemands, 
lOLithuaniens,  5  Arméniens,  IMahométan  (sur  un  chiffie  de  900 membres 
envii'oo). 


I.l;   FRANÇAIS    DANS    I.E   MONDE  1(1-7  —  59 

xviii'"  siècle.  Depuis  l'impératrice  Catherine,  que  d'illustrations 
glorieuses  pourraient  être  données  sur  la  prééminence  de  la 
langue  française  !  Ell«  jouissait  de  la  consécration  des  souverains 
de  la  Russie,  de  ses  hommes  d'État,  des  grands  seigneurs,  des 
penseurs  et  poètes,  de  ceux  mêmes  qui  l'adoplaient  en  se  révoltant 
contre  scn  joug  et  en  déclarant  la  guerre  à  l'inlluence  française 
sous  toutes  ses  formes.  Le  poète  «  national  »  de  la  Russie, 
Pouchkine,  écrivait  sa  correspondance  dans  la  langue  claire  et 
précise  des  idées;  l'accusateur  de  la  Russie  de  son  temps, 
Tchaadaev,  composait  en  français  son  célèbre  pamphlet  ;  le  slavo- 
phile  Khomiakov,  ennemi  de  l'esprit  sceptique  et  politique  des 
Français,  y  était  réduit  par  la  Qensure  pour  la  publication  de  ses 
œuvres  théologiques;  dans  les  années  «  vingt  «  et  «  trente  »,  un 
adepte  du  Schellingianisme  et  de  la  philosophie  allemande,  le 
prince  Odoevski,  maniait  notre  langue  avec  une  réelle  itiaîCi'ise  ; 
on  peut  même  regretter  qu'il  l'ait  approfondie  parfois  jusqu'à 
s'en  assimiler  les  calembours  et  les  crudités  (').  Dans  Vlntro- 
(luction  à  son  ouvrage,  écrit  en  français,  sur  la  Russie  et  l'Ëglise 
universelle,  le  plus  grand  des  philosophes  russes  contemporains, 
Vladimir  Soloviev,  qui  qualifia  un  jour  Renan  de  «  blagueur  », 
reconnaissait  à  la  France  «  le  privilège  d'une  action  universelle 
dans  le  domaine  politique  et  social  ». 

Sans  doute,  il  sera  toujours  légitime  de  constater  avec  regret 
celte  perte  de  la  suprématie  de  notre  langue,  mais  il  serait  puéril 
de  méconnaître  la  loi  de  nécessité  historique.  Il  faut  donc 
faire  abstraction  de  l'état  passé  pour  examiner  l'état  présent,  — 
et  j'étudierai  maintenant, —  avec  les  réserves  de  méthode  que  j'ai 
indiquées  plus  haut,  —  la  situation  de  la  langue  française  dans 
l'enseignement  supérieur  :  les  faits  me  seront  fournis  par  l'uni- 
versité et  la  faculté  historico-philologique  des  Cours  d'enseigne- 
ment supérieur  féminin  de  Moscou. 

Le  premier  document  que  je  verse  aux  débats  est  incomplet; 
il  faudra  attendre  qu'il  soit  publié  pour  en  juger  toute  la  gra- 
vité. Au  premier  Congrès  des  langues  modernes,  tenu  à  Moscou 
(fin    décembre    1912),   M.    Leist,    professeur   à  la  faculté   des 

(1)  Voir  l'ouvrage  de  M.  S.  Sakouline  (Moscou,  1913). 


60  —  1(1-7  SECTION   DE  PROPAGANDE 

sciences  et  adjoint  du  recteur,  a  fait  une  communication  sur  les 
langues  modernes  dans  les  universités  russes,  d'où  il  résulte 
que  la  langue  française  est  dans  un  état  très  sensible  d'infériorité 
par  rapport  à  la  langue  allemande. 

Si  l'on  se  reporte  maintenant  à  une  note  de  la  Revue  interna- 
tionale de  l'enseignement  (13  novembre  1912),  on  y  lira  la  dispo- 
sition récente  de  la  iaculté  historico-philologique  de  l'Université 
de  Moscou.  La  langue  allemande  devient  obligatoire  à  l'examen 
pour  tous  les  étudiants  dès  la  première  année  ;  en  second  lieu, 
au  choix,  est  exigée  une  des  trois  langues  :  anglais,  français, 
italien.  Le  jour  où  les  facultés  similaires  de  l'empire  russe  juge- 
ront nécessaire  de  prendre  une  semblable  mesure,  rien  n'em- 
pêche de  prévoir  qu'elle  sera  étendue  aux  gymnases  et  autres 
écoles  donnant  droit  d'entrée  à  l'université. 

Cette  infériorité  n'est  pas  moins  manifeste  pour  les  autres 
facultés.  Dans  le  Compte  rendu  de  l'Université  de  Moscou  pour 
l'année  1912,  je  relève  soixante-huit  titres  de  publications  du 
corps  enseignant  (des  articles  de  revues  pour  la  plupart),  insé- 
rées dans  des  revues  allemandes,  contre  six  dans  des  revues 
françaises,  et  soixante-dix-neuf  ouvrages  en  allemand  consultés 
à  la  bibliothèque  pour  les  étudiants  en  sciences  naturelles,  contre 
dix-neuf  en  français  ! 

Quels  sont  maintenant  les  OMwa^es  de  référence  en  langues  étran- 
gères dans  la  revue  des  cours  et  conférences  pour  l'année  1912- 
1913,  de  la  faculté  historico-philologique  où  l'allemand  et  le 
français  sont  les  langues  imposées  pour  l'admission  à  certains 
séminaires? 

Aucun  ouvrage  de  référence  en  français  n'est  indiqué  pour  les 
cours  suivants  :  langues  slaves  et  linguistique  (à  l'exception  de 
Meillet);  littératures  et  langues  grecques  et  latines  (à  l'exception 
de  A.  et  M.  Croiset  et  de  Chabert)  ainsi  que  pour  le  sanscrit;  sur 
Kant,  un  seul  ouvrage  (Delbos),  ainsi  que  sur  les  trois  premiers 
siècles  de  l'histoire  du  christianisme  (Duchesne  :  traduction 
russe  d'après  la  traduction  allemande),  et  pour  l'histoire  de  la 
philosophie  ancienne  (Tannery)  ;  aucun  ouvrage  français  pour 
l'histoire  de  la  littérature  latine,  pour  l'histoire  de  la  philosophie 
moderne,  pour  l'esthétique,  etc.  En  second  lieu,   l'allemand 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  Ia-7  —  61 

seul  est  exigé  pour  le  séminaire  d'histoire  romaine,  ainsi  que 
pour  la  linguistique  et  la  psychologie  ;  l'allemand  et  le  français 
pour  l'art. 

Prenons  maintenant  la  faculté  historico-philologique  des 
Cours  d'enseignement  supérieur  féminin  et  lisons  la  revue  de 
quelques-uns  des  cours  : 

1°  Sciences  philosophiques  :  quatre  cours,  quinze  ouvrages  en 
allemand,  aucun  en  français  ; 

2°  Langues  et  liltéralures  occidentales  (je  ne  tiens  pas  compte 
d'un  cours  sur  la  langue  et  la  littérature  allemandes)  :  deux 
cours.  Sur  neuf  ouvrages,  un  seul  publié  en  France  (Bourciez); 
huit  en  allemand  et  la  littérature  de  Brandès; 

3°  Art  :  un  cours  sur  l'histoire  de  l'art  français  (professé  par 
une  ancienne  élève  des  universités  françaises)  :  les  ouvrages  sont 
en  français.  Dans  deux  autres  cours,  la  langue  allemande  est 
exigée  pour  l'un; -pour  l'autre,  six  sources  sont  en  allemand,  une 
en  français. 

4°  Histoire  de  la  Grèce  :  aucune  source  en  français. 

Dans  le  programme  de  Ylnstitul  Pédagogique  pour  les  sta- 
giaires de  l'enseignement  secondaire,  on  relève  : 

1°  Méthodes  de  langues  anciennes  :  12  sources  en  allemand, 
5  en  français.  Je  ne  vois  pas  figurer,  par  exemple,  la  Méthode 
de  langue  latine  de  Gaflfiot. 

2"  Histoire  et  méthodes  des  sciences  mathématiques:  aucune 
source  en  français,  3  sources  en  allemand. 

3'  Doctrines  pédagogiques  :  Compayré  n'est  pas  cité.  Parmi  les 
auteurs  ne  figurent  ni  Rabelais,  ni  Montaigne  ;  Rousseau  est  le 
seul  pédagogue  de  langue  française  cité.  {Izvestia  Pedag.  Inst. 
imeni  Chelapoutine,  livre  I,  Moscou.) 

Veut-on,  en  outre,  un  petit  indice  de  la  décroissance  de  l'in- 
fluence de  la  langue  française?  Par  privilège  d'ancien  prestige, 
les  titres  des  publications  périodiques  universitaires  sont 
indiqués  en  russe  cl  en  français,  mais  dans  une  publication  née 
d'hier  (Université  de  Saratov)  le  titre  en  allemand  est  imprimé 


62  —  la- 7  SECTION  de  propagande 

à  côté  du  titre  en  russe  :  Annalen  der  kaiserlichen  IS'icolaus-Uni- 
versitàt. 

Et  je  terminerai  par  cette  appréciation  d'une  autorité  considé- 
rable, le  prince  S.  Troubetskoï,  philosophe,  ancien  recteur  de 
l'Université  de  Moscou  :  «  La  littérature  française,  écrivait-il 
dans  un  article  sur  Renan  (voir  Revue  internationale  de  rensei- 
gnement, 13  mars  1910),  a  cessé  de  nos  jours  d'imposer  sa  loi 
aux  autres  littératures  et  suit  ses  propres  voies,  qui  ne  nous 
sont  pas  toujom-s  compréhensibles  ou  sympathiques.»  {Œuvres, 
t.  I.  1907,  Moscou,  p.  289.) 

Ib  semble  permis  de  conclure  de  ces  faits  que  la  méthode, 
l'érudition  sont  des  monopoles  allemands  et  qu'ici  les  livres 
français  perdent  le  terrain  qu'ils  commencent  à  gagner  dans 
d'autres  pays  du  monde.  Je  reproduirai  ce  jugement  à  cet  appui  : 
«  Il  y  a  dans  des  ouvrages  qui  viennent  de  France,  ont  dit  à 
M.  Lanson  ses  collègues  américains,  avec  autant  de  science  que 
dans  n'importe  quels  autres,  plus  d'art  et  plus  de  pensée.  On 
peut  venir  dans  nos  universités  pour  apprendre  à  employer  les 
matériaux  préparés  pour  l'érudition,  et  à  bâtir  un  livre.  »  {Trois 
mois  d'enseignement  aux  États-Unis,  191  i2.) 

Pour  mieux  faire  ressortir  cette  infériorité,  et- dans  un  esprit 
absolu  d'objectivité,  il  faut  dire  tout  de  suite  que  la  Russie  a 
des  érudits  et  historiens  distingués,  qui  n'ignorent  pas  les 
choses  de  France.  Bornons-nous  à  citer  quelques  noms.  L'Uni- 
versité de  JIoscou  compte  un  Tainiste  :  le  professeur  émérite 
VI.  Guerrier,  un  des  maîtres  de  la  science  historique  (études 
sur  la  Révolution  française,  sur  Mably,  Taine,  Auguste  Comte): 
un  Rousseauiste  (M.  Rozanov)  ;  un  Molièriste  (Alexis  Veselovski); 
citons  encore:  Ivanov  (aujourd'hui  à  Niéjin);  Bôle  politique 
du  théâtre  français  dans  ses  rapports  avec  la  philosophie  du 
XVI II"  siècle  et  Saint-Simon  et. le  Saint-Simonisme ;  F.  de  La 
Barthe:  Chateaubriand  et  le  mal  du  siècle;  Recherches  dans  le 
domaine  de  la  poétique  et  du  style  romantiques  ;  S.  Kotliarevski  : 
un  livre  sur  Lamennais.  Quelques  professeurs  des  cours  d'ensei- 
gnements supérieurs  [éminins  étudient  la  littérature  et  l'histoire 
de  France  :  V'asioutinski,  Radzig,  et  particulièrement  Georges 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  Ia-7  —  63 

Veselovski,    qui  essaie  de   réhabiliter  l'art  classique  ('),  etc. 

Je  voudrais  essayer  maintenant  de  déterminer,  en  quelques 
mots,  les  causes  de  l'état  actuel,  ce  qui  fera  peut-être  voir  s'il 
y  a  quelque  chance  de  progrès  ou  si  cette  infériorité  continuera. 

Une  première  cause  est  l'organisation  des  universités  et,  d'une 
façon  générale,  de  l'instruction,  sur  le  type  allemand.  Je  l'ai 
remarqué  ailleurs,  les  premiers  professeurs  des  universités 
russes  ont  été  des  Allemands;  l'Allemagne  est  restée  le  modèle. 
Dans  les  écrits,  les  discussions  publiques,  l'orateur  ou  l'écrivain 
se  tournera  vers  l'Allemagne  et  dira  :  «  Voilà  ce  qu'on  fait  chez 
nos  voisins  de  l'Ouest.  «  Comme  les  pères  allaient  à  Gœltingue  ou 
à  Heidelberg,  les  fils  vont  continuer  leur  éducation  scientifique 
en  Allemagne,  où  les  attire  la  renommée  des  savants,  où  ils 
sont,  d'ailleurs,  plus  près  de  leur  patrie,  socialement  et  écono- 
miquement. Mais  l'attraction  n'est  peut-être  plus  aussi  irrésis- 
tible qu'autrefois  et,  hier  encore,  un  ministre  de  l'instruction 
publique  de  France,  M.  Steeg,  pouvait  parler  du  «  bloc  compact 
et  imposant  des  Russes  »  dans  les  universités  françaises.  Ecou- 
tons ce  que  dit  le  professeur  américain  Barrett-Wendell  des  étu- 
diants français  et  de  leurs  maîtres. 

Lîs  premiers  «  sont  d'intelligence  alerte,  sérieux  à  un  degré  qui 
vous  fait  rougir  intérieurement  d'être  aussi  frivoles  comparati- 
vement, d'une  énergie  intellectuelle  au-dessus  de  tout  reproche.» 
Il  appelle  les  seconds  «  des  savants  remarquables  et  accomplis  », 
juge  leur  activité  intellectuelle  «  infatigable  et  concentrée  ».  Il 
ajoute  :  «  Le  préjugé  étranger  a  coutume  de  considérer  les 
Français  comme  légers,  frivoles  et  pour  le  moins  superficiels. 
Ûuand  vous  vivez  au  milieu  de  leurs  hommes  de  science,  mêlé  au 
travail  de  leurs  existences,  vous  commencez  à  vous  demander  où 
a  bien  pu  se  former,  à  leur  propos,  une  légende  aussi  grotesque. 
Car  nul  ne  saurait  imaginer  un  travail  plus  assidu  que  le  leur  et 
plus  joyeux  dans  son  ardeur.»  {Revue  Bleue, iS  et  25  février  1911.) 
Leschitfres  suivants  convaincront  du  relèvement  des  universités 
françaises  :  au  nombre  de  1,77U  en  1900,  les  étudiants  étrangers 

(')  Voir  les  analyses  de  quelques-uns  de  ces  livres  dans  la  Revue 
internationale  de  l'enseignement. 


64  —  Ia-7  SECTION  de  propagande 

inscrits  dans  les  facultés  françaises  dépassaient,  au  31  juil- 
let 1910,  celui  de  3,800  (ibid.)-  U  y  a  donc  des  raisons  d'espérer, 
et  je  n'en  vois  pas  de  meilleures  que  celles  qui  me  sont  sug- 
gérées par  les  Mémoires  de  l'Université  impériale  de  Kazan  :  «  Les 
interrogations  à  la  Sorbonne  montrent  que  les  étudiants  ont  des 
connaissances  théoriques  supérieures  à  celles  des  étudiants  alle- 
mands. »  (Avril  1899,  p.  8.  Diebz.)  Voici,  tiré  de  la  même  publi- 
cation, un  jugement  du  docteur  Krassin  sur  la  chirurgie  française  : 
«  D'une  façon  générale,  la  technique  française  dans  les  opéra- 
tions est  de  beaucoup  supérieure,  selon  moi,  à  la  technique  alle- 
mande, et  dans  l'aseptie  les  Français  ne  le  cèdent  pas  aux  Alle- 
mands. »  (1911,  n"  4.)  (*) 

Les  Russes  font  valoir  une  seconde  cause  :  la  production  éru- 
dite  ou  scientifique  de  l'Allemagne,  non  seulement  en  travaux 
originaux,  mais  en  traductions,  est  supérieure  à  la  production 
française.  Avis  aux  savants  des  pays  do  langue  française;  avis 
aux  libraires  et  aux  éditeurs  ! 

Il  faut  ajouter  que  je  crois  que  les  professeurs  russes  donne- 
raient actuellement  une  attestation  favorable  sur  le  mouvement 
intensif  de  la  pensée  française  dans  ces  derniers  temps,  et  il  m'est 
agréable  d'indiquer  d'une  manière  topique  les  thèses  récentes  de 
MM.  Lirondelle  et  Patouillet,  qui  ont  écrit  sur  Alexis  Tolstoï  et 
sur  Ostrovski  des  livres  qui  manquaient  en  Russie,  de  l'accord 
même  de  la  critique  russe. 

Ne  pourrait-on  pas  enfin  indiquer  une  troisième  cause,  plus 
difficile  à  déterminer,  mais  non  moins  réelle  à  notre  avis;. la 
méthode  allemande  convenant  davantage  à  l'esprit  russe,  l'indif- 
férence pour  les  qualités  de  composition  et  de  plan,  pour  la 
forme  littéraire,  un  certain  préjugé  facilement  accepté,  que  les 
côtés  brillants  dans  les  œuvres  françaises  ont  parfois  pour  ran- 
çon le  manque  de  profondeur  et  l'érudition  minitieuse  ?  Il  est 
caractéristique,  en  tout  cas,  qu'à  Moscou,  Richepin  a  été  écouté 
par  800  à  900  auditeurs,  tandis  que  tel  éminent  professeur  d'uni- 

(')  Il  serait  extrêmement  utile  de  publier  le  tableau  condensé  de  l'orga- 
nisation actuelle  scientifique  de  toutes  les  universités  de  France,  avec  leur 
adaptation  aux  besoins  économiques  régionaux,  etc. 


I.E   FRANÇAIS    DANS    LE   MONDE  Irt-7  —  65 

versité,  de  la  Sorbonne  ou  d'ailleurs,  pariera  devant  un  public 
infiniment  plus  restreint.  Toutes  les  observations  convergent 
donc  vers  un  résultat  qui  s'atlirme  :  la  littérature  prime,  l'érudi- 
tion —  pourtant  élégante  et  précise  —  n'excite  pas  le  même 
intérêt. 

En  résumé,  la  langue  française  subit  en  Russie  une  crise  par- 
tielle :  nous  entendons  par  là  la  crise  de  la  langue  de  la  science 
et  de  l'érudition.  Nous  ne  nous  piquons  nullement  d'en  marquer 
les  limites  ou  d'en  indiquer  la  durée. 

Mais,  quoique  l'importance  des  universités  soit  primordiale 
dans  un  pays,  la  science  patronnée  par  leurs  maîtres  ne  suflit  pas 
à  donner  la  direction  intellectuelle  totale.  A  côté  de  l'érudition 
scientifique  s'imposent  les  découvertes  du  génie,  les  créations  de 
l'art,  de  la  vie,  de  la  politique.  Si  la  France  est  jugée  inférieure 
dans  le  domaine  de  l'érudition  (ne  serait-il  pas  à  propos  de  rap- 
peler qu'elle  a  aussi  été  la  première  dans  ce  domaine  ?),  il  ne  faut 
pas  oublier  d'autre  part  que  c'est  un  Russe  qui  a  indiqué  la 
supériorité  de  la  langue  française  en  tant  que  langue  auxiliaire  de 
civilisation  ('),  pendant  que  tel  autre  des  représentants  les  plus 
êminents  de  la  race  russe  a  manifesté  dans  cette  langue  le  génie 
dont  cette  race  est  capable  {'^). 

('j  Le  sociologue  Novikov. 

(•■')  Mktchnirov,  de  l'Institut  Pasteur. 


I   —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRVNÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  Langue  française  en  Pologne  russe, 


AliEL  MANSUY, 
lecteur  à  l'Université,  présùdent  de  l'Alliance  française  de  Varsovie. 


Les  progrès  de  la  langue  tVanraise  en  Pologne  sont  attestés  par 
des  faits  de  divers  ordres.  Les  principaux  de  ces  faits  sont  : 

1"  La  présence  en  France  et  en  pays  de  langue  française  d'un 
nombre  sans  cesse  croissant  de  Polonais  ou  d'habitants  de 
la  Pologne  appartenant  à  d'autres  nationalités  ou  à  d'autres 
races  ; 

2°  Le  besoin  croissant  à  Varsovie  d'une  langue  qui  ne  soit  ni 
le  polonais,  ni  le  russe,  ni  l'allemand  ;  la  ville  prenant  un  carac- 
tère de  plus  en  plus  International  ; 

3"  La   situation   faite  au   français  dans    les    établissements 
d'instruction,  soit  par  suite  de  modifications  introduites  dans  les 
programmes,  soit  par  suite  de  circonstances  d'ordre  purement 
moral; 
.    4°  Le  réveil  de  l'activité  française  en  Pologne  russe  ; 

5°  Le  chiflre  de  livres  français  veadus. 


68  —  In-8  SECTION  de  propagande 

1.  Le  français  a  toujours  été  en  Pologne  une  langue  familière 
à  l'aristocratie  ;  or,  on  a  constaté,  durant  ces  dernières  années, 
l'acquisition  par  un  certain  nombre  de  grandes  familles  de  nou- 
velles propriétés  en  France,  d'où  l'on  multiplie  les  invitations  à 
des  parents  ou  amis  restés  en  Pologne.  De  tels  faits  prouvent  que 
l'importance  du  français  dans  les  réunions  mondaines  n'a  pas 
diminué,  et  ne  promet  pas  actuellement  de  faiblir.  Les  Polonais 
sont  de  plus  en  plus  nombreux  à  Nice  ou  dans  les  environs  ;  l'été, 
ils  abondent,  depuis  quelque  temps,  en  Normandie,  à  Arcachon 
etàl'îled'Oléron. 

Après  1815,  1830,  1863,  on  a  vu  affluer  en  France  des  exilés 
politiques  appartenant  plutôt  à  ce  que  nous  appellerions  le  pro- 
létariat intellectuel,  figures  admirables  souvent,  pitoyables  par- 
fois, n'ayant  généralement  guère  le  sens  des  réalités  de  la  vie,  des 
romantiques  en  action.  Paris  était  leur  quartier  général  ;  leur 
intellectualisme  se  résumait  en  deux  mots  :  poésie  et  politique. 
Les  intellectuels  polonais  qu'on  trouve  maintenant  en  France 
joignent  au  culte  de  ces  traditions  d'autres  préoccupations;  les 
grands,  instituts  commerciaux,  techniques,  scientifiques  de 
France,  de  Belgique,  de  Suisse  exercent  sur  eux  une  puissante 
attraction.  Il  y  a  quinze  ans,  on  ne  comptait  pas  un  étudiant  polo- 
nais à  Nancy  :  ils  y  sont  assez  nombreux  maintenant  pour  y  avoir 
une  bibliothèque  et  un  club.  Je  puis  d'autant  moins  ignorer  leur 
présence  à  Verviers,  Liège,  Anvers  que  plusieurs  sont  allés  dans 
ces  trois  villes  sur  mes  propres  indications.  Ils  abondent  à 
Genève  depuis  longtemps  et  leur  nombre  à  Lausanne  s'est  élevé 
de  beaucoup  ;  maintenant  Fribourg  et  Neuchâtel  ont  su  en 
attirer  un  chiffre  respectable,  avec  l'appui  des  prêtres  catholiques. 
Leur  dispersion  môme  en  différentes  villes,  leur  répartition  en 
différentes  branches  scientifiques,  les  font  mieux  entrer  dans  l'es- 
prit de  notre  culture;  le  glorieux  souvenir  laissé  par  Stanislas 
Leczinski  à  Nancy  exerce  sur  eux  une  action  plus  bienfaisante 
et  moins  décevante  que  les  déclamations  romantiques  dont  on 
berçait  leurs  pères  jadis.  C'est  en  Pologne  même  que  le  contre- 
coup, lent  et  paisible,  de  toute  cette  action  franco-belgo-suisse  se 
fait  sentir.  Il  est  rare  qu'un  voyage  de  jeune  homme  en  France 
n'amène  pas  au  français  toute  une  série  de  personnes  amies. 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  Ia-8  —  69 

L'interruption  totale  des  cours  de  l'Université  de  Varsovie,  de 
1903  à  1908,  le  boycottage  de  cette  université  par  les  Polonais 
depuis  1908,  boycottage  atténué  maintenant,  mais  qui  n'a  pas 
pas  encore  pris  fin,  a  fait  de  cet  exode  de  la  jeunesse  polonaise 
une  sorte  de  devoir,  et  tout  au  moins  a  créé  des  habitudes.  Il  en 
résulte  que  cette  jeunesse,  qui  se  renouvelle  d'année  en  année, 
finit  par  être  très  nombreuse,  plus  nombreuse  et  plus  utile  à 
notre  langue,  à  notre  culture,  que  celle  de  jadis. 

A  l'élément  polonais  proprement  dit,  s'ajoute  l'élément 
Israélite  :  la  guerre  russo-japonaise,  les  troubles  révolution^ 
naircs  qui  l'ont  accompagnée,  le  maintien  indéfini  de  certaines 
restrictions  apportées  aux  droits  d'accession  des  Israélites  aux 
carrières  libérales,  ont  créé  aussi  un  mouvement  d'émigration 
en  France  dans  la  jeunesse  juive  masculine  ou  féminine.  De 
nombreux  mariages  de  Polonaises  ou  de  juives  polonaises  avec 
des  intellectuels  français  ont  donné  à  leurs  bénéficiaires  dans  le 
monde  varsovien  le  prestige  d'une  sorte  d'anoblissement.  On 
veut  suivre  de  si  beaux  exemples,  faire  une  carrière  semblable. 
Les  journaux  notent  la  place  occupée  au  Salon  par  les  artistes 
polonais,  les  artistes  eux-mêmes  citent  Landowski,  etc.,  et  disent 
aux  jeunes 'la  nécessité  qu'il  y  a  pour  eux  de  se  faire  consacrer 
à  Paris.  D'autres  citent  les  noms  de  Dybowski,  de  Strowski,  de 
KIobukowski.  Les  Israélites  partant  de  cette  idée  que  le  libraire 
parisien  Natanson  est  Varsovien,  que  le  directeur  de  la  Revue, 
.lean  Finot  (Finkelhaus),  est  Varsovien,  se  passionnent  pour 
Natanson  auteur  dramatique,  pour  Bernstein,  pour  Bergson 
même,  dont  on  fait  un  descendant  d'Israélites  varsoviens.  Je  ne 
dirai  rien  de  M""  Curic-Skladovvska  :  le  prestige  de  son  nom  sur 
les  jeunes  imaginations  polonaises  résiste  à  l'etfondrement  de  sa 
gloire. 

Je  ne  citerai  que  pour  mémoire  l'envoi  régulier  en  France, 
depuis  quelques  années,  d'ouvriers  agricoles  :  ou  ces  ouvriers 
restent  en  France  et  se  francisent,  ou  ils  rentrent  dans  leur  pays 
et  oublient  le  peu  de  mots  qu'ils  ont  appris.  Pourtant,  si  le  mou- 
vement s'accentuait,  il  mériterait  à  l'avenir  quelque  attention. 
Disons  que  c'est  peu  probable,  et  concluons,  au  sujet  de  l'immi- 
gration polonaise  en  France,  qu'elle  a  et  ne  peut  manquer  d'avoir 


70  —  In-8  SECTION    DE    PROPAGAKDE 


un  contre-coup  fort  henreux  sur  la  diffusion  du  français  en 
Pologne. 


Ugl 


2.  Mais  le  français  n'est  pas  seulement  une  langue  considérée 
comme  permettant  à  ceux  qui  la  possèdent  d'aller  en  France  et 
peut-être  d'y  faire  une  carrière.  C'est  une  langue  dont  l'emploi 
sur  place  va  se  développant.  L'accaparement  incontestable  de 
certaines  professions,  de  certains  emplois  publics  par  les  femmes 
est  un  premier  fait  qui  permet  de  constater  les  progrès  du  fran- 
çais. Fort  peu  nombreux  jadis,  et  même  il  y  a  pou  de  temps, 
étaient  les  employés  des  postes  et  télégraphes,  et  même  les 
employés  des  grandes  maisons  de  commerce  qui  parlaient  fran- 
çais; l'invasion  de  Ja  femme  dans  les  bureaux  de  tout  genre  a 
sensiblement  modifié  la  situation,  et  cela  d'une  fa<,on  pour  ainsi 
dire  automatique,  sans  que  pei-sonne  ait  réclamé  en  faveur  du 
français. 

Un  second  fait,  c'est  le  caractère  déplus  en  plus  international 
pris  par  Varsovie  (qui  donne  le  ton  à  toute  la  Pologne).  Pour 
nombre  d'étrangers  qui  croient  souvent  leur  séjour  en  Pologne 
purement  provisoire  et  qui,  pourtant,  y  sont  depuis  de  longues 
années,  le  français  est  la  langue  qui  «  les  sauve  ».  L'accrodsse- 
ment  assez  rapide  du  nombre  des  Busses  en  Pologne,  loin  de 
Buire  au  français,  le  sert,  pour  cette  raison  que  les  contacts  se 
multiplient  entre  Russes  et  Polonais.  Or,  chacun  de  ces  deux 
éléments  ayant  peu  de  plaisir  à  parler  la  langue  de  l'autre,  le 
besoin  d'une  langue  neutre  et  sympathique  à  l'un  comme  à 
l'autre  fait  employer  aux  Russes,  comme  aux  Polonais,  la  langue 
française  le  plus  fréquemment  que  faire  se  peut.  11  est  à  remar- 
quer que  le  gouvernement  russe,  désireux  de  russifier  le  pays, 
mais  en  même  temps  de  donner  à  cette  russification  sa  forme  la 
moins  choquante,  la  plus  accommodante,  introduit  volontiers 
la  jeune  fille  ou  la  femme  russes  dans  les  nouneaux  emplois 
qu'il  attribue  à  l'élément  russe.  Par  là,  d'une  façon  indirecte,  il 
multiplie  lui  aussi  le  nombre  des  personnes  en  contact  avec  le 
public  et  susceptibles  de  parler  le  français,  l'employé-homme  se 
contentant  plus  fréquemment  de  ne  parier  que  sa  langue. 

Depuis  quelques  années,  il  a  été   beaucoup   question   du 


LE   FRANÇAIS   DANS   I,E   MONDE  Ifi-8    —  7f 

boycottage  des  Allemands  ou  des  juifs  en  Pologne  :  la  chose  a  eu, 
et  a  encore  peut-être  maintenant,  moins  d'importance  qu'on  n'a 
bien  voulu  le  dire.  En  ce  genre  dîaffaires,  il  y  a  toujours  une 
part  de  bluff'  qu'il  ne  faut  pas  négliger  :  pourtant  il  est  sûr  que 
ces  mouvements  d'opinion  ont  amené  l'élément  commerçant 
polonais  à  entamer  des  relations  avec  des  maisons  françaises, 
grâce  auxquelles  il  s'est  efforcé  d'échapper  au  quasi-monopole 
de  l'Allemagne  en  Pologne,  et  que,  d'autre  part,  l'élément  juif, 
surveillant  cet  effort,  a  pris  tout  de  suite  le  même  chemin  pour 
enlever  à  l'élément  catholique  jusqu'à  l'ombre  d'un  avantage. 
Tout  ceci  a  contribué  à  augmenter  l'emploi  du  français  dans  le 
monde  des  affaires. 

Enfin,  dirai-je  que  le  journalisme  polonais  me  semble  avoir 
des  représentants  plus  incontestablement  imprégnés  de  culture 
française  qu'il  y  a  dix  ans?  L'usage  qui  est  fait,  dans  les  journaux 
polonais,  des  coupures  de  journaux  français  est  journalier  et  tel- 
lement abondant  qu'il  n'essaie  même  pas  de  se  dissimuler.  De 
plus,  il  est  certain  que  Le  Figaro,  Le  Gil-Blas,  la  Revue  des 
Français,  La  Vie,  La  Revue  ont  des  collaborateurs  polonais  dont 
le  plus  grand  nombre  et  les  plus  influents  ne  me  paraissent  pas 
être  ceux  qui  résident  à  Paris.  Ces  collaborateurs  n'en  sont  que 
plus  empressés  à  répandre  autour  d'eux  les  publications  ou  les 
journaux  dans  lesquels  leur  prose  trouve  une  place  parfois  assez 
belle.  Il  est  sûr,  à  l'heure  actuelle,  qu'aucun  journaliste  ne  peut 
espérer  faire  une  carrière  en  ne  sachant  que  le  polonais  :  il  lui 
faut  au  moins  savoir  la  langue  du  libéralisme  européen.  Le  fait 
môme  qu'il  existe  à  la  Douma  une  députation  polonaise  fait  un 
devoir  à  ceux  qui  aspirent  à  en  être,  de  parler  la  langue  dans 
laquelle  (dans  les  réunions  privées)  on  causera  avec  les  Russes, 
et  dans  laquelle  aussi  on  exposera,  pour  le  public  européen,  dans 
des  brochures  ou  des  journaux,  la  situation  telle  qu'on  veut  la 
faire  voir.  Si  belle,  si  pleine  de  dignité  que  soit  la  langue  polo- 
naise, c'est  une  impasse  au  même  titre  que  toutes  les  langues 
sans  caractère  international  et  visiblement  sans  avenir  interna- 
tional. A  ce  point  de  vue  aussi,  le  français  est  un  instrument  actif 
de  développement  de  la  vie  sociale  polonaise,  un  complément 
dont  les  Polonais  ne  peuvent  se  passer  sans  se  «uicider,  l'aile- 


72  —  Ia-8  SECTION    DE    PROPAGANDE 

mand  ne  pouvant  évidemment  jouer  pour  eux  le  même  rôle, 
l'anglais  leur  étant  en  général  inconnu,  et  les  journaux  anglais 
acceptant  d'ailleurs  des  articles  en  français  de  personnalités 
appartenant  aux  nationalités  à  public  restreint. 

Il  en  est  de  même  au  point  de  vue  littéraire  :  le  critérium,  pour 
juger  d'un  écrivain,  reste  le  succès  ou  l'insuccès  de  la  traduc- 
tion d'une  de  ses  œuvres  en  français.  Si  Sienkiewicz  a  écrit  en 
polonais,  ce  sont  les  traductions  françaises  de  Kozalùewicz  qui 
l'ont  fait  connaître  au  monde.  C'est  aux  traductions  de  M.  Casin 
que  Reymonf  doit  d'être  quelqu'un  dont  on  parle  un  peu.  Ceux 
qui  n'ont  pas  eu  les  honneurs  de  la  traduction  française  les 
désirent;  ceux  qui  ont  cessé  d'y  aspirer  sont  regardés  comme 
finis.  Tout  ceci  en  dit  long  aux  gens  de  lettres  Sur  l'utilité  du 
français,  et  s'il  y  a  des  rebelles,  ils  sont  de  plus  en  plus  discrets, 
de  moins  en  moins  convaincus,  de  moins  en  moins  nombreux. 
Ils  savent  bien,  du  reste,  que,  pour  eux  non  plus,  l'allemand  ne 
peut  jouer  le  rôle  du  français.  Ils  savent  bien  que  l'allemand  ne 
fait  pas  volontiers  la  fortune  des  littérateurs  à  public  restreint, 
à  moins  que  ce  ne  soit  pour  s'en  servir  à  gagner  et  à  absorber  ce 
public.  Four  juger  du  prestige  dont  jouissent  notre  langue  et 
notre  culture  en  Pologne,  point  n'est  besoin  de  mentionner  les 
Polonais  qui,  çà  et  là,  écrivent  joliment  le  français  en  prose  et 
en  vers  :  il  me  suffira  de  citer  un  livre  en  polonais,  mais  qui 
mériterait,  autant  que  tel  livre  d'un  Américain  sur  la  France, 
d'être  traduit  en  français.  Dans  Bahylone,  M.  St.  Gonsiosowski 
démontre  que  Paris  est  tout  autre  chose  que  la  Babylone 
cherchée  par  de  nombreux  dévoyés  à  l'étranger.  C'est  là  un 
ouvrage  qui  honore  à  la  fois  son  auteur  et  la  France,  et  dont  le 
succès  nous  a  charmés  autant  que  servis. 

3.  Dans  le  monde  des  écoles,  la  période  qui  s'étend  de  1906 
à  1913  a  été  signalée  par  des  événements  qui  n'ont  pas  été  sans 
exercer  une  influence  assez  sérieuse  sur  l'enseignement  de  la 
langue  française.  Le  gouvernement  russe  ayant,  à  la  suite  du 
Manifeste  impérial  de  1903,  accordé  aux  Polonais  un  certain 
nombre  de  libertés,  il  a  cru,  pour  mettre  l'enseignement  en  har- 
monie avec  le  nouvel  état  de  choses,  devoir  autoriser  les  Polonais 


r,E  FRANÇAIS   DANS    I.E   MONDE  Ia-8  —  73 

à  ouvrir  des  écoles  privées  où  l'enseignement  serait  donné  en 
langue  polonaise  et  par  des  Polonais  (exception  faite  pour  l'his- 
toire et  la  géographie).  Aussitôt,  il  se  fonda  partout  un  nombre 
considérable  d'écoles  polonaises.  Ces  écoles  parurent  d'abord 
concurrencer  dangereusement  les  gymnases  et  autres  écoles  de 
l'État  où  l'on  enseignait  en  russe;  mais,  comme  les  diplômes 
qu'on  y  recevait  n'avaient  aucune  valeur  légale,  les  écoles  russes 
«  avec  droits  »  ne  s'en  remplirent  pas  moins.  Le  résultat  fut 
donc  la  multiplication  du  nombre  des  écoles  et  des  élèves  :  il  y 
avait  encombrement  dans  les  établissements  d'enseignement 
avant  J90o;  à  l'heure  actuelle,  si  grand  a  été  l'entraînement  que 
le  même  encombrement  subsiste,  bien  que  le  nombre  des  écoles 
(tant  russes  que  polonaises)  ait,  dans  l'ensemble,  plus  que  triplé. 
Dans  toutes  ces  écoles  sont  enseignés  le  français  et  l'allemand  : 
le  nombre  des  jeunes  gens  des  deux  sexes  étudiant  ces  deux 
langues  s'est  donc  considérablement  élevé.  Mais  si  l'on  songe  que 
c'est  surtout  la  classe  des  petits  marchands,  des  gens  de  métier, 
des  employés  de  commerce  qui  a  ainsi  grossi  les  rangs  des  élèves 
de  l'enseignement  secondaire,  et  si  l'on  songe  que  personne  jus- 
qu'alors dans  cette  catégorie  de  jeunes  gens  ne  soupçonnait  ce 
que  pouvait  être  la  langue  française;  si  l'on  veut  bien  constater 
que  cet  élément  de  la  population  comprend  une  forte  proportion 
de  juifs  parlant  l'allemand  à  la  maison,  il  apparaîtra  clairement 
que  c'est  le  français  qui  a  le  plus  profité  de  ce  prodigieux  essor  des 
écoles  dans  notre  région. 

Une  modification  survenue  dans  les  programmes  accuse  ce 
bénéfice  plus  fortement  encore.  Tandis  que  jusqu'alors  une 
langue  étrangère  était  obligatoire  (le  français  ou  l'allemandi,  deux 
langues  sont  maintenant  exigées.  Les  jeunes  gens  que  le  voisinage 
de  l'Allemagne  invitait  précédemment  à  étudier  l'allemand  à 
raison  des  relations  économiques  multiples  qui  lient  la  Pologne 
russe  aux  pays  de  langue  allemande,  no  sont  donc  plus  privés  de 
la  possibilité  d'apprendre  le  français  :  il  n'y  a  plus  nécessité  de 
choisir  entre  deux  besoins,  l'un  plus  immédiat  que  l'autre,  entre 
des  intérêts  et  des  sympathies,  La  langue  française  a  donc  égale- 
ment plus  profité  que  l'allemand  de  cette  moditication  apportée  aux 
programmes  de  l'enseignement  secondaire. 


74  —  Irt-8  SECTION    DE   PROPAGANDE 

Leboycottagedel'Universitc  (russe)  de  Varsovie  parla  jeunesse 
polonaise  a  eu,  comme  nous  l'avons  vu,  pour  principal  ettet  d'aug- 
menter, les  connaissances  en  français  d'un  grand  nombre  de 
jeunes  gens  qui  oui  fait  leurs  études  en  France  môme.  Il  a  eu  un 
autre  effet  inattendu  sur  la  jeunesse  universitaire  russe  de  Varso- 
vie :  les  Russes  ne  constituaient  jusqu'alors  qu'une  infime  mino- 
rité dans  celte  université,  la  grève  des  étudiants  polonais  expo- 
sait donc  les  professeurs  à  faire  leurs  cours  devant  des  auditoires 
extrêmement  réduits.  L'octroi  par  le  ministre  de  l'Instruction 
publique  au^  élèvesdes  séminaires  russes  du  droit  d'entrée  (après 
examen)  à  lUniversité  de  Varsovie,  attira  dans  cette  Université 
une  foule  de  jeunes  gens  dont  un  certain  nom^bre  savait  l'alle- 
mand, mais  dont  aucun  ne  savait  le  français,  cette  langue  n'étant 
pas  inscrite  parmi  les  matières  faisant  partie  du  programme  des 
séminaires.  Ceci  se  passait  en  septembre  1908  :  ces  jeunes  gens 
qui,  sans  cette  circonstance,  n'eussent  jamais  appris  le  français, 
durent  donc  en  commencer  l'étude,  et,  leurs  connaissances  ne 
pouvant  donner  les  satisfactions  qu'on  pouvait  attendre  des  étu- 
diants ayant  une  autre  origine,  l'on  en  vint  tout  naturellement, 
pour  remédier  à  ce  mal,  à  introduire  la  langue  française  dans  le 
programine  même  des  séminaires. 

En  tout  ceci,  nous  n'envisageons  que  les  progrès  des  jeunes 
gens  qui  apprennent  le  français  pour  lire  les  livres  français,  pour 
parler  notre  langue  ou  pour  l'écrire.  Il  y  a  lieu  de  pasrler  de  ceux 
qui  se  préparent  à  l'enseigner. 

Une  commission  d'examen  siégeant  quatre  fois  l'an  décemedes 
diplômes  de  «professeur  d'enseignement  privé  »  ou  même  de 
«professeur  de  gymnase  ou  de  progymnase».  Or,  bien  que  les 
luthériens  soient  nombreux  dans  la  région,  qu'ils  parlent  alle- 
mand et  que  les  cérémonies  du  cufte  se  fassent,  en  général,  en 
allemand,  bien  qu'une  nombreuse  colonie  de  sujets  allemands 
(35,000  à  Varsovie)  rendent  la  connaissance  de  l'allemand  assez 
facile  à  acquérir,  le  nombre  des  candidats  aux  diplômes  précités 
pour  i'enseignemerït  du  français  est  au  moins  égal,  quelquefois 
supérieur  au  nombre  des  candidats  qui  veulent  enseigner  l'alle- 
mand, et  les  exigences  élevées  par  les  examinateurs  de  français 
ne  sont  assurément  pas  moindres.  J'ai  été  témoin  de  ce  fait  sur 


lE   FRANÇAIS    DANS    I.K    MONDE  Irt-8  —  76 

leffuel  les  examiiiaieurs  eux-mêmes  avaient  attiré  mon  attention. 

De  plus,  il  existe  à  Varsovie  deux  institutions  préparant  à 
l'enseignement  des  professeurs  de  langue  :  1°  les  classes  pédago- 
giques prés  le  premier  gymnase  de  demoiselles  qui  reçoivent 
uniquement  des  jeunes  filles  russes  appelées  à  enseigner  dans  des 
gymnases;  2°  les  cours  pédagogiques  prés  le  quatrième  gymnase  de 
garçons,  ouverts  aux  deux  sexes  et  aux  jeunes  gens  de  toutes  les 
confessions.  Les  classes  pédagogiques  existent  depuis  plus  de 
vingt  ans;  on  peut  donc  juger  de  l'atlrait  qu'exercent  les  deux 
langues  qu'on  y  enseigne.  Or,  une  infraction  a  été  faite  ici,  unique- 
ment en  faveur  de  rallemand,  à  la  règle  qui  réserve  l'entrée  de  ces 
cours  aux  seules  jeunes  filles  russes  orthodoxes  :  les  luthériennes 
sont  admises,  concuri-emment  avecles  orthodoxes,  à  entrer  dans  la 
classe  allemande.  Pourtant,  malgré  tout,  /e  nombre  des  candidates 
au  concours  d'entrée  reste  inférieur  pour  l'allemand,  vl  la  connais- 
sance même  que  possèdent  de  l'allemand  les  candidates  admises 
est,  de  l'avis  des  examinateurs  allemands  eux-mêmes,  inférieure  à 
la  connaissance  que  possèdent  du  français  les  candidates  entrant 
à  la  section  française.  Il  y  a  plus:  bien  que  les  luthériennes  ne 
puissent  espérer  entrer  dans  la  section  française  que  si  les  ortho- 
doxes ayant  satisfait  à  l'examen  d'entrée  sont  trop  peu  nom- 
breuses, bien  que  cette  supposition  soit,  en  général,  considérée 
comme  d'une  réalisation  tout  à  fait  improbable,  presque  à  chaque 
concours,  l'on  voit  des  luthériennes  se  présenter  à  l'examen  de 
français.  13  étudiantes  au  minimum,  20  au  maximum  sont 
admises  dans  chacune  des  sections:  cette  année,  29  candidates 
ont  concouru  pour  l'allemand,  42  pour  le  français. 

Le  cours  pédagogique  près  le  quatrième  gymnase  de  garçons 
commence  sa  deuxième  année  d'existence  :  le  nombre  des 
élèves  qu'on  y  admet  n'est  pas  limité.  Il  a  été  dans  la  proportion 
de  3  pour  l'allemand  à  8  pour  le  français.  Mais  comme  il  serait 
téméraire  de  tirer  des  conclusions  d'une  expérience  si  courte, 
abstenons-nous  de  toute  conclusion,  en  constatant  du  moins 
que  ce  début  ne  nous  est  pas  défavorable. 

La  situation  de  la  langue  française  dans  les  établissements 
d'enseignement,  telle  qu'elle  résulte  des  programmes,  des  cir- 
constances locales  et  de  l'état  d'esprit  de  la  jeunesse  studieuse. 


76  —  In-8  SECTION  de  propagande 

peut  donc  être  regardée  par  nous  comme  bonne,  sans  qu'il  y 
ait  lieu  de  craindre  qu'on  nous  accuse  de  présomption. 

4.  Au  reste,  les  Français  de  la  région,  assez  peu  nombreux, 
mais  représentant  des  intérêts  considérables,  déploient  une  acti- 
vité qui  va  croissant,  se  réglant  et  coordonnant  de  plus  en  plus 
ses  efforts.  Leur  nombre  est  inférieur  à  2,000  et  ils  sont  dis- 
persés à  Czenstochowa,  Dombrowa,  Sosnowice,  Nowo  Radoni, 
Lodz,  Varsovie  et  autres  lieux;  mais  si  l'on  groupe  en  un 
faisceau  les  mines,  usines  métallurgiques,  électriques,  tissages, 
filatures,  etc.,  qu'ils  exploitent  à  l'aide  de  capitaux  français,  on 
constate  qu'ils  dirigent  une  armée  de  30,000  ouvriers.  Toutes 
ces  entreprises  sont  en  pleine  prospérité  :  il  y  a  lieu  de  noter 
que  les  Français  du  département  du  Nord  jouent  ici  un  rôle  de 
premier  ordre.  Fait  typique,  la  Société  d'éclairage  électrique  de 
la  ville  de  Varsovie,  d'abord  franco-allemande  et  dirigée  par  un 
Allemand,  a  pris  ungrandessor  du  jouroù  le  directeur  allemand 
a  fait  place  à  un  ingénieur  français  du  Nord.  Les  industries 
belges  de  la  région  (céramique,  etc.)  n'étant  nullement  en 
concurrence  avec  les  sociétés  françaises,  mais  les  unes  com- 
plétant plutôt  les  autres,  il  régne  une  incontestable  cordialité 
entre  Français  et  Belges  en  Pologne.  Une  chambre  de  commerce 
française  est  actuellement  en  formation  :  son  siège  est  Varsovie  et 
elle  comprendra  un  certain  nombre  de  personnalités  polonaises. 

Au  point  de  vue  du  développement  de  la  langue  française,  la 
prospérité  des  colonies  françaises  de  la  Pologne  russe  est  un 
fait  fort  important.  Les  établissements  français  sont  très  recher- 
chés et  les  employés  ou  techniciens  polonais  possédant  le  fran- 
çais s'efforcent  à  l'envi  d'y  entrer  en  service.  D'autre  part,  la 
puissante  société  métallurgique  la /iw/a  Banfeou'a  (Dombrowa), 
la  société  Motte  et  C/"  (Czenstochowa),  la  société  AUart,  Rousseau 
et  C''=  (Lodz)  ont  créé  pour  les  enfants  de  leurs  employés,  tant 
français  que  polonais,  des  écoles  françaises.  Des  cercles  français, 
mais  ouverts  à  tous  les  employés  sans  distinction,  existent  à 
Czenstochowa,  à  Dombrowa,  à  Nowo  Radom,  à  Varsovie.  Des 
salles  de  spectacle  où  l'on  joue  en  français  existent,  depuis  dix 
ans,  à  Czenstochowa  et  à  Dombrowa.  L'un  des  derniers  directeurs 


LE    FRANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  In-8  —  77 

de  la  maison  Allart,  à  Lodz,  a  créé  et  formé  une  troupe  d'ama- 
teurs lyançais  et  polonais  qui,  jouant  B/a?jc/ie//e,  de  Brleux,  devant 
un  public  surtout  allemand,  a  tiré  d'une  seule  représentation  au 
profit  des  sinistrés  italiens  du  tremblement  de  terre  de  Messine, 
8,000  francs  nets,  et,  d'une  représentation  postérieure  au  profit 
des  inondés  parisiens,  40,000  francs. 

Enfin,  en  1910  (novembre),  a  été  créée  à  Varsovie  une  section 
de  l'Alliance  française  «  dont  le  rayon  s'étend  sur  les  dix  gou- 
vernements du  royaume  de  Pologne  »  ;  dès  1911,  l'action  de 
l'Alliance  française  de  Varsovie  s'est  étendue  à  Lodz;  dès  1912, 
à  Dombrowa.  Des  conférences  (deux  par  mois  en  moyenne)  ont 
été  organisées,  à  Varsovie  d'abord,  puis  à  Lodz  et  à  Dombrowa: 
les  membres  de  l'Alliance  française  (150  d'abord,  500  ensuite) 
renforcés  par  un  public  nombreux  et  choisi,  ont  voulu  entendre 
des  personnalités  comme  MM.  D'Arsonval,  de  l'Académie  des 
sciences;  Delbet,  de  l'Académie  de  médecine;  Jean  Uichepin,  de 
l'Académie  française;  Ch.  Diehl,  de  l'Académie  des  inscriptions; 
Lacour-Gayet,  de  l'Académie  des  sciences  morales,  Paul  Renard 
(commandant),  du  Parc  aérostatique  de  Chalais-Meudon;  Henri 
Lichtenbergcr,  professeur  de  Sorbonne;  André  Lichtenberger, 
le  romancier  bien  connu,  etc.,  etc.  Ils  ont  entendu  avec  un 
bienveillant  et  inlassable  intérêt  les  conférences  données  sur 
les  écrivains  français  ou  des  provinces  françaises  par  des  Finan- 
çais de  Varsovie  ou  de  Lodz.  Ils  ont  eu  l'exlréme  satisfaction 
d'entendre  parler,  en  un  français  fort  bon,  plusieurs  Russes  ou 
Polonais,  dont  M""  loteyko,  du  Laboratoire  de  pédologie  de 
Bruxelles. 

L'Alliance  a  créé  à  son  tour  une  troupe  do  théâtre  d'amateurs, 
qui,  depuis  deux  ans,  n'a  pas  donné  moins  de  dix  pièces  et 
plusieurs  soirées-concerts.  Il  est  impossible  de  passer  sous 
silence  le  fait  que  la  presse  fait  l'accueil  le  plus  chaud  aux 
représentations  de  l'Alliance  française,  qui  sont  extrêmement 
courues  et  d'une  belle  tenue  :  il  est  certain,  par  exemple, 
qu'une  pièce  en  vers,  comme  le  Flibustier,  de  Richepin,  est  diffi- 
cile à  lancer  devant  le  public  d'une  grande  ville  comme 
Varsovie,  et  pourtant  cette  pièce  a  fort  bien  réussi. 

Depuis  1911,  l'Alliance  française  possède  une  bibliothèque  et 


78  —  la  8  SECTIOS    DE   PROPAGAKDE- 

une  salle  de  lecture,  de  plus  en  plus  fréquentées  à  mesure 
qu'elles  s'enrichissent  ;  plus  d'un  millier  de  volumes  ont  été 
achetés,  beaucoup  de  dons  nous  sont  venus.  S'il  nous  était  pos- 
sible de  développer  rapidement  notre  bibliothèque  (le  prêt  des 
livres  est  gratuit)  et  aussi  de  multiplier  indéfiniment  le  nombre 
de  nos  journaux  et  de  nos  revues,  on  s'apercevrait  vite  que  ce 
n'est  pas  le  public  qui  nous  manque,  mais  que  c'est  nous  qui 
n'arrivons  pas  à  le  satisfaire..  Malheureusement  nos  ressources 
sont  limitées. 

Depuis  1911  également,  l'Alliance  française  a  son  organe 
ofliciel,  Le  Bulletin  français  de  Varsovie,  qui  paraît  chaque  fois 
qu'il  y  a  lieu  d'annoncer  une  conférence,  une  représentation, 
une  soirée  de  la  société,  mais  qjii  contient  aussi  des  nouvelles 
ou  des  articles  de  nature  à  intéresser  notre  public.  Ce  bulletin 
est  adressé  gratuitement  à  tous  les  membres  et  à  toutes  les  per- 
sonnes susceptibles  de  s'intéresser  à  notre  action.,  Il  a  été 
adressé  à  tous  les  médecins  de  Varsovie  pour  la  conférenco 
d'Arsonval  sur  «l'électricité  et  ses  applications  à  la  médecine»; 
à  tous  les  abonnés  de  l'Opéra  pour  la  conférence-concert  de 
M.  Landormy,  sur  la  musique  française  d'aujourd'hui;  à  tous 
les  artistes  de  la  Société  des  Beaux-Arts,  pour  la  conférence  de 
M.  Kéau,  directeur  de  l'Institut  français  de  Saint-Pétersbourg, 
sur  Rodin,  etc.  C'est  donc  un  organe  de  propagande  qui  touche, 
tour  à  tour,  toutes  sortes  de  personnes  appartenant,  à  l'élite  de 
la  société.  Les  annonces  suffisent  à  faire  vivre  cet  organe,  de 
format  d'ailleurs  très  modeste  et  dont  le  nombre  de  pages  varie 
selon  les  besoins  (de  4  à  32). 

A  la  fin  de  1912,  une  école  maternelle  a  été  créée  qui  est  fré- 
quentée, dès  maintenant,  non  seulement  par  des  enfants  français 
ou  belges,  mais  aussi  par  des  polonais  et  des  russes. 

Il  n'est  donc  pas  exagéré  de  parler,  comme  nous  le  faisions  en 
débutant,  d'un  réveil  de  l'activité  fi-ançaise  en  Pologne,  et  de 
dire  que  la  langue  française:  en  profite  d'une  façon  immédiate. 

S.  Si,  du  reste,  cette  langue  ne  faisait  pas  de  progrès  dans  ce 
pays,  il  y  a  des  choses  qui  resteraient  inexplicables.  La  maison 
qui,  a  Varsovie,  est  à  peu  près  exclusivement  chargée  de  la  vente 


I.E   FRANÇAIS   DANR   LE   MONDE  In-8  ~  79 

des  journaux  français  de  toutes  sortes  (journaux  de  modes,  jour- 
naux politiques,  périodiques  hebdomadaires,  bi  mensuels,  etc.) 
accuse,  depuis  dix  ans,,  une  augmentation  de  40  p.  c.  de  son 
chiffre  d'affiiires,  et  cela  bien  que  le  prix  des  journaux  eux-mêmes 
cl  les  frais  de  transport  aient  diminué.  La  maison  de  librairie 
qui,  à  Varsovie,  vend  le  plus  de  livres  français  a  triplé  en,cinq,aa3 
son  chiffre  d'atfaires  pour  cetle  spécialité  :  ce  chiffre  annuel 
dépasse  maintenant  200,000  francs.  Les  librairies  concurrentes 
ne  semblent  d'ailleurs  nullement  faire  les  frais  de  ce  succès: 
elles-  sont  aussi  presque  toutes  en  progrès  sur  ce  point.  Et,  sans 
doute,  certains  romanciers  de  bon  aloi  (André  Lichtenberger, 
Henri  Bordeaux,  Romain  Rolland)  sont  pour  quelque  chose 
dans  cet  essor  de  la  librairie  française,  mais  le  plus  curieux, 
c'est  que  les  libraires  prétendent  que  le  livre  scientifique  et  1« 
livre  d'art  progressent  beaucoup  plus  que  le  roman.  La  place 
qu'ils  font  dans  leurs  vitrines  à  ces  diverses  catégories  de  livres 
donne  à  croire  qu'il  en  est  bien  ainsi.  Il  est  à  supposer  qu'on 
met  à  l'étalage  les  marchandises  qui  doivent  attirer  le  public  : 
or,  les  livres  scientifiques  français  y  dominent.  Donc,  on  peut 
admettre  que  le  public  cultivé,  sérieux,  est  celui  qui,  de  plus  en 
plus,  recherche  le  livre  français.  On  peut  croire,  du  reste,  que  ce 
résultat  est  en  même  temps  le  principe  causal  d'un  dévelop- 
pement ultérieur  de  notre  langue.  Comme  tous  les  progrès  déjà 
réalisés,  celui-ci  en  contient  d'autres  à  l'état  de  germes. 

Les  raisons  des  tranquilles  progrès  de  la  langue  française  ici 
tiennent  d'ailleurs  à  ce  fait  que  ces  progrès,  avantageux  et 
agréables  à  tous,  ne  peuvent  en  aucun  cas  être  dangereux,  ni 
pour  les  Polonais  qui  constituent  la  majorité  de  la  population, 
ni  pour  les  juifs  qui  détiennent  le  commerce,  ni  pour  les  Russes 
qui  possèdent  le  pouvoir.  A  la  vérité,  on  en  peut  dire  tout  autant 
presque  partout  dans  le  monde,  et  même  en  Belgique.  Travailler 
à  l'expansion  de  la  langue  d'un  peuple  envahissant  et  menaçant 
serait  s'exposer  à  être  facilement  absorbé  par  lui,  s'il  tentait 
une  agression  qui  réussît.  D'autre  part,  on  peut  toujours  craindre 
que  le  malaise  créé  par  l'attitude  menaçante  d'un  peuple 
n'amène  d'autres  peuples  à  se  grouper  pour  leur  propre  défense 
et  à  faire  reculer  la  menace,  affaiblissant  ainsi  le  prestige  d'une 


80  —  1(1-8  SECTION    DE   PROPAGANDE 

langue  qui  devrait  trop  à  l'emploi  de  la  force.  Les  progrès  de  la 
langue  française  au  xviii'  siècle  sont  d'autant  plus  frappants  qu'à 
cette  époque  nous  ne  prétendons  à  aucune  espèce  d'hégémonie 
politique  sur  l'Europe.  La  langue  française  d'aujourd'hui,  qui 
n'est  redoutable  à  personne,  mais  utile  à  beaucoup,  échappe  aux 
inquiétants  aléas  précités  Ses  progrès  viennent  de  la  sécurité 
parfaite  avec  laquelle,  en  tous  pays,  on  peut  la  choisir  comme 
langue  internationale. 

Les  profit  que  les  Flamands  français  de  Pologne  russe  ont  su 
tirer  des  avantages  offerts  par  la  langue  française,  le  profit  qu'en 
savent  partout  tirer  les  Belges,  rend  incompréhensible  en 
Pologne,  l'hostilité  des  Flamingants  à  une  langue  qui  doit 
multiplier,  pour  un  peuple  aussi  entreprenant  que  les  Belges, 
les  débouchés  de  toutes  sortes,  alors  que  le  flamand  apparaît 
comme  un  obstacle  au  développement  des  relations  aussi  bien 
commerciales  qu'intellectuelles. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La    langue    française    en    Bulgarie, 


J.    GUILLEBERT, 

professeur  et  publiciste  à  Sophia, 


Avant  d'examiner  la  situation  particulière  de  la  langue  fran- 
çaise en  Bulgarie,  il  n'est  pas  inutile  de  constater  d'abord  qu'en 
général,  depuis  une  quinzaine  d'années  surtout,  l'étude  et 
l'emploi  d'une  langue  auxiliaire,  d'une  portée  plus  vaste  que 
celle  des  langues  locales,  se  sont  très  largement  développés  dans 
la  péninsule  balkani([ue.  Le  français  et  l'allemand  ont  presque 
exclusivement  profité  de  cette  disposition.  On  trouve  quelques 
personnes  parlant  l'anglais,  mais  c'est  une  minorité  infime.  On 
est  ainsi  amené  à  reconnaître  que  l'allemand,  dans  cette  partie 
de  l'Orient,  est  plus  répandu  qu'il  ne  l'était  autrefois. 

Le  français  a-t-il  souffert  de  cette  concurrence?  En  ce  qui 
concerne  la  Bulgarie,  on  peut  répondre  non  en  toute  assurance. 
Dans  le  monde  commercial,  étant  donnés  le  nombre  de  maisons 
allemandes  représentées  ou  installées  dans  le  pays  et  l'impor- 
tation considérable  de  produits  manufacturés  autrichiens  et 
allemands,  il  est  inévitable  que  l'allemand  soit  plus  employé 
que  le  français;  toutefois,  cette  prédominance  est  plus  sensible 


82  —  1(1-9  SECTION   DE    PROPAGANDE 

dans  le  commerce  en  gros  que  dans  le  commerce  en  détail  ;  dans^ 
les  magasins  de  luxe  on  parle  plutôt  le  français  et  les  représen- 
tants de  maisons  allemandes  ou  autrichiennes  établis  en  Bul- 
garie parlent  presque  tous  également  le  français.  D'ailleurs,  les 
commerçants  Israélites  sont  très  nombreux  et  ce  sont  générale- 
ment de  bons  propagateurs  de  la  langue  française  :  tous  les  Israé- 
lites sujets  bulgares  sont  d'origine  espagnole. 

Dans  la  haute  société,  où  pénètre  le  corps  diplomatique,  on 
emploie  exclusivement  le  français.  Parmi  les  fonctionnaires 
supérieurs,  les  professeurs,  les  avocats  et  les  médecins,  le  fran- 
çais et  l'allemand  sont  à  peu  près  à  partie  égaje,  car  les  jeunes 
Bulgares  vont  aussi  bien  parfaire  leurs  études  en  France  qu'en 
Allemagne.  Généralement  ils  préfèrent  la  France,  mais  un  cer- 
tain nombre  choisissent  l'Allemagne,  parce  que  les  conditions 
matérielles  de  la  vie  s'y  harmonisent  mieux  avec  la  modicité  de 
leurs  ressources.  Cependant,  ceux  qui  étudient  en  Allemagne,  y 
apprennent  aussi  le  français;  ils  le  parlent  toutefois  avec  moins 
de  facilité  que  l'allemand  qu'ils  emploient  naturellement  de 
préférence,  en  raison  de  cette  facilité  même. 

En  dehors  de  ces  milieux  spéciaux  où  l'usage  d'une  langue 
étrangère  est,  pour  ainsi  dire,  de  rigueur,  il  y  a  la  grande  masse 
des  simples  fonctionnaires  et  employés,  des  commerçants  ordi- 
naires, des  boutiquiers,  du  peuple  enfin,  qui  n'usent  ordinai- 
rement que  de  leur  langue  maternelle.  Mais,  dans  cette  agglo- 
mération, il  existe  une  quantité  importante  de  gens  qui  parlent 
facilement  le  français  et  un  nombre  encore  plus  considérable  de 
personnes  qui  seraient  peut-être  embarrassées  pour  soutenir 
une  conversation  un  peu  longue  en  français,,  mais  qui  com- 
prennent cette  langue,  qui  l'entendent  et  la  lisent  avec  plaisir. 
Ainsi,  le  comité  de  l'Alliance  française  de  Sophia  compte 
300  membres,  dont  les  neuf  dixièmes  sont  Bulgares;  il  y  a 
d'autres  comités  à  Philippopoli,  Varna,  Tirnovo,  Kustendil, 
Harmanli.  A  Tirnovo,  ancienne  capitale  de  la  Bulgarie  du  moyen 
âge,  où  les  traditions  et  les  mœurs  bulgares  sont  le  plus  forte- 
ment enracinées,  où  les  étrangers  ne  pénètrent  pour  ainsi  dire 
pas,  j'ai  été  fort  surpris  de  voir,  un  jour,  plus  de  300  personnes 
réunies  dans  la  salle  du  théâtre  pour  entendre  une  conférence- ' 


I.E    FRANÇAIS    DANS    LE    MONDE  'Ia-9  —  SS' 

en  franvais  que  le  comité  de  l'Alliance  française  de  cette  ville 
m'avait  demandée. 

A  Sophia,  l'Alliance  française  donne  des  conférences  men- 
suelles très  suivies.  Tous  les  conférenciers  français  qui  viennent 
en  Bulgarie  ont  toujours  un  auditoire  nombreux,  quel  que  soit 
le  public  auquel  ils  s'adressent. 

Le  français  est,  en  effet,  très  largement  enseigné  en  Bulgarie. 
Lorsque  les  enfants  ont  passé  quatre  ans  à  l'école  primaire,  ils 
entrent  au  progymnase,  puis  de  là  au  gymnase.  Le  programme 
du  progymnase  comprend  une  langue  vivante  obligatoire,  fran- 
çais ou  allemand;  l'enseignement  de  cette  langue  vivante,  après 
les  trois  ans  du  progymnase,  se  continue  pendant  les  cinq  années 
du  gymnase.  Sur  le  nombre  total  des  élèves,  plus  des  quatre 
cinquièmes  choisissent  le  français.  L'année  dernière,  le  ministère 
de  l'Instruction  publique  de  Bulgarie  a  organisé,  pendant  les 
vacances,  un  cours  gratuit  de  littérature  et  de  diction  françaises 
et  allemandes  au  profit  des  professeurs  de  progymnases.  Sur  les 
110  professeurs  des  deux  sexes  qui  se  sont  fait  inscrire  à 
ces  cours,  il  y  en  a  eu  109  pour  le  français  et  I  pour  l'allemand. 
Le  cours  d'allemand  a  dû  être  annulé.  Le  ministre  m'avait 
chargé  de  ce  cours  et  j'ai  constaté  avec  plaisir  que  la  plus  grande 
partie  de  mes  auditeurs  parlaient  très  bien  notre  langue. 

A  l'Université  de  Sophia,  il  y  a  un  cours  de  langue  et  de  litté- 
rature françaises. 

En  dehors  de  l'enseignement  officiel  du  français,  il  existe  en 
Bulgarie  un  nombre  important  d'écoles  privées,  dirigées  par  des 
communautés  catholiques,  dans  lesquelles  l'enseignement  est 
donné  en  langue  française. 

Pour  les  garçons,  l'établissement  le  plus  important  de  ce 
genre  est  le  collège  français  de  Philippopoli,  dirigé  par  des 
Pères  Assomptionnistes  français,  où  l'on  donne  l'enseignement 
secondaire  complet.  Ce  collège  possède,  depuis  quinze  ans,  le 
privilège  de  délivrer  des  diplômes  donnant  accès  aux  Univer- 
sités; ces  diplômes  sont  assimilés  aux  diplômes  de  baccalauréat 
en  France.  On  y  a  ouvert  parallèlement  un  second  cycle 
d'études,  une  section  d'études  commerciales  reconnue  par  l'État 
bulgare.  Les  programmes  sont  exactement  ceux  des  lycées  en 


84  —  1(1-9'  SECTION   DE   PROPAGANDE 

France.  Ce  collège  comptait,  cette  année,  320  élèves,  dont  110 
internes,  et  30  professeurs.  Pour  donner  une  idée  de  la  faveur 
dont  jouit  cet  établissement  auprès  des  fimiilles  du  pays,  nous 
noterons  en  passant,  qu'au  début  de  l'année  scolaire,  pour  60 
places  libres,  il  y  a  eu  350  demandes  d'admission. 

Des  professeurs  de  ce  collège  font,  au  Club  militaire  de  Phi- 
lippopoli,  un  cours  gratuit  de  français,  suivi  par  50  officiers 
environ. 

Les  Pères  Assomptionnistes  ont  fondé,  en  dehors  de  ce  collège, 
deux  succursales  :  une  à  Varna,  avec  6  classes,  170  élèves,  dont 
40  internes,  et  9  professeurs,  et  une  autre  à  Karagatch  (Andri- 
noplc),  avec  6  classes,  160  élèves,  dont  43  internes,  et  10  profes- 
seurs. Ils  ont  encore  à  Karagatch  un  séminaire  uniate  (ortho- 
doxes grecs  soumis  au  pouvoir  spirituel  du  Pape),  avec  40  élèves 
et  4  professeurs. 

A  Yamboli,  un  prêtre  de  la  même  communauté,  assisté  de  deux 
autres  professeurs,  fait  un  cours  de  français  pour  adultes,  suivi 
par  40  auditeurs  environ. 

A  Sophia,  nous  avons  une  école  catholique  de  garçons,  dirigée 
par  les  Frères  des  Écoles  chrétiennes,  français  et  allemands. 
Dans  les  quatre  classes  inférieures,  l'enseignement  est  donné  en 
allemand,  avec  préparation  aux  éléments  de  la  grammaire  fran- 
çaise; à  partir  de  la  cinquième  classe  jusqu'à  la  neuvième,  classe 
commerciale  supérieure,  l'enseignement  est  donné  en  français. 
Cette  école  reçoit  annuellement  un  peu  plus  de  400  élèves,  dont 
une  centaine  de  pensionnaires;  elle  compte  17  professeurs,  dont 
12  religieux  et  3  laïques. 

Parmi  les  maisons  que  nous  venons  de  citer,  celles  de  Phi- 
lippopoli,  de  Sophia  et  d'Andrinople  sont  déjà  anciennes;  celle 
de  Varna  est  de  fondation  plus  récente:  elle  a  de  douze  à  quinze 
années  d'existence  et  s'est  surtout  développée  depuis  les  cinq 
dernières  années. 

Pour  les  filles,  nous  comptons  d'abord  les  écoles  suivantes, 
placées  sous  l'administration  des  Pères  Assomptionnistes  :  à 
Varna,  un  magnifique  établissement,  le  pensionnat  Saint-André, 
dirigé  par  des  sœurs  françaises,  les  Oblates  de  l'Assomption,  avec 
300  élèves  environ,  dont  60  pensionnaires,  et  26  sœurs;  à  An- 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE  In -9  —  83 

drinople,  l'exlernat  Sainte-Hélène,  dirigé  par  les  sœurs  du  même 
ordre,  avec  loO  élèves  et  8  sœurs;  à  Karagatch  (Andrinople),  les 
mêmes  religieuses  ont  ouvert  récemment  un  pensionnat  qui 
compte  140  élèves  et  18  sœurs;  à  Yamboli,  une  école,  avec 
90  élèves  et  8  sœurs,  ouverte  depuis  une  douzaine  d'années. 

Une  autre  communauté  religieuse,  les  Sœurs  de  Saint-Joseph 
de  l'Apparition,  a  fondé  en  Bulgarie  trois  élablissements 
importants  ;  le  plus  ancien  est  celui  de  Sophia,  qui  date  de 
1880.  Cette  maison  compte,  en  chiffre  rond,  400  élèves,  dont 
90  pensionnaires,  et  20  sœurs.  L'instruction  est  donnée  en 
français  ;  l'allemand  y  est  enseigné  à  titre  facultatif.  D'ailleurs 
toutes  les  sœurs  sont  françaises.  De  la  section  enfantine  aii 
cours  supérieur  on  compte  10  classes.  Ensuite  vient  la  maison 
de  Bourgas,  fondée  en  1892,  qui  compte  120  élèves  et  8  sœurs, 
puis  celle  de  Philippopoli,  fondée  en  1900,  qui  compte  aujour- 
d'hui 210  élèves  avec  14  sœurs. 

A  Roustchouk,  les  Dames  de  Sion  ont  un  établissement  très 
réputé  dans  le  pays  ;  il  compte  une  centaine  d'élèves,  la  plus 
grande  partie  internes,  et  3o  sœurs,  dont  IG  professeurs  et 
19  sœurs  employées  à  la  direction  et  à  l'entretien  de  la  maison. 
U  y  a  4  classes  primaires,  0  classes  secondaires  et  une  7'  classe 
pour  les  élèves  qui  se  préparent  aux  examens  du  brevet  simple. 

L'enseignement  étant  donné  en  français  dans  toutes  ces 
maisons,  le  gouvernement  de  la  République  française  a  institué 
à  Sophia  deux  jurys  d'examens,  qui  fonctionnent  chaque  année, 
pour  la  délivrance  des  certificats  d'études  primaires  élémentai- 
res et  des  brevets  simples.  Cette  année,  malgré  les  circonstances 
très  défavorables  et  la  suppression  presque  complète  des  moyens 
de  transport  pour  tout  ce  qui  n'est  pas  militaire,  40  candidats 
des  deux  sexes  se  sont  présentés  pour  le  certificat  d'études  pri- 
maires et  une  dizaine  pour  le  brevet. 

Dans  cet  ensemble  d'efforts  en  faveur  de  l'expansion  de  la 
langue  française,  l'Alliance  française  joue  le  rôle  qui  lui  est 
assigné  par  ses  statuts.  Partout  où  on  a  pu  réunir  le  nombre 
nécessaire  d'adhérents,  des  comités  ont  été  formés,  et  ces  comités 
ont  pour  première  tâche  d'organiser  des  centres  de  réunion, 
avec  salles  de  lecture  pourvues  de  bibliothèques  et  de  journaux 


86  —  Irt-9  SECTION    DE    PROPAGANDE 

et  revues,  et  des  cours  de  français  pour  Jeunes  gens  et  adultes. 
Le  comité  de  Sophia  a,  en  outre,  il  y  a  quatre  ans,  fondé  des 
cours  de  vacances  pour  les  instituteurs  et  institutrices  bulgares 
qui  se  préparent  à  enseigner  le  français.  Ces  cours  sont  suivis 
chaque  année  par  une  trentaine  d'élèves  ;  ce  nombre  ne  saurait 
augmenter  de  beaucoup,  parce  que,  la  seconde  année,  les  audi- 
teurs des  cours  de  Sophia,  encouragés  par  les  résultats  obtenus, 
se  rendent  en  France,  surtout  à  Nancy  et  à  Grenoble  ;  ils  se 
sentent  assez  familiarisés  avec  la  langue  française  pour  suivre 
avec  fruit  les  leçons  des  professeurs  français  ne  sachant  pas  le 
bulgare. 

En  somme,  le  français  est  la  langue  auxiliaire  préférée  en 
Bulgarie.  On  apprend  l'allemand  par  nécessité,  lorsqu'on  en  a 
besoin  pour  la  carrière  commerciale  ou  lorsque  les  circon- 
stances ontentraîné  les  étudiants  verslesuniversilés  allemandes, 
mais  on  apprend  le  français  par  goût.  A  l'appui  de  cette  appré- 
ciation, nous  pouvons  citer  un  fait.  Il  existe  à  Sophia  une  école 
allemande  laïtpie,  très  fréquentée,  puisqu'il  y  a  dans  la  ville  une 
dizaine  de  mille  d'étrangers  de  langue  allemande  ;  mais  on  y 
voit  très  peu  d'élèves  bulgares,  tandis  que  les  élèves  de  cette 
nationalité  constituent  la  très  grande  majorité  des  écoles  privées 
où  l'enseignement  est  donné  en  français.  Nous  ajouterons  que, 
à  l'école  allemande  même,  l'enseignement  du  français  figure 
dans  le  programme  des  études.  La  préférence  marquée  que  les 
Bulgares  témoignent  en  faveur  du  français  ne  pourra  que 
croître  après  l'annexion  d'une  partie  de  la  Thrace  et  de  la  Macé- 
doine, où  le  français  est,  depuis  longtemps,  la  langue  auxiliaire 
imposée  par  la  diversité  des  races  qui  peuplent  ces  contrées. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

.1)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La    langue    française    en    Macédoine, 


J.   LECOQ, 
directeur  du  Lycée  français  à  Salçnique. 


Je  m'excuse  tout  d'abord  auprès  du  Congrès  de  ne  point  lui 
adresser,  comme  je  l'aurais  désiré,  un  rapport  appuyé  sur  des 
documents  cl  des  statistiques.  Mais  j'ai  reçu  l'invitation  du 
Comité  à  la  fin  de  juin,  à  un  moment  où,  en  raison  des  événe- 
ments de  toute  sorte,  il  m'était  matériellement  impossible  de 
réunir  les  documents  essentiels.  C'est  de  France,  et  uniquement 
sur  mes  souvenirs,  que  je  rédige  le  présent  rapport.  Au  fond 
mon  regret  s'atténue  quand  je  songe  au  peu  d'exactitude  de 
toutes  les  statistiques  faites  en  Orient,  qui  ne  méritent  qu'un 
crédit  très  limité  et,  d'autre  part,  on  présence  de  la  transforma- 
tion que  subit  en  ce  moment  la  Macédoine,  transformation  qui 
va  s'accentuer  encore  demain,  les  statistiques  d'hier,  même  en 
les  prenant  pour  sérieuses,  ce  qu'elles  ne  sont  pas,  n'offriraient 
plus  guère  qu'un  intérêt  historique.  Ce  qui  était  vrai  alors,  ce 
qui  est  vrai  même  aujourd'hui  peut  très  bien  ne  l'être  plus 
demain.  Ceci  posé,  il  n'en  est  que  plus  intéressant  de  se  rendre 
compte,  même  approximativement,  de    la   situation    occupée 


88  —  Ifl-10  SECTION   DE    PROPAGAKDK 

acluellement  par  la  langue  française  dans  ces  réglons  troublées 
depuis  des  siècles,  que  la  guerre  dévaste  depuis  plus  de  neuf 
mois,'  et  qui  sont  l'objet  de  si  âpres  convoitises  internationales, 
ne  serait-ce  que  pour  essayer  de  pronostiquer  ce  que  cette  situa- 
tion a  chance  de  devenir  quand,  avec  la  paix,  une  nouvelle  orga- 
nisation politique  régira  ces  divers  territoires,  que  jadis 
réunissait  une  domination  unique,  si  faible  fût-elle,  et  qui  vont 
maintenant  être  partagés  entre  les  vainqueurs. 

La  situation  de  la  langue  française  était,  sous  la  domination 
turque,  on  peut  le  dire,  privilégiée  en  Macédoine,  au  moins  dans 
les  centres,  dans  les  grandes  villes  et  tout  particulièrement  à 
Salonique.  La  langue  française  pénétrait  évidemment  dans  l'in- 
térieur —  où  ne  pénètre-t-elle  pas  en  Orient?  — ;  mais  d'une 
façon  restreinte.  Quelques  maîtres  envoyés  par  l'Alliance  Israé- 
lite universelle  y  propageaient,  concurremment  avec  quelques 
missionnaires,  notre  langue;  mais  la  langue  française  demeurait, 
dans  les  villages  et  les  petites  villes  de  l'intérieur,  l'apanage  des 
gens  ayant  quelque  instruction,  appartenant  aux  classes  relati- 
vement aisées,  voyageant,  sortant  de  chez  eux,  et  pouvant  utili- 
ser leur  connaissance  de  notre  langue.  Le  paysan,  l'ouvrier 
l'ignoraient  et  ils  continueront  à, l'ignorer  très  probablement  ; 
au  contraire,  dans  les  villes  importantes,  le  français,  on  peut 
le  dire,  domine  presque  :  que  ce  soit  à  Monastir,  à  Serrés,  à 
Cavalla  ou  à  Di'ama,  le  français  est  répandu  à  un  degré  dont 
on  ne  peut  avoir  l'idée  quand  on  n'a  pas  voyagé  en  Macédoine. 

Je  voudrais,  à  ce  propos,  citer  un  simple  fait  qui  me  paraît 
significatif  :  l'autorité  grecque  fit,  en  mai  dernier,  procéder  dans 
la  ville  de  Salonique  à  un  recensement  de  la  population  :  chaque 
recensé  devait,  entre  autres  renseignements,  indiquer  à  quelle 
langue  il  appartenait,  et  par  là  on  voulait  dire  la  langue  dans 
laquelle  il  avait  été  élevé,  celle  qui  se  parlait  couramment  dans 
sa  famille.  Plusieurs  internes  du  lycée  français,  orginaires  de 
Monastir,  ottomans  de  nationalité,  Israélites  de  religion,  n'ayant 
d'ailleurs  jamais  quitté  la  Macédoine,  insistèrent  pour  être 
recensés  comme  étant  de  langue  française,  cette  langue  étant, 
disaient-ils,  la  première  qu'ils  eussent  parlée  et  celle  dont  on  se 
servait  journellement  chez  eux. 


LE    FltANÇAIS    OA.NS    I.E    MONDE  I«-10  —  89 

Il  ne  faut  pas,  d'ailleurs,  oublier  qu'au  point  de  vue  des 
langues  la  Macédoine  est  une  véritable  Tour  de  Babel  :  il  n'y  a 
nulle  part,  en  Macédoine,  de  langue  du  pays;  il  y  en  a  une  multi- 
tude —  grec,  turc,  albanais,  judéo-espagnol,  bulgare,  serbe, 
kousso-valaque;  —  selon  les  localités  telle  de  ces  langues  a  une 
tendance  à  prédominer,  mais  au  fond,  sauf  dans  de  très  rares 
exceptions  et  dans  un  rayon  très  restreint,  aucune  ne  règne  en 
souveraine. 

Il  n'est  pas  dès  lors  étonnant,  et  il  devient  compréhensible 
que  d'une  manière  instinctive  on  ait  cherché  une  langue  qui  pût 
être  entendue  de  tous,  une  langue  complémentaire. 

Le  patriotisme  très  jaloux  de  chacune  des  races  qui  peuplent 
la  Macédoine  n'aurait  permis  à  aucun  des  idiomes  locaux  de 
prendre  le  pas  sur  les  autres.  Le  français,  si  largement  répandu 
dans  tout  le  Levant,  se  trouvait  en  quelque  sorte  tout  désigné 
pour  jouer  ce  rôle  de  langue  complémentaire;  et  il  le  joua  de 
telle  façon  que,  de  langue  complémentaire,  il  devint  pour  beau- 
coup langue  principale. 

C'est  à  Salonique  que  ceci  apparaît  avec  la  plus  grande  netteté. 
J'ai,  au  début  de  ce  rapport,  mis  le  Congrès  en  garde  contre  les 
données  des  statistiques  faites  en  Orient.  Rien  n'est  plus  signi- 
ficatif à  cet  égard  que  l'incertitude  qui  règne  au  sujel  du  chiffre 
de  la  population  d'une  grande  ville  comme  Salonique,  incerti- 
tude qui  s'accroît  quand  on  veut  essayer  de  décomposer  celte 
population  en  ses  éléments  ethniques.  Les  statistiques  donnent 
à  Salonique,  les  unes  120.000,  les  autres  luO.OOO,  d'aulres 
180.000  habitants.  La  vérité  est  qu'on  ne  sait  rien  de  précis. 
Les  statistiques  officielles  faites  du  temps  de  la  dénomination 
ottomane  sont  de  pure  fantaisie.  Il  faut  espérer  que  le  recen- 
sement auquel  les  autorités  helléniques  ont  procédé  donnera 
des  résultats  plus  sérieux,  encore  qu'à  mon  sens  il  ait  été  fait 
un  peu  hâtivement. 

Comment  se  décompose  à  peu  près  celte  population?  La  majo- 
rité en  est  Israélite  :  c'est  là  un  point  hors  de  tout  conteste.  Il 
semble  qu'il  y  ait  à  Salonique  do  70.000  à  80.000  Israélites. 
L'élément  ethnique  le  plus  nombreux  et  le  plus  important  est 
ensuite  l'élément  grec  qui  doit  compter  de  20.000  à  30.000  res- 


00  —  Irt-lO  SECTION   DE   PROPAGANDE 

sorlissants;  la  communauté  bulgare  semble  comprendre  de 
10.000  à  12.000  imités  ;  les  Serbes  sont  beaucoup  moins 
nombreux  ;  les  Albanais  ne  constituent  pas  une  communauté  à 
proprement  parler  :  il  sont  assez  nombreux  mais  isolés,  divisés 
d'ailleurs  suivant  la  religion  dont  ils  relèvent  :  musulmane, 
orthodoxe  ou  catholique. 

Il  est  entendu,  d'autre  part,  que  cette  division  de  la  population 
de  Salonique  ne  tient  aucun  compte  de  la  nationalité  civile  ou 
sujétion,  qui,  en  Macédoine,  était  jusqu'à  présent  d'importance 
secondaire.  Ce  qui  était  et  est  encore  essentiel,  ce  qui  différencie 
fondamentalement  les  individus,  ce  qui  constitue  le  signe  qui 
permet  de  les  classer  dans  une  des  catégories  ethniques,  c'est  la 
langue  et  c'est  la  religion. 

Il  convient  maintenant  d'ajouter  aux  catégories  déjà  énoncées 
les  musulmans,  au  nombre  de  20.000  à  2o.000  ;  mais  les  évé- 
nements actuels  ont  déjà  amené  parmi  eux  une  émigration  assez 
considérable.  Du  reste,  la  plus  grande  partie  de  ces  musulmans 
ne  sont  pas  des  Turcs,  ni  même  dos  musulmans  purs,  mais 
appartiennent  aux  trois  sectes  très  spéciales  des  dolmés  ou 
deunmés,  juifs  convertis  à  l'islamisme  il  y  a  quelque  deux  siècles, 
et  que  les  musulmans  ont  toujours,  d'ailleurs,  tenus  en  défiance 
malgré  leurs  réelles  qualités  et  leur  valeur  sociale. 

Quelque  approximative  que  soit  cette  statistique  rudimentaire, 
elle  suffit  à  faire  comprendre  que  jamais  les  Turcs,  en  dépit  de 
leurs  efforts,  n'ont  pu,  en  Macédoine,  imposer  l'usage  pratique 
de  leur  langue,  surtout  à  Salonique.  Le  turc  y  était  une  des 
langues  les  moins  couramment  parlées,  et  la  situation  de  tel  vali 
quej'ai  connu  et  qui  ne  parlait  que  le  turc,  était  vraiment  digne 
de  compassion.  Il  était  véritablement  isolé  et  ne  communiquait 
avec  le  pays  qu'il  administrait  que  par  l'incommode  entremise 
des  drogmans.  Son  administration  s'en  ressentait,  et  on  peut  dire 
que,  pendant  un  séjour  de  quatre  ans,  il  n'a  jamais  rien  compris 
à  ce  qui  se  passait  autour  de  lui. 

La  langue  populaire  des  Israélites  est  le  judéo-espagnol.  La 
communauté  juive  de  Salonique  est  issue  d'une  émigration  de 
juifs  espagnols,  chassés  d'Espagne  par  la  Sainte  Inquisition, 
qui  se  sont  établis  à  Salonique  et  y  ont  prospéré.  Ils  ont  gardé 


l.E    FllANÇAlS    DAXS    LE    MONDE  Irt  10  —  91 

leur  langue  d'origine,  qui  s'est  d'ailleurs  fortement  contaminée 
de  mots  empruntés  aux  divers  idiomes  du  pays  ;  elle  conserve 
cependant  en  grande  partie  su  physionomie  première.  Mais 
cette  langue,  comparable  à  ce  qu'est  le  Yiddish  pour  les  juifs 
originaires  de  pays  de  langue  allemande,  toute  répandue  qu'elle 
soit  dans  le  peuple,  reste  un  idiome  particulier,  une  sorte  de 
patois,  que,  dans  la  bourgeoisie,  on  rougit  un  peu  d'employer. 
Elle  offre,  d'autre  part,  celte  complication  qu'elle  s'écrit  en 
caractères  hébraïques,  si  bien  que  certains  la  comprennent  et  la 
parlent  qui  seraient  très  empêchés  de  la  lire.  Cependant  il 
paraît  en  judéo-espagnol  un  journal  quotidien  et  même  un 
journal  hebdomadaire  satirique.  Mais  l'importance  de  ces 
organes  est  peu  de  chose,  si  on  les  compare  au  journal  quo- 
tidien en  français  V Indépendant,  qui  exprime  les  opinions  de  la 
communauté  juive  et  est  très  répandu  à  Salonique  et  en  Macé- 
doine. 

Au  fond,  l'usage  constant  du  judéo-espagnol  est  restreint  à  la 
classe  ouvrière;  mais,  même  dans  cette  classe,  il  est  rare  qu'on  se 
contente  de  cette  langue  et  qu'on  n'y  ajoute  pas  la  connaissance 
plus  ou  moins  étendue  du  français.  Cette  diffusion  du  français 
dans  les  classes  pauvres  de  la  communauté  Israélite  est  due  aux 
efforts  incessantsdel'.Xlliance  Israélite  universelle,  dontles  écoles 
ont  rendu  et  rendent  à  notre  langue  en  Orient,  et  en  particulier 
à  Salonique,  des  services  éminents  qu'il  est  de  toute  justice  de 
signaler  hautement. 

Grâce  à  ces  écoles,  à  Salonique,  5,000  enfants  appartenant  à 
toutes  les  classes,  non  seulement  apprennent  le  français,  mais 
apprennent  en  français,  avec  les  livres,  les  méthodes  employés 
dans  les  classes  primaires  de  France.  Jadis,  on  parlait  assez 
couramment  l'ilalien  i\  Salonique  :  on  constate  que  dans  la  classe 
(luvrière,  chez  les  portefaix,  les  pêcheurs,  les  cochers,  les 
manœuvres,  on  en  rencontre  un  certain  nombre  qui  parlent  un 
peu  l'italien,  mais  ce  sont  tous  des  hommes  ayant  dépassé  la 
quarantaine.  Les  jeunes  ignorent  l'italien  et  presque  tous  parlent 
le  français,  et  c'est  là  l'œuvre  de  l'Alliance  Israélite  universelle. 

Après  le  judéo-espagnol,  il  semble  bien  que  la  langue  la  plus 
répandue  à  Salonique,  après  le  français,  soit  le  grec.  La  commu- 


92  —  Ia-10  SECTION    DE    PROPAGAKDE 

nauté  est  nombreuse:  le  littoral  de  la  mer  Egée  est  exclusive- 
ment habité  par  des  populations  de  langue  et  de  religion 
grecques  avec  lesquelles  des  relations  constantes  existent  grâce 
au  mouvement  du  cabotage,  qui  est  intense. 

Au  moment  où  nous  nous  trouvons  et  qui  va  marquer  pour  la 
Macédonie  et  pour  Salonique  la  date  la  plus  importante  de  leur 
histoire,  il  est  intéressant  de  fc  rendre  compte  de  l'importance 
réelle  de  la  langue  grecque,  qui,  parlée  par  un  nombre  respectable 
d'habitants  comme  langue  maternelle,  se  répand  en  raison  de 
son  utilité  générale  dans  le  Levant  et  aussi  grâce  aux  artisans  et 
aux  commerçants  grecs,  tandis  qu'elle  pénètre,  par  les  domes- 
tiques, dans  les  familles  bourgeoises.  Il  est  hors  de  doute  que, 
devenant  langue  oflicielle,  le  grec  va  recevoir  un  nouveau  déve- 
loppement. Il  me  paraît  intéressant  de  relever,  au  moment  où 
nous  sommes,  la  situation  précise  qu'il  occupe  dans  le  pays. 

L'usage  des  autres  idiomes  locaux  est  restreint  aux  commu- 
nautés qui  les  parlent:  c'est  ce  qui  arrivera  de  plus  en  plus  pour 
le  turc;  c'est  ce  qui  arrive  déjà  pour  les  langues  slaves  :  serbe, 
bulgare,  qui  ne  sont  pas  employées  en  dehors  des  communautés 
slaves,  sauf  par  ceux  qui  sont  en  relations  constantes  avec  ces 
communautés;  il  en  est  de  même  de  l'albanais. 

En  résumé,  la  situation  se  ramène  à  ceci:  des  idiomes  locaux, 
particuliers  à  chaque  individu  selon  sa  race  et  sa  religion;  de  ces 
idiomes  locaux,  l'un  est  très  largement  répandu  en  raison  de 
l'importance  numérique  de  la  communauté  israéliic,  mais  il  est 
sans  rayonnement  en  dehors  des  milieux  Israélites  où  même  il 
subit  une  certaine  défaveur.  Au  contraire,  le  grec,  qui  avait  déjà, 
avant  les  événements  actuels,  une  certaine  importance,  puisqu'à 
Salonique  même  plusieurs  quotidiens  en  langue  grecque  parais- 
saient depuis  longtemps,  est  appelé  à  voir  son  importance 
s'accroître  d'une  façon  considérable  dans  un  avenir  très  pro- 
chain, et,  par  conséquent,  peut-être  à  entrer,  dans  une  certaine 
mesure,  en  concurrence  avec  le  français. 

Quant  aux  langues  européennes,  aucune  ne  peut,  même  de  loin, 
lutter  avec  le  français.  La  plus  répandue  serait  l'italien  qui, 
comme  je  l'ai  déjà  indiqué,  a  perdu  beaucoup  de  terrain  depuis 
trente  ans.  Cependant,  l'Italie  ne  marchande  pas  l'argent  pour 


I.E    FRANÇAIS    DANS    r,E    MONDE  Irt-10  —  93 

soutenir  ses  écoles  et  doter  ses  hôpitaux  et  ses  œuvres  :  elle 
dépense  presque  sans  compter,  tandis  que  la  France  marchande 
son  concours  financier  aux  œuvres  qui  propagent  notre  influence 
et  liarde  alors  qu'il  faudrait  avoir  la  main  largement  ouverte. 

L'anglais  n'est  pour  ainsi  dire  pas  parlé  à  Salonique  :  la 
colonie  anglaise  y  est,  d'ailleurs,  extrêmement  réduite;  quant  à 
l'allemand,  malgré  les  relations  commerciales  qui  unissent 
Salonique  à  l'Autriche,  il  est  dans  une  situation  secondaire,  en 
dépit  de  deux  écoles  allemandes  dont  l'une  au  moins  a  une  cer- 
taine importance  et  malgré  les  efforts  opiniâtres  du  llilfsverein 
l'iir  Jungen  Judœeii  qui  contrecarre  obstinément  la  propagande  de 
l'Alliance  israélite  universelle. 

Salonique  est  peut-être  —  et  cela  en  grande  partie  par  la  faute 
(lu  commerce  français  — sous  la  domination  économique  de  TAu- 
iriche;  mais  cette  domination  ne  va  pas  jusqu'à  imposer  la 
langue.  On  sait  de  l'allemand  à  Salonique,  parce  que  tout  Salo- 
nicien  est  peu  ou  prou  polyglotte  (tout  le  monde  à  Salonique 
parle  convenablement  trois  ou  quatre  langues),  mais  on  n'y  parle 
pas  allemand  d'une  façon  courante. 

J'en  ai  assez  dit,  nie  semble-t-il,  pour  que  l'on  puisse  déduire 
des  données  précédentes  la  situation  vraiment  unique  qu'occupe 
actuellement  le  français  à  Salonique.  Les  Saloniciens  aiment  à 
répéter  qu'il  est  la  vraie  langue  du  pays  et  jusqu'à  un  certain 
point,  peut-être,  sont-ils  fondés  à  le  dire. Ce  qui  est  certain,  c'est 
que  la  langue  française  est  devenue  peu  à  peu  plus  qu'une 
langue  auxiliaire  :  pour  beaucoup  de  Saloniciens  elle  est  deve- 
nue la  langue  principale,  celle  dans  laquelle  se  formulent  tout 
naturellement  leurs  pensées,  tranchons  le  mot  ;  leur  vraie 
langue  maternelle.  II  ne  faut  pas  oublier  qu'aux  5,000  enfants  de 
toutes  classes  qui  suivent  les  cours  de  l'Alliance  israélite  univer- 
selle, il  convient  d'ajouter  les  660  élèves  des  établissements  de  la 
-Mission  laïque  et  les  élèves  des  écoles  confessionnelles  françaises, 
dont  je  ne  sais  pas  le  nombre  précis  mais  qui  constituent  un 
noyau  fort  respectable.  Pour  tous  ces  enfants,  la  langue  d'ensei- 
gnement est  le  français.  En  plus,  8,000  enfants  environ,  dans  les 
diverses  écoles,  apprennent  du  français  :  pour  un  nombre  impor- 
tant de  ces  enfants,  une  partie  de  l'enseignement  est  donné  en 


94  —  In  10  SFXTION   DE    PROPAGANDE 

français  :  ainsi  à  l'école  Téréki<i,  école  musulmane,  le  directeur 
est  Français  et  les  cours  techniques  sont  tous  professés  en 
français.  Il  en  est  de  môme  à  l'école  de  commerce  bulgare,  à 
l'école  de  commerce  roumaine.  A  l'école  allemande,on  est  obligé 
de  donner  à  l'étude  du  français  à  peu  prés  le  même  nombre 
d'heures  qu'à  l'étude  de  l'allemand. 

La  vérité  est  que,  pour  un  Salonicien,  la  connaissance  du 
français  est  une  nécessité,  et  que  cette  nécessité,  jusqu'à  présent, 
n'a  cessé  de  s'accentuer,  surtout  pour  quiconque  veut,  soit  se 
consacrer  aux  professions  libérales,  soit  —  ce  qui  est  le  cas  do 
presque  tous  les  Saloniciens  —  entrer  dans  la  banque  ou  faire 
du  commerce. 

Pour  tout  cela,  la  première  condition  est  de  savoir  le  français, 
de  le  parler  couramment,  de  l'écrire  correctement.. 

Telle  est,  ou  plus  exactement  telle  était,  au  moment  où  a  dis- 
paru la  domination  ottomane,  la  situation  toute  spéciale  et 
vraiment  privilégiée  de  la  langue  française  dans  les  centres  de  la 
Macédoine  et,  en  particulier,  à  Salonique.  Qae  va  devenir  cette 
situation  après  la  révolution  profonde  qui  vient  de  bouleverser 
de  fond  en  comble  l'état  politique  de  la  Macédoine  et  va  instau- 
rer dans  ce  pays,  si  profondément  troublé  jusqu'à  présent,  un 
ordre  de  choses  nouveau?  C'est  là  une  question  qui  vient 
tout  naturellement  à  l'esprit  et  je  n'ai  pas  dessein  de  l'éluder. 
Je  demanderai  seulement  la  permission  d'être  extrêmement  pru- 
dent à  ce  sujet,  d'abord  parce  qu'il  est  toujours  dangereux  de 
prédire  l'avenir,  et  ensuite  parce  qu'en  cette  matière  très  délicate 
je  ne  voudrais  froisser  aucune  susceptibilité. 

D'une  façon  générale,  les  deux  nations  alliées  dont  les  armes, 
déjà  victorieuses  des  Turcs,  viennent  encore  de  triompher  dans 
la  seconde  lutte  où  elles  se  sont  trouvées  engagées  et  qui 
semblent  devoir  se  partager  la  plus  grande  partie  de  la  Macé- 
doine, ont  pour  la  France  et  pour  tout  ce  qui  est  français,  une 
commune  sympathie.  Elles  ne  chercheront  donc  pas,  suivant 
toute  probabilité,  à  nuire  au  français  et  les  œuvres  qui  tendent  à 
le  répandre  et  à  le  propager  ne  semblent  pas  avoir  grand  chose 
à  redouter  de  l'esprit  national  dont  ces  peuples  sont  tout  natu- 
rellement animés.  En  ce  qui  concerne  les  Serbes,  je  sais  person- 


LE   FRANÇAIS   DAxNS   LE   MONDE  Ia-10  —  9S 

nellement  combien  ils  désirent  faire  pénétrer  la  connaissance 
du  français  en  Serbie  même,  et  quels  sacrifices  ils  sont  prêts  à 
consentir  pour  y  arriver.  Grâce  à  l'initiative  très  active  et  très 
éclairée  du  minisire  de  France  à  Belgrade,  M.  Descos,  un 
lecteur  irançais  est  attaché  à  l'Université  de  Belgrade  et  plu- 
sieurs maîtres  français  doivent  être  appelés  à  enseigner  dans  les 
lycées  nationaux  serbes. 

On  est  donc  fondé  à  penser  que  les  Serbes,  si  accueillants  au 
français,  ne  lui  feront  la  guerre  ni  à  Uskub,  ni  à  Monastir,  où 
ils  le  trouveront  installé,  et  que,  dans  leurs  efforts  très  légitimes 
pour  étendre  le  rayonnement  de  la  langue  serbe  dans  les  terri- 
toires conquis  par  leurs  armes,  ils  chercheront  peut-être  à  lutter 
contre  les  idiomes  locaux  :  le  bulgare,  l'albanais,  le  koulso- 
valaque,  sans  essayer  de  porter  atteinte  au  français. 

Quant  aux  Grecs,  leurs  relations  avec  la  France  sont  étroites 
depuis  longtemps.  Notre  langue  est  largement  répandue  en 
Grèce,  au  moins  dans  la  bonne  société;  il  n'y  a  à  craindre,  je 
crois,  de  la  part  du  gouvernement  hellénique  aucune  hostilité, 
aucune  opposition  systématique.  La  sagacité  dont  il  a  donné  des 
preuves  si  nombreuses  dans  ces  derniers  temps  est,  à  cet  égard,  la 
plus  sûre  garantie.  Il  faut  s'attendre  cependant  à  le  voir  faire 
tous  ses  efforts  pour  que  la  langue  grecque  agrandisse  sa  sphère 
d'influence  dans  cette  nouvelle  Grèce  que,  par  deux  fois,  les 
armes  helléniques  viennent  de  conquérir;  cela  est  légitime  et 
naturel. 

Les  progrès  de  l'hellénisme  se  feront-ils  aux  dépens  du  fran- 
çais? Il  y  a  de  bons  esprits  qui  le  prétendent.  Ils  font  ressortir 
que  l'esprit  national,  très  ardent  chez  les  Grecs,  leur  fera  difiicile- 
ment  admettre  qu'une  langue  somme  toute  étrangère  garde  en 
terre  grecque  la  situation  que  le  fi-ançais  y  a  acquise.  Il  y  a  tant 
de  Grecs  pour  qui  le  français  est  une  seconde  langue  maternelle 
que  ce  danger  ne  me  paraît  pas  bien  redoutable,  et  l'argument 
ne  me  touche  guère.  Les  mêmes  esprits  un  peu  enclins  au  pessi- 
misme ajoutent  que,  si  le  turc,  langue  officielle  en  pays  ottoman, 
a  fait  si  peu  de  progrès,  cela  tenait  à  ce  que  c'était  une  langue 
pauvre,  difficile,  peu  pratique  à  cause  de'son  écriture  surannée, 
sans  rayonnement,  sans  utilité  véritable.  Le  grec,  infiniment  plus 


96  —  In-10  SECTION    DE    PROPAGANDE 

souple,  plus  riche,  plus  facile  à  apprendre,  très  répandu  dans 
tout  le  Levant,  parlé  d'Odessa  à  Alexandrie  et  même  à  Marseille, 
fera  des  progrès  infiniment  plus  rapides.  Ceci  me  paraît  incon- 
testable. Il  reste  à  savoir  aux  dépens  de  qui  le  grec  s'étendra. 
Certains  pensent,  non  sans  raison  je  crois,  que  ce  sera  surtout 
aux  dépens  des  idiomes  locaux,  les  seuls  dont  le  nationalisme 
grec  peut  souhaiter  la  disparition  ou  la  diminution,  aux  dépens 
du  bulgare,  de  l'albanais  et  peut-être  même  du  judéo-espagnol. 
Les  Grecs,  tout  le  monde  s'accorde  à  le  reconnaître,  ont  un  sens 
politique  très  afîiné  :  ils  sont  gens  trop  avisés  pour  ne  pas  com- 
prendre qu'ils  ont  entre  les  mains,  dans  les  œuvres  existantes 
qui  n'ont  à  leur  égard  aucune  hostilité,  d'admirables  instru- 
ments de  propagation  de  leur  langue  ;  il  ne  dépend  que  d'eux  de 
s'en  servir.  Ces  œuvres  sont  assez  souples  d'organisation  pour 
pouvoir  s'adapter  sans  peine  aux  conditions  politiques  nouvelles 
du  pays.  Elles  sont  mieux  placées  que  quiconque  pour  faire 
pénétrer  parallèlement,  dans  les  milieux  où  leur  influence 
s'exerce,  la  connaissance  du  grec  et  du  français. 

La  situation  relative  du  français  par  rapport  au  grec  se  modi- 
fiera vraisemblablement,  peut-être  même  assez  rapidement.  Il 
partagera  avec  le  grec  la  première  place,  j'admets  même  qu'il 
passera  au  second  rang.  Mais  la  situation  absolue  restera  sensi- 
blement la  même;  il  n'y  aura  pas  moins  de  gens  qui  parleront 
le  français;  il  y  en  aura  peut-être  davantage,  parce  que  l'in- 
struction se  répandra  plus  largement  et  qu'une  administration 
régulière  succédera  à  l'incertitude,  au  trouble  et  à  l'anarchie  qui 
caractérisaient  la  domination  ottomane. 

Pour  peu  que  la  France,  de  son  côté,  veuille,  avec  quelque 
énergie,  soutenir  les  efforts  de  ceux  qui  travaillent  à  étendre  en 
Orient  son  influence  et  son  doux  parler  si  aimé,  si  recherché, 
pour  peu  qu'elle  dote  avec  quelque  largesse  les  œuvres,  toutes 
les  œuvres  qui  se  vouent  à  cette  besogne  à  la  fois  hautement 
patriotique  et  largement  humaine,  il  y  a  toute  raison  d'espérer 
que  l'influence  du  français  ne  subira  aucune  éclipse  sur  le  litto- 
ral occidental  de  la  mer  Egée. 

II  paraît  logique  que  le  développement  légitime,  naturel  et 


LE    FRANÇAIS    DANS    r.E    MONDE  Id-lO  —  97 

désirable  de  l'hellénisme  n'ait  d'autre  résultat  que  d'unir  plus 
étroitement,  dans  un  effort  commun  pour  le  plus  grand  bien  de 
la  civilisation  en  Orient,,les  deux  races  qui,  dans  le  monde,  ont  le 
plus  efficacement  contribué  à  l'émancipation  intellectuelle  et 
sociale  de  l'Humanité. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Algérie, 


Pierre  MARTINO, 

professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  d'Alger. 


Il  est  assez  difficile  d'établir,  de  façon  précise,  le  bilan  de  la 
langue  française  en  Algérie. 

Si  près  que  soit  l'Algérie  de  la  France,  si  intimes  que  soient 
les  liens  de  toute  nature  qui  la  rattachent  à  la  métropole,  elle 
n'en  est  pas  moins  une  colonie,  un  «  pays  neuf»  aussi,  et  cela 
crée  des  conditions  assez  spéciales. 

L'élément  français  est  numériquement  assez  faible  en  pré- 
sence de  l'élément  indigène  et  des  divers  éléments  étrangers. 
Jusqu'à  quel  point  y  a-t-il  eu  pénétration  du  premier  dans  les 
seconds  ?  Qu'appellcra-t-on  «  langue  française  «  ?  Il  est  peu  de 
villages  indigènes  où  le  voyageur  ne  puisse  se  faire  comprendre 
en  français,  quand  il  demandera  sa  route,  le  vivre,  le  coucher, 
ou  qu'il  se  mettra  en  quête  des  divertissements  de  la  localité  ! 
Mais  les  deux  ou  trois  dizuines  de  mots  et  la  quinzaine  de 
phrases  jargonnées  qui  composent  le  vocabulaire  de  ses  interlo- 
cuteurs doivent-ils  être  considérés  comme  un  phénomène 
d'  «  extension  de  la  langue  française  )>  ?  Tirera-t-on  argument 


100  —  Ia-11  SECTION  DE  PROPAGANDE 

de  ce  que  les  contremaîtres  français  usent  du  petit  nombre  de 
mots  arabes,  berbères  ou  espagnols  nécessaires  à  diriger  leurs 
équipes  d'ouvriers,  pour  enregistrer  un  recul  de  notre  intluence? 
De  même,  si  les  médecins  de  nos  infirmeries  indigènes  ne 
donnent  pas  toujours,  et  pour  cause,  leurs  consultations  en 
français  ! 

Et  puis,  l'acquisition  d'une  «  langue  »,  à  proprement  parler, 
entraîne  celle  d'un  petit  bagage  intellectuel.  Il  semble  que  les 
mots  «  extension  et  culture  de  la  langue  française  »  n'aient  leur 
plein  sens  que  dans  des  pays  de  vieille  civilisation,  ou,  pour  les 
pays  neufs,  que  dans  des  milieux  extrêmement  restreints.  C'est 
encore  le  cas  en  Algérie. 

Les  statistiques  vraiment  instructives  manquent  d'ailleurs.  On 
n'est  guère  renseigné  que  sur  la  population  scolaire.  11  faudrait 
des  enquêtes  assez  longues,  de  nombreuses  réponses  à  quelques 
questionnaires  précis,  pour  qu'on  puisse  se  montrer  aftirmatif. 
Actuellement,  l'idée  même  d'une  carte  d'extension  de  la  langue 
française  en  Algérie  serait  une  absurdité,  à  moins  qu'on  ne  se 
satisfasse  de  la  méthode  des  atlas  scolaires,  qui  teintent  unifor- 
mément en  violet,  comme  pays  de  langue  française,  uniformé- 
ment tout  notre  territoire  colonial  ! 

Enfin,  certaines  des  questions  que  l'on  est  amené  à  envisager, 
—  et  les  plus  importantes  —  sont  loin  d'être  résolues.  Ainsi, 
renseignement  des  indigènes,  c'est-à-dire  l'instrument  de  pro- 
pagande le  plus  efficace  peut-être  en  faveur  de  notre  langue  et 
de  notre  civilisation.  C'est  à  peine  si  l'on  vient  d'entrer  dans  la 
voie  des  réalisations  ;  on  discute  encore  sur  les  principes,  les 
programmes,  les  moyens  d'action  ;  cette  question,  toute  scolaire 
au  premier  abord,  est  liée  à  des  conceptions  générales  de  poli- 
tique coloniale  et  extérieure  ;  la  polémique  s'en  est  emparée,  et 
très  âprement.  11  serait  vain  de  prétendre  poser  aujourd'hui  des 
conclusions,  même  provisoires. 

C'est  pourquoi  on  se  bornera,  dans  ces  notes  rapides,  aux 
chifï'res  qu'il  est  difficile  de  contester  et  aux  appréciations  sur 
lesquelles  tout  le  monde  est  à  peu  près  d'accord. 


LE  FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-11  —  101 

L'école,  à  ses  divers  degrés,  étant,  dans  un  pays  neuf,  oîi  il  n'y 
a  pas  de  tradition  ancienne  de  culture,  le  principal  instrument 
d'extension  de  la  langue  nationale,  c'est  d'elle  surtout  qu'il  sera 
question. 


L'enseignement  européen  comprend,  en  Algérie,  les  trois 
degrés  :  l'enseignement  supérieur,  le  secondaire  et  le  primaire. 

De  l'Université  d'Alger,  il  y  a  peu  de  chose  à  dire.  Elle  est  de 
création  toute  récente  (1909),  bien  que  des  écoles  d'enseigne- 
ment supérieur  aient  été  créées  dès  1879.  Cette  jeune  université 
est  encore  à  la  période  de  début  :  elle  s'oriente,  elle  complète 
ses  enseignements,  et  les  assemblées  locales  lui  consentent 
volontiers  les  crédits  nécessaires.  Il  semble  qu'elle  doive  gran- 
dir très  vite;  ni  les  objets  d'étude,  ni  les  étudiants  ne  lui  man 
quèrent;  elle  sera  bientôt  un  centre  considérable  de  culture  et 
de  science  françaises. 

La  Faculté  des  lettres,  dont  le  rôle  est  particulièrement  inté- 
ressant au  point  de  vue  de  l'extension  de  la  langue  française,  a 
besoin  de  quelques  enseignements  nouveaux.  Depuis  quatre  ans, 
le  recrutement  de  ses  étudiants  s'est  amélioré  de  façon  sensible. 
Ses  cours  publics  sont  très  suivis.  Elle  a  commencé  une  cam- 
pagne d'extension  universitaire  dans  les  trois  départements  algé- 
riens. Il  est  souhaitable  qu'on  lui  permette,  comme  elle  l'a 
demandé,  de  se  créer  une  clientèle  parmi  les  étrangers  qu'attire 
l'hiver  algérien. 

L'enseignement  secondaire  public  —  et  il  ne  rencontre  guère 
de  concurrence  —  est  fortement  organisé  en  Algérie.  Il  y  avait, 
en  1912,  dans  les  lycées  et  collèges,  4,735  garçons  et  1,544  jeunes 
filles.  Les  résultats  de  l'enseignement  sont  sensiblement  les 
mêmes  que  dans  la  métropole.  Des  progrès  importants  ont  été 
réalisés,  dans  les  dernières  années,  particulièrement  en  ce  qui 
concerne  la  langue  française.  Il  serait  toutefois  souhaitable 
qu'un  nombre  un  peu  plus  grand  d'heures  fût  accordé  au  fran 
çais,  notamment  dans  la  section  sans  latin.  Un  certain  nombre 
d'élèves  arrivent  au  lycée  assez  mal  préparés;  et  les  programmes 
trop  lourds  de  sciences  et  de  langues  vivantes  les  empêchent  de 


102  —  I((-ll  SECTIOiN    DE   PROPAGA.NDE 

travailler  le  français,  comme  il  serait  nécessaire.  En  général  les 
élèves  ne  lisent  pas  assez  d'eux-mêmes  :  il  faut  les  faire  lire  au 
lycée.  A  Tunis,  où  l'organisation  universitaire  est  plus  souple, 
on  a  pu,  et  avec  de  très  remarquables  résultats,  augmenter  le 
nombre  des  heures  de  français,  et  consacrer  les  nouvelles  heures 
principalement  à  des  lectures  dirigées. 

Il  y  avait,  en  1912,  six  écoles  primaires  supérieures  de  gar- 
çons, avec  709  élèves,  et  quatre  écoles  de  filles,  avec  546  élèves. 
D'autres  écoles  vont  être  incessamment  créées.  Le  succès  de  ces 
établissements  est  considérable,  L'Université  d'Alger  a  organisé, 
depuis  quelques  années,  des  cours  spéciaux  pour  la  préparation 
du  personnel  enseignant  de  ces  écoles  ;  elle  contribue  ainsi  à 
permettre  un  excellent  recrutement  des  maîtres. 

En  1912,  la  population  scolaire  des  écoles  primaires  euro- 
péennes a  été,  pour  les  garçons,  de  72,696,  dont  36,120  Fran- 
çais et  8,966  Israélites  ;  et  de  69,160  filles,  dont  37,150  Fran- 
çaises et  8,684  Israélites.  Il  faudrait  ajouter  à  ces  chiffres  celui 
des  élèves  français  dans  les  écoles  indigènes,  et  la  population 
scolaire  des  territoires  du  sud  (4,0S2  élèves)  en  grande  majorité 
indigène,  il  est  vrai. 

Les  écoles  algériennes  regorgent  d'élèves  ;  il  n'y  a  pas  assez 
d'écoles.  Rien  qu'à  Alger,  2,100  Européens  ne  peuvent,  faute  de 
place,  fréquenter  l'école.  Il  y  a  là  une  question  un  peu  inquié- 
tante. On  calculait,  en  1911,  qu'il  faudrait  créer  immédiatement 
au  minimum  433  classes  d'Européens,  et  trouver  d'ici  à  vingt 
ans  1,300  instituteurs  et  institutrices,  tant  pour  les  classes 
anciennes  que  pour  les  nouvelles.  Or,  la  crise  du  recrutement 
du  personnel  primaire  est  plus  forte  peut-être  en  Algérie  qu'en 
France  ;  on  a  bien  de  la  peine  à  recruter  le  personnel  actuel. 

En  1910,  le  nombre  des  conscrits  illettrés  du  contingent 
algérien  était  de  603  sur  6,541,  soit  10  p.  c.  environ.  On  travaille 
à  développer  les  cours  d'adultes  et  les  œuvres  post-scolaires. 
Elles  sont  partout  accueillies  avec  grande  faveur.  La  population 
européenne  d'Algérie  est  très  désireuse  d'instruction. 


I.E    FAANÇAIS    DANS    I.K    MONDE  Ia-11  —  103 

Les  indigènes  profitent  peu  de  l'enseignenienl  supérieur.  Il  y 
i  bien,  à  la  Faculté  de  médecine,  des  candidats  aux  fonctions 
d'auxiliaire  médical  indigène  :  et,  à  la  Faculté  des  lettres,  des 
candidats  aux  brevets  et  diplômes  de  kabyle  et  de  berbère.  Mais 
ces  enseignements  ne  contribuent  que  bien  indirectement  à  l'ex- 
tension de  la  langue  française.  Les  élèves  de  la  Médersa  d'Alger 
suivent  à  la  Faculté  de  droit  un  cours  spécialement  organisé 
pour  eux.  Quelques  rares  indigènes  sont  devenus  avocats,  méde- 
cins, professeur  d'arabe  ou  de  bei'bère. 

La  statistique  des  étudiants  à  l'Université  d'Alger  comptait, 
en  1913,  sous  la  rubrique  a  Continent  africain  »  :  Droit,  7  étu- 
diants; Médecine,  S;  Sciences,  i;  Lettres,  17.  Mais,  pour  des 
raisons  trop  longues  à  expliquer,  cette  statistique  ne  donne 
qu'une  idée  imparfaite  des  étudiants  indigènes  qui  fréquentent 
l'Université. 

Les  Médersas  d'Alger,  Tlomcen  et  Constantine  ont  un  ensei- 
gnement du  français  régulièrement  organisé;  elles  ont  une  action 
efficace,  mais  sur  un  milieu  restreint,  celui  des  fonctionnaires 
indigènes. 

L'enseignement  secondaire  reçoit  un  certain  nombre  d'élèves 
indigènes.  En  1912,  il  y  avait,  dans  nos  lycées  et  collèges, 
22umusulmans  et  30  musulmanes.  Il  est  rare  que  ces  élèves  pro- 
filent beaucoup  de  leurs  études.  Il  y  a  eu  de  très  belles  excep- 
tions, notamment  parmi  les  Kabyles.  Du  moins,  ces  jeunes  gens 
et  ces  jeunes  filles  acquièrent  ils,  au  contact  de  leurs  camarades 
européens,  une  pratique  assez  familière  de  la  langue  française. 
Jusqu'à  ces  derniers  temps,  l'envoi  d'un'certain  nombre  d'indi- 
gènes dans  nos  établissements  secondaires  a  été  surtout  une 
mesure  de  politique  indigène.  Il  y  a  là,  d'ailleurs,  une  ques- 
tion pédagogique  très  controversée. 

L'enseignement  primaire  indigène  est  en  voie  de  réorganisa- 
tion et  soulève  de  grosses  questions,  très  épineuses,  qu'il  n'est 
pas  de  notre  domaine  d'aborder;  aussi  devons-nous  nous  borner 
à  des  chiffres  extrêmement  sommaires  qui  donneront  idée  de 
ce  qu'on  a  commencé  à  faire  et  de  ce  qui  reste  à  entreprendre. 

La  population  scolaire  indigène  possible  est  aujourd'hui,  rien 
que  pour  les  garçons  de  330,000  environ.   Or,  en   1912,  il  y 


104 — Ia-11  SECTION    DE   PROPAGANDE 

avait  dans  nos  écoles  (écoles  d'Européens  et  écoles  d'indigènes) 
39,417  garçons  et  3,497  filles,  soit  42,614  élèves.  Il  faut  ajouter 
les  4,0S2  élèves  des  territoires  du  sud,  en  majorité  indigènes. 

Il  y  en  avait  3,172  en  1882,  12,263  en  1892,  27,448  en  19U3. 
Les  progrès  sont  sensibles,  mais  on  voit  l'énorme  disproportion 
qui  existe  entre  le  résultat  et  le  but. 

L'enseignement  primaire  indigène  a  été  particulièrement 
développé  en  Kabylie.  C'est  d'ailleurs  peut-être  un  bon  système, 
encore  qu'il  ne  soit  pas  reconnu  comme  tel  par  tout  le  monde. 
Les  zones  où  les  indigènes  sont  en  relations  constantes,  déjà 
anciennes,  avec  les  Européens,  permettent  des  réalisations  plus 
immédiates. 

Actuellement,  sur  l'invitation  de  la  métropole,  on  procède  en 
grand.  Le  programme  est  de  créer  par  an  22  écoles  indigènes 
proprement  dites  confiées  à  des  maîtres  français  ou  indigènes, 
et  SO  écoles  préparatoires  confiées  à  de  simples  moniteurs  indi- 
gènes. On  a  dû  réduire  les  ambitions  pédagogiques  et  se  borner 
à  souhaiter  que  nos  élèves  puissent  suivre  une  conversation 
simple,  rédiger  une  lettre,  faire  un  compte,  et  avoir  idée  de  ce 
qu'est  la  France.  Cela  serait  déjà  très  beau.  Mais  de  grosses 
difficultés  empêchent  la  réalisation  normale  de  ce  programme. 
On  trouve  bien  de  l'argent  pour  construire  des  écoles,  mais  on 
ne  trouve  pas  des  maîtres  pour  y  enseigner  ;  et  les  «  moniteurs 
indigènes  »  n'offrent  pas  toujours,  même  au  point  de  vue  de  la 
connaissance  du  français,  les  garanties  qu'on  est  en  droit 
d'attendre  d'eux. 

La  métropole  sera  obligée  de  reconnaître  d'ici  peu  que  l'effort 
qu'elle  a  demandé  à  l'Algérie  de  faire  en  quelques  années  était 
impossible.  Il  faut  lui  substituer  une  action  plus  modeste,  plus 
rationnelle,  plus  méthodique.  Les  résultats  seront  aussitôt  plus 
sérieux. 

Ils  sont  déjà  fort  honorables,  si  l'on  considère  les  grosses 
difficultés  de  l'entreprise. 


La  culture  et  l'extension  de  la   langue  française  se  heurtent 
en  Algérie  à  un  certain  nombre  d'obstac  es. 


I.E   FRANÇAIS    DANS    I-E    MONDE  lo-ll  —   lOf) 

D'abord,  la  présence  des  éléments  étrangers  :  Espagnols, 
Italiens,  Maltais,  etc.  C'est  là  non  seulement  un  obstacle 
linguistique,  mais  un  très  gros  problème  politique.  En  1912, 
il  y  avait,  dans  les  écoles  primaires  de  garçons  d'Algérie, 
22,331  étrangers  contre  30,120  Français,  et,  dans  les  écoles  de 
filles,  21,7oo  contre  37,150.  Dans  le  département  d'Oran,  le 
nombre  des  Espagnols  est  considérable;  il  paraît  que  certains 
Conseils  municipaux  délibèrent  en  espagnol;  «  on  répugne  à  la 
création  d'une  école  normale  d'instituteurs  à  Oran,  parce  qu'on 
y  trouverait  assez,  vite  une  notable  proportion  d'Espagnols  de 
fraîche  naturalisation  ». 

Il  y  a  aussi  ce  qu'on  pourrait  appeler,  au  point  de  vue  de  la 
langue  française,  des  demi-étrangers,  savoir  :  une  notable  partie 
de  la  population  Israélite,  fort  peu  cultivée,  elles  néo-Français 
dont  la  naturalisation  remonte  à  une  ou  deux  générations. 

Les  enfants  appartenant  à  ces  deux  grou|ies,  même  s'ils 
fréquentent  l'école,  apprennenfdifficilement  le  français,  car  ils 
ne  le  parlent  guère  qu'aux  heures  de  classe.  Chez  eux,  on  parle 
à  peu  près  exclusivement  l'espagnol,  l'italien,  un  patois  Israélite^ 
ou  mieux  un  français  terriblement  intluencé  par  ces  langues  et 
par  le  sabir  franco-indigène. 

Cela  est  sensible  même  cher  quelques-uns  des  jeunes  gens 
qui  fréquentent  ce  lycée.  On  a  dû  même  se  préoccuper  dans  les 
milieux  universitaires  du  danger  que  courait,  de  ce  fait,  le 
français.  11  est  arrivé  fréquemment,  dans  les  dernières  années, 
que  des  jeunes  gens,  écrivant  incorrectement  le  français,  étaient 
reçus  au  baccalauréat  (latin-langues  ou  sciences-langues),  grâce 
à  l'excellente  note  que  leur  valait  la  connaissance  d'une  langue 
qui  était  pour  eux  comme  maternelle,  l'espagnol,  l'italien,  ou 
bien  grâce  à  l'arabe  qui  est  admis  dans  l'Académie  d'Alger 
comme  langue  unique,  en  place  des  langues  requises  d'une 
manière  générale.  Il  y  a  eu  une  réaction  heureuse;  et  ces  faits 
sont  devenus  rares.  Néanmoins,  les  membres  des  jurys  de  bacca- 
lauréat ont  unanimement  demandé  :  1»  que  la  note  de  français, 
à  l'écrit,  fût  éliminatoire  au-dessous  de  ^  sur  20;  2"  que  le 
coefficient  de  l'épreuve  de  français  fût  augmenté,  notamment 
dans  la  série  sciences-langues.  En  outre,  on  a  hésité  jusqu'à 


106  —  I«-ll  SECTION    DE    PROPAGANDl; 

présent  à  organiser  très  régulièrement  l'enseignement  de  l'espa- 
gnol et  de  l'italien  dans  les  lycées  et  collèges,  du  moins  on  ne  l'y 
enseigne  pas  comme  langue  principale,  mais  comme  «  seconde 
langue  ». 

Du  fait  de  la  coexistence  des  parlers  étrangers  et  indigènes,  la 
langue  française  a  subi  en  Algérie  un  certain  nombre  de  très 
curieuses  déformations.  Dans  les  milieux  populaires  des  grandes 
villes,  notamment  à  Alger,  il  s'est  constitué  une  manière  de 
langue  fort  savoureuse,  où  le  vocabulaire  s'est  enrichi  de  mots 
plus  ou  moins  espagnols,  italiens  et  autres,  et  dont  la  syntaxe 
est  fort  entachée  de  tourimres  familières  aux  langues  méridio- 
nales. C'est  le  «  cagayous  »;  un  écrivain  algérien,  Musette, 
en  a  donné  d'amusants  spécimens.  Même  dans  les  milieux 
cultivés,  il  y  a  un  certain  nombre  de  déformations  de  la  langue 
quasi  passées  dans  l'usage.  Les  professeurs  de  lycée  ont  à 
corriger  fréquemment  des  expressions  que  n'entendent  certes 
point  ou  n'ont  pas  à  lire  leurs  collègues  de  France. 

Il  faut  avouer,  d'ailleurs,  qu'un  certain  nombre  de  ces  défor- 
mations sont  logiques  et  s'expliquent  par  le  fait  que  le  français 
a  été,  en  Algérie,  une  langue  plus  «  vivante  »,  plus  uniquement 
«  parlée  »  qu'en  France,  peu  «  écrite  »,  très  peu  lue.  Dans  ce 
pays  neuf,  la  langue  actuelle  est  replacée  dans  quelques-unes 
des  conditions  où  elle  se  trouvait  en  France,  il  y  a  quelques 
siècles.  11  tend  à  se  constituer  un  français  légèrement  différent 
de  la  langue  d  aujourd'hui,  comme  l'est  celui  des  Canadiens,  ou 
celui  que  l'on  parle  à  Constantinople,  dans  Péra. 

Il  y  a  là  une  étude  extrêmement  intéressante  que  j'espère 
mener  à  bien,  d'ici  quelques  années,  avec  le  concours  des 
étudiants  et  des  anciens  étudiants  de  la  Faculté  des  lettres. 

Un  autre  obstacle  existe  à  la  culture  de  la  langue  française  en 
Algérie,  qui  diminue  de  jour  en  jour,  ce  sont  les  conditions  du 
milieu,  qui  se  retrouvent  d'ailleurs  pareilles  dans  tous  les  pays 
neufs.  Les  premières  générations  de  Français  et  de  néo-Français, 
établies  dans  une  colonie,  se  trouvent  aux  prises  avec  trop  de 
dithcultés,  elles  ont  à  soutenir  une  lutte  trop  incessante, 
pour  qu'il  leur  reste  toujours  le  temps  de  songer  à  leur  culture 
intellectuelle;  ce  n'est  pas,  la  plupart  du  temps,  en  se  servant  du 


LE  FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  I«-ll  —  107 

français  que  les  colons  et  les  commerçants  ont  conquis  la 
fortune,  ou  simplement  l'aisance;  ils  n'ont  guère  de  curiosités 
de  lecture,  ni  beaucoup  de  velléités  artistiques;  ils  ont  tendance 
à  mépriser  toutes  les  activités  qui  ne  tendent  pas  uniquement  à 
gagner  de  l'argent.  La  culture,  même  quand  elle  n'est  pas 
poussée  très  loin,  demande  des  traditions  familiales  et  une 
stabilité  de  situation  qui  ne  se  réalise,  dans  les  colonies,  qu'au 
bout  de  quelques  générations;  elle  demande  des  loisirs,  que 
seules  peuvent  donner  une  vie  moins  hasardeuse  et  l'aisance. 

