PURCHASED FOR THE
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
FROM THE
CANADA COUNCIL SPECIAL GRANT
FOR
LINGUISTICS
CONGRES INTERNATIONAL
POUR
L'EXTENSION ET LA CULTURE DE LA LANGUE FRANÇAISE
r<3-) SOCIÉTÉ ANwNVME
«:r^^^^ M. WEISSENBRUCH, IMP. DU RO
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49. RUE DU POINÇON
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C^^
^ V. ^
CONGRÈS INTERNATIONAL
L'EXTENSION ET LA CULTURE
DE LA
LANGUE FEANCAISE
TROISIEME SESSION
GAND, 11-14 SEPTEMBRE 1913
La langue fbançaise dans le monde : Algérie, Alsace-
LORiiAiNE, Angleterre, Actriche, Belgique Bohême,
Bulcahik, Egypte, Hollande, Hongrie, Italie, Macé-
doine, Pologne, Portugal, Russie, Suéde, etc. —
L'extension de la culture française par les groupe-
ments et les écoles, par le livre, la revue et le
JOURNAL — Les mots français en grec . — Le français,
langue scientifique. — Le français dans les réunions
internationales, etc., etc.
PARIS
EDOUARD CHAMPION, LIBRAIRE-ÉDITEUR
D, QUAI MALAQUAIS, fi
BRUXELLES
Soc. AN. M. WEISSENBRUCH, Éditeur
49, HUE DU POINÇON, 49
GENEVE
A. JULLIEN, ÉDITELK
32, PLACE DU BOURO-DE-FOUR, 3!
1914
AT
2C2.J
/9/3
Comité organisateur du Congrès.
Membres du Bureau permanent de la Fédération pour l'extension
et la culture de la langue française :
MM. Ansuux, Maurice, professeur à l'Université de Bruxelles;
BoNNARD, Jban, professeur à l'Université de Lausanne;
Bouvier, Bernard, professeur à l'Université de Genève ;
d'Huart, Martin, professeur à l'Athénée de Luxembourg;
Salonb, E., secrétaire général de l'Alliance française, à Paris;
Gautier, Jules, membre du Conseil d'Etat;
Hyde, James, président honoraire de l'Alliance française aux
Etats-Unis ;
Métin, Albert, député, ancien chef de cabinet de M. le Ministre
du Travail et de la Prévoyance nationale, à Paris ;
Nyrop, Kr., professeur à l'Université de Copenhague;
Rivard, Adj. h., à Québec;
SiMARD, Joseph, avocat, à Québec ;
Wilmotte, Maurice, professeur à l'Université de Liège, membre
de l'Académie royale de Belgique, président.
Comité d'action parisien :
Présidents :
MM. Barrés, Maurice, de l'Académie française;
DE Régnier, Henri, de l'Académie française.
Vice-président :
M. Lecomte, Georoes, président de la Société des Gens de Lettres.
— 6 —
Membres :
M"" Rachildb ;
MM. Adam, Padl;
Baudin, Pierre, ministre de la marine ;
Bordât, Gaston, liirecteur de la Reçue des Français ,
BoYLESVE, René;
Chaumeix, André, rédacteur en chef des Débats ;
Copeau, Jacques, directeur de la Nouvelle Revue française ;
DK COUBERTIN, PlERRE ;
DucROCQ, G., directeur des Marches de l'Est;
DuMONT-WlLDEN, L ;
Ernest-Charlbs, J.;
GiLLON, André, de la maison Larousse ;
Gregh, Fernand;
Léon, Paul, délégué général de la Commission des Congrès et
Concours à l'Exposition de Gand ;
Liohtbnbbroer, André ;
MocKEL, Albert;
Neveux, Pol, inspecteur général des bibliothèques de France;
Quentin, Maurice, président de la Commission des Congrès et
Concours de l'Exposition de Gand ;
RosNY, J.-H., aîné;
Vallette, Alfred, directeur du Mercure de France ;
Verhaeren, Emile.
Secrétaire :
M. OcHSÉ, J., homme de lettres.
Comité d'organisation belge :
MM. WiLMOTTE, Maurice, président.
Charlibr, Gustave, chargé de cours à l'Université de Bruxelles,
secrétaire général.
DiGNEFFE, Emile ; Ensch-Tesch, bourgmestre d'Arlon ; Peltz«r-de
Clermont, sénateur; Rouffart, E., présidents des sections de
Liège, Arlon, Verviers et Bruxelles.
Mawet, E., Van Dooren, J., Andblbrouck, G., Daxhelbt, A..
secrétaires desdites sections.
Liste des Membres
M. Adam, Léon, docteur en médecine, rue Longue du Marais, Gand.
M"« Adam, Léon.
MM. Alexandre, Alfred, opérateur aux chemins de fer de l'Etat,
Barvaui-sur-Ourthe.
Amerlynok, docteur en médecine, chaussée de Courtrai, 84, Gand.
Andelbrouck, g, avocat, Hodimont-Verviers.
Ansiaux, Maurice, professeur à l'Université libre, avenue des Gau-
lois, 36, Bruxelles.
Anspach-Puissant, Armand, avocat, conseiller communal, membre
de l'Association pour l'extension et la culture de la langue fran-
çaise, rue Belliard, 125, Bruxelles.
Barbery, Bernard, rédacteur à L'Olivier, rue de France, 109,
Nice.
Barraud, Roland, rue de la Pitié, llbis, Paris.
Barrés, Maurice, de l'Académie française, boulevard Maillot, 100,
Paris.
Bastier, Paul, professeur de littérature et de philologie françaises
à l'Académie Royale de Posen, président de l'Alliance fran-
çaise de Posen, boulevard Montparnasse, 13, Paris.
Baulers, Camille, étudiant en philosophie et lettres, rue Haute,
16, Gand.
Bayens, Eugène, président de la Ligue pour la liberté des langues,
rue Charles-Quint, 51, Gand.
Bkcker, Charles, professeur au Lycée, Bchternach (Grand-duché
de Luxembourg).
Becrers, Léon, directeur général de l'Enseignement supérieur des
Sciences et des Lettres, rue Froissart, 104, Bruxelles.
Beckers, René, docteur en médecine, trésorier de l'Association
pour la culture de la langue française, section du Brabant, rue
Froissart, 104, Bruxelles.
— 8 —
MM. Bertrand, Henri, docteur en médecine, homme de lettres, place
Gambetta, 5, Paris.
Besnard, Emile, secrétaire général de la Mission laïque, rue de
Miromesnil, 16, Paris (viii')
Béthunb, baron François, professeur à l'Université, rue de Bériot,
34, Louvain.
M°" Beybr, Charles, rue Guillaume-Tell, 6, Gand.
Bibliothèque Royale (service de la Bibliographie de Belgique), Bru-
xelles.
MM. BiDKz, Joseph, professeur à l'Université, boulevard Léopold, 62,
Gand.
BiRNBAUM, professeur à l'Athénée Royal, Arlon.
Blocher, Eduard, pasteur, Huttenstrasse, 60, Zurich (Suisse).
Blondiau, Félix, directeur honoraire d'Ecole primaire, avenue
Albert Giraud, 50, Schaerbeek.
BoDART, Georges, lecteur à l'Université d'Erlangen, rue Wazon, 5,
Liège.
BoDDAERT, Henry, avocat à la Cour, secrétaire général du comité
exécutif de l'Exposition Universelle et Internationale, Coupure,
44, Gand.
M"" BoDDAERT, Marguerite, Coupure, 44, Gand.
M"»» Boddakrt, Eugène, rue du Gouvernement, 16, Gand.
MM. BoDSON Félix, homme de lettres, délégué de la ville de Liège, rue
Saint-Laurent, 49, Liège.
BoGDAN, docteur Georges, professeur à la Faculté de médecine,
officier de la Légion d'honneur, Grand-Croix de la Couronne de
Roumanie, Jassi, (Roumanie).
Bordât, Gaston, 56, rue de l'Université, Paris.
Bourrelier, Henri, éditeur, rue de Mézières, 5, Paris.
Braeckman, a., avocat, chaussée d'Anvers, Mont-Saint- Amand.
Bragard, Louis, professeur à l'Athénée Royal, Bruges.
Brasseur, Robert, Coupure, 56, Gand.
M"'«» Brasseur, Robert.
Braun, Emile-Jean, rue du Nouveau-Bois, Gand.
M. Braun, Fernand, homme de lettres, 2, rue de Croissy, Vésinet,
Seine et-Oise (France).
M"" Breusing, C, rue César Franck, 46, Liège.
MM. Bris, Artus, ingénieur à la Vieille-Montagne, Angleur-Liége.
Brossbl, Charles, juge de paix. Villa Mistral, Spa.
MM. Brunin, Henri, propriétaire, Coupure, 231, Gand.
Brunot, Ferdinand, professeur à la Sorbonne, rue Leneveux, 8,
Paris (xiv").
BuissET, Emile, membre de la Chambre des représentants, Char-
leroi.
Bure, Pierrk, consul général de Belgique, Moscou.
BuYSSE, AuGi'STE, industriel, château Molendam, Oostacker (Gand).
Cali.ibr, Alexis, procureur général près la Cour d'Appel, chaussée
de Courtrai, Gand.
M"s C allier, Francinb, boulevard du Parc (Gand).
MM. Carels, Alphonse, industriel, Marché-au-Lin, 12, Gand.
Carkls, Georges, A., industriel. Dock, 40, Gand.
Casati (le comte), Milan.
Ckuterick, Albert, avocat, rue Longue-du-Marais, 12, Gand.
Champion, Edou.^rd, éditeur, quai Malaquais, 5, Paris.
Charlier, Gustave, chargé de cours à l'Université libre, boulevard
Militaire, 44, Bruxelles.
- Christophe, Charles, avocat, secrétaire du Cercle artistique et
littéraire, boulevard du Parc, 37, Gand.
CiROT, Georges, professeur à l'Université, rue Permentade, 41,
Bordeaux.
Clément, Henri, professeur au Lycée, rue Carnot, 217, Gap
(Hautes-Alpes), France.
M"" Closset, Marie, directrice de l'Institut de Culture française, rue des
Coteaux, 20, Schaerbeek.
MM. Cohen, Gustave, professeur à l'Université d'Amsterdam, La Sapi-
nière, Laren, (Hollande).
CoLLON, Auguste, secrétaire général de la Société Cockerill, Seraing.
Colson, Oscar, directeur de MVallonia, rue Fond-Pirette, 142,
Liège.
Constans, L., professeur à la Faculté des Lettres, Aix-en-Provence
(France).
M"" CoopMAN, chaussée d'Hundelghem, Ledeberg.
M™" Cooreman, place du Marais, Gand.
Coppieters, boulevard Zoologique, 1, Gand.
MM. Cornet, commis-chef à l'Administration des postes, rue de Sélys,
40, Liège.
Coulet, Jules, directeur de l'Office national des Universités, délégué
du Gouvernement français, 100, rue Denfert-Rochereau, Paris.
— 10 —
MM. CouNSON, Albert, professeur à l'Université, boulevard des Hos-
pices, 152, Oand.
Cruyt, place de la Calandre, 4, Gand.
Daubrbssb, Paul, ingénieur, professeur à l'Université catholique,
rue de Paris, 90, Louvain.
Dauge, Eugène, professeur à l'Université, rue Guinard, 20, Gand.
M"" D'AuLANDE, Béatrix, rentière, femme de lettres, boulevard de la
Cambre, 56, Bruxelles.
MM. Daxhblet, a., professeur à l'Athénée royal d'Ixelles, rue des Eche-
vins, 105, Ixelles.
De Babts, Hermann, avocat près la Cour d'appel; ancien bâtonnier;
membre de la Députation permanente, rue des Boutiques, 9, Gand
Diî Bast, Camille, sénateur. Coupure, 42, Gand.
M™ De Bast.
MM De Bie, Conseiller à la Cour d'appel, boulevard d'Ackerghem, Gand.
DE Blociszkwski, professeur à l'Académie consulaire, Hohenstaufen-
gasse, 12, Vienne (Autriche).
De BoRCHGRAVB, baron Emile, membre de l'Académie royale de
Belgique, rue de Berlin, 25, Bruxelles.
De Bremaecker, Alexis, entrepreneur; juge au tribunal de com-
merce de Bruxelles; conseiller communal à Bruxelles, vice-prési-
dent de la Chambre de commerce; rue de Laeken, 162, Bruxelles.
De Brinn' Gaubast, Louis Pilate, profe.«seur de littérature fran-
çaise à l'Ecole générale allemande, 44, rue du Bélier, Anvers.
De Buggenoms, Louis, avocat près la Cour d'appel, rue Courtois, 40,
Liège.
Dechamps, Jules, professeur à l'Athénée de jeunes filles et à la
Section normale moyenne de Gand, avenue des Arts, 12, Gand.
De Clercq, Georges, agent de change, place d'Armes, 20, Gand.
De Cock, Henri, avocat, place Saint-Bavon, 12, Gand.
M"'' De Grbppe, professeur à l'Ecole normale provinciale du Hainaut,
Mons.
M. De Hemptinne, Eugène, sénateur suppléant, rue du Hainaut, Gand.
Mme De Hemptinne, .Jean, Château Ter Lye, Saint-Denis-Westrem.
M"" De Hoon, Augusta, institutrice aux écoles communales, rue du
Rabot, 10, Gand.
MM. De Jouvenel, Henry, rédacteur en chef du Matin, rue Cortam-
bert, 57, Paris.
Db Keghbl, Léonce, industriel, rue aux Draps, 17, Gand.
— 11 —
MM. De Kerchove d'Exakrdb, conseiller à la Cour d'appel de Gand,
château de Wetteren.
De la Hault, Adhémar, directeur fondateur de la revue aéronau-
tique La Conquête de Vair, rue Royale, à Bruxelles.
Delaite, Julien, président de la Ligue wallonne de Liège, conseiller
communal et provincial, rue Hois-Château, 50, Liège.
De la Kéthullb de Rijhove, Ferdinand, Château d'Oosterzeele
(Flandre orientale).
M°" De la Kéthullr de Rijhove.
MM. De Landtsheer, Gaston, industriel, quai du Ramage, 2, Gand.
De Landtsheer, Léon-Georges, directeur de la société anonyme
La Linière Gantoise, quai du Ramage, 2, Gand
De Landtsheer, Norbert, industriel, chaussée de Courtrai, 446,
Gand.
M™" De Lanier, Alfred, chaussée de Courtrai, 20, Gand.
M. De la Royère, Wh.mam, ingénieur, professeur à l'école du génie
civil de l'Univeriité de Gand, rue de la Concorde, 65, Gand.
M™« De la Royère.
M. Delohevalerie, Charles, homme de lettres, rue de Campine, 127,
Liège.
M™* Delmotte-Verbeeck, rentière, avenue de la Cour, 16, Gand.
M. Delori, Coupure, 7, Gand.
M"* Delori.
MM. Demblon, Jules, imprimeur, Ans-Liège.
De Muynck, Georges, chaussée de Courtrai, 70, Gand.
M"» De Muynck.
MM. DE Pélichy (le baron i, juge au tribunal de 1" instance de Gand,
Vieux-Chemin, Gentbmgge.
De Rakdt, Aloïs, Receveur des successions pensionné, rue Gui-
nard, 28, Gand.
DE Régnier, Henri, de l'Académie française, rue Boissiére, 24,
Paris.
de Reynold, Gonzague, professeur à l'Université de Genève, Vinzel-
sur-RoUe, Vaud (Suisse).
M"« Deruddbr, règentp, rue du Laitage, 3, Gand.
M. Dervaux, avocat, ancien bâtonnier, rue Guillaume-Tell, Gand.
M"' Desaghkr, Clémence, rentière, rue Basse, 25, Gand.
M. Db Séjournet de Rameignies, Léon, propriétaire, à Melle-lez-Gand.
M"" De Séjournet de Rameignies.
— 12 —
M"" De Séjournet db Rameignies, Jacqueline.
M. De Séjournet de Rameignies, Christian.
M"' De Smet de Nabybr, Cécile, château de Langerbrugge-lez-Gand.
MM. De Smet de Naeyeb, Christian, rue des Servantes, 12, Gand.
De Smet de Naeyer, Henry, industriel, rue de Flandre, 17, Gand.
M""' De Smet de Naeyer.
MM. De Smet de Naeyer, Maurice, président de l'Association pour la vul-
garisation de la langue française, rue de la Vallée, 47, Gand.
De Smet-Duhayon, Joseph, président du Cercle artistique, chaussée
de Courtrai, 22, Gand.
M'"« De Smet-Duhayon.
MM. Des Ombiaux, Maurice, homme de lettres, rue du Lac, Bruxelles.
Destrée, Jules, député, Marcinelle.
Dewachter, Jules, publiciste, avenue About, 82, Malo-les-Bains,
près Dunkerque (France).
d'Huart, Martin, professeur à l'Athénée, rue Jean l'Aveugle, 41,
Luxembourg.
DiBRMAN, Pierre, industriel, Bel-Air, Oostacker lez-Gand.
M""» DiERMAN.
DiERMAN, J. J., Tronchiennes lez-Gand.
MM. DiGNEFFE, Emile, rue Paul Devaux, Liège.
Discailles, Ernest, professeur honoraire de l'Université de Gand,
membre de l'Académie royale de Belgique, avenue Louise, 492,
Bruxelles.
DiSTAVE, Auguste, professeur, rue E. Beernaert, 41, Ostende.
DouTREPONT, Auguste, professeur à l'Université de Liège, José-,
Battice (Liège).
Dreux, Alexandre-François, maître de forges, administrateur-
directeur de la Société des Aciéries de Longwy, Mont-Saint-Martin,
Meurthe-et-Moselle (France).
Drory, Harold, propriétaire, Ter Heide-Meirelbeke.
d'Udeghem d'Acoz, 47, rue de la Vallée, Gand.
M"" d'Udeghem d'Acoz.
MM. DupouRMANTEL, LÉON, secrétaire général honoraire de « l'Alliance
française «, rue de Madrid, 6, Paris.
DuMONT, Fernand, Thier de Cornillon, 1, Bressoux lez-Liége.
DuMONT, Paùl-Emile, lecteur à l'Université de Kiel, villa ■• Les Clé-
matites », La Panne.
— 13 —
MM. DuMONT-WiLDKN, Louis, homme de lettres, rue Emile Banning, 13,
Ixelles.
DupiRE, M., professeur au Lycée, rue du Rôleur, 50, Valenciennes
(France).
Dupont, Victor, à Renaix.
Engel, Raoul, avocat, rue de la Madeleine, 31, Bruxelles.
Ensch-Tesch, bourgmestre, Arlon.
Ernould, M., rue de Westphalie, 11, Saint-Gilles-Bruxelles.
Felleb, Jules, professeur de rhétorique à l'Athénée royal, rue
Bidaut, 3, Verviers.
Feller, Louis, chargé de cours à l'Université et à la Polytechnique
tchèques, 35, rue Podskalkska, Prague (Bohème).
M"" Feyerick. J., rue du Soleil, 1. Gand.
M. Feyerick., Ferdinand, vice-président d'honneur du Cercle commer-
cial et industriel de Gand, consul de Russie à Gand, vice-prési-
dent du Comité belge des Expositions à l'étranger, membre du
Comité exécutif de l'Exposition de Gand, rue Neuve-Saint-Pierre,
55, Gand.
jjiics Feyerick., Marie-Rose.
Feyerick., Fernande.
M'"" Feyerick, Léon, château d'Evergem (Flandre orientale).
M""* Feyerick, Germaine.
Feyerick, Marcelle.
MM. FiERENS, Maurice, avocat à la Cour d'appel, rue Joseph Plateau, 1 8,
Gand.
Fontkyne, Edouard, homme de lettres, rédacteur à l'Indépendance
belge, rue Henri Van Zuylen, 42, Ilccle.
Foulon, Franz, homme de lettres, avenue Brugmann, 188, Bruxelles.
Francotte, Charles, industriel, conseiller communal, officier de
l'Ordre de Léopold et de l'Ordre de Franz-Joset d'Autriche-Hon-
grie, rue Mont-Saint-Martin, 73, Liège.
Furstenhoff, Jean-Auguste, docteur en sciences naturelles, secré-
taire de l'Entente scientifique internationale pour l'adoption d'une
langue auxiliaire, rue de Pologne, 30, Bruxelles.
Gahide, F., 49, rue du Chambge, Tournai.
Gaidoz, Henri, directeur d'études à l'école pratique des Hautes
études, professeur honoraire à l'Ecole des Sciences politiques,
nie Servandoni, 22, Paris ( VI=).
Gallet, RuFiN, professeur de rhétorique à l'Athénée royal de Char-
leroi, rue du Progrès, 35, Charleroi.
— 14 —
MM. Gauthier-Villars, Albert, éditeur, quai des Grands-Augustins, 55,
Paris.
Gautikk, Jui.KS, membre du Conseil d'Etat, président de l'Alliance
française, délégué du ministre de l'Instruction publique, rue
Oudinot, 6, Paris.
M"* Gbrvais, Paul, avenue Montaigne, .3, Paris.
MM. GiLBART, Olympe, docteur en philosophie et lettres, secrétaire de
rédaction de la Meuse, rue Fond-Pirette, 77, Liège.
Gillon, André, éditeur, librairie Larousse, rue Montparnasse, 13-17,
Paris.
Goblet d'Alviklla, Félix, villa Beauregard, Court- Saint -
Etienne.
Gohy, Jules-Hbnri-Théodork, professeur à l'Athénée communal de
Saint-Gilles.
GoMBAULT, directeur honoraire de l'enregistrement, Chartres, Eure-
et-Loir (France).
Grégoire, Henri, professeur à l'Université libre de Bruxelles, ave-
nue Montjoie, Uccle.
Gromaire, Georges, agrégé de l'Université, professeur au Lycée
Buffon, délégué de la Société d'Echange international des enfants
et des jeunes gens pour l'étude des langues étrangères, rue de
Vaugirard, 189, Paris.
GuiLLEBERT, J., professeur et publiciste, rue Vénéline, 20, Sofia
(Bulgarie).
Hamaide, Fritz, avocat, secrétaire de rédaction de l'Indépendance
belge, avenue Louis-Bertrand, 34, Bruxelles.
Hanrez, Prosper, sénateur, chaussée de Charleroi, 190,
Bruxelles.
Hansbn, Joseph, professeur au Lycée, Diekirch (Grand-Duché de
Luxembourg).
Harry, Gérard, homme de lettres, correspondant du Figaro, de
V Illustration, etc., rue de Bellevue, 52, Bruxelles.
Helmer, Paul-Albert, avocat à la Cour, rue Bruat, 6, Colmar
(Alsace).
Henen, Paul, rédacteur à la Flandre libérale, avenue des Arts, 12,
Gand.
Hennebicq, Léon, avocat à la Cour d'appel, rue de Lausanne, 1,
Bruxelles.
Hennequin, Emile, lieutenant au \" régiment de ligne, Gand.
Hennbquin, L., lieutenant-colonel retraité, rue de Bréderode, 17,
Gand.
- 15 -
MM. Hknquinez, Henry, professeur à l'Institut des Hautes études, rédac-
teur en chef de la Revue d'Expansion belge, rue des Carmes, 13,
Liège.
Hbnkuean, docteur, professeur à l'Université de Liège, rue Fabri, 11,
Liège.
M"« Hkris, Alinb, directrice honoraire des cours d'éducation, rue Les-
broussart, 119, Bruxelles.
MM. Hbrmant, Ernbst, inspecteur général retraité du service de santé
de l'armée, rue Anoul, 25, Ixeltes-Bruxelles.
Hkumann, Albert-Gabriel, homme de lettres, rue de Montretout, 5,
Saint-Cloud (Seine-et-Oise, France).
Heynderycx (baron), rue Montoyer, 42, Bruxelles.
Heysb, Rodolphe, avocat à la Cour d'appel, boulevard du Parc, 27,
Gand.
HocQUET, archiviste de la ville de Tournai.
IIoGU, Louis, agrégé de l'Université, professeur à la Faculté libre
des lettres, rue Paul Bert, 9. Angers (France).
HouBEN, proviseur du Lycée, avenue Saint-Lambert, 1 , Maestricht
(Hollande).
M'"^ Hoz-Fratellini, Coupure, 42, Gand.
MM. Hubert, Charles, notaire, Arlon.
Hubert, Herman, professeur à l'Université, rue de Sélys, 7,
Liège.
HuGUET, Edmond, professeur à la Sorbonne, membre du conseil
d'administration de V Alliance française, boulevard Saint-
Michel, 127, Paris.
M"' lIuvGKNS, régente à l'école moyenne, Saint-Gilles.
MM. Ilitch, Bitolska, Ulica, Skoplje (Serbie).
Jacquin, Joseph, négociant, chaussée de Courtrai, 172, Gand.
Jennisskn, Emile, avocat, secrétaire des Amitiés françaises, rue de
l'Ouest, Liège.
Kirsch, Guillaume, professeur honoraire d'école normale, membre
du comité de l'Association pour la vulgarisation de la langue
française, boulevard de Bruxelles, 21, Gand.
Kuffkrath, Maurice, directeur du théâtre royal de la Monnaie,
membre de l'Académie royale de Belgique, rue du Congrès, 2,
Bruxelles.
Laenkn, Jean, rue de l'Intendant, 217, Bruxelles.
Lamarre, Onésime, notaire, président du comité niortais de
V Alliance française, rue Thiers, 8, Niort (Deux-Sèvres), France.
— 16 —
M. Lambiixiotte, Alphonse, professeur à l'Ecole des Mines et à
l'Institut commercial de Mons ; secrétaire des Amitiés françaises,
Le Festinois, Ghlin-lez-Mons.
M""" Lambilliotte.
Lambotte, Emma, femme de lettres, rue Louise, 28, Anvers.
MM. Lameere, J., premier président honoraire à la Cour de cassation,
rue de Naples, 45, Bruxelles.
Lannes, Ferdinand, lecteur à l'Université, Levchinski Pereoulok,
10, Moscou (Russie).
Lardinois, François, rue Torfs, 9, Anvers.
Larousse (Librairie) (Moreau, Auge, Gillon et C'"), éditeurs-imprimeurs,
rue Montparnasse, 13-17, Paris.
MM. Laugbl, Anselme, ancien député, Saint-Léonard, par Boerch
(Basse-Alsace).
Laurens, Henri-Pierre, libraire-éditeur, rue de Tournon, 6, Paris.
Lauwick, André, propriétaire, Gièvres, Loir-et-Cher (France).
Lauwick, Marcel, professeur à l'Université, boulevard Léopold, 9,
Gand.
Leclère, Léon, professeur à l'Université de Bruxelles, avenue de
Longchamp, 54, Uccle.
Lecomte, Maxime, sénateur du Nord, Achères (Seine-et-Oise),
France.
M"'" Lecomte.
MM. Lecoq, J., directeur des établissements de la Mission laïque à
Salonique, Saint-Saturnin-Iez-Avignon, Vaucluse (France).
Lefranc, Abel-Jlles-Maurice, professeur de langue et littérature
françaises modernes au Collège de France, directeur d'études à
l'Ecole pratique des Hautes études, président de la Société des
Etudes rabelaisiennes, rue Denfert-Rochereau, 38bis, Paris.
Leirens, Jules, industriel, boulevard du Jardin Zoologique, 35,
Gand.
Leirens, Léon-Charles, ingénieur, boulevard Frère-Orban, 29,
Gand.
M"" Leirens.
M"« Leirens, Kitty.
MM. Lemos, Alvaro, lieutenant de l'armée portugaise; professeur à
l'institut des Pupilles de l'armée, Bemfica, Lisbonne (Portugal).
Lenkr, a., instituteur.Houkerque, par Steenvoorde (Nord), France.
Lbtquks, Georges, ancien ministre, rue de Solférino, 2, Paris.
— 17 —
Ligue wallonne du Tournaisis.
MM. Lisbonne, RiîNÉ.éditeur, boulevard Saint-Germain, 108, Paris (VI").
L'Olivier, Hknri-Fkrdinand, ingénieur, Moortebeek, par Dilbeek.
LoNFiLS, Hector, professeur à l'Athénée royal, rue du Vélo-
drome, 4, Oitende.
Mabille, Alfred, directeur général de l'Instruction publique et des
Beaux- Arts de la ville de Bruxelles, rue du Conseil, 22, Uccle.
Maertens, Louis, avocat, rue des Dominicains, 6, Gand.
Mabs, Pierre, homme de lettres, rue Traversière, 18, Gand.
Maeterlinck, Louis, conservateur au Musée de Gand, avenue
St-Denis, 119, Gand.
Magis, Alfred, sénateur, Strouvenbosch, par Aubel.
Mahaim, Ernest, professeur i. l'Université de Liège, avenue du
Hêtre, 9, Cointe Sclessin.
Maingukt, André, libraire-éditeur, rue Garancière, 10, Paris.
Malet, Albert, professeur agrégé d'histoire au Lycée Louis-le-
Grand, secrétaire général de l'Alliance française, rue Claude
Bernard, 79, Paris (VI»).
Mallieux, Ferdinand, avocat à la Cour d'appel, rue Hemricourt, 24,
Liège.
Malvoz, Ernest, directeur de l'Institut bactériologique de l'Uni-
versité de Liège, Liège.
Mansuy, Abel, lecteur à l'Université, Allée de Jérusalem, 93-94,
Varsovie.
Mantoux, Paul, professeur à l'Université de Londres, South-Hill,
Park Gardens, Londres, N.-W.
M""' Marraud, Vieux Marché-aux-Moutons, Gand.
MM. Martinenche.E., professeur à la Sorbonne, rue Jouffroy, 88, Paris.
Martino, Pierre, professeur à la Faculté des lettres, boulevard Bon
Accueil, 39, Alger.
Masoin, E., docteur, professeur à l'Université catholique, secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale de médecine, & I^uvain.
Masson, Pikrre-V., libraire-éditeur, boulevard Saint-Germain, 120,
Paris.
Mawet, E., avocat, secrétaire de l'Association internationale pour
l'extension et la culture de la langue française (section liégeoise),
boulevard d'Avroy, 77, Liège.
M"« Mayer, Lucien, rue de Berlaimont, 30, Bruxelles.
M. Mees-Braun, Emile, industriel, président du tribunal de commerce
de Gand, Coupure, 3, Gand.
— lh< —
M. Mkllon, p., place Malesherbes, 24, Paris.
M'"« Michaux (baronne Jane), avenue Friedland, 32, Paris.
MM. MiciiKL, Charles, professeur à l'Université, avenue Blonden, 42,
Liège.
MocKKL, Albert, homme de lettres, avenue de Paris, 109, La
Malmaison, Rueil, Seine-et-Oise (France).
M"« MoRKAu, secrétaire de la revue \'Ego, 166, rue Brogniez, 9,
Bruxelles.
MM. Morand, Hubert, professeur agrégé au Lycée de Nice, envoyé du
Journal des Débats, 2, rue Saint-Siagre, Nice.
MouziN, Chaklks, ingénieur, Trazegnies.
NÉLis, Jean, homme de lettres, rue Clauzel, 25, Paris
Nève, m., rue de la Croix, 11, Gand.
M™' Nèvb.
mm. Nève, Léon, rue de Bruges, 90, Gand.
Nèvb, Paul, chargé de cours à l'Université de Liège, rue du Parc,
47, Liège.
Nicolaï, Edmond, directeur général au Ministère des Sciences et
des Arts, professeur à l'Ecole de Commerce annexée à l'Univer-
sité de Gand, rue Théodore Roosevelt, 56, Bruxelles.
Nicolay, Aimé, contrôleur des contributions, rue de l'Ecole, 51,
Mont-Saint-Amand, Gand.
M""» Nicolay.
MM. NiMTTE. Charles, lieutenant général retraité, chaussée de Vleur-
gat, 111, Bruxelles.
NoKl, Alexis, avocat, avenue des Villas, 42, Bruxelles.
NovATi, Francesco, professeur à l'Académie de Milan, villa Lisoo
Scaler, Gressoney-Saint-Jean, Aoste (Italie).
NowÉ, Henri, étudiant, rue de la Vallép, 56, Gand.
OcHSÉ, Julien, homme de lettres, rue deVilliers, 43, Neuilly (Seine).
Parmentier, Léon, professeur à l'Université de Liège, Hamoir-sur-
Ourthe.
Paschal, Léon, professeur à l'Ecole de Guerre de La Haye, Olden-
barncveltlaan, 86, La Haye.
Pavard, Fernand, avocat, secrétaire général de la Ligue natio-
nale pour la défense de la langue française, avenue de la
Montagne, 71, Forest.
Peltzer de Clermont, Edoi'ard, sénateur, Verviers.
PiÉBARD, Louis, rédacteur au Soir, correspondant A'Excelsior, rue
de Tyrol, 121, Bruxelles.
— 19 —
MM. Pinchart-Denis, Maurice, ingénieur-constructeur, rue Saint-Sabin,
58, Paris.
Polis, Lambert, président de l'Association pour {extension et
la culture de la langue française, section de Maestricht,
Maastricht.
M™ Polis.
MM. PoLL. Auguste, industriel, rue Magelein, 8, Gand.
Poli,, Georges, avocat, rue Basse, 49, Gand.
M°» Poll.
M. Poplimont, avocat, Anvers.
Prague (ville de).
MM. Probst, docteur, rue Gassies, 33, Pau, Basses- Pyrénées (France).
Reding, Victor, directeur du Théâtre Royal du Parc, rue de Ten-
bosch, 32, Bruxelles.
Régnier, Léon, ingénieur, place du Rabot, I, Gand.
Remouchamps, J.-M., avocat, boulevard d'Avroy, 280, Liège.
M""' Remouchamps.
MM. Renard, Maurice, auditeur militaire de la Flandre occidentale,
Quai des Teinturiers, 15, Bruges.
Reynaud, Louis, professeur à l'Université de Poitiers, Soyons,
Ardèche (France).
RivARD, Adjutor, docteur ès-lettres, Membre de la Société Royale
du Canada, professeur à l'Université Laval, président de la
Société du Parler français au Canada, secrétaire général du
Comité Permanent du Congrès de la langue française au Canada,
rue Hamel, 7, Québec (Canada) .
Roland, Auguste, conseiller à la Cour d'Appel de Gand, château de
Runenboi-g, Melle lez-Gand.
RooMA.N, Frrnand, agent général de la Société des Auteurs, rue
Royale, 96, Bruxelles.
M"* Rose, Maria, directrice de l'Ecole normale provinciale du Hainaat,
avenue Michel-Ange, 39, Bruxelles.
MM. RosY, Léopold, directeur de la Revue Le Thyrse, avenue Mont-
joie, 104, Uccle.
RoTH, Gkorobs-Jules, professeur agrégé de l'Université, avenue
Mac-Mahon, 18, Paris.
M"" RbTHLiSBERGER, Gand.
M. RouFFAKT, Docteur E., agrégé à l'Université, rue de la Sablon-
niére, 28, Bruxelles.
— 20 —
M. RoTKR, Emile, avocat et député, rue de Tyrol, 131, Bruxelles.
Miss Ryan, Mary, professeur de langues romanes, University Collège,
Cork (Irlande).
MM. Sadoul, Charles, directeur du Pays lorrain et de la Revue lorraine
illustrée, conservateur au Musée lorrain, rue des Carmes, 29,
Nancy (France).
Salmon, Amédéb, professeur à l'Université de Reading, Western
Elms Avenue, 54, Reading (Angleterre).
M">° Salmon.
MM. Salonb, Emile, vice-président de l'Alliance française, boulevard
Saint-Germain, 186, Paris.
Sasserath, Simon, avocat à la Cour d'appel, président de la Ligue
nationale pour la défense de la langue française, rue du Trône,
51, Bruxelles.
Savart, h., rue Jacquemont, 11, Paris.
ScHATz, Albert, professeur à l'Université de Lille, directeur de
l'Institut français de Londres, Marble Arch House, Marble Arch
W. Londres.
M"" Sohœmarer, rue Neuve-Saint-Pierre, Gand.
M. ScHOORMAN, Robert, conservateur des archives de l'Etat, Coupure,
175, Gand.
M"" ScHOORMAN .
M"» ScHOORMAN.
M"" Sbryais-Ligit, Hélène, boulevard de la Citadelle, 155, Gand.
Société liégeoise de Littérature wallonne.
MM. Spab, Joseph, avocat à la Cour d'appel, Coupure, 133, Gand.
Stabs, Auguste-Jean-Octave, rue Charles-Martel, 18, Bruxelles.
M"' Stas de Richelle, Villa l'Aiglon, Meirelbeke.
MM. Steinkuhler, Robert, place du Comte-de-Flandre, 2, Gand.
Stbyaert, Emile, président du tribunal, quai des Moines, 46,
Gand.
M""* Stbyaert.
M"« Stbyaert.
MM. Stuyck., Louis, Longue rue Neuve, 42, Anvers.
Tbrtzwbil, Léon, rue de l'Eglise, 108, Gentbrugge-Gand.
Thibnpont, Gustave, industriel, rue des Baguettes, 66, Gand.
Thoei.en, docteur, médecin des hôpitaux, rue du Taciturne, 47,
Bruxelles.
Thomas, Lucibn-Paul, professeur à l'Université de Giessen, rue
Henri-Maus, Liège.
— 21 —
M"" TiBERGHiEX, Jeanne, rue de Belle- Vue, 27, Ledeberg-Gand.
TiBEROHiBN, Simonne.
TouRNOT, Elisa, régente, villa Jeanne, chaussée de Nieuport, 413,
Ostende.
M. Ulrix, Eugène, professeur à l'Athénée royal de Bruges, rue Krui-
tenberg, 19, Bruges.
Union des Associations internationales, rue de la Régence, 3bis, Bruxelles.
M. Van Acker, cour du Prince, 57, Gand.
M""» Van Acker.
M. Van Bknbden (baron), Charles, avocat, vice-président de la Ligue
nationale pour la défense de la langue française, rue Marie-de-
Bourgogne, 16, Bruxelles.
M"" Van Cauwbnberghe, rue Neuve-du-Casino, Gand.
MM. Van Ceulebroeck, industriel, boulevard du Château, Gand.
Van Crombrugghb, Jules, industriel, rue des Foulons, 15, Gand.
M"» Van den Berghen, rentière, rue du Miroir, 22, Gand.
M. Van den Daele, Oscar, professeur à l'Athénée royal et à l'Ecole
des Mines et Faculté polytechnique du Hainaut, rue des Cinq-
Visages, 12, Mons.
M"" Van de Putte, Carmen, chaussée d'Hundelghem, Ledeberg.
MM. Van de Puttb, Charles, chaussée de Vleurgat, 173, Iielles.
Van de Putte, Hector, industriel, Coupure, 70, Gand.
M"«» Van de Putte, Irène, rue de l'Ecole, 51, Mont-Saint-Amand, Gand.
Van de Putte, Marguerite, chaussée d'Hundelghem, Ledeberg.
M"* Van der Auwera, Ed., rue Eckelaers, Saint- Josse-tenNoode,
Bruxelles.
MM. Van der Noot, Armand, rue Courte-du-Marais, 14, Gand.
Van der Noot, Maurice, restaurateur, rue Courte-du-Marais, 14,
• Gand.
Van Doorbn, J., professeur à l'Athénée royal d'Arlon.
Van Hooreberb, Edmond, propriétaire, ehaussée de Bruxelles, 31,
Ledeberg-Gand.
Van Nieuwenhuïse, Albert, avocat, chaussée de Malines, 191,
Anvers.
Van Rijsschoot, D., professeur au Conservatoire, rue de la Vallée,
Gand.
Mme Van Rijsschoot.
MM. Van Santen, René, avocat, rempart des Béguines, 97, Anvers.
Vantrappen, Benoît, négociant, rue Longue-duVerger, 6, Gand.
22
M"« Vantrappen, Gabribixe.
MM. Van Wetter, ancien recteur de l'UniTcrsité, boulevard Zoologique,
Gand.
Verhaeghe db Naeyer, Henri, place Van Artevelde, 8, Gand.
Verhaeren, Emile, homme de lettres, Roisin.
Verhulst, Henri, ancien directeur des rentes, quai de l'Evêché, 4,
Gand.
Vermeersch, Paul, professeur à l'Université, Digue de Brabant, 71,
Gand.
Vermeire, Théodore, industriel, rue de l'Hôpital, 10, Saint-Nico-
las ( Waes).
ViRRÈs, Georges, hommes de lettres, Lummel (Limbourg).
VooRTMAN, Jean, industriel, rue Neuve Saint-Pierre, 84, Gand.
M"" VooRTMAN, quai du Ramage, Gand.
MM. Vranckkn, Georges, professeur au Collège communal, avenue
Bouvier, 12, Virton.
Werbrouck, Albert, rue du Grand-Chien, 45, Anvers.
Welsch, Eugène, directeur des écoles primaires, délégué de la
ville de Liège, rue Saint-Laurent, 49, Liège.
Wenqer, Tony, délégué général de l'Alliance française, avenue
Pescator, 5, Luxembourg.
M"« Wibrin-Oliviek, institutrice, boulevard d'Avroy, 31, Liège.
MM. WiLLAERT, Gaston, rue du Prince Royal, 28, Anvers.
Wilmotte, Maurice, professeur à l'Université de Liège, membre de
l'Académie royale de Belgique, rue de Pavie, 40, Bruxelles.
WuRTH, G., conseiller provincial, rue Guillaume Tell, Gand.
Assemblées et travaux du Congrès.
Notre troisième Congrès international a eu lieu, à Gand, les
11-14 septembre 1913. Il s'était écoulé cinq ans depuis notre
deuxième réunion, qui avait réuni à Arlon environ cinq cents
personnes, dont la majorité venait des parties wallonnes de la
Belgique, du Luxembourg, de la France, des Pays-Bas, de la
Hongrie, etc. Cette fois, il fallait s'attendre à la prédominance
des éléments néerlandais, en raison du choix qui avait été fait
d'une cité considérée ffomme la capitale de la Flandre, et dont
le passé historique évoque tant de souvenirs glorieux, juste-
ment chers aux Belges de langue germanique.
Il en a été ainsi, et nous avons eu le plaisir de constater que
les vieilles sympathies dont la France a joui, dès les origines
de la civilisation, en ce beau pays qui fut d'abord un fief de
ses rois et où ses évangélisateurs, ses moines, ses clercs, ses
écrivains et ses artistes accomplirent, en tout temps, leur
œuvre féconde, étaient, quoi qu'on dise, restées vivaces et
actives. Ce fut de Gand que parvint à notre Bureau fédéral
l'offre de nous réunir dans des locaux, mis à notre disposition
par le comité organisateur de l'Exposition universelle. Aussitôt
— 24 —
que la date du Congrès fut arrêtée, un comité local (1) fonc-
tionna là-bas, et tout un programme de fêtes fut élaboré, en
même temps qu'un appel était adressé à la partie la plus
intelligente et la plus cultivée de la population, appel aussitôt
entendu, puisque nous avons recueilli, à Gand seulement, plus
de 120 adhésions, parmi lesquelles il en est de considérables
et de fortement significatives.
(1) Il était composé de : MlVf. A. Braeckman, avocat; A. Callier, procureur
général près la Cour d'appel ; A. Counson, professeur à l'Université; Eug. Dauge,
professeur à l'Université; H. de Baets, avocat, ancien bâtonnier, député per-
manent ; Eug. de Hemptinne, sénateur-suppléant ; de Kerchove d'Exaerde,
conseiller à la Cour d'appel; A. Dervaux, avocat, ancien bâtonnier; Baron de
Pélichy, juge au tribunal de première instance; Chr. de Smet de Naeyer, indus-
triel, i)r&id«m«; P. Henen, rédacteur en chef de la Flandre libérale; M. Lau-
wick, professeur à l'Université ; J. E. Nève, avocat; G. Poplimont, avocat;
Renard, auditeur militaire de la Flandre occidentale; R. Schoorman, conser-
vateur des Archives de l'État ; R. Steinkiihler, industriel ; E. Steyaert, prési-
dent du tribunal de première instance ; G. Stuyck, président de l'Association
pour la vulgarisation de la langue française à Anvers ; D. Van Reysschoot, pro-
fesseur au Conservatoire ; R. Van Sauten, avocat; P.Van Wetter, professeur â
l'Université; P. Vermeersch, professeur à l'Université; G. Wiirth, avocat,
conseiller provincial, membres.
M. Georges Poil, avocat, remplit les fonctions de .«fcr^^rtîcc
Première journée.
Le jeudi 11 septembre, à 3 heures de l'après-midi, les con-
gressistes se réunissaient au Palais des Fêtes de l'Exposition.
A cette première assemblée, on remarquait la présence de :
MM. Jules Gautier, conseiller d'Etat, et Jules Goulet, direc-
teur de l'Office national des Universités, délégués de M. le mi-
nistre de l'Instruction publique de France; M. Beckers, direc-
teur général de l'Enseignement supérieur des Sciences et des
Lettres en Belgique; MM. Brunot et Huguet, professeurs à la
Sorbonne; M. Salone, secrétaire général de ï Alliance française;
MM. de Baets et Peltzer de Clermont, sénateurs; M. Fr. Novati,
professeur à l'Académie de Milan; M. le comte Casati, de Milan;
M. Bordât, directeur de la Revue des Français ; M. Grozier,
consul-général de France à Anvers; M. Helmer, avocat à Gol-
niar; M. Wenger, délégué-général de l'Alliance française à
Luxembourg; M. Hansen, professeur à Diekirch; M. Georges
Ducrocq, directeur des Marches de l'Est; M. Sadoul, directeur
de la Revue lorraine, de Nancy; MM. L. Dumont-Wilden;
Georges Virrès; Henri Davignon; Albert Mockel; Félix Bodson;
Olympe Gilbart; Gérard Harry; J. Van Dooren, hommes de
lettres; M. S. Sasserath, président de la Ligiie nationale pour
la défense de la langue française; M. Maurice des Ombiaux,
président des Amitiés françaises, de Bruxelles; M. Alphonse
Lambillotte, secrétaire général des Ainitiés françaises, de Mons;
JL Emile Jennissen, secrétaire général des Amitiés françaises,
de Liège, etc., etc.
— 26 —
M. Henry Boddaert, en l'absence de M. Maurice de Smet
de Naeyer qu'un deuil récent empêchait d'être parmi nous,
représentait le Comité exécutif de l'Exposition (1).
M. Maurice Wilmotte, président, ouvre la séance. Après avoir
lu les lettres d'excuses de nombreux amis belges et étrangers
(parmi lesquels M. Klobukowski, ministre de France à Bru-
xelles ; M. Maurice Barrés, de l'Académie française ,
MM. M. et Chr. de Smet de Naeyer, etc.), il prononce une allo-
cution dans laquelle il rappelle le passé déjà long de l'Associa-
tion internationale. Son souvenir va à ses fondateurs, parmi
lesquels deux morts illustres : J. Novicow et G. Van Hamel.
Lorsqu'en 1905, à Liège, accoururent de toutes les parties de
l'Europe les amis de la culture française, un seul sentiment
les guidait, celui d'assurer à leurs compatriotes, quelles que
fussent leur race et leur langue, le bénéfice d'un instrument
incomparable d'échange intellectuel et moral; tous ces étran-
gers étaient d'ailleurs d'excellents patriotes; ils ne croyaient
pas forfaire à l'honneur, ni trahir leurs devoirs envers une
patrie et une nationalité en venant proclamer à Liège leur
respect filial pour une culture et une langue, qui avaient déposé
en leur esprit les germes intellectuels les plus fécondants.
((La Belgique, ajoute-il, a plus de raisons que tout autre
pays d'être reconnaissante à la culture française. Bilingue de-
puis l'origine de la civilisation, elle a, même dans ses parties
germaniques, toujours fait une part généreuse à la pensée et
à l'idiome de ses voisins du Midi.
La Flandre est le théâtre idéal et nécessaire des efforts les
plus vaillants pour la propagation du français. Mais les Luxem-
bourgeois, les Alsaciens, les Suisses qui sont ici ne me démen-
tiront pas si j'affirme que toutes les marches du Nord-Est et de
l'Est sont dans le même cas que la Belgique, et particulière-
ment que la Belgique flamande. Ce n'est donc pas un manque
(i) Une gratitude toute particuU^re est due à M. Maurice de Smet de Naeyer,
dont les œuvres françaises, à Gand, sont toutes les débitrices, et qui dirige avec
éclat, et avec une sorte d'entêtement aimable, la n'îsistance aux prétentions
exclusivistes des adversaires de notre culture. Il n'est que juste de joindre à ce
nom respecté celui du colonel Hennequin, secrétaire général de VAnsoriation
flamande pour la vulgarisation de la langue française.
— -27 —
d'égard envers le néerlandais et sa littérature que de venir à
Gand pour y exposer les titres du français à l'universalité. »
M. Wilmotte résume ensuite l'effort accompli depuis 1905,
la création de plusieurs groupements, tant dans le sein de la
Fédération qu'il préside qu'en dehors d'elle, les Amitiés fran-
çaises, la Ligue nationale pour la défense de la langue
française, etc., sans parler de cette précieuse Association fla-
mande pour la vulgarisation de la langue française, qui a été
la première fondée chez nous et qui a rendu d'infinis services.
M. Wilmotte salue les délégués étrangers; il annonce que la
ville de Prague vient de faire parvenir une souscription au
Congrès; il exprihie l'espoir que ces nouvelles assises seront
entourées d'autant de sympathie que les Congrès de Liège et
d'Arlon en avaient réuni.
M. Jules Gautier, conseiller d'Etat, délégué officiel du mi-
nistre de l'Instruction publique, prend alors la parole. Il rend
hommage au dévouement du Président.
« Nous venons, ajoute-t-il, défendre ici une idée. Nous venons
défendre la langue française qui a été depuis toujours le véhi-
cule de la civilisation; qui est une langue d'union et de con-
corde; qui nous apporte tout son passé et qui est un instrument
admirable pour le développement de l'esprit.
<i Nous voulons montrer que la connaissance de la langue
française enrichit les esprits d'une quantité innombrable
d'idées.
« Ce Congrès de Gand, si caractéristique — car c'est le pre-
mier congrès que nous tenons dans une terre où la langue fran-
çaise n'est pas la langue maternelle — nous donnera, j'en suis
sûr, des résultats plus féconds encore que ceux de Liège et
d'Arlon. » (Vifs applaudissements.)
On entend encore d'excellentes paroles de M. Salone, qui, au
nom de VAlliance française, promet au Congrès la sympathie
de cette puissante association, et un bref discours de M. Henri
Davignon, saluant, au nom du Groupe des Congrès et Confé-
rences de l'Exposition, les membres étrangers du Congrès et
souhaitant, d'une façon générale, la bienvenue aux organisa-
teurs de celui-ci. Enfin, M. Gustave Charlier, secrétaire général,
donne aux congressistes diverses indications d'ordre pratique.
La séance est levée à 4 heures et demie.
— 28 —
Visite de la section française.
Aussitôt après cette première réunion, on se rendit, en
groupe, dans la section française, où M. Wilmotte présenta les
congressistes à M. Marraud, commissaire général de la France.
Celui-ci répondit par un speech de bienvenue. Au surplus, pen-
dant toute la durée du Congrès, et même pendant la période
préparatoire, nous trouvâmes en ce haut fonctionnarie un
accueil bienveillant et généreux dont nous sommes heureux de
lui rendre grâce ici. Il serait injuste de ne pas associer à ce
souvenir reconnaissant le secrétaire des conférences au com-
missariat général, M. Joseph Berge, qui s'est dépensé sans
compter à notre service.
La visite de la section française fut forcément rapide, sauf
en un seul endroit. Nous avions, en effet, été avisés d'une
réception particulière par le Cercle de la Librairie française.
Un certain nombre des dirigeants du Cercle étaient là, et, en
leur nom, M. Moreau, l'un des chefs de la maison Larousse,
prononça un speech aimable, auquel M. Wilmotte répondit
brièvement.
Représentation théâtrale.
Le soir, une représentation eut lieu au Théâtre Minard,
aimablement mis à la disposition des organisateurs. La troupe
du Théâtre de l'Œuvre y joua Le Voile de Rodenbach et Les
Romanesques de Rostand. Programme d'une piquante variété
qui fit ressortir avec un égal bonheur le talent admirablement
souple des artistes de la célèbre compagnie, que M. Lugné-Poe
dirige avec tant de sens littéraire. Un public enthousiaste et
ravi applaudit tour à tour en M"« Greta Prozor une sœur
Gudule d'une grâce toute mystique et un Percinet, délicieux
de fantaisie alerte. M"« Dehle fut une aimable Sylvette.
M"« Marges, MM. Comély, Berger, Corney formèrent un excel-
lent ensemble. Et que dire de M. Lugné-Poe lui-même, dont
l'initiative novatrice a, depuis vingt ans, introduit et natura-
lisé en France tant de noms glorieux dans les fastes drama-
tiques! Non content d'apporter à cette soirée l'appoint de son
— 29 —
beau talent, il- lut, en guise d'intermède, une lettre émouvante
et spirituelle d'un poète disparu dont le nom est justement
cher aux Gantois : Charles Van Lerberghe.
Bref, beau spectacle, dont les congressistes emportèrent un
vivant souvenir. Aucune fête ne pouvait mieux terminer la
première journée de ces assises, consacrées à l'exaltation de la
culture française.
Deuxième journée.
Le vendredi 12 septembre, à 9 heures, les sections s'organisent
dans les locaux mis à la disposition du Congrès au Palais
des Fêtes de l'Exposition.
I. — Section de propagande.
La séance est ouverte à 9 heures et demie.
Composition du bureau :
Président : M. Jules Gautier, conseiller d'Etat, délégué du
ministre de l'Instruction publique de France;
Vice-présidents : M. Salmon, professeur à Reading UniversHy
(Angleterre) et M. Helmer, avocat à Colmar;
Secrétaire : M. S. Sasserath, président de la Ligue nationale
pour la défense de la langue française en Belgique.
M. Becker développe son rapport sur la situation de la lan-
gue française dans le Grand-Duché de Luxembourg.
M. le Président remercie M. Beclcer pour l'exposé intéressant
qu'il a bien voulu faire à l'assemblée.
M. Wenger, de Luxembourg, signale que, dans cette ville, les
partisans de la langue française ont créé des cours gratuits
de conversation française. Ces cours ont été bien accueillis et
sont suivis par de nombreux auditeurs.
— 31 —
M. Renard, président de la section brugeoise de la Ligue
nationale pour la défense de la langue française, insiste sur
l'utilité qu'il y aurait pour les Luxembourgeois de langue
française à se mettre en rapport avec l'Association tianiande
pour la vulgarisation de la langue française; ce groupement
pourrait leur donner des indications très utiles pour l'organi-
sation de cours de français.
M. Renard exprime également le vœu que l'on crée en France
des diplômes pour les étrangers qui veulent y suivre des cours
supérieurs.
M. le Pl-ésident expose d'une manière très complète com-
ment les diplômes sont délivrés dans les écoles françaises.
Il fait remarquer qu'il faut distinguer, d'une part, les grandes
écoles du gouvernement, et, d'autre part, les universités.
Les grandes écoles gouvernementales sont celles qui forment
les futurs candidats aux fonctions d'Etat, et, comme il faut être
Français pour remplir ces fonctions, il va de soi que ces
diplômes ne peuvent être délivrés qu'à des Français. On est
admis généralement dans ces écoles par voie de concours.
En fait, cependant, les étrangers sont admis dans ces écoles
en qualité d'élèves libres.
Rien n'empêcherait de les y admettre en qualité d'élèves
réguliers, mais à condition que les diplômes qui leur seraient
délivrés ne leur donnent pas le droit de postuler les fonctions
d'Etat en P'rance.
D'autre part, il y a les universités, et avant tout la Sorbonne.
Toutes ces universités sont très spécialisées et il importe que
les Luxembourgeois, qui, souvent, vont faire leurs études dans
les universités allemandes, sachent que les universités fran-
çaises sont aussi spécialisées que les universités allemande'^
et personne ne soutiendra que les diplômes délivrés par les
universités françaises ont moins de valeur que ceux délivrés
par les universités allemandes.
Il serait donc désirable que les Luxembourgeois fassent de
In propagande pour que les jeunes gens du Grand-Duché de
Luxembourg donnent la préférence aux universités françaises
Les universités françaises délivrent aux étrangers des
diplômes qui ont absolument la même valeur scientifique que
les diplômes délivrés aux Français, mais qui présentent cette
— 32 —
différence que ceux qui en sont détenteurs ne peuvent pas
exercer leur profession en France, ce qui est une mesure, en
somme, de légitime protection en faveur des jeunes Français.
Mais ces diplômes prouvent aux autorités du pays d'origine
de l'étranger qui les a obtenus que celui-ci a fait des études
sérieuses, qu'il possède certaines capacités et peuvent avoir
pour conséquence de permettre au porteur des diplômes de
remplir certaines fonctions dans son pays.
Un membre de la section émet le vœu que ces observations
de M. le Président fassent l'objet d'une notice spéciale, insérée
dans le compte rendu du Congrès.
M. le Président répond que ses observations seront résumées
dans le procès-verbal de la séance.
La parole est ensuite donnée à M. S. Sasserath, avocat à la
Cour d'appel de Bruxelles, président de la Ligue nationale pour
la défense de la langue française en Belgique, qui développe
son rapport sur la question des langues dans ce pays.
M. le Président remercie M. S. Sasserath pour son exposé et
il insiste sur cette considération que la propagande faite en
faveur de la langue française' ne constitue nullement un acte
d'hostilité envers les idiomes locaux, ni envers aucune autre
langue.
u Nous ne convions pas, dit-il, les Flamands à abandonner
« leur langue; nous leur demandons simplement d'y ajouter
« quelque chose, c'est-à-dire un moyen d'entrer en rapport avec
« un plus grand nombre de personnes, de développer et de
« multiplier leurs idées. »
La séance est levée à 10 h. 45 pour permettre aux membres
de la section d'assister à la conférence de M. Brunot.
La section s'ajourne au samedi 13 septembre, à 2 heures de
relevée.
33
II. — Section littéraire.
La séance est ouverte à 9 h. 1/2, sous la présidence provi-
soire de M. Gérard Harry, auquel succède bientôt M. Albert
Mockel.
La parole est à M. Gaston Bordât, directeur de la Revue des
Frai^çais, qui lit un rapport très intéressant sur le rôle de la
presse périodique dans la propagation de la culture française.
M. J. Dechamps remplit les fonctions de secrétaire.
M. Georges Ducrocq, en approuvant les vues de M. Bordât,
souhaite que les revues en général, et surtout les revues étran-
gères de langue française, s'inspirent des idées qui viennent
d'être exposées.
M. Harry défend ensuite un projet original de propagande
française par les langues étrangères. Ce projet vise naturelle-
ment les pays étrangers.
Entre autres mesures, M. Harry propose de fonder, là où
le français se heurte à des antagonismes sérieux, des organes
périodiques de combat rédigés dans la langue concurrente et
de créer en même temps des comités locaux pour soutenir
l'œuvre entreprise.
M. le Président félicite l'orateur et estime qu'il serait à
propos d'attirer l'attention de la section de propagande sur
les conclusions si judicieuses du rapport de M. Harry. Il prie
donc ce dernier de soumettre à l'assemblée un vœu qui serait
plus tard discuté en séance publique.
Le vœu suivant, amendé par MM. Mockel et Rosy, est admis
à l'unanimité :
(( La section littéraire émet le vœu que dans les pays étran-
11 gers où la vogue et l'extension de la langue française sont
« contrariées par une propagande hostile menée contre elle
« dans une autre langue, il soit créé un organe quotidien ou
i< périodique, rédigé dans l'idiome servant à battre en brèche
Cl le français;
— 34 —
(1 Que le Congrès désigne pour chaque pays un comité
« chargé de travailler à réaliser ce programme dans toute la
(( mesure du possible. »
M. Harry fait également adopter un vœu formulé en ces
termes :
« La section, considérant que la propagande de la langue
(( française est inséparable de celle des idées, souhaite que les
<i revues françaises demeurent fidèles au principe de ne jamais
(( publier un article susceptible de diminuer le prestige de la
(( France à l'étranger et de ne point fournir d'armes à ses
« adversaires. »
M. Georges Ducrocq, directeur de l'excejlente revue Les
Marches de l'Est, soulève la question des aoûterons flamands,
qui vont faire la moisson en France et auxquels on devrait
s'occuper d'apprendre la langue française.
Une vive discussion s'engage sur ce sujet si digne d'atten-
tion, jusqu'à ce qu'on se rallie au vœu présenté par M. Ducrocq
et amendé d'après les observations de MM. Harry et Gromaire :
« La section émet le vœu que les ouvriers agricoles étrangers,
«qui viennent en France chaque année, y trouvent des orga-
« nismes locaux qui leur faciliteront la connaissance de la
<i langue française et leur assureront une atmosphère de sym
« pathie dont ils ont besoin. Il souhaite la création immédiate
(1 d'un comité spécialement chargé de cette mission et que le
(( comité organisateur du présent Congrès désignera. »
M. Gillon résume un rapport très documenté dont il est
l'auteur avec MM. Bourrelier, Mainguet et- Lisbonne, éditeurs
parisiens, sur la librairie et l'extension de la littérature fran-
çaise. Cette étude, qui est l'œuvre de spécialistes compétents,
est jugée fort instructive par l'assemblée. Au nom de celle-ci,
M. le Président adresse des éloges mérités à M. Gillon et à ses
coHaborateurs.
Le tableau tracé d'une manière si éloquente par M. Gillon
suggère à M. Dumont-Wilden une proposition à laquelle, sur
— 35 —
l'initiative de M. le Président, il donne la forme d'un vœu
adopté à l'unanimité par l'assemblée :
» La section littéraire émet le vœu que les éditeurs français
<i publient, sous forme d'une bibliographie pratique à l'usage du
« public, nn catalogue systématique des principales œuvres
<i de la littérature en langue française. »
Le rapport de M. Albert Heumann, sur les écrivains fla-
mands dans la littcrature française et la portée européenne
de leur apport, provoque, entre les auditeurs, de piquants
échanges de vues.
M. Kirsch se refuse à considérer Camille Lemonnier comme
un Flamand. Il insiste aussi sur le fait que Georges Rodenbach
est né à Tournai et qu'il ignorait parfaitement l'idiome de
Van Maerlant...
M. Oillon observe que les Français ont pour devoir de rendre
un hommage particulier aux écrivains d'origine étrangère qui
s'e.xpriment dans notre langue, mais que leur simple qualité
d'étrangers suffit à les faire honorer. Au reste, il serait péril-
leux et discourtois de féliciter exclusivement les écrivains
belges. Il y a aussi des Italiens, des Suisses, etc., qui s'ex-
priment en français. Oublie-t-on que le Congrès a un caractère
international? Cette discussion amène M. Nélis à présenter la
motion suivante :
« Les écrivains français expriment toute leur reconnaissance
«aux écrivains étrangers, dont le talent contribue à augmenter
<i le patrimoine des lettres françaises. »
M. Mockel abandonne momentanément à M. Glllon la pré-
sidence de l'assemblée et critique avec entrain l'organisation
des jurys belges chargés de décerner les prix littéraires. Le
choix des membres qui composent ces jurys est tendancieux;
leurs décisions ne sont pas irréprochables, tant s'en faut. Il
suffit de penser que des écrivains comme Hubert Krains,
Blanche Rousseau ou Louis Delattre n'ont jamais été distin-
gués. Au demeurant, la générosité du gouvernement est tou-
chante : l'orateur établit par un savant calcul que le prix quin-
- 36 —
quennal de 5,000 francs rapporte chaque jour aux lauréats la
somme fabuleuse de fr. 2.65!
En guise de conclusion, M. Mockel, appuyé par M. Dumont-
Wilden, émet le vœu suivant, qui est approuvé :
« La section littéraire émet le vœu que les jurys chargés de
« décerner les prix littéraires soient, autant que possible,
« formés, pour la moitié de leurs membres au moins, des an-
« ciens titulaires de ces prix. »
La séance est levée.
III. — Sections : a) pédagogique et sociale;
h) de philologie et d'histoire.
La séance est ouverte à 9 h. 30, sous la présidence de
M. Ferdinand Brunot, professeur d'histoire de la langue fran-
çaise à l'Université de Paris, assisté, pour la section de philo-
logie et d'histoire, de M. Francesco Novati, professeur à l'Aca-
démie de Milan. M. Louis-Pilate de Brinn' Gaubast, professeur
de langue et de littérature françaises à l'Ecole générale alle-
mande d'Anvers, est installé comme secrétaire.
M. R. Gallet, professeur à l'Athénée royal de Charleroi, lit
son rapport : De la j^art qu'il convient de faire, dans l'ensei-
gnement des pays de langue française, à la lecture des écri-
vains régionaux.
M. de Brinn' Gaubast demande à présenter quelques obser-
vations sommaires. L'auteur nous a montré, dit-il, quel parti
l'on pourrait ou l'on a pu tirer, dans le domaine pédagogique,
de textes relatifs à telle ou telle région. L'application de ces
idées aux besoins de l'enseignement chez toutes les nations
étrangères de langue française ne regarde point les Français;
ceux-ci n'en ont pas moins le droit d'exprimer, à l'adresse de
— 37 —
leurs compatriotes, un vœu conforme à l'esprit même d'un
Congrès tel que celui-ci : dans leurs Anthologies scolaires,
pourquoi n'introduiraient-ils pas des extraits caractéristiques
de l'œuvre des grands écrivains de langue française, même
étrangers, un Maurice Maeterlinck, un Emile Verhaeren? Non
seulement cet hommage modeste est bien dû à de pareils noms,
mais il contribuerait, en outre, à démontrer une fois de plus,
au moyen d'exemples récents, quelles ressources la langue fran-
çaise offre aux penseurs soucieux de faire entendre au monde
la voix authentiquement humaine de leur génie, synthèse de
l'àme de toute une race.
M. Brunot constate qu'ainsi envisagée comme une consé-
quence réciproque du rapport de M. Gallet, cette question de-
vrait, en tout cas, être résolue de manière à ne pouvoir sou-
lever aucun malentendu : par exemple, les œuvres des écrivains
belges sont, au point de vue de la France, non pas du tout des
œuvres « régionales » françaises, mais des œuvres nationales
belges; quoique M. de Brinn' Gaubast ait assez indiqué qu'il
est du même avis, c'est le devoir du président d'insister en
termes formels sur ce principe.
Reste à voir s'il y aurait lieu de réserver, dans les Antho-
logies scolaires destinées à de jeunes Français, une place aux
auteurs étrangers de langue française : pourquoi non? Remar-
quons toutefois que la place faite aux écrivains même exclusi-
vement nationaux, dans un recueil de cette nature, n'est pour
ainsi dire accordée qu'à l'ancienneté : non pas que l'Université
se soit toujours montrée timide, mais souvent le mauvais vou-
loir, les refus de quelque éditeur-propriétaire limitent néces-
sairement le choix ou l'interdisent.
. Quant aux écrivains régionaux proprement dits, sont-ils
moins répandus en France que les autres? Il n'y paraît guère.
Et en Belgique? Nous l'avons vu, ceci ne nous regarde point.
La question doit intéresser notre Congrès, mais ne saurait y
devenir l'objet d'aucun « vœu » collectif, parce que ce congrès
est international.
M. Constans, professeur à l'Université d'Aix-Marseille, dé-
clare que, tout au moins individuellement, il serait fort heu-
reux de voir admettre enfin, dans les Anthologies françaises,
— 38 —
la traduction de quelques textes d'auteurs provençaux mo-
dernes : Roumanille, Aubanel, à défaut de Mistral, puisque
celui-ci vit encore. Et pourquoi n'en pas faire autant pour la
littérature celtique de la Bretagne?
Idée séduisante, il est vrai, mais dangereuse, dit M. Brunot,
par l'application tendancieuse qu'on en ferait presque à coup
sûr, soit dans l'enseignement primaire en certaines régions
de la France, soit, aux divers degrés, dans les pays bilingues,
où, en face du français, se dressent, par exemple, certaines
tendances nationalistes que leurs partisans croient, ou feignent
de croire, incompatibles avec lui.
Le point de vue de M. Brunot est partagé par MM. Jules Noël,
avocat à Bruxelles, et Albert Counson, professeur à l'Univer-
sité de Gand, qui, pour préciser leur pensée, fournissent des
exemples tirés de diverses anthologies en usage dans un cer-
tain nombre d'athénées et d'écoles belges.
M™ Emma Lambotte, d'Anvers, fait observer que si l'écri-
vain ambitionne une gloire qui puisse être à la fois régionale
et française, il n'a qu'à écrire en français : pourquoi favoriser
celui qui s'en abstient?
La connaissance de chaque région et de ses écrivains spé-
ciaux, remarque M. Jules Coulet, directeur du Musée pédago-
gique à Paris, peut d'ailleurs être fortifiée chez les enfants,
qui constituent l'avenir de sa population, par l'une de ces
monographies comme il en existe déjà et qu'ont recommandées
en France, après le Ministère de l'Instruction publique, maints
inspecteurs d'académie.
Le débat étant épuisé, le président donne la parole à
M. Lener, directeur d'école à Houtkerque (France), lequel
expose en résumé le rapport qu'on lira plus loin dans ce
volume : De l'enseignement du français usuel aux débutants,
en pays de langue flamande.
La séance est levée à 10 h. 55.
— 39 —
Conférence de M. Brtinot.
A 11 heures, les congressistes se réunissaient à la salle
Azaléa, où ils étaient conviés à un véritable régal littéraire.
On remarquait parmi les assistants la présence de MM. Coore-
man, ministre d'Etat, Marraud et Coppieters, sénateurs. Cau-
seur délicieux, en même temps que savant renonmié, M. Ferdi-
nand Brunot, professeur d'histoire de la langue française à
l'Université de Paris, expose, avec autant d'érudition précise
que de lumineuse clarté, Comment la langue française est
devenue la langue diplomatique de l'Europe.
Pendant des siècles, dit en substance l'éminent professeur,
le latin avait été la langue universelle; mais, dès le commence-
ment du XVI' siècle, il entre en décadence. On en avait fait une
langue trop littéraire qui ne s'adaptait plus à l'actualité et on
le prononçait de façon tellement diverse qu'il en était devenu
méconnaissable.
Entretemps, le français fait son apparition dans les grands
salons européens à l'occasion de réceptions et de visites; mais,
à cette époque, son rôle est encore restreint.
Les traités des Westphalie sont toujours rédigés en latin;
c'est seulement en 1714 que le français est adopté comme langue
diplomatique, et ce n'est guère qu'en 1750 que le triomphe du
français est complet.
Mais, dit M. Brunot, il faut comprendre que cette victoire
du français n'est pas due à la puissance supérieure d'une
langue dominatrice.
Le français est devenu la langue des Etats parce qu'il était
la langue des cours. Les Anglais et les Hollandais l'avaient
élu comme seconde langue nationale, et toutes les autres puis-
sances le choyaient.
En 1680, on considère le français comme la langue de la
civilisation la plus estimée, et cela est dû au génie même de la
langue française, à sa valeur, à ses qualités profondes de
.netteté, de précision, de clarté, qui la rendent apte à servir
essentiellement d'expression à la pensée humaine, surtout sous
sa forme analytique.
Toutes les gazettes européennes sont rédigées en français,
ainsi que tous les pamphlets imprimés en Hollande.
— 40 —
On peut dire qu'à partir de 1650 le latin s'est survécu à lui-
môme. Le français a définitivement conquis l'élite de l'Europe.
Présentée sous une forme d'une admirable éloquence, cette
brillante conférence fut longuement acclamée.
Visite de la ville.
A 2 heures, les congressistes comniençaient la visite des mo-
numents principaux de la ville de Gand. Divers historiens et
archéologues, aussi aimables qu'érudits, avaient bien voulu
accepter de leur servir de guides. M. le chanoine Van den Gheyn,
président de la Société d'histoire et d'archéologie, leur montra
les trésors artistiques de cette cathédrale de Saint-Bavon qu'il
connaît si bien. M. "Van VVerweke, conservateur-adjoint des
archives de l'Etat, les conduisit au Château des Comtes et dans
les ruines de l'Abbaye de Saint-Bavon. M. Schoorman, conser-
vateur des archives de l'Etat, leur fit visiter le Château de
Gérard-le-Diable. Qu'il nous soit permis de leur adresser à
tous trois, au nom des congressistes, l'hommage de notre vive
gratitude. Elle va également à l'administration communale de
Gand, qui avait généreusement ouvert à nos membres l'accès
des monuments de son glorieux -passé.
Cette visite s'achevait à peine lorsque nous fûmes de nou-
veau réunis. Cette fois, c'était à la gracieuse pensée d'un
groupe de dames du monde gantois que nous devions de goûter
quelques instants délicieux. Parmi toutes les marques de sym-
pathie accordées à nos congressistes, celle-là fut assurément la
plus touchante et celle dont nous sommes le plus fiers. Un
comité de dames de la haute société locale s'était, en effet,
constitué pour recevoir les congressistes. A 4 heures, elles leur
offrirent une fête charmante, où M. Sechiari, secondé par
une de ses meilleures artistes, nous fit entendre quelques
œuvres de grand intérêt. Après quoi nos aimables hôtesses ser-
virent un thé dans l'antique salle de la Chef-Confrérie de
Saint-Michel. Là, dans un merveilleux décor historique, des
femmes et des jeunes filles du meilleur monde rivalisèrent de
bonne grâce et d'empressement pour laisser à nos congressistes
étrangers le souvenir ineffaçable d'une hospitalité qui ne res-
semblait à nulle autre.
— 41 —
Concert.
Le soir, grâce à une attention toute spéciale de M. Marraud,
l'oi'chestre sym-phonique des concerts Sechiari composa un
merveilleux programme d'œuvres françaises qu'il exécuta en
l'honneur des congressistes et en présence d'un public aussi
nombreux qu'enthousiaste réuni dans la vaste Salle des Fêtes.
M. Raoul Pugno, le grand artiste que la mort a enlevé depuis,
avait consenti à venir tout exprès de Paris et à jouer pour les
amis de la France. Il fut applaudi dans les admirables Varia^
lions symphoniques de César Franck, et dans une suite, aussi
originale que variée, de ses compositions personnelles.
Troisième journée.
Excursion à Bruges.
Le matin du samedi 13 septembre, un groupe important de
congressistes prirent le train pour Bruges, où ils devaient
consacrer une demi-journée à la visite des chefs-d'œuvre qui
sont la gloire artistique de la Ville Morte. Ces merveilles étaient
connues de la plupart d'entre eux, mais elles sont de celles
qu'on aime toujours à revoir. Ils auront dû au Congrès de
refaire ce pèlerinage dans les conditions les meilleures et dans
le minimum de temps. De vaillants amis brugeois de la langue
française avaient, en effet, préparé cette excursion avec un
soin et un zèle auxquels chacun s'est plu à rendre hommage.
M. Maurice Renard, président de la section brugeoise de la
Ligue nationale pour la défense de la langue française, avait
bien voulu en assumer l'organisation, et il se prodigua avec un
inlassable dévouement. Il fut secondé dans cette tâche ardue
par les vice-président et secrétaire du même groupement,
MM. Lequime et Pir, qui se révélèrent les plus obligeants et les
plus avertis des ciceroni. Grâce à eux, les congressistes con-
nurent quelques heures délicieuses de communion esthétique
devant les toiles incomparables de Memling et de Van Eyck, et
ils purent éprouver dans toute son attirance le charme mélan-
colique de Bruges. Aussi est-ce à regret qu'ils quittèrent cette
admirable ville, non sans avoir remercié vivement leurs ai-
mables hôtes. Mais leurs travaux les rappelaient à Gand, où ils
rentraient à 2 heures et demie.
— 43
SEANCE DES SECTIONS
I. — Section de propagande.
La séance est ouverte à 2 h. 45 m., sous la présidence de
M. Gautier.
Le bureau se compose, comme la veille, de MM. Salmon et
Helmer, vice-présidents; S. Sasserath, secrétaire.
La parole est donnée à M. Salmon, qui fait, sur la situation
du français en Angleterre, une intéressante communication,
dont on trouvera la substance dans le rapport où il a exposé
l'œuvre réalisée dans ce pays par Y. Alliance française.
Comme suite à la discussion d'hier concernant les diplômes
à conférer aux étrangers par les collèges supérieurs de France,
M. Renard propose de voter un vœu qui, après discussion et
divers amendements, est voté dans les termes suivants :
" Le Congrès émet le vœu que le gouvernement français, qui
« a déjà ouvert ses universités aux élèves étrangers, leur
(1 accorde le même traitement dans ses écoles spéciales et qu'en
(I particulier il donne le plus de facilités possibles à ceux de
Il ces élèves qui sont de langue française.
« Pour empêcher qu'un pareil régime pût avoir comme con-
11 séquence l'abaissement des études, il y aurait lieu d'exiger
» des intéressés la prcKluction de certificats attestant des études
11 préparatoires suffisantes. »
Ce vœu a été signé également par MM. Salone, Huguet,
Wenger, Becker et Hansen.
M. Coulet, directeur de l'Office international des universités
et des écoles françaises, fait une intéressante communication
au sujet du fonctionnement de cet office.
11 Celui-ci fournit gratuitement tous les renseignements sur
les universités et les écoles supérieures françaises. 11 a aussi
essayé de rendre le plus libéral possible le régime des univer-
sités françaises ipour les étrangers. C'est ainsi que l'Ecole des
— 44 —
mines, l'Ecole des agronomes, etc., ont constitué des sections
pour les étrangers, qui y sont reçus à' condition qu'ils justifient,
par un diplôme sérieux, qu'ils ont fait des études prépara-
toires suffisantes. Tout étranger qui justifie avoir fait des
études secondaires est admis à l'iramatriculation pour les
grades. Le changement est très libéral. Il .faut, il est vrai, une
décision ministérielle spéciale" 'pour chaque cas particulier.
Mais en fait, on ne refuse l'admission que lorsque l'ignorance
est avérée.
« D'ici à peu de temps, les candidats seront admis de idano,
sans qu'il soit nécessaire d'une autorisation ministérielle spé-
ciale, du moment qu'ils auront justifié d'un diplôme prépara-
toire suffisant.
« L'office s'est également préoccupé de la situation des Fran-
çais qui vont enseigner le français à l'étranger.
« Jadis, quand les jeunes Français partaient pour l'étranger,
ils compromettaient leur avenir dans l'enseignement en Fi-ance.
Ils partaient cependant, séduits par les avantages matériels
qui leur étaient offerts à l'étranger.
« Actuellement, le jeune Français qui part pour enseigner
la langue française à l'étranger n'est plus un exilé; il reste à
l'étranger professeur de français, c'est-à-dire qu'il conserve
ses droits à la retraite et à l'avancement. On peut même affir-
mer que cet avancement est mieux assuré que s'il demeurait
en France.
« Ce qui précède concerne tous les jeunes gens qui faisaient
partie de l'enseignement au moment où ils sont partis à l'étran-
ger, dûment autorisés. Mais il y a des jeunes gens qui partent
avant d'être entrés dans l'enseignement français.
"On essaie en ce moment d'obtenir que, lorsqu'un jeune
homme français partira pour l'étranger avec l'approbation du
gouvernement français, il soit considéré comme faisant partie
du personnel du gouvernement français, même si, au moment
de son départ, il n'était pas encore entré dans l'enseignement.
« Ainsi on trouvera plus facilement le personnel nécessaire
pour enseigner le français à l'étranger.
« Les demandes qui sont adressées à l'Office international
français pour obtenir des professeurs sont d'ailleurs de plus
en plus nombreuses. Citons comme exemple caractéristique
qu'en octobre 1911 un professeur français fut demandé à l'office
— 45 —
pour aller enseigner en Islande, et qu"en 191:?, une chaire de
littérature française fut fondée à Christiania. Cette année, les
cours de français étaient suivis à cette université par un
nombre d'étudiants tellement considérable que la salle dans
laquelle les cours devaient se donner n'était pas assez vaste
pour contenir tous les auditeurs.
(I II faut signaler aussi que des chaires de littérature fran-
çaise vont être créées en Hongrie et en Roumanie, en suite des
demandes qui ont été adressées à l'Office.
« L'Office pratique l'échange de professeurs, notamment avec
les universités d'Amérique et spécialement avec l'Université
de Chicago, où un Américain très riche a créé une chaire de
français.
« Il y a également en ce moment des négociations entamées
avec les Universités de Buenos-Ayres et de Santiago du Chili.
ce Ces sympathies sont témoignées non seulement à la langue
française, mais aussi à la science et à la méthode françaises.
« La preuve en est que l'on ne demande pas seulement à
l'Office des professeurs pour enseigner la langue française à
l'étranger, mais aussi des professeurs d'histoire, de sciences et
de mathématiques. C'est ainsi que l'Université de Calcutta a
demandé un professeur français de mathématiques et l'Uni-
versité de Santiago du Chili un professeur de chimie appli-
quée. I)
M. le Président i-emercie vivement M. Coulet de son intéres-
sante communication.
La parole est ensuite donnée à M. Ilitch, qui expose la situa-
tion du français' en Serbie.
Il débute par un historique rapide de la diffusion du fran-
çais en Orient, conséquence des capitulations de 1540, con-
firmées et étendues par celles de 1740. Cette diffusion a été,
pour la plus grande part, l'œuvre des missions religieuses qui
ont exercé leur influence en Syrie, et aussi, mais dans une
moindre mesure, en Asie-Mineure. Il insiste sur le fait que la
pénétration de la langue et de la culture françaises s'est effec-
tuée surtout par les ports de mer. Ceci explique la situation
particulière de la Serbie, où la culture française n'a pu se
— 46 —
répandre avant la seconde moitié du xix^ siècle. A partir de
cette date, de rapides progrès ont été réalisés.
Aussitôt que des écoles et des gymnases ont été créés en
Serbie, la langue française a été introduite dans le programme
des cours.
Au début, vu la difficulté qu'on éprouvait à se procurer des
professeurs de langue française, les leçons de français ne
furent données que dans les gymnases de Belgrade. Mais au
fur et à mesure que le nombre des professeurs de langue fran-
çaise augmentait, des leçons furent faites dans tous les gym-
nases et dans toutes les écoles de commerce du pays, aussi
bien dans les établissements privés que dans ceux de l'Etat.
Actuellement, on enseigne le français, la littérature et l'histoire
dans toutes les écoles moyennes, supérieures et techniques du
Royaume. De plus, ces cours étant obligatoires, les notes obte-
nues au.\ examens sont indiquées sur les certificats et diplômes
des élèves. L'enseignement de la langue française dans les
gymnases et écoles commerciales commence dès les premières
classes et se poursuit pendant toute la durée des études, c'est-
à-dire pendant sept à huit ans pour les gymnases et trois ans
pour les écoles commerciales.
En dehors de l'enseignement moyen et technique, où la
langue et la littérature françaises sont matières obligatoires,
il existe encore des cours, également obligatoires, à l'Univer-
sité de Belgrade.
A la Faculté de philosophie et lettres, outre un professeur
serbe pour la littérature française, M. Bogdan Popevitch, dis
tingué connaisseur de la littérature française bien connu des
savants français, il y a un chargé de cours, M. Gaston Gravier,
qui enseigne la langue française aux élèves de cette Faculté.
Ainsi donc on se préoccupe en Serbie de développer de plus
en plus, et dans toutes les écoles, l'enseignement du français,
afin que les élèves, une fois leurs études terminées, puissent
en tirer parti dans la vie courante, ou bien encore afin qu'ils
puissent consulter les ouvrages français scientifiques et litté-
raires pour développer leur culture intellectuelle.
En somme, si on compare le français avec les autres langues
étrangères répandues en Serbie, on constate que jusqu'en 1906
il se heurte à l'allemand, qui l'emporte même sur lui en raison
des relations économiques que la Serbie entretenait jusqu'à
- 47 —
cette date avec l'Autriche-Hongrie, qui monopolisait à elle
seule 90 p. c. de son commerce.
La Serbie, privée de sortie sur la mer libre, se trouvait, en
effet, forcée d'aller écouler ses produits en Autriche et de s'y
procurer ceux qu'elle ne possédait pas.
Aussi la plupart des jeunes gens serbes se rendaient-ils en
Autriche et en Allemagne pour y apprendre l'allemand et
suivre les cours des écoles de commerce. Rentrés chez eux,
ils favorisaient la langue et la culture allemandes. Ce n'était
nullement par sympathie, car le Serbe est beaucoup plus attiré
vers la langue et la culture françaises.
Dans les classes élevées, par exemple, on préfère de beau-
coup parler français qu'allemand, bien entendu s'il est néces-
saire d'employer une langue étrangère.
Le français est tenu pour une langue plus souple et plus
chantante que l'allemand, et c'est pourquoi la haute société
considère le français comme la langue des gens instruits.
Depuis 1906, c'est-à-dire depuis la guerre douanière avec
l'Autriche, le commerce serbe s'est tourné vers d'autres pays
étrangers, et notamment vers l'Egypte, l'Italie, la France et
la Belgique. Depuis lors, la langue française a vu accroître
son importance, et l'allemand, n'étant plus aussi nécessaire,
a été abandonné volontiers.
Les jeunes gens vont étudier dans les écoles françaises de
Salonique, à Paris, en Belgique, principalement à Anvers.
Le recul de l'influence autrichienne s'est effectué au profit de
l'influence française.
A la suite de la guerre balkanique, la Serbie s'est annexé des
provinces de la Turquie d'Europe, habitées par une population
où la culture française s'était implantée déjà.
Ces provinces faisant le commerce avec Salonique, où la
langue française est prédominante, sont obligées d'enseigner le
français aux jeunes commerçants. De plus, comme la nouvelle
Serbie tout entière sera contrainte de diriger son commerce
vers cette même ville et vers la Grèce, il est certain que la
langue française est appelée à de nouveaux progrès.
M. Ilitch ne croit pas toutefois que sa diffusion puisse attein-
dre le degré qu'elle connaît en Turquie ou en Grèce, ou le fran-
çais est parlé jusque dans la petite bourgeoisie. En effet, il n'y
— 48 -
a pas, en Serbie, de missions catholiques : leur propagande
n'y serait pas tolérée par la population, très attachée à sa cul-
ture nationale et à sa religion. Il conclut :
«L'existence de, la langue française est assurée en Serbie,
elle s'y développera de jour en jour, car nous sommes avides
de lumières et de civilisation, et nous préférons étudier et nous
éclairer à la lumière française qu'à la lumière allemande, qui
représente pour nous l'Autriche, nation ennemie de notre
Serbie. »
M, Goulet fait remarquer que la Société de librairie de Bel-
grade a formé une bibliothèque française remarquable, et il
cite cet exemple caractéristique du goût des Serbes pour la
langue française :
« Il y a deux ans, VOffice international des Universités fran-
çaises a été prié d'envoyer un instituteur dans une petite ville
de Serbie pour y enseigner le français. On lui offrait 150 francs
par mois. C'étaient dix officiers serbes qui s'étaient cotisés
pour avoir un professeur de français et s'étaient engagés à
payer chacun 15 francs par mois.
« Un instituteur français a eu le courage de partir, et ses
élèves se sont multipliés depuis deux ans dans de telles pro-
portions qu'il gagne dans cette petite ville, rien que par ses
cours de français, des appointements de 5,000 à 6,000 francs.
« Il a été signalé que le gouvernement serbe se préoccupe
d'améliorer l'enseignement du français dans les écoles de
Serbie. »
La parole est donnée à M. Sadoul, conservateur du Musée de
Nancy, qui, après exposé, propose le vœu suivant :
« Le Congrès émet le vœu que les gouvernements français et
li luxembourgeois appliquent dans leurs relations postales le
i< tarif réduit prévu en France dans la circulation intérieure
« pour les imprimés et les journaux. »
Ce vœu est également signé par MM. Wenger, Hansen et
Becker.
Il est admis à l'unanimité.
— 49 —
M. Morand, professeur agrégé au Lycée de Nice, développe
son rapport sur la situation du français en Hongrie.
La parole est donnée ensuite à M™ E. Lambotte, qui attire
l'attention du Congrès sur la situation faite aux enfants des
nombreux bouilleurs wallons qui travaillent dans les mines
du Limbourg.
Ces enfants sont obligés de suivre des cours donnés exclusi-
vement en flamand, le Limbourg se trouvant dans la partie
flamande du pays.
Elle propose d'émettre un vœu engageant l'initiative privée
à créer des écoles dans lesquelles les enfants des bouilleurs
wallons pourraient recevoir l'instruction en français.
Ce vœu est admis à l'unanimité.
La parole est donnée à M. Gromaire, professeur, qui déve-
loppe son rapport sur l'échange international des jeunes gens
et des enfants.
Il propose et fait adopter le vœu suivant :
« Le Congrès,
« Considérant que l'organisation des échanges d'enfants et
« de jeunes gens, telle qu'elle a été comprise et réalisée par la
« Société d'échange international, constitue un puissant moyen
« d'action pour la diffusion de la langue française;
« Reconnaissant les services déjà rendus par cette œuvre à
« la cause de la langue et de la civilisation françaises,
(( Emet le vœu que les groupements d'idée française s'inté-
(. ressent de plus en plus à l'œuvre organisée et poursuivie par
« cette société et encouragent la pratique de l'échange inter-
« national. »
Les congressistes devant se rendre à l'Hôtel de Ville pour
être reçus par l'admininistration communale, la séance est
levée à 5 heures.
— 50 —
II. — Section littéraire.
La séance est ouv-erte à 3 heures de l'après-midi. On entend
une causerie abondante et lucide de M. Mockel, qui est écoutée
avec recueillement. Avec sagesse, il définit l'attitude que les
écrivains des Marches doivent observer à l'égard de la culture
et de la tradition françaises. L'argumentation originale et
ferme de l'orateur convainc les auditeurs, qui accueillent avec
enthousiasme le vœu suivant :
i< Le Congrès émet le vœu que les écrivains des Marches
« servent de tous leurs efforts la pureté de la langue française,
« tout en gardant, selon l'exemple qui leur est donné par la tra-
« dition française elle-même, la plus grande liberté pour la
» création de leurs œuvres. »
M™ Lamtootte fait également adopter le vœu qu'on va lire,
bien que, suivant la remarque de M. le Président, il s'adresse
plutôt à la section de propagande «t à la Ligue nationale pour
la défense de la langue française :
(( Le Congrès émet le vœu que l'initiative privée, représentée
(< par les associations pour la vulgarisation de la langue fran-
« çaise, crée des écoles primaires gratuites permettant aux
« enfants de la partie flamande du pays, dont la langue mater-
ti nelle est le français, et notanunent à ceux de la colonie
•« wallonne du bassin houiller de la Campine, de recevoir
(i l'instruction dans cette langue. »
La section ayant .épuisé son ordre du jour, la séance est levée.
III. — Sections : a) pédagogique et sociale ;
b) de philologie et d'histoire.
La séance est ouverte à 2 h. 50 m., sons la présidence de
M. Brunot, assisté de M. Louis-Pilate de Brinn' Gaubast comme
secrétaire.
— 51 —
Une communication : Les Wallons en Campine, est déposée
par M"'" Lambotte entre les mains du président, qui la reçoit
et prie M. H. Grégoire, professeur à l'Université de Bruxelles,
de résumer son rapport : Les mots français en grec. (Voir ci-
après).
La parole est donnée ensuite à M. Fiirstenhoff, dont on
pourra lire ci-après le considérable travail sur Le statut Hn-
guistiqve des associations internationales.
Suit un échange d'observations d'où paraît découler une
double conclusion, formulée par M. Brunot.
Tout d'abord, il serait convenable et même habile de ne pas
prétendre imposer le français seul aux associations en cause,
mais plutôt de le proposer en même temps que l'anglais et
l'allemand, par exemple, à l'exclusion de toutes les langues
artificielles.
Second point : M. Fiirstenhoff compte beaucoup, pour faci-
liter l'adrnission de la langue française comme langue unique
par les mêmes associations, sur l'organisation d'une Biblio-
graphie en quelque sorte universelle, composée non seulement
de titres, mais de résumés rédigés en français. M. Brunot vou-
drait partager cet espoir; mais il a mainte raison de croire
pour ainsi dire insurmontables les difficultés d'une pareille
entreprise.
Cependant le rapport de M. Fiirstenhoff doit être étudié de
fort près. Qui sait? Le but reste lointain, le succès plus ou
moins douteux, mais certaines initiatives éventuelles peuvent
nous réserver des surprises.
La séance est levée à 4 h. 45 m.
Réception à l'Hôtel de ville.
Le même jour, à 4 heures, nos congressistes furent reçus à
l'Hôtel de 'Ville de Gand. Environ 300 d'entre eux s'étaient
trouvés réunis pour cette importante manifestation. M. 'Wil-
motte crut devoir les présenter, en un bref discours, à M. l'éche-
vin de Weert, ff. de bourgmestre en remplacement de
— 52 —
M. Braun. Il évoqua le beau et fier passé des vieilles cités
flamandes, qui survit dans les institutions démocratiques des
villes belges actuelles. Celles-ci sont de véritables Etats au
petit pied, et, par le développement de leurs services munici-
paux, elles démontrent les bienfaits d'une décentralisation
intelligente. Mais dans aucun autre domaine elles n'ont mul-
tiplié les initiatives au même degré que dans celui de l'instruc-
tion publique. M. "Wilmotte se plut à le rappeler devant un
auditoire où les étrangers étaient nombreux. Il fit observer
ensuite que cette instruction populaire serait incomplète et ne
rendrait qu'une faible partie des services qu'on en attend,
si le français, langue de grande communication à Gand comme
à Bruxelles et à Liège, n'en faisait partie intégrante. En con-
clusion, il dit :
« Monsieur le bourgmestre, vous avez eu jadis un fils illustre
qui, devenu un grand monarque, disait : « Je mettrais Paris
« dans mon Gand. » Certes, l'idée ne viendra pas au premier
citoyen de la République de retourner cette formule, si aisé
que cela lui serait. La France n'entend absorber personne.
Elle entend respecter l'individualité de chacun. C'est, j'en suis
sûr, ce que pensent les Français qui m'entourent, et je suis
heureux, en cette circonstance, d'être leur interprète dans le
palais municipal gantois. »
M. de Weert prononça alors le discours suivant, qui fut cha-
leureusement accueilli et même interrompu, en dépit des con-
venances protocolaires, par des applaudissements unanimes :,
« Messieurs,
« C'est avec le plus grand plaisir qu'en remplacement de
M. le bourgmestre, que de graves préoccupations retiennent,
je reçois, au nom de l'administration communale, dans cet
Hôtel de Ville, le troisième Congrès international pour l'exten-
sion et la culture de la langue française.
(I Nous estimons, avec vous, que l'extension et la culture de
cette langue doivent être encouragées dans la Belgique entière,
et c'est pourquoi nous n'avons pas hésité à vous faire accueil.
Il A Gand, nous aimons la France comme nous aimons la
Hollande ou l'Angleterre ou l'Allemagne; mais nous sommes
avant tout des Flamands et des Belges.
— 53 —
(( Notre petite patrie, la Flandre, nous est chère; notre
grande patrie, la Belgique, bien plus encore, et nous ne les
séparons pas dans notre affection.
(( Nous sommes et nous demeurerons de bons patriotes, atta-
chés à leur sol natal, à leur passé, à leurs sou\ienirs, à leurs
traditions, à leur langue. Notre patriotisme est vif et réfléchi;
il n'est ni inquiet, ni soupçonneux. Nous pensons que les Fla-
mands ont le plus grand intérêt à connaître, à côté du néer-
landais, le français, et nous nous efforçons d'atteindre ce but
par l'enseignement bilingue dans nos écoles.
c( Nous ne voyons pas pourquoi les deux cultures, la culture
néerlandaise et la culture française, ne pourraient pas se déve-
lopper parallèlement, et il nous semble que dans toutes nos
écoles moyennes et supérieures la langue véhiculaire pourrait
être tantôt flamande, tantôt française, suivant les besoins de
l'enseignement et, autant que possible, suivant les désirs
exprimés par les parents.
« Dans nos écoles primaires, à raison de nécessités d'ordre
pédagogique, l'enseignement doit évidemment être flamand,,
mais il est très utile d'y enseigner également le français.
« Nous pensons que les hommes de bonne volonté pourraient,
dans cette voie, loyalement et clairement indiquée, trouver la
solution de la question des langues.
» Nous avons assisté avec joie à l'émulation qui s'est établie
à l'Exposition entre les conférenciers de langue française, d'une
part, et les conférenciers d'expression néerlandaise, d'autre
part, et nous avons sincèrement applaudi aux succès obtenus
par les uns et les autres.
» Cette expérience prouve suffisamment que les deux cultures
peuvent coexister et que le public cultivé gantois connaît les
deux ■ langues et en apprécie les beautés. C'est aussi une de
ses traditions.
« Nous nous plaisons à croira que ces idées, qui sont d'ail-
leurs, dans leurs grandes lignes, celles qui ont été exposées
ici même par l'éloquent sous-secrétaire d'Etat français aux
Beaux-Arts, M. Léon Bérard, ont inspiré les travaux de votre
Congrès. Quelle joie pour nous si nous pouvions y voir l'au-
rore d'une nouvelle Pacification de Gand!
a II me reste à vous présenter mon hommage personnel et à
— 54 —
vous dire que celui qui vous parle est un admirateur fervent
de la langue française.
Il II trouve dans la lecture et l'étude de ses auteurs, surtout
des classiques, une des grandes joies de sa vie et il les salue
comme les continuateurs de la grâce grecque et de la clarté
latine.
« Je vous convie, Messieurs, à lever votre verre à l'avenir de
la langue française, à sa pérennité! »
Le Banquet.
Les travaux en sections furent suivis, après la réception offi-
cielle à l'Hôtel de Ville, d'un banquet qui réunissait une cen-
taine de congressistes au restaurant Van der Noot, à la Vieille-
Flandre.
M. Maurice Wilmotte présidait ces agapes, auxquelles assis-
taient entre autres M. et M"" Pierre Marraud; MM. Jules Gau-
tier, représentant le gouvernement français; Charles Legrand,
président de la section française; le sénateur Coppieters;
Laurent, maire de Nancy; Brunot, professeur à la Sorbonne;
Salone, secrétaire général de l'Alliance française, etc.
Les dames y étaient nombreuses.
M. Maurice Wilmotte prit le premier la parole pour porter
des toasts successifs au roi des Belges; à M. Poincaré, prési-
dent de la République; à MM. Marraud et Legrand; à
M. Salone, représentant de VAlliance française de Paris, et à
l'éminent conférencier M. Brunot, de la Sorbonne; au maire de
Nancy; à M. le sénateur Coppieters; à M. Hermann De Baets,
représentant de l'Association flamande pour la vulgarisation
de la langue française, etc.
M. Jules Gautier prononça alors un toast charmant.
<( La France, dit-il notamment, ne songe à exploiter aucune
langue, aucune culture d'aucun pays, si petit, si humble
soit-il. Elle respecte partout le sentiment national et, si elle
cherche à défendre par les armes les plus pacifiques les posi-
tions que sa langue et sa culture occupent dans le monde, c'est
avec un désintéressement absolu. »
— 55 —
M. H. De Baets, dél^ué de l'Association flamande, but
ensuite aux délégués étrangers, à l'Œuvre de l'extension de la
langue française.
D'autres toasts, tous très applaudis également, furent encore
portés par MM. Pierre Marraud, Charles Legrand, Salone,
et enfin .par M. le .professeur Brunot, qui vanta les beautés de
la langue française et but au rayonnement déjà si glorieux des
lettres belges et à leurs représentants.
Quatrième journée.
Assemblée générale de clôture.
Le dimanche 14' septembre, la séance est ouverte à
10 heures et demie du matin dans la salle des Conférences de la
section française, aimablement mise à la disposition du Con-
grès par le commissaire-général, M. Marraud.
M. Maurice Wilmotte préside, ayant à ses côtés MM. Jules
Gautier, délégué de M. le Ministre de l'Instruction publique de
France, et Gustave Cliarlier, secrétaire général du Congrès.
Le Secrétaire général donne lecture des vœux adoptés en
sections.
On adopte à l'unanimité le vœu suivant, présenté par
MM. Renard, Salone, Edm. Huguet, Wenger, Becker et
Hansen :
» Le Congrès émet le vœu que le gouvernement français, qui
< a déjà ouvert ses universités aux élèves étrangers, leur
« accorde le même traitement dans ses écoles spéciales, et, en
« particulier, donne le plus de facilités possibles à ceux de ces
« élèves qui sont de langue française. Pour éviter que pareil
» régime pût avoir comme conséquence l'abaissement des
« études, il y aurait lieu d'exiger des intéressés la production
«de certificats attestant des études préparatoires suffisantes. »
Le vœu présenté par MM. Ch. Sadoul, Wenger, Hansen et
Becker et relatif aux relations postales entre la France et le
Grand-Duché de Luxembourg donne lieu à une courte discus-
sion. M. Salmon voudrait réclamer pour l'Angleterre le même
traitement de faveur, et M. Delaite rappelle une proposition
— 57 —
antérieure de .M. le comte du Bois. Sur l'intervention de
M. le Président et de M. Sadoul, le vœu est adopté sous la
forme suivante :
» Le Congrès émet le vœu que les gouvernements français
11 et luxembourgeois appliquent, dans leurs relations postales,
(j le tarif réduit prévu en France, dans la circulation intérieure,
(I pour les imprimés et journaux. »
Lecture est ensuite donnée de ce vœu, présenté par
M. Gromaire :
» Le Congrès,
(( Considérant que l'organisation des échanges d'enfants et
« de jeunes gens, telle qu'elle a été comprise et réalisée par
la Société d'cchaiHje international, constitue un puissant
moyen a'action pour la diffusion de la langue française,
« Reconnaissant les services déjà rendus par cette œuvre à
Il la cause de la langue et de la civilisation françaises,
» Emet le vœu que les groupements d'idée française s'inté-
II ressent de plus en plus à l'œuvre organisée et poursuivie par
Il cette société et encouragent la pratique de l'échange inter-
II national. »
Il est adopté sans opposition.
Il en va de même du vœu suivant, présenté par M. Albert
Mockel :
Il Le Congi'ès émet le vœu que les écrivains des Marches
Il sei'vent de tous leurs efforts la pureté de la langue française.
Il tout en gardant, selon l'exemple qui leur est donné par la
Il tradition française elle-même, la plus grande liberté pour
Il la création de leurs œuvres. »
Un vœu de MM. Albert Mockel et Dumont-Wilden, adopté
par la section littéraire, demande que les jurys chargés de
décerner les prix littéraires soient formés, pour la moitié au
moins, des anciens titulaires de ces prix. Il suscite un assez
long échange de vues.
M, le Président craint que ce vœu, inspiré par des circon-
stances locales, n'ait pas une portée assez générale pour être
— 58 —
sanctionné par le Congrès. Il signale qu'en ce qui concerne la
Belgique, l'Académie royale est sur le point d'apporter de
sérieuses réformes à la composition de ses jurys.
M. Albert Mockel défend éloquemment le vœu proposé. 11
estime que les écrivains doivent être jugés par leurs pairs, et,
revenant sur des incidents récents, il dénonce le « scandale »
d'un jury belge qui, nommé par le gouvernement, s'est empressé
de couronner un membre de ce gouvernement.
M. Jules Gautier conteste à son tour la portée générale du
vœu et fait remarquer qu'il ne peut en tout cas s'appliquer à
la France, où tous les prix, sauf un, sont décernés par l'Institut.
M. le Président signale qu'en Belgique certains titulaires de
prix ont refusé de faire partie du jury.
M. Rosy insiste sur la question de principe : il est désirable
que les anciens lauréats soient appelés à siéger dans le jury.
Ce n'est point l'avis de M. Maurice Renard, qui s'élève vive-
ment contre la tendance à abandonner la littérature au juge-
ment exclusif des gens de lettres. Les lettres, patrimoine natio-
nal, ne doivent point devenir celui d'une caste.
On passe au vote. Le vœu est rejeté à une forte majorité.
On adopte sans opposition le vœu suivant, présenté par
M. Dumont-Wilden :
« Le Congrès émet le vœu que les éditeurs français publient,
« sous forme de bibliographie pratique, à l'usage du public,
« un catalogue systématique des principales œuvres de la litté-
« rature française. »
Lecture est ensuite donnée du vœu de M. Ducrocq, amendé
en section par MM. Gérard Harry et Gromaire :
« ILe Congrès émet le vœu que les ouvriers agricoles étrangers,
« qui viennent en France chaque année, y trouvent des orga-
« nismes locaux, qui leur faciliteront la connaissance de la
« langue française et leur assureront une atmosphère de sym-
— 59 —
« pathie dont ils ont besoin. Il souhaite la création immédiate
« d'un comité spécialement chargé de cette mission et que le
« comité organisateur du présent Congrès désignera. »
M. Salone signale divers exemples d'organismes analogues
à celui dont on souhaite la création et il rend notamment
compte de ce que l'Alliance française de Nancy fait à l'inten-
tion des ouvriers étrangers. Le vœu est adopté.
Un vœu émanant de M. Gérard Harry est alors soumis à
l'assemblée. II invite les revues de langue française à «ne
« jamais publier un article susceptible de diminuer le prestige
« de la France à l'étranger et à ne point fournir d'armes à nos •
« adversaires ».
M. Gautier le combat : il voit là une atteinte à la liberté
littéraire.
Wr. Rosy déclare qu'il s'abstiendra : ce vœu lui paraît con-
sacrer la tactique de l'autruche.
Cet avis est partagé par M. Mockel.
M. Nélis croit devoir préciser la portée du vœu : il s'agit
d'attirer l'attention des revues de langue française sur le dan-^
ger qu'il y a à se dénigrer soi-même.
M. Morand trouve le vœu inopérant.
M. Fiirstenhoff propose de remplacer dans le texte » le pres-
tige de la France » par « le prestige de la culture française »,
et M. Harry se rallie à cet amendement.
M. Joseph de Smet critique à la fois le fond et la forme du
vœu. Nous sommes d'accord pour souhaiter que le prestige de
la culture française reste intact à l'étranger. Mais pareille
déclaration est forcement platonique. Tout ce que nous faisons
ici contribue pleinement à réaliser le souhait de M. Harry.
M. Delaite estime, lui aussi, que ce vœu engage trop le Con-
grès, et il s'abstiendra au vote.
— 60 -
M. Mockel réclame l'ajournement.
M. Harry insiste, mais MM. Sasserath et Salmon demandant
à leur tour l'ajournement, il finit par se rallier à leur a.
Le vœu est donc ajourné.
Lecture est ensuite donnée d'un autre vœu de M. Gérard
Harry préconisant la fondation de journaux chargés de dé-
fendre le français dans la langue maternelle des populations
parmi lesquelles on l'attaque, et, particulièrement, de jour-
naux flamands antiflamingants.
M. le Président se demande si pareil vœu n'a pas une portée
trop locale pour être adopté par un Congrès international.
Une discussion s'engage sur ce point. MM. Sasserath et
Mockel estiment que cet argument ne doit point retenir l'as-
semblée : les vœux généraux ne résultent-ils pas de constations
régionales?
MM. Nélis et j. de Smet sont d'un avis différent.
M. Renard insiste sur l'utilité d'organes de propagande tels
que ceux dont M. Harry demande la création.
M. Rosy, d'accord avec M. Mockel, présente un texte nouveau,
qui ne prête pas aux mêmes critiques.
M. Sasserath le défend, en insistant à nouveau sur l'impor-
tance pratique du vœu.
M. le Président voudrait en étendre la portée en prévoyant le
cas où ces publications pourraient être bilingues.
M. Harry se rallie à cet amendement.
On met aux voix le texte de MM. Rosy et Mockel, amendé par
M. le Président :
« Le Congrès émet le vœu, lorsque les nécessités s'en mani-
« testent, de voir éditer des publications, soit bilingues, soit
— 61 —
<( rédigées dans la langue des populations ignorant le français
« qu'il convient de gagner à la langue française. »
Ce texte est adopté.
On passe au vœu présenté par M™° Lambotte :
ic Le Congrès émet le vœu que l'initiative privée, représentée
<i par les associations pour la vulgarisation de la langue fran-
« çaise, crée des écoles primaires gratuites permettant aux
« enfants de la partie flamande du pays, dont la langue mater-
« nelle est le français, et notamment à ceux de la colonie
« wallonne du bassin houiller de la Camjpine, de recevoir l'in-
<i struction dans cette langue. »
M"'" Lambotte expose les circonstances qui justifient l'urgence
de l'initiative qu'elle réclame.
Un court échange de vues se produit, auquel prennent par
MM. Delaite et Stuyck. Ce dernier voudrait donner au vœu une
portée plus pratique. Il propose de s'adresser aux capitalistes
du bassin houiller.
M. le Président promet de tenter une démarche dans ce sens.
Le vœu est adopté.
L'assemblée prend acte de la motion suivante de M. Nélis,
après que l'auteur en a expliqué la portée :
« Les écrivains français expriment toute leur reconnaissance
« aux écrivains étrangers, dont le talent contribue à augmenter
(( le patrimoine des lettres françaises. »
Lecture est donnée de la résolution suivante, proposée par
M. Fiirstenhsff :
« Considérant :
« 1° Que les nécessités de l'internationalisme exigent impé-
" rieusement la limitation du nonnbre des langues admises dans
« les réunions internationales;
« 2° Que la majorité des associations internationales ont déjà
<( admis le français, l'anglais et l'allemand comme seules lan-
— 62 —
i< gués internationales et que nombre d'entre elles n'admettent
« même déjà que le français ou donnent à cette langue une
« prééminence justifiée de diverses façons et spécialement par
« son emploi dans la diplomatie et les postes, ainsi que par
"l'installation du siège de la majorité des associations inter-
« nationales en pays de langue française;
« 3° Qu'une règle ainsi conçue dans l'intérêt général ne sau-
<( rait froisser les amours-propres nationaux;
« 4° Que l'enquête faite directement auprès des associations
« internationales ou par étude de leurs statuts confirme ces
« faits;
« Le Congrès décide de communiquer aux associations inter-
« nationales les résultats de l'enquête et de leur proposer
« l'adoption du statut linguistique discuté en section. »
M. le Président fait ressortir toute l'importance de cette
résolution, qui élargit singulièrement la portée du Congrès.
Il demandô à l'assemblée de l'adopter. (Adhésion générale.)
Une seconde résolution, proposée par M. Furstenhoff, con-
cerne l'œuvre des « résumés français » et préconise la nomi-
nation d'une délégation chargée de provoquer la formation
d'un comité d'étude et de réalisation.
M. le Président en explique la portée.
M. Sasseratii propose d'ajouter que cette délégation sera
nommée « par les soins du bureau du Congrès ».
M, Furstenhoff se rallie à cet amendement.
Après quelques éclaircissements réclamés par M. Salmon, la
résolution est adoptée sous la forme suivante :
t Considérant que ÏŒuvre des résumés français, telle qu'elle
(( a été proposée au Congrès de 1908 et étudiée au présent Con-
« grès, amènerait les savants et industriels étrangers à s'en
« servir de préférence, comme source d'information, et favo-
« riserait considérablement la connaissance de la langue fran-
« çaise dans le monde entier,
— 63 —
i< Le Congrès décide la nomination, par les soins de son
« bureau, d'une délégation chargée de provoquer la formation,
« à Paris, d'un comité d'étude et de réalisation de l'Œuvre des
11 résumés français. »
M. le Président, avant de lever la séance, remercie une der-
nière fois les congressistes étrangers, et particulièrement les
délégués officiels, les délégations des associations étran-
gères, etc. Il exprime une dernière fois les sentiments de tous
à l'égard du Commissariat général de la France, qui n'a cessé
pendant ces quatre jours, de seconder chaleureusement notre
effort.
La séance est levée à midi et demi.
Ainsi s'est terminé le troisième Congrès international pour
l'extension et la culture de la langue française.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A ) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Hollande,
Gustave COHEN,
professeur à l'Université d'Amsterdiim
L'année 1912-1913 aura élé décisive dans l'histoire des rela-
tions intellectuelles de la HoUandeet de la France : en novembre,
cours du physicien de Leyde, Lorentz, au Collège de Francej en
janvier, cours du romaniste' de Groninguc, Salverda de Grave, à
la Sorbonne; en octobre, installation d'un privat-docent pour le
vieux français à l'Université d'Utrecht et inauguration d'une
chaire de langue et de littérature françaises à l'Université
d'Amsterdam. Dans cette môme Université et le même hiver
prenaient la parole, à l'invitation de la Faculté de droit, le juris-
consulte Benault et, à l'invitation de la Faculté des Lettres,
Salomon Reinach, membre de l'Institut. Un cercle se formait à
La Haye pour organiser une série de leçons d'histoire de l'art,
professées par André Michel et, pour s'arrêter un instant à des
faits peut-être moins importants mais non pas complètement
la I
2 — la 1 SECTION DE PROPAGANDE
négligeables, un groupe d'amateurs hollandais organisait spon-
tanément, au mois de mars dernier, une remarquable exposition
de céramique française; l'orchestre de Mengelberg s'est fait
entendre au théâtre de l'Elysée; les Concerts Colonne occupent
l'été le Kursaal de Scheveningue ; tout l'hiver, chaque mois,
presque dans chaque ville, comme les années précédentes, un
conférencier de Paris a visité les comités d'Alliance française et
y a trouvé un auditoire souvent nombreux, toujours attentif,
mais ceci n'est pas une nouveauté; ce qui en constitue une, c'est
la création du Cercle français de l'Université d'Amsterdam, la
formation d'un nouveau comité d'Alliance française dans une
petite ville de 6,000 habitants, à quelques kilomètres de la" fron-
tière allemande, à Wintersvvijk, et la prochaine résurrection des
comités d'Arnhem et de Zutphen.
Ce sont là des événements d'inégale importance dont quelques-
uns, considérés isolément, pourraient paraître sans signification,
mais qui, groupés ainsi et envisagés en leur ensemble, forcent
l'attention et attestent un singulier réveil de notre influence,
dans le domaine intellectuel, aux Pays-Bas.
Ainsi 1913, centenaire de la revanche, centenaire du triomphe
de la nationalité iiollandaise sur l'oppression politique de la
France, aura contribué à rapprocher deux peuples, auxquels des
siècles de lutte souvent sanglantes n'ont pu désapprendre de
s'estimer et de s'aimer.
Dans ce rapport nous examinerons : I. l'enseignement du
français aux trois degrés; II. la diffusion du français par les
associations privées; III. les autres organes de l'intluence
française.
I. — L'ENSlilGNEMENT DU FRANÇAIS AUX TROIS DEGRÉS.
A) Enseignement primaire.
Le trait caractéristique à mettre en relief tout d'abord est l'en-
seignement du français dans un grand nombre d'écoles pri-
maires.
l.E FRANÇAIS DANS LE MONDE la 1 — 3
En 1910-1911 (•), sur un nombi'e total de 5,363 écoles pri-
maires (dont 3,303 publiques et 2,000 libres), comprenant
ensemble 916,594 élèves, le français était enseigné, le lo janvier,
dans l,17o (dont S94 publiques, 581 libres), soit un peu plus du
cinquième; l'allemand dans 724, soit un peu plus du septième
seulement, et l'anglais dans 520, soit un dixième environ.
Cette situation privilégiée du français tient à ce qu'il est exigé
à l'examen d'entrée dans l'enseignement secondaire, auquel une
partie des écoles primaires a pour mission de préparer ('^). On
demande aux jeunes candidats, à l'écrit, la traduction d'un petit
récit facile du français en hollandais et la traduction en français
d'une douzaine de phrases hollandaises pouvant donner lieu à
l'application des principales règles de grammaire. Pour arriver
à ce résultat, trois ans d'étude sont nécessaires, au taux de
cinq heures par semaine.
On a fait beaucoup de bruit autour d'une décision du conseil
municipal de Rotterdam, en 1898, prise dans l'intérêt du
commerce de cette ville et remplaçant dans quelques écoles pri-
maires communales, la classe de français par uneclasse d'anglais
ou d'allemand, mais cette résolution, dictée par des besoins
locaux, n'a pas la portée qu'on a voulu lui donner. Il serait
facile de lui opposer, écrivait Van Hamel en 1900 (^), la création
de nouveaux cours gratuits par la ville d'Amsterdam en faveur
des classes populaires et où le français est enseigné à 500 élèves
(') Chiffres empruntés à un travail manuscrit de M. Riemens qui pré-
pare, à l'Université d'Amsterdam, une thèse sur l'histoire de l'enseigne-
ment du fiançais aux Pays-Pas. M. Riemens a puisé ses chiffres dans une
publication officielle intitulée: Verslag van den staatder Hooge-, Middel-
bare en Lagere Scholen in het Koningrijh der Nederlanden over 1910-
1911, 's Gravenhage, 1912, 2 deel., 4» (gedrukt der Algemeene Lands-
drukkerij).
(2) De bonnes notes obtenues dans l'établissement d'où l'on sort peuvent
faire dispenser de l'examen suivant l'appréciation du proviseur du
lycée.
(3) Bulletin de V Alliance française, n» 71, 15 octobre 1898, p. 190, et
Van IIamel. » La langue française dans les Pays-Bas », p. 28 à 32 de
La langue française dans le Monde. Paris, Alliance française^ 1900
in-8°. Cf. p. 29.
4, — Ia-1 SECTION DE PROPAGANDE
environ. En 1908, il y avait 36 de ces cours pour le français; en
1911, 4o; pour l'anglais, il y en avait, en 1908, 71 et en 1911,
89, tandis que le nombre des cours d'allemand tombait
de 21, pour 1908, à 19 pour 1911 ('). Même dans la métropole
commerciale de Rotterdam, le français est enseigné dans des
classes complémentaires de jour.
Il ne faut pas se dissimuler cependant que le français à l'école
primaire ne soit l'objet d'une violenlehostilité, dont l'inspecteur
Stcyn Parvc {^) avait, en 1877, déjà, à repousser les attaques.
Les enquêtes se multiplient. Celle qu'a entreprise l'Union des
professeurs de l'enseignement secondaire, en 1912, auprès
des directeurs et des professeurs de français des lycées modernes
quinquennaux et triennaux (3), pour savoir s'il convenait de sup-
primer le français à l'examen d'admission, a donné le résultat
suivant : sur 130 réponses, 37 ont été affirmatives (dont 22 avec
plus ou moins de restrictions, 19 émanant de professeurs de
français) et 93 négatives (dont 43 émanant de professeurs de
français), soit une majorité de 37 en faveur du maintien du fran-
çais à l'examen d'entrée et, par voie de conséquence, à l'école
primaire. Cette majorité est d'autant plus intéressante qu'elle
n'est pas composée seulement de professeurs de français (■•).
Quoique plusieurs inspecteurs de district se soient, en 1908,
déclarés pour la suppression, la commission instituée par le
gouvernement pour la réorganisation 8e l'enseignement (Ineen-
schakdingscommissie) conclut, dans son rapport, au maintien
du français au programme des écoles primaires. Il y a donc à
peu près chose jugée et notre cause a triomphé.
Cela ne doit pas nous aveugler sur le danger que nous avons
couru et qui nous menace encore pour deux raisons : notre
(ij Article de M. Bolrestkin, Weehb/ad voor Gymnasiaal en Middel-
baar Onderwijs, VIII, n° 26, p. 678, cité par M. Riemens, op. cit.
(') De yrens tusschen het Lager- en het Middelbaar Ondaxcijs, 1877,
in-8", pp. 7 et suiv., cité par M. Riemens.
(') Pour l'explication de ces termes, voir plus loin.
{•«) A consulter Bolkestein ; WeekbJad voor Gymnasiaal en Middel-
i/aar Onderwijs, 8" jaargang, n» 26, p. 666-713, utilisé par M. Riemens.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-1 — ,">
infériorité économique relative (bien qu'il y ait amélioration sur
ce point) à laquelle nous pouvons difficilement, dans l'enseigne-
ment populaire, forcément plus utilitaire, opposer notre supé-
riorité de culture et, ensuite, la disproportion des résultats et de
l'effort déployé. Trois ans d'étude à cinq heures par semaine
n'aboutissent pas à produire des élèves ayant une connaissance
suffisante du français parlé et écrit.
Ceci tient à l'excès de la grammaire qui rebute les enfants, aux-
quels notre langue n'apparaît plus que comme un arsenal de
règles redoutables, et aussi à l'ignorance de cette méthode directe
qui peut faire de la classe de français une classe française et de
l'étude, un jeu. Le vice radical est dans l'insuffisante formation
des instituteurs, qui sont autorisés à enseigner le français
lorsqu'ils ont subi l'épreuve spéciale établie pour eux {^) et à
laquelle préparent les cours annexés aux écoles normales. Il
faudrait organiser en leur faveur, un système de bourses de
voyage et augmenter la difficulté de l'examen. Je sais bien qu'il
est des instituteurs pleins de mérite et sachant très bien notre
langue, mais s'ils continuent leurs études et passent leur licence
ou leur agrégation de français, ils quitteront bientôt le primaire
pour le secondaire.
A Groningue.M.Van Hamel (^) entend, dans une école gratuite,,
expliquer l'exemple suivant : « Berthe a fait vœu de pauvreté»,
et les enfants ne comprennent pas qu'il faille un vœu pouf
aboutir à cet état qui leur est habituel.
Voici une autre anecdote non moins authentique : l'institu-
teur dicte «j'ai pris ma parapluie ». Une élève qui a une gouver-
nante française proteste timidement : « Monsieur, c'est un para-
pluie».— «Non, lui est-il répondu, puisqu'on dit la pluie, il faut
(') Se sont présentés à cet examen en 1910 : 764 candidats pour )e
français, dont 455 ont réussi; pour l'allemand, 359 candidats, dont 149
ont réussi ; pour l'anglais, 390 candidats, dont 239 ont réussi.
L'épreuve imposée consiste en une traduction du hollandais en français
et une dictée; l'oral, qui porte surtout sur la grammaire et l'explication do
textes faciles, se passe entièrement en français.
(^) Bulletin de l'Alliance f7'ançaise, }a.n\ieT-mdLTS 1893, p. 19.
6 — Ia-1 SECTION DE PROPAGANDE
dire une parapluie. Vous êtes une insolente! » Et le directeur de
l'école de faire savoir aux parents qu'il est désagréable d'avoir
des enfants sachant trop bien le français parce que cela trouble
la classe.
A ces excès du « livresque » et du pédantesque grammatical,
la méthode directe, appliquée avec mesure, peut seule remédier,
mais son avantage ou son inconvénient est que le professeur doit
connaître la langue qu'il enseigne. L'introduction du grammo-
phone préconisée par l'éminent linguiste Brunot pourrait être
pour lui un adjuvant précieux en même temps qu'un contrôle.