Mais,  depuis  un  certain  nombre  d'années  déjà,  les  jeunes 
générations  algériennes  commencent  à  bénéficier  du  dur  effort 
des  précédentes  ;  nombre  de  parents,  parmi  les  néo-Français,  qui 
parlent  mal  notre  langue,  tiennent  à  ce  que  leurs  enfants  aient 
l'éducation  qu'ils  n'ont  pu  eux-mêmes  se  donner;  et  ils  s'im- 
posent de  grands  sacrifices.  On  voit  des  familles  où  le  grand-père 
ne  parle  pas  français,  où  le  fils  jargonne  notre  langue,  et  où  le 
petit-fils  la  parle  aussi  bien  que  ses  camarades  de  vieille  souche 
française. 

La  prospérité  merveilleuse  de  l'Algérie,  depuis  un  certain 
nombre  d'années,  a  accentué  ce  mouvement  d'assimilation.  Il 
suflîrait  de  constater  le  repeuplement  soudain  de  collèges  qui 
semblaient  près  de  mourir,  ou  l'afflux  d'élèves  dans  les  écoles 
primaires  supérieures  de  l'intérieur. 


Cet  enrichissement  de  l'Algérie  aide  évidemment  à  généraliser 
des  aspirations  vers  une  large  culture  artistique  et  littéraire,  qui 
étaient  assez  clairsemées  autrefois.  La  langue  française,  étant  le 
principal  instrument  de  cette  culture,  est  appelée  à  bénéficier  de 
cette  transformation.  On  lit  beaucoup  plus;  on  se  tient  au  cou- 
rant dos  productions  de  la  littérature  contemporaine  en  France. 
Les  registres  de  commandes  des  librairies  sont  curieux  à  feuil- 
leter, si  on  les  compare  à  ce  qu'ils  étaient  il  y  a  quelque  trente 
ou  quarante  ans.  Des  revues  locales  se  publient,  et  avec  assez  de 
succès:  il  y  a,  comme  en  France,  d'éphémères  revues  de  jeunes 
écrivains  et  de  poètes  locaux.  Un  certain  nombre  de  sociétés 


108  —  Ia-11  SECTION  DE  PROPAGANDE 

savantes  ou  littéraires  entretiennent  une  activité  intellectuelle,  le 
plus  souvent  de  bon  aloi.  La  Société  des  Amis  de  l'Université 
d'Alger  a  entrepris  depuis  quelques  années,  jusque  dans  les 
petits  centres,  une  campagne  intéressante. 

Y  a-t-il  une  «  littérature  algérienne  »?  Elle  est  surtout  consti- 
tuée par  les  impressions  de  voyage  et  les  romans,  assez  médio- 
crement exotiques,  des  Français  de  la  métropole.  Un  certain 
nombre  d'  «  Algériens  »,  Louis  Bertrand,  Isabelle  Eberhardt, 
R.  Randau,  etc.,  ont  composé  sur  l'Algérie  de  belles  œuvres. 
Mais  les  jeunes  gens  qui  se  sentent  des  dispositions  à  écrire,  soit 
poètes,  soit  dramaturges,  soit  romanciers,  sont  vite  tentés  par 
Paris,  et  s'ils  ne  renient  pas  tout  à  fait  l'Algérie,  ils  n'en  subissent 
guère  l'influence.  La  centralisation  parisienne  de  la  culture  agit 
en  Algérie  comme  partout  en  France. 

Il  est  symptomatique  que,  en  l'année  4913,  une  municipalité 
algérienne,  tout  près  des  marches  marocaines,  dans  une  région 
qui  paraissait  surtout  le  royaume  des  conquistadores,  des  grands 
spéculateurs  et  des  brasseurs  hâtifs  d'affaires,  ait  voulu  faire 
revivre  l'institution  des  jeux  floraux  !  La  grâce  un  peu  vieillotte, 
et  bien  délicate,  de  l'églantine  d'or  résistera-t-elle  à  celte  rude 
transplantation?  C'est,  en  tout  cas,  unefaçon  jolie  d'atlirmer  que 
l'Algérie  a  de  plus  en  plus  le  désir  de  participer  à  la  culture 
française,  et  de  s'incorporer  étroitement,  par  l'intelligence,  par 
la  poésie  et  par  Fart,  aussi  bien  que  par  l'activité  économique  et 
le  dévouement  patriotique,  au  domaine  de  la  plus  grande 
France. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDB. 


La  langue  française  en  Egypte, 


FERNAND  braun, 

avotat  à  la  Cour,  directeur  de  la  Bourse  égyptienne,  à  Alexandrie. 


11  semblerait  qu'après  trente  ans  d'occupation  britannique  en 
Egypte,  le  français  eût  dû  depuis  longtemps  céder,  sur  les  bords 
du  Nil,  le  pas  à  la  langue  rivale.  Or,  il  n'en  a  rien  été.  L'étude  de 
l'anglais  s'est  étendue  uniquement  dans  les  écoles  ofticielles, 
c'est-à-dire  celles  qui  dépendent  directement  du  ministère  de 
l'Instruction  publique.  Dans  ces  écoles,  on  peut  dire  que  le  fran- 
çais n'est  plus  étudié  du  tout;  les  dernières  sections  où  cette 
langue  était  en  honneur,  et  qui  subsistent  aussi  bien  dans  les 
écoles  secondaires  que  supérieures,  ont  toute  chance  d'être  sup- 
primées avant  peu. 

Jusqu'à  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  notre  langue  était,  pour 
ainsi  dire,  la  seule  que  les  Egyptiens  étudiassent  en  dehors  de 
l'arabe,  leur  langue  maternelle.  L'antagonisme  entre  les  deux 
langues  européennes  citées  n'est  entré  dans  une  période  aiguë 
qu'au  moment  où  les  relations  politiques  des  deux  pays  riverains 
de  la  Manche  se  sont  tendues.  L'Egypte  a  toujours  été,  on  le  sait, 
le  champ  clos  de  la  rivalité  anglo-française,  depuis  1882  jusqu'à 


110— la  12  SECTION  DE   PROPAGANDE 

l'entente  cordiale.  Mais,  depuis  cette  première  date  jusqu'en  1896, 
l'administration  britannique,  préoccupée  uniquement  de  ramener 
en  Egypte  l'ordre  dans  les  finances  et  d'améliorer  les  conditions 
de  l'agriculture,  ne  s'est  pas  souciée  activement  du  point  de  vue 
intellectuel.  Le  Ministère  de  l'Instruction  publique  subissait  pro- 
fondément l'infiuence  des  idées  françaises,  tant  à  la  suite  de  la 
présence  de  ministres  égyptiens  ayant  reçu  une  éducation  fran- 
çaise que  de  celle  d'un  personnel  enseignant  en  majorité  français 
ou  de  langue  française.  L'école  normale  de  Tewfikich,  où  se  for- 
maient les  professeurs,  était  dirigée  par  un  de  nos  compatriotes, 
et  le  français  était  à  la  base  de  l'enseignement. 

Lorsque  le  représentant  britannique  eut  accompli  la  plus 
grande  partie  de  la  tâche  matérielle  qu'il  s'était  assignée,  il  songea 
à  donner  droit  de  cité  à  l'anglais  dans  les  écoles  gouvernemen- 
tales. Petit  à  petit,  des  professeurs  anglais  remplacèrent  leurs 
collègues  français,  qui  furent  mis  à  la  retraite,  et,  à  l'beure 
actuelle,  l'enseignement  officiel  égyptien  est  entièrement  l'apa- 
nage de  maîtres  et  inspecteurs  d'oulre-Manche. 

Il  faut  noter  maintenant  que  notre  langue  a  toujours  été  main- 
tenue comme  langue  officielle  aux  examens,  c'est-à-dire  que  les 
candidats  aux  diplômes  délivrés  par  l'État  peuvent  «  composer  » 
soit  en  français,  soit  en  anglais;  je  ne  dis  rien  de  l'arabe  qui  est 
la  langue  du  pays.  Ainsi,  il  existe  encore  présentement,  à  chaque 
session  du  baccalauréat  ou  des  certificats  primaires,  deux  jurys 
d'examen,  mais  il  serait  oiseux  d'insister  sur  le  fait  que  les  élèves 
se  présentant  dans  les  sections  anglaises,  sont  cinq  à  six  fois 
aussi  nombreux  que  les  autres. 

Le  contingent  des  élèves  de  la  section  française  est  fourni  par 
les  écoles  libres  qui  ont  toujours  joué,  dans  l'Orient  en  général, 
et  en  Egypte  en  particulier,  un  rôle  considérable,  et  ont  aidé  effi- 
cacement à  la  diffusion  de  notre  langue  et  de  nos  idées.  Jusqu'à 
la  génération  précédente,  et  en  grande  partie  aujourd'hui  aussi, 
les  familles  dirigeantes,  l'élite  de  la  population,  ont  confié  et 
confient  l'instruction  de  leurs  enfants  aux  écoles  libres. 

La  majorité  de  ces  écoles  est  congréganiste,  mais,  en  dépit  de 
leur  caractère  confessionnel,  la  population  leur  a  toujours  été 
sympathique  et  le  nombre  de  leurs  élèves  n'a  cessé  de  s'accroître. 


LE  FRANÇAIS   DANS    LE   MONDE  Ia-12  —  IH 

Les  lycées  et  collèges  laïques  ont  d'ailleurs  aussi  joui  de  la  même 
faveur,  et  l'on  peut  énoncer  comme  un  fait  d'expérience  constante 
que  toute  institution  de  langue  française  sérieusement  menée  a 
pu  se  maintenir  et  progresser.  Les  lycées  français  du  Caire, 
d'Alexandrie  et  de  Port-Saïd,  fondés  récemment  sous  l'égide  de 
la  mission  laïque,  voient  le  nombre  de  leurs  élèves  s'accroître 
sans  cesse  et  la  vogue  en  leur  faveur  ne  diminue  nullement, tandis 
que,  fait  digne  de  remarque,  le  grand  collège  anglais  Victoria, 
d'Alexandrie,  patronné  par  les  hautes  personnalités  anglaises, 
n'a,  pour  ainsi  dire,  pas  eu  de  succès. 

Les  écoles  libres  françaises  étaient,  d'après  les  statistiques  ofli- 
cielles  du  gouvernement  égyptien,  à  fin  1908,  sur  le  territoire 
égyptien,  au  nombre  de  137,  et  comptaient  17,805  élèves 
(10,485  garçons  et  7,320  filles).  En  191 2,  le  nombre  de  ces  écoles 
a  passé  à  152  et  le  nombre  d'élèves  à  21,019  (12,703  garçons  et 
8,716  filles).  La  progression  est  rapide,  on  le  voit. 

Le  nombre  des  élèves  fréquentant,  en  1908,  les  écoles  de  langue 
anglaise  (anglaises  et  américaines)  était  de  14,527  et,  en  1912, 
de  17,302. 

Mais  la  langue  française  est  étudiée  sur  une  grande  échelle  dans 
les  institutions  qui  ne  sont  pas  de  nationalité  française,  et,  dans 
les  nombres  cités  plus  haut,  nous  n'avons  compris  que  celles-là. 
Mais,  pour  n'en  donner  qu'un  exemple,  dans  les  écoles  des  com- 
munautés Israélites  du  Caire  et  d'Alexandrie,  près  de  4,000  élèves 
étudient  le  français  comme  langue  base  de  l'enseignement. 

La  population  scolaire  d'Egypte  étant  évaluée  à  150,000  élèves, 
on  peut  dire  que  les  trois  cinquièmes  étudient  notre  langue  et 
nous  croyons  que  leur  nombre  ne  fera  que  s'accroître  pour  les 
motifs  suivants  : 

Ue  par  sa  situation  géographique,  l'Egypte  ne  peut  être  qu'un 
pays  cosmopolite.  Il  en  a  été  ainsi  de  toute  antiquité  et  les  évé- 
nements modernes  n'ont  pas  démenti  cette  tendance.  Or,  en 
dehors  de  la  langue  arabe  qui  n'est  parlée  que  dans  les  milieux 
indigènes,  il  faut  à  cette  population  hétéroclite  une  langue  auxi- 
liaire, qui  permette  à  toutes  les  fractions  de  s'entendre  entre 
elles.  Grâce  à  l'influence  que  la  France  a  eue  en  Egypte,  depuis 
l'expédition  de  Bonaparte,  c'est  notre  idiome  qui  a  été  parlé  de 


112  —  Ia-12  SECTION   DE   PROPAGANDE 

préférence  sur  les  bords  du  Nil,  el  c'est  vers  la  France  que  tous 
les  vice-rois  d'Egypte  se  sont  retournés  pour  lui  demander  des 
éducateurs.  C'est  donc  la  France  qui  a  pu  avoir  la  plus  grande 
influence  sur  les  esprits  au  pays  de  Pharaon,  et  qui  l'a  eue,  sans 
conteste,  jusqu'au  moment  où  les  événements  ont  donné  à 
l'Angleterre  la  prépondérance  politique  dans  la  vallée  du  Nil. 

On  ne  saurait  nier,  toutefois,  qu'un  danger  considérable  y 
guette  la  ditîusion  et  la  situation  de  notre  langue.  A  l'heure 
actuelle,  il  existe  encore  en  Egypte  des  institutions  interna- 
tionales, comme  la  Municipalité  d'Alexandrie,  la  Caisse  de  la 
Dette  publique,  le  Conseil  sanitaire  maritime  et  quarantenaire 
et  surtout  les  tribunaux  mixtes,  où  toutes  les  discussions,  plai- 
doiries, etc.,  se  font  en  français  Ces  institutions  sont  des  citadelles 
importantes  qui  servent  à  défendre  notre  langue,  mais,  l'une 
après  l'autre,  elles  sont  appelées  à  disparaître  à  mesure  que 
l'Angleterre  le  demandera  à  une  Europe  gagnée,  pour  ainsi  dire, 
à  l'avance  à  ces  concessions. 

D'autre  part,  et  c'est  là,  à  notre  avis,  le  danger  le  plus  inquié- 
tant, le  nombre  d'illettrés  diminue  chaque  année  en  Egypte, 
grâce  aux  sacrifices  que  s'impose  le  gouvernement  pour  assurer 
l'instruction  au  peuple  égyptien.  A  l'heure  actuelle,  la  dispro- 
portion entre  la  population  des  écoles  libres  et  celle  des  écoles 
ofticielles  n'est  pas  assez  considérable  pour  assurer  à  celles-ci 
une  supériorité  écrasante  du  nombre  sur  celles-là.  Mais,  du  jour 
où  s'opérera  la  diffusion  intensive  de  la  langue  anglaise  par  la 
création  d'écoles  dans  tous  les  centres  habités  de  l'Egypte, 
quand  on  pourra  décréter,  dans  ce  pays,  l'instruction  gratuite  et 
obligatoire,  et  quand,  par  ce  fait,  des  millions  d'Égyptiens 
apprendront  l'anglais  à  l'école,  notre  idiome  courra  grand 
risque  d'être  submergé,  et  toutes  ses  qualités  ne  suffiront  pas  à 
le  sauver,  sinon  d'une  disparition  totale,  tout  au  moins  d'une 
éclipse  redoutable. 

Le  remède  consisterait  naturellement  à  créer  des  écoles  fran- 
çaises partout  où  cela  est  possible,  ou  tout  au  moins  de  procurer 
aux  écoles  libres  indigènes,  dont  le  nombre  s'étend,  des  profes- 
seurs de  français.  Beaucoup  d'entre  elles  n'auraient  pas  le 
moyen  de  se  payer  d'elles-mêmes  le  luxe  d'un  pareil  collabora- 


I.E    l'KANI.lAlS    DANS    I.K    MONDE  In-12    —113 

tour,  mais,  en  y  contribuant  par  des  subventions  obtenues  j,'ràce 
à  l'entremise  de  l'Alliance  française  ou  d'autres  sociétés  poursui- 
vant le  même  but  (nous  ne  disons  rien  du  gouvernement  fran- 
çais qui  pourrait  sûrement  être  en  l'occurrence  d'un  grand 
secours),  il  serait,  croyons-nous,  possible  de  conserver,  en 
Egypte,  à  notre  langue,  le  rang  prépondérant  qu'elle  y  a  toujours 
occupé  et  qui  fait  ressembler  ce  pays,  à  l'heure  actuelle,  bien 
plus  à  une  colonie  française  qu'il  une  colonie  britannique. 

Pour  terminer  cette  note  trop  brève  à  notre  gré,  il  nous 
sutlira  de  mentionner  qu'on  compte  à  Alexandrie  et  au  Caire 
neuf  journaux  quotidiens  de  langue  française,  et  un  à  Port-Saïd, 
tandis  qu'il  n'existe,  en  tout,  que  trois  journaux  anglais,  et  encore 
sont-ils  obligés  de  publier  une  édition  française.  F^e  Journal 
officiel  du  gouvernement  égyptien  paraît  en  français  et  en 
anglais. 

Uuant  à  la  librairie,  l'importation  des  ouvrages  littéraires  et 
scientifiques  français  est  de  beaucoup  la  plus  considérable,  et 
l'on  peut  dire  que  les  deux  tiers  de  ce  commerce  si  intéressant 
soiit  entre  nos  mains. 

En  résumé,  l'Egypte  ofïrc  encore  à  la  culture  française  un 
vaste  champ  d'action.  Grâce  à  leurs  affinités  naturelles,  les  Égyp- 
tiens auront  toujours  une  plus  grande  sympathie  pour  nos  idées 
et  nos  mœurs,  et,  par  le  traité  de  1904,  celui  de  l'entente  cor- 
diale, l'Angleterre  s'est  engagée  à  respecter  les  institutions 
scolaires  placées  sous  notre  égide. 

Ayant  renoncé  à  la  lutte  politique  sur  les  bords  du  Nil,  il 
est  toujours  loisible  h  la  France,  et  sans  s'écarter  des  accords, 
de  continuer  le  bon  combat  intellectuel  et  de  contribuer  pour 
sa  part  à  faire  acquérir  à  l'Egypte,  avide  de  progrès,  les  bienfaits 
de  la  civilisation  européenne  par  le  véhicule  de  la  langue  et  des 
idées  françaises. 


1.   —    SECTION    DE    PHOPA(iANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  Langue  française  en  Alsace-Lorraine, 


Anselme  LAUGEL. 


La  question  (h'  l'eiiinisiiin  et  (h'  la  culture  de  la  langue  Irançaise 
«'M  Alsace-Lorraine  est  une  de  celles  qui  nous  préoccupent  le 
plus;  et  son  règlement  donne  lieu  à  d'infinies  difficultés. 

!.,oin  d'attacher  à  cette  question  une  portée  exclusivement  poli- 
lique,  nous  ne  l'envisageons  qu'au  point  de  vue  économique  ou 
littéraire.  Nous  prétendons,  que  dans  un  pays  frontière,  la  con- 
naissance des  langues  parlées  dans  les  régions  limitrophes  est 
absolument  indispensable,  et  qu'on  Alsace-Lori-aine  le  français 
et  l'allemand,  quoique  d'un  inégal  usage,  rendent  des  services 
égaux.  Nous  prétendons,  d'autre  part,  qu'il  serait  coupable  de 
priver  les  Alsaciens-Lorrains  du  plaisir  qu'ils  prennent  à  une 
langue  spirituelle,  claire  et  plus  capable  que  l'allemande  de 
rendre  les  finesses  et  les  délicatesses  de  l'esprit. 

S'inspiranl  de  ces  idées,  noire  ancien  parlement,  le  Landes- 
au.sschuss ,  a  bien  souvent  émis  le  vœu  que  l'on  rétablisse  l'ensei- 
gnement du  français  dans  les  écoles  primaires.  Pourquoi, 
disait-on,  ne  pas  suivre  l'exemple  du  gouvernement  français  qui 


146  —  Ia-13  SIXTIOX    DE    l'ItOPAGANDE 

n'hésitait  piis  à  pcniieltrc  l'enseignement  de  l'nlleniand?  Bien 
que  constituant  la  langue  ofliciclic,  le  français  n'était  pas, 
avant  1870,  regardé  par  rautorlté  comme  la  seule  langue  néces- 
saire :  on  faisait  une  large  part  à  l'allemand.  Un  opuscule  récent 
de  M.  le  professeur  Hans  Kaiser,  directeur  des  archives  dépar- 
tementales de  la  Basse-Alsace,  tend  bien  à  démontrer  que  l'ad- 
ministration françaises  cherchait,  par  tous  les  moyens  possibles,  à 
réprimer  l'usage  de  la  langue  allemande  en  Alsace;  mais  la  thèse 
soutenue  par  M.  Kaiser  a  été  combattue  avec  succès  dans  le  der- 
nier numéro  des  Cahiers  Alsaciens,  où  il  est  dit  que  «les  fonction- 
naires de  l'instruction  publique,  à  l'époque  française,  ne  consi- 
déraient pas  l'enseignement  comme  un  moyen  d'imposer  une 
nationalité  à  une  population  qui  n'en  voulait  pas.  La  France 
avait  attendu  près  de  deux  siècles  avant  de  s'appliquer  à  intro- 
duire sa  langue  en  Alsace,  et  elle  y  avait  gagné  les  cd'urs  sans 
recourir  à  cet  expédient.  Le  corps  enseignant  et  l'administralion 
ne  ressentaient  aucune  animosité  historique  ou  politique  contre 
l'usage  de  la  langue  allemande.  Leurs  représentants  n'eurent 
d'autre  objectif  que  d'api)rendre  la  langue  nationale  à  des  enfants 
qui  avaient  besoin  de  la  savoir  et  dont  les  parents  étaient  heu- 
reux et  fiers  d'être  français  ;  et,  dit  encore  à  ce  sujet  M.  Fritz 
Eccard  ('),  si  quelques  rares  administrateurs  et  universitaires 
par  trop  zélés  et  peu  au  courant  des  choses  d'Alsace,  préconi- 
sèrent, il  est  vrai,  la  suppression  progressive  de  l'enseigncipent 
allemand,  l'inlluence  d'hommes  mieux  informés  et  la  force 
même  des  choses  ont  empêché  ces  efforts  d'aboutir  et  ont  fait 
prévaloir  la  méthode  des  deux  langues,  méthode  qui  donnait  tant 
d'excellents  résultats.  » 

C'est  le  rétablissement  de  ce  régime  si  libéral  introduit  autre- 
fois chez  nous  par  l'administration  française  que  nous  deman- 
dons, et  nous  ne  voyons  pas  pourquoi  l'Allemagne  ne  montre- 
rait pas,  pour  les  habitudes  et  le  développement  des  Alsaciens- 
Lorrains,  cette  sollicitude  que  témoignait  autrefois  la  France. 
Ou  plutôt  je  me  trompe  :  nous  ne  voyons  que  trop  clairement  les 
desseins  que  poursuit  l'Allemagne,  dont  les  hésitations  à  suivre 

(*)  La  langue  française  en  Alsace,  par  M.  Fritz  Eccaid. 


r.E    FHAXÇAIS    DANS    I.E    MONDE  1(1-13 —  117 

l'exemple  donné  anlrefois  par  la  France  sont  dues  à  des  considé- 
rations d'ordre  tout  politique  :  elle  craint  l'intluence  que,  par  la 
langue,  l'esprit  français  pourrait  prendre  sur  l'esprit  alsacien;  et, 
(;onime  le  dit  encore  M.  Fritz  Eccard,  il  lui  paraît  inadmissible 
(jue  la  jeune  génération,  et  notamment  les  élèves  des  écoles  supé- 
rieures et  les -référendaires,  parlent  le  français  entre  eux,  et 
l'emploi  de  la  langue  welche  est  pour  elle  un  signe  incontestable 
d'hostilité  à  l'Allemagne. 

Mais  ces  craintes,  cette  méfiance  de  l'Allemagne  à  l'égard  du 
français  sont  vraiment  bien  puériles. 

Il  est  vrai  que  l'Alsace  Lorraine  a  été,  en  1871,  incorporée  à 
l'Allemagne  dont  elle  fait  partie  intégrante;  mais  croit-on 
qu'elle  acceptera  plus  volontiers  le  régime  nouveau  auquel  elle  a 
été  soumise  parce  qu'on  la  mettra  dans  l'incapacité  de  lire  ou 
d'écrire  le  français?  Ce  n'est  pas  en  français  que  se  prononcent,  au 
parlement,  les  plus  violents  réquisitoires,  et  ce  n'est  pas  non  plus 
en  français  que  s'écrivent,  dans  les  journaux  et  dans  les  revues, 
l(^s  diatribes  les  plus  acerbes  contre  l'administration  allemande. 
Le  cœur  est  plus  fort  que  la  langue,  et  il  saura,  en  Alsace-Lorraine, 
se  servir  même  de  l'allemand  pour  donner  à  ses  sentiments  une 
expression  à  laquelle  personne  ne  pourra  se  méprendre.  Ce  n'est 
donc  que  par  un  inutile  accès  de  mesquine  mauvaise  humeur 
que  l'administration,  mal  renseignée,  prit  contre  l'enseignement 
du  français  des  mesures  prohibitives. 

(Jrâce  toutefois  à  la  ténacité  de  nos  députés,  la  situation,  dans 
ces  derniers  temps,  s'est  améliorée  :  «  Il  y  a  quinze  ans,  dit  le 
Nouvelliste  du  i  septembre  dernier,  le  français  était  presque 
complètement  proscrit.  Dans  les  écoles  normales  d'instituteurs, 
les  élèves  se  faisaient  tous  dispenser  du  cours  de  français  avec  la 
complicité,  pour  ne  pas  dire  davantage,  de  leurs  maîtres,  dont 
la  plupart  étaient,  eux-mêmes,  incapables  de  soutenir  la  moindre 
conversation  française,  bans  les  lycées,  l'enseignement  du  fran- 
çais fait  à  la  manière  de  l'enseignement  des  langues  mortes, 
était,  presque,  partout,  conlié  à  des  maîtres  immigrés  qui,  eux 
aussi,  ne  possédaient  que  de  la  façon  la  plus  imparfaite  la  langue 
qu'ils  étaient  chargés  d'enseigiKM*.  Les  leçons  particulières  ne 
pouvaient  être  données  que  par  des  professeurs  oHiciels,  et  le 


H8  —  Inl3  SECTION    DE    PROl'AGANDE 

nombre  des  élèves  qu'il  leur  était  permis  de  réunir  restait  stric- 
tement limité.  Mais,  grâce  aux  protestations  répétées  du  parle- 
ment, l'enseignement  du  français  est  aujourd'hui  organisé  d'une 
façon  plus  rationnelle  et  plus  conforme  à  nos  intérêts.  Dans  les 
écoles  normales,  le  français  fait  obligatoirement  partie  du  pro- 
gramme; dans  les  collèges,  l'enseignement  du  français  est  géné- 
ralement confié  à  des  professeurs  indigènes  qui  possèdent  cette 
langue  à  fond;  les  communes  peuvent,  en  dehors  des  heures  de 
classe,  organiser  des  cours  de  français  sans  limitation  du  nombre 
des  élèves.  Chaque  personne  donnant  les  garanties  morales 
suffisantes  est  autorisée  à  donner  des  leçons  particulières,  et  si 
tous  nos  vœux  ne  sont  pas  encore,  il  est  vrai,  réalisés,  parce  que 
le  français  ne  figure  pas  encore  au  programme  de  l'école  pri- 
maire, il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  des  progrès  considérables 
ont  été  réalisés,  et  cela  uniquement  parce  que  le  parlement  n'a 
cessé  de  lutter.» 

Il  serait  donc  permis  d'espérer  une  amélioration  complète  et 
une  réalisation  absolue  de  nos  vœux,  si,  malheureusement,  un 
facleui'  funeste  n'intervenait  pas  constamment  pour  paralyser, 
non  pas  nos  efforts,  à  nous,  mais  la  bonne  volonté  que  l'admi- 
nistration serait,  peut-être,  disposée  à  nous  témoigner. 

A  côté  de  l'impérialisme  officiel  du  gouvernement,  on  dis- 
tingue, en  effet,  en  Allemagne,  un  autre  impérialisme,  qui  est 
plus  puissant  que  le  premier,  et  dont  l'importance  augmente 
chaque  jour  :  je  veux  parler  du  pangermanisme. 

Les  prétentions  pangermanistes  (uit  été,  bien  souvent,  déffnies 
par  (les  auteurs  autorisés,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  que 
l'annexion  à  l'Allemagne  d'une  grande  partie  de  la  France  et  de 
ses  colonies,  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande  fait  partie  des 
revendications  du  pangermanisme  qui  modifie  à  sa  guise  la  carte 
de  l'Europe,  déplace  les  frontières  et  bouscule  les  nationalités 
et  les  races,  sans  i-éfléchir  qu'il  n'est  pas  seul  au  monde,  sans 
songer  que  la  destinée  des  peuples  dépend  d'autres  consente- 
ments que  du  sien. 

liCs  pangermanistes  ne  forment  pas,  à  proprement  parler,  nn 
parti  :  ils  sont  les  partisans  d'une  doctrine  violente  et  exaltée 
que  l'outrecuidance  prussienne  a  imposée  à  un  grand  nombre 


I.E   FRANÇAIS    DANS   l,F.   MONDE  Ia-13  —  119 

(l'Alleniands  de  toutes  les  opinions  et  de  tous  les  pays.  Le  pan- 
germanisme est  un  état  d'àme  dangereux,  une  sorte  de  folie  des 
grandeurs  qui  semble  devenir  contagieuse  et  qui  pourra,  avec  le 
temps,  menacer  le  repos  de  l'Europe. 

Les  idées  du  pangermanisme  tinissent,  presque  toujours,  par 
être  adoptées  par  le  gouv<'rnement,  et  c'est  là  ce  qui  le  rend  par- 
ticulièrement redoutable.  Mon  ami,  M.  Helmer,  qui  est  en  même 
temps  notre  collègue,  a  fait  publier  une  étude  très  intéressante 
sur  cette  question  et  montré  avec  une  grande  netteté  comment, 
peu  à  peu,  les  idées  les  plus  hasardées  émises  par  le  pangerma- 
nisme sont  acceptées  par  l'opinion  publique,  et,  finalement,  par 
le  gouvernement  impérial  qui  règle  sur  elles  sa  conduite. 

^lais  je  ne  veux  pas  oublier  qu'il  ne  peut  s'agir,  aujourd'hui, 
([ue  de  la  libre  extension  du  français,  et  que  je  ne  dois  vous 
entretenir  que  de  l'Âlsace-Lorraine  :  je  me  contenterai  donc  de 
retracer,  en  deux  mots,  les  théories  que  professe,  à  ce  sujet,  le 
pangermanisme. 

Ces  théories  sont  exposées  dans  un  ouvrage  qui  a  été  publié  à 
Leipzig,  en  1912,  par  M.  Daniel  Frymann,  sous  le  titre  :  Weim 
icli  der  Kaiser  wàrel  —  Si  fêtais  l'empereur  !  —  Cet  ouvrage  a  été 
vpiuiu  jusqu'ici  à  près  de  20,000  exemplaires,  c'est  dire  qu'il  a 
obtenu  un  certain  succès  ! 

Après  s'être  plaint  de  la  faute  qui  a  été  commise  en  1872  en  ne 
mettant  pas  à  l'option  des  Alsaciens- Lorrains  des  conditions 
assez  nettes.  M,  Frymann  dit  que,  pour  réparer  cette  erreur,  il 
faut,  de  tonte  nécessité,  procéder  à  une  nouvelle  épreuve  et 
demander  à  tout  Alsacien-Lorrain  qui  aura  atteint  sa  majorité, 
de  prendre  l'engagement  formel  de  ne  jamais  se  servir  de  la 
langue  française  ni  chez  soi,  ni  hors  de  chez  soi,  de  ne  jamais 
faire  venir  de  France  ni  journaux,  ni  livres  français,  et  enfin  de 
ne  pas  faire  élever  ses  enfants  dans  des  établissements  où  l'on 
parle  français,  ces  établissements  fussent-ils  situés  en  Belgique 
ou  en  Suisse.  Tous  ceux  qui  ne  prendraient  pas  cet  engagement, 
ou  qui,  l'ayant  pris,  viendraient  à  y  manquer,  seraient  considérés 
comme  s'étant  prononcés  contre  l'Allemagne  et  contraints  de 
quitter  le  pays. 

Dans  les  régions  de  langue  allemande,  il  serait  défendu  de 


120 —  Io-13  SECTION  DE   PROPAGANDE 

faire  paraître  des  journaux  rédigés  en  français;  dans  les  régions 
de  langue  française,  on  permettrait,  sous  un  contrôle  sévère,  la 
publication  de  journaux  français,  mais  à  condition  que  le  texte 
français  soit  toujours  accompagné  du  texte  allemand  corres- 
pondant. 

Vous  voyez  la  belle  situation  que  nous  ferait  M.  Daniel 
Freymann,  s'il  était  l'empereur.  Heureusement  pour  nous  qu'il 
n'est  pas  même  statthalter.  Mais  nous  savons  qu'il  y  a,  à  Stras- 
bourg, des  gens  qui  partagent  ses  opinions. 

D'autre  part,  les  Alldeutsche  Blàlter  (îeuiWes  pangermanistes) 
rendaient  compte,  il  y  a  quelques  jours  à  peine,  d'un  ouvrage 
de  M.  K.  F.  Wolft'sur  le  traitement  que  les  peuples  conquérants 
ont  à  faire  subir  aux  peuples  conquis.  A  côté  d'aperçus  parti- 
culièrement ingénieux  qui  tendent  à  montrer  que  le  vainqueur 
est  autorisé  à  priver  les  vaincus  de  toute  espèce  de  droits  poli- 
tiques, l'auteur  émet  l'avis  final  que  :  «  il  faut  absolument  briser 
avec  le  préjugé  qui  veut  que  les  vaincus  aient  un  droit  quel- 
conque au  maintien  de  leur  nationalité  et  de  leur  langue,  car  les 
vainqueurs  agissent  d'après  les  règles  de  la  biologie  et  de  la 
logique  en  s'appliquant  à  faire  disparaître  la  langue  et  à  anéantir 
la  nationalité  des  peuples  qu'ils  auront  vaincus.  »  (*) 

Ces  beaux  principes,  ouvertement  proclamés  par  les  Panger- 
manistes, ne  sont  pas,  il  est  facile  de  le  prévoir,  considérés  en 
Allemagne  comme  des  rêves  insensés,  ou  des  écarts  d'esprits 
outranciers  aimant  à  donner  à  leur  patriotisme  une  forme  abso- 
lue et  paradoxale  ;  ces  principes  sont  acceptés  par  un  nombre 
immense  de  gens;  et,  à  chaque  instant,  nous  les  voyons  recevoir 
chez  nous  un  commencement  d'exécution. 

N'avons-nous  pas  appris,  dernièrement,  à  notre  grande  sur- 
prise, que  le  gouvernement  d'Alsace-Lorraine  avait  eu  la  préten- 
tion de  faire  voter  par  le  Rcichstag  des  lois  d'exception  qui  lui 
permettraient  de  supprimer,  s'il  le  jugeait  opportun,  les  jour- 
naux rédigés  en  langue  française  qui  paraissent  en  Alsace- 
Lorraine  ? 

Ne   lisons-nous    pas,   à   chaque   instant,    dans    les  feuilles 

(')  Nouvelliste  d'Alsace- Lorraine,  du  5  septembre  1913. 


I.K    FRANÇAIS    DANS    l,E    MOXDE  Ia-13  —  121 

publiques,  les  folles  incartades  auxquelles  se  livrent  quelques 
énergumènes  quand  ils  entendent  des  Alsaciens  parler  lefrançais 
dans  un  magasin  ou  dans  un  lieu  public  ? 

Ne  savons-nous  pas  qu'un  honorable  bijoutier  de  Strasbourg 
a  été  condamné  à  une  amende  pour  avoir  fixé  à  la  porte  de  son 
magasin  une  pancarte  annonçant,  en  français,  qu'il  avait  trans- 
féré son  établissement  de  la  rue  des  Arcades  dans  la  rue  du 
Dôme? 

•iN'est-il  pas  de  notoriété  publique  qu'à  Metz,  à  l'entrée  d'un 
parc  dont  elle  s'était  indûment  réservé  la  jouissance,  l'adminis- 
tration militaire  a  fait  afficher  une  défense  aux  promeneurs  de 
parler  le  français  ? 

Je  pourrais  citer,  à  l'infini,  des  mesures  vexatoires  qui  sont 
prises  pour  contrarier  ceux  qui  se  permettent  de  regarder  le 
français  comme  une  langue  dont  ils  veulent  conserver  l'usage  ; 
mais  j'en  passe...  et  des  meilleures. 

Il  est  possible  que  ce  soit  là  de  la  politique  ;  mais  je  ne  puis 
m'empêcher  de  croire  que  cette  politique  est  faite  aux  dépens  du 
droit,  de  la  justice,  de  la  liberté...  et  du  bon  sens,  puisque 
M.  Daniel  Frymann  lui-même  reconnaît,  dans  l'ouvrage  que 
j'ai  cité,  que,  malgré  les  chicanes  qu'on  leur  cherche,  les  Alsa- 
ciens-Lorrains ([ui  parlent  le  français  sont  plus  nombreux 
aujourd'hui  qu'il  y  a  vingt  ans. 

C'est  sur  cette  attirmation  consolante  que  je  terminerai  iiiôn 
rapport,  en  ajoutant  que  l'Alsace-Lorraine  ne  se  laissera  pas 
intimider  par  les  menaces  pangcrmanistes. 

Nous  avons  la  conviction  intime  •  que  la  langue  française 
forme  l'outil  nécessaire  pour  la  propagation  d'une  culture 
supérieure,  et  que  la  guerre  qu'on  lui  fait  ne  sert  qu'à  amoindrir 
ceux  qui  l'on  maladroitement  entreprise. 


I.  —  SECTION   DE   PROPAGANDE. 

A    I.K  FRANÇAIS  IIANS  I.K  MONDK. 


La  langue  française  en  Hongrie, 


lliiiKin     MOUAXD, 

^mn'-gé  (le  l'Université. 


Un  des  plus  sérieux  soucis  des  pères  de  famille  et  des  éduca- 
teurs hongrois  tient  à  la  nécessité  de  faire  apprendre  aux 
enfants  une  ou  plu-sieurs  langues  étrangères.  Le  hongrois,  en 
effet,  n'a  de  parenté  ni  de  ressemblance  avec  aucune  des 
autres  langues  européennes,  le  finnois  excepté;  il  n'est  parlé 
par  personne  hors  du  territoire  du  royaume,  sauf  par  les  émi- 
grés hongrois;  il  faut  donc  absolument  que  tous  les  Hongrois 
qui  veulent  avoir  des  relations  internationales  apprennent  au 
moins  une  langue  étrangère,  et  ils  apportent  à  cette  étude,  pour 
l'ordinaire,  mie  remarquable  facilité. 

La  langue  qui  s'impose  à  eux  d'abord  est  l'allemand  :  l'union 
diplomatique,  militaire,  financière  et  douanière  de  la  Hongrie 
avec  l'Autriche,  oblige  la  plupart  des  Hongrois  un  peu  instruits, 
à  savoir  l'allemand,  dont  l'étude  est  obligatoire  dans  toutes  les 
écoles  secondaires  et  les  écoles  commerciales.  L'anglais,  d'autre 
part,  est  à  la  mode  dans  la  haute  société;  et  il  est  de  bon  ton  de 
pouvoir  le  parler,  car  la  Hongrie,  pays  essentiellement  aristo- 


124  —  Ia-14  SECTION  de  propagande 

cratique,  se  flatte  d'avoir  quelque  ressemblance  avec  l'aristo- 
cratie d'Angleterre,  qu'elle  prend  volontiers  pour  modèle. 

Mais  la  langue  littéraire  par  excellence,  en  Hongrie,  est  tou- 
jours le  français.  Un  séjour  de  quelques  semaines  à  Budapest 
suffit  pour  convaincre  l'étranger  que  toutes  les  personnes  un 
peu  cultivées  le  parlent  peu  ou  prou  et  souvent  à  la  perfection; 
qu'elles  lisent  nos  romans  ou  nos  pièces  de  théâtre,  quelques-uns 
de  nos  journaux,  et  se  tiennent,  en  somme,  au  courant  du  mou- 
vement littéraire  de  notre  pays.  Par  quels  moyens  acquièrent- 
elles  cette  connaissance  de  notre  langue  et  de  notre  littérature? 

Au  commencement  du  mois  de  mai,  on  fait  à  Budapest,  pen- 
dant deux  jours,  une  quête  pour  les  enfants  pauvres  des  hôpi- 
taux. A  tous  les  coins  de  rue,  d'élégantes  quêteuses  tendent  leur 
sébile  aux  passants.  Je  me  suis  amusé  récemment,  avec  un  de 
nos  compatriotes,  à  leur  demander  quel  était  le  but  de  cette 
quête  :  presque  toutes  les  dames  de  charité  m'ont  répondu  très 
clairement  et  très  correctement  en  français.  C'est  qu'il  s'agissait 
de  jeunes  femmes  ou  de  jeunes  filles  appartenant  à  des  familles 
fortunées,  qui  ont  presque  toujours,  dès  la  petite  enfance,  des 
gouvernantes  ou  des  domestiques  françaises  (1).  Cette  instruc- 
tion privée  et  donnée  à  la  maison  est  à  la  base  de  l'éducation 
dans  toute  la  haute  société  de  Hongrie. 
.  Dans  l'enseignement  secondaire  des  garçons,  on  n'apprend 
■pas  le  français  aux  élèves  des  gymnases,  qui  ne  reçoivent  que  la 
culture  latine  et  grecque,  mais  seulement  aux  élèves  des  écoles 
réaies,  ou  écoles  d'enseignement  moderne.  Si  l'on  considère 
qu'il  y  a  en  Hongrie  170  gymnases  et  32  écoles  réaies,  on  voit 
qu'une  petite  minorité  de  Hongrois  seulement  peut  apprendre  le 
français  au  collège. 

Cet  enseignement  leur  est  donné  pendant  six  ans,  de  la 
3"  classe  à  la  8"  inclusivement,  à  raison  de  cinq  heures  par 
semaine  en  3"  et  4°,  de  quatre  heures  en  o",  de  trois  heures  en  6' 

(1)  Il  existe  à  Budapest  une  Société  française  d'assistance  en  Hongrie 
qui  a  pour  but  essentiel  de  venir  en  aide  aux  jeunes  françaises  envoyées 
en  Hongrie  et  qui  ont  à  supporter  les  funestes  conséquences  de  contrats 
passés  entre  leurs  parents  mal  informés  et  des  placeurs  intéressés.  Cette 
société  à  un  local,  le  Home  français. 


I.E    FRANÇAIS    DANS    l,E    MONDE  Ia-14  —   125 

et  7°,  de  quatre  en  8'.  Dans  ces  deux  dernières  années,  la  classe 
doit  être  faite  en  français. 

Au  printemps  de  1910,  M.  Jules  Gautier,  directeur  de  l'ensei- 
gnement secondaire  de  France,  étant  venu  faire  à  Budapest  luie 
conférence  sur  l'enseignement  secondaire,  a  mis  sou  séjour  à 
profit  pour  visiter  quelques  classes  des  gymnases  et  des  écoles 
réaies  de  Budapest.  Pendant  ces  visites,  où  j'avais  l'honneur  de 
l'accompagner,  on  a  tenu  siu'tout,  comme  il  était  naturel,  à  lui 
donner  une  idée  de  l'enseignement  du  français.  Dans  plusieurs 
classes,  nous  avons  entendu  réciter  ou  expliquer  très  intelli- 
gemment des  fables  de  La  Fontaine.  Un  professeur  de  l'Institut 
François-Joseph  faisait  lire  à  ses  jeunes  élèves  Un  bon  petit 
diable,  de  M'""  de  Ségur,  et  l'un  d'eux  nous  a  raconté  gentiment 
une  des  farces  que  le  «  bon  petit  diable  »  fit  à  la  mère  Mac 
Miche;  il  semblait  s'en  amuser  autant  que  font  les  petits  gar- 
çons français,  et  les  mots  lui  venaient  aisément. 

Il  nous  a  semblé  que  l'enseignement  du  français  était  plus 
développé  dans  les  deux  lycées  de  jeunes  filles  que  nous  avons 
visités.  Bien  que  ce  cours  fût  facultatif,  les  jeunes  filles  le  sui- 
vaient en  grand  nombre.  Au  lycée  de  l'avenue  Andrassy,  de 
petites  élèves  d'environ  13  ans  (3°  classe),  ayant  commencé  le 
français  à  la  rentrée  dernière,  répondaient  sans  peine  aux  ques- 
tions que  leur  posait  leur  professeur  sur  tout  ce  qui  se  rapporte 
au  repas.  Les  élèves  de  la  o"  (lo  ans)  parlaient  correctement  de 
l'histoire  de  notre  littérature  classique,  et  l'une  d'elles  a  récité 
presque  sans  accent  une  tirade  du  Cid.  Au  lycée  Elisabeth,  une 
élève  de  la  4*  a  expliqué  un  morceau  qui  avait  été  heureusement 
choisi  pour  nous  être  agréable,  les  Adieux  de  Marie  Stuart,  de 
Béranger  : 

Adieu,  charmant  pays  de  France 
Que  je  dois  tant  ctiérir  I 
Berceau  de  mon  lieureuse  enfance 
Adieu  I  te  quitter  c'est  mourir. 

L'enseignement  supérieur  du  français,  dans  les  deux  univer- 
sités de  Budapest  et  de  Kolozvar  (Transylvanie),  est  donné, 
avec  un  grand  souci  de  la  philologie;  la  littérature  du  moyen- 
âge  tient  dans  les  cours  une  place  très  importante.  En  outre  du 


126  —  Ia-14  SECTION    DE    l'KOPAOANDE 

professeur  ordinaire,  il  y  a  à  l'Université  de  Budapest  un 
«  lecteur  »  français,  chargé  de  faire,  une  fois  par  semaine,  un 
cours  d'histoire  de  la  littérature,  et,  une  autre  fois,  de  faire 
lire  et  expliquer  aux  étudiants  et  étudiantes  un  texte  français. 
Mais  le  centre  universitaire  de  la  culture  française  en  Hongrie 
se  trouve  à  Budapest,  au  Collège  Eœtvœs. 

Ce  collège  a  été  fondé,  en  189o,  par  les  soins  d'un  célèbre 
physicien  hongrois,  le  baron  Laurent  Eœtvœs,  qui  chargea  un 
de  ses  assistants  à  l'Université,  M.  Bartoniek,  d'organiser  un 
établissement  d'enseignement  supérieur  destiné  à  former  des 
professeurs  d'enseignement  secondaire.  M.  Bartoniek  vint  à 
Paris,  où  il  visita  l'Ecole  normale  supérieure  et  prit  conseil  de 
M.  Georges  Perrot,  qui  la  dirigeait  alors;  au  retour,  il  s'efforça 
d'instituer  une  école  qui  devait  ressembler  autant  que  possible 
à  celle  de  la  rue  d'Ulm. 

Désireux  de  développer  le  plus  possible  la  culture  française 
chez  ses  élèves,  M.  Bartoniek  ne  se  contenta  pas  de  mettre  à  leur 
disposition  une  bibliothèque  française  très  riche,  très  variée  et 
choisie  avec  un  goût  parfait,  ou  de  favoriser  de  tout  son  pou- 
voir les  séjours  plus  ou  moins  longs  que  quelques-uns  de  ces 
jeimes  gens  pouvaient  faire  à  Paris,  grâce  à  des  bourses  données 
par  l'Etat  ou  à  des  fondations  particulières  :  il  eut  encore  l'idée 
d'installer  à  poste  fixe,  au  Collège  Eœtvœs,  un  ancien  élève  de 
l'Ecole  normale  de  Paris,  qui  devait  avoir  pour  mission  d'en- 
seigner le  français  aux  élèves  les  plus  avancés,  de  parler  avec 
eux  le  plus  possible,  en  dehors  des  heures  de  cours,  enfin  de 
les  faire  vivre,  par  sa  présence  continuelle,  en  contact  perma- 
nent avec  l'esprit  français.  J'ai' occupé  ce  poste  pendant 
deux  ans  et  je  garde  le  meilleur  souvenir  de  la  sympathie  que 
directeur,  professeurs  et  élèves  témoignaient  sans  cesse  à  l'Ecole 
et  à  la  nation  que  je  représentais,  de  la  bonne  volonté  que  les 
jeunes  gens  mettaient  à  se  perfectionner  dans  l'étude  de  notre 
langue  et  de  la  littérature  (1). 

(1)  Depuis  1911,  il  y  a  deux  normaliens  au  Collège  Eoptvœs,  l'un  deux 
est,  en  outre,  professeur  de  français  de  l'un  des  fils  de  l'Archiduc  Joseph . 


LE    FRANÇAIS   DANS    LK    MONDE  Ia-14  —  127 

M.  Bartoniek,  pour  témoigner  encore  sa  sympathie  à  lEcole 
normale  de  France,  veut  que  tous  les  anciens  élèves  de  cette 
école,  passant  ou  séjournant  à  Budapest,  soient  ses  hôtes  :  plu- 
sieurs d'entre  eux  ont  déjà  reçu  au  (Collège  Eœtvœs  l'hospitalité 
la  plus  cordiale. 

Un  de  ces  visiteurs,  M.  Paul  Dupuy,  secrétaire  de  l'Ecole  nor- 
male supérieure,  qui  passa  ({uelques  jours  à  Budapest,  au  prin- 
temps de  1911,  se  rendit  compte  que  de  nombreux  étudiants  du 
collège  étaient  très  désireux  de  faire  un  séjour  d'études  à 
Paris,  mais  qu'ils  étaient  arrêtés  par  la  question  pécuniaire  : 
les  frais  de  séjour,  s'ajoutaiit  aux  frais  de  voyage,  leur  interdi- 
saient cet  utile  déplacement.  M.  Paul  Dupuy  eut  alors  l'idée 
ingénieuse  et  vraiment  amicale  que  l'on  pourrait  profiter  du 
temps  des  vacances  pendant  lequel  les  bâtiments  de  la  rue 
d'Ulm  sont  à  peu  près  vides,  pour  y  recevoir  quelques  étudiants 
du  Collège  Eœtvœs  :  ils  paieraient  une  indemnité  très  réduite 
de  logement  et  de  nourriture;  ils  auraient, en  outre, la  jouissance 
de  la  bibliothèque.  M.  Ernest  Lavisse,  directeur  de  l'Ecole,  vou- 
lut bien  approuver  ce  projet,  qui  a  été  mis  à  exécution,  avec 
succès,  depuis  trois  ans.  C'est  ainsi  que,  cette  année,  dix  jeunes 
Hongrois  ont  reçu,  pendant  six  semaines  au  moins,  l'hospita- 
lité de  l'Ecole  normale  et  vécu  eu  camarades  avec  les  norma- 
liens de  France. 

On  ne  s'étonnera  pas  qu'après  de  telles  marques  d'une  ami- 
tié réciproque  enti-e  les  deux  écoles,  l'Université  de  Paris  ait 
été  invitée  à  se  faire  représenter  officiellement,  comme  mar- 
raine, pour  ainsi  dire,  à  l'inauguration  du  nouveau  Collège 
Eœtvœs,  qui  a  eu  lieu  en  octobre  19H.  A  cette  cérémonie, 
M.  Emile  Borel,  sous-directeur  de  l'Ecole  normale,  a  exprimé 
les  vœux  que  notre  université  forme  pour  la  prospérité  de  cet 
établissement,  et  à  juste  titre;  car  il  n'y  a  peut-être  pas,  hors 
de  France,  une  maison  où  il  soit  plus  aisé  de  vivre  en  communi- 
cation constante  avec  la  pensée  et  la  langue  française. 

Avant  d'en  finir  avec  les  modes  d'enseignement  du  français, 
je  dois  mentionner  les  cours  gratuits  organisés  par  la  Société 
littéraire  française  de  Budapest,  qui  a  été  fondée,  en  1907,  par 


128  —  Ia-14  SECTION    DE   PROPAGANDE 

M.  de  Fontenay,  alors  consul  général  de  France,  et  patronnée  par 
un  comité  d'hommes  d'Etat  et  de  notables  hongrois.  Ces  cours 
durent  sept  mois  chaque  année  et  réunissent  environ  400  audi- 
teurs des  deux  sexes,  appartenant  pour  la  plupart  au  monde 
des  employés  ou  des  commerçants.  D'autre  part,  la  ville  de 
Budapest  a  créé,  en  1908,  pour  ses  fonctionnaires  et  ses 
employés,  des  cours  de  français,  qui  n'ont  pas  cessé  de  se 
développer  dans  l'année  qui  vient  de  finir;  ils  ont  été  suivis 
par  une  cinquantaine  d'élèves,  dont  les  progrès  ont  été  satisfai- 
sants. Enfin,  la  Ville  a  créé,  en  lOll,  au  Séminaire  pédagogique 
municipal,  des  cours  d'allemand,  d'anglais  et  de  français  pour 
les  instituteurs  et  institutrices  des  écoles  municipales;  pendant 
l'année  scolaire  1912-1913,  les  cours  du  français  ont  été  suivis 
par  lo  instituteurs  et  6o  institutrices.  Comme  il  arrive  presque 
toujours  quand  il  s'agit  de  l'étude  du  français  en  Hongrie, 
celles-ci  ont  beaucoup  plus  appris  que  ceux-là.  On  parle  de 
donner  plus  d'extension  encore  à  ces  cours. 

L'enseignement  du  français  donné  dans  les  écoles,  les  uni- 
versités ou  les  autres  salles  de  cours  peut  avoir  à  Budapest 
divers  compléments  :  conférences,  journaux,  publications  pério- 
diques ou  livres  que  je  vais  passer  en  revue. 

La  Société  littéraire  française  de  Budapest  fait  venir  chaque 
année  de  Paris  sept  ou  huit  conférenciers,  choisis  d'ordinaire 
parmi  les  plus  renommés,  qui  traitent  les  sujets  les  plus  divers  : 
histoire  politique,  histoire  littéraire,  histoire  de  l'art,  voyages, 
légendes,  .sciences,  etc.  Ces  conférences,  qui  ont  lieu  dans  la 
grande  et  belle  salle  du  Musée  national,  attirent  un  public  nom- 
breux, assidu  et  très  attentif,  heureux  d'avoir  cette  occasion 
d'entendre  bien  parler  le  français,  et  de  s'instruire  sur  quelque 
partie  de  notre  civilisation. 

La  Société  littéraire  française  a  pour  organe  une  revue  men- 
suelle, rédigée  en  français,  la  Revue  de  Hongrie,  que  dirige 

(1)  Quant  aux  représentations  dramatiques  données  par  des  artistes 
français  en  tournée,  il  n'y  en  a  pas  eu  à  Budapest  depuis  le  printemps 
de  1910. 


LE   FRANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  Ia-14  —  129 

avec  beaucoup  de  talent  et  d'habileté  M.  Guillaume  Huszar, 
lauréat  de  l'Académie  française.  La  Revue  de  Hongrie  publie  des 
articles  originaux  ou  des  articles  traduits  du  hongrois,  qui  ont 
pour  but,  soit  de  faire  mieux  connaître  la  Hongrie  au  public 
international  (1),  soit  de  présenter  aux  Hongrois  cultivés  les 
grandes  questions  qui  peuvent  intéresser  leur  pays.  La  revue 
comprend  aussi  une  importante  partie  littéraire,  composée  de 
traductions  d'œuvres  modernes  hongroises.  C'est  ainsi  que  des 
romans  ou  pièces  de  Jokai,  de  Mikszath,  de  MM.  François  Herc- 
zeg,  François  Molnar,  Melchior  Lengyel,  etc.,  y  ont  paru,  en 
français,  pour  la  première  fois. 

Les  Hongrois  instruits  lisent  volontiers  quelques  journaux 
français  —  on  en  trouve  dans  tous  les  cafés  —  tout  en  regret- 
tant que  les  nouvelles  de  leur  pays  y  soient  généralement  trop 
rares.  Ils  reprochent  aussi  aux  publicistes  français  de  présenter 
à  leurs  lecteurs  une  Hongrie  pittoresque  et  quelquefois  de  fan- 
taisie —  dont  l'originalité  se  réduirait  presque  uniquement  à 
quelques  produits  tels  que  le  paprika,  le  gulyas,  le  fogas,  le  vin 
de  Tokay  ou  les  csardas,  alors  qu'on  devrait  parler  plutôt,  disent- 
ils,  de  leur  civilisation  toute  neuve  ou  de  leur  «  culture  »  mo- 
derne. Mais  cette  lacune  n'empêche  pas  les  Hongrois  de  lire 
avec  intérêt  les  journaux  où  ils  croient  trouver  la  plus  fidèle 

image  de  ce  qu'on  appelle  l'esprit  parisien Paris,   Paris! 

Ceux  qui  ne  sont  pas  encore  allés  dans  la  capitale  en  parlent  avec 
un  désir  passionné;  quand  ils  l'ont  connue,  c'est  une  admira- 
tion enthousiaste  qui  leur  fait  chercher  le  souvenir  et  l'éma- 
nation de  Paris  dans  la  plupart  de  leurs  lectures. 

Les  livres  français  apparaissent  en  grand  nombre  dans  les 
vitrines  des  libraires  de  Budapest;  étant  donné  le  goût  du  public 
lettré  pour  nos  romans  et  nos  pièces  de  théâtre,  ils  se  vendraient 

(1)  Les  Hongrois  se  plaignent  souvent  que  leur  pays  soit  mal  connu  à 
l'étranger  et  spécialement  en  France.  La  Bibliographie  française  en 
Hongrie,  de  M.  Ignace  Kont,  Paris,  1913,  énumérant  les  livres  et  manu- 
scrits français  concernant  la  Hongrie,  ne  compte  cependant  pas  moins  de 
300  pages,  grand  in-S".  M.  André  Lkvai,,  correspondant  du  Temps,  à 
Budapest,  vient  do  publier  un  important  supplément  à  cette  bibliographie 
{Revue  de  Hongrie,  janvier-février  191-1). 


130— Irt-14  SECTION   DE   PROPAGANDE 

bien  plus  nombreux  encore  que  s'ils  étaient  moins  coûteux; 
mais  les  libraires  hongrois  ont  l'habitude  de  faire  venir  leurs 
livres  français  non  de  Paris,  mais  de  Leipzig;  :  il  est  facile  d'ima- 
giner la  perte  de  temps,  d'abord,  et  l'élévation  de  prix  qui 
résultent  de  cet  état  de  choses  pour  l'achat  du  moindre  livre 
français. 

Telle  est  la  situation  actuelle  de  la  langue  française  en  Hon- 
grie. Elle  lutte  énergiquement,  grâce  à  quelques  généreuses  et 
tenaces  initiatives,  grâce  au  prestige  de  notre  capitale  et  de 
notre  littérature  d'autrefois  et  d'aujourd'hui.  C'est  une  tradition 
qui  remonte  loin  dans  le  passé,  puisque  la  première  école  supé- 
rieure de  Hongrie  —  celle  de  Veszprem  —  a  été  fondée  à  la  fin 
du  xii'  siècle  par  le  roi  Bêla  III,  sur  le  modèle  de  l'Université  de 
Paris,  que  lui  avait  fait  connaître  sa  femme  Marguerite,  sœur 
du  roi  de  France  Philippe  II.  Mais  les  universitaires  ne  sont 
pas  seuls  à  répandre  notre  langue  en  Hongrie  :  les  diplomates, 
les  commerçants,  les  publicistes  les  y  aident,  et  d'autres  encore. 
La  langue  magyare  s'est  enrichie  récemment  du  mot  hangar, 
à  cause  du  séjour  de  quelques  aviateurs  :  combien  d'idées 
fécondes  sont  arrivées  en  Hongrie  sur  les  ailes  de  la  langue 
française! 


I.  —  SECTION  DE  PH0PA(;AN[)E. 

^1)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Belgique, 


s.   SASSERATH, 

:iv;oeal  à  la  Cour  d'appel  dr  liriixi'Ues, 
présidont  île  l.i  I.iguo  natioiiiile  [lour  la  défense  (le  la  langiio  Frantaise, 


Dans  aucun  pays  où  le  français  est  la  langue  usuelle  d'une 
partie  de  la  population,  il  n'est  l'objet  d'attaques  aussi  pas- 
sionnées qu'en  Belgique. 

La  querelle  des  langues  y  a  pris  un  caractère  aigu  et  il  n'est 
pas  possible  qu'un  congrès  international  pour  la  culture  et 
l'extension  de  la  langue  française  ne  se  préoccupe  pas  de  cette 
situation. 

Celle-ci  est  le  résultat  de  causes  profondes  et  généralement 
plus  lointaines  que  celles  qui  sont  exposées  dans  les  polémiques 
quotidiennes. 

Le  flamingantisme  s'est  développé  au  delà  même  des  espé- 
rances de  ses  partisans  les  plus  intransigeants,  à  cause  de  l'in- 
gérance  dans  laquelle  les  populations  flamandes  croupissaient 
au  moment  où  le  suffrage  universel  fut  proclamé  en  Belgique, 
il  y  a  environ  vingt  ans.  A  partir  de  ce  moment,  le  corps  élec- 
toral se  composa  de  plusieurs  millions  d'individus  ignorant 
complètement  la  langue  française.  Dans  un  but  «  d'électora- 
lisme  )i,  les  candidats  de  tous  les  partis  rivalisèrent  de  zèle  à 


132  —  la- 15  SECTION   DK  PROPAGANDE 

partir  de  ce  moment  pour  soutenir  toutes  les  prétentions 
flamingantes. 

La  Belgique  comprend,  d'iuie  part,  les  populations  wallonnes, 
dont  le  peuple  parle  différents  idiomes  wallons,  mais  con- 
naît la  langue  française;  quant  aux  classes  cultivées,  elles 
parlent  et  pratiquent  exclusivement  le  français. 

•De  tous  temps,  la  partie  wallonne  du  pays  fut  <(  unilingue  » 
et,  jusqu'à  présent,  elle  l'est  demeurée. 

Les  populations  wallonnes  sont  rebelles  à  l'assimilation  du 
flamand  et  jamais  on  n'obtiendra  d'elles  que,  dans  un  esprit 
d'unité  nationale,  elles  pratiquent  le  bilinguisme.  Cet  état  d'es- 
prit résulte,  d'une  part,  de  la  grande  difficulté  que  les  Wallons 
éprouvent  à  apprendre  le  flamand  et,  d'autre  part,  de  la  convic- 
tion dans  laquelle  ils  sont  de  l'inutilité  de  la  connaissance  de 
cet  idiome,  pour  les  besoins  du  commerce  et  de  l'industrie  et,  en 
général,  pour  les  nécessités  de  leurs  relations  extérieures. 

D'autre  part,  les  populations  flamandes  furent,  de  tous  temps, 
bilingues  (depuis  le  xiiT  siècle). 

Il  y  a  en  Belgique  une  population  flamande  d'environ  3  mil- 
lions et  demi  d'individus,  parmi  lesquels  environ  un  million, 
se  recrutant  dans  la  bourgeoisie  et  habitant  les  villes  flamandes, 
est  de  culture  exclusivement  française. 

Dans  ces  familles  flamandes,  on  pratique  la  langue  française 
de  père  en  fils  de  temps  immémorial. 

Mais,  d'autre  part,  il  y  a  dans  la  partie  flamande  du  pays, 
une  population  s' élevant  à  plus  de  2  millions  d'habitants  qui 
ignorent  complètement  la  langue  française  ou  qui  la  connaissent 
d'une  façon  tout  à  fait  insuffisante. 

Il  y  a  des  villages  entiers  où  l'on  n'entend  jamais  un  mot 
de  français  et  où  un  journal  de  langue  française  ne  pénètre  pas. 

Il  y  a  même,  aux  portes  de  Bruxelles,  certains  villages  où 
une  quantité  d'habitants  ne  connaissent  que  leur  jargon  local, 
à  l'exclusion  de  la  langue  française. 

L'ignorance  qui  règne  parmi  ces  populations  est  effrayante  : 
on  a  dit  que  16  p.  c.  des  Belges  sont  illettrés.  Cette  statistique 
est  plus  ou  moins  exacte,  si  l'on  considère  comme  lettré  un 
individu  qui  sait  déchiffrer  le  titre  d'un  journal  ou  tracer 


I.E    FRANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  1(1-15  —    133 

péniblement  les  caractères  de  son  nom.  Mais  si  l'on  considère 
comme  lettré  un  individu  possédant  une  instruction  primaire, 
cette  statistique  est  inexacte  et  inférieure  à  la  réalité. 

D'autre  part,  les  illettrés  sont  infiniment  plus  nombreux  dans 
la  partie  flamande  du  pays,  et  si  l'on  considère  certaines  caté- 
gories spéciales  des  populations  flamandes,  on  arrive  à  des 
constations  effrayantes.  M.  le  député  Vandervelde  a  établi  de- 
vant la  Chambre  des  représentants  que  46  p.  c.  des  briquetiers 
du  Rupel  sont  complètement  illettrés  et  il  en  est  de  même 
d'environ  50  p.  c.  des  femmes  des  débardeurs  du  port  d'Anvers. 

Il  résulte  de  l'exposé  qui  précède  que  non  seulement  les  popu- 
lations flamandes  n'ont  pas  appris  le  français,  mais  qu'une 
grande  partie  de  ces  populations  n'a  pas  même  appris  en  fla- 
mand les  rudiments  des  connaissances  indispensables  à 
l'homme.  Et  quant  à  ceux  qui  ont  reçu  une  instruction  élémen- 
taire, ils  l'ont  reçue  en  flamand  et  il  n'a  pas  été  question, 
pendant  les  quelques  années  qu'ils  ont  passé  à  l'école,  de  leur 
apprendre  le  français. 

Voilà  quelle  était  la  situation  —  et  elle  n'a  guère  changé,  au 
contraire  —  lorsque  le  S.  U.  (compliqué,  il  est  vrai,  par  le  prin- 
cipe du  vote  plural  :  une  voix  complémentaire  à  la  propriété, 
une  voix  complémentaire  à  la  capacité)  a  été  substitué  au  régime 
censitaire,  il  y  a  environ  vingt  ans. 

Tant  que  les  politiciens  s'adressaient  à  un  corps  électoral 
composé  de  bourgeois,  au  point  de  vue  électoral  la  question  des 
langues  ne  se  posait  pas,  puisque  le  million  de  Flamands  envi- 
ron, qui  pratiquent  la  langue  française,  se  recrute  précisé- 
ment dans  la  bourgeoisie  flamande  et  que  les  bourgeois  seuls 
étaient  électeurs.  Mais  lorsque,  brusquement,  on  a  appelé  aux 
urnes  électorales  plus  de  deux  millions  d'individus  ne  con- 
naissant rien  de  la  langue  française,  il  a  fallu  tout  d'abord 
s'adresser  en  flamand  à  ces  individus,  pour  faire  une  propa- 
gande efficace;  puis  les  différents  partis  politiques  se  sont 
mis  à  faire  de  la  surenchère  électorale  au  point  de  vue  des 
langues. 

Des  ligues  flamingantes  puissantes  furent  organisées  par 
les  différents  partis.  Au  lieu  de  faire  comprendre  aux  popula- 


1 34  —  Ia-15  SECTlo^  de  propagande 

lions  flamandes  qu'elles  avaient  pour  devoir  de  s'élever  dans 
réchelle  sociale,  d'entrer  en  rapport  avec  le  reste  de  l'humanité 
au  moyen  de  cet  instrument  merveilleux  et  puissant  qu'est 
la  langue  française,  les  politiciens  flamingants  de  tous  les  partis 
persuadèrent  au  contraire  à  ces  malheureux  qu'ils  devaient 
faire  œuvre  de  régionalisme  étroit;  que  ce  n'étaient  pas  eux 
qui  devaient  apprendre  la  langue  française,  langue  de  grande 
circulation,  mais,  qu'au  contraire,  tous  les  rouages  politiques 
et  administratifs  devaient  s'accommoder  de  leur  ignorance  et 
que  le  flamand  seul  devait  être  la  langue  des  Flandres. 
Et  toutes  ces  théories  furent  résumées  en  trois  mots  : 

In  Vlaanderen  vlaamschl 
i  En  Flandre,  le  flamand! 

Les  puissantes  ligues  flamingantes,  dont  l'origine  remontait 
d'ailleiu-s  déjà  à  de  nombreuses  années  antérieures  à  l'instau- 
ration du  suffrage  universel,  s'emparèrent  de  tous  les  orga- 
nismes politiques  de  la  partie  flamande  du  pays  et  exercèrent 
sur  ces  organismes  une  tyrannie  sans  merci,  imposant  un  man- 
dat impératif  de  flamingantisme  effréné  à  tous  les  candidats 
qui,  dans  la  partie  flamande  du  pays,  sollicitaient  un  mandat 
public  quelconque  :  au  Sénat,  à  la  Chambre,  à  la  province  ou  à 
la  commune. 

Et  c'est  ainsi  qu'à  la  Chambre  et  au  Sénat  notamment,  il 
se  forma  un  groupe  de  députés  et  sénateurs  qui,  sans  distinc- 
tion de  partis,  firent  de  la  propagande  flamingante  dans  leurs 
groupements  respectifs,  disant  à  leurs  collègues  des  régions 
wallonnes  que  leur  mandat  dépendait  de  leur  flamingantisme 
et  qu'ils  ne  pouvaient  espérer  réussir  contre  les  partis  adver- 
saires que  s'ils  se  montraient  plus  flamingants  que  leurs  col- 
lègues des  autres  partis,  et  c'est  parce  qu'ils  craignirent  l'in- 
succès de  leurs  partis  dans  la  partie  flamande  du  pays,  et  sur  la 
foi  de  ces  dires,  que  certains  députés  wallons  eurent  la  fai- 
blesse que  plusieurs  regrettent,  d'ailleurs,  aujourd'hui,  de  voter 
des  lois  de  contrainte  flamingante  contre  lesquelles  tous  les 
bons  esprits  protestent  aujourd'hui. 


LE  FRANÇAIS   DANS   I.E  MONDE  Ia-15  —  1 3S 

Parmi  ces  lois,  la  plus  caractéristique  est  la  loi  Franck- 
Segers,  de  1910,  complétant  la  loi  de  1883  sur  l'enseignement 
^moyen. 

Non  seulement  cette  loi  souligne  le  principe  que  le  flamand 
est  la  seule  langue  maternelle  en  Flandre  et  que  le  français  y 
est  une  langue  étrangère,  mais  elle  consacre  ces  abominables 
principes  de  la  territorialité  et  de  la  contrainte. 

En  effet,  dorénavant,  dans  la  partie  flamande  du  pays,  l'en- 
seignement moyen  est  donné  ei»  flamand,  comme  langue  vélii- 
culaire. 

Il  est  vrai  qu'on  a  bien  voulu  laisser  subsister  dans  les 
endroits  où  l'autorité  estime  que  cela  peut  être  utile  (c'est-à- 
dire  que  cela  dépend  de  l'arbitraire  de  l'administration)  des  sec- 
tions dans  lesquelles  l'enseignement  moyen  est  donné  en  langue 
française. 

Mais,  comme  les  flamingants  craignaient  que  si  on  laissait 
aux  pères  de  famille  la  liberté  de  choisir  pour  leurs  enfants 
l'enseignement  qui  leur  plaisait  le  mieux,  les  sections  flamandes 
ne  fussent  désertées,  il  est  stipulé  dans  la  loi  que  seuls  pourront 
être  inscrits  dans  ces  sections  françaises  les  enfants  nés  en 
Wallonie  ou  les  enfants  nés  en  Flandre  de  parents  wallons. 

Il  en  résulte  : 

1°  Que  dans  une  quantité  d'endroits,  où  il  n'existe  pas  de  sec- 
tions françaises,  parce  que  l'autorité  n'a  pas  cru  devoir  les  orga- 
niser, le  père  de  famille,  même  Wallon,  ne  peut  pas  faire  donner 
à  ses  enfants  l'enseignement  en  langue  française; 

2°  Que  l'enfant  d'un  Wallon  né  en  Flandre,  qui,  à  son  tour, 
a  des  enfants,  et  qui  cependant  a  conservé  une  culture  française, 
puisqu'il  a  fait  toutes  ses  études  en  français,  n'a  plus  la  faculté 
d'envoyer  ses  enfants  dans  la  section  française,  parce  qu'étant 
né  en  Flandre,  il  est  considéré  comme  Flamand  et  que,  dès  lors, 
ses  enfants  sont  des  enfants  de  Flamand. 

L'administration  applique  ce  principe  d'une  manière  telle- 
ment étroite  que  l'on  aboutit  à  des  résultats  ridicules. 

C'est  ainsi  qu'il  y  a  environ  deux  ans,  un  jeune  Russe,  ne 
connaissant  que  le  russe  et  le  français,  et  se  trouvant  dans  l'obli- 
gation de  résider  au  littoral  pour  les  besoins  de  sa  santé,  .se  pré- 


136  —  la -15  SECTION   DE  PROPAGANDE 

senta  à  l'Athénée  d'Ostende  et  se  vit  refuser  raiitorisatioji  de 
suivre  les  cours  dans  la  section  française,  bien  qu'il  ne  connût 
pas  un  mot  de  flamand,  parce  qu'il  n'était  ni  Wallon,  ni  fils  de 
Wallon. 

Le  principe  de  la  contrainte  est  la  caractéristique  de  toutes  les 
lois  et  mesures  flamingantes  de  ces  dernières  années. 

L'exemple  le  plus  frappant  est  l'édition  bilingue  de  l'indica- 
teur des  chemins  de  fer.  Antérieurement,  il  existait  une  édition 
française  et  une  édition  flamande  séparées,  de  cfet  indicateur. 
Mais  personne  n'achetait  l'édition  flamande.  Comme  elle  coù' 
tait  très  cher  au  gouvernement,  celui-ci  imagina  d'imprimer 
une  seule  édition,  bilingue,  dans  laquelle  personne  ne  se 
retrouve  et  qui  est  grotesque. 

La  Ligue  nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française, 
à  la  suite  d'un  pétitionnement  des  «  Amitiés  françaises  »,  qui 
avait  réuni  plus  de  20,000  signatures,  pour  réclamer  la  suppres- 
sion de  l'indicateur  bilingue  —  pétitionnement  qui  ne  fut  pas 
pris  en  considération  par  le  Ministre  des  chemins  de  fer  — 
publia  une  édition  exclusivement  française  des  horaires  des 
chemins  de  fer. 

Cette  édition  a  remporté  un  tel  succès  (le  tirage  s'en  fait 
actuellement  à  160,000  exemplaires)  qu'il  a  été  démontré  d'em- 
blée combien  les  mesures  de  contrainte  linguistique  sont,  en 
réalité,  impopulaires. 

Nous  défendons  le  principe  de  la  liberté  en  matière  linguis- 
tique, persuadés  que  l'application  de  ce  principe  suffit  pour 
assurer  la  libre  expansion  de  la  langue  française,  qui  doit  néces- 
sairement, et  en  vertu  même  de  sa  force  d'expansion,  s'étendre 
de  plus  en  plus,  si  l'on  ne  cherche  pas  à  contrarier  cette  expan- 
sion par  des  mesures  injustifiables. 

Nous  opposons  ce  principe  de  la  liberté  des  langues  au  dogme 
de  l'égalité  des  langues,  imaginée  par  les  politiciens  flamingants. 

Ce  dogme  n'est  pas  défendable  au  point  de  vue  de  la  raison  ni 
au  point  de  vue  de  l'histoire. 

Deux  langues  ne  peuvent  pas  être  égales. 

Comme  on  l'a  dit  avec  raison,  une  langue  n'est  pas  un  objet 
de  vénération  sentimentale;  c'est  un  instrument  qui  sert  pour 


I,E    FRANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  Ia-15  —    137 

les  échanges  d'idées  et,  plus  sa  force  d'expansion  est  grande, 
plus  grande  est  sa  valeur. 

Il  est  aussi  absurde  de  dire  que  les  jargons  locaux  flamands 
sont  égaux  à  la  langue  française,  qu'il  serait  absurde  de  soute- 
nir que  le  danois  ou  le  portugais  sont  des  langues  égales  à  la 
langue  anglaise  ou  allemande. 

Il  n'est  pas  possible  de  terminer  ces  brèves  considérations, 
qui  résument  le  plus  succinctement  possible  la  question  si  com- 
plexe des  langues  en  Belgique,  sans  souligner  le  caractère  nette- 
ment antifrançais  du  flaminganlisme. 

A  cet  égard,  les  flamingants  manquent  de  sincérité.  Lorsqu'ils 
prononcent  leurs  discours  en  français,  ou  lorsqu'ils  écrivent 
dans  la  grande  presse  quotidienne  française,  ou  encore...  lors- 
qu'ils sollicitent  des  décorations  du  gouvernement  français,  ils 
protestent  de  la  pureté  de  leurs  intentions  et  soutiennent  qu'ils 
n'ont  aucun  sentiment  hostile  pour  la  France,  ni  pour  la  civi- 
lisation française;  mais  lorsqu'on  lit  leurs  écrits  rédigés  en  fla- 
mand; lorsqu'ils  sont  entre  eux,  dans  leurs  meetings  et  qu'ils 
vitupèrent  dans  la  langue  chère  à  Emmaimel  Hiel,  c'est  autre 
chose.  Il  leur  arrive  alors  de  montrer  quels  sont,  en  réalité,  leur 
but  et  leur  mentalité.  Ce  sont  alors  des  attaques  aussi  pas- 
sionnées qu'injustes  contre  la  France  et  contre  la  civilisation 
latine. 

Chaque  année,  les  Anversois  fêtent  avec  ostentation  l'anniver- 
saire de  la  bataille  des  Eperons  d'or,  et  cet  anniversaire  a  pris 
jusqu'à  ce  jour  un  caractère  de  manifestations  nettement  anti- 
françaises.  Les  discours  qui  sont  prononcés  chaque  année  à  cette 
occasion  constituent  une  pierre  de  touche  de  la  mentalité  des 
flamingants  à  cet  égard. 

La  preuve  la  plus  caractéristique  de  la  haine  des  flamingants 
pour  la  France  et  la  culture  française,  c'est  leur  campagne  pour 
la  défrancisation  de  l'Université  de  Gand.  Cette  université 
répond  actuellement  aux  besoins  de  l'enseignement  supérieur 
dans  la  partie  flamande  du  pays  et  fait  grand  honneur  à  notre 
enseignement  supérieur. 

Depuis  longtemps,  les  flamingants  réclament  une  université 
flamande,  c'est-à-dire  une  université  dans  laquelle  les  cours 


138  —  Ia-15  SECTION   DE   PROl'AGANDE 

d'enseignement  supérieur  seront  donnés  exclusivement  en  fla- 
mand. 

Ils  réclament  cette  université  d'autant  plus,  à  l'heure  actuelle, 
qu'à  la  suite  de  la  loi  Franck-Segers,  de  1910,  une  quantité 
de  jeunes  Flamands  recevront  nécessairement  l'instruction 
moyenne  en  flamand  et  arriveront  à  l'université  avec  une  con- 
naissance imparfaite  de  la  langue  française^ 

Si  les  antiflamingants  étaient  des  fanatiques  comme  leurs 
adversaires,  ils  auraient  pu  répondre  que  l'Etat  ne  pouvait 
assumer  cette  charge  que  si  l'utilité  d'une  pareille  université 
était  démontrée  à  la  suite  d'un  essai  par  l'initiative  privée. 
Mais  les  antiflamingants  ont  répondu  uniquement,  qu'ils  ne 
voyaient  aucun  inconvénient  à  ce  qu'une  université  flamande 
fût  créée  par  l'Etat  dans  n'importe  quelle  ville  flamande  du 
pays,  mais  à  la  double  condition  que  personne  ne  fût  contraint 
d'y  aller  et  que  l'on  ne  touchât  pas  à  l'Université  de  Gand. 

Les  flamingants  ont  répondu  :  u  Cette  solution  ne  nous  donne 
pas  satisfaction,  ce  n'est  pas  seulement  une  université  flamande 
que  nous  exigeons,  nous  voulons  la  disparition  de  l'Université 
française  de  Gand  »,  et  le  rapporteur  de  la  proposition  de  loi, 
M.  De  Raet,  a  poussé  l'inconscience  jusqu'à  oser  écrire  :  d  On 
remplacera  ainsi  une  chose  mauvaise  par  une  bonne  chose  et 
ce  sera  tout  profit.  » 

La  chose  mauvaise,  c'est  l'enseignement  donné  en  langue 
française;  la  ciiose  bonne,  ce  sont  les  cours  donnés  en  flamand! 
Cette  intransigeance  des  flamingants  montre  qu'ils  poursuivent 
plus  une  œuvre  de  haine  contre  la  culture  française  qu'ils  ne 
défendent  l'intérêt  bien  compris  des  populations  flamandes. 

Il  n'était  pas  inutile  de  souligner  ce  point  dans  un  congrès 
international. 

Comment  remédier  à  cette  situation? 

La  Ligue  nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française, 
notamment,  a  vaillamment  lutté  et  organisé  la  résistance;  parmi 
les  rapports  distribués  au  congrès,  il  s'en  trouve  un  qui  résume 
l'activité  de  cette  ligue;  à  côté  d'elle,  d'autres  organismes  de 
propagande  :  des  ligues  wallonnes,  les  »  Amitiés  françaises  », 
les  associations  pour  la  culture  et  pour  la  vulgarisation  du  fran- 


1,E    FKANÇAIS    DA>'S    l.E   MONDE  Ia-15  —  139 

çais  ont  également  lourni  des  efforts  remarquables  tendant  à 
défendre  le  patrimoine  de  la  langue  française  en  Belgique. 

Mais  l'on  peut  se  demander  si  tout  ce  qui  a  été  fait  (création 
de  journaux,  réunions,  conférences,  cours,  etc..)  peut  suffire 
pour  résister  à  la  marée  montante  du  flamingantisme,qui  menace 
sérieusement  la  langue  française  dans  la  partie  flamande  du 
pays. 

Nous  avons  pensé,  à  la  Lhjue  nationale  pour  la  défense  de  la 
langue  française,  qu'il  fallait  combattre  le  flamingantisme  par 
les  mêmes  armes  que  celles  qu'il  a  employées  pour  triompher: 
en  d'autres  termes,  qu'il  fallait  organiser  la  résistance  sur  le 
terrain  politique,  et  c'est  pourquoi  depuis  la  fondation  de  cette 
ligue,  nous  n'avons  cessé  de  faire  une  active  propagande  pour 
que  partout  les  antiflamingants  entrent  dans  les  associations 
politiques  et  pour  qu'eux  aussi  exigent  des  candidats  une  pro- 
fession de  foi  antiflamingante. 

Le  jour  où  les  antiflamingants  auront  su  se  grouper  dans  les 
associations  politiques  et  où  ils  auront  fait  comprendre  aux  can- 
didats qu'ils  ont  à  compter  avec  les  partisans  de  la  culture  fran- 
çaise, c'en  sera  fait  du  vote  des  lois  flamingantes,  car  la  crainte 
de  l'électeur  est  le  commencement  de  la  sagesse  des  candidats. 

Nous  ne  sommes  encore  arrivés  qu'à  des  résultats  très  impar- 
faits dans  cet  ordre  d'idées.  Mais,  cependant,  les  résultats 
obtenus  sont  déjà  très  appréciables  et,  à  l'heure  actuelle,  il 
existe  au  Parlement  belge  un  groupe  de  sénateurs  et  députés 
nettement  résolus  à  ne  plus  subir  les  exigences  du  flamingan- 
tisme et  à  résister  dorénavant  à  ses  inadmissibles  prétentions. 

Il  y  aura  lieu,  d'autre  part,  d'examiner,  et  ce  sera  l'œuvre  de 
la  Lifjue  nationale  à  partir  de  ce  jour,  comment  il  serait  possible 
d'atteindre  par  notre  propagande  les  deux  millions  de  Belges 
qui  n'ont  aucune  culture  française,  car  nos  discours  et  nos 
écrits  n'atteignent  pas  cette  importante  partie  de  la  population 
et  tant  que  nous  n'aurons  pas  persuadé  à  ces  Flamands  incultes 
que  leur  intérêt  est  d'apprendre  la  langue  française,  et  de  la 
faire  apprendre  à  leurs  enfants,  nous  n'aurons  obtenu  qu'un 
très  faible  résultat  pour  défendre  les  candidats  de  la  partie 
flamande  du  pays  contre  les  mandats  impératifs  que  le  flamin- 
gantisme leur  impose  actuellement. 


•140  —  1(1-15  SECTION    DE    PROPAGANDE 

Dans  cet  ordre  d'idées,  M.  Gérard  Harry,  membre  du  conseil 
général  de  notre  Ligue,  a  présenté  précisément  au  congrès  un 
rapport  qui,  malheureusement,  a  été  inscrit  au  programme  de 
la  section  littéraire,  rapport  dans  lequel  M.  Harry  demande  que 
l'on  étudie  la  possibilité  de  créer  un  journal  francophile  en 
langue  flamande,  de  manière  à  faire  comprendre  aux  popula- 
tions flamandes,  dans  la  langue  qu'elles  connaissent,  qu'il  est 
de  leur  intérêt  d'apprendre  le  français  et  de  faire  apprendre 
cette  langue  à  leurs  enfants.  Cette  proposition  mérite  de  retenir 
l'attention  du  congrès,  au  point  de  vue  de  la  situation  existant 
en  Belgique.  Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'il  sera  peut-être 
difficile  de  la  réaliser,  pour  lui  faire  donner  un  résultat  vrai- 
ment utile;  mais  la  question  doit  être  étudiée  et  il  est  possible 
qu'on  aboutisse  à  un  résultat  pratique. 

Telles  sont  les  considérations  que  je  tenais  à  présenter  à  la 
section  de  propagande  au  nom  de  la  Ligue  nationale  pour  la 
défense  de  la  langue  française,  que  j'ai  l'honneur  de  présider 
et  qui,  certainement,  rencontreront  l'approbation  des  membres 
du  congrès. 


I.  —  SECTION   DE   PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  langue  française  en  Italie 


Roi.AXii  BARRAULT. 


Éloigné  de  l'Italie,  nous  ne  disposons  pas  des  moyens  de 
recherche  qu'on  ne  peut  trouver  que  sur  les  lieux  mêmes.  Nous 
ne  pouvons  songer  ainsi  à  donner  un  rapport  détaillé,  muni  de 
statistiques,  qui  éclaire  la  situation  de  la  langue  française  au 
delà  des  Alpes,  comme  cela  a  été  excellemment  fait  pour  les 
•  autres  pays.  Nous  nous  excusons  donc,  dès  l'abord,  des  géné- 
ralités dans  lesquelles  nous  nous  maintiendrons,  quoique 
plusieurs  raisons  fondamentales  nous  permettent  de  ne  pas  trop 
le  regretter.  N'est-il  pas  vrai,  en  effet,  qu'il  n'y  a  un  véritable 
intérêt  à  rassembler  des  chiftres  et  des  statistiques,  que  là  où  un 
certain  nombre  d'œuvres  sont  déjà  en  train?  On  aime  alors  à 
constater  leurs  progrès,  à  rechercher  les  conditions  favorables 
de  leur  développement.  Mais  en  Italie,  si  l'on  met  à  part  l'Insti- 
tut si  heureusement  fondé  à  Florence  par  l'Université  de  Gre- 
noble (I)  et  dont  l'œuvre  brillante  se   poursuit  sous  l'activité 

(1)  Remarquons  qu'aucune  de  nos  deux  grandes  écoles  romaines  n'a 
une  action  sensible  sur  les  milieux  italiens.  Ce  n'est  pas  cependant  que 
plusieurs  des  historiens  de  Mgr  Duchesne  n'aient  tourné  leurs  préoccupa- 
tions vers  l'Italie,  sinon  moderne  du  moins  médiévale  ou  de  la  Renais- 
sance :  mais  l'école  reste  exclusivement  française  et  ne  se  mêle  à  aucun 
mouvement  contemporain. 


1+2  —  Ia-16  SECTION   DE   PKOPAGANDg 

impulsion  de  son  directeur  actuel,  M.  Lucliairc,  —  en  Italie, 
malheureusement  on  ne  trouve  aucun  organisme,  aucun  élément 
même  de  sérieuse  culture  française.  Les  chiffres  qu'on  pourrait 
réunir  seraient  dérisoires,  et  lorsque  le  mal  est  si  grand,  il  n'est 
pas  mauvais  de  regarder  les  choses  d'un  peu  haut.  Plutôt  que 
d'engager  une  discussion  sur  les  variations  journalières  de  son 
étendue,  c'est  le  moment  de  caractériser  le  mal,  île  découvrir  ses 
origines  pour  le  saisir  là,  non  avec  des  remèdes  de  simple 
rebouteux,  mais  par  une  opération  de  chirurgien. 

Chiffres  dérisoires,  mal  très  grand  :  les  personnes  qui  n'ont 
fait  qu'un  court  séjour  en  Italie  pourront  s'étonner  de  ces 
expressions.  Elles  se  rappelleront  que,  ne  sachant  pas  s'expri- 
mer facilement  en  italien,  elfes  ont  toujours  pu  se  faire  entendre 
en  français.  Peut-être  même  auront-elles  remarqué  que  l'Alle- 
mand et  jusqu'à  l'Anglais  qui  voyagent  en  Italie  ont  souvent 
recours  au  français  comme  à  une  langue  ((u'ils  y  savent  partout 
comprise. 

Et  non  seulement  ces  voyageurs  auront  remarqué  qu'il  en 
est  ainsi  dans  tes  villes  où  le  grand  concours  des  voyageurs  a 
désormais  suscité  ces  organes  spéciaux  qui  caractérisent  le  tou- 
risme moderne,  mais  jusque  dans  les  campagnes  il  n'est  pas  rare 
de  rencontrer  des  jeunes  gens  surtout  qui  comprennent  le  fran-  . 
çais,  et  même  le  parlent.  Dans  les  gorges  sublimes  de  San  Gré- 
gorio  da  Sassolo,  entre  Tivoli  et  Palestrina,  nous-mêmes  nous 
vîmes  s'approcher  de  la  table  de  notre  oslerta,  avec  la  curiosité 
d'essayer  leurs  connaissances,  plusieurs  jeunes  Romaines  qui 
savaient  s'exprimer  un  peu  en  notre  langue.  Leurs  mères  étaient 
des  plus  fières,  et  les  autres  indigènes  de  ces  castelli  sauvages 
les  regardaient  avec  envie.  Les  couvents  franciscains  ont  beau 
de  même  être  recrutés  surtout  parmi  les  classes  paysannes,  on 
y  trouve  aisément  des  Pères  qui  parlent  français,  et  l'on  peut 
avoir  ainsi  assez  exactement  la  mesure  d'une  diffusion,  qui, 
malheureusement,  comme  nous  le  verrons,  est  une  base  tout  à 
tait  inconsistante. 

Encore  cette  diffusion  ne  pourra-t-elle  apparaître  que  plus 
grande  si  l'on  passe  des  classes  les  plus  populaires  à  la  bour- 
geoisie. Le  voyageur  averti  aura  même  noté  combien  les  devan- 


I.E    FBANÇAIS    UAiNS    I.E    MOMlK  lolô   —   i43 

tuivs  «les  libraires  contieniieiil  peu  <le  liadiictions  il'auleurs 
franc-ais,  tandis  que  les  bibliothèques  de  prêt,  si  abondantes, 
comme  on  le  sait,  dans  toutes  les  villes  de  l'Italie,  où  elles  rem- 
placent à  peu  près  complètement  la  bibliothèque  familiale 
privée,  contiennent  toujours  un  nombre  fort  respectable  d'ou- 
vrages français  non  traduits,  et  les  registres  de  ces  bibliothèques 
montrent  qu'on  emprunte  nos  romans  presque  aussi  couram- 
ment que  les  romans  italiens  eux-mêmes. 

Accompagnons  même  notre  voyageur  optimiste  plus  avant 
dans  la  société  italienne,  dans  les  milieux  cultivés  d'une  ville 
connue  Florence.  Sans  doute  la  première  pensée  de  ceux  qui 
fondèrent  à  Florence  l'Institut  français,  fut  d'offrir  à  nos  étu- 
diants une  maison  de  travail  en  pleine  Toscane,  Mais  la  ville  du 
lys,  ancienne  alliée  de  ceux  de  France,  a  toujours  conservé  aussi 
une  particulière  amitié  pour  rintellectualité  française.  Non  seu- 
lement un  public  nombreux  s'y  trouve  pour  suivre  les  cour» 
publics  de  l'institut,  mais  un  y  voit  encore,  par  exemple, 
M.  Schiff,à  VIstiIttIo  de  PiazsaSan  Marco,  réunir  à  salecon  avec 
les  étudiants  ordinaires  de  philologie  moderne,  beaucoup  de 
spécialistes  de  philosophie  ou  d'autres  branches,  et  fournir  à  ces 
jeunes  gens  les  moyens  d'arriver  à  un  véritable  contact  avec  les 
plus  originales  tendances  de  notre  littérature.  Encore  la  vie 
intellectuelle  de  Florence  n'est-elle  pas  limitée  à  ses  organes 
universitaires.  Placée  à  ce  point  de  vue  après  Pise,  Florence  est 
essentiellement,  à  côté  des  deux  autres  grands  centres  pensants 
de  l'Italie,  à  coté  de  Milan  et  de  Naples,  Télaboratrice  des  mou- 
vements les  plus  jeunes  et  la  gardienne  en  même  temps  des  tra- 
ditions les  plus  littéraires  de  l'Italie  de  jadis.  Dans  l'un  et  l'autre 
de  ces  camps  rivaux,  nous  retrouvons  également  une  curiosité 
très  poussée  de  l'activité  française.  D'un  côté,  la  belle  Société 
Leonardo  peut  se  dire,  dans  chacun  de  ses  membres,  un  appui  des 
plus  précieux  pour  toute  entreprise  visant  à  la  diffusion  de  notre 
langue  et  de  notre  pensée,  et  le  ton  de  ce  club  ne  saurait  être 
plus  conforme  aux  exigences  d'une  propagande  française.  De 
l'autre  côté,  la  Libi-eria  délia  Voce  (\),  dans  sa  préoccupation 

(\)  l.a.  Libreria  ilella  Voce  n'existe  véritablement  que  depuis  deux  an». 
M.iis  le  mouvement  est  plus  ancien,  et  la  Revue  La  Voce  se  tint  toujours 


144  —  la  16  SECTION  de  propagande 

toujours  si  éveillée  des  tendances  contemporaines,  importe  de 
Florence  dans  toute  l'Italie,  avec  la  connaissance  d'auteurs  diffi- 
ciles comme  Claudel,  par  exemple,  le  sens  compliqué  de  nos 
plus  récentes  orientations  et  un  premier  goût  peut-être  du  néo- 
humanisme français  qu'elle  combat  du  reste,  sans  en  atténuer 
la  grandeur. 

On  aimerait  pouvoir  dire  que  tous  ces  éléments  constituent 
un  terrain  un  peu  solide.  Mais  nous  aurons  beau  ajouter  qu'il 
ne  faut  pas  limiter  aux  milieux  florentins  l'appréciation  de  notre 
culture  contemporaine;  que  V Alliance  française  trouve  égale- 
ment à  Pise,  à  Bologne,  des  auditoires  sympathiques,  la  facilité 
même  avec  laquelle  on  réunit  ces  documents  pour  un  jugement 
optimiste,  correspond  aune  vue  pour  le  moins  aussi  superficielle, 
quand  elle  néglige  le  cruel  facteur  qui  domine  la  question  do  la 
langue  française  en  Italie  :  sa  ressemblance  extrême  avec  la 
langue  indigène.  Il  en  naît  cette  situation  paradoxale  qu'avec  un 
minimum  d'efforts  l'Italien  peut  acquérir  une  certaine  connais- 
sance de  notre  langue.  Mais,  à  cause  de  cela  même,  il  ne  le  fait 
pas,  et  se  contentant  d'une  accointance  approximative,  reste  dès 
lors  le  plus  souvent  incapable  de  pénétrer  un  peu  profondément 
dans  notre  littérature  et  de  réagir  contre  ces  opinions  toutes 
faites  qui  courent  toujours  dans  un  pays  sur  les  pays  voi- 
sins, et  pour  s'opposer  auxquelles  il  faut  ce  lungo  studio  et  ce 
grande  amore  qui  correspondent  à  une  pratique  assidue  et  véri- 
table. 

En  fait,  on  ne  sait  jamais  les  choses  trop  faciles,  mais  seule- 
ment celles  qu'on  a  apprises  avec  une  véritable  dépense  continue 
et  obstinée  de  volonté.  Tous  les  Italiens  connaissent  quelques 
mots  dé  français,  très  peu  le  savent,  et,  bien  persuadés  de  cela, 
passons  maintenant,  sans  plus,  à  l'examen  des  conséquences  de 
cette  situation  très  regrettable. 

Si  l'on  ne  considère  que  les  classes  populaires,  la  facilité  que 

au  courant  de  la  pensée  française.  Comme  beaucoup  de  mouvements 
jeunes  en  Italie,  elle  est  fortement  teintée  de  nationalisme  :  ce  qui  n'est 
qu'un  indice  entre  cent  qu'il  serait  fort  dangereux  de  confondre  difi'usion 
de  la  langue  française  et  propagande  politique.  On  pourrait  se  trouver 
bientôt  en  face  d'un  véritable  boycottage. 


LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE        la- 16  —  145 

le  français  offre  pour  les  Italiens  n'a  que  des  avantages,  bien 
entendu,  fragiles  malheureusement,  mais  on  pourrait  peut-être 
sans  trop  de  peine  trouver  le  moyen  de  les  soutenir.  Les  grands 
courants  d'immigration  qui  peuplent  d'ouvriers  italiens  un  très 
grand  nombre  de  nos  régions,  ramènent  périodiquement  en 
Italie  un  nombre  considérable  de  jeunes  gens  sachant  le  français. 
Il  ne  faut  pas  chercher  ailleurs  l'explication  qui  pourrait  paraître 
ardue  au  premier  abord,  de  ces  îlots,  perdus  dans  les  provinces 
les  plus  reculées,  où  l'on  trouve  une  certaine  connaissance  de 
notre  langue.  De  là  aussi,  ce  goût  et  cette  curiosité  qui  font  de  la 
connaissance  du  français  comme  une  parure.  Il  faut  remarquer 
encore  que  l'émigrant,  qui  parle  souvent  un  dialecte  fort  diffé 
rentde  la  langue  italienne  littéraire,  a  eu  le  temps  en  France  de 
goûter  cette  unité  de  notre  parler  national;  il  en  a  été  séduit  et 
souvent,  du  reste,  son  dialecte  a  plus  de  rapports  avec  le 
français  qu'avec  le  toscan.  Malheureusement  cette  connaissance 
meurt,  dans  la  plupart  des  cas,  par  manque  d'entretien.  Il  ne 
s'agit  pas.  bien  entendu,  de  tenter  la  conquête  française  de 
l'Italie.  Mais  les  esprits  les  plus  éclairés  des  deux  pays  et  les 
amis  sincères  de  la  paix  latine  pourraient  se  réjouir,  s'il  se 
trouvait  un  journal  illustré  français  qui  essayât  de  pénétrer 
dans  les  veillées  dominicales  des  provinces  italiennes  et  d'y 
porter,  à  ces  émigrants  rapatriés,  avec  le  souvenir  du  pays  qui 
fut  leur  hôte  un  jour,  l'amitié  française  et  notre  esprit  de  liberté. 
Il  faudi'ait,  évidemment,  pour  cela  des  éditions  un  peu  spéciales, 
qui,  sans  chercher  du  tout  à  concurrencer  les  hebdomadaires 
illustrés  italiens,  travailleraient  à  une  propagande  sentimentale 
dont  il  serait  aisé  d'apprécier  bientôt  les  heureux  fruits. 

Au-dessus  de  cette  connaissance  acquise  d'elle-même  en 
France,  se  présente  celle  délibérément  recherchée  dans  les 
classes  du  soir  par  l'artisan,  le  petit  employé,  la  dactylographe 
et,  en  général,  la  jeune  fille  de  petite  bourgeoisie.  Rien  n'est 
plus  répandu  en  Italie,  rien  ne  mène  à  de  plus  maigres  résul- 
tats. I^e  français  parlé  par  cette  classe  de  personnes  a  pour  con- 
séquence la  plus  sensible  de  travailler,  comme  ferait  un  levain, 
la  langue  italienne,  et  de  la  dénaturaliser.  La  tournure  analytique 
se  substitueà  la  périodeet  legallicisme  inonde  la  gazette  des  villes 

i-a  10 


146  —  Ia-16  SECTION    DE   PROPAGANDE 

sans  que  à  l'Italie  ni  la  France  aient  à  gagner  à  cette  espèce 
de  mode,  qui  se  retrouve  du  reste,  mais  bien  plus  méritoire,  en 
Allemagne,  par  exemple.  Cette  connaissance  n'est  du  reste  pas 
suftisante  pour  permettre  à  ses  possesseui-s  de  s'approcher  des 
originaux  français,  et  c'est  dans  de  nombreuses  traductions  ita- 
liennes qu'ils  lisent  les  Misérables  de  Victor  Hugo  ou  les  romans 
humanitaires  de  Zola,  ils  y  puisent  du  moins  le  sentiment  d'une 
France  populaire  et  généreuse,  qui  coïncide  souvent  avec  l'opi- 
nion politique  qu'ils  ont  sur  notre  pays.  Mais  c'est  là  un  senti- 
ment qui  dort  plutôt  au  fond  d'eux-mêmes,  ne  s'exprime  que 
dans  les  moments  les  plus  favorables.  Généralement  incapable, 
au  contraire,  de  réagir  contre  une  impression  plus  récente,  il  ne 
fait  qu'alimenter  de  regrets  ou  de  reproches  un  ressentiment  tem- 
poraire. Car  déjà  nous  nous  heurtons  ici  à  ce  que  nous  trouve- 
rons plus  nettement  encore,  en  abordant  la  classe  bourgeoise 
aisée  ou  riche,  dont  les  fils  vont  au  gymnase  et  au  lycée.  L'ensei- 
gnement du  français  est  inscrit  comme  matière  obligatoire  dans 
les  programmes,  mais  avec  des  heures  de  moins  en  moins  nom- 
breuses à  mesure  que  l'élève  avance  dans  ses  classes.  Aussi  le 
lycéen  arrive-t-il  à  son  baccalauréat  après  avoir  su,  plutôt  qu'en 
sachant  du  français.  Le  français  est  en  effet  un  «  ornement  » 
qu'on  acquiert  vite,  durant  les  années  où  le  programme  est  encore 
peu  chargé,  l'ossédé  à  peu  près  par  tout  le  monde,  nul  n'ad'avan-' 
tage  à  le  savoir  mieux  qu'un  autre,  tandis  que  l'allemand  ou 
l'anglais  peuvent  servir  à  différencier  deux  cultures  et  sont  prisés 
quand  on  les  connaît  à  fond.  Ainsi  la  ressemblance  des  deux 
langues  pèse  comme  une  fatatité  sur  la  diffusion  sérieuse  du 
français  en  Ilalie. 

.\u  sortir  du  lycée,  cet  étudiant  ne  trouvera  du  reste  que  quatre 
universités  du  Regno  où  existe  une  chaire  de  français.  Encore  n'y 
en  a-t-il  que  trois  actuellement  qui  soient  pourvues  de  leur  pro- 
fesseur, de  la  manière  la  plus  brillante  du  reste.  Mais  une 
grande  université  comme  celle  de  Pise  n'a  aucun  enseignement 
du  français  contre  un  d'allemand  et  un  d'anglais.  Ce  n'est  pas, 
pourtant,  que,  durant  notre  séjour  à  l'École  normale  supérieure 
de  cette  ville,  nous  n'ayons  pu  constater  chez  nos  camarades  une 
intimité  fort  grande  avec  nos  auteurs  les  plus  réputés  et  une 


I.E   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Irt-16  —  t47 

attinitc  naturelle  même  de  ces  esprits  pour  toute  pensée  qui 
vient  de  chez  nous.  Mais  tant  de  préjugés  et  d'idées  toutes  faites 
étouffent  la  voix  naturelle  de  cotte  parenté  latine,  qu'elle  n'arrive 
qu'avec  peine  à  réclamer  ses  droits,  et  pour  longtemps  encore, 
sans  doute,  le  fram.-ais  continuera  à  ne  pas  compter  à  l'ise. 

Il  est  triste  de  constater  combien  France  et  Italie  s'obstinent 
à  ne  pas  se  donner  la  peine  de  se  comprendre.  Il  est  certain  que 
pour  trop  de  Français,  l'Italie  n'est  encore  qu'un  beau  paysage,  et, 
en  revanche,  on  dirait  que  l'Italie  aime  à  ne  voir  dans  la  culture 
de  notre  pays  qu'une  espèce  de  production  soumise  aux  mêmes 
évolutions  passagères  que  la  mode,  et  plut<')t  un  article  parisien 
qu'un  véritable  enfantement  de  l'esprit.  Ce  malheureux  juge- 
ment est  on  ne  peut  plus  résistant  et  corrompt  jusqu'à  la  pensée 
du  public  éclairé  et  littéraire.  Trop  souvent,  à  entendre  des  Ita- 
liens, même  intelligents,  parler  de  nos  romans  comme  de  nos 
<puvres  les  plus  fines  d'analyses  historiques  ou  de  portraits,  on 
a  le  sentiment  qu'ils  en  réduisent  la  valeur  :\  un  écran  brillant 
qu'ils  admirent  sans  laisser  de  le  dédaigner  en  même  temps, 
incapables  qu'ils  sont  de  saisir  par  delù  ce  qui  est  original  et 
vivant.  Pour  peu  qu'il  s'y  mêle  de  la  pédanterie  ou  quelque 
inlluence  des  méthodes  allemandes,  il  arrive  que  des  ouvrages 
importants,  publiés  en  France,  sont  l'objet  de  comptes  rendus 
qui  étonnent  par  un  parti  pris  contre  lequel  on  ne  saurait  trop 
réagir.  Si  un  style  simple  et  alerte  est  la  marque  de  nos  meil- 
leurs écrivains,  si  le  français  aime  à  ne  pas  écrire  seulement 
pour  les  érudits,  clarté  n'est  pas  manque  de  profondeur  et 
savoir  omettre  certains  détails  ou  certaines  étapes  d'une  discus- 
sion n'est  pas  légèreté  de  jugement.  On  comprend  mal  cet  état 
d'esprit  de  la  critique  italienne  quand  on  compare  les  études  les 
plus  admirées  du  grand  de  Sanctis  et  quelques-uns  des  Lundis 
de  Sainte-Beuve.  C'est  chez  l'un  et  chez  l'autre  la  même  profon- 
deur d'observation  sous  la  même  aisance.  D'autres  comparai- 
sons du  même  genre  poun-aient  peut-être  apprendre  aux  Italiens 
à  confesser  la  ressemblance  qu'il  y  a  entre  les  esprits  véritable- 
ment fins  des  deux  pays.  Dans  cette  même  université  de  Pise  où 
il  manque  une  chaire  de  français,  le  savant  professeur  Salve- 
mini  recommandait  à  ses  étudiants  un  manuel  français  :  il  se 


148  —  Ia-16  SECTION  DE   PROPAGANDE 

pourrait  que  ce  fût  là  un  petit  fait  qui  marquât  la  fin  d'une 
légende. 

Cette  incompréhension  s'étend  aussi  à  notre  manière  de  con- 
cevoir et  d'exposer  les  choses.  II  est  toujours  ditficile,  pour  un 
peuple,  d'entrer  dans  les  mœurs  intimes  d'un  autre  et  de  saisir 
justement  sa  façon  d'exprimer  quelques-uns  de  ses  sentiments 
les  plus  délicats.  Le  même  esprit  vif,  qui  paraît  aux  uns  superfi- 
ciel, paraît  aisément  irrespectueux  aux  autres,  et  l'on  sait  com- 
bien la  pensée  française  est  facilement  suspecte  aux  milieux 
romains.  Peut-être  se  rappelle-t-on  aussi  l'émotion  produite  en 
Italie  par  le  discours  de  réception  de  M*'  Duchesne.  L'esprit  dont 
il  avait  parsemé  le  tableau  qu'il  traçait  de  la  Rome  des  cardinaux 
n'avait  pas  été  bien  interprété,  et  tout  cela  correspond  fort  à  l'iné- 
galité extrême  qu'il  y  a,  de  la  distance  entre  les  deux  langues  à 
celle  des  tempéraments   des  deux  races.   Parce  qu'on  entend 
immédiatement  la  langue,  on  oublie  qu'il  faut  une  étude  préa- 
lable pour  se  mettre  dans  son  esprit,  et  c'est  cette  même  incapa- 
cité d'aller  jusqu'à  l'âme  même  de  la  pensée  française  qui  se  tra- 
duit dans  l'admiration  outrée,  professée  par  quelques-uns,  pour 
les  mouvements  les  plus  jeunes  de  notre  littérature.  De  même 
qu'une  langue  assise  n'accepte  pas  tous  les  nouveaux  mots,  ainsi 
une  tradition  ancienne  ne  s'incorpore  pas  toutes  les  formules  lit- 
téraires nouvelles,  et  les  étrangers  se  hâtent  trop  en  croyant  pou- 
voir décider,  eux,  sur  ce  que  nous  aurons  à  retenir  parmi  tant 
de  tendances.  Les  orientations  les  moins  affinées  peuvent  leur 
paraître  excellentes,  sans  que  la  France  ait  le  moins  du  monde 
à  leur  obéir.  Là  encore,  il  faut  réagir  vigoureusement  par  l'affir- 
mation constante  de  l'unité  très  complexe  sans  doute,  mais  réelle 
de  l'esprit  français.  Il  faut  marquer  cette  unité  de  race  et  de  cul. 
ture  en  face  d'un  cosmopolitisme  à  peine  parisien.  Malheureux 
sèment,  l'Italien  ne  fait  jamais  que  traverser  la  province  et  dès 
qu'on  lui  en  parle,  il  s'épouvante  et  craint  l'ennui.  Car  après  la 
superficialité  et  l'irrespect,  l'ennui  éloquent  et  classique  est  le 
troisième  caractère  qu'on  veut  bien  découvrir  en  France.  Et  il 
n'est  que  trop  certain  qu'on  ne  verra  jamais  nos  grands  auteurs 
classiques  appréciés  au  delà  des  Alpes.  Il  en  naît  le  plus  fâcheux 
des  cercles  vicieux.  Persuadé  qu'on  ne  comprendra  jamais  par- 


LE  FRANÇAIS   DANS   LE    MONDE  Ia-16  —  149 

faitenient  Racine,  on  n'en  examine  pas  attenlivement  la  langue 
et,  sans  cet  examen,  on  se  condamne  à  le  comprendre  moins 
encore.  Aussi  finit-il  par  ne  plus  rester  d'immédiatement  assi- 
milable par  les  Italiens  que  nos  romantiques.  C'est  venir  sans 
doute  à  la  France  par  une  avenue  bien  particulière.  Cependant, 
il  faut  espérer  que  plusieurs  études  sérieuses  et  jeunes,  publiées 
sur  cette  matière  en  Italie,  produiront  enfin,  à  nouveau,  un  pre- 
mier contact  sympathique  des  deux  grandes  familles  intellec- 
tuelles italienne  et  française,  et  ramèneront  cette  mutuelle  com- 
préhension qui  seule  pourra  donner  de  la  vie  à  la  diffusion  de 
notre  langue. 

Pour  hâter  ce  moment,  il  serait  utile  qu'un  jeune  écrivain,  au 
courant  de  la  pensée  italienne  aussi  bien  que  de  la  nôtre,  com- 
posât une  histoire  de  la  littérature  française  à  l'usage  des  Italiens, 
en  attirant  leur  attention  sur  les  véritables  propriétés  caractéris- 
tiques de  la  pensée  française  et  en  les  invitant  à  considérer  cet 
esprit  de  société,  cette  recherche  psychologique  et  ce  besoin 
d'universaliser  qui  nous  font  différer  si  profondément  d'eux- 
mêmes.  Sur  une  telle  base  seulement  on  peut  espérer  recon- 
struire un  édifice  durable,  à  condition  que,  de  notre  côté,  nous 
voulions  bien  aussi  reconnaître  nos  dettes  du  passé  et  confesser 
les  qualités  particulières  de  l'Italie.  Une  mutuelle  estime  par 
une  mutuelle  connaissance  est  là  condition  absolue  de  toute 
tentative  française  en  Italie,  et  nous  sommes  vraiment  deux  voi- 
sins qui  se  ressemblent  trop  pour  ne  pas  essayer  d'accorder  nos 
petites  différences. 

Note  complémentaire. 


Le  français  dans  la  Vallée  il' A  oste. 

La  persistance  du  français  dans  ce  coin  perdu  est  un  des  phé- 
nomènes les  plus  curieux  qui  s'imposent  à  l'observation  du  lin- 
guiste. Elle  ne  peut  être  négligée  dans  un  recueil  comme  celui-ci. 
Cràte  aux  recherches  de  M.  le  chanoine  Frutaz  (4),  on  sait  qu« 

(1  )    Les  origines  de  It  l«ngue  franfaise  dans  lu  ValUe  4'Aoste. 


iSO  —  I«-16  SECïIOX   IIE  PROPAGANDE 

le  français  est  bel  et  bien  là-bas,  comme  en  Gaule,  du  lalin  lente- 
ment modifié.  La  langue  de  Home  avait  été  implantée  sur  un  sol 
celtique  dans  cette  région  presque  inaccessible,  qui  passa  ensuite 
sous  la  domination  des  Burgondes  et  devint,  plus  tard,  un  fief 
des  ducs  de  Savoie.  Est-ce  à  cette  influence  bourguignonne 
qu'est  dû  le  léger  accent  méiùdional  des  habitants  de  la  vallée? 
On  serait  porté  à  le  croire.  En  tout  cas,  le  français  ne  cessa  d'être 
parlé  au  cours  des  siècles.  Les  grandes  familles  féodales,  le 
clergé  et  la  bourgeoisie  n'eurent  jamais  d'autre  idiome.  Le 
l)euple  parla  naturellement  des  patois,  qui  peu  à  peu  furent 
refoulés  dans  les  campagnes  et  disparurent  devant  la  langue  cul- 
tivée sans  laisser  d'autres  traces  que  quelques  tours  et  quelques 
mots.  M.  le  chanoine  Frutaz  a  étayé  sa  démonstration  de  textes 
nombreux  et  décisifs,  mémoires,  édits  des  ducs  de  Savoie  (notam- 
ment d'Emmanuel-Philibert,  ordonnant,  en  i572,  de  rédiger 
tous  les  actes  en  français,  de  Charles-Emmanuel,  déclarant, 
en  16,i0,  «  nulles  les  publications  faites  en  autre  langue  que 
française  »,  etc.). 

Dans  ces  dernières  années,  le  gouvernement  italien  a  pris 
ombrage  d'une  survivance,  pourtant  tout  aussi  respectable  que 
celle  des  dialectes  grecs  de  certaines  régions  du  midi  de  la 
péninsule,  et,  par  la  voie  administrative,  il  s'est  efforcé  de  décou- 
rager les  amis  de  la  langue  française,  en  expulsant  celle-ci  de 
l'école,  des  pièces  oHicielles,  etc.  Les  Valdôlains  ne  se  laissèrent 
pas  aller  au  découragement;  ils  se  groupèrent  et  firent  entendre 
d'énergiques  protestations.  Le  13  décembre  1909,  le  ministre 
compétent,  répondant  à  une  question  de  l'honorable  Kattone, 
leur  mandataire,  reconnaissait  leur  droit  de  rédiger  dans  la 
langue  qui  leur  était  familière  les  actes  publics,  et  particulière- 
ment les  actes  de  l'état-civil.  Le  nouvel  évéquc  d'Aoste, 
M«'  Tasso,  quoique  étranger  au  pays,  ne  ménageait  pas,  de  son 
côté,  les  encouragements  aux  défenseurs  de  la  langue  française; 
grâce  à  des  collaborations  privées,  des  cours  du  soir  étaient 
créés,  et  on  obtenait  que  l'indemnité  réservée  aux  maîtres  de 
français  fût  portée  de  10,000  à  20,000  francs,  ce  qui  permit  de 
donner,  dans  plusieurs  communes,  à  près  de  deux  cents  élèves, 
pendant  trois  mois,  l'enseignement  gratuit  des  premières  notions 


l.E    FHANÇAIS    DANS    I.E    MONDE  Ia-16  —    15t- 

lie  notre  langue,  de  créer  deux  écoles  françaises  à  Aoste  même, 
d'instituer  enfin  un  cours  supérieur  de  français  correspondant  à 
celui  qui  était  jadis  inscrit  au  programme  du  collège.  En  atten- 
dant qu'on  introduisit  à  l'École  normale  d'instituteurs  un  cours 
spécial  de  français,  mettant  les  élèves  en  état  d'enseigner  conve- 
nablement cette  langue  à  leur  tour,  le  comité  valdûtain  organisa 
un  «  Cours  accéléré  de  français  avec  un  horaire  de  deux  à  trois 
heures  par  jour  ».  Ce  cours,  suivi  par  un  certain  nombre  de 
maîtres,  a  eu  un  succès  de  bon  augure.  En  1911,  on  a,  d'autre 
part,  inscrit  dans  le  budget  du  collège  ofticiel  une  somme 
annuelle  de  400  lires  pour  un  enseignement  spécial  du  français 
au  Convitio  annexé. 

Telle  est  l'œuvre  du  Comité  pour  la  protection  de  la  langue  fraii- 
i-aise  dans  la  vallée  d'Aosto, et  on  doit  espérer  qu'il  ne  s'en  tien- 
dra pas  là.  Ce  comité  a  à  sa  tète  un  homme,  dont  la  droiture,  la 
vaillance  et  l'instruction  lui  ont  valu  une  autorité  tout  à  fait 
exceptionnelle,  M.  le  !)"■  Anselme  Réan.  Mais  parmi  ses  collabo- 
rateurs il  faudrait  signaler  bien  des  noms  d'ecclésiastiques  et  de 
laïques,  tous  animés  du  même  zèle  et  également  désintéressés. 
D'une  façon  générale,  on  peut  dire  que  le  pouvoir  est  bien  dis- 
posé pour  ces  messieurs.  Ce  sont  plutôt  les  fonctionnaires  subal- 
ternes qui,  de  temps  en  temps,  cherchent  à  mettre  des  entraves 
à  leur  utile  propagande.  Dans  l'avenir,  rien  n'empêcherait  — 
comme  le  professeur  Hajna  l'a  proposé  —  que  l'enseignement  du 
français  à  Aoste  fût  l'objet  d'un  échange  de  maîtres  envoyés  de 
France  et  pairant  avec  des  Italiens  qui  iraient  enseigner  là-bas 
leur  langue  nationale. 


I.   —    SECTION    DE    PROPAGANDE. 

A)  LE  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE. 


La  culture  française  en  Angleterre 


Paui.  manïoux, 

professeur  à  l'Universilé  de  Londres. 


L'histoire  de  l'influence  exercée  par  l'esprit  français  sur 
l'esprit  anglais  —  comme  l'influence  réciproque  de  l'Angleterre 
sur  la  France  —  remplirait  beaucoup  de  volumes.  Quelques-uns 
sont  écrits  déjà  :  un  plus  grand  nombre  restent  à  écrire.  Les 
quelques  notes  qu'on  va  lire  ne  donneront  qu'une  idée  bien  som- 
maire de  cette  influence,  telle  que  nous  la  voyons  agir  sur  l'An- 
gleterre contemporaine. 

La  première  et  la  plus  simple  de  ses  formes  multiples,  c'est 
l'étude  de  la  langue  française.  Les  Anglais  ont  et  méritent,  plus 
encore  que  les  Français  eux-mêmes,  la  réputation  d'ignorer  les 
langues  étrangères.  Mais,  lorsqu'ils  en  savent  une,  c'est,  dans  la 
plupart  des  cas,  le  français.  Il  figure  au  programme  habituel  des 
écoles  secondaires,  de  préférence  à  l'allemand,  dont  la  richesse 
complexe  et  la  structure  synthétique  rebutent  des  esprits  habi- 
tués à  une  grammaire  plus  facile.  Parmi  les  classes  supérieures 

(l)Je  dois  exprimer  ici  mes  remerciments  à  mon  collègue  e*  ami 
M.  Louis  Brandin,  professeur  à  l'UniTersité  dé  Londres,  à  qui  je  dois  les 
plus  utiles  informations  sur-  les  revues  françaises  en  Angleterre. 


134  —  Ia-17  SECÏIO.N    DE    PKOPAGANDI-; 

de  la  société,  la  connaissance  du  français  est  non  seulement  très- 
répandue,  mais  poussée,  en  certains  cas,  à  la  perfection  :  alors 
l'accent  même,  si  rebelle  à  toute  adaptation,  arrive  à  s'atténuer 
jusqu'à  devenir  à  peine  perceptible.  Ceci  est,  il  faut  le  recon- 
naître, exceptionnel,  et  ne  peut  se  rencontrer  que  dans  les 
familles  les  plus  bautement  cultivées.  Mais  beaucoup  d'Anglais 
qui,  par  timidité,  hésitent  ou  renoncent  à  parler  français  lors- 
qu'ils en  trouvent  l'occasion,  suivent  parfaitement  une  conver- 
sation française,  et  voyagent  à  travers  nos  provinces  sans  avoir 
besoin  du  moindre  interprète.  Le  nombre  de  ceux  qui,  peu  fami- 
liers avec  la  langue  parlée,  peuvent  lire  et  lisent  en  effet  très 
volontiers  des  livres  français,  est  plus  grand  encore,  et  paraît 
s'accroître  constamment.  La  moyenne  et  la  petite  bourgeoisie  ne 
savent  guère  le  français  :  c'est  que  leur  instruction  est,  à  tous 
égards,  moins  complète  et  moins  ))ien  organisée  que  celle  des 
classes  correspondantes  en  Allemagne,  aux  Pays-Bas  ou  en 
France;  lorsqu'on  s'efforce  de  l'améliorer,  on  y  introduit  aussitôt 
l'étude  du  français,  considérée  comme  un  des  éléments  essentiels 
d'une  bonne  éducation.  Résidant  à  Londres,  il  y  a  une  quinzaine 
d'années,  dans  un  UnivemiUi  Seulement  où  l'on  travaillait  à 
élever  le  niveau  intellectuel  du  voisinage,  et  que  fréquentaient 
des  employés,  de  petits  commerçants,  des  ouvriers  qualifiés, 
j'avais  offert  de  donner  un  cours  de  français.  J'eus  aussitôt  une 
vingtaine  d'élèves;  et  —  ce  qui  est  plus  remarquable  —  après 
mdn  départ,  la  demande  s'est  maintenue,  et  le  cours  de  français 
est  devenu,  h  la  longue,  une  institution  permanente.  Je  ne  crois 
pas  ([u'aucune  autre  langue  eût  trouve  cette  faveur  auprès  d'un 
auditoire  populaire. 

A  mesure  que  l'enseignement  du  français  paraît  plus  néces- 
saire, le  nombre  des  professeurs  français  en  Angleterre  s'accroît. 
Leur  présence  dans  les  écoles  secondaires  n'est  pas,  à  vrai  dire, 
une  nouveauté  :  c'est,  au  contraire,  une  tradition  qui  se  conti- 
nue :  le  temps  n'est  pas  très  éloigné  oîi,  en  France,  l'habitude 
s'était  conservée  de  confier  à  des  étrangers  le  soin  d'enseigner 
leurs  langues  respectives.  Ce  qui  est  relativement  nouveau,  c'est 
la  place  tenue  par  des  Français  dans  l'enseignement  supérieur 
en  .Angleterre  et  en  Ecosse.  I^s  universités  de  Londres,  de  Bir- 


I.E   FRANÇAIS   DANS    r.K   MONDE  1(1-17    —  155 

niingliam,  de  Livcrpool,  de  Leeds,  de  Bristol,  de  Glasgow,  du 
J*ays  de  Galles,  ont  des  professeurs  ou  des  maîtres  de  conférences 
français;  à  Oxford,  c'est  un  Français  qui,  depuis  de  longues 
années,  dirige  une  des  sections  de  la  Fondation  Tayloc,  et  lors- 
qu'il s'est  agi,  tout  récemment,  de  donner  un  nouveau  titulaire 
à  la  chaire  de  philologie  romane,  c'est  aux  maîtres  de  La  Sor- 
bonne  et  de  l'École  des  Chartes  que  l'on  s'est  adressé  :  leur  can- 
didat, un  Suisse  de  langue  française,  a  été  désigné.  A  Edim- 
bourg, où  la  sympathie  et  le  goût  pour  la  culture  française 
datent  de  loin  —  les  Ecossais  aiment  à  rappeler  les  anciennes 
reliilions  entre  la  France  et  l'Ecosse,  au  temps  de  leur  indépen- 
dance —  un  professeur  belge  enseigne,  et  s'est  fait  connaître  par 
d'intéressantes  publications.  Beaucoup  de  ces  chaires  sont  de 
création  récente  :  à  Londres,  la  libéralité  du  Conseil  de  Comté  a 
permis  d'inaugurer  d'un  seul  coup,  en  i913,  deux  enseignements 
nouveaux  —  littérature  française  moderne,  histoire  et  institu- 
tion de  la  France  moderne  —  confiés,  l'un  et  l'autre,  à  des 
Français. 

Ce  qui  explique  ce  mouvement,  c'est  le  désir  d'introduire  en 
Angleterre  les  méthodes  de  l'enseignement  spécial  français.  Sa 
rénovation  éclatante,  au  cours  des  trente  dernières  années,  com- 
mence, après  avoir  porté  ses  fruits  au-dedans,  à  être  pleinement 
appréciée  au  dehors.  Les  revues  scientifiques  du  Royaume-L'ni 
consacrent  à  la  production  française  une  place  de  plus  en  plus 
étendue.  Malgré  le  prestige  que  conservent,  à  juste  litre,  la 
science  et  l'érudition  allemandes,  c'est  vers  la  France  surtout 
que  se  tournent  les  Anglais,  lorsqu'ils  songent  à  refondre  leur 
système  d'instruction  publique,  dont  les  lacunes  et  les  insutFi- 
sances  leur  sont  connues.  On  trouvera  l'expression  la  plus  nette 
et  la  plus  raisonnée  de  cette  tendance  dans  le  livre  récent  de 
-M.  Brerelon.S/wrfjfts  in  Foreign  Education.  Ce  n'est  pas  seulement 
plu.s  de  rigueur  dans  la  recherche,  mais  un  esprit  plus  large, 
une  méthode  d'enseignement  plus  claire  et  plus  compréhensive, 
que  les  Anglais  veulent  chercher  au  dehors  —  et  en  France.  Ce 
seront  peut-être,  demain,  certains  principes  d'organisation,  sur- 
tout lorsque  se  posera  la  question  de  la  réforme  des  écoles 
secondaires  :  dans  un  discours  prononcé  cet  hiver  au  banquet 


156  —  la- 17  SECTION   DE  PROPAGANDE 

(le  la  Société  des  professeurs  de  français,  lord  Reay  of  Lankes- 
ter,  une  des  plus  hautes  autorités  de  l'Angleterre  en  matière 
d'éducation,  faisait  un  éloge  presque  excessif  de  nos  institutions 
scolaires,  et  louait  leur  arrangement  systématique,  leur  centra- 
lisation, tout  ce  qu'elles  ont  de  plus  étranger  aux  habitudes 
anglaises. 

Tout  cela  ne  peut  se  faire  sans  quelques  résistances.  Mais  ce 
qu'on  discute,  ce  sont  les  applications  plutôt  que  les  principes, 
et  les  personnes  plutôt  que  les  idées.  Parmi  ceux  qui,  par 
exemple,  se  plaignent  de  l'invasion  des  professeurs  français,  le 
sentiment  qui  domine  n'est  que  celui  de  la  concurrence  —  assez 
naturel  d'ailleurs.  Eux-mêmes  vont  étudier  en  France  ot  en  rap- 
portent les  méthodes  qui  les  mettront  un  jour  en  état  de  faire 
moins  souvent  appel  à  des  collaborations  étrangères.  Ce  jour 
n'est  pas  encore  venu.  L'influence  française,  dans  ce  domaine, 
n'est  qu'à  ses  débuts  :  c'est  dans  l'espace  d'une  génération  qu'on 
en  pourra  juger  les  résultats. 

Tandis  que  cette  influence  pénètre  et  se  développe  à  l'intérieur 
même  des  universités  et  des  écoles  anglaises,  elle  se  fortifie  par 
l'action  des  institutions  et  des  sociétés  qui,  fondées  par  des 
Français,  se  donnent  pour  tâche  de  propager  en  Angleterre  la 
connaissance  de  notre  langue,  de  notre  littérature  et  de  nos  arts. 
Au  premier  rang  il  faut  citer  l'Alliance  française.  Longtemps 
elle  n'a  eu  en  Grande-Bretagne  que  des  sections  locales. 
Depuis  1907  il  existe  une  Fédération  britannique  des  comités 
de  l'Alliance  française,  qui  compte  aujourd'hui  plus  de 
5,000  membres.  Le  Congrès  de  Saint-Andrews,  au  printemps 
de  1913,  a  été  une  manifestation  brillante  de  son  activité.  On 
sait  quels  sont  les  moyens  d'action  habituels  de  cette  grande 
association  :  cours  de  langue  française,  conférences  littéraires, 
fondations  de  bibliothèques.  La  Fédération  britannique  en  est 
au  troisième  article  du  programme,  et  travaille  i  organiser  une 
bibliothèque  de  prêt,  qui  rendrait  assurément  de  grands  ser- 
Tices. 