Ces réserves faites, l'enseignement du français à l'école pri-
maire se justifie parfaitement. La situation du français,' on ne
l'a pas assez remarqué, n'est pas aussi privilégiée qu'elle en a
l'air. 11 faut songer que, de l'aveu de tous, professeurs et
élèves, notre langue est; pour le Hollandais, en regard de l'anglais
et de l'allemand, la plus ditlicile à apprendre.
Pour l'allemand, au contraire, l'élève n'a guère d'hésitations
que dans la prononciation et dans la déclinaison; le vocabulaire
lui est presque entièrement connu d'avance (*); pour l'anglais,
il n'est arrêté que par la phonétique, l'orthographe et un peu
par les mots d'origine romane.
Si donc on consacre plus de temps au français, ce n'est que
justice, si on veut lui accorder le traitement d'égalité auquel lui
donne droit sa situation de langue de haute culture. Cette
observation vaut surtout pour l'enseignement secondaire, où
une place prépondérante lui est aussi, en apparence, conférée.
B) Enseignement secondaire.
Cette rubrique enveloppe : a) les lycées classiques ou Gymna-
sjfl (2), six ans d'études; 30 officiels, 14 libres; population totale
en 1911: 5,336; ft) les lycées modernes ou lloogere Burger-
(*) Un simple système de transposition de consonnes, qui s'opère presque
inconsciemment, suffit pour l'obtenir.
(^) Les gymnases sont accessibles aux jeunes filles qui tendt-nt même
en ces dernières années à l'emporter en nombre sur les jeunes gens.
I,E FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-1 — 7
school met 5-jarigen cur'stis; cinq ans d'étude; ol oftkiels,
10 libres; population totale en 19H : 7,922 ; c) les écoles quin-
quennales de jeunes filles; 11 officielles, 5 libres; population
totale 1,734 élèves; d) les écoles triennales Iloogere Biirger-
school met 3-jarigen cursus; 23 officielles, 1 libre; population
totale : 2,922 élèves. Total général des élèves en 1911 : 17,914
sur près de 6 millions d'habitants.
Dans tous ces établissements les trois langues sont obliga-
toires, mais une connaissance élémentaire du français étant
exigée à l'examen d'entrée, le français est étudié dès la pre-
mière année, tandis que l'anglais ne l'est jamais que dans la
deuxième et même, pour les gymnases, dans la troisième; l'alle-
mand n'y est commencé qu'en deuxième année.
Il est regrettable que dans les lycées modernes et surtout
dans les lycées classiques, le nombre d'heures consacrées aux
langues modernes diminue dans les deux dernières années au
point de tomber dans Içs lycées classiques de quatre heui'es par
semaine (1" année) à une en o'^ et 6^ années; dans les lycées
modernes, de quatre (1""" et 2" années) à deux (4" et o' années). Le
néerlandais n'est d'ailleurs pas mieux traité. Cette situation est
déplorable, parce que c'est des dernières classes, que les élèves
emportent l'empreinte qui les marquera pour la vie. Ce dédain
des lycées classiques à l'égard des langues étrangères est consa-
cré par l'examen de sortie, équivalent de l'Àbiturientenexamen
plutôt que du baccalauréat français. On se borne à faire traduire
un texte en prose, de la langue étrangère en hollandais ('). Pas
d'oral. Il n'est donc pas extraordinaire que les étudiants de
néerlandais, de langues anciennes, de médecine ou de droit
aient souvent de la peine à s'exprimer en français. Heureuse-
ment qu'une ambiance favorable à notre langue dans les familles
aisées d'où ils sont le plus souvent issus, compense un peu
cette insuffisance.
L'examen de sortie des lycées modernes est beaucoup plus
(') L'épreuve est, en fait, plus difficile pour le français que pour l'alle-
mand, que le jeune candidat hollandais peut comprendre presque sans
l'avoir appris.
8 — Ia-1 SECTION DE PROPAGANDE
sévère. Il comporte une comjiosition en français sans diction-
naire, une interrogation sur l'histoire de la littérature et les
(cuvres étudiées spécialement par le candidat ainsi que la lecture
d'une page à expliquer au point de vue grammatical. L'examen se
passe entièrement en français ; on exige . une diction assez
correcte et une certaine facilité d'élocution. Conditions ana-
logues pour les deux autres langues.
Aussi est-ce parmi les élèves des lycées modernes et des
écoles quinquennales de jeunes filles que se recrutent la plupart
des étudiants de langues modernes.
On remarquera dans tout l'enseignement la part faite à
l'interprétation du théâtre classique et, ceci dérive surtout de
l'initiative des professeurs, la part faite k l'histoire de la littéra-
ture française.
Dans les classes supérieures, partout, les cours se font en
français.
Nous sommes forcés, pour gagner du temps, de laisser de côté
les écoles de commerce et les écoles militaires, où le français
s'enseigne également.
C) Enseignement supérieur
Depuis l'an dernier, octobre 1912, le français est représenté
dans les quatre universités hollandaises, mais il a longtemps
soutTert de l'ostracisme dont toutes les langues modernes étaient
frappées dans cet enseignement supérieur, tout imbu encore des
préjugés de la Renaissance. Ce n'est qu'en 1884 que fut fondée,
à Groningue, la première chaire de français, que le regretté
Van Hamel inaugura par un admirable discours. En 1907, il
trouva un digne successeur en Salverda de Grave, à qui l'Univer-
sité de Leyde avait confié une chaire de lecteur d'ancien
français en 1895.
D'ailleurs, si le vieux français trouve grâce aux yeux des
philologues et est enseigné maintenant par un professeur,
M. Salverda de Grave, à Groningue, un lecteur (maifi-e de confé-
rences), M. Sneyders de Vogel, à Leyde, et un privat-docent,
M. de Boer, à Utrecht, depuis 1912, la philologie française
r.E FRANÇAIS DANS LE MONDi; lal — 9
moderne et l'histoire de la littérature française moderne, qui,
s'étant donné une méthode ont droit au haut enseignement, ne
sont professées qu'à Groningue par un lecteur, M'" Loke, et, à
Amsterdam (Université municipale), par un professeur, nommé
l'an dernier seulement.
En revanche, tous ces maîtres, bien que n'ignorant rien des
résultats acquis par la science allemande, ont tous fait de longues
études en l^rance, où plusieurs d'entre eux ont conquis le grade
de docteur, et se servent exclusivement du français dans leurs
exposés ('). C'est assurément une originalité du système hollan-
dais et qui est tout à la louange de ses maîtres.
Le programme de Groningue comprend sept heures de cours
de M. Salverda de Grave, portant sur le vieux français, la syn-
taxe historique, la littérature du moyen âge, la grammaire, le
provençal ou l'italien (le nombre d'auditeurs est d'une trentaine)
et cinq heures faites par M"= Loke, lecteur, sur l'histoire géné-
rale de la littérature, sur une question particulière de littérature
moderne, l'interprétation des classiques et l'explication de
textes du xix* siècle (une quarantaine d'auditeurs).
A Leyde, M. Sneyders de Vogel fait sept heures de cours se
rapportant à la phonétique, à la morpliologie, à la syntaxe histo-
rique du français, à la littérature du moyen âge avec lecture
d'anciens textes, au provençal et à l'italien.
A Ulrecht, M. de Boer enseigne l'ancien français, langue et
littérature.
Quant à Amsterdam, voici le programme dont la Faculté et la
Municipalité m'ont abandonné complètement l'élaboration.
1. Histoire de la littérature française moderne, deux heures par semaine.
En 1912-1913 : la poésie dans la première moidé du xix' siècle.
En 1913-1914 : la poésie dans la seconde moitié du xix* siècle,
de Lecontffde Lisie à Emile Verhaeren.
2. Histdire de la littérature française médiévale, une heure. En 1912-1913 :
le drame liturgique. En 1913-1914, le drame religieux français des
origines au xvi'' siècle avec lecture du Jeu d'Adam.
(*) Los professeurs d'allemand et d'anglais n'usent aussi que de la
langue qu'ils enseignent.
10 — la± SECTION DE PROPAGANDE
3. Conférence d'histoire littéraire, deux heures. Recherches originales
faites en commun, sous la direction du professeur, sur les relations
littéraires de la France et de la Hollande au xvii° siècle ('). Cri-
tique hebdomadaire des publications récentes relatives à la littéra-
ture française.
4. Histoire de la langue 1912-1913. Phonétique générale et expéri-
mentale 1913-1914 : Phonétique historique, deux heures par
semaine avec lecture d'anciens textes.
5. Explication de textes classiques, une heure. 1912-1913 : Britannicus.
1913-1914 : Les Pensées.
6. Exercices pratiques de français : Phonétique, diction, stjle, explica-
tion de textes modernes.
Ce programme est évidemment trop vaste pour être rempli
utilement par un seul ; l'unique ressource qui reste au pro-
fesseur qui ne veut pas se borner à faire de la vulgarisation est
de s'attaquer chaque année à un nouveau sujet particulier.
L'innovation principale qu'apporte, au point de vue hollandais,
cette organisation est l'institution de la conférence d'histoire
littéraire sur le modèle de la conférence d'Abel Lefranc à l'Ecole
des hautes études. 11 s'y rassemble de seize à vingt auditeurs, la
plupart très avancés et dont plusieurs sonl professeurs de lycée,
comme MM. Gai las et Riemens, et se sont signalés déjà par des
travaux. Quelques communications d'auditeurs seront publiées,
en même temps qu'une Bibliographie des livres français parus en
Hollande au xvu" siècle, œuvre collective de la conférence. A
tous les cours, sauf le premier, les étudiants ont l'occasion de
faire des travaux personnels dont ils donnent lecture et qui sont
critiqués ensuite. Le nombre des étudiants inscrits n'a guère
dépassé vingt en 1912-1913, mais le cours de littérature
moderne, destiné au grand public, en a rassemblé une quaran-
taine, dont plusieurs maîtres de français et étudiants d'autres
facultés.
En Hollande, où le cours public n'existe pas, mais où j'espère
pouvoir l'introduire bientôt, au moins à l'Université d'Amster-
dam, le public lettré se tient ou plutôt est tenu à l'écart de
(') Sujet auquel je compte consacrer ma thèse de Sorbonne.
LE FnANÇAIS DANS I.E MONDE lo-l — l I
l'Université. Cela est éminemment regrettable, car l'Université
est le cerveau de la cité et il importe que la partie de la nation
qui pense, reste en contact permanent avec elle.
Les étudiants de français sont en général bien préparés. Si
leur prononciation laisse souvent à désirer, ils ont une facilité
d'élocution assez grande et comprennent admirablement notre
langue. On n'a jamais la sensation de parler devant un auditoire
étranger. Un peu froids au premier abord, les étudiants ne tar-
dent pas à manifester à leur maître un respectueux attachement,
condition favorable au travail en commun. Intelligents et tra-
vailleurs, ils manquent un peu d'homogénéité, ce qui tient à
leur diversité d'origine et de culture générale. Ayant des idéeis,
ils ne savent pas les grouper, puis ils manquent de jugement
esthétique. C'est sur ces trois points: développement de la culture
générale et philosophique, art de la disposition et goût, que
notre ettort doit porter surtout et c'est là que se marquera le
bénéfice que l'étudiant hollandais peut retirer de la culture
française.
Le défaut général de cet enseignement universitaire au point
de vue des langues modernes et en particulier du français est
d'abord qu'il est incomplet, le personne! étant trop peu nom-
breux, qu'ensuite il manque de sanction : aucun contrôle à
l'entrée, aucune consécration à la sortie. Les examens de langues
modernes sont institués par l'État. Ils ont lieu, en général,
à La Haye et, théoriquement, sont indépendants des univer-
sités.
En fait Van Hamel ayant pris, en 1889, la présidence du
jury et Salverda de Grave lui ayant succédé dans cette
charge ('), l'action des universités y est devenue prépondérante.
Alors que, de 1884 à 1889, aucun professeur d'université ne faisait
partie de ce jury, ils y figurent aujourd'hui tous les cinq.
Le résultat est que presque tous les candidats, du moins pour
l'examen B, ont passé par une des quatre universités, mais ils
n'y sont point astreints et plusieurs se préparent encore, surtout
(') Charge pourtant bien instable, car il suffirait du caprice d'un
ministre pour que le président changeât.
12 — la 1 SECTION DE PROPAGANDE
pour l'examen A, qui est plus élémentaire, dans les cours privés
organisés par des membres du jury (>).
Il y a deux espèces d'examen : le premier, l'examen A, dont le
diplôme donne le droit d'être nommé dans une école triennale;
le second, l'examen B, dont le diplôme donne accès à toutes les
chaires de. français des lycées classiques et modernes. Les jeunes
filles peuvent prétendre à l'un et à l'autre et peuvent être nom-
mées dans des lycées classiques au même titre que les hommes.
Une autre originalité de ces examens est qu'ils sont accessibles
aux étrangers; il s'y présente donc assez souvent des Français,
des Suisses et des Belges ('), que le gouvernement choisit même
parfois comme professeurs dans les établissements officiels,
mais dont il entend contrôler les connaissances en exigeant
d'eux des diplômes hollandais.
Le programme de l'examen A comporte, à l'écrit, une traduc-
tion du hollandais en français, dont les étrangers sont dispensés,
et une composition française; à l'oral, la lecture et l'analyse
d'une des trente fables de La Fontaine ou d'une des cinquante
pages de la Chrestomalhie de Sensine (prosateurs), que le candi-
dat a préparées. On y rattache des questions sur la phonétique,
la syntaxe et la pédagogie. La lecture à vue d'un texte en prose
par le candidat amène des questions de vocabulaire, formation
des mots et synonymie. Cet examen, qui se passe entièrement en
français, reste cependant assez élémentaire. Il s'est présenté, en
1910, 137 candidats (contre 89 pour l'allemand et 123 pour l'an-
glais); 70 ont réussi (contre 39 pour l'allemand et 47 pour
l'anglais).
Le nombre de candidats pour le français a subi une progres-
sion de près de trois quarts passant de 48, en 1887 (dont
26 hommes et 22 femmes), à 188, en 1912 (dont 70 hommes et
(') Un professeur n'inteiToge jamais à l'examen ses propres élèves,
ce que regrettent naturellement les professeurs d'université qui connaissent
leurs disciples pour les avoir vus à l'œuvre et suivis longtemps.
{*] Il y a eu jadis jusqu'à 20 ou 25 Suisses dans l'enseignement hollan-
dais, aujourd'hui on n'en compte plus guère que 8. Je connais 7 Français
et 2 ou 3 Belges. Dans le jury de l'examen B, les Hollandais ne se sont
accordé cependant qu'une voix de majorité.
LE FRANÇAIS DANS l.E MOÎiDE Ia-1 — 13
H8 femmes). Malgré la difficulté croissante de l'examen, les
admissions se sont accrues dans une proportion encore plus
grande, passant de 17, en 1887 (8 hommes et 9 femmes), à 100 (*),
en 1912 (i28 hommes et 72 femmes).
L'examen B constitue une épreuve extrêmement difficile et
dont l'action personnelle des deux professeurs qui se sont succé-
dés à la présidence du jury, MM. Van Hamel et Salverda de Grave,
ont accru le caractère scientifique et universitaire. « Par opposi-
tion à l'examen A, dit le programme, l'examen B porte sur l'his-
toire de la langue et de la littérature françaises ; il a un caractère
scientifique (^). On ne saurait trop recommander à ceux qui vou-
dront s'y préparer de donner à leurs études une base aussi large
que possible ».
L'écrit comprend une traduction du hollandais en français
(remplacée pour les étrangers par une paraphrase d'une poésie)
et une composition française sur uu sujet littéraire; tels que la
sensibilité au xvin'^ siècle, les thèmes lyriques dans les quatre
grands romantiques, etc.
L'oral porte sur la grammaire historique (phonétique, mor-
phologie, syntaxe, prosodie) et sur l'iiistoire de la littérature des
origines à nos jours, mise en rapport avec l'histoire politique ;
le candidat remet une liste de lectures qui doit comprendre pour
le moyen âge : une chanson de geste, un roman breton, une
pièce de théâtre, la première partie du Roman de la Rose; pour le
xvi" siècle : la DelJ'ense, un choix de Ronsard, de Montaigne et une
tragédie; pour le wn" siècle : Corneille, Racine, Molière, Boileau,
une œuvre de Pascal, trois chapitres de La Bruyère, La prin-
cesse (le Clèves, et la Lettre à l'Académie; pour le .win" siècle :
deux tragédies et un roman de Voltaire, les Lettres persanes,
la Nouvelle Héloïse, deux pièces de Marivaux et deux de Beau-
marchais; pour le XIX* siècle : les chefs-d'œuvre de Chateau-
briand, Corinne, Allemayne, un choix de chacun des grands
poètes, Lamartine, Hugo, Musset, Vigny, Leconte de Lisle,
Sully Prudhomme, deux romans de Sand, deux de Balzac, un
(') Dans ce nombre il y avait 19 étrangers.
{') L'examen A a plutôt un caractère pédagogique et pratique.
14 — Ia-1 SECTION DE PROPAG\NDE
de Flaubert, Zola, Daudet, Loti et Bourgct, deux drames de
Hugo, deux pièces de Musset et deux d'Augier. Ce n'est là
qu'une liste-type, dans laquelle on peut à volonté remplacer une
œuvre par une autre d'importance égale. A cette interrogation
s'ajoute aussi l'explication d'une scène du théâtre classique.
Contrairement à ce qui s'est passé pour A, le nombre des can-
didats n'a presque pas varié depuis 1887. H était alors de 2o
(22 hommes, 3 femmes) et est, en 1912, de 2G (19 hommes,
7 femmes), mais, ici aussi, le nombre des admissions a augmenté:
8, en 1887, 14, en 1912. Si l'on tient compte de la difTiculté
croissante de l'examen, on se rendra compte que la stagnation du
nombre de candidats ne correspond pas à un recul ; on n'a pas
gagné en nombre, on a gagné en qualité.
Peut-être y a-t-il quelque excès dans les connaissances philo-
logiques que l'on réclame des élèves; peut-être pourrait-on
désirer chez beaucoup de candidats une prononciation meilleure,
plus de sens esthétique et plus de méthode dans l'exposé, mais
sous une direction aussi souple et aussi progressive que celle de
l'éminent professeur de Groningue, Salvcrda de Grave, cet
examen s'est attesté indéfiniment perfectible. Tel qu'il est, il
constitue une épreuve remarquable et qui garantira de mieux en
mieux, en attendant l'organisation universitaire promise depuis
longtemps aux langues modernes, une formation de plus en plus
solide des professeurs de français de l'enseignement secondaire.
II. — La DiKrusiON du français paii i.f.s associations pp.ivkes
C'est un fait remarquable, probablement unique et qui doit
nous préserver de conclusions trop pessimistes, que presque
toutes les villes de Hollande possèdent un groupe d'Alliance
française ou une institution analogue dans le but d'orga-
niser chaque hiver plusieurs conférences. Ce qui achève de
caractériser ce fait c'est cette parole d'un membre de l'Alliance
de Nimègue : « Nous sommes à deux pas de la frontière, notre
Alliance française a 200 membres; une Société de conférences
allemandes n'en rassemblerait pas 2o et pourtant, tous, nous
I.E FRANÇAIS DANS l.E MONDE lal — 15
savons l'allemand ». Sur un autre point de la même frontière, un
comité d'Alliance française s'est constitué l'an dernier, nous
l'avons vu, dans une toute petite ville.
L'histoire de l'Alliance française aux Pays-Bas pourrait se
symboliser par une courbe ascendante jusque vers 1899, descen-
dante à partir de ce moment, mais de nouveau ascendante
depuis 1908 à peu près.
L'Alliance française était à peine fondée, à Paris, le 21 juil-
Icl 1883, que M. Hofman, directeur d'école primaire à La Haye,
y adhérait en 1884 (>). Il est nommé délégué pour La Haye,
tandis que M. Baale le devient pour Amsterdam (1886), M. Van
Ilamel pour Groningue (1886) et le pasteur Bresson pour Rotter-
dam (1886) (2). En 1887, les Pays-Bas comptent 9 adhérents
contre o en Belgique. Enfin, en 1800, le 3 janvier, un comité
d'action se fonde à La Haye sur l'initiative de M. Hofman. H
compte 132 adhérents en octobre 1891, il en a 3S6 à la fin
de 1893,480 en 1896; vient alors une période de régression,
qu'on retrouvera dans l'histoire de tous les comités et que Van
Hamei, dans son rapport de 1900 (^), explique ainsi :
« J'ai le regret d'ajouter que, dans quatre ou cinq de ces
comités, le zèle s'est relâché considérablement depuis un an ou
deux et qu'il y a en a même qui semblent vouloir se résigner à
disparaître. J'aime à croire qu'il ne s'agit là que d'une éclipse
passagère qui s'explique en grande partie par le contre-coup que
VAjfaire a eu en Hollande, où l'immense majorité de la popula-
tion avait franchement adhéré à la cause de la revision. Le peuple
hollandais ne demande d'ailleurs qu'à retrouver son ancienne
confiance dans l'avenir de la France idéaliste et généreuse, etc. »
Singulière aberration, car il n'y a que cette « France idéaliste et
généi'euse », qui piit s'émouvoir d'une injustice au point d'en
(') Bulletin de l'Alliance française, 2 décembre 1884. Qu'il me soit
permis de remercier ici MM. Salone, secrétaire général, et Diiflot, chef du
secrétarial de l'Alliance française d'avoir mis si obligeamment à ma dispo-
sition la collection complète des Bulletins, devenue rare, et qui renferme
une foule de renseignements précieux. Sauf indication contraire, toutes les
dates et tous les chiffres qu'on trouvera ici sont puisés & cette source.
(') Bulletin de l'Alliance française. 79. 15 avril 1900.
16 — Ia-1 SECTION DE PROPAGANDE
être déchirée et qui pût remuer à ce point, par la voix de ses
orateurs et de ses écrivains, la conscience universelle. Toujours
est-il que, tombé à 300, le nombre des adhérents remonte à
334, en 1908, et va bientôt dépasser oOO.
A Rotterdam, où M. le pasteur Brcsson avait déjà fait des con-
férences sur la littérature française en 1886, un second comité se
constitue en 1893. Il débute avec 343 adhérents. Après avoir
failli disparaître, ce comité rentre en pleine activité, depuis
1910, sous la présidence de M. le pasteur Jalaguier.
A Groningue, le terrain était préparé par M. Van Hamel qui
fonda, en 1894, un comité d'Alliance franvaise. C'est le troisième
en date, puis vinrent, dans la même année, Leeuwarden,
Arnhem, Utrecht. En 1893, se fondent ceux d'Amsterdam, de
Haarlem, de Leyde,de Delft; en 1896, ceux de Bréda, Amersfoort
et Nimègue, ils sont donc alors treize, ils seront quatorze
après la création de Assen, en 1899.
Puis commence le déclin : le rapport du secrétaire général de
l'Alliance (•) déplore la dissolution de quelques groupes, mais
Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Bréda, Groningue, Arnhem,
Assen restent. Van Hamel, dans son rapport de la même époque
(1900), en compte encore une douzaine. En tous cas, ceux de
Leeuwarden, Assen, Arnhem, Zutphen (fondé en 1903), Delft,
Amersfoort ont définitivement disparu.
Celui de Nimègue a été reconstitué sous la présidence de
M. Vieweg et le secrétariat de M. Hovenkamp, celui d'Utrecht
par M. Genouy, celui de Bréda par M. Sauveur, celui de Haar-
lem a été remplacé par une association dont nous repar-
lerons.
Par contre, un comité d'Alliance française a été fondé à Dor-
drecht par M. Sauveur, en 1903, un second à Deventer par
M. Mouton en 190o, un troisième à Almelo par M. Salomonson
en 1909, un quatrième à Hengelo par M. Timniermans en 1912,
un cinquième à Winterswijk par M. Dijkshoorn en 1913. Nous
espérons reconstituer cet hiver ceux d'Arnhem et de Zutphen.
Sans tenir compte de ceux-ci, qui sont seulement en formation,
(*) Bulletin de l'Alliance française. 79. 15 avril 1900.
I-E FUANÇAIS DANS l,E MONDE Ia-1 — 17
nous avons donc, en 1913, treize comités d'Alliance française en
pleine activité, savoir :
1. Almelo; président, M. H. Salomonson, industriel; secrétaire,
M. W. Barends (S4 membres).
2. Amsterdam; président, le D"^ Treub, professeur à l'Université;
secrétaire, M. Dirks, directeur d'école en retraite (170 mem-
bres).
3. Bréda; président, M. AUard, pasteur de l'Eglise wallonne
secrétaire, M"* D. Bolomey, professeur (100 membres).
4. Deventer; président, M. Mouton, professeur; secrétaire,'
M"« Engelbrecht, professeur (12o membres).
5. Dordrecht; président, M. Picard, pasteur de l'Eglise wallonne ;
secrétaire, M. Horbach, professeur (ISS membres).
6. Groningue ; président, M. Salverda de Grave, professeur à
l'Université; secrétaire, N**' (') (113 membres).
7. Hengelo; président, M. Timmermans, professeur; secrétaire,
M. A. Ottignon, ingénieur (60 membres).
8. La Haye; président, M. l'amiral Roëll; secrétaire, M"' Wer-
lemann (2), professeur (oOO membres).
y. Leydc; président, M. Sneyders de Vogel, lecteur à l'Univer-
sité; secrétaire, M. Werkmann, professeur (118 membres).
10. Nimèguef; président, M. Vieweg, directeur de journal;
secrétaire, M. Hovenkamp, professeur (près de 200 membres).
11. Kotterdam; président, M. Jalaguier, pasteur de l'Eglise
wallonne; secrétaire, M. Miellet(^), négociant(loO membres).
12. Utrechl; président, M. Genouy, pasteur de l'Eglise wallonne;
secrétaire, M. Visser, professeur (140 membres).
13. Winterswijk, président, M. Dijkshoorn, professeur; secré-
taire, M. J.-B. Keizer (40 membres).
1! est légitime, si l'on ne veut pas s'arrêter à la simple éti-
quette, d'ajouter à celte liste deux comités extrêmement impor-
(') Jusqu'à présent M. Bethe, récemment décédé.
(~) Ce fut pendant vingt et un ans un dévoué ami des lettres françaises.
M. Hofman, fondateur du premier comité hollandais.
(') Ce fut longtemps M. Stille, professeur à Utrecht, tout dévoué, lui
aussi, à notre cause.
18 — Ia-1 SECTION Dli PROPAGANDE
tants, fondés sous les auspices de l'Association pour l'extension
et la culture de la langue française, présidée par M. M. Wilmotte,
l'un àMacslricht en 1909, sur l'intelligente initiative de M. Houben,
proviseur du lycée, l'autre à Haarlem, en 1910, sur l'initiative de
M. Sauveur, qui fut jadis secrétaire de l'Alliance française à
Nimèguc, président de celle de Bréda,et dont l'activité pour notre
cause est infatigable. Enfin, mes élèves ont fondé à Amsterdam
un Cercle français de l'Université qui a organisé et continuera
à organiser, plutôt que des conférences, des leçons synthétiques
suivies de discussion sur les principaux problèmes de l'histoire
de la littérature française.
14. Maestricht ; président, M. Houben, proviseur du Lycée;
secrétaire, M. A. Schietfer (300 membres),
la. Haarlem; président, M. Sauveur, professeur; secrétaire
M"'' Berdenis van Berlekom, professeur (300 membres).
16. Amsterdam; Cercle français de l'Université; président,
M. Tielrooy, étudiant; secrétaire, M. Van Maeren, étudiant
(7o membres).
Ces cercles ont un secrétariat commun qui centralise les ren-
seignements relatifs aux conférences (^).
Ainsi nous dépassons de deux unités et bientôt nous dépasse-
rons sans doute de trois ou quatre unités le nombi'e de cercles
de conférences françaises de la période la plus prospère des
dernières années du xix' siècle. Mais le nombre est peu de
chose si l'activité ne règne pas; or toutes ces créations récentes
ou ces réorganisations attestent le regain de vitalité du mouve-
ment français aux Pays-Bas. L'intérêt que provoquent les confé-
rences ne s'arrête pas aux membres qui le plus souvent emmènent
leur famille. Je signale particulièrement le développement des
cercles de La Haye, Haarlem, Maestricht et Nimègue où le public
dépasse parfois 2o0 et 300 personnes.
(1) Le siège de ce secrétariat passe chaque année d'une ville à une
autre. Pour 19131914, c'est Leyde qui assume ce service. Il est regret-
table que quelques-uns des comités se tiennent à l'écart de cette utile orga-
nisation qui propose les conférenciers, mais s'uiterdit de jamais les
imposer aux différents cercles.
I.E FBANÇAIS DANS LE MONDE lal — 19'
Des bibliothèques circulantes ont été organisées, par exemple, à
Nimègue, à llcngeio et au Cercle franç^ii s d'Amsterdam ou vont
l'être à Bréda et à Deventcr.
Tout comité d'alliance ou d'association françaises est un
foyer d'influence.
Il y a quelque chose de touchant dans le fait de ces profes-
seurs, de ces pasteurs, de ces industriels qui prennent sur leurs
maigres loisirs le temps d'organiser ces fêtes de la pensée
française et veillent à ne pas laisser l'idée française s'endormir
autour d'eux, fût-ce dans la plus petite cité. Parmi les trente-
deux présidents et secrétaires que je viens de nommer plus de
la moitié sont des professeurs de français qui estiment n'avoir pas
fait assez pour nous quand il se sont acquittés de leur lourde
tâche quotidienne. Peu d'entre ces trente-deux membres sont de
nationalité française : quatre pasteurs et un négociant; les
Français résidant aux Pays-Bas sont très peu nombreux, ce sont
donc uniquement les sympathies hollandaises qui, spontané-
ment, font surgir ces initiatives. Ici se marque la différence entre
les Alliances françaises et le» Schul- ou Flottenverein ; les
premières sont composées d'étrangers venus à nous par affection,
les autres sont composés d'émigrés allemands restés fidèles à la
mère- patrie.
Sans doute, les comités d'Alliance française, surtouts'ils étaient
mieux soutenus par le siège central de Paris (') qui ne leur envoie
jamais que queUiues livres, pourraient faire davantage : multiplier
les bibliothèques, créer des cercles de conversation, comme il
y en eut jadis à Dordrecht et à La Haye, mais, telle qu'elle est,
leur œuvre est belle. Chaque mois, d'octobre à mai, retentit à
leur tribune une parole française. La Hollande a entendu Verlaine
et contribua à alléger la misère de ses dernières années; il lui en
exprima sa reconnaissance dans Quinze jours en Hollande; elle
entendit Henry Becque, Prévost, Aicard, Henry Bordeaux, Roden-
(') Depuis qu'un Office des Universités a été créé et que l'activité inlas-
sable de son directeur M. Conlet, lui a donné une vitalité remarquable,
on peut esijTérer, en un jour prochain, voir aussi le gouvernement s'iuté-
resser à ces nobles œuvres françaises.
20 — Ia-1 SECTION DE PROPAGANDE
bach, Lemonnier, Verhaeren; elle accueillit, en ces derniers vingt
ans, des professeurs : Bornecque, Brunot, Jeanroy, Potez, Wil-
motte. Elle recevra cet hiver Paul Fiat, Foucher, Steeg, Charcot.
Je voudrais qu'elle fût désormais aussi accueillante à la science
pure qu'aux lettres. Tout cela viendra à son heure. L'Alliance est
un merveilleux instrument dont nous saurons nous servir pour
le plus grand profit des deux pays amis.
111. — Autres organes de l'influence française.
Parmi les autres organes de l'inlluence française en Hollande,
sur lesquels, faute de place, il nous faudra passer rapidement,
figure en premier ordre l'Église wallonne qui s'appellerait plus
justement l'Église française (i). A l'inverse de leurs frères d'outre-
Rhiix, les réformés français réfugiés en Hollande ont gardé
intacte, depuis le xvi" et le xvn° siècles, la langue de leurs pères.
Elle seule est employée dans l'administration de l'Église, au
prêche, au catéchisme. H reste seize communautés wallonnes
dispersées dans le pays, quelques-unes comme celles d'Amster-
dam, de La Haye et de Rotterdam encore très importantes. Elles
ont en tout vingt-cinq pasteurs, Français pour la plupart. Pour
aider les catéchumènes dans leur instruction religieuse, les
pasteurs ont créé presque partout (^) des écoles diaconiques où
des centaines d'élèves apprennent le français. Nous avons vu que
la plupart des pasteurs s'intéressent aux groupements d'alliance
française, en ont formé ou y jouent un rôle (^). L'Église wallonne
est un facteur important de notre action morale en Hollande.
H faut mentionner aussi quelques établissements congréga-
(') Je me permets de renvoyer à mon article de la Revue Bleue, 7 octc-
bre 1911. "Une Église française en Hollande» et à l'article de G. Bonet-
Maury, Bulletin de l'Alliance française, n" 92, 15 avril 1903, p. 93-94,
pour les écoles diaconiques.
(') .Je signale en particulier celles du pasteur Giran à Amsterdam,
Genouy à Utrecht, Jalagnier à Rotterdam, Allard à Bréda.
(') Par exemple, encore M. Chouillet à La Haye et Bretey à Gro-
ningue.
LE FRANÇAIS DANS l.E MONDE I«-l —21
nistes français établis dans le sud du pays, par exemple, à l'Écluse
à Maestricht et à Nimègue.
Les bibliothèques surtout celles de La Haye, dirigée par un
savant éminent, M. Byvanck, sont abondamment pourvues de
livres français. Partout des Leesmuseum ou Clubs de lecture
répandent nos journaux, nos revues et nos publications, dont les
grands quotidiens rendent compte régulièrement. A La Haye se
publie en français un journal bien connu : La Gazette de
Hollande, fondée, en 19H, par M. Van Bcresteyn, qui continue
à la diriger.
Les tournées théâtrales sont assez nombreuses dans les grandes
villes, mais le fait le plus saillant est l'existence d'un Opéra
français à La Haye, subventionné par la Cour.
J'y ai assiste à une scène extraordinaire, uue manifestation en
faveur d'un compositeur français dont l'opéra venait de triom-
pher. Je ne croyais pas que le peuple hollandais fût capable d'un
enthousiasme aussi délirant. On jetait des (leurs; du haut des
galeries, un spectateur lut une pièce de vers dithyrambiques.
Il semble (on l'a vu lors de la réception de M. Fallières,
en 19H), que ce soit le privilège de la France de faire sortir le
Hollandais de son calme, d'ailleurs plus apparent que réel.
Combien je sais de Hollandais dont le cœur bat plus fort et dont
le regard s'anime à parler d'elle. Une jeune tille de seize ans me
disait l'autre jour : « Votre littérature a quelque chose de raHiné,
de délicat, d'élevé dont nous ne pouvons pas nous passer!»
Et un professeur de littérature néerlandaise, peu suspect de
tendresse pour la France, m'écrivait : « Continuez à exercer
votre action; elle a toujours été profitable depuis le moyen âge
au développement de notre culture nationale! »
La conclusion de ce rapport ne peut pas êlre pessimiste.
Notre langue ne règne plus seule comme au temps jadis, elle a
des concurrentes redoutables, mais elle reste en Hollande la plus
favorisée et surtout la plus aimée.
Je crois avoir montré que, pour ces quelques dernières années,
nous pouvons observer un véritable réveil de notre influence. Ce
réveil n'est pas particulier à la Hollande; il est général, il corres-
pond au réveil des énergies françaises et aussi à ce regain d'uni-
22 — lai SECTION DE PROPAGANDE
versalité non plus tyrannique mais pacifique, conciliante,
sociable, dont les congrès de la langue française, organisés par
M. VVilmolle, en 1903, 1909, 1913, marquent les étapes victo-
rieuses.
Je terminerai par celle citation de P. Hazard, dans son élo-
quent discours sur la langue française (') : « Ainsi parce que
l'idée même de l'hégémonie intellectuelle a disparu, a disparu
l'hégémonie de notre langue... Elle ne prétend plus asservir les
autres en despote ; mais elle peut prendre place à côté des
autres en amie. »
(*) Académie française, prix d'éloquence, 1912. Paris, Hachette 1913,
n-18, p. 20. C'est un indice remarquable qu'à cent trente ans de distancp,
<m mette au concours un nouveau discours sur l'universalité de notre
langue, mai?... ce n'est plus Berlin qui en a pris l'initiative.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
.1; LK FR.VNr.AXS DANS LE MONDH.
La langue française dans le Grand-Duché de Luxembourg,
Chari.es JiECKER,
professeur au Oymuase d'Echlernach.
Au moment d'enlro.prendrc ce petit travail que la Fédération
internationale pour la culture française a bien voulu mcdeman
der à l'occasion de son 1II« Congrès, je me rends bien compte
qu'il me faudra, tout d'abord, ri-péter quelques-uns des dévelop-
pements qui ont formé la base et les grandes lignes des mémoires
sur le même sujet, présentés à des congrès antérieurs et iden-
tiques par les représentants du grand-duché de Luxembourg. Je
songe, notamment, aux travaux de M""^ Poirier, de MM. Tony
Wenger et Joseph Hansen, présentés successivement aux Congrès
de Liège, d'Arlon et de Mons, ce dernier tenu sous les auspices
des « Amitiés françaises ». C'est là le côté ingrat de la matière;
aussi ne s'attendra-t-on pas à ce que je vienne remercier ici ceux
qui m'ont précédé par des exposés qui, tout en me facilitant sin-
gulièrement ma tâche, ne laissent pas cependant de m'embar-
rasser quelque peu. Mais, tout en les suivant, j'espère bien pour-
tant découvrir quelques points nouveaux, soit qu'on les ait
réellement négligés jusqu'ici, soit que la situation de la langue
24 — Ia-2 SECTION DE PROPAGANDE
française ait vraiment subi quelques modifications pendant ces
dernières années.
Il est évident que, depuis le Congrès d'Arlon en 1908, les
grands aspects de la question n'ont pas changé. Le grand-
duché de Luxembourg est resté pays bilingue dans le sens que
l'on sait, c'est-à-dire que le français y a maintenu sa position de
seconde langue nationale, tout en continuant à rester inférieure
l'allemand, qui y jouit de la bonne fortune d'être la langue du
pays auquel nous sommes unis par les liens assez étroits du
Zollverein. C'est là une situation économique, matérielle et pri-
vilégiée qui assure, a priori, un avantage très sérieux à l'Alle-
magne en ce qui concerne les questions linguistiques de notre
pays. Quiconque veut bien se l'appeler l'activité fébrile de l'Alle-
magne industrielle et commerciale, activité dont de plus grands
pays que le nôtre ont ressenti les puissants effets, comprendra
facilement qu'un petit pays comme le nôtre, dépourvu de toutes
ces puissantes industries qui alimentent le commerce de nos
jours, est nécessairement envahi par les produits allemands qui
entrent chez nous comme dans n'importe quelle terre d'empire,
librement et sans subir la moindre entrave. Ce commerce très
actif que nous entretenons avec l'Allemagne en lui achetant nos
principaux articles de commerce, exerce fatalement une influence
favorable sur la langue. allemande dans notre pays.
Presque tous nos commerçants se trouvent ainsi obligés, par
la force des choses, à se servir, dans leurs relations commerciales,
presque exclusivement de la langue allemande. Tantôt, ils
reçoivent chez eux le fameux commis-voyageur allemand qui
prône sa marchandise tout en ravalant celle de l'étranger; tantôt,
ils vont faire eux-mêmes leurs achats en Allemagne, et, dans les
deux cas, ils entretiennent des relations suivies et assidues avec
les centres industriels allemands. C'est ainsi que l'idée ne s'ancre
que trop facilement dans leur tête, que l'allemand est la langue
essentielle dans le Luxemboiu'g, celle qu'il est de toute nécessité
de savoir à la perfection.
Qui ne voit aussitôt que c'est là un état de choses très préju-
diciable à la langue française? Il paraît que l'histoire est ainsi
faite que tout ce qui alimente et favorise l'allemand, entrave en
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-2 — 25
même temps tout ce qui porte la marque française. L'antagonisme
des deux races s'est porté sur leurs langues, et nous en constatons
chaque jour des preuves éclatantes. Le commerce français, et
par là j'entends aussi le commerce belge, est loin de nous inon-
der de ses produits au même degré que le commerce allemand,
ce qui s'explique d'ailleurs assez naturellement par l'union doua-
nière allemande. Ainsi donc, en subissant le contre-coup de nos
relations commerciales avec la France, la langue française se
heurte indirectement à ces mêmes barrières de la douane que les
produits français. Cet état, on le sait, dure depuis -1842, et, à
moins d'un miracle, il ne faut pas espérer le voir s'améliorer.
Un autre facteur très puissant de la germanisation de notre
pays sont les quelques administrations allemandes, ainsi que les
centres métallurgiques de notre riche bassin minier. Les admi-
nistrations qui se servent exclusivement de la langue allemande,
sont les douanes et la Société des chemins de fer Guillaume-
Luxembourg. Etant exploitées directement par l'Allemagne, les
chefs en sont naturellement de nationalité allemande, et il n'est
que trop visible qu'on y veille jalousement sur l'emploi exclusif
de la langue allemande. C'est un coup de force que l'Allemagne
se permet contre nous; elle oublie qu'elle ne se trouve pas en
territoire allemand, mais dans un pays neutre qui tient h son
bilinguisme et dans lequel beaucoup de personnes ne com-
prennent pas l'allemand. C'est à peine si, à la nouvelle gare de
Luxembourg, une traduction française des principales enseignes
a pu être extorquée à l'administration. Le journal L'Indépendance
luxembourgeoise s'en est indigné à plusieurs reprises, sans qu'on
ait naturellement fait droit à ses réclamations pourtant si justi-
fiées.
Mentionnons encore nos admistrations militaires, la gendar-
merie et le corps de nos volontaires, qui ont été allemands de
tout temps, en tant que se servant exclusivement de l'allemand,
sans doute parce que l'Allemagne, depuis sa victoire de 1870, a
incarné en Europe le principe même du militarisme et de la
force. On instruft nos soldats à la prussienne, et le fameux
Parademarsch est tenu en grand honneur dans la vieille caserne
à Luxembourg.
26 — Ia-2 8ECT10K DE PKOPAGANDE
Dans le bassin minier d'Esch, les Allemands travaillent fébri-
lenoent. Ayant mis la main sur les grandes usines métallurgiques,
ils favorisent surtout la langue de leur pays et cherchent à
opprimer la langue française, autant du moins que cela est possi-
ble dans un centre industriel qui occupe en niasse des ouvriers
italiens, belges et français. Puisque la France s'est désintéress<^c
de nos minerais, il est évident que nous sommes impuissants à
opposer de ce côté-là la moindre digue à l'envahissement germa-
nique.
Il y a ensuite notre idiome national qui est d'origine germa-
nique et que l'on invoque toujours quand on veut nous prouver
que nous sommes bien, comme tant d'autres, des Germains
pur sang. Et en effet, bien que cet idiome soit le pbis souvent
tout à fait inintelligible aux Allemands, on ne niera pas cepen-
dant qu'il ne soit à base germanique avec, il est vrai, une forte
dose de mots français, ce qui lui donne une saveur toule parti-
culière. On prévoit aussitôt l'immense avantage qui en résulte
pour la langue allemande, car il suffit ordinairement d'un temps
relativement court pour diriger l'enfant, de cet idiome national,
vers l'usage de la vraie langue allemande. De plus, cet idiome
étant seulement une langue pariée, il s'ensuit que la grande
majorité de ceux qui n'ont pas reçu de culture un peu élevée
se trouvent forcément obligés d'user de l'allemand, toutes
les fois qu'ils se servent de la plume comme moyen d'expres-
sion et de communication.
Après cela, il y a le catholicisme que l'on peut considérer
chez nous comme un des grands foyers du germanisme. La
France, sous ce point-là, supporte les conséquences de sa poli-
tique radicale, en tant que le clergé de tout pays étranger croit
qu'il est un peu de son devoir de travailler contre une nation
qui, du titre glorieux de « (iile aînée de l'église », est descendue
au rang des pires ennemis du catholicisme. Cela est particuliè-
rement le cas pour le grand-duché de Luxembourg. Il suffit de
nommer ici les deux organes spéciaux du clergé et de l'évêché,
le Luxenihirger Wort et le Luxemburger Volk, deux feuilles qui
ne laissent passer aucune occasion quand il s'agit de honnir et
de vilipender la France, tellement qu'on peut dire qu'elles ont
i.lï rilANÇAlS IIAXS l,K MOM)E Ia-2 — 27
fait de leur haine pour ce pays le W/mo///' et la plate-forme de
leur politique. Le clergé, chez nous, se fait décidément follicu-
laire. Heureusement on n'arrive pas à ébranler les sympathies
de notre peuple pour notz'c grande voisine de l'ouest; chaque
fois qu'un de ces articles perfides et venimeux est lancé par la
presse cléricale, c'est un frisson de colère et d'indignation géné-
rale qui parcourt tous les vrais Luxembourgeois. On est mal
venu de représenter la France comme le rebut des nations, au
moment où les prouesses éclatantes de ses avialeurs excitent
jusqu'à l'enthousiasme de ses plus grands adversaires. Rien
d'étonnant donc que, dans tous ses rites et dans toutes ses céré-
monies, la religion catholique du Luxembourg ne connaisse, en
dehors du latin, que l'emploi exclusif de la langue allemande.
Le fait est significatif et méritait peut-être d'être signalé aux
catholiques français et belges.
Plusieurs autres facteurs de moindre importance agissent éga-
lement dans le sens de la germanisation du pays. Tel est, par
exemple, le nombre assez considérable d'Allemands qui se
fixent, bon an mal an, sur noti-e sol, produit d'un excès de
population que l'Allemagne se voit forcée d'écouler vers les pays
étrangers. Tel est encore ce prestige même que possède l'empire
allemand d'aujourd'hui et qui lui vient des champs de bataille
de 1870, prestige qui est la cause do mainte atlmiration instinc-
tive et irraisonnée. Telle est surtout l'étendue relativement
grande des frontières par lesquelles nous touchons à l'Alle-
magne; cette frontière, en eliét, s'étend sur une longueur
presque double de celle par laquelle nous touchons à la Belgique
et a la France. Il en est de même de la proximité de villes alle-
mandes assez importantes, comme Trêves et Metz, qui, pouvant
être atteintes en un temps relativement court, constituent par
cela même un centre d'attractions assez apprécié par les Luxem-
bourgeois. En Belgique, nous avons seulement Arlon, en France,
Longwy; c'est peu de chose; mais Bruxelles est déjà loin, et
Nancy assez difficile à atteindre. Il y a ensuite la presse indigène
qui, dans le dernier quart de siècle, a cru devoir se démocratiser
en se servant presque exclusivement de la langue allemande; ce
n'est que sous la rubrique des annonces qu'on rencontre un
28 — Ia-2 SECTION DE PROPAGANDE
timide usage de la langue française. C'est encore pour des motifs
de démonstration, je crois, que les nombreuses associations
pour l'instruction populaire se servent de l'allemand. Outre que
cette langue y est la langue usuelle et véhiculaire, il faut dire
aussi que, dans leurs bibliothèques, les livres allemands l'em-
portent de beaucoup sur les livres français. Il est vrai que
l'Allemagne accorde à ces bibliothèques populaires des faveurs
d'achat toutes spéciales.
Je ne dirai rien ici de notre maison régnante dans laquelle
quelques-uns ont toujours voulu voir une entrave à la langue et
à la culture françaises. Notre jeune et gracieuse souveraine n'est
certainement pas animée de sentiments anti-français. Elle parle
un français impeccable, et ç"a été pour nous une agréable sur-
prise, quand, dans nos établissements d'enseignement moyen,
nous avons eu dernièrement l'occasion d'apprécier la pureté de
son langage et le charme de sa diction.
11 est temps peut-être d'en terminer avec ce tableau si désolant
pour un pays qui se dit bilingue. J'ai hâte d'arriver à la contre-
partie de ma tâcHe, et ici j'espère montrer par quels liens nous
tenons à la France, à sa langue et à sa culture.
Si l'Allemagne nous a imposé son emprise économique, il
n'est pas exagéré de dire que notre nourriture intellectuelle et
morale nous vient principalement de la France. Tout comme
l'Allemagne s'est entourée d'un prestige industriel et militaire,
la France, elle, a créé autour d'elle une atmosphère d'admira-
tion et de gloire émanant d'une civilisation supérieure à laquelle
n'ont pas échappé les autres nations. Elle est regardée à juste
titre comme la dépositaire des antiques civilisations disparues,
celles des Grecs et des Romains, ce qui, joint à son grandiose
passé historique, a fait d'elle comme le pivot de la haute culture
de l'Europe entière. Rien donc d'étonnant à ce que, petit peuple
frontière, nous nous soyons attachés à ses tlancs pour en tirer,
comme une sangsue, la substance de notre vie intellectuelle et
morale. Nous avons, de tout temps, puisé largement dans les
trésors de sa civilisation avancée, dans ses mœurs affinées et
douces, dans ses principes de liberté et de bien-être, dans son
admirable littérature, dans la galerie de ses grands hommes,
l.E FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-2 — 29
dans ses richesses matérielles et spirituelles. Nous nous sommes
fait une âme à la française, en sorleque, en beaucoup de points,
nous ressemblons au peuple français comme un frère. L'image de
nos momrs privées et publiques trahit bien plutôt une influence
française qu'une inlhience allemande. C'est à cause de ces affinités
profondes et sincères que nous accueillons avec tant d'enthou-
siasme les productions intellectuelles françaises : la littérature
française, et surtout la littérature moderne, compte un très
grand nombre de lecteurs et d'admirateurs parmi nous : elle est
beaucoup plus connue que la littérature allemande. Pour.ne pré-
ciser qu'un point, relevons ici que, de toutes les représentations
théâtrales au théâtre de Luxembourg, les trois quarts au moins
sont des représentations de pièces françaises. Pourquoi? Parce
que le public le demande ainsi; tandis que les pièces françaises
font courir tout Luxembourg, les pièces allemandes sont jouées
trop souvent devant des banquettes vides.
C'est que nos sympathies sont très vives pour la nation fran-
çaise. Nous avons cela dans le sang, et ces sympathies sont
instinctives plutôt que raisonnées. Nous les trouvons aussi bien
chez l'ouvrier et dans le bas peuple que chez l'employé et dans
les classes plus élevées. La France nous apparaît comme un beau
pays, riche, généreux et hospitalier, à mœurs polies et douces,
dans lequel on aimerait à vivre. L'Allemagne, au contraire, nous
inspire une certaine méfiance, mal fondée sans doute et dans
laquelle n'entre aucune hostilité, mais qui n'en existe pas
moins. Nous avons peur, peut-être, qu'une trop forte emprise de
l'esprit germanique ne puisse constituer un danger pour l'indé-
pendance de notre sol, et voilà pourquoi, si nous tendons l'une
de nos mains à l'Allemagne, nous aimons à tendre l'autre à la
France. Tout régime du sabre nous est odieux, et il y a une qua-
lité que nous regardons comme essentielle à la vie: c'est la liberté.
On m'en voudrait peut-être si je ne rapportais ici les belles
paroles que le ministre d'Etat, M. Eyschen, président du gou-
vernement, a prononcées dernièrement à Luxembourg, devant
des Français de Nancy: «Messieurs, dit-il, si vous vous sentez
chez vous ici, n'en soyez pas étonnés. Le Luxembourg, intellec-
tuellement, est français, il n'y a pas le moindre doute... Il y a
30 — I«-2 SECTION Dl£ PROPAGASDE
des Luxembourgeois tout à fait Français, tandis qu'il n'y en a
pas un seul qui n'ait pas quelque chose de français. C'est le passé
de la France qui est la cause de cette situation. Ce sont vos
ancêtres, Messieurs, c'est votre glorieuse histoire qui a gagné le
monde. »
On peut dire de même que nous sympathisons profondément
avec la Belgique. Nous voyons dans ce peuple un peuple voisin
et ami dont les destinées sont un peu pareilles aux nôtres et
auquel on nous a arrachés de force. C'est d'ailleurs une nation
qui lient de notre race, et tout le Luxembourg belge, par
exemple, est en grande partie une image assez fidèle de notre
grand-duché ! Existe-il deux villes qui se ressemblent plus
que Luxembourg et Arlon?
Je voudrais également appuyer ici sur la proximité relative de
deux villes comme Paris et Bruxelles, parce qu'elles contribuent
puissamment à répandre chez nous le goiit de la langue fran-
çaise. Ces deux villes forment un centre d'attractions unique
pour les Luxembourgeois ; elles exercent sur nos compatriotes
une espèce de fascination, surtout sur la jeunesse, et rares sont
ceux parmi nous qui n'ont pas passé quelque temps dans l'une
des deux villes.
Mais l'élément le plus important pour la diffusion de la langufr
française dans notre pays est sans contredit la situation privi-
légiée créée au français en tant que langue ofiicielle. Il est,
presque exclusivement, la langue des administrations, des tri-
bunaux et du parlement. Le conseil municipal de Luxembourg,
dans ses séances, se sert également de cette langue. De plus,
chaque fois qu'un orateur quelconque doit parler en public, il
est de bon ton de s'exprimer en français, à moins que l'orateur
ne s'adresse plus spécialement aux classes inférieures et peu
cultivées. C'est ainsi que tous les discours d'enterr<;ment sont
prononcés en français et il n'y a pas jusqu'aux journaux de
langue allemande qui ne se fassent un honneur de les publier
également en français.
Parmi les administrations se servant principalement du fran-
çais, il faut mentionner aussi la Société des chemins de fer
Prince-Heni'i. Quand elle n'emploie pas exclusivement le fran-
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-2 — 31
çais, comme dans toutes les branches du service intérieur, elle
se sert au moins des deux langues, comme pour tous les écri-
teaux dans les gares, tranchant louablement par là sur la ma-
nière un peu bourrue des Chemins de fer Guillaume-Luxem-
bourg.
Tant que le franç^iis jouira de cette faveur des autorités
publiques, il n'y a pas de recul sérieux à craindre. Nos compa-
triotes peuvent ainsi se convaincre qu'il n'est pas seulement
utile, mais qu'il est tout à fait nécessaire de bien connaître cette
langue.
C'est ici qu'il faut placer l'action de l'Alliance française. Elle
a été fondée, voici huit ans, par les soins principalement de
M. Tony Wenger, délégué général, un des Luxembourgeois qui
rendent le plus de services à la cause française. Elle compte
aujourd'hui quatre sections : Luxembourg, Diekirch, Esch et
Echternach, parmi lesquelles les deux premières sont particu-
lièrement florissantes. Les quatre sections réunies comptent à
peu près 500 adhérents. On peut dire que, pendant les huit
années de son existence, l'Alliance fx-ançaise a bien servi la cause
française : elle a organisé des conférences et des soirées drama-
tiques; elle a créé des bibliothèques et, en accordant à nos
instituteurs des faveurs toutes spéciales d'abonnement à ^es
revues ou à des journaux français, elle a mis le doigt sur un des
points qui réclament le plus notre sollicitude. Je ne veux pas
dire qu'elle fasse tout ce qu'on est en droit d'attendre d'elle. Ce
que je lui reproche notamment, c'est qu'elle n'atteint (ju'une
élite, élite intellectuelle ou sociale, alors qu'il faudrait précisé-
ment descendre un peu plus bas, dans ces classes moins culti-
vées où l'instruction dans la langue et la culture française est si
grandement nécessaire. C'est une question que je soulève et à
laquelle j'espère bien qu'on trouvera une réponse.
J'estime, en eftet, que ces classes-là accepteraient avec grati-
tude un enseignement qui serait pour elles de la plus grande
valeur pratique. Pour les travailleurs, le français est, sinon tout
à fait indispensable, du moins de la dernière importance. Tout
artisan, que ce soit un menuisier, un tailleur, un serrurier, un
teinturier, un mécanicien ou un bijoutier, tient à aller terminer
32 — Ia-2 SECTION DE PROPAGANDE
son apprentissage à Paris. Tous savent bien que c'est à Paris seu-
lement qu'ils pourront acquérir cette perfection et ce fini de leur
art sans lesquels il n'y a pas de véritable maître. Avoir travaillé
à Paris constitue pour nos artisans la plus efficace des réclames.
J'en dirai autant des modistes et des couturières. Je ne parlerais
pas ici de la grande quantité de domestiques des deux sexes que
nous dirigeons tous les ans sur Paris et sur Bruxelles — cela
pourrait jeter la déconsidéi'ation sur notre pays — si je ne savais
qu'on s'improvise le plus souvent domestique dans la très
louable intention de se donner une teinte au moins de culture
franvaise. De là vient donc qu'il y a, comme on l'a si souvent
répété, 20,000 Luxembourgeois à Paris, alors qu'à Bruxelles il
y en a peut-être 10,000. Il est évident qu'un grand nombre de
ces émigrés ne reviennent plus dans leur pays natal. Combien
trouvent à se placer durablement!
On se marie à l'étranger. Des relations nouvelles de parenté et
de connaissance naissent à chaque instant et c'est ainsi que nous
arrivons à la surprenante situation qu'il y a peu de familles
luxembourgeoises qui n'aient un ou plusieurs parents en France
ou en Belgique, en France surtout. Ceci est d'une importance
capitale pour la question de la langue française; car nous
sommes vraiment en droit de dire que nous sommes liés A la
nation française par les liens du sang. Et que les Français se
rassurent sur ce contingent nouveau de citoyens qui leur vient
ainsi du Luxembourg! Ils portent tous dans leur cœur un ardent
amour pour leur patrie nouvelle.
En Allemagne, au contraire, où la main-d'œuvre ne fait pas
défaut au même degré, nous n'avons rien à chercher. Nous pré-
férons d'ailleurs nous diriger vers la France. L'Allemagne a
même, aux yeux de beaucoup de nos compatriotes, le tort de
nous faire souffrir beaucoup par la cherté des vivres et des
denrées, et on aime à se dire chez nous que nous payons indi-
rectement notre écot pour les formidables armements de la
grande nation militaire. Les fonctionnaires convoitent bien les
gros traitements de leurs collègues allemands, mais il n'est que
trop évident que la parité ne leur sera jamais accordée.
Quant aux universités, il serait difficile de dire lequel des deux
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-2 — 33
pays, de la France ou de l'Allemagne, attire le plus grand nombre
d'étudiants luxembourgeois. Mais je crois pouvoir avancer que
la France, la Belgique et la Suisse française absorbent un nombre
d'étudiants sensiblement plus élevé que les universités alle-
mandes. On va en France pour faire son droit, parce qu'on plaide
en français devant nos tribunaux et parce que nous vivons sous
le régime du Code français. On va de préférence en Allemagne,
ou encore en Belgique, pour se préparer à la carrière d'ingénieur,
les examens d'entrée des grandes écoles françaises en écartant
la plupart du nos étudiants. Nos médecins-dentistes viennent
ordinairement de Paris. Les autres carrières, médecine, médecine
vétérinaire, sciences, lettres, beaux-arts, se répartissent sur les
quatre pays que nous venons de nommer.
Dans ces dernières années nous avons assisté à plusieurs événe-
ments propres à faire bien augurer de l'avenir de la langue fran-
çaise dans le grand-duché de Luxembourg. Il y a eu, évidemment,
dans la diffusion de cette langue un moment d'arrêt, moment qui
s'étend à peu près jusque vers 1910 et qui a bien duré une tren-
taine d'années. C'était la conséquence inévitable de la démocra-
tisation^de nos mœurs et de nos institutions politiques. Il fallait
faire à l'allemand une plus large part dans la vie publique, lors-
que, par l'abaissement du cens électoral, on appelait à la vie
politique des éléments qui, jusque-là, en avaient été exclus. Il
faut croire que ce moment de recul est passé.
Voici, d'abord, la création assez récente du Conservatoirs de
musique ^à Luxembourg qui, sous la direction éclairée de
M. Vreuls, rend des services inappréciables à la langue et à la
culture françaises. Je manque de compétence pour relever ici les
talents et les mérites de M. Vreuls, dont la gloire a d'ailleurs
dépassé nos frontières. Associons à son nom celui de tous les
professeurs qui, en faisant tous leurs cours en français et en
propageant chez nous le goût de la musique française, de ses
grands maîtres surtout, opposent un contre-poids très énergiqije
aux excès du germanisme.
Il y a ensuite le journal L'Indépendance luxembourgeoise qui
a été complètement réorganisé avec l'année 1913 et qui est un
des moyens les plus efficaces dont nous disposions pour pro-
34 — Ia-2 SECTION DE PROPAGANDE
pager dans lès classes, inférieures le goût de la langue française.
11 faut regretter seulement qu'il ne dispose pas encore des
moyens qui lui permettraient de devenir un de nos journaux
les plus lus et les plus demandés. Je sais que la presse
française et belge enti'e largement dans notre pays ; mais elle
n'atteint guère lei classes, moins cultivées. Il faiidrait donc sou-
tenir L'indépemliince et en augmenter les ressources, pour
qu'elle puisse s'assurer une riche collaboration, ce qui lui amè-
nerait une foule de lecteurs nouveaux. Je soulève la question
sans y répondre Fiiisons aussi une place honorable ici à un
journal de fondation plus récente, les Temps nouveaux, qui
ouvre assez largement ses colonnes aux articles de langue fran-
çaise.
Le tourisme, qui constitue une des ressources de notrepays,
exerce également une influence très salutaire sur la propagation
de la langue française. La majorité des touristes qui nous
honorent chaque année de leur visite sont des touristes de
langue française, et il faut souhaiter, dans l'intérêt de cette
langue, que les Belges et les Fi'ançais continuent à venir passer
leurs vacances parmi noua. Toui le monde connaît les villes de
l^uxembourg, de Diekirch, de Vianden et surtout d'Echternach,
les centres du tourisme luxembourgeois. Tout le monde, enfin,
connaît notre célèbre station thermale de Mondorf-les-Bains, qui
attire chaque saison un si grand nombre de baigneurs, princi-
palement des baigneurs franç;»is et belges, au point qu'on s'y
croirait dans une ville d'eau française.
Dans ces dernières années, les fêtes sportives ont pris une
valeur, une importance toute particulière, et, résultat inat-
tendu, avec les exercices physiques et hygiéniques, elles ont créé
entre notre pays, d'une part, et la France et la Belgique, d'autre
part, des relations nouvelles et suivies dont la langue française
€St la première à profiter. Je ne rappelle ici que le Tour de Bel-
gique, qui a traversé dernièrement le pays dans toute sa lon-
gueur; l'épreuve Nancy-Luxembourg qui a été célébrée par de
brillantes fêtes franco-luxembourgeoises. Combien d'autres
sociétés de sport et de gymnastiques françaises et belges nous
honorent chaque année de leur visite, ce qui a évidemment pour
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE la 2 — 35
suite que nos sociétés se rendent à leur tour chez nos voisins de
l'ouest. Puis ce sont les sociétés de chant cl de musique qui se
font acclamer à Luxembourg, et de tout cela résulte une très
heureuse recrudescence dans les rapports de ses pays voisins.
Il faut dire un mot encore, en finissant, d'un événement
important et qui date seulement de l'année dernière, mais
qui exercera sans doute une influence très heureuse sur la lan-
gue française de chez nous. .le veux parler de la récente loi sco-
laire qui a provoqué parfois des discussions orageuses, mais qui
n'en est pas moins très salutaire et qui a été approuvée par la
grande majorité du pays. Elle a ajouté une septième année à la
durée des études primaires, et il y a tout lieu d'espérer que nous
verrons à l'avenir nos enfants quitter l'école primaire avec le
minimum de connaissances françaises qu'un pays bilingue et
frontière est en droit de réclamer d'eux. Ainsi donc je ne crois
pas qu'il faille désespérer de la langue française dans le grand-
<luché de Luxembourg.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Autriche,
J. DE BLOCISZEWSKI,
professeur à l'Académie consulaire de Vienne.
Le français est encore, aujourd'hui, la langue étrangère que
l'on étudie le plus en Autriche. Jusqu'ici, il conserve, dans
l'ensemble, sa position prédominante. Cela résulte des chiffres
suivants tirés des divers ordres d'enseignement.
A) Enseignement supérieur.
En laissant de côté l'étude théorique et historique des langues
modernes, pour ne s'occuper que de l'enseignement pratique,
les cours de langue française, faits à l'Université de Vienne,
comptent environ 300 étudiants inscrits. C'est de beaucoup
le chiffre le plus élevé atteint par les cours pratiques de langues
modernes. Les cours d'anglais ne réunissent guère qu'une
soixantaine d'élèves et ce sont les plus nombreux après ceux de
français.
38 — Ia-3 SECTION DE PROPAGANDE
B) Enseignement secondaire.
Cet enseignement est donné clans des Gymnases (enseigne-
ment classique, grec et latin) des Bealgymnasien (latin et une
langue moderne), des Realschulen, écoles réaies (pas de latin,
deux langues modernes).
a) Gymnases. — Ces établissements donnent une forme
d'enseignement dont il y a tendance à s'écarter. Il existe encore,
en Basse-Autriche, 22 gymnases. On les maintient, mais on ne
crée plus que des Realgymnasien.
Dans le gymnase ordinaire, les langues modernes ne sont pas
obligatoires. On les y apprend facultativement. C'est surtout la
langue française qui y est demandée par les élèves.
Parmi ces gymnases, le Theresiamim, fondé par l'impératrice
Marie-Thérèse, occupe une place exceptionnelle. Une langue
moderne est obligatoire pour les élèves internes et cette langue
est le français.
b) Realgymnascs. — C'est le type moderne. Il y a déjà
20 établissements de ce genre en Basse- Autriche.
A côté du latin, on y apprend obligatoirement une langue
moderne.
Dans les reaigymnases créés avant 1908, cette langue moderne
est le français.
Dans les reaigymnases créés depuis 1908, cette langue
moderne est, ou le français, ou l'anglais. On s'inspire pour le
choix des besoins locaux, des désirs des municipalités, etc.
On voit donc ici apparaître la concurrence de l'anglais. Mais
le français maintient encore sa supériorité. Sur les 13 reaigym-
nases, créés depuis 1908, 4 ont choisi l'anglais, 9 le français.
c) Ecoles réaies. — Tous les élèves y apprennent l'anglais et
le français, mais l'anglais n'est enseigné que pendant trois ans,
tandis que le français est enseigné pendant sept ans.
Dans les 26 écoles réaies de Basse-Autriche, le nombre des
élèves apprenant le français était, pendant la dernière année
scolaire, de 9,912.
1,E FllANÇAIS DAKS LE MONDE la- 3 — 39
C) Enseignement primaire supérieur.
L'enseignement primaire supérieur est donné dans les Bûr^er-
schulen. Ces écoles sont la prolongation de l'école primaire, qui
comporte cinq années d'études.
Dans les Bûrgerschulen, ou écoles primaires supérieures,
l'enseignement du français est facultatif. Toutes les écoles
primaires supérieures de Vienne l'enseignent. Hors de Vienne,
presque toutes. L'enseignement du français y est fait pendant
trois ans, à raison de trois Iieures par semaine.
L'anglais n'est pas enseigné.
D) Enseignement libre.
Le français est enseigné dans un très grand nombre d'écoles
libres.
Dans une d'entre elles, que l'on peut prendre pour type,
VEcole Weiser, le nombre des élèves apprenant le français est
égal à ceux apprenant l'anglais. On remarque cependant que les
élèves apprenant le français se découragent plus que ceux qui
apprennent l'anglais. La cause en est dans la facilité que présente
la langue anglaise à qui connaît déjà l'allemand. Le résultat
de ce découragement, c'est qu'aux examens de fin d'études, les
élèves demandant à être examinés en anglais sont plus nombreux
que ceux qui demandent à subir les épreuves de français.
De ce qui vient d'être dit, on peut conclure que le français
occupe une situation prépondérante dans l'enseignement des
langues modernes en Basse-Autriche. Mais il faut tenir compte,
pour l'avenir, d'une concurrence possible de l'anglais.
Les chiffres et indications que nous avons donnés se rap-
portent exclusivement à la Basse-Autriche. Mais ils seraient
40 — Ia-3 SECTION DE PROPAGANDE
sensiblement les mêmes pour les principaux autres pays autri-
chiens (Bohême, Moravie, Galicie, Haute-Autriche, Carinthie,
Carniole, Salzbourg, etc.). Il faudrait certainement relever
l'importance de l'enseignement du français, dans les pays de
langues slaves où les sympathies pour la France viennent
s'ajouter à l'intérêt pratique de la connaissance du français.
I. — SECTION DE PROPAGANDE
^1) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Bohême,
Louis FELLER,
chargé de cours à l'Université tchèque de Prague.
L'étranger qui vient à Prague ne sachant ni le tchèque ni
l'allemand n'est pas perdu pour cela, s'il sait le français. Cette
langue est quasiment la troisième langue du pays : partout des
enseignes, des inscriptions françaises s'offrent à ses yeux; un
magasin sur trois, ou presque, porte l'inscription : On parle
français; dans les rues, des sons français, souvent, frappent ses
oreilles. Certes, il n'est que peu de villes à l'étranger, où le fran-
çais soit aussi cultivé, aussi répandu.
Où le Praguois acquiert-il sa connaissance du français? A
l'école, tout simplement. Nous commencerons donc d'abord par
voir quel est cet enseignement (•).
(1) Ces données ne s'appliquent qu'à l'enseignement tchèque. Les AUfi-
msnds de Prague, quoique ne formant à peine que 10 p. c. de la population,
ont, eux aussi, beaucoup d'écoles d'enseignement primaire et secondaire,
une université et un polytechnicum.
■ 42 — Ia-4 SECTION de propagande
Enseignement public.
a) Enseignement primaire.
L'enseignement primaire est donné à l'rague dans les écoIes^
dites communales et dans celles dites de la ville, celles-ci étant de
deux classes plus élevées.
Les maîtres enseignant ont passé leurs examens à l'école nor-
male. Dans l'année scolaire 191 1-1912, le français a été enseigné
dans 9 écoles de garçons, en 21 classes, à 44S élèves; dans
14 écoles de filles, en 71 classes, à 1,334 élèves. 9 maîtres ensei-
gnaient dans les écoles de garçons, et 19 maîtresses dans les
écoles de filles. Il a été donné dans chaque classe deux leçons
par semaine. Dans ces écoles, l'enseignement du français est
facultatif.
L'Ecole supérieure de jennes filles dépendant aussi de la ville,
nous en parlerons ici. Le français y est obligatoire de la cinquième
classe à la première. On y a donné 4 leçons par semaine à
320 élèves. L'enseignement est donné dans les basses classes par
des institutrices de la ville, dans les deux premières par des pro-
fesseurs d'enseignement secondaire.
La ville entretient encore une Ecole industrielle pour jeunes
filles, dans laquelle le français a été également enseigné dans
S classes à 158 élèves, à raison de 3 leçons par semaine.
Les établissements de la ville ont donc enseigné le français à
2,203 élèves des deux sexes.
b) Enseignement secondaire.
L'enseignement secondaire est, à peu d'exceptions près, chose
de l'Etat. 11 est donné à Prague, faubourgs compris, dans 5 écoles
dites gymnases (enseignement classique), 8 écoles dites réaies
(enseignement des langues vivantes), 5 écoles dites gymnases
réals (enseignement du latin et du français), 6 gymnases et lycées
de filles, 3 écoles normales, 8 écoles et 1 académie de commerce.
L'enseignement du français est obligatoire dans tous ces éla-
I.E FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ifl-4 — 43
blissements, à l'exception ries gymnases, où il est facultatif. Le
programme officiel demande, dans les écoles rcales par exemple,
pour les classes inférieures, une prononciation s'approehant
autant que possible de la nationale, la traduction de textes
faciles traitant de la vie moderne pratique, des connaissances
élémentaires sur la structure de la langue découlant d'un ensei-
gnement synthctico-analytique, les principales règles de la gram-
maire, l'emploi de la langue (par écrit et de vive voix) pour tout
ce qui a été traité dans les lei.ons, sans jamais perdre de vue le
côté pratique. Pour les classes supérieures, le programme
demande la lecture de quelques ouvrages importants de littéra-
ture, aptes à faire connaître la culture et la vie spirituelle de la
France; la connaissance de la lexicologie et de la syntaxe; un
emploi rationnel de la langue (par écrit et de vive voix).
En sixième, il est donné 6 leçons par semaine; en cin-
quième, S; i, en quatrième; en troisième, en deuxième et en
première, 3. Les élèves qui sortent de ces établissements ont
donc eu six ans d'enseignement de français, à raison de.4 leçons
par semaine en moyenne. Généralement, ils comprennent tout
ce qu'ils lisent; par contre, l'emploi oral de la langue leur pré-
sente des difficultés, non tant intellectuelles que pliysiques
(l'oreille saisit mal les sons, la langue est inhabile à les rendre).
Mais il y a de bons fondements de posés, et quelques mois d'exer-
cice suffiront pour qu'ils puissent tout comprendre et tout dire.
c) Enseignement supérieur.
i" Université. — L'enseignement du français a été donné à
l'Université dans le semestre d'été 1913 par un professeur de
littérature, S leçons par semaine (cours fait en tchèque); par un
privat-docent de grammaire historique, 3 leçons par semaine
(cours fait en tchèque); par un privat-docent de littérature,
3 leçons par semaine (cours fait en tchèque); par un chargé de
cours de langue et de littérature modernes, 3 leçons par semaine
(cours faits en français). Outre cela, il y a eu dans le séminaire
roman 4 leçons par semaine en langue tchèque (2 privatrdocent)
et 8 leçons par semaine en langue française (2 lecteurs); enfin,
44 — Ia-4 SECTION DE PROPAGANDE
un troisième lecteur a eu 3 leçons par semaine en langue fran-
çaise.
Il y a donc eu, cet été, quatorze heures de leçons par semaine
en langue française, et treize heures en langue tchèque. L'occa-
sion ne manque donc pas aux étudiants d'acquérir de bonnes et
solides connaissances en français. Je dois dire que ceux qui se
soumettent à l'examen du professorat sont non seulement très
ferrés sur le vieux français, mais qu'ils comprennent encore fort
bien le français moderne et s'expriment d'une façon suffisam-
ment correcte.
2° École Polytechnique. — Ici, il n'y a pas de cours, mais seu-
lement des exercices. Un lecteur donne 3 leçons par semaine
(lecture et compte rendu oral d'un texte moderne). Ces exercices
ont pour but d'offrir aux étudiants l'occasion de travailler dans
l'emploi oral de la langue et de s'y perfectionner.
Enseignement libre.
Il y a à Prague quantité d'écoles libres, d'abord des écoles
d'enseignement primaire et secondaire, dont le programme
répond à celui des écoles publiques. Nous n'avons donc pas à
nous y arrêter. Puis il y a, à côté, des écoles de langues, telles
que VÉcole Berlitz, VÉcole Idéale, l'École Internationale et
d'autres, qui enseignent, de par leurs prospectus, toutes les
langues possibles et imaginables, mais se bornent en fait à ensei-
gner principalement le français et l'anglais.
En outre, je ne connais aucune ville où il y ait plus de pro-
fesseurs libres enseignant le français. Il y en a des deux sexes,
de tout acabit, de tout poil et de toute plume : Français et
Tchèques, lettrés et illettrés. Et, chose remarquable, tous
trouvent des leçons à donner ; c'est dire combien le français, est
pratiqué.
Par surcroît, il n'y a guère de familles d'un certain rang
qui n'aient une bonne ou une gouvernante française pour leurs
enfants; aussi y a-t-il à Prague quantité de Françaises, de Suis-
sesses et de Belges.
LE FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-4 — 45
Cercles.
La ville de Prague possède cinq cercles s'occupant delà cul-
ture du français. Ce sont, par ordre chronologique de fonda-
tion : 1° L'Alliance française; 2» le Ceixle français de r Uni-
versité; 3° la Société des Amis de la France; 4° le Cercle jrançais
de la Polytechnique; 5° le Cercle français de Prague.
\J Alliance française, qui a succédé à la Réunion et à la Société
françaises a quelque vingt-cinq ans d'existence; elle possède une
riche bibliothèque; elle se réunit une dizaine de fois en hiver.
Elle dépend de VAlliance française de Paris qui l'aide morale-
ment et effectivement. Elle organise surtout des conférences.
Autrefois, elle donnait des prix aux élèves des écoles publiques
qui s'étaient distingués dans l'étude du français, mais elle y a
renoncé depuis longtemps.
Le Cercle français de l'Université, de dix ans plus jeune,
réunit les étudiants qui s'occupent tout particulièrement du
français. Il s'assemble une fois toutes les semaines dans le
semestre d'hiver. De plus, il organise chaque année une série de
six conférences ; en été, il organise des excursions. Il dispose
d'une modeste bibliothèque.
La Société des Amis de la France a treize ans d'existence. Elle
réunit une fois par semaine ses membres en soirées de conver-
sation pendant la saison d'hiver.
Le Cercle français de la Polytechnique, fondé en 1903, poursuit
le môm'e but que le Cercle français de l'Université. 11 organise,
lui aussi, pendant l'hiver, des soirées de conversation hebdoma-
daires et un cycle de six conférences. II possède une petite
bibliothèque.
Le Cercle français de Prague enfin, fondé en janvier 1906,
est le plus actif de tous. 11 s'assemble régulièrement toute l'année,
le lundi soir, en réunions amicales et familières : d'octobre à fin
avril avec programme (conférences, causeries, récitations, mono-
logues, saynètes, chant ou musique). Une fois par an, il donne
une grande soirée théâtrale. En été, il réunit en soirées de con-
versation ceux de ses membres qui sont en ville. Il possède un
46 — la-4 SECTION DE PROPAGANDE
commencement de bibliothèque. Il est en relations amicales avec
les Annales politiques et littéraii-es de Paris, qui veulent bien le
compter au nombre de leurs cercles.
CONFÉRESCES.
Les Praguois ont eu l'heur d'avoir dans leurs murs, ces
dernières années, plusieurs conférenciers de marque. Ainsi
Cat. Mendès, Anat. Leroy-Beaulieu, Jean Richepin, Kené
Henry, Cam. Mauclair, Frantz Funck-Brentano, André Lichten-
berger, René Pinon, Marguerite Chenu (j'en oublie certaine-
ment, et pas des moindi'es) se sont fait entendre ici.
De plus, les Cercles français de l'Université et de la Polytech-
nique organisent, comme je l'ai déjà dit, tous les hivers, des
cycles de conférences dans lesquels prennent la parole les pro-
fesseurs de l'Université et les propagateurs les plus connus de
la langue, de la littérature et de l'esprit français, dont il existe
ici une illustre pléiade.
L'ilÔTEL-DE-VILLE.
Enfin, et last not least, un fadeur très important de la culture
du français à Prague, est l'entente municipale entre les deux
capitales, Paris et Prague.
Ces relations amicales (') datent de 1901, année où le Conâeil
municipal de Paris, sous la conduite de son président, rendit
la visite que lui avait faite l'année précédente le Conseil munici-
pal de Prague. Depuis lors, ces visites réciproques se sont
renouvelées et toujours la population de Prague a chaleureuse-
ment accueilli ses hôtes. Ces diverses visites, ainsi que celles des
journalistes et des gymnastes français aux fêtes sokoles (en
1902, 1907 et 1912) n'ont pas peu contribué à populariser de
plus en plus le français chez nous. Les savants, les écrivains, les
(') Cfi'. la très intéressante brochuie de M. Em. de Cenkov, homme de
lettres fort connu et méritant, grtind propagateur de l'idée française, s
l'Entente municipale entre Paris et Prague. Prague 1909, in-8», 77 pages.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-4 — 47
artistes français de passage à l*r;igue (à ceux nommés plus haut
ajoutons Louis Léger, Juliette Adam, Georges Lecomte, Aug.
Rodin) ont tous reçu le meilleur accueil de la Municipalité et
ont été les enfants gâtés de la population.
Depuis lors, l'on trouve à Prague une quantité de journaux et
d'hebdomadaires français ; autrefois, l'on n'y connaissait guère
que le Figaro.
Les études de Louis Léger, d'Ernest Denis, de Jeanne Réga-
niey, d'Ernest Gay sur la Bohême; les articles des Dausset,
Nadan, Galli.Chéradame, Bourdon, Puceaux, Massard, Larivière
et autres sur Prague ont excité à l'étude du français : les Pra-
guois voulaient savoir ce que leurs amis français pensaient et
disaient d'eux.
On ne saurait donc trop apprécier pour la propagation du
français à Prague, l'entente cordiale entre les Conseils munici-
paux de Prague et de Paris.
Le Consulat.
Les divers consuls et vice-consuls de France qui se sont suc-
cédé à Prague depuis dix ans, ont, eux aussi, beaucoup fait pour
l'extension du français. Maints d'entre eux n'ont pas dédaigné
de mettre la main à la pâte, c'est-à-dire de faire des conférences,
des causeries, des projections lumineuses, de dire des mono-
logues, voire déjouer la comédie; tous ont visité sou ventes fois
les différents cercles, les ont assistés de leurs conseils et aidés de
leur aimable bienveillance.
Ainsi le consul actuel, M. Henri Ferté, ainsi que M"'" et
et M"" Ferté, ont bien mérité par la chaleureuse sympathie qu'ils
appQrtentà l'œuvre de la culture et de la propagande du fran-
çais en Bohême.
L'influence du Consulat en l'espèce est très grande, et il peut
beaucoup.
CONCUSION.
Comme on peut le voir par ce qui précède, le français est très
«ultivé à Prague, ainsi, d'ailleurs, que dans toutes les villes de
■48 — Ia-4 SECTION DE PROPAGANDE
province, tant les petites que les grandes; mieux encore, il est
aimé. Il joue aussi ici un rôle tout particulier au pays : celui
d'intermédiaire entre les deux langues rivales qui se partagent
la Bohème : le tchèque et l'allemand. Les commerçants qui
hésitent à mettre vchod ou Eingang sur leur porte, y mettent
délibérément entrée, sûrs qu'ils sont de n'offenser, ainsi faisant,
ni Tchèques ni Allemands.
Tous les instituts, les grandes maisons de commerce, voire
les petits fabricants ont des catalogues, des prospectus français.
11 y a même ici uae librairie française (').
Quelque grand que soit l'emploi du français en Bohême, il
peut encore grandir, car il a l'avenir devant lui. C'est donc un
devoir pour ceux qui s'occupent de la culture du français et de
son extension à l'étranger, d'encourager et d'aider de tout leur
pouvoir un mouvement comme celui-ci.
Il leur faut pour cela aider les cercles, et, en particulier, le
Cercle français de Prague, le plus actif de tous. Ses membres
qui se réunissent toutes les semaines, été comme hiver, pour
s'occuper de la langue et de l'esprit français, sont absolument
dignes d'intérêt.
La meilleure manière d'aider ici est d'abord, selon moi, d'en-
richir les bibliothèques existantes; et puis, si possible, d'en-
voyer de temps à autre des conférenciers qui se feraient
entendre dans le Cercle français de Prague. Ils y trouveraient un
public des plus sympathiques et des plus reconnaissants : tout
Prague s'y donnerait rendez-vous.
C'est là, pour la Fédération, une belle tâche : je souhaite de
tout mon cœur qu'elle n'y faillisse point.
(') Celle de Fr. Topic, rue Ferdinand, qui contribue de son côte à
l'expans^n française en exposant dans ses vitrines toutes les nouveautés
littéraires et journalistiques.
1. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Portugal,
Alvaro VIANA ue LEMOS,
professeur à Lisbonne.
Le Portugal est un des pays latins où la langue française est
la plus répandue parmi les différentes classes qui donnent à une
nation son importance intellectuelle, industrielle et commer-
ciale.
Il est utile de donner ici un très bref aperçu des faits histo-
riques qui, en Portugal, ont déterminé cette expansion.
C'est un Français, Henri de Bourgogne, qui a jeté les fonde-
ments de la nationalité portugaise, au xi« siècle. Ses successeurs,
Alphonse I" et Sancho l", ne possédant pas assez de soldats pour
poursuivre les guerres qu'ils avaient entreprises contre les
Maures, ni assez de monde pour peupler les territoires récem-
ment conquis, cherchèrent à attirer dans leur pays les croisés
francs qui, en route pour la Palestine, touchaient au port de
Lisbonne. Plusieurs de ces croisés se fixèrent dans le pays, fon-
dant des villes qui, encore aujourd'hui, conservent leur nom
primitif, telle Villa Franca.
La cour gardant toujours le souvenir des habitudes fran-
50 — Ia-5 SECTION DE PROPAGANDE
çaises, fit venir auprès d'elle des troubadours et des fous, alors
inconnus en Espagne.
Alphonse m, qui, avant son avènement au trône, avait vécu
longtemps en France (comté de Boulogne), en rentrant en Por-
tugal se fit accompagner de plusieurs ménestrels pour égayer sa
cour, ainsi que de professeurs et de savants chargés de l'instruc-
tion de ses enfants. Un de ces savants est digne de remarque,
c'est Eymeric d'Ebrard, chargé Je l'éducation du prince Diniz,
qui acquit un haut degré de culture et, devenu roi dans la suite,
créa la première Université à Coimbre.
Plus tard, le roi Jean I"' ayant épousé une princesse d'Angle-
teiTe, où alors le français était la langue officielle, on vit cette
langue prendre à la cour un tel développement que les princes
portaient des devises françaises, comme celles-ci : le bien me
plaît, talent de bien (aire.
Vers la fin du xvii' siècle, les événements politiques avaient
déterminé en Portugal une sorte de répulsion pour tout ce qui
était espagnol, ce qui contribua beaucoup au développement de
la langue et des mœurs françaises. On en arriva à n'attacher de
valeur qu'à ce qui venait de France.
Grisé par l'or qui lui arrivait du Brésil, le roi Jean V, obéis-
sant à ses instincts de magnificence et de prodigalité, voulut
imiter Louis XIV, non seulement en élevant des monuments
remarquables, mais en introduisant à la cour une vie fastueuse.
Il fut ainsi obligé de faire venir en Portugal nombre d'ouvriers
et d'artistes français. Et l'on peut dire qu'à ce moment, depuis
le costume jusqu'à la cuisine, tout était français dans le pays.
. Ce bref exposé historique suffît à donner une idée de l'in-
lluence de la vie française sur la manière de vivre des classes pri-
vilégiées du Portugal. Et l'on comprend qu'à travers les siècles,
toutes ces relations, qui parfois allaient jusqu'à la camara-
derie, avaient introduit dans la nation des mots et des mœurs
vraiment françaises. Ce fait est aisément constaté par l'influence
que la culture française a eue sur les académies littéraires fon-
dées alors et sur la littérature et la philosophie portugaises.
La Révolution française, qui a ouvert en Europe l'ère des
revendications sociales, eut, en Portugal, une répercussion
I.E FRARÇAIS DANS LE MONDE la-S — Sf
extraordinaire et los ouvrages des philosophes français y furent
de plus en plus recherchés. Mïilgré la réaction qui commença
alors à se manifester de la part des classes privilégiées, hostiles
1 Rntroduction des idées philosophiques parties de France,
malgré l'animosité provoquée par les trois invasions des armées
de Napoléon I", la connaissance pratique de la langue et l'in-
fluence de la culture française n'ont fait que progresser en
Portugal.
A l'avènement du régime constitutionnel, en 18,33, les ser-
vices de l'instruction ont été réorganisés et l'enseignement du
français a été rendu obligatoire dans les établissements d'ensei-
gnement secondaire et supérieur. Plus tard, l'enseignement du
français a été Introduit dans les écoles normales primaires, les
écoles industrielles et les écoles de commerce. La nouvelle loi
scolaire, récemment mise en exécution, rend obligatoire l'ensei-
gnement du français dans les écoles primaires du degré
supérieur.
A côté de cet enseignement officiel, nombreux sont les établis-
sements privés oîi l'enseignement de la langue française est
l'objet des plus grands soins. Il y a des collèges où, pendant cer-
tains cours, les élèves ne peuvent s'exprimer qu'en français.
L'Ecole française de Lisbonne, consacrée à renseignement
gratuit du français et patronnée par le gouvernement français,
prend un développement plus grand de jour en jour.
11 est à peine besoin de dire combien les ouvrages français de
philosophie, de science ou de littérature se trouvent répandus
dans les classes intellectuelles portugaises. Il est même fréquent
de trouver, dans de petits centres, des lettrés pour qui les
auteurs français, des plus anciens jusqu'aux conlomporains, ne
gardent plus de secrets. Et il n'y a pas de petit village où le fran-
çais ne puisse tout au moins être traduit, soit par l'instituteur,
soit par le curé ou le médecin.
En résumé, la langue française est, de toutes les langues
étrangères, la plus répandue, et de beaucoup, en Portugal. Au
point de vue intellectuel, il n'y a pas, pour ainsi dire, de dis-
tance entre le Portugal et la France. Le grand nombre de
touristes portugais qui se rendent en France, chaque année.
52 — Ia-5 SECTION DE PROPAGANDE
l'importance qu'ont prises en Portugal la littérature et la presse
françaises suffiraient à démontrer l'influence marquante qu'exerce
la culture française sur la vie portugaise, ce qui s'explique non
seulement par l'affinité des races, mais aussi par les tendances
des deux peuples.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Suède,
M"» \.k Baronne J. MICHAUX.
De tous les pays où pénétra l'influence fran(,"aise au xvni' siècle,
la Suède est celui qui l'accueillit et s'en para avec le plus d'en-
thousiasme.
Avec le roi Gustave 111, la Suède tout enlière fut française.
N'était beau et bon que ce qui venait de Paris, et notre belle
langue fut parlée dans toutes les familles, enseignée dans toutes
les écoles.
C'est que ce peuple, tenu par sa situation géographique à l'écart
des grands courants étrangers qui traversèrent l'Europe, sentait
le besoin de s'aftiner un peu au contact d'une civilisation qui lui
apparaissait supérieure à la sienne.
Cependant, vers 1850, l'enthousiasme se ralentit; faut-il en
accuser les crinolines, les globes de pendules et les meubles de
reps vert qui dévastèrent la France à cette époque, ou bien plutôt
le réveil d'un sentiment national suédois qui essaya d'entraîner
les esprits vers un autre idéal ?
Leféminisme naissant prêchait, avec l'horreurde la coquetterie.
54 — Irt-6 SECTION DE PROPAGANDE
la nécessité du travail manuel, et dénonçait la frivolité dépri-
mante de cette influence française qui détruisait la vigueur du
■caractère Scandinave.
Et depuis notre influence déclina de plus en plus, sans que
nous nous en soyons aperçus, et sans que nous ayons rien tenté
pour la reconquérir.
Aujooi-d'hui.deux causes bien différentes éloignent les Suédois
de l'étude de la langue française, qui leur serait si nécessaire
pour apporter un peu de clarté dans la leur ;
1° L'esprit même de notre littérature .courante;
2° Le peu d'importance du français au point de vue commer-
cial.
Les Suédois ont traversé l'histoire en buvant et en bataillant,
sans jamais beaucoup réfléchir. Ils ont gardé au fond de leur âme
naïve un besoin d'idéal d'autant plus violent qu'il ne sait au juste
à quoi se prendre. Enfants d'une nature extravagante et embru-
mée, la clarté les trouble, et, dans ce qui est trop clair, ils ne voient
plus rien. Ils ont des botanistes épris de la vie mystérieuse des
plantes, des astronomes qui jouent avec les mondes invisibles;
mais l'âme humaine qui est à leur portée ne les intéresse guère,
ils n'ont ni psychologues fouilleurs de pensées, ni analystes méti-
culeux de ces pensées, et ils gardent leur propre intimité jalou-
sement voilée pour eux-mêmes.
S'ils apprécient encore la beauté de notre langue, notre litté-
rature moderne les choque et les ennuie; sa netteté de pointes
sèches, son manque d'idéalisme blessent leurs plus chères ten-
dances. Us ne sont ni assez curieux pour s'intéresser à notre
pensée, ni assez dilettantes ])Our eu goûter la forme raflinée,
mais ils en sentent tout de suite ce qu'ils en appellent « la
pourriture ».
La jeunesse, très peu cultivée au fond, juge qu'elle n'a rien à
apprendre d'un peuple qui fournit la lignée des « Courpières »,
incapable d'en saisir, sous l'élégante ironie, la portée philoso-
phique. Elle se tourne vers l'Allemagne, méthodique et senti-
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE la-6 — f>0
mentale, dont la lourdeur lui semble plus nourrissante que notre
grâce fatiguée.
C'est en vain que les intellectuels de la vieille école, les pro-
fesseurs des universités, qui sentent le tort que l'abandon du
français fait aux intelligences Scandinaves, déplorent cet aban-
don : pour un temps, noire vogue est passée.
La deuxième cause qui a fait, il y a quelques années, supprimer
l'étude obligatoire de la langue française dans les écoles (sans
que la France ait fait quoi que ce soit pour combattre cette loi)
est d'un ordre purement pratique.
Au point de vue commercial et militaire, le français vient en
Suède au quatrième rang, après l'anglais, l'allemand et le russe;
il n'est qu'une langue de luxe. Or les Suédois, en plein déve-
loppement industriel et militaire, travaillent par devoir et non
par goût et s'écartent tout naturellement d'une langue qui ne leur
est pas essentiellement nécessaire.
Quoi qu'il en soit, le public suédois aime encore assez entendre
la langue française pour faire un chaleureux accueil aux confé-
renciers qu'ils vont entendre un peu comme ils iraient au
concert.
Si on ne comprend plus la France moderne en Suède comme
on a compris la France du xvni^ siècle, on en aime encore la belle
et douce langue ; on l'aime avec le regret de ne pouvoir l'aimer
davantage.
La partie n'est donc pas tout à fait compromise, et c'est à nous
seuls qu'il appartient de la regagner.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Russie,
Ferdinand LANNES,
lecteur à l'Université de Moscou.
Quelle est la situation actuelle de la langue française en Russie?
Pour répondre avec une rigoureuse précision, il faudrait élre
muni d'une statistique complète : il est facile d'en apercevoir la
difficulté. Il me sera donc permis d'alléguer l'invitation trop tar-
dive (à peine un mois avant la date extrême pour la réception
des rapports) pour accomplir une pareille tâche. Mais j'espère
toutefois présenter au Congrès un document suffisamment
précis. Seulement, mon enquête ne sera que partielle et aura pour
objet la langue française en tant que langue scientifique et instru-
ment de travail pour l'enseignement supérieur. Je commencerai
cependant par dire quelques mots de la langue française dans
son usage courant et plus proprement pratique, ainsi que de son
étude dans l'enseignement secondaire.
Les deux langues modernes obligatoires dans les écoles russes
de garçons sont l'allemand et le français; elles sont facultatives
dans les gymnases (lycées) déjeune filles (mais obligatoires dans
S8 — Ifl-7 SF.CTION DE PROPAGANDE
les instituts ou établissements de l'impératrice Marie) ; la statis-
tique seule nous apprendrait de quel côté est la supériorité
numérique là où les langues sont facultatives. Je crois qu'il existe,
en outre, à Moscou, un petit nombre de fondations scolaires, où
l'allemand seul est enseigné en conséquence des rapports com-
merciaux entre cette ville et l'Allemagne. Cela établit, pour le
dire en passant, qu'à Moscou, et généralement en Russie, l'alle-
mand est presque toujours la langue des affaires.
Il y aurait à déterminer aussi laquelle de ces deux langues, et
dans quelles proportions, a la supériorité numérique dans l'en-
semble de la population russe, mais une semblable enquête est
pour ainsi dire impossible.
D'une façon générale, on peut dire que les Russes savent
probablement moins le français qu'autrefois dans les hautes
classes, du moins avec la même perfection de langage et la même,
possession elFective du vocubulaire, et il semble que les bonnes
et les inslitutrices allemandes soient plus demandées qu'autrefois
dans les familles: ce serait trop s'écarter do la question que
d'essayer d'en expliquer les causes.
On pourrait enfin trouver un élément d'information dans
l'œuvre de l'Alliance française qui a constitué des comités
d'action dans plusieurs villes russes, mais on ne connaît les
résultats que pour les grandes villes : d'ailleurs, celte action
est encore trop récente pour qu'il soit permis de s'en former une
représentation exacte (').
Somme toute, la situation de la langue française paraît satis-
faisante selon les divisions que nous avons établies jusqu'ici; en
tout cas, elle doit être jugée avec la perspective du recul histo-
rique.
Avec le développement de la conscience russe, la langue fran-
çaise devait peu à peu perdre, en Russie, sa situation privilégiée
d'idiome contrebalançant même l'idiome national dans les
milieux aristocratiques et intellectuels de la nation dès le
(») A Moscou, pour 1912-1013 : 533 Russes, 3Û Polonais. 46 Allemands,
lOLithuaniens, 5 Arméniens, IMahométan (sur un chiffie de 900 membres
envii'oo).
I.l; FRANÇAIS DANS I.E MONDE 1(1-7 — 59
xviii'" siècle. Depuis l'impératrice Catherine, que d'illustrations
glorieuses pourraient être données sur la prééminence de la
langue française ! Ell« jouissait de la consécration des souverains
de la Russie, de ses hommes d'État, des grands seigneurs, des
penseurs et poètes, de ceux mêmes qui l'adoplaient en se révoltant
contre scn joug et en déclarant la guerre à l'inlluence française
sous toutes ses formes. Le poète « national » de la Russie,
Pouchkine, écrivait sa correspondance dans la langue claire et
précise des idées; l'accusateur de la Russie de son temps,
Tchaadaev, composait en français son célèbre pamphlet ; le slavo-
phile Khomiakov, ennemi de l'esprit sceptique et politique des
Français, y était réduit par la Qensure pour la publication de ses
œuvres théologiques; dans les années « vingt « et « trente », un
adepte du Schellingianisme et de la philosophie allemande, le
prince Odoevski, maniait notre langue avec une réelle itiaîCi'ise ;
on peut même regretter qu'il l'ait approfondie parfois jusqu'à
s'en assimiler les calembours et les crudités ('). Dans Vlntro-
(luction à son ouvrage, écrit en français, sur la Russie et l'Ëglise
universelle, le plus grand des philosophes russes contemporains,
Vladimir Soloviev, qui qualifia un jour Renan de « blagueur »,
reconnaissait à la France « le privilège d'une action universelle
dans le domaine politique et social ».
Sans doute, il sera toujours légitime de constater avec regret
celte perte de la suprématie de notre langue, mais il serait puéril
de méconnaître la loi de nécessité historique. Il faut donc
faire abstraction de l'état passé pour examiner l'état présent, —
et j'étudierai maintenant, — avec les réserves de méthode que j'ai
indiquées plus haut, — la situation de la langue française dans
l'enseignement supérieur : les faits me seront fournis par l'uni-
versité et la faculté historico-philologique des Cours d'enseigne-
ment supérieur féminin de Moscou.
Le premier document que je verse aux débats est incomplet;
il faudra attendre qu'il soit publié pour en juger toute la gra-
vité. Au premier Congrès des langues modernes, tenu à Moscou
(fin décembre 1912), M. Leist, professeur à la faculté des
(1) Voir l'ouvrage de M. S. Sakouline (Moscou, 1913).
60 — 1(1-7 SECTION DE PROPAGANDE
sciences et adjoint du recteur, a fait une communication sur les
langues modernes dans les universités russes, d'où il résulte
que la langue française est dans un état très sensible d'infériorité
par rapport à la langue allemande.
Si l'on se reporte maintenant à une note de la Revue interna-
tionale de l'enseignement (13 novembre 1912), on y lira la dispo-
sition récente de la iaculté historico-philologique de l'Université
de Moscou. La langue allemande devient obligatoire à l'examen
pour tous les étudiants dès la première année ; en second lieu,
au choix, est exigée une des trois langues : anglais, français,
italien. Le jour où les facultés similaires de l'empire russe juge-
ront nécessaire de prendre une semblable mesure, rien n'em-
pêche de prévoir qu'elle sera étendue aux gymnases et autres
écoles donnant droit d'entrée à l'université.
Cette infériorité n'est pas moins manifeste pour les autres
facultés. Dans le Compte rendu de l'Université de Moscou pour
l'année 1912, je relève soixante-huit titres de publications du
corps enseignant (des articles de revues pour la plupart), insé-
rées dans des revues allemandes, contre six dans des revues
françaises, et soixante-dix-neuf ouvrages en allemand consultés
à la bibliothèque pour les étudiants en sciences naturelles, contre
dix-neuf en français !
Quels sont maintenant les OMwa^es de référence en langues étran-
gères dans la revue des cours et conférences pour l'année 1912-
1913, de la faculté historico-philologique où l'allemand et le
français sont les langues imposées pour l'admission à certains
séminaires?
Aucun ouvrage de référence en français n'est indiqué pour les
cours suivants : langues slaves et linguistique (à l'exception de
Meillet); littératures et langues grecques et latines (à l'exception
de A. et M. Croiset et de Chabert) ainsi que pour le sanscrit; sur
Kant, un seul ouvrage (Delbos), ainsi que sur les trois premiers
siècles de l'histoire du christianisme (Duchesne : traduction
russe d'après la traduction allemande), et pour l'histoire de la
philosophie ancienne (Tannery) ; aucun ouvrage français pour
l'histoire de la littérature latine, pour l'histoire de la philosophie
moderne, pour l'esthétique, etc. En second lieu, l'allemand
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-7 — 61
seul est exigé pour le séminaire d'histoire romaine, ainsi que
pour la linguistique et la psychologie ; l'allemand et le français
pour l'art.
Prenons maintenant la faculté historico-philologique des
Cours d'enseignement supérieur féminin et lisons la revue de
quelques-uns des cours :
1° Sciences philosophiques : quatre cours, quinze ouvrages en
allemand, aucun en français ;
2° Langues et liltéralures occidentales (je ne tiens pas compte
d'un cours sur la langue et la littérature allemandes) : deux
cours. Sur neuf ouvrages, un seul publié en France (Bourciez);
huit en allemand et la littérature de Brandès;
3° Art : un cours sur l'histoire de l'art français (professé par
une ancienne élève des universités françaises) : les ouvrages sont
en français. Dans deux autres cours, la langue allemande est
exigée pour l'un; -pour l'autre, six sources sont en allemand, une
en français.
4° Histoire de la Grèce : aucune source en français.
Dans le programme de Ylnstitul Pédagogique pour les sta-
giaires de l'enseignement secondaire, on relève :
1° Méthodes de langues anciennes : 12 sources en allemand,
5 en français. Je ne vois pas figurer, par exemple, la Méthode
de langue latine de Gaflfiot.
2" Histoire et méthodes des sciences mathématiques: aucune
source en français, 3 sources en allemand.
3' Doctrines pédagogiques : Compayré n'est pas cité. Parmi les
auteurs ne figurent ni Rabelais, ni Montaigne ; Rousseau est le
seul pédagogue de langue française cité. {Izvestia Pedag. Inst.
imeni Chelapoutine, livre I, Moscou.)
Veut-on, en outre, un petit indice de la décroissance de l'in-
fluence de la langue française? Par privilège d'ancien prestige,
les titres des publications périodiques universitaires sont
indiqués en russe cl en français, mais dans une publication née
d'hier (Université de Saratov) le titre en allemand est imprimé
62 — la- 7 SECTION de propagande
à côté du titre en russe : Annalen der kaiserlichen IS'icolaus-Uni-
versitàt.
Et je terminerai par cette appréciation d'une autorité considé-
rable, le prince S. Troubetskoï, philosophe, ancien recteur de
l'Université de Moscou : « La littérature française, écrivait-il
dans un article sur Renan (voir Revue internationale de rensei-
gnement, 13 mars 1910), a cessé de nos jours d'imposer sa loi
aux autres littératures et suit ses propres voies, qui ne nous
sont pas toujom-s compréhensibles ou sympathiques.» {Œuvres,
t. I. 1907, Moscou, p. 289.)
Ib semble permis de conclure de ces faits que la méthode,
l'érudition sont des monopoles allemands et qu'ici les livres
français perdent le terrain qu'ils commencent à gagner dans
d'autres pays du monde. Je reproduirai ce jugement à cet appui :
« Il y a dans des ouvrages qui viennent de France, ont dit à
M. Lanson ses collègues américains, avec autant de science que
dans n'importe quels autres, plus d'art et plus de pensée. On
peut venir dans nos universités pour apprendre à employer les
matériaux préparés pour l'érudition, et à bâtir un livre. » {Trois
mois d'enseignement aux États-Unis, 191 i2.)
Pour mieux faire ressortir cette infériorité, et- dans un esprit
absolu d'objectivité, il faut dire tout de suite que la Russie a
des érudits et historiens distingués, qui n'ignorent pas les
choses de France. Bornons-nous à citer quelques noms. L'Uni-
versité de JIoscou compte un Tainiste : le professeur émérite
VI. Guerrier, un des maîtres de la science historique (études
sur la Révolution française, sur Mably, Taine, Auguste Comte):
un Rousseauiste (M. Rozanov) ; un Molièriste (Alexis Veselovski);
citons encore: Ivanov (aujourd'hui à Niéjin); Bôle politique
du théâtre français dans ses rapports avec la philosophie du
XVI II" siècle et Saint-Simon et. le Saint-Simonisme ; F. de La
Barthe: Chateaubriand et le mal du siècle; Recherches dans le
domaine de la poétique et du style romantiques ; S. Kotliarevski :
un livre sur Lamennais. Quelques professeurs des cours d'ensei-
gnements supérieurs [éminins étudient la littérature et l'histoire
de France : V'asioutinski, Radzig, et particulièrement Georges
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-7 — 63
Veselovski, qui essaie de réhabiliter l'art classique ('), etc.
Je voudrais essayer maintenant de déterminer, en quelques
mots, les causes de l'état actuel, ce qui fera peut-être voir s'il
y a quelque chance de progrès ou si cette infériorité continuera.
Une première cause est l'organisation des universités et, d'une
façon générale, de l'instruction, sur le type allemand. Je l'ai
remarqué ailleurs, les premiers professeurs des universités
russes ont été des Allemands; l'Allemagne est restée le modèle.
Dans les écrits, les discussions publiques, l'orateur ou l'écrivain
se tournera vers l'Allemagne et dira : « Voilà ce qu'on fait chez
nos voisins de l'Ouest. « Comme les pères allaient à Gœltingue ou
à Heidelberg, les fils vont continuer leur éducation scientifique
en Allemagne, où les attire la renommée des savants, où ils
sont, d'ailleurs, plus près de leur patrie, socialement et écono-
miquement. Mais l'attraction n'est peut-être plus aussi irrésis-
tible qu'autrefois et, hier encore, un ministre de l'instruction
publique de France, M. Steeg, pouvait parler du « bloc compact
et imposant des Russes » dans les universités françaises. Ecou-
tons ce que dit le professeur américain Barrett-Wendell des étu-
diants français et de leurs maîtres.
Lîs premiers « sont d'intelligence alerte, sérieux à un degré qui
vous fait rougir intérieurement d'être aussi frivoles comparati-
vement, d'une énergie intellectuelle au-dessus de tout reproche.»
Il appelle les seconds « des savants remarquables et accomplis »,
juge leur activité intellectuelle « infatigable et concentrée ». Il
ajoute : « Le préjugé étranger a coutume de considérer les
Français comme légers, frivoles et pour le moins superficiels.
Ûuand vous vivez au milieu de leurs hommes de science, mêlé au
travail de leurs existences, vous commencez à vous demander où
a bien pu se former, à leur propos, une légende aussi grotesque.
Car nul ne saurait imaginer un travail plus assidu que le leur et
plus joyeux dans son ardeur.» {Revue Bleue, iS et 25 février 1911.)
Leschitfres suivants convaincront du relèvement des universités
françaises : au nombre de 1,77U en 1900, les étudiants étrangers
(') Voir les analyses de quelques-uns de ces livres dans la Revue
internationale de l'enseignement.
64 — Ia-7 SECTION de propagande
inscrits dans les facultés françaises dépassaient, au 31 juil-
let 1910, celui de 3,800 (ibid.)- U y a donc des raisons d'espérer,
et je n'en vois pas de meilleures que celles qui me sont sug-
gérées par les Mémoires de l'Université impériale de Kazan : « Les
interrogations à la Sorbonne montrent que les étudiants ont des
connaissances théoriques supérieures à celles des étudiants alle-
mands. » (Avril 1899, p. 8. Diebz.) Voici, tiré de la même publi-
cation, un jugement du docteur Krassin sur la chirurgie française :
« D'une façon générale, la technique française dans les opéra-
tions est de beaucoup supérieure, selon moi, à la technique alle-
mande, et dans l'aseptie les Français ne le cèdent pas aux Alle-
mands. » (1911, n" 4.) (*)
Les Russes font valoir une seconde cause : la production éru-
dite ou scientifique de l'Allemagne, non seulement en travaux
originaux, mais en traductions, est supérieure à la production
française. Avis aux savants des pays do langue française; avis
aux libraires et aux éditeurs !
Il faut ajouter que je crois que les professeurs russes donne-
raient actuellement une attestation favorable sur le mouvement
intensif de la pensée française dans ces derniers temps, et il m'est
agréable d'indiquer d'une manière topique les thèses récentes de
MM. Lirondelle et Patouillet, qui ont écrit sur Alexis Tolstoï et
sur Ostrovski des livres qui manquaient en Russie, de l'accord
même de la critique russe.
Ne pourrait-on pas enfin indiquer une troisième cause, plus
difficile à déterminer, mais non moins réelle à notre avis;. la
méthode allemande convenant davantage à l'esprit russe, l'indif-
férence pour les qualités de composition et de plan, pour la
forme littéraire, un certain préjugé facilement accepté, que les
côtés brillants dans les œuvres françaises ont parfois pour ran-
çon le manque de profondeur et l'érudition minitieuse ? Il est
caractéristique, en tout cas, qu'à Moscou, Richepin a été écouté
par 800 à 900 auditeurs, tandis que tel éminent professeur d'uni-
(') Il serait extrêmement utile de publier le tableau condensé de l'orga-
nisation actuelle scientifique de toutes les universités de France, avec leur
adaptation aux besoins économiques régionaux, etc.
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE Irt-7 — 65
versité, de la Sorbonne ou d'ailleurs, pariera devant un public
infiniment plus restreint. Toutes les observations convergent
donc vers un résultat qui s'atlirme : la littérature prime, l'érudi-
tion — pourtant élégante et précise — n'excite pas le même
intérêt.
En résumé, la langue française subit en Russie une crise par-
tielle : nous entendons par là la crise de la langue de la science
et de l'érudition. Nous ne nous piquons nullement d'en marquer
les limites ou d'en indiquer la durée.
Mais, quoique l'importance des universités soit primordiale
dans un pays, la science patronnée par leurs maîtres ne suflit pas
à donner la direction intellectuelle totale. A côté de l'érudition
scientifique s'imposent les découvertes du génie, les créations de
l'art, de la vie, de la politique. Si la France est jugée inférieure
dans le domaine de l'érudition (ne serait-il pas à propos de rap-
peler qu'elle a aussi été la première dans ce domaine ?), il ne faut
pas oublier d'autre part que c'est un Russe qui a indiqué la
supériorité de la langue française en tant que langue auxiliaire de
civilisation ('), pendant que tel autre des représentants les plus
êminents de la race russe a manifesté dans cette langue le génie
dont cette race est capable {'^).
('j Le sociologue Novikov.
(•■') Mktchnirov, de l'Institut Pasteur.
I — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRVNÇAIS DANS LE MONDE.
La Langue française en Pologne russe,
AliEL MANSUY,
lecteur à l'Université, présùdent de l'Alliance française de Varsovie.
Les progrès de la langue tVanraise en Pologne sont attestés par
des faits de divers ordres. Les principaux de ces faits sont :
1" La présence en France et en pays de langue française d'un
nombre sans cesse croissant de Polonais ou d'habitants de
la Pologne appartenant à d'autres nationalités ou à d'autres
races ;
2° Le besoin croissant à Varsovie d'une langue qui ne soit ni
le polonais, ni le russe, ni l'allemand ; la ville prenant un carac-
tère de plus en plus International ;
3" La situation faite au français dans les établissements
d'instruction, soit par suite de modifications introduites dans les
programmes, soit par suite de circonstances d'ordre purement
moral;
. 4° Le réveil de l'activité française en Pologne russe ;
5° Le chiflre de livres français veadus.
68 — In-8 SECTION de propagande
1. Le français a toujours été en Pologne une langue familière
à l'aristocratie ; or, on a constaté, durant ces dernières années,
l'acquisition par un certain nombre de grandes familles de nou-
velles propriétés en France, d'où l'on multiplie les invitations à
des parents ou amis restés en Pologne. De tels faits prouvent que
l'importance du français dans les réunions mondaines n'a pas
diminué, et ne promet pas actuellement de faiblir. Les Polonais
sont de plus en plus nombreux à Nice ou dans les environs ; l'été,
ils abondent, depuis quelque temps, en Normandie, à Arcachon
etàl'îled'Oléron.
Après 1815, 1830, 1863, on a vu affluer en France des exilés
politiques appartenant plutôt à ce que nous appellerions le pro-
létariat intellectuel, figures admirables souvent, pitoyables par-
fois, n'ayant généralement guère le sens des réalités de la vie, des
romantiques en action. Paris était leur quartier général ; leur
intellectualisme se résumait en deux mots : poésie et politique.
Les intellectuels polonais qu'on trouve maintenant en France
joignent au culte de ces traditions d'autres préoccupations; les
grands, instituts commerciaux, techniques, scientifiques de
France, de Belgique, de Suisse exercent sur eux une puissante
attraction. Il y a quinze ans, on ne comptait pas un étudiant polo-
nais à Nancy : ils y sont assez nombreux maintenant pour y avoir
une bibliothèque et un club. Je puis d'autant moins ignorer leur
présence à Verviers, Liège, Anvers que plusieurs sont allés dans
ces trois villes sur mes propres indications. Ils abondent à
Genève depuis longtemps et leur nombre à Lausanne s'est élevé
de beaucoup ; maintenant Fribourg et Neuchâtel ont su en
attirer un chiffre respectable, avec l'appui des prêtres catholiques.
Leur dispersion môme en différentes villes, leur répartition en
différentes branches scientifiques, les font mieux entrer dans l'es-
prit de notre culture; le glorieux souvenir laissé par Stanislas
Leczinski à Nancy exerce sur eux une action plus bienfaisante
et moins décevante que les déclamations romantiques dont on
berçait leurs pères jadis. C'est en Pologne même que le contre-
coup, lent et paisible, de toute cette action franco-belgo-suisse se
fait sentir. Il est rare qu'un voyage de jeune homme en France
n'amène pas au français toute une série de personnes amies.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-8 — 69
L'interruption totale des cours de l'Université de Varsovie, de
1903 à 1908, le boycottage de cette université par les Polonais
depuis 1908, boycottage atténué maintenant, mais qui n'a pas
pas encore pris fin, a fait de cet exode de la jeunesse polonaise
une sorte de devoir, et tout au moins a créé des habitudes. Il en
résulte que cette jeunesse, qui se renouvelle d'année en année,
finit par être très nombreuse, plus nombreuse et plus utile à
notre langue, à notre culture, que celle de jadis.
A l'élément polonais proprement dit, s'ajoute l'élément
Israélite : la guerre russo-japonaise, les troubles révolution^
naircs qui l'ont accompagnée, le maintien indéfini de certaines
restrictions apportées aux droits d'accession des Israélites aux
carrières libérales, ont créé aussi un mouvement d'émigration
en France dans la jeunesse juive masculine ou féminine. De
nombreux mariages de Polonaises ou de juives polonaises avec
des intellectuels français ont donné à leurs bénéficiaires dans le
monde varsovien le prestige d'une sorte d'anoblissement. On
veut suivre de si beaux exemples, faire une carrière semblable.
Les journaux notent la place occupée au Salon par les artistes
polonais, les artistes eux-mêmes citent Landowski, etc., et disent
aux jeunes 'la nécessité qu'il y a pour eux de se faire consacrer
à Paris. D'autres citent les noms de Dybowski, de Strowski, de
KIobukowski. Les Israélites partant de cette idée que le libraire
parisien Natanson est Varsovien, que le directeur de la Revue,
.lean Finot (Finkelhaus), est Varsovien, se passionnent pour
Natanson auteur dramatique, pour Bernstein, pour Bergson
même, dont on fait un descendant d'Israélites varsoviens. Je ne
dirai rien de M"" Curic-Skladovvska : le prestige de son nom sur
les jeunes imaginations polonaises résiste à l'etfondrement de sa
gloire.
Je ne citerai que pour mémoire l'envoi régulier en France,
depuis quelques années, d'ouvriers agricoles : ou ces ouvriers
restent en France et se francisent, ou ils rentrent dans leur pays
et oublient le peu de mots qu'ils ont appris. Pourtant, si le mou-
vement s'accentuait, il mériterait à l'avenir quelque attention.
Disons que c'est peu probable, et concluons, au sujet de l'immi-
gration polonaise en France, qu'elle a et ne peut manquer d'avoir
70 — In-8 SECTION DE PROPAGAKDE
un contre-coup fort henreux sur la diffusion du français en
Pologne.
Ugl
2. Mais le français n'est pas seulement une langue considérée
comme permettant à ceux qui la possèdent d'aller en France et
peut-être d'y faire une carrière. C'est une langue dont l'emploi
sur place va se développant. L'accaparement incontestable de
certaines professions, de certains emplois publics par les femmes
est un premier fait qui permet de constater les progrès du fran-
çais. Fort peu nombreux jadis, et même il y a pou de temps,
étaient les employés des postes et télégraphes, et même les
employés des grandes maisons de commerce qui parlaient fran-
çais; l'invasion de Ja femme dans les bureaux de tout genre a
sensiblement modifié la situation, et cela d'une fa<,on pour ainsi
dire automatique, sans que pei-sonne ait réclamé en faveur du
français.
Un second fait, c'est le caractère déplus en plus international
pris par Varsovie (qui donne le ton à toute la Pologne). Pour
nombre d'étrangers qui croient souvent leur séjour en Pologne
purement provisoire et qui, pourtant, y sont depuis de longues
années, le français est la langue qui « les sauve ». L'accrodsse-
ment assez rapide du nombre des Busses en Pologne, loin de
Buire au français, le sert, pour cette raison que les contacts se
multiplient entre Russes et Polonais. Or, chacun de ces deux
éléments ayant peu de plaisir à parler la langue de l'autre, le
besoin d'une langue neutre et sympathique à l'un comme à
l'autre fait employer aux Russes, comme aux Polonais, la langue
française le plus fréquemment que faire se peut. 11 est à remar-
quer que le gouvernement russe, désireux de russifier le pays,
mais en même temps de donner à cette russification sa forme la
moins choquante, la plus accommodante, introduit volontiers
la jeune fille ou la femme russes dans les nouneaux emplois
qu'il attribue à l'élément russe. Par là, d'une façon indirecte, il
multiplie lui aussi le nombre des personnes en contact avec le
public et susceptibles de parler le français, l'employé-homme se
contentant plus fréquemment de ne parier que sa langue.
Depuis quelques années, il a été beaucoup question du
LE FRANÇAIS DANS I,E MONDE Ifi-8 — 7f
boycottage des Allemands ou des juifs en Pologne : la chose a eu,
et a encore peut-être maintenant, moins d'importance qu'on n'a
bien voulu le dire. En ce genre dîaffaires, il y a toujours une
part de bluff' qu'il ne faut pas négliger : pourtant il est sûr que
ces mouvements d'opinion ont amené l'élément commerçant
polonais à entamer des relations avec des maisons françaises,
grâce auxquelles il s'est efforcé d'échapper au quasi-monopole
de l'Allemagne en Pologne, et que, d'autre part, l'élément juif,
surveillant cet effort, a pris tout de suite le même chemin pour
enlever à l'élément catholique jusqu'à l'ombre d'un avantage.
Tout ceci a contribué à augmenter l'emploi du français dans le
monde des affaires.
Enfin, dirai-je que le journalisme polonais me semble avoir
des représentants plus incontestablement imprégnés de culture
française qu'il y a dix ans? L'usage qui est fait, dans les journaux
polonais, des coupures de journaux français est journalier et tel-
lement abondant qu'il n'essaie même pas de se dissimuler. De
plus, il est certain que Le Figaro, Le Gil-Blas, la Revue des
Français, La Vie, La Revue ont des collaborateurs polonais dont
le plus grand nombre et les plus influents ne me paraissent pas
être ceux qui résident à Paris. Ces collaborateurs n'en sont que
plus empressés à répandre autour d'eux les publications ou les
journaux dans lesquels leur prose trouve une place parfois assez
belle. Il est sûr, à l'heure actuelle, qu'aucun journaliste ne peut
espérer faire une carrière en ne sachant que le polonais : il lui
faut au moins savoir la langue du libéralisme européen. Le fait
môme qu'il existe à la Douma une députation polonaise fait un
devoir à ceux qui aspirent à en être, de parler la langue dans
laquelle (dans les réunions privées) on causera avec les Russes,
et dans laquelle aussi on exposera, pour le public européen, dans
des brochures ou des journaux, la situation telle qu'on veut la
faire voir. Si belle, si pleine de dignité que soit la langue polo-
naise, c'est une impasse au même titre que toutes les langues
sans caractère international et visiblement sans avenir interna-
tional. A ce point de vue aussi, le français est un instrument actif
de développement de la vie sociale polonaise, un complément
dont les Polonais ne peuvent se passer sans se «uicider, l'aile-
72 — Ia-8 SECTION DE PROPAGANDE
mand ne pouvant évidemment jouer pour eux le même rôle,
l'anglais leur étant en général inconnu, et les journaux anglais
acceptant d'ailleurs des articles en français de personnalités
appartenant aux nationalités à public restreint.
Il en est de même au point de vue littéraire : le critérium, pour
juger d'un écrivain, reste le succès ou l'insuccès de la traduc-
tion d'une de ses œuvres en français. Si Sienkiewicz a écrit en
polonais, ce sont les traductions françaises de Kozalùewicz qui
l'ont fait connaître au monde. C'est aux traductions de M. Casin
que Reymonf doit d'être quelqu'un dont on parle un peu. Ceux
qui n'ont pas eu les honneurs de la traduction française les
désirent; ceux qui ont cessé d'y aspirer sont regardés comme
finis. Tout ceci en dit long aux gens de lettres Sur l'utilité du
français, et s'il y a des rebelles, ils sont de plus en plus discrets,
de moins en moins convaincus, de moins en moins nombreux.
Ils savent bien, du reste, que, pour eux non plus, l'allemand ne
peut jouer le rôle du français. Ils savent bien que l'allemand ne
fait pas volontiers la fortune des littérateurs à public restreint,
à moins que ce ne soit pour s'en servir à gagner et à absorber ce
public. Four juger du prestige dont jouissent notre langue et
notre culture en Pologne, point n'est besoin de mentionner les
Polonais qui, çà et là, écrivent joliment le français en prose et
en vers : il me suffira de citer un livre en polonais, mais qui
mériterait, autant que tel livre d'un Américain sur la France,
d'être traduit en français. Dans Bahylone, M. St. Gonsiosowski
démontre que Paris est tout autre chose que la Babylone
cherchée par de nombreux dévoyés à l'étranger. C'est là un
ouvrage qui honore à la fois son auteur et la France, et dont le
succès nous a charmés autant que servis.
3. Dans le monde des écoles, la période qui s'étend de 1906
à 1913 a été signalée par des événements qui n'ont pas été sans
exercer une influence assez sérieuse sur l'enseignement de la
langue française. Le gouvernement russe ayant, à la suite du
Manifeste impérial de 1903, accordé aux Polonais un certain
nombre de libertés, il a cru, pour mettre l'enseignement en har-
monie avec le nouvel état de choses, devoir autoriser les Polonais
r,E FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-8 — 73
à ouvrir des écoles privées où l'enseignement serait donné en
langue polonaise et par des Polonais (exception faite pour l'his-
toire et la géographie). Aussitôt, il se fonda partout un nombre
considérable d'écoles polonaises. Ces écoles parurent d'abord
concurrencer dangereusement les gymnases et autres écoles de
l'État où l'on enseignait en russe; mais, comme les diplômes
qu'on y recevait n'avaient aucune valeur légale, les écoles russes
« avec droits » ne s'en remplirent pas moins. Le résultat fut
donc la multiplication du nombre des écoles et des élèves : il y
avait encombrement dans les établissements d'enseignement
avant J90o; à l'heure actuelle, si grand a été l'entraînement que
le même encombrement subsiste, bien que le nombre des écoles
(tant russes que polonaises) ait, dans l'ensemble, plus que triplé.
Dans toutes ces écoles sont enseignés le français et l'allemand :
le nombre des jeunes gens des deux sexes étudiant ces deux
langues s'est donc considérablement élevé. Mais si l'on songe que
c'est surtout la classe des petits marchands, des gens de métier,
des employés de commerce qui a ainsi grossi les rangs des élèves
de l'enseignement secondaire, et si l'on songe que personne jus-
qu'alors dans cette catégorie de jeunes gens ne soupçonnait ce
que pouvait être la langue française; si l'on veut bien constater
que cet élément de la population comprend une forte proportion
de juifs parlant l'allemand à la maison, il apparaîtra clairement
que c'est le français qui a le plus profité de ce prodigieux essor des
écoles dans notre région.
Une modification survenue dans les programmes accuse ce
bénéfice plus fortement encore. Tandis que jusqu'alors une
langue étrangère était obligatoire (le français ou l'allemandi, deux
langues sont maintenant exigées. Les jeunes gens que le voisinage
de l'Allemagne invitait précédemment à étudier l'allemand à
raison des relations économiques multiples qui lient la Pologne
russe aux pays de langue allemande, no sont donc plus privés de
la possibilité d'apprendre le français : il n'y a plus nécessité de
choisir entre deux besoins, l'un plus immédiat que l'autre, entre
des intérêts et des sympathies, La langue française a donc égale-
ment plus profité que l'allemand de cette moditication apportée aux
programmes de l'enseignement secondaire.
74 — Irt-8 SECTION DE PROPAGANDE
Leboycottagedel'Universitc (russe) de Varsovie parla jeunesse
polonaise a eu, comme nous l'avons vu, pour principal ettet d'aug-
menter, les connaissances en français d'un grand nombre de
jeunes gens qui oui fait leurs études en France môme. Il a eu un
autre effet inattendu sur la jeunesse universitaire russe de Varso-
vie : les Russes ne constituaient jusqu'alors qu'une infime mino-
rité dans celte université, la grève des étudiants polonais expo-
sait donc les professeurs à faire leurs cours devant des auditoires
extrêmement réduits. L'octroi par le ministre de l'Instruction
publique au^ élèvesdes séminaires russes du droit d'entrée (après
examen) à lUniversité de Varsovie, attira dans cette Université
une foule de jeunes gens dont un certain nom^bre savait l'alle-
mand, mais dont aucun ne savait le français, cette langue n'étant
pas inscrite parmi les matières faisant partie du programme des
séminaires. Ceci se passait en septembre 1908 : ces jeunes gens
qui, sans cette circonstance, n'eussent jamais appris le français,
durent donc en commencer l'étude, et, leurs connaissances ne
pouvant donner les satisfactions qu'on pouvait attendre des étu-
diants ayant une autre origine, l'on en vint tout naturellement,
pour remédier à ce mal, à introduire la langue française dans le
programine même des séminaires.
En tout ceci, nous n'envisageons que les progrès des jeunes
gens qui apprennent le français pour lire les livres français, pour
parler notre langue ou pour l'écrire. Il y a lieu de pasrler de ceux
qui se préparent à l'enseigner.
Une commission d'examen siégeant quatre fois l'an décemedes
diplômes de «professeur d'enseignement privé » ou même de
«professeur de gymnase ou de progymnase». Or, bien que les
luthériens soient nombreux dans la région, qu'ils parlent alle-
mand et que les cérémonies du cufte se fassent, en général, en
allemand, bien qu'une nombreuse colonie de sujets allemands
(35,000 à Varsovie) rendent la connaissance de l'allemand assez
facile à acquérir, le nombre des candidats aux diplômes précités
pour i'enseignemerït du français est au moins égal, quelquefois
supérieur au nombre des candidats qui veulent enseigner l'alle-
mand, et les exigences élevées par les examinateurs de français
ne sont assurément pas moindres. J'ai été témoin de ce fait sur
lE FRANÇAIS DANS I.K MONDE Irt-8 — 76
leffuel les examiiiaieurs eux-mêmes avaient attiré mon attention.
De plus, il existe à Varsovie deux institutions préparant à
l'enseignement des professeurs de langue : 1° les classes pédago-
giques prés le premier gymnase de demoiselles qui reçoivent
uniquement des jeunes filles russes appelées à enseigner dans des
gymnases; 2° les cours pédagogiques prés le quatrième gymnase de
garçons, ouverts aux deux sexes et aux jeunes gens de toutes les
confessions. Les classes pédagogiques existent depuis plus de
vingt ans; on peut donc juger de l'atlrait qu'exercent les deux
langues qu'on y enseigne. Or, une infraction a été faite ici, unique-
ment en faveur de rallemand, à la règle qui réserve l'entrée de ces
cours aux seules jeunes filles russes orthodoxes : les luthériennes
sont admises, concuri-emment avecles orthodoxes, à entrer dans la
classe allemande. Pourtant, malgré tout, /e nombre des candidates
au concours d'entrée reste inférieur pour l'allemand, vl la connais-
sance même que possèdent de l'allemand les candidates admises
est, de l'avis des examinateurs allemands eux-mêmes, inférieure à
la connaissance que possèdent du français les candidates entrant
à la section française. Il y a plus: bien que les luthériennes ne
puissent espérer entrer dans la section française que si les ortho-
doxes ayant satisfait à l'examen d'entrée sont trop peu nom-
breuses, bien que cette supposition soit, en général, considérée
comme d'une réalisation tout à fait improbable, presque à chaque
concours, l'on voit des luthériennes se présenter à l'examen de
français. 13 étudiantes au minimum, 20 au maximum sont
admises dans chacune des sections: cette année, 29 candidates
ont concouru pour l'allemand, 42 pour le français.
Le cours pédagogique près le quatrième gymnase de garçons
commence sa deuxième année d'existence : le nombre des
élèves qu'on y admet n'est pas limité. Il a été dans la proportion
de 3 pour l'allemand à 8 pour le français. Mais comme il serait
téméraire de tirer des conclusions d'une expérience si courte,
abstenons-nous de toute conclusion, en constatant du moins
que ce début ne nous est pas défavorable.
La situation de la langue française dans les établissements
d'enseignement, telle qu'elle résulte des programmes, des cir-
constances locales et de l'état d'esprit de la jeunesse studieuse.
76 — In-8 SECTION de propagande
peut donc être regardée par nous comme bonne, sans qu'il y
ait lieu de craindre qu'on nous accuse de présomption.
4. Au reste, les Français de la région, assez peu nombreux,
mais représentant des intérêts considérables, déploient une acti-
vité qui va croissant, se réglant et coordonnant de plus en plus
ses efforts. Leur nombre est inférieur à 2,000 et ils sont dis-
persés à Czenstochowa, Dombrowa, Sosnowice, Nowo Radoni,
Lodz, Varsovie et autres lieux; mais si l'on groupe en un
faisceau les mines, usines métallurgiques, électriques, tissages,
filatures, etc., qu'ils exploitent à l'aide de capitaux français, on
constate qu'ils dirigent une armée de 30,000 ouvriers. Toutes
ces entreprises sont en pleine prospérité : il y a lieu de noter
que les Français du département du Nord jouent ici un rôle de
premier ordre. Fait typique, la Société d'éclairage électrique de
la ville de Varsovie, d'abord franco-allemande et dirigée par un
Allemand, a pris ungrandessor du jouroù le directeur allemand
a fait place à un ingénieur français du Nord. Les industries
belges de la région (céramique, etc.) n'étant nullement en
concurrence avec les sociétés françaises, mais les unes com-
plétant plutôt les autres, il régne une incontestable cordialité
entre Français et Belges en Pologne. Une chambre de commerce
française est actuellement en formation : son siège est Varsovie et
elle comprendra un certain nombre de personnalités polonaises.
Au point de vue du développement de la langue française, la
prospérité des colonies françaises de la Pologne russe est un
fait fort important. Les établissements français sont très recher-
chés et les employés ou techniciens polonais possédant le fran-
çais s'efforcent à l'envi d'y entrer en service. D'autre part, la
puissante société métallurgique la /iw/a Banfeou'a (Dombrowa),
la société Motte et C/" (Czenstochowa), la société AUart, Rousseau
et C''= (Lodz) ont créé pour les enfants de leurs employés, tant
français que polonais, des écoles françaises. Des cercles français,
mais ouverts à tous les employés sans distinction, existent à
Czenstochowa, à Dombrowa, à Nowo Radom, à Varsovie. Des
salles de spectacle où l'on joue en français existent, depuis dix
ans, à Czenstochowa et à Dombrowa. L'un des derniers directeurs
LE FRANÇAIS DANS I.E MONDE In-8 — 77
de la maison Allart, à Lodz, a créé et formé une troupe d'ama-
teurs lyançais et polonais qui, jouant B/a?jc/ie//e, de Brleux, devant
un public surtout allemand, a tiré d'une seule représentation au
profit des sinistrés italiens du tremblement de terre de Messine,
8,000 francs nets, et, d'une représentation postérieure au profit
des inondés parisiens, 40,000 francs.
Enfin, en 1910 (novembre), a été créée à Varsovie une section
de l'Alliance française « dont le rayon s'étend sur les dix gou-
vernements du royaume de Pologne » ; dès 1911, l'action de
l'Alliance française de Varsovie s'est étendue à Lodz; dès 1912,
à Dombrowa. Des conférences (deux par mois en moyenne) ont
été organisées, à Varsovie d'abord, puis à Lodz et à Dombrowa:
les membres de l'Alliance française (150 d'abord, 500 ensuite)
renforcés par un public nombreux et choisi, ont voulu entendre
des personnalités comme MM. D'Arsonval, de l'Académie des
sciences; Delbet, de l'Académie de médecine; Jean Uichepin, de
l'Académie française; Ch. Diehl, de l'Académie des inscriptions;
Lacour-Gayet, de l'Académie des sciences morales, Paul Renard
(commandant), du Parc aérostatique de Chalais-Meudon; Henri
Lichtenbergcr, professeur de Sorbonne; André Lichtenberger,
le romancier bien connu, etc., etc. Ils ont entendu avec un
bienveillant et inlassable intérêt les conférences données sur
les écrivains français ou des provinces françaises par des Finan-
çais de Varsovie ou de Lodz. Ils ont eu l'exlréme satisfaction
d'entendre parler, en un français fort bon, plusieurs Russes ou
Polonais, dont M"" loteyko, du Laboratoire de pédologie de
Bruxelles.
L'Alliance a créé à son tour une troupe do théâtre d'amateurs,
qui, depuis deux ans, n'a pas donné moins de dix pièces et
plusieurs soirées-concerts. Il est impossible de passer sous
silence le fait que la presse fait l'accueil le plus chaud aux
représentations de l'Alliance française, qui sont extrêmement
courues et d'une belle tenue : il est certain, par exemple,
qu'une pièce en vers, comme le Flibustier, de Richepin, est diffi-
cile à lancer devant le public d'une grande ville comme
Varsovie, et pourtant cette pièce a fort bien réussi.
Depuis 1911, l'Alliance française possède une bibliothèque et
78 — la 8 SECTIOS DE PROPAGAKDE-
une salle de lecture, de plus en plus fréquentées à mesure
qu'elles s'enrichissent ; plus d'un millier de volumes ont été
achetés, beaucoup de dons nous sont venus. S'il nous était pos-
sible de développer rapidement notre bibliothèque (le prêt des
livres est gratuit) et aussi de multiplier indéfiniment le nombre
de nos journaux et de nos revues, on s'apercevrait vite que ce
n'est pas le public qui nous manque, mais que c'est nous qui
n'arrivons pas à le satisfaire.. Malheureusement nos ressources
sont limitées.
Depuis 1911 également, l'Alliance française a son organe
ofliciel, Le Bulletin français de Varsovie, qui paraît chaque fois
qu'il y a lieu d'annoncer une conférence, une représentation,
une soirée de la société, mais qjii contient aussi des nouvelles
ou des articles de nature à intéresser notre public. Ce bulletin
est adressé gratuitement à tous les membres et à toutes les per-
sonnes susceptibles de s'intéresser à notre action., Il a été
adressé à tous les médecins de Varsovie pour la conférenco
d'Arsonval sur «l'électricité et ses applications à la médecine»;
à tous les abonnés de l'Opéra pour la conférence-concert de
M. Landormy, sur la musique française d'aujourd'hui; à tous
les artistes de la Société des Beaux-Arts, pour la conférence de
M. Kéau, directeur de l'Institut français de Saint-Pétersbourg,
sur Rodin, etc. C'est donc un organe de propagande qui touche,
tour à tour, toutes sortes de personnes appartenant, à l'élite de
la société. Les annonces suffisent à faire vivre cet organe, de
format d'ailleurs très modeste et dont le nombre de pages varie
selon les besoins (de 4 à 32).
A la fin de 1912, une école maternelle a été créée qui est fré-
quentée, dès maintenant, non seulement par des enfants français
ou belges, mais aussi par des polonais et des russes.
Il n'est donc pas exagéré de parler, comme nous le faisions en
débutant, d'un réveil de l'activité fi-ançaise en Pologne, et de
dire que la langue française: en profite d'une façon immédiate.
S. Si, du reste, cette langue ne faisait pas de progrès dans ce
pays, il y a des choses qui resteraient inexplicables. La maison
qui, a Varsovie, est à peu près exclusivement chargée de la vente
I.E FRANÇAIS DANR LE MONDE In-8 ~ 79
des journaux français de toutes sortes (journaux de modes, jour-
naux politiques, périodiques hebdomadaires, bi mensuels, etc.)
accuse, depuis dix ans,, une augmentation de 40 p. c. de son
chiffre d'affiiires, et cela bien que le prix des journaux eux-mêmes
cl les frais de transport aient diminué. La maison de librairie
qui, à Varsovie, vend le plus de livres français a triplé en,cinq,aa3
son chiffre d'atfaires pour cetle spécialité : ce chiffre annuel
dépasse maintenant 200,000 francs. Les librairies concurrentes
ne semblent d'ailleurs nullement faire les frais de ce succès:
elles- sont aussi presque toutes en progrès sur ce point. Et, sans
doute, certains romanciers de bon aloi (André Lichtenberger,
Henri Bordeaux, Romain Rolland) sont pour quelque chose
dans cet essor de la librairie française, mais le plus curieux,
c'est que les libraires prétendent que le livre scientifique et 1«
livre d'art progressent beaucoup plus que le roman. La place
qu'ils font dans leurs vitrines à ces diverses catégories de livres
donne à croire qu'il en est bien ainsi. Il est à supposer qu'on
met à l'étalage les marchandises qui doivent attirer le public :
or, les livres scientifiques français y dominent. Donc, on peut
admettre que le public cultivé, sérieux, est celui qui, de plus en
plus, recherche le livre français. On peut croire, du reste, que ce
résultat est en même temps le principe causal d'un dévelop-
pement ultérieur de notre langue. Comme tous les progrès déjà
réalisés, celui-ci en contient d'autres à l'état de germes.
Les raisons des tranquilles progrès de la langue française ici
tiennent d'ailleurs à ce fait que ces progrès, avantageux et
agréables à tous, ne peuvent en aucun cas être dangereux, ni
pour les Polonais qui constituent la majorité de la population,
ni pour les juifs qui détiennent le commerce, ni pour les Russes
qui possèdent le pouvoir. A la vérité, on en peut dire tout autant
presque partout dans le monde, et même en Belgique. Travailler
à l'expansion de la langue d'un peuple envahissant et menaçant
serait s'exposer à être facilement absorbé par lui, s'il tentait
une agression qui réussît. D'autre part, on peut toujours craindre
que le malaise créé par l'attitude menaçante d'un peuple
n'amène d'autres peuples à se grouper pour leur propre défense
et à faire reculer la menace, affaiblissant ainsi le prestige d'une
80 — 1(1-8 SECTION DE PROPAGANDE
langue qui devrait trop à l'emploi de la force. Les progrès de la
langue française au xviii' siècle sont d'autant plus frappants qu'à
cette époque nous ne prétendons à aucune espèce d'hégémonie
politique sur l'Europe. La langue française d'aujourd'hui, qui
n'est redoutable à personne, mais utile à beaucoup, échappe aux
inquiétants aléas précités Ses progrès viennent de la sécurité
parfaite avec laquelle, en tous pays, on peut la choisir comme
langue internationale.
Les profit que les Flamands français de Pologne russe ont su
tirer des avantages offerts par la langue française, le profit qu'en
savent partout tirer les Belges, rend incompréhensible en
Pologne, l'hostilité des Flamingants à une langue qui doit
multiplier, pour un peuple aussi entreprenant que les Belges,
les débouchés de toutes sortes, alors que le flamand apparaît
comme un obstacle au développement des relations aussi bien
commerciales qu'intellectuelles.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Bulgarie,
J. GUILLEBERT,
professeur et publiciste à Sophia,
Avant d'examiner la situation particulière de la langue fran-
çaise en Bulgarie, il n'est pas inutile de constater d'abord qu'en
général, depuis une quinzaine d'années surtout, l'étude et
l'emploi d'une langue auxiliaire, d'une portée plus vaste que
celle des langues locales, se sont très largement développés dans
la péninsule balkani([ue. Le français et l'allemand ont presque
exclusivement profité de cette disposition. On trouve quelques
personnes parlant l'anglais, mais c'est une minorité infime. On
est ainsi amené à reconnaître que l'allemand, dans cette partie
de l'Orient, est plus répandu qu'il ne l'était autrefois.
Le français a-t-il souffert de cette concurrence? En ce qui
concerne la Bulgarie, on peut répondre non en toute assurance.
Dans le monde commercial, étant donnés le nombre de maisons
allemandes représentées ou installées dans le pays et l'impor-
tation considérable de produits manufacturés autrichiens et
allemands, il est inévitable que l'allemand soit plus employé
que le français; toutefois, cette prédominance est plus sensible
82 — 1(1-9 SECTION DE PROPAGANDE
dans le commerce en gros que dans le commerce en détail ; dans^
les magasins de luxe on parle plutôt le français et les représen-
tants de maisons allemandes ou autrichiennes établis en Bul-
garie parlent presque tous également le français. D'ailleurs, les
commerçants Israélites sont très nombreux et ce sont générale-
ment de bons propagateurs de la langue française : tous les Israé-
lites sujets bulgares sont d'origine espagnole.
Dans la haute société, où pénètre le corps diplomatique, on
emploie exclusivement le français. Parmi les fonctionnaires
supérieurs, les professeurs, les avocats et les médecins, le fran-
çais et l'allemand sont à peu près à partie égaje, car les jeunes
Bulgares vont aussi bien parfaire leurs études en France qu'en
Allemagne. Généralement ils préfèrent la France, mais un cer-
tain nombre choisissent l'Allemagne, parce que les conditions
matérielles de la vie s'y harmonisent mieux avec la modicité de
leurs ressources. Cependant, ceux qui étudient en Allemagne, y
apprennent aussi le français; ils le parlent toutefois avec moins
de facilité que l'allemand qu'ils emploient naturellement de
préférence, en raison de cette facilité même.
En dehors de ces milieux spéciaux où l'usage d'une langue
étrangère est, pour ainsi dire, de rigueur, il y a la grande masse
des simples fonctionnaires et employés, des commerçants ordi-
naires, des boutiquiers, du peuple enfin, qui n'usent ordinai-
rement que de leur langue maternelle. Mais, dans cette agglo-
mération, il existe une quantité importante de gens qui parlent
facilement le français et un nombre encore plus considérable de
personnes qui seraient peut-être embarrassées pour soutenir
une conversation un peu longue en français,, mais qui com-
prennent cette langue, qui l'entendent et la lisent avec plaisir.
Ainsi, le comité de l'Alliance française de Sophia compte
300 membres, dont les neuf dixièmes sont Bulgares; il y a
d'autres comités à Philippopoli, Varna, Tirnovo, Kustendil,
Harmanli. A Tirnovo, ancienne capitale de la Bulgarie du moyen
âge, où les traditions et les mœurs bulgares sont le plus forte-
ment enracinées, où les étrangers ne pénètrent pour ainsi dire
pas, j'ai été fort surpris de voir, un jour, plus de 300 personnes
réunies dans la salle du théâtre pour entendre une conférence- '
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE 'Ia-9 — SS'
en franvais que le comité de l'Alliance française de cette ville
m'avait demandée.
A Sophia, l'Alliance française donne des conférences men-
suelles très suivies. Tous les conférenciers français qui viennent
en Bulgarie ont toujours un auditoire nombreux, quel que soit
le public auquel ils s'adressent.
Le français est, en effet, très largement enseigné en Bulgarie.
Lorsque les enfants ont passé quatre ans à l'école primaire, ils
entrent au progymnase, puis de là au gymnase. Le programme
du progymnase comprend une langue vivante obligatoire, fran-
çais ou allemand; l'enseignement de cette langue vivante, après
les trois ans du progymnase, se continue pendant les cinq années
du gymnase. Sur le nombre total des élèves, plus des quatre
cinquièmes choisissent le français. L'année dernière, le ministère
de l'Instruction publique de Bulgarie a organisé, pendant les
vacances, un cours gratuit de littérature et de diction françaises
et allemandes au profit des professeurs de progymnases. Sur les
110 professeurs des deux sexes qui se sont fait inscrire à
ces cours, il y en a eu 109 pour le français et I pour l'allemand.
Le cours d'allemand a dû être annulé. Le ministre m'avait
chargé de ce cours et j'ai constaté avec plaisir que la plus grande
partie de mes auditeurs parlaient très bien notre langue.
A l'Université de Sophia, il y a un cours de langue et de litté-
rature françaises.
En dehors de l'enseignement officiel du français, il existe en
Bulgarie un nombre important d'écoles privées, dirigées par des
communautés catholiques, dans lesquelles l'enseignement est
donné en langue française.
Pour les garçons, l'établissement le plus important de ce
genre est le collège français de Philippopoli, dirigé par des
Pères Assomptionnistes français, où l'on donne l'enseignement
secondaire complet. Ce collège possède, depuis quinze ans, le
privilège de délivrer des diplômes donnant accès aux Univer-
sités; ces diplômes sont assimilés aux diplômes de baccalauréat
en France. On y a ouvert parallèlement un second cycle
d'études, une section d'études commerciales reconnue par l'État
bulgare. Les programmes sont exactement ceux des lycées en
84 — 1(1-9' SECTION DE PROPAGANDE
France. Ce collège comptait, cette année, 320 élèves, dont 110
internes, et 30 professeurs. Pour donner une idée de la faveur
dont jouit cet établissement auprès des fimiilles du pays, nous
noterons en passant, qu'au début de l'année scolaire, pour 60
places libres, il y a eu 350 demandes d'admission.
Des professeurs de ce collège font, au Club militaire de Phi-
lippopoli, un cours gratuit de français, suivi par 50 officiers
environ.
Les Pères Assomptionnistes ont fondé, en dehors de ce collège,
deux succursales : une à Varna, avec 6 classes, 170 élèves, dont
40 internes, et 9 professeurs, et une autre à Karagatch (Andri-
noplc), avec 6 classes, 160 élèves, dont 43 internes, et 10 profes-
seurs. Ils ont encore à Karagatch un séminaire uniate (ortho-
doxes grecs soumis au pouvoir spirituel du Pape), avec 40 élèves
et 4 professeurs.
A Yamboli, un prêtre de la même communauté, assisté de deux
autres professeurs, fait un cours de français pour adultes, suivi
par 40 auditeurs environ.
A Sophia, nous avons une école catholique de garçons, dirigée
par les Frères des Écoles chrétiennes, français et allemands.
Dans les quatre classes inférieures, l'enseignement est donné en
allemand, avec préparation aux éléments de la grammaire fran-
çaise; à partir de la cinquième classe jusqu'à la neuvième, classe
commerciale supérieure, l'enseignement est donné en français.
Cette école reçoit annuellement un peu plus de 400 élèves, dont
une centaine de pensionnaires; elle compte 17 professeurs, dont
12 religieux et 3 laïques.
Parmi les maisons que nous venons de citer, celles de Phi-
lippopoli, de Sophia et d'Andrinople sont déjà anciennes; celle
de Varna est de fondation plus récente: elle a de douze à quinze
années d'existence et s'est surtout développée depuis les cinq
dernières années.
Pour les filles, nous comptons d'abord les écoles suivantes,
placées sous l'administration des Pères Assomptionnistes : à
Varna, un magnifique établissement, le pensionnat Saint-André,
dirigé par des sœurs françaises, les Oblates de l'Assomption, avec
300 élèves environ, dont 60 pensionnaires, et 26 sœurs; à An-
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE In -9 — 83
drinople, l'exlernat Sainte-Hélène, dirigé par les sœurs du même
ordre, avec loO élèves et 8 sœurs; à Karagatch (Andrinople), les
mêmes religieuses ont ouvert récemment un pensionnat qui
compte 140 élèves et 18 sœurs; à Yamboli, une école, avec
90 élèves et 8 sœurs, ouverte depuis une douzaine d'années.
Une autre communauté religieuse, les Sœurs de Saint-Joseph
de l'Apparition, a fondé en Bulgarie trois élablissements
importants ; le plus ancien est celui de Sophia, qui date de
1880. Cette maison compte, en chiffre rond, 400 élèves, dont
90 pensionnaires, et 20 sœurs. L'instruction est donnée en
français ; l'allemand y est enseigné à titre facultatif. D'ailleurs
toutes les sœurs sont françaises. De la section enfantine aii
cours supérieur on compte 10 classes. Ensuite vient la maison
de Bourgas, fondée en 1892, qui compte 120 élèves et 8 sœurs,
puis celle de Philippopoli, fondée en 1900, qui compte aujour-
d'hui 210 élèves avec 14 sœurs.
A Roustchouk, les Dames de Sion ont un établissement très
réputé dans le pays ; il compte une centaine d'élèves, la plus
grande partie internes, et 3o sœurs, dont IG professeurs et
19 sœurs employées à la direction et à l'entretien de la maison.
U y a 4 classes primaires, 0 classes secondaires et une 7' classe
pour les élèves qui se préparent aux examens du brevet simple.
L'enseignement étant donné en français dans toutes ces
maisons, le gouvernement de la République française a institué
à Sophia deux jurys d'examens, qui fonctionnent chaque année,
pour la délivrance des certificats d'études primaires élémentai-
res et des brevets simples. Cette année, malgré les circonstances
très défavorables et la suppression presque complète des moyens
de transport pour tout ce qui n'est pas militaire, 40 candidats
des deux sexes se sont présentés pour le certificat d'études pri-
maires et une dizaine pour le brevet.
Dans cet ensemble d'efforts en faveur de l'expansion de la
langue française, l'Alliance française joue le rôle qui lui est
assigné par ses statuts. Partout où on a pu réunir le nombre
nécessaire d'adhérents, des comités ont été formés, et ces comités
ont pour première tâche d'organiser des centres de réunion,
avec salles de lecture pourvues de bibliothèques et de journaux
86 — Irt-9 SECTION DE PROPAGANDE
et revues, et des cours de français pour Jeunes gens et adultes.
Le comité de Sophia a, en outre, il y a quatre ans, fondé des
cours de vacances pour les instituteurs et institutrices bulgares
qui se préparent à enseigner le français. Ces cours sont suivis
chaque année par une trentaine d'élèves ; ce nombre ne saurait
augmenter de beaucoup, parce que, la seconde année, les audi-
teurs des cours de Sophia, encouragés par les résultats obtenus,
se rendent en France, surtout à Nancy et à Grenoble ; ils se
sentent assez familiarisés avec la langue française pour suivre
avec fruit les leçons des professeurs français ne sachant pas le
bulgare.
En somme, le français est la langue auxiliaire préférée en
Bulgarie. On apprend l'allemand par nécessité, lorsqu'on en a
besoin pour la carrière commerciale ou lorsque les circon-
stances ontentraîné les étudiants verslesuniversilés allemandes,
mais on apprend le français par goût. A l'appui de cette appré-
ciation, nous pouvons citer un fait. Il existe à Sophia une école
allemande laïtpie, très fréquentée, puisqu'il y a dans la ville une
dizaine de mille d'étrangers de langue allemande ; mais on y
voit très peu d'élèves bulgares, tandis que les élèves de cette
nationalité constituent la très grande majorité des écoles privées
où l'enseignement est donné en français. Nous ajouterons que,
à l'école allemande même, l'enseignement du français figure
dans le programme des études. La préférence marquée que les
Bulgares témoignent en faveur du français ne pourra que
croître après l'annexion d'une partie de la Thrace et de la Macé-
doine, où le français est, depuis longtemps, la langue auxiliaire
imposée par la diversité des races qui peuplent ces contrées.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
.1) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Macédoine,
J. LECOQ,
directeur du Lycée français à Salçnique.
Je m'excuse tout d'abord auprès du Congrès de ne point lui
adresser, comme je l'aurais désiré, un rapport appuyé sur des
documents cl des statistiques. Mais j'ai reçu l'invitation du
Comité à la fin de juin, à un moment où, en raison des événe-
ments de toute sorte, il m'était matériellement impossible de
réunir les documents essentiels. C'est de France, et uniquement
sur mes souvenirs, que je rédige le présent rapport. Au fond
mon regret s'atténue quand je songe au peu d'exactitude de
toutes les statistiques faites en Orient, qui ne méritent qu'un
crédit très limité et, d'autre part, on présence de la transforma-
tion que subit en ce moment la Macédoine, transformation qui
va s'accentuer encore demain, les statistiques d'hier, même en
les prenant pour sérieuses, ce qu'elles ne sont pas, n'offriraient
plus guère qu'un intérêt historique. Ce qui était vrai alors, ce
qui est vrai même aujourd'hui peut très bien ne l'être plus
demain. Ceci posé, il n'en est que plus intéressant de se rendre
compte, même approximativement, de la situation occupée
88 — Ifl-10 SECTION DE PROPAGAKDK
acluellement par la langue française dans ces réglons troublées
depuis des siècles, que la guerre dévaste depuis plus de neuf
mois,' et qui sont l'objet de si âpres convoitises internationales,
ne serait-ce que pour essayer de pronostiquer ce que cette situa-
tion a chance de devenir quand, avec la paix, une nouvelle orga-
nisation politique régira ces divers territoires, que jadis
réunissait une domination unique, si faible fût-elle, et qui vont
maintenant être partagés entre les vainqueurs.
La situation de la langue française était, sous la domination
turque, on peut le dire, privilégiée en Macédoine, au moins dans
les centres, dans les grandes villes et tout particulièrement à
Salonique. La langue française pénétrait évidemment dans l'in-
térieur — où ne pénètre-t-elle pas en Orient? — ; mais d'une
façon restreinte. Quelques maîtres envoyés par l'Alliance Israé-
lite universelle y propageaient, concurremment avec quelques
missionnaires, notre langue; mais la langue française demeurait,
dans les villages et les petites villes de l'intérieur, l'apanage des
gens ayant quelque instruction, appartenant aux classes relati-
vement aisées, voyageant, sortant de chez eux, et pouvant utili-
ser leur connaissance de notre langue. Le paysan, l'ouvrier
l'ignoraient et ils continueront à, l'ignorer très probablement ;
au contraire, dans les villes importantes, le français, on peut
le dire, domine presque : que ce soit à Monastir, à Serrés, à
Cavalla ou à Di'ama, le français est répandu à un degré dont
on ne peut avoir l'idée quand on n'a pas voyagé en Macédoine.
Je voudrais, à ce propos, citer un simple fait qui me paraît
significatif : l'autorité grecque fit, en mai dernier, procéder dans
la ville de Salonique à un recensement de la population : chaque
recensé devait, entre autres renseignements, indiquer à quelle
langue il appartenait, et par là on voulait dire la langue dans
laquelle il avait été élevé, celle qui se parlait couramment dans
sa famille. Plusieurs internes du lycée français, orginaires de
Monastir, ottomans de nationalité, Israélites de religion, n'ayant
d'ailleurs jamais quitté la Macédoine, insistèrent pour être
recensés comme étant de langue française, cette langue étant,
disaient-ils, la première qu'ils eussent parlée et celle dont on se
servait journellement chez eux.
LE FltANÇAIS OA.NS I.E MONDE I«-10 — 89
Il ne faut pas, d'ailleurs, oublier qu'au point de vue des
langues la Macédoine est une véritable Tour de Babel : il n'y a
nulle part, en Macédoine, de langue du pays; il y en a une multi-
tude — grec, turc, albanais, judéo-espagnol, bulgare, serbe,
kousso-valaque; — selon les localités telle de ces langues a une
tendance à prédominer, mais au fond, sauf dans de très rares
exceptions et dans un rayon très restreint, aucune ne règne en
souveraine.
Il n'est pas dès lors étonnant, et il devient compréhensible
que d'une manière instinctive on ait cherché une langue qui pût
être entendue de tous, une langue complémentaire.
Le patriotisme très jaloux de chacune des races qui peuplent
la Macédoine n'aurait permis à aucun des idiomes locaux de
prendre le pas sur les autres. Le français, si largement répandu
dans tout le Levant, se trouvait en quelque sorte tout désigné
pour jouer ce rôle de langue complémentaire; et il le joua de
telle façon que, de langue complémentaire, il devint pour beau-
coup langue principale.
C'est à Salonique que ceci apparaît avec la plus grande netteté.
J'ai, au début de ce rapport, mis le Congrès en garde contre les
données des statistiques faites en Orient. Rien n'est plus signi-
ficatif à cet égard que l'incertitude qui règne au sujel du chiffre
de la population d'une grande ville comme Salonique, incerti-
tude qui s'accroît quand on veut essayer de décomposer celte
population en ses éléments ethniques. Les statistiques donnent
à Salonique, les unes 120.000, les autres luO.OOO, d'aulres
180.000 habitants. La vérité est qu'on ne sait rien de précis.
Les statistiques officielles faites du temps de la dénomination
ottomane sont de pure fantaisie. Il faut espérer que le recen-
sement auquel les autorités helléniques ont procédé donnera
des résultats plus sérieux, encore qu'à mon sens il ait été fait
un peu hâtivement.
Comment se décompose à peu près celte population? La majo-
rité en est Israélite : c'est là un point hors de tout conteste. Il
semble qu'il y ait à Salonique do 70.000 à 80.000 Israélites.
L'élément ethnique le plus nombreux et le plus important est
ensuite l'élément grec qui doit compter de 20.000 à 30.000 res-
00 — Irt-lO SECTION DE PROPAGANDE
sorlissants; la communauté bulgare semble comprendre de
10.000 à 12.000 imités ; les Serbes sont beaucoup moins
nombreux ; les Albanais ne constituent pas une communauté à
proprement parler : il sont assez nombreux mais isolés, divisés
d'ailleurs suivant la religion dont ils relèvent : musulmane,
orthodoxe ou catholique.
Il est entendu, d'autre part, que cette division de la population
de Salonique ne tient aucun compte de la nationalité civile ou
sujétion, qui, en Macédoine, était jusqu'à présent d'importance
secondaire. Ce qui était et est encore essentiel, ce qui différencie
fondamentalement les individus, ce qui constitue le signe qui
permet de les classer dans une des catégories ethniques, c'est la
langue et c'est la religion.
Il convient maintenant d'ajouter aux catégories déjà énoncées
les musulmans, au nombre de 20.000 à 2o.000 ; mais les évé-
nements actuels ont déjà amené parmi eux une émigration assez
considérable. Du reste, la plus grande partie de ces musulmans
ne sont pas des Turcs, ni même dos musulmans purs, mais
appartiennent aux trois sectes très spéciales des dolmés ou
deunmés, juifs convertis à l'islamisme il y a quelque deux siècles,
et que les musulmans ont toujours, d'ailleurs, tenus en défiance
malgré leurs réelles qualités et leur valeur sociale.
Quelque approximative que soit cette statistique rudimentaire,
elle suffit à faire comprendre que jamais les Turcs, en dépit de
leurs efforts, n'ont pu, en Macédoine, imposer l'usage pratique
de leur langue, surtout à Salonique. Le turc y était une des
langues les moins couramment parlées, et la situation de tel vali
quej'ai connu et qui ne parlait que le turc, était vraiment digne
de compassion. Il était véritablement isolé et ne communiquait
avec le pays qu'il administrait que par l'incommode entremise
des drogmans. Son administration s'en ressentait, et on peut dire
que, pendant un séjour de quatre ans, il n'a jamais rien compris
à ce qui se passait autour de lui.
La langue populaire des Israélites est le judéo-espagnol. La
communauté juive de Salonique est issue d'une émigration de
juifs espagnols, chassés d'Espagne par la Sainte Inquisition,
qui se sont établis à Salonique et y ont prospéré. Ils ont gardé
l.E FllANÇAlS DAXS LE MONDE Irt 10 — 91
leur langue d'origine, qui s'est d'ailleurs fortement contaminée
de mots empruntés aux divers idiomes du pays ; elle conserve
cependant en grande partie su physionomie première. Mais
cette langue, comparable à ce qu'est le Yiddish pour les juifs
originaires de pays de langue allemande, toute répandue qu'elle
soit dans le peuple, reste un idiome particulier, une sorte de
patois, que, dans la bourgeoisie, on rougit un peu d'employer.
Elle offre, d'autre part, celte complication qu'elle s'écrit en
caractères hébraïques, si bien que certains la comprennent et la
parlent qui seraient très empêchés de la lire. Cependant il
paraît en judéo-espagnol un journal quotidien et même un
journal hebdomadaire satirique. Mais l'importance de ces
organes est peu de chose, si on les compare au journal quo-
tidien en français V Indépendant, qui exprime les opinions de la
communauté juive et est très répandu à Salonique et en Macé-
doine.
Au fond, l'usage constant du judéo-espagnol est restreint à la
classe ouvrière; mais, même dans cette classe, il est rare qu'on se
contente de cette langue et qu'on n'y ajoute pas la connaissance
plus ou moins étendue du français. Cette diffusion du français
dans les classes pauvres de la communauté Israélite est due aux
efforts incessantsdel'.Xlliance Israélite universelle, dontles écoles
ont rendu et rendent à notre langue en Orient, et en particulier
à Salonique, des services éminents qu'il est de toute justice de
signaler hautement.
Grâce à ces écoles, à Salonique, 5,000 enfants appartenant à
toutes les classes, non seulement apprennent le français, mais
apprennent en français, avec les livres, les méthodes employés
dans les classes primaires de France. Jadis, on parlait assez
couramment l'ilalien i\ Salonique : on constate que dans la classe
(luvrière, chez les portefaix, les pêcheurs, les cochers, les
manœuvres, on en rencontre un certain nombre qui parlent un
peu l'italien, mais ce sont tous des hommes ayant dépassé la
quarantaine. Les jeunes ignorent l'italien et presque tous parlent
le français, et c'est là l'œuvre de l'Alliance Israélite universelle.
Après le judéo-espagnol, il semble bien que la langue la plus
répandue à Salonique, après le français, soit le grec. La commu-
92 — Ia-10 SECTION DE PROPAGAKDE
nauté est nombreuse: le littoral de la mer Egée est exclusive-
ment habité par des populations de langue et de religion
grecques avec lesquelles des relations constantes existent grâce
au mouvement du cabotage, qui est intense.
Au moment où nous nous trouvons et qui va marquer pour la
Macédonie et pour Salonique la date la plus importante de leur
histoire, il est intéressant de fc rendre compte de l'importance
réelle de la langue grecque, qui, parlée par un nombre respectable
d'habitants comme langue maternelle, se répand en raison de
son utilité générale dans le Levant et aussi grâce aux artisans et
aux commerçants grecs, tandis qu'elle pénètre, par les domes-
tiques, dans les familles bourgeoises. Il est hors de doute que,
devenant langue oflicielle, le grec va recevoir un nouveau déve-
loppement. Il me paraît intéressant de relever, au moment où
nous sommes, la situation précise qu'il occupe dans le pays.
L'usage des autres idiomes locaux est restreint aux commu-
nautés qui les parlent: c'est ce qui arrivera de plus en plus pour
le turc; c'est ce qui arrive déjà pour les langues slaves : serbe,
bulgare, qui ne sont pas employées en dehors des communautés
slaves, sauf par ceux qui sont en relations constantes avec ces
communautés; il en est de même de l'albanais.
En résumé, la situation se ramène à ceci: des idiomes locaux,
particuliers à chaque individu selon sa race et sa religion; de ces
idiomes locaux, l'un est très largement répandu en raison de
l'importance numérique de la communauté israéliic, mais il est
sans rayonnement en dehors des milieux Israélites où même il
subit une certaine défaveur. Au contraire, le grec, qui avait déjà,
avant les événements actuels, une certaine importance, puisqu'à
Salonique même plusieurs quotidiens en langue grecque parais-
saient depuis longtemps, est appelé à voir son importance
s'accroître d'une façon considérable dans un avenir très pro-
chain, et, par conséquent, peut-être à entrer, dans une certaine
mesure, en concurrence avec le français.
Quant aux langues européennes, aucune ne peut, même de loin,
lutter avec le français. La plus répandue serait l'italien qui,
comme je l'ai déjà indiqué, a perdu beaucoup de terrain depuis
trente ans. Cependant, l'Italie ne marchande pas l'argent pour
I.E FRANÇAIS DANS r,E MONDE Irt-10 — 93
soutenir ses écoles et doter ses hôpitaux et ses œuvres : elle
dépense presque sans compter, tandis que la France marchande
son concours financier aux œuvres qui propagent notre influence
et liarde alors qu'il faudrait avoir la main largement ouverte.
L'anglais n'est pour ainsi dire pas parlé à Salonique : la
colonie anglaise y est, d'ailleurs, extrêmement réduite; quant à
l'allemand, malgré les relations commerciales qui unissent
Salonique à l'Autriche, il est dans une situation secondaire, en
dépit de deux écoles allemandes dont l'une au moins a une cer-
taine importance et malgré les efforts opiniâtres du llilfsverein
l'iir Jungen Judœeii qui contrecarre obstinément la propagande de
l'Alliance israélite universelle.
Salonique est peut-être — et cela en grande partie par la faute
(lu commerce français — sous la domination économique de TAu-
iriche; mais cette domination ne va pas jusqu'à imposer la
langue. On sait de l'allemand à Salonique, parce que tout Salo-
nicien est peu ou prou polyglotte (tout le monde à Salonique
parle convenablement trois ou quatre langues), mais on n'y parle
pas allemand d'une façon courante.
J'en ai assez dit, nie semble-t-il, pour que l'on puisse déduire
des données précédentes la situation vraiment unique qu'occupe
actuellement le français à Salonique. Les Saloniciens aiment à
répéter qu'il est la vraie langue du pays et jusqu'à un certain
point, peut-être, sont-ils fondés à le dire. Ce qui est certain, c'est
que la langue française est devenue peu à peu plus qu'une
langue auxiliaire : pour beaucoup de Saloniciens elle est deve-
nue la langue principale, celle dans laquelle se formulent tout
naturellement leurs pensées, tranchons le mot ; leur vraie
langue maternelle. II ne faut pas oublier qu'aux 5,000 enfants de
toutes classes qui suivent les cours de l'Alliance israélite univer-
selle, il convient d'ajouter les 660 élèves des établissements de la
-Mission laïque et les élèves des écoles confessionnelles françaises,
dont je ne sais pas le nombre précis mais qui constituent un
noyau fort respectable. Pour tous ces enfants, la langue d'ensei-
gnement est le français. En plus, 8,000 enfants environ, dans les
diverses écoles, apprennent du français : pour un nombre impor-
tant de ces enfants, une partie de l'enseignement est donné en
94 — In 10 SFXTION DE PROPAGANDE
français : ainsi à l'école Téréki<i, école musulmane, le directeur
est Français et les cours techniques sont tous professés en
français. Il en est de môme à l'école de commerce bulgare, à
l'école de commerce roumaine. A l'école allemande,on est obligé
de donner à l'étude du français à peu prés le même nombre
d'heures qu'à l'étude de l'allemand.
La vérité est que, pour un Salonicien, la connaissance du
français est une nécessité, et que cette nécessité, jusqu'à présent,
n'a cessé de s'accentuer, surtout pour quiconque veut, soit se
consacrer aux professions libérales, soit — ce qui est le cas do
presque tous les Saloniciens — entrer dans la banque ou faire
du commerce.
Pour tout cela, la première condition est de savoir le français,
de le parler couramment, de l'écrire correctement..
Telle est, ou plus exactement telle était, au moment où a dis-
paru la domination ottomane, la situation toute spéciale et
vraiment privilégiée de la langue française dans les centres de la
Macédoine et, en particulier, à Salonique. Qae va devenir cette
situation après la révolution profonde qui vient de bouleverser
de fond en comble l'état politique de la Macédoine et va instau-
rer dans ce pays, si profondément troublé jusqu'à présent, un
ordre de choses nouveau? C'est là une question qui vient
tout naturellement à l'esprit et je n'ai pas dessein de l'éluder.
Je demanderai seulement la permission d'être extrêmement pru-
dent à ce sujet, d'abord parce qu'il est toujours dangereux de
prédire l'avenir, et ensuite parce qu'en cette matière très délicate
je ne voudrais froisser aucune susceptibilité.
D'une façon générale, les deux nations alliées dont les armes,
déjà victorieuses des Turcs, viennent encore de triompher dans
la seconde lutte où elles se sont trouvées engagées et qui
semblent devoir se partager la plus grande partie de la Macé-
doine, ont pour la France et pour tout ce qui est français, une
commune sympathie. Elles ne chercheront donc pas, suivant
toute probabilité, à nuire au français et les œuvres qui tendent à
le répandre et à le propager ne semblent pas avoir grand chose
à redouter de l'esprit national dont ces peuples sont tout natu-
rellement animés. En ce qui concerne les Serbes, je sais person-
LE FRANÇAIS DAxNS LE MONDE Ia-10 — 9S
nellement combien ils désirent faire pénétrer la connaissance
du français en Serbie même, et quels sacrifices ils sont prêts à
consentir pour y arriver. Grâce à l'initiative très active et très
éclairée du minisire de France à Belgrade, M. Descos, un
lecteur irançais est attaché à l'Université de Belgrade et plu-
sieurs maîtres français doivent être appelés à enseigner dans les
lycées nationaux serbes.
On est donc fondé à penser que les Serbes, si accueillants au
français, ne lui feront la guerre ni à Uskub, ni à Monastir, où
ils le trouveront installé, et que, dans leurs efforts très légitimes
pour étendre le rayonnement de la langue serbe dans les terri-
toires conquis par leurs armes, ils chercheront peut-être à lutter
contre les idiomes locaux : le bulgare, l'albanais, le koulso-
valaque, sans essayer de porter atteinte au français.
Quant aux Grecs, leurs relations avec la France sont étroites
depuis longtemps. Notre langue est largement répandue en
Grèce, au moins dans la bonne société; il n'y a à craindre, je
crois, de la part du gouvernement hellénique aucune hostilité,
aucune opposition systématique. La sagacité dont il a donné des
preuves si nombreuses dans ces derniers temps est, à cet égard, la
plus sûre garantie. Il faut s'attendre cependant à le voir faire
tous ses efforts pour que la langue grecque agrandisse sa sphère
d'influence dans cette nouvelle Grèce que, par deux fois, les
armes helléniques viennent de conquérir; cela est légitime et
naturel.
Les progrès de l'hellénisme se feront-ils aux dépens du fran-
çais? Il y a de bons esprits qui le prétendent. Ils font ressortir
que l'esprit national, très ardent chez les Grecs, leur fera difiicile-
ment admettre qu'une langue somme toute étrangère garde en
terre grecque la situation que le fi-ançais y a acquise. Il y a tant
de Grecs pour qui le français est une seconde langue maternelle
que ce danger ne me paraît pas bien redoutable, et l'argument
ne me touche guère. Les mêmes esprits un peu enclins au pessi-
misme ajoutent que, si le turc, langue officielle en pays ottoman,
a fait si peu de progrès, cela tenait à ce que c'était une langue
pauvre, difficile, peu pratique à cause de'son écriture surannée,
sans rayonnement, sans utilité véritable. Le grec, infiniment plus
96 — In-10 SECTION DE PROPAGANDE
souple, plus riche, plus facile à apprendre, très répandu dans
tout le Levant, parlé d'Odessa à Alexandrie et même à Marseille,
fera des progrès infiniment plus rapides. Ceci me paraît incon-
testable. Il reste à savoir aux dépens de qui le grec s'étendra.
Certains pensent, non sans raison je crois, que ce sera surtout
aux dépens des idiomes locaux, les seuls dont le nationalisme
grec peut souhaiter la disparition ou la diminution, aux dépens
du bulgare, de l'albanais et peut-être même du judéo-espagnol.
Les Grecs, tout le monde s'accorde à le reconnaître, ont un sens
politique très afîiné : ils sont gens trop avisés pour ne pas com-
prendre qu'ils ont entre les mains, dans les œuvres existantes
qui n'ont à leur égard aucune hostilité, d'admirables instru-
ments de propagation de leur langue ; il ne dépend que d'eux de
s'en servir. Ces œuvres sont assez souples d'organisation pour
pouvoir s'adapter sans peine aux conditions politiques nouvelles
du pays. Elles sont mieux placées que quiconque pour faire
pénétrer parallèlement, dans les milieux où leur influence
s'exerce, la connaissance du grec et du français.
La situation relative du français par rapport au grec se modi-
fiera vraisemblablement, peut-être même assez rapidement. Il
partagera avec le grec la première place, j'admets même qu'il
passera au second rang. Mais la situation absolue restera sensi-
blement la même; il n'y aura pas moins de gens qui parleront
le français; il y en aura peut-être davantage, parce que l'in-
struction se répandra plus largement et qu'une administration
régulière succédera à l'incertitude, au trouble et à l'anarchie qui
caractérisaient la domination ottomane.
Pour peu que la France, de son côté, veuille, avec quelque
énergie, soutenir les efforts de ceux qui travaillent à étendre en
Orient son influence et son doux parler si aimé, si recherché,
pour peu qu'elle dote avec quelque largesse les œuvres, toutes
les œuvres qui se vouent à cette besogne à la fois hautement
patriotique et largement humaine, il y a toute raison d'espérer
que l'influence du français ne subira aucune éclipse sur le litto-
ral occidental de la mer Egée.
II paraît logique que le développement légitime, naturel et
LE FRANÇAIS DANS r.E MONDE Id-lO — 97
désirable de l'hellénisme n'ait d'autre résultat que d'unir plus
étroitement, dans un effort commun pour le plus grand bien de
la civilisation en Orient,,les deux races qui, dans le monde, ont le
plus efficacement contribué à l'émancipation intellectuelle et
sociale de l'Humanité.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Algérie,
Pierre MARTINO,
professeur à la Faculté des lettres de l'Université d'Alger.
Il est assez difficile d'établir, de façon précise, le bilan de la
langue française en Algérie.
Si près que soit l'Algérie de la France, si intimes que soient
les liens de toute nature qui la rattachent à la métropole, elle
n'en est pas moins une colonie, un « pays neuf» aussi, et cela
crée des conditions assez spéciales.
L'élément français est numériquement assez faible en pré-
sence de l'élément indigène et des divers éléments étrangers.
Jusqu'à quel point y a-t-il eu pénétration du premier dans les
seconds ? Qu'appellcra-t-on « langue française « ? Il est peu de
villages indigènes où le voyageur ne puisse se faire comprendre
en français, quand il demandera sa route, le vivre, le coucher,
ou qu'il se mettra en quête des divertissements de la localité !
Mais les deux ou trois dizuines de mots et la quinzaine de
phrases jargonnées qui composent le vocabulaire de ses interlo-
cuteurs doivent-ils être considérés comme un phénomène
d' « extension de la langue française )> ? Tirera-t-on argument
100 — Ia-11 SECTION DE PROPAGANDE
de ce que les contremaîtres français usent du petit nombre de
mots arabes, berbères ou espagnols nécessaires à diriger leurs
équipes d'ouvriers, pour enregistrer un recul de notre intluence?
De même, si les médecins de nos infirmeries indigènes ne
donnent pas toujours, et pour cause, leurs consultations en
français !
Et puis, l'acquisition d'une « langue », à proprement parler,
entraîne celle d'un petit bagage intellectuel. Il semble que les
mots « extension et culture de la langue française » n'aient leur
plein sens que dans des pays de vieille civilisation, ou, pour les
pays neufs, que dans des milieux extrêmement restreints. C'est
encore le cas en Algérie.
Les statistiques vraiment instructives manquent d'ailleurs. On
n'est guère renseigné que sur la population scolaire. 11 faudrait
des enquêtes assez longues, de nombreuses réponses à quelques
questionnaires précis, pour qu'on puisse se montrer aftirmatif.
Actuellement, l'idée même d'une carte d'extension de la langue
française en Algérie serait une absurdité, à moins qu'on ne se
satisfasse de la méthode des atlas scolaires, qui teintent unifor-
mément en violet, comme pays de langue française, uniformé-
ment tout notre territoire colonial !
Enfin, certaines des questions que l'on est amené à envisager,
— et les plus importantes — sont loin d'être résolues. Ainsi,
renseignement des indigènes, c'est-à-dire l'instrument de pro-
pagande le plus efficace peut-être en faveur de notre langue et
de notre civilisation. C'est à peine si l'on vient d'entrer dans la
voie des réalisations ; on discute encore sur les principes, les
programmes, les moyens d'action ; cette question, toute scolaire
au premier abord, est liée à des conceptions générales de poli-
tique coloniale et extérieure ; la polémique s'en est emparée, et
très âprement. 11 serait vain de prétendre poser aujourd'hui des
conclusions, même provisoires.
C'est pourquoi on se bornera, dans ces notes rapides, aux
chifï'res qu'il est difficile de contester et aux appréciations sur
lesquelles tout le monde est à peu près d'accord.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-11 — 101
L'école, à ses divers degrés, étant, dans un pays neuf, oîi il n'y
a pas de tradition ancienne de culture, le principal instrument
d'extension de la langue nationale, c'est d'elle surtout qu'il sera
question.
L'enseignement européen comprend, en Algérie, les trois
degrés : l'enseignement supérieur, le secondaire et le primaire.
De l'Université d'Alger, il y a peu de chose à dire. Elle est de
création toute récente (1909), bien que des écoles d'enseigne-
ment supérieur aient été créées dès 1879. Cette jeune université
est encore à la période de début : elle s'oriente, elle complète
ses enseignements, et les assemblées locales lui consentent
volontiers les crédits nécessaires. Il semble qu'elle doive gran-
dir très vite; ni les objets d'étude, ni les étudiants ne lui man
quèrent; elle sera bientôt un centre considérable de culture et
de science françaises.
La Faculté des lettres, dont le rôle est particulièrement inté-
ressant au point de vue de l'extension de la langue française, a
besoin de quelques enseignements nouveaux. Depuis quatre ans,
le recrutement de ses étudiants s'est amélioré de façon sensible.
Ses cours publics sont très suivis. Elle a commencé une cam-
pagne d'extension universitaire dans les trois départements algé-
riens. Il est souhaitable qu'on lui permette, comme elle l'a
demandé, de se créer une clientèle parmi les étrangers qu'attire
l'hiver algérien.
L'enseignement secondaire public — et il ne rencontre guère
de concurrence — est fortement organisé en Algérie. Il y avait,
en 1912, dans les lycées et collèges, 4,735 garçons et 1,544 jeunes
filles. Les résultats de l'enseignement sont sensiblement les
mêmes que dans la métropole. Des progrès importants ont été
réalisés, dans les dernières années, particulièrement en ce qui
concerne la langue française. Il serait toutefois souhaitable
qu'un nombre un peu plus grand d'heures fût accordé au fran
çais, notamment dans la section sans latin. Un certain nombre
d'élèves arrivent au lycée assez mal préparés; et les programmes
trop lourds de sciences et de langues vivantes les empêchent de
102 — I((-ll SECTIOiN DE PROPAGA.NDE
travailler le français, comme il serait nécessaire. En général les
élèves ne lisent pas assez d'eux-mêmes : il faut les faire lire au
lycée. A Tunis, où l'organisation universitaire est plus souple,
on a pu, et avec de très remarquables résultats, augmenter le
nombre des heures de français, et consacrer les nouvelles heures
principalement à des lectures dirigées.
Il y avait, en 1912, six écoles primaires supérieures de gar-
çons, avec 709 élèves, et quatre écoles de filles, avec 546 élèves.
D'autres écoles vont être incessamment créées. Le succès de ces
établissements est considérable, L'Université d'Alger a organisé,
depuis quelques années, des cours spéciaux pour la préparation
du personnel enseignant de ces écoles ; elle contribue ainsi à
permettre un excellent recrutement des maîtres.
En 1912, la population scolaire des écoles primaires euro-
péennes a été, pour les garçons, de 72,696, dont 36,120 Fran-
çais et 8,966 Israélites ; et de 69,160 filles, dont 37,150 Fran-
çaises et 8,684 Israélites. Il faudrait ajouter à ces chiffres celui
des élèves français dans les écoles indigènes, et la population
scolaire des territoires du sud (4,0S2 élèves) en grande majorité
indigène, il est vrai.
Les écoles algériennes regorgent d'élèves ; il n'y a pas assez
d'écoles. Rien qu'à Alger, 2,100 Européens ne peuvent, faute de
place, fréquenter l'école. Il y a là une question un peu inquié-
tante. On calculait, en 1911, qu'il faudrait créer immédiatement
au minimum 433 classes d'Européens, et trouver d'ici à vingt
ans 1,300 instituteurs et institutrices, tant pour les classes
anciennes que pour les nouvelles. Or, la crise du recrutement
du personnel primaire est plus forte peut-être en Algérie qu'en
France ; on a bien de la peine à recruter le personnel actuel.
En 1910, le nombre des conscrits illettrés du contingent
algérien était de 603 sur 6,541, soit 10 p. c. environ. On travaille
à développer les cours d'adultes et les œuvres post-scolaires.
Elles sont partout accueillies avec grande faveur. La population
européenne d'Algérie est très désireuse d'instruction.
I.E FAANÇAIS DANS I.K MONDE Ia-11 — 103
Les indigènes profitent peu de l'enseignenienl supérieur. Il y
i bien, à la Faculté de médecine, des candidats aux fonctions
d'auxiliaire médical indigène : et, à la Faculté des lettres, des
candidats aux brevets et diplômes de kabyle et de berbère. Mais
ces enseignements ne contribuent que bien indirectement à l'ex-
tension de la langue française. Les élèves de la Médersa d'Alger
suivent à la Faculté de droit un cours spécialement organisé
pour eux. Quelques rares indigènes sont devenus avocats, méde-
cins, professeur d'arabe ou de bei'bère.
La statistique des étudiants à l'Université d'Alger comptait,
en 1913, sous la rubrique a Continent africain » : Droit, 7 étu-
diants; Médecine, S; Sciences, i; Lettres, 17. Mais, pour des
raisons trop longues à expliquer, cette statistique ne donne
qu'une idée imparfaite des étudiants indigènes qui fréquentent
l'Université.
Les Médersas d'Alger, Tlomcen et Constantine ont un ensei-
gnement du français régulièrement organisé; elles ont une action
efficace, mais sur un milieu restreint, celui des fonctionnaires
indigènes.
L'enseignement secondaire reçoit un certain nombre d'élèves
indigènes. En 1912, il y avait, dans nos lycées et collèges,
22umusulmans et 30 musulmanes. Il est rare que ces élèves pro-
filent beaucoup de leurs études. Il y a eu de très belles excep-
tions, notamment parmi les Kabyles. Du moins, ces jeunes gens
et ces jeunes filles acquièrent ils, au contact de leurs camarades
européens, une pratique assez familière de la langue française.
Jusqu'à ces derniers temps, l'envoi d'un'certain nombre d'indi-
gènes dans nos établissements secondaires a été surtout une
mesure de politique indigène. Il y a là, d'ailleurs, une ques-
tion pédagogique très controversée.
L'enseignement primaire indigène est en voie de réorganisa-
tion et soulève de grosses questions, très épineuses, qu'il n'est
pas de notre domaine d'aborder; aussi devons-nous nous borner
à des chiffres extrêmement sommaires qui donneront idée de
ce qu'on a commencé à faire et de ce qui reste à entreprendre.
La population scolaire indigène possible est aujourd'hui, rien
que pour les garçons de 330,000 environ. Or, en 1912, il y
104 — Ia-11 SECTION DE PROPAGANDE
avait dans nos écoles (écoles d'Européens et écoles d'indigènes)
39,417 garçons et 3,497 filles, soit 42,614 élèves. Il faut ajouter
les 4,0S2 élèves des territoires du sud, en majorité indigènes.
Il y en avait 3,172 en 1882, 12,263 en 1892, 27,448 en 19U3.
Les progrès sont sensibles, mais on voit l'énorme disproportion
qui existe entre le résultat et le but.
L'enseignement primaire indigène a été particulièrement
développé en Kabylie. C'est d'ailleurs peut-être un bon système,
encore qu'il ne soit pas reconnu comme tel par tout le monde.
Les zones où les indigènes sont en relations constantes, déjà
anciennes, avec les Européens, permettent des réalisations plus
immédiates.
Actuellement, sur l'invitation de la métropole, on procède en
grand. Le programme est de créer par an 22 écoles indigènes
proprement dites confiées à des maîtres français ou indigènes,
et SO écoles préparatoires confiées à de simples moniteurs indi-
gènes. On a dû réduire les ambitions pédagogiques et se borner
à souhaiter que nos élèves puissent suivre une conversation
simple, rédiger une lettre, faire un compte, et avoir idée de ce
qu'est la France. Cela serait déjà très beau. Mais de grosses
difficultés empêchent la réalisation normale de ce programme.
On trouve bien de l'argent pour construire des écoles, mais on
ne trouve pas des maîtres pour y enseigner ; et les « moniteurs
indigènes » n'offrent pas toujours, même au point de vue de la
connaissance du français, les garanties qu'on est en droit
d'attendre d'eux.
La métropole sera obligée de reconnaître d'ici peu que l'effort
qu'elle a demandé à l'Algérie de faire en quelques années était
impossible. Il faut lui substituer une action plus modeste, plus
rationnelle, plus méthodique. Les résultats seront aussitôt plus
sérieux.
Ils sont déjà fort honorables, si l'on considère les grosses
difficultés de l'entreprise.
La culture et l'extension de la langue française se heurtent
en Algérie à un certain nombre d'obstac es.
I.E FRANÇAIS DANS I-E MONDE lo-ll — lOf)
D'abord, la présence des éléments étrangers : Espagnols,
Italiens, Maltais, etc. C'est là non seulement un obstacle
linguistique, mais un très gros problème politique. En 1912,
il y avait, dans les écoles primaires de garçons d'Algérie,
22,331 étrangers contre 30,120 Français, et, dans les écoles de
filles, 21,7oo contre 37,150. Dans le département d'Oran, le
nombre des Espagnols est considérable; il paraît que certains
Conseils municipaux délibèrent en espagnol; « on répugne à la
création d'une école normale d'instituteurs à Oran, parce qu'on
y trouverait assez, vite une notable proportion d'Espagnols de
fraîche naturalisation ».
Il y a aussi ce qu'on pourrait appeler, au point de vue de la
langue française, des demi-étrangers, savoir : une notable partie
de la population Israélite, fort peu cultivée, elles néo-Français
dont la naturalisation remonte à une ou deux générations.
Les enfants appartenant à ces deux grou|ies, même s'ils
fréquentent l'école, apprennenfdifficilement le français, car ils
ne le parlent guère qu'aux heures de classe. Chez eux, on parle
à peu près exclusivement l'espagnol, l'italien, un patois Israélite^
ou mieux un français terriblement intluencé par ces langues et
par le sabir franco-indigène.
Cela est sensible même cher quelques-uns des jeunes gens
qui fréquentent ce lycée. On a dû même se préoccuper dans les
milieux universitaires du danger que courait, de ce fait, le
français. 11 est arrivé fréquemment, dans les dernières années,
que des jeunes gens, écrivant incorrectement le français, étaient
reçus au baccalauréat (latin-langues ou sciences-langues), grâce
à l'excellente note que leur valait la connaissance d'une langue
qui était pour eux comme maternelle, l'espagnol, l'italien, ou
bien grâce à l'arabe qui est admis dans l'Académie d'Alger
comme langue unique, en place des langues requises d'une
manière générale. Il y a eu une réaction heureuse; et ces faits
sont devenus rares. Néanmoins, les membres des jurys de bacca-
lauréat ont unanimement demandé : 1» que la note de français,
à l'écrit, fût éliminatoire au-dessous de ^ sur 20; 2" que le
coefficient de l'épreuve de français fût augmenté, notamment
dans la série sciences-langues. En outre, on a hésité jusqu'à
106 — I«-ll SECTION DE PROPAGANDl;
présent à organiser très régulièrement l'enseignement de l'espa-
gnol et de l'italien dans les lycées et collèges, du moins on ne l'y
enseigne pas comme langue principale, mais comme « seconde
langue ».
Du fait de la coexistence des parlers étrangers et indigènes, la
langue française a subi en Algérie un certain nombre de très
curieuses déformations. Dans les milieux populaires des grandes
villes, notamment à Alger, il s'est constitué une manière de
langue fort savoureuse, où le vocabulaire s'est enrichi de mots
plus ou moins espagnols, italiens et autres, et dont la syntaxe
est fort entachée de tourimres familières aux langues méridio-
nales. C'est le « cagayous »; un écrivain algérien, Musette,
en a donné d'amusants spécimens. Même dans les milieux
cultivés, il y a un certain nombre de déformations de la langue
quasi passées dans l'usage. Les professeurs de lycée ont à
corriger fréquemment des expressions que n'entendent certes
point ou n'ont pas à lire leurs collègues de France.
Il faut avouer, d'ailleurs, qu'un certain nombre de ces défor-
mations sont logiques et s'expliquent par le fait que le français
a été, en Algérie, une langue plus « vivante », plus uniquement
« parlée » qu'en France, peu « écrite », très peu lue. Dans ce
pays neuf, la langue actuelle est replacée dans quelques-unes
des conditions où elle se trouvait en France, il y a quelques
siècles. 11 tend à se constituer un français légèrement différent
de la langue d aujourd'hui, comme l'est celui des Canadiens, ou
celui que l'on parle à Constantinople, dans Péra.
Il y a là une étude extrêmement intéressante que j'espère
mener à bien, d'ici quelques années, avec le concours des
étudiants et des anciens étudiants de la Faculté des lettres.
Un autre obstacle existe à la culture de la langue française en
Algérie, qui diminue de jour en jour, ce sont les conditions du
milieu, qui se retrouvent d'ailleurs pareilles dans tous les pays
neufs. Les premières générations de Français et de néo-Français,
établies dans une colonie, se trouvent aux prises avec trop de
dithcultés, elles ont à soutenir une lutte trop incessante,
pour qu'il leur reste toujours le temps de songer à leur culture
intellectuelle; ce n'est pas, la plupart du temps, en se servant du
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE I«-ll — 107
français que les colons et les commerçants ont conquis la
fortune, ou simplement l'aisance; ils n'ont guère de curiosités
de lecture, ni beaucoup de velléités artistiques; ils ont tendance
à mépriser toutes les activités qui ne tendent pas uniquement à
gagner de l'argent. La culture, même quand elle n'est pas
poussée très loin, demande des traditions familiales et une
stabilité de situation qui ne se réalise, dans les colonies, qu'au
bout de quelques générations; elle demande des loisirs, que
seules peuvent donner une vie moins hasardeuse et l'aisance.
Mais, depuis un certain nombre d'années déjà, les jeunes
générations algériennes commencent à bénéficier du dur effort
des précédentes ; nombre de parents, parmi les néo-Français, qui
parlent mal notre langue, tiennent à ce que leurs enfants aient
l'éducation qu'ils n'ont pu eux-mêmes se donner; et ils s'im-
posent de grands sacrifices. On voit des familles où le grand-père
ne parle pas français, où le fils jargonne notre langue, et où le
petit-fils la parle aussi bien que ses camarades de vieille souche
française.
La prospérité merveilleuse de l'Algérie, depuis un certain
nombre d'années, a accentué ce mouvement d'assimilation. Il
suflîrait de constater le repeuplement soudain de collèges qui
semblaient près de mourir, ou l'afflux d'élèves dans les écoles
primaires supérieures de l'intérieur.
Cet enrichissement de l'Algérie aide évidemment à généraliser
des aspirations vers une large culture artistique et littéraire, qui
étaient assez clairsemées autrefois. La langue française, étant le
principal instrument de cette culture, est appelée à bénéficier de
cette transformation. On lit beaucoup plus; on se tient au cou-
rant dos productions de la littérature contemporaine en France.
Les registres de commandes des librairies sont curieux à feuil-
leter, si on les compare à ce qu'ils étaient il y a quelque trente
ou quarante ans. Des revues locales se publient, et avec assez de
succès: il y a, comme en France, d'éphémères revues de jeunes
écrivains et de poètes locaux. Un certain nombre de sociétés
108 — Ia-11 SECTION DE PROPAGANDE
savantes ou littéraires entretiennent une activité intellectuelle, le
plus souvent de bon aloi. La Société des Amis de l'Université
d'Alger a entrepris depuis quelques années, jusque dans les
petits centres, une campagne intéressante.
Y a-t-il une « littérature algérienne »? Elle est surtout consti-
tuée par les impressions de voyage et les romans, assez médio-
crement exotiques, des Français de la métropole. Un certain
nombre d' « Algériens », Louis Bertrand, Isabelle Eberhardt,
R. Randau, etc., ont composé sur l'Algérie de belles œuvres.
Mais les jeunes gens qui se sentent des dispositions à écrire, soit
poètes, soit dramaturges, soit romanciers, sont vite tentés par
Paris, et s'ils ne renient pas tout à fait l'Algérie, ils n'en subissent
guère l'influence. La centralisation parisienne de la culture agit
en Algérie comme partout en France.
Il est symptomatique que, en l'année 4913, une municipalité
algérienne, tout près des marches marocaines, dans une région
qui paraissait surtout le royaume des conquistadores, des grands
spéculateurs et des brasseurs hâtifs d'affaires, ait voulu faire
revivre l'institution des jeux floraux ! La grâce un peu vieillotte,
et bien délicate, de l'églantine d'or résistera-t-elle à celte rude
transplantation? C'est, en tout cas, unefaçon jolie d'atlirmer que
l'Algérie a de plus en plus le désir de participer à la culture
française, et de s'incorporer étroitement, par l'intelligence, par
la poésie et par Fart, aussi bien que par l'activité économique et
le dévouement patriotique, au domaine de la plus grande
France.
I. — SECTION DE PROPAGANDE
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDB.
La langue française en Egypte,
FERNAND braun,
avotat à la Cour, directeur de la Bourse égyptienne, à Alexandrie.
11 semblerait qu'après trente ans d'occupation britannique en
Egypte, le français eût dû depuis longtemps céder, sur les bords
du Nil, le pas à la langue rivale. Or, il n'en a rien été. L'étude de
l'anglais s'est étendue uniquement dans les écoles ofticielles,
c'est-à-dire celles qui dépendent directement du ministère de
l'Instruction publique. Dans ces écoles, on peut dire que le fran-
çais n'est plus étudié du tout; les dernières sections où cette
langue était en honneur, et qui subsistent aussi bien dans les
écoles secondaires que supérieures, ont toute chance d'être sup-
primées avant peu.
Jusqu'à il y a une vingtaine d'années, notre langue était, pour
ainsi dire, la seule que les Egyptiens étudiassent en dehors de
l'arabe, leur langue maternelle. L'antagonisme entre les deux
langues européennes citées n'est entré dans une période aiguë
qu'au moment où les relations politiques des deux pays riverains
de la Manche se sont tendues. L'Egypte a toujours été, on le sait,
le champ clos de la rivalité anglo-française, depuis 1882 jusqu'à
110— la 12 SECTION DE PROPAGANDE
l'entente cordiale. Mais, depuis cette première date jusqu'en 1896,
l'administration britannique, préoccupée uniquement de ramener
en Egypte l'ordre dans les finances et d'améliorer les conditions
de l'agriculture, ne s'est pas souciée activement du point de vue
intellectuel. Le Ministère de l'Instruction publique subissait pro-
fondément l'infiuence des idées françaises, tant à la suite de la
présence de ministres égyptiens ayant reçu une éducation fran-
çaise que de celle d'un personnel enseignant en majorité français
ou de langue française. L'école normale de Tewfikich, où se for-
maient les professeurs, était dirigée par un de nos compatriotes,
et le français était à la base de l'enseignement.
Lorsque le représentant britannique eut accompli la plus
grande partie de la tâche matérielle qu'il s'était assignée, il songea
à donner droit de cité à l'anglais dans les écoles gouvernemen-
tales. Petit à petit, des professeurs anglais remplacèrent leurs
collègues français, qui furent mis à la retraite, et, à l'beure
actuelle, l'enseignement officiel égyptien est entièrement l'apa-
nage de maîtres et inspecteurs d'oulre-Manche.
Il faut noter maintenant que notre langue a toujours été main-
tenue comme langue officielle aux examens, c'est-à-dire que les
candidats aux diplômes délivrés par l'État peuvent « composer »
soit en français, soit en anglais; je ne dis rien de l'arabe qui est
la langue du pays. Ainsi, il existe encore présentement, à chaque
session du baccalauréat ou des certificats primaires, deux jurys
d'examen, mais il serait oiseux d'insister sur le fait que les élèves
se présentant dans les sections anglaises, sont cinq à six fois
aussi nombreux que les autres.
Le contingent des élèves de la section française est fourni par
les écoles libres qui ont toujours joué, dans l'Orient en général,
et en Egypte en particulier, un rôle considérable, et ont aidé effi-
cacement à la diffusion de notre langue et de nos idées. Jusqu'à
la génération précédente, et en grande partie aujourd'hui aussi,
les familles dirigeantes, l'élite de la population, ont confié et
confient l'instruction de leurs enfants aux écoles libres.
La majorité de ces écoles est congréganiste, mais, en dépit de
leur caractère confessionnel, la population leur a toujours été
sympathique et le nombre de leurs élèves n'a cessé de s'accroître.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-12 — IH
Les lycées et collèges laïques ont d'ailleurs aussi joui de la même
faveur, et l'on peut énoncer comme un fait d'expérience constante
que toute institution de langue française sérieusement menée a
pu se maintenir et progresser. Les lycées français du Caire,
d'Alexandrie et de Port-Saïd, fondés récemment sous l'égide de
la mission laïque, voient le nombre de leurs élèves s'accroître
sans cesse et la vogue en leur faveur ne diminue nullement, tandis
que, fait digne de remarque, le grand collège anglais Victoria,
d'Alexandrie, patronné par les hautes personnalités anglaises,
n'a, pour ainsi dire, pas eu de succès.
Les écoles libres françaises étaient, d'après les statistiques ofli-
cielles du gouvernement égyptien, à fin 1908, sur le territoire
égyptien, au nombre de 137, et comptaient 17,805 élèves
(10,485 garçons et 7,320 filles). En 191 2, le nombre de ces écoles
a passé à 152 et le nombre d'élèves à 21,019 (12,703 garçons et
8,716 filles). La progression est rapide, on le voit.
Le nombre des élèves fréquentant, en 1908, les écoles de langue
anglaise (anglaises et américaines) était de 14,527 et, en 1912,
de 17,302.
Mais la langue française est étudiée sur une grande échelle dans
les institutions qui ne sont pas de nationalité française, et, dans
les nombres cités plus haut, nous n'avons compris que celles-là.
Mais, pour n'en donner qu'un exemple, dans les écoles des com-
munautés Israélites du Caire et d'Alexandrie, près de 4,000 élèves
étudient le français comme langue base de l'enseignement.
La population scolaire d'Egypte étant évaluée à 150,000 élèves,
on peut dire que les trois cinquièmes étudient notre langue et
nous croyons que leur nombre ne fera que s'accroître pour les
motifs suivants :
Ue par sa situation géographique, l'Egypte ne peut être qu'un
pays cosmopolite. Il en a été ainsi de toute antiquité et les évé-
nements modernes n'ont pas démenti cette tendance. Or, en
dehors de la langue arabe qui n'est parlée que dans les milieux
indigènes, il faut à cette population hétéroclite une langue auxi-
liaire, qui permette à toutes les fractions de s'entendre entre
elles. Grâce à l'influence que la France a eue en Egypte, depuis
l'expédition de Bonaparte, c'est notre idiome qui a été parlé de
112 — Ia-12 SECTION DE PROPAGANDE
préférence sur les bords du Nil, el c'est vers la France que tous
les vice-rois d'Egypte se sont retournés pour lui demander des
éducateurs. C'est donc la France qui a pu avoir la plus grande
influence sur les esprits au pays de Pharaon, et qui l'a eue, sans
conteste, jusqu'au moment où les événements ont donné à
l'Angleterre la prépondérance politique dans la vallée du Nil.
On ne saurait nier, toutefois, qu'un danger considérable y
guette la ditîusion et la situation de notre langue. A l'heure
actuelle, il existe encore en Egypte des institutions interna-
tionales, comme la Municipalité d'Alexandrie, la Caisse de la
Dette publique, le Conseil sanitaire maritime et quarantenaire
et surtout les tribunaux mixtes, où toutes les discussions, plai-
doiries, etc., se font en français Ces institutions sont des citadelles
importantes qui servent à défendre notre langue, mais, l'une
après l'autre, elles sont appelées à disparaître à mesure que
l'Angleterre le demandera à une Europe gagnée, pour ainsi dire,
à l'avance à ces concessions.
D'autre part, et c'est là, à notre avis, le danger le plus inquié-
tant, le nombre d'illettrés diminue chaque année en Egypte,
grâce aux sacrifices que s'impose le gouvernement pour assurer
l'instruction au peuple égyptien. A l'heure actuelle, la dispro-
portion entre la population des écoles libres et celle des écoles
ofticielles n'est pas assez considérable pour assurer à celles-ci
une supériorité écrasante du nombre sur celles-là. Mais, du jour
où s'opérera la diffusion intensive de la langue anglaise par la
création d'écoles dans tous les centres habités de l'Egypte,
quand on pourra décréter, dans ce pays, l'instruction gratuite et
obligatoire, et quand, par ce fait, des millions d'Égyptiens
apprendront l'anglais à l'école, notre idiome courra grand
risque d'être submergé, et toutes ses qualités ne suffiront pas à
le sauver, sinon d'une disparition totale, tout au moins d'une
éclipse redoutable.
Le remède consisterait naturellement à créer des écoles fran-
çaises partout où cela est possible, ou tout au moins de procurer
aux écoles libres indigènes, dont le nombre s'étend, des profes-
seurs de français. Beaucoup d'entre elles n'auraient pas le
moyen de se payer d'elles-mêmes le luxe d'un pareil collabora-
I.E l'KANI.lAlS DANS I.K MONDE In-12 —113
tour, mais, en y contribuant par des subventions obtenues j,'ràce
à l'entremise de l'Alliance française ou d'autres sociétés poursui-
vant le même but (nous ne disons rien du gouvernement fran-
çais qui pourrait sûrement être en l'occurrence d'un grand
secours), il serait, croyons-nous, possible de conserver, en
Egypte, à notre langue, le rang prépondérant qu'elle y a toujours
occupé et qui fait ressembler ce pays, à l'heure actuelle, bien
plus à une colonie française qu'il une colonie britannique.
Pour terminer cette note trop brève à notre gré, il nous
sutlira de mentionner qu'on compte à Alexandrie et au Caire
neuf journaux quotidiens de langue française, et un à Port-Saïd,
tandis qu'il n'existe, en tout, que trois journaux anglais, et encore
sont-ils obligés de publier une édition française. F^e Journal
officiel du gouvernement égyptien paraît en français et en
anglais.
Uuant à la librairie, l'importation des ouvrages littéraires et
scientifiques français est de beaucoup la plus considérable, et
l'on peut dire que les deux tiers de ce commerce si intéressant
soiit entre nos mains.
En résumé, l'Egypte ofïrc encore à la culture française un
vaste champ d'action. Grâce à leurs affinités naturelles, les Égyp-
tiens auront toujours une plus grande sympathie pour nos idées
et nos mœurs, et, par le traité de 1904, celui de l'entente cor-
diale, l'Angleterre s'est engagée à respecter les institutions
scolaires placées sous notre égide.
Ayant renoncé à la lutte politique sur les bords du Nil, il
est toujours loisible h la France, et sans s'écarter des accords,
de continuer le bon combat intellectuel et de contribuer pour
sa part à faire acquérir à l'Egypte, avide de progrès, les bienfaits
de la civilisation européenne par le véhicule de la langue et des
idées françaises.
1. — SECTION DE PHOPA(iANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La Langue française en Alsace-Lorraine,
Anselme LAUGEL.
La question (h' l'eiiinisiiin et (h' la culture de la langue Irançaise
«'M Alsace-Lorraine est une de celles qui nous préoccupent le
plus; et son règlement donne lieu à d'infinies difficultés.
!.,oin d'attacher à cette question une portée exclusivement poli-
lique, nous ne l'envisageons qu'au point de vue économique ou
littéraire. Nous prétendons, que dans un pays frontière, la con-
naissance des langues parlées dans les régions limitrophes est
absolument indispensable, et qu'on Alsace-Lori-aine le français
et l'allemand, quoique d'un inégal usage, rendent des services
égaux. Nous prétendons, d'autre part, qu'il serait coupable de
priver les Alsaciens-Lorrains du plaisir qu'ils prennent à une
langue spirituelle, claire et plus capable que l'allemande de
rendre les finesses et les délicatesses de l'esprit.
S'inspiranl de ces idées, noire ancien parlement, le Landes-
au.sschuss , a bien souvent émis le vœu que l'on rétablisse l'ensei-
gnement du français dans les écoles primaires. Pourquoi,
disait-on, ne pas suivre l'exemple du gouvernement français qui
146 — Ia-13 SIXTIOX DE l'ItOPAGANDE
n'hésitait piis à pcniieltrc l'enseignement de l'nlleniand? Bien
que constituant la langue ofliciclic, le français n'était pas,
avant 1870, regardé par rautorlté comme la seule langue néces-
saire : on faisait une large part à l'allemand. Un opuscule récent
de M. le professeur Hans Kaiser, directeur des archives dépar-
tementales de la Basse-Alsace, tend bien à démontrer que l'ad-
ministration françaises cherchait, par tous les moyens possibles, à
réprimer l'usage de la langue allemande en Alsace; mais la thèse
soutenue par M. Kaiser a été combattue avec succès dans le der-
nier numéro des Cahiers Alsaciens, où il est dit que «les fonction-
naires de l'instruction publique, à l'époque française, ne consi-
déraient pas l'enseignement comme un moyen d'imposer une
nationalité à une population qui n'en voulait pas. La France
avait attendu près de deux siècles avant de s'appliquer à intro-
duire sa langue en Alsace, et elle y avait gagné les cd'urs sans
recourir à cet expédient. Le corps enseignant et l'administralion
ne ressentaient aucune animosité historique ou politique contre
l'usage de la langue allemande. Leurs représentants n'eurent
d'autre objectif que d'api)rendre la langue nationale à des enfants
qui avaient besoin de la savoir et dont les parents étaient heu-
reux et fiers d'être français ; et, dit encore à ce sujet M. Fritz
Eccard ('), si quelques rares administrateurs et universitaires
par trop zélés et peu au courant des choses d'Alsace, préconi-
sèrent, il est vrai, la suppression progressive de l'enseigncipent
allemand, l'inlluence d'hommes mieux informés et la force
même des choses ont empêché ces efforts d'aboutir et ont fait
prévaloir la méthode des deux langues, méthode qui donnait tant
d'excellents résultats. »
C'est le rétablissement de ce régime si libéral introduit autre-
fois chez nous par l'administration française que nous deman-
dons, et nous ne voyons pas pourquoi l'Allemagne ne montre-
rait pas, pour les habitudes et le développement des Alsaciens-
Lorrains, cette sollicitude que témoignait autrefois la France.
Ou plutôt je me trompe : nous ne voyons que trop clairement les
desseins que poursuit l'Allemagne, dont les hésitations à suivre
(*) La langue française en Alsace, par M. Fritz Eccaid.
r.E FHAXÇAIS DANS I.E MONDE 1(1-13 — 117
l'exemple donné anlrefois par la France sont dues à des considé-
rations d'ordre tout politique : elle craint l'intluence que, par la
langue, l'esprit français pourrait prendre sur l'esprit alsacien; et,
(;onime le dit encore M. Fritz Eccard, il lui paraît inadmissible
(jue la jeune génération, et notamment les élèves des écoles supé-
rieures et les -référendaires, parlent le français entre eux, et
l'emploi de la langue welche est pour elle un signe incontestable
d'hostilité à l'Allemagne.
Mais ces craintes, cette méfiance de l'Allemagne à l'égard du
français sont vraiment bien puériles.
Il est vrai que l'Alsace Lorraine a été, en 1871, incorporée à
l'Allemagne dont elle fait partie intégrante; mais croit-on
qu'elle acceptera plus volontiers le régime nouveau auquel elle a
été soumise parce qu'on la mettra dans l'incapacité de lire ou
d'écrire le français? Ce n'est pas en français que se prononcent, au
parlement, les plus violents réquisitoires, et ce n'est pas non plus
en français que s'écrivent, dans les journaux et dans les revues,
l(^s diatribes les plus acerbes contre l'administration allemande.
Le cœur est plus fort que la langue, et il saura, en Alsace-Lorraine,
se servir même de l'allemand pour donner à ses sentiments une
expression à laquelle personne ne pourra se méprendre. Ce n'est
donc que par un inutile accès de mesquine mauvaise humeur
que l'administration, mal renseignée, prit contre l'enseignement
du français des mesures prohibitives.
(Jrâce toutefois à la ténacité de nos députés, la situation, dans
ces derniers temps, s'est améliorée : « Il y a quinze ans, dit le
Nouvelliste du i septembre dernier, le français était presque
complètement proscrit. Dans les écoles normales d'instituteurs,
les élèves se faisaient tous dispenser du cours de français avec la
complicité, pour ne pas dire davantage, de leurs maîtres, dont
la plupart étaient, eux-mêmes, incapables de soutenir la moindre
conversation française, bans les lycées, l'enseignement du fran-
çais fait à la manière de l'enseignement des langues mortes,
était, presque, partout, conlié à des maîtres immigrés qui, eux
aussi, ne possédaient que de la façon la plus imparfaite la langue
qu'ils étaient chargés d'enseigiKM*. Les leçons particulières ne
pouvaient être données que par des professeurs oHiciels, et le
H8 — Inl3 SECTION DE PROl'AGANDE
nombre des élèves qu'il leur était permis de réunir restait stric-
tement limité. Mais, grâce aux protestations répétées du parle-
ment, l'enseignement du français est aujourd'hui organisé d'une
façon plus rationnelle et plus conforme à nos intérêts. Dans les
écoles normales, le français fait obligatoirement partie du pro-
gramme; dans les collèges, l'enseignement du français est géné-
ralement confié à des professeurs indigènes qui possèdent cette
langue à fond; les communes peuvent, en dehors des heures de
classe, organiser des cours de français sans limitation du nombre
des élèves. Chaque personne donnant les garanties morales
suffisantes est autorisée à donner des leçons particulières, et si
tous nos vœux ne sont pas encore, il est vrai, réalisés, parce que
le français ne figure pas encore au programme de l'école pri-
maire, il n'en est pas moins vrai que des progrès considérables
ont été réalisés, et cela uniquement parce que le parlement n'a
cessé de lutter.»
Il serait donc permis d'espérer une amélioration complète et
une réalisation absolue de nos vœux, si, malheureusement, un
facleui' funeste n'intervenait pas constamment pour paralyser,
non pas nos efforts, à nous, mais la bonne volonté que l'admi-
nistration serait, peut-être, disposée à nous témoigner.
A côté de l'impérialisme officiel du gouvernement, on dis-
tingue, en effet, en Allemagne, un autre impérialisme, qui est
plus puissant que le premier, et dont l'importance augmente
chaque jour : je veux parler du pangermanisme.
Les prétentions pangermanistes (uit été, bien souvent, déffnies
par (les auteurs autorisés, et je n'ai pas besoin de rappeler que
l'annexion à l'Allemagne d'une grande partie de la France et de
ses colonies, de la Belgique et de la Hollande fait partie des
revendications du pangermanisme qui modifie à sa guise la carte
de l'Europe, déplace les frontières et bouscule les nationalités
et les races, sans i-éfléchir qu'il n'est pas seul au monde, sans
songer que la destinée des peuples dépend d'autres consente-
ments que du sien.
liCs pangermanistes ne forment pas, à proprement parler, nn
parti : ils sont les partisans d'une doctrine violente et exaltée
que l'outrecuidance prussienne a imposée à un grand nombre
I.E FRANÇAIS DANS l,F. MONDE Ia-13 — 119
(l'Alleniands de toutes les opinions et de tous les pays. Le pan-
germanisme est un état d'àme dangereux, une sorte de folie des
grandeurs qui semble devenir contagieuse et qui pourra, avec le
temps, menacer le repos de l'Europe.
Les idées du pangermanisme tinissent, presque toujours, par
être adoptées par le gouv<'rnement, et c'est là ce qui le rend par-
ticulièrement redoutable. Mon ami, M. Helmer, qui est en même
temps notre collègue, a fait publier une étude très intéressante
sur cette question et montré avec une grande netteté comment,
peu à peu, les idées les plus hasardées émises par le pangerma-
nisme sont acceptées par l'opinion publique, et, finalement, par
le gouvernement impérial qui règle sur elles sa conduite.
^lais je ne veux pas oublier qu'il ne peut s'agir, aujourd'hui,
([ue de la libre extension du français, et que je ne dois vous
entretenir que de l'Âlsace-Lorraine : je me contenterai donc de
retracer, en deux mots, les théories que professe, à ce sujet, le
pangermanisme.
Ces théories sont exposées dans un ouvrage qui a été publié à
Leipzig, en 1912, par M. Daniel Frymann, sous le titre : Weim
icli der Kaiser wàrel — Si fêtais l'empereur ! — Cet ouvrage a été
vpiuiu jusqu'ici à près de 20,000 exemplaires, c'est dire qu'il a
obtenu un certain succès !
Après s'être plaint de la faute qui a été commise en 1872 en ne
mettant pas à l'option des Alsaciens- Lorrains des conditions
assez nettes. M, Frymann dit que, pour réparer cette erreur, il
faut, de tonte nécessité, procéder à une nouvelle épreuve et
demander à tout Alsacien-Lorrain qui aura atteint sa majorité,
de prendre l'engagement formel de ne jamais se servir de la
langue française ni chez soi, ni hors de chez soi, de ne jamais
faire venir de France ni journaux, ni livres français, et enfin de
ne pas faire élever ses enfants dans des établissements où l'on
parle français, ces établissements fussent-ils situés en Belgique
ou en Suisse. Tous ceux qui ne prendraient pas cet engagement,
ou qui, l'ayant pris, viendraient à y manquer, seraient considérés
comme s'étant prononcés contre l'Allemagne et contraints de
quitter le pays.
Dans les régions de langue allemande, il serait défendu de
120 — Io-13 SECTION DE PROPAGANDE
faire paraître des journaux rédigés en français; dans les régions
de langue française, on permettrait, sous un contrôle sévère, la
publication de journaux français, mais à condition que le texte
français soit toujours accompagné du texte allemand corres-
pondant.
Vous voyez la belle situation que nous ferait M. Daniel
Freymann, s'il était l'empereur. Heureusement pour nous qu'il
n'est pas même statthalter. Mais nous savons qu'il y a, à Stras-
bourg, des gens qui partagent ses opinions.
D'autre part, les Alldeutsche Blàlter (îeuiWes pangermanistes)
rendaient compte, il y a quelques jours à peine, d'un ouvrage
de M. K. F. Wolft'sur le traitement que les peuples conquérants
ont à faire subir aux peuples conquis. A côté d'aperçus parti-
culièrement ingénieux qui tendent à montrer que le vainqueur
est autorisé à priver les vaincus de toute espèce de droits poli-
tiques, l'auteur émet l'avis final que : « il faut absolument briser
avec le préjugé qui veut que les vaincus aient un droit quel-
conque au maintien de leur nationalité et de leur langue, car les
vainqueurs agissent d'après les règles de la biologie et de la
logique en s'appliquant à faire disparaître la langue et à anéantir
la nationalité des peuples qu'ils auront vaincus. » (*)
Ces beaux principes, ouvertement proclamés par les Panger-
manistes, ne sont pas, il est facile de le prévoir, considérés en
Allemagne comme des rêves insensés, ou des écarts d'esprits
outranciers aimant à donner à leur patriotisme une forme abso-
lue et paradoxale ; ces principes sont acceptés par un nombre
immense de gens; et, à chaque instant, nous les voyons recevoir
chez nous un commencement d'exécution.
N'avons-nous pas appris, dernièrement, à notre grande sur-
prise, que le gouvernement d'Alsace-Lorraine avait eu la préten-
tion de faire voter par le Rcichstag des lois d'exception qui lui
permettraient de supprimer, s'il le jugeait opportun, les jour-
naux rédigés en langue française qui paraissent en Alsace-
Lorraine ?
Ne lisons-nous pas, à chaque instant, dans les feuilles
(') Nouvelliste d'Alsace- Lorraine, du 5 septembre 1913.
I.K FRANÇAIS DANS l,E MOXDE Ia-13 — 121
publiques, les folles incartades auxquelles se livrent quelques
énergumènes quand ils entendent des Alsaciens parler lefrançais
dans un magasin ou dans un lieu public ?
Ne savons-nous pas qu'un honorable bijoutier de Strasbourg
a été condamné à une amende pour avoir fixé à la porte de son
magasin une pancarte annonçant, en français, qu'il avait trans-
féré son établissement de la rue des Arcades dans la rue du
Dôme?
•iN'est-il pas de notoriété publique qu'à Metz, à l'entrée d'un
parc dont elle s'était indûment réservé la jouissance, l'adminis-
tration militaire a fait afficher une défense aux promeneurs de
parler le français ?
Je pourrais citer, à l'infini, des mesures vexatoires qui sont
prises pour contrarier ceux qui se permettent de regarder le
français comme une langue dont ils veulent conserver l'usage ;
mais j'en passe... et des meilleures.
Il est possible que ce soit là de la politique ; mais je ne puis
m'empêcher de croire que cette politique est faite aux dépens du
droit, de la justice, de la liberté... et du bon sens, puisque
M. Daniel Frymann lui-même reconnaît, dans l'ouvrage que
j'ai cité, que, malgré les chicanes qu'on leur cherche, les Alsa-
ciens-Lorrains ([ui parlent le français sont plus nombreux
aujourd'hui qu'il y a vingt ans.
C'est sur cette attirmation consolante que je terminerai iiiôn
rapport, en ajoutant que l'Alsace-Lorraine ne se laissera pas
intimider par les menaces pangcrmanistes.
Nous avons la conviction intime • que la langue française
forme l'outil nécessaire pour la propagation d'une culture
supérieure, et que la guerre qu'on lui fait ne sert qu'à amoindrir
ceux qui l'on maladroitement entreprise.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A I.K FRANÇAIS IIANS I.K MONDK.
La langue française en Hongrie,
lliiiKin MOUAXD,
^mn'-gé (le l'Université.
Un des plus sérieux soucis des pères de famille et des éduca-
teurs hongrois tient à la nécessité de faire apprendre aux
enfants une ou plu-sieurs langues étrangères. Le hongrois, en
effet, n'a de parenté ni de ressemblance avec aucune des
autres langues européennes, le finnois excepté; il n'est parlé
par personne hors du territoire du royaume, sauf par les émi-
grés hongrois; il faut donc absolument que tous les Hongrois
qui veulent avoir des relations internationales apprennent au
moins une langue étrangère, et ils apportent à cette étude, pour
l'ordinaire, mie remarquable facilité.
La langue qui s'impose à eux d'abord est l'allemand : l'union
diplomatique, militaire, financière et douanière de la Hongrie
avec l'Autriche, oblige la plupart des Hongrois un peu instruits,
à savoir l'allemand, dont l'étude est obligatoire dans toutes les
écoles secondaires et les écoles commerciales. L'anglais, d'autre
part, est à la mode dans la haute société; et il est de bon ton de
pouvoir le parler, car la Hongrie, pays essentiellement aristo-
124 — Ia-14 SECTION de propagande
cratique, se flatte d'avoir quelque ressemblance avec l'aristo-
cratie d'Angleterre, qu'elle prend volontiers pour modèle.
Mais la langue littéraire par excellence, en Hongrie, est tou-
jours le français. Un séjour de quelques semaines à Budapest
suffit pour convaincre l'étranger que toutes les personnes un
peu cultivées le parlent peu ou prou et souvent à la perfection;
qu'elles lisent nos romans ou nos pièces de théâtre, quelques-uns
de nos journaux, et se tiennent, en somme, au courant du mou-
vement littéraire de notre pays. Par quels moyens acquièrent-
elles cette connaissance de notre langue et de notre littérature?
Au commencement du mois de mai, on fait à Budapest, pen-
dant deux jours, une quête pour les enfants pauvres des hôpi-
taux. A tous les coins de rue, d'élégantes quêteuses tendent leur
sébile aux passants. Je me suis amusé récemment, avec un de
nos compatriotes, à leur demander quel était le but de cette
quête : presque toutes les dames de charité m'ont répondu très
clairement et très correctement en français. C'est qu'il s'agissait
de jeunes femmes ou de jeunes filles appartenant à des familles
fortunées, qui ont presque toujours, dès la petite enfance, des
gouvernantes ou des domestiques françaises (1). Cette instruc-
tion privée et donnée à la maison est à la base de l'éducation
dans toute la haute société de Hongrie.
. Dans l'enseignement secondaire des garçons, on n'apprend
■pas le français aux élèves des gymnases, qui ne reçoivent que la
culture latine et grecque, mais seulement aux élèves des écoles
réaies, ou écoles d'enseignement moderne. Si l'on considère
qu'il y a en Hongrie 170 gymnases et 32 écoles réaies, on voit
qu'une petite minorité de Hongrois seulement peut apprendre le
français au collège.
Cet enseignement leur est donné pendant six ans, de la
3" classe à la 8" inclusivement, à raison de cinq heures par
semaine en 3" et 4°, de quatre heures en o", de trois heures en 6'
(1) Il existe à Budapest une Société française d'assistance en Hongrie
qui a pour but essentiel de venir en aide aux jeunes françaises envoyées
en Hongrie et qui ont à supporter les funestes conséquences de contrats
passés entre leurs parents mal informés et des placeurs intéressés. Cette
société à un local, le Home français.
I.E FRANÇAIS DANS l,E MONDE Ia-14 — 125
et 7°, de quatre en 8'. Dans ces deux dernières années, la classe
doit être faite en français.
Au printemps de 1910, M. Jules Gautier, directeur de l'ensei-
gnement secondaire de France, étant venu faire à Budapest luie
conférence sur l'enseignement secondaire, a mis sou séjour à
profit pour visiter quelques classes des gymnases et des écoles
réaies de Budapest. Pendant ces visites, où j'avais l'honneur de
l'accompagner, on a tenu siu'tout, comme il était naturel, à lui
donner une idée de l'enseignement du français. Dans plusieurs
classes, nous avons entendu réciter ou expliquer très intelli-
gemment des fables de La Fontaine. Un professeur de l'Institut
François-Joseph faisait lire à ses jeunes élèves Un bon petit
diable, de M'"" de Ségur, et l'un d'eux nous a raconté gentiment
une des farces que le « bon petit diable » fit à la mère Mac
Miche; il semblait s'en amuser autant que font les petits gar-
çons français, et les mots lui venaient aisément.
Il nous a semblé que l'enseignement du français était plus
développé dans les deux lycées de jeunes filles que nous avons
visités. Bien que ce cours fût facultatif, les jeunes filles le sui-
vaient en grand nombre. Au lycée de l'avenue Andrassy, de
petites élèves d'environ 13 ans (3° classe), ayant commencé le
français à la rentrée dernière, répondaient sans peine aux ques-
tions que leur posait leur professeur sur tout ce qui se rapporte
au repas. Les élèves de la o" (lo ans) parlaient correctement de
l'histoire de notre littérature classique, et l'une d'elles a récité
presque sans accent une tirade du Cid. Au lycée Elisabeth, une
élève de la 4* a expliqué un morceau qui avait été heureusement
choisi pour nous être agréable, les Adieux de Marie Stuart, de
Béranger :
Adieu, charmant pays de France
Que je dois tant ctiérir I
Berceau de mon lieureuse enfance
Adieu I te quitter c'est mourir.
L'enseignement supérieur du français, dans les deux univer-
sités de Budapest et de Kolozvar (Transylvanie), est donné,
avec un grand souci de la philologie; la littérature du moyen-
âge tient dans les cours une place très importante. En outre du
126 — Ia-14 SECTION DE l'KOPAOANDE
professeur ordinaire, il y a à l'Université de Budapest un
« lecteur » français, chargé de faire, une fois par semaine, un
cours d'histoire de la littérature, et, une autre fois, de faire
lire et expliquer aux étudiants et étudiantes un texte français.
Mais le centre universitaire de la culture française en Hongrie
se trouve à Budapest, au Collège Eœtvœs.
Ce collège a été fondé, en 189o, par les soins d'un célèbre
physicien hongrois, le baron Laurent Eœtvœs, qui chargea un
de ses assistants à l'Université, M. Bartoniek, d'organiser un
établissement d'enseignement supérieur destiné à former des
professeurs d'enseignement secondaire. M. Bartoniek vint à
Paris, où il visita l'Ecole normale supérieure et prit conseil de
M. Georges Perrot, qui la dirigeait alors; au retour, il s'efforça
d'instituer une école qui devait ressembler autant que possible
à celle de la rue d'Ulm.
Désireux de développer le plus possible la culture française
chez ses élèves, M. Bartoniek ne se contenta pas de mettre à leur
disposition une bibliothèque française très riche, très variée et
choisie avec un goût parfait, ou de favoriser de tout son pou-
voir les séjours plus ou moins longs que quelques-uns de ces
jeimes gens pouvaient faire à Paris, grâce à des bourses données
par l'Etat ou à des fondations particulières : il eut encore l'idée
d'installer à poste fixe, au Collège Eœtvœs, un ancien élève de
l'Ecole normale de Paris, qui devait avoir pour mission d'en-
seigner le français aux élèves les plus avancés, de parler avec
eux le plus possible, en dehors des heures de cours, enfin de
les faire vivre, par sa présence continuelle, en contact perma-
nent avec l'esprit français. J'ai' occupé ce poste pendant
deux ans et je garde le meilleur souvenir de la sympathie que
directeur, professeurs et élèves témoignaient sans cesse à l'Ecole
et à la nation que je représentais, de la bonne volonté que les
jeunes gens mettaient à se perfectionner dans l'étude de notre
langue et de la littérature (1).
(1) Depuis 1911, il y a deux normaliens au Collège Eoptvœs, l'un deux
est, en outre, professeur de français de l'un des fils de l'Archiduc Joseph .
LE FRANÇAIS DANS LK MONDE Ia-14 — 127
M. Bartoniek, pour témoigner encore sa sympathie à lEcole
normale de France, veut que tous les anciens élèves de cette
école, passant ou séjournant à Budapest, soient ses hôtes : plu-
sieurs d'entre eux ont déjà reçu au (Collège Eœtvœs l'hospitalité
la plus cordiale.
Un de ces visiteurs, M. Paul Dupuy, secrétaire de l'Ecole nor-
male supérieure, qui passa ({uelques jours à Budapest, au prin-
temps de 1911, se rendit compte que de nombreux étudiants du
collège étaient très désireux de faire un séjour d'études à
Paris, mais qu'ils étaient arrêtés par la question pécuniaire :
les frais de séjour, s'ajoutaiit aux frais de voyage, leur interdi-
saient cet utile déplacement. M. Paul Dupuy eut alors l'idée
ingénieuse et vraiment amicale que l'on pourrait profiter du
temps des vacances pendant lequel les bâtiments de la rue
d'Ulm sont à peu près vides, pour y recevoir quelques étudiants
du Collège Eœtvœs : ils paieraient une indemnité très réduite
de logement et de nourriture; ils auraient, en outre, la jouissance
de la bibliothèque. M. Ernest Lavisse, directeur de l'Ecole, vou-
lut bien approuver ce projet, qui a été mis à exécution, avec
succès, depuis trois ans. C'est ainsi que, cette année, dix jeunes
Hongrois ont reçu, pendant six semaines au moins, l'hospita-
lité de l'Ecole normale et vécu eu camarades avec les norma-
liens de France.
On ne s'étonnera pas qu'après de telles marques d'une ami-
tié réciproque enti-e les deux écoles, l'Université de Paris ait
été invitée à se faire représenter officiellement, comme mar-
raine, pour ainsi dire, à l'inauguration du nouveau Collège
Eœtvœs, qui a eu lieu en octobre 19H. A cette cérémonie,
M. Emile Borel, sous-directeur de l'Ecole normale, a exprimé
les vœux que notre université forme pour la prospérité de cet
établissement, et à juste titre; car il n'y a peut-être pas, hors
de France, une maison où il soit plus aisé de vivre en communi-
cation constante avec la pensée et la langue française.
Avant d'en finir avec les modes d'enseignement du français,
je dois mentionner les cours gratuits organisés par la Société
littéraire française de Budapest, qui a été fondée, en 1907, par
128 — Ia-14 SECTION DE PROPAGANDE
M. de Fontenay, alors consul général de France, et patronnée par
un comité d'hommes d'Etat et de notables hongrois. Ces cours
durent sept mois chaque année et réunissent environ 400 audi-
teurs des deux sexes, appartenant pour la plupart au monde
des employés ou des commerçants. D'autre part, la ville de
Budapest a créé, en 1908, pour ses fonctionnaires et ses
employés, des cours de français, qui n'ont pas cessé de se
développer dans l'année qui vient de finir; ils ont été suivis
par une cinquantaine d'élèves, dont les progrès ont été satisfai-
sants. Enfin, la Ville a créé, en lOll, au Séminaire pédagogique
municipal, des cours d'allemand, d'anglais et de français pour
les instituteurs et institutrices des écoles municipales; pendant
l'année scolaire 1912-1913, les cours du français ont été suivis
par lo instituteurs et 6o institutrices. Comme il arrive presque
toujours quand il s'agit de l'étude du français en Hongrie,
celles-ci ont beaucoup plus appris que ceux-là. On parle de
donner plus d'extension encore à ces cours.
L'enseignement du français donné dans les écoles, les uni-
versités ou les autres salles de cours peut avoir à Budapest
divers compléments : conférences, journaux, publications pério-
diques ou livres que je vais passer en revue.
La Société littéraire française de Budapest fait venir chaque
année de Paris sept ou huit conférenciers, choisis d'ordinaire
parmi les plus renommés, qui traitent les sujets les plus divers :
histoire politique, histoire littéraire, histoire de l'art, voyages,
légendes, .sciences, etc. Ces conférences, qui ont lieu dans la
grande et belle salle du Musée national, attirent un public nom-
breux, assidu et très attentif, heureux d'avoir cette occasion
d'entendre bien parler le français, et de s'instruire sur quelque
partie de notre civilisation.
La Société littéraire française a pour organe une revue men-
suelle, rédigée en français, la Revue de Hongrie, que dirige
(1) Quant aux représentations dramatiques données par des artistes
français en tournée, il n'y en a pas eu à Budapest depuis le printemps
de 1910.
LE FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-14 — 129
avec beaucoup de talent et d'habileté M. Guillaume Huszar,
lauréat de l'Académie française. La Revue de Hongrie publie des
articles originaux ou des articles traduits du hongrois, qui ont
pour but, soit de faire mieux connaître la Hongrie au public
international (1), soit de présenter aux Hongrois cultivés les
grandes questions qui peuvent intéresser leur pays. La revue
comprend aussi une importante partie littéraire, composée de
traductions d'œuvres modernes hongroises. C'est ainsi que des
romans ou pièces de Jokai, de Mikszath, de MM. François Herc-
zeg, François Molnar, Melchior Lengyel, etc., y ont paru, en
français, pour la première fois.
Les Hongrois instruits lisent volontiers quelques journaux
français — on en trouve dans tous les cafés — tout en regret-
tant que les nouvelles de leur pays y soient généralement trop
rares. Ils reprochent aussi aux publicistes français de présenter
à leurs lecteurs une Hongrie pittoresque et quelquefois de fan-
taisie — dont l'originalité se réduirait presque uniquement à
quelques produits tels que le paprika, le gulyas, le fogas, le vin
de Tokay ou les csardas, alors qu'on devrait parler plutôt, disent-
ils, de leur civilisation toute neuve ou de leur « culture » mo-
derne. Mais cette lacune n'empêche pas les Hongrois de lire
avec intérêt les journaux où ils croient trouver la plus fidèle
image de ce qu'on appelle l'esprit parisien Paris, Paris!
Ceux qui ne sont pas encore allés dans la capitale en parlent avec
un désir passionné; quand ils l'ont connue, c'est une admira-
tion enthousiaste qui leur fait chercher le souvenir et l'éma-
nation de Paris dans la plupart de leurs lectures.
Les livres français apparaissent en grand nombre dans les
vitrines des libraires de Budapest; étant donné le goût du public
lettré pour nos romans et nos pièces de théâtre, ils se vendraient
(1) Les Hongrois se plaignent souvent que leur pays soit mal connu à
l'étranger et spécialement en France. La Bibliographie française en
Hongrie, de M. Ignace Kont, Paris, 1913, énumérant les livres et manu-
scrits français concernant la Hongrie, ne compte cependant pas moins de
300 pages, grand in-S". M. André Lkvai,, correspondant du Temps, à
Budapest, vient do publier un important supplément à cette bibliographie
{Revue de Hongrie, janvier-février 191-1).
130— Irt-14 SECTION DE PROPAGANDE
bien plus nombreux encore que s'ils étaient moins coûteux;
mais les libraires hongrois ont l'habitude de faire venir leurs
livres français non de Paris, mais de Leipzig; : il est facile d'ima-
giner la perte de temps, d'abord, et l'élévation de prix qui
résultent de cet état de choses pour l'achat du moindre livre
français.
Telle est la situation actuelle de la langue française en Hon-
grie. Elle lutte énergiquement, grâce à quelques généreuses et
tenaces initiatives, grâce au prestige de notre capitale et de
notre littérature d'autrefois et d'aujourd'hui. C'est une tradition
qui remonte loin dans le passé, puisque la première école supé-
rieure de Hongrie — celle de Veszprem — a été fondée à la fin
du xii' siècle par le roi Bêla III, sur le modèle de l'Université de
Paris, que lui avait fait connaître sa femme Marguerite, sœur
du roi de France Philippe II. Mais les universitaires ne sont
pas seuls à répandre notre langue en Hongrie : les diplomates,
les commerçants, les publicistes les y aident, et d'autres encore.
La langue magyare s'est enrichie récemment du mot hangar,
à cause du séjour de quelques aviateurs : combien d'idées
fécondes sont arrivées en Hongrie sur les ailes de la langue
française!
I. — SECTION DE PH0PA(;AN[)E.
^1) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Belgique,
s. SASSERATH,
:iv;oeal à la Cour d'appel dr liriixi'Ues,
présidont île l.i I.iguo natioiiiile [lour la défense (le la langiio Frantaise,
Dans aucun pays où le français est la langue usuelle d'une
partie de la population, il n'est l'objet d'attaques aussi pas-
sionnées qu'en Belgique.
La querelle des langues y a pris un caractère aigu et il n'est
pas possible qu'un congrès international pour la culture et
l'extension de la langue française ne se préoccupe pas de cette
situation.
Celle-ci est le résultat de causes profondes et généralement
plus lointaines que celles qui sont exposées dans les polémiques
quotidiennes.
Le flamingantisme s'est développé au delà même des espé-
rances de ses partisans les plus intransigeants, à cause de l'in-
gérance dans laquelle les populations flamandes croupissaient
au moment où le suffrage universel fut proclamé en Belgique,
il y a environ vingt ans. A partir de ce moment, le corps élec-
toral se composa de plusieurs millions d'individus ignorant
complètement la langue française. Dans un but « d'électora-
lisme )i, les candidats de tous les partis rivalisèrent de zèle à
132 — la- 15 SECTION DK PROPAGANDE
partir de ce moment pour soutenir toutes les prétentions
flamingantes.
La Belgique comprend, d'iuie part, les populations wallonnes,
dont le peuple parle différents idiomes wallons, mais con-
naît la langue française; quant aux classes cultivées, elles
parlent et pratiquent exclusivement le français.
•De tous temps, la partie wallonne du pays fut <( unilingue »
et, jusqu'à présent, elle l'est demeurée.
Les populations wallonnes sont rebelles à l'assimilation du
flamand et jamais on n'obtiendra d'elles que, dans un esprit
d'unité nationale, elles pratiquent le bilinguisme. Cet état d'es-
prit résulte, d'une part, de la grande difficulté que les Wallons
éprouvent à apprendre le flamand et, d'autre part, de la convic-
tion dans laquelle ils sont de l'inutilité de la connaissance de
cet idiome, pour les besoins du commerce et de l'industrie et, en
général, pour les nécessités de leurs relations extérieures.
D'autre part, les populations flamandes furent, de tous temps,
bilingues (depuis le xiiT siècle).
Il y a en Belgique une population flamande d'environ 3 mil-
lions et demi d'individus, parmi lesquels environ un million,
se recrutant dans la bourgeoisie et habitant les villes flamandes,
est de culture exclusivement française.
Dans ces familles flamandes, on pratique la langue française
de père en fils de temps immémorial.
Mais, d'autre part, il y a dans la partie flamande du pays,
une population s' élevant à plus de 2 millions d'habitants qui
ignorent complètement la langue française ou qui la connaissent
d'une façon tout à fait insuffisante.
Il y a des villages entiers où l'on n'entend jamais un mot
de français et où un journal de langue française ne pénètre pas.
Il y a même, aux portes de Bruxelles, certains villages où
une quantité d'habitants ne connaissent que leur jargon local,
à l'exclusion de la langue française.
L'ignorance qui règne parmi ces populations est effrayante :
on a dit que 16 p. c. des Belges sont illettrés. Cette statistique
est plus ou moins exacte, si l'on considère comme lettré un
individu qui sait déchiffrer le titre d'un journal ou tracer
I.E FRANÇAIS DANS I.E MONDE 1(1-15 — 133
péniblement les caractères de son nom. Mais si l'on considère
comme lettré un individu possédant une instruction primaire,
cette statistique est inexacte et inférieure à la réalité.
D'autre part, les illettrés sont infiniment plus nombreux dans
la partie flamande du pays, et si l'on considère certaines caté-
gories spéciales des populations flamandes, on arrive à des
constations effrayantes. M. le député Vandervelde a établi de-
vant la Chambre des représentants que 46 p. c. des briquetiers
du Rupel sont complètement illettrés et il en est de même
d'environ 50 p. c. des femmes des débardeurs du port d'Anvers.
Il résulte de l'exposé qui précède que non seulement les popu-
lations flamandes n'ont pas appris le français, mais qu'une
grande partie de ces populations n'a pas même appris en fla-
mand les rudiments des connaissances indispensables à
l'homme. Et quant à ceux qui ont reçu une instruction élémen-
taire, ils l'ont reçue en flamand et il n'a pas été question,
pendant les quelques années qu'ils ont passé à l'école, de leur
apprendre le français.
Voilà quelle était la situation — et elle n'a guère changé, au
contraire — lorsque le S. U. (compliqué, il est vrai, par le prin-
cipe du vote plural : une voix complémentaire à la propriété,
une voix complémentaire à la capacité) a été substitué au régime
censitaire, il y a environ vingt ans.
Tant que les politiciens s'adressaient à un corps électoral
composé de bourgeois, au point de vue électoral la question des
langues ne se posait pas, puisque le million de Flamands envi-
ron, qui pratiquent la langue française, se recrute précisé-
ment dans la bourgeoisie flamande et que les bourgeois seuls
étaient électeurs. Mais lorsque, brusquement, on a appelé aux
urnes électorales plus de deux millions d'individus ne con-
naissant rien de la langue française, il a fallu tout d'abord
s'adresser en flamand à ces individus, pour faire une propa-
gande efficace; puis les différents partis politiques se sont
mis à faire de la surenchère électorale au point de vue des
langues.
Des ligues flamingantes puissantes furent organisées par
les différents partis. Au lieu de faire comprendre aux popula-
1 34 — Ia-15 SECTlo^ de propagande
lions flamandes qu'elles avaient pour devoir de s'élever dans
réchelle sociale, d'entrer en rapport avec le reste de l'humanité
au moyen de cet instrument merveilleux et puissant qu'est
la langue française, les politiciens flamingants de tous les partis
persuadèrent au contraire à ces malheureux qu'ils devaient
faire œuvre de régionalisme étroit; que ce n'étaient pas eux
qui devaient apprendre la langue française, langue de grande
circulation, mais, qu'au contraire, tous les rouages politiques
et administratifs devaient s'accommoder de leur ignorance et
que le flamand seul devait être la langue des Flandres.
Et toutes ces théories furent résumées en trois mots :
In Vlaanderen vlaamschl
i En Flandre, le flamand!
Les puissantes ligues flamingantes, dont l'origine remontait
d'ailleiu-s déjà à de nombreuses années antérieures à l'instau-
ration du suffrage universel, s'emparèrent de tous les orga-
nismes politiques de la partie flamande du pays et exercèrent
sur ces organismes une tyrannie sans merci, imposant un man-
dat impératif de flamingantisme effréné à tous les candidats
qui, dans la partie flamande du pays, sollicitaient un mandat
public quelconque : au Sénat, à la Chambre, à la province ou à
la commune.
Et c'est ainsi qu'à la Chambre et au Sénat notamment, il
se forma un groupe de députés et sénateurs qui, sans distinc-
tion de partis, firent de la propagande flamingante dans leurs
groupements respectifs, disant à leurs collègues des régions
wallonnes que leur mandat dépendait de leur flamingantisme
et qu'ils ne pouvaient espérer réussir contre les partis adver-
saires que s'ils se montraient plus flamingants que leurs col-
lègues des autres partis, et c'est parce qu'ils craignirent l'in-
succès de leurs partis dans la partie flamande du pays, et sur la
foi de ces dires, que certains députés wallons eurent la fai-
blesse que plusieurs regrettent, d'ailleurs, aujourd'hui, de voter
des lois de contrainte flamingante contre lesquelles tous les
bons esprits protestent aujourd'hui.
LE FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-15 — 1 3S
Parmi ces lois, la plus caractéristique est la loi Franck-
Segers, de 1910, complétant la loi de 1883 sur l'enseignement
^moyen.
Non seulement cette loi souligne le principe que le flamand
est la seule langue maternelle en Flandre et que le français y
est une langue étrangère, mais elle consacre ces abominables
principes de la territorialité et de la contrainte.
En effet, dorénavant, dans la partie flamande du pays, l'en-
seignement moyen est donné ei» flamand, comme langue vélii-
culaire.
Il est vrai qu'on a bien voulu laisser subsister dans les
endroits où l'autorité estime que cela peut être utile (c'est-à-
dire que cela dépend de l'arbitraire de l'administration) des sec-
tions dans lesquelles l'enseignement moyen est donné en langue
française.
Mais, comme les flamingants craignaient que si on laissait
aux pères de famille la liberté de choisir pour leurs enfants
l'enseignement qui leur plaisait le mieux, les sections flamandes
ne fussent désertées, il est stipulé dans la loi que seuls pourront
être inscrits dans ces sections françaises les enfants nés en
Wallonie ou les enfants nés en Flandre de parents wallons.
Il en résulte :
1° Que dans une quantité d'endroits, où il n'existe pas de sec-
tions françaises, parce que l'autorité n'a pas cru devoir les orga-
niser, le père de famille, même Wallon, ne peut pas faire donner
à ses enfants l'enseignement en langue française;
2° Que l'enfant d'un Wallon né en Flandre, qui, à son tour,
a des enfants, et qui cependant a conservé une culture française,
puisqu'il a fait toutes ses études en français, n'a plus la faculté
d'envoyer ses enfants dans la section française, parce qu'étant
né en Flandre, il est considéré comme Flamand et que, dès lors,
ses enfants sont des enfants de Flamand.
L'administration applique ce principe d'une manière telle-
ment étroite que l'on aboutit à des résultats ridicules.