L'Institut  français  du  Royaume-Uni,  fondé  en  1913,  à  l'ini- 
tiative de  l'Université  de  Lille,  se  réclame  des  instituts  analogues 
qui,  depuis  plusieurs  années,  fonctionnent  avec  d'heureux  résul- 


I.E    FRANÇAIS   DANS    I.E   MONDE  Ia-17  —  1S7 

tats  à  Florence,  à  Madrid  et  à  Saint-Pélersbourg.  Soutenu  par 
des  subventions  officielles  et  par  des  souscriptions  privées, 
recommandé  au  public  anglais  par  un  Comité  de  patronage  où 
figurent  de  hautes  personnalités,  cet  institut  s'est  assigné  un 
rôle  original.  Ce  n'est  pas  uniquement  aux  relations  intellec- 
tuelles, mais  aussi  aux  relations  économiques  des  deux  nations 
qu'il  doit  collaborer  :  à  côté  de  cours  sur  la  société,  la  littéra- 
ture et  l'art  en  France,  il  a  inauguré  un  enseignement  juridique 
et  commercial,  à  l'usage  des  jeunes  gens  français  et  anglais,  qui 
font  à  Londres  leur  apprentissage  des  affaires  :  les  uns  doivent 
y  apprendre  à  connaître  et  à  comprendre  plus  vite  et  mieux  le 
pays  où  ils  se  trouvent,  les  autres,  à  se  mettre  plus  aisément  en 
relations  avec  le  pays  voisin.  Les  Anglais  sont  aujourd'hui  les 
premiers  à  reconnaître,  dans  ce  domaine  où  la  pratique  aura 
toujours  le  dernier  mot,  l'utilité  et  l'importance  d'une  prépara- 
tion systématique.  Il  faut  souhaiter  qu'une  expérience  qui  offre 
aux  qualités  opposées  des  deux  peuples  l'occasion  de  se  complé- 
ter si  heureusement  triomphe  des  difficultés  que  peut  lui  créer 
sa  nouveauté  même. 

L'Institut  français  s'est  combiné  avec  une  institution  déjà 
existante  et  florissante,  qui  lui  a  prêté  non  seulement  un  très 
beau  local,  voisin  de  Hyde  Park,  mais  les  avantages  d'une  situa- 
tion acquise  :  c'est  l'Université  des  lettres  françaises,  fondée 
en  1910  par  M"°  d'Orliac.  L'on  a  continué  à  y  faire  des  confé- 
rences sur  des  sujets  littéraires  ou  historiques,  sous  la  forme 
attrayante  qui  a  fait,  à  Paris,  le  succès  de  l'Université  des 
annales.  C'est  un  genre  moins  austère  que  l'enseignement  scien- 
tifique, mais  qu'il  ne  faut  pas  dédaigner.  Notre  supériorité  y  est 
incontestée,  et  permet  d'attirer  un  public  mondain,  un  public 
féminin  surtout,  dont  le  concours  est  singulièrement  précieux 
pour  le  développement  de  la  culture  française  dans  la  famille  et 
dans  la  société. 

Enfin,  il  ne  faut  pas  oublier  de  mentionner  les  cours  créés  par 
la  Société  des  professeurs  de  français,  pour  un  public  moins  aris- 
tocratique, mais  laborieux,  et  dont  le  nombre  augmente  sans 
cesse  :  chaque  année,  la  cérémonie  de  la  distribution  des  récom- 
penses, qui  a  lieu  à  Mansion  House,  la  résidence  du  lord  maire, 


)  58  —  la- 1 7  SECTION   DE  PROPAGANDE 

fournit  de  nouvelles  preuves  de  leur  succès.  Toutes  ces  diffé- 
rentes institutions  sont  aidées  par  la  sollicitude  éclairée  de 
l'ambassadeur,  M.  Paul  Cambon,  dont  l'intelligence  élevée  s'in- 
téresse à  toutes  les  manifestations  de  l'esprit  français  en  terre 
anglaise,  et  aussi  par  celle  de  ses  collaborateurs,  le  consul  géné- 
ral, M.  de  Coppet  et  l'attaché  commercial,  M.  Jean  Périer,  mieux 
faits  que  personne  potir  comprendre  et  apprécier  les  rapports 
entre  la  propagande  intellectuelle  et  l'expression  économique. 

L'enseignement  est  le  moyen  d'action  le  plus  direct.  Est-ce  tou- 
jours le  plus  puissant?  Toujours  est-il  que  l'influence  française  a, 
pour  pénétrer  l'esprit  anglais,  beaucoup  d'autres  voies.  La  presse 
de  langue  française  mérite  d'être  mentionnée  :  Londres  a  plu- 
sieurs journaux  français,  dont  un,  la  Chronique,  est  à  présent 
dans  sa  seizième  année.  Mais  ces  journaux,  il  faut  bien  le  dire, 
s'adressent  surtout  à  la  colonie  française  de  Londres,  et  leur 
œuvre  est  du  même  ordre  que  celle  des  nombreuses  sociétés, 
professionnelles  ou  philanthropiques,  qui  groupent  les  Français 
résidant  en  Angleterre.  11  les  aident  à  ne  pas  se  perdre  dans  le 
milieu  ambiant,  ce  qui  est  assurément  une  manière  de  servir 
l'influence  française.  Beaucoup  plus  étendue  et  plus  impor- 
tante est  l'action  de  la  littérature,  du  théâtre  et  des  beaux-arts. 
On  peut  l'envisager  sous  deux  points  de  vue  diflférenls,  soif 
qu'elle  s'exerce  immédiatement,  par  la  lecture,  la  représenta- 
tion ou  l'exposition  des  œuvres  françaises,  soit  qu'elle  contribue 
à  transformer  la  production  en  Angleterre  même. 

Pour  ce  qui  est  du  théâtre,  personne  n'ignore  la  faveur  que  le 
public  anglais  a  toujours  témoignée  à  la  scène  française.  Nos 
grands  acteurs  reçoivent  de  lui  un  accueil  triomphal.  Des  noms 
comme  ceux  de  Coquelin  et  de  Sarah  Bernhardt  sont  à  Londres 
aussi  populaires  qu'à  Paris  même.  Il  n'est  pas  d'année  où  plu- 
sieurs troupes  ne  visitent  la  Grande-Bretagne  :  on  sait  que  le 
Théâtre  Français  l'a  fait  à  plusieurs  reprises  avec  le  plus  vif  suc- 
cès. Dans  un  genre,  il  est  vrai,  moins  élevé  —  celui  de  la  revue 
de  café-concert  —  un  théâtre  londonien,  le  New  Middiesex, 
réussit,  depuis  deux  ans,  à  attirer  un  public  sans  cesse  renou- 
velé à  des  représentations  données  en  français.  Il  est  évident 
qu'une  petite  minorité  seule  est  en  état  de  suivre  sans  difficulté 


LE  FRANÇAIS   DAKS   l.E   MONDE  In-17 —  159 

«n  dialogue  en  langue  étrangère,  et  il  en  serait  de  môme  dans 
tous  les  pays.  Mais  le  public  anglais  tout  entier  écoute  et  appré- 
cie des  traductions  et  des  adaptations  de  pièces  françaises.  Nulle 
ibranche  de  notre  exportation  n'est  plus  florissante.  Parfois  la 
pièce  est  traduite  sans  modifications  :  le  plus  souvent  —  sur- 
tout lorsque  son  mérite  littéraire  n'est  pas  de  premier  ordre 
—  elle  est  plus  ou  moins  accommodée  au  goût  anglais  :  on  en 
•retranche  certaines  hardiesses  de  situation  ou  d'expression  qui 
^choqueraient  le  public  britannique,  on  leur  donne  un  titre  qui 
n'a  plus  rien  de  parisien,  et  sous  lequel  on  est  étonné  de  recon- 
naître le  dernier  succès  du  Vaudeville  ou  des  Variétés.  Il  faut 
Lien  le  dire,  ce  ne  sont  pas  toujours  nos  meilleures  pièces  qu'on 
traduit,  l'objet  en  vue  n'étant  pas  essentiellement  l'éducation  lit- 
téraire du  public.  Mais  il  y  a  d'heureuses  exceptions,  et  quelque- 
fois nos  classiques  mêmes  paraissent  sur  la  scène  :  on  jouait  à 
Londres,  cet  hiver,  le  Médecin  malgré  lui. 

On  se  plaint  souvent,  en  Angleterre,  de  l'état  languissant  du 
théâtre  national.  Sont-ce  les  exemples  français  qui  peuvent 
l'aider  à  se  reconstituer?  On  eût  pu  le  croire,  il  y  a  une  vingtaine 
d'années,  lorsque  Pinero  fit  applaudir  de  brillantes  productions 
où,  à  l'influence  visible  d'Ibsen,  se  mêlaient  celles  d'Alexandre 
Dumas  fils  et  de  Henry  Becque.  Mais  les  efforts  intéressants  et 
parfois  heureux  d'écrivains  plus  récemment  arrivés  à  la  notoriété 
ne  semblent  pas  devoir  grand  chose  à  la  France.  Les  charmants 
jeux  d'imagination  de  M.  Barrés,  et  les  feux  d'artifice  intellectuels 
de  M.  Bernard  Sthaw,  n'ont  absolument  rien  de  français,  et  dans 
la  forme  pas  plus  que  dans  le  fond.  M.  Arnold  Bennett  se  rap- 
proche, peut-être,  un  peu  davantage  de  nos  formules  drama- 
tiques. Mais  les  problèmes  qu'il  pose  et  les  personnages  qu'il 
■évoque  sont  bien  anglais.  Le  rôle  réservé  au  sentiment,  une 
certaine  hantise  du  mystère  et  de  l'au-delà,  des  préoccupations 
morales  qui,  même  dans  le  paradoxe  volontairement  agressif  et 
■cynique,  trahissent  la  persistance  d'une  invincible  tradition  reli- 
gieuse, tout  cela  nous  transporte  loin  de  la  France.  Je  ne  parle 
pas  des  ouvrages  d'ordre  inférieur  qui,  malheureusement, 
forment,  en  Angleterre,  comme  ailleurs,  l'écrasante  majorité. 
Auprès  d'un  public  peu  diflicile  à  amuser,  et  qui  ne  cherche  au 


160  —  Ifl  17  SECTION   DE   PROPAGANDE 

théâtre  qu'un  moment  de  délassement,  la  pantomime  de  Noël  et 
l'opérette  mêlée  de  danses  conserveront  toujours  leurs  droits. 

Il  en  est  de  même  pour  les  autres  branches  de  la  littérature. 
Les  ouvrages  français  ou  leurs  traductions  sont  très  lus  :  mais 
leur  influence  sur  la  production  anglaise  n'est  pas  considérable. 
En  poésie,  les  Anglais  ne  pensent  avoir  rien  à  nous  envier  :  c'est 
ce  que,  chez  nous,  ils  cherchent  le  moins  à  bien  connaître  :  si  le 
robuste  génie  d'un  Verhaeren  s'impose  à  eux,  c'est  par  ce  qu'il 
a  de  septentrional  et  de  germanique.  Le  roman  et  la  nouvelle 
ont  beaucoup  de  lecteurs,  et  de  différentes  espèces.  Les  hautes 
classes  de  la  société  les  lisent  en  français,  lorsque  leur  amour 
des  sports  leur  en  laisse  le  temps  :  parmi  les  femmes  surtout, 
dont  les  loisirs  sont  plus  larges  et  plus  variés,  il  n'est  pas 
rare  de  rencontrer  des  personnes  qui  suivent  avec  l'attention 
la  plus  éveillée  et  le  goût  le  plus  averti  notre  mouvement  litté- 
raire. Quel  est  l'écrivain  anglais  qui  trouverait  à  Paris  l'accueil 
triomphal  fait  par  la  société  londonienne,  l'hiver  dernier,  à 
Anatole  France  ? 

Les  classes  moyennes,  qui  lisent  relativement  peu,  en  dehors 
des  journaux  et  des  magazines,  ont  une  prédilection  marquée 
pour  deux  ou  trois  romanciers  français  :  Alexandre  Dumas  père 
jouit  d'une  popularité  qui  ne  peut  se  comparer  qu'à  celle  de 
Dickens  :  et  le  théâtre,  et  le  cinématographe,  vulgarisent  à  l'infini 
des  variantes  des  Trois  mousquelaii'es  ou  de  Monte-Cristo.  On 
sait  l'énorme  succès  de  librairie  des  traductions  anglaises  de 
Zola,  dû,  il  faut  le  reconnaître,  plutôt  à  une  curiosité  à  demi 
effarouchée  qu'à  une  admiration  sincère. 

Il  s'agit  ici  du  gros  public,  qui  se  connaît  peu  en  psychologie  et 
en  style,  et  qui  demande  à  ses  auteurs  favoris  des  émotions,  sans 
se  préoccuper  beaucoup  de  leurs  qualités  littéraires.  Il  ignore, 
naturellement,  les  essayistes  et  les  moralistes,  dont  un  public 
plus  restreint  et  plus  raffiné  fait  ses  délices  :  Barrés,  Maeterlinck, 
ont  des  admirateurs  prononcés,  mais  peu  nombreux,  comme  on 
doit  s'y  attendre.  A  plus  forte  raison  pour  les  classiques,  que 
ne  signale  aucun  intérêt  d'actualité,  et  dont  la  connaissance  ne 
permet  pas  de  briller  dans  les  salons  :  Le  Gulliver  de  Swift  a  en 
France  plus  de  lecteurs  que,  de  l'autre  côté  de  la  Manche,  le 


LE  FRANÇAIS   DANS   I,E  MONDE  Ia-17 —  161 

Candide  de  Voltaire.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  nulle  littéra- 
ture au  monde,  pas  même  à  beaucoup  près,  celle  de  l'Allemagne, 
malgré  tant  d'affinités,  ne  jouit  en  Angleterre  d'une  situation 
comparable  à  la  nôtre. 

Et  malgré  cela,  le  roman,  la  nouvelle,  l'essai,  restent  aux 
mains  des  auteurs  nationaux,  qui  trouvent  dans  leur  propre  pays 
tant  de  modèles,  foncièrement,  irréductiblement  anglais.  Peut- 
être  la  technique  de  nos  romanciers,  leur  manière  plus  brève  et 
plus  serrée,  a-t-elle  modifié  quelque  peu  la  tradition  du  xix'  siècle. 
Mais  cette  modification  n'atteint  guère  que  les  dehors  et  les  pro- 
cédés :  dans  des  livres  plus  courts  qu'autrefois,  aux  épisodes 
moins  nombreux  et  plus  fortement  groupés,  à  la  couleur  moins 
atténuée  par  le  respect  de  certaines  convenances,  nous  retrou- 
vons des  caractères  et  des  idées  qui  dureront  autant  que  le 
tempérament  du  peuple  anglais. 

Le  ton  en  est  aussi  devenu  plus  libre  :  la  pudeur  britannique 
s'est  faite  moins  susceptible,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  morte  avec 
la  reine  Victoria.  Mais  il  n'est  pas  probable  que  ce  changement, 
sensible  dans  la  vie  quotidienne  autant  que  dans  les  livres,  soit 
dû  à  l'influence  française  :  c'est  plutôt  une  réaction  spontanée, 
à  certains  égards  favorable  à  cette  intluence,  parce  qu'elle 
diminue  l'écart  entre  les  deux  actions  et  leur  permet  de  se  mieux 
comprendre  en  atténuant  des  préjugés  réciproques. 

Ce  rapprochement  permet  aux  idées  d'origine  française  d'être 
accueillies  avec  moins  de  défiance.  Les  personnes  de  la  généra- 
tion précédente,  un  Taine,  un  Renan,  ont  été,  en  Angleterre, 
connus  et  appréciés,  mais  peu  suivis.  Auguste  Comte,  en  dehors 
de  l'étroite  église  positiviste,  n'a  agi  qu'au  travers  de  Stuart  Mill 
et  d'Herbert  Spencer,  dont  les  doctrines  n'étaient  pas  sorties  de 
la  sienne.  Aujourd'hui,  notre  école  philosophique  est  en  train 
de  conquérir  la  pensée  anglo-saxonne,  qui  reconnaît  d'ailleurs, 
dans  MM.  Boutroux  et  Bergson,  des  esprits  apparentés  à  l'Anglais 
Thomas  Hill  Green  et  à  l'Américain  William  James.  Dira-t-on 
que  c'est  en  s'écartant  du  rationalisme  cartésien,  qui  est  propre- 
ment français,  que  cette  philosophie  nouvelle  trouve  hors  de 
France  tant  d'admirateurs  et  d'adeptes?  Ce  serait,  je  crois  mécon- 
naître tout  ce  que  lui  vaut  de  faveur  l'exposition  claire  et 
le  ii 


16"2  —  Ia-17  SECTION   DE   PROPAGANDE 

distincte,   la  finesse  de  la  dialectique  et  la  beauté  du  style. 

il  est  d'ailleurs  assez  naturel  qu'une  nation  agisse  sur  une 
autre  d'autant  plus  qu'elle  tend  à  lui  ressembler.  C'est  peut-être 
ce  qui  explique  l'influence  souveraine  sur  l'art  anglais  contem- 
porain —  du  moins  en  peinture  et  en  sculpture  —  de  notre  art 
réaliste,  qui  prit  ses  premières  leçons  à  l'école  de  l'Anglais 
Constable.  La  peinture  toute  littéraire  des  préraphaélites,  avec 
son  raffinement  parfois  délicat,  toujours  artificiel,  a  fait  son 
temps  en  Angleterre.  Les  maîtres  de  la  génération  présente,  ce 
sont  nos  grands  portraitistes  et  paysagistes  du  xix«  siècle,  dont 
un,  Alphonse  Legros,  a  passé  plus  de  la  moitié  de  sa  vie  de 
l'autre  côté  du  détroit.  En  eux,  comme  en  l'Américain  Whistler, 
dont  les  premières  productions  soulevaient  la  réprobation  des 
esthètes  groupés  autour  de  John  Ruskin,  le  public  anglais  a 
reconnu  les  qualités  de  force,  de  sincérité,  de  naturel  qu'il  savait 
apprécier  déjà  dans  notre  littérature,  et  qui  lui  conviennent  autant 
que  lui  convenaient  peu  les  formules  du  classicisme  académique. 

A  chaque  pas  qu'une  nation  fait  vers  l'autre,  celle-ci,  à  son  tour, 
fait  volontiers  un  autre  pas.  Parmi  les  causes  qui  ont  contribué, 
récemment,  au  relèvement  du  prestige  et  de  l'influence  de  la 
France  en  Angleterre,  il  faut  mentionner  le  succès  de  nos  entre- 
prises coloniales,  la  renaissance  de  notre  culture  physique,  les 
triomphes  de  nos  aviateurs,  et — pourquoi  non? — de  nosathlètes. 

Lorsque  l'Angleterre  croyait  la  France  très  différente  et  très 
éloignée  d'elle,  elle  l'observait  avec  une  curiosité  parfois  très 
vive,  mais  sans  grande  sympathie,  et  sans  aucun  désir  de  l'imiter. 
Cela  a  changé,  cela  change  encore  sous  nos  yeux  ;  peut-être  les 
circonstances  politiques  y  sont-elles  pour  quelque  chose.  Et 
l'observation  se  vérifie  jusque  dans  le  degré  d'influence  exercée 
par  les  différentes  formes  de  notre  activité  intellectuelle.  Les 
Anglais  aiment  notre  littérature  et  notre  théâtre,  mais  leur 
empruntent  peu;  au  contraire,  nos  recherches  scientifiques,  notre 
enseignement,  nos  systèmes  de  philosophie,  tout  ce  qui  leur 
paraît  sérieux  et  profond  chez  un  peuple  dont  la  légèreté  était 
parmi  eux  proverbiale,  agit  sur  eux  fortement,  et  travaille  à  la 
transformation  de  leur  esprit,  autant  qu'eux-mêmes  ont  pu 
contribuer  à  celle  de  nos  institutions  ou  de  notre  caractère. 


F.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

A)  LK  FRAXCAIS  DANS  I.E  MONDE. 


L'enseignement  du  français  en  Allemagne  (') 


L'étude  approfondie  de  cette  grosse  question  :  l'état  du  fran- 
çais en  Allemagne,  demande  un  développement  incompatible 
avec  les  proportions  d'un  rapport  comme  celui-ci.  Elle  se  com- 
plique, en  effet,  de  toute  sorte  d'éléments  qui  échappent  à 
l'appréciation  ordinaire.  Comment  établir  quel  est,  dans  chaque 
ville  de  l'Europe,  le  nombre  exact  de  personnes  parlant  français? 
Et  si  même  une  statistique  de  ces  personnes  existait,  quelle 
valeur  aurait-elle?  Car  que  veulent  dire  ces  mots  :  parler  fran- 
çais? ils  n'ont  qu'une  portée  toute  relative.  Un  garçon  de  café 

(1)  Ceci  n'est  pas  un  rapport,  et  pour  cause.  Nous  n'avons  pu  obtenir  d'un 
Sujet  allemand,  ayant  toute  la  compétence  voulue,  un  travail  sur  la  ques- 
tion, et  il  semble  superflu  de  dire  pourquoi.  D'autre  part  un  étranger  était 
hors  d'état  de  mener  seul  à  bonne  fin  une  enquête  aussi  longue  et  aussi 
délicate.  Restait  un  troisième  parti,  que  nous  avons  adopté.  Il  consistait  à 
substituer  à  une  demande  de  rapport  des  questionnaires  spéciaux,  adressés 
à  un  certain  nombre  de  personnes  et  portant  sur  les  données  officielles,  sur 
l'activité  des  cercles  français,  etc.,  et  &  combiner  les  renseignements  ainsi 
recueillis  avec  ceux  que  les  bulletins  de  l'Alliance  française  de  Paris  nous 
apportent.  A  défaut  d'un  tableau  complet,  on  aura,  du  moins,  une  vue 
d'ensemble  déjà  satisfaisante,  et  surtout  réconfortante.  N'est-ce  pas 
l'essentiel? 


164  —  Ia-18  SECTION   DE  PROPAGANDE 

OU  de  restaurant,  dans  deux  cents  villes  allemandes,  parle-t-il 
fiançais,  parce  qu'il  est  capable  de  répondre  aux  questions  élé- 
mentaires d'un  client  pressé  de  se  faire  servir  un  potage,  un 
bifteck  ou  une  demi-bouteille  de  vin?  En  revanche  ose-t-on 
exclure  les  centaines  d'hommes  d'études  qui  lisent  notre  langue, 
par  goût  ou  par  devoir,  mais  sont  hors  d'état  de  bredouiller 
distinctement  quelques  phrases?  Sans  doute  la  même  objection 
peut  être  formulée  pour  d'autres  pays;  mais  elle  n'est  nulle  part 
aussi  grave  qu'ici.  Nulle  part  ailleurs,  il  n'y  a  un  peuple  d'éru- 
dits,  discipliné  et  bien  préparé,  possédant  la  connaissance  théo- 
rique des  langues  étrangères,  sans  qu'il  obéisse  pour  cela  à  un 
instinct  de  sympathie  quelconque,  de  telle  sorte  qu'il  devient 
embarrassant  de  tirer  argument  de  ses  qualités  mêmes  en  faveur 
d'une  pénétration  française  quelconque. 

Que  le  français  ait  toujours  été,  avant  comme  après  1870,  la 
seconde  langue  vivante  de  tout  Allemand  qui  ne  se  contente  pas 
de  la  sienne,  c'est  ce  qui  semble  hors  de  conteste.  Les  faits 
d'observation  quotidienne  sont  d'accord  avec  la  lettre  des  pro- 
grammes d'enseignement  pour  le  démontrer.  Nous  ne  remon- 
terons pas  jusqu'à  Rivarol  et  à  la  question  posée  par  l'Académie 
de  Berlin  (1);  nous  négligerons  la  période  impériale  (2)  et  les 
époques  qui  ont  suivi,  et  où  la  réaction  anti-française,  si  elle  a 
eu  des  effets  trop  certains  sur  la  mentalité  de  l'Allemand,  en  a 
eu  de  beaucoup  moindres  sur  sa  culture  (3).  La  législation  sco- 

(1)  Il  faudrait  remonter  alors  plus  haut.  Voyez  M.  Wilmottk,  «  Pour- 
quoi il  faut  parler  français  "  dans  les  Cahiers  alsaciens,  P''  et  II"  fasc. 

(2)  Un  seul  témoignage,  mais  très  curieux,  nous  est  fourni  par  un  docu- 
ment de  l'an  IX  de  la  République,  l^a.  Décade  philosophique  àe\3.\tia.\oT\^T 
alors  les  échanges  intellectuels  entre  la  France  et  l'Allemagne.  Or,  à  cette 
date,  la  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  du  Bas-Rhin  propose,  comme 
sujet  de  prix,  la  question  :  "  Quels  sont  les  moyens  de  propager  la  connais- 
sance et  l'usage  de  la  langue  française  parmi  les  habitants  de  toutes  les 
classes  des  départements  de  la  République,  dont  la  langue  vulgaire  {sic) 
est  l'allemand?  "  (Picavet,  Les  idéologues,  p.  83). 

(3)  Ainsi  s'explique  que  les  études  romanes  (où  le  français  est  favorisé 
singulièrement)  n'ont  cessé,  au  xix"  siècle,  de  se  développer  dans  les  uni- 
versités allemandes  et  que  c'est  là  que  .les  plus  illustres  maîtres  de  la  der- 
nière génération,  en  France,  ont  dû  aller  parfaire  leur  éducation  scien- 
tifique. 


I.E   FRANÇAIS   DAXS    I.E   MONDE  Ia-18  —  16o 

laire  des  dernières  années  du  xix*  siècle  et  des  premières  années 
du  xx«  siècle,  comme  aussi  le  réveil  de  culture  française  au  cours 
de  ces  dernières,  voilà  le  sujet  qu'il  importe  de  traiter  ici,  fût-ce 
sommairement. 

La  plus  grande  ditticulté  qu'il  oflre  provient  peut-être  de  la 
niulliplicité  de  la  vie  intellectuelle  en  Allemagne.  Alors  qu'en 
France,  depuis  Napoléon  I"  (et  en  dépit  d'innovations  récentes, 
plus  superficielles  qu'elles  n'en  ont  l'air)  il  y  a  une  Université  et 
non  des  universités,  et  que  tout  l'enseignement  est  unifié,  cen- 
tralisé par  le  régime  des  Académies  (et  un  vote  récent  de  la 
Chambre  a  encore  renforcé  les  pouvoirs  des  recteurs  de  celles-ci, 
qui  dépendent  tous  directement  de  Paris),  en  Allemagne,  non 
seulement  il  existe  une  large  autonomie  de  l'enseignement  supé- 
rieur, mais  l'enseignement  secondaire  et  primaire  n'est  nulle- 
ment régi  par  des  lois  et  règlements  uniformes,  et  pour  en  décrire 
le  mécanisme,  il  faudrait  s'y  reprendre  autant  de  fois  qu'il  y  a 
d'États  grands  et  petits,  et  non  seulement  d'États,  mais  même  de 
villes,  la  part  d'intervention  municipale  dans  la  rédaction  des 
programmes  et  les  choix  des  maîtres  étant  infiniment  moins 
réduite  outre-Khin  (1). 

Nous  ne  pouvons  entreprendre  ici  une  telle  enquête,  et  force 
nous  sera  de  nous  contenter  de  quelques  données  d'un  caractère 
aussi  général  que  possible.  On  verra,  du  reste,  qu'en  dépit  de 
leur  source  restreinte,  elles  offrent  des  analogies  très  signifi- 
catives. 

Et  tout  d'abord,  parlons  de  l'enseignement  supérieur.  Les 
cours  scientifiques  et  pratiques  de  français  tendent  à  se  multi- 
plier de  plus  en  plus,  et  on  constate  l'activité  sans  cesse  crois- 

(1)  C'est  ainsi  que  récemment  le  premier  bourgmestre  de  Dusseldorf 
demandait  à  la  Chambre  de  commerce  de  cette  ville  son  avis  sur  la  question 
de  savoir  s'il  convenait  de  renforcer  l'enseignement  du  français  ou  celui  de 
l'anglais  dans  les  cours  de  l'enseignement  secondaire  qui  dépendent  de  lui. 
Après  de  longs  débats,  la  Chambre  de  commerce  a  décidé  de  répondre  au 
bourgmestre  qu'à  son  avis  l'étude  du  français,  inscrit  comme  langue  obli- 
gatoire dans  le  programme  des  études  secondaires,  était  i  mettre  au-dessus 
de  celle  de  l'anglais. 


166  —  1,1-18 


SECTION   DE  PROPAGANDE 


santé  des  maîtres  comme  des  élèves,  dont  les  travaux  ont  notre 
langue  comme  sujet  (1). 

Voici,  au  surplus,  un  tableau  des  cours  de  philologie  romane 
(et  des  chaires  de  lecteurs,  chargés  de  l'enseignement  pratique) 
à  la  date  du  1"  octobre  1913. 


I. 


Universités. 


Pliilologie  romane 

Lecteurs 

de 
langue 

française. 

Professeurs 

extra- 
ordinaires 
de  littérature 
frynç.iise. 

Professeurs. 

l'rivat-doceut. 

Berlin 

2 

1 

1 

Boim 

•> 

1 

1 

Breslau 

1 

1 



Erlaiigen      .     .     .     . 

1 

— 



FribourgenBrisgau  . 

•> 

— 

— 

Giessen   

1 

1 



Gottingen     .     .     .     . 

1 

1 

— 

Greifswiild  .     .     .     . 

2 

1 

— 

Halle 

2 

— 

— 

Heklelber^  .     .     .     . 

2 

1 

— 

— 

léna 

1 

1 

— 

Kiel 

1 

— 

— 

Kônigsberg .... 

1 

— 

— 

Leipzig 

3 

1 

— 

Marburg 

i 

1 

■      —      ■ 

^tunich 

3 

— 

— 

Munster 

2 

— 

— 

— 

Rostock 

1 

— 

— 

'  Strasbourg  .     .     .     . 

1 

— 

— 

Tubingeii     .     .     .     . 

1 

— 

— 

'Wùrzburg   .     ■     .     . 

1 

— 

— 

32 

10 

19 

2 

(1)  La  littérature  pédagogique  s'est  iiotamnient  développée  avec  une 
intensité  déroutante  depuis  1870.  Nombreuses  sont  les  collections  de 
grammaires,  de  Lehrbiicher,  de  livres  classiques  français,  et  dans  des 
collections  d'un  caractère  international,  comme  la  Bibîiotheca  Romanica 
de  Heitz,  le  français  a  la  part  du  lion. 


H. — 


LE   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-18 

Instituts  techniques  et  commerciaux. 


167 


Langue  française. 

professeurs. 

Lecteurs. 

Aix.     .     . 

1 
1 

1 

2 

1 

1 
1 
1 

1 

1 

2 

Breslau.     .               

Dantzig 

Darmstailt 

Francforl-sur-le-Mein.      .     .     . 

Haiiovio 

Carlsrulic 

Cologne 

Munich 

6 

7(1) 

m.  —  Divers. 

Hambourg  :  Institut  colonial  :  1  professeur  de  ■<  Langues  et  culture  romanes  ». 
—  Musée  d'elhnograpliie  ;  séminaire  île  langue  et  culture  romanes  ; 

1  professeur,  1  lecteur. 

Pour  l'enseignement  secondaire  il  y  a  de  nombreuses  distinc- 
tions à  établir.  Distinctions  fondées  d'abord  sur  le  caractère  des 
établissements,  qui  sont  d'État  ou  dépendent  de  communes,  qui 
sont  de  véritables  lycées  (avec  l'enseignement  gréco-latin  [gymna- 
sien]  ou  avec  le  latin  seul,  à  l'exclusion  du  grec  [realgymna- 
sien]),  ou  bien  sont  des  écoles  secondaires  [oberrealschule,  real- 
scliule]  ou  bien  qui  participent  d'une  troisième  direction,  la  plus 
grande  importance  y  étant  donnée  aux  langues  modernes,  non 

(1)  Chiffres  minima  :  le  détail  des  "  Lektoren  ^  ou  "  Assistenten  " 
n'étant  pas  toujours  donné  par  "  Minerva  ». 


i68  —  Ia-18  SECTION  DE  PROPAGANDE 

aux  mathématiques  et  aux  sciences  naturelles  [re(ormgymnasien], 
dans  l'Allemagne  du  Nord,  à  Nuremberg,  etc.)  (1).  Ces  distinc- 
tions ne  sont  pas  les  seules,  car  il  n'y  a  pas  deux  États  allemands 
où  les  programmes  de  l'enseignement  secondaire  coïncident 
complètement  dans  les  parties  correspondantes  (2). 

En  Prusse,  par  exemple,  aux  termes  des  programmes  otficiels 
publiés  en  1901  conformément  à  l'arrêté  royal  du  26  novem- 
bre 1900  et  à  l'arrêté  ministériel  du  29  mai  1901,  le  français  est 
enseigné  dans  tous  les  établissements  secondaires,  c'est-à-dire 
dans  les  Gymnasien,  dans  les  Realgymnasien,  dans  les  Oberreal- 
schulen  et  dans  les  Realschulen. 

Dans  les  gymnases,  l'enseignement  du  français  ne  commence 
qu'en  Quarta  (3°  année  d'étude;  âge  normal  des  élèves  :  11  à 
12  ans).  Il  comporte  quatre  heures  de  cours  par  semaine  en 
Quarta,  deux  en  Unter-tertia  et  Ober-tertia,  trois  en  Unter- 
secunda,  en  Ober-secunda,  en  Unter-prima  et  en  Ober-prinia. 
Dans  la  plupart  des  gymnases,  le  français  est  obligatoire,  tandis 
que  l'anglais  (deux  heures  par  semaine)  n'est  que  facultatif. 
Cependant  dans  certains  gymnases,  en  vertu  d'une  autorisation 
spéciale,  c'est  le  contraire  qui  a  lieu  et  il  semble  qu'il  y  ait 
actuellement  une  certaine  tendance  à  favoriser  l'enseignement 
de  l'anglais  aux  dépens  du  français. 

Dans  les  Realgymnasien,  l'enseignement  du  français  ne  com- 
mence également  qu'en  Quarta,  mais  il  comporte  cinq  heures  de 
cours  par  semaine  en  Quarta  et  quatre  dans  toutes  les  classes 
suivantes,  tandis  que  l'enseignement  de  l'anglais  également 
obligatoire  ne  comporte  que  trois  heures  de  cours  par  semaine. 

Dans  les  Oberrealschulen,  l'enseignement  du  français  com- 

(1)  Il  conviendrait  encore  de  faire  une  place  aux  Deutsche  Schxdeiï  à 
l'étranger  ;  mais  il  a  paru  qu'elles  ne  nous  concernaient  pas  ici. 

(2)  Dans  quelques  grands  établissements  on  a  pu  se  permettre  des  inno- 
vations malaisées  ailleurs.  Depuis  Pâques  jusqu'à  la  Saiut-Michel,  à  partir 
de  1908,  le  programme  officiel  du  Bismarck-Gt/mnasium,  &  Berlin,  nous 
apprend  que  dans  deux  classes  l'enseignement  fut  donné  alternativement 
en  français  et  en  anglais  (trois  heures  d'anglais  obligatoirement,  deux 
heures  de  français  facultativement). 


LE   FRANÇAIS   DANS   LE   MONDE  Ia-18  —  169 

menée  en  Sexta  (première  année  d'étude  ;  âge  normal  des  élèves  : 
9  à  10  ans)  et  comporte,  dans  les  cinq  classes  inférieures,  six 
heures  de  cours  par  semaine  ;  cinq  heures  par  semaine  en 
Untersecunda  ;  quatre  heures  par  semaine  dans  les  trois  classes 
supérieures. 

Dans  les  Realschulen,  où  il  n'y  a  que  six  années  d'études,  six 
heures  de  cours  par  semaine  sont  consacrées  au  français  dans 
les  trois  classes  inférieures,  cinq  en  Tertia,  quatre  dans  les  deux 
classes  supérieures. 

Dans  les  Gymnasien  et  les  Realgymnasien,  l'enseignement  a 
pour  but,  dit  le  programme  officiel,  de  mettre  l'élève  en  état  de 
comprendre  les  œuvres  les  plus  importantes  de  la  littérature 
française  des  trois  derniers  siècles,  de  lui  procurer  les  moyens 
de  s'exprimer  en  français  avec  une  certaine  aisance  oralement  et 
par  écrit,  et  de  lui  donner  quelques  notions  de  l'histoire  de  la 
littérature  et  de  la  civilisation  françaises.  Il  en  est  de  même 
dans  les  autres  écoles  de  l'enseignement  secondaire;  mais  dans 
les  Obéir ealschulen,  comme  c'est  au  français  qu'incombe  la 
tâche  de  remplacer  le  latin  en  ce  qui  concerne  l'étude  de  la 
grammaire  considérée  comme  discipline  intellectuelle,  l'étude  de 
la  grammaire  française  y  est  plus  approfondie  que  dans  les 
gymnases. 

Dans  les  Realschulen,  l'enseignement  est  moins  complet  et  a 
un  caractère  plus  pratique;  il  correspond  à  peu  près  à  celui  des 
six  premières  années  d'études  des  Oberr ealschulen- 

Dans  tous  les  établissements  de  l'enseignement  secondaire, 
l'enseignement  du  français  comprend  des  exercices  de  pronon- 
ciation, de  lecture,  d'élocution,  de  grammaire,  de  traduction, 
d'orthographe,  de  style.  Dans  les  trois  classes  supérieures,  la 
lecture  des  auteurs  classiques  et  modernes  (avec  les  exercices 
d'élocution  qui  s'y  rattachent)  passe  au  premier  plan  de  l'ensei- 
gnement; dans  les  gymnases,  le  programme  impose  l'étude  d'une 
des  grandes  comédies  de  Molière;  dans  les  Realgymnasien  et  les 
Oberr  ealschulen,  le  programme  impose  dans  les  trois  classes  supé- 
rieures, pour  toutes  les  heures  de  cours,  des  exercices  d'élocution 


170  —  Iâ-18  SECTION  DE  PROPAGANDE 

et  de  conversation .  Il  est  recommandé  aux  professeurs  de  se  servir 
autant  que  possible  du  français  dans  les  heures  consacrées  à 
l'histoire  de  la  littérature  et  de  la  civilisation  françaises  dans  les 
classes  supérieures.  Pour  l'enseignement  de  la  grammaire  au 
contraire,  le  programme  officiel  recommande  aux  professeurs  de 
donner  les  règles  et  les  explications  en  allemand. 

Il  y  a  aussi  des  cours  de  français  dans  les  écoles  moyennes 
(Miltelschulen)  mais  ces  cours  sont  facultatifs  et  gardent  le 
caractère  d'un  en.seignement  élémentaire. 

Voilà  pour  la  Prusse.  En  Bavière,  la  situation  est  plutôt  plus 
favorable  au  français.  «  C'est  un  fait,  nous  écrit  un  professeur  de 
ce  pays,  une  tradition  reconnue  tacitement,  qu'il  est  nécessaire 
dans  tous  les  établissements  d'enseignement  secondaire,  d'ensei- 
gner le  français,  et,  dans  les  établissements  où  l'anglais  est 
inscrit  au  programme,  d'enseigner  le  français  avant  l'anglais. 
Ceci  pour  des  raisons  pédagogiques  faciles  à  comprendre,  et 
principalement  à  cause  de  la  difficulté  plus  grande  qu'otfrent  le 
vocabulaire  et  la  grammaire  de  notre  langue  pour  un  jeune 
Allemand,  comme  aussi,  là  où  l'on  n'enseigne  pas  les  langues 
anciennes,  parce  que  le  français  est  considéré,  avec  l'allemand 
et  à  l'exclusion  de  l'anglais,  comme  le  meilleur  véhicule  d'une 
culture  générale.  Non  seulement  la  littérature,  mais  la  langue  se 
prêtent  mieux  à  cela  que  dans  le  cas  de  l'anglais;  celui-ci  est, 
d'ailleurs,  trop  voisin  de  l'allemand,  on  passe  trop  aisément  de 
l'un  à  l'autre,  tandis  que  la  comparaison  de  deux  langues  au 
génie  si  différent  constitue  le  plus  salutaire  exercice  pour  l'esprit 
des  adolescents.  ^> 

Un  parallèle  entre  les  heures  consacrées  au  français  et  à 
l'anglais,  dans  les  divers  établissements  d'instruction  secondaire, 
éclairera  davantage  le  lecteur  : 

Gymnasien  (9  classes). 

Le  français  est  enseigné  obligatoirement  de  la  6"  à  la  9»;  il 
comporte  trois  heures  par  semaine  en  6%  trois  en  7«,  deux  en  8' 
et  en  9«.  L'anglais  est  facultatif. 

Realgymnasien.  Le  français  est  enseigné  à  partir  de  la  4'  et 
comporte  quatre  heures  pendant  deux  ans  et  trois  heures  pen- 


I.E  FRANÇAIS   DANS   l.E   MONDE  I«-18  —  171 

dant  les  cinq  dernières  années.  L'anglais  n'est  enseigné  qu'à 
partir  de  la  7^  et  à  raison  de  trois  heures  par  semaine. 

Oberrealschule.  Le  français  est  enseigné  pendant  neuf  ans;  il 
comporte  six  heures  en  1"  et  2%  cinq  heures  en  3',  trois  heures 
en  4^,  S=  et  6',  quatre  heures  en  T  et  8«,  trois  heures  en  9«.  Total 
des  heures  par  semaine  :  trente-sept.  L'anglais  obtient  vingt-et- 
une  heures  réparties  sur  les  cinq  dernières  années  d'études. 

Realschule  (6  classes,  correspondant  aux  six  premières  années 
de  VOher realschule).  Même  répartition. 

Reformgynuiasium.  (Il  y  en  a  un  seul,  à  Nuremberg.)  Les  trois 
premières  années  comme  dans  les  établissements  précédents; 
quati'e  heures  en  4'  et  en  3%  trois  heures  pendant  les  quatre 
dernières  années,  total  :  trente-sept  heures.  L'anglais  obtient  dix- 
sept  heures,  réparties  sur  quatre  ans. 

Tôchterschulen  (écoles  de  filles).  Elles  comportent  6  classes, 
avec  six  heures  de  français,  pendant  les  trois  premières  années 
et  cinq  heures  pendant  les  trois  dernières  années.  Total  :  trente- 
trois  heures  par  semaine.  L'anglais  n'a  que  douze  heures  et  il 
est  facultatif. 

Pour  les  autres  États  d'Allemagne,  voici  quelques  indications 
qui  permettent  de  se  rendre  compte  de  l'importance  qu'y  a  prise 
l'enseignement  de  notre  langue. 

En  Saxe,  l'étude  du  français  dans  VHumanistîches  Gymnasium 
commence  en  3'.  Cinq  heures  lui  sont  réservées  pendant  la 
première  année,  trois  pendant  la  deuxième,  et  deux  pendant 
chacune  des  années  suivantes.  L'anglais,  au  contraire,  est  facul- 
tatif. Le  nombre  d'heures  de  français  est  encore  plus  favorable 
au  Realgymnashim  :  respectivement  o,  6,  4,  4,  4,  4,  4  heures  à 
partir  de  la  3".  L'étude  de  l'anglais  commence  deux  ans  plus  tard 
et  n'absorbe  qu'une  part  sensiblement  moindre  des  heures 
d'études.  Enfin  le  programme  de  la  Realschule  et  de  ÏOberreal- 
schule  comporte  l'enseignement  du  français  dans  les  six  pre- 
mières classes,  à  raison  de  cinq  heures  la  première  année,  six 
les  trois  années  suivantes  et  quatre  les  deux  dernières  années. 


17"2  —  Ia-18 


SECTION'   DE  PROPAGANDE 


Situation  sensiblement  analogue  dans  les  autres  États,  ainsi 
que  le  montre  le  tableau  suivant  : 


■Wurtemberg. 


NOMBRE    D'HEURES. 


Gymnasium  (7  dernières  années). 
Français 1     4   |     2  1     2  I     :n     3  1     2  1     ? 


Anglais 


Rfalgymnasium  (7  dernières  années). 


Français . 
Anglais   . 


Real  et  Oberrealschule  (dans  toutes  les  classes). 


Français  . 
Anglais  . 


8 


8 


Faciiltatir. 

4 

3 

3 

3 

3 

3 

3 

2 

las 
6 

ses). 
6 

5 

5 

4 

4 

4 

4 

4 

3 

3 

3 

Grand-duché  de  Bade. 


NOMBRE    D'HEURES. 

Gymnasium 

(7  dernières  années). 

Français  . 

..433332 

? 

Anglais   .     .     . 

.     .     .                                    Facultatif. 

RealgymyiusiiiKi  (7  dernières  années). 

Français  . 

4 

4 

4         4 

4 

3 

3 

Anglais    .     .     . 

3 

3 

3 

3 

3 

3 

Real-  et  Oba 

realschule  (dans  toutes  les  classes). 

Français  .     .     . 

.     .     .,     6 

6 

6 

6 

5 

5 

4 

4 

4 

Anglais   .     .     . 

1- 

— 

— 

4 

4 

4 

4 

4 

4 

LE   FRANÇAIS    DANS   l.E   MONDE  Ia-18   —  173 

Grand-duché  de  Hesse-Darmstadt. 


NOMBRE   D'HEURES. 


Gymnaaium  (7  dernières  années). 
Français I5|3l3 


Ani'lais 


I     3    I     3    I     3 
Facultatif. 


Realgymnasiiim  et  Oberreahchule  (7  ilerniî'res  années). 


Français 
Anglais 


Realschule  (8  dernières  années). 

Français 

Anglais 


Français 
Anglais   , 


0 

s 

4 

4 

4 

4 

3 

3 

3 

3 

3 

3 

)• 

7 

(i 

5 

5 

4 



- 

5 

4 

3 

3 

3 

en) 

(7  dernières  année 

"*)• 

5 

5 

4 

4 

4 

4 

_ 

4 

4 

4 

4 

4 

Signalons  aussi  qu'à  la  Frauenschule  de  Mayence,  où  une  part 
est  faite  à  côté  de  l'enseignement  ménager  à  des  cours  de  culture 
générale,  le  programme  provisoire  de  1911  réserve  deux  heures 
au  français.  Enfin,  sur  l'initiative  du  gouvernement,  un  cours 
complémentaire  de  français  (Fortbildungskurse)  a  été  créé  à 
l'Université  de  Gicssen  et  confié  au  lecteur  français.  Il  est 
suivi  par  les  professeurs  et  les  institutrices  de  l'enseignement 
moyen  et  comporte  l'étude  pratique  et  théorique  des  chefs- 
d'œuvre  de  notre  littérature  (une  heure  par  semaine). 


Il  resterait  à  s'occuper  des  écoles  privées,  pensionnats,  insti- 
tutions libres,  etc.  On  comprendra  que  nous  n'avons  pu  pour- 
suivre notre  enquête  aussi  loin;  nous  le  regrettons  d'autant  plus 
que  dans  certaines  villes,  comme  Berlin,  Dresde,  Bonn,  etc., 


174  —  Ia-18  SECTION   DE  PROPAGANDE 

ces  établissements  sont  réellement  nombreux  et,  surtout  pour  les 
jeunes  filles,  font  une  part  considérable  au  français. 

En  revanche,  on  nous  permettra  de  signaler  brièvement  les 
efforts  de  l'Alliance  française,  efforts  couronnés  d'un  succès  rela- 
tivement  considérable;  ils  mériteraient  une  véritable  mono- 
graphie, car  il  n'est  pas  deux  villes  où  ils  aient  été  dirigés  tout 
à  fait  dans  le  même  sens,  en  raison  de  la  nécessité  de  tenir  compte 
des  susceptibilités  nationales,  des  conditions  locales,  des 
ressources  dont  on  disposait,  des  appuis  qu'on  pouvait  se  pro- 
mettre, etc. 

L'un  des  cercles  français  les  plus  anciens  a  été  fondé  à  Nurem- 
berg. Il  remonte  à  1889,  et,  lors  de  notre  congrès  d'Arlon, 
M.  Gugler,  qui  le  préside,  a  fait  à  son  sujet  un  très  utile  rapport 
qui  a  été  imprimé  dans  le  volume  de  1908.  Il  a,  depuis  1908, 
multiplié  ses  initiatives,  ses  réunions  hebdomadaires  de  con- 
versation et  de  lecture.  Il  possède  une  bibliothèque.  En  fin  de 
saison  1912,  ses  membres  n'ont  pas  reculé  devant  l'entreprise 
redoutable  qui  consistait  à  mettre  à  la  scène  Le  monde  oii  l'on 
s'ennuie,  de  Pailleron.  Et  ce  fut  un  succès. 

A  Berlin,  le  cercle  français,  alimenté  par  les  cotisations  d'une 
nombreuse  colonie,  a  organisé  également  des  réunions  hebdo- 
madaires. Dans  le  rapport  de  1910-1911,  nous  voyons  qu'un 
Allemand,  le  colonel  d'artillerie  en  retraite  Krause,  fait  partie  du 
bureau,  que  des  conférences  faites  par  MM.  Raoul  Pictet,  des 
Granges,  etc.,  etc.,  ont  été  écoutées  avec  une  grande  attention. 
Détail  significatif  :  lelOjanvier  1911,  une  Alsacienne,  M^^Regens- 
burg,  y  a  parlé  de  Flaubert.  De  plus,  le  cercle  a  organisé  un 
service  de  placement  des  institutrices  et  gouvernantes  françaises. 

A  Francfort,  les  programmes  littéraires  du  cercle  français  ont 
été  particulièrement  brillants.  M.  Richepin  y  conférencia  le 
9  mars  1910;  M'"''  Marcelle  Tinayre,  le  10  avril,  et  l'hiver  suivant, 
M'"'  Dussane  et  M.  Brunot  y  jouèrent  la  comédie,  indépendam- 
ment de  conférences  très  applaudies  de  MM.  G.  Deschamps, 
Funck-Brentano,  etc. 

A  Hambourg,  Hanovre,  Lubeck,  Darmsladt,  Cologne,  Posen,  etc. , 
ont  été  fondés  des  cercles,  qui,  les  uns  plus  tôt,  les  autres  plus 
tard,  se  sont  affiliés  à  l'Alliance  françMse;  des  réunions  pério- 


I.E  FRANÇAIS  DANS  LE  MONDE        I«-18  —  173 

diques  (le  plus  souvent  hebdomadaires)  s'y  tiennent,  et  par  des 
causeries,  des  lectures  et  des  conversations,  etc.,  on  s'y  exerce  à 
la  pratique  de  notre  langue.  Certains  de  ces  cercles  ont  déjà  un 
passé  fort  honorable  (celui  de  Hanovre  date  de  1893),  et  tout  fait 
présumer  qu'ils  continueront  à  rendre  des  services  de  plus  en  plus 
considérables  à  l'extension  du  français. 

Mais  c'est  surtout  depuis  1905  que  les  cercles  de  l'espèce  se 
sont  multipliés.  Citons,  sans  le  souci  d'être  complet,  le  cercle  de 
Darmstadt,  fondé  en  1907,  ceux  d'Iéna  et  de  Sarrebriick,  fondés 
en  1909,  celui  de  Breslau  en  1910,  celui  de  Posen  en  1911. 
Bientôt  il  n'y  aura  plus  une  grande  ville  d'Allemagne  où  le 
Français  de  passage  ne  trouve  un  centre  intellectuel,  dont  l'acti- 
vité le  réjouisse  et  lui  prouve  la  force  de  pénétration  d'un  idiome 
que  les  événements  politiques  n'ont  pu  discréditer  dans  ce  grand 
pays. 


I.  —   SECTION   DE   PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES. 


L'Alliance  française, 


Emile  SALONE, 
Secrétaire  général. 


L'Alliance  française,  association  nationale  pour  la  propaga- 
tion de  la  langue  française  dans  les  colonies  et  à  l'étranger,  a  été 
fondée  par  Pierre  Foncin.  Et  vous  savez  que  l'Alliance  française 
a  la  joie  d'avoir  toujours  à  sa  tète  le  grand  Français  qui  fut  son 
père. 

L'Alliance  française  est  administrée  par  un  conseil  qui  est  élu 
par  ses  adhérents  de  France  et  qui  élit  son  bureau.  Ses  adhé- 
rents se  groupent  en  comités;  comités  de  propagande  pour  la 
France,  comités  d'action  pour  les  colonies  et  pour  l'étranger.  Là 
où  ne  peut  encore  être  formé  de  comité,  l'Alliance  française  est 
représentée  par  des  délégués. 

L'Alliance  française  fonde  et  subventionne  des  écoles  et  des 
cours,  elle  crée  et  entretient  des  bibliothèques,  elle  recrute  des 
professeurs,  elle  organise  des  conférences,  elle  distribue  des 
récompenses,  elle  publie  un  bulletin.  Elle  a  des  cours  de 
vacances,  dont  les  premiers,  ceux  de  Paris,  datent  de  1894. 

Dans  ces  dernières  années,  l'Alliance  française  a  été  surtout 

16  1 


2  —  Jl).±  SECTION  DE   PROPAGANDE 

préoccupée  de  développer  l'initiative  de  ses  comités.  Elle  leur  a 
accordé  une  large  autonomie.  Elle  a  créé  des  comités  régionaux, 
encouragé  la  formation  de  fédérations  :  Fédération  des  États- 
Unis  et  du  Canada,  Fédération  des  Iles  Britanniques,  et  aussi 
favorisé  la  création  de  filiales  :  Comité  Paul-Bert,  qui  prend  sous 
sa  tutelle  les  jeunes  Indo-Chinois  venus  en  France  pour  achever 
leur  éducation,  Association  franco-britannique  destinée  à  faire 
connaître  outre-Manche  nos  écrivains,  nos  savantsct  nos  artistes. 

Dans  ses  statuts,  l'Alliance  française  a  déclaré  sa  résolution 
d'éviter,  d'ignorer  tout  ce  qui  divise  les  hommes  sur  le  terrain 
de  la  politique  et  de  la  religion.  L'Alliance  française  a  été  stric- 
tement fidèle  à  cet  engagement.  La  conséquence  est  qu'elle 
est  ouverte,  en  France  et  hors  de  France,  aux  hommes  de  toutes 
les  opinions,  de  toutes  les  croyances,  de  toutes  les  patries,  de 
toutes  les  races.  Pour  adhérer  à  l'Alliance,  française,  il  suffit 
d'aimer  la  langue  française. 

L'Alliance  française  est  l'aînée  de  toutes  les  associations  qui 
ont  été  fondées  pour  la  propagation  et  la  défense  de  la  langue 
française.  Elle  n'a  pas  cessé  et  ne  cessera  pas  de  professer  à 
l'égard  de  ses  cadettes,  dont  quelques-unes  ont  déjà  fait  une 
carrière  brillante,  les  sentiments  les  plus  fraternels.  Elle  se 
réjouit  de  tous  leurs  succès.  Elle  est  toujours  prête  à  collaborer 
avec  elles. 

En  dehors  de  quelques  régions  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  inté- 
rieures, l'action  de  l'Alliance  française  s'exerce  sur  le  monde 
entier.  Pour  vous  donner  une  idée  de  l'étendue  de  son  empire, 
si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  il  faut  vous  entraîner  dans  un 
rapide  tour  de  France  et  dans  un  tour  du  monde  plus  rapide 
encore. 

En  France,  nous  sommes  établis  dans  tous  les  centres  de 
quelque  importance.  Mais  c'est  assez  de  citer  ici  ceux  de  nos 
groupes  dont  les  effectifs  sont  les  plus  considérables  et  qui  font 
preuve  de  la  plus  grande  activité.  Sans  parler  de  nos  comités 
parisiens,  et  en  groupant  les  comités  provinciaux  par  régions,  il 
faut  citer  Versailles,  Rouen,  Caen,  Cherbourg,  Rennes,  Arras, 
Boulogne-sur-Mer,  Lille,  Roubaix,  Tourcoing,  Le  Quesnoy, 
Douai,  Reims,  Bar-le-Duc,  Nancy,  Dijon,  Orléans,  Tours,  Poi- 


LES  GROIIPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES  lb-1  —  3 

tiers,  Saint-Amaml,  Bordeaux,  Toulouse,  Bayonne,  Perpignan, 
Lyon,  Marseille,  Nice. 

Dans  les  (colonies  françaises,  l'Allianco  française  fait  de  l'ex- 
oellenle  besogne,  et,  en  particulier,  en  Tunisie,  en  Algérie,  au 
Maroc,  à  Madagascar,  en  Indo-Chine  et  dans  nos  établissements 
d'Océanie. 

En  Europe,  nous  somme  installés,  anciennement  et  solide- 
ment: en  Hollande,  dans  les  lies  Britanniques,  en  Espagne,  en 
Russie,  dans  les  pays  Scandinaves  et  balkaniques.  En  Allemagne, 
on  Austro-Hongrie,  en  Italie  nous  sommes  moins  avancés,  mais 
nous  nous  mettons  à  regagner  le  temps  perdu. 

Dès  le  premier  jour,  l'.Uliance  française  a  été  à  l'œuvre,  dans 
le  Levant,  Turquie  d'Europe  et  d'Asie,  Egypte^et  aussi  la  Perse. 
Elle  commence  à  pénétrer  dans  l'Inde,  au  Siam,  en  Chine,  au 
Japon. 

Elle  a  des  amis  fidèles  dans  les  grandes  colonies  anglaises  du 
Pacifique,  et  elle  a  fait  d'heureux  débuts  dans  l'union  Sud-Afri- 
caine. 

Pourtant,  nulle  part  elle  n'a  tant  travaillé,  et  aussi  bien  réussi, 
qu'en  Amérique.  La  Fédération  des  comités  des  États-Unis  et  du 
Canada  groupe  plus  de  150  comités.  L'Alliance  française  a  des 
collaborateurs  nombi'eux  et  zélés  au  Brésil,  en  Argentine,  au 
Chili. 

Il  faut  terminer  et  justifier  ce  bref  exposé  par  des  chiffres. 

L'Alliance  française  a,  au  moins,  S5,000  adhérents.. 

Elle  a  fondé  US  comités  de  propagande  en  France,  et,  hors  de 
France,  271  comités  d'action.  Elle  est  représentée  par  369  délé- 
gués. 

Elle  subventionne  300  écoles. 

Elle  dirige  ou  patronne  de  nombreux  cours  de  vacances,  et  les 
cours  de  vacances  de  Paris  ont,  déjà  depuis  longtemps,  une 
moyenne  de  800  à  900  auditeurs. 

Enfin  le  budget  de  l'Alliance  française  dépasse  650,000  francs. 


I.    -    SECTION    DE    PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ECOLES 


La  Mission  laïque  française, 


Kdmond  besnard, 

Secrétaire  irénéral. 


Depuis  le  Congrès  d'Arlon,  en  1908,  la  Mission  laïque  fran- 
çaise a  poursuivi  son  œuvre  avec  une  activité  méthodique, 
qu'ont  récompensée  les  plus  encourageants  succès. 

Elle  a  fondé  des  établissements  nouveaux.  Elle  a  tenu  deux 
congrès,  qui,  en  intéressant  l'opinion  publique  à  ses  efforts,  ont 
fait  comprendre  l'importance  des  questions  dont  elle  se  préoc- 
cupe et  de  la  tâche  qu'elle  a  entreprise.  Elle  peut  se  réjouir; 
d'avoir  efficacement  travaillé  à  répandre,  en  même  temps  que 
notre  langue,  les  idées  de  justice  et  de  liberté,  de  tolérance  et 
de  concorde,  sans  lesquelles  il  n'est  pas  de  vraie  culture  fran- 
çaise. 

,  La  Mission  laïque  a  deux  vastes  champs  d'action  :  les  colonies 
et  l'étranger. 

Colonies.  —  Pour  les  colonies,  elle  a  continué  de  préparer,  à 
l'École  Jules-Ferry,  des  instituteurs  et  des  institutrices  qu'elle 
s'est  appliquée  à  mettre  en  mesure  de  donner  aux  indigènes  un 


6  —  Ih-2  SECTION   DE  PROPAGANDE 

enseignement  aussi  concret  et  aussi  pratique,  aussi  adapté  que 
possible  à  leurs  besoins.  L'Indochine,  Madagascar,  l'Afrique 
occidentale  ont  reçu,  chaque  année,  une  petite  phalange  de 
maîtres  formés  d'après  ces  principes. 

Une  de  nos  jeunes  colonies,  l'Afrique  équatoriale,  ne  s'était 
pas, encore  adressée  à  la  Mission  laïque.  Il  lui  fut  envoyé 
pour  la  première  fois,  en  1909,  un  instituteur  préparé  à  l'École 
Ju.es-Ferry.  M.  Pillods  partit  de  Paris  le  25  décembre,  pour 
aller  créer  à  Bania  une  école  dont  la  compagnie  de  la  Haute- 
Sangha  consentait  à  faire  les  frais.  Il  arriva  à  son  poste  le 
2,6  mars  1910. 

Bania  est  un  village  situé  sur  le  quatrième  parallèle  au  nord 
de  l'Equateur,  et  arrosé  par  la  Sangha,  l'un  des  principaux  tri- 
butaires du  Congo,  grossie  elle-même  par  de  nombreuses  rivières. 
Cette  abondance  de  cours  d'eau  fait  que  l'atmosphère  est  chargée 
d'une  humidité  constante,  dont  l'évaporation  à  la  surface  du  sol 
amène  des  écarts  de  température  plus  dangereux  que  les  mous- 
tiques et  les  mouches  tsé-tsé  qui  pullulent  dans  la  région.  La 
population  indigène  est  décimée  par  la  maladie  du  sommeil  : 
«  Outre  ces  loques  humaines,  squeleltiques,  écrivait  M.  Pillods, 
ce  qui  m'a  frappé  le  plus,  c'est  le  nombre  incalculable  de 
galeux,  de  misérables,  couverts  de  plaques  affreuses,  scrofu- 
leuses  ou  syphilitiques.  Quel  champ  d'action  pour  les  bonnes 
volontés  !  » 

La  bonne  volonté  de  M.  Pillods  se  mit  à  l'œuvre  inmédiate- 
ment,  dans  ce  pays  perdu,  où  il  était  le  seul  Européen,  avec 
l'agent  de  la  Compagnie  de  la  Haute-Sangha.  La  case  destinée  à 
la  classe  et  au  logement  de  ses  élèves  se  trouvait  insuffisante  II 
en  chercha  une  autre,  qu'il  se  chargea  de  meubler  lui-même.  Il 
alla  dans  la  forêt,  abattit  des  arbres,  et  confectionna  des  tables 
et  des  bancs.  Les  élèves,  habitués  au  vagabondage  désœuvré  de 
la  brousse,  eurent  quelque  peine,  d'abord,  à  se  plier  à  leur  nou- 
veau genre  de  vie.  Mais  l'ingénieuse  bonté  du  maître  les  eut  vite 
conquis.  Ils  s'attachèrent  à  lui.  et,  obéissant  au  désir  de  lui 
plaire,  autant  qu'à  la  curiosité  de  savoir,  travaillèrent  de  leur 
mieux.  Rien  n'est  intéressant  comme  le  journal  de  M.  Pillods, 
relatant  en  détail   les  efforts  accomplis  et  les  progrès  réalisés. 


LES   GROUPEMENTS    ET   I.ES   ÉCOLES  Ii-2  —  7 

«  Je  nie  suis  décidé,  écrit-ii,  à  donner  à  mon  enseignement  en 
pleine  nature,  les  quatre  règles,  l'écriture,  la  lecture  ne  venant 
qu'en  seconde  ligne.  En  six  mois,  j'ai  développé  un  programme 
très  simple  :  leçons  de  choses  et  conversations.  C'est  dans  la 
forêt,  dans  la  brousse,  sur  le  bord  de  la  rivière,  que  nous  nous 
instruisons;  deux  heures  seulement  sont  réservées  chaque  jour 
à  la  lecture,  à  l'écriture  et  au  calcul.  Ici,  il  y  a  du  caoutchouc; 
mes  vêtements  imperméables  ont  donné  lieu  à  de  bonnes 
leçons  pratiques.  J'ai  fait  du  savon  avec  des  cendres  de  bam- 
bou et  de  l'huile  de  palme.  J'ai  fait  construire  quelques  ponts  en 
miniature;  j'ai  fait  faire  quelques  briques;  nous  avons  cultivé 
des  choux  et  j'en  ai  fait  de  la  choucroute...  » 

Avec  cette  méthode,  M.  IMllods  obtint  les  résultats  les  plus 
rapides  et  les  plus  concluants,  même  en  écriture  et  en  calcul, 
bien  qu'il  en  eût  mis  l'enseignement  en  seconde  ligne.  Les 
cahiers  de  ses  élèves,  que  nous  avons  eu  sous  les  yeux,  en 
témoignent  de  façon  éclatante.  La  réputation  du  jeune  institu- 
teur se  répandit  dans  les  familles,  de  village  en  village.  Au  bout 
de  deux  ans,  son  influence  dans  la  région  était  aussi  heureuse 
que  fortement  établie.  Il  avait  réellement  fait  la  conquête  morale 
des  indigènes  et  démontré  quel  admirable  instrument  de  civili- 
sation peut  être  l'école. 

Le  territoire  de  Bania  est  devenu  territoire  allemand;  M.  Pil- 
lods  a  dû  abandonner  ses  élèves.  Mais  ses  eflorts  n'auront  pas 
été  vains;  son  exemple,  surtout,  portera  ses  fruits. 

Une  section  de  l'Afrique  équatoriale  est  ouverte,  depuis  un 
an,  à  l'Ecole  Jules-Ferry.  La  Mission  laïque  préparera  désor- 
mais des  maîtres  et  des  maîtresses  pour  la  colonie,  où  des 
écoles  vont  être  fondées,  et  où  l'on  va,  méthodiquement,  orga- 
niser et  développer  l'enseignement.  Depuis  quelques  mois, 
M.  Pillods  continue  à  Brazzaville,  dans  un  milieu  nouveau, 
l'œuvre  commencée  à  Bania.  L'École  Jules-Ferry  lui  a  déjà 
envoyé  un  auxiliaire. 

Étranger.  —  En  1908,  la  Mission  laïque  ne  possédait  encore, 
à  l'étranger,  qu'un  seul  établissement  :  le  lycée  de  Saloniquc. 


8  —  lb-2  SECTION   DE  PROPAGANDE 

Elle  en  possède  actuellement  trois  autres  :  à  Beyrouth,  au  Caire 
et  à  Alexandrie. 

Le  lycée  de  Salonique  se  compose,  en  réalité,  de  quatre  éta- 
blissements distincts  :  un   lycée  de  garçons,  des  cours  secon- 
daires de  jeunes  filles,  une  école  de  commerce  et  une  école 
élémentaire  annexe,  installée  dans  un  local  indépendant.  La 
prospérité  du  lycée  n'a  pas  cessé  de  s'affirmer  depuis  que  la 
Mission  laïque  en  a  pris  possession,  en  1906.  Les  événements 
dont  les  Balkans,  et,  en  particulier,  la  ville  de  Salonique,  ont  été 
le  théâtre  cette  année  pouvaient  inspirer  des  craintes  trop  légi- 
times. Or,  voici  les  faits  :  la  rentrée  qiii  avait  lieu  deux  jours 
avant  la  déclaration  de  guerre,  fut  la  plus  brillante  que  l'on  eût 
encore  enregistrée.   Dès  le  premier  moment,  405  élèves  étaient 
présents.  Ce  chiffre  ne  cessa  de  s'élever  et  atteignit  520,  pendant 
le  siège.  Certes,  à  Paris,  sans  nouvelles  pendant   près  de  trois 
semaines,   le  conseil  d'administration  de  la  Mission,  laïque  a 
passé  des  joui's  de  grande  inquiétude.  Mais  les  cours  n'étaient 
pas  interrompus  à  Salonique;  ils  ne  furent  suspendus  que  du  6 
au  12  novembre.  Et  à  peine  les  Grecs  étaient-ils  entrés  dans  la 
ville  et  y  avaient-ils  assuré  l'ordre,  que  le  lycée  voyait  arriver 
de  nouveaux  élèves.  11  en  comptait  600  environ  le  30  juin,  à 
l'ouverture  des  vacances;    il  y  avait   eu,  dans  le  courant  de 
l'année,  plus  de  6o0  inscriptions. 

La  création  du  collège  de  Beyrouth  l'ut  décidée  au  mois  de 
juillet  1909.  L'établissement  était  ouvert  le  17  octobre  suivant, 
avec  une  section  classique,  une  section  commerciale,  une  section 
industrielle  et  des  cours  de  jeunes  filles.  Quinze  mois  plus  tard, 
le  1"  janvier  1910,  il  réunissait  250  élèves,  dont  100  de  religion 
musulmane.  Nulle  part  ailleurs,  en  Orient,  n'avait  été  mieux 
résolu,  jusque  là,  le  difficile  problème  de  l'union  des  races  et  des 
religions.  Les  difficultés  spéciales  qu'a  rencontrées  la  Mission 
laïque  à  Beyrouth  rendent  plus  significatifs  les  résultats  obtenus, 
qui  lui  tracent  son  devoir  pour  l'avenir.  Elle  est  à  l'étroit,  dans 
des  locaux  mal  adaptés  à  leur  destination.  Elle  a  acheté  un  ter- 
rain sur  lequel  s'élèveront  bientôt  des  constructions  assez  vastes 
pour  suffire  à  tous  les  besoins. 
En  1909  également,  la  Mission  laïque  prit  la  direction  du 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES  I/)-2  —  9 

lycée  français  du  Caire.  Il' avait  été  fondé  sous  son  patronage 
deux  ans  auparavant,  en  1907,  par  un  comité  local.  Elle  en  avait 
fourni  le  personnel  enseignant  ;  mais  le  comité  local  en  gardait 
l'administration  et  la  responsabilité  financière.  Au  bout  de 
deux  ans,  le  comité  local  pria  la  Mission  laïque  de  vouloir  bien 
se  substituer  à  lui  et  assumer  toutes  ses  charges.  Elle  accepta. 
Une  grande  prudence  avait  présidé  à  la  création  de  l'établis- 
sement, que  l'on  ne  voulait  pas  exposer  à  de  ti'op  graves  risques 
financiers.  On  n'avait  pas  ouvert,  de  prime  abord,  un  lycée  de 
plein  exercice  ;  on  s'était  borné  à  constituer,  avec  quelques 
maîtres  et  maîtresses,  les  classes  inférieures,  auxquelles  devait 
s'en  ajouter  une  nouvelle  chaque  année.  Ainsi  en  a-t-il  été. 
Il  y  aura,  à  la  rentrée  prochaine,  une  classe  de  première,  et,  en 
1914,  avec  la  classe  de  philosophie,  le  lycée  recevra  son  couron- 
nement. Il  comptait,  à  la  fin  de  juin  dernier,  près  de  400  élèves 
garçons  et  filles.  Il  faut  s'ingénier,  à  chaque  rentrée,  pour 
trouver  où  loger  les  nouveaux  arrivants  dans  le  palais  Mazloum- 
Pacha.  Mais  la  plus  fine  ingéniosité  sera  bientôt  à  bout  de 
solutions,  et,  au  Caire  comme  partout,  se  posera  le  problème  iné- 
vitable :  il  sera  nécessaire  de  construire. 

Au  lycée  d'Alexandrie,  la  Mission  laïque  est  chez  elle  depuis 
le  mois  d'octobre  1910.  De  même  qu'au  Caire,  un  comité  local 
■  avait  pris  l'initiative  d'ouvrir  l'établissement  en  1909.  Dès  la 
seconde  année,  ce  comité  passait  la  main.  Il  avait,  dès  le  début, 
fait  les  choses  en  grand,  et  créé  toutes,  les  classes  d'un  seul 
coup.  Le  succès  avait  répondu  à  cette  audace  ;  les  élèves  étaient 
accourus  en  grand  nombre.  A  la  fin  de  la  présente  année 
scolaire,  ils  étaient  plus  de  400,  répartis  dans  la  section  clas- 
sique, la  section  commerciale  et  les  cours  de  jeunes  filles.  La 
réputation  de  l'enseignement  donné  par  la  Mission  laïque  est  tel 
que  les  familles  d'Alexandrie  n'ont  pas  hésité  à  lui  confier  leurs 
filles,  bien  qu'elles  soient,  par  suite  de  l'insuffisance  des  locaux, 
installées  dans  de  pauvres  baraquements  en  planches  tout  à  fait 
dépourvus  de  confort.  Mais  une  telle  situation  ne  pouvait  se 
prolonger.  Grâce  aux  généreux  concours  qu'elle  a  rencontrés, 
la  Mission  laïque  vient  d'acquérir  à  Chatby,  dans  la  banlieue 
de  la  ville,  un  beau  terrain,  où  les  travaux  sont  commencés,  et 


10  —  1^2  SECTION  DE  PROPAGANDE 

OÙ  s'élèvera  un  établissement  capable  de  recevoir,  dès  la  rentrée 
de  1914,  sept  ou  huit  cents  élèves,  externes  et  pensionnaires. 
Et  l'on  pourra  ajouter,  à  l'avenir,  des  constructions  aux  con- 
structions, selon  qu'il  sera  nécessaire. 

Congrès.  —  Le  Congrès  de  Marseille,  en  septembre  1906,  avait 
formulé  les  principes  de  la  Mission  laïque,  précisé  certains 
points  de  son  programme  et  de  son  action. 

Le  Congrès  de  Paris,  en  janvier  1911,  revint  sur  quelques- 
unes  de  ces  questions,  qui  prennent,  à  mesure  que  les  années 
s'écoulent,  des  aspects  différents,  et  qui,  bien  que  résolues  théori- 
quement, sont  loin  de  l'être  dans  la  pratique.  Il  étudia  aussi  des 
questions  nouvelles,  auxquelles  le  public  no  prêta  pas  assez 
d'attention  et  dont  la  solution  ^t,  pour  des  raisons  multiples, 
d'un  intérêt  capital. 

Deux  tableaux  fort  instructifs  furent  présentés  aux  congres- 
sistes :  l'un  donnait  la  statistique  des  ejforts  accomplis  à  réli'ange? , 
au  point  de  vue  scolaire,  par  les  nations  rivales  de  la  France; 
l'autre  résumait  la  situation  de  renseignement  laïque  français 
hors  de  France.  Des  conclusions  pratiques  s'imposaient  à  la 
suite  de  ces  exposés  ;  des  résolutions  furent  prises. 

De  même,  après  avoir  jeté  un  coup  d'œil  sur  ce  qu'avait  été, 
jusque-là,  renseignement  laiqtie  aux  colonies,  on  examina  ce  qu'il 
pourrait  être  à  l'avenir.  On  étudia  l'orientation  qui  pourrait  lui 
être  donnée.  On  insista  sur  le  rôle  et  l'organisation  de  l'ensei- 
gnement professionnel,  qui  doit  être  le  grand  souci  des  éducateurs 
coloniaux,  s'ils  veulent  faire  œuvre  efBcace  et  utile.  A  ce  sujet 
également,  des  vœux  furent  émis,  avec  l'espoir  qu'ils  abou- 
tiraient à  des  actes. 

Une  autre  question  qui,  au  premier  abord,  semble  peut-être 
moins  importante,  mais  qui,  en  réalité,  est  essentielle  et  contient 
à  peu  près  tout  le  problème  de  la  colonisation,  fut  discutée  sans 
recevoir  de  solution.  Elle  était  ainsi  libellée  au  programme  : 
Rôle  de  la  langue  française  dans  les  diverses  écoles,  aux  colonies. 
Autrement  dit,  quelle  doit  être,  dans  l'enseignement  colonial, 
la  part  de  la  langue  française  et  celle  des  langues  indigènes  '! 


LES    GROUPEMENTS    ET    LES    ÉCOLES  Ift-2  —  H 

Devons-nous  tendre  à  substituer  le  français  aux  langues  indi- 
gènes ?  Devons-nous  respecter  et  utiliser  les  langues  indigènes  ? 
Comment,  et  dans  quelle  mesure  ?  On  sent  quelles  conséquences 
iMitraine  la  solution  donnée,  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  La 
mission  laïque  est  heureuse  d'avoir,  du  moins,  fait  réfléchir  sur 
ce  problème.  Peut-être  évitera-t-on  de  lui  donner,  ici  ou  là,  des 
solutions  trop  hâtives,  que  l'avenir  ferait  regretter. 

Le  Congrès  de  Lyon,  en  août  1912,  continua  et  compléta  les 
Congrès  de  Marseille  et  de  Paris.  La  question  du  rôle  de  la  lamjue 
française  et  des. langues  indigènes  y  fut  débattue  de  nouveau,  avec 
le  plus  grand  soin,  môme  avec  passion.  Elle  ne  fut  pas  plus 
résolue  que  la  première  fois,  parce  que,  probablement, comme  le 
dit  M.  Herriot,  la  solution  est  impossible,  du  moins  la  solution 
générale,  applicable  à  tous  les  cas.  Mais,  pratiquement  et  par 
espèces,  le  problème  est  résolu  tous  les  jours.  A  Madagascar, 
M.  Deschamps,  quand  il  dirigeait  l'enseignement,  avait  fait  une 
large  place  à  la  langue  indigène  ;  M.  Russier,  directeur  de  l'en- 
seignement au  Cambodge,  vient  de  faire  le  même. 

Sur  d'autres  points,  le  Congrès  de  Lyon  put  arriver  à  des  con- 
clusions précises.  On  se  mit  d'accord  sur  un  certain  nombre  de 
moyens  d'associer  l'induslric  et  le  commerce  français  à  l'ensei- 
gnement laïque  français,  à  l'étranger.  On  compléta  le  vœu  émis 
par  le  Congrès  de  l'aris,  relativement  à  l'extension  de  l'ensei- 
gnement laïque  français  en  Extrême-Orient,  en  Chine  et  au  Japon. 
Enfin,  le  Congrès  traita,  avec  l'ampleur  qu'elle  méritait,  une 
question  d'actualité  de  plus  en  plus  pressante  :  le  rôle  de  l'école 
laïque  en  pays  musulman. 

Comités  des  Dames.  —  Il  ne  nous  reste  plus  à  signaler  que  la 
création  du  premier  comité  des  Dames  de  la  Mission  laïque 
française,  en  juin  1912.  Le  conseil  d'administration  a  pensé  que 
les  femmes  pouvaient  avoir  une  part,  et  une  part  considérable, 
dans  le  développement  et  le  succès  de  l'œuvre.  Elles  sont  natu- 
rellement désignées  pour  s'occuper  de  l'enseignement  des  jeunes 
filles,  aux  colonies  et  à  l'étranger,  pour  conseiller,  pour  aider  et 
encourager  les  maîtresses,  pour  exciter  et  entretenir  le  zèle  des 
élèves.  En  ce  qui  concerne  la  propagande  et  le  recrutement  des 


12  —  Ib-2  SECTION  DE   PROPAGANDE 

V 

adhérents,  il  n'est  pas  besoin  d'insister  sur  les  services  que  peut 
rendre  un  comité  de  femmes. 

Le  comité  des  dames  de  Parisa  fait  beaucoup,  depuis  un  an. 
Et,  déjà,  il  a  suscité  de  généreuses  émulations.  11  y  a  deux  mois, 
un  second  comité  s'est  fondé  à  Lyon.  D'autres  suivront,  qui  mul- 
tiplieront les  dévouements  et  prépareront  un  avenir  de  réali- 
sations fécondes. 

Telle  est,  brièvement  résumée,  la  tâche  accomplie,  depuis 
1908,  par  la  Mission  laïque  française.  Il  n'a  pas  dépendu  d'elle 
que  cette  tâche,  si  belle  qu'elle  soit,  ne  fût  plus  belle  encore. 
Elle  avait  des  projets,  dont  les  événements  politiques  qui  se  sont 
déroulés  en  Chine,  en  Perse,  en  Turquie,  n'ont  pas  permis 
l'exécution.  Ces  projets  ne  sont  pas  abandonnés.  Dès  que  les 
circonstances  seront  favorables,  la  Mission  laïque  s'empressera 
de  réparer  le  temps  perdu,  de  poursuivre  et  d'étendre  son  action 
de  propagande  française  et  civilisatrice. 


r.  —   SECTION   DE   PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES. 


Le  Groupement  des  Universités  et  Grandes  Écoles  de  France 
pour  les  relations  avec  l'Amérique  latine, 


E.    MARTINENCHE, 

professeur  à  la  Sorbonne,  secrétaire  général. 


Le  Groupement  des  Universités  et  Grandes  Écoles  de  France 
pour  les  relations  avec  l'Amérique  latine  a  été  fondé  en  1908, 
sur  l'initiative  de  M.  le  professeur  Le  Chatelier,  par  quelques- 
uns  des  représentants  les  plus  éminents  des  universités  et  des 
grandes  écoles  de  France.  M.  Liard,  vice-recteur  de  l'Université 
de  Paris,  en  accepta  la  présidence.  MM.  Levasseur,  administra- 
teur du  Collège  de  France,  et  Appell,  doyen  de  la  Faculté  des 
sciences  de  Paris,  furent  nommés  vice-présidents. 

Le  groupement  est  né  de  l'idée  que  la  France  et  les  pays  de 
l'Amérique  latine  ont  toujours  été  unis  par  les  liens  d'une  sym- 
pathie réciproque  et  profonde,  qui  vient  non  seulement  d'une 
parenté  de  race,  d'une  similitude  de  langue,  mais  aussi  et  sur- 
tout d'une  orientation  parallèle  de  la  culture  générale. 

Malgré  tous  les  efforts  dirigés  contre  l'influence  française,  les 
républiques  de  l'Amérique  latine  ne  demandent  qu'à  continuer 


14  —  Ifc-3  SECTION   DE   PROPAGANDE 

à  suivre  leur  sympathie  naturelle  pour  la  France,  qui  a,  en 
échange,  le  devoir,  qu'elle  a  parfois  négligé,  de  leur  manifester 
sa  sympathie  par  un  actif  concours  et  un  continuel  échange 
d'idées. 

Le  groupement  s'est  donc  fondé  avec  le  désir  de  maintenir  et 
de  développer  les  liens  formés  par  la  tradition  historique  et  par 
la  communauté  de  l'idéal  latin,  et  de  réagir  contre  des  préjugés 
trop  répandus  sur  l'Amérique  latine,  et,  plus  encore,  contre 
l'ignorance  dans  laquelle  on  la  tenait  trop  volontairement  en 
Europe. 

Les  hommes  qui  ont  fondé  le  Groupement  des  Universités  et 
Grandes  Écoles  de  France  pour  les  relations  avec  l'Amérique 
latine  ont  pensé  qu'il  y  avait  un  rôle  utile  à  remplir  en  rappro- 
chant les  Latins  des  deux  continents.  Une  humanité  se  forme  et 
grandit  là-bas,  dont  nous  avons  le  devoir  de  suivre  et  d'encou- 
rager les  efforts.  L'Amérique  lati)ic  n'a  guère  connu,  jusqu'à 
maintenant,  qu'un  enseignement  primaire  et  un  enseignement 
supérieur  professionnel.  A  mesure  que  se  développe  sa  civilisa- 
tion, elle  a  d'autres  besoins  intellectuels  à  satisfaire.  Nous 
croyons  que  nos  méthodes  peuvent  lui  être  utiles.  La  France  a 
été  l'intermédiaire  indispensable  entre  le  Nord  et  le  Midi  de 
l'Europe;  il  serait  glorieux  pour  elle  qu'elle  jouât  le  même  rôle 
entre  l'ancien  et  le  nouveau  monde.  Son  influence  sera  d'autant 
plus  facilement  acceptée  qu'on  ne  saurait  mettre  en  doute  son 
désintéressement.  Elle  ne  nourrit  aucun  «  conquistador  »  «  ivre 
d'un  rêve  héroïque  et  brutal  ».  Elle  ne  songe  même  pas  à  une 
conquête  morale.  Jamais  elle  n'a  été  plus  elle-même  que  lors- 
qu'elle a  aidé  un  autre  peuple  à  conquérir,  ou  à  maintenir,  son 
intégrité  et  son  originalité. 

Si  elle  peut  contribuer  à  éloigner  de  l'Amérique  latine  la  bar- 
barie d'une  civilisation  purement  industrielle,  elle  n'aura  pas 
rendu  un  médiocre  service  à  l'humanité. 


Le  Groupement  des  Universités  et  Grandes  Écoles  de  France 
pour  les  relations  avec  l'Amérique  latine  a  son  siège  social  au 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES        16-3  —  IS 

secrétariat  de  la  Faculté  des  sciences  de  Paris,  à  la  Sorbonnc  ('). 
Il  est  dirigé  par  un  conseil  comprenant  des  représentants  quali- 
fiés des  universités  et  grandes  écoles  de  France,  qui  se  réunit  au 
moins  une  fois  par  an,  le  jour  de  l'assemblée  générale.  Les 
affaires  courantes  sont  expédiées  par  un  comité  de  direction  pré- 
sidé par  M.  Appell,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences  de  Paris,  et 
(Composé  de  MM.  Bourgeois,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Paris,  directeur  de  la  Manufacture  nationale  de  Sèvres,  Delà- 
fond,  directeur  de  l'Ecole  nationale  des  Mines,  Larnaude,  pro- 
fesseur à  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  Le  Chatelier,  professeur 
au  Collège  de  France,  Piccioni,  sous-chef  des  archives  au  Minis- 
tère des  affaires  étrangères,  et  Lucien  Poincaré,  directeur  de 
l'enseignement  secondaire.  Le  trésorier  du  Groupement  est 
M.  Henry  Péreire,  et  le  secrétaire  général  du  comité  de  direction 
est  M.  Martinenche,  de  la  Faculté  des  lettres  de  Paris. 

Le  premier  souci  du  comité  de  direction  fut  de  nommer,  dans 
toutes  les  républiques  de  l'Amérique  latine,  des  représentants 
autorisés.  Il  existe  actuellement,  dans  tous  les  pays  latins  du 
nouveau  monde,  des  comités  ou  des  correspondants  qui  reçoivent 
les  adhésions  au  Groupement  et  qui  se  tiennent  en  relations 
constantes  avec  son  comité  de  direction. 

Un  groupement  universitaire  français  devait  s'efforcer  d'abord 
d'assurer  le  meilleur  accueil  aux  étudiants  de  l'Amérique  latine 
qui  lui  feraient  l'honneur  de  s'adresser  à  lui.  Grâce  à  la  généro- 
sité des  compagnies  de  navigation  françaises,  il  a  pu  leur  rendre 
le  voyage  plus  facile  (^).  Pour  que  leur  séjour  en  France  leur  fût 
plus  profitable,  il  a  constitué,  pour  les  diriger,  une  commission 
composée  de  MM.  le  Dr.  Gley,  professeur  au  Collège  de  France, 
Geouffre  de  Lapradelle,  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  Borel, 
professeur  à  la  Faculté  des  sciences,   Dumas,  professeur  à  la 

(i)  Pour  être  jnembre  actif  du  Groupement,  il  suffit  de  verser  une  coti- 
sation annuelle  de  5  francs  au  moins.  Une  cotisation  de  15  francs  au  moins 
donne  droit  au  service  du  Bulletin  dont  il  sera  parlé  plus  loin. 

(*)  On  trouvera  dans  Le  litre  de  l'étudiant  américain  en  France,  édité 
par  le  Groupement,  le  détail  des  réductions  qu'ont  bien  voulu  consentir  la 
Compagnie  transatlantique,  la  Société  générale  des  transports  maritimes 
et  la  Sud-Atlantique. 


16  ^  Ii-3  SECTION   DE  PROPAGANDE 

Faculté  des  lettres,  Bourlet,  professeur  au  Conservatoire  des 
Arts  et  Métiers.  A  leur  arrivée  à  Paris,  selon  la  nature  des  études 
qu'ils  désirent  poursuivre,  les  jeunes  gens  venus  de  l'Amérique 
latine  peuvent  s'adresser  à  l'un  de  ces  professeurs,  qui  leur  don- 
nera toutes  les  indicatious  nécessaires  ('). 

Un  préjugé  pèse  encore  sur  notre  enseignement  supérieur  :  on 
le  croit  plus  théorique  que  pratique,  parce  qu'on  ignore  sa  sou- 
plesse et  sa  variété.  C'est  afin  d'en  faire  mieux  connaître  les 
ressources  que  le  Groupenjent  a  envoyé  à  ses  divers  correspon- 
dants son  Liv)-e  de  l'étudiaiit  américain  en  France.  On  y  trouve 
les  indications  les  plus  précises  sur  nos  universités,  leurs  labora- 
toires et  leurs  instituts,  comme  aussi  sur  la  vie  matérielle  dans 
nos  diverses  provinces  et  sur  les  cours  spéciaux  organisés  pour 
les  étudiants  étrangers. 

Pour  en  rendre  la  consultation  plus  facile  aux  étudiants  de 
l'Amérique  latine,  le  Groupement  en  a  publié,  en  1913,  une 
édition  espagnole  et  une  édition  portugaise.  Ces  deux  nouvelles 
éditions  sont  illustrées  de  quelques  images  qui  achèvent  de 
montrer  les  progrès  accomplis  par  les  universités  de  nos  départe- 
ments et  les  résultats  obtenus  depuis  la  réforme  profonde  de 
notre  enseignement  supérieur. 

Le  Groupement  s'est  préoccupé  également  de  fonder  à  Paris 
une  Bibliothèque  américaine,  pour  réunir  les  livres  et  publica- 
tions périodiques  édités  dans  les  républiques  de  l'Amérique 
latine,  ainsi  que  les  ouvrages  et  revues  parus  en  France  et  à 
l'étranger  et  concernant  ces  mêmes  États. 

Le  Groupement  ne  pouvait  travailler  avec  efficacité  à  la  tâche 
qu'il  a  entreprise  s'il  ne  disposait  de  moyens  d'information  et  de 
documentation  sur  les  pays  auxquels  il  s'adresse.  Les  livres 
américains  sont  rares  en  France;  les  bibliothèques  publiques 
n'en  possèdent  que  quelques  exemplaires  isolés,  et  les  libraires 
parisiens  n'en  connaissent  même  pas  les  noms.  La  Bibliothèque 
américaine  du  Groupement  coijstitue  donc  un  centre,  unique  à 
Paris,  d'informations  et  d'études  américaines,  précieux  à  la  fois 

(*)  Le  secrétaire  général  du  comité  de  direction  se  tient  aussi  à  leur  dis- 
position le  mardi,  de  2  à  4  heures  de  l'après-midi,  à  la  Sorbonne. 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES         Ift-3  —  IT 

pour  les  Américains  qui  se  trouvent  à  Paris,  et  pour  les  Fran- 
çais qui  désirent  s'enquérir  des  choses  d'Amérique. 

La  Bibliothèque  américaine,  qui  n'a  que  deux  années  d'exis- 
tence, compte  déjà  près  de  3,000  volumes.  Elle  se  trouve  à  la 
Sorbonne  et  est  ouverte  au  public,  pendant  l'année  scolaire,  tous 
les  jeudis  de  2  heures  à  o  heures.  Son  bibliothécaire  est 
M.  Charles  Lesca. 

Cette  bibliothèque  a  son  Bulletin,  qui  est  l'organe  du  Groupe- 
ment. Le  Bullelin  de  la  Bibliothèque  américaine,  qui  paraît  tous 
les  mois,  sert  à  propager,  en  France  et  en  Amérique,  l'activité  du 
Groupement.  Il  publie  des  articles  sur  les  principales  questions 
intéressant  le  mouvement  intellectuel  de  l'Amérique  latine.  Il 
insère  les  communications  des  universités  françaises  et  améri- 
caines, ainsi  que  les  décisions  des  gouvernements  intéressant 
l'œuvre  du  Groupement. 

Une  partie  importante  est  réservée  aux  bibliographies  critiques 
des  ouvrages  récemment  parus. 

Enfin,  tous  les  ans,  un  collaborateur  autorisé  de  chacun  des 
pays  de  l'Amérique  latine  dresse  un  tableau  de  l'activité  uni- 
versitaire, scientifique,  littéraire  et  artistique  pendant  l'année 
écoulée. 

Ainsi  compris,  le  Bulletin  de  la  Bibliothèque  américaine  rend 
d'assez  importants  services, et,  tout  en  faisant  connaître  aux  uni- 
versités des  deux  mondes  et  au  public  lettré  l'œuvre  du  Groupe- 
ment, il  tient  le  lecteur  français  au  courant  d'un  mouvement 
intellectuel  qu'il  ignore  à  peu  près  complètement,  et  aide  les 
travailleurs  à  orienter  leui's  recherches. 

Par  son  caractère  exclusivement  scientifique  et  littéraire,  il  se 
distingue  d'autres  publications  consacrées  également  à  l'Amé- 
rique, mais  qui  se  préoccupent  plus  particulièrement  des  ques- 
tions économiques  et  financières. 

Le  rédacteur  en  chef  do  ce  Bulletin  est  M.  J.-F.  Juge,  qui  a 
groupé  autour  de  lui  de  nombreux  et  éminents  professeurs, 
savants  et  écrivains  américains  et  français.  La  lecture  des  som- 
maires de  ces  trois  premières  années  suffit  à  montrer  que  cette 
modeste  publication  a  répondu  aux  espérances  de  ses  fondateurs 
en  devenant  un  lien  véritable,  aussi  bien  entre  les  diverses 


ib 


Ig  _  ll).3  SECTION  DE  PllOPAGANDE 

républiques  de  l'Amérique  latine,  qu'entre  l'Amérique  latine  et 
la  France  {^). 


Nous  venons  de  dire  quelle  est  l'organisation  du  Groupement 
des  Universités  et  Grandes  Écoles  de  France  pour  les  relations 
avec  l'Amérique  latine,  de  quels  moyens  d'action  il  dispose,  ce 
qu'est,  en  somme,  sa  vie  intérieure.  Voici  maintenant  quelles  ont 
été,  depuis  sa  fondation,  les  manifestations  extérieures  qui  ont 
permis  de  constater  son  activité,  et  l'utilité  de  son  effort. 

Jusqu'à  présent,  si  de  nombreux  étudiants  et  professeurs 
américains  venaient  en  France,  il  était  rare  que  des  professeurs 
français  traversassent  l'Océan,  et  il  n'arrivait  presque  jamais 
qu'un  étudiant  français  se  rendît  en  Amérique.  Les  membres  du 
Comité  du  Groupement,  dont  le  but  est  aussi  bien  de  faire  con- 
naître l'Amérique  latine  aux  Français  que  de  créer  un  courant 
de  professeurs  et  étudiants  américains  vers  la  France,  se  sont 
efforcés  d'envoyer  vers  le  nouveau  monde  le  plus  grand  nombre 
de  leurs  compatriotes. 

En  1909,  répondant  aune  invitation  des  autorités  académiques 
brésiliennes,  leGi-oupement  délégua  aux  fêtes  du  Congrès  acadé- 
mique national  de  Sao-Paulo  cinq  étudiants  français  chargés  de 
représenter  la  Faculté  de  médecine,  l'Ecole  nationale  des  Mines, 
la  Faculté  de  droit,  la  Faculté  des  sciences  et  la  Faculté  des 
lettres.  Ces  jeunes  gens,  qui  furent  les  seuls  étrangers  invités, 
reçurent  au  Brésil  un  accueil  qui  mit  en  évidence  la  sympathie 
profonde  qui  unit  la  France  et  les  pays  de  l'Amérique  latine.  Le 
gouvernement  de  l'Etat  de  Sao-Paulo  organisa  en  leur  honneur 
des  fêtes  si  brillantes  qu'on  n'eut  pas  de  peine  à  sentir  qu'elles 
n'étaient  pas  seulement  officielles. 

A  la  suite  de  cette  visite,  et  pour  rendre  plus  étroites  les  rela- 
tions de  l'Etat  de  Sao-Paulo  avec  notre  Groupement,  un  comité, 

(1)  Le  prix  d'abonnement  au  Bulletin  de  la  Bibliothèque  américaine  est 
de  10  francs  par  an.  S'adresser  à  l'administration  duBulletin  de  laBiblio- 
thèque  américaine  :  Librairie  Hachette  &  C'%79,  boulevard  Saint-Germain, 
Paris. 


LES   GROUPEMENTS   ET   LES   ÉCOLES  lb-3  —  19 

composé  de  deux  professeurs  de  chaque  école  supérieure,  s'est 
constitué  sous  le  titre  ihiiao  Escolar  Franco- Paulista. 

En  1910,  une  délégation  d'étudiants  brésiliens  vint  rendre  à 
Paris  la  visite  que  leur  avaient  faite  leurs  camarades  français.  Par 
les  visites  qu'il  organisa  dans  nos  grandes  écoles  et  à  la  Sor- 
bonne,  le  Groupement  s'efforça  de  les  faire  pénétrer  au  cœur 
même  de  notre  vie  universitaire. 

Le  Groupement  a  également  délégué  dans  l'Amérique  latine 
des  professeurs  français  qui  se  sont  chargés  de  propager  son 
œuvre.  C'est  ainsi  que  MM.  les  professeurs  Dumas,  en  1908  et  en 
1912,  Richet,  en  1909,  et  Pozzi  en  1912,  acceptèrent  de  le  repré- 
senter pendant  leurs  voyages  et  leurs  séjours  dans  le  Brésil, 
l'Uruguay  et  l'Argentine. 

En  1910,  année  qui  marquait  pour  plusieurs  républiques 
de  l'Amérique  latine  le  centenaire  de  la  date  glorieuse  de 
leur  indépendance,  le  Groupement  délégua  son  secrétaire 
général . 

M.  le  professeur  Martincnchc  mit  à  profit  cette  délégation 
pour  visiter  successivement  le  Brésil,  l'Uruguay,  l'Argentine,  le 
Chili,  le  Pérou,  Panama,  le  Mexique  et  Cuba  ('). 

Dans  ces  voyages,  les  professeurs  français  ne  manquèrent  pas 
de  faire  les  conférences  qui  leur  étaient  demandées  partout  où 
ils  passaient,  mais  ces  conférences  isolées  étaient  loin  d'avoir  le 
caractère  de  contiTiuité  que  recherchait  le  Groupement.  Aussi 
a-t-il  organisé  des  échanges  universitaires  réguliers  entre  la 
France  et  les  pays  latins  d'Amérique.  Il  s'est  mis  à  la  disposition 
des  républiques  de  l'Amérique  latine  pour  envoyer  à  celles  qui 
en  feraient  la  demande  des  professeurs  français  dans  les  divers 
ordres  d'enseignement.  Il  a  eu  le  plaisir  de  voir  le, succès  le  plus 
encourageant  répondre  à  celte  initiative- 

L'accueil  le  plus  sympathique  a  été  réservé  aux  maîtres  fran- 
çais qui,  sur  la  demande  qu'on  leur  avait  fait  l'honneur  de  leur 
adresser,  sont  allés  professer  des  cours  temporaires  dans  les 


(')  Sur  ces  visites  et  leurs  résultats,  consultez  le  Bulletin  de  la  Biblio- 
thèque américaine,  du  15  avril  1911. 


'20  —  Iè-3  SECTION  DE  PROPAGANDE 

Universités  de  l'Amérique  latine.  C'est  ainsi  qu'en  19H  le  secré- 
taire général  du  Groupement  l'eçut  de  Buenos-Aires  une  invita- 
tion qu'il  fut  heureux  d'accepter.  La  même  année,  et  dans  la 
même  ville,  pendant  que  M.  Martinenche  faisait,  à  la  Faculté  des 
lettres,  un  cours  de  littérature  comparée,  M.  Duguit,  professeur  à 
la  Faculté  de  droit  de  Bordeaux,  donnait  une  série  de  leçons 
très  suivies  à  la  Faculté  de  droit.  En  1912,  ce  fut  M.  Uumas, 
professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  qui  alla  professer 
à  Sao-Paulo  un  cours  sur  les  philosophes  français  contempo- 
rains. 

De  leur  côté,  les  républiques  de  l'Amérique  latine  nous 
envoient  des  professeurs  et  des  conférenciers  auxquels  la  Sor- 
bonne  s'honore  d'ouvrir  ses  amphithéâtres. 

Il  convient  de  signaler  tout  d'abord  le  cours  d'études  brési- 
liennes qui  est,  d'ores  et  déjà,  un  enseignement  régulier  dont 
l'Amérique  latine  a  enrichi  l'Université  de  Paris.  Organisé  par 
l'Union  scolaire  franco-pauliste,  comité  correspondant  du  Grou- 
pement à  Sao-Paulo,  le  cours  d'études  brésiliennes  fonctionne 
régulièrement  depuis  trois  ans.  M.  le  ministre  de  Oliveira  Lima, 
de  l'Académie  brésilienne,  l'inaugura,  en  1911,  à  la  Faculté  des 
lettres,  par  un  cours  magistral  sur  «  la  Formation  de  la  nationa- 
lité brésilienne  ».  En  1912,  ce  fut  M.  Miguel  Arrojado  Lisboa  qui 
parla,  à  la  Faculté  des  sciences,  sur  le  «  Milieu  physique  au 
Brésil  ».  Enfin,  en  1913,  M.  Rodrigo  Catavio,  de  l'Académie 
brésilienne,  traita,  à  la  Faculté  de  droit,  de  «  la  situation  juri- 
dique de  l'étranger.au  Brésil  ». 

Deux  professeurs  argentins,  MM.  Dellepiane,  de  la  Faculté  des 
lettres,  et  A.  Gallardo,  de  la  Faculté  des  sciences  de  Buenos- 
Aires,  ont  également  fait  en  Sorbonne  des  cours  très  suivis  et 
très  appréciés,  l'un  sur  la  théorie  du  progrès,  et  l'autre  sur  la 
division  cellulaire. 

Enfin  le  Groupement  a  organisé  à  la  Sorbonne  de  nombreuses 
conférences  d'ordre  général  sur  l'histoire  des  rapports  de  la 
France  et  de  l'Amérique  latine.  Il  convient  de  citer  particulière- 
ment celles  de  MM.  P.  Groussac,  directeur  de  la  Bibliothèque 
nationale  de  Buenos-Aires,  C.  Vlllanueva,  l'éminent  historien  et 
diplomate  vénézuélien,  Medeiros  de  Albuquerque,  de  l'Académie 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES        Ib-3  —  21 

brésilienne,  N.  Morales,  doyen  de  la  Faculté  de  médecine  de  La 
Paz  et  Manuel  Ugarte,  le  distingué  écrivain  argentin  (■•). 


L'extension  continue  du  Groupement  et  le  développement 
sans  cesse  croissant  de  ses  relations  avec  l'Amérique  latine  ne 
lui  permettent  plus  de  se  contenter  des  locaux  mis  à  sa  disposi- 
tion à  la  Sorbonne.  Grâce  à  l'Université  de  Paris,  et  à  son  prési- 
dent, ses  services  pourront  être  transportés,  en  octobre  prochain, 
dans  un  immeuble  où  ils  disposeront  de  la  place  nécessaire  (^). 
Cette  nouvelle  installation  permettra  d'ouvrir  tous  les  jours  au 
public  la  Bibliothèque  américaine. 


Certes,  on  est  encore  loin  de  ce  palais  de  l'Amérique  latine 
que  le  Groupement  rêve  de  fonder;  mais  il  a,  d'ores  et  déjà,  créé 
un  centre  d'études  qui  contribue  à  dissiper  des  ignorances  et  à 
fortifier  des  bonnes  volontés  toujours  plus  nombreuses.  Il  fait 
des  efforts  modestes,  mais  eftlcaces,  pour  maintenir  une  influence 
que  ne  suffirait  pas  à  assurer  à  la  France  le  prestige  que  garde 
encore  sa  production  scientifique,  littéraire  et  artistique.  Une 
vive  concurrence  internationale  se  poursuit  là-bas  sur  tous  les 
domaines.  Le  Groupement  a,  du  moins,  pour  lui  les  meilleures 
armes,  la  communauté  d'un  idéal  latin  et  la  sincérité  d'une 
sympathie  qui  souhaite  avant  tout  d'être  utile. 

La  tâche  qu'il  a  entreprise  est  de  celles  dont  la  grandeur  suffit 
à  rehausser  les  plus  modestes  de  ses  ouvriers.  Il  la  poursuivra 
avec  une  inlassable  ardeur,  parce  qu'il  fonde  les  plus  beaux 
espoirs  sur  le  développement  des  relations  universitaires  entre 
ces  Latins  qui  se  sont  créé,  sous  les  étoiles  nouvelles,  des  patries 
fermement  aimées,  et  la  France  qui  n'a  jamais  mieux  rempli  son 
rôle  qu'en  cultivant  le  sentiment  de  l'Humanité. 

(')  Consultez,  sur  le  caractère  et  l'utilité  de  ces  conférences,  les  numéros 
d'avril  1912  et  de  juin  1913  du  Bulletin  de  la  Bibliothèque  américaine. 
(')  Cet  immeuble  est  situé  au  boulevard  Raspail. 


I.    —   SECTION  DE   PROPAGANDE. 

B)  LES  GK0UPKMKNT8  ET  LES  ÉCOLES. 


L'Institut  français  de  Londres, 


Albert  8GHATZ. 

professeur  à  l'Université  de  Lille,  directeur. 


L'Institut  français  de  Londres  a  été  organisé  par  l'Université 
de  Lille.  Cette  université  s'est,  de  longue  date,  préoccupée  d'imi- 
ter à  Londres  l'exemple  à  elle  donné  par  d'autres  universités 
régionales,  qui,  dans  de  grandes  villes  étrangères,  avaient  orga- 
nisé une  représentation  de  leurs  principaux  enseignements.  Elle 
était  toute  désignée  pour  une  initiative  de  ce  genre  en  Angleterre, 
non  seulement  par  sa  position  géographique,  mais  surtout  par  les 
liens  particuliers  de  sympathie  intellectuelle  et  morale  qui 
unissent  la  population  flamande  au  peuple  britannique  et  par  la 
solidarité  d'intérêts  économiques  qui  rattache  à  la  Grande-Bre- 
tagne les  régions  industrielles  et  commerçantes  du  nord  de  la 
France. 

L'idée,  lancée  il  y  a  deux  ans,  n'a  pas  été  immédiatement  réa- 
lisée. Un  professeur  de  la  Faculté  de  droit  de  Lille  était  investi 
par  le  Conseil  de  l'Université,  le  20  novembre  1912,  du  mandat 
d'étudier  sur  place  les  conditions  dans  lesquelles  pourrait  être 
organisé  à  Londres  un  Institut  français.  Il  revenait  d'Angleterre 


24  —  Ib-4  SECTION   DE  PROPAGANDE 

au  mois  de  décembre  dernier  avec  un  projet  qui  a  servi  de  base 
aux  pourparlers  ultérieurs  entre  Lille  et  Londres. 

La  réalisation  de  ce  projet,  subordonnée  à  l'apport  de  res- 
sources financières  qui  garantissent  l'existence  de  l'Institut  au 
moins  jusqu'à  la  fin  de  l'année  scolaire  1913-1914,  a  été  assez 
rapidement  possible,  grâce  aux  subventions  accordées  par  les 
ministères  de  l'Instruction  publique,  des  Affaires  étrangères  et 
du  Commerce,  par  les  Chambres  de  commerce  de  Paris  et  de 
Lille,  par  quelques  grandes  sociétés  de  crédit,  et  grâce  aux  libé- 
ralités particulières  de  personnalités  lilloises  et  parisiennes. 

Le  5  avril  dernier,  la  Société  d'extension  universitaire  de  Lille 
acceptait  à  l'unanimité  le  contrat  qui  la  liait  au  conseil  d'admi- 
nistration de  r«  Université  des  Lettres  françaises  »,  fondée  à  Lon- 
dres il  y  a  trois  ans  par  M"=  d'Orliac.  Cette  «  Université  des  Lettres 
françaises  »  a,  dès  l'origine,  eu  pour  but  d'exposer,  dans  le 
luxueux  local  qu'elle  occupe  à  Marble  Arch  House,  en  face  de 
Hyde  Park,  les  questions  littéraires  et  historiques  françaises  les 
plus  susceptibles  d'intéresser  un  public  mondain  et  en  partie 
féminin.  Son  succès  a  été  considérable,  puisqu'elle  réunit 
aujourd'hui  tout  près  de  quatre  cents  auditeurs  inscrits  et 
payants.  C'est  en  collaboration  avec  cette  <(  Université  des 
Lettres  françaises  »  que  l'Université  de  Lille  a  organisé  l'Institut 
français  de  Londres,  dont  la  direction  a  été  confiée  à  un  profes- 
seur de  sa  Faculté  de  droit. 

Aux  termes  du  contrat  du  S  avril  1913,1a  Société  d'extension 
universitaire  de  Lille  s'engageait  à  mettre  à  exécution  le  pro- 
gramme d'étude  élaboré  par  elle  et  à  fournir  les  fonds  nécessaires 
à  la  rétribution  du  personnel  enseignant. 

Le  conseil  d'administration  anglais  s'engageait,  de  son  côté, 
tant  que  le  fonds  constitué  par  les  versements  lillois  ne  serait  pas 
épuisé,  à  fournir  dans  les  locaux  de  Marble  Arch  Ilouse  l'aména- 
gement matériel  du  nouvel  Institut  français.  Cet  Institut,  honoré 
du  patronage  de  S.  A.  Royale  la  Princesse  Christian  de 
Schleswig-Holstein  et  de  S.  E.  M.  Paul  Canibon,  ambassa- 
deur de  France,  était  en  même  temps  placé  sous  le  contrôle 
d'un  conseil  d'administration  à  Londres  et  d'un  comité  d'action 
à  Lille. 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES        Ifc-4  —  23 

Il  a  paru  nécessaire  d'ouvrir  sans  délai  les  exercices  et  de  pro- 
fiter du  dernier  trimestre  de  l'année  scolaire  1912-1913  pour 
acquérir,  par  la  pratique  môme,  une  expérience  indispensable 
au  succès  de  l'an  prochain.  Le  2  mai  dernier,  avait  lieu  une  séance 
intime  d'inauguration,  que  M.  le  recteur  Georges  Lyon,  qui  s'est 
dépensé  sans  compter  pour  hâter  la  fondation  de  cet  Institut, 
avait  bien  voulu  consentir  à  honorer  de  sa  présidence.  Cette 
séance  a  eu  un  succèS' considérable,  constaté  par  les  organes  les 
plus  qualifiés  de  la  presse  anglaise,  en  particulier  le  Times,  le 
Morning  Post,  le  Daily  Telegraph,  la  Westminster  Gazette,  le 
Daily  Chronicle,  etc.,  et  une  assistance  nombreuse  et  choisie  a 
fait  aux  organisateurs  de  l'Institut  français  l'accueil  le  plus  cha- 
leureux et  le  plus  sympathique. 


Dans  le  court  délai  qui  était  imparti  par  la  proximité  des 
vacances,  on  ne  pouvait  songer  à  ouvrir  simultanément  tous  les 
cours  prévus  dans  le  progi'amme.  Il  a  été  décidé  que  deux  cours 
seulementauraient  lieu,  l'un  portant  sur  la  République  française, 
l'autre  sur  les  relations  commerciales  franco-britanniques,  tous 
deux  confiés  à  M.  Gaétan  Pirou,  docteur  en  droit  et  docteur  es 
sciences  politiques  et  économiques. 

Deux  séries  de  dix  conférences  ont  été  ainsi  commencées,  l'une 
le  2  mai,  l'autre  le  6  mai,  avec  les  sujets  suivants  : 

La  vie  publiqlk  fiunçaise. 

La  République  française. 

Le  Président  de  la  République. 

Le  Conseil  des  ministres. 

Le  Sénat. 

La  Chambre  des  députés. 

Les  départements  français. 

Les  autorités  municipales. 

La  justice  civile. 

La  justice  criminelle. 

La  justice  administrative. 


26  —  I/»-4  SECTION   DE  PROPAGANDE 

LkS    liELATlONS   COMMERCIALES  DE   LA   FRANCE 

ET  DE  LA  Grande-Bretagne. 

Le  régime  douanier  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  régime  douanier  de  la  France. 

Le  régime  douanier  des  colonies  britanniques. 

Le  régime  douanier  des  colonies  françaises. 

Le  rapports  commerciaux  de  la  France  et  de  la  Grande-Bre- 
tagne. 

La  concurrence  étrangère. 

Le  rapprochement  franco-anglais. 

Les  projets  de  réforme  douanière  en  France  et  en  Grande- 
Bretagne. 

Les  institutions  destinées  à  développer  les  relations  commer- 
ciales franco-britanniques. 

Les  ententes  et  traités  de  commerce  franco-britanniques. 


Les  résultats  obtenus  pendant  ce  trimestre  ne  sauraient  en 
aucune  manière  être  considérés  comme  une  mesure  anticipée  de 
ceux  qu'il  est  permis  d'espérer  à  la  rentrée  prochaine.  A  celte 
époque  de  l'année  et  avec  une  publicité  nécessairement  insufti- 
sante,  on  pouvait  prévoir  que  ces  résultats  seraient  extrêmement 
restreints  au  point  de  vue  matériel,  encore  que  très  importants 
au  point  de  vue  moral.  Ce  fut  une  heureuse  surprise  que  d'avoir 
à  enregistrer  un  nombre  total  de  41  inscriptions. 

De  beaucoup  plus  dignes  d'attention  sont  cependant  les  ensei- 
gnements qui  se  dégagent  de  cette  utile  expérience.  Il  est  apparu 
avec  évidence  que  le  plus  bel  avenir  semble  réservé  à  l'Institut 
français.  Des  patronages  précieux,  celui  de  l'ambassade  de  France, 
du  Board  of  Trade,  du  Board  of  Education,  de  l'Université  de 
Londres,  du  Coimty  Council,  lui  sont  désormais  acquis.  Nul  ne 
saurait  prévoir  avec  certitude  les  formes  diverses  que  devra 
revêtir  son  activité.  Il  devra  s'adapter  à  tous  les  besoins  d'inter- 
pénétration franco-britannique,  et,  à  condition  de  conserver  sa 
souplesse,  il  aura  à  exploiter  un  des  plus  admirables  domaines 
qui  puissent  s'offrir  à  l'influence  et  à  la  culture  françaises. 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES        Iè-4  —  27 

Pour  y  parvenir,  il  lui  faut  un  personnel  dirigeant  et  enseignant 
exactement  informé  des  conditions  très  particulières  que  pré- 
sente le  milieu  britannique  :  le  public  anglais  le  plus  cultivé 
exige  des  ménagements  étrangers  à  notre  enseignement  national 
français.  Un  enseignement  ex  cathedra  de  caractère  didactique 
et  idéologique  n'aurait  à  Londres  aucune  chance  de  succès.  Non 
seulement  il  importe  de  choisir  des  sujets  d'un  intérêt  très  appa- 
rent et  très  actuel,  mais,  dans  la  manière  même  de  les  traiter, 
les  notions  concrètes,  les  détails  pittoresques  doivent  constam- 
ment être  préférés  aux  notions  abstraites  et  générales.  De  plus, 
le  professeur  doit  prendre  directement  contact  avec  son  auditoire, 
le  séduire  par  une  parole  vivante  et  claire  et  faire  suivre  son  cours 
de  conversations  et  de  discussions. 

* 

Les  exercices  de  l'Institut  français  de  Londres,  pour  l'année 
scolaire  1913-1914,  se  partagent  en  trois  séries  : 

î.  Une  série  artistique,  qui  permettra  de  continuer  la  tradition 
et  le  succès  de  l'ancienne  «  Université  des  Lettres  françaises  » 
et  qui  tiendra,  par  des  conférences,  lectures  et  représensations 
diverses,  le  grand  public  mondain  au  courant  des  différentes 
manifestations  de  l'art  français  :  musique,  peinture,  art  drama- 
tique, etc. 

2.  Une  série  littéraire  et  sociale,  comprenant,  d'une  part,  de 
grandes  conférences  mensuelles,  ayant  pour  sujet  commun  : 
«  La  famille  française  aux  xix'  et  \\°  siècles»  et  qui  seront  deman- 
dées à  des  professeurs  de  facultés  françaises  :  Droit,  Médecine, 
Sciences  et  Lettres;  d'autre  part,  trois  cours  hebdomadaires 
portant  sur  la  littérature  française  contemporaine,  l'évolution 
du  français  moderne  et  nos  institutions  politiques  et  sociales. 
Ces  cours  seront  confiés,  les  deux  premiers  à  M.  Georges  Davy, 
ancien  élève  de  l'École  normale  supérieure,  agrégé  de  l'Univer- 
sité, et  le  troisième  à  M.  Gaétan  Pirou,  docteur  en  droit.  Us 
s'adresseront  tout  spécialement  aux  professeurs  de  français  de 
nationalité  anglaise,  mais  attireront  vraisemblablement  aussi  un 
public  simplement  curieux  de  connaître  plus  exactement  la  vie 
littéraire,  politique,  sociale  et  privée  de  la  France. 


28  —  Ib-4  SECTJON  DE   PROPAGANDE 

3.  Une  série  économique  et  socia/e  destinée  à  l'étude  des  rela- 
tions commerciales  et  financières  franco-britanniques  sous 
forme  de  cours  hebdomadaires  du  soir,  auquels  sont  dès  main- 
tenant conviés  et  les  hommes  d'affaires  et  ceux  de  nos  compa- 
triotes déjà  pourvus  à  Londres  d'une  situation  commerciale. 

De  plus,  ce  déparlement  commercial  répondra  à  un  besoin 
depuis  longtemps  signalé  par  les  Chambres  de  commerce  fran- 
çaises et  auquel  M.  Jean  Périer,  attaché  commercial  à  l'ambas- 
sade de  France  à  Londres,  avait  pris  l'initiative  de  donner  satis- 
faction en  créant  le  «  Foyer  franco-anglais  »  que  dirigeait 
M.  Christian  de  Parrel,  et  qui  est  aujourd'hui  fondu  dans 
l'Institut  français.  Les  jeunes  gens  désireux,  pour  compléter  leur 
éducation  ou  pour  trouver  une  situation  en  Angleterre,  de 
prendre  directement  contact  avec  la  vie  économique  et  commer- 
ciale anglaise  risquent,  si  on  les  abandonne  à  eux-mêmes,  de 
rencontrer  les  plus  graves  difticultés  à  profiter  de  leur  séjour  à 
Londres.  Mal  informés  des  moyens  d'arranger  leur  vie  maté- 
rielle, évincés  des  maisons  de  commerce  où  ils  ne  peuvent,  faute 
de  connaître  suffisamment  l'anglais  et  les  usages  commerciaux 
anglais,  rendre  aucun  service,  incapables  de  recourir  à  un 
établissement  d'enseignement  qui  leur  donnerait  sur  place  les 
connaissances  qui  leur  manquent,  puisque  cet  établissement 
n'existe  pas,  ils  sont  exposés  à  se  décourager,  à  céder  à  la 
dépression  que  provoquent  la  solitude  et  l'abandon,  et  à  rentrer 
en  France  avec  moins  d'illusions  mais  sans  plus  de  culture.  Le 
département  commercial  sera  pour  eux  le  foyer  si  justement 
conçu  par  M.  Jean  Périer,  où  ils  trouveront  l'appui  moral  qui 
leur  est  nécessaire.  Un  «  Office  de  renseignements  »,  dirigé  par 
M.  de  Parrel,  facilitera  leur  installation  matérielle  dans  les 
familles  anglaises.  Il  sera,  de  plus,  organisé  pour  eux  un  cycle 
régulier  d'études,  comportant  l'enseignement  de  l'anglais  usuel 
et  commercial,  de  l'économie  politique  appliquée  spécialement 
à  la  Grande-Bretagne,  du  droit  commercial  comparé  anglo-fran- 
çais, et  des  usages  commerciaux  anglais.  L'  «  Office  de  Rensei- 
gnements »  cherchera  ensuite  à  faciliter  à  ceux  d'entre  eux  qui 
le  désirent  et  qui  en  sont  dignes  l'accès  d'une  maison  de 
commerce  anglaise.  Il   aura  également  dans  ses  attributions  de 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES         Ii-4  —  29 

renseigner  les  jeunes  g;ens  qui  désireront  voyager  dans  une  autre 
partie  de  la  (îrande-Bretagne  et  les  jeunes  Anglais  qui  préparent 
un  voyage  d'études  économiques  et  scientifiques  en  France. 
Enfin,  les  uns  et  les  autres  trouveront  à  l'Institut  une  salle  de 
réunion  et  une  bibliothèque. 


Ainsi  constitué,  l'Institut  français  occupe  dès  maintenant  une 
large  place  dans  l'opinion  publique  à  Londres  et  est  honoré  de 
l'appui  énergique,  dans  la  haute  société  anglaise,  des  amis  les 
plus  dévoués  de  la  France. 

Le  2o  juin  dernier,  M.  le  président  de  la  République  française 
faisait  aux  organisateurs  de  l'Institut  français  le  très  grand 
honneur  d'accepter  leur  invitation  à  visiter  Marble  Arch  House. 
Képondanlaux adresses  du  présidentdu Conseil  d'administration, 
Sir  Georges  Askwith,  et  du  directeur  de  l'Institut,  M.  l'oincaré 
voulait  bien  les  assurer  de  l'intérêt  porté  par  le  chef  de  l'Etat  et 
par  la  République  à  leur  initiative. 

Le  7  août,  les  médecins  français,  participant  auXVlI«  Congrès 
international  de  médecine,  visitaient  à  leur  tour  cet  établisse- 
ment où  une  permanence  avait  été  organisée  pour  eux  pendant 
toute  la  durée  du  Congrès,  et  leur  président,  le  professeur  Lan- 
douzy,  doyen  de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  dans  une 
allocution  très  applaudie,  marquait  la  sollicitude  aftéctueuse 
des  amis  de  l'Entente  cordiale  pour  le  nouvel  Institut  français. 

Enfin,  le  23  septembre,  le  premier  Congrès  de  l'Union  franco- 
britannique  du  tourisme  ouvrira  ses  séances  à  Marble  Arch 
Housc.  La  question  des  rapports  du  tourisme  et  de  l'éducation 
fera  l'objet  de  trois  rapports  présentés  par  le  directeur  de 
l'Institut,  par  M.  Georges  Davy  et  par  M.  Christian  de  Parrel. 

L'ouverture  des  exercices  de  l'Institut  français  aura  lieu  le 
6  octobre.  Il  est  vivement  à  souhaiter  que  les  avantages  offerts 
par  cet  établissement  soient  connus  de  tous  les  intéressés  et 
notamment  de  tous  les  jeunes  gens  capables  de  suivre  avec  profit 
un  enseignement  français  à  leur  arrivée  à  Londres. 


I.  —   SECTION    DE   PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES. 


La  Ligne  nationale  pour  la  défense  de  la  langue  française, 


Fernand  pavard, 

secrétaire  général. 


Fondée  au  mois  d'octobre  1911,  la  Ligue  nationale  pour  la 
défense  de  la  langue  française,  qui  s'est  assigné  pour  mission  de 
grouper  les  Wallons  et  les  Flamands,  en  vue  de  la  lutte  contre 
le  flamingantisme  et  de  la  défense  du  patrimoine  latin  du  pays, 
a  déjà  fait  preuve  d'une  activité  féconde.' 

Nous  voulons  aujourd'hui  en  retracer  brièvement  les  phases, 
en  dresser  le  bilan. 

Sections.  —  Délégations.  —  Comités  locaux. 

Pour  intensifier  son  action  et  pour  donner  aux  idées  qu'elle 
défend  une  influence  plus  directe  sur  les  milieux  locaux,  la 
Ligue,  dont  le  siège  social  est  à  Bruxelles,  a  décidé  la  création 
d'un  système  de  sections,  délégations  et  comités  locaux. 

Dès  la  première  année,  plusieurs  de  ces  organismes  fonction- 
naient dans  le  pays  entier,  à  la  satisfaction  générale. 

Ce  système   nous   permit   d'organiser,  dans  un   très  grand 


32  —  Ifc-5  SECTION  DE   PROPAGANDE 

nombre  de  communes,  de  grands  réunions  publiques,  dont  cer- 
taines obtinrent  un  énorme  succès,  celles  surtout  qui  eurent  lieu 
dans  les  villes  de  la  partie  flamande  du  pays. 

Édition  française  de  l'indicatelu  des  chemins  de  fer. 

La  Ligue  a  pris  l'initiative  de  publier  des  horaires  des  chemins 
de  fer  belges  rédigés  exclusivement  en  français. 

L'on  sait  à  la  suite  de  quelles  circonstances  elle  fut  amenée  à 
prendre  cette  initiative. 

11  existait,  il  y  a  quelques  années,  deux  indicateurs  officiels  des 
chemins  de  fer  :  l'un  en  langue  française,  l'autre  en  flamand. 
Comme  ce  dernier  n'avait  qu'un  nombre  infime  d'abonnés  et  que 
l'autre  en  comptait  plusieurs  milliers,  l'Administration  des 
chemins  de  fer,  avec  le  souci  qui  la  caractérisait  d'imposer  la 
langue  flamande  même  à  ceux  qui  ont  de  justes  raisons  de  n'en 
pas  vouloir,  décida  la  publication  d'un  indicateur  bilingue,  dans 
le  maquis  duquel  plus  personne  ne  se  retrouve. 

L'initiative  fut  prise  par  la  Ligue  à  la  suite  d'un  vaste  péti- 
tionnement,  entrepris  par  les  Amitiés  françaises,  en  faveur  de  la 
suppression  de  l'indicateur  bilingue.  Ce  pétitionnement  réunit 
plus  de  20,000  signatures  ! 

Nos  horaires  vont  entrer  dans  leur  troisième  année  d'existence. 
Nous  avons  eu  le  plaisir  de  constater  par  les  premières  éditions 
que  le  nombre  des  abonnés  augmentait  dans  des  proportions  qui 
tiennent  du  prodige. 

La  démonstration  a  été  ainsi  faite  que  le  public  belge,  aussi 
bien  en  Flandre  qu'en  Wallonie,  n'entend  pas  se  soumettre  à 
la  contrainte  flamingante. 

«  L' Antiflamingant  ». 

Notre  journal,  qui  est  entré  dans  sa  troisième  année  d'exis- 
tence, tient  périodiquement  ses  lecteurs  au  courant  de  l'activité 
de  la  Ligue  et  de  l'actualité  linguistique. 

Bimensuellement  il  publie  des  articles,  des  chroniques,  des 
informations  relatifs  à  la  défense  de  la  langue  française. 


LES    r.ROLPEMENTS    KT    LES    ÉCOLES  US  —  33 


Enqlétes. 


La  Ligue  a  organisé  deux  importantes  enquêtes.  La  première 
a  clé  ouverte  parmi  les  professeurs  de  l'Université  de  Gand,  à 
propos  de  la  transformation  de  l'Université  de  Gand  en  univer- 
sité llamande. 

Sur  les  C2  réponses  qui  nous  sont  parvenues,  57  sont  hostiles 
à  cette  transformation. 

L'autre  enquête  portait  sur  la  séparation  administrative  de  la 
Flandre  et  de  la  Wallonie. 

Vn  nombre  très  considérable  de  réponses  nous  st)nt  parve- 
nues, i/ensemble  en  constitue  une  étude  approfondie  et 
conlradieldirr  de  celte  passioniumle  question. 

Bhochlhes. 

Deux  brochures  ont  été  publiées  par  la  Ligue  :  L'Université 
ftamande,  par  M.  Kaoul  Engel,  avocat,  vice-président  de  la 
Ligue,  et  La  siipiéniatie  de  la  langue  française  en  Belgique,  par 
M.  Ansianx,  professeur  à  l'Université  libre  de  Bruxelles. 

C(i.\FhIiENCi:S. 

Au  cours  de  l'hiver  1911-1912,  la  Ligue  a  organisé  un  cycle  de 
dix-huit  conférences  sur  l'histoire  de  la  culture  française  en 
Belgique,  depuis  ses  origines  jusqu'à  nos  jours. 

Celte  année,  elle  a  consacré  une  série  de  soirées  à  l'étude  de 
nos  écrivains  de  langue  française. 

Enfin,  un  grand  nombre  de  conférences  sur  des  questions 
ayant  trait  à  la  défense  de  la  langue  française  ont  été  organisées 
sous  ses  auspices. 

Qu'il  nous  suflise,  notamment,  de  rappeler  la  causerie  si 
vivante  que  M.  Maurice  Wilmotte  a  faite  à  la  tribune  de  notre 
Ligue  sur  «  Le  pangermanisme  et  le  flamingantisme  ». 

Nous  passerons  sous  silence  les  fêtes  que  la  Ligue  organise,  et 
notamment  les  grandes  fêtes  d'inauguration  du  drapeau,  qui 
comprenaient  une  soirée  théâtrale,  une  grande  manifestation 
contre  la  tlamandisation  de  lUniversité  de  Gand,  manifestation 


ib 


34  —  Ib-5  SECTION    DE    PROPAGANDE 

qui  réunit  plusieurs  milliers  d'adhérents,  un  meeting  consacré 
à  la  même  question,  une  séance  solennelle  d'inauguration  du 
drapeau,  à  laquelle  plusieurs  artistes  des  plus  éniinents  avaient 
prêté  leur  concours. 

Nous  ne  parlerons  pas  non  plus  de  la  participation  de  notre 
Ligue  à  toutes  les  manifestations-wallonnes,  antitlamingantes  et 
francophiles  qui  ont  eu  lieu  dans  le  pays  au  cours  de  ces  trois 
dernières  années. 

Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  sa  participation  aux  tra- 
vaux de  la  Fédération,  les  votes  d'ordres  du  jour  de  protestation 
contre  les  abus  du  flamingantismc,  les  plaintes  adressées  aux 
autorités  compétentes  au  sujet  des  tracasseries  dont  certains 
fonctionnaires  flamingants  aiment  à  faire  preuve  à  l'égard  des 
citoyens  de  langue  française;  la  participation  de  notre  Ligue  au 
référendum  organisé  par  l'administration  communale  de  Bru- 
xelles au  sujet  de  l'enseignement  des  langues  fi'ançaise  et 
flamande  dans  la  capitale,  référendum  qui  assura  aux  partisans 
du  français  une  majorité  écrasante. 

Commissions. 

La  complexité  de  l'œuvre  entreprise  exigeait  une  répartition 
des  fonctions. 

Pour  atteindre  ce  but.  la  Ligue  a  créé  une  série  de  commissions 
qui  se  réunissent  périodiquement  et  font  preuve  d'une  réelle 
activité.  Qu'il  nous  suHise  de  signaler  la  commission  des  confé- 
rences et  des  fêtes,  la  commission  des  élections,  le  comité  des 
griefs,  l'office  de  documentation  antitlamingante,  la  commission 
organisatrice  de  cours  de  français,  le  comité  de  rédaction  du 
journal,  enfin  là  commission  judiciaire. 