C'est ainsi qu'il y a environ deux ans, un jeune Russe, ne
connaissant que le russe et le français, et se trouvant dans l'obli-
gation de résider au littoral pour les besoins de sa santé, .se pré-
136 — la -15 SECTION DE PROPAGANDE
senta à l'Athénée d'Ostende et se vit refuser raiitorisatioji de
suivre les cours dans la section française, bien qu'il ne connût
pas un mot de flamand, parce qu'il n'était ni Wallon, ni fils de
Wallon.
Le principe de la contrainte est la caractéristique de toutes les
lois et mesures flamingantes de ces dernières années.
L'exemple le plus frappant est l'édition bilingue de l'indica-
teur des chemins de fer. Antérieurement, il existait une édition
française et une édition flamande séparées, de cfet indicateur.
Mais personne n'achetait l'édition flamande. Comme elle coù'
tait très cher au gouvernement, celui-ci imagina d'imprimer
une seule édition, bilingue, dans laquelle personne ne se
retrouve et qui est grotesque.
La Ligue nationale pour la défense de la langue française,
à la suite d'un pétitionnement des « Amitiés françaises », qui
avait réuni plus de 20,000 signatures, pour réclamer la suppres-
sion de l'indicateur bilingue — pétitionnement qui ne fut pas
pris en considération par le Ministre des chemins de fer —
publia une édition exclusivement française des horaires des
chemins de fer.
Cette édition a remporté un tel succès (le tirage s'en fait
actuellement à 160,000 exemplaires) qu'il a été démontré d'em-
blée combien les mesures de contrainte linguistique sont, en
réalité, impopulaires.
Nous défendons le principe de la liberté en matière linguis-
tique, persuadés que l'application de ce principe suffit pour
assurer la libre expansion de la langue française, qui doit néces-
sairement, et en vertu même de sa force d'expansion, s'étendre
de plus en plus, si l'on ne cherche pas à contrarier cette expan-
sion par des mesures injustifiables.
Nous opposons ce principe de la liberté des langues au dogme
de l'égalité des langues, imaginée par les politiciens flamingants.
Ce dogme n'est pas défendable au point de vue de la raison ni
au point de vue de l'histoire.
Deux langues ne peuvent pas être égales.
Comme on l'a dit avec raison, une langue n'est pas un objet
de vénération sentimentale; c'est un instrument qui sert pour
I,E FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-15 — 137
les échanges d'idées et, plus sa force d'expansion est grande,
plus grande est sa valeur.
Il est aussi absurde de dire que les jargons locaux flamands
sont égaux à la langue française, qu'il serait absurde de soute-
nir que le danois ou le portugais sont des langues égales à la
langue anglaise ou allemande.
Il n'est pas possible de terminer ces brèves considérations,
qui résument le plus succinctement possible la question si com-
plexe des langues en Belgique, sans souligner le caractère nette-
ment antifrançais du flaminganlisme.
A cet égard, les flamingants manquent de sincérité. Lorsqu'ils
prononcent leurs discours en français, ou lorsqu'ils écrivent
dans la grande presse quotidienne française, ou encore... lors-
qu'ils sollicitent des décorations du gouvernement français, ils
protestent de la pureté de leurs intentions et soutiennent qu'ils
n'ont aucun sentiment hostile pour la France, ni pour la civi-
lisation française; mais lorsqu'on lit leurs écrits rédigés en fla-
mand; lorsqu'ils sont entre eux, dans leurs meetings et qu'ils
vitupèrent dans la langue chère à Emmaimel Hiel, c'est autre
chose. Il leur arrive alors de montrer quels sont, en réalité, leur
but et leur mentalité. Ce sont alors des attaques aussi pas-
sionnées qu'injustes contre la France et contre la civilisation
latine.
Chaque année, les Anversois fêtent avec ostentation l'anniver-
saire de la bataille des Eperons d'or, et cet anniversaire a pris
jusqu'à ce jour un caractère de manifestations nettement anti-
françaises. Les discours qui sont prononcés chaque année à cette
occasion constituent une pierre de touche de la mentalité des
flamingants à cet égard.
La preuve la plus caractéristique de la haine des flamingants
pour la France et la culture française, c'est leur campagne pour
la défrancisation de l'Université de Gand. Cette université
répond actuellement aux besoins de l'enseignement supérieur
dans la partie flamande du pays et fait grand honneur à notre
enseignement supérieur.
Depuis longtemps, les flamingants réclament une université
flamande, c'est-à-dire une université dans laquelle les cours
138 — Ia-15 SECTION DE PROl'AGANDE
d'enseignement supérieur seront donnés exclusivement en fla-
mand.
Ils réclament cette université d'autant plus, à l'heure actuelle,
qu'à la suite de la loi Franck-Segers, de 1910, une quantité
de jeunes Flamands recevront nécessairement l'instruction
moyenne en flamand et arriveront à l'université avec une con-
naissance imparfaite de la langue française^
Si les antiflamingants étaient des fanatiques comme leurs
adversaires, ils auraient pu répondre que l'Etat ne pouvait
assumer cette charge que si l'utilité d'une pareille université
était démontrée à la suite d'un essai par l'initiative privée.
Mais les antiflamingants ont répondu uniquement, qu'ils ne
voyaient aucun inconvénient à ce qu'une université flamande
fût créée par l'Etat dans n'importe quelle ville flamande du
pays, mais à la double condition que personne ne fût contraint
d'y aller et que l'on ne touchât pas à l'Université de Gand.
Les flamingants ont répondu : u Cette solution ne nous donne
pas satisfaction, ce n'est pas seulement une université flamande
que nous exigeons, nous voulons la disparition de l'Université
française de Gand », et le rapporteur de la proposition de loi,
M. De Raet, a poussé l'inconscience jusqu'à oser écrire : d On
remplacera ainsi une chose mauvaise par une bonne chose et
ce sera tout profit. »
La chose mauvaise, c'est l'enseignement donné en langue
française; la ciiose bonne, ce sont les cours donnés en flamand!
Cette intransigeance des flamingants montre qu'ils poursuivent
plus une œuvre de haine contre la culture française qu'ils ne
défendent l'intérêt bien compris des populations flamandes.
Il n'était pas inutile de souligner ce point dans un congrès
international.
Comment remédier à cette situation?
La Ligue nationale pour la défense de la langue française,
notamment, a vaillamment lutté et organisé la résistance; parmi
les rapports distribués au congrès, il s'en trouve un qui résume
l'activité de cette ligue; à côté d'elle, d'autres organismes de
propagande : des ligues wallonnes, les » Amitiés françaises »,
les associations pour la culture et pour la vulgarisation du fran-
1,E FKANÇAIS DA>'S l.E MONDE Ia-15 — 139
çais ont également lourni des efforts remarquables tendant à
défendre le patrimoine de la langue française en Belgique.
Mais l'on peut se demander si tout ce qui a été fait (création
de journaux, réunions, conférences, cours, etc..) peut suffire
pour résister à la marée montante du flamingantisme,qui menace
sérieusement la langue française dans la partie flamande du
pays.
Nous avons pensé, à la Lhjue nationale pour la défense de la
langue française, qu'il fallait combattre le flamingantisme par
les mêmes armes que celles qu'il a employées pour triompher:
en d'autres termes, qu'il fallait organiser la résistance sur le
terrain politique, et c'est pourquoi depuis la fondation de cette
ligue, nous n'avons cessé de faire une active propagande pour
que partout les antiflamingants entrent dans les associations
politiques et pour qu'eux aussi exigent des candidats une pro-
fession de foi antiflamingante.
Le jour où les antiflamingants auront su se grouper dans les
associations politiques et où ils auront fait comprendre aux can-
didats qu'ils ont à compter avec les partisans de la culture fran-
çaise, c'en sera fait du vote des lois flamingantes, car la crainte
de l'électeur est le commencement de la sagesse des candidats.
Nous ne sommes encore arrivés qu'à des résultats très impar-
faits dans cet ordre d'idées. Mais, cependant, les résultats
obtenus sont déjà très appréciables et, à l'heure actuelle, il
existe au Parlement belge un groupe de sénateurs et députés
nettement résolus à ne plus subir les exigences du flamingan-
tisme et à résister dorénavant à ses inadmissibles prétentions.
Il y aura lieu, d'autre part, d'examiner, et ce sera l'œuvre de
la Lifjue nationale à partir de ce jour, comment il serait possible
d'atteindre par notre propagande les deux millions de Belges
qui n'ont aucune culture française, car nos discours et nos
écrits n'atteignent pas cette importante partie de la population
et tant que nous n'aurons pas persuadé à ces Flamands incultes
que leur intérêt est d'apprendre la langue française, et de la
faire apprendre à leurs enfants, nous n'aurons obtenu qu'un
très faible résultat pour défendre les candidats de la partie
flamande du pays contre les mandats impératifs que le flamin-
gantisme leur impose actuellement.
•140 — 1(1-15 SECTION DE PROPAGANDE
Dans cet ordre d'idées, M. Gérard Harry, membre du conseil
général de notre Ligue, a présenté précisément au congrès un
rapport qui, malheureusement, a été inscrit au programme de
la section littéraire, rapport dans lequel M. Harry demande que
l'on étudie la possibilité de créer un journal francophile en
langue flamande, de manière à faire comprendre aux popula-
tions flamandes, dans la langue qu'elles connaissent, qu'il est
de leur intérêt d'apprendre le français et de faire apprendre
cette langue à leurs enfants. Cette proposition mérite de retenir
l'attention du congrès, au point de vue de la situation existant
en Belgique. Il ne faut pas se dissimuler qu'il sera peut-être
difficile de la réaliser, pour lui faire donner un résultat vrai-
ment utile; mais la question doit être étudiée et il est possible
qu'on aboutisse à un résultat pratique.
Telles sont les considérations que je tenais à présenter à la
section de propagande au nom de la Ligue nationale pour la
défense de la langue française, que j'ai l'honneur de présider
et qui, certainement, rencontreront l'approbation des membres
du congrès.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La langue française en Italie
Roi.AXii BARRAULT.
Éloigné de l'Italie, nous ne disposons pas des moyens de
recherche qu'on ne peut trouver que sur les lieux mêmes. Nous
ne pouvons songer ainsi à donner un rapport détaillé, muni de
statistiques, qui éclaire la situation de la langue française au
delà des Alpes, comme cela a été excellemment fait pour les
• autres pays. Nous nous excusons donc, dès l'abord, des géné-
ralités dans lesquelles nous nous maintiendrons, quoique
plusieurs raisons fondamentales nous permettent de ne pas trop
le regretter. N'est-il pas vrai, en effet, qu'il n'y a un véritable
intérêt à rassembler des chiftres et des statistiques, que là où un
certain nombre d'œuvres sont déjà en train? On aime alors à
constater leurs progrès, à rechercher les conditions favorables
de leur développement. Mais en Italie, si l'on met à part l'Insti-
tut si heureusement fondé à Florence par l'Université de Gre-
noble (I) et dont l'œuvre brillante se poursuit sous l'activité
(1) Remarquons qu'aucune de nos deux grandes écoles romaines n'a
une action sensible sur les milieux italiens. Ce n'est pas cependant que
plusieurs des historiens de Mgr Duchesne n'aient tourné leurs préoccupa-
tions vers l'Italie, sinon moderne du moins médiévale ou de la Renais-
sance : mais l'école reste exclusivement française et ne se mêle à aucun
mouvement contemporain.
1+2 — Ia-16 SECTION DE PKOPAGANDg
impulsion de son directeur actuel, M. Lucliairc, — en Italie,
malheureusement on ne trouve aucun organisme, aucun élément
même de sérieuse culture française. Les chiffres qu'on pourrait
réunir seraient dérisoires, et lorsque le mal est si grand, il n'est
pas mauvais de regarder les choses d'un peu haut. Plutôt que
d'engager une discussion sur les variations journalières de son
étendue, c'est le moment de caractériser le mal, île découvrir ses
origines pour le saisir là, non avec des remèdes de simple
rebouteux, mais par une opération de chirurgien.
Chiffres dérisoires, mal très grand : les personnes qui n'ont
fait qu'un court séjour en Italie pourront s'étonner de ces
expressions. Elles se rappelleront que, ne sachant pas s'expri-
mer facilement en italien, elfes ont toujours pu se faire entendre
en français. Peut-être même auront-elles remarqué que l'Alle-
mand et jusqu'à l'Anglais qui voyagent en Italie ont souvent
recours au français comme à une langue ((u'ils y savent partout
comprise.
Et non seulement ces voyageurs auront remarqué qu'il en
est ainsi dans tes villes où le grand concours des voyageurs a
désormais suscité ces organes spéciaux qui caractérisent le tou-
risme moderne, mais jusque dans les campagnes il n'est pas rare
de rencontrer des jeunes gens surtout qui comprennent le fran- .
çais, et même le parlent. Dans les gorges sublimes de San Gré-
gorio da Sassolo, entre Tivoli et Palestrina, nous-mêmes nous
vîmes s'approcher de la table de notre oslerta, avec la curiosité
d'essayer leurs connaissances, plusieurs jeunes Romaines qui
savaient s'exprimer un peu en notre langue. Leurs mères étaient
des plus fières, et les autres indigènes de ces castelli sauvages
les regardaient avec envie. Les couvents franciscains ont beau
de même être recrutés surtout parmi les classes paysannes, on
y trouve aisément des Pères qui parlent français, et l'on peut
avoir ainsi assez exactement la mesure d'une diffusion, qui,
malheureusement, comme nous le verrons, est une base tout à
tait inconsistante.
Encore cette diffusion ne pourra-t-elle apparaître que plus
grande si l'on passe des classes les plus populaires à la bour-
geoisie. Le voyageur averti aura même noté combien les devan-
I.E FBANÇAIS UAiNS I.E MOMlK lolô — i43
tuivs «les libraires contieniieiil peu <le liadiictions il'auleurs
franc-ais, tandis que les bibliothèques de prêt, si abondantes,
comme on le sait, dans toutes les villes de l'Italie, où elles rem-
placent à peu près complètement la bibliothèque familiale
privée, contiennent toujours un nombre fort respectable d'ou-
vrages français non traduits, et les registres de ces bibliothèques
montrent qu'on emprunte nos romans presque aussi couram-
ment que les romans italiens eux-mêmes.
Accompagnons même notre voyageur optimiste plus avant
dans la société italienne, dans les milieux cultivés d'une ville
connue Florence. Sans doute la première pensée de ceux qui
fondèrent à Florence l'Institut français, fut d'offrir à nos étu-
diants une maison de travail en pleine Toscane, Mais la ville du
lys, ancienne alliée de ceux de France, a toujours conservé aussi
une particulière amitié pour rintellectualité française. Non seu-
lement un public nombreux s'y trouve pour suivre les cour»
publics de l'institut, mais un y voit encore, par exemple,
M. Schiff,à VIstiIttIo de PiazsaSan Marco, réunir à salecon avec
les étudiants ordinaires de philologie moderne, beaucoup de
spécialistes de philosophie ou d'autres branches, et fournir à ces
jeunes gens les moyens d'arriver à un véritable contact avec les
plus originales tendances de notre littérature. Encore la vie
intellectuelle de Florence n'est-elle pas limitée à ses organes
universitaires. Placée à ce point de vue après Pise, Florence est
essentiellement, à côté des deux autres grands centres pensants
de l'Italie, à coté de Milan et de Naples, Télaboratrice des mou-
vements les plus jeunes et la gardienne en même temps des tra-
ditions les plus littéraires de l'Italie de jadis. Dans l'un et l'autre
de ces camps rivaux, nous retrouvons également une curiosité
très poussée de l'activité française. D'un côté, la belle Société
Leonardo peut se dire, dans chacun de ses membres, un appui des
plus précieux pour toute entreprise visant à la diffusion de notre
langue et de notre pensée, et le ton de ce club ne saurait être
plus conforme aux exigences d'une propagande française. De
l'autre côté, la Libi-eria délia Voce (\), dans sa préoccupation
(\) l.a. Libreria ilella Voce n'existe véritablement que depuis deux an».
M.iis le mouvement est plus ancien, et la Revue La Voce se tint toujours
144 — la 16 SECTION de propagande
toujours si éveillée des tendances contemporaines, importe de
Florence dans toute l'Italie, avec la connaissance d'auteurs diffi-
ciles comme Claudel, par exemple, le sens compliqué de nos
plus récentes orientations et un premier goût peut-être du néo-
humanisme français qu'elle combat du reste, sans en atténuer
la grandeur.
On aimerait pouvoir dire que tous ces éléments constituent
un terrain un peu solide. Mais nous aurons beau ajouter qu'il
ne faut pas limiter aux milieux florentins l'appréciation de notre
culture contemporaine; que V Alliance française trouve égale-
ment à Pise, à Bologne, des auditoires sympathiques, la facilité
même avec laquelle on réunit ces documents pour un jugement
optimiste, correspond aune vue pour le moins aussi superficielle,
quand elle néglige le cruel facteur qui domine la question do la
langue française en Italie : sa ressemblance extrême avec la
langue indigène. Il en naît cette situation paradoxale qu'avec un
minimum d'efforts l'Italien peut acquérir une certaine connais-
sance de notre langue. Mais, à cause de cela même, il ne le fait
pas, et se contentant d'une accointance approximative, reste dès
lors le plus souvent incapable de pénétrer un peu profondément
dans notre littérature et de réagir contre ces opinions toutes
faites qui courent toujours dans un pays sur les pays voi-
sins, et pour s'opposer auxquelles il faut ce lungo studio et ce
grande amore qui correspondent à une pratique assidue et véri-
table.
En fait, on ne sait jamais les choses trop faciles, mais seule-
ment celles qu'on a apprises avec une véritable dépense continue
et obstinée de volonté. Tous les Italiens connaissent quelques
mots dé français, très peu le savent, et, bien persuadés de cela,
passons maintenant, sans plus, à l'examen des conséquences de
cette situation très regrettable.
Si l'on ne considère que les classes populaires, la facilité que
au courant de la pensée française. Comme beaucoup de mouvements
jeunes en Italie, elle est fortement teintée de nationalisme : ce qui n'est
qu'un indice entre cent qu'il serait fort dangereux de confondre difi'usion
de la langue française et propagande politique. On pourrait se trouver
bientôt en face d'un véritable boycottage.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE la- 16 — 145
le français offre pour les Italiens n'a que des avantages, bien
entendu, fragiles malheureusement, mais on pourrait peut-être
sans trop de peine trouver le moyen de les soutenir. Les grands
courants d'immigration qui peuplent d'ouvriers italiens un très
grand nombre de nos régions, ramènent périodiquement en
Italie un nombre considérable de jeunes gens sachant le français.
Il ne faut pas chercher ailleurs l'explication qui pourrait paraître
ardue au premier abord, de ces îlots, perdus dans les provinces
les plus reculées, où l'on trouve une certaine connaissance de
notre langue. De là aussi, ce goût et cette curiosité qui font de la
connaissance du français comme une parure. Il faut remarquer
encore que l'émigrant, qui parle souvent un dialecte fort diffé
rentde la langue italienne littéraire, a eu le temps en France de
goûter cette unité de notre parler national; il en a été séduit et
souvent, du reste, son dialecte a plus de rapports avec le
français qu'avec le toscan. Malheureusement cette connaissance
meurt, dans la plupart des cas, par manque d'entretien. Il ne
s'agit pas. bien entendu, de tenter la conquête française de
l'Italie. Mais les esprits les plus éclairés des deux pays et les
amis sincères de la paix latine pourraient se réjouir, s'il se
trouvait un journal illustré français qui essayât de pénétrer
dans les veillées dominicales des provinces italiennes et d'y
porter, à ces émigrants rapatriés, avec le souvenir du pays qui
fut leur hôte un jour, l'amitié française et notre esprit de liberté.
Il faudi'ait, évidemment, pour cela des éditions un peu spéciales,
qui, sans chercher du tout à concurrencer les hebdomadaires
illustrés italiens, travailleraient à une propagande sentimentale
dont il serait aisé d'apprécier bientôt les heureux fruits.
Au-dessus de cette connaissance acquise d'elle-même en
France, se présente celle délibérément recherchée dans les
classes du soir par l'artisan, le petit employé, la dactylographe
et, en général, la jeune fille de petite bourgeoisie. Rien n'est
plus répandu en Italie, rien ne mène à de plus maigres résul-
tats. I^e français parlé par cette classe de personnes a pour con-
séquence la plus sensible de travailler, comme ferait un levain,
la langue italienne, et de la dénaturaliser. La tournure analytique
se substitueà la périodeet legallicisme inonde la gazette des villes
i-a 10
146 — Ia-16 SECTION DE PROPAGANDE
sans que à l'Italie ni la France aient à gagner à cette espèce
de mode, qui se retrouve du reste, mais bien plus méritoire, en
Allemagne, par exemple. Cette connaissance n'est du reste pas
suftisante pour permettre à ses possesseui-s de s'approcher des
originaux français, et c'est dans de nombreuses traductions ita-
liennes qu'ils lisent les Misérables de Victor Hugo ou les romans
humanitaires de Zola, ils y puisent du moins le sentiment d'une
France populaire et généreuse, qui coïncide souvent avec l'opi-
nion politique qu'ils ont sur notre pays. Mais c'est là un senti-
ment qui dort plutôt au fond d'eux-mêmes, ne s'exprime que
dans les moments les plus favorables. Généralement incapable,
au contraire, de réagir contre une impression plus récente, il ne
fait qu'alimenter de regrets ou de reproches un ressentiment tem-
poraire. Car déjà nous nous heurtons ici à ce que nous trouve-
rons plus nettement encore, en abordant la classe bourgeoise
aisée ou riche, dont les fils vont au gymnase et au lycée. L'ensei-
gnement du français est inscrit comme matière obligatoire dans
les programmes, mais avec des heures de moins en moins nom-
breuses à mesure que l'élève avance dans ses classes. Aussi le
lycéen arrive-t-il à son baccalauréat après avoir su, plutôt qu'en
sachant du français. Le français est en effet un « ornement »
qu'on acquiert vite, durant les années où le programme est encore
peu chargé, l'ossédé à peu près par tout le monde, nul n'ad'avan-'
tage à le savoir mieux qu'un autre, tandis que l'allemand ou
l'anglais peuvent servir à différencier deux cultures et sont prisés
quand on les connaît à fond. Ainsi la ressemblance des deux
langues pèse comme une fatatité sur la diffusion sérieuse du
français en Ilalie.
.\u sortir du lycée, cet étudiant ne trouvera du reste que quatre
universités du Regno où existe une chaire de français. Encore n'y
en a-t-il que trois actuellement qui soient pourvues de leur pro-
fesseur, de la manière la plus brillante du reste. Mais une
grande université comme celle de Pise n'a aucun enseignement
du français contre un d'allemand et un d'anglais. Ce n'est pas,
pourtant, que, durant notre séjour à l'École normale supérieure
de cette ville, nous n'ayons pu constater chez nos camarades une
intimité fort grande avec nos auteurs les plus réputés et une
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE Irt-16 — t47
attinitc naturelle même de ces esprits pour toute pensée qui
vient de chez nous. Mais tant de préjugés et d'idées toutes faites
étouffent la voix naturelle de cotte parenté latine, qu'elle n'arrive
qu'avec peine à réclamer ses droits, et pour longtemps encore,
sans doute, le fram.-ais continuera à ne pas compter à l'ise.
Il est triste de constater combien France et Italie s'obstinent
à ne pas se donner la peine de se comprendre. Il est certain que
pour trop de Français, l'Italie n'est encore qu'un beau paysage, et,
en revanche, on dirait que l'Italie aime à ne voir dans la culture
de notre pays qu'une espèce de production soumise aux mêmes
évolutions passagères que la mode, et plut<')t un article parisien
qu'un véritable enfantement de l'esprit. Ce malheureux juge-
ment est on ne peut plus résistant et corrompt jusqu'à la pensée
du public éclairé et littéraire. Trop souvent, à entendre des Ita-
liens, même intelligents, parler de nos romans comme de nos
<puvres les plus fines d'analyses historiques ou de portraits, on
a le sentiment qu'ils en réduisent la valeur :\ un écran brillant
qu'ils admirent sans laisser de le dédaigner en même temps,
incapables qu'ils sont de saisir par delù ce qui est original et
vivant. Pour peu qu'il s'y mêle de la pédanterie ou quelque
inlluence des méthodes allemandes, il arrive que des ouvrages
importants, publiés en France, sont l'objet de comptes rendus
qui étonnent par un parti pris contre lequel on ne saurait trop
réagir. Si un style simple et alerte est la marque de nos meil-
leurs écrivains, si le français aime à ne pas écrire seulement
pour les érudits, clarté n'est pas manque de profondeur et
savoir omettre certains détails ou certaines étapes d'une discus-
sion n'est pas légèreté de jugement. On comprend mal cet état
d'esprit de la critique italienne quand on compare les études les
plus admirées du grand de Sanctis et quelques-uns des Lundis
de Sainte-Beuve. C'est chez l'un et chez l'autre la même profon-
deur d'observation sous la même aisance. D'autres comparai-
sons du même genre poun-aient peut-être apprendre aux Italiens
à confesser la ressemblance qu'il y a entre les esprits véritable-
ment fins des deux pays. Dans cette même université de Pise où
il manque une chaire de français, le savant professeur Salve-
mini recommandait à ses étudiants un manuel français : il se
148 — Ia-16 SECTION DE PROPAGANDE
pourrait que ce fût là un petit fait qui marquât la fin d'une
légende.
Cette incompréhension s'étend aussi à notre manière de con-
cevoir et d'exposer les choses. II est toujours ditficile, pour un
peuple, d'entrer dans les mœurs intimes d'un autre et de saisir
justement sa façon d'exprimer quelques-uns de ses sentiments
les plus délicats. Le même esprit vif, qui paraît aux uns superfi-
ciel, paraît aisément irrespectueux aux autres, et l'on sait com-
bien la pensée française est facilement suspecte aux milieux
romains. Peut-être se rappelle-t-on aussi l'émotion produite en
Italie par le discours de réception de M*' Duchesne. L'esprit dont
il avait parsemé le tableau qu'il traçait de la Rome des cardinaux
n'avait pas été bien interprété, et tout cela correspond fort à l'iné-
galité extrême qu'il y a, de la distance entre les deux langues à
celle des tempéraments des deux races. Parce qu'on entend
immédiatement la langue, on oublie qu'il faut une étude préa-
lable pour se mettre dans son esprit, et c'est cette même incapa-
cité d'aller jusqu'à l'âme même de la pensée française qui se tra-
duit dans l'admiration outrée, professée par quelques-uns, pour
les mouvements les plus jeunes de notre littérature. De même
qu'une langue assise n'accepte pas tous les nouveaux mots, ainsi
une tradition ancienne ne s'incorpore pas toutes les formules lit-
téraires nouvelles, et les étrangers se hâtent trop en croyant pou-
voir décider, eux, sur ce que nous aurons à retenir parmi tant
de tendances. Les orientations les moins affinées peuvent leur
paraître excellentes, sans que la France ait le moins du monde
à leur obéir. Là encore, il faut réagir vigoureusement par l'affir-
mation constante de l'unité très complexe sans doute, mais réelle
de l'esprit français. Il faut marquer cette unité de race et de cul.
ture en face d'un cosmopolitisme à peine parisien. Malheureux
sèment, l'Italien ne fait jamais que traverser la province et dès
qu'on lui en parle, il s'épouvante et craint l'ennui. Car après la
superficialité et l'irrespect, l'ennui éloquent et classique est le
troisième caractère qu'on veut bien découvrir en France. Et il
n'est que trop certain qu'on ne verra jamais nos grands auteurs
classiques appréciés au delà des Alpes. Il en naît le plus fâcheux
des cercles vicieux. Persuadé qu'on ne comprendra jamais par-
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-16 — 149
faitenient Racine, on n'en examine pas attenlivement la langue
et, sans cet examen, on se condamne à le comprendre moins
encore. Aussi finit-il par ne plus rester d'immédiatement assi-
milable par les Italiens que nos romantiques. C'est venir sans
doute à la France par une avenue bien particulière. Cependant,
il faut espérer que plusieurs études sérieuses et jeunes, publiées
sur cette matière en Italie, produiront enfin, à nouveau, un pre-
mier contact sympathique des deux grandes familles intellec-
tuelles italienne et française, et ramèneront cette mutuelle com-
préhension qui seule pourra donner de la vie à la diffusion de
notre langue.
Pour hâter ce moment, il serait utile qu'un jeune écrivain, au
courant de la pensée italienne aussi bien que de la nôtre, com-
posât une histoire de la littérature française à l'usage des Italiens,
en attirant leur attention sur les véritables propriétés caractéris-
tiques de la pensée française et en les invitant à considérer cet
esprit de société, cette recherche psychologique et ce besoin
d'universaliser qui nous font différer si profondément d'eux-
mêmes. Sur une telle base seulement on peut espérer recon-
struire un édifice durable, à condition que, de notre côté, nous
voulions bien aussi reconnaître nos dettes du passé et confesser
les qualités particulières de l'Italie. Une mutuelle estime par
une mutuelle connaissance est là condition absolue de toute
tentative française en Italie, et nous sommes vraiment deux voi-
sins qui se ressemblent trop pour ne pas essayer d'accorder nos
petites différences.
Note complémentaire.
Le français dans la Vallée il' A oste.
La persistance du français dans ce coin perdu est un des phé-
nomènes les plus curieux qui s'imposent à l'observation du lin-
guiste. Elle ne peut être négligée dans un recueil comme celui-ci.
Cràte aux recherches de M. le chanoine Frutaz (4), on sait qu«
(1 ) Les origines de It l«ngue franfaise dans lu ValUe 4'Aoste.
iSO — I«-16 SECïIOX IIE PROPAGANDE
le français est bel et bien là-bas, comme en Gaule, du lalin lente-
ment modifié. La langue de Home avait été implantée sur un sol
celtique dans cette région presque inaccessible, qui passa ensuite
sous la domination des Burgondes et devint, plus tard, un fief
des ducs de Savoie. Est-ce à cette influence bourguignonne
qu'est dû le léger accent méiùdional des habitants de la vallée?
On serait porté à le croire. En tout cas, le français ne cessa d'être
parlé au cours des siècles. Les grandes familles féodales, le
clergé et la bourgeoisie n'eurent jamais d'autre idiome. Le
l)euple parla naturellement des patois, qui peu à peu furent
refoulés dans les campagnes et disparurent devant la langue cul-
tivée sans laisser d'autres traces que quelques tours et quelques
mots. M. le chanoine Frutaz a étayé sa démonstration de textes
nombreux et décisifs, mémoires, édits des ducs de Savoie (notam-
ment d'Emmanuel-Philibert, ordonnant, en i572, de rédiger
tous les actes en français, de Charles-Emmanuel, déclarant,
en 16,i0, « nulles les publications faites en autre langue que
française », etc.).
Dans ces dernières années, le gouvernement italien a pris
ombrage d'une survivance, pourtant tout aussi respectable que
celle des dialectes grecs de certaines régions du midi de la
péninsule, et, par la voie administrative, il s'est efforcé de décou-
rager les amis de la langue française, en expulsant celle-ci de
l'école, des pièces oHicielles, etc. Les Valdôlains ne se laissèrent
pas aller au découragement; ils se groupèrent et firent entendre
d'énergiques protestations. Le 13 décembre 1909, le ministre
compétent, répondant à une question de l'honorable Kattone,
leur mandataire, reconnaissait leur droit de rédiger dans la
langue qui leur était familière les actes publics, et particulière-
ment les actes de l'état-civil. Le nouvel évéquc d'Aoste,
M«' Tasso, quoique étranger au pays, ne ménageait pas, de son
côté, les encouragements aux défenseurs de la langue française;
grâce à des collaborations privées, des cours du soir étaient
créés, et on obtenait que l'indemnité réservée aux maîtres de
français fût portée de 10,000 à 20,000 francs, ce qui permit de
donner, dans plusieurs communes, à près de deux cents élèves,
pendant trois mois, l'enseignement gratuit des premières notions
l.E FHANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-16 — 15t-
lie notre langue, de créer deux écoles françaises à Aoste même,
d'instituer enfin un cours supérieur de français correspondant à
celui qui était jadis inscrit au programme du collège. En atten-
dant qu'on introduisit à l'École normale d'instituteurs un cours
spécial de français, mettant les élèves en état d'enseigner conve-
nablement cette langue à leur tour, le comité valdûtain organisa
un « Cours accéléré de français avec un horaire de deux à trois
heures par jour ». Ce cours, suivi par un certain nombre de
maîtres, a eu un succès de bon augure. En 1911, on a, d'autre
part, inscrit dans le budget du collège ofticiel une somme
annuelle de 400 lires pour un enseignement spécial du français
au Convitio annexé.
Telle est l'œuvre du Comité pour la protection de la langue fraii-
i-aise dans la vallée d'Aosto, et on doit espérer qu'il ne s'en tien-
dra pas là. Ce comité a à sa tète un homme, dont la droiture, la
vaillance et l'instruction lui ont valu une autorité tout à fait
exceptionnelle, M. le !)"■ Anselme Réan. Mais parmi ses collabo-
rateurs il faudrait signaler bien des noms d'ecclésiastiques et de
laïques, tous animés du même zèle et également désintéressés.
D'une façon générale, on peut dire que le pouvoir est bien dis-
posé pour ces messieurs. Ce sont plutôt les fonctionnaires subal-
ternes qui, de temps en temps, cherchent à mettre des entraves
à leur utile propagande. Dans l'avenir, rien n'empêcherait —
comme le professeur Hajna l'a proposé — que l'enseignement du
français à Aoste fût l'objet d'un échange de maîtres envoyés de
France et pairant avec des Italiens qui iraient enseigner là-bas
leur langue nationale.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE.
La culture française en Angleterre
Paui. manïoux,
professeur à l'Universilé de Londres.
L'histoire de l'influence exercée par l'esprit français sur
l'esprit anglais — comme l'influence réciproque de l'Angleterre
sur la France — remplirait beaucoup de volumes. Quelques-uns
sont écrits déjà : un plus grand nombre restent à écrire. Les
quelques notes qu'on va lire ne donneront qu'une idée bien som-
maire de cette influence, telle que nous la voyons agir sur l'An-
gleterre contemporaine.
La première et la plus simple de ses formes multiples, c'est
l'étude de la langue française. Les Anglais ont et méritent, plus
encore que les Français eux-mêmes, la réputation d'ignorer les
langues étrangères. Mais, lorsqu'ils en savent une, c'est, dans la
plupart des cas, le français. Il figure au programme habituel des
écoles secondaires, de préférence à l'allemand, dont la richesse
complexe et la structure synthétique rebutent des esprits habi-
tués à une grammaire plus facile. Parmi les classes supérieures
(l)Je dois exprimer ici mes remerciments à mon collègue e* ami
M. Louis Brandin, professeur à l'UniTersité dé Londres, à qui je dois les
plus utiles informations sur- les revues françaises en Angleterre.
134 — Ia-17 SECÏIO.N DE PKOPAGANDI-;
de la société, la connaissance du français est non seulement très-
répandue, mais poussée, en certains cas, à la perfection : alors
l'accent même, si rebelle à toute adaptation, arrive à s'atténuer
jusqu'à devenir à peine perceptible. Ceci est, il faut le recon-
naître, exceptionnel, et ne peut se rencontrer que dans les
familles les plus bautement cultivées. Mais beaucoup d'Anglais
qui, par timidité, hésitent ou renoncent à parler français lors-
qu'ils en trouvent l'occasion, suivent parfaitement une conver-
sation française, et voyagent à travers nos provinces sans avoir
besoin du moindre interprète. Le nombre de ceux qui, peu fami-
liers avec la langue parlée, peuvent lire et lisent en effet très
volontiers des livres français, est plus grand encore, et paraît
s'accroître constamment. La moyenne et la petite bourgeoisie ne
savent guère le français : c'est que leur instruction est, à tous
égards, moins complète et moins ))ien organisée que celle des
classes correspondantes en Allemagne, aux Pays-Bas ou en
France; lorsqu'on s'efforce de l'améliorer, on y introduit aussitôt
l'étude du français, considérée comme un des éléments essentiels
d'une bonne éducation. Résidant à Londres, il y a une quinzaine
d'années, dans un UnivemiUi Seulement où l'on travaillait à
élever le niveau intellectuel du voisinage, et que fréquentaient
des employés, de petits commerçants, des ouvriers qualifiés,
j'avais offert de donner un cours de français. J'eus aussitôt une
vingtaine d'élèves; et — ce qui est plus remarquable — après
mdn départ, la demande s'est maintenue, et le cours de français
est devenu, h la longue, une institution permanente. Je ne crois
pas ([u'aucune autre langue eût trouve cette faveur auprès d'un
auditoire populaire.
A mesure que l'enseignement du français paraît plus néces-
saire, le nombre des professeurs français en Angleterre s'accroît.
Leur présence dans les écoles secondaires n'est pas, à vrai dire,
une nouveauté : c'est, au contraire, une tradition qui se conti-
nue : le temps n'est pas très éloigné oîi, en France, l'habitude
s'était conservée de confier à des étrangers le soin d'enseigner
leurs langues respectives. Ce qui est relativement nouveau, c'est
la place tenue par des Français dans l'enseignement supérieur
en .Angleterre et en Ecosse. I^s universités de Londres, de Bir-
I.E FRANÇAIS DANS r.K MONDE 1(1-17 — 155
niingliam, de Livcrpool, de Leeds, de Bristol, de Glasgow, du
J*ays de Galles, ont des professeurs ou des maîtres de conférences
français; à Oxford, c'est un Français qui, depuis de longues
années, dirige une des sections de la Fondation Tayloc, et lors-
qu'il s'est agi, tout récemment, de donner un nouveau titulaire
à la chaire de philologie romane, c'est aux maîtres de La Sor-
bonne et de l'École des Chartes que l'on s'est adressé : leur can-
didat, un Suisse de langue française, a été désigné. A Edim-
bourg, où la sympathie et le goût pour la culture française
datent de loin — les Ecossais aiment à rappeler les anciennes
reliilions entre la France et l'Ecosse, au temps de leur indépen-
dance — un professeur belge enseigne, et s'est fait connaître par
d'intéressantes publications. Beaucoup de ces chaires sont de
création récente : à Londres, la libéralité du Conseil de Comté a
permis d'inaugurer d'un seul coup, en i913, deux enseignements
nouveaux — littérature française moderne, histoire et institu-
tion de la France moderne — confiés, l'un et l'autre, à des
Français.
Ce qui explique ce mouvement, c'est le désir d'introduire en
Angleterre les méthodes de l'enseignement spécial français. Sa
rénovation éclatante, au cours des trente dernières années, com-
mence, après avoir porté ses fruits au-dedans, à être pleinement
appréciée au dehors. Les revues scientifiques du Royaume-L'ni
consacrent à la production française une place de plus en plus
étendue. Malgré le prestige que conservent, à juste litre, la
science et l'érudition allemandes, c'est vers la France surtout
que se tournent les Anglais, lorsqu'ils songent à refondre leur
système d'instruction publique, dont les lacunes et les insutFi-
sances leur sont connues. On trouvera l'expression la plus nette
et la plus raisonnée de cette tendance dans le livre récent de
-M. Brerelon.S/wrfjfts in Foreign Education. Ce n'est pas seulement
plu.s de rigueur dans la recherche, mais un esprit plus large,
une méthode d'enseignement plus claire et plus compréhensive,
que les Anglais veulent chercher au dehors — et en France. Ce
seront peut-être, demain, certains principes d'organisation, sur-
tout lorsque se posera la question de la réforme des écoles
secondaires : dans un discours prononcé cet hiver au banquet
156 — la- 17 SECTION DE PROPAGANDE
(le la Société des professeurs de français, lord Reay of Lankes-
ter, une des plus hautes autorités de l'Angleterre en matière
d'éducation, faisait un éloge presque excessif de nos institutions
scolaires, et louait leur arrangement systématique, leur centra-
lisation, tout ce qu'elles ont de plus étranger aux habitudes
anglaises.
Tout cela ne peut se faire sans quelques résistances. Mais ce
qu'on discute, ce sont les applications plutôt que les principes,
et les personnes plutôt que les idées. Parmi ceux qui, par
exemple, se plaignent de l'invasion des professeurs français, le
sentiment qui domine n'est que celui de la concurrence — assez
naturel d'ailleurs. Eux-mêmes vont étudier en France ot en rap-
portent les méthodes qui les mettront un jour en état de faire
moins souvent appel à des collaborations étrangères. Ce jour
n'est pas encore venu. L'influence française, dans ce domaine,
n'est qu'à ses débuts : c'est dans l'espace d'une génération qu'on
en pourra juger les résultats.
Tandis que cette influence pénètre et se développe à l'intérieur
même des universités et des écoles anglaises, elle se fortifie par
l'action des institutions et des sociétés qui, fondées par des
Français, se donnent pour tâche de propager en Angleterre la
connaissance de notre langue, de notre littérature et de nos arts.
Au premier rang il faut citer l'Alliance française. Longtemps
elle n'a eu en Grande-Bretagne que des sections locales.
Depuis 1907 il existe une Fédération britannique des comités
de l'Alliance française, qui compte aujourd'hui plus de
5,000 membres. Le Congrès de Saint-Andrews, au printemps
de 1913, a été une manifestation brillante de son activité. On
sait quels sont les moyens d'action habituels de cette grande
association : cours de langue française, conférences littéraires,
fondations de bibliothèques. La Fédération britannique en est
au troisième article du programme, et travaille i organiser une
bibliothèque de prêt, qui rendrait assurément de grands ser-
Tices.
L'Institut français du Royaume-Uni, fondé en 1913, à l'ini-
tiative de l'Université de Lille, se réclame des instituts analogues
qui, depuis plusieurs années, fonctionnent avec d'heureux résul-
I.E FRANÇAIS DANS I.E MONDE Ia-17 — 1S7
tats à Florence, à Madrid et à Saint-Pélersbourg. Soutenu par
des subventions officielles et par des souscriptions privées,
recommandé au public anglais par un Comité de patronage où
figurent de hautes personnalités, cet institut s'est assigné un
rôle original. Ce n'est pas uniquement aux relations intellec-
tuelles, mais aussi aux relations économiques des deux nations
qu'il doit collaborer : à côté de cours sur la société, la littéra-
ture et l'art en France, il a inauguré un enseignement juridique
et commercial, à l'usage des jeunes gens français et anglais, qui
font à Londres leur apprentissage des affaires : les uns doivent
y apprendre à connaître et à comprendre plus vite et mieux le
pays où ils se trouvent, les autres, à se mettre plus aisément en
relations avec le pays voisin. Les Anglais sont aujourd'hui les
premiers à reconnaître, dans ce domaine où la pratique aura
toujours le dernier mot, l'utilité et l'importance d'une prépara-
tion systématique. Il faut souhaiter qu'une expérience qui offre
aux qualités opposées des deux peuples l'occasion de se complé-
ter si heureusement triomphe des difficultés que peut lui créer
sa nouveauté même.
L'Institut français s'est combiné avec une institution déjà
existante et florissante, qui lui a prêté non seulement un très
beau local, voisin de Hyde Park, mais les avantages d'une situa-
tion acquise : c'est l'Université des lettres françaises, fondée
en 1910 par M"° d'Orliac. L'on a continué à y faire des confé-
rences sur des sujets littéraires ou historiques, sous la forme
attrayante qui a fait, à Paris, le succès de l'Université des
annales. C'est un genre moins austère que l'enseignement scien-
tifique, mais qu'il ne faut pas dédaigner. Notre supériorité y est
incontestée, et permet d'attirer un public mondain, un public
féminin surtout, dont le concours est singulièrement précieux
pour le développement de la culture française dans la famille et
dans la société.
Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner les cours créés par
la Société des professeurs de français, pour un public moins aris-
tocratique, mais laborieux, et dont le nombre augmente sans
cesse : chaque année, la cérémonie de la distribution des récom-
penses, qui a lieu à Mansion House, la résidence du lord maire,
) 58 — la- 1 7 SECTION DE PROPAGANDE
fournit de nouvelles preuves de leur succès. Toutes ces diffé-
rentes institutions sont aidées par la sollicitude éclairée de
l'ambassadeur, M. Paul Cambon, dont l'intelligence élevée s'in-
téresse à toutes les manifestations de l'esprit français en terre
anglaise, et aussi par celle de ses collaborateurs, le consul géné-
ral, M. de Coppet et l'attaché commercial, M. Jean Périer, mieux
faits que personne potir comprendre et apprécier les rapports
entre la propagande intellectuelle et l'expression économique.
L'enseignement est le moyen d'action le plus direct. Est-ce tou-
jours le plus puissant? Toujours est-il que l'influence française a,
pour pénétrer l'esprit anglais, beaucoup d'autres voies. La presse
de langue française mérite d'être mentionnée : Londres a plu-
sieurs journaux français, dont un, la Chronique, est à présent
dans sa seizième année. Mais ces journaux, il faut bien le dire,
s'adressent surtout à la colonie française de Londres, et leur
œuvre est du même ordre que celle des nombreuses sociétés,
professionnelles ou philanthropiques, qui groupent les Français
résidant en Angleterre. 11 les aident à ne pas se perdre dans le
milieu ambiant, ce qui est assurément une manière de servir
l'influence française. Beaucoup plus étendue et plus impor-
tante est l'action de la littérature, du théâtre et des beaux-arts.
On peut l'envisager sous deux points de vue diflférenls, soif
qu'elle s'exerce immédiatement, par la lecture, la représenta-
tion ou l'exposition des œuvres françaises, soit qu'elle contribue
à transformer la production en Angleterre même.
Pour ce qui est du théâtre, personne n'ignore la faveur que le
public anglais a toujours témoignée à la scène française. Nos
grands acteurs reçoivent de lui un accueil triomphal. Des noms
comme ceux de Coquelin et de Sarah Bernhardt sont à Londres
aussi populaires qu'à Paris même. Il n'est pas d'année où plu-
sieurs troupes ne visitent la Grande-Bretagne : on sait que le
Théâtre Français l'a fait à plusieurs reprises avec le plus vif suc-
cès. Dans un genre, il est vrai, moins élevé — celui de la revue
de café-concert — un théâtre londonien, le New Middiesex,
réussit, depuis deux ans, à attirer un public sans cesse renou-
velé à des représentations données en français. Il est évident
qu'une petite minorité seule est en état de suivre sans difficulté
LE FRANÇAIS DAKS l.E MONDE In-17 — 159
«n dialogue en langue étrangère, et il en serait de môme dans
tous les pays. Mais le public anglais tout entier écoute et appré-
cie des traductions et des adaptations de pièces françaises. Nulle
ibranche de notre exportation n'est plus florissante. Parfois la
pièce est traduite sans modifications : le plus souvent — sur-
tout lorsque son mérite littéraire n'est pas de premier ordre
— elle est plus ou moins accommodée au goût anglais : on en
•retranche certaines hardiesses de situation ou d'expression qui
^choqueraient le public britannique, on leur donne un titre qui
n'a plus rien de parisien, et sous lequel on est étonné de recon-
naître le dernier succès du Vaudeville ou des Variétés. Il faut
Lien le dire, ce ne sont pas toujours nos meilleures pièces qu'on
traduit, l'objet en vue n'étant pas essentiellement l'éducation lit-
téraire du public. Mais il y a d'heureuses exceptions, et quelque-
fois nos classiques mêmes paraissent sur la scène : on jouait à
Londres, cet hiver, le Médecin malgré lui.
On se plaint souvent, en Angleterre, de l'état languissant du
théâtre national. Sont-ce les exemples français qui peuvent
l'aider à se reconstituer? On eût pu le croire, il y a une vingtaine
d'années, lorsque Pinero fit applaudir de brillantes productions
où, à l'influence visible d'Ibsen, se mêlaient celles d'Alexandre
Dumas fils et de Henry Becque. Mais les efforts intéressants et
parfois heureux d'écrivains plus récemment arrivés à la notoriété
ne semblent pas devoir grand chose à la France. Les charmants
jeux d'imagination de M. Barrés, et les feux d'artifice intellectuels
de M. Bernard Sthaw, n'ont absolument rien de français, et dans
la forme pas plus que dans le fond. M. Arnold Bennett se rap-
proche, peut-être, un peu davantage de nos formules drama-
tiques. Mais les problèmes qu'il pose et les personnages qu'il
■évoque sont bien anglais. Le rôle réservé au sentiment, une
certaine hantise du mystère et de l'au-delà, des préoccupations
morales qui, même dans le paradoxe volontairement agressif et
■cynique, trahissent la persistance d'une invincible tradition reli-
gieuse, tout cela nous transporte loin de la France. Je ne parle
pas des ouvrages d'ordre inférieur qui, malheureusement,
forment, en Angleterre, comme ailleurs, l'écrasante majorité.
Auprès d'un public peu diflicile à amuser, et qui ne cherche au
160 — Ifl 17 SECTION DE PROPAGANDE
théâtre qu'un moment de délassement, la pantomime de Noël et
l'opérette mêlée de danses conserveront toujours leurs droits.
Il en est de même pour les autres branches de la littérature.
Les ouvrages français ou leurs traductions sont très lus : mais
leur influence sur la production anglaise n'est pas considérable.
En poésie, les Anglais ne pensent avoir rien à nous envier : c'est
ce que, chez nous, ils cherchent le moins à bien connaître : si le
robuste génie d'un Verhaeren s'impose à eux, c'est par ce qu'il
a de septentrional et de germanique. Le roman et la nouvelle
ont beaucoup de lecteurs, et de différentes espèces. Les hautes
classes de la société les lisent en français, lorsque leur amour
des sports leur en laisse le temps : parmi les femmes surtout,
dont les loisirs sont plus larges et plus variés, il n'est pas
rare de rencontrer des personnes qui suivent avec l'attention
la plus éveillée et le goût le plus averti notre mouvement litté-
raire. Quel est l'écrivain anglais qui trouverait à Paris l'accueil
triomphal fait par la société londonienne, l'hiver dernier, à
Anatole France ?
Les classes moyennes, qui lisent relativement peu, en dehors
des journaux et des magazines, ont une prédilection marquée
pour deux ou trois romanciers français : Alexandre Dumas père
jouit d'une popularité qui ne peut se comparer qu'à celle de
Dickens : et le théâtre, et le cinématographe, vulgarisent à l'infini
des variantes des Trois mousquelaii'es ou de Monte-Cristo. On
sait l'énorme succès de librairie des traductions anglaises de
Zola, dû, il faut le reconnaître, plutôt à une curiosité à demi
effarouchée qu'à une admiration sincère.
Il s'agit ici du gros public, qui se connaît peu en psychologie et
en style, et qui demande à ses auteurs favoris des émotions, sans
se préoccuper beaucoup de leurs qualités littéraires. Il ignore,
naturellement, les essayistes et les moralistes, dont un public
plus restreint et plus raffiné fait ses délices : Barrés, Maeterlinck,
ont des admirateurs prononcés, mais peu nombreux, comme on
doit s'y attendre. A plus forte raison pour les classiques, que
ne signale aucun intérêt d'actualité, et dont la connaissance ne
permet pas de briller dans les salons : Le Gulliver de Swift a en
France plus de lecteurs que, de l'autre côté de la Manche, le
LE FRANÇAIS DANS I,E MONDE Ia-17 — 161
Candide de Voltaire. Il n'en est pas moins vrai que nulle littéra-
ture au monde, pas même à beaucoup près, celle de l'Allemagne,
malgré tant d'affinités, ne jouit en Angleterre d'une situation
comparable à la nôtre.
Et malgré cela, le roman, la nouvelle, l'essai, restent aux
mains des auteurs nationaux, qui trouvent dans leur propre pays
tant de modèles, foncièrement, irréductiblement anglais. Peut-
être la technique de nos romanciers, leur manière plus brève et
plus serrée, a-t-elle modifié quelque peu la tradition du xix' siècle.
Mais cette modification n'atteint guère que les dehors et les pro-
cédés : dans des livres plus courts qu'autrefois, aux épisodes
moins nombreux et plus fortement groupés, à la couleur moins
atténuée par le respect de certaines convenances, nous retrou-
vons des caractères et des idées qui dureront autant que le
tempérament du peuple anglais.
Le ton en est aussi devenu plus libre : la pudeur britannique
s'est faite moins susceptible, quoiqu'elle ne soit pas morte avec
la reine Victoria. Mais il n'est pas probable que ce changement,
sensible dans la vie quotidienne autant que dans les livres, soit
dû à l'influence française : c'est plutôt une réaction spontanée,
à certains égards favorable à cette intluence, parce qu'elle
diminue l'écart entre les deux actions et leur permet de se mieux
comprendre en atténuant des préjugés réciproques.
Ce rapprochement permet aux idées d'origine française d'être
accueillies avec moins de défiance. Les personnes de la généra-
tion précédente, un Taine, un Renan, ont été, en Angleterre,
connus et appréciés, mais peu suivis. Auguste Comte, en dehors
de l'étroite église positiviste, n'a agi qu'au travers de Stuart Mill
et d'Herbert Spencer, dont les doctrines n'étaient pas sorties de
la sienne. Aujourd'hui, notre école philosophique est en train
de conquérir la pensée anglo-saxonne, qui reconnaît d'ailleurs,
dans MM. Boutroux et Bergson, des esprits apparentés à l'Anglais
Thomas Hill Green et à l'Américain William James. Dira-t-on
que c'est en s'écartant du rationalisme cartésien, qui est propre-
ment français, que cette philosophie nouvelle trouve hors de
France tant d'admirateurs et d'adeptes? Ce serait, je crois mécon-
naître tout ce que lui vaut de faveur l'exposition claire et
le ii
16"2 — Ia-17 SECTION DE PROPAGANDE
distincte, la finesse de la dialectique et la beauté du style.
il est d'ailleurs assez naturel qu'une nation agisse sur une
autre d'autant plus qu'elle tend à lui ressembler. C'est peut-être
ce qui explique l'influence souveraine sur l'art anglais contem-
porain — du moins en peinture et en sculpture — de notre art
réaliste, qui prit ses premières leçons à l'école de l'Anglais
Constable. La peinture toute littéraire des préraphaélites, avec
son raffinement parfois délicat, toujours artificiel, a fait son
temps en Angleterre. Les maîtres de la génération présente, ce
sont nos grands portraitistes et paysagistes du xix« siècle, dont
un, Alphonse Legros, a passé plus de la moitié de sa vie de
l'autre côté du détroit. En eux, comme en l'Américain Whistler,
dont les premières productions soulevaient la réprobation des
esthètes groupés autour de John Ruskin, le public anglais a
reconnu les qualités de force, de sincérité, de naturel qu'il savait
apprécier déjà dans notre littérature, et qui lui conviennent autant
que lui convenaient peu les formules du classicisme académique.
A chaque pas qu'une nation fait vers l'autre, celle-ci, à son tour,
fait volontiers un autre pas. Parmi les causes qui ont contribué,
récemment, au relèvement du prestige et de l'influence de la
France en Angleterre, il faut mentionner le succès de nos entre-
prises coloniales, la renaissance de notre culture physique, les
triomphes de nos aviateurs, et — pourquoi non? — de nosathlètes.
Lorsque l'Angleterre croyait la France très différente et très
éloignée d'elle, elle l'observait avec une curiosité parfois très
vive, mais sans grande sympathie, et sans aucun désir de l'imiter.
Cela a changé, cela change encore sous nos yeux ; peut-être les
circonstances politiques y sont-elles pour quelque chose. Et
l'observation se vérifie jusque dans le degré d'influence exercée
par les différentes formes de notre activité intellectuelle. Les
Anglais aiment notre littérature et notre théâtre, mais leur
empruntent peu; au contraire, nos recherches scientifiques, notre
enseignement, nos systèmes de philosophie, tout ce qui leur
paraît sérieux et profond chez un peuple dont la légèreté était
parmi eux proverbiale, agit sur eux fortement, et travaille à la
transformation de leur esprit, autant qu'eux-mêmes ont pu
contribuer à celle de nos institutions ou de notre caractère.
F. — SECTION DE PROPAGANDE.
A) LK FRAXCAIS DANS I.E MONDE.
L'enseignement du français en Allemagne (')
L'étude approfondie de cette grosse question : l'état du fran-
çais en Allemagne, demande un développement incompatible
avec les proportions d'un rapport comme celui-ci. Elle se com-
plique, en effet, de toute sorte d'éléments qui échappent à
l'appréciation ordinaire. Comment établir quel est, dans chaque
ville de l'Europe, le nombre exact de personnes parlant français?
Et si même une statistique de ces personnes existait, quelle
valeur aurait-elle? Car que veulent dire ces mots : parler fran-
çais? ils n'ont qu'une portée toute relative. Un garçon de café
(1) Ceci n'est pas un rapport, et pour cause. Nous n'avons pu obtenir d'un
Sujet allemand, ayant toute la compétence voulue, un travail sur la ques-
tion, et il semble superflu de dire pourquoi. D'autre part un étranger était
hors d'état de mener seul à bonne fin une enquête aussi longue et aussi
délicate. Restait un troisième parti, que nous avons adopté. Il consistait à
substituer à une demande de rapport des questionnaires spéciaux, adressés
à un certain nombre de personnes et portant sur les données officielles, sur
l'activité des cercles français, etc., et & combiner les renseignements ainsi
recueillis avec ceux que les bulletins de l'Alliance française de Paris nous
apportent. A défaut d'un tableau complet, on aura, du moins, une vue
d'ensemble déjà satisfaisante, et surtout réconfortante. N'est-ce pas
l'essentiel?
164 — Ia-18 SECTION DE PROPAGANDE
OU de restaurant, dans deux cents villes allemandes, parle-t-il
fiançais, parce qu'il est capable de répondre aux questions élé-
mentaires d'un client pressé de se faire servir un potage, un
bifteck ou une demi-bouteille de vin? En revanche ose-t-on
exclure les centaines d'hommes d'études qui lisent notre langue,
par goût ou par devoir, mais sont hors d'état de bredouiller
distinctement quelques phrases? Sans doute la même objection
peut être formulée pour d'autres pays; mais elle n'est nulle part
aussi grave qu'ici. Nulle part ailleurs, il n'y a un peuple d'éru-
dits, discipliné et bien préparé, possédant la connaissance théo-
rique des langues étrangères, sans qu'il obéisse pour cela à un
instinct de sympathie quelconque, de telle sorte qu'il devient
embarrassant de tirer argument de ses qualités mêmes en faveur
d'une pénétration française quelconque.
Que le français ait toujours été, avant comme après 1870, la
seconde langue vivante de tout Allemand qui ne se contente pas
de la sienne, c'est ce qui semble hors de conteste. Les faits
d'observation quotidienne sont d'accord avec la lettre des pro-
grammes d'enseignement pour le démontrer. Nous ne remon-
terons pas jusqu'à Rivarol et à la question posée par l'Académie
de Berlin (1); nous négligerons la période impériale (2) et les
époques qui ont suivi, et où la réaction anti-française, si elle a
eu des effets trop certains sur la mentalité de l'Allemand, en a
eu de beaucoup moindres sur sa culture (3). La législation sco-
(1) Il faudrait remonter alors plus haut. Voyez M. Wilmottk, « Pour-
quoi il faut parler français " dans les Cahiers alsaciens, P'' et II" fasc.
(2) Un seul témoignage, mais très curieux, nous est fourni par un docu-
ment de l'an IX de la République, l^a. Décade philosophique àe\3.\tia.\oT\^T
alors les échanges intellectuels entre la France et l'Allemagne. Or, à cette
date, la Société d'agriculture, sciences et arts du Bas-Rhin propose, comme
sujet de prix, la question : " Quels sont les moyens de propager la connais-
sance et l'usage de la langue française parmi les habitants de toutes les
classes des départements de la République, dont la langue vulgaire {sic)
est l'allemand? " (Picavet, Les idéologues, p. 83).
(3) Ainsi s'explique que les études romanes (où le français est favorisé
singulièrement) n'ont cessé, au xix" siècle, de se développer dans les uni-
versités allemandes et que c'est là que .les plus illustres maîtres de la der-
nière génération, en France, ont dû aller parfaire leur éducation scien-
tifique.
I.E FRANÇAIS DAXS I.E MONDE Ia-18 — 16o
laire des dernières années du xix* siècle et des premières années
du xx« siècle, comme aussi le réveil de culture française au cours
de ces dernières, voilà le sujet qu'il importe de traiter ici, fût-ce
sommairement.
La plus grande ditticulté qu'il oflre provient peut-être de la
niulliplicité de la vie intellectuelle en Allemagne. Alors qu'en
France, depuis Napoléon I" (et en dépit d'innovations récentes,
plus superficielles qu'elles n'en ont l'air) il y a une Université et
non des universités, et que tout l'enseignement est unifié, cen-
tralisé par le régime des Académies (et un vote récent de la
Chambre a encore renforcé les pouvoirs des recteurs de celles-ci,
qui dépendent tous directement de Paris), en Allemagne, non
seulement il existe une large autonomie de l'enseignement supé-
rieur, mais l'enseignement secondaire et primaire n'est nulle-
ment régi par des lois et règlements uniformes, et pour en décrire
le mécanisme, il faudrait s'y reprendre autant de fois qu'il y a
d'États grands et petits, et non seulement d'États, mais même de
villes, la part d'intervention municipale dans la rédaction des
programmes et les choix des maîtres étant infiniment moins
réduite outre-Khin (1).
Nous ne pouvons entreprendre ici une telle enquête, et force
nous sera de nous contenter de quelques données d'un caractère
aussi général que possible. On verra, du reste, qu'en dépit de
leur source restreinte, elles offrent des analogies très signifi-
catives.
Et tout d'abord, parlons de l'enseignement supérieur. Les
cours scientifiques et pratiques de français tendent à se multi-
plier de plus en plus, et on constate l'activité sans cesse crois-
(1) C'est ainsi que récemment le premier bourgmestre de Dusseldorf
demandait à la Chambre de commerce de cette ville son avis sur la question
de savoir s'il convenait de renforcer l'enseignement du français ou celui de
l'anglais dans les cours de l'enseignement secondaire qui dépendent de lui.
Après de longs débats, la Chambre de commerce a décidé de répondre au
bourgmestre qu'à son avis l'étude du français, inscrit comme langue obli-
gatoire dans le programme des études secondaires, était i mettre au-dessus
de celle de l'anglais.
166 — 1,1-18
SECTION DE PROPAGANDE
santé des maîtres comme des élèves, dont les travaux ont notre
langue comme sujet (1).
Voici, au surplus, un tableau des cours de philologie romane
(et des chaires de lecteurs, chargés de l'enseignement pratique)
à la date du 1" octobre 1913.
I.
Universités.
Pliilologie romane
Lecteurs
de
langue
française.
Professeurs
extra-
ordinaires
de littérature
frynç.iise.
Professeurs.
l'rivat-doceut.
Berlin
2
1
1
Boim
•>
1
1
Breslau
1
1
Erlaiigen . . . .
1
—
FribourgenBrisgau .
•>
—
—
Giessen
1
1
Gottingen . . . .
1
1
—
Greifswiild . . . .
2
1
—
Halle
2
—
—
Heklelber^ . . . .
2
1
—
—
léna
1
1
—
Kiel
1
—
—
Kônigsberg ....
1
—
—
Leipzig
3
1
—
Marburg
i
1
■ — ■
^tunich
3
—
—
Munster
2
—
—
—
Rostock
1
—
—
' Strasbourg . . . .
1
—
—
Tubingeii . . . .
1
—
—
'Wùrzburg . ■ . .
1
—
—
32
10
19
2
(1) La littérature pédagogique s'est iiotamnient développée avec une
intensité déroutante depuis 1870. Nombreuses sont les collections de
grammaires, de Lehrbiicher, de livres classiques français, et dans des
collections d'un caractère international, comme la Bibîiotheca Romanica
de Heitz, le français a la part du lion.
H. —
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-18
Instituts techniques et commerciaux.
167
Langue française.
professeurs.
Lecteurs.
Aix. . .
1
1
1
2
1
1
1
1
1
1
2
Breslau. .
Dantzig
Darmstailt
Francforl-sur-le-Mein. . . .
Haiiovio
Carlsrulic
Cologne
Munich
6
7(1)
m. — Divers.
Hambourg : Institut colonial : 1 professeur de ■< Langues et culture romanes ».
— Musée d'elhnograpliie ; séminaire île langue et culture romanes ;
1 professeur, 1 lecteur.
Pour l'enseignement secondaire il y a de nombreuses distinc-
tions à établir. Distinctions fondées d'abord sur le caractère des
établissements, qui sont d'État ou dépendent de communes, qui
sont de véritables lycées (avec l'enseignement gréco-latin [gymna-
sien] ou avec le latin seul, à l'exclusion du grec [realgymna-
sien]), ou bien sont des écoles secondaires [oberrealschule, real-
scliule] ou bien qui participent d'une troisième direction, la plus
grande importance y étant donnée aux langues modernes, non
(1) Chiffres minima : le détail des " Lektoren ^ ou " Assistenten "
n'étant pas toujours donné par " Minerva ».
i68 — Ia-18 SECTION DE PROPAGANDE
aux mathématiques et aux sciences naturelles [re(ormgymnasien],
dans l'Allemagne du Nord, à Nuremberg, etc.) (1). Ces distinc-
tions ne sont pas les seules, car il n'y a pas deux États allemands
où les programmes de l'enseignement secondaire coïncident
complètement dans les parties correspondantes (2).
En Prusse, par exemple, aux termes des programmes otficiels
publiés en 1901 conformément à l'arrêté royal du 26 novem-
bre 1900 et à l'arrêté ministériel du 29 mai 1901, le français est
enseigné dans tous les établissements secondaires, c'est-à-dire
dans les Gymnasien, dans les Realgymnasien, dans les Oberreal-
schulen et dans les Realschulen.
Dans les gymnases, l'enseignement du français ne commence
qu'en Quarta (3° année d'étude; âge normal des élèves : 11 à
12 ans). Il comporte quatre heures de cours par semaine en
Quarta, deux en Unter-tertia et Ober-tertia, trois en Unter-
secunda, en Ober-secunda, en Unter-prima et en Ober-prinia.
Dans la plupart des gymnases, le français est obligatoire, tandis
que l'anglais (deux heures par semaine) n'est que facultatif.
Cependant dans certains gymnases, en vertu d'une autorisation
spéciale, c'est le contraire qui a lieu et il semble qu'il y ait
actuellement une certaine tendance à favoriser l'enseignement
de l'anglais aux dépens du français.
Dans les Realgymnasien, l'enseignement du français ne com-
mence également qu'en Quarta, mais il comporte cinq heures de
cours par semaine en Quarta et quatre dans toutes les classes
suivantes, tandis que l'enseignement de l'anglais également
obligatoire ne comporte que trois heures de cours par semaine.
Dans les Oberrealschulen, l'enseignement du français com-
(1) Il conviendrait encore de faire une place aux Deutsche Schxdeiï à
l'étranger ; mais il a paru qu'elles ne nous concernaient pas ici.
(2) Dans quelques grands établissements on a pu se permettre des inno-
vations malaisées ailleurs. Depuis Pâques jusqu'à la Saiut-Michel, à partir
de 1908, le programme officiel du Bismarck-Gt/mnasium, & Berlin, nous
apprend que dans deux classes l'enseignement fut donné alternativement
en français et en anglais (trois heures d'anglais obligatoirement, deux
heures de français facultativement).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Ia-18 — 169
menée en Sexta (première année d'étude ; âge normal des élèves :
9 à 10 ans) et comporte, dans les cinq classes inférieures, six
heures de cours par semaine ; cinq heures par semaine en
Untersecunda ; quatre heures par semaine dans les trois classes
supérieures.
Dans les Realschulen, où il n'y a que six années d'études, six
heures de cours par semaine sont consacrées au français dans
les trois classes inférieures, cinq en Tertia, quatre dans les deux
classes supérieures.
Dans les Gymnasien et les Realgymnasien, l'enseignement a
pour but, dit le programme officiel, de mettre l'élève en état de
comprendre les œuvres les plus importantes de la littérature
française des trois derniers siècles, de lui procurer les moyens
de s'exprimer en français avec une certaine aisance oralement et
par écrit, et de lui donner quelques notions de l'histoire de la
littérature et de la civilisation françaises. Il en est de même
dans les autres écoles de l'enseignement secondaire; mais dans
les Obéir ealschulen, comme c'est au français qu'incombe la
tâche de remplacer le latin en ce qui concerne l'étude de la
grammaire considérée comme discipline intellectuelle, l'étude de
la grammaire française y est plus approfondie que dans les
gymnases.
Dans les Realschulen, l'enseignement est moins complet et a
un caractère plus pratique; il correspond à peu près à celui des
six premières années d'études des Oberr ealschulen-
Dans tous les établissements de l'enseignement secondaire,
l'enseignement du français comprend des exercices de pronon-
ciation, de lecture, d'élocution, de grammaire, de traduction,
d'orthographe, de style. Dans les trois classes supérieures, la
lecture des auteurs classiques et modernes (avec les exercices
d'élocution qui s'y rattachent) passe au premier plan de l'ensei-
gnement; dans les gymnases, le programme impose l'étude d'une
des grandes comédies de Molière; dans les Realgymnasien et les
Oberr ealschulen, le programme impose dans les trois classes supé-
rieures, pour toutes les heures de cours, des exercices d'élocution
170 — Iâ-18 SECTION DE PROPAGANDE
et de conversation . Il est recommandé aux professeurs de se servir
autant que possible du français dans les heures consacrées à
l'histoire de la littérature et de la civilisation françaises dans les
classes supérieures. Pour l'enseignement de la grammaire au
contraire, le programme officiel recommande aux professeurs de
donner les règles et les explications en allemand.
Il y a aussi des cours de français dans les écoles moyennes
(Miltelschulen) mais ces cours sont facultatifs et gardent le
caractère d'un en.seignement élémentaire.
Voilà pour la Prusse. En Bavière, la situation est plutôt plus
favorable au français. « C'est un fait, nous écrit un professeur de
ce pays, une tradition reconnue tacitement, qu'il est nécessaire
dans tous les établissements d'enseignement secondaire, d'ensei-
gner le français, et, dans les établissements où l'anglais est
inscrit au programme, d'enseigner le français avant l'anglais.
Ceci pour des raisons pédagogiques faciles à comprendre, et
principalement à cause de la difficulté plus grande qu'otfrent le
vocabulaire et la grammaire de notre langue pour un jeune
Allemand, comme aussi, là où l'on n'enseigne pas les langues
anciennes, parce que le français est considéré, avec l'allemand
et à l'exclusion de l'anglais, comme le meilleur véhicule d'une
culture générale. Non seulement la littérature, mais la langue se
prêtent mieux à cela que dans le cas de l'anglais; celui-ci est,
d'ailleurs, trop voisin de l'allemand, on passe trop aisément de
l'un à l'autre, tandis que la comparaison de deux langues au
génie si différent constitue le plus salutaire exercice pour l'esprit
des adolescents. ^>
Un parallèle entre les heures consacrées au français et à
l'anglais, dans les divers établissements d'instruction secondaire,
éclairera davantage le lecteur :
Gymnasien (9 classes).
Le français est enseigné obligatoirement de la 6" à la 9»; il
comporte trois heures par semaine en 6% trois en 7«, deux en 8'
et en 9«. L'anglais est facultatif.
Realgymnasien. Le français est enseigné à partir de la 4' et
comporte quatre heures pendant deux ans et trois heures pen-
I.E FRANÇAIS DANS l.E MONDE I«-18 — 171
dant les cinq dernières années. L'anglais n'est enseigné qu'à
partir de la 7^ et à raison de trois heures par semaine.
Oberrealschule. Le français est enseigné pendant neuf ans; il
comporte six heures en 1" et 2% cinq heures en 3', trois heures
en 4^, S= et 6', quatre heures en T et 8«, trois heures en 9«. Total
des heures par semaine : trente-sept. L'anglais obtient vingt-et-
une heures réparties sur les cinq dernières années d'études.
Realschule (6 classes, correspondant aux six premières années
de VOher realschule). Même répartition.
Reformgynuiasium. (Il y en a un seul, à Nuremberg.) Les trois
premières années comme dans les établissements précédents;
quati'e heures en 4' et en 3% trois heures pendant les quatre
dernières années, total : trente-sept heures. L'anglais obtient dix-
sept heures, réparties sur quatre ans.
Tôchterschulen (écoles de filles). Elles comportent 6 classes,
avec six heures de français, pendant les trois premières années
et cinq heures pendant les trois dernières années. Total : trente-
trois heures par semaine. L'anglais n'a que douze heures et il
est facultatif.
Pour les autres États d'Allemagne, voici quelques indications
qui permettent de se rendre compte de l'importance qu'y a prise
l'enseignement de notre langue.
En Saxe, l'étude du français dans VHumanistîches Gymnasium
commence en 3'. Cinq heures lui sont réservées pendant la
première année, trois pendant la deuxième, et deux pendant
chacune des années suivantes. L'anglais, au contraire, est facul-
tatif. Le nombre d'heures de français est encore plus favorable
au Realgymnashim : respectivement o, 6, 4, 4, 4, 4, 4 heures à
partir de la 3". L'étude de l'anglais commence deux ans plus tard
et n'absorbe qu'une part sensiblement moindre des heures
d'études. Enfin le programme de la Realschule et de ÏOberreal-
schule comporte l'enseignement du français dans les six pre-
mières classes, à raison de cinq heures la première année, six
les trois années suivantes et quatre les deux dernières années.
17"2 — Ia-18
SECTION' DE PROPAGANDE
Situation sensiblement analogue dans les autres États, ainsi
que le montre le tableau suivant :
■Wurtemberg.
NOMBRE D'HEURES.
Gymnasium (7 dernières années).
Français 1 4 | 2 1 2 I :n 3 1 2 1 ?
Anglais
Rfalgymnasium (7 dernières années).
Français .
Anglais .
Real et Oberrealschule (dans toutes les classes).
Français .
Anglais .
8
8
Faciiltatir.
4
3
3
3
3
3
3
2
las
6
ses).
6
5
5
4
4
4
4
4
3
3
3
Grand-duché de Bade.
NOMBRE D'HEURES.
Gymnasium
(7 dernières années).
Français .
..433332
?
Anglais . . .
. . . Facultatif.
RealgymyiusiiiKi (7 dernières années).
Français .
4
4
4 4
4
3
3
Anglais . . .
3
3
3
3
3
3
Real- et Oba
realschule (dans toutes les classes).
Français . . .
. . ., 6
6
6
6
5
5
4
4
4
Anglais . . .
1-
—
—
4
4
4
4
4
4
LE FRANÇAIS DANS l.E MONDE Ia-18 — 173
Grand-duché de Hesse-Darmstadt.
NOMBRE D'HEURES.
Gymnaaium (7 dernières années).
Français I5|3l3
Ani'lais
I 3 I 3 I 3
Facultatif.
Realgymnasiiim et Oberreahchule (7 ilerniî'res années).
Français
Anglais
Realschule (8 dernières années).
Français
Anglais
Français
Anglais ,
0
s
4
4
4
4
3
3
3
3
3
3
)•
7
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5
5
4
-
5
4
3
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3
en)
(7 dernières année
"*)•
5
5
4
4
4
4
_
4
4
4
4
4
Signalons aussi qu'à la Frauenschule de Mayence, où une part
est faite à côté de l'enseignement ménager à des cours de culture
générale, le programme provisoire de 1911 réserve deux heures
au français. Enfin, sur l'initiative du gouvernement, un cours
complémentaire de français (Fortbildungskurse) a été créé à
l'Université de Gicssen et confié au lecteur français. Il est
suivi par les professeurs et les institutrices de l'enseignement
moyen et comporte l'étude pratique et théorique des chefs-
d'œuvre de notre littérature (une heure par semaine).
Il resterait à s'occuper des écoles privées, pensionnats, insti-
tutions libres, etc. On comprendra que nous n'avons pu pour-
suivre notre enquête aussi loin; nous le regrettons d'autant plus
que dans certaines villes, comme Berlin, Dresde, Bonn, etc.,
174 — Ia-18 SECTION DE PROPAGANDE
ces établissements sont réellement nombreux et, surtout pour les
jeunes filles, font une part considérable au français.
En revanche, on nous permettra de signaler brièvement les
efforts de l'Alliance française, efforts couronnés d'un succès rela-
tivement considérable; ils mériteraient une véritable mono-
graphie, car il n'est pas deux villes où ils aient été dirigés tout
à fait dans le même sens, en raison de la nécessité de tenir compte
des susceptibilités nationales, des conditions locales, des
ressources dont on disposait, des appuis qu'on pouvait se pro-
mettre, etc.
L'un des cercles français les plus anciens a été fondé à Nurem-
berg. Il remonte à 1889, et, lors de notre congrès d'Arlon,
M. Gugler, qui le préside, a fait à son sujet un très utile rapport
qui a été imprimé dans le volume de 1908. Il a, depuis 1908,
multiplié ses initiatives, ses réunions hebdomadaires de con-
versation et de lecture. Il possède une bibliothèque. En fin de
saison 1912, ses membres n'ont pas reculé devant l'entreprise
redoutable qui consistait à mettre à la scène Le monde oii l'on
s'ennuie, de Pailleron. Et ce fut un succès.
A Berlin, le cercle français, alimenté par les cotisations d'une
nombreuse colonie, a organisé également des réunions hebdo-
madaires. Dans le rapport de 1910-1911, nous voyons qu'un
Allemand, le colonel d'artillerie en retraite Krause, fait partie du
bureau, que des conférences faites par MM. Raoul Pictet, des
Granges, etc., etc., ont été écoutées avec une grande attention.
Détail significatif : lelOjanvier 1911, une Alsacienne, M^^Regens-
burg, y a parlé de Flaubert. De plus, le cercle a organisé un
service de placement des institutrices et gouvernantes françaises.
A Francfort, les programmes littéraires du cercle français ont
été particulièrement brillants. M. Richepin y conférencia le
9 mars 1910; M'"'' Marcelle Tinayre, le 10 avril, et l'hiver suivant,
M'"' Dussane et M. Brunot y jouèrent la comédie, indépendam-
ment de conférences très applaudies de MM. G. Deschamps,
Funck-Brentano, etc.
A Hambourg, Hanovre, Lubeck, Darmsladt, Cologne, Posen, etc. ,
ont été fondés des cercles, qui, les uns plus tôt, les autres plus
tard, se sont affiliés à l'Alliance françMse; des réunions pério-
I.E FRANÇAIS DANS LE MONDE I«-18 — 173
diques (le plus souvent hebdomadaires) s'y tiennent, et par des
causeries, des lectures et des conversations, etc., on s'y exerce à
la pratique de notre langue. Certains de ces cercles ont déjà un
passé fort honorable (celui de Hanovre date de 1893), et tout fait
présumer qu'ils continueront à rendre des services de plus en plus
considérables à l'extension du français.
Mais c'est surtout depuis 1905 que les cercles de l'espèce se
sont multipliés. Citons, sans le souci d'être complet, le cercle de
Darmstadt, fondé en 1907, ceux d'Iéna et de Sarrebriick, fondés
en 1909, celui de Breslau en 1910, celui de Posen en 1911.
Bientôt il n'y aura plus une grande ville d'Allemagne où le
Français de passage ne trouve un centre intellectuel, dont l'acti-
vité le réjouisse et lui prouve la force de pénétration d'un idiome
que les événements politiques n'ont pu discréditer dans ce grand
pays.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES.
L'Alliance française,
Emile SALONE,
Secrétaire général.
L'Alliance française, association nationale pour la propaga-
tion de la langue française dans les colonies et à l'étranger, a été
fondée par Pierre Foncin. Et vous savez que l'Alliance française
a la joie d'avoir toujours à sa tète le grand Français qui fut son
père.
L'Alliance française est administrée par un conseil qui est élu
par ses adhérents de France et qui élit son bureau. Ses adhé-
rents se groupent en comités; comités de propagande pour la
France, comités d'action pour les colonies et pour l'étranger. Là
où ne peut encore être formé de comité, l'Alliance française est
représentée par des délégués.
L'Alliance française fonde et subventionne des écoles et des
cours, elle crée et entretient des bibliothèques, elle recrute des
professeurs, elle organise des conférences, elle distribue des
récompenses, elle publie un bulletin. Elle a des cours de
vacances, dont les premiers, ceux de Paris, datent de 1894.
Dans ces dernières années, l'Alliance française a été surtout
16 1
2 — Jl).± SECTION DE PROPAGANDE
préoccupée de développer l'initiative de ses comités. Elle leur a
accordé une large autonomie. Elle a créé des comités régionaux,
encouragé la formation de fédérations : Fédération des États-
Unis et du Canada, Fédération des Iles Britanniques, et aussi
favorisé la création de filiales : Comité Paul-Bert, qui prend sous
sa tutelle les jeunes Indo-Chinois venus en France pour achever
leur éducation, Association franco-britannique destinée à faire
connaître outre-Manche nos écrivains, nos savantsct nos artistes.
Dans ses statuts, l'Alliance française a déclaré sa résolution
d'éviter, d'ignorer tout ce qui divise les hommes sur le terrain
de la politique et de la religion. L'Alliance française a été stric-
tement fidèle à cet engagement. La conséquence est qu'elle
est ouverte, en France et hors de France, aux hommes de toutes
les opinions, de toutes les croyances, de toutes les patries, de
toutes les races. Pour adhérer à l'Alliance, française, il suffit
d'aimer la langue française.
L'Alliance française est l'aînée de toutes les associations qui
ont été fondées pour la propagation et la défense de la langue
française. Elle n'a pas cessé et ne cessera pas de professer à
l'égard de ses cadettes, dont quelques-unes ont déjà fait une
carrière brillante, les sentiments les plus fraternels. Elle se
réjouit de tous leurs succès. Elle est toujours prête à collaborer
avec elles.
En dehors de quelques régions de l'Afrique et de l'Asie inté-
rieures, l'action de l'Alliance française s'exerce sur le monde
entier. Pour vous donner une idée de l'étendue de son empire,
si l'on peut s'exprimer ainsi, il faut vous entraîner dans un
rapide tour de France et dans un tour du monde plus rapide
encore.
En France, nous sommes établis dans tous les centres de
quelque importance. Mais c'est assez de citer ici ceux de nos
groupes dont les effectifs sont les plus considérables et qui font
preuve de la plus grande activité. Sans parler de nos comités
parisiens, et en groupant les comités provinciaux par régions, il
faut citer Versailles, Rouen, Caen, Cherbourg, Rennes, Arras,
Boulogne-sur-Mer, Lille, Roubaix, Tourcoing, Le Quesnoy,
Douai, Reims, Bar-le-Duc, Nancy, Dijon, Orléans, Tours, Poi-
LES GROIIPEMENTS ET LES ÉCOLES lb-1 — 3
tiers, Saint-Amaml, Bordeaux, Toulouse, Bayonne, Perpignan,
Lyon, Marseille, Nice.
Dans les (colonies françaises, l'Allianco française fait de l'ex-
oellenle besogne, et, en particulier, en Tunisie, en Algérie, au
Maroc, à Madagascar, en Indo-Chine et dans nos établissements
d'Océanie.
En Europe, nous somme installés, anciennement et solide-
ment: en Hollande, dans les lies Britanniques, en Espagne, en
Russie, dans les pays Scandinaves et balkaniques. En Allemagne,
on Austro-Hongrie, en Italie nous sommes moins avancés, mais
nous nous mettons à regagner le temps perdu.
Dès le premier jour, l'.Uliance française a été à l'œuvre, dans
le Levant, Turquie d'Europe et d'Asie, Egypte^et aussi la Perse.
Elle commence à pénétrer dans l'Inde, au Siam, en Chine, au
Japon.
Elle a des amis fidèles dans les grandes colonies anglaises du
Pacifique, et elle a fait d'heureux débuts dans l'union Sud-Afri-
caine.
Pourtant, nulle part elle n'a tant travaillé, et aussi bien réussi,
qu'en Amérique. La Fédération des comités des États-Unis et du
Canada groupe plus de 150 comités. L'Alliance française a des
collaborateurs nombi'eux et zélés au Brésil, en Argentine, au
Chili.
Il faut terminer et justifier ce bref exposé par des chiffres.
L'Alliance française a, au moins, S5,000 adhérents..
Elle a fondé US comités de propagande en France, et, hors de
France, 271 comités d'action. Elle est représentée par 369 délé-
gués.
Elle subventionne 300 écoles.
Elle dirige ou patronne de nombreux cours de vacances, et les
cours de vacances de Paris ont, déjà depuis longtemps, une
moyenne de 800 à 900 auditeurs.
Enfin le budget de l'Alliance française dépasse 650,000 francs.
I. - SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES ECOLES
La Mission laïque française,
Kdmond besnard,
Secrétaire irénéral.
Depuis le Congrès d'Arlon, en 1908, la Mission laïque fran-
çaise a poursuivi son œuvre avec une activité méthodique,
qu'ont récompensée les plus encourageants succès.
Elle a fondé des établissements nouveaux. Elle a tenu deux
congrès, qui, en intéressant l'opinion publique à ses efforts, ont
fait comprendre l'importance des questions dont elle se préoc-
cupe et de la tâche qu'elle a entreprise. Elle peut se réjouir;
d'avoir efficacement travaillé à répandre, en même temps que
notre langue, les idées de justice et de liberté, de tolérance et
de concorde, sans lesquelles il n'est pas de vraie culture fran-
çaise.
, La Mission laïque a deux vastes champs d'action : les colonies
et l'étranger.
Colonies. — Pour les colonies, elle a continué de préparer, à
l'École Jules-Ferry, des instituteurs et des institutrices qu'elle
s'est appliquée à mettre en mesure de donner aux indigènes un
6 — Ih-2 SECTION DE PROPAGANDE
enseignement aussi concret et aussi pratique, aussi adapté que
possible à leurs besoins. L'Indochine, Madagascar, l'Afrique
occidentale ont reçu, chaque année, une petite phalange de
maîtres formés d'après ces principes.
Une de nos jeunes colonies, l'Afrique équatoriale, ne s'était
pas, encore adressée à la Mission laïque. Il lui fut envoyé
pour la première fois, en 1909, un instituteur préparé à l'École
Ju.es-Ferry. M. Pillods partit de Paris le 25 décembre, pour
aller créer à Bania une école dont la compagnie de la Haute-
Sangha consentait à faire les frais. Il arriva à son poste le
2,6 mars 1910.
Bania est un village situé sur le quatrième parallèle au nord
de l'Equateur, et arrosé par la Sangha, l'un des principaux tri-
butaires du Congo, grossie elle-même par de nombreuses rivières.
Cette abondance de cours d'eau fait que l'atmosphère est chargée
d'une humidité constante, dont l'évaporation à la surface du sol
amène des écarts de température plus dangereux que les mous-
tiques et les mouches tsé-tsé qui pullulent dans la région. La
population indigène est décimée par la maladie du sommeil :
« Outre ces loques humaines, squeleltiques, écrivait M. Pillods,
ce qui m'a frappé le plus, c'est le nombre incalculable de
galeux, de misérables, couverts de plaques affreuses, scrofu-
leuses ou syphilitiques. Quel champ d'action pour les bonnes
volontés ! »
La bonne volonté de M. Pillods se mit à l'œuvre inmédiate-
ment, dans ce pays perdu, où il était le seul Européen, avec
l'agent de la Compagnie de la Haute-Sangha. La case destinée à
la classe et au logement de ses élèves se trouvait insuffisante II
en chercha une autre, qu'il se chargea de meubler lui-même. Il
alla dans la forêt, abattit des arbres, et confectionna des tables
et des bancs. Les élèves, habitués au vagabondage désœuvré de
la brousse, eurent quelque peine, d'abord, à se plier à leur nou-
veau genre de vie. Mais l'ingénieuse bonté du maître les eut vite
conquis. Ils s'attachèrent à lui. et, obéissant au désir de lui
plaire, autant qu'à la curiosité de savoir, travaillèrent de leur
mieux. Rien n'est intéressant comme le journal de M. Pillods,
relatant en détail les efforts accomplis et les progrès réalisés.
LES GROUPEMENTS ET I.ES ÉCOLES Ii-2 — 7
« Je nie suis décidé, écrit-ii, à donner à mon enseignement en
pleine nature, les quatre règles, l'écriture, la lecture ne venant
qu'en seconde ligne. En six mois, j'ai développé un programme
très simple : leçons de choses et conversations. C'est dans la
forêt, dans la brousse, sur le bord de la rivière, que nous nous
instruisons; deux heures seulement sont réservées chaque jour
à la lecture, à l'écriture et au calcul. Ici, il y a du caoutchouc;
mes vêtements imperméables ont donné lieu à de bonnes
leçons pratiques. J'ai fait du savon avec des cendres de bam-
bou et de l'huile de palme. J'ai fait construire quelques ponts en
miniature; j'ai fait faire quelques briques; nous avons cultivé
des choux et j'en ai fait de la choucroute... »
Avec cette méthode, M. IMllods obtint les résultats les plus
rapides et les plus concluants, même en écriture et en calcul,
bien qu'il en eût mis l'enseignement en seconde ligne. Les
cahiers de ses élèves, que nous avons eu sous les yeux, en
témoignent de façon éclatante. La réputation du jeune institu-
teur se répandit dans les familles, de village en village. Au bout
de deux ans, son influence dans la région était aussi heureuse
que fortement établie. Il avait réellement fait la conquête morale
des indigènes et démontré quel admirable instrument de civili-
sation peut être l'école.
Le territoire de Bania est devenu territoire allemand; M. Pil-
lods a dû abandonner ses élèves. Mais ses eflorts n'auront pas
été vains; son exemple, surtout, portera ses fruits.
Une section de l'Afrique équatoriale est ouverte, depuis un
an, à l'Ecole Jules-Ferry. La Mission laïque préparera désor-
mais des maîtres et des maîtresses pour la colonie, où des
écoles vont être fondées, et où l'on va, méthodiquement, orga-
niser et développer l'enseignement. Depuis quelques mois,
M. Pillods continue à Brazzaville, dans un milieu nouveau,
l'œuvre commencée à Bania. L'École Jules-Ferry lui a déjà
envoyé un auxiliaire.
Étranger. — En 1908, la Mission laïque ne possédait encore,
à l'étranger, qu'un seul établissement : le lycée de Saloniquc.
8 — lb-2 SECTION DE PROPAGANDE
Elle en possède actuellement trois autres : à Beyrouth, au Caire
et à Alexandrie.
Le lycée de Salonique se compose, en réalité, de quatre éta-
blissements distincts : un lycée de garçons, des cours secon-
daires de jeunes filles, une école de commerce et une école
élémentaire annexe, installée dans un local indépendant. La
prospérité du lycée n'a pas cessé de s'affirmer depuis que la
Mission laïque en a pris possession, en 1906. Les événements
dont les Balkans, et, en particulier, la ville de Salonique, ont été
le théâtre cette année pouvaient inspirer des craintes trop légi-
times. Or, voici les faits : la rentrée qiii avait lieu deux jours
avant la déclaration de guerre, fut la plus brillante que l'on eût
encore enregistrée. Dès le premier moment, 405 élèves étaient
présents. Ce chiffre ne cessa de s'élever et atteignit 520, pendant
le siège. Certes, à Paris, sans nouvelles pendant près de trois
semaines, le conseil d'administration de la Mission, laïque a
passé des joui's de grande inquiétude. Mais les cours n'étaient
pas interrompus à Salonique; ils ne furent suspendus que du 6
au 12 novembre. Et à peine les Grecs étaient-ils entrés dans la
ville et y avaient-ils assuré l'ordre, que le lycée voyait arriver
de nouveaux élèves. 11 en comptait 600 environ le 30 juin, à
l'ouverture des vacances; il y avait eu, dans le courant de
l'année, plus de 6o0 inscriptions.
La création du collège de Beyrouth l'ut décidée au mois de
juillet 1909. L'établissement était ouvert le 17 octobre suivant,
avec une section classique, une section commerciale, une section
industrielle et des cours de jeunes filles. Quinze mois plus tard,
le 1" janvier 1910, il réunissait 250 élèves, dont 100 de religion
musulmane. Nulle part ailleurs, en Orient, n'avait été mieux
résolu, jusque là, le difficile problème de l'union des races et des
religions. Les difficultés spéciales qu'a rencontrées la Mission
laïque à Beyrouth rendent plus significatifs les résultats obtenus,
qui lui tracent son devoir pour l'avenir. Elle est à l'étroit, dans
des locaux mal adaptés à leur destination. Elle a acheté un ter-
rain sur lequel s'élèveront bientôt des constructions assez vastes
pour suffire à tous les besoins.
En 1909 également, la Mission laïque prit la direction du
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES I/)-2 — 9
lycée français du Caire. Il' avait été fondé sous son patronage
deux ans auparavant, en 1907, par un comité local. Elle en avait
fourni le personnel enseignant ; mais le comité local en gardait
l'administration et la responsabilité financière. Au bout de
deux ans, le comité local pria la Mission laïque de vouloir bien
se substituer à lui et assumer toutes ses charges. Elle accepta.
Une grande prudence avait présidé à la création de l'établis-
sement, que l'on ne voulait pas exposer à de ti'op graves risques
financiers. On n'avait pas ouvert, de prime abord, un lycée de
plein exercice ; on s'était borné à constituer, avec quelques
maîtres et maîtresses, les classes inférieures, auxquelles devait
s'en ajouter une nouvelle chaque année. Ainsi en a-t-il été.
Il y aura, à la rentrée prochaine, une classe de première, et, en
1914, avec la classe de philosophie, le lycée recevra son couron-
nement. Il comptait, à la fin de juin dernier, près de 400 élèves
garçons et filles. Il faut s'ingénier, à chaque rentrée, pour
trouver où loger les nouveaux arrivants dans le palais Mazloum-
Pacha. Mais la plus fine ingéniosité sera bientôt à bout de
solutions, et, au Caire comme partout, se posera le problème iné-
vitable : il sera nécessaire de construire.
Au lycée d'Alexandrie, la Mission laïque est chez elle depuis
le mois d'octobre 1910. De même qu'au Caire, un comité local
■ avait pris l'initiative d'ouvrir l'établissement en 1909. Dès la
seconde année, ce comité passait la main. Il avait, dès le début,
fait les choses en grand, et créé toutes, les classes d'un seul
coup. Le succès avait répondu à cette audace ; les élèves étaient
accourus en grand nombre. A la fin de la présente année
scolaire, ils étaient plus de 400, répartis dans la section clas-
sique, la section commerciale et les cours de jeunes filles. La
réputation de l'enseignement donné par la Mission laïque est tel
que les familles d'Alexandrie n'ont pas hésité à lui confier leurs
filles, bien qu'elles soient, par suite de l'insuffisance des locaux,
installées dans de pauvres baraquements en planches tout à fait
dépourvus de confort. Mais une telle situation ne pouvait se
prolonger. Grâce aux généreux concours qu'elle a rencontrés,
la Mission laïque vient d'acquérir à Chatby, dans la banlieue
de la ville, un beau terrain, où les travaux sont commencés, et
10 — 1^2 SECTION DE PROPAGANDE
OÙ s'élèvera un établissement capable de recevoir, dès la rentrée
de 1914, sept ou huit cents élèves, externes et pensionnaires.
Et l'on pourra ajouter, à l'avenir, des constructions aux con-
structions, selon qu'il sera nécessaire.
Congrès. — Le Congrès de Marseille, en septembre 1906, avait
formulé les principes de la Mission laïque, précisé certains
points de son programme et de son action.
Le Congrès de Paris, en janvier 1911, revint sur quelques-
unes de ces questions, qui prennent, à mesure que les années
s'écoulent, des aspects différents, et qui, bien que résolues théori-
quement, sont loin de l'être dans la pratique. Il étudia aussi des
questions nouvelles, auxquelles le public no prêta pas assez
d'attention et dont la solution ^t, pour des raisons multiples,
d'un intérêt capital.
Deux tableaux fort instructifs furent présentés aux congres-
sistes : l'un donnait la statistique des ejforts accomplis à réli'ange? ,
au point de vue scolaire, par les nations rivales de la France;
l'autre résumait la situation de renseignement laïque français
hors de France. Des conclusions pratiques s'imposaient à la
suite de ces exposés ; des résolutions furent prises.
De même, après avoir jeté un coup d'œil sur ce qu'avait été,
jusque-là, renseignement laiqtie aux colonies, on examina ce qu'il
pourrait être à l'avenir. On étudia l'orientation qui pourrait lui
être donnée. On insista sur le rôle et l'organisation de l'ensei-
gnement professionnel, qui doit être le grand souci des éducateurs
coloniaux, s'ils veulent faire œuvre efBcace et utile. A ce sujet
également, des vœux furent émis, avec l'espoir qu'ils abou-
tiraient à des actes.
Une autre question qui, au premier abord, semble peut-être
moins importante, mais qui, en réalité, est essentielle et contient
à peu près tout le problème de la colonisation, fut discutée sans
recevoir de solution. Elle était ainsi libellée au programme :
Rôle de la langue française dans les diverses écoles, aux colonies.
Autrement dit, quelle doit être, dans l'enseignement colonial,
la part de la langue française et celle des langues indigènes '!
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ift-2 — H
Devons-nous tendre à substituer le français aux langues indi-
gènes ? Devons-nous respecter et utiliser les langues indigènes ?
Comment, et dans quelle mesure ? On sent quelles conséquences
iMitraine la solution donnée, dans un sens ou dans l'autre. La
mission laïque est heureuse d'avoir, du moins, fait réfléchir sur
ce problème. Peut-être évitera-t-on de lui donner, ici ou là, des
solutions trop hâtives, que l'avenir ferait regretter.
Le Congrès de Lyon, en août 1912, continua et compléta les
Congrès de Marseille et de Paris. La question du rôle de la lamjue
française et des. langues indigènes y fut débattue de nouveau, avec
le plus grand soin, môme avec passion. Elle ne fut pas plus
résolue que la première fois, parce que, probablement, comme le
dit M. Herriot, la solution est impossible, du moins la solution
générale, applicable à tous les cas. Mais, pratiquement et par
espèces, le problème est résolu tous les jours. A Madagascar,
M. Deschamps, quand il dirigeait l'enseignement, avait fait une
large place à la langue indigène ; M. Russier, directeur de l'en-
seignement au Cambodge, vient de faire le même.
Sur d'autres points, le Congrès de Lyon put arriver à des con-
clusions précises. On se mit d'accord sur un certain nombre de
moyens d'associer l'induslric et le commerce français à l'ensei-
gnement laïque français, à l'étranger. On compléta le vœu émis
par le Congrès de l'aris, relativement à l'extension de l'ensei-
gnement laïque français en Extrême-Orient, en Chine et au Japon.
Enfin, le Congrès traita, avec l'ampleur qu'elle méritait, une
question d'actualité de plus en plus pressante : le rôle de l'école
laïque en pays musulman.
Comités des Dames. — Il ne nous reste plus à signaler que la
création du premier comité des Dames de la Mission laïque
française, en juin 1912. Le conseil d'administration a pensé que
les femmes pouvaient avoir une part, et une part considérable,
dans le développement et le succès de l'œuvre. Elles sont natu-
rellement désignées pour s'occuper de l'enseignement des jeunes
filles, aux colonies et à l'étranger, pour conseiller, pour aider et
encourager les maîtresses, pour exciter et entretenir le zèle des
élèves. En ce qui concerne la propagande et le recrutement des
12 — Ib-2 SECTION DE PROPAGANDE
V
adhérents, il n'est pas besoin d'insister sur les services que peut
rendre un comité de femmes.
Le comité des dames de Parisa fait beaucoup, depuis un an.
Et, déjà, il a suscité de généreuses émulations. 11 y a deux mois,
un second comité s'est fondé à Lyon. D'autres suivront, qui mul-
tiplieront les dévouements et prépareront un avenir de réali-
sations fécondes.
Telle est, brièvement résumée, la tâche accomplie, depuis
1908, par la Mission laïque française. Il n'a pas dépendu d'elle
que cette tâche, si belle qu'elle soit, ne fût plus belle encore.
Elle avait des projets, dont les événements politiques qui se sont
déroulés en Chine, en Perse, en Turquie, n'ont pas permis
l'exécution. Ces projets ne sont pas abandonnés. Dès que les
circonstances seront favorables, la Mission laïque s'empressera
de réparer le temps perdu, de poursuivre et d'étendre son action
de propagande française et civilisatrice.
r. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES.
Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France
pour les relations avec l'Amérique latine,
E. MARTINENCHE,
professeur à la Sorbonne, secrétaire général.
Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France
pour les relations avec l'Amérique latine a été fondé en 1908,
sur l'initiative de M. le professeur Le Chatelier, par quelques-
uns des représentants les plus éminents des universités et des
grandes écoles de France. M. Liard, vice-recteur de l'Université
de Paris, en accepta la présidence. MM. Levasseur, administra-
teur du Collège de France, et Appell, doyen de la Faculté des
sciences de Paris, furent nommés vice-présidents.
Le groupement est né de l'idée que la France et les pays de
l'Amérique latine ont toujours été unis par les liens d'une sym-
pathie réciproque et profonde, qui vient non seulement d'une
parenté de race, d'une similitude de langue, mais aussi et sur-
tout d'une orientation parallèle de la culture générale.
Malgré tous les efforts dirigés contre l'influence française, les
républiques de l'Amérique latine ne demandent qu'à continuer
14 — Ifc-3 SECTION DE PROPAGANDE
à suivre leur sympathie naturelle pour la France, qui a, en
échange, le devoir, qu'elle a parfois négligé, de leur manifester
sa sympathie par un actif concours et un continuel échange
d'idées.
Le groupement s'est donc fondé avec le désir de maintenir et
de développer les liens formés par la tradition historique et par
la communauté de l'idéal latin, et de réagir contre des préjugés
trop répandus sur l'Amérique latine, et, plus encore, contre
l'ignorance dans laquelle on la tenait trop volontairement en
Europe.
Les hommes qui ont fondé le Groupement des Universités et
Grandes Écoles de France pour les relations avec l'Amérique
latine ont pensé qu'il y avait un rôle utile à remplir en rappro-
chant les Latins des deux continents. Une humanité se forme et
grandit là-bas, dont nous avons le devoir de suivre et d'encou-
rager les efforts. L'Amérique lati)ic n'a guère connu, jusqu'à
maintenant, qu'un enseignement primaire et un enseignement
supérieur professionnel. A mesure que se développe sa civilisa-
tion, elle a d'autres besoins intellectuels à satisfaire. Nous
croyons que nos méthodes peuvent lui être utiles. La France a
été l'intermédiaire indispensable entre le Nord et le Midi de
l'Europe; il serait glorieux pour elle qu'elle jouât le même rôle
entre l'ancien et le nouveau monde. Son influence sera d'autant
plus facilement acceptée qu'on ne saurait mettre en doute son
désintéressement. Elle ne nourrit aucun « conquistador » « ivre
d'un rêve héroïque et brutal ». Elle ne songe même pas à une
conquête morale. Jamais elle n'a été plus elle-même que lors-
qu'elle a aidé un autre peuple à conquérir, ou à maintenir, son
intégrité et son originalité.
Si elle peut contribuer à éloigner de l'Amérique latine la bar-
barie d'une civilisation purement industrielle, elle n'aura pas
rendu un médiocre service à l'humanité.
Le Groupement des Universités et Grandes Écoles de France
pour les relations avec l'Amérique latine a son siège social au
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES 16-3 — IS
secrétariat de la Faculté des sciences de Paris, à la Sorbonnc (').
Il est dirigé par un conseil comprenant des représentants quali-
fiés des universités et grandes écoles de France, qui se réunit au
moins une fois par an, le jour de l'assemblée générale. Les
affaires courantes sont expédiées par un comité de direction pré-
sidé par M. Appell, doyen de la Faculté des sciences de Paris, et
(Composé de MM. Bourgeois, professeur à la Faculté des lettres
de Paris, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres, Delà-
fond, directeur de l'Ecole nationale des Mines, Larnaude, pro-
fesseur à la Faculté de droit de Paris, Le Chatelier, professeur
au Collège de France, Piccioni, sous-chef des archives au Minis-
tère des affaires étrangères, et Lucien Poincaré, directeur de
l'enseignement secondaire. Le trésorier du Groupement est
M. Henry Péreire, et le secrétaire général du comité de direction
est M. Martinenche, de la Faculté des lettres de Paris.
Le premier souci du comité de direction fut de nommer, dans
toutes les républiques de l'Amérique latine, des représentants
autorisés. Il existe actuellement, dans tous les pays latins du
nouveau monde, des comités ou des correspondants qui reçoivent
les adhésions au Groupement et qui se tiennent en relations
constantes avec son comité de direction.
Un groupement universitaire français devait s'efforcer d'abord
d'assurer le meilleur accueil aux étudiants de l'Amérique latine
qui lui feraient l'honneur de s'adresser à lui. Grâce à la généro-
sité des compagnies de navigation françaises, il a pu leur rendre
le voyage plus facile (^). Pour que leur séjour en France leur fût
plus profitable, il a constitué, pour les diriger, une commission
composée de MM. le Dr. Gley, professeur au Collège de France,
Geouffre de Lapradelle, professeur à la Faculté de droit, Borel,
professeur à la Faculté des sciences, Dumas, professeur à la
(i) Pour être jnembre actif du Groupement, il suffit de verser une coti-
sation annuelle de 5 francs au moins. Une cotisation de 15 francs au moins
donne droit au service du Bulletin dont il sera parlé plus loin.
(*) On trouvera dans Le litre de l'étudiant américain en France, édité
par le Groupement, le détail des réductions qu'ont bien voulu consentir la
Compagnie transatlantique, la Société générale des transports maritimes
et la Sud-Atlantique.
16 ^ Ii-3 SECTION DE PROPAGANDE
Faculté des lettres, Bourlet, professeur au Conservatoire des
Arts et Métiers. A leur arrivée à Paris, selon la nature des études
qu'ils désirent poursuivre, les jeunes gens venus de l'Amérique
latine peuvent s'adresser à l'un de ces professeurs, qui leur don-
nera toutes les indicatious nécessaires (').
Un préjugé pèse encore sur notre enseignement supérieur : on
le croit plus théorique que pratique, parce qu'on ignore sa sou-
plesse et sa variété. C'est afin d'en faire mieux connaître les
ressources que le Groupenjent a envoyé à ses divers correspon-
dants son Liv)-e de l'étudiaiit américain en France. On y trouve
les indications les plus précises sur nos universités, leurs labora-
toires et leurs instituts, comme aussi sur la vie matérielle dans
nos diverses provinces et sur les cours spéciaux organisés pour
les étudiants étrangers.
Pour en rendre la consultation plus facile aux étudiants de
l'Amérique latine, le Groupement en a publié, en 1913, une
édition espagnole et une édition portugaise. Ces deux nouvelles
éditions sont illustrées de quelques images qui achèvent de
montrer les progrès accomplis par les universités de nos départe-
ments et les résultats obtenus depuis la réforme profonde de
notre enseignement supérieur.
Le Groupement s'est préoccupé également de fonder à Paris
une Bibliothèque américaine, pour réunir les livres et publica-
tions périodiques édités dans les républiques de l'Amérique
latine, ainsi que les ouvrages et revues parus en France et à
l'étranger et concernant ces mêmes États.
Le Groupement ne pouvait travailler avec efficacité à la tâche
qu'il a entreprise s'il ne disposait de moyens d'information et de
documentation sur les pays auxquels il s'adresse. Les livres
américains sont rares en France; les bibliothèques publiques
n'en possèdent que quelques exemplaires isolés, et les libraires
parisiens n'en connaissent même pas les noms. La Bibliothèque
américaine du Groupement coijstitue donc un centre, unique à
Paris, d'informations et d'études américaines, précieux à la fois
(*) Le secrétaire général du comité de direction se tient aussi à leur dis-
position le mardi, de 2 à 4 heures de l'après-midi, à la Sorbonne.
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ift-3 — IT
pour les Américains qui se trouvent à Paris, et pour les Fran-
çais qui désirent s'enquérir des choses d'Amérique.
La Bibliothèque américaine, qui n'a que deux années d'exis-
tence, compte déjà près de 3,000 volumes. Elle se trouve à la
Sorbonne et est ouverte au public, pendant l'année scolaire, tous
les jeudis de 2 heures à o heures. Son bibliothécaire est
M. Charles Lesca.
Cette bibliothèque a son Bulletin, qui est l'organe du Groupe-
ment. Le Bullelin de la Bibliothèque américaine, qui paraît tous
les mois, sert à propager, en France et en Amérique, l'activité du
Groupement. Il publie des articles sur les principales questions
intéressant le mouvement intellectuel de l'Amérique latine. Il
insère les communications des universités françaises et améri-
caines, ainsi que les décisions des gouvernements intéressant
l'œuvre du Groupement.
Une partie importante est réservée aux bibliographies critiques
des ouvrages récemment parus.
Enfin, tous les ans, un collaborateur autorisé de chacun des
pays de l'Amérique latine dresse un tableau de l'activité uni-
versitaire, scientifique, littéraire et artistique pendant l'année
écoulée.
Ainsi compris, le Bulletin de la Bibliothèque américaine rend
d'assez importants services, et, tout en faisant connaître aux uni-
versités des deux mondes et au public lettré l'œuvre du Groupe-
ment, il tient le lecteur français au courant d'un mouvement
intellectuel qu'il ignore à peu près complètement, et aide les
travailleurs à orienter leui's recherches.
Par son caractère exclusivement scientifique et littéraire, il se
distingue d'autres publications consacrées également à l'Amé-
rique, mais qui se préoccupent plus particulièrement des ques-
tions économiques et financières.
Le rédacteur en chef do ce Bulletin est M. J.-F. Juge, qui a
groupé autour de lui de nombreux et éminents professeurs,
savants et écrivains américains et français. La lecture des som-
maires de ces trois premières années suffit à montrer que cette
modeste publication a répondu aux espérances de ses fondateurs
en devenant un lien véritable, aussi bien entre les diverses
ib
Ig _ ll).3 SECTION DE PllOPAGANDE
républiques de l'Amérique latine, qu'entre l'Amérique latine et
la France {^).
Nous venons de dire quelle est l'organisation du Groupement
des Universités et Grandes Écoles de France pour les relations
avec l'Amérique latine, de quels moyens d'action il dispose, ce
qu'est, en somme, sa vie intérieure. Voici maintenant quelles ont
été, depuis sa fondation, les manifestations extérieures qui ont
permis de constater son activité, et l'utilité de son effort.
Jusqu'à présent, si de nombreux étudiants et professeurs
américains venaient en France, il était rare que des professeurs
français traversassent l'Océan, et il n'arrivait presque jamais
qu'un étudiant français se rendît en Amérique. Les membres du
Comité du Groupement, dont le but est aussi bien de faire con-
naître l'Amérique latine aux Français que de créer un courant
de professeurs et étudiants américains vers la France, se sont
efforcés d'envoyer vers le nouveau monde le plus grand nombre
de leurs compatriotes.
En 1909, répondant aune invitation des autorités académiques
brésiliennes, leGi-oupement délégua aux fêtes du Congrès acadé-
mique national de Sao-Paulo cinq étudiants français chargés de
représenter la Faculté de médecine, l'Ecole nationale des Mines,
la Faculté de droit, la Faculté des sciences et la Faculté des
lettres. Ces jeunes gens, qui furent les seuls étrangers invités,
reçurent au Brésil un accueil qui mit en évidence la sympathie
profonde qui unit la France et les pays de l'Amérique latine. Le
gouvernement de l'Etat de Sao-Paulo organisa en leur honneur
des fêtes si brillantes qu'on n'eut pas de peine à sentir qu'elles
n'étaient pas seulement officielles.
A la suite de cette visite, et pour rendre plus étroites les rela-
tions de l'Etat de Sao-Paulo avec notre Groupement, un comité,
(1) Le prix d'abonnement au Bulletin de la Bibliothèque américaine est
de 10 francs par an. S'adresser à l'administration duBulletin de laBiblio-
thèque américaine : Librairie Hachette & C'%79, boulevard Saint-Germain,
Paris.
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES lb-3 — 19
composé de deux professeurs de chaque école supérieure, s'est
constitué sous le titre ihiiao Escolar Franco- Paulista.
En 1910, une délégation d'étudiants brésiliens vint rendre à
Paris la visite que leur avaient faite leurs camarades français. Par
les visites qu'il organisa dans nos grandes écoles et à la Sor-
bonne, le Groupement s'efforça de les faire pénétrer au cœur
même de notre vie universitaire.
Le Groupement a également délégué dans l'Amérique latine
des professeurs français qui se sont chargés de propager son
œuvre. C'est ainsi que MM. les professeurs Dumas, en 1908 et en
1912, Richet, en 1909, et Pozzi en 1912, acceptèrent de le repré-
senter pendant leurs voyages et leurs séjours dans le Brésil,
l'Uruguay et l'Argentine.
En 1910, année qui marquait pour plusieurs républiques
de l'Amérique latine le centenaire de la date glorieuse de
leur indépendance, le Groupement délégua son secrétaire
général .
M. le professeur Martincnchc mit à profit cette délégation
pour visiter successivement le Brésil, l'Uruguay, l'Argentine, le
Chili, le Pérou, Panama, le Mexique et Cuba (').
Dans ces voyages, les professeurs français ne manquèrent pas
de faire les conférences qui leur étaient demandées partout où
ils passaient, mais ces conférences isolées étaient loin d'avoir le
caractère de contiTiuité que recherchait le Groupement. Aussi
a-t-il organisé des échanges universitaires réguliers entre la
France et les pays latins d'Amérique. Il s'est mis à la disposition
des républiques de l'Amérique latine pour envoyer à celles qui
en feraient la demande des professeurs français dans les divers
ordres d'enseignement. Il a eu le plaisir de voir le, succès le plus
encourageant répondre à celte initiative-
L'accueil le plus sympathique a été réservé aux maîtres fran-
çais qui, sur la demande qu'on leur avait fait l'honneur de leur
adresser, sont allés professer des cours temporaires dans les
(') Sur ces visites et leurs résultats, consultez le Bulletin de la Biblio-
thèque américaine, du 15 avril 1911.
'20 — Iè-3 SECTION DE PROPAGANDE
Universités de l'Amérique latine. C'est ainsi qu'en 19H le secré-
taire général du Groupement l'eçut de Buenos-Aires une invita-
tion qu'il fut heureux d'accepter. La même année, et dans la
même ville, pendant que M. Martinenche faisait, à la Faculté des
lettres, un cours de littérature comparée, M. Duguit, professeur à
la Faculté de droit de Bordeaux, donnait une série de leçons
très suivies à la Faculté de droit. En 1912, ce fut M. Uumas,
professeur à la Faculté des lettres de Paris, qui alla professer
à Sao-Paulo un cours sur les philosophes français contempo-
rains.
De leur côté, les républiques de l'Amérique latine nous
envoient des professeurs et des conférenciers auxquels la Sor-
bonne s'honore d'ouvrir ses amphithéâtres.
Il convient de signaler tout d'abord le cours d'études brési-
liennes qui est, d'ores et déjà, un enseignement régulier dont
l'Amérique latine a enrichi l'Université de Paris. Organisé par
l'Union scolaire franco-pauliste, comité correspondant du Grou-
pement à Sao-Paulo, le cours d'études brésiliennes fonctionne
régulièrement depuis trois ans. M. le ministre de Oliveira Lima,
de l'Académie brésilienne, l'inaugura, en 1911, à la Faculté des
lettres, par un cours magistral sur « la Formation de la nationa-
lité brésilienne ». En 1912, ce fut M. Miguel Arrojado Lisboa qui
parla, à la Faculté des sciences, sur le « Milieu physique au
Brésil ». Enfin, en 1913, M. Rodrigo Catavio, de l'Académie
brésilienne, traita, à la Faculté de droit, de « la situation juri-
dique de l'étranger.au Brésil ».
Deux professeurs argentins, MM. Dellepiane, de la Faculté des
lettres, et A. Gallardo, de la Faculté des sciences de Buenos-
Aires, ont également fait en Sorbonne des cours très suivis et
très appréciés, l'un sur la théorie du progrès, et l'autre sur la
division cellulaire.
Enfin le Groupement a organisé à la Sorbonne de nombreuses
conférences d'ordre général sur l'histoire des rapports de la
France et de l'Amérique latine. Il convient de citer particulière-
ment celles de MM. P. Groussac, directeur de la Bibliothèque
nationale de Buenos-Aires, C. Vlllanueva, l'éminent historien et
diplomate vénézuélien, Medeiros de Albuquerque, de l'Académie
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ib-3 — 21
brésilienne, N. Morales, doyen de la Faculté de médecine de La
Paz et Manuel Ugarte, le distingué écrivain argentin (■•).
L'extension continue du Groupement et le développement
sans cesse croissant de ses relations avec l'Amérique latine ne
lui permettent plus de se contenter des locaux mis à sa disposi-
tion à la Sorbonne. Grâce à l'Université de Paris, et à son prési-
dent, ses services pourront être transportés, en octobre prochain,
dans un immeuble où ils disposeront de la place nécessaire (^).
Cette nouvelle installation permettra d'ouvrir tous les jours au
public la Bibliothèque américaine.
Certes, on est encore loin de ce palais de l'Amérique latine
que le Groupement rêve de fonder; mais il a, d'ores et déjà, créé
un centre d'études qui contribue à dissiper des ignorances et à
fortifier des bonnes volontés toujours plus nombreuses. Il fait
des efforts modestes, mais eftlcaces, pour maintenir une influence
que ne suffirait pas à assurer à la France le prestige que garde
encore sa production scientifique, littéraire et artistique. Une
vive concurrence internationale se poursuit là-bas sur tous les
domaines. Le Groupement a, du moins, pour lui les meilleures
armes, la communauté d'un idéal latin et la sincérité d'une
sympathie qui souhaite avant tout d'être utile.
La tâche qu'il a entreprise est de celles dont la grandeur suffit
à rehausser les plus modestes de ses ouvriers. Il la poursuivra
avec une inlassable ardeur, parce qu'il fonde les plus beaux
espoirs sur le développement des relations universitaires entre
ces Latins qui se sont créé, sous les étoiles nouvelles, des patries
fermement aimées, et la France qui n'a jamais mieux rempli son
rôle qu'en cultivant le sentiment de l'Humanité.
(') Consultez, sur le caractère et l'utilité de ces conférences, les numéros
d'avril 1912 et de juin 1913 du Bulletin de la Bibliothèque américaine.
(') Cet immeuble est situé au boulevard Raspail.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GK0UPKMKNT8 ET LES ÉCOLES.
L'Institut français de Londres,
Albert 8GHATZ.
professeur à l'Université de Lille, directeur.
L'Institut français de Londres a été organisé par l'Université
de Lille. Cette université s'est, de longue date, préoccupée d'imi-
ter à Londres l'exemple à elle donné par d'autres universités
régionales, qui, dans de grandes villes étrangères, avaient orga-
nisé une représentation de leurs principaux enseignements. Elle
était toute désignée pour une initiative de ce genre en Angleterre,
non seulement par sa position géographique, mais surtout par les
liens particuliers de sympathie intellectuelle et morale qui
unissent la population flamande au peuple britannique et par la
solidarité d'intérêts économiques qui rattache à la Grande-Bre-
tagne les régions industrielles et commerçantes du nord de la
France.
L'idée, lancée il y a deux ans, n'a pas été immédiatement réa-
lisée. Un professeur de la Faculté de droit de Lille était investi
par le Conseil de l'Université, le 20 novembre 1912, du mandat
d'étudier sur place les conditions dans lesquelles pourrait être
organisé à Londres un Institut français. Il revenait d'Angleterre
24 — Ib-4 SECTION DE PROPAGANDE
au mois de décembre dernier avec un projet qui a servi de base
aux pourparlers ultérieurs entre Lille et Londres.
La réalisation de ce projet, subordonnée à l'apport de res-
sources financières qui garantissent l'existence de l'Institut au
moins jusqu'à la fin de l'année scolaire 1913-1914, a été assez
rapidement possible, grâce aux subventions accordées par les
ministères de l'Instruction publique, des Affaires étrangères et
du Commerce, par les Chambres de commerce de Paris et de
Lille, par quelques grandes sociétés de crédit, et grâce aux libé-
ralités particulières de personnalités lilloises et parisiennes.
Le 5 avril dernier, la Société d'extension universitaire de Lille
acceptait à l'unanimité le contrat qui la liait au conseil d'admi-
nistration de r« Université des Lettres françaises », fondée à Lon-
dres il y a trois ans par M"= d'Orliac. Cette « Université des Lettres
françaises » a, dès l'origine, eu pour but d'exposer, dans le
luxueux local qu'elle occupe à Marble Arch House, en face de
Hyde Park, les questions littéraires et historiques françaises les
plus susceptibles d'intéresser un public mondain et en partie
féminin. Son succès a été considérable, puisqu'elle réunit
aujourd'hui tout près de quatre cents auditeurs inscrits et
payants. C'est en collaboration avec cette <( Université des
Lettres françaises » que l'Université de Lille a organisé l'Institut
français de Londres, dont la direction a été confiée à un profes-
seur de sa Faculté de droit.
Aux termes du contrat du S avril 1913,1a Société d'extension
universitaire de Lille s'engageait à mettre à exécution le pro-
gramme d'étude élaboré par elle et à fournir les fonds nécessaires
à la rétribution du personnel enseignant.
Le conseil d'administration anglais s'engageait, de son côté,
tant que le fonds constitué par les versements lillois ne serait pas
épuisé, à fournir dans les locaux de Marble Arch Ilouse l'aména-
gement matériel du nouvel Institut français. Cet Institut, honoré
du patronage de S. A. Royale la Princesse Christian de
Schleswig-Holstein et de S. E. M. Paul Canibon, ambassa-
deur de France, était en même temps placé sous le contrôle
d'un conseil d'administration à Londres et d'un comité d'action
à Lille.
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ifc-4 — 23
Il a paru nécessaire d'ouvrir sans délai les exercices et de pro-
fiter du dernier trimestre de l'année scolaire 1912-1913 pour
acquérir, par la pratique môme, une expérience indispensable
au succès de l'an prochain. Le 2 mai dernier, avait lieu une séance
intime d'inauguration, que M. le recteur Georges Lyon, qui s'est
dépensé sans compter pour hâter la fondation de cet Institut,
avait bien voulu consentir à honorer de sa présidence. Cette
séance a eu un succèS' considérable, constaté par les organes les
plus qualifiés de la presse anglaise, en particulier le Times, le
Morning Post, le Daily Telegraph, la Westminster Gazette, le
Daily Chronicle, etc., et une assistance nombreuse et choisie a
fait aux organisateurs de l'Institut français l'accueil le plus cha-
leureux et le plus sympathique.
Dans le court délai qui était imparti par la proximité des
vacances, on ne pouvait songer à ouvrir simultanément tous les
cours prévus dans le progi'amme. Il a été décidé que deux cours
seulementauraient lieu, l'un portant sur la République française,
l'autre sur les relations commerciales franco-britanniques, tous
deux confiés à M. Gaétan Pirou, docteur en droit et docteur es
sciences politiques et économiques.
Deux séries de dix conférences ont été ainsi commencées, l'une
le 2 mai, l'autre le 6 mai, avec les sujets suivants :
La vie publiqlk fiunçaise.
La République française.
Le Président de la République.
Le Conseil des ministres.
Le Sénat.
La Chambre des députés.
Les départements français.
Les autorités municipales.
La justice civile.
La justice criminelle.
La justice administrative.
26 — I/»-4 SECTION DE PROPAGANDE
LkS liELATlONS COMMERCIALES DE LA FRANCE
ET DE LA Grande-Bretagne.
Le régime douanier de la Grande-Bretagne.
Le régime douanier de la France.
Le régime douanier des colonies britanniques.
Le régime douanier des colonies françaises.
Le rapports commerciaux de la France et de la Grande-Bre-
tagne.
La concurrence étrangère.
Le rapprochement franco-anglais.
Les projets de réforme douanière en France et en Grande-
Bretagne.
Les institutions destinées à développer les relations commer-
ciales franco-britanniques.
Les ententes et traités de commerce franco-britanniques.
Les résultats obtenus pendant ce trimestre ne sauraient en
aucune manière être considérés comme une mesure anticipée de
ceux qu'il est permis d'espérer à la rentrée prochaine. A celte
époque de l'année et avec une publicité nécessairement insufti-
sante, on pouvait prévoir que ces résultats seraient extrêmement
restreints au point de vue matériel, encore que très importants
au point de vue moral. Ce fut une heureuse surprise que d'avoir
à enregistrer un nombre total de 41 inscriptions.
De beaucoup plus dignes d'attention sont cependant les ensei-
gnements qui se dégagent de cette utile expérience. Il est apparu
avec évidence que le plus bel avenir semble réservé à l'Institut
français. Des patronages précieux, celui de l'ambassade de France,
du Board of Trade, du Board of Education, de l'Université de
Londres, du Coimty Council, lui sont désormais acquis. Nul ne
saurait prévoir avec certitude les formes diverses que devra
revêtir son activité. Il devra s'adapter à tous les besoins d'inter-
pénétration franco-britannique, et, à condition de conserver sa
souplesse, il aura à exploiter un des plus admirables domaines
qui puissent s'offrir à l'influence et à la culture françaises.
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Iè-4 — 27
Pour y parvenir, il lui faut un personnel dirigeant et enseignant
exactement informé des conditions très particulières que pré-
sente le milieu britannique : le public anglais le plus cultivé
exige des ménagements étrangers à notre enseignement national
français. Un enseignement ex cathedra de caractère didactique
et idéologique n'aurait à Londres aucune chance de succès. Non
seulement il importe de choisir des sujets d'un intérêt très appa-
rent et très actuel, mais, dans la manière même de les traiter,
les notions concrètes, les détails pittoresques doivent constam-
ment être préférés aux notions abstraites et générales. De plus,
le professeur doit prendre directement contact avec son auditoire,
le séduire par une parole vivante et claire et faire suivre son cours
de conversations et de discussions.
*
Les exercices de l'Institut français de Londres, pour l'année
scolaire 1913-1914, se partagent en trois séries :
î. Une série artistique, qui permettra de continuer la tradition
et le succès de l'ancienne « Université des Lettres françaises »
et qui tiendra, par des conférences, lectures et représensations
diverses, le grand public mondain au courant des différentes
manifestations de l'art français : musique, peinture, art drama-
tique, etc.
2. Une série littéraire et sociale, comprenant, d'une part, de
grandes conférences mensuelles, ayant pour sujet commun :
« La famille française aux xix' et \\° siècles» et qui seront deman-
dées à des professeurs de facultés françaises : Droit, Médecine,
Sciences et Lettres; d'autre part, trois cours hebdomadaires
portant sur la littérature française contemporaine, l'évolution
du français moderne et nos institutions politiques et sociales.
Ces cours seront confiés, les deux premiers à M. Georges Davy,
ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Univer-
sité, et le troisième à M. Gaétan Pirou, docteur en droit. Us
s'adresseront tout spécialement aux professeurs de français de
nationalité anglaise, mais attireront vraisemblablement aussi un
public simplement curieux de connaître plus exactement la vie
littéraire, politique, sociale et privée de la France.
28 — Ib-4 SECTJON DE PROPAGANDE
3. Une série économique et socia/e destinée à l'étude des rela-
tions commerciales et financières franco-britanniques sous
forme de cours hebdomadaires du soir, auquels sont dès main-
tenant conviés et les hommes d'affaires et ceux de nos compa-
triotes déjà pourvus à Londres d'une situation commerciale.
De plus, ce déparlement commercial répondra à un besoin
depuis longtemps signalé par les Chambres de commerce fran-
çaises et auquel M. Jean Périer, attaché commercial à l'ambas-
sade de France à Londres, avait pris l'initiative de donner satis-
faction en créant le « Foyer franco-anglais » que dirigeait
M. Christian de Parrel, et qui est aujourd'hui fondu dans
l'Institut français. Les jeunes gens désireux, pour compléter leur
éducation ou pour trouver une situation en Angleterre, de
prendre directement contact avec la vie économique et commer-
ciale anglaise risquent, si on les abandonne à eux-mêmes, de
rencontrer les plus graves difticultés à profiter de leur séjour à
Londres. Mal informés des moyens d'arranger leur vie maté-
rielle, évincés des maisons de commerce où ils ne peuvent, faute
de connaître suffisamment l'anglais et les usages commerciaux
anglais, rendre aucun service, incapables de recourir à un
établissement d'enseignement qui leur donnerait sur place les
connaissances qui leur manquent, puisque cet établissement
n'existe pas, ils sont exposés à se décourager, à céder à la
dépression que provoquent la solitude et l'abandon, et à rentrer
en France avec moins d'illusions mais sans plus de culture. Le
département commercial sera pour eux le foyer si justement
conçu par M. Jean Périer, où ils trouveront l'appui moral qui
leur est nécessaire. Un « Office de renseignements », dirigé par
M. de Parrel, facilitera leur installation matérielle dans les
familles anglaises. Il sera, de plus, organisé pour eux un cycle
régulier d'études, comportant l'enseignement de l'anglais usuel
et commercial, de l'économie politique appliquée spécialement
à la Grande-Bretagne, du droit commercial comparé anglo-fran-
çais, et des usages commerciaux anglais. L' « Office de Rensei-
gnements » cherchera ensuite à faciliter à ceux d'entre eux qui
le désirent et qui en sont dignes l'accès d'une maison de
commerce anglaise. Il aura également dans ses attributions de
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ii-4 — 29
renseigner les jeunes g;ens qui désireront voyager dans une autre
partie de la (îrande-Bretagne et les jeunes Anglais qui préparent
un voyage d'études économiques et scientifiques en France.
Enfin, les uns et les autres trouveront à l'Institut une salle de
réunion et une bibliothèque.
Ainsi constitué, l'Institut français occupe dès maintenant une
large place dans l'opinion publique à Londres et est honoré de
l'appui énergique, dans la haute société anglaise, des amis les
plus dévoués de la France.
Le 2o juin dernier, M. le président de la République française
faisait aux organisateurs de l'Institut français le très grand
honneur d'accepter leur invitation à visiter Marble Arch House.
Képondanlaux adresses du présidentdu Conseil d'administration,
Sir Georges Askwith, et du directeur de l'Institut, M. l'oincaré
voulait bien les assurer de l'intérêt porté par le chef de l'Etat et
par la République à leur initiative.
Le 7 août, les médecins français, participant auXVlI« Congrès
international de médecine, visitaient à leur tour cet établisse-
ment où une permanence avait été organisée pour eux pendant
toute la durée du Congrès, et leur président, le professeur Lan-
douzy, doyen de la Faculté de médecine de Paris, dans une
allocution très applaudie, marquait la sollicitude aftéctueuse
des amis de l'Entente cordiale pour le nouvel Institut français.
Enfin, le 23 septembre, le premier Congrès de l'Union franco-
britannique du tourisme ouvrira ses séances à Marble Arch
Housc. La question des rapports du tourisme et de l'éducation
fera l'objet de trois rapports présentés par le directeur de
l'Institut, par M. Georges Davy et par M. Christian de Parrel.
L'ouverture des exercices de l'Institut français aura lieu le
6 octobre. Il est vivement à souhaiter que les avantages offerts
par cet établissement soient connus de tous les intéressés et
notamment de tous les jeunes gens capables de suivre avec profit
un enseignement français à leur arrivée à Londres.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES.
La Ligne nationale pour la défense de la langue française,
Fernand pavard,
secrétaire général.
Fondée au mois d'octobre 1911, la Ligue nationale pour la
défense de la langue française, qui s'est assigné pour mission de
grouper les Wallons et les Flamands, en vue de la lutte contre
le flamingantisme et de la défense du patrimoine latin du pays,
a déjà fait preuve d'une activité féconde.'
Nous voulons aujourd'hui en retracer brièvement les phases,
en dresser le bilan.
Sections. — Délégations. — Comités locaux.
Pour intensifier son action et pour donner aux idées qu'elle
défend une influence plus directe sur les milieux locaux, la
Ligue, dont le siège social est à Bruxelles, a décidé la création
d'un système de sections, délégations et comités locaux.
Dès la première année, plusieurs de ces organismes fonction-
naient dans le pays entier, à la satisfaction générale.
Ce système nous permit d'organiser, dans un très grand
32 — Ifc-5 SECTION DE PROPAGANDE
nombre de communes, de grands réunions publiques, dont cer-
taines obtinrent un énorme succès, celles surtout qui eurent lieu
dans les villes de la partie flamande du pays.
Édition française de l'indicatelu des chemins de fer.
La Ligue a pris l'initiative de publier des horaires des chemins
de fer belges rédigés exclusivement en français.
L'on sait à la suite de quelles circonstances elle fut amenée à
prendre cette initiative.
11 existait, il y a quelques années, deux indicateurs officiels des
chemins de fer : l'un en langue française, l'autre en flamand.
Comme ce dernier n'avait qu'un nombre infime d'abonnés et que
l'autre en comptait plusieurs milliers, l'Administration des
chemins de fer, avec le souci qui la caractérisait d'imposer la
langue flamande même à ceux qui ont de justes raisons de n'en
pas vouloir, décida la publication d'un indicateur bilingue, dans
le maquis duquel plus personne ne se retrouve.
L'initiative fut prise par la Ligue à la suite d'un vaste péti-
tionnement, entrepris par les Amitiés françaises, en faveur de la
suppression de l'indicateur bilingue. Ce pétitionnement réunit
plus de 20,000 signatures !
Nos horaires vont entrer dans leur troisième année d'existence.
Nous avons eu le plaisir de constater par les premières éditions
que le nombre des abonnés augmentait dans des proportions qui
tiennent du prodige.
La démonstration a été ainsi faite que le public belge, aussi
bien en Flandre qu'en Wallonie, n'entend pas se soumettre à
la contrainte flamingante.
« L' Antiflamingant ».
Notre journal, qui est entré dans sa troisième année d'exis-
tence, tient périodiquement ses lecteurs au courant de l'activité
de la Ligue et de l'actualité linguistique.
Bimensuellement il publie des articles, des chroniques, des
informations relatifs à la défense de la langue française.
LES r.ROLPEMENTS KT LES ÉCOLES US — 33
Enqlétes.
La Ligue a organisé deux importantes enquêtes. La première
a clé ouverte parmi les professeurs de l'Université de Gand, à
propos de la transformation de l'Université de Gand en univer-
sité llamande.
Sur les C2 réponses qui nous sont parvenues, 57 sont hostiles
à cette transformation.
L'autre enquête portait sur la séparation administrative de la
Flandre et de la Wallonie.
Vn nombre très considérable de réponses nous st)nt parve-
nues, i/ensemble en constitue une étude approfondie et
conlradieldirr de celte passioniumle question.
Bhochlhes.
Deux brochures ont été publiées par la Ligue : L'Université
ftamande, par M. Kaoul Engel, avocat, vice-président de la
Ligue, et La siipiéniatie de la langue française en Belgique, par
M. Ansianx, professeur à l'Université libre de Bruxelles.
C(i.\FhIiENCi:S.
Au cours de l'hiver 1911-1912, la Ligue a organisé un cycle de
dix-huit conférences sur l'histoire de la culture française en
Belgique, depuis ses origines jusqu'à nos jours.
Celte année, elle a consacré une série de soirées à l'étude de
nos écrivains de langue française.
Enfin, un grand nombre de conférences sur des questions
ayant trait à la défense de la langue française ont été organisées
sous ses auspices.
Qu'il nous suflise, notamment, de rappeler la causerie si
vivante que M. Maurice Wilmotte a faite à la tribune de notre
Ligue sur « Le pangermanisme et le flamingantisme ».
Nous passerons sous silence les fêtes que la Ligue organise, et
notamment les grandes fêtes d'inauguration du drapeau, qui
comprenaient une soirée théâtrale, une grande manifestation
contre la tlamandisation de lUniversité de Gand, manifestation
ib
34 — Ib-5 SECTION DE PROPAGANDE
qui réunit plusieurs milliers d'adhérents, un meeting consacré
à la même question, une séance solennelle d'inauguration du
drapeau, à laquelle plusieurs artistes des plus éniinents avaient
prêté leur concours.
Nous ne parlerons pas non plus de la participation de notre
Ligue à toutes les manifestations-wallonnes, antitlamingantes et
francophiles qui ont eu lieu dans le pays au cours de ces trois
dernières années.
Nous ne citerons que pour mémoire sa participation aux tra-
vaux de la Fédération, les votes d'ordres du jour de protestation
contre les abus du flamingantismc, les plaintes adressées aux
autorités compétentes au sujet des tracasseries dont certains
fonctionnaires flamingants aiment à faire preuve à l'égard des
citoyens de langue française; la participation de notre Ligue au
référendum organisé par l'administration communale de Bru-
xelles au sujet de l'enseignement des langues fi'ançaise et
flamande dans la capitale, référendum qui assura aux partisans
du français une majorité écrasante.
Commissions.
La complexité de l'œuvre entreprise exigeait une répartition
des fonctions.
Pour atteindre ce but. la Ligue a créé une série de commissions
qui se réunissent périodiquement et font preuve d'une réelle
activité. Qu'il nous suHise de signaler la commission des confé-
rences et des fêtes, la commission des élections, le comité des
griefs, l'office de documentation antitlamingante, la commission
organisatrice de cours de français, le comité de rédaction du
journal, enfin là commission judiciaire.
LestitresdecesdifTérentes commissions indiquent suffisamment
la mission qui incombe à chacune d'entre elles.
Action politioi:e tk la Lir.LK.
Elle peut se diviser en cinq phases :
1° L'envoi d'une lettre ouverte aux députés et sénateurs ;
2° L'inlervention aux élections législatives de 1912, en faveur
I.ES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES I/'-5 — 3S
des caiuliilats politiques, à quelque parti qu'ils appartinssent,
qui s'étaient engages à défendre nos idées au Parlement ;
8" L'élude de la séparation administrative;
4° [.'intervention de la Ligue dans la question de l'emploi des
langues dans l'armée.
1" L'envoi de la lettre ouverte aux députés et sénateurs.
Nous n'avions pas été sans remarquer l'ignorance de certains
de nos représentants sur la question des langues, et leurs préven-
tions ;\ l'égard de notre mouvement. Aussi jugeàmes-nous utile
de leur faire connaître le but que nous poursuivons et l'esprit
dans lequel nous entendons le réaliser.
La lettre que nous leur adressâmes fut tirée à plusieurs
milliers d'exemplaires el envoyée non seulement aux membres
du Parlement, mais également à toute la presse belge, qui en
donna de nombreux extraits, aux présidents des sociétés wal-
lonnes et anti-llamingantes, ainsi qu'aux comités de toutes les
associations politiques d'arrondissement. Elle fut adressée éga-
lement à toutes les administrations de Wallonie et à celles de
l'arrondissement de Bruxelles. La Ligue priait les adminis-
trations communales de voter le vœu qui était joint à son
manifeste et qui le sanctionnait. Le résultat ne se fit pas
attenJie.
C'est par centaines que les voeux des conseils communaux, en
faveur de la revision des lois de contrainte et contre la tlanian-
disation de l'Université de Gand, atlluèrent sur le bureau des
Chambres. Le succès de cet excellent moyen de propagande
dépassa les espérances les plus audacieuses.
2° Notre intervention aux élections législatives.
Cette intervention est encore trop à la mémoire de tous les
antiflamingants pour que nous y insistions.
Qu'il nous suflise de rappeler que, gl'âce à l'initiative que nous
avons prise, plus de 11,000 voix de préférence ont été données
aux candidats recommandés aux suffrages des antillamingants.
36 — lb-5 SECTION I)E PROPAGANDE
3° IJ'étude de la question de la séparation administrative.
Les événements politiques du 2 juin 4912 remirent au premier
plan de l'actualité la question de la séparation administrative.
Nous avons parlé plus haut de notre enquête sur cette question
et du succès qu'elle a rencontré.
4" L'intervention de la Ligne
dans la question de l'emploi des langues dans l'armée.
Cette année, le Parlement a élé saisi d'un projet de loi rendant
obligatoire la connaissance du flamand pour l'admission aux
emplois militaires.
Ce projet de loi équivalait à écarter de ces emplois tous les
citoyens belges, tant flamands que wallons, qui ignorent la
langue flamande.
D'autre part, il était contraire aux intérêts des flamands
d'expression germanique, auxquels le passage aux régiments
off'rait l'occasion précieuse d'acquérir la connaissance du
français.
Enfin, il rangeait arbitrairement dans la région flamande du
pays, la ville de Bruxelles, dont la majorité parle le français.
Au surplus, cette loi ne répondait à aucune nécessité. Aucun
abus n'a été signalé avec quelque précision. En outre, il n'est
pas contestable que, si même il s'est produit quelques malen-
tendus entre otticiers connaissant uniquement le français et
miliciens de langue flamande, le projet de loi. n'y apportait
aucun remède, puisque les officiers ayant appris le flamand
littéraire ne pourront jamais converser avec les soldats flamands
des campagnes, ne connaissant que leurs patois locaux. Les uns
et les autres, ne devront-ils pas, pour entrer en rapport, se servir
d'un « truchement » qui, inévitablement, sera... la langue
française.
Ces observations ont motivé l'envoi par la Ligue d'une lettre
ouverte aux membres du Sénat, après que la Chambre des
représentants eût sanctionné par son vote le projet de loi.
Nous demandions en conclusion que le Sénat maintînt le
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ib-S — 37
slatit quo qui donne entière satisfaction aux miliciens de langue
llamande.
Nous ajoutions qu'il convenait de laisser au français la place
qu'il occupe, parce qu'en fin de compte l'unité d'expression
s'impose dans l'armée.
Cette nécessité, reconnue déjà par le Gouvernement provisoire
en 1831, est telle que le projet de loi même, qui était soumis
aux Chambres cette année, la reconnaissait, puisqu'il laissait
inchangée la situation pour ce qui concerne les commandements,
qui continueront ù se faire en français comme par le passé.
Malgré notre appel patriotique au Sénat, celui-ci sanctionna le
vote de la loi, vote qui, fatalement, entraînera une recrudescence
du mouvement séparatiste.
Quant à nous, nous avons la satisfaction d'avoir accompli
notre devoir, en mettant le Sénat en garde contre les disposi-
tions de la loi, contraire à la bonne entente et la concorde qui
doivent régner entre tous les citoyens belges.
Un grand meeting, que nous avons organisé, de commun
accord avec la Ligue wallonne de Brabant, au moment où la
question a été discutée par la Chambre, nous a permis d'exposer
au public le danger auquel les exagérations flamingantes de
la nature de celle qui vient d'être approuvée par le Parlement,
exposent le pays.
Tel est le bilan de deux années d'activité.
Le conseil général est saisi de nouvelles propositions intéres-
santes. Nous en avons le ferme espoir, elles finiront par secouer
l'apathie de ces nombreux citoyens qui n'accordent à la question
des langues qu'une importance scicondaii-e et ne s'aperçoivent pas
que, derrière chaque flamingant, se cache un adversaire de notre
langue, de notre culture et de notre civilisation françaises.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES.
La Société d'échange international des enfants
et des jeunes gens,
Georgks gromaire,
professeur agrégé au Lycée Bufifon (Paris),
secrétaire général de la Société d'échange international.
La Société d'échange international, fondée en 1903,parM.Toni-
Mathieu, qui est maintenant son directeur, est en pleine pros-
périté.
Par rinterniédiaire de son bureau central, situé à Paris, boule-
vard Magenta, 'Mi, elle envoie chaque année de nombreux jeunes
gens français, garçons et filles, en Angleterre, en Allemagne,
dans d'autres pays même, et reçoit en France un nombre égal
de jeunes gens étrangers. Elle ne se borne pas à envoyer les
F'rançais de France seulement, mais a échangé et est prête à
échanger aussi des jeunes gens de langue française (des Belges
en ont déjà profité) avec des jeunes gens de langue étrangère.
Dans l'année de la fondation, en 1903, 23 échanges ont été
réalisés ; en 1912, il y a eu 284 échanges, intéressant 568 échanges,
de sorte qu'au 31 décembre dernier le nombre total des échangés,
depuis sa fondation, se montait à 3,230.
Ce nombre aurait pu être beaucoup plus considérable, si la
40 — Ib-6 SECTION DE l'ROPAGANDE
direction n'avait pas tenu à procéder constamment avec la plus
grande prudence et à ne faire des échanges que dans les condi-
tions les plus parfaites possible. Quand des parents envoient
leur fils ou leur fille à l'étranger, ils désirent que, matériellement
et moralement, la famille choisie offre toute garantie, que
l'éducation soit bonne, que les éludes de leur enfant soient sur-
veillées, que la résidence soit agréable, que les rapports de goûts
et de situation sociale soient observes.
Les familles étrangères prennent naturellement les mômes
soins. On voit combien la tâche de la direction est délicate: il
faut satisfaire également les deux parties; pour cela, il faut de
longues recherches et réllexions. On y arrive par une vaste
correspondance, par des demandes incessantes de renseigne-
ments, aidé par tout ce qu'a donné l'expérience des années
précédentes et les inspections que la Société fait faire dans les
pays mêmes où elle a envoyé les enfants.
Si l'entreprise avait un caractère commercial, elle aurait
cherché à augmenter le chitire d'affaires, c'est-à-dire le nombre
d'échangés, mais c'est une œuvre. Elle préfère la qualité à la
quantité et se fie au temps pour étendre chaque année le cercle
de ses opérations, ce qui arrive d'ailleurs.
Je n'ai pas besoin d'entrer dans de plus longs détails sur
cette œuvre bien connue. Le rapporteur se tient à la disposition
de chaque persoHne désirant des éclaircissements sur des points
particuliers. Je veux seulement montrer en quoi elle sert
l'expansion de la langue et de la culture française.
Lorsque les fondateurs de la Société, en 1903, ont fait leurs
premiers échanges, leur but était uniquement d'aider les
jeunes Français à acquérir la connaissance des langues étran-
gères. Mais il est arrivé à cette société, comme à toutes les
entreprises bien conçues et qui arrivent à leur heure, de porter
non seulement les fruits que l'on attendait, mais d'en récoller
d'autres, tout aussi précieux, auxquels on n'avait pas songé tout
d'abord.
On voulait assurer à de jeunes compatriotes un s»!Jour profi-
table et peu dispendieux à l'étranger, mais comme le moyen
choisi était /'«'Wjan(/e, c'est-à-dire le remplacement temporaire
LES GKOLPF.MENTS ET LES ÉCCILKS i;*-6 — 4-1
dans chaque famille française de l'enfant par un étranger, un
avantage égal était ottert à ce dernier, et cet avantage était la
connaissance de la langue française, de la vie française, de la
famille française, en un mot de la culture française. Notre
société travaillait ainsi de la façon la plus efficace, la plus
persuasive et la plus sûre, à atteindre le but que vous pour-
suivez.
Vous conuaissez les idées bizarres que. l'on se l'ait souvent à
l'étranger sur la vie française : la France, c'est Paris, et Paris
c'est Babylone. Je sais bien que les étrangers en ont maintenant
i|uelque peu rabattu et que l'on pourrait aussi trouver des
Babylones sur la Tamise et la Sprée, mais il reste toujours
quelque chose de celte opinion. Aussi plus d'un de nos voisins
est fort étonné quand il fait la découverte de la famille française,
qui est une des plus unies de l'Europe, une de celles où le
travail est le plus en honneur, où le dévouement de ses
membres les uns pour les autres est le plus entier. Le plus
grand défaut de cette famille est que ses membres sont trop peu
nombreux. Je crois que vous me permettrez, en passant, dans
ce Congrès, qui a pour but l'expansion de l'inlluence française,
de souhaiter tpie ce défaut disparaisse, que les Français aient
davantage confiance en l'avenir, en eux-mêmes, en leurs talents,
qu'ils aient, de nouveau, le culte de la fécondité.
Les étrangers font une découverte précieuse : celle de la femme
française, qui ne ressemble guère aux insupportables poupées
des pièces de théâtres et des romans « bien parisiens ». La Fran-
çaise a, en effet, le secret de posséder à»la ff)is le raffinement, la
délicatesse de manières, la réserve, qui caractérisent la femme
anglaise {Ihe enylish laily) et l'art de tenir une maison, de veiller
au bien-être, à la commodité de tous ceux qui l'habitent, comme
la meilleure ménagère allemande (die ileulsche llavsfj-au). Elle
sait prévoir les dépenses et les régler sur les receltes, elle porte
su sollicitude sur les plus petits détails, elle ne ménage pas sa
peine et ne craint pas de mettre elle-même la main à la pâte, et
cela au sens littéral du mot : la cuisine française est une gloire
nationale, pas si méprisable d'ailleurs.
42 — Ib-6 SECTION DE PltOPAGANDE
Et le soir, cette maîtresse de maison modèle devient une
femme du monde accomplie, sachant causer, au courant de ce
qui se passe dans les lettres et les arts, régnant dans son salon,
modérant les uns, mettant les autres en valeur, soumettant à
son aimable empire tous les amis et visiteurs.
Lorsque le jeune étranger est introduit dans une pareille
famille, il en subit l'influence, et l'on peut être assuré que l'on
compte un ami de plus de la civilisation française.
L'action de notre société est double. Elle fait vivre les étran-
gers de la vie française. Elle agit aussi par les jeunes Français
qu'elle envoie au delà de nos frontières. Ceux-ci donnent, la
plupart du temps, la meilleure idée de notre pays par leurs qua-
lités natives d'amabilité et de finesse, par leur urbanité et les
efforts loyaux qu'ils font pour comprendre la nation au milieu
de laquelle ils sont placés. « Mais, dira-t-on, tous ne possèdent
pas ces qualités. » Presque tous, répondrons-nous, car nous ne
nous occupons que d'une élite. En effet, et je ne crois pas beau-
cou|) ni'avancer en le disant, les parents qui envoient leurs
enfants à l'étranger, montrent, par cela même, qu'ils font partie
d'une élite. C'est une chose à laquelle ne pensera pas un père
enfoncé dans l'unique souci de sa vie matérielle ou de ses plai-
sirs, et dont s'eff'raiera une mère à l'esprit borné et craintif. Les
parents qui ont rompu avec cette passivité et cette pusillanimité
ont atteint déjà un assez haut degré de culture.
Puis, dans cette élite, la société s'efforce encore de faire un
choix. Si l'éducation donnée par les parents éveille quelque
scrupule, on s'arrange de façon à les éliminer des échanges.
De plus, une expérience de dix années a permis de fixer aux
échangés des règles de conduite qui sont consignées dans des
instructions remises aux familles et à l'observation desquelles
on tient la main. Tous les inconvénients résultant de trop de
pétulance et de quelque indiscrétion sont donc évitées dans la
mesure du possible.
Par leur activité, par leur bonne conduite, leur travail, nos
jeunes échangés, réfutent automatiquement, pour ainsi dire, les
calomnies que l'on répand sur notre pays. Ils excitent, au con-
traire, l'intérêt pour la France, pour sa langue, pour sa civil i-
LtS GROUPEMENTS ET LES KCOLKS I/.-6 — 43
sation. Ils font ainsi de l'excellente besogne dans votre sens, et
cela de la meilleure manière, non pas par im simple apostolat
verbal, mais par l'action et l'exemple.
Vous avez bien voulu, Messieurs, dans vos précédents congrès,
donner votre approbation aux efforts de la Société d'échange
international. Après ce court exposé de l'organisation adminis-
trative et de la vie de notre Société, vous consentirez, j'espère,
à lui renouveler votre appui en approuvant le vœu suivant :
Vœu :
Le Congrès, considérant que l'organisation des échanges
d'enfants et de jeunes gens, telle qu'elle a été comprise et réali-
sée par la Société d'échange international, constitue un puissant
moyen d'action pour la diffusion de la langue française,
Reconnaissant les services déjà rendus par cette œuvre à la
cause de la langue et de la civilisation françaises,
Émet le vœu :
Que les groupements d'idée française s'intéressent de plus en
plus à l'œuvre organisée et poursuivie par cette Société et en-
couragent la pratique de l'échange international.
I. — SECTION DE FKOPAGANDE.
/;) I.KS (IHOI l'KMKMS Kï I.KS ROOI.KS.
L'Œuvre des Comités français en Espagne,
PAR
(JKOIIGES CIUOT,
|inil'i'ss('iii- deluili'3 liispaniques à rUnivcrsili' do Bordeaux.
M. llliarlier, secrétaire général du Troisième congrès interna-
tional pour l'extension et la culture de la langue française,
m'ayant fait l'honneur de me demander de mettre à jour et de
présenter à ce congrès le rapport sur « les comités de l'Alliance
française en Espagne et en IVjrtugal » que j'avais lu an cf)ngrès
régional de l'Alliance française tenu à Bordeaux en novem-
bre 1912, je me suis mis en devoir do me docmnenter sur les
progrès réalisés durant ces dix derniers mois et de compléter
mon premier exposé, notamment en ce qui concerne l'orient de
la péninsule.
Mon rapport ayant paru depuis (,aoiil 1913) dans le Compte
rendu du Congrès de Bordeaux, la mise à jour n'eût constitué
qu'une seconde édition revue et corrigée, et, franchement, c'eût
été beaucoup d'honnevu" pour ma prose. J'ai donc pensé que le
mieux était de supposer connu ce qui était imprimé, et de me
borner à donner les indications supplémentaires que je pour-
rais réunir avant la date fixée pour le Congrès de Gand.
.le dirai tout de suite que, si le temps des vacances est très
46 — 16-7 SECTION DE PROPAGANDE
favorable à la tenue d'un congrès, il ne l'est guère à la prépara-
tion d'un mémoire de ce genre, non pas que ce ne soit une façon
fort intéressante d'utiliser ses loisirs champêtres, mais il est dur
d'importuner à ce moment des correspondants qui ont besoin
de repos, et il est parfois difticile de les atteindre. Je m'excuse
auprès d'eux de les avoir mis dans cette alternative : avoir à me
répondre ou se reprocher un manque de courtoisie. Merci de
leur extrême obligeance, merci de m'avoir aidé à remplir ma
tâche. Il n'a pas tenu à eux que je ne la remplisse plus convena-
blement.
Mais en regardant le programme qui m'a été envoyé en juillet
dernier, je m'aperçois que, sans doute à cause du titre de recteur
dont on m'y décore indûment (qu'ai-je donc fait pour laisser croire
que j'exerçais d'aussi hautes fonctions?), on m'a rangé, sous la
rubrique Espagne, par les congressistes qui avaient promis un
rapport sur La siluation de la langue française dans le monde.
M. Thamin, recteur de l'Académie et président du conseil de
l'Université de Bordeaux, a-t-il annoncé un rapport de ce genre,
et a-t-on mis mon nom par erreur à la place du sien? Cette
hypothèse souhaitable expliquerait tout.
Pour moi, je n'apporte que ce que j'ai promis : un complé-
ment à ce que j'avais dit sur l'œuvre de nos comités français en
Espagne. Ce n'est assurément qu'une toute petite partie de ce
qu'il y aurait à dire sur l'extension de la langue et de la culture
française en Espagne.
Qui voudrait donner une idée de cette extension aurait à pré-
ciser d'abord la place accordée au français dans les programmes
des Institutos (lycées officiels), des colegios (collèges libres), des
académies militaires et autres centres d'enseignement. 11 faudrait
dire ce qu'on demande de français aux candidats du bachillerato,
des diverses écoles militaires ou scientifiques. Je ne suis pas en
état de fournir pareilles précisions. J'ai pourtant une vague idée
que ceux qui enseignent notre langue ne la savent pas toujours
très bien eux-mêmes. Heureusement les congrégations reli-
gieuses, qui comprennent maintenant beaucoup de Français et
de Françaises, offrent un peu partout à présent des professeurs
plus idoines.
LES liUOUPEMEMS ET LES ÉCOLES Ift-7 — i"
Il faudrait aussi donner le chiffre des exemplaires de livres de
science ou d'agrément, de revues, de journaux, de magazines
vendus dans toute la péninsule, du i''' janvier au 31 décembre de
chaque année. Cette statistique, je ne l'ai pas tentée, mais j'encou-
ragerais fort à l'entreprendre quiconque en aurait les moyens.
Le livre français, en tout cas, est beaucoup moins lu en
Espagne qu'en Portugal, où il remplit les vitrines des libraires.
Je me rappelle avoir vu, sur la place du Rocio, à I/isbonne, de
jeunes ofliciei's entourant un des leurs, qui leur lisait le Chanle-
cler de Rostand et paraissait y prendre le plus grand inté-
rêt, sourire, donc sans doute comprendre. Je n'ai point vu telle
chose en Espagne, ni parmi les militaires, ni parmi les civils.
Notre littérature n'y est pas inconnue, mais je dois avouer qu'elle
n'y a pas toute la place, tout le succès auquel, dans mon orgueil
de Français, je pense qu'elle aurait droit.
Enfin, il faudrait expliqiu^r dans quelle mesure les Espagnols
écrivent et parlent le français. Il en est qui le parlent et
l'écrivent très bien; davantage qui le parlent et l'écrivent moins
bien ; encore plus qui le parlent et l'écrivent encore moins bien;
et ainsi de suite jusqu'à l'infini : le plus grand nombre l'ignorent
totalement. La proportion de ceux qui le savent est bien moins
grande qu'en Portugal, où il n'est pas rare de rencontrer, sur-
tout dans la classe cultivée, des personnes qui parlent notrp
langue au moins aussi bien que nous.
Je veux pourtant dire ici une surprise qui m'advint un jour
que, de Madrid, j'étais allé passer la journée à Tolède avec mon
collègue et ami M. P. Paris. Nous avions eu l'idée d'aller déjeu-
ner dans un parador, à moins d'un kilomètre sur la route qui
débouche du pont d'Alcanlara. Dans cette pauvre, mais hospita-
lière auberge, d'où nous avions une vue merveilleuse sur la cité
impériale, l'Alcazar, la cathédrale, le Tage et les roches jaunes
de ces rives abruptes, nous n'eûmes pas seulement le plaisir de
faire un excellent repas, mais aussi celui d'être servi par un
enfant (celui de l'aubergiste), qui parlait très suffisamment le
français, et l'avait appris à l'école... Le cadre était à la fois rus-
tique et grandiose. Notre petit maitre-d'hôtel nous donna une
satisfaction supplémentaire qui avait son prix.
•48 — Iè-7 StCTlON DK PltOPAGANDE
Ce souvenir ne me revient pas trop mal à propos ici, puisque
je veux parler de l'œuvre à laquelle travaillent les comités fran-
çais en Espagne, la propagation de notre langue, but,suprême et
unique de V Alliance franmise.
Une inquiétude me prend. Le rapport que je rédige est des-
tiné non à un congrès français, mais à un congrès international ;
et je complais entrer dans des détails que des étrangers pour-
raient bien juger peu intéressants et oiseux par leur minutie.
Mais le Congrès de Gand est d'une internationalité spéciale.
On y a convoqué les adeptes de la culture française, les natio-
naux des pays de langue française. La nationalité proprement
dite, légale, s'y etface. La nationalité de la culture et de la langue
y devient le lien commun, y a son patriotisme, y forme comme
une patrie plus grande et plus idéale. Ce ne sont donc pas des
étrangers, mais des compatriotes qui s'y réunissent. Rien de ce
qui touche à la culture et à la langue française ne peut leur être
étranger.
Les comités qui se sont formés dans dillérentcs villes d'Es-
pagne, eu vue de maintenir et de favoriser l'extension de notre
langue, se sont généralement affiliés à l'Alliance française qui
les aide dans la mesure du possible par des subventions ou tout
au moins par des livres de prix, des récompenses à décerner aux
élèves et aux auditeurs.
Certains de ces comités (Valladolid, Santander, Vitoria) n'ont
jusqu'à présent organisé que des cours d'adultes. D'autres ont
fondé et entretiennent des collèges : ce sont ceux de Madrid,
Barcelone, Séville, Alicante, Penarroya, Irun, Port-Bou, Figue-
ras. Celui de Saint-Sébastien vient de créer un collège et a des
cours d'adultes. A Barcelone, collège et cours d'adultes sont
l'œuvre de deux comités différents, d'ailleurs en parfait accord.
Je dirai d'abord un mot des cours d'adultes de Valladolid. La
situation est à peu près la même que l'an dernier, m'écrit
M. Mialhe, agent consulaire de France. Le nombre d'élèves a
augmenté cependant. De 268, il a passé à 312 (190 garçons ou
hommes, 122 jeunes filles). Pour l'année 19H-1912, l'actif était
LES GROUPEMENTS ET I.KS KCOl.KS 16-7 — 49
de 3,870 pesetas et le passif de 3,942. Pour 1912-1913, l'actif est
monté à4, 035, et le passif à 4,102 pesetas. Le déficit, qui était de
72 pesetas, n'est donc plus cette année que de 07. C'est un
pauvre duro de moins Le déficit a été comblé l'année dernière,
peut-être encore celle-ci, par le directeur même des cours, qui
ne reçoit que 1,500 pesetas d'honoraires pour une tâche qui lui
])rcnd toutes ses soirées. Tant que les cours pourront se faire là
où ils se font depuis dix-huit ans, à l'École normale, tout ira à
peu près, avec beaucoup de complaisance de la part de la muni-
cipalité, et de dévouement de la part du directeur, secondé par
SCS deux adjoints. Mais ne faudra-t-il pas un jour installer
ces cours dans un local à l'abri des vicissitudes politiques?
Le comité de V Alliance française de Barcelone avait délégué
au Congrès de Bordeaux son vice-président, M. Triana, dont le
rapport a été imprimé avec le mien dans le Compte rendu du
Congrès. On y verra les commencements et les progrès remar-
quables des cours du soir fondés par ce comité en 1890. Passer
de 25 adhérents à 181, de 50 élèves à 777 (de l'un et l'autre
sexe), de 2 à 10 professeurs, de 1,000 à 11,000 pesetas pour les
dépenses, voilà le résultat de vingt-deux ans d'efforts continus
et Intelligemment dirigés. Le système adopté pour l'extension
de ces cours est très simple, c'est celui du dédoublement. La
rétribution de chaque professeur est de 500 pesetas par an.
Uuand l'excédent de recettes atteint 500 pesetas, on dédouble un
cours l'année suivante, de manière à éviter le plus possible
d'avoir au-delà de 50 élèves dans une même classe. Les cours,
répartis en trois divisions, suivant la force des auditeurs, sont
faits séparément aux hommes et aux femmes, et ont lieu respec-
tivement trois fois par semaine, non seulement à Barcelone
même, mais aussi à Badalona et à Gracia, faubourgs de l'immense
ville. La municipalité de Barcelone prête des locaux, et,
depuis 1902, pour les cours destinés aux hommes, l'Univer-
sité, SUT l'autorisation du ministre de l'Instruction publique
d'Espagne, fournit les salles nécessaires. Des distributions de
prix ont lieu tous les ans, d'une façon très solennelle, dans l'un
des plus grands théâtres de Barcelone, et donnent lieu à d'irtté-
ressanles manifestations d'amitié franco-espagnole.
\h 4
50 — Ift-7 SECTION DE PROPAGANDE
M. Triana, qui est l'àme de cet organisme, a bien voulu me
communiquer un tableau comparatif des résultais obtenusen 1912
et en 1913. Le voici :
Kxercîce Exercice
1911-1912. 191M913.
Jeunes filles 396 391
Jeunes gens .381 364
Total. . . 777 755
Professeurs dames 8 9
Professeurs hommes 8 8
Récompenses :
Diplômes aux jeunes tilles 13 12
Diplômes aux jeunes gens 5 2
Mentions 4i7 440
Prix distribués 110 112
Médailles 6 7
Nombre d'élèves de 3* année :
Jeunes filles ......... 71 75
Jeunes gens . 42 46
En 1913, un cours de troisième année pour jeunes filles a été
dédoublé. Il faut noter, en outre, que le comité subventionne
les écoles françaises et fonde des bibliothèques. Et il n'a
d'autres ressources que les cotisations de ses membres,
les droits d'immatriculation (12 pesetas par an) et, de temps à
autre, une allocation du Comité central de VAIlianci'. Il est
réconfortant de voir nos intérêts en de si boimes mains. De la
situation actuelle pourra témoigner M. Salone, qui, je crois,
assistera au Congrès, et qui a présidé la dernière distribution de
prix. Mais voici, pour finir, un fait qui montre les sympathies
qu'ont su acquérir nos compatriotes : le recteur a promis de
mettre à la disposition du comité, pour les cours déjeunes filles,
un certain nombre de salles de l'Université.
Les cours d adultes s'adressent à toute la population d'une
ville, et c'est ce qui fait leur grand intérêt au point de vue fran-
çais. Les collèges ont peut-être cependant plus d'importance
LES GROl PEMENTS KT LES ÉCOLES I*-7 — Si
encore : inutile de dévfîlopper ici des raisons. C'est d'eux que je
vais m'occuper maintenant. Je commencerai par les morts.
Heureusement, je n'en vois qu'un on deux.
A Iran, la concurrence des Frères de la Doctrine chrétienne
a rendu la situation intenable à l'instituteur qui dirige l'école
française, réduite à un chifire de cinq élèves. Dans l'intérêt
même de notre cause, il vaudrait mieux cesser une lutte qui ne
peut avoir que de fâcheux épisodes et de tristes résultats. Jusqu'à
preuve péremptoire du contraire, nous ne pouvons supposer <|ue
les religieux français qui se sont installés près de la frontière
française n'enseignent pas à leurs élèves l'amour, à tout le moins
le respect de la France. Qu'ils leur enseignent en même temps le
catéchisme, c'est leur affaire et celle de leur clientèle Je suis
certain que l'Alliance française les encouragera à l'occasion.
A l'ancien directeur du collège français (collège que j'ai connu
prospère) la recommandation du comité de Bordeaux a valu une
petite situation dans une grande maison de commerce de notre
ville. On n'avait pu le caser dans l'enseignement. Que va devenir
son successeur, obligé de chercher des leçons particulières?
Le second mort, c'est le collège de Torrelavega, où l'ancien
directeur d'Irun avait tenté la chance. Peut-être y en a-t-il
d'autres, mais on n'avait jamais enregistré leur naissance.
Le comité de Perpignan avait envoyé au congrès de Bordeaux
un délégué, M. F. de Cazis de Lapeyrouse, son propre président,
porteur d'un rapport imprimé, dû à M. Paul Dive, agent con-
sulaire de France à Port-Bou et président d'honneur des comités
de Port-Bou et de Figueras. Ce rapport, ayant été distribué aux
membres du congrès de Bordeaux, n'a pas été inséré dans le
Compte-rendu de ce congrès. Je le regrette pour ma part, et je
ilonnerai ici une analyse sommaire de ces quelques pages Ce
qui fait l'utilité, la raison d'être des écoles françaises de Port-Bou
et de Figueras, c'est la frontière. Le transit et la douane occupent
un personnel nombreux, et, du côté espagnol, il faut bien qu'on
sache un peu de français, comme un peu d'espagnol s'impose du
côté de la France.
L'école française de Port-Bou, fondée en 1894 par M. Dustou,
qui n'a cessé de la diriger, comprend une moyenne de 53 élèves
6'i — 16-7 SECTION DE raOPAGANDE
répartis en classe primaire, cours d'adultes et cours de jeunes
filles. La rétribution scolaire n'est que de 5 pesetas par mois. Le
ministère des Affaires étrangères donne oO francs par. an. La
concurrence, bonne en soi, des sœurs françaises, qui réunissent
plus de cent fillettes, a l'inconvénient d'arrêter le développement
de cette école intéressante, qui mérite qu'on l'aide par des dons
en livres et en mobilier.
L'école française de Figueras a été fondée en 1901 par M. Pujol,
son directeur actuel, et compte 56 élèves, dont 41 garçons. Lui
aussi a à souffrir de la concurrence des religieux et religieuses
venus de France. La rétribution scolaire et l'allocation minis-
térielle sont les mêmes qu'à Port-Bou. Les besoins sont les
mêmes. Pour l'une et pour l'autre école, M. Paul Dive demande
« les moyens d'installer un local plus vaste, mieux compris,
muni d'un matériel scolaire plus récent, l'envoi de livres, cartes,
échantillons de minéraux, de coquilles, de plantes, d'un musée
scolaire pouvant faciliter ces leçons de choses qui ont fait le
succès mérité de la méthode Froebel. Il conviendrait même de
faire plus encore. Pourquoi n'installerait-on pas, dans un local
de cette école, un véritable Musée industriel et commercial de
produits français de toute sorte, échantillons étiquetés, revêtus
de leurs prix, du lieu de leur fabrication, de leurs usages,
Musée qui serait fréquenté par les campagnards des environs,
qui se rendent en foule aux jours de marché hebdomadaire?.»
Mon rapport pour le Congrès de Bordeaux contient l'histo-
rique du Collège français de Madrid. J'ai h y rectifier une asser-
tion relative à l'enseignement du grec, auquel j'avais cru qu'il
était question de donner une place. En réalité, on s'en tient au
programme de la section B (latin — langues vivantes), en ce qui
concerne la préparation au baccalauréat français. C'est dom-
mage. L'étude du grec est pour quelque chose, depuis le
xvi<= siècle, dans la culture française. Mais je ne désespère pas
que le Collège français de Madrid innove cette étude, complète-
ment délaissée dans l'enseignement secondaire espagnol.
LES (IIIOIPEMEXTS ET LES ÉCOLES I*-7 — 53
Sur l'eiist'ignoment donné actuellement Galle del Marqués de
la Ensenada, le directeur, M. Ventenac, a bien voulu me docu-
menter. « Nous suivons, m'écrit-il, depuis trois ans, c'est-à-dire
depuis notre installation Galle del Marqués de la Ensenada, les
mêmes programmes que les lycées et collèges de France, depuis
les classes enfantines et années préparatoires jusqu'à la 3" B
inclus, c'est-à-dire jusqu'à la fin du premier cycle. La réparti-
tion des matières du programme et les heures de classes consa-
crées à chaque matière sont sensiblement les mêmes qu'en
France. Nous faisons dans toutes les classes une part plus large
à l'enseignement du français, c'est-à-dire que nous y consacrons
quelques heures déplus par semaine. Les élèves qui arrivent au
collège à ,^ ou 0 ans commencent à la I" préparatoire et suivent
successivement les classes de 9", 8" et 1". Ils peuvent ensuite :
1° Gontinuer l'enseignement secondaire français jusqu'à la
;>" H et obtenir le certificat d'études secondaires (M. le recteur
Thamin en a délivré quatre en 1912 et en délivrera probable-
ment cinq pour cette année 1913) ;
2° Suivre les cours commerciaux du Collège. Les élèves de
ces cours assistent à tous les cours de français et de sciences
suivis par les élèves de l'enseignement secondaire français, et
apprennent, de plus, la comptabilité, la machine à écrire, la
correspondance commerciale, l'écriture, etc. ;
3° Suivre les cours du baccalaui'éat espagnol, faits par des
professeurs espagnols. Chaque année (il y a un examen au bout
de chaque année) du baccalauréaut espagnol ne comprend que
trois ou quatre matières. Les élèves de ces cours y consacrent
trois heures au maximum par jour, et suivent pendant les trois
autres heures les cours de français. Il arrive donc que les élèves
de cette division du baccalauréat espagnol, division qui a fait le
succès de notre collège, ont plus d'heures de français que les
élèves des deux autres divisions déjà citées et que leurs cama-
rades des lycées de France.
Lorsque les élèves entrent au collège à 9, 10, 12 ans, ils
passent toute une année scolaire au moins dans nos classes
spéciales de français, où ils ne font (jue du français, un peu
S4 — 16-7 SECTION DE PROPAGANDE
d'arithmétique, etc. Comme tous les cours, dans toutes les
classes, se font en français, sauf naturellement dans les classes
d'anglais et d'espagnol, ces élèves ne pourraient utilement les
suivre autrement, même s'ils avaient reçu au préalable une
bonne instruction en espagnol. A la fin de cette première année
de préparation, ils passent dans les classes de l'une des sections
ci-dessus désignées, suivant leur âge et leur degré d'instruction.
Nous avons eu, en 1912-1913, .350 élèves, et nous en avons
l'cfusé dans le courant de l'année scolaire plus de oO. ]Vous
construisons au fond de notre nouvelle cour, une annexe qui
comprend un grand préau couvert et deux étages de classes,
soit huit classes de plus, ce qui nous permettra d'alléger cer-
taines classes déjà trop surchargées d'élèves et de recevoir au
moins 200 élèves de plus. Le coiît de ce nouveau pavillon
dépassera 100,000 pesetas. L'inspecteur de l'Académie de Bor-
deaux, M. Alliaud,nous a inspectés en juin 1912 et en juin 1913.
Il vous dira sûrement que nous sommes dans la bonne voie.
Quant au projet de continuer l'enseignement secondaire fran-
çais jusqu'au baccalauréat, le conseil d'administration l'étudié,
et ne prendra de résolution que si le gouvernement lui assure
pendant un certain temps une subvention assez forte pour lui
permettre de faire cet essai. «
A ces détails, donnés par le directeur même du Collège, je
puis ajouter l'appréciation autorisée de l'ominent inspecteur
d'Académie que nous avons l'honneur et le grand avantage de
posséder à Bordeaux, M. Alliaud, qui a inspecté l'année der-
nière et cette année, chaque fois minutieusement, à fond, avec
le souci patriotique de ne tromper ni lui ni personne, non seule-
ment les bâtiments et les classes, mais le personnel et les pro-
grammes, la vie elle-même de cette institution française à
laquelle est attaché un peu de notre honneur dans la capitale
de l'Espagne. Son impression, en 1912, avait été bonne. En 1913,
elle a été excellente. Elle est consignée dans deux rapports cir-
constanciés, dont il a bien voulu me permettre de citer quelques
extraits. En 1912, il notait que « les élèves de certaines classes
ne seraient pas dépaysés dans nos bons collèges : quelques-uns
se placeraient dans le premier tiers, même au Lycée de Bor-
{.ES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ift-7 — 5fi
deaux ». Uc sa visite en 1913, il a emporté « la conviction que
tous les professeurs avaient, au point de vue moral, les mêmes
dispositions favorables pour le succès de l'œuvre à laquelle ils
travaillent, et, au point de vue intellectuel, la même tendance et
le même désir de donner un enseignement convenable et utile,
réellement approprié à leur classe ». Elèves et professeurs ont
donc mérité l'approbation d'un juge qui ne passe point pour
facile à éblouir.
Le succès tient pour beaucoup à la connaissance approfondie
que le directeur a du milieu espagnol, des besoins de la clientèle,
connaissance qu'on ne saurait acquérir qu'avec de longues
années, que ne remplaceraient pas les titres universitaires les
plus brillants, et qu'enfin rendrait bien inutile l'idée préconçue
de réaliser en terre étrangère les plans pédagogiques arrêtés en
France pour la jeunesse française.
M'aulre part, les professeurs sont à la hauteur de leur mission,
à laquelle ils apportent l'ardeur de leur tempérament de Fran-
çais, avec le sentiment de leur dignité. Tout ce qu'on fera pour
améliorer leur situation matérielle élèvera encore en eux le
sentiment de leurs devoirs et de leur responsabilité. Pour le
renom de l'Université de France, qui les a préparés au noble
rôle de maîtres, pour le renom de la société qui leur confie cette
tâche d'instruire côte à côte Français et Espagnols, il faut que
le poste de professeur au Collège français de Madrid devienne
enviable à tous égards.
A la suite de son inspection de juin 1912, M. Alliaud, remar-
quant la faible proportion d'élèves français duCollège{54 sur 291,
et il n'y en avait plus que 46 sur 328 en 1913), écrivait ceci :
« Les élèves français qui fréquentent le Collège français sont,
en tout et pour tout, mêlés aux autres élèves. Ils appartiennent, en
général, à des familles aisées qui les envoient, vers l'âge de 14 ou
Vo ans, continuer leurs études en France. Elles sont déterminées
à prendre cette résolution par plusieurs raisons, indépendantes
de la valeur des études qui sont faites ou qui seraient faites au
Collège de Madrid. Elles désirent d'abord que leurs enfants ne
perdent pas tout contact avec la mère patrie, où ils auront peut-
être à poursuivre leur carrière, où beaucoup auront certainement
S6 — 16-7 SECTION DE PUOPAGANDE
à entreprendre et à mener à bien des études plus hautes que
celles de l'enseignement secondaire proprement dit (médecine,
droit, Ecole polytechnique, École centrale, Arts et métiers, etc.).
Elles veulent ensuite, et elles veulent nettement, soustraire ces
mêmes enfants, vers l'âge critique de 15 ans, à l'intlucnce que
pourraient avoir sur eux le climat, le milieu si prenant, les
mœurs si charmantes de l'Espagne. Si l'on accorde à ces disposi-
tions des parents l'importance qu'elles ont dans la réalité, et si,
d'autre part, on tient compte du petit nombre d'élèves français
qui fréquentent le Collège, on se persuade bien vite qu'au point
de vue de ses finances, la société française de Madrid agirait
imprudemment, en développant dans son Collège, jusqu'au
baccalauréat inclusivement, l'organisation de l'enseignement
secondaire proprement dit... Les élèves inscrits pour cet ensei-
gnement n'atteignent pas le chiffre de soixante à l'heure actuelle,
et se répartissent de la façon suivante : 25 en fi", J I en 5',
17 en 4% 4 en 3"; en tout 57. Encore faut-il ajouter, et cette
remarque est très importante, que parmi ces élèves un certain
nombre se prépare au baccalauréat espagnol et est bien décidé à
n'aller ni en 2° ni en 1'^'^, si ces classes étaient organisées. »
Quant aux élèves espagnols, qu'ils veuillent entrer dans le
commerce ou l'industrie, ou arriver au baccalauréat espagnol,
ils viennent au collège surtout pour bien apprendre le français.
« Ils n'ont aucun profit à tirer, conclut M. Alliaud, de l'étude des
matières inscrites dans les programmes de notre enseignement
secondaire, surtout pour le second cycle.» J'ajouterai que les
succès, obtenus encore en cette année 1913 aux examens du
bachilkrato, ne peuvent qu'encourager à conserver l'organisation
actuelle. Sur 133 candidats présentés, aucun n'a été refusé, 68 ont
été sobresalientes (reçus avec la mention très bien), et 9 ont obtenu
la malrlcula de honor, qui correspondrait à la mention e.rtre'me-
ment bien.
Pour être libre de toute dépendance otbciellc, le collège de
jeunes filles, fondé en 1886 et dirigé par M'"" Chollet-Ventenac
depuis 1897, l'un des plus réputés de Madrid, n'en a pas moins
attiré et mérité la bienveillance des personnes les plus autorisées,
particulièrement des ambassadeurs de la République française.
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES 16-7 — 57
depuis M. le marquis de Reversaux, qui s'y intéressa d'une façon
très agissante. Il comprend aujourd'hui cinq classes d'enseigne-
ment primaire, une classe spéciale pour la préparation du brevet
élémentaire, une classe commerciale, où, à part le français,
obligatoire, les jeunes tilles apprennent l'anglais, enfin une
classe pour la préparation du bacIUllerato et de la Escuela normal
de maeslras, préparation couronnée cette année par deux succès.
En 1897, le collège avait une quarantaine d'élèves, Espagnols
ou Français. Il en a eu 190 en 1913. Il a fallu chercher un nou-
veau local pour loger les cours supérieurs au mois d'octobre
prochain. Au prix exorbitant où sont les loyers dans un quartier
aussi central que celui de la calle Pontejos et dans le magniti(|ue
immeuble où le collège occupe un étage, c'est une augmentation
redoutable de charges. Mais la femme énergique et avenante qui
les assume a confiance dans l'avenir et compte sur l'appui de
VAUianie française, dont les subventions lui permettaient
jusqu'ici d'élever gratuitement une dizaine de petites Espa-
gnoles, qui devenaient presque de petites Françaises. En lui
accordant récemment les palmes de l'Instruction publique, le
gouvernement français a rendu hommage à ses services. De ce
que ces services viennent de l'initiative privée, il ne s'ensuit pas
qu'il les reconnaisse moins volontiers. Il ne s'ensuit pas non
plus qu'une aide etlicace ne soit pas indiquée et nécessaire.
Une grosse lacune que, l'auto de renseignements suflisants,
j'avais dû laisser dans mon précédent rapport, sera comblée dans
celui-ci, grâce à la complaisance de M. Montariol, président des
Écoles françaises de Barcelone, et de M. Maurice Louise, prési-
dent du comité de V Alliance françaixe à Valence.
A Barcelone, indépendamment des cours d'adultes dont j'ai
parlé tout à l'heure, et dont s'occupe avec un dévouement inlas-
sable M. Triana, il existe un comité qui administre deux grandes
écoles mixtes, situées l'une calle de Cortes, l'autre calle de Dipu-
tacion. Ce comité est en rapport étroit avec les sections de bien-
faisance et de prévoyance qui lui ont accordé leur aide tinan-
.')8 — It-7 SECTION DE PROPAGANDE
cière. Ce qu'est son œuvre, ce que sont aussi ses desiderata,
l'exposé qui suit et qu'il a rédigé lui-même le fera comprendre
avec précision.
(( Les écoles françaises de Barcelone, inaugurées le l"mai 1839,
sont placées sous le patronage de M. l'Ambassadeur de France à
Madrid cl de M. le Consul général de France à Barcelone. Elles
ont pour objet de fournir, dans la plus large mesure possible,
aux Français résidant à Barcelone, les moyens de donner une
instruction française à leurs enfants et de faire bénéficier de cette
même instruction un certain nombre d'enfants espagnols ou
d'autres nationalités. Elles sont gratuites pour tous les enfants
français appartenant à des familles dont les ressources sont
limitées. Elles sont administrées par un comité de quinze
membres élus par les souscripteurs français...
« L'enseignement donné dans les Écoles françaises de Barce-
lone est identique à celui qui est donné dans les écoles primaires
de France, c'est-à-dire que les programmes sont ceux qui ont été
adoptés par le Conseil supérieur de l'instruction publique avec,
en plus, l'enseignement de l'espagnol dans toutes les classes
comme langue du pays.
« L'application des programmes est contrôlée par l'inspecteur
d'Académie des Pyrénées orientales. Ce fonctionnaire visite régu-
lièrement les classes deux fois par an.
« Comme il vient d'èlre dit, les enfants des Français sont admis
aux écoles à titre gratuit, à moins que les ressourcesou la généro-
sité des familles ne leur permettent de payer, à litre de souscrip-
tion, une cotisation qu'elles fixent elles-mêmes. En raison monic
de cette faculté laissée aux familles françaises de faire admettre
gratuitement, ou pour une très modique cotisation, leurs enfants
aux Écoles françaises, le comité, dès 1902, a été amené à
recevoir dans les classes un certain nombre d'enfants étrangers,
moyennant paiement d'un tarif qui varie, selon l'âge des élèves,
de 8 à 18 pesetas par mois. A ces ressources s'ajoute le produit
des souscriptions volontaires d'un grand nombre de compa-
triotes qui n'ont pas d'enfants aux écoles, ainsi que le montant
des intérêts du capital possédé, de divers dons et legs dus à
quelques généreux protecteurs.
LES GROl'PEMENTS ET I.ES ÉCOLES I*-7 — 59
« Les écoles possèdent, au n" 707 de In calle de Cortes, un
immeuble bien aménagé, inauguré en 1902, et où sont conforta-
blement installées dix classes, y compris une salle d'asile ou
école maternelle, et deux cours supplémentaires, l'un pour les
garçons déjà munis du certificat d'études, l'autre pour les
jeunes filles qui désirent préparer l'examen du brevet élémen-
taire ou simplement compléter leur instruction primaire.
« Dans le quartier sud-ouest de la ville, où habitent beaucoup
d'ouvriers français (Dipulaciôn), les écoles ont une succursale
établie dans un immeuble loué pour une somme annuelle de
4,500 francs. Dans ce local, que le comité espère remplacer pro-
chainement par un nouveau groupe scolaire construit expressé-
ment, sont installées trois classes de garçons et deux classes de
filles.
« Les deux établissements ont donc ensemble quinze classes
qui, à la date du 31 mars 1913, formaient une population sco-
laire de o91 élèves. Le personnel enseignant comprend neuf
professeurs hommes français, sept professeurs dames françaises
et un professeur d'anglais, au total dix-sept professeurs dont
treize appartiennent aux cadres français de l'enseignement
public et exercent à Barcelone, en vertu d'une délégation minis-
térielle qui leur permet de continuer à effectuer leurs versements
pour la retraite.
Voici maintenant le détail du budget des Écoles pour 1912 :
Recettes.
Pesetas Cis
En caisse, chez le trésorier, au !*"■ jan-
vier 1912 Pesetas 740 30
Au Crédit Lyonnais, au l^ janvier 1912 (5,292 7.'>
7,033 05
Souscriptions de l'année 1912 . . . 46,064 63
Dons et legs 703 65
Intérêts des valeurs déposées au Crédit
Lyonnais 900 55
Intérêts du compte-courant .... 87 25
Produit de la vente de tabliers . . . 1,158 80
55,949 95
60 — I*-7 SECTION DE PROPAGANBE
Report. . . 00,949 9o
Produit de la vente d'albums ."JSS 00
Retrait du Crédit Foncier à Paris . fr. 1,000.00
Change G p. c 60.00
1,060 00
Subvention du gouvernement . . . 12,000.00
Change 6.80 p. c 816.00
12,816 00
Subvention de l'Alliance française à
Paris 3,600.00
Change 5.7op. c 207.00
3,807 00
Subvention de l'Alliance française à
Paris 6,500.00
Change 5.60 p. c 364.00
6,864 00
Intérêts d'un placement hypothécaire 1,200 00
82,27^< V)5
Dépenses.
Honoraires des instituteurs et institutrices . . . 38,026 65
Appointements du personnel de service .... 4,917 00
Eau, gaz et frais divers d'entretien des écoles. . . 6,466 10
Fournitures scolaires aux indigents 323 35
Contributions de l'immeuble Cortes 1.475 45
Contributions de 0.25 p. c. sur les biens de main-
morte o53 30
Primes d'assurances de l'immeuble Corles, 1911
et 1912 108 20
Loyer de l'école Diputaciùn 4,500 00
Indemnité à la Section de bienfaisance pour le pre-
mier trimestre 1912 200 00
Souscription en faveur de la société « Patrie » . . 200 00
— — — de l'Aviation . 100 00
Distribution des prix 1,117 25
Achat de tabliers l,38i 35
— d'albums ' 930 00
A reporter. 60,301 65
I.KS GROliPEMENTS ET LES ÉCOLES Ii-7 — 61
Report. ()0,30t 60
Achat d'une couronne 113 Go
Placement hypothécaire 9,016 00
Versement à compte à la Section de bienfaisance . 0,000 00
— — — de prévoyance . . 2,000 00
Kèglement des intérêts jusqu'à fin décembre 1912
aux Sections de bienfaisance et de prévoyance . 729 13
En caisse, chez le trésorier au 31 dé-
cembre 1912 Pesetas 620 10
En caisse, au Crédit Lyonnais . . . 3,498 40
4,118 oO
82,278 93
Les dépenses ordinaires des Écoles se sont élevées dans ces
dernières années à un total moyen de 60,000 francs. A l'avenir,
ce total s'augmentera considérablement, tandis que les recettes
ordinaires resteront à peu près stationnaires. Il est à remar-
quer, en effet, que :
1° La Section des écoles s'est engagée à rembourser dès. 1912
A la Section de bienfaisance Pesetas 30,000
A la Section de prévoyance mutuelle 7,000
Total. . . 37,000
(juc ces deux Sections de la Société générale française de bienfai-
sance lui avaient avancées pour la construction du groupe sco-
laire inauguré en 1902;
2' La somme nécessaire pour former le traitement des maîtres
exerçant aux Écoles va devenir dès à présent beaucoup plus
considérable et augmentera durant plusieurs années succes-
sives, d'abord parce que des promotions de classe ont lieu tous
les ans dans le personnel enseignant, ensuite parce que les traite-
ments légaux des instituteurs de tous ordres viennent d'être
sensiblement élevés en France par les votes des ppuvoirs légis-
latifs;
3° Il est de toute justice de servir, sans plus de retard, aux
instituteurs et institutrices des Écoles françaises de Barcelone,
62 — 16-7 ShXTION DE PROPAGANDE
qui rendent des services particulièrement utiles, des traite-
ments au moins égaux à ceux dont ils jouiraient dans une ville
française de l'imporlance de Barcelone, qui compte actuellement
363,000 habitants.
« Le personnel enseignant des Écoles françaises de Barcelone
touche, comme traitement total pour 1913. la somme de
37,812 pesetas^ et il devrait toucher 42,H0O pesetas, soit
4,388 pesetas de plus Or il est certain que les professeurs déta-
chés à Barcelone y vont tous avec le désir et l'espoir d'y trouver
une situation sûre et au moins équivalente, au point de vue
matériel, à celle qu'ils auraient dans une ville de 100,000 habi-
tants s'ils exerçaient dans la métropole Ce n'est donc que pour
attendre des jours meilleurs que le Comité administratif des
Écoles a demandé à tous les maîtres de 1", 2* et 3" classe de se
contenter momenianément de traitements inférieurs à ceux des
maîtres de leur catégorie en France.
La somme qui manque actuellement pour parfaire le trai-
tement légal à tous les maîtres de ces Ecoles est exactement à ce
jour de fr. 4,388
Mais très prochainement cette somme s'accroîtra du
montant des augmentations votées par le Parlement,
soit de 300 francs par tête pour quatre des professeurs
n'ayant pas droit à la prime du brevet, ci 1,200
et do 400 francs par tête pour douze des professeurs
ayant droit à la prime, ci 4,800
et pour augmentations après promotions de classes,
environ 1,100
11,488
« C'est donc, en outre des subventions annuelles ordinaires
reçues jusqu'à ce jour, une somme de 11,000 à 12,000 francs qui
manque pour faire face au traitement légal dû aux membres du
personnel enseignant des Ecoles françaises de Barcelone. »
Je ne pense pas que les détails financiers dans lesquels nous
venons d'entrer à la suite du comité barcelonais risquent de
LES OROLPEMENTS ET l,ES ÉCOLES Ié-7 — (>3
paraître fastulieux. I^cs chiffres valent mieux que la littérature
quand il s'agit d'intérêts. Ce sont les intérêts de la France qui
sont en jeu, et ces intérêts, à l'étranger, on ne les sert pas avec
des phrases.
Je passe maintenant à Valence, sur le collège français de
laquelle je ne pouvais mieux me renseigner, on va voir pour-
quoi, qu'auprès de M. Maurice Louise, qui m'a écrit ce qui
suit :
(c Notre établissement a été fondé en janvier 1889. Ses débuts
ne furent pas heureux. On arrivait, à cette époque lointaine, à
réunir péniblement trente élèves des deux sexes, la plupart,
enfants de Français. De 1889 à 1897, l'effectif scolaire ne
dépassa pas, je crois, 7S à 80 élèves. Lorsque mes compatriotes
m'appelèrent à la présidence, en décembre 1897, je me rendis
compte des difficultés nombreuses à vaincre, des erreurs com-
mises par mes prédécesseurs et de l'anarchie qui régnait en maî-
tresse dans le Collège. D'un autre côté, la concurrence effrénée
des Maristes, des Jésuites, les rivalités entre le directeur de notre
Collège et celui d'un autre établissement français, rivalités qui
s'extériorisaient dans la presse locale, étaient autant d'obstacles
qui rendaient ma mission extrêmement difficile. Pendant quatre
ans, je luttai sans défaillance, cherchant à apaiser les haines sans
pouvoir y parvenir. Enfin, en 1901, las de tant d'injustices, je
compris que, pour sauver notre collège, une mesure radicale
s'imposait : la dissolution de notre comité d'action. J'estimais
que là était le seul moyen de faire disparaître les rivalités entre
les directeurs des deux établissements patronnés par V Alliance
française. Je rendis compte de la situation au consul de France
et au comité central de Paris, lesquels, après enquête, me
donnèrent raison; et la dissolution du comité fut prononcée
en avril 1901.
« Ayant accepté la nomination de délégué de l'Alliance, je me
mis résolument à l'œuvre pour réorganiser le Collège. Je fis
venir de nouveaux directeurs, je changeai de local, et,
depuis 1901, j'ai eu la satisfacjion de voir notre établissement
suivre sa marche ascendante et reconquérir une réputation com-
promise, comme le démontre le chiffre de 405 élèves qui ont fré-
6i — 16-7 SECTION DE l'HOPAGANDE
quentéle Collège pendant la dernière année scolaire 1912-1913.
« Dans cette lutte sans merci, qui dura des années, je dois
rendre hommage à V Alliance française de Paris, qui m'a con-
stamment soutenu sans défaillir. De mon côté, je m'étais engagé
à relever le prestige, complètement disparu, de notre œuvre
nationale. Aussi n'ai-je pas hésité, pour y arriver, à m'imposer
personnellement les plus lourds sacrifices. M. Ernest Mérimée
pourra vous renseigner à ce sujet aussi hien que moi.
« Bref, notre Collège est aujourd'hui le plus important peut-
être d'Espagne, après celui de Barcelone; et ce brillant succès
ne pouvait moins que d'attirer sur lui les foudres de nos adver-
saires, les Maristes Ceux-ci cherchent par tous les moyens à
faire disparaître un établissement si prospère et qui leur porte
ombrage. Voici le moyen employé par eux. Ils ont offert au pro-
priétaire du local que nous occupons en location i2,000 francs,
alors que nous ne payions que 5,000 francs. C'était le seul et
vrai moyen de nous expulser, car dans Valence il n'existe pas
d'autre édifice aussi central, avec cour de récréation, et pouvant
admettre un nombre aussi considérable d'élèves. Mais j'ai pu
faire échouer leur manœuvre, et, pour sauver encore une fois
notre Collège, j'ai dû accepter les propositions offertes au pro-
priétaire par les Maristes, mais en me réservant la faculté de
pouvoir sous-louer les dépendances dont nous ne saurions avoir
besoin. C'est évidemment une situation provisoire, dans laquelle
il nous serait impossible de vivre, mais je l'ai créée pour repous-
ser une attaque que nos adversaires ont crue décisive pour nous
faire disparaître.
« Sans perdre de temps, j'ai adressé un rapport au Ministère
des Aflfaires étrangères, le mettant au courant de la situation, et
lui faisant remarquer que, d'accord avec le Consul de France, la
construction d'un Collège à Valence devenait une nécessité.
L'ambassade de France à Madrid a accueilli favorablement mon
projet. M. le recteur Lapie, M. Jules Coulet s'y intéressent avec
chaleur, et enfin, si je pouvais compter sur l'Université de Bor-
deaux, je suis convaincu que la réalisation de mes aspirations ne
saurait tarder. Il m'est de toute impossibilité, en raison des
frais si sensiblement augmentés, d'assurer plus longtemps, à
Li:S GllOl'l'KMENTS ET LES ÉCOLES 16-7 — 63
mes risques et périls, comme je l'ai fait jusqu'à ce jour, l'exis-
tence du Collège. Si satisfaction ne m'était pas donnée dans un
an, j'aurais le regret de me séparer d'une œuvre à laquelle je suis
sincèrement attaché et que je soutiens depuis vingt-quatre ans.
« Notre Collège est mixte. On y donne l'instruction primaire
et primaire supérieure. Notre clientèle est presque totalement
espagnole, et par conséquent le but de propagation de notre
langue est atteint. »
Une telle lettre en dit long sur les difficultés qui se dressent
devant les meilleures et les plus tenaces volontés. Et tout
cela pour en arriver à une création précaire. Il faut que l'œuvre
de notre compatriote soit définitivemeut mise à l'abri des con-
currences et des jalousies. La France doit avoir à Valence son
Collège.
Voilà ce que j'ai pu réunir sur l'organisation actuelle des cours
d'adultes et des collèges français en Espagne. Les progrès et les
lacunes qu'on peut constater montrent ce qu'ont fait nos compa-
triotes et ce qui leur reste, ou plutôt ce qui nous reste à faire. Car
c'est à nous maintenant de les aider à soutenir l'édifice que leur
amour pour la culture française et leur foi dans l'avenir leur ont
commandé d'entreprendre, que par endroits ils ont mené jus-
qu'au faîte.
\À Alliance française ne faillira pas à la tâche qu'elle a assumée
de stimuler les bonnes volontés, de les grouper, de leur faire
sentir les sympathies qu'éveillent tant d'etforts prolongés et per-
sévérants. L'Olfice national des Universités et Écoles françaises à
rétranger apportera le concours puissant du gouvernement lui-
même. Son zélé directeur, M. Jules Coulet, a profité d'un séjour
à Madrid, au moment de l'inauguration de l'Institut français,
pour se mettre en rapports avec les délégués des comités de
Madrid, de Barcelone, d'Alicante, de Penarroya, venus pour la
circonstance sur l'invitation de MM. les recteurs des Académies
de Bordeaux et de Toulouse. Des relations étroites se sont ainsi
établies entre le représentant autorisé du Ministère de l'instruc-
tion publique de France et les différents comités d'Espagne, et
s'établiront, par voie de conséquence, entre tous ces comités
i6 5
66 — Ii-7 SECTION DE PROPAOANDE
eux-mêmes, qui ne s'ignoreront plus les uns les autres, uniront
la voix de leur expérience et de leur dévouement, et trouveront
ainsi plus d'écho dans les sphères dirigeantes de notre pays.
Ce n'est pas sans quelque droit que M. Maurice Louise se
réclame, dans sa lettre, de l'autorité de M. le recteur Lapieel de
M. le doyen Mérimée. J'ai reçu, en eflct, ce mot de M. Lapie :
« Ma réponse vous arrivera peut-être trop tard. Je le regretterais,
car je serais très heureux d'apporter mon témoignage en faveur
de l'œuvre entreprise à Valence par M. Maurice Louise et par ses
collaborateurs. Avec un minimum de ressources, dans des locaux
trop étroits, mal adaptés à leur usage, ne comptant que sur le
dévouement des maîtres et des maîtresses, qui est inlassable,
VAlliance française réussit à donner un enseignement solide à
près de cinq cents garçons ou fillettes. J'ai présidé une commis-
sion d'examen qui a décerné à une dizaine d'enfants un certifi-
cat d'études primaires bien mérité. J'ai entendu de nombreux
élèves parler, réciter, chanter en français. Je sais (jne, chaque
année, le Collège français envoie de bonnes recrues à riusliluto
de Valence. On fait, dans cet établissement, une besogne utile à
la fois pour l'Espagne et pour la France ; et les efforts des fonda-
teurs, qui paient de leur personne et de leur bourse, doivent
être encouragés. J'ai pu obtenir du ministère de l'Instruction
publique une concession de cartes et de mobilier scolaire. Mais
ce qu'il faudrait obtenir, et je ne désespère pas d'y arriver, c'est
une subvention importante qui permettrait de reconstruire le
Collège, de donner aux enfants plus d'air et de lumière, des
salles plus vastes et mieux aménagées pour l'enseignement.
Mieux outillé, il attirerait une clientèle plus nombreuse encore
et servirait mieux, par suite, les intérêts communs de l'Espagne
et de la France. » M. Ernest Mérimée m'écrivait de son côté :
« Ce que je regrette le. plus, c'est de n'avoir pu vous renouveler
par écrit tout le bien que je pense de M. Maurice Louise. Au sur-
plus, je n'aurais sans doute rien à ajouter de nouveau à ce que
vous savez aussi bien que moi sur son rôle à Valence, sur le
dévouement dont il a depuis si longtemps fait preuve pour !c
développement de notre langue, et surtout de son absolu désin-
téressement. »
I,ES GROUPEMENTS ET LES ÉCOI,ES li-7 — 67
Depuis dix-sept ans que M. Maurice Louise s'occupe de son
it'uvre, il <t reçu en tout et pour tout du gouvernement français :
1° en 1906, une subvention de 7uO francs du Ministère des
Affaires étrangères ; 2° en 1913, grâce aux efforts de M. le recteur
Lapie, une somme de 2,000 francs du Ministère de l'Instruction
publique.
Souhaitons à ce vaillant président la joie de voir s'édifier
bientôt, à Valence, un collège digne de la France, comme il y en
a un à Madrid, comme il y en a un à présent à Saint-Sébastien,
où le gouvernement français a pris à cœur de faire le nécessaire,
et où, avant la fin de ce mois de septembre, aura lieu une inau-
guration assurément sensationnelle.
A Peîïarroya, c'est la Société minière et métallurgique elle-
même qui a tenu à faire les frais de la construction devenue
nécessaire pour abriter l'École française, ou du moins une partie
de cette Ecole. L'ancien bâtiment a été conservé, en effet, pour
les enfants non payants des mineurs et ouvriers de la société, et
leur nombre dépasse 150. Le nouveau bâtiment est réservé aux
élèves payants, soit en ce moment S4 filles et petits garçons, sur
lesquels 45 sont Français et 9 Espagnols. Les professeurs sont
des religieuses françaises de l'Ordre de la Présentation de Marie
de Bourg Saint-Andéol. Je dois ajouter, que loin de recevoir des
subventions, le comité de Penarroya a envoyé à Paris une partie
de ses souscriptions pour les écoles du Maroc.
A Séville, la situation est en progrès, puisque l'on va avoir en
octobre une classe et un instituteur de plus, et que, dès la ren-
trée, tout le personnel enseignant, sauf le professeur de religion
et celui d'anglais, appartiendra aux cadres officiels de l'enseigne-
ment primaire. Il faut féliciter M. Auguste Bréal des résultats
dus à son initiative. Le nom qu'il porte devait être de bon
augure dans une entreprise où il s'agit de maintenir le prestige
de la France et de la langue française.
En cette terre d'Espagne, où l'inffuence française, à mainte
époque de l'histoire, au moyen âge comme au xvni* et au
xix° siècle, s'est fait sentir d'une façon profonde et pour ainsi
dire impérieuse, notre vitalité, notre force d'expansion est tou-
jours assez grande pour assurer à notre langue la place que
68 — I??-7 SECTION DE PROPAGANDE
méritent son passé et son présent littéraires, sa clarté et sa net-
teté comme langue politique, scientifique et commerciale, enfin,
la générosité et l'universalité des idées qu'elle a servi, qu'elle
servira toujours à exprimer.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
«) LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES.
La Fédération britannique des Comités de l'Alliance française,
A. SALMON,
professeur à l'Université de Londres
président de la Fédération.
Dès sa création, la Société nationale des professeurs de fran-
{:ais en Angleterre constitua le Comité régional de l'Alliance
française pour tout le Royaume-Uni. Mais, malgré toute la
bonne volonté et le dévouement de ses membres, elle n'avait pu
arriver qu'à créer à Londres un comité qui comprenait une
vingtaine de professeurs français et une demi-douzaine d'an-
glais; un groupe à Sheffield, et un autre à Bedford. A Reading,
M. Rey créait, en 1892, la Société littéraire de Gallia, qui fut
immédiatement affilée à ï Alliance française; enfin, la Société
littéraire de Liverpool, fondée en 1886, devenait également, vers
;189o, comité de l'A. F. En 1903, le comité de Bedford disparais-
sait déjà; celui de Sheffield le suivait de près.
Comme on le voit, la situation était loin d'être brillante et il
était indispensable qu'elle changeât. Fort heureusement, des
circonstances sur lesquelles je ne crois pas nécessaire de
jn'appesantir, mais dont on trouvera le détail dans le Bulletin
70 — 16-8 SECTION DE PROPAGANDE
de l'A. F., n° 120 (Rapport de M. Salone à l'assemblée générale
de 1910) amenèrent une amélioration rapide et sensible.
De 1903 à 1907, furent successivement fondés : le comité du
Nord de Londres [La Concorde), le comité de Paddington (Guild
anglo-française), le comité de Bradford, ceux d'Ealing, de Hull,
de Manchester, de Northampton, de Richmond, West-Bromwich
Willesden {La France); en sorte que de trois le nombre des
comités s'était élevé, en ces quelques années, à quatorze, dont
deux toutefois n'existent plus aujourd'hui (West-Bromwich et
Northampton).
Tous ces comités faisaient une besogne excellente, mais leurs
efforts, si dignes d'intérêt qu'ils fussent, se trouvaient dispersés
et isolés, et, par là, restaient moins efficaces. Il y avait même
à craindre que, comme il était déjà arrivé en 1903 et 1904, les
comités les moins importants, lassés d'une insuffisante activité,
ne disparussent peu à peu. En effet, les ressources de chaque
ville sont restreintes, aussi bien en hommes assez dévoués pour
continuer à s'intéresser à une œuvre qui ne rapporte rien, qu'en
personnes capables de donner les conférences qui constituent
le premier des moyens de propagande à employer. Le nombre des
conférenciers français habitant l'Angleterre et pouvant au
besoin aller dans une ville voisine n'est pas très grand, d'où
audition très fréquente des mêmes, personnes, diminution de
l'intérêt, lassitude des membres.
Pour parer à ce danger trop réel, un moyen s'imposait et
un seul : faire venir directement de France, à des inter-
valles réguliers, des conférenciers qui, apportant avec leur talent
et leur éloquence du nouveau et de l'inédit, réveilleraient l'in-
térêt chancelant. Ce moyen, les comités ne pouvaient y recourir
avec leurs seules resssources, beaucoup trop limitées. La coopé-
ration de tous ou du moins de la plupart était nécessaire, mais
on se heurtait alors à l'esprit si-particulariste de l'Anglais, cet
esprit qu'a si bien montré Mrs. Gaskell dans son curieux roman,
North and South, et dont l'intensité n'a pas diminué depuis
soixante ans, malgré les profondes transformations de la vie
sociale. Aussi ce ne fut qu'après de nombreuses réunions, des
exhortations continuelles, des réfutations toujours les mêmes
I,ES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES I*-8 — 71
d'objections sans cesse renouvelées, que les promoteurs du mou-
vement arrivèrent à faire comprendre non seulement l'utilité,
mais la nécessité de l'entente. L'idée de la Fédération prit corps
et, comme au même moment, la Société nationale des profes-
seurs de français abandonnait ses attributions de comité régio-
nal, les petites difficultés qui auraient pu résulter de frictions
entre les deux organes n'étaient plus à craindre.
La Fédération était définitivement constituée en avril 1907, et
à la fin de la même année, elle reconstituait le comité du centre
de Londres, qui s'était dissous quand la S. N. P. F. avait cessé
d'être le comité régional.
Pendant cette même année 1907, étaient créés les comités de
Gardiff, d'Halifax, de Dublin, et de Wokingham. La marche en
avant continuait.
De 1907 à 1908, la Fédération resta dans la période difficile
et délicate d'organisation. L'Exposition franco-britannique,
tenue en 1908 à Londres, lui permit de donner une première et
éclatante manifestation de sa vitalité, qui fut aussi une preuve
convaincante de l'utilité de cette Fédération et de l'enthou-
siasme avec lequel l'idée qu'elle représentait avait été reçue par
les nombreux comités du Royaume-Uni. Le 17 octobre, elle don-
nait une grande fête dans l'enceinte même de l'Exposition
franco-britannique. Nul endroit ne pouvait être mieux choisi
par la Fédération pour tenir sa première grande réunion offi-
cielle. Le succès le plus franc et le plus complet couronna cette
tentative. Non seulement les comités de Londres et des environs :
Peckham,East-Dul\vich, Brixton,îslington, Hampstead, Padding-
ton, Willesden, Kilburn, étaient largement représentés, mais
on était venu aussi de Croydon, Richmond, Ealing, Reading,
Wolverhampton, Gardiff, Northampton, Wokingham, etc., voire
de comités plus éloignés encore, tels que Manchester, Hull,
Liverpool.
Aussi plus de 350 personnes se trouvaient-elles réunies cet
après-midi-là dans la grande salle des congrès, sous la prési-
dence du Prof. A.-V. Salmon, président de la Fédération, pour
entendre la parole éloquente et diserte de M. Henri Lorin, pro-
fesseur de géographie coloniale à l'Université de Bordeaux. Le
72 — 16-8 SECTION DE PROPAGANDE
soir, un grand banquet réunissait dans la magnifique salle du
Garden Club, club fermé très sélect, plus de 150 convives, et
terminait triomphalement la journée au cours de laquelle le
président avait annoncé, au milieu d'applaudissements pro-
longés, que la première tournée de conférences aurait lieu au
mois de décembre suivant et que l'illustre romancier, M. René
Bazin, de l'Académie française, avait bien voulu consentir à
inaugurer cette série. Le succès de cette première tournée de
conférences assura l'avenir, et au mois de décembre 1908, la
Fédération britannique des comités de l'A. F. était définitive-
ment fondée et elle pouvait marcher vers le but qu'elle s'était
fixé et qui se trouve ainsi indiqué dans ses statuts :
1° Instituer et entretenir entre les comités affiliés des liens
de coopération et d'amitié;
2° Organiser chaque année une ou plusieurs tournées de
conférences données par des Français éminents dans les lettres,
les arts et les sciences, et appelés directement de France;
3° Créer et entretenir une bibliothèque circulante française à
l'usage des membres des comités affiliés;
4° Aménager des réunions et des fêtes anglo-françaises.
Depuis lors, la Fédération a pu organiser huit tournées de
conférences, toutes avec le même objet : faire mieux connaître
et, par là, faire aimer et estimer la France dans toutes les mani-
festations de son histoire, de sa vie familiale, sociale, littéraire,
artistique, scientifique.
C'est ainsi qu'après avoir entendu parler M. René Bazin,
avec toute son autorité, du paysan français et de certains roman-
ciers tout contemporains, nos membres ont écouté successive-
ment :
M. Jean Blaize, professeur de diction, qui a expliqué le vers
français ;
M. Antoine Benoist, recteur de l'Académie de Montpellier,
qui a fait connaître notre vie universitaire et le Languedoc;
M. Maurice Souriau, professeur à l'Université de Caen, qui
est revenu à la littérature avec Victor Hugo et Edmond Rostand;
J.liS GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ii-8 — 73
M. Georges Lacour-Gayet, membre de l'Institut, qui a dévoilé
aux yeux des Anglais la vie familiale de Napoléon I" et les
splendeurs de la cour de Louis XIV;
M. Louis Hourticq, inspecteur des Beaux-Arts de la ville de
Paris, qui, pour la première fois, a l'ait comprendre en ce pays
les beautés de l'Art Français depuis le Grand Siècle jusqu'à nos
jours;
M. Gaston Deschamps, le distingué critique littéraire du
Temps, qui a révélé notre littérature féminine du moment et,
par une juste critique de Charles Dickens, a flatté la sensibilité
anglaise en faisant voir à nos amis que leur littérature était
appréciée chez nous. ^
La huitième tournée avait pour sujet le Mont Saint-Michel et
ses légendes. Elle a été malheureusement interrompue par la
maladie du conférencier.
La neuvième, faite par M. Jean Chantavoine, le jeune et déjà
célèbre critique de la Eevue hebdomadaire et d'Excelsior, fit
connaître la musique française.
Les progrès de l'Alliance continuèrent parallèlement aux
succès de la Fédération, et on vit se fonder, depuis 1908, les
«omités de Leeds, Newcastle, du sud de Londres (Streatham-
Balham), Southampton, St. Andrews.
La Fédération est donc parvenue, malgré la modicité de ses
revenus, à remplir un de ses objets. Elle a étendu d'une façon
certaine la sphère de l'influence française, et, en même temps,
par une meilleure appréciation de la France, de son esprit, de son
génie, elle a, sinon toujours fait disparaître, du moins fortement
atténué bien des préventions que l'on s'étonne de trouver
encore en ce pays, mais qui n'en existent pas moins dans la
bourgeoisie comme dans le peuple. Et comme elle s'adresse prin-
cipalement à la classe moyenne de la population, petits rentiers,
petits commerçants, instituteurs, employés de commerce,
ouvriers même, à tout ce monde qui n'est jamais allé en France
ou ne connaît que les boulevards de Paris, elle a, sans se mêler
à la politique, rendu à la cause de l'Entente Cordiale des ser-
vices que notre éminent ambassadeur, M. Paul Cambon, a plus
d'une fois publiquement reconnus, et dont il marqua l'impor-
74 — lb-8 SECTION DE PROPAGANDE
tance en assistant régulièrement à toutes les conférences orga-
nisées à Londres par la Fédération.
Pendant cette période, l'étude proprement dite de la langue
française a fait des progrès corrélatifs à l'extension de notre
influence. De meilleures méthodes d'enseignement ont été intro-
duites et, si l'A. F. ne doit pas s'attribuer ici tout le mérite, je
puis, moi, professeur et examinateur, membre du conseil d'ad-
ministration de la Modem Language Association, organisa-
teur des concours annuels de français de Gallia (le comité
de l'A. F. de Reading), assurer qu'elle a le droit d'en revendiquer
une bonne part.
Les progrès ont été aussi sensibles pour la littérature. Jus-
qu'alors, dans les écoles, on s'arrêtait aux auteurs contempo-
rains décédés. Aujourd'hui, on lit les auteurs vivants, ce qu'on
n'aurait pas fait il y a dix ans. En 1911, les universités d'Ecosse
inscrivaient dans leur programme commun de l'examen préli-
minaire (Preliminary Examination), pour 1912 et 1913, La Terre
qui meurt de M. René Bazin et, en 1912, les mêmes universités
portaient au même programme pour 1913 et 1914 une des der-
nières œuvres historiques d'un autre membre de l'Académie
française : la Fleur des histoires françaises, de M. Gabriel Hano-
taux. Depuis un an déjà, cet ouvrage est lu à l'University Collège
de Reading...
Une nouvelle et éclatante manifestation de l'importance de
l'œuvre accomplie par la Fédération a été donnée à la Pente-
côte dernière : ce fut ce qu'on appelle couramment aujourd'hui
' en Angleterre le Congrès de St. Andrews, congrès auquel avaient
été convoqués les comités français de propagande, les comités
d'action anglais, écossais, gallois et irlandais, les universités
de France, les chambres de commerce de France et d'Angleterre,
et nombre d'amis de la France en Angleterre.
Les circonstances qui décidèrent la tenue de ces assises sont
les suivantes :■
Depuis dix ans, l'œuvre de la Fédération britannique de
YÀlUance française avait fait des progrès considérables en
Grande-Bretagne. En 1903, elle y comptait trois comités et envi-
ron 300 membres; aujourd'hui, elle compte vingt-six comités
LES GnOfl'EMENTS ET LES ÉCOLES Ib S — 7.'J
et près de Ti.OOO membres. Il était opportun de s'arrêter un
instant pour mesurer le chemin parcouru et jalonner la route
pour de nouvelles conquêtes.
Les conditions actuelles des relations scolaires et universi-
taires entre la France et l'Angleterre nécessitaient aussi un
échange de vues entre les professeurs français établis en Angle-
terre et les professeurs des écoles et universités de France sur
nombre de questions importantes et délicates dont on trouvera
le détail dans les discussions de l'assemblée.
Les relations commerciales et industrielles des deux pays
rendaient aussi ce congrès désirable. L'Alliance française n'est
pas une société commerciale ou industrielle, mais elle ne peut
se désintéresser des répercussions économiques qu'entraîne la
propagation de la langue française : de là l'adjonction d'une
section commerciale à côté de la section littéraire, un des traits
caractéristiques et marquants du Congrès de Saint-Andrews et
Dundee. Les chambres de commerce de France ont d'ailleurs
bien compris l'importance de cette manifestation; plusieurs
d'entre elles qui, pour une cause ou mie autre, n'ont pas pu
envoyer de délégués, ont tenu néanmoins à se faire inscrire
comme « membres actifs » et la Chambre de Paris a même
envoyé trois souscriptions.
Le gouvernement de la République française avait envoyé un
représCTitant officiel, M. Vendryès, professeur à l'Université
de Paris; l'Alliance française avait délégué M. Jules Gautier,
conseiller d'Etat, que l'on trouve toujours là où son dévouement
est nécessaire. Les Universités de Besançon, Bordeaux, Caen,
Lille, Lyon, Paris, Poitiers avaient envoyé des représentants
officiels.
Pendant trois jours, soit dans les magnifiques salles de l'Uni-
versité de St. Andrews, soit dans le grand hall de la Chambre de
commerce de Dundee, les questions les plus importantes sur le
développement de la langue, de la culture et du commerce fran-
çais furent discutées par plus de 200 congressistes, venus de
toutes les régions de la France et de Grande-Bretagne.
Ici encore, l'initiative de la Fédération a été justifiée par un
succès réel et dont les résultats, qui se font déjà sentir, seront
76 — Ib-S SECTION DE PROPAGANDE
durables. En effet, trois nouveaux comités sont en voie de for-
mation en Ecosse, et nous avons l'espoir d'autres créations
prochaines en Angleterre.
Mais la Fédération n'a pas l'intention de se borner à l'organi-
sation de conférences et de fêtes anglo-françaises, elle ne se
dissimule pas, en effet, qu'elle n'a rempli qu'une partie de sa
tâche et qu'il lui reste une besogne peut-être plus importante
encore à accomplir.
Si grands que soient, en effet, les bienfaits de la conférence,
on est forcé d'avouer qu'ils ne sont que plus ou moins durables.
Il faut les compléter et les rendre permanents par la lecture. Il
faut que nous remplissions le second objet de notre association
et que nous fondions la Bibliothèque de prêt de la Fédération
britannique de YAllia7ice française.
Il est inutile d'exposer ici en détail la nécessité de cette créa-
tion au point de vue même des intérêts moraux de notre littéra-
ture; mais en Angleterre, plus que partout ailleurs et contraire-
ment à ce que l'on pourrait croire, notre bibliothèque est appelée
à rendre des services immenses.
Tout d'abord, les bibliothèques publiques entretenues par les
municipalités pour le prêt gratuit de livres et extrêmement
fréquentées, ne contiennent qu'un choix très restreint, le plus
souvent mal compris, parfois même mauvais, de romans. Ce
n'est pas seulement la littérature et le roman français que notre
bibliothèque aura pour mission de propager. Nous voulons
aussi qu'elle contienne les œuvres les plus importantes de la
science française : histoire, philosophie, économie, médecine,
jurisprudence, sciences physiques et naturelles... Nous voulons
qu'elle renferme les ouvrages les meilleurs sur les arts français
et leur histoire.
Et quand nous étendons ainsi notre programme, ce n'est pas
sans y avoir bien réfléchi et sans en avoir vu la nécessité.
Nombreux, en effet,, très nombreux sont les gens de toutes les
situations sociales, que j'ai rencontrés dans mes constants
voyages de propagande ou d'examens universitaires à travers
l'Angleterre, et qui m'ont demandé où et comment ils pourraient
se procurer tel ouvrage d'histoire, de médecine, de philosophie.
LES GIIOUPEMENTS ET LES ÉCOLES 16-8 — 77
de jurisprudence que la bibliothèque municipale de leur ville
se refusait à acheter et qu'ils avaient besoin de consulter pour
leurs travaux.
Il est aussi une autre classe de personnes, classe nombreuse,
qui joue un rôle important dans la vie sociale du pays, qui est
caractéristique de l'Angleterre, et à laquelle nous devons absolu-
ment songer.
On ne saurait croire combien la bourgeoisie anglaise vit,
encore à notre époque, à la campagne. Cette vie rurale donne à
cette bourgeoisie, dans laquelle la femme est en majorité, des loi-
sirs qu'elle consacre — peut-être quelquefois un peu trop — à
la lecture. Là aussi j'ai rencontré et je rencontre tous les jours
nombre de gens qui me demandent des livres français, livres
qu'ils ne peuvent se procurer dans les Circulating libraries
auxquelles ils sont abonnés et qui aussi redoutent le choix de
quelques ouvrages français qu'on trouve dans ces bibliothèques
commerciales. Ces personnes, si nombreuses et si intéressantes,
la conférence ne les atteint jamais : elles sont trop loin de nos
comités, ou les difficultés de communication sont trop grandes.
Elles nous échappent malgré elles; elles seront à nous avec la
bibliothèque.
Mais on ne fonde pas une bibliothèque sans argent. 11 faut un
immeuble, il faut des employés, il faut même des livres ! Et pour
tout cela, il faut beaucoup d'argent. Nous le savons, et cependant
non seulement nous sonuues décidés à ne pas nous laisser
arrêter par toutes ces difficultés, mais nous avons la ferme espé-
rance de les surmonter.
Je ne veux point allonger davantage cette communication en
donnant le détail des moyens que nous avons en vue pour
atteindre notre but. Je dirai seulement que notre espérance,
nos convictions sont basées sur les appuis si encourageants que
nous avons déjà reçus et qui sont tels qu'on ne peut souhaiter
davantage. En effet, au commencement de cette année, l'Acadé-
mie française, l'illustre compagnie, nous a donné un éclatant
témoignage de l'intérêt qu'elle prenait à notre œuvre en nous
accordant une allocation de 2,000 francs pour notre biblio-
thèque.
78 — li-8 SECTION DE PROPAGANDE
De son côté, au mois de juin, à l'occasion de sa visite à
Londres, M. Raymond Poincaré, président de la République
française, mû par les mêmes motifs, nous a remis une somme
de oOO francs pour la bibliothèque de la Fédération britannique.
Egalement, le Ministre de l'Instruction publique nous a fait un
premier envoi de livres qui, j'en ai la promesse, sera suivi de
nombreux autres. L'université et le comité de Caen nous ont
aussi envoyé des livres. Le comité de Cherbourg nous a fait
parvenir une subvention à la suite d'une conférence que je lui
ai donnée. Enfin, les universités de France nous ont aussi
promis leur aide.
Comme on le voit, nous avons pu réunir des patronages non
seulement honorables, mais effectifs, et de même que nous avons
pu organiser pendant six ans sans interruption des tournées de
conférences et des fêtes qui ont centuplé l'influence française
dans le Royaume-Uni, de même nous avons la conviction que
nous pourrons d'ici à peu de temps ouvrir cette bibliothèque
de la Fédération britannique, qui complétera et parachèvera
l'œuvre.
I. - SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GROUPEMENTS ET LES É('X)LES.
Les eours de !'« Alliance Française »,
Edm. uuguet,
professeur à la Sorbonne,
ilirecteur des cours de l'Alliance française.
Quand notre cher président, M. Wilmotte, m'a invité à parler
ici des cours de l'Alliance fraiiçaise, j'ai accepté avec plaisir sa
proposition. Naturellement, je n'ai pas 1 intention de faire l'éloge
des cours. Je ferai plutôt l'éloge des auditeurs, je dirai ce qu'ils
viennent nous demander, ce que nous cherchons à faire pour eux,
et le désir que nous éprouvons de pouvoir faire davantage.
Nos auditeurs nous viennent de tous les points du monde, et
composent le public le plus divers qu'on puisse imaginer :
hommes et femmes, jeunes gens et vieillards, étudiants et pro-
fesseurs, littérateurs, artistes, avocats, médecins, etc. Le règle-
ment ouvre les portes à tous, sans exiger pour l'admission aucun
grade ou diplôme. Une seule condition est imposée : savoir le
français. L'Alliance ne fait pas, ou du moins n'a pas fait jusqu'ici
de cours pour les commei çants. Il faut que tous les auditeurs
soient capables de comprendre les leçons qui sont faites devant
eux.
Parmi ces auditeurs sachant le français, il y a bien des degrés.
80 — I//-9 SECTION DK PROPAGANDE
Uaiis l'assistance qui l'écoute, le professeur sait qu'il a certains
juges redoutables, des maîtres qui enseignent déjà avec autorité
notre langue et notre littérature, ils ne viennent pas pour
s'instruire, mais pour comparer. En pleine possession de leurs
méthodes de travail et d'enseignement, ils veulent connaître et
apprécier celles d'autrui. Devant eux un professeur négligent
porterait immédiatement la peine de sa faute, car aucune erreur
ne passerait inaperçue.
Auprès d'eux viennent s'asseoir des étudiants qui demain
seront des maîtres. Sous des professeurs éminents, ils ont acquis
une connaissance approfondie de l'ancien français, et souvent
même du français moderne. Us nous font honneur en pensant
que les cours de l'Alliance peuvent encore leur être utiles, et en
sacrifiant, pour les suivre, une partie de leurs vacances.
D'autres auditeurs, par des nécessités professionnelles, sont
retenus toute l'année loin des Universités, et craignent de perdre
le fruit de l'enseignement qu'ils y ont reçu autrefois. Ils savent
qu'à Paris et dans d'autres villes existent des sortes d'Universités
libres, dont les cours ont lieu à l'époque où la vie scolaire est
suspendue presque partout : ils accourent pour s'y retremper.
Eux aussi renoncent courageusement à leurs vacances, pour se
rendre plus aptes à la t^'iche qu'ils accomplissent pendant le
reste de l'année.
Le groupe le plus nombreux peut-être, c'est celui des auditeurs
qui n'ont jamais pu profiter des cours des Universités, et qui s,e
sont instruits un peu au hasard, sans suivre aucune méthode
scientifique. Ils ont appris beaucoup cependant, assez pour
comprendre ce qui leur manque. Ils voudraient recevoir une
direction, et travailler ensuite avec plus de fruit, et ils s'imposent
de pénibles voyages, de coûteux sacrifices, pour la joie de
s'instruire et de marcher désormais dans un chemin nettement
tracé.
A côté de ces professionnels, je ne voudrais pas oublier les
amateurs, c'est-à-dire tous ceux qui, sans avoir l'intention d'en-
seigner, ont simplement le désir de mieux connaître notre
langue, notre littérature, nos arts, et aussi la vie française, dont
les livres ne donnent pas toujours une idée très exacte. Ceux-là
LES GROUPEMENTS ET I,ES ÉCOLES 16-9 — 81
ne s'astreigaent pas à suivre tous les cours. Ils choisissent, et ce
ne sont pas toujours les cours les moins sévères qui sont l'objet
lie leur choix.
Il est facile de comprendre que l'on aime à parler devant un
pareil public. Entre l'auditoire et le professeur, la confiance et
la sympathie naissent immédiatement. Tous les ans, les auditeurs
disent qu'ils voient avec regret venir la fin des cours, et les pro-
fesseurs éprouvent une émotion des plus pénibles en se séparant
d'un auditoire dans lequel ils ont trouvé tant d'attention, tant
d'intelligence, et tant de bienveillance.
Pour répondre aux besoins d'un public si varié, les organi-
sateurs des cours avaient de grandes difficultés à vaincre, et je ne
prétends pas qu'ils les aient vaincues toutes. Ce que je dirai
seulement, c'est que M. Brunot qui le premier, en 1894, a établi
le programme, a su dès le début y faire entrer à peu près tous les
éléments indispensables. Sans doute, pendant ses dix années de
direction, il a plus d'une fois remanié l'œuvre primitive, il a
;ijouté, retranché, modifié les proportions, mais le fond est resté
;i peu près le même. Son successeur, M. Salone, a sagement
maintenu une organisation qui avait fait ses preuves, et le
directeur actuel des cours accomplit une tâche que ses devanciers
ont rendue facile.
Il serait beaucoup trop long d'énumérer en détail les ensei-
gnements donnés dans les cours de vacances, et d'exposer les
résultats obtenus pour chacun d'eux. Qu'on me permette de
résumer le tout en quelques mots. Nos auditeurs veulent
apprendre à bien prononcer le français : la phonétique expéri-
mentale les y aide de son mieux. Us veulent parler et écrire
tout à fait correctement : des conférences pratiques de lecture et
de conversation, des cours de rédaction et de grammaire usuelle
ont été institués pour les y exercer. Ils veulent lire avec sûreté
et sans contresens : la grammaire historique les guide dans la
lecture de nos classiques, les habitue à y reconnaître des diffi-
cultés qu'ils n'apercevaient pas d'abord, et leur enseigne qu'il est
souvent dangereux de comprendre trop facilement. Ils veulent
raisonner les impressions qu'ils éprouvent en lisant nos écri-
vains, ils veulent d'autre part pratiquer les nouvelles méthodes,
16 6
82 — 16-9 SF.CTION DE PROPAGANDE
rigoureuses et précises, de l'histoire littéraire. Ils ont pour
guides les leçons de littérature qui sont faites, dans chaque mois,
par trois professeurs. L'histoire de l'art français leur est
enseignée devant les œuvres elles-mêmes. Quant à la vie française,
cinq leçons dans chacune des séries de cours les aident à la con-
naître. On leur parle de Paris et des provinces, en insistant sur
cette vie provinciale si intéressante, qui évidemment subit de
plus en plus l'influence de la vie parisienne, mais conservera
toujours néanmoins son caractère propre et n'en viendra jamais
à l'uniformité.
Voilà bien des enseignements en bien peu de temps. C'est
beaucoup, c'est même trop, si l'on songe que pour les donner
tous, il faut faire chaque jour six leçons d'une heure ; c'est peu
si l'on considère tout ce que nos auditeurs voudraient apprendre.
Ils se déclarent satisfaits, pourtant, mais nous le sommes beau-
coup moins, car nous ne croyons jamais leur avoir rendu tous
les services qu'ils méritent de recevoir.
Plus de la moitié des auditeurs viennent aux cours avec le
projet de subir les examens, et l'espoir d'obtenir soit le diplôme
supérieur, soit le certificat d'aptitude à l'enseignement du
français usuel. Beaucoup se découragent et n'osent aborder les
épreuves, car ils entendait dire que les deux examens sont
difficiles, et comprennent que les examinateurs n'ont pas le droit
d'être indulgents. On nous fait l'honneur, à l'étranger, d'estimer
notre diplôme et notre certificat, d'y voir une preuve sérieuse de
la connaissance du français et de l'aptitude à l'enseigner. L'indul-
gence serait donc ici un abus de confiance. Si les examinateurs
n'avaient toujours cette pensée dans l'esprit, ils ne pourraient se
décider à montrer la sévérité nécessaire, car un échec est toujours
une cruelle déception, et surtout un véritable désastre. Et dans
bien des cas cet échec n'a pour cause qu'un excès de travail, un
surmenage déraisonnable qui rend le candidat incapable de tirer
parti de ce qu'il sait.
On me pardonnera de n'avoir pas donné dans cet exposé, des
détails précis : on en trouve dans le programme que V Alliance
imprime tous les ans. J'ai voulu dire plutôt dans quel esprit sont
faits les cours, et à quels besoi"s ils tâchent de répondre. Nous
I,ES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES I*-9 — 83
avons tous, je le répète, le regret de ne pouvoir faire plus : mais
ce regret est tempéré par l'espoir d'y réussir bientôt. Nous avons
souffert jusqu'ici de conditions matérielles défavorables, qui vont
cesser d'exister. Ce que nos auditeurs trouveront dans les nou-
veaux locaux qu'on leur prépare, ce ne sont pas seulement des
salles plus vastes, c'est aussi une hospitalité dont le caractère
cordial pourra mieux s'atfirmer. A la bibliothèque, dans le salon
de conversation, auditeurs et professeurs pourront se rencontrer,
l'enseignement se prolongera et se complétera par les causeries,
et le confort matériel rendra possible beaucoup d'améliorations
auxquelles nous n'avons pu penser jusqu'ici.
En instituant ses cours de vacances, V Alliance française a
voulu, suivant sa formule, travailler à la propagation de notre
langue. Son désir était très légitime, et ce n'est pas ici qu'il est
nécessaire de le justifier. Mais elle a voulu faire, et elle fait une
œuvre encore plus grande. Si je parlais seulement de l'intérêt
de la France, je dirais qu'il n'était pas inutile que l'on vît les
Français tels qu'ils sont. Nos auditeurs savent que nous n'avons
pas tous les défauts dont nous nous accusons nous-mêmes, et
que nos livres préférés ne sont pas toujours ceux qui s'étalent
le plus à la vitrine de quelques librairies. Les cours de vacances
ont pu contribuer à dissiper des préjugés, à fortifier des sympa-
thies, et c'est un résultat heureux. 3fais ce n'est pas à la France
seulement qu'ils ont pu rendre ce service. Tous ces auditeurs,
de diverses nations, qui se rencontrent chez nous, apprennent à
se connaître el à s'estimer mutuellement. Pendant plusieurs
semaines, ils sont associés dans un même effort, unis par les
liens si solides du travail : ce sont des liens qui ne se rompent
jamais tout à fait. C'est ainsi que nos cours et tous les cours
analogues, en quelque ville, en quelque pays qu'ils se fassent,
travaillent à l'apaisement des querelles et préparent la concorde
future.
I. — SECTION DE PROPAGANDE.
B) LES GRODPEMENTS ET LES ÉCOLES.
Association pour l'extension et la culture de la langue française
I
LA SECTION DE LIÈGE,
E. MAWET,
secrétaire de la Section.
Ce rapport, faisant suite à celui qui fut présenté au Congrès
d'Arlonde 1908, sur la même question, a pour objet d'exposer,
en un résumé succinct, comment, depuis ce Congrès, s'est mani-
festée l'activité de la Section liégeoise de l'Association interna-
tionale pour l'extension et la culture de la langue française.
Ce groupement a continué son œuvre de propagande avec
un succès qui n'a fait que s'accentuer. Dans le milieu où s'exerce
son influence il n'a, à vrai dire, aucune hostilité à vaincre, mais
il n'en est pas moins intéressant de constater que les sympathies
pour la culture française s'y manifestent de plus en plus nom-
breuses. On pourrait croire que, après huit ans d'existence,
notre section ne doive plus guère compter sur des adhésions
nouvelles.
C'est le contraire qui est vrai, et il arrive encore maintenant
que, en une seule année, elle inscrive 200 membres ou davan-
tage.
C'est, sans doute, que, cherchant dans la conférence son prin-
86 — U-iO SECTION DE PROPAGANDE
cipal moyen de propagande, elle s'efforce de tenir en éveil la
curiosité de tous par le talent et la notoriété des conférenciers
auxquels elle demande de collaborer à son œuvre, aussi bien
que par l'intérêt et la variété des sujets qu'elle inscrit à son
programme.
De 190o à 1912, la Section liégeoise n'a pas reçu moins de
70 conférenciers, et tous, les Français les plus notoires comme
nos meilleurs écrivains belges, ont répondu à son appel avec
un empressement qui mérite beaucoup de reconnaissance.
La conférence, à notre avis, est un des meilleurs moyens de
faire aimer la langue et la culture françaises; après l'effet immé-
diat qu'elle produit, elle exerce une action plus profonde et
moins apparente, nous voulons parler du mouvement d'idées
qu'elle provoque, du goût de la lecture qu'elle entretient ou
développe.
Chaque année, la Section liégeoise a organisé une dizaine de
conférences. On trouvera, ci-dessous, le programme de celles
qui se placent de 1908 à 1 £d 3
A ces conférences sont venues s'ajouter quelques matinées
littéraires.
Enfin, tous les hivers, au théâtre du Gymnase, le public a
l'occasion d'entendre les artistes de la Comédie française dans
des œuvres qui, par un choix judicieux et une interprétation
remarquable, ont souvent enlevé tous les suffrages.
Ces représentations — il y en a dix par saison — sont aussi,
nul ne le contestera, un excellent moyen de propagande pour la
culture de la langue française. C'est pourquoi, dès la première
heure, la Section liégeoise leur a accordé son patronage et s'est
efforcée de contribuer à leur succès, qui, d'ailleurs, a été très vif.
Voici la liste des conférences qui ont été organisées de 1908
à 1913 :
Conférences de la série 1908-1909.
M. René Henry : La rénovation morale et sociale de la France.
M. LÈOP. LacOUR : La Jeune fille dans le théâtre contemporain.
M. Fern. Brunot : L'évolution de la langue française au XIX' siècle.
LES GROUPEMENTS ET I,ES ÉCOLES Ift-10 — 87
M. F. Fu.NCK Bkentano : La oie romantique (avec projections).
M. Iv. DuMOiNT-WlLDEN : Les contes de fées et le merveilleux français.
M. Jules Gautier : Comment nous élevons nos filles.
M. André Lichtexbehgeii : La vie de château au XVII^ siècle.
Conférences de la série 1909-1910.
M. Gaybt : La France à Antinoë (avec reconstitution de scènes
antiques).
M. Pierre Baudin : L' Allemagne jugée par un Français.
M. le Comte Kesslek : La France jugée par un Allemand.
M™" IIOCKEL et II. Rameau : La Légende napoléonienne dans la poésie
et la matique.
M. GUST. COHEN' : L'évolution de la mise en scène dans le théâtre
français (avec projections photograpliiques).
i\I. Lacour-Gavet : La mère de Napoléon.
M"eMARGUERlTE vaN DE WlELE : L'influence de la culture française sur
les lettres belges.
MM. Pierre Lassere et Alhert Giraud : Classicisme et romantisme.
M. Maurice Barrés, de l'Académie française : Biaise Pascal.
M. Emile Verhaeben : Hélène de Sparte.
Matinées au théâtre du Gymnase.
Matinée Verlaine. Conférence par M. Jules Destrée. Interprétation
de poèmes de Verlaine, par M"^ Dolisy. Représentation de Les uns
et les autres.
Matinée Maeterlinck. Conférence de M. PlÉRARn. Récitations, par
Mi'e Marie Kalff, du théâtre de l'Odéon.
Matinée Villiers de l'Isle-Adam. Conférence par M. GuST. Cohen.
Représentation de La liévolte.
Matinée J.-J. Rousseau. Conférence par M. A. HUBENS. Représentation
du Devin de Village.
Conférences de la série 1910-1911.
M. Brieux, de l'Académie française : Comment j'ai fait Blanchette.
M. POTEZ : Le roman contemporain en France.
M. HaraucouRT : Leconle de Liste.
M. ANDRE Lichtenbergeu : Xotes Sur l'enfant.
M. André Tardieu : La France et ses alliances.
M. MÉriN : La France et ses colonies.
M. Jules Gautier : La France et son enseignement.
88 — Ifr-10 SECTION DE PROPAGANDE
M. DeNYS COCHIN : La France et le protectorat catholique en Orient.
M. HerriOT : Les institutions municipales sous la 5'' République.
M. René Vivian! : La France sociale.
Conférences de la série 19H-1912.
M™» Marcelle TiNAYRE : La Parisienne comme elle est et comme on la
représente.
M. GaULIS : L'influence française en Orient.
M. Maurice WilmOTTE : Le romantisme avant les romantiques (avec
récitations par yV^" Dudicourt).
M. LUCHAIRE : L'influence française en Italie.
M. James Hvde : L'influence française dans l'Amérique du \ord.
M. HerriOT : Dante.
M. Haumant ; L'influence française en Russie.
M. JlLES DestrÉE : L'art wallon.
M. J.-H. ROSNY aillé ; Comment j'ai fait mes romans sociaux.
M. P. VlTRY : L'habitation française à l'époque de la Renaissance 'avec
projections).
Conférences de la série 1912-1913.
M""= Lucie Delarue-Mardrus -. Les jeux de l'écrivain.
M. Jacques Rivière : Le roman psychologique.
M. G. Lecomte : Le roman de mœurs.
M. PleSsis : Le Parnasse.
M. Henri DaviGNON : L'originalité nationale de Maeterlinck et de Ver-
haeren.
M. Finck-Brentano : Le Salon de l'Arsenal, Alfred de Musset et
Ch. Nodier.
M. POL Neveux : Le roman régionaliste.
Qu'il nous soit permis, pour terminer ce rapport, d'indiquer
le nombre des adhésions nouvelles et le nombre total des
membres de la Section liégeoise pendant les cinq dernières
années :
Adhésions
Nombre total
nouvelles
de membres
Année 1908-1909. .
S8
373
» 1909-1910. .
274
612
» 1910-1911. .
186
684
» 1911-1912. .
179
732
» 1912-1913. .
100
683
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ifc-lO — 89
LA SECTION D'ARLON,
J. VAN DOOREN,
secrétaire de la Section.
C'est ail lendemain du 11^ Congrès pour la culture et l'exten-
sion de la langue française, qui se tint à Arlon, en septembre
1908, que naquit l'idée de créer dans cette ville une section
luxembourgeoise de la Fédération.
Avec M. Wilmotte, président de la Fédération, nous avons
pensé qu'il fallait continuer, de façon durable pour nous,
l'œuvre utile que les organisateurs du Congrès avaient entre-
prise. Nous avons voulu, en ce coin de Belgique où se parle
«ncore un patois d'origine germanique, créer un courant de
sympathies françaises, entretenir chez nos concitoyens un fervent
amour des idées et du clair parler de France.
Germanisée depuis des siècles, Arlon, pensions-nous, n'aurait
qu'à gagner au contact de la culture française. Les conférences
qu'on y viendrait faire apprendraient à connaître de plus près et
plus intimement les écrivains de France, ses artistes, ses savants,
ses hommes politiques. La vie intellectuelle de la petite cité en
serait améliorée et comme affinée, et les esprits seraient peu à
peu amenés à s'intéresser à des questions qui jusque-là auraient
pu les laisser indiftërents.
C'est de cette pensée qu'est sortie notre section. Elle a été
fondée en novembre 1910 en dehors de tout esprit politique. Il
y eut d'abord des défiances, mais vite dissipées. On trouve, sur la
liste de ses membres, des personnes appartenant à tous les partis.
Née dans une heure d'enthousiasme, la Section d'Arlon n'a
cessé de déployer la plus heureuse activité. Malgré ses ressources
limitées, elle a pu inviter à sa tribune de brillants conférenciers
dont quelques-uns ont eu la générosité — et je suis heureux de
le proclamer bien haut à leur louange — de se contenter des plus
modestes honoraires, ils estimaient faire œuvre bonne en appor-
i6 7
90 Ifc-10 SECTION DE PROPAGANDE
tant à Arlon, sentinelle avancée à la frontière, la parole fran-
çaise que l'on sent, presque toujours, animée de sentiments
désintéressés, parée de noblesse et de beauté.
Notre Association a été inaugurée, le 18 janvier 1911, par une
causerie de M. Wilmotte qui a parlé de l'art et de la dianson.
M""* Mockel, femme du délicat poète de Clartés, chanta avec art,
à cette première soirée, d'exquises chansons françaises, anciennes
et modernes. Nous avons entendu ensuite MM. Victor du Bled,
l'historien de la Société française, qui nous fit entrer dans
quelques salons du XIX' siècle, André Lichtenberger, qui nous
entretint de la jeune fille dans la littérature, André Honnorat,
député des Basses-Alpes, qui traita de la puissance de séduction
de la langue française.
L'année 1911 19 12 a été particulièrement brillante. Nous
trouvons au programme les noms de MM. Laurent Tailhade, le
lyrique biographe de Théophile Gautier; Maurice Wilmotte,
qui fit, avec sa verve habituelle, une spirituelle causerie sur les
[Vallons et les Flamands; Georges d'Esparbès, qui fit revivre,
devant un auditoire enthousiaste, les vieux grognards de Napo-
léon; Gustave Cohen, qui exposa savamment les origines de la
mise en scène dans le théâtre français ; Rosny aîné, un des maîtres
du roman contemporain, qui nous raconta comment il a fait ses
romans sociaux; M"" Glolz, une toute jeune fille, qui vécut plu-
sieurs mois en Chine et au Japon ; M""' Marcelle Tinayre, qui nous
fit, avec un esprit éblouissant, le portrait de la Parisienne.
Nous eûmes aussi l'honneur, grâce aux relations de notre prési-
dent d'honneur, M. Camille Cerf, un Arlonais à qui la fortune a
souri, à Paris, d'entendre l'ancien gouverneur généra! de l'Indo-
Chine, M. Paul Doumer, en une causerie, trop brève, malheureu-
sement, sur Vintellectualité française dans le inonde.
Le programme de l'année 1912-1913 n'a pas été moins varié.
M. L. Tailhade a évoqué l'ombre de Verlaine et de son cercle
d'amis; M. Wilmotte, toujours sur la brèche, est venu nous
parler du Romantisme avant les Romantiques, causerie illustrée
par des lectures de l'excellente artiste du Parc, M"'= Leroy;
M. Marins Lebiond, le romancier colonial bien connu, qui dirige,
avec son frère, la belle et vivante revue La Vie, nous a entretenus
LES GROUPEMENTS ET LES ÉCOLES Ifc-10 — 91
de la femme dans le roman français. M""^ Latour, conférencière
française à l'étranger, a ressuscité une des plus intéressantes
figures de la Révolution française, M'"' Roland; M. Adolphe
Ribaux, poète de la Suisse française, nous dit la beauté de Vile
Capri, où il séjourna quelques mois ; le poète Frédéric Plessis
nous donna une magnifique vue d'ensemble du Parnasse et nous
fit pénétrer dans l'intimité de quelques-uns des meilleurs poètes
du groupe. Enfin, un des conférenciers les plus aimés du public,
M. Funck-Rrenfano, disserta, avec science et humour, sur
r Homme au masque de fer.
Pardonnez-moi cette longue et sèche énumération de noms et
de titres; si je l'ai faite, c'est pour vous montrer que, dans le
choix de nos conférenciers, nous n'obéissons à aucun parti pris
et qu'un éclectisme, que nous vouions aussi large et accueillant
que possible, nous guide plutôt. 11 a fallut tout d'abord songer
à attirer et retenir un public tout neuf, non encore initié, par la
variété des sujets, il fallait nous l'attacher par l'attrait d'une belle
langue ou d'un nom célèbre. Quand son éducation sera plus
complète, nouSj songerons sans doute à organiser, comme on le
fait au Cercle de Liège, des cycles de conférences. Nous ne
désespérons pas de réaliser un jour cette forme de propagande
intellectuelle.