LestitresdecesdifTérentes commissions  indiquent  suffisamment 
la  mission  qui  incombe  à  chacune  d'entre  elles. 

Action  politioi:e  tk  la  Lir.LK. 

Elle  peut  se  diviser  en  cinq  phases  : 

1°  L'envoi  d'une  lettre  ouverte  aux  députés  et  sénateurs  ; 

2°  L'inlervention  aux  élections  législatives  de  1912,  en  faveur 


I.ES    GROUPEMENTS    ET    LES    ÉCOLES  I/'-5  —  3S 

des  caiuliilats  politiques,  à  quelque  parti  qu'ils  appartinssent, 
qui  s'étaient  engages  à  défendre  nos  idées  au  Parlement  ; 

8"  L'élude  de  la  séparation  administrative; 

4°  [.'intervention  de  la  Ligue  dans  la  question  de  l'emploi  des 
langues  dans  l'armée. 

1"  L'envoi  de  la  lettre  ouverte  aux  députés  et  sénateurs. 

Nous  n'avions  pas  été  sans  remarquer  l'ignorance  de  certains 
de  nos  représentants  sur  la  question  des  langues,  et  leurs  préven- 
tions ;\  l'égard  de  notre  mouvement.  Aussi  jugeàmes-nous  utile 
de  leur  faire  connaître  le  but  que  nous  poursuivons  et  l'esprit 
dans  lequel  nous  entendons  le  réaliser. 

La  lettre  que  nous  leur  adressâmes  fut  tirée  à  plusieurs 
milliers  d'exemplaires  el  envoyée  non  seulement  aux  membres 
du  Parlement,  mais  également  à  toute  la  presse  belge,  qui  en 
donna  de  nombreux  extraits,  aux  présidents  des  sociétés  wal- 
lonnes et  anti-llamingantes,  ainsi  qu'aux  comités  de  toutes  les 
associations  politiques  d'arrondissement.  Elle  fut  adressée  éga- 
lement à  toutes  les  administrations  de  Wallonie  et  à  celles  de 
l'arrondissement  de  Bruxelles.  La  Ligue  priait  les  adminis- 
trations communales  de  voter  le  vœu  qui  était  joint  à  son 
manifeste  et  qui  le  sanctionnait.  Le  résultat  ne  se  fit  pas 
attenJie. 

C'est  par  centaines  que  les  voeux  des  conseils  communaux,  en 
faveur  de  la  revision  des  lois  de  contrainte  et  contre  la  tlanian- 
disation  de  l'Université  de  Gand,  atlluèrent  sur  le  bureau  des 
Chambres.  Le  succès  de  cet  excellent  moyen  de  propagande 
dépassa  les  espérances  les  plus  audacieuses. 

2°  Notre  intervention  aux  élections  législatives. 

Cette  intervention  est  encore  trop  à  la  mémoire  de  tous  les 
antiflamingants  pour  que  nous  y  insistions. 

Qu'il  nous  suflise  de  rappeler  que,  gl'âce  à  l'initiative  que  nous 
avons  prise,  plus  de  11,000  voix  de  préférence  ont  été  données 
aux  candidats  recommandés  aux  suffrages  des  antillamingants. 


36  —  lb-5  SECTION   I)E   PROPAGANDE 

3°  IJ'étude  de  la  question  de  la  séparation  administrative. 

Les  événements  politiques  du  2  juin  4912  remirent  au  premier 
plan  de  l'actualité  la  question  de  la  séparation  administrative. 
Nous  avons  parlé  plus  haut  de  notre  enquête  sur  cette  question 
et  du  succès  qu'elle  a  rencontré. 

4"  L'intervention  de  la  Ligne 
dans  la  question  de  l'emploi  des  langues  dans  l'armée. 

Cette  année,  le  Parlement  a  élé  saisi  d'un  projet  de  loi  rendant 
obligatoire  la  connaissance  du  flamand  pour  l'admission  aux 
emplois  militaires. 

Ce  projet  de  loi  équivalait  à  écarter  de  ces  emplois  tous  les 
citoyens  belges,  tant  flamands  que  wallons,  qui  ignorent  la 
langue  flamande. 

D'autre  part,  il  était  contraire  aux  intérêts  des  flamands 
d'expression  germanique,  auxquels  le  passage  aux  régiments 
off'rait  l'occasion  précieuse  d'acquérir  la  connaissance  du 
français. 

Enfin,  il  rangeait  arbitrairement  dans  la  région  flamande  du 
pays,  la  ville  de  Bruxelles,  dont  la  majorité  parle  le  français. 

Au  surplus,  cette  loi  ne  répondait  à  aucune  nécessité.  Aucun 
abus  n'a  été  signalé  avec  quelque  précision.  En  outre,  il  n'est 
pas  contestable  que,  si  même  il  s'est  produit  quelques  malen- 
tendus entre  otticiers  connaissant  uniquement  le  français  et 
miliciens  de  langue  flamande,  le  projet  de  loi. n'y  apportait 
aucun  remède,  puisque  les  officiers  ayant  appris  le  flamand 
littéraire  ne  pourront  jamais  converser  avec  les  soldats  flamands 
des  campagnes,  ne  connaissant  que  leurs  patois  locaux.  Les  uns 
et  les  autres,  ne  devront-ils  pas,  pour  entrer  en  rapport,  se  servir 
d'un  «  truchement  »  qui,  inévitablement,  sera...  la  langue 
française. 

Ces  observations  ont  motivé  l'envoi  par  la  Ligue  d'une  lettre 
ouverte  aux  membres  du  Sénat,  après  que  la  Chambre  des 
représentants  eût  sanctionné  par  son  vote  le  projet  de  loi. 

Nous  demandions  en  conclusion  que  le  Sénat  maintînt  le 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES         Ib-S  —  37 

slatit  quo  qui  donne  entière  satisfaction  aux  miliciens  de  langue 
llamande. 

Nous  ajoutions  qu'il  convenait  de  laisser  au  français  la  place 
qu'il  occupe,  parce  qu'en  fin  de  compte  l'unité  d'expression 
s'impose  dans  l'armée. 

Cette  nécessité,  reconnue  déjà  par  le  Gouvernement  provisoire 
en  1831,  est  telle  que  le  projet  de  loi  même,  qui  était  soumis 
aux  Chambres  cette  année,  la  reconnaissait,  puisqu'il  laissait 
inchangée  la  situation  pour  ce  qui  concerne  les  commandements, 
qui  continueront  ù  se  faire  en  français  comme  par  le  passé. 

Malgré  notre  appel  patriotique  au  Sénat,  celui-ci  sanctionna  le 
vote  de  la  loi,  vote  qui,  fatalement,  entraînera  une  recrudescence 
du  mouvement  séparatiste. 

Quant  à  nous,  nous  avons  la  satisfaction  d'avoir  accompli 
notre  devoir,  en  mettant  le  Sénat  en  garde  contre  les  disposi- 
tions de  la  loi,  contraire  à  la  bonne  entente  et  la  concorde  qui 
doivent  régner  entre  tous  les  citoyens  belges. 

Un  grand  meeting,  que  nous  avons  organisé,  de  commun 
accord  avec  la  Ligue  wallonne  de  Brabant,  au  moment  où  la 
question  a  été  discutée  par  la  Chambre,  nous  a  permis  d'exposer 
au  public  le  danger  auquel  les  exagérations  flamingantes  de 
la  nature  de  celle  qui  vient  d'être  approuvée  par  le  Parlement, 
exposent  le  pays. 

Tel  est  le  bilan  de  deux  années  d'activité. 

Le  conseil  général  est  saisi  de  nouvelles  propositions  intéres- 
santes. Nous  en  avons  le  ferme  espoir,  elles  finiront  par  secouer 
l'apathie  de  ces  nombreux  citoyens  qui  n'accordent  à  la  question 
des  langues  qu'une  importance  scicondaii-e  et  ne  s'aperçoivent  pas 
que,  derrière  chaque  flamingant,  se  cache  un  adversaire  de  notre 
langue,  de  notre  culture  et  de  notre  civilisation  françaises. 


I.    —   SECTION    DE    PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES. 


La  Société  d'échange  international  des  enfants 
et  des  jeunes  gens, 


Georgks   gromaire, 

professeur  agrégé  au  Lycée  Bufifon  (Paris), 
secrétaire  général  de  la  Société  d'échange  international. 


La  Société  d'échange  international,  fondée  en  1903,parM.Toni- 
Mathieu,  qui  est  maintenant  son  directeur,  est  en  pleine  pros- 
périté. 

Par  rinterniédiaire  de  son  bureau  central,  situé  à  Paris,  boule- 
vard Magenta,  'Mi,  elle  envoie  chaque  année  de  nombreux  jeunes 
gens  français,  garçons  et  filles,  en  Angleterre,  en  Allemagne, 
dans  d'autres  pays  même,  et  reçoit  en  France  un  nombre  égal 
de  jeunes  gens  étrangers.  Elle  ne  se  borne  pas  à  envoyer  les 
F'rançais  de  France  seulement,  mais  a  échangé  et  est  prête  à 
échanger  aussi  des  jeunes  gens  de  langue  française  (des  Belges 
en  ont  déjà  profité)  avec  des  jeunes  gens  de  langue  étrangère. 

Dans  l'année  de  la  fondation,  en  1903,  23  échanges  ont  été 
réalisés  ;  en  1912,  il  y  a  eu  284  échanges,  intéressant  568  échanges, 
de  sorte  qu'au  31  décembre  dernier  le  nombre  total  des  échangés, 
depuis  sa  fondation,  se  montait  à  3,230. 

Ce  nombre  aurait  pu  être  beaucoup  plus  considérable,  si  la 


40  —  Ib-6  SECTION   DE   l'ROPAGANDE 

direction  n'avait  pas  tenu  à  procéder  constamment  avec  la  plus 
grande  prudence  et  à  ne  faire  des  échanges  que  dans  les  condi- 
tions les  plus  parfaites  possible.  Quand  des  parents  envoient 
leur  fils  ou  leur  fille  à  l'étranger,  ils  désirent  que,  matériellement 
et  moralement,  la  famille  choisie  offre  toute  garantie,  que 
l'éducation  soit  bonne,  que  les  éludes  de  leur  enfant  soient  sur- 
veillées, que  la  résidence  soit  agréable,  que  les  rapports  de  goûts 
et  de  situation  sociale  soient  observes. 

Les  familles  étrangères  prennent  naturellement  les  mômes 
soins.  On  voit  combien  la  tâche  de  la  direction  est  délicate:  il 
faut  satisfaire  également  les  deux  parties;  pour  cela,  il  faut  de 
longues  recherches  et  réllexions.  On  y  arrive  par  une  vaste 
correspondance,  par  des  demandes  incessantes  de  renseigne- 
ments, aidé  par  tout  ce  qu'a  donné  l'expérience  des  années 
précédentes  et  les  inspections  que  la  Société  fait  faire  dans  les 
pays  mêmes  où  elle  a  envoyé  les  enfants. 

Si  l'entreprise  avait  un  caractère  commercial,  elle  aurait 
cherché  à  augmenter  le  chitire  d'affaires,  c'est-à-dire  le  nombre 
d'échangés,  mais  c'est  une  œuvre.  Elle  préfère  la  qualité  à  la 
quantité  et  se  fie  au  temps  pour  étendre  chaque  année  le  cercle 
de  ses  opérations,  ce  qui  arrive  d'ailleurs. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'entrer  dans  de  plus  longs  détails  sur 
cette  œuvre  bien  connue.  Le  rapporteur  se  tient  à  la  disposition 
de  chaque  persoHne  désirant  des  éclaircissements  sur  des  points 
particuliers.  Je  veux  seulement  montrer  en  quoi  elle  sert 
l'expansion  de  la  langue  et  de  la  culture  française. 

Lorsque  les  fondateurs  de  la  Société,  en  1903,  ont  fait  leurs 
premiers  échanges,  leur  but  était  uniquement  d'aider  les 
jeunes  Français  à  acquérir  la  connaissance  des  langues  étran- 
gères. Mais  il  est  arrivé  à  cette  société,  comme  à  toutes  les 
entreprises  bien  conçues  et  qui  arrivent  à  leur  heure,  de  porter 
non  seulement  les  fruits  que  l'on  attendait,  mais  d'en  récoller 
d'autres,  tout  aussi  précieux,  auxquels  on  n'avait  pas  songé  tout 
d'abord. 

On  voulait  assurer  à  de  jeunes  compatriotes  un  s»!Jour  profi- 
table et  peu  dispendieux  à  l'étranger,  mais  comme  le  moyen 
choisi  était /'«'Wjan(/e,  c'est-à-dire  le  remplacement  temporaire 


LES    GKOLPF.MENTS    ET    LES    ÉCCILKS  i;*-6  —  4-1 

dans  chaque  famille  française  de  l'enfant  par  un  étranger,  un 
avantage  égal  était  ottert  à  ce  dernier,  et  cet  avantage  était  la 
connaissance  de  la  langue  française,  de  la  vie  française,  de  la 
famille  française,  en  un  mot  de  la  culture  française.  Notre 
société  travaillait  ainsi  de  la  façon  la  plus  efficace,  la  plus 
persuasive  et  la  plus  sûre,  à  atteindre  le  but  que  vous  pour- 
suivez. 

Vous  conuaissez  les  idées  bizarres  que.  l'on  se  l'ait  souvent  à 
l'étranger  sur  la  vie  française  :  la  France,  c'est  Paris,  et  Paris 
c'est  Babylone.  Je  sais  bien  que  les  étrangers  en  ont  maintenant 
i|uelque  peu  rabattu  et  que  l'on  pourrait  aussi  trouver  des 
Babylones  sur  la  Tamise  et  la  Sprée,  mais  il  reste  toujours 
quelque  chose  de  celte  opinion.  Aussi  plus  d'un  de  nos  voisins 
est  fort  étonné  quand  il  fait  la  découverte  de  la  famille  française, 
qui  est  une  des  plus  unies  de  l'Europe,  une  de  celles  où  le 
travail  est  le  plus  en  honneur,  où  le  dévouement  de  ses 
membres  les  uns  pour  les  autres  est  le  plus  entier.  Le  plus 
grand  défaut  de  cette  famille  est  que  ses  membres  sont  trop  peu 
nombreux.  Je  crois  que  vous  me  permettrez,  en  passant,  dans 
ce  Congrès,  qui  a  pour  but  l'expansion  de  l'inlluence  française, 
de  souhaiter  tpie  ce  défaut  disparaisse,  que  les  Français  aient 
davantage  confiance  en  l'avenir,  en  eux-mêmes,  en  leurs  talents, 
qu'ils  aient,  de  nouveau,  le  culte  de  la  fécondité. 

Les  étrangers  font  une  découverte  précieuse  :  celle  de  la  femme 
française,  qui  ne  ressemble  guère  aux  insupportables  poupées 
des  pièces  de  théâtres  et  des  romans  «  bien  parisiens  ».  La  Fran- 
çaise a,  en  effet,  le  secret  de  posséder  à»la  ff)is  le  raffinement,  la 
délicatesse  de  manières,  la  réserve,  qui  caractérisent  la  femme 
anglaise  {Ihe enylish  laily)  et  l'art  de  tenir  une  maison,  de  veiller 
au  bien-être,  à  la  commodité  de  tous  ceux  qui  l'habitent,  comme 
la  meilleure  ménagère  allemande  (die  ileulsche  llavsfj-au).  Elle 
sait  prévoir  les  dépenses  et  les  régler  sur  les  receltes,  elle  porte 
su  sollicitude  sur  les  plus  petits  détails,  elle  ne  ménage  pas  sa 
peine  et  ne  craint  pas  de  mettre  elle-même  la  main  à  la  pâte,  et 
cela  au  sens  littéral  du  mot  :  la  cuisine  française  est  une  gloire 
nationale,  pas  si  méprisable  d'ailleurs. 


42  —  Ib-6  SECTION    DE    PltOPAGANDE 

Et  le  soir,  cette  maîtresse  de  maison  modèle  devient  une 
femme  du  monde  accomplie,  sachant  causer,  au  courant  de  ce 
qui  se  passe  dans  les  lettres  et  les  arts,  régnant  dans  son  salon, 
modérant  les  uns,  mettant  les  autres  en  valeur,  soumettant  à 
son  aimable  empire  tous  les  amis  et  visiteurs. 

Lorsque  le  jeune  étranger  est  introduit  dans  une  pareille 
famille,  il  en  subit  l'influence,  et  l'on  peut  être  assuré  que  l'on 
compte  un  ami  de  plus  de  la  civilisation  française. 

L'action  de  notre  société  est  double.  Elle  fait  vivre  les  étran- 
gers de  la  vie  française.  Elle  agit  aussi  par  les  jeunes  Français 
qu'elle  envoie  au  delà  de  nos  frontières.  Ceux-ci  donnent,  la 
plupart  du  temps,  la  meilleure  idée  de  notre  pays  par  leurs  qua- 
lités natives  d'amabilité  et  de  finesse,  par  leur  urbanité  et  les 
efforts  loyaux  qu'ils  font  pour  comprendre  la  nation  au  milieu 
de  laquelle  ils  sont  placés.  «  Mais,  dira-t-on,  tous  ne  possèdent 
pas  ces  qualités.  »  Presque  tous,  répondrons-nous,  car  nous  ne 
nous  occupons  que  d'une  élite.  En  effet,  et  je  ne  crois  pas  beau- 
cou|)  ni'avancer  en  le  disant,  les  parents  qui  envoient  leurs 
enfants  à  l'étranger,  montrent,  par  cela  même,  qu'ils  font  partie 
d'une  élite.  C'est  une  chose  à  laquelle  ne  pensera  pas  un  père 
enfoncé  dans  l'unique  souci  de  sa  vie  matérielle  ou  de  ses  plai- 
sirs, et  dont  s'eff'raiera  une  mère  à  l'esprit  borné  et  craintif.  Les 
parents  qui  ont  rompu  avec  cette  passivité  et  cette  pusillanimité 
ont  atteint  déjà  un  assez  haut  degré  de  culture. 

Puis,  dans  cette  élite,  la  société  s'efforce  encore  de  faire  un 
choix.  Si  l'éducation  donnée  par  les  parents  éveille  quelque 
scrupule,  on  s'arrange  de  façon  à  les  éliminer  des  échanges. 
De  plus,  une  expérience  de  dix  années  a  permis  de  fixer  aux 
échangés  des  règles  de  conduite  qui  sont  consignées  dans  des 
instructions  remises  aux  familles  et  à  l'observation  desquelles 
on  tient  la  main.  Tous  les  inconvénients  résultant  de  trop  de 
pétulance  et  de  quelque  indiscrétion  sont  donc  évitées  dans  la 
mesure  du  possible. 

Par  leur  activité,  par  leur  bonne  conduite,  leur  travail,  nos 
jeunes  échangés,  réfutent  automatiquement,  pour  ainsi  dire,  les 
calomnies  que  l'on  répand  sur  notre  pays.  Ils  excitent,  au  con- 
traire, l'intérêt  pour  la  France,  pour  sa   langue,  pour  sa  civil i- 


LtS  GROUPEMENTS  ET  LES  KCOLKS        I/.-6  —  43 

sation.  Ils  font  ainsi  de  l'excellente  besogne  dans  votre  sens,  et 
cela  de  la  meilleure  manière,  non  pas  par  im  simple  apostolat 
verbal,  mais  par  l'action  et  l'exemple. 

Vous  avez  bien  voulu,  Messieurs,  dans  vos  précédents  congrès, 
donner  votre  approbation  aux  efforts  de  la  Société  d'échange 
international.  Après  ce  court  exposé  de  l'organisation  adminis- 
trative et  de  la  vie  de  notre  Société,  vous  consentirez,  j'espère, 
à  lui  renouveler  votre  appui  en  approuvant  le  vœu  suivant  : 

Vœu  : 

Le  Congrès,  considérant  que  l'organisation  des  échanges 
d'enfants  et  de  jeunes  gens,  telle  qu'elle  a  été  comprise  et  réali- 
sée par  la  Société  d'échange  international,  constitue  un  puissant 
moyen  d'action  pour  la  diffusion  de  la  langue  française, 

Reconnaissant  les  services  déjà  rendus  par  cette  œuvre  à  la 
cause  de  la  langue  et  de  la  civilisation  françaises, 

Émet  le  vœu  : 

Que  les  groupements  d'idée  française  s'intéressent  de  plus  en 
plus  à  l'œuvre  organisée  et  poursuivie  par  cette  Société  et  en- 
couragent la  pratique  de  l'échange  international. 


I.  —  SECTION  DE  FKOPAGANDE. 

/;)  I.KS  (IHOI  l'KMKMS  Kï  I.KS  ROOI.KS. 


L'Œuvre  des  Comités  français  en  Espagne, 

PAR 

(JKOIIGES   CIUOT, 

|inil'i'ss('iii-  deluili'3  liispaniques  à  rUnivcrsili'  do  Bordeaux. 


M.  llliarlier,  secrétaire  général  du  Troisième  congrès  interna- 
tional pour  l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française, 
m'ayant  fait  l'honneur  de  me  demander  de  mettre  à  jour  et  de 
présenter  à  ce  congrès  le  rapport  sur  «  les  comités  de  l'Alliance 
française  en  Espagne  et  en  IVjrtugal  »  que  j'avais  lu  an  cf)ngrès 
régional  de  l'Alliance  française  tenu  à  Bordeaux  en  novem- 
bre 1912,  je  me  suis  mis  en  devoir  do  me  docmnenter  sur  les 
progrès  réalisés  durant  ces  dix  derniers  mois  et  de  compléter 
mon  premier  exposé,  notamment  en  ce  qui  concerne  l'orient  de 
la  péninsule. 

Mon  rapport  ayant  paru  depuis  (,aoiil  1913)  dans  le  Compte 
rendu  du  Congrès  de  Bordeaux,  la  mise  à  jour  n'eût  constitué 
qu'une  seconde  édition  revue  et  corrigée,  et,  franchement,  c'eût 
été  beaucoup  d'honnevu"  pour  ma  prose.  J'ai  donc  pensé  que  le 
mieux  était  de  supposer  connu  ce  qui  était  imprimé,  et  de  me 
borner  à  donner  les  indications  supplémentaires  que  je  pour- 
rais réunir  avant  la  date  fixée  pour  le  Congrès  de  Gand. 

.le  dirai  tout  de  suite  que,  si   le  temps  des  vacances  est  très 


46  —  16-7  SECTION   DE  PROPAGANDE 

favorable  à  la  tenue  d'un  congrès,  il  ne  l'est  guère  à  la  prépara- 
tion d'un  mémoire  de  ce  genre,  non  pas  que  ce  ne  soit  une  façon 
fort  intéressante  d'utiliser  ses  loisirs  champêtres,  mais  il  est  dur 
d'importuner  à  ce  moment  des  correspondants  qui  ont  besoin 
de  repos,  et  il  est  parfois  difticile  de  les  atteindre.  Je  m'excuse 
auprès  d'eux  de  les  avoir  mis  dans  cette  alternative  :  avoir  à  me 
répondre  ou  se  reprocher  un  manque  de  courtoisie.  Merci  de 
leur  extrême  obligeance,  merci  de  m'avoir  aidé  à  remplir  ma 
tâche.  Il  n'a  pas  tenu  à  eux  que  je  ne  la  remplisse  plus  convena- 
blement. 

Mais  en  regardant  le  programme  qui  m'a  été  envoyé  en  juillet 
dernier,  je  m'aperçois  que,  sans  doute  à  cause  du  titre  de  recteur 
dont  on  m'y  décore  indûment  (qu'ai-je  donc  fait  pour  laisser  croire 
que  j'exerçais  d'aussi  hautes  fonctions?),  on  m'a  rangé,  sous  la 
rubrique  Espagne,  par  les  congressistes  qui  avaient  promis  un 
rapport  sur  La  siluation  de  la  langue  française  dans  le  monde. 
M.  Thamin,  recteur  de  l'Académie  et  président  du  conseil  de 
l'Université  de  Bordeaux,  a-t-il  annoncé  un  rapport  de  ce  genre, 
et  a-t-on  mis  mon  nom  par  erreur  à  la  place  du  sien?  Cette 
hypothèse  souhaitable  expliquerait  tout. 

Pour  moi,  je  n'apporte  que  ce  que  j'ai  promis  :  un  complé- 
ment à  ce  que  j'avais  dit  sur  l'œuvre  de  nos  comités  français  en 
Espagne.  Ce  n'est  assurément  qu'une  toute  petite  partie  de  ce 
qu'il  y  aurait  à  dire  sur  l'extension  de  la  langue  et  de  la  culture 
française  en  Espagne. 

Qui  voudrait  donner  une  idée  de  cette  extension  aurait  à  pré- 
ciser d'abord  la  place  accordée  au  français  dans  les  programmes 
des  Institutos  (lycées  officiels),  des  colegios  (collèges  libres),  des 
académies  militaires  et  autres  centres  d'enseignement.  11  faudrait 
dire  ce  qu'on  demande  de  français  aux  candidats  du  bachillerato, 
des  diverses  écoles  militaires  ou  scientifiques.  Je  ne  suis  pas  en 
état  de  fournir  pareilles  précisions.  J'ai  pourtant  une  vague  idée 
que  ceux  qui  enseignent  notre  langue  ne  la  savent  pas  toujours 
très  bien  eux-mêmes.  Heureusement  les  congrégations  reli- 
gieuses, qui  comprennent  maintenant  beaucoup  de  Français  et 
de  Françaises,  offrent  un  peu  partout  à  présent  des  professeurs 
plus  idoines. 


LES    liUOUPEMEMS    ET    LES    ÉCOLES  Ift-7  —  i" 

Il  faudrait  aussi  donner  le  chiffre  des  exemplaires  de  livres  de 
science  ou  d'agrément,  de  revues,  de  journaux,  de  magazines 
vendus  dans  toute  la  péninsule,  du  i''' janvier  au  31  décembre  de 
chaque  année.  Cette  statistique,  je  ne  l'ai  pas  tentée,  mais  j'encou- 
ragerais fort  à  l'entreprendre  quiconque  en  aurait  les  moyens. 

Le  livre  français,  en  tout  cas,  est  beaucoup  moins  lu  en 
Espagne  qu'en  Portugal,  où  il  remplit  les  vitrines  des  libraires. 
Je  me  rappelle  avoir  vu,  sur  la  place  du  Rocio,  à  I/isbonne,  de 
jeunes  ofliciei's  entourant  un  des  leurs,  qui  leur  lisait  le  Chanle- 
cler  de  Rostand  et  paraissait  y  prendre  le  plus  grand  inté- 
rêt, sourire,  donc  sans  doute  comprendre.  Je  n'ai  point  vu  telle 
chose  en  Espagne,  ni  parmi  les  militaires,  ni  parmi  les  civils. 
Notre  littérature  n'y  est  pas  inconnue,  mais  je  dois  avouer  qu'elle 
n'y  a  pas  toute  la  place,  tout  le  succès  auquel,  dans  mon  orgueil 
de  Français,  je  pense  qu'elle  aurait  droit. 

Enfin,  il  faudrait  expliqiu^r  dans  quelle  mesure  les  Espagnols 
écrivent  et  parlent  le  français.  Il  en  est  qui  le  parlent  et 
l'écrivent  très  bien;  davantage  qui  le  parlent  et  l'écrivent  moins 
bien  ;  encore  plus  qui  le  parlent  et  l'écrivent  encore  moins  bien; 
et  ainsi  de  suite  jusqu'à  l'infini  :  le  plus  grand  nombre  l'ignorent 
totalement.  La  proportion  de  ceux  qui  le  savent  est  bien  moins 
grande  qu'en  Portugal,  où  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer,  sur- 
tout dans  la  classe  cultivée,  des  personnes  qui  parlent  notrp 
langue  au  moins  aussi  bien  que  nous. 

Je  veux  pourtant  dire  ici  une  surprise  qui  m'advint  un  jour 
que,  de  Madrid,  j'étais  allé  passer  la  journée  à  Tolède  avec  mon 
collègue  et  ami  M.  P.  Paris.  Nous  avions  eu  l'idée  d'aller  déjeu- 
ner dans  un  parador,  à  moins  d'un  kilomètre  sur  la  route  qui 
débouche  du  pont  d'Alcanlara.  Dans  cette  pauvre,  mais  hospita- 
lière auberge,  d'où  nous  avions  une  vue  merveilleuse  sur  la  cité 
impériale,  l'Alcazar,  la  cathédrale,  le  Tage  et  les  roches  jaunes 
de  ces  rives  abruptes,  nous  n'eûmes  pas  seulement  le  plaisir  de 
faire  un  excellent  repas,  mais  aussi  celui  d'être  servi  par  un 
enfant  (celui  de  l'aubergiste),  qui  parlait  très  suffisamment  le 
français,  et  l'avait  appris  à  l'école...  Le  cadre  était  à  la  fois  rus- 
tique et  grandiose.  Notre  petit  maitre-d'hôtel  nous  donna  une 
satisfaction  supplémentaire  qui  avait  son  prix. 


•48  —  Iè-7  StCTlON    DK    PltOPAGANDE 

Ce  souvenir  ne  me  revient  pas  trop  mal  à  propos  ici,  puisque 
je  veux  parler  de  l'œuvre  à  laquelle  travaillent  les  comités  fran- 
çais en  Espagne,  la  propagation  de  notre  langue,  but,suprême  et 
unique  de  V Alliance  franmise. 

Une  inquiétude  me  prend.  Le  rapport  que  je  rédige  est  des- 
tiné non  à  un  congrès  français,  mais  à  un  congrès  international  ; 
et  je  complais  entrer  dans  des  détails  que  des  étrangers  pour- 
raient bien  juger  peu  intéressants  et  oiseux  par  leur  minutie. 

Mais  le  Congrès  de  Gand  est  d'une  internationalité  spéciale. 
On  y  a  convoqué  les  adeptes  de  la  culture  française,  les  natio- 
naux des  pays  de  langue  française.  La  nationalité  proprement 
dite,  légale,  s'y  etface.  La  nationalité  de  la  culture  et  de  la  langue 
y  devient  le  lien  commun,  y  a  son  patriotisme,  y  forme  comme 
une  patrie  plus  grande  et  plus  idéale.  Ce  ne  sont  donc  pas  des 
étrangers,  mais  des  compatriotes  qui  s'y  réunissent.  Rien  de  ce 
qui  touche  à  la  culture  et  à  la  langue  française  ne  peut  leur  être 
étranger. 


Les  comités  qui  se  sont  formés  dans  dillérentcs  villes  d'Es- 
pagne, eu  vue  de  maintenir  et  de  favoriser  l'extension  de  notre 
langue,  se  sont  généralement  affiliés  à  l'Alliance  française  qui 
les  aide  dans  la  mesure  du  possible  par  des  subventions  ou  tout 
au  moins  par  des  livres  de  prix,  des  récompenses  à  décerner  aux 
élèves  et  aux  auditeurs. 

Certains  de  ces  comités  (Valladolid,  Santander,  Vitoria)  n'ont 
jusqu'à  présent  organisé  que  des  cours  d'adultes.  D'autres  ont 
fondé  et  entretiennent  des  collèges  :  ce  sont  ceux  de  Madrid, 
Barcelone,  Séville,  Alicante,  Penarroya,  Irun,  Port-Bou,  Figue- 
ras.  Celui  de  Saint-Sébastien  vient  de  créer  un  collège  et  a  des 
cours  d'adultes.  A  Barcelone,  collège  et  cours  d'adultes  sont 
l'œuvre  de  deux  comités  différents,  d'ailleurs  en  parfait  accord. 

Je  dirai  d'abord  un  mot  des  cours  d'adultes  de  Valladolid.  La 
situation  est  à  peu  près  la  même  que  l'an  dernier,  m'écrit 
M.  Mialhe,  agent  consulaire  de  France.  Le  nombre  d'élèves  a 
augmenté  cependant.  De  268,  il  a  passé  à  312  (190  garçons  ou 
hommes,  122  jeunes  filles).  Pour  l'année  19H-1912,  l'actif  était 


LES    GROUPEMENTS    ET    I.KS    KCOl.KS  16-7   —  49 

de  3,870  pesetas  et  le  passif  de  3,942.  Pour  1912-1913,  l'actif  est 
monté  à4, 035,  et  le  passif  à  4,102  pesetas.  Le  déficit,  qui  était  de 
72  pesetas,  n'est  donc  plus  cette  année  que  de  07.  C'est  un 
pauvre  duro  de  moins  Le  déficit  a  été  comblé  l'année  dernière, 
peut-être  encore  celle-ci,  par  le  directeur  même  des  cours,  qui 
ne  reçoit  que  1,500  pesetas  d'honoraires  pour  une  tâche  qui  lui 
])rcnd  toutes  ses  soirées.  Tant  que  les  cours  pourront  se  faire  là 
où  ils  se  font  depuis  dix-huit  ans,  à  l'École  normale,  tout  ira  à 
peu  près,  avec  beaucoup  de  complaisance  de  la  part  de  la  muni- 
cipalité, et  de  dévouement  de  la  part  du  directeur,  secondé  par 
SCS  deux  adjoints.  Mais  ne  faudra-t-il  pas  un  jour  installer 
ces  cours  dans  un  local  à  l'abri  des  vicissitudes  politiques? 

Le  comité  de  V Alliance  française  de  Barcelone  avait  délégué 
au  Congrès  de  Bordeaux  son  vice-président,  M.  Triana,  dont  le 
rapport  a  été  imprimé  avec  le  mien  dans  le  Compte  rendu  du 
Congrès.  On  y  verra  les  commencements  et  les  progrès  remar- 
quables des  cours  du  soir  fondés  par  ce  comité  en  1890.  Passer 
de  25  adhérents  à  181,  de  50  élèves  à  777  (de  l'un  et  l'autre 
sexe),  de  2  à  10  professeurs,  de  1,000  à  11,000  pesetas  pour  les 
dépenses,   voilà   le  résultat  de  vingt-deux  ans  d'efforts  continus 
et  Intelligemment  dirigés.  Le  système  adopté  pour  l'extension 
de  ces  cours  est  très  simple,  c'est  celui  du  dédoublement.  La 
rétribution  de  chaque  professeur  est  de  500  pesetas  par  an. 
Uuand  l'excédent  de  recettes  atteint  500  pesetas,  on  dédouble  un 
cours  l'année  suivante,   de  manière  à  éviter  le  plus  possible 
d'avoir  au-delà  de  50  élèves  dans  une  même  classe.  Les  cours, 
répartis  en  trois  divisions,  suivant  la  force  des  auditeurs,  sont 
faits  séparément  aux  hommes  et  aux  femmes,  et  ont  lieu  respec- 
tivement trois  fois  par  semaine,  non  seulement  à  Barcelone 
même,  mais  aussi  à  Badalona  et  à  Gracia,  faubourgs  de  l'immense 
ville.    La    municipalité   de   Barcelone    prête    des    locaux,    et, 
depuis  1902,   pour  les  cours  destinés  aux  hommes,  l'Univer- 
sité, SUT  l'autorisation  du  ministre  de  l'Instruction  publique 
d'Espagne,  fournit  les  salles  nécessaires.  Des  distributions  de 
prix  ont  lieu  tous  les  ans,  d'une  façon  très  solennelle,  dans  l'un 
des  plus  grands  théâtres  de  Barcelone,  et  donnent  lieu  à  d'irtté- 
ressanles  manifestations  d'amitié  franco-espagnole. 

\h  4 


50  —  Ift-7  SECTION    DE    PROPAGANDE 

M.  Triana,  qui  est  l'àme  de  cet  organisme,  a  bien  voulu  me 
communiquer  un  tableau  comparatif  des  résultais  obtenusen  1912 
et  en  1913.  Le  voici  : 

Kxercîce  Exercice 

1911-1912.  191M913. 

Jeunes  filles 396  391 

Jeunes  gens .381  364 

Total.     .     .      777  755 

Professeurs  dames 8  9 

Professeurs  hommes 8  8 

Récompenses  : 

Diplômes  aux  jeunes  tilles 13  12 

Diplômes  aux  jeunes  gens 5  2 

Mentions 4i7  440 

Prix  distribués 110  112 

Médailles 6  7 

Nombre  d'élèves  de  3*  année  : 
Jeunes  filles     .........        71  75 

Jeunes  gens .        42  46 

En  1913,  un  cours  de  troisième  année  pour  jeunes  filles  a  été 
dédoublé.  Il  faut  noter,  en  outre,  que  le  comité  subventionne 
les  écoles  françaises  et  fonde  des  bibliothèques.  Et  il  n'a 
d'autres  ressources  que  les  cotisations  de  ses  membres, 
les  droits  d'immatriculation  (12  pesetas  par  an)  et,  de  temps  à 
autre,  une  allocation  du  Comité  central  de  VAIlianci'.  Il  est 
réconfortant  de  voir  nos  intérêts  en  de  si  boimes  mains.  De  la 
situation  actuelle  pourra  témoigner  M.  Salone,  qui,  je  crois, 
assistera  au  Congrès,  et  qui  a  présidé  la  dernière  distribution  de 
prix.  Mais  voici,  pour  finir,  un  fait  qui  montre  les  sympathies 
qu'ont  su  acquérir  nos  compatriotes  :  le  recteur  a  promis  de 
mettre  à  la  disposition  du  comité,  pour  les  cours  déjeunes  filles, 
un  certain  nombre  de  salles  de  l'Université. 

Les  cours  d  adultes  s'adressent  à  toute  la  population  d'une 
ville,  et  c'est  ce  qui  fait  leur  grand  intérêt  au  point  de  vue  fran- 
çais. Les  collèges  ont  peut-être  cependant  plus  d'importance 


LES  GROl  PEMENTS  KT  LES  ÉCOLES        I*-7  —  Si 

encore  :  inutile  de  dévfîlopper  ici  des  raisons.  C'est  d'eux  que  je 
vais  m'occuper  maintenant.  Je  commencerai  par  les  morts. 
Heureusement,  je  n'en  vois  qu'un  on  deux. 

A  Iran,  la  concurrence  des  Frères  de  la  Doctrine  chrétienne 
a  rendu  la  situation  intenable  à  l'instituteur  qui  dirige  l'école 
française,  réduite  à  un  chifire  de  cinq  élèves.  Dans  l'intérêt 
même  de  notre  cause,  il  vaudrait  mieux  cesser  une  lutte  qui  ne 
peut  avoir  que  de  fâcheux  épisodes  et  de  tristes  résultats.  Jusqu'à 
preuve  péremptoire  du  contraire,  nous  ne  pouvons  supposer  <|ue 
les  religieux  français  qui  se  sont  installés  près  de  la  frontière 
française  n'enseignent  pas  à  leurs  élèves  l'amour,  à  tout  le  moins 
le  respect  de  la  France.  Qu'ils  leur  enseignent  en  même  temps  le 
catéchisme,  c'est  leur  affaire  et  celle  de  leur  clientèle  Je  suis 
certain  que  l'Alliance  française  les  encouragera  à  l'occasion. 
A  l'ancien  directeur  du  collège  français  (collège  que  j'ai  connu 
prospère)  la  recommandation  du  comité  de  Bordeaux  a  valu  une 
petite  situation  dans  une  grande  maison  de  commerce  de  notre 
ville.  On  n'avait  pu  le  caser  dans  l'enseignement.  Que  va  devenir 
son  successeur,  obligé  de  chercher  des  leçons  particulières? 

Le  second  mort,  c'est  le  collège  de  Torrelavega,  où  l'ancien 
directeur  d'Irun  avait  tenté  la  chance.  Peut-être  y  en  a-t-il 
d'autres,  mais  on  n'avait  jamais  enregistré  leur  naissance. 

Le  comité  de  Perpignan  avait  envoyé  au  congrès  de  Bordeaux 
un  délégué,  M.  F.  de  Cazis  de  Lapeyrouse,  son  propre  président, 
porteur  d'un  rapport  imprimé,  dû  à  M.  Paul  Dive,  agent  con- 
sulaire de  France  à  Port-Bou  et  président  d'honneur  des  comités 
de  Port-Bou  et  de  Figueras.  Ce  rapport,  ayant  été  distribué  aux 
membres  du  congrès  de  Bordeaux,  n'a  pas  été  inséré  dans  le 
Compte-rendu  de  ce  congrès.  Je  le  regrette  pour  ma  part,  et  je 
ilonnerai  ici  une  analyse  sommaire  de  ces  quelques  pages  Ce 
qui  fait  l'utilité,  la  raison  d'être  des  écoles  françaises  de  Port-Bou 
et  de  Figueras,  c'est  la  frontière.  Le  transit  et  la  douane  occupent 
un  personnel  nombreux,  et,  du  côté  espagnol,  il  faut  bien  qu'on 
sache  un  peu  de  français,  comme  un  peu  d'espagnol  s'impose  du 
côté  de  la  France. 

L'école  française  de  Port-Bou,  fondée  en  1894  par  M.  Dustou, 
qui  n'a  cessé  de  la  diriger,  comprend  une  moyenne  de  53  élèves 


6'i  —  16-7  SECTION   DE   raOPAGANDE 

répartis  en  classe  primaire,  cours  d'adultes  et  cours  de  jeunes 
filles.  La  rétribution  scolaire  n'est  que  de  5  pesetas  par  mois.  Le 
ministère  des  Affaires  étrangères  donne  oO  francs  par. an.  La 
concurrence,  bonne  en  soi,  des  sœurs  françaises,  qui  réunissent 
plus  de  cent  fillettes,  a  l'inconvénient  d'arrêter  le  développement 
de  cette  école  intéressante,  qui  mérite  qu'on  l'aide  par  des  dons 
en  livres  et  en  mobilier. 

L'école  française  de  Figueras  a  été  fondée  en  1901  par  M.  Pujol, 
son  directeur  actuel,  et  compte  56  élèves,  dont  41  garçons.  Lui 
aussi  a  à  souffrir  de  la  concurrence  des  religieux  et  religieuses 
venus  de  France.  La  rétribution  scolaire  et  l'allocation  minis- 
térielle sont  les  mêmes  qu'à  Port-Bou.  Les  besoins  sont  les 
mêmes.  Pour  l'une  et  pour  l'autre  école,  M.  Paul  Dive  demande 
«  les  moyens  d'installer  un  local  plus  vaste,  mieux  compris, 
muni  d'un  matériel  scolaire  plus  récent,  l'envoi  de  livres,  cartes, 
échantillons  de  minéraux,  de  coquilles,  de  plantes,  d'un  musée 
scolaire  pouvant  faciliter  ces  leçons  de  choses  qui  ont  fait  le 
succès  mérité  de  la  méthode  Froebel.  Il  conviendrait  même  de 
faire  plus  encore.  Pourquoi  n'installerait-on  pas,  dans  un  local 
de  cette  école,  un  véritable  Musée  industriel  et  commercial  de 
produits  français  de  toute  sorte,  échantillons  étiquetés,  revêtus 
de  leurs  prix,  du  lieu  de  leur  fabrication,  de  leurs  usages, 
Musée  qui  serait  fréquenté  par  les  campagnards  des  environs, 
qui  se  rendent  en  foule  aux  jours  de  marché  hebdomadaire?.» 


Mon  rapport  pour  le  Congrès  de  Bordeaux  contient  l'histo- 
rique du  Collège  français  de  Madrid.  J'ai  h  y  rectifier  une  asser- 
tion relative  à  l'enseignement  du  grec,  auquel  j'avais  cru  qu'il 
était  question  de  donner  une  place.  En  réalité,  on  s'en  tient  au 
programme  de  la  section  B  (latin  —  langues  vivantes),  en  ce  qui 
concerne  la  préparation  au  baccalauréat  français.  C'est  dom- 
mage. L'étude  du  grec  est  pour  quelque  chose,  depuis  le 
xvi<=  siècle,  dans  la  culture  française.  Mais  je  ne  désespère  pas 
que  le  Collège  français  de  Madrid  innove  cette  étude,  complète- 
ment délaissée  dans  l'enseignement  secondaire  espagnol. 


LES    (IIIOIPEMEXTS    ET    LES    ÉCOLES  I*-7 —  53 

Sur  l'eiist'ignoment  donné  actuellement  Galle  del  Marqués  de 
la  Ensenada,  le  directeur,  M.  Ventenac,  a  bien  voulu  me  docu- 
menter. «  Nous  suivons,  m'écrit-il,  depuis  trois  ans,  c'est-à-dire 
depuis  notre  installation  Galle  del  Marqués  de  la  Ensenada,  les 
mêmes  programmes  que  les  lycées  et  collèges  de  France,  depuis 
les  classes  enfantines  et  années  préparatoires  jusqu'à  la  3"  B 
inclus,  c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  du  premier  cycle.  La  réparti- 
tion des  matières  du  programme  et  les  heures  de  classes  consa- 
crées à  chaque  matière  sont  sensiblement  les  mêmes  qu'en 
France.  Nous  faisons  dans  toutes  les  classes  une  part  plus  large 
à  l'enseignement  du  français,  c'est-à-dire  que  nous  y  consacrons 
quelques  heures  déplus  par  semaine.  Les  élèves  qui  arrivent  au 
collège  à  ,^  ou  0  ans  commencent  à  la  I"  préparatoire  et  suivent 
successivement  les  classes  de  9",  8"  et  1".  Ils  peuvent  ensuite  : 

1°  Gontinuer  l'enseignement  secondaire  français  jusqu'à  la 
;>"  H  et  obtenir  le  certificat  d'études  secondaires  (M.  le  recteur 
Thamin  en  a  délivré  quatre  en  1912  et  en  délivrera  probable- 
ment cinq  pour  cette  année  1913)  ; 

2°  Suivre  les  cours  commerciaux  du  Collège.  Les  élèves  de 
ces  cours  assistent  à  tous  les  cours  de  français  et  de  sciences 
suivis  par  les  élèves  de  l'enseignement  secondaire  français,  et 
apprennent,  de  plus,  la  comptabilité,  la  machine  à  écrire,  la 
correspondance  commerciale,  l'écriture,  etc.  ; 

3°  Suivre  les  cours  du  baccalaui'éat  espagnol,  faits  par  des 
professeurs  espagnols.  Chaque  année  (il  y  a  un  examen  au  bout 
de  chaque  année)  du  baccalauréaut  espagnol  ne  comprend  que 
trois  ou  quatre  matières.  Les  élèves  de  ces  cours  y  consacrent 
trois  heures  au  maximum  par  jour,  et  suivent  pendant  les  trois 
autres  heures  les  cours  de  français.  Il  arrive  donc  que  les  élèves 
de  cette  division  du  baccalauréat  espagnol,  division  qui  a  fait  le 
succès  de  notre  collège,  ont  plus  d'heures  de  français  que  les 
élèves  des  deux  autres  divisions  déjà  citées  et  que  leurs  cama- 
rades des  lycées  de  France. 

Lorsque  les  élèves  entrent  au  collège  à  9,  10,  12  ans,  ils 
passent  toute  une  année  scolaire  au  moins  dans  nos  classes 
spéciales  de  français,  où  ils  ne  font  (jue  du  français,  un  peu 


S4  —  16-7  SECTION    DE    PROPAGANDE 

d'arithmétique,  etc.  Comme  tous  les  cours,  dans  toutes  les 
classes,  se  font  en  français,  sauf  naturellement  dans  les  classes 
d'anglais  et  d'espagnol,  ces  élèves  ne  pourraient  utilement  les 
suivre  autrement,  même  s'ils  avaient  reçu  au  préalable  une 
bonne  instruction  en  espagnol.  A  la  fin  de  cette  première  année 
de  préparation,  ils  passent  dans  les  classes  de  l'une  des  sections 
ci-dessus  désignées,  suivant  leur  âge  et  leur  degré  d'instruction. 

Nous  avons  eu,  en  1912-1913, .350  élèves,  et  nous  en  avons 
l'cfusé  dans  le  courant  de  l'année  scolaire  plus  de  oO.  ]Vous 
construisons  au  fond  de  notre  nouvelle  cour,  une  annexe  qui 
comprend  un  grand  préau  couvert  et  deux  étages  de  classes, 
soit  huit  classes  de  plus,  ce  qui  nous  permettra  d'alléger  cer- 
taines classes  déjà  trop  surchargées  d'élèves  et  de  recevoir  au 
moins  200  élèves  de  plus.  Le  coiît  de  ce  nouveau  pavillon 
dépassera  100,000  pesetas.  L'inspecteur  de  l'Académie  de  Bor- 
deaux, M.  Alliaud,nous  a  inspectés  en  juin  1912  et  en  juin  1913. 
Il  vous  dira  sûrement  que  nous  sommes  dans  la  bonne  voie. 
Quant  au  projet  de  continuer  l'enseignement  secondaire  fran- 
çais jusqu'au  baccalauréat,  le  conseil  d'administration  l'étudié, 
et  ne  prendra  de  résolution  que  si  le  gouvernement  lui  assure 
pendant  un  certain  temps  une  subvention  assez  forte  pour  lui 
permettre  de  faire  cet  essai.  « 

A  ces  détails,  donnés  par  le  directeur  même  du  Collège,  je 
puis  ajouter  l'appréciation  autorisée  de  l'ominent  inspecteur 
d'Académie  que  nous  avons  l'honneur  et  le  grand  avantage  de 
posséder  à  Bordeaux,  M.  Alliaud,  qui  a  inspecté  l'année  der- 
nière et  cette  année,  chaque  fois  minutieusement,  à  fond,  avec 
le  souci  patriotique  de  ne  tromper  ni  lui  ni  personne,  non  seule- 
ment les  bâtiments  et  les  classes,  mais  le  personnel  et  les  pro- 
grammes, la  vie  elle-même  de  cette  institution  française  à 
laquelle  est  attaché  un  peu  de  notre  honneur  dans  la  capitale 
de  l'Espagne.  Son  impression,  en  1912, avait  été  bonne.  En  1913, 
elle  a  été  excellente.  Elle  est  consignée  dans  deux  rapports  cir- 
constanciés, dont  il  a  bien  voulu  me  permettre  de  citer  quelques 
extraits.  En  1912,  il  notait  que  «  les  élèves  de  certaines  classes 
ne  seraient  pas  dépaysés  dans  nos  bons  collèges  :  quelques-uns 
se  placeraient  dans  le  premier  tiers,  même  au  Lycée  de  Bor- 


{.ES    GROUPEMENTS    ET    LES    ÉCOLES  Ift-7  —  5fi 

deaux  ».  Uc  sa  visite  en  1913,  il  a  emporté  «  la  conviction  que 
tous  les  professeurs  avaient,  au  point  de  vue  moral,  les  mêmes 
dispositions  favorables  pour  le  succès  de  l'œuvre  à  laquelle  ils 
travaillent,  et,  au  point  de  vue  intellectuel,  la  même  tendance  et 
le  même  désir  de  donner  un  enseignement  convenable  et  utile, 
réellement  approprié  à  leur  classe  ».  Elèves  et  professeurs  ont 
donc  mérité  l'approbation  d'un  juge  qui  ne  passe  point  pour 
facile  à  éblouir. 

Le  succès  tient  pour  beaucoup  à  la  connaissance  approfondie 
que  le  directeur  a  du  milieu  espagnol, des  besoins  de  la  clientèle, 
connaissance  qu'on  ne  saurait  acquérir  qu'avec  de  longues 
années,  que  ne  remplaceraient  pas  les  titres  universitaires  les 
plus  brillants,  et  qu'enfin  rendrait  bien  inutile  l'idée  préconçue 
de  réaliser  en  terre  étrangère  les  plans  pédagogiques  arrêtés  en 
France  pour  la  jeunesse  française. 

M'aulre  part,  les  professeurs  sont  à  la  hauteur  de  leur  mission, 
à  laquelle  ils  apportent  l'ardeur  de  leur  tempérament  de  Fran- 
çais, avec  le  sentiment  de  leur  dignité.  Tout  ce  qu'on  fera  pour 
améliorer  leur  situation  matérielle  élèvera  encore  en  eux  le 
sentiment  de  leurs  devoirs  et  de  leur  responsabilité.  Pour  le 
renom  de  l'Université  de  France,  qui  les  a  préparés  au  noble 
rôle  de  maîtres,  pour  le  renom  de  la  société  qui  leur  confie  cette 
tâche  d'instruire  côte  à  côte  Français  et  Espagnols,  il  faut  que 
le  poste  de  professeur  au  Collège  français  de  Madrid  devienne 
enviable  à  tous  égards. 

A  la  suite  de  son  inspection  de  juin  1912,  M.  Alliaud,  remar- 
quant la  faible  proportion  d'élèves  français duCollège{54  sur  291, 
et  il  n'y  en  avait  plus  que  46  sur  328  en  1913),  écrivait  ceci  : 

«  Les  élèves  français  qui  fréquentent  le  Collège  français  sont, 
en  tout  et  pour  tout,  mêlés  aux  autres  élèves.  Ils  appartiennent,  en 
général,  à  des  familles  aisées  qui  les  envoient,  vers  l'âge  de  14  ou 
Vo  ans,  continuer  leurs  études  en  France.  Elles  sont  déterminées 
à  prendre  cette  résolution  par  plusieurs  raisons,  indépendantes 
de  la  valeur  des  études  qui  sont  faites  ou  qui  seraient  faites  au 
Collège  de  Madrid.  Elles  désirent  d'abord  que  leurs  enfants  ne 
perdent  pas  tout  contact  avec  la  mère  patrie,  où  ils  auront  peut- 
être  à  poursuivre  leur  carrière,  où  beaucoup  auront  certainement 


S6  —  16-7  SECTION   DE   PUOPAGANDE 

à  entreprendre  et  à  mener  à  bien  des  études  plus  hautes  que 
celles  de  l'enseignement  secondaire  proprement  dit  (médecine, 
droit,  Ecole  polytechnique,  École  centrale,  Arts  et  métiers,  etc.). 
Elles  veulent  ensuite,  et  elles  veulent  nettement,  soustraire  ces 
mêmes  enfants,  vers  l'âge  critique  de  15  ans,  à  l'intlucnce  que 
pourraient  avoir  sur  eux  le  climat,  le  milieu  si  prenant,  les 
mœurs  si  charmantes  de  l'Espagne.  Si  l'on  accorde  à  ces  disposi- 
tions des  parents  l'importance  qu'elles  ont  dans  la  réalité,  et  si, 
d'autre  part,  on  tient  compte  du  petit  nombre  d'élèves  français 
qui  fréquentent  le  Collège,  on  se  persuade  bien  vite  qu'au  point 
de  vue  de  ses  finances,  la  société  française  de  Madrid  agirait 
imprudemment,  en  développant  dans  son  Collège,  jusqu'au 
baccalauréat  inclusivement,  l'organisation  de  l'enseignement 
secondaire  proprement  dit...  Les  élèves  inscrits  pour  cet  ensei- 
gnement n'atteignent  pas  le  chiffre  de  soixante  à  l'heure  actuelle, 
et  se  répartissent  de  la  façon  suivante  :  25  en  fi",  J I  en  5', 
17  en  4%  4  en  3";  en  tout  57.  Encore  faut-il  ajouter,  et  cette 
remarque  est  très  importante,  que  parmi  ces  élèves  un  certain 
nombre  se  prépare  au  baccalauréat  espagnol  et  est  bien  décidé  à 
n'aller  ni  en  2°  ni  en  1'^'^,  si  ces  classes  étaient  organisées.  » 

Quant  aux  élèves  espagnols,  qu'ils  veuillent  entrer  dans  le 
commerce  ou  l'industrie,  ou  arriver  au  baccalauréat  espagnol, 
ils  viennent  au  collège  surtout  pour  bien  apprendre  le  français. 
«  Ils  n'ont  aucun  profit  à  tirer,  conclut  M.  Alliaud,  de  l'étude  des 
matières  inscrites  dans  les  programmes  de  notre  enseignement 
secondaire,  surtout  pour  le  second  cycle.»  J'ajouterai  que  les 
succès,  obtenus  encore  en  cette  année  1913  aux  examens  du 
bachilkrato,  ne  peuvent  qu'encourager  à  conserver  l'organisation 
actuelle.  Sur  133  candidats  présentés,  aucun  n'a  été  refusé, 68  ont 
été  sobresalientes  (reçus  avec  la  mention  très  bien),  et  9  ont  obtenu 
la  malrlcula  de  honor,  qui  correspondrait  à  la  mention  e.rtre'me- 
ment  bien. 

Pour  être  libre  de  toute  dépendance  otbciellc,  le  collège  de 
jeunes  filles,  fondé  en  1886  et  dirigé  par  M'""  Chollet-Ventenac 
depuis  1897,  l'un  des  plus  réputés  de  Madrid,  n'en  a  pas  moins 
attiré  et  mérité  la  bienveillance  des  personnes  les  plus  autorisées, 
particulièrement  des  ambassadeurs  de  la  République  française. 


LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES        16-7  —  57 

depuis  M.  le  marquis  de  Reversaux,  qui  s'y  intéressa  d'une  façon 
très  agissante.  Il  comprend  aujourd'hui  cinq  classes  d'enseigne- 
ment primaire,  une  classe  spéciale  pour  la  préparation  du  brevet 
élémentaire,  une  classe  commerciale,  où,  à  part  le  français, 
obligatoire,  les  jeunes  tilles  apprennent  l'anglais,  enfin  une 
classe  pour  la  préparation  du  bacIUllerato  et  de  la  Escuela  normal 
de  maeslras,  préparation  couronnée  cette  année  par  deux  succès. 
En  1897,  le  collège  avait  une  quarantaine  d'élèves,  Espagnols 
ou  Français.  Il  en  a  eu  190  en  1913.  Il  a  fallu  chercher  un  nou- 
veau local  pour  loger  les  cours  supérieurs  au  mois  d'octobre 
prochain.  Au  prix  exorbitant  où  sont  les  loyers  dans  un  quartier 
aussi  central  que  celui  de  la  calle  Pontejos  et  dans  le  magniti(|ue 
immeuble  où  le  collège  occupe  un  étage,  c'est  une  augmentation 
redoutable  de  charges.  Mais  la  femme  énergique  et  avenante  qui 
les  assume  a  confiance  dans  l'avenir  et  compte  sur  l'appui  de 
VAUianie  française,  dont  les  subventions  lui  permettaient 
jusqu'ici  d'élever  gratuitement  une  dizaine  de  petites  Espa- 
gnoles, qui  devenaient  presque  de  petites  Françaises.  En  lui 
accordant  récemment  les  palmes  de  l'Instruction  publique,  le 
gouvernement  français  a  rendu  hommage  à  ses  services.  De  ce 
que  ces  services  viennent  de  l'initiative  privée,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu'il  les  reconnaisse  moins  volontiers.  Il  ne  s'ensuit  pas  non 
plus  qu'une  aide  etlicace  ne  soit  pas  indiquée  et  nécessaire. 


Une  grosse  lacune  que,  l'auto  de  renseignements  suflisants, 
j'avais  dû  laisser  dans  mon  précédent  rapport,  sera  comblée  dans 
celui-ci,  grâce  à  la  complaisance  de  M.  Montariol,  président  des 
Écoles  françaises  de  Barcelone,  et  de  M.  Maurice  Louise,  prési- 
dent du  comité  de  V Alliance  françaixe  à  Valence. 

A  Barcelone,  indépendamment  des  cours  d'adultes  dont  j'ai 
parlé  tout  à  l'heure,  et  dont  s'occupe  avec  un  dévouement  inlas- 
sable M.  Triana,  il  existe  un  comité  qui  administre  deux  grandes 
écoles  mixtes,  situées  l'une  calle  de  Cortes,  l'autre  calle  de  Dipu- 
tacion.  Ce  comité  est  en  rapport  étroit  avec  les  sections  de  bien- 
faisance et  de  prévoyance  qui  lui  ont  accordé  leur  aide  tinan- 


.')8  —  It-7  SECTION    DE   PROPAGANDE 

cière.  Ce  qu'est  son  œuvre,  ce  que  sont  aussi  ses  desiderata, 
l'exposé  qui  suit  et  qu'il  a  rédigé  lui-même  le  fera  comprendre 
avec  précision. 

((  Les  écoles  françaises  de  Barcelone,  inaugurées  le  l"mai  1839, 
sont  placées  sous  le  patronage  de  M.  l'Ambassadeur  de  France  à 
Madrid  cl  de  M.  le  Consul  général  de  France  à  Barcelone.  Elles 
ont  pour  objet  de  fournir,  dans  la  plus  large  mesure  possible, 
aux  Français  résidant  à  Barcelone,  les  moyens  de  donner  une 
instruction  française  à  leurs  enfants  et  de  faire  bénéficier  de  cette 
même  instruction  un  certain  nombre  d'enfants  espagnols  ou 
d'autres  nationalités.  Elles  sont  gratuites  pour  tous  les  enfants 
français  appartenant  à  des  familles  dont  les  ressources  sont 
limitées.  Elles  sont  administrées  par  un  comité  de  quinze 
membres  élus  par  les  souscripteurs  français... 

«  L'enseignement  donné  dans  les  Écoles  françaises  de  Barce- 
lone est  identique  à  celui  qui  est  donné  dans  les  écoles  primaires 
de  France,  c'est-à-dire  que  les  programmes  sont  ceux  qui  ont  été 
adoptés  par  le  Conseil  supérieur  de  l'instruction  publique  avec, 
en  plus,  l'enseignement  de  l'espagnol  dans  toutes  les  classes 
comme  langue  du  pays. 

«  L'application  des  programmes  est  contrôlée  par  l'inspecteur 
d'Académie  des  Pyrénées  orientales.  Ce  fonctionnaire  visite  régu- 
lièrement les  classes  deux  fois  par  an. 

«  Comme  il  vient  d'èlre  dit,  les  enfants  des  Français  sont  admis 
aux  écoles  à  titre  gratuit,  à  moins  que  les  ressourcesou  la  généro- 
sité des  familles  ne  leur  permettent  de  payer,  à  litre  de  souscrip- 
tion, une  cotisation  qu'elles  fixent  elles-mêmes.  En  raison  monic 
de  cette  faculté  laissée  aux  familles  françaises  de  faire  admettre 
gratuitement,  ou  pour  une  très  modique  cotisation,  leurs  enfants 
aux  Écoles  françaises,  le  comité,  dès  1902,  a  été  amené  à 
recevoir  dans  les  classes  un  certain  nombre  d'enfants  étrangers, 
moyennant  paiement  d'un  tarif  qui  varie,  selon  l'âge  des  élèves, 
de  8  à  18  pesetas  par  mois.  A  ces  ressources  s'ajoute  le  produit 
des  souscriptions  volontaires  d'un  grand  nombre  de  compa- 
triotes qui  n'ont  pas  d'enfants  aux  écoles,  ainsi  que  le  montant 
des  intérêts  du  capital  possédé,  de  divers  dons  et  legs  dus  à 
quelques  généreux  protecteurs. 


LES   GROl'PEMENTS   ET   I.ES   ÉCOLES  I*-7  —  59 

«  Les  écoles  possèdent,  au  n"  707  de  In  calle  de  Cortes,  un 
immeuble  bien  aménagé,  inauguré  en  1902,  et  où  sont  conforta- 
blement installées  dix  classes,  y  compris  une  salle  d'asile  ou 
école  maternelle,  et  deux  cours  supplémentaires,  l'un  pour  les 
garçons  déjà  munis  du  certificat  d'études,  l'autre  pour  les 
jeunes  filles  qui  désirent  préparer  l'examen  du  brevet  élémen- 
taire ou  simplement  compléter  leur  instruction  primaire. 

«  Dans  le  quartier  sud-ouest  de  la  ville,  où  habitent  beaucoup 
d'ouvriers  français  (Dipulaciôn),  les  écoles  ont  une  succursale 
établie  dans  un  immeuble  loué  pour  une  somme  annuelle  de 
4,500  francs.  Dans  ce  local,  que  le  comité  espère  remplacer  pro- 
chainement par  un  nouveau  groupe  scolaire  construit  expressé- 
ment, sont  installées  trois  classes  de  garçons  et  deux  classes  de 
filles. 

«  Les  deux  établissements  ont  donc  ensemble  quinze  classes 
qui,  à  la  date  du  31  mars  1913,  formaient  une  population  sco- 
laire de  o91  élèves.  Le  personnel  enseignant  comprend  neuf 
professeurs  hommes  français,  sept  professeurs  dames  françaises 
et  un  professeur  d'anglais,  au  total  dix-sept  professeurs  dont 
treize  appartiennent  aux  cadres  français  de  l'enseignement 
public  et  exercent  à  Barcelone,  en  vertu  d'une  délégation  minis- 
térielle qui  leur  permet  de  continuer  à  effectuer  leurs  versements 
pour  la  retraite. 

Voici  maintenant  le  détail  du  budget  des  Écoles  pour  1912  : 

Recettes. 

Pesetas    Cis 

En  caisse,  chez  le  trésorier,  au  !*"■  jan- 
vier 1912    Pesetas        740  30 

Au  Crédit  Lyonnais,  au  l^  janvier  1912     (5,292  7.'> 

7,033  05 

Souscriptions  de  l'année  1912     .     .     .  46,064  63 

Dons  et  legs 703  65 

Intérêts  des  valeurs  déposées  au  Crédit 

Lyonnais 900  55 

Intérêts  du  compte-courant    ....  87  25 

Produit  de  la  vente  de  tabliers   .     .     .  1,158  80 

55,949  95 


60  —  I*-7  SECTION   DE   PROPAGANBE 

Report.    .     .       00,949  9o 

Produit  de  la  vente  d'albums ."JSS  00 

Retrait  du  Crédit  Foncier  à  Paris    .  fr.      1,000.00 
Change  G  p.  c 60.00 

1,060  00 

Subvention  du  gouvernement     .     .     .    12,000.00 

Change  6.80  p.  c 816.00 

12,816  00 

Subvention  de    l'Alliance  française  à 

Paris 3,600.00 

Change  5.7op.  c 207.00 

3,807  00 

Subvention    de    l'Alliance  française  à 

Paris 6,500.00 

Change  5.60  p.  c 364.00 

6,864  00 

Intérêts  d'un  placement  hypothécaire 1,200  00 

82,27^<  V)5 
Dépenses. 

Honoraires  des  instituteurs  et  institutrices     .     .     .  38,026  65 

Appointements  du  personnel  de  service  ....  4,917  00 

Eau,  gaz  et  frais  divers  d'entretien  des  écoles.     .     .  6,466  10 

Fournitures  scolaires  aux  indigents 323  35 

Contributions  de  l'immeuble  Cortes 1.475  45 

Contributions  de  0.25  p.  c.  sur  les  biens  de  main- 
morte       o53  30 

Primes  d'assurances  de  l'immeuble  Corles,    1911 

et  1912 108  20 

Loyer  de  l'école  Diputaciùn 4,500  00 

Indemnité  à  la  Section  de  bienfaisance  pour  le  pre- 
mier trimestre  1912 200  00 

Souscription  en  faveur  de  la  société  «  Patrie  »    .     .  200  00 

—                 —                  —     de  l'Aviation     .  100  00 

Distribution  des  prix 1,117  25 

Achat  de  tabliers l,38i  35 

—    d'albums ' 930  00 

A  reporter.     60,301  65 


I.KS    GROliPEMENTS    ET    LES    ÉCOLES  Ii-7  —  61 

Report.     ()0,30t  60 

Achat  d'une  couronne 113  Go 

Placement  hypothécaire 9,016  00 

Versement  à  compte  à  la  Section  de  bienfaisance     .       0,000  00 
—  —  —        de  prévoyance  .     .      2,000  00 

Kèglement  des  intérêts  jusqu'à  fin  décembre  1912 

aux  Sections  de  bienfaisance  et  de  prévoyance     .  729  13 
En  caisse,  chez  le  trésorier  au  31   dé- 
cembre 1912 Pesetas          620  10 

En  caisse,  au  Crédit  Lyonnais     .     .     .        3,498  40 


4,118  oO 
82,278  93 

Les  dépenses  ordinaires  des  Écoles  se  sont  élevées  dans  ces 
dernières  années  à  un  total  moyen  de  60,000  francs.  A  l'avenir, 
ce  total  s'augmentera  considérablement,  tandis  que  les  recettes 
ordinaires  resteront  à  peu  près  stationnaires.  Il  est  à  remar- 
quer, en  effet,  que  : 

1°  La  Section  des  écoles  s'est  engagée  à  rembourser  dès.  1912 

A  la  Section  de  bienfaisance Pesetas      30,000 

A  la  Section  de  prévoyance  mutuelle 7,000 

Total.     .     .       37,000 

(juc  ces  deux  Sections  de  la  Société  générale  française  de  bienfai- 
sance lui  avaient  avancées  pour  la  construction  du  groupe  sco- 
laire inauguré  en  1902; 

2'  La  somme  nécessaire  pour  former  le  traitement  des  maîtres 
exerçant  aux  Écoles  va  devenir  dès  à  présent  beaucoup  plus 
considérable  et  augmentera  durant  plusieurs  années  succes- 
sives, d'abord  parce  que  des  promotions  de  classe  ont  lieu  tous 
les  ans  dans  le  personnel  enseignant,  ensuite  parce  que  les  traite- 
ments légaux  des  instituteurs  de  tous  ordres  viennent  d'être 
sensiblement  élevés  en  France  par  les  votes  des  ppuvoirs  légis- 
latifs; 

3°  Il  est  de  toute  justice  de  servir,  sans  plus  de  retard,  aux 
instituteurs  et  institutrices  des  Écoles  françaises  de  Barcelone, 


62  —  16-7  ShXTION  DE  PROPAGANDE 

qui  rendent  des  services  particulièrement  utiles,  des  traite- 
ments au  moins  égaux  à  ceux  dont  ils  jouiraient  dans  une  ville 
française  de  l'imporlance  de  Barcelone,  qui  compte  actuellement 
363,000  habitants. 

«  Le  personnel  enseignant  des  Écoles  françaises  de  Barcelone 
touche,  comme  traitement  total  pour  1913.  la  somme  de 
37,812  pesetas^  et  il  devrait  toucher  42,H0O  pesetas,  soit 
4,388  pesetas  de  plus  Or  il  est  certain  que  les  professeurs  déta- 
chés à  Barcelone  y  vont  tous  avec  le  désir  et  l'espoir  d'y  trouver 
une  situation  sûre  et  au  moins  équivalente,  au  point  de  vue 
matériel,  à  celle  qu'ils  auraient  dans  une  ville  de  100,000  habi- 
tants s'ils  exerçaient  dans  la  métropole  Ce  n'est  donc  que  pour 
attendre  des  jours  meilleurs  que  le  Comité  administratif  des 
Écoles  a  demandé  à  tous  les  maîtres  de  1",  2*  et  3"  classe  de  se 
contenter  momenianément  de  traitements  inférieurs  à  ceux  des 
maîtres  de  leur  catégorie  en  France. 

La  somme  qui  manque  actuellement  pour  parfaire  le  trai- 
tement légal  à  tous  les  maîtres  de  ces  Ecoles  est  exactement  à  ce 
jour  de fr.      4,388 

Mais  très  prochainement  cette  somme  s'accroîtra  du 
montant  des  augmentations  votées  par  le  Parlement, 
soit  de  300  francs  par  tête  pour  quatre  des  professeurs 
n'ayant  pas  droit  à  la  prime  du  brevet,  ci 1,200 

et  do  400  francs  par  tête  pour  douze  des  professeurs 
ayant  droit  à  la  prime,  ci 4,800 

et  pour  augmentations  après  promotions  de  classes, 
environ 1,100 

11,488 

«  C'est  donc,  en  outre  des  subventions  annuelles  ordinaires 
reçues  jusqu'à  ce  jour,  une  somme  de  11,000  à  12,000  francs  qui 
manque  pour  faire  face  au  traitement  légal  dû  aux  membres  du 
personnel  enseignant  des  Ecoles  françaises  de  Barcelone.  » 

Je  ne  pense  pas  que  les  détails  financiers  dans  lesquels  nous 
venons  d'entrer  à  la  suite  du  comité  barcelonais  risquent  de 


LES    OROLPEMENTS    ET    l,ES    ÉCOLES  Ié-7  —  (>3 

paraître  fastulieux.  I^cs  chiffres  valent  mieux  que  la  littérature 
quand  il  s'agit  d'intérêts.  Ce  sont  les  intérêts  de  la  France  qui 
sont  en  jeu,  et  ces  intérêts,  à  l'étranger,  on  ne  les  sert  pas  avec 
des  phrases. 

Je  passe  maintenant  à  Valence,  sur  le  collège  français  de 
laquelle  je  ne  pouvais  mieux  me  renseigner,  on  va  voir  pour- 
quoi, qu'auprès  de  M.  Maurice  Louise,  qui  m'a  écrit  ce  qui 
suit  : 

(c  Notre  établissement  a  été  fondé  en  janvier  1889.  Ses  débuts 
ne  furent  pas  heureux.  On  arrivait,  à  cette  époque  lointaine,  à 
réunir  péniblement  trente  élèves  des  deux  sexes,  la  plupart, 
enfants  de  Français.  De  1889  à  1897,  l'effectif  scolaire  ne 
dépassa  pas,  je  crois,  7S  à  80  élèves.  Lorsque  mes  compatriotes 
m'appelèrent  à  la  présidence,  en  décembre  1897,  je  me  rendis 
compte  des  difficultés  nombreuses  à  vaincre,  des  erreurs  com- 
mises par  mes  prédécesseurs  et  de  l'anarchie  qui  régnait  en  maî- 
tresse dans  le  Collège.  D'un  autre  côté,  la  concurrence  effrénée 
des  Maristes,  des  Jésuites,  les  rivalités  entre  le  directeur  de  notre 
Collège  et  celui  d'un  autre  établissement  français,  rivalités  qui 
s'extériorisaient  dans  la  presse  locale,  étaient  autant  d'obstacles 
qui  rendaient  ma  mission  extrêmement  difficile.  Pendant  quatre 
ans,  je  luttai  sans  défaillance,  cherchant  à  apaiser  les  haines  sans 
pouvoir  y  parvenir.  Enfin,  en  1901,  las  de  tant  d'injustices,  je 
compris  que,  pour  sauver  notre  collège,  une  mesure  radicale 
s'imposait  :  la  dissolution  de  notre  comité  d'action.  J'estimais 
que  là  était  le  seul  moyen  de  faire  disparaître  les  rivalités  entre 
les  directeurs  des  deux  établissements  patronnés  par  V Alliance 
française.  Je  rendis  compte  de  la  situation  au  consul  de  France 
et  au  comité  central  de  Paris,  lesquels,  après  enquête,  me 
donnèrent  raison;  et  la  dissolution  du  comité  fut  prononcée 
en  avril  1901. 

«  Ayant  accepté  la  nomination  de  délégué  de  l'Alliance,  je  me 
mis  résolument  à  l'œuvre  pour  réorganiser  le  Collège.  Je  fis 
venir  de  nouveaux  directeurs,  je  changeai  de  local,  et, 
depuis  1901,  j'ai  eu  la  satisfacjion  de  voir  notre  établissement 
suivre  sa  marche  ascendante  et  reconquérir  une  réputation  com- 
promise, comme  le  démontre  le  chiffre  de  405  élèves  qui  ont  fré- 


6i  —  16-7  SECTION   DE    l'HOPAGANDE 

quentéle  Collège  pendant  la  dernière  année  scolaire  1912-1913. 

«  Dans  cette  lutte  sans  merci,  qui  dura  des  années,  je  dois 
rendre  hommage  à  V Alliance  française  de  Paris,  qui  m'a  con- 
stamment soutenu  sans  défaillir.  De  mon  côté,  je  m'étais  engagé 
à  relever  le  prestige,  complètement  disparu,  de  notre  œuvre 
nationale.  Aussi  n'ai-je  pas  hésité,  pour  y  arriver,  à  m'imposer 
personnellement  les  plus  lourds  sacrifices.  M.  Ernest  Mérimée 
pourra  vous  renseigner  à  ce  sujet  aussi  hien  que  moi. 

«  Bref,  notre  Collège  est  aujourd'hui  le  plus  important  peut- 
être  d'Espagne,  après  celui  de  Barcelone;  et  ce  brillant  succès 
ne  pouvait  moins  que  d'attirer  sur  lui  les  foudres  de  nos  adver- 
saires, les  Maristes  Ceux-ci  cherchent  par  tous  les  moyens  à 
faire  disparaître  un  établissement  si  prospère  et  qui  leur  porte 
ombrage.  Voici  le  moyen  employé  par  eux.  Ils  ont  offert  au  pro- 
priétaire du  local  que  nous  occupons  en  location  i2,000  francs, 
alors  que  nous  ne  payions  que  5,000  francs.  C'était  le  seul  et 
vrai  moyen  de  nous  expulser,  car  dans  Valence  il  n'existe  pas 
d'autre  édifice  aussi  central,  avec  cour  de  récréation,  et  pouvant 
admettre  un  nombre  aussi  considérable  d'élèves.  Mais  j'ai  pu 
faire  échouer  leur  manœuvre,  et,  pour  sauver  encore  une  fois 
notre  Collège,  j'ai  dû  accepter  les  propositions  offertes  au  pro- 
priétaire par  les  Maristes,  mais  en  me  réservant  la  faculté  de 
pouvoir  sous-louer  les  dépendances  dont  nous  ne  saurions  avoir 
besoin.  C'est  évidemment  une  situation  provisoire,  dans  laquelle 
il  nous  serait  impossible  de  vivre,  mais  je  l'ai  créée  pour  repous- 
ser une  attaque  que  nos  adversaires  ont  crue  décisive  pour  nous 
faire  disparaître. 

«  Sans  perdre  de  temps,  j'ai  adressé  un  rapport  au  Ministère 
des  Aflfaires  étrangères,  le  mettant  au  courant  de  la  situation,  et 
lui  faisant  remarquer  que,  d'accord  avec  le  Consul  de  France,  la 
construction  d'un  Collège  à  Valence  devenait  une  nécessité. 
L'ambassade  de  France  à  Madrid  a  accueilli  favorablement  mon 
projet.  M.  le  recteur  Lapie,  M.  Jules  Coulet  s'y  intéressent  avec 
chaleur,  et  enfin,  si  je  pouvais  compter  sur  l'Université  de  Bor- 
deaux, je  suis  convaincu  que  la  réalisation  de  mes  aspirations  ne 
saurait  tarder.  Il  m'est  de  toute  impossibilité,  en  raison  des 
frais  si  sensiblement  augmentés,  d'assurer  plus  longtemps,  à 


Li:S    GllOl'l'KMENTS   ET    LES    ÉCOLES  16-7  —  63 

mes  risques  et  périls,  comme  je  l'ai  fait  jusqu'à  ce  jour,  l'exis- 
tence du  Collège.  Si  satisfaction  ne  m'était  pas  donnée  dans  un 
an,  j'aurais  le  regret  de  me  séparer  d'une  œuvre  à  laquelle  je  suis 
sincèrement  attaché  et  que  je  soutiens  depuis  vingt-quatre  ans. 
«  Notre  Collège  est  mixte.  On  y  donne  l'instruction  primaire 
et  primaire  supérieure.  Notre  clientèle  est  presque  totalement 
espagnole,  et  par  conséquent  le  but  de  propagation  de  notre 
langue  est  atteint.  » 

Une  telle  lettre  en  dit  long  sur  les  difficultés  qui  se  dressent 
devant  les  meilleures  et  les  plus  tenaces  volontés.  Et  tout 
cela  pour  en  arriver  à  une  création  précaire.  Il  faut  que  l'œuvre 
de  notre  compatriote  soit  définitivemeut  mise  à  l'abri  des  con- 
currences et  des  jalousies.  La  France  doit  avoir  à  Valence  son 
Collège. 

Voilà  ce  que  j'ai  pu  réunir  sur  l'organisation  actuelle  des  cours 
d'adultes  et  des  collèges  français  en  Espagne.  Les  progrès  et  les 
lacunes  qu'on  peut  constater  montrent  ce  qu'ont  fait  nos  compa- 
triotes et  ce  qui  leur  reste,  ou  plutôt  ce  qui  nous  reste  à  faire.  Car 
c'est  à  nous  maintenant  de  les  aider  à  soutenir  l'édifice  que  leur 
amour  pour  la  culture  française  et  leur  foi  dans  l'avenir  leur  ont 
commandé  d'entreprendre,  que  par  endroits  ils  ont  mené  jus- 
qu'au faîte. 

\À Alliance  française  ne  faillira  pas  à  la  tâche  qu'elle  a  assumée 
de  stimuler  les  bonnes  volontés,  de  les  grouper,  de  leur  faire 
sentir  les  sympathies  qu'éveillent  tant  d'etforts  prolongés  et  per- 
sévérants. L'Olfice  national  des  Universités  et  Écoles  françaises  à 
rétranger  apportera  le  concours  puissant  du  gouvernement  lui- 
même.  Son  zélé  directeur,  M.  Jules  Coulet,  a  profité  d'un  séjour 
à  Madrid,  au  moment  de  l'inauguration  de  l'Institut  français, 
pour  se  mettre  en  rapports  avec  les  délégués  des  comités  de 
Madrid,  de  Barcelone,  d'Alicante,  de  Penarroya,  venus  pour  la 
circonstance  sur  l'invitation  de  MM.  les  recteurs  des  Académies 
de  Bordeaux  et  de  Toulouse.  Des  relations  étroites  se  sont  ainsi 
établies  entre  le  représentant  autorisé  du  Ministère  de  l'instruc- 
tion publique  de  France  et  les  différents  comités  d'Espagne,  et 
s'établiront,  par  voie  de  conséquence,  entre  tous  ces  comités 

i6  5 


66  —  Ii-7  SECTION   DE  PROPAOANDE 

eux-mêmes,  qui  ne  s'ignoreront  plus  les  uns  les  autres,  uniront 
la  voix  de  leur  expérience  et  de  leur  dévouement,  et  trouveront 
ainsi  plus  d'écho  dans  les  sphères  dirigeantes  de  notre  pays. 

Ce  n'est  pas  sans  quelque  droit  que  M.  Maurice  Louise  se 
réclame,  dans  sa  lettre,  de  l'autorité  de  M.  le  recteur  Lapieel  de 
M.  le  doyen  Mérimée.  J'ai  reçu,  en  eflct,  ce  mot  de  M.  Lapie  : 
«  Ma  réponse  vous  arrivera  peut-être  trop  tard.  Je  le  regretterais, 
car  je  serais  très  heureux  d'apporter  mon  témoignage  en  faveur 
de  l'œuvre  entreprise  à  Valence  par  M.  Maurice  Louise  et  par  ses 
collaborateurs.  Avec  un  minimum  de  ressources,  dans  des  locaux 
trop  étroits,  mal  adaptés  à  leur  usage,  ne  comptant  que  sur  le 
dévouement  des  maîtres  et  des  maîtresses,  qui  est  inlassable, 
VAlliance  française  réussit  à  donner  un  enseignement  solide  à 
près  de  cinq  cents  garçons  ou  fillettes.  J'ai  présidé  une  commis- 
sion d'examen  qui  a  décerné  à  une  dizaine  d'enfants  un  certifi- 
cat d'études  primaires  bien  mérité.  J'ai  entendu  de  nombreux 
élèves  parler,  réciter,  chanter  en  français.  Je  sais  (jne,  chaque 
année,  le  Collège  français  envoie  de  bonnes  recrues  à  riusliluto 
de  Valence.  On  fait,  dans  cet  établissement,  une  besogne  utile  à 
la  fois  pour  l'Espagne  et  pour  la  France  ;  et  les  efforts  des  fonda- 
teurs, qui  paient  de  leur  personne  et  de  leur  bourse,  doivent 
être  encouragés.  J'ai  pu  obtenir  du  ministère  de  l'Instruction 
publique  une  concession  de  cartes  et  de  mobilier  scolaire.  Mais 
ce  qu'il  faudrait  obtenir,  et  je  ne  désespère  pas  d'y  arriver,  c'est 
une  subvention  importante  qui  permettrait  de  reconstruire  le 
Collège,  de  donner  aux  enfants  plus  d'air  et  de  lumière,  des 
salles  plus  vastes  et  mieux  aménagées  pour  l'enseignement. 
Mieux  outillé,  il  attirerait  une  clientèle  plus  nombreuse  encore 
et  servirait  mieux,  par  suite,  les  intérêts  communs  de  l'Espagne 
et  de  la  France.  »  M.  Ernest  Mérimée  m'écrivait  de  son  côté  : 
«  Ce  que  je  regrette  le.  plus,  c'est  de  n'avoir  pu  vous  renouveler 
par  écrit  tout  le  bien  que  je  pense  de  M.  Maurice  Louise.  Au  sur- 
plus, je  n'aurais  sans  doute  rien  à  ajouter  de  nouveau  à  ce  que 
vous  savez  aussi  bien  que  moi  sur  son  rôle  à  Valence,  sur  le 
dévouement  dont  il  a  depuis  si  longtemps  fait  preuve  pour  !c 
développement  de  notre  langue,  et  surtout  de  son  absolu  désin- 
téressement. » 


I,ES   GROUPEMENTS   ET   LES   ÉCOI,ES  li-7  —  67 

Depuis  dix-sept  ans  que  M.  Maurice  Louise  s'occupe  de  son 
it'uvre,  il  <t  reçu  en  tout  et  pour  tout  du  gouvernement  français  : 
1°  en  1906,  une  subvention  de  7uO  francs  du  Ministère  des 
Affaires  étrangères  ;  2°  en  1913,  grâce  aux  efforts  de  M.  le  recteur 
Lapie,  une  somme  de  2,000  francs  du  Ministère  de  l'Instruction 
publique. 

Souhaitons  à  ce  vaillant  président  la  joie  de  voir  s'édifier 
bientôt,  à  Valence,  un  collège  digne  de  la  France,  comme  il  y  en 
a  un  à  Madrid,  comme  il  y  en  a  un  à  présent  à  Saint-Sébastien, 
où  le  gouvernement  français  a  pris  à  cœur  de  faire  le  nécessaire, 
et  où,  avant  la  fin  de  ce  mois  de  septembre,  aura  lieu  une  inau- 
guration assurément  sensationnelle. 

A  Peîïarroya,  c'est  la  Société  minière  et  métallurgique  elle- 
même  qui  a  tenu  à  faire  les  frais  de  la  construction  devenue 
nécessaire  pour  abriter  l'École  française,  ou  du  moins  une  partie 
de  cette  Ecole.  L'ancien  bâtiment  a  été  conservé,  en  effet,  pour 
les  enfants  non  payants  des  mineurs  et  ouvriers  de  la  société,  et 
leur  nombre  dépasse  150.  Le  nouveau  bâtiment  est  réservé  aux 
élèves  payants,  soit  en  ce  moment  S4  filles  et  petits  garçons,  sur 
lesquels  45  sont  Français  et  9  Espagnols.  Les  professeurs  sont 
des  religieuses  françaises  de  l'Ordre  de  la  Présentation  de  Marie 
de  Bourg  Saint-Andéol.  Je  dois  ajouter,  que  loin  de  recevoir  des 
subventions,  le  comité  de  Penarroya  a  envoyé  à  Paris  une  partie 
de  ses  souscriptions  pour  les  écoles  du  Maroc. 

A  Séville,  la  situation  est  en  progrès,  puisque  l'on  va  avoir  en 
octobre  une  classe  et  un  instituteur  de  plus,  et  que,  dès  la  ren- 
trée, tout  le  personnel  enseignant,  sauf  le  professeur  de  religion 
et  celui  d'anglais,  appartiendra  aux  cadres  officiels  de  l'enseigne- 
ment primaire.  Il  faut  féliciter  M.  Auguste  Bréal  des  résultats 
dus  à  son  initiative.  Le  nom  qu'il  porte  devait  être  de  bon 
augure  dans  une  entreprise  où  il  s'agit  de  maintenir  le  prestige 
de  la  France  et  de  la  langue  française. 

En  cette  terre  d'Espagne,  où  l'inffuence  française,  à  mainte 
époque  de  l'histoire,  au  moyen  âge  comme  au  xvni*  et  au 
xix°  siècle,  s'est  fait  sentir  d'une  façon  profonde  et  pour  ainsi 
dire  impérieuse,  notre  vitalité,  notre  force  d'expansion  est  tou- 
jours assez  grande  pour  assurer  à  notre  langue  la  place  que 


68  —  I??-7  SECTION    DE   PROPAGANDE 

méritent  son  passé  et  son  présent  littéraires,  sa  clarté  et  sa  net- 
teté comme  langue  politique,  scientifique  et  commerciale,  enfin, 
la  générosité  et  l'universalité  des  idées  qu'elle  a  servi,  qu'elle 
servira  toujours  à  exprimer. 


I.  —  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

«)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  ÉCOLES. 


La  Fédération  britannique  des  Comités  de  l'Alliance  française, 


A.    SALMON, 

professeur  à  l'Université  de  Londres 
président  de  la  Fédération. 


Dès  sa  création,  la  Société  nationale  des  professeurs  de  fran- 
{:ais  en  Angleterre  constitua  le  Comité  régional  de  l'Alliance 
française  pour  tout  le  Royaume-Uni.  Mais,  malgré  toute  la 
bonne  volonté  et  le  dévouement  de  ses  membres,  elle  n'avait  pu 
arriver  qu'à  créer  à  Londres  un  comité  qui  comprenait  une 
vingtaine  de  professeurs  français  et  une  demi-douzaine  d'an- 
glais; un  groupe  à  Sheffield,  et  un  autre  à  Bedford.  A  Reading, 
M.  Rey  créait,  en  1892,  la  Société  littéraire  de  Gallia,  qui  fut 
immédiatement  affilée  à  ï Alliance  française;  enfin,  la  Société 
littéraire  de  Liverpool,  fondée  en  1886,  devenait  également,  vers 
;189o,  comité  de  l'A.  F.  En  1903,  le  comité  de  Bedford  disparais- 
sait déjà;  celui  de  Sheffield  le  suivait  de  près. 

Comme  on  le  voit,  la  situation  était  loin  d'être  brillante  et  il 
était  indispensable  qu'elle  changeât.  Fort  heureusement,  des 
circonstances  sur  lesquelles  je  ne  crois  pas  nécessaire  de 
jn'appesantir,  mais  dont  on  trouvera  le  détail  dans  le  Bulletin 


70  —  16-8  SECTION   DE  PROPAGANDE 

de  l'A.  F.,  n°  120  (Rapport  de  M.  Salone  à  l'assemblée  générale 
de  1910)  amenèrent  une  amélioration  rapide  et  sensible. 

De  1903  à  1907,  furent  successivement  fondés  :  le  comité  du 
Nord  de  Londres  [La  Concorde),  le  comité  de  Paddington  (Guild 
anglo-française),  le  comité  de  Bradford,  ceux  d'Ealing,  de  Hull, 
de  Manchester,  de  Northampton,  de  Richmond,  West-Bromwich 
Willesden  {La  France);  en  sorte  que  de  trois  le  nombre  des 
comités  s'était  élevé,  en  ces  quelques  années,  à  quatorze,  dont 
deux  toutefois  n'existent  plus  aujourd'hui  (West-Bromwich  et 
Northampton). 

Tous  ces  comités  faisaient  une  besogne  excellente,  mais  leurs 
efforts,  si  dignes  d'intérêt  qu'ils  fussent,  se  trouvaient  dispersés 
et  isolés,  et,  par  là,  restaient  moins  efficaces.  Il  y  avait  même 
à  craindre  que,  comme  il  était  déjà  arrivé  en  1903  et  1904,  les 
comités  les  moins  importants,  lassés  d'une  insuffisante  activité, 
ne  disparussent  peu  à  peu.  En  effet,  les  ressources  de  chaque 
ville  sont  restreintes,  aussi  bien  en  hommes  assez  dévoués  pour 
continuer  à  s'intéresser  à  une  œuvre  qui  ne  rapporte  rien,  qu'en 
personnes  capables  de  donner  les  conférences  qui  constituent 
le  premier  des  moyens  de  propagande  à  employer.  Le  nombre  des 
conférenciers  français  habitant  l'Angleterre  et  pouvant  au 
besoin  aller  dans  une  ville  voisine  n'est  pas  très  grand,  d'où 
audition  très  fréquente  des  mêmes, personnes,  diminution  de 
l'intérêt,  lassitude  des  membres. 

Pour  parer  à  ce  danger  trop  réel,  un  moyen  s'imposait  et 
un  seul  :  faire  venir  directement  de  France,  à  des  inter- 
valles réguliers,  des  conférenciers  qui,  apportant  avec  leur  talent 
et  leur  éloquence  du  nouveau  et  de  l'inédit,  réveilleraient  l'in- 
térêt chancelant.  Ce  moyen,  les  comités  ne  pouvaient  y  recourir 
avec  leurs  seules  resssources,  beaucoup  trop  limitées.  La  coopé- 
ration de  tous  ou  du  moins  de  la  plupart  était  nécessaire,  mais 
on  se  heurtait  alors  à  l'esprit  si-particulariste  de  l'Anglais,  cet 
esprit  qu'a  si  bien  montré  Mrs.  Gaskell  dans  son  curieux  roman, 
North  and  South,  et  dont  l'intensité  n'a  pas  diminué  depuis 
soixante  ans,  malgré  les  profondes  transformations  de  la  vie 
sociale.  Aussi  ce  ne  fut  qu'après  de  nombreuses  réunions,  des 
exhortations  continuelles,  des  réfutations  toujours  les  mêmes 


I,ES   GROUPEMENTS   ET   LES   ÉCOLES  I*-8  —  71 

d'objections  sans  cesse  renouvelées,  que  les  promoteurs  du  mou- 
vement arrivèrent  à  faire  comprendre  non  seulement  l'utilité, 
mais  la  nécessité  de  l'entente.  L'idée  de  la  Fédération  prit  corps 
et,  comme  au  même  moment,  la  Société  nationale  des  profes- 
seurs de  français  abandonnait  ses  attributions  de  comité  régio- 
nal, les  petites  difficultés  qui  auraient  pu  résulter  de  frictions 
entre  les  deux  organes  n'étaient  plus  à  craindre. 

La  Fédération  était  définitivement  constituée  en  avril  1907,  et 
à  la  fin  de  la  même  année,  elle  reconstituait  le  comité  du  centre 
de  Londres,  qui  s'était  dissous  quand  la  S.  N.  P.  F.  avait  cessé 
d'être  le  comité  régional. 

Pendant  cette  même  année  1907,  étaient  créés  les  comités  de 
Gardiff,  d'Halifax,  de  Dublin,  et  de  Wokingham.  La  marche  en 
avant  continuait. 

De  1907  à  1908,  la  Fédération  resta  dans  la  période  difficile 
et  délicate  d'organisation.  L'Exposition  franco-britannique, 
tenue  en  1908  à  Londres,  lui  permit  de  donner  une  première  et 
éclatante  manifestation  de  sa  vitalité,  qui  fut  aussi  une  preuve 
convaincante  de  l'utilité  de  cette  Fédération  et  de  l'enthou- 
siasme avec  lequel  l'idée  qu'elle  représentait  avait  été  reçue  par 
les  nombreux  comités  du  Royaume-Uni.  Le  17  octobre,  elle  don- 
nait une  grande  fête  dans  l'enceinte  même  de  l'Exposition 
franco-britannique.  Nul  endroit  ne  pouvait  être  mieux  choisi 
par  la  Fédération  pour  tenir  sa  première  grande  réunion  offi- 
cielle. Le  succès  le  plus  franc  et  le  plus  complet  couronna  cette 
tentative.  Non  seulement  les  comités  de  Londres  et  des  environs  : 
Peckham,East-Dul\vich,  Brixton,îslington,  Hampstead,  Padding- 
ton,  Willesden,  Kilburn,  étaient  largement  représentés,  mais 
on  était  venu  aussi  de  Croydon,  Richmond,  Ealing,  Reading, 
Wolverhampton,  Gardiff,  Northampton,  Wokingham,  etc.,  voire 
de  comités  plus  éloignés  encore,  tels  que  Manchester,  Hull, 
Liverpool. 

Aussi  plus  de  350  personnes  se  trouvaient-elles  réunies  cet 
après-midi-là  dans  la  grande  salle  des  congrès,  sous  la  prési- 
dence du  Prof.  A.-V.  Salmon,  président  de  la  Fédération,  pour 
entendre  la  parole  éloquente  et  diserte  de  M.  Henri  Lorin,  pro- 
fesseur de  géographie  coloniale  à  l'Université  de  Bordeaux.  Le 


72  —  16-8  SECTION   DE   PROPAGANDE 

soir,  un  grand  banquet  réunissait  dans  la  magnifique  salle  du 
Garden  Club,  club  fermé  très  sélect,  plus  de  150  convives,  et 
terminait  triomphalement  la  journée  au  cours  de  laquelle  le 
président  avait  annoncé,  au  milieu  d'applaudissements  pro- 
longés, que  la  première  tournée  de  conférences  aurait  lieu  au 
mois  de  décembre  suivant  et  que  l'illustre  romancier,  M.  René 
Bazin,  de  l'Académie  française,  avait  bien  voulu  consentir  à 
inaugurer  cette  série.  Le  succès  de  cette  première  tournée  de 
conférences  assura  l'avenir,  et  au  mois  de  décembre  1908,  la 
Fédération  britannique  des  comités  de  l'A.  F.  était  définitive- 
ment fondée  et  elle  pouvait  marcher  vers  le  but  qu'elle  s'était 
fixé  et  qui  se  trouve  ainsi  indiqué  dans  ses  statuts  : 

1°  Instituer  et  entretenir  entre  les  comités  affiliés  des  liens 
de  coopération  et  d'amitié; 

2°  Organiser  chaque  année  une  ou  plusieurs  tournées  de 
conférences  données  par  des  Français  éminents  dans  les  lettres, 
les  arts  et  les  sciences,  et  appelés  directement  de  France; 

3°  Créer  et  entretenir  une  bibliothèque  circulante  française  à 
l'usage  des  membres  des  comités  affiliés; 

4°  Aménager  des  réunions  et  des  fêtes  anglo-françaises. 

Depuis  lors,  la  Fédération  a  pu  organiser  huit  tournées  de 
conférences,  toutes  avec  le  même  objet  :  faire  mieux  connaître 
et,  par  là,  faire  aimer  et  estimer  la  France  dans  toutes  les  mani- 
festations de  son  histoire,  de  sa  vie  familiale,  sociale,  littéraire, 
artistique,  scientifique. 

C'est  ainsi  qu'après  avoir  entendu  parler  M.  René  Bazin, 
avec  toute  son  autorité,  du  paysan  français  et  de  certains  roman- 
ciers tout  contemporains,  nos  membres  ont  écouté  successive- 
ment : 

M.  Jean  Blaize,  professeur  de  diction,  qui  a  expliqué  le  vers 
français  ; 

M.  Antoine  Benoist,  recteur  de  l'Académie  de  Montpellier, 
qui  a  fait  connaître  notre  vie  universitaire  et  le  Languedoc; 

M.  Maurice  Souriau,  professeur  à  l'Université  de  Caen,  qui 
est  revenu  à  la  littérature  avec  Victor  Hugo  et  Edmond  Rostand; 


J.liS    GROUPEMENTS    ET    LES    ÉCOLES  Ii-8  —  73 

M.  Georges  Lacour-Gayet,  membre  de  l'Institut,  qui  a  dévoilé 
aux  yeux  des  Anglais  la  vie  familiale  de  Napoléon  I"  et  les 
splendeurs  de  la  cour  de  Louis  XIV; 

M.  Louis  Hourticq,  inspecteur  des  Beaux-Arts  de  la  ville  de 
Paris,  qui,  pour  la  première  fois,  a  l'ait  comprendre  en  ce  pays 
les  beautés  de  l'Art  Français  depuis  le  Grand  Siècle  jusqu'à  nos 
jours; 

M.  Gaston  Deschamps,  le  distingué  critique  littéraire  du 
Temps,  qui  a  révélé  notre  littérature  féminine  du  moment  et, 
par  une  juste  critique  de  Charles  Dickens,  a  flatté  la  sensibilité 
anglaise  en  faisant  voir  à  nos  amis  que  leur  littérature  était 
appréciée  chez  nous.  ^ 

La  huitième  tournée  avait  pour  sujet  le  Mont  Saint-Michel  et 
ses  légendes.  Elle  a  été  malheureusement  interrompue  par  la 
maladie  du  conférencier. 

La  neuvième,  faite  par  M.  Jean  Chantavoine,  le  jeune  et  déjà 
célèbre  critique  de  la  Eevue  hebdomadaire  et  d'Excelsior,  fit 
connaître  la  musique  française. 

Les  progrès  de  l'Alliance  continuèrent  parallèlement  aux 
succès  de  la  Fédération,  et  on  vit  se  fonder,  depuis  1908,  les 
«omités  de  Leeds,  Newcastle,  du  sud  de  Londres  (Streatham- 
Balham),  Southampton,  St.  Andrews. 

La  Fédération  est  donc  parvenue,  malgré  la  modicité  de  ses 
revenus,  à  remplir  un  de  ses  objets.  Elle  a  étendu  d'une  façon 
certaine  la  sphère  de  l'influence  française,  et,  en  même  temps, 
par  une  meilleure  appréciation  de  la  France,  de  son  esprit,  de  son 
génie,  elle  a,  sinon  toujours  fait  disparaître,  du  moins  fortement 
atténué  bien  des  préventions  que  l'on  s'étonne  de  trouver 
encore  en  ce  pays,  mais  qui  n'en  existent  pas  moins  dans  la 
bourgeoisie  comme  dans  le  peuple.  Et  comme  elle  s'adresse  prin- 
cipalement à  la  classe  moyenne  de  la  population,  petits  rentiers, 
petits  commerçants,  instituteurs,  employés  de  commerce, 
ouvriers  même,  à  tout  ce  monde  qui  n'est  jamais  allé  en  France 
ou  ne  connaît  que  les  boulevards  de  Paris,  elle  a,  sans  se  mêler 
à  la  politique,  rendu  à  la  cause  de  l'Entente  Cordiale  des  ser- 
vices que  notre  éminent  ambassadeur,  M.  Paul  Cambon,  a  plus 
d'une  fois  publiquement  reconnus,  et  dont  il  marqua  l'impor- 


74  —  lb-8  SECTION   DE  PROPAGANDE 

tance  en  assistant  régulièrement  à  toutes  les  conférences  orga- 
nisées à  Londres  par  la  Fédération. 

Pendant  cette  période,  l'étude  proprement  dite  de  la  langue 
française  a  fait  des  progrès  corrélatifs  à  l'extension  de  notre 
influence.  De  meilleures  méthodes  d'enseignement  ont  été  intro- 
duites et,  si  l'A.  F.  ne  doit  pas  s'attribuer  ici  tout  le  mérite,  je 
puis,  moi,  professeur  et  examinateur,  membre  du  conseil  d'ad- 
ministration de  la  Modem  Language  Association,  organisa- 
teur des  concours  annuels  de  français  de  Gallia  (le  comité 
de  l'A.  F.  de  Reading),  assurer  qu'elle  a  le  droit  d'en  revendiquer 
une  bonne  part. 

Les  progrès  ont  été  aussi  sensibles  pour  la  littérature.  Jus- 
qu'alors, dans  les  écoles,  on  s'arrêtait  aux  auteurs  contempo- 
rains décédés.  Aujourd'hui,  on  lit  les  auteurs  vivants,  ce  qu'on 
n'aurait  pas  fait  il  y  a  dix  ans.  En  1911,  les  universités  d'Ecosse 
inscrivaient  dans  leur  programme  commun  de  l'examen  préli- 
minaire (Preliminary  Examination),  pour  1912  et  1913,  La  Terre 
qui  meurt  de  M.  René  Bazin  et,  en  1912,  les  mêmes  universités 
portaient  au  même  programme  pour  1913  et  1914  une  des  der- 
nières œuvres  historiques  d'un  autre  membre  de  l'Académie 
française  :  la  Fleur  des  histoires  françaises,  de  M.  Gabriel  Hano- 
taux.  Depuis  un  an  déjà,  cet  ouvrage  est  lu  à  l'University  Collège 
de  Reading... 

Une  nouvelle  et  éclatante  manifestation  de  l'importance  de 
l'œuvre  accomplie  par  la  Fédération  a  été  donnée  à  la  Pente- 
côte dernière  :  ce  fut  ce  qu'on  appelle  couramment  aujourd'hui 
'  en  Angleterre  le  Congrès  de  St.  Andrews,  congrès  auquel  avaient 
été  convoqués  les  comités  français  de  propagande,  les  comités 
d'action  anglais,  écossais,  gallois  et  irlandais,  les  universités 
de  France,  les  chambres  de  commerce  de  France  et  d'Angleterre, 
et  nombre  d'amis  de  la  France  en  Angleterre. 

Les  circonstances  qui  décidèrent  la  tenue  de  ces  assises  sont 
les  suivantes  :■ 

Depuis  dix  ans,  l'œuvre  de  la  Fédération  britannique  de 
YÀlUance  française  avait  fait  des  progrès  considérables  en 
Grande-Bretagne.  En  1903,  elle  y  comptait  trois  comités  et  envi- 
ron 300  membres;  aujourd'hui,  elle  compte  vingt-six  comités 


LES  GnOfl'EMENTS  ET  LES  ÉCOLES        Ib  S   —  7.'J 

et  près  de  Ti.OOO  membres.  Il  était  opportun  de  s'arrêter  un 
instant  pour  mesurer  le  chemin  parcouru  et  jalonner  la  route 
pour  de  nouvelles  conquêtes. 

Les  conditions  actuelles  des  relations  scolaires  et  universi- 
taires entre  la  France  et  l'Angleterre  nécessitaient  aussi  un 
échange  de  vues  entre  les  professeurs  français  établis  en  Angle- 
terre et  les  professeurs  des  écoles  et  universités  de  France  sur 
nombre  de  questions  importantes  et  délicates  dont  on  trouvera 
le  détail  dans  les  discussions  de  l'assemblée. 

Les  relations  commerciales  et  industrielles  des  deux  pays 
rendaient  aussi  ce  congrès  désirable.  L'Alliance  française  n'est 
pas  une  société  commerciale  ou  industrielle,  mais  elle  ne  peut 
se  désintéresser  des  répercussions  économiques  qu'entraîne  la 
propagation  de  la  langue  française  :  de  là  l'adjonction  d'une 
section  commerciale  à  côté  de  la  section  littéraire,  un  des  traits 
caractéristiques  et  marquants  du  Congrès  de  Saint-Andrews  et 
Dundee.  Les  chambres  de  commerce  de  France  ont  d'ailleurs 
bien  compris  l'importance  de  cette  manifestation;  plusieurs 
d'entre  elles  qui,  pour  une  cause  ou  mie  autre,  n'ont  pas  pu 
envoyer  de  délégués,  ont  tenu  néanmoins  à  se  faire  inscrire 
comme  «  membres  actifs  »  et  la  Chambre  de  Paris  a  même 
envoyé  trois  souscriptions. 

Le  gouvernement  de  la  République  française  avait  envoyé  un 
représCTitant  officiel,  M.  Vendryès,  professeur  à  l'Université 
de  Paris;  l'Alliance  française  avait  délégué  M.  Jules  Gautier, 
conseiller  d'Etat,  que  l'on  trouve  toujours  là  où  son  dévouement 
est  nécessaire.  Les  Universités  de  Besançon,  Bordeaux,  Caen, 
Lille,  Lyon,  Paris,  Poitiers  avaient  envoyé  des  représentants 
officiels. 

Pendant  trois  jours,  soit  dans  les  magnifiques  salles  de  l'Uni- 
versité de  St.  Andrews,  soit  dans  le  grand  hall  de  la  Chambre  de 
commerce  de  Dundee,  les  questions  les  plus  importantes  sur  le 
développement  de  la  langue,  de  la  culture  et  du  commerce  fran- 
çais furent  discutées  par  plus  de  200  congressistes,  venus  de 
toutes  les  régions  de  la  France  et  de  Grande-Bretagne. 

Ici  encore,  l'initiative  de  la  Fédération  a  été  justifiée  par  un 
succès  réel  et  dont  les  résultats,  qui  se  font  déjà  sentir,  seront 


76  —  Ib-S  SECTION   DE  PROPAGANDE 

durables.  En  effet,  trois  nouveaux  comités  sont  en  voie  de  for- 
mation en  Ecosse,  et  nous  avons  l'espoir  d'autres  créations 
prochaines  en  Angleterre. 

Mais  la  Fédération  n'a  pas  l'intention  de  se  borner  à  l'organi- 
sation de  conférences  et  de  fêtes  anglo-françaises,  elle  ne  se 
dissimule  pas,  en  effet,  qu'elle  n'a  rempli  qu'une  partie  de  sa 
tâche  et  qu'il  lui  reste  une  besogne  peut-être  plus  importante 
encore  à  accomplir. 

Si  grands  que  soient,  en  effet,  les  bienfaits  de  la  conférence, 
on  est  forcé  d'avouer  qu'ils  ne  sont  que  plus  ou  moins  durables. 
Il  faut  les  compléter  et  les  rendre  permanents  par  la  lecture.  Il 
faut  que  nous  remplissions  le  second  objet  de  notre  association 
et  que  nous  fondions  la  Bibliothèque  de  prêt  de  la  Fédération 
britannique  de  YAllia7ice  française. 

Il  est  inutile  d'exposer  ici  en  détail  la  nécessité  de  cette  créa- 
tion au  point  de  vue  même  des  intérêts  moraux  de  notre  littéra- 
ture; mais  en  Angleterre,  plus  que  partout  ailleurs  et  contraire- 
ment à  ce  que  l'on  pourrait  croire,  notre  bibliothèque  est  appelée 
à  rendre  des  services  immenses. 

Tout  d'abord,  les  bibliothèques  publiques  entretenues  par  les 
municipalités  pour  le  prêt  gratuit  de  livres  et  extrêmement 
fréquentées,  ne  contiennent  qu'un  choix  très  restreint,  le  plus 
souvent  mal  compris,  parfois  même  mauvais,  de  romans.  Ce 
n'est  pas  seulement  la  littérature  et  le  roman  français  que  notre 
bibliothèque  aura  pour  mission  de  propager.  Nous  voulons 
aussi  qu'elle  contienne  les  œuvres  les  plus  importantes  de  la 
science  française  :  histoire,  philosophie,  économie,  médecine, 
jurisprudence,  sciences  physiques  et  naturelles...  Nous  voulons 
qu'elle  renferme  les  ouvrages  les  meilleurs  sur  les  arts  français 
et  leur  histoire. 

Et  quand  nous  étendons  ainsi  notre  programme,  ce  n'est  pas 
sans  y  avoir  bien  réfléchi  et  sans  en  avoir  vu  la  nécessité. 

Nombreux,  en  effet,,  très  nombreux  sont  les  gens  de  toutes  les 
situations  sociales,  que  j'ai  rencontrés  dans  mes  constants 
voyages  de  propagande  ou  d'examens  universitaires  à  travers 
l'Angleterre,  et  qui  m'ont  demandé  où  et  comment  ils  pourraient 
se  procurer  tel  ouvrage  d'histoire,  de  médecine,  de  philosophie. 


LES    GIIOUPEMENTS    ET    LES   ÉCOLES  16-8  —  77 

de  jurisprudence  que  la  bibliothèque  municipale  de  leur  ville 
se  refusait  à  acheter  et  qu'ils  avaient  besoin  de  consulter  pour 
leurs  travaux. 

Il  est  aussi  une  autre  classe  de  personnes,  classe  nombreuse, 
qui  joue  un  rôle  important  dans  la  vie  sociale  du  pays,  qui  est 
caractéristique  de  l'Angleterre,  et  à  laquelle  nous  devons  absolu- 
ment songer. 

On  ne  saurait  croire  combien  la  bourgeoisie  anglaise  vit, 
encore  à  notre  époque,  à  la  campagne.  Cette  vie  rurale  donne  à 
cette  bourgeoisie,  dans  laquelle  la  femme  est  en  majorité,  des  loi- 
sirs qu'elle  consacre  —  peut-être  quelquefois  un  peu  trop  —  à 
la  lecture.  Là  aussi  j'ai  rencontré  et  je  rencontre  tous  les  jours 
nombre  de  gens  qui  me  demandent  des  livres  français,  livres 
qu'ils  ne  peuvent  se  procurer  dans  les  Circulating  libraries 
auxquelles  ils  sont  abonnés  et  qui  aussi  redoutent  le  choix  de 
quelques  ouvrages  français  qu'on  trouve  dans  ces  bibliothèques 
commerciales.  Ces  personnes,  si  nombreuses  et  si  intéressantes, 
la  conférence  ne  les  atteint  jamais  :  elles  sont  trop  loin  de  nos 
comités,  ou  les  difficultés  de  communication  sont  trop  grandes. 
Elles  nous  échappent  malgré  elles;  elles  seront  à  nous  avec  la 
bibliothèque. 

Mais  on  ne  fonde  pas  une  bibliothèque  sans  argent.  11  faut  un 
immeuble,  il  faut  des  employés,  il  faut  même  des  livres  !  Et  pour 
tout  cela,  il  faut  beaucoup  d'argent.  Nous  le  savons,  et  cependant 
non  seulement  nous  sonuues  décidés  à  ne  pas  nous  laisser 
arrêter  par  toutes  ces  difficultés,  mais  nous  avons  la  ferme  espé- 
rance de  les  surmonter. 

Je  ne  veux  point  allonger  davantage  cette  communication  en 
donnant  le  détail  des  moyens  que  nous  avons  en  vue  pour 
atteindre  notre  but.  Je  dirai  seulement  que  notre  espérance, 
nos  convictions  sont  basées  sur  les  appuis  si  encourageants  que 
nous  avons  déjà  reçus  et  qui  sont  tels  qu'on  ne  peut  souhaiter 
davantage.  En  effet,  au  commencement  de  cette  année,  l'Acadé- 
mie française,  l'illustre  compagnie,  nous  a  donné  un  éclatant 
témoignage  de  l'intérêt  qu'elle  prenait  à  notre  œuvre  en  nous 
accordant  une  allocation  de  2,000  francs  pour  notre  biblio- 
thèque. 


78  —  li-8  SECTION   DE   PROPAGANDE 

De  son  côté,  au  mois  de  juin,  à  l'occasion  de  sa  visite  à 
Londres,  M.  Raymond  Poincaré,  président  de  la  République 
française,  mû  par  les  mêmes  motifs,  nous  a  remis  une  somme 
de  oOO  francs  pour  la  bibliothèque  de  la  Fédération  britannique. 
Egalement,  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  nous  a  fait  un 
premier  envoi  de  livres  qui,  j'en  ai  la  promesse,  sera  suivi  de 
nombreux  autres.  L'université  et  le  comité  de  Caen  nous  ont 
aussi  envoyé  des  livres.  Le  comité  de  Cherbourg  nous  a  fait 
parvenir  une  subvention  à  la  suite  d'une  conférence  que  je  lui 
ai  donnée.  Enfin,  les  universités  de  France  nous  ont  aussi 
promis  leur  aide. 

Comme  on  le  voit,  nous  avons  pu  réunir  des  patronages  non 
seulement  honorables,  mais  effectifs,  et  de  même  que  nous  avons 
pu  organiser  pendant  six  ans  sans  interruption  des  tournées  de 
conférences  et  des  fêtes  qui  ont  centuplé  l'influence  française 
dans  le  Royaume-Uni,  de  même  nous  avons  la  conviction  que 
nous  pourrons  d'ici  à  peu  de  temps  ouvrir  cette  bibliothèque 
de  la  Fédération  britannique,  qui  complétera  et  parachèvera 
l'œuvre. 


I.  -  SECTION  DE  PROPAGANDE. 

B)  LES  GROUPEMENTS  ET  LES  É('X)LES. 


Les  eours  de  !'«  Alliance  Française  », 


Edm.  uuguet, 

professeur  à  la  Sorbonne, 
ilirecteur  des  cours  de  l'Alliance  française. 


Quand  notre  cher  président,  M.  Wilmotte,  m'a  invité  à  parler 
ici  des  cours  de  l'Alliance  fraiiçaise,  j'ai  accepté  avec  plaisir  sa 
proposition.  Naturellement,  je  n'ai  pas  1  intention  de  faire  l'éloge 
des  cours.  Je  ferai  plutôt  l'éloge  des  auditeurs,  je  dirai  ce  qu'ils 
viennent  nous  demander,  ce  que  nous  cherchons  à  faire  pour  eux, 
et  le  désir  que  nous  éprouvons  de  pouvoir  faire  davantage. 

Nos  auditeurs  nous  viennent  de  tous  les  points  du  monde,  et 
composent  le  public  le  plus  divers  qu'on  puisse  imaginer  : 
hommes  et  femmes,  jeunes  gens  et  vieillards,  étudiants  et  pro- 
fesseurs, littérateurs,  artistes,  avocats,  médecins,  etc.  Le  règle- 
ment ouvre  les  portes  à  tous,  sans  exiger  pour  l'admission  aucun 
grade  ou  diplôme.  Une  seule  condition  est  imposée  :  savoir  le 
français.  L'Alliance  ne  fait  pas,  ou  du  moins  n'a  pas  fait  jusqu'ici 
de  cours  pour  les  commei  çants.  Il  faut  que  tous  les  auditeurs 
soient  capables  de  comprendre  les  leçons  qui  sont  faites  devant 
eux. 

Parmi  ces  auditeurs  sachant  le  français,  il  y  a  bien  des  degrés. 


80  —  I//-9  SECTION   DK   PROPAGANDE 

Uaiis  l'assistance  qui  l'écoute,  le  professeur  sait  qu'il  a  certains 
juges  redoutables,  des  maîtres  qui  enseignent  déjà  avec  autorité 
notre  langue  et  notre  littérature,  ils  ne  viennent  pas  pour 
s'instruire,  mais  pour  comparer.  En  pleine  possession  de  leurs 
méthodes  de  travail  et  d'enseignement,  ils  veulent  connaître  et 
apprécier  celles  d'autrui.  Devant  eux  un  professeur  négligent 
porterait  immédiatement  la  peine  de  sa  faute,  car  aucune  erreur 
ne  passerait  inaperçue. 

Auprès  d'eux  viennent  s'asseoir  des  étudiants  qui  demain 
seront  des  maîtres.  Sous  des  professeurs  éminents,  ils  ont  acquis 
une  connaissance  approfondie  de  l'ancien  français,  et  souvent 
même  du  français  moderne.  Us  nous  font  honneur  en  pensant 
que  les  cours  de  l'Alliance  peuvent  encore  leur  être  utiles,  et  en 
sacrifiant,  pour  les  suivre,  une  partie  de  leurs  vacances. 

D'autres  auditeurs,  par  des  nécessités  professionnelles,  sont 
retenus  toute  l'année  loin  des  Universités,  et  craignent  de  perdre 
le  fruit  de  l'enseignement  qu'ils  y  ont  reçu  autrefois.  Ils  savent 
qu'à  Paris  et  dans  d'autres  villes  existent  des  sortes  d'Universités 
libres,  dont  les  cours  ont  lieu  à  l'époque  où  la  vie  scolaire  est 
suspendue  presque  partout  :  ils  accourent  pour  s'y  retremper. 
Eux  aussi  renoncent  courageusement  à  leurs  vacances,  pour  se 
rendre  plus  aptes  à  la  t^'iche  qu'ils  accomplissent  pendant  le 
reste  de  l'année. 

Le  groupe  le  plus  nombreux  peut-être,  c'est  celui  des  auditeurs 
qui  n'ont  jamais  pu  profiter  des  cours  des  Universités,  et  qui  s,e 
sont  instruits  un  peu  au  hasard,  sans  suivre  aucune  méthode 
scientifique.  Ils  ont  appris  beaucoup  cependant,  assez  pour 
comprendre  ce  qui  leur  manque.  Ils  voudraient  recevoir  une 
direction,  et  travailler  ensuite  avec  plus  de  fruit,  et  ils  s'imposent 
de  pénibles  voyages,  de  coûteux  sacrifices,  pour  la  joie  de 
s'instruire  et  de  marcher  désormais  dans  un  chemin  nettement 
tracé. 

A  côté  de  ces  professionnels,  je  ne  voudrais  pas  oublier  les 
amateurs,  c'est-à-dire  tous  ceux  qui,  sans  avoir  l'intention  d'en- 
seigner, ont  simplement  le  désir  de  mieux  connaître  notre 
langue,  notre  littérature,  nos  arts,  et  aussi  la  vie  française,  dont 
les  livres  ne  donnent  pas  toujours  une  idée  très  exacte.  Ceux-là 


LES   GROUPEMENTS   ET   I,ES   ÉCOLES  16-9  —  81 

ne  s'astreigaent  pas  à  suivre  tous  les  cours.  Ils  choisissent,  et  ce 
ne  sont  pas  toujours  les  cours  les  moins  sévères  qui  sont  l'objet 
lie  leur  choix. 

Il  est  facile  de  comprendre  que  l'on  aime  à  parler  devant  un 
pareil  public.  Entre  l'auditoire  et  le  professeur,  la  confiance  et 
la  sympathie  naissent  immédiatement.  Tous  les  ans,  les  auditeurs 
disent  qu'ils  voient  avec  regret  venir  la  fin  des  cours,  et  les  pro- 
fesseurs éprouvent  une  émotion  des  plus  pénibles  en  se  séparant 
d'un  auditoire  dans  lequel  ils  ont  trouvé  tant  d'attention,  tant 
d'intelligence,  et  tant  de  bienveillance. 

Pour  répondre  aux  besoins  d'un  public  si  varié,  les  organi- 
sateurs des  cours  avaient  de  grandes  difficultés  à  vaincre,  et  je  ne 
prétends  pas  qu'ils  les  aient  vaincues  toutes.  Ce  que  je  dirai 
seulement,  c'est  que  M.  Brunot  qui  le  premier,  en  1894,  a  établi 
le  programme,  a  su  dès  le  début  y  faire  entrer  à  peu  près  tous  les 
éléments  indispensables.  Sans  doute,  pendant  ses  dix  années  de 
direction,  il  a  plus  d'une  fois  remanié  l'œuvre  primitive,  il  a 
;ijouté,  retranché,  modifié  les  proportions,  mais  le  fond  est  resté 
;i  peu  près  le  même.  Son  successeur,  M.  Salone,  a  sagement 
maintenu  une  organisation  qui  avait  fait  ses  preuves,  et  le 
directeur  actuel  des  cours  accomplit  une  tâche  que  ses  devanciers 
ont  rendue  facile. 

Il  serait  beaucoup  trop  long  d'énumérer  en  détail  les  ensei- 
gnements donnés  dans  les  cours  de  vacances,  et  d'exposer  les 
résultats  obtenus  pour  chacun  d'eux.  Qu'on  me  permette  de 
résumer  le  tout  en  quelques  mots.  Nos  auditeurs  veulent 
apprendre  à  bien  prononcer  le  français  :  la  phonétique  expéri- 
mentale les  y  aide  de  son  mieux.  Us  veulent  parler  et  écrire 
tout  à  fait  correctement  :  des  conférences  pratiques  de  lecture  et 
de  conversation,  des  cours  de  rédaction  et  de  grammaire  usuelle 
ont  été  institués  pour  les  y  exercer.  Ils  veulent  lire  avec  sûreté 
et  sans  contresens  :  la  grammaire  historique  les  guide  dans  la 
lecture  de  nos  classiques,  les  habitue  à  y  reconnaître  des  diffi- 
cultés qu'ils  n'apercevaient  pas  d'abord,  et  leur  enseigne  qu'il  est 
souvent  dangereux  de  comprendre  trop  facilement.  Ils  veulent 
raisonner  les  impressions  qu'ils  éprouvent  en  lisant  nos  écri- 
vains, ils  veulent  d'autre  part  pratiquer  les  nouvelles  méthodes, 

16  6 


82  —  16-9  SF.CTION  DE   PROPAGANDE 

rigoureuses  et  précises,  de  l'histoire  littéraire.  Ils  ont  pour 
guides  les  leçons  de  littérature  qui  sont  faites,  dans  chaque  mois, 
par  trois  professeurs.  L'histoire  de  l'art  français  leur  est 
enseignée  devant  les  œuvres  elles-mêmes.  Quant  à  la  vie  française, 
cinq  leçons  dans  chacune  des  séries  de  cours  les  aident  à  la  con- 
naître. On  leur  parle  de  Paris  et  des  provinces,  en  insistant  sur 
cette  vie  provinciale  si  intéressante,  qui  évidemment  subit  de 
plus  en  plus  l'influence  de  la  vie  parisienne,  mais  conservera 
toujours  néanmoins  son  caractère  propre  et  n'en  viendra  jamais 
à  l'uniformité. 

Voilà  bien  des  enseignements  en  bien  peu  de  temps.  C'est 
beaucoup,  c'est  même  trop,  si  l'on  songe  que  pour  les  donner 
tous,  il  faut  faire  chaque  jour  six  leçons  d'une  heure  ;  c'est  peu 
si  l'on  considère  tout  ce  que  nos  auditeurs  voudraient  apprendre. 
Ils  se  déclarent  satisfaits,  pourtant,  mais  nous  le  sommes  beau- 
coup moins,  car  nous  ne  croyons  jamais  leur  avoir  rendu  tous 
les  services  qu'ils  méritent  de  recevoir. 

Plus  de  la  moitié  des  auditeurs  viennent  aux  cours  avec  le 
projet  de  subir  les  examens,  et  l'espoir  d'obtenir  soit  le  diplôme 
supérieur,  soit  le  certificat  d'aptitude  à  l'enseignement  du 
français  usuel.  Beaucoup  se  découragent  et  n'osent  aborder  les 
épreuves,  car  ils  entendait  dire  que  les  deux  examens  sont 
difficiles,  et  comprennent  que  les  examinateurs  n'ont  pas  le  droit 
d'être  indulgents.  On  nous  fait  l'honneur,  à  l'étranger,  d'estimer 
notre  diplôme  et  notre  certificat,  d'y  voir  une  preuve  sérieuse  de 
la  connaissance  du  français  et  de  l'aptitude  à  l'enseigner.  L'indul- 
gence serait  donc  ici  un  abus  de  confiance.  Si  les  examinateurs 
n'avaient  toujours  cette  pensée  dans  l'esprit,  ils  ne  pourraient  se 
décider  à  montrer  la  sévérité  nécessaire,  car  un  échec  est  toujours 
une  cruelle  déception,  et  surtout  un  véritable  désastre.  Et  dans 
bien  des  cas  cet  échec  n'a  pour  cause  qu'un  excès  de  travail,  un 
surmenage  déraisonnable  qui  rend  le  candidat  incapable  de  tirer 
parti  de  ce  qu'il  sait. 

On  me  pardonnera  de  n'avoir  pas  donné  dans  cet  exposé,  des 
détails  précis  :  on  en  trouve  dans  le  programme  que  V Alliance 
imprime  tous  les  ans.  J'ai  voulu  dire  plutôt  dans  quel  esprit  sont 
faits  les  cours,  et  à  quels  besoi"s  ils  tâchent  de  répondre.  Nous 


I,ES   GROUPEMENTS  ET   LES   ÉCOLES  I*-9  —  83 

avons  tous,  je  le  répète,  le  regret  de  ne  pouvoir  faire  plus  :  mais 
ce  regret  est  tempéré  par  l'espoir  d'y  réussir  bientôt.  Nous  avons 
souffert  jusqu'ici  de  conditions  matérielles  défavorables,  qui  vont 
cesser  d'exister.  Ce  que  nos  auditeurs  trouveront  dans  les  nou- 
veaux locaux  qu'on  leur  prépare,  ce  ne  sont  pas  seulement  des 
salles  plus  vastes,  c'est  aussi  une  hospitalité  dont  le  caractère 
cordial  pourra  mieux  s'atfirmer.  A  la  bibliothèque,  dans  le  salon 
de  conversation,  auditeurs  et  professeurs  pourront  se  rencontrer, 
l'enseignement  se  prolongera  et  se  complétera  par  les  causeries, 
et  le  confort  matériel  rendra  possible  beaucoup  d'améliorations 
auxquelles  nous  n'avons  pu  penser  jusqu'ici. 

En  instituant  ses  cours  de  vacances,  V Alliance  française  a 
voulu,  suivant  sa  formule,  travailler  à  la  propagation  de  notre 
langue.  Son  désir  était  très  légitime,  et  ce  n'est  pas  ici  qu'il  est 
nécessaire  de  le  justifier.  Mais  elle  a  voulu  faire,  et  elle  fait  une 
œuvre  encore  plus  grande.  Si  je  parlais  seulement  de  l'intérêt 
de  la  France,  je  dirais  qu'il  n'était  pas  inutile  que  l'on  vît  les 
Français  tels  qu'ils  sont.  Nos  auditeurs  savent  que  nous  n'avons 
pas  tous  les  défauts  dont  nous  nous  accusons  nous-mêmes,  et 
que  nos  livres  préférés  ne  sont  pas  toujours  ceux  qui  s'étalent 
le  plus  à  la  vitrine  de  quelques  librairies.  Les  cours  de  vacances 
ont  pu  contribuer  à  dissiper  des  préjugés,  à  fortifier  des  sympa- 
thies, et  c'est  un  résultat  heureux.  3fais  ce  n'est  pas  à  la  France 
seulement  qu'ils  ont  pu  rendre  ce  service.  Tous  ces  auditeurs, 
de  diverses  nations,  qui  se  rencontrent  chez  nous,  apprennent  à 
se  connaître  el  à  s'estimer  mutuellement.  Pendant  plusieurs 
semaines,  ils  sont  associés  dans  un  même  effort,  unis  par  les 
liens  si  solides  du  travail  :  ce  sont  des  liens  qui  ne  se  rompent 
jamais  tout  à  fait.  C'est  ainsi  que  nos  cours  et  tous  les  cours 
analogues,  en  quelque  ville,  en  quelque  pays  qu'ils  se  fassent, 
travaillent  à  l'apaisement  des  querelles  et  préparent  la  concorde 
future. 


I.    —   SECTION    DE    PROPAGANDE. 

B)  LES  GRODPEMENTS   ET   LES  ÉCOLES. 


Association  pour  l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française 


I 

LA  SECTION  DE  LIÈGE, 


E.  MAWET, 

secrétaire  de  la  Section. 