Les conférences d'Arlon sont suivies par un auditoire attentif
de plus de 250 personnes; celle de Doumer en réunit plus d'un
millier. Elles se font dans un coquet local, mis gracieusement à
notre disposition par l'administration communale. Le bourg-
mestre, M. Ensch-Tesch, est, d'ailleurs, notre président et un
échevin et plusieurs membres du conseil communal font partie
du Comité.
Nous avons voulu que l'accès aux conférences fût permis à
toutes les bourses : la cotisation est de 2 francs pour les cartes
personnelles, 3 francs pour les cartes de famille, 10 francs pour
les membres protecteurs.
La section d'Arlon compte actuellement plus de 200 membres.
Le succès de notre œuvre ira croissant, espérons-le. Le public
arlonais se rend compte, de plus en plus, des bienfaits que lui
apporte, dans tous les domaines de la pensée, la culture française.
92 — Ib-iO SECTION DE PROPAGANDE
III
LA SECTION BRABANÇONNE
A. DAXHELET,
secrétaire de la Section.
C'est le 22 février 1909 que fut fondée la Section brabançonne
de la Fédération internationale pour l'extension et la culture de
la langue française.
Au début, l'activité de son bureau fut consacrée à réunir des
adhésions à la cause qu'elle se proposait de défendre, ainsi qu'à
mener une enquête relativement aux conditions de l'enseigne-
ment du français dans la province de Brabant, en particulier à
Bruxelles et dans les communes suburbaines. Comme suite à
cette enquête, un cours de français à l'usage des jeunes filles alle-
mandes ou étrangères, employées de magasins, fut organisé le
20 novembre 1909.
En 1910, la section s'efforce de créer des sociétés filiales, entre
autres à Louvain et à Nivelles — sans succès d'ailleurs — ,et elle
mène à bien la laborieuse préparation du Congrès des œuvres
intellectuelles de langue française.
A partir de 1911, la section adopte un mode d'action encore
inusité pour elle. Elle offre à ses membres une demi-douzaine
de conférences fort remarquables, consacrées à l'étude de l'in-
fluence française hors de France.
C'est encore par la conférence que la section continue sa pro-
pagande en 1912 et en 1913, et il semble bien que cette méthode
lui réussisse.
Cependant, il s'en faut de beaucoup que la section ait acquis
l'importance que ses fondateurs avaient espéré pour elle. A peine
a-t-elle pu réunir quelques centaines démembres. Le milieu de
Bruxelles semble être peu favorable à son œuvre.
H. — SECTION LITTERAIRE.
Les écrivains flamands dans la littérature française
et la portée européenne de leur apport,
Albert HEUMANN,
homme de lettres.
On a pu dire justement de la Flandre qu'elle forme un phéno-
mène d'angle cnlro deux civilisations, entre deux cultures, entre
deux langues... C'est un tort de prendre la Flandre pour une
annexe de l'Allemagne, naturellement hostile aux manifestations
de la pensée française, à l'expression française.
Dès le xni" siècle, les bourgeois des provinces flamandes par-
laient français, et. de nos jours, combien rencontrerions-nous, à
Anvers, à Gand, à Bruges, d'hommes instruits qui ne fussent
aussi familiarisés avec le français qu'avec le flamand? En
Flandre, les intellectuels ont deux langues maternelles : vérité
que volontiers les flamingants oublient...
Il n'existe pas, à première vue, de raisons — sinon des raisons
politiques — qui inclinent les écrivains flamands vers la langue
flamande plutôt que vers la langue française; j'en distingue, par
contre, d'impérieuses pour qu'ils préfèrent celle-ci à celle-là.
Usant de la première, ils s'adressent nécessairement à un public
très restreint, au seul public d'une partie de leur patrie, ils ne
Il 1
2 — II-l SECTION LITTÉRAIRE
peuvent guère se flatter d'être lus en France ou en Allemagne,
de devenir européens, d'exercer une influence; ils resteront des
auteurs provinciaux, tandis que, s'ils emploient la seconde,
n'ont-ils pas les plus grandes chances de passer la frontière et
de forcer l'attention d'autres pays ?
La langue française conduit les écrivains flamands à la cul-
ture française ; des considérations variées les détournent de la
culture germanique. Toutefois, avant de les examiner et afin
d'en apprécier mieux la portée, tentons d'esquisser la physiono-
mie originale des littérateurs dont nous nous occupons.
IjCS écrivains flamands sont des coloristes, presque toujours
truculents, mais non, parfois, sans mysticisme. Peignant sur le
papier, tels leurs ancêtres des xv^ et xvir siècles sur la toile, ils
brossent des fresques rutilantes sans s'inquiéter de la composi-
tion, sans se soucier de l'équilibre. Comme ils éprouvent avec
exaltation et tumulte, ils jettent toutes brûlantes leurs sensa-
tions désordonnées, leurs visions brutales, leurs mystérieuses
angoisses.
Le roman passe à bon droit pour la véritable incarnation du tem-
pérament flamand, car, plus encore que la poésie et le théâtre,
il invite aux descriptions. Conteurs flamands, qui négligent
les études psychologiques, les complications sentimentales, vos
livres sont des tableaux exubérants de vie sensuelle, à la manière
de Rubens, Jordaens ou Teniers ! Qu'il me suflise d'évoquer ici
la merveilleuse Légende d'tJlenspiegel, de Charles De Coster,
toute cette œuvre robuste, vaillante et sincère du regretté
Camille Lemonnierqui fut un décorateur puissant, et les com-
positions sauvages, souvent àprcment belles, de Georges Eek-
houd, et les kermesses endiablées, elles invraisemblables orgies
auxquelles nous convie Eugène Demolder, dans La Route d'Éme-
raude...
Les poètes aussi sont des coloristes. Emile Verbaeren écrivait
ses Flamandes au retour de promenades par les musées; encore
qu'il ait, depuis, tempéré sa fougue efi'rénée, les dons du
peintre subsistent chez lui intacts. Quel sens étonnant des expres-
sions qui font tableau ! Verbaeren parle à nos yeux non moins
qu'à notre cœur. Dans Les liyihmes souverains, il fixe certaines
SECTION UTTÉnAIHE II-l— 3
atliludes, certains gestes décisifs de l'humanité avec le relief
vigoureux et la flamboyante couleur d'un Michel-Ange, éterni-
sant, sous la voûte de la Sixline, les scènes les plus draniati(|ues
de la Genèse. D'autres poètes, les Rodenbach, lesVan Lerberghe,
les Maeterlinck s'apparentent h des primitifs inquiets, tendres
et mystiques, tels que Memling et Van Eyck. Est-il possible
de lire La Chanson d'Eve, de Van Lerberghe, sans songer au
Printemps, à La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli ?
Tous ces écrivains, qu'ils se nomment Lemonnier, Demolder,
Kodenbach, Van F^erberghe, Maeterlinck, Verhaeren, qu'ils
entonnent les chants glorieux d'une foule en liesse ou bien sil-
houettent des béguines frôlant à pas étouffes les vieilles maisons
de Bruges, que leurs teintes éclatent joyeuses et sonores comme
l'appel d'une fanfare, qu'elles s'estompent, épuisées, dans une
atmosphère de recueillement, qil'il s'agisse d'une cité ardente et
rétive, ou du travail méthodique des abeilles, qu'ils peignent
surtout avec leurs sens, leur sensibilité, leur imagination hallu-
cinée ou leur mysticisme troublant, tous ces écrivains sont,
d'abord, des coloristes. C'est à la couleur qu'ils s'attachent ; plu-
tôt que d'analyser des impressions, ils les extériorisent en cou-
leurs. Avec leurs plumes, ils s'expriment comme les artistes
d'autrefois avec leurs pinceaux.
Besoin de peindre équivalant à une fonction naturelle, effer-
vescence débordante, en apparence rebelle à toute loi, penchant
instinctif vers un mysticisme mal défini, voilà les caractères
essentiels des écrivains flamands. A leurs talents magnifiques,
mais immodérés et excentriques, incomplets et imprécis, il fal-
lait un correctif ou un complément.
Le choix s'offrait, aux littérateurs de Flandre, entre la culture
allemande, à laquelle, certes, leur nature les prédisposait davan-
tage, et la culture française dont la langue française leur livrait
plus aisément le secret.
L'intelligence allemande, spéculative, souvent nébuleuse, amie
du raisonnement abstrait, peu préoccupée du bon goût de la
forme, n'aurait pas manqué, s'ils s'y étaient livrés, d'envelop-
per de ténèbres plus épaisses leurs pensées mal élucidées, sans
atténuer la violence de leurs instincts. Par ailleurs, l'Allemagne
4 — H-1 SECTION UTTÉRAïaB
observe le culte d'une hiérarchie stricte qui peut gêner singuliè-
rement les honuiies de lettres résolus à défendre leur indépen-
dance...
L'intelligence française, intelligence organisatrice, éprise de
clarté, d'harmonie, allait au contraire tempérer ces natures
impétueuses et révéler le sens des proportions, de la mesure,
qualités ossunlielles des races latines, à ceux même qui en
paraissaient irrémédiablement dépourvus. Sans aucun doute,
pour se faire lire en Europe, pour imprimer leur marque, pour
exercer un ascendant universel, les écrivains flamands devaient
se débroussailler, se discipliner au contact de la culture fran-
çaise. Et puis, la France ne représente-t-elle pas à des esprits
créateurs la liberté, et, conséquence de la liberté, l'espoir de
df)miner, un jour, par leur propre force?
Presque tous, ils sont venus à nous, les écrivains flamands.
Examinez leurs œuvres et vous découvrirez à un moment notre
empreinte plus ou moins vive.
Lcmonnier n'aurait pas écrit Au Cœur frais de la /oretlorsqu'il
débutait, ni Demolder Le Jardinier de la Pompadour. Songez
que l'auteur de La Vie des abeilles nous avait donné jadis le
Théâtre d'angoisse, qu'avant de composer Les llythmes souverains
Verhaercn avait projeté Les Villes lentaculaires.
A ces écrivains, notre culture insinua lentement, mais sûrement,
ses bienfaits, elle les équilibra, les aflina, leur permit de véhi-
culer à travers l'Europe des œuvres mieux bâties, plus propres,
par conséquent, à être comprises et appréciées dans beaucoup de
pays. Seulement, et c'est l'honneur des écrivains flamands, ils
eurent conscience que se former à la culture française ne signi-
fiait point se franciser; ils n'ont pas fait, du moins la plupart,
bon marché de leur originalité. Ils ont continué à sentir en Fla-
mands, sans renier aucune des vertus de leur race généreuse,
ils sont demeurés des coloristes lumineux et un peu mystiques,
mais ils ont habillé à la française leurs impressions d'hommes
du Nord. Ceux qui, dépouillant toute personnalité, s'égarèrent à
la suite des naturalistes ou des parnassiens, ne furent jamais que
de médiocres imitateurs. Les écrivains flamands possèdent des
qualités admirables qu'ils doivent conserver jalousement.
SECTION LITTÉRAIRE II-l— 6
Ainsi, seuls ou à peu près seuls en Europe, les littérateurs de
Flandre ont cet avantage inestimable de ne pas résister par
instinct à la pensée germanique, tout en s'étant perfectionnés et
grandis au moyen de la culture française. Quelle merveilleuse
situation est la leur ! Cet idéalisme mystique et un peu « flou »
qui persistera toujours au fond des écrivains flamands, qu'on
retrouve, sous la forme latine, par toute l'œuvre de Maeterlinck,
qui reparaît souvent dans les poèmes de Verhaeren, suttit à ne
pas leur aliéner les sympathies anglo-saxonnes; mais, d'autre
part, la culture française a tellement imprégné leurs produc-
tions qu'aucun esprit français ne peut raisonnablement voir en
eux des étrangers. Et les voilà également accessibles à deux civi-
lisations dirtérentcs, honorés, revendiqués par deux races dont
les idées s'opposent.
Dans l'antiquité, sept villes, dit-on, se disputaient l'honneur
d'avoir donné le jour à Homère; aujourd'hui, si j'en croyais
quelques critiques de plusieurs nations européennes, je décla-
rerais Verhaeren tout à la fois Belge, Français, Allemand,
Anglais, tant certains littérateurs de ces pays mettent de convic-
tion à le réclamer pour leur patrie : témoignage éclatant que
Verhaeren est vraiment un poète européen !
Réunir en volumes tous les articles qui ont été déjà publiés
sur Verhaeren cl Maeterlinck, constituerait le plus suggestif des
travaux... Pour le seul Verhaeren, nos nombreux commenta-
teurs d'expression française. Français, Belges, Suisses, y pren-
draient place en compagnie de M'"" Erna Rehwold, de
MM. Georges Brandès, Stefan, Zweig, Valère Brussor, Osman
Edwards, Dario de Rogoyos, et je n'en cite que quelques-uns...
L'on n'obtiendrait pas moins de variété en éditant un recueil
polyglotte des poésies de celui dont, l'année dernière, des villes
aussi différentes que Paris, Nantes, Hambourg, Berlin, Vienne,
Munich, Genève, Lausanne, Zurich, Anvers, entendirent la
parole enflammée et convaincante.
Quant aux pièces de Maeterlinck, ne paraissent-elles pas sur
la plupart des scènes ?
Kappellerai-je enfin que l'œuvre de cet autre grand Flamand,
qui suscite dans le monde entier éludes et controverses, futcon-
6 — II-l SECTION I.ITIÉRAIRE
sacrée par la plus huute récompense littéraire internationale,
1p prix Nobel?
Il faut convenir que, si, à l'heure actuelle, Maeterlinck et
Vcrhaercn méritent le titre d'écrivains universels, s'ils sont lus,
s'ilssont joués, s'ils sont traduits, s'ils sont fêtés simultanément
en Belgique, en France, en Italie, en Angleterre, en Hollande,
en Danemark, en Allemagne, en Russie, même bien au delà des
mers, en Amérique et en Asie, certes, c'est, avouons-le, parce
qu'ils ont du génie, parce que leur littérature n'est, à aucun
degré, une littérature de clocher, mais, dans toute l'acception du
terme, une littérature humaine, parce que la philosophie de-
Maeterlinck séduit les âmes françaises comme celles d'outre-
Rhin et les poèmes de Verhaeren, célébrant toutes nos énergies
et glorifiant, avec splendeur, la vie, émeuvent aussi profondé-
ment le cœur d'un Slave que celui d'un Latin; certes, c'est bien
pour ces raisons-là, mais c'est aussi parce que, sans déformer leurs
magnifiques tempéraments septentrionaux, ils les ont résolu-
ment assouplis par la culture française. C'est elle qui permit,
qui permet chaque jour à leurs belles natures, saines, ardem-
ment pittoresques, sans cesse éveillées et bouillonnantes d'une
sève féconde, de s'affirmer des forces novatrices, d'enrichir le
patrimoine intellectuel de l'univers.
Aussi n'ai-je jamais pu comprendre ce nationalisme chatouil-
leux qui prétend excommunier des auteurs français dont le
grave tort est d'appartenir politiquement à un pays voisin.
La littérature doit parfois ignorer les frontières. Puisque, de
l'autre côté du Rhin, on veut naturaliser Allemands Verhaeren
et Maeterlinck, sachons <lonc tous, en France, les adopter, eux
qui illustrent notre langue, notre culture et les répandent
jusqu'aux lointains continents! Je vois là plus qu'un acte de
courlfjisie, une véritable dette d'honneur : l'estime et l'admira-
tion que ces écrivains provoquent en Europe n'apportent-clles
pas aux Lettres françaises la plus vivifiante des gloires?
II. — SECTION LITTERAIRE.
Le rôle des revues françaises,
Gaston- BORD.VT,
directeur de la Rcnif des FratiçaU.
La question fort intéressante, que notre éminent et cher pré-
sident. M. Wilmotte, a bien voulu me demander de vous exposer,
serait particulièrement délicate à traiter dans un Congrès inter-
national, où nous ne serions pas sùi"s, nous autres Français de
France, de ne rencontrer que des amis. Mais votre attitude si
empressée, en même temps qu'elle nous honore, nous confère le
précieux privilèj^e de vous revendiquer comme nos compatriotes
intellectuels. Cela nous met à l'aise pour vous parler sans réti-
cences des questions qui nous intéressent.
Le rôle des revues franvaises dans la défense et la propagation
de la langue et de la culture franvaises doit, pour être etlicace.
procéder de cette proposition, qu'il nous faut ériger en axiome •
ce n'est pas tant la langue française qu'on aime, que la langua
des Français. Je me souviens que M. Ernest-Charles, dans un
très éloquent discours prononcé, en 1908. à notre Congrès
d'.Vrlon, soutint déjà cette proposition. D'où vient le succès de
la langue française dans le monde? disait-il à peu près; sans
doute de ce qu'elle est, par nature, une « belle langue », mais plus
8 — II-2 SECTION LITTÉRAIRE
encore, bien plus, de ce qu'elle a servi d'expression à une foule
d'idées nobles et de sentiments généreux. Si donc nous désirons
maintenir, grandir encore à travers le monde le prestige de la
langue française, nous devons avant tout nous préoccuper de
maintenir et de garantir le prestige des idées françaises.
Il en résulte qu'une revue, dont l'ambition est de prêter son
concours à l'œuvre de notre Association internationale, doit, non
seulement — condition primordiale — , être écrite en excellent
français, mais encore être rédigée de façon telle qu'elle serve, si
j'ose dire, de « réclame » à l'idée française.
Cela m'amène à constater que les revues françaises préoccupées
de pure littérature ne sont pas celles qui rendent le plus de
services à la propagation de notre culture dans le monde. Elles
sont loin d'être inutiles, certes, et font le plus grand honneur à
notre corporation, mais leur rôle est très limité : d'une part, en
raison de leur circulation relativement restreinte, d'autre part,
en raison même de l'excellente qualité de leur public. Les
étrangers qui lisent ces revues purement littéraires savent le
français, souvent mieux que les Français; notre culture n'a pas
d'adeptes plus fervents ; ce sont des convertis, des fidèles, des
apôtres parfois. Leur sympathie nous est précieuse, et nous avons
raison de l'entretenir, mais si nous voulons propager, conquérir,
c'est un autre public que nous devons viser.
Tout n'est pas que littérature. Il y a la vie qui, c'est un fait,
nous préoccupe généralement bien davantage. Je ne cherche pas
ici si c'est là un mal ou un bien, mais j'en trouve une preuve
particulièrement décisive, en ce qui concerne notre sujet, dans
cette constatation que les publications vivantes — j'entends par
là se rapportant à notre vie de chaque jour, considérée sous ses
aspects les plus divers — ont toute la faveur du public. Appelés
à remplir une œuvre de propagande, nous devons évidemment
nous préoccuper des moyens d'élargir, le plus possible, notre
circulation. Nous devons chercher à être lus par le plus grand
nombre possible. La première condition pour y parvenir, c'est
de faire notre revue vivante.
Cette condition remplie, jointe à d'autres qu'il est superflu
d'énumérer ici parce qu'elles sont étrangères au sujet que nous
SECTION LITTÉHAIRE II- 2 — 9
discutons, nous voici donc en possession d'un public étendu, en
partie composé de nombreux étrangers : notre revue circule de
par le monde. Cela ne veut pas dire qu'elle servira sûrement,
par là, l'idée française ni la cause qui vous tient à cœur. Elle
pourra même nuire à cette cause, d'autant plus dangereusement
qu'elle aura plus de succès. Pour la servir, elle devra s'inspirer,
principalement, de ces deux idées: 1° s'abstenir de toute publi-
cation susceptible de porter atteinte au prestige français; 2" saisir
avec empressement toute occasion de mettre en lumière ce qui
peut rehausser ce prestige et commander la sympathie.
Prestige et sympathie, telles sont, de par le monde, les deux
supériorités attractives de la France. Je l'ai, pour ma part,
constaté au cours de mes voyages dans tous les grands pays du
globe. Eh bien, si nous voulons que notre langue et notre culture
continuent de tenir un rang élevé, si nous voulons en élargir
encore la souveraineté, il faut nous appliquer à conserver intacts
vis-à-vis du monde étranger — et aussi, permettez-moi de le dire,
vis-à-vis de nous-mêmes — ces deux précieux atouts. Dussé-je
être taxé d'immodestie, j'oserai dire que, pour les conserver et
les amplifier, il nous suffit de nous montrer tels que nous
sommes, et la France d'aujourd'hui telle qu'elle est. Ce n'est pas
généralement notre fait : vous savez que, plus que tous autres, les
Français ont perdu l'habitude de a laver leur linge sale en
famille» et avec discrétion. Nous étalons, en revanche, nos
faiblesses avec une sorte de raffinement. Et nous semblons nous
évertuer à vouloir persuader au monde que nous sommes en
pleine décadence, alors qu'aucun de nous, bien au fond, n'est
convaincu que du contraire.
Je vous laisse à penser si ces pratiques, habilement exploitées
par les rivaux de notre influence, facilitent l'expansion de la
langue et de la culture française. Apprendre la langue d'un peuple
en perdition! A quoi bon? S'imprégner d'uneculture qui aboutit
à une telle déchéance! Quelle nécessité? Mieux vaut, disent nos
ennemis, vous imprégner de la culture de peuples forts. Laissez
donc le français à vos philologues et à vos dilettantes, mais vous,
qui voulez vivre votre vie, apprenez les langues vraiment vivantes.
Voilà où aboutit notre fâcheuse manie de nous décrier les uns
10 — II-2 SECTION LITTÉRAIRE
les autres: à une diminution de prestige. Je ne voudrais pas ici
médire des journaux, nos grands frères, mais vous savez comme
moi, et ils le savent eux-mêmes, qu ils sont aussi ma! faits que
possible, en général, pour donner au public une idée de la
France. Aucun d'eux ne représente totalement, absolument, l'idée
fian(,îaise dégagée de tout parti pris. Fort peu ont su se libérer
entièrement du déplorable procédé qui consiste à flatter son public
auxdépensdu public du voisin ;àHatter son public, encore, en lui
servant les plats de mauvais goût qu'il s'est accoutume d'aimer
et qui le dépravent. Crimes, scandales, querelles de clocher
tiennent ainsi très souvent la première place, aux dépens des
questions nationales sur lesquelles d'ailleurs, presque toujours,
les Français se trouveraient d'accord si le journal n'était pas là
pour les dresser les uns contre les autres.
Certes, nos journaux sont une mine pour les ennemis de la
culture française. Cependant, il est juste de dire qu'en presque
tous pays la presse quotidienne subit les mêmes influences. Le
public éclairé apprend ainsi à faire la part des exagérations.
Sans doute, il ne crie pas Mensonge! à tout propos, mais il
est disposé au doute. Le rôle de la presse périodique consiste
à protiter de cet état d'esprit. Ses assertions ont plus de poids,
parce qu'on les sait plus réfléchies; cette presse, qui n'est pas sou-
mise aux nécessités tyranniques de la presse quotidienne, est
d'autant plus coupable lorsqu'elle se laisse aller aux mêmes
erreurs. Notre œuvre à nous doit être une œuvre de jusle mise
au point. Nous devons traiter de nos questions intérieures d'un
point de vue suffisamment élevé pour qu'elles demeurent com-
préhensibles, abstraction faite de nos querelles de partis; nous
devons être toujours prêts à faire paraîti-e, au moment oppor-
tun, l'article de polititique extérieure utile à la défense du
point de vue français. Ainsi notre revue, circulant à travers le
monde, créera des amitiés françaises, servira notre cause et
soutiendra dignement. Messieurs, nos efforts et notre propa-
gande.
Nous avons résumé les trois conditions primordiales du rôle
efficace et bienfaisant de la presse périodique dans la propaga-
tion de notre langue et de notre culture. La première, c'est de
SECTION LITTÉRAIUE II-2 — H
se créer une circulation importante; la seconde et la troisième,
d'être française, au véritable sens du terme, dans le fond comme
dans la forme.
Ces conditions sont suffisantes. Il est cependant bien d'autres
moyens, pour nos revues, d'accroître encore leur action bien-
faisante. Par exemple, nous devrions tous nous efforcer de ser-
vir de « trait d'union », dans les pays où la culture française est
en honneur, entre les groupes qui soutiennent cette culture
et le public de France. Les Français fixés à l'étranger tra-
vaillent pour nous dans un complet silence : la publicité donnée
à leurs efforts les stimulerait sans doute, grandirait leur pres-
tige, augmenterait leur pouvoir.
Dans un autre ordre d'idées, nous devrions aussi chercher
à nous créer de précieuses alliances avec les écrivains étrangers
qui jouissent en leur pays d'une réputation légitime. Quantité
d'entre eux viennent en France. Offrons-nous donc à publier
leurs impressions. Donnons-les, au besoin, dans leur langue, à
l'exemple de certaines revues anglaises qui se mettent à publier,
en français, des articles de nos grands écrivains. Ces écrivains,
aimés et glorifiés dans leur pays, écoutés de leurs compatriotes,
en devenant nos collaborateurs, deviendront les garants de notre
cause.
J'aimerais aussi que nos revues publiassent plus souvent des
études concernant les pays étrangers, où nous avons des sym-
pathies à affirmer ou des inimitiés à combattre. Intéressons-nous
donc aux grands jubilés étrangers, aux congrès, aux solen-
nités littéraires et universitaiies : soyons toujours courtois et
justes. On nous paiera de retour. Nous parlons trop de nous-
mêmes : prouvons au public du dehors qu'il ne nous est pas
indifférent. Plus nous lui laisserons croire qu'il se diffuse chez
nous, plus il sera lui-même disposé à nous laisser nous diffuser
chez lui.
Une revue peut encore exercer une action utile par les initia-
tives les plus diverses, telles que : concours dont l'objet et les
récompenses soient appropriés à une propagande définie; créa-
tion de bourses de voyage à l'étranger pour des Français, et
en France pour des étrangers; ouverture de conférences; pu-
12 — II-2 SECTION LITTÉRAIRE
blication de suppléments spéciaux, etc., etc. J'abrège, car
j'ai déjà sans doute dépassé les limites qui m'étaient assignées.
Je n'achèverai pas, cependant, sans rendre hommage, un hom-
mage très sympathique, très empressé et très reconnaissant, à
la presse étrangère de langue française. Elle est brillamment
représentée à ce Congrès. Beaucoup, parmi ses représentants,
devraient nous servir d'exemple à la fois par la dignité de leur
tenue et par l'originalité de leur conception. Vous me permet-
trez, Messieurs, en terminant, de vous associer aux mvux que je
forme, au nom de mes confrères de la presse périodique, pour
là prospérité croissante de ces revues étrangères de langue fran-
çaise, dont l'activité si eflicace nous réconforte, nous grandit et
nous honore infiniment.
II. - SECTION LITTERAIRE
La librairie et l'extension de la littérature française,
H BOURRELIER, A. GILLON, A. MAINGUEÏ et R. LISBONNE,
éditeurs à Paris.
I
Le livre français. Sa production; savante à létranger,
par II. BOURREUER.
A la différence des autres produits de l'industrie, dont les
'■changes nous renseignent sur le degré de prospérité matérielle
(l'un pays, la production et l'exportation du livre constituent un
« indice » précieux de la « valetir» intellectuelle d'une nation,
absolument d'abord, et aussi en fonction des autres nations.
Sous sa vêturc banale comme sous sa reliure de luxe, le livre
recèle en lui tout un monde d'idées, de sentiments, de faits.
C'est un article commercial d'un genre spécial, dont le « conte-
nant » peut ne valoir que quelques centimes et le « contenu »
être d'un prix inestimable. Connaître le mouvement de librairie
d'un pays, c'est en connaître les forces vives de puissance intel-
lectuelle, c'est délimiter l'aire de rayonnement du génie d'un
peuple.
14 — 11-3 SECTION LITTÉRAIRE
Nous allons essayer brièvement de déterminer les rapports
étroits qui unissent le développement de la librairie à l'exten-
sion de la littérature française à l'étranger.
La production krançaise.
A) Sa richesse. — La production du livre français se maintient
à un niveau très honorable. « Nous avons additionné, écrit
M. Eugène Morel, l'érudit bibliothécaire de la Bibliothèque
nationale, les numéros du dépôt légal (livres, publications non
périodiques ou annuelles) en France depuis 1884, et nous trou-
vons une moyenne de 20,000 ouvrages, avec maximum de
22,000 en 1890 et minimum de 17,000 en 1893.'
« Les périodiques, comptés à part, sont au nombre de 15,914,
représentant environ 692,000 numéros par an. »
Acceptons donc comme moyenne le chiffre de 20,000 donné
par M. Eugène Morel, et établi sur les données de vingt-cinq
années.
Comparons-le avec la production d'une autre grande nation
productrice, l'Allemagne, par exemple. L'Allemagne atteint,
disent ses statistiques, une moyenne annuelle de 30,000 ou-
vrages (31,281 en 1910, 32,998 en 1911).
Eu égard au chiffre de la population, la France conserve sur
sa voisine une avance nettement marquée, puisque,' pour une
population de 40 millions, elle produit 20,000 ouvrages, tandis
que l'Allemagne n'en produit que 30,000 pour une population
de près de 80 millions. La statistique allemande comprend, en
effet, outre les ouvrages parus dans l'Empire, ceux des parties
des États voisins<Autriche et Suisse) où est parlé l'allemand (}).
(1) Empire d'Allemagne 64,925,993
Autriche. 9,950,266
Suisse 2,599,154
77,475,413
Chiffres de Statesmojis Yearbooh de 1913, auquel il faut ajouter la
population de langue allemande des provinces russes voisines de l'Alle-
magne.
SECTION LITTÉRAIRE II-3 — lo
B) Sa variété. — Plus encore peut-être que la richesse, Ja
variété de production française est remarquable. Il n'est pas une
branche de l'activité humaine que le livre français n'effleure,
n'étudie, n'épuise. Et ce n'est pas seulement, — comme pour-
rait le faire croire la légendaire réputation du Français vain,
léger, superficiel, — du côté de la fiction (théâtre, roman,
contes ou nouvelles) que se multiplient les ouvrages, c'est aussi
et surtout dans le domaine des sciences et des arts. Un coup
d'œil sur le tableau ci-dessous, très incomplet au total, mais qui
donne la proportion des ouvrages dans chaque branche de notre
activité, montre, mieux que ne le sauraient faire de longues
dissertations, de quelle manière s'exprime l'effort littéraire de la
pensée française, vers quelles fins tend l'œuvre de la science
française :
Répartition de la prodiction française en 1911.
I. Vie économique et sociale 3,605
II. Enseignement 1,097
III. Religions 855
IV. Sciences historiques 1,560
V. Géographie et voyages 256
VI. Sciences 398
VU. Sciences médicales 1,022
VIII. Arts 359
IX. Lettres 2.297
Total (incomplet) 11,449
N. B. — Ce tableau, très incomplet, n'a de valeur que comme
indication de la production relative dans les neuf grands cadres
de la Bibliographie.
On trouvera plus loin des études de détail de MM. André
(lillon pour le « Livre d'enseignement », André Mainguet
pour la « Littérature générale », et René Lisbonne pour les
« Sciences ».
^6 — ii-3 section littéraire
L'rxportation du liviie fi\ançais.
Après la production, la vente. Dans quelles proportions le
livre français rayonne-t-il au dehors?
Les deux graphiques ci-contre (A et B) montrent que l'expor-
tation dti livre français est en progrès continu.
Ou'il s'agisse du poids des marchandises exportées, ou de la
valeur des livres vendus, on peut observer, dans les cinq der-
nières années (1907 à 1911) une courbe ascendante très nelt«.
On évalue à 45 millions de francs la valeur annuelle des
livres exportés. Encore n'est-ce là que le chiffre constaté par les
douanes, et auquel il faut ajouter plusieurs millions (o environ)
représentant les expéditions par la poste.
Et ce chiffre approximatif de 50 millions est au-dessous de la
réalité, les évaluations douanières étant, en effet, basées sur des
données qui ne répondent plus à l'état actuel de l'industrie
moderne. C'est ainsi qu'on évalue le kilogramme de livres à
fr. 4.25; mais, depuis l'introduction et la grande diffusion des
papiers légers (papier bouffant, bible, etc.), la valeur du kilo-
gramme a sensiblement dépassé l'évaluation désuète de fr. 4.25.
Quoi qu'il en soit, acceptons, faute de mieux, ces approxima-
tions, et enregistrons l'accroissement continu et régulier de
l'exportation du livre français, dont le chiffre a doublé en
l'espace des vingt-cinq dernières années (•).
Mettons en regard du commerce du livre français lo com-
merce du livre allemand. Les statistiques accusent, pour l'an-
née 1910, une exportation totale d'une valeur de 51, 01 7, 000 marcs
(soit en chiffres ronds 04 millions de francs).
Ces chiffres appellent une réserve. D'abord, ce qui sort des
ports allemands n'est pas toujours allemand. De nombreux
importateurs de livres français sont établis à Leipzig, Berlin,
Hambourg, Brème, où ils centralisent des livres étrangers qu'ils
groupent pour les expédier aux quatre coins du monde. Tout
(') 4,350,043 kilogrammes en 1897 représentant une valeur de
23,902,245 francs.
SECTION MTTÉHAIHE
II-3 — 17
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SECTION LITTÉRAIRE II-3 — (9
cela figure comme production allemande aux statistiques d'ex-
portation. Et si nous connaissons le montant approximatif ainsi
obtenu des livres qui sortent d'Allemagne, nous ignorons celui
des livres qui rentrent. Or, la plupart des envois sont des dépôts
à condition, et l'on s^t que la librairie allemande use largement
de cette forme de vente. Il est donc certain que le nombre des
retours doit être considérable et qu'il devrait venir en dimi-
nution sur le chiffre de sortie.
En outre, il ne faut pas oublier que le commerce du livre
allemand est puissamment servi par les nombreuses et puis-
santes colonies d'Allemands essaimées par le monde, aux États-
Unis, au Brésil, par exemple.
Quoi qu'il en soit, si nous comparons le chiffre de l'exporta-
tion du livre français et du livre allemand pour 1910 :
France 41,013,627 francs
Allemagne 63,771,250 francs
la comparaison n'est pas défavorable au commerce français,
surtout si l'on tient compte, encore une fois, des quinze millions
d'individus de langue allemande groupés immédiatement autour
des frontières de l'Allemagne, et qui sont un puissant appoint
pour son commerce du Livre.
Le LlVllE FRANÇAIS A 1,'ÉTRANGKR.
Une objection ne manquera pas de se produire. Admettons,
dira-t-on, la « quantité ». Et nous voilà, une fois encore, en
présence du thème bien connu sur la mauvaise réputation du
livre français à l'étranger, leit-motiv de toutes les polémiques,
de toutes les campagnes dirigées contre la culture française.
Il y a beau temps que cette littérature soi-disant française a
été démasquée, et on ne peut raisonnablement juger la France
et les Français sur cette littérature faisandée d'exportation ou
sur des productions de contrefaçon étrangère qui n'ont de
français que le nom.
H 3
20 — II-3 SECTION UTTÉRAIRE
En France, la production pornographique est en pleine
décadence. La Bibliothèque nationale n'enregistre de ce côté
que de très rares dépôts vraiment caractérisés, et le fonds qui lui
est attribué à la Nationale sous le nom d'« Enfer » ne s'accroît
plus depuis une cinquantaine d'années.
La conclusion à tirer de ces faits et de ces chiffres, qui
prouvent surabondamment l'acth'ité de la librairie française et
son empressement à défendre sa langue et sa culture, s'impose
d'elle-même : mieux on connaît à T étranger la jiroduclion intellec-
tuelle française, plus celle-ci se crée d'amis et de lecteurs.
Est-ce à dire que l'étranger soit en contactabsoluet permanent
avec l'ensemble de celte production ? Qu'il n'y ait plus rien à
tenter en faveur de la diffusion du livre français à travers le
monde ? Que la librairie française à l'étranger réponde à tous les
besoins de la clientèle et ne laisse rien à désirer ? Nul ne vou-
drait le prétendre.
11 reste encore de bonne besogne à accomplir. A mesure que
s'accroît la production, le lecteur demande à être guidé à travers
les avenues nouvelles de la cité des livres. C'est en multipliant
les bibliographies, aussi bien les répertoires spéciaux, — véri-
tables instruments de travail à l'usage des gens de métier, —
que les catalogues généraux destinés au grand public, qu'on
pourra non setilement accroître, mais faciliter la vente, en la
canalisant.
Confiants dans l'avenir, persuadés que la production française
ne peut rencontrer que des sympathies à travers le monde, nous
demandons à ceux qui ont la charge de la propager, de faire
connaître notre production dans toute son intégrité, dans toute
sa variété.
Aux amis de notre langue, nous demandons de ne l'aborder
que d'un esprit libéré de tout préjugé, de suivre le mouvement
de la librairie française et de recourir, sans hésiter, au produc-
teur français, enfin de se bien persuader qu'il ne suflitpas qu'un
livre soit composé de mots français pour être production fran-
çaise.
SECTION LITTÉRAIRE II-3 — 21
II
Les ouvrages de littérature,
par Aniihé Maixguet.
La littérature française a toujours trouvé de nombreux
lecteurs à l'étranger. Est-elle aujourd'hui, de par le monde, ce
qu'elle était en Europe au xviii" siècle, la plus en vogue dans
chaque pays à cùté de la littérature nationale ? Elle semble bien
avoir conservé sa place en Europe et implanté son influence
dans le nouveau monde, malgré que la personnalité littéraire
de chaque peuple se soit depuis lors amplement développée.
Aujourd'hui comme autrefois, presque pai'tout les ouvrages
lilléraires français de tous genres sont lus et adoptés, contri-
buant ainsi à répandre la langue et la culture françaises.
Nous allons examiner succinctement les raisons de cette
situation.
PlUNCIl'AIX CENRKS d'oLVUAGKS MTTftRAIHES FRANÇAIS.
Le roman est un des genres de notre littérature le plus goûté
des étrangers : que ce soit le roman passionnel ou psycholo-
gique, le roman d'aventures ou le roman à thèse, il plaît aux
étrangers parce que,_dans une langue toujours simple, agréable
et facile à lire, les écrivains français ne craignent pas démettre
en pleine lumière et d'étudier à fond les différents états d'âme
de l'humanité, et cela avec une vigueur, en même temps qu'une
finesse et une sentimentalité qui savent intéresser et émou-
voir.
Il ne peut d'ailleurs y avoir de forte et vraiment belle littéra-
ture que dans un pays où règne la liberté ; M. Paul Bourget
lui-même a soutenu qu'un écrivain devait avoir licence d'aborder
tous les sujets : c'est ce que font les auteurs de notre pays, avec
une franchise qui les honore.
Mais on aurait tort de juger la famille française, et en parti-
culier la moralité française, d'après certains ouvrages][de notre
22 — II-3 SECTION UTTÉRAIUE
littérature; il ne faut pas oublier, en effet, que, comme le théâtre,
le roman vit de l'étude même des passions ; on ne saurait donc
voir, dans un cas psychologique isolé, une réalité générale et
sui'tout nationale.
11 serait superflu de passer ici en revue toutes les publications
à bon marché, de nature licencieuse et libertine, dont furent
inondés, depuis nombre d'années, les principaux marchés du
« Livre français » ; ces publications, presque toutes d'origine
étrangère, n'ayant de français ni le fond ni la forme, si ce n'est
l'aspect extérieur, ont un moment fait le plus grand tort à notre
bonne littérature ; elles n'ont heureusement plus aujourd'hui le
même succès qu'au début. (')
Si nous examinons maintenant les autres branches de notre
littérature, nous voyons, qu'au même litre que le roman, le
théâtre français jouit d'une grande faveur auprès du public
étranger ; on peut en dire autant de nos mémoires et de nos
grandes publications historiques, dont la vente à l'étranger est
grande, à cause du renom même de leurs auteurs, de l'intérêt
que soulèvent la politique et la civilisation françaises, et aussi
parce que le prix en est généralement plus abordable que celui
des ouvrages de même nature publiés ailleurs.
Tous nos ouvrages touchant les beaux-arts sont également
fort appréciés des étrangers, qui, non contents de venir
s'empreindre, dans nos écoles d'art, du génie de nos grands
maîtres, continuent chez eux à suivre de très près toutes les
manifestations du goût français en matière artistique. 11 faut
cependant signaler qu'on a créé, dans ce genre, à l'étranger, des
collections qui n'ont pas encore leur pendant en France.
(') Il faut néanmoins mettre en garde le public contre une série de
publications, soi-disant faites pour la jeunesse, mais d'un genre tout à
fait douteux, comme Nick Carter et autres titres semblables. Alors que la
vente de ces publications s'est vue interdite à l'intérieur môme du pays
où elles étaient nées, l'exportation, au contraire, en a été fortement sou-
tenue parce même pays; ce qui montre nettement qu'une grande nation
peut fort bien être moralisatrice chez elle et pousser à l'immoralité en
dehors de ses frontières.
StCTION LITTÉRAIRE II-3 — 23
Les collections à bon marché, pour ne parler que de celles
d'origine française, répondant à un besoin et donnant des
facilités nouvelles au public, ont augmenté sans nul doute le
nombre de nos lecteurs à l'étranger.
Quant aux journaux et périodiques, ils forment à eux seuls
une très notable partie de notre exportation en matière littéraire,
ainsi que nos grands magazines, qui contribuent à faire mieux
connaître notre vie littéraire, politique, sociale, artistique et
sportive.
Il ne faudrait pas passer sous silence nos ouvrages de critique
littéraire, politique ou sociale, qui sont fort appréciés : sans
doute parce que nos auteurs osent aborder franchement l'étude
des grands problèmes qui intéressent l'humanité tout entière,
et qu'ils savent les traiter avec justesse, clarté et vigueur tout à
la fois.
Pour terminer l'étude des différents caractères de notre litté-
rature, disons quelques mots des traductions faites, dans les
principales langues étrangères, de la plupart des œuvres de nos
grands écrivains ; ces traductions ont certainement pour résultat
d'étendre la culture française auprès de ceux qui connaissent
peu ou point notre langue. Dans le même ordre d'idées, il est
intéressant de noter que des traductions françaises d'ouvrages
étrangers se vendent très bien en dehors même des pays de
langue française, voire dans le pays d'origine : ce qui montre
nettement que la forme seule de nos publications suffît à les
faire apprécier.
Nous devons ajouter à cela que le prix de ces traductions est,
en général, moins élevé que celui de l'édition originale : il en
est d'ailleurs de même pour presque tous nos ouvrages, sensi-
blement moins chers que les ouvrages similaires étrangers.
Enfin certains de nos grands auteurs ont eu l'heureuse idée,
depuis quelques années, de faire des tournées de conférences
à l'étranger ; ces conférences, qui ont toujours su réunir un
auditoire très nombreux, ont eu certainement pour effet de
répandre notre langue et notre bonne littérature.
24 — II-3 SECTION LITTÉRAIRE
VENTK A L'ÉTRANfiER.
Passons maintenant à l'étude même de la vente des ouvrages
de littérature à l'étranger.
Dans les pays de langue franc-aise (Suisse française, Belgique,
Canada), toute notre production littéraire se vend aussi bien
qu'en France même ; sont fort appréciés, notamment en Suisse
et au Canada, ceux de nos romans qui peuvent être mis entre
toutes les mains.
Parmi les pays de langue latine, l'Espagne paraît moins
s'intéresser à notre littérature proprement dite qu'à nos
ouvrages d'enseignement, tandis que les républicfues de l'Amé-
rique du Sud, notamment la République Argentine et le
Mexique, recherchent avidement tous nos bons romans.
Au Portugal et au Brésil, les romans de nos meilleurs écrivains
sont aussi appréciés et recherchés qu'en France; en Italie
et dans les pays d'Orient, Roumanie surtout, notre littérature
jouit d'une très grande faveur.
Dans les pays de langue anglaise, Angleterre et Etats-Unis
d'Amérique, où la haute société seule connaît le français, nos
grands romanciers seuls sont connus; dans ces deux pays, en
outre, nos mémoires et nos grandes publications historiques
sont fort appréciés.
Dans les pays de langue germanique, on est, depuis plusieurs
siècles, sensible à l'attrait de lacul turc française. Le français y
est relativement très répandu et notre littérature très lue.
La haute société s'intéresse beaucoup à nos grands romanciers
ainsi qu'à nos grands mémoires et ouvrages historiques; il
existe, en outre, en Allemagne un public très étendu qui achète
nos collections à bon marché ; c'est sans doute pour satisfaire à
cette clientèle que des publications en langue française se sont
créées de toutes pièces dans ce pays, pour aller ensuite inonder
la plupart des marchés où le français était en honneur.
L'Autriche est un excellent client pour nos romans et nos
ouvrages historiques; quant aux pays Scandinaves, ils ne
SECTION LITTÉRAIRE II-3 — 25
forment, VII leur faible population, que de petits clients; par
contre, nous avons en Hollande un débouché sérieux pour tous
nos romans.
Nous arrivons enfin aux pays de langue slave, Russie et
provinces slaves d'Autriche -Hongrie : pays dans lesquels le
français est tout à fait en honneur; en Russie, notamment, nous
avons un champ d'action considérable : la lecture et l'enseigne-
ment du français y sont à l'ordre du jour et s'y développent de
plus en plus; aussi n'est-il pas trop osé de penser que ce pays
deviendra, dans un avenir prochain, sinon le meilleur, du
moins l'un des plus importants marchés du livre français, si les
éditeurs français veulent bien s'y livrer à la propagande néces-
saire pour le conquérir encore davantage.
CONCLUSION.
Pour conclure, nous pouvons dire que, dans tous les pays
étrangers, notamment dans l'Orient et dans tout le bassin de la
Médilerranée (Roumanie, Hongrie et Portugal au premier plan),
en Russie et dans toute l'Amérique du Sud, nous paraissons
avoir un terrain tout à fait propice au développement de la
langue et de la culture françaises.
Nous ajouterons à cette brève étude quelques chiffres intéres-
sants, qui montreront que, pour les éditions originales seule-
ment, et sans tenir compte des rééditions sous formes diverses
(pourtant de plus en plus nombreuses), le tirage des auteurs
français contemporains n'est pas inférieur, dans le domaine
littéraire, au tirage de leurs devanciers.
Si, en etïet, certains auteurs d'il y a une vingtaine d'années
atteignaient des chiffres de tirage considérables (Octave Feuillet,
avec le Roman d'un jeune homme pauvre a dépassé 130,000 exem-
plaires ; Daudet, avec son Tartavin de Tarascon et son Tarlarin
sur les Alpes, 200,000 à 223,000, ainsi que Zola, avec La débâcle,
sans oublier Maupassant, dont le Bel Ami dépasse oO,000 exem-
plaires, les écrivains d'aujourd'hui connaissent également, rien
que sous la forme du fr. 3.30, des éditions sensationnelles.
26 — 11-3 SECTION I.ITTEBAIRE
Bourget atteint presque 100,000 avec L'étape et Un divorce;
Bordeaux et Margueritte, plus de 50,000 avec Les yeux qui
s'ouvrent et Le désastre ; Gréville et La Brète, 70,000 avec Dosia
et Mon oncle et mon curé; Anatole France et Loti, 130 éditions
avec le Lys rouge et 329 éditions avec Les pêcheurs d'Islande ;
Octave Mirbcau dépasse 100,000 exemplaires; Maeterlinck 00,000
avec La vie des abeilles; Barrés 6o,000 avec Colette Baudoche;
Prévost 113,000 avec Les demi-vierges, et enfin Rostand bat tous
les records avec Cyrano de Bergerac, qui arrive à 400,000.
Il ne faudrait pas oublier de citer certains ouvrages histo-
riques, comme les Mémoires du général baron de Marbot, qui
atteignent presque 30,000 exemplaires dans la seule édition in-S"
écu ; les ouvrages si intéressants de Henri Houssaye sur i8i4 et
i8J5, dont la vente a dépassé 33,000 exemplaires, et Lenotre qui
atteint 23,000 avec Vieilles maisons, vieux papiers.
Ces quelques chiffres prouvent bien qu'on ne lit pas moins les
œuvres littéraires françaises d'aujourd'hui dans le monde, et
môme qu'on les lit davantage, si l'on tient compte des nom-
breuses rééditions faites dans les collections populaires, dont
certaines pour des nombreuses œuvres déjà publiées à fr. 3.30,
arrivent à écouler à leur tour plus de 100,000 et même
130,000 exemplaires.
D'ailleurs, si nous examinons notre exportation, depuis une
vingtaine d'années, nous constatons qu'elle va constamment
croissant, au point de représenter aujourd'hui environ le quart
de notre vente totale, pour ce qui concerne seulement les
ouvrages de littérature.
Tels sont les résultats obtenus par la librairie française en cette
matière. Us sont appréciables. Pour les rendre encore plus sen-
sibles, un certain nombre de mesures s'imposent à elle, tant au
point de vue de l'organisation même de la vente qu'à celui de la
publicité. Sous ce rapport, en particulier, nous sommes per-
suadés que le jour où nous mettrons à la disposition du grand
public, à côté des bibliographies déjà rédigées à son intention (*),
(') En voici quelques unes : La Revue critique des livres nouveaux,
Polybiblion, Revue bil>Hoffraphigueuniverselte, p&rt'ie littéraire, 16 francs
SECTION UTTKRAIRE II-3 — 27
un catalogue pratique de la littérature française, donnant dans
un ordre systématique l'ensemble de nos meilleurs ouvrages,
nous ferons mieux connaître, par là-même, la richesse et la
variété de notre production ; ce catalogue répond d'ailleurs à un
besoin et nous ferons tous nos efforts pour qu'il soit, avant la
fin de l'année 1914, chez tous les libraires étrangers, à la dispo-
sition de tous ceux, et ils sont nombreux, qui ne demandent
qu'à être mieux renseignés sur le livre français.
Enfin nous ne doutons pas, qu'aidés par le précieux concours
des libraires étrangers, avec lesquels nous entretenons des
relations aussi agréables qu'amicales, grâce à l'appui de sociétés
comme la Fédération internationale, nous n'arrivions à étendre
de plus en plus l'influence de notre langue et de notre culture à
l'étranger, restant ainsi dans une tradition qui est parmi les
plus glorieuses de notre pays.
par an , partie technique, 1 1 francs par an. D'autres sont servies gratui-
tement par les librairies auxquelles on les demande: Le Mémorial de la
librairie française, Table systématique des nouvelles publications fran-
çaises; la Bibliographie mensuelle, Revue des livres nouveaux, le Bul-
letin mensuel de la librai?-ie française, etc..
28 — 11-3 SECTION LITTÊBAIRE
III.
Les publications scientifiques,
par M. René Lisbonne.
Moins répandu autrefois que l'ouvrage de littérature, le livre
scientifique français est aujourd'hui de diflusion considérable.
Ses lecteurs sont nombreux au delà des frontières, et, qu'il
s'agisse de sciences mathématiques, physiques ou naturelles, de
médecine, de philosophie, de droit, d'économie politique ou
d'agriculture, ils préfèrent toujours recourir à l'édition fran-
çaise originale, alors même que le livre est traduit, étant donnée
la clarté de notre langue. La vente s'étend de jour en jour; des
bibliothèques se créent en tous les points du globe, dans les-
quelles nos ouvrages ont une large place.
Le livre scientifique français a subi, dans ces dernières années,
une évolution due à sa réelle valeur, évolution qui favorise sa
vente dans le monde, et sert de la sorte les intérêts de la langue,
tant en France même que dans les pays de langue française, la
Belgique au premier rang. Alors qu'autrefois, le lancement
devait être opéré par l'éditeur seul, lancement qui ne portait que
sur des ouvrages d'un prix élevé, un heureux changement s'est
produit : d'une part, le libraire, collaborateur indispensable,
s'organise dans les villes d'Universités, installe un rayon scien-
tifique à côté du rayon littéraire, etc. Ensuite, l'éditeur français
tend à publier des livres d'un prix accessible à tous, et cepen-
dant signés des auteurs les plus compétents; citons, entre
autres, à titre d'exemples : la Nouvelle collection scienlifique
(Alcan), la Bibliothèque de philosophie scientifique (Flammarion),
la Collection Léauté (Masson, Gauthier-Villars), ÏEncyclopédie
agricole (Baillière), l'Encyclopédie scientifique (Doin). A ces
séries, il convient d'ajouter les Manuels médicaux (Masson, Doin,
Baillière, Alcan, etc.).
Les ouvrages de ces diverses collections sont d'un prix moins
élevé que ceux qui avaient été offerts jusque-là au public spécial
qui s'y intéresse; pour ces séries comme dans la plupart des
SECTION LITTÉRAIRE II-3 — 29
branches scientifiques, l'ouvrayc français est meilleur marché
que les ouvrages similaires publiés en langue allemande,
anglaise, espagnole ou italienne, pour ne citer que les prin-
cipales.
Enfin, détail technique, l'édition scientifique française
consent aux libraires des comptes à long terme, permettant à ces
derniers de conserver plus longtemps les ouvrages en dépôt et
de les communiquer à leur clientèle.
La valeur du livre scientifique français est d'ordre général,
alors qu'à l'étranger la question locale constitue un facteur
important. Chez nous, l'enseignement supérieur est un, sa
direction est centralisée à Paris, et les universités coordonnent
leurs eftorts; elles tendent à attirer les étrangers (cours de
vacances de Dijon, Montpellier, Grenoble, etc.), et créent au
loin des instituts qui, s'ils dépendent plus particulièrement de
l'une d'elles, sont néanmoins, de par cette homogénéité reconnue,
le reflet de toute l'extension du pays (Florence, Londres,
Madrid, Saint-Pétersbourg).
La publication scientifique française a porté ces dernières
années sur les chiffres suivants. Encore notre statistique ne
coniprend-elle que les livres importants, et non point les bro-
chures ou thèses de quelques pages, à rencontre des statistiques
étrangères qui font état de tout titre sans exception.
Médecine 3,K00
Philosophie !2,000
Science sociale et Economie politique . . 1,500
Droit 1,800
Sciences pures 3,000
Sciences agricoles 1,000
Pour permettre de retrouver tel groupe de publications sans
avoir spécialement en mains celles d'une firme à l'exclusion des
autres, certaines maisons d'édition se sont réunies et ont établi
des catalogues syndicaux, d'une très grande utilité (Bibliographie
des livres français de médecine et de sciences, publiée par la sec-
tion de Médecine du Syndicat des éditeurs, 1900-1912).
30 — II-3 SECTION LITTÉRAIRE
En dehors des catalogues généraux, qui groupent les ouvrages
parus en telle ou en telle matière scientifique, pour une période
plus ou moins longue, paraissent régulièrement des livres-index
résumant la production française et étrangère d'une manière
absolument objective : Année scientifique et industrielle, Annales
(le géographie. Année géographique, Année sociologique, Année
philosophique. Année musicale, Annéepsychologique, Année biolo-
gique. Vie militaire. Vie politique, tic.
(les recueils sont à même de rendre les plus grands services
aux spécialistes à l'étranger.
On peut joindre à cette liste le Journal de Droit international
privé, véritable annuaire des questions juridiques.
Enfin, nos périodiques, qui comptent de nombreux abonnes
et lecteurs à l'étranger, servent utilement les intérêts de la
France, puisqu'ils portent au loin le résumé des dernières
découvertes de notre science, sous forme de mémoires origi-
naux ou de comptes rendus de sociétés savantes.
L'édition scientifique française offre donc aux travailleurs de
tous les pays un vaste choix d'ouvrages excellents, rédigés dans
une langue claire, à des conditions de prix favorables. Il faut
espérer qu'en persévérant dans cette voie, elle conservera
l'approbation et la sympathie des milieux scientifiques étrangers.
SECTION LITTÉRAIRE II-3 — 31
IV
Les ouvrages d'enseignement.
par M. André Gillon.
Les ouvrages d'enseignement constituent une partie impor-
tante de l'exportation de l'Édition française. [I n'est pas possible
de déterminer d'une manière exacte la place qu'ils tiennent dans
celte exportation, les statistiques douanières n'enregistrant pas
leur sortie sous une rubrique spéciale. Mais on sait qu'il en est
fait un commerce actif avec les deux mondes.
Pour quelles raisons les livres scolaires français se vendent-ils
hors de France? Quels sont leurs différents débouchés? Quelles
chances d'avenir ont-ils? C'est ce qui va être examiné ici
sommairement.
Caractère général des givrages d'enseignement français.
Causes de leur emploi hors de France.
Considéré au point de vue de l'usage qui en est fait dans les
établissements d'enseignement de l'étranger, pour les études
générales ou pour l'étude particulière de notre langue, le livre
d'enseignement français apparaît comme un instrument de
valeur, apte à instruire et à éduquer aussi bien, sinon mieux,
que tout autre livre d'enseignement.
La faveur dont il jouit, en effet, dans de nombreux pays, la
résistance victorieuse qu'il oppose à la plupart des concur-
rences qui se présentent à lui, prouvent sutiisamnicnt cette
affirmation. On peut donc poser qu'en fait le livre d'enseigne-
ment français rencontre d'une façon générale un accueil
favorable à l'étranger.
Les raisons en sont assez claires : c'est qu'au triple point de
vue pédagogique, scientifique et moral, sa valeur est certaine.
La production des livres scolaires est intense en France;
inspirée par des programmes qui s'appliquent d'une façon
uniforme à tout le territoire français, elle a comme effet un
renouvellement incessant des- méthodes, et par là un progrès
pédagogique constant. L'ampleur du champ d'exploitation
32 — II-3 SECTION UTTÉRAIIIE
autorise des tirages importants et permet l'emploi, clans la fabri-
cation, dos procédés les plus récents des arts graphiques, pour
un prix de vente peu élevé. Il faut ajouter à tous ces avantages la
clarté, l'agrément de la présentation matérielle, auxquels on est
si sensible en France, et que l'étranger n'apprécie pas moins.
Voilà pour la valeur pédagogique. Est-il besoin d'insister sur
la valeur scientifique des ouvrages classiques de lettres ou de
sciences français? Les manuels de langue ou de littérature sont
tenus au courant des recherches de la linguistique et de la phi-
lologie; dans les sciences, les précis enregistrent les théories, les
découvertes et les applications nouvelles. Les auteurs sont issus
d'un corps enseignant formé par une Université renommée
pour « la merveilleuse qualité de son enseignement » ('); et,
pour terminer sur ce point, il suffit de rappeler ici que les plus
grands maîtres de celte Université, ainsi que dos hommes d'une
autorité incontestable dans l'art difficile d'écrire pour les autres,
n'hésitent pas à faire des ouvrages scolaires, même d'une portée
élémentaire.
La valeur morale n'est pas moins certaine. Ceux qui furent les
organisateurs de l'enseignement français moderne, ont placé à sa
base l'objectivité scientifique et l'impartialité. L'ouvrage d'ensei-
gnement laïque français s'inspire du même esprit en poursuivant
son but éducatif : dans l'étude des événements comme dans
celle des idées, il n'est ni tendancieux,' ni agressif; respectueux
des opinions, il dégage la leçon qui découle des faits ; et l'on
pourrait justement prétendre, surtout si on le compare à certains
livres scolaires étrangers, qu'il est encore plus impartial et
désintéressé que national. Avantage capital, dont ne peuvent se
prévaloir tous ses concurrents, chez certains desquels on
remarque même des tendances exactement contraires.
Ainsi l'ouvrage d'enseignement français peut être considéré
comme un manuel vivant, d'une formule absolument moderne,
d'une valeur éducative et instructive sans conteste. 11 offre donc
à sa clientèle, hors de France, un ensemble de garanties véritable-
ment supérieures, qui assurent son succès.
(') C. F. Barret-Wendbl, La France d'aujourd'hui. « Les Univer-
sités «, p. 61.
section littéraire ii-3 — 33
Nature pes ouvrages d'enseignement français
EMPLOYÉS A l'étranger. — PRINCIPAUX nÉBOUCIIÉS.
Tous les pays qui se servent de livres scolaires français ne les
emploient pas pour satisfaire anx mêmes besoins. On peut, en
effet, les grouper en deux grandes catégories.
a) Pays où les livres scolaires français sont utilisés pour
l'étude du français considéré comme une langue étrangère;
b) Pays où ils sont utilisés pour l'instruction générale.
Certains pays rentrent d'ailleurs dans les deux catégories.
A la première appartiennent presque tous les pays, puisque,
dans le monde entier, on étudie le français : pays anglo-saxons,
germaniques, slaves, latins d'Europe et d'Amérique, tous consti-
tuent des débouchés actuels ou possibles. Les ouvrages qui s'y
demandent sont tous ceux qui ont trait à l'élude de notre langue
ou de notre littérature.
On constate à l'étranger, depuis l'application des méthodes
directes pour l'enseignement des langues, une tendance générale
à employer des livres français pour l'étude du français; il faut
s'en réjouir, d'abord parce que les jeunes étrangers apprennent
mieux ainsi notre langue qu'avec les manuels parfois médiocres
qu'on mettait entre leurs mains; ensuite parce qu'ils acquièrent,
au contact de nos livres, une connaissance plus exacte de notre
culture et de nos mœurs. Il n'est peut-être pas superflu de
signaler à ce propos qu'on rencontre à l'étranger certains
manuels destinés aux écoles qui donnent des aperçus de la vie
française d'une fantaisie vraiment déconcertante, pour n'en pas
dire davantage. La supériorité des ouvrages français en cette
matière s'est d'ailleurs aftirmée en maintes circonstances, et des
faits récents l'ont encore prouvé (*).
(') Signalons, entre autres, une expérience intéressante qui a eu lieu à
Varsovie en 1912. On réunit, dans une Exposition pédagogique, des livres
d'enseignement du français de provenance russe, allemande, anglaise,
et... française. La supéiiorité de ces derniers apparut d'une façon
convaincante.
34 — 11-3 SECTION LITTÉRAIRE
A la deuxième catégorie appartiennent les pays de langue fran-
çaise, les pays où la langue française est comme la seconde langue
nationale, les pays qui manquent de livres scolaires nationaux,
et ceux dans lesquels les établissements d'enseignement français
jouent un rôle important. Il faut ajouter les colonies françaises
à celte énumération.
Ici, ce sont les ouvrages d'enseignement de tout genre qui sont
employés, ouvrages de divers degrés et relatifs à toutes les
matières.
Les pays de langue française, la Belgique, le Luxembourg, la
Suisse et le Canada, ont leurs propres ouvrages scolaires, mais
fréquemment ils se servent de livres français à côté des leurs, soit
dans les établissements officiels, soit dans les établissements
libres. Par suite de l'exiguïté relative de leur territoire, ils ne
peuvent pas renouveler leurs méthodes ni leurs éditions aussi
rapidement qu'en France, et ils préfèrent souvent s'adresser à
nous pour avoir des ouvrages tout à fait récents.
L'Egypte, la Turquie, une partie des Balkans, la Grèce, le
Portugal emploient les livres scolaires français dans une propor-
tion considérable, soit parce que leurs ouvrages nationaux se
trouvent insuifisants en nombre ou en qualité, soit parce que la
langue et la culture françaises y prédominent; une partie de
l'enseignement s'y fait en français. En outi-e, dans ces divers
pays, ainsi qu'au Canada, dans l'Amérique Centrale, dans l'Amé-
rique du Sud et en Extrême-Orient, les établissements d'ensei-
gnement français, laïques ou religieux, occupent une situation
importante à côté des écoles du pays, et constituent, pour la
propagation de la langue française, un instrument de premier
ordre.
Il n'est peut-être pas sans intérêt de jeter ici un coup d'œil sur
la situation de ces établissements français dans le monde et de
passer succinctement en revue l'état de leurs forces. Cette question,
en effet, se lie étroitement à celle du rôle du livre d'enseignement
français à l'étranger.
Ils appartiennent presque tous à des organisations dûment
constituées : l'Alliance française, la Mission laïque, les œuvres
religieuses catholiques ou protestantes, l'Alliance Israélite uni-
SECTION LITTÉRAIRE II 3 — 33
vcrselle. En outre, un certain nombre sont autonomes, ou à peu
près.
Parmi ces grandes organisations, quelle part revient à chacune
d'elles? Il est difficile de le déterminer exactement, mais on peut
l'évaluer.
L'Alliance française, dont l'action porte sur le monde entier,
à la fois par ses comités et ses établissements d'instruction, entre-
tient et soutient environ trois cents écoles et cours. Elle envoie,
en outre, de nombreux conférenciers, qui constituent d'excellents
propagateurs. Les services qu'elle a rendus à la cause de l'ensei-
gnement du français sont de premier ordre, et l'on attend d'elle
au moins autant pour l'avenir.
La Mission laïque, de création toute récente, s'est jusqu'à pré-
sent limitée à l'Orient; elle y possède ou patronne une douzaine
d'établissements, dont certains fort importants, auxquels elle
compte en adjoindre bientôt d'autres.
Les œuvres religieuses catholiques (') sont les plus nom-
breuses; elles donnent un enseignement tout en français ou
mixte; dans le monde entier, elles possèdent des établissements
importants, généralement bien installés; leur clientèle est
immense; dans l'Orient seul, plus de cinquante mille élèves fré-
quentent leurs écoles; le nombre total en est de plusieurs cen^
taines de mille.
Les missions prolestantes ont cantonné leurs efforts en Afrique
principalement et en Océanie; elles ont environ cent cinquante
écoles et dix mille élèves. L'Alliance Israélite universelle a deux
cents écoles, abritant quarante-cinq mille élèves, dans l'Afrique
du Nord, les Balkans, le Levant, la Perse.
Si l'on ajoute à ces organisations les établissements indépen-
dants français ou d'instruction française tels qu'il y en a à Con-
(') I^e nombre des établissements religieux d'enseignemenl fiançais éta-
blis à l'étranger s'est accru dans des proportions considérables depuis l'ei-
pulsion des congrégations h.irs de France. Au point de vue de la propaga-
tion de la langue française, il y aura peut-être là un mouvement analogue
à celui provoqué en Europe par la révocation de l'édit de Nantes (sur ce
dernier point cf. B.vldenspkrgkr, Études d'histoire littéraire. « L'uni-
versalité de la langue française ", p. 5).
Il 4
36 — II-3 SECTION LITTÉRAIRE
stanlinople, à Barcelone, à Madrid, à Lisbonne, pour ne citer que
ceux-là, on peut se rendre compte de l'importance de la popula-
tion scolaire qui, à l'étranger, reçoit un enseignement en langue
française.
Pour compléter ce tableau, il faut parler des colonies fran-
çaises.
L'enseignement français s'y organise au fur et à mesure du
développement de chaque colonie dont il suit les progrès. D'ores
et déjà, tant dans les écoles officielles que privées, la population
scolaire se monte à plusieurs centaines de mille, sans tenir
compte en Afrique, par exemple, des écoles musulmanes, dans
lesquelles un cours de français est obligatoire. Il y a donc là un
magnifique domaine où doivent se répandre simultanément dans
l'avenir les livres d'enseignement et la langue française.
Au total, on peut estimer à plus d'un million les jeunes Euro-
péens, Africains, Américains ou Asiatiques, recevant un ensei-
gnement donné, exclusivement ou en grande partie, en français,
la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et le Canada, étant laissés
à part. On voit qu'il y a, par conséquent, à l'étranger des débou-
chés vastes et nombreux pour les ouvrages d'enseignement
français. Sont-ils suffisamment exploités par les éditeurs et les
libraires, agents responsables de la propagation des livres? Oui,
sans doute, mais il peut être fait plus encore, et il faut qu'il soit
fait davantage, surtout en présence des efforts faits par endroits
en faveur d'autres langues et d'autres ouvrages d'enseigne-
ment (•). Une appropriation plus grande du livre d'enseignement
français aux besoins particuliers des pays étrangers est notam-
ment à réaliser.
Avenir des ouvrages d'enseignement français hors de frange.
Leur avenir est lié, dans une large mesure, à celui de la langue
et de la culture françaises dans le monde. Tout ce qui sera tenté
(*) La librairie allemande, en 1912, a annoncé son intention d'accaparer
le futur enseignement en chinois au profit du livre allemand et de la
langue allemande.
SECTION LITTÈRAIUE II-3 — 37
en faveur de celles-ci servira la cause des ouvrages français, et
réciproquement.
A l'heure actuelle, la situation se présente favorablemenl,
malgré les attaques dirigées, dans certains pays, contre l'étude du
français avec une violence et une méthode singulières ; et, dans
l'ensemble, les gains compensent largement les pertes. En
Europe et dans le bassin de la Méditerranée, on ne semble pas
près de se détourner de la langue et de la culture françaises au
point de vue scolaire. Voici quelques faits caractéristiques : en
Suède, les programmes réduisirent, en 1904, dans un but soi-
disant utilitaire, la part faite au français ; de nombreuses pro-
testations se sont élevées depuis lors contre l'état de choses ainsi
créé, et les commerçants eux-mêmes réclament le rétablissement
du français comme auparavant. En Islande, l'envoi dun profes-
seur français à l'Université de Reykiavik provoque immédiate-
ment de nombreuses inscriptions d'étudiants et trouve des
encouragements ofliciels. A Andrinople, il existait une école
allemande; à proximité se crée une école française; la première
se vide presque aussitôt à moitié ; à Haidar Pacha, terminus sur
le Bosphore du chemin de fer de Bagdad, la compagnie alle-
mande qui exploite cette ligne avait fondé une école, allemande
aussi naturellement; au bout de peu de temps, pour retenir sur
place les enfants de son personnel, elle dut demander à un grand
établissement français, installé non loin de là, d'ouvrir, à côté de
l'école allemande, une école française, qui prospéra rapidement
à rencontre de sa voisine. En Egypte, le gouvernement anglais
avait réduit l'enseignement du français, mais il est question
d'une réforme qui aurait pour effet principal de rendre à l'ensei-
gnement du français l'importance qu'il avait anciennement.
Dans les autres pays européens ou orientaux, il n'y a pas de
symptôme sérieux de recul, croyons-nous, au contraire.
En Amérique, il en est de même. Au Canada, la langue et la
librairie françaises progressent. Aux États-Unis, la culture fran-
çaise, odieusement diffamée un moment, reprend ses droits. Le
Mexique est épris de notre culture, le Chili y revient après l'avoir
négligée en faveur de l'allemand, et accorde au français la môme
place qu'à l'espagnol ; l'Argentine l'a toujours appréciée et va le
38 — II-3 SECTION UTTÉRAIBE
prouver une fois de plus en inscrivant le français comme langue
étrangère au programme de ses écoles normales ; le Brésil con-
somme d'importantes quantités de nos ouvrages d'enseignement.
D'autre part, l'enrichissement continuel des colonies fran-
çaises entraînera, à coup sûr, le développement de l'enseigne-
ment sur leur territoire, en Afrique notamment.
Le présent est donc satisfaisant. L'avenir ne s'annonce pas
moins bien.
L'Université française accroît chaque jour son prestige,
son influence, ses relations (') avec les pays étrangers. Les
peuples d'aujourd'hui le sentent, comme ceux du xvni" siècle,
que leur intérêt les porte à étudier le français pour des raisons
de culture générale ou pour des motifs d'ordre pratique. C'est
qu'en effet, «jamais notre langue n'a été plus belle et n'a mieux
répondu en môme temps aux besoins les plus divers» (^). Dès
lors, pourquoi l'étranger renoncerait- il à l'usage de notre
langue et au bénélice de notre enseignement ?
Au livre d'enseignement français de profiter de cette situation.
On a vu qu'il était qualifié pour rendre les services que ses ache-
teurs peuvent réclamer de lui. Qu'il serve donc chaque jour
davantage, comme les livres des autres catégories, à répandre
dans le monde la langue et la culture françaises. Il pourra par là
contribuer au développement matériel et intellectuel des autres
nations en même temps que de la France.
Pour les éditeurs et libraires français, chargés de le produire
et d'en faire commerce, c'est là une tâche belle et intéressante au
premier chef. Elle exige tous leurs efforts, et elle les mérite.
Souhaitons qu'ils lui soient accordés sans compter, et que le
succès les couronne.
(*) Parmi les organismes universitaires qui poursuivent ce but, il con-
vient de citer au premier rang l'Office des Universités et Grandes Ecoles
do France.
(*) Professeur Ferd. Brunot, Préface écrite pour Contes et récits du
XIX' siècle, par Weil et Chénin.
II. — SECTION UTTERAIKE.
La propagande française par les langues étrangères,
GÈRAUl) IIARRY,
homme de lettres, à Bnixelles.,
Le sens des observations que je désire présenter au Congrès
pourrait se résunieren ces quelques mots : «N'attendons pas que
la montagne vienne à nous; allons à elle. »
Prêcher la défense de la belle langue française, l'extension de
la haute culture française, dans une assemblée francophile telle
que la nôtre, c'est sans doute une volupté pour toutes nos intelli-
gences et tous nos cœurs. Mais ce doux exercice, que nous pra-
tiquons, naturellement, en langue française, est-il aussi etticace
que nous le pensons '! Nous ne convaincrons ici, je le crains
fort, que des convaincus.
Permettez-moi de vous suggérer un efl'ort plus large et plus
lointain pour la sanction de notre programme. Que n'allons-nous,
partout où la langue et la culture françaises subissent des assauts
hostiles, un recul ou une diminution dus à quelque antagonisme,
lutter pour elle avec les armes mêmes de leurs adversaires ?...
En d'autres termes, pourquoi les éloquents plaidoyers que nous
entendons ici en faveur du plus clair et du plus utile des modes
d'expression, et des nobles influences qu'ils essaiment, ne
•40 — II-4 SECTION LITTÉRAIRE
seraient-ils pas traduits en allemand, en italien, en flamand,
pour des pays trilingues ou bilingues tels que la Suisse, le
Piemont-Vaudois, la Belgique, le grand-duché de Luxembourg,
en anglais pour le Canada, et en allemand et en russe pour les
contrées polonaises oùnotre idéal et la tradition qui y correspond
sont contrecarrés par la parole ou l'action teutonne et mosco-
vite?...
Peut-être quelques-uns d'entre-vous crieront-ils au paradoxe.
J'ai l'air de dire aux champions de la langue française : « Pour
la protéger, où elle est en danger, pour la répandre davantage,
où on la parle sans obstacle, commencez par vous assimiler et
pratiquer les langues étrangères. » Si l'on y réfléchit, toutefois,
on en vient vite à constater qu'il n'existe guère, en dehors des
moyens pédagogiques, d'autre méthode pour reconquérir du
terrain là où on en a perdu, pour conserver, ailleurs, celui qu'on
a conquis, pour étendre, sur tel autre point, le terrain où on a
pris pied.
Souffrez qu'à titre d'exemple, je résume très brièvement les
termes d'un rapport que j'eus l'honneur de soumettre, en 19H,
au Congrès des amitiés françaises de Mons.
Peu avant la réunion de ce Congrès, j'avais demandé à un des
membres les plus avertis de la Chambre des représentants de
Belgique si vraiment le flamingantisme représentait autre chose
que la raison d'être d'un état-major plein d'ambition et d'audace
mais dépourvu d'armée. Ce député m'invita à me défaire de
cette illusion. Les fanatiques de la 7noedertaal dont les noms
figurent en vedette du mouvement flamingant et gallophobe ne
sont pas l'émanation d'une opinion populaire, mais cette opinion
ils la créent. Ou ne se fait point, paraît-il, une idée de l'activité
et du succès de leur propagande auprès des Flamands unilingues
et incultes. Quoi de plus aisé que d'empoisonner ces imagina-
tions frustes, de les convaincre que le Français, comme sa
langue, est l'ennemi de leur race, que le patriotisme collectif et
l'intérêt individuel commandent également de fuir tout ce qui
vient de France ou porte l'odeur de la France ? Les candides
dupes de ces Messieurs Josse, ou plutôt Van Josse, n'entendent
jamais la réplique française. Celle-ci ne parvient qu'aux oreilles
SECTION LITTÉRAIRE II-4_4f
des Flamands bilingues, c'est-à-dire des Flamands déjà plus ou
moins convertis et acquis à notre cause, parce que nous ne nous
servons que du français dans nos discours ou nos écrits, pour
dissiper les préjugés que les ennemis de notre culture excitent
contre elle.
En manière de conclusion, je proposais au Congrès des
Amitiés françaises de Mons la création d'un organe flamand
chargé de faire résonner « l'autre cloche et l'autre son », et de
révéler, notamment, aux Flamands unilingues cette vérité rudi-
mentaire que leur idiome est une clef ne servant à ouvrir qu'une
porte — et quelle étroite porte ! — la langue française, un passe-
partout qui les ouvre toutes. Cet organe, disais-je-, montrerait
aux légions d'ouvriers flamands qui vont prêter chaque année
leurs milliers de bras à l'agriculture française, combien la con-
naissance du langage de leurs patrons les aiderait, ne fut-ce que
pour débattre directement avec ceux-ci les conditions de leur
travail, alors que leur ignorance du verbe français les met à
la merci d'intermédiaires aussi cupides que complaisants. Il
leur rappellerait que leurs leaders intellectuels, que tous ceux
d'entre les Flamands qui parviennent à la grande fortune ou à
la grande renommée, sont des Flamands bilingues ayant renoncé
à leur langue maternelle, à cause de ses effets isolants. Prenons
le projet de flamandisation de l'Université gantoise. Quel trait
de lumière n'apporterait pas aux Flamands unilingues l'organe
qui leur l'appellerait qu'il y a cinq siècles, la population flamande
de Douai adressait des suppliques à Paris pour être dotée d'une
Université française et qui leur demanderait à quoi rime un
projet en sens diamétralement contraire, chez la Belgique
d'aujourd'hui, assoiffée d'expansion internationale et coloniale,
et qui éprouve, par conséquent, cent fois plus la nécessité d'un
moyen d'universelle communication verbale qu'au temps où les
Flamands se rendaient de Douai à Paris, à pied ou en coche,
pour l'acquérir.
Vous sentez bien, Messieurs, de quelle généralisation ce rai-
sonnement est susceptible. Que de recrues nouvelles la langue
et la culture françaises ne feraient-elles pas dans le grand-
duché de Luxembourg, par exemple, ou dans la Confédération
42 — II-4 SECTION LITTÉRAIRE
helvétique, si la propagande pangermaniquc qui cherche à les
supplanter avait pour contrepoids, des documents, des tracts,
des journaux intelligibles aux unilingues, qu'on veut confiner
dans leur isolement, tantôt dans un intérêt politique, tantôt
dans un intérêt économique, quelquefois dans un intérêt senti-
mental.
En vérité, l'idée que j'aventurais, il y a un instant, de publier
les compte-rendus de nos débats en autant de langues qu'il le
faudrait pour atteindre les yeux et les esprits que nous visons,
cette idée répondrait encore bien insuffisamment aux besoins
de la cause.
II convient de l'élargir et d'insister aussi pour qu'une croisade
permanente en faveur de la défense et de l'extension de la langue
française s'organise sous la forme d'une presse francophile
périodique rédigée en flamand, pour les Belges unilingues, en
allemand chez les Luxembourgeois et les Suisses, enfin dans toute
langue étrangère employée comme un instrument d'opposition
à l'instrument merveilleux de. civilisation que nous aimons et
que nous désirons propager au delà des frontières françaises, à
raison même de l'affaiblissement numérique du peuple qui l'a
forgé.
On estimera sans doute que notre Congrès se justifierait sura-
bondamment, rien que pour avoir préparé ces moyens de conser-
vation et de diffusion à la langue et à la culture dont le passé
l'enchante et dont l'avenir le préoccupe. Je ne me dissimule pas
les difliicultés de la tâche que cette préparation implique. Mais
cette tâche serait parfaitement réalisable à la condition d'être
partagée entre les volontés les plus ardentes et les compétences
les plus sûres. Ne nous bornons pas, si vous êtes de cet avis, à
un de ces vœux platoniques et sans lendemain dont la plupart
des congrès sont si prodigues. Pourquoi ne point constituer
dans chaque pays où la langue et la culture françaises luttent
pour la vie, un comité de jeunes et actifs propagandistes qui
serait chargé de faire appel au concours pécuniaire et littéraire
de tous les partisans de celte langue et de cette culture, afin de
mettre sur pied, chacun dans sa localité respective, l'organe
défensif, et au besoin offensif, de notre idéal !... Les éléments de
SECTION LITTÉRAIRE II-4 — 43
tels comités se trouvent réunis ici. Leur œuvre rencontrerait,
sans doute, assez de sympathies et de dévouements désintéressés
pour s'accomplir à peu de frais. Notre foi étant sincère, doit
être prête à agir. Et nous en aurons, j'en suis sûr, la preuve à la
plus prochaine réunion du congrès, c'est-à-dire le jour où les
comités de propagande que je suggère auraient à nous exposer
le résultat de leurs démarches en vue de constituer Tarme de la
propagande française, partout où elle est nécessaire à l'existence
et au prestige de la langue et de la culture qui nous sont chères
entre toutes.
II. - SECTION LITTERAIRE.
Les journaux quotidiens et la propagande française,
Henry de JOUVENEL,
secrétaire général du Matin.
Pour la propagande française dans le monde, que peuvent
nos journaux quotidiens?
Votre congrès m'a confié l'honneur de tenter une réponse
à cette grave question. Je l'ai accepté dans le seul espoir
d'éveiller les réflexions et de susciter des avis plus autorisés
et plus utiles que le mien.
Servir la propagande française :
1° En apportant aux Français établis à l'étranger une aide
morale efficace;
2° En développant chez les Français de l'intérieur, volon-
tiers repliés sur eux-mêmes, le besoin, le goût, la passion d'agir
au delà des frontières;
3° En répandant au dehors le nom de notre pays, sa culture,
l'influence de ses œuvres, en organisant à l'étranger, si je puis
ainsi m'exprimer, la publicité de la France.
46 — II-5 SECTION LITTÉRAIRE
Ce triple devoir s'impose à tous les citoyens chargés de quel-
que responsabilité.
Dans quelle mesure, par quels moyens, la presse quotidienne
peut-elle le remplir?
I. — Les Français de l'étranger.
1° Il est à souhaiter que nos colonies de Français à l'étran-
ger restent attachées à la métropole par un ferme lien.
Le plus continu, le plus vivant, n'est-ce pas la presse quoti-
dienne?
Quand l'exilé reçoit de Paris le journal, c'est comme si son
pays lui avait écrit. Les mille événements de l'histoire natio-
nale : accidents, joies, désastres, fêtes, quelle lettre d'ami ou de
frère les relaterait aussi minutieusement, aussi fidèlement?
Mais, en dépit du progrès moderne, la presse n'a vaincu la
distance qu'à demi. S'il vit dans une nation voisine, le Fran-
çais peut attendre la feuille de Paris ou de sa province. Pen-
dant un jour ou deux, les histoires gardent leur nouveauté. Puis
elles la perdent. A mesure que la vie s'internationalise, Péters-
bourg, Constantinople, Rio-de-Janeiro ou Buenos-Ayres même
veulent être tenus au courant des moindres incidents sur-
venus à Paris. Le fil du télégraphe ou le câble sous-marin
les leur transmettent en quelques heures.
Le journal de Paris suit de loin. Son retard, à peine sen-
sible à Berlin ou à Londres, devient considérable à Saint-
Pétersbourg, formidable au delà.
Le Français perdu au loin ne peut différer si longtemps de
s'informer. Il risquerait d'être moins éclairé sur la vie con-
temporaine que les étrangers au milieu desquels il vit. Le
voilà contraint d'acheter une feuille de l'endroit; d'abord, il
en adoptera les nouvelles; plus tard, les tendances pourraient
s'en insinuer en lui. Peu à peu, il perdra contact avec la Patrie.
On comprendra le péril si l'on réfléchit que les inspirations
des journaux étrangers sont souvent hostiles à la France. En
Russie, par exemple, les agences allemandes ont fait un grand
SECTION LITTÉRAIRE II-5 — 47
effort de pénétration; elles s'emploient le plus habilement du
monde à mettre en lumière tous les faits qui peuvent faire
croire à la décadence- française ; elles dénaturent ceux qui sont
à notre honneur, et travaillent ainsi à créer jour à jour, dans
la nation amie et alliée, une atmospliùre de défiance autour de
notre personnel politique et autour de nos idées.
Il n'y a point à s'en indigner. Cette concurrence est adroite
et légitime. Il serait légitime de lutter contre elle. Comment?
Examinons les moyens qui s'offrent :
1° L'entente entre les journaux étrangers et français. — Ce
système a de grands avantages. Il fait communiquer quoti-
diennement la France non seulement avec nos nationaux éta-
blis à l'étranger, mais encore avec les lecteurs étrangers. Quand
le grand journal italien le Carrière délia Sera s'assure par traité
les dépêches du Matin, il abonne indirectement ses lecteurs au
Matin. Mais cette pratique exige en premier lieu des capitaux
et de la bonne volonté de la presse étrangère; en second lieu les
circonstances politiques favorables.
Nous pourrions citer un journal russe très important qui,
las de retrouver sur toutes les nouvelles reçues des agences la
marque allemande, résolut d'échapper à cette tyrannie, s'adressa
à un journal français, lui demanda ses télégrammes. Mais il
fallait relier, à travers l'Allemagne, Paris et Saint-Pétersbourg
par un fil spécial. Vous pensez si le gouvernement allemand
favorisa l'entreprise!
2° L'idéal serait de pouvoir fonder, dans les pays qui sont
pour ainsi dire hors de la portée de notre presse, des journaux
français alimentés de nouvelles aux sources nationales. — Ils
existent dans quelques capitales. Mais ils ne peuvent subsister
que là où la colonie française est nombreuse, riche et unie.
Si nous lisions mieux notre histoire, elle nous enseignerait
que les idées sont des articles d'exportation incomparables et
qu'il est au moins aussi important d'admirer la propagande de
notre opinion que celle de notre science ou de nos industries.
Peut-être verrions-nous se fonder alors, chez nous, des asso-
ciations puissamment organisées déléguant à l'étranger des
journalistes, comme on fait pour des médecins, des professeurs
48 — II-5 SECTION LITTÉRAIRE
OU des missionnaires et soutenant hors de France des journaux
au même titre que des facultés. .
Nous ne désespérons pas de voir un jour ce vœu réalisé,
3° En attendant, il existe un organe moins coûteux. Je ne
fais que l'indiquer ici, car mon sujet m'interdit d'en parler
avec détail. C'est la revue hebdomadaire, conçue sur le modèle
du Das Echo. On nous anonce la fondation des Echos de France,
conçus dans le même esprit que la revue allemande. Souhai-
tons leur une longue prospérité. Us serviraient, en même temps
que les intérêts matériels, les intérêts moraux de la France, con-
tribueraient à sauver les groupes de Français établis à l'étranger
de divisions lamentables, établiraient un lien entre les diverses
colonies, rapprocheraient nos émigrés de nos consuls, appelle-
raient l'attention de nos nationaux sur des débouchés nouveaux
et faciliteraient entre les étrangers et nous l'échange des pro-
duits et des idées.
II. — Développer chez les Français de l'intérieur la curiosité
de l'étranger, c'est une des fonctions que peut et doit remplir
la presse quotidienne de France. — On reconnaîtra que, de
jour en jour, elle s'y adonne davantage. Autrefois, la rubrique
de l'étranger était sacrifiée dans les journaux à grand tirage.
Depuis le jour où le Matin conclut un traité avec le Times et
acquit un droit quotidien aux dépêches du grand journal de
de la Cité, la presse populaire n'a pas cessé de développer ses
services à l'étranger. Aujourd'hui,, ce n'est plus le simple
résumé des événements nationaux, mais un résumé de l'histoire
quotidienne du monde que nous avons l'ambition d'offrir à
nos lecteurs.
Tenu chaque matin au courant non seulement des grands
faits politiques, mais même des faits-divers qui ont eu quelque
retentissement en Europe ou hors d'Europe, le Français se
familiarise avec les noms et les choses de l'extérieur, il ne con-
sidère plus le voyage comme un effort qui le dépasse, il sait
mieux de quels exemples d'outre-Manche et d'ouIre-Rhin il lui
serait utile de s'inspirer. Il comprend plus clairement qu'il ne
peut plus vivre sur lui-même, et que la préoccupation de
SECTION LlTTÉIlAinE 11-5 — 49
l'étranger doit intervenir dans tous les actes de sa vie intellec-
tuelle, économique ou politique.
Cette transformation de l'esprit français se poursuit depuis
quelques années avec un succès croissant, dont la presse peut,
à juste titre, ce me semble, revendiquer l'honneur.
III. — La publicité de la France.
Voilà le troisième et principal objet dont doit se préoccuper
la presse quotidienne.
Beaucoup de moralistes aiment à distinguer entre la bonne
et la mauvaise publicité et reprochent aux journaux de Paris
et de province une sorte d'impudeur qui les empêche de dissi-
muler les tares de leur pays.
<( Cachez à l'étranger les faiblesses de la France », répètent-
ils volontiers. « Ne parlez que d'honnêtes gens, ne racontez que
des histoires estimables ».
Ce conseil part d'un bon naturel, mais cela ne l'empêche
pas d'être mauvais.
Le lecteur, quel qu'il soit, doit voir la vérité telle qu'elle est.
On ne compose pas des journaux, comme le Pharisien com-
posait sa prière, pour vanter les siens, son pays et soi-même.
Le journal signale chaque matin tout ce qui dépasse le niveau
ordinaire de la vie : c'est ainsi qu'il oblige gouvernants, magis-
trats responsables à réfléchir, à agir. Le crime et l'héroïsme,
le péril et l'exemple, il lui faut tout montrer à ses lecteurs.
Un article ne doit jamais être indifférent. Je n'ai pas besoin
qu'on me décrive la probité de mon voisin, je compte sur elle
conune sur la mienne, car l'honnêteté est sous-entendue par-
tout. Mais si l'honnêteté manque, j'ai besoin de le savoir afin
de ne pas gaspiller ma confiance.
La réputation de la France souffre, dit-on, de cet excès de
franchise.
En est-on bien certain? Si notre nation suscite à ce point la
curiosité universelle, n'est-ce pas parce qu'elle est dans le
monde la seule qui avoue?
oO — II-5 SECTION LITTÉRAIRE
Le peuple français découvre ses tares avant les autres, mais
quand il les raconte, les autres races peuvent dans sa confes-
sion percevoir l'écho de leurs craintes sourdes ou de leurs re-
mords futurs. Ils ne sont pas meilleurs que nous; peut-être
ont-ils seulement une conscience plus lente. Peu à peu, ils
s'apprennent en nous écoutant, ainsi nos aveux aident le monde
à mesurer sa misère.
Disons tout, le mal et le bien.
Vous entendez l'objection : les adversaires, déclare-t-on,
répètent pieusement le mal que nous disons de nous-mêmes.
Ils négligent les faits qui sont à notre louange.
La presse française quotidienne a-t-elle un moyen de les
obliger à divulguer les exploits et les vertus de la France?
Elle en a un qui est de servir les inventions, de célébrer les
hauts faits de nos compatriotes. Pas plus qu'elle ne doit taire
les scandales, elle ne doit s'hypnotiser sur eux.
L'auteur de ces notes s'excuse de citer l'exemple suivant :
A une heure de notre récente histoire où la France était
encore profondément divisée, où les partis s'accusaient avec
une violence extrême, où l'étranger décrivait en détail notre
décadence, le Matin institua une épreuve sportive dont personne
ne prévoyait les conséquences morales : ce n'était qu'une
course, mais une course d'aéroplanes, décidée alors que l'aéro-
plane venait à peine de faire son apparition dans le ciel de
France. Elle s'appela le (( Circuit de l'Est », révéla à notre pays
une arme nouvelle et, en le forçant à lever les yeux, contribua
à le distraire de ses querelles. L'étranger se passionna pour cette
aventure, reconnut la grandeur d'un pays, qui en l'espace de
quelques années venait de donner à la terre le dirigeable, le
sous-marin et l'aéroplane. Le Matin avait fait de la bonne pu-
blicité pour la France.
Qu'on me pardonne d'avoir emprunté ce récit à une histoire
qui m'est connue. Les grands journaux français ont eu, dans
ces dernières années, à leur actif plus d'un fait analogue.
La propagande des inventions françaises est certainement
SICTION MTTÉllAIRE II-5 — 51
devenue pour notre presse un puissant moyen de servir à
l'étranger le prestige national.
La pénétration des idées françaises doit être enfin notre
souci suprême.
Pour qu'un journal français aide à les répandre, que lui
faut-il? Beaucoup d'abonnés, beaucoup de lecteurs à l'étranger?
Non, il lui faut beaucoup d'autorité en France.
Cela n'est pas un paradoxe.
Le nombre des étrangers qui lisent un journal publié en
français paraît infime, si on le compare aux millions de ceux
qui lisent les journaux de leur ville ou de leur nation.
Un journal français doit donc viser beaucoup moins à attein-
dre directement les lecteurs anglais, allemands, italiens ou
russes, qu'à être reproduit dans les journaux de ces diverses
nationalités.
Nous traduisons seulement les articles des journaux impor-
tants de l'étranger. La presse étrangère use à notre égard du
même procédé.
Mais l'importance politique n'est pas seule à considérer. Les
journaux étrangers se préoccupent de notre opinion dans la
mesure oîi nous nous préoccupons de la leur : Plus nous fai-
sons dans nos colonnes la place large à leurs appréciations,
plus ils nous reproduisent à leur tour. Et cet échange d'idées
contribue à former petit à petit une opinion publique inter-
nationale.
Aussi les vœux que j'aimerais à proposer au congrès en ce
qui concerne la presse quotidienne française se ramènent-ils
à ceux-ci :
1° Que les journaux français, sans chercher à dissimuler au-
cun scandale, veuillent bien servir la cause de l'entente entre
les partis, afin que notre pays apparaisse devant l'étranger
uni et fort;
2° Que le public français comprenne la nécessité de s'inté-
II S
S2 — II-5 SECTION MITÉRAIRE
resser de plus en plus aux choses de l'étranger, la vie s'interr
nationalisant chaque jour davantage;
3° Que, dans les grands pays où la presse française n'arrive
pas à temps pour informer le lecteur, des journaux français
se fondent avec le concours d'associations de propagande, qui
comprennent l'importance de la presse pour la diffusion de nos
inventions, de notre industrie et de nos idées.
III. — SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIKE.
L'histoire de la littérature française
dans les pays étrangers de langue française,
Méthode et points de vue,
GONZAGUE DE REYXOLD,
chargé de cours à l'Université de Genève.
Notre sujet, c'est donc la littérature des pays de langue
française situés hors des frontières politiques de la France.
En ces pays : la Belgique, la Suisse romande, le Canada, le
Luxembourg, le français n'est point langage étranger, mais lan-
gage national; il n'est point langage appris, mais langage
naturel, héréditaire. Dans ces conditions, il y a nécessairement
littérature, vie intellectuelle. Cette littérature, cette vie intellec-
tuelle peut être plus ou moins ancienne, plus ou moins complète
et d'une valeur relative : elle n'est pas intermittente, ni d'occa-
sion, elle a ses caractères propres, elle représente un milieu
social déterminé, elle est soumise à une évolution particulière.
Car, il ne faut pas l'oublier, ces pays : la Belgique, la Suisse
romande, le Canada, le Luxembourg, ne sont des provinces
françaises qu'au sens purement linguistique du terme -^ et encore
des provinces éloignées, ce que nous appellerions volontiers des
« marches tributaires ». Ce sont des patries indépendantes,
m 1
2 — III-l SECTION DE PHILOLOGIE ET d'hISTOIRE
autonomes, qui possèdent une histoire, des traditions, une
manière de comprendre la vie et de la vivre, bref un esprit
différent de l'esprit français. Ce sont enfin des peuples qui
demeurent en contact permanent avec d'autres races dont ils
subissent la pénétration, l'influence. De là, précisément,
l'intérêt qu'on peut trouver dans l'étude approfondie, métho-
dique, de ces « littératures françaises à l'étranger ».
Faut-il leur appliquer une méthode spéciale? Si par méthode
nous entendons la recherche, le choix, le classement, l'emploi
des documents et la manière de les interpréter, nous ne croyons
pas qu'elle doive être différente de la méthode que nous appli-
quons généralement aujourd'hui à la littérature française. Aussi
bien s'agit-il ici beaucoup moins de méthode que de « points de
vue ». Où et comment faut-il se placer pour que les lettres belges
ou romandes nous apparaissent le mieux éclairées? Quels chemins
allons-nous suivre pour pénétrer jusqu'au cœur de ces terres?
Nous pourrons acheter une autre carte, mais nous n'aurons pas
besoin d'une autre lorgnette.
Encore une remarque préliminaire : dans les pages qui vont
suivre, nous emprunterons nos exemples à la Suisse exclusive-
ment. C'est par scrupule de vérité, et non par un orgueil national
mal placé. Nous connaissons la Suisse infiniment mieux que
nous ne connaissons la Belgique ou le Canada. Or, une démons-
tration doit s'appuyer sur des faits certains et contrôlés. Ceux
que nous apporterons ne seront concluants, sans doute, que pour
nous seuls, Romands. Car, s'il existe des analogies indéniables
entre la Belgique et la Suisse, ces analogies ne laissent pas de
faire ressortir des différences fondamentales. Mais nous ne pré-
tendons en aucune manière découvrir et imposer des lois : nous
cherchons tout simplement, comme nous l'avons dit tout à
l'heure, des « points de vue » ; nous nous bornons à établir des
rapports et des comparaisons.
Il nous arrivera d'employer ces termes : « littérature belge »,
« littérature suisse ». Ce sont, en effet, des abréviations claires
et des étiquettes commodes. Mais nos lecteurs sont priés de ne
pas se méprendre : une littérature, c'est l'ensemble des ouvrages
écrits dans une même langue ; or, il n'y a point de langue belge.
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III- 1—3
ni de langue suisse; donc, il n'y a point de littérature belge ou
suisse. En revanche, il existe un esprit belge et un esprit suisse,
une civilisation belge et une civilisation suisse.
Les littératures françaises à l'étranger peuvent être envisagées
(le trois points de vue : en elles-mêmes et pour elles-mêmes —
par rapport à la France — enfin par rapport aux littératures
étrangères avec lesquelles elles sont en contact.
Commençons par les envisager en elles-mêmes et poiir
elles-mêmes, ce qui revient à les considérer, à les étudier comme
si elles possédaient un langage propre et différent du français.
I.
Quand on parle des littératures belge ou suisse, on a tout
d'abord, avouons-le, le sentiment de littératures ennuyeuses et
médiocres. Ce sont des préjugés, mais ces préjugés ont quelque
fondement. Il est certain que, si l'on veut absolument et toujours
comparer la Belgique ou la Suisse romande à la France, si l'on
veut exiger d'elles tout ce que l'on ose exiger de la France, elles
nous apparaîtront nécessairement inférieures et pauvres. Mais
ce point de vue n'est pas un point de vue critique.
Il est utile, cependant, de chercher les causes de cette infério-
rité, afin même de savoir si elle est apparente ou réelle, passa-
gère ou durable, afin de pouvoir la mesurer. La première qui
s'impose à l'évidence est celle-ci : la France est une grande
nation, vme puissaiice ; la Belgique et la Suisse romande sont de
très petits pays; il existe en France des départements beaucoup
plus peuplés que la Suisse romande entière. Et voici encore
une vérité de la Palisse, mais on en peut tirer une conclusion
d'ordre psychologique : il y a des rapports entre les dimen-
sions géographiques d'un pays et ce qu'on pourrait appeler ses
dimensions morales. Aux horizons limités d'une terre corres-
pondent souvent les horizons limités d'un esprit.
L'esprit, dans une patrie restreinte, ne trouve point toujours,
en effet, pour l'alimenter, l'exciter, le renouveler, les grands
desseins, les grandes ambitions, les grandes inquiétudes néces-
4 — III-l SKCTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE
saires. La vie politique, dans une patrie restreinte, manque
d'ampleur; la neutralité de la Suisse, de la Belgique, du Luxem-
bourg et la dépendance du Canada vis-à-vis de l'empire britan-
nique, les tiennent à l'écart des conflits européens, universels,
où ils n'ont pas de rôle à jouer; leur sécurité, ou plutôt le senti-
ment exagéré souvent de leur sécui-ité, les maintient repliés sur
eux-mêmes, absorbés dans leurs préoccupations locales et dans
un particularisme, nous dirions même une sorte d'égoïsme peu
propice à des mouvements intellectuels collectifs, larges et con-
tinus : l'atmosphère manque. Certes, nous faisons ici toutes les
restrictions indispensables pour corriger ce qu'il y a de trop
absolu dans ce qui précède. Mais, déjà, nous voyons apparaître
une autre cause d'infériorité : les petits pays n'ont pas les res-
sources économiques des grandes nations; souvent leur sol, vite
surpeuplé, suffit à peine à nourrir tous les habitants ; il faut
lutter, s'ingénier, pour vivre et pour gagner son pain ; les soucis
matériels absorbent toutes les activités, celles des États comme
celles des communautés, comme celles des individus De là une
double conséquence : d'abord une tournure d'esprit pratique,
utilitaire; ensuite le fait que les artistes, les écrivains, les
penseurs, manquant à la fois de public et de soutien, demeurent
isolés ou s'exilent vers les centres. Or, les petits pays, autre
cause, sont souvent éloignés des centres principaux où la vie
intellectuelle a ses foyers et d'où elle rayonne. Ils ne possèdent
pas, surtout aux origines, eux-mêmes de grands centres, de
grandes capitales, ou, s'ils en ont, ce n'est que momentanément,
lorsque des circonstances favorables, mais passagères, se
présentent : ainsi Genève à la Réforme et au xvni" siècle, ainsi
Bâle à l'époque de l'humanisme.
Enfin, et ceci est essentiel, les petits pays comme la Belgique
ou la Suisse, n'ont pas de langue unique, nationale. Provinces
linguistiques, « marches tributaires m de la France, de l'Alle-
magne, ils se trouvent vis-à-vis de la littérature française, de la
littérature allemande — et surtout vis-à-vis de la première qui
gravite autour de Paris — dans un état de dépendance qui nuit,
malgré tout, à leur originalité ; ils suivent des courants et leur
éloignement fait qu'ils les suivent à distance. N'ayant donc pas
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III-l — 5
de langue à eux, ils auront de la peine, sinon à posséder une
pensée à eux, du moins à l'exprimer. Pays intermédiaires
entre deux races éti'angères l'une à l'autre, el souvent opposées,
ils souffriront des contlils, des hésitations, des incertitudes que
cette situation ne cesse de provoquer ; ils auront du mal à se
tenir en équilibre, à être eux-mêmes : « Tu ne te débrouilleras
jamais », disait Marc Monnier au Suisse romand. Et nous ne
faisons point allusion aux querelles de langues, si déprimantes
pour la vie intellectuelle, puisqu'elles rompent l'équilibre inté-
rieur, puisqu'on le divisant elles affaiblissent le pays au détriment
de son originalité, de sa capacité de produire : nous songeons
aux conflits intérieurs dans le même esprit, dans la même
pensée, dans la même œuvre.
On reproche aux Belges et aux Suisses de mal parler, de mal
écrire. Il faudrait une fois s'entendre, ne fût-ce que pour écarler
les puristes et les pédants. Mais ce reproche n'est pas toujours
injustifié : par la force des choses, les Belges et les Suisses
romands sont exposés à parler et à écrire un français de frontière,
tout imprégné de germanismes et de locutions vicieuses ; ils
sont exposés au bilinguisme qui est un agent de décomposition
intellectuelle, et souvent ils ne savent eux-mêmes quel est leur
véritable langage, par conséquent leur véritable race et leur
véritable esprit. Sans doute, il serait bien stupide de croire que,
parce qu'on sait l'allemand, le flamand, l'italien, on est incapable
d'écrire correctement et de composer un beau livre; au contraire,
ces connaissances peuvent être une source d'enrichissements.
Mais c'est la confusion, ce sont les mauvaises habitudes, les
fâcheuses méthodes qu'il faut combattre. Une œuvre littéraire
vaut surtout par la forme : nous croyons, pour notre part, que
la cause principale de l'infériorité suisse romande, par exemple,
vient de ces difficultés naturelles à réaliser cette condition
essentielle de toute littérature, de tout art.
En dernier lieu, on tiendra compte de ce fait : toutes ces litté-
ratures françaises hors de France sont des littératures jeunes
encore. Leur développement a commencé tard. La plus ancienne,
la littérature romande, ne remonte qu'au xvi« siècle, à la
Kéforme, et encore est-elle presque exclusivement renfermée
6 — IIl-l SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE
dans les murs de Genève : vers 1750 seulement une vie intellec-
tuelle active et féconde se manifeste et une évolution s'accentue,
mais la Suisse romande ne possédera une « personnalité
morale » qu'à partir du xix' siècle. La Belgique, comme telle,
n'a pas cent ans d'existence ; elle ne se « débrouille » littérai-
rement que vers 1880. Le Canada débute à peine. Si donc,
actuellement encore, autrefois surtout, cette jeunesse et ce retard
s'ajoutent aux causes d'infériorité, ils impliquent cependant des
ressources, des énergies latentes, des «possibilités », des germes
qui ne manqueront pas d'édore et de fleurir à la saison. Les
littératures françaises à l'étranger n'ont pas encore donné tout
ce qu'elles peuvent donner.
D'autant plus que certains obstacles tendent à s'aplanir.
L'éloignement des grands centres, des foyers de rayonnement, la
rapidité des communications le supprime. Les littératures
cessent d'être isolées. Une éducation meilleure, avec de
meilleures méthodes, corrige peu à peu les défectuosités de nos
langages ; nous acquérons la pratique et le métier qui nous
faisaient défaut, et nous profitons des expériences. Et puis, il y
a les « hommes nécessaires » : ils sont venus —ou ils viendront.
Qu'elles soient ou non médiocres, les littératures françaises à
l'étranger existent. Nous possédons tous, nous autres intellec-
tuels, quelques vagues notions sur leur histoire. Nous savons
même qu'elles ont eu des heures glorieuses : la littérature
romande à la Réforme et au xviii' siècle, la littérature belge
récemment; des noms célèbres nous viennent à sa mémoire : la
Belgique nous fait penser à Rodenbach, à Lemonnicr, à Maeter-
linck, àVcrhaeren; la Suisse romande à Calvin, Jean-Jacques
Rousseau, Benjamin Constant, M""^ de Staël, Vinet, Rod.
A tous ceux qui veulent pénétrer dans l'âme vivante de la
Suisse ou de la Belgique, nous conseillons donc de prendre
pour guide l'un des grands écrivains que nous venons d'énu-
mérer.
Sans doute, les grands écrivains de la Belgique ou de la
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'hISTOIRE III-l — 7
Suisse romande, par le fait qu'ils sont des écrivains français,
appartiennent en premier lieu à l'histoire de la littérature fran-
çaise à laquelle nous n'avons pas le droit de les enlever.
A vouloir les enfermer dans de petites boîtes à compartiments,
on risquerait de les diminuer, de les mutiler. Cependant,
à côté, ils ne laissent point d'être des nôtres; il s'agit sim-
plement de déterminer jusqu'à quel point et dans quelle mesure.
Il y a des gradations. Un Vinet, un Amiel, qui n'ont jamais
vécu hors du pays romand, s'expliquent uniquement par ce
milieu; un Jean-Jacques Rousseau lui-même est plus profondé-
ment Genevois et Suisse qu'un Benjamin Constant n'est Suisse
et Vaudois, — et pourtant, pour connaître ce dernier, pour com-
prendre son esprit et son caractère, il faut connaître la société
vaudoise, avant la Révolution, sous la domination bernoise
contre laquelle elle réagissait, soit en se cantonnant dans son
particularisme local, soit en se faisant cosmopolite.
En étudiant un Rousseau, par exemple, en l'étudiant dans
son inlluence, en France et en Allemagne, sur le sentiment de
la nature, on s'aperçoit qu'il n'est pas le seul Suisse qui ait
exercé une action déterminante : avec son nom reviennent
constanmientceuxdedcux Suisses allemands: le Zuricois Gessner
et le Bernois Albert de Haller.Il existe entre ces trois hommes des
similitudes frappantes. On est donc conduit logiquement à les
rapprocher, à les comparer, à les réunir. Mais Gessner nous ramène
à Bodmer, Lavater, Hirzel, à toute l'École zuricoise; mais Haller
nous ramène aux Bernois, à Béat de Murait, l'auteur des Lettres
sur les A7ujlais, les Frariçais et les voyages. Peu à peu, on se
trouve ainsi en présence d'une foule d'écrivains, de penseurs, les
uns illustres, les autres obscurs, les uns doués, les autres
médiocres, mais tous intéressants et significatifs, parce qu'ils
représentent des collectivités.
La valeur purement littéraire de ces auteurs secondaires est
généralement fort contestable. Mais ce n'est plus de ce point
qu'il convient de les juger. La « manie du grand homme « est
dangereuse; elle sévit en Suisse romande, ailleurs sans doute
aussi. Il est certain cependant que des poètes de troisième ordre,
comme Juste Olivier, ou des écrivains de troisième plan, comme
8 — III- 1 SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE
ce doyen Bridel dont les titres les plus sûrs sont les treize
volumes d'un almanach, ont pu exercer une influence décisive
sur l'évolution des esprits : on trouve dans leurs œuvres des
documents du plus haut intérêt. C'est donc socialement qu'il les
faut étudier. Car l'étudedes ininore& est souvent très importante:
elle nous révèle, mieux parfois que celle des chefs-d'œuvre, les
habitudes, les tendances moyennes, mais vastes et puissantes,
de groupes sociaux.
Dans les petits pays, en effet, et particulièrement dans ceux-là
qui, dépourvus de centre unique, ont conservé une organisation
communale ou fédérative, les écrivains sont rarement des « pro-
fessionnels ». Ils consacrent aux lettres une partie de leur vie
seulement. Ils enseignent dans les écoles, ils prêchent dans les
églises; ils sont magistrats, savants, hommes d'épée ou de robe.
Il leur est difficile, en tout cas, de se tenir à l'écart de la chose
publique. Ils subissent donc nécessairement des influences ; celle
de leur vocation ou de leur métier; celle de leurs préoccupations
morales, pédagogiques ou politiques; celle enfin de leur cité.
Rien n'est donc plus nécessaire, que d'étudier l'histoire et
les institutions de leurs diff'érents milieux. On ne comprend
pas le Contrat social si l'on ignore la constitution genevoise,
qui est elle-même une variante du palriciat dans les villes
suisses, si l'on ne sait rien des troubles qui agitèrent au
xviii" siècle la République genevoise et les Cantons. Tout
l'esprit bernois, cet esprit façonné par l'histoire et les institu-
tions, est dans Haller.
L'influence des religions ne saurait être négligée, surtout
lorsqu'il s'agit d'auteurs protestants, comme Vinet, qui était
homme d'église. Et cela d'autant plus que le protestantisme,
religion morale et intellectuelle, avec son libre examen et son
individualisme, imprime aux esprits une empreinte infl^açable
et les pousse à concevoir la littérature, la mission de l'écrivain,
d'une certaine manière, souvent très peu littéraire. La Réforme
a suscité des critiques et des moralistes, elle a créé la littérature
romande et presque toute la littérature suisse. Elle a d'ailleurs,
en Suisse, dans le pays romand, des caractères propres qu'il
faut connaître, car ils se retrouvent dans les livres : caractères
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III-l — 9
politique:^, caractères sociaux; cosmopolite d'abord, et surtout à
Genève, la Réforme s'est peu à peu confondue avec l'idée de
patrie; elle a réagi contre l'influence française dans les milieux
mômes dontle français était la langue. Des remarques analogues
peuvent être faites sur le catholicisme, en Suisse du moins;
nulle doute que son influence, directement on indirectement,
n'ait été considérable en Belgique, au Canada; nul doute aussi
que le milieu belge ou canadien n'ait à son tour influé sur
lui. Il y a là encore matière à d'intéressantes enquêtes.
Mais un pays, c'est une terre, une nature. Dans les petites
patries comme la Belgique ou la Suisse, souvent la terre est une
quand les races, les langues et les religions sont diverses et
divisées. Et c'est la terre, avec l'histoire, qui fait et qui maintient
l'unité nationale ; c'est la terre, avec l'histoire, qui crée et ren-
force chaque jour l'unité d'esprit, la volonté commune. Comment
les écrivains belges ou romands ont-ils vu, compris, interprété
leur terre ? Quelles formes revêt chez eux le sentiment de la
nature? Ce sont des questions essentielles. L' Al pe a inspiré Haller
et Rousseau qui non seulement l'ont décrite, mais encore ont
tiré d'elle toute une doctrine sociale et philosophique ; Vhelvé-
tisme, du doyen Bridel est un édifice construit avec les pierres
des Alpes ; avant de les exploiter à l'usage des étrangers, les
Suisses se sont fait de leurs montagnes un rempart contre les
influences étrangères, ils ont vu en elles le symbole de leur
unité nationale. L'alpinisme a de son côté produit toute une litté-
rature, souvent détestable. Et les recherches scientifiques, dont
l'origine remonte à l'humanisme, ont enrichi les lettres
françaises d'un maître livre : les Voyages dans les Alpes, de
Bénédict de Saussure. Mais il n'y a pas seulement la terre : il y
a le paysan ; il n'y à pas seulement la montagne : il y a le mon-
tagnard. Il existe des liens entre la vie agricole, dans un pays,
et sa vie intellectuelle : les mémoires d'un simple cultivateur,
Uli Braecker, le « pauvre homme du Toggenbourg », sont l'une
des œuvres les plus significatives du xvui" siècle helvétique. On
ne goûtera jamais Jérémias Gotthelf ou G. F. Ramuz, si l'on
ignore le paysan bernois ou vaudois. Le « genre rustique » qui
sévit en Suisse romande depuis la Nouvelle Héloise, nous a
10 — III-l SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE
valu une foule de romans médiocres : beaucoup d'entre eux
ont, à défaut de valeur littéraire, une valeur ethnographique.
Ce que nous venons de dire à propos de la nature, nous le
dirons aussi à propos du passé, de l'histoire. L'esprit du peuple,
ses besoins, ses aspirations se révèlent dans la manière dont il
s'inspire du passé, dont il interprète son histoire. L'Histoire de
la Confédération, de Jean de MùUer, est, par exemple, l'un des
livres qui ont créé l'esprit suisse, qui ont rattaché la vieille
Suisse à la nouvelle : quatre ou cinq générations, dans les
cantons romands aussi bien que dans les cantons allemands, y
ont puisé, en même temps qu'un style, leurs conceptions du passé
et de la gloire helvétique, et la nourriture de leur patriotisme.
Il faut attacher une grande importance à l'inlluence des arts
sur les esprits, et par conséquent sur les lettres, dans des pays,
comme la Belgique et la Suisse, où l'on trouve des cités orga-
nisées corporativement : villes llamandes, bourgeoisies de Bâle ou
de Zurich. On n'a pas encore tiré de la comparaison entre la
littérature et les arts plastiques, la peinture surtout, toutes les
conclusions qu'on en pourrait tirer. Il y a des correspondances
évidentes entre l'art flamand et celui des poètes belges contem-
porains.
Ces différentes voies que nous venons d'indiquer : rapports
entre les grands écrivains et leur peuple ; rôle des « minores » ;
influences des institutions, des religions, de la nature, des arts,
convergent toutes vers un centre unique, et c'est le pays
lui-même. Le résultat de ces enquêtes doit être une sélection,
puis une définition de caractères. Quels sont les caractères du
peuple beige, de la nation suisse, d'après leurs littératures?
Répondre, c'est mettre en lumière l'originalité de ces littéra-
tures françaises à l'étranger, leur originalité par rapport à la
France elle-même ; c'est montrer en quoi elles enrichissent
l'ensemble des lettres françaises et la pensée européenne. C'est
rendre enfin ces littératures, médiocres en apparence, en appa-
rence incomplètes, plus intéressantes parce que plus humaines.
Mais, on l'aura sans doute remarqué, on ne saurait toujours les
séparer des autres littératures, allemande ou flamande,
qu'inspire, suisse ou belge, le même esprit : il y a des moments
SF.CTION DK PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE III-l — H
diins révolution intellectuelle et morale des petits pays sans
unité autre que l'unité politique, où il faut faire abstraction des
différences linguistiques.
H
Le meilleur moyen de connaître et de comprendre les litté-
ratures françaises à l'étranger, c'est donc de les étudier en soi,
comme des littératures indépendantes Nous pensons en tous
cas que c'est par là qu'il faut commencer. Mais on ne saurait
oublier que la communauté de langue établit entre elles et la
France des rapports constants, des rapports de dépendance.
Quels sont ces rapports ? Et quel est leur mécanisme ? Les
réponses à ces deux questions intéressent au plus haut point
l'histoire de la littérature et de la culture françaises, l'histoire de
la France elle-même.
Qui dit communauté de langage et rapports de dépendance
dit influence directe. On procédera, par conséquent, à l'analyse
de l'in/luence française^ non seulement en particulier sur la lit-
térature, mais en général sur la culture, sur les mœurs, les
institutions, les idées. Une telle analyse, qui pourra être som-
maire, nous semble indispensable, car l'influence française ne
s'exerce pas seulement sur les lettres, de façon directe : elle
s'exerce encore, de façon indirecte, mais souvent plus profonde,
sur tout ce qui est les sources mêmes de la vie et de la production
intellectuelles — l'éducation, les habitudes et les coutumes
sociales, l'existence publique et privée. Ainsi, dans la Suisse du
xvn' et du xvni" siècle, l'influence française s'est manifestée par
quelques faits essentiels : « le service de France » qui main-
tenait à la solde royale plus de trente mille Suisses, officiers et
soldats ; la formation des aristocraties ; les alliances politiques;
les échanges économiques. A côté de ces faits qui eurent des
répercussions si manifestes sur les esprits et les mœurs, l'in-
fluence de la littérature, des formes littéraires, est beaucoup
moins importante.
12 — III-l SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
Lorsque l'influence française arrive à dominer dans un pays
où deux races et deux langues cohabitent, comme la Suisse, elle
dépasse bientôt ses limites naturelles, les limites mêmes de la
langue ; elle s'impose à une race, à une langue qui lui sont
étrangères. Elle s'impose de deux manières : par sa propre
expansion, — par l'action, moins forte souvent, mais continue,
que la partie française du pays exerce sur la partie germanique.
Ainsi, en Suisse, durant la période qui s'étend de 1650 à la
Révolution, les régions romandes font pénétrer par infiltration
la culture française dans les cantons allemands: les jeunes patri-
ciens, les jeunes bourgeois, futurs pasteurs, futurs magistrats,
futurs commerçants, vont de Berne, Bàle et Zurich, apprendre
le français à Lausanne et à Genève ; Genève est le centre intel-
lectuel et moral du protestantisme helvétique; l'aristocratie
vaudoise, qui est mondaine, attire à elle, dans ses salons, ses
maîtres, Messieurs de Bernes ; elle les éduque, elle leur inculque
la « politesse ». A la fin du xviii* siècle, l'influence romande est
aussi forte, en Suisse, que l'influence française proprement dite.
Les grands écrivains des cantons allemands en sont la preuve :
Bodmer apprend le français à Genève ; c'est à Genève que se
francise Jean de Mullcr; le poète Salis-Seewis a passé par Lau-
sanne avant d'entrer comme officier au régiment des Gardes ; à
Berne, Haller, dans sa famille et dans sa caste, reçoit une édu-
cation toute française.
Car l'influence française crée ce que l'on peut appeler des «colo-
nies intellectuelles » ; on le constate principalement sous l'ancien
régime. Le cas de Berne est un exemple typique : le pays est de
race foncièrement allemande, le patriciat est celui d'une ville
impériale, fondée par les ducs de Zaebringen. Or, de ce patri-
ciat, de cette aristocratie, est issue toute une école d'écrivains
français : Béat de Murait, l'auteur des Lettres (en français, mais
antifrançaises!) sur les Anglais, les Français et les Voyages; le
délicieux Charles-Victor de Bonstetten; Sigismond de Lerber,
le meilleur poète romand du xviii' siècle; l'érudit Sinner de
Balaigues, l'historien Alexandre de Wattenwyl, le « philosophe »
et général de Weiss, le médiocre Salchli — et l'on en passe.
Déjà, au xvii« siècle, le bailli Stettler traduisait en allemand
SECTION DE PHH.OKOGIE ET d'hISTOIRE III-l — 13
Ronsard, Malherbe, Du Bartas, Pibrac. Plus tard, dans ses pré-
faces, Hallcr s'excuse d'écrire en allemand, langue qui lui est,
dit-il, « étrangère ». Alors, en face d'un tel phénomène, une
question se pose : pourquoi, jadis, des Allemands comme ces
Bernois, pourquoi, aujourd'hui des Flamands comme un
Maeterlinck ou un Verhaeren, ont-ils préféré le français à leur
langue maternelle? La réponse est dans le prestige de la France,
dans la clarté et la logique de sa langue, dans l'universalité de
son esprit.
Mais il peut arriver que même des pays de langue française
réagissent contre la France : c'est lorsque son influence, pour des
causes morales ou politiques, devient, ou paraît, dangereuse. Ce
phénomène, qui s'est produit maintes fois en Suisse, et en Suisse
romande, est particulièrement significatif. Au xviii* siècle, de
Genève à Zurich, la nation helvétique était saturée d'influence
française; cette dernière se déformait et se corrompait dans un
milieu devenu incapable de l'assimiler. Relisons, par exemple,
la lettre de Jean-Jacques au maréchal de Luxembourg; or, Rous-
seau a, lui-même, par sa Letti'e à d'Alembert, participé à la
réaction contre l'influence française, et il juge d'après des
observations faites à Genève et à Neuchâtel, contrées non pas
germaniques (il est vrai protestantes), mais romandes. Et Bridel,
ennemi de la France, était un Vaudois, et Murait, ce gallophobe
écrivait en français. Les causes de cette réaction sont d'abord
des causes historiques; mais il y en a d'autres, plus profondes :
l'esprit protestant, l'esprit germanique, l'esprit républicain, et
surtout l'efTort accompli par la Suisse pour recouvrer son indé-
pendance menacée, compromise, sa volonté de vivre de sa vie
propre, le réveil du sentiment national. Car, lorsque les petits
pays que divisent les races et les langues, veulent créer ou
raffermir leur unité nationale, il leur faut tout d'abord se
concentrer en eux-mêmes, rapprocher et concilier leurs difTé-
rences, et pour cela, réagir précisément contre les influences des
grandes nations qui les entourent et auxquelles les rattachent
des affinités naturelles. Leur vie est avant tout un acte de volonté.