Ce  rapport,  faisant  suite  à  celui  qui  fut  présenté  au  Congrès 
d'Arlonde  1908,  sur  la  même  question,  a  pour  objet  d'exposer, 
en  un  résumé  succinct,  comment,  depuis  ce  Congrès,  s'est  mani- 
festée l'activité  de  la  Section  liégeoise  de  l'Association  interna- 
tionale pour  l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française. 

Ce  groupement  a  continué  son  œuvre  de  propagande  avec 
un  succès  qui  n'a  fait  que  s'accentuer.  Dans  le  milieu  où  s'exerce 
son  influence  il  n'a,  à  vrai  dire,  aucune  hostilité  à  vaincre,  mais 
il  n'en  est  pas  moins  intéressant  de  constater  que  les  sympathies 
pour  la  culture  française  s'y  manifestent  de  plus  en  plus  nom- 
breuses. On  pourrait  croire  que,  après  huit  ans  d'existence, 
notre  section  ne  doive  plus  guère  compter  sur  des  adhésions 
nouvelles. 

C'est  le  contraire  qui  est  vrai,  et  il  arrive  encore  maintenant 
que,  en  une  seule  année,  elle  inscrive  200  membres  ou  davan- 
tage. 

C'est,  sans  doute,  que,  cherchant  dans  la  conférence  son  prin- 


86  —  U-iO  SECTION  DE  PROPAGANDE 

cipal  moyen  de  propagande,  elle  s'efforce  de  tenir  en  éveil  la 
curiosité  de  tous  par  le  talent  et  la  notoriété  des  conférenciers 
auxquels  elle  demande  de  collaborer  à  son  œuvre,  aussi  bien 
que  par  l'intérêt  et  la  variété  des  sujets  qu'elle  inscrit  à  son 
programme. 

De  190o  à  1912,  la  Section  liégeoise  n'a  pas  reçu  moins  de 
70  conférenciers,  et  tous,  les  Français  les  plus  notoires  comme 
nos  meilleurs  écrivains  belges,  ont  répondu  à  son  appel  avec 
un  empressement  qui  mérite  beaucoup  de  reconnaissance. 

La  conférence,  à  notre  avis,  est  un  des  meilleurs  moyens  de 
faire  aimer  la  langue  et  la  culture  françaises;  après  l'effet  immé- 
diat qu'elle  produit,  elle  exerce  une  action  plus  profonde  et 
moins  apparente,  nous  voulons  parler  du  mouvement  d'idées 
qu'elle  provoque,  du  goût  de  la  lecture  qu'elle  entretient  ou 
développe. 

Chaque  année,  la  Section  liégeoise  a  organisé  une  dizaine  de 
conférences.  On  trouvera,  ci-dessous,  le  programme  de  celles 
qui  se  placent  de  1908  à    1  £d  3 

A  ces  conférences  sont  venues  s'ajouter  quelques  matinées 
littéraires. 

Enfin,  tous  les  hivers,  au  théâtre  du  Gymnase,  le  public  a 
l'occasion  d'entendre  les  artistes  de  la  Comédie  française  dans 
des  œuvres  qui,  par  un  choix  judicieux  et  une  interprétation 
remarquable,  ont  souvent  enlevé  tous  les  suffrages. 

Ces  représentations  —  il  y  en  a  dix  par  saison  —  sont  aussi, 
nul  ne  le  contestera,  un  excellent  moyen  de  propagande  pour  la 
culture  de  la  langue  française.  C'est  pourquoi,  dès  la  première 
heure,  la  Section  liégeoise  leur  a  accordé  son  patronage  et  s'est 
efforcée  de  contribuer  à  leur  succès,  qui,  d'ailleurs,  a  été  très  vif. 

Voici  la  liste  des  conférences  qui  ont  été  organisées  de  1908 
à  1913  : 

Conférences  de  la  série  1908-1909. 

M.  René  Henry  :  La  rénovation  morale  et  sociale  de  la  France. 

M.  LÈOP.  LacOUR  :  La  Jeune  fille  dans  le  théâtre  contemporain. 

M.  Fern.  Brunot  :  L'évolution  de  la  langue  française  au  XIX'  siècle. 


LES   GROUPEMENTS   ET   I,ES   ÉCOLES  Ift-10  —  87 

M.  F.  Fu.NCK  Bkentano  :  La  oie  romantique  (avec  projections). 

M.  Iv.  DuMOiNT-WlLDEN  :  Les  contes  de  fées  et  le  merveilleux  français. 

M.  Jules  Gautier  :  Comment  nous  élevons  nos  filles. 

M.  André  Lichtexbehgeii  :  La  vie  de  château  au  XVII^  siècle. 


Conférences  de  la  série  1909-1910. 

M.  Gaybt  :  La   France  à   Antinoë  (avec   reconstitution    de   scènes 

antiques). 
M.  Pierre  Baudin  :  L' Allemagne  jugée  par  un  Français. 
M.  le  Comte  Kesslek  :  La  France  jugée  par  un  Allemand. 
M™"  IIOCKEL  et  II.  Rameau  :  La  Légende  napoléonienne  dans  la  poésie 

et  la  matique. 
M.  GUST.  COHEN'  :  L'évolution  de  la   mise  en  scène  dans   le   théâtre 

français  (avec  projections  photograpliiques). 
i\I.  Lacour-Gavet  :  La  mère  de  Napoléon. 
M"eMARGUERlTE  vaN  DE  WlELE  :  L'influence  de  la  culture  française  sur 

les  lettres  belges. 
MM.  Pierre  Lassere  et  Alhert  Giraud  :  Classicisme  et  romantisme. 
M.  Maurice  Barrés,  de  l'Académie  française  :  Biaise  Pascal. 
M.  Emile  Verhaeben  :  Hélène  de  Sparte. 

Matinées  au  théâtre  du  Gymnase. 

Matinée  Verlaine.  Conférence  par  M.  Jules  Destrée.  Interprétation 

de  poèmes  de  Verlaine,  par  M"^  Dolisy.  Représentation  de  Les  uns 

et  les  autres. 
Matinée  Maeterlinck.  Conférence  de  M.  PlÉRARn.    Récitations,   par 

Mi'e  Marie  Kalff,  du  théâtre  de  l'Odéon. 
Matinée    Villiers  de  l'Isle-Adam.   Conférence  par  M.  GuST.    Cohen. 

Représentation  de  La  liévolte. 
Matinée  J.-J.  Rousseau.  Conférence  par  M.  A.  HUBENS.  Représentation 

du  Devin  de  Village. 

Conférences  de  la  série  1910-1911. 

M.  Brieux,  de  l'Académie  française  :  Comment  j'ai  fait  Blanchette. 

M.  POTEZ  :  Le  roman  contemporain  en  France. 

M.  HaraucouRT  :  Leconle  de  Liste. 

M.  ANDRE  Lichtenbergeu  :  Xotes  Sur  l'enfant. 

M.  André  Tardieu  :  La  France  et  ses  alliances. 

M.  MÉriN  :  La  France  et  ses  colonies. 

M.  Jules  Gautier  :  La  France  et  son  enseignement. 


88  —  Ifr-10  SECTION  DE  PROPAGANDE 

M.  DeNYS  COCHIN  :  La  France  et  le  protectorat  catholique  en  Orient. 
M.  HerriOT  :  Les  institutions  municipales  sous  la  5''  République. 
M.  René  Vivian!  :  La  France  sociale. 

Conférences  de  la  série  19H-1912. 

M™»  Marcelle  TiNAYRE  :  La  Parisienne  comme  elle  est  et  comme  on  la 

représente. 
M.  GaULIS  :  L'influence  française  en  Orient. 
M.  Maurice  WilmOTTE  :  Le  romantisme  avant  les  romantiques  (avec 

récitations  par  yV^"  Dudicourt). 
M.  LUCHAIRE  :  L'influence  française  en  Italie. 
M.  James  Hvde  :  L'influence  française  dans  l'Amérique  du  \ord. 
M.  HerriOT  :  Dante. 

M.  Haumant  ;  L'influence  française  en  Russie. 
M.  JlLES  DestrÉE  :  L'art  wallon. 

M.  J.-H.  ROSNY  aillé  ;  Comment  j'ai  fait  mes  romans  sociaux. 
M.  P.  VlTRY  :  L'habitation  française  à  l'époque  de  la  Renaissance  'avec 

projections). 

Conférences  de  la  série  1912-1913. 

M""=  Lucie  Delarue-Mardrus  -.  Les  jeux  de  l'écrivain. 

M.  Jacques  Rivière  :  Le  roman  psychologique. 

M.  G.  Lecomte  :  Le  roman  de  mœurs. 

M.  PleSsis  :  Le  Parnasse. 

M.  Henri  DaviGNON  :  L'originalité  nationale  de  Maeterlinck  et  de  Ver- 

haeren. 
M.  Finck-Brentano  :   Le   Salon   de  l'Arsenal,   Alfred  de    Musset  et 

Ch.  Nodier. 
M.  POL  Neveux  :  Le  roman  régionaliste. 

Qu'il  nous  soit  permis,  pour  terminer  ce  rapport,  d'indiquer 
le  nombre  des  adhésions  nouvelles  et  le  nombre  total  des 
membres  de  la  Section  liégeoise  pendant  les  cinq  dernières 
années  : 


Adhésions 

Nombre  total 

nouvelles 

de  membres 

Année  1908-1909.     . 

S8 

373 

»      1909-1910.     . 

274 

612 

»      1910-1911.     . 

186 

684 

»      1911-1912.     . 

179 

732 

»      1912-1913.     . 

100 

683 

LES   GROUPEMENTS  ET   LES   ÉCOLES  Ifc-lO  —  89 

LA  SECTION  D'ARLON, 


J.  VAN  DOOREN, 

secrétaire  de  la  Section. 

C'est  ail  lendemain  du  11^  Congrès  pour  la  culture  et  l'exten- 
sion de  la  langue  française,  qui  se  tint  à  Arlon,  en  septembre 
1908,  que  naquit  l'idée  de  créer  dans  cette  ville  une  section 
luxembourgeoise  de  la  Fédération. 

Avec  M.  Wilmotte,  président  de  la  Fédération,  nous  avons 
pensé  qu'il  fallait  continuer,  de  façon  durable  pour  nous, 
l'œuvre  utile  que  les  organisateurs  du  Congrès  avaient  entre- 
prise. Nous  avons  voulu,  en  ce  coin  de  Belgique  où  se  parle 
«ncore  un  patois  d'origine  germanique,  créer  un  courant  de 
sympathies  françaises,  entretenir  chez  nos  concitoyens  un  fervent 
amour  des  idées  et  du  clair  parler  de  France. 

Germanisée  depuis  des  siècles,  Arlon,  pensions-nous,  n'aurait 
qu'à  gagner  au  contact  de  la  culture  française.  Les  conférences 
qu'on  y  viendrait  faire  apprendraient  à  connaître  de  plus  près  et 
plus  intimement  les  écrivains  de  France,  ses  artistes,  ses  savants, 
ses  hommes  politiques.  La  vie  intellectuelle  de  la  petite  cité  en 
serait  améliorée  et  comme  affinée,  et  les  esprits  seraient  peu  à 
peu  amenés  à  s'intéresser  à  des  questions  qui  jusque-là  auraient 
pu  les  laisser  indiftërents. 

C'est  de  cette  pensée  qu'est  sortie  notre  section.  Elle  a  été 
fondée  en  novembre  1910  en  dehors  de  tout  esprit  politique.  Il 
y  eut  d'abord  des  défiances,  mais  vite  dissipées.  On  trouve,  sur  la 
liste  de  ses  membres,  des  personnes  appartenant  à  tous  les  partis. 

Née  dans  une  heure  d'enthousiasme,  la  Section  d'Arlon  n'a 
cessé  de  déployer  la  plus  heureuse  activité.  Malgré  ses  ressources 
limitées,  elle  a  pu  inviter  à  sa  tribune  de  brillants  conférenciers 
dont  quelques-uns  ont  eu  la  générosité  —  et  je  suis  heureux  de 
le  proclamer  bien  haut  à  leur  louange  —  de  se  contenter  des  plus 
modestes  honoraires,  ils  estimaient  faire  œuvre  bonne  en  appor- 

i6  7 


90 Ifc-10  SECTION   DE  PROPAGANDE 

tant  à  Arlon,  sentinelle  avancée  à  la  frontière,  la  parole  fran- 
çaise que  l'on  sent,  presque  toujours,  animée  de  sentiments 
désintéressés,  parée  de  noblesse  et  de  beauté. 

Notre  Association  a  été  inaugurée,  le  18  janvier  1911,  par  une 
causerie  de  M.  Wilmotte  qui  a  parlé  de  l'art  et  de  la  dianson. 
M""*  Mockel,  femme  du  délicat  poète  de  Clartés,  chanta  avec  art, 
à  cette  première  soirée,  d'exquises  chansons  françaises,  anciennes 
et  modernes.  Nous  avons  entendu  ensuite  MM.  Victor  du  Bled, 
l'historien  de  la  Société  française,  qui  nous  fit  entrer  dans 
quelques  salons  du  XIX'  siècle,  André  Lichtenberger,  qui  nous 
entretint  de  la  jeune  fille  dans  la  littérature,  André  Honnorat, 
député  des  Basses-Alpes,  qui  traita  de  la  puissance  de  séduction 
de  la  langue  française. 

L'année  1911  19 12  a  été  particulièrement  brillante.  Nous 
trouvons  au  programme  les  noms  de  MM.  Laurent  Tailhade,  le 
lyrique  biographe  de  Théophile  Gautier;  Maurice  Wilmotte, 
qui  fit,  avec  sa  verve  habituelle,  une  spirituelle  causerie  sur  les 
[Vallons  et  les  Flamands;  Georges  d'Esparbès,  qui  fit  revivre, 
devant  un  auditoire  enthousiaste,  les  vieux  grognards  de  Napo- 
léon; Gustave  Cohen,  qui  exposa  savamment  les  origines  de  la 
mise  en  scène  dans  le  théâtre  français  ;  Rosny  aîné,  un  des  maîtres 
du  roman  contemporain,  qui  nous  raconta  comment  il  a  fait  ses 
romans  sociaux;  M""  Glolz,  une  toute  jeune  fille,  qui  vécut  plu- 
sieurs mois  en  Chine  et  au  Japon  ;  M""'  Marcelle  Tinayre,  qui  nous 
fit,  avec  un  esprit  éblouissant,  le  portrait  de  la  Parisienne. 
Nous  eûmes  aussi  l'honneur,  grâce  aux  relations  de  notre  prési- 
dent d'honneur,  M.  Camille  Cerf,  un  Arlonais  à  qui  la  fortune  a 
souri,  à  Paris,  d'entendre  l'ancien  gouverneur  généra!  de  l'Indo- 
Chine,  M.  Paul  Doumer,  en  une  causerie,  trop  brève,  malheureu- 
sement, sur  Vintellectualité  française  dans  le  inonde. 

Le  programme  de  l'année  1912-1913  n'a  pas  été  moins  varié. 
M.  L.  Tailhade  a  évoqué  l'ombre  de  Verlaine  et  de  son  cercle 
d'amis;  M.  Wilmotte,  toujours  sur  la  brèche,  est  venu  nous 
parler  du  Romantisme  avant  les  Romantiques,  causerie  illustrée 
par  des  lectures  de  l'excellente  artiste  du  Parc,  M"'=  Leroy; 
M.  Marins  Lebiond,  le  romancier  colonial  bien  connu,  qui  dirige, 
avec  son  frère,  la  belle  et  vivante  revue  La  Vie,  nous  a  entretenus 


LES   GROUPEMENTS   ET   LES   ÉCOLES  Ifc-10  —  91 

de  la  femme  dans  le  roman  français.  M""^  Latour,  conférencière 
française  à  l'étranger,  a  ressuscité  une  des  plus  intéressantes 
figures  de  la  Révolution  française,  M'"'  Roland;  M.  Adolphe 
Ribaux,  poète  de  la  Suisse  française,  nous  dit  la  beauté  de  Vile 
Capri,  où  il  séjourna  quelques  mois  ;  le  poète  Frédéric  Plessis 
nous  donna  une  magnifique  vue  d'ensemble  du  Parnasse  et  nous 
fit  pénétrer  dans  l'intimité  de  quelques-uns  des  meilleurs  poètes 
du  groupe.  Enfin,  un  des  conférenciers  les  plus  aimés  du  public, 
M.  Funck-Rrenfano,  disserta,  avec  science  et  humour,  sur 
r Homme  au  masque  de  fer. 

Pardonnez-moi  cette  longue  et  sèche  énumération  de  noms  et 
de  titres;  si  je  l'ai  faite,  c'est  pour  vous  montrer  que,  dans  le 
choix  de  nos  conférenciers,  nous  n'obéissons  à  aucun  parti  pris 
et  qu'un  éclectisme,  que  nous  vouions  aussi  large  et  accueillant 
que  possible,  nous  guide  plutôt.  11  a  fallut  tout  d'abord  songer 
à  attirer  et  retenir  un  public  tout  neuf,  non  encore  initié,  par  la 
variété  des  sujets,  il  fallait  nous  l'attacher  par  l'attrait  d'une  belle 
langue  ou  d'un  nom  célèbre.  Quand  son  éducation  sera  plus 
complète,  nouSj  songerons  sans  doute  à  organiser,  comme  on  le 
fait  au  Cercle  de  Liège,  des  cycles  de  conférences.  Nous  ne 
désespérons  pas  de  réaliser  un  jour  cette  forme  de  propagande 
intellectuelle. 

Les  conférences  d'Arlon  sont  suivies  par  un  auditoire  attentif 
de  plus  de  250  personnes;  celle  de  Doumer  en  réunit  plus  d'un 
millier.  Elles  se  font  dans  un  coquet  local,  mis  gracieusement  à 
notre  disposition  par  l'administration  communale.  Le  bourg- 
mestre, M.  Ensch-Tesch,  est,  d'ailleurs,  notre  président  et  un 
échevin  et  plusieurs  membres  du  conseil  communal  font  partie 
du  Comité. 

Nous  avons  voulu  que  l'accès  aux  conférences  fût  permis  à 
toutes  les  bourses  :  la  cotisation  est  de  2  francs  pour  les  cartes 
personnelles,  3  francs  pour  les  cartes  de  famille,  10  francs  pour 
les  membres  protecteurs. 

La  section  d'Arlon  compte  actuellement  plus  de  200  membres. 

Le  succès  de  notre  œuvre  ira  croissant,  espérons-le.  Le  public 
arlonais  se  rend  compte,  de  plus  en  plus,  des  bienfaits  que  lui 
apporte,  dans  tous  les  domaines  de  la  pensée,  la  culture  française. 


92  —  Ib-iO  SECTION  DE  PROPAGANDE 

III 

LA  SECTION  BRABANÇONNE 


A.   DAXHELET, 

secrétaire  de  la  Section. 

C'est  le  22  février  1909  que  fut  fondée  la  Section  brabançonne 
de  la  Fédération  internationale  pour  l'extension  et  la  culture  de 
la  langue  française. 

Au  début,  l'activité  de  son  bureau  fut  consacrée  à  réunir  des 
adhésions  à  la  cause  qu'elle  se  proposait  de  défendre,  ainsi  qu'à 
mener  une  enquête  relativement  aux  conditions  de  l'enseigne- 
ment du  français  dans  la  province  de  Brabant,  en  particulier  à 
Bruxelles  et  dans  les  communes  suburbaines.  Comme  suite  à 
cette  enquête,  un  cours  de  français  à  l'usage  des  jeunes  filles  alle- 
mandes ou  étrangères,  employées  de  magasins,  fut  organisé  le 
20  novembre  1909. 

En  1910,  la  section  s'efforce  de  créer  des  sociétés  filiales,  entre 
autres  à  Louvain  et  à  Nivelles —  sans  succès  d'ailleurs  — ,et  elle 
mène  à  bien  la  laborieuse  préparation  du  Congrès  des  œuvres 
intellectuelles  de  langue  française. 

A  partir  de  1911,  la  section  adopte  un  mode  d'action  encore 
inusité  pour  elle.  Elle  offre  à  ses  membres  une  demi-douzaine 
de  conférences  fort  remarquables,  consacrées  à  l'étude  de  l'in- 
fluence française  hors  de  France. 

C'est  encore  par  la  conférence  que  la  section  continue  sa  pro- 
pagande en  1912  et  en  1913,  et  il  semble  bien  que  cette  méthode 
lui  réussisse. 

Cependant,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  la  section  ait  acquis 
l'importance  que  ses  fondateurs  avaient  espéré  pour  elle.  A  peine 
a-t-elle  pu  réunir  quelques  centaines  démembres.  Le  milieu  de 
Bruxelles  semble  être  peu  favorable  à  son  œuvre. 


H.  —  SECTION  LITTERAIRE. 


Les  écrivains  flamands  dans  la  littérature  française 
et  la  portée  européenne  de  leur  apport, 


Albert    HEUMANN, 

homme  de  lettres. 


On  a  pu  dire  justement  de  la  Flandre  qu'elle  forme  un  phéno- 
mène d'angle  cnlro  deux  civilisations,  entre  deux  cultures,  entre 
deux  langues...  C'est  un  tort  de  prendre  la  Flandre  pour  une 
annexe  de  l'Allemagne,  naturellement  hostile  aux  manifestations 
de  la  pensée  française,  à  l'expression  française. 

Dès  le  xni"  siècle,  les  bourgeois  des  provinces  flamandes  par- 
laient français,  et.  de  nos  jours,  combien  rencontrerions-nous,  à 
Anvers,  à  Gand,  à  Bruges,  d'hommes  instruits  qui  ne  fussent 
aussi  familiarisés  avec  le  français  qu'avec  le  flamand?  En 
Flandre,  les  intellectuels  ont  deux  langues  maternelles  :  vérité 
que  volontiers  les  flamingants  oublient... 

Il  n'existe  pas,  à  première  vue,  de  raisons —  sinon  des  raisons 
politiques  —  qui  inclinent  les  écrivains  flamands  vers  la  langue 
flamande  plutôt  que  vers  la  langue  française;  j'en  distingue,  par 
contre,  d'impérieuses  pour  qu'ils  préfèrent  celle-ci  à  celle-là. 
Usant  de  la  première,  ils  s'adressent  nécessairement  à  un  public 
très  restreint,  au  seul  public  d'une  partie  de  leur  patrie,  ils  ne 

Il  1 


2  —  II-l  SECTION   LITTÉRAIRE 

peuvent  guère  se  flatter  d'être  lus  en  France  ou  en  Allemagne, 
de  devenir  européens,  d'exercer  une  influence;  ils  resteront  des 
auteurs  provinciaux,  tandis  que,  s'ils  emploient  la  seconde, 
n'ont-ils  pas  les  plus  grandes  chances  de  passer  la  frontière  et 
de  forcer  l'attention  d'autres  pays  ? 

La  langue  française  conduit  les  écrivains  flamands  à  la  cul- 
ture française  ;  des  considérations  variées  les  détournent  de  la 
culture  germanique.  Toutefois,  avant  de  les  examiner  et  afin 
d'en  apprécier  mieux  la  portée,  tentons  d'esquisser  la  physiono- 
mie originale  des  littérateurs  dont  nous  nous  occupons. 

IjCS  écrivains  flamands  sont  des  coloristes,  presque  toujours 
truculents,  mais  non,  parfois,  sans  mysticisme.  Peignant  sur  le 
papier,  tels  leurs  ancêtres  des  xv^  et  xvir  siècles  sur  la  toile,  ils 
brossent  des  fresques  rutilantes  sans  s'inquiéter  de  la  composi- 
tion, sans  se  soucier  de  l'équilibre.  Comme  ils  éprouvent  avec 
exaltation  et  tumulte,  ils  jettent  toutes  brûlantes  leurs  sensa- 
tions désordonnées,  leurs  visions  brutales,  leurs  mystérieuses 
angoisses. 

Le  roman  passe  à  bon  droit  pour  la  véritable  incarnation  du  tem- 
pérament flamand,  car,  plus  encore  que  la  poésie  et  le  théâtre, 
il  invite  aux  descriptions.  Conteurs  flamands,  qui  négligent 
les  études  psychologiques,  les  complications  sentimentales,  vos 
livres  sont  des  tableaux  exubérants  de  vie  sensuelle,  à  la  manière 
de  Rubens,  Jordaens  ou  Teniers  !  Qu'il  me  suflise  d'évoquer  ici 
la  merveilleuse  Légende  d'tJlenspiegel,  de  Charles  De  Coster, 
toute  cette  œuvre  robuste,  vaillante  et  sincère  du  regretté 
Camille  Lemonnierqui  fut  un  décorateur  puissant,  et  les  com- 
positions sauvages,  souvent  àprcment  belles,  de  Georges  Eek- 
houd,  et  les  kermesses  endiablées,  elles  invraisemblables  orgies 
auxquelles  nous  convie  Eugène  Demolder,  dans  La  Route  d'Éme- 
raude... 

Les  poètes  aussi  sont  des  coloristes.  Emile  Verbaeren  écrivait 
ses  Flamandes  au  retour  de  promenades  par  les  musées;  encore 
qu'il  ait,  depuis,  tempéré  sa  fougue  efi'rénée,  les  dons  du 
peintre  subsistent  chez  lui  intacts.  Quel  sens  étonnant  des  expres- 
sions qui  font  tableau  !  Verbaeren  parle  à  nos  yeux  non  moins 
qu'à  notre  cœur.  Dans  Les  liyihmes  souverains,  il  fixe  certaines 


SECTION    UTTÉnAIHE  II-l— 3 

atliludes,  certains  gestes  décisifs  de  l'humanité  avec  le  relief 
vigoureux  et  la  flamboyante  couleur  d'un  Michel-Ange,  éterni- 
sant, sous  la  voûte  de  la  Sixline,  les  scènes  les  plus  draniati(|ues 
de  la  Genèse.  D'autres  poètes,  les  Rodenbach,  lesVan  Lerberghe, 
les  Maeterlinck  s'apparentent  h  des  primitifs  inquiets,  tendres 
et  mystiques,  tels  que  Memling  et  Van  Eyck.  Est-il  possible 
de  lire  La  Chanson  d'Eve,  de  Van  Lerberghe,  sans  songer  au 
Printemps,  à  La  Naissance  de  Vénus  de  Sandro  Botticelli  ? 

Tous  ces  écrivains,  qu'ils  se  nomment  Lemonnier,  Demolder, 
Kodenbach,  Van  F^erberghe,  Maeterlinck,  Verhaeren,  qu'ils 
entonnent  les  chants  glorieux  d'une  foule  en  liesse  ou  bien  sil- 
houettent des  béguines  frôlant  à  pas  étouffes  les  vieilles  maisons 
de  Bruges,  que  leurs  teintes  éclatent  joyeuses  et  sonores  comme 
l'appel  d'une  fanfare,  qu'elles  s'estompent,  épuisées,  dans  une 
atmosphère  de  recueillement,  qil'il  s'agisse  d'une  cité  ardente  et 
rétive,  ou  du  travail  méthodique  des  abeilles,  qu'ils  peignent 
surtout  avec  leurs  sens,  leur  sensibilité,  leur  imagination  hallu- 
cinée ou  leur  mysticisme  troublant,  tous  ces  écrivains  sont, 
d'abord,  des  coloristes.  C'est  à  la  couleur  qu'ils  s'attachent  ;  plu- 
tôt que  d'analyser  des  impressions,  ils  les  extériorisent  en  cou- 
leurs. Avec  leurs  plumes,  ils  s'expriment  comme  les  artistes 
d'autrefois  avec  leurs  pinceaux. 

Besoin  de  peindre  équivalant  à  une  fonction  naturelle,  effer- 
vescence débordante,  en  apparence  rebelle  à  toute  loi,  penchant 
instinctif  vers  un  mysticisme  mal  défini,  voilà  les  caractères 
essentiels  des  écrivains  flamands.  A  leurs  talents  magnifiques, 
mais  immodérés  et  excentriques,  incomplets  et  imprécis,  il  fal- 
lait un  correctif  ou  un  complément. 

Le  choix  s'offrait,  aux  littérateurs  de  Flandre,  entre  la  culture 
allemande,  à  laquelle,  certes,  leur  nature  les  prédisposait  davan- 
tage, et  la  culture  française  dont  la  langue  française  leur  livrait 
plus  aisément  le  secret. 

L'intelligence  allemande,  spéculative,  souvent  nébuleuse,  amie 
du  raisonnement  abstrait,  peu  préoccupée  du  bon  goût  de  la 
forme,  n'aurait  pas  manqué,  s'ils  s'y  étaient  livrés,  d'envelop- 
per de  ténèbres  plus  épaisses  leurs  pensées  mal  élucidées,  sans 
atténuer  la  violence  de  leurs  instincts.  Par  ailleurs,  l'Allemagne 


4  —  H-1  SECTION   UTTÉRAïaB 

observe  le  culte  d'une  hiérarchie  stricte  qui  peut  gêner  singuliè- 
rement les  honuiies  de  lettres  résolus  à  défendre  leur  indépen- 
dance... 

L'intelligence  française,  intelligence  organisatrice,  éprise  de 
clarté,  d'harmonie,  allait  au  contraire  tempérer  ces  natures 
impétueuses  et  révéler  le  sens  des  proportions,  de  la  mesure, 
qualités  ossunlielles  des  races  latines,  à  ceux  même  qui  en 
paraissaient  irrémédiablement  dépourvus.  Sans  aucun  doute, 
pour  se  faire  lire  en  Europe,  pour  imprimer  leur  marque,  pour 
exercer  un  ascendant  universel,  les  écrivains  flamands  devaient 
se  débroussailler,  se  discipliner  au  contact  de  la  culture  fran- 
çaise. Et  puis,  la  France  ne  représente-t-elle  pas  à  des  esprits 
créateurs  la  liberté,  et,  conséquence  de  la  liberté,  l'espoir  de 
df)miner,  un  jour,  par  leur  propre  force? 

Presque  tous,  ils  sont  venus  à  nous,  les  écrivains  flamands. 
Examinez  leurs  œuvres  et  vous  découvrirez  à  un  moment  notre 
empreinte  plus  ou  moins  vive. 

Lcmonnier  n'aurait  pas  écrit  Au  Cœur  frais  de  la  /oretlorsqu'il 
débutait,  ni  Demolder  Le  Jardinier  de  la  Pompadour.  Songez 
que  l'auteur  de  La  Vie  des  abeilles  nous  avait  donné  jadis  le 
Théâtre  d'angoisse,  qu'avant  de  composer  Les  llythmes souverains 
Verhaercn  avait  projeté  Les  Villes  lentaculaires. 

A  ces  écrivains,  notre  culture  insinua  lentement,  mais  sûrement, 
ses  bienfaits,  elle  les  équilibra,  les  aflina,  leur  permit  de  véhi- 
culer à  travers  l'Europe  des  œuvres  mieux  bâties,  plus  propres, 
par  conséquent,  à  être  comprises  et  appréciées  dans  beaucoup  de 
pays.  Seulement,  et  c'est  l'honneur  des  écrivains  flamands,  ils 
eurent  conscience  que  se  former  à  la  culture  française  ne  signi- 
fiait point  se  franciser;  ils  n'ont  pas  fait,  du  moins  la  plupart, 
bon  marché  de  leur  originalité.  Ils  ont  continué  à  sentir  en  Fla- 
mands, sans  renier  aucune  des  vertus  de  leur  race  généreuse, 
ils  sont  demeurés  des  coloristes  lumineux  et  un  peu  mystiques, 
mais  ils  ont  habillé  à  la  française  leurs  impressions  d'hommes 
du  Nord.  Ceux  qui,  dépouillant  toute  personnalité,  s'égarèrent  à 
la  suite  des  naturalistes  ou  des  parnassiens,  ne  furent  jamais  que 
de  médiocres  imitateurs.  Les  écrivains  flamands  possèdent  des 
qualités  admirables  qu'ils  doivent  conserver  jalousement. 


SECTION   LITTÉRAIRE  II-l— 6 

Ainsi,  seuls  ou  à  peu  près  seuls  en  Europe,  les  littérateurs  de 
Flandre  ont  cet  avantage  inestimable  de  ne  pas  résister  par 
instinct  à  la  pensée  germanique,  tout  en  s'étant  perfectionnés  et 
grandis  au  moyen  de  la  culture  française.  Quelle  merveilleuse 
situation  est  la  leur  !  Cet  idéalisme  mystique  et  un  peu  «  flou  » 
qui  persistera  toujours  au  fond  des  écrivains  flamands,  qu'on 
retrouve,  sous  la  forme  latine,  par  toute  l'œuvre  de  Maeterlinck, 
qui  reparaît  souvent  dans  les  poèmes  de  Verhaeren,  suttit  à  ne 
pas  leur  aliéner  les  sympathies  anglo-saxonnes;  mais,  d'autre 
part,  la  culture  française  a  tellement  imprégné  leurs  produc- 
tions qu'aucun  esprit  français  ne  peut  raisonnablement  voir  en 
eux  des  étrangers.  Et  les  voilà  également  accessibles  à  deux  civi- 
lisations dirtérentcs,  honorés,  revendiqués  par  deux  races  dont 
les  idées  s'opposent. 

Dans  l'antiquité,  sept  villes,  dit-on,  se  disputaient  l'honneur 
d'avoir  donné  le  jour  à  Homère;  aujourd'hui,  si  j'en  croyais 
quelques  critiques  de  plusieurs  nations  européennes,  je  décla- 
rerais Verhaeren  tout  à  la  fois  Belge,  Français,  Allemand, 
Anglais,  tant  certains  littérateurs  de  ces  pays  mettent  de  convic- 
tion à  le  réclamer  pour  leur  patrie  :  témoignage  éclatant  que 
Verhaeren  est  vraiment  un  poète  européen  ! 

Réunir  en  volumes  tous  les  articles  qui  ont  été  déjà  publiés 
sur  Verhaeren  cl  Maeterlinck,  constituerait  le  plus  suggestif  des 
travaux...  Pour  le  seul  Verhaeren,  nos  nombreux  commenta- 
teurs d'expression  française.  Français,  Belges,  Suisses,  y  pren- 
draient place  en  compagnie  de  M'""  Erna  Rehwold,  de 
MM.  Georges  Brandès,  Stefan,  Zweig,  Valère  Brussor,  Osman 
Edwards,  Dario  de  Rogoyos,  et  je  n'en  cite  que  quelques-uns... 
L'on  n'obtiendrait  pas  moins  de  variété  en  éditant  un  recueil 
polyglotte  des  poésies  de  celui  dont,  l'année  dernière,  des  villes 
aussi  différentes  que  Paris,  Nantes,  Hambourg,  Berlin,  Vienne, 
Munich,  Genève,  Lausanne,  Zurich,  Anvers,  entendirent  la 
parole  enflammée  et  convaincante. 

Quant  aux  pièces  de  Maeterlinck,  ne  paraissent-elles  pas  sur 
la  plupart  des  scènes  ? 

Kappellerai-je  enfin  que  l'œuvre  de  cet  autre  grand  Flamand, 
qui  suscite  dans  le  monde  entier  éludes  et  controverses,  futcon- 


6  —  II-l  SECTION   I.ITIÉRAIRE 

sacrée  par  la  plus  huute  récompense  littéraire  internationale, 
1p  prix  Nobel? 

Il  faut  convenir  que,  si,  à  l'heure  actuelle,  Maeterlinck  et 
Vcrhaercn  méritent  le  titre  d'écrivains  universels,  s'ils  sont  lus, 
s'ilssont  joués,  s'ils  sont  traduits,  s'ils  sont  fêtés  simultanément 
en  Belgique,  en  France,  en  Italie,  en  Angleterre,  en  Hollande, 
en  Danemark,  en  Allemagne,  en  Russie,  même  bien  au  delà  des 
mers,  en  Amérique  et  en  Asie,  certes,  c'est,  avouons-le,  parce 
qu'ils  ont  du  génie,  parce  que  leur  littérature  n'est,  à  aucun 
degré,  une  littérature  de  clocher,  mais,  dans  toute  l'acception  du 
terme,  une  littérature  humaine,  parce  que  la  philosophie  de- 
Maeterlinck  séduit  les  âmes  françaises  comme  celles  d'outre- 
Rhin  et  les  poèmes  de  Verhaeren,  célébrant  toutes  nos  énergies 
et  glorifiant,  avec  splendeur,  la  vie,  émeuvent  aussi  profondé- 
ment le  cœur  d'un  Slave  que  celui  d'un  Latin;  certes,  c'est  bien 
pour  ces  raisons-là,  mais  c'est  aussi  parce  que,  sans  déformer  leurs 
magnifiques  tempéraments  septentrionaux,  ils  les  ont  résolu- 
ment assouplis  par  la  culture  française.  C'est  elle  qui  permit, 
qui  permet  chaque  jour  à  leurs  belles  natures,  saines,  ardem- 
ment pittoresques,  sans  cesse  éveillées  et  bouillonnantes  d'une 
sève  féconde,  de  s'affirmer  des  forces  novatrices,  d'enrichir  le 
patrimoine  intellectuel  de  l'univers. 

Aussi  n'ai-je  jamais  pu  comprendre  ce  nationalisme  chatouil- 
leux qui  prétend  excommunier  des  auteurs  français  dont  le 
grave  tort  est  d'appartenir  politiquement  à  un  pays  voisin. 

La  littérature  doit  parfois  ignorer  les  frontières.  Puisque,  de 
l'autre  côté  du  Rhin,  on  veut  naturaliser  Allemands  Verhaeren 
et  Maeterlinck,  sachons  <lonc  tous,  en  France,  les  adopter,  eux 
qui  illustrent  notre  langue,  notre  culture  et  les  répandent 
jusqu'aux  lointains  continents!  Je  vois  là  plus  qu'un  acte  de 
courlfjisie,  une  véritable  dette  d'honneur  :  l'estime  et  l'admira- 
tion que  ces  écrivains  provoquent  en  Europe  n'apportent-clles 
pas  aux  Lettres  françaises  la  plus  vivifiante  des  gloires? 


II.  —  SECTION  LITTERAIRE. 


Le   rôle   des   revues    françaises, 


Gaston-  BORD.VT, 
directeur  de  la  Rcnif  des  FratiçaU. 


La  question  fort  intéressante,  que  notre  éminent  et  cher  pré- 
sident. M.  Wilmotte,  a  bien  voulu  me  demander  de  vous  exposer, 
serait  particulièrement  délicate  à  traiter  dans  un  Congrès  inter- 
national, où  nous  ne  serions  pas  sùi"s,  nous  autres  Français  de 
France,  de  ne  rencontrer  que  des  amis.  Mais  votre  attitude  si 
empressée,  en  même  temps  qu'elle  nous  honore,  nous  confère  le 
précieux  privilèj^e  de  vous  revendiquer  comme  nos  compatriotes 
intellectuels.  Cela  nous  met  à  l'aise  pour  vous  parler  sans  réti- 
cences des  questions  qui  nous  intéressent. 

Le  rôle  des  revues  franvaises  dans  la  défense  et  la  propagation 
de  la  langue  et  de  la  culture  franvaises  doit,  pour  être  etlicace. 
procéder  de  cette  proposition,  qu'il  nous  faut  ériger  en  axiome  • 
ce  n'est  pas  tant  la  langue  française  qu'on  aime,  que  la  langua 
des  Français.  Je  me  souviens  que  M.  Ernest-Charles,  dans  un 
très  éloquent  discours  prononcé,  en  1908.  à  notre  Congrès 
d'.Vrlon,  soutint  déjà  cette  proposition.  D'où  vient  le  succès  de 
la  langue  française  dans  le  monde?  disait-il  à  peu  près;  sans 
doute  de  ce  qu'elle  est,  par  nature,  une  «  belle  langue  »,  mais  plus 


8  —  II-2  SECTION   LITTÉRAIRE 

encore,  bien  plus,  de  ce  qu'elle  a  servi  d'expression  à  une  foule 
d'idées  nobles  et  de  sentiments  généreux.  Si  donc  nous  désirons 
maintenir,  grandir  encore  à  travers  le  monde  le  prestige  de  la 
langue  française,  nous  devons  avant  tout  nous  préoccuper  de 
maintenir  et  de  garantir  le  prestige  des  idées  françaises. 

Il  en  résulte  qu'une  revue,  dont  l'ambition  est  de  prêter  son 
concours  à  l'œuvre  de  notre  Association  internationale,  doit,  non 
seulement  —  condition  primordiale  — ,  être  écrite  en  excellent 
français,  mais  encore  être  rédigée  de  façon  telle  qu'elle  serve,  si 
j'ose  dire,  de  «  réclame  »  à  l'idée  française. 

Cela  m'amène  à  constater  que  les  revues  françaises  préoccupées 
de  pure  littérature  ne  sont  pas  celles  qui  rendent  le  plus  de 
services  à  la  propagation  de  notre  culture  dans  le  monde.  Elles 
sont  loin  d'être  inutiles,  certes,  et  font  le  plus  grand  honneur  à 
notre  corporation,  mais  leur  rôle  est  très  limité  :  d'une  part,  en 
raison  de  leur  circulation  relativement  restreinte,  d'autre  part, 
en  raison  même  de  l'excellente  qualité  de  leur  public.  Les 
étrangers  qui  lisent  ces  revues  purement  littéraires  savent  le 
français,  souvent  mieux  que  les  Français;  notre  culture  n'a  pas 
d'adeptes  plus  fervents  ;  ce  sont  des  convertis,  des  fidèles,  des 
apôtres  parfois.  Leur  sympathie  nous  est  précieuse,  et  nous  avons 
raison  de  l'entretenir,  mais  si  nous  voulons  propager,  conquérir, 
c'est  un  autre  public  que  nous  devons  viser. 

Tout  n'est  pas  que  littérature.  Il  y  a  la  vie  qui,  c'est  un  fait, 
nous  préoccupe  généralement  bien  davantage.  Je  ne  cherche  pas 
ici  si  c'est  là  un  mal  ou  un  bien,  mais  j'en  trouve  une  preuve 
particulièrement  décisive,  en  ce  qui  concerne  notre  sujet,  dans 
cette  constatation  que  les  publications  vivantes  —  j'entends  par 
là  se  rapportant  à  notre  vie  de  chaque  jour,  considérée  sous  ses 
aspects  les  plus  divers  —  ont  toute  la  faveur  du  public.  Appelés 
à  remplir  une  œuvre  de  propagande,  nous  devons  évidemment 
nous  préoccuper  des  moyens  d'élargir,  le  plus  possible,  notre 
circulation.  Nous  devons  chercher  à  être  lus  par  le  plus  grand 
nombre  possible.  La  première  condition  pour  y  parvenir,  c'est 
de  faire  notre  revue  vivante. 

Cette  condition  remplie,  jointe  à  d'autres  qu'il  est  superflu 
d'énumérer  ici  parce  qu'elles  sont  étrangères  au  sujet  que  nous 


SECTION  LITTÉHAIRE  II- 2  —  9 

discutons,  nous  voici  donc  en  possession  d'un  public  étendu,  en 
partie  composé  de  nombreux  étrangers  :  notre  revue  circule  de 
par  le  monde.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'elle  servira  sûrement, 
par  là,  l'idée  française  ni  la  cause  qui  vous  tient  à  cœur.  Elle 
pourra  même  nuire  à  cette  cause,  d'autant  plus  dangereusement 
qu'elle  aura  plus  de  succès.  Pour  la  servir,  elle  devra  s'inspirer, 
principalement,  de  ces  deux  idées:  1°  s'abstenir  de  toute  publi- 
cation susceptible  de  porter  atteinte  au  prestige  français;  2"  saisir 
avec  empressement  toute  occasion  de  mettre  en  lumière  ce  qui 
peut  rehausser  ce  prestige  et  commander  la  sympathie. 

Prestige  et  sympathie,  telles  sont,  de  par  le  monde,  les  deux 
supériorités  attractives  de  la  France.  Je  l'ai,  pour  ma  part, 
constaté  au  cours  de  mes  voyages  dans  tous  les  grands  pays  du 
globe.  Eh  bien,  si  nous  voulons  que  notre  langue  et  notre  culture 
continuent  de  tenir  un  rang  élevé,  si  nous  voulons  en  élargir 
encore  la  souveraineté,  il  faut  nous  appliquer  à  conserver  intacts 
vis-à-vis  du  monde  étranger — et  aussi,  permettez-moi  de  le  dire, 
vis-à-vis  de  nous-mêmes  —  ces  deux  précieux  atouts.  Dussé-je 
être  taxé  d'immodestie,  j'oserai  dire  que,  pour  les  conserver  et 
les  amplifier,  il  nous  suffit  de  nous  montrer  tels  que  nous 
sommes,  et  la  France  d'aujourd'hui  telle  qu'elle  est.  Ce  n'est  pas 
généralement  notre  fait  :  vous  savez  que,  plus  que  tous  autres,  les 
Français  ont  perdu  l'habitude  de  a  laver  leur  linge  sale  en 
famille»  et  avec  discrétion.  Nous  étalons,  en  revanche,  nos 
faiblesses  avec  une  sorte  de  raffinement.  Et  nous  semblons  nous 
évertuer  à  vouloir  persuader  au  monde  que  nous  sommes  en 
pleine  décadence,  alors  qu'aucun  de  nous,  bien  au  fond,  n'est 
convaincu  que  du  contraire. 

Je  vous  laisse  à  penser  si  ces  pratiques,  habilement  exploitées 
par  les  rivaux  de  notre  influence,  facilitent  l'expansion  de  la 
langue  et  de  la  culture  française.  Apprendre  la  langue  d'un  peuple 
en  perdition!  A  quoi  bon?  S'imprégner  d'uneculture  qui  aboutit 
à  une  telle  déchéance!  Quelle  nécessité?  Mieux  vaut,  disent  nos 
ennemis,  vous  imprégner  de  la  culture  de  peuples  forts.  Laissez 
donc  le  français  à  vos  philologues  et  à  vos  dilettantes,  mais  vous, 
qui  voulez  vivre  votre  vie,  apprenez  les  langues  vraiment  vivantes. 

Voilà  où  aboutit  notre  fâcheuse  manie  de  nous  décrier  les  uns 


10  —  II-2  SECTION   LITTÉRAIRE 

les  autres:  à  une  diminution  de  prestige.  Je  ne  voudrais  pas  ici 
médire  des  journaux,  nos  grands  frères,  mais  vous  savez  comme 
moi,  et  ils  le  savent  eux-mêmes,  qu  ils  sont  aussi  ma!  faits  que 
possible,  en  général,  pour  donner  au  public  une  idée  de  la 
France.  Aucun  d'eux  ne  représente  totalement, absolument,  l'idée 
fian(,îaise  dégagée  de  tout  parti  pris.  Fort  peu  ont  su  se  libérer 
entièrement  du  déplorable  procédé  qui  consiste  à  flatter  son  public 
auxdépensdu  public  du  voisin  ;àHatter  son  public, encore, en  lui 
servant  les  plats  de  mauvais  goût  qu'il  s'est  accoutume  d'aimer 
et  qui  le  dépravent.  Crimes,  scandales,  querelles  de  clocher 
tiennent  ainsi  très  souvent  la  première  place,  aux  dépens  des 
questions  nationales  sur  lesquelles  d'ailleurs,  presque  toujours, 
les  Français  se  trouveraient  d'accord  si  le  journal  n'était  pas  là 
pour  les  dresser  les  uns  contre  les  autres. 

Certes,  nos  journaux  sont  une  mine  pour  les  ennemis  de  la 
culture  française.  Cependant,  il  est  juste  de  dire  qu'en  presque 
tous  pays  la  presse  quotidienne  subit  les  mêmes  influences.  Le 
public  éclairé  apprend  ainsi  à  faire  la  part  des  exagérations. 
Sans  doute,  il  ne  crie  pas  Mensonge!  à  tout  propos,  mais  il 
est  disposé  au  doute.  Le  rôle  de  la  presse  périodique  consiste 
à  protiter  de  cet  état  d'esprit.  Ses  assertions  ont  plus  de  poids, 
parce  qu'on  les  sait  plus  réfléchies;  cette  presse,  qui  n'est  pas  sou- 
mise aux  nécessités  tyranniques  de  la  presse  quotidienne,  est 
d'autant  plus  coupable  lorsqu'elle  se  laisse  aller  aux  mêmes 
erreurs.  Notre  œuvre  à  nous  doit  être  une  œuvre  de  jusle  mise 
au  point.  Nous  devons  traiter  de  nos  questions  intérieures  d'un 
point  de  vue  suffisamment  élevé  pour  qu'elles  demeurent  com- 
préhensibles, abstraction  faite  de  nos  querelles  de  partis;  nous 
devons  être  toujours  prêts  à  faire  paraîti-e,  au  moment  oppor- 
tun, l'article  de  polititique  extérieure  utile  à  la  défense  du 
point  de  vue  français.  Ainsi  notre  revue,  circulant  à  travers  le 
monde,  créera  des  amitiés  françaises,  servira  notre  cause  et 
soutiendra  dignement.  Messieurs,  nos  efforts  et  notre  propa- 
gande. 

Nous  avons  résumé  les  trois  conditions  primordiales  du  rôle 
efficace  et  bienfaisant  de  la  presse  périodique  dans  la  propaga- 
tion de  notre  langue  et  de  notre  culture.  La  première,  c'est  de 


SECTION    LITTÉRAIUE  II-2 —  H 

se  créer  une  circulation  importante;  la  seconde  et  la  troisième, 
d'être  française,  au  véritable  sens  du  terme,  dans  le  fond  comme 
dans  la  forme. 

Ces  conditions  sont  suffisantes.  Il  est  cependant  bien  d'autres 
moyens,  pour  nos  revues,  d'accroître  encore  leur  action  bien- 
faisante. Par  exemple,  nous  devrions  tous  nous  efforcer  de  ser- 
vir de  «  trait  d'union  »,  dans  les  pays  où  la  culture  française  est 
en  honneur,  entre  les  groupes  qui  soutiennent  cette  culture 
et  le  public  de  France.  Les  Français  fixés  à  l'étranger  tra- 
vaillent pour  nous  dans  un  complet  silence  :  la  publicité  donnée 
à  leurs  efforts  les  stimulerait  sans  doute,  grandirait  leur  pres- 
tige, augmenterait  leur  pouvoir. 

Dans  un  autre  ordre  d'idées,  nous  devrions  aussi  chercher 
à  nous  créer  de  précieuses  alliances  avec  les  écrivains  étrangers 
qui  jouissent  en  leur  pays  d'une  réputation  légitime.  Quantité 
d'entre  eux  viennent  en  France.  Offrons-nous  donc  à  publier 
leurs  impressions.  Donnons-les,  au  besoin,  dans  leur  langue,  à 
l'exemple  de  certaines  revues  anglaises  qui  se  mettent  à  publier, 
en  français,  des  articles  de  nos  grands  écrivains.  Ces  écrivains, 
aimés  et  glorifiés  dans  leur  pays,  écoutés  de  leurs  compatriotes, 
en  devenant  nos  collaborateurs,  deviendront  les  garants  de  notre 
cause. 

J'aimerais  aussi  que  nos  revues  publiassent  plus  souvent  des 
études  concernant  les  pays  étrangers,  où  nous  avons  des  sym- 
pathies à  affirmer  ou  des  inimitiés  à  combattre.  Intéressons-nous 
donc  aux  grands  jubilés  étrangers,  aux  congrès,  aux  solen- 
nités littéraires  et  universitaiies  :  soyons  toujours  courtois  et 
justes.  On  nous  paiera  de  retour.  Nous  parlons  trop  de  nous- 
mêmes  :  prouvons  au  public  du  dehors  qu'il  ne  nous  est  pas 
indifférent.  Plus  nous  lui  laisserons  croire  qu'il  se  diffuse  chez 
nous,  plus  il  sera  lui-même  disposé  à  nous  laisser  nous  diffuser 
chez  lui. 

Une  revue  peut  encore  exercer  une  action  utile  par  les  initia- 
tives les  plus  diverses,  telles  que  :  concours  dont  l'objet  et  les 
récompenses  soient  appropriés  à  une  propagande  définie;  créa- 
tion de  bourses  de  voyage  à  l'étranger  pour  des  Français,  et 
en  France  pour  des  étrangers;  ouverture  de  conférences;  pu- 


12  —  II-2  SECTION  LITTÉRAIRE 

blication  de  suppléments  spéciaux,  etc.,  etc.  J'abrège,  car 
j'ai  déjà  sans  doute  dépassé  les  limites  qui  m'étaient  assignées. 
Je  n'achèverai  pas,  cependant,  sans  rendre  hommage,  un  hom- 
mage très  sympathique,  très  empressé  et  très  reconnaissant,  à 
la  presse  étrangère  de  langue  française.  Elle  est  brillamment 
représentée  à  ce  Congrès.  Beaucoup,  parmi  ses  représentants, 
devraient  nous  servir  d'exemple  à  la  fois  par  la  dignité  de  leur 
tenue  et  par  l'originalité  de  leur  conception.  Vous  me  permet- 
trez, Messieurs,  en  terminant,  de  vous  associer  aux  mvux  que  je 
forme,  au  nom  de  mes  confrères  de  la  presse  périodique,  pour 
là  prospérité  croissante  de  ces  revues  étrangères  de  langue  fran- 
çaise, dont  l'activité  si  eflicace  nous  réconforte,  nous  grandit  et 
nous  honore  infiniment. 


II.  -  SECTION  LITTERAIRE 


La  librairie  et  l'extension  de  la  littérature  française, 


H   BOURRELIER,  A.  GILLON,  A.  MAINGUEÏ  et  R.  LISBONNE, 
éditeurs  à  Paris. 


I 

Le  livre  français.  Sa  production;  savante  à  létranger, 

par    II.    BOURREUER. 

A  la  différence  des  autres  produits  de  l'industrie,  dont  les 
'■changes  nous  renseignent  sur  le  degré  de  prospérité  matérielle 
(l'un  pays,  la  production  et  l'exportation  du  livre  constituent  un 
«  indice  »  précieux  de  la  «  valetir»  intellectuelle  d'une  nation, 
absolument  d'abord,  et  aussi  en  fonction  des  autres  nations. 
Sous  sa  vêturc  banale  comme  sous  sa  reliure  de  luxe,  le  livre 
recèle  en  lui  tout  un  monde  d'idées,  de  sentiments,  de  faits. 
C'est  un  article  commercial  d'un  genre  spécial,  dont  le  «  conte- 
nant »  peut  ne  valoir  que  quelques  centimes  et  le  «  contenu  » 
être  d'un  prix  inestimable.  Connaître  le  mouvement  de  librairie 
d'un  pays,  c'est  en  connaître  les  forces  vives  de  puissance  intel- 
lectuelle, c'est  délimiter  l'aire  de  rayonnement  du  génie  d'un 
peuple. 


14  —  11-3  SECTION   LITTÉRAIRE 

Nous  allons  essayer  brièvement  de  déterminer  les  rapports 
étroits  qui  unissent  le  développement  de  la  librairie  à  l'exten- 
sion de  la  littérature  française  à  l'étranger. 

La  production  krançaise. 

A)  Sa  richesse.  —  La  production  du  livre  français  se  maintient 
à  un  niveau  très  honorable.  «  Nous  avons  additionné,  écrit 
M.  Eugène  Morel,  l'érudit  bibliothécaire  de  la  Bibliothèque 
nationale,  les  numéros  du  dépôt  légal  (livres,  publications  non 
périodiques  ou  annuelles)  en  France  depuis  1884,  et  nous  trou- 
vons une  moyenne  de  20,000  ouvrages,  avec  maximum  de 
22,000  en  1890  et  minimum  de  17,000  en  1893.' 

«  Les  périodiques,  comptés  à  part,  sont  au  nombre  de  15,914, 
représentant  environ  692,000  numéros  par  an.  » 

Acceptons  donc  comme  moyenne  le  chiffre  de  20,000  donné 
par  M.  Eugène  Morel,  et  établi  sur  les  données  de  vingt-cinq 
années. 

Comparons-le  avec  la  production  d'une  autre  grande  nation 
productrice,  l'Allemagne,  par  exemple.  L'Allemagne  atteint, 
disent  ses  statistiques,  une  moyenne  annuelle  de  30,000  ou- 
vrages (31,281  en  1910,  32,998  en  1911). 

Eu  égard  au  chiffre  de  la  population,  la  France  conserve  sur 
sa  voisine  une  avance  nettement  marquée,  puisque,'  pour  une 
population  de  40  millions,  elle  produit  20,000  ouvrages,  tandis 
que  l'Allemagne  n'en  produit  que  30,000  pour  une  population 
de  près  de  80  millions.  La  statistique  allemande  comprend,  en 
effet,  outre  les  ouvrages  parus  dans  l'Empire,  ceux  des  parties 
des  États  voisins<Autriche  et  Suisse)  où  est  parlé  l'allemand  (}). 

(1)  Empire  d'Allemagne 64,925,993 

Autriche. 9,950,266 

Suisse 2,599,154 

77,475,413 
Chiffres  de  Statesmojis   Yearbooh  de  1913,  auquel  il  faut  ajouter  la 
population  de  langue  allemande  des  provinces  russes  voisines  de  l'Alle- 
magne. 


SECTION    LITTÉRAIRE  II-3  —  lo 

B)  Sa  variété.  —  Plus  encore  peut-être  que  la  richesse,  Ja 
variété  de  production  française  est  remarquable.  Il  n'est  pas  une 
branche  de  l'activité  humaine  que  le  livre  français  n'effleure, 
n'étudie,  n'épuise.  Et  ce  n'est  pas  seulement,  —  comme  pour- 
rait le  faire  croire  la  légendaire  réputation  du  Français  vain, 
léger,  superficiel,  —  du  côté  de  la  fiction  (théâtre,  roman, 
contes  ou  nouvelles)  que  se  multiplient  les  ouvrages,  c'est  aussi 
et  surtout  dans  le  domaine  des  sciences  et  des  arts.  Un  coup 
d'œil  sur  le  tableau  ci-dessous,  très  incomplet  au  total,  mais  qui 
donne  la  proportion  des  ouvrages  dans  chaque  branche  de  notre 
activité,  montre,  mieux  que  ne  le  sauraient  faire  de  longues 
dissertations,  de  quelle  manière  s'exprime  l'effort  littéraire  de  la 
pensée  française,  vers  quelles  fins  tend  l'œuvre  de  la  science 
française  : 

Répartition  de  la  prodiction  française  en  1911. 

I.  Vie  économique  et  sociale 3,605 

II.  Enseignement 1,097 

III.  Religions 855 

IV.  Sciences  historiques 1,560 

V.  Géographie  et  voyages 256 

VI.  Sciences 398 

VU.  Sciences  médicales 1,022 

VIII.  Arts 359 

IX.  Lettres 2.297 


Total  (incomplet)  11,449 

N.  B.  —  Ce  tableau,  très  incomplet,  n'a  de  valeur  que  comme 
indication  de  la  production  relative  dans  les  neuf  grands  cadres 
de  la  Bibliographie. 

On  trouvera  plus  loin  des  études  de  détail  de  MM.  André 
(lillon  pour  le  «  Livre  d'enseignement  »,  André  Mainguet 
pour  la  «  Littérature  générale  »,  et  René  Lisbonne  pour  les 
«  Sciences  ». 


^6  —  ii-3  section  littéraire 

L'rxportation  du  liviie  fi\ançais. 

Après  la  production,  la  vente.  Dans  quelles  proportions  le 
livre  français  rayonne-t-il  au  dehors? 

Les  deux  graphiques  ci-contre  (A  et  B)  montrent  que  l'expor- 
tation dti  livre  français  est  en  progrès  continu. 

Ou'il  s'agisse  du  poids  des  marchandises  exportées,  ou  de  la 
valeur  des  livres  vendus,  on  peut  observer,  dans  les  cinq  der- 
nières années  (1907  à  1911)  une  courbe  ascendante  très  nelt«. 

On  évalue  à  45  millions  de  francs  la  valeur  annuelle  des 
livres  exportés.  Encore  n'est-ce  là  que  le  chiffre  constaté  par  les 
douanes,  et  auquel  il  faut  ajouter  plusieurs  millions  (o  environ) 
représentant  les  expéditions  par  la  poste. 

Et  ce  chiffre  approximatif  de  50  millions  est  au-dessous  de  la 
réalité,  les  évaluations  douanières  étant,  en  effet,  basées  sur  des 
données  qui  ne  répondent  plus  à  l'état  actuel  de  l'industrie 
moderne.  C'est  ainsi  qu'on  évalue  le  kilogramme  de  livres  à 
fr.  4.25;  mais,  depuis  l'introduction  et  la  grande  diffusion  des 
papiers  légers  (papier  bouffant,  bible,  etc.),  la  valeur  du  kilo- 
gramme a  sensiblement  dépassé  l'évaluation  désuète  de  fr.  4.25. 

Quoi  qu'il  en  soit,  acceptons,  faute  de  mieux,  ces  approxima- 
tions, et  enregistrons  l'accroissement  continu  et  régulier  de 
l'exportation  du  livre  français,  dont  le  chiffre  a  doublé  en 
l'espace  des  vingt-cinq  dernières  années  (•). 

Mettons  en  regard  du  commerce  du  livre  français  lo  com- 
merce du  livre  allemand.  Les  statistiques  accusent,  pour  l'an- 
née 1910,  une  exportation  totale  d'une  valeur  de  51, 01 7, 000  marcs 
(soit  en  chiffres  ronds  04  millions  de  francs). 

Ces  chiffres  appellent  une  réserve.  D'abord,  ce  qui  sort  des 
ports  allemands  n'est  pas  toujours  allemand.  De  nombreux 
importateurs  de  livres  français  sont  établis  à  Leipzig,  Berlin, 
Hambourg,  Brème,  où  ils  centralisent  des  livres  étrangers  qu'ils 
groupent  pour  les  expédier  aux  quatre  coins  du  monde.  Tout 

(')  4,350,043  kilogrammes  en  1897  représentant  une  valeur  de 
23,902,245  francs. 


SECTION    MTTÉHAIHE 


II-3  —  17 


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SECTION    LITTÉRAIRE  II-3 —  (9 

cela  figure  comme  production  allemande  aux  statistiques  d'ex- 
portation. Et  si  nous  connaissons  le  montant  approximatif  ainsi 
obtenu  des  livres  qui  sortent  d'Allemagne,  nous  ignorons  celui 
des  livres  qui  rentrent.  Or,  la  plupart  des  envois  sont  des  dépôts 
à  condition,  et  l'on  s^t  que  la  librairie  allemande  use  largement 
de  cette  forme  de  vente.  Il  est  donc  certain  que  le  nombre  des 
retours  doit  être  considérable  et  qu'il  devrait  venir  en  dimi- 
nution sur  le  chiffre  de  sortie. 

En  outre,  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  commerce  du  livre 
allemand  est  puissamment  servi  par  les  nombreuses  et  puis- 
santes colonies  d'Allemands  essaimées  par  le  monde,  aux  États- 
Unis,  au  Brésil,  par  exemple. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  nous  comparons  le  chiffre  de  l'exporta- 
tion du  livre  français  et  du  livre  allemand  pour  1910  : 

France 41,013,627  francs 

Allemagne 63,771,250  francs 

la  comparaison  n'est  pas  défavorable  au  commerce  français, 
surtout  si  l'on  tient  compte,  encore  une  fois,  des  quinze  millions 
d'individus  de  langue  allemande  groupés  immédiatement  autour 
des  frontières  de  l'Allemagne,  et  qui  sont  un  puissant  appoint 
pour  son  commerce  du  Livre. 

Le    LlVllE    FRANÇAIS   A    1,'ÉTRANGKR. 

Une  objection  ne  manquera  pas  de  se  produire.  Admettons, 
dira-t-on,  la  «  quantité  ».  Et  nous  voilà,  une  fois  encore,  en 
présence  du  thème  bien  connu  sur  la  mauvaise  réputation  du 
livre  français  à  l'étranger,  leit-motiv  de  toutes  les  polémiques, 
de  toutes  les  campagnes  dirigées  contre  la  culture  française. 

Il  y  a  beau  temps  que  cette  littérature  soi-disant  française  a 
été  démasquée,  et  on  ne  peut  raisonnablement  juger  la  France 
et  les  Français  sur  cette  littérature  faisandée  d'exportation  ou 
sur  des  productions  de  contrefaçon  étrangère  qui  n'ont  de 
français  que  le  nom. 

H  3 


20  —   II-3  SECTION    UTTÉRAIRE 

En  France,  la  production  pornographique  est  en  pleine 
décadence.  La  Bibliothèque  nationale  n'enregistre  de  ce  côté 
que  de  très  rares  dépôts  vraiment  caractérisés,  et  le  fonds  qui  lui 
est  attribué  à  la  Nationale  sous  le  nom  d'«  Enfer  »  ne  s'accroît 
plus  depuis  une  cinquantaine  d'années. 

La  conclusion  à  tirer  de  ces  faits  et  de  ces  chiffres,  qui 
prouvent  surabondamment  l'acth'ité  de  la  librairie  française  et 
son  empressement  à  défendre  sa  langue  et  sa  culture,  s'impose 
d'elle-même  :  mieux  on  connaît  à  T étranger  la  jiroduclion  intellec- 
tuelle française,  plus  celle-ci  se  crée  d'amis  et  de  lecteurs. 

Est-ce  à  dire  que  l'étranger  soit  en  contactabsoluet  permanent 
avec  l'ensemble  de  celte  production  ?  Qu'il  n'y  ait  plus  rien  à 
tenter  en  faveur  de  la  diffusion  du  livre  français  à  travers  le 
monde  ?  Que  la  librairie  française  à  l'étranger  réponde  à  tous  les 
besoins  de  la  clientèle  et  ne  laisse  rien  à  désirer  ?  Nul  ne  vou- 
drait le  prétendre. 

11  reste  encore  de  bonne  besogne  à  accomplir.  A  mesure  que 
s'accroît  la  production,  le  lecteur  demande  à  être  guidé  à  travers 
les  avenues  nouvelles  de  la  cité  des  livres.  C'est  en  multipliant 
les  bibliographies,  aussi  bien  les  répertoires  spéciaux,  — véri- 
tables instruments  de  travail  à  l'usage  des  gens  de  métier,  — 
que  les  catalogues  généraux  destinés  au  grand  public,  qu'on 
pourra  non  setilement  accroître,  mais  faciliter  la  vente,  en  la 
canalisant. 

Confiants  dans  l'avenir,  persuadés  que  la  production  française 
ne  peut  rencontrer  que  des  sympathies  à  travers  le  monde,  nous 
demandons  à  ceux  qui  ont  la  charge  de  la  propager,  de  faire 
connaître  notre  production  dans  toute  son  intégrité,  dans  toute 
sa  variété. 

Aux  amis  de  notre  langue,  nous  demandons  de  ne  l'aborder 
que  d'un  esprit  libéré  de  tout  préjugé,  de  suivre  le  mouvement 
de  la  librairie  française  et  de  recourir,  sans  hésiter,  au  produc- 
teur français,  enfin  de  se  bien  persuader  qu'il  ne  suflitpas  qu'un 
livre  soit  composé  de  mots  français  pour  être  production  fran- 
çaise. 


SECTION   LITTÉRAIRE  II-3  —  21 

II 

Les  ouvrages  de  littérature, 

par  Aniihé  Maixguet. 

La  littérature  française  a  toujours  trouvé  de  nombreux 
lecteurs  à  l'étranger.  Est-elle  aujourd'hui,  de  par  le  monde,  ce 
qu'elle  était  en  Europe  au  xviii"  siècle,  la  plus  en  vogue  dans 
chaque  pays  à  cùté  de  la  littérature  nationale  ?  Elle  semble  bien 
avoir  conservé  sa  place  en  Europe  et  implanté  son  influence 
dans  le  nouveau  monde,  malgré  que  la  personnalité  littéraire 
de  chaque  peuple  se  soit  depuis  lors  amplement  développée. 

Aujourd'hui  comme  autrefois,  presque  pai'tout  les  ouvrages 
lilléraires  français  de  tous  genres  sont  lus  et  adoptés,  contri- 
buant ainsi  à  répandre  la  langue  et  la  culture  françaises. 

Nous  allons  examiner  succinctement  les  raisons  de  cette 
situation. 

PlUNCIl'AIX    CENRKS    d'oLVUAGKS    MTTftRAIHES    FRANÇAIS. 

Le  roman  est  un  des  genres  de  notre  littérature  le  plus  goûté 
des  étrangers  :  que  ce  soit  le  roman  passionnel  ou  psycholo- 
gique, le  roman  d'aventures  ou  le  roman  à  thèse,  il  plaît  aux 
étrangers  parce  que,_dans  une  langue  toujours  simple,  agréable 
et  facile  à  lire,  les  écrivains  français  ne  craignent  pas  démettre 
en  pleine  lumière  et  d'étudier  à  fond  les  différents  états  d'âme 
de  l'humanité,  et  cela  avec  une  vigueur,  en  même  temps  qu'une 
finesse  et  une  sentimentalité  qui  savent  intéresser  et  émou- 
voir. 

Il  ne  peut  d'ailleurs  y  avoir  de  forte  et  vraiment  belle  littéra- 
ture que  dans  un  pays  où  règne  la  liberté  ;  M.  Paul  Bourget 
lui-même  a  soutenu  qu'un  écrivain  devait  avoir  licence  d'aborder 
tous  les  sujets  :  c'est  ce  que  font  les  auteurs  de  notre  pays,  avec 
une  franchise  qui  les  honore. 

Mais  on  aurait  tort  de  juger  la  famille  française,  et  en  parti- 
culier la  moralité  française,  d'après  certains  ouvrages][de  notre 


22  —  II-3  SECTION    UTTÉRAIUE 

littérature;  il  ne  faut  pas  oublier,  en  effet,  que,  comme  le  théâtre, 
le  roman  vit  de  l'étude  même  des  passions  ;  on  ne  saurait  donc 
voir,  dans  un  cas  psychologique  isolé,  une  réalité  générale  et 
sui'tout  nationale. 

11  serait  superflu  de  passer  ici  en  revue  toutes  les  publications 
à  bon  marché,  de  nature  licencieuse  et  libertine,  dont  furent 
inondés,  depuis  nombre  d'années,  les  principaux  marchés  du 
«  Livre  français  »  ;  ces  publications,  presque  toutes  d'origine 
étrangère,  n'ayant  de  français  ni  le  fond  ni  la  forme,  si  ce  n'est 
l'aspect  extérieur,  ont  un  moment  fait  le  plus  grand  tort  à  notre 
bonne  littérature  ;  elles  n'ont  heureusement  plus  aujourd'hui  le 
même  succès  qu'au  début.  (') 

Si  nous  examinons  maintenant  les  autres  branches  de  notre 
littérature,  nous  voyons,  qu'au  même  litre  que  le  roman,  le 
théâtre  français  jouit  d'une  grande  faveur  auprès  du  public 
étranger  ;  on  peut  en  dire  autant  de  nos  mémoires  et  de  nos 
grandes  publications  historiques,  dont  la  vente  à  l'étranger  est 
grande,  à  cause  du  renom  même  de  leurs  auteurs,  de  l'intérêt 
que  soulèvent  la  politique  et  la  civilisation  françaises,  et  aussi 
parce  que  le  prix  en  est  généralement  plus  abordable  que  celui 
des  ouvrages  de  même  nature  publiés  ailleurs. 

Tous  nos  ouvrages  touchant  les  beaux-arts  sont  également 
fort  appréciés  des  étrangers,  qui,  non  contents  de  venir 
s'empreindre,  dans  nos  écoles  d'art,  du  génie  de  nos  grands 
maîtres,  continuent  chez  eux  à  suivre  de  très  près  toutes  les 
manifestations  du  goût  français  en  matière  artistique.  11  faut 
cependant  signaler  qu'on  a  créé,  dans  ce  genre,  à  l'étranger,  des 
collections  qui  n'ont  pas  encore  leur  pendant  en  France. 

(')  Il  faut  néanmoins  mettre  en  garde  le  public  contre  une  série  de 
publications,  soi-disant  faites  pour  la  jeunesse,  mais  d'un  genre  tout  à 
fait  douteux,  comme  Nick  Carter  et  autres  titres  semblables.  Alors  que  la 
vente  de  ces  publications  s'est  vue  interdite  à  l'intérieur  môme  du  pays 
où  elles  étaient  nées,  l'exportation,  au  contraire,  en  a  été  fortement  sou- 
tenue parce  même  pays;  ce  qui  montre  nettement  qu'une  grande  nation 
peut  fort  bien  être  moralisatrice  chez  elle  et  pousser  à  l'immoralité  en 
dehors  de  ses  frontières. 


StCTION    LITTÉRAIRE  II-3  —  23 

Les  collections  à  bon  marché,  pour  ne  parler  que  de  celles 
d'origine  française,  répondant  à  un  besoin  et  donnant  des 
facilités  nouvelles  au  public,  ont  augmenté  sans  nul  doute  le 
nombre  de  nos  lecteurs  à  l'étranger. 

Quant  aux  journaux  et  périodiques,  ils  forment  à  eux  seuls 
une  très  notable  partie  de  notre  exportation  en  matière  littéraire, 
ainsi  que  nos  grands  magazines,  qui  contribuent  à  faire  mieux 
connaître  notre  vie  littéraire,  politique,  sociale,  artistique  et 
sportive. 

Il  ne  faudrait  pas  passer  sous  silence  nos  ouvrages  de  critique 
littéraire,  politique  ou  sociale,  qui  sont  fort  appréciés  :  sans 
doute  parce  que  nos  auteurs  osent  aborder  franchement  l'étude 
des  grands  problèmes  qui  intéressent  l'humanité  tout  entière, 
et  qu'ils  savent  les  traiter  avec  justesse,  clarté  et  vigueur  tout  à 
la  fois. 

Pour  terminer  l'étude  des  différents  caractères  de  notre  litté- 
rature, disons  quelques  mots  des  traductions  faites,  dans  les 
principales  langues  étrangères,  de  la  plupart  des  œuvres  de  nos 
grands  écrivains  ;  ces  traductions  ont  certainement  pour  résultat 
d'étendre  la  culture  française  auprès  de  ceux  qui  connaissent 
peu  ou  point  notre  langue.  Dans  le  même  ordre  d'idées,  il  est 
intéressant  de  noter  que  des  traductions  françaises  d'ouvrages 
étrangers  se  vendent  très  bien  en  dehors  même  des  pays  de 
langue  française,  voire  dans  le  pays  d'origine  :  ce  qui  montre 
nettement  que  la  forme  seule  de  nos  publications  suffît  à  les 
faire  apprécier. 

Nous  devons  ajouter  à  cela  que  le  prix  de  ces  traductions  est, 
en  général,  moins  élevé  que  celui  de  l'édition  originale  :  il  en 
est  d'ailleurs  de  même  pour  presque  tous  nos  ouvrages,  sensi- 
blement moins  chers  que  les  ouvrages  similaires  étrangers. 

Enfin  certains  de  nos  grands  auteurs  ont  eu  l'heureuse  idée, 
depuis  quelques  années,  de  faire  des  tournées  de  conférences 
à  l'étranger  ;  ces  conférences,  qui  ont  toujours  su  réunir  un 
auditoire  très  nombreux,  ont  eu  certainement  pour  effet  de 
répandre  notre  langue  et  notre  bonne  littérature. 


24  —  II-3  SECTION   LITTÉRAIRE 

VENTK    A    L'ÉTRANfiER. 

Passons  maintenant  à  l'étude  même  de  la  vente  des  ouvrages 
de  littérature  à  l'étranger. 

Dans  les  pays  de  langue  franc-aise  (Suisse  française,  Belgique, 
Canada),  toute  notre  production  littéraire  se  vend  aussi  bien 
qu'en  France  même  ;  sont  fort  appréciés,  notamment  en  Suisse 
et  au  Canada,  ceux  de  nos  romans  qui  peuvent  être  mis  entre 
toutes  les  mains. 

Parmi  les  pays  de  langue  latine,  l'Espagne  paraît  moins 
s'intéresser  à  notre  littérature  proprement  dite  qu'à  nos 
ouvrages  d'enseignement,  tandis  que  les  républicfues  de  l'Amé- 
rique du  Sud,  notamment  la  République  Argentine  et  le 
Mexique,  recherchent  avidement  tous  nos  bons  romans. 

Au  Portugal  et  au  Brésil,  les  romans  de  nos  meilleurs  écrivains 
sont  aussi  appréciés  et  recherchés  qu'en  France;  en  Italie 
et  dans  les  pays  d'Orient,  Roumanie  surtout,  notre  littérature 
jouit  d'une  très  grande  faveur. 

Dans  les  pays  de  langue  anglaise,  Angleterre  et  Etats-Unis 
d'Amérique,  où  la  haute  société  seule  connaît  le  français,  nos 
grands  romanciers  seuls  sont  connus;  dans  ces  deux  pays,  en 
outre,  nos  mémoires  et  nos  grandes  publications  historiques 
sont  fort  appréciés. 

Dans  les  pays  de  langue  germanique,  on  est,  depuis  plusieurs 
siècles,  sensible  à  l'attrait  de  lacul  turc  française.  Le  français  y 
est  relativement  très  répandu  et  notre  littérature  très  lue. 
La  haute  société  s'intéresse  beaucoup  à  nos  grands  romanciers 
ainsi  qu'à  nos  grands  mémoires  et  ouvrages  historiques;  il 
existe,  en  outre,  en  Allemagne  un  public  très  étendu  qui  achète 
nos  collections  à  bon  marché  ;  c'est  sans  doute  pour  satisfaire  à 
cette  clientèle  que  des  publications  en  langue  française  se  sont 
créées  de  toutes  pièces  dans  ce  pays,  pour  aller  ensuite  inonder 
la  plupart  des  marchés  où  le  français  était  en  honneur. 

L'Autriche  est  un  excellent  client  pour  nos  romans  et  nos 
ouvrages  historiques;   quant    aux    pays    Scandinaves,    ils   ne 


SECTION   LITTÉRAIRE  II-3  —  25 

forment,  VII  leur  faible  population,  que  de  petits  clients;  par 
contre,  nous  avons  en  Hollande  un  débouché  sérieux  pour  tous 
nos  romans. 

Nous  arrivons  enfin  aux  pays  de  langue  slave,  Russie  et 
provinces  slaves  d'Autriche -Hongrie  :  pays  dans  lesquels  le 
français  est  tout  à  fait  en  honneur;  en  Russie,  notamment,  nous 
avons  un  champ  d'action  considérable  :  la  lecture  et  l'enseigne- 
ment du  français  y  sont  à  l'ordre  du  jour  et  s'y  développent  de 
plus  en  plus;  aussi  n'est-il  pas  trop  osé  de  penser  que  ce  pays 
deviendra,  dans  un  avenir  prochain,  sinon  le  meilleur,  du 
moins  l'un  des  plus  importants  marchés  du  livre  français,  si  les 
éditeurs  français  veulent  bien  s'y  livrer  à  la  propagande  néces- 
saire pour  le  conquérir  encore  davantage. 


CONCLUSION. 

Pour  conclure,  nous  pouvons  dire  que,  dans  tous  les  pays 
étrangers,  notamment  dans  l'Orient  et  dans  tout  le  bassin  de  la 
Médilerranée  (Roumanie,  Hongrie  et  Portugal  au  premier  plan), 
en  Russie  et  dans  toute  l'Amérique  du  Sud,  nous  paraissons 
avoir  un  terrain  tout  à  fait  propice  au  développement  de  la 
langue  et  de  la  culture  françaises. 

Nous  ajouterons  à  cette  brève  étude  quelques  chiffres  intéres- 
sants, qui  montreront  que,  pour  les  éditions  originales  seule- 
ment, et  sans  tenir  compte  des  rééditions  sous  formes  diverses 
(pourtant  de  plus  en  plus  nombreuses),  le  tirage  des  auteurs 
français  contemporains  n'est  pas  inférieur,  dans  le  domaine 
littéraire,  au  tirage  de  leurs  devanciers. 

Si,  en  etïet,  certains  auteurs  d'il  y  a  une  vingtaine  d'années 
atteignaient  des  chiffres  de  tirage  considérables  (Octave  Feuillet, 
avec  le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre  a  dépassé  130,000  exem- 
plaires ;  Daudet,  avec  son  Tartavin  de  Tarascon  et  son  Tarlarin 
sur  les  Alpes,  200,000  à  223,000,  ainsi  que  Zola,  avec  La  débâcle, 
sans  oublier  Maupassant,  dont  le  Bel  Ami  dépasse  oO,000  exem- 
plaires, les  écrivains  d'aujourd'hui  connaissent  également,  rien 
que  sous  la  forme  du  fr.  3.30,  des  éditions  sensationnelles. 


26  —  11-3  SECTION    I.ITTEBAIRE 

Bourget  atteint  presque  100,000  avec  L'étape  et  Un  divorce; 
Bordeaux  et  Margueritte,  plus  de  50,000  avec  Les  yeux  qui 
s'ouvrent  et  Le  désastre  ;  Gréville  et  La  Brète,  70,000  avec  Dosia 
et  Mon  oncle  et  mon  curé;  Anatole  France  et  Loti,  130  éditions 
avec  le  Lys  rouge  et  329  éditions  avec  Les  pêcheurs  d'Islande  ; 
Octave  Mirbcau  dépasse  100,000  exemplaires;  Maeterlinck  00,000 
avec  La  vie  des  abeilles;  Barrés  6o,000  avec  Colette  Baudoche; 
Prévost  113,000  avec  Les  demi-vierges,  et  enfin  Rostand  bat  tous 
les  records  avec  Cyrano  de  Bergerac,  qui  arrive  à  400,000. 

Il  ne  faudrait  pas  oublier  de  citer  certains  ouvrages  histo- 
riques, comme  les  Mémoires  du  général  baron  de  Marbot,  qui 
atteignent  presque  30,000  exemplaires  dans  la  seule  édition  in-S" 
écu  ;  les  ouvrages  si  intéressants  de  Henri  Houssaye  sur  i8i4  et 
i8J5,  dont  la  vente  a  dépassé  33,000  exemplaires,  et  Lenotre  qui 
atteint  23,000  avec  Vieilles  maisons,  vieux  papiers. 

Ces  quelques  chiffres  prouvent  bien  qu'on  ne  lit  pas  moins  les 
œuvres  littéraires  françaises  d'aujourd'hui  dans  le  monde,  et 
môme  qu'on  les  lit  davantage,  si  l'on  tient  compte  des  nom- 
breuses rééditions  faites  dans  les  collections  populaires,  dont 
certaines  pour  des  nombreuses  œuvres  déjà  publiées  à  fr.  3.30, 
arrivent  à  écouler  à  leur  tour  plus  de  100,000  et  même 
130,000  exemplaires. 

D'ailleurs,  si  nous  examinons  notre  exportation,  depuis  une 
vingtaine  d'années,  nous  constatons  qu'elle  va  constamment 
croissant,  au  point  de  représenter  aujourd'hui  environ  le  quart 
de  notre  vente  totale,  pour  ce  qui  concerne  seulement  les 
ouvrages  de  littérature. 

Tels  sont  les  résultats  obtenus  par  la  librairie  française  en  cette 
matière.  Us  sont  appréciables.  Pour  les  rendre  encore  plus  sen- 
sibles, un  certain  nombre  de  mesures  s'imposent  à  elle,  tant  au 
point  de  vue  de  l'organisation  même  de  la  vente  qu'à  celui  de  la 
publicité.  Sous  ce  rapport,  en  particulier,  nous  sommes  per- 
suadés que  le  jour  où  nous  mettrons  à  la  disposition  du  grand 
public,  à  côté  des  bibliographies  déjà  rédigées  à  son  intention  (*), 

(')  En  voici  quelques  unes  :  La  Revue  critique  des  livres  nouveaux, 
Polybiblion,  Revue  bil>Hoffraphigueuniverselte, p&rt'ie  littéraire,  16 francs 


SECTION    UTTKRAIRE  II-3  —  27 

un  catalogue  pratique  de  la  littérature  française,  donnant  dans 
un  ordre  systématique  l'ensemble  de  nos  meilleurs  ouvrages, 
nous  ferons  mieux  connaître,  par  là-même,  la  richesse  et  la 
variété  de  notre  production  ;  ce  catalogue  répond  d'ailleurs  à  un 
besoin  et  nous  ferons  tous  nos  efforts  pour  qu'il  soit,  avant  la 
fin  de  l'année  1914,  chez  tous  les  libraires  étrangers,  à  la  dispo- 
sition de  tous  ceux,  et  ils  sont  nombreux,  qui  ne  demandent 
qu'à  être  mieux  renseignés  sur  le  livre  français. 

Enfin  nous  ne  doutons  pas,  qu'aidés  par  le  précieux  concours 
des  libraires  étrangers,  avec  lesquels  nous  entretenons  des 
relations  aussi  agréables  qu'amicales,  grâce  à  l'appui  de  sociétés 
comme  la  Fédération  internationale,  nous  n'arrivions  à  étendre 
de  plus  en  plus  l'influence  de  notre  langue  et  de  notre  culture  à 
l'étranger,  restant  ainsi  dans  une  tradition  qui  est  parmi  les 
plus  glorieuses  de  notre  pays. 

par  an ,  partie  technique,  1 1  francs  par  an.  D'autres  sont  servies  gratui- 
tement par  les  librairies  auxquelles  on  les  demande:  Le  Mémorial  de  la 
librairie  française,  Table  systématique  des  nouvelles  publications  fran- 
çaises; la  Bibliographie  mensuelle,  Revue  des  livres  nouveaux,  le  Bul- 
letin mensuel  de  la  librai?-ie  française,  etc.. 


28  —  11-3  SECTION  LITTÊBAIRE 

III. 

Les  publications  scientifiques, 
par  M.  René  Lisbonne. 

Moins  répandu  autrefois  que  l'ouvrage  de  littérature,  le  livre 
scientifique  français  est  aujourd'hui  de  diflusion  considérable. 
Ses  lecteurs  sont  nombreux  au  delà  des  frontières,  et,  qu'il 
s'agisse  de  sciences  mathématiques,  physiques  ou  naturelles,  de 
médecine,  de  philosophie,  de  droit,  d'économie  politique  ou 
d'agriculture,  ils  préfèrent  toujours  recourir  à  l'édition  fran- 
çaise originale,  alors  même  que  le  livre  est  traduit,  étant  donnée 
la  clarté  de  notre  langue.  La  vente  s'étend  de  jour  en  jour;  des 
bibliothèques  se  créent  en  tous  les  points  du  globe,  dans  les- 
quelles nos  ouvrages  ont  une  large  place. 

Le  livre  scientifique  français  a  subi,  dans  ces  dernières  années, 
une  évolution  due  à  sa  réelle  valeur,  évolution  qui  favorise  sa 
vente  dans  le  monde,  et  sert  de  la  sorte  les  intérêts  de  la  langue, 
tant  en  France  même  que  dans  les  pays  de  langue  française,  la 
Belgique  au  premier  rang.  Alors  qu'autrefois,  le  lancement 
devait  être  opéré  par  l'éditeur  seul,  lancement  qui  ne  portait  que 
sur  des  ouvrages  d'un  prix  élevé,  un  heureux  changement  s'est 
produit  :  d'une  part,  le  libraire,  collaborateur  indispensable, 
s'organise  dans  les  villes  d'Universités,  installe  un  rayon  scien- 
tifique à  côté  du  rayon  littéraire,  etc.  Ensuite,  l'éditeur  français 
tend  à  publier  des  livres  d'un  prix  accessible  à  tous,  et  cepen- 
dant signés  des  auteurs  les  plus  compétents;  citons,  entre 
autres,  à  titre  d'exemples  :  la  Nouvelle  collection  scienlifique 
(Alcan),  la  Bibliothèque  de  philosophie  scientifique  (Flammarion), 
la  Collection  Léauté  (Masson,  Gauthier-Villars),  ÏEncyclopédie 
agricole  (Baillière),  l'Encyclopédie  scientifique  (Doin).  A  ces 
séries,  il  convient  d'ajouter  les  Manuels  médicaux  (Masson,  Doin, 
Baillière,  Alcan,  etc.). 

Les  ouvrages  de  ces  diverses  collections  sont  d'un  prix  moins 
élevé  que  ceux  qui  avaient  été  offerts  jusque-là  au  public  spécial 
qui  s'y  intéresse;  pour  ces  séries  comme  dans  la  plupart  des 


SECTION   LITTÉRAIRE  II-3   —  29 

branches  scientifiques,  l'ouvrayc  français  est  meilleur  marché 
que  les  ouvrages  similaires  publiés  en  langue  allemande, 
anglaise,  espagnole  ou  italienne,  pour  ne  citer  que  les  prin- 
cipales. 

Enfin,  détail  technique,  l'édition  scientifique  française 
consent  aux  libraires  des  comptes  à  long  terme,  permettant  à  ces 
derniers  de  conserver  plus  longtemps  les  ouvrages  en  dépôt  et 
de  les  communiquer  à  leur  clientèle. 

La  valeur  du  livre  scientifique  français  est  d'ordre  général, 
alors  qu'à  l'étranger  la  question  locale  constitue  un  facteur 
important.  Chez  nous,  l'enseignement  supérieur  est  un,  sa 
direction  est  centralisée  à  Paris,  et  les  universités  coordonnent 
leurs  eftorts;  elles  tendent  à  attirer  les  étrangers  (cours  de 
vacances  de  Dijon,  Montpellier,  Grenoble,  etc.),  et  créent  au 
loin  des  instituts  qui,  s'ils  dépendent  plus  particulièrement  de 
l'une  d'elles,  sont  néanmoins,  de  par  cette  homogénéité  reconnue, 
le  reflet  de  toute  l'extension  du  pays  (Florence,  Londres, 
Madrid,  Saint-Pétersbourg). 

La  publication  scientifique  française  a  porté  ces  dernières 
années  sur  les  chiffres  suivants.  Encore  notre  statistique  ne 
coniprend-elle  que  les  livres  importants,  et  non  point  les  bro- 
chures ou  thèses  de  quelques  pages,  à  rencontre  des  statistiques 
étrangères  qui  font  état  de  tout  titre  sans  exception. 

Médecine 3,K00 

Philosophie !2,000 

Science  sociale  et  Economie  politique  .     .  1,500 

Droit 1,800 

Sciences  pures 3,000 

Sciences  agricoles 1,000 

Pour  permettre  de  retrouver  tel  groupe  de  publications  sans 
avoir  spécialement  en  mains  celles  d'une  firme  à  l'exclusion  des 
autres,  certaines  maisons  d'édition  se  sont  réunies  et  ont  établi 
des  catalogues  syndicaux,  d'une  très  grande  utilité  (Bibliographie 
des  livres  français  de  médecine  et  de  sciences,  publiée  par  la  sec- 
tion de  Médecine  du  Syndicat  des  éditeurs,  1900-1912). 


30  —  II-3  SECTION    LITTÉRAIRE 

En  dehors  des  catalogues  généraux,  qui  groupent  les  ouvrages 
parus  en  telle  ou  en  telle  matière  scientifique,  pour  une  période 
plus  ou  moins  longue,  paraissent  régulièrement  des  livres-index 
résumant  la  production  française  et  étrangère  d'une  manière 
absolument  objective  :  Année  scientifique  et  industrielle,  Annales 
(le  géographie.  Année  géographique,  Année  sociologique,  Année 
philosophique.  Année  musicale,  Annéepsychologique,  Année  biolo- 
gique. Vie  militaire.  Vie  politique,  tic. 

(les  recueils  sont  à  même  de  rendre  les  plus  grands  services 
aux  spécialistes  à  l'étranger. 

On  peut  joindre  à  cette  liste  le  Journal  de  Droit  international 
privé,  véritable  annuaire  des  questions  juridiques. 

Enfin,  nos  périodiques,  qui  comptent  de  nombreux  abonnes 
et  lecteurs  à  l'étranger,  servent  utilement  les  intérêts  de  la 
France,  puisqu'ils  portent  au  loin  le  résumé  des  dernières 
découvertes  de  notre  science,  sous  forme  de  mémoires  origi- 
naux ou  de  comptes  rendus  de  sociétés  savantes. 

L'édition  scientifique  française  offre  donc  aux  travailleurs  de 
tous  les  pays  un  vaste  choix  d'ouvrages  excellents,  rédigés  dans 
une  langue  claire,  à  des  conditions  de  prix  favorables.  Il  faut 
espérer  qu'en  persévérant  dans  cette  voie,  elle  conservera 
l'approbation  et  la  sympathie  des  milieux  scientifiques  étrangers. 


SECTION   LITTÉRAIRE  II-3 —  31 

IV 

Les  ouvrages  d'enseignement. 

par  M.  André  Gillon. 

Les  ouvrages  d'enseignement  constituent  une  partie  impor- 
tante de  l'exportation  de  l'Édition  française.  [I  n'est  pas  possible 
de  déterminer  d'une  manière  exacte  la  place  qu'ils  tiennent  dans 
celte  exportation,  les  statistiques  douanières  n'enregistrant  pas 
leur  sortie  sous  une  rubrique  spéciale.  Mais  on  sait  qu'il  en  est 
fait  un  commerce  actif  avec  les  deux  mondes. 

Pour  quelles  raisons  les  livres  scolaires  français  se  vendent-ils 
hors  de  France?  Quels  sont  leurs  différents  débouchés?  Quelles 
chances  d'avenir  ont-ils?  C'est  ce  qui  va  être  examiné  ici 
sommairement. 

Caractère  général  des  givrages  d'enseignement  français. 
Causes  de  leur  emploi  hors  de  France. 

Considéré  au  point  de  vue  de  l'usage  qui  en  est  fait  dans  les 
établissements  d'enseignement  de  l'étranger,  pour  les  études 
générales  ou  pour  l'étude  particulière  de  notre  langue,  le  livre 
d'enseignement  français  apparaît  comme  un  instrument  de 
valeur,  apte  à  instruire  et  à  éduquer  aussi  bien,  sinon  mieux, 
que  tout  autre  livre  d'enseignement. 

La  faveur  dont  il  jouit,  en  effet,  dans  de  nombreux  pays,  la 
résistance  victorieuse  qu'il  oppose  à  la  plupart  des  concur- 
rences qui  se  présentent  à  lui,  prouvent  sutiisamnicnt  cette 
affirmation.  On  peut  donc  poser  qu'en  fait  le  livre  d'enseigne- 
ment français  rencontre  d'une  façon  générale  un  accueil 
favorable  à  l'étranger. 

Les  raisons  en  sont  assez  claires  :  c'est  qu'au  triple  point  de 
vue  pédagogique,  scientifique  et  moral,  sa  valeur  est  certaine. 

La  production  des  livres  scolaires  est  intense  en  France; 
inspirée  par  des  programmes  qui  s'appliquent  d'une  façon 
uniforme  à  tout  le  territoire  français,  elle  a  comme  effet  un 
renouvellement  incessant  des- méthodes,  et  par  là  un  progrès 
pédagogique  constant.    L'ampleur    du    champ    d'exploitation 


32  —  II-3  SECTION  UTTÉRAIIIE 

autorise  des  tirages  importants  et  permet  l'emploi,  clans  la  fabri- 
cation, dos  procédés  les  plus  récents  des  arts  graphiques,  pour 
un  prix  de  vente  peu  élevé.  Il  faut  ajouter  à  tous  ces  avantages  la 
clarté,  l'agrément  de  la  présentation  matérielle,  auxquels  on  est 
si  sensible  en  France,  et  que  l'étranger  n'apprécie  pas  moins. 

Voilà  pour  la  valeur  pédagogique.  Est-il  besoin  d'insister  sur 
la  valeur  scientifique  des  ouvrages  classiques  de  lettres  ou  de 
sciences  français?  Les  manuels  de  langue  ou  de  littérature  sont 
tenus  au  courant  des  recherches  de  la  linguistique  et  de  la  phi- 
lologie; dans  les  sciences,  les  précis  enregistrent  les  théories,  les 
découvertes  et  les  applications  nouvelles.  Les  auteurs  sont  issus 
d'un  corps  enseignant  formé  par  une  Université  renommée 
pour  «  la  merveilleuse  qualité  de  son  enseignement  »  (');  et, 
pour  terminer  sur  ce  point,  il  suffit  de  rappeler  ici  que  les  plus 
grands  maîtres  de  celte  Université,  ainsi  que  dos  hommes  d'une 
autorité  incontestable  dans  l'art  difficile  d'écrire  pour  les  autres, 
n'hésitent  pas  à  faire  des  ouvrages  scolaires,  même  d'une  portée 
élémentaire. 

La  valeur  morale  n'est  pas  moins  certaine.  Ceux  qui  furent  les 
organisateurs  de  l'enseignement  français  moderne,  ont  placé  à  sa 
base  l'objectivité  scientifique  et  l'impartialité.  L'ouvrage  d'ensei- 
gnement laïque  français  s'inspire  du  même  esprit  en  poursuivant 
son  but  éducatif  :  dans  l'étude  des  événements  comme  dans 
celle  des  idées,  il  n'est  ni  tendancieux,' ni  agressif;  respectueux 
des  opinions,  il  dégage  la  leçon  qui  découle  des  faits  ;  et  l'on 
pourrait  justement  prétendre,  surtout  si  on  le  compare  à  certains 
livres  scolaires  étrangers,  qu'il  est  encore  plus  impartial  et 
désintéressé  que  national.  Avantage  capital,  dont  ne  peuvent  se 
prévaloir  tous  ses  concurrents,  chez  certains  desquels  on 
remarque  même  des  tendances  exactement  contraires. 

Ainsi  l'ouvrage  d'enseignement  français  peut  être  considéré 
comme  un  manuel  vivant,  d'une  formule  absolument  moderne, 
d'une  valeur  éducative  et  instructive  sans  conteste.  11  offre  donc 
à  sa  clientèle,  hors  de  France,  un  ensemble  de  garanties  véritable- 
ment supérieures,  qui  assurent  son  succès. 

(')  C.  F.  Barret-Wendbl,  La  France  d'aujourd'hui.  «  Les  Univer- 
sités «,  p.  61. 


section  littéraire  ii-3  —  33 

Nature  pes  ouvrages  d'enseignement  français 

EMPLOYÉS    A    l'étranger.    —    PRINCIPAUX    nÉBOUCIIÉS. 

Tous  les  pays  qui  se  servent  de  livres  scolaires  français  ne  les 
emploient  pas  pour  satisfaire  anx  mêmes  besoins.  On  peut,  en 
effet,  les  grouper  en  deux  grandes  catégories. 

a)  Pays  où  les  livres  scolaires  français  sont  utilisés  pour 
l'étude  du  français  considéré  comme  une  langue  étrangère; 

b)  Pays  où  ils  sont  utilisés  pour  l'instruction  générale. 
Certains  pays  rentrent  d'ailleurs  dans  les  deux  catégories. 

A  la  première  appartiennent  presque  tous  les  pays,  puisque, 
dans  le  monde  entier,  on  étudie  le  français  :  pays  anglo-saxons, 
germaniques,  slaves,  latins  d'Europe  et  d'Amérique,  tous  consti- 
tuent des  débouchés  actuels  ou  possibles.  Les  ouvrages  qui  s'y 
demandent  sont  tous  ceux  qui  ont  trait  à  l'élude  de  notre  langue 
ou  de  notre  littérature. 

On  constate  à  l'étranger,  depuis  l'application  des  méthodes 
directes  pour  l'enseignement  des  langues,  une  tendance  générale 
à  employer  des  livres  français  pour  l'étude  du  français;  il  faut 
s'en  réjouir,  d'abord  parce  que  les  jeunes  étrangers  apprennent 
mieux  ainsi  notre  langue  qu'avec  les  manuels  parfois  médiocres 
qu'on  mettait  entre  leurs  mains;  ensuite  parce  qu'ils  acquièrent, 
au  contact  de  nos  livres,  une  connaissance  plus  exacte  de  notre 
culture  et  de  nos  mœurs.  Il  n'est  peut-être  pas  superflu  de 
signaler  à  ce  propos  qu'on  rencontre  à  l'étranger  certains 
manuels  destinés  aux  écoles  qui  donnent  des  aperçus  de  la  vie 
française  d'une  fantaisie  vraiment  déconcertante,  pour  n'en  pas 
dire  davantage.  La  supériorité  des  ouvrages  français  en  cette 
matière  s'est  d'ailleurs  aftirmée  en  maintes  circonstances,  et  des 
faits  récents  l'ont  encore  prouvé  (*). 

(')  Signalons,  entre  autres,  une  expérience  intéressante  qui  a  eu  lieu  à 
Varsovie  en  1912.  On  réunit,  dans  une  Exposition  pédagogique,  des  livres 
d'enseignement  du  français  de  provenance  russe,  allemande,  anglaise, 
et...  française.  La  supéiiorité  de  ces  derniers  apparut  d'une  façon 
convaincante. 


34  —  11-3  SECTION  LITTÉRAIRE 

A  la  deuxième  catégorie  appartiennent  les  pays  de  langue  fran- 
çaise, les  pays  où  la  langue  française  est  comme  la  seconde  langue 
nationale,  les  pays  qui  manquent  de  livres  scolaires  nationaux, 
et  ceux  dans  lesquels  les  établissements  d'enseignement  français 
jouent  un  rôle  important.  Il  faut  ajouter  les  colonies  françaises 
à  celte  énumération. 

Ici,  ce  sont  les  ouvrages  d'enseignement  de  tout  genre  qui  sont 
employés,  ouvrages  de  divers  degrés  et  relatifs  à  toutes  les 
matières. 

Les  pays  de  langue  française,  la  Belgique,  le  Luxembourg,  la 
Suisse  et  le  Canada,  ont  leurs  propres  ouvrages  scolaires,  mais 
fréquemment  ils  se  servent  de  livres  français  à  côté  des  leurs,  soit 
dans  les  établissements  officiels,  soit  dans  les  établissements 
libres.  Par  suite  de  l'exiguïté  relative  de  leur  territoire,  ils  ne 
peuvent  pas  renouveler  leurs  méthodes  ni  leurs  éditions  aussi 
rapidement  qu'en  France,  et  ils  préfèrent  souvent  s'adresser  à 
nous  pour  avoir  des  ouvrages  tout  à  fait  récents. 

L'Egypte,  la  Turquie,  une  partie  des  Balkans,  la  Grèce,  le 
Portugal  emploient  les  livres  scolaires  français  dans  une  propor- 
tion considérable,  soit  parce  que  leurs  ouvrages  nationaux  se 
trouvent  insuifisants  en  nombre  ou  en  qualité,  soit  parce  que  la 
langue  et  la  culture  françaises  y  prédominent;  une  partie  de 
l'enseignement  s'y  fait  en  français.  En  outi-e,  dans  ces  divers 
pays,  ainsi  qu'au  Canada,  dans  l'Amérique  Centrale,  dans  l'Amé- 
rique du  Sud  et  en  Extrême-Orient,  les  établissements  d'ensei- 
gnement français,  laïques  ou  religieux,  occupent  une  situation 
importante  à  côté  des  écoles  du  pays,  et  constituent,  pour  la 
propagation  de  la  langue  française,  un  instrument  de  premier 
ordre. 

Il  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  jeter  ici  un  coup  d'œil  sur 
la  situation  de  ces  établissements  français  dans  le  monde  et  de 
passer  succinctement  en  revue  l'état  de  leurs  forces.  Cette  question, 
en  effet,  se  lie  étroitement  à  celle  du  rôle  du  livre  d'enseignement 
français  à  l'étranger. 

Ils  appartiennent  presque  tous  à  des  organisations  dûment 
constituées  :  l'Alliance  française,  la  Mission  laïque,  les  œuvres 
religieuses  catholiques  ou  protestantes,  l'Alliance  Israélite  uni- 


SECTION    LITTÉRAIRE  II  3  —  33 

vcrselle.  En  outre,  un  certain  nombre  sont  autonomes,  ou  à  peu 
près. 

Parmi  ces  grandes  organisations,  quelle  part  revient  à  chacune 
d'elles?  Il  est  difficile  de  le  déterminer  exactement,  mais  on  peut 
l'évaluer. 

L'Alliance  française,  dont  l'action  porte  sur  le  monde  entier, 
à  la  fois  par  ses  comités  et  ses  établissements  d'instruction,  entre- 
tient et  soutient  environ  trois  cents  écoles  et  cours.  Elle  envoie, 
en  outre,  de  nombreux  conférenciers,  qui  constituent  d'excellents 
propagateurs.  Les  services  qu'elle  a  rendus  à  la  cause  de  l'ensei- 
gnement du  français  sont  de  premier  ordre,  et  l'on  attend  d'elle 
au  moins  autant  pour  l'avenir. 

La  Mission  laïque,  de  création  toute  récente,  s'est  jusqu'à  pré- 
sent limitée  à  l'Orient;  elle  y  possède  ou  patronne  une  douzaine 
d'établissements,  dont  certains  fort  importants,  auxquels  elle 
compte  en  adjoindre  bientôt  d'autres. 

Les  œuvres  religieuses  catholiques  (')  sont  les  plus  nom- 
breuses; elles  donnent  un  enseignement  tout  en  français  ou 
mixte;  dans  le  monde  entier,  elles  possèdent  des  établissements 
importants,  généralement  bien  installés;  leur  clientèle  est 
immense;  dans  l'Orient  seul,  plus  de  cinquante  mille  élèves  fré- 
quentent leurs  écoles;  le  nombre  total  en  est  de  plusieurs  cen^ 
taines  de  mille. 

Les  missions  prolestantes  ont  cantonné  leurs  efforts  en  Afrique 
principalement  et  en  Océanie;  elles  ont  environ  cent  cinquante 
écoles  et  dix  mille  élèves.  L'Alliance  Israélite  universelle  a  deux 
cents  écoles,  abritant  quarante-cinq  mille  élèves,  dans  l'Afrique 
du  Nord,  les  Balkans,  le  Levant,  la  Perse. 

Si  l'on  ajoute  à  ces  organisations  les  établissements  indépen- 
dants français  ou  d'instruction  française  tels  qu'il  y  en  a  à  Con- 

(')  I^e  nombre  des  établissements  religieux  d'enseignemenl  fiançais  éta- 
blis à  l'étranger  s'est  accru  dans  des  proportions  considérables  depuis  l'ei- 
pulsion  des  congrégations  h.irs  de  France.  Au  point  de  vue  de  la  propaga- 
tion de  la  langue  française,  il  y  aura  peut-être  là  un  mouvement  analogue 
à  celui  provoqué  en  Europe  par  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  (sur  ce 
dernier  point  cf.  B.vldenspkrgkr,  Études  d'histoire  littéraire.  «  L'uni- 
versalité de  la  langue  française  ",  p.  5). 

Il  4 


36  —  II-3  SECTION   LITTÉRAIRE 

stanlinople,  à  Barcelone,  à  Madrid,  à  Lisbonne,  pour  ne  citer  que 
ceux-là,  on  peut  se  rendre  compte  de  l'importance  de  la  popula- 
tion scolaire  qui,  à  l'étranger,  reçoit  un  enseignement  en  langue 
française. 

Pour  compléter  ce  tableau,  il  faut  parler  des  colonies  fran- 
çaises. 

L'enseignement  français  s'y  organise  au  fur  et  à  mesure  du 
développement  de  chaque  colonie  dont  il  suit  les  progrès.  D'ores 
et  déjà,  tant  dans  les  écoles  officielles  que  privées,  la  population 
scolaire  se  monte  à  plusieurs  centaines  de  mille,  sans  tenir 
compte  en  Afrique,  par  exemple,  des  écoles  musulmanes,  dans 
lesquelles  un  cours  de  français  est  obligatoire.  Il  y  a  donc  là  un 
magnifique  domaine  où  doivent  se  répandre  simultanément  dans 
l'avenir  les  livres  d'enseignement  et  la  langue  française. 

Au  total,  on  peut  estimer  à  plus  d'un  million  les  jeunes  Euro- 
péens, Africains,  Américains  ou  Asiatiques,  recevant  un  ensei- 
gnement donné,  exclusivement  ou  en  grande  partie,  en  français, 
la  Belgique,  le  Luxembourg,  la  Suisse  et  le  Canada,  étant  laissés 
à  part.  On  voit  qu'il  y  a,  par  conséquent,  à  l'étranger  des  débou- 
chés vastes  et  nombreux  pour  les  ouvrages  d'enseignement 
français.  Sont-ils  suffisamment  exploités  par  les  éditeurs  et  les 
libraires,  agents  responsables  de  la  propagation  des  livres?  Oui, 
sans  doute,  mais  il  peut  être  fait  plus  encore,  et  il  faut  qu'il  soit 
fait  davantage,  surtout  en  présence  des  efforts  faits  par  endroits 
en  faveur  d'autres  langues  et  d'autres  ouvrages  d'enseigne- 
ment (•).  Une  appropriation  plus  grande  du  livre  d'enseignement 
français  aux  besoins  particuliers  des  pays  étrangers  est  notam- 
ment à  réaliser. 

Avenir  des  ouvrages  d'enseignement  français  hors  de  frange. 

Leur  avenir  est  lié,  dans  une  large  mesure,  à  celui  de  la  langue 
et  de  la  culture  françaises  dans  le  monde.  Tout  ce  qui  sera  tenté 

(*)  La  librairie  allemande,  en  1912,  a  annoncé  son  intention  d'accaparer 
le  futur  enseignement  en  chinois  au  profit  du  livre  allemand  et  de  la 
langue  allemande. 


SECTION   LITTÈRAIUE  II-3  —  37 

en  faveur  de  celles-ci  servira  la  cause  des  ouvrages  français,  et 
réciproquement. 

A  l'heure  actuelle,  la  situation  se  présente  favorablemenl, 
malgré  les  attaques  dirigées,  dans  certains  pays,  contre  l'étude  du 
français  avec  une  violence  et  une  méthode  singulières  ;  et,  dans 
l'ensemble,  les  gains  compensent  largement  les  pertes.  En 
Europe  et  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée,  on  ne  semble  pas 
près  de  se  détourner  de  la  langue  et  de  la  culture  françaises  au 
point  de  vue  scolaire.  Voici  quelques  faits  caractéristiques  :  en 
Suède,  les  programmes  réduisirent,  en  1904,  dans  un  but  soi- 
disant  utilitaire,  la  part  faite  au  français  ;  de  nombreuses  pro- 
testations se  sont  élevées  depuis  lors  contre  l'état  de  choses  ainsi 
créé,  et  les  commerçants  eux-mêmes  réclament  le  rétablissement 
du  français  comme  auparavant.  En  Islande,  l'envoi  dun  profes- 
seur français  à  l'Université  de  Reykiavik  provoque  immédiate- 
ment de  nombreuses  inscriptions  d'étudiants  et  trouve  des 
encouragements  ofliciels.  A  Andrinople,  il  existait  une  école 
allemande;  à  proximité  se  crée  une  école  française;  la  première 
se  vide  presque  aussitôt  à  moitié  ;  à  Haidar  Pacha,  terminus  sur 
le  Bosphore  du  chemin  de  fer  de  Bagdad,  la  compagnie  alle- 
mande qui  exploite  cette  ligne  avait  fondé  une  école,  allemande 
aussi  naturellement;  au  bout  de  peu  de  temps,  pour  retenir  sur 
place  les  enfants  de  son  personnel,  elle  dut  demander  à  un  grand 
établissement  français,  installé  non  loin  de  là,  d'ouvrir,  à  côté  de 
l'école  allemande,  une  école  française,  qui  prospéra  rapidement 
à  rencontre  de  sa  voisine.  En  Egypte,  le  gouvernement  anglais 
avait  réduit  l'enseignement  du  français,  mais  il  est  question 
d'une  réforme  qui  aurait  pour  effet  principal  de  rendre  à  l'ensei- 
gnement du  français  l'importance  qu'il  avait  anciennement. 

Dans  les  autres  pays  européens  ou  orientaux,  il  n'y  a  pas  de 
symptôme  sérieux  de  recul,  croyons-nous,  au  contraire. 

En  Amérique,  il  en  est  de  même.  Au  Canada,  la  langue  et  la 
librairie  françaises  progressent.  Aux  États-Unis,  la  culture  fran- 
çaise, odieusement  diffamée  un  moment,  reprend  ses  droits.  Le 
Mexique  est  épris  de  notre  culture,  le  Chili  y  revient  après  l'avoir 
négligée  en  faveur  de  l'allemand,  et  accorde  au  français  la  môme 
place  qu'à  l'espagnol  ;  l'Argentine  l'a  toujours  appréciée  et  va  le 


38  —  II-3  SECTION   UTTÉRAIBE 

prouver  une  fois  de  plus  en  inscrivant  le  français  comme  langue 
étrangère  au  programme  de  ses  écoles  normales  ;  le  Brésil  con- 
somme d'importantes  quantités  de  nos  ouvrages  d'enseignement. 

D'autre  part,  l'enrichissement  continuel  des  colonies  fran- 
çaises entraînera,  à  coup  sûr,  le  développement  de  l'enseigne- 
ment sur  leur  territoire,  en  Afrique  notamment. 

Le  présent  est  donc  satisfaisant.  L'avenir  ne  s'annonce  pas 
moins  bien. 

L'Université  française  accroît  chaque  jour  son  prestige, 
son  influence,  ses  relations  (')  avec  les  pays  étrangers.  Les 
peuples  d'aujourd'hui  le  sentent,  comme  ceux  du  xvni"  siècle, 
que  leur  intérêt  les  porte  à  étudier  le  français  pour  des  raisons 
de  culture  générale  ou  pour  des  motifs  d'ordre  pratique.  C'est 
qu'en  effet,  «jamais  notre  langue  n'a  été  plus  belle  et  n'a  mieux 
répondu  en  môme  temps  aux  besoins  les  plus  divers»  (^).  Dès 
lors,  pourquoi  l'étranger  renoncerait- il  à  l'usage  de  notre 
langue  et  au  bénélice  de  notre  enseignement  ? 

Au  livre  d'enseignement  français  de  profiter  de  cette  situation. 
On  a  vu  qu'il  était  qualifié  pour  rendre  les  services  que  ses  ache- 
teurs peuvent  réclamer  de  lui.  Qu'il  serve  donc  chaque  jour 
davantage,  comme  les  livres  des  autres  catégories,  à  répandre 
dans  le  monde  la  langue  et  la  culture  françaises.  Il  pourra  par  là 
contribuer  au  développement  matériel  et  intellectuel  des  autres 
nations  en  même  temps  que  de  la  France. 

Pour  les  éditeurs  et  libraires  français,  chargés  de  le  produire 
et  d'en  faire  commerce,  c'est  là  une  tâche  belle  et  intéressante  au 
premier  chef.  Elle  exige  tous  leurs  efforts,  et  elle  les  mérite. 
Souhaitons  qu'ils  lui  soient  accordés  sans  compter,  et  que  le 
succès  les  couronne. 

(*)  Parmi  les  organismes  universitaires  qui  poursuivent  ce  but,  il  con- 
vient de  citer  au  premier  rang  l'Office  des  Universités  et  Grandes  Ecoles 
do  France. 

(*)  Professeur  Ferd.  Brunot,  Préface  écrite  pour  Contes  et  récits  du 
XIX'  siècle,  par  Weil  et  Chénin. 


II.  —  SECTION  UTTERAIKE. 


La  propagande  française  par  les  langues  étrangères, 


GÈRAUl)  IIARRY, 

homme  de  lettres,  à  Bnixelles., 


Le  sens  des  observations  que  je  désire  présenter  au  Congrès 
pourrait  se  résunieren  ces  quelques  mots  :  «N'attendons  pas  que 
la  montagne  vienne  à  nous;  allons  à  elle.  » 

Prêcher  la  défense  de  la  belle  langue  française,  l'extension  de 
la  haute  culture  française,  dans  une  assemblée  francophile  telle 
que  la  nôtre,  c'est  sans  doute  une  volupté  pour  toutes  nos  intelli- 
gences et  tous  nos  cœurs.  Mais  ce  doux  exercice,  que  nous  pra- 
tiquons, naturellement,  en  langue  française,  est-il  aussi  etticace 
que  nous  le  pensons  '!  Nous  ne  convaincrons  ici,  je  le  crains 
fort,  que  des  convaincus. 

Permettez-moi  de  vous  suggérer  un  efl'ort  plus  large  et  plus 
lointain  pour  la  sanction  de  notre  programme.  Que  n'allons-nous, 
partout  où  la  langue  et  la  culture  françaises  subissent  des  assauts 
hostiles,  un  recul  ou  une  diminution  dus  à  quelque  antagonisme, 
lutter  pour  elle  avec  les  armes  mêmes  de  leurs  adversaires  ?... 
En  d'autres  termes,  pourquoi  les  éloquents  plaidoyers  que  nous 
entendons  ici  en  faveur  du  plus  clair  et  du  plus  utile  des  modes 
d'expression,   et  des    nobles   influences  qu'ils  essaiment,    ne 


•40  —  II-4  SECTION    LITTÉRAIRE 

seraient-ils  pas  traduits  en  allemand,  en  italien,  en  flamand, 
pour  des  pays  trilingues  ou  bilingues  tels  que  la  Suisse,  le 
Piemont-Vaudois,  la  Belgique,  le  grand-duché  de  Luxembourg, 
en  anglais  pour  le  Canada,  et  en  allemand  et  en  russe  pour  les 
contrées  polonaises  oùnotre  idéal  et  la  tradition  qui  y  correspond 
sont  contrecarrés  par  la  parole  ou  l'action  teutonne  et  mosco- 
vite?... 

Peut-être  quelques-uns  d'entre-vous  crieront-ils  au  paradoxe. 
J'ai  l'air  de  dire  aux  champions  de  la  langue  française  :  «  Pour 
la  protéger,  où  elle  est  en  danger,  pour  la  répandre  davantage, 
où  on  la  parle  sans  obstacle,  commencez  par  vous  assimiler  et 
pratiquer  les  langues  étrangères.  »  Si  l'on  y  réfléchit,  toutefois, 
on  en  vient  vite  à  constater  qu'il  n'existe  guère,  en  dehors  des 
moyens  pédagogiques,  d'autre  méthode  pour  reconquérir  du 
terrain  là  où  on  en  a  perdu,  pour  conserver,  ailleurs,  celui  qu'on 
a  conquis,  pour  étendre,  sur  tel  autre  point,  le  terrain  où  on  a 
pris  pied. 

Souffrez  qu'à  titre  d'exemple,  je  résume  très  brièvement  les 
termes  d'un  rapport  que  j'eus  l'honneur  de  soumettre,  en  19H, 
au  Congrès  des  amitiés  françaises  de  Mons. 

Peu  avant  la  réunion  de  ce  Congrès,  j'avais  demandé  à  un  des 
membres  les  plus  avertis  de  la  Chambre  des  représentants  de 
Belgique  si  vraiment  le  flamingantisme  représentait  autre  chose 
que  la  raison  d'être  d'un  état-major  plein  d'ambition  et  d'audace 
mais  dépourvu  d'armée.  Ce  député  m'invita  à  me  défaire  de 
cette  illusion.  Les  fanatiques  de  la  7noedertaal  dont  les  noms 
figurent  en  vedette  du  mouvement  flamingant  et  gallophobe  ne 
sont  pas  l'émanation  d'une  opinion  populaire,  mais  cette  opinion 
ils  la  créent.  Ou  ne  se  fait  point,  paraît-il,  une  idée  de  l'activité 
et  du  succès  de  leur  propagande  auprès  des  Flamands  unilingues 
et  incultes.  Quoi  de  plus  aisé  que  d'empoisonner  ces  imagina- 
tions frustes,  de  les  convaincre  que  le  Français,  comme  sa 
langue,  est  l'ennemi  de  leur  race,  que  le  patriotisme  collectif  et 
l'intérêt  individuel  commandent  également  de  fuir  tout  ce  qui 
vient  de  France  ou  porte  l'odeur  de  la  France  ?  Les  candides 
dupes  de  ces  Messieurs  Josse,  ou  plutôt  Van  Josse,  n'entendent 
jamais  la  réplique  française.  Celle-ci  ne  parvient  qu'aux  oreilles 


SECTION  LITTÉRAIRE  II-4_4f 

des  Flamands  bilingues,  c'est-à-dire  des  Flamands  déjà  plus  ou 
moins  convertis  et  acquis  à  notre  cause,  parce  que  nous  ne  nous 
servons  que  du  français  dans  nos  discours  ou  nos  écrits,  pour 
dissiper  les  préjugés  que  les  ennemis  de  notre  culture  excitent 
contre  elle. 

En  manière  de  conclusion,  je   proposais  au    Congrès    des 
Amitiés  françaises  de  Mons  la  création  d'un  organe  flamand 
chargé  de  faire  résonner  «  l'autre  cloche  et  l'autre  son  »,  et  de 
révéler,  notamment,  aux  Flamands  unilingues  cette  vérité  rudi- 
mentaire  que  leur  idiome  est  une  clef  ne  servant  à  ouvrir  qu'une 
porte  —  et  quelle  étroite  porte  !  —  la  langue  française,  un  passe- 
partout  qui  les  ouvre  toutes.  Cet  organe,  disais-je-,  montrerait 
aux  légions  d'ouvriers  flamands  qui  vont  prêter  chaque  année 
leurs  milliers  de  bras  à  l'agriculture  française,  combien  la  con- 
naissance du  langage  de  leurs  patrons  les  aiderait,  ne  fut-ce  que 
pour  débattre  directement  avec  ceux-ci  les  conditions  de  leur 
travail,  alors  que  leur  ignorance  du  verbe  français  les  met  à 
la  merci  d'intermédiaires  aussi  cupides  que  complaisants.  Il 
leur  rappellerait  que  leurs  leaders  intellectuels,  que  tous  ceux 
d'entre  les  Flamands  qui  parviennent  à  la  grande  fortune  ou  à 
la  grande  renommée,  sont  des  Flamands  bilingues  ayant  renoncé 
à  leur  langue  maternelle,  à  cause  de  ses  effets  isolants.  Prenons 
le  projet  de  flamandisation  de  l'Université  gantoise.  Quel  trait 
de  lumière  n'apporterait  pas  aux  Flamands  unilingues  l'organe 
qui  leur  l'appellerait  qu'il  y  a  cinq  siècles,  la  population  flamande 
de  Douai  adressait  des  suppliques  à  Paris  pour  être  dotée  d'une 
Université  française  et  qui  leur  demanderait  à  quoi  rime  un 
projet   en   sens  diamétralement  contraire,   chez  la  Belgique 
d'aujourd'hui,  assoiffée  d'expansion  internationale  et  coloniale, 
et  qui  éprouve,  par  conséquent,  cent  fois  plus  la  nécessité  d'un 
moyen  d'universelle  communication  verbale  qu'au  temps  où  les 
Flamands  se  rendaient  de  Douai  à  Paris,  à  pied  ou  en  coche, 
pour  l'acquérir. 

Vous  sentez  bien,  Messieurs,  de  quelle  généralisation  ce  rai- 
sonnement est  susceptible.  Que  de  recrues  nouvelles  la  langue 
et  la  culture  françaises  ne  feraient-elles  pas  dans  le  grand- 
duché  de  Luxembourg,  par  exemple,  ou  dans  la  Confédération 


42  —  II-4  SECTION   LITTÉRAIRE 

helvétique,  si  la  propagande  pangermaniquc  qui  cherche  à  les 
supplanter  avait  pour  contrepoids,  des  documents,  des  tracts, 
des  journaux  intelligibles  aux  unilingues,  qu'on  veut  confiner 
dans  leur  isolement,  tantôt  dans  un  intérêt  politique,  tantôt 
dans  un  intérêt  économique,  quelquefois  dans  un  intérêt  senti- 
mental. 

En  vérité,  l'idée  que  j'aventurais,  il  y  a  un  instant,  de  publier 
les  compte-rendus  de  nos  débats  en  autant  de  langues  qu'il  le 
faudrait  pour  atteindre  les  yeux  et  les  esprits  que  nous  visons, 
cette  idée  répondrait  encore  bien  insuffisamment  aux  besoins 
de  la  cause. 

II  convient  de  l'élargir  et  d'insister  aussi  pour  qu'une  croisade 
permanente  en  faveur  de  la  défense  et  de  l'extension  de  la  langue 
française  s'organise  sous  la  forme  d'une  presse  francophile 
périodique  rédigée  en  flamand,  pour  les  Belges  unilingues,  en 
allemand  chez  les  Luxembourgeois  et  les  Suisses,  enfin  dans  toute 
langue  étrangère  employée  comme  un  instrument  d'opposition 
à  l'instrument  merveilleux  de. civilisation  que  nous  aimons  et 
que  nous  désirons  propager  au  delà  des  frontières  françaises,  à 
raison  même  de  l'affaiblissement  numérique  du  peuple  qui  l'a 
forgé. 

On  estimera  sans  doute  que  notre  Congrès  se  justifierait  sura- 
bondamment, rien  que  pour  avoir  préparé  ces  moyens  de  conser- 
vation et  de  diffusion  à  la  langue  et  à  la  culture  dont  le  passé 
l'enchante  et  dont  l'avenir  le  préoccupe.  Je  ne  me  dissimule  pas 
les  difliicultés  de  la  tâche  que  cette  préparation  implique.  Mais 
cette  tâche  serait  parfaitement  réalisable  à  la  condition  d'être 
partagée  entre  les  volontés  les  plus  ardentes  et  les  compétences 
les  plus  sûres.  Ne  nous  bornons  pas,  si  vous  êtes  de  cet  avis,  à 
un  de  ces  vœux  platoniques  et  sans  lendemain  dont  la  plupart 
des  congrès  sont  si  prodigues.  Pourquoi  ne  point  constituer 
dans  chaque  pays  où  la  langue  et  la  culture  françaises  luttent 
pour  la  vie,  un  comité  de  jeunes  et  actifs  propagandistes  qui 
serait  chargé  de  faire  appel  au  concours  pécuniaire  et  littéraire 
de  tous  les  partisans  de  celte  langue  et  de  cette  culture,  afin  de 
mettre  sur  pied,  chacun  dans  sa  localité  respective,  l'organe 
défensif,  et  au  besoin  offensif,  de  notre  idéal  !...  Les  éléments  de 


SECTION    LITTÉRAIRE  II-4  —  43 

tels  comités  se  trouvent  réunis  ici.  Leur  œuvre  rencontrerait, 
sans  doute,  assez  de  sympathies  et  de  dévouements  désintéressés 
pour  s'accomplir  à  peu  de  frais.  Notre  foi  étant  sincère,  doit 
être  prête  à  agir.  Et  nous  en  aurons,  j'en  suis  sûr,  la  preuve  à  la 
plus  prochaine  réunion  du  congrès,  c'est-à-dire  le  jour  où  les 
comités  de  propagande  que  je  suggère  auraient  à  nous  exposer 
le  résultat  de  leurs  démarches  en  vue  de  constituer  Tarme  de  la 
propagande  française,  partout  où  elle  est  nécessaire  à  l'existence 
et  au  prestige  de  la  langue  et  de  la  culture  qui  nous  sont  chères 
entre  toutes. 


II.  -  SECTION   LITTERAIRE. 


Les  journaux  quotidiens  et  la  propagande  française, 


Henry  de  JOUVENEL, 
secrétaire   général    du    Matin. 


Pour  la  propagande  française  dans  le  monde,  que  peuvent 
nos  journaux  quotidiens? 

Votre  congrès  m'a  confié  l'honneur  de  tenter  une  réponse 
à  cette  grave  question.  Je  l'ai  accepté  dans  le  seul  espoir 
d'éveiller  les  réflexions  et  de  susciter  des  avis  plus  autorisés 
et  plus  utiles  que  le  mien. 

Servir  la  propagande  française  : 

1°  En  apportant  aux  Français  établis  à  l'étranger  une  aide 
morale  efficace; 

2°  En  développant  chez  les  Français  de  l'intérieur,  volon- 
tiers repliés  sur  eux-mêmes,  le  besoin,  le  goût,  la  passion  d'agir 
au  delà  des  frontières; 

3°  En  répandant  au  dehors  le  nom  de  notre  pays,  sa  culture, 
l'influence  de  ses  œuvres,  en  organisant  à  l'étranger,  si  je  puis 
ainsi  m'exprimer,  la  publicité  de  la  France. 


46  —  II-5  SECTION   LITTÉRAIRE 

Ce  triple  devoir  s'impose  à  tous  les  citoyens  chargés  de  quel- 
que responsabilité. 

Dans  quelle  mesure,  par  quels  moyens,  la  presse  quotidienne 
peut-elle  le  remplir? 


I.  —  Les  Français  de  l'étranger. 

1°  Il  est  à  souhaiter  que  nos  colonies  de  Français  à  l'étran- 
ger restent  attachées  à  la  métropole  par  un  ferme  lien. 

Le  plus  continu,  le  plus  vivant,  n'est-ce  pas  la  presse  quoti- 
dienne? 

Quand  l'exilé  reçoit  de  Paris  le  journal,  c'est  comme  si  son 
pays  lui  avait  écrit.  Les  mille  événements  de  l'histoire  natio- 
nale :  accidents,  joies,  désastres,  fêtes,  quelle  lettre  d'ami  ou  de 
frère  les  relaterait  aussi  minutieusement,  aussi  fidèlement? 

Mais,  en  dépit  du  progrès  moderne,  la  presse  n'a  vaincu  la 
distance  qu'à  demi.  S'il  vit  dans  une  nation  voisine,  le  Fran- 
çais peut  attendre  la  feuille  de  Paris  ou  de  sa  province.  Pen- 
dant un  jour  ou  deux,  les  histoires  gardent  leur  nouveauté.  Puis 
elles  la  perdent.  A  mesure  que  la  vie  s'internationalise,  Péters- 
bourg,  Constantinople,  Rio-de-Janeiro  ou  Buenos-Ayres  même 
veulent  être  tenus  au  courant  des  moindres  incidents  sur- 
venus à  Paris.  Le  fil  du  télégraphe  ou  le  câble  sous-marin 
les  leur  transmettent  en  quelques  heures. 

Le  journal  de  Paris  suit  de  loin.  Son  retard,  à  peine  sen- 
sible à  Berlin  ou  à  Londres,  devient  considérable  à  Saint- 
Pétersbourg,  formidable  au  delà. 

Le  Français  perdu  au  loin  ne  peut  différer  si  longtemps  de 
s'informer.  Il  risquerait  d'être  moins  éclairé  sur  la  vie  con- 
temporaine que  les  étrangers  au  milieu  desquels  il  vit.  Le 
voilà  contraint  d'acheter  une  feuille  de  l'endroit;  d'abord,  il 
en  adoptera  les  nouvelles;  plus  tard,  les  tendances  pourraient 
s'en  insinuer  en  lui.  Peu  à  peu,  il  perdra  contact  avec  la  Patrie. 

On  comprendra  le  péril  si  l'on  réfléchit  que  les  inspirations 
des  journaux  étrangers  sont  souvent  hostiles  à  la  France.  En 
Russie,  par  exemple,  les  agences  allemandes  ont  fait  un  grand 


SECTION    LITTÉRAIRE  II-5  —  47 

effort  de  pénétration;  elles  s'emploient  le  plus  habilement  du 
monde  à  mettre  en  lumière  tous  les  faits  qui  peuvent  faire 
croire  à  la  décadence- française  ;  elles  dénaturent  ceux  qui  sont 
à  notre  honneur,  et  travaillent  ainsi  à  créer  jour  à  jour,  dans 
la  nation  amie  et  alliée,  une  atmospliùre  de  défiance  autour  de 
notre  personnel  politique  et  autour  de  nos  idées. 

Il  n'y  a  point  à  s'en  indigner.  Cette  concurrence  est  adroite 
et  légitime.  Il  serait  légitime  de  lutter  contre  elle.  Comment? 

Examinons  les  moyens  qui  s'offrent  : 

1°  L'entente  entre  les  journaux  étrangers  et  français.  —  Ce 
système  a  de  grands  avantages.  Il  fait  communiquer  quoti- 
diennement la  France  non  seulement  avec  nos  nationaux  éta- 
blis à  l'étranger,  mais  encore  avec  les  lecteurs  étrangers.  Quand 
le  grand  journal  italien  le  Carrière  délia  Sera  s'assure  par  traité 
les  dépêches  du  Matin,  il  abonne  indirectement  ses  lecteurs  au 
Matin.  Mais  cette  pratique  exige  en  premier  lieu  des  capitaux 
et  de  la  bonne  volonté  de  la  presse  étrangère;  en  second  lieu  les 
circonstances  politiques  favorables. 

Nous  pourrions  citer  un  journal  russe  très  important  qui, 
las  de  retrouver  sur  toutes  les  nouvelles  reçues  des  agences  la 
marque  allemande,  résolut  d'échapper  à  cette  tyrannie,  s'adressa 
à  un  journal  français,  lui  demanda  ses  télégrammes.  Mais  il 
fallait  relier,  à  travers  l'Allemagne,  Paris  et  Saint-Pétersbourg 
par  un  fil  spécial.  Vous  pensez  si  le  gouvernement  allemand 
favorisa  l'entreprise! 

2°  L'idéal  serait  de  pouvoir  fonder,  dans  les  pays  qui  sont 
pour  ainsi  dire  hors  de  la  portée  de  notre  presse,  des  journaux 
français  alimentés  de  nouvelles  aux  sources  nationales.  —  Ils 
existent  dans  quelques  capitales.  Mais  ils  ne  peuvent  subsister 
que  là  où  la  colonie  française  est  nombreuse,  riche  et  unie. 

Si  nous  lisions  mieux  notre  histoire,  elle  nous  enseignerait 
que  les  idées  sont  des  articles  d'exportation  incomparables  et 
qu'il  est  au  moins  aussi  important  d'admirer  la  propagande  de 
notre  opinion  que  celle  de  notre  science  ou  de  nos  industries. 

Peut-être  verrions-nous  se  fonder  alors,  chez  nous,  des  asso- 
ciations puissamment  organisées  déléguant  à  l'étranger  des 
journalistes,  comme  on  fait  pour  des  médecins,  des  professeurs 


48  —  II-5  SECTION   LITTÉRAIRE 

OU  des  missionnaires  et  soutenant  hors  de  France  des  journaux 
au  même  titre  que  des  facultés.  . 
Nous  ne  désespérons  pas  de  voir  un  jour  ce  vœu  réalisé, 
3°  En  attendant,  il  existe  un  organe  moins  coûteux.  Je  ne 
fais  que  l'indiquer  ici,  car  mon  sujet  m'interdit  d'en  parler 
avec  détail.  C'est  la  revue  hebdomadaire,  conçue  sur  le  modèle 
du  Das  Echo.  On  nous  anonce  la  fondation  des  Echos  de  France, 
conçus  dans  le  même  esprit  que  la  revue  allemande.  Souhai- 
tons leur  une  longue  prospérité.  Us  serviraient,  en  même  temps 
que  les  intérêts  matériels,  les  intérêts  moraux  de  la  France,  con- 
tribueraient à  sauver  les  groupes  de  Français  établis  à  l'étranger 
de  divisions  lamentables,  établiraient  un  lien  entre  les  diverses 
colonies,  rapprocheraient  nos  émigrés  de  nos  consuls,  appelle- 
raient l'attention  de  nos  nationaux  sur  des  débouchés  nouveaux 
et  faciliteraient  entre  les  étrangers  et  nous  l'échange  des  pro- 
duits et  des  idées. 

II.  —  Développer  chez  les  Français  de  l'intérieur  la  curiosité 
de  l'étranger,  c'est  une  des  fonctions  que  peut  et  doit  remplir 
la  presse  quotidienne  de  France.  —  On  reconnaîtra  que,  de 
jour  en  jour,  elle  s'y  adonne  davantage.  Autrefois,  la  rubrique 
de  l'étranger  était  sacrifiée  dans  les  journaux  à  grand  tirage. 
Depuis  le  jour  où  le  Matin  conclut  un  traité  avec  le  Times  et 
acquit  un  droit  quotidien  aux  dépêches  du  grand  journal  de 
de  la  Cité,  la  presse  populaire  n'a  pas  cessé  de  développer  ses 
services  à  l'étranger.  Aujourd'hui,,  ce  n'est  plus  le  simple 
résumé  des  événements  nationaux,  mais  un  résumé  de  l'histoire 
quotidienne  du  monde  que  nous  avons  l'ambition  d'offrir  à 
nos  lecteurs. 

Tenu  chaque  matin  au  courant  non  seulement  des  grands 
faits  politiques,  mais  même  des  faits-divers  qui  ont  eu  quelque 
retentissement  en  Europe  ou  hors  d'Europe,  le  Français  se 
familiarise  avec  les  noms  et  les  choses  de  l'extérieur,  il  ne  con- 
sidère plus  le  voyage  comme  un  effort  qui  le  dépasse,  il  sait 
mieux  de  quels  exemples  d'outre-Manche  et  d'ouIre-Rhin  il  lui 
serait  utile  de  s'inspirer.  Il  comprend  plus  clairement  qu'il  ne 
peut  plus   vivre    sur   lui-même,    et  que   la   préoccupation  de 


SECTION   LlTTÉIlAinE  11-5  — 49 

l'étranger  doit  intervenir  dans  tous  les  actes  de  sa  vie  intellec- 
tuelle, économique  ou  politique. 

Cette  transformation  de  l'esprit  français  se  poursuit  depuis 
quelques  années  avec  un  succès  croissant,  dont  la  presse  peut, 
à  juste  titre,  ce  me  semble,  revendiquer  l'honneur. 


III.  —  La  publicité  de  la  France. 

Voilà  le  troisième  et  principal  objet  dont  doit  se  préoccuper 
la  presse  quotidienne. 

Beaucoup  de  moralistes  aiment  à  distinguer  entre  la  bonne 
et  la  mauvaise  publicité  et  reprochent  aux  journaux  de  Paris 
et  de  province  une  sorte  d'impudeur  qui  les  empêche  de  dissi- 
muler les  tares  de  leur  pays. 

<(  Cachez  à  l'étranger  les  faiblesses  de  la  France  »,  répètent- 
ils  volontiers.  «  Ne  parlez  que  d'honnêtes  gens,  ne  racontez  que 
des  histoires  estimables  ». 

Ce  conseil  part  d'un  bon  naturel,  mais  cela  ne  l'empêche 
pas  d'être  mauvais. 

Le  lecteur,  quel  qu'il  soit,  doit  voir  la  vérité  telle  qu'elle  est. 

On  ne  compose  pas  des  journaux,  comme  le  Pharisien  com- 
posait sa  prière,  pour  vanter  les  siens,  son  pays  et  soi-même. 

Le  journal  signale  chaque  matin  tout  ce  qui  dépasse  le  niveau 
ordinaire  de  la  vie  :  c'est  ainsi  qu'il  oblige  gouvernants,  magis- 
trats responsables  à  réfléchir,  à  agir.  Le  crime  et  l'héroïsme, 
le  péril  et  l'exemple,  il  lui  faut  tout  montrer  à  ses  lecteurs. 

Un  article  ne  doit  jamais  être  indifférent.  Je  n'ai  pas  besoin 
qu'on  me  décrive  la  probité  de  mon  voisin,  je  compte  sur  elle 
conune  sur  la  mienne,  car  l'honnêteté  est  sous-entendue  par- 
tout. Mais  si  l'honnêteté  manque,  j'ai  besoin  de  le  savoir  afin 
de  ne  pas  gaspiller  ma  confiance. 

La  réputation  de  la  France  souffre,  dit-on,  de  cet  excès  de 
franchise. 

En  est-on  bien  certain?  Si  notre  nation  suscite  à  ce  point  la 
curiosité  universelle,  n'est-ce  pas  parce  qu'elle  est  dans  le 
monde  la  seule  qui  avoue? 


oO  —  II-5  SECTION   LITTÉRAIRE 

Le  peuple  français  découvre  ses  tares  avant  les  autres,  mais 
quand  il  les  raconte,  les  autres  races  peuvent  dans  sa  confes- 
sion percevoir  l'écho  de  leurs  craintes  sourdes  ou  de  leurs  re- 
mords futurs.  Ils  ne  sont  pas  meilleurs  que  nous;  peut-être 
ont-ils  seulement  une  conscience  plus  lente.  Peu  à  peu,  ils 
s'apprennent  en  nous  écoutant,  ainsi  nos  aveux  aident  le  monde 
à  mesurer  sa  misère. 


Disons  tout,  le  mal  et  le  bien. 

Vous  entendez  l'objection  :  les  adversaires,  déclare-t-on, 
répètent  pieusement  le  mal  que  nous  disons  de  nous-mêmes. 
Ils  négligent  les  faits  qui  sont  à  notre  louange. 

La  presse  française  quotidienne  a-t-elle  un  moyen  de  les 
obliger  à  divulguer  les  exploits  et  les  vertus  de  la  France? 

Elle  en  a  un  qui  est  de  servir  les  inventions,  de  célébrer  les 
hauts  faits  de  nos  compatriotes.  Pas  plus  qu'elle  ne  doit  taire 
les  scandales,  elle  ne  doit  s'hypnotiser  sur  eux. 

L'auteur  de  ces  notes  s'excuse  de  citer  l'exemple  suivant  : 

A  une  heure  de  notre  récente  histoire  où  la  France  était 
encore  profondément  divisée,  où  les  partis  s'accusaient  avec 
une  violence  extrême,  où  l'étranger  décrivait  en  détail  notre 
décadence,  le  Matin  institua  une  épreuve  sportive  dont  personne 
ne  prévoyait  les  conséquences  morales  :  ce  n'était  qu'une 
course,  mais  une  course  d'aéroplanes,  décidée  alors  que  l'aéro- 
plane venait  à  peine  de  faire  son  apparition  dans  le  ciel  de 
France.  Elle  s'appela  le  ((  Circuit  de  l'Est  »,  révéla  à  notre  pays 
une  arme  nouvelle  et,  en  le  forçant  à  lever  les  yeux,  contribua 
à  le  distraire  de  ses  querelles.  L'étranger  se  passionna  pour  cette 
aventure,  reconnut  la  grandeur  d'un  pays,  qui  en  l'espace  de 
quelques  années  venait  de  donner  à  la  terre  le  dirigeable,  le 
sous-marin  et  l'aéroplane.  Le  Matin  avait  fait  de  la  bonne  pu- 
blicité pour  la  France. 

Qu'on  me  pardonne  d'avoir  emprunté  ce  récit  à  une  histoire 
qui  m'est  connue.  Les  grands  journaux  français  ont  eu,  dans 
ces  dernières  années,  à  leur  actif  plus  d'un  fait  analogue. 

La  propagande  des  inventions  françaises  est  certainement 


SICTION    MTTÉllAIRE  II-5  —  51 

devenue  pour  notre  presse  un  puissant  moyen   de   servir  à 
l'étranger  le  prestige  national. 


La  pénétration  des  idées  françaises  doit  être  enfin  notre 
souci  suprême. 

Pour  qu'un  journal  français  aide  à  les  répandre,  que  lui 
faut-il?  Beaucoup  d'abonnés,  beaucoup  de  lecteurs  à  l'étranger? 
Non,  il  lui  faut  beaucoup  d'autorité  en  France. 

Cela  n'est  pas  un  paradoxe. 

Le  nombre  des  étrangers  qui  lisent  un  journal  publié  en 
français  paraît  infime,  si  on  le  compare  aux  millions  de  ceux 
qui  lisent  les  journaux  de  leur  ville  ou  de  leur  nation. 

Un  journal  français  doit  donc  viser  beaucoup  moins  à  attein- 
dre directement  les  lecteurs  anglais,  allemands,  italiens  ou 
russes,  qu'à  être  reproduit  dans  les  journaux  de  ces  diverses 
nationalités. 

Nous  traduisons  seulement  les  articles  des  journaux  impor- 
tants de  l'étranger.  La  presse  étrangère  use  à  notre  égard  du 
même  procédé. 

Mais  l'importance  politique  n'est  pas  seule  à  considérer.  Les 
journaux  étrangers  se  préoccupent  de  notre  opinion  dans  la 
mesure  oîi  nous  nous  préoccupons  de  la  leur  :  Plus  nous  fai- 
sons dans  nos  colonnes  la  place  large  à  leurs  appréciations, 
plus  ils  nous  reproduisent  à  leur  tour.  Et  cet  échange  d'idées 
contribue  à  former  petit  à  petit  une  opinion  publique  inter- 
nationale. 

Aussi  les  vœux  que  j'aimerais  à  proposer  au  congrès  en  ce 
qui  concerne  la  presse  quotidienne  française  se  ramènent-ils 
à  ceux-ci  : 

1°  Que  les  journaux  français,  sans  chercher  à  dissimuler  au- 
cun scandale,  veuillent  bien  servir  la  cause  de  l'entente  entre 
les  partis,  afin  que  notre  pays  apparaisse  devant  l'étranger 
uni  et  fort; 

2°  Que  le  public  français  comprenne  la  nécessité  de  s'inté- 
II  S 


S2  —  II-5  SECTION   MITÉRAIRE 

resser  de  plus  en  plus  aux  choses  de  l'étranger,  la  vie  s'interr 
nationalisant  chaque  jour  davantage; 

3°  Que,  dans  les  grands  pays  où  la  presse  française  n'arrive 
pas  à  temps  pour  informer  le  lecteur,  des  journaux  français 
se  fondent  avec  le  concours  d'associations  de  propagande,  qui 
comprennent  l'importance  de  la  presse  pour  la  diffusion  de  nos 
inventions,  de  notre  industrie  et  de  nos  idées. 


III.  —  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET  D'HISTOIKE. 


L'histoire  de  la  littérature  française 
dans  les  pays  étrangers  de  langue  française, 

Méthode  et  points  de  vue, 


GONZAGUE  DE  REYXOLD, 
chargé  de  cours  à  l'Université  de  Genève. 


Notre  sujet,  c'est  donc  la  littérature  des  pays  de  langue 
française  situés  hors  des  frontières  politiques  de  la  France. 

En  ces  pays  :  la  Belgique,  la  Suisse  romande,  le  Canada,  le 
Luxembourg,  le  français  n'est  point  langage  étranger,  mais  lan- 
gage national;  il  n'est  point  langage  appris,  mais  langage 
naturel,  héréditaire.  Dans  ces  conditions,  il  y  a  nécessairement 
littérature,  vie  intellectuelle.  Cette  littérature,  cette  vie  intellec- 
tuelle  peut  être  plus  ou  moins  ancienne,  plus  ou  moins  complète 
et  d'une  valeur  relative  :  elle  n'est  pas  intermittente,  ni  d'occa- 
sion, elle  a  ses  caractères  propres,  elle  représente  un  milieu 
social  déterminé,  elle  est  soumise  à  une  évolution  particulière. 
Car,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  ces  pays  :  la  Belgique,  la  Suisse 
romande,  le  Canada,  le  Luxembourg,  ne  sont  des  provinces 
françaises  qu'au  sens  purement  linguistique  du  terme -^  et  encore 
des  provinces  éloignées,  ce  que  nous  appellerions  volontiers  des 
«  marches  tributaires  ».    Ce  sont  des  patries  indépendantes, 

m  1 


2  —  III-l  SECTION   DE   PHILOLOGIE   ET   d'hISTOIRE 

autonomes,  qui  possèdent  une  histoire,  des  traditions,  une 
manière  de  comprendre  la  vie  et  de  la  vivre,  bref  un  esprit 
différent  de  l'esprit  français.  Ce  sont  enfin  des  peuples  qui 
demeurent  en  contact  permanent  avec  d'autres  races  dont  ils 
subissent  la  pénétration,  l'influence.  De  là,  précisément, 
l'intérêt  qu'on  peut  trouver  dans  l'étude  approfondie,  métho- 
dique, de  ces  «  littératures  françaises  à  l'étranger  ». 

Faut-il  leur  appliquer  une  méthode  spéciale?  Si  par  méthode 
nous  entendons  la  recherche,  le  choix,  le  classement,  l'emploi 
des  documents  et  la  manière  de  les  interpréter,  nous  ne  croyons 
pas  qu'elle  doive  être  différente  de  la  méthode  que  nous  appli- 
quons généralement  aujourd'hui  à  la  littérature  française.  Aussi 
bien  s'agit-il  ici  beaucoup  moins  de  méthode  que  de  «  points  de 
vue  ».  Où  et  comment  faut-il  se  placer  pour  que  les  lettres  belges 
ou  romandes  nous  apparaissent  le  mieux  éclairées?  Quels  chemins 
allons-nous  suivre  pour  pénétrer  jusqu'au  cœur  de  ces  terres? 
Nous  pourrons  acheter  une  autre  carte,  mais  nous  n'aurons  pas 
besoin  d'une  autre  lorgnette. 

Encore  une  remarque  préliminaire  :  dans  les  pages  qui  vont 
suivre,  nous  emprunterons  nos  exemples  à  la  Suisse  exclusive- 
ment. C'est  par  scrupule  de  vérité,  et  non  par  un  orgueil  national 
mal  placé.  Nous  connaissons  la  Suisse  infiniment  mieux  que 
nous  ne  connaissons  la  Belgique  ou  le  Canada.  Or,  une  démons- 
tration doit  s'appuyer  sur  des  faits  certains  et  contrôlés.  Ceux 
que  nous  apporterons  ne  seront  concluants,  sans  doute,  que  pour 
nous  seuls,  Romands.  Car,  s'il  existe  des  analogies  indéniables 
entre  la  Belgique  et  la  Suisse,  ces  analogies  ne  laissent  pas  de 
faire  ressortir  des  différences  fondamentales.  Mais  nous  ne  pré- 
tendons en  aucune  manière  découvrir  et  imposer  des  lois  :  nous 
cherchons  tout  simplement,  comme  nous  l'avons  dit  tout  à 
l'heure,  des  «  points  de  vue  »  ;  nous  nous  bornons  à  établir  des 
rapports  et  des  comparaisons. 

Il  nous  arrivera  d'employer  ces  termes  :  «  littérature  belge  », 
«  littérature  suisse  ».  Ce  sont,  en  effet,  des  abréviations  claires 
et  des  étiquettes  commodes.  Mais  nos  lecteurs  sont  priés  de  ne 
pas  se  méprendre  :  une  littérature,  c'est  l'ensemble  des  ouvrages 
écrits  dans  une  même  langue  ;  or,  il  n'y  a  point  de  langue  belge. 


SECTION    DE    PHILOLOGIE   ET   D'HISTOIRE  III- 1—3 

ni  de  langue  suisse;  donc,  il  n'y  a  point  de  littérature  belge  ou 
suisse.  En  revanche,  il  existe  un  esprit  belge  et  un  esprit  suisse, 
une  civilisation  belge  et  une  civilisation  suisse. 

Les  littératures  françaises  à  l'étranger  peuvent  être  envisagées 
(le  trois  points  de  vue  :  en  elles-mêmes  et  pour  elles-mêmes  — 
par  rapport  à  la  France  —  enfin  par  rapport  aux  littératures 
étrangères  avec  lesquelles  elles  sont  en  contact. 

Commençons  par  les  envisager  en  elles-mêmes  et  poiir 
elles-mêmes,  ce  qui  revient  à  les  considérer,  à  les  étudier  comme 
si  elles  possédaient  un  langage  propre  et  différent  du  français. 


I. 


Quand  on  parle  des  littératures  belge  ou  suisse,  on  a  tout 
d'abord,  avouons-le,  le  sentiment  de  littératures  ennuyeuses  et 
médiocres.  Ce  sont  des  préjugés,  mais  ces  préjugés  ont  quelque 
fondement.  Il  est  certain  que,  si  l'on  veut  absolument  et  toujours 
comparer  la  Belgique  ou  la  Suisse  romande  à  la  France,  si  l'on 
veut  exiger  d'elles  tout  ce  que  l'on  ose  exiger  de  la  France,  elles 
nous  apparaîtront  nécessairement  inférieures  et  pauvres.  Mais 
ce  point  de  vue  n'est  pas  un  point  de  vue  critique. 

Il  est  utile,  cependant,  de  chercher  les  causes  de  cette  infério- 
rité, afin  même  de  savoir  si  elle  est  apparente  ou  réelle,  passa- 
gère ou  durable,  afin  de  pouvoir  la  mesurer.  La  première  qui 
s'impose  à  l'évidence  est  celle-ci  :  la  France  est  une  grande 
nation,  vme  puissaiice ;  la  Belgique  et  la  Suisse  romande  sont  de 
très  petits  pays;  il  existe  en  France  des  départements  beaucoup 
plus  peuplés  que  la  Suisse  romande  entière.  Et  voici  encore 
une  vérité  de  la  Palisse,  mais  on  en  peut  tirer  une  conclusion 
d'ordre  psychologique  :  il  y  a  des  rapports  entre  les  dimen- 
sions géographiques  d'un  pays  et  ce  qu'on  pourrait  appeler  ses 
dimensions  morales.  Aux  horizons  limités  d'une  terre  corres- 
pondent souvent  les  horizons  limités  d'un  esprit. 

L'esprit,  dans  une  patrie  restreinte,  ne  trouve  point  toujours, 
en  effet,  pour  l'alimenter,  l'exciter,  le  renouveler,  les  grands 
desseins,  les  grandes  ambitions,  les  grandes  inquiétudes  néces- 


4  —  III-l  SKCTION    DE    PHILOLOGIE    ET    D'HISTOIRE 

saires.  La  vie  politique,  dans  une  patrie  restreinte,  manque 
d'ampleur;  la  neutralité  de  la  Suisse,  de  la  Belgique,  du  Luxem- 
bourg et  la  dépendance  du  Canada  vis-à-vis  de  l'empire  britan- 
nique, les  tiennent  à  l'écart  des  conflits  européens,  universels, 
où  ils  n'ont  pas  de  rôle  à  jouer;  leur  sécurité,  ou  plutôt  le  senti- 
ment exagéré  souvent  de  leur  sécui-ité,  les  maintient  repliés  sur 
eux-mêmes,  absorbés  dans  leurs  préoccupations  locales  et  dans 
un  particularisme,  nous  dirions  même  une  sorte  d'égoïsme  peu 
propice  à  des  mouvements  intellectuels  collectifs,  larges  et  con- 
tinus :  l'atmosphère  manque.  Certes,  nous  faisons  ici  toutes  les 
restrictions  indispensables  pour  corriger  ce  qu'il  y  a  de  trop 
absolu  dans  ce  qui  précède.  Mais,  déjà,  nous  voyons  apparaître 
une  autre  cause  d'infériorité  :  les  petits  pays  n'ont  pas  les  res- 
sources économiques  des  grandes  nations;  souvent  leur  sol,  vite 
surpeuplé,  suffit  à  peine  à  nourrir  tous  les  habitants  ;  il  faut 
lutter,  s'ingénier,  pour  vivre  et  pour  gagner  son  pain  ;  les  soucis 
matériels  absorbent  toutes  les  activités,  celles  des  États  comme 
celles  des  communautés,  comme  celles  des  individus  De  là  une 
double  conséquence  :  d'abord  une  tournure  d'esprit  pratique, 
utilitaire;  ensuite  le  fait  que  les  artistes,  les  écrivains,  les 
penseurs,  manquant  à  la  fois  de  public  et  de  soutien,  demeurent 
isolés  ou  s'exilent  vers  les  centres.  Or,  les  petits  pays,  autre 
cause,  sont  souvent  éloignés  des  centres  principaux  où  la  vie 
intellectuelle  a  ses  foyers  et  d'où  elle  rayonne.  Ils  ne  possèdent 
pas,  surtout  aux  origines,  eux-mêmes  de  grands  centres,  de 
grandes  capitales,  ou,  s'ils  en  ont,  ce  n'est  que  momentanément, 
lorsque  des  circonstances  favorables,  mais  passagères,  se 
présentent  :  ainsi  Genève  à  la  Réforme  et  au  xvni"  siècle,  ainsi 
Bâle  à  l'époque  de  l'humanisme. 

Enfin,  et  ceci  est  essentiel,  les  petits  pays  comme  la  Belgique 
ou  la  Suisse,  n'ont  pas  de  langue  unique,  nationale.  Provinces 
linguistiques,  «  marches  tributaires  m  de  la  France,  de  l'Alle- 
magne, ils  se  trouvent  vis-à-vis  de  la  littérature  française,  de  la 
littérature  allemande  —  et  surtout  vis-à-vis  de  la  première  qui 
gravite  autour  de  Paris  —  dans  un  état  de  dépendance  qui  nuit, 
malgré  tout,  à  leur  originalité  ;  ils  suivent  des  courants  et  leur 
éloignement  fait  qu'ils  les  suivent  à  distance.  N'ayant  donc  pas 


SECTION    DE   PHILOLOGIE    ET    D'HISTOIRE  III-l  —  5 

de  langue  à  eux,  ils  auront  de  la  peine,  sinon  à  posséder  une 
pensée  à  eux,  du  moins  à  l'exprimer.  Pays  intermédiaires 
entre  deux  races  éti'angères  l'une  à  l'autre,  el  souvent  opposées, 
ils  souffriront  des  contlils,  des  hésitations,  des  incertitudes  que 
cette  situation  ne  cesse  de  provoquer  ;  ils  auront  du  mal  à  se 
tenir  en  équilibre,  à  être  eux-mêmes  :  «  Tu  ne  te  débrouilleras 
jamais  »,  disait  Marc  Monnier  au  Suisse  romand.  Et  nous  ne 
faisons  point  allusion  aux  querelles  de  langues,  si  déprimantes 
pour  la  vie  intellectuelle,  puisqu'elles  rompent  l'équilibre  inté- 
rieur, puisqu'on  le  divisant  elles  affaiblissent  le  pays  au  détriment 
de  son  originalité,  de  sa  capacité  de  produire  :  nous  songeons 
aux  conflits  intérieurs  dans  le  même  esprit,  dans  la  même 
pensée,  dans  la  même  œuvre. 

On  reproche  aux  Belges  et  aux  Suisses  de  mal  parler,  de  mal 
écrire.  Il  faudrait  une  fois  s'entendre,  ne  fût-ce  que  pour  écarler 
les  puristes  et  les  pédants.  Mais  ce  reproche  n'est  pas  toujours 
injustifié  :  par  la  force  des  choses,  les  Belges  et  les  Suisses 
romands  sont  exposés  à  parler  et  à  écrire  un  français  de  frontière, 
tout  imprégné  de  germanismes  et  de  locutions  vicieuses  ;  ils 
sont  exposés  au  bilinguisme  qui  est  un  agent  de  décomposition 
intellectuelle,  et  souvent  ils  ne  savent  eux-mêmes  quel  est  leur 
véritable  langage,  par  conséquent  leur  véritable  race  et  leur 
véritable  esprit.  Sans  doute,  il  serait  bien  stupide  de  croire  que, 
parce  qu'on  sait  l'allemand,  le  flamand,  l'italien,  on  est  incapable 
d'écrire  correctement  et  de  composer  un  beau  livre;  au  contraire, 
ces  connaissances  peuvent  être  une  source  d'enrichissements. 
Mais  c'est  la  confusion,  ce  sont  les  mauvaises  habitudes,  les 
fâcheuses  méthodes  qu'il  faut  combattre.  Une  œuvre  littéraire 
vaut  surtout  par  la  forme  :  nous  croyons,  pour  notre  part,  que 
la  cause  principale  de  l'infériorité  suisse  romande,  par  exemple, 
vient  de  ces  difficultés  naturelles  à  réaliser  cette  condition 
essentielle  de  toute  littérature,  de  tout  art. 

En  dernier  lieu,  on  tiendra  compte  de  ce  fait  :  toutes  ces  litté- 
ratures françaises  hors  de  France  sont  des  littératures  jeunes 
encore.  Leur  développement  a  commencé  tard.  La  plus  ancienne, 
la  littérature  romande,  ne  remonte  qu'au  xvi«  siècle,  à  la 
Kéforme,  et  encore  est-elle  presque  exclusivement  renfermée 


6  —  IIl-l  SECTION    DE   PHILOLOGIE    ET    D'HISTOIRE 

dans  les  murs  de  Genève  :  vers  1750  seulement  une  vie  intellec- 
tuelle active  et  féconde  se  manifeste  et  une  évolution  s'accentue, 
mais  la  Suisse  romande  ne  possédera  une  «  personnalité 
morale  »  qu'à  partir  du  xix'  siècle.  La  Belgique,  comme  telle, 
n'a  pas  cent  ans  d'existence  ;  elle  ne  se  «  débrouille  »  littérai- 
rement que  vers  1880.  Le  Canada  débute  à  peine.  Si  donc, 
actuellement  encore,  autrefois  surtout,  cette  jeunesse  et  ce  retard 
s'ajoutent  aux  causes  d'infériorité,  ils  impliquent  cependant  des 
ressources, des  énergies  latentes,  des  «possibilités  »,  des  germes 
qui  ne  manqueront  pas  d'édore  et  de  fleurir  à  la  saison.  Les 
littératures  françaises  à  l'étranger  n'ont  pas  encore  donné  tout 
ce  qu'elles  peuvent  donner. 

D'autant  plus  que  certains  obstacles  tendent  à  s'aplanir. 
L'éloignement  des  grands  centres,  des  foyers  de  rayonnement,  la 
rapidité  des  communications  le  supprime.  Les  littératures 
cessent  d'être  isolées.  Une  éducation  meilleure,  avec  de 
meilleures  méthodes,  corrige  peu  à  peu  les  défectuosités  de  nos 
langages  ;  nous  acquérons  la  pratique  et  le  métier  qui  nous 
faisaient  défaut,  et  nous  profitons  des  expériences.  Et  puis,  il  y 
a  les  «  hommes  nécessaires  »  :  ils  sont  venus  —ou  ils  viendront. 


Qu'elles  soient  ou  non  médiocres,  les  littératures  françaises  à 
l'étranger  existent.  Nous  possédons  tous,  nous  autres  intellec- 
tuels, quelques  vagues  notions  sur  leur  histoire.  Nous  savons 
même  qu'elles  ont  eu  des  heures  glorieuses  :  la  littérature 
romande  à  la  Réforme  et  au  xviii'  siècle,  la  littérature  belge 
récemment;  des  noms  célèbres  nous  viennent  à  sa  mémoire  :  la 
Belgique  nous  fait  penser  à  Rodenbach,  à  Lemonnicr,  à  Maeter- 
linck, àVcrhaeren;  la  Suisse  romande  à  Calvin,  Jean-Jacques 
Rousseau,  Benjamin  Constant,  M""^  de  Staël,  Vinet,  Rod. 

A  tous  ceux  qui  veulent  pénétrer  dans  l'âme  vivante  de  la 
Suisse  ou  de  la  Belgique,  nous  conseillons  donc  de  prendre 
pour  guide  l'un  des  grands  écrivains  que  nous  venons  d'énu- 
mérer. 

Sans  doute,  les  grands  écrivains  de  la  Belgique  ou  de  la 


SECTION  DE   PHILOLOGIE   ET   d'hISTOIRE  III-l  —  7 

Suisse  romande,  par  le  fait  qu'ils  sont  des  écrivains  français, 
appartiennent  en  premier  lieu  à  l'histoire  de  la  littérature  fran- 
çaise à  laquelle  nous  n'avons  pas  le  droit  de  les  enlever. 
A  vouloir  les  enfermer  dans  de  petites  boîtes  à  compartiments, 
on  risquerait  de  les  diminuer,  de  les  mutiler.  Cependant, 
à  côté,  ils  ne  laissent  point  d'être  des  nôtres;  il  s'agit  sim- 
plement de  déterminer  jusqu'à  quel  point  et  dans  quelle  mesure. 
Il  y  a  des  gradations.  Un  Vinet,  un  Amiel,  qui  n'ont  jamais 
vécu  hors  du  pays  romand,  s'expliquent  uniquement  par  ce 
milieu;  un  Jean-Jacques  Rousseau  lui-même  est  plus  profondé- 
ment Genevois  et  Suisse  qu'un  Benjamin  Constant  n'est  Suisse 
et  Vaudois,  —  et  pourtant,  pour  connaître  ce  dernier,  pour  com- 
prendre son  esprit  et  son  caractère,  il  faut  connaître  la  société 
vaudoise,  avant  la  Révolution,  sous  la  domination  bernoise 
contre  laquelle  elle  réagissait,  soit  en  se  cantonnant  dans  son 
particularisme  local,  soit  en  se  faisant  cosmopolite. 

En  étudiant  un  Rousseau,  par  exemple,  en  l'étudiant  dans 
son  inlluence,  en  France  et  en  Allemagne,  sur  le  sentiment  de 
la  nature,  on  s'aperçoit  qu'il  n'est  pas  le  seul  Suisse  qui  ait 
exercé  une  action  déterminante  :  avec  son  nom  reviennent 
constanmientceuxdedcux  Suisses  allemands:  le  Zuricois  Gessner 
et  le  Bernois  Albert  de  Haller.Il  existe  entre  ces  trois  hommes  des 
similitudes  frappantes.  On  est  donc  conduit  logiquement  à  les 
rapprocher,  à  les  comparer,  à  les  réunir.  Mais  Gessner  nous  ramène 
à  Bodmer,  Lavater,  Hirzel,  à  toute  l'École  zuricoise;  mais  Haller 
nous  ramène  aux  Bernois,  à  Béat  de  Murait,  l'auteur  des  Lettres 
sur  les  A7ujlais,  les  Frariçais  et  les  voyages.  Peu  à  peu,  on  se 
trouve  ainsi  en  présence  d'une  foule  d'écrivains,  de  penseurs,  les 
uns  illustres,  les  autres  obscurs,  les  uns  doués,  les  autres 
médiocres,  mais  tous  intéressants  et  significatifs,  parce  qu'ils 
représentent  des  collectivités. 

La  valeur  purement  littéraire  de  ces  auteurs  secondaires  est 
généralement  fort  contestable.  Mais  ce  n'est  plus  de  ce  point 
qu'il  convient  de  les  juger.  La  «  manie  du  grand  homme  «  est 
dangereuse;  elle  sévit  en  Suisse  romande,  ailleurs  sans  doute 
aussi.  Il  est  certain  cependant  que  des  poètes  de  troisième  ordre, 
comme  Juste  Olivier,  ou  des  écrivains  de  troisième  plan,  comme 


8  —  III- 1  SECTION   DE  PHILOLOGIE  ET   D'HISTOIRE 

ce  doyen  Bridel  dont  les  titres  les  plus  sûrs  sont  les  treize 
volumes  d'un  almanach,  ont  pu  exercer  une  influence  décisive 
sur  l'évolution  des  esprits  :  on  trouve  dans  leurs  œuvres  des 
documents  du  plus  haut  intérêt.  C'est  donc  socialement  qu'il  les 
faut  étudier.  Car  l'étudedes  ininore&  est  souvent  très  importante: 
elle  nous  révèle,  mieux  parfois  que  celle  des  chefs-d'œuvre,  les 
habitudes,  les  tendances  moyennes,  mais  vastes  et  puissantes, 
de  groupes  sociaux. 

Dans  les  petits  pays,  en  effet,  et  particulièrement  dans  ceux-là 
qui,  dépourvus  de  centre  unique,  ont  conservé  une  organisation 
communale  ou  fédérative,  les  écrivains  sont  rarement  des  «  pro- 
fessionnels ».  Ils  consacrent  aux  lettres  une  partie  de  leur  vie 
seulement.  Ils  enseignent  dans  les  écoles,  ils  prêchent  dans  les 
églises;  ils  sont  magistrats,  savants,  hommes  d'épée  ou  de  robe. 
Il  leur  est  difficile,  en  tout  cas,  de  se  tenir  à  l'écart  de  la  chose 
publique.  Ils  subissent  donc  nécessairement  des  influences  ;  celle 
de  leur  vocation  ou  de  leur  métier;  celle  de  leurs  préoccupations 
morales,  pédagogiques  ou  politiques;  celle  enfin  de  leur  cité. 
Rien  n'est  donc  plus  nécessaire,  que  d'étudier  l'histoire  et 
les  institutions  de  leurs  diff'érents  milieux.  On  ne  comprend 
pas  le  Contrat  social  si  l'on  ignore  la  constitution  genevoise, 
qui  est  elle-même  une  variante  du  palriciat  dans  les  villes 
suisses,  si  l'on  ne  sait  rien  des  troubles  qui  agitèrent  au 
xviii"  siècle  la  République  genevoise  et  les  Cantons.  Tout 
l'esprit  bernois,  cet  esprit  façonné  par  l'histoire  et  les  institu- 
tions, est  dans  Haller. 

L'influence  des  religions  ne  saurait  être  négligée,  surtout 
lorsqu'il  s'agit  d'auteurs  protestants,  comme  Vinet,  qui  était 
homme  d'église.  Et  cela  d'autant  plus  que  le  protestantisme, 
religion  morale  et  intellectuelle,  avec  son  libre  examen  et  son 
individualisme,  imprime  aux  esprits  une  empreinte  infl^açable 
et  les  pousse  à  concevoir  la  littérature,  la  mission  de  l'écrivain, 
d'une  certaine  manière,  souvent  très  peu  littéraire.  La  Réforme 
a  suscité  des  critiques  et  des  moralistes,  elle  a  créé  la  littérature 
romande  et  presque  toute  la  littérature  suisse.  Elle  a  d'ailleurs, 
en  Suisse,  dans  le  pays  romand,  des  caractères  propres  qu'il 
faut  connaître,  car  ils  se  retrouvent  dans  les  livres  :  caractères 


SECTION  DE  PHILOLOGIE   ET   D'HISTOIRE  III-l  —  9 

politique:^,  caractères  sociaux;  cosmopolite  d'abord,  et  surtout  à 
Genève,  la  Réforme  s'est  peu  à  peu  confondue  avec  l'idée  de 
patrie;  elle  a  réagi  contre  l'influence  française  dans  les  milieux 
mômes  dontle  français  était  la  langue.  Des  remarques  analogues 
peuvent  être  faites  sur  le  catholicisme,  en  Suisse  du  moins; 
nulle  doute  que  son  influence,  directement  on  indirectement, 
n'ait  été  considérable  en  Belgique,  au  Canada;  nul  doute  aussi 
que  le  milieu  belge  ou  canadien  n'ait  à  son  tour  influé  sur 
lui.  Il  y  a  là  encore  matière  à  d'intéressantes  enquêtes. 

Mais  un  pays,  c'est  une  terre,  une  nature.  Dans  les  petites 
patries  comme  la  Belgique  ou  la  Suisse,  souvent  la  terre  est  une 
quand  les  races,  les  langues  et  les  religions  sont  diverses  et 
divisées.  Et  c'est  la  terre,  avec  l'histoire,  qui  fait  et  qui  maintient 
l'unité  nationale  ;  c'est  la  terre,  avec  l'histoire,  qui  crée  et  ren- 
force chaque  jour  l'unité  d'esprit,  la  volonté  commune.  Comment 
les  écrivains  belges  ou  romands  ont-ils  vu,  compris,  interprété 
leur  terre  ?  Quelles  formes  revêt  chez  eux  le  sentiment  de  la 
nature?  Ce  sont  des  questions  essentielles. L' Al pe  a  inspiré  Haller 
et  Rousseau  qui  non  seulement  l'ont  décrite,  mais  encore  ont 
tiré  d'elle  toute  une  doctrine  sociale  et  philosophique  ;  Vhelvé- 
tisme,  du  doyen  Bridel  est  un  édifice  construit  avec  les  pierres 
des  Alpes  ;  avant  de  les  exploiter  à  l'usage  des  étrangers,  les 
Suisses  se  sont  fait  de  leurs  montagnes  un  rempart  contre  les 
influences  étrangères,  ils  ont  vu  en  elles  le  symbole  de  leur 
unité  nationale.  L'alpinisme  a  de  son  côté  produit  toute  une  litté- 
rature, souvent  détestable.  Et  les  recherches  scientifiques,  dont 
l'origine  remonte  à  l'humanisme,  ont  enrichi  les  lettres 
françaises  d'un  maître  livre  :  les  Voyages  dans  les  Alpes,  de 
Bénédict  de  Saussure.  Mais  il  n'y  a  pas  seulement  la  terre  :  il  y 
a  le  paysan  ;  il  n'y  à  pas  seulement  la  montagne  :  il  y  a  le  mon- 
tagnard. Il  existe  des  liens  entre  la  vie  agricole,  dans  un  pays, 
et  sa  vie  intellectuelle  :  les  mémoires  d'un  simple  cultivateur, 
Uli  Braecker,  le  «  pauvre  homme  du  Toggenbourg  »,  sont  l'une 
des  œuvres  les  plus  significatives  du  xvui"  siècle  helvétique.  On 
ne  goûtera  jamais  Jérémias  Gotthelf  ou  G.  F.  Ramuz,  si  l'on 
ignore  le  paysan  bernois  ou  vaudois.  Le  «  genre  rustique  »  qui 
sévit  en  Suisse  romande   depuis   la  Nouvelle  Héloise,  nous  a 


10  —  III-l  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET   D'HISTOIRE 

valu  une  foule  de  romans  médiocres  :  beaucoup  d'entre  eux 
ont,  à  défaut  de  valeur  littéraire,  une  valeur  ethnographique. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  à  propos  de  la  nature,  nous  le 
dirons  aussi  à  propos  du  passé,  de  l'histoire.  L'esprit  du  peuple, 
ses  besoins,  ses  aspirations  se  révèlent  dans  la  manière  dont  il 
s'inspire  du  passé,  dont  il  interprète  son  histoire.  L'Histoire  de 
la  Confédération,  de  Jean  de  MùUer,  est,  par  exemple,  l'un  des 
livres  qui  ont  créé  l'esprit  suisse,  qui  ont  rattaché  la  vieille 
Suisse  à  la  nouvelle  :  quatre  ou  cinq  générations,  dans  les 
cantons  romands  aussi  bien  que  dans  les  cantons  allemands,  y 
ont  puisé,  en  même  temps  qu'un  style,  leurs  conceptions  du  passé 
et  de  la  gloire  helvétique,  et  la  nourriture  de  leur  patriotisme. 

Il  faut  attacher  une  grande  importance  à  l'inlluence  des  arts 
sur  les  esprits,  et  par  conséquent  sur  les  lettres,  dans  des  pays, 
comme  la  Belgique  et  la  Suisse,  où  l'on  trouve  des  cités  orga- 
nisées corporativement  :  villes  llamandes,  bourgeoisies  de  Bâle  ou 
de  Zurich.  On  n'a  pas  encore  tiré  de  la  comparaison  entre  la 
littérature  et  les  arts  plastiques,  la  peinture  surtout,  toutes  les 
conclusions  qu'on  en  pourrait  tirer.  Il  y  a  des  correspondances 
évidentes  entre  l'art  flamand  et  celui  des  poètes  belges  contem- 
porains. 

Ces  différentes  voies  que  nous  venons  d'indiquer  :  rapports 
entre  les  grands  écrivains  et  leur  peuple  ;  rôle  des  «  minores  »  ; 
influences  des  institutions,  des  religions,  de  la  nature,  des  arts, 
convergent  toutes  vers  un  centre  unique,  et  c'est  le  pays 
lui-même.  Le  résultat  de  ces  enquêtes  doit  être  une  sélection, 
puis  une  définition  de  caractères.  Quels  sont  les  caractères  du 
peuple  beige,  de  la  nation  suisse,  d'après  leurs  littératures? 
Répondre,  c'est  mettre  en  lumière  l'originalité  de  ces  littéra- 
tures françaises  à  l'étranger,  leur  originalité  par  rapport  à  la 
France  elle-même  ;  c'est  montrer  en  quoi  elles  enrichissent 
l'ensemble  des  lettres  françaises  et  la  pensée  européenne.  C'est 
rendre  enfin  ces  littératures,  médiocres  en  apparence,  en  appa- 
rence incomplètes,  plus  intéressantes  parce  que  plus  humaines. 
Mais,  on  l'aura  sans  doute  remarqué,  on  ne  saurait  toujours  les 
séparer  des  autres  littératures,  allemande  ou  flamande, 
qu'inspire,  suisse  ou  belge,  le  même  esprit  :  il  y  a  des  moments 


SF.CTION   DK  PHILOLOGIE  ET   d'HISTOIRE  III-l  —  H 

diins  révolution  intellectuelle  et  morale  des  petits  pays  sans 
unité  autre  que  l'unité  politique,  où  il  faut  faire  abstraction  des 
différences  linguistiques. 

H 

Le  meilleur  moyen  de  connaître  et  de  comprendre  les  litté- 
ratures françaises  à  l'étranger,  c'est  donc  de  les  étudier  en  soi, 
comme  des  littératures  indépendantes  Nous  pensons  en  tous 
cas  que  c'est  par  là  qu'il  faut  commencer.  Mais  on  ne  saurait 
oublier  que  la  communauté  de  langue  établit  entre  elles  et  la 
France  des  rapports  constants,  des  rapports  de  dépendance. 
Quels  sont  ces  rapports  ?  Et  quel  est  leur  mécanisme  ?  Les 
réponses  à  ces  deux  questions  intéressent  au  plus  haut  point 
l'histoire  de  la  littérature  et  de  la  culture  françaises,  l'histoire  de 
la  France  elle-même. 


Qui  dit  communauté  de  langage  et  rapports  de  dépendance 
dit  influence  directe.  On  procédera,  par  conséquent,  à  l'analyse 
de  l'in/luence  française^  non  seulement  en  particulier  sur  la  lit- 
térature, mais  en  général  sur  la  culture,  sur  les  mœurs,  les 
institutions,  les  idées.  Une  telle  analyse,  qui  pourra  être  som- 
maire, nous  semble  indispensable,  car  l'influence  française  ne 
s'exerce  pas  seulement  sur  les  lettres,  de  façon  directe  :  elle 
s'exerce  encore,  de  façon  indirecte,  mais  souvent  plus  profonde, 
sur  tout  ce  qui  est  les  sources  mêmes  de  la  vie  et  de  la  production 
intellectuelles  —  l'éducation,  les  habitudes  et  les  coutumes 
sociales,  l'existence  publique  et  privée.  Ainsi,  dans  la  Suisse  du 
xvn'  et  du  xvni"  siècle,  l'influence  française  s'est  manifestée  par 
quelques  faits  essentiels  :  «  le  service  de  France  »  qui  main- 
tenait à  la  solde  royale  plus  de  trente  mille  Suisses,  officiers  et 
soldats  ;  la  formation  des  aristocraties  ;  les  alliances  politiques; 
les  échanges  économiques.  A  côté  de  ces  faits  qui  eurent  des 
répercussions  si  manifestes  sur  les  esprits  et  les  mœurs,  l'in- 
fluence de  la  littérature,  des  formes  littéraires,  est  beaucoup 
moins  importante. 


12  —  III-l  SECTION    DE    PHILOLOGIE   ET    d'HISTOIRE 

Lorsque  l'influence  française  arrive  à  dominer  dans  un  pays 
où  deux  races  et  deux  langues  cohabitent,  comme  la  Suisse,  elle 
dépasse  bientôt  ses  limites  naturelles,  les  limites  mêmes  de  la 
langue  ;  elle  s'impose  à  une  race,  à  une  langue  qui  lui  sont 
étrangères.  Elle  s'impose  de  deux  manières  :  par  sa  propre 
expansion,  —  par  l'action,  moins  forte  souvent,  mais  continue, 
que  la  partie  française  du  pays  exerce  sur  la  partie  germanique. 
Ainsi,  en  Suisse,  durant  la  période  qui  s'étend  de  1650  à  la 
Révolution,  les  régions  romandes  font  pénétrer  par  infiltration 
la  culture  française  dans  les  cantons  allemands:  les  jeunes  patri- 
ciens, les  jeunes  bourgeois,  futurs  pasteurs,  futurs  magistrats, 
futurs  commerçants,  vont  de  Berne,  Bàle  et  Zurich,  apprendre 
le  français  à  Lausanne  et  à  Genève  ;  Genève  est  le  centre  intel- 
lectuel et  moral  du  protestantisme  helvétique;  l'aristocratie 
vaudoise,  qui  est  mondaine,  attire  à  elle,  dans  ses  salons,  ses 
maîtres,  Messieurs  de  Bernes  ;  elle  les  éduque,  elle  leur  inculque 
la  «  politesse  ».  A  la  fin  du  xviii*  siècle,  l'influence  romande  est 
aussi  forte,  en  Suisse,  que  l'influence  française  proprement  dite. 
Les  grands  écrivains  des  cantons  allemands  en  sont  la  preuve  : 
Bodmer  apprend  le  français  à  Genève  ;  c'est  à  Genève  que  se 
francise  Jean  de  Mullcr;  le  poète  Salis-Seewis  a  passé  par  Lau- 
sanne avant  d'entrer  comme  officier  au  régiment  des  Gardes  ;  à 
Berne,  Haller,  dans  sa  famille  et  dans  sa  caste,  reçoit  une  édu- 
cation toute  française. 

Car  l'influence  française  crée  ce  que  l'on  peut  appeler  des  «colo- 
nies intellectuelles  »  ;  on  le  constate  principalement  sous  l'ancien 
régime.  Le  cas  de  Berne  est  un  exemple  typique  :  le  pays  est  de 
race  foncièrement  allemande,  le  patriciat  est  celui  d'une  ville 
impériale,  fondée  par  les  ducs  de  Zaebringen.  Or,  de  ce  patri- 
ciat, de  cette  aristocratie,  est  issue  toute  une  école  d'écrivains 
français  :  Béat  de  Murait,  l'auteur  des  Lettres  (en  français,  mais 
antifrançaises!)  sur  les  Anglais,  les  Français  et  les  Voyages;  le 
délicieux  Charles-Victor  de  Bonstetten;  Sigismond  de  Lerber, 
le  meilleur  poète  romand  du  xviii'  siècle;  l'érudit  Sinner  de 
Balaigues,  l'historien  Alexandre  de  Wattenwyl,  le  «  philosophe  » 
et  général  de  Weiss,  le  médiocre  Salchli  —  et  l'on  en  passe. 
Déjà,  au  xvii«  siècle,  le  bailli  Stettler  traduisait  en  allemand 


SECTION   DE   PHH.OKOGIE   ET   d'hISTOIRE  III-l  —  13 

Ronsard,  Malherbe,  Du  Bartas,  Pibrac.  Plus  tard,  dans  ses  pré- 
faces, Hallcr  s'excuse  d'écrire  en  allemand,  langue  qui  lui  est, 
dit-il,  «  étrangère  ».  Alors,  en  face  d'un  tel  phénomène,  une 
question  se  pose  :  pourquoi,  jadis,  des  Allemands  comme  ces 
Bernois,  pourquoi,  aujourd'hui  des  Flamands  comme  un 
Maeterlinck  ou  un  Verhaeren,  ont-ils  préféré  le  français  à  leur 
langue  maternelle?  La  réponse  est  dans  le  prestige  de  la  France, 
dans  la  clarté  et  la  logique  de  sa  langue,  dans  l'universalité  de 
son  esprit. 

Mais  il  peut  arriver  que  même  des  pays  de  langue  française 
réagissent  contre  la  France  :  c'est  lorsque  son  influence,  pour  des 
causes  morales  ou  politiques,  devient,  ou  paraît,  dangereuse.  Ce 
phénomène,  qui  s'est  produit  maintes  fois  en  Suisse,  et  en  Suisse 
romande,  est  particulièrement  significatif.  Au  xviii*  siècle,  de 
Genève  à  Zurich,  la  nation  helvétique  était  saturée  d'influence 
française;  cette  dernière  se  déformait  et  se  corrompait  dans  un 
milieu  devenu  incapable  de  l'assimiler.  Relisons,  par  exemple, 
la  lettre  de  Jean-Jacques  au  maréchal  de  Luxembourg;  or,  Rous- 
seau a,  lui-même,  par  sa  Letti'e  à  d'Alembert,  participé  à  la 
réaction  contre  l'influence  française,  et  il  juge  d'après  des 
observations  faites  à  Genève  et  à  Neuchâtel,  contrées  non  pas 
germaniques  (il  est  vrai  protestantes),  mais  romandes.  Et  Bridel, 
ennemi  de  la  France,  était  un  Vaudois,  et  Murait,  ce  gallophobe 
écrivait  en  français.  Les  causes  de  cette  réaction  sont  d'abord 
des  causes  historiques;  mais  il  y  en  a  d'autres,  plus  profondes  : 
l'esprit  protestant,  l'esprit  germanique,  l'esprit  républicain,  et 
surtout  l'efTort  accompli  par  la  Suisse  pour  recouvrer  son  indé- 
pendance menacée,  compromise,  sa  volonté  de  vivre  de  sa  vie 
propre,  le  réveil  du  sentiment  national.  Car,  lorsque  les  petits 
pays  que  divisent  les  races  et  les  langues,  veulent  créer  ou 
raffermir  leur  unité  nationale,  il  leur  faut  tout  d'abord  se 
concentrer  en  eux-mêmes,  rapprocher  et  concilier  leurs  difTé- 
rences,  et  pour  cela,  réagir  précisément  contre  les  influences  des 
grandes  nations  qui  les  entourent  et  auxquelles  les  rattachent 
des  affinités  naturelles.  Leur  vie  est  avant  tout  un  acte  de  volonté. 


14  —  Ill-l  SECTION   DE  PHILOLOGIE   ET   d'hISTOIRE 

Les  actions  et  réactions  purement  littéraires  ont  un  méca- 
nisme moins  compliqué. 

Le  premier  phénomène  que  nous  pouvons  observer  est  celui 
du  choix.  Les  petits  pays  de  langue  française,  mais  étrangers  à 
la  France,  ont  un  esprit  qui  n'est  plus  l'esprit  français,  ils  vivent 
d'une  vie  différente  de  la  vie  française;  les  goûts  et  les  besoins 
ne  sont  plus  les  mêmes.  Toute  la  littérature  française,  toutes  ses 
idées,  toutes  ses  formes  ne  leur  conviennent  pas  également.  Ils 
choisissent  donc  leurs  livres  et  leurs  maîtres.  Il  est  intéressant 
de  chercher  à  connaître  les  motifs  et  les  raisons  de  ce  choix. 
En  Suisse  romande,  l'esprit  protestant,  moraliste,  utilitaire, 
indifférent  à  l'art,  a  toujours,  par  exemple,  manifesté  à  l'égard 
du  théâtre  et  du  roman  des  préjugés  caractéristiques.  Au 
xviii"  siècle,  —  la  Lettre  sur  les  spectacles,  la  lettre  de  Murait 
sur  le  bel  esprit  et  les  remarques  critiques  de  Haller  le 
démontrent,  —  les  grands  classiques  se  heurtaient  à  de  terribles 
méfiances;  Fénelon  seul  était  un  favori. 

Ces  besoins,  ces  goûts,  ces  préférences  qui  constituent  le  choix, 
s'expriment  par  la  critique.  L'indépendance  politique  et  morale 
des  petits  pays,  leurs  éloignement  des  centres  intellectuels  leur 
permettent  de  garder  une  très  grande  liberté  de  jugement,  les 
tiennent  à  l'abri  des  cabales  et  des  modes.  La  critique  romande: 
celle  d'un  Chaillet,  d'un  Vinet  surtout,  —  peut  sembler,  parfois 
avec  raison,  incomplète  et  même  peu  littéraire,  ou  du  moins 
extra-littéraire,  on  ne  saurait  lui  dénier  l'indépendance,  l'intel- 
ligence, la  profondeur,  souvent  la  nouveauté. 

La  littérature  française  apporte  aux  petits  pays  des  formes 
qu'ils  rempliront  de  leur  matière  à  eux,  des  moyens  dont  ils  se 
serviront  pour  s'exprimer  eux-mêmes.  De  là  un  troisième 
phénomène  :  Vadaptalion  des  genres.  Dans  sa  théorie  de  l'helvé- 
tisme, le  doyen  Bridel  a  défini,  par  exemple,  ce  qu'il  entendait 
par  églogue  suisse,  poème  suisse,  etc.  :  ce  n'était  qu'un  jeu  assez 
puéril.  Mais  il  y  a  un  «roman  romand»,  d'ailleurs  médiocre,  et 
il  y  a  des  poètes  romands  qui  sont  classiques,  romantiques,  par- 
nassiens, symbolistes  à  leur  manière,  laquelle  n'est  pas  toujours 
la  bonne. 

Si  nous  étudions  précisément  la  poésie  romande,  à  commencer 


SECTION    DK    PHILOLOGIE   ET    D'HISTOIIIE  III-l  —  15 

par  Bridel  pour  finir  par  Warnéry  (laissons  les  vivants  de  côté), 
nous  constaterons  deux  autres  phénomènes  :  le  relard,  par  rapport 
à  l'évolution  de  la  poésie  française  (et  ce  retard  est  naturel,  il 
s'explique  par  l'éloignement:  ainsi  nous  étions  encore  classiques 
à  la  manière  de  Vienne!  et  Delilie, alors  que  le  romantisme  finis- 
sait); puis,  conséquence  même  du  relard,  la  survivance  d'an- 
ciennes formes  abandonnées,  d'anciennes  habitudes,  et  de  style, 
et  de  langage  ;  mais  nous  avons  déjà  montré  pourquoi  ces  deux 
phénomènes  tendent  à  se  faire  de  plus  en  plus  rares.  Enfin,  il  y 
a  entre  les  petits  pays  de  langue  française  hors  de  France  et  la 
France  elle-même,  de  perpétuels  échanges  d'hommes  et,  par 
conséquent,  de  formes  et  d'idées.  Pour  les  petits  |)ays,  rôle 
glorieux  ;  pour  la  France,  rôle  utile.  En  donnant  à  la  France  une 
M"'"  de  Staël,  un  Benjamin  Constant,  un  Cherbuliez,  un  Rod  et 
surtout  un  Jean-Jacques  Rousseau,  la  Suisse  romande  a  contribué 
au  renouvellement  de  la  pensée  française;  en  recevant  d'elle  un 
Calvin,  qui  a  fait  Genève,  les  réfugiés  huguenots,  qui  ont  fondé 
les  premiers  journaux  et  créé  la  vie  littéraire,  elle  s'est  sentie 
elle-même  galvanisée,  capable  d'un  effort  qui  l'a  sortie  de  la 
médiocrité,  de  la  stérilité.  On  sait,  d'autre  part,  toute  l'inlluence 
exercée  par  les  poètes  belges  sur  la  poésie  française  contem- 
poraine, sur  le  symbolisme. 


Il  est  entendu,  c'est  du  moins  l'opinion  courante,  que  Belges 
et  Uomands  écrivent  mal.  Leur  langue  toutefois,  et  ce  n'est  point 
un  paradoxe,  mériterait  d'être  étudiée.  On  y  ferait  des  décou- 
vertes intéressantes,  significatives.  Ceux  qui  voient  dans  les  mots 
et  les  formes  du  langage  la  terre  et  la  vie,  pourraient  déduire  de 
leurs  observations  bien  des  conclusions  d'ordre  psychologique. 
Il  y  a,  en  effet,  pour  ébaucher  un  classement,  dans  celte  langue 
des  éléments  divers:  d'abord,  les  incorr celions,  les  locutions 
vicieuses,  déformées,  les  mauvaises  habitudes;  —  puis  les  pro- 
vinciaiismes  et  les  dialeclalismes ;  —  puis  les  archaïsmes;  — 
enfin,  les  germanismes,  soit  ceux  du  vocabulaire,  soit  ceux  de 
la  syntaxe,  ces  derniers  rentrant,  d'ailleurs,  dans  la  catégorie  des 
incorrections. 


16  —  III-l  SECTION    DE    PHILOLOGIE   ET    d'HISTOIRE 

Et  c'est  alors  que  se  pose  un  problème  :  un  Belge  ou  un  Suisse 
romand,  pour  bien  écrire,  pour  parler  français,  doit-il  parler, 
doit-il  écrire  comme  un  Parisien,  comme  un  Français  de  France? 
Doit-il  pourchasser  impitoyablement,  non  seulement  les  incor- 
rections, mais  aussi  les  provincialismes,  les  archaïsmes,  et  même 
les  germanismes,  au  risque  de  parler  ou  d'écrire  d'une  manière 
artificielle, d'une  manière  apprise?  La  langue  tient  au  sol  par  des 
racines,  ces  racines  puisent  dans  la  terre  une  sève  qui  donne  la 
vie  à  la  langue  :  beaucoup  de  provincialismes,  d'archaïsmes,  et 
même  de  germanismes  sont  précisément  de  ces  mots  (*)  grâce 
auquels  s'aft]rme  une  individualité;  celle  de  l'écrivain  comme 
celle  de  sa  région,  comme  celle  de  son  peuple.  La  question 
mériterait  d'être  discutée,  et  une  bonne  fois  tranchée. 


III 


Les  littératures  françaises  de  la  Belgique,  de  la  Suisse  romande, 
du  Luxembourg  et  du  Canada,  sont  en  contact  perpétuel, 
non  seulement  avec  la  France,  mais  encore  avec  des  littératures 
et  des  langues  étrangères. 

Les  germanismes  qu'on  trouve  dans  le  français  de  ces  petits 
pays,  sont  l'indice  de  ce  contact,  l'indice  d'échanges  et  d'in- 
fluences réciproques.  Ces  échanges  et  ces  influences  ne  s'établis- 
sent point  de  la  même  manière  qu'avec  la  France  :  l'influence 
française,  basée  sur  la  communauté  de  langage,  est  naturelle  et 
logique,  c'est  un  courant  large  et  continu  ;  les  influences  germa- 
niques, en  revanche,  se  font  sentir  par  une  infiltration,  indirecte- 
ment; elles  rencontrent  parfois  des  résistances. 

Le  canal  par  lequel  elles  pénétrent  est  l'unité  politique,  natio- 
nale, de  la  Belgique  ou  de  la  Suisse,  pour  ne  nommer  que  ces 
deux  pays. 

(*)  Le  Zuricois  Breitinger,  Valter  ego  du  critique  Bodmer,  les  appelait 
justement  die  Machtwôrter,  lorsqu'il  revendiquait,  contre  Gottsched  et 
l'École  saxonne,  le  droit  pour  les  Suisses  allemands  de  puiser  dans  leurs 
dialectes.  (Cf.  notre  Histoire  littéraire  de  la  Suisse  au  X  VIII'  siècle,  t.  II, 
p.  190-193;  Lausanne,  1912.) 


SECTION    DE    PHILOLOGIE   ET    d'HISTOIRE  lll-l  —  17 

Cette  unité  nationale,  unité  de  gouvernement  et  d'institutions, 
oblige  des  races  différentes  à  vivre  de  la  même  vie;  quand  elle 
a  été  consacrée,  comme  en  Suisse,  par  des  siècles  d'histoire  et  de 
collaboration,  elle  a  créé,  peu  à  peu,  au-dessus  des  diflérences 
ethniques,  l'unité  d'esprit,  un  idéal  commun,  une  doctrine 
commune.  De  là,  ces  influences  et  ces  échanges  entre  deux  races, 
—  qui  ont  leurs  inconvénients,  certes,  mais  qui  sont  normaux  et 
qui,  bien  plus,  sont  une  nécessité,  une  condition  de  santé  natio- 
nale. Ce  que  nous  avons  dit  de  l'intluence  française,  vaut,  en 
général,  quoique  à  un  degré  moindre,  des  influences  germa- 
niques. Avec,  toutefois,  cette  différence  essentielle  :  les  influences, 
les  échanges  ne  sont  qu'exceptionnellement  littéraires  ;  ils  se  font 
surtout  par  la  politique,  les  lois,  les  mœurs,  l'industrie,  le 
commerce,  par  les  religions  aussi,  —  en  particulier  par  le  protes- 
tantisme, grand  importateur  d'idées  germaniques,  philosophie 
allemande,  pratiques  anglo-saxonnes. 

Il  y  a  cependant  des  échanges  intellectuels,  littéraires  :  mé- 
thodes de  travail,  traductions,  critique,  et  même  certains  genres 
importés,  comme  le  festspiel  qui  a  gardé  en  Suisse  romande  son 
nom  germanique.  Des  Suisses  allemands,  comme  J.  de  Mûller, 
C.  F.  Meyer,  G.  Keller  et  Gotthelf,  ont  eu  des  disciples  de  langue 
française,  et  ce  fait  est  significatif. 

La  situation  de  la  Belgique  et  de  la  Suisse  semble  faire  de 
ces  deux  pays  les  intei'médiaires  naturels  entre  la  France  et 
l'Allemagne,  la  culture  française  et  la  culture  allemande.  Ce 
rôle  a  été  joué,  en  effet,  par  la  Suisse  romande  à  la  Réforme, 
au  xvni^  siècle,  plus  tard  avec  M"®  de  Stàel  ;  en  Suisse  alle- 
mande, d'autre  part,  le  vieux  Bodmer,  dès  1728,  en  avait  une 
une  conscience  nette.  Mais  ce  serait  une  grave  erreur  que  de 
limiter  à  ces  fonctions  de  trucheman  ou,  comme  on  a  dit, 
d'  «  honnête  courtier  »  la  mission  intellectuelle  de  la  Belgique 
ou  de  la  Suisse  :  d'abord,  parce  que,  l'échange  fait,  on  oublie 
les  intermédiaires;  ensuite,  parce  qu'à  l'heure  actuelle  il  n'est 
plus  guère  besoin  d'intermédiaires  entre  la  France  et  les  autres 
nations.  Les  littératures  étrangères  sont  étudiées  en  France  avec 
une  assiduité  et  une  intelligence  beaucoup  plus  grandes  qu'en 
Suisse  romande;  les  historiens  et  les  critiques  savent  tous  main- 


18  —  HI-1  SECTION    DE   PHILOLOGIE    ET    d'HISTOIRE 

tenant  que  la  littérature  française  n'est  pas  isolée,  qu'on  ne 
peut  faire  abstraction  de  l'Allemagne,  de  l'Angleterre,  de  l'Ita- 
lie. Nous  n'avons  plus  rien  à  leur  apprendre  et  nous  sommes 
nous-mêmes  dépassés. 

Reste  le  fait  important  que  les  petits  pays  ont  volontiers  ce 
qu'on  appelle  1'  «  esprit  européen  »,  qu'ils  sont  volontiers  cos- 
mopolites. Economiquement,  intellectuellement,  ils  ne  peuvent 
se  suffire  toujours  à  eux-mêmes,  ils  ont  besoin  de  l'étranger. 
F^a  lutte  pour  la  vie  pousse  leurs  habitants  à  l'émigration,  à 
l'activité  industrielle  et  commerciale.  Ils  sont,  en  outre, 
hospitaliers,  obligés  de  l'être.  Ils  sont  enfin  géographiquement 
tout  proches  voisins  des  grandes  nations  étrangères;  ils  ont 
parfois  subi  desdominalions  étrangères.  La  Suisse  est  aucentrede 
l'Europe,  au  carrefour  des  grandes  roules  qui  relient  le  Sud  au 
Nord,  l'Allemagne  et  l'Angleterre  à  l'Italie  ;  chez  elle,  la  reli- 
gion dominante  est  le  protestantisme,  qui  est,  par  essence,  cos- 
mopolite. Elle  a  subi,  dès  la  Réforme,  l'influence  anglaise  :  elle 
a  servi  d'intermédiaire  entre  la  France  et  l'Angleterre  par  Béat 
de  Murait,  par  la  Bibliothèque  britannique,  entre  l'Allemagne  et 
1  Angleterre,  par  Bodmer  et  ses  disciples,  les  traducteurs  zuri- 
chois. L'italianisme  est  aussi  l'une  de  ses  traditions  :  Bourguet,  le 
fondateur  de  la  Bibliothèque  italique,  Bodmer,  commentateur 
de  Dante,  Sismondi,  Philippe  Monnier,  Widmann  le  prouvent. 
Toutes  ces  influences  ont  marqué  de  fortes  empreintes  sur  les 
esprits. 

Bornons  ici  nos  remarques,  afin  d'en  tirer  quelques  conclu- 
sions peut-être  utiles  : 

La  littérature  française  hors  de  France  mérite  d'être  étudiée 
méthodiquement,  mais  il  n'y  a  pas  lieu  d'employer  d'autres 
méthodes  que  celles  appliquées  aujourd'hui  à  la  littérature  fran- 
çaise de  France. 

L'histoire  de  la    littérature   française   hors  de   France   n'a 

point  d'unité,  d'ensemble  :  c'est  l'histoire  des  lettres  belges, 

romandes,  canadiennes,  luxembourgeoises,  entre  lesquelles  on 

peut  établir  des  comparaisons,  découvrir  des  analogies,  mais 

^u'on  ne  peut  confondre  et  qu'il  faut  aborder  isolément. 


SECTION    DE   PHILOLOGIE    ET    D'HISTOIRE  IIl-l  —  19 

L'historien,  le  critique,  choisira  un  certain  nombre  de 
«  points  de  vue  »  :  il  commencera  par  envisager  les  lettres 
belges  ou  romandes  —  les  principales  —  comme  s'il  s'agissait  de 
littératures  étrangères,  ayant  leur  langage  propre;  il  les  envisagera 
socialement,  c'est-à-dire,  comme  l'expression  d'un  esprit  collec- 
tif, d'une  société,  et  dans  leurs  rapports  avec  l'histoire,  les  insti- 
tutions, la  nature,  la  vie  même  de  la  nation.  C'est  à  notre  avis, 
le  seul  moyen  de  rendre  intéressantes  et  humaines  des  littéra- 
tures qui  ont  et  auront  toujours,  vis-à-vis  de  la  France,  une 
valeur  moindre,  une  situation  inférieure. 

De  petits  pays  sans  unité  de  langue,  comme  la  Belgique  et  la 
Suisse,  permettent  à  l'historien  d'entreprendre  des  enquêtes  sur 
l'influence  française  à  l'étranger  —  sur  les  influences  réci- 
proques exercées  dans  un  milieu  déterminé  par  les  littératures 
française,  allemande,  anglaise,  italienne,  —  sur  les  rapports  des 
lettres  et  de  la  vie  sociale.  La  complexité  des  petits  pays  rend 
ces  enquêtes  intéressantes  et  significatives,  leur  peu  d'étendue 
les  facilite. 

Mais,  encore  une  fois,  de  pareilles  enquêtes  peuvent  s'entre- 
prendre en  France  môme,  et  partout  où  il  y  a  littérature,  vie 
intellectuelle. 


III.  —  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


Les  caractères  du  parler  franco-canadien, 


Adjutor  rivard, 

professeur  à  l'Université  Laval  (Québec), 
président  de  la  Société  du  parler  français  au  Canada. 


Comme  en  d'autres  pays,  il  faut  distinguer,  au  Canada,  le 
parler  des  gens  instruits,  celui  du  peuple  des  villes  et  celui  des 
paysans. 

Au  point  de  vue  dialectologique,  les  deux  premiers  n'offrent 
aucun  intérêt.  La  classe  instruite  parle  ici  le  français  littéraire 
—  M.  Faguet  écrivait  récemment  que  nous  parlions  le  français 
«  extrêmement  bien  »  — ,  et  c'est  aussi,  mais  avec  des  angli- 
cismes et  les  déformations  ordinaires,  le  langage  de  l'ouvrier  des 
villes. 

ï'ar  fra7ico-canadien,  j'entends  désigner  le  langage  de  nos  popu- 
lations rurales,  de  celles  surtout  qui,  éloignées  des  villes  et  des 
centres  manufacturiers,  ont  moins  subi  l'influence  du  français 
classique  et,  d'autre  part,  n'ont  pas  été  atteintes  par  l'infiltration 
d'un  idiome  étranger;  là  s'est  maintenu,  s'est  développé  le  parler 
ancestral.  C'est  le  seul  qui  mérite  d'être  étudié  au  point  de  vue 
scientifique.  On  s'occupe  des  deux  autres  pour  les  corriger,  les 
épurer;  mais,  par   l'uniformité  remarquable  de   son    aspect 


22  —  III-2  SECTION  DE  PHILOLOGIE   ET   d'HISTOIRE 

général,  comme  aussi  par  la  variété  de  ses  produits  et  le  contour 
imprécis  de  ses  aires  phonétiques,  le  parler  rural,  caractéristique 
du  Bas-Canadien,  et  dont  l'usage  est  un  brevet  de  nationalité 
française,  présente,  à  l'observateur  curieux  des  problèmes  philo- 
logiques, des  problèmes  intéressants. 

Sur  l'histoire  de  notre  idiome  en  Amérique,  sur  les  éléments 
qui  l'ont  formé,  les  témoignages  sont  rares  et  peu  sûrs,  de  telle 
sorte  que,  dans  l'état  actuel  des  recherches,  ce  serait  souvent  un 
pas  hasardeux  que  de  trancher  péremptoirement.  Sur  plus  d'un 
point,  tout  au  plus  peut-on  suggérer  des  solutions,  proposer  des" 
explications,  qui  valent  par  les  faits  sur  lesquels  on  les  appuie, 
par  les  raisonnements  dont  on  les  soutient. 

Plusieurs  paraissent  avoir  décidé  de  la  nature  du  franco-cana- 
dien un  peu  hardiment;  après  une  information  suffisante  à  peine 
pour  justifier  des  conjectures,  ils  ont  donné  comme  faits  établis 
ce  qui  n'était  qu'hypothèses. 

Les  uns  se  sont  laissés  entraîner,  semble- t-il,  par  un  patrio- 
tisme mal  avisé.  Désireux,  avant  tout,  de  trouver  de  la  naissance 
à  notre  langage,  et,  d'autre  part,  imbus  de  cette  vieille  erreur 
que  patois  serait  synonyme  de  jargon  et  que  les  parlers  provin- 
ciaux seraient  du  français  corrompu,  ils  ont  pensé  qu'il  était  peu 
honorable  de  reconnaître  l'existence  d'un  élément  dialectal  chez 
nous;  et,  parce  qu'ils  ne  retrouvaient  pas  sur  les  lèvres  de  nos 
paysans,  intégral  et  homogène,  le  parler  de  l'une  ou  de  l'autre 
province  de  France,  mais  un  fond  archaïque  commun  au  fran- 
çais et  aux  autres  dialectes  de  la  langue  d'oui,  ils  ont  affirmé  que 
le  franco-canadien  ne  présentait  aucune  trace  de  patois,  que 
c'était  la  langue  classique  du  xvi^  siècle,  voire  du  xvu*. 

D'autres,  pour  avoir  remarqué  de  notre  langage  ce  qui  s'écarte 
du  français  moderne  et  n'avoir  pas  poussé  plus  loin  l'enquête, 
ont  pu  conclure  que  le  franco-canadien  était  du  français  cor- 
rompu. 

Quelques  voyageurs,  frappés  par  la  persistance  chez  nous  de 
certaines  formes  normandes,  ont  cru  retrouver  dans  le  franco- 
canadien  un  patois  français  homogène. 

Une  quatrième  école,  enfin,  et  celle-ci  d'esprit  scientifique,  a 
su  faire  la  distinction  du  langage  des  gens  instruits  et  du  parler 


SECTION   DE   PHILOLOGIE   ET   D'HISTOIRE  I1I-2  —  23 

rural,  et  a  vu  dans  ce  dernier  un  dialecte  distinct.  Mais  on  s'est 
récrié,  comme  si  le  mot  dialecte  n'avait  pas  ici  une  valeur  relative 
et  que,  par  cette  appellation,  notre  langage  eût  été  exclue  de  la 
famille  des  parlers  français.  C'était  faire  une  chicane  de  mots,  et 
il  semble  bien  que,  pour  s'entr'accorder,  il  eût  sufTi  aux  dispu- 
tants de  s'entendre  d'abord  sur  une  exacte  définition  de  la  langue, 
du  dialecte  et  du  patois. 

Le  langage  populaire  des  Canadiens  français  n'est  pas  encore 
connu  tellement  qu'on  puisse,  l'ayant  analysé,  dire  avec  préci- 
sion quels  éléments  l'ont  formé,  dans  quelle  exacte  proportion 
chacun  d'eux  y  a  contribué;  mais  on  aperçoit  bien  que  ce  n'est 
ni  le  français  classique,  ni  un  français  corrompu,  ni  un  patois 
pur,  et  que,  cependant,  il  accuse  des  particularités  assez  saillantes 
et  assez  d'uniformité  sur  toute  l'étendue  du  territoire  pour  con- 
stituer un  parler  régional...  car  on  abuserait  peut-être  du  langage 
en  l'appelant  un  dialecte. 

Le  franco-canadien,  c'est-à-dire  le  langage  des  paysans  cana- 
diens-français, est  donc  un  parler  régional,  relativement  uni- 
forme, sans  être  homogène,  et  que  caractérisent  des  formes 
patoises  diverses  incorporées  au  français  populaire  commun  du 
nord  de  la  France.  Ajoutons  qu'il  a  gardé,  comme  tous  les 
parlers  exportés  (*),  un  caractère  archaïque  par  rapport  à  celui 
de  la  mère-patrie,  et,  en  même  temps,  a  emprunté  aux  langues 
avec  lesquelles  il  s'est  trouvé  en  contact,  quelques  éléments 
étrangers. 


«  Sur  les  bords  du  Saint-Laurent,  dit  M.  Rameau  de  Saint- 
Père,  notre  langue  n'a  pas  plus  dégénéré  que  notre  caractère.  » 

En  effet,  dans  notre  province  de  Québec,  que  la  France  jadis 
découvrit  et  peupla,  les  institutions,  les  lois,  les  coutumes,  la 
langue  sont  françaises;  nous  gardons,  comme  nous  ferions  d'un 
héritage  sacré,  traditions,  mœurs  et  parler  des  ancêtres.  Nos 
armes  portent  celte  devise  :  Je  me  sol'viens.  Et  cela  veut  dire, 
non  seulement  :  «  Je  me  souviens  de  la  France,  de  la  grande 

(')  F.  Brunot,  Histoire  de  la  langue  française,  t.  I,  p.  320. 


24  —  III-2  SECTION   DE  PHILOLOGIE   ET  u'hISTOIRE 

patrie,  et  de  sa  langue  »,  mais  aussi  :  «  Je  me  souviens  de  la 
Normandie,  du  Perche  et  de  la  Bretagne,  de  la  Picardie,  du 
Maine  et  de  l'Anjou,  du  Poitou,  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge, 
du  Berry,  de  la  Champagne  et  de  l'Angoumois...  je  me  souviens 
des  petites  patries  et  de  leurs  parlers.  » 

En  effet,  toutes  les  provinces  du  nord,  de  l'ouest,  du  nord- 
ouest  et  du  centre  de  la  France  ont  contribué  au  peuplement  de 
la  Nouvelle-France.  On  a  pu,  en  consultant  les  registres  de  nos 
paroisses,  les  recensements,  etc.,  établir,  par  proportions, 
'apport  de  chaque  province.  Dans  les  commencements  de  la 
colonie,  dans  le  siècle  des  grandes  émigrations,  les  provinciaux 
formaient  la  majorité  de  la  population  de  la  Nouvelle-France. 
L'Ile-de-France  n'avait  fourni  que  12.69  p.  c;  les  autres 
émigrants  étaient  des  Normands,  des  Percherons,  des  Poitevins, 
des  Aunisiens,  des  Saintongeois,  des  Angevins,  des  Beaucerons, 
des  Manceaux,  des  Picards,  des  Tourangeaux,  etc.  Les  Normands 
étaient  les  plus  nombreux.  Ils  étaient  aussi  les  premiers  arrivés, 
de  quoi  il  faut  tenir  compte,  si  l'on  veut  comprendre  l'action 
exercée  sur  le  parler  par  le  mouvement  de  l'émigration. 

Quelle  langue  parlaient  ces  émigrés? 

Pour  ceux  de  l'Ile-de-France,  ils  parlaient  le  français,  sans 
doute.  Il  ne  serait  pas  exact  de  dire  qu'ils  parlaient  tous  le 
français  littéraire  du  temps;  car,  outre  que  les  habitants  de 
l'Ile-de-France  venus  au  Canada  n'appartenaient  pas  tous  à  la 
classe  instruite,  un  grand  nombre  de  ceux  qui  furent  enrôlés 
dans  les  levées  d'hommes  faites  aux  environs  de  Paris  étaient  des 
patoisants  de  la  Normandie,  de  la  Bourgogne,  etc.  Mais  il  est 
raisonnable  de  croire  que  tous  entendaient  et  parlaient  le  français 
populaire  de  l'époque. 

Les  autres,  les  colons  originaires  des  provinces,  quel  parler 
apportaient-ils  à  la  Nouvelle-France? 

Il  serait  trop  long  de  rappeler  ici  les  études  qui  ont  été  faites 
là-dessus,  particulièrement  au  Congrès  de  la  Langue  française, 
tenu  à  Québec  en  1912;  mais  les  conclusions  auxquelles  on  est 
arrivé  s'imposent. 

Il  parait  vraiment  impossible  que  cinq  ou  six  mille  habitants 
de  la  province  française,  embarqués  pour  le  Canada  au  xvii*  siècle. 


SECTION   DE  PHir.OI.OGIE   ET   D'HISTOIRE  III-2  —  23 

n'aient  pas  apporté  avec  eux  quelques  chose  des  parlers  de 
leurs  terroirs.  Mais,  d'autre  part,  s'il  est  juste  de  penser  qu'au 
xvi»  siècle  les  paysans  de  France  parlaient  le  patois,  on  ne 
saurait  affirmer  que  tous  le  parlaient  exclusivement.  Nous 
croyons  plutôt  que,  dès  cette  époque,  un  grand  nombre  enten- 
daient aussi  le  français. 

Aussi  a-t-on  constaté  que  beaucoup  des  premiers  habitants  de 
la  Nouvelle-France  avaient  de  l'instruction,  savaient  au  moins 
lire,  écrire  et  compter.  Ceux-là  devaient  entendre  et  parler  le 
français,  bien  que  leur  langue  usuelle  pût  être  le  patois  de  leur 
province.  D'autres,  sans  doute,  ne  parlaient  d'abord  que  le 
patois. 

D'un  côté,  donc,  la  connaissance  qu'avaient  déjà  du  français 
un  bon  nombre  des  émigrants  venus  au  Canada  permet  d'expli- 
quer la  rapide  disparition  du  patois  comme  langue  entière  et 
usuelle,  et  la  facile  prédominance  du  français  en  Nouvelle- 
France.  D'autre  part,  l'usage,  habituel  pour  quelques-uns,  acci- 
dentel pour  les  autres,  au  commencement  de  la  colonie,  des 
patois  des  provinces  françaises  ne  peut  être  nié. 

Puisqu'il  nous  paraît  certain  que,  dans  les  premiers  temps  de 
la  colonie,  il  vint  au  Canada  des  patoisants,  les  uns  qui  parlaient 
aussi  le  français,  les  autres  qui  d'abord  ne  le  savaient  pas  mais 
l'apprirent  bientôt,  nous  croyons  pouvoir  atfirmer  que  le  français 
fut,  dès  le  début,  la  langue  dominante,  mais  que  les  patois  furent 
aussi  parlés  au  Canada  pendant  un  certain  temps,  non  pas  par 
la  classe  dirigeante,  mais  par  le  peuple,  dans  la  famille  du 
colon.  Pour  le  nier,  il  faudrait  pouvoir  expliquer  de  quelque 
autre  manière  comment  auraient  été  créés  chez  nous,  de  toutes 
pièces  et  spontanément,  les  substituts  lexicologiques  étrangers 
au  français,  mais  qui  appartiennent  au  normand,  au  picard,  au 
bourguignon,  et  qu'on  relève  encore  aujourd'hui  dans  nos 
campagnes  ;  comment  auraient  pu  commencer  ici  certaines  évo- 
lutions phonétiques  essentiellement  dialectales  et  qui  n'ont  pas 
leurs  racines  dans  le  français  ;  comment  aussi  notre  morpho- 
logie aurait  pu  donner  naissance  à  des  flexions  que  ne  connut 
jamais  la  langue  classique;  comment  enfin,  et  d'où,  nous  serait 
venue  cette  élocution,  dont  on  n'est  pas  sûr  que  ce  soit  un 


26  —  III  2  SECTION  DE   PHILOLOGIE  ET   D'hISTOIRE 

accent,  tant  ses  traits  sont  flous  et  ses  caractères  indécis,  mais  qui 
paraît  être  le  résultat  de  divers  accents  provinciaux  incorporés 
au  français  et  qui,  tantôt  normande,  tantôt  berriaude,  sainton- 
geoise  au  commencement  d'un  mot  et  picarde  à  la  fin,  ne  laisse 
cependant  pas  de  rappeler  toujours  la  prononciation  de  l'Ile-de- 
France,  sans  y  ressembler  jamais  complètement. 


Les  parlers  provinciaux,  les  patois  de  la  langue  d'oïl  émi- 
grèrent  donc  de  France  au  Canada  avec  nos  ancêtres,  ils  y  furent 
parlés,  et  durent  exercer  sur  notre  langage  une  action  dont  on 
constate  encore  aujourd'hui  les  effets;  mais,  d'autre  part,  le 
français  fut  toujours,  chez  nous,  la  langue  dominante,  et  l'unité 
linguistique  fut  bientôt  effectuée  dans  tout  le  Canada. 

On  ne  trouve  plus,  en  effet,  dans  notre  parler  populaire,  que 
des  traces  dialectales,  nombreuses  il  est  vrai,  et  qui  font  de  notre 
parler  un  français  régional,  mais  ne  l'apparenlent  que  d'assez 
loin  et  accidentellement  aux  patois. 

L'enquête  poursuivie  depuis  dix  ans  par  la  Société  du  parler 
français  au  Canada  fournit  là-dessus  une  riche  collection  de 
témoignages.  Lexique  et  sémantique,  phonétique  et  morphologie 
font  paraître  le  caractère  archaïque  d'abord,  mais  dialectal  aussi, 
du  "français  régional  qui  est  celui  de  nos  paysans. 

Une  remarque  qu'il  faut  faire,  c'est  que  les  formes  patoises 
connues  au  Canada  ne  sont  pas  seules  employées  par  le  paysan 
canadien-français  ;  le  mot  français  est  généralement  connu  et 
souvent  employé.  Pour  exprimer  une  idée,  un  paysan  introduira 
dans  la  phrase  un  seul  mot  patois;  un  autre  deux;  un  troisième, 
davantage.  Mais  l'ensemble  du  discours  sera  français.  Si  l'on 
compte  les  mots  et  les  sons,  le  français  l'emportera  toujours. 

Dans  son  ensemble,  le  parler  du  peuple  canadien  n'est  donc 
pas  un  patois;  c'est  du  français,  archaïque  et  un  peu  patoisé. 
Archaïsants  et  patoisants,  tels  nous  sommes  Et  il  n'y  a  là  rien 
que  de  très  honorable. 


SECTION   DE   PHILOLOGIE   ET   DHISTOIRE  HI-2    —  27 

Il  reste  à  dire  un  mot  du  français  des  gens  instruits. 

Dans  une  étude  présentée  au  Congrès  de  la  Langue  française  au 
Canada  (Québec,  1912),  j'ai  tenté  d'expliquer  comment  s'était 
effectuée  chez  nous,  et  en  si  peu  de  temps,  l'unité  linguistique. 
Qu'il  me  suffise  de  faire  remarquer  ici  que  le  mélange  des  dia- 
lectes d'oïl  et  la  connaissance  du  français  par  le  grand  nombre 
des  émigrés  ont  singulièrement  facilité  l'évolution  de  notre 
parler  vers  le  français  classique.  Broyées  et  confondues,  les 
formes  patoises  ont  perdu  de  leur  vigueur  naturelle;  déracinées, 
la  sève  leur  a  manqué.  Tel  mot  normand,  par  exemple,  perdu 
dans  le  français,  n'a  pas  su  toujours  rester  pur  normand.  Dans 
la  fusion  des  parlers  provinciaux  et  du  français,  les  caractéris- 
tiques les  plus  considérables  ont  disparu,  les  cadres  de  la 
phonétique  populaire  ont  été  brisés.  11  en  est  résulté  un  langage, 
moins  intéressant  au  point  de  vue  scientifique,  mais  qui  se  polit 
et  se  raffine  plus  vite.  Quelques  années  seulement  passées  à 
l'école,  et  nos  paysans  ont  vite  perdu  ce  que  Loysel  appelait  le 
«  ramage  de  leur  pays  ». 

Quel  langage  parlent-ils  alors  ? 

Le  paysan  canadien  n'a  pas  d'accent  provincial  distinct;  ou,  si 
l'on  veut,  il  a  trop  d'accents  divers  pour  qu'aucun  d'eux  soit 
apparent.  Aussi  perd-il,  et  dès  les  premières  années  de  collège, 
le  plus  grand  nombre  des  caractéristiques  de  la  phonétique 
•  populaire.  Au  point  de  vue  français,  s'il  fait  des  fautes  de  pro- 
nonciation, l'homme  instruit  (et  les  femmes  parlent  souvent 
mieux  que  les  hommes)  n'a  pas  de  défauts  de  prononciation.  Il 
lui  reste  pourtant  quelques  souvenirs  du  parler  maternel,  souvent 
indéracinables  :  è  nasal  pour  eu  nasal,  é  fermé  nasal  pour  è 
ouvert  nasal,  une  certaine  mollesse  d'articulation,  et  une  attaque 
de  son  manquant  de  netteté. 

Pour  le  lexique  des  gens  instruits,  c'est  le  vocabulaire 
français,  à  peu  près  pur  de  patois,  mais  pauvre  et  imprécis,  assez 
fortement  archaïque,  et  mêlé,  hélas!  trop  souvent  d'angli- 
cismes barbares.  Dans  le  commerce  et  l'industrie,  l'anglicisme 
nous  ronge  :  c'est  l'ennemi  qu'il  faut  combattre.  La  presse  intro- 
duit même  ces  barbarismes  dans  nos  campagnes.  Heureusement, 


28  —  III  2  SECTION  DE   PHILOLOGIE   ET   d'HISTOIRE 

hors  des  villes,  le  mot  anglais  se  francise  le  plus  souvent,  et 
suivant  les  meilleures  traditions  de  la  langue. 

La  morphologie  est  absolument  française. 

Quant  à  la  syntaxe,  les  tournures  sont  parfois  imitées  de  l'an- 
glais, du  moins  dans  les  villes;  mais  le  plus  souvent  elles  sont 
parfaitement  françaises,  quoique  peu  soignées,  et  encore  moins 
variées. 

Dans  ces  dernières  remarques,  j'ai  voulu  faire  prendre  une 
idée  du  parler  moyen  des  personnes  instruites,  non  pas  du  lan- 
gage de  celles  qui  ont  une  culture  spéciale;  celles-ci,  en  général, 
parlent  un  français  très  pur. 

Et  quant  au  parler  de  nos  paysans,  j'ai  voulu  montrer  —  bien 
que  l'espace  ne  m'ait  pas  permis  de  donner  mes  témoignages  — 
que  c'est  un  parler  français,  caractérisé  par  quelques  formes 
archaïques  et  patoises.  Ce  parler  est  le  même  d'un  bout  à  l'autre 
du  pays.  Dans  toutes  nos  campagnes,  un  Français  de  France  se 
fait  comprendre  et  comprend  lui-même  ce  qu'on  lui  dit,  sans 
la  moindre  difficulté  :  nos  paysans  parlent  sa  langue,  la  langue 
de  la  mère-patrie. 


m.  —  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


L'influence  des  langues  voisines  sur  le  français  en  Algérie, 


le  D-^  J.-H.  PROBST, 

professeur   de    philosophie. 


Dans  un  rapport  sommaire  sur  les  meilleures  méthodes  et  les 
moyens  les  plus  efficaces  pour  propager  la  langue  française  dans 
les  milieux  indigènes  musulmans  de  l'Algérie,  je  plaçais  après  la 
multiplication  des  écoles  arabes-françaises,  où  l'on  enseigne 
notre  parler  par  le  procédé  direct,  naturel  de  la  conversation 
entre  maître  et  élèves  :  a)  l'acquisition  de  rudiments  de  français 
au  chantier,  à  l'atelier;  b)  l'enrôlement  volontaire  et  l'appel  obli- 
gatoire au  service  militaire  dans  une  plus  forte  proportion, 
puisque  les  ordres,  les  commandements,  l'instruction  sont 
donnés  en  français  dans  les  casernes;  c)  la  suppression  des 
interprètes  qui  savent  souvent  mal  le  kabyle  et  l'arabe,  peuvent 
se  laisser  corrompre  et  surtout  fournissent  à  certains  indigènes 
un  motif  de  plus  pour  ne  pas  apprendre  notre  langue. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  j'approuve  les  pires  fautes  d'or- 
thographe et  de  syntaxe,  la  prononciation  vicieuse,  l'emploi 
d'expressions  cosmopolites,  pourvu  que  celui  qui  les  commet 
bredouille  et  comprenne  le  français,  plutôt  mal  que  bien.  Le 
patois  néo-français  de  l'Algérie,  le  sabir,  parlé  par  les  classes 
ouvrières  très  mélangées  d'Espagnols,  d'Italiens,  de  Maltais  natu- 


30  —  ni-3  SECTION    DE  PHILOLOGIE  DHISTOIRE 

ralisés  ou  non,  de  Provençaux  el  de  Languedociens,  de  (îascons 
d'une  part,  de  Juifs,  d'Arabes,  de  Kabyles  de  l'autre,   est   un 
horrible  jargon,  doué  d'énergie,  assez  imagé  sans  doute,  mais 
sans  harmonie  ni  ordre,  incapable  de  devenir  un  idiome  pro- 
prement dit,  extensible  et  définitif.  C'est    une  altération   du 
français  au  contact  des  palois  méridionaux,  des  langues  latines 
sémitiques.  11  était  utile  à  la  vie  commune  des  travailleurs, 
s'est  formé  tout  seul  très  vite  pour  cette  raison,  dans  uu  temps 
où  l'instruction  était  insutfisamment  répandue,  où  les  écoles 
étaient  rares  en  Algérie,  où  les  œuvres  post-scolaires,  cours  du 
soir,  conférences  populaires,  etc.,  n'existaient  pas  encore.  Nous 
ne  demandons  pas  la  disparition  des  termes  arabes  ou  espagnols 
qu'il  contient,  s'ils  expriment  mieux  la  pensée  que  les  expres- 
sions ou  les  mots  français  correspondants,  mais  seulement  la 
suppression  des  tournures  contraires  à  la  syntaxe,  dues  à  l'igno- 
rance. Elles  s'effaceront  d'elles-mêmes  d'ailleurs  avec  la  diffusion 
plus  large  de  l'instruction,  servie  par  une  sévérité  réelle  de  la 
part  des  autorités  chargées  de  faire  respecter  l'obligation  sco- 
laire. Nous  ne  voyons  pas  grand  mal  non  plus  au  maintien  de 
certaines  simplifications  logiques  en  orthographe,  comme  celles 
du  ph  en  f  :  pourquoi  serait-il  plus  laid  d'écrire  «  farmacien  » 
avec  un  f  k  l'exemple  de  l'espagnol,  que  pharmacien  avec  un 
phi 

Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  étudié  jusqu'à  maintenant,  dans  le 
môme  sens  tout  au  moins,  ce  patois  algérien,  ce  sabir,  moins 
fortuit  dans  sa  formation  qu'on  ne  le  croit,  plus  déterminé  qu'on 
ne  se  l'imagine.  Qu'il  me  soit  donc  permis  d'en  exposer  les 
principales  caractéristiques  d'abord,  puis  d'énumérer  les  mots 
étrangers  les  plus  employés  parmi  ceux  qu'il  adopte. 

Grammaiiœ. 

Ai'ticles.  —  Les  articles  sont  souvent  mis  les  uns  pour  les 
autres  :  exemples  :  la  poulpe,  une  poulpe,  pour  le  poulpe,  un 
poulpe. 

Presque  jamais  la  contraction  au  ne  se  remarque  dans  les 
conversations  populaires.  C'est  ainsi  qu'on  dit  :  je  vais  à  le  môle, 


SECTIOiN    DE    PHILOLOGIE    ET    D'HISTOIRE  III- 3—  31 

à  le  restaurant,  au  lieu  de  :  au  môle,  au  restaurant;  ô  le  bout  du 
doigt,  pour  au  bout  du  doigt. 

Au  contraire,  on  ne  dit  pas  :  donne-moi  de  la  viande,  du  vin, 
mais  donne-moi  de  viande,  de  vin. 

Substantifs.  —  Le  changement  de  genre  est  fréquent,  nous  en 
avons  vu  un  premier  exemple  plus  haut;  c'est  ainsi  qu'on  dit 
couramment  une  crabe  pour  un  crabe. 

Le  ch  se  confond  avec  le  s,  exemple  :  sdJigement  pour  chan- 
gement, 4oix  pour  choix. 

i^a  diphtongue  in  devient  en  :  ensuite,  cntention  pour  insulte, 
intention. 

Pronoms.  —  On  abuse  des  pronoms  personnels  comme  dans 
le  midi  de  la  France:  je  me  le  suis  pensé,  au  lieu  de  je  l'ai 
pensé;  je  me  le  mange,  pour  je  le  mange;  il  se  les  fait  peur  à 
tous  pour  :  il  leur  fait  peur.  Celui-ci,  celui-là  donnent  rui-ci, 
çui-là. 

Dont  est  remplacé  par  que.  Exemple  :  la  dame  que  je  vous  ai 
parlé,  au  lieu  de  :  la  dame  dont,  etc. 

L'abus  du  relatif  que  est  remarquable.  On  entend  dire  cou- 
ramment :  quelle  heure  qu'il  est?  Ousqu'il  est?  etc. 

Verbes.  —  Les  verbes  irréguliers  sont  confondus  avec  les 
verbes  réguliers.  L'Algérien  conjuge  :  je  bois,  tu  bois,  il  boit, 
nous  boivons,  vous  boîvez,  ils  boivent.  Je  voirai,  tu  voiras,  il 
voirai,  nous  voirons,  vous  voirez,  \l%  voiront,  au  lieu  de  je  verrai, 
tu  verras,  etc. 

Le  sujet  est  répété.  Ce  pléonasme  est  très  fréquent.  Exemple  : 
mon  frère  il  dit  qu'il  ne  veut  pas  ;  ma  mère  elle  l'a  acheté. 

La  multiplication  des  verbes  pronominaux  est  à  noter. 
Exemples:  je  me  l'ai  mangé;  je  me  le  ramasse;  je  me  l'ai  pensé; 
tu  te  le  bois. 

On  dit  comme  en  espagnol  {tener,  tengo)  je  tiens,  pour  j'ai. 
Exemples  :  je  tiens  de  beaux  habits;  regarde  la  figure  qu'il  se 
tient;  je  tiens  une  grande  fatigue. 

L'inversion  est  fréquente  avec  pléonasme.  Exemple  :  elle  est 
arrivée  la  voiture. 


32  —  1II-3  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET   d'hISTOIRE 

L'auxiliaire  être  remplace  l'auxilaire  awir  comme  en  espagnol 
et  en  provençal.  Exemples  :  je  me  le  suis  gagné,  je  me  le  suis 
pensé.  Au  contraire,  avoir  s'emploie  souvent  pour  être.  Exemples  : 
nous  avons  venu  ;  nous  nous  avons  arrêté;  il  s'a  sauvé. 

Le  changement  du  ch  en  s  est  habituel  comme  dans  les  subs- 
tantifs. Exemples:  charger, décharger, choisir,  chercher, changer 
deviennent  :  sarger,  désarger,  soififir,  sercher,  sanger.  C'est  une 
faute  arabe  commune. 

Le  futur  antérieur  se  substitue  au  futur  simple.  Exemple: 
quand  je  l'aurai  vu,  pour  :  quand  je  le  verrai. 

On  emploie  volontiers  le  futur  antérieur  pour  le  conditionnel 
passé.  Exemple  :  si  je  l'aurais  rencontré  je  lui  aurais  dit,  ou  lieu 
de  si  je  l'avais. 

Mots  invariables.  —  La  suppression  de  la  négation  est  générale. 
Exemple  :  je  F  ai  pas  vu.  Je  le  sais  pas  uu  lieu  de  :  je  ne  l'ai  pas, 
je  ne  le  sais  pas. 

Nos  adverbes  se  forment  trop  régulièrement.  Au  lieu  de  sur, 
dessus;  arrière,  derrière,  les  Algériens  du  peuple  disent:  sur, 
dessur;  arrière,  darrière. 

Augmentations  et  diminutions  de  syllabes. 

E'ntention,  pour  :  attention  ;  arregarder,  pour  :  regarder. 

Au  contraire  :  vec,  pour  :  avec;  capaèe,  pour  :  capable;  l'en- 
demain,  pour  :  le  lendemain;  y  a,  pour  :  il  y  a;  sji^agnol, 
spliquer  au  lieu  de  :  espagnol,  expliquer. 

Glossaire  de  mots  empruntés  à  l'arahe,  employés  familièrement 
par  des  personnes  parlant  bien  le  français. 

Barka  =  assez.  Exemple  :  j'en  ai  barha. 
Battel  =  gratuitement.  Exemple  :  je  l'ai  en  battel. 
Bezzeff  =  beaucoup.  Exemple  :  cela  ne  vaut  pas  bez-zeff. 
Bousbous  -=  baiser,  faire  bousbous,  embrasser. 
Chouïa  =  peu.  Exemple  :  as-tu  beaucoup  de  blé  cette  année? 
pas  bezzeff,  chouïa. 


SECTION   DE   PHILOLOGIE   ET   D'HISTOIRE  III-3  —  33 

Chitane  =  (Satan)  démon,  diable.  Exemple  :  cet  homme,  c'est 
vm  véritable  chitane. 

Chichma  =  water-cioset.  Exemple:  ce  livre  est  bon  à  jeter 
aux  chichma. 

Chouari  =  panier  commun  où  l'on  met  les  ordures;  le  mot 
s'emploie  comme  injure  :  espèce  de  chouari] 

Fouta  =  foulard  de  soie,  étoffe  de  soie  rayée  portée  par  les 
femmes  juives  et  musulmanes,  d'où  un  fouta  pour  un  foulard. 

Kouskous  de  l'arabe  ksouksou,  plat  de  semoule  aux  légumes 
et  à  la  viande,  adopté  sur  les  tables  européennes. 

Kaoua  =  café.  Exemples  :  nous  buvons  le  kaoua,  buvons  le 
kaoua. 

Kif-kif  =  la  même  chose.  Exemple  :  c'est  kif-kif. 

Macache  =  pas,  non.  Exemple  :  veux-tu?  Macache. 

Matraque  ^  bâton,  de  l'arabe  matreuk,  mot  usité  même  en 
France.  En  Algérie  s'emploie  même  pour  désigner  une  canne  de 
promenade. 

Mercanti  ~=  marchand,  sous  dérivé  richard,  riche;  mot  passé 
de  l'italien  à  l'arabe  et  adopté  de  l'arabe  en  Algérie.  Exemple  : 
Il  peut  payer,  c'est  un  mercanti. 

Maboul  =•  fou,  de  l'arabe  maâboiil.  Exemple  :  il  est  maboul. 

Nif  =  nez,  flair.  Exemple  :  il  a  du  ni/. 

Sarrak  =-  voleur,  sarraker  =  voler,  de  l'arabe  :  substantif 
serraq'  et  verbe  nserraq'.  Exemples  :  c'est  un  serrak;  il  a  serraké 
une  poule. 

Seroual  =  pantalon.  Exemple  :  tu  as  déchiré  ton  seroual. 

Sabat  —  soulier,  de  l'arabe  sbat;  passé  en  français  avec  un 
sens  péjoratif  :  savate.  Se  dit  en  Algérie  de  tout  soulier. 
Exemple  :  allons,  prends  tes  sabat  et  suis-moi. 

Tchalefe  =  petit  coup,  chiquenaude.  Exemple  :  il  lui  a  donné 
une  tchalefe. 

Mots  arabes  un  peu  moins  fréquents  ou  usités  seulement  dans 
certains  inilieux  professionnels. 

Bakel  =  attention,  gare. 

Barda  =  charge  du  mulet;  bat  par  extension;  sac  de  soldat. 
Exemple  :  Il  porte  la  barda. 

m  3 


34  —  III-3  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET   d'HISTOIRE 

Chrober  =  boire,  de  l'arabe  nchrob,  je  bois.  Exemple  :  il 
chrobe  trop  de  viu. 

Dobza  =  coup,  d'où  donner  une  dobza  et  dobzer.  Exemple  : 
il  l'a  dobzé. 

Glossaire  de  mots  empruntés  à  l'espagnol. 

Chispa  =  gaîlé  alcoolique,  de  griserie.  Exemple  :  Il  a  la 
chispa. 

Boratcho  =  ivre.  Exemple  :  il  est  horatcho. 

Basta  =  assez.  Exemple  :  Il  y  en  a  basta. 

Fatche  =  figure,  face.  Exemple  :  montre  ta  falche. 

Malafatche  =  mauvaise  figure.  Composé  du  précédent.  Exem- 
ple :  c'est  un  malafatche. 

Engaulcher  =  espagnol  engautchar,  embarrasser.  Exemple  : 
il  est  enyautché. 

Falso  =  faux,  hypocrite.  Exemple  :  c'est  un  falso. 

Miseria  =  misère  pour  quelle  misère.  Exemple  :  ah  mu-erial 
il  est  blessé. 

Mitges  =  moitié,  de  mitges  =  à  moitié,  de  moitié.  Exemple  i 
nous  l'achèterons  de  mitges. 

Pelo  =  sou;  mot  familier  pour  désigner  cinq  centimes  dans 
certaines  régions  d'Espagne  (mot  à  mot  :  poil;  no  ten  un  pelo,  il 
n'a  pas  un  poil,  il  n'a  pas  un  sou).  Exemple  :  il  n'a  pas  un 
pelo. 

Soustro  =  souci,  ennui.  Exemple  :  il  a  le  sousto. 

Traboquer  =  tripoter,  du  patois  espagnol  trabacar,  dérivé  du 
castillan  trabajar,  travailler.  Exemple  :  il  a  cassé  son  jouet  à 
force  de  le  trabaquer. 

Expressions  espagnoles. 

De  tan  contenta  que  estaba  —  il  était  si  content  que,  a  été 
traduit  mot  à  mot.  Exemple  :  il  dansait  de  tant  content  qu'il 
était. 

Ai  que  bonitol  ■-=  ah!  que  c'est  joli;  traduit  mot  à  mot. 
Exemple  :  ai  que  joli  ! 


la 

K 


SECTION   DE  PHILOLOGIE  ET  d'hISTOIRE  III-3  —  35 

Que  tristeza  ten!  =  quelle  tristesse!  qu'il  a  de  la  tristesse! 
Traduit  presque  mot  pour  mot  avec  une  faute  de  grammaire,  pro- 
venant de  patois  espagnols,  sans  doute.  Exemple  :  quelle  tris- 
tesse il  se  tient  ! 

A  donde  esta  ?  =-  où  est-il  ;  traduit  et  corrompu,  donne  :  a 
ousqu'il  est? 

Se  ha  visto  =  il  a  vu.  Traduit  mot  à  mot  :  il  s'a  vu.  Exemple  : 
il  s'a  vu  un  lièvre  à  la  chasse,  etc.,  etc. 

Les  expressions  fautives,  les  barbarismes  doivent  être  com- 
battus par  la  multiplication  des  écoles  et  des  œuvres  post-sco- 
laires, la  création  de  bibliothèques  rurales. 

Il  faut  défendre  absolument  l'impression  de  journaux  humo- 
ristiques, de  plaquettes  amusantes  en  sabir,  comme  le  Papa 
Louette  d'Alger  ou  le  Cagayous.  Il  est  déjà  assez  malheureux 
pour  nous  que  le  patois  néo-français  se  soit  créé,  sans  en  encou- 
rager la  diffusion  dans  les  classes  les  plus  élevées  de  la  colonie. 
Un  rit  d'abord  à  la  lecture,  puis  on  imite  pour  s'amuser  et  insen- 
siblement on  introduit  dans  la  conversation  des  expressions 
vicieuses. 

Tout  au  plus  peut-on  tolérer  l'introduction  de  quelques  mots 
arabes  qui  répondent  mieux  à  la  pensée  que  les  vocables  français 
correspondants. 

Beaucoup  d'écoles,  beaucoup  d'œuvres  gratuites  d'instruction 
post-scolaire,  pas  de  journaux  écrits  en  sabir,  tels  sont  les 
remèdes  essentiels. 

Il  n'y  a  pas  d'hostilité  de  la  part  des  éléments  ethniques  divers 
qui  peuplent  la  colonie.  Les  Européens  sont  fiers  d'être  adoptés 
par  la  France,  s'ils  parlent  encore  entre  eux,  bien  moins  qu'autre- 
fois, d'ailleurs,  l'espagnol,  l'italien,  le  maltais,  leurs  enfants,  nés 
dans  nos  possessions  africaines,  sont  Français  de  droit,  d'après 
le  décret  de  1889,  et  ne  se  servent  plus  guère  que  de  notre 
langue.  Ils  entendent  peut-être  encore  les  sonorités  des  idiomes 
aternels  dans  les  familles  où  vivent  encore  de  vieux  parents 
enus  tard  en  Algérie,  mais  ils  ne  les  parlent  pas  eux-mêmes.  Les 
juifs  adultes  s'expriment  avec  leurs  coreligionnaires  âgés  en 
arabe,  et  dans  la  vie  ordinaire  en  français.  Si  beaucoup  sont 


36  —  III-3  SECTION   DE   PHlLOI.Or.IE   ET   d'HISTOIRE 

encore  bilingues  dans  leur  vie  privée,  quand  ils  s'adressent  à 
leurs  ascendants  ou  à  leurs  femmes,  surtout  à  la  campagne,  les 
enfants  connaissent  de  moins  en  moins  l'arabe  et  plus  de  la 
moitié  l'ignore  tout  à  fait  au  profit  exclusif  du  français.  Quant 
aux  musulmans,  de  plus  en  plus  bilingues,  ils  continueront  à 
parler  l'arabe  ou  le  kabyle  entre  eux,  chez  eux,  sans  délaisser  le 
français,  langue  officielle  des  relations  extérieures. 

La  besogne  n'est  pas  terminée,  mais  il  faut  moins  conquérir 
les  bonnes  volontés  que  les  diriger. 

La  francisation  linguistique  de  l'Algérie  avance  très  rapide- 
ment en  raison  même  du  désir  d'apprendre  de  la  population 
algérienne;  il  ne  lui  reste  qu'un  seul  obstacle  à  vaincre  :  l'igno- 
rance de  la  grammaire  élémentaire,  due  à  l'infériorité  intellec- 
tuelle des  milieux  cosmopolites  populaires.  La  ditfusion  de  l'ins- 
truction obligatoire  le  vaincra  facilement  dans  un  avenir  assez 
rapproché. 


m.  —  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


Les  mots  français  en  grec, 


Henri  GREGOIRE, 
professeur   à    l'Université   de    Bruxelles. 


Au  moment  où  le  roi  des  Hellènes  réunit  sous  son  sceptre  plus 
de  territoires  grecs  que  n'en  possédèrent  les  Paléologues,  triom- 
phe à  peine  espéré  qui,  en  exaltant  le  sentiment  national,  va 
achever  la  diffusion,  jusque  dans  les  cantons  les  plus  lointains 
du  domaine  hellénique,  de  celte  langue  bien  ou  mal  faite,  mais 
faite  désormais,  qu'on  appelle  la  Ka9apeûou0a,  il  est  temps  de 
s'intéresser  aux  plus  menacées  parmi  les  particularités  dialec- 
tales du  grec  vulgaire  :  je  veux  dire  à  ces  éléments  hétérogènes 
du  vocabulaire,  qui  sont  les  dernières  traces  des  dominations 
étrangères  sur  le  sol  classique. 

Les  mots  turcs,  les  plus  facilement  reconnaissables,  seront 
sans  doute  les  premiers  en  butte  à  la  fureur  patriotique  des 
Hellènes  délivrés.  Comme  ces  minarets,  dont  tous  les  rayas  con- 
naissent l'histoire  et  l'injurieux  symbolisme,  sont  ou  seront 
bientôt,  jusqu'au  dernier,  déracinés  du  sol,  les  mots  osmanlis, 
proscrits  par  le  maître  d'école,  seront  partout  arrachés  de  la 
langue.  Comme  les  Athéniens  d'aujourd'hui,  les  Macédoniens 
de  demain  ignoreront  que  la  chambre  s'est  appelée  oda  pendant 


38  —  III-4  SECTION  DE   PHILOLOGIE   ET   DHISTOIRE 

de  longs  siècles,  dans  tout  le  domaine  grec.  Plus  lente  sans 
doute  sera  l'élimination  des  mots  romans  moins  clairement 
désignés  à  la  haine  des  «  épurateurs  »  par  leur  physionomie 
moins  décidément  barbare.  Dans  ce  dernier  groupe,  les  mots 
français  du  moyen  âge  végéteront  peut-être  quelque  temps 
encore,  grâce  au  peu  d'ombrage  que  donne  leur  petit  nombre, 
et  surtout  grâce  à  l'obscurité  même  de  leur  existence,  confinée 
à  quelques  villages  ignorés  de  l'île  de  Chypre. 

Et,  pourtant,  ils  entrèrent  jadis,  par  masses  imposantes,  dans 
le  parler  de  la  Remanie,  ces  mots  de  la  langue  de  Villehardouin 
et  de  Robert  de  Clari.  Dès  le  premiers  contacts  entre  l'Occident 
et  Byzance,  les  plus  puristes  parmi  les  historiens  byzantins 
furent  obligés  d'en  accueillir  quelques-uns.  La  connaissance  du 
latin  avait  presque  entièrement  disparu  de  cet  empire  qui  se 
disait  encore  «ausonien»;  c'est  pourquoi  ses  écrivains  n'usèrent 
qu'assez  peu  d'un  procédé  commode  et  qui  aurait  satisfait  leur 
goût  d'archaïsme.  Certes,  ils  adoptèrent  parfois  des  formes 
latines  et  latinisées  que  leur  offraient  les  chancelleries  franques. 
Mais  Photius  déjà  n'appelait-il  pas  le  latin  lui-même  un  idiome 
scythe?  On  aurait  préféré  adapter  les  noms  étrangers  au  génie  de 
la  langue  grecque  par  quelque  adroite  étymologie. 

Et  Anne  Comnène  appelle  McTctYTéXnÇ  (îcrâTTe'^oç)  le  comte  de 
Saint-Cilles.  Le  premier  nom  commun  français  qui  s'imposa  à  la 
plume  pédante  d'un  Byzantin  est  sans  doute  le  mot  lige,  trans- 
crit XiZiioç  par  Anne  Comnène,  et  qui  vécut  pendant  des  siècles 
sous  cette  forme.  Ce  premier  emprunt,  on  le  voit,  a  été  fait  à  la 
langue  vulgaire,  non  au  latin;  mais  la  transcription  n'est  pas 
phonétiquement  correcte  (il  faudrait  XitIioç)  parce  qu'Anne  a 
évité  une  graphie  qui  lui  semblait  barbare.  Mais  de  tels  scrupules 
bientôt,  ne  furent  plus  de  saison.  1.,'empire  byzantin  s'écroule, 
et,  plusieurs  années  avant  sa  chute,  l'île  de  Chypre  est  déjà  un 
royaume  français.  Puis  la  langue  française  s'installe  avec  les 
conquérants,  à  Constantinople,  en  Thrace,  en  Macédoine,  dans 
la  Grèce  centrale,  en  Morée. 

Avec  moins  de  difficultés  qu'on  ne  l'a  dit,  le  système  féodal 
s'implante  dans  des  provinces  qui  s'acheminaient  naturellement 
vers  un  état  tout  pareil,  par  la  concentration  des  terres  entre  les 


SECTION  DE  PHILOLOGIE   ET   D'HISTOIRE  III-4  —  39 

mains  des  «  puissants»;  car  Boniface  de  Montferrat,  Guillaume 
de  Champiitte  et  Villehardouin  eurent  à  combattre  des  archontes 
ou  grands  seigneurs  qui  avaient  déjà  l'étoffe  de  feudataires  de  la 
Couronne. 

Que  serait-il  advenu  de  la  Grèce  si  l'empire  latin  avait  pu 
vivre?  A  cette  question,  les  historiens  ont  depuis  longtemps 
répondu,  et  l'étude  des  dix  années  vraiment  glorieuses  de  cet 
empire,  celles  du  règne  de  Henri  de  Flandre,  rendait  facile  la 
réponse  Les  seigneurs  indigènes  auraient  peu  à  peu  envahi  les 
cadres  féodaux,  et  les  familles  d'outre-mer  se  seraient  hellénisées. 

La  langue  française  se  serait  maintenue  plus  longtemps  sans 
doute  que  la  langue  latine,  oflicielle  à  Byzance  pendant  les  pre- 
miers siècles.  En  disparaissant,  elle  aurait  laissé  dans  le  grec  un 
élément  lexicographique  comparable  pour  l'importance,  à  l'élé- 
ment germanique  ou  roman.  Cet  élément  eût  gagné  tous  les  com- 
partiments du  vocabulaire.  Et  la  preuve  en  est  dans  les  documents 
gréco-francs  qui  nous  sont  restés  du  moyen  âge  :  les  célèbres 
Assises  du  royaume  de  Chypre,  les  diverses  rédactions  de  la  Chro- 
nique de  Morée,  et  (pour  la  Chypre)  les  chroniques  de  Machaeras 
et  de  Boustrone.  Les  romanistes  connaissent  bien  ces  textes  inté- 
ressants. Il  y  a  longtemps  que  G.  Meyer  a  consacré  aux  mots 
romans  des  Chroniques  chypriotes  un  savant  mémoire,  et  déjà 
le  premier  éditeur  de  la  chronique  grecque  de  Morée  avait  joint 
à  sa  publication  un  lexique  des  mots  français.  Mais  la  tendance 
générale  des  critiques  était  de  contester  l'importance  de  l'apport 
français  et,  par  voie  de  conséquence,  linfluence  de  la  civilisation 
française  sur  les  Grecs  du  moyen  âge.  On  faisait  valoir  cet  argu- 
ment, que  de  tous  les  mots  français  qu'on  lit  dans  les  chroniques,, 
presque  tous  ont  disparu  aujourd'hui;  on  représentait  l'idiome 
franco-grec  de  Chypre  et  de  Morée  comme  un  jargon  un  peu 
artificiel,  employé  surtout  par  des  Francs  qui  estropiaient  le 
grec,  par  des  Gasmules;  on  répétait  que  les  Assises  et  la  Chro- 
nique de  Morée  n'étaient  en  somme  que  des  traductions.  Plus 
récemment,  M.  J.  Schmitt,  a  cru  pouvoir  affirmer  que  le  XpoviKÔv 
Toû  Mopéroç,  loin  d'être  une  traduction,  était  l'original  imité  par 
l'auteurde  la  recension  française.  Cette  opinion  paraît  insoutena- 
ble ;  mais  M.  Longnon,  le  dernier  éditeur  du  texte  français,  a 


40  —  ni-4  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET   d'HISTOIRE 

montré  que  l'auteur  du  XpoviKÔv,  comme  celui  du  Livre  de  la 
Conquête,  a  eu  sous  les  yeux  un  document  italien.  On  saisit 
toute  l'importance  de  ce  fait.  Les  mots  français  du  XpoviKÔv 
ne  sont  donc  point  des  gallicismes  de  traduction;  en  les  em- 
ployant, le  versificateur  grec  prouve  que  ces  vocables  faisaient 
bel  et  bien  partie  intégrante  de  sa  langue. 

Et  pourtant,  comme  les  circonstances  politiques  furent  défavo- 
rables à  l'élément  français!  Soixante  ans  à  peine  après  la  con- 
quête de  la  Morée,  la  défaite  et  la  captivité  de  Guillaume  de  Vllle- 
hardouin  portèrent  un  coup  mortel  à  l'œuvre  des  envahisseurs. 
A  partir  de  ce  moment,  la  «princée»  dut  s'accommoder  du  voisi- 
nage du  despotat  byzantin.  Au  milieu  d'une  population  déjà  à 
demi-gagnée,  voici  que  l'administralien  byzantine  reprenait 
pied.  Appuyés  sur  les  forteresses  deMistra  etdeYéraki,  la  pre- 
mière devenue  bientôt  une  miniature  de  Byzance,  les  Paléo- 
logues  commençaient  cette  lutte  obscure  et  pourtant  glorieuse, 
parce  qu'elle  illustre  la  persévérance  géniale  d'une  raceentêtéeà 
ne  point  périr;  ils  reconquéraient  le  pays,  canton  par  canton,  et 
le  dernier  Constantin,  avant  d'aller  mourir  dans  la  pourpre, 
avait  assuré  le  triomphe  complet  de  l'hellénisme  dans  la  pres- 
qu'île. C'est  donc  la  concurrence,  la  résistance  politique  de  l'hel- 
lénisme qui  n'a  pas  laissé  aux  mots  d'Occident  le  temps  de 
prendre  racine.  Rien  d'instructif,  à  cet  égard,  comme  la  compa- 
raison entre  deux  manuscrits  de  la  Chronique  de  Morée.  Le  pre- 
mier en  date  présente  bien  plus  de  mots  français  que  l'autre 
(Havniensis,  Parisinus);  dans  la  seconde  rédaction  disparaissent 
avec  certains  termes  étrangers,  les  sorties  virulentes  et  réflexions 
anti-grecques  du  Gasmule  catholique  qui  prend  le  parti  des  sei- 
gneurs latins.  Mais  cette  comparaison  même  prouve  combien, 
malgré  tout,  les  vocables  français  étaient  familiers  à  ces 
Moréotes.  Car,  si  le  scribe  du  Parisinus  remplace  KaTrepoOvi 
par  ffKénaff|ua,  irapXaiaâ  par  BouXri,  il  a  traduit  un  terme  grec, 
mais  obscur  et  suranné  sans  doute,  par  un  mot  français  {(TiuTap- 
xiffouffi  par  YctpvicroucTi).  C'est  donc  une  réaction  très  consciente, 
comparable  au  mouvement  actuel,  qui  a  «  épuré  »  le  vocabu- 
laire. 

Dans  l'île  de  Chypre,  au  contraire,  après  les  répressions  ter- 


SECTION   DE  PHILOLOGIE  ET   d'HISTOIRE  III-4  —  41 

ribles  du  début  de  la  conquête,  que  Mas-Latrie  nous  peint  en 
couleurs  trop  roinantiquement  idylliques,  le  peuple  grec  renon- 
çant à  ses  espoirs  nationaux,  accepta  assez  docilement  la  consti- 
tution du  royaume.  Aujourd'hui  encore,  il  semble  qu'on  y  par- 
donne aux  Francs  leur  domination  en  faveur  de  la  gloire  qu'elle 
valut  au  nom  chypriote  ;  le  souvenir  du  royaume  ou  priâTOv 
des  Lusignans  n'est  pas  effacé  des  mémoires  paysannes.  Les 
mots  empruntés  ici  sont  en  partie  les  mêmes  qu'on  retrouve 
dans  les  documents  moréotes;  et  l'on  ne  peut  sempêcher  de 
penser  que  la  Mischsprache  qui  se  laisse  reconstituer  à  l'aide  de 
Mâcheras,  des  Assises,  de  la  Chronique,  est  précisément  celle 
qui  se  serait  établie  et  fixée  par  toute  la  Romanie  si  les  conseils 
des  papes  avaient  été  écoutés,  si  le  feu  sacré  de  la  croisade  ne 
s'était  pas  éteint,  et  si  le  maintien  des  conquêtes  d'outre-mcr 
était  resté  la  grande  affaire  de  l'Europe. 

On  a  quelquefois  prétendu  que  l'influence  italienne  a  très  tôt 
fait  échec  à  l'influence  française.  Les  mots  italiens,  dit-on,  se 
laissaient  plus  facilement  gréciser  que  les  français;  et,  comme 
leurs  racines  étaient  souvent  les  mêmes,  les  Grecs  ont  préféré 
des  deux  formes  parentes,  celle  qui  se  transcrivait  et  se  pronon- 
çait plus  facilement.  Mais  il  sied  de  ne  pas  perdre  de  vue  que  si 
la  République  de  Saint-Marc,  la  dominatrice  «  quartœ  et  dimidiœ 
partis  totiiis  imperii  Romaniœ»  avait  pris  pied  dans  les  îles,  à 
Coron  et  Modon,  en  Crète;  que  si  la  commune  de  Gênes  s'in- 
stalle dès  le  XV'  siècle  à  Famagouste  de  Chypre,  la  traduction 
grecque  des  Assises  a  été  rédigée  avant  toute  influence  italienne, 
et  la  Chronique  de  Morée  en  est  peu  affectée.  Gustave  Meyer  a 
donc  eu  tort  de  classer  comme  génoises  les  terminaisons  en  ou 
ou  oûv  (KO]uecTioû[v),  peXiTYSioûv,  xapviZ^oûv). 

Ce  sont  aussi  des  verbes  français  et  non  italiens  qui  ont 
pénétré  en  masse  dans  les  conjugaisons  si  vivantes  et  si  grecques 
en  eûiu  et  en  dSiu  :  pePeXeûuj  {réveiller,  non  révolter)  ôpbiviâï^uj, 
navTevidZiiu,  TTpounouTidZiu)  (promettre,  avec  un  second  ou  dû  à 
l'assimilation). 

C'est  plus  tard  que  les  verbes  italiens  en  are  entrèrent  dans  la 
langue  sous  la  forme  dpuj. 

Un  érudit  chypriote,  M.  Simos  Menardos,  que  son  nom  même 


42  —  Il  1-4  SECTION   DE  PHILOLOGIE   ET  D  HISTOIRE 

semblait  promettre  à  ces  études,  a  considérablement  allongé  la 
liste  des  mots  français  encore  vivants  dans  son  dialecte  : 

TTpÔTcra,  icraépa,  Tcrijuividc,  jaà^-npa,  rcratva,  TÙTcra,  Koûiari, 
TcravTiXépiv,  Tiiaipoç  :  broche,  chaire,  cheminée,  chambre, 
chaîne,  tache,  couche,  chandelier,  déchiré  :  il  y  en  a,  on  comptant 
les  dérivés  et  les  noms  propres,  une  bonne  centaine.  Et  les  plus 
nombreux  sont  ceux  qui  désignent  des  objets  que  les  conqué- 
rants occidentaux  n'ont  certes  pas  introduits  dans  l'île,  des  idées 
qui  ont  été  de  tous  temps  familières  au  paysan  chypriote.  Si  l'on 
met  à  part  quelques  termes  rappelant  les  chevauchées  des  preux 
feudataires  des  Lusignans,  comme  TreppoOviv,  le  «  perron  )>  d'où 
les  hommes  d'armes  s'élançaient  sur  les  destriers,  cpappâç  «  le 
fourrage  »  qu'ils  donnaient  à  leurs  bêtes,  ttôç  «  le  pas  )>  tpôkkoç 
«  le  trot  »,  il  ne  reste  que  des  emprunts  dont  il  est  dilHcile  de 
rendre  compte  autrement  que  par  des  motifs  psychologiques  de 
portée  tout  à  fait  générale.  Et  c'est  précisément  ce  qui  fait  l'inté- 
rêt de  ce  petit  lexique. 

Car  nous  y  voyons  une  nouvelle  preuve  de  l'influence  qu'a 
toujours,  en  pareil  cas,  la  curiosité  féminine,  séduite  par  l'éti- 
quette nouvelle  autant  que  par  l'objet  nouveau,  et  confondant 
volontiers  l'une  et  l'autre.  La  chaîne  brillante  offerte  par  le 
galant  chevalier  franc  à  sa  maîtresse  villageoise  paraissait  un 
joyau  plus  rare  à  ses  jalouses  amies,  si  elles  apprenaient  le 
nom  étranger  du  bijou  :  T0aiva;  TTOÛKXa  parut  en  dire  plus  et 
mieux  que  TTÔpnri,  ffTrXÎYKa  (épingle)  que  Kupqpîç.  Et  de  fait, 
lorsque  lemot français  n'a  pas  complètement  supplanté  son  syno- 
nyme grec,  M.  Ménardos  nous  apprend  qu'aujourd'hui  encore 
telle  est  souvent  la  différence  que  l'on  fait  entre  eux. 