14 — Ill-l SECTION DE PHILOLOGIE ET d'hISTOIRE
Les actions et réactions purement littéraires ont un méca-
nisme moins compliqué.
Le premier phénomène que nous pouvons observer est celui
du choix. Les petits pays de langue française, mais étrangers à
la France, ont un esprit qui n'est plus l'esprit français, ils vivent
d'une vie différente de la vie française; les goûts et les besoins
ne sont plus les mêmes. Toute la littérature française, toutes ses
idées, toutes ses formes ne leur conviennent pas également. Ils
choisissent donc leurs livres et leurs maîtres. Il est intéressant
de chercher à connaître les motifs et les raisons de ce choix.
En Suisse romande, l'esprit protestant, moraliste, utilitaire,
indifférent à l'art, a toujours, par exemple, manifesté à l'égard
du théâtre et du roman des préjugés caractéristiques. Au
xviii" siècle, — la Lettre sur les spectacles, la lettre de Murait
sur le bel esprit et les remarques critiques de Haller le
démontrent, — les grands classiques se heurtaient à de terribles
méfiances; Fénelon seul était un favori.
Ces besoins, ces goûts, ces préférences qui constituent le choix,
s'expriment par la critique. L'indépendance politique et morale
des petits pays, leurs éloignement des centres intellectuels leur
permettent de garder une très grande liberté de jugement, les
tiennent à l'abri des cabales et des modes. La critique romande:
celle d'un Chaillet, d'un Vinet surtout, — peut sembler, parfois
avec raison, incomplète et même peu littéraire, ou du moins
extra-littéraire, on ne saurait lui dénier l'indépendance, l'intel-
ligence, la profondeur, souvent la nouveauté.
La littérature française apporte aux petits pays des formes
qu'ils rempliront de leur matière à eux, des moyens dont ils se
serviront pour s'exprimer eux-mêmes. De là un troisième
phénomène : Vadaptalion des genres. Dans sa théorie de l'helvé-
tisme, le doyen Bridel a défini, par exemple, ce qu'il entendait
par églogue suisse, poème suisse, etc. : ce n'était qu'un jeu assez
puéril. Mais il y a un «roman romand», d'ailleurs médiocre, et
il y a des poètes romands qui sont classiques, romantiques, par-
nassiens, symbolistes à leur manière, laquelle n'est pas toujours
la bonne.
Si nous étudions précisément la poésie romande, à commencer
SECTION DK PHILOLOGIE ET D'HISTOIIIE III-l — 15
par Bridel pour finir par Warnéry (laissons les vivants de côté),
nous constaterons deux autres phénomènes : le relard, par rapport
à l'évolution de la poésie française (et ce retard est naturel, il
s'explique par l'éloignement: ainsi nous étions encore classiques
à la manière de Vienne! et Delilie, alors que le romantisme finis-
sait); puis, conséquence même du relard, la survivance d'an-
ciennes formes abandonnées, d'anciennes habitudes, et de style,
et de langage ; mais nous avons déjà montré pourquoi ces deux
phénomènes tendent à se faire de plus en plus rares. Enfin, il y
a entre les petits pays de langue française hors de France et la
France elle-même, de perpétuels échanges d'hommes et, par
conséquent, de formes et d'idées. Pour les petits |)ays, rôle
glorieux ; pour la France, rôle utile. En donnant à la France une
M"'" de Staël, un Benjamin Constant, un Cherbuliez, un Rod et
surtout un Jean-Jacques Rousseau, la Suisse romande a contribué
au renouvellement de la pensée française; en recevant d'elle un
Calvin, qui a fait Genève, les réfugiés huguenots, qui ont fondé
les premiers journaux et créé la vie littéraire, elle s'est sentie
elle-même galvanisée, capable d'un effort qui l'a sortie de la
médiocrité, de la stérilité. On sait, d'autre part, toute l'inlluence
exercée par les poètes belges sur la poésie française contem-
poraine, sur le symbolisme.
Il est entendu, c'est du moins l'opinion courante, que Belges
et Uomands écrivent mal. Leur langue toutefois, et ce n'est point
un paradoxe, mériterait d'être étudiée. On y ferait des décou-
vertes intéressantes, significatives. Ceux qui voient dans les mots
et les formes du langage la terre et la vie, pourraient déduire de
leurs observations bien des conclusions d'ordre psychologique.
Il y a, en effet, pour ébaucher un classement, dans celte langue
des éléments divers: d'abord, les incorr celions, les locutions
vicieuses, déformées, les mauvaises habitudes; — puis les pro-
vinciaiismes et les dialeclalismes ; — puis les archaïsmes; —
enfin, les germanismes, soit ceux du vocabulaire, soit ceux de
la syntaxe, ces derniers rentrant, d'ailleurs, dans la catégorie des
incorrections.
16 — III-l SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
Et c'est alors que se pose un problème : un Belge ou un Suisse
romand, pour bien écrire, pour parler français, doit-il parler,
doit-il écrire comme un Parisien, comme un Français de France?
Doit-il pourchasser impitoyablement, non seulement les incor-
rections, mais aussi les provincialismes, les archaïsmes, et même
les germanismes, au risque de parler ou d'écrire d'une manière
artificielle, d'une manière apprise? La langue tient au sol par des
racines, ces racines puisent dans la terre une sève qui donne la
vie à la langue : beaucoup de provincialismes, d'archaïsmes, et
même de germanismes sont précisément de ces mots (*) grâce
auquels s'aft]rme une individualité; celle de l'écrivain comme
celle de sa région, comme celle de son peuple. La question
mériterait d'être discutée, et une bonne fois tranchée.
III
Les littératures françaises de la Belgique, de la Suisse romande,
du Luxembourg et du Canada, sont en contact perpétuel,
non seulement avec la France, mais encore avec des littératures
et des langues étrangères.
Les germanismes qu'on trouve dans le français de ces petits
pays, sont l'indice de ce contact, l'indice d'échanges et d'in-
fluences réciproques. Ces échanges et ces influences ne s'établis-
sent point de la même manière qu'avec la France : l'influence
française, basée sur la communauté de langage, est naturelle et
logique, c'est un courant large et continu ; les influences germa-
niques, en revanche, se font sentir par une infiltration, indirecte-
ment; elles rencontrent parfois des résistances.
Le canal par lequel elles pénétrent est l'unité politique, natio-
nale, de la Belgique ou de la Suisse, pour ne nommer que ces
deux pays.
(*) Le Zuricois Breitinger, Valter ego du critique Bodmer, les appelait
justement die Machtwôrter, lorsqu'il revendiquait, contre Gottsched et
l'École saxonne, le droit pour les Suisses allemands de puiser dans leurs
dialectes. (Cf. notre Histoire littéraire de la Suisse au X VIII' siècle, t. II,
p. 190-193; Lausanne, 1912.)
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE lll-l — 17
Cette unité nationale, unité de gouvernement et d'institutions,
oblige des races différentes à vivre de la même vie; quand elle
a été consacrée, comme en Suisse, par des siècles d'histoire et de
collaboration, elle a créé, peu à peu, au-dessus des diflérences
ethniques, l'unité d'esprit, un idéal commun, une doctrine
commune. De là, ces influences et ces échanges entre deux races,
— qui ont leurs inconvénients, certes, mais qui sont normaux et
qui, bien plus, sont une nécessité, une condition de santé natio-
nale. Ce que nous avons dit de l'intluence française, vaut, en
général, quoique à un degré moindre, des influences germa-
niques. Avec, toutefois, cette différence essentielle : les influences,
les échanges ne sont qu'exceptionnellement littéraires ; ils se font
surtout par la politique, les lois, les mœurs, l'industrie, le
commerce, par les religions aussi, — en particulier par le protes-
tantisme, grand importateur d'idées germaniques, philosophie
allemande, pratiques anglo-saxonnes.
Il y a cependant des échanges intellectuels, littéraires : mé-
thodes de travail, traductions, critique, et même certains genres
importés, comme le festspiel qui a gardé en Suisse romande son
nom germanique. Des Suisses allemands, comme J. de Mûller,
C. F. Meyer, G. Keller et Gotthelf, ont eu des disciples de langue
française, et ce fait est significatif.
La situation de la Belgique et de la Suisse semble faire de
ces deux pays les intei'médiaires naturels entre la France et
l'Allemagne, la culture française et la culture allemande. Ce
rôle a été joué, en effet, par la Suisse romande à la Réforme,
au xvni^ siècle, plus tard avec M"® de Stàel ; en Suisse alle-
mande, d'autre part, le vieux Bodmer, dès 1728, en avait une
une conscience nette. Mais ce serait une grave erreur que de
limiter à ces fonctions de trucheman ou, comme on a dit,
d' « honnête courtier » la mission intellectuelle de la Belgique
ou de la Suisse : d'abord, parce que, l'échange fait, on oublie
les intermédiaires; ensuite, parce qu'à l'heure actuelle il n'est
plus guère besoin d'intermédiaires entre la France et les autres
nations. Les littératures étrangères sont étudiées en France avec
une assiduité et une intelligence beaucoup plus grandes qu'en
Suisse romande; les historiens et les critiques savent tous main-
18 — HI-1 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
tenant que la littérature française n'est pas isolée, qu'on ne
peut faire abstraction de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Ita-
lie. Nous n'avons plus rien à leur apprendre et nous sommes
nous-mêmes dépassés.
Reste le fait important que les petits pays ont volontiers ce
qu'on appelle 1' « esprit européen », qu'ils sont volontiers cos-
mopolites. Economiquement, intellectuellement, ils ne peuvent
se suffire toujours à eux-mêmes, ils ont besoin de l'étranger.
F^a lutte pour la vie pousse leurs habitants à l'émigration, à
l'activité industrielle et commerciale. Ils sont, en outre,
hospitaliers, obligés de l'être. Ils sont enfin géographiquement
tout proches voisins des grandes nations étrangères; ils ont
parfois subi desdominalions étrangères. La Suisse est aucentrede
l'Europe, au carrefour des grandes roules qui relient le Sud au
Nord, l'Allemagne et l'Angleterre à l'Italie ; chez elle, la reli-
gion dominante est le protestantisme, qui est, par essence, cos-
mopolite. Elle a subi, dès la Réforme, l'influence anglaise : elle
a servi d'intermédiaire entre la France et l'Angleterre par Béat
de Murait, par la Bibliothèque britannique, entre l'Allemagne et
1 Angleterre, par Bodmer et ses disciples, les traducteurs zuri-
chois. L'italianisme est aussi l'une de ses traditions : Bourguet, le
fondateur de la Bibliothèque italique, Bodmer, commentateur
de Dante, Sismondi, Philippe Monnier, Widmann le prouvent.
Toutes ces influences ont marqué de fortes empreintes sur les
esprits.
Bornons ici nos remarques, afin d'en tirer quelques conclu-
sions peut-être utiles :
La littérature française hors de France mérite d'être étudiée
méthodiquement, mais il n'y a pas lieu d'employer d'autres
méthodes que celles appliquées aujourd'hui à la littérature fran-
çaise de France.
L'histoire de la littérature française hors de France n'a
point d'unité, d'ensemble : c'est l'histoire des lettres belges,
romandes, canadiennes, luxembourgeoises, entre lesquelles on
peut établir des comparaisons, découvrir des analogies, mais
^u'on ne peut confondre et qu'il faut aborder isolément.
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE IIl-l — 19
L'historien, le critique, choisira un certain nombre de
« points de vue » : il commencera par envisager les lettres
belges ou romandes — les principales — comme s'il s'agissait de
littératures étrangères, ayant leur langage propre; il les envisagera
socialement, c'est-à-dire, comme l'expression d'un esprit collec-
tif, d'une société, et dans leurs rapports avec l'histoire, les insti-
tutions, la nature, la vie même de la nation. C'est à notre avis,
le seul moyen de rendre intéressantes et humaines des littéra-
tures qui ont et auront toujours, vis-à-vis de la France, une
valeur moindre, une situation inférieure.
De petits pays sans unité de langue, comme la Belgique et la
Suisse, permettent à l'historien d'entreprendre des enquêtes sur
l'influence française à l'étranger — sur les influences réci-
proques exercées dans un milieu déterminé par les littératures
française, allemande, anglaise, italienne, — sur les rapports des
lettres et de la vie sociale. La complexité des petits pays rend
ces enquêtes intéressantes et significatives, leur peu d'étendue
les facilite.
Mais, encore une fois, de pareilles enquêtes peuvent s'entre-
prendre en France môme, et partout où il y a littérature, vie
intellectuelle.
III. — SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE.
Les caractères du parler franco-canadien,
Adjutor rivard,
professeur à l'Université Laval (Québec),
président de la Société du parler français au Canada.
Comme en d'autres pays, il faut distinguer, au Canada, le
parler des gens instruits, celui du peuple des villes et celui des
paysans.
Au point de vue dialectologique, les deux premiers n'offrent
aucun intérêt. La classe instruite parle ici le français littéraire
— M. Faguet écrivait récemment que nous parlions le français
« extrêmement bien » — , et c'est aussi, mais avec des angli-
cismes et les déformations ordinaires, le langage de l'ouvrier des
villes.
ï'ar fra7ico-canadien, j'entends désigner le langage de nos popu-
lations rurales, de celles surtout qui, éloignées des villes et des
centres manufacturiers, ont moins subi l'influence du français
classique et, d'autre part, n'ont pas été atteintes par l'infiltration
d'un idiome étranger; là s'est maintenu, s'est développé le parler
ancestral. C'est le seul qui mérite d'être étudié au point de vue
scientifique. On s'occupe des deux autres pour les corriger, les
épurer; mais, par l'uniformité remarquable de son aspect
22 — III-2 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
général, comme aussi par la variété de ses produits et le contour
imprécis de ses aires phonétiques, le parler rural, caractéristique
du Bas-Canadien, et dont l'usage est un brevet de nationalité
française, présente, à l'observateur curieux des problèmes philo-
logiques, des problèmes intéressants.
Sur l'histoire de notre idiome en Amérique, sur les éléments
qui l'ont formé, les témoignages sont rares et peu sûrs, de telle
sorte que, dans l'état actuel des recherches, ce serait souvent un
pas hasardeux que de trancher péremptoirement. Sur plus d'un
point, tout au plus peut-on suggérer des solutions, proposer des"
explications, qui valent par les faits sur lesquels on les appuie,
par les raisonnements dont on les soutient.
Plusieurs paraissent avoir décidé de la nature du franco-cana-
dien un peu hardiment; après une information suffisante à peine
pour justifier des conjectures, ils ont donné comme faits établis
ce qui n'était qu'hypothèses.
Les uns se sont laissés entraîner, semble- t-il, par un patrio-
tisme mal avisé. Désireux, avant tout, de trouver de la naissance
à notre langage, et, d'autre part, imbus de cette vieille erreur
que patois serait synonyme de jargon et que les parlers provin-
ciaux seraient du français corrompu, ils ont pensé qu'il était peu
honorable de reconnaître l'existence d'un élément dialectal chez
nous; et, parce qu'ils ne retrouvaient pas sur les lèvres de nos
paysans, intégral et homogène, le parler de l'une ou de l'autre
province de France, mais un fond archaïque commun au fran-
çais et aux autres dialectes de la langue d'oui, ils ont affirmé que
le franco-canadien ne présentait aucune trace de patois, que
c'était la langue classique du xvi^ siècle, voire du xvu*.
D'autres, pour avoir remarqué de notre langage ce qui s'écarte
du français moderne et n'avoir pas poussé plus loin l'enquête,
ont pu conclure que le franco-canadien était du français cor-
rompu.
Quelques voyageurs, frappés par la persistance chez nous de
certaines formes normandes, ont cru retrouver dans le franco-
canadien un patois français homogène.
Une quatrième école, enfin, et celle-ci d'esprit scientifique, a
su faire la distinction du langage des gens instruits et du parler
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE I1I-2 — 23
rural, et a vu dans ce dernier un dialecte distinct. Mais on s'est
récrié, comme si le mot dialecte n'avait pas ici une valeur relative
et que, par cette appellation, notre langage eût été exclue de la
famille des parlers français. C'était faire une chicane de mots, et
il semble bien que, pour s'entr'accorder, il eût sufTi aux dispu-
tants de s'entendre d'abord sur une exacte définition de la langue,
du dialecte et du patois.
Le langage populaire des Canadiens français n'est pas encore
connu tellement qu'on puisse, l'ayant analysé, dire avec préci-
sion quels éléments l'ont formé, dans quelle exacte proportion
chacun d'eux y a contribué; mais on aperçoit bien que ce n'est
ni le français classique, ni un français corrompu, ni un patois
pur, et que, cependant, il accuse des particularités assez saillantes
et assez d'uniformité sur toute l'étendue du territoire pour con-
stituer un parler régional... car on abuserait peut-être du langage
en l'appelant un dialecte.
Le franco-canadien, c'est-à-dire le langage des paysans cana-
diens-français, est donc un parler régional, relativement uni-
forme, sans être homogène, et que caractérisent des formes
patoises diverses incorporées au français populaire commun du
nord de la France. Ajoutons qu'il a gardé, comme tous les
parlers exportés (*), un caractère archaïque par rapport à celui
de la mère-patrie, et, en même temps, a emprunté aux langues
avec lesquelles il s'est trouvé en contact, quelques éléments
étrangers.
« Sur les bords du Saint-Laurent, dit M. Rameau de Saint-
Père, notre langue n'a pas plus dégénéré que notre caractère. »
En effet, dans notre province de Québec, que la France jadis
découvrit et peupla, les institutions, les lois, les coutumes, la
langue sont françaises; nous gardons, comme nous ferions d'un
héritage sacré, traditions, mœurs et parler des ancêtres. Nos
armes portent celte devise : Je me sol'viens. Et cela veut dire,
non seulement : « Je me souviens de la France, de la grande
(') F. Brunot, Histoire de la langue française, t. I, p. 320.
24 — III-2 SECTION DE PHILOLOGIE ET u'hISTOIRE
patrie, et de sa langue », mais aussi : « Je me souviens de la
Normandie, du Perche et de la Bretagne, de la Picardie, du
Maine et de l'Anjou, du Poitou, de l'Aunis et de la Saintonge,
du Berry, de la Champagne et de l'Angoumois... je me souviens
des petites patries et de leurs parlers. »
En effet, toutes les provinces du nord, de l'ouest, du nord-
ouest et du centre de la France ont contribué au peuplement de
la Nouvelle-France. On a pu, en consultant les registres de nos
paroisses, les recensements, etc., établir, par proportions,
'apport de chaque province. Dans les commencements de la
colonie, dans le siècle des grandes émigrations, les provinciaux
formaient la majorité de la population de la Nouvelle-France.
L'Ile-de-France n'avait fourni que 12.69 p. c; les autres
émigrants étaient des Normands, des Percherons, des Poitevins,
des Aunisiens, des Saintongeois, des Angevins, des Beaucerons,
des Manceaux, des Picards, des Tourangeaux, etc. Les Normands
étaient les plus nombreux. Ils étaient aussi les premiers arrivés,
de quoi il faut tenir compte, si l'on veut comprendre l'action
exercée sur le parler par le mouvement de l'émigration.
Quelle langue parlaient ces émigrés?
Pour ceux de l'Ile-de-France, ils parlaient le français, sans
doute. Il ne serait pas exact de dire qu'ils parlaient tous le
français littéraire du temps; car, outre que les habitants de
l'Ile-de-France venus au Canada n'appartenaient pas tous à la
classe instruite, un grand nombre de ceux qui furent enrôlés
dans les levées d'hommes faites aux environs de Paris étaient des
patoisants de la Normandie, de la Bourgogne, etc. Mais il est
raisonnable de croire que tous entendaient et parlaient le français
populaire de l'époque.
Les autres, les colons originaires des provinces, quel parler
apportaient-ils à la Nouvelle-France?
Il serait trop long de rappeler ici les études qui ont été faites
là-dessus, particulièrement au Congrès de la Langue française,
tenu à Québec en 1912; mais les conclusions auxquelles on est
arrivé s'imposent.
Il parait vraiment impossible que cinq ou six mille habitants
de la province française, embarqués pour le Canada au xvii* siècle.
SECTION DE PHir.OI.OGIE ET D'HISTOIRE III-2 — 23
n'aient pas apporté avec eux quelques chose des parlers de
leurs terroirs. Mais, d'autre part, s'il est juste de penser qu'au
xvi» siècle les paysans de France parlaient le patois, on ne
saurait affirmer que tous le parlaient exclusivement. Nous
croyons plutôt que, dès cette époque, un grand nombre enten-
daient aussi le français.
Aussi a-t-on constaté que beaucoup des premiers habitants de
la Nouvelle-France avaient de l'instruction, savaient au moins
lire, écrire et compter. Ceux-là devaient entendre et parler le
français, bien que leur langue usuelle pût être le patois de leur
province. D'autres, sans doute, ne parlaient d'abord que le
patois.
D'un côté, donc, la connaissance qu'avaient déjà du français
un bon nombre des émigrants venus au Canada permet d'expli-
quer la rapide disparition du patois comme langue entière et
usuelle, et la facile prédominance du français en Nouvelle-
France. D'autre part, l'usage, habituel pour quelques-uns, acci-
dentel pour les autres, au commencement de la colonie, des
patois des provinces françaises ne peut être nié.
Puisqu'il nous paraît certain que, dans les premiers temps de
la colonie, il vint au Canada des patoisants, les uns qui parlaient
aussi le français, les autres qui d'abord ne le savaient pas mais
l'apprirent bientôt, nous croyons pouvoir atfirmer que le français
fut, dès le début, la langue dominante, mais que les patois furent
aussi parlés au Canada pendant un certain temps, non pas par
la classe dirigeante, mais par le peuple, dans la famille du
colon. Pour le nier, il faudrait pouvoir expliquer de quelque
autre manière comment auraient été créés chez nous, de toutes
pièces et spontanément, les substituts lexicologiques étrangers
au français, mais qui appartiennent au normand, au picard, au
bourguignon, et qu'on relève encore aujourd'hui dans nos
campagnes ; comment auraient pu commencer ici certaines évo-
lutions phonétiques essentiellement dialectales et qui n'ont pas
leurs racines dans le français ; comment aussi notre morpho-
logie aurait pu donner naissance à des flexions que ne connut
jamais la langue classique; comment enfin, et d'où, nous serait
venue cette élocution, dont on n'est pas sûr que ce soit un
26 — III 2 SECTION DE PHILOLOGIE ET D'hISTOIRE
accent, tant ses traits sont flous et ses caractères indécis, mais qui
paraît être le résultat de divers accents provinciaux incorporés
au français et qui, tantôt normande, tantôt berriaude, sainton-
geoise au commencement d'un mot et picarde à la fin, ne laisse
cependant pas de rappeler toujours la prononciation de l'Ile-de-
France, sans y ressembler jamais complètement.
Les parlers provinciaux, les patois de la langue d'oïl émi-
grèrent donc de France au Canada avec nos ancêtres, ils y furent
parlés, et durent exercer sur notre langage une action dont on
constate encore aujourd'hui les effets; mais, d'autre part, le
français fut toujours, chez nous, la langue dominante, et l'unité
linguistique fut bientôt effectuée dans tout le Canada.
On ne trouve plus, en effet, dans notre parler populaire, que
des traces dialectales, nombreuses il est vrai, et qui font de notre
parler un français régional, mais ne l'apparenlent que d'assez
loin et accidentellement aux patois.
L'enquête poursuivie depuis dix ans par la Société du parler
français au Canada fournit là-dessus une riche collection de
témoignages. Lexique et sémantique, phonétique et morphologie
font paraître le caractère archaïque d'abord, mais dialectal aussi,
du "français régional qui est celui de nos paysans.
Une remarque qu'il faut faire, c'est que les formes patoises
connues au Canada ne sont pas seules employées par le paysan
canadien-français ; le mot français est généralement connu et
souvent employé. Pour exprimer une idée, un paysan introduira
dans la phrase un seul mot patois; un autre deux; un troisième,
davantage. Mais l'ensemble du discours sera français. Si l'on
compte les mots et les sons, le français l'emportera toujours.
Dans son ensemble, le parler du peuple canadien n'est donc
pas un patois; c'est du français, archaïque et un peu patoisé.
Archaïsants et patoisants, tels nous sommes Et il n'y a là rien
que de très honorable.
SECTION DE PHILOLOGIE ET DHISTOIRE HI-2 — 27
Il reste à dire un mot du français des gens instruits.
Dans une étude présentée au Congrès de la Langue française au
Canada (Québec, 1912), j'ai tenté d'expliquer comment s'était
effectuée chez nous, et en si peu de temps, l'unité linguistique.
Qu'il me suffise de faire remarquer ici que le mélange des dia-
lectes d'oïl et la connaissance du français par le grand nombre
des émigrés ont singulièrement facilité l'évolution de notre
parler vers le français classique. Broyées et confondues, les
formes patoises ont perdu de leur vigueur naturelle; déracinées,
la sève leur a manqué. Tel mot normand, par exemple, perdu
dans le français, n'a pas su toujours rester pur normand. Dans
la fusion des parlers provinciaux et du français, les caractéris-
tiques les plus considérables ont disparu, les cadres de la
phonétique populaire ont été brisés. 11 en est résulté un langage,
moins intéressant au point de vue scientifique, mais qui se polit
et se raffine plus vite. Quelques années seulement passées à
l'école, et nos paysans ont vite perdu ce que Loysel appelait le
« ramage de leur pays ».
Quel langage parlent-ils alors ?
Le paysan canadien n'a pas d'accent provincial distinct; ou, si
l'on veut, il a trop d'accents divers pour qu'aucun d'eux soit
apparent. Aussi perd-il, et dès les premières années de collège,
le plus grand nombre des caractéristiques de la phonétique
• populaire. Au point de vue français, s'il fait des fautes de pro-
nonciation, l'homme instruit (et les femmes parlent souvent
mieux que les hommes) n'a pas de défauts de prononciation. Il
lui reste pourtant quelques souvenirs du parler maternel, souvent
indéracinables : è nasal pour eu nasal, é fermé nasal pour è
ouvert nasal, une certaine mollesse d'articulation, et une attaque
de son manquant de netteté.
Pour le lexique des gens instruits, c'est le vocabulaire
français, à peu près pur de patois, mais pauvre et imprécis, assez
fortement archaïque, et mêlé, hélas! trop souvent d'angli-
cismes barbares. Dans le commerce et l'industrie, l'anglicisme
nous ronge : c'est l'ennemi qu'il faut combattre. La presse intro-
duit même ces barbarismes dans nos campagnes. Heureusement,
28 — III 2 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
hors des villes, le mot anglais se francise le plus souvent, et
suivant les meilleures traditions de la langue.
La morphologie est absolument française.
Quant à la syntaxe, les tournures sont parfois imitées de l'an-
glais, du moins dans les villes; mais le plus souvent elles sont
parfaitement françaises, quoique peu soignées, et encore moins
variées.
Dans ces dernières remarques, j'ai voulu faire prendre une
idée du parler moyen des personnes instruites, non pas du lan-
gage de celles qui ont une culture spéciale; celles-ci, en général,
parlent un français très pur.
Et quant au parler de nos paysans, j'ai voulu montrer — bien
que l'espace ne m'ait pas permis de donner mes témoignages —
que c'est un parler français, caractérisé par quelques formes
archaïques et patoises. Ce parler est le même d'un bout à l'autre
du pays. Dans toutes nos campagnes, un Français de France se
fait comprendre et comprend lui-même ce qu'on lui dit, sans
la moindre difficulté : nos paysans parlent sa langue, la langue
de la mère-patrie.
m. — SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE.
L'influence des langues voisines sur le français en Algérie,
le D-^ J.-H. PROBST,
professeur de philosophie.
Dans un rapport sommaire sur les meilleures méthodes et les
moyens les plus efficaces pour propager la langue française dans
les milieux indigènes musulmans de l'Algérie, je plaçais après la
multiplication des écoles arabes-françaises, où l'on enseigne
notre parler par le procédé direct, naturel de la conversation
entre maître et élèves : a) l'acquisition de rudiments de français
au chantier, à l'atelier; b) l'enrôlement volontaire et l'appel obli-
gatoire au service militaire dans une plus forte proportion,
puisque les ordres, les commandements, l'instruction sont
donnés en français dans les casernes; c) la suppression des
interprètes qui savent souvent mal le kabyle et l'arabe, peuvent
se laisser corrompre et surtout fournissent à certains indigènes
un motif de plus pour ne pas apprendre notre langue.
Il ne faudrait pas croire que j'approuve les pires fautes d'or-
thographe et de syntaxe, la prononciation vicieuse, l'emploi
d'expressions cosmopolites, pourvu que celui qui les commet
bredouille et comprenne le français, plutôt mal que bien. Le
patois néo-français de l'Algérie, le sabir, parlé par les classes
ouvrières très mélangées d'Espagnols, d'Italiens, de Maltais natu-
30 — ni-3 SECTION DE PHILOLOGIE DHISTOIRE
ralisés ou non, de Provençaux el de Languedociens, de (îascons
d'une part, de Juifs, d'Arabes, de Kabyles de l'autre, est un
horrible jargon, doué d'énergie, assez imagé sans doute, mais
sans harmonie ni ordre, incapable de devenir un idiome pro-
prement dit, extensible et définitif. C'est une altération du
français au contact des palois méridionaux, des langues latines
sémitiques. 11 était utile à la vie commune des travailleurs,
s'est formé tout seul très vite pour cette raison, dans uu temps
où l'instruction était insutfisamment répandue, où les écoles
étaient rares en Algérie, où les œuvres post-scolaires, cours du
soir, conférences populaires, etc., n'existaient pas encore. Nous
ne demandons pas la disparition des termes arabes ou espagnols
qu'il contient, s'ils expriment mieux la pensée que les expres-
sions ou les mots français correspondants, mais seulement la
suppression des tournures contraires à la syntaxe, dues à l'igno-
rance. Elles s'effaceront d'elles-mêmes d'ailleurs avec la diffusion
plus large de l'instruction, servie par une sévérité réelle de la
part des autorités chargées de faire respecter l'obligation sco-
laire. Nous ne voyons pas grand mal non plus au maintien de
certaines simplifications logiques en orthographe, comme celles
du ph en f : pourquoi serait-il plus laid d'écrire « farmacien »
avec un f k l'exemple de l'espagnol, que pharmacien avec un
phi
Je ne crois pas qu'on ait étudié jusqu'à maintenant, dans le
môme sens tout au moins, ce patois algérien, ce sabir, moins
fortuit dans sa formation qu'on ne le croit, plus déterminé qu'on
ne se l'imagine. Qu'il me soit donc permis d'en exposer les
principales caractéristiques d'abord, puis d'énumérer les mots
étrangers les plus employés parmi ceux qu'il adopte.
Grammaiiœ.
Ai'ticles. — Les articles sont souvent mis les uns pour les
autres : exemples : la poulpe, une poulpe, pour le poulpe, un
poulpe.
Presque jamais la contraction au ne se remarque dans les
conversations populaires. C'est ainsi qu'on dit : je vais à le môle,
SECTIOiN DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III- 3— 31
à le restaurant, au lieu de : au môle, au restaurant; ô le bout du
doigt, pour au bout du doigt.
Au contraire, on ne dit pas : donne-moi de la viande, du vin,
mais donne-moi de viande, de vin.
Substantifs. — Le changement de genre est fréquent, nous en
avons vu un premier exemple plus haut; c'est ainsi qu'on dit
couramment une crabe pour un crabe.
Le ch se confond avec le s, exemple : sdJigement pour chan-
gement, 4oix pour choix.
i^a diphtongue in devient en : ensuite, cntention pour insulte,
intention.
Pronoms. — On abuse des pronoms personnels comme dans
le midi de la France: je me le suis pensé, au lieu de je l'ai
pensé; je me le mange, pour je le mange; il se les fait peur à
tous pour : il leur fait peur. Celui-ci, celui-là donnent rui-ci,
çui-là.
Dont est remplacé par que. Exemple : la dame que je vous ai
parlé, au lieu de : la dame dont, etc.
L'abus du relatif que est remarquable. On entend dire cou-
ramment : quelle heure qu'il est? Ousqu'il est? etc.
Verbes. — Les verbes irréguliers sont confondus avec les
verbes réguliers. L'Algérien conjuge : je bois, tu bois, il boit,
nous boivons, vous boîvez, ils boivent. Je voirai, tu voiras, il
voirai, nous voirons, vous voirez, \l% voiront, au lieu de je verrai,
tu verras, etc.
Le sujet est répété. Ce pléonasme est très fréquent. Exemple :
mon frère il dit qu'il ne veut pas ; ma mère elle l'a acheté.
La multiplication des verbes pronominaux est à noter.
Exemples: je me l'ai mangé; je me le ramasse; je me l'ai pensé;
tu te le bois.
On dit comme en espagnol {tener, tengo) je tiens, pour j'ai.
Exemples : je tiens de beaux habits; regarde la figure qu'il se
tient; je tiens une grande fatigue.
L'inversion est fréquente avec pléonasme. Exemple : elle est
arrivée la voiture.
32 — 1II-3 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'hISTOIRE
L'auxiliaire être remplace l'auxilaire awir comme en espagnol
et en provençal. Exemples : je me le suis gagné, je me le suis
pensé. Au contraire, avoir s'emploie souvent pour être. Exemples :
nous avons venu ; nous nous avons arrêté; il s'a sauvé.
Le changement du ch en s est habituel comme dans les subs-
tantifs. Exemples: charger, décharger, choisir, chercher, changer
deviennent : sarger, désarger, soififir, sercher, sanger. C'est une
faute arabe commune.
Le futur antérieur se substitue au futur simple. Exemple:
quand je l'aurai vu, pour : quand je le verrai.
On emploie volontiers le futur antérieur pour le conditionnel
passé. Exemple : si je l'aurais rencontré je lui aurais dit, ou lieu
de si je l'avais.
Mots invariables. — La suppression de la négation est générale.
Exemple : je F ai pas vu. Je le sais pas uu lieu de : je ne l'ai pas,
je ne le sais pas.
Nos adverbes se forment trop régulièrement. Au lieu de sur,
dessus; arrière, derrière, les Algériens du peuple disent: sur,
dessur; arrière, darrière.
Augmentations et diminutions de syllabes.
E'ntention, pour : attention ; arregarder, pour : regarder.
Au contraire : vec, pour : avec; capaèe, pour : capable; l'en-
demain, pour : le lendemain; y a, pour : il y a; sji^agnol,
spliquer au lieu de : espagnol, expliquer.
Glossaire de mots empruntés à l'arahe, employés familièrement
par des personnes parlant bien le français.
Barka = assez. Exemple : j'en ai barha.
Battel = gratuitement. Exemple : je l'ai en battel.
Bezzeff = beaucoup. Exemple : cela ne vaut pas bez-zeff.
Bousbous -= baiser, faire bousbous, embrasser.
Chouïa = peu. Exemple : as-tu beaucoup de blé cette année?
pas bezzeff, chouïa.
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III-3 — 33
Chitane = (Satan) démon, diable. Exemple : cet homme, c'est
vm véritable chitane.
Chichma = water-cioset. Exemple: ce livre est bon à jeter
aux chichma.
Chouari = panier commun où l'on met les ordures; le mot
s'emploie comme injure : espèce de chouari]
Fouta = foulard de soie, étoffe de soie rayée portée par les
femmes juives et musulmanes, d'où un fouta pour un foulard.
Kouskous de l'arabe ksouksou, plat de semoule aux légumes
et à la viande, adopté sur les tables européennes.
Kaoua = café. Exemples : nous buvons le kaoua, buvons le
kaoua.
Kif-kif = la même chose. Exemple : c'est kif-kif.
Macache = pas, non. Exemple : veux-tu? Macache.
Matraque ^ bâton, de l'arabe matreuk, mot usité même en
France. En Algérie s'emploie même pour désigner une canne de
promenade.
Mercanti ~= marchand, sous dérivé richard, riche; mot passé
de l'italien à l'arabe et adopté de l'arabe en Algérie. Exemple :
Il peut payer, c'est un mercanti.
Maboul =• fou, de l'arabe maâboiil. Exemple : il est maboul.
Nif = nez, flair. Exemple : il a du ni/.
Sarrak =- voleur, sarraker = voler, de l'arabe : substantif
serraq' et verbe nserraq'. Exemples : c'est un serrak; il a serraké
une poule.
Seroual = pantalon. Exemple : tu as déchiré ton seroual.
Sabat — soulier, de l'arabe sbat; passé en français avec un
sens péjoratif : savate. Se dit en Algérie de tout soulier.
Exemple : allons, prends tes sabat et suis-moi.
Tchalefe = petit coup, chiquenaude. Exemple : il lui a donné
une tchalefe.
Mots arabes un peu moins fréquents ou usités seulement dans
certains inilieux professionnels.
Bakel = attention, gare.
Barda = charge du mulet; bat par extension; sac de soldat.
Exemple : Il porte la barda.
m 3
34 — III-3 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
Chrober = boire, de l'arabe nchrob, je bois. Exemple : il
chrobe trop de viu.
Dobza = coup, d'où donner une dobza et dobzer. Exemple :
il l'a dobzé.
Glossaire de mots empruntés à l'espagnol.
Chispa = gaîlé alcoolique, de griserie. Exemple : Il a la
chispa.
Boratcho = ivre. Exemple : il est horatcho.
Basta = assez. Exemple : Il y en a basta.
Fatche = figure, face. Exemple : montre ta falche.
Malafatche = mauvaise figure. Composé du précédent. Exem-
ple : c'est un malafatche.
Engaulcher = espagnol engautchar, embarrasser. Exemple :
il est enyautché.
Falso = faux, hypocrite. Exemple : c'est un falso.
Miseria = misère pour quelle misère. Exemple : ah mu-erial
il est blessé.
Mitges = moitié, de mitges = à moitié, de moitié. Exemple i
nous l'achèterons de mitges.
Pelo = sou; mot familier pour désigner cinq centimes dans
certaines régions d'Espagne (mot à mot : poil; no ten un pelo, il
n'a pas un poil, il n'a pas un sou). Exemple : il n'a pas un
pelo.
Soustro = souci, ennui. Exemple : il a le sousto.
Traboquer = tripoter, du patois espagnol trabacar, dérivé du
castillan trabajar, travailler. Exemple : il a cassé son jouet à
force de le trabaquer.
Expressions espagnoles.
De tan contenta que estaba — il était si content que, a été
traduit mot à mot. Exemple : il dansait de tant content qu'il
était.
Ai que bonitol ■-= ah! que c'est joli; traduit mot à mot.
Exemple : ai que joli !
la
K
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'hISTOIRE III-3 — 35
Que tristeza ten! = quelle tristesse! qu'il a de la tristesse!
Traduit presque mot pour mot avec une faute de grammaire, pro-
venant de patois espagnols, sans doute. Exemple : quelle tris-
tesse il se tient !
A donde esta ? =- où est-il ; traduit et corrompu, donne : a
ousqu'il est?
Se ha visto = il a vu. Traduit mot à mot : il s'a vu. Exemple :
il s'a vu un lièvre à la chasse, etc., etc.
Les expressions fautives, les barbarismes doivent être com-
battus par la multiplication des écoles et des œuvres post-sco-
laires, la création de bibliothèques rurales.
Il faut défendre absolument l'impression de journaux humo-
ristiques, de plaquettes amusantes en sabir, comme le Papa
Louette d'Alger ou le Cagayous. Il est déjà assez malheureux
pour nous que le patois néo-français se soit créé, sans en encou-
rager la diffusion dans les classes les plus élevées de la colonie.
Un rit d'abord à la lecture, puis on imite pour s'amuser et insen-
siblement on introduit dans la conversation des expressions
vicieuses.
Tout au plus peut-on tolérer l'introduction de quelques mots
arabes qui répondent mieux à la pensée que les vocables français
correspondants.
Beaucoup d'écoles, beaucoup d'œuvres gratuites d'instruction
post-scolaire, pas de journaux écrits en sabir, tels sont les
remèdes essentiels.
Il n'y a pas d'hostilité de la part des éléments ethniques divers
qui peuplent la colonie. Les Européens sont fiers d'être adoptés
par la France, s'ils parlent encore entre eux, bien moins qu'autre-
fois, d'ailleurs, l'espagnol, l'italien, le maltais, leurs enfants, nés
dans nos possessions africaines, sont Français de droit, d'après
le décret de 1889, et ne se servent plus guère que de notre
langue. Ils entendent peut-être encore les sonorités des idiomes
aternels dans les familles où vivent encore de vieux parents
enus tard en Algérie, mais ils ne les parlent pas eux-mêmes. Les
juifs adultes s'expriment avec leurs coreligionnaires âgés en
arabe, et dans la vie ordinaire en français. Si beaucoup sont
36 — III-3 SECTION DE PHlLOI.Or.IE ET d'HISTOIRE
encore bilingues dans leur vie privée, quand ils s'adressent à
leurs ascendants ou à leurs femmes, surtout à la campagne, les
enfants connaissent de moins en moins l'arabe et plus de la
moitié l'ignore tout à fait au profit exclusif du français. Quant
aux musulmans, de plus en plus bilingues, ils continueront à
parler l'arabe ou le kabyle entre eux, chez eux, sans délaisser le
français, langue officielle des relations extérieures.
La besogne n'est pas terminée, mais il faut moins conquérir
les bonnes volontés que les diriger.
La francisation linguistique de l'Algérie avance très rapide-
ment en raison même du désir d'apprendre de la population
algérienne; il ne lui reste qu'un seul obstacle à vaincre : l'igno-
rance de la grammaire élémentaire, due à l'infériorité intellec-
tuelle des milieux cosmopolites populaires. La ditfusion de l'ins-
truction obligatoire le vaincra facilement dans un avenir assez
rapproché.
m. — SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE.
Les mots français en grec,
Henri GREGOIRE,
professeur à l'Université de Bruxelles.
Au moment où le roi des Hellènes réunit sous son sceptre plus
de territoires grecs que n'en possédèrent les Paléologues, triom-
phe à peine espéré qui, en exaltant le sentiment national, va
achever la diffusion, jusque dans les cantons les plus lointains
du domaine hellénique, de celte langue bien ou mal faite, mais
faite désormais, qu'on appelle la Ka9apeûou0a, il est temps de
s'intéresser aux plus menacées parmi les particularités dialec-
tales du grec vulgaire : je veux dire à ces éléments hétérogènes
du vocabulaire, qui sont les dernières traces des dominations
étrangères sur le sol classique.
Les mots turcs, les plus facilement reconnaissables, seront
sans doute les premiers en butte à la fureur patriotique des
Hellènes délivrés. Comme ces minarets, dont tous les rayas con-
naissent l'histoire et l'injurieux symbolisme, sont ou seront
bientôt, jusqu'au dernier, déracinés du sol, les mots osmanlis,
proscrits par le maître d'école, seront partout arrachés de la
langue. Comme les Athéniens d'aujourd'hui, les Macédoniens
de demain ignoreront que la chambre s'est appelée oda pendant
38 — III-4 SECTION DE PHILOLOGIE ET DHISTOIRE
de longs siècles, dans tout le domaine grec. Plus lente sans
doute sera l'élimination des mots romans moins clairement
désignés à la haine des « épurateurs » par leur physionomie
moins décidément barbare. Dans ce dernier groupe, les mots
français du moyen âge végéteront peut-être quelque temps
encore, grâce au peu d'ombrage que donne leur petit nombre,
et surtout grâce à l'obscurité même de leur existence, confinée
à quelques villages ignorés de l'île de Chypre.
Et, pourtant, ils entrèrent jadis, par masses imposantes, dans
le parler de la Remanie, ces mots de la langue de Villehardouin
et de Robert de Clari. Dès le premiers contacts entre l'Occident
et Byzance, les plus puristes parmi les historiens byzantins
furent obligés d'en accueillir quelques-uns. La connaissance du
latin avait presque entièrement disparu de cet empire qui se
disait encore «ausonien»; c'est pourquoi ses écrivains n'usèrent
qu'assez peu d'un procédé commode et qui aurait satisfait leur
goût d'archaïsme. Certes, ils adoptèrent parfois des formes
latines et latinisées que leur offraient les chancelleries franques.
Mais Photius déjà n'appelait-il pas le latin lui-même un idiome
scythe? On aurait préféré adapter les noms étrangers au génie de
la langue grecque par quelque adroite étymologie.
Et Anne Comnène appelle McTctYTéXnÇ (îcrâTTe'^oç) le comte de
Saint-Cilles. Le premier nom commun français qui s'imposa à la
plume pédante d'un Byzantin est sans doute le mot lige, trans-
crit XiZiioç par Anne Comnène, et qui vécut pendant des siècles
sous cette forme. Ce premier emprunt, on le voit, a été fait à la
langue vulgaire, non au latin; mais la transcription n'est pas
phonétiquement correcte (il faudrait XitIioç) parce qu'Anne a
évité une graphie qui lui semblait barbare. Mais de tels scrupules
bientôt, ne furent plus de saison. 1.,'empire byzantin s'écroule,
et, plusieurs années avant sa chute, l'île de Chypre est déjà un
royaume français. Puis la langue française s'installe avec les
conquérants, à Constantinople, en Thrace, en Macédoine, dans
la Grèce centrale, en Morée.
Avec moins de difficultés qu'on ne l'a dit, le système féodal
s'implante dans des provinces qui s'acheminaient naturellement
vers un état tout pareil, par la concentration des terres entre les
SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE III-4 — 39
mains des « puissants»; car Boniface de Montferrat, Guillaume
de Champiitte et Villehardouin eurent à combattre des archontes
ou grands seigneurs qui avaient déjà l'étoffe de feudataires de la
Couronne.
Que serait-il advenu de la Grèce si l'empire latin avait pu
vivre? A cette question, les historiens ont depuis longtemps
répondu, et l'étude des dix années vraiment glorieuses de cet
empire, celles du règne de Henri de Flandre, rendait facile la
réponse Les seigneurs indigènes auraient peu à peu envahi les
cadres féodaux, et les familles d'outre-mer se seraient hellénisées.
La langue française se serait maintenue plus longtemps sans
doute que la langue latine, oflicielle à Byzance pendant les pre-
miers siècles. En disparaissant, elle aurait laissé dans le grec un
élément lexicographique comparable pour l'importance, à l'élé-
ment germanique ou roman. Cet élément eût gagné tous les com-
partiments du vocabulaire. Et la preuve en est dans les documents
gréco-francs qui nous sont restés du moyen âge : les célèbres
Assises du royaume de Chypre, les diverses rédactions de la Chro-
nique de Morée, et (pour la Chypre) les chroniques de Machaeras
et de Boustrone. Les romanistes connaissent bien ces textes inté-
ressants. Il y a longtemps que G. Meyer a consacré aux mots
romans des Chroniques chypriotes un savant mémoire, et déjà
le premier éditeur de la chronique grecque de Morée avait joint
à sa publication un lexique des mots français. Mais la tendance
générale des critiques était de contester l'importance de l'apport
français et, par voie de conséquence, linfluence de la civilisation
française sur les Grecs du moyen âge. On faisait valoir cet argu-
ment, que de tous les mots français qu'on lit dans les chroniques,,
presque tous ont disparu aujourd'hui; on représentait l'idiome
franco-grec de Chypre et de Morée comme un jargon un peu
artificiel, employé surtout par des Francs qui estropiaient le
grec, par des Gasmules; on répétait que les Assises et la Chro-
nique de Morée n'étaient en somme que des traductions. Plus
récemment, M. J. Schmitt, a cru pouvoir affirmer que le XpoviKÔv
Toû Mopéroç, loin d'être une traduction, était l'original imité par
l'auteurde la recension française. Cette opinion paraît insoutena-
ble ; mais M. Longnon, le dernier éditeur du texte français, a
40 — ni-4 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
montré que l'auteur du XpoviKÔv, comme celui du Livre de la
Conquête, a eu sous les yeux un document italien. On saisit
toute l'importance de ce fait. Les mots français du XpoviKÔv
ne sont donc point des gallicismes de traduction; en les em-
ployant, le versificateur grec prouve que ces vocables faisaient
bel et bien partie intégrante de sa langue.
Et pourtant, comme les circonstances politiques furent défavo-
rables à l'élément français! Soixante ans à peine après la con-
quête de la Morée, la défaite et la captivité de Guillaume de Vllle-
hardouin portèrent un coup mortel à l'œuvre des envahisseurs.
A partir de ce moment, la «princée» dut s'accommoder du voisi-
nage du despotat byzantin. Au milieu d'une population déjà à
demi-gagnée, voici que l'administralien byzantine reprenait
pied. Appuyés sur les forteresses deMistra etdeYéraki, la pre-
mière devenue bientôt une miniature de Byzance, les Paléo-
logues commençaient cette lutte obscure et pourtant glorieuse,
parce qu'elle illustre la persévérance géniale d'une raceentêtéeà
ne point périr; ils reconquéraient le pays, canton par canton, et
le dernier Constantin, avant d'aller mourir dans la pourpre,
avait assuré le triomphe complet de l'hellénisme dans la pres-
qu'île. C'est donc la concurrence, la résistance politique de l'hel-
lénisme qui n'a pas laissé aux mots d'Occident le temps de
prendre racine. Rien d'instructif, à cet égard, comme la compa-
raison entre deux manuscrits de la Chronique de Morée. Le pre-
mier en date présente bien plus de mots français que l'autre
(Havniensis, Parisinus); dans la seconde rédaction disparaissent
avec certains termes étrangers, les sorties virulentes et réflexions
anti-grecques du Gasmule catholique qui prend le parti des sei-
gneurs latins. Mais cette comparaison même prouve combien,
malgré tout, les vocables français étaient familiers à ces
Moréotes. Car, si le scribe du Parisinus remplace KaTrepoOvi
par ffKénaff|ua, irapXaiaâ par BouXri, il a traduit un terme grec,
mais obscur et suranné sans doute, par un mot français {(TiuTap-
xiffouffi par YctpvicroucTi). C'est donc une réaction très consciente,
comparable au mouvement actuel, qui a « épuré » le vocabu-
laire.
Dans l'île de Chypre, au contraire, après les répressions ter-
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE III-4 — 41
ribles du début de la conquête, que Mas-Latrie nous peint en
couleurs trop roinantiquement idylliques, le peuple grec renon-
çant à ses espoirs nationaux, accepta assez docilement la consti-
tution du royaume. Aujourd'hui encore, il semble qu'on y par-
donne aux Francs leur domination en faveur de la gloire qu'elle
valut au nom chypriote ; le souvenir du royaume ou priâTOv
des Lusignans n'est pas effacé des mémoires paysannes. Les
mots empruntés ici sont en partie les mêmes qu'on retrouve
dans les documents moréotes; et l'on ne peut sempêcher de
penser que la Mischsprache qui se laisse reconstituer à l'aide de
Mâcheras, des Assises, de la Chronique, est précisément celle
qui se serait établie et fixée par toute la Romanie si les conseils
des papes avaient été écoutés, si le feu sacré de la croisade ne
s'était pas éteint, et si le maintien des conquêtes d'outre-mcr
était resté la grande affaire de l'Europe.
On a quelquefois prétendu que l'influence italienne a très tôt
fait échec à l'influence française. Les mots italiens, dit-on, se
laissaient plus facilement gréciser que les français; et, comme
leurs racines étaient souvent les mêmes, les Grecs ont préféré
des deux formes parentes, celle qui se transcrivait et se pronon-
çait plus facilement. Mais il sied de ne pas perdre de vue que si
la République de Saint-Marc, la dominatrice « quartœ et dimidiœ
partis totiiis imperii Romaniœ» avait pris pied dans les îles, à
Coron et Modon, en Crète; que si la commune de Gênes s'in-
stalle dès le XV' siècle à Famagouste de Chypre, la traduction
grecque des Assises a été rédigée avant toute influence italienne,
et la Chronique de Morée en est peu affectée. Gustave Meyer a
donc eu tort de classer comme génoises les terminaisons en ou
ou oûv (KO]uecTioû[v), peXiTYSioûv, xapviZ^oûv).
Ce sont aussi des verbes français et non italiens qui ont
pénétré en masse dans les conjugaisons si vivantes et si grecques
en eûiu et en dSiu : pePeXeûuj {réveiller, non révolter) ôpbiviâï^uj,
navTevidZiiu, TTpounouTidZiu) (promettre, avec un second ou dû à
l'assimilation).
C'est plus tard que les verbes italiens en are entrèrent dans la
langue sous la forme dpuj.
Un érudit chypriote, M. Simos Menardos, que son nom même
42 — Il 1-4 SECTION DE PHILOLOGIE ET D HISTOIRE
semblait promettre à ces études, a considérablement allongé la
liste des mots français encore vivants dans son dialecte :
TTpÔTcra, icraépa, Tcrijuividc, jaà^-npa, rcratva, TÙTcra, Koûiari,
TcravTiXépiv, Tiiaipoç : broche, chaire, cheminée, chambre,
chaîne, tache, couche, chandelier, déchiré : il y en a, on comptant
les dérivés et les noms propres, une bonne centaine. Et les plus
nombreux sont ceux qui désignent des objets que les conqué-
rants occidentaux n'ont certes pas introduits dans l'île, des idées
qui ont été de tous temps familières au paysan chypriote. Si l'on
met à part quelques termes rappelant les chevauchées des preux
feudataires des Lusignans, comme TreppoOviv, le « perron )> d'où
les hommes d'armes s'élançaient sur les destriers, cpappâç « le
fourrage » qu'ils donnaient à leurs bêtes, ttôç « le pas )> tpôkkoç
« le trot », il ne reste que des emprunts dont il est dilHcile de
rendre compte autrement que par des motifs psychologiques de
portée tout à fait générale. Et c'est précisément ce qui fait l'inté-
rêt de ce petit lexique.
Car nous y voyons une nouvelle preuve de l'influence qu'a
toujours, en pareil cas, la curiosité féminine, séduite par l'éti-
quette nouvelle autant que par l'objet nouveau, et confondant
volontiers l'une et l'autre. La chaîne brillante offerte par le
galant chevalier franc à sa maîtresse villageoise paraissait un
joyau plus rare à ses jalouses amies, si elles apprenaient le
nom étranger du bijou : T0aiva; TTOÛKXa parut en dire plus et
mieux que TTÔpnri, ffTrXÎYKa (épingle) que Kupqpîç. Et de fait,
lorsque lemot français n'a pas complètement supplanté son syno-
nyme grec, M. Ménardos nous apprend qu'aujourd'hui encore
telle est souvent la différence que l'on fait entre eux.
Le vocable français reste paré d'une splendeur de légende. Il
n'y a de Tcraiva qu'en métal précieux, icraiva est synonyme de
Xputrdcpi (or) dans certains dictons. Quelquefois aussi, comme
pour Tffaépa, l'idée d'antiquité et même de vieillerie, s'attache
au mot occidental. — Les termes de cuisine ne manquent
pas non plus, et M. Ménardos remarque spirituellement que
le nom de la colombe a disparu de l'île de Kypris. Ox, malgré
l'appétit des Normands, n'a point succombé devant beef en
Angleterre; mais le paysan chypriote, instruit par les maîtres
SECTION DE PHÎLOr.OGlE ET D'HISTOIRE III-4 — 43
queux féodaux, n'élève plus, depuis les grands festins de la con-
quête, que des TreCoûvia (pigeons). Le nom du plat a passé à
l'animal vivant {ficatumetjecur, auKuuTÔv et fjnap est l'exemple
classique, plus frappant encore, de ces triomphes de la gastro-
nomie sur la zoologie ou l'anatomie).
Les Français, en Chypre, furent de grands bâtisseurs ; des con-
structeurs occidentaux de leurs cathédrales gothiques, les Chy-
priotes ont retenu des termes comme pôTa (voûte ; français et
non italien, car pôXta existe avec un sens tout différent), Xàvrla
(loge).
Enfin la vieille langue juridique franco-grecque des Assises
n'a guère laissé de traces, comme il fallait s'y attendre
Rien que dans ce petit groupe des mots ayant survécu jusqu'à
nos jours et que nous révèle M. Menardos, la lexicographie fran-
çaise trouvera à glaner. Car hîykhç est le fr. mince, et cet adjectif
n'est attesté qu'assez tard, en tout cas après la date de son adop-
tion par le Chypriote.
BoXÎKi qu'on lit déjà dans les Assises et qui signifie poutre,
est peut-être notre volige.
BcpKÎv (pron. vercin) « l'anneau sans le chaton » est le fr.
verge qui a ce sens dans quelques textes.
Mais le principal intérêt des emprunts français du grec médié-
val est qu'ils nous donnent des renseignements assez précis sur
la prononciation de notre langue au xni'* siècle.
Dans la plus ancienne période du français, la palatale aftriquée
se prononçait ts (orthogr. ch) ; la transcription des vocables
français figurant dans les Assises, les Chroniques de Chypre et
de Morée pour qu'aux xnr^ et xiV siècles, cette prononciation
était générale en Grèce. Nous venons de voir xcrâiuTTpa (pron.
tsambra), Tffaiva (tsaïne), TCTaépa (tsaëre), xiimpoç (déchiré}.
Je pourrais multiplier les exemples : je préfère renvoyer ici au
travail plus complet que je prépare sur la question. On ne sau-
rait citer aucune exception à cette règle ; et la chose est d'impor-
tance : car l'hypothèse de J. Schmitt, touchant l'original de la
Chronique s'appuyait presque uniquement sur une prétendue
transcription du mot Champlitte, ZaXoûGe, qu'on lit dans le
texte grec. Or, comme M. Longnon l'a bien vu, nous avons
4-4 — III'4 SECTION DE PHILOLOGIE ET DHISTOIRE
affaire ici à une simple confusion géographique; l'auteur de
la Chronique a bien cru que Guillaume était seigneur de
Saluées.
Les dialectes qui avaient conservé le K n'ont guère eu d'in-
fluence à Chypre et en Morée; tout au plus peut-on signaler
Kipitàvoç (Kivetaine), forme sans doute picarde. Je ne mécon-
nais pas l'importance de cette question des dialectes; et si nous
ne possédions que des transcriptions moréotes, nous pourrions
croire que l'usage de la cour du Champenois Villehardouin a été
ici prépondérante. Mais le Chypre nous empêche de nous arrêter
à cette hypothèse. Et la chute de l'élément dental, en français,
paraît décidément un phénomène bien tardif.
Le développement àc g en z fut, dit-on, parallèle à celui de c
en 5. L'affriquée dz, en Morée et à Chypre, n'est point encore
généralement simplifiée en z. Jamais on ne trouve Zecppéç pour
Geoffroi, mais bien Nrlecppéç (Dzefrè). L'exception apparente
\xl\oç a été expliquée plus haut. Ici pourtant il faut signaler
quatre mots chypriotes (sans doute empruntés vers le xiv siècle)
qui montrent que la simplification finit par atteindre les parlers
d'outre-mer. Ce mot ttéZ^oûviv (pigeon), ZiaXariva (gélatine),
là\Jina (jambe) et ZIuiuttoûviv (jupon); mais on dit vrCavlv
(jaunis, jaunisse), NiZiavéroç (Jeannet). Ces quatre mots sont
précieux; on ne peut leur opposer de cas analogues dans le
groupe très nombreux des mots ter ; il semble donc qu'on puisse
en tirer des conclusions quant à la chronologie relative des deux
phénomènes. Je note ici qu'une expression signalée comme
romane par M. Ménardos, nia KÔpri toû viàviZou, « une fille
nubile », qu'il explique par l'italien (?) « fille mure pour la
danse », n'est sans doute que la traduction de l'expression fran-
çaise « fille d'aage » (Assises, texte fr., cap. 14. Puis que li fis
famylias est d'aage : c'est puisqu'il a XV ans; cf. enaaigier,
desagier).
Un curieux phénomène dont je ne puis donner une interpré-
tation satisfaisante, est la transcription de certains c {ch) français
(devant e, i) par la spirante dentale 9 {th anglais fort). Ainsi le
nom de la famille de Brice apparaît sous la forme viè Bepiîeoi;
de Toucy s'écrit toujours viè TouG, vrè Ntoûô; la famille de
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRF. III-4 — 45
Planchy, arrivée en Morée après 1261, s'appelle TlXaSoi; Saluée
ZaXoùe.
Peut-être faut-il reconnaître ici une influence espagnole (1),
mais peut-être aussi ces transcriptions sont-elles un des témoins
précieux d'une prononciation de transition, que les graphies
occidentales ne pouvaient noter exactement.
Un détail de la transcription des diphthongues françaises doit
être noté ici : oi est parfois rendu par é, mais parfois aussi par
ôe. M. Brnnot {Histoii'e de la langue l'rançaisii,\,^. 333-334) a déjà
attiré l'attention sur l'importance de ht transcription grecque,
accentuée, pour dater l'évolution de la diphthonque. « Dans
crepôeT ÔYKXôep, dit-il, l'accentuation nous montre le phonème
à sa première étape de transformation, gardant l'accent sur o et
ayant déjà changé leuE.» Or, l'un des noms propres de la Chro-
nique, sur lesquels on a le plus discuté, est 'AvÔ€ (Aunoy). En
effet, le texte français de la Chronique porte lui aussi Anoée Anoé
alors qu'il ne présente point, par ailleurs, de graphies, telles que
roe, assouvoever, aperçoeve. On en a conclu que le texte français
était une version faite sur le grec; mais nous avons vu que cette
opinion doit être abandonnée. Il est probable que nous avons ici
un cas curieux de prononciation archaïque conservée dans un
nom propre, prononciation qui a fini par modifier la graphie
traditionnelle.
A M (comme on le voit par l'exemple d'Aunoy) est régulièrement
rendu par a dans ces textes du xiv" siècle. On sait que au ne
devient o qu'au début du xvi« siècle. La transcription grecque,
s'il était ici besoin de son témoignage, pourrait être utilisée à cet
effet; car une inscription grecque, due à un chevalier de Rhodes,
vient d'être publiée tout récemment, qui rend ainsi le nom de
Jacques Gatineau : TIiÛKeç Paiivéo (inscription d'Halicarnasse,
1313 après J.-C).
Une étude complète de l'élément français en grec devrait
s'étendre aux mots introduits dans la langue depuis le xix' siècle.
Mais, ici, la ditticulié serait grande de distinguer entre les mots
(1) Il paraît acquis que le prototype de la chronique grecque fut rédigé
après l'année 1341, donc en pleine période « catalane ".
46 — III-4 SECTION DE PHItiOLOGIE ET d'HISTOIRE
français adoptés tels quels par un traducteur embarrassé ou
paresseux, et qui peuvent être inconnus d'une partie de son
public, et ceux qui sont vraiment entrés dans la conversation.
La connaissance plus ou moins parfaite du français que possèdent
tous les écrivains, tous les journalistes, donne une grande fré-
quence au premier phénomène. Alors que le vocabulaire de la
politique est purement grec, la langue dite épurée se prêtant
docilement à calquer tous les clichés du journalisme inter-
national, alors que jamais le grec n'est en peine de rendre
des abstractions, et que les emprunts du type intelligeiizia des
langues slaves sont à peu près inconnus, le langage des critiques
d'art est forcé beaucoup plus souvent à la transcription pure et
simple d'un terme étranger. Un sujet, un paysage {aovli, TxaXZàl),
un profil (irpocpîX), voilà des termes qui n'ont point d'équiva-
lents grecs universellement consacrés. Il faut aussi tenir compte
ici de la diglossie bien connue des Grecs modernes. Si la langue
dite épurée est celle du journalisme politique, les critiques d'art
sont en grande majorité des vulgaristes; vivant eux-mêmes à
l'étranger, ou bien en constante relation avec leurs chefs qui sont
plus Parisiens qu'Athéniens, ils ont moins de scrupules puristes
à l'égard des mots d'emprunts, et leur mentalité plus européenne
leur représente certains emprunts comme indispensables.
Mais le facteur principal est la mode au sens le plus banal du
mot. Le français est la langue distinguée, la langue des salons et
de la mondanité.
La différence profonde des phonétiques grecque et française a
plutôt facilité l'intrusion de centaines de termes empruntés à
cette catégorie. En effet, le grec ne peut se contenter d'emprunter
le terme étranger; il est obligé de le transcrire en le rendant
prononçable, il doit aussi l'adopter au génie de la langue en
le pourvoyant de désinences casuelles, La déclinaison en éç,é
créée d'abord pour les emprunts turcs, reçoit aujourd'hui les
mots français (ffcapéç). Ainsi ces mots entrent peu à peu dans la
langue commune. Grâce aux journaux de la capitale, les salons
de province les adoptent bientôt. La plus grande diff'usion est
celle des termes désignant les parties du vêtement.
L'adoption des modes occidentales ne date pas d'hier, et les
SECTION DE PHir.OLOGIE ET D'HISTOIRE III-4 — il
premiers termes étrangers s'y rapportant étaient italiens. Mais
aujourd'hui l'influence italienne a cessé de se faire sentir. La
société italo-grecque des îles ioniennes a cessé de donner le ton ;
elle a elle-même adopté le français.
Il est intéressant d'étudier cette invasion des ternies de mode
français dans les milieux qui ignorent entièrement notre langue;
car c'est là seulement qu'on peut acquérir quelque certitude tou-
chant la réalité de l'emprunt. J'ai pu constater que comme pres-
que toujours en pareil cas, ces emprunts ont eu une conséquence
très importante. Non seulement les termes de toilette, mais
encore les noms de couleurs ont été généralement adoptés.
On a souvent remarqué la facilité paradoxale avec laquelle une
langue qui possède en grand nombre des noms de couleurs, les
remplace sans nécessité apparente par des termes étrangers (I).
Les Grecs avaient dès le début du moyen âge adopté toute une
série de termes latins (péveToç « bleu », âaTTpoç « blanc»);
plus tard les emprunts turcs sont ici particulièrement nom-
breux. Mais le grec moderne avait développé un vocabulaire
très riche capable d'exprimer toutes les nuances. Aujourd'hui
la plupart de ces noms, souvent fort jolis, sont tenus pour
surannés dans les campagnes mêmes.
Ainsi, ^leXiTlavû (couleur d'aubergine) est remplacé par )uiûp
(mauve), xpiavTaqpuXXù par pOûZ, poPieâTO (couleur de pois
chiche) par Kpé|u, picraivû par f Kpevâ. Y^Xài^io par ^■^\i (bleu),
oùpavi par ^TrXé KXép, laxuvû par KacpeouXé; cf pelevià, ffaïuouâ,
TOupKodZ:. Tous ces noms m'ont été indiqués par une Samiote
qui ignorait entièrement la langue française; et je ne crois pas
m'avancer beaucoup en disant que la plupart des mots indigènes
supplantés par les termes français sont entièrement ignorés de
l'usage athénien.
Ainsi, au moment même où le purisme semble remporter une
victoire décisive sur l'élément turc et même l'élément italien du
vocabulaire, les femmes grecques imposent aux classes supé-
rieures de la capitale, et peu à peu, à toutes les couches sociales
(1) Il suffit de rappeler l'importance de l'élément germanique dans ce
compartiment du vocabulaire français.
48 — 1II-4 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
d'Athènes et des provinces, une énorme quantité de mots français
qui, sans doute, ne s'en laisseront pas facilement déloger. Ce
qui prouve que la réaction consciente contre les mots empruntés
ne triomphe complètement que lorsqu'elle est aidée par l'évolu-
tion sociale et politique. L'arrêt de l'influx lexicologique fran-
çais ne se produira sans doute que lorsque la Grèce se sera
émancipée des influences économiques occidentales; elle n'a
réagi jusqu'à présent que contre l'italianisme et l'otlomanisme,
parce que le centre politique s'est, déplacé des Iles ioniennes
italianisées vers Athènes, la ville neuve, et parce que le monde
turc a cessé de peser sur la vie grecque. L'école a trouvé dans
ces phénomènes naturels des alliés puissants dans sa campagne
'de xénélasie.
Nous espérons retracer bientôt, dans toute son ampleur, l'his-
toire de l'élément français en grec, depuis le moyen âge jusqu'à
nos jours. La présente esquisse s'est bornée à indiquer la com-
plexité des problèmes, et à faire pressentir l'importance relative
des conclusions à tirer d'une telle histoire.
BIBLIOGRAPHIE.
Sur les mots français dans les textes médiévaux : Editions
critiques de la Chronique de Morée :
The Chronide of Morea, là XpoviKÔv toO Mopéuuç, by John
Schmitt. Londres, 4904, in-8°.
Livre de la Conqueste de la princée de l'Amorée. Chronique de
Morée (4204-1303), par Jean Longnon. Paris, Renouard, 1911.
Adamantiou, Ta XpoviKà roû Mopéuiç, tirage à part du AeXTiov
TÎri icTTopiKtîç Kai èevoXoYKfîç éraipeiaç Tfjç 'EXXàboç (t. VI).
Athènes, 4906, in-S". p. 433-675.
M. A. Triandaphyllides, Die Lehnwôrter dermittelgr. Vulyàr-
literatur. Strassburg, Trùbner, 1909.
S. Menardos, Les mots français en chypriote (en grec), 'AGrvâ,
VII (1900).
G. Meyer, Jahrb. f. rom. Phil., 15 (1873), 33-36.
III. — SECTION DE PHILOLOGIE ET D'HISTOIRE.
L'histoire littéraire de la France
et le choix des thèses et dissertations universitaires.
Gustave CHARLIER,
chargé de cours à l'Université de Bruxelles.
Dans l'ordre des études romanes, c'est peut-être le fait capital
des vingt dernières années que l'essor singulier pris par les
recherches méthodiques et précises sur l'histoire des lettres
françaises. Chacun sait la grande part qu'y ont eue, en France,
quelques maîtres dont les noms sont sur toutes les lèvres. Grâce
à leur admirable effort, le genre a vécu de la vieille « thèse
littéraire », ingénieuse ou spirituelle parfois, oratoire et vide
trop souvent, et qui, dans tous les cas, n'ajoutait à peu près
rien à notre connaissance d'un passé pourtant si complexe et si
riche. Presque au même moment, ce genre de recherches atti-
rait au delà du Rhin des travailleurs de plus en plus nombreux.
Là aussi quelque chose disparaît, et c'est le type traditionnel du
romaniste à l'allemande, admirablement au fait de la phoné-
tique et de la morphologie des anciens dialectes, rompu aux
lâches délicates du classement des manuscrits et de la discus-
sion des variantes, mais pour qui l'histoire littéraire de la
France semblait perdre soudain tout intérêt à la date fatidique
de 1453. Sur la terre classique de la philologie, il paraît bien
que le jeune Litterarhistoriker soit en train de vaincre l'an-
tique Philolog. Tout.au moins l'a-t-il doublé: cent travaux
m 4
i
50 — III-5 SECTION DE PHILOLOGIE ET D HISTOIRE
l'attestent, consacrés à la renaissance, aux siècles classiques,
au romantisme, au réalisme, et même aux périodes plus proches
encore de nous. Et le mouvement s'accentue et s'amplifie. Il
atteint aujourd'hui l'Italie, la Finlande et même les Etats-Unis
d'Amérique, d'où commencent à nous venir des contributions
que l'on aurait tort de négliger.
Ce renouveau des études d'histoire littéraire s'affirme nette-
ment dans la production scientifique des universités. Des
« séminaires » et des « laboratoires » de l'enseignement supé-
rieur, il sort chaque année un nombre appréciable de travaux
qui intéressent le long passé des lettres françaises. Thèses de
doctorat ès-lettres, mémoires de diplôme d'études supérieures,
thèses de l'Ecole pratique des hautes études ou de l'Ecole des
chartes, tesi di laurea italiennes, dissertations allemandes,
suisses, belges, américaines... autant de publications de valeur
et d'importance fort diverses assurément, mais dont la moindre
apporte cependant quelques précisions utiles ou quelques dé-
tails nouveaux.
Or, le choix de ces travaux est laissé à l'arbitraire de cha-
cun. L'étudiant s'arrête à un sujet qui le séduit et le fait agréer
par le maître qui dirige ses études. Ou bien c'est ce dernier
qui, sous l'inspiration de ses études personnelles, lui signale
le point particulier qui peut offrir matière à de fructueuses
investigations. Dès lors, des doubles emplois doivent fatalement
se produire. Il n'est pas rare qu'il sorte simultanément de deux
«ateliers» différents des travaux qui se répètent. Il est moins rare
encore qu'un étudiant ait poussé très loin déjà ses recherches
quand il se trouve devancé par un concurrent ignoré, dont la
thèse enlève à celle qu'il préparait le meilleur de sa nouveauté
et de son intérêt.
Que ces doubles emplois soient inutiles et regrettables, il
n'est pas besoin, je pense, de le démontrer. Le vaste domaine
de l'histoire littéraire de la France compte encore trop de
régions à peine explorées pour qu'on ne doive pas déplorer
des rivalités, qui se traduisent, en dernière analyse, par des
pertes de temps et d'énergie. Est-ce là, d'autre part, un mal sans
remède? Je ne le crois pas. Déjà une. heureuse initiative a
SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE III-6 — 51
fortement contribué à le restreindre : on sait que la Sorbonne
exerce, en France, une manière de droit de police sur le choix
des thèses de lettres et épargne ainsi de fâcheuses rencontres
aux candidats au doctorat. Mais son action s'arrête à la fron-
tière. Ne pourrait-on faire davantage?
J'ai souvent rêvé, pour ma part, d'un modeste office inter-
national, destiné à éviter les concurrences inutiles dans cette
branche de la production scientifique de l'enseignement supé-
rieur. Moyennant une entente entre les sections françaises des
universités, l'organisation n'en serait pas bien laborieuse, et il
coûterait moins d'efforts qu'il ne rendrait de services. Il suffi-
rait qu'on lui transmît régulièrement la liste des travaux uni-
versitaires en préparation. Il enregistrerait les divers sujets sur
un jeu de fiches classées selon un ordre systématique. Un
nouveau projet lui étant communiqué, il s'assurerait aussitôt
qu'il n'est point déjà retenu d'autre part. S'il l'était, il mettrait
en rapport les deux travailleurs, qui auraient tout intérêt à
s'entendre pour ne pas empiéter sur leurs champs de recher-
ches respectifs. Une fois le travail mené à bonne fin et publié,
il serait averti et retrancherait de son répertoire la fiche cor-
respondante. Il serait avisé de même si le projet se trouvait
abandonné. Il ne faudrait pas, en effet, entraver la recherche
sous prétexte de l'organiser. L'expérience a appris que le cas
se présente quelquefois : on a vu tel poème du moyen âge
devenir « tabou » parce qu'un savant romaniste avait annoncé
dans la Romania ou la Zeitschrift de Groeber son intention
d'en donner une édition critique, qui n'a jamais paru.
Assurément — et je ne songe pas à me le dissimuler — ce
plan tout schématique donne prise à plus d'une objection.
Et, tout d'abord, comment, sur la simple indication d'un titre
— souvent sommaire, parfois vague — reconnaître si un tra-
vail en préparation n'empiète pas sur quelque sujet déjà retenu?
Il y faudrait sans doute quelque bonne volonté de part et
d'autre. Les travailleurs seraient invités à mettre dans leurs
communications le plus possible de clarté et de précision; et, à
l'office même, la double tâche de classement et de vérification
des sujets devrait être confiée à un spécialiste assez au fait de
52 — III-5 SECTION DE PHILOLOGIE ET d'HISTOIRE
l'état des recherches pour interpréter sainement les libellés
insuffisants.
Une autre difficulté, c'est que tous les travaux préparés dans
les universités ne sont pas nécessairement publiés. Ainsi les
mémoires français de diplôme d'études supérieures et les
thèses belges de doctorat en philosophie et lettres restent sou-
vent en manuscrit. Faudrait-il laisser s'accumuler dans le ré-
pertoire de l'office les fiches relatives à ces travaux demeurés
inédits? Cet obstacle non plus ne paraît pas insurmontable.
En fait, la partie utile de ces recherches voit le jour sous des
formes diverses : articles de revues, mémoires académiques,
publications libres. Rien n'empêcherait de réclamer aux étu-
diants qui auraient recours à l'office l'engagement de l'avertir
au moment où leur travail aboutirait à une publication. Au
surplus, on pourrait fort bien, pour les projets de ce genre,
prévoir un délai au bout duquel ceux d'entre eux qui n'au-
raient pas abouti seraient réputés caducs et retranchés du
répertoire.
Bien d'autres problèmes d'ordre pratique se présenteraient
encore, qui demanderaient un examen attentif. Mais je n'ai
pas la prétention d'entrer dans le détail de lege ferenda.
Il me suffit d'avoir posé, dans cette note hâtive, une question
qui me paraît digne d'intérêt. La solution que j'ai indiquée
est-elle la meilleure? Est-elle même pratiquement réalisable?
Je ne sais. D'autres le diront peut-être, qui ont en pareille
matière l'expérience qui me fait défaut. Je le souhaite, et
d'avance je me rallie à leurs vues, si elles doivent contribuer à
combler cette regrettable lacune de notre organisation scienti-
fique. Aussi bien, la forme même de l'organisme à créer im-
porte-t-elle assez peu. L'essentiel, c'est qu'il rende les services
qu'on attend de lui, qu'il empêche le gaspillage d'efforts pré-
cieux, qu'il mette un peu d'ordre là où règne aujourd'hui la
seule initiative individuelle, avec ses caprices et ses à-coups.
Réalisé, il pourrait devenir, par surcroît, pour ceux qui auraient
recours à lui, une excellente école de solidarité scientifique.
Et ce ne serait peut-être pas un moindre bienfait.
IV. — SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE.
Le français, langue scientifique,
Maurice ANSIAUX,
professeur à l'Université de Bruxelles.
Un jeune économiste allemand me disait un jour : « La langue
française est trop belle pour être une langue scientifique. »
L'insinuation semble habilement dissimulée. A la bien consi-
dérer cependant, elle est assez grossière, car elle ne tend à rien
moins qu'à prêter aux savants de langue française un degré de
légèreté tel qu'ils n'hésiteraient point à sacrifier le fond à la
forme, à trahir la pensée au profit de la phrase.
En aucune contrée du globe, les hommes de science sérieux
n'adoptent une attitude semblable. Elle est le propre de cer-
tains esprits plus ou moins fantaisistes, que l'on rencontre un
peu partout dans le monde et qui se complaisent en un genre que
l'on pourrait appeler poliment la philosophie littéraire.
Osons l'affirmer : jamais la vraie science ne s'exprime avec
plus de sobriété et de précision que lorsqu'elle prend la langue
française comme interprète. Elle use alors des images avec une
mesure et une discrétion que l'on ne retrouverait pas partout,
au delà des monts, par exemple.
Qu'on le remarque, du reste : pour la traduction des idées
IV 1
2 — IV-1 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
abstraites, Tutilité des images ne peut être mise en question,
s'il est vrai que l'esprit humain n'est point uniquement fait de
froide raison et que l'expérience sensible a contribué, dans une
mesure incalculable, à le former et à l'enrichir. L'image judi-
cieusement employée aide à comprendre; elle n'obscurcit pas,
elle illumine. Sans doute, il est indispensable de savoir s'en
servir à propos, et il n'est donné qu'aux maîtres, à des hommes
de la taille de Bergson, d'en découvrir de neuves, d'en forger
d'inattendues, qui, tout en projetant la clarté, donnent une véri-
table impression d'art.
Au fond, ce qui irrite les adversaires de la langue française,
c'est sa vieille réputation de clarté. N'est-il vraiment pas pos-
sible, disent-ils, de s'exprimer avec toute la netteté voulue en
d'autres idiomes, et n'est-ce pas une prétention insupportable
des admirateurs idolâtres du parler de France de réclamer pour
celui-ci le monopole de la lucidité?
Pour rendre l'accusation plausible, ils l'exagèrent. Qui donc
a prétendu que la science ne puisse s'écrire qu'en français ?
Tout ce que l'on soutient, c'est que cette langue en est le plus
parfait instrument c'est que le français est le vêtement le plus
transparent de la pensée. Et ici un exemple, ou plutôt une com-
paraison. Ouvrons au hasard un traité d'économie politique,
dont l'auteur est un savant allemand des plus réputés : nous y
lisons qu'à une certaine époque, l'argent-métal était im Mittel-
punkt des Weribewusstseins. Cela signifie littéralement : « au
centre de la conscience de la valeur. » Un économiste français,
belge ou suisse romand eût écrit simplement que l'argent était
alors l'étalon des valeurs ou encore la mesure de toutes les
valeurs. Semblable expression, immédiatement intelligible, eût
passé inaperçue, au lieu que l'on s'attarde et reste tout rêveur
devant la formule allemande. D'aucuns la jugeront profonde,
penseront qu'elle suggère bien plus de choses encore qu'elle
n'en exprime. En réalité, elle n'est qu'imprécise et flottante,
disons même obscure.
Obscur, l'idiome auquel je viens défaire allusion l'est parfois,
et il convient peut-être de s'étonner de ce qu'à l'aide de cet
instrument imparfait, sous le rapport de la mise au point, le
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-1 — 3
travail scientifique et philosopliique ait pu produire les merveil-
leux résultats que l'on sait. Encore y a-t-il lieu de ne pas s'exa-
gérer ceux-ci, de ne pas se laisser abuser par une prétendue
profondeur qui n'est souvent que vide et brouillard. Des obser-
vations analogues devraient être faites à propos de la prolixité
à laquelle la langue française ne se prête qu'en rechignant et
dont plus d'une de ses voisines s'accommode avec un véritable
excès de complaisance.
A cet égard, l'on me permettra de mettre en garde la jeunesse
studieuse contre l'imitation étourdie de l'étranger, et de lui prê-
cher un inviolable attachement aux qualités traditionnelles du
français. Le prestige des savants d'Outrc-Rhiji est incontestable-
ment immense, bien qu'il n'ait peut-être plus aujourd'hui tout
à fait les mêmes raisons d'être qu'il y a une vingtaine d'années.
Mais on sait que les phénomènes sociaux, tels que la renommée
et le crédit, survivent un certain temps aux causes qui les ont fait
naître, ou que, tout au moins, il n'en coûte guère autant d'efforts
pour les entretenir et les conserver que pour les produire.
Je dirai donc à la jeune génération scientifique de n'emprunter
à l'Allemagne que ce qu'elle a vraiment d'utile à lui communi-
quer : la longue patience, la recherche méthodique, le souci
minutieux — parfois un peu excessif — de la documentation,
la crainte des conclusions hâtives, l'aversion pour la fantaisie,
enfin, une forte dose d'esprit critique de bon aloi — bien qu'il
dégénère de temps à autre en querelles personnelles ou en sub-
tilités absolument stériles.
Mais, de grâce, qu'elle évite de copier le reste : formules nébu-
leuses, dissertations pédantes, abus des distinctions et des sous-
distinctions et surtout ces perpétuels revenez -y, apparemment
indispensables pour qui écrit en une langue ne livrant pas en
une seule fois toute l'essence de la pensée, mais qui sont sans
excuse lorsque l'on se sert de la langue française.
Puisse notre jeunesse conserver aussi le goût des idées géné-
rales, qui est chose proprement française (*). Il est bien banal de
(*) La nécessité de cette remarque me parait s'imposer en présence du
fait suivant. Il y a une dizaine d'années, dans un discours retentissant.
4 — IV-1 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
rappeler que la France, héritière de la Grèce antique, a produit
une floraison miraculeuse de théories, de généralisations, de
conceptions abstraites. Prétend-on m'objecter que la science
moderne, esclave des faits et ennemie de la déduction, n'a que
mépris et impatience pour cette incomparable production
d'idées? Je n'aurai pas de peine à faire voir que cela n'est pas
exact. La science qui observe et qui induit ne fait, somme toute,
que vérifier des hypothèses. L'observation des faits abandonnée
à elle-même est radicalement improductive, parce que, suivant
la parole profonde de Claude Bernard, elle « ne comprend pas
ce qu'elle trouve ». Elle est impuissante si elle n'a l'idée pour
guide. Sans doute, l'idée se modifie souvent au cours de la
recherche expérimentale; en se vérifiant dans les faits, il peut
arriver qu'elle s'élimine complètement. Il n'importe; l'investi-
gation eût été impossible sans elle. Pareillement, sans le secours
de l'esprit de système, les résultats épars obtenus par l'expéri-
mentation ne pourraient se coordonner en une synthèse supé-
rieure, génératrice de nouveaux points de vue et donnant l'essor
à de nouvelles recherches.
Il est donc vrai qu'aujourd'hui, comme dans l'antiquité,
comme au xvii" ou au xviii" siècles, le penseur reste le pionnier
de la science. Or, sans vouloir exagérer le rôle de pur instru-
ment qu'est celui d'une langue vis-à-vis du travail intellectuel,
il semble évident que, par sa puissance de pénétration, par ses
qualités logiques, par les progrès internes qu'elle doit à une
longue lignée d'écrivains illustres, la langue française est parti-
culièrement apte à faire pe7iser. Elle pousse si naturellement aux
conceptions d'ensemble, aux systématisations harmonieuses, à
l'organisation par l'esprit des matériaux assemblés par l'expé-
rience ! Il ne faut pas douter qu'elle convienne singulièrement à
la genèse et à l'exposition des théories scientifiques contempo-
raines, dont la complexité et la « spécialité » rendent si difficile
l'adéquate expression.
mon illustre collègue de l'Université de Berlin, Gustave von Schmoller,
donnait comme mot d'ordre aux économistes : Deiailarbeit (travail de
détail).
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-1 — S
Nous voudrions, en terminant, faire justice d'un reproche
d'indigence parfois adressé à la langue française. On dénonce
son incapacité à former des mots composés, propres à noter
toutes les modalités originales de la pensée, comme à traduire
toutes les imaginations neuves des poètes. A cet égard, les par-
1ers germains auraient une supériorité indéniable. Toutes les
épithètes homériques n'ont-elles pas été rendues d'une façon
minutieusement exacte en allemand, par simple formation de
mots nouveaux ?
Défions-nous de cette richesse prétendue et soyons bien con-
vaincus qu'elle n'est nullement enviable. C'est que la faculté de
créer sans cesse des composés nouveaux pousse à l'ambiguïté du
langage. Celui qui les imagine leur prête une signification plus
ou moins conventionnelle, qui n'est pas toujours bien comprise.
Et, de là, proviennent équivoques et obscurités.
Dans une langue parvenue à son entier épanouissement, les
mots nouveaux ne s'imposent que pour désigner des objets ou
des phénomènes nouveaux : aéroplane, dirigeable, aviation.
L'exemple cité montre précisément que le français se donne tous
les mots vraiment nécessaires.
On fait encore remarquer, avec une pointe de dédain, qu'il est
réduit à les tirer du grec. D'abord ce n'est toujours vrai — le
mot dirigeable vient de le prouver — et puis, est-ce un mal? Un
terme technique ou scientifique tiré du grec ne peut avoir qu'un
sens : celui que lui attribue l'art ou la science qui le crée. Issu
directement /lu langage courant, il ne pourra souvent se dégager
qu'avec peine et lenteur de son imprécision originelle. Compa-
rez géographie et Erdkunde. Tout Allemand quelque peu instruit
décompose instinctivement ce dernier vocable et comprend tout
de suite qu'il signifie : connaissance de la terre. Le voilà bien
avancé ! Ou plutôt bien perplexe, car il éprouvera une réelle dif-
ficulté à identifier cette expression vague et générale avec la
notion stricte de cette espèce très spéciale de connaissance de la
terre qui étudie le dessin et le relief des continents et des îles,
la forme des océans et des mers, les bassins des fleuves, la dis-
position des chaînes de montagne, le territoire des Etats avec ses
divisions administratives, etc.
(5 — IV-1 SECTION PÉDAGOGIQCE ET SOCIALE
Il est donc préférable que les termes techniques n'aient aucune
attache apparente avec le langage courant. Et si l'on pouvait
adresser, à cet égard, une critique au vocabulaire français de
certaines sciences, c'est que l'on y rencontre des mots ayant un
sens — ou même plusieurs — pour le vulgaire : ainsi, en éco-
nomie politique, utilité, capital, valeur.
En résumé, loin de reprocher au français son inaptitude à
produire à jet continu des composés, on doit le féliciter de ne
posséder, à cet égard, qu'une capacité strictement limitée aux
besoins nouveaux, et d'emprunter souvent aux langues anciennes
les éléments de ses néologismes, circonstance qui assure aux
mots ainsi forgés une unité parfaite de signification. Et, de la
sorte, on en revient toujours à la clarté française.
IV. — SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE.
La culture française dans l'éducation féminine,
M"» Marie CLOSSET,
professeur de littérature à l'Institut de culture française de Bruxelles.
La cuKure franvaise devrait être dans notre pays la base de
l'instruction féminine.
Il faut savoir à quel point l'interprétation actuelle des pro-
grammes gouvernementaux s'écarte de cette conception qui fut
jadis celle d'un régime politique plus généreux, pour com-
prendre les raisons de la décadence où nous nous trouvons
aujourd'hui : je parlerai, en premier lieu, de l'enseignement
supérieur, des écoles normales de régentes et d'institutrices qui
envoient chaque année, dans nos sections primaires et moyennes,
nombre de jeunes filles entre 20 et 24 ans presque incapables
d'écrire une page de prose claire et bien construite sur un sujet
de leur compétence, et tout à fait incapables de s'exprimer avec
une aisance correcte devant leurs élèves.
Cependant, je le répète : la langue française devrait être, en
Belgique, la base de l'enseignement général. Cela est d'autant
plus important pour les femmes que leur progranmie scolaire
excluant le latin, l'étude continuelle et approfondie du français
peut seule devenir pour elles l'instrument de cette logique, de
8 — IV-2 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
ce clair enchaînement des idées, de cette faculté de détacher
l'essentiel du détail qui ne nous est point innée et que nous
avons, en raison de notre nature, tant de peine à acquérir.
Les garçons travaillent tous les jours, dans les Athénées, à
mettre du latin en français et, inversement, à essayer de trouver
l'équivalent dans le latin, des formes et des rapports de pensée
dont se compose un texte français. Je sais bien que nulle disci-
pline intellectuelle ne résulte le plus souvent de cet exercice
quotidien, parce que, là comme ailleurs, les maîtres manquant
de culture générale, la pratique du latin n'est plus pour les
élèves qu'une fastidieuse et dérisoire besogne. Cependant, qu'un
professeur intelligent s'empare de cette routine et il en tirera
pour ses écoliers, malgré tout, une éducation supérieure. Au
moins peut-il, s'il veut, remplir bon nombre d'heures à essayer
de leur montrer à disposer les idées par ordre de valeur et de
dépendance. Et c'est là un acquis considérable.
Chez les jeunes filles, on remplace de plus en plus, dans les
écoles de régentes, les heures autrefois consacrées à la lecture
des chefs-d'œuvre et à l'histoire a])profondie de la littérature
française par le plus sot et le plus vain des exercices : ces leçons
apoelées d'Analyse littéraire qui mettent le comble à notre
incapacité naturelle de penser et de parler avec précision et
mesure !
On l'a dit très souvent, mais il faut le redire ici : une jeune
personne guidée par son professeur d'analyse littéraire (lui-mênle
complètement dépourvu d'esprit d'analyse et de culture fran-
çaise), s'exerce (à l'âge de 20 ans et sous peine de n'obtenir pas
son diplôme) à traduire, dans un français vague et mal sonnant,
une page de Racine ou de Taine, à déformer jusqu'à l'absurde et
jusqu'au crime les vers les plus admirables, à remplacer dans
son esprit et celui des enfants qu'on lui confiera bientôt, par un
fatras prétentieux et imbécile le souvenir direct et pur des
œiivres des grands écrivains !
Non seulement, il faut supprimer à tout prix de nos pro-
grammes ces déplorables leçons, mais il faut les remplacer par
des heures nombreuses de lecture à haute voix et il faut exiger des
jeunes filles de 20 ans qu'elles sachent bien lire et bien parler le
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-2 — 9
français avant de leur permettre de rien enseigner, fût-ce la
physique, fût-ce la couture !
Mais il faudrait surtout qu'au règlement des examens de sortie
des élèves régentes qui concourent dans la section litléraire, on
introduisît une cote d'exclusion rigoureusement observée qui
visât l'élude du français seul. Faute de quoi, l'on nous donne
pour de brillants sujets des élèves qui, ayant obtenu les neuf
dixièmes des points pour le flamand ou pour la géographie,
remportent une « grande distinction » dans cette section soi-
disant « littéraire » et ne peuvent ni écrire ni parler correcte-
ment le français.
Ce qu'on entend ordinairement chez nous, dans le inonde
pédagogique, par la culture française, est chose si pauvre et si
superficielle, qu'au lieu de servir et de conduire en même temps
l'éducation générale, elle n'y touche par aucun côté et ne déve-
loppe point l'intelligence.
Or, il faut rappeler une fois de plus, que l'étude d'une langue
et particulièrement celle du français qui fût, qui est, et qui sera
toujours l'unique truchement des Belges entre eux et tout le
savoir humain, suffirait, si l'on s'y prenait largement, à relever
et à élever du même coup, sur le plan philosophique, ces (qua-
rante spécialités de nos programmes dont on alimente, sans les
nourrir, les cervaux des jeunes gens hommes et femmes.
Il n'est point rare d'entendre dire que dans nos universités
même, étudiantes et étudiants se plaignent qu'aucune idée géné-
rale n'éclaire les cours de littérature, d'histoire, de philologie,
de grammaire... A plus forte raison, dans les écoles normales où
l'on forme les institutrices et les régentes, la même inculture se
constate, nécessairement plus profonde. 11 y a de l'instruction,
c'est-à-dire cette richesse extérieure et lourde, sans rayonnement
ni sur la personne morale ni sur le monde des idées. Et ni l'in-
dividualisme n'y peut prendre le point d'appui de son élan, ni
la fraternité cgalitaire n'en profite : c'est un bagage inutile, un
amas de matériaux sans emploi, une u suffisance pure livresque »
disait Montaigne...
<c L'Institut de culture française «, qui s'ouvrira en octobre
prochain, à Bruxelles, et que le collège des bourgmestres et
10 — IV-2 SECTION PÉDAGOGIQUK ET SOCIALE
échevins de celte ville a bien voulu honorer de sa confiance et de
son appui, est fondé pour réagir contre cet état de choses.
Dans sa partie démocratique, il offre aux jeunes institutrices
et régentes diplômées, l'occasion de transformer l'instruction
acquise au cours de noniljreuses années d'études hâtives, en
adhire générale. L'étude de la langue française, sous forme
d'histoire de la littérature et d'histoire de la grammaire et du
vocabulaire français y tiendront la plus grande place. Par
['histoire de la liltérature nous entendons ceci : montrer, en déve-
loppant chaque année quelque point principal de cette littéra-
ture, que comprendre un livre ou un auteur et se cultiver en sa
compagnie, ce n'est pas l'analyser à la façon des pédants pour en
classer les beautés et les défauts, mais mettre son intelligence avec
une entière humilité à l'école d'un maître à penser et d'un maître
à écrire.
Les cours de géographie et d'histoire seront faits à l'Institut,
non point pour accumuler des matières nouvelles dans l'esprit
des jeunes femmes qui les suivront, mais pour développer en
elles le goût des idées générales, l'intelligence des méthodes
diverses, l'habitude de s'exprimer avec justesse sur des sujets
élevés.
L'ensemble de ces cours aidera nos étudiantes à sortir (malgré
les programmes officiels inéluctables qui leur seront imposés
dans les classes dont elles seront titulaires) de la platitude et de
la médiocrité qui les atteignent douloureusement dans le milieu
de leur activité quotidienne.
Une pédagogie en naîtra peut-être, dont aucun professeur de
l'Institut de culture française, n'aura été directement le protago-
niste et qui aura pour point de départ ces principes : 1" que la
connaissance de la langue française et des chefs-d'œuvre écrits
dans cette langue est, pour notre pays, l'instrument de la véri-
table libération de l'intelligence et de son développement; 2° que
là pratique constante des idées générales est le signe à quoi l'on
reconnaît quelqu un capable d'enseigner les autres.
Il me paraît iiuitile d'ajouter à ceci les rétlexions que me sug-
gère l'état actuel de la culture française dans l'enseignement pri-
maire et moyen de Belgique. Pour y apporter un changement
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE lV-2 — 11.
efficace, il faut former d'abord un bataillon d'institutrices et de
régentes propres à enseigner le français d'après les principes
exposés plus haut. C'est par l'enseignement supérieur, c'est par
les professeurs eux-mêmes qu'il faut nécessairement commencer
toute réforme pédagogique.
Celle-ci est de première importance pour une nation comme la
nôtre en qui l'on voit, alliée à tant de beaux et puissants instincts,
une si arrogante vanité de l'intelligence, refusant par obstination
et vantardise de boire à la coupe toute proche que lui tend la
plus généreuse de ses sœurs.
IV. — SECTION PEDAGOGIQUE ET SOCIALE.
Les meilleures méthodes d'enseignement et de propagation
du français chez les Arabes de l'Algérie,
le D' Jean-Henri PROBST,
ancien maître des écoles arabes-françaises d'Algérie.
Beaucoup d'Européens, et même de Français métropolitains,
paraissent considérer comme particulièrement ditiicile l'en-
seignement de notre langue aux sujets musulmans de nos colo-
nies de l'Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc). Je me per-
mettrai de réfuter tout de suite celte opinion infondée et
préconçue. •
Les Musulmans du Nord-Africain : Arabes ou Berbères
(Kabyles, Mozabites, Chaouïas, etc.), sont de race blanche, tout
aussi intelligents que nous, descendants en partie des Maures
qui ont civilisé l'Espagne du Sud et fait avancer les sciences au
moyen âge. Ce sont donc d'anciens civilisés, refoulés par les
succès guerriers des Européens et isolés ensuite, puis tombés
en décadence sous l'influence du milieu dimatérique ou des
besoins très différents. Ce sont aussi, car il y avait des popula-
tions blanches établies sur les bords africains de la Méditerranée
avant les migrations musulmanes, des Proto-Sémites (Gétules et
Numides des Anciens) venus de l'Est avant l'ère chrétienne, des
14 — IV-3 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
témoins persistants des invasions romaines, byzantines, van-
dales, espagnoles, turques.
Le musulman actuel est un mélange de tous les éléments
ethniques qui se sont superposés sur le sol nord-africain, arti-
ficiellement unis par la religion de l'Islam et la plus ou moins
grande proportion de termes arabes entrés dans son vernacu-
laire, variable selon les régions, plus arabe que berbère ici,
plus berbère qu'arabe plus loin, etc., selon le degré de respect
et d'autorité que les envahisseurs arabes ont su ou pu leur
imposer, conservant le vieux parler berbère à peu près inté-
gralement dans les montagnes, où les soumissions étaient peu
sincères, s'arabisant plutôt dans les plaines, où la domination
était plus facile à établir. Les idiomes latins, grecs, ger-
mains, ont disparu, c'est à peine si quelques termes déformés
subsistent encore ça et là, comme « tabourt » pour « porta », et
détonnent au milieu d'un lexique oriental.
Nous avons donc affaire à des hommes d'une mentalité à peu
près analogue à la nôtre, intelligents, dont les idiomes très
riches expriment un grand nombre d'idées, qui possèdent d'in-
téressantes littératures. Il ne fallait donc pas inventer des pro-
cédés extraordinaires d'enseignement du français.
Les fondateurs des premières écoles élémentaires destinées
spécialement aux indigènes, puisqu'elles devaient fonctionner
dans des districts où les Européens sont rares, le regretté
M. Jeanmaire, recteur d'Alger, et M. Bernard, directeur de
l'école normale type d'Alger-Bouzaréa, aujourd'hui directeur de
l'école normale de la Seine, pédagogues éprouvés et pratiques,
élaborèrent, avec une commission de maîtres compétents, des
programmes adaptés aux buts poursuivis et aux milieux parti-
culiers où ils seraient appliqués, dans l'esprit des méthodes
directes, naturelles, de conversation exclusive dans la langue
française étudiée. Pas de traduction, pas de comparaison entre
les langues indigènes et la nôtre, mais des associations d'images
visuelles et des phrases et des mots français qui les représentent
auditivement, des applications sérieuses, rationnelles, des pro-
cédés employés par la mère quand elle apprend à parler à son
enfant, sorte de méthode Berlitz plus simple, plus logique.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV'S — 13
Cette innovation ntile, féconde, fut combattue d'abord par les
partisans de l'ignorance des indigènes, qui paient d'autant
moins la main-d'œuvre, exploitent d'autant mieux nos sujets,
que les Musulmans savent moins ce qui se passe dans les milieux
ouvriers français et ne peuvent réclamer quand leurs intérêts
sont lésés, mais la thèse du bon sens, de l'humanité a triomphé
lentement, s'impose enfin aujourd'hui par ses résultats incon-
testables et définitifs.
Je ne peux évidemment, et je le déplore^ dire que la nioilié
des 3 millions et demi d'indigènes algériens parle ou comprend
le français, mais je crois pouvoir constater que, partout où les
indigènes ont la faculté d'envoyer leurs enfants à l'école, la
connaissance de notre langue croit avec rapidité. Dans des loca-
lités, pourtant habitées, jadis comme aujourd'hui, par quelques
Européens, où il n'y avait pas d'école, la proportion des indi-
gènes connaissant un peu de français était d'un tiers. Elle est
aujourd'hui, dix ans après, des trois quarts. Sauf les vieillards,
réfractaircs partout, presque tous : adultes, femmes, fillettes,
garçonnets en marge de la population scolaire, sont capables de
répondre à une question simple, de donner un renseignement,
de faire une vente ou un achat usuel en français.
L'instruction à l'école est le principal facteur sans doute, et
c'est sur lui que nous allons insister, mais nous mentionnerons :
l'emploi de plus en plus fréquent d'auxiliaires, de manœuvres
indigènes chez des Européens qui ne savent pas leur langue. Les
indigènes apprennent, par la force des choses, un certain nombre
de termes, de mots, de phrases; les engagements volontaires dans
les corps de tirailleurs, où les commandements et l'instruction
se font en français ; depuis peu l'appel obligatoire des recrues
indigènes dans la proportion d'un dixième. Tous ces soldats sorti-
ront du régiment en possession d'éléments sérieux, quoique rudi-
mentaires, du français, et seront fiers de les transmettre à leurs
parents et à leurs enfants; enfin la suppression des interprètes.
Revenons à renseignement proprement dit de l'école spéciale
d'indigènes, la seule qui s'adresse à des enfants complètement
ignorants de notre langue, les autres pouvant toujours fréquenter
les établissements scolaires destinés aux Européens et se déve-
16 — IV-3 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
lopper en français, comme dans toutes les autres matières,
à l'égal de leurs petits camarades de France, puisque les pro-
grammes des écoles d'Européens sont les mêmes en Algérie que
dans la métropole.
Les maîtres destinés à l'instruction primaire exclusive des
indigènes sortent de deux institutions distinctes de l'École nor-
male d'Alger-Bouzaréa : le Cours normal et la Section spéciale.
Font leurs études au Cours normal de jeunes Arabes ou Kabyles
pourvus du certificat d'études primaires et qui ont passé un con-
cours d'entrée. Ils y restent jusqu'à l'âge de 18 ans environ,
y préparent le brevet élémentaire de capacité et s'y initient aux
méthodes pédagogiques de l'enseignement direct par l'aspect.
Ils en sortent avec le titre de moniteurs-indigènes et servent
d'adjoints, chargés des classes inférieures des écoles élémen-
taires, aux maîtres français pourvus du brevet supérieur et du
certificat pédagogique. En général, sortis des écoles normales
ordinaires, ces derniers parachèvent leur formation profession-
nelle dans une année de séjour à la Section spéciale, sorte de
quatrième année, se familiarisent avec les petits élèves indigènes
dans les classes exclusives de l'école annexe, s'initient aux élé-
ments de l'agriculture pratique africaine, des travaux manuels
utiles en pays indigènes, à la médecine d'accidents, aux sono-
rités un peu étranges pour eux des idiomes arabe et kabyle.
Voici maintenant comment moniteurs indigènes pourvus du
brevet simple, sortis du Cours normal, et maîtres français bre-
vetés supérieurs, cerlitiés pédagogiques, formés à la Section,
enseignent le français aux enfants musulmans.
Ils s'entourent d'objets usuels, ou d'images représentant ces
objets s'il est difficile de se les procurer, les montrent à leurs
élèves en les leur nommant plusieurs fois en français. Les
petits, corrigés par les maîtres quand ils prononcent mal,
répètent collectivement, puis individuellement. Ils accom-
plissent des actions simples, où les objets jouent les rôles des
divers compléments, et répètent en français ce qu'ils font. Je
suppose, par exemple, que l'on ait pris pour thème de leçon :
la charrue et monti'é aux petits ce que sont : le soc, le couteau,
les mancherons, le tirant, le sillon, sur une image, ou mieux
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-3 — 17
dans le champ ou le jardin annexé à l'école. On leur l'ait tou-
cher les objets et répéter à mesure, par exemple : je tiens, tu
tiens, etc., les mancherons de la charrue, pour guider le soc. —
Les bœufs tirent la charrue avec leur tête. — Le laboureur
creuse le sillon avec la charrue. — La charrue indigène- n'a pas
de roues et celle des Européens a deux roues. — La charrue
arabe est en bois, la charrue des Européens est en fer, etc. La
leçon porte sur les substantifs et les verbes étudiés séance
tenante, associés à des vocables expliqués et appris les fois pré-
cédentes. C'est ainsi que les verbes guider, creuser, tirer ont été
utilisés pour varier la leçon et rappeler des actions importantes
déjà connues antérieurement. On procède par ordres et interro-
gations : Ali, prends les mancherons delà charrue. — Moham-
med, guide les bœufs. — lousef, regarde la charrUe creuser le
sillon. — Que fait Ali? Que cherche Mohammed ? Que regarde
lousef? Avez-vous vu le sillon? Qui creuse le sillon? etc.
Les gamins répètent les questions, exécutent les ordres, s'ef-
forcent de former des proportions simples et de répondre à
leur maître.
Chaque leçon embrasse un sujet distinct, à vocabulaire nou-
veau, à actions nouvelles ; le jardin, la ferme, la mosquée, la
montagne, la plaine, la mer — les semailles, le labour, la mois-
son, la vendange — lesjeùx, lâchasse, la pèche, etc.
On passe ainsi en revue les diverses circonstances de la vie
usuelle, les milieux et les objets ambiants. Plus tard, l'année
suivante par exemple, on traite des sujets plus particuliers ou
moins concrets : les bijoux de la femme, les opérations de la
cuisine, le lissage des vêtements, les moyens de transport, etc.
On arrive enfin aux conversations proprement dites sur toutes
sortes de sujets, d'autant mieux que la lecture, apprise au moyen
de la méthode de lecture-écriture, a marché de pair avec l'ensei-
;.,'nement du vocabulaire et de la formation de la phrase. Tous
les mots des textes lus, écrits, sont naturellement empruntés aux
leçons de langage déjà bien sues, en sont une sorte de revision.
L'arithmétique, le dessin, la géographie, entre autres connais-
sances, sont acquises par des moyens concrets, leurs termes
appris en même temps qu'utilisés ou tracés. Voici une bille,
IV 2
18 — IV-3 SECTIO.N PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
deux billes, trois billes, quatre billes. Voici un morceau de
sucre, cinq morceaux de sucre, six morceaux de sucre, etc.
Deux billes et deux billes font quatre billes. Ajoute deux billes à
deux billes, combien cela fait-il? Voici deux billes, combien en
ajouteras-tu encore pour faire quatre billes? etc.
La ligne verticale est comme le fil à plomb du maçon ; la ligne
horizontale est comme la surface de l'eau; la ligne oblique est
comme la pente de la montagne. — Dans ce dessin, combien y
a-t-il de lignes obliques, de lignes verticales? Montre-moi les
lignes horizontales?
Pris dans un réseau d'associations de l'œil et de l'oreille, à
tout moment se servant des mêmes termes dans différentes
circonstances, l'enfant finit par posséder un vocabulaire et un
mécanisme suftisant de la langue. Il comprend beaucoup de
choses au bout d'un an, parle le français usuel très convenable-
ment après deux ans, au point de pouvoir parfois suivre la classe
d'Européens correspondant à son âge ou celle immédiatement
inférieure.
Certainement la méthode directe naturelle est très supérieure
en résultats et en rapidité à la méthode de traduction. Elle a
l'avantage d'empêcher l'enfant de penser dans sa langue avant
de penser dans la nôtre quand il parle français, elle évite aussi
le tâtonnement. De plus, les notions acquises avec elle ne s'ou-
blient plus, les associations verbo-visuelles devenant presque
indissolubles.
Bien entendu cette méthode directe n'est employée que pour
dégrossir les enfants totalement ignorants des éléments de la
langue française, et on l'abandonne dans les classes moyennes
et supérieure de l'École d'indigènes, où l'enseignement est, à
peu de chose près, analogue à celui donné dans les écoles pri-
maires d'Europe.
Il est défendu, dans toutes les classes, de parler la langue
indigène. Jamais les maîtres, qui comprennent tous l'arabe ou
le kabyle plus ou moins bien, selon les régions, ne s'adressent
à un élève dans sa langue, mais en français; il repètent et font
répéter l'ordre ou la question jusqu'à ce qu'ils soient saisis, en
variant les compléments et les actions, par exemple.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-3 — 19
Je suppose que l'ordre de fermer les livres ait été donné et
que Rubuli n'ait pas compris. Le maître fermera ou fera fermer
la porte, la fenêtre, en disant et en faisant dire : je ferme la
porte, ferme la fenêtre; puis, touchant le livre, il ajoutera, s'adres-
sant à Rubuli : ferme le livre. Il est rare que l'élève n'ait pas
appris en quelques minutes le sens du verbe qu'il ignorait,
frappé par l'association des mots et des actions ou des objets.
Pourquoi les professeurs de langues vivantes sont-ils encore
en partie attachés à l'ancienne méthode de traduction, et pro-
clament-ils fantaisiste ou moins féconde qu'on ne croit la
méthode directe ? Tout simplement, j'en sais quelque chose
puisque je suis ancien maître des écoles arabes-françaises, parce
qu'elle oblige les professeurs à agir et à parler tout le temps
avec les élèves, ce qui est fatigant et pénible.
Rien n'empêche de couper par des pauses les leçons trop
longues, ou de faire copier des modèles sans abuser du repos,
mais il faut absolument, résolument, adopter la méthode directe
maternelle d'enseignement des langues, si l'on veut obtenir des
progrès durables, importants, plus rapides que par tout autre
moyen. Elle a fait ses preuves pour l'étude de l'anglais, de l'alle-
mand, de l'espagnol, de l'italien.
Nous avons souvent rencontré, dans nos excursions, loin de
tout centre européen, des petites filles et des petits garçons capa-
bles de répondre à des questions sur. la route, le temps, les res-
sources de la région. Ils avaient tous appris ce qu'ils savaient
de français avec des frères ou des cousins, élèves de nos écoles,
ou, dans les douars isolés de toute école, ils étaient les enfants
d'anciens élèves. Certainement leurs instructeurs avaient procédé
comme ils l'avaient vu faire plusieurs années par leurs maîtres,
par la méthode directe d'association de l'objet au son du mot
français, de l'action à la phrase de notre langue. Ce sont là,
peut-être, après nos élèves, ceux qui s'expriment le mieux. En
effet, quoique avec moins de précision et j'ose dire de correction,
même au second degré, l'écho de l'enseignement des instituteurs
français garde quelque chose de progressif, de logique, de choisi,
de clair, qui manque à l'acquisition fortuite, au hasai'd des pro-
miscuités de l'atelier, de la ferme ou de la chambrée.
20 — IV-3 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
Il ne faut pas néanmoins mépriser la propagation du français
par la fréquentation journalière de métropolitains, en moyenne
peu cultivés. Peu importe, en somme, que l'indigène répète les
fautes qu'il entend commettre par l'ouvrier agricole ou indus-
triel de Lyon ou de Paris, qu'il dise: « le cintièmc étage»,
« je //ai aperçu », qu'il emploie des termes d'argot comme :
casquer, briffer, refroidir, etc. Dans ce domaine, les plus hor-
ribles sont j)eut-être les tournures traduites directement du
catalan, du valencien, du provençal, du napolitain en français :
je suis été me promener — je l'ai parlé — j'ai tombé mon outil ;
— les altérations méridionales : fais entention — as-tu carculé ?
— ne m'ensulte pas, etc. Mais l'indigène se fait comprendre et
comprend les autres, ce qui est l'essentiel.
Je ne peux ici examiner d'autres classes d'expressions, traduites
plus ou moins mal de l'arabe ou du kabyle en français, le
mélange de mots et de termes italiens, espagnols, arabes,
hébreux incorporés au langage néo-français populaire en Algé-
rie. M. Louis Bertrand, dans Le Sang des races et maints autres
romans curieux, a signalé la formation d'une race algérienne,
à dominante civilisatrice franco-arabe, d'un idiome vulgaire néo-
français, enricbi de toutes sortes d'apports des langues romanes
ou sémitique ambiantes.
L'emploi de plus en plus nombreux dHndigènes dans les ate-
liers, les chantiers, les fermes, à cause du meilleur marché de
leur main-d'œuvre, sera donc un deuxième moyen de propa-
gation du français, involontaire sans doute, occasionnel, mais
effectif, par la même méthode naturelle, pratiquée ici avec
une liberté totale, mais imparfaitement, en raison de l'infério-
rité du milieu européen.
L'enrôlement dés jeunes musulmans dans nos armées, d'abord
volontaire, aujourd'hui obligatoire, est aussi un facteur impor-
tant d'acquisition de la langue française.
11 ne faudrait cependant pas s'illusionner, croire la victoire
gagnée dès maintenant. Si peut-être, dans les centres et dans les
régions rapprochées de la mer, on peut rencontrer la moitié ou
les trois quarts des jeunes hommes et des enfants pris au hasard,
capables de comprendre et de parler plus ou moins le français,
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-3 — 21
il n'en est pas de même dans les régions de l'intérieur, loin des
centres et des écoles, cependant répandus un peu partout jusque
dans le Sahara : Biskra, Touggourt, el Oued, Laghouat, Colomb
Béchar, etc. Les centres où se trouvent généralement les écoles
sont, en effet, séparés les uns des autres de 100 kilomètres et
parfois davantage. Comment les indigènes pourraient-ils les
fréquenter dans ces conditions? Seuls peuvent profiter des
commodités qu'ils offrent, les Musulmans qui les habitent
ou cultivent des territoires situés dans leurs environs immé-
diats.
Il est donc très nécessaire d'augmenter considérablement
et partout le nombre des écoles d'indigènes, sans se laisser
arrêter par les critiques intéressées et rétrogrades de certains
coloniaux.
L'appel des indigènes au service militaire dans la proportion
d'un dixième est insuffisant à plusieurs points de vue. Nous
avons besoin, au Maroc, de troupes denses, robustes, acclimatées,
endurantes, et nos sujets musulmans algériens peuvent nous les
fournir. Elles remplaceront avec avantage, moins de dépenses et
de soins, les régiments européens, mal acclimatés, plus délicats,
plus vite fatigués. On n'a pas à craindre, de la part des Algériens,
une entente avec l'ennemi. Quoique également Musulmans, les
deux groupes nord-africains présentent des différences de
mœurs et de races assez fortes pour les séparer. Voisins cepen-
dant, Marocains et Algériens se sont détestes de tout temps et se
combattent avec enthousiasme. L'augmentation des effectifs
indigènes servira la cause de la langue française, surtout si,
comme je le souhaite on foi-me les recrues musulmanes dans les
garnisons d'Europe avant de les envoyer terminer leurs trois ans
en Afrique.
Dans cet ordre d'idées, j'aimerais que l'exemple de proprié-
taires de Versailles et de Tours fût suivi plus largement. Ces
intelligents agriculteurs font venir de Kabylie les moissonneurs
el les vendageurs supplémentaires qu'ils ne peuvent trouver sur
place.
Les indigènes apprendront vite le français au contact de nos
nationaux et se soucieront même d'arriver en France avec
2-2 — IV-3 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
un petit bagage de mots et de phrases qu'ils augmenteront
ensuite.
Autre résultat, extérieur à notre sujet, mais très important :
les citoyens français qui ne sont jamais sortis de chez eux
deviendront plus humains et plus tolérants. On verra de moins
en moins des ouvriers européens chercher querelle aux indigènes
circulant en France. J'ai constaté à Paris, dans le quartier
d'Italie, une haine très caractérisée contre les colporteurs et les
journaliers Kabyles, pourtant vêtus à l'européenne. J'ai entendu .
dire à des prolétaires parisiens : « Que viennent faire ici ces
étrangers ? » Singulier état d'esprit qui sépare deux catégories
de Français, les uns de vieille souche, les autres plus récemment
entrés dans la nation, malgré eux, à la suite de guerres où ils
ont été vaincus. Si les différences de sang, de coutumes, de
croyances sont encore trop apparentes pour permettre une
fusion de ces deux éléments, qu'il y ait cependant plus de
confiance, de générosité de la part des métropolitains. Les indi-
gènes sont de race blanche, ne sont pas plus mauvais que les
hommes peu cultivés de toutes les races, ils sont au contraire
souvent serviubles, patients et polis. Enfin, le devoir du
vainqueur est de faire oublier sa victoire, de tendre la main au
vaincu et, puisqu'il a fait entrer l'indigène dans la nation
française, il ne doit pas le laisser sur le seuil, surtout s'il n'a
pas eu pour but, en s'emparant du Nord de l'Afrique.de s'assurer
seulement des débouchés, mais aussi principalement de civiliser
des hommes indisciplinés et ignorants, de les appeler au grand
banquet du progrès.
Je m'élèverai aussi, en terminant ce court entretien, contre
l'abus des interprèles judiciaires et militaires. La langue fran-
çaise sera d'autant plus et mieux parlée dans les milieux
indigènes que les Musulmans seront obligés d'exposer leurs
aff"aires au tribunal, dans les bureaux d'administration, en
français. Il y a longtemps que les Anglais rendent la justice en
anglais, aux Indes, sans l'assistance d'interprètes. L'Hindou a
intérêt à connaître l'idiome de ses maîtres et l'apprend plus ou
moins bien.
Les indigènes eux-mêmes sont sans doute trop négligents et
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-3 — 23
réfractaires par imprévoyance, ignorance, défaut d'occasions
propices. Mais tous les Européens ne favorisent pas la diffusion
de la langue française et désirent même laisser les Kabyles et
les Arabes dans la nuit intellectuelle complète, pour éviter qu'ils
n'élèvent leurs salaires à l'imitation des ouvriers européens, ou
ne se mettent en grève, quand on exploite leur naïveté ou leur
timidité individuelle. Les écoles d'indigènes, malgré les efforts
remarquables de M. le recteur d'Alger et du (iouvernement
général, ne sont pas encore assez nombreuses, faute de crédits.
La circulation des indigènes en France, entravée par la diffi-
culté d'obtenir des permis de voyage (un sujet musulman ne
pouvait franchir la mer sans autorisation administrative
souvent refusée, ne pouvait même (juitter sa maison en Algérie),
est aujourd'hui facilitée par de nouveaux décrets plaçant nos
sujets sous le droit commun. Minime encore, espérons qu'elle
sera plus grande bientôt. L'extension du service militaire à une
plus forte proportion déjeunes musulmans servira la cause de
la propagation du français, surtout si on se décide à les envoyer
en France. Enfin si l'on supprimait les interprètes, plutôt nui-
sibles qu'utiles à d'autres point de vue encore que celui Je
la diffusion du français mais dont l'étude sortirait de notre
sujet, on rencontrerait partout, dans les régions les plus isolées
de l'Algérie, des indigènes parlant le français.
Il y a beaucoup à faire dans les directions indiquées; le
chemin est tracé, il n'y a qu'à le suivre jusqu'au bout.
Quand la majorité des Arabes et des Kabyles parlera, ou
comprendra tout au moins, le français, l'Algérie indigène sera
définitivement incorporée à la France. Les idées, la mentalité
européennes pénétreront alors les masses indigènes, trop
averties alors pour la révolte, persuadées insensiblement de
l'intérêt qu'elles ont à collaborer avec les chrétiens. La connais-
sance de la langue fera plus pour le rapprochement pratique
des races que tout autre facteur. Je suis persuadé que les
mariages mixtes, si rares aujourd'hui, entre indigènes et euro-
péens se multiplieront quand les uns et les autres se connaîtront
et s'apprécieront mieux. Je dirai même que l'infiuence fana-
tique de certains commentaires maraboutiques disparaîtra et
24 — IV-3 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
que les Musulmans plus francisés seront moins étroits dans leur
pratique surannée de l'Islam primitif.
Par les méthodes naturelles, directes, de conversation à
l'école et dans la vie, propageons, encourageons le français dans
nos colonies, dans l'intérêt de la coopération des races à
l'œuvre de paix et de civilisation humaines.
IV. — SECTION PEDAGOGIQUE ET SOCIALE.
De l'enseignement du français usuel aux débutants,
en pays de langue flamande.
M. LENEU,
directeur d'école à Houtkerque (France).
I. — Conditions de l'école française en pays flamand.
Dans un pays centralisé comme la France, où l'unité nationale
est si puissante, il est légitime d'exiger que tous comprennent la
langue nationale et s'expriment dans cette langue, au moins dans
les circonstances publiques de la vie. Aussi le règlement des
écoles comporte-t-il cette prescription : le français est seul en
usage dans les classes.
Pour la grande majorité, le français est la langue maternelle et
d'usage courant. Il existe pourtant des régions françaises où per-
sistent des idiomes particuliers. Telle la Flandre flamingante,
c'est-à-dire la majeure partie des arrondissements de Dunkerque
et d'Hazebrouck. Là, le flamand est d'usage courant, et la puis-
sance de la tradition est telle que des personnes causant parfai-
tement le français parlent le flamand dans leurs familles et en
font la langue maternelle de leurs enfants. On peut dire, sans
exagération, que, à l'exception des villes où le français est plus
répandu, les petits Flamands entrent à l'école sans connaître les
26 — IV-4 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
premiers éléments du français. Dans la commune où j'exerce,
village éloigné de tout centre et resté, par suite, purement flamand,
l'école des garçons reçoit, bon an, mal an, douze nouveaux élèves.
Depuis six ans que je suis chargé de la direction de l'école, je n'ai
trouvé que trois petits garçons qui comprenaient le français à
leur arrivée : l'un était né à Lille et y avait habité jusqu'à l'âge de
o ans; les deux autres étaient fils de douaniers et avaient passé
leur première enfance en pays de langue française.
Bon nombre d'habitants pourtant sont capables de s'exprimer
en français; certains même ont reçu une instruction avancée et
comprennent les avantages qu'il y aurait pour leurs enfants à être
initiés, dans la famille, à la langue nationale.