Le  vocable  français  reste  paré  d'une  splendeur  de  légende.  Il 
n'y  a  de  Tcraiva  qu'en  métal  précieux,  icraiva  est  synonyme  de 
Xputrdcpi  (or)  dans  certains  dictons.  Quelquefois  aussi,  comme 
pour  Tffaépa,  l'idée  d'antiquité  et  même  de  vieillerie,  s'attache 
au  mot  occidental.  —  Les  termes  de  cuisine  ne  manquent 
pas  non  plus,  et  M.  Ménardos  remarque  spirituellement  que 
le  nom  de  la  colombe  a  disparu  de  l'île  de  Kypris.  Ox,  malgré 
l'appétit  des  Normands,  n'a  point  succombé  devant  beef  en 
Angleterre;  mais  le  paysan  chypriote,  instruit  par  les  maîtres 


SECTION   DE   PHÎLOr.OGlE   ET   D'HISTOIRE  III-4  —  43 

queux  féodaux,  n'élève  plus,  depuis  les  grands  festins  de  la  con- 
quête, que  des  TreCoûvia  (pigeons).  Le  nom  du  plat  a  passé  à 
l'animal  vivant  {ficatumetjecur,  auKuuTÔv  et  fjnap  est  l'exemple 
classique,  plus  frappant  encore,  de  ces  triomphes  de  la  gastro- 
nomie sur  la  zoologie  ou  l'anatomie). 

Les  Français,  en  Chypre,  furent  de  grands  bâtisseurs  ;  des  con- 
structeurs occidentaux  de  leurs  cathédrales  gothiques,  les  Chy- 
priotes ont  retenu  des  termes  comme  pôTa  (voûte  ;  français  et 
non  italien,  car  pôXta  existe  avec  un  sens  tout  différent),  Xàvrla 
(loge). 

Enfin  la  vieille  langue  juridique  franco-grecque  des  Assises 
n'a  guère  laissé  de  traces,  comme  il  fallait  s'y  attendre 

Rien  que  dans  ce  petit  groupe  des  mots  ayant  survécu  jusqu'à 
nos  jours  et  que  nous  révèle  M.  Menardos,  la  lexicographie  fran- 
çaise trouvera  à  glaner.  Car  hîykhç  est  le  fr.  mince,  et  cet  adjectif 
n'est  attesté  qu'assez  tard,  en  tout  cas  après  la  date  de  son  adop- 
tion par  le  Chypriote. 

BoXÎKi  qu'on  lit  déjà  dans  les  Assises  et  qui  signifie  poutre, 
est  peut-être  notre  volige. 

BcpKÎv  (pron.  vercin)  «  l'anneau  sans  le  chaton  »  est  le  fr. 
verge  qui  a  ce  sens  dans  quelques  textes. 

Mais  le  principal  intérêt  des  emprunts  français  du  grec  médié- 
val est  qu'ils  nous  donnent  des  renseignements  assez  précis  sur 
la  prononciation  de  notre  langue  au  xni'*  siècle. 

Dans  la  plus  ancienne  période  du  français,  la  palatale  aftriquée 
se  prononçait  ts  (orthogr.  ch)  ;  la  transcription  des  vocables 
français  figurant  dans  les  Assises,  les  Chroniques  de  Chypre  et 
de  Morée  pour  qu'aux  xnr^  et  xiV  siècles,  cette  prononciation 
était  générale  en  Grèce.  Nous  venons  de  voir  xcrâiuTTpa  (pron. 
tsambra),  Tffaiva  (tsaïne),  TCTaépa  (tsaëre),  xiimpoç  (déchiré}. 

Je  pourrais  multiplier  les  exemples  :  je  préfère  renvoyer  ici  au 
travail  plus  complet  que  je  prépare  sur  la  question.  On  ne  sau- 
rait citer  aucune  exception  à  cette  règle  ;  et  la  chose  est  d'impor- 
tance :  car  l'hypothèse  de  J.  Schmitt,  touchant  l'original  de  la 
Chronique  s'appuyait  presque  uniquement  sur  une  prétendue 
transcription  du  mot  Champlitte,  ZaXoûGe,  qu'on  lit  dans  le 
texte  grec.  Or,  comme  M.  Longnon  l'a  bien  vu,  nous  avons 


4-4  —  III'4  SECTION   DE    PHILOLOGIE    ET    DHISTOIRE 

affaire  ici  à  une  simple  confusion  géographique;  l'auteur  de 
la  Chronique  a  bien  cru  que  Guillaume  était  seigneur  de 
Saluées. 

Les  dialectes  qui  avaient  conservé  le  K  n'ont  guère  eu  d'in- 
fluence à  Chypre  et  en  Morée;  tout  au  plus  peut-on  signaler 
Kipitàvoç  (Kivetaine),  forme  sans  doute  picarde.  Je  ne  mécon- 
nais pas  l'importance  de  cette  question  des  dialectes;  et  si  nous 
ne  possédions  que  des  transcriptions  moréotes,  nous  pourrions 
croire  que  l'usage  de  la  cour  du  Champenois  Villehardouin  a  été 
ici  prépondérante.  Mais  le  Chypre  nous  empêche  de  nous  arrêter 
à  cette  hypothèse.  Et  la  chute  de  l'élément  dental,  en  français, 
paraît  décidément  un  phénomène  bien  tardif. 

Le  développement  àc  g  en  z  fut,  dit-on,  parallèle  à  celui  de  c 
en  5.  L'affriquée  dz,  en  Morée  et  à  Chypre,  n'est  point  encore 
généralement  simplifiée  en  z.  Jamais  on  ne  trouve  Zecppéç  pour 
Geoffroi,  mais  bien  Nrlecppéç  (Dzefrè).  L'exception  apparente 
\xl\oç  a  été  expliquée  plus  haut.  Ici  pourtant  il  faut  signaler 
quatre  mots  chypriotes  (sans  doute  empruntés  vers  le  xiv  siècle) 
qui  montrent  que  la  simplification  finit  par  atteindre  les  parlers 
d'outre-mer.  Ce  mot  ttéZ^oûviv  (pigeon),  ZiaXariva  (gélatine), 
là\Jina  (jambe)  et  ZIuiuttoûviv  (jupon);  mais  on  dit  vrCavlv 
(jaunis,  jaunisse),  NiZiavéroç  (Jeannet).  Ces  quatre  mots  sont 
précieux;  on  ne  peut  leur  opposer  de  cas  analogues  dans  le 
groupe  très  nombreux  des  mots  ter  ;  il  semble  donc  qu'on  puisse 
en  tirer  des  conclusions  quant  à  la  chronologie  relative  des  deux 
phénomènes.  Je  note  ici  qu'une  expression  signalée  comme 
romane  par  M.  Ménardos,  nia  KÔpri  toû  viàviZou,  «  une  fille 
nubile  »,  qu'il  explique  par  l'italien  (?)  «  fille  mure  pour  la 
danse  »,  n'est  sans  doute  que  la  traduction  de  l'expression  fran- 
çaise «  fille  d'aage  »  (Assises,  texte  fr.,  cap.  14.  Puis  que  li  fis 
famylias  est  d'aage  :  c'est  puisqu'il  a  XV  ans;  cf.  enaaigier, 
desagier). 

Un  curieux  phénomène  dont  je  ne  puis  donner  une  interpré- 
tation satisfaisante,  est  la  transcription  de  certains  c  {ch)  français 
(devant  e,  i)  par  la  spirante  dentale  9  {th  anglais  fort).  Ainsi  le 
nom  de  la  famille  de  Brice  apparaît  sous  la  forme  viè  Bepiîeoi; 
de  Toucy  s'écrit  toujours  viè  TouG,  vrè  Ntoûô;  la  famille  de 


SECTION  DE  PHILOLOGIE   ET   d'HISTOIRF.  III-4  —  45 

Planchy,  arrivée  en  Morée  après  1261,  s'appelle  TlXaSoi;  Saluée 
ZaXoùe. 

Peut-être  faut-il  reconnaître  ici  une  influence  espagnole  (1), 
mais  peut-être  aussi  ces  transcriptions  sont-elles  un  des  témoins 
précieux  d'une  prononciation  de  transition,  que  les  graphies 
occidentales  ne  pouvaient  noter  exactement. 

Un  détail  de  la  transcription  des  diphthongues  françaises  doit 
être  noté  ici  :  oi  est  parfois  rendu  par  é,  mais  parfois  aussi  par 
ôe.  M.  Brnnot  {Histoii'e  de  la  langue  l'rançaisii,\,^.  333-334)  a  déjà 
attiré  l'attention  sur  l'importance  de  ht  transcription  grecque, 
accentuée,  pour  dater  l'évolution  de  la  diphthonque.  «  Dans 
crepôeT  ÔYKXôep,  dit-il,  l'accentuation  nous  montre  le  phonème 
à  sa  première  étape  de  transformation,  gardant  l'accent  sur  o  et 
ayant  déjà  changé  leuE.»  Or,  l'un  des  noms  propres  de  la  Chro- 
nique, sur  lesquels  on  a  le  plus  discuté,  est  'AvÔ€  (Aunoy).  En 
effet,  le  texte  français  de  la  Chronique  porte  lui  aussi  Anoée  Anoé 
alors  qu'il  ne  présente  point,  par  ailleurs,  de  graphies,  telles  que 
roe,  assouvoever,  aperçoeve.  On  en  a  conclu  que  le  texte  français 
était  une  version  faite  sur  le  grec;  mais  nous  avons  vu  que  cette 
opinion  doit  être  abandonnée.  Il  est  probable  que  nous  avons  ici 
un  cas  curieux  de  prononciation  archaïque  conservée  dans  un 
nom  propre,  prononciation  qui  a  fini  par  modifier  la  graphie 
traditionnelle. 

A  M  (comme  on  le  voit  par  l'exemple  d'Aunoy)  est  régulièrement 
rendu  par  a  dans  ces  textes  du  xiv"  siècle.  On  sait  que  au  ne 
devient  o  qu'au  début  du  xvi«  siècle.  La  transcription  grecque, 
s'il  était  ici  besoin  de  son  témoignage,  pourrait  être  utilisée  à  cet 
effet;  car  une  inscription  grecque,  due  à  un  chevalier  de  Rhodes, 
vient  d'être  publiée  tout  récemment,  qui  rend  ainsi  le  nom  de 
Jacques  Gatineau  :  TIiÛKeç  Paiivéo  (inscription  d'Halicarnasse, 
1313  après  J.-C). 

Une  étude  complète  de  l'élément  français  en  grec  devrait 
s'étendre  aux  mots  introduits  dans  la  langue  depuis  le  xix'  siècle. 
Mais,  ici,  la  ditticulié  serait  grande  de  distinguer  entre  les  mots 

(1)  Il  paraît  acquis  que  le  prototype  de  la  chronique  grecque  fut  rédigé 
après  l'année  1341,  donc  en  pleine  période  «  catalane  ". 


46  —  III-4  SECTION  DE  PHItiOLOGIE  ET   d'HISTOIRE 

français  adoptés  tels  quels  par  un  traducteur  embarrassé  ou 
paresseux,  et  qui  peuvent  être  inconnus  d'une  partie  de  son 
public,  et  ceux  qui  sont  vraiment  entrés  dans  la  conversation. 
La  connaissance  plus  ou  moins  parfaite  du  français  que  possèdent 
tous  les  écrivains,  tous  les  journalistes,  donne  une  grande  fré- 
quence au  premier  phénomène.  Alors  que  le  vocabulaire  de  la 
politique  est  purement  grec,  la  langue  dite  épurée  se  prêtant 
docilement  à  calquer  tous  les  clichés  du  journalisme  inter- 
national, alors  que  jamais  le  grec  n'est  en  peine  de  rendre 
des  abstractions,  et  que  les  emprunts  du  type  intelligeiizia  des 
langues  slaves  sont  à  peu  près  inconnus,  le  langage  des  critiques 
d'art  est  forcé  beaucoup  plus  souvent  à  la  transcription  pure  et 
simple  d'un  terme  étranger.  Un  sujet,  un  paysage  {aovli,  TxaXZàl), 
un  profil  (irpocpîX),  voilà  des  termes  qui  n'ont  point  d'équiva- 
lents grecs  universellement  consacrés.  Il  faut  aussi  tenir  compte 
ici  de  la  diglossie  bien  connue  des  Grecs  modernes.  Si  la  langue 
dite  épurée  est  celle  du  journalisme  politique,  les  critiques  d'art 
sont  en  grande  majorité  des  vulgaristes;  vivant  eux-mêmes  à 
l'étranger,  ou  bien  en  constante  relation  avec  leurs  chefs  qui  sont 
plus  Parisiens  qu'Athéniens,  ils  ont  moins  de  scrupules  puristes 
à  l'égard  des  mots  d'emprunts,  et  leur  mentalité  plus  européenne 
leur  représente  certains  emprunts  comme  indispensables. 

Mais  le  facteur  principal  est  la  mode  au  sens  le  plus  banal  du 
mot.  Le  français  est  la  langue  distinguée,  la  langue  des  salons  et 
de  la  mondanité. 

La  différence  profonde  des  phonétiques  grecque  et  française  a 
plutôt  facilité  l'intrusion  de  centaines  de  termes  empruntés  à 
cette  catégorie.  En  effet,  le  grec  ne  peut  se  contenter  d'emprunter 
le  terme  étranger;  il  est  obligé  de  le  transcrire  en  le  rendant 
prononçable,  il  doit  aussi  l'adopter  au  génie  de  la  langue  en 
le  pourvoyant  de  désinences  casuelles,  La  déclinaison  en  éç,é 
créée  d'abord  pour  les  emprunts  turcs,  reçoit  aujourd'hui  les 
mots  français  (ffcapéç).  Ainsi  ces  mots  entrent  peu  à  peu  dans  la 
langue  commune.  Grâce  aux  journaux  de  la  capitale,  les  salons 
de  province  les  adoptent  bientôt.  La  plus  grande  diff'usion  est 
celle  des  termes  désignant  les  parties  du  vêtement. 

L'adoption  des  modes  occidentales  ne  date  pas  d'hier,  et  les 


SECTION   DE   PHir.OLOGIE    ET    D'HISTOIRE  III-4  —  il 

premiers  termes  étrangers  s'y  rapportant  étaient  italiens.  Mais 
aujourd'hui  l'influence  italienne  a  cessé  de  se  faire  sentir.  La 
société  italo-grecque  des  îles  ioniennes  a  cessé  de  donner  le  ton  ; 
elle  a  elle-même  adopté  le  français. 

Il  est  intéressant  d'étudier  cette  invasion  des  ternies  de  mode 
français  dans  les  milieux  qui  ignorent  entièrement  notre  langue; 
car  c'est  là  seulement  qu'on  peut  acquérir  quelque  certitude  tou- 
chant la  réalité  de  l'emprunt.  J'ai  pu  constater  que  comme  pres- 
que toujours  en  pareil  cas,  ces  emprunts  ont  eu  une  conséquence 
très  importante.  Non  seulement  les  termes  de  toilette,  mais 
encore  les  noms  de  couleurs  ont  été  généralement  adoptés. 
On  a  souvent  remarqué  la  facilité  paradoxale  avec  laquelle  une 
langue  qui  possède  en  grand  nombre  des  noms  de  couleurs,  les 
remplace  sans  nécessité  apparente  par  des  termes  étrangers  (I). 
Les  Grecs  avaient  dès  le  début  du  moyen  âge  adopté  toute  une 
série  de  termes  latins  (péveToç  «  bleu  »,  âaTTpoç  «  blanc»); 
plus  tard  les  emprunts  turcs  sont  ici  particulièrement  nom- 
breux. Mais  le  grec  moderne  avait  développé  un  vocabulaire 
très  riche  capable  d'exprimer  toutes  les  nuances.  Aujourd'hui 
la  plupart  de  ces  noms,  souvent  fort  jolis,  sont  tenus  pour 
surannés  dans  les  campagnes  mêmes. 

Ainsi,  ^leXiTlavû  (couleur  d'aubergine)  est  remplacé  par  )uiûp 
(mauve),  xpiavTaqpuXXù  par  pOûZ,  poPieâTO  (couleur  de  pois 
chiche)  par  Kpé|u,  picraivû  par  f  Kpevâ.  Y^Xài^io  par  ^■^\i  (bleu), 
oùpavi  par  ^TrXé  KXép,  laxuvû  par  KacpeouXé;  cf  pelevià,  ffaïuouâ, 
TOupKodZ:.  Tous  ces  noms  m'ont  été  indiqués  par  une  Samiote 
qui  ignorait  entièrement  la  langue  française;  et  je  ne  crois  pas 
m'avancer  beaucoup  en  disant  que  la  plupart  des  mots  indigènes 
supplantés  par  les  termes  français  sont  entièrement  ignorés  de 
l'usage  athénien. 

Ainsi,  au  moment  même  où  le  purisme  semble  remporter  une 
victoire  décisive  sur  l'élément  turc  et  même  l'élément  italien  du 
vocabulaire,  les  femmes  grecques  imposent  aux  classes  supé- 
rieures de  la  capitale,  et  peu  à  peu,  à  toutes  les  couches  sociales 

(1)  Il  suffit  de  rappeler  l'importance  de  l'élément  germanique  dans  ce 
compartiment  du  vocabulaire  français. 


48  —  1II-4  SECTION    DE    PHILOLOGIE    ET    d'HISTOIRE 

d'Athènes  et  des  provinces,  une  énorme  quantité  de  mots  français 
qui,  sans  doute,  ne  s'en  laisseront  pas  facilement  déloger.  Ce 
qui  prouve  que  la  réaction  consciente  contre  les  mots  empruntés 
ne  triomphe  complètement  que  lorsqu'elle  est  aidée  par  l'évolu- 
tion sociale  et  politique.  L'arrêt  de  l'influx  lexicologique  fran- 
çais ne  se  produira  sans  doute  que  lorsque  la  Grèce  se  sera 
émancipée  des  influences  économiques  occidentales;  elle  n'a 
réagi  jusqu'à  présent  que  contre  l'italianisme  et  l'otlomanisme, 
parce  que  le  centre  politique  s'est, déplacé  des  Iles  ioniennes 
italianisées  vers  Athènes,  la  ville  neuve,  et  parce  que  le  monde 
turc  a  cessé  de  peser  sur  la  vie  grecque.  L'école  a  trouvé  dans 
ces  phénomènes  naturels  des  alliés  puissants  dans  sa  campagne 
'de  xénélasie. 

Nous  espérons  retracer  bientôt,  dans  toute  son  ampleur,  l'his- 
toire de  l'élément  français  en  grec,  depuis  le  moyen  âge  jusqu'à 
nos  jours.  La  présente  esquisse  s'est  bornée  à  indiquer  la  com- 
plexité des  problèmes,  et  à  faire  pressentir  l'importance  relative 
des  conclusions  à  tirer  d'une  telle  histoire. 


BIBLIOGRAPHIE. 

Sur  les  mots  français  dans  les  textes  médiévaux  :  Editions 
critiques  de  la  Chronique  de  Morée  : 

The  Chronide  of  Morea,  là  XpoviKÔv  toO  Mopéuuç,  by  John 
Schmitt.  Londres,  4904,  in-8°. 

Livre  de  la  Conqueste  de  la  princée  de  l'Amorée.  Chronique  de 
Morée  (4204-1303),  par  Jean  Longnon.  Paris,  Renouard,  1911. 

Adamantiou,  Ta  XpoviKà  roû  Mopéuiç,  tirage  à  part  du  AeXTiov 
TÎri  icTTopiKtîç  Kai  èevoXoYKfîç  éraipeiaç  Tfjç  'EXXàboç  (t.  VI). 
Athènes,  4906,  in-S".  p.  433-675. 

M.  A.  Triandaphyllides,  Die  Lehnwôrter  dermittelgr.  Vulyàr- 
literatur.  Strassburg,  Trùbner,  1909. 

S.  Menardos,  Les  mots  français  en  chypriote  (en  grec),  'AGrvâ, 
VII  (1900). 

G.  Meyer,  Jahrb.  f.  rom.  Phil.,  15  (1873),  33-36. 


III.  —  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET  D'HISTOIRE. 


L'histoire  littéraire  de  la  France 
et  le  choix  des  thèses  et  dissertations  universitaires. 


Gustave  CHARLIER, 

chargé  de  cours  à  l'Université  de  Bruxelles. 


Dans  l'ordre  des  études  romanes,  c'est  peut-être  le  fait  capital 
des  vingt  dernières  années  que  l'essor  singulier  pris  par  les 
recherches  méthodiques  et  précises  sur  l'histoire  des  lettres 
françaises.  Chacun  sait  la  grande  part  qu'y  ont  eue,  en  France, 
quelques  maîtres  dont  les  noms  sont  sur  toutes  les  lèvres.  Grâce 
à  leur  admirable  effort,  le  genre  a  vécu  de  la  vieille  «  thèse 
littéraire  »,  ingénieuse  ou  spirituelle  parfois,  oratoire  et  vide 
trop  souvent,  et  qui,  dans  tous  les  cas,  n'ajoutait  à  peu  près 
rien  à  notre  connaissance  d'un  passé  pourtant  si  complexe  et  si 
riche.  Presque  au  même  moment,  ce  genre  de  recherches  atti- 
rait au  delà  du  Rhin  des  travailleurs  de  plus  en  plus  nombreux. 
Là  aussi  quelque  chose  disparaît,  et  c'est  le  type  traditionnel  du 
romaniste  à  l'allemande,  admirablement  au  fait  de  la  phoné- 
tique et  de  la  morphologie  des  anciens  dialectes,  rompu  aux 
lâches  délicates  du  classement  des  manuscrits  et  de  la  discus- 
sion des  variantes,  mais  pour  qui  l'histoire  littéraire  de  la 
France  semblait  perdre  soudain  tout  intérêt  à  la  date  fatidique 
de  1453.  Sur  la  terre  classique  de  la  philologie,  il  paraît  bien 
que  le  jeune  Litterarhistoriker  soit  en  train  de  vaincre  l'an- 
tique Philolog.  Tout.au  moins  l'a-t-il  doublé:  cent  travaux 
m  4 


i 


50  —  III-5  SECTION  DE  PHILOLOGIE  ET   D  HISTOIRE 

l'attestent,  consacrés  à  la  renaissance,  aux  siècles  classiques, 
au  romantisme,  au  réalisme,  et  même  aux  périodes  plus  proches 
encore  de  nous.  Et  le  mouvement  s'accentue  et  s'amplifie.  Il 
atteint  aujourd'hui  l'Italie,  la  Finlande  et  même  les  Etats-Unis 
d'Amérique,  d'où  commencent  à  nous  venir  des  contributions 
que  l'on  aurait  tort  de  négliger. 

Ce  renouveau  des  études  d'histoire  littéraire  s'affirme  nette- 
ment dans  la  production  scientifique  des  universités.  Des 
«  séminaires  »  et  des  «  laboratoires  »  de  l'enseignement  supé- 
rieur, il  sort  chaque  année  un  nombre  appréciable  de  travaux 
qui  intéressent  le  long  passé  des  lettres  françaises.  Thèses  de 
doctorat  ès-lettres,  mémoires  de  diplôme  d'études  supérieures, 
thèses  de  l'Ecole  pratique  des  hautes  études  ou  de  l'Ecole  des 
chartes,  tesi  di  laurea  italiennes,  dissertations  allemandes, 
suisses,  belges,  américaines...  autant  de  publications  de  valeur 
et  d'importance  fort  diverses  assurément,  mais  dont  la  moindre 
apporte  cependant  quelques  précisions  utiles  ou  quelques  dé- 
tails nouveaux. 

Or,  le  choix  de  ces  travaux  est  laissé  à  l'arbitraire  de  cha- 
cun. L'étudiant  s'arrête  à  un  sujet  qui  le  séduit  et  le  fait  agréer 
par  le  maître  qui  dirige  ses  études.  Ou  bien  c'est  ce  dernier 
qui,  sous  l'inspiration  de  ses  études  personnelles,  lui  signale 
le  point  particulier  qui  peut  offrir  matière  à  de  fructueuses 
investigations.  Dès  lors,  des  doubles  emplois  doivent  fatalement 
se  produire.  Il  n'est  pas  rare  qu'il  sorte  simultanément  de  deux 
«ateliers»  différents  des  travaux  qui  se  répètent.  Il  est  moins  rare 
encore  qu'un  étudiant  ait  poussé  très  loin  déjà  ses  recherches 
quand  il  se  trouve  devancé  par  un  concurrent  ignoré,  dont  la 
thèse  enlève  à  celle  qu'il  préparait  le  meilleur  de  sa  nouveauté 
et  de  son  intérêt. 

Que  ces  doubles  emplois  soient  inutiles  et  regrettables,  il 
n'est  pas  besoin,  je  pense,  de  le  démontrer.  Le  vaste  domaine 
de  l'histoire  littéraire  de  la  France  compte  encore  trop  de 
régions  à  peine  explorées  pour  qu'on  ne  doive  pas  déplorer 
des  rivalités,  qui  se  traduisent,  en  dernière  analyse,  par  des 
pertes  de  temps  et  d'énergie.  Est-ce  là,  d'autre  part,  un  mal  sans 
remède?  Je  ne  le  crois  pas.  Déjà  une. heureuse  initiative  a 


SECTION   DE   PHILOLOGIE    ET    d'HISTOIRE  III-6 — 51 

fortement  contribué  à  le  restreindre  :  on  sait  que  la  Sorbonne 
exerce,  en  France,  une  manière  de  droit  de  police  sur  le  choix 
des  thèses  de  lettres  et  épargne  ainsi  de  fâcheuses  rencontres 
aux  candidats  au  doctorat.  Mais  son  action  s'arrête  à  la  fron- 
tière. Ne  pourrait-on  faire  davantage? 

J'ai  souvent  rêvé,  pour  ma  part,  d'un  modeste  office  inter- 
national, destiné  à  éviter  les  concurrences  inutiles  dans  cette 
branche  de  la  production  scientifique  de  l'enseignement  supé- 
rieur. Moyennant  une  entente  entre  les  sections  françaises  des 
universités,  l'organisation  n'en  serait  pas  bien  laborieuse,  et  il 
coûterait  moins  d'efforts  qu'il  ne  rendrait  de  services.  Il  suffi- 
rait qu'on  lui  transmît  régulièrement  la  liste  des  travaux  uni- 
versitaires en  préparation.  Il  enregistrerait  les  divers  sujets  sur 
un  jeu  de  fiches  classées  selon  un  ordre  systématique.  Un 
nouveau  projet  lui  étant  communiqué,  il  s'assurerait  aussitôt 
qu'il  n'est  point  déjà  retenu  d'autre  part.  S'il  l'était,  il  mettrait 
en  rapport  les  deux  travailleurs,  qui  auraient  tout  intérêt  à 
s'entendre  pour  ne  pas  empiéter  sur  leurs  champs  de  recher- 
ches respectifs.  Une  fois  le  travail  mené  à  bonne  fin  et  publié, 
il  serait  averti  et  retrancherait  de  son  répertoire  la  fiche  cor- 
respondante. Il  serait  avisé  de  même  si  le  projet  se  trouvait 
abandonné.  Il  ne  faudrait  pas,  en  effet,  entraver  la  recherche 
sous  prétexte  de  l'organiser.  L'expérience  a  appris  que  le  cas 
se  présente  quelquefois  :  on  a  vu  tel  poème  du  moyen  âge 
devenir  «  tabou  »  parce  qu'un  savant  romaniste  avait  annoncé 
dans  la  Romania  ou  la  Zeitschrift  de  Groeber  son  intention 
d'en  donner  une  édition  critique,  qui  n'a  jamais  paru. 

Assurément  —  et  je  ne  songe  pas  à  me  le  dissimuler  —  ce 
plan  tout  schématique  donne  prise  à  plus  d'une  objection. 
Et,  tout  d'abord,  comment,  sur  la  simple  indication  d'un  titre 
—  souvent  sommaire,  parfois  vague  —  reconnaître  si  un  tra- 
vail en  préparation  n'empiète  pas  sur  quelque  sujet  déjà  retenu? 
Il  y  faudrait  sans  doute  quelque  bonne  volonté  de  part  et 
d'autre.  Les  travailleurs  seraient  invités  à  mettre  dans  leurs 
communications  le  plus  possible  de  clarté  et  de  précision;  et,  à 
l'office  même,  la  double  tâche  de  classement  et  de  vérification 
des  sujets  devrait  être  confiée  à  un  spécialiste  assez  au  fait  de 


52  —  III-5  SECTION    DE    PHILOLOGIE    ET   d'HISTOIRE 

l'état  des  recherches  pour  interpréter  sainement  les  libellés 
insuffisants. 

Une  autre  difficulté,  c'est  que  tous  les  travaux  préparés  dans 
les  universités  ne  sont  pas  nécessairement  publiés.  Ainsi  les 
mémoires  français  de  diplôme  d'études  supérieures  et  les 
thèses  belges  de  doctorat  en  philosophie  et  lettres  restent  sou- 
vent en  manuscrit.  Faudrait-il  laisser  s'accumuler  dans  le  ré- 
pertoire de  l'office  les  fiches  relatives  à  ces  travaux  demeurés 
inédits?  Cet  obstacle  non  plus  ne  paraît  pas  insurmontable. 
En  fait,  la  partie  utile  de  ces  recherches  voit  le  jour  sous  des 
formes  diverses  :  articles  de  revues,  mémoires  académiques, 
publications  libres.  Rien  n'empêcherait  de  réclamer  aux  étu- 
diants qui  auraient  recours  à  l'office  l'engagement  de  l'avertir 
au  moment  où  leur  travail  aboutirait  à  une  publication.  Au 
surplus,  on  pourrait  fort  bien,  pour  les  projets  de  ce  genre, 
prévoir  un  délai  au  bout  duquel  ceux  d'entre  eux  qui  n'au- 
raient pas  abouti  seraient  réputés  caducs  et  retranchés  du 
répertoire. 

Bien  d'autres  problèmes  d'ordre  pratique  se  présenteraient 
encore,  qui  demanderaient  un  examen  attentif.  Mais  je  n'ai 
pas  la  prétention  d'entrer  dans  le  détail  de  lege  ferenda. 
Il  me  suffit  d'avoir  posé,  dans  cette  note  hâtive,  une  question 
qui  me  paraît  digne  d'intérêt.  La  solution  que  j'ai  indiquée 
est-elle  la  meilleure?  Est-elle  même  pratiquement  réalisable? 
Je  ne  sais.  D'autres  le  diront  peut-être,  qui  ont  en  pareille 
matière  l'expérience  qui  me  fait  défaut.  Je  le  souhaite,  et 
d'avance  je  me  rallie  à  leurs  vues,  si  elles  doivent  contribuer  à 
combler  cette  regrettable  lacune  de  notre  organisation  scienti- 
fique. Aussi  bien,  la  forme  même  de  l'organisme  à  créer  im- 
porte-t-elle  assez  peu.  L'essentiel,  c'est  qu'il  rende  les  services 
qu'on  attend  de  lui,  qu'il  empêche  le  gaspillage  d'efforts  pré- 
cieux, qu'il  mette  un  peu  d'ordre  là  où  règne  aujourd'hui  la 
seule  initiative  individuelle,  avec  ses  caprices  et  ses  à-coups. 
Réalisé,  il  pourrait  devenir,  par  surcroît,  pour  ceux  qui  auraient 
recours  à  lui,  une  excellente  école  de  solidarité  scientifique. 
Et  ce  ne  serait  peut-être  pas  un  moindre  bienfait. 


IV.  —  SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE. 


Le  français,  langue  scientifique, 


Maurice  ANSIAUX, 
professeur  à  l'Université  de  Bruxelles. 


Un  jeune  économiste  allemand  me  disait  un  jour  :  «  La  langue 
française  est  trop  belle  pour  être  une  langue  scientifique.  » 

L'insinuation  semble  habilement  dissimulée.  A  la  bien  consi- 
dérer cependant,  elle  est  assez  grossière,  car  elle  ne  tend  à  rien 
moins  qu'à  prêter  aux  savants  de  langue  française  un  degré  de 
légèreté  tel  qu'ils  n'hésiteraient  point  à  sacrifier  le  fond  à  la 
forme,  à  trahir  la  pensée  au  profit  de  la  phrase. 

En  aucune  contrée  du  globe,  les  hommes  de  science  sérieux 
n'adoptent  une  attitude  semblable.  Elle  est  le  propre  de  cer- 
tains esprits  plus  ou  moins  fantaisistes,  que  l'on  rencontre  un 
peu  partout  dans  le  monde  et  qui  se  complaisent  en  un  genre  que 
l'on  pourrait  appeler  poliment  la  philosophie  littéraire. 

Osons  l'affirmer  :  jamais  la  vraie  science  ne  s'exprime  avec 
plus  de  sobriété  et  de  précision  que  lorsqu'elle  prend  la  langue 
française  comme  interprète.  Elle  use  alors  des  images  avec  une 
mesure  et  une  discrétion  que  l'on  ne  retrouverait  pas  partout, 
au  delà  des  monts,  par  exemple. 

Qu'on  le  remarque,  du  reste  :  pour  la  traduction  des  idées 

IV  1 


2  —  IV-1  SECTION    PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

abstraites,  Tutilité  des  images  ne  peut  être  mise  en  question, 
s'il  est  vrai  que  l'esprit  humain  n'est  point  uniquement  fait  de 
froide  raison  et  que  l'expérience  sensible  a  contribué,  dans  une 
mesure  incalculable,  à  le  former  et  à  l'enrichir.  L'image  judi- 
cieusement employée  aide  à  comprendre;  elle  n'obscurcit  pas, 
elle  illumine.  Sans  doute,  il  est  indispensable  de  savoir  s'en 
servir  à  propos,  et  il  n'est  donné  qu'aux  maîtres,  à  des  hommes 
de  la  taille  de  Bergson,  d'en  découvrir  de  neuves,  d'en  forger 
d'inattendues,  qui,  tout  en  projetant  la  clarté,  donnent  une  véri- 
table impression  d'art. 

Au  fond,  ce  qui  irrite  les  adversaires  de  la  langue  française, 
c'est  sa  vieille  réputation  de  clarté.  N'est-il  vraiment  pas  pos- 
sible, disent-ils,  de  s'exprimer  avec  toute  la  netteté  voulue  en 
d'autres  idiomes,  et  n'est-ce  pas  une  prétention  insupportable 
des  admirateurs  idolâtres  du  parler  de  France  de  réclamer  pour 
celui-ci  le  monopole  de  la  lucidité? 

Pour  rendre  l'accusation  plausible,  ils  l'exagèrent.  Qui  donc 
a  prétendu  que  la  science  ne  puisse  s'écrire  qu'en  français  ? 
Tout  ce  que  l'on  soutient,  c'est  que  cette  langue  en  est  le  plus 
parfait  instrument  c'est  que  le  français  est  le  vêtement  le  plus 
transparent  de  la  pensée.  Et  ici  un  exemple,  ou  plutôt  une  com- 
paraison. Ouvrons  au  hasard  un  traité  d'économie  politique, 
dont  l'auteur  est  un  savant  allemand  des  plus  réputés  :  nous  y 
lisons  qu'à  une  certaine  époque,  l'argent-métal  était  im  Mittel- 
punkt  des  Weribewusstseins.  Cela  signifie  littéralement  :  «  au 
centre  de  la  conscience  de  la  valeur.  »  Un  économiste  français, 
belge  ou  suisse  romand  eût  écrit  simplement  que  l'argent  était 
alors  l'étalon  des  valeurs  ou  encore  la  mesure  de  toutes  les 
valeurs.  Semblable  expression,  immédiatement  intelligible,  eût 
passé  inaperçue,  au  lieu  que  l'on  s'attarde  et  reste  tout  rêveur 
devant  la  formule  allemande.  D'aucuns  la  jugeront  profonde, 
penseront  qu'elle  suggère  bien  plus  de  choses  encore  qu'elle 
n'en  exprime.  En  réalité,  elle  n'est  qu'imprécise  et  flottante, 
disons  même  obscure. 

Obscur,  l'idiome  auquel  je  viens  défaire  allusion  l'est  parfois, 
et  il  convient  peut-être  de  s'étonner  de  ce  qu'à  l'aide  de  cet 
instrument  imparfait,  sous  le  rapport  de  la  mise  au  point,  le 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV-1  —  3 

travail  scientifique  et  philosopliique  ait  pu  produire  les  merveil- 
leux résultats  que  l'on  sait.  Encore  y  a-t-il  lieu  de  ne  pas  s'exa- 
gérer ceux-ci,  de  ne  pas  se  laisser  abuser  par  une  prétendue 
profondeur  qui  n'est  souvent  que  vide  et  brouillard.  Des  obser- 
vations analogues  devraient  être  faites  à  propos  de  la  prolixité 
à  laquelle  la  langue  française  ne  se  prête  qu'en  rechignant  et 
dont  plus  d'une  de  ses  voisines  s'accommode  avec  un  véritable 
excès  de  complaisance. 

A  cet  égard,  l'on  me  permettra  de  mettre  en  garde  la  jeunesse 
studieuse  contre  l'imitation  étourdie  de  l'étranger,  et  de  lui  prê- 
cher un  inviolable  attachement  aux  qualités  traditionnelles  du 
français.  Le  prestige  des  savants  d'Outrc-Rhiji  est  incontestable- 
ment immense,  bien  qu'il  n'ait  peut-être  plus  aujourd'hui  tout 
à  fait  les  mêmes  raisons  d'être  qu'il  y  a  une  vingtaine  d'années. 
Mais  on  sait  que  les  phénomènes  sociaux,  tels  que  la  renommée 
et  le  crédit,  survivent  un  certain  temps  aux  causes  qui  les  ont  fait 
naître,  ou  que,  tout  au  moins,  il  n'en  coûte  guère  autant  d'efforts 
pour  les  entretenir  et  les  conserver  que  pour  les  produire. 

Je  dirai  donc  à  la  jeune  génération  scientifique  de  n'emprunter 
à  l'Allemagne  que  ce  qu'elle  a  vraiment  d'utile  à  lui  communi- 
quer :  la  longue  patience,  la  recherche  méthodique,  le  souci 
minutieux — parfois  un  peu  excessif —  de  la  documentation, 
la  crainte  des  conclusions  hâtives,  l'aversion  pour  la  fantaisie, 
enfin,  une  forte  dose  d'esprit  critique  de  bon  aloi  —  bien  qu'il 
dégénère  de  temps  à  autre  en  querelles  personnelles  ou  en  sub- 
tilités absolument  stériles. 

Mais,  de  grâce,  qu'elle  évite  de  copier  le  reste  :  formules  nébu- 
leuses, dissertations  pédantes,  abus  des  distinctions  et  des  sous- 
distinctions  et  surtout  ces  perpétuels  revenez -y,  apparemment 
indispensables  pour  qui  écrit  en  une  langue  ne  livrant  pas  en 
une  seule  fois  toute  l'essence  de  la  pensée,  mais  qui  sont  sans 
excuse  lorsque  l'on  se  sert  de  la  langue  française. 

Puisse  notre  jeunesse  conserver  aussi  le  goût  des  idées  géné- 
rales, qui  est  chose  proprement  française  (*).  Il  est  bien  banal  de 

(*)  La  nécessité  de  cette  remarque  me  parait  s'imposer  en  présence  du 
fait  suivant.  Il  y  a  une  dizaine  d'années,  dans  un  discours  retentissant. 


4  —  IV-1  SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

rappeler  que  la  France,  héritière  de  la  Grèce  antique,  a  produit 
une  floraison  miraculeuse  de  théories,  de  généralisations,  de 
conceptions  abstraites.  Prétend-on  m'objecter  que  la  science 
moderne,  esclave  des  faits  et  ennemie  de  la  déduction,  n'a  que 
mépris  et  impatience  pour  cette  incomparable  production 
d'idées?  Je  n'aurai  pas  de  peine  à  faire  voir  que  cela  n'est  pas 
exact.  La  science  qui  observe  et  qui  induit  ne  fait,  somme  toute, 
que  vérifier  des  hypothèses.  L'observation  des  faits  abandonnée 
à  elle-même  est  radicalement  improductive,  parce  que,  suivant 
la  parole  profonde  de  Claude  Bernard,  elle  «  ne  comprend  pas 
ce  qu'elle  trouve  ».  Elle  est  impuissante  si  elle  n'a  l'idée  pour 
guide.  Sans  doute,  l'idée  se  modifie  souvent  au  cours  de  la 
recherche  expérimentale;  en  se  vérifiant  dans  les  faits,  il  peut 
arriver  qu'elle  s'élimine  complètement.  Il  n'importe;  l'investi- 
gation eût  été  impossible  sans  elle.  Pareillement,  sans  le  secours 
de  l'esprit  de  système,  les  résultats  épars  obtenus  par  l'expéri- 
mentation ne  pourraient  se  coordonner  en  une  synthèse  supé- 
rieure, génératrice  de  nouveaux  points  de  vue  et  donnant  l'essor 
à  de  nouvelles  recherches. 

Il  est  donc  vrai  qu'aujourd'hui,  comme  dans  l'antiquité, 
comme  au  xvii"  ou  au  xviii"  siècles,  le  penseur  reste  le  pionnier 
de  la  science.  Or,  sans  vouloir  exagérer  le  rôle  de  pur  instru- 
ment qu'est  celui  d'une  langue  vis-à-vis  du  travail  intellectuel, 
il  semble  évident  que,  par  sa  puissance  de  pénétration,  par  ses 
qualités  logiques,  par  les  progrès  internes  qu'elle  doit  à  une 
longue  lignée  d'écrivains  illustres,  la  langue  française  est  parti- 
culièrement apte  à  faire  pe7iser.  Elle  pousse  si  naturellement  aux 
conceptions  d'ensemble,  aux  systématisations  harmonieuses,  à 
l'organisation  par  l'esprit  des  matériaux  assemblés  par  l'expé- 
rience !  Il  ne  faut  pas  douter  qu'elle  convienne  singulièrement  à 
la  genèse  et  à  l'exposition  des  théories  scientifiques  contempo- 
raines, dont  la  complexité  et  la  «  spécialité  »  rendent  si  difficile 
l'adéquate  expression. 

mon  illustre  collègue  de  l'Université  de  Berlin,  Gustave  von  Schmoller, 
donnait  comme  mot  d'ordre  aux  économistes  :  Deiailarbeit  (travail  de 
détail). 


SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-1  —  S 

Nous  voudrions,  en  terminant,  faire  justice  d'un  reproche 
d'indigence  parfois  adressé  à  la  langue  française.  On  dénonce 
son  incapacité  à  former  des  mots  composés,  propres  à  noter 
toutes  les  modalités  originales  de  la  pensée,  comme  à  traduire 
toutes  les  imaginations  neuves  des  poètes.  A  cet  égard,  les  par- 
1ers  germains  auraient  une  supériorité  indéniable.  Toutes  les 
épithètes  homériques  n'ont-elles  pas  été  rendues  d'une  façon 
minutieusement  exacte  en  allemand,  par  simple  formation  de 
mots  nouveaux  ? 

Défions-nous  de  cette  richesse  prétendue  et  soyons  bien  con- 
vaincus qu'elle  n'est  nullement  enviable.  C'est  que  la  faculté  de 
créer  sans  cesse  des  composés  nouveaux  pousse  à  l'ambiguïté  du 
langage.  Celui  qui  les  imagine  leur  prête  une  signification  plus 
ou  moins  conventionnelle,  qui  n'est  pas  toujours  bien  comprise. 
Et,  de  là,  proviennent  équivoques  et  obscurités. 

Dans  une  langue  parvenue  à  son  entier  épanouissement,  les 
mots  nouveaux  ne  s'imposent  que  pour  désigner  des  objets  ou 
des  phénomènes  nouveaux  :  aéroplane,  dirigeable,  aviation. 
L'exemple  cité  montre  précisément  que  le  français  se  donne  tous 
les  mots  vraiment  nécessaires. 

On  fait  encore  remarquer,  avec  une  pointe  de  dédain,  qu'il  est 
réduit  à  les  tirer  du  grec.  D'abord  ce  n'est  toujours  vrai  —  le 
mot  dirigeable  vient  de  le  prouver  —  et  puis,  est-ce  un  mal?  Un 
terme  technique  ou  scientifique  tiré  du  grec  ne  peut  avoir  qu'un 
sens  :  celui  que  lui  attribue  l'art  ou  la  science  qui  le  crée.  Issu 
directement /lu  langage  courant,  il  ne  pourra  souvent  se  dégager 
qu'avec  peine  et  lenteur  de  son  imprécision  originelle.  Compa- 
rez géographie  et  Erdkunde.  Tout  Allemand  quelque  peu  instruit 
décompose  instinctivement  ce  dernier  vocable  et  comprend  tout 
de  suite  qu'il  signifie  :  connaissance  de  la  terre.  Le  voilà  bien 
avancé  !  Ou  plutôt  bien  perplexe,  car  il  éprouvera  une  réelle  dif- 
ficulté à  identifier  cette  expression  vague  et  générale  avec  la 
notion  stricte  de  cette  espèce  très  spéciale  de  connaissance  de  la 
terre  qui  étudie  le  dessin  et  le  relief  des  continents  et  des  îles, 
la  forme  des  océans  et  des  mers,  les  bassins  des  fleuves,  la  dis- 
position des  chaînes  de  montagne,  le  territoire  des  Etats  avec  ses 
divisions  administratives,  etc. 


(5 —  IV-1  SECTION  PÉDAGOGIQCE   ET   SOCIALE 

Il  est  donc  préférable  que  les  termes  techniques  n'aient  aucune 
attache  apparente  avec  le  langage  courant.  Et  si  l'on  pouvait 
adresser,  à  cet  égard,  une  critique  au  vocabulaire  français  de 
certaines  sciences,  c'est  que  l'on  y  rencontre  des  mots  ayant  un 
sens  —  ou  même  plusieurs  —  pour  le  vulgaire  :  ainsi,  en  éco- 
nomie politique,  utilité,  capital,  valeur. 

En  résumé,  loin  de  reprocher  au  français  son  inaptitude  à 
produire  à  jet  continu  des  composés,  on  doit  le  féliciter  de  ne 
posséder,  à  cet  égard,  qu'une  capacité  strictement  limitée  aux 
besoins  nouveaux,  et  d'emprunter  souvent  aux  langues  anciennes 
les  éléments  de  ses  néologismes,  circonstance  qui  assure  aux 
mots  ainsi  forgés  une  unité  parfaite  de  signification.  Et,  de  la 
sorte,  on  en  revient  toujours  à  la  clarté  française. 


IV.  —  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


La  culture  française  dans  l'éducation  féminine, 


M"»  Marie  CLOSSET, 
professeur  de  littérature  à  l'Institut  de  culture  française  de  Bruxelles. 


La  cuKure  franvaise  devrait  être  dans  notre  pays  la  base  de 
l'instruction  féminine. 

Il  faut  savoir  à  quel  point  l'interprétation  actuelle  des  pro- 
grammes gouvernementaux  s'écarte  de  cette  conception  qui  fut 
jadis  celle  d'un  régime  politique  plus  généreux,  pour  com- 
prendre les  raisons  de  la  décadence  où  nous  nous  trouvons 
aujourd'hui  :  je  parlerai,  en  premier  lieu,  de  l'enseignement 
supérieur,  des  écoles  normales  de  régentes  et  d'institutrices  qui 
envoient  chaque  année,  dans  nos  sections  primaires  et  moyennes, 
nombre  de  jeunes  filles  entre  20  et  24  ans  presque  incapables 
d'écrire  une  page  de  prose  claire  et  bien  construite  sur  un  sujet 
de  leur  compétence,  et  tout  à  fait  incapables  de  s'exprimer  avec 
une  aisance  correcte  devant  leurs  élèves. 

Cependant,  je  le  répète  :  la  langue  française  devrait  être,  en 
Belgique,  la  base  de  l'enseignement  général.  Cela  est  d'autant 
plus  important  pour  les  femmes  que  leur  progranmie  scolaire 
excluant  le  latin,  l'étude  continuelle  et  approfondie  du  français 
peut  seule  devenir  pour  elles  l'instrument  de  cette  logique,  de 


8  —  IV-2  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

ce  clair  enchaînement  des  idées,  de  cette  faculté  de  détacher 
l'essentiel  du  détail  qui  ne  nous  est  point  innée  et  que  nous 
avons,  en  raison  de  notre  nature,  tant  de  peine  à  acquérir. 

Les  garçons  travaillent  tous  les  jours,  dans  les  Athénées,  à 
mettre  du  latin  en  français  et,  inversement,  à  essayer  de  trouver 
l'équivalent  dans  le  latin,  des  formes  et  des  rapports  de  pensée 
dont  se  compose  un  texte  français.  Je  sais  bien  que  nulle  disci- 
pline intellectuelle  ne  résulte  le  plus  souvent  de  cet  exercice 
quotidien,  parce  que,  là  comme  ailleurs,  les  maîtres  manquant 
de  culture  générale,  la  pratique  du  latin  n'est  plus  pour  les 
élèves  qu'une  fastidieuse  et  dérisoire  besogne.  Cependant,  qu'un 
professeur  intelligent  s'empare  de  cette  routine  et  il  en  tirera 
pour  ses  écoliers,  malgré  tout,  une  éducation  supérieure.  Au 
moins  peut-il,  s'il  veut,  remplir  bon  nombre  d'heures  à  essayer 
de  leur  montrer  à  disposer  les  idées  par  ordre  de  valeur  et  de 
dépendance.  Et  c'est  là  un  acquis  considérable. 

Chez  les  jeunes  filles,  on  remplace  de  plus  en  plus,  dans  les 
écoles  de  régentes,  les  heures  autrefois  consacrées  à  la  lecture 
des  chefs-d'œuvre  et  à  l'histoire  a])profondie  de  la  littérature 
française  par  le  plus  sot  et  le  plus  vain  des  exercices  :  ces  leçons 
apoelées  d'Analyse  littéraire  qui  mettent  le  comble  à  notre 
incapacité  naturelle  de  penser  et  de  parler  avec  précision  et 
mesure  ! 

On  l'a  dit  très  souvent,  mais  il  faut  le  redire  ici  :  une  jeune 
personne  guidée  par  son  professeur  d'analyse  littéraire  (lui-mênle 
complètement  dépourvu  d'esprit  d'analyse  et  de  culture  fran- 
çaise), s'exerce  (à  l'âge  de  20  ans  et  sous  peine  de  n'obtenir  pas 
son  diplôme)  à  traduire,  dans  un  français  vague  et  mal  sonnant, 
une  page  de  Racine  ou  de  Taine,  à  déformer  jusqu'à  l'absurde  et 
jusqu'au  crime  les  vers  les  plus  admirables,  à  remplacer  dans 
son  esprit  et  celui  des  enfants  qu'on  lui  confiera  bientôt,  par  un 
fatras  prétentieux  et  imbécile  le  souvenir  direct  et  pur  des 
œiivres  des  grands  écrivains  ! 

Non  seulement,  il  faut  supprimer  à  tout  prix  de  nos  pro- 
grammes ces  déplorables  leçons,  mais  il  faut  les  remplacer  par 
des  heures  nombreuses  de  lecture  à  haute  voix  et  il  faut  exiger  des 
jeunes  filles  de  20  ans  qu'elles  sachent  bien  lire  et  bien  parler  le 


SECTION    PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE  IV-2  —  9 

français  avant  de  leur  permettre  de  rien  enseigner,  fût-ce  la 
physique,  fût-ce  la  couture  ! 

Mais  il  faudrait  surtout  qu'au  règlement  des  examens  de  sortie 
des  élèves  régentes  qui  concourent  dans  la  section  litléraire,  on 
introduisît  une  cote  d'exclusion  rigoureusement  observée  qui 
visât  l'élude  du  français  seul.  Faute  de  quoi,  l'on  nous  donne 
pour  de  brillants  sujets  des  élèves  qui,  ayant  obtenu  les  neuf 
dixièmes  des  points  pour  le  flamand  ou  pour  la  géographie, 
remportent  une  «  grande  distinction  »  dans  cette  section  soi- 
disant  «  littéraire  »  et  ne  peuvent  ni  écrire  ni  parler  correcte- 
ment le  français. 

Ce  qu'on  entend  ordinairement  chez  nous,  dans  le  inonde 
pédagogique,  par  la  culture  française,  est  chose  si  pauvre  et  si 
superficielle,  qu'au  lieu  de  servir  et  de  conduire  en  même  temps 
l'éducation  générale,  elle  n'y  touche  par  aucun  côté  et  ne  déve- 
loppe point  l'intelligence. 

Or,  il  faut  rappeler  une  fois  de  plus,  que  l'étude  d'une  langue 
et  particulièrement  celle  du  français  qui  fût,  qui  est,  et  qui  sera 
toujours  l'unique  truchement  des  Belges  entre  eux  et  tout  le 
savoir  humain,  suffirait,  si  l'on  s'y  prenait  largement,  à  relever 
et  à  élever  du  même  coup,  sur  le  plan  philosophique,  ces  (qua- 
rante spécialités  de  nos  programmes  dont  on  alimente,  sans  les 
nourrir,  les  cervaux  des  jeunes  gens  hommes  et  femmes. 

Il  n'est  point  rare  d'entendre  dire  que  dans  nos  universités 
même,  étudiantes  et  étudiants  se  plaignent  qu'aucune  idée  géné- 
rale n'éclaire  les  cours  de  littérature,  d'histoire,  de  philologie, 
de  grammaire...  A  plus  forte  raison,  dans  les  écoles  normales  où 
l'on  forme  les  institutrices  et  les  régentes,  la  même  inculture  se 
constate,  nécessairement  plus  profonde.  11  y  a  de  l'instruction, 
c'est-à-dire  cette  richesse  extérieure  et  lourde,  sans  rayonnement 
ni  sur  la  personne  morale  ni  sur  le  monde  des  idées.  Et  ni  l'in- 
dividualisme n'y  peut  prendre  le  point  d'appui  de  son  élan,  ni 
la  fraternité  cgalitaire  n'en  profite  :  c'est  un  bagage  inutile,  un 
amas  de  matériaux  sans  emploi,  une  u  suffisance  pure  livresque  » 
disait  Montaigne... 

<c  L'Institut  de  culture  française  «,  qui  s'ouvrira  en  octobre 
prochain,  à  Bruxelles,  et  que  le  collège  des  bourgmestres  et 


10  —  IV-2  SECTION  PÉDAGOGIQUK   ET    SOCIALE 

échevins  de  celte  ville  a  bien  voulu  honorer  de  sa  confiance  et  de 
son  appui,  est  fondé  pour  réagir  contre  cet  état  de  choses. 

Dans  sa  partie  démocratique,  il  offre  aux  jeunes  institutrices 
et  régentes  diplômées,  l'occasion  de  transformer  l'instruction 
acquise  au  cours  de  noniljreuses  années  d'études  hâtives,  en 
adhire  générale.  L'étude  de  la  langue  française,  sous  forme 
d'histoire  de  la  littérature  et  d'histoire  de  la  grammaire  et  du 
vocabulaire  français  y  tiendront  la  plus  grande  place.  Par 
['histoire  de  la  liltérature  nous  entendons  ceci  :  montrer,  en  déve- 
loppant chaque  année  quelque  point  principal  de  cette  littéra- 
ture, que  comprendre  un  livre  ou  un  auteur  et  se  cultiver  en  sa 
compagnie,  ce  n'est  pas  l'analyser  à  la  façon  des  pédants  pour  en 
classer  les  beautés  et  les  défauts,  mais  mettre  son  intelligence  avec 
une  entière  humilité  à  l'école  d'un  maître  à  penser  et  d'un  maître 
à  écrire. 

Les  cours  de  géographie  et  d'histoire  seront  faits  à  l'Institut, 
non  point  pour  accumuler  des  matières  nouvelles  dans  l'esprit 
des  jeunes  femmes  qui  les  suivront,  mais  pour  développer  en 
elles  le  goût  des  idées  générales,  l'intelligence  des  méthodes 
diverses,  l'habitude  de  s'exprimer  avec  justesse  sur  des  sujets 
élevés. 

L'ensemble  de  ces  cours  aidera  nos  étudiantes  à  sortir  (malgré 
les  programmes  officiels  inéluctables  qui  leur  seront  imposés 
dans  les  classes  dont  elles  seront  titulaires)  de  la  platitude  et  de 
la  médiocrité  qui  les  atteignent  douloureusement  dans  le  milieu 
de  leur  activité  quotidienne. 

Une  pédagogie  en  naîtra  peut-être,  dont  aucun  professeur  de 
l'Institut  de  culture  française,  n'aura  été  directement  le  protago- 
niste et  qui  aura  pour  point  de  départ  ces  principes  :  1"  que  la 
connaissance  de  la  langue  française  et  des  chefs-d'œuvre  écrits 
dans  cette  langue  est,  pour  notre  pays,  l'instrument  de  la  véri- 
table libération  de  l'intelligence  et  de  son  développement;  2°  que 
là  pratique  constante  des  idées  générales  est  le  signe  à  quoi  l'on 
reconnaît  quelqu  un  capable  d'enseigner  les  autres. 

Il  me  paraît  iiuitile  d'ajouter  à  ceci  les  rétlexions  que  me  sug- 
gère l'état  actuel  de  la  culture  française  dans  l'enseignement  pri- 
maire et  moyen  de  Belgique.  Pour  y  apporter  un  changement 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  lV-2  —   11. 

efficace,  il  faut  former  d'abord  un  bataillon  d'institutrices  et  de 
régentes  propres  à  enseigner  le  français  d'après  les  principes 
exposés  plus  haut.  C'est  par  l'enseignement  supérieur,  c'est  par 
les  professeurs  eux-mêmes  qu'il  faut  nécessairement  commencer 
toute  réforme  pédagogique. 

Celle-ci  est  de  première  importance  pour  une  nation  comme  la 
nôtre  en  qui  l'on  voit,  alliée  à  tant  de  beaux  et  puissants  instincts, 
une  si  arrogante  vanité  de  l'intelligence,  refusant  par  obstination 
et  vantardise  de  boire  à  la  coupe  toute  proche  que  lui  tend  la 
plus  généreuse  de  ses  sœurs. 


IV.  —  SECTION  PEDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


Les  meilleures  méthodes  d'enseignement  et  de  propagation 
du  français  chez  les  Arabes  de  l'Algérie, 


le  D'  Jean-Henri  PROBST, 

ancien  maître  des  écoles  arabes-françaises  d'Algérie. 


Beaucoup  d'Européens,  et  même  de  Français  métropolitains, 
paraissent  considérer  comme  particulièrement  ditiicile  l'en- 
seignement de  notre  langue  aux  sujets  musulmans  de  nos  colo- 
nies de  l'Afrique  du  Nord  (Algérie,  Tunisie,  Maroc).  Je  me  per- 
mettrai de  réfuter  tout  de  suite  celte  opinion  infondée  et 
préconçue.  • 

Les  Musulmans  du  Nord-Africain  :  Arabes  ou  Berbères 
(Kabyles,  Mozabites,  Chaouïas,  etc.),  sont  de  race  blanche,  tout 
aussi  intelligents  que  nous,  descendants  en  partie  des  Maures 
qui  ont  civilisé  l'Espagne  du  Sud  et  fait  avancer  les  sciences  au 
moyen  âge.  Ce  sont  donc  d'anciens  civilisés,  refoulés  par  les 
succès  guerriers  des  Européens  et  isolés  ensuite,  puis  tombés 
en  décadence  sous  l'influence  du  milieu  dimatérique  ou  des 
besoins  très  différents.  Ce  sont  aussi,  car  il  y  avait  des  popula- 
tions blanches  établies  sur  les  bords  africains  de  la  Méditerranée 
avant  les  migrations  musulmanes,  des  Proto-Sémites  (Gétules  et 
Numides  des  Anciens)  venus  de  l'Est  avant  l'ère  chrétienne,  des 


14  —  IV-3  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

témoins  persistants  des  invasions  romaines,  byzantines,  van- 
dales, espagnoles,  turques. 

Le  musulman  actuel  est  un  mélange  de  tous  les  éléments 
ethniques  qui  se  sont  superposés  sur  le  sol  nord-africain,  arti- 
ficiellement unis  par  la  religion  de  l'Islam  et  la  plus  ou  moins 
grande  proportion  de  termes  arabes  entrés  dans  son  vernacu- 
laire,  variable  selon  les  régions,  plus  arabe  que  berbère  ici, 
plus  berbère  qu'arabe  plus  loin,  etc.,  selon  le  degré  de  respect 
et  d'autorité  que  les  envahisseurs  arabes  ont  su  ou  pu  leur 
imposer,  conservant  le  vieux  parler  berbère  à  peu  près  inté- 
gralement dans  les  montagnes,  où  les  soumissions  étaient  peu 
sincères,  s'arabisant  plutôt  dans  les  plaines,  où  la  domination 
était  plus  facile  à  établir.  Les  idiomes  latins,  grecs,  ger- 
mains, ont  disparu,  c'est  à  peine  si  quelques  termes  déformés 
subsistent  encore  ça  et  là,  comme  «  tabourt  »  pour  «  porta  »,  et 
détonnent  au  milieu  d'un  lexique  oriental. 

Nous  avons  donc  affaire  à  des  hommes  d'une  mentalité  à  peu 
près  analogue  à  la  nôtre,  intelligents,  dont  les  idiomes  très 
riches  expriment  un  grand  nombre  d'idées,  qui  possèdent  d'in- 
téressantes littératures.  Il  ne  fallait  donc  pas  inventer  des  pro- 
cédés extraordinaires  d'enseignement  du  français. 

Les  fondateurs  des  premières  écoles  élémentaires  destinées 
spécialement  aux  indigènes,  puisqu'elles  devaient  fonctionner 
dans  des  districts  où  les  Européens  sont  rares,  le  regretté 
M.  Jeanmaire,  recteur  d'Alger,  et  M.  Bernard,  directeur  de 
l'école  normale  type  d'Alger-Bouzaréa,  aujourd'hui  directeur  de 
l'école  normale  de  la  Seine,  pédagogues  éprouvés  et  pratiques, 
élaborèrent,  avec  une  commission  de  maîtres  compétents,  des 
programmes  adaptés  aux  buts  poursuivis  et  aux  milieux  parti- 
culiers où  ils  seraient  appliqués,  dans  l'esprit  des  méthodes 
directes,  naturelles,  de  conversation  exclusive  dans  la  langue 
française  étudiée.  Pas  de  traduction,  pas  de  comparaison  entre 
les  langues  indigènes  et  la  nôtre,  mais  des  associations  d'images 
visuelles  et  des  phrases  et  des  mots  français  qui  les  représentent 
auditivement,  des  applications  sérieuses,  rationnelles,  des  pro- 
cédés employés  par  la  mère  quand  elle  apprend  à  parler  à  son 
enfant,  sorte  de  méthode  Berlitz  plus  simple,  plus  logique. 


SECTION    PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE  IV'S  —   13 

Cette  innovation  ntile,  féconde,  fut  combattue  d'abord  par  les 
partisans  de  l'ignorance  des  indigènes,  qui  paient  d'autant 
moins  la  main-d'œuvre,  exploitent  d'autant  mieux  nos  sujets, 
que  les  Musulmans  savent  moins  ce  qui  se  passe  dans  les  milieux 
ouvriers  français  et  ne  peuvent  réclamer  quand  leurs  intérêts 
sont  lésés,  mais  la  thèse  du  bon  sens,  de  l'humanité  a  triomphé 
lentement,  s'impose  enfin  aujourd'hui  par  ses  résultats  incon- 
testables et  définitifs. 

Je  ne  peux  évidemment,  et  je  le  déplore^  dire  que  la  nioilié 
des  3  millions  et  demi  d'indigènes  algériens  parle  ou  comprend 
le  français,  mais  je  crois  pouvoir  constater  que,  partout  où  les 
indigènes  ont  la  faculté  d'envoyer  leurs  enfants  à  l'école,  la 
connaissance  de  notre  langue  croit  avec  rapidité.  Dans  des  loca- 
lités, pourtant  habitées,  jadis  comme  aujourd'hui,  par  quelques 
Européens,  où  il  n'y  avait  pas  d'école,  la  proportion  des  indi- 
gènes connaissant  un  peu  de  français  était  d'un  tiers.  Elle  est 
aujourd'hui,  dix  ans  après,  des  trois  quarts.  Sauf  les  vieillards, 
réfractaircs  partout,  presque  tous  :  adultes,  femmes,  fillettes, 
garçonnets  en  marge  de  la  population  scolaire,  sont  capables  de 
répondre  à  une  question  simple,  de  donner  un  renseignement, 
de  faire  une  vente  ou  un  achat  usuel  en  français. 

L'instruction  à  l'école  est  le  principal  facteur  sans  doute,  et 
c'est  sur  lui  que  nous  allons  insister,  mais  nous  mentionnerons  : 
l'emploi  de  plus  en  plus  fréquent  d'auxiliaires,  de  manœuvres 
indigènes  chez  des  Européens  qui  ne  savent  pas  leur  langue.  Les 
indigènes  apprennent,  par  la  force  des  choses, un  certain  nombre 
de  termes,  de  mots,  de  phrases;  les  engagements  volontaires  dans 
les  corps  de  tirailleurs,  où  les  commandements  et  l'instruction 
se  font  en  français  ;  depuis  peu  l'appel  obligatoire  des  recrues 
indigènes  dans  la  proportion  d'un  dixième. Tous  ces  soldats  sorti- 
ront du  régiment  en  possession  d'éléments  sérieux,  quoique  rudi- 
mentaires,  du  français,  et  seront  fiers  de  les  transmettre  à  leurs 
parents  et  à  leurs  enfants;  enfin  la  suppression  des  interprètes. 

Revenons  à  renseignement  proprement  dit  de  l'école  spéciale 
d'indigènes,  la  seule  qui  s'adresse  à  des  enfants  complètement 
ignorants  de  notre  langue,  les  autres  pouvant  toujours  fréquenter 
les  établissements  scolaires  destinés  aux  Européens  et  se  déve- 


16 —  IV-3  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE 

lopper  en  français,  comme  dans  toutes  les  autres  matières, 
à  l'égal  de  leurs  petits  camarades  de  France,  puisque  les  pro- 
grammes des  écoles  d'Européens  sont  les  mêmes  en  Algérie  que 
dans  la  métropole. 

Les  maîtres  destinés  à  l'instruction  primaire  exclusive  des 
indigènes  sortent  de  deux  institutions  distinctes  de  l'École  nor- 
male d'Alger-Bouzaréa  :  le  Cours  normal  et  la  Section  spéciale. 
Font  leurs  études  au  Cours  normal  de  jeunes  Arabes  ou  Kabyles 
pourvus  du  certificat  d'études  primaires  et  qui  ont  passé  un  con- 
cours d'entrée.  Ils  y  restent  jusqu'à  l'âge  de  18  ans  environ, 
y  préparent  le  brevet  élémentaire  de  capacité  et  s'y  initient  aux 
méthodes  pédagogiques  de  l'enseignement  direct  par  l'aspect. 
Ils  en  sortent  avec  le  titre  de  moniteurs-indigènes  et  servent 
d'adjoints,  chargés  des  classes  inférieures  des  écoles  élémen- 
taires, aux  maîtres  français  pourvus  du  brevet  supérieur  et  du 
certificat  pédagogique.  En  général,  sortis  des  écoles  normales 
ordinaires,  ces  derniers  parachèvent  leur  formation  profession- 
nelle dans  une  année  de  séjour  à  la  Section  spéciale,  sorte  de 
quatrième  année,  se  familiarisent  avec  les  petits  élèves  indigènes 
dans  les  classes  exclusives  de  l'école  annexe,  s'initient  aux  élé- 
ments de  l'agriculture  pratique  africaine,  des  travaux  manuels 
utiles  en  pays  indigènes,  à  la  médecine  d'accidents,  aux  sono- 
rités un  peu  étranges  pour  eux  des  idiomes  arabe  et  kabyle. 

Voici  maintenant  comment  moniteurs  indigènes  pourvus  du 
brevet  simple,  sortis  du  Cours  normal,  et  maîtres  français  bre- 
vetés supérieurs,  cerlitiés  pédagogiques,  formés  à  la  Section, 
enseignent  le  français  aux  enfants  musulmans. 

Ils  s'entourent  d'objets  usuels,  ou  d'images  représentant  ces 
objets  s'il  est  difficile  de  se  les  procurer,  les  montrent  à  leurs 
élèves  en  les  leur  nommant  plusieurs  fois  en  français.  Les 
petits,  corrigés  par  les  maîtres  quand  ils  prononcent  mal, 
répètent  collectivement,  puis  individuellement.  Ils  accom- 
plissent des  actions  simples,  où  les  objets  jouent  les  rôles  des 
divers  compléments,  et  répètent  en  français  ce  qu'ils  font.  Je 
suppose,  par  exemple,  que  l'on  ait  pris  pour  thème  de  leçon  : 
la  charrue  et  monti'é  aux  petits  ce  que  sont  :  le  soc,  le  couteau, 
les  mancherons,  le  tirant,  le  sillon,  sur  une  image,  ou  mieux 


SECTION    PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE  IV-3  —  17 

dans  le  champ  ou  le  jardin  annexé  à  l'école.  On  leur  l'ait  tou- 
cher les  objets  et  répéter  à  mesure,  par  exemple  :  je  tiens,  tu 
tiens,  etc.,  les  mancherons  de  la  charrue,  pour  guider  le  soc.  — 
Les  bœufs  tirent  la  charrue  avec  leur  tête.  —  Le  laboureur 
creuse  le  sillon  avec  la  charrue.  —  La  charrue  indigène-  n'a  pas 
de  roues  et  celle  des  Européens  a  deux  roues.  —  La  charrue 
arabe  est  en  bois,  la  charrue  des  Européens  est  en  fer,  etc.  La 
leçon  porte  sur  les  substantifs  et  les  verbes  étudiés  séance 
tenante,  associés  à  des  vocables  expliqués  et  appris  les  fois  pré- 
cédentes. C'est  ainsi  que  les  verbes  guider,  creuser,  tirer  ont  été 
utilisés  pour  varier  la  leçon  et  rappeler  des  actions  importantes 
déjà  connues  antérieurement.  On  procède  par  ordres  et  interro- 
gations :  Ali,  prends  les  mancherons  delà  charrue.  —  Moham- 
med, guide  les  bœufs.  —  lousef,  regarde  la  charrUe  creuser  le 
sillon.  —  Que  fait  Ali?  Que  cherche  Mohammed  ?  Que  regarde 
lousef?  Avez-vous  vu  le  sillon?  Qui  creuse  le  sillon?  etc. 
Les  gamins  répètent  les  questions,  exécutent  les  ordres,  s'ef- 
forcent de  former  des  proportions  simples  et  de  répondre  à 
leur  maître. 

Chaque  leçon  embrasse  un  sujet  distinct,  à  vocabulaire  nou- 
veau, à  actions  nouvelles  ;  le  jardin,  la  ferme,  la  mosquée,  la 
montagne,  la  plaine,  la  mer  —  les  semailles,  le  labour,  la  mois- 
son, la  vendange  —  lesjeùx,  lâchasse,  la  pèche,  etc. 

On  passe  ainsi  en  revue  les  diverses  circonstances  de  la  vie 
usuelle,  les  milieux  et  les  objets  ambiants.  Plus  tard,  l'année 
suivante  par  exemple,  on  traite  des  sujets  plus  particuliers  ou 
moins  concrets  :  les  bijoux  de  la  femme,  les  opérations  de  la 
cuisine,  le  lissage  des  vêtements,  les  moyens  de  transport,  etc. 
On  arrive  enfin  aux  conversations  proprement  dites  sur  toutes 
sortes  de  sujets,  d'autant  mieux  que  la  lecture,  apprise  au  moyen 
de  la  méthode  de  lecture-écriture,  a  marché  de  pair  avec  l'ensei- 
;.,'nement  du  vocabulaire  et  de  la  formation  de  la  phrase.  Tous 
les  mots  des  textes  lus,  écrits,  sont  naturellement  empruntés  aux 
leçons  de  langage  déjà  bien  sues,  en  sont  une  sorte  de  revision. 

L'arithmétique,  le  dessin,  la  géographie,  entre  autres  connais- 
sances, sont  acquises  par  des  moyens  concrets,  leurs  termes 
appris  en  même  temps  qu'utilisés  ou  tracés.  Voici  une  bille, 

IV  2 


18  — IV-3  SECTIO.N   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

deux  billes,  trois  billes,  quatre  billes.  Voici  un  morceau  de 
sucre,  cinq  morceaux  de  sucre,  six  morceaux  de  sucre,  etc. 
Deux  billes  et  deux  billes  font  quatre  billes.  Ajoute  deux  billes  à 
deux  billes,  combien  cela  fait-il?  Voici  deux  billes,  combien  en 
ajouteras-tu  encore  pour  faire  quatre  billes?  etc. 

La  ligne  verticale  est  comme  le  fil  à  plomb  du  maçon  ;  la  ligne 
horizontale  est  comme  la  surface  de  l'eau;  la  ligne  oblique  est 
comme  la  pente  de  la  montagne.  —  Dans  ce  dessin,  combien  y 
a-t-il  de  lignes  obliques,  de  lignes  verticales?  Montre-moi  les 
lignes  horizontales? 

Pris  dans  un  réseau  d'associations  de  l'œil  et  de  l'oreille,  à 
tout  moment  se  servant  des  mêmes  termes  dans  différentes 
circonstances,  l'enfant  finit  par  posséder  un  vocabulaire  et  un 
mécanisme  suftisant  de  la  langue.  Il  comprend  beaucoup  de 
choses  au  bout  d'un  an,  parle  le  français  usuel  très  convenable- 
ment après  deux  ans,  au  point  de  pouvoir  parfois  suivre  la  classe 
d'Européens  correspondant  à  son  âge  ou  celle  immédiatement 
inférieure. 

Certainement  la  méthode  directe  naturelle  est  très  supérieure 
en  résultats  et  en  rapidité  à  la  méthode  de  traduction.  Elle  a 
l'avantage  d'empêcher  l'enfant  de  penser  dans  sa  langue  avant 
de  penser  dans  la  nôtre  quand  il  parle  français,  elle  évite  aussi 
le  tâtonnement.  De  plus,  les  notions  acquises  avec  elle  ne  s'ou- 
blient plus,  les  associations  verbo-visuelles  devenant  presque 
indissolubles. 

Bien  entendu  cette  méthode  directe  n'est  employée  que  pour 
dégrossir  les  enfants  totalement  ignorants  des  éléments  de  la 
langue  française,  et  on  l'abandonne  dans  les  classes  moyennes 
et  supérieure  de  l'École  d'indigènes,  où  l'enseignement  est,  à 
peu  de  chose  près,  analogue  à  celui  donné  dans  les  écoles  pri- 
maires d'Europe. 

Il  est  défendu,  dans  toutes  les  classes,  de  parler  la  langue 
indigène.  Jamais  les  maîtres,  qui  comprennent  tous  l'arabe  ou 
le  kabyle  plus  ou  moins  bien,  selon  les  régions,  ne  s'adressent 
à  un  élève  dans  sa  langue,  mais  en  français;  il  repètent  et  font 
répéter  l'ordre  ou  la  question  jusqu'à  ce  qu'ils  soient  saisis,  en 
variant  les  compléments  et  les  actions,  par  exemple. 


SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-3  —  19 

Je  suppose  que  l'ordre  de  fermer  les  livres  ait  été  donné  et 
que  Rubuli  n'ait  pas  compris.  Le  maître  fermera  ou  fera  fermer 
la  porte,  la  fenêtre,  en  disant  et  en  faisant  dire  :  je  ferme  la 
porte, ferme  la  fenêtre;  puis,  touchant  le  livre,  il  ajoutera, s'adres- 
sant  à  Rubuli  :  ferme  le  livre.  Il  est  rare  que  l'élève  n'ait  pas 
appris  en  quelques  minutes  le  sens  du  verbe  qu'il  ignorait, 
frappé  par  l'association  des  mots  et  des  actions  ou  des  objets. 

Pourquoi  les  professeurs  de  langues  vivantes  sont-ils  encore 
en  partie  attachés  à  l'ancienne  méthode  de  traduction,  et  pro- 
clament-ils fantaisiste  ou  moins  féconde  qu'on  ne  croit  la 
méthode  directe  ?  Tout  simplement,  j'en  sais  quelque  chose 
puisque  je  suis  ancien  maître  des  écoles  arabes-françaises,  parce 
qu'elle  oblige  les  professeurs  à  agir  et  à  parler  tout  le  temps 
avec  les  élèves,  ce  qui  est  fatigant  et  pénible. 

Rien  n'empêche  de  couper  par  des  pauses  les  leçons  trop 
longues,  ou  de  faire  copier  des  modèles  sans  abuser  du  repos, 
mais  il  faut  absolument,  résolument,  adopter  la  méthode  directe 
maternelle  d'enseignement  des  langues,  si  l'on  veut  obtenir  des 
progrès  durables,  importants,  plus  rapides  que  par  tout  autre 
moyen.  Elle  a  fait  ses  preuves  pour  l'étude  de  l'anglais,  de  l'alle- 
mand, de  l'espagnol,  de  l'italien. 

Nous  avons  souvent  rencontré,  dans  nos  excursions,  loin  de 
tout  centre  européen,  des  petites  filles  et  des  petits  garçons  capa- 
bles de  répondre  à  des  questions  sur.  la  route,  le  temps,  les  res- 
sources de  la  région.  Ils  avaient  tous  appris  ce  qu'ils  savaient 
de  français  avec  des  frères  ou  des  cousins,  élèves  de  nos  écoles, 
ou,  dans  les  douars  isolés  de  toute  école,  ils  étaient  les  enfants 
d'anciens  élèves.  Certainement  leurs  instructeurs  avaient  procédé 
comme  ils  l'avaient  vu  faire  plusieurs  années  par  leurs  maîtres, 
par  la  méthode  directe  d'association  de  l'objet  au  son  du  mot 
français,  de  l'action  à  la  phrase  de  notre  langue.  Ce  sont  là, 
peut-être,  après  nos  élèves,  ceux  qui  s'expriment  le  mieux.  En 
effet,  quoique  avec  moins  de  précision  et  j'ose  dire  de  correction, 
même  au  second  degré,  l'écho  de  l'enseignement  des  instituteurs 
français  garde  quelque  chose  de  progressif,  de  logique,  de  choisi, 
de  clair,  qui  manque  à  l'acquisition  fortuite,  au  hasai'd  des  pro- 
miscuités de  l'atelier,  de  la  ferme  ou  de  la  chambrée. 


20  —  IV-3  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

Il  ne  faut  pas  néanmoins  mépriser  la  propagation  du  français 
par  la  fréquentation  journalière  de  métropolitains,  en  moyenne 
peu  cultivés.  Peu  importe,  en  somme,  que  l'indigène  répète  les 
fautes  qu'il  entend  commettre  par  l'ouvrier  agricole  ou  indus- 
triel de  Lyon  ou  de  Paris,  qu'il  dise:  «  le  cintièmc  étage», 
«  je  //ai  aperçu  »,  qu'il  emploie  des  termes  d'argot  comme  : 
casquer,  briffer,  refroidir,  etc.  Dans  ce  domaine,  les  plus  hor- 
ribles sont  j)eut-être  les  tournures  traduites  directement  du 
catalan,  du  valencien,  du  provençal,  du  napolitain  en  français  : 
je  suis  été  me  promener  — je  l'ai  parlé  —  j'ai  tombé  mon  outil  ; 

—  les  altérations  méridionales  :  fais  entention  —  as-tu  carculé  ? 

—  ne  m'ensulte  pas,  etc.  Mais  l'indigène  se  fait  comprendre  et 
comprend  les  autres,  ce  qui  est  l'essentiel. 

Je  ne  peux  ici  examiner  d'autres  classes  d'expressions,  traduites 
plus  ou  moins  mal  de  l'arabe  ou  du  kabyle  en  français,  le 
mélange  de  mots  et  de  termes  italiens,  espagnols,  arabes, 
hébreux  incorporés  au  langage  néo-français  populaire  en  Algé- 
rie. M.  Louis  Bertrand,  dans  Le  Sang  des  races  et  maints  autres 
romans  curieux,  a  signalé  la  formation  d'une  race  algérienne, 
à  dominante  civilisatrice  franco-arabe,  d'un  idiome  vulgaire  néo- 
français, enricbi  de  toutes  sortes  d'apports  des  langues  romanes 
ou  sémitique  ambiantes. 

L'emploi  de  plus  en  plus  nombreux  dHndigènes  dans  les  ate- 
liers, les  chantiers,  les  fermes,  à  cause  du  meilleur  marché  de 
leur  main-d'œuvre,  sera  donc  un  deuxième  moyen  de  propa- 
gation du  français,  involontaire  sans  doute,  occasionnel,  mais 
effectif,  par  la  même  méthode  naturelle,  pratiquée  ici  avec 
une  liberté  totale,  mais  imparfaitement,  en  raison  de  l'infério- 
rité du  milieu  européen. 

L'enrôlement  dés  jeunes  musulmans  dans  nos  armées, d'abord 
volontaire,  aujourd'hui  obligatoire,  est  aussi  un  facteur  impor- 
tant d'acquisition  de  la  langue  française. 

11  ne  faudrait  cependant  pas  s'illusionner,  croire  la  victoire 
gagnée  dès  maintenant.  Si  peut-être,  dans  les  centres  et  dans  les 
régions  rapprochées  de  la  mer,  on  peut  rencontrer  la  moitié  ou 
les  trois  quarts  des  jeunes  hommes  et  des  enfants  pris  au  hasard, 
capables  de  comprendre  et  de  parler  plus  ou  moins  le  français, 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV-3  —  21 

il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  régions  de  l'intérieur,  loin  des 
centres  et  des  écoles,  cependant  répandus  un  peu  partout  jusque 
dans  le  Sahara  :  Biskra,  Touggourt,  el  Oued,  Laghouat,  Colomb 
Béchar,  etc.  Les  centres  où  se  trouvent  généralement  les  écoles 
sont,  en  effet,  séparés  les  uns  des  autres  de  100  kilomètres  et 
parfois  davantage.  Comment  les  indigènes  pourraient-ils  les 
fréquenter  dans  ces  conditions?  Seuls  peuvent  profiter  des 
commodités  qu'ils  offrent,  les  Musulmans  qui  les  habitent 
ou  cultivent  des  territoires  situés  dans  leurs  environs  immé- 
diats. 

Il  est  donc  très  nécessaire  d'augmenter  considérablement 
et  partout  le  nombre  des  écoles  d'indigènes,  sans  se  laisser 
arrêter  par  les  critiques  intéressées  et  rétrogrades  de  certains 
coloniaux. 

L'appel  des  indigènes  au  service  militaire  dans  la  proportion 
d'un  dixième  est  insuffisant  à  plusieurs  points  de  vue.  Nous 
avons  besoin,  au  Maroc,  de  troupes  denses, robustes,  acclimatées, 
endurantes,  et  nos  sujets  musulmans  algériens  peuvent  nous  les 
fournir.  Elles  remplaceront  avec  avantage,  moins  de  dépenses  et 
de  soins,  les  régiments  européens,  mal  acclimatés,  plus  délicats, 
plus  vite  fatigués.  On  n'a  pas  à  craindre,  de  la  part  des  Algériens, 
une  entente  avec  l'ennemi.  Quoique  également  Musulmans,  les 
deux  groupes  nord-africains  présentent  des  différences  de 
mœurs  et  de  races  assez  fortes  pour  les  séparer.  Voisins  cepen- 
dant, Marocains  et  Algériens  se  sont  détestes  de  tout  temps  et  se 
combattent  avec  enthousiasme.  L'augmentation  des  effectifs 
indigènes  servira  la  cause  de  la  langue  française,  surtout  si, 
comme  je  le  souhaite  on  foi-me  les  recrues  musulmanes  dans  les 
garnisons  d'Europe  avant  de  les  envoyer  terminer  leurs  trois  ans 
en  Afrique. 

Dans  cet  ordre  d'idées,  j'aimerais  que  l'exemple  de  proprié- 
taires de  Versailles  et  de  Tours  fût  suivi  plus  largement.  Ces 
intelligents  agriculteurs  font  venir  de  Kabylie  les  moissonneurs 
el  les  vendageurs  supplémentaires  qu'ils  ne  peuvent  trouver  sur 
place. 

Les  indigènes  apprendront  vite  le  français  au  contact  de  nos 
nationaux  et  se  soucieront  même  d'arriver  en   France  avec 


2-2  —  IV-3  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

un   petit  bagage  de  mots  et  de  phrases  qu'ils  augmenteront 
ensuite. 

Autre  résultat,  extérieur  à  notre  sujet,  mais  très  important  : 
les  citoyens  français  qui  ne  sont  jamais  sortis  de  chez  eux 
deviendront  plus  humains  et  plus  tolérants.  On  verra  de  moins 
en  moins  des  ouvriers  européens  chercher  querelle  aux  indigènes 
circulant  en  France.  J'ai  constaté  à  Paris,  dans  le  quartier 
d'Italie,  une  haine  très  caractérisée  contre  les  colporteurs  et  les 
journaliers  Kabyles,  pourtant  vêtus  à  l'européenne.  J'ai  entendu  . 
dire  à  des  prolétaires  parisiens  :  «  Que  viennent  faire  ici  ces 
étrangers  ?  »  Singulier  état  d'esprit  qui  sépare  deux  catégories 
de  Français,  les  uns  de  vieille  souche,  les  autres  plus  récemment 
entrés  dans  la  nation,  malgré  eux,  à  la  suite  de  guerres  où  ils 
ont  été  vaincus.  Si  les  différences  de  sang,  de  coutumes,  de 
croyances  sont  encore  trop  apparentes  pour  permettre  une 
fusion  de  ces  deux  éléments,  qu'il  y  ait  cependant  plus  de 
confiance,  de  générosité  de  la  part  des  métropolitains.  Les  indi- 
gènes sont  de  race  blanche,  ne  sont  pas  plus  mauvais  que  les 
hommes  peu  cultivés  de  toutes  les  races,  ils  sont  au  contraire 
souvent  serviubles,  patients  et  polis.  Enfin,  le  devoir  du 
vainqueur  est  de  faire  oublier  sa  victoire,  de  tendre  la  main  au 
vaincu  et,  puisqu'il  a  fait  entrer  l'indigène  dans  la  nation 
française,  il  ne  doit  pas  le  laisser  sur  le  seuil,  surtout  s'il  n'a 
pas  eu  pour  but,  en  s'emparant  du  Nord  de  l'Afrique.de  s'assurer 
seulement  des  débouchés,  mais  aussi  principalement  de  civiliser 
des  hommes  indisciplinés  et  ignorants,  de  les  appeler  au  grand 
banquet  du  progrès. 

Je  m'élèverai  aussi,  en  terminant  ce  court  entretien,  contre 
l'abus  des  interprèles  judiciaires  et  militaires.  La  langue  fran- 
çaise sera  d'autant  plus  et  mieux  parlée  dans  les  milieux 
indigènes  que  les  Musulmans  seront  obligés  d'exposer  leurs 
aff"aires  au  tribunal,  dans  les  bureaux  d'administration,  en 
français.  Il  y  a  longtemps  que  les  Anglais  rendent  la  justice  en 
anglais,  aux  Indes,  sans  l'assistance  d'interprètes.  L'Hindou  a 
intérêt  à  connaître  l'idiome  de  ses  maîtres  et  l'apprend  plus  ou 
moins  bien. 

Les  indigènes  eux-mêmes  sont  sans  doute  trop  négligents  et 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET  SOCIALE  IV-3  —  23 

réfractaires  par  imprévoyance,  ignorance,  défaut  d'occasions 
propices.  Mais  tous  les  Européens  ne  favorisent  pas  la  diffusion 
de  la  langue  française  et  désirent  même  laisser  les  Kabyles  et 
les  Arabes  dans  la  nuit  intellectuelle  complète,  pour  éviter  qu'ils 
n'élèvent  leurs  salaires  à  l'imitation  des  ouvriers  européens,  ou 
ne  se  mettent  en  grève,  quand  on  exploite  leur  naïveté  ou  leur 
timidité  individuelle.  Les  écoles  d'indigènes,  malgré  les  efforts 
remarquables  de  M.  le  recteur  d'Alger  et  du  (iouvernement 
général,  ne  sont  pas  encore  assez  nombreuses,  faute  de  crédits. 

La  circulation  des  indigènes  en  France,  entravée  par  la  diffi- 
culté d'obtenir  des  permis  de  voyage  (un  sujet  musulman  ne 
pouvait  franchir  la  mer  sans  autorisation  administrative 
souvent  refusée,  ne  pouvait  même  (juitter  sa  maison  en  Algérie), 
est  aujourd'hui  facilitée  par  de  nouveaux  décrets  plaçant  nos 
sujets  sous  le  droit  commun.  Minime  encore,  espérons  qu'elle 
sera  plus  grande  bientôt.  L'extension  du  service  militaire  à  une 
plus  forte  proportion  déjeunes  musulmans  servira  la  cause  de 
la  propagation  du  français,  surtout  si  on  se  décide  à  les  envoyer 
en  France.  Enfin  si  l'on  supprimait  les  interprètes,  plutôt  nui- 
sibles qu'utiles  à  d'autres  point  de  vue  encore  que  celui  Je 
la  diffusion  du  français  mais  dont  l'étude  sortirait  de  notre 
sujet,  on  rencontrerait  partout,  dans  les  régions  les  plus  isolées 
de  l'Algérie,  des  indigènes  parlant  le  français. 

Il  y  a  beaucoup  à  faire  dans  les  directions  indiquées;  le 
chemin  est  tracé,  il  n'y  a  qu'à  le  suivre  jusqu'au  bout. 

Quand  la  majorité  des  Arabes  et  des  Kabyles  parlera,  ou 
comprendra  tout  au  moins,  le  français,  l'Algérie  indigène  sera 
définitivement  incorporée  à  la  France.  Les  idées,  la  mentalité 
européennes  pénétreront  alors  les  masses  indigènes,  trop 
averties  alors  pour  la  révolte,  persuadées  insensiblement  de 
l'intérêt  qu'elles  ont  à  collaborer  avec  les  chrétiens.  La  connais- 
sance de  la  langue  fera  plus  pour  le  rapprochement  pratique 
des  races  que  tout  autre  facteur.  Je  suis  persuadé  que  les 
mariages  mixtes,  si  rares  aujourd'hui,  entre  indigènes  et  euro- 
péens se  multiplieront  quand  les  uns  et  les  autres  se  connaîtront 
et  s'apprécieront  mieux.  Je  dirai  même  que  l'infiuence  fana- 
tique de  certains  commentaires  maraboutiques  disparaîtra  et 


24  —  IV-3  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

que  les  Musulmans  plus  francisés  seront  moins  étroits  dans  leur 
pratique  surannée  de  l'Islam  primitif. 

Par  les  méthodes  naturelles,  directes,  de  conversation  à 
l'école  et  dans  la  vie,  propageons,  encourageons  le  français  dans 
nos  colonies,  dans  l'intérêt  de  la  coopération  des  races  à 
l'œuvre  de  paix  et  de  civilisation  humaines. 


IV.  —  SECTION  PEDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


De  l'enseignement  du  français  usuel  aux  débutants, 
en  pays  de  langue  flamande. 


M.  LENEU, 

directeur  d'école  à  Houtkerque  (France). 


I.  —  Conditions  de  l'école  française  en  pays  flamand. 

Dans  un  pays  centralisé  comme  la  France,  où  l'unité  nationale 
est  si  puissante,  il  est  légitime  d'exiger  que  tous  comprennent  la 
langue  nationale  et  s'expriment  dans  cette  langue,  au  moins  dans 
les  circonstances  publiques  de  la  vie.  Aussi  le  règlement  des 
écoles  comporte-t-il  cette  prescription  :  le  français  est  seul  en 
usage  dans  les  classes. 

Pour  la  grande  majorité,  le  français  est  la  langue  maternelle  et 
d'usage  courant.  Il  existe  pourtant  des  régions  françaises  où  per- 
sistent des  idiomes  particuliers.  Telle  la  Flandre  flamingante, 
c'est-à-dire  la  majeure  partie  des  arrondissements  de  Dunkerque 
et  d'Hazebrouck.  Là,  le  flamand  est  d'usage  courant,  et  la  puis- 
sance de  la  tradition  est  telle  que  des  personnes  causant  parfai- 
tement le  français  parlent  le  flamand  dans  leurs  familles  et  en 
font  la  langue  maternelle  de  leurs  enfants.  On  peut  dire,  sans 
exagération,  que,  à  l'exception  des  villes  où  le  français  est  plus 
répandu,  les  petits  Flamands  entrent  à  l'école  sans  connaître  les 


26  —  IV-4  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

premiers  éléments  du  français.  Dans  la  commune  où  j'exerce, 
village  éloigné  de  tout  centre  et  resté,  par  suite,  purement  flamand, 
l'école  des  garçons  reçoit,  bon  an,  mal  an,  douze  nouveaux  élèves. 
Depuis  six  ans  que  je  suis  chargé  de  la  direction  de  l'école,  je  n'ai 
trouvé  que  trois  petits  garçons  qui  comprenaient  le  français  à 
leur  arrivée  :  l'un  était  né  à  Lille  et  y  avait  habité  jusqu'à  l'âge  de 
o  ans;  les  deux  autres  étaient  fils  de  douaniers  et  avaient  passé 
leur  première  enfance  en  pays  de  langue  française. 

Bon  nombre  d'habitants  pourtant  sont  capables  de  s'exprimer 
en  français;  certains  même  ont  reçu  une  instruction  avancée  et 
comprennent  les  avantages  qu'il  y  aurait  pour  leurs  enfants  à  être 
initiés,  dans  la  famille,  à  la  langue  nationale. 

Personne  ne  s'y  résout,  et  l'école  reste  la  seule  initiatrice  à  la 
langue  française.  L'écolier  est  Français  à  l'école  six  heures  par 
jour  et  cinq  jours  par  semaine.  De  retour  dans  sa  famille,  il  rede- 
vient Flamand.  La  première  éducation  se  fait  donc  en  langue 
flamande,  par  des  Flamands,  dans  un  village  flamand.  Ce  sont  des 
conditions  bien  défavorables  pour  l'école  française,  mais  il  faut 
les  accepter  telles,  dans  l'impossibilité  oii  l'on  se  trouve  de  les 
modifier. 

IL  —  La  tache  du  maithe. 

La  tâche  du  maître  à  qui  sont  confiés  ces  jeunes  enfants,  sa 
principale  préoccupation,  sera  de  leur  faire  revivre  en  français 
leur  première  enfance,  c'est-à-dire  de  leur  permettre  d'exprimer 
en  langue  française  leurs  idées,  leurs  actions,  leurs  sentiments 
qu'ils  savent  déjà  rendre  en  flamand.  La  seconde  partie  de  cette 
tâche,  l'étude  des  premières  notions  de  lecture,  d'écriture, 
de  calcul  est  bien  moins  importante  à  nos  yeux.  Les  jeunes 
élèves  qui  entrent  dans  les  écoles  rurales  de  Flandre  font  partie 
d'un  cours  spé('ial  que  j'appellerais  volontiers  :  cours  d'initiation 
au  français  usuel.  Ils  commencent  leurs  études  par  celle  d'une 
langue  vivante. 

III.  —  La  méthode. 

Quelle  méthode  employer  pour  arriver  rapidement  et  sûrement 
à  une  connaissance  du  français  usuel?  Comme  cela  se  pratiquait 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCULK  IV-4  —  27 

autrefois  dans  les  classes  de  langues,  où  les  versions  et  les  thèmes 
étaient  les  exercices  indispensables,  il  semble,  au  premier  abord, 
qu'il  faille  enseigner  le  français  par  une  traduction  du  flamand. 
Cette  méthode,  aujourd'hui  complètement  délaissée,  présentait 
de  graves  inconvénients  et  les  résultats  en  étaient  plutôt  problé- 
matiques. Elle  suppose,  chez  le  maître  comme  chez  l'enfant,  la 
connaissance  du  flamand  qu'il  faut  traduire. 

Or,  l'enfant  de  o  ans,  qui  ne  sait  ni  lire  ni  écrire,  ni  en 
français  ni  en  flamand,  et  qui  doit  recevoir  un  enseignement 
purement  oral,  ne  sait  guère  mieux  le  flamand  que  le  français; 
son  vocabulaire  est  très  restreint,  comme  sa  vie  peu  compliquée. 
Le  maître  peut  connaître  le  flamand  s'il  est  du  pays.  Mais  ne 
sera-t-il  pas  tenté  de  s'en  servir  souvent,  et  plus  qu'il  ne  con- 
viendrait, quand  il  éprouvera  des  diflicullés  pour  se  faire  com- 
prendre? Et  l'enfant  qui  attendra  une  traduction  flamande  de  ce 
qu'il  ne  comprend  pas  en  français,  fera-t-il  les  efforts  néces- 
saires pour  arrivera  la  compréhension  de  la  langue  nationale? 
D'autre  part,  enseigner  le  français  par  une  traduction  du  flamand 
suppose  qu'on  place  les  deux  langues  sur  un  pied  d'égalité  Tel 
n'est  pas  le  cas  en  France,  qui  n'est  pas  un  pays  bilingue.  Le  fla- 
mand de  France  n'est  qu'un  dialecte  local,  qui  se  parle  mais 
s'écrit  peu  ou  point.  Nombre  de  Flamands  sont  incapables 
d'écrire  ce  qu'ils  disent.  Il  n'y  a  ni  écoles,  ni  livres,  ni  revues 
en  flamand  français.  Le  flamand  est  et  restera  le  langage  usuel 
de  la  famille,  de  la  petite  patrie  locale  à  laquelle  on  est  si  forte- 
ment attaché,  la  langue  des  intérêts  locaux,  des  relations 
étroites,  mais  il  doit  laisser  le  pas  à  la  langue  nationale. 

IV.  —  L.V   MÉTHODE    DITE    «   MATËliNELLE    ». 

La  méthode  actuellement  en  usage  dans  nos  classes  pour 
l'étude  du  français  est  dite  «  maternelle  »,  en  ce  sens  qu'elle 
répète  l'œuvre  de  la  mère  dans  l'initiation  de  son  enfant  au  lan- 
gage. Examinons-la. 

Par  les  sens,  l'enfant  a  déjà  acquis  une  foule  de  connaissances 
avant  de  pouvoir  s'exprimer  par  des  mots.  Il  connaît  son  père, 
sa  mère,   son  frère,  les  objets  d'usage  courant,  son  biberon, 


28  —  IV  4  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

son  berceau,  ses  jouets.  Il  s'est  hasardé  à  tirer  la  queue  du  chien, 
du  chat,  bien  avant  de  prononcer  :  papa!  toutou!  La  mère  a 
assisté,  dirigé  peut-être,  cet  éveil  de  l'intelligence;  dès  que  le 
père  paraissait,  elle  s'écriait  en  le  montrant  :  «  papa  !  »  Et  dans 
le  cerveau  de  cet  enfant  de  quelques  mois,  l'image  du  père  cor- 
respondait, depuis  longtemps  déjà,  au  mot  :  papa,  quand,  triom- 
phant, un  beau  jour,  il  bégaya  :  «  papa  !  » 

Si  nous  voulons  analyser  cet  acte  d'éducation,  nous  trouvons 
qu'il  y  a  eu  d'abord  vue  de  l'objet  par  l'enfant,  puis  audition  du 
nom  donné  par  la  mère,  association  de  ces  deux  sensations, 
l'une  visuelle,  l'autre  auditive,  enfin  répétition  du  mot  entendu 
à  la  vue  de  l'objet,  puis  souvenir. 

Telle  est  la  méthode  maternelle  dans  l'enseignement  du  lan- 
gage, méthode  toute  naturelle  et  infaillible  que  la  mère  a  trouvée 
avec  son  cœur,  bien  plus  qu'avec  son  intelligence. 

C'est  cette  méthode  qu'a  préconisé  l'Inspecteur  général  Carré  ('). 
11  la  définit  ainsi  : 

1°  Aller  directement  des  objets,  de  leurs  qualités  aux  noms 
(substantifs,  adjectifs)  qui  les  représentent  ; 

2°  Des  actes  accomplis  sous  les  yeux  de  l'enfant,  ou  par  l'en- 
fant lui-même,  aux  verbes  qui  en  sont  l'expression. 

Méthode  essentiellement  active  et  expérimentale,  elle  fait  de 
l'observation  des  choses  et  des  faits  la  base  de  l'enseignement 
du  langage  et  a  les  meilleurs  effets  sur  la  formation  de  l'esprit. 
Elle  permet  au  petit  Flamand  d'exprimer  au  bout  de  quelques 
mois  les  menus  faits  de  sa  vie  écolière  et  enfantine. 

V.  —  Application.  L'EXEiiCiCR  de  langage. 

Dans  les  cours  d'initiation  au  français,  l'exercice  scolaire  prin- 
cipal est  l'exercice  de  langage,  la  classe  étant  tout  entière  orientée 
vers  le  but  de  faire  comprendre  et  parler  le  français. 

Cet  exercice  consiste  : 

1»  dans  la  présentation  d'un  objet  par  le  maître,  qui  en  indique 

(')  Méthode  de  langage,  de  lecture,  d'écriture,  de  calcul.  Editeur  A. 
Colin,  Paris. 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV-4  —  29 

le  nom  ou  la  qualité,  nom  ou  qualité  immédiatement  répété  par 
les  élèves  collectivement  et  individuellement; 

i2°  dans  l'exécution  d'une  action  par  le  maître  ou  par  les 
élèves,  action  que  le  maître  exprime  par  un  verbe  et  que  les 
élèves  expriment  à  leur  tour  en  l'exécutant,  s'il  y  a  lieu. 

Exemple  :  Soit  une  leçon  sur  ce  thème  :  l'ardoise,  le  crayon, 
écrire,  effacer  : 

a)  Le  maître  montre  une  ardoise  et  dit  :  «  une  ardoise  ».  Les 
élèves  regardent  et  répètent  :  «  une  ardoise  »,  en  s'efforçant 
d'articuler  lentement  et  exactement; 

b)  Le  maître  présente  un  crayon  :  «  un  crayon  ».  Les  élèves 
voient  et  répètent  :  «  un  crayon  »  ; 

c)  Le  maître  écrit  sur  l'ardoise  et  dit  :  «  Le  maître  écrit  ».  Les 
enfants  voient  et  disent  :  «  Le  maître  écrit  »; 

d)  Le  maître  efface  l'ardoise,  disant  :  «  Le  maître  efface  ».  Les 
élèves  répètent  :  «  Le  maître  efface  ». 

Chacune  des  parties  de  la  leçon  est  répétée  plusieurs  fois, 
autant  qu'il  est  nécessaire  pour  que  tout  le  monde  comprenne  et 
parle. 

Voilà  un  exercice  de  langage  très  simple.  C'est  une  étude  de 
vocabulaire  et  de  construction  par  l'observation,  l'audition  et 
l'expression  orale.  Les  sens  y  jouent  un  grand  rôle  :  on  voit,  on 
entend,  on  parle.  La  mémoire  enregistre  les  sensations  et  les 
mots  qui  les  expriment. 

L'exercice  de  langage  consiste,  comme  on  voit,  dans  la  présen- 
tation d'un  objet  avec  expression  correspondante.  Il  faut  donc  des 
objets,  et  beaucoup.  Pas  de  difficulté  quand  il  s'agit  de  tout  ce 
qu'on  voit  dans  la  classe,  de  l'enfant,  du  corps,  des  vête- 
ments, etc  ;  on  a  tout  sous  la  main.  Mais  après?  Après?  Il  faut 
constituer  un  musée  scolaire,  mais  un  musée  d'un  caractère 
spécial.  Ce  n'est  pas  un  musée  scientifique,  où  le  chlorate 
de  potasse  voisine  avec  la  pile  électrique,  mais  un  musée 
qui  contiendra  des  objets  de  toute  nature,  où  la  toupie  de 
l'écolier  trouvera  place  à  côté  du  marteau  de  menuisier,  du  dé 
de  la  couturière.  Rien  de  plus  simple  que  la  constitution  d'une 


30  —  IV-4  SECTION   PÉDAGOGIQIE  ET   SOCIALE 

telle  collection.  Invitez  les  enfants  à  apporter  à  l'école  tous  les 
objets  dont  ils  peuvent  disposer,  et  vous  serez  bientôt  trop  riche, 
au  point  de  vous  imposer  un  choix.  Quand  on  manquera  d'objets, 
l'image  y  suppléera,  non  de  jolies  gravures  artistiques,  mais  de 
simples  dessins,  faits  par  le  maître  au  besoin.  Si,  avec  leur  aide 
on  arrive  à  faire  parler  les  élèves,  le  but  est  atteint. 

Dans  cette  étude  du  nom  des  choses,  on  ne  séparera  jamais  le 
nom  de  l'article  ou  de  l'adjectif  déterminatif  qui  doit  l'accompa- 
gner. Les  élèves  y  gagneront  la  notion  du  genre,  du  nombre, 
comme  l'idée  qu'ajoutent  aux  noms  les  adjectifs  démonstratifs, 
possessifs,  numéraux.  L'étude  du  verbe  accompagne  celle  du 
nom,  les  élèves  agissant  et  exprimant  leurs  actes.  Mais  conjuguer 
un  verbe  est  chose  difticile  à  cause  des  nuances  de  mode,  de 
temps,  de  personne  et.de  nombre.  Il  faut  procéder  avec  ordre. 
D'abord  on  se  bornera  au  mode  indicatif  et  au  temps  présent.  On 
commencera  par  la  troisième  personne.  Un  élève  qui  comprend 
déjà  un  peu  le  fran(,'ais  se  trouvant  devant  ses  camarades,  le 
maître  commande  :  «  Levez  le  bras  ».  L'écolier  obéit.  A  la 
demande  du  maître,  un  autre  élève  exprime  l'action  accomplie  : 
«  Pierre  lève  le  bras  ».  Les  élèves  répèlent  à  leur  tour.  L'étude 
de  la  première  personne  vient  ensuite.  Pierre  lève  le  bras  et  dit  : 
«  Je  lève  le  bras  ».  Différents  élèves  agissent  successivement  et 
expriment  individuellement  leurs  actions  à  la  première  per- 
sonne. On  passe  ensuite  à  la  deuxième  personne.  Pierre  levant  le 
bras,  le  maître  lui  dit  :  «  Tu  lèves  le  bras  ».  Des  élèves  accorii- 
plissent  diverses  actions,  le  maître  ou  un  élève  s'adressant  à  eux 
dit  :  «  Tu...  ».  Cette  distinction  des  trois  personnes,  qui 
demande  au  début  quelque  attention,  est  vite  apprise,  tellement 
elle  est  naturelle.  Le  pluriel  s'apprend  de  même,  et  la  conju- 
gaison d'un  temps  est  possible,  surtout  si  l'on  a  soin  de  toujours 
mimer  l'action  accomplie.  On  étudie  de  même  façon  les  temps 
passé  et  futur. 

Dès  que  les  élèves  sont  quelque  peu  familiarisés  avec  les 
noms  et  les  verbes,  on  commence  l'étude  de  l'adjectif  par 
l'indication  de  la  couleur,  des  formes  des  choses.  Par  compa- 
raison, ils  diront  que  Louis  est  petit,  que  Paul  est  grand,  que  la 
porte  est  ouverte  ou  fermée.  Par  comparaison  encore,  ils  étudie 


SECTION  l'ÉDACOCIgUE  ET  SOCIALE        IV-4  —  31 

ront  les  adjectifs,  les  verbes  ou  adverbes  et  comprendront  : 
marcher  vite,  lentement,  parler  haut,  bas,  etc. 

La  préposition  viendra  à  son  tour;  les  élèves  verront  et  diront  : 
monter  sur  la  table,  jouer  dans  la  cour;  pour  cette  étude  le 
maître  devra  s'établir  un  programme  d'enseignement  en  rapport 
avec  l'âge  et  la  culture  de  ses  élèves.  Les  ouvrages  de  M.  Carré 
en  comportent  un  parfaitement  approprié  à  de  jeunes  enfants. 

Au  fur  et  à  mesure  des  progrès  des  élèves,  l'exercice  de  langage 
se  complique.  De  petites  scènes  servent  de  thème  à  la  leçon,  et 
toujours  l'action  accompagne  la  parole.  Elles  peuvent  varier  à 
l'infini;  citons-en  quelques-unes: 

Henri  se  lave  les  mains.  —  Paul  se  peigne.  —  Jean  cire  ses 
chaussures,  etc.,  etc. 

La  leçon  de  lecture  sera,  elle  aussi,  préparée  de  semblable 
façon,  participant  puissamment  à  l'étude  de  la  langue. 

A  une  telle  discipline,  nos  élèves  arrivent,  en  général,  en  un 
an,  à  pouvoir  s'exprimer  en  français.  Ils  comprennent  leur 
maître  et  leiirs  camarades.  Ils  sont  capables  d'aborder  les  pro- 
grammes du  cours  élémentaire.  Alors  commencent  pour  eux  les 
études  normales  de  français. 

Nous  ne  nous  faisons  pourtant  pas  d'illusions.  Nos  élèves 
parlent  le  français,  mais  un  français  réduit  à  l'indispensable. 
Nombreux  sont  les  termes  qui  leur  manquent,  comme  les  idées 
d'ailleurs.  Leurs  études  ultérieures  leur  permettront  de  combler, 
au  moins  en  partie,  les  lacunes  de  leur  éducation  première, 
mais  cette  condition  du  flamand  comme  langue  maternelle  et 
comme  langue  usuelle  sera  pour  eux  une  cause  d'infériorité. 

VI.  —  Après  l'école. 

Pour  parer  dans  la  mesure  du  possible  à  cet  état  d'infériorité 
originelle,  le  maître  s'attachera  à  développer  les  œuvres  post- 
scolaires:  cours  d'adultes,  conférences,  bibliothèques  scolaires. 
Il  s'efforcera  de  faire  de  l'école  le  foyer  intellectuel  dont  la  bien- 
faisante influence  rayonnera  sur  la  commune  tout  entière. 

C'est  l'œuvre  que  poursuit  également  le  «  Comité  du  nord  de 


32  —  IV-4  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

la  France  pour  l'extension  de  la  langue  française».  «Respectueux 
des  traditions  il  ne  combattra  pas  les  dialectes  flamands...,  mais 
il  fera  pénétrer  dans  l'esprit  des  Français  de  Flandre  ce  que  notre 
langue  nationale  apporte  avec  elle  de  loyal,  de  clair,  de  lumi- 
neux et  de  bienveillant.  » 


IV.  —  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


Les  Wallons  en  Campine, 


M'M  Emma   LAMBOTÏE. 


Peut-être  V Association  pour  l'extension  et  la  culture  de  la 
langue  française  pourra-t-elle  remédier  à  une  chose  que  je  vais 
exposer  ici. 

Les  nouveaux  charbonnages  de  la  Campine  ont  fait  appel  à 
des  houilleurs  wallons.  Charbonnages  de  Ressaix  à  Winterslag, 
André-Dumont  à  Waterscheid ,  des  Liégeois  à  Schwartberg 
(hameau  qui  dépendent  de  Genck)  et  charbonnages  d'Aech,  près 
de  Genck. 

Les  enfants  des  houilleurs  wallons  vont  à  des  écoles  entiè- 
rement flamandes,  celle  de  Genck  ou  celle  des  petits  frères  hol- 
landais d'Aech.  Un  instituteur  communal  de  Genck  a  déclaré 
qu'il  leur  fallait  un  an  avant  de  comprendre  quoi  que  ce  soit. 
C'est  comme  si  on  leur  parlait  iroquois.  Non  seulement,  à  ce 
régime,  ils  oublient  ce  qu'ils  savent  de  français,  mais  ils  oublient 
aussi  leur  dialecte  wallon  ;  bientôt  ils  ne  comprendront  plus 
ceux  des  leurs  restés  là-bas,  ils  ne  comprendront  plus  leurs 
grands-parents. 

En  France,  un  wallon  se  sent  chez  lui;  en  pays  flamand, 
il  est  exilé;  question  de   langue;  or,  on  s'applique  dans  le 


31  —  lV-5  SECTIOiN    PÉDAGOGIOUE    ET    SOCIALE 

pays,  à  creuser  davantage  le  fossé.  Quand  nos  wallons  de  Genck 
reconduisent  à  la  gare  des  membres  de  leur  famille  qui  leur  ont 
■fait  visite,  ils  pleurent,  paraît-il,  en  se  séparant,  comme  s'il 
s'agissait  pour  eux  de  vivre  chez  les  antropophages. 

Leurs  enfants,  plus  tard,  seront  sujets  flamands;  sujets 
tlamands,  hélas,  et  nous  n'avons  déjà  pas  trop  de  population  en 
Wallonie  ! 

L'école  de  Genck  est  insuffisante  ;  on  va  en  ouvrir  une  pour 
les  hameaux  de  Winterslag  et  de  Waterscheid.  Nous  savons  bien 
qu'en  pays  flamand  l'instruction  actuellement  est  surtout  fla- 
mande, mais  nous  voudrions  qu'à  cette  nouvelle  école,  destinée 
surtout  à  la  colonie  wallonne,  une  part,  la  plus  large  et  non  l'ac- 
cessoire, fût  faite  au  français. 

Si  le  gouvernement  ne  l'accorde  pas,  que  les  charbonnages  — 
qui  sont  riches,  et  dont  la  plupart  des  administrateurs  sont 
wallons  — .créent  une  école  libre,  école  qui  serait  d'ailleurs 
subsidiée  au  même  titre  que  les  écoles  catholiques. 

II  n'y  a  pas  qu'une  question  d'intérêt  dans  la  vie! 

La  situation  actuelle  est  intolérable.  Il  faudrait  que  nos  wallons 
de  Genck  eussent  au  moins  l'illusion  d'être  dans  leur  pays.  Or 
voici  à  quoi  je  voulais  en  venir.  Ces  bouilleurs,  ces  pères  de 
famille  ne  devraient  prendre  d'engagement  aux  nouveaux  char- 
bonnages que  sur  la  promesse  formelle  d'une  instruction  fran- 
çaise pour  leurs  enfanis. 

Pour  que  l'on  ne  m'accuse  pas  de  partialité,  en  l'occurrence,  en 
ma  qualité  de  wallonne,  je  dirai  qu'une  Hollandaise,  M"""  Neel- 
Doff,  dont  je  fus  l'bôte  récemment  à  sa  campagne  de  Genck, 
était  indignée  de  voir  faire  de  nos  petits  wallons  des  espèces  de 
bâtards,  des  êtres  disgraciés  qui  ne  parleront  plus,  bientôt,  que 
le  flamand  de  la  Campine. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  je  tenais  à  vous  dire  ;  s'il  y  a  de  légères 
■(îrreurs  dans  les  noms  des  charbonnages  que  j'ai  cités,  cela  n'a 
pas  d'importance;  l'idée  et  les  faits  restent  les  mêmes. 


IV.  —  SECTION  PEDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


De  la  part  qu'il  convient  de  faire,  dans  l'enseignement 

des  pays  de  langue  française, 

à  la  lecture  des  écrivains  régionaux. 


R.    GALLET, 

professeur  à  l'Athénée  roj-al  de  Charleroi. 


L'enseignement  de  la  langue  et  de  la  littérature  françaises, 
aux  divers  degrés,  a  soulevé,  depuis  quelques  années,  dans  la 
presse  et  les  milieux  pédagogiques  des  discussions  souvent  vives, 
suscitant  elles-mêmes,  nombre  de  projets  et  d'initiatives  auxquels 
notre  Fédération  ne  pouvait  demeurer  étrangère.  On  se  souvient 
qu'au  Congrès  de  1905,  M.  Reinach  se  demandait  s'il  n'y  avait 
pas  lieu  de  substituer  la  lecture  des  prosateurs  du  xvin»  siècle  à 
celle  des  prosateurs  du  xvn*  et  qu'en  1908,  à  Arlon,  M.  Hansen 
établissait  l'avantage  qu'il  y  aurait  dans  les  pays  bilingues  à 
réserver  le  premier  rang  aux  écrivains  modernes  dans  l'en- 
seignement du  français.  Il  nous  faut,  d'ailleurs,  reconnaître 
qu'en  celte  matière  les  programmes  d'études  et  les  procédés 
didactiques  ont  subi,  tant  en  France  qu'en  Belgique,  d'heureux 
changements.  On  secoue  la  poussière  des  méthodes  tradition- 
nelles; on  se  rend  mieux  compte  du  but  à  atteindre  et  partant, 
on  élargit  et  on  facilite  les  voies  qui  y  conduisent. 


36  —  IV-6  SECTION    PÉDAGOGIQLE    ET    SOCIALE 

Combien  éloignée,  en  effet,  nous  semble  aujourd'hui  le 
temps  où  seuls  avaient  accès  dans  nos  classes  les  écrivains  du 
xvn«  siècle,  parce  que  ceux-là,  seuls,  passaient  pour  être  aptes 
à  former  le  goût  littéraire  de  la  jeunesse,  à  l'initier  à  l'art  de 
parler  et  d'écrire  :  c'est  tout  au  plus  si  quelques  rares  fragments 
insérés  dans  l'anthologie  apprenaient  à  l'élève  que  Racine, 
Corneille,  La  Fontaine,  Molière,  Boileau  et  quelques  autres,  ne 
constituaient  pas  tout  le  patrimoine  intellectuel  de  la  nation 
française.  Il  n'y  a  pas  si  longtemps  que  l'enseignement  subissait 
encore  l'intluence  de  l'ancienne  rhétorique  prétendant  que  tout 
d'abord  il  fallait  se  faire  une  théorie  de  l'art,  fournir  à  l'intel- 
ligence une  série  de  modèles,  puis,  aux  lumières  de  cette 
théorie  et  de  ces  modèles,  juger  les  écrivains  et  les  œuvres. 
«  Qui  connaît  les  anciens  et  notre  grand  siècle,  disait  Nisard, 
a  trouvé  dans  l'ordre  de  l'esprit  son  idéal,  sa  règle,  et  s'il  est 
professeur,  son  autorité.  » 

Lorsqu'on  1885,  les  rédacteurs  des  programmes  de  l'ensei- 
gnement secondaire,  en  France,  autorisèrent  la  lecture  des 
auteurs  du  xix"  siècle,  ils  crurent  devoir  entourer  de  recomman- 
dations expresses  cette  innovation  pédagogique  en  prescrivant 
aux  maîtres  de  «  n'admettre  un  écrivain  qu'avec  la  plus  grande 
prudence  ».  Un  esprit  plus  large  anime  aujourd'hui  les 
méthodes  et  les  livres;  tout  en  faisant  connaître  dans  une 
certaine  mesure  la  littérature  du  moyen  âge  et  celle  du 
xvin'  siècle,  l'école  se  préoccupe  de  former  des  âmes  modernes  et 
ouvre  toutes  grandes  à  Hugo,  à  Vigny,  à  Musset,  à  Gautier,  à 
Balzac,  à  Flaubert,  des  portes  qui  leur  furent  si  longtemps  et  si 
injustement  fermées. 

En  faut-il  conclure  que  l'enseignement  secondaire  ne  doit 
pas  se  préoccuper  des  écrivains  de  second  ordre  et  que  seuls, 
méritent  de  fixer  l'attention  ceux  qui,  dans  leurs  proses  et 
■leurs  vers,  traduisent  les  émotions  générales  de  l'humanité  ou 
expriment  sur  le  monde,  la  vie,  la  conscience,  leurs  vues 
particulières.  A  côté  de  ces  ouvrages  qui  offrent  un  intérêt 
permanent,  parce  qu'on  y  trouve  un  fonds  commun  d'idées 
et  de  sentiments,  ne  pourrait-on,  dans  l'explication  littéraire, 
faire  une  place  un  peu  plus  large  à  ces  conteurs  et  à  ces  poètes 


SECTION    PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV  6  —  37 

qui  s'attachent  avant  tout  à  être  de  leur  pays  et  trouvent  dans 
l'amour  qu'ils  lui  conservent  une  source  intarissable  de  sou- 
venirs touchants,  de  pittoresques  ou  vigoureuses  peintures. 
N'a-t-ellc  pas  une  part  de  vérité  cette  parole  de  Th.  Gautier, 
écrivant  dans  la  préface  des  Grotesques  :  «  On  se  laisse  trop  facile- 
ment aller  à  cette  croyance  qu'un  siècle  littéraire  est  rempli  par 
les  cinq  ou  six  noms  radieux,  qui  en  survivent.  Vues  à  distance, 
ces  grandes  images  s'isolent,  et  il  semble  qu'elles  n'aient  eu  rien 
de  commun  avec  leurs  contemporains.  On  dirait  que,  pour 
s'épargner  la  peine  de  juger  les  titres  de  chacun,  on  adopte  un 
écrivain  quelconque  pour  se  débarrasser  des  autres. «  Aujourd'hui 
que  l'éclectisme  et  la  variété  s'imposent  dans  le  choix  des  lec- 
tures et  des  analyses,  nous  exciterons  l'intérêt  en  faisant  con- 
naître quelques-unes  de  ces  oeuvres  régionales  qui  complètent 
la  physionomie  littéraire  d'un  temps,  œuvres  éminemment 
représentatives  de  la  race,  puisqu'un  fervent  amour  du  sol  natal 
les  anime  et  que  le  sens  des  réalités  s'y  confond  souvent  avec  un 
idéalisme  naïf  et  rêveur. 

«  C'est  quelque  chose  déjà  que  d'avoir  un  pays,  un  coin  de 
terre  ami  et  qui  est  nôtre,  et  dont  on  peut,  à  tout  instant, 
évoquer  l'image,  faite  de  choses  familières  et  qui  n'ont  pas 
changé  »,  écrivait  un  jour  R.  Doumic.  Il  semble,  en  effet,  que, 
dans  la  patrie  commune,  ceux-là  ont  une  petite  patrie  à  eux,  à 
laquelle  ils  sont  peut-être  plus  profondément  attachés  qu'à  l'autre, 
parce  que  les  premières  joies,  comme  aussi  les  premières  peines, 
laissent  surtout  dans  l'âme  les  impressions  fortes  et  durables, 
tantôt  infiniment  douces,  tantôt  attristées  et  poignantes.  Ces 
écrivains  régionaux,  dans  leurs  récits  et  leurs  poèmes,  ne  se  con- 
tentent pas,  d'ailleurs,  de  décrire  le  coin  de  pays  qui  leur  est 
cher;  ils  en  évoquent  volontiers  les  traditions,  l'esprit,  les  cou- 
tumes et  tout  ce  vieux  fonds  de  croyances  naïves  ou  de  principes 
rigides  qu'ont  transmis  les  aïeux.  Aussi  ces  œuvres  d'inspiration 
populaire  sont-elles  souvent  saines,  morales,  bien  faites  pour 
réagir  contre  le  scepticisme,  le  dénigrement,  le  doute  et  l'indif- 
férence, parce  que  nous  trouvons  chez  ces  écrivains  l'expression 
spontanée  d'un  sentiment  sincère  et  une  émotion  communica- 
tive,   en  même  temps,  qu'un  réalisme  de  bon  aloi,  franc  et 


38  —  IV-6  SECTION'   PEDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

robuste,  mais  exempt  de  trivialité  dans  l'étude  des  milieux,  la 
patiente  observation  des  objets  extérieurs  et  des  menus  faits  de 
la  vie. 

La  Provence,  le  Uuercy,  les  Gévennes,  la  Bretagne  ont  ainsi 
leurs  romanciers  et  conteurs  auxquels  nous  pourrions  demander 
bien  des  pages  qui  intéresseraient  vivement  nos  élèves  par  la 
sympathie  profonde  qu'elles  traduisent  pour  les  êtres  et  pour  les 
choses  :  telles  les  peintures  attendries  et  gracieuses  d'Aicard  et 
de  P.  Arène,  les  récits  de  Pouvillon,  d'une  probité  scrupuleuse 
et  de  forme  essentiellement  classique,  les  descriptions  un  peu 
rudes  mais  fidèles  de  F.  Fabre,  les  poétiques  tableaux  que  Le 
Braz  et  Le  Goftîc  nous  apportent  des  côtes  bretonnes,  leur  terre 
natale.  Nous  pourrions  en  dire  autant  de  ces  poètes  rustiques, 
dont  l'art  paraît  remonter  aux  sources  primitives,  tant  ils 
décrivent  avec  amour,  en  une  forme  souvent  sobre  et  délicate,  les 
spectacles  et  les  scènes  de  la  nature.  C'est  le  Rouergue  qu'évoque 
Rollinat  dans  son  Recueil  des  Brandes,  c'est  la  Bresse  que  chante 
G.  Vicaire  dans  ses  Émaux  bressans.  Les  vers  imagés  de  Theuriet 
fleurent  bon  le  pays  de  Lorraine  et  exaltent  le  labeur  du  paysan, 
tandis  que  ceux  de  .1.  Breton  retracent  les  plaines  de  l'Artois  et 
que  la  Normandie  parle  dans  les  idylles  de  P.  Harel.  Et  combien 
d'autres  noms  pourrions-nous  citer  encore  parmi  les  conteurs  et 
poètes  du  terroir  dont  l'œuvre  offre  pour  le  pays  qui  la  vit  naître 
et  les  autres  pays  de  langue  française  une  originalité  vivante  et 
savoureuse  dont  l'enseignement  pourrait,  pensons-nous,  tirer 
heureusement  parti. 

C'est  qu'en  effet,  la  nature  est  au  premier  plan  dans  ces 
récits  et  ces  poèmes;  l'auteur  ne  se  contente  pas  de  la  décrire 
mais  il  nous  dit  encore  comment  elle  agit  sur  lui,  comment 
il  a  été  impressionné  par  elle.  En  faisant  une  large  part  au 
milieu  dans  lequel  ils  ont  vécu,  lutté  et  souffert,  dans  lequel  aussi 
s'est  formé  leur  talent,  les  écrivains  régionaux  ne  font,  d'ailleurs, 
que  suivre  le  courant  auquel  obéit,  depuis  Balzac,  la  littérature 
française.  Qu'on  ne  croie  pas,  du  reste,  que  la  lecture  de  ces 
poètes  et  de  ces  conteurs,  qui  paraissent  se  cantonner  en  un  coin 
de  pays,  conduise  à  l'abandon  des  idées  générales.  Nombreuses 
sont  les  œuvres  attestant  que  le  culte  des  traditions  et  la  force 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-6  —  39 

des  attaches  ancestrales  peuvent  parfaitement  se  concilier  avec  le 
souci  des  grands  problèmes  moraux  et  l'étude  des  sentiments 
éternels  dont  vit  l'humanité. 

Si  le  temps  dont  je  dispose  ne  m'était  forcément  limité,  je  me 
plairais  à  vous  parler  aussi  de  tous  ces  écrivains  français  qui, 
hors  de  France,  en  Suisse,  en  Roumanie,  dans  l'Amérique  latine, 
travaillent  à  étendre  la  culture  et  l'influence  françaises  par  des 
ouvrages  dont  le  caractère  est  nettement  tranché,  sans  doute, 
mais  où  se  retrouvent  les  qualités  traditionnelles  de  la  langue. 
On  sait  qu'aux  congrès  de  Liège  et  d'Arlon,  notre  Fédération 
s'est  longuement  occupée  de  l'œuvre  accomplie  par  ces  petites 
Frances  littéraires,  «  oasis  disséminées  dans  l'univers  »,  disait 
M.  G.  Barrai,  et  qui  constituent  comme  autant  de  prolonge- 
ments intellectuels  de  la  nationalité  et  de  la  culture  françaises. 

De  toutes  ces  provinces  de  littérature  française,  la  Belgique 
est  celle  qui  appellera  surtout  notre  attention,  parce  que,  ici,  les 
écrivains  régionaux,  dans  leur  manière  de  concevoir  et  d'écrire, 
révèlent  un  ensemble  de  qualités  et  de  tendances  communes  bien 
faites  pour  exalter  le  sentiment  patrial  et  en  traduire  les  aspira- 
tions. Pendant  longtemps,  les  écrivains  belges  ne  songèrent 
qu'à  s'habiller  à  la  parisienne,  s'inspirant  de  leurs  voisins  du 
sud  dans  le  choix  des  sujets  et  des  procédés  d'expression.  Rares 
étaient  les  prosateurs  et  poètes,  tels  Pirmez,  Decostcr,  Van 
Hasselt,  qui  osaient  être  eux-mcmcs,  passant  d'ailleurs  inaperçus 
dans  la  foule  indifl'érente.  Ce  sera  l'éternel  honneur  de  la  Jeune 
Belgique  d'avoir  en  quelque  sorte  créé  chez  nous  le  goût  des 
choses  littéraires,  stimulant  l'initiative  des  uns,  secouant  l'apa- 
thie des  autres,  groupant  et  encourageant  les  etiorts  de  tous  ceux 
qui  voulaient  enfin  exprimer  librement  leurs  pensées  et  leurs 
rêves.  «  Ne  crains  »,  telle  était  la  devise  de  ces  jeunes  romanciers, 
critiques  et  poètes,  d'humeur  batailleuse  et  souvent  outrancière, 
mais  que  ne  devaient  rebuter  ni  dédains,  ni  sarcasmes,  ni  hosti- 
lité. Leurs  tentatives,  sans  doute,  ne  furent  point  toutes  pareille- 
ment heureuses;  mais  leurs  luttes  opiniâtres  pour  un  art  indé- 
pendant devaient  donner  naissance  à  cette  activité  littéraire  qui 
force  aujourd'hui  l'admiration  de  tous  les  pays  de  langue  fran- 


40  —  IV-6  SECTION .  PÉDAGOGIOUE   ET   SOCIALE 

çaise  et  à  laquelle  l'enseignement  public  ne  pouvait  ici  demeurer 
étranger. 

Depuis  un  an,  en  etfet,  des  instructions  ministérielles  pres- 
crivent aux  préfets  d'athénées  et  aux  directeurs  d'écoles 
moyennes  de  travailler  à  la  culture  du  sentiment  national  en 
engageant  les  professeurs  des  cours  de  langues  à  faire  connaître 
—  à  leurs  élèves  —  tout  au  moins  dans  leurs  pages  les  plus 
saillantes,  les  œuvres  de  notre  littérature,  principalement  celles 
de  nos  écrivains  contemporains.  Des  conférences  spéciales  sont, 
de  plus,  organisées  en  vue  de  fortifier  et  de  compléter  par  la 
synthèse  ces  notions  occasionnelles,  acquises  au  jour  le  jour. 
Cette  innovation,  bien  .  entendue  et  bien  appliquée,  ne  peut 
qu'ajouter  à  nos  programmes  d'étude  un  sérieux  élément  d'inté- 
rêt tout  en  aidant  à  l'éducation  du  caractère  et  à  l'éveil  de  la 
personnalité  chez  l'élève. 

Non  pas  qu'il  soit  aisé,  quoi  qu'en  dise  E.  Picard,  de  définir 
l'âme  belge  et  partant  de  fixer  les  caractères  de  l'école  littéraire 
française  de  notre  paya,  si  tant  est  que  l'on  puisse  ici  parler  d'une 
école.  Nous  dirons  à  nos  élèves  que  cette  littérature  belge  est 
composée  d'éléments  disparates,  d'écrivains  dont  le  tempérament 
diffère  suivant  leur  origine  wallonne  ou  flamande;  que  les  uns 
se  distinguent  par  la  sensibilité,  le  goût  du  recueillement,  de  la 
vie  intérieure,  tandis  que  d'autres  s'attachent  à  décrire  nos  pay- 
sages familiers,  à  retracer  nos  mœurs,  à  faire  revivre  nos  tradi- 
tions historiques  et  locales.  Mais  nous  leur  dirons  encore  que, 
quelles  que  soient  les  différences  profondes  qui  les  séparent,  nos 
écrivains,  ainsi  que  nous  le  remarquions  tantôt,  se  dégagent  des 
imitations,  évitent  le  poncif,  le  convenu,  le  cliché,  et  tant  pour 
le  fond  que  pour  la  forme,  aspirept  à  réaliser  une  œuvre  person- 
nelle. 

Gardons-nous  toutefois  des  exagérations  chauvines  qui  attri- 
bueraient à  notre  actuelle  floraison  littéraire  un  éclat  par  trop 
resplendissant  :  c'est  encore  aimer  son  pays  que  de  blâmer  chez 
ses  compatriotes  ce  qui  est  blâmable,  et  de  ne  réserver  son 
admiration  qu'à  ceux  qui  réellement  la  méritent,  sans  tomber 
dans  des  engouements  irréfléchis.  On  a  ainsi  pu  reprocher  à 
certains  d'entre  nos  auteurs  une  conception  morale  plutôt  sim- 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-6  —  41 

pliste,  une  psychologie  assez  rudinientaire,  ou  bien  encore  des 
crudités  et  des  hardiesses  inutiles  et  déplacées.  Car  nous  ne 
pouvons  guère  souscrire  au  jugement  de  M.  Heumann  qui,  dans 
un  ouvrage  remarquable  sur  notre  mouvement  littéraire,  ne  voit 
chez  nos  romanciers  que  bonhomie  et  candeur  même  lorsqu'ils 
décrivent  des  scènes  brutales  et  repoussantes.  Nous  croyons  bien 
volontiers  à  la  probité  artistique  des  écrivains  belges,  et  pas  plus 
que  M.  Heumann  nous  ne  doutons  de  la  pureté  do  leurs  inten- 
tions; mais  la  vérité  nous  oblige  à  reconnaître  qu'il  n'est  point 
rare  de  rencontrer  chez  eux  des  tableaux  purement  passionnels  oîi 
la  sensation  étouffe  l'idée,  blessant  parfois  les  convenances  et  le 
goût.  Si  donc  nous  voulons  que  la  connaissance  de  nos  auteurs 
français  soit  réellement  éducative  et  littéraire,  beaucoup  de  dis- 
cernement, de  tact  et  de  prudence  s'impose  dans  le  choix  des  lec- 
tures que  nous  recommanderons  à  nos  élèves.  Certes,  nous  ne 
demandons  pas  qu'on  expurge  à  l'usage  de  la  jeunesse  l'œuvre  de 
nos  romanciers  et  de  nos  conteurs,  car  tel  est  souvent  le  sûr  moyen 
d'en  dénaturer  l'esprit  et  les  tendances.  Mais  il  est  toujours  pos- 
sible de  leur  emprunter  d'amusantes  scènes  de  mœurs,  d'émou- 
vants épisodes,  de  curieuses  silhouettes  qui  frappant  par  la  jus- 
tesse du  trait  et  la  vérité  de  la  peinture,  .\insi  qu'on  l'a  dit  et  redit 
souvent  avec  raison,  les  écrivains  belges  sont  essentiellement 
peintres;  ils  savent  voir  et  faire  voir,  choisissent  pour  leurs  des- 
criptions les  détails  pittoresques  et  saillants,  donnent  de  la  vie 
et  du  mouvement  aux  individus  et  aux  foules  qu'ils  mettent  en 
scène,  se  plaisent  même  à  traduire  de  façon  sensible  et  imagée 
l'idée  abstraite  :  c'est  dire  qu'à  leur  fréquentation,  nos  jeunes 
gens  qui  souvent  se  contentent  de  l'expression  imprécise,  vague 
ou  banale,  apprendront  ce  qui  fait  le  relief,  la  netteté  et  la  pré- 
cision du  style. 

Songez  par  exemple  —  car  il  est  naturel  que  tout  d'abord 
on  évoque  ce  nom  illustre  —  songez  à  l'œuvre  de  Camille  Lemon- 
nier.  Laissons  de  côté  les  romans,  hérissés  de  néologismes  et 
dans  lesquels  se  révèle  une  imitation  poussée  à  l'excès,  de  cer- 
taines modes  littéraires  :  d'autres  œuvres  sont  là  qui  prouvent 
combien  vraie  demeure  cette  parole  d'Ed.  Picard,  disant  que 
jamais  l'âme  belge  n'eut  un  héraut  aussi  magnifique.  Les  deux 


42  —  IV- 6  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

tendances  auxquelles  obéit  le  talent  de  Lemonnier  ne  sont-elles 
point  aussi  celles  de  la  Wallonie  et  de  la  Flandre,  encore  que 
cette  dernière  ait  surtout  influencé  son  génie?  Mais  les  peintures 
débordantes  de  vie  et  de  couleur  alternent  ici  avec  des  scènes 
d'une  sensibilité  tendre  et  délicate  allant  jusqu'au  mysticisme. 
«  J'ai  vécu  avec  ténacité  la  vie  des  gens  de  mon  pays  »  disait 
Lemonnier,  qui  s'enivrait  au  spectacle  qu'offrent  les  aspects 
variés  de  celte  patrie  belge  à  laquelle  il  a  consacré  un  de  ses 
plus  beaux  livres.  On  trouvera  dans  cet  ouvrage,  de  même  qu'en 
ses  romans  et  ses  contes,  nombre  de  descriptions  et  de  récits  où 
les  phrases,  solidement  et  clairement  construites,  dénotent  une 
connaissance  profonde  du  mot  et  de  l'art  avec  lequel  il  peut 
être  mis  en  valeur. 

Quand  il  s'agit  d'Eekhoud,  le  choix  est  plus  difficile,  à  cause  de 
cette  aveugle  pitié,  de  cette  excessive  sympathie  du  romancier 
pour  les  épaves  sociales,  gars  indomptés  et  farouches,  vagabonds, 
malfaiteurs,  êtres  primitifs  et  sauvages  que  lui-même  appelle 
des  «  brutes  superbes  »,  parce  qu'il  a  cru,  malgré  tout,  décou- 
vrir en  elles,  de  généreux  penchants.  Si  nous  ne  pouvons  recom- 
mander ces  pages  où  domine  un  pessimisme  farouche  et  déses- 
péré, nous  emprunterons  à  Keen  Doorick  ou  aux  Kermesses  de 
rudes  et  impressionnants  paysages  de  la  Campine  et  des  Polders 
qui  révèlent  un  fervent  amour  du  terroir,  avec,  de  temps  à 
autre,  une  note  d'émotion  et  de  tendresse.  C'est  à  Eekhoud 
surtout  que  nous  songions  en  parlant  tantôt  de  l'individualité 
littéraire  de  nos  prosateurs  :  nous  trouvons  ici  un  style  éminem- 
ment original  par  le  nerf,  la  couleur  et  la  force  non  moins  que 
par  la  hardiesse  saisissante  des  images. 

C'est  aussi  par  l'éclat  pittoresque,  là  clarté  lumineuse  de  l'ex- 
pression et  la  richesse  du  vocabulaire  que  se  distingue  l'œuvre 
de  Demolder,  ce  mélange  bizarre  d'idéal  mystique  et  de  sen- 
sualité. Contrairement  à  tant  d'autres  de  nos  romanciers  qui 
demandent  à  l'heure  présente  le  sujet  et  le  cadre  de  leurs  écrits, 
c'est  dans  le  passé  que  se  complaît  le  talent  de  Demolder  qui 
aime  à  décrire  les  tableaux  des  maîtres,  à  faire  revivre  les 
gloires  artistiques  de  la  Flandre.  A  cet  égard  les  Contes  d'Yper- 
damme  et  la  Légende  de  Nazareth  pourront  offrir  dans  les  classes 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  lV-6  —  43 

une  lecture  intéressante.  «  Plus  que  n'importe  lequel  d'entre 
nous,  a  (lit  un  critique,  il  prouve  de  quel  pays  de  peintres  il 
sort  cl  combien,  à  certains  égards,  le  mouvement  actuel  n'est  que 
la  résurrection,  non  d'une  ancienne  école  littéraire,  mais  d'une 
ancienne  école  plastique,  autrefois  glorieuse  en  Flandre.  » 

On  a  pu  reprocher  à  Ed.  Picard  l'abus  des  épilhètes  criardes 
et  des  néologismes  flamboyants;  mais  on  trouve  dans  V Amiral, 
dans  la  Forge  lioiissel,  dans  les  récits  de  voyage,  bien  des  pages 
descriptives,  remarquables  par  la  vivacité  du  Irait,  la  netteté  de 
l'image,  la  verve,  l'entrain  et  l'éloquence  de  la  phrase,  vibrante 
d'émotion  et  de  lyrisme.  Et  pourtant  malgré  cette  forme,  person- 
nelle et  châtiée  dont  il  revêt  tous  ses  écrits,  il  s'en  faut  de  beau- 
coup que  Picard  soit  un  partisan  de  l'art  pour  l'art.  Ainsi  que  le 
disait,  il  y  a  quelques  années,  M.  R.  Poincaré,  son  œuvre  est  une 
volonté  en  action,  une  pensée  en  marche.  Raison  de  plus  pour 
qu'elle  ne  soit  point  passée  sous  silence,  surtout  que  son  auteur, 
qui  croit  à  l'existence  d'une  âme  nationale,  est  lui-même  vrai- 
ment de  son  pays  par  cette  humeur  personnelle  et  indépen- 
dante dont  ta  hardiesse  souvent  déconcerte  le  lecteur.  Et  quand 
nous  parierons,  dans  nos  classes,  de  l'état  actuel  de  la  littéra- 
ture dramatique,  nous  n'oublierons  pas  de  signaler  l'effort  que 
fit  Picard  pour  instaurer  ici  un  théâtre  d'idées  qui,  suivant  lui, 
devrait  être  en  même  temps  un  théâtre  belge. 

Si  nos  prosateurs  d'origine  wallonne  peignent  avec  des  tona- 
lités moins  vives,  moins  sanguines  les  mœurs  de  leur  contrée 
natale;  s'ils  n'ont  point  la  vigueur  et  le  coloris  que  présentent 
les  pages  de  Lenionnier  et  d'Eekhoud,  leurs  récits,  en  revanche 
séduisent  souvent  par  la  fermeté  de  la  ligne,  la  délicatesse,  la 
grâce  attendrie  et  enveloppante.  C'est  ainsi  que  dans  les  contes 
de  Delattre  il  y  a  un  parfum  de  fraîcheur  et  de  jeunesse,  une 
spontanéité  que  traduit  un  style  souple,  élégant,  facile,  où 
jamais  on  ne  sent  la  recherche  de  l'épithète  rare  ou  du  mot 
imprévu.  En  philosophe  indulgente!  observateur,  Delattre  nous 
initie  à  la  vie  des  humbles,  nous  fait  aimer  lesenfants  et  les  bêtes, 
si  bien  que  nombre  de  pages,  en  cette  œuvre  aimable  et  vraie, 
seront  lues  par  la  jeunesse  avec  autant  de  profit  que  de  plaisir. 

Quoique  apparentée  à  celle  de  Delattre,  l'œuvre  de  Krains  est 


a  —  IV-6  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE 

plus  émouvante,  plus  grave  et  plus  triste,  animée  d'un  sentiment 
de  pitié,  de  compassion  pour  Ifs  souflfrants,  et  les  humbles  qui 
avec  résignation  acceptent  les  pires  épreuves.  Par  la  condensa- 
tion de  l'idée,  la  force  et  la  justesse  du  mot,  Krains  fait  parfois 
songer  à  Maupassant  :  il  a  une  manière  sobre  et  nerveuse  de  pré- 
senter les  faits  et  de  peindre  les  êtres  et  connaît  admirablement, 
lui  aussi,  toutes  les  ressources  de  notre  langue. 

Que  d'observation  attentive  et  joyeuse  on  trouvera  encore 
dans  les  contes  de  Desombiaux,  par  endroits,  un  peu  prolixe 
peut-être,  mais  qui,  souvent,  incarne  l'âme  même,  tour  à  tour 
pensive,  narquoise  et  aventureuse  de  la  Wallonie  dont  il  s'attache 
à  faire  revivre  les  coutumes  populaires.  «  Quand  on  l'a  lu,  disait 
Lemonnier,  on  a,  de  la  vie,  de  la  tradition  et  de  l'âme  wallonne 
à  peu  près  la  conception  ethnique  que  donne  de  la  vie  flamande, 
un  tableau  de  Breughel.  »  Et  il  en  est  bien  d'autres  encore, 
parmi  nos  pi'osateurs  d'expression  française  qui  pourraient  ainsi 
offrir  à  nos  jeunes  gens  des  lectures  attrayantes  et  vraiment 
moralisatrices,  puisqu'ils  ont  su  parler  des  hommes  et  des  choses 
de  leur  pays  avec  une  émotion  vraie,  profonde  et  partant  com- 
municative. 

Les  poètes  descriptifs  et  lyriques  occupent,  eux  aussi,  une 
place  considérable  dans  l'histoire  de  nos  lettres  en  ces  trente 
dernières  années;  et  il  serait,  semble-t-il,  peu  équitable  de  ne 
point  leur  accorder  quelque  attention  dans  les  classes,  dans  celles 
surtout  où  le  professeur  explique  les  caractères  de  la  poésie  et 
montre  ce  qu'a  été  l'évolution  des  genres. 

Dans  nos  analyses  littéraires  nous  serons  ainsi  amenés  à  faire 
apprécier  et  comprendre  le  vers  régulier,  plein  et  sobre  de 
Gilkin,  le  style  harmonieux  de  Gille  évoquant  l'Hellade  antique, 
la  mélancolie  contemplative,  la  diction  facile  et  élégante  de 
Séverin,  la  muse  à  la  fois  païenne  et  mystique  de  van  Lerberghe 
«  ce  poète  de  l'ineffable  »  comme  le  disait  Mockel  :  mais  tous 
ces  écrivains  sont  dans  une  certaine  mesure  les  héritiers  de  la 
tradition  littéraire  française  et  la  patrie  ne  tient  que  peu  de  place 
dans  leur  œuvre.  Aussi  attirerons-nous  plus  particulièrement 
l'attention  sur  ceux  d'entre  nos  lyriques  français,  chez  lesquels 
se  manifeste  surtout  une  âme  wallonne  ou  flamande  tant  par  le 


SECTION   PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE  IV-6  —  45 

choix  des  thèmes  que  par  la  forme  et  le  mouvement  de  l'expres- 
sion lyrique. 

C'est  ainsi  que  Giraud,  malgré  tout  ce  qu'il  doit  à  Banville  et 
au  Parnasse,  est  et  demeure  flamand  par  l'amour  du  décor  et 
des  couleurs  éblouissantes,  à  ce  point  qu'on  a  pu  dire  que  la 
lumière  était  dans  son  œuvre  comme  un  personnage  vivant. 
Sa  poésie  faite  d'admiration  nostalgique  pour  un  passé  gran- 
diose évoque  les  souvenirs  des  communiers  de  Flandre  en  des 
strophes  d'une  inspiration  fougueuse  et  exaltée,  mais  dont  la 
structure  demeure  classique  et  régulière. 

Et  Uodenbach,  n'est-il  point  aussi  un  poète  vraiment  belge, 
lorsqu'il  retrace  les  mornes  et  mystérieux  paysages  de  la  vieille 
cité  natale,  ou  quand,  plus  familiale  et  plus  intime,  sa  muse 
évoque  les  impressions  d'enfance  et  les  souvenirs  de  la  maison 
paternelle.  Sans  doute  il  y  a  dans  ses  vers  beaucoup  de  nostalgie 
déprimante,  et  aussi  de  préciosité  maladive  :  mais  comment  ne 
point  admirer  l'art  avec  lequel  le  poète  sait  communiquer  aux 
objets  qui  l'entourent  la  sensibilité  triste  et  délicate  dont  son 
âme  est  pleine.  En  faut-il  plus  pour  que  la  lecture  de  pareils  vers 
touche  le  cœur  et  stimule  la  réflexion  ? 

D'autres  poètes  sont  plus  proches  de  nous  par  les  tableaux 
qu'ils  suggèrent  :  tel  Hardy  qui  décrit  avec  une  simplicité  tou- 
chante l'heureuse  tranquillité  d'un  intérieur  ardennais;  tel 
Sottiaux  dont  l'œuvre  fait  songer  à  celle  de  Constantin  Meunier 
par  la  sympathie  qu'elle  éveille  pour  les  rudes  travailleurs  de 
la  mine  et  du  laminoir. 

C'est  la  patrie  encore  qu'exalte  Verhaeren  dans  ces  impression- 
nants tableaux  pour  lesquels  il  s'est  tant  de  fois  inspiré  des 
rythmes  mêmes  de  la  poésie  populaire.  Avec  quel  amour  il  nous 
parle  de  l'âpre  et  sauvage  beauté  de  la  terre  de  Flandre,  de  sa 
richesse  plantureuse,  de  ses  horizons  sans  fin,  des  gloires  artis- 
tiques du  pays,  de  la  vaillance  des  ancêtres  :  d'autres  fois  c'est  un 
souffle  de  bonté  et  de  pitié  qui  traverse  ces  strophes  où  appa- 
raissent tant  d'êtres  loqueteux,  misérables  et  peinant  dur.  Ah! 
certes,  la  langue  qu'écrit  Verhaeren  est  parfois  heurtée  et  abrupte, 
peu  soucieuse  des  règles  syntaxiques,  riche  de  métaphores  bru- 
tales ou  hardies.  Mais  ces  défauts  sont  rachetés  par  le  relief  saisis- 


46  —  IV-6  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE 

sant  que  le  poète  sait  donner  aux  objets,  la  puissance  inventive  et 
pittoresque  de  l'expression,  la  vivacité  des  peintures,  le  souffle 
chaleureux  qui  anime  les  strophes.  Et  puis  c'est  dans  son  ensem- 
ble qu'il  faut  juger  cette  œuvre  qui  exalte  la  noblesse  du  travail  et 
d'où  se  dégage  une  leçon  d'énergie,  de  vaillance  et  de  volonté. 
Cette  poésie  d'inspiration  neuve  et  hardie  n'est  point  faite  pour 
susciter  des  imitateurs  pas  plus  qu'elle  ne  pourrait  être  recom- 
mandée comme  un  modèle  de  composition  à  cause  de  son  allure 
souvent  indépendante,  débridée  et  sauvage.  Si  nous  croyons  qu'il 
faut  cependant  de  bonne  heure  initier  notre  jeunesse  aux  beautés 
qu'elle  renferme,  c'est  surtout  parce  que  Verhaeren  a  trouvé  dans 
notre  fonds  national  les  éléments  à  l'aide  desquels  s'affirme  sa 
puissante  personnalité. 

Nombreux  sont,  d'ailleurs,  parmi  nos  poètes,  nos  romanciers, 
nos  dramaturges,  nos  critiques,  ceux  qui,  par  leur  façon  de 
sentir  et  de  penser,  de  juger  et  d'écrire,  sont  vraiment  de  chez 
nous,  se  souvenant  de  cette  parole  de  Lemonnier  :  «  11  n'est 
point  de  pire  annexion  que  celle  des  esprits,  il  faut  être  nous- 
mêmes  ou  périr.  »  Mais  il  ne  peut  être  ici  question,  même  en  se 
plaçant  au  point  de  vue  spécial  qui  nous  occupe,  de  faire  un 
tableau  de  l'état  actuel  des  lettres  françaises  dans  notre  pays. 
Nous  avons  simplement  voulu  établir,  à  l'aide  de  quelques 
exemples  —  sans,  d'ailleurs,  négliger  les  réserves  qui  s'impo- 
saient —  le  profil  à  la  fois  éducatif,  patriotique  et  littéraire  que 
peut  présenter  dans  nos  collèges  la  lecture  des  écrivains  belges, 
lorsqu'elle  est  dirigée  dans  des  voies  sûres  et  à  condition  aussi 
qu'on  ne  lui  attribue  pas  une  importance  exagérée.  C'est  bien 
dans  ce  sens,  d'ailleurs,  qu'il  faut  interpréter  les  instructions 
ministérielles  dont  nous  parlions  tantôt.  Que  d'occasions,  d'ail- 
leurs, s'offrent  au  professeur  qui  voudrait,  dans  ses  cours, 
accorder  à  ces  écrivains  régionaux  une  modeste  place  à  côté  des 
grands  auteurs  dont  l'étude  demeure  la  base  de  la  formation 
littéraire  et  esthétique.  L'explication  critique  de  morceaux 
choisis  dans  les  anthologies,  les  lectures  faites  à  domicile,  puis 
résumées  oralement,  les  parallèles  et  analyses  comparées,  les 
exercices  de  diction,  les  citations  brièvement  commentées  en 
classe,  tels  sont  quelques-uns  des  moyens  pédagogiques  auxquels 


SECTIOiN   PÈDAGOGIQIE   ET    SOCI.Vl.E  IV'G  —  47 

aura  recours  le  maître  soucieux  de  faire  son  cours  plus  vivant, 
plus  vaVié,  plus  complet,  en  tenant  compte  dans  son  enseigne- 
ment de  ces  auteurs  qui,  pour  briller  au  second  rang,  n'en  solli- 
citent pas  moins  notre  attention  et  notre  étude.  Loin  de  déve- 
lopper parmi  la  jeunesse  une  étroilesse  d'idées  que  d'aucuns 
croient  inhérente  à  l'esprit  de  clocher,  la  lecture  de  ces  prosa- 
teurs et  de  ces  poètes  fortifie,  au  contraire,  le  sentiment  national, 
puisqu'on  trouve  chez  eux  un  accent  spontané  et  sincère  qui  tout 
en  évoquant  les  souvenirs,  les  légendes,  les  traditions  et  les 
mœurs  de  la  race,  se  fait  pareillement  l'interprète  de  ses  aspira- 
tions, de  ses  rêves,  de  ses  fiertés,  de  ses  émotions  tristes  ou 
joyeuses.  Et  tel  est  précisément  l'originalité  que  présente  à 
l'heure  actuelle  lorsqu'on  l'envisage  dans  son  ensemble,  notre 
littérature  belge,  libérée  d'une  imitation  qui  fit  jadis  son  escla- 
vage, éprise  d'un  art  indépendant,  qui  Heure  bon  le  terroir  et 
traduit  en  une  langue  colorée,  pittoresque,  forte  et  savoureuse, 
l'âme  même  de  notre  pays. 


IV.  —  SECTION  PEDAGOGIQUE  ET  SOCIALE. 


L'emploi  du  français  dans  les  réunions  internationales 


J.-A.   FURSTEXHOFF 

secrétaire  de  l'Entente  scientifique  internationale 
pour  l'adoption  d'une  langue  auxiliaiie. 


Nous  rappelerons  qu'en  1908,  nous  avons  indiqué  longue- 
ment les  raisons  plaidant  en  faveur  de  l'adoption  de  la 
langue  française  comme  langue  auxiliaire.  Un  comité  inter- 
national de  professeurs  d'universités  Se  constitua  à  notre 
demande  pour  préconiser  l'adoption  de  la  langue  française 
comme  langue  auxiliaire  de  la  science.  Ce  fut  au  nom  de  ce 
comité  que  nous  fîmes  rapport  aux  Congrès  des  associations 
internationales,  de  1910  et  1913.  Les  documents  publiés  par  les 
organisateurs  de  ces  Congrès  ne  nous  donnant  pas  toute  satis- 
faction, nous  envoyâmes  aux  associations  internationales  un 
questionnaire  sur  l'emploi  des  langues.  Les  réponses  reçues 
et  l'étude  que  nous  fîmes  des  statuts  des  associations  interna- 
tionales nous  montrèrent  combien  nos  vues  étaient  justifiées 
par  les  faits.  Aussi  jugeons-nous  utile  de  communiquer  aux 


50  —  IV-7  SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

associations  internationales  les  rapports  reproduisant  les 
données  de  l'enquête,  ainsi  qu'un  projet  de  statut  linguistique 
rédigé  d'après  ces  données. 

Le  français,  langue  auxiliaire  internationale. 

Rapport  présenté  par  le  comité  de  «  l'Entente  scientifique  inter- 
nationale pour  l'adoption  d'une  langue  auxiliaire  »  au  Congrès 
mondial  des  associations  internatio7iales,  tenu  à  Bruxelles, 
en  i9i0. 

Parmi  les  questions  intéressant  directement  les  rapports  des 
associations  internationales  entre  elles,  la  plus  importante  est 
celle  des  langues  à  employer  pour  établir  ces  rapports. 

Il  serait,  en  effet,  difficile  d'exiger  de  l'Office  central  des 
associations  internationales  qu'il  corresponde  en  toutes  langues 
avec  ces  associations.  Ce  serait  lui  rendre  la  tâche  bien  lourde 
pour  ne  pas  dire  impossible. 

La  question  de  la  langue  internationale,  examinée  au  point 
de  vue  général,  donne  lieu  à  controverse;  mais,  envisagée  au 
point  de  vue  des  classes  dirigeantes  seulement,  elle  se  simplifie 
singulièrement.  Déjà  la  haute  société  européenne  d'autrefois 
avait  su  écarter  la  difficulté  linguistique  en  adoptant  la  langue 
française;  c'est  par  l'adoption  des  trois  langues  principales 
que  les  classes  dirigeantes  modernes,  plus  nombreuses,  ont  pu 
régler  jusqu'à  présent  leurs  rapports  internationaux.  Il  est  certes 
permis  d'en  attendre  autant  des  bureaux  de  chacune  des  asso- 
siations  internationales.  Disons  même  que  tous  ces  bureaux  con- 
naissant les  trois  langues  à  cause  de  leur  internationalité,  il  est 
d'ordre  logique  qu'un  accord  se  fasse  entre  eux  et  qu'ils  faci- 
litent les  travaux  de  l'Office  central  des  associations  internatio- 
nales en  adoptant  tous  une  seule  et  même  langue  pour  corres- 
pondre avec  lui. 

Bien  que  tout  le  monde  soit  convaincu  de  la  nécessité  qui 
s'impose  d'une  langue  unique  pour  les  échanges  internationaux. 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-7  —  51 

la  crainte  des  amours-propres  nationaux  paralyse  les  meilleures 
volontés.  Il  y  a  lieu  de  faire  constater  à  ce  propos  que  les  efforts 
tentés  jusqu'à  présent  pour  ménager  les  susceptibilités  natio- 
nales en  matière  de  langue  dans  les  réunions  internationales 
ont  eu  un  résultat  diamétralement  opposé  à  celui  que  l'on  visait. 
En  effet,  l'admission  dans  certains  congrès  de  l'italien,  de  l'espa- 
gnol, etc.,  comme  langues  officielles,  a  simplement  suscité  chez 
toutes  les  nations,  même  les  moindres,  le  désir  de  faire  admettre 
également  leur  langue.  C'est  dire  que  l'on  va  à  un  imbroglio 
linguistique  qui  est  la  négation  de  tout  internationalisme. 

Une  réaction  s'opère  heureusement  contre  cette  politique 
dissolvante.  Bien  des  congrès  maintiennent  la  limitation  stricte 
aux  trois  langues  principales.  Entre  autres,  le  Congrès  inter- 
national des  mines,  de  la  métallurgie,  de  la  mécanique  et  de  la 
géologie  appliquées,  qui  se  tiendra  à  Dusseldorf  en  juin  pro- 
chain, a  adopté  comme  seules  langues  officielles  l'allemand,  le 
français  et  l'anglais,  les  communications  rédigées  dans  une  de 
ces  langues  étant  résumées  dans  les  deux  autres.  D'autre  part, 
les  protestations  contre  l'augmentation  du  nombre  des  langues 
admises  s'élèvent  de  plus  en  plus  nombreuses.  Une  vive  opposi- 
tion se  manifesta,  par  exemple,  en  Allemagne  lorsqu'on  décida 
d'admettre  l'italien  au  Congrès  de  chimie  de  Rome,  en  1906. 
On  payait,  en  effet,  assez  cher  une  mince  satisfaction  donnée 
aux  Italiens  instruits  qui  connaissent  tous  très  bien  le  français. 
Les  congrès  de  médecine,  si  nombreux  et  si  fréquentés,  n'ont 
garde  de  tomber  dans  la  même  erreur.  Loin  d'augmenter  le 
nombre  des  langues,  ils  montrent  même  une  tendance  marquée 
à  donner  la  préférence  à  une  seule  et  même  langue  :  le  français. 
Au  Congrès  de  médecine,  tenu  à  Budapest  en  1909,  une  com- 
mission, où  chaque  pays  était  officiellement  représenté,  fut 
instituée  pour  organiser  l'enseignement  complémentaire  des 
études  médicales;  sur  la  demande  des  délégués  anglais,  les  déli- 
bérations, qui  avaient  été  commencées  en  allemand,  furent  con- 
tinuées en  français. 

Au  Congrès  interparlementaire  de  Berlin,  le  prince  Schoe- 
nach-Carolatz  prononça  en  français  son  allocution  présiden- 
tielle, et  le  chancelier  de  l'Empire  allemand  lui  répondit  en 


S2  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

cette  même  langue.  Les  travaux  du  congrès  se  firent  également 
presque  exclusivement  en  français.  Les  travaux  de  la  Conférence 
internationale  de  la  Paix,  à  La  Haye,  se  firent  exclusivement 
en  langue  française.  Il  en  sera  de  même  du  Congrès  de  l'Union 
interparlementaire  de  Bruxelles,  en  juillet  prochain. 

Les  besoins  internationaux  exigeant  sans  conteste  la  limita- 
tion du  nombre  des  langues  internationales,  il  n'est  pas  exagéré 
de  demander,  dans  l'intérêt  commun,  aux  nations  "nouvelles 
venues  dans  les  transactions  internationales,  d'accepter  les 
usages  établis.  Prenons  le  cas  typique  du  Japon.  Il  est  incontes- 
table que  le  développement  économique,  si  remarquable  de  ce 
pays  a  pu  s'effectuer  grâce  aux  emprunts  faits  à  la  science 
occidentale,  que  les  Japonais  s'assimilèrent  par  l'intermédiaire 
des  langues  anglaise,  allemande  et  française.  Il  ne  viendra  pas  à 
l'idée  d'un  Japonais  de  se  servir  de  sa  langue  pour  correspondre 
avec  un  Européen.  Le  cas  si  caractéristique  du  Japon  doit  faire 
reconnaître  que  la  préférence  accordée  aux  trois  langues  prin- 
cipales est  le  résultat  de  faits  acquis  contre  lesquels  il  n'y  a  pas 
lieu  de  s'élever.  Il  y  a  d'ailleurs  de  fortes  chances  pour  qu'en 
annonçant  la  volonté  de  tendre  vers  l'adoption  d'une  seule  des 
trois  langues  actuellement  admises,  on  atteigne  immédiatement 
ce  résultat  de  voir  disparaître  les  demandes  d'admission  d'autres 
langues.  L'intérêt  général  primerait  les  intérêts  particuliers. 
La  concurrence  ne  s'exercerait  plus  alors  qu'entre  les  trois 
langues  principales  elles-mêmes,  avec  cet  avantage  que  les 
nations  dont  la  langue  ne  serait  plus  en  jeu  constitueraient 
inévitablement  la  majorité  dont  la  décision  ferait  loi.  C'est 
dire  que  la  lutte  ne  se  produirait  plus  sur  le  terrain  des  amours- 
propres  nationaux. 

Si,  en  regard  de  cette  perspective  réconfortante,  on  envisage 
l'aspect  déplaisant  que  présente  la  lutte  acharnée  qui  se  poursuit 
parmi  les  partisans  des  langues  artificielles,  l'hésitation  n'est 
guère  possible.  La  crainte  des  jalousies  nationales,  seule  raison 
d'être  des  projets  de  langues  artificielles,  nous  ferait  tomber  de 
Charybde  en  Scylla. 

L'agitation  intéressée  créée  par  des  éditeurs  parisiens  autour 
de  certaines  de  ces  langues  a  pu  faire  croire  un  moment  qu'elles 


SECTION   PliDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV- 7  —  3:^ 

permettraient  de  résoudre  la  difficulté  à  la  satisfaction  géné- 
rale. Malheureusement,  la  scission  qui  s'est  produite  récemment 
au  sein  des  partisans  do  l'espéranto  vient  confirmer  les  prévi- 
sions de  toutes  les  personnes  averties  qui  annoncèrent,  dès  le 
début,  l'impossibilité  d'aboutir  dans  cette  voie.  D'après  M.  Ri- 
chard Lorenz,  professeur  à  l'Ecole  polytechnique  de  Zurich  et 
espérantiste  marquant,  ((  l'espéranto  ne  représente  absolument 
pas  la  solution  de  la  question.  Tous  les  chefs  intelligents  du 
mouvement  espérantiste  en  ont  depuis  longtemps  conscience  et 
cela  d'autant  plus  parfaitement  qu'ils  possèdent  mieux  la 
langue  ». 

Aucune  des  deux  cents  langues  artificielles  forgées  jusqu'à 
présent  ne  répond  aux  conditions  requises  d'une  langue  inter- 
nationale, et  il  n'est  pas  à  espérer  qu'aucune  de  celles  qui  nous 
seront  proposées  dans  l'avenir  puisse  jamais  satisfaire  à  ces 
conditions.  Il  n'est  pas  possible  de  faire  ici  la  critique  complète 
des  langues  artificielles.  Ce  serait  d'ailleurs  ajouter  quelques 
pages  aux  nombreux  exposés  qui  ont  paru  sur  la  matière.  Nous 
nous  contenterons  de  signaler  deux  mémoires  résumant  la 
question  et  que  nous  avons  publiés  en  1908  et  1910  {Revue  des 
Idées  des  lo  octobre  1908  et  13  février  1910). 

Il  serait  cependant  injuste  de  dire  que  les  diverses  proposi- 
tions de  langues  artificielles  aient  eu  pour  unique  résultat  de 
nous  doter  d'un  nouveau  vocable,  celui  de  langues  mort-nées, 
venant  simplement  s'ajouter  à  ceux  de  langues  mortes  et  de 
langues  vivantes.  Une  indication  importante  résulte  au  contraire 
du  labeur  considérable  auquel  elles  ont  donné  lieu,  et  cette 
indication  est  qu'un  langage  doit  avoir  un  caractère  plutôt 
roman  pour  devenir  international,  puisque  les  racines  inter- 
nationales sont  presque  toutes  latines.  Les  dernières  langues 
artificielles  proposées  sont,  en  effet,  toutes  des  néo-romans, 
c'est-à-dire  des  pastiches  du  français.  Celui-ci  s'en  trouve  s'au- 
tant  mieux  désigné  comme  langue  auxiliaire  aux  suffrages  des 
peuples. 

Déjà  à  deux  reprises  dans  l'histoire  (au  xii"  et  xvu"  siècle), 
la  langue  française  fut  admise  au  premier  rang.  Ce  fut  à  la 
demande  de  l'.Vcadémie  de  Berlin  que  Rivarol  écrivit  son  fa- 


S4  —  IV-7  SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

meux  mémoire  sur  l'universalité  de  la  langue  .française.  L'évolu- 
tion démocratique  moderne  eut  pour  effet  regrettable  de  laisser 
se  perdre  le  bénéfice  de  l'accord  qui  s'était  fait  parmi  les  aristo- 
craties européennes  pour  doter  le  monde  d'un  même  langage 
auxiliaire.  La  langue  française  reste  cependant  la  langue  diplo- 
matique universelle.  Elle  est  adoptée  comme  seconde  langue  par 
l'Union  postale  universelle,  par  le  Comité  international  des 
mesures  électriques,  etc.  Son  analysme,  sa  clarté,  la  beauté  de 
sa  littérature,  tout  signale  la  langue  française  comme  méritant 
le  premier  rang  parmi  les  langues  internationales.  Novicow  en 
Russie,  Wells,  Brereton  en  Angleterre,  Cameron  aux  Etats-Unis, 
Vising  en  Suède  la  proclament  comme  la  plus  désignée.  C'est 
également  l'avis  de  toutes  les  personnes  éclairées  et  sincèrement 
désireuses  de  voir  résoudre  le  problème  des  langues. 

Pour  ce  qui  regarde  spécialement  l'Office  central  des  asso- 
ciations internationales,  le  fait  que  son  siège  se  trouve  dans  une 
grande  capitale  de  langue  française  ne  peut  qu'être  favorable  à 
la  prééminence  du  français.  Cette  prééminence  trouve  un  appui 
bien  plus  sérieux  encore  dans  le  fait  que  sur  112  associations 
internationales  ayant  un  bureau  permanent,  42  ont  leur  siège 
à  Bruxelles,  lo  à  Paris  et  13  en  Suisse,  alors  qu'il  n'en  existe 
que  8  en  Allemagne,  3  en  Angleterre  et  2  en  Hollande.  Quoi  de 
plus  naturel  que  de  demander  à  112  bureaux  dont  70  se  trouvent 
dans  les  pays  où  la  langue  française  est  officielle,  de  se  servir 
du  français  pour  correspondre  avec  leur  Office  central  situé  lui- 
même  en  pays  de  langue  française  ? 

Se  basant  sur  les  considérations  qui  précèdent,  l'Entente 
scientifique  internationale  pour  l'adoption  d'une  langue  auxi- 
liaire a  l'honneur  de  soumettre  à  votre  vote  les  vœux  suivants  : 

«  Considérant  que  l'augmentation  du  nombre  des  langues 
officielles  admises  dans  les  réunions  internationales  amènerait 
successivement  toutes  les  nationalités  à  exiger  l'admission  de 
leur  langue,  alors  que  l'intérêt  commun  exige  au  contraire  que 
l'on  réduise  au  minimum  le  nombre  des  langues  internationales 
et  même  que  l'on  en  choisisse  une  seule  comme  langue  auxi- 
liaire: 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   E  f   SOCIALE  IV-  7  —  55 

«  Considérant,  d'autre  part,  la  prééminence  incontestable  de 
la  langue  française  parmi  les  trois  langues  principales; 

«  Considérant,  enfin,  que  les  112  bureaux  permanents  des 
associations  internationales  connaissent  tous  le  français  qui  est 
une  des  trois  langues  principales,  et  que  70  de  ces  bureaux  ont 
leur  siège  dans  des  pays  de  langue  française,  alors  que  8  seule- 
ment se  trouvent  en  Allemagne  et  3  en  Angleterre; 

«  Considérant  au  surplus  que  l'Office  central  des  associa- 
tions internationales  a  son  siège  à  Bruxelles; 

«  Emet  le  vœu  de  voir  désormais  les  langues  française, 
anglaise  et  allemande  être  seules  reconnues  officiellement  dans 
les  diverses  réunions  internationales,  la  prééminence  devant 
être  accordée  à  la  langue  française; 

«  Invite  les  bureaux  permanents  des  associations  internatio- 
nales à  employer  exclusivement  la  langue  française  dans  leurs 
rapports  entre  eux  et  avec  l'Office  central  des  associations  inter- 
nationales. » 

Le  statut  linguistique  des  associations  internationales. 

Rapport  présenté  par  le  comité  de  «  l'Entente  scientifique  inter- 
nationale pour  l'adoption  d'une  langue  auxiliaire  »  au  Congrès 
mondial  des  associations  internationales,  tenu  à  Bruxelles- 
Gand,  en  1913. 

La  question  de  l'emploi  des  langues  est  d'importance  majeure 
pour  les  associations  internationales.  Il  serait  donc  fort  dési- 
rable que  les  organisateurs  de  ces  associations  connaissent  aussi 
exactement  que  possible  les  conditions  linguistiques  existant 
actuellement  dans  l'ensemble  des  milieux  internationaux.  Ils 
seraient  ainsi  mieux  armés  pour  la  défense  de  l'internationa- 
lisme lui-même  que  menacent  certaines  revendications  d'autant 
plus  obstinées  qu'elles  sont  moins  justifiées. 


56  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

Il  est  impossible,  et  d'ailleurs  inutile,  de  faire  une  place  à 
toutes  les  langues  dans  les  réunions  internationales.  Aussi,  la 
limitation  du  nombre  des  langues  admises  s'est-elle  imposée 
dès  le  début.  Légitime  en  ce  qui  concerne  les  idiomes  non  euro- 
péens ou  ceux  parlés  par  un  nombre  trop  restreint  d'humains, 
cette  limitation  pouvait  paraître  vexatoire  pour  les  langues  plus 
répandues.  La  logique  des  choses,  plus  inflexible  que  celle  des 
hommes,  a  cependant  amené  la  plupart  des  groupements  inter- 
nationaux à  sacrifier  les  intérêts  particuliers  à  l'intérêt  général 
et  à  admettre  de  façon  persque  exclusive  les  trois  langues  : 
française,  anglaise  et  allemande,  un  droit  de  priorité  bien  mar- 
qué étant  accordé  par  beaucoup  à  la  première  de  ces  langues. 

C'est  ce  que  l'on  constate  lorsque  l'on  procède  à  un  examen 
attentif  et  impartial  des  diverses  manifestations  de  la  vie  inter- 
nationale, mais  on  conçoit  qu'un  tel  examen  soit  fort  malaisé. 
Pour  pouvoir  dégager  plus  facilement  les  règles  généralement 
admises,  il  convient  d'écarter  d'emblée  des  quelque  quatre  cents 
associations  internationales  cataloguées  à  ce  jour,  celles  pour 
lesquelles  le  problème  des  langues  ne  se  pose  pas. 

Ce  n'est  que  lorsque  les  interlocuteurs  en  présence  ne  peuvent 
se  comprendre  par  absence  d'une  langue  commune  que  la  ques- 
tion se  pose  réellement,  et  l'on  ne  peut  dire  que  ce  soit  le  cas 
de  ces  musées  recueillant  des  objets  de  diverses  provenances 
ni  de  ces  instituts  accueillant  des  travailleurs  de  plusieurs 
nationalités.  Ne  peuvent  être  retenus  non  plus,  les  réunions 
dites  internationales,  se  tenant  invariablement  dans  un  même 
pays,  ou  encore  les  groupements  internationaux  d'hommes 
pouvant  se  rencontrer  grâce  à  la  possession  et  au  choix  préa- 
lable d'une  même  langue  (par  exemple,  les  congrès  de  médecine 
légale  de  langue  française  admettant  tous  les  médecins  connais- 
sant la  langue  française).  A  plus  forte  raison  peut-on  faire 
abstraction  des  conférences  et  organisations  intergouvernemen- 
tales qui  emploient  presque  exclusivement  la  langue  française 
pour  leurs  relations  tant  officielles  que  publiques.  Les  suscep- 
tibilités nationales  n'ont  pu  faire  obstacle  à  l'adoption  d'une 
seule  langue  vivante  par  les  gouvernements.  C'est  donc  se  mon- 
trer plus  catholique  que  le  Pape  rpie  de  s'obstiner  à  faire  état 


SECTION    PÉDAGOGimE    ET    SOCIALE  IV- 7   —  57 

Je  ces  mêmes  susceptibilités  lorsqu'il  s'agit  d'organisations  non 
officielles. 

Ces  diverses  éliminations  comportent  la  suppression  d'une 
majorité  de  groupements  accordant  une  place  privilégiée  à  la 
langue  française,  car,  indépendamment  de  l'emploi  du  fran- 
çais comme  langue  diplomatique,  il  faut  tenir  compte  du  fait 
que  c'est  en  France,  en  Belgique  et  en  Suisse  que  la  majorité 
des  associations  internationales  prennent  naissance.  Parmi  les 
"200  associations  restantes,  beaucoup  émanent  de  groupements 
nationaux  devenus  peu  à  peu  internationaux  sans  avoir  introduit 
dans  leurs  statuts  d'indication  concernant  l'emploi  des  langues, 
ou  en  laissant  toute  latitude  à  ce  sujet  à  chacun  de  leurs 
congrès.  Il  n'y  a  pas  de  raison  de  croire  que  ces  associations 
ne  règlent  en  pratique  l'emploi  des  langues  autrement  que  celles 
qui  ont  légiféré  sur  ce  point,  de  sorte  que  les  résultats  obtenus 
de  l'examen  des  statuts  peuvent  leur  être  appliqués  en  toute 
logique. 

On  conçoit  aisément  que  les  influences  s' exerçant  pour  faire 
adopter  certaines  langues  plutôt  que  d'autres  ont  dû  varier  con- 
sidérablement suivant  les  lieux  et  les  hommes  en  présence. 
L'Union  des  associations  internationales  ne  pouvait  exercer 
son  action  régulatrice,  puisqu'elle  est  de  formation  trop  récente, 
et  cependant  le  chaos  a  pu  être  évité,  ainsi  qu'on  peut  en  juger 
par  les  extraits  (publiés  en  annexe)  des  statuts  de  103  asso- 
ciations, ainsi  que  des  renseignements  obtenus  directement 
de  38. 

Avant  de  résumer  la  statistique  qui  peut  être  dressée  au 
moyen  de  ces  données,  constatons  avec  étonnement  combien 
peu  d'associations  ont  jugé  pouvoir  accorder  à  la  langue  du  pays 
où  se  tient  la  réunion  une  importance  en  rapport  avec  le  plus 
grand  nombre  de  nationaux  qui  assistent  aux  séances  ou  qui 
prêtent  leur  concours  à  l'organisation  locale.  En  effet,  une 
dizaine  seulement  admettent,  par  leurs  statuts,  la  langue  du 
pays  comme  langue  parlée  et  quatre  seulement  comme  langue 
écrite.  Fermement  partisans  de  la  limitation  du  nombre  des 
langues  internationales,  nous  n'en  regrettons  pas  moins  cette 
exclusion   qui,   loin   de   simplifier   le  problème,   nous   paraît 


S8  —  IV- 7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

de  nature  à  le  compliquer.  La  courtoisie  à  l'égard  d'un  pays 
accordant  aux  congressistes  une  hospitalité  souvent  très  oné- 
reuse, ainsi  que  la  présence  et  la  collaboration  effective  d'un 
grand  nombre,  sinon  d'une  majorité  des  habitants  de  ce  pays, 
créent  un  droit  sérieux  en  faveur  de  sa  langue.  En  admettant 
celle-ci  à  titre  temporaire  parmi  les  langues  du  congrès,  on  ferait 
consentir  bien  plus  facilement  à  son  exclusion  ailleurs  et  on 
éviterait  de  susciter  de  l'animosité  à  l'égard  des  langues  vrai- 
ment internationales.  Par  contre,  certaines  associations  ont 
dépassé  la  mesure  en  accordant  à  la  langue  du  pays  la  place 
qui  lui  revient,  mais  elles  ont  commis  la  faute  grave  de  ne  pas 
faire  ressortir  le  caractère  temporaire  de  son  admission.  C'est 
ainsi  que  six  associations  ont  admis  l'italien  pour  leurs  réu- 
nions tenues  hors  d'Italie,  et  une  ou  deux  l'espagnol,  le  sué- 
dois, etc.  Il  y  a  lieu  d'insister  sérieusement  pour  que  pareil  erre- 
ment  de  lèse-internationalisme  soit  abandonné.  Le  point  d'hon- 
neur bien  compris  ne  peut  consister  à  demander  l'emploi  de 
sa  langue  en  dehors  de  son  pays,  alors  que  la  même  règle  est 
appliquée  à  toutes  les  langues  non  internationales  et  que  la 
nécessité  s'impose  de  réduire  au  strict  minimum  le  nombre  des 
langues  internationales.  C'est  ce  qu'ont  bien  compris  à  maintes 
reprises  les  Hollandais,  les  Portugais,  les  Hongrois,  etc.,  qui 
ont  spontanément  consenti,  chez  eux,  au  sacrifice  de  leur  langue 
en  faveur  des  trois  langues  principales  et  surtout  en  faveur  du 
français. 

Des  103  associations  dont  il  vient  d'être  question,  lo  n'ad- 
mettent que  le  français,  lo  autres  accordent  au  français  un  droit 
de  priorité,  et  83  admettent  le  français  avec  l'anglais  et  l'alle- 
mand (6  ajoutent  l'italien);  trois  ou  quatre  autres  ajoutent 
encore  une  ou  deux  langues  supplémentaires.  Une  dizaine 
admettent  toutes  les  langues,  et  deux  leur  ajoutent  l'espéranto. 

Désirant  compléter  cette  statistique  par  des  renseignements 
obtenus  directement  des  bureaux  permanents  des  associations, 
nous  leur  avons  envoyé  le  questionnaire  suivant  : 

((  Nous  sommes  convaincus  de  ce  que  l'emploi  du  français, 
((  de  l'anglais  et  de  l'allemand  suffit  pour  le  moment  aux  rela- 
«  tions  internationales,  et  qu'il  permet  d'espérer  un  accord  dans 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET  SOCIALE  IV-7  —  59 

«  l'avenir  en  laveur  d'une  seule  de  ces  langues.  Nous  pensons 
«  qu'en  se  limitant  officiellement  à  ces  trois  langues,  on  évite 
«  dès  à  présent  les  multiples  revendications  qui  pourraient  se 
((  produire  par  pur  amour-propre  national  en  faveur  de  langues 
«  non  internationales.  Pour  ce  qui  regarde  plus  spécialement 
((  les  relations  à  établir  entre  les  bureaux  des  associations  inter- 
«  nationales,  qui  ont  presque  toutes  leur  siège  en  Belgique, 
«  France  et  Suisse,  nous  estimons  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  modi- 
<(  fier  l'usage  actuel  qui  est  l'emploi  quasi  exclusif  du  français 
«  pour  ces  relations. 

<(  Si  vous  partagez  cette  manière  de  voir,  veuillez  nous  le  dire, 
«  sans  tenir  compte  de  ce  qui  suit. 

«  Si  vous  ne  la  partagez  pas,  veuillez  indiquer  le  système  qui 
«  aurait  vos  préférences,  et  dans  le  cas  où  vous  préféreriez  une 
((  langue  artificielle  (ido,  espéranto,  idiomneutral,  panro- 
«  man,  etc.),  veuillez  dire  laquelle  et  les  moyens  que  vous  pré- 
«  conisez  pour  permettre  un  accord  unanime  en  sa  faveur.  » 

Maints  bureaux  permanents  ont  préféré  attendre  une  décision 
de  leur  prochain  congrès  avant  de  formuler  leur  réponse.  Parmi 
les  .38  réponses  reçues  à  ce  jour  fvoir  ces  réponses  en  annexes), 
13  (d'ailleurs  en  accord  avec  nous)  proviennent  d'associations 
dont  les  statuts  nous  avaient  déjà  fourni  les  renseignements 
nécessaires.  Parmi  les  autres,  18  se  déclarent  d'accord  avec  nous, 
3  désirent  qu'on  emploie  le  français  seul,  2  veulent  donner  au 
français  une  priorité  plus  grande  que  ne  l'indique  le  question- 
naire, 2  se  déclarent  partisans  de  l'espéranto  et  de  2  de  l'ido. 

Les  données  fournies  par  la  lecture  des  statuts  se  trouvent 
donc  confirmées  par  les  résultats  du  référendum.  Les  caracté- 
ristiques que  nous  venons  de  dégager  parlent  suffisamment  par 
elles-mêmes  pour  que  nous  nous  abstenions  de  les  commenter. 
Tirons  cependant  un  enseignement  du  fait  de  ces  associations 
de  travailleurs  de  toutes  espèces,  groupant  environ  13  millions 
de  membres  (sans  compter  le  Bureau  socialiste  international), 
qui  acceptent  la  limitation  aux  trois  langues  principales.  Cette 
limitation  n'est  donc  pas,  comme  on  voudrait  le  prétendre, 
acceptable  seulement  pour  les  élites  intellectuelles. 


60  —  IV-7  SECTION    PKDAGOGIQIE    ET    SOCIAIE 

Il  résulte  de  toutes  ces  constatations  que  la  réalité  des'  faits 
justifie  pleinement  les  conclusions  de  nos  précédentes  études, 
résumées  dans  le  rapport  que  nous  avons  présenté  au  Congrès 
de  1910.  Nous  y  émettions  le  vœu  que  les  associations  interna- 
tionales reconnaissent  comme  seules  langues  officielles  :  le 
français,  l'anglais  et  l'allemand,  tout  en  accordant  la  préémi- 
nence au  français.  Il  est  établi  que  les  organisations  internatio- 
nales peuvent  exercer  et  exercent  effectivement  sans  trop  d'en- 
combre leur  activité  au  moyen  des  trois  langues  qui  se  sont 
imposées  comme  moyens  de  communication  internationale.  Les 
revendications  inconsidérées  qui  se  produisent  souvent  en 
faveur  d'autres  langues  sont  incompatibles  avec  les  besoins 
bien  compris  de  l'internationalisme,  et  il  y  a  lieu  de  les 
repousser.  C'est  en  accentuant,  chaque  fois  que  les  circon- 
stances le  permettront,  la  priorité  accordée  au  français,  que 
l'on  obtiendra  le  plus  aisément  l'abandon  de  ces  revendica- 
tions, puisqu'on  annoncerait  par  là  que  les  efforts  doivent  se 
diriger  vers  une  limitation  plus  étroite  et  non  en  sens  inverse. 
L'anglais  et  l'allemand,  restant  langues  privilégiées,  leurs  parti- 
sans, dûment  avertis,  ne  peuvent  que  consentir  à  pareille  ma- 
nière de  faire.  C'est  pourquoi  nous  proposons  de  résumer  la 
question  sous  la  forme  du  statut  linguistique  suivant,  à  commu- 
niquer aux  organisateurs  de  toutes  les  manifestations  interna- 
tionales. 


STATUT  LINGUISTIQUE  DES  ASSOCIATIONS 
INTERNATIONALES. 

Il  est  désirable  que  les  associations  internationales  n'ad- 
mettent officiellement,  tant  comme  langues  parlées  que  comme 
langues  écrites,  que  le  français,  l'anglais  et  l'allemand,  en  don- 
nant autant  que  possible  la  prééminence  au  français. 

A  la  demande  des  nationaux  du  pays  où  se  tient  la  réunion, 
une  tolérance  peut  être  faite  en  faveur  de  la  langue  de  ce  pays, 
moyennant  un  résumé  dans  les  trois  langues  officielles  ou  tout 
au  moins  en  français.  Cette  tolérance  admise  à  titre  exceptionnel 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV-7  —  61 

ne  peut  créer  un  précédent  pour  une  réunion  dans  un  autre 
pays. 

Les  imprimés  destinés  exclusivement  à  un  pays  déterminé 
pourront  toujours  être  rédigés  dans  la  langue  de  ce  pays  avec, 
si  nécessaire,  une  traduction  ou  un  résumé  dans  les  trois 
langues  officielles  ou  tout  au  moins  en  français. 

En  ce  qui  regarde  les  réunions  entre  délégués  américains 
pour  la  discussion  d'intérêts  purement  américains,  l'espagnol 
et  au  besoin  le  portugais  semblent  devoir  remplacer  l'allemand 
comme  langue  officielle  en  même  temps  que  le  français  et  l'an- 
glais. 

La  majorité  des  bureaux  permanents  des  associations  inter- 
nationales ayant  leur  siège  en  pays  de  langue  française,  il  y  a 
lieu  de  maintenir  l'usage  existant  qui  consiste  à  rédiger  surtout 
en  français  les  correspondances  et  autres  moyens  de  communica- 
tions entre  ces  bureaux. 

Le  présent  statut  visant  à  la  limitation  la  plus  grande  possible 
du  nombre  des  langues,  les  associations  internationales  sont 
invitées  à  rejeter  toutes  propositions  qui  leur  seraient  faites  en 
faveur  d'autres  langues  vivantes,  mortes  ou  artificielles. 


LE  COMITÉ 


Mil. 


Abetti  (A.),  directeur  de  l'Observatoire  de  Florence. 

And'res  (A.),  professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Parnie. 

Ausiaux  (M.),  professeur  de  sociologie  à  l'Université  de  Bruxelles. 

Apostolidcs   (N.),   professeur  de  zoologie  k  l'Université   d'Athènes. 

Barbieri  (G.),  professeur  de  chimie  à  l'Université  de  Ferrare. 

Bedot   (M.),   professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Genève. 

Bogdan  (G.),  professeur  de  médecine  légale  k  l'Université  de  Jassy 
(Roumanie). 

Bolivar  (J.),  professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Madrid. 

Borri  (Ii.),  professeur  de  médecine  légale  à  l'Université  de  Florence. 

Bucalioni  (L.),  directeur  de  l'Institut  de  botanique  de  Catane. 

Bujor  (P.),  professeur  de  morphologie  à  l'Université  de  Jassy  (Rou- 
manie) . 

Bujwid  (O.),  professeur  d'hygiène  à  l'Université  de  Craeovio  (Galicie). 

Canalis  (P.),  professeur  d'hygiène  à  l'Université  de  Gênes. 

Carnerio  de  Campos  (J.),  professeur  d'anatomie  à  l'Université  de  Baliia 
(Brésil). 


62  —  IV -7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 


MM. 


Catsaras  (M.),  professeur  de  neurologie  à  l'Université  d'Athènes. 
Cavara  (F.),  directeur  du  Jardin  botanique  de  Naples. 
Celli  (A.),  professeur  d'hygiène  à  l'Université  de  Rome. 
Choquette  (Ch.),  professeur  de  physique  au  collège  de  Saint-Hyacinthe 

(Canada). 
Chwolson  (O.),  professeur  de  mathématiques  à  l'Université  de  Saint- 
Pétersbourg. 
Clementi  (6.),  directeur  de  la  clinique  chirurgicale  à  l'Université  de 

Catane. 
Coculesco  (N.),  directeur  de  l'Observatoire  de  Bucarest. 
Corona  (A.),  professeur  de  physiologie  à  l'Université  de  Parme. 
Cosmovici   (L.),  professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Jassy  (Rou- 
manie) _ 
da  Costa  Lobo  (F.),  professeur  d'anatomio  à  l'Université  de  Coïmbre 

(Portugal), 
da  Ciinha  (P.),  professeur  d'anatomie  à  l'Université  de  Lisbonne. 
Demoor  (J.),  professeur  de  physiologie  à  l'Université  de  Bruxelles. 
di   Mattei    (E.),    directeur   de    l'Institut    d'hygiène   à    l'Université    de 

Catane. 
Dvorak  (V.),  professeur  de  physique  à  l'Université  d'Agram  (Autriche- 
Hongrie)  . 
Kginitis  (D.),  directeur  de  l'Observatoire  d'Athènes. 
Fermi    (Cl.),    professeur    d'hygiène    à    l'Université    de    Sassari    (Sar- 

daigne). 
Ferrero  (G.),  historien  à  Turin. 

Furstenhoff  (J.),  professeur  de  l'Extension  universitaire  à  Bruxelles. 
Gatterani    (G.),    professeur    de    zoologie    à    l'Université    de    Camerino 

(Italie). 
Girard,  directeur  du  Musée  à  Lisbonne. 
Gravé    (P.),    professeur    de   mathématiques    k   l'Université    de   Jurjew 

(Livonie). 
Hermitte,    directeur   général    des   Mines    à    Buenos-Ayres    (République 

Argentine). 
Horvath  (G.),  directeur  de  la  section  zoologique  du  Musée  à  Budapest. 
Kauliabko    (A.),    professeur   de   physiologie   à   l'Université   de   Tomsk 

(Sibérie). 
Laflamme  (J.),  professeur  de  géologie  à  l'Université  Laval,  à  Québec 

(Canada). 
Lebedinsky  (J.),  professeur  de  zoologie  à  l'Université  d'Odessa  (Russie). 
Magalhaes,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  l'Université  d'Oporto 

(Portugal). 
Marinesco  (G.),  profespeur  de  neurologie  à  l'Université  de  Bucarest. 
Mattozo-Santos  (F.),  directeur  du  Musée  zoologique  à  l'Université  de 

Lisbonne. 
Mittag-Leffler    (G.),    professeur    de    mathématiques    à    l'Univeraité    de 

Stockholm. 
Morselli  (E.),  directeur  de  clinique  à  l'Université  de  Gcênes. 
Pampanini  (R.),  directeur  de  l'Institut  de  botanique  à  l'Université  de 

Florence. 
Paulesco  (N.),  professeur  de  physiologie  à  l'Université  de  Bucarest. 
Pelseneer  (P.),  membre  de  l'Académie  de  Belgique  à  Gand. 


SE.C1I0N  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-7  —  63 


MM. 


Pozzi-Escot  (M.),  professeur  à  l'Ecole  nationale  d'agriculture  à  Lima 
(Pérou). 
'  Kacovitzrt  (Em.),  sous-directeur  du  Laboratoire  .Arago,  à  Paris. 

Raffinetti  (V.),  professeur  de  mathématiques  à  l'Université  de  La  Plata 
(République  Argentine). 

Rajna  (M.),  directeur  de  l'Observatoire  de  Bologne. 

Romiti  (G.),  professeur  d'anatomie  à  l'Université  de  Pise. 

Saccardo  (P.),  professeur  de  botanique  à  l'Université  de  Padoue. 

Scoseria  (J.),  directeur  de  l'Institut  de  chimie  de  l'Université  de  Monte- 
video (Uruguay). 

SoUier  (J.),  directeur  du  sanatorium  de  BouIogne-surSeine. 

Stanoëevitch  (G.),   professeur  de  pliysique  à  l'Université  de  Belgrade 
(Serbie). 

Suncr    (A.),    professeur    de    physiologie    à    l'Université    de    Barcelone 
(Espagne). 

Tanzi  (E.),  professeur  de  neurologie  à  l'Université  de  Florence. 

Van  Laer  (H.),  professeur  à  l'Ecole  des  mines  du  Hainaut,  à  Bruxelles. 

Vedjovskij,  professeur  de  zoologie  à  l'Université  de  Prague  (Bohême). 

Wilmotte  (51.),  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à  Bruxelles. 


RÉPONSES  AU  QUESTIONNAIRE. 

Association  générale  des  hygiénistes  et  techniciens  municipaux. 

Je  suis  d'avis,  connaissant  les  trois  langues,  que  le  français 
est  la  langue  la  plus  claire  dans  ses  mots  et  dans  la  construc- 
tion de  ses  phrases. 

Le  21  mars  1913. 

H.  REGNARD. 


Office  central  du  Génie  rural,  de  la  motoculture 
et  de  l'électrocultnre. 

Emploi  exclusif  du  français. 

Le  21  mars  1913. 

SILBERNAGEL. 

Congrès  international  pour  l'amélioration  du  sort  des  aveugles. 

J'estime  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  modifier  l'usage  actuel  de  la 
langue  française  pour  les  relations  scientifiques  internatio- 
nales comme  langue  auxiliaire. 

Le  15  avril  1913. 

D'  ELOUI. 


G4  —  IV-7  SECTION    l'ÈDAGOGlglE    ET    SOCIALE 

Commission  électrotechniqiie  internationale. 

La  Commission  électi'otechnique  internationale,  en  190(j, 
adopta  comme  langues  officielles  l'anglais  et  le  français.  En 
1913,  à  la  demande  des  comités  nationaux  parlant  les  langues 
allemande  et  es|)agnole,  le  bureau  central  proposa  d'ajouter, 
comme  traduction  aux  textes  officiels,  un  texte  allemand  et  un 
texte  espagnol.  Il  existe  dans  plusieurs  pays  des  électriciens 
très  compétents,  mais  qui  ne  sont  pas  linguistes,  et  puisque  la 
Commission  élecfrotechnique  internationale  désire  que  les  in- 
génieurs électriciens  de  tous  pays  prennent  connaissance  de 
ses  travaux,  sans  difficulté,  elle  est  forcée  de  publier  ses  docu- 
ments imprimés  dans  les  quatre  langues  les  plus  usuelles  du 
monde  :  anglais,  français,  allemand  et  espagnol. 

Je  ne  sais  pas  si  vous  désirez  que  les  Américains  et  les  An- 
glais lisent  vos  rapports  et  qu'ils  s'intéressent  à  vos  travaux. 
Ils  ne  sont  malheureusement  pas  linguistes  comme  les  Alle- 
mands, les  Hollandais  ou  les  Suisses  et  ne  comprennent  presque 
rien  que  leur  langue  maternelle. 

Pour  les  congrès,  mon  avis  personnel  est  que  tout  le  monde 
qui  y  assiste  comprend  et  peut  s'exprimer  en  français. 

Le  21  mars  1913. 

Le  secrétaire  général  de  la  Commission, 
Ch.  MAISTRE. 

Office  international  du  travail  à  domicile. 

Nos  congrès  internationaux  admettent  les  trois  langues  in- 
diquées et  publient  tous  leurs  documents  dans  ces  trois  langues. 
Quant  aux  relations  par  correspondances,  elles  se  font  toujours 
en  français. 

C'est  vous  dire  que  nous  souscrivons   aux   déclarations  de 
votre  paragraphe  premier  ci-contre. 
Le  23  mars  1913. 

Le  secrétaire, 
Antony  NEUCHENS. 

Institut  colonial  international. 

Les  discussions  qui  ont  été  tenues  depuis  1894  dans  les  ces- 
sions tenues,  par  l'Institut  colonial  international,  dans  diffé- 
rentes villes  d'Europe  (Bruxelles,  La  Haye,  Berlin,  Wiesbaden, 
Brunswich,  Paris,   Londres,  Rome),   ont   toujours   eu  lieu   en 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV- 7  —  CS 

français  et  ce  n'est  que  très  exceptionnellement  qu'on  a  em- 
ployé les  langues  allemande  et  anglaise,  à  l'exclusion  de  toute 
autre  langue.  Le  bureau  ne  correspond  qu'en  français.  Le 
secrétaire  général  n'a  pas  mission  de  prendre  au  nom  de  l'In- 
stitut un  engagement  quelconque  pour  l'avenir,  mais  il  ne 
pense  pas  que  l'usage  établi  depuis  plus  de  vingt  ans  soit 
modifié. 

Le  26  mars  1913. 

Le  secréluirc  général, 
Camille  JANSSEN. 

Conférences  mondiales  pour  aider  à  l'entente  entre  les  races. 

Je  suis  personnellement  d'avis  que  toutes  les  lettres 
échangées  entre  des  associations  internationales  ou  des  gou- 
vernements étrangers  doivent  être  rédigées  en  français  (en  bon 
français).  Autant  que  faire  se  peut,  toute  correspondance  ayant 
un  caractère  international  devrait  suivre  cette  règle  également. 
Cependant,  l'internationalisme  réel  ne  pourrait  devenir  pos- 
sible que  lorsqu'une  seule  langue  telle  que  l'ido  sera  acceptée 
universellement  comme  langue  auxiliaire  universelle.  Je  n'ai 
pas  la  compétence  nécessaire  pour  dire  comment  on  pourrait 
obtenir  l'unanimité  pour  le  clioix  de  cette  langue. 

G.  SPILLER. 

Comité  de  jonction  des  congrès  sténographiques  internationaux. 

Je  suis  personnellement  de  cet  avis  et  je  pense  être  l'inter- 
prète de  la  grande  majorité  des  membres  du  Comité  de  jonc- 
tion  des   congrès   sténographiques   internationaux. 

II  est  souhaitable  que  pour  les  discours  importants  un  secré- 
taire polyglotte  prenne  des  notes  et  résumé  brièvement  les 
idées  émises  par  l'orateur,  pour  les  auditeurs  des  deux  autres 
langues,  qui  ne  connaîtraient  pas  celle  que  l'orateur  a  employée. 

Le  français  est  à  maintenir  comme  langue  employée  dans  les 
communications  écrites  entre  les  bureaux  des  associations 
internationales  et  le  siège  central. 

Le  20  mars  1912. 

J.  DEPOIN. 

Conseil    international   des    sapeurs-pompiers. 
D'accord. 

J.  MEYER. 


66  —   IV- 7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

Union  internationale  pour  la  protection  de  l'enfance 
du  premier  âge. 

Je  partage  cette  manière  de  voir  et  à  l'Union  internationale 
pour  la  protection  de  l'enfance  du  premier  âge,  nous  avons 
adopté  cette  manière  de  voir. 

Le  21  mars  1913. 

D'  E.  LUST. 

Société  internationale  de  la  tuberculose. 

Lu  et  approuvé. 

Le  secrétaire  général, 
D'  Georges  PETIT. 

Bureau  international  de  fédérations  d'instituteurs. 

Le  Bureau  international  de  fédérations  d'instituteurs  n'a  pas 
accueilli,  il  y  a  quelques  années,  un  vœu  en  faveur  d'une 
langue  internationale  artificielle.  Je  pourrais  donc  signer  pour 
approbation  de  la  première  partie  de  votre  questionnaire.  Je 
crois  plus  utile  d'appuyer  votre  proposition  des  signatures 
des  membres  du  comité. 

Le  23  mars  1913.  Gh.  ROSSIGNOL. 

Fédération  internationale  du  bâtiment  et  des  travaux  publics. 
D'accord. 
Le  23  mars  1913!  VAN  OPHEM. 

IIP  Congrès  international  de  botanique. 

D'accord,  mais  je  n'ai  pas  qualité  pour  parler  au  nom  des 
congrès  en  général  le  prochain  congrès  aura  lieu  à  Londres, 
en  1915;  un  comité  doit  déjà  être  en  fonction  sur  place. 

Le  23  mars  1913. 

E.  DE  WILDEMAN. 

Section  de  démographie  de  l'Institut  international 
de  statistique. 

D'accord  en  mon  nom  personnel,  mais  n'ai  reçu  de  mandat 
d'aucune  association  internationale. 

Le  22  mars  1913.  D'  Jacques  BERTILLON. 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV- 7  —  67 

Association  internationale  du  froid. 

J'ai  l'honneur  de  vous  retourner  le  questionnaire  que  vous 
avez  bien  voulu  nous  adresser,  muni  de  l'approbation  du  prési- 
dent de  l'Association  internationale  du  froid. 

Le  Président,  Le  secrétaire  général, 

A.  LEBON.  E.  GOUAULÏ. 

Association    internationale   des   médecins   niécanothérapeiites. 

Il  n'est  pas  possible  d'adopter  une  de  ces  langues  comme 
langue  internationale.  Il  faut  les  considérer  toutes  les  trois 
comme  un  ensemble.  L'opposition  à  l'adoption  de  l'une  d'elles 
à  l'exclusion  des  deux  autres  est  irréductible. 

L'espéranto  possède  de  grands  avantages  et  est  déjà  connu 
par  un  nombre  considérable  de  personnes.  L'accord  ne  peut 
sortir  que  d'une  entente  commerciale,  et  non  d'une  entente 
académique.  C'est  un  congrès  de  commerçants  et  non  de  pro- 
fesseurs qui  donnera  la  poussée.  Tout  le  monde  l'apprendra 
quand  les  bureaux  le  demanderont. 

Le  25  mars  1913. 

D'  GUNZBURG. 

Congrès    international   d'hgdrologie,   de    climàtothérapie, 
de  géologie  et  de  physicothérapie. 

Je  partage  l'opinion  écrite  au  paragraphe  1°  du  question- 
naire. 

Le  25  mars  1913. 

Albert  ROBIN. 

Bureau  international  de  documentation  éducative. 

Dans  mes  rapports  avec  les  sociétés  savantes  des  divers  pays, 
j'ai  pu  constater  que  le  français  est  la  langue  internationale 
par  excellence.  Aussi,  l'emploi  quasi  exclusif  du  français  s'im- 
pose-t-il  à  toute  société  ou  organisation  scientifique  interna- 
tionale. 

Le  Bureau  international  de  documentation  éducative  se  sert 
du  français  comme  langue  véhiculaire,  tout  en  réservant  une 
place  à  l'allemand  et  à  l'anglais,  en  tant  que  langues  scienti- 
fiques admises,  et  au  flamand,  en  considération  du  milieu  dans 
lequel  l'organisme  a  pris  naissance. 

Le  26  mars  1913. 

Le  directeur  général  du  Bureau  international, 
Éwdard  PEETERS. 


68  —  IV-7  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

Fédération    internationale   pour    l'observance    du    dimanche. 
D'accord. 

Le  26  mars  1913. 

Pour  la  Fédération, 
E.  DELUZ. 

Association  internationale  pour  la  protection  de  la  propriété 

industrielle. 

Je  partage  complètement  cette  manière  de  voir. 
Le  17  mars  1913. 

Albert  OSTERRIETH. 

Congrès  périodique  international  de  gynécologie 
et  d'obstétrique. 
D'accord. 

D--  JACOBS. 

Comité  olympique  international. 
D'accord. 

Pierre  de  COUBERTIN. 

Commission   permanente   de   l'Association    internationale 
des  Congrès  des  chemins  de  fer. 

Cette  manière  de  voir  est  conforme  à  la  pratique  de  l'Asso- 
ciation internationale  des  congrès  des  chemins  de  fer.  Celte 
association,  qui  exclut  les  membres  individuels,  s'étend  à 
46  gouvernements  adhérents  et  à  404  chemins  de  fer  partici- 
pants. 

Le  secrétaire  général  de  l'Association, 
L.  WEISSENBRUCH. 

Association   internationale  pour   la  protection   légale 
des  travailleurs. 

Nous  sommes  convaincus  de  ce  que  l'emploi  du  français, 
de  l'allemand  et  de  l'anglais  suffit  pour  le  moment  aux  rela- 
tions internationales.  Nos  expériences  prouvent  que  même  des 
ouvriers  allemands  ont  appris,  dans  l'intérêt  de  la  solidarité 
sociale,  les  rudiments  du  français,  et  que  des  délégués  fran- 
çais, à  leur  tour,  ont  appris  à  comprendre  des  discours  alle- 
mands. La  plus  grande  difficulté  linguistique  existe  encore 
pour  les  délégués  des  pays  anglo-saxons.  C'est  plutôt  des  pré- 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV- 7  —  69 

l'érences  de  ces  pays  que  dépendra  le  choix  d'une  langue  auxi- 
liaire. Ces  préférences  ne  sont  pas  encore  perceptibles.  Il 
serait  donc,  à  l'tieure  <[u'il  est,  absolument  inadmissible  de 
se  livrer  à  des  i)ronosties  sur  un  accord  futur  en  faveur  d'une 
seule  de  ces  langues.  Actuellement,  l'extension  de  chacune 
dans  le  monde  se  poursuit  presque  pari  passu. 

Dans  les  relations  entre  les  bureaux  des  associations  inter- 
nationales, l'usage  actuel  comporte,  comme  vous  le  faites  re- 
marquer, l'emploi  quasi  exclusif  du  français.  11  est  évident 
que  nous  correspondrions  en  allemand  avec  un  office  inter- 
national ayant  son  siège  à  Berlin,  et  en  anglais  avec  un  institut 
international  à  Londres.  La  langue  auxiliaire  s'impose  dans 
tous  ces  cas  pour  des  raisons  d'économie  de  temps,  de  frais 
et  de  courtoisie  réciproque. 

Quant  aux  langues  artificielles,  il  nous  paraît  douteux  que 
l'effort  intéressant  des  adeptes  de  chacun  des  multiples 
idiomes  rivaux  aboutisse  à  un  résultat  appréciable  dans  nos 
rangs  d'ici  à  dix  ans.  Nous  préférons  concentrer  nos  énergies 
sur  l'unité  sociale  des  peuples,  d'élargir  les  frontières  inté- 
rieures qui  les  séparent,  de  combattre  la  xénophobie  des 
institutions  plutôt  que  d'épuiser  nos  efforts  dans  une  unifi- 
cation des  manifestations  extérieures.  En  effet,  il  est  préfé- 
rable de  sacrifier  aux  habitudes  nationales,  plutôt  que  de 
prendre  l'appui  de  l'opinion  publique  dans  tous  les  pays  par 
l'adoption  d'une  langue  exclusive.  Mieux  vaut  s'entendre  que 
se  comprendre. 

Le  29  mars  1913. 

Le  président,  Le  secrétaire  général, 

H.   SCHERRER.  BAUER. 

Commission  permanente  internationale 
des   congrès   d'assainissement   de   l'habitation. 

Je  partage  absolument  cette  manière  de  voir  et  je  considère 
que  les  langues  artificielles  ne  font  qu'ajouter  à  l'imbroglio. 
11  faut  se  limiter  à  trois  langues  en  attendant  qu'on  arrive  à 
une  seule. 

Le  30  mars  1913. 

S.  Marié  DAVY. 

Confédération  internationale  des   nniversités  populaires. 
Nous   sommes   tout    à   fait   d'accord   avec   vous   en    ce   qui 


70  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

concerne  les  relations  internationales;  au  sujet  des  relations 
entre  bureaux,  ceUes-ci  se  font  exclusivement  en  français. 

Le  1"  avril  1913. 

Gaston  CHOTIAU. 

Société  positiviste  internationale. 

D'accord. 

D'^    CORRA. 

Fédération  internationale  et  nniverselle  des  sociétés 
de  crémation. 

Ces  trois  langues  suffisent  amplement. 

Georges  TOSQUINET. 

Association    internationale    pour    la    destruction    rationnelle 

des  rats. 

Nous  partageons  complètement  la  manière  de  voir  y  exposée. 

Le  5  avril  1913. 

F.  GUNCHLNA. 

Commission    internationale   permanente 
de  l'éducation  physique. 
D'accord. 

A.  FOSSEPREZ. 

Association    internationale   pour   l'étude    du    cancer. 

Nous  sommes  d'avis  qu'il  n'est  pas  pratique  de  désigner  une 
seule  langue  pour  les  congrès  et  les  relations  scientifiques 
internationaux.  Nous  pensons  aussi  qu'il  ne  convient  pas  de 
remplacer  les  langues  existantes  par  une  langue  artificielle. 
Nous  croyons  qu'il  faut  maintenir  l'usage  des  langues  usuelles, 
c'est-à-dire  de  l'allemand,  de  l'anglais  et  du  français,  pour  les 
relations  scientifiques  internationales. 

D'  DEBAISIEUX,  STIMMER,  Prof.-D'  GENPHEYR. 

Société  internationale 
pour   le    développement   de    l'enseignement    commercial. 

D'accord. 

A.  JUNOD. 


SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE  IV-7  —  71 

L'Alliance   coopérative    internationale. 
Nous  sommes  de  cet  avis.  HAUSHULLER. 

Institut  ethnographique  international  de  Paris. 

Nous  estimons  également  que  le  français,  l'anglais  et  l'alle- 
mand suffisent  à  assurer  les  relations  internationales,  mais 
nous  ne  pensons  pas  qu'on  puisse  envisager  l'éventualité  d'un 
accord  reconnaissant  l'emploi  exclusif  de  ces  trois  langues. 
Si  l'une  quelconque  d'entre  elles  doit  jamais  acquérir  une  pré- 
dominance marquée  sur  les  autres,  cela  ne  peut  résulter  que 
d'une  situation  de  fait  que  dans  les  deux  autres  pays  on  ne 
pourrait  s'empêcher  de  reconnaître  et  d'accepter,  mais  cet  état 
de  chose  ne  saurait  être  créé  par  un  arrangement  consacrant 
un  abandon  volontaire.  De  toute  façon,  notre  société  proteste 
avec  la  plus  vive  énergie  contre  toute  idée  d'essayer  de  créer 
une  langue  arificielle,  ce  qui  est  contraire  à  toutes  les  données 
fournies  par  la  science  ethnographique. 

G.  REGELSPERGER. 

Alliance  internationale  pour  le  suffrage  des  femmes. 

Je  préfère  l'ido;  on  pourrait  habituer  le  public  par  la  pu- 
blication d'une  édition  de  l'organe  des  sociétés  internationales 
et  du  compte  rendu  de  leurs  congrès  en  ido.  Mais,  bien  sûr, 
il  faudrait  pour  cela  des  sacrifices  pécuniaires  de  la  part  des 
idistes. 

Je  ne  puis  parler  au  nom  de  l'Alliance,  faute  de  temps  de  la 
consulter. 

G.  KRAMERS. 

Fédération  abolitionniste  internationale. 

L'espéranto  a  paru  avoir  résolu  le  problème,  et  il  y  a  lieu 
de  considérer  comme  une  chose  absolument  déplorable  que 
l'on  ai  songé  à  lui  opposer  l'ido,  qui  a  ralenti  sinon  arrêté 
l'élan  initial,  au  grand  détriment  de  l'intérêt  général. 

Quant  aux  moyens  à  préconiser  pour  permettre  un  accord 
unanime  en  faveur  de  l'espéranto,  il  faudrait  pouvoir  faire 
comprendre  aux  réformistes  que  le  mieux  est  fréquemment 
l'ennemi  du  bien,  et  qu'ils  sont  eux-mêmes  voués  à  l'impuis- 
sance, tous  leurs  efforts  ne  devant  aboutir  en  fin  de  compte 
qu'à  enrayer  un  mouvement  qui  se  présentait  sous  les  plus 
heureux  auspices. 

H.  MINOD. 


72  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIOUE  ET   SOCIALE 

Bureau    international    de    renseignements 
à  l'usage  des  professeurs  de  langues  vivantes. 

D'accord. 

Le  6  juin  1913.  Louis  WEILL. 

Comité  permanent  des  congrès  internationaux  d'actuaires. 

Comme  suite  à  votre  lettre  du  11  avril  dernier,  nous  avon.s 
le  plaisir  de  vous  faire  savoir  que  dans  sa  séance  de  ce  jour, 
le  Conseil  de  direction  du  Comité  permanent  a  fait  sienne 
l'opinion  émise  par  le  Comité  d'entente  au  sujet  de  la  langue 
à  adopter  dans  les  relations  internationales. 

Le   14  juin   1913. 

Le  secrétaire  général,  Le  président, 

(S.)  LEFRANC.  (S.)  Ant.  BIGAULT. 


RELEVE  DES  ASSOCIATIONS  INTERNATIONALES  DONT 
LES  STATUTS  CONTIENNENT  DES  INDICATIONS  AU 
SUJET  DE  L'EMPLOI  DES  LANGUES. 

1.  Fédération  internationale  des  ouvriers  des  postes,  télé- 
graphe et  téléphone,  —  Le  rapport  annuel  est  rédigé  en  fran- 
çais. 

2.  Fédération  internationale  des  employés.  —  Revue  fran- 
çaise. 

3.  Bureau  international  des  poids  et  mesures.  —  Les  rap- 
])orts  et  les  publications  sont  publiés  en  français. 

4.  Association  internationale  de  la  presse  périodique.  — 
Les  délibérations  et  communications  du  comité,  ainsi  que  les 
procès-verbaux  se  font  en  français. 

5.  Office  sanitaire  international.  —  La  langue  officielle  de 
l'Office  et  du  bulletin  est  le  français. 

6.  Institut  de  droit  international.  —  Aux  congrès,  les  dis- 
cussions se  font  en  français,  sauf  les  exceptions  admises  par 
le  président. 

7.  Fédération  internationale  pour  la  protection  des  races 
indigènes  contre  l'alcoolisme.  —  La   langue   officielle   de   la 


SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE  IV-7  —  73 

Fédération  est  le  français,  mais  on  peut  adresse)-  les  corres- 
pondances en  français,  anglais  et  allemand. 

8.  Bureau  permanent  international  du  spiritisme.  —  Bulle- 
tin en  français. 

!).  Commission  internationale  permanente  pour  l'étude  des 
maladies  professionnelles.  —  F^e  service  bibliographique  à 
Milan  publie  un  bulletin  en  français. 

10.  Association  internationale  des  médecins  inspecteurs 
des  écoles.  —  Bulletin  français. 

11.  Fédération  internationale  des  étudiants.  —  La  langue 
officielle  de  la  Fédération  est  le  français.  La  langue  du  pays 
sçra  admise  pour  l'ouverture  et  l'inauguration  des  congrès. 

12.  Association  internationale  pour  la  lutte  contre  le  chà- 
niaije.  —  Hevue  française;  comptes  rendus  des  congrès  en 
trois  éditions  :  française,  anglaise  et  allemande. 

13.  Association  phonétique  internationale.  —  Revue  fran- 
çaise. 

14.  Institut  international  de  sociologie.  —  Les  travaux  des- 
tinés aux  annales  doivent  être  remis  en  français. 

15.  Bureau  permanent  de  la  pai.r.  —  Organe  :  les  Etats-Unis 
d'Europe  paraissant  en  français  depuis  18G7. 

16.  Congrès  universels  de  la  paix.  —  Le  résumé  des  résolu- 
tions et  les  procès-verbaux  des  séances  sont  publiés  en  fran- 
çais. Les  langues  courantes  des  congrès  sont  :  le  français, 
l'allemand  et  l'anglais. 

17.  Congrès  international  d'archéologie.  —  Les  langues 
officielles  sont  :  le  français,  l'anglais,  l'allemand  et  l'italien, 
avec  priorité  au  français,  qui  est  emi^loyé  pour  les  procès- 
verbaux  et  la  correspondance. 

18.  Fédération  internationale  pharmaceutique.  —  Le  texte 
français  fera  foi  pour  l'interprétation  des  statuts. 

19.  Ligue  internationale  pour  l'éducation  rationnelle  de 
l'enfance.  —  Revue  française. 

20.  Union  internationale  du  droit  pénal.  —  Publications  en 
allemand  et  français. 


74  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

21.  Fédération  de  l'enseignement  du  dessin.  —  Le  résumé 
de  chaque  discours  sera  traduit  en  français,  anglais  et  alle- 
mand, qui  sont  les  langues  officielles.  Le  texte  français  des 
statuts  servira  seul  pour  leur  interprétation. 

22.  Ligue  internationale  des  associations  touristes.  —  Les 
discussions  et  les  communications  ont  lieu  autant  que  possible 
en  langue  française.  Le  Bureau  central  pourra  se  servir  exclu- 
sivement du  français.  Les  discours  ou  propositions  présentées 
en  d'autres  langues  pourront  être  traduites. 

23.  Conseil  international  des  sapeurs-pompiers.  —  Les  pro- 
cès-verbaux et  les  comptes  rendus  sont  rédigés  en  français, 
mais  les  orateurs  peuvent  exiger  la  reproduction  de  leurs 
communications  dans  leur  langue.  Le  français,  l'anglais  et 
l'allemand  sont  les  langues  officielles. 

24.  Commission  permanente  des  congrès  internationaux  de 
médecine.  —  Le  français  est  la  langue  officielle  de  la  Com- 
mission permanente  et  de  son  bureau.  Dans  les  réunions,  on 
pourra  également  faire  usage  de  l'anglais,  de  l'allemand  et  de 
l'italien. 

25.  Congrès  internationaux  d'anthropologie  et  d'archéolo- 
gie historiques.  —  La  langue  française  est  la  langue  officielle 
du  comité  et  sert  à  la  rédaction  des  procès-verbaux  et  de  la 
correspondance.  Toutefois,  les  membres  des  congrès  pour- 
ront se  servir  également  de  l'anglais,  de  l'allemand  ou  de  l'ita- 
lien, mais  leurs  communications  devront  être  résumées  en 
français  et  les  discours  se  continueront  en  français. 

26.  Association  internationale  des  congrès  des  chemins  de 
fer.  —  Discussions  en  français  ou  dans  la  langue  du  pays.  Les 
communications  dans  une  seule  langue  sont  traduites  en  fran- 
çais. Bulletin  français,  anglais  et  allemand. 

27.  Congrès  international  des  fabricants  de  cacao  et  de 
chocolat.  —  Chacun  peut  s'exprimer  dans  sa  langue,  mais  le 
texte  français  fait  règle  en  cas  de  contestation.  Les  discours 
seront  traduits  d'une  langue  dans  l'autre  en  ce  qui  concerne 
le  français,  l'allemand  et  l'anglais.  Publications  dans  ces  trois 
langues. 

28.  Comité  international  de  la  Croix-Houge.  —  Les  orateurs 
auront  la  faculté  de  s'exprimer  dans  leur  langue.  Il  est  cepen- 
dant à  désirer  qu'on  se  serve  de  la  langue  française.  Les  dis- 


SECTION   l'ÈDAGOGIQUE  BT   SOCIALE  ïV-7  —  73 

cours   prononcés    dans   une   autre   langue   seront   résumés   en 
français  et,  s'il  y  a  lieu,  dans  la  langue  du  pays. 

29.  Comité  permanent  des  assurances  sociales.  —  Bulletin 
français.  La  publication  en  anglais  et  en  allemand  est  à 
l'étude. 

30.  Office  international  de  documentation  pour  la  chasse. 
—  Les  langues  d'usage  courant  seront  employées  pour  la  cor- 
respondance. Pour  l'interprétation  des  statuts,  le  texte  fran- 
çais est  seul  valable. 

31.  Office  international  de  documentation  pour  la  pêche.  — 
Les  langues  d'usage  courant  seront  employées  pour  la  corres- 
pondance. Pour  l'interprétation  des  statuts,  le  texte  français 
est  seul  valable. 

32.  Association  internationale  pour  l'exploration  de  l'Asie 
centrale  et  de  l'Extrême-Orient.  —  Publications  en  langue 
française.  Communications  aux  comités  locaux  en  français, 
anglais,  allemand,  italien,  russe  et  latin. 

33.  Union  internationale  des  Associations  de  la  Presse.  — 
La  carte  d'identité  est  imprimée  en  français  avec  traduction 
anglaise    et    allemande    en    plus   petits    caractères. 

34.  Société  internationale  de  musique.  —  Bulletin  en  fran- 
çais et  en  allemand. 

35.  Union  celtique.  — '  Publications  en  français  et  en  an- 
glais. 

36.  Union  internationale  de  patinage.  —  Les  discours  se 
font  en  anglais  et  en  allemand. 

37.  Union  internationale  de  tramways  et  de  chemins  de  fer 
d'intérêt  local.  —  Discussions  et  publications  en  français  et 
allemand,  sauf  avis  contraire  du  comité. 

38.  Fédération  internationale  des  associations  de  filateurs 
et  de  fabricants  de  coton.  —  Les  délégués  pourront  employer 
l'anglais,  le  français  ou  l'allemand,  mais  on  les  prie  d'em- 
ployer autant  que  possible  l'anglais. 

39.  Fédération  théosophique  d'Europe.  —  La  langue  offi- 
cielle est  l'anglais. 

40.  Organisation  sioniste  internationale.  —  La  langue  offi- 
cielle est  l'hébreu.  Les  délibérations  se  feront  autant  que  pos- 


76  —  IV-7  SECTION  PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

sible    en    allemand    et    pourront    être    traduites    en    français, 
anglais  et  russe. 

41.  Association  internationale  des  hôteliers.  —  Bulletin  et 
comptes  rendus  annuels  en  français  et  allemand. 

42.  Union  internationale  des  travailleurs  d'hôtels,  restau- 
rants et  cafés  (26,000  membres).  —  Les  publications  et  la 
correspondance  se  font  en  français,  anglais  et  allemand. 

43.  Association  pour  l'essai  des  matériaux.  —  Le  français, 
l'anglais  et  l'allemand  sont  seuls  employés  pour  les  comptes 
rendus,  rapports,  etc.,  ainsi  que  pour  le  bulletin. 

44.  Association  stoniatologique  internationale.  —  Pour  ré- 
duire au  minimum  les  difficultés  de  la  diversité  des  langues, 
les  langues  officielles  admises  sont  le  français,  l'anglais  et 
l'allemand.  Le  bulletin  est  publié  également  en  ces  trois 
langues. 

45.  Association  internationale  pour  l'hygiène  des  races.  — 
Les  communications  se  font  aux  membres  par  l'intermédiaire 
de  journaux  françai.s,  anglais  et  allemands. 

46.  Conseil  international  des  femmes.  —  Les  secrétaires  des 
divers  pays  envoient  chacpie  année  au  secrétaire  général  un 
rapport  rédigé  dans  une  des  trois  langues  officielles,  qui  sont 
le  français,  l'allemand  et  l'anglais. 

47.  Congrès  international  de  l'éducation  morale,  ù  La  Haye. 
—  Langues  officielles  :  le  français,  l'anglais,  l'allemand  et  le 
hollandais. 

48.  Association  de  clubs  cosmopolites  (Etals-Unis).  — 
Actuellement  revue  anglaise.  La  revue  internationale  en  pré- 
paration  se  publiera  en  français  et  en   anglais. 

49.  Alliance  internationale  pour  le  suffrage  des  femmes.  — 
Bulletin  en  français  et  en  anglais. 

50.  Commission  électro-technique  internationale.  —  Hap- 
j)orts  en  français  et  en  anglais. 

.  51.  Association  internationale  pour  la  protection  de  la  pro- 
priété industrielle.  —  Le  français,  l'anglais  et  l'allemand  sont 
les  langues  officielles  en  lesquelles  se  font  les  i)ublications. 
Les  discours  en  l'une  de  ces  langues  sont  immédiatement  tra- 
duits dans  les  deux  autres.  Trois  annuaires  distincts  en  cha- 
cune des  langues  officielles. 


SliCTlOiN  PÉDAGOGIQIE    ET    SOCIALE  IV- 7  —  77 

52.  Ligue  internationale  contre  la  vaccination.  —  Annuaire 
en  français,  anglais  et  allemand. 

.')3.  Fédération  internationale  des  ouvriers  de  l'industrie 
textile.  —  L'annuaire  en  français,  anglais  et  allemand. 

54.  Union  internationale  des  ouvriers  du  tabac  (48,000 
membres).  —  Revue  et  comptes  rendus  en  français,  en  anglais 
et  en  allemand. 

55.  Union  internationale  des  cordonniers  (54,000  membres). 

—  Publications  et  comptes  rendus  en  françai.s,  en  anglais  et 
en  allemand. 

56.  .Secrétariat   inlernulional  des   travailleurs   de   la  pierre. 

—  Comptes  rendus  et  rapports  annuels  en  français  et  en  alle- 
mand. 

57.  Confédération  internationale  des  musiciens  (28,000 
membres).  —  Les  rapports  en  français,  anglais  et  allemand. 
Discussions  orales  en  la  langue  du  pays  ou  en  espéranto. 

58.  Alliance  coopérative,  internationale.  —  Titre  en  fran- 
çais,  anglais  et  allemand. 

59.  Fédération  internationale  des  mineurs  (726,000  mem- 
bres). —  Comptes  rendus  et  rapports  en  français,  anglais  et 
allemand. 

60.  Secrétariat  international  des  lypoç/raphcs  (130,000  mem- 
bres). —  Rapports  annuels  en  français  et  en  allemand. 

6L  Fédération  internationale  des  lithographes,  imprimeurs- 
lithographes  et  professions  similaires  (25,000  membres).  — 
Hulletin  en  français,  anglais  et  allemand. 

62.  Fédération  internationale  des  ouvriers  de  transport 
(467,000  membres).  —  Comptes  rendus  en  français,  anglais 
et  allemand. 

63.  Secrétariat  international  des  ouvriers  du  verre  (50,000 
membres).  —  Comptes  rendus,  communications  et  revue  en 
français,  anglais  et  allemand. 

64.  Fédération  des  ouvriers  métallurgistes  (938,000  mem- 
bres). —  Comptes  rendus  et  revue  en  français,  anglais  et  alle- 
mand. 

65.  Fédération  internationale  pour  l'observance  du  di- 
manche. —  Comptes  rendus  en  français,  anglais  et  allemand. 
Revue  en  français  et  allemand. 


78  —  IV-7  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE 

66.  Secrétariat  international  des  fédérations  syndicales  in- 
ternationales (9,800,000  membres).  • —  Rapports  annuels  en 
français,  anglais  et  allemand. 

67.  Fédération  internationale  de  la  Croix-Bleue.  —  Publi- 
cations en  français  et  en  allemand. 

68.  Bureau  international  de  correspondance  et  de  résistance 
néo-malthusienne.  — ■  Programme  en  français,  anglais  et  alle- 
mand. 

69.  Institut  international  pour  l'étude  du  problème  des 
classes  moyennes.  —  Rapports  et  bulletin  en  français  et  en 
allemand.  Dans  les  discussions  orales,  les  communications 
en  d'autres  langues  sont  traduites  en  français  et  en  allemand. 

70.  Bureau  socialiste  international.  —  Les  trois  langues  du 
congrès  sont  le  français,  l'anglais  et  l'allemand.  Les  procès- 
verbaux  des  séances  sont  rédigés  en  ces  trois  langues. 

7L  Association  internationale  pour  l'étude  du  cancer.  — 
Revue  en  français,  anglais  et  allemand. 

72.  Bureau  international  de  documentation  éducative.  — 
La  correspondance  se  fait  en  français,  anglais,  allemand  et 
néerlandais. 

73.  Institut  international  de  bibliographie  sociale.  —  Les 
publications  se  font  en  français  et  en  allemand. 

74.  Ligue  internationale  contre  l'abus  des  boissons  alcoo- 
liques. —  Revue  en  français,  anglais  et  allemand. 

75.  Bureau  international  contre  l'alcoolisme.  —  Titre  en 
français,  anglais  et  allemand. 

76.  Congrès  international  des  éditeurs.  —  Mémoires  et  cor- 
respondance en  français,  anglais  et  allemand. 

77.  Congrès  international  des  sciences  administratives.  — 
Les  langues  employées  furent  le  français,  l'anglais,  l'allemand 
et  le  néerlandais. 

78.  Association  permanente  des  congrès  de  navigation.  — 
Les  langues  employées  sont  le  français,  l'anglais  et  l'allemand. 

79.  Association  internationale  de  la  presse  médicale.  — 
Le  français  est  la  seule  langue  du  comité.  Les  journaux  affi- 
liés à  l'Association  sont  invités  à  faire  suivre  les  travaux  ori- 


SECTION   PÉDAGOGIQUE  ET  SOCIALE  IV-7  —  79 

ginaux   de  conclusions  rédigées  en  français,  anglais  et  alle- 
mand. 

80.  Bureau  intenialional  des  fédérations  d'instituteurs 
(408,000  membres).  —  Toutes  les  langues  sont  autorisées,  mais 
les  conclusions  doivent  être  répétées  en  français,  anglais  et 
allemand. 

81.  Association  internationale  pour  la  protection  légale  des 
travailleurs.  —  Les  entêtes  des  tableaux-statistiques  doivent 
être  rédigées  dans  la  langue  du  pays  avec  traduction  en  fran- 
çais, anglais  ou  allemand.  Bulletin  français,  allemand  et  an- 
glais. 

82.  Congrès  international  de  médecine  vétérinaire.  — 
Comptes  rendus  en  français,  anglais  et  allemand. 

83.  Association  internationale  des  botanistes.  —  Correspon- 
dance en  français,  anglais  et  allemand. 

84.  Fédération  internationale  de  laiterie.  —  Les  mémoires 
pour  le  concours  doivent  être  rédigés  en  français,  anglais  et 
allemand. 

85.  Association  internationale  des  chimistes  de  l'industrie 
du  cuir.  —  Revue  en  français,  anglais  et  allemand. 

86.  Institut  international  pour  la  diffusion  des  expériences 
sociales.  —  Revue  en  trois  éditions  :  française,  anglaise  et 
allemande. 

87.  Union  internationale  des  amis  de  la  jeune  fille.  ■ —  Le 
livret  individuel  est  rédigé  en  français  et  en  allemand. 
Au  besoin  une  autre  langue  encore. 

88.  Congres    international    de    l'enseignement   primaire.   — 
La  communication  est  faite  en  français,  anglais  et  allemand 
et,  s'il  y  a  lieu,  en  la  langue  du  rapporteur. 

89.  Congres  international  des  sciences  historiques.  —  Le 
Congrès  de  Berlin  publie  un  quotidien  en  français,  anglais, 
allemand  et  italien. 

90.  Institut  international  pour  l'étude  des  causes  des  mala- 
dies mentales.  —  Les  avis  et  communiqués  en  français,  an- 
glais, allemand  et  italien.  Les  travaux  originaux,  en  une  de  ces 
langues  avec  extrait  dans  les  autres  langues. 

91.  Société  internationale  pour  le  développement  de  l'en- 
seignement commercial.  —  Revue  en  français,  anglais,  alle- 
mand et  italien. 


80  —  IV- 7  SECTION   PÉDAGOGIQUE   ET   SOCIALE 

!)2.  Union  internationale  des  ouvriers  chapeliers  (29,000 
membres).  —  Bulletin  en  français,  anglais,  allemand  et  italien. 

93.  Confédération  internationale  des  sociétés  coopératives 
agricoles.  —  Assemblées,  comptes  rendus  et  revue  en  fran- 
çais, anglais,  allemand  et  italien.  Pour  parler  en  une  autre 
langue,  l'orateur  doit  s'assurer  le  concours  d'un  interprète. 

94.  Congrès  international  des  architectes.  —  Les  langues 
officielles  des  congrès  sont  le  français,  l'anglais,  l'allemand  et 
l'italien. 

95.  Société  internationale  de  chirurgie.  —  Les  langues  offi- 
cielles sont  le  français,  l'anglais,  l'allemand  et  l'italien. 

96.  Fédération  dentaire  internationale.  —  Bulletin  en  fran- 
çais, anglais,  allemand  et  espagnol. 

97.  Union  internationale  des  boulangers,  confiseurs  et  mé- 
tiers similaires  (50,000  membres).  —  Les  feuilles  d'orientation 
pour  ouvriers  quittant  leurs  pays  et  collées  sur  leur  livret  sont 
rédigées  en  français,  allemand  et  danois. 

98.  Union  internationale  des  ouvriers  du  bois  (287,000 
membres).  —  Publications  en  français,  anglais  et  suédois. 

99.  Congrès  scientifique  international  américain.  —  Les 
langues  officielles  sont  :  le  français,  l'anglais,  l'allemand,  l'es- 
pagnol, l'italien  et  le  portugais. 

100.  Association  internationale  permanente  des  congrès  de 
la  route.  — •  Chaque  congrès  indique  les  lafigues  admises.  Lu 
langue  du  pays  sera  admise  si  la  commission  locale  la  ré- 
clame. Pour  le  prix  à  décerner,  les  mémoires  doivent  être  ré- 
digés en  français,  anglais  ou  allemand. 

101.  Association  de  droit  international.  —  La  langue  offi- 
cielle est  celle  du  pays,  sauf  décision  contraire.  Chaque 
membre  peut  écrire  ou  parler  sa  langue. 

102.  Union  internationale  de  photographie.  —  Autant  que 
possible,  l'annuaire  sera  rédigé  dans  les  langues  usuelles  et 
l'espéranto. 

103.  Société  internationale  de  dialectologie  romane.  — ■  Pu- 
blications en  français,  anglais,  allemand,  italien,  espagnol, 
catalaji,  roumain. 


IV.  —  SECTION    PÉDAGOGIQUE   ET    SOCIALE. 


L'Œuvre  des  résumés  français, 


J.-A.  FURSTENHOFF- 


Introduction. 

Nous  montrons  dans  un  autre  rapport  présenté  à  ce  congrès 
que  la  proposition  de  faire  adopter  le  français  comme  seule 
langue  auxiliaire  internationale  se  justifie  par  les  faits.  Objet 
de  nos  efforts  depuis  une  dizaine  d'années,  ce  but  paraît  moins 
ulopique  à  la  suite  du  référendum  que  nous  avons  organisé  au- 
près des  associations  internationales.  Il  est  presque  exclusive- 
ment fait  usage  du  français,  de  l'anglais  et  de  l'allemand  dans 
la  grande  majorité  des  réunions  internationales  et,  dans  beau- 
coup de  cas,  une  préférence  marquée  est  déjà  accordée  à  la  pre- 
mière de  ces  langues.  Nous  indiquons  dans  ledit  rapport  com- 
ment, dans  l'avenir,  cet  état  de  choses  peut  amener  l'emploi 
exclusif  du  français  comme  langue  auxiliaire. 

On  conçoit  aisément  que  les  Français  se  fassent  scrupule  de 
préconiser  eux-mêmes  une  telle  solution,  bien  qu'on  aurait 
tort  de  s'exagérer  l'avantage  matériel  qu'ils  en  retireraient. 
L'usage  du  français  en  diplomatie  n'a  pas  fait  jusqu'ici  attri- 
buer à  la  France  une  part  plus  grande  dans  les  traités.  De 
même,  le  bénéfice  considérable  que  retireraient  les  autres 
peuples  de  l'emploi   d'une  seule  langue  auxiliaire  doit  com- 


82  —  IV-8  SECTION    PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE 

penser  largement  l'avantage  plutôt  moral  obtenu  par  le  peuple, 
dont  on  adopterait  la  langue.  Quoiqu'il  en  soit,  l'initiative  du 
mouvement  a  été  prise  par  des  étrangers,  et  notre  comité  se 
compose  presque  entièrement  de  professeurs  d'universités 
étrangères. 

Les  Français  ne  peuvent  cependant  se  désintéresser  complè- 
tement d'une  solution  aussi  flatteuse  pour  eux,  et  il  leur  appar- 
tient d'augmenter  au  maximum  l'intérêt  que  les  étrangers  ont 
à  connaître  leur  langue.  Les  classes  cultivées  des  autres  pays 
subissent  déjà  une  sorte  de  fascination  par  le  fait  des  beautés 
de  la  littérature  française.  Il  serait  désirable  que  toutes  les 
classes  sociales  à  l'étranger  soient  séduites  au  même  titre  et 
c'est  par  la  satisfaction  des  intérêts  matériels  qu'il  y  a  le  plus 
de  chance  d'y  arriver.  On  pourrait  dès  lors  modifier  un  mot 
célèbre  et  dire  que  tout  homme  possède  deux  langues,  la  sienne 
et  le  français. 

Convaincre  les  travailleurs  du  monde  entier  que  la  connais- 
sance de  la  langue  française  leur  permettrait  de  se  documenter 
rapidement  et  de  façon  complète  sur  toutes  matières,  serait  un 
moyen  assez  sûr  d'atteindre  ce  but.  Nous  avons  esquissé  en  ces 
termes,  au  congrès  de  1908,  ce  qu'il  y  aurait  lieu  de  faire  pour 
que  la  documentation  française  soit  à  la  hauteur  d'une  sem- 
blable exigence  :  <<  Si,  tenant  compte  de  l'avantage  considérable 
«  qu'en  retirerait  l'expansion  de  la  langue  française,  les  revues 
«  françaises  ou  plutôt  un  organisme  spécial  des  d  résumés 
«  français  »,  comparable  aux  «  Ce7itralblàUer  allemands  »; 
'(  pouvait  publier  sans  aucun  retard  le  résumé  de  tout  ce  qui 
<(  paraît  en  matière  scientifique,  nul  doute  que  les  savants  ita- 
«  liens,  espagnols,  russes,  etc.,  ne  s'en  servissent  de  préférence 
«  comme  source  d'information.  )> 

Le  congrès  de  1908  a  décidé  de  reporter  à  la  session  suivante 
l'examen  de  cette  importante  question.  Il  convient  donc  d'exa- 
miner aujourd'hui  de  plus  près  les  données  du  problème  et 
les'  efforts  exercés  de  diverses  parts.  Ce  travail  préliminaire 
permettra  de  mieux  déterminer  les  moyens  pratiques  pour 
faire  de  l'œuvre  des  résumés  français  un  des  plus  sûrs  moteurs 
de  l'expansion  de  la  langue  et  de  la  culture  françaises. 


SECTION    PÉDAGOGlyLE    ET    SOCIALE  IV-8  —  83 

Importance  de  la  documentation. 

Bien  que  la  question  de  la  documentation  intéresse  toutes 
les  formes  de  l'activité  humaine,  nous  nous  limiterons  ici  à  la 
documentation  scientifique. 

Une  documentation  bien  faite  met  rapidement  le  savant,  l'in- 
dustriel, au  courant  de  tout  ce  qui  s'est  fait  dans  le  passé  et  de 
tout  ce  qui  continue  à  se  faire  dans  le  présent  concernant  la 
science  ou  l'industrie  qui  les  intéresse.  Sans  documentation,  un 
travailleur  peut  consacrer  des  semaines  et  des  mois  à  diriger 
ses  investigations  laborieuses  dans  un  sens  déterminé  et 
apprendre  ensuite  que  ce  qu'il  croyait  avoir  trouvé  le  premier 
n'est  pas  nouveau;  il  peut  aussi  se  trouver  arrêté  pendant  long- 
temps et  peut-être  même  de  façon  définitive,  par  des  diffi- 
cultés déjà  rencontrées  et  vaincues  par  d'autres,  sans  qu'il  le 
sache.  L'importance  des  intérêts  en  jeu  peut  être  considérable. 
On  connaît  de  nombreux  cas  où  la  méconnaissance  d'un  docu- 
ment a  empêché  l'essort  d'une  industrie  ou  entraîné  la  ruine 
d'une  usine.  Et  cependant,  si  illogique  que  cela  puisse  sembler, 
la  plupart  des  chercheurs  procèdent  par  tâtonnements  h  cause 
de  l'insuffisance  de  la  documentation  mise  à  leur  portée  et  la 
longueur  des  recherches  qu'elle  nécessite.  S'il  suffisait  d'un 
minimum  d'efforts  et  de  temps  pour  être  documenté,  l'étude 
documentaire  précéderait  partout  les  travaux  scientifiques  et 
techniques. 

Le  peu  que  nous  en  disons  suffit  à  faire  voir  l'importance 
considérable  que  doit  acquérir  de  plus  en  plus  la  documenta- 
tion dans  le  monde,  ainsi  que  l'avantage  que  peut  en  retirer  la 
langue  du  peuple  qui  aura  su  le  mieux  organiser  la  documen- 
tation. 

Conditions  d'une  documentation  bien  organisée. 

1.  .i^a  documentation  doit  être  unilingue; 

2.  Elle  doit  être  spécialisée,  la  tâche  étant  déjà  fort  lourde 


84 —  IV- 8  SECTION    rÉDAGOGlQlJE    ET    SOCIALE 

de  réunir  les  documents  innombrables  relatifs  à  chaque  spé- 
cialisation; 

3.  Elle  doit  être  complète  au  point  de  vue  de  la  quantité  et 
de  la  qualité,  c'est-à-dire  qu'aucun  document  ne  p"ut  être  omis 
et  que  chacun  d'eux  doit  être  analysé  de  façon  à  en  fournir 
la  substance.  Elle  doit  donc  être  établie  par  des  personnes  com- 
pétentes de  la  spécialité  visée; 

4.  Elle  doit  permettre  de  juger  le  document  sans  qu'on  doive 
recourir  à  celui-ci.  Elle  doit  cependant  fournir  toutes  les 
données  nécessaires  pour  le  retrouver; 

o.  Elle  doit  être  accompagnée  de  tables  de  matières  et  de 
noms  d'auteurs  judicieusement  établies  pour  faciliter  les  ffe- 
cherches; 

6.  Elle  doit  être  faite  sans  retard  de  façon  à  fournir  au  cher- 
cheur jusqu'aux  toutes  dernières  informations. 


Systèmes  de  documentation  adoptés  jusqu'à  présent. 

Parmi  les  systèmes  de  documentation  adoptés  jusqu'à  pré- 
sent, les  uns  donnent  sous  forme  de  traités,  l'état  d'une  science 
depuis  l'origine  jusqu'à  la  date  de  publication  du  traité,  en 
indiquant  plus  ou  moins  soigneusement  la  source  de  tous  les 
travaux  cités.  D'autres,  qui  continuent  en  quelque  sorte  les 
précédents,  donnent  tous  les  perfectionnements  réalisés  dans 
une  science  pendant  un  certain  nombre  d'années.  Un  troisième 
système  consiste  à  rassembler  les  indications  documentaires 
sous  une  forme  mobile  (fiches),  permettant  de  tenir  constam- 
ment le  recueil  à  jour.  Ce  dernier  système  ne  s'applique  évi- 
demment qu'aux  catalogues  particuliers  ou  aux  bibliothèques 
publiques  et  ne  peut  être  édité. 

■Les  deux  premiers  systèmes  ont  reçu  de  nombreuses  appli- 
cations dans  certaines  branches  bien  déterminées  et  certains 
des  recueils  ainsi  créés  ont  une  grande  valeur.  Beaucoup  se 
bornent  cependant  à  énumérer  simplement  les  titres  des  Ira- 


SECTION    rKDAGOGlylt;    ET    SOCIALE  IV-8  —  83 

vaux  ou  n'en  reproduisent  que  quelques  mots.  Ils  sont  d'ail- 
leurs rarement  complets  au  point  de  vue  de  la  documentation 
et  ne  représentent  que  des  essais  d'organisation  spécialisée  de 
celle-ci. 

Il  convient  de  citer  aussi  certains  essais  de  bibliographie 
générale  tels  que  le  catalogue  de  Reuss,  constituant  un  réper- 
toire en  seize  volumes  des  documents,  de  1663  à  1800,  et  con- 
tinué par  la  Société  royale  de  Londres.  Actuellement,  une  en- 
tente entre  les  divers  gouvernements  permet  à  cette  société, 
qui  succombait  sous  la  tâche  formidable  qu'elle  avait  assumée, 
de  continuer  son  catalogue,  grâce  à  la  collaboration  de  comités 
nationaux.  Ce  catalogue  ne  reproduit  toutefois  que  les  titres,  et 
encore,  dans  la  langue  originale.  On  ne  peut  s'imposer  que 
bien  rarement  la  perte  de  temps  et  l'argent  nécessaire  pour 
réunir  des  documents  signalés  seulement  par  les  titres,  et  sou- 
vent, une  fois  réunis,  beaucoup  de  ces  documents  sont  à  éli- 
miner, chose  que  le  titre  seul  ne  permettait  pas  de  décidei*.  La 
difficulté  linguistique  découragera  d'ailleurs  la  plupart  des 
chercheurs. 

N'oublions  pas  non  plus  de  rappeler  les  efforts  faits  par 
les  grands  Etats  pour  cataloguer  et  publier  les  brevets  d'in- 
vention, dont  le  nombre  croît  d'année  en  année  (30,000  actuelle- 
ment par  an  en  Angleterre,  et  60,000  aux  Etats-Unis).  En  Angle- 
terre, les  tables  de  matières  et  les  recueils  groupant  de  façon  ju- 
dicieuse les  résumés  de  brevets,  facilitent  grandement  les  recher- 
ches. L'organisation  française  est  loin  d'égaler,  à  ce  point  de 
vue,  ce  qui  se  fait  en  Angleterre.  Cependant,  depuis  1902,  la 
France  a  pris  la  tête  du  mouvement  en  ce  qui  concerne  la  ra- 
pidité de  publication  de  la  description  des  brevets  en  fasci- 
cules séparés.  C'est  par  les  brevets  français  que  l'on  peut  con- 
naître le  plus  vite  une  invention.  Mais  au  point  de  vue  de  la 
classification  des  résumés,  tout  est  encore  à  faire  et  il  serait 
désirable  que  l'on  adopte  le  système  anglais,  qui  est  remar- 
quable. Cette  réforme  serait  d'autant  plus  utile  en  France 
qu'on  semble  tendre  dans  ce  pays  également  à  l'examen  préa- 
lable des  demandes  de  brevets,  système  nécessitant  une  docu- 
mentation bien  établie. 


86  —  IV-8  SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE 

L'œuvre  des  résumés  français  pourrait  répondre 
à  tous  les  besoins  d'une  documentation  parfaite. 

Comme  nous  venons  de  le  voir,  la  difficulté  linguistique 
constitue  un  obstacle  au  seul  essai  de  bibliographie  scientifique 
internationale  qui  puisse  réellement  compter  jusqu'ici.  Il  est 
évident  que  la  documentation  doit  être  unilingue  et  employer 
une  des  trois  langues  internationales.  D'autre  part,  il  ne  sau- 
rait suffire  de  constituer  un  recueil  de  titres  et  cependant  ces 
titres  sont  déjà  si  nombreux  qu'ils  remplissent  chaque  année 
un  grand  nombre  de  volumes.  Ceux-ci,  d'un  maniement  diffi- 
cile, constituent  plutôt  une  curiosité  bibliographique  que  des 
outils  réellement  utiles  pour  le  chercheur.  Que  penser  dès  lors 
d'une  documentation  complète  par  résumés?  La  tâche  semble 
surhumaine  si  on  veut  l'entreprendre  par  voie  de  centralisa- 
tion! 

Nous  croyons,  par  contre,  qu'en  perfectionnant  et  en  généra- 
lisant le  système  des  bibliographies  distinctes  pour  chaque 
science  ou  partie  de  science,  on  peut  arriver  à  résoudre  le 
problème,  à  condition  toutefois  de  créer  un  organe  central 
régularisateur. 

L'usage  s'introduit  de  plus  en  plus  de  reproduire  dans  les 
revues  techniques  un  résumé  des  travaux  parus  dans  d'autres 
publications,  des  livres,  des  brevets,  etc.  Ces  résumés,  plus  ou 
moins  bien  faits,  ne  constituent  qu'un  choix,  le  but  poursuivi 
étant  beaucoup  plus  d'intéresser  le  lecteur  que  de  créer  une 
bibliographie  complète.  Il  y  a  donc  deux  points  de  vue  à  envi- 
sager :  celui  suivant  lequel  on  cherche  à  intéresser  momenta- 
nément les  lecteurs  tout  en  fournissant  de  la  matière  à  la  revue, 
et  celui  visant  la  création  d'un  répertoire  spécial  auquel  les 
lecteurs  auront  recours  dans  la  suite.  C'est  évidemment  à  ce 
second  point  de  vue  que  l'on  doit  se  placer,  car  il  permet  d'agir 
dans  l'intérêt  de  tous,  tandis  que  l'intérêt  particulier  de  la 
revue  s'accommode  mieux  du  premier.  Afin  de  pouvoir  faire 
face  aux  difficultés  plus  grandes  résultant  de  la  transforma- 
tion de  leur  bibliographie  occasionnelle  en  une  documenta- 


SECTION  PÉDAGOGIQUE  ET   SOCIALE  IV-8  —  87 

tion  complète  et  sérieuse,  il  paraît  absolument  nécessaire  que 
les  diverses  revues  de  même  nature  unissent  leurs  efforts  pour 
publier,  à  frais  communs,  un  même  supplément  bibliogra- 
phique, qui  serait  joint  à  chaque  exemplaire  des  revues  ou 
vendu  séparément.  En  introduisant  ensuite  peu  à  peu  l'usage 
de  faire  suivre  tous  les  articles  originaux  d'un  résumé  rédigé 
par  les  auteurs  eux-mêmes  (comme  la  loi  l'exige  déjà  pour 
les  brevets  français),  le  travail  serait  d'autant  plus  simple. 

Cette  idée  de  bibliographie  à  frais  communs  a  déjà  été 
proposée  en  Allemagne  pour  les  revues,  et  il  semble  que  suite 
y  ait  été  donnée.  Remarquons  qu'en  ce  qui  concerne  la  méde- 
cine, les  mathématiques  et  la  chimie,  la  bibliographie  fran- 
çaise se  trouve  en  excellente  posture.  Pourvu  qu'on  le  veuille, 
il  ne  doit  pas  être  trop  difficile  d'obtenir  le  même  résultat 
pour  les  autres  sciences. 

La  concurrence  que  se  font  les  diverses  revues  de  même 
nature  et  les  différentes  maisons  d'édition  semble  devoir  ren- 
dre toute  entente  précaire,  si  pas  impossible.  C'est  pourquoi 
il  serait  utile  de  faire  intervenir,  comme  rouage  central,  un 
comité  officiel  chargé  de  créer  le  terrain  d'entente  nécessaire, 
de  susciter  des  initiatives  dans  les  diverses  sciences  et  d'orga- 
niser ou  d'aider  à  l'organisation  des  documentations  spéciales 
dont  l'ensemble  doit  constituer  l'œuvre  des  résumés  fran- 
çais. Ce  comité,  où  les  diverses  sociétés  savantes  seraient  repré- 
sentées, aiderait  de  son  crédit  la  préparation  des  suppléments 
bibliographiques,  veillerait  à  la  continuité  et  à  l'excellence  de 
l'œuvre,  centraliserait  les  recherches  documentaires  et  pren- 
drait toutes  les  mesures  utiles"  pour  apprendre  le  chemin  de 
Paris  aux  étrangers  désireux  de  se  documenter.  On  voit  que, 
d'après  ce  système,  le  travail  s'effectuerait  surtout  à  la  péri- 
phérie, tandis  que  le  centre,  préservé  de  toute  congestion  dan- 
geureuse,  présiderait  au  fonctionnement  général.  Cette  belle  or- 
donnance de  tous  les  efforts  amènerait  la  suppression  de  la 
confusion  régnant  actuellement  et  permettrait  d'envisager  sans 
crainte  l'augmentation  continue  des  documents  à  classer  chaque 
année.  Des  tables  annuelles  bien  établies  permettraient  de 
trouver  aisément  les  résumés  désirés,  et  un  catalogue  sur  fiches 


88  —   lV-8  SECTION    PÉDAGOGIQUE    ET    SOCIALE 

pourrait  aussi  satisfaire  aux  demandes  de  renseignements. 

Des  essais  de  documentation  générale  sont  tentés  actuellement 
en  divers  endroits.  A  Paris,  le  Mois  scientifique  représente  une 
tentative  intéressante  bien  qu'incomplète,  la  tâche  étant  trop 
lourde  pour  une  entreprise  privée.  L'Association  de  documenta- 
tion bibliographique,  fondée  en  19M  dans  un  but  plus  désin- 
téressé, semble  également  rendre  des  services  en  attendant  l'or- 
ganisation systématique  que  nous  préconisons. 

Il  est  de  l'intérêt  de  la  France  de  résoudre  la  question  de  la 
documentation  le  mieux  et  le  plus  rapidement  possible,  car  la 
marée  montante  des  documents  imposera  une  solution,  et  celle 
qui  se  montrera  la  plus  pratique  à  tous  les  points  de  vue 
obtiendra  siirement  les  suffrages  et  l'appui  des  travailleurs  du 
monde  entier.  En  Allemagne,  un  institut  international  à  allure 
officielle  a  été  créé  depuis  deux  ans  environ  pour  la  biblio- 
graphie technique.  Le  bulletin  mensuel  de  cet  institut  (qui 
commence  déjà  à  ajouter  aux  titres  de  courts  résumés  rédigés, 
il  est  vrai,  en  diverses  langues)  est  introduit  en  France,  muni 
d'une  couverture  française,  par  la  librairie  Dunod.  A  Bruxelles, 
diverses  tentatives  s'ébauchent  aussi  autour  de  l'Institut  inter- 
national de  bibliographie  (dont  le  but  est  surtout  la  constitu- 
tion d'un  catalogue  sur  fiches).  Nous  avons  parlé  dans  le  para- 
graphe précédent  de  l'œuvre  de  la  Société  royale  de  Londres. 
Quant  aux  Etats-Unis,  le  mouvement  bibliographique  y  est 
également  extrêmement  intense.  Les  difficultés  du  problème 
font  que  ces  tentatives  ne  sont  pas  encore  au  point,  de  sorte 
qu'il  n'est  pas  trop  tard  pour  entreprendre  sérieusement  l'orga- 
nisation de  la  documentation  à  Paris,  où  nous  la  concevons 
mieux  qu'à  Berlin  ou  à  Bruxelles.  Il  n'y  a  cependant  plus  de 
temps  à  perdre.  Le  V  Congrès  international  de  la  presse  médi- 
cale, qui  vient  de  se  tenir  à  Londres,  a  proposé  la  création 
d'une  agence  internationale  d'information  scientifique.  Etant 
donnée  la  supériorité  de  la  médecine  française,  l'occasion  est 
favorable  pour  jeter  les  bases  de  l'organisation  à  Paris.  Nous 
demandons  donc  qu'une  délégation  soit  choisie  parmi  les  mem- 
bres du  présent  congrès  et  qu'elle  reçoive  la  mission  d'appeler 
l'attention  des  autorités  et  des  sociétés  savantes  françaises  sur 


SECTION   PKBAC.OGIOIJE    ET  SOCIALE  IV-8  —  89 

l'importance  de  la  question  et  sur  la  nécessité  de  constituer 
sans  retard  le  comité  central  nécessaire. 

Espérons  que  ce  vœu  soit  exaucé  et  que  par  l'œuvre  des  ré- 
sumés français,  la  France  s'emploie,  une  fois  de  plus,  à  clari- 
fier les  suggestions  étrangères  pour  les  répandre  ensuite  dans 
le  inonde.  Son  développement  économique  et  son  influence 
intellectuelle  y  trouveraient  un  précieux  adjuvant,  sans  compter 
que  les  Français  seraient  les  premiers  à  bénéficier  d'une  docu- 
mentation aussi  établie  chez  eux. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Pages. 

Comité  organisateur  du  Congrès 5 

Liste  des  membres  du  Congrès 7 

Assemblées  et  travaux  du  Congrès 23 

Mémoires  et  rapports  (rangés  par  section)  : 

I.  —  Sectio>  de  propagande. 
A.  —  Le  français  dans  le  monde. 


Gustave  Cohen,  La  langue  française  en  Hollande  .     .     . 
Charles  Beckek,   La  langue  française  dans  le  Grand-Di 

Luxembourg 

.).  DE  Bi.ociszEwSKi,  La  langue  française  en  Autriche  . 
Louis  Fbi.ler,  La  langue  française  en  Bohême  .... 
Ai.vARO  ViANA  DK  Lemos,  La  langue  française  en  Portugal 
M™"  la  baronne  J.  Michaux,  La  langue  française  en  Suède 
Ferdinand  Lannes,  La  langue  française  en  Russie  . 
Abel  Mansuy,  La  langue  française  en  Pologne  russe 
J.  Guillebert,  La  langue  française  on  Bulgarie     . 
J.  Lecoq,  La  langue  française  en  Macédoine.     . 
Pierre  Martixo,  La  langue  française  en  Algérie 
Fernand  Braun,  La  langue  française  en  Egypte 
Anselme  Laugel,  La  langue  française  en  Alsace-Lorraine 


hé 


de 


.1 

23 

37 

41 

49 

.53 

57 

67 

81 

87 

99 

109 

115 


_  2    - 

Pages. 

Hubert  Morand,  La  langue  française  en  Hongrie 123 

S.  Sasserath,  La  langue  française  en  Belgique 131 

Roland  Barrault,  La  langue  française  en  Italie 141 

Paui,  Mantoux,  La  culture  française  en  Angleterre 153 

L'enseignement  du  français  en  Allemagne     ........  103 


B.  —  Les  groupements  et  les  écoles. 

Emile  Salone,  L'Alliance  française 1 

Edmond  Besnard,  La  Mission  laïque  française 5 

E.  Martinenche,  Le  groupement  des  Universités  et  Grandes  Ecoles 

de  France  pour  les  relations  avec  l'Amérique  latine 13 

Albert  Schatz,  L'Institut  français  de  Londres 23 

Fernand  Pavard,  La  Ligue  nationale  pour  la  défense  de  la  langue 

française 31 

Georges  Gromaire,  La  Société  d'échange  international  des  enfants 

et  des  jeunes  gens 39 

Georges  Cirot,  L'Œuvre  des  Comités  français  en  Espagne  ...  45 
A.  Salmon,  La  Fédération  britannique  des  Comités  de  l'Alliance 

française 69 

Edm.  Huguet,  Les  cours  de  l'«  Alliance  Française  - 79 

E.   Mawet,  .1.   Van   Dooren  et  A.  Daxhelet,  l'Association  pour 

l'extension  et  la  culture  de  la  langue  française ,  85 


IL  —  Sf.ction  littéraire. 

Albert  Heumann,  Les  écrivains  flamands  dans  la  littérature  fran- 
çaise et  la  portée  européenne  de  leur  apport 1 

Gaston  Bordât,  Le  rôle  des  revues  françaises  .  7 

H.  Bourrelier,  A.  Gillon,  A.  Mainguet  etR.  Lisbonne,  La  librai- 
rie et  l'extension  de  la  littérature  française     13 

Gérard  Harry,  La  propagande  française  par  les  langues  étrangères       39 
Henry  de  .Tquvenel,  Les  journaux   quotidiens  et  la  propagande 
française ' 45 


—  3   — 
III.  —  Section  de  philologie  et  d'histoire. 

Pages. 
GoNZAGUK  DK  Rey.nold,   L'histoire  de  la  littérature  française  dans 

les  pays  étrangers  de  langue  française 1 

Adjutor  RiVARD,  Les  caractères  du  parler  franco-canadien  ...  21 
D"' J.-H.  Probst,  L'influence  des  langues  voisines  sur  le  français  en 

-■Algérie 29 

H.  Grégoire,  Les  mots  français  en  grec 37 

Gustave  Charlier,  L'histoire  littéraire  de  la  France  et  le  choix  des 

thèses  et  dissertations  universitaires 49 

IV.  —  Section  pédagogique  et  sociale. 

Maurice  An.siaux,  Le  français,  langue  scientifique 1 

M""  Marie  Closset,  La  culture  française  dans  l'éducation  féminine.  7 
D"'  J.-H.  Probst,  Les  meilleures  méthodes  d'enseignement  et   de 

propagation  du  français  chez  les  Arabes  de  l'Algérie     ....  13 
M.  Lener,  Do  l'enseignement  du  français  usuel  aux  débutants,  en 

pays  de  langue  flamande 25 

M""  Emma  Lambotte,  Les  Wallons  en  Campine 33 

R.  Gai.i.et,  De  la  part  qu'il  convient  de  faire,  dans  l'enseignement 

des  pays  de  langue  française,  à  la  lecture  des  écrivains  régionaux  35 
J.-A.  FiiRSTBNHOFF,  L'emploi  du  français  dans  les  réunions  interna- 
tionales   49 

J.-A.  FïmsTE.NHOFF,  L'Œuvi'e  des  résumés  français      .....  81 


2021 

C6 

1913 


Congrès  international  pour 
l'extension  et  la  cij.ture  de 
la  langue  française,  3d, 
Ghent,  1913 

j.  Compte  rendu^ 


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I