Personne ne s'y résout, et l'école reste la seule initiatrice à la
langue française. L'écolier est Français à l'école six heures par
jour et cinq jours par semaine. De retour dans sa famille, il rede-
vient Flamand. La première éducation se fait donc en langue
flamande, par des Flamands, dans un village flamand. Ce sont des
conditions bien défavorables pour l'école française, mais il faut
les accepter telles, dans l'impossibilité oii l'on se trouve de les
modifier.
IL — La tache du maithe.
La tâche du maître à qui sont confiés ces jeunes enfants, sa
principale préoccupation, sera de leur faire revivre en français
leur première enfance, c'est-à-dire de leur permettre d'exprimer
en langue française leurs idées, leurs actions, leurs sentiments
qu'ils savent déjà rendre en flamand. La seconde partie de cette
tâche, l'étude des premières notions de lecture, d'écriture,
de calcul est bien moins importante à nos yeux. Les jeunes
élèves qui entrent dans les écoles rurales de Flandre font partie
d'un cours spé('ial que j'appellerais volontiers : cours d'initiation
au français usuel. Ils commencent leurs études par celle d'une
langue vivante.
III. — La méthode.
Quelle méthode employer pour arriver rapidement et sûrement
à une connaissance du français usuel? Comme cela se pratiquait
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCULK IV-4 — 27
autrefois dans les classes de langues, où les versions et les thèmes
étaient les exercices indispensables, il semble, au premier abord,
qu'il faille enseigner le français par une traduction du flamand.
Cette méthode, aujourd'hui complètement délaissée, présentait
de graves inconvénients et les résultats en étaient plutôt problé-
matiques. Elle suppose, chez le maître comme chez l'enfant, la
connaissance du flamand qu'il faut traduire.
Or, l'enfant de o ans, qui ne sait ni lire ni écrire, ni en
français ni en flamand, et qui doit recevoir un enseignement
purement oral, ne sait guère mieux le flamand que le français;
son vocabulaire est très restreint, comme sa vie peu compliquée.
Le maître peut connaître le flamand s'il est du pays. Mais ne
sera-t-il pas tenté de s'en servir souvent, et plus qu'il ne con-
viendrait, quand il éprouvera des diflicullés pour se faire com-
prendre? Et l'enfant qui attendra une traduction flamande de ce
qu'il ne comprend pas en français, fera-t-il les efforts néces-
saires pour arrivera la compréhension de la langue nationale?
D'autre part, enseigner le français par une traduction du flamand
suppose qu'on place les deux langues sur un pied d'égalité Tel
n'est pas le cas en France, qui n'est pas un pays bilingue. Le fla-
mand de France n'est qu'un dialecte local, qui se parle mais
s'écrit peu ou point. Nombre de Flamands sont incapables
d'écrire ce qu'ils disent. Il n'y a ni écoles, ni livres, ni revues
en flamand français. Le flamand est et restera le langage usuel
de la famille, de la petite patrie locale à laquelle on est si forte-
ment attaché, la langue des intérêts locaux, des relations
étroites, mais il doit laisser le pas à la langue nationale.
IV. — L.V MÉTHODE DITE « MATËliNELLE ».
La méthode actuellement en usage dans nos classes pour
l'étude du français est dite « maternelle », en ce sens qu'elle
répète l'œuvre de la mère dans l'initiation de son enfant au lan-
gage. Examinons-la.
Par les sens, l'enfant a déjà acquis une foule de connaissances
avant de pouvoir s'exprimer par des mots. Il connaît son père,
sa mère, son frère, les objets d'usage courant, son biberon,
28 — IV 4 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
son berceau, ses jouets. Il s'est hasardé à tirer la queue du chien,
du chat, bien avant de prononcer : papa! toutou! La mère a
assisté, dirigé peut-être, cet éveil de l'intelligence; dès que le
père paraissait, elle s'écriait en le montrant : « papa ! » Et dans
le cerveau de cet enfant de quelques mois, l'image du père cor-
respondait, depuis longtemps déjà, au mot : papa, quand, triom-
phant, un beau jour, il bégaya : « papa ! »
Si nous voulons analyser cet acte d'éducation, nous trouvons
qu'il y a eu d'abord vue de l'objet par l'enfant, puis audition du
nom donné par la mère, association de ces deux sensations,
l'une visuelle, l'autre auditive, enfin répétition du mot entendu
à la vue de l'objet, puis souvenir.
Telle est la méthode maternelle dans l'enseignement du lan-
gage, méthode toute naturelle et infaillible que la mère a trouvée
avec son cœur, bien plus qu'avec son intelligence.
C'est cette méthode qu'a préconisé l'Inspecteur général Carré (').
11 la définit ainsi :
1° Aller directement des objets, de leurs qualités aux noms
(substantifs, adjectifs) qui les représentent ;
2° Des actes accomplis sous les yeux de l'enfant, ou par l'en-
fant lui-même, aux verbes qui en sont l'expression.
Méthode essentiellement active et expérimentale, elle fait de
l'observation des choses et des faits la base de l'enseignement
du langage et a les meilleurs effets sur la formation de l'esprit.
Elle permet au petit Flamand d'exprimer au bout de quelques
mois les menus faits de sa vie écolière et enfantine.
V. — Application. L'EXEiiCiCR de langage.
Dans les cours d'initiation au français, l'exercice scolaire prin-
cipal est l'exercice de langage, la classe étant tout entière orientée
vers le but de faire comprendre et parler le français.
Cet exercice consiste :
1» dans la présentation d'un objet par le maître, qui en indique
(') Méthode de langage, de lecture, d'écriture, de calcul. Editeur A.
Colin, Paris.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-4 — 29
le nom ou la qualité, nom ou qualité immédiatement répété par
les élèves collectivement et individuellement;
i2° dans l'exécution d'une action par le maître ou par les
élèves, action que le maître exprime par un verbe et que les
élèves expriment à leur tour en l'exécutant, s'il y a lieu.
Exemple : Soit une leçon sur ce thème : l'ardoise, le crayon,
écrire, effacer :
a) Le maître montre une ardoise et dit : « une ardoise ». Les
élèves regardent et répètent : « une ardoise », en s'efforçant
d'articuler lentement et exactement;
b) Le maître présente un crayon : « un crayon ». Les élèves
voient et répètent : « un crayon » ;
c) Le maître écrit sur l'ardoise et dit : « Le maître écrit ». Les
enfants voient et disent : « Le maître écrit »;
d) Le maître efface l'ardoise, disant : « Le maître efface ». Les
élèves répètent : « Le maître efface ».
Chacune des parties de la leçon est répétée plusieurs fois,
autant qu'il est nécessaire pour que tout le monde comprenne et
parle.
Voilà un exercice de langage très simple. C'est une étude de
vocabulaire et de construction par l'observation, l'audition et
l'expression orale. Les sens y jouent un grand rôle : on voit, on
entend, on parle. La mémoire enregistre les sensations et les
mots qui les expriment.
L'exercice de langage consiste, comme on voit, dans la présen-
tation d'un objet avec expression correspondante. Il faut donc des
objets, et beaucoup. Pas de difficulté quand il s'agit de tout ce
qu'on voit dans la classe, de l'enfant, du corps, des vête-
ments, etc ; on a tout sous la main. Mais après? Après? Il faut
constituer un musée scolaire, mais un musée d'un caractère
spécial. Ce n'est pas un musée scientifique, où le chlorate
de potasse voisine avec la pile électrique, mais un musée
qui contiendra des objets de toute nature, où la toupie de
l'écolier trouvera place à côté du marteau de menuisier, du dé
de la couturière. Rien de plus simple que la constitution d'une
30 — IV-4 SECTION PÉDAGOGIQIE ET SOCIALE
telle collection. Invitez les enfants à apporter à l'école tous les
objets dont ils peuvent disposer, et vous serez bientôt trop riche,
au point de vous imposer un choix. Quand on manquera d'objets,
l'image y suppléera, non de jolies gravures artistiques, mais de
simples dessins, faits par le maître au besoin. Si, avec leur aide
on arrive à faire parler les élèves, le but est atteint.
Dans cette étude du nom des choses, on ne séparera jamais le
nom de l'article ou de l'adjectif déterminatif qui doit l'accompa-
gner. Les élèves y gagneront la notion du genre, du nombre,
comme l'idée qu'ajoutent aux noms les adjectifs démonstratifs,
possessifs, numéraux. L'étude du verbe accompagne celle du
nom, les élèves agissant et exprimant leurs actes. Mais conjuguer
un verbe est chose difticile à cause des nuances de mode, de
temps, de personne et.de nombre. Il faut procéder avec ordre.
D'abord on se bornera au mode indicatif et au temps présent. On
commencera par la troisième personne. Un élève qui comprend
déjà un peu le fran(,'ais se trouvant devant ses camarades, le
maître commande : « Levez le bras ». L'écolier obéit. A la
demande du maître, un autre élève exprime l'action accomplie :
« Pierre lève le bras ». Les élèves répèlent à leur tour. L'étude
de la première personne vient ensuite. Pierre lève le bras et dit :
« Je lève le bras ». Différents élèves agissent successivement et
expriment individuellement leurs actions à la première per-
sonne. On passe ensuite à la deuxième personne. Pierre levant le
bras, le maître lui dit : « Tu lèves le bras ». Des élèves accorii-
plissent diverses actions, le maître ou un élève s'adressant à eux
dit : « Tu... ». Cette distinction des trois personnes, qui
demande au début quelque attention, est vite apprise, tellement
elle est naturelle. Le pluriel s'apprend de même, et la conju-
gaison d'un temps est possible, surtout si l'on a soin de toujours
mimer l'action accomplie. On étudie de même façon les temps
passé et futur.
Dès que les élèves sont quelque peu familiarisés avec les
noms et les verbes, on commence l'étude de l'adjectif par
l'indication de la couleur, des formes des choses. Par compa-
raison, ils diront que Louis est petit, que Paul est grand, que la
porte est ouverte ou fermée. Par comparaison encore, ils étudie
SECTION l'ÉDACOCIgUE ET SOCIALE IV-4 — 31
ront les adjectifs, les verbes ou adverbes et comprendront :
marcher vite, lentement, parler haut, bas, etc.
La préposition viendra à son tour; les élèves verront et diront :
monter sur la table, jouer dans la cour; pour cette étude le
maître devra s'établir un programme d'enseignement en rapport
avec l'âge et la culture de ses élèves. Les ouvrages de M. Carré
en comportent un parfaitement approprié à de jeunes enfants.
Au fur et à mesure des progrès des élèves, l'exercice de langage
se complique. De petites scènes servent de thème à la leçon, et
toujours l'action accompagne la parole. Elles peuvent varier à
l'infini; citons-en quelques-unes:
Henri se lave les mains. — Paul se peigne. — Jean cire ses
chaussures, etc., etc.
La leçon de lecture sera, elle aussi, préparée de semblable
façon, participant puissamment à l'étude de la langue.
A une telle discipline, nos élèves arrivent, en général, en un
an, à pouvoir s'exprimer en français. Ils comprennent leur
maître et leiirs camarades. Ils sont capables d'aborder les pro-
grammes du cours élémentaire. Alors commencent pour eux les
études normales de français.
Nous ne nous faisons pourtant pas d'illusions. Nos élèves
parlent le français, mais un français réduit à l'indispensable.
Nombreux sont les termes qui leur manquent, comme les idées
d'ailleurs. Leurs études ultérieures leur permettront de combler,
au moins en partie, les lacunes de leur éducation première,
mais cette condition du flamand comme langue maternelle et
comme langue usuelle sera pour eux une cause d'infériorité.
VI. — Après l'école.
Pour parer dans la mesure du possible à cet état d'infériorité
originelle, le maître s'attachera à développer les œuvres post-
scolaires: cours d'adultes, conférences, bibliothèques scolaires.
Il s'efforcera de faire de l'école le foyer intellectuel dont la bien-
faisante influence rayonnera sur la commune tout entière.
C'est l'œuvre que poursuit également le « Comité du nord de
32 — IV-4 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
la France pour l'extension de la langue française». «Respectueux
des traditions il ne combattra pas les dialectes flamands..., mais
il fera pénétrer dans l'esprit des Français de Flandre ce que notre
langue nationale apporte avec elle de loyal, de clair, de lumi-
neux et de bienveillant. »
IV. — SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE.
Les Wallons en Campine,
M'M Emma LAMBOTÏE.
Peut-être V Association pour l'extension et la culture de la
langue française pourra-t-elle remédier à une chose que je vais
exposer ici.
Les nouveaux charbonnages de la Campine ont fait appel à
des houilleurs wallons. Charbonnages de Ressaix à Winterslag,
André-Dumont à Waterscheid , des Liégeois à Schwartberg
(hameau qui dépendent de Genck) et charbonnages d'Aech, près
de Genck.
Les enfants des houilleurs wallons vont à des écoles entiè-
rement flamandes, celle de Genck ou celle des petits frères hol-
landais d'Aech. Un instituteur communal de Genck a déclaré
qu'il leur fallait un an avant de comprendre quoi que ce soit.
C'est comme si on leur parlait iroquois. Non seulement, à ce
régime, ils oublient ce qu'ils savent de français, mais ils oublient
aussi leur dialecte wallon ; bientôt ils ne comprendront plus
ceux des leurs restés là-bas, ils ne comprendront plus leurs
grands-parents.
En France, un wallon se sent chez lui; en pays flamand,
il est exilé; question de langue; or, on s'applique dans le
31 — lV-5 SECTIOiN PÉDAGOGIOUE ET SOCIALE
pays, à creuser davantage le fossé. Quand nos wallons de Genck
reconduisent à la gare des membres de leur famille qui leur ont
■fait visite, ils pleurent, paraît-il, en se séparant, comme s'il
s'agissait pour eux de vivre chez les antropophages.
Leurs enfants, plus tard, seront sujets flamands; sujets
tlamands, hélas, et nous n'avons déjà pas trop de population en
Wallonie !
L'école de Genck est insuffisante ; on va en ouvrir une pour
les hameaux de Winterslag et de Waterscheid. Nous savons bien
qu'en pays flamand l'instruction actuellement est surtout fla-
mande, mais nous voudrions qu'à cette nouvelle école, destinée
surtout à la colonie wallonne, une part, la plus large et non l'ac-
cessoire, fût faite au français.
Si le gouvernement ne l'accorde pas, que les charbonnages —
qui sont riches, et dont la plupart des administrateurs sont
wallons — .créent une école libre, école qui serait d'ailleurs
subsidiée au même titre que les écoles catholiques.
II n'y a pas qu'une question d'intérêt dans la vie!
La situation actuelle est intolérable. Il faudrait que nos wallons
de Genck eussent au moins l'illusion d'être dans leur pays. Or
voici à quoi je voulais en venir. Ces bouilleurs, ces pères de
famille ne devraient prendre d'engagement aux nouveaux char-
bonnages que sur la promesse formelle d'une instruction fran-
çaise pour leurs enfanis.
Pour que l'on ne m'accuse pas de partialité, en l'occurrence, en
ma qualité de wallonne, je dirai qu'une Hollandaise, M""" Neel-
Doff, dont je fus l'bôte récemment à sa campagne de Genck,
était indignée de voir faire de nos petits wallons des espèces de
bâtards, des êtres disgraciés qui ne parleront plus, bientôt, que
le flamand de la Campine.
Voilà, Messieurs, ce que je tenais à vous dire ; s'il y a de légères
■(îrreurs dans les noms des charbonnages que j'ai cités, cela n'a
pas d'importance; l'idée et les faits restent les mêmes.
IV. — SECTION PEDAGOGIQUE ET SOCIALE.
De la part qu'il convient de faire, dans l'enseignement
des pays de langue française,
à la lecture des écrivains régionaux.
R. GALLET,
professeur à l'Athénée roj-al de Charleroi.
L'enseignement de la langue et de la littérature françaises,
aux divers degrés, a soulevé, depuis quelques années, dans la
presse et les milieux pédagogiques des discussions souvent vives,
suscitant elles-mêmes, nombre de projets et d'initiatives auxquels
notre Fédération ne pouvait demeurer étrangère. On se souvient
qu'au Congrès de 1905, M. Reinach se demandait s'il n'y avait
pas lieu de substituer la lecture des prosateurs du xvin» siècle à
celle des prosateurs du xvn* et qu'en 1908, à Arlon, M. Hansen
établissait l'avantage qu'il y aurait dans les pays bilingues à
réserver le premier rang aux écrivains modernes dans l'en-
seignement du français. Il nous faut, d'ailleurs, reconnaître
qu'en celte matière les programmes d'études et les procédés
didactiques ont subi, tant en France qu'en Belgique, d'heureux
changements. On secoue la poussière des méthodes tradition-
nelles; on se rend mieux compte du but à atteindre et partant,
on élargit et on facilite les voies qui y conduisent.
36 — IV-6 SECTION PÉDAGOGIQLE ET SOCIALE
Combien éloignée, en effet, nous semble aujourd'hui le
temps où seuls avaient accès dans nos classes les écrivains du
xvn« siècle, parce que ceux-là, seuls, passaient pour être aptes
à former le goût littéraire de la jeunesse, à l'initier à l'art de
parler et d'écrire : c'est tout au plus si quelques rares fragments
insérés dans l'anthologie apprenaient à l'élève que Racine,
Corneille, La Fontaine, Molière, Boileau et quelques autres, ne
constituaient pas tout le patrimoine intellectuel de la nation
française. Il n'y a pas si longtemps que l'enseignement subissait
encore l'intluence de l'ancienne rhétorique prétendant que tout
d'abord il fallait se faire une théorie de l'art, fournir à l'intel-
ligence une série de modèles, puis, aux lumières de cette
théorie et de ces modèles, juger les écrivains et les œuvres.
« Qui connaît les anciens et notre grand siècle, disait Nisard,
a trouvé dans l'ordre de l'esprit son idéal, sa règle, et s'il est
professeur, son autorité. »
Lorsqu'on 1885, les rédacteurs des programmes de l'ensei-
gnement secondaire, en France, autorisèrent la lecture des
auteurs du xix" siècle, ils crurent devoir entourer de recomman-
dations expresses cette innovation pédagogique en prescrivant
aux maîtres de « n'admettre un écrivain qu'avec la plus grande
prudence ». Un esprit plus large anime aujourd'hui les
méthodes et les livres; tout en faisant connaître dans une
certaine mesure la littérature du moyen âge et celle du
xvin' siècle, l'école se préoccupe de former des âmes modernes et
ouvre toutes grandes à Hugo, à Vigny, à Musset, à Gautier, à
Balzac, à Flaubert, des portes qui leur furent si longtemps et si
injustement fermées.
En faut-il conclure que l'enseignement secondaire ne doit
pas se préoccuper des écrivains de second ordre et que seuls,
méritent de fixer l'attention ceux qui, dans leurs proses et
■leurs vers, traduisent les émotions générales de l'humanité ou
expriment sur le monde, la vie, la conscience, leurs vues
particulières. A côté de ces ouvrages qui offrent un intérêt
permanent, parce qu'on y trouve un fonds commun d'idées
et de sentiments, ne pourrait-on, dans l'explication littéraire,
faire une place un peu plus large à ces conteurs et à ces poètes
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV 6 — 37
qui s'attachent avant tout à être de leur pays et trouvent dans
l'amour qu'ils lui conservent une source intarissable de sou-
venirs touchants, de pittoresques ou vigoureuses peintures.
N'a-t-ellc pas une part de vérité cette parole de Th. Gautier,
écrivant dans la préface des Grotesques : « On se laisse trop facile-
ment aller à cette croyance qu'un siècle littéraire est rempli par
les cinq ou six noms radieux, qui en survivent. Vues à distance,
ces grandes images s'isolent, et il semble qu'elles n'aient eu rien
de commun avec leurs contemporains. On dirait que, pour
s'épargner la peine de juger les titres de chacun, on adopte un
écrivain quelconque pour se débarrasser des autres. « Aujourd'hui
que l'éclectisme et la variété s'imposent dans le choix des lec-
tures et des analyses, nous exciterons l'intérêt en faisant con-
naître quelques-unes de ces oeuvres régionales qui complètent
la physionomie littéraire d'un temps, œuvres éminemment
représentatives de la race, puisqu'un fervent amour du sol natal
les anime et que le sens des réalités s'y confond souvent avec un
idéalisme naïf et rêveur.
« C'est quelque chose déjà que d'avoir un pays, un coin de
terre ami et qui est nôtre, et dont on peut, à tout instant,
évoquer l'image, faite de choses familières et qui n'ont pas
changé », écrivait un jour R. Doumic. Il semble, en effet, que,
dans la patrie commune, ceux-là ont une petite patrie à eux, à
laquelle ils sont peut-être plus profondément attachés qu'à l'autre,
parce que les premières joies, comme aussi les premières peines,
laissent surtout dans l'âme les impressions fortes et durables,
tantôt infiniment douces, tantôt attristées et poignantes. Ces
écrivains régionaux, dans leurs récits et leurs poèmes, ne se con-
tentent pas, d'ailleurs, de décrire le coin de pays qui leur est
cher; ils en évoquent volontiers les traditions, l'esprit, les cou-
tumes et tout ce vieux fonds de croyances naïves ou de principes
rigides qu'ont transmis les aïeux. Aussi ces œuvres d'inspiration
populaire sont-elles souvent saines, morales, bien faites pour
réagir contre le scepticisme, le dénigrement, le doute et l'indif-
férence, parce que nous trouvons chez ces écrivains l'expression
spontanée d'un sentiment sincère et une émotion communica-
tive, en même temps, qu'un réalisme de bon aloi, franc et
38 — IV-6 SECTION' PEDAGOGIQUE ET SOCIALE
robuste, mais exempt de trivialité dans l'étude des milieux, la
patiente observation des objets extérieurs et des menus faits de
la vie.
La Provence, le Uuercy, les Gévennes, la Bretagne ont ainsi
leurs romanciers et conteurs auxquels nous pourrions demander
bien des pages qui intéresseraient vivement nos élèves par la
sympathie profonde qu'elles traduisent pour les êtres et pour les
choses : telles les peintures attendries et gracieuses d'Aicard et
de P. Arène, les récits de Pouvillon, d'une probité scrupuleuse
et de forme essentiellement classique, les descriptions un peu
rudes mais fidèles de F. Fabre, les poétiques tableaux que Le
Braz et Le Goftîc nous apportent des côtes bretonnes, leur terre
natale. Nous pourrions en dire autant de ces poètes rustiques,
dont l'art paraît remonter aux sources primitives, tant ils
décrivent avec amour, en une forme souvent sobre et délicate, les
spectacles et les scènes de la nature. C'est le Rouergue qu'évoque
Rollinat dans son Recueil des Brandes, c'est la Bresse que chante
G. Vicaire dans ses Émaux bressans. Les vers imagés de Theuriet
fleurent bon le pays de Lorraine et exaltent le labeur du paysan,
tandis que ceux de .1. Breton retracent les plaines de l'Artois et
que la Normandie parle dans les idylles de P. Harel. Et combien
d'autres noms pourrions-nous citer encore parmi les conteurs et
poètes du terroir dont l'œuvre offre pour le pays qui la vit naître
et les autres pays de langue française une originalité vivante et
savoureuse dont l'enseignement pourrait, pensons-nous, tirer
heureusement parti.
C'est qu'en effet, la nature est au premier plan dans ces
récits et ces poèmes; l'auteur ne se contente pas de la décrire
mais il nous dit encore comment elle agit sur lui, comment
il a été impressionné par elle. En faisant une large part au
milieu dans lequel ils ont vécu, lutté et souffert, dans lequel aussi
s'est formé leur talent, les écrivains régionaux ne font, d'ailleurs,
que suivre le courant auquel obéit, depuis Balzac, la littérature
française. Qu'on ne croie pas, du reste, que la lecture de ces
poètes et de ces conteurs, qui paraissent se cantonner en un coin
de pays, conduise à l'abandon des idées générales. Nombreuses
sont les œuvres attestant que le culte des traditions et la force
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-6 — 39
des attaches ancestrales peuvent parfaitement se concilier avec le
souci des grands problèmes moraux et l'étude des sentiments
éternels dont vit l'humanité.
Si le temps dont je dispose ne m'était forcément limité, je me
plairais à vous parler aussi de tous ces écrivains français qui,
hors de France, en Suisse, en Roumanie, dans l'Amérique latine,
travaillent à étendre la culture et l'influence françaises par des
ouvrages dont le caractère est nettement tranché, sans doute,
mais où se retrouvent les qualités traditionnelles de la langue.
On sait qu'aux congrès de Liège et d'Arlon, notre Fédération
s'est longuement occupée de l'œuvre accomplie par ces petites
Frances littéraires, « oasis disséminées dans l'univers », disait
M. G. Barrai, et qui constituent comme autant de prolonge-
ments intellectuels de la nationalité et de la culture françaises.
De toutes ces provinces de littérature française, la Belgique
est celle qui appellera surtout notre attention, parce que, ici, les
écrivains régionaux, dans leur manière de concevoir et d'écrire,
révèlent un ensemble de qualités et de tendances communes bien
faites pour exalter le sentiment patrial et en traduire les aspira-
tions. Pendant longtemps, les écrivains belges ne songèrent
qu'à s'habiller à la parisienne, s'inspirant de leurs voisins du
sud dans le choix des sujets et des procédés d'expression. Rares
étaient les prosateurs et poètes, tels Pirmez, Decostcr, Van
Hasselt, qui osaient être eux-mcmcs, passant d'ailleurs inaperçus
dans la foule indifl'érente. Ce sera l'éternel honneur de la Jeune
Belgique d'avoir en quelque sorte créé chez nous le goût des
choses littéraires, stimulant l'initiative des uns, secouant l'apa-
thie des autres, groupant et encourageant les etiorts de tous ceux
qui voulaient enfin exprimer librement leurs pensées et leurs
rêves. « Ne crains », telle était la devise de ces jeunes romanciers,
critiques et poètes, d'humeur batailleuse et souvent outrancière,
mais que ne devaient rebuter ni dédains, ni sarcasmes, ni hosti-
lité. Leurs tentatives, sans doute, ne furent point toutes pareille-
ment heureuses; mais leurs luttes opiniâtres pour un art indé-
pendant devaient donner naissance à cette activité littéraire qui
force aujourd'hui l'admiration de tous les pays de langue fran-
40 — IV-6 SECTION . PÉDAGOGIOUE ET SOCIALE
çaise et à laquelle l'enseignement public ne pouvait ici demeurer
étranger.
Depuis un an, en etfet, des instructions ministérielles pres-
crivent aux préfets d'athénées et aux directeurs d'écoles
moyennes de travailler à la culture du sentiment national en
engageant les professeurs des cours de langues à faire connaître
— à leurs élèves — tout au moins dans leurs pages les plus
saillantes, les œuvres de notre littérature, principalement celles
de nos écrivains contemporains. Des conférences spéciales sont,
de plus, organisées en vue de fortifier et de compléter par la
synthèse ces notions occasionnelles, acquises au jour le jour.
Cette innovation, bien . entendue et bien appliquée, ne peut
qu'ajouter à nos programmes d'étude un sérieux élément d'inté-
rêt tout en aidant à l'éducation du caractère et à l'éveil de la
personnalité chez l'élève.
Non pas qu'il soit aisé, quoi qu'en dise E. Picard, de définir
l'âme belge et partant de fixer les caractères de l'école littéraire
française de notre paya, si tant est que l'on puisse ici parler d'une
école. Nous dirons à nos élèves que cette littérature belge est
composée d'éléments disparates, d'écrivains dont le tempérament
diffère suivant leur origine wallonne ou flamande; que les uns
se distinguent par la sensibilité, le goût du recueillement, de la
vie intérieure, tandis que d'autres s'attachent à décrire nos pay-
sages familiers, à retracer nos mœurs, à faire revivre nos tradi-
tions historiques et locales. Mais nous leur dirons encore que,
quelles que soient les différences profondes qui les séparent, nos
écrivains, ainsi que nous le remarquions tantôt, se dégagent des
imitations, évitent le poncif, le convenu, le cliché, et tant pour
le fond que pour la forme, aspirept à réaliser une œuvre person-
nelle.
Gardons-nous toutefois des exagérations chauvines qui attri-
bueraient à notre actuelle floraison littéraire un éclat par trop
resplendissant : c'est encore aimer son pays que de blâmer chez
ses compatriotes ce qui est blâmable, et de ne réserver son
admiration qu'à ceux qui réellement la méritent, sans tomber
dans des engouements irréfléchis. On a ainsi pu reprocher à
certains d'entre nos auteurs une conception morale plutôt sim-
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-6 — 41
pliste, une psychologie assez rudinientaire, ou bien encore des
crudités et des hardiesses inutiles et déplacées. Car nous ne
pouvons guère souscrire au jugement de M. Heumann qui, dans
un ouvrage remarquable sur notre mouvement littéraire, ne voit
chez nos romanciers que bonhomie et candeur même lorsqu'ils
décrivent des scènes brutales et repoussantes. Nous croyons bien
volontiers à la probité artistique des écrivains belges, et pas plus
que M. Heumann nous ne doutons de la pureté do leurs inten-
tions; mais la vérité nous oblige à reconnaître qu'il n'est point
rare de rencontrer chez eux des tableaux purement passionnels oîi
la sensation étouffe l'idée, blessant parfois les convenances et le
goût. Si donc nous voulons que la connaissance de nos auteurs
français soit réellement éducative et littéraire, beaucoup de dis-
cernement, de tact et de prudence s'impose dans le choix des lec-
tures que nous recommanderons à nos élèves. Certes, nous ne
demandons pas qu'on expurge à l'usage de la jeunesse l'œuvre de
nos romanciers et de nos conteurs, car tel est souvent le sûr moyen
d'en dénaturer l'esprit et les tendances. Mais il est toujours pos-
sible de leur emprunter d'amusantes scènes de mœurs, d'émou-
vants épisodes, de curieuses silhouettes qui frappant par la jus-
tesse du trait et la vérité de la peinture, .\insi qu'on l'a dit et redit
souvent avec raison, les écrivains belges sont essentiellement
peintres; ils savent voir et faire voir, choisissent pour leurs des-
criptions les détails pittoresques et saillants, donnent de la vie
et du mouvement aux individus et aux foules qu'ils mettent en
scène, se plaisent même à traduire de façon sensible et imagée
l'idée abstraite : c'est dire qu'à leur fréquentation, nos jeunes
gens qui souvent se contentent de l'expression imprécise, vague
ou banale, apprendront ce qui fait le relief, la netteté et la pré-
cision du style.
Songez par exemple — car il est naturel que tout d'abord
on évoque ce nom illustre — songez à l'œuvre de Camille Lemon-
nier. Laissons de côté les romans, hérissés de néologismes et
dans lesquels se révèle une imitation poussée à l'excès, de cer-
taines modes littéraires : d'autres œuvres sont là qui prouvent
combien vraie demeure cette parole d'Ed. Picard, disant que
jamais l'âme belge n'eut un héraut aussi magnifique. Les deux
42 — IV- 6 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
tendances auxquelles obéit le talent de Lemonnier ne sont-elles
point aussi celles de la Wallonie et de la Flandre, encore que
cette dernière ait surtout influencé son génie? Mais les peintures
débordantes de vie et de couleur alternent ici avec des scènes
d'une sensibilité tendre et délicate allant jusqu'au mysticisme.
« J'ai vécu avec ténacité la vie des gens de mon pays » disait
Lemonnier, qui s'enivrait au spectacle qu'offrent les aspects
variés de celte patrie belge à laquelle il a consacré un de ses
plus beaux livres. On trouvera dans cet ouvrage, de même qu'en
ses romans et ses contes, nombre de descriptions et de récits où
les phrases, solidement et clairement construites, dénotent une
connaissance profonde du mot et de l'art avec lequel il peut
être mis en valeur.
Quand il s'agit d'Eekhoud, le choix est plus difficile, à cause de
cette aveugle pitié, de cette excessive sympathie du romancier
pour les épaves sociales, gars indomptés et farouches, vagabonds,
malfaiteurs, êtres primitifs et sauvages que lui-même appelle
des « brutes superbes », parce qu'il a cru, malgré tout, décou-
vrir en elles, de généreux penchants. Si nous ne pouvons recom-
mander ces pages où domine un pessimisme farouche et déses-
péré, nous emprunterons à Keen Doorick ou aux Kermesses de
rudes et impressionnants paysages de la Campine et des Polders
qui révèlent un fervent amour du terroir, avec, de temps à
autre, une note d'émotion et de tendresse. C'est à Eekhoud
surtout que nous songions en parlant tantôt de l'individualité
littéraire de nos prosateurs : nous trouvons ici un style éminem-
ment original par le nerf, la couleur et la force non moins que
par la hardiesse saisissante des images.
C'est aussi par l'éclat pittoresque, là clarté lumineuse de l'ex-
pression et la richesse du vocabulaire que se distingue l'œuvre
de Demolder, ce mélange bizarre d'idéal mystique et de sen-
sualité. Contrairement à tant d'autres de nos romanciers qui
demandent à l'heure présente le sujet et le cadre de leurs écrits,
c'est dans le passé que se complaît le talent de Demolder qui
aime à décrire les tableaux des maîtres, à faire revivre les
gloires artistiques de la Flandre. A cet égard les Contes d'Yper-
damme et la Légende de Nazareth pourront offrir dans les classes
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE lV-6 — 43
une lecture intéressante. « Plus que n'importe lequel d'entre
nous, a (lit un critique, il prouve de quel pays de peintres il
sort cl combien, à certains égards, le mouvement actuel n'est que
la résurrection, non d'une ancienne école littéraire, mais d'une
ancienne école plastique, autrefois glorieuse en Flandre. »
On a pu reprocher à Ed. Picard l'abus des épilhètes criardes
et des néologismes flamboyants; mais on trouve dans V Amiral,
dans la Forge lioiissel, dans les récits de voyage, bien des pages
descriptives, remarquables par la vivacité du Irait, la netteté de
l'image, la verve, l'entrain et l'éloquence de la phrase, vibrante
d'émotion et de lyrisme. Et pourtant malgré cette forme, person-
nelle et châtiée dont il revêt tous ses écrits, il s'en faut de beau-
coup que Picard soit un partisan de l'art pour l'art. Ainsi que le
disait, il y a quelques années, M. R. Poincaré, son œuvre est une
volonté en action, une pensée en marche. Raison de plus pour
qu'elle ne soit point passée sous silence, surtout que son auteur,
qui croit à l'existence d'une âme nationale, est lui-même vrai-
ment de son pays par cette humeur personnelle et indépen-
dante dont ta hardiesse souvent déconcerte le lecteur. Et quand
nous parierons, dans nos classes, de l'état actuel de la littéra-
ture dramatique, nous n'oublierons pas de signaler l'effort que
fit Picard pour instaurer ici un théâtre d'idées qui, suivant lui,
devrait être en même temps un théâtre belge.
Si nos prosateurs d'origine wallonne peignent avec des tona-
lités moins vives, moins sanguines les mœurs de leur contrée
natale; s'ils n'ont point la vigueur et le coloris que présentent
les pages de Lenionnier et d'Eekhoud, leurs récits, en revanche
séduisent souvent par la fermeté de la ligne, la délicatesse, la
grâce attendrie et enveloppante. C'est ainsi que dans les contes
de Delattre il y a un parfum de fraîcheur et de jeunesse, une
spontanéité que traduit un style souple, élégant, facile, où
jamais on ne sent la recherche de l'épithète rare ou du mot
imprévu. En philosophe indulgente! observateur, Delattre nous
initie à la vie des humbles, nous fait aimer lesenfants et les bêtes,
si bien que nombre de pages, en cette œuvre aimable et vraie,
seront lues par la jeunesse avec autant de profit que de plaisir.
Quoique apparentée à celle de Delattre, l'œuvre de Krains est
a — IV-6 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
plus émouvante, plus grave et plus triste, animée d'un sentiment
de pitié, de compassion pour Ifs souflfrants, et les humbles qui
avec résignation acceptent les pires épreuves. Par la condensa-
tion de l'idée, la force et la justesse du mot, Krains fait parfois
songer à Maupassant : il a une manière sobre et nerveuse de pré-
senter les faits et de peindre les êtres et connaît admirablement,
lui aussi, toutes les ressources de notre langue.
Que d'observation attentive et joyeuse on trouvera encore
dans les contes de Desombiaux, par endroits, un peu prolixe
peut-être, mais qui, souvent, incarne l'âme même, tour à tour
pensive, narquoise et aventureuse de la Wallonie dont il s'attache
à faire revivre les coutumes populaires. « Quand on l'a lu, disait
Lemonnier, on a, de la vie, de la tradition et de l'âme wallonne
à peu près la conception ethnique que donne de la vie flamande,
un tableau de Breughel. » Et il en est bien d'autres encore,
parmi nos pi'osateurs d'expression française qui pourraient ainsi
offrir à nos jeunes gens des lectures attrayantes et vraiment
moralisatrices, puisqu'ils ont su parler des hommes et des choses
de leur pays avec une émotion vraie, profonde et partant com-
municative.
Les poètes descriptifs et lyriques occupent, eux aussi, une
place considérable dans l'histoire de nos lettres en ces trente
dernières années; et il serait, semble-t-il, peu équitable de ne
point leur accorder quelque attention dans les classes, dans celles
surtout où le professeur explique les caractères de la poésie et
montre ce qu'a été l'évolution des genres.
Dans nos analyses littéraires nous serons ainsi amenés à faire
apprécier et comprendre le vers régulier, plein et sobre de
Gilkin, le style harmonieux de Gille évoquant l'Hellade antique,
la mélancolie contemplative, la diction facile et élégante de
Séverin, la muse à la fois païenne et mystique de van Lerberghe
« ce poète de l'ineffable » comme le disait Mockel : mais tous
ces écrivains sont dans une certaine mesure les héritiers de la
tradition littéraire française et la patrie ne tient que peu de place
dans leur œuvre. Aussi attirerons-nous plus particulièrement
l'attention sur ceux d'entre nos lyriques français, chez lesquels
se manifeste surtout une âme wallonne ou flamande tant par le
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-6 — 45
choix des thèmes que par la forme et le mouvement de l'expres-
sion lyrique.
C'est ainsi que Giraud, malgré tout ce qu'il doit à Banville et
au Parnasse, est et demeure flamand par l'amour du décor et
des couleurs éblouissantes, à ce point qu'on a pu dire que la
lumière était dans son œuvre comme un personnage vivant.
Sa poésie faite d'admiration nostalgique pour un passé gran-
diose évoque les souvenirs des communiers de Flandre en des
strophes d'une inspiration fougueuse et exaltée, mais dont la
structure demeure classique et régulière.
Et Uodenbach, n'est-il point aussi un poète vraiment belge,
lorsqu'il retrace les mornes et mystérieux paysages de la vieille
cité natale, ou quand, plus familiale et plus intime, sa muse
évoque les impressions d'enfance et les souvenirs de la maison
paternelle. Sans doute il y a dans ses vers beaucoup de nostalgie
déprimante, et aussi de préciosité maladive : mais comment ne
point admirer l'art avec lequel le poète sait communiquer aux
objets qui l'entourent la sensibilité triste et délicate dont son
âme est pleine. En faut-il plus pour que la lecture de pareils vers
touche le cœur et stimule la réflexion ?
D'autres poètes sont plus proches de nous par les tableaux
qu'ils suggèrent : tel Hardy qui décrit avec une simplicité tou-
chante l'heureuse tranquillité d'un intérieur ardennais; tel
Sottiaux dont l'œuvre fait songer à celle de Constantin Meunier
par la sympathie qu'elle éveille pour les rudes travailleurs de
la mine et du laminoir.
C'est la patrie encore qu'exalte Verhaeren dans ces impression-
nants tableaux pour lesquels il s'est tant de fois inspiré des
rythmes mêmes de la poésie populaire. Avec quel amour il nous
parle de l'âpre et sauvage beauté de la terre de Flandre, de sa
richesse plantureuse, de ses horizons sans fin, des gloires artis-
tiques du pays, de la vaillance des ancêtres : d'autres fois c'est un
souffle de bonté et de pitié qui traverse ces strophes où appa-
raissent tant d'êtres loqueteux, misérables et peinant dur. Ah!
certes, la langue qu'écrit Verhaeren est parfois heurtée et abrupte,
peu soucieuse des règles syntaxiques, riche de métaphores bru-
tales ou hardies. Mais ces défauts sont rachetés par le relief saisis-
46 — IV-6 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
sant que le poète sait donner aux objets, la puissance inventive et
pittoresque de l'expression, la vivacité des peintures, le souffle
chaleureux qui anime les strophes. Et puis c'est dans son ensem-
ble qu'il faut juger cette œuvre qui exalte la noblesse du travail et
d'où se dégage une leçon d'énergie, de vaillance et de volonté.
Cette poésie d'inspiration neuve et hardie n'est point faite pour
susciter des imitateurs pas plus qu'elle ne pourrait être recom-
mandée comme un modèle de composition à cause de son allure
souvent indépendante, débridée et sauvage. Si nous croyons qu'il
faut cependant de bonne heure initier notre jeunesse aux beautés
qu'elle renferme, c'est surtout parce que Verhaeren a trouvé dans
notre fonds national les éléments à l'aide desquels s'affirme sa
puissante personnalité.
Nombreux sont, d'ailleurs, parmi nos poètes, nos romanciers,
nos dramaturges, nos critiques, ceux qui, par leur façon de
sentir et de penser, de juger et d'écrire, sont vraiment de chez
nous, se souvenant de cette parole de Lemonnier : « 11 n'est
point de pire annexion que celle des esprits, il faut être nous-
mêmes ou périr. » Mais il ne peut être ici question, même en se
plaçant au point de vue spécial qui nous occupe, de faire un
tableau de l'état actuel des lettres françaises dans notre pays.
Nous avons simplement voulu établir, à l'aide de quelques
exemples — sans, d'ailleurs, négliger les réserves qui s'impo-
saient — le profil à la fois éducatif, patriotique et littéraire que
peut présenter dans nos collèges la lecture des écrivains belges,
lorsqu'elle est dirigée dans des voies sûres et à condition aussi
qu'on ne lui attribue pas une importance exagérée. C'est bien
dans ce sens, d'ailleurs, qu'il faut interpréter les instructions
ministérielles dont nous parlions tantôt. Que d'occasions, d'ail-
leurs, s'offrent au professeur qui voudrait, dans ses cours,
accorder à ces écrivains régionaux une modeste place à côté des
grands auteurs dont l'étude demeure la base de la formation
littéraire et esthétique. L'explication critique de morceaux
choisis dans les anthologies, les lectures faites à domicile, puis
résumées oralement, les parallèles et analyses comparées, les
exercices de diction, les citations brièvement commentées en
classe, tels sont quelques-uns des moyens pédagogiques auxquels
SECTIOiN PÈDAGOGIQIE ET SOCI.Vl.E IV'G — 47
aura recours le maître soucieux de faire son cours plus vivant,
plus vaVié, plus complet, en tenant compte dans son enseigne-
ment de ces auteurs qui, pour briller au second rang, n'en solli-
citent pas moins notre attention et notre étude. Loin de déve-
lopper parmi la jeunesse une étroilesse d'idées que d'aucuns
croient inhérente à l'esprit de clocher, la lecture de ces prosa-
teurs et de ces poètes fortifie, au contraire, le sentiment national,
puisqu'on trouve chez eux un accent spontané et sincère qui tout
en évoquant les souvenirs, les légendes, les traditions et les
mœurs de la race, se fait pareillement l'interprète de ses aspira-
tions, de ses rêves, de ses fiertés, de ses émotions tristes ou
joyeuses. Et tel est précisément l'originalité que présente à
l'heure actuelle lorsqu'on l'envisage dans son ensemble, notre
littérature belge, libérée d'une imitation qui fit jadis son escla-
vage, éprise d'un art indépendant, qui Heure bon le terroir et
traduit en une langue colorée, pittoresque, forte et savoureuse,
l'âme même de notre pays.
IV. — SECTION PEDAGOGIQUE ET SOCIALE.
L'emploi du français dans les réunions internationales
J.-A. FURSTEXHOFF
secrétaire de l'Entente scientifique internationale
pour l'adoption d'une langue auxiliaiie.
Nous rappelerons qu'en 1908, nous avons indiqué longue-
ment les raisons plaidant en faveur de l'adoption de la
langue française comme langue auxiliaire. Un comité inter-
national de professeurs d'universités Se constitua à notre
demande pour préconiser l'adoption de la langue française
comme langue auxiliaire de la science. Ce fut au nom de ce
comité que nous fîmes rapport aux Congrès des associations
internationales, de 1910 et 1913. Les documents publiés par les
organisateurs de ces Congrès ne nous donnant pas toute satis-
faction, nous envoyâmes aux associations internationales un
questionnaire sur l'emploi des langues. Les réponses reçues
et l'étude que nous fîmes des statuts des associations interna-
tionales nous montrèrent combien nos vues étaient justifiées
par les faits. Aussi jugeons-nous utile de communiquer aux
50 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
associations internationales les rapports reproduisant les
données de l'enquête, ainsi qu'un projet de statut linguistique
rédigé d'après ces données.
Le français, langue auxiliaire internationale.
Rapport présenté par le comité de « l'Entente scientifique inter-
nationale pour l'adoption d'une langue auxiliaire » au Congrès
mondial des associations internatio7iales, tenu à Bruxelles,
en i9i0.
Parmi les questions intéressant directement les rapports des
associations internationales entre elles, la plus importante est
celle des langues à employer pour établir ces rapports.
Il serait, en effet, difficile d'exiger de l'Office central des
associations internationales qu'il corresponde en toutes langues
avec ces associations. Ce serait lui rendre la tâche bien lourde
pour ne pas dire impossible.
La question de la langue internationale, examinée au point
de vue général, donne lieu à controverse; mais, envisagée au
point de vue des classes dirigeantes seulement, elle se simplifie
singulièrement. Déjà la haute société européenne d'autrefois
avait su écarter la difficulté linguistique en adoptant la langue
française; c'est par l'adoption des trois langues principales
que les classes dirigeantes modernes, plus nombreuses, ont pu
régler jusqu'à présent leurs rapports internationaux. Il est certes
permis d'en attendre autant des bureaux de chacune des asso-
siations internationales. Disons même que tous ces bureaux con-
naissant les trois langues à cause de leur internationalité, il est
d'ordre logique qu'un accord se fasse entre eux et qu'ils faci-
litent les travaux de l'Office central des associations internatio-
nales en adoptant tous une seule et même langue pour corres-
pondre avec lui.
Bien que tout le monde soit convaincu de la nécessité qui
s'impose d'une langue unique pour les échanges internationaux.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 51
la crainte des amours-propres nationaux paralyse les meilleures
volontés. Il y a lieu de faire constater à ce propos que les efforts
tentés jusqu'à présent pour ménager les susceptibilités natio-
nales en matière de langue dans les réunions internationales
ont eu un résultat diamétralement opposé à celui que l'on visait.
En effet, l'admission dans certains congrès de l'italien, de l'espa-
gnol, etc., comme langues officielles, a simplement suscité chez
toutes les nations, même les moindres, le désir de faire admettre
également leur langue. C'est dire que l'on va à un imbroglio
linguistique qui est la négation de tout internationalisme.
Une réaction s'opère heureusement contre cette politique
dissolvante. Bien des congrès maintiennent la limitation stricte
aux trois langues principales. Entre autres, le Congrès inter-
national des mines, de la métallurgie, de la mécanique et de la
géologie appliquées, qui se tiendra à Dusseldorf en juin pro-
chain, a adopté comme seules langues officielles l'allemand, le
français et l'anglais, les communications rédigées dans une de
ces langues étant résumées dans les deux autres. D'autre part,
les protestations contre l'augmentation du nombre des langues
admises s'élèvent de plus en plus nombreuses. Une vive opposi-
tion se manifesta, par exemple, en Allemagne lorsqu'on décida
d'admettre l'italien au Congrès de chimie de Rome, en 1906.
On payait, en effet, assez cher une mince satisfaction donnée
aux Italiens instruits qui connaissent tous très bien le français.
Les congrès de médecine, si nombreux et si fréquentés, n'ont
garde de tomber dans la même erreur. Loin d'augmenter le
nombre des langues, ils montrent même une tendance marquée
à donner la préférence à une seule et même langue : le français.
Au Congrès de médecine, tenu à Budapest en 1909, une com-
mission, où chaque pays était officiellement représenté, fut
instituée pour organiser l'enseignement complémentaire des
études médicales; sur la demande des délégués anglais, les déli-
bérations, qui avaient été commencées en allemand, furent con-
tinuées en français.
Au Congrès interparlementaire de Berlin, le prince Schoe-
nach-Carolatz prononça en français son allocution présiden-
tielle, et le chancelier de l'Empire allemand lui répondit en
S2 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
cette même langue. Les travaux du congrès se firent également
presque exclusivement en français. Les travaux de la Conférence
internationale de la Paix, à La Haye, se firent exclusivement
en langue française. Il en sera de même du Congrès de l'Union
interparlementaire de Bruxelles, en juillet prochain.
Les besoins internationaux exigeant sans conteste la limita-
tion du nombre des langues internationales, il n'est pas exagéré
de demander, dans l'intérêt commun, aux nations "nouvelles
venues dans les transactions internationales, d'accepter les
usages établis. Prenons le cas typique du Japon. Il est incontes-
table que le développement économique, si remarquable de ce
pays a pu s'effectuer grâce aux emprunts faits à la science
occidentale, que les Japonais s'assimilèrent par l'intermédiaire
des langues anglaise, allemande et française. Il ne viendra pas à
l'idée d'un Japonais de se servir de sa langue pour correspondre
avec un Européen. Le cas si caractéristique du Japon doit faire
reconnaître que la préférence accordée aux trois langues prin-
cipales est le résultat de faits acquis contre lesquels il n'y a pas
lieu de s'élever. Il y a d'ailleurs de fortes chances pour qu'en
annonçant la volonté de tendre vers l'adoption d'une seule des
trois langues actuellement admises, on atteigne immédiatement
ce résultat de voir disparaître les demandes d'admission d'autres
langues. L'intérêt général primerait les intérêts particuliers.
La concurrence ne s'exercerait plus alors qu'entre les trois
langues principales elles-mêmes, avec cet avantage que les
nations dont la langue ne serait plus en jeu constitueraient
inévitablement la majorité dont la décision ferait loi. C'est
dire que la lutte ne se produirait plus sur le terrain des amours-
propres nationaux.
Si, en regard de cette perspective réconfortante, on envisage
l'aspect déplaisant que présente la lutte acharnée qui se poursuit
parmi les partisans des langues artificielles, l'hésitation n'est
guère possible. La crainte des jalousies nationales, seule raison
d'être des projets de langues artificielles, nous ferait tomber de
Charybde en Scylla.
L'agitation intéressée créée par des éditeurs parisiens autour
de certaines de ces langues a pu faire croire un moment qu'elles
SECTION PliDAGOGIQUE ET SOCIALE IV- 7 — 3:^
permettraient de résoudre la difficulté à la satisfaction géné-
rale. Malheureusement, la scission qui s'est produite récemment
au sein des partisans do l'espéranto vient confirmer les prévi-
sions de toutes les personnes averties qui annoncèrent, dès le
début, l'impossibilité d'aboutir dans cette voie. D'après M. Ri-
chard Lorenz, professeur à l'Ecole polytechnique de Zurich et
espérantiste marquant, (( l'espéranto ne représente absolument
pas la solution de la question. Tous les chefs intelligents du
mouvement espérantiste en ont depuis longtemps conscience et
cela d'autant plus parfaitement qu'ils possèdent mieux la
langue ».
Aucune des deux cents langues artificielles forgées jusqu'à
présent ne répond aux conditions requises d'une langue inter-
nationale, et il n'est pas à espérer qu'aucune de celles qui nous
seront proposées dans l'avenir puisse jamais satisfaire à ces
conditions. Il n'est pas possible de faire ici la critique complète
des langues artificielles. Ce serait d'ailleurs ajouter quelques
pages aux nombreux exposés qui ont paru sur la matière. Nous
nous contenterons de signaler deux mémoires résumant la
question et que nous avons publiés en 1908 et 1910 {Revue des
Idées des lo octobre 1908 et 13 février 1910).
Il serait cependant injuste de dire que les diverses proposi-
tions de langues artificielles aient eu pour unique résultat de
nous doter d'un nouveau vocable, celui de langues mort-nées,
venant simplement s'ajouter à ceux de langues mortes et de
langues vivantes. Une indication importante résulte au contraire
du labeur considérable auquel elles ont donné lieu, et cette
indication est qu'un langage doit avoir un caractère plutôt
roman pour devenir international, puisque les racines inter-
nationales sont presque toutes latines. Les dernières langues
artificielles proposées sont, en effet, toutes des néo-romans,
c'est-à-dire des pastiches du français. Celui-ci s'en trouve s'au-
tant mieux désigné comme langue auxiliaire aux suffrages des
peuples.
Déjà à deux reprises dans l'histoire (au xii" et xvu" siècle),
la langue française fut admise au premier rang. Ce fut à la
demande de l'.Vcadémie de Berlin que Rivarol écrivit son fa-
S4 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
meux mémoire sur l'universalité de la langue .française. L'évolu-
tion démocratique moderne eut pour effet regrettable de laisser
se perdre le bénéfice de l'accord qui s'était fait parmi les aristo-
craties européennes pour doter le monde d'un même langage
auxiliaire. La langue française reste cependant la langue diplo-
matique universelle. Elle est adoptée comme seconde langue par
l'Union postale universelle, par le Comité international des
mesures électriques, etc. Son analysme, sa clarté, la beauté de
sa littérature, tout signale la langue française comme méritant
le premier rang parmi les langues internationales. Novicow en
Russie, Wells, Brereton en Angleterre, Cameron aux Etats-Unis,
Vising en Suède la proclament comme la plus désignée. C'est
également l'avis de toutes les personnes éclairées et sincèrement
désireuses de voir résoudre le problème des langues.
Pour ce qui regarde spécialement l'Office central des asso-
ciations internationales, le fait que son siège se trouve dans une
grande capitale de langue française ne peut qu'être favorable à
la prééminence du français. Cette prééminence trouve un appui
bien plus sérieux encore dans le fait que sur 112 associations
internationales ayant un bureau permanent, 42 ont leur siège
à Bruxelles, lo à Paris et 13 en Suisse, alors qu'il n'en existe
que 8 en Allemagne, 3 en Angleterre et 2 en Hollande. Quoi de
plus naturel que de demander à 112 bureaux dont 70 se trouvent
dans les pays où la langue française est officielle, de se servir
du français pour correspondre avec leur Office central situé lui-
même en pays de langue française ?
Se basant sur les considérations qui précèdent, l'Entente
scientifique internationale pour l'adoption d'une langue auxi-
liaire a l'honneur de soumettre à votre vote les vœux suivants :
« Considérant que l'augmentation du nombre des langues
officielles admises dans les réunions internationales amènerait
successivement toutes les nationalités à exiger l'admission de
leur langue, alors que l'intérêt commun exige au contraire que
l'on réduise au minimum le nombre des langues internationales
et même que l'on en choisisse une seule comme langue auxi-
liaire:
SECTION PÉDAGOGIQUE E f SOCIALE IV- 7 — 55
« Considérant, d'autre part, la prééminence incontestable de
la langue française parmi les trois langues principales;
« Considérant, enfin, que les 112 bureaux permanents des
associations internationales connaissent tous le français qui est
une des trois langues principales, et que 70 de ces bureaux ont
leur siège dans des pays de langue française, alors que 8 seule-
ment se trouvent en Allemagne et 3 en Angleterre;
« Considérant au surplus que l'Office central des associa-
tions internationales a son siège à Bruxelles;
« Emet le vœu de voir désormais les langues française,
anglaise et allemande être seules reconnues officiellement dans
les diverses réunions internationales, la prééminence devant
être accordée à la langue française;
« Invite les bureaux permanents des associations internatio-
nales à employer exclusivement la langue française dans leurs
rapports entre eux et avec l'Office central des associations inter-
nationales. »
Le statut linguistique des associations internationales.
Rapport présenté par le comité de « l'Entente scientifique inter-
nationale pour l'adoption d'une langue auxiliaire » au Congrès
mondial des associations internationales, tenu à Bruxelles-
Gand, en 1913.
La question de l'emploi des langues est d'importance majeure
pour les associations internationales. Il serait donc fort dési-
rable que les organisateurs de ces associations connaissent aussi
exactement que possible les conditions linguistiques existant
actuellement dans l'ensemble des milieux internationaux. Ils
seraient ainsi mieux armés pour la défense de l'internationa-
lisme lui-même que menacent certaines revendications d'autant
plus obstinées qu'elles sont moins justifiées.
56 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
Il est impossible, et d'ailleurs inutile, de faire une place à
toutes les langues dans les réunions internationales. Aussi, la
limitation du nombre des langues admises s'est-elle imposée
dès le début. Légitime en ce qui concerne les idiomes non euro-
péens ou ceux parlés par un nombre trop restreint d'humains,
cette limitation pouvait paraître vexatoire pour les langues plus
répandues. La logique des choses, plus inflexible que celle des
hommes, a cependant amené la plupart des groupements inter-
nationaux à sacrifier les intérêts particuliers à l'intérêt général
et à admettre de façon persque exclusive les trois langues :
française, anglaise et allemande, un droit de priorité bien mar-
qué étant accordé par beaucoup à la première de ces langues.
C'est ce que l'on constate lorsque l'on procède à un examen
attentif et impartial des diverses manifestations de la vie inter-
nationale, mais on conçoit qu'un tel examen soit fort malaisé.
Pour pouvoir dégager plus facilement les règles généralement
admises, il convient d'écarter d'emblée des quelque quatre cents
associations internationales cataloguées à ce jour, celles pour
lesquelles le problème des langues ne se pose pas.
Ce n'est que lorsque les interlocuteurs en présence ne peuvent
se comprendre par absence d'une langue commune que la ques-
tion se pose réellement, et l'on ne peut dire que ce soit le cas
de ces musées recueillant des objets de diverses provenances
ni de ces instituts accueillant des travailleurs de plusieurs
nationalités. Ne peuvent être retenus non plus, les réunions
dites internationales, se tenant invariablement dans un même
pays, ou encore les groupements internationaux d'hommes
pouvant se rencontrer grâce à la possession et au choix préa-
lable d'une même langue (par exemple, les congrès de médecine
légale de langue française admettant tous les médecins connais-
sant la langue française). A plus forte raison peut-on faire
abstraction des conférences et organisations intergouvernemen-
tales qui emploient presque exclusivement la langue française
pour leurs relations tant officielles que publiques. Les suscep-
tibilités nationales n'ont pu faire obstacle à l'adoption d'une
seule langue vivante par les gouvernements. C'est donc se mon-
trer plus catholique que le Pape rpie de s'obstiner à faire état
SECTION PÉDAGOGimE ET SOCIALE IV- 7 — 57
Je ces mêmes susceptibilités lorsqu'il s'agit d'organisations non
officielles.
Ces diverses éliminations comportent la suppression d'une
majorité de groupements accordant une place privilégiée à la
langue française, car, indépendamment de l'emploi du fran-
çais comme langue diplomatique, il faut tenir compte du fait
que c'est en France, en Belgique et en Suisse que la majorité
des associations internationales prennent naissance. Parmi les
"200 associations restantes, beaucoup émanent de groupements
nationaux devenus peu à peu internationaux sans avoir introduit
dans leurs statuts d'indication concernant l'emploi des langues,
ou en laissant toute latitude à ce sujet à chacun de leurs
congrès. Il n'y a pas de raison de croire que ces associations
ne règlent en pratique l'emploi des langues autrement que celles
qui ont légiféré sur ce point, de sorte que les résultats obtenus
de l'examen des statuts peuvent leur être appliqués en toute
logique.
On conçoit aisément que les influences s' exerçant pour faire
adopter certaines langues plutôt que d'autres ont dû varier con-
sidérablement suivant les lieux et les hommes en présence.
L'Union des associations internationales ne pouvait exercer
son action régulatrice, puisqu'elle est de formation trop récente,
et cependant le chaos a pu être évité, ainsi qu'on peut en juger
par les extraits (publiés en annexe) des statuts de 103 asso-
ciations, ainsi que des renseignements obtenus directement
de 38.
Avant de résumer la statistique qui peut être dressée au
moyen de ces données, constatons avec étonnement combien
peu d'associations ont jugé pouvoir accorder à la langue du pays
où se tient la réunion une importance en rapport avec le plus
grand nombre de nationaux qui assistent aux séances ou qui
prêtent leur concours à l'organisation locale. En effet, une
dizaine seulement admettent, par leurs statuts, la langue du
pays comme langue parlée et quatre seulement comme langue
écrite. Fermement partisans de la limitation du nombre des
langues internationales, nous n'en regrettons pas moins cette
exclusion qui, loin de simplifier le problème, nous paraît
S8 — IV- 7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
de nature à le compliquer. La courtoisie à l'égard d'un pays
accordant aux congressistes une hospitalité souvent très oné-
reuse, ainsi que la présence et la collaboration effective d'un
grand nombre, sinon d'une majorité des habitants de ce pays,
créent un droit sérieux en faveur de sa langue. En admettant
celle-ci à titre temporaire parmi les langues du congrès, on ferait
consentir bien plus facilement à son exclusion ailleurs et on
éviterait de susciter de l'animosité à l'égard des langues vrai-
ment internationales. Par contre, certaines associations ont
dépassé la mesure en accordant à la langue du pays la place
qui lui revient, mais elles ont commis la faute grave de ne pas
faire ressortir le caractère temporaire de son admission. C'est
ainsi que six associations ont admis l'italien pour leurs réu-
nions tenues hors d'Italie, et une ou deux l'espagnol, le sué-
dois, etc. Il y a lieu d'insister sérieusement pour que pareil erre-
ment de lèse-internationalisme soit abandonné. Le point d'hon-
neur bien compris ne peut consister à demander l'emploi de
sa langue en dehors de son pays, alors que la même règle est
appliquée à toutes les langues non internationales et que la
nécessité s'impose de réduire au strict minimum le nombre des
langues internationales. C'est ce qu'ont bien compris à maintes
reprises les Hollandais, les Portugais, les Hongrois, etc., qui
ont spontanément consenti, chez eux, au sacrifice de leur langue
en faveur des trois langues principales et surtout en faveur du
français.
Des 103 associations dont il vient d'être question, lo n'ad-
mettent que le français, lo autres accordent au français un droit
de priorité, et 83 admettent le français avec l'anglais et l'alle-
mand (6 ajoutent l'italien); trois ou quatre autres ajoutent
encore une ou deux langues supplémentaires. Une dizaine
admettent toutes les langues, et deux leur ajoutent l'espéranto.
Désirant compléter cette statistique par des renseignements
obtenus directement des bureaux permanents des associations,
nous leur avons envoyé le questionnaire suivant :
(( Nous sommes convaincus de ce que l'emploi du français,
(( de l'anglais et de l'allemand suffit pour le moment aux rela-
« tions internationales, et qu'il permet d'espérer un accord dans
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 59
« l'avenir en laveur d'une seule de ces langues. Nous pensons
« qu'en se limitant officiellement à ces trois langues, on évite
« dès à présent les multiples revendications qui pourraient se
(( produire par pur amour-propre national en faveur de langues
« non internationales. Pour ce qui regarde plus spécialement
(( les relations à établir entre les bureaux des associations inter-
« nationales, qui ont presque toutes leur siège en Belgique,
« France et Suisse, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de modi-
<( fier l'usage actuel qui est l'emploi quasi exclusif du français
« pour ces relations.
<( Si vous partagez cette manière de voir, veuillez nous le dire,
« sans tenir compte de ce qui suit.
« Si vous ne la partagez pas, veuillez indiquer le système qui
« aurait vos préférences, et dans le cas où vous préféreriez une
(( langue artificielle (ido, espéranto, idiomneutral, panro-
« man, etc.), veuillez dire laquelle et les moyens que vous pré-
« conisez pour permettre un accord unanime en sa faveur. »
Maints bureaux permanents ont préféré attendre une décision
de leur prochain congrès avant de formuler leur réponse. Parmi
les .38 réponses reçues à ce jour fvoir ces réponses en annexes),
13 (d'ailleurs en accord avec nous) proviennent d'associations
dont les statuts nous avaient déjà fourni les renseignements
nécessaires. Parmi les autres, 18 se déclarent d'accord avec nous,
3 désirent qu'on emploie le français seul, 2 veulent donner au
français une priorité plus grande que ne l'indique le question-
naire, 2 se déclarent partisans de l'espéranto et de 2 de l'ido.
Les données fournies par la lecture des statuts se trouvent
donc confirmées par les résultats du référendum. Les caracté-
ristiques que nous venons de dégager parlent suffisamment par
elles-mêmes pour que nous nous abstenions de les commenter.
Tirons cependant un enseignement du fait de ces associations
de travailleurs de toutes espèces, groupant environ 13 millions
de membres (sans compter le Bureau socialiste international),
qui acceptent la limitation aux trois langues principales. Cette
limitation n'est donc pas, comme on voudrait le prétendre,
acceptable seulement pour les élites intellectuelles.
60 — IV-7 SECTION PKDAGOGIQIE ET SOCIAIE
Il résulte de toutes ces constatations que la réalité des' faits
justifie pleinement les conclusions de nos précédentes études,
résumées dans le rapport que nous avons présenté au Congrès
de 1910. Nous y émettions le vœu que les associations interna-
tionales reconnaissent comme seules langues officielles : le
français, l'anglais et l'allemand, tout en accordant la préémi-
nence au français. Il est établi que les organisations internatio-
nales peuvent exercer et exercent effectivement sans trop d'en-
combre leur activité au moyen des trois langues qui se sont
imposées comme moyens de communication internationale. Les
revendications inconsidérées qui se produisent souvent en
faveur d'autres langues sont incompatibles avec les besoins
bien compris de l'internationalisme, et il y a lieu de les
repousser. C'est en accentuant, chaque fois que les circon-
stances le permettront, la priorité accordée au français, que
l'on obtiendra le plus aisément l'abandon de ces revendica-
tions, puisqu'on annoncerait par là que les efforts doivent se
diriger vers une limitation plus étroite et non en sens inverse.
L'anglais et l'allemand, restant langues privilégiées, leurs parti-
sans, dûment avertis, ne peuvent que consentir à pareille ma-
nière de faire. C'est pourquoi nous proposons de résumer la
question sous la forme du statut linguistique suivant, à commu-
niquer aux organisateurs de toutes les manifestations interna-
tionales.
STATUT LINGUISTIQUE DES ASSOCIATIONS
INTERNATIONALES.
Il est désirable que les associations internationales n'ad-
mettent officiellement, tant comme langues parlées que comme
langues écrites, que le français, l'anglais et l'allemand, en don-
nant autant que possible la prééminence au français.
A la demande des nationaux du pays où se tient la réunion,
une tolérance peut être faite en faveur de la langue de ce pays,
moyennant un résumé dans les trois langues officielles ou tout
au moins en français. Cette tolérance admise à titre exceptionnel
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 61
ne peut créer un précédent pour une réunion dans un autre
pays.
Les imprimés destinés exclusivement à un pays déterminé
pourront toujours être rédigés dans la langue de ce pays avec,
si nécessaire, une traduction ou un résumé dans les trois
langues officielles ou tout au moins en français.
En ce qui regarde les réunions entre délégués américains
pour la discussion d'intérêts purement américains, l'espagnol
et au besoin le portugais semblent devoir remplacer l'allemand
comme langue officielle en même temps que le français et l'an-
glais.
La majorité des bureaux permanents des associations inter-
nationales ayant leur siège en pays de langue française, il y a
lieu de maintenir l'usage existant qui consiste à rédiger surtout
en français les correspondances et autres moyens de communica-
tions entre ces bureaux.
Le présent statut visant à la limitation la plus grande possible
du nombre des langues, les associations internationales sont
invitées à rejeter toutes propositions qui leur seraient faites en
faveur d'autres langues vivantes, mortes ou artificielles.
LE COMITÉ
Mil.
Abetti (A.), directeur de l'Observatoire de Florence.
And'res (A.), professeur de zoologie à l'Université de Parnie.
Ausiaux (M.), professeur de sociologie à l'Université de Bruxelles.
Apostolidcs (N.), professeur de zoologie k l'Université d'Athènes.
Barbieri (G.), professeur de chimie à l'Université de Ferrare.
Bedot (M.), professeur de zoologie à l'Université de Genève.
Bogdan (G.), professeur de médecine légale k l'Université de Jassy
(Roumanie).
Bolivar (J.), professeur de zoologie à l'Université de Madrid.
Borri (Ii.), professeur de médecine légale à l'Université de Florence.
Bucalioni (L.), directeur de l'Institut de botanique de Catane.
Bujor (P.), professeur de morphologie à l'Université de Jassy (Rou-
manie) .
Bujwid (O.), professeur d'hygiène à l'Université de Craeovio (Galicie).
Canalis (P.), professeur d'hygiène à l'Université de Gênes.
Carnerio de Campos (J.), professeur d'anatomie à l'Université de Baliia
(Brésil).
62 — IV -7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
MM.
Catsaras (M.), professeur de neurologie à l'Université d'Athènes.
Cavara (F.), directeur du Jardin botanique de Naples.
Celli (A.), professeur d'hygiène à l'Université de Rome.
Choquette (Ch.), professeur de physique au collège de Saint-Hyacinthe
(Canada).
Chwolson (O.), professeur de mathématiques à l'Université de Saint-
Pétersbourg.
Clementi (6.), directeur de la clinique chirurgicale à l'Université de
Catane.
Coculesco (N.), directeur de l'Observatoire de Bucarest.
Corona (A.), professeur de physiologie à l'Université de Parme.
Cosmovici (L.), professeur de zoologie à l'Université de Jassy (Rou-
manie) _
da Costa Lobo (F.), professeur d'anatomio à l'Université de Coïmbre
(Portugal),
da Ciinha (P.), professeur d'anatomie à l'Université de Lisbonne.
Demoor (J.), professeur de physiologie à l'Université de Bruxelles.
di Mattei (E.), directeur de l'Institut d'hygiène à l'Université de
Catane.
Dvorak (V.), professeur de physique à l'Université d'Agram (Autriche-
Hongrie) .
Kginitis (D.), directeur de l'Observatoire d'Athènes.
Fermi (Cl.), professeur d'hygiène à l'Université de Sassari (Sar-
daigne).
Ferrero (G.), historien à Turin.
Furstenhoff (J.), professeur de l'Extension universitaire à Bruxelles.
Gatterani (G.), professeur de zoologie à l'Université de Camerino
(Italie).
Girard, directeur du Musée à Lisbonne.
Gravé (P.), professeur de mathématiques k l'Université de Jurjew
(Livonie).
Hermitte, directeur général des Mines à Buenos-Ayres (République
Argentine).
Horvath (G.), directeur de la section zoologique du Musée à Budapest.
Kauliabko (A.), professeur de physiologie à l'Université de Tomsk
(Sibérie).
Laflamme (J.), professeur de géologie à l'Université Laval, à Québec
(Canada).
Lebedinsky (J.), professeur de zoologie à l'Université d'Odessa (Russie).
Magalhaes, professeur à la Faculté de médecine de l'Université d'Oporto
(Portugal).
Marinesco (G.), profespeur de neurologie à l'Université de Bucarest.
Mattozo-Santos (F.), directeur du Musée zoologique à l'Université de
Lisbonne.
Mittag-Leffler (G.), professeur de mathématiques à l'Univeraité de
Stockholm.
Morselli (E.), directeur de clinique à l'Université de Gcênes.
Pampanini (R.), directeur de l'Institut de botanique à l'Université de
Florence.
Paulesco (N.), professeur de physiologie à l'Université de Bucarest.
Pelseneer (P.), membre de l'Académie de Belgique à Gand.
SE.C1I0N PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 63
MM.
Pozzi-Escot (M.), professeur à l'Ecole nationale d'agriculture à Lima
(Pérou).
' Kacovitzrt (Em.), sous-directeur du Laboratoire .Arago, à Paris.
Raffinetti (V.), professeur de mathématiques à l'Université de La Plata
(République Argentine).
Rajna (M.), directeur de l'Observatoire de Bologne.
Romiti (G.), professeur d'anatomie à l'Université de Pise.
Saccardo (P.), professeur de botanique à l'Université de Padoue.
Scoseria (J.), directeur de l'Institut de chimie de l'Université de Monte-
video (Uruguay).
SoUier (J.), directeur du sanatorium de BouIogne-surSeine.
Stanoëevitch (G.), professeur de pliysique à l'Université de Belgrade
(Serbie).
Suncr (A.), professeur de physiologie à l'Université de Barcelone
(Espagne).
Tanzi (E.), professeur de neurologie à l'Université de Florence.
Van Laer (H.), professeur à l'Ecole des mines du Hainaut, à Bruxelles.
Vedjovskij, professeur de zoologie à l'Université de Prague (Bohême).
Wilmotte (51.), membre de l'Académie de Belgique, à Bruxelles.
RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE.
Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux.
Je suis d'avis, connaissant les trois langues, que le français
est la langue la plus claire dans ses mots et dans la construc-
tion de ses phrases.
Le 21 mars 1913.
H. REGNARD.
Office central du Génie rural, de la motoculture
et de l'électrocultnre.
Emploi exclusif du français.
Le 21 mars 1913.
SILBERNAGEL.
Congrès international pour l'amélioration du sort des aveugles.
J'estime qu'il n'y a pas lieu de modifier l'usage actuel de la
langue française pour les relations scientifiques internatio-
nales comme langue auxiliaire.
Le 15 avril 1913.
D' ELOUI.
G4 — IV-7 SECTION l'ÈDAGOGlglE ET SOCIALE
Commission électrotechniqiie internationale.
La Commission électi'otechnique internationale, en 190(j,
adopta comme langues officielles l'anglais et le français. En
1913, à la demande des comités nationaux parlant les langues
allemande et es|)agnole, le bureau central proposa d'ajouter,
comme traduction aux textes officiels, un texte allemand et un
texte espagnol. Il existe dans plusieurs pays des électriciens
très compétents, mais qui ne sont pas linguistes, et puisque la
Commission élecfrotechnique internationale désire que les in-
génieurs électriciens de tous pays prennent connaissance de
ses travaux, sans difficulté, elle est forcée de publier ses docu-
ments imprimés dans les quatre langues les plus usuelles du
monde : anglais, français, allemand et espagnol.
Je ne sais pas si vous désirez que les Américains et les An-
glais lisent vos rapports et qu'ils s'intéressent à vos travaux.
Ils ne sont malheureusement pas linguistes comme les Alle-
mands, les Hollandais ou les Suisses et ne comprennent presque
rien que leur langue maternelle.
Pour les congrès, mon avis personnel est que tout le monde
qui y assiste comprend et peut s'exprimer en français.
Le 21 mars 1913.
Le secrétaire général de la Commission,
Ch. MAISTRE.
Office international du travail à domicile.
Nos congrès internationaux admettent les trois langues in-
diquées et publient tous leurs documents dans ces trois langues.
Quant aux relations par correspondances, elles se font toujours
en français.
C'est vous dire que nous souscrivons aux déclarations de
votre paragraphe premier ci-contre.
Le 23 mars 1913.
Le secrétaire,
Antony NEUCHENS.
Institut colonial international.
Les discussions qui ont été tenues depuis 1894 dans les ces-
sions tenues, par l'Institut colonial international, dans diffé-
rentes villes d'Europe (Bruxelles, La Haye, Berlin, Wiesbaden,
Brunswich, Paris, Londres, Rome), ont toujours eu lieu en
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV- 7 — CS
français et ce n'est que très exceptionnellement qu'on a em-
ployé les langues allemande et anglaise, à l'exclusion de toute
autre langue. Le bureau ne correspond qu'en français. Le
secrétaire général n'a pas mission de prendre au nom de l'In-
stitut un engagement quelconque pour l'avenir, mais il ne
pense pas que l'usage établi depuis plus de vingt ans soit
modifié.
Le 26 mars 1913.
Le secréluirc général,
Camille JANSSEN.
Conférences mondiales pour aider à l'entente entre les races.
Je suis personnellement d'avis que toutes les lettres
échangées entre des associations internationales ou des gou-
vernements étrangers doivent être rédigées en français (en bon
français). Autant que faire se peut, toute correspondance ayant
un caractère international devrait suivre cette règle également.
Cependant, l'internationalisme réel ne pourrait devenir pos-
sible que lorsqu'une seule langue telle que l'ido sera acceptée
universellement comme langue auxiliaire universelle. Je n'ai
pas la compétence nécessaire pour dire comment on pourrait
obtenir l'unanimité pour le clioix de cette langue.
G. SPILLER.
Comité de jonction des congrès sténographiques internationaux.
Je suis personnellement de cet avis et je pense être l'inter-
prète de la grande majorité des membres du Comité de jonc-
tion des congrès sténographiques internationaux.
II est souhaitable que pour les discours importants un secré-
taire polyglotte prenne des notes et résumé brièvement les
idées émises par l'orateur, pour les auditeurs des deux autres
langues, qui ne connaîtraient pas celle que l'orateur a employée.
Le français est à maintenir comme langue employée dans les
communications écrites entre les bureaux des associations
internationales et le siège central.
Le 20 mars 1912.
J. DEPOIN.
Conseil international des sapeurs-pompiers.
D'accord.
J. MEYER.
66 — IV- 7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
Union internationale pour la protection de l'enfance
du premier âge.
Je partage cette manière de voir et à l'Union internationale
pour la protection de l'enfance du premier âge, nous avons
adopté cette manière de voir.
Le 21 mars 1913.
D' E. LUST.
Société internationale de la tuberculose.
Lu et approuvé.
Le secrétaire général,
D' Georges PETIT.
Bureau international de fédérations d'instituteurs.
Le Bureau international de fédérations d'instituteurs n'a pas
accueilli, il y a quelques années, un vœu en faveur d'une
langue internationale artificielle. Je pourrais donc signer pour
approbation de la première partie de votre questionnaire. Je
crois plus utile d'appuyer votre proposition des signatures
des membres du comité.
Le 23 mars 1913. Gh. ROSSIGNOL.
Fédération internationale du bâtiment et des travaux publics.
D'accord.
Le 23 mars 1913! VAN OPHEM.
IIP Congrès international de botanique.
D'accord, mais je n'ai pas qualité pour parler au nom des
congrès en général le prochain congrès aura lieu à Londres,
en 1915; un comité doit déjà être en fonction sur place.
Le 23 mars 1913.
E. DE WILDEMAN.
Section de démographie de l'Institut international
de statistique.
D'accord en mon nom personnel, mais n'ai reçu de mandat
d'aucune association internationale.
Le 22 mars 1913. D' Jacques BERTILLON.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV- 7 — 67
Association internationale du froid.
J'ai l'honneur de vous retourner le questionnaire que vous
avez bien voulu nous adresser, muni de l'approbation du prési-
dent de l'Association internationale du froid.
Le Président, Le secrétaire général,
A. LEBON. E. GOUAULÏ.
Association internationale des médecins niécanothérapeiites.
Il n'est pas possible d'adopter une de ces langues comme
langue internationale. Il faut les considérer toutes les trois
comme un ensemble. L'opposition à l'adoption de l'une d'elles
à l'exclusion des deux autres est irréductible.
L'espéranto possède de grands avantages et est déjà connu
par un nombre considérable de personnes. L'accord ne peut
sortir que d'une entente commerciale, et non d'une entente
académique. C'est un congrès de commerçants et non de pro-
fesseurs qui donnera la poussée. Tout le monde l'apprendra
quand les bureaux le demanderont.
Le 25 mars 1913.
D' GUNZBURG.
Congrès international d'hgdrologie, de climàtothérapie,
de géologie et de physicothérapie.
Je partage l'opinion écrite au paragraphe 1° du question-
naire.
Le 25 mars 1913.
Albert ROBIN.
Bureau international de documentation éducative.
Dans mes rapports avec les sociétés savantes des divers pays,
j'ai pu constater que le français est la langue internationale
par excellence. Aussi, l'emploi quasi exclusif du français s'im-
pose-t-il à toute société ou organisation scientifique interna-
tionale.
Le Bureau international de documentation éducative se sert
du français comme langue véhiculaire, tout en réservant une
place à l'allemand et à l'anglais, en tant que langues scienti-
fiques admises, et au flamand, en considération du milieu dans
lequel l'organisme a pris naissance.
Le 26 mars 1913.
Le directeur général du Bureau international,
Éwdard PEETERS.
68 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
Fédération internationale pour l'observance du dimanche.
D'accord.
Le 26 mars 1913.
Pour la Fédération,
E. DELUZ.
Association internationale pour la protection de la propriété
industrielle.
Je partage complètement cette manière de voir.
Le 17 mars 1913.
Albert OSTERRIETH.
Congrès périodique international de gynécologie
et d'obstétrique.
D'accord.
D-- JACOBS.
Comité olympique international.
D'accord.
Pierre de COUBERTIN.
Commission permanente de l'Association internationale
des Congrès des chemins de fer.
Cette manière de voir est conforme à la pratique de l'Asso-
ciation internationale des congrès des chemins de fer. Celte
association, qui exclut les membres individuels, s'étend à
46 gouvernements adhérents et à 404 chemins de fer partici-
pants.
Le secrétaire général de l'Association,
L. WEISSENBRUCH.
Association internationale pour la protection légale
des travailleurs.
Nous sommes convaincus de ce que l'emploi du français,
de l'allemand et de l'anglais suffit pour le moment aux rela-
tions internationales. Nos expériences prouvent que même des
ouvriers allemands ont appris, dans l'intérêt de la solidarité
sociale, les rudiments du français, et que des délégués fran-
çais, à leur tour, ont appris à comprendre des discours alle-
mands. La plus grande difficulté linguistique existe encore
pour les délégués des pays anglo-saxons. C'est plutôt des pré-
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV- 7 — 69
l'érences de ces pays que dépendra le choix d'une langue auxi-
liaire. Ces préférences ne sont pas encore perceptibles. Il
serait donc, à l'tieure <[u'il est, absolument inadmissible de
se livrer à des i)ronosties sur un accord futur en faveur d'une
seule de ces langues. Actuellement, l'extension de chacune
dans le monde se poursuit presque pari passu.
Dans les relations entre les bureaux des associations inter-
nationales, l'usage actuel comporte, comme vous le faites re-
marquer, l'emploi quasi exclusif du français. 11 est évident
que nous correspondrions en allemand avec un office inter-
national ayant son siège à Berlin, et en anglais avec un institut
international à Londres. La langue auxiliaire s'impose dans
tous ces cas pour des raisons d'économie de temps, de frais
et de courtoisie réciproque.
Quant aux langues artificielles, il nous paraît douteux que
l'effort intéressant des adeptes de chacun des multiples
idiomes rivaux aboutisse à un résultat appréciable dans nos
rangs d'ici à dix ans. Nous préférons concentrer nos énergies
sur l'unité sociale des peuples, d'élargir les frontières inté-
rieures qui les séparent, de combattre la xénophobie des
institutions plutôt que d'épuiser nos efforts dans une unifi-
cation des manifestations extérieures. En effet, il est préfé-
rable de sacrifier aux habitudes nationales, plutôt que de
prendre l'appui de l'opinion publique dans tous les pays par
l'adoption d'une langue exclusive. Mieux vaut s'entendre que
se comprendre.
Le 29 mars 1913.
Le président, Le secrétaire général,
H. SCHERRER. BAUER.
Commission permanente internationale
des congrès d'assainissement de l'habitation.
Je partage absolument cette manière de voir et je considère
que les langues artificielles ne font qu'ajouter à l'imbroglio.
11 faut se limiter à trois langues en attendant qu'on arrive à
une seule.
Le 30 mars 1913.
S. Marié DAVY.
Confédération internationale des nniversités populaires.
Nous sommes tout à fait d'accord avec vous en ce qui
70 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
concerne les relations internationales; au sujet des relations
entre bureaux, ceUes-ci se font exclusivement en français.
Le 1" avril 1913.
Gaston CHOTIAU.
Société positiviste internationale.
D'accord.
D'^ CORRA.
Fédération internationale et nniverselle des sociétés
de crémation.
Ces trois langues suffisent amplement.
Georges TOSQUINET.
Association internationale pour la destruction rationnelle
des rats.
Nous partageons complètement la manière de voir y exposée.
Le 5 avril 1913.
F. GUNCHLNA.
Commission internationale permanente
de l'éducation physique.
D'accord.
A. FOSSEPREZ.
Association internationale pour l'étude du cancer.
Nous sommes d'avis qu'il n'est pas pratique de désigner une
seule langue pour les congrès et les relations scientifiques
internationaux. Nous pensons aussi qu'il ne convient pas de
remplacer les langues existantes par une langue artificielle.
Nous croyons qu'il faut maintenir l'usage des langues usuelles,
c'est-à-dire de l'allemand, de l'anglais et du français, pour les
relations scientifiques internationales.
D' DEBAISIEUX, STIMMER, Prof.-D' GENPHEYR.
Société internationale
pour le développement de l'enseignement commercial.
D'accord.
A. JUNOD.
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 71
L'Alliance coopérative internationale.
Nous sommes de cet avis. HAUSHULLER.
Institut ethnographique international de Paris.
Nous estimons également que le français, l'anglais et l'alle-
mand suffisent à assurer les relations internationales, mais
nous ne pensons pas qu'on puisse envisager l'éventualité d'un
accord reconnaissant l'emploi exclusif de ces trois langues.
Si l'une quelconque d'entre elles doit jamais acquérir une pré-
dominance marquée sur les autres, cela ne peut résulter que
d'une situation de fait que dans les deux autres pays on ne
pourrait s'empêcher de reconnaître et d'accepter, mais cet état
de chose ne saurait être créé par un arrangement consacrant
un abandon volontaire. De toute façon, notre société proteste
avec la plus vive énergie contre toute idée d'essayer de créer
une langue arificielle, ce qui est contraire à toutes les données
fournies par la science ethnographique.
G. REGELSPERGER.
Alliance internationale pour le suffrage des femmes.
Je préfère l'ido; on pourrait habituer le public par la pu-
blication d'une édition de l'organe des sociétés internationales
et du compte rendu de leurs congrès en ido. Mais, bien sûr,
il faudrait pour cela des sacrifices pécuniaires de la part des
idistes.
Je ne puis parler au nom de l'Alliance, faute de temps de la
consulter.
G. KRAMERS.
Fédération abolitionniste internationale.
L'espéranto a paru avoir résolu le problème, et il y a lieu
de considérer comme une chose absolument déplorable que
l'on ai songé à lui opposer l'ido, qui a ralenti sinon arrêté
l'élan initial, au grand détriment de l'intérêt général.
Quant aux moyens à préconiser pour permettre un accord
unanime en faveur de l'espéranto, il faudrait pouvoir faire
comprendre aux réformistes que le mieux est fréquemment
l'ennemi du bien, et qu'ils sont eux-mêmes voués à l'impuis-
sance, tous leurs efforts ne devant aboutir en fin de compte
qu'à enrayer un mouvement qui se présentait sous les plus
heureux auspices.
H. MINOD.
72 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIOUE ET SOCIALE
Bureau international de renseignements
à l'usage des professeurs de langues vivantes.
D'accord.
Le 6 juin 1913. Louis WEILL.
Comité permanent des congrès internationaux d'actuaires.
Comme suite à votre lettre du 11 avril dernier, nous avon.s
le plaisir de vous faire savoir que dans sa séance de ce jour,
le Conseil de direction du Comité permanent a fait sienne
l'opinion émise par le Comité d'entente au sujet de la langue
à adopter dans les relations internationales.
Le 14 juin 1913.
Le secrétaire général, Le président,
(S.) LEFRANC. (S.) Ant. BIGAULT.
RELEVE DES ASSOCIATIONS INTERNATIONALES DONT
LES STATUTS CONTIENNENT DES INDICATIONS AU
SUJET DE L'EMPLOI DES LANGUES.
1. Fédération internationale des ouvriers des postes, télé-
graphe et téléphone, — Le rapport annuel est rédigé en fran-
çais.
2. Fédération internationale des employés. — Revue fran-
çaise.
3. Bureau international des poids et mesures. — Les rap-
])orts et les publications sont publiés en français.
4. Association internationale de la presse périodique. —
Les délibérations et communications du comité, ainsi que les
procès-verbaux se font en français.
5. Office sanitaire international. — La langue officielle de
l'Office et du bulletin est le français.
6. Institut de droit international. — Aux congrès, les dis-
cussions se font en français, sauf les exceptions admises par
le président.
7. Fédération internationale pour la protection des races
indigènes contre l'alcoolisme. — La langue officielle de la
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 73
Fédération est le français, mais on peut adresse)- les corres-
pondances en français, anglais et allemand.
8. Bureau permanent international du spiritisme. — Bulle-
tin en français.
!). Commission internationale permanente pour l'étude des
maladies professionnelles. — F^e service bibliographique à
Milan publie un bulletin en français.
10. Association internationale des médecins inspecteurs
des écoles. — Bulletin français.
11. Fédération internationale des étudiants. — La langue
officielle de la Fédération est le français. La langue du pays
sçra admise pour l'ouverture et l'inauguration des congrès.
12. Association internationale pour la lutte contre le chà-
niaije. — Hevue française; comptes rendus des congrès en
trois éditions : française, anglaise et allemande.
13. Association phonétique internationale. — Revue fran-
çaise.
14. Institut international de sociologie. — Les travaux des-
tinés aux annales doivent être remis en français.
15. Bureau permanent de la pai.r. — Organe : les Etats-Unis
d'Europe paraissant en français depuis 18G7.
16. Congrès universels de la paix. — Le résumé des résolu-
tions et les procès-verbaux des séances sont publiés en fran-
çais. Les langues courantes des congrès sont : le français,
l'allemand et l'anglais.
17. Congrès international d'archéologie. — Les langues
officielles sont : le français, l'anglais, l'allemand et l'italien,
avec priorité au français, qui est emi^loyé pour les procès-
verbaux et la correspondance.
18. Fédération internationale pharmaceutique. — Le texte
français fera foi pour l'interprétation des statuts.
19. Ligue internationale pour l'éducation rationnelle de
l'enfance. — Revue française.
20. Union internationale du droit pénal. — Publications en
allemand et français.
74 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
21. Fédération de l'enseignement du dessin. — Le résumé
de chaque discours sera traduit en français, anglais et alle-
mand, qui sont les langues officielles. Le texte français des
statuts servira seul pour leur interprétation.
22. Ligue internationale des associations touristes. — Les
discussions et les communications ont lieu autant que possible
en langue française. Le Bureau central pourra se servir exclu-
sivement du français. Les discours ou propositions présentées
en d'autres langues pourront être traduites.
23. Conseil international des sapeurs-pompiers. — Les pro-
cès-verbaux et les comptes rendus sont rédigés en français,
mais les orateurs peuvent exiger la reproduction de leurs
communications dans leur langue. Le français, l'anglais et
l'allemand sont les langues officielles.
24. Commission permanente des congrès internationaux de
médecine. — Le français est la langue officielle de la Com-
mission permanente et de son bureau. Dans les réunions, on
pourra également faire usage de l'anglais, de l'allemand et de
l'italien.
25. Congrès internationaux d'anthropologie et d'archéolo-
gie historiques. — La langue française est la langue officielle
du comité et sert à la rédaction des procès-verbaux et de la
correspondance. Toutefois, les membres des congrès pour-
ront se servir également de l'anglais, de l'allemand ou de l'ita-
lien, mais leurs communications devront être résumées en
français et les discours se continueront en français.
26. Association internationale des congrès des chemins de
fer. — Discussions en français ou dans la langue du pays. Les
communications dans une seule langue sont traduites en fran-
çais. Bulletin français, anglais et allemand.
27. Congrès international des fabricants de cacao et de
chocolat. — Chacun peut s'exprimer dans sa langue, mais le
texte français fait règle en cas de contestation. Les discours
seront traduits d'une langue dans l'autre en ce qui concerne
le français, l'allemand et l'anglais. Publications dans ces trois
langues.
28. Comité international de la Croix-Houge. — Les orateurs
auront la faculté de s'exprimer dans leur langue. Il est cepen-
dant à désirer qu'on se serve de la langue française. Les dis-
SECTION l'ÈDAGOGIQUE BT SOCIALE ïV-7 — 73
cours prononcés dans une autre langue seront résumés en
français et, s'il y a lieu, dans la langue du pays.
29. Comité permanent des assurances sociales. — Bulletin
français. La publication en anglais et en allemand est à
l'étude.
30. Office international de documentation pour la chasse.
— Les langues d'usage courant seront employées pour la cor-
respondance. Pour l'interprétation des statuts, le texte fran-
çais est seul valable.
31. Office international de documentation pour la pêche. —
Les langues d'usage courant seront employées pour la corres-
pondance. Pour l'interprétation des statuts, le texte français
est seul valable.
32. Association internationale pour l'exploration de l'Asie
centrale et de l'Extrême-Orient. — Publications en langue
française. Communications aux comités locaux en français,
anglais, allemand, italien, russe et latin.
33. Union internationale des Associations de la Presse. —
La carte d'identité est imprimée en français avec traduction
anglaise et allemande en plus petits caractères.
34. Société internationale de musique. — Bulletin en fran-
çais et en allemand.
35. Union celtique. — ' Publications en français et en an-
glais.
36. Union internationale de patinage. — Les discours se
font en anglais et en allemand.
37. Union internationale de tramways et de chemins de fer
d'intérêt local. — Discussions et publications en français et
allemand, sauf avis contraire du comité.
38. Fédération internationale des associations de filateurs
et de fabricants de coton. — Les délégués pourront employer
l'anglais, le français ou l'allemand, mais on les prie d'em-
ployer autant que possible l'anglais.
39. Fédération théosophique d'Europe. — La langue offi-
cielle est l'anglais.
40. Organisation sioniste internationale. — La langue offi-
cielle est l'hébreu. Les délibérations se feront autant que pos-
76 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
sible en allemand et pourront être traduites en français,
anglais et russe.
41. Association internationale des hôteliers. — Bulletin et
comptes rendus annuels en français et allemand.
42. Union internationale des travailleurs d'hôtels, restau-
rants et cafés (26,000 membres). — Les publications et la
correspondance se font en français, anglais et allemand.
43. Association pour l'essai des matériaux. — Le français,
l'anglais et l'allemand sont seuls employés pour les comptes
rendus, rapports, etc., ainsi que pour le bulletin.
44. Association stoniatologique internationale. — Pour ré-
duire au minimum les difficultés de la diversité des langues,
les langues officielles admises sont le français, l'anglais et
l'allemand. Le bulletin est publié également en ces trois
langues.
45. Association internationale pour l'hygiène des races. —
Les communications se font aux membres par l'intermédiaire
de journaux françai.s, anglais et allemands.
46. Conseil international des femmes. — Les secrétaires des
divers pays envoient chacpie année au secrétaire général un
rapport rédigé dans une des trois langues officielles, qui sont
le français, l'allemand et l'anglais.
47. Congrès international de l'éducation morale, ù La Haye.
— Langues officielles : le français, l'anglais, l'allemand et le
hollandais.
48. Association de clubs cosmopolites (Etals-Unis). —
Actuellement revue anglaise. La revue internationale en pré-
paration se publiera en français et en anglais.
49. Alliance internationale pour le suffrage des femmes. —
Bulletin en français et en anglais.
50. Commission électro-technique internationale. — Hap-
j)orts en français et en anglais.
. 51. Association internationale pour la protection de la pro-
priété industrielle. — Le français, l'anglais et l'allemand sont
les langues officielles en lesquelles se font les i)ublications.
Les discours en l'une de ces langues sont immédiatement tra-
duits dans les deux autres. Trois annuaires distincts en cha-
cune des langues officielles.
SliCTlOiN PÉDAGOGIQIE ET SOCIALE IV- 7 — 77
52. Ligue internationale contre la vaccination. — Annuaire
en français, anglais et allemand.
.')3. Fédération internationale des ouvriers de l'industrie
textile. — L'annuaire en français, anglais et allemand.
54. Union internationale des ouvriers du tabac (48,000
membres). — Revue et comptes rendus en français, en anglais
et en allemand.
55. Union internationale des cordonniers (54,000 membres).
— Publications et comptes rendus en françai.s, en anglais et
en allemand.
56. .Secrétariat inlernulional des travailleurs de la pierre.
— Comptes rendus et rapports annuels en français et en alle-
mand.
57. Confédération internationale des musiciens (28,000
membres). — Les rapports en français, anglais et allemand.
Discussions orales en la langue du pays ou en espéranto.
58. Alliance coopérative, internationale. — Titre en fran-
çais, anglais et allemand.
59. Fédération internationale des mineurs (726,000 mem-
bres). — Comptes rendus et rapports en français, anglais et
allemand.
60. Secrétariat international des lypoç/raphcs (130,000 mem-
bres). — Rapports annuels en français et en allemand.
6L Fédération internationale des lithographes, imprimeurs-
lithographes et professions similaires (25,000 membres). —
Hulletin en français, anglais et allemand.
62. Fédération internationale des ouvriers de transport
(467,000 membres). — Comptes rendus en français, anglais
et allemand.
63. Secrétariat international des ouvriers du verre (50,000
membres). — Comptes rendus, communications et revue en
français, anglais et allemand.
64. Fédération des ouvriers métallurgistes (938,000 mem-
bres). — Comptes rendus et revue en français, anglais et alle-
mand.
65. Fédération internationale pour l'observance du di-
manche. — Comptes rendus en français, anglais et allemand.
Revue en français et allemand.
78 — IV-7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
66. Secrétariat international des fédérations syndicales in-
ternationales (9,800,000 membres). • — Rapports annuels en
français, anglais et allemand.
67. Fédération internationale de la Croix-Bleue. — Publi-
cations en français et en allemand.
68. Bureau international de correspondance et de résistance
néo-malthusienne. — ■ Programme en français, anglais et alle-
mand.
69. Institut international pour l'étude du problème des
classes moyennes. — Rapports et bulletin en français et en
allemand. Dans les discussions orales, les communications
en d'autres langues sont traduites en français et en allemand.
70. Bureau socialiste international. — Les trois langues du
congrès sont le français, l'anglais et l'allemand. Les procès-
verbaux des séances sont rédigés en ces trois langues.
7L Association internationale pour l'étude du cancer. —
Revue en français, anglais et allemand.
72. Bureau international de documentation éducative. —
La correspondance se fait en français, anglais, allemand et
néerlandais.
73. Institut international de bibliographie sociale. — Les
publications se font en français et en allemand.
74. Ligue internationale contre l'abus des boissons alcoo-
liques. — Revue en français, anglais et allemand.
75. Bureau international contre l'alcoolisme. — Titre en
français, anglais et allemand.
76. Congrès international des éditeurs. — Mémoires et cor-
respondance en français, anglais et allemand.
77. Congrès international des sciences administratives. —
Les langues employées furent le français, l'anglais, l'allemand
et le néerlandais.
78. Association permanente des congrès de navigation. —
Les langues employées sont le français, l'anglais et l'allemand.
79. Association internationale de la presse médicale. —
Le français est la seule langue du comité. Les journaux affi-
liés à l'Association sont invités à faire suivre les travaux ori-
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-7 — 79
ginaux de conclusions rédigées en français, anglais et alle-
mand.
80. Bureau intenialional des fédérations d'instituteurs
(408,000 membres). — Toutes les langues sont autorisées, mais
les conclusions doivent être répétées en français, anglais et
allemand.
81. Association internationale pour la protection légale des
travailleurs. — Les entêtes des tableaux-statistiques doivent
être rédigées dans la langue du pays avec traduction en fran-
çais, anglais ou allemand. Bulletin français, allemand et an-
glais.
82. Congrès international de médecine vétérinaire. —
Comptes rendus en français, anglais et allemand.
83. Association internationale des botanistes. — Correspon-
dance en français, anglais et allemand.
84. Fédération internationale de laiterie. — Les mémoires
pour le concours doivent être rédigés en français, anglais et
allemand.
85. Association internationale des chimistes de l'industrie
du cuir. — Revue en français, anglais et allemand.
86. Institut international pour la diffusion des expériences
sociales. — Revue en trois éditions : française, anglaise et
allemande.
87. Union internationale des amis de la jeune fille. ■ — Le
livret individuel est rédigé en français et en allemand.
Au besoin une autre langue encore.
88. Congres international de l'enseignement primaire. —
La communication est faite en français, anglais et allemand
et, s'il y a lieu, en la langue du rapporteur.
89. Congres international des sciences historiques. — Le
Congrès de Berlin publie un quotidien en français, anglais,
allemand et italien.
90. Institut international pour l'étude des causes des mala-
dies mentales. — Les avis et communiqués en français, an-
glais, allemand et italien. Les travaux originaux, en une de ces
langues avec extrait dans les autres langues.
91. Société internationale pour le développement de l'en-
seignement commercial. — Revue en français, anglais, alle-
mand et italien.
80 — IV- 7 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
!)2. Union internationale des ouvriers chapeliers (29,000
membres). — Bulletin en français, anglais, allemand et italien.
93. Confédération internationale des sociétés coopératives
agricoles. — Assemblées, comptes rendus et revue en fran-
çais, anglais, allemand et italien. Pour parler en une autre
langue, l'orateur doit s'assurer le concours d'un interprète.
94. Congrès international des architectes. — Les langues
officielles des congrès sont le français, l'anglais, l'allemand et
l'italien.
95. Société internationale de chirurgie. — Les langues offi-
cielles sont le français, l'anglais, l'allemand et l'italien.
96. Fédération dentaire internationale. — Bulletin en fran-
çais, anglais, allemand et espagnol.
97. Union internationale des boulangers, confiseurs et mé-
tiers similaires (50,000 membres). — Les feuilles d'orientation
pour ouvriers quittant leurs pays et collées sur leur livret sont
rédigées en français, allemand et danois.
98. Union internationale des ouvriers du bois (287,000
membres). — Publications en français, anglais et suédois.
99. Congrès scientifique international américain. — Les
langues officielles sont : le français, l'anglais, l'allemand, l'es-
pagnol, l'italien et le portugais.
100. Association internationale permanente des congrès de
la route. — • Chaque congrès indique les lafigues admises. Lu
langue du pays sera admise si la commission locale la ré-
clame. Pour le prix à décerner, les mémoires doivent être ré-
digés en français, anglais ou allemand.
101. Association de droit international. — La langue offi-
cielle est celle du pays, sauf décision contraire. Chaque
membre peut écrire ou parler sa langue.
102. Union internationale de photographie. — Autant que
possible, l'annuaire sera rédigé dans les langues usuelles et
l'espéranto.
103. Société internationale de dialectologie romane. — ■ Pu-
blications en français, anglais, allemand, italien, espagnol,
catalaji, roumain.
IV. — SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE.
L'Œuvre des résumés français,
J.-A. FURSTENHOFF-
Introduction.
Nous montrons dans un autre rapport présenté à ce congrès
que la proposition de faire adopter le français comme seule
langue auxiliaire internationale se justifie par les faits. Objet
de nos efforts depuis une dizaine d'années, ce but paraît moins
ulopique à la suite du référendum que nous avons organisé au-
près des associations internationales. Il est presque exclusive-
ment fait usage du français, de l'anglais et de l'allemand dans
la grande majorité des réunions internationales et, dans beau-
coup de cas, une préférence marquée est déjà accordée à la pre-
mière de ces langues. Nous indiquons dans ledit rapport com-
ment, dans l'avenir, cet état de choses peut amener l'emploi
exclusif du français comme langue auxiliaire.
On conçoit aisément que les Français se fassent scrupule de
préconiser eux-mêmes une telle solution, bien qu'on aurait
tort de s'exagérer l'avantage matériel qu'ils en retireraient.
L'usage du français en diplomatie n'a pas fait jusqu'ici attri-
buer à la France une part plus grande dans les traités. De
même, le bénéfice considérable que retireraient les autres
peuples de l'emploi d'une seule langue auxiliaire doit com-
82 — IV-8 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
penser largement l'avantage plutôt moral obtenu par le peuple,
dont on adopterait la langue. Quoiqu'il en soit, l'initiative du
mouvement a été prise par des étrangers, et notre comité se
compose presque entièrement de professeurs d'universités
étrangères.
Les Français ne peuvent cependant se désintéresser complè-
tement d'une solution aussi flatteuse pour eux, et il leur appar-
tient d'augmenter au maximum l'intérêt que les étrangers ont
à connaître leur langue. Les classes cultivées des autres pays
subissent déjà une sorte de fascination par le fait des beautés
de la littérature française. Il serait désirable que toutes les
classes sociales à l'étranger soient séduites au même titre et
c'est par la satisfaction des intérêts matériels qu'il y a le plus
de chance d'y arriver. On pourrait dès lors modifier un mot
célèbre et dire que tout homme possède deux langues, la sienne
et le français.
Convaincre les travailleurs du monde entier que la connais-
sance de la langue française leur permettrait de se documenter
rapidement et de façon complète sur toutes matières, serait un
moyen assez sûr d'atteindre ce but. Nous avons esquissé en ces
termes, au congrès de 1908, ce qu'il y aurait lieu de faire pour
que la documentation française soit à la hauteur d'une sem-
blable exigence : << Si, tenant compte de l'avantage considérable
« qu'en retirerait l'expansion de la langue française, les revues
« françaises ou plutôt un organisme spécial des d résumés
« français », comparable aux « Ce7itralblàUer allemands »;
'( pouvait publier sans aucun retard le résumé de tout ce qui
<( paraît en matière scientifique, nul doute que les savants ita-
« liens, espagnols, russes, etc., ne s'en servissent de préférence
« comme source d'information. )>
Le congrès de 1908 a décidé de reporter à la session suivante
l'examen de cette importante question. Il convient donc d'exa-
miner aujourd'hui de plus près les données du problème et
les' efforts exercés de diverses parts. Ce travail préliminaire
permettra de mieux déterminer les moyens pratiques pour
faire de l'œuvre des résumés français un des plus sûrs moteurs
de l'expansion de la langue et de la culture françaises.
SECTION PÉDAGOGlyLE ET SOCIALE IV-8 — 83
Importance de la documentation.
Bien que la question de la documentation intéresse toutes
les formes de l'activité humaine, nous nous limiterons ici à la
documentation scientifique.
Une documentation bien faite met rapidement le savant, l'in-
dustriel, au courant de tout ce qui s'est fait dans le passé et de
tout ce qui continue à se faire dans le présent concernant la
science ou l'industrie qui les intéresse. Sans documentation, un
travailleur peut consacrer des semaines et des mois à diriger
ses investigations laborieuses dans un sens déterminé et
apprendre ensuite que ce qu'il croyait avoir trouvé le premier
n'est pas nouveau; il peut aussi se trouver arrêté pendant long-
temps et peut-être même de façon définitive, par des diffi-
cultés déjà rencontrées et vaincues par d'autres, sans qu'il le
sache. L'importance des intérêts en jeu peut être considérable.
On connaît de nombreux cas où la méconnaissance d'un docu-
ment a empêché l'essort d'une industrie ou entraîné la ruine
d'une usine. Et cependant, si illogique que cela puisse sembler,
la plupart des chercheurs procèdent par tâtonnements h cause
de l'insuffisance de la documentation mise à leur portée et la
longueur des recherches qu'elle nécessite. S'il suffisait d'un
minimum d'efforts et de temps pour être documenté, l'étude
documentaire précéderait partout les travaux scientifiques et
techniques.
Le peu que nous en disons suffit à faire voir l'importance
considérable que doit acquérir de plus en plus la documenta-
tion dans le monde, ainsi que l'avantage que peut en retirer la
langue du peuple qui aura su le mieux organiser la documen-
tation.
Conditions d'une documentation bien organisée.
1. .i^a documentation doit être unilingue;
2. Elle doit être spécialisée, la tâche étant déjà fort lourde
84 — IV- 8 SECTION rÉDAGOGlQlJE ET SOCIALE
de réunir les documents innombrables relatifs à chaque spé-
cialisation;
3. Elle doit être complète au point de vue de la quantité et
de la qualité, c'est-à-dire qu'aucun document ne p"ut être omis
et que chacun d'eux doit être analysé de façon à en fournir
la substance. Elle doit donc être établie par des personnes com-
pétentes de la spécialité visée;
4. Elle doit permettre de juger le document sans qu'on doive
recourir à celui-ci. Elle doit cependant fournir toutes les
données nécessaires pour le retrouver;
o. Elle doit être accompagnée de tables de matières et de
noms d'auteurs judicieusement établies pour faciliter les ffe-
cherches;
6. Elle doit être faite sans retard de façon à fournir au cher-
cheur jusqu'aux toutes dernières informations.
Systèmes de documentation adoptés jusqu'à présent.
Parmi les systèmes de documentation adoptés jusqu'à pré-
sent, les uns donnent sous forme de traités, l'état d'une science
depuis l'origine jusqu'à la date de publication du traité, en
indiquant plus ou moins soigneusement la source de tous les
travaux cités. D'autres, qui continuent en quelque sorte les
précédents, donnent tous les perfectionnements réalisés dans
une science pendant un certain nombre d'années. Un troisième
système consiste à rassembler les indications documentaires
sous une forme mobile (fiches), permettant de tenir constam-
ment le recueil à jour. Ce dernier système ne s'applique évi-
demment qu'aux catalogues particuliers ou aux bibliothèques
publiques et ne peut être édité.
■Les deux premiers systèmes ont reçu de nombreuses appli-
cations dans certaines branches bien déterminées et certains
des recueils ainsi créés ont une grande valeur. Beaucoup se
bornent cependant à énumérer simplement les titres des Ira-
SECTION rKDAGOGlylt; ET SOCIALE IV-8 — 83
vaux ou n'en reproduisent que quelques mots. Ils sont d'ail-
leurs rarement complets au point de vue de la documentation
et ne représentent que des essais d'organisation spécialisée de
celle-ci.
Il convient de citer aussi certains essais de bibliographie
générale tels que le catalogue de Reuss, constituant un réper-
toire en seize volumes des documents, de 1663 à 1800, et con-
tinué par la Société royale de Londres. Actuellement, une en-
tente entre les divers gouvernements permet à cette société,
qui succombait sous la tâche formidable qu'elle avait assumée,
de continuer son catalogue, grâce à la collaboration de comités
nationaux. Ce catalogue ne reproduit toutefois que les titres, et
encore, dans la langue originale. On ne peut s'imposer que
bien rarement la perte de temps et l'argent nécessaire pour
réunir des documents signalés seulement par les titres, et sou-
vent, une fois réunis, beaucoup de ces documents sont à éli-
miner, chose que le titre seul ne permettait pas de décidei*. La
difficulté linguistique découragera d'ailleurs la plupart des
chercheurs.
N'oublions pas non plus de rappeler les efforts faits par
les grands Etats pour cataloguer et publier les brevets d'in-
vention, dont le nombre croît d'année en année (30,000 actuelle-
ment par an en Angleterre, et 60,000 aux Etats-Unis). En Angle-
terre, les tables de matières et les recueils groupant de façon ju-
dicieuse les résumés de brevets, facilitent grandement les recher-
ches. L'organisation française est loin d'égaler, à ce point de
vue, ce qui se fait en Angleterre. Cependant, depuis 1902, la
France a pris la tête du mouvement en ce qui concerne la ra-
pidité de publication de la description des brevets en fasci-
cules séparés. C'est par les brevets français que l'on peut con-
naître le plus vite une invention. Mais au point de vue de la
classification des résumés, tout est encore à faire et il serait
désirable que l'on adopte le système anglais, qui est remar-
quable. Cette réforme serait d'autant plus utile en France
qu'on semble tendre dans ce pays également à l'examen préa-
lable des demandes de brevets, système nécessitant une docu-
mentation bien établie.
86 — IV-8 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
L'œuvre des résumés français pourrait répondre
à tous les besoins d'une documentation parfaite.
Comme nous venons de le voir, la difficulté linguistique
constitue un obstacle au seul essai de bibliographie scientifique
internationale qui puisse réellement compter jusqu'ici. Il est
évident que la documentation doit être unilingue et employer
une des trois langues internationales. D'autre part, il ne sau-
rait suffire de constituer un recueil de titres et cependant ces
titres sont déjà si nombreux qu'ils remplissent chaque année
un grand nombre de volumes. Ceux-ci, d'un maniement diffi-
cile, constituent plutôt une curiosité bibliographique que des
outils réellement utiles pour le chercheur. Que penser dès lors
d'une documentation complète par résumés? La tâche semble
surhumaine si on veut l'entreprendre par voie de centralisa-
tion!
Nous croyons, par contre, qu'en perfectionnant et en généra-
lisant le système des bibliographies distinctes pour chaque
science ou partie de science, on peut arriver à résoudre le
problème, à condition toutefois de créer un organe central
régularisateur.
L'usage s'introduit de plus en plus de reproduire dans les
revues techniques un résumé des travaux parus dans d'autres
publications, des livres, des brevets, etc. Ces résumés, plus ou
moins bien faits, ne constituent qu'un choix, le but poursuivi
étant beaucoup plus d'intéresser le lecteur que de créer une
bibliographie complète. Il y a donc deux points de vue à envi-
sager : celui suivant lequel on cherche à intéresser momenta-
nément les lecteurs tout en fournissant de la matière à la revue,
et celui visant la création d'un répertoire spécial auquel les
lecteurs auront recours dans la suite. C'est évidemment à ce
second point de vue que l'on doit se placer, car il permet d'agir
dans l'intérêt de tous, tandis que l'intérêt particulier de la
revue s'accommode mieux du premier. Afin de pouvoir faire
face aux difficultés plus grandes résultant de la transforma-
tion de leur bibliographie occasionnelle en une documenta-
SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE IV-8 — 87
tion complète et sérieuse, il paraît absolument nécessaire que
les diverses revues de même nature unissent leurs efforts pour
publier, à frais communs, un même supplément bibliogra-
phique, qui serait joint à chaque exemplaire des revues ou
vendu séparément. En introduisant ensuite peu à peu l'usage
de faire suivre tous les articles originaux d'un résumé rédigé
par les auteurs eux-mêmes (comme la loi l'exige déjà pour
les brevets français), le travail serait d'autant plus simple.
Cette idée de bibliographie à frais communs a déjà été
proposée en Allemagne pour les revues, et il semble que suite
y ait été donnée. Remarquons qu'en ce qui concerne la méde-
cine, les mathématiques et la chimie, la bibliographie fran-
çaise se trouve en excellente posture. Pourvu qu'on le veuille,
il ne doit pas être trop difficile d'obtenir le même résultat
pour les autres sciences.
La concurrence que se font les diverses revues de même
nature et les différentes maisons d'édition semble devoir ren-
dre toute entente précaire, si pas impossible. C'est pourquoi
il serait utile de faire intervenir, comme rouage central, un
comité officiel chargé de créer le terrain d'entente nécessaire,
de susciter des initiatives dans les diverses sciences et d'orga-
niser ou d'aider à l'organisation des documentations spéciales
dont l'ensemble doit constituer l'œuvre des résumés fran-
çais. Ce comité, où les diverses sociétés savantes seraient repré-
sentées, aiderait de son crédit la préparation des suppléments
bibliographiques, veillerait à la continuité et à l'excellence de
l'œuvre, centraliserait les recherches documentaires et pren-
drait toutes les mesures utiles" pour apprendre le chemin de
Paris aux étrangers désireux de se documenter. On voit que,
d'après ce système, le travail s'effectuerait surtout à la péri-
phérie, tandis que le centre, préservé de toute congestion dan-
geureuse, présiderait au fonctionnement général. Cette belle or-
donnance de tous les efforts amènerait la suppression de la
confusion régnant actuellement et permettrait d'envisager sans
crainte l'augmentation continue des documents à classer chaque
année. Des tables annuelles bien établies permettraient de
trouver aisément les résumés désirés, et un catalogue sur fiches
88 — lV-8 SECTION PÉDAGOGIQUE ET SOCIALE
pourrait aussi satisfaire aux demandes de renseignements.
Des essais de documentation générale sont tentés actuellement
en divers endroits. A Paris, le Mois scientifique représente une
tentative intéressante bien qu'incomplète, la tâche étant trop
lourde pour une entreprise privée. L'Association de documenta-
tion bibliographique, fondée en 19M dans un but plus désin-
téressé, semble également rendre des services en attendant l'or-
ganisation systématique que nous préconisons.
Il est de l'intérêt de la France de résoudre la question de la
documentation le mieux et le plus rapidement possible, car la
marée montante des documents imposera une solution, et celle
qui se montrera la plus pratique à tous les points de vue
obtiendra siirement les suffrages et l'appui des travailleurs du
monde entier. En Allemagne, un institut international à allure
officielle a été créé depuis deux ans environ pour la biblio-
graphie technique. Le bulletin mensuel de cet institut (qui
commence déjà à ajouter aux titres de courts résumés rédigés,
il est vrai, en diverses langues) est introduit en France, muni
d'une couverture française, par la librairie Dunod. A Bruxelles,
diverses tentatives s'ébauchent aussi autour de l'Institut inter-
national de bibliographie (dont le but est surtout la constitu-
tion d'un catalogue sur fiches). Nous avons parlé dans le para-
graphe précédent de l'œuvre de la Société royale de Londres.
Quant aux Etats-Unis, le mouvement bibliographique y est
également extrêmement intense. Les difficultés du problème
font que ces tentatives ne sont pas encore au point, de sorte
qu'il n'est pas trop tard pour entreprendre sérieusement l'orga-
nisation de la documentation à Paris, où nous la concevons
mieux qu'à Berlin ou à Bruxelles. Il n'y a cependant plus de
temps à perdre. Le V Congrès international de la presse médi-
cale, qui vient de se tenir à Londres, a proposé la création
d'une agence internationale d'information scientifique. Etant
donnée la supériorité de la médecine française, l'occasion est
favorable pour jeter les bases de l'organisation à Paris. Nous
demandons donc qu'une délégation soit choisie parmi les mem-
bres du présent congrès et qu'elle reçoive la mission d'appeler
l'attention des autorités et des sociétés savantes françaises sur
SECTION PKBAC.OGIOIJE ET SOCIALE IV-8 — 89
l'importance de la question et sur la nécessité de constituer
sans retard le comité central nécessaire.
Espérons que ce vœu soit exaucé et que par l'œuvre des ré-
sumés français, la France s'emploie, une fois de plus, à clari-
fier les suggestions étrangères pour les répandre ensuite dans
le inonde. Son développement économique et son influence
intellectuelle y trouveraient un précieux adjuvant, sans compter
que les Français seraient les premiers à bénéficier d'une docu-
mentation aussi établie chez eux.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Comité organisateur du Congrès 5
Liste des membres du Congrès 7
Assemblées et travaux du Congrès 23
Mémoires et rapports (rangés par section) :
I. — Sectio> de propagande.
A. — Le français dans le monde.
Gustave Cohen, La langue française en Hollande . . .
Charles Beckek, La langue française dans le Grand-Di
Luxembourg
.). DE Bi.ociszEwSKi, La langue française en Autriche .
Louis Fbi.ler, La langue française en Bohême ....
Ai.vARO ViANA DK Lemos, La langue française en Portugal
M™" la baronne J. Michaux, La langue française en Suède
Ferdinand Lannes, La langue française en Russie .
Abel Mansuy, La langue française en Pologne russe
J. Guillebert, La langue française on Bulgarie .
J. Lecoq, La langue française en Macédoine. .
Pierre Martixo, La langue française en Algérie
Fernand Braun, La langue française en Egypte
Anselme Laugel, La langue française en Alsace-Lorraine
hé
de
.1
23
37
41
49
.53
57
67
81
87
99
109
115
_ 2 -
Pages.
Hubert Morand, La langue française en Hongrie 123
S. Sasserath, La langue française en Belgique 131
Roland Barrault, La langue française en Italie 141
Paui, Mantoux, La culture française en Angleterre 153
L'enseignement du français en Allemagne ........ 103
B. — Les groupements et les écoles.
Emile Salone, L'Alliance française 1
Edmond Besnard, La Mission laïque française 5
E. Martinenche, Le groupement des Universités et Grandes Ecoles
de France pour les relations avec l'Amérique latine 13
Albert Schatz, L'Institut français de Londres 23
Fernand Pavard, La Ligue nationale pour la défense de la langue
française 31
Georges Gromaire, La Société d'échange international des enfants
et des jeunes gens 39
Georges Cirot, L'Œuvre des Comités français en Espagne ... 45
A. Salmon, La Fédération britannique des Comités de l'Alliance
française 69
Edm. Huguet, Les cours de l'« Alliance Française - 79
E. Mawet, .1. Van Dooren et A. Daxhelet, l'Association pour
l'extension et la culture de la langue française , 85
IL — Sf.ction littéraire.
Albert Heumann, Les écrivains flamands dans la littérature fran-
çaise et la portée européenne de leur apport 1
Gaston Bordât, Le rôle des revues françaises . 7
H. Bourrelier, A. Gillon, A. Mainguet etR. Lisbonne, La librai-
rie et l'extension de la littérature française 13
Gérard Harry, La propagande française par les langues étrangères 39
Henry de .Tquvenel, Les journaux quotidiens et la propagande
française ' 45
— 3 —
III. — Section de philologie et d'histoire.
Pages.
GoNZAGUK DK Rey.nold, L'histoire de la littérature française dans
les pays étrangers de langue française 1
Adjutor RiVARD, Les caractères du parler franco-canadien ... 21
D"' J.-H. Probst, L'influence des langues voisines sur le français en
-■Algérie 29
H. Grégoire, Les mots français en grec 37
Gustave Charlier, L'histoire littéraire de la France et le choix des
thèses et dissertations universitaires 49
IV. — Section pédagogique et sociale.
Maurice An.siaux, Le français, langue scientifique 1
M"" Marie Closset, La culture française dans l'éducation féminine. 7
D"' J.-H. Probst, Les meilleures méthodes d'enseignement et de
propagation du français chez les Arabes de l'Algérie .... 13
M. Lener, Do l'enseignement du français usuel aux débutants, en
pays de langue flamande 25
M"" Emma Lambotte, Les Wallons en Campine 33
R. Gai.i.et, De la part qu'il convient de faire, dans l'enseignement
des pays de langue française, à la lecture des écrivains régionaux 35
J.-A. FiiRSTBNHOFF, L'emploi du français dans les réunions interna-
tionales 49
J.-A. FïmsTE.NHOFF, L'Œuvi'e des résumés français ..... 81
2021
C6
1913
Congrès international pour
l'extension et la cij.ture de
la langue française, 3d,
Ghent, 1913
j. Compte rendu^
PLEASE DO NOT REMOVE
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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
I